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Bien penser pour mieux vivre

Qui est un jour désigné juré de Cour d’assises, a immédiatement conscience de la grande
responsabilité qu’il doit prendre ! Sa seule voix, Sa seule conviction à l’instant du vote des
douze jurés, peut envoyer quelqu’un en prison à vie ou lui rendre sa liberté sur le champ !
Comment émettre un jugement sans risque d’erreur ? Juger, en notre âme et conscience,
c’est donc apprécier des faits sans certitude absolue, pour affirmer une culpabilité ou une
innocence !

Qui dit juger, dit préalablement, penser. Et précisément, le verbe penser vient du latin
pensare, peser, juger. La balance, symbole de justice, invite à peser le pour et le contre des
choses. Il convient donc de penser avant de juger.

Penser, qu’est-ce à dire ?


La philosophie et la franc-maçonnerie dans son sillage, sont des disciplines qui nous invitent
à penser le monde. Qu’est-ce que penser ?

Platon nous répond joliment : « Penser, c’est faire place au dialogue intérieur que l’âme tient
en silence avec elle-même sur les objets qu’elle examine ».

Emmanuel Kant de son côté nous indique les trois conditions du « bien penser » :

1. Penser par soi-même (raisonner sans influences extérieures)

2. Penser en accord avec soi-même (être en auto-cohérence)

3. Penser en comprenant la pensée de l’autre (attitude empathique)

Penser, c’est donc une activité individuelle, intime, qui dans un premier temps implique
l’analyse, le doute, la critique, bref, la prise de distance sur ce qui est considéré. Tout en
comprenant la position d’autrui. C’est un processus qui, par définition, s’oppose aux réactions
de notre instinct et aux influences extérieures : l’action immédiate, la répétition de
l’identique, le « prêt à croire » circulant, le dogmatisme.

Penser, c’est créer par soi-même, en associant des idées. En quelque sorte, cette fonction
psychique consistant pour moi à incorporer le monde précité pour le ressentir, est une réponse
posée aux circonstances. A partir de mes propres perceptions sensorielles, de mes images
mentales, de mes impressions. En tenant compte de celles d’autrui, sans les copier. Avant,
dans la séquence suivante, d’agir, de passer à l’acte. Un exercice autonome respectant les
pensées extérieures. Pas facile mais possible !

En fait, nous avons appris à penser très tôt, bien avant l’âge de raison. Le petit d’homme,
même sans langage – s’il ne distingue pas encore le vrai du faux ou le beau du laid – perçoit
vite en revanche, les éléments importants de la vie sociale qui le concernent : entre autres
l’égalité et l’inégalité, le juste et l’injuste. Selon l’éducation dispensée, sont perçues
d’agréables ou de déplaisantes conduites parentales, de bons ou mauvais comportements de la
fratrie. Un amour familial également réparti ou une préférence criante ont évidemment des
effets contraires chez l’enfant. Ainsi peut s’installer un sentiment bienfaisant de justice ou, à
l’inverse, naître en lui un fort sentiment d’injustice. Le souvenir heureux ou malheureux, sous
forme de joie ou de rancune, est à même de marquer à vie l’enfant devenu adulte.

Par le jeu de l’imitation, comparaison et répétition, caractéristiques même de la


« construction » et du fonctionnement de l’être humain, chacune, chacun de nous a commencé
sa vie en mimant petit à petit la gestuelle de son entourage. Il en est de même sur le plan
psychique : nous avons d’abord instinctivement calqué notre pensée sur celle de notre milieu
éducatif. Pour acquérir, en grandissant, une autonomie psychique progressive, lorsque s’est
agrandi notre cercle relationnel, et donc enrichi notre faculté de raisonnement par de
nouveaux dialogues.

La pensée maçonnique
La franc-maçonnerie, rencontrée par la suite, est une école de pensée où nous pouvons,
précisément, venir « affûter » notre esprit, à la fois grâce aux métaphores à interpréter offertes
par les rites et rituels et à la confrontation de nos idées avec celles de la communauté
fraternelle. Toutefois, rites, rituels et échanges interpersonnels ont les défauts de leurs
qualités. Ritualiser et échanger dans un contexte répétitif et confortable est à même
d’entraîner l’habitude, voire la routine. Le danger d’une certaine paresse intellectuelle est
alors bien réel : Il ne s’agit pas de reproduire sans cesse et mécaniquement les phases du
théâtre maçonnique, mais – bien entendu, sans se séparer de la pensée traditionnelle – d’y
produire de la pensée nouvelle, pendant son déroulement.

Car que signifie l’acte de penser, seul ou en commun ? Primo, c’est dépasser le « déjà-
pensé », le « déjà-dit », et la forme de dictature qu’ils imposent parfois, pour s’ouvrir au
« dire » de demain. Respecter un rite n’empêche pas de créer, d’innover dans son
interprétation. Echanger à partir de ce rite n’implique pas de le raconter en permanence – en
« circuit fermé » – mais au final, de sortir de l’abstraction. Penser, c’est se demander : Quoi
de neuf ?

De la sorte, le franc-maçon contemporain, en bon “socioanalyste” qu’il doit être, peut passer
du stade de “l’intellectuel de salon”, tel que à tort, il est vu parfois, à celui, judicieusement
élargi, de ” visiteur du monde » !

Ce même maçon va éventuellement me dire qu’il faut une certaine audace pour quitter la voie
tracée ! Attention, je ne prétends pas qu’en progressant il faut s’écarter de la tradition reçue,
mais je pense qu’il convient de donner une nouvelle dimension avant de la transmettre à notre
tour. C’est notre mission même de “passeurs de valeurs”. Aujourd’hui les cathédrales sont
construites et les tours de Manhattan en 2001 – comme celle de Babel en son temps- ont
malheureusement montré leurs limites ascensionnelles. Si audace il doit y avoir, c’est celle de
la pratique d’une maçonnerie horizontale, en même temps qu’une maçonnerie verticale. A
l’image même de l’équerre, que nous gardons constamment en mémoire.

La pensée philosophique
La pensée philosophique, à la fois outil du bien vivre et tradition d’avenir, ne nous souffle pas
autre chose depuis l’antiquité que ce sage précepte : “Monte chaque matin sur tes propres
épaules, pour scruter l’horizon”. Il s’agit d’avoir une “vision constructiviste de l’universel”.
Celle-ci ne peut que te donner l’image de ponts entre les hommes. Pas de murs !

On ne peut évoquer la pensée sans…penser au cerveau qui en est le siège. Nous le savons
depuis longtemps mais ce n’est qu’au début du 20ème siècle que la science a découvert qu’il
fonctionne grâce à des impulsions électriques circulant grâce à un câblage de cellules
nerveuses. Ces impulsions ont une origine physico chimique : ce sont, entre autres, des
atomes de potassium et de sodium qui produisent l’énergie électrique. Il est possible
aujourd’hui d’observer le fonctionnement du cerveau de l’extérieur. Au moyen de techniques
ultra-modernes, telle l’imagerie par résonance magnétique (IRM) l’intériorité du cerveau
apparaît aux médecins en trois dimensions !Même si sa complexité est stupéfiante, il n’en
demeure pas moins un organe – qui en l’occurrence traite des informations – et il est étudié
comme tel. Pour les biologistes, il est clair à présent que la conscience, l’intelligence, l’esprit,
la réflexion, phénomènes produits par l’organe cérébral, peuvent être étudiés
scientifiquement. Il n’est pas question pour eux, d’intervention divine. Dès lors, l’hypothèse
de l’existence ou non de l’âme, est devenue secondaire, voire carrément inutile !

Les progrès fantastiques de la science ont déterminé avec une très grande précision les zones
cérébrales qui permettent des fonctions mentales et physiques spécifiques. Tels la mémoire, le
langage, la vue, l’ouïe, l’odorat, la marche et autres gestes. Mais on ignore encore le rapport
qui existe entre le cerveau-organe et la pensée elle-même. Ici demeure un mystère : les
scientifiques ne peuvent pas encore établir, comment sous l’angle physico-chimique, le
cerveau est en mesure de générer la pensée. Il apparaît bien que le cerveau est un organe tout
à fait particulier, à part, en ce qu’il permet la compréhension des mécanismes corporels par
une activité électrochimique mais cache soigneusement le fonctionnement de la pensée.
L’appareil psychique n’a pas encore livré tous ses secrets !

Ce que l’on constate, c’est le résultat de ce processus chimique : penser, c’est poser un point
d’interrogation sur le monde ! Qu’il s’agisse de “philosopher”, au sens de remise en cause du
terme (Platon) ou de “raisonner”, tel que nous l’entendons en franc-maçonnerie, c’est-dire
douter (Descartes). Platon rejette les apparences, se méfie de l’opinion immédiate. Descartes
met en question toutes les certitudes formelles, dictées par les sens, les traditions ou les
dogmes. Spinoza, pour sa part, se méfie des définitions qui ont un côté…définitif. Bref, les
philosophes antiques, non seulement doutent (et puisqu’ils doutent, ils pensent !) mais
remettent en question, de siècles en siècles, les philosophes précédents. Socrate récuse le
sophiste Protagoras. Pyrrhon d’Elis est sceptique après Platon. Epicure rejette la morale de
Platon. Jusqu’à Marx qui critique Hegel et Nietzche démolit les valeurs philosophiques de la
philosophie antique. Pour finir avec Freud qui nie Descartes. Ce qui permet d’affirmer que la
philosophie n’est pas une discipline figée mais bien une “science de l’homme” qui progresse
avec les pensées de celui-ci.

En ce sens, à y bien regarder, les philosophes précités ne nient pas vraiment les travaux de
leurs prédécesseurs. Pour mieux mettre à l’épreuve leurs pensées personnelles, pour en
vérifier la solidité, de fait, ils “déconstruisent” les précédentes, déblaient le terrain et y
reprennent quelques briques, pour construire leur propre édifice. Ainsi, après la négation,
vient l’affirmation, leur réunion produisant une idée. D’où le concept philosophique d’Hegel :
thèse, antithèse, synthèse.
Selon la méthode philosophique, pour penser, il faut donc d’abord nier une réalité, nier
ensuite cette négation, pour aboutir à ladite synthèse. Le but de ce processus est évidemment
l’accès à l’authentique savoir et à la meilleure approche de la vérité.

Pour les philosophes, penser c’est donc parvenir à une unification par dépassement de la
négation et des contraires. On peut voir dans ce cheminement intellectuel, une volonté d’obéir
à une forme de “principe supérieur” que certains nommeront “esprit” ou “Dieu” et d’autres
“raison” ou “pragmatisme”. Penser, c’est donc évaluer le pour et le contre, comme nous le
disions d’entrée. En disant NON aux idéologies, aux illusions et aux prophéties, pour mieux
dire OUI à la création, à la construction, donc à la pensée rationnelle, nous sommes à même
de passer de l’hypothèse à la thèse et de l’antithèse à la synthèse. C’est à dire à une
disposition d’esprit sereine et éclairée, nous le répétons, pour JUGER.

La pensée empathique
Penser en comprenant la pensée de l’autre, nous dit Kant. C’est à dire « se mettre à sa place ».
L’expression mérite examen. C’est l’une des premières consignes qu’un chef des ventes
donne toujours aujourd’hui à ses représentants : il est impératif que tout en connaissant son
« terrain d’exploitation » (potentiel du secteur : consommateurs à même d’acheter le produit
en cause) il perçoive aussi « la façon d’être » de son prospect, premier acquéreur (sa
sensibilité, ses habitudes, son fonctionnement, ses goûts, en clair « son registre émotionnel »).
Pour mieux le « séduire », le valoriser, lui donner des arguments de vente, le persuader de sa
puissance, de son pouvoir de conviction du client. S’il y a un détournement d’intention, avec
un désir de « vente forcée, nous sommes alors tout près des techniques de manipulation !

L’empathie reviendrait ici, en effet, par un discours habile aux mots choisis à « entrer en
douceur dans le cerveau de l’autre », à la fois pour le mettre en confiance, et pour y installer
des suggestions mal intentionnées pour obtenir une commande. Le son des violons de la
flatterie emporte encore bien des âmes !

Autre cas de figure, plus grave : On assiste malheureusement au quotidien, avec les outils
modernes de communication (Internet, textos, vidéos), sur le mode inquiétant cette fois, à des
diffusions de fausses mises en gardes et d’injonctions trompeuses à domicile qui remplissent
les écrans et vident les comptes en banque des particuliers naïfs, cartes de crédit en mains ! A
croire que certaines voix ou messages, jouant sur la peur, aient un pouvoir quasi-hypnotique !
Or l’empathie, la vraie, c’est tout sauf la tromperie d’autrui ! Connaître, saisir la vision du
monde de l’autre, ses attentes, ses manques, c’est au contraire lui montrer alors une
bienveillance sans enjeu, ou lui apporter un secours matériel dont il a parfois besoin. S’il est
quelqu’un qui pratique cette assistance avec les meilleures intentions, c’est bien en
maçonnerie, le frère hospitalier, la sœur hospitalière, noble fonction, ô combien !

Nous le savons, il y a en France quelque 150 000 membres en maçonnerie dont la moitié
seulement en moyenne, assisterait aux tenues. Plusieurs raisons à ce constat d’absence, entre
autres : la vie professionnelle exigeante en déplacements, les problèmes familiaux, la maladie,
la vieillesse. Dans ces deux derniers cas, c’est le rôle même de l’élémosinaire de la loge (en
vieux français du XIème siècle, officier de palais chargé de distribuer les aumônes) de
s’enquérir des besoins du membre absent en le contactant ou en lui rendant visite. « Se mettre
à la place de l’autre », n’est bien entendu qu’une formulation. Cette situation est
physiquement impossible : on ne peut entrer dans sa peau et ressentir ses émotions. On ne vit
que ce que l’on expérimente. Qu’il s’agisse de la joie d’une naissance, d’un gain au loto, de
l’acquisition d’une nouvelle voiture ou, à l’inverse, de la perte d’un emploi ou la tristesse
d’une longue pathologie ou d’un deuil. C’est évidemment davantage ces derniers cas qui
motivent les absences en loge.

Il s’agit moins pour l’hospitalier, l’hospitalière, de prendre en charge les tourments


pathologiques du frère ou de la sœur – partie des soignants – que d’être dans la présence, le
soutien par son écoute. Sa parole sobre a cette vertu de permettre souvent à l’affligé (e)
d’extérioriser en retour le poids d’une douleur psychique et ainsi se soulager. Le silence
parfois possède un pouvoir bénéfique. Se taire, c’est encore aimer. Les visiteurs des centres de
soins palliatifs le constatent : leur présence effective, authentique, la main qui prend
doucement l’autre, les regards qui échangent, valent mieux que des enfilades de phrases
abondantes en plaintes mais creuses en termes de bienfaits ! C’est cela aussi l’empathie : la
complicité des inconscients.

Dans le verbe « penser » on peut également entendre « panser » !

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