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– Lecture analytique n° 1/ Du Bellay, « Déjà la nuit en son parc...

», L'Olive, 1550

– Intro : : Joachim Du Bellay fait partie du groupe de sept poètes (dont Pierre de Ronsard) qui constitue le mouvement
littéraire de la Pléiade. Ce mouvement littéraire contribue en 1549 à l’épanouissement de la langue française par La Défense et
illustration de la langue française en prônant les modèles antiques (grec, latin). Les poètes s'inspirent du quattrocento italien et
du poète Pétrarque. C’est le 83ème sonnet du recueil l’Olive (1549) qui a été publié en même temps que Défense et Illustration de
la langue française. Du Bellay reprend un thème de Pétrarque et Rinieri : le levé du soleil dont la beauté est comparée à celle de la
femme aimée mais qui éclipse le soleil. Il célèbre le jour mais surtout la femme de ses désirs.

– I- Un sonnet conventionnel

– Quatorze décasyllabes. Les deux premiers quatrains forment une unité tout en étant opposés. Les deux quatrains
commencent de la même manière (anaphore de « Déjà ») et sont tous deux à l’imparfait. Les verbes ont d’ailleurs la même place
dans chaque strophe : « amassait » et « rougissait » vers 1 et 5, « enrichissait » et « chassait » aux vers 4 et 8. Mais ils sont opposés
parce que le premier quatrain présente la nuit et le second le jour. Le premier quatrain présente un mouvement de fuite et le
second le mouvement inverse. Il existe une progression dans le poème. Les deux quatrains préparent l’arrivée d’une nouvelle
lumière qui constitue la « pointe » du sonnet au dernier tercet.
– Rupture entre les deux quatrains et le premier tercet :
– Le connecteur temporel « quand » marque cette rupture et est suivi d’un passé simple : « je vis ».
– Poème lyrique et humaniste : dans la seconde partie, le poète exprime ses sentiments dans une exclamative qui semble
irrépressible : « ô fleuve mien ! » (apostrophe) . Du Bellay évoque ainsi son Anjou natal ainsi que la Loire auxquels il est très
attaché. Dans ce poème, cohabitent un thème mythologique et connu : le topos de la belle matineuse et un thème cher au
poète : son pays natal : « l’Angevin » « ô fleuve mien ! » C’est ce qui fait l’originalité du poème et le rend plus touchant et ne se
réduit pas ainsi à un exercice de style aussi brillant soit-il.
– Topos : une topos est un sujet littéraire qui revient souvent jusqu’à constituer un thème récurrent et attendu dans la
littérature.
– Le poète apparaît comme témoin de cette apparition de la « Nymphe » (femme divinisée par cette périphrase) (vers
11). Il semble placé au bord de la Loire et surpris par cette apparition, à moins qu'il ne l'ait attendue.
Poète situe la nymphe dans son univers personnel qu'il évoque avec émotion dans l'apostrophe du 1er hémistiche : « O fleuve
mien ! » Il prend le fleuve à témoin.
« L'Angevin » région du poète : l'Anjou, Angers... La Loire.

- Rythme du poème :
- Rythme des vers : décasyllabes. Deux groupes rythmiques 4/6, rythme croissant ou amplification rythmique -> harmonie
rythmique (rythme régulier 4/6 et même schéma rythmique), le rythme est mélodieux. Ce tableau est un tableau quotidien,
récurrent, ritualisé, on assiste à un rituel qui est peut-être de l'ordre du mythe (régularité + imparfait à valeur répétitive). 4/6 ->
amplification rythmique + enjambement -> insuffle un dynamisme, la fuite de la nuit qui essaie de rassembler au plus vite ses
troupeaux avant l'arrivée du jour ; comme si le rythme était mimétique et mimait la cavale des chevaux.
- Rimes embrassées.

-> Tableau en mouvement, dont le dynamisme vient du rythme croissant 4/6, de l'enjambement du vers 1 au vers 2, des verbes
d'actions et de mouvements. Tableau harmonieux avec la répétition du même schéma rythmique, des échos sonores par le biais des
rimes, allitérations et assonances (en [a] et [oua]). + contraste entre blanc et noir.

II- Vocation métaphorique de la nuit et de l'aube



– - Personnification des éléments naturels :
– Nuit: sujet de 4 verbes d'action : « amassait », « entrer », « fuyant », « chassait » personnification de la nuit.
Comparée d'abord à une bergère où les étoiles sont son troupeau. Les chevaux noirs peuvent évoquer les chars mythologiques :
elle s'en sert pour rassembler les étoiles : allusion directe au char d’Apollon.
– - Sonorités : Allitération des sifflantes [f]x2, [s]x4 et [ch]x2. Paronomase vers 4 avec « chevaux chassait » : harmonie
imitative, sonorités qui semblent faire entendre le souffle des chevaux en cavale. Allitération en [r]x8 qui évoque peut-être le râle
des chevaux.
Paronomase : consiste à rapprocher des mots comportant des sonorités semblables qui ont des sens différents.

– - Personnification du jour :
« l'aube » : « des tresses tant blondes » / verbe « enrichissait »; « faisant grêler » verbes d'action qui font de l'aube une
personne. L'Aube semble dotée d'un pouvoir surnaturel de métamorphose. + allégorie d'1 belle jeune femme.
Contraste entre le côté solennel de la nuit et la simplicité du jour : les« perlettes » (néologisme) évoquent de petites perles sans
prétention. Le caractère généreux du jour est mis en valeur : l’aube distribue ses trésors : la rosée du matin. Le comparant peut
suggérer la lumière dorée de la rosée.
– Du Bellay dresse dans chaque strophe un tableau aux couleurs évocatrices : les « cavernes profondes » désignent
l’obscurité, relayées d’ailleurs par l’adjectif « noirs », dans le deuxième quatrain la couleur dorée domine, par des adjectifs
explicites : « blondes », et par des expressions plus implicites : « de ses trésors les prés enrichissait », «mille perlettes rondes », le
premier tercet est dominé par la couleur verte et le second tercet par le rouge.
III- Le visage de la femme

– - L’apparition de la nymphe :
– Les deux premiers tableaux s'éclipsent au profit d'un nouveau tableau plus frappant. Apparition de la première personne :
« Je » + verbe de perception + apostrophe lyrique « Ô fleuve mien » avec « Ô » antéposé et accentué -> valeur affective très
forte, mise en relief -> lyrisme.
→ « comme une étoile vive ». Insiste sur l'idée de lumière : « étoile », adj « vive » donne un caractère fulgurant. Utilisation d'une
assonance en « i » + allitération en « v »
Le fleuve aussi un être vivant et la nymphe tranche sur ces êtres : la nuit, l'aube; par sa plus grande lumière, sa plus grande
vivacité, plus naturelle.
– Nymphe : divinité féminine des eaux et des bois dans la Grèce antique.
La femme aimée apparaît par une métaphore : elle est élevée au rang d’une divinité « cette nouvelle Aurore » : nymphe → montre
que le jour a poursuivi son évolution (aube → aurore) : terme prépare la rivalité entre les 2 éléments → nymphe devient une
nouvelle aurore qui entre en rivalité avec l'aurore réelle.
La plus grande beauté de la nymphe explique la réaction humaine du jour qui devient honteux → ciel coloré.
– Personnifications succèdent aux personnifications, images succèdent aux images pour animer la nature comme dans la
mythologie pour mettre en valeur la femme aimée qui devient la plus belle des divinités.
Si Du Bellay utilise la mythologie pour faire l'éloge de la femme aimée (en poète humaniste), il donne en même temps à son
sonnet une dimension plus familière et plus personnelle en variant les tonalités. L'image de la Nymphe est différée (le mot
« Nymphe » n'apparaît qu'au vers 11 alors qu'elle est annoncée depuis deux vers) : effet de suspension dramatique, d'attente ->
procédé de dramatisation -> il y a bien mise en scène de l'apparition de la femme aimée.
- Métaphore : la femme aimée est d'abord désignée par « étoile vive » vers 9 : cette comparaison fait écho au vers 2 : les étoiles
illuminent la nuit comme la femme aimée illumine la vie du poète. « troupeau d'étoiles vagabondes » / « un e étoile vive » -> elle
apparaît singulière, sa beauté/ lumière est égale à celle d'une multitude d'étoiles, comme si elle rassemblait l'éclat de toutes les
étoiles. Autre métaphore, celle de la « Nymphe » (vers 11) qui sort du fleuve -> sorte de nouvelle Aphrodite (d'ailleurs les
nymphes sont les compagnes d'Aphrodite-> cette femme représente l'amour, la beauté.
- Allitérations en [v] et [i] + « étoile vive » (vers 9) et « en riant » (vers 11) = vitalité, elle s'impose comme une radieuse évidence,
sur fond de paysage fluvial, le fleuve aimé du poète. C'est une Aphrodite angevine (il adapte/transpose la mythologie antique).
- Couleurs du paysage : vert de l'eau et de l'herbe de la rive, l'éclat de l'étoile vive.

- La pointe du poème : dernier tercet :
Beauté du jour supplanté par la beauté de la nymphe/ femme aimée du poète
- Nouvelle rupture avec le premier tercet : « Alors » de valeur chronologique et logique + présent de narration (effet
d'actualisation) et présent progressif (« colore » vers 13 et « voyant » vers 12). Le troisième tableau se modifie, se magnifie en un
quatrième tableau encore plus marquant.
- La Nymphe est désormais comparée par le biais d'une métaphore à une « nouvelle Aurore » (vers 12), comme si sa beauté
éblouissante (vers 9) surpassait celle de « l'Aube » déjà présente. L'arrivée de la Nymphe annonce la victoire de l'Occident sur
l'Orient, la victoire de la Nymphe/Nouvelle Aurore sur l'Aube, avec la double transfiguration du ciel et du poète.
- Sonorités : allitérations en [v]x3, [r]x6, et en dentales [t, d]x3 -> consonnes assez vigoureuses -> choc de l'apparition. Répétitions
de [v] et de [i] -> vie, vitalité, vivacité de la Nymphe. Assonances en [o], [ô] et [ou] -> étonnement, ébahissement.
- Vers 13-14 : au lieu du traditionnel Occident / Orient on a Angevin / Orient, comme si cette petite région représentait tout
l'Occident car la femme aimée s'y trouve. Mais nous verrons aussi que ce terme « l'Angevin » peut définir le poète.
- Couleurs du paysage : le rouge du ciel qui s'empourpre (enjambement du vers 13 à 14 : amplification rythmique qui met en
valeur la pointe tout en traduisant la double contamination de l'Orient et de l'Occident, qui deviennent rouges) de honte et de
jalousie l'emporte sur l'atmosphère bucolique du tercet précédent. A moins que ce ne soit le poète qui rougisse, et sa rougeur fait
écho à celle du ciel.
- On abandonne la première personne du premier tercet pour la troisième personne : le poète se désigne lui-même par « l'Angevin »
(vers 14) -> mise à distance, recul, comme s'il se regardait rougir de loin avec un brin d'humour et d'ambiguïté -> rougissement de
gêne/ pudeur, de plaisir ou peut-être même de désir.

Conclusion
Dans ce poème chaque strophe constitue une unité de sens : un personnage principal, un paysage, une couleur dominante, et une
action. Les trois premières strophes préparent la pointe (« tout le sonnet est tendu vers sa chute » de Théodore de Banville dans
son Traité sur le sonnet) : victoire de la belle sur le jour. Le poète a choisi de faire place à sa culture personnelle. Il choisit
d'évoquer l'antiquité pour s'inscrire avec les poètes de la Pléiade dans ce retour de l'antiquité qui marque l'humanisme.

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