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BIGORGNE Margot le 26/04/22

L3 Sanskrit - Sciences du Langage

Partiel d’Anthropologie linguistique


L6FL003

Sujet 2 :

Commentez et discutez la citation suivante extraite du livre de Don Kulick, A Death in the
Rainforest :
The conclusion that linguists have drawn from this counterintuitive distribution of languages
is that people in Papua New Guinea have used language as a way of differentiating
themselves from one another. Whereas other people throughout the world have come to use
religion or food habits or clothing styles to distinguish themselves as a specific group of
people in relation to outsiders, Papua New Guineans came to achieve similar results through
language. People wanted to be different from their neighbors, and the way they made
themselves different was to diverge linguistically.

Le langage n’est pas une entité abstraite. La citation de D. Kulick, qui à première vue
appréhende le langage comme un moyen d’identification culturelle — avant d’être un moyen
de communication au sens Saussurien du terme — , nous pousse à plus large spectre à
questionner la notion même de culture et de communauté.
Pour pouvoir affirmer une telle position, à savoir : le langage est un marqueur d’identité
socio-culturelle (et donc un marqueur de différenciation), nous devons d’abord interroger les
contextes dans lesquels il est mobilisé.
Si nous adoptons l’approche que Franz Boas a élaborée dans les années 20 du siècle
dernier, en s’astreignant à confronter les variations des « universaux » anthropologiques entre
les différentes « cultures » du monde, nous sommes mis face à face à la déconcertante
variabilité de pratiques langagières — et donc de pratique culturelles, qui habitent l’entièreté
de la surface du globe. Un paradoxe apparait alors : comment se fait-il qu’une entité — ce
qu’on appellerait la « langue » — servant à réunir des individus et à fortiori des groupes par sa
fonction de communication, puisse diverger et agir en marqueur de séparation entre les
groupes ? D’autre part, comment est-ce possible que des groupes puissent partager des
mêmes pratiques culturelles et adopter des pratiques langagières différentes, lorsqu’il existe
des groupes qui ayant une langue similaire, adoptent des pratiques culturelles divergentes ?

Bien à l’inverse de Sapir, ici nous ne pouvons considérer le langage comme le moyen
d’accès à une culture, à un monde de représentations des réalités symboliques et sociales.
Ceci étant dit, il semble nécessaire de fixer un point de départ à notre réflexion sur le
langage en partant par la définition du terme de culture donnée par Winkin, à savoir : «
l’ensemble des savoirs à acquérir pour faire partie d’un groupe ». Parmi ces savoirs se trouve
le langage, donc, ou du moins une certaine forme de pratique langagière.

À cet égard, nombre de situations observées par des anthropologues montrent


comment des pratiques langagières particulières permettent à des individus ou groupes
d’individus de montrer leur appartenance à un groupe plus large, celui qu’on appellerait la
communauté.
Citons par exemple le travail de Michelle Daveluy qui a étudié la manière dont l’exogamie
langagière est pratiquée autour du bassin fluvial de Vaupès au Nord-Ouest de l’Amazonie.
Elle a montré que dans le contexte multilingue des communautés habitant autour du bassin,
il existe une liste —implicite— de règles linguistiques à respecter (adoption ou rejet de
langues paternelles et maternelles), permettant de pratiquer l’exogamie dans les mariages,
autre règle fondamentale de la communauté étudiée. Ainsi, la jeune mariée, en adoptant la
langue de son époux et abandonnant celle de sa mère, montre son allégeance au groupe, sa
capacité à maintenir un ordre patrilinéaire déjà établi. Par son choix linguistique (plus ou
moins conscient, certes), elle se positionne socialement et marque son entrée dans le groupe.
Une telle pratique langagière, régie par des règles linguistiques, explicite une certaine
idéologie que la communauté en question produit sur elle-même : parler la langue du père,
c’est avoir un statut social, un mari, des enfants… ; et pour reprendre les termes de Bourdieu,
c’est tirer profit d’un « marché linguistique » et faire preuve d’un « habitus culturel ».

D’autres cas, notamment dans des études articulant les modalités d’usage de créoles/
langues indigènes par rapport à l’anglais, langue la colonisation et de la mondialisation (voir
Références), montrent comment des idéologies linguistiques (implicites pour la plupart) sont
mobilisées dans des contextes de socialisation, lors de l’enfance ou du passage à l’âge adulte.
A. Paugh a montré par exemple comment le code-switching entre Patwa (créole) et l’anglais
pratiqué par les enfants dans des situations de jeu révèle l’idéologie linguistique implicite
chez les adultes selon laquelle « il faut » parler anglais pour être « adulte » ; alors que dans les
faits, une fois « adulte » (ayant acquérit un travail, peut-on imaginer), le Patwa est toujours
utilisé dans les situations non-formelles, et les enfants, à qui l’on parle anglais par choix
conscient, apprennent de fait le Patwa en imitant leurs aînés qui continue de le parler.

Plus généralement, on observe que dans les contextes post-coloniaux, les idéologies
linguistiques, bien qu’implicites la plupart du temps, sont très fortes, en ce qu’elles
distinguent par les usages les langues indigènes, pidgins ou créoles, des langues de
colonisation. Ainsi, parler anglais par exemple, peut aussi bien indexer d’un côté que l’on
contribue au « progrès » de la communauté, d’un autre côté que l’on contribue à l’ «
aliénation » de celle-ci en s’associant à des étrangers…
On voit bien que même la pratique langagière et que le choix linguistique n’est jamais
pleinement univoque. Il indexe des positions multiples selon des idéologies multiples sur la
langue qu’une culture et qu’un groupe ne partagent pas façon fixe et déterminée. On peut
s’identifier à une même entité en même temps que l’on s’en différencie.
Pour finir, nous pourrions mentionner les travaux de P. Descola qui questionnent eux aussi le
rapport « culturel » qui peut s’établir entre des entités plus ou moins conscientes d’elle-
mêmes. Par le travail de terrain qu’il a mené chez les Achuar en Amazonie, il a décrit
comment les personnes de cette communauté considèrent des entités non-humaines comme
des locuteurs valides, notamment en étudiant les chants anent qui s’adressent au plantes, dont
on attend et recueille la réponse. Tout en considérant une plante particulière comme capable
de donner un message, l’individu (le « chamane » en question) peut aussi bien utiliser une
langue, sans forcément communiquer quelque chose de recevable linguistiquement, tout en
exprimant un besoin, celui de la guérison par exemple. Ici, il n’y a plus de distinction entre
un locuteur d’un tel groupe par rapport à un autre, tant que chacun est capable de produire
des signes. Autrement dit, celui qui s’adresse à la plante se différencie simplement de celui-
qui n’a pas la capacité de s’y adresser. Cela n’annule pas pour autant la hiérarchisation et les
«liens sociaux» existant chez les Achuar entre humains, animaux et végétaux. Bien qu’ils
puissent communiquer entre eux, des rapports de puissance continuent de s’exprimer : les
animaux sont chassés, les hommes sont affaiblis par des manque de ressources naturelles,
ainsi de suite…
Pour conclure, une pratique langagière ne signifie pas forcément un rejet ou un appartenance
à un groupe, pas plus qu’un locuteur ne communique toujours une information linguistique «
abstraite » et «réelle» à un locuteur qui lui est ontologiquement semblable.

Références :

DAVELUY, M. (2007). L’exogamie langagière en Amazonie et au Canada.


Anthropologie et Sociétés, 31 (1), 55–73. https://doi.org/10.7202/015982ar
DESCOLA, P. (2019). Une écologie des relations, CNRS Éditions
JOSEPH, C. & KALINOWSKI, I. (2020). Franz Boas, une anthropologie de la variation, La
Vie des idées https://laviedesidees.fr/Franz-Boas-une-anthropologie-de-la-variation
KULICK, D. (2019.) A Death in the Rainforest, Algonquin Books of Chapel Hill
PAUGH, A. (2005). Multilingual play: Children's code-switching, role play, and agency in
Dominica, West Indies. Language in Society, 34(1), 63-86.

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