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L′émergence des linguistiques énonciatives : la communication en acte.

Introduction
Les linguistiques énonciatives ont pour fondement commun une critique de la linguistique de la langue, et une
volonté d’étudier les faits de parole : la production des énoncés par les locuteurs dans la réalité de la communication.
Le programme théorique de la linguistique de la parole est explicitement mentionné mais aussitôt écarté par
Saussure dans le cours de linguistique générale.
Benveniste (1966 : 130) reformule ainsi l’alternative d’une linguistique de la langue vs de la parole :
« Ce sont là vraiment deux univers différents, bien qu’ils embrassent la même réalité, et ils
donnent lieu à deux linguistiques différentes, bien que leurs chemins se croisent à tout moment. Il
y a d’un côté la langue, ensemble de signes formels dégagés par des procédures rigoureuses, étagés
en classes, combinés en structures et en système, de l’autre la manifestation de la langue dans la
communication vivante ».
Ces deux univers (linguistique de la langue vs linguistique de la parole) appellent chacun une théorie séparée. Celle
de la « communication vivante », selon Benveniste, émerge à partir d’une remise en cause de l’hégémonie de la
langue, dans les années 70.
Tandis que Saussure aurait ajourné la linguistique de la parole pour privilégier la linguistique de la langue, Emile
Benveniste se serait surtout consacré à la parole dans l’intention de dépasser la dichotomie saussurienne langue
/parole.
Avec l’introduction de la dichotomie sémiotique/sémantique dans les années soixante, le projet benvenistien se
trouve concrétiser. La critique de Benveniste porte principalement sur le fait que le système de Saussure est fermé :
« En réalité, le monde du signe est clos. Du signe à la phrase il n’y a pas transition, ni par syntagmation ni
autrement. » Le système est fermé parce que le nombre de ses éléments est limité. La question principale de la
sémiotique consiste alors à distinguer des unités, les classer et les structurer :
« Les phonèmes, les morphèmes, les mots (lexèmes) peuvent être comptés ; ils sont en nombre fini. Les phrases,
non »
Le système saussurien est fermé à l’actualisation. Il s’en tient à la dimension virtuelle, de sorte que le sens
sémiotique demeure générique et conceptuel :
« Il (le système saussurien) n’admet donc pas de signifié particulier ou occasionnel ; tout ce qui est individuel est
exclu ; les situations de circonstance sont à tenir pour non avenues.»
La sémantique que dessine Benveniste semble vouloir répondre à cette double fermeture par une seule opération.
L’idée de l’actualisation de la langue par un locuteur : « L’idée de l’actualisation de la langue est conçue chez
Benveniste comme une articulation particulière qui ouvre le système de la langue à la fois au monde du discours
et à la phrase. »
Les linguistiques énonciatives : l’énonciation, un niveau supplémentaire du langage.
Par la délimitation d’un nouveau domaine, Benveniste exige de penser un niveau intermédiaire entre la langue et la
parole, celui de l’énonciation comme « mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d’utilisation ».
Il s’agit d’étudier comme telle cette relation que le locuteur entretient avec la langue :
« Le discours qui est produit chaque fois qu’on parle, cette manifestation de l’énonciation, n’est ce pas
simplement la « parole » ? Il faut prendre garde à la condition spécifique de l’énonciation : c’est l’acte même de
produire un énoncé et non le texte de l’énoncé qui est notre objet. Cet acte est le fait du locuteur qui mobilise la
langue pour son compte. La relation du locuteur à la langue détermine les caractères linguistiques de
l’énonciation. »
L’énonciation constitue donc à la fois un niveau supplémentaire du langage- celui de la langue considérée en égard à
son usage effectif- et la médiation qui articule langue et parole. De ce point de vue, l’énonciation désigne la
réalisation de la langue dans le monde, le point de contact entre le système en droit et son usage en fait.

Les critiques adressées aux postulats de la linguistique de la langue


Catherine Kerbrat-Orecchioni, dans son livre intitulé « Dans l’Enonciation. De la subjectivité dans le langage »,
résume, en cinq points les postulats de la linguistique de la langue et les critiques qui lui sont adressées :
(1) « C’est une linguistique du code, auquel doivent être ramenés tous les faits de parole ».
Deux critiques : d’une part, le code n’a aucune réalité empirique (car il existe des dialectes, des sociolectes, des
idiolectes, etc., en bref une grande variété dans les usages de la langue), et d’autre part, il faut bien s’interroger sur la
manière dont le code se manifeste en discours, au moyen d’un modèle de production et d’interprétation.
(2) « dans cette perspective, l’unité supérieure qu’atteint l’analyse, c’est la phrase […]. » Critique : il existe des
"règles de combinatoire transphrastique " qui doivent permettre de rendre compte du fonctionnement d’unités
supérieures à la phrase.
(3) « le mécanisme de production du sens est relativement simple ; on lui reconnaît un double support :
- Le signifiant lexical […]
- Certaines constructions syntaxiques […]. »
Critique : en fait, toutes les unités linguistiques peuvent participer à la construction du sens, unités phonétiques,
graphiques, rythmiques, textuelles même.
(4) « Lorsqu’on envisage le problème de la « parole », c'est-à-dire du code en fonctionnement, c’est dans le cadre
du fameux schéma de la communication (Jakobson) où celle-ci apparaît comme un tête-à tête idéal entre deux
individus libres et conscients, et qui possède le même code ; communication par conséquent transparente,
toujours réussie. »
Critique : il s’agit là d’une conception idéaliste qui passe sous silence les ratés de la communication, ses incessants
réglages, les phénomènes inconscients qui la déterminent. La parole est une activité humaine et doit être abordée
sous un angle pratique.
(5) « Postulat de l’immanence, enfin, qui affirme la possibilité et la nécessité méthodologiques d’étudier « la
langue en elle-même et pour elle-même », en évacuant radicalement l’extralinguistique. »
Critiques : on ne peut évacuer le référent de l’étude des phénomènes langagiers (c’est tout particulièrement le cas
des déictiques) ni ce qui est de l’ordre des contextes de production. Il faut donc une ouverture vers d’autres
disciplines.
Les linguistiques, à partir des années 70, et que nous développerons dans ce deuxième chapitre, se fond chacune sur
une ou plusieurs de ces critiques dont elles font des postulats de départ : (1) et ((3) pour la linguistique de
l’énonciation, (2) pour la linguistique textuelle, (4) et (5) pour la linguistique du discours.
Il est vrai que le structuralisme a développé et approfondi la théorie de la langue jusqu’aux années 70, moment où
émergent des travaux qui se concentrent sur l’énonciation. En réalité, cette approche énonciative ne s’oppose pas
radicalement à la linguistique de la langue du moment qu’elle en tire une partie de ses origines : Bally, Benveniste et
Culioli par exemple, sont des grammairiens formés dans le champ structuraliste. La linguistique de l’énonciation, à
des débuts consistera en effet à repérer et analyser les marques de l’énonciation dans la parole, marques qui sont des
outils de la langue ayant pour fonction d’inscrire dans l’énoncé la subjectivité du locuteur.
Genèse de la notion d’énonciation
- les origines de la notion d’énonciation :
La tradition donne couramment Emile Benveniste (année 50 et 60) comme le père fondateur de la théorie de
l’énonciation, alors que les origines oubliées de cette notion et l’intérêt des linguistes pour les problèmes énonciatifs
remontent bien avant l’apport des travaux de Benveniste. En fait, c’est en Europe et en Russie, dans les années 1910
et 1920 qu’émerge la problématique énonciative avec Charles Bally et Mikhaïl Bakhtine -Volochinov. Charles Bally,
entre 1912 et 1926, dans une polémique sur le discours indirect libre qui est à l’origine des problématiques de
l’énonciation et de l’interaction, explique à un linguiste allemand que le français dispose du discours indirect libre,
dont il analyse le fonctionnement sur le plan énonciatif. Dans ce débat, les formes linguistiques du discours rapporté
sont analysées explicitement selon les plans énonciatifs.
Quant au linguiste russe M. Bakhtine dont la conception du langage est fondamentalement interactive ce qui
implique nécessairement la prise en compte de l’énonciation. Mais pour lui, et à cette époque, il s’agit d’une seule et
même donnée : l’ "énoncé-énonciation ", qui est une « forme-sens ». Chaque forme est porteuse de sens et ce sens
est issu d’une production sociale car pour lui, un signe n’existe que dans son fonctionnement social, la matérialité et
l’idéalité formant un tout. Ni système abstrait, ni expression individuelle, pour toujours ce linguiste, le langage ne se
comprend qu’ancré dans la dimension sociale de son origine.
-du fameux schéma de la communication de Jakobson à l’énonciation
La conception de la communication comme elle a été fixée et diffusée par le schéma de Jakobson en 1963, a été
considérablement enrichie une fois la dimension énonciative est prise en com
Nombreuses sont les critiques de ce schéma. Elles peuvent se résumer en quatre points :
- Ce schéma dessine une communication homogène et linéaire alors qu’il faudrait plutôt parler d’une
compréhension partielle entre le destinateur et le destinataire ;
- Le code est situé extérieurement à la communication alors qu’il est constitué des savoirs internes des sujets
parlants ;
- Rien n’est dit des compétences extralinguistiques (encyclopédiques psychiques ou culturelles) ; - Ce schéma
n’intègre pas de modèle de production (à l’encodage) et d’interprétation (au décodage).

Pour pallier ces manques, Catherine Kerbrat-Orecchioni, dans la page 19 de son ouvrage «L’Enonciation. De la
subjectivité dans le langage» publié en 1980, propose la reformulation suivante :
L’approche énonciative du langage met l’accent sur le sujet de l’énonciation et implique également une théorie du
sujet parlant puisque ce sont ses marques d’inscription dans l’énoncé qui constituent l’objet du travail du linguiste.
Alors que les approches structuralistes et générativiste ignorent la question du sujet, le point de vue énonciatif le met
au cœur de la linguistique. La conception du sujet classique, c'est-à-dire autonome, mettant en mots ses intentions,
maîtrisant le contenu de ses paroles et s’appropriant les formes de la langue, est battue en brèche.
Dès les années 20, avec Bakhtine Mikhaïl, le sujet parlant est un sujet en relation avec son environnement, ayant
intériorisé des normes et des formes discursives extérieures à lui, mais le constituent. L’énonciation est alors le
véritable lieu de la parole, définie comme interaction
verbale :
« La véritable substance de la langue n’est pas constituée par un système abstrait de formes linguistiques ni par
l’énonciation monologue isolée, ni par l’acte psycho-physiologique de sa production, mais par le phénomène
social de l’interaction verbale, réalisée à travers l’énonciation et les énonciations ».
Cette conception interactionnelle de la communication remet donc en cause une représentation de la communication
qui reposerait sur les paroles d’un locuteur destinées à un interlocuteur : les deux protagonistes appelés ainsi co-
énonciateurs ou co-acteurs de la parole construisent ensemble la communication, et c’est pour cette raison que
l’énonciation devient chez Culioli la co-énonciation.

-Quelques définitions de l’énonciation

Emile Benveniste
L’énonciation a vu, à travers son parcours, son sens évoluer « vers la profération interlocutoire, vers la subjectivité
du langage et la prise en compte du locuteur dans l’analyse de l’énoncé »
Se référer à Benveniste lorsqu’on définit l’énonciation est devenu, on le sait, une pratique courante en linguistique
française. Pourtant l’intérêt des linguistes pour les problèmes énonciatifs remonte aux années 1910 et 1920 en
Europe et en Russie mais aussitôt interrompu par l’expansion du modèle structuraliste.
Chez Benveniste, on trouve la définition originelle et devenue canonique de l’’énonciation comme il suit : «
L’énonciation est cette mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d’utilisation ». Elle doit se
comprendre dans le cadre d’une opposition fondamentale entre le domaine sémiotique et le domaine sémantique.
Benveniste appelle «sémiotique » ce qui relève de la langue :
« Tout ce qui relève du sémiotique a pour critère nécessaire et suffisant qu’on puisse l’identifier au sein et dans
l’usage de la langue. Signes qui le définissent, qui le délimitent à l’intérieur de la langue. Qui dit « sémiotique »
dit « intra-linguistique »
Et « sémantique » ce qui relève de la parole :
« La notion sémantique nous introduit au domaine de la langue en emploi et en action ; nous voyons cette fois
dans la langue sa fonction de médiatrice entre l’homme et l’homme, entre l’homme et le monde, entre l’esprit et
les choses, transmettant l’information, contraignant ; bref, organisant toute la vie des hommes »
L’énonciation est clairement placée du coté de la sémantique, et ce dans le cadre de la phrase. En effet, pour
Benveniste, c’est la phrase qui est l’unité du discours car la liberté du locuteur s’y exerce, sauf en ce qui concerne la
syntaxe :
« La phrase, création indéfinie, variété sans limite, est la vie même du langage en action. Nous en concluons
qu’avec la phase on quitte le domaine de la langue comme instrument de communication, dont l’expression est le
discours »
Mais il s’agit de la phrase en tant qu’elle est réalisée par un locuteur et non pas de la
phrase-modèle des grammairiens ou des générativistes:
« La phrase est donc chaque fois un événement différent ; elle n’existe que dans l’instant où elle est prononcée et
s’efface aussitôt ; c’est un événement évanouissant »
Cette définition, qui a une approche grammairienne de l’énonciation, a marqué sa tendance
aussi bien dans les dictionnaires de langue que dans les études linguistiques. A titre d’exemple, le trésor de la langue
française fournit au lecteur une citation de Benveniste tirée de l’article de 1970 pour donner la signification
linguistique du terme. La définition benvenistienne de l’énonciation constitue aussi une référence incontournable
pour les dictionnaires de sciences du langage. Ainsi, le dictionnaire de linguistique de Dubois définit "énonciation
"comme : « […] acte individuel de production, dans un contexte déterminé, ayant pour résultat un énoncé […] »;
en évoquant Jakobson, Benveniste, Austin et Searle comme théoriciens du concept à ses origines. La Grammaire
d’aujourd’hui, qui lui consacre un long article, le définit comme « l’acte individuel de création par lequel un
locuteur met en fonctionnement la langue » , formulation analogue à celle de Benveniste.
La définition de l’énonciation chez Benveniste est donc délimitée à la phrase et ce sont les linguistes du texte et du
discours qui élargiront le concept au-delà de la phrase. Dans son livre
" Enonciation : de la subjectivité dans le langage", Catherine Kerbrate- Orecchioni considère les formulations de
Benveniste comme la base commune à toutes les réflexions contemporaines sur l’énonciation.

Oswald Ducrot
Une autre définition " fondatrice " en France de la notion d’énonciation est donnée dans les années 70 par Oswald
Ducrot.
Ce linguiste, s’inspirant des philosophes du langage notamment Austin et Searl, montre l’importance de la situation
discursive et de la pragmatique. Aussi intègre -t-il la composante pragmatique à la sémantique. Pour lui, on ne peut
pas décrire les énoncés sans faire références aux conditions énonciatives : l’énoncé noyau sémantique stable pouvant
diverger selon les conditions d’énonciation.
L’énonciation est vue comme l’événement correspondant à la production de l’énoncé, approche analogue à celle de
Benveniste :
« C’est l’événement historique constitué par le fait qu’un énoncé a été produit, c'est-à dire qu’une phrase a été
réalisée. On peut l’étudier en cherchant les conditions sociales et psychologiques qui déterminent cette
production […]. Mais on peut aussi étudier […] les allusions qu’un énoncé fait à l’énonciation, allusions qui
font partie du sens même de cet énoncé. Une telle étude se laisse mener d’un point de vue strictement
linguistique, dans la mesure où toutes les langues comportent des mots et des structures dont l’interprétation fait
nécessairement intervenir le fait même de l’énonciation.»
Cette approche repose sur la distinction faite par Ducrot entre phrase et énoncé : la phrase est l’enchaînement
syntagmatique virtuel alors que l’énoncé est le segment effectivement produit par le locuteur.
Dominique Maingueneau
Dominique Maingueneau signale dans ses travaux que l’énonciation est : « le pivot de la relation entre la langue et
le monde » et il propose une mise au point qui repose sur des présupposés à écarter :
« - L’énonciation ne doit pas être conçue comme l’appropriation par un individu du système de la langue. Le
sujet n’accède à l’énonciation qu’à travers les contraintes multiples des genres de discours. - l’énonciation ne
repose pas sur le seul énonciateur: c’est l’interaction qui est première […]. - l’individu qui parle n’est pas
nécessairement l’instance qui prend en charge l’énonciation. »
(suite)
L’appareil formel de l’énonciation
Emprunté à Emile Benveniste (1966), ce titre désigne ainsi un ensemble de formes linguistiques observables dans
l’énoncé, qui renvoient à la situation de l’énonciation. Faute de pouvoir étudier directement l’acte d’énonciation,
Benveniste trouve qu’il existe au sein des énoncés produits par les locuteurs individuels des marques de l’acte
d’énonciation, des indices énonciatifs qui nous permettent de voir :
a. Comment le locuteur surgit dans son énoncé.
b. Quelle est son attitude par rapport à son discours.
c. Quelle relation il entretient avec son interlocuteur à travers l’énoncé.
Ces conditions linguistiques, composantes de l’appareil formel d’énonciation, Benveniste les appelle « caractères
formels d’énonciation », et distingue les caractères suivants :

• La situation d’énonciation.
Lorsqu’on aborde le sens des unités linguistiques, on est inévitablement amené à les relier à des facteurs
extralinguistiques, c'est-à-dire à leur situation d’énonciation. Celle-ci est constituée par l’ensemble des paramètres
qui permettent la communication : le locuteur, l’interlocuteur, le lieu et le moment de leur échange. Ces paramètres
s’inscrivent dans certaines formes de la langue, à travers la deixis afin de désigner leur identification langagière dans
une situation d’énonciation. Les formes concernées sont appelées déictiques, recouvrant généralement à la fois les
indicateurs personnels et spatio-temporels. Jakobson utilisera de son côté le terme « embrayeurs », traduction de
l’anglais Shifter, emprunté à Jespersen (1922). Il le définit ainsi :
« Tout code linguistique contient une classe spéciale d’unités grammaticales qu’on peut appeler les embrayeurs :
la signification générale d’un embrayeur ne peut être définie en dehors d’une référence au message » La relation
des unités en question aux conditions de leur production suppose la prise en compte de la théorie de l’énonciation
qui d’une autre manière articule le linguistique sur l’extralinguistique ; c'est-à-dire le discours à ses conditions de
production.
Pour parler de « je », « tu », « il » et autres pronoms, Benveniste (à la suite de Jakobson)
utilise le terme d’embrayeurs ; il entend par là que les pronoms désignant la personne branchent
l’énoncé à l’instance qui l’énonce.
La présence du locuteur et de l’interlocuteur dans l’énoncé est signalée par les pronoms personnels. On doit à
Benveniste d’avoir montré que les pronoms de première et deuxième personne ont un statut différent de ceux de la
troisième personne, justement parce qu’ils constituent des marqueurs de la situation d’énonciation. En effet, « je » et
« tu » ne peuvent que désigner les protagonistes de l’énonciation alors que « il » est ce dont on parle (le référent).
Selon Benveniste, c’est la non-personne :
« Dans les deux premières personnes, il y a à la fois une personne impliquée et un discours sur cette personne. Le
« je » désigne celui qui parle et implique en même temps un énoncé sur le compte de « je ». […]. A la deuxième
personne, « tu » est nécessairement désigné par « je ». […]. Mais de la troisième personne, un prédicat est bien
énoncé, seulement hors du « je – tu » […]. Dés lors, la légitimité de cette forme comme « personne » se trouve
mise en question »
En effet, on ne peut interpréter un énoncé contenant je et /ou tu qu’en prenant en compte l’acte individuel
d’énonciation qui les supporte. On ne peut donc connaître le référent de « je et « tu » indépendamment des emplois
qui en sont faits, des actes d’énonciation individuels. « je » et « tu » n’ont pas de signifié stable et universel : «
quelle est donc la réalité à laquelle se réfère « je » ou « tu » ? Uniquement une « réalité de discours », qui est
chose très singulière ».
Cela amène Benveniste à proposer les définitions suivantes :
« Je signifie "la personne qui énonce la présente instance de discours contenant je"»
« […] On obtient une définition symétrique pour tu, comme "l’individu allocuté dans la présente
instance de discours contenant l’instance linguistique tu"»
« je » et « tu » ne sont pas simplement des signes linguistiques, ils sont avant tout des opérateurs de conversion de la
langue en discours : en tant que morphèmes grammaticaux référentiellement « vides », ils appartiennent à la langue,
mais en tant que signes inscrits dans une énonciation unique, ils réfèrent en marquant qu’un sujet s’empare du
système et établit un
rapport réversible à quelqu’un qu’il pose comme allocutaire :
« […] dans chaque instance de son emploi, dés qu’il est assumé par son énonciateur devient unique et non pareil,
ne pouvant se réaliser deux fois de la même manière. Mais hors du discours effectif, le pronom n’est qu’une
forme vide qui ne peut être attachée ni à un objet ni à un concept. Il reçoit sa réalité et sa substance du discours
seul »
En résumé, ces embrayeurs n’ont pas de contenu sémantique, mais constituent seulement
des réalités de discours.
Les déictiques spatio-temporels.
A côté des personnes, il y a d’autres embrayeurs, les déictiques spatio-temporels. Leur fonction est d’inscrire les
énoncés dans l’espace et le moment de l’énonciation. Sans informations extralinguistiques, il est impossible
d’élucider ces éléments :
« Ce sont les indicateurs de la deixis, démonstratifs, adverbes, adjectifs, qui organisent les relations spatiales et
temporelles autour du sujet pris comme repère : "ceci, ici, maintenant", et leurs nombreuses corrélations "cela,
hier, l’an dernier, demain", etc. Ils ont
en commun ce trait de se définir seulement par rapport à l’instance du je qui s’y énonce »
Les déictiques spatiaux ont pour point de repère la position qu’occupe le corps de l’énoncuipny_o **iateur lors de
son acte d’énonciation. On en distingue plusieurs. Ils peuvent être des démonstratifs, des présentatifs, des éléments
adverbiaux. Les indicateurs temporels, leur repère est le moment ou l’énonciateur parle, le "moment d’énonciation"
qui définit le présent
linguistique. C’est par rapport à son propre acte d’énonciation que le locuteur

ordonne la chronologie de son énoncé et l’impose à son allocutaire. Ces déictiques temporels peuvent être des
adverbes et locutions adverbiales, des éléments de démonstratifs, des temps verbaux.
• la temporalité linguistique
le temps connait deux modes d’existence : soit il est extérieur et préexiste aux énonciateurs. Il est alors
représenté par le système de référence calendaire : ils se sont mariés le 1er janvier 2001 ; soit, tout aussi
insaisissable, il est linguistique et résulte alors de la mise en mot, qui instaure un point de référence par rapport
auquel les événements sont localisés. Ce point de référence peut être construit par l’énonciation elle-même : je
vous donne rendez-vous demain, ou peut être fourni par le contexte linguistique : Pierre a dit qu’il partait peu
après la

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