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Greffe d'un cœur de porc sur un humain : "C'est une

avancée majeure dans le domaine de la


transplantation"
par Luc Chemla, AFP publié le 11 janvier 2022 à 17h21

Pour la première fois, des chirurgiens américains ont réussi à greffer sur un patient un cœur
issu d'un porc génétiquement modifié. L'annonce a été faite lundi soir par l'école de médecine
de l'université du Maryland.

Photo du bloc opératoire prise par l'université du Maryland. Des chirurgiens américains ont
réussi à greffer sur un patient un cœur issu d'un porc génétiquement modifié. © AFP /
UNIVERSITY OF MARYLAND SCHOOL OF MEDICINE / AFP

"C'est une avancée majeure dans le domaine de la transplantation", a


salué ce mardi sur France Inter le docteur Julien Guihaire,
chirurgien cardiaque à l'hôpital Marie Lannelongue, dans les
Hauts-de-Seine. Des chirurgiens américains ont réussi à greffer sur
un patient, un cœur issu d'un porc génétiquement modifié. L'annonce
a été faite lundi soir par l'école de médecine de l'université du
Maryland, aux États-Unis. Menée vendredi dernier, cette opération
permet de montrer, pour la première fois, qu'un cœur d'animal peut
continuer à fonctionner à l'intérieur d'un humain sans rejet immédiat,
explique l'institution dans un communiqué. L'Agence américaine des
médicaments (FDA) avait donné, le soir du réveillon du Nouvel An,
son feu vert à l'opération. 

David Bennett, le patient qui a reçu le cœur porcin, avait été déclaré


inéligible à recevoir une greffe humaine. Il a passé les derniers
mois alité et branché à une machine qui le maintenait en vie. "C'était
soit la mort, soit cette greffe. Je veux vivre. Je sais que c'est assez
hasardeux, mais c'était ma dernière option", a déclaré cet habitant du
Maryland un jour avant son opération. L'homme de 57 ans est
désormais étroitement suivi par les médecins pour s'assurer que le
nouvel organe fonctionne correctement.

"Depuis trois décennies, il y avait de nombreux


travaux expérimentaux"
Si le grand public découvre aujourd'hui qu'une telle opération est
possible, le docteur Julien Guihaire, spécialiste des transplantations
explique que finalement, "on s'y attendait" : "depuis trois décennies, il
y avait de nombreux travaux expérimentaux sur des modèles animaux
et notamment des grands primates non-humains. Il y a trois ans, on a
vu une avancée majeure avec une survie prolongée de ces animaux
qui vivaient avec un cœur de porc. Ils ont pu les maintenir en vie
durant 6 à 18 mois."

Le cochon, dont provient le cœur greffé, a été génétiquement modifié


pour ne plus produire un type de sucre présent normalement sur
toutes les cellules des porcs et qui provoque un rejet immédiat de
l'organe. Cette intervention était indispensable analyse le docteur
Guihaire. "Ce type de transplantation est ce qu'on appelle une
xénogreffe. C'est une transplantation inter-espèce entre deux espèces
animales différentes et donc, par définition, il va y avoir un rejet
immédiat de ce type d'organe si on le transplante tel quel sur un être
humain." 

Pour éviter cette situation, les chercheurs ont donc "modifié le


patrimoine génétique des cochons pour les rendre compatibles avec
l'espèce humaine. Ils ont modifié la carte d'identité immunologique de
l'animal donc, le corps humain ne va pas le reconnaître comme un
organe d'origine porcine." 
Photo prise dans le bloc opératoire lors de la greffe d'un cœur de porc sur un Américain de 57
ans, vendredi dernier aux Etats-Unis © AFP / UNIVERSITY OF MARYLAND SCHOOL
OF MEDICINE / AFP

Malgré cette intervention, l'opération est évidemment risquée et un


rejet peut avoir lieu n'importe quand. Le chirurgien cardiaque appelle
donc à la prudence car "on ne sait pas la durabilité de ce type de
manipulation dans le temps et notamment si cela va éviter le rejet
chronique, qui est quand même une complication à laquelle on doit
faire face régulièrement en transplantation." 

Pour avoir une véritable idée de la réussite de l'opération, Julien


Guihaire explique sur France Inter qu'il "faut se donner au minimum
un an. La première année est souvent l'année la plus difficile pour les
patients en transplantation car c'est l'année où ils sont le plus à risque
de faire du rejet." La modification génétique du cœur a été effectuée
par l'entreprise Revivicor, qui avait aussi fourni un rein de porc que
des chirurgiens avaient connecté avec succès aux vaisseaux
sanguins d'un patient en état de mort cérébrale à New York, en
octobre. 

Le cœur de porc : la solution parfaite 


Une interrogation demeure néanmoins. Pourquoi un cœur de porc
et non pas celui d'un autre animal ou même un cœur
artificiel ? D'après le docteur Guihaire, "l'anatomie et la fonction du
cœur de porc sont très proches de celles d'un cœur humain. Sa
physiologie, sa contraction, ses battements sont très superposables
donc, on peut imaginer substituer un cœur humain par celui d'un
porc." Le chirurgien cardiaque ajoute également que "pour se
rapprocher le plus possible de la fonction du cœur humain, il n'y a pas
mieux qu'un organe animal." 

Le cœur artificiel a également "beaucoup de contraintes". "Des


contraintes tout d'abord en terme d'encombrement, ils sont souvent
volumineux. Des contraintes aussi en terme de source d'énergie. Il
faut toujours qu'il y ait un câble d'alimentation qui fournisse l'énergie à
la pompe qui est à l'intérieur du corps. Enfin, il y a des risques
d'infection et des problèmes de compatibilité sanguine, de risque
d'hémorragie."

La xénogreffe, la solution pour pallier le manque


de dons d'organes ?
Aux Etats-Unis, près de 110 000 Américains sont actuellement sur
liste d'attente pour une greffe d'organe et plus de 6 000 personnes,
qui auraient besoin d'une greffe, meurent chaque année dans le pays.
Pour la France, Julien Guihaire cite les chiffres officiels de l'Agence
de la biomédecine. "Parmi les patients qui sont inscrits en liste
d'attente de greffe, il y a, à peu près, 60-70 patients qui décèdent en
attente de greffe. (...) On manque de greffe, on manque de donneurs
et donc cette xénogreffe pourrait être une perspective pour élargir le
nombre potentiel de transplantations." 

De son côté, Bartley Griffith, le médecin qui a réalisé la


transplantation, évoque "une avancée chirurgicale majeure qui nous
rapproche encore un peu plus d'une solution à la pénurie d'organes".
"Nous procédons avec précaution mais nous sommes aussi
optimistes sur le fait que cette première mondiale permettra de fournir
une nouvelle option essentielle aux patients dans le futur", ajoute le
chirurgien.

Si l'opération réalisée est une véritable prouesse, les xénogreffes,


donc une transplantation d'un animal à un humain, ne sont en
revanche pas nouvelles. Les médecins ont tenté des greffes entre
espèces depuis au moins le 17ème siècle, les premières
expériences se concentrant sur les primates. En 1984, un cœur de
babouin avait été transplanté sur un bébé mais la petite, surnommée
"Baby Fae", n'avait survécu que 20 jours.  Les valves cardiaques de
porc sont ainsi déjà très utilisées chez les humains, et leur peau peut
être utilisée pour des greffes sur des grands brûlés.  

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