Vous êtes sur la page 1sur 54

POINTS

DE VUE
INITIATIQUE S

CAHIERS DE LA GRANDE LOGE DE FRANCE


h N° 16 4 trimestre
SOMMAIRE
DU NUMERO 16
(Nouvelle série No 36)

Pages

TCHOUDI Discours pour une réception au grade de Compa-


gnon (1765) 5

RAMSAY : Discours sur la Mythologie (suite) 9

Le Seigneur des Anneaux et 'Initiation éternelle 23

Histoire de la Franc-Maçonnerie Ecossaise (suite) 29

Défense de la personne humaine 37

La Grande Loge vous parle

Une morale pour notre temps 43

Le savoir n'est pas la connaissance 49

Les Livres - Les Revues 55


LOGE DE COMPAGNON
Discours pour une réception de ce grade,
du 17 Novembre 1765

Mes chers Frères,

Sans affecter de vous faire valoir comme une grâce parti-


culière, celle que la loge vous accorde aujourd'hui, en vous faisant
passer si rapidement à la seconde classe des ouvriers du Temple
je ne dois point vous laisser ignorer que dans les temps primitifs,
1
fallait cinq années d'apprentissage, pour obtenir le grade de
Compagnon : l'usage d'abréger ces interstices a prévalu depuis
que nos travaux sont réduits à des spéculations cependant nous
ne les épargnons pas totalement à tous les sujets, et ceux qui
comme vous, mes Frères, en sont exemptés, doivent le regarder
comme une faveur, qui tacitement les invite à s'en rendre dignes
peut-être au premier coup d'oeil n'aurez-vous pas saisi les diffé-
rences de cette seconde réception une décoration pareille, rien
:

de nouveau dans ce cérémonial, peu de chose ajouté au Tableau,


un signe, un mot de plus, ne semblent pas vous annoncer des
objets bien essentiels cependant ce grade vous en offre, mes
;

chers Frères, qui méritent la plus profonde méditation, et vous


allez en convenir. En troquant la pierre brute, symbole de l'état
d'Apprentis pour la pierre cubique à pointe, attribut des Compa-
gnons, vous devez concevoir d'abord que ce second grade suppose
déjà plus de connaissances, plus d'aptitude au travail vous portiez
les pierres pour l'édifice, vous êtes déjà destiné à leur recoupe
aiguisez vos outils en conséquence, mais souvenez-vous que ce
langage figuré ne parle qu'à votre coeur, qu'il soit votre premier

5
maître. Jettez maintenant les yeux sur le Tableau, sept marches
que vous avez régulièrement montées vous ont conduit au portique,
arrêtez-vous sur le dernier degré, mes chers Frères, pour vous
souvenir sans cesse des choses que ce symbole renferme. Les
sept jours que le Grand Architecte emploie à construire le monde,
votre coeur se tourne nécessairement vers l'Etre suprême, vous
vous rappelIez la grandeur de ses oeuvres, le respect suit l'admira-
tion, la reconnaissance et l'amour en sont la conséquence infail-
lible.

Les sept années que Salomon emploie à construire le Temple


cette merveille ne s'achève malgré la sagesse et la profusion du
Monarque, qu'après un si long temps, vous en devez conclure que
ta confiance, le zèle et l'assiduité au travail, sont les seuls mobiles
de la perfection.
Les sept vertus que tout bon maçon doit pratiquer sans
relâche. A cette explication vous observez sans doute qu'un éditice
dont le portail est orné de chiffres aussi magnifiques, doit être
l'asile de la sagesse, le temple du bonheur, et que vous destinant
à en devenir ouvrier, vous ne pouvez y parvenir que par l'escalier
mystique des vertus qu'il recommande, en les adoptant tellement
qu'elles se massent, pour ainsi dire, dans votre coeur, pour se
développer dans chacune de vos actions.

Les sept vices capitaux que tout Maçon doit fouler aux pieds
cette définition reproduit à la fois les obligations religieuses du
Chrétien et les devoirs de l'honnête homme :orgueil, avarice,
luxure, colère, gourmandise, envie, oisiveté, vices honteux dont
l'existence n'accrédite que trop la fable de Pandore, vous n'aurez
jamais de prise sur le coeur des Maçons, vous aviliriez le vulgaire,
il nous méprise, nous faisons, mieux, nous osons vous braver.

Les sept arts libéraux auxquels les Maçons doivent s'appliquer


particulièrement et dont le cinquième qui nous est le plus recom-
mandé s'annonce par la lettre initiale qui occupe le centre de
l'étoile. A ce précepte séduisant pour l'esprit d'un candidat, il
démêle bien vite que nos loges ne sont pas des séances frivoles,
où l'on se borne à une doctrine sèche et à des cérémonies bur-
lesques et décousues non content d'épurer l'âme, l'Ordre veut

6
encore l'embellir par des connaissances utiles, qui soient avanta-
geuses dans toutes les positions de la vie, et qui nous sortent
de cette espèce de végétation, dans laquelle on ne languit que
trop souvent, faute d'exercer la portion de talent que chacun a
reçu de la nature et dont il doit compte à la Société. Voilà les
vrais morceaux d'architecture qui nous plaisent et qui nous
conviennent, il est permis, il est beau, il est de précepte que l'on
s'essaye sur tout ce qui peut concourir au bien être, ou à l'ins-
truction de l'humanité c'est aux services qu'on lui rend en effet,
que se reconnaît un bon Compagnon, c'est à ce titre et dans cet
espoir, mes chers Frères, que je m'applaudis de vous avoir en ce
jour reçu comme tels.
*
**
N.B. On n'avait peut-être jamais imaginé de pérorer sur le
grade de Compagnon, parce que par un abus criant on le confère
en même jour après l'apprentissage et que le candidat encore
ébloui des premières cérémonies, n'y aperçoit point d'accrois-
sement de lumières cependant en se donnant la peine d'en
;

assortir les allégories, on peut avec adresse en tirer les symboles


utiles qui viennent d'être déduits, et qui ne sont pas sans quelque
mérite je crois que l'étude d'un Vénérable devrait toujours être
;

d'amuser l'esprit et de nourrir le coeur par d'ingénieuses applica-


tions mais il faudrait un peu de choix dans les chefs ceux qui
:

ne voient rien au-delà des grimaces pectorales, gutturales ou


pédestres, sont proprement des automates qui prêchent à des
machines.

7
DISCOURS
SUR LA MYTHOLOGIE
De la Théologie des païens *

On ne peut pas lire sans admiration les ouvrages d'Epictète,


d'Arrien son disciple, et de Marc-Antonin. On y trouve des règles
de Morale dignes du Christianisme. Ces disciples de Zénon
croyaient cependant comme leur maître qu'il n'y avait qu'une seule
substance que l'intelligence souveraine était matérielle ; que son
essence était un pur Ether qui remplissait tout par diffusion locale.
L'erreur de ces corporalistes ne prouve pas qu'ils aient été athées.
Une fausse idée sur la Divinité ne forme point l'athéisme. Ce qui
constitue l'athée, n'est pas de soutenir avec les Stoïciens que
l'étendue et la pensée peuvent être des propriétés de la même
substance, ni avec Pythagore et Platon que la matière est une pro-
duction éternelle de Ta Divinité. Le véritable athéisme consiste à
nier qu'il y ait une Intelligence souveraine qui ait produit le monde
par sa puissance et qui le gouverne par sa sagesse.
Voyons enfin quel sentiment avaient les Pères de l'Eglise sur
la théologie des païens. Ils étaient à portée de la connaître à fond,
par les fréquentes disputes qu'ils avaient avec eux. Il faut craindre
dans une matière aussi délicate, de s'abandonner à ses propres
conjectures. Ecoutons la sage Antiquité chrétienne.
Arnobe introduit les païens se plaignant de l'injustice des
chrétiens. C'est une calomnie, disent ces païens, de nous impu-
ter le crime, de nier un Dieu suprême. Nous l'appelons Jupiter
le très grand et le très bon ; nous lui dédions nos plus superbes
édifices et nos capitoles, pour marquer que nous l'exaltons au-
dessus de toutes les autres divinités.
Saint Paul insinue dans sa prédication à Athènes, dit saint
Clément Alexandrin, que les Grecs connaissaient la divinité.

() Voir Points de Vue Initiatiques n° 15. Ramsay dans la partie précédente


de ce Discours vient d'analyser ce qu'il appelle la théologie des Païens, des
anciens Perses, des Egyptiens, des Grecs et des Romains.

9
Il suppose que ces peuples adorent le même Dieu que nous,
quoique ce ne soit pas de la même manière. Il ne nous
défend point d'adorer le même Dieu que les Grecs, mais il nous
défend de l'adorer de la même façon. Il nous ordonne de changer
la manière de notre culte et nullement l'objet.
Les païens, dit Lactarice, qui admettent plusieurs dieux,
disent cependant que ces divinités subalternes président telle-
ment à toutes les parties de 'Univers, qu'il n'y a qu'un seul
recteur et gouverneur suprême de là il suit que toutes les
autres puissances invisibles ne sont pas des dieux, mais des
ministres ou des députés de ce Dieu unique, très grand et tout
puissant, qui les a constitués pour exécuteurs de ses volontés.
Eusèbe de Cesarée ajoute Les païens reconnaissaient qu'il
n'y avait qu'un seul Dieu, qui remplit tout, qui pénètre tout et
qui préside à tout. Mais ils croient qu'étant présent à son
ouvrage d'une manière incorporelle et invisible, c'est avec rai-
son qu'on l'adore dans ses effets visibles et corporels.
Je Finis par un fameux passage de saint Augustin, qui réduit
le polythéisme des païens à l'unité d'un seul principe : Jupiter
dit ce père, est, selon les philosophes, l'âme du monde qui prend
des noms différents selon les effets qu'il produit. Dans les espa-
ces éthérés on l'appelle Jupiter, dans l'air Junon, dans la mer
Neptune, dans la terre Pluton, aux enfers Proserpine, dans l'élé-
ment du feu Vulcain, dans le soleil Phébus, dans les devins
Apollon, dans la guerre Mars, dans la vigne Bacchus, dans les
moissons Cérès, dans les bois Diane, dans les sciences Minerve.
Toute cette foule de dieux et de déesses ne sont que le même
Jupiter dont on exprime les différentes vertus par des noms
différents.
li est donc évident par le témoignage des poètes proFanes, des
philosophes gentils et des pères de l'Eglise, que les païens recon-
naissaient une seule Divinité suprême. Les Orientaux, les Egyp-
tiens, les Grecs, les Romains et toutes les nations, enseignaient
universellement cette vérité.
Vers la cinquantième Olympiade, six cents ans avant l'ère
chrétienne, les Grecs ayant perdu les sciences traditionnelles des
Orientaux, négligèrent la doctrine des Anciens et commencèrent
à raisonner sur la Nature divine par les préjugés des sens et de
l'imagination. Anaximandre vivait alors ;il fut le premier qui
voulut bannr de l'univers, le sentiment d'une Intelligence souve-
raine, pour réduire tout à l'action d'une matière aveugle qui prend

10
nécessairement toutes sortes de formes. li fut suivi par Leucippe,
Démocrite, Epicure, Straton, Lucrèce et toute I Ecole des atomistes.
Pythagore, Anaxagore, Socrate, Platon, Aristote et tous les
grands hommes de la Grèce, se soulevèrent contre cette doctrine
impie et tâchèrent de rétablir l'ancienne théologie des Orientaux.
Ces génies supérieurs voyaient dans la Nature, mouvement, pen-
sée, dessein. Or comme l'idée de la matière ne renferme aucune
de ces trois propriétés, ils concluaient qu'il y avait dans la Nature
une autre substance que la matière.
La Grèce s'étant ainsi partagée en deux sectes, on disputa
longtemps de part et d'autre sans se convaincre. Vers la 120e Olym-
piade, Pyrrhon forma une troisième secte, dont le grand principe
était de douter de tout, et de ne rien décider. Tous les atomistes
qui avaient cherché en vain une démonstration de leurs faux prin-
cipes se réunirent bientôt à la secte pyrrhonienne ils s'abandon-
;

nèrent follement au doute universel et parvinrent peu à peu à un


tel excès de frénésie, qu'ils doutèrent des vérités les plus claires
et les plus sensibles. Ils soutinrent sans allégorie que tout ce
qu'on voit n'est qu'une illusion et que la vie entière est un songe
perpétuel dont ceux de la nuit ne sont que des images.
Enfin Zénon établit une quatrième Ecole, vers la 130' Olym-
piade. Ce philosophe tâcha de concilier les disciples de Démocrite
avec ceux de Platon, en soutenant que le premier Principe était
une sagesse infinie, mais que son essence était un pur Ether,
ou une lumière subtile qui se répandait partout pour donner la vie,
le mouvement et la raison à tous les êtres.
Dans ces derniers temps, on n'a fait que renouveler les
arciennes erreurs. Jordano Bruno, Vanini et Spinoza ont rappelé
le monstrueux système d'Anaximandre. Et ce dernier a tâché
d'éblouir les âmes faibles, en donnant une forme géométrique à ce
système.
Ouelques spinosistes sentant que l'évidence leur échappe
à tout moment dans les prétendues démonstrations de leur maître,
sont tombés dans une espèce de pyrrhonisme insensé, nommé
I'égomisme, où chacun se croit le seul être existant.
M. Hobbès et plusieurs autres philosophes, sans se déciarer
athées, osent soutenir que la pensée et l'étendue peuvent être
des propriétés de la même substance.
Descartes, le père Malebranche, Leiznitz, Bentley, le Dr Clarke
et plusieurs métaphysiciens d'un génie également subtil et pro-

11
fond, tâchent de réfuter ces erreurs et de confirmer par leur rai-
sonnement l'ancienne théologie. Ils ajoutent aux preuves tirées
des effets, celles qu'on tire de l'idée de la première cause ils:

font sentir que les raisons de croire sont infiniment plus fortes
que celles qu'on a de douter. C'est tout ce qu'il faut chercher dans
les discussions métaphysiques.
L'histoire des temps passés est semblable à celle de nos jours.
L'esprit humain prend à peu près les mêmes formes dans les diffé-
rents siècles. Il s'égare dans les mêmes routes. II y a des erreurs
universelles, comme des vérités immuables. Il y a des maladies
périodiques pour l'esprit, comme pour les corps.

SECONDE PARTIE

De la Mythologie des Anciens


Les hommes abandonnés à la seule lumière de leur raison,
ont toujours regardé le mal moral et physique, comme un phéno-
mène choquant dans l'ouvrage d'un Etre infiniment sage, bon et
puissant. Pour expliquer ce phénomène, les philosophes ont eu
recours à plusieurs hypothèses.
La raison leur dictait à tous, que ce qui est souverainement
bon ne peut rien produire de méchant, ni de malheureux. De là
ils concluaient que les âmes n'étaient pas ce qu'elle avaient été
d'abord qu'elles s'étaient dégradées par quelque faute qu'elles
avaient commise dans un état précédent que cette vie est un
;

lieu d'exil et d'expiation et qu'enfin tous les êtres seraient réta-


;

blis dans l'ordre.


Ces idées philosophiques avaient cependant une autre origine.
La tradition s'unissait à la raison et cette tradition avait répandu
dans toutes les nations certaines opinions communes sur les trois
états du monde. C'est ce que je vais faire voir dans cette seconde
partie, qui sera comme un abrégé de la doctrine traditionnelle
des Anciens.
Je commence par la mythologie des Grecs et des Romains.
Tous les poètes nous dépeignent le siècle d'or ou de Saturne
comme un état heureux, où il n'y avait ni malheurs, ni crimes, ni
travail, ni peines, ni maladies, ni mort.

12
Ils nous représentent au contraire le siècle de fer, comme le
commencement du mal physique et moral. Les souffrances, les
vices, tous les maux cruels sortent de la boîte fatale de Pandore
et inondent la terre.
Ils nous parlent du siècle d'or renouvelé, comme d'un temps
où Astrée doit revenir sur la terre, où la justice, la paix et l'inno-
cence doivent reprendre leurs premiers droits et où tout doit être
rétabli dans sa perfection primitive.
Enfin ils y chantent partout les exploits d'un fils de Jupiter
qui abandonne l'Olympe pour vivre parmi les hommes. Ils lui don-
nent des noms différents selon ses différentes fonctions. Tantôt
c'est Apollon qui combat Python et les Titans. Tantôt c'est Hercule
qui détruit les monstres et les géants et qui purge la terre de leurs
Fureurs et de leurs crimes. Quelquefois c'est Mercure ou le Mes-
sager des dieux qui vole partout pour exécuter leurs volontés.
D'autres fois c'est Persée qui délivre Andromède ou la nature
humaine, du monstre qui sortit de l'abîme pour la dévorer. C'est
toujours quelque fils de Jupiter qui livre des batailles et qui rem-
porte des victoires.
Je n'insiste point sur ces descriptions poétiques, parce qu'on
peut les regarder comme des fictions faites au hasard, pour embel-
lir un poème et pour amuser l'esprit. L'illusion est à craindre dans
les rapports et les explications allégoriques. Je me hâte d'exposer
la doctrine des philosophes, et surtout celle de Platon. C'est la
source où Plotin, Proclus et les platoniciens du troisième siècle
ont puisé leurs principales idées.
Commençons par le dialogue de Phédon ou de l'immortalité,
dont voici l'analyse. Phédon raconte à ses amis l'état où il vit
Socrate en mourant. li sortait de la vie, dit-il, avec une joie paisible
et une intrépidité généreuse. Ses amis lui en demandèrent la
cause. J'espère, leur répond Socrate, me réunir aux dieux bons
« et parfaits et à des hommes meilleurs que ceux que je laisse
sur la terre.
Cébès lui ayant dit que l'âme se dissipe après la mort comme
une fumée et s'anéantit tout à fait, il combat cette opinion en
tâchant de prouver que l'âme a eu une existence réelle dans un
état heureux avant que d'animer un corps humain.
li attribue cette doctrine à Orphée: Les disciples d'Orphée,
dit-il, appelaient le corps une prison parce que l'âme est ici
dans un état de punition, jusqu'à ce qu'elle ait expié les fautes
« qu'elle a commises dans le ciel.

13
Les âmes, continue Platon, qui se sont trop adonnées aux
plaisirs corporels et qui se sont abruties, errent sur la terre et
rentrent dans de nouveaux corps. Car toute volupté et toute
passion attachent l'âme au corps, lui persuadent qu'elle est de
même nature et la rendent, pour ainsi dire, corporelle ; de sorte
« qu'elle ne peut s'envoler dans une autre vie mais impure et
;

appesantie, elle s'enfonce de nouveau dans la matière et devient


par-là incapable de remonter vers les pures régions et d'être
réunie à son Principe.
Voilà la source de la métempsychose que Platon représente
dans le second Timée comme une allégorie et quelquefois comme
un état réel, où les âmes qui se sont rendues indignes de la
suprême béatitude, séjournent et souffrent successivement dans
les corps des différents animaux jusqu'à ce qu'elles soient purgées
de leurs crimes par les peines qu'elles subissent. C'est ce qui a
fait croire à quelques philosophes que les âmes des bêtes étaient
des intelligences dégradées.
Les âmes pures, ajoute Platon, qui ont travaillé ici-bas à se
dégager de toute souillure terrestre, se retirent après la mort
dans un lieu invisible, qui nous est inconnu, où le pur s'unit au
pur, le bon s'unit à son semblable et notre essence immortelle
à l'essence divine.
Il appelle ce lieu la première Terre où les âmes faisaient leur
demeure avant leur dégradation. « La terre est immense, dit-il,
« nous n'en connaissons et n'en habitons qu'un petit coin. Cette
terre éthérée, ancien séjour des âmes, est placée dans les pures
régions du ciel, où sont les astres. Nous qui vivons dans ces
abîmes profonds, nous nous imaginons que nous sommes dans
un lieu élevé et nous appelons l'air le ciel, semblables à un
homme qui du fond de la mer voyant le Soleil et les astres au
travers des eaux, croirait que l'océan est le ciel même. Mais si
nous avions des ailes pour nous élever en haut, nous verrions
que c'est là le vrai ciel, la vraie lumière et la vraie terre. Comme
dans la mer tout est troublé, rongé et défiguré par les sels qui
y abondent de même dans notre terre présente tout est dif-
;

forme, corrompu, délabré, en comparaison de la terre primitive.


Platon fait ensuite une description pompeuse de cette terre
éthérée dont la nôtre n'est qu'une croûte détachée. « Il dit que
tout y était beau, harmonieux, transparent des fruits d'un goût
;

exquis y croissaient naturellement il y coulait des fleuves de


nectar ; on y respirait la lumière comme nous respirons l'air
et l'on y buvait des eaux qui étaient plus pures que l'air même.

14
Cette idée de Platon s'accorde avec celle de Descartes sur la
nature des planètes. Ce philosophe moderne croit qu elles etaient
d'abord des Soleils, qui contractèrent ensuite une croute epaisse
et opaque mais il ne parle point des raisons morales de ce chan-
gement, parce qu'il n'examine le monde qu'en physicien.
La même doctrine de Platon est encore développée dans son
Timée. Là il nous raconte que Solon dans ses voyages entretint
un prêtre égyptien sur l'antiquité du monde, sur son origine et sur
les révolutions qui y sont arrivées, selon la mythologie des Grecs.
Alors le prêtre égyptien lui dit : ô Solon, Solon, vous autres
Grecs vous êtes toujours enfants et vous ne parvenez jamais
à un âge mûr ; votre esprit est jeune et n'a aucune vraie connais-
sance de l'antiquité. Il est arrivé plusieurs inondations et confla-
grations sur la terre, causées par le changement des mouve-
ments célestes. Votre histoire de Phaéton qui paraît une fable
n'est pourtant pas sans quelque fondement véritable. Nous
autres Egyptiens nous avons conservé la mémoire de ces faits
dans nos monuments et dans nos temples mais ce n'est que
;

depuis peu que les Grecs ont connu les lettres, les muses et les
sciences.
Ce discours donne l'occasion à Timée d'expliquer à Socrate
l'origine des choses et l'état primitif du monde. Tout ce qui a
été produit, dit-il, a été produit par quelque cause. Il est diffi-
« cile de connaître la nature de cet Architecte et de ce père de
l'univers ; et quand vous la découvririez, il vous serait impossible
de la faire comprendre au vulgaire.
« Cet Architecte, continue-t-il, a eu quelque modèle selon
lequel il a tout produit et ce modèle c'est lui-même. Comme il
est bon et que ce qui est bon n'est jamais touché d'aucune
envie, il a fait toutes choses autant qu'il était possible, sembla-
bles à son modèle. Il a fait le monde un tout parfait, composé
de parties toutes parfaites et qui n'étaient sujettes ni à la
maladie, ni à la vieillesse. Le père de toutes choses, voyant
enfin cette belle image de lui-même, se plut dans son ouvrage
et cette joie lui inspira le désir de rendre cette image de plus
en plus semblable à son modèle.
Dans le dialogue appelé le Politique, Platon nomme cet état
primitif du monde le règne de Saturne et voici comme il le décrit
Dieu était alors le prince et le père commun de tous il gouver-
;
nait le monde par lui-même, comme il le gouverne à présent par
les Dieux inférieurs. Alors la fureur, ni la cruauté ne régnaient

15
« point sur la terre la guerre et la sédition n'étaient point
connues. Dieu nourrissait les hommes lui-même il était leur
;

gardien et leur pasteur il n'y avait ni magistrats ni politique


:

« comme à présent. Dans ces heureux temps, les hommes sor-


taient du sein de la terre qui les produisait d'elle-même, comme
les fleurs et les arbres. Les campagnes fertiles fournissaient des
fruits et des blés sans les travaux de l'agriculture les hommes
:

ne couvraient point leur corps, parce qu'on ne sentait point


encore l'inclémence des saisons ils prenaient leur repos
sur des lits de gazons toujours verts.
Sous le règne de Jupiter, le maître de l'univers ayant comme
abandonné les rênes de son empire, se cacha dans une retraite
inaccessible. Les dieux inférieurs qui gouvernaient sous Saturne
se retirèrent aussi et le monde, secoué jusqu'aux fondements
par des mouvements contraires à son principe et à sa fin, perdit
sa beauté et son éclat. Alors les biens furent mêlés avec les
maux : mais à la fin, de peur que le monde ne soit plongé dans
un abîme éternel de confusion, Dieu, auteur du premier ordre,
reparaîtra et reprendra les rênes. Alors il changera, corrigera,
embellira et rétablira tout, en détruisant la vieillesse, les mala-
dies et la mort.
Dans le Dialogue appelé Phèdre, Platon recherche les causes
secrètes du mal moral qui a produit le mal physique. Il y a en
chacun de nous, dit-il, deux ressorts dominants. Le désir du plai-
sir et l'amour du bon, qui sont les ailes de l'âme. Quand ces
ailes se séparent, quand l'amour du plaisir et l'amour du bon
se divisent, alors les âmes tombent dans des corps mortels et
voici selon lui les plaisirs que les intelligences goûtent dans le
ciel et comment les âmes déchurent de cet état heureux.
Le grand Jupiter, dit-il, animant son char ailé marche le
premier suivi de tous les dieux inférieurs et des génies. Ils par-
courent ainsi les cieux dont ils admirent les merveilles infinies
mais lorsqu'ils vont au grand festin, ils s'élèvent au haut du ciel
au-dessus des sphères. Aucun de nos poètes n'a chanté jus-
qu'ici, ni ne peut chanter suffisamment ce lieu sublime. Là les
âmes contemplent par les yeux de l'esprit l'essence vraiment
existante qui n'est ni colorée, ni figurée, ni sensible, mais pure-
ment intelligible. Là elles voient la vertu, la vérité, la justice
non comme elles sont ici-bas, mais comme elles existent dans
celui qui est l'Etre même. Là elles se rassasient de cette vue
jusques à ce qu'elles n'en puissent plus soutenir l'éclat alors

16
elles rentrent dans le ciel, où elles se repaissent d'ambroisie et
de nectar. Telle est la vie des dieux.
Or, continue Platon, toute âme qui suit Dieu fidèlement dans
« ce lieu sublime demeure pure et sans tache mais si elle se
contente de nectar et d'ambroisie sans accompagner le char de
Jupiter, pour aller contempler la vérité, elle s'appesantit, elle
« rompt ses ailes, elle tombe sur la terre et entre dans un corps
humain, plus ou moins vil, selon qu'elle a été plus ou moins
élevée. Les âmes moins dégradées habitent dans les corps
des philosophes ; les plus méprisables animent les tyrans et
les mauvais princes. Leur sort change après la mort et devient
plus ou moins heureux, suivant qu'elles ont aimé la vertu ou le
vice pendant leur vie. Ce n'est qu'après dix mille ans que les
âmes se réuniront à leur principe. Leurs ailes ne croissent et
ne se renouvellent que dans cet espace de temps.
Telle est la doctrine que Platon opposait à la secte profane
de Démocrite et d'Epicure, qui niaient la Providence éternelle à
cause du mal physique et moral. Ce philosophe nous fait un magni-
fique tableau de l'univers. Il le considère comme une immensité
remplie d'intelligences libres qui habitent et qui animent des mon-
des infinis. Ces intelligences sont capables d'une double félicité.
L'une en contemplant l'essence divine l'autre en admirant ses
ouvrages. Lorsque les âmes ne font plus consister leur bonheur
dans la connaissance de la vérité et que les plaisirs inférieurs les
détachent de l'amour de l'Essence suprême, elles sont précipitées
dans quelque planète pour y subir des peines expiatrices, jusqu'à
ce qu'elles soient guéries par les souffrances. Ces planètes sont
par conséquent, selon Platon, comme des lieux ordonnés pour la
guérison des intelligences malades. Voilà la Loi établie pour conser-
ver l'ordre dans les sphères célestes.
Cette double occupation des esprits célestes est une des plus
sublimes idées de Platon et marque la profondeur admirable de
son génie c'est par ce système que les philosophes païens ont
tâché de nous expliquer l'origine du mal. Voici comme ils raison-
naient si les âmes pouvaient contempler sans cesse l'essence
:

divine par un regard immédiat, elles seraient impeccables la vue


:

du bien souverain entraînerait nécessairement tout l'amour de la


volonté. Pour expliquer donc la chute des esprits, il fallait suppo-
ser un intervalle, où l'âme sort de la présence divine et quitte le
lieu sublime pour admirer les beautés de la nature et le rassasier
d'ambroisie, comme d'une nourriture moins délicate et plus conve-

17
nable à la nature finie. C'est dans ces intervalles qu'elle devint
infidèle.
Pythagore avait puisé la même doctrine chez les Egyptiens. Il
nous en reste un précieux monument dans les Commentaires de
Hiéroclès sur les vers dorés attribués à ce philosophe.
« Comme notre éloignement de Dieu, dit cet auteur, et la perte
des ailes qui nous élevaient vers les choses célestes, nous ont
précipités dans cette région de mort où tous les maux habitent
de même le dépouillement des affections terrestres et le renou-
vellement des vertus, font renaître nos ailes et nous élèvent au
séjour de la vie où se trouvent les véritables biens sans aucun
mélange de maux. L'essence de l'homme tenant le milieu entre
les êtres qui contemplent toujours Dieu et ceux qui sont inca-
pables de le contempler, peut s'élever vers les uns ou se rabais-
ser vers les autres.
Le méchant, dit ailleurs Hiéroclès, ne veut pas que l'âme
soit immortelle, de peur de ne vivre après la mort que pour souf-
frir mais il n'en est pas de même des juges des enfers. Comme
ils forment leurs jugements sur les règles de la vérité, ils ne
prononcent pas que l'âme doit n'être plus, mais qu'elle doit
n'être plus vicieuse. Ils travaillent à la corriger et à la guérir,
en ordonnant des peines pour le salut de la nature de même;

que les médecins guérissent par des incisions les ulcères les
plus malins. Ces juges punissent le crime pour chasser le vice.
Ils n'anéantissent pas l'essence de l'âme, mais ils la ramènent
à exister véritablement, en la purifiant de toutes les passions
qui la corrompent. C'est pourquoi quand on a péché, il faut cou-
rir au-devant de la peine, comme au seul remède du vice.
li paraît donc manifestement par la doctrine des plus célè-
bres philosophes grecs 1° Que les âmes préexistaient dans le
:

ciel. 2° Que le Jupiter conducteur des âmes avant la perte de leurs


ailes et celui à qui Saturne a confié les rênes de son Empire depuis
l'origine du mal, est distinct de l'Essence suprême et par consé-
quent qu'il ressemble fort au Mythras des Perses et à l'Orus des
Egyptiens. 3° Que les âmes ont perdu leurs ailes, et qu'elles ont
été précipitées dans des corps mortels, parce qu'au lieu de suivre
le char de Jupiter, elles s'étaient trop arrêtées à la jouissance des
plaisirs inférieurs. 4° Qu'au bout d'une certaine période de temps
les ailes de l'âme renaîtront et que Saturne reprendra les rênes
de son Empire, pour rétablir l'univers dans son premier éclat.
Examinons à présent la mythologie égyptienne qui est la

18
source de celle des Grecs. Je ne veux point soutenir les explica-
tions mystiques que le père Kircher donne de la fameuse Table
isiaque et des obélisques qui se voient à Rome. Je me borne à
Plutarque qui nous a conservé un monument admirable de cette
mythologie. Pour en faire sentir les beautés, je vais faire une
analyse courte et claire de son Traité d'lsis et d'Osiris, qui est une
lettre écrite à Cléa, prêtresse d'lsis.
La mythologie égyptienne, dit Plutarque, a deux sens l'un
sacré et sublime, l'autre sensible et palpable. C'est pour cela
que les Egyptiens mettent des sphinx à la porte de leurs tem-
ples. Ils veulent nous faire entendre que leur théologie contient
les secrets de la sagesse, sous des paroles énigmatiques. C'est
aussi le sens de l'inscription qu'on lit à Saïs sur une statue de
Pallas ou d'lsis je suis tout ce qui est, qui a été et qui sera, et
:

jamais mortel n'a levé le voile qui me couvre.


Il raconte ensuite la fable d'lsis et d'Osiris. Ils naquirent
tous deux de Rhéa et du Soleil. Tandis qu'ils étaient encore dans
le sein de leur mère, ils s'unirent et procréèrent le Dieu Orus,
image vivante de leur substance. Typhon ne naquit point, mais il
perça les flancs de Rhéa par un violent effort. li se révolta
ensuite contre Osiris, remplit l'univers de ses fureurs, déchira le
corps de son frère, en découpa les membres, et les répandit
partout. Depuis ce temps-là isis erre sur la terre pour ramasser
les membres épars de son frère et de son époux. L'âme d'Osiris
éternelle et immortelle, mena son fils Orus aux Enfers, où elle
l'instruisit à combattre et à vaincre Typhon. Orus retourna sur
la terre, combattit et défit Typhon mais il ne le tua pas. Il se
;

contenta de le lier et de lui ôter la puissance de nuire. Le


méchant s'échappa enfin et le désordre allait recommencer
mais Orus lui livra deux sanglantes batailles et l'extermina tout
à fait.
Plutarque continue ainsi Quiconque applique ces allégories
à la nature divine, immortelle et bienheureuse, mérite qu'on le
traite avec mépris, Il ne faut pas croire pourtant qu'elles soient
de pures fables, vides de sens, semblables à celles des poètes.
Elles nous dépeignent des choses qui sont véritablement arri-
vées.
Ce serait aussi une erreur dangereuse et une impiété mani-
'C
feste d'attribuer, avec Evhemere le Messénien, tout ce qu'on dit
des dieux, aux anciens rois et aux grands capitaines. Ce serait
anéantir la religion et éloigner les hommes de la divinité.

19
Ceux-là, ajoute-t-il, ont mieux pensé, qui ont écrit que tout
ce qu'on raconte de Typhon, d'Osiris, d'lsis et d'Orus, doit s'en-
tendre des génies et des démons. C'était l'opinion de Pythagore,
de Platon, de Xénocrate et de Chrysippe, qui suivaient en cela
les anciens théologiens. Tous ces grands hommes soutiennent
que ces génies étaient fort puissants et très supérieurs aux
mortels. Ils ne participaient pourtant pas de la divinité d'une
manière pure et simple ; niais ils étaient composés d'une nature
spirituelle et corporelle et par-là capables de plaisirs et de
peines, de passions et de changements car parmi les génies
:

comme parmi les hommes, il y a des vertus et des vices. De là


viennent les fables des Grecs sur les tyrans et les géants, les
combats de Python contre Apollon les fureurs de Bacchus et
;

plusieurs fictions semblables à celles d'Osiris et de Typhon.


De là vient qu'Hornère parle de bons et de mauvais démons. Pla-
ton appelle les premiers dieux tutélaires, parce qu'ils sont
médiateurs entre la divinité et les hommes et qu'ils portent les
prières des mortels vers le Ciel et de là nous rapportent la
connaissance et la révélation des choses cachées et futures.
Empédocle, continue-t-il, dit ' que les mauvais démons sont
punis des fautes qu'ils ont commises. Le Soleil les précipite
d'abord dans l'air l'air les jette dans la mer profonde la mer
; ;

les vomit sur la terre de la terre ils s'élèvent enfin vers le


Ciel. Ils sont ainsi transportés d'un lieu à un autre, jusqu'à ce
qu'étant punis et purifiés, ils retournent dans le lieu qui est
conforme à leur nature.
Après avoir donné ainsi une explication théologique des allé-
gories égyptiennes, Plutarque en raconte les explications physi-
ques ; mais il les rejette toutes et revient à sa première doctrine.
« Osiris n'est ni le Soleil, ni l'eau, ni la terre, ni le Ciel mais ;

« tout ce qu'il y a dans la nature de bien disposé, de bien ordonné,


« de bon et de parfait est l'image d'Osiris. Typhon n'est ni la
sécheresse, ni le feu, ni la mer mais tout ce qu'il y a dans
la nature de nuisible, d'inconstant et de déréglé.
Plutarque va plus loin dans un autre Traité et nous explique
l'origine du mal par un raisonnement également solide et subtil le
voici. L'ouvrier parfaitement bon fit d'abord toutes choses, autant
« qu'il était possible. semblables à lui-même. Le monde reçut en
« naissant de celui qui le fit, toutes sortes de biens. Il tient d'une
« disposition étrangère tout ce qu'il a de malheureux et de
« méchant. Dieu ne peut pas être la cause du mal, parce qu'il est
« souverainement bon. La matière ne peut pas être la cause du

20
mal, parce qu'elle n'a point de force : mais le mal vient d'un
troisième principe qui n'est ni si parfait que Dieu, ni si impar-
fait que la matière. Ce troisième Etre c est la nature intelligente,
qui a au-dedans de soi une source, un principe et une cause de
mouvement.
J'ai déjà fait voir que les Ecoles de Pythagore et de Platon
soutenaient la liberté. Le premier l'exprime par la nature de l'âme
qui peut s'élèver ou s'abaisser l'autre par les ailes de l'âme,
c'est-à-dire par l'amour du beau et le goût du plaisir, qui peuvent se
séparer. Plutarque suit les mêmes principes et fait consister la
liberté dans l'activité de l'âme, par laquelle elle est la source de
ses déterminations.
Ce sentiment ne doit donc pas être regardé comme nouveau.
Il est tout à la fois naturel et philosophique. L'âme peut toujours
séparer et rassembler, rappeler et comparer les idées et c'est
de cette activité que dépend la liberté. Nous pouvons toujours
penser à d'autres biens qu'à ceux auxquels nous pensons actuelle-
ment. Nous pouvons toujours suspendre notre consentement, pour
voir si le bien dont nous jouissons est ou n'est pas le vrai bien.
Notre liberté ne consiste pas à vouloir, sans raison de vouloir, ni
à préférer le moindre bien, à ce qui nous paraît le plus grand mais
à examiner si le bien présent est un bien réel, ou s'il est un bien
imaginaire. L'âme n'est libre que lorsqu'elle est placée entre deux
objets qui paraissent dignes de quelque choix. Elle n'est jamais
entraînée invinciblement par l'impression d'aucun bien fini, parce
qu'elle peut penser à d'autres biens plus grands et par-là décou-
vrir un attrait supérieur, qui suffit pour l'enlever au bien apparent
et trompeur.
J'avoue que les passions par le sentiment vif qu'elles nous
causent, occupent quelquefois toute la capacité de l'âme et l'empê-
chent de réfléchir. Elles l'aveuglent et l'entraînent. Elles déguisent
et transforment les objets. Mais quelque fortes qu'elles soient,
elles ne sont jamais invincibles. Il est difficile, mais n'est point
impossible de les surmonter. Il est toujours dans notre pouvoir
d'en diminuer peu à peu la force et d'en prévenir les excès. Voilà
le combat de l'homme sur la terre et le triomphe de la vertu.
Les païens ayant senti cette tyrannie des passions, reconnu-
rent par la seule lumière naturelle, la nécessité d'une puissance
céleste pour les vaincre, Ils nous représentent toujours la vertu
comme une force divine qui descend du ciel. Ils introduisent sans
cesse dans leurs poèmes des divinités protectrices qui nous inspi-
rent, nous éclairent et nous fortifient pour marquer que les vertus

21
héroïques ne peuvent venir que des dieux seuls. C'est par ces
principes que la sage Antiquité a toujours combattu la fatalité, qui
détruit également la religion, la morale et la société. Revenons aux
Egyptiens.
Leur doctrine, selon Plutarque, suppose 10 Que le monde
:

fut créé d'abord sans aucun mal physique, ni moral, par celui qui
est infiniment bon. 2° Que plusieurs génies, par l'abus de leur
liberté, se sont rendus criminels et par-là malheureux. 3° Que ces
génies souffriront des peines expiatrices, jusqu'à ce qu'ils soient
purgés et rétablis dans l'ordre. 4° Que le dieu Orus fils d'lsis et
d'Osiris, qui combat le mauvais principe, e3t un dieu subalterne
semblable à Jupiter, fils de Saturne.

(à suivre)

22
LE SEIGNEUR DES ANNEAUX
OU
L'INITIATION ETERNELLE *
Three Rings for the Elven-Kings under the sky
Seven for the Dwarf -Lords in their halls of stone
Nine for the Mortal Men doomed W die
One for the Dark Lord on his dark Throne
In the Land of Mordor where the Shadows lie
One Ring to rule them ail, One Ring to find them,
One Ring to brin g them ail and in the darkness bind them
In the Land of Mordor where the Shadows lie
Trois anneaux pour les Rois Elfes sous le ciel
Sept pour les Seigneurs nains dans leur demeure de pierre
Neuf pour les hommes mortels destinés à mourir
Un pour le Seigneur Ténébreux sur son sombre trône
Au Pays de Mordor où s'étendent les ombres
Un pour les rechercher, Un pour les trouver tous
Un seul pour les ramener tous, et dans les ténèbres les lier
Au Pays de Mordor où s'allongent les ombres.

Lorsque le poème liminaire est lu, on connaît toute l'histoire.


De quoi s'agit-il ? Un Anneau, l'Unique, forgé par le Seigneur Téné-
breux dans le deuxième âge du monde, peut, s'il revient à son pro-
priétaire, gouverner les autres anneaux et les peuples qui en
dépendent. C'est l'anneau de pouvoir. Entre autres il permet au
porteur d'être invisible, sauf si le Seigneur Ténébreux le porte. Il
ne permet d'ailleurs d'être invisible qu'aux yeux humains. Qui-
conque le met à son doigt est révélé au Seigneur Ténébreux et à
son OEil.

Parce qu'il est l'Anneau de tous les pouvoirs, il corrompt toLts


ceux qui s'en servent, de la même façon qu'il a corrompu Sauron,
son créateur, devenu par sa création Seigneur Ténébreux.
(*) Le Seigneur des Anneaux, J.R.R. Tolkien, 3 vol. (Christian Bourgois
1972).

23
Les Hobbits
Par un hasard comme il n'en existe que dans la littérature
anglaise, cet Anneau est tombé entre les mains d'un Hobbit. Il
importe de préciser que les Hobbits sont un peuple de semi-hom-
mes (1,20 m en moyenne), qui vivent dans la Comté, extrême
ouest de la Terre du Milieu où se déroule 'histoire. Ces gens
vivent dans des terriers fort confortables, aiment la bonne chère,
détestent l'aventure, passent leur temps à se faire des cadeaux
et pétunent sec. C'est même leur grande gloire en ces temps du
Troisième Age d'avoir découvert l'herbe à pipe. Ils représentent le
bon sens, comme plus tard les Elfes représenteront la beauté, les
Nains le travail et les Ents (1) la nature. Or donc un Hobbit, Frodo,
hérite de son oncle l'anneau de tous les pouvoirs, li a pour ami un
magicien qui devine peu à peu que cet anneau est l'Unique, créé
pour les gouverner tous. Après conseil, il est décidé de détruire
l'Anneau, afin de se libérer de ses maléfices. Naturellement le seul
endroit où l'on puisse le détruire se trouve au Mordor, au pays du
Seigneur Ténébreux, près de sa tour, Barad DLIr, d'où il forge ses
complots. En un mot à la montagne du Destin.

La Ouête
Tout cela n'a rien de très initiatique. Pourtant si Tout y est.
C'est les Nibelungen (2) à l'envers. Il ne faut pas conquérir l'Anneau,
mais le détruire. On ne veut pas le pouvoir, mais la liberté. Liberté
sujette à caution, nous le verrons plus loin.
Frodo part donc pour la montagne du Destin, Il lui arrivera tout
ce qu'il faut comme dans toute saga qui se respecte : lutte contre
des araignées géantes, contre des êtres froids, il sera fait prison-
nier, et semble céder à l'emprise de l'anneau. Lutte contre les
alliés du Seigneur Ténébreux, lutte contre lui-même autant
;

d'épreuves, autant de passages initiatiques. li n'a en fin de compte


qu'un seul ami, son jardinier, Samwise. Cet ami il s'opposera au
dernier moment à lui, puis par hasard détruira l'anneau. Car, de
lui-même, il ne le pouvait plus. Au bout du livre, au bout du conte,

Les Ents sont le peuple des arbres qui garde la Forêt.


C'est le mythe de Siegfried, qui va conquérir l'Anneau des dieux ger-
maniques. Cela a été mie en musique par Wagner « L'Anneau des Nibelungen
première partie de la Tétralogie.

24
au bout de la quête, cet anneau il le réclame pour sien, et le
détruit sans le faire exprès dans un ultime combat.
Rien n'est plus initiatique que de posséder le pouvoir absolu,
de s'en rendre compte, d'y succomber, de e rompre par destin.

Une plaisanterie philologique


On a déjà vu qu'il s'agissait d'une épopée à l'envers. Nous
pointons le bout de l'oreille. L'auteur J.R.R. Tolkien était professeur
de vieil anglo-saxon à Merton College, à Oxford. Il y a en Grande-
Bretagne un amour insensé pour les vieilles iégendes et dans cer-
tains coins du Pays de Galles, ou d'Ecosse, on a l'impression de
changer de siècle. A cinquante miles de Londres, nous sommes
en plein Moyen Age. Qu'il y ait des super-marchés et la télévision
n'y change rien. Au creux d'une sente, à l'abri d'une haie torse on
change d'époque. Les nains et les elfes viennent vous tendre la
main, et en forçant un peu, il n'y aurait rien d'étonnant à rencon-
trer un magicien dans un pub.
Qu'a donc fait Tolkien ? Comme son illustre prédécesseur,
Lewis Carroil, professeur de logique, il a pris un point de départ
absurde et en a tiré toutes les conséquences logiques. Mais Toi-
kien était philologue. Aussi a-t-il créé une langue, celle des elfes
partant une civilisation tout cela avec une parfaite cohérence.
Toutes les règles de grammaire sont établies, tous les actes enre-
gistrés.

L'histoire d'une histoire


En effet dans ce livre, on ne cesse d'apprendre ce qui s'est
passé avant. Il y a les généalogies, les hauts faits d'armes, les
alliances, les récits millénaires, etc. L'ensemble est toutefois
maintenu dans un flou qui aiguise l'esprit du lecteur. On apprend le
passé par tranche. A tout prendre cette histoire est une archéolo-
gie.
On rappelle les anciens temps, les luttes millénaires et les
vieilles traditions côtoient le présent.
Ces mots, ces légendes, ont été créés de toutes pièces. Ce
qui est raconté permet de « se souvenir «. Ce qui est dit est éter-

25
nel. C'est la même lutte sauvage entre le bien et le mal, Gandalf
et Sauron, Ormuz et Arhiman, au coeur d'un texte purement fabri-
qué d'un bout à l'autre. J'ai comme l'idée qu'ils ont dû bien rire
dans les cercles oxoniens, devant le succès fabuleux du livre
(50 000 000 d'exemplaires, traduit en 10 langues). Mais le rire n'a
jamais empêché la gravité, surtout chez les Anglais.

Gandaif
Il est le magicien gris qui au cours de l'histoire devient blanc.
En fait il existe une série de magiciens suivant les couleurs, ce
sont les grades de cet ordre. Le blanc est le sommet, mais le noir
ou le nécromancien est le plus puissant. Le noir, néant de toute
couleur, le blanc synthèse de toute teinte, Il existe un autre magi-
cien, Saroumane, te maître de l'Ordre, qui a trahi. Il a renoncé à la
blancheur pour devenir le multicolore. Il est passé du règne de la
qualité à celui de la quantité. Gandalf le brisera, et alors ne s'oc-
cupera plus que du Noir, le Seigneur Ténébreux.
Gandalf deviendra blanc après une lutte formidable contre
un monstre dans une mine nocturne, dans un gouffre sans fond.
Il aura vu les choses du monde d'en dessous, innommables. Il a
vaincu et remonte à la lumière, Il est blanc alors, suprêmement
initié.
Mais ce n'est pas tout. Gandalf sait que la destruction de
l'Anneau signifie la fin du Tiers Age, et l'avènement du Règne des
hommes. (Dans la tradition aulique nous sommes le quatrième
âge). Donc sa propre fin, à long terme certes, mais sa fin quand
même. Et il l'accepte ! Comme disait Nietzsche « il entame son
propre déclin afin que viennent le monde des hommes, qui seront
face aux mêmes problèmes, mais l'Anneau sera détruit. Pendant
quelques millénaires vivront des êtres libres, avant qu'une nouvelle
démence ne vienne ensemencer de nouvelles batailles. Gandalf
est l'initié, car il sait ce qu'est mourir et qu'il le veuL. Il est passé
par les sept couleurs, il est mort sept fois et il ne peut ignorer
;

qu'au-delà du blanc il n'y a rien, sauf le noir peut-être, mais le noir


c'est le néant. lI le sait et le veLit. Deviens ce que tu es nous ;

retrouvons là le mot ultime de l'Amor Fati (3).


(3) Amor Fati.
C'est un concept païen et nietzschéen qui représente l'acceptation du des-
tin, que! qu'il soit et ne se borne pas à l'accepter mais va jusqu'à l'aimer,
Aimer son destin devient la forme ultime de toute sagesse.

26
Passé et futur

Nous trouvons les légendes ; temps passé, héros morts, fils


de Roi qui arrivent sur les ailes de la chanson. Nous trouvons les
prophéties qui s'accomplissent, ainsi Aragorn, le coureur du Nord,
Roi de Gondor et d'Armor qui arrive à l'ultime instant de la bataille
qui oppose les armées de Rohan, et celles du Seigneur Ténébreux.
Cela était prévu dans les livres anciens, dans les livres futurs, et
dans le texte présent. La prophétie s'accouple avec la légende pour
que naisse la gloire formelle du texte présent. Entre-temps Aragorn
a fait lever les fantômes de la montagne des morts, grâce à eux
il vainc il les délivre alors de leurs serments, de leur géhenne.
;

Autrefois ils avaient trahi. Avec le pardon de l'homme libre ils


peuvent dormir sans errer. Le passé, le futur, les morts, tout est
lié pour une initiation ultime. Comme Gandalf, Aragorn descend
chez les morts, en revient vivant, Il est alors vainqueur et peut
régner. Cela ne vous rappelle-t-il rien Ulysse, Orphée. Mais il
s'agit de mots, Eurydice c'est la phrase, et Pénélope peut coudre
une tapisserie éternelle. L'épopée n'a pas d'âge, parce qu'elle
les transcrit.
Aragorn est homme, il connaît l'anneau. Lui seul pourrait le
porter avec le Seigneur Ténébreux, mais il périrait et serait cor-
rompu peu à peu. Gandalf est magicien, il sait le pouvoir. L'un va
régner, l'autre périr. Nul n'est dupe, ils sont frères. En face d'eux
Sauron le Grand.

L'OEil de Mordor

On ne décrit jamais Sauron, on ne connaît que son oeil qui


perce les nuages, observe tout, devine toutes les pensées secrètes.
Cet oeil, magistralement décrit, presque surréaliste, dont la pupille
est le néant, aspire tout et tout s'y dissout. Sauron c'est le mal.
Il a été corrompu par l'anneau qu'il a créé, il a été corrompu par
le pouvoir. Le pouvoir corrompt tout et le pouvoir absolu corrompt
absolument. Il prévoit tout, dirige tout. Sauf la seule chose à
laquelle son essence ne peut penser, que l'on veuille détruire
l'Anneau, le pouvoir. L'absence d'être du néant (ce qui est un
pléonasme) ne peut concevoir l'être qui dans ce cas est liberté:
:

devenir du bien et du beau.

27
Tolkien était catholique converti. Et sa description du mal est
dans la droite ligne de la théologie thomiste. Le mal, c'est la puis-
sance de négation. Il est donc vaincu et par lui-même comme il
convient.
Quant au Mordor, c'est le pays sinistre par excellence. Il y
fait nuit sans arrêt, la fumée envahit tout, et des armées passent
sans cesse sur les routes. Le livre a été écrit en 1937, que chacun
trouve son Mordor. Mais le Mordor, qu'on ne s'y trompe pas, est
éternel. Sans cela il n'y aurait ni épopée, ni initiation.

Le microcosme et le macrocosme
A dire vrai, lorsque l'on lit des expressions comme Terre
du milieu «, le Tiers âge «, les choses du monde d'en des-
sous «, etc., on peut se dire que ces combats fabuleux et ces
joutes millénaires pourraient fort bien se passer entre deux four-
milières ou entre des galaxies. Le flou des expressions laisse à
l'imagination de chacun la possibilité d'errer. Les caractères sont
éternels et peuvent s'appliquer au plus petit, comme au plus grand.
Compte tenu par ailleurs des allusions permanentes aux sciences
occultes, aux textes oubliés, et à la science des nombres, le carac-
tère initiatique de l'ouvrage est évident, Initiation ambigué certes,
jaillie du seul jeu des mots, et du plaisir d'un homme de les faire
jouer, mais c'est peut-être ce plaisir et ce goût du jeu, qui aideront
l'auteur de ce livre, mort il y a quelques mois, à traverser sans
peur le pays de Mordor où s'étendent les ombres, dans lequel il
erre maintenant.

28
LA FRANC-MAÇONNERIE
1COSSAISE (suite) 1

DU COUP D'ETAT A L'ANNEE TERRIBLE (2)

Le Second Empire a été une période décisive dans l'histoire


de la Franc-Maçonnerie française. Dans les dernières années du
règne les Loges allaient pour la plupart s'engager, pour longtemps,
dans des voies nouvelles. Dans l'esprit de nombreux Frères la
défense des libertés liberté de conscience et libertés politiques
-, le culte de la raison et du progrès scientifiques allaient rejeter
au second plan la religiosité d'antan, l'attachement aux symboles
et aux rites traditionnels. Cette mutation, dont les premiers pro-
dromes étaient apparus dès la Restauration, s'accomplit par l'effet
de causes multiples, que pour la clarté de l'exposé on analysera
tour à tour politique du pouvoir issu du Coup d'Etat, durcisse-
:

ment de l'attitude de la hiérarchie catholique, progrès dans l'opinion


française de la philosophie positiviste.

LA FRANC-MAÇONNERIE ET L'ETAT DE 1851 A 1870

A) L'Empire autoritaire et le Grand Orient.


On se rappelle que sitôt après le Deux Décembre le Grand
Orient de France unanime avait offert au prince Lucien Murat,
cousin germain de Louis-Napoléon, la Grande Maîtrise vacante

Voir Points de vue initiatiques, n°' 15-16 à 33-34.


Cf., outre les ouvrages d'Albert Lantoine, Jean Baylot, Faucher et
Ryckert cités dans le précédent numéro, l'étude très complète de M. Pierre
Chevallier, Histoire de la Franc-Maçonnerie française, tome, Il, Paris, Fayard,
1974.

29
depuis qu'en 1814 il avait hâtivement « démissionné « d'office
de cette charge le roi Joseph.
Le Prince Président avait confié l'intérieur à son fidèle
compagnon Victor Fialin, le futur duc de Persigny, qui était Maçon.
Dès le 25 mai 1852, dans une circulaire aux Préfets, Fialin s'em-
ployait à rassurer les Frères sur les dispositions du pouvoir
envers 'Ordre ;il déclarait compter sur son nouveau chef pour
ramener à la règle les Loges « égarées «, l'autorité publique ne
devant intervenir qu'en dernier ressort. Aussitôt Murat lui faisait
écho, en rappelant aux Maçons du Grand Orient son devoir de
frapper sévèrement tous ceux qui mettraient en danger par une
conduite contraire à nos règlements l'existence de notre Ordre
tout entier «. Bref, chaussant les bottes de son oncle, le Prince
Président ne demandait qu'à protéger la Maçonnerie, par napo-
léonide interposé, pourvu qu'elle se cantonnât dans des activités
purement philanthropiques.
Mais on n'était plus en 1804, et Lucien Murat n'était pas
Cambacérès.
On a dit quels profonds échos les idéaux humanitaires de la
Révolution de février avaient naguère éveillés dans les Loges.
Après le Deux Décembre, nombre de Maçons avaient été
proscrits en tant que républicains aussi les avances de Persigny
;

furent-elles généralement accueillies avec défiance. Au sein du


Grand Orient, le malaise s'aggrava rapidement devant l'autorita-
risme et les initiatives souvent discutables du Grand Maître
telles la révocation du chef du secrétariat Hubert, un Frère uni-
versellement estimé, ou l'acquisition de l'hôtel de Richelieu, rue
Cadet, qui allait pour longtemps obérer les finances. Mais sur-
tout Murat s'était mis en tête de réformer les Constitutions que
l'obédience s'était données en 1849. Conformément aux tradi-
tions de la Maçonnerie symbolique, celles-ci réunissaient tous
les pouvoirs entre les mains du Grand Orient, c'est-à-dire des
Vénérables ou Députés des ateliers le pouvoir législatif était
exercé directement par l'Assemblée générale, l'administration
confiée à des chambres créées dans son sein, le pouvoir exécutif
délégué au Grand Maître assisté d'un Conseil. Or Murat vint à
bout de faire voter par un Convent constituant, en octobre 1854.

30
un article aux termes duquel le Grand Maître devenait « le chef
suprême de l'Ordre..., le pouvoir exécutif, administratif et diri-
geant ».
Ce devait être une victoire à la Pyrrhus. Déjà de nombreux
ateliers, réfractaires à la mainmise du gouvernement sur l'obé-
dience, avaient cessé de se réunir ou de cotiser au Grand Orient,
et dès avril 1855 le nouveau Conseil du Grand Maître devait en
suspendre 74 pour ces motifs. D'autre part, pour accéder au pou-
voir suprême, Murat avait dû accepter que le Grand Maître fut
désormais élu non plus à vie, mais pour sept ans.
Son septennat devait donc prendre fin le 30 octobre 1861.
Le Grand Orient ne comptait plus alors que 175 loges en activité,
cent de moins qu'en 1852 et l'absolutisme du Grand Maître, son
obstination à réduire l'Ordre au rang d'une simple société de
secours mutuels, suscitaient une opposition croissante. Un inci-
dent étranger à la Franc-Maçonnerie allait mettre le feu aux
poudres. Le 1er mars 1861, au Sénat, Murat se prononçait ouver-
tement en faveur du pouvoir temporel du Pape. C'était son droit
mais c'était aussi le droit du Grand Orient de se donner un Grand
Maître dont les conceptions fussent mieux en harmonie avec celles
de ses membres et de l'opinion libérale, généralement acquise
à la cause de l'unité italienne par exemple le prince Jérôme-
:

Napoléon, le populaire Plonplon. Peu avant le convent convoqué


pour le 20 mai 1861, le traditionnaliste Journal des Initiés du
Frère Riche-Gardon préconisait en ces termes la candidature de
ce dernier
Elire pour Grand Maître le prince Napoléon, qui soutient
dans les pouvoirs de l'Etat les principes les plus rapprochés de
ceux de notre sainte institution ou élire le prince Murat, lequel
;

s'est déclaré itérativement pour un pouvoir qui fait mettre les


Francs-Maçons aux galères, partout où son influence peut l'obte-
nir voilà l'alternative.
:

Murat n'hésite pas à suspendre aussitôt Riche-Gardon, la


loge dont il était le Vénérable, et d'autres Frères coupables de
lui préférer un autre candidat. Dès l'ouverture du Convent il
apparut qu'il avait fait la quasi-unanimité contre lui, et l'on décida
de commencer par élire le futur Grand Maître. Murat suspendit

31
l'Assemblée et fit appel à la police ; les députés passèrent outre,
et Jérôme-Napoléon fut élu à une majorité écrasante. Murat osa
annuler le vote, et le 23 mai fit reporter l'élection à fin octobre...
par arrêté du Préfet de Police Le 10 octobre, un nouvel arrêté
préfectoral la renvoyait au printemps suivant.
Une délégation alla aussitôt protester auprès de Persigny.
Elle fut bien accueillie et le 16 une circulaire ministérielle invi-
;

tait les Loges à solliciter du gouvernement leur reconnaissance et


une autorisation officielle, les Préfets à les autoriser sans délai
et à les protéger, au même titre que les conférences de Saint-
Vincent de Paul et d'autres sociétés catholiques.
Murat cependant réussit encore à faire entériner par Persigny
la nomination de cinq Grands Conservateurs, chargés par lui
d'assurer l'intérim de la Grande Maîtrise après l'expiration de son
septennat. Or cette mission revenait statutairement au Conseil
du Grand Maître, qui principalement composé de membres élus
par le Convent refusa de s'incliner et protesta derechef. Persigny
jugea alors à bon droit qu'une telle situation, apparemment issue
d'une compétition entre deux princes de la famille impériale, ne
pouvait s'éterniser sans scandale. li y mit fin par une initiative
inouïe mais bien dans la manière de l'Empire autoritaire -,
en faisant signer par l'Empereur, le 11 janvier 1862, le décret que
voici
Article 1er. Le Grand Maître de l'Ordre maçonnique en
France, jusqu'ici élu pour trois ans (sic) en vertu des statuts de
l'Ordre, est nommé directement par nous pour la même période.
Art. 2. Son Excellence le maréchal Magnan est nommé
Grand Maître du Grand Orient de France.
Magnan, qui n'était pas Maçon, se vit conférer le jour même
les 33 degrés de I'Ecossisme. Deux loges seulement refusèrent
de se soumettre à son autorité et Riche-Gardon lui-même, tout
en publiant une ' Manifestation pour réserver les droits sécu-
laires de l'initiation maçonnique en présence du décret impérial...
ne voulut voir en celui-ci qu' une erreur toute de bienveillante
sollicitude «. Une fois éliminé l'impopulaire Murat, la mainmise
du gouvernement sur un Grand Orient à la vérité amoindri parais-
sait donc plus assurée que jamais...

32
r

B) Le Rite Ecossais sous l'Empire autoritaire.


D'une telle emprise le Suprême Conseil avait su jusque-là
préserver les ateliers de son obédience, en veillant, comme il
l'avait toujours fait, à ce qu'ils ne se mêlassent point de politique,
et en adoptant quant à lui une attitude réservée, mais courtoise,
à l'égard de pouvoir civil c'est ainsi qu'en 1858, à la suite de
:

l'attentat d'Orsini, il avait adressé au ministre de l'Intérieur 300 F


pour l'Asile impérial de Vincennes, et autant pour l'Orphelinat
du Prince impérial... Et il ne semble pas qu'en dix ans il eut été
amené à prendre d'autres sanctions que la suspension pour
trois lunes en avril 1855, de la loge écossaise parisienne consti-
tuée deux ans plus tôt sous le titre distinctif de Saint Vincent de
Paul. Surtout préoccupé de bienfaisance et de questions propre-
ment maçonniques révision du rituel du 18e Degré, réglemen-
tation des loges d'adoption le Rite avait pendant toute cette
période étendu on y reviendra ses relations internationales,
et poursuivi la croissance régulière amorcée sous le règne de
Louis-Philippe :constituant en dix ans seize nouveaux ateliers
à Paris, dix-sept en province, trois dans les possessions françaises
d'Outre-Mer, et sept en divers pays étrangers. Quand le sage et
libéral duc Decazes, Grand Commandeur depuis 1838, s'était éteint
en octobre 1860, son Lieutenant l'académicien Viennet, légitimiste
et voltairien, lui avait succédé de plein droit, lui-même remplacé
par le Frère Guiffrey qui était, selon le Journal des Initiés (1),
le type bien rare du catholique sincèrement libéral e, marguillier
de sa paroisse et président d'une conférence de Saint-Vincent de
Paul... Bref, sous l'Empire autoritaire, l'obédience écossaise avait
réussi, en se tenant à distance du pouvoir et de la politique, à
vivre en paix et à se développer harmonieusement : c'est ce que
Viennet constatait à la fête de la Saint-Jean d'hiver de 1861. Aussi
bien le Préfet de Police venait-il de lui confier que le gouverne-
ment avait décidé de laisser aller le Rite Ecossais tant qu'il serait
de ce monde, et qu'après cela on aviserait «. li est vrai que Viennet
était alors âgé de quatre-vingt-sept ans... Mais ce solide langue-
docien, ancien officier de cavalerie, homme de caractère, n'avait

(I) Cité par M. Chevallier, op. cit., p. 387.

33
rien perdu de sa combativité ni de son habileté tactique. Il allait
lui être donné d'en administrer la preuve, en consolidant défini-
tivement l'indépendance du Rite en France.
*
**

On se rappelle que par son décret du 11 janvier 1862 l'Empe-


reur se réservait la nomination « du Grand Maître de l'Ordre
maçonnique en France ,puis nommait le maréchal Magnan Grand
Maître « du Grand Orient de France ».
Dès le ier février Magnan, s'appuyant sur l'article l, ordon-
nait aux Loges Ecossaises de l'obédience du Suprême Conseil
de se réunir à celles du Grand Orient. Viennet répondit aussitôt
Que 'Empereur explique son décret suivant vos désirs, je me
démets à l'instant de mes fonctions.., mais tant qu'il restera un
Maçon du trente-troisième degré, il deviendra le chef de l'Ordre...
En définitive l'autorité publique aura seule le pouvoir d'inter-
rompre cette succession. Alors la soumission sera immédiate,
car nos statuts nous imposent l'obligation de nous soumettre.
Les choses en restèrent là pour un temps. Mais au cours
d'une audience que Viennet avait sollicitée en sa qualité de
directeur de l'Académie française, Napoléon III lui témoigna son
désir d'une fusion entre les deux obédiences. Viennet répondit
intrépidemment que les Constitutions du Rite s'y opposaient,
mais que l'Empereur avait le pouvoir d'en prononcer la disso-
lution. Sa Majesté eut la bonté de ne pas agréer ce moyen, en
ajoutant qu'elle préférait une fusion.
Le 30 avril, Magnan adressait par-dessus la tête de l'intrai-
table vieillard une circulaire aux Vénérables et Présidents
d'Ateliers de l'ex-Suprême Conseil « (sic), en indiquant que la fusion
serait un fait accompli le 8 juin.
Viennet répliqua le 14 mai par une circulaire circonstanciée
aux ateliers du Rite, qui fut contresignée par tous les membres
du Suprême Conseil. Le 23, Magnan lui communiquait un décret
par lequel il prononçait lui-même la dissolution de celui-ci. Le 25,
Viennet répondait en ces termes, dont M. Chevallier note à bon
droit l'imperatoria brevitas

34
s

Monsieur le Maréchal,
Vous me sommez, pour la troisième fois, de reconnaître
votre autorité maçonnique, et cette dernière sommation est accom-
pagnée d'un décret qui prétend dissoudre le Suprême Conseil
du Rite Ecoss.. Anc.'. et Acc Je vous déclare que je ne me
rendrai pas à votre appel et que je regarde votre arrêté comme
non avenu [...]. L'Empereur seul a le pouvoir de disposer de
nous. Si Sa Majesté croit devoir nous dissoudre, je me soumettrai
sans protestation mais comnie aucune loi ne nous oblige d'être
Maç. malgré nous, je me permettrai de me soustraire, pour
mon compte, à votre domination.
Dès le lendemain la Grande Loge Centrale du Rite approuvait
son attitude et celle du Suprême Conseil. Le Grand Orateur
Genevay avait ajouté quelques chaleureuses paroles en faveur
de la Liberté de conscience menacée par les prétentions du
maréchal Magnan . Cette discussion, observait-il, va plus loin
que la Franc-Maçonnerie I « Et de noter que le Temps, la Presse,
le Siècle, l'Opinion nationale et la Gazette de France avaient mani-
festé leur sympathie au Suprême Conseil.
Au sein même du Grand Orient plusieurs trouvaient que le
maréchal avait été trop loin, et l'on paria de démission. Au cours
de la réunion tenue le 3 juin par le Conseil du Grand Maître,
Magnan refusa pourtant de se retirer ; mais il reconnaît l'échec
de ses tentatives pour annexer les loges de l'obédience du
Suprême Conseil, et aussi celles du Rite de Misraïm, qui lui avait
répondu à peu près dans les mêmes termes que Viennet.

C) La libéralisation de l'Empire
Bien meilleur diplomate que Murat, Magnan dès son instal-
lation avait su se faire pardonner l'irrégularité de sa désignation
en annulant toutes les sanctions prononcées par son prédéces-
seur, en protestant de sa volonté dêtre un Grand Maître très
constitutionnel..., bienveillant, affectueux pour tous, et, en un
mot, un véritable Maçon ». li devait tenir sa promesse de faire
rentrer les Frères du Grand Orient dans tous leurs droits «.
Dès juin 1862 I' Assemblée législative « révisait les Consti-
tutions autoritaires de 1854 en confiant les pouvoirs d'adminis-

35
tration et de contrôle à un Conseil de l'Ordre de 33 membres,
tous élus. Magnan avait déclaré que ce serait faire de lui un
Grand Maître fainéant «, mais qu'il se soumettrait à la décision
de la majorité.
L'année suivant Magnan, autorisé par le Conseil de l'Ordre,
demandait la reconnaissance du Grand Orient comme association
d'utilité publique. En lui conférant la personnalité civile, cette
reconnaissance eût permis à l'obédience de contracter un emprunt
qui eût assaini sa situation financière, obérée par l'achat de
l'hôtel de la rue Cadet. Le gouvernement ne demandait qu'à
l'accorder, jouant ainsi un bon tour à plusieurs oeuvres catho-
liques. Mais au dernier moment la demande fut retirée par Magnan
àla suite d'un vote hostile du Convent, peu soucieux de sou-
mettre l'Ordre à la tutelle légale du gouvernement.
En 1864 enfin le maréchal obtint de l'Empereur qu'il rendît
à 'Assemblée du Grand Orient son droit sécLlaire d'élire le Grand
Maître. Le Convent, reconnaissant, le confirme aussitôt dans son
office à l'unanimité moins trois voix.
De ce jour le pouvoir impérial, dont la politique générale
prenait alors une orientation plus libérale - cessa pratiquement
de s'immiscer dans la vie des loges et des obédiences. C'est
d'ailleurs qu'allaient venir les orages.

(à suivre)

36
Le franc-maçon écossais est soucieux de tradition,
de symbolisme et de perfectionnement spirituel. Mais
ceux-ci lui apparaîtraient dérisoires et vains s'ils ne
l'engageaient à réfléchir sur le monde, sur ses troubles
et ses désordres. Et par là même s'ils ne l'incitaient
à travailler à leur résolution, car il faut s'efforcer
d'achever au dehors l'oeuvre commencée dans le
Temple «. En particulier les Francs-Maçons ont tou-
jours été sensibles aux attaques portées à la personne
humaine et en tous temps et en tous lieux ont défendu
la liberté et la dignité de l'homme. Aussi bien, ont-ils
écouté avec intérêt et émotion la conférence donnée
en l'Hôtel de la Grande Loge de France, par M. le
Professeur Hubert Thierry, Président de la Section
Française de l'Amnesty International, association dont
les idéaux semblent si proches de ceux de la Franc-
Maçonnerie.

Défense de la personne humaine


AMNESTY INTERNATIONAL

M. Hubert Thierry, professeur de droit international à l'Univer-


sité de Nanterre est venu nous entretenir en l'Hôtel de la Grande
Loge de France, de l'Association ' Amnesty International « (1).

L'Association ' Amnesty International » est une organisation


nouvelle qui a pour objet la protection des prisonniers politiques
dans le monde. Fondée en 1961 par un avocat britannique Peter

(1) Siège Social : 20, rue de la Michodière, 75002 PARIS.

37
Benenson et par Jean MacBride, qui vient de recevoir le prix Nobel
de la paix, cette association veut porter secours à ce que les
britanniques appellent prisoners of conscience «, c'est-à-dire les
personnes détenues pour délit d'opinion. Elle comprend des sections
nationales en Suède, Norvège, Danemark, Hollande, Allemagne
Fédérale, Autriche, Etats-Unis, enfin en France, et elle compte envi-
ron 38.000 membres. Un secrétariat permanent, établi à Londres
constitue le centre nerveux de l'organisation qui est dotée du
statut consultatif auprès de l'O.N.U. et du Conseil de 'Europe.

L' Amnesty International s'est attaché à la protection des


prisonniers politiques parce que à notre époque les principales
atteintes que subissent les hommes dans leur liberté et leur dignité,
vient principalement de la répression politique, qui prend un carac-
tère de plus en plus violent.

En effet le sort des prisonniers politiques dans beaucoup


de pays est tragique. Des milliers de personnes sont arrêtées,
détenues, maintenues en détention et sans jugement ou après
des parodies de jugements, dans des camps et des prisons. Et
ces personnes sont très souvent tortLlrées. La torture n'est pas,
dans de nombreux cas marginale ou occasionnelle mais est deve-
nue souvent une technique de gouvernement.

Les victimes de la répression politique ne bénéficient le


plus souvent d'aucune protection. Elles sont livrées, abandonnées
à leur triste sort. Elles ne disposent même pas de la protection qui
est assurée aux prisonniers de guerre par e droit international
notamment sous l'angle des droits reconnus au Comité Inter-
national de la Croix-Rouge '. L'intérêt porté par Amnesty Inter-
national aux prisonniers politiques correspond donc à des détresses
si profondes et privées de secours qu'elles appellent un geste de
fraternité.

38
Mais comment Amnesty International conçoit-il son action ?

Quelles sont tes méthodes que cette association utilise et sur quels
principes reposent-elles ? Tout d'abord un parti-pris d'impartialité.
En effet elle veut éviter la perversion qui guette toute entreprise
dans le domaine des droits de l'homme, c'est-à-dire la politisation.
Il ne s'agit pas de se mettre au service de telle ou telle idéologie
contre telle ou telle idéologie. Les actions qu'elle mène concernent
des prisonniers politiques dans les pays de 'Ouest, comme dans
ceux de l'Est et dans les pays du tiers-monde.

Le second principe est celui de la légalité. L'action d'Amnesty


est fondée sur les principes du droit international, qui ont trait
à la protection des droits de l'homme et des libertés fondamen-
tales. Elle prend appui sur la Déclaration Internationale des Droits
de l'Homme.

Le troisième principe est celui de l'efficacité. L'une des per-


versions possibles ici est l'abstraction généralisée qui conduit à
un idéalisme bénisseur et théorique on s'en tient avec prudence
à des condamnations de caractère général en se gardant de men-
tionner des faits concrets, réels, localisés Amnesty International
est au contraire soucieuse d'apporter des solutions concrètes et
pratiques à la violation des droits de l'homme. C'est ainsi qu'en
1973, vingt-six missions ont été accomplies dans vingt-sept pays,
pour suivre des procès politiques, recueillir des informations, et
quand cela était possible, négocier avec des gouvernements.

Mais il est évident que cette efficacité hélas a des


imites. L'action d'Amnesty ne peut à elle seule mettre fin à la
cruauté dans le monde. Elle s'insère dans un ensemble de pres-
sions, qui peuvent venir d'autres organismes et qui cherchent à

39
sensibiliser l'opinion mondiale, même celle qui est la plus fermée
à certains problèmes. u

En effet, il n'est pas vrai qu'il y a rien à faire. Le champ de


l'action reste ouvert aux hommes de bonne volonté soucieux des
droits imprescriptibles de la personne humaine. Ceux qui compo-
sent l'Amnesty International sont de ceux-là. Et c'est pourquoi ils
ont choisi pour symbole une petite flamme entourée de fil de fer
barbelé. Agissons de telle sorte que cette petite flamme ne
s'éteigne jamais, qu'elle soit maintenue, dans le monde d'aujour-
d'hui. Les F.M. en tous cas sont de ceux qui n'y manqueront pas.

40
La Grande Loge de France vous parle...

Une morale pour notre temps


Question : Docteur PIERRE-SIMON, le Convent annuel de la Grande Loge de
France vient de vous réélire Grand Maître de cette obédience maçon-
nique. Les travaux, qui se sont achevés le 15 septembre dernier, ont
certainement été l'occasion de dresser le bilan de l'année maçonnique
écoulée et d'évoquer les perspectives d'avenir.
Au lendemain de votre élection, pourriez-vous situer la Grande Loge de
France dans le contexte de notre temps ?
Réponse Les thèmes qui ont été abordés au cours du Convent sont symp-
tomatiques de l'évolution de la Grande Loge de France, au plan socio-
démographique d'une part, au plan de sa composition par âge d'autre
part.
Nous sommes en effet fraopés de la transformation socio-démographique
de notre obédience qui voit venir à elle de pILIs en plus de cadres, de
chercheurs, d'hommes soucieux de prendre leurs responsabilités dans la
marche de leur temps.
D'autre part, l'âge va s'abaissant puisque l'âge moyen des Francs-Maçons
était iadis de 45 ans et plus, et que nous pouvons dire aujourd'hui que
leur âge moyen, compte tenu du fait qu'on reste Franc-Maçon toute sa
vie, est à peu près de 42 à 43 ans. Ceux qui frapppent à notre porte
sont âgés en moyenne de 31 ou 32 ans.

Ouestion : La réflexion maçonnioue n'a de sens nue si elle débouche sur


l'action. Or, vous avez développé dans un article récent du quotidien
Le Monde ,,, sous le titre Une morale pour notre ternes «, des prono-
sitions relatives à une Morale cnntemporaine et universelle, insistant plus
particulièrement sur la resoonsabilité de l'Europe, donc sur ses devoirs.
Par ailleurs, vous vous défendez de détenir, à l'intérieur des Loges, une
idéologie contraignante.
Il en ressort une certaine ambiguïté que vous pourriez peut-être aujour-
d'hui lever...
Réponse Je pense qu'il n'existe aucune ambiguïté. D'un côté est la Morale,
de l'autre l'idéologie.
La première, la Morale, est la rer,résentation d'un système de valeurs,
nous y reviendrons, tandis que l'idéologie en est la forme figée, qui
devient doctrine.
Or, si je puis m'exprimer ainsi, la seule doctrine de la Franc-Maçonnerie
c'est de ne point en avoir, alors qu'en revanche elle propose des morales,
je dis bien DES morales, en ce sens que pour nous la Morale est un fait
évolutif.
C'est cela la Franc-Maçonnerie.

43
Question : Mais pourquoi la Franc-Maçonnerie serait-elle mieux placée que
d'autres organisations pour mener cette recherche à bien ?
Réponse Du moins est-elle particulièrement bien placée, plutôt que la
mieux placée, pour chercher des remèdes aux maux de la société, maux
que vous connaissez, auxquels le public est aujourd'hui sensibilisé le
problème de l'énergie qui nous frappe au premier chef, les problèmes de
la jeunesse, la morosité, l'agressivité, la violence, l'avortement et l'eutha-
nasie, la condition féminine, la décolonisation et pILIS généralement le
rapport avec le Tiers-Monde au plan politique, culturel et économique,
la pollution et l'environnement, bref, toutes ces questions auxquelles les
Loges maçonniques ont été confrontées depuis fort longtemps,
Or, que font les autres ?
Eh bien ils traitent les maux au coup par coup, ils leur administrent
une thérapeutique ponctuelle en quelque sorte.
C'est cette attitude, spécialisée, technicienne, disséquante, analytique et
morcelante qui a conduit à cette erreur fréquente qui consiste à penser
qu'apparemment tous ces caractères sont hétéroclites.
Comment peut-on réparer cet échec ?
Il faut posséder une espèce de savoir synthétique. Ce savoir synthétique,
nous le trouverons dans une appréhension de l'univers dans sa globalité.

Question Mais dans une société dépersonnalisée comme la nôtre, c'est


une tâche particulièrement ardue... Comment un individu pourrait-il englo-
ber tout l'univers ?
Réponse ....Par le rapport avec les autres. C'est ce que j'ai pu appeler par
ailleurs I'ALTERITE ACTIVE.
L'altérité active, c'est le rapport avec les autres, compte tenu que l'autre
c'est la Nature, les Hommes et Moi, et que Moi et les Hommes nous
ne pouvons pas nous situer en dehors de la Nature, ce qui entraîne la
reconnaissance d'une certaine interdépendance qui requiert elle-même, au
plan de la pratique, que l'on travaille à son harmonie, c'est ce que nous
appelons l'INITIATION.

Ouestion : Autrement dit, la Franc-Maçonnerie permet une examen synthé-


tique des accidents de notre Société. Pourriez-vous alors nous éclairer sur
votre méthode ?
Réponse La méthode de la Franc-Maçonnerie sera de pouvoir justement per-
mettre à chaque homme de reconstituer ce que d'aucuns ont appelé
son village intérieur «. Vous savez que ce qui disperse aujourd'hui les
hommes dans la société, c'est l'absence de toute racine.
Or, une société n'est adulte que lorsque cessent les propositions aux
hommes d'une vision messianique ou d'une idéologie particulière et
exclusive.
En ce sens, la Franc-Maçonnerie a été psychanalyste avant la lettre puis-
que, depuis 250 années déjà, c'est par une ' descente dans le fonds
archaïque de la personne . (Pauwels) que l'initiation met à nu l'unité
primordiale de la nature humaine, et cette perception de l'autonomie de
l'être profond est la première étape du chemin initiatique.

44
Ce parcours est notre méthode maçonnique par excellence : l'on des-
cend au fond de soi-même, puis, ainsi que le veut également la méthode
psychanalytique, l'on reconstruit son individu. Et ceci à l'aide de systèmes
symboliques.

Question Pourriez-vous dès lors nous donner un exemple concret de sym-


bolisme ?
Réponse : J'aimerais vous expliquer, c'est un de nos symboles les plus beaux,
comment le Franc-Maçon passe de l'Equerre au Compas. Mais je préfère
m'attacher ici à notre symbole majeur : le Grand Architecte de l'Univers.
C'est lui qui est la véritable clef de voûte de la Franc-Maçonnerie uni-
verselle, en quelque sorte la pierre d'achoppement de notre système
philosophique.
Car il est en même temps un concept scientifiquement sous-tendu.
Aucun des systèmes philosophiques traditionnels n'a su produire dans un
même temps sa grandeur et son actualisation. Or, de tous les concepts
philosophiques, celui de Grand Architecte de l'Univers est le seul qui
ait une valeur telle qu'il puisse fournir une explication philosophique
satisfaisante, aux croyants comme aux incroyants.
On peut, grâce au Grand Architecte de l'Univers savez-vous que le
terme est de Newton ? tenir un discours scientifique sur le Dieu de
la Métaphysique et cela est fondamental.
Vous devez absolument remarquer que, dès lors, il est aussi Raison et
Liberté
Reportons-nous au texte de Lamarck, qui utilise la terminologie très voi-
sine de « Grand Ouvrier de la Nature « dans lequel il démontre que
le Grand Architecte est le TEMPS.
Il est le Temps, parce que le minéral et le vivant ont façonné leur physio-
nomie, par condensation ou sédimentation, peu à peu, au cours des âges,
par touches s'jccessives.
Par ailleurs, nul n'ignore que Darwin a montré comment les formes
nouvelles ne se doivent qu'aux micro-adaptations qui furent appelées par
la suite mutations.
En quelque sorte, toutes les architectures nouvelles sont le fruit du
Temps : c'est lui qui a combiné les structures élémentaires, consolidé
les rencontres du hasard et de la nécessité.
L'équation TEMPS = GRAND ARCHITECTE DE L'UNIVERS est donc, je
crois, la mesure la plus conforme, la plus adaptée à la science, de nos
jours. Si vous voulez, un peu comme le ' bleu « de l'architecte, qui lui
permettra de dérouler un plan prévisible des choses.
De façon plus schématique, je dirai que, par l'invocation au Grand
Architecte de l'Univers, la Grande Loge de France s'intègre dans les
notions d'avant-garde de la Science. Elle met au premier plan l'organisation
structurelle : à la matière s'est substituée la forme, et de fait elle est
Ordre et Progrès et joue un rôle régulateur, unifiant les diverses concep-
tions philosophiques du monde.
Question : En formulant l'équation : Grand Architecte de l'Univers = Temps,
vous vous référez à la tradition. Aussi ma question sera-t-elle la suivante
comment passez-vous de la tradition au progrès, ou encore que nous
propose la Franc-Maçonnerie pour l'avenir ? Nous en revenons ainsi à
cette Morale universelle que vous tentez d'élaborer...

45
Réponse : Mais vous savez, la tradition consiste seulement à poser le prin-
cipe d'équilibre ou encore le principe du rapport à la nature. Et il se
trouve que notre Occident e perdu ce sens synthétique parce qu'on a
substitué au rapport à la nature les sciences particLilières comme l'ethno-
logie ou la sociologie, et finalement notre siècle s'est perdu dans une
course effrénée pour la maîtrise de la matière, ce qui est peu à peu
même devenLi sa caractéristique universelle.
Les autres systèmes de pensée étaient méconnus ou rejetés et notre
réveil fut cruel. Les guerres coloniales, les crises économiques, autant
de coups durs aujourd'hui pour notre monde.
Or, si vous voulez bien vous attacher à l'examen des sociétés tradition-
nelles, vous constaterez qu'en permanence elles ont cherché à édifier
un équilibre philcsophique et social qui fut le refiet de l'équilibre cos-
mique où à l'individu se substitue l'homme, qui est tout à la fois la
fin et l'explication du monde. Ceux qui n'appartenaient pas au monde
occidental ont cultivé leur insertion dans le sacré, le dialogue entre
l'homme et la divinité, tandis que nous, nous séparions individu et natLlre,
à où il fallait au contraire enseigner qLI'UNE CIViLISATION DE LA
MACHINE DOiT SE DOUBLER D'UNE CIViLISATION DE L'AME.
Vous connaissez peut-être cette merveilleLise histoire que raconte LEV1-
STRAUSS au cours d'une exploration, après 8 jours de marche déjà, les
porteurs du matériel d'exploration, des Indiens, refusent soLidain de fait-e
le moindre pas de plus. Ils s'assoient et attendent. Quoi donc ? Ils confie-
ront à LEVI-STRAUSS qu'ils ' attendent que leur âme les rejoigne
Dans cette simple réponse réside toute l'explication que je voudrais vous
transmettre aLljourd'hui :l'initiation dans la tradition nous permet d'accé-
der au progrès sans que nous y perdions notre âme quelque part sur
la route. Ainsi l'homme n'est-il pas écartelé, mais aussi e monde n'est-il
pas clivé en deux camps.
Et ainsi, celui qui sait transformer la matière mais qui ne la possède
plus pourra ainsi dialoguer avec celui qui la détient mais où les fon-
dements sociaux sont totalement différents Ainsi se rejoignent le monde
développé et le monde à la poursuite de son développement.
La nourriture ne sera plus traitée comme une marchandise ordinaire, la
surpopulation sera jugulée - référez-vous à la récente Conférence de
Bucarest et ses recommandations selon des solLitions convenant à
chaque société, la relation Homme-Machine ne conduira plus au féoda-
lisme électronique et notre vieille Europe retrouvant enfin ses fondements
traditionnels et humanistes s'étonnera d'avoir pu si longtemps penser que
le travail, engendrant la fatigue, ait pu être considéré comme source
unique de tous les revenus alors que le loisir, restaurant la santé
implique la dépense...

Question : Vous proposez donc de nouveaux rapports entre les hommes...


Mais quelle sera la nature de ces rappoi-ts ?
Réponse : Ce qui est fondamental voyez-vous, c'est que nous soyons tous
disposés à rechercher cette morale universelle dont j'ai élaboré récem-
ment quelques bases, vous l'avez rappelé tout à l'heure...
Or, si cette recherche est limitée à un groupe une classe sociale parti-
:

culière, une caste, une religion ou une race, la morale apparaît très rapi-

46
dement comme historiquement archaïque, chacun souhaitant et considérant
avant tout la primauté évidente de sa propre construction.
C'est d'ailleurs dans cette optique étroite que s'est manifesté 'Occident
par rapport au « non-Occident «. pendant plusieurs siècles. Nous en avons
vu le lamentable résultat l'intolérance, e temps du mépris, le tota-
litarisme culturel, constatez par exemple l'échec des missionnaires. Dans
les cas les plus graves, hélas beaucoup trop fréquents, on aboutit à
l'ethnocide.
Par conséquent, le seul fait de rechercher une Morale universelle repré-
sente déîà un progrès considérable.
Or, il n'existe point de société dont le propos ne serait pas de s'employer
à consolider ses propres stabilisateurs et non pas régulateurs afin
de faire contrepoids au changement les institutions, les religions mais
aussi, nous le savons maintenant, e langage...
Cette tendance, je l'appelle la Morale verticale, parce qu'elle est inspirée
d'en haut, révélée par des êtres supérieurs, mi-hommes et mi-dieux, élites
géniales, mais pourtant tellement liée à une spécificité historique et
sociale qu'aucune valeur universelle ne peut lui être reconnue.
En définitive, tournons-nous donc vers une morale de relations ce que
j'appelle une morale horizontale, et là nous répondrons enfin à la quête
qui nous préoccupe c'est le principe de l'altérité active que j'évoquai
tout à 'heure, c'est-à-dire la reconnaissance de l'Autre, l'Autre étant à
la fois individuel et collectif, et reconnaissance de son intégrité physique,
culturelle et sociale.
li s'agit, en quelque sorte, d'une Morale du DROIT A LA DIFFERENCE
ET DE SON RESPECT, une MORALE DE LA SOLIDARITE. Elle ne saurait
résoudre à elle seule toutes les contradictions sociales et économiques,
mais là où on la rejette, apparaissent des morales régionales et parti-
culières dont les aboutissants nous choquent.
Pour éclairer mon propos, je puis vous citer deux exemples qui vous
auront certainement déjà frappé
C'est au nom d'une morale régionale que l'on condamne, en Allemagne,
Beate Klarsfeld, or, cette condamnation et cette morale régionale bafouent
la Morale Universelle
En revanche, c'est la Morale universelle qui l'emporte dans l'affaire du
Watergate...

Question : Pensez-vous dès lors que des événements comme ceux-ci soient
propices à une modification du comportement de nos contemporains entre
eux et puissent permettre l'éclosion et le développement de la nouvelle
Morale universelle 7
Réponse : C'est précisément ce à quoi la Franc-Maçonnerie, et plus particu-
lièrement la Grande Loge de France, s'emploient.
De très fréquents contacts s'établissent entre les Grands Maîtres des
diverses obédiences maçonniques du monde et le Grand Maître de la
Grande Loge de France et ces contacts sont particulièrement fructueux
au niveau européen. Et, pour les Européens traditionalistes et humanistes,
le devoir s'impose actuellement de proposer les fondements de cette
Morale universelle par le canal de ses responsables, les Parlementaires
par exemple, mais aussi tous ceux qui peuvent contribuer à l'évolution
des moeurs.

47
Ainsi, la reconnaissance du droit à la différence, la reconnaissance de
l'Autre dans son entité, nous paraît ètre la première pierre de la construc-
tion européenne. A dire vrai, ce qui a fait le plus défaut à l'Europe jus-
qu'ici, c'est son absence d'âme, ce que j'ai tenté d'illustrer tout à
l'heure.
Certes, vous m'objecterez que déjà des tentatives ont eu lieu ainsi
l'Europe démocrate-chrétienne d'Adenauer et de Gasperi par exemple.
Mais comment voudriez-vous que n'avortent point des fruits conçus à
rebours du courant évolutionnaire c'est là tout bonnement une simple
loi de la génétique...
L'année 1974 fut catastrophique pour l'Europe. Demain, 1975, l'Europe se
cherchera encore. Alors face à ces errants disponibles que nous sommes,
que faire ?
Par la tradition, condition du progrès, donnons donc une éthique à notre
vieux monde, en conformité avec sa tradition humaniste et l'Europe,
pour parodier un mot célèbre, se fera d'elle-même «.

OCTOBRE

48
La Grande Loge de France vous parle...

LE SAVOIR
N'EST PAS LA CONNAISSANCE

Jean-Pierre BAVARD, nous sommes heureux de vous accueillir, car nous


vous considérons comme un écrivain spiritualiste, recherchant le symbolisme
et illustrant par-là la pensée maçonnique. Nous voudrions ainsi parler de votre
recherche avez-vous écrit de nombreux ouvrages ?

J-P. B.
J'en ai publié une quinzaine, sans compter ceux en chantier.

Y a-t-il longtemps que vous écrivez et votre pensée s'est-elle trans-


formée ?

- Vers l'âge de 14 ou 15 ans j'ai voulu écrire j'ai alors fréquenté


Pierre Mac ORLAN et des artistes-peintres. Cependant j'ai dû faire mes
études tournées vers les mathématiques, vers les sciences appliquées
malgré la discipline des intégrales et du calcul différentiel j'ai collaboré à
de nombreuses revues littéraires, poétiques, artistiques ; j'ai eu la joie de
publier mes premiers articles aux Nouvelles Littéraires, d'assurer des postes
dans divers grands journaux ou revues littéraires, de côtoyer ainsi de nom-
breux écrivains et artistes qui m'ont éduqué.

49
Etiez-vous attiré par le symbolisme ?

Sans doute, mais sans que je le sache exactement. J'ai retrouvé des
notes écrites en 1940, à l'âge de 20 ans, sur la Franc-Maçonnerie et déjà
j'y conservais ce qui me paraissait essentiel, c'est-à-dire l'esprit initiatique,
les rituels. Puis j'ai été attiré vers les légendes, le folklore, le comporte-
ment de la pensée humaine. Je suis venu ainsi à la profonde recherche
spirituelle de l'homme et petit à petit j'ai découvert cet esprit initiaticzue.
C'est sans doute en écrivant l'I-Iistoire des Légendes que j'ai mieux perçu
grâce à René Guénon cette chaîne initiatique, principalement à partir de la
queste du Graal. J'ai également étudié les contes de Perrault en fonction d'un
rituel d'initiation, tout en rattachant l'ensemble à la culture celtique.

Vous vous êtes aussi intéressé aux éléments, et vous avez écrit une
véritable somme sur le Feu, sur son symbolisme.

Effectivement j'ai cherché la signification et le rôle du Feu en prenant


mes exemples dans toutes les civilisations, dans les traditions religieuses et
dans les diverses formes de la Sagesse. Le Feu anime, vivifie, spiritualise et
en ce sens il reste le thème initiatique par excellence, puisque la Lumière
spirituelle est l'émanation du Feu. Mais j'ai aussi proposé aux lecteurs la
chaleur magique, les différentes eaux de feu, la combustion dans notre corps
avec son énergie génératrice ; au XIV paragraphe j'ai étudié le feu des
Kabbalistes après avoir évoqué l'esprit des alchimistes.

Votre livre est fort complet, et l'on a parlé d'une grande érudition.

Pour étayer mes thèses j'ai dû effectivement confronter des textes,


choisir parmi les exemples et donner des références à ce que j'avançais. Mais
en réalité toute cette analyse minutieuse ne sert qu'à une synthèse par
laquelle je veux faire ressortir les grands thèmes initiatiques, retrouver la
pensée créatrice le mythe du Phénix, les thèmes de rajeunissement et de
résurrection, l'analyse des voyages en enfer un enfer où le feu brûle mais
ne consume pas, n'anéantit pas -, tous ces thèmes prouvent que pour être
initié1 faut pouvoir passer par le Feu.

50
- Vous avez fait rééditer votre autre ouvrage, sorte lui aussi de clas-
sique, sur les épreuves de la Terre, que vous avez nommé La Symbolique du
Monde Souterrain.

- Oui là aussi à travers les Thèmes de la mythologie et des récits


légendaires du sous-sol j'ai voulu interroger ces bouches de l'enfer, examiner
ces grottes sacrées, ces labyrinthes où séjournent les Vierges Noires. Ces
étranges Vierges, venues du druidisme, ont un reflet alchimique. Aussi nous
abordons le thème de la descente de l'esprit dans la matière, mais également
des rites de sépultures. J'ai évoqué l'eau rédemptrice, les puits, les racines,
les pierres, allant du simple caillou aux gemmes étincelantes, ces rosées
du ciel coagulées au sein de la Terre.

Y avez-vous décrit des thèmes initiatiques ?

Oui ce sont les couloirs initiatiques, les chambres secrètes enterrées


et l'on y rencontre aussi bien Thésée tuant le Minotaure dans un baptême
de sang, que le cabinet de réflexion de la Franc-Maçonnerie. J'ai dégagé le
symbolisme du Tombeau de la Chrétienne, cet étonnant monument situé près
d'Alger et sur lequel je voudrais consacrer un ouvrage. Mais j'ai surtout
voulu montrer la puissance de toutes ces énergies mystérieuses et aboutir
ainsi à la compréhension de la réalisation spirituelle de notre être.

Tous vos ouvages, au style aisé, avec leurs tables, leurs bibliogra-
phies, leurs index sont de précieux instruments de travail qui s'adressent
non seulement aux spécialistes mais aussi à tous ceux qui s'intéressent à
la recherche de la spiritualité. Avez-vous en vue d'autres ouvrages de ce
genre car vous n'avez pas terminé le cycle des éléments ?

Effectivement ce cycle n'est pas complet. Mais j'ai terminé un impor-


tant ouvrage sur Le Symbolisme Maçonnique. Cet ouvrage qui comporte dew
gros volumes cherche à faire le point sur le symbolisme rencontré aux divers
grades maçonniques. Mon étude reste basée sur les 33 degrés du Rite
Ecossais Ancien et Accepté mais j'ai donné des variantes concernant d'autres
rites maçonniques.

Vous vous êtes aussi intéressé au symbolisme d'autres cérémonies.

- Effectivement j'ai étudié le symbolisme du sacre des Rois, et en


dehors de la recherche historique, j'ai voulu montrer la signification du fait
liturgique, découvrir l'origine magique de la royauté, la relation de l'homme

51
avec le cosmos, la valeur de cette institution qui vise à restaurer le premier
citoyen du monde dans son unité primordiale.
Dans le même esprit, mais me basant sur une recherche historique plus
poussée j'ai fait paraître un ouvrage intitulé Les Frans-Juges de la Sainte-
Vehme. J'ai cherché à rétablir la vérité sur ce tribunal médiéval, né en
Westphalie, sur lequel il fut écrit tant de drames romantiques.
J'ai eu à me pencher sur l'Ordre des Chevaliers Teutoniques et des
mouvements terroristes avant le Nazisme. En réalité ce livre cerne une longue
quête humaine, à la poursuite du Sacré et de l'indéfinissable,

Parmi les organisations qui ont précédé la Franc-Maçonnerie vous


avez aussi évoqué la Rose-Croix. Voulez-vous en parler ?

Ce mouvement né en Allemagne vers 1614 doit beaucoup à la Réforme


la rose sur la Croix, emblème de Luther, était le signe de la rébellion contre
l'Eglise de Rome. Après l'évocation des premiers manifestes et de la figure
centrale dAndreae j'ai commenté les autres mouvements nés au siècle des
Lumières.

- Faites-vous un rapprochement entre la Fraternité de la Rose-Croix et


la Franc-Maçonnerie ?

- Il est indéniable que dans ces deux Ordres nous trouvons des pensées
communes. Les Rose-Croix peuvent apparaître comme des surhommes, des
grands initiés. Pour d'autres les Rose-Croix ne sont que des mystiques hallu-
cinés et même parfois des charlatans qui profitent de la crédulité de leurs
semblables. Nous cotoyons le délire dans l'imaginaire, ou le scepticisme le
plus navrant.

- Le Rose-Croix a-t-il réellement existé et n'avons-nous pas uniquement


une projection sublimée ?

- En dehors des quelques hommes du XVII' siècle qui ont cherché


l'illumination afin de venir à une vie meilleure, le vocable Rose-Croix couvre
un ensemble de sociétés secrètes se disant héritières d'une antique sagesse
et formant une fraternité secrète. On y trouve ainsi l'influence de l'hermé-
tisme égyptien, du gnosticisme, de la Kabbale, de l'alchimie, de lésotérisme
chrétien, tout un monde gravitant autour de l'illumination et communiquant
par le symbolisme.

52
Toutes ces sociétés sont l'émanation de la vie d'un groupe ce sont
des oeuvres collectives et 'Esprit s'est ainsi propagé, marquant d'autres
sociétés et d'autres individus. Ce ferment spirituel se renouvelle à chaque
époque et marque des êtres qui visent une perfectibilité.
Les Sociétés des Rose-Croix et de la Franc-Maçonnerie ont puisé aux
mêmes sources car eux-mêmes sont d'essence spirituelle.
Grâce à cette pensée millénaire on authentifie mieux la valeur initiatique
de la Franc-Maçonnerie.

Pensez-vous que l'on ne puisse trouver l'amour fraternel, la charité, ou


même la recherche d'une médecine universelle que dans ces confréries
secrètes et bien mystérieuses ?

Sans doute non, mais la Franc-Maconnerie, grâce à son organisation


rigide, à ses rituels bien établis, a e mieux conservé cette pensée spirituelle
qui marque une époque.
Pour ma part je pense que l'étude des sociétés secrètes devient une
nécessité si l'on veut avoir une compréhension tant des faits anciens que de
ceux des temps modernes, car une fraternité de pensée a toujours une
répercussion sur le milieu qui l'environne. L'acte politique n'est sans doute
pas commandé par un initié, mais il est motivé par une atmosphère générale
qui se ressent de l'influence de penseurs, de chercheurs, d'humanismes. On
peut dire que les encyclopédistes ont été le levain de la révolution française,
sans pour autant agir directement sur les événements politiques.
Tous les adhérents de ces sociétés parviennent ainsi à leur vérité, une
vérité qu'ils se sont forgée, difficilement explicable aux autres, à moins que
ceux-ci reprennent le même processus, un très long chemin qui après bien
des détours les mettra alors dans la même compréhension.
L'inexprimable n'est pas l'incompréhensible ; la recherche de sa signifi-
cation permet à l'adepte de passer d'un état extérieur à un état intérieur qui
est le propre de l'initiation. La société secrète fait appel aux symboles qui
suggèrent par une correspondance analogique. Mais ce qu'il faut bien sou-
ligner c'est que ces symboles se retrouvent partout, aussi bien dans les
sociétés archaïques, que chez les Mayas, dans la société égyptienne, dans
les mystères de Mithra ou d'Eleusis. Dans les Sociétés initiatiques du monde
occidental, à notre époque, la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage grâce
à leur cadre précis savent faire revivre ces légendes qu'ils insèrent dans leurs
rituels. Je travaille actuellement sur un livre cernant le Compagnonnage.
Ce que je tente d'établir c'est une liaison entre ce Monde de l'extérieur
et celui de ces sociétés, où les membres sont imprégnés même à leur insu
par un même symbolisme, par un même rituel.

4. 53
Mais être initié ne veut-il pas dire qu'il faut assimiler une doctrine ?
Ne faut-il pas pratiquer des cérémonies, connaître un catéchisme, savoir
répondre à des questions?

Sans doute mais tout cela n'est valable que si l'on enregistre un
réel effort intérieur, un travail de décantation. ' Nul n'est initié que par lui-
même dit Villiers de l'lsle Adam dans son roman Axél.

Si je vous comprends bien l'homme doit rechercher en lui-même et


pour bien sentir une chose l'homme doit déjà posséder un germe de cette
chose ; ce que l'on comprend doit se développer en soi-même. Ainsi l'effort
intellectuel ne nous intègre pas obligatoirement dans la Connaissance ; le
Savoir n'est pas la Connaissance.

- Exactement. li faut ressentir profondément ce que nous cherchons et


ce que nous portons en nous, même peut-être obscurément. La pensée reste
un miroir psychique, une valeur extérieure. La raison laisse apparaître un
fossé entre le miroir et l'objet, entre le sujet et l'objet ; l'association des
idées nous fait souvent peur car nous craignons encore notre reflet. L'intel.
ligence ne fait rien seul l'esprit permet d'unir l'ensemble au Tout. Seule
la Beauté, moteur de 'Amour, nous met sur la voie directe. Mais la Sagesse
ne s'enseigne pas, la vérité ne se commente pas.

NOVEMBRE

54
BIBLIOGRAPHIE
L'établissement de plusieurs numé-
ros spéciaux a fait différer un grand
nombre de communications qui de-
vaient prendre place dans la présente
rubrique. En comprimant la plupart
d'entre elles, nous espérons ne plus
trop en faire attendre les comptes
rendus.

Dictionnaire des Symboles Mais l'ouvrage entier est dans le


droit fil des théories les plus moder-
La première édition, publiée en 1969 nes.
par Robert Laffont et Jupiter, étant
épuisée depuis déjà longtemps, l'ou-
.
vrage parait en format commode
(coéd. Seghers et Jupiter), dans une Jean-Pierre BAVARD
réalisation Marian Berlewi. Il com- I. La symbolique du monde souter-
prend maintenant quatre volumes rain
T. 1 A à CHE. Il. La symbolique du feu.
T. 2 CHE à G.
T. 3 H à PIE. Voici précisément, parus coup sur
T. 4 PIE (Pierre) à Z (zodiaque). coup chez Payot, et dans la collection
On connaît la composition de
bien connL!e Aux confins de la
l'éqL!ipe constituée, sous la direction science «, deux bons ouvrages qui
de Jacques Chevalier et Alain Gheer- élargiront le champ des recherches
brant. Une vingtaine de spécialistes ébauchées dans le Dictionnaire et,
en psychanalyse, ethnologie, critique précisément, sans être toLijours d'ac-
d'art, ésotérisme et toutes sciences cord avec lui, comme nous disions
humaines Fournissent, en plus de plus haut. Si le mot ' symbolique «,
1 600 articles, une mine de rensei-
employé comme adjectif, remonte à
gnements d'interprétations possibles, la Renaissance du XVI' siècle, le nom,
de sujets de méditation. Bien entendu, La Symbolique, semble bien avoir été
ceux-ci pourront être approfondis à
utilisé d'abord par le philosophe ai-
l'aide des références offertes et qui lemand Frédéric Kreuzer environ
portent sur plus de 700 ouvrages. On 300 ans plus tard, sous Napoléon.
admettra ou non les hypothèses entre On peut considérer qu'il s'applique
lesquelles il faudra parfois choisir. ici à une étude approfondie de divers

55
symboles groupés par ensembles, par Il présente une bonne étude de la
domaines mystérieux '. comme, maçonnerie et de la paramaçonnerie
d'une part, les inferna immanis », forestière. Et, après son intéressant
de l'autre I' ignis divinus «. Ces voyage dans l'espace et dans le
deux ouvrages sont des reprises d'étu- temps, il attire fort logiquement notre
des déjà anciennes, puisqu'elles re- attention sur la nécessité de travail-
montent, au moins, pour le feu à 1957 ler à constituer pour nos enfants
et pour le monde souterrain à 1961. l'idéale « forêt de l'an 2000 «. Nous
L'auteur, ingénieur E.T.P., se voue aimons qu'on nous ramène ainsi, sui-
à des constructions qu'il nous com- vent une formule récente, du surna-
mente avec une habileté de techni- turel à une histoire naturelle.
cien. Nous avons cru comprendre
qu'il s'agissait d'abord d'une descente
de l'esprit dans la matière, et de
'autre d'une recherche transcenden- Revue de Presse
tale de la chaleur et de la lumière.
Dans es deux cas, d'un appareillage Parmi les dernières revues reçues
sérieux. à la bibliothèque nous vous signalons
plus particulièrement
Nous retiendrons pour aujourd'hui
une sage remarque qui suit, entre des 1) Cahiers d'études cathares, Eté 74
centaines d'autres, une référence à D. Roché Les cathares précur-
un auteur difficile, Stanislas de Guaita seurs des temps modernes.
Mais toutes ces formules ne ser- H. Tort Amour platonicien et
:

vent à rien il faut ressentir soi- cheminement spirituel.


même ces bases qui ne peuvent ni li. Gibert La croisade des Albi-
:

s'apprendre ni se communiquer geois dans les Corbières occidentales..


On ne peut mieux dire, et nous Ch. Delpoux Les Comtes de
:

nous arrêterons, en matière de sym- Toulouse et le catharisme. Ray-


boTisme, aux confins au-delà desquels mond VII.
on passe des sciences à la foi.
Passé cette frontière, il serait encore
2) L'initiation, Eté 74
sage, suivant le conseil de Montai- Nous trouvons là un certain nombre
gne, d' accompagner notre foi de d'articles de Papus et une intéres-
toute la raison qui est en nous sante étude do Serge Hutin sur le
Martinisme. De surcroît un sommaire
. de la collection de cette revue se
trouve dans ce numéro.
Jacques BRENGUES
3) Atlantis. Mai-juin 74
La franc-maçonnerie du bois L'ensemble de ce numéro est consa-
(Editions du Prisme). cré aux aspects insolites de la cathé-
Le regretté Jean Palou pensait que drale de Strasbourg, et plus particu-
le rite écossais était issu des loges lièrement sur les côtés alchimiques
de fendeurs. Il donnait au terme et compagnonniques de ce Chef-
même d'Ecosse une étymologie diffi- d'OEuvre ». Mais le texte le plus inté-
cile à admettre, celle de Cosse (?]. ressant est incontestablement les Or-
nom donné, par exemple, à des fo- donnances et articles de la Guilde
rêts limousines. des tailleurs de pierre de la Grande
Ici, on se place sur un terrain plus Loge de Strasbourg rénovée à la Saint
solide. L'auteur, particulièrement sen- Michel en 1563.
sible au sortilège de la forêt, ana- Ce numéro est accompagné d'illus-
lyse, aussi loin que possible, le sym- trations qui viennent fort à propos il-
bolisme du bois, de l'arbre, de la lustrer une série d'articles remarqua-
forêt, de la couleur verte et du feu. bles.

56
Johanis CORNELOUP tuts, Devoirs, Règlements, etc., que
Faits et fables maçonniques les Frères d'Angleterre, et font preuve
d'un égal zèle pour le style augustéen
Traduction en français de l'ouvrage comme pour les secrets de l'ancienne
par Sadler (1887) et honorable Fraternité.
li s'agit de l'existence au XVlll siè-
cle et jusqu'en 1813 de deux obédien-
ces anglaises, une soi-disant « an-
cienne et une prétendue « mo-
derne «, celle d'Anderson. Alain LE BIHAN
Francs-Maçons et ateliers parisiens
Encore un (ait qu'on avait « gom- de la Grande Loge de France
mé ' pour les besoins de la cause.
Mais il existe même en Angleterre
au XVIlI siècle (1760-1795)
des frères qui placent la vérité au-
dessus de Platon. Un peu comme pour la tradition
écossaise il existait une évocation de
Regrettons pourtant que notre émi- la Grande Loge de France, distincte
nent confrère ne semble pas avoir lu du Grand Orient et qui menait une
dans nos Points de Vue Initiatiques vie quasi clandestine tant à Paris
(n 17, pp, 13-14) le paragraphe dont qu'en province. On supposait perdues
on donne depuis Cl. Antoine Thony ses archives et évanescents ses mem-
une traduction qui fait dire au texte bres et ses ateliers. Bref, on en avait
exactement le contraire de ce qu'il gommé l'histoire.
veut dire. L'excellent angliciste qu'est
J. C., et qui nous a fait connaître, Celle-ci vient d'être reconstituée,
sous une autre signature, une histoire dans ses sources et documents, dans
de rite écossais en Ecosse aurait un gros volume en trois parties et un
trouvé dans nos travaux une pierre appendice.
utile pour son édifice. il en aurait eu, 1" Pour une histoire de la Grande
en effet, bien besoin pour la rédac- Loge de France et des ateliers
tion de sa page 3 dans laquelle il parisiens entre 1760 et 1795
nous fait taxer, à tort croyons-nous,
par Anderson, « d'indépendance blâ- 2 Biographies maçonniques des maî-
mable tres de loge et tableau des ate-
liers parisiens relevant de la G. L.
The oid Lodge at York City, and de France entre 1760 et 1799.
the Lodges of Scotiand, ireland, Fran-
ce and italy, affecting independency, 3 Textes et documents...
are under their own Grand Masters. L'appendice comporte, notamment,
Trough they have the same Constitu- les tableaux, listes et documents re-
tions, charges, regulations, etc., for latifs au Premier souverain Chapitre
substance, with their brethren of En- de Rose-Croix de Paris.
gland, and are equaily zealous for the
Augustan stile, and the secrets of Nous avons apprécié surtout ce
the ancient and honourabie fraternity. que l'auteur résume en un « survol
de l'histoire après 1773 « en face
James Anderson, New Book of de ce qu'il appelle un GO. national
Constitutions 1738, p. 195. (la Grande Loge) : obédience ré-
La loge ancienne de la ville duite à une vie parallèle à celle
d'York, et les loges d'Ecosse, d'ir- du GO. de France et condamnée à
lande, de France et d'italie assumant « un combat inégal, grande loge fon-
leur indépendance ont leur propre datrice et animatrice de loges pari-
Grand Maître. Elles n'en ont pas siennes, centre commun de milliers
moins en substance les mêmes Sta- de maçons de province qui conti-

57
fluaient de la préférer ou que les monographies deux ouvrages fonda-
hasards lui avaient amenés. » mentaux, les Ducs sous l'Acacia ou
Citons aussi la formule rappelée
les premiers pas de la Franc-Maçon-
à chaque élection et qui ne paraît nerie française (1725-1743), p.p. Vrin
pas avoir été une clause de style en 1964 et La première profanation
du Temple maçonnique ou Louis XV
Donner à l'Ordre des Officiers et la Fraternité (1737-1755), même édi-
dignes de remplir leur place ne teur, 1968.
point s'arrêter ni au rang, ni à l'an- On appréciera ici les efforts de l'au-
cienneté, ni à aucun respect humain
quelconque, mais bien aux qualités
teur pour fournir les grandes lignes
de coeur et d'esprit ', et choisir des de la première étude de ce monumen-
Officiers qui s'engagent à « n'accep- tel sujet et cela, le plus souvent, en
ter aucune place qu'ils ne se sentent matériaux de première main.
en état et n'aient le temps suffisant C'est dire qu'on trouvera d'excel-
de pouvoir la remplir lentes mises au point sur
Avec la présente publication, entre- l'initiation (disons plutôt l'admis-
prise par la Commission d'histoire sion) du Roi-Voltaire
économique et sociale de la Révolu- - sur l'expérience maçonnique de
tion française (Bibliothèque Nationale) Casanova, à propos de laquelle on
et avec l'ouvrage suivant, l'année nous questionnait récemment
1973-74 pourra être marquée d'une sur les « frères « Saint-Germain,
pierre blanche. Cagliostro et Mesmer (Frédéric-
Antoine)
sur les ' obscurs « débuts de
. l'Ecossisme et la naissance des Hauts-
Grades
- sur les mouvements mystiques
et philosophiques dans l'Ordre du
Pierre CHEVALLIER XVIIL siècle
Histoire de la franc-maçonnerie et surtout sur le peu qu'on connaisse
française (tome 1er) de la vie maçonnique de 1789 à 1799.
On pourra reprocher à P.C. son
Dans une orientation bibliographi- sous-titre qui exprime un jugement de
que qui répondait à la curiosité légi- valeur : la Maçonnerie, Ecole de l'éga-
tima de nombreux lecteurs, Maçons lité, certains voyant peut-être en
ou non, nous commentions l'annonce lui un « ultra « et d'autres un « citra
de cet important ouvrage que nous Mais nous serions tenté de le louer
espérions bien solide et impartial de s'être situé dans un objectif juste
(P.V.l. n° spécial 25-26). En voici, en- milieu, li nous plaît, pour notre part,
fin paru chez Fayard, le premier vo- de le voir dès son avant-propos diri-
lume qui traite de ger ses recherches vers les deux direc-
La Maçonnerie, Ecole de 'Egalité tions de la tradition maçonnique, la
1725-1799 pensée et l'action. Tout au plus pour-
M. Pierre Chevallier avait consa- rions-nous lui dire que s'il est sensible
cré aux ordres religieux ses premiè- à une orientation vers une action par la
res études qui lui ont valu, après le pensée, nous opterions plLltôt pour une
titre de docteur ès lettres une chaire pensée pour l'action.
de Faculté. Puis il a étendu ses re- N'est-ce point précisément ce qui
cherches aux documents relatifs à ressort des nombreuses allusions poli-
notre Ordre qui lui doit déjà, outre cières, non seLilement dans les gaze-
une série de notes, d'articles, et de tins déjà utilisés, en même temps,

58
par Luquet et par Chevallier lui-même, taisistes dont le siège est fait
l'un dans les Ducs et l'autre dans d'avance et les constructions mystifi-
Franc-Maçonnerie et Pouvoir ? Mais on catrices (et nous ne pensons pas seu-
trouvera ici les précieux papiers de lement au complot judéo-maçonnique) -
l'abbé La Garde, utilisés par nos adver-
saires des années 40 (au temps du Nous ne pensons pas que l'auteur
mépris) avec un esprit diamétralement ait écrit pour eux, mais sa lecture
opposé dont le présent travail fait pourra leur être salutaire,
bonne justice car il procède, vrai- Pierre Gaxotte, dans une courte
ment, à la révision des légendes et préface, fait justice de ce « complot
des jugements péremptoires. dont l'abbé BarrLlel et ses disclipes ont
Nous lui devons à notre tour la accusé la franc-maçonnerie. Mais la
justice qu'il attend quand il parle de liste des faux, des erreurs, des idées
ses imperfections possibles. Il ne nous reçues et pourtant confrontées rem-
semble pas, en effet, qu'on puisse par- plirait une de nos livraisons la confu-
:

tager son hypothèse suivant laquelle sion entre le Vénérable Thomas-Pierre


Louis XV, détourné par Fleury son Le Breton et André-François Le Breton,
maître de la maçonnerie de Ramsay éditeur de l'Encyclopédie, la représen-
se serait peut-être initié à la maçon- tation de l'Ordre en Synagogue de
nerie écossaise plus aristocratique. Satan, les véritables causes de la
Celle-ci ne fut-elle pas accusée du condamnation de 1738, que nous trou-
contraire, sous la Révolution, et nous vons à Rome et à Florence, dans
croyons bien l'avoir dit ici même, laquelle, peut-être pour la première
d'être artisan de la Terreur, fois, on trouve le mot « francs-
masson « (en français).
L'érudition de nos amis leur fait
critiquer également le rôle attribué un
peu trop généreusement aux loges et
aux frères jacobites, encore que les
exemples ne manquent pas. Mais le
Commissaire Dadvenel ne doit pas
être suivi quant il fait de M. de la
Valette un officier écossais ou irlan- Théodore C. PONTZEN
dais, car il était Français. On nous dit
aussi que rien ne prouve que dom Avant-dernières volontés
Pernety ait été franc-maçon.
Et on aimerait aussi au moins un Un homme dont l'àge s'affirme déjà
aperçu des relations maçonniques exté- a écrit, dans la sérénité, la centaine
rieures, par exemple avec les maçons de pages d'une brochure de format
d'Outre-Manche ou de Scandinavie. assez rare (10,5 x 21). Au cours de
sa vie mouvementée il a presque tou-
Mais ce ne seraient là que d'utiles ché à tout et son expérience s'est
retouches à un travail indispensable et enrobée de philosophie. On est étonné
qui fera référence, déjà, tel qu'il nous de lire dans la table des matières
est présenté. quelques titres comme : « Ce monde
veule «, « Ce monde amorphe «. Mais
Comme ces récents ouvrages dont ce sont des citations à propos des-
les titres sont repris et les idées quelles Th. C. Pontzen se garde de
revues dans les chapitres et Il, celui
I
tout jugement tranché. Il essaie surtout
qui sort des presses renouvelle sur
de comprendre, d'expliquer, et, si nous
de nombreux points l'histoire de notre l'avons compris, de souhaiter un vaste
ordre, rapprochement de toutes les bonnes
Bien sûr, ils seront amèrement volontés. Sera-t-il entendu ? Nous e
déçus, les cuistres, polémistes et fan- lui souhaitons.

59

Vous aimerez peut-être aussi