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org/contextes/10868#article-10868

32 | 2022
Anthropologie et études littéraires

La notion de « structure » entre anthropologie, études


littéraires et littérature
Chassé-croisé autour de l’œuvre de Marcel Proust
Pauline Mettan
https://doi.org/10.4000/contextes.10868
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Résumés

FRANÇAISENGLISH
La plasticité sémantique de la notion de « structure » s’est rapidement imposée comme un lieu
commun des études sur la question. Il ne s’agira pas ici d’ajouter une nouvelle définition à la liste,
mais d’envisager cette notion à partir de ses circulations entre les disciplines, l’usage qui en est fait
et les valeurs qu’elle véhicule. Après un rapide survol des circulations de la notion de structure, des
sciences exactes aux sciences de l’homme, je m’intéresserai plus spécifiquement à son
appropriation par les études littéraires, dès les années 1960-1970, dans les travaux qui portent sur
l’œuvre de Marcel Proust. Ces derniers (Roland Barthes, « Proust et les noms » (1966), Gérard
Genette, « L’âge des noms » (1976)) ont en effet su tirer parti de la réflexion de Proust sur les
noms propres pour élaborer et justifier une nouvelle méthode « structurale » de lecture des textes.
On s’interrogera sur ce que les critiques littéraires structuralistes gardent et font de la notion de
structure – et de l’œuvre de Proust – dans ce geste d’appropriation, avant de se demander, en
retour, ce que l’analyse structurale doit à la pensée proustienne.
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Entrées d'index

Mots-clés : 
Proust (Marcel), Barthes (Roland), Lévi-Strauss (Claude), Structure, Structuralisme
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Plan

Jalons historiques et théoriques. De l’objet à la méthode

La réception « structuraliste » de Proust

Proust structuraliste ? Le kaléidoscope


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 1 Jean Piaget, Le Structuralisme, Paris, Presses Universitaires de France, « Que sais-je ? », 1968, p (...)

 2 Oswald Ducrot, Tzvetan Todorov, Dan Sperber, Moustafa Safouan et François Wahl, Qu’est-ce que le st (...)

 3 Voir sur ce point : François Dosse, Histoire du structuralisme, Tome II : le chant du cygne. 1967 à (...)

 4 Roger Bastide (dir.), Sens et usages du terme structure dans les sciences humaines et sociales, The (...)

 5 Raymond Boudon, À quoi sert la notion de structure. Essai sur la signification de la notion de stru (...)

 6 Ibid., p. 81.

1La plasticité sémantique des notions de « structure » et de « structuralisme » s’est rapidement


imposée comme un lieu commun des ouvrages sur la question : « On a souvent dit qu’il est difficile
de caractériser le structuralisme, parce qu’il a revêtu des formes trop multiples pour présenter un
dénominateur commun et que les “structures” invoquées ont acquis des significations de plus en
plus différentes1 » ; « disons-le franchement : quand on nous interroge sur le structuralisme, nous
ne comprenons pas le plus souvent de quoi on veut nous parler 2 ». Ces ouvrages, souvent
collectifs et réunissant des chercheurs déjà bien installés dans leur discipline, essaiment tous
autour de l’année 1968, année de déclin du structuralisme en France 3. En posant d’emblée le
diagnostic d’une « confusion fallacieuse », en soulevant les différents malentendus qui entourent
ces notions, leurs auteurs cherchent à justifier leur entreprise : il s’agit en effet de répondre à « un
besoin urgent : celui de clarification, de mise au point, et si possible aussi, de synthèse 4 ». Ils
tentent alors de préciser les acceptions particulières que peut recouvrir la notion de «  structure »
dans les différents domaines des sciences humaines, tout en s’efforçant de dessiner des zones de
convergence et des lignes de partage, afin de redonner aux structures (et aux structuralistes) le
lustre des premières années. À quoi sert la notion de « structure » ? Essai sur la signification de la
notion de structure dans les sciences humaines de Raymond Boudon, publié cette même année,
poursuit, à première vue, un projet similaire. Mais, alors qu’il constate le flou sémantique qui
entoure une notion qu’« on ne parvient pas à doter d’un contenu très différent de celui
qu’impliquent des expressions comme “essence”, “système de relations”, “dépendance des parties
par rapport au tout”, “totalité”, et autres expressions analogues 5 », le sociologue opère un
déplacement méthodologique significatif. Comme l’indique la première partie du titre de
son ouvrage, c’est en effet moins la question du sens de la notion qui le retient, que celle de ses
usages et de ses fonctions : « La seule manière de saisir la signification de la notion de structure
est de comprendre qu’elle apparaît à l’intérieur d’un discours scientifique et qu’elle prend
seulement sens par les fonctions qu’elle assume à l’intérieur de ce discours 6 ». La plasticité
sémantique du terme « structure », dans cette perspective, n’est plus considérée comme un
défaut, mais bien plutôt comme la raison même de son succès ; la perspective adoptée,
résolument pragmatique, enjoint par ailleurs d’abandonner les définitions abstraites et générales
pour saisir la notion à partir de ses circulations entre les disciplines – non en sanctionnant une
perte, une confusion, ou une vertigineuse démultiplication des significations, mais en tentant au
contraire de rendre compte, avec précision, des fonctions dont elle se voit pourvue, des valeurs
qu’elle véhicule et de la manière dont elle peut contribuer, ce faisant, aux mutations de la vie
intellectuelle.

2Cet article s’inscrit dans cette filiation. Je proposerai, tout d’abord, un rapide survol des
circulations de la notion de structure, des sciences exactes aux sciences de l’homme, afin de
rappeler le rôle décisif joué par les travaux de Claude Lévi-Strauss, en anthropologie, dans la
diffusion du terme, dès le début des années 1960. Je me concentrerai ensuite sur un transfert
théorique précis : la circulation de la notion de structure de l’anthropologie aux études littéraires,
dans les travaux qui portent spécifiquement sur l’œuvre de Marcel Proust. L’article de Roland
Barthes, « Proust et les noms » (1966), en offre un exemple particulièrement intéressant ; il
servira de point d’appui à ma démonstration. Roland Barthes a en effet su tirer parti de la réflexion
de Proust – et notamment de sa réflexion sur les noms propres – pour élaborer une nouvelle
méthode « structurale » de lecture des textes. Son article participe en outre de la redécouverte de
Proust et de son inscription dans la modernité ; il a durablement influencé la représentation que
l’on se fait, encore en partie aujourd’hui, du texte de Proust, voire d’une certaine idée de la
littérature qu’il incarnerait. En relisant ce texte emblématique de la critique proustienne à l’aune
des outils actuels de l’histoire intellectuelle, il s’agira de montrer que les méthodes et les
programmes scientifiques, directement hérités des sciences sociales, ont paradoxalement contribué
à occulter la portée heuristique de la littérature, la maintenant à distance de leur propre champ
d’expertise. Dans ma troisième partie, je m’efforcerai de dégager cet angle mort de la réception
« structuraliste » de Proust en mettant en lumière un aspect plus directement épistémologique du
roman proustien. J’y proposerai une autre manière d’envisager les liens possibles entre Proust et
les « structures » et, partant, entre littérature et anthropologie.

3Le champ chronologique qui m’intéresse s’étend ainsi du début du XXe siècle aux années 1960-
1970. En choisissant de concentrer mon attention sur les moments où la notion de structure croise
l’œuvre de Proust, de manière explicite ou souterraine, j’entends éclairer le rôle que peut jouer une
œuvre considérée comme littéraire, de surcroît explicitement romanesque et fictionnelle, dans la
manière dont les sciences humaines et sociales tentent, à une période donnée, de se construire et
de se définir.

Jalons historiques et théoriques. De l’objet à


la méthode
 7 Dictionnaire de Trévoux, éd. de 1771 (cité par Roger Bastide (dir.), Sens et usages du terme struct (...)

 8 Alfred Radcliffe-Brown, « On social structure », Journal of the Royal Anthrop. Institute, n° 70, 19 (...)

4Le terme de « structure » provient, étymologiquement, du lexique architectural (la structura étant


« la manière dont un édifice est bâti »7). L’usage s’élargit ensuite progressivement, depuis
le XVIIe siècle, et à mesure que se constituent ces différentes disciplines, aux sciences de la terre,
puis aux sciences du vivant et aux sciences dures ; que ce soit en géologie, en biologie, en
mathématiques ou en physique, la structure renvoie généralement à une idée d’organisation dans
laquelle les parties et le tout sont dans un rapport de dépendance. Vers la fin du XIXe siècle et le
début du XXe siècle, le terme de « structure » migre des sciences exactes aux sciences humaines et
sociales. Pour ces dernières, qui se construisent alors sur le modèle des sciences naturelles, ce
terme est vu, en tant qu’il est peu ou prou synonyme de système, comme un dénominateur
commun entre ces deux domaines du savoir – ainsi l’anthropologue anglais d’inspiration
naturaliste, Alfred Radcliffe-Brown (1881-1955), défend la légitimité d’une science du social en
affirmant l’existence d’« une analogie véritable entre structure organique et structure sociale 8 ».
Mais c’est la diffusion des travaux de Claude Lévi-Strauss (1908-2009) en anthropologie qui
contribue, dès les années 1960, à propager l’usage de cette notion dont il a fait un principe de
méthode. Dans cette entreprise théorique, Lévi-Strauss modifie sensiblement la définition du
terme, en ajoutant au sens courant d’organisation celui de « transformation » :

 9 Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale II, Paris, Plon, 1973, p. 28. Sur l’importance du cr (...)

N’est structuré que l’arrangement répondant à deux conditions : c’est un système, régi par une cohésion
interne ; et cette cohésion, inaccessible à l’observation d’un système isolé, se révèle dans l’étude des
transformations, grâce auxquelles on retrouve des propriétés similaires dans des systèmes en apparence
différents.9

 10 Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1958, p. 305.

5Alors que la structure était jusque-là une propriété interne et donnée d’un objet unique, elle
apparaît, désormais, comme le résultat d’une construction, obtenue grâce à la comparaison entre
plusieurs objets différents – elle est ainsi indissociable du processus de connaissance lui-
même : « Le principe fondamental est que la notion de structure sociale ne se rapporte pas à la
réalité empirique, mais aux modèles construits d’après celle-ci 10. » Cette modification sémantique
s’accompagne de la revendication d’un nouvel héritage. Lévi-Strauss dégage en effet la notion de
structure de son ancrage biologique pour l’arrimer à une nouvelle discipline, la linguistique. Il
contribue ainsi, de manière décisive, à faire des linguistes Ferdinand de Saussure et, à sa suite,
Roman Jakobson les « pères fondateurs » du structuralisme. Comme le rappelle Anna Boschetti,

 11 Anna Boschetti, op. cit., p. 226.


l’aspect fondamental par lequel l’approche de Saussure peut être présentée comme une révolution par
rapport à toutes les autres démarches, c’est la décision de quitter le terrain de l’histoire et de traiter les
phénomènes culturels comme des systèmes de signes dont il revient au savant de déchiffrer les règles
de fonctionnement11.

6Considérée en outre comme la discipline la plus mathématisée et, partant, la plus scientifique des
sciences de l’homme, tout en portant sur ce qui fait le propre de l’homme et de sa nature sociale,
le langage, la linguistique se voit attribuer par Lévi-Strauss un rôle charnière dans la circulation du
terme depuis les sciences exactes vers l’ensemble des sciences de l’homme :

 12 Claude Lévi-Strauss, « Word », Journal of the Linguistic Circle of New York, vol. I, n° 2, août 194 (...)

Dans l’ensemble des sciences sociales auquel elle appartient indiscutablement, la linguistique occupe
cependant une place exceptionnelle : elle n’est pas une science sociale comme les autres, mais celle qui,
de loin, a accompli les plus grands progrès ; la seule, sans doute, qui puisse revendiquer le nom de
science et qui soit parvenue, à la fois, à formuler une méthode positive et à connaître la nature des faits
soumis à son analyse […]. Ainsi, pour la première fois, une science sociale parvient à formuler
des relations nécessaires […]. Quand un événement de cette importance prend place dans l’une des
sciences de l’homme, il est non seulement permis aux représentants des disciplines voisines, mais requis
d’eux, de vérifier immédiatement ses conséquences et son application possible à des faits d’un autre
ordre12.

 13 Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, op. cit., p. 37-62.

 14 Ibid., p. 306.

7Cette affiliation à la linguistique, annoncée en 1945 dans une revue new-yorkaise, sera reprise en
1958, en tête d’Anthropologie structurale, dans un chapitre qui, par son titre, « L’analyse
structurale en linguistique et en anthropologie », articule explicitement ces deux disciplines 13. La
valeur de scientificité véhiculée par la notion de structure y est réaffirmée. Mais celle-ci ne se loge
désormais plus dans l’objet étudié (qui présentait, pour rappel, une « analogie » structurelle avec
celui des sciences naturelles), mais dans la « méthode » utilisée, l’analyse structurale, qui se voit
dotée d’une « positivité » nouvelle, en ce qu’elle permet de formuler des lois « nécessaires ». Peu
importe, dès lors, l’objet de l’enquête, car « les recherches de structure ne revendiquent pas un
domaine propre, parmi les faits de société ; elles constituent plutôt une méthode susceptible d’être
appliquée à divers problèmes ethnologiques, et elles s’apparentent à des formes d’analyse
structurale en usage dans des domaines différents 14 ». La méthode, libérée de son ancrage
disciplinaire, acquiert ainsi une mobilité nouvelle : si elle peut être déplacée de la linguistique vers
l’ethnologie, elle se doit également de l’être, selon l’anthropologue, vers toutes les disciplines des
sciences de l’homme. L’autorité acquise par Lévi-Strauss, au moment de la parution du premier
volume d’Anthropologie structurale et de sa nomination au Collège de France en 1960, conjuguée à
cet idéal d’interdisciplinarité, sera décisive dans la popularisation de la notion et dans sa reprise
systématique par les autres disciplines des sciences de l’homme à partir des années 1960
(psychanalyse, philosophie, histoire, études littéraires).
La réception « structuraliste » de Proust
 15 Voir par exemple : Lévi-Strauss, « Structuralisme et études littéraires », dans Anthropologie Struc (...)

8De ces diverses appropriations, je ne retiendrai ici que celle qui concerne directement les études
littéraires. Vincent Debaene a bien analysé ce transfert théorique, en rappelant notamment le
désaveu qu’encourt le « structuralisme littéraire » aux yeux de Lévi-Strauss15. J’aimerais, pour
prolonger sa démonstration, interroger le rôle qui a été donné aux textes littéraires eux-mêmes, et
notamment à l’œuvre de Marcel Proust, dans ce geste d’appropriation. Je me concentrerai, pour ce
faire, sur l’article de Roland Barthes, « Proust et les noms ».

 16 Roland Barthes, « Proust et les noms », dans Le Degré zéro de l’écriture. Nouveaux essais critiques(...)

 17 Ibid., p. 120.

 18 Ibid., p. 124.

 19 Antoine Compagnon, « Proust et moi » [en ligne], dans Frank Paul Bowman, Mary Donaldson-Evans, Luci (...)

 20 L’importance donnée au nom propre ne sera jamais démentie, au contraire : « le seul texte que j’aie (...)

 21 Gérard Genette, « L’Âge des noms », dans Mimologiques. Voyage en Cratylie, Paris, Seuil, « Poétique (...)

9Dans cet article, publié une première fois en 1967, à l’occasion du 70 e anniversaire du linguiste
Roman Jakobson, et repris ensuite dans les Nouveaux essais critiques (1972), Roland Barthes
propose une analyse systématique et totalisante du roman proustien : « On sait que la Recherche
du temps perdu est l’histoire d’une écriture16 ». Or cette interprétation, qui deviendra rapidement
un lieu commun des études proustiennes, tire son origine, comme l’indique le titre de l’article,
d’une réflexion sur les noms propres. La « découverte » des noms des personnages, selon Barthes,
aurait agi pour l’écrivain comme l’« acte fédérateur », « propre à fonder définitivement, dans sa
continuité prochaine, toute l’écriture de la Recherche17 ». L’onomastique proustienne, une fois
« trouvée », aurait permis la recomposition de ce qui n’était encore que morceaux épars avant
1909 en la « grande unité syntagmatique » qu’est soudain devenue À la Recherche du temps
perdu, permettant alors à l’œuvre de s’écrire « immédiatement », voire d’émerger, d’un bloc et
comme par enchantement : « poétiquement, toute la Recherche est sortie de quelques noms 18 ».
Comme le montre Antoine Compagnon, l’allégation de cet acte inaugural, bien que séduisante, est
« gratuit[e] historiquement – on sait que Balbec, Charlus, Saint-Loup, Vinteuil ne se sont fixés
qu’au tout dernier moment, sur les épreuves de Swann en 191319 ». Pourquoi, dès lors, Roland
Barthes a-t-il besoin, contre toute évidence, de faire des noms propres un point de départ, non
seulement de l’œuvre, mais aussi de la poétique qu’elle semble prendre en charge 20 ? Et comment
se fait-il que cet article ait eu autant de succès auprès des théoriciens de la littérature de l’époque,
notamment auprès de Gérard Genette, qui en discutera les conclusions quelques années plus tard,
dans l’« Âge des noms » (1976), sans pour autant en changer les principaux présupposés 21 ?

 22 Voir à ce sujet : Anna Boschetti, op. cit., p. 221-230 ; Tiphaine Samoyault, Roland Barthes, Paris, (...)

 23 Roland Barthes, « Proust et les noms », art. cit., p. 129. L’évidence du rapprochement entre la lit (...)

 24 Roland Barthes, « Proust et les noms », art. cit., p. 121.

 25 Marcel Proust, À la Recherche du temps perdu [1913-1927], Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pl (...)

10À cette époque, Barthes poursuit une double ambition : s’opposer, d’une part, à la critique
littéraire telle qu’elle est pratiquée à la Sorbonne, une critique érudite et qui vise, principalement à
reconstituer les conditions historiques et philologiques de l’œuvre ; ériger d’autre part, les études
littéraires – en tout cas telles qu’il les pratique – au rang de sciences à part entière pour rivaliser
avec l’autorité nouvellement acquise par les sciences sociales 22. Dans ce contexte, le nom propre
s’avère, à plus d’un titre, un objet privilégié pour importer la méthode d’analyse structurale dans le
champ des études littéraire. Le nom propre est en effet mobilisé, dans La Recherche, comme un
élément romanesque permettant le déroulement du récit et l’identification des différents
personnages, mais il fait également l’objet d’une réflexion théorique qui porte principalement sur
les rapports entre le langage et le monde. Ce traitement particulier du nom propre offre ainsi à
Barthes l’occasion non seulement de faire converger les réflexions du narrateur proustien avec son
propre discours critique, mais également de jeter un pont entre les études littéraires et la
linguistique, qui s’impose depuis les travaux de Lévi-Strauss comme le modèle heuristique
dominant, en montrant que ces deux disciplines soulèvent des questionnements communs.
L’anthropologue (et l’anthropologie) sont du même coup relégués au second plan : alors que
l’article est écrit à l’occasion d’un hommage à Jakobson et qu’il est saturé de termes saussuriens,
Lévi-Strauss n’est mentionné qu’en passant, à l’avant-dernière page 23. La question du nom propre
permet par ailleurs à Barthes, plus substantiellement, de défendre, à partir de l’œuvre de Proust,
deux critères généraux de littérarité qui justifient l’emploi d’une nouvelle méthode de lecture des
textes. En postulant, tout d’abord, que la Recherche du temps perdu repose sur un « système
onomastique24 », un réseau organisé et cohérent de noms, Barthes défend l’idée d’une œuvre
littéraire conçue comme une totalité organique. Le système des noms apparaît, à ses yeux, comme
la trace visible, la pointe émergée de la structure sous-jacente de l’œuvre et de son organisation
interne ; il est invoqué comme la preuve que le roman proustien constitue un ensemble homogène,
entièrement maîtrisé par une conscience créatrice. La théorie proustienne du nom, présentée dans
la première partie de La Recherche (« Noms de pays : le nom », « Noms de pays : le pays »25), lui
permet, par ailleurs, de défendre une conception auto-référentielle et intransitive de la littérature.
Dans ces chapitres, le narrateur constate en effet l’inadéquation entre les noms et les choses : le
nom de Guermantes et toutes les rêveries merveilleuses qui lui sont associées ne correspondent
pas à la réalité de la duchesse de Guermantes, rougeaude et laide. Or cette expérience est
d’emblée transformée chez Barthes en une véritable « théorie linguistique » :
 26 Roland Barthes, « Proust et les noms », art. cit., p. 129.

le nom n’est rien si par malheur on l’articule sur son référent (qu’est en réalité, la duchesse de
Guermantes ?), c’est-à-dire si l’on manque en lui sa nature de signe. Le signifié, voilà la place de
l’imaginaire : c’est là sans doute, la pensée nouvelle de Proust, ce pour quoi il a déplacé, historiquement,
le vieux problème du réalisme, qui ne se posait guère, jusqu’à lui, qu’en termes de référents : l’écrivain
travaille, non sur le rapport de la chose et de sa forme (ce qu’on appelait, aux temps classiques, sa
« peinture », et plus récemment, son « expression »), mais sur le rapport du signifié et du signifiant,
c’est-à-dire sur un signe. C’est ce rapport dont Proust ne cesse de donner la théorie linguistique dans ses
réflexions sur le Nom […]26.

 27 Ibid., p. 122 (pour toutes les citations).

 28 Ibid., p. 121.

 29 Ibid., p. 129.

11Se détournant de la « conception courante » du nom propre, développée en philosophie (Peirce,


Russel, Kripke) et qui fait du nom « un simple indice qui désignerait sans signifier », Barthes
montre que le nom propre, dans la Recherche et, par extension, dans les œuvres littéraires en
général, se caractérise au contraire par sa « monstruosité sémantique » : le nom est « un signe,
c’est un signe volumineux, un signe toujours gros d’une épaisseur touffue de sens, qu’aucun usage
ne vient réduire27 ». L’« hypersémanticité » déclarée du nom propre, construite et travaillée à
l’intérieur du roman dans un système d’échos, de renvois et d’oppositions, devient dès lors
emblématique de l’œuvre elle-même : le nom propre, dit-il, est un « mot poétique » qui contient
l’« essence des objets romanesques28 » ; « s’il possède cette « fonction œcuménique, résumant en
somme tout le langage, c’est que sa structure coïncide avec celle de l’œuvre même 29 ». La
« théorie » du nom, généralisée à l’ensemble du roman, voire de toute la littérature, se voit ainsi
interprétée par Barthes comme l’expression d’un déplacement théorique : de même qu’on ne peut
comprendre la duchesse de Guermantes si on la ramène à son référent réel, dans le monde, la
littérature ne se caractérise plus dorénavant par son adéquation ou par son écart avec le réel.
Dégagée de toute visée référentielle (historique, biographique ou psychologique), elle est le
résultat de l’infini des relations qui se construisent à l’intérieur de l’œuvre d’art. Barthes peut ainsi,
à partir de ces deux critères de littérarité, l’organicité et l’intransitivité du texte littéraire, justifier
l’utilisation d’une méthode immanente de lecture des textes qui semble émerger de l’objet lui-
même :

 30 Ibid., p. 128.

L’onomastique proustienne paraît à ce point organisée qu’elle semble bien constituer le départ définitif
de La Recherche : tenir le système des noms, c’était pour Proust, et c’est pour nous, tenir les
significations essentielles du livre, l’armature de ses signes, sa syntaxe profonde 30.
 31 C’est par exemple ce que se propose de faire André Ferré dans La Géographie de Marcel Proust (Paris (...)

12En faisant de la théorie sur le nom, énoncée dans la première partie de la Recherche, l’origine et
la matrice de toute l’œuvre, le critique réalise ainsi, dans « Proust et les noms », un véritable tour
de force : il fait du nom propre, a priori et jusque-là le principal ressort d’une lecture biographique
de l’œuvre littéraire (qui est M. de Charlus ? où se situe exactement Combray ? comment identifier
les noms propres à leurs référents réels ?31), l’étendard de son exact contraire, l’analyse
« structuraliste ».

13Cette démonstration, dont j’ai cherché à retracer la logique d’ensemble, appelle trois remarques.
La méthode, tout d’abord, vient chez Barthes avant l’objet. Son ambition est moins ici de proposer
une lecture de Proust (il n’entame aucune étude interne ou formelle de La Recherche, ni de son
« système des noms »), que de défendre un programme.

 32 Ces exemples sont tirés de Jean Rousset, Forme et signification. Essai sur les structures de Cornei (...)

 33 Vincent Descombes, Proust. Philosophie du roman, Paris, Minuit, « Critique », 1987, p. 104.

 34 Dominique Maingueneau, Contre Saint Proust ou la fin de la littérature, Paris, Belin, 2006 ; Nathal (...)

14Cette méthode, qu’il essaie d’inscrire dans le structuralisme en disant que Proust en fait lui-
même la « théorie linguistique » n’a, deuxièmement, rien de structural, au sens où l’entendait Lévi-
Strauss. Bien que Barthes tente d’arrimer le roman proustien à la linguistique saussurienne, la
notion de structure est en effet employée chez lui indistinctement de celle de système et renvoie à
une idée d’organisation et de cohésion interne. Ce qui était, chez Lévi-Strauss, conçu comme une
théorie générale des rapports entre des objets différents, redevient, chez Barthes, un principe de
lecture à même de dévoiler le mode d’organisation sous-jacent d’un objet unique ; et c’est ainsi le
sens premier, biologique, du terme, prévalant avant les travaux de Lévi-Strauss, qui est réinvesti.
L’on observe d’ailleurs un retour similaire à l’organicisme de la fin du XIXe siècle dans nombre
d’ouvrages littéraires contemporains des travaux de Barthes : la structure renvoie
immanquablement à une idée de totalité et s’accompagne de tout un vocabulaire savant issu de la
biologie (« organisme », « préformisme », « orthogénèse »32) qui tend à naturaliser et à
essentialiser la représentation de la littérature qui y est défendue. L’utilisation de la méthode
d’analyse structurale dans le champ des études littéraires entre de fait directement en tension avec
la conception romantique et idéaliste que ces dernières se font de la littérature, et qui est défendue
par Barthes dans « Proust et les noms » : alors que l’analyse structurale en anthropologie se fonde
principalement sur un principe comparatiste, l’œuvre littéraire est au contraire définie par sa
singularité et, partant, par son caractère incomparable. La Nouvelle critique reconduit ce faisant
certains postulats propres à une conception sacralisante de la littérature, alors même qu’elle
dénonce leur ascendant dans l’histoire littéraire : comme l’affirme Vincent Descombes dans Proust.
Philosophie du roman, « le lecteur textualiste est un lecteur romantique qui a préféré se déguiser
en “positiviste heureux” pour pratiquer l’art de la critique à la française 33 ». La réception
« structuraliste » de Proust a cependant si bien associé sa lecture à l’œuvre de l’écrivain que les
approches qui tentent aujourd’hui de s’en distancer afin de promouvoir une autre compréhension
du fait littéraire s’en prennent tout autant au programme dit structuraliste qu’à l’œuvre de Proust
elle-même, à l’image du Contre Saint-Proust (2006) de Dominique Maingueneau ou, dans une
moindre mesure, de l’Ultra-Proust (2018) de Nathalie Quintane34.

 35 Roland Barthes, « Texte (théorie du) » [1973], dans Œuvres complètes, op. cit., t. IV, p. 455.

 36 Susan Sontag, L’Écriture même. À propos de Barthes, Philippe Blanchard (trad.), Paris, Christian Bo (...)

15Mais le rapprochement opéré par Barthes entre Proust et Saussure est également équivoque
pour une autre raison. En appliquant à un texte du début du siècle le cadre d’intelligibilité de la
linguistique dite structurale, Barthes met directement en œuvre la transmission de l’autorité de
l’auteur au lecteur, désormais en droit de « lire l’œuvre passée avec un regard entièrement
moderne35 » pour en explorer les potentialités d’actualisation. Ce « refus à l’égard de l’histoire 36 »
qui caractérise, pour Susan Sontag, la démarche barthésienne, a cependant ceci de frappant qu’il
n’est pas – bien qu’à ses dépens – dépourvu d’historicité : le Cours de linguistique générale,
professé par Saussure entre 1906 et 1911, et publié en 1916 sur la base des notes de ses
étudiants, est quasiment contemporain de la Recherche du temps perdu, dont la publication
s’échelonne sur une période allant de 1913 à 1922. Si la méthode vient avant l’objet, comme on l’a
vu, le choix de l’objet n’est peut-être pas pour autant complètement anodin. Ce n’est probablement
pas non plus un hasard si la réflexion de Proust sur les noms montre une telle proximité avec le
déplacement épistémologique opéré par Saussure à l’orée du XXe siècle. Ainsi, bien que cette
proximité ne soit pas considérée en tant que telle par le critique et qu’elle serve davantage à
asseoir une certaine idée de la littérature, le choix de mettre à profit le corpus proustien pour
annexer l’analyse structurale aux études littéraires dépasserait ce qui est considéré, dans les
approches sociologiques de la Nouvelle Critique, comme une simple captation d’autorité. Et sa
lecture inviterait au contraire à réactiver, certes par l’intuition plutôt que par la démonstration
historique, une virtualité de l’œuvre proustienne.

 37 Cette question fait partie des réflexions que je mène actuellement dans ma thèse de doctorat, sous (...)

16C’est ce que je me propose de faire, dans cette dernière partie. J’aimerais en effet explorer
l’hypothèse que l’œuvre de Proust puisse entretenir, à un niveau cette fois épistémologique, des
liens privilégiés avec ce qui sera identifié plus tard comme le structuralisme, au moment même où
Saussure en jette les fondations dans le domaine de la linguistique. La « recherche » du narrateur
consisterait ainsi à se défaire progressivement des modèles savants historique et naturaliste,
dominants au XIXe siècle dans les sciences de l’homme, pour élaborer un nouveau modèle de
connaissance, présenté comme spécifiquement littéraire, mais qui s’avérerait rencontrer un certain
nombre de points communs avec la pensée structurale. Cette hypothèse, qui mériterait de plus
amples développements et notamment une étude prenant en compte la dimension narrative du
roman37, ne sera ici que brièvement évoquée afin d’imaginer, toujours à partir de cette notion de
« structure », la possibilité d’une nouvelle circulation : de la littérature vers l’anthropologie cette
fois.
Proust structuraliste ? Le kaléidoscope
17Le terme « structure », peu usité dans le vocabulaire de l’époque, apparaît à une seule reprise
dans À la Recherche du temps perdu. Le narrateur qui erre, oisif, dans les bois de Roussainville, se
prend à rêver d’y rencontrer une paysanne qui lui permettrait, par synecdoque, de

 38 Marcel Proust, op. cit., t. I, p. 155.

connaître de ces bois le trésor caché, la beauté profonde. Cette fille que je ne voyais que criblée de
feuillages, elle était elle-même pour moi comme une plante locale d’une espèce plus élevée seulement
que les autres et dont la structure permet d’approcher de plus près qu’en elles la saveur profonde du
pays38.

 39 Françoise Leriche, « Structure », dans Annick Bouillaguet, Brian G. Rogers (dir.), Dictionnaire Mar (...)

18La notion de structure, qui vient ici de la philosophie de Schelling dont l’écrivain avait
notamment pris connaissance grâce à ses travaux sur Ruskin, exprime l’idée d’une organisation
profonde et secrète, interne aux éléments naturels, et qui pourrait être saisie par un artiste, seul
capable d’en restituer la forme dans une œuvre d’art 39. Elle renvoie à un lexique d’ordre
biologique, reliant intimement la nature organique d’une plante et d’un milieu à celui de ses
habitants. Proche en cela des usages en vigueur à la fin du XIXe siècle, l’utilisation que fait Proust
de la notion de structure nous intéresse moins en tant que telle, que parce qu’elle renvoie à une
expérience déceptive dans l’apprentissage du narrateur. Elle intervient en effet directement après
l’épisode des aubépines, épisode qui met en scène, au début du roman, l’impossibilité de toucher
justement à cette « structure » ou à cette essence profonde de la nature :

 40 Marcel Proust, op. cit., t. I, p. 136-137.

Mais j’avais beau rester devant les aubépines à respirer, à porter devant ma pensée qui ne savait ce
qu’elle devait en faire, à perdre, à retrouver leur invisible et fixe odeur, à m’unir au rythme qui jetait
leurs fleurs, […] elles m’offraient indéfiniment le même charme avec une profusion inépuisable, mais
sans me le laisser approfondir davantage, comme ces mélodies qu’on rejoue cent fois de suite sans
descendre plus avant dans leur secret. […] j’avais beau me faire un écran de mes mains pour n’avoir
qu’elles sous les yeux, le sentiment qu’elles éveillaient en moi restait obscur et vague […]40.

 41 Marcel Proust, Contre Sainte-Beuve, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1971, p. 418.

19Dans cet épisode, qui rappelle certains passages du Contre Sainte-Beuve où le jeune écrivain
cherche en vain à saisir, par l’observation, « l’inconsciente et sûre pensée architecturale 41 » d’un
cerisier, est mise en scène l’impossibilité d’une saisie empirique du monde : la connaissance,
comme l’apprend avec émoi le narrateur, ne peut se donner dans l’expérience immédiate et encore
moins dans l’appréhension d’objets isolés. Le narrateur va ainsi élaborer, au fil du texte, un autre
modèle de connaissance qui trouve, à mon avis, son point d’aboutissement dans l’image du
kaléidoscope. Or cette image, qui est mobilisée à plusieurs reprises dans le roman, peut être lue
comme offrant un certain nombre de points communs avec la notion de structure, telle qu’elle est
définie, cette fois, par Lévi-Strauss, en anthropologie.

20Le kaléidoscope intervient une première fois, dans le roman proustien, pour rendre compte des
bouleversements idéologiques et sociaux – et notamment de la recrudescence de l’antisémitisme –
qui suivent directement les débuts de l’Affaire Dreyfus :

 42 Ibid., t. I, p. 507-508.

Mais pareille aux kaléidoscopes qui tournent de temps en temps, la société place successivement de
façon différente des éléments qu’on avait crus immuables et compose une autre figure. Je n’avais pas
encore fait ma première communion, que des dames bien pensantes avaient la stupéfaction de
rencontrer en visite une Juive élégante. Ces dispositions nouvelles du kaléidoscope sont produites par ce
qu’un philosophe appellerait un changement de critère. L’affaire Dreyfus en amena un nouveau, à une
époque un peu postérieure à celle où je commençais à aller chez Mme Swann, et le kaléidoscope
renversa une fois de plus ses petits losanges colorés. Tout ce qui était juif passa en bas, fût-ce la dame
élégante, et des nationalistes obscurs montèrent prendre sa place. Le salon le plus brillant de Paris fut
celui d’un prince autrichien et ultra-catholique. Qu’au lieu de l’Affaire Dreyfus il fût survenu une guerre
avec l’Allemagne, le tour du kaléidoscope se fût produit dans un autre sens. Les juifs ayant, à
l’étonnement général, montré qu’ils étaient patriotes, auraient gardé leur situation et personne n’aurait
plus voulu aller ni même avouer être jamais allé chez le prince autrichien. Cela n’empêche pas que
chaque fois que la société est momentanément immobile, ceux qui y vivent s’imaginent qu’aucun
changement n’aura plus lieu, de même qu’ayant vu commencer le téléphone, ils ne veulent pas croire à
l’aéroplane42.

21Alors que le citoyen ordinaire, témoin de son temps, est coincé dans l’observation d’un système
isolé, le kaléidoscope offre au narrateur la possibilité de prendre de la distance vis-à-vis de
l’événement pour le replacer dans une série de transformations, avérées ou
imaginaires. On retrouve ainsi les deux caractéristiques de la structure lévi-straussienne :
l’existence d’un système, fait de relations hiérarchiques et de dominations momentanées (une
« figure », constituée de « petits losanges colorés ») et l’étude de ses transformations qui seule
permet d’en dégager l’organisation sous-jacente. Le kaléidosocope proustien peut, en outre, faire
varier ses objets. S’il s’avère un bon instrument d’analyse sociale, il peut tout aussi bien rendre
compte des discours idéologiques :

 43 Ibid., t. IV, p. 472.

le kaléidoscope n’est pas composé seulement par les groupes mondains, mais par les idées sociales,
politiques, religieuses, qui prennent une ampleur momentanée grâce à leur réfraction dans les masses
étendues, mais restent limitées malgré cela à la courte vie des idées dont la nouveauté n’a pu séduire
que des esprits peu exigeants en fait de preuves43.

22Quant à la difficulté initialement rencontrée par le narrateur de saisir et de fixer l’inaccessible


femme aimée – difficulté qui a souvent été interprétée par la critique comme l’impossibilité
proclamée, dans le roman lui-même, d’établir une connaissance objective –, elle peut, si elle est
appréhendée à l’aune du modèle du kaléidoscope, être surmontée. Que ce soit Albertine, Gilberte
ou Andrée,

 44 Ibid., t. II, p. 248-249.

notre curiosité de la femme que nous aimons dépasse dans sa course le caractère de cette femme. Nous
pourrions nous y arrêter que sans doute nous ne le voudrions pas. L’objet de notre inquiète investigation
est plus essentiel que ces particularités de caractère, pareilles à ces petits losanges d’épiderme dont les
combinaisons variées font l’originalité fleurie de la chair. Notre radiation intuitive les traverse et les
images qu’elles nous rapportent ne sont point celles d’un visage particulier mais représentent la morne
et douloureuse universalité d’un squelette 44.

23Les « particularités de caractère » des différentes femmes qui croisent le parcours du héros, tout
comme leurs particularités physiques d’ailleurs, « l’originalité fleurie de la chair », sont comparées
aux « petits losanges » du kaléidoscope : elles ne sont plus envisagées isolément, mais comme
autant de « combinaisons », ou de « variantes », offrant, ensemble, un accès possible à l’universel.
Et l’« objet » de la quête, tel qu’il est présenté ici par le narrateur, rejoint, dans son ambition
comparative, celui qui est présenté dans le Temps retrouvé comme ayant « toujours été plus
particulièrement le but de [s]a recherche » :

Comme un géomètre qui dépouillant les choses de leurs qualités sensibles ne voit que leur substratum
linéaire, ce que racontait les gens m’échappait, c’était non ce qu’ils voulaient dire mais la manière dont
ils le disaient, en tant qu’elle était révélatrice de leur caractère ou de leurs ridicules ; ou plutôt c’était un
objet qui avait toujours été plus particulièrement le but de ma recherche parce qu’il me donnait un plaisir
spécifique, le point qui était commun à un être et à un autre. Ce n’était que quand je l’apercevais que
mon esprit […] se mettait tout à coup joyeusement en chasse, mais ce qu’il poursuivait alors – par
exemple l’identité du salon Verdurin dans divers lieux et divers temps – était situé à mi-profondeur, au-
delà de l’apparence elle-même.

24On voit combien, depuis les premiers moments de la Recherche où le narrateur cherche à saisir
la « structure » cachée des bois de Roussainville, l’objet étudié et la méthode utilisée ont
profondément changé : alors qu’il fallait initialement toucher à la singularité d’un lieu ou d’une
personne, à sa différence radicale, il s’agit désormais de mettre en rapport des réalités que
l’apparence tend à distinguer pour dégager, à l’inverse, des homologies entre les différences. Or
n’est-ce pas, justement, dans « l’identité du salon Verdurin en divers temps et en divers lieux »,
dans les régularités des discours idéologiques ou dans l’organisation qui préside aux
transformations de la société parisienne du début du siècle, accessibles uniquement par l’entremise
de ce modèle d’intelligibilité du réel qu’est le kaléidoscope, que Proust touche, véritablement, aux
structures sociales et psychologiques qui intéresseront plus tard l’anthropologie ?

 45 Voir la préface de Vincent Debaene, dans Claude Lévi-Strauss, Œuvres, Paris, Gallimard, « Bibliothè (...)

 46 On peut noter que Barthes reprend à son compte l’image du kaléidoscope dans « Proust et les noms ». (...)
25Il est intéressant de noter, à ce titre, que cette image du kaléidoscope figure dans l’œuvre de
Lévi-Strauss. On la trouve, non dans ses ouvrages théoriques les plus avancés où l’analyse
structurale est davantage formalisée, mais dans La Pensée sauvage (1962), à un moment où l’art
prend une place importante dans l’élaboration de la pensée de l’anthropologue. La publication
d’une grande partie de ses travaux dans la « Bibliothèque de la Pléiade », en 2008, a permis de
mettre en lumière ce que l’œuvre de Lévi-Strauss devait à la fréquentation de la littérature et,
notamment, au roman proustien. Le rapprochement opéré dans la préface de cette édition entre
Lévi-Strauss et certains textes littéraires répond toutefois principalement à une volonté de
consacrer la dimension littéraire de l’œuvre de Lévi-Strauss. L’accent est mis, de ce fait, sur
l’importance de l’expérience sensible et de la subjectivité dans le travail de l’anthropologue, sur
certains aspects esthétiques de son œuvre et sur l’usage original qu’il fait de techniques
artistiques, telles que le montage et le collage, dans l’organisation de ses ouvrages 45. Or l’intérêt
du kaléidoscope de La Pensée sauvage ne réside pas dans sa dimension esthétique, en tant que
principe de composition46 ; ce dernier est bien un modèle épistémologique à même de rendre
compte de la logique qui préside aux classifications totémiques :

 47 Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, p. 51-52.

Cette logique opère peu à peu à la façon du kaléidoscope : instrument qui contient aussi des bribes et
des morceaux, au moyen desquels se réalisent des arrangements structuraux. […] ces arrangements
actualisent des possibles, dont le nombre, même très élevé, n’est tout de même pas illimité puisqu’il est
fonction des dispositions et des équilibres réalisables entre des corps dont le nombre est lui-même fini ;
enfin et surtout, ces arrangements, engendrés par la rencontre d’événements contingents (la giration de
l’instrument par l’observateur) et d’une loi (celle présidant à la construction du kaléidoscope, qui
correspond à l’élément invariant des contraintes dont nous parlions tout à l’heure), projettent des
modèles d’intelligibilité en quelque sorte provisionnels, puisque chaque arrangement est exprimable sous
forme de relations rigoureuses entre ses parties, et que ces relations n’ont d’autre contenu que
l’arrangement lui-même, auquel, dans l’expérience de l’observateur, ne correspond aucun objet […]47.

26Chez Proust comme chez Lévi-Strauss, le kaléidoscope fonctionne simultanément comme


opérateur et comme modèle d’intelligibilité du réel : la structure dont il permet de rendre compte
apparaît comme le résultat conjugué de l’observation empirique du monde et de l’effet de la
connaissance qui en découle.

27Le parcours proposé ici, qui a pour fil conducteur la notion de structure et ses circulations à
travers les disciplines, a pris la forme d’un curieux chassé-croisé autour de l’œuvre de Proust.
L’article de Barthes, particulièrement révélateur des fonctions et des effets suscités par ce transfert
théorique, en constitue le centre : l’usage que fait le critique de la notion de structure, qu’il
emprunte à l’anthropologie tout en en modifiant le sens, lui permet d’ériger son propre discours
comme science en vidant simultanément son objet de toute portée scientifique – la Recherche y est
renvoyée à un discours certes bien organisé mais portant uniquement sur lui-même («  l’histoire
d’une écriture »). En redonnant une place au contexte intellectuel dans lequel émerge la réflexion
de Proust sur les noms ainsi qu’à l’ambition de connaissance qui anime la « recherche » du
narrateur, j’ai cherché à éclairer les zones d’ombres de la réception « structuraliste » de Proust
pour faire apparaître, grâce au kaléidoscope, les liens plus directement épistémologiques que
pourrait entretenir la pensée proustienne avec l’analyse structurale en anthropologie. S’il existe dès
lors une lecture possible d’un Proust structuraliste, ou du moins d’une pensée structurale à l’œuvre
dans À la Recherche du temps perdu qui pourrait être réinscrite dans l’histoire longue de l’analyse
structurale, ce n’est pas, on l’aura compris, celle qui est véhiculée par la réception structuraliste de
Proust. Mais si cette dernière a contribué, par les lectures qu’elle en a faites, à renforcer la
représentation idéaliste et intransitive de l’œuvre littéraire, en laissant dans l’ombre les
questionnements épistémologiques auxquels celle-ci s’affronte, elle a également ouvert, dans sa
volonté de renouvellement, des pistes jusqu’alors inexplorées pour repenser les rapports entre
littérature, études littéraires et anthropologie.

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Notes

1 Jean Piaget, Le Structuralisme, Paris, Presses Universitaires de France, « Que sais-je ? », 1968, p. 5.

2 Oswald Ducrot, Tzvetan Todorov, Dan Sperber, Moustafa Safouan et François Wahl, Qu’est-ce que le
structuralisme ?, Paris, Seuil, 1968, p. 9.

3 Voir sur ce point : François Dosse, Histoire du structuralisme, Tome II : le chant du cygne. 1967 à nos
jours, Paris, La Découverte, 2012, p. 97-110 ; Anna Boschetti, Ismes. Du réalisme au postmodernisme,
Paris, CNRS éditions, 2014, p. 264-275.

4 Roger Bastide (dir.), Sens et usages du terme structure dans les sciences humaines et sociales, The
Hague, Mouton et Co, 1962, p. 10 (pour les deux citations).

5 Raymond Boudon, À quoi sert la notion de structure. Essai sur la signification de la notion de structure
dans les sciences humaines, Paris, Gallimard, 1968, p. 206.
6 Ibid., p. 81.

7 Dictionnaire de Trévoux, éd. de 1771 (cité par Roger Bastide (dir.), Sens et usages du terme structure
dans les sciences humaines et sociales, op. cit., p. 10).

8 Alfred Radcliffe-Brown, « On social structure », Journal of the Royal Anthrop. Institute, n° 70, 1940, p.
9.

9 Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale II, Paris, Plon, 1973, p. 28. Sur l’importance du critère
de transformation dans la pensée de Lévi-Strauss, voir Gildas Salmon, Les structures de l’esprit. Lévi-
Strauss et les mythes, Paris, Presses Universitaires de France, « Pratiques théoriques », 2013.

10 Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1958, p. 305.

11 Anna Boschetti, op. cit., p. 226.

12 Claude Lévi-Strauss, « Word », Journal of the Linguistic Circle of New York, vol. I, n° 2, août 1945,
p. 1.

13 Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, op. cit., p. 37-62.

14 Ibid., p. 306.

15 Voir par exemple : Lévi-Strauss, « Structuralisme et études littéraires », dans Anthropologie


Structurale II, op. cit., p. 322-324. Vincent Debaene, « Pourquoi une case vide n’est pas une case
blanche. Structuralisme et théorie littéraire », La lecture littéraire, n° 8, 2006, p. 69-88 ; et L’Adieu au
voyage. L’ethnologie française entre science et littérature, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des Sciences
humaines », 2010, p. 452-462.

16 Roland Barthes, « Proust et les noms », dans Le Degré zéro de l’écriture. Nouveaux essais critiques,
Paris, Seuil, « Points essais », 1972, p. 118.

17 Ibid., p. 120.

18 Ibid., p. 124.

19 Antoine Compagnon, « Proust et moi » [en ligne], dans Frank Paul Bowman, Mary Donaldson-Evans,
Lucienne Frappier-Mazur et Gerald Prince (dir.), Autobiography, Historiography, Rhetoric. A Festschrift in
Honor of F. P. Bowman, Amsterdam, Rodopi, 1994,
URL : https://www.college-de-france.fr/media/antoine-compagnon/UPL18806_15_A.Compagnon_Proust_
et_moi.pdf (consulté le 10.01.2021).
20 L’importance donnée au nom propre ne sera jamais démentie, au contraire : « le seul texte que j’aie
écrit sur Proust, c’est un texte sur les noms propres » (Roland Barthes, « Vingt mots-clés pour Roland
Barthes » (entretien avec Jean-Jacques Brochier, Magazine littéraire, n° 97, février 1975), dans Œuvres
complètes, Paris, Seuil, 2002, t. IV, p. 859). Voir également : Roland Barthes, « Ça prend » [1979],
dans Mélanges, Paris, Seuil, « Fiction & Cie », 2020, p. 143 ; Roland Barthes, La préparation du roman I
et II. Cours et séminaires au Collège de France (1978-1979 et 1979-1980) , Nathalie Léger (éd.), Paris,
Seuil, « Traces écrites », 2003, p. 330.

21 Gérard Genette, « L’Âge des noms », dans Mimologiques. Voyage en Cratylie, Paris, Seuil,


« Poétique », 1976, p. 361-377. Toute la narratologie découle de cette lecture structrualiste de Proust et
de son élection en qualité de recueil-exemplaire. Voir notamment : Gérard Genette, « Discours du
récit », dans Figures III, Paris, Seuil, « Poétique », 1972, p. 65-273.

22 Voir à ce sujet : Anna Boschetti, op. cit., p. 221-230 ; Tiphaine Samoyault, Roland Barthes, Paris,
Seuil, 2015, p. 397-408 ; Lucile Dumont, « Faire théorie pour faire science ? Modèles scientifiques et
production théorique dans les études littéraires en France (1960-1972) », Revue d’histoire des sciences
huamines, n°31, 2017, p. 17-42.

23 Roland Barthes, « Proust et les noms », art. cit., p. 129. L’évidence du rapprochement entre la
littérature et la linguistique saussurienne, par le biais du nom propre, est cependant plus fragile qu’il n’y
paraît. Saussure a en effet complètement exclu la question du nom propre de son système idéal de la
langue et c’est de nouveau par le biais de l’anthropologie que le nom propre se voit réinvesti, comme le
rapporte Barthes lui-même dans un autre texte de la même époque : « des analyses récentes ont
renouvelé le problème du Nom propre, qui d’ailleurs n’avait jamais été vraiment posé par la linguistique.
Ces analyses sont celles de Jakobson, d’une part, et de Lévi-Strauss, d’autre part, qui,
dans l’Anthropologie structurale, a consacré un chapitre à des problèmes de classification de noms
propres » (Roland Barthes, « L’Analyse structurale du Récit » (1966), dans Œuvres complètes, op. cit.,
1995, t. III, p. 466).

24 Roland Barthes, « Proust et les noms », art. cit., p. 121.

25 Marcel Proust, À la Recherche du temps perdu [1913-1927], Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la


Pléiade », 1987, vol. I, p. 376 – vol. II, p. 333.

26 Roland Barthes, « Proust et les noms », art. cit., p. 129.

27 Ibid., p. 122 (pour toutes les citations).

28 Ibid., p. 121.

29 Ibid., p. 129.
30 Ibid., p. 128.

31 C’est par exemple ce que se propose de faire André Ferré dans La Géographie de Marcel
Proust (Paris, Sagittaire, 1939).

32 Ces exemples sont tirés de Jean Rousset, Forme et signification. Essai sur les structures de Corneille
à Claudel, Paris, José Corti, 1962, et de Jacques Derrida, L’Écriture et la différence, Paris, Seuil, « Tel
Quel », 1967.

33 Vincent Descombes, Proust. Philosophie du roman, Paris, Minuit, « Critique », 1987, p. 104.

34 Dominique Maingueneau, Contre Saint Proust ou la fin de la littérature, Paris, Belin, 2006 ; Nathalie
Quintane, Ultra-Proust. Une lecture de Proust, Baudelaire, Nerval, Paris, La Fabrique, 2018. Constatant
que « la conception qu’on se fait de la littérature aujourd’hui est celle de Proust qui donc n’est pas
encore vraiment entrée dans l’Histoire », Quintane défend, avec ironie, la nécessité d’un « O.O.P », soit
d’un « Oubli Obligatoire de Proust, pendant un demi-siècle » (p. 12).

35 Roland Barthes, « Texte (théorie du) » [1973], dans Œuvres complètes, op. cit., t. IV, p. 455.

36 Susan Sontag, L’Écriture même. À propos de Barthes, Philippe Blanchard (trad.), Paris, Christian
Bourgeois, 1982, p. 37. Voir également à ce sujet : Tiphaine Samoyault, op. cit., p. 397-408 ; Daniele
Carluccio, Roland Barthes lecteur. Le plus ingrat de tous, Paris, Hermann, 2019.

37 Cette question fait partie des réflexions que je mène actuellement dans ma thèse de doctorat, sous la
direction de Nathalie Piégay.

38 Marcel Proust, op. cit., t. I, p. 155.

39 Françoise Leriche, « Structure », dans Annick Bouillaguet, Brian G. Rogers (dir.), Dictionnaire Marcel


Proust, Paris, Honoré Champion, 2015. Sur les liens entre Proust et la philosophie allemande
du XIXe siècle, voir également Anne Henry, Proust. Théories pour une esthétique, Paris, Klincksieck, 1981.

40 Marcel Proust, op. cit., t. I, p. 136-137.

41 Marcel Proust, Contre Sainte-Beuve, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1971, p. 418.

42 Ibid., t. I, p. 507-508.

43 Ibid., t. IV, p. 472.

44 Ibid., t. II, p. 248-249.


45 Voir la préface de Vincent Debaene, dans Claude Lévi-Strauss, Œuvres, Paris, Gallimard,
« Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. IX-XLII. Vincent Debaene ne manque pas de rappeler que la
littérature est aussi considérée comme une expérience de connaissance pour Lévi-Strauss, mais cela
« non en raison des contenus qu’on y trouve et de son caractère éventuellement “documentaire”, mais
au contraire en raison de l’élaboration secondaire que tout art suppose » (p. XXVII).

46 On peut noter que Barthes reprend à son compte l’image du kaléidoscope dans «  Proust et les
noms ». Fidèle à sa compréhension réflexive et intransitive de la littérature, il en fait toutefois un
instrument de composition du roman : « les unités principales étaient là (rapports de personnages,
épisodes cristallisateurs), elles s’essayaient à diverses combinaisons, comme un kaléidoscope » (« Proust
et les noms », art. cit., p. 120). Le critique reprendra cette image en 1975 dans un entretien avec Jean-
Louis Ézine pour parler de son propre travail d’écriture (Roland Barthes, « Le jeu du kaléidoscope »,
dans Le grain de la voix. Entretiens 1962-1980, Paris, Seuil, 1981, p. 214-220).

47 Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, p. 51-52.


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Pour citer cet article

Référence électronique
Pauline Mettan, « La notion de « structure » entre anthropologie, études littéraires et
littérature », COnTEXTES [En ligne], 32 | 2022, mis en ligne le 21 juin 2022, consulté le 26 avril
2023. URL : http://journals.openedition.org/contextes/10868 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/contextes.10868
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Auteur

Pauline Mettan
Université de Genève

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