Vous êtes sur la page 1sur 2

Procédés La Loreley

I- Apollinaire introduit son poème comme un conte (v.1-4)

Le présentatif « il y avait » rappelle un début de conte. On a également une utilisation des


temps du passé avec une alternance imparfait / passé simple. Les personnages qui apparaissent ne
sont pas nommés et sont des personnages-types : une sorcière blonde (l'expression est légèrement
oxymorique, on mélange une connotation un peu inquiétante et une connotation positive avec la
blondeur), l'évêque.
2. la mort d'amour est un oxymore très courant qui construit le registre lyrique. La Loreley
d'Apollinaire n'est pas présentée comme une sirène aussi explicitement que dans la légende.
3-4. Les vers commencent par deux mots qui sonnent très semblables (devant / d'avance,
c'est une paronomase). Cela crée un effet de rapidité et de contraste, le jugement puis le pardon
(avec le verbe absoudre) arrivent tout aussi vite. On sait que la Loreley est belle et sa blondeur fait
penser à d'autres femmes / sirènes évoquées dans les Rhénanes.

II- La Loreley et l'évêque ont une sorte de débat amoureux en dialogue (v.5-20)

5. On entre dans du dialogue, ce qui est peu conventionnel en poésie. On le voit grâce à
l'appel lyrique à la Loreley « ô » et à l'introduction du présent d'énonciation. La Loreley est encore
associée au thème de la magie, de l'alchimie cher à Apollinaire comme on le voit à la rime riche
entre pierreries et sorcellerie. La première évocation des yeux est méliorative, pour l'évêque
amoureux les yeux de la Loreley sont séduisants, plein de richesses, ils brillent.
7-8. La lassitude de la Loreley peut faire écho à l'un des tout premiers vers du recueil « je
suis las de ce monde ancien ». On peut être surpris de la tristesse de ce personnage censé être retors
ou monstrueux. Il y a une sorte d'hypallage autour des yeux. C'est la Loreley plus que son regard
qui est maudit, mais on attribue la caractéristique aux yeux. Loreley détourne donc l'expression de
l'évêque et se présente comme une sorte de méduse, de gorgone. Elle est irrémédiablement séparée
de la société, ce qui contribue déjà à la rapprocher du poète.
9-10. La Loreley pousse plus loin son opposition à l'évêque grâce à des démonstratifs qui
forment une épanorthose, elle le corrige : « ce sont des flammes et non des pierreries ». La flamme
a son premier sens : c'est le mauvais œil, le regard qui tue de la sirène. Apollinaire utilise une
épizeuxe « jetez jetez aux flammes » pour conférer une connotation tragique à la détresse de la
Loreley, qui n'est plus un monstre mais une femme désespérée. Les « flammes » ici désignent
concrètement le bûcher auquel la Loreley se sait promise. Apollinaire utilise donc un deuxième
sens.
11-12. Les allitérations en F / L / M « je flambe dans ces flammes » créent de l'harmonie
imitative autour du crépitement du feu. En trois vers Apollinaire utilise donc trois sens différents au
mot « flamme » (c'est une antanaclase très technique), puisqu'ici l'évêque parle de son désir. Le
double sens autour de l'ensorcellement est très intéressant. Dans tout ce poème, Apollinaire va
mélanger la magie et l'amour tout en réécrivant une légende sous forme poétique.
13-14. Apollinaire utilise une quasi-anadiplose « riez / priez » en fin et en début de phrase
qui se suivent. La Loreley s'exprime avec une certaine aisance (c'est un reflet du poète).
L'opposition des deux termes lui permet de poursuivre sa posture tragique. Apollinaire dresse un
contraste assez curieux à la rime entre la Vierge (associée à la Loreley) et Dieu, associé à l'évêque,
dans une sorte d'opposition masculin féminin.
15-20. Le trouble de la Loreley nous est décrit, Apollinaire, par rapport à la tradition, fournit
un motif et une douleur au personnage. La séparation (trouble habituel de la voix poétique dans
Alcools) amoureuse crée le chagrin existentiel. L'indécision est intéressante autour du « pays
lointain », cela crée l'atmosphère mystérieuse de conte mais peut-être que l'amant de la Loreley est
mort. L'anaphore de l'expression intensifiée « mon cœur me [fit] si mal » est parlante. Apollinaire
utilise le présent « fait » puis le passé simple « fit ». La douleur a été causée par un événement
marquant et elle se poursuit aujourd'hui, le temps est progressif.

III- La Loreley est finalement condamnée par l'assistance (v.21 à la fin)

21. Une part de narration est réintroduite dans le dernier mouvement de notre découpage,
mêlée avec un peu de dialogue. Les références religieuses se poursuivent puisque les lances (pour la
crucifixion) et le chiffre trois (pour la trinité) sont des symboles chrétiens assez fréquents. L'évêque
fait condamner la Loreley, qu'il devait absoudre (c'est une contradiction) dès qu'elle a évoqué son
amant, peut-être est-il jaloux.
22. La prise de parole de l'évêque est sévère, comme le montre l'utilisation de l'impératif
« menez jusqu'au couvent cette femme en démence ». Au XIXe siècle, la folie est réputée être liée
de manière biologique aux dérèglements féminins, l'évêque a l'air de se servir de cette excuse pour
condamner la sirène.
23-24. Le dernier dialogue de l'évêque montre une sorte de désespoir, il a été rejeté et il
essaie donc probablement de se convaincre qu'elle est mauvaise pour se rassurer. On peut le
supposer grâce à l'utilisation du diminutif « Lore », répété deux fois, qui a une dimension affective
et rappelle la muse de Pétrarque, une femme nommée Laure. Il réinsiste encore sur sa « folie » après
avoir parlé de la démence. Les yeux de la Loreley sont encore convoqués, dans une sorte d'attribut
homérique « aux yeux tremblants » qui la présente maintenant sous un jour pathétique. La brillance
de ses yeux est maintenant celle des pleurs. L'ambiguïté de la religion associée à la Loreley est
rappelée par l'opposition symbolique entre le noir et le blanc de son futur habit. On peut aussi y voir
un écho, au moins sonore, avec ce vers de « Zone » encore une fois : « ta mère ne t'habille que de
bleu et de blanc ».
25-26. Le poème s'achève dans notre découpage sur une pérégrination des personnages à
quatre, réunis (le quatre est également un chiffre important du point de vue de la symbolique
chrétienne). Le registre pathétique a remplacé le tragique puisque la Loreley est maintenant une
implorante. Le vers est beaucoup trop long avec la comparaison finale qui déborde. Les yeux sont
évoqués une dernière fois et maintenant rapprochés de quelque chose de cosmique, qui tend vers le
ciel (dans la partie non commentée du poème la Loreley se noie après un mouvement vers le haut).
On peut penser que la brillance des yeux de la Loreley est rappelée une dernière fois avec cette
référence aux étoiles. Mais cela nous fait aussi penser à la destruction du poète dans les
« Fiançailles ».

Ouvertures possibles : la version romantique, « Die Lorelei ». Les poèmes d'Alcools qui ont des
écho clairs dans la Loreley. D'autres manières de réadapter des légendes en les modernisant. Des
poèmes qui font des comparaisons entre la vie du poète marginal et des images surprenantes,
comme « L'Albatros » de Baudelaire.

Vous aimerez peut-être aussi