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Review

Reviewed Work(s): La tortue et la lyre. Dans l’atelier du mythe antique by John Scheid
and Jesper Svenbro
Review by: Rocco Marseglia
Source: Annales. Histoire, Sciences Sociales , juillet-septembre 2015, 70e Année, No. 3
(juillet-septembre 2015), pp. 743-745
Published by: Cambridge University Press

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/10.2307/annahistscisoc.70.3.743

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HISTOIRE INTELLECTUELLE

ensemble » (p. 183). Ce point pourrait être dis- dernières décennies du XXe siècle, plus d’une
cuté, surtout si l’on se souvient de la formule remise en question critique. La publication, en
de Hans Diller : « Le kosmein comme disposi- 1981, de L’invention de la mythologie de Marcel
tion de la chose particulière dans l’ordonnan- Detienne a notamment eu le mérite d’ouvrir
cement du tout [als Einfügen des einzelnen in die la voie à une analyse critique de l’histoire et de
Ordnung des Ganzen] 1 ». On pourrait ouvrir le la relativité de la science des mythes. Plusieurs
chantier d’une analyse systématique des verbes chercheurs ont dès lors remis en question la
liés à ces représentations de l’ordre du point de validité de la méthode structurale en préférant
vue méréologique des rapports qu’ils instaurent aborder les mythes dans leur fonction opéra-
entre totalité et parties. toire en adoptant une perspective pluridisci-
La question de mesurer la part du « social » plinaire.
dans la construction de cette représentation L’ouvrage de John Scheid et Jesper Svenbro
de l’ordre est posée : si l’auteur note qu’il n’y s’insère de manière originale dans ce contexte.
a pas, dans la pensée archaïque, d’opposition La méthode utilisée reste largement redevable
entre le « social » et le « cosmique », puisque le à l’analyse structurale et utilise volontiers le
cosmos est lui-même un système de relations système typique des oppositions binaires (en
sociales étendu à toutes choses, il en vient par- particulier le chapitre 4 et le tableau p. 121).
fois à réserver à timè le fait de porter la marque S’ils affichent, voire revendiquent, ce rapport
du social (par opposition à moira qui relèverait au structuralisme dans l’introduction lorsqu’ils
du « cosmique », p. 169), et institue ainsi ce der- dressent le catalogue des références qui ont
nier en matrice de l’ensemble des relations orienté leurs propres études, les auteurs
cosmiques. La question est alors peut-être de tiennent cependant à se démarquer ferme-
savoir ce qui, dans le social lui-même, est créa- ment de Claude Lévi-Strauss et de sa vision
teur d’ordre, et l’enquête pourrait s’ouvrir à centrée sur la dimension narrative du mythe.
l’ensemble des pratiques sociales afin de déter- C’est dans cette idée d’un mythe non narratif
miner systématiquement celles qui ont une qu’il faut situer l’intérêt principal de cette
vocation à créer des formes universelles de étude. Si dans un ouvrage commun précédent,
classification et à être, selon le mot bien trouvé paru il y a désormais vingt ans, les auteurs ana-
de l’auteur, « porteuses d’ordre », ou, pour le lysaient la « métaphore partagée » du tissage
dire autrement, « cosmogènes ». en la considérant comme un mythe, concept
lui-même défini comme une « concaténation
ARNAUD MACÉ de catégories » 1, ils approfondissent dans La
tortue et la lyre l’analyse de la démarche « géné-
1 - Hans DILLER, « Der vorphilosophische rative ». Comme le souligne le sous-titre, c’est
Gebrauch von kosmos und kosmein », in Festschrift la mytho-poïésis qui est au centre de l’enquête,
Bruno Snell zum 60. Geburtstag am 18. Juni 1956 von c’est-à-dire la manière dont des « associations
Freunden und Schülern überreicht, Munich, C. H. Beck,
symboliques préexistantes », que les auteurs
1956, p. 47-60, ici p. 53.
appellent « mythes », « servent de matrices à
l’élaboration des récits mythologiques » (p. 17).
John Scheid et Jesper Svenbro Issu des séminaires communs tenus par les
La tortue et la lyre. Dans l’atelier du mythe auteurs à l’École pratique des hautes études
antique (EPHE), l’ouvrage rassemble six études pré-
Paris, CNRS Éditions, 2014, 230 p. cédées d’une importante introduction. Tout en
retraçant l’origine de ce travail et les influences
On sait à quel point le structuralisme de matrice qui lui ont fourni son orientation, l’introduc-
lévi-straussienne a empreint les études en tion permet à la fois de définir la démarche
sciences sociales dans la seconde moitié du générative dans les termes que nous avons
XXe siècle et combien son influence s’est exer- rappelés plus haut et de préciser les deux
cée depuis lors sur les travaux consacrés à la manières dont le processus mytho-poïétique est
mythologie grecque et latine. La démarche envisagé : le récit mythologique peut se créer
structuraliste a néanmoins connu, dans les soit à partir d’un objet symboliquement chargé, 743

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COMPTES RENDUS

soit à partir d’un nom propre et des différentes d’énonciation. Une analyse d’ordre pragma-
associations symboliques rendues possibles par tique, du même type que celle qu’ils mènent
la langue. Ainsi, par exemple, dans le récit de la à bien dans le dernier chapitre à propos de
fondation de Carthage, ce serait le nom (non l’élégie 9 du livre IV de Properce et de la pré-
grec) de la ville qui, re-sémantisé en grec sous sence de Vertumne dans Les métamorphoses
la forme Bursa, aurait créé un récit de fondation d’Ovide, aurait permis, semble-t-il, d’enrichir
dans lequel la bursa, « peau de vache », joue plusieurs démonstrations. Par exemple, l’insis-
un rôle important. Ce passage au récit serait tance (justifiée) de la part des auteurs sur la
par ailleurs rendu possible par le symbolisme forme kerambux et sur la double ouverture
politique de la peau de vache, que les auteurs sémantique qu’elle permet dans l’histoire de
s’efforcent de mettre en avant. Kérambos ne peut prendre tout son sens que
Les six études se présentent comme des dans le cadre d’un récit de métamorphoses tel
illustrations du processus esquissé dans l’intro- que celui d’Antoninus Liberalis. De la même
duction. Celle-ci permet de leur donner un manière, la présence des satyres dans Les limiers
cadre de lecture unitaire et de comprendre de Sophocle (fragment 314 dans l’édition de
l’organisation du volume : même s’ils ne sont Stefan Radt, et non pas 313, comme indiqué
pas regroupés en sections thématiques, on voit de manière erronée p. 147, n. 82), ne saurait être
bien à la lecture que les quatre premiers cha- abordée sans considérer les contraintes géné-
pitres portent sur des objets, les deux der- riques du drame satyrique. De plus, l’opposition
niers sur des noms propres. On peut regretter entre l’aulos et la lyre ainsi que la réaction éton-
l’absence d’un cadre théorique affirmant davan- nante des satyres au son de la lyre se retrouvent
tage encore la cohérence de l’ensemble des ana- actuellement réalisées sur la scène, grâce à la
lyses proposées. Dans un bref épilogue, J. Scheid présence dans le hic et nunc de la représentation
et J. Svenbro reviennent sur la méthode et d’un joueur d’aulos 2 et d’un cithariste (invisible)
constatent que les analyses ont vérifié l’hypo- en coulisse.
thèse générative de départ ; ils y justifient le Une problématisation plus approfondie des
choix de ne pas formuler une « théorie du sources aurait permis de nuancer l’interpréta-
mythe » en préférant parler d’une « poétique tion proposée du mythe d’Orphée. Les auteurs
des mythes » : « Le mot ‘poétique’ nous semble analysent l’association entre Orphée et le mérou
préférable, car nous ne nous sommes pas inté- (orphôs), un poisson qui, pour la zoologie contem-
ressés à la ‘nature du fait mythique en général’, poraine, est de type « hermaphrodite successif »,
mais, de façon assez pragmatique, à la façon c’est-à-dire transsexuel. Pour appuyer cette inter-
dont on peut comprendre la construction, l’éla- prétation « transsexuelle » du mythe d’Orphée,
boration et la mise en place de certains faits ils se fondent sur le nom initial de son épouse,
mythiques » (p. 215). Si ces remarques leur Agriopè (« Voix-sauvage »), qui convient parti-
permettent d’éluder le problème méthodo- culièrement bien au chanteur thrace lui-même.
logique en le contournant (dans un acte de En réalité, dans la plupart des sources grecques,
circumscriptio qui n’est pas sans rappeler celui la femme d’Orphée n’a pas de nom et ce
d’Élissa qu’ils analysent), ils paraissent mal- silence semble contredire l’interprétation d’un
gré tout conscients des difficultés posées par Orphée qui aurait fait le deuil non de son
une analyse qui « semble pousser jusqu’au épouse mais de la jeune fille qu’il fut avant de
paroxysme le mécanisme génératif » : « à quel devenir Orphée.
moment l’analyse doit-elle s’arrêter pour évi- Mis à part ces quelques points litigieux, il
ter que l’analyste ne donne l’impression d’avoir faut assurément saluer en conclusion la richesse
basculé dans le rôle du ventriloque qui fait dire des analyses, qui n’invitent pas tant le lecteur à
n’importe quoi à ses marionnettes » (p. 159) ? une relecture de grands mythes de l’Antiquité
La question des limites reste malheureusement qu’à une plongée dans l’imaginaire grec, un
sans réponse. imaginaire vivant et rempli d’objets, d’animaux,
On peut également regretter que J. Scheid de fleurs, dont les auteurs s’efforcent de mettre
et J. Svenbro n’aient pas toujours pris en consi- en lumière les mécanismes et les connexions.
744 dération de manière approfondie le contexte C’est un ouvrage dense et stimulant qui saura

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HISTOIRE INTELLECTUELLE

intéresser et charmer du son de sa propre lyre associe trois démarches complémentaires consti-
le spécialiste aussi bien que le lecteur cultivé. tuant les trois parties de l’ouvrage : une étude
sémantique à travers une analyse sémasio-
ROCCO MARSEGLIA logique à laquelle Jean-François Thomas nous
avait déjà habitués 2 ; une étude des pratiques
1 - John SCHEID et Jesper SVENBRO, Le métier selon une perspective anthropologique inspi-
de Zeus. Mythe du tissage et du tissu dans le monde rée de la méthode de Myles McDonnell, sur
gréco-romain, Paris, La Découverte, 1994, p. 10. laquelle plane l’ombre de Pierre Bourdieu 3 ;
2 - Voir notamment le fragment 3 de Pratinas une étude axiologique et idéologique. Très
(Tragicorum Graecorum fragmenta, vol. 2, Fragmenta classiquement, la période retenue va de la fin
adespota. Testimonia volumini 1 addenda. Indices ad du IIIe siècle av. J.-C., lorsque la notion appa-
volumina 1 et 2, éd. par R. Kannicht et B. Snell, raît dans les textes latins, à la fin des années 40
Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1981). av. J.-C. Le corpus ainsi défini ne retient que
On peut également penser au très célèbre vase les sources de langue latine écrites pendant
de Pronomos. cette période, qui s’ouvre avec Plaute et Ennius
et s’achève avec Cicéron, Salluste et César.
Conscient des limites épistémologiques d’un
Mathieu Jacotot tel choix, M. Jacotot annonce que son travail
Question d’honneur. Les notions d’honos, « sera surtout une étude des représentations
honestum et honestas dans la République de cette pratique par les Romains » et que,
romaine antique en dégageant un noyau dur, lui-même a pour
Rome, École française de Rome, 2013, objectif d’atteindre la « pratique effective de
818 p. l’honneur » (p. 19).
S’inspirant de l’analyse sémique et grâce à
Le présent ouvrage est issu d’une thèse de un relevé exhaustif des occurrences, M. Jacotot
doctorat d’études latines. Il s’inscrit dans un approche, sème par sème, le sens de chacun
renouveau des monographies consacrées à des trois termes et son évolution. Selon lui,
une notion, telle celle de Philippe Akar sur la la valeur première d’honos est « marque
concordia, et développe les pistes annoncées d’honneur », relevée pour près de la moitié des
par l’étude magistrale de Joseph Hellegouarc’h occurrences, tandis que les acceptions « consi-
en conjuguant approches littéraire, historique dération » et « charge publique » représentent
et philosophique 1. chacune un peu moins du quart des cas pris en
Constatant la polysémie du terme « hon- considération. M. Jacotot en conclut que « les
neur », Mathieu Jacotot entend examiner aussi sèmes du /bienfait/, de l’/estime/, de la /posi-
bien l’expérience de l’honneur dans ses aspects tion sociale éminente/ et des /mérites/ sont les
sociopolitiques et moraux que sa pensée. Pour plus fréquents et confèrent à honos une réelle
ne pas plaquer les concepts de l’anthropologie unité » (p. 106). Si le sens « honorable » est de
sur une société ancienne, il choisit d’examiner loin le plus fréquent (presque la moitié des
la notion indigène en étudiant l’honos et ses occurrences), honestus connaît une moralisa-
dérivés, l’honestum et l’honestas, des termes qui tion, avec le sens d’« honnête » qui le conduit
ont l’avantage d’être fréquents. De la sorte, à l’acception esthétique « moralement beau ».
M. Jacotot veut montrer « comment se produit Cette évolution explique peut-être l’apparition
à Rome la cohésion du corps social », « comment du substantif honestas au début du Ier siècle av.
le pouvoir s’exerce dans d’autres espaces que J.-C. Ce rapprochement avec la notion grecque
les institutions » et « comment les groupes de kalon pour honestus et honestas est un calque
dominants utilisent les grandes notions socio- sémantique qui témoigne, selon l’auteur, de
politiques comme armes idéologiques ou l’habileté des cercles bilingues romains.
instruments d’affirmation identitaire » (p. 10). À partir de l’étude du lexique, M. Jacotot
Conscient des problèmes posés par la plas- aborde, dans la deuxième partie – la plus longue
ticité de la notion d’honneur, son évolution, de l’ouvrage –, la question des pratiques.
son rapport aux autres notions proches et les « L’honneur romain [étant] un honneur public,
relations entre pensée et conduite, M. Jacotot animé par le regard des autres » (p. 208), 745

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