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Correction – Kant, Qu’est-ce que les Lumières 

1) Que veut dire Kant lorsqu’il dit que les hommes semblent préférer rester dans un état de « minorité
intellectuelle » plutôt que de penser par eux-mêmes ? En quoi est-il plus agréable d’avoir un tuteur que de
penser par soi-même ?

Ce texte parle de notre tentation partagée à rester des mineurs intellectuels, c’est-à-dire à rester sous tutelle,
c’est-à-dire encore à ne pas penser par nous-mêmes, à ne pas prendre la responsabilité de notre pensée mais à
rester soumis à des tuteurs, c’est-à-dire à des personnes qui font autorité et dont nous adoptons docilement et
passivement les vues. Mais Kant va plus loin en soutenant que la cause de cet état de fait n’est pas seulement celle
que l’on croit : si nous restons des sujets de nos tuteurs et non des acteurs responsables de notre pensée c’est
moins parce que nous sommes manipulés et inconscients de l’être que parce que nous le voulons bien. Nous nous
soumettrions ainsi volontairement (quoiqu’inconsciemment, peut-être ?) à ces maîtres à penser. Kant souligne les
deux vices qui nous portent à rester confortablement installés dans le prêt-à-penser.

 La paresse

o Nous sommes naturellement portés au dogmatisme et remettre en causes les évidences premières
est un travail pénible et effrayant.
o L’entreprise sceptique, quoique passionnante et difficilement dépassable, semble impraticable dans
la vie et l’action. Pour agir, il semble qu’il faille nécessairement que l’on s’adosse à des croyances
que l’on ne peut justifier jusqu’au bout.
o Parfois les tuteurs, s’ils sont éloquents et bons rhéteurs, ont de force pour nous convaincre. Mais
pourquoi ces sophistes parviennent-ils à nous convaincre ? Parce qu’ils paralysent notre raison en
faisant appel à nos émotions, voire flattent nos intérêts.
o Parfois nous sommes portés à croire non pas la vérité mais ce que nous désirons. Pensez au texte de
Freud et à la différence entre l’erreur et l’illusion qui procède du désir.

2. La lâcheté : il est difficile de soutenir une opinion à contre-courant des valeurs admises et acceptées (celles
de nos parents, de notre société, de nos professeurs, de la communauté scientifique…). Toutes les
révolutions morales, scientifiques, politiques, religieuses ont demandé du courage. Pensez à des gens aussi
différents que Galilée, Copernic, Luther King, Robespierre, Jaurès …

2) Quels sont les intérêts des tuteurs quand ils maintiennent les hommes dans un état de minorité
intellectuelle et leur disent ce qu’ils doivent penser ?

 L’intérêt des tuteurs est évidemment d’avoir le pouvoir et la domination.

 Il peut, en outre, s’agir encore d’un intérêt économique : si mon autorité est assez grande, si mon opinion
est assez respectée, alors la foule paiera cher pour se procurer mon enseignement à travers des cours, des
publications, des émissions …

 L’intérêt peut être, enfin, narcissique1. Il est flatteur d’être respecté, écouté, pris au sérieux, reconnu comme
une autorité. Pensez aux médecins des pièces de Molière …

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Narcissisme : amour que l’on se porte à soi-même. Tendance à se complaire dans la contemplation de soi.
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3) Pourquoi Kant compare-t-il les hommes qui ne pensent pas par eux-mêmes à du bétail ? Donnez des
caractéristiques du bétail qui justifient cette comparaison.

Avant la métaphore de la machine (ceux qui agissent en respectant des formules et des préceptes figés agissent
mécaniquement et non pas librement), Kant use, en effet, de la métaphore du bétail. Pourquoi ? Parce que le bétail
domestique (vaches, moutons, bovins en général…) est :

- Pacifique
- Obéissant et docile
- Grégaire : vous auriez pu ici penser à la locution toujours utilisée des moutons de Panurge. Agir en mouton
de Panurge c’est faire comme tout le monde sans se poser de questions. L’expression vient d’un roman de
Rabelais où tout un troupeau de moutons meurt noyé alors qu’un seul d’entre eux avait été jeté à l’eau…
- Facilement manipulable sans même avoir recours à la force (et pour preuve, on les emmène à l’abattoir
sans qu’ils ne se rendent compte de rien…)
- Inconscient du destin qu’on leur offre (l’abattoir, encore…)
- Confiant envers leurs surveillants (jusqu’à… l’abattoir toujours)

Vous pouviez encore noter que la métaphore animale vient souligner ce qui n’est qu’implicite dans cet extrait  : la
pensée, l’examen critique et rationnel des croyances et opinions, est une faculté proprement humaine qui élève
l’homme au-dessus du règne animal qui agit davantage par instinct et par imitation de ses congénères. Mais
apparemment, la faculté de penser doit être éduquée et entraînée. De même que le corps doit se muscler au
gymnase, la pensée doit être entraînée et nourrie. Ainsi, s’il nous est naturel et inné de penser, il ne l’est pas de bien
penser.

4) Qui sont les tuteurs qui nous empêchent de penser par nous-mêmes ?

Il y avait d’abord les exemples de Kant qui insistent implicitement sur les ressorts de l’autorité. Qu’est-ce qui fait
que je donne de l’autorité à certains tuteurs plus qu’à d’autres ou à moi-même ? Kant donne les exemples suivants :

- Les livres (et leur auteur derrière eux, bien sûr) : est-ce aux Inrocks de me dire ce que je dois aimer au
cinéma ? Aux philosophes de me dire ce que je dois penser ? Au chef de mon parti de m’imposer ses
directives à travers ses publications ? On peut remarquer la tendance naturelle que nous avons à donner du
crédit aux livres … Si cela a été publié, et dans une maison d’édition reconnue, c’est que c’est probablement
sérieux …
- Le directeur de conscience : voir définition ci-dessus. Notez que le directeur de conscience bénéficie de
l’appui de la religion et de toute l’institution religieuse… Je lui donne du crédit non pas en tant qu’individu
mais parce qu’il représente l’Eglise entière … Notez aussi l’importance du costume, du vêtement : les robes
d’hermine des magistrats, la soutane du prêtre, la blouse du chirurgien … sont des éléments qui nous
procurent l’impression d’être entre de bonnes mains, l’impression que leur autorité est justifiée.
- Le médecin : Ce que Kant semble insinuer c’est que le médecin bénéficie d’une grande autorité sur nous
puisqu’il est le dépositaire d’une science qu’en tant que patient nous ne possédons pas… En ce sens, il existe
bien des cas où nous ne pouvons pas penser par nous-mêmes : nous avons besoin de quelqu’un qui
possède une science que nous ne possédons pas. Mais la médecine évolue et il arrive qu’elle se trompe (Cf
les saignées au XVIIème siècle) … Davantage encore, il arrive que le médecin nous impose parfois malgré lui
des valeurs morales, religieuses et politiques (par exemple sur la question de l’IVG, de la contraception…)
Doit-on alors abolir tout esprit critique en présence de son médecin ?

Il y avait ensuite toute une foule de tuteurs, bienveillants ou malveillants que vous auriez pu convoquer : parents,
précepteurs, professeurs, gourous… On remarque ainsi, que les tuteurs ne sont pas nécessairement malveillants  ! Ils
peuvent vouloir œuvre pour notre bien …

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5) Selon Kant, il est plus probable qu’un « public » (c’est-à-dire qu’un groupe d’hommes assemblés)
parvienne à conquérir une liberté de penser authentique plutôt qu’un homme solitaire. Pourquoi ?

Il est plus probable que la libération provienne d’un petit groupe d’hommes plutôt que d’un homme seul. Il faut ici
souligner la vertu du dialogue et de la confrontation des opinions. Lorsque l’on raisonne seul on est souvent la dupe
de ses propres préjugés et valeurs enracinées et non questionnées : il nous faut alors un interlocuteur pour nous
forcer à préciser certaines vues, remettre en question certains jugements … Si la vérité est universelle alors elle doit
passer l’épreuve du jugement d’autrui.

6) Quelles sont les conditions politiques de cette conquête de liberté intellectuelle ?

Cette conquête exige bien sûr des conditions politiques précises : sans possibilité de remettre en question les valeurs
et les jugements les plus admis, on ne peut prétendre se dégager de la tutelle. Pensez aux tyrannies, despotismes et
totalitarismes. Il faut donc, au moins, deux libertés fondamentales que sont la liberté de pensée et la liberté
d’expression, qui sont notamment protégées dans un régime démocratique.

7) Qui pourraient-être ces hommes qui parviennent à penser par eux-mêmes et libèrent ainsi la foule de ses
tuteurs malveillants ?

Tous les hommes de science et les hommes éclairés … mais surtout … les philosophes bien sûr  ! Et même, plus
précisément, les philosophes des Lumières. Faites appel ici à tout votre cours consacré à «  Qu’est-ce que la
philosophie  ?  », aux ennemis du philosophe (le préjugé, la pensée immédiate), et aux qualités de l’esprit philosophe
(l’étonnement, le doute, l’esprit d’examen).

8) N’y a-t-il pas une contradiction : les hommes du dernier paragraphe, qui s’exempteront de leur tutelle, ne
deviendront-ils pas de nouveaux tuteurs pour la foule ?

Pour éviter le piège qui consisterait pour les individus dégagés de la tutelle de devenir tuteurs à leur tour, il faut
penser une nouvelle manière de penser ensemble et de transmettre des connaissances. Il faut éviter que le
philosophe, par exemple, devienne un maître à penser en transmettant un contenu de connaissance non-interrogé
et préférer plutôt la transmission des outils nécessaires pour cultiver l’esprit d’examen (par exemple : savoir analyser
les sources, peser la valeur de vérité d’un argument, formuler des objections, mener une réflexion progressive et
argumentée etc.). De même, il s’agira de donner le goût de la curiosité et de la pensée sans asséner, d’en haut, des
vérités établies.

9) Concluez : En quoi est-il nécessaire d’apprendre à penser par soi-même ? Et penser par soi-même est-ce
penser tout seul ?

Il est nécessaire, pour être à la hauteur de notre humanité, d’apprendre à penser par soi-même. Penser est en effet
le résultat d’un apprentissage et non une donnée immédiate. Cela est nécessaire pour plusieurs raisons :

- La nécessité morale : ne pas faire l’effort de penser et de faire preuve d’esprit d’examen c’est faire preuve
de paresse et de lâcheté et ne pas assumer la responsabilité de ses actes et de ses opinions.
- La nécessité politique : ne pas penser par soi-même, ne pas examiner nos croyances et les préceptes les plus
admis c’est être susceptible de se faire manipuler par des tuteurs qui ne veulent pas nécessairement notre
bien.
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- La nécessité intellectuelle : la pensée rationnelle est une faculté proprement humaine qui fait la dignité de
l’homme et fait de l’homme une personne digne de respect. Relisez la dernière phrase : Kant suggère que la
valeur de l’homme provient de sa vocation à penser.

Cela dit, penser par soi-même ne peut pas vouloir dire penser absolument seul car notre pensée risque d’être
aveuglée par nos préjugés et toutes les valeurs intériorisées nécessairement durant l’enfance si nous ne prenons pas
le risque du dialogue et de la confrontation de nos idées avec celles des autres. En ce sens il est très important de
remarquer que Kant suggère qu’apprendre à penser par soi-même ne veut pas dire penser par soi seul et
ne veut pas dire non plus penser sans professeur et sans exemple. Mais le but du professeur sera précisément
l’apprentissage de la pensée et de l’esprit d’examen et non d’un dogme ou d’un précepte. En ce sens Kant est un
philosophe qui a eu à cœur de montrer qu’on ne pense jamais seul : penser par soi-même ne doit pas nous faire
oublier qu’il faut également « penser en se mettant à la place de tout autre » pour ne pas rester prisonnier de
notre point de vue subjectif (comme c’est le cas du fou qui raisonne seul mais raisonne faux).

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