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Ferdinand de Saussure
- une critique des linguistiques du 20e siècle, lesquelles n'ont pu, malgré leur
pluralité et leur diversité, qui les ont rendues opaques les unes aux autres, accé
der véritablement à l'architecture défective des concepts saussuriens, retenus
par elles sous la guise de listes thématiques (des aspects conceptuels détachés
de tout programme) et polémiques (souvent marquées d'incompréhensions -
ainsi des «structuralismes linguistiques, à l'opposé de sa doctrine» - p. 18).
Opacité mutuelle qu'illustrent, exemplairement, les usages du mot signifiant,
où se reconnaît la justesse de l'observation de Saussure sur la construction
d'objets par diversité de points de vue ;
- l'énoncé d'un projet : «effectuer une lecture constructive qui établit les solida
rités» systémiques que forment entre elles les notes du corpus d'écrits saussu
riens (p. 22). Dans la perspective d'un Canguilhem (cité p. 30), le concept de
science fait davantage état ici d'une méthode que d'un objet. Ace titre, «quand
on suit l'ordre de l'histoire des sciences, les différentes versions du corpus sont
toutes utiles» (p. 24), sans confinement dans «l'exégèse historiographique»
(p. 25). Une telle lecture «met au jour un programme systémique non repé
rable dans un classement de notes [saussuriennes] thématisées » (p. 27). Si une
archéologie ici reconstitue le plan d'un programme «enfoui» (p. 29), c'est «en
construisant progressivement l'édifice» (p. 27), en le mettant à l'épreuve et en
en complétant les démonstrations.
hors système1. A l'opposé, «la sémiotique des valeurs récuse la primauté d'un
sujet, qui n'est donc pas l'agent, mais l'enjeu de l'activité de langage» (p. 228).
Dont acte dans le propos même: il s'agira, dans un style cognitif qui n'est pas
sans évoquer Foucault et Koyré, non de combattre des théories, mais à chaque
note du corpus, d'éprouver qu'est mis en cause un cadre de pensée (ib.).
Cette construction systémique, apport original de l'étude, se décline en un cer
tain nombre de points.
En premier lieu, vient la définition soustractive de la langue selon Saussure,
soit «le langage moins la parole»2. Et c'est avec la langue qu'on entend la parole,
que celle-ci, fragmentaire et momentanée, est prise en acte (p. 51): la langue est
organon de l'entendement (p. 34-35). En quoi Saussure «effectue un renversement
de point de vue et un changement d'objet» (p. 38), et l'ouvrage se propose de
développer par systémicité et analyticité « le réel nouveau que pointe ce vocable,
la langue «(p. 38).
Du coup, le schéma intersubjectif de la «communication», si ancré dans
l'idéologie, perd son prétendu statut fonctionnel, et c'est une coupure infranchis
sable entre entendant et parlant qui est mise au jour (p. 57-58). Ainsi les sujets
sont-ils «porteurs des masses parlantes dont ils sont membres, de telle sorte que
ces masses n'ont de statut qu'intégrées [...] dans chacun d'eux» (p. 60)\
Se pose alors la question des langues, qui s'ouvre sur la critique saussurienne de
leur «filiation», de sorte que la notion comparatiste de famille ne s'entend pas au
sens de parturition, mais au sens de «contiguïtés différentielles autour d'invariants
structuraux» (p. 66). Les langues, «états variables de la langue» (p. 69), mani
festent la non-contradiction chez Saussure de la continuité et de la transformation :
«par définition, une transformation conserve l'identité de ce qu'elle transforme»
(p. 68). Au contraire des langues, la langue ne se transforme pas; principe indes
tructible des langues, elle n'a pas d'histoire diachronique : «capacité non mutante
au centre de mutations diverses» et «disposition anthropologique primaire»4
1 L'auteur note: «certes, tout n'est pas langage, cela va sans dire, mais tout ce qui est dans le
langage est du langage» (p. 228) - style qui rappelle Quine, dont toute l'oeuvre souligne que, si
ce qui existe ne dépend pas de ce qu'on dit, ce qu'on dit exister en dépend.
2 Cette définition soustractive renvoie aussi à l'épistémologie de G.Bachelard (La formation de
l'esprit scientifique, P., Vrin, 1986), pour qui il n'est de science que par découpage. Dans cette
triade, langage, langue et parole ne valent que par leurs rapports.
3 Proposition compatible avec la naissance de la psychanalyse, pour laquelle le Moi, qui donne
l'illusion de l'individualité, est au pluriel. Mais ce sont d'abord les travaux de Benveniste qui
sont convoqués en ces passages.
4 En cela, à l'expression «produit de l'évolution» qu'utilise l'auteur, nous préférerions celle,
p.ex., d'émergence à la spécificité anthropologique. Sur ce point qui cependant ouvrirait un
autre débat, nous nous référons, entre autres, à des travaux comme ceux de Fr.Tinland et de
J-Cl.Quentel. Ailleurs (p. 109), l'auteur souligne que «la sémiotique de la langue exploite et
(p. 68), elle se transmet5. Tenant pour acquis que les domaines classiquement
séparés de fait (phonologie, morphologie, syntaxe, sémantique, etc.) sont inté
grés en une solidarité architectonique définitoire de la langue, J. Coursil reprend à
cet usage le terme idiosynchronique au commentaire introductif que T. de Mauro
consacre au CLG (p. 77-78).
Saussure ayant donc «découvert une sémiotique particulière, la langue, dans
le réel du milieu humain», et ayant tenu à distance égale «le réalisme des études
quantitatives et le logicisme formulaire », l'auteur montre alors les méthodes saus
suriennes mettant en évidence «l'effectivité des dualités signifiantes en réseaux»
(p. 80) auxquelles sont sensibles les sujets entendants et parlants, notamment
l'écriture tabulaire et le «maître-argument» des dualités intégrées.
Les écritures tabulaires (les études de M.Serres en histoire des sciences font ici
référence) répondent à l'exigence épistémologique que «tout discours spécifiant
une théorie puisse s'écrire dans un langage Animent [s/c] descriptible » (p. 90).
Le maître-argument des dualités intégrées, construit en forme d'anneau de Moe
bius, énonce la partition d'une dualité (révoquée en ses termes), son abstraction
et l'intégration dans la dualité de chacun de ses éléments, ainsi transformés. Cet
argument critique l'opposition traditionnelle forme-sens (p. 95) et la faculté de
langage (p. 97) et, à ce titre, se positionne dans l'histoire des sciences par rapport
à Peirce, à Quine et à Benveniste. Associés, ces deux fondamentaux (tables et
dualités intégrées) portent un refus de l'ontologie (p. 105), car ils ne sollicitent
aucune référence. La grammaire qui s'en induit est sans figures. De surcroît, ils
montrent que « la représentation sagittale des "deux sphères" que donne le CLG,
paradigmatique P(l) et syntagmatique P(2), est trompeuse en ce qu'elle introduit
l'idée qu'il s'agit de deux axes classificatoires. Or, ce sont des systèmes opéra
toires indépendants et clos.» (p. 108).
Ces dispositifs analytiques définis, l'auteur développe essentiellement quatre
aspects de cette architectonique de la langue.
a) Une «topique des phonèmes»: ceux-ci ne sont pas produits, mais distingués
(cf. supra la langue, organon de l'entendement). Cette différence pure, ce vide
signifiant est savoir du sujet entendant. Cet objet «très fin», mis au jour par
Baudouin de Courtenay et Kruszewski jusqu'à Saussure, est au fondement de
la linguistique générale (p. 138).
2°) Que le singulier qui prétendrait réunir masse parlante et hors-masse parlante
est sémiotiquement problématique. Selon une formule, qui évoque Quine, de
la page 193 : «l'engagement ontologique de l'Un global n'est fondé que dans
le langage formulaire».
10 Benveniste certes, mais aussi Spinoza (fictions première et seconde), sont là évoqués.
11 En suivant P-Chr. Cathelineau (Lacan, lecteur d'Aristote, Ed. de l'Association Freudienne
Internationale, 1998, ch.15). le possible s'illustrerait par «le feu peut chauffer» et le contingent
par « quelque chose peut être coupée ou non coupée ».
rification à son sujet. En effet, l'exemple retenu12 (la laitière de la fable achètera
ou non des oeufs) présente la possibilité de deux événements contradictoires et
mutuellement exclusifs comme une alternative nécessaire, prise en bloc, et comme
futurs. Ce faisant, il élude la spécificité du contingent, tout en ayant une formule
(la deuxième citée ci-dessus) qui l'évoque, mais ainsi ambigument.
D'où ce qui suit: une hésitation sur la qualification de «proposition vraie»
dans l'énoncé du texte «si la proposition p est vraie, alors elle est possible»:
s'agit-il de vérité et de fausseté, ou s'agit-il bien plutôt d'un réel à venir (par quoi
on retournerait à ce que l'auteur appelle «nouveauté du présent»)?
Par là on touche au dernier chapitre : en fin de parcours, le style constructiviste
de l'auteur montre que l'effectivité du système clos mis en lumière se double de
l'activité d'un système ouvert: les actes de langage «termine[nt] le système en
l'ouvrant»: la fonction première d'un acte de langage «est négative en ce qu'elle
correspond à un changement d'état d'un jeu de valeurs» (p. 215).
Nous parvenons au terme de notre lecture non sans songer au mot de Goethe
(Faust I, v. 682-684) repris par Freud (Totem et tabou): «Ce que tu as hérité de
tes pères, acquiers-le afin de le posséder, ce qu'on n'utilise pas est un pesant far
deau»13. Renouant avec le geste fondateur de Saussure et traversant nombre de
débats de l'histoire de la linguistique et des sciences du 206me siècle, l'ouvrage ici
brièvement parcouru met en évidence un programme fidèle à Saussure en ce qu'il
est à l'inverse d'une ontologie, et met ipso facto en évidence l'agencement de
propositions déterminant le sens d'une théorie. Ce faisant, il s'éloigne de bien des
opinions, et expose, articulées, des constructions problématisantes. Que, en tout
ou en partie, on en partage ou non les attendus, on ne saurait leur dénier cohérence
et fécondité dans la relecture singulière qu'elles opèrent de la pensée, elle-même
critique et constructive, d'un Saussure.
Jean Giot
Université de Namur
jean.giot@unamur.be
12 Qui évoque celui d'Aristote sur la bataille navale qui, demain, aura iieu ou n'aura pas lieu.
13 Traduction de J.Altounian.