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Communications

Une généalogie du structuralisme


Tomáš Glanc, Stéphanie Cirac, Philippe Roussin

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Glanc Tomáš, Cirac Stéphanie, Roussin Philippe. Une généalogie du structuralisme. In: Communications, 103, 2018. Le
formalisme russe cent ans après. pp. 197-211;

https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_2018_num_103_1_2921

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Résumé
Une généalogie du structuralisme.
Quels liens relient le formalisme au structuralisme ? L’article suggère que toute théorie est aussi
une narration qui peut être analysée à partir du contexte de son élaboration et du parcours de ses
auteurs – Roman Jakobson, René Wellek, Jan Mukarovský, suivis de la jeune génération des
années 1960. Le récit qui se dégage ne suit pas toujours une ligne claire et continue ; en étudiant
ce type de construction narrative, on saisit ses mutations, ruptures et silences. L’article interroge
ces silences en montrant que ceux-ci peuvent être porteurs de sens. Dans son analyse des
transferts de connaissance entre les mouvements formaliste et structuraliste, l’auteur s’intéresse à
la réception de ces théories, et fait ressortir les clichés qu’ont pu véhiculer certaines
représentations, souvent idéologiques, ainsi que les écarts qui ont distingué à l’époque les
lectures occidentales et tchécoslovaques de ces théories, et, partant, de leurs liens.

Resumen
Una genealogía del estructuralismo.
¿ Qué vínculos unen el formalismo con el estructuralismo ? Este artículo sugiere que toda teoría
es también una narración que puede analizarse a partir del contexto de su elaboración y de la
trayectoria de sus autores — Roman Jakobson, René Wellek, Jan Mukarovský, y luego la joven
generación de los años 60. El relato que se desprende no siempre sigue una línea clara y
continua ; estudiando este tipo de construcción narrativa, se entienden sus mutaciones, rupturas y
silencios. El artículo cuestiona esos silencios mostrando que pueden ser significativos. En su
análisis de las transferencias de conocimiento entre el movimiento formalista y el estructuralista,
el autor se interesa por la recepción de estas teorías, recalcando los clichés que pudieron
acarrear algunas representaciones, a menudo ideológicas, así como las diferencias que
caracterizaron, en la época, las lecturas occidentales y checoeslovacas de dichas teorías, y por
consiguiente los vínculos entre ambas.

Abstract
A Genealogy of Structuralism.
What are the links between formalism and structuralism ? This article suggests that all theories are
also a narration that can be analyzed based on the context of their development and the journey of
their authors — Roman Jakobson, René Wellek, Jan Mukarovský, followed by the young
generation of the 1960s. The narrative does not always follow a clear and continuous line ; when
studying this type of narrative construction, one seizes mutations, ruptures, and silences. The
article looks at these silences, showing that they may be meaningful. In this analysis of the
transfers of knowledge between the formalist and the structuralist movements, the author looks at
the reception of these theories and brings out the clichés that may have conveyed certain
representations, often of an ideological nature, as well as the gaps which, at the time,
characterized Western and Czechoslovak readings of these theories and thus the links between
them.
Tomáš Glanc

Une généalogie du structuralisme

L’importance de la contribution est-européenne à la théorie de la littérature du


xxe siècle n’est plus à démontrer. Elle est particulièrement évidente dans le cas
du formalisme russe, en dépit de la relative confusion qui entoure l’expression de
« formalisme est-européen ». La formule est de René Wellek, qui y a eu recours,
dès 1936, lorsqu’il a voulu attirer l’attention sur la substitution de la notion de
« forme » à celle de « structure » au sein de l’école pragoise 1 et, ensuite en 1946,
lorsqu’il a intégré Roman Ingarden au formalisme 2. Son interprétation a dominé
les théories littéraires américaines, jusqu’au post-structuralisme, et marxiste (Kurt
Konrad) 3. Les structuralistes tchèques des années 1960, eux, ont ignoré la proximité
des écoles russe et tchèque et ont préféré actualiser les positions théoriques qui
avaient été celles de Konrad pendant l’entre-deux-guerres et les croiser avec la
pensée de Jan Mukarovský 4. La procession victorieuse et le développement continu
du formalisme-structuralisme le long de l’axe Moscou-Prague-Paris relèvent d’une
histoire intellectuelle, qui s’apparente beaucoup à la construction d’un « grand
récit ». Une analyse plus fine fait apparaître de nombreuses divergences entre
les travaux de chercheurs pourtant considérés comme très proches les uns des
autres – Šklovskij et Jakobson, ou Jakobson et Mukarovský 5. Lorsque l’on veut
appréhender la manière dont l’histoire de cette pensée théorique s’est écrite, on
se trouve confronté à une série d’études disparates portant sur des points particu-
liers. La question centrale à laquelle mon article s’efforcera de répondre est, dès
lors, la suivante : comment se construit un récit de la pensée théorique et de ses
sources, de ses continuités et de ses mutations, et comment ce récit influence-t-il
son objet scientifique ?

Lorsque l’on se réfère aux déclarations des protagonistes, il faut garder à


l’esprit qu’ils ont eux-mêmes épousé la logique de leur autobiographie intellec-
tuelle. Toute une série d’histoires apparaissent alors, qui ouvrent sur le « dévelop-
pement continu » d’un certain type de récits portant sur le « climat spirituel »,
sur le « structuralisme tchèque » ou encore sur le « formalisme dogmatique » 6. La

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situation est d’autant plus complexe qu’aux côtés de travaux qui font autorité on
rencontre des interprétations qui montent en épingle tel ou tel concept particulier
mais qui se trouvent être fondées sur des malentendus. La confusion règne en
matière de faits, de termes, d’objectifs ou d’influences. Le livre de Jan Broekman
publié en 1974 et consacré au structuralisme, Structuralism : Moscow, Prague,
Paris, en est un exemple. L’auteur analyse le formalisme russe, le symbolisme,
le futurisme et le marxisme, et traite également du Cercle linguistique de Prague
(CLP), sans maîtriser le russe ni le tchèque, en s’appuyant sur les rares traduc-
tions disponibles, sans tenir compte de la critique de Saussure et du formalisme
formulée par Jakobson dans ses travaux du début des années 1930, ni non plus des
débats sur le structuralisme dans la Tchécoslovaquie des années 1960, qu’il réduit
au livre Dialectique concrète de Karel Kosík. Lubomír Doležel a livré la critique
en règle d’un autre opus, bien plus influent, mais qualifié par lui d’« inepte » – le
best-seller de Terry Eagleton, Théorie de la littérature. Introduction (1983), selon
qui l’école pragoise aurait représenté un chaînon intermédiaire entre le forma-
lisme et le structuralisme, inspiré de Ferdinand de Saussure, et aurait éliminé le
sujet. De telles affirmations relèvent, pour Doležel, d’un aveuglement ridicule 7.
Eagleton, néo-marxiste irlandais, déçu par l’élitisme des études littéraires univer-
sitaires, a écrit une histoire populaire, « démocratique », de la théorie de la litté-
rature, devenue un manuel de référence traduit dans des dizaines de langues, y
compris en arabe et en sanscrit. Le canon qui en a résulté, fondé sur des approxi-
mations et des formulations vagues, a été répété à l’infini. Si l’idéologie d’Eagleton
prétend à un fondement démocratique, la théorie communiste de la littérature a,
elle, reproché au formalisme et au structuralisme leur distance à l’égard du peuple
et leurs tendances « antipopulaires ». Les racines du schéma « populaire versus
formalisme » remontent à l’année 1936, qui marque le début d’une nouvelle ère
dogmatique dans les domaines de l’esthétique et de la connaissance en Union
soviétique 8.

Tout le monde reconnaît aujourd’hui la fécondité des recherches théoriques


menées pendant la première moitié du xxe siècle en Russie, en Tchécoslovaquie
comme en Pologne (bien que des travaux fondamentaux n’aient toujours pas été
traduits). Si l’on s’interroge, du point de vue de l’histoire et du transfert des idées
et des connaissances, sur le rôle que les travaux des représentants de la méthode
formelle et du CLP ont pu jouer et sur la manière dont ils l’ont fait, on doit constater
qu’une grande part d’inconnu et nombre de malentendus demeurent. Le courant
philosophique qui s’est intéressé à la question de la forme ainsi que les travaux
menés par les chercheurs des deux institutions soviétiques qu’étaient l’Académie
d’État des sciences artistiques (GAXN, 1921-1930) et l’Institut d’État d’histoire
de l’art (GIII, 1912-1931) 9 ont produit un vaste corpus de connaissances, qui
n’a, jusque récemment, été étudié que de manière fragmentaire. La réception,
ses spécificités ou son absence, n’a pas été analysée – ou de façon très sommaire.

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Le point de vue adopté par le chercheur, on le sait, influence l’interprétation
et il n’est donc pas sans conséquence. Emil Volek, qui a longtemps fréquenté
les milieux académiques nord-américains 10, a cherché à définir les interac-
tions entre le point de vue de l’observateur et la cartographie théorique qu’il est
susceptible de dresser. Considéré du point de vue tchèque, écrit-il, le structura-
lisme tchèque ouvre une fenêtre sur le monde et témoigne de la valeur et de la
dimension internationale des chercheurs tchèques ; pour un point de vue inter­
national, il constitue une arrière-scène de l’Opojaz et du structuralisme français 11.
C’est une autre perspective encore que découvre le regard qui tient compte non
de la réputation – ou du pouvoir – de tel ou tel courant de la théorie littéraire,
non de l’influence du formalisme sur le structuralisme (ou de l’absence ou du
caractère équivoque d’une telle influence), mais de la philosophie de l’autonomie
de l’objet esthétique et de son opposition à l’idéologie de l’avant-garde (qui repose
sur l’engagement et sur une interprétation hétéronome de l’œuvre orientée vers un
but). La tension interne entre ces deux pôles a été analysée de façon convaincante
par Petr V. Zima, qui a observé que les formalistes, autant que les structuralistes,
avaient oscillé entre l’autonomie esthétique selon Kant, les idées avant-gardistes
en matière de révolution culturelle et les influences marxistes 12.

Dans le domaine des théories en sciences humaines, les interprétations idéolo-


giques ont évidemment leurs raisons d’être objectives et évidentes : sous les
régimes totalitaires, dans plusieurs pays d’Europe orientale, une idéologie scien-
tifique simpliste a brouillé les fils les plus fins de la réception, afin d’accommoder
la réflexion à un régime de lutte des classes. Le pouvoir politique a réduit à néant
les résistants, dont certains ont rejoint les cercles dissidents, l’émigration ou se
sont retrouvés en prison. D’autres ont collaboré avec les autorités, sont devenus
des gradés de l’armée officielle, sauvant leurs collègues et les discréditant en
même temps, ainsi que la science, au cours de confrontations qui laissaient peu
de place aux nuances et aboutissaient à des oppositions tranchées entre noir et
blanc. Là où la censure communiste ne régnait pas, clichés et généralisations
au sujet des liens entre formalisme et structuralisme comme la question de leur
héritage se sont également imposés.
On prête aussi trop peu d’attention à l’absence de relations et à l’influence
qui ne s’est pas fait sentir. Pourquoi, dans la discussion structuraliste des années
1960 en Tchécoslovaquie, Jakobson n’a-t-il joué qu’un rôle secondaire, alors qu’il
a visité le pays à plusieurs reprises ? Pourquoi le formalisme a-t-il été réduit à
la caricature d’un structuralisme embryonnaire ? Les recherches récentes ont
apporté des réponses à ces questions (par exemple, sur le structuralisme tchèque
considéré du point de vue du post-structuralisme ou de l’herméneutique 13). Le
problème des différents régimes d’historicité de la pensée scientifique se pose
avec acuité dans le cas du formalisme et du structuralisme, accusés de n’avoir
pas été suffisamment attentifs à la dimension historique de la littérature – critique

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par ailleurs contestée : ainsi Lubomír Doležel a-t-il mis en question l’idée d’un
anhistoricisme du structuralisme tchèque 14.
Dans le contexte idéologique de l’Union soviétique du début des années 1930
et de l’Europe orientale des années 1950, la discussion a pris la forme d’une
critique monolithique, qui a prolongé certaines des polémiques passées (par
exemple, la polémique marxiste à propos de l’opposition formalisme / marxisme).
Ces échanges, qui ne se sont pas déroulés dans le cadre d’un débat public,
ont eu pour effet de discréditer les auteurs censurés et caricaturés, mais ils ont
aussi contribué à accroître leur importance et leur attrait – la censure servant
à leur canonisation. Dans certaines conditions, la reconnaissance officielle a
pu être la source d’un discrédit et l’incompréhension une source de canoni-
sation ; bien entendu, l’inverse a été également vrai. On peut citer, à cet égard,
le cas de František Trávnícek, membre du CLP dans les années 1930, auteur en
1951 d’une brochure intitulée Le Structuralisme linguistique tchèque, du point
de vue de la théorie linguistique de J. V. Staline15 : l’auteur y produit une expli-
cation solide de la phonologie et de la compréhension du signe linguistique
et défend, en partie, le travail de ses anciens collègues, Trubeckoj, Jakobson,
Mathesius, entre autres, tous néanmoins prisonniers, selon lui, des idées fausses
ou infondées issues du « rationalisme idéal16 » que s’est révélé être le structu-
ralisme. Trávnícek s’appuie sur nombre de citations de Lenin et, plus encore,
de Staline. Dès le début des années 1950, le fruit défendu qui était l’objet de
cette critique était devenu attrayant ; au travers de l’analyse de leurs « erreurs »,
les auteurs condamnés étaient réhabilités, leurs noms et leurs travaux reconnus ;
en même temps, certaines analyses étaient réactualisées, sous une forme simplifiée
ou vulgarisée, à partir de la réinterprétation du structuralisme par Mukarovský
ou par les marxistes révisionnistes des années 1960 (Kalivoda ou Vodicka). Au
cours de la période post-stalinienne, les conditions de la réception ont changé,
permettant jusqu’à un culte du structuralisme. Il est fort probable qu’aucun de
leurs contemporains n’avait cru à la sincérité des textes où les principaux struc-
turalistes (hormis Trávnícek, Skalicka ou Mukarovský17) avaient publiquement
exprimé leurs distances avec une théorie rejetée comme idéaliste et non marxiste.
Dans le contexte nouveau de l’ère post-stalinienne, ces travaux avaient perdu leur
actualité idéologique, tout en demeurant pertinents par certains points, comme
en témoigne, par exemple, l’importance que des partisans tchèques du structu-
ralisme comme Kurt Konrad et Bedrich Václavek continuaient d’accorder à la
pensée marxiste des années 1930.
Les années 1960 ont marqué un boom du structuralisme. Kvgtoslav Chvatík,
le chroniqueur du structuralisme tchèque, distingue trois axes au sein de
l’« école pragoise des années 1960 », soulignant au passage ses proximités
avec le CLP : 1) poétique et stylistique, 2) anthropologique et socio­logique,
3) philosophique et esthétique. Chvatík soutient, de façon caractéristique, que
l’application du structuralisme à la théorie littéraire par des auteurs tels que

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Barthes, Greimas, Genette, Todorov ou Kristeva a été accueillie avec froideur à
Prague, les questions soulevées par les théoriciens français ayant toutes déjà été
abordées, notamment par Jan Mukarovský. Chvatík n’oublie pas de vanter ses
propres mérites : il se présente comme un critique influent de Heidegger et se
flatte de son interprétation non dogmatique de l’avant-garde et des formes artis-
tiques modernistes. Il établit un parallèle entre les structuralismes français et
tchèque, présentés comme interlocuteurs à part égale dans la discussion intel-
lectuelle : si les Français ont réagi à l’existentialisme sartrien, les Tchèques ont
libéré le structuralisme du dogmatisme marxiste et ont prolongé la tradition
du CLP. Dans le domaine de la sémantique marxiste, les chercheurs tchèques
ont travaillé parallèlement à Jurij Lotman et à Adam Schaff. Les membres du
CLP ont considéré qu’ils n’avaient pas à expliquer le lien qui les rattachait au
formalisme russe, Jakobson, éminent membre russe de ce cercle, ayant lui-même
souligné les racines intellectuelles proprement tchèques du CLP. Après 1926, les
représentants du formalisme russe ne se sont pas exprimés sur la question de cette
filiation – peut-être en raison des critiques croissantes des structuralistes pragois
à l’égard de l’idée de leur dépendance vis-à-vis des formalistes 18. Néanmoins,
l’idée de cet héritage s’est imposée sans nuances et de manière univoque dans
l’historiographie.

Ladislav Matgjka l’a montré dans les années 1980, l’idée du lien étroit entre
« forme » et « structure » a d’abord été avancée, dès 1936, par René Wellek, un
membre du CLP, qui a situé l’école pragoise dans la continuité du formalisme
russe – avant de réaffirmer cette thèse dans les années 1940 et 1950, dans des
publications où il a étendu ce parallèle au New Criticism, mouvement dont il
faisait alors partie 19. Il est difficile de contredire un « témoin » qui avait rejoint les
États-Unis en tant que représentant du CLP : en 1935, Wellek enseignait encore
à l’École d’études slavistiques et d’Europe orientale du Collège universitaire de
Londres, avant de devenir, à l’Université de Yale, un des pionniers de la litté-
rature comparée. Dans les archives du Cercle pour l’année 1936, aucun document
n’atteste pourtant des liens avec la méthode formelle des philologues russes.
Ce lien a été construit tel un grand récit, répété par de nombreux auteurs après le
premier chroniqueur faisant autorité qu’était Victor Erlich. Ce récit d’une filiation
continue et la formation de ce modèle intellectuel ont mis en jeu des mécanismes
d’analyse et d’évaluation divers, parfois contradictoires sinon opposés. Tandis
que René Wellek dessinait clairement le fil d’un développement organique de
l’ensemble formalisme-structuralisme-nouvelle critique, une politique officielle des
sciences humaines diabolisait la lignée formalisme-structuralisme en se fondant
sur les travaux des marxistes des années 1930, mais également sur les critiques
plus libres du formalisme émanant des milieux des sciences humaines sovié-
tiques des années 1920 (Rozalija Šor, Pavel Medvedev, Valentin Vološinov, etc.) 20.

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Bedrich Václavek et Kurt Konrad occupent une place de choix dans les débats
tchécoslovaques autour du structuralisme. Leur analyse critique des travaux du
CLP a été précisément décrite dans les études de Michal Kríž consacrées aux
polémiques qui ont entouré le mouvement dans la Tchécoslovaquie de l’entre-
deux-guerres 21. Sous des formes différentes, cette critique a perduré après guerre.
Jurij Barabaš a ainsi produit un mantra idéologique caricatural des liens entre
le formalisme et le structuralisme dans une monographie devenue, dans les
années 1970, une sorte de vitrine de la théorie littéraire soviétique officielle 22 :
publié en 1973 sous le titre Questions d’esthétique et de poétique, et traduit dans
de nombreuses langues, l’ouvrage expose une théorie de la littérature qui oppose
la dimension « populaire » et l’approche de classe à la lignée formalisme-struc-
turalisme-sémiotique. Le principal argument de Matgjka, qui conteste la réalité
de la transformation du formalisme en structuralisme (cf. note 2), est le rappel
de la dominante socio-historique de l’école pragoise, affirmée en tant que telle,
dès l’éditorial programmatique (signé par Bohuslav Havránek, Roman Jakobson,
Vilém Mathesius, Jan Mukarovský et Bohumil Trnka) paru en 1935 dans le premier
numéro de la revue du CLP, Slovo a slovesnost (SaS) 23. Dans cette première
livraison de SaS, Mukarovský s’intéresse au lien entre la langue et la stratification
sociale et cite Le Marxisme et la Philosophie du langage de Vološinov 24. Un an
plus tard, Jakobson revisitera ses recherches sur la poésie hussite en prenant en
compte la propagande sociale et religieuse 25. C’est à cette dimension sociale – une
constante des tendances du Cercle – que correspond l’intérêt pour la « langue de
culture », la pragmatique et la politique de la langue, une question à laquelle les
membres du CLP ont accordé une grande importance dans les années 1930. Dans
le manifeste de 1935, une attention particulière est prêtée au potentiel téléolo-
gique de la langue. Le texte est présenté comme collectif, mais l’approche qu’il
reflète est caractéristique de Jakobson, qui s’intéressait aux interventions plani-
fiées dans la vie de la langue depuis la fin des années 1910 26. Dans ce texte, la
sémiotique semble être l’outil théorique central de l’école (cf. la problématique
du signe, l’« une des questions les plus actuelles de la renaissance philosophique
contemporaine 27 »).

L’absence de traductions et donc la méconnaissance de nombreux textes comme


l’évolution de leur réception constituent une étape singulière dans l’archéologie
de l’histoire intellectuelle. C’est seulement dans les années 1960, quarante ans
après l’annonce par les formalistes de la fin du formalisme, que ce dernier s’est
inséré dans la conjoncture occidentale. René Wellek avait diffusé sa version du
canon formaliste-structuraliste dès les années 1940 28 et, en 1955, était parue
Russian Formalism – History, Doctrine (2e édition révisée, 1965), la monographie
de Victor Erlich, un étudiant de Jakobson à l’Université Columbia. Mais la publi-
cation de Théorie de la littérature (1966), l’anthologie éditée par Tzvetan Todorov,
jeune intellectuel bulgare arrivé à Paris en 1963, a été décisive pour faire entrer

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les textes des formalistes dans le canon universitaire et scientifique des sciences
humaines. La traduction n’est pas pour autant une garantie pour la réception :
certains des travaux du CLP existaient en français dès leur parution, beaucoup
avaient été publiés en allemand, leur influence n’en est pas moins restée limitée.
C’est Roman Jakobson qui a symbolisé le canon du développement organique
du formalisme vers le structuralisme. Lui-même n’a guère insisté sur les liens
entre les postulats théoriques du CLP et les recherches des formalistes russes,
et il a peu contribué à définir le structuralisme, se consacrant essentiellement à
des questions concrètes de linguistique, de théorie littéraire et de sources ou à des
considérations philologico-idéologiques plus générales (par exemple, la question
d’une culture slave). Jakobson, on le sait, a été membre du Cercle linguistique de
Moscou et de l’Opojaz puis, à la faveur des années passées en Tchécoslovaquie 29,
de l’école pragoise. Il a également appartenu au structuralisme « occidental » en
Europe, puis en Amérique du Nord, après avoir émigré, à la fin des années 1930,
en Scandinavie et, enfin, aux États-Unis, où il a vécu jusqu’à la fin de ses jours,
en 1982. Pendant la première moitié des années 1940, il a fait la connaissance
d’Ernst Cassirer et de Claude Lévi-Strauss. Il a, par la suite, établi sa notoriété
en tant que linguiste, spécialiste de la littérature et sémioticien, d’abord à l’École
libre des hautes études et à l’Institut de philologie et d’histoire orientales et slaves
puis, après la guerre, à l’Université de Columbia où, de 1946 à 1949, il a occupé
la chaire d’études tchécoslovaques créée par Thomas G. Masaryk, avant d’être
nommé professeur de langues et littératures slaves et de linguistique générale à
l’Université de Harvard. Il a quitté l’université new-yorkaise en raison, notamment,
du maccarthysme : il était alors devenu l’objet de persécutions et était soupçonné
d’être un agent communiste 30. À partir de 1956, il s’est rendu dans les pays du
bloc soviétique en tant que slaviste américain invité à des séminaires et à des
conférences qui lui ont permis de rencontrer, ou de retrouver, les représentants
de la scène scientifique officielle.

Dans le récit de la relation canonique du formalisme avec le structuralisme, la


diversité des arguments « objectifs » mobilisés est patente. Certains aspects, qui
sont au premier abord peu évidents, sont cependant intéressants et permettent
d’affiner le regard sur l’histoire des idées. Jakobson en a fait la démonstration
dans son texte de 1935 sur l’histoire du formalisme russe, présenté comme un
prolongement des traits de la culture nationale présents depuis le Moyen Âge 31.
Un autre événement notable a été le volume d’hommages à Jan Mukarovský,
publié dans les années 1960, à l’occasion de ses 75 ans, sous la direction de
théoriciens déjà reconnus 32. Alors que les contours de la censure évoluaient
et que l’époque était à la réhabilitation du structuralisme, la jeune génération
a pu, dans ces pages, préciser ses positions et élaborer son propre passé intel-
lectuel. Les chercheurs, dont les travaux portaient sur la théorie contemporaine,
ont également voulu s’insérer dans les débats internationaux. Dans ce recueil

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d’hommages à Mukarovský, le théoricien de la traduction Jirí Levý confrontait le
structuralisme tchèque à la nouvelle critique anglo-américaine (New Criticism)
et citait, outre les principaux représentants de ce courant, des théoriciens comme
Roland Barthes et Lucien Goldmann 33. Toute une série de travaux, traitant essen-
tiellement des rapports entre le structuralisme et le marxisme, ont prolongé cette
discussion, de même qu’une conférence consacrée à l’historicisme et au struc-
turalisme qui s’est tenue au printemps 1968 34 – une rencontre importante dans
le contexte intellectuel de l’époque. On a pu y entendre Vratislav Effenberger,
théoricien de la littérature et fondateur du second mouvement surréaliste tchèque
dans les années 1960, parler des changements de fonction des signes dans la
création artistique. Le structuralisme qui, dès le début de l’histoire du mouvement,
a manifesté son intérêt pour les concepts théoriques, à travers la psychanalyse
ou le marxisme, a constitué un véritable défi pour les surréalistes et pour leur
conception du monde. En 1961, Effenberger avait dressé un bilan de la méthode
structuraliste dans Les Mouvements des symboles, un ouvrage resté inédit à ce
jour 35 : il critiquait le structuralisme, qui, selon lui, ne s’aventurait pas au-delà
des limites convenues de l’art et ne travaillait que sur des œuvres dont la place
dans l’histoire de la culture était déjà reconnue et incontestable ; et, s’appuyant
sur l’analyse du poème de Vítgzslav Nezval, « Le fossoyeur absolu » (« Absolutní
hrobar »), par Jan Mukarovský, il affirmait que le structuralisme peinait à analyser
l’art contemporain 36.
Robert Kalivoda, un philosophe marxiste qui, dans les années 1940, a appartenu
au groupe clandestin des surréalistes tchèques, est l’auteur du chapitre « Dialectique
du structuralisme, dialectique de l’esthétique » (« Dialektika strukturalismu a
dialektika estetiky »), qui ouvre le volume Structure et signification de l’œuvre
littéraire (1966) 37. L’époque des attaques contre le formalisme n’a guère été
fructueuse, écrit-il, et n’a débouché sur aucune analyse scientifique de l’esthé-
tique structuraliste. Il affirme ensuite l’influence de l’école formelle russe sur le
structuralisme, et avance que l’architecture fonctionnaliste a joué un rôle décisif
dans le passage du formalisme au structuralisme. À ses yeux, le formalisme ne se
résume pas à une série d’articles mais correspond à un certain style de réflexion.
Kalivoda songe moins à l’aventurier intellectuel Šklovskij qu’au spécialiste
de la versification Tomaševskij et au théoricien de l’évolution de la littérature
Tynjanov. Le côté dialecticien de Jakobson l’intéresse moins que ses points de
vue phénoménologique 38 et téléologique 39 : son célèbre article « Linguistique et
poétique 40 » a été, en ce sens, programmatique, tout en dressant le bilan de la
fonction esthétique / littéraire exposée dès son premier livre, La Nouvelle Poésie
russe (Novejšaja russkaja poezija, 1921). Aux yeux de Kalivoda, Kurt Konrad et
Bedrich Václavek (devenu membre du CLP en 1936), tous deux critiques du
structuralisme depuis une perspective marxiste, ont cependant été des précur-
seurs bien plus importants et immédiats du structuralisme tchèque 41. Le forma-
lisme russe est certes le point de départ du structuralisme tchèque ; il est aussi,

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Une généalogie du structuralisme
pour lui, antiphilosophique. La déformation et la défamiliarisation n’apportent
pas de réponse au sens et à la signification de l’œuvre : « la théorie scientifique
de la défamiliarisation esthétique de la réalité », qui influence le principe esthé-
tique, est vide et concerne des qualités non esthétiques 42. Le tournant a été pris,
juge-t-il, lorsque Jan Mukarovský a défini l’œuvre d’art comme un fait social.
Dans « L’esthétique de Mukarovský et l’art contemporain », le chapitre de
son livre sur le structuralisme tchèque où il traite de la participation du CLP
au débat public sur la culture de la langue en 1932, Kvgtoslav Chvatík n’a pas
jugé utile de mentionner le nom de Roman Jakobson ni son rôle dans le débat 43.
C’est dans un article de Felix Vodicka sur le processus littéraire que le lecteur
peut trouver la possible raison de ce silence : la recherche de Mukarovský sur
les questions de l’évolution commencerait précisément là où se concluaient
les travaux de Tynjanov et de Jakobson 44. Vodicka, comme tous les auteurs du
recueil, considère que Mukarovský campe sur des positions plus avancées et que,
dans son article de 1929, « Über die heutigen Voraussetzungen der russischen
Slavistik » (Sur les présupposés actuels de la slavistique russe), Jakobson ne
distingue pas le structuralisme (à la recherche de lois systémiques) de la méthode
génétique (qui débouche sur des recherches fondées sur des phénomènes hétéro-
gènes) 45. La communauté intellectuelle tchèque a, de fait, ignoré les recherches
menées par Jakobson à partir de la première moitié des années 1940, notamment
son article programmatique « The Kernel of Comparative Slavic Literature 46 »,
dont le texte publié en 1944, pendant la Seconde Guerre mondiale, sous le titre
« The Beginnings of National Self-Determination in Europe 47 » est une esquisse
partielle où il propose une étude des langues et des cultures slaves fondée sur leur
proximité. Les langues slaves sont pour lui un argument à l’appui de la thèse de
l’existence d’une culture unique, du monde slave comme entité unique, distincte
de l’Europe occidentale. Jakobson utilise les résultats des recherches en phono-
logie, phénoménologie, linguistique fonctionnelle et structurale pour prolonger
une idéologie que cultivaient, déjà au xixe siècle, les slavophiles et les représen-
tants des éveils nationaux des « petits peuples ». Une telle essentialisation de
la culture slave est au plus loin des ambitions et des intérêts des structuralistes
tchèques des années 1960, qui se réclamaient, eux, du « formalisme concret »
de Johann Friedrich Herbart (1776-1841) et de l’herbartisme du xixe siècle et
qui recouraient également à certaines des thèses du CLP, cherchant à dépasser
le structuralisme d’avant-guerre dans une perspective marxiste.
Jan Patocka est sans doute le seul à avoir publiquement reconnu l’idéologie
slave de Jakobson et à avoir engagé une polémique ouverte avec lui à ce sujet.
Dans Was sind die Tschechen ? (Qui sont les Tchèques ?), écrit à partir de la fin
des années 1960 sous la forme d’une correspondance avec son amie Hildegard
Ballauff, il exprime ses doutes radicaux quant à la vision jakobsonienne des fonde-
ments slaves de la culture tchèque, que le linguiste fait remonter au xe siècle
et aux moines slavons chassés du monastère de Sázava. Patocka ne croit pas à

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Tomáš Glanc
l’idée d’un fondement anti-germanique, anti-latin et anti-occidental de la culture
tchèque 48. Sa position n’a rien d’exceptionnel, elle s’inscrit dans un courant reconnu
par les héritiers de la pensée structuraliste. Jakobson, pour sa part, entendait et
appliquait le structuralisme d’une façon diamétralement opposée à l’approche
de Kalivoda et des structuralistes-marxistes. Son structuralisme, dès ses débuts,
s’est distingué par son interprétation téléologique et son « authenticité slave »,
fondée sur une « grammaire de la poésie 49 ». Kalivoda et Vodicka, qui s’appuient
sur Mukarovský, au cours des années 1960, racontent une tout autre histoire 50.

Bien que le passage du formalisme au structuralisme fasse désormais partie


du canon de la théorie, on ne trouve quasiment pas d’étude substantielle sur les
liens entre les deux écoles dans les travaux des auteurs tchèques des années 1960.
Dans aucun des textes publiés dans Slovo a slovesnost 51 à l’occasion du dixième
anniversaire du CLP et qui dressent le bilan de l’activité du Cercle l’influence
du formalisme russe et de ses représentants n’est mentionnée. Roman Jakobson,
qui s’est pourtant intéressé aux origines du CLP, n’en parle pas non plus dans
« La scuola linguistica di Praga », un article paru en 1933, écrit en tchèque mais
publié d’abord en italien 52 ; il semble mû par une autre ambition : mettre en
évidence les lointaines racines du structuralisme et de l’approche fonctionnaliste
de la langue, des procédés littéraires et du folklore. C’est une stratégie analogue
qu’il adopte dans son analyse du formalisme exposée lors de ses cours à Brno, en
1935 53 : Jakobson fait alors remonter les origines du CLP au Moyen Âge et à Jan
Hus, le prédicateur et réformateur tchèque du début du xve siècle et l’auteur de la
réforme orthographique. Il cite, parmi les philosophes du xixe siècle auxquels va
son attention, Ignác Jan Hanuš, élève d’August Schleicher qui a défendu l’étude
scientifique des sources folkloriques, le polyglotte d’origine tchèque Cengk Šercl 54,
le philosophe et poète František Matouš Klácel, théoricien de la grammaire et du
socialisme. Selon lui, les précurseurs du CLP sont aussi liés aux milieux scienti-
fiques autrichiens : Bernard Bolzano et son élève, Vincenc Zahradník, le linguiste
Anton Marty, et le philosophe Tomáš Masaryk, devenu en 1918 le premier président
de la Tchécoslovaquie. Masaryk, l’auteur des Fondements de la logique concrète
(1885), est, pour Jakobson, plus proche des idées du CLP que ne l’est Saussure,
qui décrit les changements linguistiques comme aveugles et dépourvus de signifi-
cation alors que dans l’approche structuraliste de Jakobson il existe un lien entre
l’essence d’un phénomène et son développement. Jan Gebauer (1838-1907), auteur
d’une grammaire systématique et historique de la langue tchèque, est également
cité parmi les inspirateurs du CLP. Pas un seul des représentants du formalisme
russe n’est cité. En outre, nouveau paradoxe, aucun des deux seuls savants russes
cités par Jakobson pour décrire l’arrière-plan du CLP n’est lié au formalisme.
Il s’agit d’abord d’Aleksej Aleksandrovic Šaxmatov, fondateur de l’étude histo-
rique de la langue russe et de la littérature ancienne, et ensuite de Vladimir
Ivanovic Vernadskij, spécialiste de minéralogie, radiogéologie, cristallographie,

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Une généalogie du structuralisme
biochimie et autres sciences du vivant, célèbre pour avoir élaboré une théorie
de la biosphère et de la noosphère, icône de la science soviétique et lauréat du
prix Staline pendant la guerre, en 1943. Cette absence de références au forma-
lisme russe dans l’article de Jakobson révèle son caractère programmatique et
provocateur : dans sa lutte pour une langue poétique autonome, à quoi le CLP
est-il le plus lié ? demande-t-il. Au formalisme russe ou aux travaux précurseurs
menés dans le domaine de la métrique tchèque dans les années 1880 par Josef
Zubatý – philologue, spécialiste des langues anciennes, indianiste, slaviste et
comparatiste 55 ?

Lorsque nous cherchons à savoir comment se construit le récit de la théorie,


de ses sources, de ses évolutions et de ses mutations, nous avons affaire à deux
séries de phénomènes : d’une part, les thèses d’auteurs singuliers, qui se rapportent
à des questions concrètes et qui sont considérées comme d’importance ou perti-
nentes à un moment donné du développement de la recherche ; d’autre part, la
ligne qui se forme autour de cet ensemble d’affirmations, de suppositions et de
certitudes et qui réunit des phénomènes distincts les uns des autres. L’élaboration
de telles histoires varie ; leurs variantes, si distinctes soient-elles, s’appuient
sur les mêmes faits et sur les mêmes sources. Les narrateurs peuvent être les
chercheurs eux-mêmes – ainsi, Jakobson préférant aux formalistes russes Josef
Zubatý et Tomáš Masaryk pour incarner les précurseurs de l’école praguoise –,
mais ils peuvent aussi – c’est le cas de Victor Erlich – être des chroniqueurs plutôt
que des acteurs. Dans tous les cas, ces histoires de la pensée théorique tissent
un singulier canevas de lignes qui modélise a posteriori l’objet du récit et produit
toujours de nouvelles significations ou – selon les termes de Lotman – certains
« systèmes créatifs modélisants ».

Tomáš Glanc
tomas.glanc@uzh.ch
Université de Zurich
Traduit du russe par Stéphanie Cirac
et revu par Philippe Roussin

NOTES

1. René Wellek, « The Theory of Literary History », Travaux du Cercle linguistique de Prague, 6, 1936 :
« Études dédiées au Quatrième congrès des linguistes », p. 173-192.
2. Voir Ladislav Matgjka, qui critique ces initiatives historiographiques dans « Sociologické
zájmy Pražské školy » (Les intérêts sociologiques de l’école de Prague), in Ondrej Sládek (dir.), Ceský struk-
turalismus v diskusi (Le structuralisme tchèque en débat), Brno, Host, 2014, p. 13-22, particulièrement
p. 13 sq.

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Tomáš Glanc
3. Ibid., p. 14 sq. Peter Steiner a exposé les arguments en faveur des liens étroits entre le formalisme
russe et le structuralisme pragois, et leur influence sur la réception de ces deux mouvements, y compris dans
les travaux de Fredric Jameson ; voir son article, publié la première fois en anglais dans les années 1980 :
« Koreny strukturální estetiky » (Les racines de l’esthétique structuraliste), in Ondrej Sládek (dir.), Ceský
strukturalismus v diskusi, op. cit., p. 34-87, particulièrement p. 35 sq.
4. Ladislav Matgjka, « Sociologické zájmy Pražske školy », art. cité.
5. De fait, certaines réflexions accouchent de nouvelles configurations, réductrices à certains égards.
Ainsi, dans la monographie Structure et signification de la production littéraire (Struktura a smysl literárního
díla, 1966), dont il sera question plus loin, la réflexion de Mukarovský ne rejoint pas du tout l’initiative
théorique du formalisme ou de Jakobson, qui est pourtant centrale dans les autres interprétations. Dans les
pages qu’il consacre à Mukarovský dans ce recueil, Kvgtoslav Chvatík précise d’emblée ce qui le distingue
de Šklovskij, Jakobson et Arvatov : la poésie contemporaine n’a pas été un objet d’étude pour Mukarovský,
qui s’est essentiellement concentré sur les œuvres de la première moitié du xixe siècle (Mácha, Polák).
6. Jan M. Broekman, Structuralism : Moscow, Prague, Paris, Dordrecht, D. Reidel, 1974, p. 37, 98 et 
102 sq.
7. Lubomír Doležel, « Problémy historie literární teorie : naratologie Jana Mukarovského » (Questions
de théorie d’histoire littéraire : la narratologie de Jan Mukarovsky), in Ondrej Sládek (dir.), Ceský struktu-
ralismus po poststrukturalismu (Le structuralisme tchèque après le post-structuralisme), Praha, Host, 2006,
p. 19-31, particulièrement p. 23 sq.
8. Hans Günther écrit à ce sujet : « La campagne de lutte contre le formalisme et le naturalisme en 1936
a été menée au nom du peuple. Le comité de l’union pour les affaires artistiques, créé le 17 janvier 1936,
sous la direction de Platon Keržencev, est devenu, les années suivantes, la principale instance de censure »
(« Sovetskaja kritika i formirovanie estetiki socrealizma : 1932-1940 » [La critique soviétique et la formation
de l’esthétique du réalisme socialiste : 1932-1940], in Evgeny Dobrenko, Galin Tihanov [dir.], Istorija russkoj
literaturnoj kritiki [Histoire de la critique littéraire russe], Moskva, Novoe literaturnoe obozrenie, 2011,
p. 273).
9. Aage A. Hansen-Löve, Brigitte Obermayr, Georg Witte (dir.), Form und Wirkung. Phänomenologische
und empirische Kunstwissenschaft in der Sowjetunion der 1920er Jahre, Paderborn, Fink Verlag, 2013.
10. Emil Volek, spécialiste de littérature romane, a soutenu sa thèse en 1970 à l’Université Charles de
Prague. Dans les années 1980, il s’est installé aux États-Unis, où il est devenu, en 1984, professeur à l’Uni-
versité de l’Arizona (littératures espagnole et centre-européennes, théorie de la culture). Parmi ses publica-
tions, citons Znak, funkce a hodnota : Estetika a sémiotika um�ní Jana Mukarovského v proudech soucasného
myšlení (Zápisky z podzemí postmoderny) [Signe, fonction et valeur. Esthétique et sémiotique des arts dans
l’œuvre de Jan Mukarovský, en lien avec les courants de la pensée contemporaine (Notes d’un souterrain
du post-moderne)], Praha, Charles University / Paseka, 2004.
11. Emil Volek, « Jan Mukarovský redivivus : Co zustalo z tradice a dgdictví pražské školy ? » (Jan
Mukarovský ressuscité : que reste-t-il de la tradition et de l’héritage de l’école pragoise ?), in Ondrej Sládek (dir.),
Ceský strukturalismus po poststrukturalismu, op. cit., p. 32-43, particulièrement p. 132.
12. Petr V. Zima, « Formalismus a strukturalismus mezi autonomií a angažovaností » (Le formalisme et
le structuralisme entre l’autonomie et l’engagement), in Ondrej Sládek (dir.), Ceský strukturalismus v diskusi,
op. cit., p. 23-33, particulièrement p. 32.
13. Cf. Ondrej Sládek (dir.), Ceský strukturalismus po poststrukturalismu, op. cit.
14. Lubomír Doležel, « Problémy historie literární teorie… », art. cité, p. 19-31.
15. František Trávnícek, Ceský jazykozpytný strukturalismus ve sv�tle Stalinova uc�ni o jazyce (Le struc-
turalisme linguistique tchèque à la lumière de la théorie linguistique de Staline), Praha, Slovanské nakla-
datelství, 1951.
16. Ibid., p. 20. Cf. Jan Mukarovský, « Ke kritice strukturalismu v naší literární vgdg » (Sur la critique
du structuralisme dans notre science littéraire), Tvorba, 40, 1951, p. 964-966.
17. Voir Kvgtoslav Chvatík, Tschechoslowakischer Strukturalismus : Theorie und Geschichte, München,
Fink, 1981.
18. Karel Svoboda, « O takzvané formální metodg v literární vgdg » (Sur la prétendue méthode formelle
dans la science littéraire), Naše v�da, 2, 1934, p. 37-45. Miloš Weingart, « Úvaha o zkoumání ceského

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Une généalogie du structuralisme
individuálního jazyka, zvl. básnického a o tzv. strukturalismu » (Réflexions sur la recherche d’une langue
individuelle tchèque, en particulier poétique, et sur le prétendu structuralisme), Casopis pro moderní filologii,
36, 1935, p. 79-85 et 365-370.
19. René Wellek a pris une part active aux travaux du Cercle pendant la première moitié des années 1930 :
il y a présenté un exposé sur la Théorie de la prose de Šklovskij (le 12 mars 1934), et en 1936 il a participé
à la célébration de ses dix ans. Voir Pražský lingvistický kroužek v dokumentech (Le Cercle linguistique de
Prague. Documents), Praha, Academia, 2012, p. 140 et 658 ; voir aussi Ladislav Matgjka, « The Sociological
Concerns of the Prague School », in Yoshua Tobin (dir.), The Prague School and its Legacy, Amsterdam,
J. Benjamins, 1988, p. 219-226, particulièrement p. 219.
20. Pavel Medvedev, Formal’nyj metod v literaturovedenii (Kriticeskoe vvedenie v sociologiceskuju
poetiku) [La méthode formelle dans la théorie littéraire (introduction critique à une poétique sociologique)],
Leningrad, Priboj, 1928 ; traduction française : La Méthode formelle en littérature, édition critique et traduction
de Bénédicte Vauthier et Roger Comtet, postface de Youri Medvedev, Toulouse, Presses universitaires du
Mirail, 2008. Valentin Vološinov, Marksizm i filosofija. Osnovnye problemy sociologiceskogo metoda v nauke
o jazyke (Le marxisme et la philosophie de la langue. Questions fondamentales de la méthode sociologique
appliquée à la science de la langue), Leningrad, Priboj, 1929.
21. Michal Kríž, Boj o strukturalismus. Archeologie ceského literárn�v�dného strukturalismu (Le combat
pour le structuralisme. Une archéologie du structuralisme de la science littéraire tchèque), Olomouc,
Univerzita Palackého, 2013, p. 129-140.
22. Jurij Barabaš dirigeait, dans les années 1970, l’Institut de littérature mondiale de l’Académie des
sciences d’Union soviétique ; il a également été conseiller au service de la culture du comité central du
PCUS, avant d’être ministre adjoint de la Culture jusqu’en 1984.
23. Bohuslav Havránek, Roman Jakobson, Vilém Mathesius, Jan Mukarovský, Bohumil Trnka, « Úvod »
(Introduction), Slovo a slovesnost (Mot et verbe), 1, 1, 1935, p. 7-9, http://sas.ujc.cas.cz/archiv.php?art=1.
24. Jan Mukarovský, « Poznámky k sociologii básnického jazyka » (Notes sur la sociologie de la langue
poétique), ibid., p. 29-38, http://sas.ujc.cas.cz/archiv.php?art=5.
25. Roman Jakobson, « Úvahy o básnictví doby husitské » (Réflexions sur la poésie de l’époque hussite),
Slovo a slovesnost, 2, 1, 1936, p. 1-21, http://sas.ujc.cas.cz/archiv.php?art=121.
26. « Lorsque la culture de la langue croît, l’intervention de la société dans l’évolution de la langue se
systématise, allant vers une plus grande planification » (« stoupá-li jazyková kultura, vzr�stá plánovitost zásah�
spolecnosti do jazykového vývoje ») [Bohuslav Havránek, Roman Jakobson, Vilém Mathesius, Jan Mukarovský,
Bohumil Trnka, « Úvod », art. cité, p. 1-7 (citation p. 2 sq.), http://sas.ujc.cas.cz/archiv.php?art=1].
27. « Je dán problémem znaku, který je jeden z nejnaléhav�jších filosofických problém� soucasného
kulturního prerodu » (ibid., p. 2).
28. René Wellek, « The Revolt Against Positivism in Recent European Literary Scholarship », in
W. S. Knickerbocker (dir.), Twentieth Century English, New York, Philosophical Library, 1946, p. 67-89.
Rappelons que la première édition de l’influente théorie littéraire de Wellek et Warren, où l’on trouve
des réflexions publiées dans les Travaux du Cercle linguistique de Prague en 1936, est parue pendant la
Seconde Guerre mondiale ; voir René Wellek, Austin Warren, Theory of Literature, New York, Harcourt Brace
Jovanovich, 1949 ; traduction française : La théorie littéraire, trad. Jean-Pierre Audigier, Jean Gattégno,
Paris, Seuil, 1971.
29. Il y a vécu entre 1920 et 1939, en tant que citoyen soviétique toujours détenteur de son passeport,
puis comme citoyen tchécoslovaque, nationalité qu’il a obtenue en 1937.
30. Voir Steven Rudy, « Jakobson pri makkartizme » (Jakobson sous le maccarthysme), in Roman Jakobson,
Teksty, Dokumenty. Issledovanija (Textes. Documents. Recherches), Henryk Baran, S. I. Gindin (eds), Moskva,
RGGU, 1999, p. 192-199.
31. Roman Jakobson, Formal’naja škola i sovremennoe russkoe literaturovedenie (L’école formelle et la
critique littéraire russe contemporaine) [1935], Tomáš Glanc (ed.), Moskva, Jazyki slavjanskix ku’ltur, 2011.
32. Milan Jankovic, Zdengk Pešat, Felix Vodicka (dir.), Struktura a smysl literárního díla (Structure et
signification de la production littéraire), Praha, Ceskoslovenský spisovatel, 1966.
33. Jirí Levý, « Ceskoslovenský strukturalismus a zahranicní kontext » (Le structuralisme tchéco-slovène
et le contexte étranger), in ibid., p. 58-69, particulièrement p. 58 sq. et 65.

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34. Voir Jan Zouhar, Konference o strukturalismu a historismu v roce 1968 (La conférence sur le struc-
turalisme et l’historicisme), recueil de travaux publiés par la faculté de Brno, Masarykova univerzita, 56,
2007, p. 85-90. Je remercie Ivan Lando, un interlocuteur inspirant pendant la rédaction de cet article, d’avoir
attiré mon attention sur cette conférence.
35. Vratislav Effenberger, Pohyby symbol� (Les mouvements des symboles), manuscrit, Archiv Vratislava
Effenbergera, 1961.
36. Jan Mukarovský, « Sémantický rozbor básnického díla (Nezvaluv “Absolutní hrobar”) » (Analyse
sémantique d’une œuvre poétique [« Le fossoyeur absolu » de Nezval]), Slovo a slovesnost, 4, 1, 1938, p. 1-15 ;
traduction française : « Analyse sémantique d’une œuvre poétique : “Le fossoyeur absolu” de Nezval », in John
Pier et al. (dir.), Jan Mukarovský : Écrits 1928-1946, trad. Jean Boutan et al., Paris, Éditions des Archives
contemporaines, à paraître.
37. Robert Kalivoda, « Dialektika strukturalismu a dialektika estetiky » (Dialectique du structura-
lisme, dialectique de l’esthétique), in Milan Jankovic, Zdengk Pešat, Felix Vodicka (dir.), Struktura a smysl
literárního díla, op. cit., p. 13-39, particulièrement p. 13.
38. Cf. Elmar Holenstein, Jakobson ou le Structuralisme phénoménologique, Paris, Seghers, 1974.
Jakobson s’est à plusieurs reprises intéressé à la notion de « phénoménologie de la langue » ; cf. son article
« Die Arbeit der sogenannten Prager Schule » (1936), in Selected Writings, vol. II, Word and Language,
Berlin / New York, Mouton, 1971, p. 547-550, particulièrement p. 547.
39. Jakobson tenait en haute estime le livre du philosophe tchèque Karel Engliš, Teleologie jako forma
v�deckého poznání (La téléologie comme forme de connaissance scientifique), Praha, F. Topic, 1930.
40. Roman Jakobson, « Linguistique et poétique » (1960), in Essais de linguistique générale, trad. Nicolas
Ruwet, Paris, Éditions de Minuit, 1963, p. 209-248.
41. Robert Kalivoda, Moderní duchovní skutecnost a marxismus, Praha, Ceskoslovensky spisovatel,
1968, p. 16.
42. Cf. ibid., p. 19-29.
43. Kvgtoslav Chvatík, Tschechoslowakischer Strukturalismus, op. cit., p. 46.
44. Felix Vodicka, « Celistvost literárního procesu. K vývoji teoretického myšlení v díle Jana
Mukarovského », in Milan Jankovic, Zdengk Pešat, Felix Vodicka (dir.), Struktura a smysl literárního díla,
op. cit., p. 87-107, particulièrement p. 92.
45. Ibid., p. 94. Cf. Roman Jakobson, « Über die heutigen Voraussetzungen der russischen Slavistik »,
Slavische Rundschau, 1, 8, 1929, p. 629-646.
46. Roman Jakobson, « The Kernel of Comparative Slavic Literature », Harvard Slavic Studies, 1, 1953,
p. 1-71.
47. Roman Jakobson, Selected Writings, vol. VI, Early Slavic Paths and Crossroads, Berlin / New
York / Amsterdam, Mouton, 1985, p. 115-128.
48. Jan Patocka, Ceši II (Tchèques II), Praha, Oikhoymen, 2006, p. 266 sq. et 269 sq.
49. Roman Jakobson, « Poezija grammatiki i grammatika poezii » (La poésie de la grammaire et la
grammaire de la poésie), in Donald Davie et al. (dir.), Poetics poetyka poètika, Den Haag / Warszawa, Mouton,
1961, p. 397-417.
50. Voir les travaux de Patrick Sériot et, en particulier, Structure et totalité. Les origines intellectuelles
du structuralisme en Europe centrale et orientale, Limoges, Lambert-Lucas, 2012.
51. Slovo a slovesnost, 2, 3, 1936 ; Slovo a slovesnost, 3, 1, 1937.
52. Roman Jakobson, « La scuola linguistica di Praga », La Cultura, XII, 3, 1933, p. 633-641 ; pour
la version tchèque : « O predpokladech pražské linguistické školy » (Des hypothèses sur l’école linguis-
tique de Prague), Index, 6, 1, 1934, p. 6-9. Voir aussi id., Selected Writings, vol. IX, Completion, Berlin,
De  Gruyter / Mouton, 2014, p. 1-7.
53. Roman Jakobson, Formal’naja škola i sovremennoe russkoe literaturovedenie, op. cit.
54. Cengk Šercl (1843-1906) : linguiste polyglotte tchèque, il a enseigné à l’Université de Kharkov et
est l’auteur d’une Grammaire comparative des langues slaves et des autres familles de langues.
55. Voir Josef Zubatý, « Ngkteré myšlénky o vývoji metrické formy » (Pensées sur l’évolution de la forme
métrique), Listy filologické, 13, 1, 1886, p. 19-35.

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Une généalogie du structuralisme
RÉSUMÉ

Une généalogie du structuralisme


Quels liens relient le formalisme au structuralisme ? L’article suggère que toute théorie est aussi une
narration qui peut être analysée à partir du contexte de son élaboration et du parcours de ses auteurs – Roman
Jakobson, René Wellek, Jan Mukarovský, suivis de la jeune génération des années 1960. Le récit qui se
dégage ne suit pas toujours une ligne claire et continue ; en étudiant ce type de construction narrative, on
saisit ses mutations, ruptures et silences. L’article interroge ces silences en montrant que ceux-ci peuvent
être porteurs de sens. Dans son analyse des transferts de connaissance entre les mouvements formaliste et
structuraliste, l’auteur s’intéresse à la réception de ces théories, et fait ressortir les clichés qu’ont pu véhiculer
certaines représentations, souvent idéologiques, ainsi que les écarts qui ont distingué à l’époque les lectures
occidentales et tchécoslovaques de ces théories, et, partant, de leurs liens.

Mots-clés : formalisme, structuralisme, Cercle linguistique de Moscou, Cercle linguistique de Prague,


Opojaz, nouvelle critique, transfert des connaissances

SUMMARY

A Genealogy of Structuralism
What are the links between formalism and structuralism ? This article suggests that all theories are also
a narration that can be analyzed based on the context of their development and the journey of their authors —
Roman Jakobson, René Wellek, Jan Mukarovský, followed by the young generation of the 1960s. The narrative
does not always follow a clear and continuous line ; when studying this type of narrative construction, one seizes
mutations, ruptures, and silences. The article looks at these silences, showing that they may be meaningful. In
this analysis of the transfers of knowledge between the formalist and the structuralist movements, the author
looks at the reception of these theories and brings out the clichés that may have conveyed certain representa-
tions, often of an ideological nature, as well as the gaps which, at the time, characterized Western and Czech-
oslovak readings of these theories and thus the links between them.

Keywords : formalism, structuralism, Moscow Linguistic Circle, Prague Linguistic Circle, Opojaz, New
Criticism, transfer of knowledge

RESUMEN

Una genealogía del estructuralismo


¿Qué vínculos unen el formalismo con el estructuralismo ? Este artículo sugiere que toda teoría es también
una narración que puede analizarse a partir del contexto de su elaboración y de la trayectoria de sus autores
— Roman Jakobson, René Wellek, Jan Mukarovský, y luego la joven generación de los años 60. El relato que
se desprende no siempre sigue una línea clara y continua ; estudiando este tipo de construcción narrativa, se
entienden sus mutaciones, rupturas y silencios. El artículo cuestiona esos silencios mostrando que pueden ser
significativos. En su análisis de las transferencias de conocimiento entre el movimiento formalista y el estruc-
turalista, el autor se interesa por la recepción de estas teorías, recalcando los clichés que pudieron acarrear
algunas representaciones, a menudo ideológicas, así como las diferencias que caracterizaron, en la época, las
lecturas occidentales y checoeslovacas de dichas teorías, y por consiguiente los vínculos entre ambas.

Palabras claves : formalismo, estructuralismo, Círculo lingüístico de Moscú, Círculo lingüístico de Praga,
Opojaz, Nueva crítica, transferencia de conocimiento

Communication_Livre_BaT.indb 211 27/09/2018 16:19

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