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TD 3 Histoire littéraire du moyen âge

La lyrique courtoise
Mme Cooper

LA POESIE MEDIEVALE

I- La lyrique courtoise

A- Les troubadours

Poésie méridionale, d’origine aristocratique, qui affirme une esthétique élitiste. Voit naître ​la
fin’amor​, qui se développera en amour courtois.
= Genre porteur d’un idéal de l’amour, et qui ​associe l’amour au chant​, à l’activité poétique.
Pour les troubadours, parfaite équivalence : Aimer, c’est chanter, et chanter, c’est aimer. Pas
d’amour sans chanson, ni de chanson sans amour.
= ​Troubadours (de « trobar » : trouver, composer, peut-être à l’origine “composer des
tropes”) inventent, « trouvent » des chansons où s’exprime une conception de l’amour comme
adoration à la fois respectueuse et brûlante de la dame​. S’y donnent à lire les tourments du
désir, les souffrances vécues pour et par la dame, qui affinent le sentiment amoureux, comme
l’or fin est épuré par le feu.

- Caractère absolu, voire mystique de l’amour.


- Figure de la dame suzeraine de l’amant, sur le modèle du lien féodal,
d’autant plus désirée qu’elle est inaccessible.
- Motif du cœur qui s’affine dans l’affliction.

= Genre essentiellement masculin, même si traces de quelques femmes trobairitz. Troubadours


sont de ​haut parage, mais aussi de condition plus modeste : grands nobles, clercs,
chevaliers, marchands. Des amitiés poétiques, des correspondances, des échanges se nouent, qui
transcendent les clivages sociaux.
= Forme par excellence en est la ​canso​. Textes chantés, notés musicalement (même si n’avon
e​
conservé cette notation musicale que sur 1/10​ des textes qui nous sont parvenus).
- Formés de 5 à 7 strophes (les ​coblas​) rimées, sans refrain. Les strophes sont de
structure identique entre elles, chantées sur la même mélodie.

Coblas peuvent être unisonans (mêmes rimes de strophe en strophe), doblas


(changement de schéma rimique toutes les deux strophes) ou singulars (schéma
rimique différent dans chaque strophe)

- S’achèvent sur la ​tornada​, sorte de clausule, moitié plus courte que la cobla
précédente, dont reproduit les rimes. Constitue ​l’envoi du troubadour, épilogue
ou adresse, avec un nom donné qui peut être celui de la dame, du protecteur ou de
la protectrice du poète, ou bien une sorte de pseudonyme, le ​senhal​, qui ne révèle
l’identité de la personne à qui le poème est destiné qu’aux seuls initiés.

= Premier représentant connu, initiateur du genre, est le célèbre ​Guillaume IX​, comte de
Poitiers, duc d’Aquitaine, un des plus grands seigneurs de l’Occident de son temps. Il est le
grand-père d’Aliénor d’Aquitaine.
Quelques autres noms, parmi les plus connus :
Débuts du XIIe s :

- Jaufré Rudel​, qui chante tourments du désir, l’amertume de la frustration,


le malheur d’aimer sans retour. 3 chansons qui introduisent le thème de
l’amour de loin (​amor de lonh​)
- Marcabru​, représentant de ce qu’on appelle le ​trobar clus (fermé, obscur)
par opposition au ​trobar leu​, dont sens est plus clair, abordable. Création
poétique compliquée, fermée, presque ésotérique. D’une obscurité voulue.
Poésie destinée aux initiés. Cf fin’amor pas facile, exigeante, emplie de
contradictions et de paradoxes, mélange d’euphorie et de souffrances =
langue, qualité de la composition doit rendre compte de cette complexité,
s’en montrer digne. A l’amour raffiné doit répondre poésie raffinée,
inaccessible à ceux qui n’en sont pas dignes.

Apogée du trobar, entre 1150-1250 :

Bernard de Ventadour​, autre représentant du ​trobar leu​, où au contraire


simplicité de la langue, expression claire et simple (se réjouit chansons puisse être
chantées par femmes du peuple aux fontaines) jugée propre à rendre la vérité de
l’émotion et la sincérité du sentiment.
- Peire Vidal
- Raimbaut d’Aurenge (Orange), autre poète du ​trobar clus​.
- Arnaut Daniel, autre troubadour pratiquant le trobar clus, inventeur de la
sextine (six strophes de six vers, les rimes sont remplacées par des
mots-rimes, ou mots-refrains, qui sont repris dans chaque strophe dans un
ordre différent. Cet ordre correspond à une permutation mathématique
qui reste la même de strophe en strophe, et dessine une sorte de spirale)

Pour en savoir davantage sur la sextine et ses prolongements


contemporains, voir l’article de Francesca Pagani, “Potentielle et actuelle, la
sextine au XXIe siècle :
https://www.academia.edu/32303720/Potentielle_et_actuelle_La_sextine
_au_XXIe_si%C3%A8cle​)

Troubadours ne font pas que chanter d’amour. Traitent aussi d’autres matières. Autres genres
pratiqués:

- Le genre de la ​tenso​, qui deviendra dans le nord le jeu-parti. Discussion


sur sujets variés (casuistique amoureuse, art poétique, actualité politique).
Forme dialoguée, qui fait alterner en couplets des demandes et des
réponses, avec dans la demie strophe finale appel à l’arbitrage d’une tierce
personne. Genre qui peut-être assez intellectuel, avec souci d’émulation
dans le dialogue qui le rapproche de la poésie de concours.
- Le genre des ​sirventes​. Genre satirique, parfois d’une grande violence,
langage peut en être très grossier. Les poètes s’y font moralistes, dénoncent
vices contemporains, travers de la société. Ou peut avoir visées politiques
(blâment décisions des autorités civiles ou religieuses, incitent à la guerre,
appellent à la croisade). Instrument de polémique et de propagande.

Toutes les cours du midi, de l’Aquitaine à la Provence, pratiquent la courtoisie. Puis le


mouvement s’essouffle, avant 1300, tandis que son rayonnement se maintient en Italie du
Nord, en Catalogne, influençant la naissance de ce qu’on appelle le Dolce Stil Novo (Dante,
Cavalcanti, Guinizelli).

B- Les trouvères.
Manière lyrique des troubadours s’implante dans les cours du nord de la France.

Grâce aux jongleurs itinérants sans doute, mais aussi du fait des nombreuses communications
entre les cours. Cf influence d’Aliénor d’Aquitaine, petite fille de Guillaume IX, qui épouse
Louis VII, roi de France, puis Henri II Plantagenêt, et de ses enfants (Richard cœur de lion,
lui-même poète. Marie de Champagne, protectrice de Chrétien de Troyes)

= Influence le roman naissant​(Romans antiques et romans de Chrétien de Troyes)


= Toute une lignée de trouvères​, dont le plus ancien est peut-être Chrétien de Troyes
lui-même, qui adapte, transpose, repense cet héritage à partir des années 1170
= Les plus célèbres, d’abord en Champagne : Chrétien de Troyes, Guiot de Provins, Huon
d’Oisy, puis ​Gace Brulé​, Pierre de Molins. ​Thibaut de Champagne aussi, à la génération
suivante, au XIIIe s, petit-fils de la comtesse Marie de Champagne, dont nous reste 71 poèmes,
dont 37 chansons courtoises.
Puis dans l’Artois, la Picardie, le Hainaut : ​Conon de Béthune (grand seigneur d’Artois),
Blondel de Nesles, ​Le châtelain de Coucy​, chevalier picard qui deviendra le héros d’un roman
du XIIIe s, ​Le Roman du Chastelain de Coucy et de la Dame de Fayel​, où présenté comme un
amant exemplaire à la fin tragique, puisque mari de celle qu’il aime le tue et donne son cœur à
manger à sa femme).
= Genre de la Chanson​, héritière de la canso des troubadours, avec couplets variables en
nombre et en longueur, unissonants. Avec refrain et envoi.
Quelques formes spécifiques :
La chanson d’aube : // l’alba chez les troubadours. Textes qui chantent imminence de la
séparation des amants, aube s’annonce, avec chant des oiseaux, cris du guetteur. Déchirements
amoureux des amants contraints à la clandestinité. (cf scène du balcon dans Roméo et Juliette)
La reverdie​. Célèbre le retour du printemps, saison du renouveau amoureux, et du renouveau
de la poésie. Inspiration renaît en même temps que la nature et le cœur s’éveille. Prés, feuilles
reverdissent, fleurs renaissent (églantine, aubépine), eau redevient limpide après boues
hivernales, oiseaux (alouette, rossignol)se remettent à chanter et affinent leur chant pour le
rendre parfait (// Poète).
Les Chansons de Malmariées ​: Epouse malheureuse qui appelle de ses vœux la consolation
d’un amour. Opposent mari « vilain » et amant « courtois ».

C- Poésie urbaine et bourgeoise. Les Puys.


= Mais cours pas seuls foyers de création lyrique. Montée en puissance de la bourgeoisie
urbaine qui va favoriser, et participer à ce nouvel élan. Le mécénat devient une affaire de grands
bourgeois, dans villes d’Artois, de Picardie, des Flandres.
= Des confréries se forment (Arras, Amiens, Lille, Valenciennes), qui inscrivent la poésie
dans un ​rituel de concours​. Ce sont les fameux « ​puys » (de ​podium​, éminence), où poésie
prend forme d’une présentation publique, représentation, où meilleurs poètes sont couronnés.
Sortes de sociétés littéraires. Présidées par un « ​Prince », élu pour un an, qui finance ces
concours.
= Le plus célèbre, à ​Arras​, le ​Puy Notre Dame​, regroupe poètes, bourgeois et nobles de la
région. La ville d’Arras devient ainsi grand centre littéraire en langue d’oïl.

- Cf ​Jean Bodel​, mort en 1210, auteur épique (​Chanson des Saxons​),


dramatique (un des premiers grands auteurs de théâtre connu, ​Jeu de Saint
Nicolas​), de fabliaux (contes à rire), poétique (​Congés​ et pastourelles)
- Cf ​Adam de la Halle​, milieu du XIIIe s, dit le Bossu. Célèbre auteur
dramatique (​Jeu de la Feuillée​, ​Jeu de Robin et Marion​, premières pièces
françaises du répertoire profane) et aussi poète lyrique.

II- Le dit et la naissance de la « poésie personnelle », poésie de mise en scène du


“Moi”

= Grand chant courtois des trouvères se perpétue jusqu’à la fin du XIIIe siècle. Mais expression
poétique va désormais emprunter d’autres voies, qui ne sont plus celles du lyrisme. ​Une poésie
récitée, et non plus chantée, dont l’origine et les conventions n’ont rien à voir avec le
lyrisme courtois​.
= Avènement d’un genre qui va profondément modifier la notion même de lyrisme : ​Le Dit
(par opposition au chant), qui croît et fructifie au XIIIe siècle, et qui ​va donner naissance à la
poésie subjective des XIV et XVe siècles. Marque la naissance du lyrisme personnel non
courtois.
= Inspiration première de cette poésie est morale, religieuse et satirique (​Livre des Manières de
l’évêque Etienne de Fougères, ​Bible du seigneur de Berzé, ​Bible de Guiot de Provins, qui sont
en fait des textes d’inspiration morale et satiriques, sorte d’états du monde). ​Mais tend, au
tournant du XIIIe s, à s’enraciner dans l’expérience et le point de vue particulier du
poète. Dit parle du Moi, au présent​.
- Hélinand de Froidmont et ses célèbres ​Vers de la Mort (1194-7). Se convertit à la vie
monastique, abbaye de Froidmont, près de Beauvais. Rupture avec séductions du siècle,
abandonne la célébration du sentiment amoureux. Douzains sur deux rimes en miroir,
aabaab/bbabba, schéma qui convient à propos réflexifs, où poète développe discours
moral, fait retour sur lui-même.
- Surtout ​Jean Bodel​, en 1202, avec ses ​Congés​, poème de plus de 500 vers. Poète arrageois
qui s’apprêtait à prendre la croix pour partir en croisade. Mais se découvre atteint de la
lèpre​. Doit quitter la vie pour aller finir ses jours dans une léproserie. Prend congé de ses
amis d’Arras avec chagrin et amertume. Médite sur le coup qui le frappe, honte de la
maladie (MA voit dans lèpre punition divine, due faute du malade ou de ses parents), mais
espoir aussi, peut se changer en grâce s’il sait s’en montrer digne, épreuve qui peut être une
chance de salut, un chemin d’accès à vie éternelle.
- Autre arrageois, Baude Fastoul, écrit 70 ans plus tard, autres Congés dans mêmes
circonstances. Décrit son corps devenu répugnant, en plaisante même (à présent que ses
orteils vont tomber, pourra avoir souliers pointure en-dessous). Comme si riait de
lui-même avant qu’on rie de lui.
- Adam de la Halle aussi, mais cette fois prend congé non cause maladie, mais parce que,
dégoûté de sa ville natale et de ses habitants, a décidé de partir étudier à Paris.

= Dit devient le lieu de l’exhibition du moi, comme chez ​Rutebeuf


Activité de Rutebeuf s’étend entre 1250 et 1280 environ à Paris, sous le règne de Saint-Louis.
Prend aspect confidence personnelle. Poète étale ses malheurs, ses douleurs, ses misères et ses
vices, dans un style d’apparence simple et naturel. son succès. Cette poésie du quotidien
misérable, plus que ses autres écrits (fabliaux et pièces burlesques, comme ​Dit de l’Herberie​, qui
imite boniment d’un vendeur ambulant) a fait son succès
Poète raconte drame qu’est sa vie, souvent ton sarcastique, drôle : Sa femme est vieille, laide et
pauvre. Il vit dans la misère, n’ayant pas même assez d’argent pour s’acheter un lit ou du bois (a
« froid au cul quand bise vente »). Son cheval s’est cassé la jambe. Il a perdu l’œil droit, celui
avec lequel il voyait le mieux. Il a des dettes. Il perd aux dés, sans pouvoir s’empêcher de jouer.
Il ne peut pas compter sur ses amis (« Ce sont amis que vent emporte/ et il ventait devant ma
porte »).
Multiplie jeux de mots, calembours, plaisanteries (cf ne cesse de commenter son propre nom,
sobriquet qu’il dit venir de rude et de bœuf). Cf chanson de Léo Ferré, Pauvre Rutebeuf, sorte
pot-pourri de textes de ce poète.
Poésie qui s’exhibe comme une confidence. Comme si improvisée sous le coup de
l’humeur, moment où sous le coup du découragement on renonce à sauver les
apparences pour livrer vérité du moi.
Mais attention, pas pour autant poésie sincère. S’agit d’une mise en scène du moi,
d’une illusion de confidence personnelle, d’un effet de réalité. ​Le moi qui s’y exhibe est
une construction littéraire​,dont d’autres poètes après lui s’inspireront.

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