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Methodos

Savoirs et textes 
20 | 2020
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L’idée d’une science littéraire et la phénoménologie


de la lecture
Phenomenology of Reading and the Idea of a Literary Science

Aurélien Djian

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/methodos/6827
DOI : 10.4000/methodos.6827
ISSN : 1769-7379

Éditeur
Savoirs textes langage - UMR 8163

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Référence électronique
Aurélien Djian, « L’idée d’une science littéraire et la phénoménologie de la lecture », Methodos [En ligne],
20 | 2020, mis en ligne le 18 février 2020, consulté le 25 août 2020. URL : http://
journals.openedition.org/methodos/6827  ; DOI : https://doi.org/10.4000/methodos.6827

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L’idée d’une science littéraire et la phénoménologie de la lecture 1

L’idée d’une science littéraire et la


phénoménologie de la lecture
Phenomenology of Reading and the Idea of a Literary Science

Aurélien Djian

I. Les problèmes d’une science littéraire et la solution


husserlienne
1 Comment une science de la littérature — la « science littéraire autonome » que les
formalistes russes, aux yeux de B. Eichenbaum, désiraient « créer […] à partir des
qualités intrinsèques du matériau littéraire1 », celle dont parle Jauss au début de son
manifeste Literaturgeschichte als Provokation der Literaturwissenschaft comme d’un acquis
à développer dans le sens d’une herméneutique de la réception et de l’efficience
(Wirkung)2 —, comment une telle science est-elle possible ? Derrière l’apparence
kantienne de la question se cache un ensemble de problèmes qui n’auraient sans doute
eu aucun sens pour Kant.
2 D’abord, si l’on met de côté le cas de la métaphysique, contrairement à la
mathématique pure et à la physique pure qui démontrent leur possibilité par
l’existence de certaines connaissances pures a priori, de telle manière que la question
n’est pas de savoir si elles sont possibles, mais comment elles le sont, il n’est pas évident
qu’il y ait une science, même empirique, de la littérature, que l’on puisse identifier et
dont on puisse demander comment elle est possible. Le problème ici n’est pas tant qu’il
y ait en fait une pluralité de disciplines différentes qui traitent du phénomène
littéraire : de la psychanalyse à la sociologie, en passant par la narratologie, la poétique,
la stylistique, l’herméneutique de la réception, l’histoire littéraire, l’économie du livre,
etc. Car la physique également, par exemple, englobe un ensemble de disciplines
distinctes (mécanique, optique, acoustique, etc.), et il ne viendrait à l’esprit de
personne de les considérer comme des prétendantes au titre de science physique, et de
demander au physicien de choisir parmi elles. La difficulté réside plutôt dans le fait

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L’idée d’une science littéraire et la phénoménologie de la lecture 2

suivant : non seulement, une fois observée la multiplicité de ces disciplines, il resterait
à chercher comme en physique un principe permettant de les unifier de façon
systématique ; mais il semble à première vue douteux qu’un tel principe puisse être
trouvé, dans la mesure où les rapports qu’elles entretiennent — ou, du moins,
qu’entretiennent les modèles théoriques supportés par tel ou tel des acteurs principaux
de ces disciplines — paraissent souvent conflictuels. Ainsi, on voit mal comment la
thèse de « l’historicité spécifique de la littérature » (vs. l’affirmation de son « être
intemporel3 »), qui est au principe de l’herméneutique de la réception jaussienne,
pourrait s’accorder avec l’idée principale d’une sémiotique du texte, qui est au principe
de toute analyse structurale du récit en général4, à savoir qu’il y a dans tout texte une
« organisation syntagmatique de la signification5 » qui possède un caractère objectif et
dont on, c’est-à-dire n’importe qui, doit pouvoir dégager la structure. Prétention
théorique sans laquelle une étude comme le Maupassant de Greimas ou l’analyse des
contes merveilleux de Propp n’aurait aucun sens. A fortiori, il n’est pas clair comment
une telle herméneutique devrait même pouvoir « fonder » la théorie formaliste 6 et, à sa
suite, l’analyse structurale des récits7. Mais s’il est vrai que la thèse de l’historicité
spécifique de la littérature va de pair avec la critique gadamérienne de « l’illusion
objectiviste » et la thèse positive de l’histoire des incidences (Wirkungsgechichte), qui
met un terme à la possibilité d’une « reconstruction […] de la vie passée dans l’horizon
de sa singularité historique8 », on voit mal également dans quelle mesure elle pourrait
fournir la base d’une esthétique de la production9, qu’elle soit sociologique,
d’inspiration marxiste, ou psychologique. Si la vie passée, individuelle ou sociale, ne
peut être reconstruite d’une manière ou d’une autre, c’est-à-dire si l’on ne peut en
fournir aucune connaissance objective, comment peut-on espérer « considérer les
écrivains classiques sous l’angle moral, c’est-à-dire en tant que leurs œuvres
prétendent répondre aux problèmes essentiels de la vie et de la conduite humaine 10 »,
pensée morale qui « a ses racines toutes naturelles, et son terrain d’action, dans la vie
des hommes et dans leurs relations11 » ? Comment pourra-t-on dégager la « vision
tragique » comme structure significative globale « à caractère à la fois pratique,
théorique et affectif », qui constitue « l’essence commune du mouvement et de
l’idéologie du jansénisme “extrémiste”, des Pensées et de la philosophie critique de Kant
et, enfin, du théâtre de Racine12 » ? Comment produira-t-on une lecture capable de
« déceler l’ordre ou le désordre interne des textes [de Rousseau] qu’elle interroge, les
symboles et les idées selon lesquels la pensée de l’écrivain s’organise » en face « du
monde auquel elle s’oppose13 » ? Bref, c’est la justification d’une certaine image d’une
structuration possible de la science de la littérature, celle d’une fondation des disciplines
traitant de littérature sur une herméneutique littéraire, qui fait problème.
3 Mais le conflit est bilatéral. Ce n’est pas simplement que, par exemple, l’herméneutique
littéraire rend principiellement impossible ce que, en outre, elle est supposée fonder, à
savoir une analyse structurale des récits, une sociologie ou une psychologie des auteurs
et lecteurs. C’est que « le projet structuraliste » en théorie littéraire s’est d’abord
constitué en rupture avec « une psychologie de l’œuvre » apparue avec le romantisme —
d’où le « renouveau de la théorie littéraire » qu’il initie 14 — et qu’il a lui-même prétendu à
son tour fonder les autres points de vue sur les textes littéraires, de telle manière qu’il
offre de la structuration de la science littéraire une image renversée de celle proposée
par l’herméneutique littéraire. Ainsi, « devant l’infinité des récits, souligne Barthes
dans son Introduction à l’analyse structurale des récits, la multiplicité des points de vue
auxquels on peut en parler (historique, psychologique, sociologique, ethnologique,

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esthétique, etc.), l’analyste se trouve à peu près dans la même situation que Saussure,
placé devant l’hétéroclite du langage et cherchant à dégager de l’anarchie apparente
des messages un principe de classement et un foyer de description 15 », à savoir la
structure16 ; dans une veine proppienne, « l’étude structurale de tous les aspects du
conte est la condition nécessaire de son étude historique17 » ; etc.
4 Ces remarques générales exigeraient évidemment d’autres développements. Mais le
conflit qu’elles esquissent permet au moins de rendre sensible le premier problème
impliqué par la question, d’apparence kantienne, « comment une science littéraire est-
elle possible ? » : celui de l’unification systématique des différentes disciplines traitant
de littérature sous un principe commun. Or, au problème de la possibilité d’une science
littéraire s’ajoute celui, plus fondamental encore, de la possibilité d’une science
littéraire comme telle. Car la question de l’unité d’une science ne se pose qu’une fois
légitimée l’existence de cette dernière. Là encore, une telle question ne se pose plus
pour nous, avec l’émergence des sciences de l’esprit, ni dans les termes kantiens de
l’opposition entre nature (théorie) et liberté (pratique), ni (du moins dans le domaine
littéraire) à l’aune de la thèse qu’il n’y a de « science proprement dite » que
mathématisée18. Au contraire, comme nous avons commencé à le voir, elle se pose pour
nous dans les termes de la critique post-moderne de l’objectivité scientifique, appliquée
à l’idée des sciences humaines en générale, à celle d’une science littéraire en
particulier. De ce point de vue, toute intervention dans le débat sur la possibilité d’une
science littéraire comme telle suppose de prendre position à l’égard de cette critique.
Or, il existe déjà au moins une position théorique claire dans ce débat, que nous allons
esquisser dans ce qui suit, et qui servira de point de référence pour la suite de la
discussion. Il s’agit de celle formulée par Barthes dans « Qu’est-ce que la critique ? »
publié en 1963 dans le Times Literary Supplement.
5 Barthes revient dans cet article sur les « quatre grandes “philosophies” 19 » à l’intérieur
desquelles s’est développée la critique littéraire française d’après-guerre :
l’existentialisme, le marxisme, la psychanalyse et le structuralisme. Il y souligne que,
tout comme la critique universitaire de l’époque, le lansonisme, qui cherche cependant
à masquer sa dimension idéologique derrière la prétention « positiviste » ou
« scientiste » à la « rigueur » et à « l’objectivité dans l’établissement des faits », cette
critique qui s’est développée hors du cadre universitaire est une « critique
d’interprétation », c’est-à-dire « implique des convictions générales sur l’homme,
l’histoire, la littérature, les rapports de l’auteur et de l’œuvre ». « Postulats
philosophiques […] inévitables20 » qui structurent son rapport à la littérature et brisent
toute prétention à la vérité et à l’objectivité. En effet,
« comment croire que l’œuvre est un objet extérieur à la psyché et à l’histoire de
celui qui l’interroge et vis-à-vis duquel le critique aurait une sorte de droit
d’exterritorialité ? Par quel miracle la communication profonde que la plupart des
critiques postulent entre l’œuvre et l’auteur qu’ils étudient, cesserait-elle lorsqu’il
s’agit de leur propre œuvre et de leur propre temps ? Y-aurait-il des lois de création
valables pour l’écrivain mais non pour le critique ?21 »
6 Or, ce qui vaut pour le critique français d’après-guerre, le « praticien », vaut pour les
« quatre grandes “philosophies” » qui lui ont fourni les « modèles théoriques »
auxquels il s’adosse, et dont on peut dire alors qu’elles ont constitué « l’actualité
idéologique » de la France d’après-guerre22 : la psychologie freudienne, jungienne ou
bachelardienne, la sociologie marxiste, l’existentialisme sartrien, l’analyse structurale
des récits. Ainsi, à la question « une science littéraire (et une critique scientifique) est-

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elle possible comme science », la réponse de Barthes est négative, et cela non pour des
raisons contingentes mais de principe. C’est qu’aucun modèle théorique, aucun des
« langages » que l’époque fournit au critique23, ne saurait résorber certains postulats
philosophiques de nature purement historique (infiniment variables en principe) qui
orientent le critique dans son rapport à la littérature, et qu’aucun non plus ne saurait
les fonder ultimement. Car chacun de ces langages est le produit arbitraire d’une
histoire, ne possédant aucune validité objective, mais s’imposant à une époque comme
une langue « suspendue entre des formes abolies et des formes inconnues 24 ».
7 Cela dit, le refus de principe d’une science littéraire n’hypothèque pas la pertinence des
options théoriques et idéologiques, ou des critiques ayant choisi de s’adosser à telle ou
telle de ces options, et même leur pertinence simultanée :
« puisque ces principes idéologiques différents sont possibles en même temps (et
pour ma part, d’une certaine manière, je souscris en même temps à chacun d’eux),
c’est que sans doute le choix idéologique ne constitue pas l’être de la critique et que
la “vérité” n’est pas sa sanction25 ».
8 La critique, en effet, est un méta-langage qui porte sur le « discours d’un autre »
(langage-objet), et non sur le monde, et par conséquent est indifférente à la question de
la vérité et de la fausseté26. Son but est de fournir, dans les termes historiques d’un des
méta-langages disponibles à son époque que le critique choisit conformément aux
choix, plaisirs, résistances, obsessions qui lui sont propres 27, les conditions d’une
transmission ou d’une communication du sens de l’œuvre littéraire qui, sinon, reste
problématique28. D’un seul et même geste, donc, Barthes assume la critique post-
moderne de l’objectivité scientifique, qui refuse à la psychologie/psychanalyse, la
sociologie (marxiste ou autre), au structuralisme et aux réflexions existentialistes le
statut de science, c’est-à-dire d’abord une prétention à la vérité, et pense leur pertinence
simultanée, pour autant qu’elles sont toutes, quoique que différemment, des
« construction[s] de l’intelligible de notre temps »29. Autrement dit, si, en tranchant le
problème de la possibilité d’une science littéraire comme telle (il n’y a pas de sciences mais
des idéologies), Barthes rend caduque celui de son unité, il substitue à ce dernier l’idée
d’une juxtaposition de discours portés sur le phénomène littéraire, évalués par le critère
de la pertinence, i.e. de la capacité à manifester à chaque époque le sens en principe
inépuisable d’une œuvre littéraire.
9 L’intention de cet article n’est pas de polémiquer avec Barthes à presque soixante ans
de distance. La présentation succincte de sa position dans le débat autour de la
possibilité d’une science littéraire, telle qu’elle est exprimée dans « Qu’est-ce que la
critique ? », avait seulement pour but de dégager un point fixe à partir duquel élaborer
une position alternative, capable de garantir la possibilité d’une science de la littérature
comme telle, et d’une science de la littérature comme système, unifié autour d’un
principe, d’un ensemble de disciplines scientifiques distinctes. Or, cette position
alternative sera construite de manière phénoménologique, plus précisément, pour
éviter toute confusion avec d’autres usages du terme dans le domaine de la théorie
littéraire, notamment d’inspiration bachelardienne30 ou heideggerienne 31, dans une
veine husserlienne32. Autrement dit, l’ambition de ce travail est de proposer les
premières esquisses d’une phénoménologie (husserlienne) de la littérature dont les
résultats, s’ils s’avéraient justes, contraindraient à abandonner la position post-
moderne (dont « Qu’est-ce que la critique ? » ne constitue qu’un exemple parmi
d’autres). Et sa thèse principale est qu’une telle phénoménologie est intrinsèquement

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L’idée d’une science littéraire et la phénoménologie de la lecture 5

liée à la question de la fondation d’une science littéraire (i.e. d’une science littéraire/d’une
science littéraire).
10 De ce point de vue, à la lecture des textes de Husserl, une telle liaison entre
phénoménologie et fondation des sciences ne fait aucun doute, et c’est pourquoi le
choix de la première n’est pas arbitraire dans l’optique de répondre à la question
« comment une science littérale est-elle possible ? ». Si l’on suit les indications de
Husserl à la fin du premier chapitre des Ideen I, il apparaît en effet que, outre les
considérations logiques du chapitre « Fait et essence », la phénoménologie joue un rôle
essentiel dans le problème qui intéresse ce livre (et qui nous intéresse également), à
savoir celui « d’une “classification” radicale des sciences 33 ». Sa fonction est
explicitement fixée dans le passage suivant, où Husserl souligne que
« à toute région et à toute catégorie d’objets présumés correspond au point de vue
phénoménologique non seulement un type fondamental de sens ou de propositions,
mais aussi un type fondamental de conscience donatrice originaire ; à cette conscience se
rattache un type fondamental d’évidence originaire qui par essence est motivée par une
donnée originaire répondant à ce type fondamental34 ».
11 Si l’on met pour l’instant de côté le thème de l’évidence, qui concerne la question de la
légitimation rationnelle de la position d’objets comme existant ou étant
véritablement35, on peut dégager la thèse centrale suivante. (1) À chaque région ou
catégorie d’objet36, examinées d’un point de vue ontologique (« qu’est-ce qu’une
chose ? » ; « qu’est-ce qu’une couleur ? » ; « qu’est-ce qu’une personne ? » ; « qu’est-ce
qu’une signification ? » ; « qu’est-ce qu’un nombre ? » ; etc.), correspond une
corrélation eidétique entre un type de sens/proposition et un type de conscience
donatrice originaire. (2) Cette corrélation est descriptible dans le cadre de la réduction
phénoménologique, et c’est par son biais seulement qu’il est fait expérience de tel ou tel
objet comme tel (comme sens/proposition), que, d’ailleurs, il soit ou non un tel objet (une
chose, un mouvement, une forme spatiale, une couleur, un animal, un corps vivant, une
âme, des propriétés physico-psychiques, des personnes, des communautés de
personnes, des églises, des œuvres littéraires, etc.). (3) En dégageant le type spécifique
de corrélation en jeu dans la constitution du sens/proposition d’une région ou d’une
catégorie d’objets, la
« différence ontologique des objets […] peut être maintenue hors de toute
confusion, dans une séparation absolument certaine, à l’abri de toutes les
mésinterprétations qui ont leur source dans les changements d’attitudes
involontaires et que le défaut de réflexion laisse inaperçus 37 ».
12 Et c’est ainsi que se légitime (ou que se fonde) phénoménologiquement une
classification des sciences : en justifiant les différences ontologiques des objets sur la
base des différences de corrélations constitutives.
13 Si l’on relègue donc pour un temps les critiques de principe qui lui sont adressées au
magasin des accessoires38, la phénoménologie husserlienne a le mérite d’offrir une piste
prometteuse pour répondre à notre problème de fondation, et qu’on ne saurait
simplement écarter d’un revers de la main sans l’avoir suivie suffisamment loin. En
effet, non seulement la discussion du rôle de la phénoménologie dans les Ideen I a suffi
pour nous fournir un premier réseau conceptuel — région et catégorie d’objets, sens et
proposition, conscience donatrice originaire, attitude —, que nous aurons l’occasion
d’enrichir dans ce qui suit, et qui doit nous permettre de traiter le problème qui nous
intéresse. Mais elle nous offre également un fil directeur dans l’examen de ce
problème : si toute science est articulée autour d’une région et/ou de catégories

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d’objets39, et que sa démarcation (et son existence) est légitimée par le fait qu’y
correspond une corrélation eidétiquement distinctes entre un type de sens/proposition et
un type de conscience donatrice originaire, accomplie dans une certaine attitude, dans
laquelle cette région/catégorie d’objets est constituée comme telle, il suffit de trouver
la corrélation propre à l’objet œuvre littéraire. C’est alors, une fois cette corrélation fixée
et avec elle le sort d’une science de la littérature, que l’on pourra dégager son type de
structuration, c’est-à-dire tenter d’unifier, d’une manière ou d’une autre, les disciplines
dont nous avons discutées plus haut sous l’idée d’une science littéraire.
14 Voilà, à nos yeux, le programme qu’une phénoménologie husserlienne de la littérature
doit se fixer. Évidemment, sa réalisation dépasse de loin le cadre limité de ce travail.
Dans ce qui suit, nous parerons donc au plus pressé : s’il est vrai que le problème de
l’unité de la science littéraire suppose en premier lieu la résolution de celui d’une
science littéraire comme telle ; et si l’hypothèse phénoménologique husserlienne veut
que la légitimation de l’existence d’une telle science implique de dégager la corrélation
constitutive dans laquelle se constitue le sens de l’œuvre littéraire ; alors c’est à la
description de cette corrélation qu’il faut commencer par travailler. Ainsi, dans ce qui
suit, nous ferons abstraction d’un examen des concepts ontologico-formels de région et
de catégorie, tâche certes nécessaire, mais dont la réalisation demanderait un travail
séparé40. Nous nous contenterons de clarifier et d’enrichir la définition minimale
suivante de la corrélation constitutive en question : le sens de l’œuvre littéraire est
constitué dans l’attitude théorique comme corrélat d’un type de conscience donatrice
(quasi-)originaire, la quasi-lecture, se rapportant à travers un discours à un « monde »
imaginaire, c’est-à-dire l’acte complexe composé d’un vécu signitif de lecture fondé sur
un acte de phantasia reproductrice, acte complexe lui-même fondé sur la corrélation de
la perception externe.
15 Deux remarques sur cette définition avant d’entrer dans le vif du sujet. D’abord, celle-ci
indique le caractère limité de l’ensemble de phénomènes qui nous intéresse, et que
nous regroupons sous l’appellation d’« œuvre littéraire ». Par-là, nous espérons
prévenir une confusion suscitée par l’ambiguïté du concept même de littérature et,
parallèlement, de celui de lecture. En effet, si l’on suit les remarques de Husserl lui-
même, « dans son concept le plus large », la littérature (à partir de maintenant
« littérature » avec des guillemets) couvre « toute une classe de produits spirituels du
monde de la culture auquel appartiennent non seulement toutes les formations
scientifiques et les sciences elles-mêmes, mais aussi, par exemple, les formations de
l’art littéraire41 ». De ce point de vue, la notion de lecture doit s'étendre aussi loin que
celle de « littérature », et il faut considérer l’ensemble des « œuvres littéraires » comme
constitué dans la lecture. Le revers d’une telle opération, c’est le risque qu’elle présente
de confondre des objets eidétiquement distincts, et à la différence eidétique desquels
doit correspondre, si l’hypothèse phénoménologique est correcte, des corrélations
elles-mêmes eidétiquement différentes (sur lesquelles s’édifient des sciences tout aussi
distinctes). Or, l’hypothèse sur laquelle repose ce travail est précisément que l’œuvre
littéraire, pris au sens étroit, constitue un groupe clos de phénomènes, auquel
correspond un sens et un type de conscience donatrice (quasi-)originaire à part, et par
conséquent une science distincte dotée d’une méthode particulière. Cela signifie que
l’on doit exclure d’une phénoménologie de la quasi-lecture autant les œuvres
scientifiques que les mémoires, les interviews, les biographies et autobiographies, et de
manière générale l’ensemble des « œuvres littéraires » dont la constitution implique au
contraire par essence la positionnalité que la quasi-lecture neutralise. Autrement dit, le

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L’idée d’une science littéraire et la phénoménologie de la lecture 7

roman et l’autobiographie, par exemple, ne sont pas l’objet d’une même science, et c’est
précisément le mérite d’une description phénoménologique des attitudes de se garantir
contre le risque de metabasis qui pourrait être produit par l’usage lâche que nous
faisons du concept de « littérature ».
16 Deuxième remarque : si l’œuvre littéraire est constituée dans une quasi-lecture
accomplie dans l’attitude théorique, cela signifie que nous mettons entre parenthèse la
couche proprement esthétique de l’œuvre littéraire, constituée dans l’attitude
axiologique-esthétique. L’abstraction de cette dimension est justifiée par le fait que
cette dernière attitude est édifiée sur l’acte de quasi-lecture théorique dans lequel se
constitue déjà l’œuvre proprement littéraire, dont le caractère eidétique spécifique est
celui de la neutralisation — caractère que partagent autant les œuvres littéraires
comiques que tragiques, belles que laides, etc. Si ce qui nous intéresse ici, c’est de
démarquer phénoménologiquement le domaine de l’œuvre littéraire, et légitimer la
possibilité d’une science de la littérature, il n’est donc pas nécessaire d’intégrer dans
l’analyse le volet de la constitution des valeurs esthétiques, qui devra faire l’objet de
développements séparés.

II. Phénoménologie de la lecture


17 S’il est vrai que, d’un point de vue phénoménologique, le sens de l’œuvre littéraire est
constitué dans la corrélation de la quasi-lecture, accomplie dans l’attitude théorique ;
et s’il est vrai qu’une démarcation correcte des sciences dépend de la capacité à
distinguer les attitudes dans lesquelles les objets (en tant que sens) sont constitués 42 ;
alors la clarification du concept d’attitude doit être considérée comme un préalable
phénoménologique nécessaire.

1. Le concept d’attitude

18 Si, parmi les différents usages de cette notion, on s’intéresse à la distinction entre
attitude théorique, pratique et axiologique, celle-ci peut être définie de la manière
suivante. D’abord, il s’agit d’un acte global unifiant une multiplicité d’actes par une
direction commune vers un même thème d’intérêt. Et ce dernier se définit non
seulement comme sens appréhendé avec tel ou tel caractère thétique, mais également
comme « ce vers quoi nous sommes “dirigés”, “orientés” de manière particulière 43 », ce
vers quoi nous portons spécifiquement notre attention44, où nous vivons « d’une
manière phénoménologiquement éminente45 », qui est l’« objectif » que nous cherchons
à atteindre46. De ce point de vue, la notion de thème est intrinsèquement liée
(quoiqu’elles ne suffisent pas à la définir) à celles de sens et de proposition, que nous
avons évoquées plus haut comme des concepts cruciaux pour le problème
phénoménologique d’une fondation des sciences, et qui se comprennent dans le cadre
plus général de la conception husserlienne de l’intentionnalité. En effet, s’il est vrai
que, d’un point de vue phénoménologique, les vécus dans lesquels nous accomplissons
nos visées théoriques, pratiques ou axiologiques sont intentionnels, cela signifie qu’ils
« possèdent — cela appartient à leur essence — une intentio, ils visent quelque chose, ils
se rapportent de telle ou telle manière à un objet47 ». Or, le corrélat de mes vécus n’est
pas (généralement, i.e. lorsque que je n’en fais pas le thème d’investigations
phénoménologiques) l’objet X, qui est le même quel que soit la manière dont on s’y

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L’idée d’une science littéraire et la phénoménologie de la lecture 8

rapporte, mais l’« objet intentionnel48 », c’est-à-dire son sens ou sa proposition, qui
précisément diffèrent en fonction du mode d’appréhension de la conscience. Quel
rapport entretiennent ces trois concepts ?
19 D’abord, le sens et la proposition désignent l’« objet dans le mode de ses
déterminations49 », par opposition à l’« objet dans le comment de ses modes de
donnée50 », et ne se différencient l’un de l’autre que par le type de déterminations pris
en compte. D’un côté, le sens désigne l’ensemble des déterminations objectives,
formelles (« objet », « propriété », « état de choses », etc.) ou matérielles (« chose »,
« personne », « rouge », etc.). De l’autre, la proposition ajoute aux déterminations
comprises sous le titre de sens l’ensemble des déterminations thétiques (« être
certain », « être aimé », « être voulu », etc.). De ce point de vue, il est clair que ces deux
concepts, obtenus dans le cadre de l’épochè phénoménologique, « appartiennent de
manière inséparable au concept d’objet51 », c’est-à-dire qu’ils sont impensables sans ce
dernier qui, lui-même, est impensable sans eux52. Cependant, dans la mesure où le
même objet peut être donné dans des comment de déterminations (sens ou
propositions) différents, naît la possibilité de distinguer abstraitement l’objet « X » (le
même) de ses déterminations (différentes). Ainsi, le même objet peut être appréhendé
par une conscience successivement comme un fantôme, avec son extension, sa place
dans l’espace, sa forme géométrique, sa couleur ; comme une chose, avec ses propriétés
matérielles se manifestant univoquement de telle ou telle manière dans telle ou telle
circonstance ; comme un animal, c’est-à-dire une réalité psychique fondée dans un
corps propre matériel ; comme un homme, c’est-à-dire un animal capable de s’attribuer
ses propriétés somatiques et psychiques ; comme une personne en rapport avec son
monde environnant et motivé par lui, intégré à des communautés plus ou moins vastes
(famille, groupe d’amis, paroisse religieuse, syndicat, classe sociale, nation, etc.). Et ce
même objet appréhendé dans des sens (ou, comme le dit parfois Husserl, dans des
couches) différents peut l’être également dans des propositions différentes (posé une fois
comme réel, puis comme possédant des propriétés illusoires, voire comme une
hallucination, comme voulu, aimé, etc.), dans des modes de donnée subjectives différents
(perçu, souvenu, attendu, imaginé, jugé, de façon plus ou moins intuitive, comme objet
de mon attention ou à l’arrière-plan).
20 On en vient ainsi au concept spécifique de thème. En tant qu’il est ce vers quoi nous
portons spécifiquement notre attention, il désigne une certaine proposition (par
exemple, une chose existante, un animal douteux, une personne aimable, etc.) dans
lequel l’objet est visé sur le mode subjectif de l’attention ou de l’intérêt, par opposition
à ce qui reste à l’arrière-plan, c’est-à-dire est visé par nous comme proposition sur le
mode subjectif de l’absence d’attention. Et l’intérêt unifie ainsi une multiplicité d’actes
possédant des fonctions (dominantes ou subordonnées) différentes, portée vers ce seul
et unique thème. Ainsi, le physicien peut trouver beau le mouvement des étoiles qu’il
étudie mais, tant qu’il est plongé dans ses calculs — vécus de calculs possédant une
fonction dominante, auxquels sont subordonnés par exemple des perceptions externes
des mouvements célestes en question sur lesquels les premiers sont fondés —, cette
beauté n’est pas le thème de son intérêt. Dans ce cas, le même objet, appréhendé avec le
même sens « mouvement d’étoile », et qui, comme proposition, comprend autant des
caractères doxiques (le mouvement d’étoile existant) que des caractères évaluatifs (le
beau mouvement d’étoile), est donc thématisé théoriquement lorsque le physicien vit
éminemment dans les actes doxiques plutôt que pratiques ou axiologiques. Mais ce

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L’idée d’une science littéraire et la phénoménologie de la lecture 9

dernier pourrait tout aussi bien changer d’attitude : le beau mouvement d’étoile devient
alors le thème de son intérêt, tandis que le mouvement d’étoile posé comme existant
passe à l’arrière-plan. On pourrait même envisager des cas de niveaux de constitution
plus élevés : le physicien vit absorbé dans la beauté du mouvement des étoiles, au sein
de l’attitude axiologique, puis pose doxiquement l’existence de cette valeur ; il explore
alors, dans l’attitude théorique, la beauté de ce mouvement, il veut la montrer dans
toute son étendue, faire la « démonstration » de son caractère harmonieux, etc.
Évidemment, le même type de description vaut, par exemple, pour un texte historique
ou une autobiographie : lorsque je lis une page de La révolution française de Soboul ou
des Confessions de Rousseau, j’appréhende certains événements de la révolution ou de la
vie de Rousseau, que je trouve par ailleurs beaux, moraux, utiles, etc., comme thèmes
de mon intérêt théorique, ou je décide de vivre activement dans leur beauté, leur
moralité, leur utilité, etc. Et, dans ce cas, je passe d’une attitude à l’autre (théorique vs.
évaluative), d’un thème à l’autre (d’un bel événement à un bel événement) 53.
21 Cette analyse est suffisante pour définir les trois types d’attitude indiqués plus haut.
D’abord, l’attitude théorique se caractérise d’une double manière : non pas seulement,
comme nous venons de le voir, par le fait qu’en elle l’ego accomplit une multiplicité de
vécus intentionnels objectivants (i.e. doxiques), dont le corrélat intentionnel est l’objet
dans le comment de ses déterminations matérielles ou formelles et doxiques (=
proposition), puisque, lorsque je considère le beau mouvement des étoiles, le mouvement
des étoiles continue à être considéré comme étant ; mais également par le fait que cette
multiplicité objectivante est accomplie sur un certain mode subjectif (l’attention) par
lequel l’ego vit de façon éminente dans les actes doxiques. Dans ce cas, ces derniers
« sont accomplis dans la fonction de connaissance » : il faut une « activité de
“croyance”, de jugement », accomplir « un acte de jugement en tant qu’un cogito, se
diriger avec un regard actif sur l’objet, ce qui est se diriger par une visée spécifique 54 ».
Ainsi, si la preuve du théorème de Pythagore est mon thème, je suis dans l’attitude dans
laquelle non seulement je pose une prémisse comme existante, puis une autre, dont je
tire, avec une conscience de nécessité, la conclusion, mais je juge que la première
prémisse est juste, puis la seconde, et que, de là, la conclusion s’en suit nécessairement.
Ensuite, l’attitude pratique est intéressée de façon attentive à un sens et à ses caractères
thétiques pratiques dans une perception de valeur (Wertnehmung) pratique 55 : un morceau
de pain excite mon appétit en tant que moyen de subsistance, j’apprécie le bois dans ma
cheminée comme matériau de combustion. Enfin, l’attitude axiologique est intéressée de
façon prégnante à un sens et à ses caractères thétiques axiologiques dans une perception
de valeur axiologique : je prends plaisir à écouter la sonate au clair de lune, j’apprécie la
beauté du mouvement des étoiles.
22 Nous pouvons à présent clarifier la première partie de la définition de la quasi-lecture
que nous avons posée plus haut : du point de vue génétique, l’œuvre littéraire se
constitue comme thème de l’attitude théorique, c’est-à-dire que l’ego-lecteur doit vivre
de façon attentive dans un acte global donateur de signification (la quasi-lecture) par
lequel il prend connaissance de l’œuvre, et qu’il constitue comme œuvre littéraire dans
la mesure où la lecture est fondée sur un acte de phantasia. Il reste à présent à essayer
de décrire cette corrélation de la quasi-lecture.

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L’idée d’une science littéraire et la phénoménologie de la lecture 10

2. Une phénoménologie de la quasi-lecture

23 Dans ce qui suit, nous procéderons de façon génétique. La quasi-lecture — comme la


lecture de façon générale, et, en ce sens, une partie de ce que nous allons dire dans ce
qui suit doit s’appliquer à la lecture « littéraire » au sens le plus vaste — fait en effet
partie de la classe des actes fondés sur d’autres actes, et en dernière analyse sur la
perception externe dans laquelle se constitue la nature chosique. En effet, celle-ci « dans
ses formes d’espace et de temps englobe toutes les réalités factuelles, mais aussi,
manifestement, en raison de fondements d’essence, toutes les réalités possibles a
priori56 », et c’est à travers une réalité particulière (l’exemplaire de l’œuvre) que l’accès
à l’œuvre est rendu possible. Mais le procédé génétique n’est pas seulement exigé ici
dans la mesure où il s’agit d’être fidèle à l’entrelacement essentiel de ces actes, étagés
les uns sur les autres. Il doit également permettre de dégager de façon essentielle,
notamment à travers la différence eidétique de structure d’horizon entre la corrélation de
la perception du monde factuel et celle de la phantasia d’un « monde » imaginaire qui
fonde la quasi-lecture, à la fois l’écart qui existe entre le groupe d’œuvres considéré et
que l’on a choisi d’appeler œuvres littéraires, et les autres faits « littéraires », mais
également de caractériser le type spécifique de méthode de la science littéraire, sur
lequel nous reviendrons à la fin de ce travail. Méthode qui, précisément parce qu’elle
est spécifique à la science littéraire qui nous intéresse, doit marquer son caractère
eidétiquement distinctif dans le concert des sciences de la « littérature ».

a. Conscience donatrice originaire

24 Pour dégager la couche chosique fondamentale sur laquelle une œuvre littéraire peut
se constituer, partons du syntagme « conscience donatrice originaire », que nous avons
employé dans la définition, et qu’il est temps à présent de préciser. D’abord,
l’expression « conscience donatrice » fait référence à plusieurs distinctions eidétiques
au sein de la région « conscience » ou « vécu » :
1. Celle, d’abord, entre vécu non-intentionnel et vécu intentionnel. Le premier désigne la hylé
sensuelle qui désigne les contenus de sensation qui entrent en jeu comme matière de la
perception externe (sensations de couleur, de poids, de chaleur, de mouvement, etc.), les
sensations de plaisir et de peine, les pulsions, etc. 57, tandis que le second renvoie à la noèse/
morphé intentionnelle58, « qui caractérise[nt] la conscience au sens fort59 ».
2. Celle, ensuite, au sein du genre intentionnel, entre vécus intentionnels objectivants et non-
objectivants. Les premiers se caractérisent par leur caractère doxique, i.e. que, en eux, c’est l’
être de l’objet qui est posé, qu’il s’agisse de la doxa originaire ou de ses modalités (problable,
douteux, etc.)60, tandis que les seconds, vécus axiologiques ou pratiques, se rapportent à des
valeurs : « beauté et laideur, bonté et méchanceté ; l’objet usuel, l’œuvre d’art, la machine, le
livre, l’action [Handlung], l’œuvre [Tat], etc.61 » ;
3. Celle, enfin, à l’intérieur du genre objectivant, entre les actes catégoriaux des actes intuitifs ou
donateurs. Dans les premiers se constituent par exemple certaines objectivités formelles,
lorsque des « substrats […] entrent comme éléments constitutifs dans des formations
catégorielles d’objets d’un niveau plus élevé », ainsi « les collections, les disjonctions, les états de
chose de toute espèce, comme par exemple des relations entre A et B quels qu’ils soient, ou
encore des contenus qualitatifs comme A est a, etc.62 ». Mais les essences matérielles, qu’elles
soient empiriques (généralisation), idéales (idéalisation = les essences géométriques) ou
pures (variation eidétique) sont également constituées dans des actes catégoriaux. De ce
point de vue, les synthèses catégoriales ont affaire à des idéalités omni-temporelles, dont la

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L’idée d’une science littéraire et la phénoménologie de la lecture 11

caractéristique est de faire « leur apparition spatio-temporelle dans le monde » mais de


pouvoir « se présenter simultanément en plusieurs places spatio-temporelles, et être
pourtant numériquement identiques en tant que les mêmes63 ». Ainsi, le théorème de
Pythagore peut être récité par plusieurs personnes à plusieurs époques différentes ou
simultanément, être localisé par la situation temporelle/spatiale de l’acte de jugement dans
lequel il est formulé (le théorème que je récite ici et maintenant), mais reste malgré tout le
même partout et tout le temps. Autrement dit, il ne s’individualise pas dans chacune de ses
localisations. De même, dans la quasi-lecture, comme nous le verrons, l’œuvre littéraire est
constituée comme un tout expressif de signification, c’est-à-dire comme une objectivité idéale
possédant la forme de l’omni-temporalité : « le Faust de Goethe se présente en autant de
livres réels qu’on veut […], qui s’appellent les exemplaires de Faust. Ce sens spirituel qui
détermine l’œuvre d’art […] est certes “incarné” dans le monde réel, mais non pas
individualisé par cette incarnation64 ». Par opposition, les vécus intuitifs ou donateurs
concernent des individus temporels (et éventuellement spatiaux) 65 posés comme étant. De ce
point de vue, le concept de conscience donatrice est suffisamment large pour englober
l’ensemble des actes intuitifs, qu’ils soient objectivants (la perception, le souvenir, l’attente,
l’intropathie, la phantasia, l’intropathie) ou non-objectivants (la Wertnehmung et ses
variantes, le souvenir de valeur, l’attente de valeur, etc.).
4. Mais ce concept de vécu donateur couvre en vérité plus de terrain encore. Car, si les actes
catégoriaux peuvent viser leurs objectivités à vide (je juge que le ciel est bleu sans en avoir
de perception, par exemple), dès lors qu’ils sont remplis, on peut dire d’eux qu’ils donnent
leurs objets au sens technique du terme. Et, d’un point de vue génétique, la constitution
première des objectivités catégoriales est ultimement fondée sur des actes intuitifs
originaires66, de telle manière qu’elle suppose que ces objets soient donnés (et même donnés
originairement) avant d’être appréhendés à vide, de même que toute chose spatiale
individuelle renvoie en dernière analyse à « un acte originaire qui constitue l’objet sur le
mode de l’originarité suprême67 ». C’est pourquoi l’on peut considérer par exemple
l’intuition des essences, qui possède avec l’intuition empirique « une communauté
radicale », comme une « intuition donatrice originaire qui saisit l’essence dans son ipséité
“corporelle” [in seiner “leibhaften” Selbstheit]68 ». C’est cette extension qui permet de
considérer la quasi-lecture, pour autant que sa couche signitive est fondée sur un acte de
phantasia, c’est-à-dire une quasi-expérience, comme le type de conscience donatrice
(quasi-)originaire dans lequel se constitue le sens « œuvre littéraire ». De ce point de vue, la
quasi-lecture n’est certes pas un acte donateur au sens strict, corrélatif de la saisie intuitif
d’un individu, mais un acte catégorial dans lequel c’est une objectivité idéale (culturelle) qui
est appréhendée. Mais elle est malgré tout un acte donateur (quasi-originaire) au sens large
dans la mesure où sa couche signitive est fondée sur un acte donateur au sens strict, la
phantasia.
5. Maintenant, on obtient le concept technique de conscience donatrice originaire en
distinguant d’abord, au sein des actes donateurs au sens strict ceux qui reproduisent (sur le
mode du passé ou du futur) un individu posé comme existant, c’est-à-dire le souvenir et
l’attente, de ceux dans lequel le même individu est présent en chair et en os, la perception
(externe ou interne), l’intropathie (et leur équivalent dans la phantasia sur le mode du quasi),
puis en étendant la caractéristique de l’originaireté aux actes catégoriaux et généraux
fondés sur des actes donateurs originaires intuitifs d’individus. Avant d’en venir à la
phantasia, cependant, c’est la perception externe qui va nous intéresser, pour deux raisons.
D’abord, dans la mesure où c’est en elle que se constitue la chose, comme individu spatio-
temporel dépourvu de prédicats axiologiques et pratiques et de toute propriété psychique,
sur la base de laquelle la couche de la quasi-lecture peut ensuite s’établir. Ensuite, la
description de cette corrélation nous permettra d’introduire le concept husserlien d’horizon,
qui jouera un rôle important dans la caractérisation de la spécificité de la corrélation de
quasi-lecture.

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L’idée d’une science littéraire et la phénoménologie de la lecture 12

b. La perception de la chose

25 Dans ce qui suit, il ne s’agira évidemment pas de se substituer à la phénoménologie de


la chose accomplie par Husserl notamment dans Chose et Espace et dans les Ideen II. Nous
n’irons pas plus loin dans l’analyse que ce qui est exigé pour saisir la spécificité de la
corrélation de quasi-lecture que nous recherchons. De ce point de vue, plusieurs
éléments sont essentiels.
1. D’abord, la distinction entre le contenu de sensation, qui est immanent au vécu, et le
contenu de l’objet qui s’y constitue. Celui-ci comprend d’une part la materia prima
inséparable de l’étendue spatiale, i.e. les qualités sensibles (visuelles et tactiles) qui
recouvrent ou remplissent l’étendue de la chose avec sa forme corporelle et ses
déterminations : surfaces, angles, arêtes, etc.69, et d’autre part la materia secunda séparable
(température, poids, sons, odeurs, etc.). Les deux types de materia avec l’extension
définissent dès lors le concept technique de fantôme (Phantom) 70. Dans un second temps, sur
la base de l’appréhension de changements déterminés dans le fantôme en fonction de
circonstances déterminées, se constitue la chose proprement dite, c’est-à-dire matérielle,
avec ses propriétés causales (coup et pression, élasticité, dureté, propriétés optiques, etc.) 71.
2. La distinction contenu de sensation/contenu de l’objet n’est cependant pas suffisante pour
rendre compte du caractère intentionnel de la perception externe, dans la mesure où un
même stock de sensations donné peut constituer plusieurs choses différentes 72. En effet, ce
qui fait que je perçois cet homme, mon ami Pierre, ou ce mannequin, agencé de façon à
ressembler à mon ami Pierre, repose non sur le stock de sensations, qui est le même, et qui
par conséquent ne contient encore rien du rapport intentionnel à mon ami Pierre ou à un
mannequin qui lui ressemble, mais sur l’appréhension (Auffassung) qui anime ce stock
comme figurant un homme ou un mannequin. On appelle alors « contenu exposant », ou
« esquisse », le stock de sensations en tant qu’il est animé par un contenu d’appréhension
qui lui donne sa direction intentionnelle vers le contenu exposé 73.
3. Mais, là encore, la distinction contenu de sensation/appréhension/contenu de l'objet ne
suffit pas pour « rendre compréhensibles le sens et la performance [Leistung] de la
perception74 », c’est-à-dire pour expliquer comment la perception externe peut se rapporter
intentionnellement à une et même chose/fantôme. En effet, percevoir en chair et en os une
chose/fantôme implique une perception qui dure de façon unitaire, et non une succession
temporelle d’esquisses, et qui soit intentionnellement unifiée en vue de produire une conscience
d’identité. Autrement dit, il faut qu’à l’apparition propre [eigentliche Erscheinung], qui désigne
le contenu exposant un côté de la chose, soit unis temporellement et intentionnellement
deux types de conscience intentionnelle vides. D’abord des apparitions impropres
[uneigentliche Erscheinungen] dans lesquelles sont appréhendées, sans qu’y corresponde
aucun stock de sensation, les côtés de la chose tout juste vus et tout juste à voir — apparition
propre et impropre formant l’apparition au sens large75, la perception présente. De ce point
de vue, sans de telles apparitions impropres, « nous n’aurions absolument aucun objet
devant les yeux, même pas une face, puisque celle-ci ne peut assurément être face que par
l’objet76 ». Mais cela ne suffit pas non plus. Une chose à proprement parler n’est constituée
comme la même qu’en tant que pôle unitaire de la multiplicité idéalement infinie des
apparitions présentes et possibles (vides) de celles-ci77, plus précisément (si elle doit être plus
qu’un fantôme), comme la même dans la multiplicité de ses apparences possibles en
connexion fonctionnelle avec des circonstances d’apparition (subjectives et objectives).
Autrement dit, la constitution du sens « chose » est soumise à trois conditions : il faut non
seulement qu’il soit constitué à travers l’unité temporelle et intentionnelle de mes
perceptions présente (propres et impropres) et possibles, c’est-à-dire que j’ai conscience du
halo de perceptions78 que je n’ai pas présentement, mais que je pourrais avoir si je mouvais

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L’idée d’une science littéraire et la phénoménologie de la lecture 13

mon corps de telle ou telle manière ; il faut que j’aie conscience de la connexion déterminée
entre apparitions « fantomatiques » et circonstances (objectives et subjectives), qui
manifestent les propriétés matérielles identiques de la chose ; mais il faut également que le
sens « chose » soit constitué comme pôle objectif-intersubjectif, c’est-à-dire comme le même
dans la multiplicité infinie des apparitions possibles pour tout le monde : « la chose est une
règle des apparences possibles. Ce qui signifie que la chose est une réalité en tant qu’unité
d’une multiplicité d’apparences en connexion réglée. Et cette unité est une unité
intersubjective79 ».
4. Mettons pour l’instant de côté cette dimension intersubjective. Ce qui est important ici, c’est
que les apparitions impropres et le halo des perceptions possibles constituent la structure d’
horizon de la perception externe, s’il est vrai que l’horizon, comme structure universelle de
la conscience pure80, regroupe l’ensemble des vécus intentionnels (et de leurs corrélats)
vides pré-figurés par les vécus intentionnels actuellement accomplis par l’ego pur,
susceptibles d’être remplis par un changement approprié du regard de ce dernier 81. Or, que
ces vécus soient préfigurés, cela signifie, si l’on s’en tient à la perception externe, que les
perceptions possibles (mais cela vaut également, quoique sur un autre mode, pour les
apparitions impropres82) sont motivées par le cours de l’expérience. Autrement dit, il ne s’agit
pas de possibilités simplement logiques au sens, par exemple, où l’on dit qu’une vie extra-
terrestre est possible, sans que rien ne vienne appuyer cette possibilité, mais qui puisent une
force de positionnalité dans la concordance de l’expérience passée de l’ego 83, et constituent le
champ de liberté du corps vivant conçu comme organe de la « volonté de mon Je pur 84 ».
Ainsi, lorsque je perçois une maison de devant, le côté arrière est posé comme existant en
tant qu’objet d’une perception possible, que je pourrais avoir si je me décidais à en faire le
tour, et qui est motivée par la constance des expériences que j’ai faites des maisons (et, de
façon générale, des objectivités mondaines) jusqu’ici. De ce point de vue, le monde factuel
est l’ensemble des choses comme pôle d’être présumé dans le système infini des perceptions
présentes et possibles motivées, liées horizontalement.
5. On en vient ainsi à un point crucial pour notre question : c’est que, pour en apprendre plus
sur le monde des choses, il faut actualiser les horizons motivés par la concordance passée de
l’expérience, montrer leur inscription dans l’unité de l’expérience d’un seul et même monde,
au besoin corriger nos attentes, rejeter nos anciennes positions lorsqu’elles ne « tiennent »
pas, etc. Or, on peut tirer de cette description deux conséquences étroitement liées. D’abord,
l’expérience du monde factuel est un système motivé de croyance « qui limite la liberté [der
die Freiheit bindet]85 », c’est-à-dire que je n’invente pas ce que je trouve dans la nature, je le
découvre, et que ce qui n’est pas comme je l’appréhendais au début doit être modalisé sur le
mode de l’être-autrement ou du non-être. Et il y a là une différence eidétique majeure avec
la corrélation de l’invention artistique sur laquelle nous reviendrons plus loin. Ensuite,
l’envers du phénomène de la « découverte », c’est le caractère déterminé a priori du monde
factuel, qui n’est déterminé intuitivement pour nous qu’en partie, tandis que le reste est « à
déterminer dans le progrès motivé de l’expérience86 ». On verra plus loin qu’il y a là une
analogie avec la quasi-expérience du « monde » de l’œuvre littéraire et, en même temps, une
différence cruciale, qui nous permettra d’aborder phénoménologiquement le problème de la
spécificité de la méthode d’une science portant spécifiquement sur l’œuvre littéraire.

26 Avec la constitution de la chose, on a rendu compte dans le même temps de la couche


chosique à partir de laquelle l’appréhension de l’œuvre littéraire devient possible. Faite
de papier et d’encre (ou d’autres matériaux analogues), cette couche 87 possède une
extension, c’est-à-dire une « corporéité spatiale » (une grandeur, une forme, une
position dans l’espace)88, des propriétés sensibles (une couleur, un contenu tactile, un
poids, une température, etc.), des propriétés matérielles (solidité, absorption de la
couleur, etc.) manifestées dans des changements sensibles déterminés en connexion

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L’idée d’une science littéraire et la phénoménologie de la lecture 14

fonctionnelle avec certaines circonstances subjectives et objectives. Elle peut même


être appréhendée comme « chose de la physique, avec sa détermination logico-
mathématique », c’est-à-dire saisie « abstraction faite de [la] relativité » à une
communauté de sujets normaux89. D’un point de vue phénoménologique, elle est donc
constituée comme pôle concordant de propriétés matérielles d’une multiplicité
d’apparitions connectées fonctionnellement à des circonstances subjectives et
objectives, dans la pluralité infinie des perceptions possibles unifiées temporellement
et intentionnellement dans l’horizon (subjectif et intersubjectif).
27 Maintenant la constitution de l’œuvre littéraire implique l’entrée en jeu, sur la base de
la perception de la couche faite de papier et d’encre, d’un acte complexe de quasi-
lecture dont il faut rendre compte.

c. La lecture

28 Plusieurs éléments doivent ici être soulignés.


29 D’abord, la transition, de la couche chosique du livre comme pôle identique
d’apparences possibles dans des perceptions externes à celle du texte proprement dit
qui est lu, implique le moment de la communication discursive dans lequel sont
entrelacées deux types d’attitudes eidétiquement distincts. Nous avons vu plus haut
que le même objet « X » pouvait être appréhendé différemment, c’est-à-dire avec tel ou
tel sens, en fonction de l’attitude adoptée. Ici, il n’y a d’abord communication que si les
traces d’encre sur le papier (comme les sons dans le cas d’une communication orale, ou
les couleurs sur la toile, par exemple) sont appréhendées par le lecteur comme des
choses existantes indiquant que quelqu’un (l’écrivain) à a l’intention de dire quelque
chose à quelqu’un d’autre (le lecteur). Autrement dit, il ne produit pas simplement des
traces d’encre mais il « effectue simultanément avec les [traces d’encre] certains actes
donateurs de sens qu’il veut lui faire connaître ou dont il veut lui communiquer le
sens90 ». De ce point de vue, comprendre l’intention de l’écrivain, c’est être motivé à
poser l’existence de cette personne et de certains vécus qu’il veut livrer à partir de
l’existence de certaines traces d’encre qu’il laisse derrière lui. Mais la communication
discursive implique encore un autre type d’acte : à la compréhension de l’intention
s’entrelace en effet une conscience signifitive par laquelle les traces d’encre se
transforment en discours ou parties du discours exprimant une signification 91, et que le
lecteur traverse vers l’objet ou l’état de chose qui est signifié à travers elle. Ainsi, dans
le cadre d’une communication discursive, lorsque le lecteur accomplit des actes dans
l’attitude d’indication, c’est l’expression elle-même qui, dans sa matérialité, joue le rôle
d’indice en manifestant (Kundgebung) l’existence d’une vie psychique étrangère.
30 Or, si, dans un tel processus de communication, la fonction expressive est inséparable
de celle indicative, celles-ci sont malgré tout eidétiquement distinctes et, le reste du
temps, peuvent exister l’une sans l’autre. En effet, non seulement l’indication est
pensable sans expression (les canaux de Mars comme indices de l’existence d’une vie
intelligente sur cette planète)92, mais l’expression l’est également sans indication,
comme dans le discours dans la vie psychique solitaire. De ce point de vue, dans la
communication, alors que la corrélation indicative implique d’inférer de manière
intropathique l’existence d’une personne et de vécus qu’il souhaite livrer à partir de
l’existence de traces d’encre ou de sons, celle expressive est indifférente à l’existence
matérielle des mots ou du discours : qu’ils soient réels (comme c’est le cas dans la

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L’idée d’une science littéraire et la phénoménologie de la lecture 15

communication discursive) ou purement imaginaires dans le discours solitaire, ils


expriment la même signification93. Celle-ci désigne ainsi le « contenu idéal », l’« unité
dans la multiplicité94 », qui est la même qu’elle soit adressée à quelqu’un ou non 95, que
les mots écrits existent ou non96, à travers lequel un même objet ou état de chose est
signifié. Et il s’agit là d’un point crucial pour une phénoménologie de la littérature,
pour trois raisons.
31 D’abord, car, si l’attitude expressive est eidétiquement distincte de l’attitude indicative,
quoiqu’elles soient intrinsèquement liées dans la communication, et que la quasi-
lecture s’accomplit précisément dans la première attitude, alors on ne saurait plus la
confondre avec la compréhension de l’intention de l’auteur. On aura alors justifié
phénoménologiquement l’idée d’une science eidétiquement autonome correspondant à
cette corrélation, qui ne soit pas la psychologie ou la sociologie de la littérature. Celles-
ci consistant, à partir des traces existantes (les expressions dans leur matérialité)
laissées derrière lui par l’auteur à inférer les intentions et les motivations réelles qui
sont entrées en jeu au moment de l’invention de cette œuvre littéraire (comment en
est-il venu à inventer cette œuvre ?)97. Ensuite, et corrélativement, en conjurant le
risque de metabasis, on rétablit également chacun de ces sciences dans ses droits : à
chacune appartient un domaine d’objet distinct, sur lequel des jugements vrais (ou
faux) peuvent être portés. Ainsi, du fait qu’une science de l’œuvre, une psychologie,
une sociologie, une histoire de la réception, etc., soient possibles en même temps, on
n’est pas nécessairement obligé de tirer la conclusion, comme le fait Barthes, que, pour
la critique et les modèles théoriques auxquels elle s’adosse, le critère de la vérité
devient caduque98. Cela n’est vrai que si elles portent toutes sur le même objet, car dans
ce cas en effet elles ne pourraient pas être toutes vraies en même temps, et, puisqu’elles
sont malgré tout possibles en même temps, il faudrait substituer à la vérité l’idée de
pertinence. Or, précisément, elles ne portent pas sur les mêmes objets, et la distinction
ontologique des objets est ici légitimée par la distinction phénoménologique entre
attitudes. Enfin, si la distinction phénoménologique des attitudes doit permettre de
conjurer la metabasis tout en rétablissant les différentes sciences dans leurs droits
propres, la description de la liaison nécessaire entre indication et expression, qui se
croisent au niveau de l’œuvre communiquée, doit en même temps nous permettre de
penser phénoménologiquement l’articulation de la psychologie/sociologie et de la
science portant spécifiquement sur l’œuvre au sein d’une science de la littérature. Dans
la mesure où la même œuvre peut être appréhendée dans le sens d’une indication ou
d’une expression, il faut comprendre que ces sciences participent toutes à l’exploration
de la première, dans des directions différentes. Elles portent en effet sur les deux pôles,
eidétiquement distincts mais nécessairement liés dans la communication, de l’œuvre
littéraire, ceux de l’indication et de l’expression, rattachées à deux attitudes distinctes.
32 Ce que nous venons de dire de la lecture comme acte signitif traversant l’expression
écrite vers sa signification et l’objet ou l’état de chose signifié (et même, de manière
générale, de la distinction entre attitude indicative et expressive) vaut en principe pour
la constitution de n’importe quelle « œuvre littéraire », si l’on prend ici le terme de
littérature « dans son concept le plus large99 ». En quoi consiste à présent la quasi-
lecture dans laquelle l’œuvre spécifiquement littéraire est constituée ?

d. Quasi-lecture

33 Ce qui est décisif ici, c’est l’intervention de la phantasia. En effet,

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« l’art est le domaine de la phantasia mise en forme [das Reich gestalteter Phantasie],
perceptive ou reproductrice, intuitive mais en partie aussi non intuitive 100 ».
34 Il faut donc commencer par clarifier l’usage husserlien de ce concept de phantasia.
35 D’abord, celui-ci doit être appréhendé à partir de la distinction entre positionnalité et
neutralité. D’un côté, un acte objectivant intuitif positionnel, éventuellement originaire (=
la perception) pose son objet comme étant, comme c’est le cas par exemple lorsque je
perçois une chose, que je m’en souviens ou l’attends, que je fais l’expérience
intropathique d’un animal ou d’une personne. D’un autre côté, le même acte neutralisé
pose son objet comme quasi-étant : le quasi-centaure contre lequel je me bats dans mon
imagination, ou le même combat dont je me quasi-souviens, le portrait de mon ami
Pierre, quasi-présent devant mes yeux, Antigone qui est devant moi sur le mode du
quasi lorsque je vais au théâtre, etc. De ce point de vue, le domaine de la phantasia
premièrement se distingue de celui de l’illusion ou de l’hallucination, qui sont des
phénomènes de négation ou de biffage101 ne s’inscrivant pas, en partie ou
complètement, dans l’unité de l’expérience (ou de la quasi-expérience), et qui sont par
conséquent modalisées sur un mode doxique ou quasi-doxique (« pas comme ceci, mais
comme cela… », « non-être »). Ainsi, on trouve autant des phénomènes d’illusion et
d’hallucination ne s’inscrivant pas dans l’unité de l’expérience du monde réel, que des
cas de quasi-illusion et de quasi-hallucination dans les « mondes » de la phantasia, qui
ne s’inscrivent pas dans l’unité de leur quasi-expérience. La phantasia correspond donc
à la neutralisation de l’expérience positionnelle, tandis que l’illusion et l’hallucination
constituent des modalisations doxiques (ou quasi-doxiques) de l’une ou l’autre
expérience. Deuxièmement, il ne se réduit pas à l’imagination (ou à la conscience
d’image) qui ne constitue qu’une espèce d’un des deux genres de phantasia (intuitive et
reproductrice). L’opposition générale est donc entre expérience positionnelle et
phantasia102.
36 Si l’on aborde à présent la différence entre phantasia perceptive et reproductrice, il faut
dire d’abord que la première se distingue par le fait qu’elle est « “provoquée” par des
choses effectivement réelles, disons plutôt produite sur l’arrière-fond de perceptions et
éventuellement d’autres expériences de choses effectivement réelles103 ». Ainsi, dans la
conscience d’image, près de ma chambre, je « vois » une fenêtre (image-objet) intégrée
dans mon espace perceptif dans la mesure où elle est peinte sur une toile accrochée au
mur, image dont les quasi-propriétés correspondent point par point avec celles de la
base perceptive servant de tremplin de figuration : je « perçois » sa forme, ses couleurs,
la rue sur laquelle elle donne, qui correspondent point par point à la forme et aux
couleurs réelles. De ce point de vue, la fenêtre est l’objet d’une quasi-expérience
unitaire dans laquelle je me suis transportée et à travers laquelle je vise une fenêtre
fictionnelle ou réelle (celle de ma chambre d’enfant, à Boulogne) (= image-sujet). Mais si
j’actualisais les horizons d’arrière-plan de l’image-objet, qui sont en conflit (latent)
avec les horizons d’arrière-plan de la réalité perçue, celle-là apparaîtrait en conflit avec
l’unité de l’expérience du monde existant, avec les murs, la chambre de mon
appartement, puisqu’il n’y a pas de fenêtre existante à cet endroit là, qu’il n’y a pas de
rue de ce côté là, mais que, « derrière » le tableau, il y a une autre pièce, etc.
37 Un autre cas analogue est celui de la conscience de figuration théâtrale :
« le roi au théâtre est un homme effectivement réel, avec des habits effectivement
réels, sauf qu’en réalité bien évidemment l’homme comédien est ceci et cela et non
pas roi, le manteau est un des costumes de théâtre et non pas un manteau de
couronnement, etc.104 »

Methodos, 20 | 2020
L’idée d’une science littéraire et la phénoménologie de la lecture 17

38 Là encore, le fonds de réalités proprement perçues (le comédien, ses gestes, ses
déplacements, etc.) « offre exactement ce qu’est le “proprement perçu” du fictum 105 », et
le conflit entre fiction et réalité s’actualise au moment de l’explicitation de deux lignes
incompatibles entre elles d’intention d’horizon. Seulement, on ne trouve plus là la
structure image objet/image sujet : si une conscience d’image peut certes
éventuellement s’édifier sur la conscience de figuration théâtrale — si je me mets à
comparer par exemple le Rousseau de la pièce au véritable Rousseau, que je me
demande s’il s’agit d’un Rousseau « réaliste », si l’acteur l’imite bien, etc. —,
« absolument aucune conscience-de-figuration par image-copie n’a besoin d’être
provoquée106 ». Je peux en effet m’absorber dans le personnage fictionnel et, dans ce
cas, celui de « la conscience esthétique comme telle », « ce qui apparaît là est un pur
fictum perceptif » sans structure d’image figurant autre chose, comme le quasi-Pierre
flottant sur le tableau figure mon ami Pierre, présentement dans son appartement à
Lille. Autrement dit, dans ce cas, non seulement il n’est absolument pas besoin de
passer à l’étage supérieur de la conscience d’image-copie d’autre chose, mais une telle
structure est extrinsèque à la figuration théâtrale, c’est-à-dire ne lui appartient pas
eidétiquement, et doit être ajoutée de l’extérieur par le spectateur.
39 Maintenant, par opposition à la phantasia perceptive, la phantasia reproductrice ne
figure pas ses fictions à partir d’une base de réalités perçues (un comédien, des couleurs
et des formes sur une toile) avec lequel le premier est en conflit latent ou patent, et
dont il est fait expérience sur le mode du comme-si. Au contraire, qu’elle soit quasi-
intégrée au monde factuel (comme lorsque j’imagine qu’un dragon entre dans ma salle
de classe en crachant du feu) ou non (un centaure se promenant dans un champ de blé
imaginaire), la fiction est inventée sans recourir à la perception préalable d’une réalité
figurante. Autrement dit, je n’ai pas besoin de passer par le stade de la perception d’une
réalité motivant la quasi-expérience d’une fiction sur la base d’une incompatibilité
entre lignes d’intentions d’arrière-plan pour produire la fiction d’un dragon s’envolant
dans le ciel. Ce qui ne signifie évidemment pas que la fiction soit créée de toute pièce,
sans reprendre en combinant et en neutralisant des éléments préalablement perçus
séparément dans le monde factuel107. Or, outre la phantasia « au sens ordinaire108 », par
exemple « le centaure que je viens tout juste d’imaginer109 », on trouve également dans
cette classe « les phantasiai reproductrices de l’art narratif110 ». Ce sont elles qui, si l’on
entend l’expression d’art narratif avec la même extension que le concept d’œuvre
littéraire, interviennent dans la corrélation de lecture où se constitue spécifiquement
cette dernière111.
40 Deux questions se posent alors, qui vont nous intéresser dans la suite de ce travail.
Premièrement, à quel niveau exactement la phantasia intervient-elle dans la lecture ?
Et, surtout, s’il est vrai que tous les corrélats d’actes de phantasia (les fictions)
possèdent un « caractère conflictuel » avec la réalité112, c’est-à-dire sont précisément
posés comme unité d’une quasi-expérience non-intégrable dans l’unité de l’expérience
du monde ; et s’il est vrai que la phantasia responsable de la constitution de l’œuvre
littéraire est reproductrice, à savoir n’est pas constituée sur une base perceptive la
figurant ; alors, comment le conflit se produit-il dans le cas de la quasi-lecture ? Les
deux questions sont évidemment liées, dans la mesure où c’est précisément le conflit
avec le monde réel qui constitue l’élément motivant le passage d’une lecture à une
quasi-lecture, fondée sur un acte de phantasia reproductrice, et par conséquent à la
constitution du sens de l’œuvre littéraire.

Methodos, 20 | 2020
L’idée d’une science littéraire et la phénoménologie de la lecture 18

41 La réponse à la première question implique de préciser le rapport, que nous avons


laissé indéterminé jusqu’ici, entre signification et objet signifié, rapport établi dans
l’attitude expressive de lecture. Nous avons en effet appelé « lecture » la conscience
signitive par laquelle une couche chosique, faite de papier et d’encre, dont il est
indifférent, pour la compréhension de la signification de l’expression, qu’elle existe ou
non — quoique, dans le cas de la communication discursive, son existence constitue un
motif pour inférer l’existence d’une personne cherchant à livrer ses pensées en traçant
des figures à l’encre —, se transforme en mots, phrases, discours animé par un sens, et
que le lecteur traverse pour atteindre l’objet ou l’état de chose signifié. En ce sens,
l’acte signitif de lecture est fondé sur la perception, et c’est par leur action combinée
que des tâches d’encre deviennent des mots imbibés de sens. Or, ce qui est ici crucial,
c’est que le rapport à l’objet peut, ou non, être réalisé ou actualisé 113. Et, lorsqu’il ne
l’est pas, « l’expression fonctionne de manière sensée, elle est toujours plus qu’un son
vide de sens, quoiqu’elle soit dépourvue de l’intuition qui la fonde [der fundierenden
Anschauung] et lui donne son objet114 ». Ainsi, il apparaît que, ce qui est fondé sur la
perception de papier et d’encre, ce n’est pas seulement l’acte signitif, mais que la
lecture constitue un acte complexe composé de deux parties, dont l’acte signitif
constitue le niveau supérieur, et qui est lui-même fondé sur un acte intuitif de niveau
inférieur. Un acte qui, lorsqu’il est présent, permet d’actualiser le rapport de la
signification et de l’objet ou état de chose signifié. C’est donc ici que « les phantasiai
reproductrices de l’art narratif » entrent en jeu : la lecture devient une quasi-lecture
d’une œuvre littéraire lorsque l’acte signitif est exclusivement fondé sur des phantasia
reproductrices de quasi-faits appartenant à l’unité d’un « monde » fictionnel.
Autrement dit, pour le dire dans la langue technique de Husserl, le sens de l’œuvre
littéraire est le corrélat d’un acte complexe à deux étages, lui-même fondée sur la
perception d’une couche chosique, à savoir une conscience signitive de lecture
exclusivement fondée sur des phantasiai reproductrices.
42 Reste la seconde question : qu’est-ce qui motive la production d’une phantasia
reproductrice sur la base de laquelle la conscience signifive de lecture se transforme en
quasi-lecture de l’œuvre littéraire ? D’abord, dans la mesure où il s’agit d’une phantasia
reproductrice, le motif ne peut être, comme dans la phantasia perceptive, une réalité
effective biffée servant de support à une conscience fictionnelle (le jeu du comédien
figurant point par point les actes d’Antigone). Ensuite, le conflit ne peut reposer ni sur
la perception de l’expression dans sa dimension matérielle, dont l’existence (ou la non-
existence) est indifférente dans l’attitude expressive, ni sur la signification qui, comme
objectivité idéale, ne saurait entrer en conflit avec le monde. Il semble donc que le
conflit se joue entre ce qui est signifié par la totalité expressive et la connaissance de
notre monde de fait. Dans certains cas, ce conflit est explicitement motivé par la
présence au début de l’œuvre de formules consacrées (« il était une fois… », « il y a bien
longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine… ») ; par son caractère
d’anticipation, comme dans certains livres de science-fiction ; par la présence de
phénomènes matériellement invraisemblables ou impossibles dans notre monde
(magie, hommes-araignées, etc.) ; par l’existence d’individus dont on sait qu’ils n’ont
pas existé dans un monde par ailleurs ressemblant au nôtre (Vinteuil, Bergotte, Elstir
dans À la recherche du temps perdu), etc.115. Or, quel que soit le moyen employé, c’est
précisément ce conflit potentiel des objets, états de chose, personnages visés à travers
l’œuvre littéraire qui constitue l’appel à produire des phantasiai reproductrices, sur la
base desquelles la lecture devient quasi-lecture d’une œuvre littéraire. Dès lors, si la

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L’idée d’une science littéraire et la phénoménologie de la lecture 19

phantasia reproductrice constitue une quasi-expérience originaire, et l’œuvre littéraire


une totalité de significations idéales, on peut considérer la quasi-lecture de cette
totalité fondée sur de telles phantasiai comme le type de conscience donatrice originaire
(ou quasi-originaire, puisqu’il s’agit, à travers la signification, de constituer des quasi-
réalités et un quasi-monde imaginaire) dont le corrélat est le sens de l’œuvre littéraire.
Et puisque cette dernière est distincte, par son caractère de neutralisation, de la
« lecture » des autres « œuvres littéraires » (non-fictionnelles), on a légitimé la
démarcation d’un champ d’objet spécifique, et l’existence d’une science eidétiquement
distincte qui l’exploite.

3. L’objectivité de l’œuvre littéraire et son « monde » imaginaire

43 Quoique que nous ayons à présent franchi une étape cruciale dans la résolution
(husserlienne) de notre problème (« une science de la littéraire comme telle est-elle
possible ? »), nous avons laissé de côté un pan de la constitution de l’œuvre littéraire
qui doit permettre à la fois de garantir la scientificité de la science qui porte sur cette
dernière, et dont nous venons de légitimer l’existence ; et de commencer à esquisser le
type spécifique de méthode qui lui revient, qui doit attester de son caractère
eidétiquement distinct : il s’agit de son objectivité-intersubjectivité, et de la structure
spécifique d’horizon de la quasi-expérience du « monde » de l’œuvre.
44 Le premier point est implicitement contenu dans la définition husserlienne de l’art que
nous avons évoquée plus haut, et dont nous avons délibérément laissé de côté une
dimension : « l’art est le domaine de la phantasia mise en forme 116 ». Qu’une œuvre
littéraire, comme toute œuvre d’art, constitue une phantasia mise en forme signifie que
l’artiste a fait plus qu’imaginer son « œuvre », mais qu’il l’a livrée au public sous une
forme ou une autre stabilisée (i.e. écrite) qui y donne accès, de telle manière qu’elle
puisse devenir le pôle identique d’une infinité possible de lectures et de lecteurs. Ce qui
suppose que l’œuvre cesse, au moins pour un temps, d’être suspendue à la liberté de
l’écrivain, d’être à sa discrétion, et qu’il rentre enfin dans le rang des lecteurs, sans quoi
elle ne gagne pas l’objectivité, valable pour tous, qui caractérise l’œuvre d’art comme
objectivité idéale117. Or, si l’œuvre d’art est le produit d’une phantasia mise en forme par
écrit par laquelle elle gagne son idéalité, cela signifie en retour que, du côté du lecteur
(et de l’auteur ayant acquis un statut similaire à celui du lecteur),
« les phantasiai n’y sont pas accomplies par nous librement (seul l’artiste créateur a
ici liberté, et il ne l’exerce que dans un assujettissement à l’idéal esthétique), mais
elles ont leur objectivité, elles nous sont prescrites, imposées, de façon analogue à
celle dont nous sont imposées les choses de la réalité effective, comme quelque
chose que nous devons accepter. Analogue, et cependant bien entendu pas tout à
fait de la même manière118 ».
45 Commençons par l’analogie entre quasi-lecture et perception des choses de la réalité
effective. Comme le souligne Husserl,
« les phantasiai reproductrices de l’art narratif nous sont aussi imposées. Dans le cas
précédent [i.e. la conscience de figuration théâtrale], elles sont imposées par la suite
des perceptions qui entrent en jeu en conflit d’expérience constant, et dans le cas
présent par la suite des mots prononcés ou écrits119 ».
46 De ce point de vue, le lecteur pressé peut bien choisir de commencer l’œuvre par la fin,
de passer des chapitres, de rebrousser chemin, etc. Dans ce cas, l’enchaînement subjectif
de la corrélation entre phantasiai et objets ou états de chose en tant qu’imaginés ne

Methodos, 20 | 2020
L’idée d’une science littéraire et la phénoménologie de la lecture 20

respecte pas l’ordre objectif de la narration prescrit par l’œuvre à travers la suite
objective des mots écrits et de leur signification. Par exemple, à l’imagination de la fin
des Trois Mousquetaires comme quasi-présent peut succéder dans l’unité temporelle de
la conscience le début (« le premier lundi du mois d’avril 1625… »), qui prend la place
du quasi-présent et pousse la précédente phantasia dans le passé, etc. Mais que les
phantasiai puissent s’enchaîner subjectivement à la discrétion du lecteur ne saurait
bouleverser l’ordre de l’œuvre elle-même. La fin du roman que je lis est fixée comme
fin par l’œuvre elle-même, c’est-à-dire par le fait qu’il s’agit objectivement des dernières
expressions, non pas factuellement lues (puisque je peux m’arrêter en chemin et ne
jamais reprendre ma lecture, ou même lire jusqu’à la « fin » d’un exemplaire dont les
dernières pages ont été arrachées, et dont il me manque la véritable fin), mais par
principe lisibles, de l’œuvre. De même, ce qui se produit dans le « monde » imaginaire
de l’œuvre, et l’ordre des événements imaginés, est fixé, non certes nécessairement par
l’ordre des expressions, puisque l’ordre narratif peut ne pas concorder avec la suite
objective des événements dans le quasi-temps du « monde » : dans Les trois
mousquetaires, le lecteur fait connaissance avec le Athos de 1625 avant d’en apprendre
plus sur son passé, et notamment son rapport avec Milady. Mais cet ordre des
événements imaginés l’est par le contenu objectif des expressions lues. Ainsi, je peux
imaginer un cours alternatif à ce qui est prescrit par l’œuvre (et si Athos n’avait jamais
rencontré Milady, si D’Artagnan était mort avant Athos, etc.) ; mais il est précisément
alternatif, c’est-à-dire que le lecteur ne saurait faire que Athos n’ait jamais rencontré
Milady, ou bouleverser l’ordre du quasi-temps objectif, parce que cela est fixé ainsi par
ce qui est signifié par l’œuvre. Autrement dit, comme dans l’expérience perceptive du
monde factuel, la quasi-expérience en littérature se détermine au fur et à mesure de la
lecture par l’actualisation d’un horizon qui n’est pas inventé, mais dont la
déterminabilité est prescrite a priori par la quasi-objectivité du « monde » imaginaire,
sur la base de ce que l’écrivain a imaginé et mis en forme : la détermination a posteriori
de cet horizon, qui est quasi-motivé par l’unité de la quasi-expérience passée, implique
la quasi-découverte du « monde » imaginaire, la quasi-modalisation d’intentions qui ne
s’inscrivent pas dans l’unité concordante de la quasi-expérience, etc.
47 On en vient dès lors à l’objectivité de l’œuvre :
« le roman, la pièce de théâtre ont une “existence” intersubjective, conforme à leur
fonds d’image et à leur enchaînement d’image déterminés, en ceci que quiconque
menant à apparition, dans les circonstances appropriées, les objets d’expérience
“qui figurent”, et n’accomplissant pas les conflits dépendants de la subjectivité en
cause, suit librement l’intention artistique, etc., mène, et doit mener à quasi
expérience la même part de vie feinte, de destin feint, etc. 120 ».
48 C’est donc l’existence d’un ordre objectif de la narration, qui est l’ordre de la totalité
expressive que forme l’œuvre, qui assure que tout lecteur (y compris l’auteur comme
lecteur) imagine les mêmes événements dans le même ordre narratif. Or, cette
« existence » intersubjective rend à son tour possible la formation de quasi-jugements
vrais ou faux de la part du lecteur — distincts des quasi-jugements vrais ou faux
formulés de la part du narrateur ou des personnages eux-mêmes121 —, dont la vérité et
la fausseté est rendue évidente dans les actes de phantasiai prescrits par l’œuvre. Ainsi,
la vérité du quasi-jugement porté sur la saga d’Alexandre Dumas « le passé d’Athos est
connu par le lecteur après que d’Artagnan eut été cherché les ferrets de diamants » est
rendue évidente dans la quasi-lecture des Trois mousquetaires. Et cette quasi-vérité est
apodictique, c’est-à-dire indubitable, et d’une indubitabilité accessible à tous, dans la

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L’idée d’une science littéraire et la phénoménologie de la lecture 21

mesure où Dumas a imaginé l’histoire d’un bout à l’autre, l’a écrite et l’a livrée ainsi au
public. Ce qu’écrivait Boris Vian dans l’avant-propos de L’écume des jours vaut donc, en
un sens, de manière générale : « les quelques pages de démonstration qui suivent tirent
toute leur force du fait que l’histoire est entièrement vraie, puisque je l’ai imaginée
d’un bout à l’autre ».
49 Cependant, en dépit de l’analogie entre la quasi-expérience de la quasi-lecture et la
perception de notre monde factuel, qui implique d’explorer le monde (ou quasi-monde)
en explicitant des horizons déterminables à déterminer, et dont la détermination finale
ne dépend pas de nous, puisque nous n’inventons rien et que nous découvrons tout,
c’est-à-dire que la détermination des horizons est prescrite a priori par le monde tel
qu’il est exprimé narrativement par l’œuvre (= objectivité-intersubjectivité de l’œuvre,
comme pôle concordant d’une infinité d’expérience), la structure d’horizon des deux
mondes est radicalement différente sur un point, qui entraîne une différence cruciale
dans la méthode propre à l’analyse de l’œuvre littéraire. En effet,
« dans le monde, le monde effectivement réel, rien ne reste ouvert en soi, mais […]
en soi tout est individuellement pleinement déterminé. Le monde au-delà des
constellations les plus éloignées que notre expérience a jusqu’à présent atteintes
est inconnu, mais il est connaissable empiriquement, il est déterminé en soi, des
expériences sont possibles […] qui nous conduisent dans ce monde objective, ce
monde étant en soi122 ».
50 Or, il en va tout autrement dans le « monde » imaginaire mis en forme dans la phantasia
par l’artiste. Certes, nous avons affaire à un « monde » indéterminé du point de vue de
la quasi-expérience, mais déterminé a priori (dans la phantasia mise en forme de
l’artiste), et à déterminer dans l’exploration d’horizons assujettis à l’ordre narratif
objectif de l’œuvre. Mais, dans la mesure où il s’agit précisément d’un « monde » de
fiction, et qu’« une imagination n’atteint jamais son terme 123 », nous n’avons pas affaire
à des individus pleinement déterminés, mais à des quasi-individus qui ne possèdent que
les déterminations objectives que l’artiste y a mis. Bref, il ne s’agit pas à proprement
parler d’un « monde » (mais d’un quasi-monde), et on y trouve pas à proprement parler
d’« individus » (mais des quasi-individus). De ce point de vue, il y a certes
assujettissement en ce qui concerne ce qui a été inventé et mis en forme par l’artiste.
Mais le reste n’est non seulement pas déterminé, mais est absolument indéterminable.
À la question « qu’a fait D’Artagnan tel ou tel jour entre les événements des Trois
mousquetaires et Vingt ans après », ou encore, « que se passait-il en Amériques pendant
que les mousquetaires se trouvaient en Angleterre pour sauver Charles I er ? », il n’y a
aucune réponse, et tout énoncé à ce propos n’est ni vrai ni faux 124. Autrement dit, alors
que les horizons de l’expérience effective sont pleinement déterminables en principe
(même si, factuellement, nous ne verrons peut-être jamais de nos yeux les
constellations les plus éloignées de notre système solaire), ceux du « monde » fictionnel
ne peuvent être déterminés intersubjectivement qu’aussi loin que l’artiste est lui-même
allé dans sa « libre fiction artistique125 » et dans sa mise en forme, tandis que chaque
lecteur peut inventer le reste. Mais sans que ce remplissement des horizons à discrétion
puisse être amené à la quasi-expérience intersubjective, puisque celle-ci implique un
assujettissement à des « enchaînements d’image déterminés 126 » qui n’existent pas dans
l’œuvre — à moins que le lecteur commence à écrire. Dans le premier cas, le lecteur
devient un écrivain en puissance, et le remplissement de l’horizon de sa phantasia
désormais libre de tout assujettissement à un ordre narratif objectif est à sa discrétion.
Comme tout écrivain (à venir), il

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L’idée d’une science littéraire et la phénoménologie de la lecture 22

« ne prévoit ni ne conjecture : il projette. Il arrive souvent qu’il s’attende, qu’il


attende, comme on dit, l’inspiration. Mais on ne s’attend pas comme on attend les
autres ; s’il hésite, il sait que l’avenir n’est pas fait, que c’est lui-même qui va le
faire, et s’il ignore encore ce qu’il adviendra de son héros, cela veut simplement
dire qu’il n’y a pas pensé, qu’il n’a encore rien décidé 127 »
51 Maintenant, cette particularité du « monde » imaginaire décrit par l’œuvre littéraire
prescrit une méthode à toute tentative de l’explorer théoriquement. Dans le cas des
œuvres scientifiques, de biographies, d’autobiographies, de mémoires, d’essais, etc., on
peut attendre de la prise en compte, élargie au-delà de l’œuvre elle-même, d’un corpus
plus important, de témoignages oraux ou écrits, des archives au sens le plus large, voire
de l’état du monde effectif lui-même, qu’il nous permette de légitimer/déligitimer la
vérité de ce qui y est dit et de ce que nous disons à son sujet. En outre, des catégories
comme le mensonge, l’omission, la sincérité, etc., sont non seulement parfaitement
applicables à l’auteur de ces œuvres, mais il s’agit d’actes (et, à travers eux, de
propriétés de caractère) dont on peut théoriquement se convaincre de l’existence, et de
jugements que l’on peut légitimer, par l’exploration des horizons de l’expérience du
monde effectif en général, a priori déterminés, a posteriori déterminables, déterminés et re-
déterminés intersubjectivement (quand bien même en fait certains horizons ne sont
plus déterminables directement, voire plus déterminables du tout). Par exemple,
l’étude théorique des Confessions autorise en principe et même exige de vérifier la
sincérité de Rousseau en croisant ce qu’il dit avec ce que l’on sait par ailleurs des
mêmes événements racontés par d’autres témoins, consignés dans des archives ; la
lecture de sa correspondance et de ses autres œuvres, recoupée avec celle des auteurs
dont il dit être persécuté, doit pouvoir nous permettre de faire des hypothèses sur un
éventuel délire ; etc. En revanche, la quasi-vérité ou fausseté de ce que l’on peut dire du
« monde » de l’œuvre ne peut être légitimée/délégitimée que dans la phantasia
reproductrice assujettie à ce qui est signifié par la totalité expressive de l’œuvre. Dans
ce contexte, toute prise en compte de documents extérieurs à l’œuvre elle-même
n’aurait aucun sens, puisque n’est vrai au sens fort que ce que l’on peut imaginer à
partir de l’œuvre, et qu’on peut imaginer comme pôle concordant des quasi-
expériences à travers un même enchaînement objectif d’expressions. Quant au
mensonge, à l’omission, à la sincérité, etc., il s’agit de quasi-actes (et, à travers eux, de
quasi-propriétés de caractère) qui ne sont plus attribuables à l’auteur, mais
éventuellement au narrateur, ou aux personnages (= attitude indicative neutralisée
dans laquelle se constitue la catégorie proprement littéraire de narrateur, distinct de
l’auteur, de personnage fictionnel, etc.) et il serait absurde d’explorer l’horizon de
notre expérience effective pour décider de leur existence. Seule l’exploration de
l’horizon de la quasi-expérience, dont la limite est fixée par ce que l’auteur a
effectivement imaginé et mis en forme, doit permettre de légitimer les énoncés que
nous pourrions être amenés à formuler à ce propos. Ainsi, le lecteur sait que K., le
personnage principal du Chateau de Kafka, ment au fils de l’intendant du château
lorsqu’il dit être le nouvel arpenteur du château, puisqu’il est écrit que sa nomination à
ce statut suit le coup de téléphone du jeune homme pour vérifier l’identité du nouvel
arrivant. Et la vérité de ce quasi-jugement est intersubjectivement vérifiable par la
lecture du même enchaînement d’expressions en quoi consiste le début du livre de
Kafka. Autrement dit, comme le dit Genette à partir de l’exemple d’À la recherche du
temps perdu (mais cela vaut en principe pour toute quasi-lecture de l’œuvre littéraire),
et comme cela est à présent justifié par une analyse phénoménologique de la différence

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L’idée d’une science littéraire et la phénoménologie de la lecture 23

de structure d’horizon entre expérience du monde effectif et quasi-lecture de l’œuvre


littéraire,
« si nous voulions étudier pour eux-mêmes, disons les événements racontés par
Michelet dans son Histoire de France, nous pourrions recourir à toutes sortes de
documents extérieurs à cette œuvre et concernant l’histoire de France ; si nous
voulions étudier pour elle-même la rédaction de cette œuvre, nous pourrions
utiliser d’autres documents, tout aussi extérieurs au texte de Michelet, concernant
sa vie et son travail pendant les années qu’il lui a consacrées. Telle n’est pas la
ressource de qui s’intéresse, d’une part, aux événements racontés par le récit que
constitue la Recherche du temps perdu, et d’autre part à l’acte narratif dont il
procède : aucun document extérieur à la Recherche, et spécialement pas une bonne
biographie de Marcel Proust, s’il en existait, ne pourrait le renseigner ni sur ces
événements ni sur cet acte, puisque les uns et les autres sont fictifs et mettent en
scène non Marcel Proust, mais le héros et narrateur supposé de son roman 128 ».
52 Certes, comme l’ajoute Genette, cela ne signifie pas que « le contenu narratif de la
Recherche soit […] sans aucun rapport avec la vie de son auteur 129 ». Mais c’est une
chose, d’un point de vue phénoménologique, d’être dans l’attitude expressive,
traversant la totalité expressive qu’est l’œuvre littéraire vers le « monde » littéraire
qu’elle signifie ; c’en est une autre de l’appréhender comme indication d’une personne
réelle, de ses intentions et motivations, au moment d’écrire son œuvre, et d’étudier les
fictions en tant qu’idées provenant toujours d’impression (pour parler comme Hume),
« c’est-à-dire au sens phénoménologique […] comme des reproductions remaniées, et
des mélanges de celles-ci130 ».

Conclusion
53 Comment une science de la littérature est-elle possible ? Cette question d’apparence
kantienne, nous l’avons vu, est à double sens : une science de la littérature est-elle
possible, en dépit de la multiplicité des disciplines traitant du phénomène littéraire/une
science de la littérature comme telle est-elle possible ? C’est la seconde partie de la
question, à laquelle il nous est apparu plus urgent de répondre, qui nous a intéressé
dans ce travail. Et nous avons essayé d’en fournir une réponse phénoménologique
d’inspiration husserlienne. Dans ce cadre, la légitimité de l’existence d’une science de la
littérature est en effet démontrée si l’on peut montrer que, à la démarcation
ontologique de l’objet œuvre littéraire correspond une corrélation eidétiquement
distincte entre un sens, celui de l’œuvre littéraire, et un type de conscience donatrice
originaire spécifique dans lequel ce dernier se constitue. Cette conscience donatrice
(quasi-)originaire du sens œuvre littéraire, nous l’avons appelée quasi-lecture, et nous
l’avons définie comme suit : elle est la conscience signifive accomplie dans l’attitude
expressive, appréhendant les tâches d’encre perçues sur du papier comme des
expressions linguistiques et les traversant vers la signification qu’elles expriment et les
objets signifiés. Conscience fondée sur des actes de phantasiai reproductrices dont la
production est motivée par le conflit potentiel de ce qui est signifié par l’œuvre avec ce
que l’on sait de notre monde de fait. De ce point de vue, c’est bien la démarcation d’un
groupe clos de phénomènes, ceux de l’œuvre littéraire au sens strict, par opposition
aux autres « littératures » (autobiographie, biographie, mémoires, articles de journaux,
sciences), et par là l’existence d’une science qui s’y rattache, qui est légitimée, et qui
doit se comprendre à partir de la distinction entre attitude de lecture positionnelle et
neutralisée. Comme l’a montré la dernière partie de ce travail, le caractère proprement

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L’idée d’une science littéraire et la phénoménologie de la lecture 24

scientifique de cette science de l’œuvre littéraire est alors fondé sur la mise en forme de la
phantasia, qui ne fait qu’un avec son idéalité, dans la mesure où cette dernière
seulement permet de formuler des quasi-jugements vrais ou faux dont l’évidence est
vérifiable intersubjectivement en suivant l’ordre narratif objectif de l’enchaînement
des expressions et de leur signification.
54 Cela dit, la description phénoménologique de la quasi-lecture nous a également permis
de poser les bases d’une réponse à la première partie de la question indiquée plus haut
(une science de la littérature est-elle possible ?) et de dégager des pistes pour
développer un ensemble de questions liées à la science littéraire.
55 D’abord, si la distinction entre attitude expressive et indicative nous a permis de
dégager le caractère distinctif d’une science de l’œuvre littéraire par rapport à une
psychologie ou à une sociologie de la littérature, elle nous a également permis de
commencer à penser le problème de l’unité d’une science de la littérature en général.
Car la connexion nécessaire entre indication et expression, légitimée par
l’entrelacement entre attitude indicative et expressive, est ce qui doit permettre
d’élever les sciences eidétiquement distinctes qui s’y enracinent à l’unité d’une science
portant sur le fait littéraire : l’une traverse l’expression vers le « monde » imaginaire
auquel elle renvoie ; les autres remontent des expressions dans leur matérialité (les
traces d’encre existantes sur la papier) aux actes et motivations réelles (personnelles et
sociales) de l’auteur ; mais l’une et les autres se croisent autour de l’oeuvre littéraire
communiquée dans laquelle expression et indication, quoique eidétiquement distinctes
l’une de l’autre, sont nécessairement liées. Ce développement préliminaire n’est
d’ailleurs pas sans importance, puisqu’il constitue une réponse au modèle barthien de
« Qu’est-ce que la critique ? ». Non seulement, comme l’a montré la description de la
corrélation de quasi-lecture, l’existence d’au moins une science de la littéraire est
légitime ; mais sa distinction d’avec la psychologie et la sociologie de la littérature, par
exemple, dont l’existence distincte est légitimée par le type spécifique de l’attitude
indicative, permet de penser des sciences formulant des jugements vrais (ou faux) en
même temps, puisqu’elles portent sur des pôles différents du phénomène littéraire ;
enfin, leur unification possible sur la base de la liaison nécessaire entre indication et
expression (attitude indicative et expressive) substitue au modèle de la juxtaposition de
discours pertinents celui de l’unité de sciences prétendant à la vérité, qu’il reste à élargir à
la multiplicité des autres disciplines traitant du phénomène littéraire (stylistique,
poétique, herméneutique de la réception, économie de l’œuvre littéraire, etc.).
56 Ensuite, nous avons commencé à aborder le problème de la méthode de la science
portant sur l’œuvre littéraire, dont la spécificité repose sur la structure d’horizon
propre au « monde » imaginaire (monde de quasi-individus déterminables
objectivement jusqu’à un certain point dans des horizons finis, c’est-à-dire jusqu’au
point où l’auteur l’a imaginé et mis en forme) et à sa quasi-expérience corrélative, par
rapport à celle du monde factuel (monde d’individus pleinement déterminés a priori et
en principe déterminable par l’actualisation des horizons infinis possibles) et de son
expérience. Et ce développement a permis de nous assurer en retour, de façon
phénoménologique, du caractère distinctif de la science de l’œuvre littéraire.
57 Le programme d’une phénoménologie husserlienne de la littéraire est cependant loin
d’être réalisé. Nous avons fait attention, au début de ce travail, à mettre en [entre ?]
parenthèses la couche esthétique de la constitution de l’œuvre d’art littéraire, fondée sur
la constitution de l’œuvre dans l’attitude théorique ; mais aussi celle de la constitution

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L’idée d’une science littéraire et la phénoménologie de la lecture 25

du livre proprement dit, qui doit nous permettre par exemple de déterminer la place
d’une science économique du livre ; nous n’avons pas parlé du problème (gadamerien)
de l’application de la fiction, que l’on doit pouvoir clarifier et rendre compte sur des
bases nouvelles, celles d’une phénoménologie husserlienne de la littérature ; la thèse de
la coupure entre l’œuvre littéraire et les autres formes de « littérature » doit pouvoir
nous permettre d’aborder à nouveaux frais les cas de mélange (apparent) des formes
littéraires, comme celui du « roman philosophique » ; la description phénoménologique
des attitudes, on l’a vu, doit nous permettre d’engager un débat avec le concept post-
moderne de littérarité conditionnelle, dans le but de relégitimer la question sartrienne
et ingardienne que ce dernier rend caduque, « qu’est-ce que la littérature ? » ; enfin, il y
a des raisons de croire que la phénoménologie puisse nous mettre finalement en
position d’adresser certains problèmes métaphysiques (« pourquoi écrire ? », « pourquoi
lire ? »), ce que Sartre a en fait déjà commencé à faire dans la seconde partie de Qu’est-ce
que la littérature ?, sur la base de la théorie phénoménologique de L’Être et le Néant. Tout
cela, et bien d’autres choses encore, doit pouvoir être décrit. De ce point de vue, pour le
phénoménologue husserlienne de la littérature, comme pour l’écrivain, « le futur est
[en grande partie] une page blanche131 ». Mais l’on espère avoir commencé à rendre
sensibles les services qu’une position husserlienne sur la littérature pourrait rendre —
une position anachronique, en un sens, inspirée d’une vieille phénoménologie, mais
dont on a le sentiment qu’elle n’a pas encore dit son dernier mot.

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NOTES
1. Tzvetan Todorov (1965), Théorie de la littérature. Textes des formalistes russes, Paris, Seuil, p. 31.
2. Hans-Robert Jauss (1979), « Literaturgeschichte als Provokation der Literaturwissenschaft », in
R. Warning (éd.), Rezeptionsästhetik, München, Fink, p. 126.
3. Hans-Robert Jauss (1979), « Literaturgeschichte als Provokation der Literaturwissenschaft »,
p. 129.
4. Voir Roland Barthes (1966b), « Introduction à l’analyse structurale des récits », Communications
8, p. 1-27. ; Vladimir Propp (1970), Morphologie du conte, Paris, Seuil, p. 141.
5. Algirdas Julien Greimas (1976), Maupassant. La sémiotique du texte : exercices pratiques, Paris,
Seuil, p. 7.
6. Hans-Robert Jauss (1979), « Literaturgeschichte als Provokation der Literaturwissenschaft »,
p. 128.
7. Jauss souligne d’ailleurs dans « Limites et tâches d’une herméneutique littéraire » les « apories
de la méthode structuraliste » qui ont conduit au « retour à la connaissance historique »
marquée, contre « l’historicisme classique », par « une réflexion méthodique sur l’historicité de
la compréhension » d’inspiration gadamérienne. Voir Hans-Robert Jauss (2017a), « Limites et
tâches d’une herméneutique littéraire », in H.-R Jauss, Pour une herméneutique littéraire, Paris,
Gallimard, p. 26-27. L’herméneutique littéraire jaussienne, qui est le fruit d’un tel retour, ne
saurait donc se coordonner à l’analyse structurale, mais ne peut que s’y substituer.
8. Hans-Robert Jauss (2017a), « Limites et tâches d’une herméneutique littéraire », p. 26 ; Hans-
Georg Gadamer (1990), Hermeneutik 1. Wahrheit und Methode: Grundzüge einer philosophischen
Hermeneutik, Tübingen, J. C. B. Mohr, p. 171-172.
9. Hans-Robert Jauss (1979), « Literaturgeschichte als Provokation der Literaturwissenschaft »,
p. 128.
10. Paul Bénichou (1948), Morales du grand siècle, Paris, Gallimard, p. 13.
11. Paul Bénichou (1948), Morales du grand siècle, p. 9.

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L’idée d’une science littéraire et la phénoménologie de la lecture 28

12. Lucien Goldmann (1959), Le dieu caché. Étude sur la vision tragique dans les Pensées de Pascal et
dans le théâtre de Racine, Paris, Gallimard, p. 7.
13. Jean Starobinski (1971), Jean-Jacques Rousseau. La transparence et l’obstacle, Paris, Gallimard
p. 10. Pour ne rien dire, évidemment, des propres « reconstructions » jaussiennes de l’horizon
social et littéraire motivant la production de tel ou tel type de lecture à telle ou telle époque.
14. Gérard Genette (1972), Figure III, Paris, Seuil, p. 9-10.
15. Roland Barthes (1966b), Communications 8, p. 1-2.
16. On se rappelle en effet que, dans les premières lignes du Cours de linguistique générale, Saussure
ne cherche pas simplement à fixer le domaine autonome de la linguistique, c’est-à-dire la langue,
mais, par là, à fournir au langage, « multiforme et hétéroclite », un « principe de classification.
Dès que nous lui donnons la première place parmi les faits de langage, nous introduisons un
ordre naturel dans un ensemble qui ne se prête à aucune autre classification ». Voir Ferdinand De
Saussure (2016), Cours de linguistique générale, Paris, Édition Payot & Rivages, p. 73-74 ; voir
également p. 85.
17. Propp (1970), Morphologie du conte, p. 25.
18. Immanuel Kant (2017), Principes métaphysiques de la science de la nature, Paris, Vrin, p. 62-64.
19. Roland Barthes (1964), Essais critiques, Paris, Seuil, p. 252.
20. Roland Barthes (1964), Essais critiques, p. 253-254.
21. Roland Barthes (1964), Essais critiques, p. 254.
22. Roland Barthes (1964), Essais critiques, p. 252.
23. Roland Barthes (1964), Essais critiques, p. 256.
24. Roland Barthes (1953), Le degré zéro de l’écriture, Paris, Seuil, p. 15-16.
25. Roland Barthes (1964), Essais critiques, p. 254.
26. Roland Barthes (1964), Essais critiques, p. 255.
27. Roland Barthes (1964), Essais critiques, p. 257.
28. Si dans « Qu’est-ce que la critique ? », ce caractère problématique, à savoir le fait que l’œuvre
littéraire est du « sens suspendu : elle s’offre en effet au lecteur comme un système signifiant
déclaré mais se dérobe à lui comme objet signifié » ne vaut en fait que pour « la “bonne”
littérature » (Barthes (1964), Essais critiques, p. 266), il est ensuite généralisé, trois ans plus tard,
dans Vérité et Critique, à l’ensemble de la littérature. Ainsi, l’œuvre est « l’ambiguïté […] toute
pure : si prolixe soit-elle, elle possède quelque chose de la concision pythique, paroles conformes
à un premier code (la Pythie ne divaguait pas) et cependant ouverte à plusieurs sens, car elles
étaient prononcées hors de toute situation — sinon la situation même de l’ambiguïté : l’œuvre est
toujours en situation prophétique » (Barthes 1966a, 59). De ce point de vue, il est surprenant que
cette généralisation s’accompagne de la volonté de dégager une place, à côté de la lecture et de la
critique, pour une science de la littérature. Celle-ci a alors pour objet « non pas tel sens, mais la
pluralité même des sens de l’œuvre » (Roland Barthes (1966a), Critique et vérité, p. 60). Là encore,
il n’est pas nécessaire de reconstituer le détail de cette position, et nous ne la signalons ici que
pour indiquer que celle de l’article de 1963 n’est pas la seule possible. Cette dernière suffira en
revanche amplement pour notre but, qui est de dégager l’arrière-plan sur lequel viendra se
distinguer notre théorie d’inspiration husserlienne.
29. Roland Barthes (1964), Essais critiques, p. 257.
30. Gaston Bachelard (1957), La poétique de l’espace, Paris, PUF, p. 2 ; Jean Starobinski (1971), Jean-
Jacques Rousseau. La transparence et l’obstacle, Paris, Gallimard p. 285.
31. Lucien Goldmann (1959), Le dieu caché, p. 58.
32. Voir Claudio Majolino (2012), « Multiplicity, Manifolds and Varieties of Constitution: A
Manifesto », The New Yearbook for Phenomenology and Phenomenological Philosophy 12, p. 155-182 et
Aurélien Djian & Claudio Majolino (2020), « Phenomenon », in Claudio Majolino, Burt Hopkins &
Daniele De Santis (eds.), Handbook of Phenomenological Philosophy, London, Routledge. De ce point
de vue, au-delà de certains points de désaccord locaux — le plus important étant de concevoir la

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L’idée d’une science littéraire et la phénoménologie de la lecture 29

quasi-lecture comme un acte neutralisé (cf. Roman Ingarden (1973), The Literary Work of Art. An
Investigation on the Borderlines of Ontology, Logic and Theory of Literature, Evanston, Northwestern
University Press, p. 181 ; p. 221), la phénoménologie husserlienne de la littérature que nous
allons esquisser ici se distingue à plusieurs niveaux des textes de Ingarden (et de Iser, qui
développe les positions de Ingarden dans Der Akt des Lesens). D’abord, contrairement à L’œuvre
d’art littérature, il s’agit d’une phénoménologie (« comment en vient-on à reconnaître quelque
chose comme ayant le sens d’une œuvre littéraire ? »), et non d’une ontologie de l’œuvre
littéraire (« qu’est-ce qu’une œuvre littéraire ? ») (Roman Ingarden (1973), The Literary Work of
Art, p. 3 ; p. 216). La première ayant précisément pour but de légitimer, en les ramenant à leurs
sources subjectives constitutives, les démarcations dégagées par la seconde (voir nos analyses
infra.). Ensuite, par opposition à La connaissance de l’œuvre d’art littéraire, ainsi qu’à ses textes
consacrés à une esthétique phénoménologique, on propose ici une phénoménologie husserlienne,
plus particulièrement transcendantale. Celle-ci est ouvertement critiquée par Ingarden dans ses
œuvres (par exemple Roman Ingarden (1973), The Literary Work of Art, p. 363), celui-ci proposant
de ce point de vue une phénoménologie plus proche dans son principe de la phénoménologie
purement descriptive des Recherches logiques qui, certes, est eidétique, mais dont la réalisation est
indépendante de l’accomplissement de l’épochè (pour plus de détails, cf. Aurelien Djian &
ClaudioMajolino (2020), « Phenomenon »). Cela dit, il reste que beaucoup des analyses d’Ingarden
doivent pouvoir être reprises et réinterprétées dans un cadre transcendental. C’est le cas par
exemple de sa théorie des lieux d’indétermination, que l’on clarifiera plus loin à partir d’une
description phénoménologique de la structure d’horizon propre à la phantasia qui fonde l’acte de
quasi-lecture. Voir Roman Ingarden (1973), The Literary Work of Art, p. 246-254).
33. Edmund Husserl (1977), Ideen I. Hua III-1. Ideen zu einer reinen Phänomenologie und
phänomenologischen Philosophie. Erstes Buch: Allgemeine Einführung in die reine Phänomenologie 1.
Halbband: Text der 1.-3. Auflage - Nachdruck, The Hague, Martinus Nijhoff, p. 38/58.
34. Edmund Husserl (1977), Ideen I, p. 321/467. C’est Husserl qui souligne dans la citation. Comme
pour toutes les références aux œuvres de Husserl, je renvoie à la pagination allemande puis
française (p.XXall/XXfr).
35. Edmund Husserl (1977), Ideen I, p. 314/458.
36. Hormis les concepts de catégorie et de région, que nous laisserons de côté ici (cf. infra)
l’ensemble des concepts qui vont être utilisés ici seront explicités plus loin dans l’article (§II.1 et
II.2).
37. Edmund Husserl (1952), Ideen II. Hua IV. Ideen zur einer reinen Phänomenologie und
phänomenologischen Philosophie. Zweites Buch: Phänomenologische Untersuchungen zur Konstitution,
The Hague, Martinus Nijhoff, p. 180/255.
38. Notamment Jacques Derrida (1967), La voix et le phénomène. Introduction au problème du signe
dans la phénoménologie de Husserl. Paris, PUF, p. 2-3.
39. En réalité, toute science ne s’articule pas autour d’une région. L’ontologie formelle, par
exemple, qui s’occupe des catégories du « quelque chose en général », ne s’organise pas autour
d’une région, dans la mesure où celle-ci se définit par son renvoi à un individu (Individuum) qui,
par définition, est individualisé dans le temps, ce qui n’est pas le cas du « quelque chose » (cf.
Edmund Husserl (1977), Ideen I, §10). Cela dit, la science littéraire renvoie bien pour sa part à une
catégorie d’objet, l’œuvre littéraire, qui appartient à la région « esprit ». Il n’y a donc pas lieu
d’examiner plus avant ici ce point technique de la théorie husserlienne.
40. Voir Claudio Majolino (2015), « Individuum and Region of Being: On the Unifying Principle of
Husserl’s “Headless” Ontology » in Commentary on Husserl’s Ideas I (éd. Andrea Staiti), Berlin/Boston,
De Gruyter.
41. Edmund Husserl (1976), Krisis. Hua VI. Die Krisis der europäischen Wissenschaften und die
transzendentale Phänomenologie. Eine Einleitung in die phänomenologische Philosophie, The Hague,
Martinus Nijhoff, p. 368/406.

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L’idée d’une science littéraire et la phénoménologie de la lecture 30

42. Voir Edmund Husserl (1952), Ideen II, p. 180/255.


43. Edmund Husserl (1959), Erste Philosophie (1923/4). Zweiter Teil: Theorie der phänomenologischen
Reduktion, The Hague, Martinus Nijhoff, p. 100/141.
44. Edmund Husserl (1959), Erste Philosophie II, p. 145/202.
45. Edmund Husserl (1952), Ideen II, p. 3/26.
46. Edmund Husserl (1959), Erste Philosophie II, p. 95/135.
47. Edmund Husserl (1973), Die Idee der Phänomenologie, p. 55/79.
48. Edmund Husserl (1973), Die Idee der Phänomenologie, 73/98.
49. Edmund Husserl (1977), Ideen I, p. 303/443.
50. Edmund Husserl (1977), Ideen I, p. 304/444.
51. Edmund Husserl (1977), Ideen I, p. 305-6/446.
52. Edmund Husserl (1977), Ideen I, p. 301/441
53. De ce point de vue, je prends certes un plaisir esthétique ou moral à l’égard de tel ou tel
événement raconté par Soboul ou Rousseau, mais ce serait une erreur d’en déduire que le sens
fondamental sur lequel s’édifie celui relatif à l’attitude axiologique doive changer pour autant. Le
physicien qui, posant ses appareils de mesure, s’absorbe dans la beauté du mouvement des étoiles
qui l’entoure continue d’appréhender l’objet qui l’intéresse comme mouvement naturel des
étoiles, et non comme une œuvre d’art (à moins de considérer le monde entier, d’un point de vue
téléologique, comme l’œuvre d’un artiste divin, mais dans ce cas il s’agit d’une nouvelle attitude,
l’attitude téléologique à l’égard du monde en général). Ce qui change, c’est que le caractère
doxique avec lequel je l’appréhende passe à l’arrière-plan et sert de tremplin pour une autre
couche thématique, celle du beau mouvement des étoiles. De même, les Confessions gardent le sens
d’une autobiographie lorsque je passe de l’attitude théorique — par laquelle je prends
connaissance de la vie de Rousseau, conformément à son intention exprimée dans les fameuses
lignes du premier livre de « montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la
nature ; et cet homme ce sera moi » (Jean-Jacques Rousseau (1998), Les confessions. Livres I à VI,
Paris, Librairie générale française, p. 23) — à l’attitude évaluative, où je vis attentivement la
beauté ou la laideur, la moralité ou l’immoralité de ce qu’il a fait. Le concept de littérarité
conditionnelle, discuté par Genette dans « Fiction et Diction », qui fait dépendre la littérarité
« d’une attitude individuelle, comme celle de Stendhal devant le style du Code civil » (Gérard
Genette (2004), Fiction et diction. Précédé de Introduction à l’architexte, Paris, Seuil, p. 88 ; 107) est
ainsi théoriquement insatisfaisant. D’une part, parce que tout sens peut être thématisé dans
l’attitude axiologique, et ne se transforme pas pour autant en celui d’une œuvre d’art en général,
d’une œuvre d’art littéraire en particulier. Ensuite parce que le sens des Confessions, par exemple,
comme autobiographie et non comme œuvre littéraire, est un produit social, c’est-à-dire
intersubjectif, et par conséquent est relativement indépendant de l’attitude de tel ou tel. De
manière générale, la phénoménologie husserlienne des attitudes et de la communication
intersubjective aurait beaucoup à dire sur ces problèmes, que nous ne pouvons pas aborder ici
dans le détail.
54. Edmund Husserl (1952), Ideen II, p. 3/25-6.
55. Edmund Husserl (1959), Erste Philosophie II, p. 104/147.
56. Edmund Husserl (1952), Ideen II, p. 27/55.
57. Edmund Husserl (1977), Ideen I, p. 192/288)
58. Edmund Husserl (1977), Ideen I, p. 192/289, 194/291.
59. Edmund Husserl (1977), Ideen I, p. 187/283.
60. Edmund Husserl (1977), Ideen I, §103-4.
61. Edmund Husserl (1977), Ideen I, p. 267/394 ; voir également Edmund Husserl (1952), Ideen II,
p. 16/39-40.
62. Edmund Husserl (1952), Ideen II, p. 18/42. Ces objectivités formelles se constituant d’ailleurs
autant dans la sphère doxique (objectivante) que non-doxique : « il y a sans aucun doute une joie

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L’idée d’une science littéraire et la phénoménologie de la lecture 31

collective, un plaisir collectif, un vouloir collectif, etc., ou, comme j’ai l’habitude de le dire, il y a à
côté du “et” doxique (logique) un “et” axiologique et pratique. Cela est vrai aussi du “ou” et de
toutes les synthèses qui appartiennent à ce groupe. Par exemple, la mère qui regarde avec amour
son groupe d’enfants, embrasse en un seul acte d’amour chaque enfant séparément et tous
ensemble » (Edmund Husserl (1977), Ideen I, p. 279/410.).
63. Edmund Husserl (1939), Erfahrung und Urteil. Untersuchung zur Genealogie der Logik, Prag,
Academia Verlagsbuchhandlung, p. 311-2/314.
64. Edmund Husserl (1939), Erfahrung und Urteil, p. 320/322.
65. Edmund Husserl (1980), Hua XXIII. Phäntasie, Bildbewusstsein, Erinnerung. Zur Phänomenologie der
anschaulichen Vergegenwartigungen. Texte aus dem Nachlass (1898-1925), The Hague, Martinus Nijhoff,
p. 499.
66. Edmund Husserl (1952), Ideen II, p. 18/42 ; Edmund Husserl (1939), Erfahrung und Urteil, §47 et
§58-9. Voir infra, point 5, pour une définition de cette notion.
67. Edmund Husserl (1952), Ideen II, p. 24/49.
68. Edmund Husserl (1977), Ideen I, p. 14-5/21-2.
69. Edmund Husserl (1973), Ding und Raum. Vorlesungen 1907, U. Claesges (ed.), The Hague,
Netherlands, Martinus Niehoff, p. 66/91.
70. Edmund Husserl (1952), Ideen II, p. 37/68.
71. Voir Edmund Husserl (1952), Ideen II, §15.
72. Edmund Husserl (1973), Ding und Raum, p. 45/69.
73. Edmund Husserl (1973), Ding und Raum, p. 46/69.
74. Edmund Husserl (1973), Ding und Raum, p. 57-8/82.
75. Edmund Husserl (1973), Ding und Raum, p. 50/74.
76. Edmund Husserl (1973), Ding und Raum, trad. modif., p. 55/79.
77. Edmund Husserl (1973), Ding und Raum, p. 196-7/235-6.
78. Edmund Husserl (1973), Ding und Raum, p. 190-1/229.
79. Edmund Husserl (1952), Ideen II p. 86/128.
80. Edmund Husserl (1977), Ideen I, §82, 84 et 86.
81. Edmund Husserl (1973), Hua I. Cartesianische Meditationen und Pariser Vorträge, The Hague,
Martinus Nijhoff, p. 81-3/89-91.
82. À la liberté motivée du halo correspond, pour l’apparition impropre, un « type de motivation
qui est inclus dans la forme de la conscience intime du temps. Cette forme est quelque chose
d’absolument fixe : la forme subjective du maintenant, de l’avant, etc. Je ne peux rien y changer »
(Edmund Husserl (1952), Ideen II p. 227/314).
83. Edmund Husserl (1973), Ding und Raum, p. 291/342.
84. Edmund Husserl (1952), Ideen II p. 152/215.
85. Edmund Husserl (1980), Hua XXIII. Phäntasie, Bildbewusstsein, Erinnerung, p. 559.
86. Edmund Husserl (1980), Hua XXIII. Phäntasie, Bildbewusstsein, Erinnerung, p. 522/492.
87. Celle-ci ne correspond pas au livre à proprement parler, qui désigne une objectivité non pas
naturelle mais spirituelle. La description des différentes étapes de sa constitution, qu’une
phénoménologie de la littérature doit accomplir, dépasse cependant le cadre limité de cet article,
et nous la laisserons de côté dans ce qui suit.
88. Edmund Husserl (1952), Ideen II, p. 29-30/58.
89. Edmund Husserl (1952), Ideen II, p. 82/123.
90. Edmund Husserl (1984), Hua XIX-1. Logische Untersuchungen. Zweiter Teil. Untersuchungen zur
Phänomenologie und Theorie der Erkenntnis, The Hague, Martinus Nijhoff, p. 39.
91. Edmund Husserl (1984), Hua XIX-1. Logische Untersuchungen, p. 37.
92. Edmund Husserl (1984), Hua XIX-1. Logische Untersuchungen, p. 31.
93. Voir Claudio Majolino (2010), « Structure de l’indice et équivocité du signe. À l’origine du
partage expression/indice dans les Recherches logiques », Histoire Épistémologie Langage 32, 2, p. 89.

Methodos, 20 | 2020
L’idée d’une science littéraire et la phénoménologie de la lecture 32

94. Edmund Husserl (1984), Hua XIX-1. Logische Untersuchungen, p. 50.


95. Edmund Husserl (1984), Hua XIX-1. Logische Untersuchungen, p. 42.
96. Edmund Husserl (1984), Hua XIX-1. Logische Untersuchungen, p. 42-43.
97. Le cas du lecteur est un peu différent : contrairement à ce qui vaut pour l’auteur, où l’œuvre
constitue le point de départ à partir duquel inférer l’existence de celui-ci et de ses intentions, de
ses traits de personnalités, etc., pour le lecteur, il s’agit du point d’arrivée de la sphère psychique
qui s’y rapporte comme à son objet intentionnel. Dans les deux cas, cependant, l’œuvre joue le
rôle de facteur de délimitation de l’étendue psychique du lecteur et de l’auteur à explorer,
puisque, au sein d’une science de la littérature, seul ce qui entre en jeu dans l’invention ou dans
la lecture de l’œuvre en question nous intéresse : comment l’auteur en est-il venu à écrire cette
œuvre ? « Comment Goethe et ses contemporains allemands ont-ils lu », et en sont-ils venus à lire
ainsi La Nouvelle Héloïse ? (Hans-Robert Jauss (2017b), « La Nouvelle Heloïse de Rousseau et le Werther
de Goethe à l’intérieur du changement d’horizon entre le siècle des Lumières et l’idéalisme
allemand », in H.-R Jauss, Pour une herméneutique littéraire, Paris, Gallimard, p. 280.).
98. Roland Barthes (1964), Essais critiques, Paris, Seuil, p. 254.
99. Edmund Husserl (1976), Krisis, p. 368/406.
100. Edmund Husserl (1980), Hua XXIII, Phäntasie, p. 514.
101. Edmund Husserl (1980), Hua XXIII, Phäntasie, p. 508.
102. Edmund Husserl (1980), Hua XXIII, Phäntasie, p. 504.
103. Edmund Husserl (1980), Hua XXIII, Phäntasie, p. 516/487.
104. Edmund Husserl (1980), Hua XXIII, Phäntasie, p. 509-510.
105. Edmund Husserl (1980), Hua XXIII, Phäntasie, p. 518.
106. Edmund Husserl (1980), Hua XXIII, Phäntasie, p. 515/487.
107. Edmund Husserl (1980), Hua XXIII, Phäntasie, p. 510.
108. Edmund Husserl (1980), Hua XXIII, Phäntasie, p. 504.
109. Edmund Husserl (1980), Hua XXIII, Phäntasie, p. 510.
110. Edmund Husserl (1980), Hua XXIII, Phäntasie, p. 519/489.
111. Nous identifions ici provisoirement œuvre littéraire écrite et art narratif. Le cas de la
littérature orale demanderait une discussion détaillée que nous ne pouvons pas engager ici. Reste
que, s’il est vrai, comme nous le verrons plus loin, que l’œuvre littéraire constitue une objectivité
idéale, celle-ci n’est « pas encore parfaitement constituée par une telle transmission actuelle de
ce qui est produit originairement en quelqu’un, à quelqu’un d’autre qui le reproduit
originairement » — c’est-à-dire précisément par le processus de tradition littéraire orale —, dans
la mesure où « il lui manque la présence perdurante des “objets idéaux”, qui persistent aussi dans
les temps où l’inventeur et ses associés ne sont plus éveillés à un tel échange ou en général quand
ils ne sont plus en vie. Il lui manque l’être-à-perpétuité, demeurant même si personne ne l’a
effectué dans l’évidence ». Et c’est là qu’entre en jeu « la fonction décisive de l’expression
linguistique écrite » (Edmund Husserl (1976), Krisis, p. 371/410). On verra plus loin comment cette
mise en forme écrite fournit l’objectivité-intersubjectivité nécessaire à une science de l’œuvre
littéraire comme telle.
112. Edmund Husserl (1980), Hua XXIII, Phäntasie, p. 509-510.
113. Edmund Husserl (1984), Hua XIX-1. Logische Untersuchungen., p. 44.
114. Edmund Husserl (1984), Hua XIX-1. Logische Untersuchungen., p. 44.
115. Dans certains cas, le conflit doit précisément être actualisé pour faire reconnaître le
caractère littéraire de l’œuvre en question. C’est précisément ce que fait par exemple Genette en
discutant de la chronologie de la Recherche du temps perdu dans le chapitre « durée » de son
Discours du récit. Discussion qui aboutit à la conclusion que la matinée Guermantes prend place
après la mort de Proust l’écrivain, en 1922, ce qui implique le caractère fictionnel de la Recherche
(Gérard Genette (1972), Figure III, Paris, Seuil, p. 126-127).
116. Edmund Husserl (1980), Hua XXIII, Phäntasie, p. 514/486.

Methodos, 20 | 2020
L’idée d’une science littéraire et la phénoménologie de la lecture 33

117. Edmund Husserl (1952), Ideen II, p. 243/334.


118. Edmund Husserl (1980), Hua XXIII, Phäntasie, p. 519/489.
119. Edmund Husserl (1980), Hua XXIII, Phäntasie, p. 519/489.
120. Edmund Husserl (1980), Hua XXIII, Phäntasie, p. 520/490.
121. Edmund Husserl (1980), Hua XXIII, Phäntasie, p. 521/491.
122. Edmund Husserl (1980), Hua XXIII, Phäntasie, p. 523/493.
123. Edmund Husserl (1939), Erfahrung und Urteil, p. 202/207.
124. Edmund Husserl (1980), Hua XXIII, Phäntasie, p. 523-4/493.
125. Edmund Husserl (1980), Hua XXIII, Phäntasie, p. 524/493.
126. Edmund Husserl (1980), Hua XXIII, Phäntasie, p. 520/490.
127. Jean-Paul Sartre (1948), Qu’est-ce que la littérature ?, Paris, Gallimard, p. 48-49.
128. Gérard Genette (1972), Figure III, Paris, Seuil, p. 73.
129. Gérard Genette (1972), Figure III, p. 73.
130. Edmund Husserl (1980), Hua XXIII, Phäntasie, p. 510.
131. Jean-Paul Sartre (1948), Qu’est-ce que la littérature ?, p. 49.

RÉSUMÉS
L’enjeu de cet article est de justifier l’idée d’une fondation phénoménologique, d’inspiration
husserlienne, d’une science de la littérature. Cette fondation implique la description de la
corrélation eidétiquement distincte dans laquelle le sens de l’œuvre littéraire vient à se
constituer, à savoir celle de la quasi-lecture, que nous esquissons dans un premier temps. Le
principe d’une science de l’œuvre littéraire est ensuite garanti sur la base d’une analyse de son
caractère de phantasia mise en forme et sur la structure spécifique d’horizon du « monde »
imaginaire qu’elle projette. Nous esquissons enfin dans la conclusion certaines pistes à venir
d’une phénoménologie husserlienne de la littérature.

This article aims at accounting for the project of a Husserl-inspired foundation of a science of
literature. This foundation leads firstly to the task of describing the eidetically definite
correlation in which the sense “literary work” happens to be constituted, i.e. the correlation of
quasi-reading. The principle of a science of the literary work is then warranted by spelling out
two of its main properties: on the one hand, the fact that it is a shaped phantasia, and on the other
the specific horizon structure of the imaginary « world » the literary work projects. Finally, we
outline some leads of a Husserl-inspired phenomenology of literature.

INDEX
Keywords : phenomenology, Husserl, literature, quasi-reading, phantasia, horizon
Mots-clés : phénoménologie, Husserl, littérature, quasi-lecture, phantasia, horizon

Methodos, 20 | 2020
L’idée d’une science littéraire et la phénoménologie de la lecture 34

AUTEUR
AURÉLIEN DJIAN
Université de Lille/UMR STL

Methodos, 20 | 2020

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