L’intuition et eurêka !

Souvent, on rappelle que les grandes décisions – celles qui ont marqué l’Histoire ou la Science –
ont été prises d’instinct, sur l’instant, ou qu’elles ont jailli à la conscience, sans qu’on en comprenne
l’origine. On attribue à Albert Einstein l’aphorisme : « la seule vraie chose de valeur, c’est
l’intuition »1. Qu’il s’agisse d’Archimède (et le calcul de densité d’un solide), de Kekulé (la forme
hexagonale d’une molécule de benzène) ou d’Einstein (la relativité du référentiel), la plupart des
grands chercheurs ont vécu à un moment donné de leur vie cette expérience exaltante.
À l’aide d’expérimentations d’imagerie fonctionnelle (IRM et EEG), des chercheurs américains
ont pu déterminer quelles zones cérébrales spécifiques étaient différentiellement activées lorsque des
solutions étaient trouvées soudainement par intuition (versus des solutions trouvées classiquement par
raisonnement)2. Deux constats sont avancés : d’une part, l’hémisphère droit semble davantage actif
dans les conditions intuitives par rapport aux conditions raisonnées et d’autre part, le gyrus temporal
supérieur antérieur (BA 22 ; cf. Focus du chapitre 4) semble s’activer 300 ms avant l’apparition
inattendue de la solution3. Ce qui apparaît assez clairement – et ce point était développé dans le
Chapitre 3 – c’est qu’une partie probablement majoritaire de nos cogitations s’effectue sur un mode
inconscient, qui ne nous est pas accessible par introspection. Les processus cognitifs les plus
complexes pourraient fonctionner de cette manière.
Ainsi, ce qui semble être une décision spontanée pour un produit dans un rayon de supermarché,
est en fait le produit d’un processus cognitif resté sous le seuil de conscience, qui avait consisté à
percevoir de manière périphérique la couleur et le graphisme d’un logo, à les rapprocher d’une
représentation mentale précédemment mémorisée, à associer cette dernière à l’affect positif d’une
expérience satisfaisante passée, pour induire une prédisposition à l’approche et une préparation
motrice à la prise en main.

1
Albert Einstein a dit par ailleurs : « L’intellect n’a pas grand chose à voir avec la découverte. Un sursaut de
conscience intervient, appelez-le intuition ou ce que vous voulez, mais la solution arrive à vous, sans que vous
sachiez ni comment ni pourquoi. »

2
Il ne s’agissait pas ici de trouver une formule révolutionnaire, mais plus simplement, de résoudre des rébus ou
des devinettes ; le processus d’apparition soudaine de la solution reste identique.

3
JUNG-BEEMAN M. et al., « Neural Activity When People Solve Verbal Problems with Insight », PLoS Biology, 2, 4,
500-510 (2004).