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Direction éditoriale 

: Stéphane Chabenat
Éditrice : Coralie Delvigne
Conception graphique et mise en pages : So Office
Conception couverture : olo. éditions
Illustrations : Chris Pavone
 
Les éditions de l’Opportun
16, rue Dupetit-ouars
75003 Paris
www.editionsopportun.com
SOMMAIRE

Introduction
Qu’est-ce qu’un biais cognitif ?
D’où viennent-ils ?
Un biais cognitif est à différencier d’une « dissonance cognitive »
Les biais, sont-ils un problème ?
Combien y a-t-il de biais dans nos têtes ?
Plongeons dans notre cerveau, à la chasse aux biais !
Index des biais
INTRODUCTION

Qu’est-ce qu’un biais cognitif ?


Des biais cognitifs, nous en subissons tous, tous les jours de notre vie, sans
nous en rendre compte  ! Mais qu’est-ce que c’est, un biais cognitif  ?
Commençons par dé nir ces deux mots.
D’abord, un « biais » : le Larousse dé nit ce mot par le caractère de ce qui
est «  oblique  », comme une ligne qui ne suivrait pas une direction
principale. Ensuite, dé nissons le mot « cognitif » : Le Robert nous explique
qu’il quali e ce qui concerne «  l’acquisition des connaissances  ». Plus
précisément, la cognition est « le processus par lequel un organisme acquiert
la conscience des évènements et des objets de son environnement ».
Nous en tirons donc la conclusion suivante, un biais cognitif est une
pensée oblique, une déviation, qui se glisse dans notre perception du monde
qui nous entoure. On peut aussi dire que c’est une distorsion de la réalité par
notre cerveau, un schéma de pensée trompeur, qui a l’apparence de la
logique, et que nous utilisons avec assurance sans nous rendre compte que
notre cerveau nous a en réalité joué un tour. Ce mécanisme inconscient
fausse notre jugement et nous empêche de prendre une décision rationnelle.
Et des biais cognitifs peuplent notre cerveau par centaines !
Ce concept de « biais » cognitif fut introduit au début des années 1970 par
Daniel Kahneman (psychologue et économiste américano-israélien et prix
Nobel d’économie en 2002) et Amos Tversky (psychologue israélien, décédé
en 1996). Le but était, à l’origine, d’expliquer certaines tendances à prendre
des décisions complètement irrationnelles dans le domaine économique.
Depuis, une multitude de biais se manifestant dans plusieurs situations de la
vie ont été identi és par les chercheurs, et certains d’entre eux sont sidérants.
On peut même avoir beaucoup de mal à concevoir que l’on s’est fait mener
en bateau de la sorte par notre cerveau.
D’où viennent-ils ?
Certains biais peuvent s’expliquer par le fait que notre capacité à
appréhender le monde de façon rationnelle nous a momentanément lâchés.
Quand notre cerveau fait face à un manque d’informations ou au contraire à
une surcharge d’informations impossible à traiter, à une nouveauté, ou
encore à une décision à prendre avec peu de recul et dans un temps très
court, il se base sur tout ce qu’il sait déjà (ou croit savoir) pour gérer la
situation «  sans nous  ». Cela provoque des raccourcis cognitifs, des
jugements rapides.
On appelle également ces approximations des « heuristiques » : le fait de
créer un raccourci mental qui permet de prendre une décision rapidement,
de résoudre un problème, mais à partir de connaissances incomplètes, sans
faire intervenir tous nos processus rationnels et sans utiliser toutes les
informations pertinentes sur le sujet.

EN BREF
1. Trop d’informations ? Le cerveau filtre en masse et ne s’encombre que du strict
nécessaire.
2. Le manque d’information rend les choses confuses  ? Le  cerveau remplit les
trous tout seul.
3. Il faut agir vite ? Le cerveau saute directement aux conclusions.

Daniel Kahneman, cité plus haut, a déterminé que notre cerveau


fonctionne selon 2 modes de pensée distincts. Il les a baptisés Système 1 (S1)
et Système 2 (S2).
Le système 1 est automatique, rapide, stéréotypé, inconscient, il applique
des réponses connues, accomplit une association d’idées sans effort et nous
fait agir de façon intuitive à chaque fois que l’on n’a pas le temps de ré échir.
Ce système est très sensible aux biais cognitifs et aux erreurs.
Le système 2, lui, prend le temps de la ré exion, de l’analyse et de la
logique. Mais il est lent et demande un effort conscient.

TESTEZ VOS SYSTÈMES 1 ET 2


Pensez à un outil ! Très vite.
L’immense majorité d’entre nous, sans réfléchir, pensons à un marteau. C’est un
outil assez commun.
Avec le système 2  : Si on vous demande de penser à un outil «  sauf à un
marteau », vous êtes obligé de réfléchir, et vous penserez à un plus vaste choix
d’outils, comme des pinces ou des tournevis.
De la même façon, si on vous demande de lire rapidement ceci :

Avec le système 1 vous pourriez dire « A, B, C »


Mais avec le système 2, plus réfléchi, vous pourriez dire : « A, treize, C », car le I3
et le B peuvent s’intervertir si on s’y attarde.
Répondez à cette question très rapidement (ou posez-la à quelqu’un, le
mieux étant de lui montrer vos mains pour accentuer le biais
visuellement) :
J’ai 10 doigts dans 2 mains, combien ai-je de doigts dans 10 mains ?
La majorité d’entre nous répond 100  ! Notre système 1 a encore été trop vite…
Notre système 2, lui, aurait pris le temps de réfléchir et aurait vu que 10  mains
donnent 50 doigts.

Même si la plupart du temps nous utilisons de façon complémentaire ces 2


systèmes, le système 1 est souvent privilégié par le cerveau et c’est celui qui
fait le plus d’erreurs, d’où les biais cognitifs !

Un biais cognitif est à di érencier d’une « dissonance cognitive »


Cette dernière fait partie de la psychologie sociale, et elle est dé nie
comme un inconfort psychologique, voire un véritable con it interne, qui se
produit chez un individu lorsque ce qu’il croit intimement, pense ou ressent,
se trouve être tout d’un coup en contradiction avec ce qu’il observe, le réel,
un fait. Par exemple, une personne pourrait se dire : « On court à notre perte
si on ne relève pas le dé de l’écologie ! Mais l’avion c’est quand même bien
pratique. », ou encore : « La violence animale, c’est terrible ! Mais la viande
c’est si bon. » La personne tentera alors à ce moment-là de se « soulager » de
cette dissonance, soit en changeant carrément ses convictions («  De toute
façon l’écologie m’ennuie et je n’y crois plus.  »), soit en ajustant son
comportement («  Je ne mangerai plus de viande.  »  ; «  Je voyagerai
uniquement en train maintenant  !  ») ou encore, le plus courant, en
rationalisant (« De toute façon ce ne sont pas mes quelques kilos de viande
consommés par an qui changeront quelque chose, et l’animal sera tué que je
le mange ou pas ! »)
La théorie de la dissonance cognitive est née au milieu des années 1950 à
travers les travaux menés par le psychosociologue américain Léon Festinger
et ses collègues de Stanford. Il s’interrogeait sur la naissance des rumeurs
dans le cadre d’un climat social difficile  : pourquoi les survivants d’un
tremblement de terre survenu en Inde en 1934 avaient-ils propagé l’idée que
des répliques du séisme allaient s’ensuivre, alors que c’était totalement
infondé puisqu’ils étaient coupés de toute information et communication du
reste du monde et que personne n’avait validé cela  ? Festinger compris
l’utilité psychologique et sociale des rumeurs : face à une vulnérabilité vécue
comme trop anxiogène, comme une catastrophe naturelle, les gens
ressentent le besoin de créer une cognition pour apaiser la tension
psychologique qui les affecte et qui est engendrée par des éléments
incompatibles. Dans le cas étudié, ils avaient besoin de légitimer leur anxiété
en s’attendant à un évènement encore pire. Ils ont eux-mêmes répandu une
rumeur anxiogène (les répliques à venir), a n de rendre leur anxiété
cohérente : s’ils sont angoissés, c’est pour une bonne raison, et « leur univers
mental redevient cohérent ».
 
Face à une dissonance cognitive, notre cerveau voudra :
1
. Ajouter des éléments permettant de justi er la dissonance.
2
. Réinterpréter le réel.
3
. Minimiser l’importance de la dissonance
4
. Faire comme si l’un des éléments dissonant n’existait pas, l’oublier.
Pour conclure cet aparté sur les dissonances cognitives, lisons la plus
courte fable écrite par La Fontaine (inspirée d’un texte grec du philosophe
Ésope) :
Certain Renard Gascon, d’autres disent Normand,
Mourant presque de faim, vit au haut d’une treille
Des raisins mûrs apparemment,
Et couverts d’une peau vermeille.
Le galant en eût fait volontiers un repas ;
Mais comme il n’y pouvait atteindre :
« Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats.
Fit-il pas mieux que de se plaindre ? »
– Jean de La Fontaine, Fables, Livre III, 11,
« Le Renard et les Raisins »

Cette fable montre parfaitement comment l’esprit préfère le déni (les


raisins sont trop verts) pour calmer une frustration douloureuse issue d’une
dissonance cognitive. Le renard préfère se convaincre d’une réalité
alternative pour mieux vivre le fait qu’il ne peut répondre à un besoin.

Les biais, sont-ils un problème ?


Chaque jour notre cerveau reçoit environ 60  000 informations. En se
basant sur cette montagne de stimuli, on estime qu’il prend à peu près
35  000 décisions. La majorité d’entre elles sont des décisions très simples,
comme mettre ses chaussettes, poser son téléphone sur le bureau, ouvrir une
porte de la main droite, se gratter la tête avec l’index, allumer l’ordinateur,
lire un SMS, tirer la chasse d’eau, descendre le trottoir du pied droit… Mais
imaginez que ces 35  000 décisions soient toutes faites de façon consciente.
Cela représenterait une somme d’énergie et de temps épuisante.
Heureusement, notre cerveau met la plupart de ces processus sur «  pilote
automatique » a n de nous permettre de nous concentrer sur un minimum
de décisions importantes. Ces raccourcis de pensée, ces biais, sont donc
souvent nécessaires et souvent pertinents. Mais il arrive que pour des choses
plus importante, ils nous induisent en erreur. En effet, les biais cognitifs
in uencent nos choix, en particulier, comme on l’a vu, lorsqu’il faut gérer
une quantité d’informations importantes (ou un manque cruel
d’informations) ou que le temps est très limité. Il se produit alors une forme
de dysfonctionnement dans notre raisonnement. Cela a pour conséquence
que, pour passer à l’action ou donner un sens à un évènement, notre cerveau
va insidieusement utiliser des croyances subjectives inconscientes, et le
risque de construire des illusions et de prendre des décisions erronées
devient très grand. Prenons un exemple  : vous avez payé une réservation
pour un week-end à la mer, mais au dernier moment, vous apprenez qu’il va
y avoir 2 jours de pluie et qu’il sera impossible d’aller à la plage. Comme
vous avez payé une certaine somme, le «  biais des coûts irrécupérables  »
vous forcera à partir quand même, quitte à passer un week-end ennuyeux
dans le logement sans sortir, plutôt que de supporter la perte de la somme
payée et d’adapter votre week-end autrement pour qu’il soit plus agréable.
Les biais nous amènent donc à prendre plusieurs risques  : écarter des
informations nous fait en perdre certaines qui étaient très utiles et
importantes  ; les décisions prises trop rapidement peuvent s’avérer être
complètement absurdes voire catastrophiques. Vouloir donner du sens à
quelque chose sans en connaître tous les éléments et en utilisant
insidieusement des détails issus de nos suppositions nous fait créer une
histoire qui n’existe pas vraiment.
Mais un biais cognitif, ce n’est pas toujours un problème  : certains biais
représentent un avantage certain lorsqu’ils interviennent dans des
circonstances exigeant une réponse rapide à des situations mettant en jeu la
survie ! Par exemple : le fait de se mettre à courir dans le même sens qu’un
groupe de personnes avant d’avoir analysé la raison de cette course, sera bien
souvent un ré exe physiquement salvateur !
Notons que le mécanisme des biais cognitifs est systématique et nous
concerne toutes et tous  : c’est-à-dire que pour chacun d’entre nous, telle
situation entraînera tel biais cognitif, et telle autre situation tel autre biais, et
cela, même si l’on est informé de l’existence de ces biais.
D’ailleurs, ne pas reconnaître ses propres biais cognitifs est un biais en soi !
C’est le « biais de l’angle mort » : on remarque davantage les biais cognitifs et
motivationnels chez les autres que chez soi !
Être conscient de cela, connaître et apprivoiser ces biais, nous permettra
toutefois de limiter leur in uence et d’exercer pleinement notre libre arbitre
en faisant des choix rationnels et en limitant temporairement leur impact
sur nous. Cela nous permettra aussi de mieux nous connaître, mieux manier
nos émotions, mieux s’adapter à diverses situations, et prendre davantage
soin de soi. Eh oui, si nous empêchons un biais de nous trouver une excuse
ou un coupable imaginaire lorsque l’on a mal agi, nous progressons, lorsque
nous en empêchons un autre de nous voiler la face par rapport à un trait de
caractère désagréable pour autrui, nous nous améliorons, et quand nous
domptons tel biais pour éviter de prendre une décision irrationnelle, nous
nous préservons ! Nous pourrons aussi éviter de donner des leviers faciles à
ceux qui voudraient utiliser ces biais pour orienter notre façon de penser et
nos interprétations du monde.
Rappelons tout de même qu’être «  victime  » de biais cognitif n’est
absolument pas un manque d’intelligence. C’est quelque chose qui
correspond à un fonctionnement normal du cerveau humain  ! Le cerveau
n’est pas un ordinateur, mais un organe  ! Alors, pas de culpabilité à avoir.
D’ailleurs, même Danny Kahneman, le père de la discipline, avoue
franchement qu’il n’est pas meilleur malgré 40 ans passés à étudier les biais
cognitifs1 !

Combien y a-t-il de biais dans nos têtes ?


Environ 200 biais cognitifs sont référencés et généralement classés comme
ceci :
– Biais sensori-moteurs (illusions liées aux sens et à la motricité) ;
– Biais attentionnels ou biais d’attention (problèmes d’attention) ;
– Biais mnésique (en rapport avec la mémoire et son fonctionnement) ;
– Biais de jugement (déformation de la capacité de juger et d’interpréter
une information) ;
– Biais de raisonnement (paradoxes dans le raisonnement) ;
– Biais liés à la personnalité (en rapport avec la culture, la langue,
l’in uence sociale… Relatifs à l’identité et l’image que l’on a de soi).
L’américain Buster Benson, lui, a passé plus de 4 mois de congé paternité à
tenter de classer quelque 175 biais cognitifs  ! Il réduit la liste à 20 grands
biais cognitifs qu’il regroupe en 4 grandes familles de problèmes que les biais
aident à résoudre : les biais qui découlent de trop d’informations, de manque
de sens, de la nécessité d’agir rapidement, et des limites de la mémoire.
Ceci dit, comme ces classements sont souvent sujets à discussion, nous les
aborderons dans cet ouvrage dans un ordre totalement subjectif, suivant les
préférences de l’auteur, et donc, dans un ordre complètement biaisé ! Vous
trouverez à la n de ce livre un index des biais pour vous y retrouver !

1. http://amaninthearena.com/biais-cognitifs/
Plongeons
dans notre cerveau,
à la chasse
aux biais !
L’EFFET BARNUM

Vous qui lisez ce livre, je vous connais bien. J’en veux pour preuve l’examen
minutieux que je vais révéler de vous ci-dessous :
Vous avez besoin d’être aimé et apprécié, et pourtant vous savez être
critique avec vous-même. Vous avez certes des points faibles dans votre
personnalité, mais vous savez généralement les compenser. Vous avez un
potentiel considérable que vous n’avez pas encore utilisé à votre avantage.
À  l’extérieur vous êtes discipliné et vous savez vous contrôler, mais à
l’intérieur vous tendez à être préoccupé et pas très sûr de vous-même.
Parfois vous vous demandez sérieusement si vous avez pris la bonne
décision ou fait ce qu’il fallait. Vous préférez une certaine dose de
changement et de variété, et devenez insatisfait si on vous entoure de
restrictions et de limitations. Vous n’acceptez l’opinion d’autrui que dûment
démontrée. Vous avez trouvé qu’il était maladroit de se révéler trop
facilement aux autres. Par moments vous êtes très extraverti, bavard et
sociable, tandis qu’à d’autres moments vous êtes introverti, circonspect et
réservé. Certaines de vos aspirations tendent à être assez irréalistes…
Alors ? À combien estimez-vous la pertinence de cette évaluation de vous-
même ?
Lorsque le psychologue américain Bartram Forer t passer ce test de
personnalité à ses étudiants en 1948, il leur demanda de noter la pertinence
de cette évaluation de leur personnalité sur une échelle de 0 à 5. La moyenne
fut de 4,26 ! Pourtant, ils avaient tous lu la même chose. Vous l’avez compris,
l’évaluation est en réalité constituée de descriptions vagues, banales, et
s’appliquant à n’importe qui. Seulement, « l’effet Barnum » tend à vous faire
adhérer à cette description et à la considérer comme très juste, précise et
parfaitement représentative de vous-même. Ce biais cognitif fait les choux
gras de bon nombre d’astrologues, cartomanciens, mais peut aussi être
utilisé par des mentalistes, des politiciens, des pseudo-thérapeutes ou encore
tout simplement par des « séducteurs en série » sans oublier les biscuitiers
qui vendent par millions ces fameux biscuits chinois à l’intérieur desquels
un message vous apprendra ces incroyables révélations comme «  Vous ne
devriez pas faire con ance aux menteurs. » ou « Une porte est juste au coin
et attend que vous la trouviez pour l’ouvrir. » !
L’effet Barnum est accentué par 3 facteurs : si la description met l’accent sur
des traits positifs  ; si l’auteur du descriptif est vu par le sujet testé comme
une personne quali ée et qui détient une certaine autorité en la matière ; et
si le sujet pense que le descriptif lui est propre, autrement dit qu’il ne
s’applique qu’à lui (cela entraîne une validation subjective  : valider une
information ou une déclaration parce qu’elle a une signi cation qui nous
convient).

LA TANTE FANNY DE PHINEAS


L’effet Barnum tient son nom du psychologue clinicien américain Paul Meehl qui
le choisit en 1956 en référence au célèbre homme de cirque Phineas Taylor
Barnum, qui était connu pour ses talents de manipulateur.
L’effet est aussi parfois appelé «  effet tante Fanny  », parce que la même
description de la personnalité peut être appliquée « à la tante Fanny de n’importe
qui » !

De Socrate à Platon en passant par Aristote, tous souscrivaient à la


croyance que la rhétorique, ou « l’art de la persuasion », consistait en grande
partie en 3 types d’appels : le logos à la logique, l’ethos à l’éthique et le pathos
à l’émotion. Le pathos, l’appel à l’émotion, a été utilisé sans relâche tout au
long de l’histoire, de la publicité à la littérature, a n de persuader un public.
L’effet Barnum peut donc recevoir le soutien de ce qu’on nomme « l’appel à la
atterie  »  : l’utilisation de louanges et de compliments masquant une
intention ou une idée à laquelle on veut rallier l’individu atté. Par exemple :
« Une personne aussi intelligente que toi peut voir que c’est une proposition
brillante.  » (Ne pas accepter la proposition serait donc un aveu tacite de
bêtise.) ou encore : « Y a-t-il un homme costaud ici qui pourrait porter ça
pour moi ? » (Ne pas intervenir pour porter la chose en question serait un
échec à démontrer sa force physique et serait vu comme une faiblesse.)

LE SAVIEZ-VOUS ?
« On convainc un esprit, on persuade un cœur ! »
C’est la différence entre ces deux termes, qui pourraient sembler identiques.
Convaincre : faire entrer un fait dans l’esprit d’une personne avec des preuves.
Persuader : obtenir l’adhésion de quelqu’un en faisant appel à ses émotions.

Les déclarations les plus efficaces pour un bon effet Barnum incluent le
mot « parfois », comme « Parfois, vous vous sentez très sûr de vous, tandis
qu’à d’autres moments, vous n’êtes pas aussi con ant. » Il est évident que cela
s’applique à tout humain sur Terre, quelle que soit sa culture, son éducation
ou sa religion. « Vous pouvez être intelligent, mais à d’autres moments, vous
pouvez être stupide.  » Même Albert Einstein aurait été d’accord avec cette
autoévaluation !
Il n’y a aucun moyen d’être en désaccord avec une évaluation de type
Barnum, mais presque personne ne perçoit à quel point c’est absurde,
surtout si l’on vient de répondre à un long «  test  » de personnalité en 45
points qui est censé nous fournir des informations précises sur nos qualités
les plus profondes. Ce n’est que lorsque la tromperie est expliquée que la
plupart des gens se rendent compte qu’ils ont été habilement dupés.
Bien que les premiers adjectifs que nous avons envie de coller sur les
personnes tombant dans le panneau soient «  crédule  » ou «  naïf  », des
psychologues, comme le professeur britannique Adrien Furnham, avancent
que l’effet Barnum est très proche du « Principe de Pollyanna1 » : la tendance
naturelle (hors dépression ou anxiété) à se souvenir plus précisément des
choses agréables que des éléments désagréables. L’humain a, au niveau
subconscient, une inclination naturelle à se concentrer sur l’optimisme,
tandis qu’au niveau conscient, il a tendance à se concentrer sur le négatif.
Nous avons une disposition à nous souvenir des expériences passées comme
plus roses qu’elles ne se sont réellement produites. Les humains évitent les
stimuli négatifs, ils mettent plus de temps à reconnaître ce qui est
désagréable ou menaçant que ce qui est agréable et sûr. Cette sorte
d’autotromperie nous fait lire une description de nous-même
(volontairement atteuse et oue) comme agréable, valorisante, et donc…
vraie.

CRÉDULE COMME CRÉSUS


Dans la mythologie grecque, le roi Crésus (le roi de Lydie et de la fameuse
expression «  riche comme Crésus  »), au VIe  siècle avant notre ère, voulait être
guidé dans ses décisions et rechercha la sagesse d’une célèbre voyante,
l’Oracle de Delphes. Connue pour ses prédictions « à la Barnum », elle pouvait
parfois être d’une imprécision exaspérante. Mais, lorsque Crésus lui demanda sa
prédiction sur l’issue d’une éventuelle bataille avec les Perses de Cyrus le
Grand, il fut très satisfait de sa réponse : « Après avoir traversé l’Halys, Crésus
détruira un grand empire  !  » Persuadé que la victoire serait sienne, Crésus
s’avança dans la bataille… et subit une défaite totale. Il s’est avéré que le grand
empire qu’il devait détruire était en réalité le sien.

1.  Le nom dérive du roman de 1913 d’Eleanor H. Porter, Pollyanna, décrivant une lle orpheline
envoyée vivre avec sa tante Polly, qui est une femme très dure et stricte, ce qui pousse la petite
Pollyanna à se protéger psychologiquement en jouant au «  jeu heureux  »  : elle essaye de trouver
quelque chose dont elle se réjouira dans chaque situation, et de partager son optimisme aux autres.
L’EFFET DE HALO (OU EFFET DE NOTORIÉTÉ/EFFET DE
CONTAMINATION)

On connaît tous cet effet intuitivement. C’est la tendance à attribuer des


défauts ou des qualités à une personne en se basant uniquement sur des
considérations physiques, et ce, sans même connaître l’individu en question,
en étant in uencé uniquement par l’attrait visuel qu’il renvoie. Cet effet de
halo1 est à double sens : une bonne première impression sur une personne
nous poussera à interpréter tout ce qu’elle fera ou dira par la suite comme
positif, alors qu’un mauvais premier contact nous in uencera vers un
jugement plus sévère de ce qu’elle fera ou dira plus tard.
Cet effet est également très présent lorsque l’on connaît la profession d’un
individu, en le mettant rapidement dans une « case » si on découvre qu’il est
médecin, charpentier ou réceptionniste. Son apparence in uencera
également notre jugement sur lui.

NON MAIS HALO QUOI !


Cet effet ne fonctionne pas que pour les personnes, mais aussi pour les
marques  : des consommateurs peuvent juger favorablement des produits qu’ils
n’ont jamais utilisés, uniquement parce qu’ils ont vécu une expérience positive
avec un produit de la même marque (l’effet de halo est considérable avec Apple
par exemple).
Notons également que le domaine du design n’y échappe pas : si un utilisateur
est séduit par le design et l’apparence générale d’un site, il sera plus susceptible
d’avoir un jugement favorable et une meilleure opinion des produits du site !
D’ailleurs, nous sommes tous témoins de cet effet de halo lorsque l’image d’une
star, d’un acteur, d’un sportif ou d’un chanteur est utilisée par une marque pour
vanter les mérites d’un produit, signifiant à notre cerveau «  tu aimes cette
personne, elle aime ce produit, tu aimeras aussi ce produit ». Notons au passage
que ces stars sont elles-mêmes souvent choisies par des publicitaires victimes
de l’effet de halo, qui les sélectionnent pour leur aspect physique attrayant. La
boucle est bouclée. What else ?

Cet effet fut mis en évidence et nommé en 1920 par le psychologue


américain Edward L. orndike (puis démontré en 1946 par le psychologue
américain d’origine polonaise Solomon E. Asch) à partir d’une étude au sein
de l’armée, durant laquelle il observa que les officiers attribuaient des
caractéristiques positives à leurs subordonnés, une fois qu’ils avaient
découvert une qualité positive chez eux. À l’inverse, ils ne voyaient plus que
des points négatifs dans leur personnalité dès qu’ils avaient évalué une
qualité négative dans leur comportement.
Imaginez qu’on vous demande de juger, très rapidement, Kevin. On vous
dit alors de lui qu’il est : intelligent, travailleur, impulsif, critique, opiniâtre et
jaloux.
Que pensez-vous de lui ?
Maintenant imaginez qu’on vous parle d’un autre Kevin qui est lui : jaloux,
opiniâtre, critique, impulsif, travailleur et intelligent.
Pensez-vous autre chose de ce Kevin-là ?
Eh bien véri ez, ce sont en réalité les mêmes adjectifs qui vous ont été
donnés, il n’y a que l’ordre qui change  ! L’expérience a montré que si on
demande à un premier groupe ce qu’il pense du premier Kevin, les réponses
seront globalement positives. Par contre, quand on demande à un autre
groupe ce qu’il pense du deuxième Kevin, les réponses seront globalement
négatives. L’effet de halo (ici proche de l’effet d’ancrage) nous fait voir une
personne comme uniforme, avec une caractéristique générale, en s’appuyant
inconsciemment sur les premières informations que nous percevons d’elles.
Daniel Kahneman nous dit  : «  Les premiers traits de caractère de la liste
changent le sens même de ceux qui les suivent. L’opiniâtreté d’une personne
intelligente sera sans doute justi ée, et peut même susciter le respect, mais
l’intelligence chez une personne jalouse et opiniâtre la rend plus dangereuse.
L’effet de halo accroît le poids des premières impressions, parfois à un point
tel que les informations suivantes sont pour l’essentiel perdues. »2
Le biais de halo touche tout le monde, du professeur qui jugera plus
« intelligents » des élèves selon leurs traits physiques, aux intervieweurs qui
auront tendance à avoir une impression globale de l’interviewé orientée par
son allure, comme le fait de le prendre pour un intellectuel s’il porte des
lunettes. Ou encore chez les personnes qui conduisent des entretiens
d’embauche, remarquer un trait positif chez le candidat peut pousser à faire
abstraction de ses défauts, ou du moins leur prêter moins d’attention, et
vice-versa  ! Ce biais est également observable lors d’une élection
présidentielle  : l’un des candidats à la présidence française en 2022 s’est
subitement mis à porter des lunettes durant sa campagne, lunettes qu’il
enleva une fois l’élection perdue.
 
En 1973, dans une école à Clifford dans le Dakota du Nord, une expérience
fut menée avec des enseignants qui devaient décrire des enfants d’après leur
photo, et en se prononçant sur plusieurs critères comme l’intelligence, les
chances de réussite à l’école, ou encore l’évaluation de l’implication de leurs
parents dans leur scolarité. Les résultats témoignèrent de l’effet de halo, avec
les enfants perçus «  beaux  » par les enseignants qui étaient jugés plus
intelligents, ayant plus de chance de réussite et ayant des parents plus
investis dans leur éducation, comparés à leurs camarades perçus plus
« laids ».

CE BÉBÉ EST MOCHE ? IL VOUS JUGE AUSSI !


À partir de quand «  l’effet d’attractivité  » est-il présent chez un bébé humain  ?
Des visages jugés «  attrayants  » et «  peu attrayants  » par des adultes ont été
montrés par des chercheurs à des bébés de tout juste 2 mois. Résultat, les
bébés regardaient plus longtemps les premiers.

Un autre exemple d’effet de halo amusant se cache parmi les présidents


américains depuis plus d’un  siècle  ; que remarquez-vous en observant ce
tableau ?
PRÉSIDENTS AMÉRICAINS TAILLE EN CENTIMÈTRES

1901-1909 Théodore Roosevelt 178


1909-1913 William H. Taft 182
1913-1921 Woodrow Wilson 180
1921-1923 Warren Harding 183
1923-1929 Calvin Coolidge 178
1929-1933 Herbert Hoover 182
1933-1945 Franklin D. Roosevelt 188
1945-1953 Harry Truman 175
1953-1961 Dwight Eisenhower 179
1961-1963 John F. Kennedy 183
1963-1969 Lyndon Johnson 192
1969-1974 Richard Nixon 182
1974-1977 Gerald Ford 183
1977-1981 Jimmy Carter 177
1981-1989 Ronald Reagan 185
1989-1993 George H. W. Bush 188
1993-2001 William J. Clinton 188
2001-2009 George W. Bush 182
2009-2017 Barack Obama 185
2017-2021 Donald Trump 190
2021-2025 Joe Biden 183

On note que tous ces présidents sont grands, très grands par rapport à la
moyenne américaine qui est passée de 1 m 71 en 1917 à 1 m 75 en 2010. Ici,
la moyenne est de 1  m 85, soit 10  cm de plus que la moyenne actuelle. Il
semble bien que leur taille ait eu un impact sur l’image qu’ils ont véhiculé
autour d’eux (les 190 centimètres revendiqués par Donald Trump pourraient
être exagérés de 2 centimètres, si on en croit son passeport).
Abraham P. Buunk, un universitaire néerlandais qui a écrit une étude en
2013 sur la taille des présidents américains, commente  : «  C’est largement
prouvé que les personnes grandes ont plus de chance d’avoir un poste plus
important dans une organisation  ». D’après son étude, «  l’avantage des
grands candidats est sans doute une affaire de perception  : les présidents
plus grands sont notés par les experts comme de “meilleurs” présidents et
comme ayant plus de leadership et de talents de communication.  » Buunk
explique aussi que l’idée d’étudier cet aspect de la vie des présidents
américains lui est venue quand un universitaire canadien, qui se croyait
grand lui-même, est arrivé aux Pays Bas et «  s’est senti plutôt dans la
moyenne ». Il a alors décidé d’examiner les effets psychologiques de la taille
sur les relations humaines.
Gregg Murray, professeur  en science politique à l’Université Augusta, en
Géorgie, explique lui aussi que selon ses recherches, pour les élections
américaines entre 1789 et 2012 (où ne se sont présentés que des hommes), le
plus grand des 2 candidats l’a emporté 58 % du temps. Et 67 % des fois, il a
remporté le vote populaire. La haute taille d’une personne déclenche chez les
autres de nombreuses associations positives subconscientes, en particulier
pour les hommes. La plupart des gens semblent voir les hommes de grande
taille comme plus persuasifs, impressionnants et capables que la moyenne.

LA TAILLE COMPTE

Une étude américaine de 2004* a montré que les personnes de grande taille
sont en moyenne mieux payées que les plus petites  : 300  dollars annuels par
centimètres en moyenne !
*Judge, T. A., & Cable, D. M. (2004). The Effect of Physical Height on Workplace Success and Income:
Preliminary Test of a Theoretical Model. Journal of Applied Psychology, 89(3), 428–
441. https://psycnet.apa.org/record/2004-95165-004

Une étude de 2015 a montré qu’en politique, la majorité des électeurs n’ont
qu’une vision très partielle des candidats avant d’aller voter. Ils ont pour la
plupart regardé une seule vidéo d’un discours, ou bien n’ont lu que quelques
articles dans les médias, ni plus ni moins. Pourtant, si les électeurs trouvent
qu’un candidat est attirant, ils défendent l’idée qu’il est mieux informé que
les autres, plus compétent, et ce, même lorsqu’ils savent qu’il ne l’est pas
vraiment ! D’autres recherches de L’Indian Institute of Technology de Kanpur,
en Inde, ont démontré que les candidats politiques perçus par les votants
comme étant attirants physiquement, étaient plus susceptibles de recevoir la
majorité des voix aux élections.
Une expérience également très révélatrice consista à présenter à 2 groupes
d’individus un même texte écrit par une personne accusée, et tentant de se
défendre en argumentant pour son innocence. Les 2 groupes devaient noter
la personne avec une note située entre 1 et 5, 1 étant l’innocence totale, et 5
la culpabilité absolue. Mais le texte, bien qu’étant le même, fut donné
accompagné d’une photo d’identité différente  ! L’une présentait une
personne aux traits gracieux et attrayants, l’autre une personne moins
avantagée physiquement. Comme vous le devinez, le premier groupe
attribua à la personne la note de 2,8/5 (donc plutôt innocente), l’autre
groupe 4,2/5, donc fortement coupable  ! La beauté nous rend moins
coupable aux yeux des autres. On a même demandé aux 2 groupes de
décider d’une punition pour l’accusé et à nouveau, la sévérité de la peine
proposée fut plus légère pour la personne attrayante (5,6/10), et plus sévère
pour la personne disgracieuse (8/10).

LA FRAISE SUR LE GÂTEAU


Saviez-vous qu’en ajoutant une simple fraise au-dessus d’un gâteau, vous
pouvez faire croire aux gens qu’il contient moins de calories qu’il n’en a en
réalité ? Grâce au pouvoir de halo de la fraise !

1. Le terme halo, du latin halos(aire, en rapport avec l’aire circulaire du battage du grain), fait référence
à l’aire circulaire lumineuse qui apparaît autour des astres et principalement du Soleil, de la Lune et
des planètes.
2. Daniel Kahneman, Système 1 Système 2, les deux vitesses de la pensée, Flammarion, 2012.
LE BIAIS D’ANCRAGE

Une baleine bleue mesure-t-elle plus de 49 mètres ? Oui ou non ?


Combien mesure-t-elle d’après vous ?
Notez vos réponses. Nous y reviendrons.
Le biais d’encrage pousse une personne à prendre une décision basée sur sa
première impression, puis, cette première information devient un point
solidement ancré qui va in uencer les arguments, les estimations, les
décisions qu’elle prendra par la suite et qui auraient pu être différentes sans
ce point d’ancrage !
Un exemple social tout bête  : vous êtes arrivé en retard à un premier
rendez-vous ? Tout le reste de l’entretien pourra être vécu de façon négative
par celui qui vous a attendu et qui est victime de ce biais d’ancrage. Il ne
vous voit plus que par le prisme de sa première impression (ce qui n’est pas
sans rappeler, dans ce contexte-là, l’effet de halo négatif). Cela fonctionne
aussi par exemple si vous êtes mal habillé le jour de la rentrée, ou si vous
bafouillez au téléphone lors d’une première discussion avec un inconnu.
Vous recevez une étiquette de retardataire, de personne négligée ou de
mauvais causeur. Une fois cette étiquette collée, il est difficile de «  lever
l’ancre ».
Dans un autre domaine, où le biais d’ancrage est utilisé avec pro t, un
vendeur sait qu’il vaut mieux d’abord vanter tous les mérites d’un produit,
ancrer dans votre esprit les aspects positifs de l’article qu’il vend, avant de
vous donner son prix, car nalement, celui-ci vous paraîtra en harmonie
avec la première bonne impression que vous avez eu du produit (même s’il
est cher).
Le biais d’ancrage sur un chiffre ou un nombre est encore plus subtil même
lorsqu’on vous donne le prix tout de suite. Par exemple : si vous découvrez
d’abord le prix d’une voiture, qui est chère, la voiture qui se trouvera juste à
côté, avec un prix inférieur, vous semblera plus abordable et vous serez plus
susceptible de l’acheter, votre cerveau s’étant ancré sur le premier prix
observé et analysant tout le reste en fonction de lui, alors que la seconde
voiture est peut-être réellement chère elle aussi. Dans la carte d’un menu au
restaurant, pour encourager les clients à choisir un plat qui permet de
dégager une bonne marge, il est possible qu’il soit mis à côté d’un plat plus
cher a n de le rendre plus attractif.
C’est d’ailleurs précisément ce qui se passe régulièrement quand vous êtes
en train de faire vos courses (c’est le biais préféré des soldes) ! À chaque fois
que vous voyez ces publicités indiquant que tel produit était hier à tel prix,
mais qu’aujourd’hui il est à tel prix, plus bas, votre cerveau s’ancre sur le
premier prix annoncé, et vous évaluez totalement différemment le nouveau
prix. Par exemple, si on vous dit «  ce produit était à 20  euros, mais
aujourd’hui il est à 15 euros », vous avez l’impression que vous allez faire une
affaire, que « ce n’est pas cher », sans vous demander si 15 euros n’est pas, en
soi, déjà trop cher pour le produit.

EXPÉRIENCE
Placez un bol vide devant une personne, et demandez-lui combien de morceaux
de sucre on pourrait placer à l’intérieur, en lui suggérant par une question
« moins de 20, ou plus de 20 ? » En lui indiquant cette précision numérique, vous
ancrez insidieusement son esprit sur le nombre 20, et sa réponse aura tendance
à tourner autour de ce nombre, elle répondra peut-être 28, alors qu’elle aurait
répondu totalement autre chose, peut-être 50 ou 60 (ce qui est peut-être la
réalité), sans que vous ne l’influenciez par ce point d’ancrage.

Une autre expérience de James Montier, spécialiste de la nance


comportementale, montra ce biais d’ancrage qui est fréquent chez les
traders. Les questions suivantes ont été posées à un groupe d’individus :
« Écrivez les 4 derniers chiffres de votre numéro de téléphone »
« Est-ce que le nombre de physiciens à Londres est inférieur ou supérieur à
ce chiffre ? » puis « Quelle est votre estimation du nombre de physiciens à
Londres ? »
Le but de cette expérience était bien sûr de voir si la réponse à la première
question avait créé une «  ancre  » et in uencé la réponse à la question
suivante. Eh bien oui  ! Les individus dont les quatre derniers chiffres du
numéro de téléphone étaient supérieurs à 7  000 ont répondu «  environ
8 000 physiciens ». Et ceux dont le numéro de téléphone nissait par plus de
3 000 ont répondu « environ 4 000 » !
Revenons un instant à notre baleine bleue de l’introduction de ce biais.
Quelle taille aviez-vous notée ?
Les deux questions ont été posées à deux groupes au cours d’une
expérience. Le premier groupe, à qui on a posé la première question, qui
comporte un ancrage (une baleine mesure-t-elle plus de 49 mètres  ?), a
répondu en moyenne « 60 mètres ». Le deuxième groupe, à qui l’on a posé
seulement la deuxième question (combien mesure une baleine  ?) sans
ancrage, a répondu en moyenne « 30 mètres ». La vraie taille est en moyenne
de 25 mètres. On note, ici encore, que le groupe « ancré » a été in uencé à la
hausse.
Amusez-vous à tester vos amis avec ce genre de questions, vous serez
étonné du résultat et de l’in uence de l’ancrage sur les réponses. «  Le plus
grand séquoia géant du monde mesure-t-il plus ou moins de 400 mètres ? »
(Le plus grand s’élève à 115 mètres, il s’agit de l’Hypérion, en Californie).
Deux chercheurs allemands, Strack Fritz et Mussweiler omas1, ont eux
aussi mis en évidence le biais d’ancrage de façon remarquable et originale en
analysant ce qui se passerait si on donnait des points d’ancrage extravagants :
ils ont demandé à deux groupes de personnes à quel âge était mort Gandhi.
Ils ont ancré le premier groupe en lui demandant « s’il avait plus ou moins
de 140  ans  », et le second en lui demandant «  s’il avait plus ou moins de
9 ans ». Les deux points d’ancrage étaient évidemment choisis de la sorte car
tout le monde savait qu’il n’avait pas vécu aussi vieux, ni qu’il était mort aussi
jeune. Quel fut donc le résultat  ? Le groupe ancré sur 140  ans estima qu’il
avait en moyenne 67 ans à sa mort, et le groupe ancré sur 9 ans, estima qu’il
avait 50  ans. Le premier groupe ne put s’empêcher de donner un âge plus
élevé, et le deuxième plus bas. En réalité, Gandhi est mort à 78 ans.
Les ancres, même lorsqu’elles sont absurdes, exagérées, in uencent
toujours un peu la réponse. Amusez-vous à reprendre l’exemple de la baleine
bleue, et proposez 2 ancres fantaisistes comme « mesure-t-elle plus ou moins
de 20  cm  ?  » ou «  mesure-t-elle plus ou moins de 900 mètres  ?  », et vous
verrez l’in uence étonnante sur les réponses.
On a pourtant voulu se convaincre que des experts dans un domaine, les
personnes ayant une connaissance profonde d’un sujet et une grande
expérience, seraient moins enclines à tomber dans le biais d’ancrage, comme
un maçon à qui on ne la lui ferait pas en lui faisant estimer le nombre de
briques nécessaires pour un mur de telle taille ? Eh bien là aussi, des études
montrent que même des experts sont sensibles au biais d’ancrage.
Le simple fait de prononcer un chiffre ou un nombre biaise notre jugement
–  et notons que plus ce nombre est précis, plus l’ancrage est fort2. C’est
pourquoi il vaut toujours mieux être le premier à « jeter l’ancre », à donner
un chiffre, surtout pour une vente, car c’est vous qui placez l’ancre ou vous le
souhaitez. Mais l’acheteur peut tenter de se protéger de cette ancre  !
Comment ? En s’en créant une lui-même avant les négociations ! En se xant
mentalement ou en écrivant un prix qu’il a décidé de ne pas dépasser, il
pourra, peut-être, résister à l’in uence du prix d’ancrage prononcé par le
vendeur.
Il reste néanmoins très difficile de se défaire du biais de point d’ancrage.
Une étude de 1996 examinant les causes et les propriétés de l’ancrage exposa
des groupes de participants à un ancrage (en leur spéci ant bien qu’ils
étaient «  contaminés  » par cet ancrage et qu’ils devaient tout faire pour
l’éviter) et les a invités à deviner combien de médecins guraient dans
l’annuaire téléphonique local. Un autre groupe témoin n’a reçu aucune ancre
et aucune explication. Tous les groupes expérimentaux ont rapporté des
estimations plus élevées que le groupe témoin. Cela nous montre bien
pourquoi, même si nous connaissons le biais d’ancrage, et même si nous
savons pertinemment que le fait de nous donner un prix plus élevé qui
aurait baissé récemment permet d’ancrer notre esprit, nous aurons toujours
l’impression de faire une affaire !
 
Daniel Kahneman nous explique : « Les effets d’ancrage représentent une
menace. Vous êtes toujours conscient de l’ancre [le point de référence], vous
y prêtez même attention, mais vous ne savez pas comment elle vous guide,
comment elle limite votre pensée, parce que vous ne pouvez pas imaginer
comment vous auriez pensé si l’ancre avait été différente (ou s’il n’y en avait
pas eu). Cependant, vous devriez partir du principe que tout chiffre que l’on
vous suggère a un effet d’ancrage sur vous »3.
L’effet de focus (développé par Schkade et Kahneman en 1998) montre lui
aussi que nous donnons souvent trop d’importance à des facteurs limités lorsque
nous prenons nos décisions. Au lieu de prendre en compte l’intégralité des
informations disponibles pour choisir, nous nous basons uniquement sur celles
qui sont les plus distinctes et accessibles sur le moment : d’autres informations
pourraient pourtant être plus importantes, mais notre cerveau ne peut se
focaliser que sur certaines, et choisit donc les plus facilement accessibles. Le
biais de focus se manifeste aussi quand nous accordons trop d’importance à une
seule action d’un individu, sans voir cette action dans le contexte d’autres
actions, ce qui nous fait tirer une conclusion erronée sur lui.
Le biais de focus fut mis en évidence lorsque Schkade et Kahneman
demandèrent à des sujets d’évaluer dans quelle mesure ils pensaient que les
Californiens étaient plus heureux que les habitants du Midwest (centre des
USA), les sujets ont déclaré que les Californiens étaient plus heureux. Pourtant,
rien ne prouve de façon scientifique que les Californiens soient vraiment plus
heureux. Ces résultats révèlent l’effet de focus dans le sens où les gens
surestiment l’influence positive du temps ensoleillé et du style de vie décontracté
des Californiens. D’autres aspects de la vie comme les taux de criminalité ou la
sécurité contre les tremblements de terre n’ont pas été pris en compte dans la
réflexion à cause de l’effet de focus.
De la même façon, d’autres études des 2 psychologues montrèrent que les gens
considèrent l’argent comme étant un facteur de bonheur, alors que nombre
d’études tendent à montrer que les personnes ayant des revenus supérieurs à la
moyenne sont à peine plus heureuses, qu’elles ont tendance à être plus tendues
et qu’elles ne consacrent pas plus de temps à des activités agréables. L’effet de
focus sur l’argent peut faire oublier que le bonheur se trouve en réalité… dans le
relationnel, dans le fait d’avoir des relations de qualité dans lesquelles, entre
autres, on peut compter les uns sur les autres en cas de problème. D’après les
études de Robert J. Waldinger, psychiatre, professeur et chercheur à l’École de
médecine de l’université Harvard, de façon générale, ceux qui ont des relations
satisfaisantes et se sentent connectés à leur famille, leurs amis et leur(s)
communauté(s) sont plus heureux, en meilleure santé et vivent plus longtemps.
Les personnes entourées de proches sur lesquels elles peuvent vraiment
compter en cas de coup dur voient leurs fonctions cérébrales décliner plus tard
et leur mémoire est meilleure  ; et c’est la qualité qui compte et non pas la
quantité. Peu importe le nombre d’amis, c’est bien la nature des relations qui
importe.

1.  Fritz Strack et omas Mussweiler, «  Expliquer l’effet d’ancrage énigmatique  : Mécanismes
d’accessibilité sélective », Journal de la personnalité et de la psychologie sociale, 1997.
2. Lorsqu’on a demandé à un groupe de personnes d’estimer une belle villa californienne au bord de la
plage, en leur donnant une ancre précise (799  800  $) et une plus ronde (800  000  $), les résultats
montrèrent que l’estimation était plus élevée avec l’ancre précise (784  000  $) qu’avec l’ancre ronde
(751  000  $).
https://www.researchgate.net/publication/5579975_Precision_of_the_Anchor_In uences_the_Amou
nt_of_Adjustment
3. Daniel Kahneman, Système 1 Système 2, les deux vitesses de la pensée, Flammarion, 2012.
LE BIAIS D’ASSOCIATIONS IMPLICITES ET L’EFFET
D’AMORÇAGE

« De quelle couleur est une feuille de papier ? La chantilly ? La neige ? Les
nuages ? Que boit une vache ? »
Vous connaissez sûrement cette devinette rigolote qui, si vous y répondez
rapidement, vous pousse à faire appel à votre système 1 et à tomber dans le
panneau : si vous avez répondu « du lait » (au lieu de l’eau) c’est parce que
vous avez été victime du biais d’association implicite  ! Votre cerveau a été
in uencé par la couleur blanche (par ce qu’on appelle un effet d’amorçage),
et lorsqu’il a fallu répondre à la question rapidement, il a choisi la première
chose qui lui venait à l’esprit de couleur blanche et « associé » à la vache : le
lait !
Il serait trompeur de penser que nous disposons d’une parfaite conscience
de nos croyances, autrement dit, que nous savons pourquoi nous croyons
ceci ou cela. Mais les psychologues ont montré (comme avec le petit test
bien connu de la vache plus haut) qu’une partie non négligeable de nos
croyances reposent sur des mécanismes automatiques non conscients. Nous
nourrissons, sans le savoir, des associations d’idées, ce qu’on peut appeler
également des «  stéréotypes  » (des croyances exagérées, des images ou des
vérités déformées au sujet d’une personne ou d’un groupe).
Lors d’entretiens de sélection par exemple, les recruteurs sont souvent
sensibles à des caractéristiques non pertinentes pour l’évaluation  : une
personne âgée sera par exemple perçue comme une personne lente et
comme une personne qui ne peut pas comprendre les nouvelles
technologies. Même si c’est faux.
BIAIS DE STÉRÉOTYPE
Notre cerveau à tendance à classer rapidement les gens qui nous entourent  :
connus/inconnus, homme/femme, beaux/moches, mais aussi, amis/ennemis.
Quand on croise une personne qui nous « ressemble », on se sent en confiance.
Mais face à une personne différente, nous sommes plus méfiants. Face à cela,
nous utilisons des raccourcis pour nous protéger rapidement, nous forgeant une
opinion en nous basant sur nos croyances au sujet du groupe dont elle semble
être une des représentantes, et nous tombons dans le biais de stéréotype.
Combien de blagues commencent par «  C’est un Belge, un Anglais et un
Français qui… », suivies de stéréotypes pour chacun des groupes ?

Nous utilisons donc des stéréotypes parce que c’est moins fatigant mentalement
d’utiliser ces outils que d’examiner les nuances qui distinguent vraiment les
personnes. Cette «  avarice cognitive  » contribue vicieusement au maintien des
préjugés.

Croyez-vous que  : les scientifiques sont des savants fous, les Italiens mangent
souvent des macaronis, les Grecs sont fourbes, les Écossais sont avares, les
juifs sont riches et vénaux, les Russes sont ivrognes, les musulmans sont
terroristes, les Chinois sont trop prolifiques, les étrangers sont des parasites, les
sportifs ne sont pas très intelligents, les hommes ont plus de besoins sexuels
que les femmes, les hommes sont tous des machos et ne sont pas capables de
faire plusieurs choses en même temps, les femmes conduisent mal, sont
dangereuses en voiture et n’ont aucun sens de l’orientation, les blondes sont
stupides, les brunes ont du caractère, les roux ont des défauts génétiques, les
noirs sentent plus fort que les blancs ?*
*Guy Bechtel, Délires racistes et savants fous, éditions Pocket, coll. « Agora », 2006.

FAISONS UN TEST !*
Dans la liste suivante, mettez dans une catégorie les prénoms ci-dessous selon
qu’ils appartiennent à la catégorie « Homme » ou la catégorie « Femme » :
 
Stéphane
Émilie
David
Éric
Anne-Laure
Ludivine
Gabriel
Sylvain
 
L’exercice ici était simple. Par exemple Sylvain va dans la catégorie « Homme »
et Ludivine dans la catégorie « Femme ».
Refaites maintenant l’exercice en triant les mots dans les 2 catégories suivantes :
soit la catégorie «  Homme ou Carrière  » soit la catégorie «  Femme ou
Famille » :
 
Emma
Marchand
Frédérique
Gaston
Entrepreneur
Jumeaux
Parents
Sarah
Entreprise
Cuisine
Ménage
 
Vous avez certainement placé «  Jumeaux  » dans la catégorie «  Femme ou
Famille » et « Entreprise » dans la catégorie « Homme ou Carrière ».
Essayez enfin de classer la liste de mots ci-dessous dans une des deux
catégories suivante : « Homme ou Famille » et « Femme ou Carrière » :
 
Bébé
Claire
Grands-parents
Marc
Repassage
Chef d’entreprise
Emploi
Mathieu
Femme de ménage
Travail domestique
Thomas
Jessica
Bureau
Avez-vous remarqué quelque chose ?
 
Il vous a sûrement été plus difficile de placer les mots « Chef d’entreprise » dans
la sous-catégorie «  Carrière  » parce que celle-ci est couplée avec la sous-
catégorie «  Femme  ». Vous avez sans doute dû réfléchir quelques secondes
alors que les 2 listes précédentes ne posaient aucun problème. Pareil pour le mot
« Repassage » car la sous-catégorie « Famille » est couplée avec « Homme ».
Cet exercice montre que nous créons des associations mentales entre les
concepts masculins et ceux liés à la carrière ou au travail, et pour les activités
familiales, elles sont davantage associées à la femme qu’à l’homme.
Ce simple test permet de mettre en relief le biais d’associations implicites, qui
peut toucher notamment le genre, la race, les orientations politiques, mais aussi
l’âge ou le poids des personnes.
*https://ecopsycho.gretha.cnrs.fr/spip.php?article78

L’effet de race est ce qui se produit lorsque l’on n’arrive pas à différencier, à
distinguer, les visages d’un groupe ethnique : « Ils ont tous la même tête ! ». Bien
entendu c’est faux, les visages des autres groupes ethniques que le nôtre sont
tout aussi différents et hétérogènes que ceux de notre groupe, seulement, des
études* tendent à montrer que le manque de familiarité, de contact, avec un
groupe ethnique, modifie la perception des visages de ce groupe. Un contact
fréquent en revanche augmente la distinction des visages.
*https://www.researchgate.net/publication
/275968451_L’effet_de_l’appartenance_ethnique_dans_la_reconnaissance_des_
visages_de_nouveaux_arguments_pour_une_perspective_psychosociale

Des chercheurs de Glasgow et de Fribourg ont montré que l’impression


que toutes les personnes de type asiatique ou africain se ressemblent, pour
nous européens, est due à une réaction inconsciente immédiate  : notre
système visuel a appris à les classer d’emblée dans une catégorie beaucoup
plus large. Les sujets chinois réagissaient dans un premier temps de la même
manière aux visages européens, quelle que soit leur identité. «  Nous avons
démontré avec notre étude que ce phénomène est universel et se retrouve
chez tous les êtres humains », souligne les chercheurs. « À 3 mois, tous les
nourrissons peuvent identi er indistinctement les visages, explique Olivier
Pascalis, directeur de recherche au Laboratoire de psychologie du CNRS, à
Grenoble, mais à 9 mois, ils ont perdu cette capacité et classent les visages
d’autres types dans une même catégorie. Comme pour le langage, le cerveau
se spécialise très tôt pour ne traiter en détail que les signaux qui lui sont les
plus familiers. »
Les préjugés implicites affectent le comportement humain dans toute la
société, y compris dans les salles de classe, les lieux de travail et le système
juridique. Un biais implicite envers un groupe social particulier peut
déterminer comment vous traitez un individu de ce groupe.

L’EFFET DE REBOND
Lorsqu’on demande à des personnes de supprimer volontairement un
stéréotype, ce stéréotype revient en force plus tard, lorsqu’on cesse de le
supprimer. En 1994, le professeur  et psychologue américain Daniel Wegner
mena l’expérience suivante* : on présenta la photo d’un skinhead à 2 groupes, et
on demanda à tous les sujets de décrire la vie quotidienne de cette personne. Au
groupe  1 on demanda de faire attention à ne pas donner de réponses
stéréotypées, tandis qu’au groupe  2, on ne donna pas cette consigne de
suppression. Dans un deuxième temps, on montra à tous les sujets la photo d’un
autre skinhead. Cette fois-ci, on demanda simplement aux 2 groupes de décrire
la vie quotidienne de cette personne (pas de consigne d’inhibition).

Les résultats montrèrent que dans la description du premier skinhead,


conformément à la consigne, le groupe  1 donna des réponses moins
stéréotypées que le groupe  2. Mais, chose amusante, lors de la description du
deuxième skinhead, les sujets qui auparavant avaient reçu la consigne de
suppression (le groupe 1) décrivaient la vie quotidienne de ce nouveau skinhead
de manière beaucoup plus stéréotypée que le groupe 2 (dont la description n’a
que peu varié par rapport à celle du premier skinhead) !

Les résultats de cette expérience s’expliquent simplement, par un effet


d’amorçage : en effet, pour pouvoir se défaire d’un stéréotype, il faut tout d’abord
le définir précisément, afin de le visualiser, et le mettre de côté pour ne pas
l’utiliser. Par conséquent, les sujets du groupe 1 ont en réalité davantage activé
le stéréotype, en y pensant pour pouvoir l’éliminer, ce qui l’a rendu ironiquement
« hyperaccessible », et lorsqu’ils n’ont plus eu à l’inhiber, le stéréotype réapparut
beaucoup plus amplifié !
*D. M. Wegner, “Ironic Processes of Mental Control”, Psychological Review, 101, 34-52, 1994.

UNE ÉNIGME
Un homme et son fils ont un grave accident de voiture. Le père est tué sur le
coup. Son fils, lui, est conduit d’urgence à l’hôpital. Sauf qu’à son arrivée, le
docteur de permanence regarde l’enfant et s’écrie : « Cet enfant est mon fils ! »
Qui est donc ce docteur ?
Si vous ne souffrez pas ici du biais d’associations implicites, associant
inconsciemment « Docteur » et « Homme », vous aurez tout de suite compris que
ce docteur est la mère !

Vers la n des années 1950, James Vicary, un chercheur dans les études de


marché, affirma avoir mené une expérience qui consistait à observer les
effets de la perception subliminale sur les consommateurs au travers de
certains médias comme le cinéma. Il projeta une série de phrases cachées
comme « buvez du Coca-Cola » et « mangez du pop-corn » en utilisant un
tachyscope, un instrument capable de montrer plusieurs images dans un
laps de temps très court. James Vicary publia alors un rapport de
l’expérience ou il assurait que, suite à l’exposition aux messages subliminaux,
l’achat de Coca-Cola avait augmenté de 18 % et l’achat de pop-corn de 57 %.
Sauf que… en 1962, James Vicary avoua dans un article publié dans la revue
Avertising Age qu’il n’avait jamais mené sa fameuse expérience et que c’était
uniquement un coup de buzz pour faire remonter la pente à son entreprise
qui battait de l’aile. En tout cas, il a surtout réussi à prouver que la société est
très crédule et qu’une information sans fondement peut très facilement et
rapidement devenir une « vérité scienti que » dans les médias. À ce jour, il
n’a pas été prouvé de façon formelle que des images dites «  subliminales  »
pouvaient in uencer nos choix ou nous faire consommer quelque chose
contre notre gré.
Ceci dit, cela a poussé à plus d’étude et de recherches, et on sait que l’effet
d’amorçage, lui, fonctionne.
Nous traitons sans arrêt des informations, toute la journée, souvent sans
en être conscient. Chaque objet, son, image qui nous entoure crée dans notre
cerveau des associations, et nous in uence, parfois à notre insu. Ces
associations, quand elles sont activées par un stimulus, affecteront notre
façon de réagir à un stimulus ultérieur. C’est l’exemple de «  que boit la
vache » cité plus haut : on active une association déjà existante en vous (la
chantilly, la neige, le blanc, le lait…) puis on s’en sert pour in uencer votre
action suivante.
 
Petits jeux « d’amorçage » :
Pensez quelque seconde aux mots suivant :
Guerre, canon, mitrailleuse, tir, tank
Maintenant répondez à cette question :
Quelle lettre manque à la n de ce mot ?
CHA_
Vous avez certainement répondu R, pour char. Pourquoi ? Parce que vous
avez « d’abord » (amorçage) été in uencé par un champ lexical qui a trait à
la guerre, et votre cerveau, par association implicite, pense naturellement à
un char. Mais imaginez que les mots précédents aient été :
Poils, pelote, griffe, ronronnement…
Quelle lettre auriez-vous mise à la n de CHA_ ?
Eh oui ! Un T.
 
Tentez maintenant de relier ces 4 cercles entre eux en faisant uniquement 3
traits sans jamais lever le stylo :

Une des solutions est celle-ci :


On peut aussi faire un Z, en C ou un U.
Maintenant, tentez de relier ces 9 cercles entre eux avec seulement 4 traits
sans lever le stylo :

Voici la réponse :
Il est fort possible que vous n’ayez pas trouvé la réponse, à cause de l’effet
d’amorçage du premier exercice, qui a insidieusement conditionné votre
esprit à trouver une solution «  sans déborder  », sans sortir du cadre. Et
comme la solution n’existe qu’en sortant du cadre, vous étiez, sans le savoir,
bloqué par l’amorçage.
Notre comportement peut être in uencé par un signe visuel, émotionnel
ou auditif que notre mémoire a inconsciemment remarqué. L’effet
d’amorçage peut alors se manifester dans plusieurs domaines de la vie et
souvent de façon étonnante : le simple fait de vous faire vous représenter une
personne âgée, et de vous faire ré échir à un champ lexical lié à la vieillesse,
(d’après les expériences du psychologue John Bargh qui sont parfois
vivement discutées1), pourrait sans qu’on s’en rende compte, diminuer notre
vitesse de marche, ou encore, être exposé à l’image d’une bibliothèque peut
nous amener de façon inconsciente à parler à voix basse2. En 1970,
Alexandre Schauss étudia l’effet des couleurs sur le comportement  : il
découvrit que regarder une certaine nuance de rose ralentit le rythme
cardiaque et rend moins agressif. Il convainquit alors la prison de Seattle de
repeindre ses cellules…
LA TRISTESSE NOUS RALENTIT !
Il fut démontré en 2019 qu’une émotion négative ralentit nos mouvements  : le
traitement d’une émotion négative consomme plus de ressources, ce qui
interfère dans la phase de préparation cérébrale du geste.

Une expérience intéressante et assez surprenante, réalisée par le


psychologue social John Bargh, proposa à 3 groupes d’étudiants distincts de
travailler sur des mots avec un champ lexical spéci que. Le premier groupe
avait des mots liés à la politesse, comme cordial, appréciable, respect,
courtois, aimable, patient, calme… Le deuxième groupe, des mots liés au
manque de politesse, comme agressif, intrusif, répondre, rebelle, mal élevé,
prétentieux, insolant… Et le troisième groupe des mots complètement
neutres, comme voiture, glace, chemise, cheminée, rêve… À la n de
l’expérience, les individus devaient apporter leur travail à 2 professeurs,
complices de l’étude, qui ont fait exprès de ne pas prêter attention aux
étudiants venus dans leur bureau pour rendre le travail, et ils discutaient
entre eux, faisant cela jusqu’à 10 minutes. Le but étant de voir si les étudiants
allaient les interrompre ou pas. Le résultat ?
Le groupe ayant travaillé sur des champs lexicaux liés à l’agressivité a vu
62 % de ses membres interrompre les professeurs.
Le groupe au champ lexical neutre, 38 %.
Le groupe ayant travaillé sur des mots en lien avec la politesse, 18  %
seulement !
L’amorçage fut puissant !

LE SAVIEZ-VOUS ?
Dans la publicité et les médias en ligne, un titre avec des termes stimulants, des
verbes à la forme active et des promesses attractives fera plus facilement cliquer
un utilisateur.
Dans une autre expérience menée par John Bargh en 1996, des sujets se
sont vus exposés à un amorçage basé sur un stimulus sensoriel  : on a
demandé aux sujets de tenir une boisson chaude, comme un café, ou froide,
comme un soda, dans les mains le temps de répondre à des questions posées
par une personne inconnue.
Ensuite, les participants ont laissé la boisson et se sont à nouveau
entretenus avec la personne qu’ils ne connaissaient pas. À la n de l’entrevue,
on leur a demandé s’ils embaucheraient cette personne s’ils le pouvaient. La
majorité des sujets qui ont été exposés à un « amorçage positif », avec une
boisson chaude, ont trouvé leur interlocuteur plus chaleureux et ont
répondu qu’ils l’embaucheraient. Par contre, beaucoup de ceux qui ont tenu
une boisson glacée n’ont pas trouvé cette personne très chaleureuse, et
certains ne l’auraient pas embauché !
En reproduisant ce test sur des centaines de personnes, John Bargha put
mettre en évidence que nos décisions peuvent être in uencées par des
stimuli sensoriels comme la simple chaleur d’une boisson !

1. JA. Bargh, M. Chen & L. Burrows, “Automaticity of social behavior: Direct effects of trait construct
and stereotype activation on action”, Journal of Personality and Social Psychology, 71(2), 230–244,
1996.
2.  H. Aarts, A. Dijksterhuis, “e silence of the library: Environment, situational norm, and social
behavior”, Journal of Personality and Social Psychology, 84(1), 18–28, 2003.
LE BIAIS DES COÛTS IRRÉCUPÉRABLES

« Finis ton assiette, faut pas gâcher ! »


– Toutes les mères

Vous venez de réserver un week-end à la neige pour 50 euros la nuit. Dans


la foulée, vous réservez pour un autre week-end à 100 euros la nuit. Une fois
les transactions effectuées, vous vous apercevez que vous avez réservé les 2
week-ends la même date  ! Et impossible d’annuler. Il faut donc choisir. En
comparant les 2 endroits, vous voyez clairement que le chalet à 50 euros la
nuit est vraiment plus sympa que celui à 100 euros, il vous plaît plus et vous
assure un week-end plus agréable. Lequel allez-vous sacri er  ? Le chalet à
50 euros qui vous plaît ? Ou celui à 100 euros qui vous plaît moins ?
Une étude a montré que 54 % des personnes préféreront séjourner dans le
chalet à 100 euros. Pourquoi ? Pour ne pas « gâcher » la plus grosse somme.
Quitte à passer un week-end moins agréable… C’est là que le «  biais des
coûts irrécupérable  » nous empêche de raisonner rationnellement, et nous
n’arrivons pas à nous dire « de toute façon, les 150 euros sont dépensés quoi
qu’il arrive, autant séjourner dans le chalet que je préfère ».
Le biais des coûts irrécupérables a été étudié dans les années 1980 par les
psychologues américains Hal Arkes et Catherine Blumer. Ils ont analysé le
comportement de groupes d’abonnés au théâtre en fonction du tarif de leur
abonnement. Il en est ressorti que ceux qui avaient payé un prix plus élevé se
sont davantage sentis obligés d’aller plus souvent voir les pièces de théâtre
que les autres. Ceux qui avaient payé un plein tarif à 15  $ sont allés en
moyenne à 4,1 séances sur 5, et ceux qui avaient un tarif promotionnel à 8 $,
sont allés en moyenne à 3,3 séances sur 5. Le fait de payer pousse les gens à
« rentabiliser » leur investissement.
EN AVANT ! QUOI QU’IL EN COÛTE !
Ce biais est parfois appelé The Concorde fallacy ou « l’erreur de jugement du
Concorde », en référence à l’obstination des autorités françaises et britanniques
à poursuivre le financement et le développement conjoint du coûteux avion
supersonique Concorde, alors même qu’il était devenu évident que l’avion serait
un échec commercial.
Le Concorde reste tout de même un symbole de prouesse technologique et fait
briller ses 2 pays inventeurs et constructeurs à l’international, permettant, grâce
à ce « halo », de vendre pas mal d’autres avions. La persistance dans un biais à
un moment donné peut donc bénéficier de points positifs par la suite si on prend
du recul.
Le biais de continuation du plan consiste à continuer de vouloir s’en tenir à un
plan initial, alors que la situation qui avait amené à ce plan a changé et n’est plus
adaptée. Une deadline, une concentration extrême, la pression, le manque de
pause pour réévaluer les choses, le désir d’arriver «  au bout  », et bien sûr le
biais d’aversion à la perte, peuvent engendrer un biais de continuation de plan
coûte que coûte.

Ce biais est lié à l’aversion de l’être humain pour la perte, pour le gaspillage,
qui nous fait donner « plus d’importance à une perte qu’à un gain ».
Quelques exemples de situations où le biais de coûts irrécupérables
frappe de plein fouet :
1
. Un spectateur dans une salle de cinéma qui trouve le lm vraiment
mauvais et qui s’ennuie sévèrement, hésitera quand même à quitter la
salle avant la n du lm et aller faire quelque chose de plus intéressant,
«  pour ne pas gâcher l’argent qu’il a dépensé pour son billet  »1. Par
contre, si on lui a donné un billet gratuitement, le même spectateur
n’hésitera généralement pas à partir  ! La première décision n’est pas
rationnelle car elle implique de «  souffrir  » 2 fois plus, plutôt que de
partir. En effet, en restant on perd de l’argent, et du temps. La seconde
option ne fait perdre que l’argent.
2
. Un étudiant peut poursuivre ses études après 2 années d’université dans
une branche dont il vient de se rendre compte qu’elle ne l’intéresse plus
du tout et ne lui correspond plus, plutôt que de changer de cursus pour
apprendre un métier qui lui plaît réellement (énergie, temps, argent
irrécupérables).
3
. Certains gardent des objets ou continuent d’utiliser du matériel qui ne
leur plaît pas ou ne sont pas vraiment adaptés à leur besoin, uniquement
parce qu’ils les ont payés cher (cela marche aussi pour un jeu en ligne ou
une série que l’on aurait payé et qui pourtant ne nous plaisent pas du
tout : on poursuivra le jeu et le visionnage de la série jusqu’au bout).
4
. Beaucoup se forceront à manger le dessert qu’ils ont commandé au
restaurant, même s’ils n’ont vraiment plus faim et quitte à être malade,
pour ne pas l’avoir payé pour rien.
Lorsqu’une entreprise en ligne (que nous ne citerons pas mais dont le nom
rappelle un euve) nous propose un abonnement mensuel pour béné cier
de «  livraisons accélérées  » ou d’autres avantages, elle actionne
insidieusement le levier du biais des coûts irrécupérable chez nous : en effet,
si on paye un abonnement mensuel pour des avantages, « il faut rendre cet
abonnement rentable  », ce qui peut nous pousser à acheter plus de choses
que ce dont nous avons réellement besoin, juste pour ne pas posséder cet
abonnement pour rien !

LE SINGE ET LE FRUIT
Ce biais d’aversion à la perte provoque bien souvent un effet «  d’escalade
irrationnelle » (ou escalade de l’engagement) : c’est la tendance à maintenir
fermement une ligne de conduite initiale malgré le fait que nos intérêts
personnels soient à perte, en n’ayant plus une analyse rationnelle de la situation,
en butte à des résultats de plus en plus négatifs, ou encore tout simplement en
ne voyant plus que la probabilité de réussite est quasi nulle. L’analogie bien
connue du singe et du fruit met cet effet en relief : un singe voit un fruit au fond
d’un vase et il y plonge la main pour le saisir. Mais en refermant sa main, son
poignet ne passe plus dans l’ouverture du vase. Ne voulant pas laisser le fruit, le
singe reste ainsi prisonnier du vase. Cela est d’ailleurs bien plus qu’une
analogie, puisque c’est réellement une technique utilisée pour capturer les
singes en Afrique. Alors lorsque vous voulez à tout prix conserver une ligne de
conduite contre vents et marées, demandez-vous si vous agissez en fin stratège
ou plutôt comme le singe avec le fruit…

Leçon :
« Dans bien des aspects de la vie, l’existence d’un investissement passé ne
signi e pas qu’il faut poursuivre dans la même voie  : dans un monde
rationnel, en fait, l’investissement antérieur est hors sujet. (Et s’il a échoué,
c’est un coût irrécupérable  : qu’il ait fonctionné ou pas, nous avons fait la
dépense. C’est du passé.) Le sujet, c’est plutôt la valeur que nous escomptons
dans l’avenir. Quelquefois, le mieux à faire est simplement de tourner les
yeux vers l’avenir. »2

INSOLITE !
En 2015, à l’aéroport de Pékin, une femme de 40  ans venait d’acheter une
bouteille de cognac pour une valeur de 145  euros. Seulement, on lui signala à
l’embarquement qu’elle ne pouvait pas prendre sa bouteille dans l’avion, les
liquides étant interdits dans les bagages à main. Ne pouvant plus la transférer en
soute et ne pouvant pas non plus se résigner à jeter ces 145 euros à la poubelle,
elle décida… de boire toute la bouteille ! Elle réussit à le faire, mais cela la rendit
tellement ivre, qu’il lui fut interdit de monter dans l’avion, qui partit sans elle…

Le biais des coûts irrécupérable s’explique aussi par la volonté de ne pas


« perdre la face ». Eh oui, imaginez un archéologue réputé qui aurait fondé
sa carrière sur la découverte de tel site historique légendaire, et qui devrait
avouer après 40  ans d’études, de recherches, de temps et d’argent investis
(sans compter les livres écrits et les interviews télévisées), que sa découverte
est en fait une erreur, à présent prouvée, et qu’il a « perdu son temps ». Le
poids serait énorme, et la volonté de sauver la face couplée au biais de coût
irrécupérable deviennent extrêmement puissant, poussant parfois certains à
rejeter la réalité jusqu’à leur mort.
« C’est le propre de l’être humain de se tromper ; seul l’insensé persiste dans
son erreur. »
– Cicéron, homme d’État romain, Ier siècle avant J.-C

« Une erreur constamment répétée, ce n’est plus une erreur, c’est un choix. »


– Paulo Coelho

Voici un petit conte illustrant parfaitement ce biais :


Au cours d’un voyage, Mulla Nasrudin arrive dans un village. Sur le
marché, il tombe en arrêt devant un étalage de fruits exotiques inconnus, qui
lui paraissent fort appétissants.
–Ces fruits me semblent excellents. Donnez-m’en un kilo  ! dit-il au
vendeur.
Il repart, tout content de son achat. Un peu plus loin, il croque à pleines
dents dans un de ces beaux fruits rouges, mais se retrouve aussitôt la bouche
en feu. Il rougit, ses yeux pleurent, pourtant il continue à manger. Un
passant, qui le regarde faire depuis un moment, l’aborde :
–Mais que faites-vous là ?
–Je croyais ces fruits très bons. Pensant qu’un seul ne me suffirait pas, j’en
ai acheté un kilo.
–Je comprends, mais pourquoi persistez-vous à les manger ? Ce sont des
piments rouges. Ils sont terriblement forts.
–Ce ne sont pas les piments que je mange maintenant, éructe le Mulla, c’est
mon argent.
Les Plaisanteries de l’incroyable Mulla Nasrudin
de Idries Shah
On note de façon frappante dans ce conte que nous avons instinctivement
en aversion le gaspillage, et que l’idée d’avoir perdu son temps, son énergie
ou son argent nous est parfois insupportable, au point de prendre des
décisions irrationnelles pour tenter de compenser ce sentiment. Cela nous
amène directement au biais suivant…

1.  S’ajoute à cela le fait que, en se levant, il rendrait son erreur de jugement manifeste à tous les
personnes présentes, ce qui ajoute un poids supplémentaire et une volonté de ne pas perdre la face.
2. Dan Ariely, Jeff Kreisler,L’argent à ses raisons que la raison ignore, éd. Alisio, avril 2019.
LE BIAIS D’AVERSION À LA PERTE

Imaginez le pari suivant : on lance une pièce. Si elle retombe sur pile, vous
perdez 100 euros, mais si elle tombe sur face, vous gagnez 120 euros.
Que faite vous ?
Une majorité de personnes refuseront ce pari. Pourquoi ? À cause de notre
« aversion à la perte », au fait que nous sommes plus affectés par une perte
de 100 euros que par un gain de 120 euros.
Très proche du biais des coûts irrécupérables, le biais d’aversion à la perte
est le déplaisir ressenti à la perte de quelque chose qui est plus puissant que
le plaisir ressenti lors d’un gain équivalent. Ce biais cognitif explique par
exemple pourquoi il est plus efficace, pour faire changer le comportement
des consommateurs, de leur dire :
«  Si vous ne diminuez pas votre thermostat de 1  °C, vous allez perdre
300 € par an ! » que de leur dire :
«  Si vous diminuez votre thermostat de 1  °C, vous allez gagner 300  €
par an ! »
Mais aussi :
« Il ne reste que 60 places pour le concert, dépêchez-vous ! » « Il ne reste
que 6 exemplaires de ce livre en stock  »1. Autant d’informations que vous
connaissez bien lorsque vous naviguez sur les sites marchands en ligne, et
qu’ils réveillent en vous l’aversion à la perte : si vous ne commandez pas tout
de suite, vous pourriez perdre une opportunité, et ce sentiment augmente à
vos yeux la valeur du produit par rapport à ce qu’il peut réellement coûter.
Fixer des échéances et certaines conditions est une technique de vente qui
fait naturellement naître l’aversion à la perte chez les potentiels acheteurs.
Notre cerveau est davantage affecté par la perte que par le gain.
L’EFFET DE DOTATION
(OU AVERSION À LA DÉPOSSESSION)
Ce biais fonctionne avec les objets : une personne peut avoir plus de mal à se
convaincre de l’utilité d’un objet à acquérir, que de son inutilité le jour où elle doit
s’en séparer  ! Cela est lié à l’effet de dotation  : lorsque les gens entrent en
possession d’un bien, ils changent leur façon de l’évaluer, notamment par la
présence d’éléments affectifs.

Daniel Kahneman démontra cela en 2002 lors d’une expérience où il offrit une
tasse à café à un groupe de sujets, puis leur demanda à quel prix ils seraient
prêts à la vendre. Les sujets d’un autre groupe devaient, eux, indiquer à quel prix
ils étaient prêts à l’acheter. Le prix de vente était nettement plus élevé que le prix
d’achat (les vendeurs demandaient environ 7  $ pour se séparer de leur tasse
alors que les acheteurs n’étaient prêts à payer, en moyenne, qu’environ 3 $ pour
acquérir une tasse). Le fait d’être propriétaire de l’objet donne le sentiment qu’il a
plus de valeur que celle qu’on lui aurait donnée s’il ne nous appartenait pas.
L’effet de dotation se manifeste bien souvent dans la vie quotidienne, par
exemple lorsqu’on veut vendre une voiture d’occasion : on lui attribue un prix de
vente guidé non seulement par le profit éventuel, mais aussi par l’attachement
émotionnel qui nous lie à cette voiture qui fut la nôtre  ; on fixe souvent un prix
plus élevé que ce qu’on aurait été prêt à dépenser pour une voiture quelconque.
Une fois qu’une personne possède un objet, y renoncer ressemble à une perte,
même si elle est payée en échange. Cela réveille le biais d’aversion à la perte
qui enclenche le biais d’aversion à la dépossession.

Les essais gratuits sont l’utilisation la plus courante de l’effet de dotation  : une
fois que les utilisateurs se sont engagés avec un certain produit ou service et y
ont investi du temps, par exemple en créant leur profil, etc., il leur est plus difficile
de lâcher prise et de ne pas acquérir le produit à la fin de l’essai.

Cet effet est aussi l’une des raisons pour lesquelles les caves et les greniers de
bien des maisons sont remplis d’objets devenus pourtant complètement inutiles
(effet d’aversion à la dépossession). Pour lutter contre ce genre de biais, plutôt
que de se demander « à combien est-ce que j’évalue le prix de ce bien ? », il est
préférable de se demander « si je ne l’avais pas possédé, à quel prix serais-je
prêt à l’acheter  ?  » et là, ça change tout  ! Ce petit exercice nous permettra de
revoir nos priorités, de faire le tri chez nous, alléger notre vie, ne plus gaspiller,
etc.

« Car la plupart des choses sont différemment appréciées par ceux qui les
possèdent et par ceux qui souhaitent les obtenir : ce qui nous appartient, et ce
que nous donnons, nous paraît toujours très précieux. »
– Aristote, L’éthique à Nicomaque, livre IX
MONNAIE DE SINGE

En 2005, on testa la capacité d’un groupe de singes capucins à comprendre le


concept d’argent et à l’utiliser. Au bout de plusieurs mois, les capucins
commencèrent à montrer quelques similitudes avec le comportement des
humains vis-à-vis de l’argent, notamment le biais d’aversion à la perte : dans une
expérience, les chercheurs montraient 2 choix aux singes qui aboutissaient tous
2 à un gain identique final, c’est-à-dire à un morceau de pomme en échange de
leurs pièces. Seulement, alors que l’expérimentateur 1 commençait par montrer
un morceau de pomme, puis donnait ce montant exact, l’expérimentateur 2
montrait lui, 2 morceaux de pommes, puis une fois payé par le singe, retirait un
morceau et n’en donnait qu’un aussi. Par conséquent, les gains étaient
identiques pour la même somme dans les 2 cas. Mais il a été constaté que les
singes capucins préféraient fortement l’expérimentateur  1, qui n’affichait
initialement qu’un seul morceau de pomme.

1. L’Effet de raretés’invite aussi dans ce cas : nous accordons une valeur supérieure à un objet rare et
une valeur inférieure à un objet hautement disponible, ce qu’Amazon a bien compris avec les
avertissements en vert sous les produits tel que « il ne reste que 2 exemplaires en stock ». La peur « de
passer à côté » nous rend plus vulnérables à la tentation et aux impulsions.
LE BIAIS DU RISQUE ZÉRO

Imaginez 2 sites industriels dangereux, A et B, qui provoquent chacun des


cas de cancers autour d’eux. Le site A est à l’origine de 8 cas de cancer par an,
et le site  B en provoque 4 par  an (soit à eux deux 12 par  an). On vous
propose 2 options. La première est de réaménager ces sites de façon qu’ils ne
provoquent plus que 6 cas de cancers par  an. La seconde option est de
réaménager un des sites et de détruire totalement le deuxième, le taux de
cancers sera alors de 7 par an.
Quelle option choisissez-vous ?
Les chercheurs qui ont mené cette enquête1 ont constaté qu’une
importante partie des sondés choisissaient l’option 2, même si elle réduisait
moins le risque de cancer (6 contre  7). Pourquoi  ? Parce que le «  biais du
risque zéro  » nous fait préférer la ou les options qui «  éliminent
complètement un risque » (même si opter pour le « risque zéro » n’est pas
rentable) plutôt qu’une autre qui aurait eu une plus grande «  réduction
globale des risques ».
Comme nous avons tendance à préférer les options simples en apparence
aux options complexes (qui demandent davantage de ré exion), nous
préférons avoir une certitude absolue lors de nos prises de décision, et
privilégions les solutions qui sont les plus compréhensibles pour nous. Dans
l’exemple des lieux à risques, en éliminer totalement un des deux est ce qui
nous paraît le plus concret, le plus simple, le plus sûr, même si en réalité le
taux de cancers ne sera pas plus bas avec cette option.
Ainsi, nous préférons avoir de petits béné ces certains plutôt que des
béné ces plus importants mais que nous considérons comme moins sûrs.
Le principe du risque zéro a bien entendu de nombreuses applications en
stratégie de ventes. Pour n’en citer qu’un exemple : si vous offrez 2 produits
similaires à vos clients, avec d’un côté une offre plus chère qui inclut une
politique de remboursement sous 30 jours et d’un autre côté une autre offre
moins chère qui ne l’inclut pas, vos clients seront plus susceptibles de choisir
cette offre plus chère avec garantie car ils considèrent prendre moins de
risques dans leur achat puisqu’ils peuvent le retourner.

1. Jonathan Baron, Rajeev Gowda, Howard Kunreuther, Attitudes Toward Managing Hazardous Waste:
What Should Be Cleaned Up and Who Should Pay for It?, April 1993.
https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1539-6924.1993.tb01068.x
L’EFFET D’AMBIGUÏTÉ

« Dans le doute, abstiens-toi. »


Proverbe

Le biais d’ambiguïté consiste à éviter les options pour lesquelles nous ne


disposons pas assez d’information, et celles pour lesquelles la probabilité
d’une issue favorable est inconnue.
Expérience (appelée paradoxe d’Ellsberg)  : une boîte contient autant de
boules rouges que de boules noires, 50 de chaque et 100 au total. Une autre
boîte contient 100 boules aussi, mais la répartition des couleurs est
inconnue. Si on demande à des personnes de choisir la boîte dans laquelle ils
pensent avoir le plus de chance de tirer une boule noire, la majorité choisit la
première boîte car ils ont «  l’information  » qu’elle contient une moitié de
boules noire. Mais cette seule information n’est absolument pas un gage
qu’ils auront plus de chances qu’avec la deuxième boîte. C’est simplement
que l’information les rassure.
Dans la vie, un recruteur aura tendance à favoriser l’embauche d’une
personne dont il connaît un peu plus le passé, au sujet de laquelle il a un peu
plus d’informations, même si ces informations ne sont pas gage de
compétence, au détriment d’une personne dont il ne sait pas grand-chose de
la vie passée, même si elle pourrait être plus compétente pour le poste
proposé.
LE BIAIS DE CADRAGE

600 personnes sont touchées par une maladie.


Imaginez un traitement A qui peut sauver 200 de ces personnes. Un
traitement B, lui, donne 1 chance sur 3 de sauver les 600 personnes, mais 2
chances sur 3 qu’elles meurent. Lequel choisissez-vous ?
Une étude a montré que 72 % des interrogés choisissent le traitement A.
Revenons à nos 600  malades. Avec un traitement C, 400  personnes vont
mourir. Avec un traitement D, il y a 1 chance sur 3 que personne ne meure,
mais 2 chances sur 3 que les 600 meurent.
L’étude a montré que 78 % ont choisi le programme D.
Pourtant, lorsqu’on compare les 2 cas de gure, le résultat est le même  :
Dans le traitement A : 200 personnes survivent, dans le traitement C : 200
personnes survivent aussi ! Alors pourquoi dans le premier cas le traitement
A est choisi en majorité, mais pas le traitement C dans le deuxième énoncé ?
Notre cerveau à tendance à fuir le risque lorsqu’il s’agit de gagner, mais il
choisit le risque lorsqu’il s’agit de perdre  ! Le traitement A est en effet
largement choisi, car il présente clairement que «  200 personnes vont être
sauvées  », mais le traitement C, qui promet pourtant la même chose (200
personnes seront sauvées) mais en le présentant par l’angle de la perte
« 400 personnes vont mourir », n’est pas choisi majoritairement1.
On comprend ici que nos choix sont donc fortement in uencés par le
« cadrage » (ici gain/perte) que nous mettons dans l’énoncé d’un problème
ou d’une question. La façon de présenter in uence la décision.

LE SAVIEZ-VOUS ?
Dire qu’un aliment ne contient que 10  % de colorant ou d’additifs aura moins
d’impact que de dire qu’un aliment est à 90 % sans colorant ni additifs !
Les chercheurs en psychologie Irwin Levin et Gary Gaeth ont réalisé une
étude sur les effets du cadrage des informations données à des
consommateurs, et son impact avant et après la consommation d’un produit.
Dans cette étude, ils ont découvert que dans un « cadrage » sur le bœuf, les
personnes qui mangeaient du bœuf étiqueté comme «  maigre à 75  %  »
l’évaluaient plus favorablement que les personnes dont le bœuf était étiqueté
à « 25 % de matières grasses » !

LE SAVIEZ-VOUS ?
Un verre peut être à moitié vide ou à moitié plein. Tout dépend du cadre dans
lequel on l’observe. Un effet parfaitement étudié par les psychologues et que l’on
peut manipuler à souhait !

L’effet de cadrage peut pousser quelqu’un à développer un avis sans même


avoir compris qu’on l’y a conditionné. Par exemple avec des questions
fermées comme  : «  Tu es d’accord que son comportement est inacceptable
pour des gens bien comme nous  ?  » Comment répondre par la négative
après une question aussi cadrée…
Tout comme dans la photographie et le cinéma, un «  cadrage serré  »
restreindra notre ré exion aux limites de ce cadre. En le réduisant, nous
avons tendance à nous enfermer dans des ré exions aux choix binaires, ce
qui met rapidement dans des situations con ictuelles : « Est-ce que je dois
démissionner ou non ? », « Doit-on renvoyer Ludivine ou non ? »
Pour éviter ces cadrages « serrés », il faut se forcer à prendre du recul et de
la hauteur pour élargir le champ des possibles. Notre vie dé le chaque jour
et notre cerveau se met en pilote automatique pour prendre la grande
majorité de nos décisions de façon inconsciente et presque instantanée. C’est
pourquoi il est bien de prendre des moments calmes pour sortir du mode
«  automatique  », et échapper aux émotions et à certains biais de notre
système 1.

É
LA PENSÉE EN NOIR ET BLANC
L’effet de cadrage peut, dans une certaine mesure, nous faire penser à ce
raisonnement fallacieux qu’on appelle «  le faux dilemme  », appelé aussi
«  exclusion du tiers  », «  fausse dichotomie  » ou encore «  énumération
incomplète ». C’est un procédé rhétorique qui consiste à présenter 2 solutions à
un problème donné comme si elles étaient les 2 seules possibles, alors qu’en
réalité, il en existe d’autres. On simplifie un débat de manière abusive.
Le faux dilemme se trouve facilement en politique : « Allez-vous voter pour moi,
ou allez-vous laisser le chômage augmenter indéfiniment ? »
Des parents peuvent utiliser ce sophisme en s’adressant à leur enfant ainsi  :
« Soit tu vas à l’université, soit tu seras balayeur ou caissière toute ta vie ! »
En psychologie, une personne qui voit le monde de façon manichéenne (en
simplifiant les rapports du monde et en ramenant tout à une simple opposition du
bien et du mal), entretient une pensée dite « en noir et blanc ». Elle catégorise
par exemple tous ceux qui l’entourent dans sa vie, ses proches, ses collègues,
ses voisins… comme étant soit tout bons, soit tout mauvais.

Le simple fait de se forcer à reformuler une question ou un problème


différemment peut nous sortir d’un cadre trop restreint et nous faire voir
d’autres possibilités qui étaient complètement dans notre angle mort. Par
exemple, une étude très révélatrice fut dirigée par le professeur  Frederick
Shane de la Yale School of Management :
Dans un magasin, vous tombez sur une promotion pour le dernier album
de votre chanteur préféré pour 15 euros seulement : Que faites-vous ?
1
. Vous achetez le CD ?
2
. Vous n’achetez pas le CD ?
Dans ce premier cas, 25 % des sondés n’ont pas acheté le CD.
À un deuxième groupe, la question fut posée différemment :
1
. Vous achetez le CD ?
2
. Vous n’achetez pas le CD et vous gardez votre argent pour d’autres
achats ?
Dans le deuxième cas, c’est 45 % des sondés qui n’ont pas acheté le CD !
Cette étude nous montre qu’en énonçant «  d’autres possibilités  », notre
décision est in uencée. C’est pourquoi il est difficile de sortir d’un cadrage
serré quand nous ne voyons pas qu’il existe d’autres possibilités en dehors du
champ initial proposé.
Le vocabulaire utilisé crée également des cadres qui orientent fortement
nos émotions face à une information :
Dans le journalisme, l’effet de cadrage est visible dans le choix des mots
a n de développer un sentiment particulier  : «  Quatre sangliers ont été
tués. » arrache moins de larmes que « Une maman sanglier et ses 3 petits ont
été tués. ».
En politique, le cadre « l’argent des contribuables  » touche plus que « les
fonds publics  ». Dire qu’une personnalité politique a 25  % d’opinions
favorables n’a pas le même effet que de mettre en évidence qu’en réalité 75 %
la désapprouvent.
À l’hôpital, vous dire que « votre opération a 95 % de chance de réussir »
n’aura pas le même effet que de vous dire « il y a 5 % de risque que vous ayez
des séquelles  ». Pourtant, les statistiques sont identiques, mais un des 2
cadres nous effraie plus que l’autre.
Les êtres humains que nous sommes sont par nature des «  avares
cognitifs », nous préférons ré échir le moins possible. Les « cadrages » nous
offrent alors un moyen simple et rapide de traiter des informations. On les
laissera nous in uencer pour donner un sens aux messages entrants. Mais
cela donne à qui sait les manier avec habileté un pouvoir immense pour
in uencer notre façon de penser !
Notons que le biais de cadrage s’accroît avec l’âge. En effet, étant dépendant
non seulement de la façon dont le problème, la question ou l’information est
présenté, mais aussi de nos valeurs, de notre tempérament et de nos
habitudes, ce biais évolue constamment au cours de notre vie. Chez les
enfants, l’effet de cadrage est très faible car le contexte a peu d’importance
dans leurs choix, leurs décisions reposant davantage sur des bases
quantitatives que qualitatives. Ensuite, à l’adolescence, le raisonnement
qualitatif prendre petit à petit le pas sur le raisonnement quantitatif. Les
jeunes commencent à adopter une vision à long terme et à être plus sensibles
à la façon dont sont présentés les éléments impliqués dans leur prise de
décision. C’est chez les personnes âgées que l’effet de cadrage serait le plus
prononcé, peut-être parce que les personnes âgées ont moins de ressources
cognitives à leur disposition et sont plus susceptibles de recourir à des
stratégies moins exigeantes sur le plan cognitif lorsqu’elles sont confrontées à
une décision2.

1.  Amos Tversky et Daniel Kahneman, «  e Framing of Decisions and the Psychology of Choice
[archive] », Science, 211, pp453-458, 1981.
2. Lorsqu’on leur présente un traitement décrit en termes positifs, négatifs ou neutres, les personnes
âgées sont beaucoup plus susceptibles d’accepter un traitement quand il est décrit de manière positive
qu’elles ne le sont à accepter exactement le même traitement décrit de manière neutre ou négative.
LE BIAIS D’ÉVALUATION DES PROBABILITÉS

Notre cerveau ne sait pas évaluer la différence entre un risque faible et un


risque très faible, ni un risque fort et un risque très fort. Les risques moyens
sont relativement bien perçus par le cerveau, mais dans les extrêmes le
cerveau n’est vraiment pas bon. Par exemple, si on doit analyser des chiffres
de probabilité comme 0,001 % contre 0,002 %, notre cerveau se dit que c’est
« la même chose », alors que non, 0,001 %, c’est 2 fois moins que 0,002 %.
Notre cerveau appréhende mieux une différence comme 40 % par rapport à
80 %, pourtant cela revient au même1. Cela est dû au biais d’évaluation des
probabilités. Pourquoi beaucoup de personnes ont peur en avion  ? Parce
qu’elles n’arrivent pas à appréhender et apprécier convenablement le risque
faible présenté par les statistiques. Selon un rapport sur la sécurité aérienne
rédigé par la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), en 2019, on
dénombrait 0,21 accident mortel de passagers par million de vols et 0,15
accident mortel de passagers par milliard de km parcourus. Autrement dit,
un accident mortel survient tous les 5  millions de vols. Seulement comme
on l’a vu, notre cerveau n’étant pas bon dans les extrêmes, il n’évalue pas bien
ce genre de probabilités.
« J’espère que cette expérience ne vous a pas dégoûtée de voler. Si on se
réfère aux statistiques, l’avion reste le moyen de transport le plus sûr. »
– Superman à Lois Lane

LA LOI DE WEBER-FECHNER
Pouvant être associée au biais d’évaluation des probabilités, la loi de Weber-
Fechner est «  la difficulté à distinguer et à comparer de petites différences au
sein de grandes quantités ». Par exemple, ajouter 1 kg à un objet dont le poids
est de 5 kg semble être perçu d’une manière différente par rapport à l’ajout d’un
1 kg à un objet dont le poids est de 30 kg. Il vous sera également très difficile de
faire la différence entre un objet de 10 kg et d’un objet de 10,1 kg. C’est pour cela
que beaucoup de personnes se retrouvent un jour avec plusieurs kilos en trop,
parce qu’elles n’ont pas remarqué les grammes accumulés quotidiennement !

1.  Didier NAKACHE, (23  mars 2021), Semaine du cerveau 2021 Conférence biais cognitifs Didier
Nakache Inserm Ensemble saint Luc[Vidéo], YouTube. https://youtu.be/QIHSs0Qg_ew
LA NÉGLIGENCE DE LA TAILLE DE L’ÉCHANTILLON

Ce biais est la tendance à oublier de prendre en compte la « fréquence de


base » d’un évènement, c’est-à-dire combien de chances cet évènement a ou
non de se produire en réalité, lorsqu’on tente d’établir une probabilité. Cela
nous amène généralement à surestimer la probabilité que nous établissons.
Par exemple, dans le cadre d’une guérison inattendue, comme nous nous
sommes remis spontanément d’une maladie, nous pourrions trouver cela
extraordinaire et se sentir au cœur de quelque chose d’exceptionnel, mais
l’erreur de jugement serait d’oublier (de négliger l’échantillon, ou la
fréquence de base) le nombre de personnes qui se rendent chez le médecin
chaque jour  : des dizaines de milliers. S’il n’y en avait qu’une dizaine par
jour, notre guérison spontanée serait en effet statistiquement remarquable,
mais elle ne l’est plus quand on prend en compte les centaines de milliers de
personnes malades chaque jour. Parmi ce nombre important de malades, il
est statistiquement normal de voir un certain nombre de patients guérir
spontanément, et c’est tombé sur vous. La taille de l’échantillon dont vous
faite partie (et qui est en réalité assez conséquent) n’avait pas été
correctement évaluée par votre cerveau.
Si on prend un autre exemple dans un contexte plus angoissant : imaginez
qu’après avoir effectué le test de dépistage d’une maladie rare touchant une
personne sur 10 000 en France, vous receviez un courrier de l’hôpital vous
annonçant que ce test, efficace à 99 %, s’est révélé positif. Vous êtes angoissé,
car la probabilité que vous soyez malade vous semble être de 99 %. Mais c’est
faux ! Cette probabilité est en réalité de l’ordre de 1 % ! Cette erreur (et cette
angoisse certainement inutile) vient de ce que nous oublions une
information capitale  : la fréquence du phénomène lui-même, qui est de
1/10 000 pour la maladie rare. Regardez bien, si 10 000 personnes passent le
test à l’hôpital, statistiquement, il y en aura en moyenne une qui sera atteinte
de la maladie et pour laquelle le test sera positif. Mais puisqu’il n’est able
qu’à 99 %, il se révélera aussi positif (à tort) pour une centaine de personnes
parmi les 9  999 non touchées. Il y aura donc une centaine de lettres qui
seront envoyées pour seulement une personne réellement malade  ! Ce qui
provoquera 99 crises de panique inutiles1.
Imaginez-vous dans le métro parisien. En face de vous une femme est
assise, elle porte un tailleur et lit Le  Figaro. Quelle est pour vous la
probabilité la plus importante :
1
. Elle est caissière.
2
. Elle est DRH d’un grand laboratoire pharmaceutique.
La bonne réponse est la 1.
La réponse 2 révèle en réalité un « oubli de la fréquence de base » !
Ré échissons (et imaginons) : il y a 20 000 caissières dans Paris. Seule une
sur 100 porte un tailleur et lit Le Figaro. Le nombre de rencontres possible
avec une caissière portant un tailleur et lisant Le  Figaro est donc de
20  000/100 =  200. Il y a 10 femmes dans Paris qui sont DRH d’un grand
laboratoire pharmaceutique, dont 9 d’entre elles portent effectivement un
tailleur et lisent Le Figaro. Il y a donc 209 possibilités, soit 95,7 % de chances,
pour que la femme rencontrée soit caissière, et seulement 4,3 % pour qu’elle
soit DRH d’un grand laboratoire pharmaceutique2.
En choisissant la réponse no 2, on répond en réalité dans notre esprit à une
autre question  : «  Dans quelle population, caissières ou DRH d’un grand
laboratoire pharmaceutique, porte-t-on le plus fréquemment un tailleur et
lit-on le Figaro ? » Notre esprit n’y était pas du tout, et n’a pas tenu compte
de l’oubli de la fréquence de base et du taux d’échantillon.

Cela nous fait penser ici au biais de conjonction, qui nous fait baser notre
jugement sur des informations personnalisantes plutôt que statistiques.
Par exemple, les psychologues Tversky et Kahneman en 1983 créèrent ce test :
Linda a 31  ans, est célibataire, franche et très brillante. Elle possède une
maîtrise de philosophie. Étudiante, elle se montrait très préoccupée par les
questions de discrimination et de justice sociale, elle participait aussi à des
manifestations antinucléaires.
Selon vous, Linda a-t-elle plus de chance d’être :
1. Guichetière dans une banque.
2. Guichetière dans une banque et active dans le mouvement féministe.
89 % des personnes interrogées ont répondu l’option 2, alors que la probabilité
que les deux évènements se produisent (être guichetière ET activiste) est
inférieure à la probabilité qu’un seul des évènements (être guichetière) se
produise.
Tversky et Kahneman expliquent que si la majorité des personnes choisirent la
réponse 2, c’est parce qu’au lieu de construire leur réponse à partir d’un
raisonnement logique et probabiliste, la plupart procèdent à un raisonnement
basé sur les informations représentationnelles. La description faite de Linda
retient davantage l’attention que les probabilités mathématiques.

Test :

Imaginez un dé normal à 6 faces avec 4 faces vertes et 2 faces rouges. Le dé


sera lancé 20 fois et la séquence des verts (V) et des rouges (R) sera notée.
Sélectionnez une des séquences, parmi les 3 ci-dessous, qui vous paraît la plus
probable d’arriver au cours des 20 lancers :

RVRRR

VRVRRR

VRRRRR

Vous avez choisi la deuxième ? VRVRRR ? C’est ce qu’ont aussi fait 65 % des
participants à ce test. Bien que la première séquence soit plus courte (et,
regardez bien, est comprise dans la seconde), et que la troisième soit tout aussi
probable statistiquement que la deuxième. La deuxième nous semble plus
«  représentative  » de ce que doit être, pour nous, une suite aléatoire. On fait
donc une erreur en se fiant à ce à quoi devrait « ressembler », selon nous, une
suite de lancers de dés, en oubliant de considérer les données rationnelles.

L’erreur de la main chaude* est de la même façon la croyance irrationnelle qui


laisse penser que si vous gagnez (ou perdez) plusieurs fois d’affilée à des jeux
basés sur la chance, alors le scénario risque de continuer dans la lancée, ce qui
empêche de penser de façon rationnelle et en notion de probabilité. Par
exemple, lors d’une série de lancers, il semble anormal à la plupart des gens
qu’une pièce tombe 4 fois de suite sur face. Pourtant, dans une série de 20
lancers, il y a une chance sur 2 d’obtenir 4 face de suite ! En réalité, ce qui serait
plus rare et inattendu, ce serait plutôt de lancer une pièce 20  fois et que le
résultat soit à chaque fois l’inverse du précédent (pile/face/pile/face/pile/face…).
Cela amène immanquablement à l’erreur du parieur, qui est le fait de croire que
si, lors d’un tirage aléatoire, un résultat peu probable est obtenu un grand
nombre de fois, les tirages suivants devront compenser cette déviation et donner
de nombreuses fois le résultat opposé. Ce qui est irrationnel ! Par exemple, si en
tirant à pile ou face un joueur obtient un grand nombre de fois pile, il va croire
qu’il aura plus de chance d’obtenir face aux tirages suivants.

Ce qu’on appelle aussi l’illusion des séries se remarque bien dans les jeux de
hasard : la plupart des gens refusent de jouer une combinaison telle que 1-2-3-4.
Ils préfèrent croire qu’en jouant une combinaison qui semble plus aléatoire,
comme 5-19-23-37, ils ont beaucoup plus de chance de gagner, alors qu’en
réalité, ces deux combinaisons ont parfaitement la même probabilité de sortir !
*L’expression «  main chaude  » vient du basketball, où l’on estime que la probabilité qu’un joueur
réussisse un lancer franc est plus élevée après un succès qu’après un échec au tir précédent.

Prenons maintenant un autre exemple qui parlera à tous : imaginons une


population vaccinée à 95  % contre un virus. Le vaccin, bien
qu’imparfaitement efficace, est supposé très efficace contre toute forme
symptomatique de la maladie. Durant la pandémie, et pour déterminer
l’impact de la vaccination sur la protection à la maladie, on enregistre le
nombre de non-vaccinés et de vaccinés parmi tous les malades testés
positifs. Or, voilà qu’il y a un nombre élevé de vaccinés parmi les malades !
Intuitivement, cela pourrait laisser penser que le vaccin est très peu efficace.
Mais cette intuition est biaisée ! Pourquoi ? Car on ne peut pas comparer des
nombres de cas sur des populations de tailles différentes : s’il y a beaucoup
de vaccinés parmi les malades c’est simplement parce que la population de
base des vaccinés est très grande. En effet, si un vaccin est efficace à 95  %
contre une maladie et que 96  % de la population est vaccinée nous auront
comme conséquence que :
– Parmi les vaccinés (96  % de la population), 5  % (du fait des 95  %
d’efficacité du vaccin) risqueront de contracter la maladie, soit 4,8 % de la
population totale.
– Parmi les non-vaccinés (4  % de la population), 100  % risqueront de
contracter la maladie, soit 4 % de la population.
On comprend donc avec ces explications rationnelles qu’avec un vaccin
efficace à 95 % et une couverture vaccinale d’une population de 96 %, il y a
une probabilité que le nombre de vaccinés malades soit plus élevé que le
nombre de non-vaccinés malades3. Le biais «  de négligence de
l’échantillon  », nous a fait oublier de prendre en compte la «  fréquence de
base », l’efficacité du vaccin par rapport au nombre de personnes vaccinées.
Ce qui nous a fait tirer une mauvaise conclusion.

1.  Extrait de l’article  : «  Apprenez à reconnaître vos biais cognitifs  », Science & Vien°  1145 de
février 2013, page 118 : « zoom du mois » par Coralie Hancok.
2. https://www.esanum.fr/today/posts/covid-19-les-tests-et-leurs-limites
3. https://www.sciencesetavenir.fr/sante/covid-19-les-vaccines-sont-ils-plus-souvent-hospitalises-que-
les-non-vaccines_159373
LE BIAIS D’EXCÈS DE CONFIANCE (OU SURESTIMATION
DE SOI)

Le 10 avril 1912, le RMS Titanic prit la mer pour son voyage inaugural. Le
14 avril, en dépit de toutes les alertes indiquant la présence d’icebergs sur le
trajet, le commandant Smith donne l’ordre de poursuivre à vive allure,
persuadé que le navire ne pouvait pas couler ! Puis, à 23 h 40, on signala un
iceberg droit devant… Le Titanic le percuta, et le biais d’excès de con ance
coula avec le commandant Smith (entraînant 1 500 morts).
« Alors voilà donc le paquebot que l’on dit insubmersible.
– Il est insubmersible ! Dieu lui-même ne pourrait pas couler ce bateau ! »
– Rose DeWitt Bukater et Caledon Hockley, Titanic, 1997

Ce biais cognitif fut agrant durant les débuts de la Covid dans le monde,
quand plusieurs hommes d’État, comme Donald Trump, Jair Bolsonaro ou
encore Boris Johnson, étaient convaincus qu’eux-mêmes et leur peuple ne
seraient pas touchés. Le 22  janvier 2020 Donald Trump disait lors d’une
interview américaine : “We have it totally under control ! » (« Nous avons [la
situation du Covid] totalement sous contrôle !”) Les Français ne sont pas en
reste avec leur propension à penser, au début de l’année  2020, que le virus
n’arriverait pas en France ; ils continuaient de s’entasser dans les lieux publics
en dépit des recommandations sanitaires.
Ce biais est très fréquent, on le retrouve par exemple chez les fumeurs.
Tous les fumeurs sont, de nos jours, parfaitement conscients des risques
provoqués par cette pratique, mais beaucoup sont persuadés qu’il ne leur
arrivera rien, que seuls « les autres » tomberont malades.
Le biais de retenue, qui est lié, est notre tendance à surestimer nos capacités à
nous contrôler, à faire preuve de retenue ou à gérer un comportement impulsif
face à la tentation.

Cette tendance à surestimer nos capacités physiques ou intellectuelles,


ainsi que nos connaissances ou notre aptitude à juger convenablement une
situation ou à prédire ce qui pourrait arriver, nous fait tomber dans des
travers qui, soit nous ridiculisent au bout du compte, et on peut toujours en
rire, soit produisent parfois une vraie catastrophe. C’est pourquoi ce biais
porte bien son nom  : «  excès  » de con ance. La con ance en soi est
importante, dans le développement de notre personnalité, notre rationnel,
nos objectifs à atteindre… mais penser que l’on en sait plus que ce que l’on
sait réellement est dangereux. La modestie, la conscience que nous avons des
limites, nous aidera à ne pas nous croire plus compétent qu’on l’est en réalité.
Sinon, on peut promettre de rendre un travail à son employeur à telle date,
parce qu’on a tendance à surestimer notre rythme de travail, et se retrouver
nalement sous l’eau  ; ou on peut aussi promettre de gérer une situation,
poussé par l’illusion que nous contrôlons toujours les choses, puis se
retrouver complètement dépassé.

L’effet difficile-facile est un phénomène indiquant que les sujets sont sur-
confiants dans leurs réponses à des questions difficiles. Ils surestiment leur
capacité à accomplir des tâches ardues, et ils sont sous-confiants dans leurs
réponses à des questions faciles et à accomplir des tâches faciles.

Un test simple qui met en évidence l’excès de con ance, consiste à faire
répondre des individus à un questionnaire de culture générale puis, une fois
le questionnaire rempli, à leur demander à combien ils estiment leur niveau
de con ance dans leurs bonnes réponses. Les résultats montrent que leur
con ance dépasse toujours la réalité du test : lorsqu’ils estiment leur réussite
à 80 % par exemple, les résultats sont de seulement 60 %.
Si la capacité de l’être humain à donner son niveau de con ance dans ses
réussites était parfaitement calibrée, il saurait toujours dire avec justesse s’il a
con ance à 100 %, à 90 %, à 80 % Mais loin de là et de ce calibrage parfait, la
recherche1 nous montre que la con ance en soi dépasse largement la
précision dès qu’une personne répond à des questions difficiles sur un sujet
qu’elle ne maîtrise pas !
Une étude réalisée en 2001 par les chercheurs Brad M. Barber et Terrance
Odean de l’University of California, a montré que l’excès de con ance était
présent chez les deux sexes, mais plus marqué chez les hommes que chez les
femmes, et plus accentué chez les célibataires que chez les personnes
mariées.
L’analyse de ce biais dans différents milieux montre bien qu’il touche tout
le monde  ! Par exemple  : une étude2 menée auprès d’étudiants américains
avance que 93 % d’entre eux se considèrent au-dessus de la moyenne en ce
qui concerne leur habileté pour la conduite automobile. Un sondage effectué
auprès des professeurs  de l’université du Nebraska révèle que 94  % des
enseignants pensent qu’ils sont plus compétents que leurs collègues de
travail ! En n, des entrevues menées auprès de prisonniers d’un pénitencier
britannique démontrent que ces derniers s’imaginent supérieurs au
prisonnier moyen en ce qui concerne des traits de personnalité comme
l’honnêteté, la générosité et la maîtrise de soi !

L’effet pire-que-la-moyenne est directement l’inverse de l’effet meilleur-que-


la-moyenne : face à des tâches jugées comme difficiles, en se basant sur notre
propre expérience et nos limites, on peut croire que les autres y arrivent plus
facilement que nous, que nous sommes pires que la moyenne des gens, alors
que cette tâche peut être également difficile pour autrui.
Avez-vous déjà entendu les participants recalés après un télécrochet avec
des castings de chanteurs s’exprimer ? Très souvent, les chanteurs débutants
ne comprennent pas pourquoi ils sont recalés, ils sont persuadés d’être
d’excellents chanteurs.
L’excès de con ance a été appelé le plus «  envahissant et potentiellement
catastrophique  » de tous les biais cognitifs dont les êtres humains sont
victimes. En effet, combien de grèves, de procès et de guerres pourraient
découler directement de ce biais d’excès de con ance ?
En imaginant que les plaignants ou les accusés dans un procès sont tous
enclins à croire qu’ils sont plus méritants, plus justes et plus vertueux que les
autres, cela pourrait aider à expliquer la persistance de con its juridiques
interminables. Si les entreprises et les syndicats sont enclins à croire qu’ils
sont plus forts et plus légitimes que l’autre partie, cela pourrait contribuer à
la persistance des grèves. Et si les nations sont susceptibles de croire que
leurs armées sont plus fortes que celles des autres nations, cela pourrait
expliquer leur détermination à entrer en guerre !
Ne laissons pas ce biais limiter notre capacité à recevoir des conseils des
autres ou à nous laisser faire évaluer par eux. Plus nous devenons experts
dans un domaine, plus nous avons un poste à responsabilité et à pouvoir, et
plus ce biais nous guette.

1. Daniel Kahneman, Paul Slovic, Amos Tversky, “Judgement under uncertainty: heuristics and biases”,
Cambridge UniversityPress, 1982.
2. Ola Svenson, “Are we all less risky and more skillfull than our fellow drivers?”, Acta Psychologica,
Volume 47, Issue 2, February 1981, Pages 143-148.
LES BIAIS D’OPTIMISME ET DE PESSIMISME

Ces deux biais sont directement opposés.


Le second, le biais de pessimisme, est un biais cognitif par lequel les gens
exagèrent la probabilité que des choses négatives leur arrivent. Lié au biais
d’attentes exagérées, on ne peut s’empêcher de s’imaginer le pire scénario
(surtout si on souffre d’anxiété1) et on s’attend toujours au pire.
Le premier, le biais d’optimisme, nous rappelle les fumeurs vus dans le
« biais d’excès de con ance », qui pensent qu’il ne leur arrivera jamais rien.
Les personnes manifestant le biais d’optimisme ont tendance à surestimer les
résultats positifs et favorables, à croire qu’ils sont moins exposés aux
situations négatives que les autres. C’est malheureusement dans la nature
humaine de se sentir comme si nous étions «  l’exception à la règle  ». Peu
importe à quel point on conduit mal, on a l’impression qu’on n’aura pas
d’accident de voiture. Nous avons tendance à manifester davantage le biais
d’optimisme lorsque nous avons un certain contrôle sur la situation  ; par
exemple, nous sommes susceptibles de penser que nous ne serons pas
blessés dans un accident de voiture si nous conduisons le véhicule nous-
même.
Le biais d’optimisme à tendance, parfois à raison, parfois à tort, à surpasser
dans notre esprit toutes les lois de bon sens, de rationalité, toutes les
statistiques… 50 % des mariages nissent par un divorce, 100 % des jeunes
mariés vous diront qu’ils font partis des 50 % à qui ça n’arrivera jamais. Si un
parking affiche complet, on se dit qu’on aura bien une place quand même !
L’espérance de vie est de 80 ans en moyenne, nous, nous arriverons à 90 ans
sans problème. Le ski est le sport qui compte le plus de blessures à l’année,
moi je passerai la saison sans aucun souci  ! Il faut surveiller les grains de
beauté régulièrement, mais les miens vont bien j’en suis sûr  ! Le biais
d’optimisme a tendance à empêcher les individus de prendre des mesures
préventives pour rester en bonne santé, mesures telles que l’exercice
physique, l’alimentation et même l’utilisation d’un écran solaire.
Comme nous en savons beaucoup plus sur nous-mêmes que sur les autres,
les informations sur soi par rapport aux autres nous amènent à tirer des
conclusions spéci ques sur nos propres risques, avec plus de difficultés à
tirer des conclusions sur les risques des autres.
L’image de soi et la valorisation de soi jouent un grand rôle dans le biais
d’optimisme. Le fait de s’auto-persuader de prévisions optimistes et
satisfaisantes est agréable, et cela aide à mieux contrôler nos anxiétés et nos
émotions. De plus, l’humain est naturellement attiré par les autres humains à
l’état d’esprit positif. Le fait de se montrer aux autres sous un jour positif
augmente nos chances d’être accepté socialement (des études montrent que
les individus qui se présentent de manière pessimiste et négative sont
généralement moins acceptés par le reste de la société).

Le biais de désirabilité sociale nous pousse à nous surévaluer lorsque nous


parlons de nous aux autres afin d’augmenter nos chances d’être accepté par eux
et de bénéficier d’une meilleure image sociale. Ce biais peut s’exercer sans
qu’on en ait conscience, ou, au contraire, être le résultat d’une volonté de
manipuler son image aux yeux des autres, allant jusqu’à mentir, pour se rendre
socialement désirable (petits exemples  : notre poids est généralement baissé
lorsqu’on le donne, et notre taille augmentée).
Ce biais abouti souvent à l’autoduperie, qui est le fait de se décrire soi-même
honnêtement mais en étant victime du biais de désirabilité, ainsi qu’à
l’hétéroduperie, qui consiste à renvoyer volontairement aux autres une image
positive de soi et en l’adaptant aux attentes des autres, par peur d’être considéré
comme une personne non instruite ou non cultivée.

1.  On parle d’anxiété lorsque l’émotion apparaît sans danger réel ou lorsque l’inquiétude,
l’appréhension, sont excessives par rapport à la situation.
L’ILLUSION DE CONTRÔLE

C’est la tendance des personnes à surévaluer et surestimer leur capacité à


maîtriser, contrôler les évènements, sur lesquels ils n’ont en réalité aucune
in uence. Cette illusion permet d’éviter l’angoisse pouvant être provoquée
par des évènements non contrôlables.
Elle est fréquente chez les joueurs de jeux de hasard qui pensent pouvoir
contrôler des évènements aléatoires et in uer sur l’issue du jeu. Il faut noter
que le niveau d’illusion de contrôle que génère un jeu dépend de la
participation «  active  » du joueur  : c’est ce que les entreprises de jeux ont
bien compris et c’est pourquoi dans beaucoup de jeux de hasard, on
demande aux joueurs d’intervenir, en lançant eux-mêmes les dés, en
choisissant eux-mêmes des numéros dans les loteries, en choisissant des
tickets de grattage, ou en actionnant eux-mêmes les manettes à abaisser dans
les casinos. Les joueurs ont alors l’illusion de « maîtriser » le hasard.

«  La pensée magique  » est une des caractéristiques du syndrome dit


« syndrome de Peter Pan » (l’éternel enfant qui fuit ses responsabilités, ignorant
qu’il devient un adulte confronté aux réalités). Cette façon de penser est, en
psychologie, une tentative d’échapper à l’angoisse de l’inconnu. Croire dans le
pouvoir de la pensée pourrait donner une impression de contrôle. L’individu
imagine qu’il peut modifier la probabilité d’évènements aléatoires en adoptant tel
ou tel comportement. Par exemple, croire qu’envoyer des pensées positives peut
influencer la performance des joueurs lors d’un match, que les pensées peuvent
influencer les résultats d’un jeu de hasard ou encore croire que porter un objet
porte-bonheur peut influencer le cours des choses.
Chez un joueur, l’illusion de contrôle peut se traduire de multiples
façons1 :
 
Par un contrôle cognitif :
1
. Prier avant de jouer ;
2
. Faire un signe de croix.
 
Par un contrôle comportemental :
1
. Souffler sur les dés avant de les lancer ;
2
. Lancer les dés doucement pour faire un petit nombre ;
3
. Lancer les dés vigoureusement pour faire un grand nombre ;
4
. Battre soi-même les cartes.
 
Par un contrôle talismanique :
1
. Avoir un porte-bonheur sur soi ;
2
. Caresser un gris-gris avant de jouer.
 
Par un contrôle d’habileté, d’ingéniosité :
1
. À la roulette, tenir compte des chiffres déjà sortis ;
2
. Faire de plus gros paris face à un joueur timide et inversement de plus
faibles paris face à un joueur qui se montre sûr de lui ;
3
. Utiliser des martingales à la roulette.
Cette illusion de contrôle peut nous faire oublier que le monde est tout
sauf prévisible et contrôlable, et nous nous épuisons à vouloir contrôler nos
enfants, nos amis, nos employés, à plani er à outrance nos voyages, nos
fêtes, nos projets, etc. Mais se défaire de cette illusion nous permettra de ne
pas vivre sans cesse tête baissée dans un objectif, et plutôt d’apprendre à
vivre l’instant présent, à ne pas plani er à l’excès et à accepter que temps et
évènements imprévus arrivent à tous, à arrêter de vouloir contrôler les autres
et leurs décisions, accepter les choses telles qu’elles sont et apprendre à
«  danser sous la pluie  » et à «  surfer sur les vagues  » quand elles se
présentent. Nous serons moins déçus de la façon dont se déroulent les
choses.

1. https://www.toupie.org/Biais/Illusion_controle.htm
L’EFFET SEMMELWEIS

C’est la tendance naturelle à rejeter de nouvelles preuves ou de nouvelles


connaissances parce qu’elles vont à l’encontre des normes, des croyances ou
des paradigmes (modèle cohérent du monde) précédemment établis.
Cet effet tire son nom du médecin hongrois Ignace Philippe Semmelweis
qui, en 1847, introduisit le lavage des mains dans la médecine, faisant
aussitôt chuter la mortalité des femmes enceintes à seulement à 1,03 %. Les
médecins à l’époque passaient de la morgue à la salle d’accouchement sans se
laver les mains… Mais malgré l’évidence des preuves empiriques accablantes
(cela s’est passé 20  ans avant la découverte des germes), la plupart de ses
confrères médecins ont rejeté la prescription du lavage des mains, souvent
pour des raisons non médicales. Cet effet peut contribuer à expliquer que
beaucoup aujourd’hui croient encore que la Terre est plate !
L’EFFET DUNNING-KRUGER

« Sutor, ne supra crepidam »


– Proverbe latin qui signi e « Le cordonnier ne doit pas parler au-delà de la chaussure. »

Souffrez-vous d’ultracrépidarianisme ?
C’est le comportement qui consiste à donner son avis avec assurance sur
des sujets à propos desquels on n’a pourtant aucune compétence légitime ou
avérée.
Comme le souligne le philosophe et physicien Etienne Klein1, «  nous
sommes tous pour ou contre le nucléaire, pour ou contre les nanosciences,
pour ou contre les OGM… Mais qui d’entre nous est capable de dire ce qu’on
met vraiment dans un réacteur nucléaire ? Ce qu’est une réaction de ssion ?
Ce que c’est qu’une cellule souche, un OGM ? Personne. »
Cela a amené deux scienti ques, David Dunning et Justin Kruger, à
étudier ce phénomène étrange qui pousse les personnes les moins quali ées
dans un domaine à surestimer leur compétence. Ils mirent aussi en évidence
le fait contraire : les experts ont tendance à sous-estimer leurs compétences2.
Une histoire franchement drôle, mais vraie, les passionna :
Un matin de 1995, à Pittsburgh aux États-Unis, McArthur Wheeler décide
de dévaliser deux banques à visage découvert. Seulement, grâce aux caméras
de surveillance, il se fait vite arrêter, et crie aux policiers : « Je ne comprends
pas  ! J’avais pourtant mis du jus  !  » Effectivement, Wheeler était persuadé
d’avoir trouvé une technique imparable pour ne pas se faire prendre : il s’était
enduit le visage de jus de citron, convaincu que, tout comme pour l’encre
invisible sur les feuilles de papier, cela le rendrait indétectable aux yeux des
caméras !
Leurs recherches, études et tests ont permis aux deux psychologues
Dunning et Kruger, d’attribuer ce biais cognitif à une difficulté
métacognitive des personnes non quali ées qui les empêche de reconnaître
exactement leur incompétence et d’évaluer leurs réelles capacités. Autrement
dit  : un incompétent est incompétent pour ce qui est d’évaluer son
incompétence  ! Cela est dû au fait que les connaissances et l’intelligence
nécessaire pour accomplir une tâche sont généralement les mêmes qui
servent à l’évaluer.
Combien de fois avons-nous entendu durant la pandémie de Covid 19 la
phrase : « Je ne suis pas médecin, mais je pense qu’il faudrait faire ceci ou
cela…  » Autrement dit, on reconnaît être incompétent, mais en même
temps, on pense avoir la solution à un problème qui globalement nous
échappe. Dans des conversations banales autour d’un verre ou à table en
famille le dimanche, cela n’a absolument aucune espèce d’importance que
nous parlions de sujets avec une totale assurance, alors que nous ne les
maîtrisons pas du tout. Ce genre de chose est naturelle chez l’humain,
autrement nous ne parlerions pas de grand-chose. Mais lorsque notre parole
est publique ou peut avoir une in uence sur autrui à cause de notre statut ou
position dans la société, il est sage de s’assurer que nous ne sommes pas
victime de l’effet Dunning-Kruger.
Observons ce graphique (qui est une représentation satirique et inspirée
d’un premier schéma moins caricatural issu des analyses de Dunning et
Kruger) :
On note en analysant l’abscisse et l’ordonnée de ce graphique, que dès
qu’on commence à développer des connaissances sur un sujet, le niveau de
con ance grimpe en èche  ! Il grimpe vers ce que Dunning et Kruger
appellent avec humour «  le sommet du Mont Stupide  ». Ensuite, en
continuant d’apprendre, on se retrouve à un moment où on commence à
perdre un peu pied, et on descend dans la « vallée du désespoir » (ou encore
« la vallée de l’humilité »), on a l’impression pendant un certain temps, de ne
plus vraiment maîtriser notre sujet et notre con ance en nous diminue
fortement. Mais en persévérant, en continuant le travail, on monte la « pente
de l’illumination », pour nalement atteindre le « plateau de durabilité », ou
de consolidation, nous sommes devenu un vrai expert.
On remarque bien dans le graphique que, même lorsqu’on a atteint le
plateau de durabilité, on n’est jamais aussi haut dans notre con ance en soi
qu’au tout début de notre apprentissage, lorsqu’on était au sommet du
« Mont Stupide ».
Trois facteurs additionnels peuvent augmenter l’effet de l’excès de con ance
en soi :
1
. L’illusion des compétences passées, qui nous fait croire que parce que
nous avons été compétents un jour dans un domaine, nous le sommes
toujours, alors que les choses concernant ce domaine ont peut-être
depuis largement évolué, mais sans nous.
2
. L’effet de halo peut intervenir en nous persuadant que puisque nous
excellons effectivement dans un certain domaine, nous excellons aussi
dans des tas d’autres.
3
. La pression sociale, qui nous empêche de dire humblement « je ne sais
pas ».

Très proche, on notera le biais de supériorité illusoire  : le fait de surestimer


ses propres qualités et capacités, par rapport aux mêmes qualités et capacités
des autres personnes. Par exemple, le fait que la majorité des conducteurs se
considère comme meilleurs conducteurs que la moyenne. Or, cela est
mathématiquement impossible dans la réalité, puisque tout le monde ne peut
pas être au-dessus de la moyenne, cela n’a aucun sens !
C’est cette contradiction qui amena l’idée de cette ville fictive appelée Lake
Wobegon (inventée par l’humoriste américain Garrison Keillor), située aux États-
Unis, dans laquelle « toutes les femmes sont fortes, tous les hommes sont beaux
et tous les enfants sont plus intelligents que la moyenne ». En psychologie, l’effet
« Lake Wobegon » traduit la conviction que la plupart des gens ont envie d’être
les meilleurs pour un objet donné. Le docteur  en psychologie cognitive Jean-
François Bonnefon, directeur de recherche à L’École d’économie de Toulouse et
au CNRS, met cet effet en relief dans le cadre suivant : « Si l’on vous dit qu’une
voiture autonome est 20  % “plus sûre” qu’un conducteur moyen, vous n’en
achèterez une que si vous vous considérez comme étant au-dessous de ce seuil
de sûreté. Or, selon l’effet Lake Wobegon, il est très peu probable que vous vous
considériez au-dessous de ce seuil, car vous pensez être un excellent
conducteur ! Par conséquent, l’adoption des véhicules autonomes n’est pas pour
demain. »*

Cette auto-tromperie et ce problème de conscientisation cognitive sont


habituellement liés à la vanité qui caractérise ce type de personnes. Le plus fou
avec ce biais cognitif c’est que plus on est incompétent, moins on en a
conscience.

« Une grande partie des difficultés que connaît le monde sont dues au fait que
les ignorants sont complètement sûrs d’eux et que les personnes intelligentes
sont pleines de doutes. »
– Bertrand Russell
*Le Point N° 2463, page 81.

On a parlé un peu au début du développement de ce biais Dunning-


Kruger, il comporte aussi l’effet inverse  : les experts qui maîtrisent plutôt
bien leur sujet ne se sentent pourtant pas suffisamment compétents. Plus ils
en apprennent, plus ils font, généralement, preuve d’humilité. D’ailleurs,
Dunning et Kruger en personne savent que leur étude sur cet effet fait elle-
même le sujet d’une controverse et ne fait pas consensus au sein de la
communauté scienti que.
Pour nous aider à rester modeste, gardons l’exercice mental du « cercle de
compétence  »  : imaginez que vous traciez un cercle délimitant votre
connaissance. À l’intérieur se trouve tout ce que vous savez, et à l’extérieur se
trouve tout ce que vous ne savez pas. Eh bien, plus vous apprendrez des
choses, plus votre cercle va s’agrandir, sa circonférence va augmenter, et
donc, plus vous serez exposé à encore plus de choses que vous ne savez pas !
Plus on en apprend, plus on est confronté à notre ignorance !

LE SAVIEZ-VOUS ?
L’humain ne surestime pas que sa propre compétence  : une étude de 2019
montre que l’on a tendance à surestimer également l’intelligence de notre
conjoint, encore plus que la nôtre !

1.  Brut, (7  septembre 2020), L’ultracrépidarianisme, l’art de parler de ce qu’on ne connaît pas[Vidéo],
YouTube. https://youtu.be/f89WVeqWe-M
2.  Cela amène d’ailleurs souvent les personnes les plus quali ées à sous-estimer leur niveau de
compétence au point de penser à tort que des tâches faciles pour elles le sont aussi pour les autres.
LE BIAIS DE GROUPE

Que faites-vous si vous voyez toutes les personnes autour de vous se


mettre à fuir ? Ou se mettre à regarder le ciel ? Oui, vous vous mettez aussi à
courir avec elles, ou vous regardez le ciel également. Pourquoi  ? «  Parce
qu’un groupe ne peut pas se tromper ! » Ah bon ? Vous êtes sûr ?
Une expérience fut menée : dans une pièce, on place une personne seule
pour qu’elle remplisse un questionnaire (un questionnaire bidon, qui était
juste là pour l’occuper). Au bout de quelques minutes, les chercheurs qui
mènent l’expérience font passer de la fumée sous la porte, et observent la
réaction de la personne (l’exercice fut mené plusieurs fois avec des personnes
seules différentes).
L’expérience fut reproduite dans les mêmes conditions mais cette fois avec
un groupe de complices présents dans la pièce avec la personne testée. Les
complices voient la fumée passer sous la porte mais ne disent rien, ils
continuent de remplir leur questionnaire. Résultat ?
Dans le premier cas, où la personne est seule, 75  % des personnes ont
donné l’alerte en moins de 2 minutes ! Dans le deuxième cas, où personne ne
bougeait, 10  % seulement des personnes ont donné l’alerte en moins de 2
minutes. C’est ça le biais de groupe : on s’appuie sur le groupe plutôt que sur
notre raisonnement naturel.

Ce biais est proche du biais de « dilution de responsabilité », qui explique que


lorsqu’une personne se fait agresser dans la rue par exemple, s’il y a plusieurs
personnes autour d’elle, il y a moins de chance que l’une d’elles intervienne
rapidement, non par manque de courage, mais par effet de «  dilution de
responsabilité » : puisque les autres ne bougent pas, je ne bouge pas non plus,
comme dans la pièce où la fumée entre par la porte…
Notons également l’effet du témoin, un phénomène psychosocial des situations
d’urgence dans lesquelles le comportement d’aide d’un sujet est inhibé par la
simple présence d’autres personnes sur les lieux. En 1968, John Darley et Bibb
Latané ont démontré pour la première fois l’effet du témoin en laboratoire, en
testant des personnes (cobayes) qui ne savaient pas qu’un complice de
l’expérience simulerait une crise d’épilepsie.
Les psychologues ont obtenu les résultats suivants :
1.Quand le cobaye pense être seul avec la victime, il intervient dans une
immense majorité des cas. Quand il n’intervient pas, c’est généralement qu’il
panique lui-même.
2.Quand le cobaye est avec une troisième personne, il n’intervient que dans
60 % des cas : le reste du temps, il s’attend à ce que l’autre intervienne.
3.Quand le cobaye est avec un groupe important de personnes (plus de six), il
n’intervient que dans 30 % des cas, considérant que quelqu’un va se charger
d’intervenir.
4.Tous sexes confondus, les cobayes ont tendance à davantage intervenir quand
la victime est une femme ou que la troisième personne est une femme (ils
comptent moins sur elle pour intervenir et/ou ont le désir de l’impressionner).
5.Tous sexes confondus, les cobayes ont tendance à moins intervenir quand la
victime est un homme, quand la troisième personne est un homme, ou quand
la troisième personne s’est présentée comme urgentiste.
Il est intéressant de noter que, conformes à ce qu’est un cerveau humain  : un
coffre à biais, certains des sujets, même s’ils n’étaient pas intervenus, se
mettaient à accuser ou à juger négativement les autres, justement parce qu’ils
n’étaient pas intervenus, tout en se trouvant à eux-mêmes de très bonnes
raisons pour leur inaction…

Il est pourtant démontré que si nous sommes le premier à agir, d’autres


personnes présentes ont plus de chance de suivre et d’intervenir aussi. Le tout
est d’avoir le courage d’être le premier !
*John M. Darley, Bibb Latané, “Bystander intervention in emergencies: diffusion of responsibility”, Journal
of personality and social psychology 8 4 (1968): 377-83.

Outre la responsabilité qui peut se « diluer » dans un groupe, l’évaluation


individuelle du risque se dilue également. Lorsqu’ils sont regroupés, des
individus sont susceptibles de prendre des décisions beaucoup plus risquées.
En effet le risque «  partagé  » et les liens émotionnels créés dans le groupe
réduisent l’anxiété au sein du groupe et font croire à la personne qu’elle
risque moins, la responsabilité se « diluant » entre chaque individu. Mais ce
biais mène bien souvent à une désillusion brutale, comme lorsque les fans
d’une équipe sportive célèbrent la victoire de leur club et que leur
célébration aboutit à la destruction de biens. Les recherches dans ce
domaine montrent que plus le nombre de personnes dans un groupe est
élevé, plus la tendance à la «  désindividualisation  » (l’action de réduire les
tendances individuelles d’une personne au pro t d’un groupe) est grande. À
mesure que les groupes s’agrandissent, les tendances à la prise de risque sont
également ampli ées. Ce phénomène de biais de groupe montre à quel point
un leader peut in uencer un groupe en bien ou en mal.

L’AVOCAT DU DIABLE
Une façon d’éviter à des groupes, dans les entreprises par exemple, de tomber
dans ce piège, est de faire nommer par le groupe un membre pour qu’il soit
responsable de trouver les faiblesses d’une décision !
Autre méthode d’évitement du biais : de temps en temps, diviser le groupe en 2
sous-groupes qui travaillent séparément et confrontent ensuite leurs résultats.

Le sociologue Jerry B. Harvey proposa une fable1, qu’il nomma «  Le


paradoxe d’Abilene », pour mettre en évidence le phénomène de pensée de
groupe dans la vie de tous les jours :
« Par une chaude après-midi, un jeune couple est en visite chez les parents
de la femme à Coleman, au Texas. La famille joue tranquillement aux
dominos sous le porche, jusqu’au moment où le beau-père propose d’aller
dîner à Abilene, à 80 kilomètres de là. La jeune femme dit :
“Ça me paraît une bonne idée.”
Son mari est plutôt réservé car le trajet sera long et chaud, mais il croit que
ses préférences divergent de celles du groupe et dit :
“Ça me semble bien. J’espère juste que ta mère en a envie.”
La belle-mère dit alors :
“Bien sûr que j’en ai envie. Ça fait longtemps que je ne suis pas allée à
Abilene.”
Le trajet est effectivement torride, poussiéreux et long. Quand ils arrivent à
la cafétéria, la nourriture est aussi mauvaise que la route. Ils rentrent chez
eux 4 heures plus tard, épuisés.
L’un d’eux dit, sans sincérité :
“C’était une super balade, hein ?”
La belle-mère dit qu’en fait elle aurait préféré rester à la maison mais qu’elle
a accepté puisque les 3 autres étaient si enthousiastes. Le mari dit :
“Je n’étais pas ravi. Je n’y suis allé que pour vous autres.”
La femme dit :
“J’ai accepté pour te faire plaisir. Il aurait fallu que je sois folle pour avoir
envie de sortir par cette chaleur.”
Le beau-père dit alors qu’il n’avait fait cette proposition que parce qu’il
pensait que les autres s’ennuyaient peut-être.
Le groupe est tout déconcerté par le fait qu’ils ont décidé ensemble de faire
quelque chose dont aucun d’eux n’avait envie. Chacun aurait préféré rester
tranquillement là, mais ne l’a pas reconnu quand il était encore temps de
pro ter de l’après-midi. »

1. Présentée dans son ouvrage e Abilene Paradox and Other Meditations on Management.
LA PENSÉE DE GROUPE

Faisant écho au biais de groupe, la « pensée de groupe » se caractérise par


le fait que des individus auront tendance à d’abord chercher la cohésion et
un accord global plutôt que de voir une situation de façon réaliste et
rationnelle. Ce biais pousse ceux qui ont un avis minoritaire à se taire, soit
par crainte de la pression sociale, soit pour favoriser la cohésion et s’ajuster à
la majorité.
Une célèbre expérience mettant cela en avant est l’expérience de Asch1 :

À quelle baguette A, B, ou C, correspond la baguette de gauche ?


La réponse est évidemment la C.
Mais lorsqu’on place un individu au milieu de plusieurs complices de
l’expérience, qui volontairement répondent en majorité A ou B, l’individu
testé aura tendance à répondre comme eux, prétextant avoir mal jugé ou
avoir même des problèmes de vue. Le résultat de l’étude et la force du
conformisme varient en fonction de l’importance numérique de la majorité
répondant une erreur, ou carrément à cause de l’unanimité de la majorité.
En 1986, le jour du décollage de la navette spatiale américaine Challenger,
une température inhabituellement basse était prévue. La NASA interrogea
naturellement les ingénieurs de l’entreprise, Morton iokol, qui avait fourni
les joints d’étanchéité pour les propulseurs de la navette, a n de s’assurer
qu’ils sauraient bien faire face à cette température. Le comité de direction de
l’entreprise se réunit alors pour en discuter. L’entreprise avait fabriqué ces
joints en se basant sur le fait que le lieu de tir, la Floride, béné ciait d’un
climat toujours ensoleillé. Mais la direction ne s’attendait pas à cette baisse
de température bien en dessous de 0  °C la nuit du tir. Les ingénieurs de
Morton iokol eurent de sérieux doutes sur la capacité du joint à résister au
froid, à cause notamment d’incidents remarqués au cours de certains vols
précédents. Certains d’entre eux, notamment Roger Boisjoly, lancèrent
l’alerte ! Cependant, le comité de direction accorda quand même à la NASA
son aval pour le décollage spatial. La NASA redemanda l’avis du comité de
direction pour être sûre que personne ne s’opposait au décollage, et là, tout le
monde se tut, y compris Roger Boisjoly2.
Challenger s’est désintégrée le 28 janvier 1986, au cours du décollage, après
seulement 73 secondes de vol alors qu’elle évoluait à 3  200  km/h. Les 7
membres de l’équipage périrent.
Une fois que nous faisons partie d’un groupe, nous favorisons presque
automatiquement les membres de notre groupe par rapport à ceux d’autres
groupes. Les choix effectués par des groupes donnent l’illusion d’une
décision pertinente ou d’un accord global entre les membres sans que la
situation soit appréhendée de façon réaliste. Cette pensée de groupe peut
engendrer de la frustration et prendre des formes extrêmes avec, par
exemple, des décisions totalement irrationnelles ou des effets de foule. La
pensée de groupe peut entraîner une illusion d’invulnérabilité, un sentiment
de supériorité morale ou intellectuelle, augmenter les préjugés et les
stéréotypes sur d’autres groupes, produire de l’autocensure.
« Dès que les bêtes sont en nombre,
l’homme d’esprit n’est plus qu’un sot. »
– Antoine-Pierre Dutramblay, Apologues, V, XXI (1810)

Il faut donc que nous en soyons conscients : nos objectifs, nos pensées et
nos décisions trahissent souvent l’in uence subtile mais puissante de notre
entourage.
Le psychologue et chercheur américain qui a dé ni ce phénomène, Irving
Janis, a mis en évidence 8 symptômes de la pensée de groupe :
1
. L’illusion de l’invulnérabilité : le groupe se croit intouchable, ce qui le
pousse à réprimander la dissidence.
2
. La rationalisation  : le groupe est davantage soudé lorsqu’il justi e
collégialement ses actions.
3
. La croyance en la supériorité morale et intellectuelle du groupe  : le
groupe se sent plus moral ou plus intelligent que la moyenne, ce qui le
pousse à ignorer sa propre immoralité ou ses faiblesses.
4
. La transformation de l’opposant en stéréotype : si le groupe considère
un opposant avec partialité ou avec des préjugés, les affirmations
contradictoires envers le groupe seront ignorées.
5
. La pression de la conformité  : le groupe exerce une forte pression sur
ses membres pour que les individus s’alignent sur sa volonté et ne soient
pas expulsés.
6
. L’autocensure  : les membres du groupe préfèrent ne pas révéler leurs
opinions qui vont à l’encontre de celles du reste du groupe, les gardent
pour eux plutôt que de partir.
7
. L’illusion de l’unanimité : les dissensions internes sont volontairement
cachées au groupe, ce qui laisse à penser qu’elles n’existent pas.
8
. Les gardiens de la pensée : certains membres s’occupent de protéger le
groupe de toute rébellion, dissidence ou information contradictoire.

1.  S. E. Asch, Effects of group pressure upon the modification and distortion of judgments. In H.
Guetzkow (ed.) Groups, leadership and men, Pittsburgh, 1951. PA: Carnegie Press.
2.  Positive Leadership, (27  octobre 2021), Chasseur de biais: Biais de groupe[Vidéo], YouTube.
https://youtu.be/DXU6AX0NU1g
LE BIAIS DU SURVIVANT

Il s’agit d’une sélection biaisée qui consiste à surévaluer les probabilités de


réussite d’une entreprise en se focalisant uniquement sur ceux qui l’ont
réussie, donnant l’impression que la chose est hautement réalisable, alors
qu’en réalité ils sont statistiquement des exceptions (des survivants), plutôt
que des cas représentatifs.
Les « survivants » nous fascinent. Comme cette hôtesse de l’air serbe qui, le
26 janvier 1972, survécut à l’explosion de l’avion dans lequel elle travaillait et
à une chute de plus de 10 000 mètres ! Elle détient le record du monde de
survie à la plus haute chute sans parachute1. Après 27 jours de coma, 2
jambes et des côtes cassées, le crâne et plusieurs vertèbres fracturées, ainsi
que le bassin broyé, elle se réveilla miraculeusement à l’hôpital. Et après 6
mois de plâtre et un  an et demi d’hospitalisation, Vesna Vulovic put
recommencer à marcher, et même à travailler. Mais ce fait époustou ant
vous donne-t-il l’impression que son exploit est réalisable à souhait  ? Non
bien sûr, vous savez bien qu’il y avait une chance sur des millions. Pourtant,
notre cerveau, dans des cas moins extraordinaires, à tendance à ne se
focaliser que sur ceux qui ont réussi, ou à surévaluer une méthode qui
semble marcher pour certains, et à éliminer de son champ de vision les
centaines, les milliers, ou les millions de personnes qui ne sont pas
parvenues à faire la même chose.
Quand on écoute une personne qui nous dit : « J’ai réussi grâce à ce plan
d’action ! », on ne voit pas toutes les autres personnes qui se sont plantées en
beauté en utilisant ce même plan d’action. Ou quand on lit sur Internet
qu’une personne a perdu beaucoup de poids grâce à telle méthode, on ne
voit pas toutes les personnes qui n’ont pas perdu de poids en utilisant la
même méthode. En étant conscient de cela, on s’efforce de ne pas être
ballotté par toutes les nouveautés et les quelques « survivants » qui nous les
vantent.
Historiquement, c’est au cours de la Seconde Guerre mondiale que le
mathématicien et statisticien américain Abraham Wald mis en avant ce biais
du survivant : sa recherche visait à évaluer comment minimiser la perte de
bombardiers sous le feu ennemi. Quand on étudiait les dommages causés à
des aéronefs qui revenaient de mission, intuitivement on était tentés de
renforcer les endroits où il y avait eu le plus d’impact. Or, il recommanda
plutôt de blinder les zones des appareils qui présentaient le moins de
dommages. Pourquoi ? Parce que Wald constata que les études précédentes
ne tenaient compte que des aéronefs qui avaient « survécu » à leur mission,
sans tenir compte de ceux qui avaient disparu. En effet, les parties
endommagées des aéronefs revenus étaient en réalité les zones où ces
derniers pouvaient encaisser des dommages et réussir à rentrer à la base  !
Inutile alors de renforcer ces endroits-là. La conclusion de Wald fut que
lorsqu’un aéronef était endommagé ailleurs, il ne revenait pas de sa mission.
Ce sont donc ces autres zones, celles qui n’étaient pas endommagées chez les
« survivants », qui devaient être renforcées !
De la même façon, on comprit après coup que ce qui se produisit lors de
l’adoption du «  casque Adrian  » (le casque militaire équipant les troupes
françaises pendant la Première Guerre mondiale), était un biais du
survivant  : quand le casque fut adopté en 1915, les médecins notèrent une
augmentation du nombre de blessures à la tête. Le biais du survivant les
poussait à dire « il y a plus de blessés, donc le casque est contre-productif ».
Or, ils oubliaient simplement que sans le casque, on n’était pas blessé mais
mort, et on ne rentrait pas pour se faire soigner. Leur déduction quant à
ceux qui revenaient blessés était donc biaisée. En réalité, le casque avait
réduit les blessures à la tête de 77 % à 22 %2 !
Une étude sur les chats ayant fait des chutes impressionnantes de plusieurs
dizaines d’étages mis en évidence que «  le taux de blessures augmente en
proportion directe de la hauteur de la chute, mais après 7 étages, ce taux se
stabilise » ! En clair, les chances de survie et la gravité des blessures sont les
mêmes, peu importe que la chute ait été de 7 ou de 32 étages ! Tant que sa
chute est en accélération, le chat reste un peu tendu et étire ses membres vers
le bas, ce qui augmente le risque de blessure. En revanche, dès qu’il atteint la
vitesse «  maximale  » (ou «  terminale  ») de chute, il se détend
automatiquement, ce qui le rend moins raide lors du choc. Le biais du
survivant pourrait contrebalancer un peu le résultat de cette étude : en effet,
comme il est beaucoup moins probable3 que les chats qui meurent à la suite
d’une chute soient emportés chez le vétérinaire par rapport aux chats blessés
par une chute, les chats morts sont automatiquement retirés des statistiques,
ne laissant la place qu’aux chats « survivants » !

Le biais du survivant se retrouve un peu partout. Par exemple, on a


tendance à attribuer plus de qualités de résistance aux constructions
architecturales anciennes, comme les bâtiments des villes centenaires, alors
qu’ils ne représentent qu’une in me partie de tout ce qui a été construit
depuis des  siècles, tout le reste ayant disparu par la démolition ou
l’écroulement. Pour ce qui est des objets et du fait de penser que « les choses
étaient plus solides, plus durables et mieux faites avant  !  », on pourrait
plaider pour le biais du survivant, mais ce serait dans ce cas-là certainement
une erreur, car ce serait oublier que de nos jours, l’obsolescence programmée
est une réalité. Beaucoup de produits sont fabriqués volontairement avec
une qualité médiocre et une durée de vie programmée pour être courte, a n
de pousser le consommateur au rachat.
Pour lutter contre le biais du survivant, une méthode consiste à évaluer le
« taux de chance » d’un « survivant », autrement dit, si une personne a réussi
dans une certaine situation d’un seul coup, n’en concluons pas que sa
méthode pour y arriver fonctionnera forcément pour nous, car il ne l’a testé
qu’une seule fois et a peut-être eu de la chance, en se trouvant au bon
moment au bon endroit. En revanche, une personne qui a réussi dans une
certaine situation mais avait d’abord échoué plusieurs fois pourra, elle, vous
indiquer un vrai modèle à suivre ou duquel vous inspirer, car ce ne sera pas
un simple « survivant » hasardeux qui fausse la réalité de la difficulté, mais
un «  combattant vainqueur  » qui aura éprouvé la chose et sera nalement
plus représentatif de la majorité.
En ne s’intéressant qu’à ceux qui réussissent, et en occultant les perdants,
nous attribuons des qualités aux «  survivants  » qui ne sont peut-être en
réalité que « réussites » dues à des facteurs occasionnels, et qui ne peuvent
s’appliquer à la majorité4. Les «  survivants  » avaient en réalité les mêmes
qualités et les mêmes défauts que les « disparus ». Exemple : si vous placez
un groupe de singes devant des tubes à essais remplis de substances diverses
et variées, et qu’au bout de quelque temps l’un d’eux crée un parfum qui sent
très bon, vous pourriez vous mettre à essayer d’identi er les qualités
exceptionnelles qui différencient ce singe des autres, en oubliant qu’il a peut-
être tout simplement eu de la chance…
Bien entendu, une personne excellant dans un domaine peut posséder des
qualités et des techniques qui méritent peut-être d’être imitées, mais quand
on veut analyser les raisons d’un succès, on doit s’assurer qu’on analyse
également les raisons de l’échec.

1. https://www.guinnessworldrecords.com/world-records/highest-fall-survived
-without-parachute/
2. Atlas de la Première Guerre mondiale : témoignages de poilus, Evreux, Éditions Atlas, 2007, 237 p.
3.  Cecil Adams, “Do cats always land unharmed on their feet, no matter how far they fall?”, e
Straight Dope, Jul. 19 1996.
4. Frédéric Fréry, (16 novembre 2018), N’imitez pas les meilleurs : le biais du survivant[Vidéo], Xer
Canal. https://www.xer canal.com/strategie-management/emission/Frederic-Frery-N-imitez-pas-les-
meilleurs-le-biais-du-survivant_3746179.html
LE BIAIS DE CORRÉLATION ILLUSOIRE (OU DE
CORRÉLATION TROMPEUSE)

« Cum hoc ergo propter hoc. »1


Ce biais repose sur la tendance à percevoir une relation entre deux
évènements sans lien. Comme cette corrélation faite très souvent entre la
pleine lune et les suicides, ou la pleine lune et les accouchements. En réalité,
la probabilité de l’apparition de certains évènements pendant la pleine lune
est très surestimée.
La confusion entre corrélation (un simple lien) et causalité (relation de
cause à effet) est appelée «  l’effet cigogne  » en zététique2, en référence à la
corrélation trompeuse entre le nombre de nids de cigognes et celui des
naissances humaines : dans les communes qui abritent des cigognes, le taux
de natalité est plus élevé que dans l’ensemble du pays. La conclusion
rapidement tirée est  : «  les cigognes apportent les bébés  »  ! Voici une
explication plus rationnelle  : les cigognes nichent de préférence dans les
villages plutôt que dans les grandes agglomérations, et il se trouve que la
natalité est plus forte en milieu rural que dans les villes3.
Voici quelques exemples de corrélations farfelues :
Il existe une corrélation entre la vente de crème glacée et le nombre de
morts par noyade (le troisième paramètre à prendre en compte est bien
entendu la météo : la crème glacée est vendue pendant les mois chauds d’été,
et c’est durant cette période que les gens sont plus susceptibles de s’adonner à
des activités comme la natation).
Il y a une corrélation entre la pointure et le niveau en mathématiques chez
les collégiens (le troisième paramètre est surtout l’âge des adolescents).
On note ici que l’erreur est bien souvent d’occulter une troisième variable,
comme dans le cas où on noterait que dormir avec ses chaussures est
fortement corrélé avec le fait de se réveiller avec un mal de tête. Par
conséquent, la conclusion tirée est que «  dormir avec ses chaussures
provoque des maux de tête  ». L’explication plus plausible est que les deux
évènements, le fait de se coucher avec ses chaussures et d’avoir mal à la tête,
sont plutôt causés par un troisième facteur : le fait de se coucher ivre ! Ce qui
donne lieu à une corrélation.

Il est extrêmement délicat de déterminer à partir de la simple observation d’une


association statistique entre 2 facteurs A et B, si A entraîne B, si B entraîne A, si
A entraîne indirectement B par le biais de X ou encore si A et B dépendent tous
deux d’un troisième facteur C non mesuré.

Une étude scienti que annonçait en 1999 que «  Les jeunes enfants qui
dorment avec une veilleuse ont plus de chance de devenir myopes plus
tard ! ». Cette étude de l’Université de Pennsylvanie fut publiée dans la revue
Nature et a fait l’objet d’une belle couverture médiatique. Cependant, une
autre étude de l’Université de l’Ohio réalisée plus tard n’a trouvé aucune
causalité entre le développement de la myopie et le fait de dormir la lumière
allumée ! Par contre, elle montra bien « un lien », une corrélation, entre la
myopie des parents et celle de leurs enfants et t remarquer que les parents
myopes ont plus tendance à laisser une lumière allumée la nuit pour leurs
enfants…
Le site Spurious Correlations recherche et publie diverses corrélations
saugrenues comme le fait que le nombre de personnes se noyant après être
tombées dans une piscine est corrélé avec les apparitions de Nicolas Cage au
cinéma, ou encore que la consommation de fromage par habitant est
corrélée avec le nombre de personnes qui meurent en s’étranglant avec leurs
draps.
Ces exemples loufoques montrent comment il est facile de créer un lien
entre deux choses qui n’ont strictement rien à voir entre elles.
Notons qu’il serait possible d’être en face d’une vraie causalité, mais le biais
serait alors de l’inverser : plutôt que ce soit A qui cause B, nous pensons que
c’est B qui cause A ! « Plus on observe que les moulins à vent tournent vite,
plus on observe de vent. Par conséquent, le vent est causé par la rotation des
moulins à vent. »
Un exemple historique intéressant est le suivant : les européens du Moyen
Âge croyaient que les poux étaient béné ques pour la santé, car il y aurait
rarement des poux sur les personnes malades4. Le raisonnement était que les
gens tombaient malades parce que les poux étaient partis. La vraie raison est
cependant que les poux sont extrêmement sensibles à la température
corporelle  : une petite augmentation de la température corporelle, comme
dans le cas d’une èvre, incite les poux à chercher un autre hôte. Le
thermomètre médical n’ayant pas encore été inventé, l’augmentation de
température était rarement remarquée.
On trouve cet effet également dans la prise de médicaments sans principe
actif et la sensation d’aller mieux, ce qu’on appelle « l’effet placebo »5.

L’effet placebo (je plairai) a aussi son contraire : l’effet nocebo (je nuirai).
Par exemple, après l’installation d’un pylône de retransmission près de chez
eux, des riverains se sont plaints de maux de tête « dus aux ondes radio » !
Sauf que la station n’avait pas encore été mise en service…6
1.  Expression latine qui signi e littéralement «  avec ceci, donc à cause de ceci  » et qui renvoie au
sophisme qui consiste à tirer une conclusion de nature causale, simplement en invoquant le fait qu’il y
a corrélation entre deux phénomènes.
2. La zététique est dé nie par son créateur Henri Broch, comme « l’art du doute ».
3. https://cortecs.org/la-zetetique/effets-cigogne-correlation-vs-causalite/
4. Emilie Willingham, “Of lice and men: An itchy history”, Scientific American, Feb. 14, 2011.
5. La réponse placebo varie en fonction de plusieurs facteurs : contexte thérapeutique, personnalité du
médecin, attentes du patient, nature de la relation médecin-patient, forme, coût et complexité du
traitement, etc. Cette réponse n’est pas uniquement psychologique mais a des réalités biochimiques.
6.  https://www.silicon.fr/des-riverains-reclament-le-demontage-dantennes-relais-inactives-
35129.html#
LE PARADOXE DE BERKSON

« Ça me faisait bien peur de rater mon avion, plus que de le voir s’écraser sur
une tour. Question de probabilité. »
– Gringoland – Julien Blanc-Gras

Appelé aussi le «  biais [ou l’erreur] de Berkson  », on va le mettre en


situation comme suit :
Je lance 2 pièces en l’air devant vous. Sachant qu’au moins l’une des 2 est
tombée côté pile, quelle est la probabilité pour que les 2 soient tombées côté
pile ?
Intuitivement, vous avez sûrement envie de répondre « une chance sur 2 ».
Vous vous dites peut-être que ces 2 lancers de pièces sont des « évènements
indépendants », et que donc, le fait qu’une des 2 pièces soit tombée d’un côté
n’a aucune in uence sur ce qui adviendra à l’autre. Mais cette intuition vous
trompe ! En réalité, la bonne réponse est : « une chance sur 3 » !
Oui, si on regarde bien, on a 4 scénarios possibles :
Pile/pile
Pile/face
Face/pile
Face/face
Comme l’énoncé nous dit qu’une des 2 pièces est déjà tombée sur pile, le
scénario face/face est éliminé d’office. Il reste donc 3 possibilités. Et comme
ce que nous espérons faire est le scénario pile/pile, il y a bien une chance sur
trois.
Ce petit exercice nous permet de mettre en évidence «  l’erreur de
Berkson  »  : c’est le résultat d’une «  probabilité conditionnelle  », et de
statistiques qui s’avèrent souvent contre-intuitives.
LE SAVIEZ-VOUS ?
Une «  probabilité conditionnelle  » est le fait de déterminer la probabilité qu’un
évènement A se produise, sachant qu’un évènement B s’est produit également.
Par exemple, si un dé à 6 faces dont les faces paires sont coloriées en blanc et
les faces impaires sont coloriées en noir, est lancé, la probabilité d’obtenir un 6
est d’1/6. Mais imaginons maintenant que l’on se place loin du dé, et qu’on
s’aperçoive, sans pouvoir lire le chiffre, que la face du dé qui est sur le dessus est
blanche. La probabilité d’avoir obtenu 6 est maintenant de 1/3, car il faut prendre
en considération la nouvelle information : le chiffre (blanc) est pair.

Le biais de Berkson peut amener à de fausses conclusions, nous faisant


croire qu’on a agi de façon objective et scienti que, alors qu’on a négligé une
variable. Si vous recherchez un coach de sport à la fois très compétent et peu
coûteux, vous pourriez constater que vous n’arrivez à trouver que des coachs
n’ayant qu’un seul critère (soit compétent et cher, soit pas cher et pas
compétent), et vous pourriez en conclure une corrélation négative entre les 2
facteurs. Or, cette conclusion serait faussée par le fait que vous avez exclu de
votre «  étude  » les coachs à la fois chers et compétents, et les coachs pas
chers et pas compétents. C’est le paradoxe de Berkson. Les corrélations que
nous croyons voir dans la vie n’existent pas dans la réalité « sous-jacente »,
elles sont une illusion provoquée par notre façon de voir le monde.
Imaginez maintenant une femme se plaignant que «  tous les hommes
beaux sont bêtes », et que « tous les hommes intelligents sont moches. » Elle
est sûrement victime (en plus de préjugés) du biais de Berkson : en ce qui
concerne le choix d’un conjoint, les humains ont tous des critères qui sont
prioritaires pour eux  : l’apparence, la personnalité, la situation
professionnelle… Il est rare de ne faire un choix que sur un seul critère.
Dans notre exemple, cette femme veut un homme « beau ET intelligent ». Si
elle rencontre un homme beau, mais pas très intelligent, puis un homme
intelligent, mais pas très beau, elle voit cette fausse corrélation négative entre
beauté et intelligence. Mais c’est un « biais de sélection », le fait qu’elle n’ait
ciblé que des hommes avec ces 2 critères lui a fait éliminer de son équation
tous ceux de la population autour d’elle qui étaient moyennement
intelligents et moyennement beaux, et elle fait une fausse corrélation entre
ces deux caractéristiques, qui pourtant n’ont rien à voir entre elles. Comme
si nous essayions de trouver une corrélation entre talent et beauté, mais que
nous menions notre étude que sur des stars de la télévision. Notre étude
serait faussée par le fait que les personnes qui ne sont ni talentueuses ni
belles ne deviennent généralement pas des stars de la télévision, et cet
immense pourcentage de la population ne sera pas pris en compte dans
l’échantillon de l’étude, ce qui laissera la porte ouverte à de fausses
corrélations.
On comprend que ce biais peut rendre extrêmement délicat le fait de
déterminer à partir de la simple observation entre deux facteurs A et B, si A
entraîne B, si B entraîne A, si A entraîne indirectement B par le biais de X,
ou encore si A et B dépendent tous deux d’un troisième facteur C non
mesuré !
LA PARÉIDOLIE

Une tranche de tomate étonnée, un poivron en colère, une prise murale


qui fait la tête, un sac à dos qui sourit…
 
Un des biais les plus courants, celui que nous avons tous expérimenté dès
notre plus tendre enfance et avant même d’avoir entendu les mots « biais »
ou « cognitif » est la paréidolie ! Ce joli mot, du grec ancien pará, « au lieu
de  », et du nom commun eídōlon, «  apparence, forme  », nomme cette
illusion qui se produit dans notre cerveau quand on se met à voir une forme
familière, comme un visage1, dans un nuage, de la mousse, de la fumée, une
ombre, une tache ou toute autre forme aléatoire (il ne faut pas grand-chose à
notre cerveau pour voir un visage, trois formes positionnées de façon à
rappeler deux yeux et une bouche lui suffisent amplement).
Cette illusion d’optique, qui résulte de l’exploitation biaisée par le système
visuel des informations qui lui parviennent, associe un stimulus visuel
«  ambigu  » à une forme souvent humaine ou animale, exprimant ainsi la
tendance (très forte) du cerveau à toujours vouloir «  créer du sens avec ce
qui l’entoure ». Et n’oublions pas que notre cerveau est enfermé dans notre
boîte crânienne et qu’il ne voit à proprement parler rien, il ne fait
« qu’interpréter » les informations qui lui parviennent de l’extérieur (comme
pour tous les autres sens2). À force d’interpréter certaines formes familières,
il nit par donner du sens même à des formes abstraites.
La reconnaissance des visages est fondamentale pour l’être humain. Elle lui
permet de reconnaître un congénère, de détecter une présence, et donc de
s’entraider, interagir ou se protéger. Cette détermination de notre cerveau à
détecter et scruter les visages nous permet de prêter attention aux autres et
de comprendre ce qu’ils peuvent ressentir.
LE SAVIEZ-VOUS ?
Fait intéressant  : une étude de 2017 a démontré qu’une certaine espèce de
singes, les macaques rhésus, était elle aussi capable de détecter des visages
imaginaires dans des objets inanimés !

De plus, notre cerveau a la tendance naturelle d’assimiler des perceptions


nouvelles à celles déjà connues pour les répertorier. Ce ré exe est la plupart
du temps utile pour identi er un objet nouveau comme appartenant à une
catégorie connue, mais peut entraîner des erreurs.
Ces erreurs visuelles sont largement utilisées par les artistes depuis la nuit
des temps, s’amusant à faire apparaître des visages un peu partout. C’est le
cas de Giuseppe Arcimboldo, peintre milanais du XVIe  siècle, qui peignit
d’innombrables toiles où des légumes de toutes sortes et savamment agencés
représentent des visages !
Léonard de Vinci disait lui-même :
«  En contemplant certains murs couverts de taches […], tu y verras
d’innombrables choses que tu peux compléter et auxquelles tu peux donner
de bonnes formes. »
Ce biais explique la tendance – qui dura pendant des siècles – à affirmer
que des formes familières étaient visibles sur la Lune, ou, depuis quelques
années, sur Mars.

HALLUCINATIONS AUDITIVES
Il existe aussi des paréidolies auditives, qui nous font comprendre des phrases
en français dans une chanson étrangère. Dans la célèbre chanson du groupe
The Police, Message in a Bottle, le premier couplet où le chanteur dit en
anglais :
“More loneliness
Than any man could bear”,
provoque chez certains la paréidolie auditive suivante :
« Mon opinel
a du mal couper ».
Faites l’expérience en écoutant cette chanson, vous n’entendrez plus que cela
maintenant !

1. En 2004, un toast sur lequel avait été perçue l’image d’un personnage assimilée par certains à celle
de la «  Vierge Marie  » a été vendu pour 28  000  dollars.
http://news.bbc.co.uk/2/hi/americas/4034787.stm
2. Le cerveau humain ne ressent d’ailleurs pas la douleur, c’est pourquoi on peut opérer un patient du
cerveau alors qu’il est éveillé.
L’EFFET POM-POM GIRL

Saviez-vous que vous êtes plus séduisant au milieu d’un groupe de


personnes que seul ? Lorsqu’il est face à un groupe, notre cerveau créé une
«  représentation d’ensemble  », en harmonisant les caractéristiques, et les
défauts individuels sont alors atténués  ! Ce biais nommé «  effet pom-pom
girl  » fonctionne quel que soit le nombre de personnes dans le groupe.
Même si on est deux, les différents traits du visage deviennent
complémentaires pour le cerveau d’un troisième observateur, et on
« pro te » des points forts de l’autre !
L’EFFET IKEA

Ce biais cognitif nous fait surestimer la valeur des produits qu’on achète si
on les a partiellement créés : comme les meubles à monter soi-même ! Notre
contribution nous rend inconsciemment très satisfait du produit, parfois,
beaucoup trop satisfait pour ce qu’il est en réalité. Cela explique aussi en
partie le succès de l’entreprise LEGO, la valeur ajoutée psychologique que
l’on apporte à l’objet en le montant soi-même étant très grande.
L’EFFET « MACGYVER »

L’effet IKEA est à ne pas confondre avec ce biais cognitif qui lui aussi, porte
bien son nom, et qui nous pousse à être satisfaits à l’excès ou porter en haute
estime les petits bricolages et ra stolages d’appoint que nous avons inventés,
sans parfois réaliser leur danger ou leur manque d’efficacité.
L’EFFET DE VÉRITÉ ILLUSOIRE

« La répétition est la plus forte des gures de rhétorique. »


– Citation attribuée à Napoléon Bonaparte

Ce biais cognitif pousse à croire qu’une information est correcte si on l’a


entendue plusieurs fois. La répétition rend une déclaration plus facile à
traiter par le cerveau (par effet de «  uidité de traitement »), ce qui conduit à
croire que l’information la plus souvent entendue est la plus vraie. Quand
une information est évaluée par notre cerveau, on se e le plus souvent au
fait que l’information est conforme à notre compréhension ou au fait qu’elle
nous semble familière. Le premier ré exe est logique, car l’humain compare
les nouvelles informations avec ce qu’il sait déjà être vrai. Ensuite, la
répétition rend les déclarations plus faciles à traiter par rapport aux
nouvelles déclarations inédites, ce qui amène à croire que l’information
répétée est plus véridique. La familiarité l’emporte sur la rationalité.
Lorsqu’un individu entend quelque chose pour la deuxième ou la troisième
fois, son cerveau y répond plus rapidement et attribue à tort cette «  uidité »
à un signal de vérité.
Bien entendu, la publicité utilise ce biais en répétant parfois des
affirmations non fondées sur un produit, ce qui peut stimuler les ventes, car
des consommateurs en viennent à penser que l’information qu’ils ont
entendue tant de fois provenant « d’une source objective » est vraie. L’effet de
vérité illusoire peut aussi se glisser dans les médias d’informations de masse,
et être utilisé comme un levier de propagande.
Vous pensez que maintenant que vous connaissez le biais de vérité
illusoire, vous serez plus vigilant face aux informations répétées ? Dans une
étude où on a clairement dit aux participants que « les déclarations répétées
n’étaient pas plus susceptibles d’être vraies que les déclarations non
répétées  », les participants ont malgré tout perçu les déclarations répétées
comme étant plus vraies que celles non répétées…
Une étude encore plus troublante montra que quand on demande aux
participants de juger de la véracité de déclarations attribuées à diverses
personnes, les déclarations des personnes dont le nom était facile à
prononcer étaient constamment considérées comme plus véridiques que
celles dont le nom était plus difficile à prononcer !

IDÉES REÇUES !
Le biais de vérité illusoire contribue à expliquer que beaucoup continuent de
croire aux idées reçues, comme :
«  La langue humaine a des zones spécifiques pour les différents goûts (sucré,
salé, amère, etc.). »
Faux ! Toute la langue est active !
« On utilise que 10 % de notre cerveau. »
Faux  ! On utilise toute les zones du cerveau mais chaque zone pour des
fonctions différentes !
« Un poisson rouge n’a que 3 minutes de mémoire. »
Faux ! Il reconnaît même les visages humains !
« Le riz constipe. »
Faux ! C’est le manque de fibre à côté le problème.
« L’Église catholique romaine a étouffé la recherche scientifique durant la période
du Moyen Âge. »
Faux ! Une grande partie des scientifiques de renom étaient moines, frères ou
prêtres catholiques.
«  Napoléon Bonaparte compensait sa petite taille par une soif de pouvoir, de
guerres et de conquêtes. »
Faux ! Il était de taille moyenne pour l’époque.
« Le fruit défendu du livre biblique de la Genèse était une pomme. »
Faux ! On n’en sait rien.
« Le stress est un facteur de risque dans l’ulcère gastroduodénal »
Faux ! C’est la bactérie Helicobacter pylori qui est majoritairement responsable.
« Retirer les cheveux blancs en fait apparaître davantage. »
Faux !
« Faire craquer ses doigts cause de l’arthrite. »
Faux !
« On risque d’avaler sa langue durant une syncope. »
Faux ! Il est impossible d’avaler sa propre langue,
« Le Big Bang est l’origine de l’Univers. »
Faux ! Ce n’est que le début de son expansion.
« Les nuages sont faits de vapeurs d’eau. »
Faux ! Ils sont faits de minuscules gouttelettes d’eau en suspension dans l’air,
c’est d’ailleurs pour cela qu’on les voit. La vapeur, elle, est invisible.
« Le rouge énerve les taureaux. »
Faux ! Ils voient en noir et blanc, c’est le mouvement de la cape qui les excite. Si
la cape du torero est rouge, c’est pour cacher le sang.
« Les requins sont immunisés contre le cancer. »
Faux ! Des carcinomes ont déjà été trouvés chez eux.
« Les chauves-souris sont aveugles. »
Faux ! Elles ont toutes des yeux et le sens de la vue.
« Les chats voient dans le noir. »
Faux ! Aucun animal ne voit dans le noir complet.
« La citronnelle fait fuir les moustiques »
Faux !
« Les moustiques sont attirés par la lumière. »
Faux ! Ils sont attirés principalement par le CO2 émis par la respiration.
« Dormir avec des plantes vertes dans sa chambre est néfaste »
Faux ! Un autre être humain qui dort dans la pièce rejettera beaucoup plus de
CO2 que les plantes vertes.
« La Lune a une influence très importante sur le comportement humain. »
Faux  ! Aucune étude n’a montré cela. Les différentes phases de la Lune n’ont
d’influence ni sur le comportement ou le métabolisme humain (tels que les
insomnies, la repousse des cheveux, les accouchements, l’énervement, les
crises d’épilepsie, etc.), ni sur la pousse des légumes !
L’effet d’influence continue est la tendance à croire une information même si
elle a été démontrée comme fausse. Par exemple des fake news reconnues
comme fake news, mais qui continuent d’être considérées comme de vraies
informations. Si une fausse déclaration s’inscrit dans les croyances qui
définissent la vision du monde d’une personne et qu’elle a une forte composante
émotionnelle pour elle, cette personne restera sur la fausse déclaration en
mettant de côté son esprit critique, quoi qu’il arrive. Un exemple remonte à
l’élection de Barak Obama comme président des États-Unis. Après que
quelques personnes ont manipulé les médias afin de faire croire que Barak
Obama est né au Kenya et est musulman, malgré le fait que ces affirmations
aient été clairement démenties (en effet, Obama ne serait pas éligible à la
présidence des États-Unis si c’était le cas, car le président doit être né en
Amérique) et la présentation de preuves écrasantes qu’il est chrétien et est né à
Hawaï, de nombreux Américains continuent de croire le contraire.
Ne croyons pas qu’en ayant persuadé un ami de changer d’avis sur un sujet, il
ne laissera pas ses anciennes opinions refaire surface et affecter ses jugements
futurs. Ne sous-estimons pas l’effet d’influence continue ! Il a été démontré que
même en ayant vu la preuve qu’une information est fausse «  et en l’ayant
acceptée comme telle », cette fausse information peut continuer d’influencer nos
jugements !
Un célèbre test mettant en évidence ce biais fut réalisé dans les années 1980. Il
consistait à donner à un groupe de personnes plusieurs informations concernant
le récit d’un incendie fictif. Au début, on les informa qu’il existait sur les lieux du
drame un placard où auraient pu être entreposés des seaux de peinture et des
bonbonnes de gaz. On leur dit aussi que l’incendie provoqua une épaisse fumée
noire. Puis, à la fin du récit, une nouvelle information leur indiqua que, selon les
pompiers, le placard en question était vide. Malgré cette dernière information
claire, l’avis du groupe était formel : 90 % de ses participants étaient persuadés
que l’incendie avait été causé par « les bonbonnes et les seaux de peinture dans
le placard  ». Conclusion  : l’esprit s’accroche à une erreur lorsque celle-ci s’est
présentée dès le début de l’histoire, et même si par la suite elle est contredite !
L’EFFET WOOZLE

Proche de l’effet de vérité illusoire, l’effet Woozle se produit lorsqu’une


citation erronée est tellement répétée et reprise partout, qu’elle nit par en
être acceptée par tout le monde comme vraie  ! Un bon exemple est  : «  La
muraille de Chine est visible à l’œil nu depuis la Lune ! ». « Woozle » est le
nom d’un personnage de Winnie l’Ourson : les héros suivent la trace de cet
être imaginaire en tournant autour d’un arbre et, plus ils tournent, plus les
traces augmentent  ! Ils en déduisent que «  Woozle existe bien puisque
beaucoup de monde le suit ! ».
L’EFFET DE LA RIME COMME RAISON,
OU LE PHÉNOMÈNE EATON-ROSEN

« Une pomme chaque matin, éloigne le médecin. »


Le «  phénomène Eaton-Rosen  », ou «  effet de rime  », nous fait juger les
affirmations ou les dictons comme plus véridiques s’ils sont en rimes1.

1. https://effectiviology.com/rhyme-as-reason/
L’EFFET BENJAMIN FRANKLIN

Ce biais cognitif amène les gens à aimer davantage quelqu’un après lui
avoir rendu service. Par exemple, quelqu’un qui ne vous aime pas peut
commencer à vous aimer après vous avoir fait une faveur, comme vous
prêter un livre. Quel est ce mystère ?
En général, on a tendance à rendre service aux personnes que l’on apprécie
et à se montrer moins serviable vis-à-vis des personnes que l’on n’apprécie
pas. Alors lorsque l’on n’a aucune affection pour quelqu’un mais qu’on lui
rend tout de même un service, le cerveau perçoit une forme d’incohérence,
une «  dissonance cognitive  ». Le cerveau va alors tout faire pour résoudre
cette dissonance et préserver une vision cohérente de la situation.
Comment  ? En se convainquant soi-même que l’on aime la personne à
laquelle on vient de rendre un service1 ! Demandez donc à quelqu’un qui ne
vous aime pas trop et que vous voulez adoucir de vous rendre un petit
service !

L’inverse de l’effet Benjamin Franklin existe aussi  : lorsqu’on fait du mal à


quelqu’un, on l’aime moins. Toujours dans le but de résoudre une dissonance
cognitive (justifier le fait de faire du mal à un autre être humain), des geôliers,
des gardiens de camps, des soldats, finissent par se persuader qu’ils détestent
les autres afin de trouver une logique cognitive à leurs actes.

C’est dans son autobiographie que Benjamin Franklin explique lui-même


comment il a résolu l’animosité d’un rival lorsqu’il était membre de
l’Assemblée générale de Pennsylvanie, au XVIIIe siècle :
« Ayant appris qu’il avait dans sa bibliothèque un livre très rare et curieux,
je lui écrivis un mot, exprimant mon désir de consulter ce livre, et lui
demandant la faveur de me le prêter pour quelques jours. Il l’envoya
immédiatement, et je le lui rendis environ une semaine plus tard avec un
second mot, indiquant que j’avais fortement apprécié la faveur. Quand nous
nous revîmes à la Chambre des représentants, il me parla (ce qu’il n’avait
jamais fait avant), et avec beaucoup de civilité ; et à partir de ce moment il
fut prêt à me servir en toute occasion, nous devînmes donc bons amis, et
cette amitié dura jusqu’à sa mort. »
En 2022, il n’y a pas besoin d’une action coûteuse pour provoquer l’effet
Franklin  ! Une étude2 montre qu’il suffit d’accepter sur Facebook une
demande d’ami de quelqu’un pour déjà mieux l’apprécier.

1.  Notons que l’effet ne fonctionne pas quand on passe par une tierce personne pour demander le
service.
2. Anthony M. Limperos, « “It’s Not Who You Know, but Who You Add:” An investigation into the
differential impact of friend adding and self-disclosure on interpersonal perceptions on Facebook »,
Computers in Human Behavior, Volume 35, June 2014, Pages 496-505.
L’EFFET BAADER-MAINHOF

Vous voyez des voitures rouges partout depuis que vous voulez en acheter
une. Un complot publicitaire est-il mis en place pour vous inciter à acheter
la voiture  ? Vous avez entendu une chanson pour la première fois l’autre
jour, et maintenant, vous l’entendez partout où vous allez. Est-ce la chanson
qui passe plus souvent (elle n’est pourtant pas nouvelle), ou est-ce vous qui la
remarquez plus ?
Le phénomène « Baader-Meinhof », nommé ainsi en référence à un gang
terroriste ouest-allemand et également appelé « illusion de fréquence », est
un biais cognitif se produisant après avoir remarqué, expérimenté ou
entendu une nouvelle chose, lorsqu’à partir de ce moment, elle semble
apparaître plus souvent dans notre vie !
Pensez à toutes les informations diverses auxquelles vous êtes exposées en
une seule journée. Il n’est tout simplement pas possible de s’imprégner de
chaque détail. Votre cerveau a donc pour mission de décider quelles choses
nécessitent une attention particulière et lesquelles peuvent être ltrées. Mais
lorsque nous manifestons un intérêt particulier pour un objet ou un
évènement, cela incite notre cerveau à se focaliser sur ce nouvel élément.
Sans en être vraiment conscient, notre esprit va chercher autour de nous des
faits qui corroborent l’intérêt porté à telle ou telle chose. Ce qui nous
rappelle le biais de confirmation. Les publicitaires savent vous montrer des
objets que vous aurez l’impression de voir partout par la suite.
Bien qu’il soit souvent inoffensif, il y a des moments où ce biais peut être
un problème. Si une personne souffre de certains troubles de santé mentale,
tels que la schizophrénie ou la paranoïa, le biais de fréquence peut l’amener à
croire quelque chose qui n’est pas vrai et peut aggraver ses symptômes.
Ce biais doit aussi être dompté par les médecins qui, s’ils voient leur
attention captée par des symptômes ou des diagnostics d’une maladie dont
ils entendent souvent parler dans leurs revues spécialisées, pourraient en
venir à croire voir cela plus fréquemment qu’auparavant chez des patients.
LE BIAIS RÉGRESSIF

C’est la tendance à se souvenir des probabilités élevées ou des répétitions


comme étant plus faibles qu’elles ne l’étaient réellement, et des probabilités
plus faibles comme étant plus élevées qu’elles ne l’étaient réellement. Par
exemple, le biais se manifeste chez cette grand-mère dont le petit- ls vient
légèrement moins fréquemment la voir et à qui elle dit «  Tu ne viens plus
jamais me voir, avant tu venais très souvent ! », alors qu’auparavant, il venait
à peine plus qu’à présent. Nous avons tendance à faire une moyenne de
fréquences dans nos souvenirs et les estimons généralement très mal. « Vous
me téléphonez tout le temps ! » lance-t-on aux démarcheurs téléphoniques,
qui en réalité n’ont appelé que 2 ou 3 fois en 2 ans.
L’EFFET BOUBA-KIKI

Quelle que soit leur langue, si des gens se voient présenter ces deux formes
et qu’on leur demande d’en étiqueter une « bouba » et l’autre « kiki », 95 %
étiquettent la forme épineuse « kiki » et l’arrondie « bouba » ! C’est ça, l’effet
« bouba-kiki » : le cerveau associe instinctivement formes et sons !
L’ACTUALISATION HYPERBOLIQUE (OU LE BIAIS DU
PRÉSENT)

« Préférez-vous 10 euros aujourd’hui ou 13 euros demain ? » ; « Préférez-


vous 10 euros dans un an ou 13 euros dans un an et un jour ? »
Une part importante des sujets testés choisit, pour la première question, le
montant le moins élevé «  aujourd’hui  », plutôt qu’attendre un jour
supplémentaire pour 3 euros de plus ; par contre, ils attendent volontiers un
jour supplémentaire dans un an pour recevoir le montant le plus élevé. Les
personnes ayant de telles préférences possèdent «  le biais du présent  », ou
«  biais d’actualisation hyperbolique  ». De la même façon, si on propose à
quelqu’un 50  euros maintenant ou 100  euros dans 1  an, il va choisir de
prendre les 50  euros tout de suite. Mais si on offre 50  euros dans 5  ans et
100 euros dans 6 ans, même si l’écart n’a pas changé, il se passe toujours 1 an
entre les deux propositions, il lui paraît cependant plus naturel d’attendre
1  an de plus, puisqu’il aura déjà attendu longtemps de toute façon. Sa
perception temps/avantage est biaisée.
Le biais d’actualisation hyperbolique pousse les gens à préférer des
récompenses immédiates à des récompenses ultérieures. Face à deux issues
favorables, l’humain développe une prédilection pour le court terme et va
très probablement choisir celle qui arrivera le plus vite possible. Il a alors
tendance à faire des choix frivoles que son futur moi regrettera d’avoir faits,
à cause de l’in uence du biais du présent lors du processus de décision. On
appelle ces choix frivoles qui seront regrettés des incohérences temporelles :
les préférences d’une personne changent dans le temps de telle manière
qu’une préférence peut devenir incohérente d’un moment à un autre, même
si le « moi » reste le même et possède les mêmes informations.
Nous avons tous déjà acheté des fruits et des légumes, au moment où notre
« moi présent » se dit que cela sera bon pour notre santé, puis, notre « moi
futur » les laisse pourrir dans le frigo… Comme nous privilégions le présent,
les pros de la publicité savent promouvoir le plaisir immédiat et la
grati cation instantanée a n de nous pousser à acheter tout de suite  ! Par
exemple, les crédits à la consommation grâce aux cartes bancaires sont une
conséquence fréquente du biais d’actualisation hyperbolique  : beaucoup de
personnes préfèrent s’endetter pour acheter une télévision immédiatement
(et en plus payer des intérêts) plutôt que d’attendre d’avoir les fonds
suffisants pour se l’offrir.
Dans les années 1970, le psychologue américain Walter Mischel mena une
expérience bien connue à l’université de Stanford : des enfants étaient assis
devant une table avec des marshmallows devant eux, ils pouvaient les
manger tout de suite ou attendre que le chercheur revienne, auquel cas, il
leur offrirait le double de bonbons ! 30 % seulement des enfants ont réussi à
attendre le retour du chercheur, 10 à 15 minutes plus tard1.

« Ne jamais remettre au lendemain


ce que l’on pourrait faire le surlendemain. »
– Mark Twain
Le biais du présent, par certains aspects, rappelle la procrastination : le fait de
remettre systématiquement au lendemain n’est pas un problème d’organisation,
mais bien une faiblesse cognitive. Un procrastineur n’arrive pas à se « mettre au
travail  », surtout lorsque cela ne lui procure pas de «  satisfaction immédiate  ».
Léonard de Vinci était ainsi, et finissait rarement ses ouvrages. La satisfaction de
l’œuvre finie paraissait si loin que le biais du présent le poussait à trouver
satisfaction dans l’excitation du commencement d’une autre œuvre. Ainsi,
beaucoup de travaux restaient « en cours ».

C’est pourquoi la procrastination est si difficile à combattre, elle ne dépend pas


d’une « to do list », d’un agenda ou de mauvaises habitudes, elle est le résultat
d’un conflit qui se déroule dans notre cerveau* !

Selon les chercheurs de l’Université d’État du Colorado, la procrastination serait


génétique et héréditaire !
*https://www.lemonde.fr/technologies/article/2011/01/07/pourquoi-remettons-nous-souvent-les-choses-
au-lendemain_1462548_651865.html
Privilégier le présent peut avoir un impact sur notre santé. Le biais
apparaît lorsque l’on pense que les conséquences négatives d’un certain
comportement (tabagisme, malbouffe, alcoolisme…) se situent dans un
avenir lointain. Le fait que le béné ce d’un comportement sain se situe dans
l’avenir, « l’impatience face aux béné ces futurs » minimise notre motivation
à prendre des mesures qui nous semblent désagréables, comme maintenir
un régime équilibré, s’abstenir de malbouffe, faire du sport fréquemment, ou
se rendre régulièrement chez un professionnel de santé pour un contrôle.
Des preuves expérimentales montrent les différences entre les choix pour
le « moi » présent et le « moi » futur : Read & van Leeuwen (1998) ont étudié
cela avec une expérience dans laquelle des employés de bureau se sont vus
offrir un choix de collations gratuites  : la plupart choisissaient un chocolat
pour le manger tout de suite, mais préféraient l’option d’un fruit, plus saine,
pour la semaine suivante. Ils savaient que les fruits étaient plus béné ques
pour leur santé, mais le fait de reporter ce choix à la semaine suivante leur
permettait de calmer leur dissonance cognitive et d’apprécier le chocolat
qu’ils voulaient dans l’immédiat. Cette incohérence entre ce que nous
voulons sur le moment et ce que nous souhaitons pour notre bien sur le long
terme pose des difficultés dans un large éventail de choix dans la vie. Ce
biais explique pourquoi il n’est pas simple de motiver un comportement sain.

A  contrario du biais d’actualisation hyperbolique, il existe la «  gratification


différée », qui est la capacité qu’ont certains individus* à résister à une tentation
de récompense immédiate pour obtenir une récompense plus importante plus
tard. Pour eux, contrairement à ce qu’en dit La Fontaine, un « tiens » ne vaut pas
mieux que deux « tu l’auras » !
*Une légère différence entre les hommes et les femmes (10  % plus de femmes) suggère que les
femmes peuvent être meilleures pour retarder les récompenses (Irwin W. Silverman, Différences entre
les sexes dans le délai de gratification : une méta-analyse, 2003).

1.  Des années plus tard, Walter Mischel recontacta les enfants ayant participé à l’étude du
marshmallow  ; il observa que ceux qui avaient patienté lors du test étaient ceux qui semblaient le
mieux « réussir dans leur vie ». Il attribue cela à une meilleure maîtrise de soi.
L’EFFET D’HUMOUR

Nous nous rappelons mieux d’une information quand cette information


est perçue comme drôle ou pleine d’humour (l’humour peut se dé nir,
d’après le dictionnaire Larousse, comme le fait de souligner le caractère
comique, ridicule, absurde ou insolite de certains aspects de la réalité) ! En
effet, il est plus facile et plus simple de se remémorer des éléments
humoristiques parce qu’ils se distinguent en suscitant une excitation
émotionnelle qui favorise la stimulation de la mémoire.
Lors une expérience où un enseignant divisa ses élèves en deux groupes,
un groupe reçut des leçons « froides » (sans humour) et un groupe reçut des
leçons données avec de l’humour. Les élèves du deuxième groupe eurent de
meilleures notes (82/100 en moyenne) que ceux du premier groupe (72/100
en moyenne). Travailler dans un climat ou l’humour a une place signi cative
augmenta l’apprentissage et la productivité.
 
Le rire se situe aussi parmi les émotions les plus efficaces pour faire vendre.
Les publicitaires qui veulent imprégner durablement leurs marques ou leurs
slogans dans notre esprit savent utiliser l’humour dans leurs affiches de rues
ou leurs spots télévisuels ou radios. Même sur les réseaux sociaux comme
Twitter, les community managers des enseignes célèbres n’hésitent pas à
«  blaguer  » avec les abonnés. L’humour impacte l’attention du
consommateur, le libère de ses tensions quotidiennes et lui laisse un
sentiment positif qu’il associe à la marque.

POURQUOI L’HUMOUR EST-IL SI ATTRACTIF ?


Une équipe de chercheurs suisses** a montré que le rire et l’humour augmentent
notre tolérance à la douleur et améliorent notre qualité de vie. Cela en activant la
libération d’endorphines, ce qui soulage les tensions musculaires, renforce le
système immunitaire, calme le stress et change notre vision des évènements en
les rendant moins sérieux.

Attention, les faux sourires et faux rires n’améliorent pas la tolérance à la


douleur. Seuls les «  vrais  » rires accompagné d’une «  expression de
Duchenne  » conduisent à ces bienfaits. Guillaume Duchenne était un médecin
neurologue français qui mit en avant le fait que les vrais rires sont marqués par
un plissement des yeux, une contraction du muscle orbiculaire de l’œil situé
autour des yeux. Une personne simulant un rire n’arrive pas naturellement à ce
résultat. Ceci dit, l’hypothèse de la « rétroaction faciale » avance que forcer son
visage à adopter un sourire peut provoquer l’émotion associée.
**https://www.medicalnewstoday.com/articles/267434

L’effet d’humour peut aussi être associé à « l’effet waouh » ou « Wow » : le fait
qu’un produit, un service, une expérience ou une campagne publicitaire puisse
déclencher chez les consommateurs un effet de surprise !
Également, « l’effet de bizarrerie » rendrait les choses distinctives, étranges et
inhabituelles plus facilement mémorisables par notre cerveau, du fait que notre
cerveau ignore facilement ce avec quoi il est déjà familier et s’attarde plus sur de
nouvelles informations. Vous n’oublierez jamais cette personne qui portait des
couches et qui marchait sur les mains, place du Capitole, à Toulouse.
De même, le biais de saillance, vous fera toujours remarquer cette chose qui se
différencie des autres, de façon automatique et quasi inévitable  : cette vache
mauve au milieu des marrons (vous savez, cette vache Milka que personne ne
peut rater), cet homme grand au milieu des petits, ce chauve au milieu des
chevelus, ce mot rare au milieu d’un discours, cette seule flèche qui pointe à
gauche alors que toutes les autres pointent à droite, cette maison rose au milieu
d’une rue de maisons beiges, cette dent qui manque à la personne à qui vous
parlez, cette information d’une catastrophe qui vous touche plus que les autres
informations du journal parce que vous avez déjà vécu la même chose…
L’effet von Restorff est très similaire mais s’applique au fait de mieux retenir
plutôt que juste remarquer. Par exemple, si vous lisez  : lundi, jeudi, mercredi,
dragon, mardi, dimanche, samedi… et qu’on vous demande demain qu’elle était
le mot de la liste qui vous a le plus marqué, il est quasiment sûr que vous vous
rappellerez très bien de «  dragon  ». Si, lors d’une soirée, une des femmes
présentes a les cheveux violets, sûrement que dans les jours qui suivront, en
repensant à cette soirée vous vous souviendrez plus d’elle que de la fille brune
qui pourtant était assise plus près de vous. Ce biais attribue une meilleure
« mémorisation » aux éléments qui se distinguent des autres en étant isolés du
groupe dont ils font partie. Dans une liste de mots écrits en noir, si un seul mot
est en rouge, on le retiendra beaucoup plus facilement parce qu’il se distingue
des autres. Ce mécanisme s’applique à toute sorte d’éléments  : des produits,
des messages de communication, des formes, une action, un logo, etc. Alors
profitez de ce biais, au travail ou sur la liste des courses, le bon vieux surligneur
qui vient mettre un coup de projecteur sur telle ou telle chose à faire ou à acheter
n’a pas son pareil pour vous aider à vous rappeler ce qui ne doit pas être oublié.
L’effet de contexte, lui, est le fait de se souvenir plus facilement de certaines
choses grâce aux facteurs environnementaux. Par exemple, comme la mémoire
est liée au contexte, il est plus facile de se remémorer des souvenirs d’enfance
dans la maison où l’on a grandi. Revenir sur les lieux d’un évènement fera
remonter plus de souvenirs en nous avec plus de détails et de force, que si nous
tentons l’expérience hors contexte.
L’EFFET AUTRUCHE

C’est la tendance qu’ont les individus à éviter ou à rejeter les informations


perçues comme négatives et à ne pas les inclure dans leur processus de
décision. Ce comportement irrationnel permet à notre cerveau de continuer
de croire qu’il est sur la bonne voie, et de fuir émotionnellement la
déception. En effet, le fait de ne pas réussir et de perdre, peut provoquer une
peine 2 fois plus importante que la joie que peut procurer le succès.

LE SAVIEZ-VOUS ?
Le nom de ce biais vient bien sûr de la « légende » selon laquelle les autruches
cacheraient leur tête sous le sable en cas de danger. En réalité, elles ne font que
baisser la tête vers le sol régulièrement pour diverses raisons  : s’alimenter,
surveiller leurs œufs, se protéger la tête des tempêtes de sable. Si elles sont en
danger, elles s’enfuient, tout simplement !

Durant le début de la pandémie de Covid 19, à la différence de la Corée du


Sud ou de certains pays africains, les dirigeants des pays européens ont tardé
à réaliser la gravité de la situation et à imposer des mesures restrictives
visant à contenir le virus. Pourquoi ? Il se pourrait bien que l’effet autruche y
soit pour quelque chose. Qui n’a pas en mémoire ces moments, relayés aux
infos, où malgré les alertes des autorités sanitaires le président Emmanuel
Macron et sa femme Brigitte se rendaient au théâtre pour inciter les Français
à continuer de sortir ? Ou encore le président américain Donald Trump qui
serrait des mains en pleine conférence sur le coronavirus  ? Sans parler du
président du Brésil, Jair Bolsonaro, qui se mêlait à la foule de ses partisans en
dépit des consignes de distanciation sociale décrétées par son propre
gouvernement !
Les humains ont tendance à mettre la tête sous le sable face à une situation
incertaine, comme si cela pouvait faire disparaître le problème. Comme
lorsque vous ne voulez pas regarder l’état de votre compte en banque après
avoir un peu trop fait chauffer votre carte bancaire. Ou les étudiants qui
préfèrent ne pas regarder leur note lorsqu’ils sentent qu’ils ont raté un
contrôle. C’est une crise d’effet autruche ! Mais ne pas regarder un problème
en face nous empêche de progresser, et provoquera la récidive ou un
enfoncement dans le problème. C’est pourquoi il vaut bien mieux qu’une
« autruche » regarde le problème en face (un lion qui approche par exemple)
et puisse agir en conséquence, plutôt que de se mettre la tête sous le sable
comme dans la légende, et se faire dévorer par l’inaction et l’aveuglement !

NON, NON, NON ET NON


Staline aussi en a été victime, refusant de croire que Hitler était sur le point de
rompre le pacte germano-soviétique et de lancer l’opération Barbarossa*. Il est
même allé jusqu’à faire exécuter certains de ses informateurs avant de devoir
accepter l’évidence… trop tard.
*L’opération Barbarossa, nommée en référence à l’empereur Frédéric Barberousse, est le nom de code
désignant l’invasion de l’Union soviétique par le IIIe Reich pendant la Seconde Guerre mondiale.

Aujourd’hui, il est grandement prouvé que sans réduction des émissions


de gaz carbonique dans l’atmosphère, la Terre ne sera plus habitable.
Pourtant, les êtres humains ne changent rien à leur comportement, ou si
peu. Les chercheurs ont émis l’hypothèse qu’une « part de nous-mêmes nous
freine à agir  ». Le psychologue Daniel Kahneman explique pourquoi le
réchauffement est typiquement destiné à échapper à nos mécanismes
d’alerte  : il est «  distant, invisible, contesté  », alors que, pour être prise au
sérieux, une menace doit être «  concrète, immédiate et irréfutable  ». C’est
dans cette brèche de la pensée que peuvent se développer les discours
favorisant l’inaction.
LE BIAIS DE NORMALITÉ

Proche de l’effet autruche, ce biais amène les gens à nier ou à minimiser les
avertissements concernant un danger, à sous-estimer la probabilité qu’une
catastrophe arrive ou ses effets sur eux. Ce ré exe nous pousse à croire que
notre vie se déroulera comme elle s’est toujours déroulée, et à ignorer la
possibilité qu’une catastrophe ou un évènement non prévu vienne tout
chambouler.
Il est observé que les personnes cherchant un abri pour se protéger
pendant qu’une tornade ou un cyclone sévit, sont souvent retardées par des
gens effectuant des activités normales, qui refusent de croire que l’urgence se
produit. Ces personnes sont en plein biais de normalité. Environ 70 % des
personnes victimes d’une catastrophe affichent un biais de normalité. Bien
que les lms « catastrophe » montrent généralement des foules de personnes
en train de crier et de paniquer dans tous les sens, en réalité, en cas de crise
la plupart des gens se déplacent hébétés. D’après une étude1 menée en 2001
par le sociologue omas Drabek, les gens qui reçoivent un ordre
d’évacuation avant une catastrophe ont tendance à se renseigner avec au
moins quatre sources d’information avant d’obéir ! Cela peut parfois être une
bonne chose : les chercheurs constatent que les personnes qui sont dans cet
état sont plus dociles et peuvent donc être dirigées sans chaos. Elles ont
même tendance à calmer les 10 à 15  % de personnes qui paniquent  !
Cependant, ce biais reste globalement dévastateur, comme dans le cas bien
connu de l’éruption du Vésuve, où les habitants de Pompéi ont assisté à la
catastrophe sans évacuer  ! Ou encore lorsque sur le Titanic en train de
couler, certains passagers ont refusé d’évacuer, sous-estimant la probabilité
du pire scénario, leur mort par noyade, ou minimisant l’avertissement.
Le biais directement opposé au biais de normalité est « le biais du scénario du
pire  », qui consiste à voir de légères variations par rapport à notre routine
comme des indices d’une catastrophe imminente !

1. Amanda Ripley, « How to Get Out Alive », TIME Magazine, vol. 165, no 18, 25 avril 2005, p58-62.
LE SYNDROME DE L’IMPOSTEUR

Également appelé le « syndrome de l’autodidacte », ce biais nous pousse à


douter de façon maladive de notre accomplissement personnel, de nos
mérites. Il nous fait attribuer nos succès et réussites uniquement à des
éléments extérieurs comme la chance, les bonnes rencontres ou même
l’erreur de jugement de ceux qui nous complimentent. Ce biais va jusqu’à
nous faire nous accuser nous-même de duper notre entourage, nos amis,
collègues ou patrons, car on ne devrait pas, à nos yeux, être reconnus ou
félicités pour nos compétences. On a le sentiment qu’on nira par être
«  démasqué  » un jour  ! Ce syndrome puiserait ses origines dans des egos
malmenés et dans la nécessité que nous éprouvons de nous comparer aux
autres.

La comparaison sociale est la tendance des humains à comparer leurs


aptitudes et leurs opinions avec celles des autres, surtout avec des personnes
qui leur ressemblent. Lorsqu’il devient désagréable de se comparer à d’autres, la
personne va avoir tendance à se montrer hostile ou à avoir une mauvaise
opinion de ces autres personnes. La comparaison sociale est intimement liée à
ce qu’on appelle l’effet «  mare aux poissons  ». Pour illustrer cela, prenons
l’exemple du milieu scolaire  : l’image qu’un élève aura de lui dépendra de la
« mare » dans laquelle il évolue. Obtenir la note de 13 fera dire à l’élève qu’il est
intelligent si la moyenne de la classe est de 10, par contre, il pensera qu’il est nul
si la moyenne est de 18. Il en va de même dans de nombreux domaines. Par
exemple, gagner 2 000 euros par mois est une source de satisfaction pour nous
si tous nos collègues sont au smic, mais ne toucher « que » 200 fois le smic est
vu comme un échec pour un patron du Cac 40. On comprend donc que pour
celui qui se compare sans cesse rien n’a de sens dans l’absolu, et que tout
dépend de la mare dans laquelle il nage. Pour savoir si elle peut être satisfaite
de ce qu’elle est ou de ce qu’elle a, une personne se sent obligée de raisonner
en se comparant aux autres, en se positionnant par rapport aux autres. Bien
qu’avoir un modèle ou un mentor puisse être source de motivation, se comparer
aux autres peut être néfaste, et la meilleure personne à qui nous pouvons nous
comparer est nous-même, celui ou celle que nous étions et que nous sommes
devenus.

C’est la psychologue Pauline Rose Clance qui fut la première à mettre en


évidence le syndrome de l’imposteur  : elle remarqua que beaucoup de ses
patients non diplômés ne croyaient pas qu’ils méritaient leur place à
l’Université alors qu’ils avaient de bonnes notes  ! Elle étudia (avec sa
collègue Susanne Imes) le cas de 150 femmes, et bien que les preuves de
leurs capacités fussent évidentes, ces femmes n’avaient pas la reconnaissance
interne de leurs réalisations. Elles expliquaient que leur succès était le fruit
« de la chance et que d’autres surestimaient simplement leur intelligence et
leurs capacités »1.
 
Le syndrome de l’imposteur concernerait aussi la vie familiale  : par
exemple, chez des parents qui sous-estiment leur aptitude à s’occuper de
leurs enfants, ou dans un couple lorsque l’autre nous renvoie une image de
soi que l’on juge trop valorisante par rapport à celle que l’on a.
70 % des gens auraient déjà été touchés par ce syndrome au moins une fois
dans leur vie, estiment les psychologues2. Et plutôt que de « syndrome », ce
qui fait penser à une maladie, les psychologues préfèrent parler d’une
« expérience temporaire », car ce sentiment peut disparaître ou réapparaître
à différents moments de notre vie, particulièrement lorsqu’on se quali e
pour la première fois dans un domaine de compétence.

TEST
La psychologue Pauline Clance a mis au point un test psychologique qui permet
de savoir à quel point vous êtes touché par le syndrome de l’imposteur. Pour
chaque question, entourez le numéro qui indique le degré de vérité de
l’affirmation.
 
1. J’ai souvent réussi un test ou une tâche alors que je m’en pensais
incapable avant de commencer.
1) Faux 2) Rarement 3) Parfois 4) Souvent 5) Tout à fait vrai
2. Je peux donner l’impression que je suis plus compétent que je ne le suis
réellement.
1) Faux 2) Rarement 3) Parfois 4) Souvent 5) Tout à fait vrai
3. J’évite si possible les évaluations : j’ai peur des évaluations des autres à
mon égard.
1) Faux 2) Rarement 3) Parfois 4) Souvent 5) Tout à fait vrai
4. Quand quelqu’un me félicite pour quelque chose que j’ai accompli, j’ai
peur de ne pas être à la hauteur de ses futures espérances.
1) Faux 2) Rarement 3) Parfois 4) Souvent 5) Tout à fait vrai
5. Je pense parfois que j’ai obtenu ma position actuelle parce que j’étais là
au bon endroit au bon moment.
1) Faux 2) Rarement 3) Parfois 4) Souvent 5) Tout à fait vrai
6. J’ai peur que les personnes importantes à mes yeux découvrent que je
ne suis pas aussi compétent qu’ils le pensent.
1) Faux 2) Rarement 3) Parfois 4) Souvent 5) Tout à fait vrai
7. J’ai tendance à me remémorer les projets pour lesquels je n’ai pas donné
le meilleur de moi-même.
1) Faux 2) Rarement 3) Parfois 4) Souvent 5) Tout à fait vrai
8. Je réalise rarement un projet ou une tâche aussi bien que je le voudrais.
1) Faux 2) Rarement 3) Parfois 4) Souvent 5) Tout à fait vrai
9. Parfois, j’ai le sentiment que mon succès est le résultat de plusieurs
coïncidences.
1) Faux 2) Rarement 3) Parfois 4) Souvent 5) Tout à fait vrai
10. C’est difficile pour moi d’accepter les compliments qui portent sur mon
intelligence ou mes réussites.
1) Faux 2) Rarement 3) Parfois 4) Souvent 5) Tout à fait vrai
11. Parfois, je pense que si j’ai du succès, c’est parce que j’ai eu de la
chance.
1) Faux 2) Rarement 3) Parfois 4) Souvent 5) Tout à fait vrai
12. Je pense souvent que j’aurais pu faire mieux, et je suis déçu de mes
réalisations.
1) Faux 2) Rarement 3) Parfois 4) Souvent 5) Tout à fait vrai
13. Parfois, je redoute que les autres découvrent mes lacunes.
1) Faux 2) Rarement 3) Parfois 4) Souvent 5) Tout à fait vrai
14. J’ai souvent peur d’échouer dans une nouvelle tâche qui m’est confiée.
1) Faux 2) Rarement 3) Parfois 4) Souvent 5) Tout à fait vrai
15. Quand je réussis quelque chose qui est reconnu comme bien, j’ai peur
de ne pas pouvoir répéter cette réussite.
1) Faux 2) Rarement 3) Parfois 4) Souvent 5) Tout à fait vrai
16. Si je reçois des félicitations et de la reconnaissance pour quelque chose
que j’ai accompli, j’ai tendance à minimiser l’importance de ce que j’ai fait.
1) Faux 2) Rarement 3) Parfois 4) Souvent 5) Tout à fait vrai
17. Je compare souvent mes capacités à celles des personnes qui
m’entourent et pense qu’ils sont peut-être plus intelligents que moi.
1) Faux 2) Rarement 3) Parfois 4) Souvent 5) Tout à fait vrai
18. Je m’inquiète souvent de ne pas réussir alors même que tout le monde
sait que je vais briller.
1) Faux 2) Rarement 3) Parfois 4) Souvent 5) Tout à fait vrai
19. Lorsque je m’apprête à recevoir une récompense, j’attends le dernier
moment pour l’annoncer, au cas où cela ne se faisait finalement pas.
1) Faux 2) Rarement 3) Parfois 4) Souvent 5) Tout à fait vrai
20. Je me sens découragé si je ne suis pas « excellent » dans les situations
qui impliquent le fait de réussir.
1) Faux 2) Rarement 3) Parfois 4) Souvent 5) Tout à fait vrai
Additionnez les nombres associés à vos réponses.
Si votre score est inférieur à 40, vous n’avez que quelques caractéristiques de
l’imposteur.
Si votre score se situe entre 40 et 60, vous expérimentez assez souvent le
syndrome de l’imposteur.
Si votre score est supérieur à 60, le syndrome de l’imposteur interfère
fréquemment avec votre vie  : il est fort possible que vous en souffriez
mentalement et physiquement.

Pour vaincre ce syndrome, il vous faudra retrouver la con ance et être


réaliste quant à votre valeur. Voici une liste de questions à vous poser et dont
les réponses peuvent vous aider :
1
. Qu’est-ce qui me rend unique ?
2
. Quels sont mes principaux talents ?
3
. Mon travail est-il en lien avec ce talent ?
4
. Mon travail est-il cohérent avec mes valeurs ?
5
. Quelles ont été mes dernières réussites ?
1. Maud Navarre, « D’où vient le syndrome de l’imposteur ? », Sciences Humaines, vol330, no. 11, 2020,
pp10-10. https://www.cairn.info/magazine-sciences-humaines-2020-11-page-10.html
2. Pauline Rose Clance, Le complexe d’imposture ou comment surmonter la peur qui mine votre sécurité,
Flammarion, 1992.
LE TRANSFERT ILLICITE

« Puisque Ludivine est si diligente et honnête au travail, toute l’entreprise


doit avoir une éthique de travail formidable ! »
Ce sophisme, ce raisonnement faux malgré une apparence de vérité, se
manifeste avec un biais de transfert illicite : on suppose que ce qui est vrai
pour une partie est vrai pour l’ensemble. Ou que ce qui est vrai de l’ensemble
l’est aussi pour une de ses parties, exemple : « cette entreprise est corrompue,
chaque employé doit l’être aussi ! »
LE BIAIS DE L’ANGLE MORT

« Ou comment peux-tu dire à ton frère :


“Laisse-moi enlever la paille de ton œil”,
alors que toi, tu as une poutre dans le tien ? »
– Matthieu 7.4

Le biais de l’angle mort est la tendance à croire que nous voyons le monde
qui nous entoure objectivement, alors que les autres, ceux qui ne sont pas
d’accord avec nous, doivent être ignorants, irrationnels ou biaisés. On arrive
d’ailleurs à reconnaître les biais chez autrui, mais on passe complètement à
côté de l’impact des mêmes biais chez nous  ! Comme les biais sont
généralement considérés comme indésirables, nous avons tendance à sous-
estimer le degré auquel nos propres actions et nos pensées sont biaisées.

LE RÉALISME NAÏF
Appelée également «  réalisme direct  » ou «  réalisme du bon sens  », c’est la
croyance selon laquelle nous voyons la réalité telle qu’elle est réellement, de
manière objective et sans parti pris. Pour nous, « les faits sont clairs, limpides et
évidents ! » Les « personnes rationnelles » sont forcément d’accord avec nous et
« toutes celles qui ne le sont pas sont de toute évidence soit irrationnelles, soit
mal informées, soit paresseuses soit, bien entendu, biaisées ! » Oui, oui…

Ce « réalisme naïf » amène les gens à exagérer les différences entre eux et
les autres. Dans une étude1 menée par Pronin, Lin et Ross en 2002, des
étudiants de Stanford ont rempli un questionnaire sur divers biais touchant
au jugement social. On leur demandait à quel point ils pensaient être affectés
par divers biais. Les chercheurs constatèrent que les étudiants étaient
systématiquement convaincus que les biais les touchaient moins eux que les
autres. Après avoir démontré aux étudiants que 70 à 80  % des gens sont
touchés par ces biais, on leur demanda de réexaminer l’exactitude de leurs
autoévaluations. Malgré cela, 63 % des étudiants ont affirmé que leurs notes
avaient été objectives, et 13 % des étudiants ont indiqué qu’ils pensaient que
leurs notes avaient été trop modestes !
Lorsque nous avons une divergence ou des perceptions des situations ou
des évènements différents des autres, nous avons tendance à estimer que les
autres sont biaisés et que nous avons le point de vue le plus rationnel. Sur
600  Américains interrogés, 85  % s’estimaient moins biaisés que l’américain
moyen.

L’illusion d’introspection est une illusion cognitive qui nous donne l’impression
d’avoir un excellent accès à nos états mentaux. Nous avons l’illusion que nous
sommes capables de savoir parfaitement qui nous sommes vraiment et ce que
nous pensons. Lorsque les gens confondent une «  introspection peu fiable  »
avec une «  véritable connaissance de soi  », le résultat est qu’ils peuvent
s’imaginer supérieur aux autres, en pensant qu’ils sont moins biaisés et moins
conformistes que le reste des gens.

Ce biais se manifeste souvent parce que nous avons tendance à croire que
nous savons «  comment  » et «  pourquoi  » nous prenons telle ou telle
décision dans la vie (illusion d’introspection). Or, beaucoup de nos décisions
sont en réalité forgées par des biais cognitifs, des préjugés et des raccourcis
mentaux. Mais comme nous concevons moralement l’idée qu’avoir des
préjugés est mal, nous en concluons qu’ils n’ont pas joué de rôle dans nos
décisions. Même lorsque nous sommes sensibilisés à l’existence de divers
biais et à leurs agissements sur notre perception, nos décisions ou nos
jugements, la recherche montre que nous sommes toujours incapables de les
contrôler ! Cela contribue à la « tache aveugle » qui nous rend incapables de
modi er notre perception biaisée.
Un individu pourrait par exemple être dur et sévère avec des personnes
chez qui il a remarqué un défaut, parce qu’il est gêné d’avoir lui-même ce
défaut, sans pouvoir se l’avouer à lui-même. Son biais d’angle mort le pousse
à affirmer que son préjugé est naturellement dû au fait qu’il a conclu que ce
défaut est mauvais.
Une expérience amusante menée en 2010 dans un supermarché proposa à
des consommateurs de choisir parmi plusieurs pots de con ture celle qu’ils
préféraient (l’expérience a été faite également avec du thé). Une fois le choix
fait, on leur demandait de continuer à la goûter tout en expliquant pourquoi
il avait fait ce choix. Sauf qu’entre-temps, le pot avait été changé et remplacé
par une des con tures qu’ils avaient préalablement rejetée. Complètement
trompés par une « cécité de choix », ils expliquèrent pourtant pourquoi leur
choix était le bon !

L’EFFET TROISIÈME PERSONNE


C’est ce biais qui fait que, en ce qui concerne les messages des médias de
masse, nous considérons qu’ils ont plus d’influence sur les autres que sur nous !
Nous estimons que nous sommes plus clairvoyants et que ces médias ont moins
d’impact sur nous que les autres.

Ce biais peut être motivé inconsciemment par le désir de distance sociale (ne
pas vouloir se mêler à ceux qui sont « facilement influençables »), par l’estime
de soi (« Moi, on ne me la fait pas ! Je ne suis pas un mouton, donc je n’y crois
pas. ») ou encore par le sentiment que la façon dont le message est transmis est
une manipulation, qu’on cherche à utiliser un de nos biais ! (« Ah ah, j’y vois clair
dans leur jeu ! Je connais tous les biais et je m’en protège. »)

Un phénomène étonnant fut mis en lumière* avec l’utilisation du réseau social


Facebook  : si une personne utilise un réseau social et se sent à l’abri de son
influence négative, cela provoque chez elle un phénomène psychologique
appelé «  influence de l’influence présumée  »  : elle s’inquiète que quelqu’un
d’autre soit influencé, et s’efforce de protéger autrui, même si elle-même estime
ne pas avoir besoin de l’être  ! C’est sûrement pour cela que beaucoup
d’utilisateurs de Facebook se plaignent de ces dangers auprès d’autres
personnes, mais continuent pourtant à se connecter au site (2,9  milliards
d’utilisateurs par mois en moyenne).
*https://www.francetvinfo.fr/internet/reseaux-sociaux/facebook/pourquoi-tout-le-monde-pense-que-
facebook-ne-manipule-que-les-autres_3472949.html

Gardons donc une attitude humble par rapport aux biais cognitifs.
Les connaître n’est pas suffisant pour nous en protéger. Et rappelons-
nous que notre vision du monde est rarement dèle à la réalité, que
nos raisonnements sont souvent distordus et que notre jugement est
rarement juste.
Voici une petite fable indienne2 appelée « Parabole des aveugles et de
l’éléphant » :

«  Un groupe d’aveugles entendit qu’un animal étrange, appelé éléphant,


avait été amené en ville, mais aucun d’eux n’était conscient de sa taille ni de
sa forme. Par curiosité, ils se dirent : “Nous devons l’inspecter et le connaître
par le toucher, dont nous sommes capables.” Alors, ils le cherchèrent, et
quand ils le trouvèrent, ils l’examinèrent à tâtons. Le premier aveugle, dont la
main se posa sur la trompe dit : “Cet être est comme un gros serpent.” Pour
un autre dont la main touchait l’oreille, cela ressemblait à une sorte
d’éventail. Quant à un troisième, dont la main était sur sa jambe, il dit  :
“L’éléphant est un pilier comme un tronc d’arbre.” L’aveugle qui posa sa main
sur son côté dit  : “L’éléphant est un mur.” Un autre, qui senti sa queue, le
décrit comme une corde. Le dernier en sentant sa défense, déclara que
l’éléphant était comme une lance ! »

1. E. Pronin, D. Y. Lin & L. Ross, 2002 “e bias blind spot: Perceptions of bias in self versus others”,
Personality and Social Psychology Bulletin, 28(3), 369–381. https://psycnet.apa.org/record/2002-10937-
008
2. E. Bruce Goldstein,Encyclopédie de la perception, Éditions SAGE. p. 492, 2010.
LE BIAIS DE MOTIVATION EXTRINSÈQUE/INTRINSÈQUE

Ce biais de jugement se caractérise par le fait de croire que les autres


possèdent forcément des motivations « extrinsèques », c’est-à-dire que leurs
actions sont le fruit d’une situation ou circonstance externe comme la
pression sociale, la recherche d’approbation, le désir de récompense, la
menace d’une punition… alors que nous-mêmes sommes convaincus d’avoir
plutôt des motivations «  intrinsèques  »  : que nos actions résultent d’une
envie, d’un plaisir, d’un d’intérêt personnel dénué de quelconque attente ou
de récompense externe. Exemples  : «  Moi si je travaille, c’est par choix et
plaisir, lui, par obligation ou quête de l’argent ! » ; « Moi si je fais du sport,
c’est par pure satisfaction personnelle, elle, par pression sociale ! »
LA DÉVALUATION RÉACTIVE

La dévaluation réactive est un biais cognitif (suggéré par Lee Ross et


Constance Stillinger) qui se produit lorsqu’une proposition est dévaluée si
elle provient d’un rival.
Par exemple, Constance Stillinger t une expérience dans les années 1980
en demandant à des piétons aux États-Unis s’ils soutiendraient un
programme bilatéral de désarmement nucléaire. Quand on leur disait que la
proposition émanait du président américain Ronald Reagan, 90  % disaient
qu’ils y étaient favorables  ; si on leur disait que la proposition venait d’un
groupe d’analystes politiques neutres, 80  % se disaient encore favorables  ;
mais si on leur disait que cela venait du chef d’État soviétique Mikhaïl
Gorbatchev, alors seuls 44  % étaient favorables. Cela con rme que l’on a
tendance à rejeter une proposition, bonne en soi, mais qui viendrait d’un
opposant. La même expérience fut faite en proposant une solution de paix à
des participants israéliens, en leur disant soit qu’elle venait d’Israël, soit
qu’elle venait de la Palestine. Elle était évaluée plus bas dans le deuxième
cas1.
Lorsque nous sommes dans des con its tendus, accepter les propositions
faites par la partie adverse peut donner l’impression que nous abandonnons
notre contrôle et notre capacité à faire des choix. Cependant, prendre une
seconde pour nous placer en dehors du con it et voir les choses à tête
reposée, peut favoriser une prise de décision plus objective.

1. I. Maoz, A. Ward & L. Ross, « Dévaluation réactive d’une proposition de paix “israélienne” contre
“palestinienne” », Journal de résolution des conflits, 2002.
LE SYNDROME DE TRAVIS (OU LE SNOBISME
CHRONOLOGIQUE)

C’est la tendance à surestimer ou surévaluer l’importance du présent, c’est-


à-dire une sorte de « snobisme chronologique » selon laquelle la pensée, la
science, l’art… d’une époque antérieure sont inférieurs, dépassés voire
obsolètes par rapport à ceux du présent, et ce, simplement en raison de leur
place chronologique dans l’histoire. Notre cerveau ne conçoit pas non plus
que les gens ayant vécu 1  000  ans avant nous avaient les mêmes aptitudes
mentales que nous.
Ce biais peut être mis en parallèle et en opposition avec d’autres biais
comme « le biais de rétrospection rose  » (communément vu comme une
sorte de nostalgie, mais la rétrospection rose, elle, est un biais cognitif) qui
nous fait juger le passé de manière disproportionnellement plus positive
qu’on ne juge le présent. Il crée l’illusion que tout était mieux avant (biais
également proche de l’attitude appelée « passéisme », qui désigne le fait d’être
exagérément attaché aux mœurs et aux valeurs du passé). Pour certains
chercheurs, un peu comme pour la compression des données dans les
ordinateurs, le cerveau faciliterait le stockage des souvenirs en éliminant les
détails de sorte à réduire les connexions neuronales. Les souvenirs les moins
agréables sont souvent chassés les premiers.
Dans une expérience de 1997, trois groupes partant pour des vacances
différentes ont été interrogés avant, pendant et après leurs séjours. La
plupart anticipèrent leurs vacances avec des sentiments positifs, avant
d’éprouver une légère déception par la suite. Mais généralement, la plupart
des sujets évaluèrent les évènements plus favorablement quelque temps
après que les vacances ont été passées, plus qu’ils ne l’ont fait pendant qu’ils
les vivaient !
Proche de la rétrospection rose, le « déclinisme » est le fait de penser que la
société dans laquelle on vit tend vers le déclin, ce qui nous fait voir le passé
favorablement et le futur négativement. Bien que cela puisse être vrai, une
société peut effectivement à un moment donné être sur le déclin, ce biais est
décrit par les psychologues comme « une astuce de l’esprit » et comme « une
stratégie émotionnelle, quelque chose de réconfortant dans lequel se blottir
lorsque le présent semble intolérablement sombre »1.
Un facteur de déclinisme est ce qu’on appelle en psychologie « la bosse de
réminiscence  », selon laquelle les personnes âgées ont tendance à «  se
souvenir mieux des évènements qui leur sont arrivés vers l’âge de 10 à
30 ans ». L’adolescence et le début de l’âge adulte ont été décrits comme des
moments importants dans l’encodage de la mémoire, car les individus se
souviennent généralement d’un nombre disproportionné de souvenirs
autobiographiques de ces périodes. Les souvenirs sont facilement accessibles
à partir de la bosse de réminiscence parce qu’ils sont liés à l’identité de soi,
aux objectifs dans la vie, aux attitudes fraîchement développées dans nos
personnalités, à nos croyances naissantes. De plus, les évènements de la vie
qui se produisent pendant la période de la bosse de réminiscence, tels que
l’obtention du diplôme, le mariage ou la naissance d’un enfant, sont souvent
très nouveaux, ce qui les rend plus mémorables.

L’effet d’autoréférence désigne le fait que la mémoire est meilleure lorsque les
éléments à mémoriser sont traités en référence à soi. C’est la capacité à se
rappeler plus facilement des souvenirs relatifs à nous-mêmes plutôt que des
informations similaires concernant autrui. On se rappellera par exemple plus
facilement des dates d’évènements qui sont proches de notre date d’anniversaire
ou des dates anniversaires de nos proches, ou on se rappellera plus rapidement
du prénom d’une personne qui s’appelle comme un membre de notre famille
proche.
Une étude des psychologues Rogers, Kuiper et Kirker a démontré que
l’autoréférence facilite la mémorisation : des participants devaient lire et retenir le
plus de mots possible d’une liste. Les chercheurs ont demandé à un groupe de
retenir les mots grâce à leur sonorité, à un autre de faire attention à la
sémantique des mots, tandis que le dernier groupe devait se concentrer sur les
aspects autoréférentiels, en associant les mots à quelque chose les concernant.
C’est bien le dernier groupe qui a retenu le plus de mots de la liste !
L’effet de génération, lui, se caractérise par le fait que la mémoire est meilleure
pour des informations que nous avons générées nous-même que pour des
informations lues ou fournies par d’autres. Par exemple, on se souviendra mieux
de nos propres phrases et citations que de celles des autres.
Une façon d’utiliser cet effet à notre avantage pour aider à la rétention de la
mémoire est par exemple de lire une partie d’un livre, puis de le fermer et de
générer (en y répondant) des questions sur ce qu’on vient de lire.

1. Jemima Lewis,“Whyweyearn for the good olddays”. e Telegraph, January 16, 2016.


L’EFFET DE SINGULARITÉ
(OU L’EFFET DE VICTIME IDENTIFIABLE)

« Une seule mort est une tragédie ; un million de morts est une statistique. »
– Citation attribuée à Joseph Staline,
ou l’écrivain allemand Kurt Tucholsky

Nous avons tendance à éprouver plus de compassion, d’empathie, envers


un seul élément singulier, comme une unité bien reconnaissable pour nous,
que pour un ensemble qui nous est plus abstrait. Par exemple, nous serons
davantage touchés par le cancer de notre petit voisin de 11 ans que par tous
les enfants cancéreux du centre hospitalier de l’autre côté de la ville. De plus,
l’effet de victime identi able provoque plus d’empathie chez nous pour des
personnes qui sont proches de nous ethniquement, géographiquement, et
culturellement.
Les histoires dans lesquelles les victimes sont décrites ou visuellement
montrées (dessin, photo, vidéo) comme innocentes et impuissantes sont
souvent plus émouvantes. Des études ont montré que l’être humain réagit
plus à des informations concrètes, visuelles et graphiques qu’à des
informations statistiques abstraites. Si, aux informations, une personne qui
se retrouve coincée dans un puits ou qui est victime d’une agression a son
nom, sa photo et son histoire publiée, elle a beaucoup plus de chance de
recevoir du soutien de l’opinion publique que les centaines d’autres qui
subissent la même chose mais qui sont décrites de façon abstraite. Par
exemple, en septembre 2015, le réfugié syrien de 3 ans Aylan Kurdi s’est noyé
alors que sa famille et lui tentaient de rejoindre l’Europe par bateau. Une
photographie du corps de Aylan Kurdi provoqua un rebond de l’inquiétude
internationale face à la crise des réfugiés. De plus, les dons pour les
organismes de bienfaisance aidant les migrants et les réfugiés ont
momentanément augmentés  : une multiplication par 15 des dons dans les
24 heures suivant la publication de la photo !
L’effet de victime identi able est un effet assez triste quand on y pense, car
cela veut dire que notre attention aux diverses tragédies qui nous entourent
est, la plupart du temps, basée non sur leur « niveau objectif » de tragédie,
mais plutôt sur la façon dont elles provoquent «  des émotions en nous  ».
Cela signi e aussi que, parfois, la tragédie d’une personne peut éclipser celle
de millions d’autres.
LE BIAIS DE NÉGATIVITÉ

Même si l’esprit humain a la faculté (parfois provisoirement) d’occulter ou


de mettre en veille des souvenirs douloureux, le biais de négativité est un
travers humain à cause duquel nous nous souviendrons plus d’un souvenir
désagréable que d’un souvenir positif. Par exemple, on a tendance à se
souvenir plus d’une critique que d’un compliment (il nous faudrait au moins
5 compliments pour compenser une critique), du défaut d’une personne que
de ses qualités, d’un échec que d’un succès…

LE SAVIEZ-VOUS ?
S’arrêter 3 fois de suite à un feu rouge au même carrefour nous pousse à croire
qu’on a la poisse à ce feu rouge et qu’on se le prend « toujours » rouge ! Ce qui
est statistiquement faux, car la durée d’un feu rouge est égale à celle du feu vert,
et quand la circulation est fluide, on a une chance sur 2 d’être interrompu par le
feu rouge.

Nous avons tendance à être plus touchés par les mauvaises nouvelles dans
les médias que par les bonnes. Le récit d’un drame s’abattant sur un
semblable à l’autre bout du monde nous touche parce qu’il est un «  autre
nous-même  ». Nous sommes en empathie avec les autres, grâce aux
« neurones miroirs » ou « neurones empathiques », ces neurones du cerveau
impliquées dans l’apprentissage par imitation et les processus affectifs. Le
danger ou le malheur qu’il a subi nous alerte plus, nous met plus en éveil
psychologique, que le bon moment qu’il aurait passé.
Plusieurs études ont suggéré que la négativité est «  un aimant à attirer
l’attention ». Par exemple, lorsqu’ils étaient chargés de se faire une idée sur
des individus, les participants d’une expérience passaient plus de temps à
regarder des photographies mettant en scène ces personnes dans des
situations négatives qu’à regarder des photographies des mêmes personnes
dans des contextes positifs. De même, les participants ont enregistré plus de
clignements des yeux lorsqu’ils étudiaient des mots négatifs que des mots
positifs (le taux de clignement des yeux a été positivement lié à l’activité
cognitive1).

LE SAVIEZ-VOUS ?
Le biais de négativité augmente en intensité à mesure qu’une chose perçue
négativement approche temporellement ou spatialement de nous : par exemple,
un rendez-vous chez le dentiste est perçu de plus en plus négativement au fur et
à mesure que la date du rendez-vous approche. Une fois la date passée,
l’évènement perdra de son intensité négative (« Ce n’était pas si terrible. »). De
même pour un évènement jugé positif, comme une fête, le sentiment positif
augmente jusqu’au moment de la fête, puis la courbe redescend, laissant parfois
la place à quelques souvenirs négatifs en priorité (« Je n’ai pas trop aimé ceci ou
cela durant la fête. »).

Que ce soit dans les médias, sur les réseaux sociaux, sur le lieu du travail…
nous sommes tous sans arrêt confrontés à des affirmations sur toutes sortes
de sujets, et le biais de négativité nous fait prendre l’in rmation négative
comme plus vraie que les autres  ! Des chercheurs en psychologie de
l’université de Bâle, en Suisse, ont mené une expérience2 auprès d’un panel
de personnes de langue allemande, à qui l’on demandait d’évaluer le
caractère « vrai » ou « faux » de certaines déclarations. La phrase « 61 % des
femmes allemandes ne sont pas satisfaites de leur apparence  » a été
considérée comme plus vraie que l’expression « 39 % des femmes allemandes
sont satisfaites de leur apparence  ». Et ils ont même noté que l’effet est
renforcé lorsqu’un adverbe négatif est utilisé, par exemple si l’on dit « ne sont
pas satisfaites » plutôt que « sont insatisfaites ».

L’effet de positivité est un phénomène contre-intuitif  : en vieillissant, les


individus privilégient les affects positifs et évitent ou réduisent au contraire leurs
affects négatifs. Les personnes âgées préfèrent plus souvent garder en mémoire
des éléments et des informations positives plutôt que celles qui sont négatives,
et elles allouent davantage d’attention aux stimuli positifs que les sujets jeunes.
Les souvenirs autobiographiques positifs des personnes âgées sont également
plus durables et plus vivaces. Les études sur l’effet de positivité sont
particulièrement novatrices et intéressantes car elles permettent de voir certains
des changements liés à l’âge comme positifs et bénéfiques, et ces études
suggèrent ainsi que le vieillissement n’est pas uniquement synonyme de déclin
cognitif.

Un paradoxe et un bon exemple qui découle du biais de négativité, est le


fait qu’une personne malhonnête qui agira parfois honnêtement sera
toujours considérée comme étant majoritairement malhonnête ; par contre,
une personne honnête qui fait parfois des choses malhonnêtes sera
probablement reclassée comme personne malhonnête  ! Elle ne restera pas
perçue comme majoritairement honnête. Le biais de négativité l’emporte  !
L’honnêteté est considérée comme plus facilement ternie par des actes de
malhonnêteté que l’inverse.
« Il faut 20 ans pour se construire une réputation, 5 minutes pour la
détruire. »
– Warren Buffett

1. Christine Fogarty, John A. Stern, « Mouvements oculaires et clignotements : leur relation avec les
processus cognitifs supérieurs », Journal international de psychophysiologie, 1989.
2.  https://www.rtbf.be/article/psychologie-et-fake-news-pourquoi-accorde-t-on-un-plus-grand-
credit-a-des-declarations-negatives-10910526
L’EFFET ACTEUR/OBSERVATEUR ET L’ERREUR
FONDAMENTALE D’ATTRIBUTION

«  Sophie n’arrive pas à perdre du poids  ?! C’est normal  ! Elle manque de


motivation, elle ne s’investit pas assez dans son objectif, elle n’a pas la
niaque ! »
« Estelle a perdu du poids ?! C’est normal, elle s’est fait aider par un coach,
sans ça c’était chu ! »
Le biais effet acteur/observateur est la tendance à associer des causes
externes pour expliquer son propre comportement ou les réussites d’autrui
(erreur fondamentale d’attribution), alors qu’on attribue des causes
internes pour justi er le comportement et les échecs des autres. Dans
l’exemple cité au-dessus, le «  succès  » d’Estelle, le fait qu’elle ait perdu du
poids, est pour nous forcément dû à une cause « externe », un coach. Alors
que «  l’échec  » de Sophie vient d’une cause «  interne  », son manque de
volonté !
« Bob ne trouve pas de travail ? ! Normal, c’est un fainéant, il ne cherche
pas assez ! »
« Marc a trouvé du boulot ? ! Normal, il s’est fait pistonner ! »

Le biais d’attribution de traits est la tendance à décrire son propre


comportement en termes de facteurs situationnels tout en préférant décrire le
comportement d’autrui en attribuant des dispositions fixes à sa personnalité.
Autrement dit  : «  nous, nous sommes variables en ce qui concerne notre
humeur, notre personnalité, mais les autres sont prévisibles ».
Le biais se retrouve dans cet autre genre de situation : omas emboutit la
voiture de Karen alors qu’elle était au feu rouge. Karen, en pétard, lui lance
« Mais vous êtes vraiment un conducteur lamentable, vous avez envoyé un
singe à votre place pour avoir votre permis de conduire ! Vous ne savez pas
faire attention  !  » Elle lui attribue des raisons internes à ce qui s’est passé.
omas, lui, lui répond « Je sais très bien conduire ! J’ai manqué d’attention
car j’ai travaillé toute la nuit pour aider des réfugiés, je n’ai pas dormi à cause
du manque de volontaires, et là je dois encore ler à la mairie pour une
réunion ! » omas attribue les raisons de l’accident à des causes externes :
« c’est à cause des autres ».
Certains chercheurs expliquent ce biais par le manque d’informations
disponibles pour un observateur, qui ne sait pas comment l’acteur ou
l’actrice qu’il observe dans tel contexte agit dans d’autres situations. Il se base
donc sur le seul comportement de la personne observée a n de se faire une
idée d’elle. Cet effet de «  cadrage  » très restreint fait forcément tirer des
conclusions biaisées. Une personne nous bouscule dans la rue en nous
dépassant ? On en conclut tout de suite qu’elle est malpolie ! On ne se dit pas
qu’elle est peut-être en retard pour un rendez-vous important et qu’elle n’a
pas fait exprès. L’erreur fondamentale d’attribution est commise par chacun
d’entre nous, plusieurs fois par jour, et ce biais fausse notre jugement et notre
compréhension des autres, affectant nos relations avec autrui.
Le « manque d’effort d’ajustement », est le fait d’utiliser le comportement
observé chez une personne pour la décrire, par automaticité. Nous ne
faisons pas l’effort conscient de considérer les causes externes qui auraient
pu la pousser à agir comme elle l’a fait. Cette fainéantise cognitive nous
pousse aux préjugés et conclusions hâtives.

Le biais puritain («  puritain  » se dit d’une personne qui tend à montrer une
pureté morale scrupuleuse) est la tendance à attribuer la cause d’un
comportement négatif d’un individu à une déficience morale ou à un manque de
maîtrise de soi, plutôt que de prendre en compte l’impact de déterminants
sociétaux plus larges. Par exemple, on pourrait qualifier les Américains obèses
de fainéants sans tenir compte dans notre jugement de l’impact global de la
société américaine sur eux. Ce biais peut être étroitement lié à notre capacité à
juger les choses sans évaluer pleinement les circonstances.

Un autre facteur peut être ce que le professeur  américain de psychologie


sociale Melvin J. Lerner1 appelle le « biais d’hypothèse du monde juste » : la
croyance selon laquelle un individu obtient ce qu’il mérite et mérite ce qu’il
obtient. Comme si une force universelle allait rétablir l’équilibre moral des
choses. Une sorte de « justice immanente » entre une mauvaise action et sa
sanction, à brève ou longue échéance. Ce biais nous donne un sentiment de
sécurité et nous aide à trouver un sens aux circonstances difficiles et
perturbantes. « Bien mal acquis ne pro te jamais ! »

AU VOLEUR !
Si vous voyez une personne dans la rue en pousser une autre énergiquement,
lui prendre son sac et partir en courant, qu’en concluez-vous ? Avec ces seules
informations, vous vous dites certainement qu’elle vient de voler le sac d’une
pauvre victime. Or, il se trouve que vous apprenez plus tard qu’en réalité, elle
venait de récupérer son propre sac, que la soi-disant victime à vos yeux lui avait
volé quelques minutes plus tôt !

FAUX PROPHÈTES
Ce biais acteur/observateur pourrait mener à des prophéties auto-réalisatrices :
si en début d’année, un professeur  estime qu’un élève a un faible niveau
intellectuel suite à un mauvais devoir (sans se demander si ce résultat est dû à
des causes externes), il pourrait ne pas lui apporter l’aide nécessaire et le priver
de son attention, ce qui pourrait laisser l’élève dans ses difficultés, et confirmer
l’idée du professeur que l’élève est mauvais. (Voir aussi l’effet Pygmalion.)
On peut expliquer pourquoi les premières impressions que l’on a d’une
personne sont si déterminantes parfois par le biais de correspondance, qui
est lié  : un observateur fait correspondre les actions qu’il voit en premier
chez quelqu’un à celles qu’il fera par la suite. Une fois qu’une action est vue,
il est difficile pour l’observateur d’imaginer d’autres comportements
différents de l’acteur.
En ce qui concerne l’effet sur nous-même, cette tendance à trouver des
raisons externes à nos actions peut être expliquée2 par le fait qu’une
personne tente de protéger «  son estime de soi  » en expliquant ses
comportements négatifs par des causes qui lui sont externes, et valorise ses
comportements positifs par des causes internes, qui découleraient de ses
qualités, ou compétences. Une personne glisse et tombe sur un chemin, elle
attribue sa chute au chemin glissant (cause situationnelle). La même
personne voit une autre personne tomber sur le même chemin, elle attribue
sa chute à sa maladresse (cause interne).
Cette erreur de jugement est fortement aidée par le «  biais de
complaisance  »  : lorsque nous évaluons nos réussites ou nos échecs, nous
avons tendance à entretenir une vision peu objective et trop positive de
nous-mêmes. Les échecs, ce n’est pas notre faute, mais les réussites, c’est
grâce à nous !
« J’ai un con it avec untel, mais c’est sa faute ! » ; « J’ai raté l’entretien, mais
le recruteur était nul. » ; « j’ai été viré, mais l’employeur ne sait pas gérer sa
boîte. » ; « Je n’arrive pas à monter ce meuble, mais la notice et le matériel
sont minables ! »
Même si ce biais semble protéger notre santé mentale sur le moment, pour
ne pas sombrer dans la négativité de soi, nier nos erreurs peut mener à de
moins bons apprentissages, en ne nous remettant pas en question sur nos
points à travailler.
Le biais peut nous jouer des tours non seulement envers une personne,
mais aussi envers tout un groupe : l’humain à tendance à voir les membres
d’un autre groupe de manière homogène, on les considère tous comme étant
pareils. Donc, si nous jugeons mal un membre d’un groupe, ce jugement
erroné se généralise souvent à tous les membres de ce groupe ! C’est l’erreur
d’attribution de groupe. La croyance partiale que les attributs et les
caractéristiques d’un membre individuel au sein d’un groupe re ètent et
représentent le groupe dans son ensemble. Ce biais peut donc renforcer nos
stéréotypes concernant des groupes, et entraîner des préjugés et de la
discrimination envers leurs membres !

L’ERREUR ULTIME D’ATTRIBUTION


Similaire à l’erreur d’attribution fondamentale, ce biais ne concerne pas une
seule personne mais un groupe. Il se caractérise par une personne qui est
susceptible de favoriser un groupe, en l’occurrence son groupe d’appartenance,
lors de l’examen des causes d’un succès ou d’un échec du groupe : les succès
ou les actes valorisés du groupe d’appartenance sont attribués à des causes
internes (qualités et compétences du groupe), mais les échecs ou les actes
dévalorisés du groupe sont attribués à des causes externes (évènement
extérieur imprévu, facteurs indépendants du groupe). Et inversement pour les
autres groupes, ses échecs sont liés à ses défauts internes, ses réussites à des
causes extérieures. Cette erreur est d’autant plus forte si un conflit intergroupes
est de longue durée (un conflit historique), ou s’il y a de forts préjugés par
rapport à l’autre groupe. Ce biais peut avoir de graves conséquences, comme la
justification d’actions violentes pouvant aller jusqu’à son éradication (génocide).

1. Michael W. Ross, Dale T. Miller, “e Justice Motive in Everyday Life: Subject Index.”, 2002.
2.  Olivier Rascle, Alan Traclet & Geneviève Coulomb-Cabanon, «  Le biais attributionnel
acteur/observateur en contexte sportif », dans Olivier Rascle et Philippe Sarrazin (dir.), Croyances et
performances sportive(pp. 207-226), 2005.
LE BIAIS D’ATTRIBUTION HOSTILE

Le biais d’attribution hostile est une tendance, inconsciente, à attribuer de


mauvaises intentions à autrui dans des situations souvent ambiguës ou non
intentionnelles. Dans la majorité des cas, l’action ne permet pas de déceler
l’intention de celui qui la réalise, mais celui qui la voit pense que cet acte
était délibéré. Par exemple, une personne pourrait voir deux autres
personnes rire et interpréter immédiatement ce comportement comme
« deux personnes se moquant d’elle ».
De nombreuses études1 montrent un lien entre le biais d’attribution hostile
et l’agressivité chez les jeunes (chez les enfants de 3  ans et moins, un biais
d’attribution hostile est presque systématiquement présent, car l’enfant a
tendance à associer un désagrément à une mauvaise intention). L’agressivité
peut se manifester physiquement, mais aussi rationnellement, par des
commérages, la propagation de rumeurs, l’exclusion sociale… De nos jours,
l’absence de réponse à un texto ou une phrase sans émoji qui est mal
interprétée sont autant de perches tendues à ce biais, qui traduit cela par une
hostilité.
Les adultes ne sont pas épargnés puisque diverses études2 montrent que le
biais d’attribution hostile est particulièrement lié aux problèmes relationnels
dans les couples. De même, les parents ayant un niveau élevé de biais
d’attribution hostile sont beaucoup plus susceptibles d’utiliser une discipline
sévère et agressive, ce qui peut contribuer à la continuité
intergénérationnelle du biais d’attribution hostile et de l’agression à travers le
temps.
Les résultats de plusieurs études3 montrent que l’attribution d’intentions
hostiles varie dans différents contextes des individus  : elle augmente
lorsqu’ils sont rejetés par des pairs ou éprouvent un sentiment de menace, et
elle diminue lorsqu’ils appartiennent à un groupe amical qui ne valorise pas
l’agressivité !

C’EST UN COMPLOT !
Un biais proche est le biais d’intentionnalité, qui est la tendance à surestimer
les causes intentionnelles lors de la survenue d’un évènement ou face à un
comportement humain, notamment lorsque les évènements ou les
comportements sont fréquents et négatifs. Par exemple, en se rendant sur son
lieu de travail tous les feux tricolores sont au rouge et en déduire  : «  Il y a
quelqu’un qui m’en veut ce matin »*.

Ce biais est l’une des principales explications des croyances favorisant les
théories du complot et le conspirationnisme. Il est plus facile pour notre cerveau
de rechercher «  à qui profite le crime  » en partant du principe selon lequel le
bénéficiaire d’un évènement est nécessairement celui qui l’a provoqué, que
d’analyser des situations complexes.

Quel serait votre degré d’accord avec les théories suivantes, sur une échelle
allant de 1 = « Pas du tout » à 7 = « Tout à fait » ?**

1.La mission Apollo n’a jamais atteint la Lune et les images dévoilées au grand
public étaient un trucage de la Central Intelligence Agency (CIA).

2.L’assassinat de John F. Kennedy n’était pas l’acte d’un tireur isolé, mais le
résultat d’une vaste machination.

3.La princesse Diana n’a pas péri dans un accident de voiture, elle a été
assassinée.

4.La pandémie de Covid 19 a été intentionnelle et provoquée par l’humain et les


labos.

Le « biais de proportionnalité » s’ajoute au biais d’intentionnalité et nous pousse


à penser qu’un évènement important a forcément une cause importante. Par
exemple, quand une personne a un accident de voiture, on pense facilement que
l’accident en était vraiment un, mais quand il s’agit d’une personne connue
(comme la princesse Diana), on a tendance à penser que ce ne pouvait pas être
« juste » un simple accident mais qu’il y a forcément une cause importante qui a
provoqué cela (voir aussi le biais de corrélation illusoire).
*https://www.toupie.org/Biais/Biais_intentionnalite.htm
**Pascal Wagner-Egger et Adrian Bangerter, «  La vérité est ailleurs  : corrélats de l’adhésion aux
théories du complot », Revue internationale de psychologie sociale, vol. 20, no. 4, 2007, pp. 31-61.

1. K. A. Dodge, « La science translationnelle en action : style d’attribution hostile et développement de
problèmes de comportement agressif », Développement et Psychopathologie, 2006.
2.  A. Holtzworth Munroe, G. Hutchinson,Attribuer une intention négative au comportement de la
femme  : les attributions des hommes violents dans le mariage par rapport aux hommes non violents,
1993.
3. Ingrid Gilles et Alain Clémence, « Attribution d’intentions hostiles et intentions comportementales
agressives dans un contexte intergroupe », Revue internationale de psychologie sociale, vol.  20, no. 4,
2007, pp. 63-88.
LE BIAIS D’AUTORITÉ

Stanley Milgram est considéré comme un des plus importants


psychologues du XXe siècle. Il mena en 1961 une expérience bouleversante,
tant pour l’opinion publique que pour la science, qui démontra à quel point
«  l’être humain peut être soumis à l’autorité  ». Voici cette expérience  : des
volontaires sont assis sur une chaise, devant un tableau de commande. Un
bouton permet de soumettre un sujet, dans une autre pièce, à des
électrochocs. Un expérimentateur, représentant « une autorité », donne des
consignes… de terribles consignes : « À chaque fois que le sujet répond faux
à une question, il faut lui envoyer un électrochoc qui sera de plus en plus
fort à chaque mauvaise réponse ! » Mais ce que ne savent pas les volontaires,
c’est que les sujets sont des « acteurs ». Les sujets se mettent alors à hurler (ils
font semblant) et supplient d’arrêter ! Mais « l’autorité », qui se tient proche,
insiste pour que les volontaires continuent à envoyer les électrochocs malgré
les signes de douleur. Qu’ont fait les volontaires face à ce dilemme entre
conscience et soumission ? 63 % ont obéi, et ont administré jusqu’à 450 volts
de décharges, tout en sachant qu’elles étaient peut-être mortelles  ! Et cela,
uniquement parce qu’une autorité leur demandait de le faire.
On comprend grâce à cet exemple, que le biais d’autorité est la tendance à
surévaluer la valeur de l’opinion d’une personne que l’on considère comme
ayant une autorité  : parents, autorités religieuses, supérieurs hiérarchiques,
médecins, scienti ques, politologues, économistes, commentateurs sportifs,
critiques d’art, garagistes… Le biais d’autorité est plus important lorsque la
gure d’autorité en question est considérée comme légitime, c’est-à-dire
qu’elle est acceptée comme étant dans une position autorisée de pouvoir
relatif et a le droit d’exiger l’obéissance (comme la police par exemple, qui est
considérée par la majorité des gens comme ayant une autorité légitime, lui
donnant le droit d’appréhender ceux qui violent la loi).
La majorité des gens est d’accord avec l’idée que pour maintenir une
société fonctionnelle et éviter l’anarchie, un certain degré de choix individuel
doit être abandonné à des gures d’autorité, et qu’une hiérarchie
structurante doit être acceptée.
Mais comme l’a montré l’expérience de Milgram, ce biais peut nous
entraîner un peu trop loin. Par exemple, la plupart des gens ont une
con ance totale dans leur médecin traitant. Cette con ance peut parfois être
utile, mais l’acceptation aveugle des conseils d’experts peut entraîner des
comportements automatiques problématiques : cela a été démontré par une
étude menée par le psychiatre Charles Ho ing, qui a découvert que 21
in rmières sur 22 auraient donné aux patients une dose potentiellement
mortelle d’un médicament à la demande d’un médecin, alors que
l’instruction était contraire aux directives officielles interdisant
l’administration dudit médicament !

« LA SCIENCE » LE DIT


On appelle « argument d’autorité » le fait d’invoquer une personne éminente lors
d’une argumentation, en accordant de la valeur à un propos en fonction de son
origine plutôt que de son contenu. «  Albert Einstein y croit, donc c’est vrai.  »
L’argument d’autorité est couramment utilisé comme outil rhétorique, par
exemple par le recours à l’avis d’experts dans les médias : « Professeur Untel l’a
expliqué, donc c’est vrai ! »

Dans le lm de Steven Spielberg Attrape-moi si tu peux, le héros arrive à


gagner la con ance de tout le monde uniquement en portant différents
uniformes (pilote, professeur, policier, etc.). On note que l’apparence
extérieure peut rendre explicite le statut social d’un individu et sa position
dans la hiérarchie sociale, le laissant paraître comme une gure d’autorité
légitime. Les recherches1 menées par le professeur en psychologie Léonard
Bickman et ses collègues ont révélé que les passants étaient 2 fois plus
susceptibles d’obéir à une personne habillée en agent de sécurité, plutôt qu’à
une personne habillée en boulanger lorsque cette dernière demandait
d’accomplir des tâches telles que ramasser des déchets ou de lui prêter une
pièce de monnaie pour le parcmètre.
Stanley Milgram constata d’ailleurs que les niveaux d’obéissance, dans sa
fameuse expérience des électrochocs, chutaient de 65 % à 20 % lorsque les
instructions pour activer les chocs étaient données par une personne
«  ordinaire  » portant des vêtements civils plutôt qu’un «  chercheur  » qui
portait une blouse blanche. On sait qu’un individu malin peut se faire passer
pour une gure d’autorité et susciter le déclenchement du biais d’autorité des
autres. Portez un costume et un faux badge, et vous verrez que le respect
d’autrui vous sera acquis beaucoup plus vite.

Le biais d’automatisation est le fait de faire confiance à une machine plus qu’à
sa propre réflexion. Cette tendance à surestimer et accepter trop vite la décision
d’une machine diminue notre esprit critique face à l’information fournie par celle-
ci. Combien de fois avez-vous suivi votre GPS alors que vous voyiez bien que le
chemin n’était pas à jour ? Ce biais est aussi présent chez les gens qui ne sont
pas encore expérimentés avec une tâche, que chez ceux qui sont très habitués à
une machine. Nous sommes plus tentés d’obéir aveuglément «  à l’autorité  »
d’une machine, car nous supposons qu’elle a été programmée spécifiquement
pour ne pas faire d’erreur !
Des études ont montré que, bien que les machines qui servent à trouver un
diagnostic médical soient très prometteuses, environ 7 à 11  % des
professionnel/les qui avaient le bon diagnostic avant de consulter une de ces
machines, changeaient d’avis pour un mauvais diagnostic  ! Chez les pilotes
d’avions, qui prennent beaucoup de décisions en fonction des machines, des
études rapportent que, même s’il est vrai que peu de pilotes suivent des conseils
erronés, nombreux sont ceux qui s’abstiennent d’agir là où ce serait pourtant
nécessaire, parce que la machine omet de leur conseiller de le faire !

Le biais d’autorité est largement utilisé comme stratégie de marketing a n


de légitimer les affirmations faites à propos d’un produit. L’exemple le plus
courant dans la publicité est celui des entreprises de dentifrice qui s’assurent
que les protagonistes de leurs spots portent des blouses de laboratoire, ce qui
rend le consommateur plus enclin à avoir con ance dans le produit et par
conséquent, le rend plus susceptible d’acheter le produit (voir aussi l’effet de
halo).

QU’EST-CE QUE L’EFFET DE TRAIN EN MARCHE ?


L’effet de train en marche (proche de l’effet de mode caractérisant les
«  moutons de Panurge  ») est la tendance des gens à prendre certaines
mesures, à adopter certains comportements, ou à arriver à une conclusion
principalement parce que d’autres personnes le font. Au fur et à mesure que de
plus en plus de gens croient en quelque chose, d’autres « montent dans le train
en marche  » quelles que soient les preuves sous-jacentes. (L’effet fonctionne
beaucoup avec les réseaux sociaux  : à mesure qu’un nombre croissant de
personnes commence à utiliser une nouvelle application de réseau social
spécifique, les gens sont plus susceptibles de commencer à utiliser cette
application également, même si elle ne leur est pas vraiment utile, uniquement
pour sauter dans le train et faire « partie du voyage » !)
Un article* de 1979 sur le thème des trains en marche de la médecine décrit
comment un nouveau concept ou traitement médical peut prendre de l’ampleur
et devenir courant, à la suite d’un effet de train en marche à grande échelle :
1.Les médias d’information découvrent un nouveau traitement et en font la
publicité, souvent en publiant des articles.
2.Diverses organisations, telles que des agences gouvernementales, des
fondations de recherche et des entreprises privées promeuvent également le
nouveau traitement, généralement parce qu’elles ont un intérêt direct à le voir
réussir.
3.Le public reprend le traitement désormais publicisé et fait pression sur les
médecins pour qu’ils l’adoptent, en particulier lorsque ce traitement est perçu
comme étant nouveau.
4.Les médecins veulent souvent accepter le nouveau traitement, car il offre une
solution convaincante à un problème difficile.
5.Étant donné que les médecins doivent consommer de grandes quantités
d’informations médicales pour se tenir au courant des dernières tendances
dans leur domaine, il leur est parfois difficile de lire les nouveaux documents
de manière suffisamment critique.
Inversement, « l’effet de train inversé » est un biais cognitif qui pousse les gens
à éviter de faire quelque chose, parce qu’ils croient que d’autres le font. Cet effet
peut être entraîné par divers mécanismes psychologiques, tels que le désir de se
sentir unique et le désir de se dissocier des autres. Par exemple, l’effet de train
inversé peut amener quelqu’un à éviter de porter une marque de vêtements,
après avoir vu de nombreuses autres personnes porter cette marque.
*Laurent Cohen, Henry Rothschild, « Les trains en marche de la médecine », Perspectives en biologie
et en médecine, 1979.

1.  Léonard Bickman, «  Le pouvoir social d’un uniforme  », Journal de psychologie sociale appliquée,
1974.
LE BIAIS DE STATU QUO

Le biais de statu quo1 est la résistance au changement et une attitude


mentale dans laquelle toute nouveauté est perçue comme engendrant plus de
risques que d’avantages. Les personnes préfèrent que les choses restent à
l’identique ou évoluent le moins possible, repoussant toujours les décisions
les plus complexes de peur d’avoir à le regretter plus tard. Le changement est
vu comme une chose effrayante pour beaucoup de gens. Cela explique en
partie le fait de conserver les mêmes abonnements, les mêmes choix de
consommation.
Imaginons que vous soyez client d’un opérateur téléphonique depuis des
années. Tout marchait bien, mais vous venez de déménager et là où vous
habitez maintenant, vous ne captez plus très bien  ! Que faire  ? Changer
d’opérateur. Oui, mais en pensant à toutes les démarches administratives, les
changements à mettre en œuvre et l’angoisse de ne pas trouver un tarif aussi
intéressant, vous vous retrouvez à ne pas vouloir bouger, à vous mettre en
mode « statu quo » !
Ce biais peut être renforcé par le biais d’aversion à la perte (biais qui nous
fait attacher plus d’importance à une perte potentielle qu’à un gain potentiel
du même montant, soit, préférer « ne pas perdre plutôt que de gagner »).
L’effet de dissonance cognitive peut intervenir aussi  : l’être humain
considère une option comme plus précieuse une fois qu’il l’a choisie. Donc
quand il envisage une nouvelle option qui pourrait être elle aussi tout aussi
précieuse, la valeur des deux options se retrouve en con it et crée une
dissonance cognitive. Le statu quo calme alors ce malaise.
Si vous vous retrouvez face à une décision devant amener un changement,
plutôt que rester gé dans le statu quo, vous pouvez :
1
. Vous renseigner au maximum sur la situation telle qu’elle sera après le
changement ;
2
. Dresser un tableau avantages/inconvénients ;
3
. Limiter les propositions qui s’offrent à vous.

1. La locution « statu quo » est une abréviation francisée de l’expression latine « in statu quo ante » qui
signi e « dans la situation où cela était auparavant ».
L’EFFET DE SIMPLE EXPOSITION

Au restaurant, vous avez tendance à prendre souvent le même plat ? L’effet


de simple exposition est la tendance qu’ont les gens à développer une
préférence, un sentiment positif, pour les choses simplement parce qu’ils les
connaissent déjà où les ont déjà vues. En psychologie sociale, cet effet est
parfois appelé principe de familiarité, plus vous voyez quelque chose
(produit, marque, musique, odeur…) plus les sentiments positifs envers
cette chose augmentent.
Même dans les études sur l’attirance interpersonnelle, il est démontré que
plus une personne voit souvent une autre personne, plus elle la trouve
agréable et sympathique. Combien de fois avez-vous été triste de « quitter »
les acteurs d’une série que vous avez suivie pendant des semaines, une fois la
série nie ?

AMIS IMAGINAIRES… OU PAS !

Selon des études* sur les relations parasociales, notre cerveau ne fait pas la
distinction entre les personnages télévisés et ceux de la vraie vie : voir à la télé
un présentateur, un acteur, que l’on aime, nous fait autant de bien que de voir
l’une de nos connaissances. La narration d’une série nous amène à partager les
moments clés de l’existence de ses personnages, des scènes intimes,
généralement réservées aux proches. Elle nous donne aussi accès à leurs
pensées, leurs sentiments, leurs souvenirs. Nous avons donc l’illusion de les
connaître vraiment, surtout après des mois de visionnage. La fréquentation sur
le long terme de personnages fictifs, sur lesquels nous savons des choses que
nous ignorons parfois concernant nos amis les plus proches, et auxquels nous
sommes nettement plus exposés qu’avant l’avènement de la télévision et de
l’Internet, pourrait être l’une de ces nouveautés que le cerveau ne prend pas
totalement en compte**.
*TEDxTalks, (2 mars 2015), Imaginary friends and real-world consequences: parasocial relationships |
Jennifer Barnes | TEDxOU [Vidéo], YouTube. https://youtu.be/22yoaiLYb7M
**https://fictionista.ch/sattacher-personnages-fictifs-psychologie/

Robert Bolesław Zajonc, un psychologue social américain d’origine


polonaise, est le chercheur qui développa les études les plus connues sur
l’effet de simple exposition. Il avait remarqué que l’exposition à un nouveau
stimulus provoquait d’abord une réaction de peur ou d’évitement chez tous
les organismes. Puis, chaque exposition suivante au nouveau stimulus
provoquait moins de peur et plus d’intérêt pour l’organisme observateur.
En n, il nota qu’après une exposition répétée, l’organisme observateur
commençait à réagir avec tendresse au stimulus.
Robert Zajonc multiplia les expériences et découvrit que l’effet
fonctionnait avec de nombreux types de choses, comme des mots, des
peintures, des images de visages, des gures géométriques et des sons.
Robert Zajonc démontra cela grâce à une expérience simple, où des mots
sans signi cation étaient exposés à des sujets entre 1 et 25 fois. Les mots
présentés plus souvent, bien que n’ayant aucun sens rappelons-le, ont été
jugés comme ayant un sens plus positif que les mots présentés rarement.
Oui, cet effet explique bien le matraquage de la publicité.
Nous nous attachons à tout ce qui nous entoure dans notre maison, les
objets, les animaux, les personnes… Tout ce qui est familier nous rassure.
C’est sûrement la raison pour laquelle nous ressentons un petit pincement au
cœur le jour où nous devons nous débarrasser des objets qui nous entourent
et auxquels nous nous sommes habitués.
Dans une expérience pour tester l’effet de la simple exposition sur les
animaux, on utilisa des œufs que des poules couvaient. Des tonalités de deux
fréquences différentes ont été jouées à différents groupes d’œufs alors qu’ils
n’étaient pas encore éclos. Une fois éclos, chaque tonalité était rejouée aux
deux groupes de poussins. On constata que chaque groupe de poussins
préférait systématiquement le ton qui lui était joué avant la naissance.
Le professeur Charles Goetzinger mena une expérience1 utilisant l’effet de
la simple exposition sur sa classe dans l’Oregon State University. Goetzinger
t venir en classe un étudiant enveloppé dans un grand sac noir. Seuls ses
pieds nus étaient visibles. Le mystérieux élève « sac noir » était assis sur une
table au fond de la classe. L’expérience de Goetzinger consistait à observer si
les étudiants (totalement inconscients de l’expérience en cours) traiteraient
le sac noir conformément à l’effet de simple exposition de Zajonc. Son
hypothèse fut formidablement con rmée : les élèves de la classe ont d’abord
traité le sac noir avec hostilité puis, au l du temps, l’hostilité s’est
transformée en curiosité. Ils interagissaient avec lui, et pour nir, le
protégeaient. Cette expérience con rma remarquablement l’effet de simple
exposition de Zajonc : en présentant simplement le sac noir encore et encore
aux étudiants, leur attitude envers lui a été modi ée.

JE T’AIMAIS, JE T’AIME… ET JE NE T’AIMERAIS PLUS


Notons que ce biais atteint généralement son effet maximal entre 10 et 20
expositions, et certaines études montrent qu’après une plus longue série
d’expositions, l’effet inverse se produit  ! Par exemple, les gens aiment
généralement plus une chanson après l’avoir entendue plusieurs fois, mais de
trop nombreuses répétitions peuvent réduire le goût pour cette chanson et la
rendre agaçante. De même une personne qu’on aime bien, mais qui viendrait
trop souvent nous voir, finirait par faire baisser l’attirance qu’on avait pour elle.
Une expérience de psychologie sociale a même montré que l’exposition à des
personnes que nous n’aimons pas au départ, peut nous faire les détester encore
plus !

L’effet de proximité est proche de l’effet de simple exposition. C’est la


tendance des gens à nouer des amitiés ou des relations amoureuses avec
ceux qu’ils rencontrent souvent. Les interactions sur le lieu de travail par
exemple sont fréquentes, et c’est la raison pour laquelle des relations étroites
peuvent facilement se former dans ce type d’environnement. Les résidents
d’un immeuble vivant près d’un escalier ont tendance à avoir plus d’amis
vivant aux autres étages que ceux qui vivent plus loin de l’escalier. On voit
donc clairement que l’effet de proximité est lié à l’effet de simple exposition,
selon lequel plus un stimulus est exposé, plus il devient sympathique
(toutefois, si le résident a des expériences négatives répétées avec un voisin,
l’effet de proximité a beaucoup moins de chances de se produire). La
proximité « virtuelle » que nous vivons de nos jours avec les messageries et
les visioconférences a réduit l’effet de proximité. La proximité physique reste
le plus puissant indicateur de contact, d’interaction, d’amitié et d’in uence.

1. https://www.bizzarrobazar.com/en/tag/charles-goetzinger/
L’ILLUSION DE TRANSPARENCE

C’est la tendance qu’ont les personnes à surévaluer et surestimer la


connaissance que les autres ont de leur situation et état mental. Comme
lorsque vous avez le trac devant un public et que vous pensez que tout le
monde le voit, alors qu’en réalité vous surévaluez ce qu’ils perçoivent
vraiment !
Des études1 ont montré que lorsque le public est interrogé, les émotions de
l’orateur n’étaient pas aussi évidentes pour la foule que l’orateur le percevait.
L’orateur ayant un sens exagéré de la façon dont sa nervosité est apparente
pour l’auditoire, cette perception erronée peut l’amener à compenser, et à se
stresser encore plus, entrant dans un cercle vicieux.
Proche de l’illusion de transparence se trouve « l’effet de projecteur », qui
consiste à croire qu’on est plus remarqué qu’on ne l’est réellement. Ce biais
apparaît en se concentrant trop sur soi ou en étendant aux autres ce que l’on
a en soi. Comme nous vivons constamment dans notre propre monde et que
nous attachons une grande importance à notre personne, cette attention
constante nous pousse à imaginer que les gens autour de nous s’intéressent
tout autant à nous que nous-même, mais la réalité est bien différente et
évidente : eux aussi vivent dans leur propre monde !
Le jour où nous comprenons et assimilons vraiment le fait que personne
ne fait réellement attention à nous, nous nous libérerons du regard des
autres et nous arrêterons de nous soucier outre mesure de ce qu’ils pensent
de nous. Un bon exercice pour se défaire de la peur du regard des autres est
par exemple de marcher dans la rue, et de se dire « c’est moi qui regarde les
autres, et non eux qui me regardent  ». Vous verrez vite que l’effet est
magique, tout s’inverse d’un coup !
Vous avez tous déjà essayé de faire deviner une chanson à quelqu’un
uniquement en tapotant son rythme avec votre doigt par exemple. Vous avez
l’air dans la tête pendant que vous tapotez (imaginez un air connu de tous),
mais vous vous étonnez que la personne ne trouve pas plus vite ! Pourquoi ?
À cause du biais d’illusion de transparence. Vous pensez que l’autre a les
idées aussi claires qu’elles ne le sont pour vous dans votre tête !

LA LOI DE POE
Une de vos blagues a-t-elle déjà été prise au premier degré sur un réseau
social  ? Vous avez alors compris qu’il manquait un émoji à la fin de votre
phrase ! La loi de Poe, du nom de Nathan Poe qui l’a formalisée, suppose que,
sur Internet, sans indication claire de l’intention de l’auteur, il est impossible de
distinguer les propos au second degré* !
*En 2017, le magazine technologique américain Wired a nommé la loi de Poe le phénomène internet le
plus important de l’année.

Pour sa thèse de doctorat en psychologie à Standford, Elizabeth Newton


créa un test simple pour illustrer ce biais. Tapoter une chanson bien connue,
telle que Joyeux anniversaire, avec son doigt et faire deviner la chanson au
sujet du test. Avant de faire l’exercice, le «  tapoteur  » estime généralement
que la chanson sera devinée correctement dans environ 50  % des cas, or,
seulement 3 % des auditeurs testés trouvent la bonne chanson ! En effet, le
tapoteur peut entendre la chanson dans sa tête, mais l’observateur, sans accès
à ce que pense le tapoteur, n’entend qu’un tapotement rythmique ! Ce petit
exercice met bien en évidence l’effet de projecteur. Une personne qui
présente ce biais vit des choses intérieurement (pensées, émotions…) et
surestime la capacité des autres à avoir accès à ces expériences qui se
produisent « dans sa tête » !
On peut aussi penser au phénomène qui se produit lorsqu’on joue au jeu
des mimes  : l’acteur mimant une situation peut trouver très frustrant de
constater que ses coéquipiers n’arrivent pas à trouver la solution de ce qu’il
est en train de mimer alors que celle-ci lui semble évidente !
LA MALÉDICTION DU SAVOIR
L’expérience consistant à tapoter une musique d’Elizabeth Newton met en
évidence également ce que l’on appelle «  La malédiction de la
connaissance  » (ou du savoir)  : ce biais cognitif intervient lorsqu’une
personne, communiquant avec d’autres personnes, suppose inconsciemment
que les autres ont les mêmes connaissances qu’elle pour comprendre. Cette
« malédiction » est la difficulté pour ceux qui transmettent des connaissances de
se mettre dans la situation de ceux qui se les voient présenter pour la première
fois. C’est le cas classique des coachs, formateurs, et enseignants qui ont oublié
les difficultés, les problèmes, et les challenges qu’un débutant ou un étudiant
rencontre lors de l’apprentissage de quelque chose de nouveau. Mais aussi celui
des parents, qui oublient comment ils étaient au même âge que leurs enfants et
leur niveau de connaissances à l’époque.

Lorsque vous expliquez un chemin à quelqu’un qui ne connaît pas du tout votre
ville, vous avez, vous, de façon très claire à l’esprit le chemin que vous êtes en
train de décrire. Mais la personne qui vous écoute ne visualise rien à part une
direction abstraite. Se souvenir de cela vous forcera à être le plus précis et visuel
possible comme si vous étiez à la place de cette personne.

Dans le domaine informatique, où les concepteurs de logiciels et d’interfaces


utilisateur peuvent avoir du mal à se mettre à la place des utilisateurs finaux, qui
n’auront pas autant d’informations qu’eux, un mantra est devenu courant  :
«  Vous n’êtes pas l’utilisateur  !  »*. Cela leur permet de se rappeler lorsqu’ils
élaborent les logiciels que leurs connaissances et leurs intuitions ne
correspondent pas toujours à celles des utilisateurs finaux.

Avez-vous déjà écrit une liste de tâches à effectuer, puis, quelques jours, voire
quelques semaines plus tard, en relisant la liste, vous ne savez plus à quoi
correspondent certaines des notes que vous avez écrites et ce que vous vouliez
dire  ? Voilà pourquoi ce biais est nommé «  malédiction  », sur le moment vous
savez, mais plus tard, vous ne savez plus ce que vous saviez  ! Dans le cadre
des enseignants, ils savent, mais oublient qu’avant ils ne savaient pas.

Dans la vie de tous les jours, discuter avec quelqu’un de certains sujets qu’on
maîtrise demande de toujours être conscient de cet effet et d’adapter notre
discours si nécessaire. Comme cela demande une certaine énergie et une
adaptation parfois importante, c’est pour ça qu’on préfère généralement trouver
les personnes avec lesquelles nous avons des atomes crochus, afin de pouvoir
échanger plus facilement sur un champ de connaissance commun, sans effort !
Seulement, cela est dommage car le risque est de créer une sorte de bulle de
pensée («  groupthink  » en anglais), vous retrouver dans un cercle de pensée
sans contradiction.
*https://www.nngroup.com/articles/false-consensus/

Il est vrai que les personnes avec qui nous interagissons peuvent
remarquer certaines émotions chez nous par notre attitude, voix, expression
de visage, etc., mais le plus souvent, elles sont tellement accaparées par leur
propre personne, tellement occupées à gérer leur propre monde, qu’elles ne
remarquent rien du tout2. Le biais apparaît le plus souvent lorsque nous
nous savons observés par les autres, dans des contextes où l’on tente de
cacher certaines pensées ou émotions à nos observateurs. Cela s’explique par
le fait que, parce que nous avons accès directement à nos pensées et
émotions, parce que nous sommes totalement transparents à nous-mêmes,
nous surestimons la capacité des autres à «  lire  » notre «  vie intérieure  ».
Nous pensons que nos pensées sont aussi évidentes pour les autres qu’elles
ne le sont pour nous.
C’est le cas du voleur, du menteur ou du tricheur qui va se faire repérer et
se faire prendre, trahi par un comportement suspect parce qu’il scrute trop
le regard des autres, qu’il imagine savoir qui il est, au point de se faire
repérer.

LE SAVIEZ-VOUS ?
Heidi Grant Halvorson, une socio-psychologue à la Columbia Business School
(New-York), affirme que si on demande à quelqu’un de dire le mot qui le décrit le
mieux, et que l’on demande la même chose à son entourage, il y aura un fossé
important entre la réponse de l’individu et celles des proches.

Dans une étude menée par le psychologue américain omas Gilovitch


avec deux co-auteurs en 1998, des individus devaient lire des questions sur
des ches puis y répondre à voix haute. Ils mentaient ou disaient la vérité en
se basant sur ce que la carte leur disait de faire grâce à une petite étiquette
qu’eux seuls pouvaient voir. Résultat : la moitié des menteurs pensaient avoir
été pris, mais seulement un quart l’ont été !
Une autre expérience de omas Gilovitch, faite en 1998, consistait à faire
boire à des sujets des boissons diverses devant une caméra, et à leur
demander de masquer leur dégout. Chacun passait tour à tour devant la
caméra et buvait une boisson. Certaines étaient délicieuses comme de la
grenadine, et d’autres avaient reçu une dose de vinaigre. Puis, les sujets
tentaient de cacher leurs émotions au maximum pour ne pas que l’on sache
quel genre de boisson ils avaient bu. Ensuite on demandait dans un premier
temps aux sujets d’évaluer leur capacité à masquer leurs émotions, puis on
demandait à des observateurs ce qu’ils voyaient. Résultat : les sujets devant
cacher leurs émotions se croyaient très mauvais et étaient persuadés qu’ils
avaient été démasqués, alors qu’en réalité, peu d’observateurs avaient réussi à
discerner la vérité3.
Pourtant, direz-vous peut-être, on dit que 80 % de notre communication
est non verbale, donc lire en nous doit être facile ? C’est vrai, que comme le
disait le psychologue Paul Walzlawick, «  on ne peut pas ne pas
communiquer ! » Mais il faut prendre en compte le socle de communication
au sein duquel nous nous sommes développés durant notre enfance. Une
personne qui a baigné dans un environnement où les manifestations
émotionnelles ou gestuelles étaient limitées pourra exprimer de façon très
sincère sa joie par un léger sourire alors qu’une autre le fera par des grosses
larmes de bonheur ! Un Méditerranéen peut s’exprimer plus physiquement
qu’un Nordique, et un Asiatique différemment d’un Africain…
Pour réduire ce biais d’illusion de transparence, concentrons-nous sur nos
actes plutôt que sur notre état intérieur. Explicitons nos émotions et nos
pensées, ce qui désamorcera l’effet négatif du biais, et rappelons-nous que les
autres n’ont pas accès à nos états intérieurs autant qu’on ne l’imagine.

Un biais similaire est l’illusion de connaissance asymétrique  : le fait de


penser que nous avons une connaissance des autres supérieure à celle que les
autres ont de nous-mêmes («  moi je les connais bien, mais pour eux, je suis
mystérieux  »). On pensera bien cerner le jeu des autres, leurs stratégies et
malices (Nous avons tendance à surestimer notre capacité à lire dans l’esprit
des autres et à décrypter leur état mental. En réalité, nous en sommes bien
incapables.), tout en croyant être plus fin et plus opaque pour eux.
En 2001, la psychologue Emily Pronin a mené une étude du nom de You don’t
know me but I know you, (Tu ne me connais pas, mais je te connais), qui mis en
évidence 6 croyances partagées par la plupart des humains :
1.Je comprends et connais mes amis et mes collaborateurs mieux qu’eux-mêmes
ne me comprennent et me connaissent.
2.Ce que j’observe chez les autres est révélateur de ce qu’ils sont. Le fait que je
remarque ces éléments n’est, par contre, pas révélateur de ma personnalité.
3.Ce qu’ils observent chez moi est révélateur de ce qu’ils sont, eux, mais ne
contribue pas forcément à me définir.
4.Plus j’observe des traits que je juge négatifs chez quelqu’un, moins j’ai
tendance à croire qu’il se connaît lui-même, et moins j’ai tendance à faire
confiance à son jugement me concernant moi ou les autres.
5.Je suis plus difficile à cerner, plus complexe, que les autres. Je peux donc
assez facilement juger de leur personne  ; par contre, eux ne peuvent pas
cerner mes motivations.
6.Durant un entretien d’embauche, un rendez-vous, ou une autre situation où
2  personnes cherchent à se connaître et à s’évaluer, je rassemble plus
d’informations sur l’autre que l’autre n’en acquiert sur moi. Le masque social
que je lui montre est parfaitement maîtrisé, alors que l’autre me révèle
plusieurs aspects de sa personnalité.

1.  Kenneth Savitsky, omas Gilovich, “e illusion of transparency and the alleviation of speech
anxiety”, Journal of Experimental Social Psychology, 2003.
2. https://nicolascroce.com/illusion-de-la-transparence/
3. https://www.podcastscience.fm/dossiers/2022/03/11/illusion-de-transparence/
L’EFFET DE LONGUEUR DE LISTE

C’est le phénomène qui fait que les personnes mémorisent un petit


pourcentage d’éléments dans une liste.
À mesure que la liste s’allonge, le nombre d’éléments mémorisés augmente.
On retient par exemple plus de choses dans une longue liste de courses que
dans une petite (cela parce que la liste contenait plus de choses et que nous
avons donc plus de chance de nous remémorer des éléments de la liste).
 
L’effet de récence, appelé aussi «  biais de récence  », est la facilité à se
rappeler des derniers éléments d’une liste (ou de la dernière information à
laquelle on a été confronté). Si on montre à des personnes des listes de
différentes longueurs, puis qu’on leur demande de quels mots ils se
rappellent dans l’ordre qu’ils veulent, pour les listes longues ce sont souvent
les premiers et les derniers mots de la liste qui reviennent. Les mots du
début de la liste se rangent dans la mémoire à long terme (plus de
30  secondes), les derniers mots dans la mémoire à court terme (environ
10 secondes).

«  L’illusion  » de récence, elle, se caractérise par exemple par l’impression


qu’une croyance, qu’un mot ou qu’un usage linguistique que l’on a remarqué
depuis peu est récent, alors qu’il est en fait existant ou présent depuis très
longtemps !

De plus, les mots du début de la liste béné cient de l’effet de primauté, un


biais cognitif rendant plus vivace le souvenir d’éléments obtenus lors d’une
première impression par rapport aux éléments suivants. On remarque cela
avec les premières impressions que l’on a d’une personne (biais d’ancrage) ou
le fait que l’on se rappelle plus facilement de la première phrase d’un
discours –  ou de la dernière (par effet de récence), c’est pourquoi dans un
débat les participants veulent « marquer les esprits » par un dernier mot –,
ou que dans les restaurants, il y a un nombre de commandes plus important
du plat en tête de menu.
Dans une étude1, des groupes de sujets ont reçu la description d’une
personne. Un groupe avait : « Steve est intelligent, diligent, critique, impulsif
et jaloux  », et l’autre groupe avait  : «  Steve est jaloux, impulsif, critique,
diligent et intelligent  ». Ces deux phrases contiennent les mêmes
informations. Mais le premier groupe attribua surtout une personnalité
positive à Steve, tandis que le second lui en attribua une négative. Les sujets
évaluaient Steve plus positivement lorsqu’ils recevaient la première phrase,
par rapport à la seconde, étant in uencés (biais d’ancrage) par les premiers
mots, et également par effet de primauté (les premiers mots étaient mieux
mémorisés et avaient marqué l’esprit en premier).

L’effet de modalité est un terme utilisé en psychologie expérimentale pour


expliquer l’effet de la présentation de l’information sur la mémoire. Les
recherches effectuées par les psychologues John Sweller (en 1988), Roxana
Moreno et Richard Mayer (en 1999) ont montré que «  la charge de mémoire  »
est réduite lorsque les informations sont présentées de manière auditive plutôt
que visuelle. Pourtant, les documents présentés de manière auditive sont mieux
rappelés que les documents présentés de manière visuelle lors de la mesure de
la mémoire à court terme. L’une des explications de ce phénomène est
l’existence de la mémoire dite «  échogène  »  : quand une personne entend un
son, comme quelques notes de musique ou une phrase courte, la mémoire
échographique s’engage et le cerveau conserve une réplique parfaite de ce son
pendant une brève période. Comparé à la «  mémoire visuelle ou iconique  »,
c’est-à-dire la capacité du cerveau à mémoriser des copies exactes d’une image,
la «  mémoire sensorielle auditive  » est plus longue. La mémoire iconique dure
moins d’une seconde, alors que la mémoire échogène peut reproduire un son
bref précis pendant 4 secondes !
Notons que l’effet de supériorité de l’image est le phénomène lié aux images
et aux photos, qui sont plus facilement mémorisables que les mots. Notre
cerveau apprend et retient plus facilement les notions apprises à travers les
images et des visuels comparées à celles apprises par des mots ou des
phrases. «  Une image vaut mieux que mille mots  !  » le psychologue canadien
Allan Paivio explique que notre mémoire intègre l’information selon 2 codes
différents : le code « verbal » et le code « symbolique », celui des images. Quand
nous sommes face à un stimulus visuel (une image), notre cerveau génère à la
fois un code symbolique et un code verbal (il code le visuel et l’associe à un
mot). Par contre, lorsque nous sommes face à un stimulus verbal, notre cerveau
génère uniquement un code verbal (il n’associe pas forcément une image au
mot). De fait, lorsque notre mémoire souhaite récupérer une information codée
pour se souvenir de quelque chose, elle a plus de facilités à retrouver les images
qui sont doublement codées. Voilà pourquoi nous avons plus de facilités à la fois
pour mémoriser puis pour nous souvenir des images, que des mots*.
* https://tactics.convertize.com/fr/definitions/picture-superiority-effect-leffet-de-superiorite-de-limage

Comment tirer profit de l’effet de primauté et de récence ?


1
. S’il y a quelque chose que vous voulez mettre en valeur  : dites-le en
premier, dites-le en dernier, ou les deux !
2
. Si vous êtes étudiant, rappelez-vous de votre tendance à vous souvenir
des choses du début et de la n de ce que vous étudiez, et changez les
informations de position pour pouvoir nalement tout stocker dans
votre mémoire à long terme.
3
. Plani ez un entretien ou un rendez-vous, par exemple avec un recruteur,
sur le premier ou dernier créneau pour être plus marquant.
4
. Souriez au premier contact avec une personne pour faire une bonne
première impression, puis terminez sur une note positive avant de vous
quitter !
5
. Utilisez la technique du « sandwich » pour faire une critique à quelqu’un,
c’est-à-dire enveloppez votre remarque entre deux commentaires positifs.
1.  S. Asch, «  Former des impressions de personnalité  », Journal de psychologie anormale et sociale,
1946.
LA RÈGLE PIC-FIN (OU APOGÉE/FIN)

Nous avons tendance à juger une expérience principalement par notre


ressenti à « son pic et à sa n », plutôt que sur l’ensemble des ressentis tout
du long de l’expérience. Vous avez passé une heure en conversation
téléphonique plutôt agréable, mais dans les 2 derrières minutes, votre
interlocuteur se montre pressé et votre discussion se nit de façon un peu
brusque. Il vous laisse sans se justi er avec un petit mot d’excuse. Il avait
peut-être une urgence qu’il n’a pas pu vous indiquer ou ce n’était qu’une
maladresse, mais il n’empêche que c’est cette sensation négative, cette
déception à la n de ce long échange, qui marque le « pic  » émotionnel et
« la n » qui va vous rester en mémoire !
Tout au long de notre vie, nous vivons des expériences, positives ou
négatives, qu’après coup nous sommes amenés à juger.
De façon rationnelle, nous devrions juger une expérience passée comme
ceci :
1
. Considérer « tous » les moments de cette expérience ;
2
. En faire une moyenne « globale ».
Pourtant, la règle de pic- n montre que nous avons plutôt tendance à la
juger comme cela :
1
. Considérer « le pic » (le moment le plus intense) et « la n » (le dernier
moment) de l’expérience ;
2
. Faire la moyenne de « ces 2 éléments », en omettant « tout le reste » !
À la n des vacances, nous aurons tendance à nous souvenir du moment le
plus intense, le « pic », peut-être la journée ou l’après-midi où nous sommes
allés visiter un lieu marquant, ou le jour où nous avons retrouvé des amis,
ainsi que le dernier jour des vacances, ce que nous avons vécu le dernier soir.
Si ces deux moments «  pic  » et «  n  » ont été négatifs, nous risquons de
considérer que «  tout  » le séjour des vacances était négatif. On aura
également l’impression d’avoir pris plus de plaisir dans des vacances courtes
se terminant en apothéose, que dans des vacances longues qui se prolongent
après le moment d’apothéose1.
Il en est de même pour les examens médicaux : ils ne seront pas jugés en
fonction de la quantité de douleur totale, mais en fonction de la présence ou
non d’un pic de douleur.
Connaissant ce phénomène, assurez-vous lors de vos soirées entre amis de
maîtriser ces deux moments importants  : premièrement, intégrez un
élément remarquable qui va les ravir  : le pic (ce peut être un cadeau, une
surprise, une déclaration d’amitié…), et deuxièmement, efforcez-vous de
faire le nécessaire pour les ravir encore une fois au moment de les quitter : la
n (ce peut être un remerciement précis, un compliment sincère, une
remarque encourageante…).

1.  https://scienceetonnante.com/2011/12/12/que-retient-on-de-nos-experiences-heureuses-ou-
douloureuses/
L’EFFET PELTZMAN
OU COMPENSATION DU RISQUE

Alors que les vaccins contre la Covid commençaient à se généraliser, face


au comportement des gens qui se mettaient tout à coup à se croire protégés
et qui prenaient plus de risques, est ressortit l’effet Peltzman1 !
L’effet Peltzman est une théorie, souvent discutée, qui laisse penser que les
gens ont tendance à prendre plus de risques quand ils se sentent en sécurité
(et deviennent plus prudents quand ils ressentent un risque). Une sorte
d’homéostasie du risque (un processus de régulation naturel) se met en
place.
À titre d’exemple, il a été observé que les automobilistes se rapprochent du
véhicule qui les précède lorsque leur véhicule est équipé de freins
antiblocage. Les conducteurs de véhicules équipés de l’ABS ont tendance à
conduire plus vite, à suivre de plus près et à freiner plus tard. Une étude de
1994 sur des personnes portant ou non la ceinture de sécurité a conclu que
les conducteurs conduisent plus vite et moins prudemment lorsqu’ils sont
attachés  ! Des études montrent que le bilan reste néanmoins positif en
termes de diminution des morts sur les routes grâce au port de la ceinture et
aux systèmes de freinage modernes.
En vélo, des observations montrent que certains cyclistes roulent moins
prudemment lorsqu’ils portent un casque car ils se sentent plus protégés.
Des adultes habitués à porter un casque ont pédalé plus lentement sans
casque. D’autres études indiquent que les skieurs portant des casques vont
plus vite en moyenne que les skieurs sans casque (d’autres études montrent
l’inverse2).
Gerald J.S. Wilde, professeur à la Queen’s University de Kingston, au
Canada, a mis en évidence que lorsque la Suède est passée de la conduite à
gauche à la conduite à droite en 1967, cela a été suivi d’une réduction bien
marquée du taux de mortalité routière, et cela pendant 18 mois. Après quoi,
la tendance est revenue à ses valeurs antérieures. Il a suggéré que les
conducteurs avaient réagi à l’augmentation du danger perçu (le fait d’avoir
changé une habitude) en faisant plus attention, puis, une fois la nouvelle
habitude prise, le taux de mortalité revint comme avant (le même
phénomène a été observé en Islande à son changement de voie de conduite).
A  contrario, on a remarqué une plus grande vigilance des automobilistes
avec une conception des routes dites «  d’espace partagé  », routes où l’on a
supprimé les démarcations traditionnelles entre la circulation des véhicules,
ainsi que les bordures des trottoirs, les marquages au sol et les panneaux de
signalisation. Cette augmentation des risques est consciemment utilisée
pour augmenter le niveau d’incertitude chez les conducteurs et les autres
usagers de la route, et les pousser à être plus vigilants. Il a été constaté que
cela entraînait une réduction de la vitesse des véhicules et une diminution
du nombre de victimes de la route. Comme le disent les auteurs de l’étude Ci
conduite par Ben Hamilton-Baillie en 2008, «  Il peut sembler pervers
d’affirmer que le bien-être peut être amélioré en rendant les espaces plus
risqués, mais c’est la conclusion ferme de la recherche et des études
empiriques. »

1.  Cet effet doit son nom à Sam Peltzman, professeur  d’économie à l’Université de Chicago Booth
School of Business, qui a publié “e Effects of Automobile SafetyRegulation”dans le Journal of Political
Economyen 1975.
2. M. D. Scott et coll., « Tester l’hypothèse de compensation des risques pour les casques de sécurité en
ski alpin et en snowboard », juin 2007.
L’EFFET « LES FEMMES SONT FORMIDABLES »

Ce phénomène psychologique suggère que les humains attribuent


naturellement des qualités plus positives aux femmes qu’aux hommes. Des
chercheurs, qui appellent cet effet un « sexisme bienveillant », avancent que
le caractère «  maternel  » de la femme expliquerait ce biais inconscient en
faveur des femmes.
L’expression a été inventée par les professeurs en psychologie Alice Eagly et
Antonio Mladic en 1994, après avoir constaté que des participants masculins
et féminins à des tests ont tendance à attribuer des traits positifs aux femmes
(les participantes présentant un biais beaucoup plus prononcé)  : lorsqu’on
demande à des sujets d’attribuer d’associer des mots positifs (rayonnant, joie,
positif…) et des mots négatifs (douleur, problème, mauvais…) à 2 individus
qui leur sont présentés, un homme et une femme, l’homme ra ait largement
les mots négatifs et la femme les mots positifs.
Dans une autre expérience, des participants devaient juger diverses
personnes en déduisant de leurs observations leurs traits de caractère et
leurs compétences. Le résultat fut le même  : dans la majorité des cas, les
femmes étaient jugées plus compétentes, plus avenantes, plus agréables que
les hommes. Le seul point jugé moins performant était le contrôle de leurs
émotions.
Une autre étude, menée par les chercheurs Rudman et Goodwin en 2004,
montre que les individus préfèrent majoritairement leur mère à leur père, ou
associent le genre masculin à la notion de violence et d’agression. Présentés
aux sujets de l’étude dans une même situation et faisant montre d’un même
comportement, les 2 parents ne sont pas jugés de la même manière. La mère
« est comprise et excusée », tandis que le père « est considéré comme sévère,
in exible, voire violent  ». Les chercheurs expliquent ce résultat également
par le lien maternel et par l’intimidation face au père.
Selon Bernard Whitley, professeur de psychologie à l’Université d’État de
Ball, bien que ce type de « préjugé bienveillant » associe soi-disant de bonnes
choses à certains groupes, comme ici les femmes, il a toujours pour résultat
de maintenir les membres du groupe concerné dans des positions
inférieures dans la société.
En 2012, Laurie A. Rudman, une professeure féministe de psychologie
sociale, et Peter Glick, professeur  en science sociale, ont menée d’autres
expériences sur des groupes sujets d’hommes et de femmes divers, pour voir
si l’effet «  les femmes sont formidables  » fonctionnait quand les femmes
étaient présentées dans un contexte dit « traditionnel » (maternité, ménage,
etc.) ou dans un contexte plus moderne d’égalité professionnelle. Les
résultats montrèrent que l’effet était toujours là  : la seule différence
concernait les jugements portés par les participants hommes qui, tout en
continuant à surévaluer les femmes (surtout les femmes attirantes) qui leur
étaient présentées, avaient tendance à moins surévaluer (mais à surévaluer
quand même) celles qui étaient dans des situations de contrôle, d’autorité, ou
de comportements traditionnellement masculins.
Ces expériences semblent donc montrer qu’il serait peut-être faux de
considérer la société occidentale comme défavorable aux femmes en tous
points. Elle peut les favoriser et les surévaluer dans certains contextes. À
comportement égal, les femmes peuvent être plus souvent excusées, là où les
hommes ne le seront pas  ; elles peuvent être plus comprises et même
plaintes, là où des hommes seront rapidement sanctionnés.
L’EFFET DE TÉLESCOPAGE

« Quoi ? ! Ça fait déjà 1 an ? ! Mais j’ai l’impression que c’était le mois


dernier ! »
Ce biais de télescopage est la tendance à déplacer temporellement dans
notre esprit les évènements  : les évènements récents sont perçus comme
éloignés (télescopage arrière), et les plus anciens comme plus récents qu’ils
ne le sont (télescopage avant). Bien que l’effet fonctionne dans les deux sens,
ce sont généralement plus souvent des évènements passés qui nous semblent
plus récents. On appelle cela l’effet de «  télescopage  » car, comme si on
utilisait un télescope pour regarder vers le passé, des évènements nous
paraissent plus proches. Un évènement qui nous a marqués, par effet de
saillance (chose la plus visible ou la plus importante), peut rester dans notre
mémoire de façon très vivace et altérer notre perception du temps écoulé
depuis. Plus un évènement est détaillé dans notre esprit, plus il nous paraît
récent.
L’effet se voit souvent grâce aux médias, lorsqu’une information sur un fait
marquant arrivé plusieurs années auparavant ressort, on se surprend
souvent à dire que le temps est passé très vite. On a par exemple demandé1 à
des gens d’estimer les dates de la tentative d’assassinat contre Ronald Reagan
et de celle contre le pape Jean-Paul  II, qui ont eu lieu la même année  : eh
bien ils estimaient généralement que le tir contre Ronald Reagan s’était
produit plus récemment ! Pourquoi ? Les chercheurs avancent que c’est parce
que la tentative d’assassinat de Ronald Reagan est un évènement plus
mémorable et a été plus largement médiatisée, de sorte que la mémoire de
cet évènement est plus détaillée et facilement accessible aux personnes
interrogées.
En vieillissant, on a souvent l’impression que le temps passe de plus en
plus vite !
Une recherche publiée par le professeur  Adrian Bejan avance qu’avec l’âge, la
vitesse à laquelle nous traitons les informations visuelles ralentit, car les signaux
électriques doivent parcourir de plus grandes distances dans nos réseaux
neuronaux, et leur traitement prend donc plus de temps. Ces temps de
traitement plus lents nous font percevoir moins d’images par seconde, ce qui
ferait que le temps semble passer plus vite  ! Quand nous sommes jeunes,
chaque seconde du temps réel est remplie de beaucoup plus d’images
mentales, un peu comme une caméra au ralenti qui capture des milliers
d’images/seconde, et le temps semble passer plus lentement. (Cette explication
s’ajoute à d’autres, comme l’effet relatif  : pour un enfant de 2  ans, un  an
correspondra proportionellement à la moitié de sa vie, pour une personne de
80 ans, un an semblera très court.)

1. Norman R. Brown, Lance J. Rips, Steven K. Shevell, « Les dates subjectives des évènements naturels
en mémoire à très long terme », Psychologie cognitive, 1985.
L’ÉCART D’EMPATHIE CHAUD-FROID

« On ne fait jamais les courses le ventre vide ! » Vous avez sûrement déjà
entendu ce conseil tendant à vous éviter des achats impulsifs peu rationnels
et très peu utiles pour votre ligne !
Lorsque l’on est affamé, énervé, excité, qu’on a mal quelque part, ou sous le
coup de toute autre émotion forte, on est dans ce qu’on appelle «  un état
chaud » (contrairement à « l’état froid », ces moments où l’on est rationnels,
calmes, réservés, etc.). Eh bien, le biais « d’écart d’empathie » est la tendance
à sous-estimer l’in uence de ces sentiments, l’impact des «  facteurs
viscéraux », sur notre cognition et nos comportements.

FLUCTUATION D’HUMEUR
Avoir faim et avoir sommeil sont les 2 principales causes des fluctuations
d’humeur dans la journée. Suivies de près par la constipation… Un mot donc sur
le biais intéroceptif  : c’est la capacité à conscientiser les sensations
corporelles. L’intéroception surveille et dirige l’état interne de notre corps en
permettant de reconnaître les signaux qui régulent les fonctions vitales comme la
faim, la soif, la température corporelle et le rythme cardiaque. Appelé souvent le
«  sixième sens  » de l’humain, l’intéroception permet de s’assurer du bon
fonctionnement de son corps grâce à des alertes lorsqu’un déséquilibre survient.
Par exemple, lorsqu’on a trop soif, l’intéroception nous pousse à boire un verre
d’eau.
La faim et la soif représentent deux états intéroceptifs quotidiens, et la faim, en
particulier, s’est avérée influente sur la prise de décision morale dans de
nombreuses études.
Lorsqu’on est énervé, on va avoir du mal à percevoir les choses de la même
façon que lorsqu’on est calme. On risque alors de prendre des décisions qui
ne sont pas en adéquation avec nos objectifs à long terme dans la vie. De
même, dans un état «  froid  », on pourrait minimiser l’importance de se
préparer avant un évènement, à l’éventualité que l’on bascule dans un état
chaud et à anticiper l’impact que cela pourrait avoir sur nous. Plus tard, on
se dira qu’on ne sait pas pourquoi on a agi comme ça !
Ce biais affecte beaucoup notre capacité à nous mettre à la place des
autres : en étant dans un certain état d’esprit, on ne parvient pas toujours à
comprendre les autres, qui sont dans un état d’esprit différent. Si vous êtes
heureux, vous avez du mal à imaginer pourquoi les gens sont mécontents.
Ce biais se trouve particulièrement dans la communauté médicale qui est
souvent en «  état froid  », rationnelle et pragmatique, et qui interagit la
plupart du temps avec des gens en « état chaud ». C’est une des raisons pour
lesquelles on trouve souvent que les médecins manquent d’empathie.
De façon contre intuitive, on pourrait penser que des personnes ayant vécu
par le passé la même difficulté qu’une personne étant actuellement en plein
dedans, manifesteront plus d’empathie pour elle. Or, une série d’études1
montre que les individus qui vous manifesteront le plus d’empathie ne sont
pas nécessairement ceux qui ont vécu les mêmes épreuves que vous. Dans
une expérience menée sur des anciens chômeurs, on leur t lire le récit
d’une personne qui, malgré tous ses efforts, ne parvenait pas à trouver un
travail et à boucler ses ns de mois. Cette personne se décide alors à prendre
un travail pas très honnête pour s’en sortir. Le résultat montra que les
personnes qui, par le passé, avaient surmonté une période de chômage,
étaient plus critiques et avaient moins de compassion que celles qui étaient
au chômage au moment de l’expérience. La même expérience fut faite avec
un adolescent victime de harcèlement  : il racontait à un groupe sa
mésaventure et disait qu’il n’arrivait pas à faire face, et disait à un autre
groupe qu’il arrivait à se défendre. Là aussi, ceux qui avaient été victimes
eux-mêmes de harcèlement, mais qui voyaient maintenant cela « à froid »,
étaient moins compatissants pour l’adolescent qui disait ne pas réussir à faire
face.
Ces expériences montrent que les personnes qui ont vécu une situation
difficile sont les plus enclines à être plus dures avec les individus confrontés
à une épreuve du même genre. Pourquoi cela  ? Il semble que 2 facteurs
d’ordre psychologique entrent en jeu. Tout d’abord, ceux qui ont vécu par le
passé une expérience pénible, ont généralement du mal à se remémorer avec
précision l’ampleur du traumatisme qu’ils ont subi lorsqu’ils étaient en « état
chaud  ». Même s’ils se souviennent que l’expérience était stressante ou
émotionnellement éprouvante, ils ont tendance à minimiser la souffrance
réellement ressentie sur le moment. C’est « l’écart d’empathie ». Par ailleurs,
ceux qui ont surmonté une expérience traumatisante se souviennent qu’ils
ont réussi à surmonter cette épreuve, ce qui leur donne un sentiment de
compréhension exagéré par rapport à la difficulté de la situation. Les 2
facteurs psychologiques associés : « Ils oublient combien c’était éprouvant »
et « Ils s’en sont sorti tout seul » leur donnent l’impression que l’évènement
peut être facilement surmonté, et réduit l’empathie envers ceux qui s’y
trouvent confrontés. Il n’est donc pas indispensable d’avoir vécu la même
chose que quelqu’un pour lui témoigner de l’empathie2.

ÉMOTIONS PASSÉES OU PRÉSENTES ?


Les souvenirs émotionnels sont reconstruits par rapport à nos états émotionnels
actuels. Dans une expérience**, des veuves et des veufs ont évalué l’intensité de
leur chagrin éprouvé 6 mois et 5  ans après la mort de leur conjoint. Les
participants ont noté leur ressenti à 6 mois, puis à 5  ans. Il en ressortit que
l’expérience du deuil était plus intense à 6 mois qu’à 5 ans. Pourtant, lorsqu’on a
demandé aux participants après 5  ans de se rappeler comment ils s’étaient
sentis 6 mois après le décès de leur proche, l’intensité du deuil dont ils se
souvenaient était fortement corrélée à leur niveau actuel de deuil. Les humains
semblent donc bien utiliser leurs états émotionnels du moment pour analyser ce
qu’ils croient avoir ressenti lors de l’expérience d’évènements passés.
**N. Field, Géorgie Bonanno, « Ça n’a jamais été aussi grave : rappel biaisé du deuil et ajustement à
long terme à la mort d’un conjoint », 2001.

L’écart d’empathie peut se manifester dans divers domaines de notre vie


sociale, et nous oublions souvent que nous ne sommes pas très doués pour
imaginer comment les autres réagiraient à certaines choses, parce que nous
supposons qu’ils réagiraient de la même manière que nous le ferions. Ce
biais se manifeste facilement sur les réseaux sociaux, où nous sommes
persuadés que l’affichage de nos réussites et le partage de nos meilleurs
moments de vie vont réjouir nos amis, famille ou collègues, alors que ce peut
être le contraire qui a lieu. Notre empathie défaillante (se mettre à la place de
l’autre) peut ne pas nous faire prendre conscience que si un ami récemment
licencié est en train de voir des photos de notre rénovation coûteuse, ce
« succès » peut provoquer chez lui des sentiments négatifs. Une étude sur le
cerveau, publiée dans e Journal of Neurosciences, explique que les niveaux
d’empathie des gens in uent aussi la façon dont ils réagissent à nos
nouvelles. Comprendre cela nous permettra de faire preuve de discernement
avant de poster certaines choses sur nos réseaux. Des chercheurs de
l’Université de Birmingham ont étudié comment le partage de photos sur
Facebook affecte nos relations. L’étude a montré que, par exemple, des amis
proches aiment voir nos sel es, mais pas des photos de nous en compagnie
d’autres amis.

1.  https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2019/02/24184-il-est-plus-difficile-davoir-de-
lempathie-pour-quelquun-lorsque-vous-avez-ete-a-sa-place/
2. Faculté de s’identi er à quelqu’un, de ressentir ce qu’il ressent. Capacité de se mettre à la place des
autres, de ressentir la douleur de l’autre dans notre cœur.
LE FAUX SOUVENIR

Ce phénomène psychologique se produit lorsqu’une personne se


remémore un évènement qui, en fait, n’a jamais existé. L’imagination est
confondue avec un souvenir.

LE SAVIEZ-VOUS ?
Nos souvenirs sont si manipulables que, en seulement 3 heures, des spécialistes
qui mélangeront nos vrais souvenirs avec de fausses informations pourront nous
persuader d’avoir commis un crime dans notre jeunesse.

La question des faux souvenirs est une question scienti que qui reste très
étudiée. En effet, dans le domaine judiciaire, les implications de ces
questions scienti ques sont graves car elles peuvent mettre en cause les
témoignages : si un témoignage est erroné, un innocent peut être accusé et
condamné sur la base de ce témoignage ; mais si on ne tient pas compte des
témoignages des victimes, un coupable potentiellement dangereux peut
demeurer en liberté.
La mémoire humaine est un processus dynamique dépendant de
nombreux processus (perception, encodage, stockage, accessibilité…), et
chaque processus est sujet à des erreurs potentielles.
La psychologue Elizabeth Lous, précurseure dans la recherche sur les
faux souvenirs, mena de nombreuses expériences dans le domaine. L’une
d’entre elles, très facile à reproduire, est la suivante : on demande à des sujets
d’examiner des photos ou des vidéos de scènes diverses et variée, on leur
pose ensuite des questions de façon à les faire chercher dans leur mémoire
ce qu’ils ont vu sur les images. Elizabeth Lous t remarquer que de
nombreuses erreurs apparaissaient, surtout si les questions étaient
volontairement biaisées. Par exemple, en montrant une photo d’une scène
particulière, puis en demandant ensuite de quelle couleur était la
camionnette garée derrière la scène (camionnette qui n’existe pas et n’a
jamais été sur la photo), beaucoup de participants, in uencés par la question
(effet de suggestibilité, c’est-à-dire être enclin à accepter une chose sur la
suggestion des autres), croient se souvenir avoir vu une camionnette et
donnent même une couleur !

EFFET DE DÉSINFORMATION ET CONFUSION DES SOURCES


L’effet de désinformation se produit lorsque le rappel des souvenirs
épisodiques d’une personne (c’est-à-dire la collection d’évènements quotidiens)
devient moins précis à cause d’informations postérieures à l’évènement, qui
viennent s’ajouter et qui interfèrent avec la mémoire. L’exemple de la camionnette
cité plus haut le montre  : en ajoutant de nouvelles informations (et cela a plus
d’effet sous forme de questions), on perturbe le souvenir et on y greffe des faux
détails. Les nouvelles informations qu’une personne reçoit remontent dans le
temps pour déformer la mémoire de l’évènement d’origine. Ce phénomène est
lié à l’effet de confusion des sources : un exemple marquant est l’histoire d’un
héros de la Première Guerre mondiale, que le président Ronald Reagan raconta
durant sa première campagne. Cette histoire ressemblait de manière très
frappante au film Le Porte-avions X. La «  source  » que fut le film que Reagan
avait vu s’était mélangée à ses souvenirs du héros de guerre et les deux
formèrent une seule histoire qui était pour lui la réalité.

Elizabeth Lous expérimenta également l’effet du langage sur les faux


souvenirs1 : on montra à des sujets des vidéos d’accidents de voiture, où des
véhicules se percutaient à des vitesses différentes (30  km/h, 50  km/h,
70 km/h). On posa ensuite aux participants la question suivante : « À quelle
vitesse roulaient les voitures lorsqu’elles se sont percutées  ?  » La question
demandait toujours la même chose, sauf que le verbe utilisé pour décrire la
collision variait, soit « percutées », soit « fracassées », soit « touchées ». Bien
que les vitesses réelles puissent être élevées, si le mot utilisé semblait plus
léger, comme «  touchées  », les participants voyaient leurs souvenirs leur
montrer des impacts plus faibles. On demanda ensuite (une semaine plus
tard) aux participants s’ils avaient vu du verre brisé, sachant qu’il n’y avait
pas de verre brisé dans les vidéos. Leurs réponses, encore une fois, furent
fortement in uencées par le verbe utilisé. Plusieurs participants crurent se
souvenir d’avoir vu du verre brisé lorsque la question était posée avec le
verbe « fracassées ».
Poser des questions avec habileté provoque plus facilement l’effet de faux
souvenir. Par exemple, après avoir montré une photo d’une scène de ville à
quelqu’un (photo où il n’y a pas de panneau), et si vous lui demandez
« Avez-vous vu “le” panneau ? » plutôt que « Avez-vous vu “un” panneau ? »,
le simple fait d’avoir prononcé «  le  », comme si c’était un fait, plutôt que
« un », in uence plus fortement son esprit et il est plus susceptible de croire
qu’il en a vu un2 !
En 1998, les deux chercheurs en psychologie Kathleen McDermott et
Henry Roediger III ont mené une expérience intéressante qui n’est pas sans
rappeler «  l’effet d’ancrage  ». Le but était de déclencher volontairement de
faux souvenirs simplement grâce à une liste de mots. Ils ont présenté à des
sujets des listes à étudier, contenant toutes un grand nombre de mots qui
étaient sémantiquement liés à un autre mot qui ne gurait pas sur la liste.
Par exemple, si le mot qu’ils essayaient de déclencher était « rivière », la liste
contenait des mots comme « débit », « courant », « eau », « ruisseau », etc. Ils
cachaient ensuite les listes et demandaient aux sujets de se rappeler les mots
qu’ils avaient vus. Presque à chaque fois, le faux souvenir était déclenché et
les sujets nissaient par « se rappeler » le mot cible qui n’y était jamais !
Le contexte a un fort effet sur les faux souvenirs. Par exemple, Lorsque des
chercheurs enferment quelques minutes des sujets dans un bureau en leur
demandant simplement d’attendre un peu, puis qu’ils les font sortir et qu’ils
leur demandent de dresser une liste des objets qu’il y avait dans le bureau, les
sujets notent des objets qui n’y étaient pas (classeurs, règle…) mais que leur
mémoire associe « à ce qui doit être dans un bureau ».
« L’effet Mandela  » est un phénomène de société parfois très drôle  : un
grand nombre de personnes partagent un faux souvenir identique. Ils sont
tous persuadés qu’un évènement s’est produit, ils le jureraient… alors que
c’est totalement faux  ! Par exemple de nombreuses personnes croient que
Nelson Mandela est mort en prison, d’où le nom donné à ce phénomène en
2010 (Mandela est en réalité sortit de prison en 1990 et est mort en 2013).
Autres exemples cocasses  : dans Star Wars, C-3PO n’est pas entièrement
doré, il a une jambe en argent. Dark Vador ne dit pas  : «  Luke, je suis ton
père. » Mais : « Non, je suis ton père. » Le personnage gurant sur les boîtes
de Monopoly porte-t-il un monocle ? Eh bien non !
Répondez à cette question très vite (ensuite seulement véri ez sur
Internet) :
La célèbre statue Le Penseur de Rodin représente un homme assis dont la
main est en contact avec : son front ? son menton ?
Un autre exemple de faux souvenirs partagés provient d’une étude de 2010
qui se porta sur des personnes qui habitaient près de la gare de Bologne en
Italie et qui voyaient l’horloge de la gare régulièrement. L’horloge fut
endommagée lors de l’attentat à la bombe dans la gare en août 1980, 30 ans
plus tôt. Dans l’étude, 92 % des personnes interrogées « se souvenaient », à
tort, que l’horloge était restée arrêtée depuis le bombardement, alors qu’en
réalité, l’horloge avait été réparée peu après l’attentat3.
Déjà-vu ! Nous avons tous déjà expérimenté cette sensation d’avoir déjà
été témoin ou d’avoir déjà vécu une situation présente, accompagnée d’une
sensation d’irréalité, d’étrangeté… 70  % des personnes sont touchées par
cette impression étrange. C’est particulièrement troublant lorsque l’on sait
pertinemment que ce n’est pas un souvenir refoulé et que le déjà-vu est
impossible, comme lors d’un premier voyage quelque part ; on appelle alors
cela le « déjà-visité ».
La science explique difficilement ce phénomène pour le moment. Une
hypothèse serait que les régions frontales du cortex véri ent les mémoires et
envoient des signaux en cas d’erreur quand il y a un con it entre l’expérience
vécue et ce que nous croyons avoir déjà vécu. Le sentiment de déjà-vu serait
un signe que le système de véri cation de la mémoire fonctionne bien.
D’autres théories avancent que le déjà-vu serait dû à un « dé cit transitoire
de l’attention », au cours duquel une perception inconsciente continue d’être
enregistrée en mémoire (mémoire à court terme), puis, quand l’attention
revient, la personne est confrontée à une double lecture, celle du présent, et
celle du souvenir du présent4.
La sensation de « déjà-vu » a aussi son contraire, le « jamais-vu » : quand
quelque chose de familier devient un instant étranger. Un conjoint peut par
exemple avoir la sensation au réveil d’être à côté d’un inconnu. Le même
phénomène est observé lorsque nous regardons un visage trop longtemps ou
quand nous répétons plusieurs fois le même mot.

LA CONFABULATION
En psychologie, la confabulation est définie comme la production de souvenirs
fabriqués, déformés ou mal interprétés sur soi-même ou sur le monde. En clair,
une production imaginaire, prise pour un souvenir, venant combler une lacune de
mémoire. La fabulation se distingue du mensonge, l’individu qui confabule n’a
pas l’intention de tromper les autres. Certaines théories proposent que les
confabulations représentent un moyen pour les personnes atteintes de troubles
de la mémoire de maintenir leur identité, qu’elles aident à maintenir un concept
de soi cohérent. Les personnes aux tendances narcissiques pourraient
confabuler, inconsciemment, pour préserver une fausse image d’eux-mêmes et
de leur vision du monde, en embellissant les récits les concernant tout en étant
persuadés qu’ils se sont bien déroulés ainsi.

LE SAVIEZ-VOUS ?
On appelle « cryptomnésie » (du grec cryptos, « caché, dissimulé, secret », et
mnesia, «  mémoire  ») le phénomène qui se produit lorsqu’on pense avoir une
idée nouvelle, alors que c’est en réalité un souvenir oublié qui refait surface. Le
sujet qui en est victime croit avoir généré une pensée totalement originale, alors
qu’il s’agit d’un souvenir. C’est ce qui est à l’origine de plagiat involontaire,
lorsqu’on croit être le créateur, à tort, d’une blague, d’une mélodie ou d’une idée.

1. Elizabeth F. Lous, John C. Palmer, « Reconstruction de la destruction automobile : un exemple de


l’interaction entre langage et mémoire  », Journal d’apprentissage verbal et de comportement verbal,
1974.
2. Elizabeth F. Lous, « Reconstruire la mémoire : L’incroyable témoin oculaire », Revue de Jurimétrie,
1975.
3.  Des années plus tard, l’horloge fut de nouveau arrêtée et réglée à l’heure du bombardement, en
commémoration du bombardement. Pour le coup, de quoi y perdre la tête.
4. Sinon, vous avez l’explication du lm Matrixsorti en 1999, où le déjà-vu est dû à « une modi cation
de la matrice, le programme qui gère le monde virtuel dans lequel l’humanité est plongée ».
L’EFFET D’ESPACEMENT

C’est l’effet que tous les jeunes scolarisés devraient connaître  : la


mémorisation sur le long terme, avec des séances d’étude espacées, est
supérieure à une intense période de concentration en une seule session  !
C’est pourquoi les pédagogues désapprouvent le bachotage (le fait de réviser
ses cours intensément quelques jours avant un examen), car l’apprentissage
de grandes quantités d’information en temps limité n’est pas favorable à
l’acquisition de connaissances dé nitives.
Les recherches démontrent que, pour bien se souvenir, il faut passer par
une période d’oubli  ! C’est le concept de «  force de récupération de la
mémoire » : on sait que lors d’une formation, la répétition est nécessaire, car
l’apprenant ne peut se souvenir de toutes les nouvelles informations du
premier coup. Cependant, la forme de répétition qui produit les meilleurs
résultats est celle qui consiste à rechercher dans sa mémoire à long terme des
informations partiellement oubliées. Par exemple, essayez de vous souvenir
du code postal de l’endroit où vous avez grandi. Il vous faudra peut-être un
certain laps de temps pour vous en souvenir, mais dès que vous l’aurez,
«  l’effort de récupération  » aura renforcé votre mémorisation, si bien que
vous n’aurez aucun mal à le ressortir si on vous demande ce vieux code
postal la semaine prochaine ! Cela crée un cercle vertueux : plus on oublie,
plus l’effort est nécessaire pour se souvenir, et mieux on se souvient la fois
suivante1.

L’effet de difficulté de traitement est un biais cognitif qui veut que plus il a été
difficile d’acquérir une connaissance, moins on l’oubliera par la suite. Plus la
difficulté est grande, plus l’assimilation et la mémorisation sont fortes et durables.
Un peu comme ce poème pour lequel vous avez dû tant répéter dans votre
enfance, et qui est toujours là dans votre mémoire.
L’effet Google, lui, vous fait oublier tout ce que vous cherchez sans effort : les
moteurs de recherche mettent à notre disposition des informations en quelques
secondes et le fait de savoir qu’elles sont là, à portée de clic, ne stimule plus la
mémoire. Par contre, nous retenons très bien la façon de les retrouver, leur lieu
et le moyen d’y accéder. La mémoire collective qu’est devenu l’Internet devient
progressivement, pour l’humanité et chacun d’entre nous, une mémoire
numérique externe.

L’efficacité de l’espacement des apprentissages est aussi liée à une meilleure


survie des neurones de l’hippocampe (eux-mêmes liés à la mémoire). Ces
neurones sont générés chaque jour dans notre cerveau, mais beaucoup
d’entre eux meurent naturellement au bout de quelques semaines. Pour
survivre, ces neurones de l’hippocampe ont besoin d’être mobilisés, et
espacer les moments d’apprentissage permet donc de sauver davantage de
neurones que les sessions massées, car de nouveaux neurones mobilisables
seront apparus entre chaque session  ! C’est pourquoi cette méthode nous
permet de retenir davantage ce que nous avons appris. On ne fait pas
pousser une plante plus vite en lui tirant dessus (en bachotant) mais en
l’arrosant régulièrement (en apprenant avec des espaces de temps).

1. https://apprentx.rocks/leffet-despacement-loubli-nest-pas-lennemi-de-lapprentissage
L’EFFET DE TESTING

Une célèbre étude de 2008, menée par les chercheurs Jeffrey Karpicke et
Henri Roedige, montra la valeur du fait de challenger sa mémoire en la
testant pour augmenter sa rétention des informations  : les chercheurs ont
comparé les performances de plusieurs groupes d’étudiants lors de leur
partiel de n d’année. Deux groupes révisaient en se testant les uns les
autres, c’est-à-dire en se posant des questions sur les sujets appris, et 2 autres
groupes révisaient avec d’autres méthodes de travail comme simplement
relire le cours, surligner des passages, etc. Dans les groupes où les étudiants
ont révisé en se testant, les résultats aux partiels furent 2 fois meilleurs que
dans les autres groupes ! La méthode du testing est considérée aujourd’hui
comme la plus efficace pour mémoriser des informations sur le long terme1.
Aller chercher plusieurs fois une information dans sa mémoire est un des
meilleurs moyens d’améliorer la mémorisation de cette information sur le
long terme. Autrement dit, la mémorisation sera supérieure lorsqu’une
partie du temps d’apprentissage sera consacrée à retrouver de mémoire
l’information par des tests, plutôt qu’à simplement la relire. Le testing peut se
faire par des « flashcards », des cartes où des questions concernant le sujet
que l’on doit apprendre sont écrites sur une face et les réponses sur l’autre.
Ces cartes permettent à l’apprenant de comparer, pour chaque couple
question-réponse, sa réponse avec la bonne réponse  : c’est ce feedback, la
rétroaction, qui est l’élément clef de la méthode.

1.  https://revisionfr.my-oxford.com/blogs/infos/le-testing-effect-la-methode-dapprentissage-la-plus-
efficace
LE BIAIS RÉTROSPECTIF

« Je le savais ! »
C’est la tendance à surestimer notre capacité à prédire le résultat d’un
évènement après que celui-ci s’est produit  ! Alors qu’il nous paraissait
pratiquement impossible d’évaluer le résultat d’une situation avant qu’elle ne
survienne, la même situation nous apparaît nettement plus claire avec du
recul, et on croit qu’on aurait pu prédire l’évènement avec un haut degré de
certitude. Rien n’est plus facile que de regarder dans le rétroviseur et d’en
tirer des conclusions. Le biais rétrospectif peut également provoquer des
distorsions des souvenirs de ce que l’on savait ou croyait savoir avant qu’un
évènement ne se produise, et il est à l’origine d’excès de con ance concernant
la capacité d’un individu à prédire les résultats d’évènements futurs.

Le biais rétrospectif présente des similitudes avec d’autres distorsions de la


mémoire, comme « l’effet de désinformation » (nos souvenirs sont altérés par
de nouvelles informations) et la « fausse mémoire autobiographique  » (nous
croyons nous souvenir d’un moment de notre vie, alors que nous l’avons
seulement reconstruit dans notre tête, à force d’en entendre parler).

Pour le statisticien et mathématicien spécialisé en épistémologie des


probabilités Nassim Nicholas Taleb, le biais rétrospectif est un mécanisme de
«  déni du hasard  »  : pour les personnes expérimentant ce biais, tout
évènement doit pouvoir se justi er a n d’être le plus prévisible possible, le
but étant de conforter les individus dans «  leur sentiment de contrôler
l’incertitude », de voir le monde comme ordonné et prévisible. Il a d’ailleurs
été constaté que le biais rétrospectif est plus susceptible de se produire
lorsque le résultat d’un évènement est négatif plutôt que positif  : plus une
situation qui nous échappe est négative, plus on se dit «  Je le savais  !  » Le
problème est que trop souvent, nous ne le savions pas depuis le début, nous
avons seulement l’impression de l’avoir su ! Le phénomène a été documenté
dans divers domaines, notamment les diagnostics médicaux, les décisions
comptables et d’audit, la compétition sportive et la stratégie politique.
Les psychologues Neal Roese et Kathleen Vohs ont publié, dans un journal
de l’Association for Psycholocal Science, leurs recherches sur le biais de
rétrospection, et montrent que le biais comporte 3 niveaux  : le premier
niveau est « la distorsion de la mémoire », qui implique un mauvais souvenir
d’une opinion ou d’un jugement antérieur (« J’ai dit que cela arriverait ! »).
Le deuxième niveau est «  l’inévitabilité  », c’est notre conviction que
l’évènement était inévitable («  Ça devait bien arriver  !  »). Et le troisième
niveau est «  la prévisibilité  », qui implique la croyance que nous aurions
personnellement pu prévoir l’évènement (« je savais que cela arriverait »).
Dans les troubles de stress post-traumatiques, suite à un accident, une
guerre, une agression… le biais rétrospectif peut aggraver le trouble  : les
flashbacks cognitifs peuvent déclencher un stress sévère et des émotions
négatives telles qu’une culpabilité impardonnable. Le biais rétrospectif a un
effet sur la perception personnelle des vétérans de guerre et des actes qu’ils
ont commis. Ils se blâment et, avec le recul, ont le sentiment « qu’ils auraient
pu empêcher ce qui s’est passé ».
Le biais de recul visuel est le phénomène visuel ou le biais rétrospectif se
manifeste. Dans une expérience1, on montre des photos très outées de
célébrités à des individus. Puis, petit à petit, on rend l’image de plus en plus
nette jusqu’à ce que la célébrité soit parfaitement reconnaissable. On
demande ensuite aux participants de déterminer à partir de quel moment, à
partir de quel niveau de outage, une autre personne aurait pu deviner qui
étaient les célébrités. Il fut constaté que, maintenant que l’identité des
célébrités sur chaque image était connue, les participants surestimaient
considérablement la facilité avec laquelle les autres devraient être capables
d’identi er les célébrités lorsque les images étaient oues.
Ce biais peut avoir des implications importantes dans des litiges
professionnels, notamment en médecine  : si un médecin n’a pas vu une
anomalie sur une radiologie (pourtant bien présente) la première fois qu’il l’a
observée, un confrère, qui lui sait maintenant que l’anomalie y est, l’accusera
peut-être avec dureté de manquement, car « il est évident que tout le monde
aurait vu l’anomalie à sa place » ! Rétrospectivement, c’est sûr qu’il est plus
facile de juger…
L’erreur de l’historien est une erreur classique qui se produit lorsque l’on
suppose que les acteurs du passé ont vu les évènements du même point de
vue et avaient les mêmes informations que ceux qui ont ensuite analysé leurs
actions.
Dans le domaine de l’histoire militaire, les historiens utilisent parfois ce
qu’on appelle la «  technique du brouillard de guerre  » (terme inventé par
l’historien américain Douglas S. Freeman, dans sa biographie du président
George Washington) dans l’espoir d’éviter «  l’erreur de l’historien  »  : les
actions et les décisions d’un sujet historique (comme un commandant
militaire) sont évaluées uniquement sur la base « de ce que cette personne
savait à l’époque », et non sur des informations futures qu’elle n’aurait pas pu
connaître et que l’historien a à sa portée.
Sensiblement proche, le biais de l’historien, ou le biais de résultat,
consiste à juger une décision en tenant compte de son résultat nal, plutôt
que sur la base de la qualité de la décision au moment où elle a été prise.
Autrement dit, comme la décision s’est avérée être bonne, on pense que ce
qui a mené à elle était forcément bien, que ceux qui l’ont prise étaient
parfaitement éclairés et qu’ils savaient très bien pourquoi ils la prenaient. Or,
cette décision pouvait avoir été prise avec de mauvais mobiles, avec peu
d’éléments favorables et elle peut être en réalité le simple fruit d’un grand
coup de chance et de hasard. Mais jugée une fois s’être avéré positive, on
croit que le processus y ayant mené était correct.
Imaginez un recruteur qui fait passer un entretien d’embauche à
quelqu’un. L’analyse du recruteur est très moyenne, son questionnaire
laborieux et globalement, le recruteur est très mauvais. La personne est
embauchée. Par la suite, on constate qu’elle est très compétente et
performante dans l’entreprise. Le biais de résultat fera conclure que le
recruteur a performé lors de son analyse et de l’entretien d’embauche car il a
fait embaucher une personne de qualité. Seulement, il était en réalité très
mauvais et a eu beaucoup de chance de faire une « bonne pioche ».
Une étude2 examinant l’évaluation des performances de joueurs de football
par les entraîneurs et les journalistes a révélé que les performances des
joueurs sont notées de façon plus positives (après un match complet) si le
joueur en question a mis un but chanceux, sans vraiment le vouloir, plutôt
que s’il a fait des tirs volontaires mais ratés (comme des tirs sur le poteau par
exemple).
Il est important d’être vraiment critiques dans la façon dont nous évaluons
nos actions. Au lieu de nous concentrer sur les résultats, nous devons nous
concentrer sur le processus dans son ensemble, car si nous avons tendance à
accorder trop d’importance au résultat d’une décision plutôt qu’au processus
par lequel nous avons pris cette décision, nous risquons de croire que nous
savons prendre de bonnes décisions sans nous apercevoir que notre
processus décisionnel a des lacunes qui nous joueront un tour un jour.
Comme cet homme qui quitte un bar ivre, sait qu’il ne faut pas conduire
ivre, mais monte en voiture quand même pour rentrer chez lui, et y arrive
sans encombre. S’il ne se base que sur le résultat, il pourra croire que rentrer
chez lui ivre est sans danger.
Pour apprendre à surmonter ce biais, nous pouvons nous demander
régulièrement après un bon résultat :
1
. Qu’est-ce qui m’a amené à prendre cette décision ?
2
. Quelles informations étaient en ma possession à ce moment-là ?
3
. Y avait-il un meilleur processus que j’aurais pu suivre pour prendre cette
décision ?
4
. Aurai-je pu consulter d’autres personnes avant ?
5
. Était-ce vraiment utile de prendre cette décision à ce moment-là ?
L’auteur et inventeur Drew Boyd donne 3 points à se remémorer pour
dompter le biais de rétrospection qui pourrait nous empêcher d’apprendre
de nos expériences :
1
. L’avenir n’est pas prévisible. Lorsque vous commencez à penser que vous
pouvez le prédire, rappelez-vous que tout le monde pense qu’il le peut
aussi.
2
. Prenez des décisions en fonction de ce que les données indiquent « qu’il
est probable qu’il se produise », et non en fonction de ce que vous pensez
qu’il va se passer.
3
. Établissez toujours un plan d’action avant de lancer toute initiative.
Incluez dans ce plan toute donnée ou tout avis d’expert sur les résultats
possibles de l’initiative. Cela vous aidera à rester honnête dans les
moments où vous pensez avoir une boule de cristal.

1. Erin M. Harley & al., “e ‘saw-it-all-along’ effect: demonstrations of visual hindsight bias.” Journal
of experimental psychology. Learning, memory, and cognitionvol30,5, 2004.
2.  Romain Gauriot, «  Trompé par l’aléatoire de la performance  : Chance excessive  », in Review of
Economics and Statistics, vol. 101, n° 4, 2019, p. 658-666.
LE BIAIS DE CONFIRMATION

Quand deux clubs de football s’affrontent, leurs supporteurs n’assistent pas


au même match  : ils voient les fautes et les décisions de l’arbitre d’une
manière différente en fonction du camp qu’ils soutiennent !
Intimement lié à la perception sélective, le biais de con rmation est la
tendance naturelle qu’ont les êtres humains à sélectionner, privilégier,
chercher et se souvenir des informations qui confortent leurs préjugés, leurs
idées préconçues, leurs croyances, leurs hypothèses. En clair, il s’agit d’une
altération de la lucidité, voire pour certains, de la mauvaise foi plus ou moins
assumée, même si les chercheurs expliquent que le biais de con rmation est
le résultat de stratégies cognitives automatiques et non intentionnelles plutôt
qu’une tromperie délibérée.
« Les gens intelligents croient des choses étranges parce qu’ils sont habiles à
défendre des croyances auxquelles ils sont arrivés pour des raisons non
intelligentes. »
– Michaël Shermer (historien des sciences)

Une expérience menée par une équipe de l’Université de Stanford fut


réalisée sur deux groupes de sujets dont certains étaient pour la peine de
mort et d’autre non. On leur présenta des études (truquées) qui mettaient en
évidence soit des preuves que la peine de mort était dissuasive, avec des taux
de meurtres en baisse signi cative dans certaines villes américaines, soit des
preuves que la peine de mort n’avait aucun effet sur l’augmentation de la
violence. Une fois avoir examiné les études allant à l’encontre de leur
conviction, les sujets de l’expérience sont presque tous revenus à leur
croyance d’origine, quelles que soient les preuves fournies, montrant du
doigt les détails qui soutenaient leur point de vue mais ignorant tout ce qui
le contredisait. Les participants ont même décrit les études soutenant leur
point de vue de départ comme étant supérieures à celles qui le
contredisaient  ! Certains ont avancé que «  aucune preuve solide n’était là
pour contredire les chercheurs qui ont fait cette étude ». Cela a montré que
les gens établissent «  des normes de preuve  » plus élevées pour les
hypothèses qui vont à l’encontre de leurs convictions. Si ça va dans leur sens,
quelques petites preuves suffisent, si ça contredit leur opinion, ils réclament
des preuves plus solides ! Cet effet est connu sous le nom de « biais de non-
con rmation ».

L’effet retour de flamme* est lié au biais de confirmation puisqu’il se produit


lorsqu’une personne est confrontée de façon flagrante et évidente à des preuves
logiques et implacables que ses croyances sont fausses, mais qu’elle persiste à
les rejeter pour garder sa croyance initiale.
*Cette expression a été créée en 2006 par les universitaires américains Brendan Nyhan et Jason Reifler
dans un article intitulé “When Corrections Fail: The persistence of political misperceptions”.

On appelle « le tunnel de réalité » la théorie selon laquelle, avec un ensemble


subconscient de filtres mentaux formés à partir de croyances et d’expériences,
chaque individu interprète différemment le même monde. Ce concept ne veut
pas dire qu’il n’y a pas de vérité objective, mais plutôt que notre accès à celle-ci
est «  médiatisé  » par nos sens, notre expérience, notre conditionnement, nos
croyances antérieures et d’autres facteurs qui ne sont pas objectifs. D’où
l’expression « la vérité est dans l’œil du spectateur ».
Les tunnels de réalité sont généralement transparents pour ceux «  qui les
traversent ». La plupart des gens considèrent que leurs croyances correspondent
à la «  seule vraie réalité objective  », alors que le tunnel de réalité de chaque
personne est sa propre création artistique, qu’il en soit conscient ou non.

Deux expériences montrèrent comment nous pouvons nous rappeler de


souvenirs de façon sélective et qui vont dans le sens de ce que l’on veut
croire  : dans la première, des participants ont le pro l d’une femme la
décrivant avec des comportements parfois introvertis et parfois extravertis.
On dit à un groupe qu’il devait évaluer la femme pour un poste de
bibliothécaire, et à un deuxième groupe que l’évaluation était pour un poste
de vendeuse. Plus tard, quand on demanda aux deux groupes de quels
comportements ils se souvenaient le mieux, le premier groupe
(bibliothécaire) se rappela plus des comportements introvertis, et le
deuxième groupe (vendeuse) se souvenait plus de comportements
extravertis. Leur mémoire était in uencée par ce qu’ils voulaient voir chez la
femme.
La deuxième expérience consista à démontrer à un premier groupe de
sujets que les personnes extraverties réussissent mieux dans la vie, et à un
deuxième groupe que les personnes introverties ont plus d’atouts. Dans un
second temps, on leur demanda, en leur faisant croire que cette nouvelle
étude n’avait aucun lien avec l’autre, de se remémorer des évènements de leur
vie où ils s’étaient montrés soit introvertis soit extravertis. Chaque groupe
s’est remémoré des évènements en accord avec le trait de personnalité qui
avait été montré comme plus favorable dans l’expérience précédente  ! Le
premier groupe se rappela plus d’évènements d’extraversion, et le deuxième
d’introversion.
Dans les médias sociaux, le biais de con rmation est ampli é par
l’utilisation de ce qu’on appelle des « bulles de ltrage », une sorte de cadre
idéologique qui n’affiche aux utilisateurs que des informations avec
lesquelles ils sont susceptibles d’être d’accord. Cet état d’isolement
intellectuel peut être le résultat de recherches personnalisées lorsqu’un
algorithme devine de manière sélective quelles informations un utilisateur
aimerait voir en fonction d’informations sur lui, comme son emplacement,
ses habitudes de clic et l’historique de ses recherches. Dans des expériences
où les gens reçoivent des commentaires qui entrent en con it avec leur
image de soi, ils sont moins susceptibles d’y prêter attention ou de s’en
souvenir que lorsqu’ils reçoivent des commentaires positifs. Des expériences
similaires ont trouvé une préférence non seulement pour les commentaires
positifs, mais aussi pour les personnes qui les donnent, par rapport aux
commentaires négatifs et aux personnes qui les donnent.
« (Les médias sociaux) vous permettent de vous retrouver avec des
personnes partageant les mêmes idées, de sorte que vous ne vous mélangez
pas, ne partagez pas et ne comprenez pas d’autres points de vue… C’est
grave. Il s’est avéré que c’était un problème plus important que moi ou
beaucoup d’autres ne l’auraient imaginé. »
– Bill Gates dans le magazine américain Quartz, 2017

Très souvent dans l’histoire de la science, les scienti ques ont repoussé des
nouvelles découvertes en interprétant ou en ignorant des preuves qui
n’allaient pas dans leur sens. Albert Einstein lui-même ne supportait
tellement pas l’idée que l’univers puisse être en expansion plutôt que
statique, qu’il attribua une fausse équation à ses calculs pour rendre l’univers
comme lui voulait qu’il soit !

LES BIAIS DE L’HISTOIRE


Pour certains historiens et psychologues, l’amiral de la marine américaine
Husband Edward Kimmel aurait montré un biais de confirmation en minimisant
les premiers signes de l’attaque japonaise sur Pearl Harbor en 1941.

Plusieurs recherches ont montré que les scienti ques évaluent plus
favorablement les études rapportant des résultats conformes à leurs
croyances que les études rapportant des résultats incompatibles avec leurs
convictions. On soupçonne aussi le biais de con rmation pour les
techniques médicales inefficaces qui ont été utilisées pendant des  siècles
avant l’arrivée de la médecine scienti que. Autrefois, si un patient guérissait,
les autorités médicales considéraient le traitement «  comme un succès  »,
plutôt que de chercher des « explications alternatives » telles que le fait que
la maladie avait suivi son cours naturel. Aujourd’hui encore, nombre de
médecines dites alternatives voient leurs partisans se baser sur des réussites
anecdotiques et des rares témoignages positifs pour valider leurs
préférences, et traitent les preuves scienti ques de manière très critique.
LE BIAIS DE CONGRUENCE
Ce biais est similaire au biais de confirmation, car il se traduit par la tendance à
tester différentes hypothèses sans tester des hypothèses alternatives. Les gens
comptent trop sur le test et la répétition de leur hypothèse initiale (la plus
congruente, celle qui s’applique le mieux) tout en négligeant de tester des
hypothèses alternatives qui pourraient réfuter leur croyance initiale.

LE DÉLIRE DE MASSE
Le biais peut se propager comme une épidémie chez plusieurs personnes à la
suite : en 1954, à Seattle et Bellingham, les conducteurs de voiture se mirent à
remarquer des petits trous dans leur pare-brise qu’ils n’avaient jamais vu avant.
Considéré comme un «  délire de masse  », le phénomène prit une ampleur
extraordinaire  ! De plus en plus de personnes se mirent à signaler la même
chose aux autorités en attribuant cela à toutes sortes de causes farfelues  :
certains pensaient qu’un nouvel émetteur radio d’un million de watts produisait
des ondes qui provoquaient des oscillations dans le verre, d’autres croyaient à
des rayons cosmiques, d’autres encore pensaient à des puces de sable. Après
que 3  000 pare-brise soi-disant atteints de ce qui fut appelé «  l’épidémie de
piqûres de pare-brise de Seattle » furent signalés, et que le maire fit même appel
au président Dwight D. Eisenhower, le sergent Max Allison, du laboratoire du
crime de Seattle, déclara que ces rapports de piqûres étaient le fruit d’une
hystérie publique ! Et cette illusion collective cessa.
Le fait que les médias parlent de ces petits trous avait simplement poussé les
gens à prêter plus attention à leur pare-brise et à voir ce qui avait toujours été là
en réalité, et qu’ils n’avaient jamais remarqué !

Comment éviter le biais de con rmation ? Soyons d’abord conscients que


nous y sommes tous soumis d’une façon ou d’une autre. Sachez qu’il faut
vous mé er de vos «  sentiments  », pour mieux analyser et traiter une
information. Soyez attentif à la cohérence des informations qui vous sont
communiquées, ne considérez comme vraies que les hypothèses qui sont
passées à l’épreuve de vos investigations ! Faites en sorte de suspendre votre
jugement le temps d’étudier le sujet sous tous les angles et d’examiner toutes
les options possibles. Écoutez et acceptez les remarques qui vous contrarient.
Ne lisez pas toujours le même journal, et ne parlez pas qu’avec cet ami
toujours d’accord avec vous.

Attention à l’effet réverbère : vous connaissez cette histoire drôle du policier qui
voit un homme ivre chercher son portefeuille sous un lampadaire et qui lui
demande : « C’est là que vous l’avez perdu ? », et l’ivrogne lui répond : « Non, je
l’ai perdu dans le parc, mais c’est là qu’il y a de la lumière ! » L’effet réverbère est
la tendance à chercher des choses là où il est plus facile de chercher. Quand
nous cherchons la réponse à une question, approfondissons toujours nos
recherches, la bonne réponse n’est pas toujours là où se trouve «  la lumière  »,
comme des sites ou magazines populaires. Certaines données ou analyses sont
plus difficiles à trouver.
L’EFFET BOOMERANG

On parle d’effet boomerang quand une tentative de persuasion a l’effet


inverse de celui attendu : elle renforce les attitudes de la cible plutôt qu’elle
ne les modi e. Ce phénomène est notamment employé en science politique,
par exemple dans les analyses des élections, et se constate lorsqu’il y a une
remobilisation d’électeurs pour un candidat au moment où ils voient des
sondages défavorables à sa cause, les poussant à soutenir le perdant annoncé,
par sympathie ou par pitié.
On note que la « tactique de la psychologie inversée » est une exploitation
délibérée d’un effet boomerang anticipé : c’est l’affirmation d’une croyance ou
d’un comportement opposé à celui souhaité, dans l’espoir que cette approche
encouragera le sujet de la persuasion à faire ce qui est réellement souhaité.
Vous voulez qu’une personne (connue pour avoir un esprit de
contradiction) fasse quelque chose ? Demandez-lui de ne pas le faire. C’est
ce qu’on appelle la réactance  : en psychologie, c’est l’envie ou le besoin
impérieux de faire le contraire de ce qu’on nous demande et qui est vu
comme une restriction de nos choix. Les humains préfèrent être libres de
choisir ce qu’ils aiment, et lorsque cette liberté leur est enlevée par une
demande précise ou un ordre, ils sont motivés pour la restaurer quitte à faire
l’inverse, pour avoir le sentiment qu’ils ont nalement fait ce qu’ils voulaient.
Un exemple courant de telles techniques ou astuces marketing est «  ne
cliquez pas sur ce lien  » ou «  n’appuyez pas sur ce bouton  »  ! Certaines
personnes accordent plus de valeur à des choses ou à des personnes si ces
choses ou ces personnes ne leur sont pas disponibles ou « font semblant de
ne pas être disponibles  »  ! Feindre de ne pas s’intéresser à quelqu’un peut
pousser la personne que l’on désire secrètement à tout faire pour avoir notre
attention.
Un exemple populaire de psychologie inversée dans les médias est la sortie
en 1975 de la chanson à succès du groupe Queen, Bohemian Rhapsody. À sa
sortie, on prévint le groupe que la chanson était trop longue pour être
diffusée à la radio (5 minutes 55 secondes). Pour remédier à cela, le groupe
eut l’idée de donner la chanson au présentateur radio Kenny Everett de la
radio anglaise Capital Radio et lui a fait promettre de ne pas la jouer ! Kenny
Everett n’a bien sûr pas pu résister à l’envie de désobéir à cette demande, et a
fait jouer la chanson à la radio  : le plan du groupe a fonctionné puisque
Bohemian Rhapsody devint le numéro  1 du classement des singles
britanniques pendant 9 semaines !
« Certains humains feraient n’importe quoi juste pour voir s’il est possible de
le faire. Si vous placiez un gros bouton dans une grotte quelque part avec un
panneau “FIN DU MONDE – VEUILLEZ NE PAS TOUCHER”, la peinture
n’aurait même pas le temps de sécher. »
– Terry Pratchett

Ces tactiques peuvent fonctionner sur une personne qui est résistante par
nature, qui a une forte réactance, et qui fera automatiquement l’inverse de ce
qu’on lui demande, mais le professeur  de psychologie John Gottman1
déconseille d’utiliser la psychologie inversée à outrance sur les adolescents et
les enfants (« Reste dans le salon ! » alors qu’on veut qu’il aille dehors, « Met
tes baskets  !  » alors qu’on veut qu’elle mette ses chaussures de ville),
expliquant que «  de telles stratégies sont déroutantes, manipulatrices,
malhonnêtes et fonctionnent rarement à long terme ».

1. John Gottman, Le cœur de la parentalité,Londres 1997, p. 21, p. 179 et p. 212.


L’EFFET DE COMPENSATION MORALE

Vous venez de faire une longue séance de sport très éprouvante ? Et vous
vous dites que vous méritez bien un bon burger gras ou une boisson
gazeuse  ? Vous êtes sous l’effet du biais de compensation morale (appelé
aussi hypocrisie morale).
C’est ce qui se produit quand une personne qui a fait quelque chose de
bien s’autorise et s’inquiète moins par la suite des conséquences d’un
comportement immoral.
Une étude du comportement des consommateurs a montré que la
consommation d’un aliment sain augmente la probabilité qu’un individu
s’autorisera un dessert trop gras et trop sucré, dont il se serait abstenu s’il
n’avait pas initialement choisi l’aliment sain.

L’effet SnackWell (du nom de biscuits américains sans gras) est un phénomène
par lequel les personnes au régime mangent plus de biscuits à faible teneur en
calories, qu’elles ne le feraient autrement pour des biscuits normaux !

Une autre étude1 de 2011 très intéressante, faite par des chercheurs de
Taïwan, montra que les personnes qui prennent des pilules multivitaminées
et qui sont persuadées d’en tirer des avantages pour la santé, sont plus
susceptibles de se livrer ultérieurement à des activités malsaines. Par
exemple, on donna à deux groupes de sujets des pilules placebo, mais l’un
fut averti que c’était un placebo, et l’autre fut informé que c’était des pilules
multivitaminiques. L’étude montra que les participants qui pensaient avoir
reçu des multivitamines étaient prédisposés à fumer plus de cigarettes et
plus susceptibles de croire qu’ils étaient davantage protégés des blessures et
des maladies par rapport aux sujets qui savaient qu’ils recevaient un placebo.
Les participants qui croyaient avoir reçu des multivitamines étaient
également moins susceptibles de faire de l’exercice et de choisir des aliments
plus sains. Les compléments alimentaires sont perçus comme conférant des
avantages pour la santé, leur utilisation peut créer un sentiment illusoire
d’invulnérabilité qui désinhibe les comportements malsains (on retrouve ici
d’autres biais comme le biais de compensation du risque et le biais d’excès
de confiance).
Une étude2 dirigée par Jessica Cascio et E. Ashby Plant en 2016 a montré
que cela fonctionne aussi par anticipation  ! L’idée même d’adopter un
comportement moral à l’avenir permet aux gens de justi er un
comportement immoral dès à présent. Il s’agit en quelque sorte d’adopter un
comportement moral par « anticipation ».
Cet effet peut avoir des conséquences sociétales négatives car il a un effet
permissif sur des comportements tels que les préjugés raciaux et la
discrimination (je suis sympa avec mon cousin trisomique donc je peux me
moquer des handicapés), l’égoïsme (j’ai rendu service à la voisine hier, donc
ce week-end je ne vais pas aider mon pote à déménager), les mauvaises
habitudes alimentaires et sanitaires (j’ai fait attention pendant 2  ans à la
Covid, maintenant je vais arrêter de me laver les mains) et la consommation
excessive d’énergie (j’ai changé mon chauffe-eau pour un plus économique
donc je prends des douches plus longues).
L’économiste de l’énergie Lucas Davis a publié une étude3 très instructive
montrant qu’après avoir acheté des lave-linge censés être plus économiques,
les consommateurs ont ironiquement augmenté le lavage de leurs vêtements
de près de 6  %  ! De même, les gens laissent les ampoules économiques
allumées plus longtemps que les ampoules conventionnelles, et de
nombreuses personnes qui rendent leur maison « plus économe en énergie »
en les isolant mieux par exemple, augmentent leur chauffage et ne font
nalement aucune économie énergétique.

1. W. B. Chiou, C. C. Yang, C. S. Wan, Wan, CS, « Effets ironiques de la supplémentation alimentaire :


l’invulnérabilité illusoire créée par la prise de compléments alimentaires autorise les comportements à
risque pour la santé », 2011.
2. Jessica Cascio, E. Ashby Plant, “Prospective moral licensing: Does anticipating doing good later allow
you to be bad now?”, Journal of Experimental Social Psychology, Volume  56, 2015, pages  110-116,
January 2015.
3. Lucas W. Davis, « Biens durables et demande résidentielle d’énergie et d’eau : preuves d’un essai sur
le terrain », 2008.
L’EFFET LADY MACBETH

Nommé ainsi d’après le personnage de Lady Macbeth, dans la pièce de


Shakespeare, Macbeth, qui imaginait des taches de sang sur ses mains après
avoir commis un meurtre, cet effet supposé pousserait les personnes à
vouloir se nettoyer le corps après avoir éprouvé un sentiment de honte. Dans
des expériences1 réalisées en 2006, on demanda à des sujets de se
remémorer des bonnes et des mauvaises actions passées qu’ils avaient pu
commettre. Puis, on leur demanda de compléter les mots (anglais) où il
manquait des lettres :
W_ _H SH_ _ER S_ _ P
Les sujets qui devaient se rappeler de mauvaises actions ont été plus
enclins à remplir les blancs pour former les mots :
WASH (laver) SHOWER (douche) SOAP (savon)
Plutôt que de les remplir pour former :
WISH (souhait) SHAKER (mixeur) STOP (arrêter)

1. Chen-Bo Zhong, Katie Liljenquist, « Laver vos péchés : moralité menacée et nettoyage physique »,
2006.
LE BIAIS PRO-INNOVATION

Roger Smith, alors président de General Motors, déclara en 1986  : «  Au


tournant du siècle, nous vivrons dans une société sans papier ! »
En 2022, il y a toujours du papier autour de nous. Cet exemple met en
avant le biais pro-innovation : penser qu’une innovation doit et va se diffuser
rapidement, et doit être acceptée par tous, n’y voyant que des avantages et
occultant ses défauts. C’est ce qui se passe très souvent à la Silicon Valley
(pôle des industries de pointe situé dans la partie sud de la région de la baie
de San Francisco) où les entrepreneurs pensent régulièrement avoir trouvé la
technologie ultime qui va révolutionner le monde.
Dans les années 1950, un immense sentiment d’optimisme vit le jour avec
le nucléaire. On pensait que tout dans l’avenir utiliserait une source d’énergie
nucléaire quelconque, de manière positive et productive, depuis l’irradiation
des aliments pour les conserver jusqu’au développement de la médecine
nucléaire. Que « ce progrès technologique serait aussi important que celui de
l’âge de bronze, de l’âge de fer et de la révolution industrielle en apportant
une ère de paix et de prospérité  », et que le nucléaire résoudrait tous les
problèmes en «  fournissant l’énergie nécessaire pour dessaler l’eau pour les
assoiffés, irriguer les déserts pour les affamés et alimenter les voyages
interstellaires au plus profond de l’espace. »1

Proche de ce biais, on trouve «  l’appel à la nouveauté  »  ! Le journaliste et


animateur Jérôme Bonaldi, spécialisé dans la vulgarisation scientifique, avait
l’habitude de présenter des nouveautés avec cette phrase  : «  C’est totalement
inutile et donc rigoureusement indispensable  !  » Lorsqu’un produit est
«  nouveau  », et les annonceurs publicitaires savent y faire pour vanter la
nouveauté de leur produit comme si le simple fait d’être nouveau était une raison
d’achat, nous avons tendance à croire que l’idée, le produit, ou le concept est
correct et supérieur à tout ce qui s’est fait avant. Peut-être que dans certains cas
c’est vrai, mais le biais d’appel à la nouveauté nous fait tirer cette conclusion
sans en avoir eu la preuve.

Ce biais repose sur notre inconscient qui nous dit par exemple que si une
entreprise sort un nouveau produit, elle l’aura forcément amélioré par rapport à
ceux qu’elle a créé auparavant. Que le simple fait d’avancer dans le temps rend
toute fabrication meilleure et naturellement supérieure aux inventions
précédentes grâce à l’expérience acquise et aux leçons tirées. Or, ce
raisonnement est défectueux pour plusieurs raisons : un produit peut être lancé
et être « moins bien » que son prédécesseur, par exemple parce qu’il a été fait
cette fois-ci de façon plus simple pour limiter les coûts de fabrication, ou avoir été
réglé avec une obsolescence programmée*, ou encore un produit peut
simplement être une ancienne idée recyclée, comme pour toutes les modes, on
croit découvrir des choses qui font en réalité partie d’un phénomène cyclique.
*Technique par laquelle le responsable de la mise sur le marché d’un produit vise à en réduire
délibérément la durée de vie.

1. Benjamin K. Sovacool, « Contester l’avenir de l’énergie nucléaire : Une évaluation mondiale critique
de l’énergie atomique » , World Scientific, p. 259, 2011.
LE BIAIS MNÉSIQUE ASSOCIÉ À L’HUMEUR (OU
CONGRUENT À L’HUMEUR)

C’est la tendance à se souvenir plus facilement des évènements qui ont une
congruence (qui coïncident) avec son humeur actuelle. Par exemple, si un
jour férié vous vous sentez heureux et détendu, cette ambiance à elle seule
peut évoquer d’autres souvenirs de vacances, de moments de plaisir, de
retrouvailles en famille, etc. L’humeur du moment optimise la mémoire et
lui fait récupérer plus facilement des informations associées à la même
émotion. Plusieurs études ont montré que les gens récupèrent mieux les
souvenirs autobiographiques anciens et récents qui correspondent à leur
humeur dominante du moment.
Si vous êtes de bonne humeur et qu’un ami évoque un souvenir heureux
qu’il a partagé avec vous, vous serez plus susceptible de vous rappeler plus de
détails de ce souvenir heureux parce que vous êtes d’humeur similaire au
moment où il vous en parle. Par contre, si l’ami évoque ce souvenir heureux
lorsque vous vous sentez triste, votre mémoire est susceptible d’être plus
oue, ou vous pourriez plutôt vous souvenir d’une chose triste qui s’est
produite quelque temps avant ou après le souvenir dont vous parle votre
ami.
Le biais mnésique associé à l’humeur pourrait plonger une personne dans
une spirale de désespoir. Puisque notre humeur affecte les souvenirs et les
évènements passés auxquels nous pensons, on comprend pourquoi les
personnes déprimées semblent bloquées sur des souvenirs et des choses
négatives. Un jour elles vivent une chose triste, puis leur humeur les fait
penser à une autre chose triste qui avait suscité en eux le même sentiment,
puis, comme sur un terrain glissant, un petit caillou en emporte un autre,
puis ils en emportent d’autres, et c’est une avalanche qui s’est nalement
formée, une dépression. Cependant, les personnes tristes peuvent échapper
au cercle vicieux consistant à se concentrer sur des informations négatives et
à s’en souvenir en utilisant délibérément ce biais  : on se concentre sur des
souvenirs positifs pour qu’ils entraînent avec eux l’humeur positive qui va
avec !
Les êtres humains sont des créatures incroyablement émotionnelles. La
recherche montre que nous sommes plus susceptibles de nous souvenir de
quelque chose s’il y a une forte émotion qui s’y rattache, et bizarrement, nous
accordons plus d’attention aux stimuli négatifs – il semble que ce soit dû à
l’instinct de survie  : c’est parce que vous aviez plus de chances de vivre si
vous prêtiez attention à un lion (stimulus négatif) qu’à un fruit (stimulus
positif1). Notre cerveau peut coder un souvenir important avec une émotion
a n de pouvoir le retrouver plus facilement plus tard, et plus l’émotion est
forte, plus le souvenir sera fort. C’est pourquoi certains souvenirs peuvent
sembler aussi réels que s’ils s’étaient produits la veille.

1. https://practicalpie.com/mood-congruent-memory-de nition-examples/
LE BIAIS ÉGOCENTRIQUE

C’est, par exemple, avoir l’impression que notre contribution à un projet


réalisé en groupe est plus importante et a été plus déterminante pour la
réussite du projet que celle des autres membres du groupe.
Dans un groupe, les individus qui le composent se considèrent souvent
comme ayant attiré davantage l’attention des autres membres du groupe, ou
comme ayant plus d’impact sur les opinions des autres, ou encore comme
faisant l’objet de plus de commentaires des autres, bien plus que ce n’est
réellement le cas. En fait, chaque personne faisant partie d’un groupe
quelconque pourrait se considérer comme le centre du groupe. Mais la dure
vérité c’est que… vous n’êtes pas le centre de l’univers !
Ce biais est soutenu par notre mémoire qui, lors d’un travail de groupe, a
pu mémoriser beaucoup d’informations sur ce que nous, nous avons fait lors
de l’action commune, mais qui dispose de moins d’informations sur ce que
les autres ont réellement fait, ce qui biaise notre jugement et nous donne
l’impression qu’on en a fait plus.
Nos souvenirs sont donc stockés dans notre cerveau de façon
égocentrique. Ce ré exe semble faciliter la mémorisation car en ampli ant le
rôle de soi dans ses expériences, on les rendrait plus pertinentes et ainsi plus
faciles à mémoriser. En fait, cette fonction cognitive est une façon stable et
cohérente pour notre cerveau de ranger, organiser, cataloguer les souvenirs,
en les classant par rapport à soi, « le moi » étant la référence ultime de cette
bibliothèque mémorielle. C’est pour cela que les souvenirs de la petite
enfance sont difficiles à se remémorer, car à ces bas âges, notre sens de soi
est moins développé.
L’égocentrisme1 chez certains individus entraîne une vision déformée de la
réalité, et cette vision quelque peu biaisée est un trait pratiquement
universel, elle affecte la vie de chaque personne beaucoup plus
signi cativement qu’on ne le pense. Les humains vivent la vie au travers d’un
ltre égocentrique, et ils peuvent se remémorer le passé en le réécrivant
parfois comme s’il s’agissait d’un drame dont «  le moi  » était l’acteur
principal.
Poussé à l’extrême, le biais égocentrique sera symptôme important des
troubles mentaux : par exemple, une personne trop anxieuse qui entend une
sirène pensera : « Il est arrivé quelque chose à quelqu’un de ma famille. » Un
paranoïaque pensera, lui : « Cette sirène est pour moi ! Ils sont après moi ! »
Quand quelque chose n’ira pas autour d’elle, une personne déprimée
pensera  : «  C’est de ma faute  » (les personnes anxieuses ont tendance à se
considérer comme le centre de tous les évènements qui les entourent), alors
que si quelque chose se passe bien dans notre entourage, une personne
égocentrique arrivera à s’en attribuer le mérite.
« Il y a des gens tellement égocentriques que, fermant les yeux, ils croient
que le monde s’est éteint. »
– Grégoire Lacroix – Les euphorismes de Grégoire, 2007

En 1993, on mena une étude au Japon, où l’on demanda à des sujets


d’écrire des comportements qu’ils quali aient de justes ou d’injustes qu’eux
ou d’autres personnes avaient pu commettre. À chaque fois qu’ils parlaient
de comportements justes, ils commençaient le plus souvent par « Moi je… »
«  J’ai…  », et quand ils parlaient de comportements injustes, ils
commençaient souvent par «  Des gens ont…  » «  D’autres ont…  ». L’étude
accentua bien le fait que les humains ont tendance à s’attribuer les succès et
les comportements positifs, tout en faisant porter le poids des échecs et des
comportements négatifs aux autres (on retrouve ici les signes du biais de
complaisance). Le biais égocentrique attire les valeurs justes vers soi.
Dans une autre étude2 de 1983, lorsqu’on testa des sujets sur des situations
de travail où eux ou des collègues auraient été trop payés, et des situations
où eux ou les autres auraient été sous-payés, ils eurent tendance à estimer
que le sur-paiement les concernant était justi é par rapport à leur travail,
mais qu’il ne l’était pas pour les autres. En revanche, ils n’étaient pas d’accord
avec le sous-paiement les concernant mais l’étaient avec celui des collègues.
L’effet de faux consensus est lié au biais égocentrique et en est une facette  :
les gens croient que leurs pensées, leurs croyances, leurs actions et leurs
opinions sont beaucoup plus courantes qu’elles ne le sont en réalité dans la
population. Ils ont tendance à croire que ceux qui ont des opinions différentes
doivent faire partie d’une minorité et que la majorité est en fait d’accord avec
eux. Et s’ils rencontrent des personnes qui ne sont pas d’accord avec eux, ils
s’imaginent que ces dernières sont forcément défectueuses dans leur
raisonnement d’une manière ou d’une autre. Le problème de ce biais, c’est que
comme les gens sont enclins à croire que la population générale est d’accord
avec leurs opinions et leurs jugements, cela leur donne le sentiment de plus
d’assurance et de sécurité dans leurs décisions, qui peuvent être mauvaises.
L’effet de faux consensus ne doit pas être confondu avec le conformisme  : le
conformiste veut penser et faire comme les autres, et il le fait, le comportement
est réel. Celui qui est biaisé par un faux consensus croit qu’il pense et fait
comme les autres, même si ce n’est en réalité pas le cas.
Il est parfois drôle (ou pas) de constater que le biais de faux consensus a son
antagoniste ironique  : le biais de faux consensus conduit souvent les gens à
croire à tort que la majorité est d’accord avec eux (alors que la majorité, en fait,
est ouvertement en désaccord avec eux), et le biais d’ignorance pluraliste
conduit les gens à croire à tort qu’ils ne sont pas d’accord avec la majorité (alors
que la majorité, en fait, est secrètement d’accord avec eux) !
Notons que les individus qui ont le biais de faux consensus possèdent souvent
son biais jumeau qui est le biais de la fausse unicité : c’est la tendance à voir
leurs projets, leurs visions, leurs qualités… comme étant plus singuliers que ce
qu’ils sont en réalité. Ils s’imaginent que s’ils font du sport, ils font partie «  des
rares » à s’en donner la peine, et sous-estiment le nombre de personnes qui en
font aussi. S’ils travaillent beaucoup, ils pensent que rares sont ceux qui bossent
autant qu’eux. S’ils font quelque chose qui leur simplifie la vie, ils s’imaginent
être les seuls à avoir eu cette heureuse idée et à la mettre en œuvre, etc.
Très proche également de l’effet de faux consensus se trouve le biais de
projection, qui est la tendance à projeter nos propres croyances sur les autres.
Nous présumons que les autres pensent comme nous, et nous tirons ces
conclusions sans aucune validation. Par exemple, quelqu’un qui aime les chiens
pourrait supposer que tout le monde aime les chiens, ou une personne qui ment
pourrait conclure que tout le monde ment. Ce biais sert de mécanisme de
défense, cela permet aux gens de se sentir plus à l’aise dans leur peau parce
qu’ils pensent avoir des traits communs avec les autres. Autre exemple, si vous
constatez que vous n’aimez pas quelqu’un, vous pouvez décider qu’il ou elle ne
vous aime pas non plus en projetant votre sentiment sur elle. En décidant que
cette personne ne vous aime pas non plus, vous pouvez justifier votre décision
de ne pas l’aimer, préparant ainsi une prophétie auto-réalisatrice, car la plupart
des gens finissent par détester les personnes qui ne les aiment pas.

Une étude de 1991 portant sur des enfants frères et sœurs qui ont
l’habitude de participer aux tâches ménagères à la maison, a montré que plus
les frères et sœurs étaient proches les uns des autres, moins le biais
d’égocentrisme était présent chez eux. Par contre, lorsqu’ils sont moins
proches, ils ont plus tendance à surévaluer leur contribution au sein du foyer
par rapport à celle de leurs frères et sœurs.
Vous voulez motiver des personnes à participer à votre projet ? Prenez en
compte le biais égocentrique. Ne cherchez pas à toujours parler et être dans
la lumière des projecteurs. Poussez plutôt les autres à se mettre en valeur et à
contribuer à la réussite. Il est important de rappeler que toute réussite d’un
projet de groupe, ou son loupé, n’est jamais l’œuvre d’une seule personne. À
l’aire des visioconférences et des réunions Zoom, sachez que ce biais a
tendance à s’ampli er avec la collaboration à distance. Avec l’éloignement,
certaines personnes résisteront moins à la tentation de fanfaronner que si
vous étiez tous présents dans une même salle (même s’il se peut que pour le
coup, leur contribution soit vraiment passée inaperçue du fait de l’écart
physique et de l’invisibilité du travail dû au contexte de télétravail). À
l’inverse, les plus introvertis, risquent, eux, d’être encore plus effacés et
silencieux derrière leurs claviers et leurs écrans.
Que ce soit «  le biais égocentrique  » ou «  l’effet de faux consensus  », ils
peuvent être tous deux le fruit de cultures individualistes qui mettent
l’accent sur l’indépendance et l’accomplissement personnel plutôt que sur le
succès lié au groupe. Des études interculturelles ont trouvé une forte
présence du biais égocentrique dans les «  communautés individualistes  »
américaines, sud-africaines et yougoslaves, mais ont noté l’effet opposé dans
les «  sociétés collectivistes  » japonaises, népalaises ou indiennes. Les
personnes issues de ces cultures ont tendance à faire preuve de plus de
modestie, le succès est attribué à des facteurs externes ou liés au groupe, et
les échecs, par contre, sont considérés comme le résultat de lacunes
personnelles.
Même si nous avons naturellement tendance à voir le monde à travers une
lentille autodirigée, et que chacun de nous est la star de son propre long
métrage, n’oublions pas que cela affecte tous les aspects de notre vie et
pratiquement toutes les décisions que nous prenons. Alors n’attachez pas
trop d’importance à votre histoire individuelle, évaluez votre point de vue
par rapport à un ensemble plus large de preuves, et « ne croyez pas tout ce
que vous pensez » !

1.  L’égocentrisme est la tendance à ramener tout à soi, à ne considérer que son point de vue et ses
propres intérêts, sans être capable de comprendre profondément l’avis des autres.
2.  Jerald Greenberg, «  Surmonter le biais égocentriquedans l’équité perçue grâce à la conscience de
soi », 1983.
L’EFFET DE LEURRE

Imaginez-vous dans une boutique d’informatique. Vous voulez acheter


une tablette. Vous avez devant vous 2 modèles :
Tablette A – 400 € avec 30 go de stockage
Tablette B – 300 € avec 20 go de stockage
Laquelle choisissez-vous ?
Le choix ici se fera ici de façon assez binaire  : soit in uencé par le prix,
vous prendrez la B, soit en fonction du besoin de stockage, vous prendrez la
A.
Maintenant, si l’on ajoute une troisième tablette :
Tablette A – 400 € avec 30 go de stockage
Tablette B – 300 € avec 20 go de stockage
Tablette C – 450 € avec 25 go de stockage
Laquelle choisissez-vous ?
Ici, l’option C est en réalité un leurre, qui va orienter l’esprit et le choix des
gens vers l’option A, éliminant inconsciemment l’option B. Pourquoi ?
Lorsque l’on se trouve devant ce choix, on constate vite que l’option B est
partiellement meilleure que l’option C, seul le prix est mieux, mais lorsqu’on
compare l’option A à l’option C, on se rend compte qu’elle est meilleure en
tout point, le prix et le stockage  ! Le fait d’avoir inséré ce leurre, cette
troisième option volontairement «  asymétriquement dominée  »1, va faire
que le consommateur est plus facilement orienté vers l’option la plus
favorable pour le vendeur, la A.
Appelé aussi « effet de domination asymétrique », cette « option de leurre »
est donc ce qui se passe dans la tête d’un consommateur lorsque, alors qu’il
aurait fait un certain choix face à 2 options seules, il change généralement ce
choix lorsqu’on lui présente une troisième option.
1. On dit qu’une option est « asymétriquement dominée » lorsqu’elle est inférieure en tout point à une
deuxième option, mais, comparée avec une troisième option, elle est inférieure sur certains points, et
supérieure sur d’autres.
L’EFFET DE CHOIX PAR DÉFAUT

C’est ce qui se passe lorsqu’on nous demande de faire un choix  : on


emprunte habituellement la voie de la moindre résistance. Le fait d’offrir une
option par défaut augmente la probabilité qu’elle soit choisie. Lorsqu’il y a
beaucoup de choix à faire et que l’incidence d’un choix par rapport à un
autre est faible, il peut être plus facile de laisser quelqu’un d’autre ré échir
pour vous. Il est ainsi plus simple d’accomplir la tâche, car cela demande
moins d’effort intellectuel, et de passer à autre chose. Lorsqu’on installe un
logiciel sur notre ordinateur, on nous propose souvent une option
d’installation par défaut  : nous n’avons plus qu’à continuer le processus
d’installation de façon passive avec les fonctionnalités déjà choisies pour
nous. De même pour nos téléphones portables, rares sont les
consommateurs qui modi ent la con guration par défaut de leur téléphone.
Cet effet répond en grande partie à notre besoin naturel de suivre une
recommandation. On se dit que si ce choix est le choix par défaut, c’est qu’il
est le meilleur, sinon on ne nous l’aurait pas recommandé. Mais nous
sommes en réalité conditionnés, nous avons fait un choix sans ré échir.

La théorie du nudge (ou coup de pouce, en français) avance que des


suggestions indirectes peuvent, sans forcer, influencer les gens à faire certains
choix, sans avoir à leur demander.
Par exemple, faire la morale sur des écriteaux dans les W.-C. publics pour qu’on
n’urine pas à côté n’est pas efficace. Par contre, coller des fausses mouches
dans les urinoirs, oui ! À Amsterdam, cette idée permit 80 % d’économie sur le
coût du nettoyage des W.-C. hommes, car ces derniers visaient instinctivement
la mouche.
La SNCF, elle, mit en place dans certaines gares des cheminements originaux
rappelant une piste d’athlétisme ou des empreintes de pas pour fluidifier les
déplacements. En inscrivant un message motivant sur un escalier, la SYTRAL
rendit plus agréable les déplacements dans le métro de Lyon  : la fréquentation
de celui-ci s’est accrue de 350 % la première semaine.
En 2009, la ville de Stockholm, pour inciter elle aussi la population à utiliser les
escaliers dans le métro plutôt que les escalators, a mis en place des escaliers
musicaux !

Comme cet effet est largement utilisé dans le commerce, il faut être
conscient que le choix par défaut proposé ne sera pas forcément celui qui
vous conviendra le mieux. Alors prenez toujours quelques minutes pour
bien comprendre les options proposées et choisir celles qui vous
conviennent.
Les scienti ques ont étudié un aspect intéressant de l’effet de choix par
défaut  : ils ont réalisé des études sur la question du don d’organe et ont
découvert qu’il y a moins de donneurs dans les pays où le consentement
« n’est pas par défaut ». En effet, en France, si vous n’exprimez pas le fait que
vous ne voulez pas donner vos organes, vous êtes « donneur par défaut ». À
l’inverse, si on vous demande de choisir de façon active, vous allez davantage
ré échir à la question et peut être devenir plus impliqué émotionnellement,
dire plus facilement non, etc.
A n de faire manger moins de viande au consommateur, des restaurants
mettent sur leur carte des plats végétariens par défaut. Une étude de 2019 a
montré qu’en rendant la viande « optionnelle » sur un menu de restaurant,
non seulement on stimulait le choix de plats végétariens chez les
consommateurs, mais, en plus, on en normalisait l’existence, et cela pouvait
même inciter les gens à évoluer vers un régime exitarien !
LE BIAIS DE COHÉRENCE

– Aimez-vous les animaux ?


– Est-ce important pour vous qu’ils puissent grandir et s’épanouir en
sécurité ?
– Aimeriez-vous les voir mieux traités ?
Vous répondriez sûrement « oui » à ces 3 questions, n’est-ce pas ?
Maintenant, si en guise de quatrième question, le représentant qui est
devant vous et qui vient de vous faire dire trois «  oui  » à la suite, vous
demande «  Pourriez-vous faire une petite donation pour notre association
qui lutte contre la violence faite aux animaux  ?  », qu’allez-vous répondre  ?
Difficile maintenant de sortir un « non », n’est-ce pas ?
Pourquoi  ? À cause de l’effet de cohérence  ! La «  technique des 3 oui  »,
illustrée juste au-dessus, conditionne notre cerveau et nous met devant un
dilemme  : est-ce qu’on va acquiescer à la quatrième question pour garder
« une cohérence » avec les valeurs que l’on vient de montrer et d’accentuer ? !
L’être humain met en général un point d’honneur à être cohérent. Il aime
prendre des décisions qui sont en accord avec ses valeurs, même si elles vont
parfois à l’encontre de la logique… Il est vrai que la cohérence est très
importante dans la vie, elle nous évite de détruire ce qu’on construit, nous
aide à avoir une certaine constance dans nos objectifs et de ne pas tout
plaquer rapidement, garder une ligne directive que l’on s’est xée dans la vie,
etc. Mais c’est aussi ce qui peut nous maintenir dans certaines limites, nous
empêcher de prendre une décision délicate, ou nous forcer la main !
On peut s’être engagé publiquement pour un idéal, une personne, un
projet, ou tout autre chose qui s’avère être néfaste pour nous, mais le biais de
cohérence va nous pousser à conserver notre engagement pour continuer de
donner une image cohérente de nous. Après un achat qui de toute évidence
se révèle être un mauvais choix, on peut se convaincre qu’il était justi é et
qu’il est très bien, uniquement pour rester cohérent.

Ici précisément intervient le biais de rationalisation (également appelé


rationalisation post-achat), qui nous pousse à nous persuader grâce à des
arguments «  soi-disant  » rationnels, que les décisions qui nous ont poussés à
faire certains achats sont bonnes, et cela dans le seul but de se rassurer. On
aura tendance à surévaluer le produit qu’on vient d’acquérir et la satisfaction qu’il
nous apporte. Cette surévaluation aura d’ailleurs tendance à être d’autant plus
forte que la qualité du produit (ou du service qu’on a payé) est basse : en effet,
juger durement le produit reviendrait à reconnaître plus ou moins explicitement
qu’on a commis une erreur… (dissonance cognitive bonjour !) Et ça, on n’aime
pas ! Donc, « Non, non, le produit que j’ai acheté est super ! » Une fois qu’une
décision est prise, nous avons tendance à en louer les mérites et à rabaisser les
autres options qu’on aurait pu prendre.

Pour sortir de ce biais de cohérence, de ce désir quasi obsessionnel d’être et


de paraître cohérent dans notre comportement, il nous faudra être assertif,
reconnaître les faits tels qu’ils sont vraiment, et rester humble.
Le biais de cohérence peut nous tromper en nous faisant penser que nos
attitudes passées et présentes sont les mêmes. C’est-à-dire que l’on a
tendance à croire que nos comportements et nos croyances ont moins
changé au l des années qu’ils ne l’ont réellement fait, que nous avons été
cohérent toute notre vie. Or, nous évoluons et changeons plus qu’on ne
l’imagine. Si l’on devait écrire notre autobiographie, il y a de fortes chances
que le biais de cohérence nous empêcherait de nous voir tel que nous étions
vraiment il y a 10 ou 20 ans.

QUELLE HEURE EST-IL ?


Une technique de manipulation appelée «  Le pied-dans-la-porte  », ou encore
«  Le-doigt-dans-l’engrenage  », consiste à commencer par faire une demande
simple, qui a beaucoup de chance d’être acceptée, puis de la faire suivre par
une demande un peu plus coûteuse. Cette seconde demande aura alors un peu
plus de chances d’être acceptée, créant un phénomène d’engagement. Par
exemple, un mendiant qui commence par demander l’heure à un passant a 4 fois
plus de chance d’obtenir une pièce que celui qui ne demande rien ! C’est ce que
montre une étude menée par Mary B. Harris.
L’EFFET DE DÉNOMINATION
(OU L’EFFET DU BILLET DE BANQUE)

Est-ce qu’il vous déjà arrivé de vous abstenir d’acheter une chose
uniquement parce que vous n’aviez que des billets et pas de monnaie ?
Les professeurs Priya Raghubir et Joydeep Srivastav mirent en évidence ce
phénomène dans un article de 2009 intitulé : « Pourquoi nous dépensons des
pièces plus rapidement que des billets ». Ils montrèrent grâce à 3 études que
posséder une même somme d’argent en billets ou en pièces a une in uence
sur nos dépenses. Les groupes de sujets étudiés dépensaient plus facilement
leur argent lorsqu’il était sous forme de pièces, mais aussi lorsque les billets
étaient de faible valeur (2  dollars, 5  dollars) plutôt que haute (50  dollars,
100  dollars). Le même montant en petites coupure sera plus facilement
dépensé qu’en un billet unique. On aura plus de mal à «  casser  » un gros
billet car on sait qu’on pourra plus difficilement s’empêcher de dépenser la
monnaie ensuite. Joydeep Srivastava, professeur de marketing à la Robert H.
Smith School of Business, de l’Université du Maryland, explique « qu’il y a
un coût psychologique associé à la dépense d’un billet de 100 $ qui n’existe
pas avec des dépenses plus petites comme 5 billets de 20  $.  » Nous avons
tendance à isoler l’argent dans nos esprits. Chaque 20 $ est vu comme une
entité distincte, et moins précieuse que le seul billet de 100 $.
Dans les fêtes foraines par exemple, nous sommes plus enclins à engouffrer
beaucoup d’argent dans des machines à jeux si nous mettons des petites
pièces au fur et à mesure, que si nous devions insérer un billet dans la
machine. D’après les chercheurs, utiliser des pièces nous donne l’illusion que
notre action est plus économe. Mais bien souvent, la dépense est nalement
la même.
LE SAVIEZ-VOUS ?
Il est démontré par la recherche* (mais on s’en était rendu compte
naturellement), que l’on dépense plus facilement de l’argent lorsqu’il est
dématérialisé, par exemple sous forme de carte de crédit ou de chèques-
cadeaux. Cependant, lorsque nous échangeons nous-même des billets en
chèques-cadeaux, on dépensera moins facilement ces derniers.
*Priya Raghubir, Joydeep Srivastava, “Monopoly Money: The Effect of Payment Coupling and Form on
Spending Behavior”, Journal of Experimental Psychology, 2008.
L’EFFET DE CONTRASTE

En 1970, les psychologues Stan Morse et Kenneth J. Gergen menèrent


l’expérience suivante :
Une personne ayant répondu à une annonce pour un entretien d’embauche
se voit présenter un questionnaire. Ce questionnaire est construit de façon à
mesurer l’estime de soi. À mesure que la personne remplit le questionnaire,
un autre candidat à l’embauche arrive et se place en face d’elle. Cette
personne est complice des expérimentateurs psychologues, et elle est
volontairement mal habillée, mal rasée, sale et négligée.
L’expérience est reproduite avec un nouveau candidat à l’embauche, mais ce
coup-ci, lorsqu’il est à peu près à la moitié de son questionnaire, une
personne (toujours complice) entre et se place en face de lui. Cette nouvelle
personne est élégante, propre et sûre d’elle.
Lorsque les psychologues ont analysé les questionnaires, ils ont pu
constater qu’à partir du moment où les complices étaient là, la façon de
remplir le questionnaire pour les sujets expérimentés changeait  ! En
présence d’une personne perçue comme peu désirable, l’estime de soi des
sujets augmentait alors que, en présence d’une personne perçue comme
désirable, elle diminuait. Pourquoi ? À cause de l’effet de contraste !
 
L’effet de contraste est un biais de jugement qui in uence notre perception
d’une information à cause de la perception d’une information de nature
opposée qui a eu lieu avant ou en même temps. Cet effet in ue sur notre
perception, mais aussi sur notre cognition (on l’a vu dans l’exemple du
postulant à une offre d’emploi).
 
Voici un exemple saisissant d’effet de contraste sur notre perception :
Cette « illusion d’ombre en damier » est une illusion d’optique publiée par
Edward H. Adelson, professeur de sciences de la vision au MIT en 1995, qui
met notre sens du contraste à rude épreuve ! En effet, que vous le croyiez ou
pas, la zone du damier étiquetée A est exactement de la même couleur que la
zone étiquetée B ! Vous trouverez la preuve rapidement en tapant : « Illusion
d’ombre de damier » sur Google.

EXPÉRIENCE
Remplissez un bol d’eau chaude, un autre d’eau froide, et enfin un troisième
d’eau tiède que vous placez au milieu des deux autres. Plongez la main gauche
dans l’eau froide, la droite dans l’eau chaude, patientez quelques secondes, puis
plongez les deux mains dans le troisième bol d’eau tiède au milieu. Étonnant  :
l’eau paraît plus chaude pour la main gauche et plus froide pour la main droite,
alors que la température de l’eau est la même ! Eh bien, il se passe à peu près la
même chose dans notre esprit avec les mots, les idées et les faits d’actualité !

L’effet de contraste se manifestera dans différents aspects de la vie :


1
. Dans les loteries, le contraste entre la possibilité de gagner un gros gain
et la petite somme que l’on demande pour acheter un ticket pousse les
joueurs à participer.
2
. Une personne au milieu d’autres personnes très belles paraîtra, par effet
de contraste, moins attirante que si elle était au milieu de personnes
laides. Les contrastes de physique se voient beaucoup chez les
personnages principaux des lms, des séries ou des publicités, qui sont
rendus plus attirants physiquement que leurs compagnons ou leurs
adversaires.
3
. Avoir dans son entourage une personne qui est meilleure que nous et
une autre personne un peu moins bonne que nous permettra, par un
effet de contraste, de faire percevoir nos qualités soit maximisées soit
minimisées. Par la fréquentation de ces personnes, nous allons rehausser
notre estime de soi ou nous xer de nouveaux objectifs.
4
. Un vendeur qui, au moment où vous êtes décidé à acheter un article
assez cher, vous propose un produit qui représente 10 % du prix, sait que
par effet de contraste, vous serez plus enclin à accepter d’acheter un
accessoire en plus.
5
. Un évaluateur aura tendance à mieux noter la même personne si elle
passe après un mauvais candidat qu’après un très bon candidat.
6
. Si on présente à un groupe une personne qui vole régulièrement des
billets dans la caisse de la boutique où elle travaille, on la jugera comme
une voleuse odieuse. Si on présente ensuite au même groupe un gangster
qui a volé dans une banque toutes les économies de la ville, la voleuse de
caisse paraîtra moins odieuse, même si les deux sont des voleurs.
7
. Si vous demandez à un ami de venir garder vos enfants durant « tout le
week-end », il va sûrement vous dire non ! Mais si, après son refus, vous
lui proposez de venir uniquement le vendredi soir, l’effet de contraste
accentuera les chances qu’il accepte (ce qui était en réalité le véritable
objectif de votre requête, petit malin) !
LA BOURSE OU LES COOKIES !
La jeune américaine Markita Andrews devint célèbre en 1980, en utilisant une
technique de vente par effet de contraste : alors qu’elle était scoute, elle faisait
du porte à porte pour vendre des boîtes de cookies. Arborant son plus grand
sourire, elle arpenta son immeuble de 3  900 logements avec ses boîtes de
biscuits. Avec un grand sens de l’humour, Markita demandait en tout premier  :
« Aimeriez-vous faire un don de 30 000 $ aux Girl Scouts ? » Lorsque les gens
répondaient par la négative, elle demandait alors  : «  Eh bien, pourriez-vous au
moins acheter une boîte de biscuits  ?  » Elle devint la meilleure vendeuse de
biscuits en battant le record de vente et en faisant un énorme chiffre d’affaires !

Ce biais cognitif est extrêmement difficile à surmonter, car il est


naturellement ancré dans le cerveau et dans la façon dont nous pensons et
percevons le monde qui nous entoure.
LE BIAIS DE GAIN DE TEMPS

C’est limité à 80 km/h, mais comme vous êtes en retard, vous accélérez à
90  km/h. Vous vous dites que vous allez gagner du temps. Oui… une
poignée de secondes à peine !
Le biais de gain de temps nous fait surestimer le temps gagné en
augmentant la vitesse à partir d’une vitesse déjà élevée, et a contrario, il nous
fait sous-estimer le temps gagné en augmentant la vitesse à partir d’une
vitesse faible. Par exemple, on gagne plus de temps en passant de 30 km/h à
40 km/h, qu’en passant de 80 km/h à 90 km/h, mais notre cerveau conçoit
mal cela et conclut que l’on gagne beaucoup de temps dans les deux cas.
Une incapacité cognitive à comprendre les effets qu’une accélération ou un
ralentissement ponctuel aura par opposition à un déplacement à une vitesse
constante provoquera le biais de gain de temps. La recherche a montré que
lorsque les gens voyagent à une vitesse constante entre un point de départ et
un point d’arrivée, ils font généralement à peu près le même temps de trajet
que les gens qui accélèrent et ralentissent constamment.
La physique nous le démontre  : lorsque vous passez de 30 à 40  km/h, le
temps nécessaire pour parcourir 16 km passe de 30 à 20 minutes, ce qui vous
fait gagner 10 minutes. Mais, la même augmentation de vitesse de 10 km/h
se traduirait par un gain de temps bien moindre si la vitesse initiale est plus
élevée : seulement 2 minutes gagnées lors d’une augmentation de 80 km/h à
90  km/h  ! Et ces 2 minutes pourraient en plus facilement être perdues à
cause des feux de circulation ou des embouteillages.

ÇA IRA 10 FOIS PLUS VITE ! NON ?


Le biais de gain de temps ne se limite pas à la conduite. Les mêmes estimations
erronées apparaissent dans différent domaines d’estimation. Par exemple, une
étude* a montré que l’effet se produit aussi lorsqu’on demande aux gens
d’estimer les économies de temps d’attente des patients lors de l’ajout de
médecins à un centre de soins de santé, ou lors de l’estimation d’une
augmentation de la productivité d’une chaîne de fabrication en ajoutant plus de
travailleurs.
*Ola Svenson, “Biased decisions concerning productivity increase options”, Journal of Economic
Psychology, Volume  32, Issue 3, 2011, pages  440-445.
https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0167487011000365
L’EFFET DU CHEMIN FAMILIER

C’est un biais qui se manifeste avec une sous-estimation par les voyageurs
de la durée nécessaire pour parcourir les itinéraires qu’ils fréquentent le plus
et une surestimation du temps nécessaire pour emprunter les itinéraires
inconnus. On aura l’impression que le trajet que l’on prend tous les jours
pour aller au travail est plus court et rapide que ce nouvel itinéraire que l’on
connaît moins, alors qu’ils ont tous deux la même durée. Le second a
simplement demandé plus de concentration et d’attention, ce qui nous
donne l’impression qu’il a duré plus longtemps.
L’ANTHROPOMORPHISME
(OU LA PERSONNIFICATION)

« La télé ne veut pas s’allumer ! »


« La voiture ne veut pas démarrer ! »
Qui n’a pas déjà prononcé ces phrases ! Le fait d’attribuer une volonté à sa
voiture ou à sa télévision est un aspect du biais d’anthropomorphisme. C’est
le fait d’attribuer des caractéristiques humaines à des entités comme les
animaux, les plantes, les phénomènes de la nature (les 4 saisons, les
ouragans, les orages…), à des concepts abstraits comme des nations ou des
émotions, ou encore à des objets.
L’anthropomorphisme1 est largement utilisé dans les bandes-dessinées, les
dessins animés, le cinéma (Disney, Pixar…), ou encore les romans et les
fables, comme les fameuses Fables de Jean de la Fontaine, où l’auteur utilise
les animaux pour parler des humains, ce qui lui permet d’associer facilement
des traits caractéristiques et des traits psychologiques humains à ces derniers
qu’il personni e : le renard est fourbe, la souris modeste, le lion courageux,
le rat opportuniste, le chat snob, etc.
 
Bien qu’il soit incontestable que les animaux ont des émotions et leur
caractère propre, l’anthropomorphisme se manifeste lorsque nous croyons
par exemple que notre chien «  sourit  » alors qu’il remonte simplement ses
babines2.
Les enfants semblent anthropomorphiser ce qui les entoure dès leur plus
jeune âge et utiliser ce biais plus fréquemment que les adultes. Par exemple,
vous avez remarqué qu’ils ont tendance à décrire un orage comme étant « en
colère » ou encore qu’ils dessinent des eurs avec des visages. Ce penchant
pour l’anthropomorphisme est sûrement dû au fait que les enfants
acquièrent plus rapidement une grande expérience d’interactions humaine,
mais pas autant avec des entités non humaines du monde qui les entoure, ce
qui leur fait attribuer les caractéristiques des humains aux choses non encore
pleinement compréhensibles.

LE SAVIEZ-VOUS ?
Des études ont montré que les individus qui attribuent des caractéristiques
humaines aux animaux sont moins enclins à les manger.

L’anthropomorphisme peut affecter le comportement des consommateurs


pour l’achat de produits : une étude3 de 2007 a montré que lorsque le design
des produits semblent ressembler à un schéma humain. Si par exemple
l’avant d’une voiture évoque un visage, les acheteurs potentiels évaluent ce
véhicule plus positivement !

1. Du grec ánthrōpos (ἄνθρωπος , littéralement « humain ») et morphē (μορφή, « forme »).


2. Une étude (Cusack, Odéan, Animaux de compagnie et santé mentale, 2013.) a montré que pour les
personnes souffrant de dépression ou d’anxiété sociale, l’anthropomorphisme sur leur animaux de
compagnie est un plus car il compense le besoin de connexion sociale.
3.  Pankaj Aggarwal, Ann L. McGill, «  Est-ce que cette voiture me sourit  ? Congruité de schéma
comme base pour évaluer les produits anthropomorphisés », 2007.
LE BIAIS D’ATTENTION

Ce biais est la tendance à prêter attention à certaines choses tout en


ignorant les autres. Lorsqu’on examine les résultats possibles d’une décision
ou d’un comportement, ou différentes options de résolution d’un problème,
nous avons tendance à nous concentrer sur quelques aspects qui semblent
rationnels et familiers et à ignorer tous les autres. Le cerveau de chaque
personne ltre les informations qu’il perçoit comme étant pertinentes ou
non. Cette perception sélective est grandement in uencée par les facteurs
qui le touchent particulièrement. Par exemple, il a été démontré1 que les
fumeurs de cigarettes possèdent un biais d’attention pour tous les signaux
liés au tabagisme autour d’eux, en raison de la sensibilité aux récompenses
altérée de leur cerveau.
À cause du biais d’attention, les gens angoissés pour leur santé ont
tendance à surestimer la probabilité que leurs symptômes soient le résultat
d’une maladie en particulier. Comme ils se focalisent trop sur les problèmes
médicaux et les informations touchant à la santé, ils sont moins susceptibles
de prendre en compte des explications alternatives et de se dire que leur état
n’est peut-être pas lié à une maladie.
Une étude de 2016 a aussi trouvé une corrélation entre le fait d’être
optimiste et la présence d’un biais d’attention envers des mots positifs. Notre
esprit ne retient que les choses qui corroborent son état positif. Et l’effet
inverse (l’attention biaisée en faveur des mots négatifs) est encore plus
prononcé chez les personnes pessimistes.

1. Begh ; Munafo ; Shiffman ; Ferguson; Nicols ; Mahomet ; Titulaire ; Sutton ; Aveyard, « Recyclage
du biais attentionnel chez les fumeurs de cigarettes tentant d’arrêter de fumer », 2013.
LA CÉCITÉ D’INATTENTION

Dans une célèbre expérience menée par les psychologues Daniel Simons et
Christopher Chabris, de l’université d’Harvard, on demanda à des étudiants
de regarder une vidéo dans laquelle des personnes se déplaçaient au centre
d’une zone dé nie et jouaient à s’envoyer une balle de basket. La mission des
étudiants était de compter le nombre de passes que se faisaient les joueurs. À
la n de la vidéo, les participants donnèrent globalement un chiffre correct,
mais lorsqu’on leur demanda s’ils avaient remarqué quelque chose de bizarre
dans la vidéo, la moitié d’entre eux n’avait pas vu la personne déguisée en
gorille qui avait traversé l’écran, s’arrêtant à mi-parcours pour se frapper la
poitrine des deux poings. Victime de « cécité attentionnelle », ils devinrent
un exemple frappant de la tendance souvent spectaculaire que nous avons à
ignorer ce qui se trouve sous nos yeux quand notre attention est concentrée
sur autre chose  ! C’est pourquoi beaucoup sont fascinés par les «  faux
raccords » repérés au cinéma, car nous sommes étonnés une fois qu’on nous
les a fait remarquer, de ne pas les avoir vus !
Dans une étude publiée en juillet  2013, trois chercheurs en sciences
cognitives ont demandé à 24 radiologues expérimentés du Brigham and
Women’s Hospital de Boston, ainsi qu’à 24 volontaires non expérimentés, de
détecter des nodules pulmonaires présents sur une série de radiographies
des poumons. La consigne était de cliquer avec la souris sur chaque nodule,
et chaque radiographie comportait environ une dizaine de nodules.
Seulement, la photographie d’un gorille minuscule, et faisant 48 fois la taille
d’un nodule, avait été insérée en haut et à droite de la dernière image. Eh
bien tous les radiologues ont bien détecté les nodules, mais 20 sur 24 n’ont
pas vu le gorille1 !
Lorsque notre attention est concentrée sur une seule chose, il peut nous
arriver de ne pas remarquer d’autres choses, même très évidentes, dans notre
champ de vision. Et ce n’est pas par manque d’attention que nous ne voyons
pas quelque chose, c’est au contraire parce que nous sommes trop attentifs à
une chose que nous n’en voyons pas une autre. La cécité d’inattention est
bien entendu très exploitée par les illusionnistes : certains tours « de magie »
reposent sur le détournement de l’attention des spectateurs, les empêchant
de percevoir les manipulations qui ont lieu devant eux.
 
Dans une autre expérience impressionnante, les psychologues Daniel
Simons et Harry Levin se sont placés dans la rue. Un expérimentateur
demande alors son chemin à un piéton. Pendant qu’ils parlent tous les deux,
deux ouvriers complices de l’expérience passent entre l’expérimentateur et le
piéton en portant un grand panneau opaque. À ce moment-là, un deuxième
expérimentateur en pro te pour prendre la place du premier. Une fois les
deux ouvriers avec le panneau passés, la plupart des piétons testés
continuent à renseigner leur interlocuteur comme si ce dernier n’avait pas
changé. Incroyable  ! Dans leur cas, ils ont été victime de «  cécité au
changement » !
Ces expériences mettent clairement en évidence le fait que notre cerveau
n’enregistre en réalité qu’un petit nombre de détails (pour ne pas être noyé)
qui lui servent à créer sa perception de la réalité, et cela en privilégiant « des
blocs d’informations  ». C’est pour ça que vuos arrievz à lrie cette prhase
fcailenmet, bein que les lerttes soeint dans le désrdore  : vrote cevraeu lit
cahque mot cmmoe un tout !
Une expérience de 2009 a réuni 4 groupes différents de personnes à qui on
demanda de faire chacun une balade en faisant quelque chose de différent :
le premier groupe devait se balader en écoutant un mp3, le deuxième en
discutant avec un compagnon à leur côté, dans le troisième les individus
devaient marcher seul, et pour le quatrième, ils devaient parler au téléphone.
Dans les 4 cas, un clown très coloré et monté sur un tricycle passait près
d’eux à un moment donné de la balade. L’étude révéla que c’était ceux qui
avait une conversation téléphonique tout en marchant qui voyait le moins le
clown  ! Lorsque nous parlons au téléphone, nous visualisons notre
conversation dans notre esprit, et ce qui se passe autour de nous n’attire plus
notre attention bien que nos yeux soient grand ouverts !
LE SAVIEZ-VOUS ?
On peut en réalité toujours voir notre nez, il est bien dans notre champ de vision,
mais notre cerveau le masque car cette information ne nous est pas utile. De
même, on peut toujours entendre notre cœur battre, mais là aussi notre cerveau
masque le son des battements pour se concentrer sur les bruits extérieurs (et
éviter de nous rendre fou). De plus, si dans une pièce un voyant clignote au
même rythme que notre cœur, le cerveau « effacera » de notre vue ce voyant !

Un fait qui intéressa les psychologues experts du biais de cécité


d’inattention, eut lieu en 1995 à Boston, lorsque l’officier de police Kenneth
M.  Conley fut accusé de ne pas avoir vu une attaque violente contre une
policière survenue à quelques pas de lui alors qu’il pourchassait un suspect.
Comme il assurait ne pas l’avoir vue, il fut condamné pour faux témoignage.
Certains ont cependant considéré qu’il fut peut-être victime du biais de
« cécité d’inattention ». En 2011, les psychologues et professeurs Christopher
Chabris et Daniel Simons mirent en scène une reproduction de cet incident :
ils demandèrent à leurs étudiants de courir pendant 3  minutes autour du
campus, en se concentrant sur deux  choses  : le maintien d’une distance
constante entre eux, et en comptant le nombre de fois où ils essuyaient leur
transpiration. Alors que les étudiants couraient autour du campus, on mit
sur leur parcours une fausse bagarre mise en scène par des acteurs.
Résultat  ? Lorsque la course avait lieu de nuit (dans les mêmes conditions
d’éclairage que lors de l’incident impliquant Kenneth M. Conley), la plupart
des étudiants ne remarquaient pas la bagarre, et lorsque l’expérience était
faite en plein jour, il y en avait encore 40 % qui ne la remarquaient pas !

« L’effet cocktail party  » est la capacité à diriger son attention pour suivre un
discours ou une conversation dans une ambiance bruyante, par exemple au
milieu d’une réception ou d’un cocktail, tout en restant conscient des autres
signaux sonores (par exemple, si notre nom est prononcé dans la salle, notre
attention sera captée et désengagée de la conversation que nous étions en train
de suivre*).
*Une personne qui est incapable de focaliser son attention auditive pour suivre une conversation dans
une ambiance bruyante souffre du « syndrome du banquet ».
Avez-vous déjà cherché un objet pendant des heures pour vous apercevoir
ensuite qu’il était là, sous vos yeux  ? «  L’anticipation  » peut jouer un rôle
majeur dans ce phénomène. C’est le fait de « s’attendre à quelque chose » qui
bloque notre perception des autres choses. Autrement dit, si vous êtes
convaincu que vous avez posé un objet à tel endroit, alors qu’en réalité il n’est
pas bien loin mais pas à cet endroit précis, le fait d’anticiper, de vous attendre
à ce qu’il soit « là » où vous êtes persuadé qu’il doit être, vous provoque une
cécité d’inattention autour de cette endroit.

1. Notons qu’aucun des observateurs non expérimenté n’a vu le gorille, et que très peu ont vu tous les
nodules !
LE BIAIS DE CÉCITÉ BOTANIQUE

Quelle relation avez-vous avec les plantes qui se trouvent dans une pièce ?
Les remarquez-vous ? Vous demandez-vous si elles sont vraies ou fausses ?
Avez-vous l’habitude de les observer  ? De les sentir  ? De les toucher  ?
Connaissez-vous leur nom  ? Si la réponse à toutes ces questions est non,
vous souffrez peut-être de cécité botanique : c’est une forme de biais cognitif,
qui est une tendance humaine, principalement dans les sociétés occidentales
actuelles, à ignorer quasi complètement les espèces végétales. À ne pas
reconnaître leur importance pour l’humain et à les considérer comme
inférieure au monde animal et à ne pas savoir apprécier leurs
caractéristiques1.
Certains experts associent ce biais au «  trouble dé citaire de la nature  »,
qui est l’idée que les êtres humains, en particulier les enfants, passent moins
de temps à l’extérieur qu’auparavant, et la croyance que ce changement
entraîne un large éventail de problèmes de comportement.

1.  Ce biais est moins marqué chez les femmes. Il a été remarqué d’ailleurs qu’elles sont plus
nombreuses lors des sorties botaniques, alors que les sorties ornithologiques ou sur les mammifères
attirent plus d’hommes.
L’HYPNOSE DE L’AUTOROUTE

Avez-vous déjà vécu «  l’hypnose de l’autoroute  »  ? Quand vous prenez


conscience que vous conduisez depuis plusieurs kilomètres, sans le souvenir
d’avoir été attentif ! Flippant, non ?
Ce phénomène est dû à «  l’automaticité  », la capacité du cerveau à se
concentrer sur une chose, tandis que le subconscient en fait une autre. Pour
le chercheur au laboratoire EREM Lucien Mano, l’hypnose de l’autoroute
(qui naît avec une vitesse constante et un bruit continu), serait la cause
probable de nombreux accidents demeurés inexpliqués, tels que les sorties
de route par temps clair sur une ligne droite. La monotonie de son trajet
suffirait à plonger tout conducteur dans un état second, qu’on appelle
« hypnose subliminale ». Pour reprendre l’expression d’un grand neurologue
français, l’hypnose subliminale est une «  banlieue du sommeil  », explique
Luvien Mano. «  Le conducteur a les yeux grands ouverts, il voit la route,
mais son cerveau est tombé dans un cycle de micro-phases d’hypnose. Il ne
dort pas, mais son réveil peut être tout aussi brusque que le matin, au saut
du lit. Et contrairement à ce que l’on croit, une personne parfaitement
reposée n’est pas mieux armée pour résister à l’hypnose subliminale. Le cycle
de micro-hypnose se poursuit tant qu’il n’y a pas d’évènement soudain pour
l’interrompre », poursuit Lucien Mano. « En général, tout se passe bien : le
conducteur suit le tracé de la route sans rencontrer d’obstacle. Il se “réveille”
doucement à l’approche d’un carrefour ou du terme de son voyage. Rien ne
va plus cependant en cas d’imprévu. S’il est brusquement tiré de son
hypnose par un véhicule qui déboîte ou par un animal qui surgit, ce réveil en
sursaut peut être accompagné d’une perte de repères temporaire. »
L’Université de Derby affirma en 2019 qu’une nouvelle forme d’hallucination était
identifiée comme une maladie psychologique : l’hallucination inversée, qui serait
très répandue chez l’humain. Elle consiste à ne pas voir une chose qui est
vraiment là ! Par exemple, faire un trajet sans s’en rappeler, ou encore parler à
quelqu’un sans se souvenir de ce qu’il vient de dire.
Les hallucinations conventionnelles impliquent généralement de voir ou de
ressentir des choses qui n’existent pas vraiment. Alors que les «  hallucinations
inversées » signifient ne pas voir ou ressentir des choses qui existent !
Si une personne souffre d’hallucinations inversées, cela veut dire que sa
conscience en temps réel des expériences psychologiques et sensorielles est
considérablement altérée, et donc qu’elle éprouve une perception déformée de
la réalité et qu’elle passe à côté d’une partie de sa vie.
Des symptômes peuvent se manifester sous les formes suivantes : ne pas être
conscient du bien-être ou de l’espace personnel des autres dans un espace
public, en laissant nos notifications ou notre musique à haut volume ; utiliser son
téléphone et ses réseaux sociaux dans des situations dangereuses, comme en
traversant la route ; parler avec quelqu’un sans l’écouter vraiment ; se rendre à
un lieu en voiture, par exemple au travail, puis faire inconsciemment le trajet qui
nous ramène chez nous…
L’EFFET EXPÉRIMENTATEUR

Cet effet se produit lorsqu’une personne attend un résultat spéci que et


manipule inconsciemment une expérience ou interprète de manière erronée
(toujours inconsciemment) des données pour obtenir le résultat souhaité.
C’est pourquoi très souvent, dans les expériences, des techniques «  en
double aveugle » sont utilisées pour lutter contre ce biais en faisant en sorte
que le ou les expérimentateurs et le ou les sujets ignorent de quelle condition
découlent les données. Par exemple, un expérimentateur qui essaie de
produire un nouveau médicament contre la dépression fera en sorte :
1
. d’avoir prévu un autre expérimentateur qui mélange au hasard les
participants dans le groupe recevant le nouveau médicament et dans le
groupe recevant un placebo ;
2
. que les participants ne sachent pas à quel groupe ils appartiennent ;
3
. que l’expérimentateur qui a effectué la randomisation des participants
garde pour lui toutes les informations concernant qui est dans quel
groupe ;
4
. de ne pas être celui qui distribue les pilules aux sujets ;
5
. que la personne qui donne les pilules et garde les rapports des effets du
médicament sur les participants ne sache pas dans quel groupe se trouve
aucun des participants.
« Le biais de croyance » est le produit de l’effort pour résoudre un conflit entre
«  ce que l’on souhaite  » et «  la réalité qui s’offre à nous  ». La logique d’un
argument est alors biaisée par la croyance en la vérité ou la fausseté de la
conclusion. Le biais de croyance, se dit en anglais, wishful thinking, et signifie
littéralement, «  prendre ses désirs pour des réalités  ». C’est probablement le
biais psychologique le plus fréquent.

Personne n’aime avoir tort, surtout lorsque cela remet fortement en cause
l’image de soi. Lorsque la réalité s’impose à nous et que notre croyance est
détruite, on peut s’enfermer dans un biais de croyance en continuant de
sélectionner les «  indices  » qui viendraient renforcer notre croyance, et ignorer
totalement ceux qui la contredisent. Par exemple, une personne jalouse qui émet
l’hypothèse que son conjoint aime quelqu’un d’autre percevra les actions de son
conjoint en fonction de son biais : s’il lui offre des fleurs ou un cadeau, cela sera
perçu comme un indice de culpabilité, et s’il n’en offre pas, ce sera perçu comme
un indice de désintérêt. Sur le plan relationnel, au travail par exemple, des
croyances négatives quant à l’interprétation des intentions d’autrui créeront
immanquablement un enchaînement de réactions conduisant à des conflits. La
sagesse voudrait qu’on remette en cause nos hypothèses, qu’on remette nos
conclusions en question, et de s’assurer de leur validité, mais la plupart des
gens en sont incapables à cause des émotions et de l’ego qui prennent le
dessus. «  J’ai pris de l’homéopathie toute ma vie, et aujourd’hui plus de 1  000
études* montrent qu’il n’y a pas de preuve de son efficacité et que, tout au plus,
ce traitement fonctionne comme placebo, mais je refuse d’y croire, et je
continuerai de m’accrocher aux indices assurant que ma croyance depuis des
années est la bonne ».
* https://www.has-sante.fr/jcms/p_3116594/fr/evaluation-des-medicaments-homeopathiques

Un exemple historique connu du biais de l’expérimentateur est celui


concernant le cheval Hans, dont le propriétaire, un nommé Wilhelm Von
Osten, assurait qu’il pouvait faire des calculs mathématiques et répondre à
des questions en tapant un certain nombre de fois au sol avec son sabot.
Lorsqu’on présentait trois réponses possibles à une question,
correspondantes chacune à un nombre, le cheval frappait effectivement la
bonne réponse avec son sabot. On savait que son propriétaire était sincère et
qu’il n’y avait pas d’entourloupe derrière ce qu’il avançait, il croyait vraiment
que son cheval faisait cela. Et dans une certaine mesure, il le faisait. Ses
exploits attiraient de nombreux curieux, ce qui donna lieu à une enquête
pour véri er qu’il ne s’agissait pas d’une arnaque. On comprit après enquête
et expériences, que le cheval ne comprenait pas les questions, ni les
réponses, ni encore moins les calculs ; tout ce qu’il faisait, c’est qu’il voyait les
micro-expressions sur le visage de son maître, micro-expressions
inconscientes qu’il faisait sans s’en apercevoir, et qui indiquaient au cheval
quand il devait s’arrêter de frapper avec son sabot. Un peu comme un parent
assis dans la salle et qui répète à voix basse sans s’en rendre compte le poème
que son enfant est en train de réciter devant toute l’école, le propriétaire du
cheval voulait tellement que son cheval ait ce don, qu’il ne se remarquait pas
les signaux inconscients qu’il envoyait, mais que le cheval captait. Les
expériences menées lors de l’enquête montrèrent que le cheval était
incapable de répondre correctement lorsqu’il ne pouvait pas voir son maître,
ou si son maître  lui-même n’était pas au courant de la bonne réponse  :
lorsque Von Osten connaissait les réponses aux questions, Hans répondait
correctement 89 % du temps. Mais, lorsque Von Osten ne connaissait pas les
réponses, Hans ne répondait correctement que 6 % des fois.
Le cheval donna son nom à « L’effet Hans le Malin », qui désigne le fait de
transmettre ou percevoir continuellement des signaux subtils, généralement
de façon involontaire et inconsciente, au cours des interactions sociales
(pupilles qui se dilatent, narines qui bougent, front qui se plisse, lèvres qui se
pincent, etc.).
L’EFFET PYGMALION

Dans la légende grecque, Pygmalion était un sculpteur chypriote de


l’Antiquité. Fils d’Athéna et d’Héphaïstos, il s’était voué au célibat, révolté
d’abord contre les Propétides, des prostituées vivant sur l’île de Chypre, puis
contre l’institution du mariage elle-même. Mais un jour, il sculpta une statue
en marbre représentant une femme si belle, qu’il en tomba amoureux. Après
une fête dédiée à Aphrodite, la déesse de l’amour, celle-ci accepta de donner
vie à la statue, que Pygmalion épousa.
C’est ce récit qui donna son nom à l’effet Pygmalion1 : cet effet consiste en
une sorte de prophétie autoréalisatrice qui provoque l’amélioration des
performances d’une personne, en fonction du degré de croyance en sa
réussite venant d’une autorité (vu comme tel par elle) ou de son
environnement.
 
La première expérience menée à ce sujet fut celle du psychologue Robert
Rosenthal. L’effet Pygmalion fut mis en évidence au sein de groupes
d’étudiants à qui le chercheur faisait croire que les rats qu’ils recevaient pour
tester leurs performances étaient sélectionnés d’après leurs capacités
intellectuelles (alors que la répartition était en réalité faite au hasard). Un
autre groupe reçut des rats qu’on t passer pour des rats peu doués.
Le fait que les étudiants soient persuadés que leur rat était plus intelligent a
permis d’augmenter les performances de ces derniers ! Il s’est avéré que les
étudiants qui croyaient que leurs rats étaient particulièrement intelligents
leur ont manifesté de la sympathie, de la chaleur, de l’amitié, ce qui a favorisé
les performances de ces rats (à l’inverse, les rats du second groupe supposés
avoir des performances médiocres, étaient plus négligés par les étudiants, ce
qui n’a suscité chez eux aucune motivation). Le chercheur mis en évidence
que « la croyance en une capacité intellectuelle supérieure permet à celle-ci
de se réaliser ».
Cette même expérience a été reproduite plusieurs fois chez les enfants,
notamment à l’école, et il en ressortit que le fait de croire en une capacité
intellectuelle supérieure augmente les résultats des élèves.

L’effet inverse est nommé l’effet Golem* : il provoque une performance moindre
et des objectifs moins élevés sous l’effet d’un potentiel jugé limité par une
autorité, comme les parents ou des professeurs…
*Un golem est un terme issu de la mythologie juive : le golem est un être artificiel à l’allure humanoïde,
qui est fait d’argile, qui est incapable de parler et dépourvu de libre-arbitre, qui est façonné uniquement
afin d’assister ou défendre son créateur.

Les défenseurs de l’effet Pygmalion avancent qu’il permet :


1
. une amélioration de la con ance en soi ;
2
. une diminution de l’anxiété ;
3
. une meilleure projection dans l’avenir ;
4
. une amélioration de l’humeur ;
5
. une motivation à toute épreuve ;
6
. une vision positive des choses ;
7
. une meilleure implication personnelle.
S’imaginer et se projeter dans le futur avec des capacités ou des
compétences supérieures, augmenterait donc nos performances et la
concrétisation de nos objectifs. Tout comme Pygmalion avec sa statue dans
le récit grec, façonner «  de façon très précise  » son projet augmente nos
chances « de lui donner vie » !
Marcel Pagnol avait bien mis en relief cet effet dans son livre Le temps des
amours, où il dit : « Dès que les professeurs commencèrent à le traiter en bon
élève, il le devient véritablement  : pour que les gens méritent notre
con ance, il faut commencer par la leur donner. »
Cet effet peut être un énorme atout dans la famille, dans notre cercle
d’amis et au travail. À la maison, lorsqu’un enfant est reconnu et acclamé
comme «  serviable  », il va redoubler d’effort pour con rmer ce titre  ; à
l’école, quand un élève est annoncé comme un des meilleurs, il travaillera de
façon à ne pas décevoir ceux qui le voient comme ça ; au travail, lorsqu’un
leader ou un manager con e une tâche à un collaborateur qui est loué pour
ses qualités et ses compétences, il aura à cœur d’accomplir sa tâche avec
sérieux ; dans notre cercle d’amis, quand on est vu comme quelqu’un sur qui
on peut compter, on se rendra plus disponible et à l’écoute…
Notons cependant qu’un risque de suggestibilité pour le sujet « motivé »
existe  : c’est une disposition à se laisser imposer des suggestions, soit par
faiblesse d’esprit, soit par naïveté ou par hyperémotivité. Des idées suggérées
et erronées provenant de différentes sources peuvent même être confondues
avec la mémoire, comme dans le cas où des parents ou des amis nous
assureraient que nous étions un bon guitariste à l’époque où l’on en faisait,
créant chez nous le faux souvenir que c’est vrai, alors qu’ils veulent juste
nous encourager.
Notre suggestibilité augmente ou diminue en fonction de notre état
mental. Nous ne sommes pas toujours aussi réceptifs et perméables à
l’information. Lorsque nous sommes en introspection, c’est-à-dire tourné
vers nous-même, la suggestibilité baisse. Par exemple, et dans un cas
extrême pour illustrer ce fait, lorsqu’une personne est en état de choc, on
voit qu’elle est complètement coupée du monde extérieur, ses yeux semblent
xés sur quelque chose qu’elle est la seule à voir, et elle entend à peine ce
qu’on lui dit. Elle est en introspection complète, il n’y a quasiment pas de
suggestibilité possible. Par contre, lorsque nous sommes tournés vers le
monde extérieur, que nous sommes à l’affut de ce qui se passe et que nous
remarquons plus de détails, comme dans des situations de danger, dans un
contexte où nous sommes passionnés par quelque chose, ou dans une
situation de gain ou de perte potentielle, notre suggestibilité augmente. On
comprend donc que nos émotions jouent un grand rôle dans la
suggestibilité. Il y a une lutte constante, mais inconsciente, entre ce qui nous
attire vers l’intérieur de nous, et ce qui nous attire vers l’extérieur.
Pour créer de la suggestibilité chez une personne, attirez son attention  !
Par exemple, devant un changement notre cerveau augmente son niveau
d’attention, par ré exe de protection. Donc lorsque vous parlez à quelqu’un,
au moment de l’information importante que vous voudrez lui faire passer,
changez le rythme de votre phrase. Vous avez déjà remarqué que parfois les
conteurs, au moment de délivrer l’information capitale de leur récit, baissent
le ton, voire chuchotent, pour éveiller l’attention au maximum  ? C’est là
qu’on a un pic de suggestibilité.

1. Parfois appelé « l’effet Rosenthal » du nom du psychologue qui l’a mis en évidence.
L’EFFET DU MOT SUR LE BOUT
DE LA LANGUE

Qui n’a pas déjà connu ça ? Vous l’avez, là… sur le bout de la langue, mais
ce mot que vous cherchez dans votre mémoire ne sort pas ! Pourtant vous le
connaissez bien, vous le savez ! Vous avez même sa première lettre, son effet
sonore, ses synonymes… mais rien n’y fait, il ne vient pas ! Frustrant, non ?
Ce phénomène, qui est universel et se retrouve chez des personnes de tous
genres, âges1 et cultures (même chez ceux parlant la langue des signes),
s’explique par le fait que les mots peu utilisés et qui ne font pas partie de
notre vocabulaire « actif », induisent une réduction de connexions entre les
réseaux lexical et syntaxique de notre cerveau. Comme si le chemin n’était
pas bien tracé et que le mot n’avait pas l’habitude de l’emprunter. De plus,
l’émotion et la force des liens émotionnels avec ce dont on essaie de se
souvenir peuvent également avoir un impact sur le phénomène  : il est
constaté que plus les liens émotionnels sont forts, plus il faut de temps pour
récupérer l’élément de la mémoire2. Il semble que les mots qui font le plus
souvent défaut à notre mémoire sont des noms propres et ceux qui
caractérisent des objets.

CHACUN SA LANGUE
Il est amusant de noter que chaque langue a une expression dédiée à ce
phénomène, et la plupart sont en lien avec l’organe de la langue : en anglais, en
italien, afrikaans et estonien, on dit comme en français «  sur le bout de la
langue », en irlandais on dit « sur le devant de la langue », en gaélique « sur le
dessus de la langue  », en cheyenne «  perdu sur la langue  », et en coréen
« pétillant sur le fond de la langue » !

1. Nous avons davantage tendance à oublier des mots en vieillissant, mais selon les recherches de la
psychologue DJ Dahlgren, cela n’est pas lié à l’âge, mais à nos connaissances : comme les personnes
plus âgées ont dû retenir plus d’informations au cours de leur vie, elles sont plus sujettes au
phénomène du mot sur le bout de la langue.
2. B. L. Schwartz, « La relation entre les états du bout de la langue et le temps de récupération », 2001.
L’EFFET ZEIGARNIK

« Nos esprits oublient rapidement les tâches nies. Cependant, ils sont
programmés pour nous rappeler incessamment celles que nous ne
terminons pas. »
– Dr Bluma Zeigarnik

C’est la psychologue russe Bluma Zeigarnik qui mit en évidence cet effet
après que son professeur  Kurt Lewin eut remarqué un phénomène
particulier chez les garçons de café : qu’ils étaient capables de retenir toutes
les commandes en cours, pour chaque table, et qu’une fois que les personnes
avaient payé, il leur était impossible de se souvenir des commandes déjà
réalisées.
Bluma Zeigarnik t alors une expérience  : elle demande à des enfants
d’accomplir une vingtaine de petits travaux, comme modeler des animaux,
en ler des perles ou assembler les pièces d’un puzzle… La moitié des
activités sont terminées, mais les autres restent volontairement inachevées.
Plus tard, on demande aux élèves d’indiquer toutes les tâches qu’ils avaient
eu à exécuter. Résultat : celles qui n’avaient pu être terminées étaient citées
environ 2 fois plus souvent que les autres ! Comme si l’inachèvement d’une
activité entreprise créait une tension durable dans le cerveau. En effet, on
remarque que lorsqu’on donne aux élèves la possibilité d’achever leur travail,
il se produit chez eux «  une détente  », et il n’y a plus de différence de
mémorisation entre les tâches accomplies.
Une étude menée par F. McKinney1 suggère même que les étudiants qui
s’autorisent à arrêter d’étudier pour jouer ou faire une activité physique se
rappellent mieux de leurs sujets que ceux qui étudient d’une seule traite sans
faire de pause. D’où l’importance de savoir faire des pauses, le cerveau
mémorise mieux ce qu’il doit terminer.
Cet effet peut être très utile donc pour l’apprentissage mais attention, à
partir du moment où on se lance dans une tâche similaire sans avoir ni la
précédente, le cerveau interprète cela comme la n de l’activité, et se
consacre à la suivante, ce qui réduit l’effet. On comprend donc bien que
l’ennemi juré de l’effet Zeigarnik, c’est le multitâches ! Chaque nouvelle tâche
est une interruption de la précédente, et chaque nouvelle activité provoque
une tension supplémentaire, donc une charge mentale accrue sur le cerveau
qui n’est pas équipé pour répondre à cette complexité ! C’est ce qui explique
pourquoi on n’arrive pas réellement à tout faire en même temps.

Les fameux cliffhanger «  à suivre…  » à la fin de votre série préférée sont un


exemple de l’effet Zeigarnik  : cette méthode bien connue nous pousse à nous
installer chaque semaine sur notre canapé, à la minute où l’épisode commence
pour « achever » cette « tâche en cours » dans notre vie !

On note également que les suivis de progression, ces petites informations qui
informent les utilisateurs de certains produits de leur proximité avec la réalisation
d’une tâche, les poussent à aller jusqu’au bout plutôt que d’abandonner. Par
exemple lorsque l’on voit un message du type « votre profil est complet à 64 % »,
nous sommes plus susceptibles de consacrer quelques minutes de plus pour
fournir tous les détails manquants et « achever la tâche ».

Nous sommes ici à la frontière avec le biais d’unité, qui est la tendance à
absolument vouloir finir à tout prix la tâche (un projet, une unité/un tout) que
nous avons commencée. Vous êtes par exemple au cinéma, le film est nul, il
reste encore deux longues heures de torture… Tant pis, vous restez jusqu’au
bout pour finir « cette tâche » (associé au biais d’aversion à la perte, vous êtes
vraiment cuit là). La logique est la même pour un livre ou un plat ! Et notons au
passage que plus l’assiette est grande (ou le bol), plus nous mangeons  ! On
aura tendance à la remplir plus, et donc, comme on voudra inconsciemment tout
finir, on mangera plus  ! Depuis les années  1960, notre vaisselle s’est agrandie
de 36 %, et de nombreuses études ont montré que nous mangeons 30 à 50 %
plus lorsque nous sommes devant une grande assiette.

Attention, le fait de savoir cela n’y changera pas grand-chose (un biais est très
fort)  : le Dr  Wansink, de l’Université Cornell aux États-Unis, donna un cours
spécialisé de 90 minutes à des étudiants de niveau universitaire sur l’effet de la
grosseur de la vaisselle sur la consommation alimentaire, et sur le biais de
l’unité. 6 semaines plus tard, il les invita à une petite fête où étaient présentés 2
grands bols (de 4 litres chacun) de grignotines salées dans une des pièces, et 4
bols d’amuse-gueule (de 2 litres chacun) dans une autre pièce. Les étudiants qui
ont pioché dans les grands bols ont pris 53 % plus d’amuse-gueule salés et ont
mangé 56 % plus que ceux qui ont pioché dans les petits bols. Lorsqu’on leur a
demandé s’ils pensaient que la grosseur des bols avait pu influencer leur
consommation, la majorité a répondu… « non, non ».
*https://www.extenso.org/article/montrez-moi-votre-vaisselle-je-vous-dirai-combien-vous-mangez/

L’effet Zeigarnik s’avère donc un outil anti-procrastination par excellence.


À partir du moment où la tâche est commencée, ne pas la terminer sonnera
cette petite alarme dans votre esprit ! Une étude de la Florida State University
a montré que les personnes qui ré échissent à la manière dont ils vont
terminer une tâche se laissent moins distraire par leur travail inachevé. Le
simple fait de reconnaître que l’on a une tâche toujours en cours et d’écrire
quand on pense la terminer nous permet de réduire notre stress et de nous
détendre. On peut alors y revenir plus apaisé et disposé à nous concentrer.

ATTENTION À L’ERREUR DE PLANIFICATION !


Ce biais est un phénomène qui nous fait sous-évaluer les délais d’exécution et
de finalisation d’une tâche ou d’un projet. Cela arrive dans n’importe quel
domaine, professionnel ou personnel. Par exemple, on le constate lorsque nous
faisons une liste des tâches à réaliser et qu’en fin de journée, de semaine ou de
mois, beaucoup de ces activités restent inachevées.

Le problème, c’est que nous avons tendance à visualiser le scénario le plus


optimiste au moment de notre planification, nos plans sont basés sur l’idée que
«  tout se passera normalement  », sans contretemps ou évènements imprévus.
Mais n’oublions jamais la loi de Murphy ! Nommée d’après le capitaine Edward
Aloysius Murphy Jr, un ingénieur américain de l’aérospatiale, la loi de Murphy
déclare que « tout ce qui est susceptible d’aller mal, ira mal* ». Quel rapport avec
l’erreur de planification  ? Eh bien, lorsque nous estimons le temps, la plupart
d’entre nous ont tendance à être optimistes. Lors de la planification, nous
évaluons positivement nos propres capacités et supposons que nous sommes
capables de faire très bien les choses et en peu de temps  ! Et dans notre
excitation, nous sous-estimons le temps qu’il faudra réellement pour franchir la
ligne d’arrivée !
Nous devons comprendre que nous avons la tendance naturelle à penser « avec
le désir  ». Par exemple, les humains ont tendance à se laisser emporter par le
désir d’impressionner les autres : nous voulons généralement montrer que nous
sommes très efficaces, et c’est souvent pour cela que nous réalisons des calculs
de temps inexacts concernant les tâches que nous nous fixons ou qu’on nous
fixe.

Les façons d’éviter ce biais cognitif sont, déjà, de prendre note de nos
expériences précédentes  : ces dernières nous donneront des données fiables
sur le temps réel requis pour des tâches similaires. Ensuite, lors de la
planification, il est toujours préférable de proposer une marge de temps
supplémentaire afin de faire face à d’éventuels imprévus ou contretemps. Puis,
pendant l’accomplissement de la tâche, lorsque des distractions vous
bombardent, comme les notifications de smartphone, des collègues bavards ou
autres, apprenez à les gérer en coupant le téléphone, ou en donnant rendez-
vous à une certaine heure à telle personne pour papoter. Mais n’oubliez pas
aussi que votre esprit commencera à errer quand il aura besoin d’une pause.
Donc planifiez les pauses aussi !
*Une variante plus détaillée est  : «  S’il existe au moins deux façons de faire quelque chose et qu’au
moins l’une de ces façons peut entraîner une catastrophe, il se trouvera forcément quelqu’un quelque
part pour emprunter cette voie. »

EN BREF
Estimation du meilleur scénario
Estimation du pire scénario
Vous aurez alors l’estimation du scénario le plus probable !

1.  F. McKinney, “Studies in the retention of interrupted learning activities”, Journal of Comparative
Psychology, 19(2), 265–296, 1935. https://psycnet.apa.org/record/1935-04121-001
LA LOI DE FUTILITÉ DE PARKINSON

Cyril Northcote Parkinson est un historien et essayiste britannique qui


établit une loi maintes fois observée, selon laquelle les diverses organisations
humaines, comme les entreprises, les administrations, les partis politiques,
etc. ont tendance à donner une importance disproportionnée aux questions
futiles. Cyril Parkinson illustra ce biais par l’exemple bien connu d’un comité
ctif discutant d’un projet de réacteur nucléaire, et passant la majorité de
son temps à discuter de problèmes relativement mineurs mais faciles à
comprendre par tous, comme le type de matériau à utiliser pour l’abri à vélos
du personnel, tout en négligeant la conception du réacteur lui-même, une
tâche bien plus importante, compliquée et difficile. Il explique que comme
les éléments basiques et mineurs sont compris plus facilement par tous et
sont plus faciles à traiter, ils sont l’objet d’échanges plus longs que les
éléments plus importants et complexes  : quand une ville construit un
tramway, les gens ne regardent pas le tracé du tramway ni le coût, par contre,
tout le monde veut donner son avis sur le nom du tramway et sur sa
couleur ! Dans l’exemple de la réunion sur le projet de réacteur nucléaire, ces
questions complexes nécessitant des connaissances pointues, les personnes
présentes hésitent plus à donner leur avis, par contre, la question de l’abri à
vélos semble accessible à tous. Chacun se sent alors légitime à exprimer son
opinion lors de la réunion, pouvant ainsi faire valoir son implication et
apporter sa contribution personnelle. Il est plus facile de s’illustrer sur un
sujet futile que complexe. C’est pourquoi les questions les plus futiles sont
plus à même de passionner les foules, alors que les sujets importants, qui
requièrent des connaissances pointues, sont ignorés. Alors, la prochaine fois
que lors d’une réunion une discussion dure à n’en plus nir sur un certain
point, demandez-vous  : «  Est-ce qu’on en parle longtemps parce que c’est
vraiment important, ou est-ce qu’on en parle car tout le monde peut
facilement donner son avis et sa préférence personnelle pour exister dans le
projet ? »

Le biais d’information partagée est un biais qui pourrait être confondu avec le
biais de la Loi de futilité mais qui est subtilement différent : c’est la tendance des
membres d’un groupe à consacrer plus de temps et d’énergie à discuter
d’informations que tous les membres connaissent déjà (c’est-à-dire les
informations partagées), et moins de temps et d’énergie pour discuter
d’informations dont seuls certains membres sont au courant. Selon plusieurs
études*, seules 18 % des informations « non partagées » (c’est-à-dire connues
d’une seule personne) sont évoquées lors de réunions de groupes alors que ce
taux est de 46  % pour les informations «  partagées  ». Cette tendance vient du
fait que bien que discuter des informations non partagées puisse être instructif,
les membres d’un groupe sont souvent motivés à discuter des informations
partagées afin de parvenir plus facilement à un consensus du groupe.
*Kenneth A. Merchant et Katharina Pick, “Blind spots, biases, and other pathologies in the Boardroom”,
Business Expert Press, 2012.

À titre individuel, nous sommes victimes du biais de futilité de Parkinson


lorsque par exemple, alors que nous travaillons sur un gros projet qui
demande beaucoup d’effort, nous passons un temps fou sur un détail futile
du projet comme choisir la couleur du bouton d’accueil de notre site
internet. Vous avez sûrement déjà passé beaucoup trop de temps à
tergiverser pendant des heures sur des décisions futiles comme quelle
couleur de fond pour ce diaporama  ? Je mets une chemise bleue ou une
chemise blanche pour mon rendez-vous ? J’écris « Cordialement » ou « Bien
cordialement » ? Si c’est votre cas, alors vous êtes, comme beaucoup, familier
avec la loi de la futilité de Parkinson… En accordant plus de temps aux
questions les plus insigni antes, elles nissent par nous occuper bien plus
que les sujets importants. Pour remédier à cette tendance, il est
indispensable de se xer un délai. Il sera ainsi plus facile d’effectuer des
tâches rébarbatives si l’on s’est xé un temps donné pour les réaliser1 (de
plus, les tâches les plus importantes devraient être plani ées en premier dans
la journée).
La paralysie d’analyse est ce qui se produit lorsqu’une analyse trop
poussée ou une trop intense ré exion à une situation peut amener à devenir
« paralysée » : aucune action n’a été nalement prise, et aucune solution n’est
proposée.

Le « paradoxe de l’âne de Buridan » nous dit qu’un âne se tenait devant un tas
d’avoine et un seau d’eau, mais il ne savait pas par quoi commencer. Il passa
tellement de temps à réfléchir et à se demander quel serait le meilleur choix qu’il
finit par mourir de faim et de soif.

Pour éviter ce biais, ne gardez que quelques options (2 ou 3 pas plus) car notre
cerveau se fermerait devant la multitude de choix et la complexité qui en
résulterait. Un peu comme les menus de restaurant surchargés qui deviennent
vite plus pénibles qu’alléchants.

Le biais d’information peut aussi s’en mêler  : c’est la tendance à vouloir


chercher toujours plus d’informations afin de prendre la meilleure décision
possible, et on cherche tellement, qu’on ne passe jamais à l’action !

La loi de Parkinson déclare que plus on se laisse de temps pour accomplir une
tâche donnée, plus on mettra de temps à accomplir cette tâche  : «  Tout travail
tend à se dilater pour remplir le temps disponible »*. Un peu comme la loi des
gaz  : si vous diffusez un gaz dans une pièce de 50  m3, le gaz occupera les
50 m3. Mais si vous diffusiez ce même gaz dans une pièce de 5 m3, il occupera
les 5 m3. C’est le « volume du contenant » qui détermine « l’espace occupé par
le gaz  ». La même chose se passe avec une tâche à accomplir  : si vous vous
laissez 3 mois pour la faire, vous l’accomplirez en 3 mois. Mais si vous ne vous
laissez que 3 jours, vous l’accomplirez en 3 jours  ! Et ce qui est vrai pour nos
tâches est aussi vrai pour nos décisions. Quand on ne limite pas nos décisions
dans le temps, on passe plus de temps à revoir nos options et à réfléchir encore
et encore, ce qui peut conduire à la paralysie !
*https://everlaab.com/loi-de-parkinson/

1. https://www.welcometothejungle.com/fr/articles/loi-futilite-temps-decision
LE BIAIS DE COURTOISIE

« Qu’est-ce que tu penses de ma nouvelle coiffure ? »


« Tu aimes le plat que je t’ai préparé ? »
Le biais de courtoisie est la tendance à donner une opinion qui est plus
socialement correcte que sa véritable opinion, a n d’éviter d’offenser
quelqu’un. Un évaluateur par exemple, aura plus de mal à donner une
mauvaise note à quelqu’un qu’il connaît ; de même vous ne pourrez jamais
dire à l’hôte qui vous a invité à souper que vous n’aimez pas son plat.
Certaines personnes n’arriveront pas non plus à exprimer pleinement leur
mécontentement à l’égard d’un service ou d’un produit en raison d’un désir
de ne pas offenser la personne ou l’organisation à laquelle elles répondent.
Si vous voulez progresser dans un domaine et que vous souhaitez l’avis
franc et honnêtes de votre entourage, désarmez pour eux ce biais de
courtoisie, dites leur droit dans les yeux, avec douceur et en les rassurant que
vous voulez un avis le plus franc possible, que vous n’êtes pas susceptible et
que leur avis, même négatif, n’entachera pas votre relation. Ce n’est qu’à cette
condition que vous saurez vraiment ce que pensent les autres et que leurs
conseils vous feront progresser. Sinon, une voix peu harmonieuse, un jeu de
guitare qui laisse à désirer, une cuisine peu qualitative, une coupe de
cheveux qui ne vous va pas, un comportement que vous avez et qui agace
votre entourage depuis des années, pourront continuer encore longtemps à
cause d’un biais de courtoisie qui empêche de dire la vérité.
L’EFFET MOINS C’EST MIEUX

Ce biais se produit lorsque, de deux propositions, l’on préfère celle qui est a
priori la plus désavantageuse objectivement.
En 1995, la professeur  Victoria Husted Medveca montra que les athlètes
qui venaient de remporter une médaille d’argent (deuxième place) avaient
tendance à être moins heureux que ceux qui venaient de remporter une
médaille de bronze (troisième place). Cela s’explique par l’idée que les
médaillés d’argent avaient l’impression d’avoir manqué une médaille d’or
«  de peu  », tandis que les médaillés de bronze avaient au contraire
l’impression qu’ils avaient eu de la chance d’être au moins parmi les trois
nalistes sur le podium, évitant de justesse de ne rien gagner du tout !
Au cours d’une étude1 célèbre menée en 1998 dans une grande université
du Midwest américain, 83 étudiants ont été invités à remplir un
questionnaire. On leur demandait d’imaginer qu’un ami leur avait offert un
manteau à 55  $ dans un magasin où les manteaux coûtaient entre 50 et
500  $, ou bien qu’il leur avait offert une écharpe en laine à 45  $ dans un
magasin où les écharpes coûtaient entre 5 et 50 $. Lorsqu’on leur a demandé
leurs réactions relatives aux deux scénarios, les participants ont dit qu’ils
seraient plus touchés par le cadeau de l’écharpe qu’avec celui du manteau car
l’achat de l’écharpe re éterait une plus grande générosité. On note donc que
«  si les personnes qui offrent quelque chose veulent être perçues comme
généreuses, il est préférable pour elles de donner un article de relativement
grande valeur dans une catégorie de produits de faible valeur (par exemple le
foulard de 45  $ alors que le plus cher coûte 50  $) plutôt qu’un article de
faible valeur dans une catégorie de produits de grande valeur (par exemple
un manteau à 55 $ alors que le plus cher coûte 500 $). »
Il a été observé que lorsque les consommateurs évaluent les objets
isolément, ils les comparent souvent à d’autres objets de la même catégorie.
«  En évaluant un cadeau, les gens ne sont donc pas vraiment sensibles au
prix réel du cadeau, ni à la catégorie de ce cadeau (un manteau ou une
écharpe), mais ils sont plus sensibles à la “position relative” du cadeau dans
sa catégorie. »
Cet effet peut avoir d’autres applications pratiques dans la vie  : par
exemple, si un conférencier estime qu’une cinquantaine de personnes
assisteront à son discours, il ferait mieux de le tenir dans une petite salle,
avec 50 sièges voir moins, plutôt qu’une grande salle de plus de 100 places.
L’effet de la petite salle « où tous les sièges sont occupés » aura un effet plus
positif sur son image que le même nombre d’assistants mais avec 50 sièges
vides. Autre exemple, un chocolatier fera mieux de vendre une boîte
contenant 24 bonbons de qualité supérieure, plutôt qu’une boîte contenant
les mêmes 24 bonbons auxquels il aurait ajouté 16 bonbons de qualité
inférieure.

1. Christopher K. Hsee, « Moins c’est mieux : lorsque les options à faible valeur sont plus valorisées
que les options à valeur élevée », 1998.
LE BIAIS DE DISTINCTION

Voulez-vous cette belle pomme  ? Vous répondez «  oui  », et vous êtes


heureux, vous dégustez votre pomme offerte généreusement.
Maintenant si l’on place 2 pommes devant vous, celle qu’on vous aurait
offerte dans la première situation, et une autre qui semble un peu plus
fraîche. On vous demande de choisir, et vous prenez la plus fraîche. Vous
êtes là aussi heureux, vous mangez votre pomme. Si on vous demande
ensuite si vous auriez mangé la pomme moins fraîche, vous répondriez
sûrement «  non  ». Alors que pourtant, présentée sans la deuxième option,
elle vous aurait rendu heureux sans problème. C’est le fait d’avoir eu un choix
permettant une comparaison qui a changé votre perception de la première
pomme. Elle s’est « distinguée » d’une autre et votre regard sur elle a changé.
C’est cela le biais de distinction  : lorsque nous comparons des choses
directement, nous avons tendance à surestimer l’importance de leurs
différences. Oui, la pomme la plus fraîche était meilleure, mais cela ne
rendait pas la pomme la moins fraîche désagréable. De même, vous avez un
téléviseur 32 pouces dans votre salon, parfaitement adapté et vous en êtes
heureux. Vous passez un jour chez un vendeur de TV, et votre téléviseur 32
pouces et exposé à côté d’un téléviseur 40 pouces. Soudain, votre téléviseur
vous semble moins bien. Pourtant, jusqu’à cette comparaison, vous n’aviez
rien à redire et vous étiez satisfait. C’est le fait de comparer deux choses qui
fait ressortir des différences qui soudain deviennent un défaut, qu’on ne
voyait pas avant.
Ces exemples simplistes peuvent se multiplier dans bien des domaines.
Lorsqu’il fait un choix entre un emploi intéressant qui rapporte 60  000  €
par an et un emploi ennuyeux qui rapporte 70 000 € par an, ou encore un
choix entre deux maisons de même prix, l’une d’entre elles étant plus grande
mais plus éloignée du travail, l’individu moyen est susceptible de faire de
fausses hypothèses : il choisit généralement le travail ennuyeux mais mieux
payé et la maison plus grande mais plus loin du travail. En réalité, le salaire
un peu plus élevé et la maison un peu plus grande n’auront pas
l’augmentation de bonheur que le biais de distinction laisse espérer lors de la
comparaison. Les différences qui apparaissent sont une sorte d’illusion, qui
engendre une décision peu rationnelle. Il y a souvent un énorme écart entre
notre prédiction du bonheur et ce qui nous rend réellement heureux, ce qui
conduit à de mauvaises décisions.
LE BIAIS DE DISPONIBILITÉ

Vous écoutez les informations, et vous entendez deux infos : « Un enfant
de 11  ans est grièvement blessé après s’être fait attaquer par un requin  »  ;
« Un surfeur héroïque sauve un garçon de la noyade face à un requin ». Si
après cela on vous demande  : «  Qu’en pensez-vous, un requin est-il plus
dangereux qu’un chien  ?  » À cause du «  biais de disponibilité  », il y a de
fortes chances que vous répondiez « oui » !
En effet, ce biais cognitif est la tendance à privilégier l’information qui est
«  disponible  » rapidement à notre mémoire, aux dépens d’une «  analyse  »
plus pointu de la situation. Ce biais conduit donc les individus à confondre
« la validité » d’une idée avec « la facilité » avec laquelle cette idée leur vient
à l’esprit. Dans notre exemple du requin et du chien, comme vous venez
d’entendre deux informations qui appuient l’idée qu’un requin est
dangereux, votre esprit vous dicte qu’il est forcément plus dangereux qu’un
chien. Pourtant, selon le CDC Wonder (Centers for Disease Control and
Prevention), le chien tue en moyenne 28 Américains par an, et le requin ne
tue annuellement en moyenne qu’un seul Américain !
Le biais de disponibilité nous fait surestimer les informations
immédiatement disponibles (par facilité) à notre mémoire, en particulier
lorsqu’elles sont stéréotypées, comme dans le cas du requin dont l’image est
fortement faussée par les lms. Ce biais cognitif fait partie de ceux qui
expliquent l’existence, la persistance, la propagation et l’adhésion aux
phénomènes des «  fake news  ». La répétition d’une information, même
fausse, occupe la mémoire et devient la conclusion à laquelle on accède le
plus rapidement dans notre esprit.
On comprend donc que la bonne solution, la réponse la plus pertinente ou
la meilleure opinion, ne sont pas nécessairement celles qui nous viennent
toujours en premier à l’esprit  ! C’est pour cela que la publicité est très
présente autour de nous et nous sursollicite en permanence, car les marques
souhaitent que l’on se souvienne facilement et rapidement d’elles au moment
où on doit choisir un produit.
Un autre cas ou le biais de disponibilité peut agir est une situation de stress
intense, ou la panique peut nous faire prendre des risques inconsidérés  :
imaginons une personne dans un immeuble en feu, elle cherchera souvent à
descendre un escalier enfumé au lieu de se protéger et d’attendre les secours
dans un appartement calfeutré. Pourquoi ? Car sa « représentation mentale »
de l’escalier comme une éventuelle voie de sortie est prédominante et plus
facilement accessible dans son esprit, et elle prend le dessus sur d’autres
éléments comme le fait que la fumée soit toxique, que l’escalier peut
s’effondrer, etc.
Faites le test, et amusez-vous à demander à quelqu’un de nommer
rapidement un animal, une eur, une couleur et un outil. Les réponses
seront très souvent « chien/chat, rose/rouge ou bleu, marteau »1. Ce sont ces
éléments-là qui sont les plus rapidement disponibles dans notre esprit. Et si
vous demandez de nommer un oiseau, pratiquement personne ne nomme la
poule ! Pourquoi ? Parce que la caractéristique d’un oiseau qui prime dans
notre esprit est de voler, or, on ne pense pas de suite à ça quand on parle de
la poule qui pourtant est un oiseau.
Une autre expérience consiste à lire à des personnes une liste de 40 noms à
la suite, comportant de façon aléatoire 20  noms de femmes célèbres et 20
noms d’hommes peu connus. Si on leur demande ensuite de dire s’il y a plus
d’hommes que de femmes dans la liste, la très grande majorité répond qu’il y
a plus de femmes  ! Pourtant il y en a bien 20 de chaque. Mais les noms
célèbres étant plus disponibles dans notre esprit que les noms qui le sont
moins, nous avons l’impression qu’ils sont plus présents dans la liste.
Notons que ce biais ne mène pas forcément à des conclusions erronées.
Dans de nombreux cas, il permet de mener un raisonnement efficace, et de
résoudre des problèmes complexes rapidement. Mais parfois, il est
préférable et utile d’effectuer une ou deux recherches sur la question à traiter,
a n d’avoir toutes les informations disponibles en sa possession et de ne pas
tirer de conclusion hâtive.

1. http://psychologue-adultes-couples.com/le-biais-de-disponibilite/
LA FIXITÉ FONCTIONNELLE

« Il faut parfois savoir sortir des sentiers battus. »


Voici un problème à résoudre : vous entrez dans une pièce où sont posées
sur une table une bougie, une boîte contenant des punaises, et une pochette
d’allumettes. Vous devez alors xer la bougie allumée au mur (sur lequel se
trouve un tableau en liège) sans que la cire ne coule en dessous. Comment
faites-vous ?
Plusieurs personnes tenteront de xer la bougie sur le tableau de liège avec
des punaises, ou de faire fondre un peu de la bougie pour la coller au mur…
mais en vain. La meilleure solution étant : de vider la boîte de punaises, de
l’accrocher au tableau de liège avec des punaises, puis de poser la bougie
dans la boîte et de l’allumer. Pourquoi si peu de personnes pensent à faire
cela ? À cause du biais de xité fonctionnelle, qui «  xe » dans notre esprit
une seule «  fonctionnalité  » pour un objet. Dans l’exemple de la bougie, la
boîte à punaises était vue comme « le contenant des punaises », point. Il ne
vient pas facilement à l’esprit qu’elle puisse servir à autre chose1.
Imaginez maintenant que vous deviez enfoncer un clou dans un mur pour
accrocher un cadre. Problème, vous n’avez pas de marteau  ! Un ami vient
alors chez vous et suggère d’utiliser une clé en métal à la place pour enfoncer
le clou dans le mur ! Pourquoi n’y avez-vous pas pensé seul ? Cette clef était
pourtant là sous vos yeux ! La xité fonctionnelle nous empêche souvent de
penser à des solutions alternatives aux problèmes et aux différentes
utilisations des objets. N’avez-vous pourtant jamais serré une vis avec une
pièce de monnaie ?
Bien entendu, la xité fonctionnelle à ses avantages, quand vous devez
travailler, vous savez tout de suite quels outils est le plus adapté et vous
piochez dans la caisse à outils rapidement. Cela prendrait un temps
considérable si votre cerveau devait à chaque fois analyser tous les outils
pour discerner lequel est le plus efficace.
Les enfants (surtout avant 5  ans) affichent beaucoup moins de xité
fonctionnelle que les adultes, et ils sont plus susceptibles d’explorer les
capacités et les utilisations d’un objet (ainsi un mur blanc de la maison peut
devenir une toile de peinture pour leurs œuvres d’art), jusqu’à un certain
point, quand les adultes commencent à les corriger sur la bonne utilisation
de telle ou telle chose.
Ne pas considérer les objets comme possédant des fonctions en dehors de
leur dé nition peut nous priver d’imagination, d’adaptation et d’ingéniosité.
Une personne peut reconnaître une balle de tennis, mais peut ne pas la
considérer comme un bon masseur de dos  ; un brin d’herbe peut être
quelque chose que l’on tond ou cueille, mais il peut aussi devenir un sifflet !

EXERCICE
Que voyez-vous dans une tasse à thé, à part un récipient pour boire du thé ?
Avec un peu d’imagination, elle peut devenir un presse-papiers, un chandelier,
une tirelire, un emporte-pièce, un pot de fleurs, un pot à crayons, une mangeoire
pour oiseaux et même un amplificateur de son pour téléphone !
La pratique régulière de cet exercice permet de développer notre capacité à
penser de manière créative. Elle encourage ce qu’on appelle «  la pensée
divergente », terme défini en 1967 par le psychologue américain J. P. Guilford. La
pensée divergente est le contraire de «  la pensée convergente  », qui se
concentre sur la recherche d’une solution unique. La pensée divergente est un
processus créatif dans lequel un problème est résolu avec des méthodes qui
s’écartent de celles couramment utilisées.

La loi de l’instrument, ou loi du marteau, désigne la confiance ou la


dépendance excessive envers un outil ou une méthode, même si cet outil ou
cette méthode ne sont pas adaptés à toutes les situations. Combien de fois
avez-vous pris un temps fou à accomplir une tâche avec Word ou tel autre
logiciel, simplement parce que vous connaissez bien ce programme, alors que la
tâche que vous vouliez accomplir se serait faite 100 fois plus facilement et plus
vite avec un autre logiciel ou outil ?
« Donnez un marteau à un jeune homme,
il verra tout comme un clou ! »
– Abraham Kaplan
Avant de commencer une tâche importante que vous n’avez jamais faite
auparavant, cherchez à savoir ce qu’utilisent les professionnels du domaine et
pourquoi ils le font. Le temps d’apprentissage d’un nouvel outil ou d’une nouvelle
technique est souvent surestimé, et ses bénéfices sous-estimés !
L’effet Einstellung est, de la même façon, une posture mentale consistant à
employer en priorité pour un problème donné, une solution moins efficace mais
que l’on maîtrise bien et qui est connue, alors même que des solutions plus
efficaces, simples ou appropriées existent.
Ce qu’on appelle la «  déformation professionnelle  » nous fait également
appliquer des attitudes apprises dans le cadre professionnel dans notre vie
privée, comme un professeur qui parlerait à la maison à sa femme et ses enfants
comme s’il donnait « un cours ».

1. Lorsque le test est présenté avec les punaises sorties de la boîte et posées sur la table à côté de la
boîte vide, à peu près tous les participants trouvent la solution. Mark Arkell, (2 janv. 2012), Dan Pink
on the surprising science of motivation [Vidéo], YouTube. https://youtu.be/esvaP9LehB4
LE BIAIS D’OMISSION

Il y a un chariot fou qui dévale la voie ferrée ! Plus bas, sur les rails, il y a 5
personnes ligotées et incapables de bouger. Le chariot se dirige droit sur
elles ! Vous vous tenez à une certaine distance dans la gare de triage, à côté
d’un levier. Si vous tirez sur ce levier, le chariot passera sur d’autres rails.
Mais vous remarquez qu’il y a une personne également ligotée sur celle-ci.
Vous avez alors 2 options :
1
. Ne rien faire, auquel cas le chariot tuera les 5 personnes sur la voie
principale.
2
. Tirez le levier, détournant le chariot sur l’autre voie où il tuera une
personne.
Quelle est l’option la plus éthique ?
Ce dilemme est appelé le « problème du chariot » et fait partie d’une série
d’expériences de pensée en psychologie, impliquant des dilemmes d’éthiques
tentant de savoir s’il faut sacri er une personne pour en sauver un plus
grand nombre. Le problème met aussi en évidence le biais d’omission  : la
tendance à favoriser une inaction (même si elle cause du tort) plutôt qu’une
action, qui cause elle aussi du tort. Considérer qu’une inaction nuisible est
moins grave moralement qu’une action nuisible.
Prenons un exemple utilisé par les psychologues Spranca, Minsk et Baron
en 1991 dans une étude  : John est un joueur de tennis qui doit affronter
demain un adversaire coriace pour un match décisif ! John est au restaurant
de l’hôtel où dîne également son adversaire, et il sait que ce dernier est
allergique aux noix. Première option, John demande au cuisinier de l’hôtel
de mettre des noix dans la soupe de son adversaire. Deuxième option, John
remarque que son adversaire est sur le point de manger des noix sans s’en
rendre compte, mais décide de ne pas le prévenir. Quelle situation est la
moins immorale ? Un grand nombre des participants à l’étude a estimé que
la deuxième option, celle où John n’intervient pas, était la moins immorale.
Et vous, qu’en pensez-vous ?
LE BIAIS D’IMPACT

« Si un jour il m’arrive ça, je serai anéanti, je ne m’en remettrai jamais ! »


Avez-vous déjà prononcé ces mots ? Sûrement. Puis, un jour arrive ce que
vous redoutiez tant et, plus tard, vous êtes surpris de constater que vous vous
en êtes remis.
Le biais d’impact nous fait surestimer l’intensité de l’impact qu’aura un
évènement sur nous. Nous surestimons l’intensité et la durée qu’auront nos
futures émotions liées à un certain évènement (positif ou négatif). Pourtant,
qu’il s’agisse de gagner ou perdre un concours, de conquérir ou perdre un
amoureux, d’obtenir ou non une promotion, de réussir ou d’échouer à un
examen… tous ces évènements ont moins d’impact qu’on ne l’imagine : ils
sont moins intenses et plus éphémères qu’on ne s’y attend ! Combien de fois
avez-vous attendu impatiemment quelque chose, puis, une fois le but atteint,
au bout de quelques jours, vous vous retrouvez à attendre autre chose, le
sentiment de satisfaction ayant déjà disparu ?
Le psychologue et professeur à l’Université Harvard Dan Gilbert nous
rappelle que ce que nous avons vécu il y a plus de 3 mois, à peu d’exceptions
près, a peu d’impact sur notre bonheur1. Pourquoi  ? Parce que les êtres
humains sont dotés d’une sorte de système immunitaire psychologique  :
«  nous fabriquons  » notre bonheur, alors que nous croyons souvent que le
bonheur est quelque chose « que l’on trouve ». Il est vrai que certains types
d’avenir nous attirent plus que d’autres, mais si nous surestimons ce que
nous ressentirons avec tel ou tel type d’avenir, nous risquons de mal vivre le
présent.
Le biais d’impact s’explique par plusieurs facteurs :
1
. Nous faisons de fausses interprétations de l’avenir, nous prévoyons que
telle expérience aura tel impact et tel effet sur nous, alors que nous
n’avons jamais vécu cette expérience auparavant, nous ne pouvons donc
pas le savoir vraiment.
2
. Nous nous basons sur des théories inexactes que les gens qui n’ont pas
(encore) vécu un évènement véhiculent autour d’eux « quand on vit ceci
ou cela, on doit être comme ceci ou cela ! » Culturellement nous pensons
par exemple que «  l’argent fait le bonheur  », mais lorsque les gens ont
nalement de l’argent, ils se rendent compte qu’ils ne ressentent pas ce
que la théorie populaire affirmait. Un autre exemple est celui du rendez-
vous chez le dentiste. Culturellement, c’est un rendez-vous dont tout le
monde parle de façon négative, pourtant les moyens techniques ayant
évolués, la souffrance que connaissaient les patients sur leur chaise a
maintenant disparu ou considérablement diminuée.
3
. Nous exagérons nos sentiments face à un évènement négatif, a n qu’au
bout du compte, ce que nous ressentons vraiment nous semble moins
dur.
4
. Nous nous basons sur nos sentiments actuels pour nous projeter dans
notre état émotionnel futur, par exemple, si vous êtes actuellement au lit
avec un rhume et que vous êtes invité à une fête dans un mois, il vous
sera très difficile de séparer vos sentiments négatifs de votre prédiction
concernant la façon dont vous vous sentirez un samedi soir dans un
mois  ! Nous pouvons aussi nous baser sur nos émotions passées,
survenues lors d’un évènement similaire, mais en omettant que nous ne
sommes plus la même personne, nous évoluons sans cesse.
5
. Nous voyons l’évènement futur comme unique, en oubliant que d’autres
évènements pouvant nous changer arriveront par la suite et que d’autres
arriveront avant.
6
. Nous oublions que nous avons des biais cognitifs qui nous aideront à
atténuer l’impact lorsqu’il arrivera, en y trouvant du sens, en nous y
adaptant, en en faisant une force…
Rappelons-nous toujours que notre puissante imagination peut créer des
monstres  ! Le peintre Francisco de Goya y Lucientes réalisa une gravure
intitulée «  Le rêve de la raison engendre des monstres  ». On y voit une
personne renfermée sur elle-même et entourée d’êtres fantasmagoriques et
menaçants. Si nous laissons notre imagination s’en ammer de façon négative
sur ce qui pourrait se produire, nous risquons de souffrir pour rien, pour
des choses qui n’arriveront peut-être jamais, ou pour des énervements que
nous ne vivrons pas aussi mal que ce que l’on croit.
« Ne traverse pas le pont avant d’arriver à la rivière. »
– Proverbe anglais

1. http://psycheo.fr/science-bonheur-dan-gilbert/
L’ILLUSION DE LA FIN DE L’HISTOIRE

Avez-vous beaucoup changé au cours des 10 dernières années ?


Pensez-vous que vous changerez beaucoup au cours des 10 prochaines ?
Selon une étude menée par Jordi Quoidbach, de l’Université Harvard aux
États-Unis, quel que soit votre âge, vous répondrez plus souvent oui à la
première question, et non à la deuxième. Grâce au biais de la n de l’histoire,
nous avons toujours l’impression que notre personnalité, nos valeurs et nos
goûts ont ni d’évoluer au moment présent !
 
Ce phénomène serait dû à un besoin de se rassurer, de se dire qu’on a fait
les bons choix, qu’on a aujourd’hui les bonnes valeurs, etc., ainsi qu’au fait
qu’il est plus difficile d’imaginer le futur que de se remémorer le passé.
Comme le «  reportage  » est reconstructif alors que la «  prédiction  » est
constructive, et que construire de nouvelles choses est généralement plus
difficile que reconstruire d’anciennes, les gens ont tendance à préférer l’idée
d’un changement improbable, à l’alternative difficile d’imaginer un immense
changement personnel.
Cela nous amène parfois à des décisions que nous regrettons des années
plus tard, comme se faire tatouer par exemple, parce que nous considérons
que notre personnalité actuelle correspond à celle que nous aurons à vie.
Ne croyons jamais que «  l’on ne peut pas changer  », nous changeons en
réalité tout le temps, biologiquement et mentalement, tout au long de notre
vie. Le vous d’il y a 20  ans n’est plus le vous d’aujourd’hui, et le vous
d’aujourd’hui ne sera plus le même dans 20 ans !
INDEX DES BIAIS

A
Actualisation hyperbolique/biais du présent 141
Anthropomorphisme/la personni cation 283
Appel à la nouveauté 256
Aversion à la perte 55, 57, 61-64, 192, 307

B
Biais d’ancrage 34-39, 207
Biais d’associations
implicites 41
Biais d’attentes exagérées 87
Biais d’attention 17, 285-286
Biais d’attribution
de traits 178
Biais d’attribution hostile 183-184
Biais d’automatisation 189
Biais d’autorité 186, 188-189
Biais de cécité botanique 292
Biais de cohérence 270-272
Biais de compensation du risque 252
Biais de complaisance 181, 261
Biais de con rmation 137, 241-242, 244-247
Biais de congruence 246
Biais de conjonction 78
Biais de continuation
du plan 55
Biais de courtoisie 314
Biais de croyance 296
Biais de désirabilité sociale 89
Biais de disponibilité 319-320
Biais de distinction 317-318
Biais de gain de temps 280
Biais de groupe 100, 103, 105
Biais de la fausse unicité 262
Biais de l’angle mort 16, 161
Biais de l’historien 238
Biais de l’unité 307
Biais de motivation extrinsèque 166
Biais de négativité 173-176
Biais de normalité 152-153
Biais de pessimisme 87
Biais de projection 262
Biais de rationalisation 271
Biais de recul visuel 237
Biais de retenue 83
Biais de rétrospection
rose 168
Biais de saillance 147
Biais des coûts
irrécupérables 54, 61
Biais de statu quo 192
Biais de stéréotype 42
Biais de supériorité
illusoire 97
Biais d’évaluation des probabilités 75
Biais d’excès de con ance 82, 252
Biais d’ignorance
pluraliste 262
Biais d’impact 328-329
Biais d’information 311, 313
Biais d’information
partagée 311
Biais d’intentionnalité 184
Biais d’omission 326
Biais d’optimisme 87-88
Biais du risque zéro 65
Biais du scénario du pire 153
Biais du survivant 110-114
Biais égocentrique 259-261, 263-264
Biais intéroceptif 219
Biais mnésique associé à l’humeur 257
Biais pro-innovation 255
Biais puritain 179
Biais régressif 139
Biais rétrospectif 235-237
Bosse de réminiscence 169

C
Cécité d’inattention 287-289, 291
Comparaison sociale 154
Confabulation 229
Confusion des sources 225
Corrélation illusoire 115, 185
Cryptomnésie 230

D
Déclinisme 169
Déformation
professionnelle 325
Dévaluation réactive 167
Dilution de
responsabilité 101

E
Écart d’empathie 219, 221-222
Effet acteur/observateur 177
Effet autruche 149-150, 152
Effet Baader-Mainhof 137
Effet Barnum 21-24
Effet Benjamin
Franklin 135-136
Effet boomerang 248
Effet bouba-kiki 140
Effet cocktail party 290
Effet d’ambiguïté 67
Effet d’autoréférence 170
Effet de bizarrerie 147
Effet de cadrage 69-70, 72
Effet de choix par défaut 267
Effet de compensation
morale 251
Effet de contexte 148
Effet de contraste 275-278
Effet de dénomination 273
Effet de désinformation 225
Effet de difficulté de traitement 232
Effet de dissonance
cognitive 192
Effet de dotation 62-63
Effet de faux consensus 261-262, 264
Effet de focus 39-40
Effet de génération 170
Effet de halo 26-30, 34, 97, 189
Effet de la rime
comme raison 134
Effet de leurre 265-266
Effet de longueur de liste 206
Effet de modalité 207
Effet de mode 190
Effet de positivité 175
Effet de primauté 207, 209
Effet de projecteur 198
Effet de proximité 197
Effet de race 45
Effet de rareté 61
Effet de rebond 46
Effet de récence 206-207
Effet de simple exposition 194-197
Effet de singularité 171
Effet d’espacement 231
Effet de supériorité
de l’image 208
Effet de télescopage 217
Effet de testing 233
Effet de train en marche 190
Effet de train inversé 191
Effet de vérité illusoire 128-129, 133
Effet de victime identi able 171-172
Effet d’humour 145, 147
Effet difficile-facile 84
Effet d’in uence continue 131-132
Effet du chemin familier 282
Effet du mot sur le bout de la langue 303
Effet Dunning-Kruger 94-95
Effet du témoin 101
Effet Einstellung 325
Effet expérimentateur 295
Effet Golem 300
Effet Google 232
Effet IKEA 126
Effet Lady MacBeth 254
Effet « les femmes sont formidables » 214
Effet « MacGyver » 127
Effet Mandela 227
Effet moins c’est mieux 315
Effet Peltzman 212
Effet pire-que-la-moyenne 85
Effet pom-pom girl 125
Effet Pygmalion 299-300
Effet retour de amme 242
Effet réverbère 247
Effet Semmelweis 93
Effet SnackWell 251
Effet troisième personne 164
Effet von Restorff 147
Effet waouh 147
Effet Woozle 133
Effet Zeigarnik 305-306, 308
Erreur d’attribution
de groupe 182
Erreur de la main chaude 79
Erreur de l’historien 237-238
Erreur de plani cation 308
Erreur du parieur 80
Erreur fondamentale d’attribution 177, 179
Erreur ultime
d’attribution 182
Escalade irrationnelle 57

F
Fausse mémoire autobiographique 235
Faux souvenir 224, 226-228, 302
Fixité fonctionnelle 322-323

H
Hypnose de l’autoroute 293
Hypothèse du monde
juste 179

I
Illusion de connaissance asymétrique 204
Illusion de contrôle 90-92
Illusion de la n
de l’histoire 331
Illusion de récence 206
Illusion des séries 80
Illusion de transparence 198-199, 204
Illusion d’introspection 162-163

L
Loi de futilité
de Parkinson 310
Loi de l’instrument 324
Loi de Poe 199
Loi de Weber-Fechner 75

M
Malédiction de la connaissance 200
N
Négligence de la taille de l’échantillon 76

O
Oubli de la fréquence
de base 77

P
Paradoxe de Berkson 119-120
Paréidolie 122, 124
Pensée de groupe 103, 105, 107
Perception sélective 241, 285
Procrastination 143, 308

R
Réactance 248-249
Réalisme naïf 161-162
Règle pic- n 210

S
Suggestibilité 225, 301-302
Syndrome de l’imposteur 154, 156, 159
Syndrome de Travis (ou le snobisme chronologique) 168

T
Transfert illicite 160
Tunnel de réalité 243

V
Validation subjective 22
ISBN : 9782380156669
Dépôt légal : février 2022

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