Revue française de sociologie

Berthelot Jean-Michel, Epistémologie des sciences sociales.

Jean-Christophe Marcel

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Marcel Jean-Christophe. Berthelot Jean-Michel, Epistémologie des sciences sociales.. In: Revue française de sociologie,
2002, 43-4. Actualités wébériennes : perspectives d'analyses et principes de traduction. pp. 817-820;

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l'auteur ne comprenne aucun des travaux
qui, sur le même objet, mettent
précisément l'accent sur la notion de
« carrière » (3).
On peut par ailleurs regretter que
l'ouvrage ne se cantonne pas au projet
annoncé dans son sous-titre. C'est en
effet dans l'ethnographie de la vie
d'orchestre que l'ouvrage fait date, sur
un objet au sujet duquel peu d'ouvrages
de langue française réellement
convaincants ont à ce jour été publiés. En
revanche, les arguments statistiques
développés par l'auteur sont peu
convaincants, et l'on ne peut pas
totalement lui en faire grief dans la mesure où
la faiblesse de l'argumentation tient
essentiellement à la nature des données
exploitées. Il n'est ainsi pas raisonnable
de conclure, sur la base de différence de
pourcentage assez infime portant sur des
effectifs de quelques dizaines de
personnes et sur un seul orchestre
(orchestre de l'Opéra de Paris), que le
recrutement des orchestres est
socialement plus sélectif que celui du
conservatoire (pp. 46-50). Idem pour les
développements relatifs à la double domination
des femmes à l'intérieur de l'orchestre
(majoritaires chez les cordes et donc
parmi les tuttistes, elles sont aussi
d'extraction sociale moins élevée que
leurs homologues masculins, pp. 81-83).
Là encore, les effectifs considérés sont
trop faibles pour confirmer sans
équivoque l'argument avancé. Une
hypothèse vraisemblable vaut parfois mieux
qu'une hasardeuse validation statistique.
Philippe Coulangeon
Centre de sociologie du travail
et des arts
(3) Voir notamment l'article, certes ancien,
de David Wetsby, « The career experience of
the symphony musician», Social forces, 1960,
38, pp. 223-230.
Les livres
Berthelot (Jean-Michel) (dir.). -
Epistemologie des sciences
sociales.
Paris, Presses Universitaires de France
(Premier cycle), 2001, XII-593 p., 22,50 €.
À un moment où fleurissent nombre
de théories qui nous expliquent que la
validité d'un texte scientifique est
déterminée par les conditions sociales qui
œuvrent à sa production et à sa diffusion,
cette « epistemologie des sciences
sociales » tombe à point. On sort rassuré
de la lecture de ce livre qui persuade qu'il
n'est pas vain de s'interroger en détail, en
adoptant un regard « interne » et
autonome, sur les opérations de connaissance
que sont amenées à développer les
sciences sociales, et partant sur les
conditions constitutives de la croyance vraie
qu'est une connaissance.
Une première partie (« Les grands
territoires et leurs paradigmes », qui
comprend cinq contributions) est
consacrée aux régimes de connaissance de
quelques disciplines choisies parmi les
moins normatives, selon les mots de
l'éditeur. Parmi les contributions qui y
sont offertes, citons celle de J. Revel qui,
tout en retraçant la genèse des
interrogations sur le rapport de l'historien à son
objet depuis l'époque de la controverse
qui opposa Simiand à Seignobos, plaide
dans un premier texte pour une définition
de l'activité historique comprise comme
mise en contexte nécessaire à l'élaboration
de l'intelligibilité d'un fait inscrit dans le
temps par un historien, lui-même inséré
dans sa propre temporalité. Même si
depuis Simiand elle s'est débarrassée
d'une vision naïve de la causalité,
l'histoire ne laisserait pas de relever d'un
régime discursif et cognitif différent de
celui de la sociologie puisqu'elle
s'autorise à particulariser pour rendre compte de
la singularité du cas historique. Ainsi, les
historiens peuvent utiliser des modèles et
recourir au comparatisme sans pour autant
renoncer aux ressources narratives.
Sur un ton étrange, alternant entre
mea culpa et bonne conscience,
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Revue française de sociologie
В. Walliser, de son côté, dresse le portrait
d'une science économique entretenant
des relations conflictuelles avec les
autres sciences sociales, et incarnant une
démarche « réduite à l'étude théorique de
modèles fortement déterministes, mal
fondés empiriquement et dangereusement
opératoires » (p. 146), dans laquelle se
développe une vision du monde dominée
par des agents rationnels aux actions
coordonnées et conditionnées (par des
institutions) évoluant vers un état idéal
d'équilibre.
Citons, pour finir, le texte de J.-M.
Berthelot, pour qui les quatre disciplines
que sont la sociologie, l'ethnologie, la
psychologie sociale et la démographie
participent d'un espace épistémique
commun à même de révéler des
mouvements et des processus de nature
similaire. Toutes ces disciplines se
construisent en effet autour d'un noyau de
procédures et de références (tables de
population pour la démographie ;
immersion dans le terrain pour l'ethnologie ;
mise en place d'un plan expérimental
pour la psychologie sociale ; souci des
faits empiriques, voisinant avec un intérêt
marqué pour la modernité et prétention à
la construction d'une connaissance
générale, dans le cas de la sociologie) qui sont
au cœur de leur dispositif de
connaissance. Si, dans chacune d'elle, on voit
poindre un même mouvement d'épuration
épistémologique et de rationalisation des
procédures, on constate que, loin
d'impulser un mouvement de
renforcement d'un savoir cumulatif, leur
évolution historique est un mouvement fait de
dissémination et de ruptures. C'est que,
dans les sciences sociales, ce noyau
central n'a pas la capacité d'éviter les
approches alternatives. Autour de la
question de savoir à quelles conditions
les connaissances produites peuvent avoir
une valeur scientifique émergent trois
traditions. Une tradition objectiviste qui,
avec Durkheim, considère que l'on peut
traiter les faits sociaux comme des
données ; une autre plus « subjectiviste »,
qui considère qu'une relation statistique
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doit renvoyer à un sens subjectivement
assignable des actions ; une troisième
configuration épistémologique, enfin,
avec l'École de Francfort, considère que
la description ethnographique ne prend
sens que par une théorie seule capable de
saisir l'essence sans laquelle le sens
échappe. Dans la période contemporaine,
l'opposition entre pôle objectiviste et
pôle compréhensif a évolué. On peut
désormais identifier un pôle positiviste
(par exemple le structuralisme génétique)
qui met le sujet entre parenthèses ; un
pôle constructiviste (par exemple l'ethno-
méthodologie) qui pose qu'activités et
énoncés scientifiques n'ont pas un statut
distinct des activités ordinaires ; et enfin
une troisième position (par exemple
l'actionnisme de R. Boudon),
intermédiaire qui cherche à articuler les
déterminations structurelles et les orientations
subjectives des acteurs.
La deuxième partie (« Les grandes
traverses », qui comporte quatre
contributions) explore quelques thématiques
centrales, qui prouvent que les sciences
sociales rencontrent des objets et des
problèmes pouvant être proches.
Parmi les contributions offertes
retenons celle que B. Valade consacre à
l'antinomie entre holisme et
individualisme. Selon lui, il ne faut pas y voir
seulement de stériles querelles, mais
aussi des controverses scientifiques
fécondes. C'est pourquoi, après avoir
identifié les formes de holisme et les
différentes figures de l'individualisme,
l'auteur insiste sur les postures
méthodologiques que recouvre ladite antinomie.
Ainsi l'individualisme méthodologique
de R. Boudon, par exemple, postule-t-il
que l'effet macroscopique n'est
compréhensible que si on le ramène aux actions
effectuées par les individus et à la
rationalité de ces actions, en fonction des
ressources des individus d'une part, des
champs d'action créés par les structures
institutionnelles d'autre part. Le holisme
méthodologique, de son côté, montre
avec des travaux comme ceux de Dumont
qu'il est parfaitement possible de saisir

des objets aussi complets que des
configurations d'idées et de valeurs, de penser
des totalités ouvertes les unes sur les
autres, qui sont des rapports
d'interdépendance pensés et pratiqués par des
sujets normatifs et non par des individus
empiriques. Bref, il faut renoncer au
préjugé qui confond totalité et réalité, et
traiter la vie sociale comme un processus
de communication avec des degrés
variables d'objectivité. Si bien qu'au bout du
compte, conclut B. Valade, la position la
plus raisonnable est plutôt d'admettre que
toute science est à la fois comprehensive
et explicative, et que l'on doit récuser
l'opposition entre sciences naturelles et
sciences de l'esprit. Telle n'est pas la
conclusion à laquelle aboutit J. C. Gardin
qui, se penchant sur l'opposition entre les
deux formes de construction de la science
que sont le modèle et le récit, prophétise
avec A. Bouvier une démarcation plus
nette entre contribution scientifique et
œuvre littéraire, au détriment des
« productions de l'entre-deux ». La
tendance lourde serait ainsi dans la
réduction et la normalisation des formes
d'argumentation en sciences de l'homme.
Dans la troisième partie, intitulée
« Unité et pluralité », composée de deux
textes, il s'agit d'aborder un haut niveau
de généralité et de tenter de poser un
certain nombre de « problèmes épistémo-
logiques et ontologiques » propres aux
sciences sociales (p. 9).
Se réclamant d'un rationalisme lucide,
hostile aux dénégations et favorable à un
dialogue renouvelé entre la philosophie et
les sciences sociales, J.-M. Berthelot
entend dégager un niveau commun
d'analyse et de compréhension du
fonctionnement des sciences sociales. Dans ce
but, il identifie des « programmes » au
sens de Lakatos, c'est-à-dire des points
de vue qui s'expriment à travers des
axiomes délimitant un noyau dur préservé
de la contradiction et de la falsification
au sens de Popper. Ainsi la théorie
sociologique de « l'inégalité des chances »
scolaires présente-t-elle un programme
dans lequel des orientations «
Les livres
ques » font de l'individu un être doté
d'intentionnalité, et des orientations épis-
témologiques définissent une explication
fondée sur l'actionnisme. À ces
programmes Berthelot associe des
schemes, c'est-à-dire des matrices
d'opération de connaissance (par
exemple l'intentionnalité, qui prescrit
qu'il est pertinent de remonter aux
intentions subjectives de l'action pour
expliquer les faits sociaux) qui à leur tour
permettent d'identifier des théories (ou
ensembles conceptuels cherchant à rendre
compte d'un domaine déterminé de
phénomènes). Le pôle, enfin, est un
rassemblement autour d'engagements
communs de programmes et de théories.
On peut dès lors départager les sciences
sociales selon que l'on distingue le pôle
naturaliste (qui considère que les
phénomènes sociaux sont dans la continuité des
phénomènes naturels, comme dans le cas
du fonctionnalisme ethnologique), le pôle
intentionnaliste (dans lequel les
significations sont ramenées à, et des
connaissances ordinaires, à l'instar de R. Boudon
qui insiste sur les effets émergents
d'actions mues par de « bonnes raisons »)
et le pôle symbolique (où, comme dans le
cas du structuralisme, on insiste sur
l'autonomie des significations). Au
moyen de ces instruments, il devient
alors possible, selon J.-M. Berthelot, de
confronter plus systématiquement le
pouvoir explicatif des programmes sur
des objets donnés.
Le texte de R. Ogien, pour finir,
dresse un bilan « sceptique » sur la
possibilité de fonder les théories des sciences
sociales sur des principes infaillibles. En
effet, aucune de ces théories, selon lui, ne
peut exclure toute référence aux effets de
propriété supra-individuelle sur les
actions individuelles. Ce problème peut
être résumé en deux propositions : les
facteurs sociaux ont une pertinence dans
l'explication des croyances et des actions
individuelles. La meilleure façon de
rendre cette pertinence explicative est de
poser qu'il existe des faits sociaux
indépendants desdites croyances et actions.
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Revue française de sociologie
Apparaît alors un dilemme : si l'on veut
se débarrasser de cette deuxième
proposition, qui conduit à dire que Ton peut
attribuer des pouvoirs causaux à des êtres
de raison, force est d'expliquer les
phénomènes sociaux par nos émotions et
perceptions, mais alors on s'en remet à
une « psychologie ordinaire » dont le
« principe de charité interprétative » ne
permet pas de départager deux
attributions rationnelles.
Si, comme l'annonce J.-M. Berthelot
dans son « Avant-propos », l'ouvrage
peut être considéré comme un
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« manuel », ayant un souci « informatif et
documentaire », il reste que les textes, si
clairs soient-ils, ne sont pas toujours
faciles à s'approprier. À ce titre leur
publication dans la collection « Premier
cycle » des Presses Universitaires de
France ne doit pas abuser le lecteur. Ceci
étant dit, on a là un ouvrage stimulant
pour quiconque se pose de vraies
questions sur le statut scientifique de la
production en sciences sociales.
Jean-Christophe Marcel
Université Paris IV-Sorbonne