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THEORIES ENONCIATIVES M1 SL Dr.

MOUSTIRI Zineb
Université de Biskra 2019/2020

1. L’émergence de l’énonciation

Né en 1902, Émile Benveniste fut l'un des plus grands linguistes contemporains. Ses
contributions essentielles concernent les études indo-européennes, la linguistique
synchronique et la linguistique théorique. Il fut élu au Collège de France en 1937 et il y
enseigna jusqu'à ce que la maladie l'eût contraint à se retirer, en 1970, avait déjà une solide
réputation de comparatiste, spécialiste des langues indo-européennes (Origines de la
formation des noms en indo-européen, 1935, qu'allait prolonger le Vocabulaire des
institutions indo-européennes, 1969), quand il s'est décidé à réunir une série d'articles parus
dans des revues spécialisées entre 1939 et 1964 (Problèmes de linguistique générale, 1964)
puis entre 1965 et 1972 (Problèmes de linguistique générale II, 1974). C'est dans le second
volume que Benveniste confronte les propositions structurales aux interrogations des sciences
(histoire, psychanalyse, philosophie, logique...). Il propose alors des réponses qui se trouvent
au principe de plusieurs développements contemporains de la linguistique. Les travaux
d’Émile Benveniste portent principalement sur l’étude de la langue indo-européenne d’une
part, et sur la linguistique générale d’autre part. Il contribue aux côtés d’André Martinet et de
Lucien Tesnière (1893-1954) aux publications du Cercle linguistique de Prague dans les
années 1930. Émile Benveniste succède, en 1937, à son maître Antoine Meillet à la chaire de
grammaire comparée au Collège de France.

En se référant à E. Benveniste, l’auteur dans son article, De la subjectivité dans le langage


propose d'élucider la confusion commune concernant l'erreur traditionnelle qu'ont les
hommes à assimiler le langage à un simple "instrument de communication". La raison de cet
écart est due au fait que le langage est aperçu d'une vision behavioriste en termes de stimulus
et de réponse et aussi au rôle de transmission traditionnelle qui lui est voué. De ce dernier
élément cité, il convient de noter que ce rôle peut être attribué à des outils non-linguistiques
tels que la gesticulation par exemple. En plus, tous les systèmes de signaux traditionnels
(sculpture, idéogrammes, etc..), rudimentaires et complexes assurent cette transmission de
l'information. Du fait qu'il est inimaginable de concevoir l'homme sans langue et inversement,
il parait alors naïf de confondre le langage à un simple outil tel une pioche ou un marteau dont
nous nous servons, et une fois servie qu'on met aux placards. Vu son aspect "immatériel", son
"fonctionnement symbolique", son "agencement articulé" et son "contenu", le langage laisse à
la parole cette fonction instrumentale ou véhiculaire.
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Benveniste affirme: «c'est dans et par le langage que l'homme se constitue comme sujet
[…] La subjectivité dont nous traitons ici est la capacité du locuteur à se poser comme sujet
». Il est assez banal de constater que toutes les langues du monde contiennent des pronoms
personnels (je, tu…), mais cela prouve qu'une « langue sans expression de la personne ne se
conçoit pas ». Combien de fois le "je" est prononcé par divers individus en une journée sur
terre ? Le nombre est incalculable. De ce fait, nous pouvons affirmer que ces "je" ne renvoient
aucunement à un individu particulier. Cette catégorie linguistique, que sont les pronoms
personnels, ne peut être identifiée que par "l'instance du discours» (la situation de
communication). Cette remarque met à découvert la notion de deixis. De cette classe
linguistique dépend aussi les autres classes de pronoms. Cette dernière catégorie nous aide à
identifier l'espace et le temps où l'énonciateur prononce le "je".

Certains verbes d'état nous permettent, aussi, d'entériner cette subjectivité. Par exemple,
quand un émetteur énonce: "je souffre", il décrit son état actuel variable selon le contexte et
l'individu. Plus, dire "je crois" diffère de dire « je pense » car dans le premier j'en suis
convaincu tandis que le second énoncé contient des doutes.

En bref, cette théorie porte essentiellement sur les pronoms personnels) ; les formes de la
deixis (celles qui servent à montrer quelqu'un ou quelque chose) ; les adverbes de temps à
valeur relative (« aujourd'hui » par opposition au quantième). Ces trois éléments, réunis
comme le « je-ici-maintenant ».

Enfin, il est important de dire que les travaux de Benveniste ont permis des avancées
pantagruéliques dans le domaine de la pragmatique et de l'analyse conversationnelle. Par
exemple, l'analyse des textes et des discours (opposition discours/récit, théorie des
embrayeurs) a largement tiré parti de ses recherches.

2. Problématique de l’énonciation

L’énonciation signale la présence du locuteur et comporte son inscription « l’énonciation


est cette mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d’utilisation »

« C’est la recherche des procédés linguistiques (shifters, modalisateurs, termes évaluatifs,


etc.) par lesquels le locuteur imprime sa marque à l’énoncé, s’inscrit dans le message
(implicitement ou explicitement) et se situe par rapport à lui (problème de la « distance
énonciative »)»
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Parmi les phénomènes auxquels s’intéresse l’analyse énonciative nous citons les
modalisateurs, la polyphonie, les marques de tension, les déictiques, les stratégies du discours.

2.1 Les modalisateurs

Il s’agit de l’ensemble des termes et d’expressions qui naissent d’une énonciation et


indiquent l’attitude du locuteur vis-à-vis du monde, de son discours ou de son allocutaire.
Quand on parle, on ne se contente pas de la description du monde, on l’évalue, on le
déconstruit et on le reconstruit. Alors le locuteur surgit dans son énoncé par le biais des
indices énonciatifs qui lui permettent de se positionner par rapport à son dire.

La modalité appréciative :

Elle exprime une appréciation et révèle un jugement de valeur ou un sentiment de la part


de l’énonciateur, il s’agit de l’emploi des adjectifs qualificatifs, des adverbes de manière ou
même des substantifs (magnifique, belle, malheureusement, enrichissement…).

La modalité épistémique :

Elle exprime et révèle un jugement que le sujet attribue à la valeur de vérité de son
énoncé. Il s’agit de l’expression de la certitude, de la probabilité, de la vérité, de l’éventualité.
Les adverbes et les expressions d’opinion (certainement, probablement, certes, peut-être, en
vérité…) sont des exemples relevant de cette catégorie.

La modalité déontique :

Il est question de toutes les marques de la phrase injonctive qui décèlent la position
d’autorité postulée par le locuteur. Ces indices sont les termes et les expressions de la volonté,
du conseil, de la nécessité, du devoir… :

2.2 Les déictiques

Dans la conception élaborée par Benveniste et développée par K. Orecchioni, où


l’énonciation met l’accent sur la subjectivité, les déictiques sont un des phénomènes
auxquels s’intéresse l’analyse énonciative. Il s’agit des unités linguistiques (je, ici,
maintenant) appelées embrayeurs ; il est question des indices personnels et spatio-temporels.
Ces indices varient d’une situation d’énonciation à une autre.

Les indices personnels


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Il s’agit des termes par lesquels le locuteur se définit comme sujet de son discours (je,
moi, mon, ma,…..) par rapport à un interlocuteur (tu, toi, votre,…). Ils ne prennent sens que
dans leur contexte d’émergence.

Les indices spatio - temporels

Ils s’engendrent dans l’emploi de : certains temps verbaux, certains adverbes ou groupes
nominaux adverbiaux et certains démonstratifs. Ils situent le message dans l’espace et le
temps par rapport à l’énonciateur ; leurs référents ne sont identifiables que dans le contexte de
leur naissance.
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De la subjectivité dans le langage

1. Définition de la subjectivité
La subjectivité, en tant que notion, suggère ce qui a rapport à la personnalité du sujet parlant,
à ses impressions, à son affinité, à ses états de conscience.

Benveniste voit dans cette notion "l'unité psychique qui transcende la totalité des
expressions qu'elle assemble, et qui assure la permanence de la conscience" 1966: 260). La
subjectivité est donc la capacité du locuteur à se poser comme sujet (Ibid :269).

Suivant le raisonnement de Benveniste, subjectivité et langage nouent une relation de


dépendance et sont intimement liés. Le langage, dit-il, est la "possibilité de la subjectivité" qui
en constitue "une propriété fondamentale" (263).

K- Orecchionni rejoint Benveniste dans cet avis, qui croit qu' "aucun lieu langagier
n'échappe à l'emprise de la subjectivité" (: 117). La même idée se retrouve chez Ricœur pour
qui le langage est « un mode d'être dans l'être" (1969:261).

La subjectivité parait ainsi inhérente à l'exercice même du "langage qui contient toujours
les formes linguistiques appropriées à son expression" (Benveniste 1966: 263).

1.1 De la subjectivité au premier degré

Si avec Benveniste, la subjectivité trouve son fondement dans la langue, c'est sans doute
en raison des contraintes conventionnelles et l'exercice de la communication langagière.

On ne peut user du langage sans employer les déictiques et autres marques qui se
définissent toujours par rapport à l'instance d'énonciation. "une langue sans expression de la
personne ne se conçoit pas" (Benveniste: 261).

Cette forme de subjectivité fondée sur l'égo que révèle le langage peut être qualifiée de
subjectivité au premier degré.

1.2 De la subjectivité au second degré

Selon Orecchionni, il existe une autre forme de subjectivité dite évaluative et affective
(168). Cette forme de subjectivité dénonce la réaction émotionnelle du sujet qui s'avoue
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implicitement ou explicitement comme source d'interprétation et d'évaluation du référent qu'il
est censé décrire.

Il s'agit d'une manifestation caractérisée par la sélection de modalisateurs et de


substantifs évaluatifs organisant le discours en termes de jugement de valeur, d'adhésion ou de
rejet de la part du sujet.

C'est particulièrement ce type d'activité langagière qu’on appelle subjectivité au second


degré et dont l'analyse du discours se doit de rendre compte.

2. Application

Repérez les indices de la subjectivité en identifiant sa catégorie et le positionnement


du poète, dans le poème ci-dessous :

Le dormeur du val
C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme


Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;


Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Arthur Rimbaud, Poésies (1870).


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Application 2

Les traces de la subjectivité

Ci-dessous, quelques énoncés révélant les représentations sur les langues en


présence, sur le territoire algérien, essayons de diagnostiquer les traces de
subjectivité :

En nous inspirant des données de la philosophie du langage et la théorie de


l’énonciation nous nous interrogerons sur la façon dont les énonciateurs ont présenté leurs
idées, dans les énoncés proposés ci-dessous, c’est-à-dire, ces énonciateurs ont-ils marqué leur
engagement personnel vis-à-vis des idées avancées ? Ont-ils produit un discours qui présente
des vérités générales ou tout simplement ce qu’ils croient être vrai ? La différence entre les
deux possibilités est nette. Prenons les deux énoncés suivants :

« L’arabe classique est la langue officielle et nationale.» Ici, l’énonciateur a utilisé le verbe
être dans son état libre où il assure la fonction de prédication.
Le deuxième énoncé choisi : «je trouve que le français / fait accès à d’autres civilisations / à
connaitre beaucoup du monde /», l’emploi de "Je" et du verbe (trouver) marque l’engagement
personnel de l’énonciateur et indique un jugement de valeur. De ce fait, l’utilisation de
l’expression "je trouve" tire les assertions de la vérité générale à la vérité particulière et du
domaine de l’objectivité à celui de la subjectivité.

Pour poursuivre l’analyse, nous appuierons la réflexion sur les idées de Searle. Il est
évident que toute assertion présente plutôt une croyance en une vérité et non pas une vérité,
car l’aboutissement au réel n’est pas accessible à tout le monde. Tout discours émis à propos
d’un objet quelconque est relatif à une perception et représentation du monde. De ce fait, nous
aborderons le problème à travers les deux concepts sous tendant l’assertion, la vérité et la
croyance, en nous inspirant de l’ouvrage de Searle : Les actes de langage.

Examinons alors les trois énoncés suivants :


"Il est vrai que le français est une langue de prestige et de réussite sociale".(1)
"Je crois que le français est une langue de prestige et de réussite sociale ". (2)
"Le français est une langue de prestige et de réussite sociale " (3)
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Les trois énoncés sont des assertions du type (x est y), et dans chacune d’elle le locuteur
exprime qu’il croit que y est vrai de x, mais si c’est le cas, pourquoi a-t-on l’impression que
les trois phrases n’ont pas le mêmes sens ?
Dans l’énoncé (1), on a utilisé des mots exprimant la vérité, dans l’énoncé (2), on a fait appel
à des mots signifiant la croyance alors que ces mots sont absents dans l’énoncé (3).

Essayons alors de comprendre le cas du deuxième énoncé, en faisant un parallèle avec


l’énoncé (1), cas étudié par Searle. Les verbes que nous étudions, qui expriment un point de
vue personnel, répondent à la même logique que ceux étudiés par Searle dans son traitement
de l’erreur sur l’assertion.

La réflexion searlienne va constituer le point de départ de notre analyse en la combinant


avec certaines données de la représentation.

En effet, il nous parait que l’énonce (2) débutant par l’expression "je crois" ne possède
pas une valeur véridique forte comme l’énoncé (3) : L’énoncé (2) présente l’information
comme vraie mais d’un point de vue personnel, elle a un caractère de subjectivité, elle est
chargée d’un sentiment de doute et d’incertitude. Mais l’énoncé (3) assume à son tour une
assertion qui normalement assure la même fonction, la croyance et l’incertitude. Comment
peut-on dire alors que l’emploi de l’expression comme "je trouve" marque le doute et
l’incertitude ?

A ce propos, Searle nous propose de ne pas appuyer l’analyse sur les termes eux mêmes, leur
sens et leur emploi. Il estime que la réponse réside dans la nature même de l’acte de langage,
à savoir l’assertion. En quoi alors, peut-elle l’utilisation des expressions telles que "je cois "
influence l’accomplissement de l’acte assertif et sa valeur ?

Pour répondre à cette question, nous avons consulté l’ouvrage de Searle : Les actes de
langage, précisément son étude portée sur le problème de la vérité. Cet auteur a analysé le cas
d’un certain nombre de termes dont la présence dans l’énoncé, le rend à la limite de
l’acceptable.

Searle a analysé des énoncés tels que : "Il respire", "Il se rappelle son nom", … etc. Ce
type d’énoncés contient des informations évidentes et si ces derniers seront isolés de leur
environnement d’énonciation, ils perdront leur valeur et deviendront saugrenus. L’auteur nous
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dit : « …. Nous estimons qu’il faut des conditions particulières pour que l’énoncé de ces
phrases en tant qu’assertion soit naturel » 1 , exemple : quelqu’un qui a perdu mémoire et
vient de se rappeler son nom dans ce cas anormal, l’énoncé "Il rappelle son nom" est à sa
place. Les cas que nous étudions se diffèrent de ceux étudiés par l’auteur, mais nous pouvons
au moins faire un parallèle pour engendrer une situation dans laquelle l’assertion ne sera pas
défectueuse.

Les énoncés que nous tenterons d’étudier comme " je trouve que le français / fait accès à
d’autres civilisations / à connaitre beaucoup du monde / ", n’est pas absurde, l’assertion n’est
pas défectueuse en elle-même mais elle est dotée d’une valeur moindre par rapport à l’énoncé
"Le français fait accès à d’autres civilisations " et l’emploi de l’expression " je trouve ", en est
la cause.

Alors à quoi sert d’introduire comme ces termes dans l’assertion, si celle-ci exprime
une croyance où le but est d’engager le locuteur, où les mots s’ajustent au monde, où l’état
psychologique est la conviction à propos du contenu, selon Austin et Searle ? Si l’assertion
comporte en elle-même la croyance et l’interlocuteur peut l’identifier comme ce que le
locuteur pense l’objet, l’utilisation des expressions comme "je considère", "je crois" … etc.,
n’est-elle pas inutile ?

Le fait d’annoncer une assertion implique l’acte assertif. Alors l’emploi des expressions
"je crois", "je pense", "je trouve", … etc, dénaturent les assertions et les dépouillent de leur
valeur en tant que croyance en une vérité. Elles portent certaines modifications aux assertions

Pour comprendre ces certaines transformations, renvoyons-nous à l’emploi du terme


(vrai) introduit sur l’assertion, cas étudié par Searle. En effet, le sort de ces termes rejoint
celui du terme vrai, comme celui des phrases assertives évidentes.

L’exemple que Searle a donné est : Si quelqu’un veut informer un autre sur le fait que sa
maison brûle, il ne peut pas lui dire « il est vrai que votre maison brûle », mais il doit lui dire
« votre maison brûle ». Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas des conditions particulières où
l’énoncé (1) soit produit et affectueux.

1
- SEARLE J. : Les actes de langage, Hermann, Paris, 1992, p. 195
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Dans les conditions bien spécifiques qui exigent la présence d’un deuxième énonciateur
portant son adhésion à ce qui vient d’être dit, l’énoncé (1) peut être produit. Dans ce cas,
l’énonciateur vise le renforcement de la valeur véridique mise apparemment en doute.
L’emploi du terme (vrai) signifie donc, l’autorité de l’acte assertif. De la même façon
l’emploi des expressions que nous étudions signifie, que l’énonciateur ne croit pas en la vérité
de la proposition qu’il énonce.

En définitive, nous pouvons dire que les trois types d’énoncés dont nous avons parlés,
l’expression exprimant une information évidente, l’expression exprimant la vérité de ce que
l’on énonce, l’expression signifiant la croyance en ce que l’on énonce, toutes les trois font
partie du phénomène de l’assertion et la non évidence qui régit l’accomplissement de l’acte
illocutionnaire en ce qu’il implique vérité et croyance. Comme nous ne pouvons obtenir ou
effectuer un acte assertif réussi, dans des conditions normales et dont le contenu
propositionnel est évident, cette même règle s’applique sur les deux énoncés restants mais
différemment. La non évidence touche les trois cas cités, et pour leur bon accomplissement, il
faut des conditions de satisfaction particulières.

1. Pour qu’on énonce une assertion dont le contenu est très évident, il faut des conditions
anormales car on parle d’un fait inattendu. (Il respire), (IL se rappelle son nom).
Evidence + conditions normales = information dépourvue d’intérêt
Evidence + conditions anormales = information surprenante, d’un grand intérêt.

2. Le terme (vrai) entrant sur une assertion modifie l’acte assertif. Il ne mentionne pas une
progression dans l’information, il nous informe sur la position de l’énonciateur vis-à-vis de
l’assertion qui était déjà émise plutôt que sur le fait asserté.
(Vrai) + assertion = confirmation de l’assertion.

3. Les termes comme "je crois" introduits dans l’assertion occasionnent une certaine déviance
quant à la valeur de l’acte assertif ; ils sont pris comme des éléments modificateurs dans la
mesure où ils provoquent un affaiblissement au degré de la vérité de l’assertion.

Assertion + vérité=certitude : l’énonciateur identifie sa croyance en la vérité absolue.


Je crois + assertion = sa propre croyance (la vérité objective est mise en doute)
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Toute assertion exprime par définition une croyance en une vérité, si on lui ajoute des
éléments comme "je crois", elle sera saugrenue. L’information que l’assertion contient
n’engage que soi-même, elle ne peut être prise comme vérité absolue.
Alors, les traces de la subjectivité dans ces exemples se manifestent non seulement à
travers les termes comme "penser", "croire", "considérer" mais aussi à travers l’emploi des
déictiques personnels "je" et les termes attribuant une valeur évaluative à la langue française
et les autres langues. Cette évaluation se présente comme des jugements personnels.
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L’hétérogénéité énonciative au cœur du discours

Dans le dictionnaire d’analyse du discoursi M. Bakhtine précise que tout discours est
doublement dialogique d’où deux types de relations se distinguent : relations interlocutives/
relations interdiscursives. Le premier type instaure une relation de dialogue proprement dit
avec un destinataire réel ou imaginaire, quant au second type, il correspond au fait que les
discours se reprennent et se miroitent les uns les autres, autrement dit, ils sont habités et
traversés d’échos et de rappels des discours produits antérieurement.

ii
Dans la même optique, J. Authier-Revuz pense l’énonciation comme le lieu d’une
hétérogénéité inévitable qu’elle classe en deux types : l’hétérogénéité montrée et
l’hétérogénéité constitutive. La première est claire, explicite et appréhendée dans une
démarche linguistique et pragmatico-communicationnelle ; nous remarquons des frontières
entre les paroles de « je » qui parle et celles des voix convoquées dans son discours. Cette
hétérogénéité est marquée par plusieurs indices, dans nos discours :

« on y trouve à tout instant « une citation », « une référence » à ce qu’a dit telle personne,
à ce qu’ « on dit », à ce que « chacun dit », aux paroles de l’interlocuteur, à nos paroles
antérieurs, à un journal, une résolution, un document, un livre...La plupart des
informations sont transmises en général sous une forme indirecte, non comme émanant de
soi, mais se référant à une source générale non précisée : « j’ai entendu dire », « on
considère », « on pense ». (…) parmi toutes les paroles que nous prononçons dans la vie
courante, une bonne moitié nous vient d’autrui »iii

La deuxième hétérogénéité est masquée, implicite et non identifiable, elle est caractérisée par
la dilution, la dissolution de discours de l’autre dans son propre discours. Ici, le sujet
énonciateur, psychiquement clivé, est traversé par le discours de l’autre d’une manière
inconsciente.
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Scène d’énonciation / Situation d’énonciation

1. La situation d’énonciation : est la situation dans laquelle a été émise une parole, ou
dans laquelle a été produit un texte. Celle –ci permet, grosso modo, de déterminer qui
parle à qui (ou qui écrit à qui), et dans quelles circonstances.

De façon plus systématique, l’analyse de la situation d’énonciation vise à dégager :

- le cadre physique et spatio-temporel ;


- le canal de transmission (oral/écrit ; verbal/non verbal) ;
- le cadre symbolique (espace discursif et de représentation) et le système de référence ;
- la distribution des coénonciateurs ;
- les éléments constitutifs de l’environnement tels que peuvent le percevoir les
coénonciateurs ;
- comment ces derniers, partenaires de la communication, se prêtent mutuellement leurs
connaissances.

Notons que l’acte d’énonciation met en scène des actants et des circonstances qu’on
résume ainsi « je », « tu », « ici » et « maintenant ». Or, selon que les actants et les
circonstances de la situation d’énonciation sont ou non présents dans un énoncé, celui-ci
sera dit ancré ou coupé de la situation d’énonciation.

1.1 Enoncé ancré dans la situation d’énonciation

C’est ce qu’on appelle aussi « un plan embrayé ». Il comporte au moins un indice (ou
embrayeur) permettant de repérer la situation d’énonciation ; il s’agit souvent du discours
oral.

1.2 Enoncé coupé de la situation d’énonciation

C’est ce qu’on appelle aussi « un plan non embrayé ». Il ne comporte aucun indice (ou
embrayeur) permettant de repérer la situation d’énonciation ; il s’agit souvent du récit,
mais également des énoncés sentencieux, des textes de lois, des proverbes, des modes
d’emploi, des démonstrations scientifiques, des descriptifs techniques…etc. Cela
concerne, généralement, l’écrit.

2. La scène d’énonciation : s’engendre dans trois aspects selon le point de vue auquel
on se place.
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2.1 Le premier aspect correspond au type de discours. Il s’agit de la scène
englobante ;
2.2 Le deuxième est en corrélation avec le genre du discours. Il s’agit de la scène
générique ;
2.3 Le troisième aspect « cadre scénique », dit aussi aspect de scénographie est
construit par le texte. C’est lui qui définit l’espace stable à l’intérieur duquel
l’énoncé prend sens.
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Quelques applications

1. Repérez les indices personnels et dites à quoi ils se réfèrent. Déduisez en la


situation dans laquelle le texte a été produit/

Zen

Calmez- vous ! Les personnes ayant un caractère irascible sont trois fois plus exposées au
risque d’infarctus et deux fois plus sujettes aux troubles cardiaques que les autres, relève
une étude de l’université de Johns Hopkins, en Californie de Nord, qui a été effectuée sur
13000 hommes et femmes âgées de 45 à 65 ans.

La Republica, 1999 Rome

2. Dites à quoi se réfère « On » dans chacun de ces textes

Commençons par l’examen de cette faculté qui est fondamentale et qu’on oppose à tort à
l’intelligence, dont elle est, au contraire, la véritable puissance motrice ; je veux parler de
la sensibilité.
Paul Valéry, Variétés
Un des lieux communs qu’on rabâche dans certains milieux, c’est que désormais la
littérature n’aura plus à jouer qu’un rôle secondaire ; l’avenir est au cinéma, à la télévision, à
l’image. Je n’en crois rien.
S. De Beauvoir, Tout compte fait
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i
- CHARAUDEAU P. & MAINGUENEAU D. : Dictionnaire d’analyse du discours ,
Éd. du Seuil, Paris, 2OO2, p. 176
ii
- Ibid., pp. 176-177.
iii
- BAKHTINE M. : Esthétique et théories du roman, Paris, Gallimard, Collection Tel,
1978, p. 158

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