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Entrez dans la neuroergonomie

quelque part entre « cet enfant est un cas particulier », « cet enfant
a été formé à la nage sur un tabouret mais il nous le cache » et
« cet enfant n’existe pas ! ». C’est une déformation professionnelle
bien connue des scientifiques  : si je l’ignore, ça n’existe pas, et si
ça n’existe pas, ça ne peut pas exister.

Vers des corrélats neuronaux


de l’excellence scolaire
ou du QI ?

Sur le cheval de bois de notre école, il existe un certain facteur qui se


corrèle à une certaine idée de l’excellence. Ce facteur G ou « quotient
intellectuel » est utile comme mesure cognitive, par exemple pour
évaluer l’impact d’un trauma ou d’une contamination chimique sur une
partie de l’intelligence d’une personne. Mais il ne faut pas l’extrapoler.
Si l’on analyse les centaines de publications scientifiques sur le sujet,
on  découvre à quoi peuvent ressembler certains de ces corrélats
­neuronaux1 :

1.  Cf. la plate-­forme LinkRbrain de Salma Mesmoudi et Yves Burnod à l’Inserm.

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Les trois images ci-­dessus représentent trois vues du cerveau, sur lesquelles
on a projeté des activités neuronales moyennes correspondant, sur des
centaines de gens, soit :
En noir : mathématiques
•  calcul mental,
•  opérations arithmétiques,
•  rotations mentales,
•  calcul (mental ou sur papier).
En hachuré : langage1
•  lecture, incluant :
–  reconnaissance sémantique des mots,
–  reconnaissance visuelle des mots.
Les activités neuronales associées à ces fonctions mentales sont tirées
de plus de deux cents publications scientifiques collectives. En neuros‑
ciences cognitives, on fait souvent une approximation statistique grave :
on prend la corrélation pour une causation. Or nous ne voyons ici que
des activités corrélées à la lecture ou au calcul mental, ce qui ne veut pas
dire qu’elles en sont totalement responsables.
La première image montre l’hémisphère droit, la seconde, l’hémisphère
gauche, et la troisième est centrée sur le sillon intrapariétal gauche (l’aire à
la fois bleue et rouge, au cœur de l’image). Le sillon intrapariétal, que Dehaene
et Butterworth ont popularisé sous le nom de « bosse des maths » possède des
populations de neurones dont le rôle est essentiel dans l’arithmétique exacte.
Ces populations de neurones se trouvent dans les deux hémisphères. En fait,
si l’on regarde les activités « en bleu » (associées, ici, aux mathématiques), elles
apparaissent presque parfaitement symétriques sur les deux hémisphères.
Celles associées au langage, en revanche, ne le sont pas  : en général, les
corrélats neuronaux du langage sont fortement latéralisés à gauche. Disons
pour simplifier que si les sillons intrapariétaux gauche et droit contribuent
à nos capacités de calcul, le sillon intrapariétal gauche est davantage sollicité
dans une tâche scolaire avec restitution du résultat, par écrit et par oral.
Il est clair qu’à l’école, l’accent est presque totalement mis sur les capaci‑
tés verbales des élèves, surtout en mathématiques, où un élève n’a aucun
point s’il parvient à résoudre un problème sans savoir en verbaliser la
démonstration. Comme notre cerveau sait faire des choses sans savoir les

1. En l’occurrence, langages européens. L’activation serait un peu différente pour


du chinois, par exemple, ou du coréen.

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LIBÉREZ VOTRE CERVEAU !

expliquer (c’est même le cas de l’immense majorité des choses qu’il sait
faire), lier l’excellence au monde verbalisé est déjà une limitation. Alors, si
l’on exclut la volonté et la motivation – qui sont sous-­évaluées dans l’édu‑
cation –, pour ne se concentrer que sur les capacités « intellectuelles », c’est
le sillon intrapariétal gauche qui est sans doute au cœur du phénomène
(au demeurant complexe) « avoir de bonnes notes ». Le phénomène serait
alors encore plus confiné qu’on le croyait, même dans la vie cérébrale.
Autre problème  : la question d’une possible régression de l’intelligence
générale dans la population. En 2013, Woodley, Te Nijenhuis et Murphy1
ont publié une étude affirmant qu’il existait un « déclin dans l’intelligence
générale ». Elle s’articulait autour d’un test très simple, connu depuis
l’époque victorienne : on affiche un point sur un écran et on demande au
sujet de dire s’il se trouve à gauche ou à droite de lui, le plus vite possible.
Il résulte de ce test que le temps de réaction s’est allongé dernièrement.
Certains voient là le signe que notre intelligence régresse.
Pour ma part, je considère cela comme la surinterprétation d’une expé‑
rience minuscule, incapable de capturer la notion d’intelligence générale.
Pour en avoir fait passer moi-­même, je peux confirmer que plus votre
esprit « erre », plus votre activité mentale spontanée est grande, moins
vous serez affûté à ces tests basiques de « décision perceptive ». Cela
prouve-­t‑il que vous êtes moins intelligent ? Une explication possible à
l’observation de Woodley et al., c’est que les gens « pensent » davantage,
que leur cerveau est bien plus riche d’activités spontanées, de réflexions,
de mémorisations aujourd’hui qu’hier, et que ces activités empiètent sur
leurs performances à un test désuet.
De Néandertal à Sapiens, la taille du cerveau a diminué. Peut-­on dire que
les capacités cognitives des hominidés ont aussi diminué de Néandertal
à Sapiens ? Je ne le crois pas.

Si vous limitez votre vie à la vie notée, vous n’aurez pas de


vie, vous aurez vendu un cheval véritable pour acheter un che‑
val de bois. Pire, ce cheval de bois, vous le transmettrez à vos
enfants. L’homme noté est inférieur à l’Homme tout court. Héri‑
tage de la pensée eugénique, nous avons cru que l’Übermensch
(le « surhomme ») de Nietzsche se trouvait dans l’homme noté,

1.  Woodley, M.  A., Te Nijenhuis, J. et Murphy, R., « Were the Victorians cleverer
than us? The decline in general intelligence estimated from a meta-­analysis of the
slowing of simple reaction time », Intelligence (2013), 41, 843‑850.

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