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MOUSTIRI Zineb
Université de Biskra 2019/2020
1. L’émergence de l’énonciation
Né en 1902, Émile Benveniste fut l'un des plus grands linguistes contemporains. Ses
contributions essentielles concernent les études indo-européennes, la linguistique
synchronique et la linguistique théorique. Il fut élu au Collège de France en 1937 et il y
enseigna jusqu'à ce que la maladie l'eût contraint à se retirer, en 1970, avait déjà une solide
réputation de comparatiste, spécialiste des langues indo-européennes (Origines de la
formation des noms en indo-européen, 1935, qu'allait prolonger le Vocabulaire des
institutions indo-européennes, 1969), quand il s'est décidé à réunir une série d'articles parus
dans des revues spécialisées entre 1939 et 1964 (Problèmes de linguistique générale, 1964)
puis entre 1965 et 1972 (Problèmes de linguistique générale II, 1974). C'est dans le second
volume que Benveniste confronte les propositions structurales aux interrogations des sciences
(histoire, psychanalyse, philosophie, logique...). Il propose alors des réponses qui se trouvent
au principe de plusieurs développements contemporains de la linguistique. Les travaux
d’Émile Benveniste portent principalement sur l’étude de la langue indo-européenne d’une
part, et sur la linguistique générale d’autre part. Il contribue aux côtés d’André Martinet et de
Lucien Tesnière (1893-1954) aux publications du Cercle linguistique de Prague dans les
années 1930. Émile Benveniste succède, en 1937, à son maître Antoine Meillet à la chaire de
grammaire comparée au Collège de France.
Certains verbes d'état nous permettent, aussi, d'entériner cette subjectivité. Par exemple,
quand un émetteur énonce: "je souffre", il décrit son état actuel variable selon le contexte et
l'individu. Plus, dire "je crois" diffère de dire « je pense » car dans le premier j'en suis
convaincu tandis que le second énoncé contient des doutes.
En bref, cette théorie porte essentiellement sur les pronoms personnels) ; les formes de la
deixis (celles qui servent à montrer quelqu'un ou quelque chose) ; les adverbes de temps à
valeur relative (« aujourd'hui » par opposition au quantième). Ces trois éléments, réunis
comme le « je-ici-maintenant ».
Enfin, il est important de dire que les travaux de Benveniste ont permis des avancées
pantagruéliques dans le domaine de la pragmatique et de l'analyse conversationnelle. Par
exemple, l'analyse des textes et des discours (opposition discours/récit, théorie des
embrayeurs) a largement tiré parti de ses recherches.
2. Problématique de l’énonciation
La modalité appréciative :
La modalité épistémique :
Elle exprime et révèle un jugement que le sujet attribue à la valeur de vérité de son
énoncé. Il s’agit de l’expression de la certitude, de la probabilité, de la vérité, de l’éventualité.
Les adverbes et les expressions d’opinion (certainement, probablement, certes, peut-être, en
vérité…) sont des exemples relevant de cette catégorie.
La modalité déontique :
Il est question de toutes les marques de la phrase injonctive qui décèlent la position
d’autorité postulée par le locuteur. Ces indices sont les termes et les expressions de la volonté,
du conseil, de la nécessité, du devoir… :
Ils s’engendrent dans l’emploi de : certains temps verbaux, certains adverbes ou groupes
nominaux adverbiaux et certains démonstratifs. Ils situent le message dans l’espace et le
temps par rapport à l’énonciateur ; leurs référents ne sont identifiables que dans le contexte de
leur naissance.
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De la subjectivité dans le langage
1. Définition de la subjectivité
La subjectivité, en tant que notion, suggère ce qui a rapport à la personnalité du sujet parlant,
à ses impressions, à son affinité, à ses états de conscience.
Benveniste voit dans cette notion "l'unité psychique qui transcende la totalité des
expressions qu'elle assemble, et qui assure la permanence de la conscience" 1966: 260). La
subjectivité est donc la capacité du locuteur à se poser comme sujet (Ibid :269).
K- Orecchionni rejoint Benveniste dans cet avis, qui croit qu' "aucun lieu langagier
n'échappe à l'emprise de la subjectivité" (: 117). La même idée se retrouve chez Ricœur pour
qui le langage est « un mode d'être dans l'être" (1969:261).
La subjectivité parait ainsi inhérente à l'exercice même du "langage qui contient toujours
les formes linguistiques appropriées à son expression" (Benveniste 1966: 263).
Si avec Benveniste, la subjectivité trouve son fondement dans la langue, c'est sans doute
en raison des contraintes conventionnelles et l'exercice de la communication langagière.
On ne peut user du langage sans employer les déictiques et autres marques qui se
définissent toujours par rapport à l'instance d'énonciation. "une langue sans expression de la
personne ne se conçoit pas" (Benveniste: 261).
Cette forme de subjectivité fondée sur l'égo que révèle le langage peut être qualifiée de
subjectivité au premier degré.
Selon Orecchionni, il existe une autre forme de subjectivité dite évaluative et affective
(168). Cette forme de subjectivité dénonce la réaction émotionnelle du sujet qui s'avoue
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implicitement ou explicitement comme source d'interprétation et d'évaluation du référent qu'il
est censé décrire.
2. Application
Le dormeur du val
C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Application 2
« L’arabe classique est la langue officielle et nationale.» Ici, l’énonciateur a utilisé le verbe
être dans son état libre où il assure la fonction de prédication.
Le deuxième énoncé choisi : «je trouve que le français / fait accès à d’autres civilisations / à
connaitre beaucoup du monde /», l’emploi de "Je" et du verbe (trouver) marque l’engagement
personnel de l’énonciateur et indique un jugement de valeur. De ce fait, l’utilisation de
l’expression "je trouve" tire les assertions de la vérité générale à la vérité particulière et du
domaine de l’objectivité à celui de la subjectivité.
Pour poursuivre l’analyse, nous appuierons la réflexion sur les idées de Searle. Il est
évident que toute assertion présente plutôt une croyance en une vérité et non pas une vérité,
car l’aboutissement au réel n’est pas accessible à tout le monde. Tout discours émis à propos
d’un objet quelconque est relatif à une perception et représentation du monde. De ce fait, nous
aborderons le problème à travers les deux concepts sous tendant l’assertion, la vérité et la
croyance, en nous inspirant de l’ouvrage de Searle : Les actes de langage.
En effet, il nous parait que l’énonce (2) débutant par l’expression "je crois" ne possède
pas une valeur véridique forte comme l’énoncé (3) : L’énoncé (2) présente l’information
comme vraie mais d’un point de vue personnel, elle a un caractère de subjectivité, elle est
chargée d’un sentiment de doute et d’incertitude. Mais l’énoncé (3) assume à son tour une
assertion qui normalement assure la même fonction, la croyance et l’incertitude. Comment
peut-on dire alors que l’emploi de l’expression comme "je trouve" marque le doute et
l’incertitude ?
A ce propos, Searle nous propose de ne pas appuyer l’analyse sur les termes eux mêmes, leur
sens et leur emploi. Il estime que la réponse réside dans la nature même de l’acte de langage,
à savoir l’assertion. En quoi alors, peut-elle l’utilisation des expressions telles que "je cois "
influence l’accomplissement de l’acte assertif et sa valeur ?
Pour répondre à cette question, nous avons consulté l’ouvrage de Searle : Les actes de
langage, précisément son étude portée sur le problème de la vérité. Cet auteur a analysé le cas
d’un certain nombre de termes dont la présence dans l’énoncé, le rend à la limite de
l’acceptable.
Searle a analysé des énoncés tels que : "Il respire", "Il se rappelle son nom", … etc. Ce
type d’énoncés contient des informations évidentes et si ces derniers seront isolés de leur
environnement d’énonciation, ils perdront leur valeur et deviendront saugrenus. L’auteur nous
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dit : « …. Nous estimons qu’il faut des conditions particulières pour que l’énoncé de ces
phrases en tant qu’assertion soit naturel » 1 , exemple : quelqu’un qui a perdu mémoire et
vient de se rappeler son nom dans ce cas anormal, l’énoncé "Il rappelle son nom" est à sa
place. Les cas que nous étudions se diffèrent de ceux étudiés par l’auteur, mais nous pouvons
au moins faire un parallèle pour engendrer une situation dans laquelle l’assertion ne sera pas
défectueuse.
Les énoncés que nous tenterons d’étudier comme " je trouve que le français / fait accès à
d’autres civilisations / à connaitre beaucoup du monde / ", n’est pas absurde, l’assertion n’est
pas défectueuse en elle-même mais elle est dotée d’une valeur moindre par rapport à l’énoncé
"Le français fait accès à d’autres civilisations " et l’emploi de l’expression " je trouve ", en est
la cause.
Alors à quoi sert d’introduire comme ces termes dans l’assertion, si celle-ci exprime
une croyance où le but est d’engager le locuteur, où les mots s’ajustent au monde, où l’état
psychologique est la conviction à propos du contenu, selon Austin et Searle ? Si l’assertion
comporte en elle-même la croyance et l’interlocuteur peut l’identifier comme ce que le
locuteur pense l’objet, l’utilisation des expressions comme "je considère", "je crois" … etc.,
n’est-elle pas inutile ?
Le fait d’annoncer une assertion implique l’acte assertif. Alors l’emploi des expressions
"je crois", "je pense", "je trouve", … etc, dénaturent les assertions et les dépouillent de leur
valeur en tant que croyance en une vérité. Elles portent certaines modifications aux assertions
L’exemple que Searle a donné est : Si quelqu’un veut informer un autre sur le fait que sa
maison brûle, il ne peut pas lui dire « il est vrai que votre maison brûle », mais il doit lui dire
« votre maison brûle ». Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas des conditions particulières où
l’énoncé (1) soit produit et affectueux.
1
- SEARLE J. : Les actes de langage, Hermann, Paris, 1992, p. 195
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Dans les conditions bien spécifiques qui exigent la présence d’un deuxième énonciateur
portant son adhésion à ce qui vient d’être dit, l’énoncé (1) peut être produit. Dans ce cas,
l’énonciateur vise le renforcement de la valeur véridique mise apparemment en doute.
L’emploi du terme (vrai) signifie donc, l’autorité de l’acte assertif. De la même façon
l’emploi des expressions que nous étudions signifie, que l’énonciateur ne croit pas en la vérité
de la proposition qu’il énonce.
En définitive, nous pouvons dire que les trois types d’énoncés dont nous avons parlés,
l’expression exprimant une information évidente, l’expression exprimant la vérité de ce que
l’on énonce, l’expression signifiant la croyance en ce que l’on énonce, toutes les trois font
partie du phénomène de l’assertion et la non évidence qui régit l’accomplissement de l’acte
illocutionnaire en ce qu’il implique vérité et croyance. Comme nous ne pouvons obtenir ou
effectuer un acte assertif réussi, dans des conditions normales et dont le contenu
propositionnel est évident, cette même règle s’applique sur les deux énoncés restants mais
différemment. La non évidence touche les trois cas cités, et pour leur bon accomplissement, il
faut des conditions de satisfaction particulières.
1. Pour qu’on énonce une assertion dont le contenu est très évident, il faut des conditions
anormales car on parle d’un fait inattendu. (Il respire), (IL se rappelle son nom).
Evidence + conditions normales = information dépourvue d’intérêt
Evidence + conditions anormales = information surprenante, d’un grand intérêt.
2. Le terme (vrai) entrant sur une assertion modifie l’acte assertif. Il ne mentionne pas une
progression dans l’information, il nous informe sur la position de l’énonciateur vis-à-vis de
l’assertion qui était déjà émise plutôt que sur le fait asserté.
(Vrai) + assertion = confirmation de l’assertion.
3. Les termes comme "je crois" introduits dans l’assertion occasionnent une certaine déviance
quant à la valeur de l’acte assertif ; ils sont pris comme des éléments modificateurs dans la
mesure où ils provoquent un affaiblissement au degré de la vérité de l’assertion.
Dans le dictionnaire d’analyse du discoursi M. Bakhtine précise que tout discours est
doublement dialogique d’où deux types de relations se distinguent : relations interlocutives/
relations interdiscursives. Le premier type instaure une relation de dialogue proprement dit
avec un destinataire réel ou imaginaire, quant au second type, il correspond au fait que les
discours se reprennent et se miroitent les uns les autres, autrement dit, ils sont habités et
traversés d’échos et de rappels des discours produits antérieurement.
ii
Dans la même optique, J. Authier-Revuz pense l’énonciation comme le lieu d’une
hétérogénéité inévitable qu’elle classe en deux types : l’hétérogénéité montrée et
l’hétérogénéité constitutive. La première est claire, explicite et appréhendée dans une
démarche linguistique et pragmatico-communicationnelle ; nous remarquons des frontières
entre les paroles de « je » qui parle et celles des voix convoquées dans son discours. Cette
hétérogénéité est marquée par plusieurs indices, dans nos discours :
« on y trouve à tout instant « une citation », « une référence » à ce qu’a dit telle personne,
à ce qu’ « on dit », à ce que « chacun dit », aux paroles de l’interlocuteur, à nos paroles
antérieurs, à un journal, une résolution, un document, un livre...La plupart des
informations sont transmises en général sous une forme indirecte, non comme émanant de
soi, mais se référant à une source générale non précisée : « j’ai entendu dire », « on
considère », « on pense ». (…) parmi toutes les paroles que nous prononçons dans la vie
courante, une bonne moitié nous vient d’autrui »iii
La deuxième hétérogénéité est masquée, implicite et non identifiable, elle est caractérisée par
la dilution, la dissolution de discours de l’autre dans son propre discours. Ici, le sujet
énonciateur, psychiquement clivé, est traversé par le discours de l’autre d’une manière
inconsciente.
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Scène d’énonciation / Situation d’énonciation
1. La situation d’énonciation : est la situation dans laquelle a été émise une parole, ou
dans laquelle a été produit un texte. Celle –ci permet, grosso modo, de déterminer qui
parle à qui (ou qui écrit à qui), et dans quelles circonstances.
Notons que l’acte d’énonciation met en scène des actants et des circonstances qu’on
résume ainsi « je », « tu », « ici » et « maintenant ». Or, selon que les actants et les
circonstances de la situation d’énonciation sont ou non présents dans un énoncé, celui-ci
sera dit ancré ou coupé de la situation d’énonciation.
C’est ce qu’on appelle aussi « un plan embrayé ». Il comporte au moins un indice (ou
embrayeur) permettant de repérer la situation d’énonciation ; il s’agit souvent du discours
oral.
C’est ce qu’on appelle aussi « un plan non embrayé ». Il ne comporte aucun indice (ou
embrayeur) permettant de repérer la situation d’énonciation ; il s’agit souvent du récit,
mais également des énoncés sentencieux, des textes de lois, des proverbes, des modes
d’emploi, des démonstrations scientifiques, des descriptifs techniques…etc. Cela
concerne, généralement, l’écrit.
2. La scène d’énonciation : s’engendre dans trois aspects selon le point de vue auquel
on se place.
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2.1 Le premier aspect correspond au type de discours. Il s’agit de la scène
englobante ;
2.2 Le deuxième est en corrélation avec le genre du discours. Il s’agit de la scène
générique ;
2.3 Le troisième aspect « cadre scénique », dit aussi aspect de scénographie est
construit par le texte. C’est lui qui définit l’espace stable à l’intérieur duquel
l’énoncé prend sens.
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Quelques applications
Zen
Calmez- vous ! Les personnes ayant un caractère irascible sont trois fois plus exposées au
risque d’infarctus et deux fois plus sujettes aux troubles cardiaques que les autres, relève
une étude de l’université de Johns Hopkins, en Californie de Nord, qui a été effectuée sur
13000 hommes et femmes âgées de 45 à 65 ans.
Commençons par l’examen de cette faculté qui est fondamentale et qu’on oppose à tort à
l’intelligence, dont elle est, au contraire, la véritable puissance motrice ; je veux parler de
la sensibilité.
Paul Valéry, Variétés
Un des lieux communs qu’on rabâche dans certains milieux, c’est que désormais la
littérature n’aura plus à jouer qu’un rôle secondaire ; l’avenir est au cinéma, à la télévision, à
l’image. Je n’en crois rien.
S. De Beauvoir, Tout compte fait
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i
- CHARAUDEAU P. & MAINGUENEAU D. : Dictionnaire d’analyse du discours ,
Éd. du Seuil, Paris, 2OO2, p. 176
ii
- Ibid., pp. 176-177.
iii
- BAKHTINE M. : Esthétique et théories du roman, Paris, Gallimard, Collection Tel,
1978, p. 158