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Peut-on atteindre la vérité ?

Notions au programme : la vérité, la science, la raison.


Vérité ≠ réalité

Dire de perles, par exemple, qu'elles sont « fausses », cela veut dire que ce ne sont pas
de « vraies » perles, mais que ce sont des imitations. Dire d’un tableau que c’est un
« faux » c’est simplement dire que ce n’est pas vraiment un Rembrandt comme on essaie
de nous le faire croire.
Mais ce qui est vrai (ou faux) alors, c'est le jugement porté sur l'objet, la proposition ("ce
sont des perles" ou « c’est un Rembrandt »), non l'objet lui-même.

Il ne faut donc pas confondre vérité et réalité : les objets ne sont ni vrais ni faux, ils sont.
Vérité ≠ réalité
Il ne faut donc pas confondre vérité et réalité : les objets ne sont ni vrais ni
faux, ils sont.
Aussi, à proprement parler, seul un énoncé, un jugement peuvent être
vrais ou faux selon qu’ils sont en adéquation ou non avec la
réalité c-à-d avec le monde tel qu’il existe indépendamment de
l’esprit humain. ♥

Le problème suivant étant évidemment de savoir dans quelle mesure nous


pouvons avoir accès à cette réalité et comment !
Peut-on

Ici le « peut-on » nous interroge sur notre capacité à atteindre la vérité


et pas sur la légitimité de cette recherche.

On ne demande pas : est-il légitime de consacrer sa vie et ses efforts à


la recherche de la vérité mais la vérité nous est-elle accessible ?
Le problème
• Il semble que nous ayons un désir voire un besoin irrémédiable de
vérité.

• Cela dit, de nombreux obstacles semblent nous éloigner de la vérité.

- Les préjugés dus à notre éducation, à notre culture, à notre


ignorance etc.
- La faiblesse de nos sens
- Les biais cognitifs
- La désinformation
- La paresse qui nous conduit à ne pas penser par nous-même et
à ne pas exercer notre esprit critique
1. Les préjugés
Le préjugé est une opinion préconçue que l’on a reçue du dehors (de notre
éducation, de notre groupe social, de notre culture) sans examen.
Le terme est connoté péjorativement car il arrive que nos préjugés se révèlent faux voire
offensants. Exemple : les préjugés sexistes, racistes, classistes etc.
La philosophie s’est d’ailleurs longtemps donné pour but de dépasser les préjugés en
apprenant à cultiver notre esprit critique et notre esprit d’examen.
⚠ Cela dit, il faut constater que …
- Il est probable qu’on ne puisse pas penser absolument sans préjugé.
- Certains préjugés ne sont pas nécessairement à déplorer car ils nous permettent
d’agir même quand nous ne sommes pas absolument certains.
2. La faiblesse de nos sens
Nos cinq sens sont impuissants à saisir la réalité dans son ensemble.
Exemple : le défi de l’infiniment petit. L’histoire de la théorie cellulaire et de la première
observation d’une cellule en atteste (Cf vous cours d’enseignement scientifique !).
• Invention du microscope optique au XVIIème et observations des cellules mortes de la
paroi du liège par Robert Hooke, puis premières observations de cellules vivants par le
drapier Antoni van Leeuwenhoek.
• Invention du microscope électronique dans les années 1930 qui permet de comprendre
l’ultrastructure des cellules.
3. Les biais cognitifs
Un biais cognitif est une distorsion du jugement. Les biais cognitifs conduisent le sujet à
accorder des importances différentes à des faits de même nature et peuvent être repérés
lorsque des paradoxes ou des erreurs apparaissent dans un raisonnement ou un jugement.

• Le biais d’intentionnalité : la pensée humaine a beaucoup de mal à ne pas associer coïncidence et


causalité. Si quelque chose arrive, on est souvent conduit à considérer que ce n’est pas par hasard : il doit y
avoir une raison, derrière. Exemple : pendant longtemps, les éclipses étaient considérées comme trop
extraordinaires pour ne pas avoir un sens (châtiment, signe divin, etc.).
• Le biais de confirmation : nous résistons aux énoncés trop éloignés de nos opinions initiales qui
risquent de fissurer le réseau de nos croyances. Exemple : 70% des gens qui partagent un article sur
Facebook ne l’ont pas lu entièrement mais qui va dans le sens de leurs opinions. On parle d’ailleurs de
«sophisme de la dépense cachée » lorsqu’on s’obstine à persévérer dans nos fausses croyances car il nous
paraîtrait trop coûteux de revenir en arrière et de réévaluer le fondement de nos croyances.
• Le syndrome de l’explication unique : on est souvent tenté de rapporter un faisceau de
phénomènes à une explication unique qui en simplifie la compréhension. Exemple : les théories du
complot.
Les biais cognitifs soulignent combien nous cherchons le plus souvent, hélas, davantage
notre confort que la recherche rigoureuse de la vérité. Un fait n'est pas d’abord évalué
comme vrai ou faux : il est d'abord désirable ou indésirable.

Un être humain accepte le plus souvent l'énoncé qui offre le plus d'effet cognitif (=
satisfaction de nos attentes) pour le moins d'effort mental (= temps de concentration et
de réflexion).
4. La désinformation
Elle est vieille comme l’humanité car la vérité a une portée politique. Cela
peut relever de la propagande, de la fake news délibérément entretenue pour
servir certains intérêts, du canular. Cela dit, la désinformation a probablement
une ampleur inégalée aujourd’hui grâce aux nouveaux moyens de
communication.
Exemple : l’idée que le Sida aurait été une arme biologique inventée par des
laboratoires américains commence à s’implanter à la suite d’une opération de
communication initiée par le KGB.

D’où les ambitions de « désintox » de certains média qui traquent les fake
news et affirmations approximatives.
5. La paresse : une entrave à l’esprit
d’examen
Kant, Qu’est-ce que les Lumières ?
 

Les Lumières se définissent comme la sortie de l'homme hors de l'état de tutelle dont il est lui-même
responsable. L'état de tutelle est l'incapacité de se servir de son entendement sans être dirigé par un autre.
Elle est due à notre propre faute lorsqu'elle résulte non pas d'une insuffisance de l'entendement, mais d'un
manque de résolution et de courage pour s'en servir sans être dirigé par un autre. Sapere aude ! Aie le
courage de te servir de ton propre entendement ! Telle est la devise des Lumières.

Paresse et lâcheté sont les causes qui expliquent qu'un si grand nombre d'hommes, alors que la nature les a
affranchis depuis longtemps de toute tutelle étrangère, restent cependant volontiers, leur vie durant,
mineurs ; et qu'il soit si facile à d'autres de les diriger. Il est si commode d'être mineur. Si j'ai un livre pour
me tenir lieu d'entendement, un directeur pour ma conscience, un médecin pour mon régime... je n'ai pas
besoin de me fatiguer moi-même. Je n'ai pas besoin de penser, pourvu que je puisse payer ; d'autres se
chargeront à ma place de ce travail fastidieux. Et si la plupart des hommes (et parmi eux le sexe faible en
entier) finit par considérer comme dangereux le pas - en soi pénible - qui conduit à la majorité, c'est que
s'emploient à une telle conception leurs bienveillants tuteurs, ceux-là mêmes qui se chargent de les
surveiller.
Après avoir rendu stupide le bétail domestique et soigneusement pris garde que ces paisibles créatures ne puissent
faire un pas hors du parc où ils les ont enfermés, ils leur montrent ensuite le danger qu'il y aurait à marcher seuls.
Or le danger n'est sans doute pas si grand, car après quelques chutes ils finiraient bien par apprendre à marcher,
mais de tels accidents rendent timorés et font généralement reculer devant toute nouvelle tentative. Il est donc
difficile pour l'individu de s'arracher tout seul à la tutelle, devenue pour lui presque un état naturel. Il y a même pris
goût, et il se montre incapable, pour le moment, de se servir de son propre entendement, parce qu'on ne l'a jamais
laissé s'y essayer. Préceptes et formules - ces instruments mécaniques d'un usage ou, plutôt, d'un mauvais usage
raisonnable de ses dons naturels - sont les entraves qui perpétuent la minorité. Celui qui s'en débarrasserait ne
franchirait pourtant le fossé le plus étroit qu'avec maladresse, puisqu'il n'aurait pas l'habitude d'une pareille liberté
de mouvement. Aussi n'y a-t-il que peu d'hommes pour avoir réussi à se dégager de leur tutelle en exerçant eux-
mêmes leur esprit, et à avancer tout de même d'un pas assuré.

En revanche, la possibilité qu'un public s'éclaire lui-même est plus probable ; cela est même à peu près inévitable,
pourvu qu'on lui en laisse la liberté. Car il y aura toujours, même parmi les tuteurs attitrés de la masse, quelques
hommes qui pensent par eux-mêmes et qui, après s'être personnellement débarrassé du joug de la minorité,
répandront autour d'eux un état d'esprit où la valeur de chaque homme et sa vocation à penser par soi-même
seront estimées raisonnablement.
Questions
1) Que veut dire Kant lorsqu’il dit que les hommes semblent préférer rester dans un état de « minorité intellectuelle » plutôt
que de penser par eux-mêmes ? En quoi est-il plus agréable d’avoir un tuteur que de penser par soi-même ?
2) Quels sont les intérêts des tuteurs quand ils maintiennent les hommes dans un état de minorité intellectuelle et leur
disent ce qu’ils doivent penser ?
3) Pourquoi Kant compare-t-il les hommes qui ne pensent pas par eux-mêmes à du bétail ? Donnez des caractéristiques du
bétail qui justifient cette comparaison
4) Qui sont les tuteurs qui nous empêchent de penser par nous-mêmes ?
5) Selon Kant, il est plus probable qu’un « public » (c’est-à-dire qu’un groupe d’hommes assemblés) parvienne à conquérir
une liberté de penser authentique plutôt qu’un homme solitaire. Pourquoi ?
6) Quelles sont les conditions politiques de cette conquête de liberté intellectuelle ?
7) Qui pourraient-être ces hommes qui parviennent à penser par eux-mêmes et libèrent ainsi la foule de ses tuteurs
malveillants ?
8) N’y a-t-il pas une contradiction : les hommes du dernier paragraphe, qui s’exempteront de leur tutelle, ne deviendront-ils
pas de nouveaux tuteurs pour la foule ?
9) Concluez : En quoi est-il nécessaire d’apprendre à penser par soi-même ? Et penser par soi-même est-ce penser tout seul ?
Le problème
• Ou bien la vérité nous est inaccessible parce que notre entendement
(faculté de connaître) est trop imparfait et facilement abusé par des
puissances trompeuses (préjugés, faiblesse des sens, puissance de
l’imagination, biais cognitifs…) ; mais alors : faut-il renoncer à la
recherche de la vérité et considérer que toutes les opinions se valent ?

• Ou bien la vérité nous est accessible parce que nous pouvons surmonter
les faiblesses de notre entendement et de nos sens mais alors, comment
se garder de l’erreur ? Par quelle méthode atteindre et reconnaître la
vérité ?
I. En apparence, la vérité nous semble inaccessible.
Et si nous ne pouvions avoir que des croyances incertaines ?
a) La thèse sceptique : tous nos jugements sont également incertains.
 
Le scepticisme
Le scepticisme est un courant philosophique
représenté deux grandes figures : Pyrrhon (IVème
siècle avant JC) et Sextus Empiricus (IIème siècle
après JC) et qui soutient que la vérité nous est
inaccessible ou plutôt que nous ne pouvons jamais
être certains que nos jugements sont vrais.
Les sceptiques s’opposent aux dogmatiques qui
considèrent que l’on peut atteindre puis démontrer
des vérités certaines et absolues.
Selon le scepticisme, nous ne pouvons pas atteindre la vérité ; ou plutôt, quand bien
même on aurait atteint la vérité, on ne pourrait pas être certain de l’avoir atteinte.
Pour montrer l’égale incertitude des croyances, le sceptique fait appel aux « cinq
tropes d’Agrippa » qui sont cinq modes d’argumentation permettant de nous faire
douter de n’importe quelle affirmation.
 
Les cinq tropes d’Agrippa

• La trope du désaccord
• La trope du relatif
• La trope de l’hypothèse
• La trope de la régression à l’infini
• La trope du diallèle ou cercle vicieux
1. La trope du désaccord
La trope du désaccord souligne que …

- La vérité est universelle (≠ particulière aux individus) et absolue (≠


relative aux individus). Elle peut prétendre à un assentiment universel.
- Or, nous ne trouvons ici-bas que des opinions changeantes, diverses et
contradictoires. Et il arrive que deux opinions soient également
convaincantes et qu’on ne sache trancher.
- Ainsi, la vérité nous semble inaccessible.
2. La trope du relatif
La trope du relatif souligne que les choses apparaissent de manières différentes à des
observateurs différents ; il est donc impossible de discourir sur l’essence des choses mais
simplement sur la manière dont elles nous apparaissent, c’est-à-dire sur ce qu’on appelle
leurs phénomènes.
• Exemple : une rose qui m’apparaîtra rouge apparaîtra peut-être bleue à un daltonien. Or,
dirions-nous vraiment que le daltonien se trompe ?
• Exemple : les phoques et les dauphins voient le monde dans une nuance de gris et ne
voient pas les couleurs chaudes : dirons-nous vraiment qu’ils ont tort et nous raison ?

Non, nous dirons simplement que nous n’avons accès au monde que comme il nous
apparaît càd par l’intermédiaire de nos organes de perception qui auraient pu être
différents…
3. La trope de la régression à l’infini

La trope de la régression à l’infini souligne que toute affirmation repose sur


des preuves et celles-ci sur d’autres. Par conséquent, pour être assuré de quoi
que ce soit, il faudrait avoir la preuve des preuves. Cela étant impossible car
infini, nous ne sommes assurés de rien.
4. La trope de l’hypothèse
La trope de l’hypothèse souligne qu’une fois renvoyés à l’infini, tous les
dogmatismes doivent alors se reposer sur des postulats. (Un postulat est une
proposition indémontrable qu’on nous demande d’accorder comme point de départ
d’un raisonnement). Or, ces postulats étant invérifiables tout ce que l’on fonde sur
eux est incertain.
Exemple : les postulats d’Euclide et notamment le 5ème ou « le postulat des
parallèles » qui postule qu’étant donné un point et une droite ne passant pas par ce
point, il existe une seule droite passant par ce point et parallèle à la première. PB :
on tente de le démontrer jusqu’au XIXème siècle où certains mathématiciens ont
montré qu’il est possible d’envisager une géométrie « non » euclidienne où ce
postulat serait inacceptable !
5. La trope du diallèle ou cercle vicieux
La trope du diallèle ou cercle vicieux souligne que la conséquence supposée d’une thèse est
parfois, en réalité, une condition même de la démonstration de cette même thèse.

Exemple : « Les phénomènes paranormaux existent parce que j'ai eu des expériences qui ne
peuvent être considérées que comme paranormales ».
 La conclusion de cet argument est que les phénomènes paranormaux existent.
 Or, en réalité, la prémisse (la proposition de départ) suppose déjà que l'argumentateur a
eu des expériences paranormales, et donc suppose que les expériences paranormales
existent.
 L'argumentateur ne devrait pas être autorisé à supposer que ses expériences étaient
paranormales, mais devrait être invité à fournir des preuves à l'appui de cette affirmation.
Les conclusions sceptiques

1. Puisque la raison est impuissante à connaître autre chose que l’apparence des choses il
faut douter de tout, suspendre son jugement (épochè) et même cesser de
rechercher la vérité. Autrement dit, le scepticisme ruine toutes les formes de
certitudes et humilie les prétentions de la raison
2. Une telle conduite devrait nous conduire, selon les sceptiques, à l’ataraxie (= la
tranquillité de l’âme).
3. Le scepticisme nous conduit à une certaine misologie (la haine de la raison
impuissante à nous délivrer la vérité).
Transition : Mais ne peut-on pas souligner que le sceptique doute de tout sauf
de la légitimité du doute ? Sextus Empiricus soutient, en effet, que l’on ne peut
rien affirmer sauf… qu’il ne faut rien affirmer. N’est-ce pas paradoxal ?
b) La thèse relativiste : tous nos jugements se valent.
A chacun son opinion !
 
L’erreur du sceptique selon
Protagoras
Protagoras (Vème siècle avant JC) qui
est le père du relativisme, souligne, selon
lui, l’erreur du sceptique : le sceptique a
cru que la vérité était universelle et
absolue alors qu’il n’y a que des vérités
relatives et changeantes puisqu’il n’y a
que des apparences. Autrement dit,
Protagoras soutient que toutes les
croyances se valent car elles sont toutes
également vraies.
Repère : absolu / relatif
Le relativiste s’oppose à la fois aux dogmatiques et aux
sceptiques

• Relativiste ≠ dogmatique : Le relativiste ne considère pas, comme le dogmatique, que des


vérités universelles, absolues et objectives nous sont accessibles. Selon lui, la vérité est
relative.

• Relativiste ≠ sceptique : Mais le relativiste ne considère pas non plus comme le sceptique
que nous devons douter de tout. Nous pouvons dire que nos croyances sont vraies si
nous acceptons une conception plus humble de la vérité qui se réduit alors à l’opinion
personnelle.
Pour le relativiste, l’individu est la mesure du
vrai : à chacun ses opinions !

L’individu est, selon le relativiste, « la mesure du vrai » et ce qui apparaît à chacun est la
réalité même.
Protagoras soutient alors que « l’homme est la mesure de toutes choses » ; autrement
dit, l’individu est la mesure du vrai ; autrement dit encore, que la sensation, personnelle
et privée, est la mesure du vrai.
Protagoras assume donc la trope du relatif et soutient que nous devons faire notre deuil
de la vérité absolue pour accepter qu’il n’y a que des croyances, parfois contradictoires,
mais toujours toutes également vraies ! Il faudrait dire « à chacun ses opinions » et
accepter qu’elles soient toutes légitimes.
Exemples

• La relativité des sensations (exemple : de fraîcheur ou de chaleur) et


des goûts culinaires (aimer ou non le tiramisu).
• Le relativisme esthétique (exemple : le beauté d’une œuvre d’art)
• Le relativisme moral (il n’y aurait pas de vérité absolue en matière de
bien et de mal).
• Le relativisme de la vérité (pas de vérité absolue, à chacun son
opinion !)
Le relativiste s’oppose ainsi à l’intolérance et l’ethnocentrisme

Selon le relativiste, parce qu’elles sont toutes également vraies, alors, toutes les
opinions sont légitimes et acceptables.
Ainsi, de la même manière que nous sommes facilement convaincus qu’en matière de
goûts et de couleurs, tout le monde a raison puisqu’il juge de sa propre sensation, de la
même manière Protagoras nous demande d’admettre qu’en morale et qu’en politique,
tout le monde a également raison.
En ce sens, Protagoras légitime la démocratie : si toutes les croyances se valent, alors
toutes les croyances ont droit de cité et doivent être entendues pour élaborer les lois et
prendre des décisions communes. Ainsi, le relativisme invite à la tolérance : s’il n’y a pas
une vérité absolue et universelle, alors nous devons respecter et écouter ceux qui ont des
croyances différentes et parfois opposées aux nôtres.
Les vertus du relativisme
L’humilité Être relativiste c’est éviter de prétendre
que les autres ont tort et que l’on a
raison et accepter de se remettre en
question.
La tolérance Être relativiste c’est accepter que
certaines personnes aient des opinions
différentes des nôtres.
La non-domination Être relativiste c’est renoncer à
prétendre posséder la vérité.
L’ouverture aux autres Être relativiste c’est accepter la
discussion avec des individus qui ne
partagent pas nos opinions.
Transition : Si le scepticisme devait nous mener à l’ataraxie, le relativisme doit
nous mener à la tolérance.
• Le sceptique souligne la nécessité de prendre conscience de la fragilité de nos
propres croyances en soutenant qu’elles sont toutes également incertaines.
• Le relativiste souligne l’égale prétention des croyances et donc leur égale légitimité
politique et morale en soutenant qu’elles sont toutes également vraies.
Mais peut-on vraiment être relativiste ou sceptique jusqu’au bout ? Soutenir que
« toutes les croyances se valent » n’est-ce pas nous rendre incapables de distinguer
l’erreur pure et simple de la croyance légitime ?
II. Cela dit, peut-on être sceptique ou relativiste jusqu’au
bout ?
a) Objections au scepticisme : vices et vertus du doute.
Objection théorique : il y bien de l’indubitable

Peut-on vraiment soutenir que toutes les croyances sont également incertaines ?

Pascal, dans ses Pensées affirme que…

« Nous avons une impuissance à prouver invincible à tout le dogmatisme ; nous avons une
idée de la vérité invincible à tout le pyrrhonisme ».
 Selon le premier membre de la phrase, il faut prendre le sceptique au sérieux : nous
n’avons probablement que des croyances fragiles et indémontrables jusqu’au bout. Nous
sommes impuissants à tout prouver et donc nous ne devons pas être dogmatiques, c’est-à-
dire considérer que toutes nos croyances peuvent légitimement devenir des certitudes
rationnelles.

 Mais le second membre de la phrase souligne qu’on ne peut pas, pour autant, être
absolument sceptique car la raison est peut-être impuissante, mais justement, Pascal
souligne que nous n’avons pas que la raison. Le cœur supplée là où la raison est
impuissante à démontrer. Le cœur sent les premiers principes avec intuition (ce que c’est
que le temps, le nombre, le mouvement, l’espace). Il y a de l’évidence dont on ne peut pas
douter. Par exemple, il est indubitable que 2+2 = 4. Nous en avons immédiatement une
conception claire et distincte. Nous n’avons pas besoin d’une déduction, c-à-d d’un
raisonnement démonstratif pour le savoir. Voilà pourquoi Pascal pense que « Les premiers
principes se sentent, les propositions se concluent ».
Repère : intuitif / discursif
Une intuition désigne la saisie immédiate par l’esprit d’une idée. C’est une connaissance
immédiate, claire et distincte qui ne nécessite pas de raisonnement discursif ou de
démonstration càd de construction progressive de la pensée qui requiert, pour se déployer,
une temporalité plus longue.
L’évidence qui résulte de l’intuition est donc le caractère intrinsèque d’une idée qui fait que
je ne peux lui refuser mon adhésion.

⚠ Mais attention : on comprend donc que l’évidence est rare. Ne sont évidentes que les
idées qui sont …
o Claires : il n’y a aucune obscurité. L’idée claire est l’idée directement présente à une
pensée attentive.
o Distinctes : Il n’y a aucune confusion. Une perception est distincte lorsqu’elle est
tellement précise qu’elle nous apparaît parfaitement différente de toutes les autres.
Une objection pratique : un doute absolu
n’est pas praticable

Pour agir il est nécessaire de s’en remettre à la croyance. Quand bien


même je ne pourrais pas prouver ma croyance, il faut bien que je me
détermine. Sans pouvoir le prouver, on croira plus aisément que la pomme
qui a un bel aspect est meilleure que la pomme qui a un aspect pourri.
En pratique, on ne peut pas être sceptique jusqu’au bout à moins de se
taire et de rester immobile, comme Pyrrhon, ou d’accepter de se fier aux
apparences comme Sextus Empiricus qui soutenait que quand bien même
nous ne pouvons en tirer aucune certitude, il vaut mieux, pour agir, nous
fier aux apparences.
b) Objections au relativisme
1. Les objections théoriques
de Platon

Platon, dans Théétète propose en effet, par


l’entremise de Socrate, quatre arguments
contre l’égalité de valeur des croyances.
 Argument 1 : Le relativisme est auto-réfutant. Si toutes les croyances se valent, alors la croyance
du relativiste qui considère que « tout est relatif aux sensations individuelles » vaut la même
chose que sa contradiction « tout n’est pas relatif aux sensations individuelles ».
 
 Argument 2 : la confusion du droit et du fait. La diversité des croyances en fait ne justifie pas que
les croyances se valent en droit. Par exemple : il existe une diversité de croyances au sujet de la
forme de la Terre : certains ont cru, et croient peut-être toujours, que la Terre est plate, d’autres
qu’elles reposent sur une tortue, d’autres sur Atlas, d’autres qu’elle est le centre de l’univers. Nous
croyons aujourd’hui qu’elle est ronde, qu’elle flotte dans l’espace, qu’elle n’est pas le centre de
l’univers, qu’elle tourne autour du soleil, etc. Or, du fait qu’il existe une diversité de croyances au
sujet de la Terre, nous n’en concluons pas qu’il n’y a pas de vérité objective à son propos. Nous
avons plutôt tendance à considérer que lorsque nous avons des croyances incompatibles, toutes ne
peuvent être vraies à la fois et non pas que toutes sont vraies. Autrement dit, Platon souligne que le
relativisme nous rend incapables de distinguer l’erreur pure et simple, le mensonge et la croyance
légitime.
 
 
 Argument 3 : la négation de l’expertise. Si nos jugements sont toujours vrais alors
pourquoi, quand on est malade, aller voir le médecin plutôt que le menuisier ? Être
relativiste c’est refuser en toute chose une forme d’expertise.

 Argument 4 : Le relativisme nous invite à renoncer à la recherche de la vérité et à


préférer la paresse intellectuelle et le sommeil de l’esprit. En effet, celui qui pense a
priori que « toutes les croyances se valent » n’a plus à faire l’effort de chercher la vérité
et de dévoiler les erreurs et les préjugés. Le relativisme est une position confortable
mais qui, pour Platon, mène à la misologie.
2. Les objections éthiques : peut-on vraiment être relativiste en
matière de morale ?

Le relativiste moral soutient que les valeurs morales (le bien et le mal) dépendent d’un
individu ou d’un groupe à leur égard. Il n’y a pas de vérités absolues et universelles en
matière de morale : les valeurs dépendent des individus et/ou des communautés et varient
selon les époques et les sociétés.

Les valeurs morales ne seraient que des conventions, notamment sociales, càd des valeurs
établies et construites et non pas des vérités universelles.

Ainsi, pour un relativiste moral : en matière de morale, personne n’a tort. Il faut dire « à
chacun son avis ». Mais, est-ce vraiment acceptable ?
Les hyènes du Malawi
Problème : l’impossibilité de la condamnation de
l’opinion et de la conduite d’autrui

Le relativisme moral implique l’impossibilité du désaccord et de la


condamnation morale. Or, l’intuition résiste à l’idée que les normes
morales ne seraient que des conventions sociales, exactement comme
rouler à droite ou se serrer la main pour se dire bonjour.
Rappel : à la recherche de critères pour évaluer nos normes morales

Nous ne sommes pas nécessairement condamnés au relativisme absolu.

• Le déontologisme (Kant) souligne que notre raison nous conduit à


reconnaître des devoirs moraux qui s’imposent à nous absolument et
exige que notre action soit désintéressée, universalisable et effectuée
par pur respect de la loi morale qui impose que l’on respecte toujours
autrui comme une fin en soi et jamais uniquement comme un moyen.
• L’utilitarisme (Bentham, Singer) souligne que notre raison nous conduit
à reconnaître comme bonnes les actions dont les conséquences
maximisent le bonheur du plus grand nombre.
3. Les objections politiques de Karl Popper

K. Popper dans La société ouverte et ses ennemis remarque que : « Si nous ne sommes pas
disposés à défendre une société tolérante contre l'impact de l'intolérant, alors le tolérant
sera détruit, et la tolérance avec lui. »

Autrement dit : le relativiste qui appelle à la tolérance est désarmé face à l’intolérance. Celui
qui défend que toutes les croyances se valent risque d’ouvrir la voie aux dogmatiques
intolérants décidés à imposer aux autres leurs croyances. Cela pose la question de savoir si
certaines opinions ne doivent pas être tolérées dans l’espace public : c’est le problème de la
liberté d’expression.
L’exemple du négationnisme
Ce fut par exemple un problème posé par l’une des lois mémorielles françaises, la loi
Gayssot de 1990 qui entendit pénaliser le « négationnisme » qui consiste à soutenir que
les atrocités de la Seconde Guerre mondiale (génocide, camps de concentration et
d’extermination) n’ont pas eu lieu. Être négationniste, en pratique, c’est alors renoncer à
juger les coupables et à entretenir la mémoire des victimes.
 On voit bien que le négationnisme pose un problème politique et éthique.
 Mais, dans le même temps, on peut considérer que la loi Gayssot qui en interdit
l’expression publique est une atteinte à la liberté d’expression et que cette atteinte est
grandement problématique. Voilà pourquoi certains historiens, quoiqu’outrés par le
négationnisme, ont préféré plaider pour une tolérance politique qui ne renonce pour
autant pas à battre le négationnisme sur son propre terrain en apportant toujours plus
de preuves et de confirmations des atrocités nazies.
Toutes les opinions sont-elles tolérables dans l’espace
public ?
Voilà pourquoi nous pourrions refuser une tolérance absolue qui virerait à l’indifférence pour lui préférer ce que Karl
Popper appelle le pluralisme critique des valeurs :

- On tolèrera toutes les croyances qui ne nuisent pas à l’intégrité morale des citoyens pour éviter la violence et
parce que la contrainte, de toute manière, ne peut forcer un individu à croire ce qu’on lui impose.
- On ne tolèrera pas, cependant, les croyances qui invitent à la violence. En ce sens, en France, la liberté
d’expression est reconnue comme un droit inaliénable par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et
du citoyen mais elle n’est pas un droit absolu : sont interdits les appels à la haine raciale, ethnique ou religieuse,
l’apologie des crimes de guerre et du terrorisme, la diffamation (porter atteinte à l’honneur et à la considération
d’une personne), les violations de la vie privée, la violation d’un secret professionnel ou d’un devoir de réserve.

Autrement dit, toutes les croyances ne se valent pas mais cela n’empêche pas de penser une tolérance qui, quoique
non absolue, accepte d’admettre que certaines croyances irrationnelles (ex : théories du complot) ou non-
rationnelles (ex : la foi) ou fausses (ex : croire que la Terre est plate) aient tout de même droit de cité tant qu’elle
ne porte pas atteinte à l’intégrité morale d’autres personnes.
c) Sortir de la difficulté en distinguant plusieurs types de jugements
L’erreur du scepticisme comme du relativisme est peut-être de ne pas distinguer assez
clairement les types de jugements à propos desquels leur constat est légitime. Tous les
jugements ne sont, en effet, pas de même nature. On peut ainsi distinguer :

1. Les jugements de valeur


2. Les jugements portant sur des faits
3. Les relations d’idées
1. Les jugements de valeur

 Ils échappent aux critères de la vérité et de l’erreur.


Ce sont des propositions qui expriment des opinions subjectives et des jugements
de goût qui sont par définition personnels et privés.
Exemples : « j’aime le chou » ; « je trouve Cézanne plus émouvant que Manet » ;
« je préfère Pierre à Paul ».
Recevables comme arguments dans une discussion, ces jugements ne sont plus
acceptables lorsqu’ils prétendent à l’universalité. Respectables quand elles sont
présentées comme telles, les certitudes subjectives de ce type deviennent
problématiques lorsqu’on cherche à les faire passer pour des vérités absolues.
2. Les jugements portant sur des faits

 Parce qu’ils cherchent à être adéquats à la réalité, ils sont vrais ou


faux et peuvent prétendre à un assentiment universel.

Exemples : « le cheval est un mammifère » ou « la Tour Eiffel fait 300 mètres de
hauteur » ou « le climat se réchauffe ».
3. Les relations d’idées
 Les relations d’idées relèvent des sciences formelles comme les mathématiques ou la
logique. Elles sont vraies ou fausses et peuvent prétendre à un assentiment universel.
Exemples : « le carré de l’hypoténuse d’un triangle est égal au carré des deux côtés »,
« 3x5 = 15 ».
Les propositions de ce genre n’ont pas besoin de confrontation avec la réalité extérieure:
on peut les découvrir par la seule opération de la pensée. Contrairement aux jugements
d’expériences qui portent sur les faits, les relations d’idées sont parfaitement nécessaires
et impliquent de la contradiction. Par exemple, il ne peut pas être autrement que 3x5 = 15.
En revanche, le fait que « le Soleil se lève demain à l’Est » n’est pas parfaitement
nécessaire : il est théoriquement possible qu’il se lève à l’Ouest ou ne se lève pas du tout.
Cela n’impliquerait aucune contradiction interne.
Les relations d’idées Les jugements de faits Les jugements de valeur

• Exemple : 2+2 = 4 • Exemple : « La tour Eiffel • Exemple : « Le tiramisu, c’est
mesure environ 300 mètres ». bon! »
• Elles sont vraies ou fausses.
• Ils sont vrais ou faux. • Ils échappent aux critères de la
• Elles énoncent un jugement vérité ou de l’erreur (et donc à la
nécessaire et formel (ce qui • Ils énoncent une affirmation à science).
importe c’est la forme de propos de la réalité et
l’argument càd la relation prétendent lui être adéquats. • Ils énoncent une opinion
logique entre les idées et non subjective relativement à ce qui
leur contenu). est bien ou mal, beau ou laid,
agréable ou désagréable.

• On peut être relativiste à propos


de ces jugements même si on
n’est pas condamnés au
relativisme absolu.
Ainsi…

A la lumière de ces nouvelles distinctions nous comprenons que …

• Concernant les jugements de valeur, on ne peut énoncer de vérité définitive,


universelle et absolue. Cela dit, on n’est pas nécessairement pour autant condamné au
relativisme absolu puisque nous pouvons énoncer des arguments et des critères qui
nous semblent plus pertinents que d’autres. Par exemple, en matière de morale, on ne
peut peut-être pas énoncer de vérité définitive mais on peut bien soutenir la pertinence
ou l’insuffisance de certains raisonnements moraux en utilisant des arguments
déontologistes ou utilitaristes par exemple.
• Seuls les jugements de faits et les relations d’idées peuvent être dits vrais ou faux.
Mais ce qu’il nous faut donc maintenant déterminer c’est … comment procéder pour
atteindre la vérité pour ces types de jugements ?
III) A la recherche de méthodes et de critères de vérité
a) Les critères de vérité insuffisants
1. Les justifications à bannir absolument
- Les arguments d’autorité : un argument du type « c’est vrai parce que Platon a dit
que… » ne sont pas recevables car il n’avance aucune raison légitime mais se cache
derrière une autorité qui peut être remise en question.
- La croyance du plus grand nombre : le fait que « la plupart des gens pense que… »
n’est pas recevable. La majorité des gens peut bien se tromper. Longtemps, l’opinion
majoritaire était que la Terre était plate.
- La conviction personnelle et la force de l’évidence subjective : la force de notre
conviction ne peut être un critère de scientificité d’une croyance tant il arrive que nous
nous trompions sur des choses qui nous apparaissent comme claires et patentes. Il ne
suffit pas de dire « je suis persuadé que » car la vérité prétend à l’objectivité et
l’universalité et doit pouvoir avancer des raisons et des preuves.
2. Les critères problématiques

 Le critère de la vérité-correspondance qui consiste à dire qu’un jugement est vrai s’il
correspond à la réalité. Mais on comprend bien le problème : si on définit la vérité
comme adéquation de notre jugement avec la réalité, encore faut-il être sûr que nous
n’avons pas un rapport faussé avec la réalité et nous n’avons aucun moyen de le savoir !
Ce critère de vérité donc, quoique légitime, est inapplicable !
Descartes et l’argument du bâton qui nous apparaît rompu dans
l’eau
« Dans l’effort que nous faisons pour comprendre le monde, nous ressemblons
quelque peu à l’homme qui essaie de comprendre le mécanisme d’une montre
fermée. Il voit le cadran et les aiguilles en mouvement, il entend le tic-tac, mais il n’a
aucun moyen d’ouvrir le boîtier. S’il est ingénieux il pourra se former quelque image
du mécanisme, qu’il rendra responsable de tout ce qu’il observe, mais il ne sera
jamais sûr que son image soit la seule capable d’expliquer ses observations. Il ne sera
jamais en état de comparer son image avec le mécanisme réel, et il ne peut même
pas se représenter la possibilité ou la signification d’une telle comparaison. »

Albert Einstein et Léopold Infeld, L’évolution des idées en physique


Einstein et la métaphore de la montre fermée
Ce que l’on perçoit de la réalité Le mécanisme auquel nous n’avons pas
accès
 Le critère pragmatique. Il consiste à soutenir que le jugement vrai est le jugement qui
réussit. Si ça marche, c’est que c’est vrai ! Par exemple : si un médicament marche c’est
qu’il est efficace et que la proposition « ce médicament soigne telle maladie » est vraie.
Problème : ce critère est problématique puisque…

 On s’aperçoit aisément qu’un savoir-faire efficace peut ne s’accompagner d’aucun


savoir. Exemple : on peut réussir à faire redémarrer son moteur un peu par hasard
sans rien connaître à la mécanique mais en tirant, au hasard, le bon fil …

 Et qu’un savoir-faire efficace peut même s’accompagner d’un savoir erroné.


Exemple : l’effet placebo de certains médicaments. Ils sont efficaces alors même
qu’ils ne possèdent pas d’agents actifs susceptibles de soigner chimiquement.
b) La science à l’assaut de méthodes et de critères de vérité
Définition de la science
La science, du latin scientia est d’abord un synonyme du savoir en général. Peu à peu,
chez les Modernes, la science a conquis son autonomie et en est venue à désigner une
forme spécifique de savoir qui repose sur des critères précis de vérification
permettant une objectivité des résultats.
Les affirmations scientifiques ne sont donc pas des dogmes ou des arguments
d’autorité. La science doit justifier ses affirmations en apportant si ce n’est des preuves
au moins des raisons de croire.
 Ces justifications sont « objectives » parce qu’elles sont susceptibles d’être vérifiées
et contrôlées par tous.
 En effet, elles résultent de méthodes identifiables et répétables : elles explicitent la
manière dont elles procèdent.
Repère : objectif / subjectif
La ou les science(s) ?

Mais doit-on parler de la science ou des sciences ? En effet, les sciences se distinguent
par la diversité de leur objet d’étude.
 La biologie fait l’étude du vivant.
 La physique étudie la matière (nature inerte).
 L’arithmétique étudie les nombres.
 L’histoire étudie les faits du passé.
 Les neurosciences étudient le fonctionnement du cerveau.
 La sociologie étudie les comportements des individus en société.
Un même phénomène peut donc être étudié selon
diverses perspectives
Exemple : un suicide

 La physique étudiera le corps qui chute (sa vitesse, sa trajectoire…)


 La psychologie étudiera les causes individuelles (rupture amoureuse,
deuil…)
 La sociologie étudiera les causes sociales (Durkheim montre par
exemple l’importance des facteurs sociaux dans le suicide).
On peut en fait distinguer trois types de sciences :
 Les sciences « formelles » comme les mathématiques et la logique. Elles reposent sur la déduction à partir
d’axiomes. Dans ce domaine, il n’y a pas besoin de vérification expérimentale puisque la science repose sur
des relations d’idées et non sur des faits extérieurs. Elles sont dites « formelles » car elles s’intéressent à la
forme et non au contenu. Par exemple, quand je dis 2+2 = 4, peu importe qu’il s’agisse de deux pommes ou
de deux éléphants !
 
 Les sciences « expérimentales ou empirico-formelles » comme la physique, la chimie, l’astronomie ou la
biologie. Ce sont des sciences expérimentales qui se rapportent à des objets extérieurs et exigent des
contrôles expérimentaux.
 
 Les sciences « humaines » comme l’économie, la sociologie ou l’anthropologie. Leur statut « scientifique »
est plus polémique : elles reposent bien sur une certaine forme de vérification expérimentale mais … si
l’homme possède un libre-arbitre alors les sciences humaines, contrairement à la physique par exemple, ne
peuvent pas proposer de lois explicatives des comportements humains qui seraient nécessaires et
universelles.
 
Les sciences formelles Les sciences de la nature Les sciences humaines

• Exemples : les mathématiques • Exemples : la physique, la • Exemples : l’histoire, la


et la logique chimie, la biologie, la géologie, psychologie, la sociologie,
la médecine l’anthropologie, les sciences
• Elles ont pour objet les relations politiques, l’ethnologie
d’idées. • Elles ont pour objet les
jugements de faits et isolent • Elles ont pour objet les
• Leur méthode repose sur la notamment des successions comportements humains et les
démonstration càd sur le constantes de phénomènes structures sociales qui en
raisonnement déductif. appelées lois naturelles. Ex : tous constituent le cadre.
les métaux se dilatent quand on
les chauffe. • Leur statut de science est
contesté. On les appelle parfois
• Leur méthode ne repose pas que des sciences molles.
sur la démonstration mais aussi
sur l’expérimentation. • Leur méthode s’appuie sur les
ressources des sciences
formelles et expérimentales mais
elles sont davantage
interprétatives.
Une ou des méthode(s) ?
• Les sciences formelles se donnent pour méthode la démonstration et se donne un
critère de cohérence. Un jugement est vrai – ou plutôt valide – s’il est déduit
logiquement à partir de prémisses vraisemblables.

• Les sciences expérimentales s’appuient, elles, sur l’expérience ou plutôt sur


l’expérimentation càd une expérience méthodique qui s’appuie sur des théories et
nécessite des instruments de mesure.

• Les sciences humaines s’appuient, elles aussi, sur l’expérimentation mais doivent
affronter des difficultés spécifiques.
1) La méthode des sciences formelles : la démonstration

⚠ Pour les sciences formelles un jugement vrai est un jugement démontré par un
raisonnement déductif cohérent et valide.

La démonstration est un raisonnement déductif valide car elle consiste à tirer des
conclusions en les rattachant par un lien logique nécessaire à d’autres propositions déjà
démontrées ou admises comme vraies.

Dans la déduction on va donc du général au particulier.


L’exemple du syllogisme
Prenons un exemple d’une forme de raisonnement déductif qu’on appelle un syllogisme et
qui consiste à déduire d’une prémisse (= un argument de départ) universelle et d’une
prémisse particulière, une conclusion nécessaire.
 Un raisonnement déductif valide
- Tous les hommes sont mortels. (Prémisse universelle)
- Or, Socrate est un homme. (Prémisse particulière)
- Donc Socrate est mortel. (Conclusion déduite)

On comprend alors que la forme du raisonnement valide est :

Tous les X sont des Y. Or, Z est un X. Donc Z est un Y.


Exemple de déduction non valide
 Un raisonnement déductif non valide

- Tous les chats sont mortels. (Prémisse universelle)


- Or, Socrate est mortel. (Prémisse particulière)
- Donc Socrate est un chat. (Conclusion)

Ici, les deux prémisses sont vraies mais l’argumentation n’est pas valide car il n’y a pas de
lien de nécessité entre les arguments ce qui mène à une fausse conclusion. En effet, la
mortalité n’est pas un critère qui appartient uniquement à l’espèce des chats. On ne peut
donc déduire du fait que Socrate est mortel qu’il est un chat !
Les limites de la démonstration
⚠ Le problème c’est que la démonstration est une forme d’argumentation qui s’intéresse à la
validité de l’enchaînement logique des propositions (leur cohérence) mais qui ne dit rien du
contenu de l’argument lui-même. En effet, on peut enchaîner des propositions de manière
logiquement valide mais si on déduit correctement une conclusion de prémisses fausses alors la
conclusion a beau être valide formellement, elle n’en est pas moins fausse du point de vue de son
contenu s’il n’y a pas accord entre la pensée et le réel.
 Un raisonnement valide mais à partir de prémisses fausses
- Les planètes sont des baobabs

- Or, Socrate est une planète

- Donc Socrate est un baobab

Ici, le raisonnement est valide mais la conclusion est fausse car les prémisses sont fausses !
 
 Un raisonnement déductif valide
- ……………………………………………………………………………………………………………….…………….……... (Prémisse universelle)
- ………………………………………………………………………………………………………………………………….... (Prémisse particulière)
- ……………………………………………………………………………………………………………………………………..... (Conclusion déduite)
 
 Un raisonnement déductif non valide
- ……………………………………………………………………………………………………………….…………….……... (Prémisse universelle)
- ………………………………………………………………………………………………………………………………….... (Prémisse particulière)
- ……………………………………………………………………………………………………………………………………..... (Conclusion déduite)
 
 Un raisonnement valide mais à partir de prémisses fausses
- ……………………………………………………………………………………………………………….…………….……... (Prémisse universelle)
- ………………………………………………………………………………………………………………………………….... (Prémisse particulière)
- ……………………………………………………………………………………………………………………………………..... (Conclusion déduite)
Ainsi, on comprend que la valeur d’un argument dépend de deux choses :
 Les prémisses doivent être vraies ou probables.
 Le lien entre les prémisses et la conclusion doit nécessaire.
 
Donc démontrer c’est :
 Partir de prémisses qu’on tient pour vraies sans les justifier.
 En tirer une conclusion grâce à une déduction càd des règles d’inférence logique qui
partent du général pour aller vers le particulier.
 Pour en tirer une conclusion qu’on tiendra pour justifiée et valide.
Transition
Problème : Les autres sciences peuvent-elles alors être déductives ?

Les sciences empiriques ou expérimentales ne peuvent pas s’appuyer que sur la


démonstration déductive puisqu’elles ne peuvent pas proposer de prémisses de
départ a priori tenues pour vraies dont on pourrait logiquement déduire des
propositions universelles et nécessaires ! En effet, ici il ne s’agit pas simplement de
vérifier la cohérence du raisonnement lui-même indépendamment de son contenu
mais aussi son adéquation avec une réalité extérieure à notre esprit.
2) La méthode des sciences expérimentales : l’expérimentation

⚠ Pour les sciences expérimentales la démonstration ne suffit pas car on ne se


contente pas de juger de la cohérence interne d’un raisonnement mais aussi de
l’adéquation d’une théorie à la réalité. La théorie doit donc passer le test de
l’expérimentation.

L’expérience scientifique est appelée expérimentation car elle n’est pas une expérience
naïve qui se contente d’observer les faits et d’en tirer des conclusions mais une
expérience guidée par une théorie et des hypothèses, méthodique, utilisant des
instruments de mesure.
Un exemple
d’expérimentation
Supposez que votre lampe refuse de s’allumer. Tel
est l’effet et vous cherchez la cause. Vous allez
successivement procéder à différents tests. Une
série d’hypothèses plus ou moins plausibles se
présente à vous au premier abord du fait de votre
expérience et de vos connaissances antérieures :
vous imaginez alors que l’ampoule pourrait être
grillée, que la prise pourrait être défectueuse, que
le fil pourrait être abîmé. Que faut-il faire alors
pour le savoir ? Expérimenter ! Brancher la lampe
sur une autre prise, changer l’ampoule etc.
La complexité de l’affaire …

Le problème c’est que pour les sciences de la nature, au départ, les choses
sont bien plus complexes parce qu’on a affaire précisément à des
phénomènes mal connus et non à un produit dont l’être humain est le
concepteur !

Comment faire alors pour découvrir les lois naturelles universelles qui
gouvernent la nature ?

Ex : la pression d’un gaz augmente quand son volume diminue.


Contre l’inductivisme naïf : les sciences
expérimentales ne procèdent pas par induction
Induire quelque chose c’est tirer une conclusion générale à partir
d’observations particulières.
Longtemps, on a ainsi considéré que la recherche scientifique devait partir de
l’observation pour arriver aux théories, par généralisation de notre
expérience à des cas futurs.

Exemple : je vois une poule pondre un œuf, puis une autre, puis une autre… et
j’en conclus la loi générale que les poules pondent des œufs.
Déduction Induction

En mathématiques ou en logique Elle formule une règle générale à


partir de cas particuliers.
Elle va du général au particulier. Elle
tire des conclusions en les rattachant  
par un lien logique et nécessaire à
d’autres propositions déjà
démontrées ou admises comme
vraies.
Francis Bacon préconisait ainsi de construire
des listes d’observation pour ensuite en tirer, par
comparaison des observations, des conclusions
générales sur la nature.

Son œuvre majeure, le Novum Organum (1620) ,


illustre ainsi la manière dont, selon lui, la nature de
la chaleur devrait être étudiée à savoir en compilant
des listes d’observation sur ce qui est chaud (« les
rayons du soleil, surtout à l’été et à midi », « les
bains chauds naturels », « les étincelles qui
jaillissent du silex et de l’acier », « les aromates et
les herbes chaudes, comme l’estragon », « un
vinaigre fort et tous les acides ») et sur ce qui n’est
pas chaud (« l’air confiné dans les cavernes pendant
l’été »).
Dans le modèle inductiviste, le scientifique est donc censé se présenter « nu » face à la
réalité et l’observer sans préjugé. La science irait ainsi de l’observation aux théories.

1. Observation de la nature sans préjugé


2. Observation d’un fait singulier.

o Exemple en astronomie : le 1er janvier 2020, à minuit, Mars était visible dans le ciel
en telle position).
o Exemple en chimie : ce papier de tournesol vire au rouge quand il est plongé dans ce
liquide.
3. Collecte de plusieurs énoncés singuliers.
4. Passage de plusieurs énoncés singuliers observés et collectés à un énoncé universel.

o Exemple en astronomie : Les planètes tournent selon des ellipses autour du Soleil).
o Exemple en chimie : l’acide fait virer le papier de tournesol au rouge.
Problème : à quelles conditions l’induction peut-elle
être légitime ?
Ainsi, l’inductiviste considère qu’il est possible, sous certaines conditions, de
généraliser une série finie d’énoncés d’observation singuliers en une loi universelle.
Ces conditions sont les suivantes :

- Le nombre d’énoncés d’observation formant la base de la généralisation doit


être élevé.

- Les observations doivent être répétées dans une grande variété de conditions.

- Aucun énoncé d’observation accepté ne doit entrer en conflit avec la loi


universelle qui en est dérivée.
Les problèmes de la conception inductiviste
1. Le modèle inductiviste n’est pas logiquement valide car le fait que les
prémisses d’une inférence inductive soient vraies n’implique pas
nécessairement que la conclusion soit vraie.

2. Les garanties de validité d’une induction sont contestables.

3. Il est impossible d’observer la nature sans préjugé théorique.


L’observation vient toujours après la théorie et non l’inverse.
Problème 1 : l’induction n’est pas logiquement valide
• Exemple 1 : je peux avoir observé un grand nombre de corbeaux noirs dans des circonstances fort variées ;
je peux en conclure alors « tous les corbeaux sont noirs ». C’est une inférence inductive qui paraît légitime. Et
pourtant, la logique n’offre aucune garantie que le prochain corbeau que j’observerai ne sera pas blanc !

• Exemple 2 : c’est un exemple de Bertrand Russell. Une dinde, partisane de l’induction, peut bien
observer que tous les jours, à la ferme, elle est nourrie à 9h du matin. Elle l’observe au printemps, en été, en
automne. Elle l’observe les lundis, les mardis, les mercredis… Elle fait alors une inférence inductive et conclut :
« Je suis toujours nourrie à 9h du matin ». Russell conclut ainsi : « Hélas, cette conclusion se révéla fausse d’une
manière indubitable quand, la veille de Noël, au lieu de la nourrir, on lui trancha le cou ».

• Exemple 3 : je peux avoir observé tous les jours dans des circonstances fort variées que le Soleil se couche
sans pouvoir savoir que le Soleil se couche nécessairement. D’ailleurs, dans certaines régions d’Arctique ou
d’Antarctique il y a des jours où le Soleil ne se couche pas.
Problème 2 : les conditions de validité problématiques
• Combien d’observations faut-il accumuler pour que l’induction soit acceptable ? Doit-on
chauffer une barre métallique dix fois, cent fois, mille fois… avant de pouvoir conclure
qu’elle se dilate toujours quand on la chauffe ? A l’inverse, certaines observations ne
semblent pas avoir besoin d’être répétées pour que l’on puisse en tirer une conclusion
ferme : je n’ai pas besoin de plonger ma main dix fois dans le feu avant de pouvoir
conclure que le feu brûle la peau.

• Quant à l’impératif de faire varier les circonstances : comment savoir quel critère faire
varier ? Exemple : quand on cherche le point d’ébullition de l’eau ; est-il nécessaire de
faire varier la pression ? Le degré de pureté de l’eau ? La méthode de chauffage ? L’heure
du jour ? La personne qui mène l’expérience ? La couleur du récipient ?
Le point triple de l’eau

Le point triple de l’eau est le point


du diagramme de phase
température-pression où peuvent
coexister les trois phases liquide,
solide et gaz.

La pression atmosphérique et la
température sont donc bien des
critères pertinents concernant
l’ébullition de l’eau.
Ici, on comprend que l’observation et l’expérimentation n’ont de sens qu’à condition
d’avoir déjà une hypothèse théorique que nous voulons tester. Les variations
significatives se distinguent des variations superflues uniquement lorsque nous
recourons à notre connaissance théorique.

Autrement dit : avant d’observer un phénomène naturel nous avons déjà des
présupposés théoriques sinon nous ne saurions pas quoi observer et comment.
Autrement dit : l’inductiviste se trompe en pensant que tout commence par une
observation neutre et sans préjugés. L’hypothèse théorique devance souvent
l’observation et l’expérimentation.
D’ailleurs, l’observation est toujours le fruit
d’une interprétation théorique ….

Exemple : un élève débutant en médecine : au départ, il ne sait pas lire


une radiographie. Au départ, il ne voit que les ombres du cœur et des
côtes : pour lui, le spécialiste bâtit une forme de roman à partir de son
imagination. Ce n’est que plus tard que l’étudiant comprendra vraiment
de quoi il s’agit.
Problème 3 : il n’y a pas d’observation sans préjugé ni
d’expérimentation sans théorie préalable
Texte : Alain Chalmers, Qu’est-ce que la science ? (1987)
« Les énoncés d’observation doivent être formulés dans le langage d’une théorie, aussi vague soit-elle : « Prenez
garde, le vent pousse le landau du bébé vers le bord de la falaise ! ». Une grande quantité de théorie de niveau
élémentaire est présupposée ici. Il est sous-entendu que le vent est une chose qui existe et qui a la capacité de
provoquer le mouvement d’objets se trouvant sur son chemin, tels que des landaus. La situation d’urgence perceptible
dans le « prenez garde » indique que l’on s’attend à ce que le landau, dans lequel se trouve un bébé, tombe de la
falaise et aille se fracasser sur les rochers en contrebas, chose qui, suppose-t-on encore, risque d’être nuisible au bébé.
De même, quand une personne matinale qui éprouve un besoin urgent de café constate amèrement : « le gaz ne veut
pas s’allumer », elle suppose qu’il existe dans l’univers des substances qui peuvent être regroupées sous la
dénomination « gaz », et que, parmi elles, il y en a qui brûlent. On notera ici que l’on n’a pas toujours disposé du
concept de « gaz ». Il n’existe que depuis le milieu du XVIIIe siècle, lorsque Joseph Black obtint pour la première fois du
dioxyde de carbone. Auparavant, on considérait tous les « gaz » comme des échantillons d’air plus ou moins pur. Si
nous en venons maintenant au même genre d’énoncés dans la science, les présupposés théoriques sont à la fois moins
triviaux1 et plus évidemment présents. Ainsi, le fait que l’énoncé : « Le faisceau d’électrons est repoussé par le pôle
magnétique de l’aimant », ou le discours d’un psychiatre parlant des symptômes de repli d’un patient, présupposent
une théorie considérable, ne devrait pas nécessiter de grands développements. »
Chalmers montre ici que l’inductiviste se trompe parce que :
- La science ne commence pas par des énoncés d’observation car il faut toujours une
théorie préalable pour pouvoir observer quelque chose. Une observation est toujours
formulée avec des concepts qui sont les symptômes d’une théorie.
Ex : le concept de « gaz » n’a pas toujours existé. Ce n’est qu’au XVIIIème siècle qu’il est inventé pour
désigner un ensemble d'atomes ou de molécules très faiblement liés et quasi indépendants. Dans l’état
gazeux, la matière n'a pas de forme propre ni de volume propre : un gaz tend à occuper tout le volume
disponible. Cette phase constitue l'un des quatre états dans lequel peut se trouver un corps pur, les autres
étant les phases solide, liquide et plasma (ce dernier, proche de l'état gazeux, s'en distingue par sa
conduction électrique).

D’ailleurs, l’inductivisme ne peut expliquer ce qui autorise les scientifiques à accepter


l’existence d’entités non-observables. Pourtant, l’existence des atomes a fait consensus
chez les physiciens longtemps avant qu’il soit possible de les observer !
Problème 4 : le modèle inductiviste mène au culte du génie
scientifique et à une vision purement individualiste de la
recherche scientifique
Couplée à l’idée selon laquelle le
scientifique génial est celui qui est
capable de rejeter les idées reçues et tout
ce qui fait autorité, ce culte du génie
aboutit à une vision
purement individualiste de la recherche
scientifique, dans laquelle un petit
nombre d’individus particulièrement
doués font avancer la science en se
battant contre une foule de médiocres
attachés aux anciennes théories.
Selon l’inductiviste, le progrès de la science est
cumulatif

Ainsi, pour l’inductiviste, la science progresse


de manière continue et cumulative parce
qu’elle peut prendre appui sur un corpus de
données d’observation toujours plus grand
et toujours plus précis grâce à des
instruments de mesure toujours plus
performants.
Transition : Mais alors, si l’inductiviste se trompe, qu’est-ce qu’une théorie
scientifique en sciences expérimentales ? Et comment est-elle élaborée ?
Le falsificationnisme de Karl Popper

Karl Popper est le représentant du falsificationnisme qui est une conception selon
laquelle une théorie ne peut être dite scientifique que si l’on peut imaginer une
expérience qui pourrait éventuellement la contredire = la réfuter = la falsifier. Par
exemple, la théorie de Newton est réfutable parce qu’elle serait réfutée si on observait un objet
matériel qui ne subit pas d’attraction gravitationnelle de la part des autres objets matériels. Tout
ce qui ne satisfait pas ce critère — et est donc compatible avec n’importe quelle expérience
possible — tombe hors du domaine de la science.

Par exemple l’astrologie n’est pas une science car elle propose des prédictions tellement générales
qu’elles seront nécessairement vérifiées d’une manière ou d’une autre. Elle ne prend pas le risque
de la falsifiabilité. De même, pour Popper, l’hypothèse de l’inconscient psychique de Freud n’est
pas scientifique car elle ne permet pas de faire des prédictions qui pourraient être falsifiées. En se
bornant à interpréter des faits passés, elle se rend irréfutable.
Contre l’inductivisme, Popper propose une autre vision de la méthode scientifique.

1. Etape 1 : Les scientifiques sont confrontés à certaines observations pour lesquelles ils
cherchent une explication – parfois parce qu’elles entrent en contradiction avec des
théories acceptées depuis longtemps.
2. Etape 2 : Ils imaginent une théorie qui permettrait d’expliquer ces observations (et dans
laquelle ils peuvent postuler l’existence de lois et d’entités qui n’apparaissent pas
directement dans l’observation).
3. Etape 3 : Ils tirent certaines prédictions spécifiques de cette nouvelle théorie.
4. Etape 4 : Ils mettent à l’épreuve la théorie en testant ces prédictions.
o Si les observations contredisent ces prédictions, alors la théorie est réfutée et doit être
abandonnée.
o Si elles confirment ces prédictions, alors la théorie est corroborée, ce qui signifie
qu’elle peut être conservée jusqu’au prochain test. Elle n’est donc PAS « prouvée »
mais dite « corroborée » ou « vérifiée ».
Les différences entre l’inductivisme et le falsificationnisme :

1. Dans la conception falsificationniste, la science ne va pas juste de l’observation à la


théorie : elle va de l’observation à la théorie (recherche d’explication et construction de
théorie par abduction = une induction dont on infère des causes probables) puis de la
théorie à l’observation (test d’hypothèse), puis de l’observation à la théorie (révision ou
non de la théorie en fonction des tests), et ainsi de suite dans un aller-retour incessant.

2. La deuxième, c’est qu’elle ne réclame pas du scientifique qu’il soit un être neutre et
dépourvu de toute attente : bien au contraire, la recherche scientifique progresse parce
que les scientifiques, au lieu d’écouter passivement la nature, vont interroger
activement celle-ci pour tester leurs théories qui guident leurs observations et leurs
recherches.
Les conséquences du falsificationnisme sur la conception de la science :

1. L’erreur n’est pas une faute : cela fait partie de la démarche normale de la science de se tromper et
c’est même comme ça que la science avance. En effet, pour chaque ensemble d’observations que les
scientifiques cherchent à expliquer, un grand nombre d’explications et de théories pourront être imaginées. Il
faudra ensuite les tester pour voir lesquelles sont réfutées par l’expérience et lesquelles valent le coup d’être
maintenues. Ainsi, la science progresse par conjectures et réfutations, par essais et erreurs.

2. On ne pourra jamais dire d’une théorie qu’elle est vraie mais seulement qu’elle est la
meilleure dans l’état des connaissances disponibles. Si aucune théorie ne peut prétendre à la
vérité absolue, elle peut prétendre à ce que Popper appelle la vérisimilitude, fondée sur le fait qu’on
peut toujours montrer qu’une théorie est meilleure qu’une autre. Par exemple, la théorie de la relativité
d’Einstein englobe la théorie newtonienne (qui est toujours valable pour des cas où la vitesse est faible par
rapport à la vitesse de la lumière) alors que l’inverse n’est pas vrai. Popper propose une analogie : supposons
des alpinistes perdus dans le brouillard, ils ne peuvent pas savoir si la cime qu’ils ont atteinte est le
sommet de la montagne mais ils peuvent savoir que telle cime est plus élevée que telle autre et donc qu’ils
sont plus près du sommet !
3. La conception falsificationniste met l’accent sur le fonctionnement
nécessairement collectif de la science. En effet, l’intuition géniale d’un scientifique ne
vaut rien tant qu’elle n’a pas été mise à l’épreuve de façon répétée (Einstein a eu plusieurs
intuitions géniales, mais toutes ne se sont pas révélées bonnes).

Sa validation requiert donc l’existence d’une communauté scientifique prête à l’examiner


sous toutes les coutures. De plus, comme les observations que l’on cherche à expliquer sont
souvent compatibles avec plusieurs hypothèses, la science ne peut progresser qu’en opposant
ces différentes hypothèses les unes aux autres et en les comparant, ce qui implique l’existence
de plusieurs camps scientifiques prêts à s’affronter, donnant ainsi naissance à un processus
« darwinien » dans lequel les théories les plus faibles sont éliminées les unes après les
autres.
 
La limite du falsificationnisme à l’épreuve des faits
Contrairement à ce que Popper suggère, en réalité, il arrive bien souvent que des théories
scientifiques soient conservées quand bien même certaines observations les réfutent ! Quand on
regarde l’histoire des sciences on se rend compte que si les scientifiques avaient adhéré strictement aux
falsificationnisme, les théories que l’on considère généralement comme les plus beaux exemples de
théories scientifiques, n’auraient jamais pu être développées parce qu’elles auraient été rejetées dès
leurs premiers balbutiements !

Exemple : beaucoup d’astronomes ont adopté le système de Copernic (selon lequel la Terre tourne
autour du soleil et sur elle-même) alors que les prédictions qu’il faisait au sujet de la trajectoire des
planètes étaient loin d’être parfaites et qu’il devait faire face à des objections pour lesquelles il n’avait
pas de réponse convaincante. Par exemple : si la terre tourne sur elle-même, pourquoi une pierre lâchée
du haut d’une tour tombe-t-elle au pied de cette tour et pas des kilomètres plus loin ? Pourquoi ne sent-
on pas le mouvement ? Ce n’est que plus tard que la découverte des principes d’inertie et de relativité du
mouvement ont permis de rendre la théorie de Copernic compatible avec le fait que nous retombons au
même endroit après avoir sauté.
Pourquoi ne sent-on pas la
Terre tourner ?

Parce que notre corps n'est pas sensible aux vitesses


constantes mais seulement aux accélérations et
décélérations. Or, le mouvement de la Terre est
invariable, avec une vitesse de 1 000 km par heure
environ – 1700 à l’équateur. Elle effectue ainsi une
rotation, dans le sens inverse des aiguilles d'une montre,
complète en 23 heures, 56 minutes et 4 secondes. De
surcroît, pour avoir conscience de la mobilité, il nous
faut un point de repère suffisamment proche. Les
étoiles, le Soleil ou même la Lune sont trop éloignés
pour fixer l’oeil. Comme preuve visuelle de la rotation
terrestre, il nous reste les levers et couchers du soleil!
https://youtu.be/mNA-MWRrdtk
Pourquoi et comment les scientifiques conservent-ils alors
une théorie que certaines observations semblent infirmer ?

On propose des hypothèses qu’on appelle des hypothèses ad hoc (= « pour ceci »).
C’est-à-dire qu’on introduit une hypothèse auxiliaire pour sauver la théorie.

Exemple : j’ai une théorie selon laquelle je ne tombe jamais malade à cause du froid et que
par conséquent je n’ai pas besoin de mettre d’écharpe même quand ma mère insiste.
Problème : un jour je tombe malade. Eh bien je peux introduire une hypothèse AD HOC et
dire que ma théorie est juste mais que ce jour-là j’ai pris le métro et touché la barre du
métro pleine de microbes et que je suis tombée malade à cause de cela et non à cause du
froid…
Exemple d’hypothèse ad hoc réussie : l’existence de
Neptune découverte par Le Verrier en 1846
 Au XIXème siècle, la théorie de la gravitation de Newton (1643-1727) est largement admise
et semble être la meilleure théorie pour expliquer le mouvement des planètes. Il se pose
toutefois un problème de taille : on observe que les mouvements d’Uranus et de Mercure
ne sont pas exactement conformes à théorie de Newton.
 Mais ces anomalies ne font pas rejeter la théorie newtonienne. Les scientifiques font alors
une hypothèse AD HOC : peut-être y a-t-il une 8ème planète dans le système solaire qu’on
ne voit pas et qui perturbe les mouvements d’Uranus ? Autrement dit, on postule que si la
théorie de Newton est juste mais que les observations semblent l’infirmer, c’est qu’il y a
quelque chose qu’on n’a pas vu (en l’occurrence, une planète) qui explique cela.
 Le scientifique Le Verrier  propose un calcul de masse et une trajectoire de cette
hypothétique planète. Ainsi, il demande aux astronomes de braquer leur télescope à
l’endroit indiqué par sa théorie. Or, en 1846, c’est ce que l’on fait et l’on découvre Neptune !
Exemple d’hypothèse ad hoc ratée : l’inexistence de Vulcain
supposée par Le Verrier
Mais alors Le Verrier fait la même hypothèse pour Mercure ! Y aurait-il aussi une planète perturbant son orbite ? Le Verrier
la baptise en avance Vulcain ! Mais cette hypothétique planète se révèle beaucoup plus dure à observer à cause de sa
proximité avec le Soleil. On croit la voir et puis … non.

 Plus tard, on découvre finalement son inexistence ! Comment a-t-on fait ? Non pas à force de regarder et de ne rien
voir (cela ne serait pas une preuve suffisante car nos observations pourraient ne pas être suffisantes).
 En réalité, on abandonne l’hypothèse de l’existence de Vulcain car Einstein met au point la théorie de la relativité
générale qui permet d’expliquer le phénomène de la gravitation et explique parfaitement le mouvement de Mercure
sans faire d’hypothèse ad hoc. Pour Newton, la gravitation était une force mystérieuse qui s’exerce à distance. Pour
Einstein, la gravitation résulte d’une courbure de l’espace-temps.
 Mais comment choisir entre ces deux théories concurrentes ? Eh bien précisément par la qualité de leurs prédictions !
Or, la théorie d’Einstein explique beaucoup mieux le mouvement de Mercure sur son orbite sans faire l’hypothèse ad
hoc d’une planète Vulcain. La théorie d’Einstein est donc meilleure.

C’est ce qu’on appelle l’inférence à la meilleure explication ! Une théorie est meilleure quand elle permet de faire les
meilleures prédictions possibles.
Une bonne théorie scientifique est donc …
 Objective,
 Cohérente (= pas de contradictions logiques),
 Offrir un bon système de prédictions, c’est-à-dire que l’expérimentation
confirme ses prédictions.
 Elégante et simple c-à-d qu’elle fournit la théorie explicative la plus simple avec
le moins d’hypothèses ad hoc possible. (C’est ce qu’on appelle le rasoir
d’Occam). Typiquement, la plupart des théories du complot ne sont absolument
pas élégantes car dès qu’on fait une objection à leurs partisans, ces derniers
s’empressent d’ajouter des hypothèses ad hoc pour sauver leur théorie !
Transition : face aux limites du falsificationnisme, Thomas Kuhn est conduit à
proposer une autre conception du progrès scientifique. Selon lui, le progrès de la
science n’est pas uniquement cumulatif comme le pensait Popper…
Le progrès scientifique selon Thomas Kuhn
Kuhn remarque que, contrairement à ce que pensait Popper qui n’en voyait que l’aspect
cumulatif et progressif, la science progresse de deux manières :

- Dans les périodes « normales », la science progresse « progressivement » à l’intérieur


d’un paradigme en perfectionnant des théories et en accumulant des observations.

- Dans les périodes de « crise », la science progresse par « à coup » de manière
révolutionnaire en bouleversant le paradigme qui faisait jusque-là consensus.

Mais c’est quoi, exactement un « paradigme » ?


Les deux types de progrès scientifiques
La science « normale » « Les révolutions scientifiques »
Les révolutions scientifiques sont des
situations rares dans lesquelles les concepts
La science normale est caractérisée par et les méthodes de base qu’utilisent les
l’activité des scientifiques à l’intérieur d’un scientifiques d’une communauté se révèlent
paradigme stable qu’ils partagent en insuffisants et doivent être changés de fond
commun : c’est ce que font la plupart des en comble parce qu’il devient impossible,
scientifiques la plupart du temps. Le progrès malgré des tentatives répétées, de résoudre
est cumulatif. certains problèmes avec les instruments
existants. Le progrès se fait alors par rupture.
Exemple : les découvertes de Copernic furent
une révolution puisqu’il fallut abandonner
toutes les théories préexistantes.
Un paradigme scientifique
Kuhn distingue :

 Les simples théories. Exemple : la théorie de la relativité restreinte d’Einstein.

 Les paradigmes scientifiques càd un ensemble d’hypothèses théoriques, de concepts, de principes de


base et de techniques qui sont communs à une communauté scientifique et constituent la base à partir de
laquelle les scientifiques d’un domaine vont pouvoir débattre et résoudre différents problèmes. Un
paradigme n’est jamais totalement explicite : un scientifique ne pourra pas dire exactement dans quel
paradigme il travaille. Exemple : Deux scientifiques qui sont en désaccord sur la fonction d’un gène vont
avoir des théories différentes (sur la fonction de ce gène), mais ils partageront un arrière-plan commun (sur
ce qu’est l’ADN, sa fonction, sur les méthodes à suivre pour départager leurs théories respectives etc.).
Ainsi, la mécanique newtonienne, l’optique ondulatoire ou l’électromagnétisme classique ont tous
constitué des paradigmes.

Ainsi, dans le cadre d’un paradigme, les énigmes que l’on ne parvient pas à résoudre sont considérées comme
des anomalies à expliquer plutôt que comme des falsifications du paradigme tout entier !
Science normale  Crise / révolution  Nouvelle science normale  …
Un problème en suspens

Le problème c’est que Kuhn lui-même considère qu’il n’existe pas de critère
objectif définitif permettant de trancher absolument entre deux paradigmes dans
un moment de révolution …
Autrement dit, Kuhn suggère qu’au regard de l’histoire des sciences, c’est souvent
des raisons sociologiques voire psychologiques qui ont expliqué l’adhésion de
certains scientifiques à un nouveau paradigme que des raisons purement
scientifiques et objectives … !
Les raisons d’adopter un nouveau paradigme
c. Les sciences humaines : méthodes et critères de vérité
Le statut « scientifique » de ces disciplines (histoire, économie, anthropologie,
ethnologie, sociologie, psychologie…) est controversé.

Dites parfois sciences « molles » (et non « dures » comme la physique ou les
mathématiques), elles ont pour point commun leur objet d’étude : les comportements
humains et les structures sociales qui en constituent le cadre.

Leur objet est donc spécifique car, contrairement aux objets des sciences de la nature,
les sciences humaines étudient les faits humains qui mettent en jeu des significations,
des intentions, et des valeurs.

Elles ne sont pas fondées sur des vérifications expérimentales mais sur l’interprétation
des intentions et actes humains.
Sciences prédictives / non prédictives
Contrairement aux sciences de la nature qui découvrent des lois
naturelles universelles (ex : la loi de la gravitation) et peuvent en tirer
des prédictions, les sciences humaines ne peuvent pas énoncer de
prédictions.
La physique peut prévoir la trajectoire d’un corps qui chute, la
médecine peut prévoir la détérioration de l’état d’un malade etc. Mais
l’histoire ne peut pas prévoir avec certitude le déclenchement d’une
guerre.
L’exemple de l’histoire : méthodes et critères
de vérité
L’Histoire ambitionne d’être une connaissance
scientifiquement et objectivement élaborée du passé
• L’historien antique rompt avec le mythe et la légende : Hérodote et Thucydide
sont les deux pères de l’Histoire car ils cessent d’expliquer les événements par le mythe (comme le faisait
Homère dans L’Iliade par exemple) mais entendent mener une enquête pour expliquer les faits par des
causes humaines et non divines. Hérodote s’intéresse ainsi aux guerres médiques (Grecs vs les Perses au
Vème siècle av. JC) et Thucydide à la guerre du Péloponnèse (Athènes vs Sparte au Vème siècle av. JC).

• L’historien du Moyen-Âge rompt avec l’histoire littéraire de l’Antiquité latine, de Tite-


Live (il écrit Histoire de Rome depuis sa fondation), Salluste (il écrit notamment La conjuration de
Catilina), César (La Guerre des Gaules) et Tacite (Annales) qui écrivaient des textes aux grandes
qualités littéraires qui ne s’interdisaient pas de prendre parti. Le Moyen Âge rompt avec cette histoire
littéraire : c’est le temps des chroniqueurs et des hagiographes (l’hagiographie c’est l’histoire qui
relate la vie des saints). L’historien s’efface et n’entend pas expliquer les rapports entre les faits. Il tient
simplement, le journal, la gazette des événements, sans proposer une vision plus générale qui donnerait
du sens à leur succession.
• L’historien moderne rompt avec la chronique et les romans historiques des romantiques : au XIXème
que l’histoire devient érudite et prétend rivaliser avec les autres sciences. Langlois et Seignobos
œuvrent pour une histoire méthodique.. La méthode de l’historien doit donc s’appuyer avant tout sur la
neutralité de celui-ci et sur la critique des sources pour s’assurer de la véracité des informations.

• L’historien positiviste du XXème siècle veut exposer les faits en toute neutralité et seulement les faits.
L’historien positiviste considère la connaissance comme l’enregistrement ou le reflet neutre et passif des
« faits » qui sont pensés comme des données existant indépendant de l’intervention de l’historien.

• Dans les années 1920-1940, l’Ecole des Annales dont les grands chefs de file sont Marc Bloch et
Lucien Febvre sollicite les autres sciences en essor (archéologie, sociologie, anthropologie) pour élargir
le point de vue de l’historien. Ce qu’ils appellent de leurs vœux c’est une histoire « totale » qui ne soit pas
un simple récit mais une réflexion problématisée. Autrement dit, les historiens des Annales cessent de
penser que l’on peut rendre compte naïvement et de manière transparente et neutre des « faits ». La
tâche de l’historien n’est pas uniquement de rapporter et de raconter : il doit expliquer.
• Un peu plus tard, les historiens E. Labrousse et F. Braudel continuent ce travail d’élargissement des
perspectives historiques. Contre l’école positiviste qui s’intéresse à l’événement, ils proposent une histoire de
temps long. Plus tard, la nouvelle histoire de P. Nora et J. Le Goff s’intéressent moins à l’histoire
bataille qu’à l’histoire des mentalités. Les sources se diversifient massivement : l’historien utilise
désormais volontiers des films, des photos, des outils de production… Plus tard encore, dans les années
1980’, des historiens comme R. Mandrou ou P. Ariès propose une histoire « culturelle ». Cette
histoire culturelle est, bien sûr, fille de l’histoire des mentalités. Philippe Ariès publie par exemple L’Enfant et
la vie familiale sous l’Ancien Régime (1960) ou encore L’Homme devant la mort (1977).

Aujourd’hui, donc, l’histoire est plurielle et pluridisciplinaire. Vous trouverez de l’histoire-bataille, de


l’histoire diplomatique, de l’histoire politique, de l’histoire culturelle, de l’histoire économique mais aussi et
même de la microhistoire qui ne s’intéresse plus aux masses mais aux individus eux-mêmes, reflet du monde
qui l’entoure. L’italien Carlo Ginzburg publiait par exemple en 1980 Le Fromage et les vers. L’univers d’un
meunier frioulan du XVIème siècle.
La naissance de l’histoire L’historien rompt avec le mythe et la
(Vème siècle av. JC) Hérodote et Thucydide légende et cherche des causes purement
humaines aux événements

Antiquité latine Tite-Live, Salluste, César Une histoire littéraire qui est partiale et a
un but souvent politique
Moyen-Âge Les chroniques et les hagiographes L’historien ne fait que la gazette et la
compilation des événements sans les
interpréter.

XIXème siècle : la naissance de l’histoire L’histoire méthodique de Langlois et L’historien se veut méthodique. Il appuie
comme science Seignobos ses interprétations sur des sources qu’il
confronte et authentifie.

Début du XXème siècle L’histoire positiviste L’historien veut expliquer le plus


objectivement possible les faits
1920 – 1940 L’histoire des Annales de M. Bloch et L’historien prend du recul et propose non
Lucien Febvre pas un récit qui raconte mais une
réflexion problématisée qui explique des
phénomènes de temps long en prenant
en compte les apports des autres
sciences humaines.
Deuxième moitié du XXème siècle Nouvelle histoire, histoire culturelle, L’histoire se donne de nouveaux objets
histoire des mentalités, micro-histoire d’étude : pas que les batailles mais aussi
les mentalités
On comprend que l’Histoire, comme discipline scientifique, a aussi une
histoire. L’histoire de l’Histoire comme discipline s’appelle l’historiographie.

Au départ proche du mythe et de la littérature, l’Histoire conquiert ses lettres de


noblesse en asseyant sa prétention à la scientificité sur une méthode. Cette
méthode, qui est le gage de son objectivité, s’appuie sur des procédés de
vérification des sources, des modifications des manières d’écrire l’histoire, mais
aussi des modification d’objet (de l’événement politique, à l’histoire des masses
etc.).
La méthode historique
Ainsi, le bon historien entend …

 Statuer sur des faits et non sur des valeurs.


 Expliquer les faits en toute neutralité et en toute impartialité …
 En appliquant une méthode héritée des sciences de la nature

1. Première étape : l’observation


2. Deuxième étape : la formulation d’une hypothèse
3. Troisième étape : la vérification.
Les difficultés
1. Le problème de l’observation : critique externe et interne des traces

- D’abord, l’historien doit s’assurer de la fiabilité des documents du point de vue de leur
matérialité : par exemple, tel sceau ou tel cachet sont-ils authentiques ? Pour cela, les
historiens disposent de certaines méthodes (par exemple, dater les matériaux grâce au
carbone 14 pour s’assurer de leur authenticité) ou de certains procédés (par exemple,
étudier la langue et le style d’un document pour s’assurer de son authenticité).
- Ensuite, la critique interne concerne davantage la cohérence des textes et la compatibilité
des différentes versions : une date et un fait, par exemple. Cela permet d’évaluer
l’information fournie. Pour cela, on peut par exemple confronter les sources : c’est le
recoupement de témoignages pluriels et indépendants qui permet d’établir la réalité du
fait et de se prémunir contre l’affabulation ou la partialité - y compris involontaire- du
témoin).
La donation
de
Constantin
(315 ap. JC)
Lorenzo Valla est un humaniste, philologue et
polémiste italien. Valla démontra que le long
texte nommé Donation de Constantin, qui
tendait à légitimer le pouvoir temporel des
papes, n'était qu'une contrefaçon grossière
puisque le texte latin avait été écrit très
vraisemblablement en 754, soit quatre siècles
après la mort de Constantin Ier en 337.
Constantin aurait en effet donné des terres (les
Etats pontificaux) au pape Sylvestre. Or, Valla
remarque des incohérences philologiques : par
exemple, une ville y est appelée Constantinople
alors qu’on l’appelait Byzance au temps de
Constantin ! Il fait alors l’hypothèse que la
donation de Constantin est un faux écrit 4
siècles plus tard !
2. Le problème de l’explication en histoire : exactement comme pour les sciences
expérimentales, il n’est pas certain qu’un historien puisse regarder un fait de manière
transparente absolument sans préjugé. Parce qu’il choisit un certain découpage
temporel, parce qu’il choisit certains faits et en délaisse d’autres, parce qu’il les met en
récit en les expliquant d’une certaine manière, l’historien fait nécessairement preuve de
subjectivité car il interprète les faits selon certaines hypothèses de travail.

• Il inscrit les faits dans une intrigue qu’il a construit lui-même dans une certaine
perspective.
• Cette intrigue est dépendante d’hypothèses de départ.
• Les sources sont nécessairement partielles.
• Il est toujours dépendant du présent pour expliquer le passé.
♥ L’histoire est donc
toujours une interprétation –
ce qui ne veut pas dire que
toutes les interprétations
sont vraies ou que toutes les
interprétations se valent
Démonstration / argumentation
L’historien ne propose pas une démonstration mais une argumentation.
Comme dans les sciences de la nature, il confronte bien son discours
aux faits mais il ne peut pas prouver la vérité de son discours.

La preuve est contraignante : il n’y a pas d’autre possibilité.

L’argument ne fait que convaincre.


Toutes les interprétations se valent-elles
cependant ?
Pas sûr ! On peut espérer trancher entre plusieurs interprétations en
considérant :

- L’adéquation de l’interprétation avec les traces, documents,


témoignages.
- La capacité de l’interprétation à intégrer harmonieusement dans une
totalité cohérente un ensemble de faits disponibles et jugés
pertinents par rapport à la question posée.
- Une capacité éventuelle à comprendre voire anticiper des faits
nouveaux.
Texte : Arendt, Vérité et politique, 1964
Est-ce qu’il existe aucun fait qui soit indépendant de l’opinion et de l’interprétation ? Des générations d’historiens et de
philosophes de l’histoire n’ont-elles pas démontré l’impossibilité de constater des faits sans les interpréter, puisque
ceux-ci doivent d’abord être extraits d’un chaos de purs événements (et les principes du choix ne sont assurément pas
des données de fait), puis être arrangés en une histoire qui ne peut être racontée que dans une certaine perspective,
qui n’a rien à voir avec ce qui a eu lieu à l’origine ? Il ne fait pas de doute que ces difficultés, et bien d’autres encore,
inhérentes aux sciences historiques, soient réelles, mais elles ne constituent pas une preuve contre l’existence de la
matière factuelle, pas plus qu’elles ne peuvent servir de justification à l’effacement des lignes de démarcation entre le
fait, l’opinion et l’interprétation, ni d’excuse à l’historien pour manipuler les faits comme il lui plaît. Même si nous
admettons que chaque génération ait le droit d’écrire sa propre histoire, nous refusons d’admettre qu’elle ait le droit de
remanier les faits en harmonie avec sa perspective propre ; nous n’admettons pas le droit de porter atteinte à la matière
factuelle elle-même. Pour illustrer ce point, et nous excuser de ne pas pousser la question plus loin : durant les années
vingt, Clémenceau, peu avant sa mort, se trouvait engagé dans une conversation amicale avec un représentant de la
République de Weimar au sujet des responsabilités quant au déclenchement de la Première Guerre mondiale. On
demanda à Clémenceau : «À votre avis, qu’est-ce que les historiens futurs penseront de ce problème embarrassant et
controversé ?» Il répondit : «Ça, je n’en sais rien, mais ce dont je suis sûr, c’est qu’ils ne diront pas que la Belgique a
envahi l’Allemagne.»
 
Question : en quoi, selon Arendt, le fait que l’historien interprète toujours nécessairement les faits, ne discrédite-t-il
pas l’ambition scientifique de l’histoire et ne doit-il pas nous conduire à être relativiste ?
Texte  : Paul Veyne, Comment on écrit l’histoire (1971)
« Partons de la proposition historique la plus simple : « Louis XIV devint impopulaire parce que les impôts étaient trop
lourds ». Il faut savoir que, dans la pratique du métier d’historien, une phrase de ce genre peut avoir été écrite avec deux
significations très différentes ; les historiens passent sans cesse d’une de ces significations à l’autre sans crier gare et même sans
bien s’en rendre compte. Ecrite dans sa première signification, la proposition veut dire que l’historien sait par des documents
que les impôts ont bien été la cause de l’impopularité du roi ; il l’a, pour ainsi dire, entendu de ses oreilles. Dans la seconde
signification, l’historien sait seulement que les impôts étaient lourds et que, par ailleurs, le roi est devenu impopulaire à la fin de
son règne ; il suppose alors ou croit évident que l’explication la plus obvie de cette impopularité est le poids des impôts. Dans le
premier cas, il nous raconte une intrigue qu’il a lue dans les documents : la fiscalité a rendu le roi impopulaire ; dans le second, il
fait une rétrodiction, il remonte, de l’impopularité, à une cause présumée, à une hypothèse explicative. (…) L’incertitude est
alors celle-ci : nous sommes assurés de l’effet, mais sommes-nous remontés à la bonne explication ? La cause est-elle la fiscalité,
les défaites du roi ou encore une troisième chose à laquelle nous n’avons pas songé ? La statistique des messes que les fidèles
faisaient dire pour la santé du roi montre clairement la désaffection des esprits à la fin du règne ; par ailleurs, nous savons que
les impôts étaient devenus plus lourds et nous avons dans l’esprit que les gens n’aiment pas les impôts. Les gens, c’est-à-dire
l’homme éternel, autrement dit nous-mêmes et nos préjugés ; mieux vaudrait une psychologie d’époque. Or nous savons qu’au
XVIIe siècle beaucoup d’émeutes étaient causées par des impôts nouveaux, les mutations monétaires et la cherté des grains ;
cette connaissance n’est pas innée en nous et nous n’avons pas non plus l’occasion, au XXe siècle, de voir beaucoup d’émeutes
de ce genre : les grèves ont d’autres raisons. Mais nous avons lu l’histoire de la Fronde ; la liaison de l’impôt et de l’émeute nous
y a été immédiatement perceptible et la connaissance globale du rapport causal nous est restée. L’impôt est donc une cause
vraisemblable du mécontentement, mais d’autres ne le seraient-elles pas tout autant ? (…) On parvient ainsi à des conclusions
plus ou moins vraisemblables.
Conclusion générale
 Nous avons tenté de montrer dans ce cours que toutes nos opinions ne se valent pas. Il existe des
croyances plus probables que d’autres et même des croyances clairement fausses et/ou non fondées.
 
 Il n’est donc probablement pas légitime d’être absolument sceptique ou un absolument relativiste. Il faut
pouvoir distinguer les croyances qui sont acceptables, argumentées et reposent sur des arguments
légitimes et celles qui sont fantasques, non réfléchies, pleines de préjugés ou d’illusion. Une telle recherche
de la vérité exige que l’on renonce à toute forme de paresse et que l’on fasse le tri dans nos croyances.
 
 
 Pour autant, dire que toutes les croyances ne se valent pas ne revient pas à dire que nous devons
renoncer absolument aux vertus du scepticisme et du relativisme.
 
o Du scepticisme nous garderons l’intelligence du doute et l’humilité dans nos croyances. Il faut une
bonne dose de doute, dans la vie comme en matière de science, pour affiner ses propres croyances et
ne jamais succomber à un dogmatisme trop sûr de lui.
 
o Du relativisme, nous pouvons préserver la tolérance pour toutes les croyances qui diffèrent des
nôtres et n’inquiètent ni la paix civile ni les droits de certains citoyens.

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