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Thème 2
La communauté linguistique
Plan
1. La différenciation sociale
2. Les classes sociales et l’usage de la langue
3. La communauté linguistique : ses particularités
Introduction
Une langue est un instrument de communication, c’est-à-dire un système de règles ou de
signes et un instrument d’interaction sociale. Son utilisation implique des interlocuteurs, parfois de
statuts différents, dans une certaine situation de discours.
Connaître une langue, c’est produire et comprendre des phrases bien formées, appropriées
à une situation particulière.
Apprendre une langue, c’est apprendre les règles du système linguistique formel et les
règles d’emploi de la langue.
Si un apprenant ne sait pas comment utiliser les ressources d’une grammaire pour énoncer
des messages dans des situations de la vie réelle, on ne peut pas dire qu’il connaît une langue.
Il doit savoir quelle variété de langue utiliser dans telle situation particulière, comment varier
son « style » selon la personne à laquelle il s’adresse, à quel moment il doit parler ou rester
silencieux, accompagner ou non son discours de tel ou tel geste.
Après avoir vu ce qu’implique une langue, il faut s’interroger sur ce que l’on entend
exactement par « langue ».
Selon O. Ducrot (Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Paris, 1972) un
individu a une propre façon de parler, c’est son idiolecte.
Il peut employer un dialecte régional à l’intérieur d’une nation où domine un autre parler,
ou un dialecte social, système de signes et de règles syntaxiques utilisé dans un groupe social
donné, ou encore la langue nationale, la langue officielle à l’intérieur d’un État.
Comme membre d’un groupe socioprofessionnel, il peut apporter des modifications au
lexique et à la prononciation de la langue, ce qui peut aboutir à un jargon, à un argot.
Il faut mentionner qu’on propose de distinguer langue et dialecte sur la base de
l’intercompréhension mutuelle, c’est-à-dire sur la possibilité pour les locuteurs de la langue A de
comprendre les locuteurs de la langue B et vice versa.
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littéraire, celui du Coran), la seule forme standardisée de la langue, est apprise à l’école. Mais
chaque pays du « monde arabe » possède son arabe dialectal.
1. La différenciation sociale
On ne peut pas dissocier la langue du contexte social dans lequel elle fonctionne. On sait que
diverses variétés de langue – standard, classique – peuvent être définies selon les fonctions qu’elles
remplissent dans une société particulière, la façon dont elles se développent historiquement et les
attitudes des locuteurs à leur égard. Il reste à examiner la structuration de la société et les
conséquences possibles sur l’emploi de la langue.
Dans chaque société, les gens sont classés en catégories et organisés en groupes. Les
individus qui composent un groupe entretiennent des relations régulières et suivies entre aux, ils ont
des droits et des devoirs dans leur comportement.
Une famille, par ex., est un groupe : ses membres se retrouvent régulièrement, attendent les
uns des autres un certain type de conduite et sont considérés par le monde extérieur
(l’administration, l’inspecteur des impôts) comme une totalité.
Une catégorie est un ensemble d’individus auxquels la société attribue quelque chose de
commun ; c’est une classification socialement reconnue propre à une société donnée. La distinction
mâle – femelle, qui est universelle, n’implique pas l’existence de groupes constitués d’hommes et de
femmes. Etre un homme ou une femme n’implique pas nécessairement la participation à un groupe.
La diversité langagière est étroitement liée à la nature des groupes et des catégories qui
existent dans une société donnée.
Les linguistes étudient la variation sociale et les dialectes sociaux ou sociolectes qui
naissent des inégalités de la société. Les individus qui composent une société ne sont pas égaux : le
général et le bidasse (soldat), le directeur d’un lycée et le maître-auxiliaire, l’enfant prodige et
l’enfant handicapé ne sont pas égaux. Ces exemples indiquent qu’il y a plusieurs types d’inégalité :
différences naturelles ou innées (taille, biologie) et différences de positions sociales. Certaines
positions sociales peuvent bénéficier d’un prestige, d’un statut égal (plombier (instalator) et
menuisier (tâmplar)), d’autres peuvent entraîner des différences de rang social (général et homme
de troupe).
Le sociolinguiste s’intéresse aux inégalités sociales qui se reflètent dans l’emploi de la
langue : celles qui sont dues à des différences de prestige ou de statut, et enfin, celles qui sont
dues à une distribution inégale du pouvoir.
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Le linguiste, au sens étroit du terme, peut rejeter cette question en invoquant divers
arguments :
• la notion de classe appartient à la sociologie et à la science politique et dépasse donc le cadre
de sa discipline ;
• elle fait appel à des explications non linguistiques ;
• elle concerne la performance et non la compétence.
Pourtant, cette question est pertinente pour lui.
Le donné linguistique peut :
• éclaircir la structure de la société ;
• permettre à identifier les divisions sociales, les points de conflit et de convergence ;
• montrer que la division en classes est à la base de la variété standard d’une langue, de la
nature subjective du préjugé linguistique.
Dans la plupart des sources on classe l’analyse des classes sociales en 2 types d’approches :
• les conceptions « réalistes » pour lesquelles les classes sociales existent en soi ;
• les conceptions « nominalistes » pour lesquelles les classes sociales résultent d’une
construction intellectuelle.
Le plus illustre représentant du Ier groupe est Marx. Selon lui, l’appartenance de classe d’un
individu est définie par sa place dans le processus de production. Les membres d’une même classe
ont en commun, des intérêts économiques et un certain nombre d’autres traits (modes de vie,
condition de travail…) et la conscience qu’ils ont d’appartenir à cette classe. Les classes sont
antagonistes. La lutte des classes est le principal moteur de l’évolution sociale.
Sur cette base économique s’élève « une superstructure juridique et politique ». L’État, le
droit, la religion, la philosophie, la morale et les institutions comme la famille, l’école et même la
langue sont considérées comme partie intégrante de cette superstructure
Max Weber, le principal représentant de l’approche « nominaliste » soutient que la classe
sociale est un modèle construit pour approcher la compréhension de la réalité. Selon lui, il existe,
dans toutes les sociétés, trois types de hiérarchies qui correspondent à l’ordre économique, l’ordre
social et l’ordre politique. Les classes ne sont ainsi qu’une forme particulière de la stratification
sociale. Le statut de classe est défini par la propriété économique, les conditions extérieures de vie.
Une classe est un groupe de personnes qui occupe le même statut de classe.
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Mais on constate que quelle que soit l’approche utilisée pour définir les classes, il y a
toujours un point où elles ne sont pas reliées simplement et directement aux variations linguistiques,
standard ou non. C’est que les locuteurs dans certaines de leurs occupations, tendent à utiliser plus
de variétés standard de la langue que d’autres personnes ayant le même niveau de statut, revenu et
éducation.
Les professions en question sont, par ex. : celles de professeur, journaliste ou réceptionniste,
qui impliquent deux genres d’activités :
• la projection d’une image publique ;
• la socialisation linguistique, la promulgation de normes.
Le linguiste W. Labov montre dans ses œuvres que les employés qui ne sont pas en contact
avec le public, qui ne sont pas sur le devant de la scène (les magasiniers, par ex.) utilisent moins de
variantes de prestige que les employés en contact avec le public (les chefs de rayons, les vendeurs).
La sociolinguistique a comme but de décrire la langue dans ses emplois, ses usages. Cet
usage manifeste des variations : le locuteur opère un choix parmi les variétés (les sous-codes) de la
langue qu’il maîtrise, en fonction :
• de son statut social ;
• du style ;
• de la situation qui peut être plus ou moins formelle.
Le formalisme du discours peut se définir en fonction des termes constitutifs de
l’événement de la parole : on peut se sentir obligé de se conduire, de parler « correctement », d’une
manière formelle face à un auditeur d’un statut social élevé.
Le thème de l’échange nécessite une langue soutenue ou familière : sur le plan lexical, la
dénomination des parties du corps risque de changer radicalement quand on raconte une histoire
grivoise ou quand on discute avec une personne malade.
Le style peut être surveillé (langue soutenue), familier (celui du discours quotidien, tel qu’il
est employé dans les situations ordinaires où le langage n’est pas l’objet d’attention) ou spontané
(celui du discours que l’excitation ou l’émotion font apparaître et qui brise les contraintes d’une
situation formelle).
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De cette façon, les différentes approches que les variantes de la sociolinguistique ont tentées
tour à tour peuvent se hiérarchiser de façon logique. (La variation est considérée le fondement de
l’exercice communautaire d’une langue).
Les linguistes s’accordent à repérer (au moins) 5 types de variations linguistiques au sein
d’une même communauté.
I. L’origine géographique est un élément de différentiation sociolinguistique important et
parmi les mieux repérés.
Ainsi, pour ce qui concerne l’aire francophone française, certains mots, certaines
prononciations ou expressions permettent d’associer tel ou tel locuteur à telle ou telle zone
géographique.
Parlant de la variation géographique, on distingue 3 types de variations :
• lexicale ;
• grammaticale ;
• phonologique/phonétique.
H. Walter dans son ouvrage Le français dans tous les sens (1998) cite des exemples
convaincants de variation lexicale. Dans différentes régions de la France on peut
remuer/tourner/touiller/fatiguer la salade.
Dans la France méridionale, le matin on prend le petit déjeuner, à midi on dîne et le soir on
soupe. Alors qu’au nord de la Loire les mêmes séquences alimentaires sont désignées par : petit
déjeuner, déjeuner, dîner !
Donc, on constate qu’au sein même du français hexagonal, la diversification lexicale est la
règle ; elle est beaucoup sensible à l’oral qu’à l’écrit, à la campagne qu’à la ville.
Passons à la variation grammaticale.
La morphosyntaxe présente également des différentiations selon l’espace, même le
phénomène n’est pas si observable et observé que pour le lexique.
Par ex. : G. Tuaillon, éminent dialectologue, (Régionalismes grammaticaux, 1983) soutient
que « le régionalisme grammatical est vivace, parce qu’il n’est pas gratuit, il dit quelque chose que
le français ordinaire ne dit pas ».
Ainsi, en Lyonnais on dit : Le beaujolais, j’y aime et non Le beaujolais, je l’aime (le
beaujolais – un vin qui a ce goût, cette fraîcheur).
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Ex. C’est une ville où il fait bien vivre deviendra C’est une ville qu’il fait bon y vivre.
III. L’âge.
Un autre facteur de diversification c’est l’âge, c’est-à-dire l’appartenance à une certaine
génération d’usagers de la langue.
En fait, on pourrait dire qu’au sein d’une communauté linguistique, à un moment donné de
son histoire, coexistent plusieurs synchronies, dont les diverses générations sont porteuses.
Actuellement ce qu’on appelle « français des jeunes » ou encore « parler jeune » est de
plus en plus « langue des cités » (appellation par laquelle on veut désigner sûrement une version
plus marquée socialement de la langue des jeunes générations) est un bon exemple de variation
générationnelle, à la pointe du français « avancé ».
Les ouvrages, articles et dossiers (Langue française, no 114, 1997) démontrent que cette
variation a suscité beaucoup d’intérêt durant les dernières années.
On peut repérer comme exemple des caractéristiques phonétiques et grammaticales de ce
parler argotique générationnel.
Le linguiste J.-P. Goudaillier (1998) s’intéresse à sa composante lexicale. Il affirme qu’elle
est constituée d’un ensemble de traits, qui sont autant de procédés néologiques traditionnels, mais
dont l’abondance, la sélection et les domaines concernés sont tout à fait caractéristiques.
Il cite comme exemple la troncation, un type d’abréviation qui, à la différence de la
siglaison, née dans l’écrit, opère dans la langue parlée.
Si le français des jeunes utilise de nombreuses apocopes (« dég » pour « dégueulasse » (pop.
murdar, scârbos)), il affectionne tout particulièrement l’aphérèse, moins répandue dans le français
courant (« leur » pour « contrôleur », « zic » pour « musique »).
On observe par ailleurs une prédilection pour certaines suffixations (d’origine argotique
souvent) :
- en « -ave » : chaurave = voler ;
- en « -os » : musicos ou zicos pour musicien ;
- des créations métaphoriques : airbags = seins.
Il faut remarquer que l’emprunt est abondant dans le français des jeunes :
- emprunt à l’anglo-américain ;
- emprunts aux langues africaines ;
- le vieil argot français.
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H. Walter (Le français dans tous les sens, Paris, 1988) souligne une sorte de nouveauté dans
l’histoire de la langue : « De tout temps, les jeunes ont une façon de parler un peu différente de celle
de leurs aînés, mais, en prenant de l’âge, ils se conformaient plus tard à l’usage établi. Ce qui est
nouveau aujourd’hui, c’est que l’adaptation se fait en sens inverse, et que la génération la plus âgée,
avec plus ou moins de réticences, adopte une partie du vocabulaire des jeunes ».
IV. Le quatrième type de variations qu’il faut analyser au sein d’une communauté
linguistique, c’est la situation de parole/d’écriture (langue orale / langue écrite) : lieu, moment,
objectifs communicatifs, statuts/positions des interlocuteurs…
Les échanges au sein de la communauté présentent des variétés d’usages linguistiques que le
français usuel appelle « registres ».
E. Coșeriu parle de différences diaphasiques, en citant des exemples au lexique. (E. Coșeriu,
Structuration lexicale et enseignement du vocabulaire, 1967)
Ex. : mort, femme, habiter relèvent du langage usuel, mais décédé, conjointe, être domicilié
se rapportent au langage administratif.
Le lexique n’est pas le seul secteur de la langue concerné par ce type de variation.
Selon W. Labov l’écrit relève d’une manière générale du « style surveillé » en tant que
d’autres façons de parler sont utilisées seulement dans la langue parlée.
Ex. : la négation simple en français contemporain.
Deux variantes sont en concurrence : la structure ne … pas (je ne sais pas) et la structure ø …
pas (je sais pas).
Un autre exemple : les temps de la narration en français.
E. Benveniste (« Les relations de temps dans le verbe français » dans Problèmes de
linguistique générale, Paris, 1966) a bien montré que le passé simple, temps de l’énonciation
historique, était exclu du récit oral, qui avait recours au passé composé.
V. Le sexe, c’est une autre variable au sein de la communauté qui a focalisé l’attention de
plusieurs sociolinguistes.
W. Labov a réalisé une enquête à New-York et a observé que les femmes sont plus sensibles
aux modèles de prestige. Elles utilisent moins de formes linguistiquement stigmatisées (considérées
comme fautives) en discours surveillé.
Et pourtant les femmes sont parfois en avance d’une génération quant au changement
linguistique.
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W. Labov constate une sorte de paradoxe quant au comportement linguistique des femmes
qui « emploient les formes les plus neuves dans leurs discours familier, mais se corrigent pour
passer à l’autre extrême dès qu’elles passent au discours surveillé ».
Et compte tenu du rôle des femmes auprès les enfants, il n’est pas étonnant qu’elles exercent
une domination sur les changements linguistiques et phonétiques en particulier.
Mais dans une série de travaux réalisés par des linguistes anglo-saxons (R. Lakoff,
R. Fishman), on avance d’autres hypothèses concernant l’asymétrie homme/femme face à la langue.
Le linguiste C. Silva-Corvalan (Sociolingvistica, 1989) a remarqué certaines particularités,
par ex. : l’utilisation plus fréquente chez les femmes que chez les hommes des diminutifs.
Le débat concernant le sexe comme élément à prendre en compte dans la variation
sociolinguistique n’est pas terminé.
Conclusion : La langue est un diasystème qui manifeste un ensemble de variations dans ses
usages et dont l’approche sociolinguistique permet de décrire la structuration, en relation avec les
représentations partagées (normes, valeurs…) par la communauté linguistique.
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