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Le sujet que je vais évoquer devant vous ce soir est : « J’ai à me perfectionner ».
Cette phrase s’applique parfaitement à votre serviteur, tant il est vrai que mon ignorance est
grande, en raison d’une velléité certaine à ne pas travailler les rituels qui ne sont pas pratiqués
en Loge, ce qui ne ressort que de ma propre responsabilité, et tant il a été rare pour moi de
travailler sur le rituel de Grand Elu Sublime Maçon depuis mon initiation à ce grade.
J’ai parfaitement conscience que cet aveu apparaît comme un écho au tuilage du grade
d’Intendant des Bâtiments (8ème grade), mais il n’en est pas moins aussi sincère.
« J’ai à me perfectionner » est la réponse donnée lors de l’ouverture des travaux au grade de
Grand Elu de la Voûte Sacrée ou Sublime Maçon, à la question posée par le Trois Fois
Puissant Grand Maître au Deuxième Grand Surveillant : « Etes-vous Grand Elu Sublime
Maçon ? »
Si cette réponse peut paraître curieuse, alors que nous sommes sous la Voûte Sacrée au degré
le plus élevé de la Loge de perfection, en réalité, elle ne peut pas nous surprendre.
Dès le Cabinet de Réflexion, le candidat à l’initiation au grade d’Apprenti est confronté à une
inscription dont il ne perçoit pas encore le sens : V :. I :. T :. R :. I :. O :. L :. qui signifie
comme chacun le sait « Visita Interiora Terrae Rectificandoque Invenies Occultum Lapidem »
et que nous traduisons par « Visite l'intérieur de la terre et en rectifiant tu trouveras la pierre
cachée », cette inscription se trouvant à côté de deux autres toutes aussi importantes :
« Vigilance » et « Persévérance ».
Cette introspection diffère de celle évoquée par Kant, dans son ouvrage sur « l’Anthropologie
du point de vue pragmatique », et qui selon lui permet à chacun de posséder le « Je » dans sa
représentation, conférant ce pouvoir d’élever l’homme au dessus de toutes les autres
créatures.
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Elle doit permettre de transcender celle dont parlait Descartes, et permet d’accéder à la
transparence de soi à soi, c’est à dire à une conscience réfléchie, car celle que la Franc-
Maçonnerie propose est non seulement une transparence de soi à soi, mais aussi une
transparence de soi à l’autre.
Cette invitation exprimée par V :. I :. T :. R :. I :. O :. L :. est le point de départ d’une première
série de voyages qui vont ponctuer le parcours initiatique, aux divers degrés auxquels
parviendra l’Initié, à la condition que l’Initiation qu’il reçoit au grade d’Apprenti, se
poursuive par un travail incessant, sans lequel l’initiation reçue ne restera que virtuelle.
Avant de faire subir les épreuves au Profane, le Vénérable Maître proclame que nous devons,
par nos œuvres, nous efforcer de nous élever jusqu’au Grand Architecte de l’Univers, que
nous devons travailler sans relâche à notre amélioration, à régler nos inclinations et nos
mœurs pour donner à notre âme (et pas seulement à notre esprit) ce juste équilibre qui
constitue la Sagesse, c’est à dire la science de la vie.
Pour instruire le Profane qui va recevoir l’Initiation, le Vénérable Maître l’informe que l’un
des principaux devoirs de la Franc-Maçonnerie est de combattre les passions qui déshonorent
l’homme qui s’y abandonne et souvent le rendent malheureux.
C’est donc naturellement que l’instruction au grade d’Apprenti énonce que ce dernier vient en
Loge pour vaincre ses passions, soumettre sa volonté à ses devoirs et faire de nouveaux
progrès en Maçonnerie, qu’il a à se perfectionner.
Après avoir fait son temps, et donner satisfaction aux Maîtres par son travail, l’Apprenti va
bénéficier d’une augmentation de salaire, à l’occasion de la cérémonie de Passage au grade de
Compagnon au cours de laquelle il va accomplir cinq voyages :
- lui rappelant d’abord la pratique des outils, Maillet et Ciseau, lui ayant permis de
dégrossir la Pierre brute, puis de la tailler aux dimensions appropriées à sa place dans
l’édifice, et enfin à la polir pour contribuer à la beauté de l’œuvre réalisée ensemble,
- pour lui faire découvrir ensuite les cinq Ordres architecturaux représentant le monde
sensible, en tenant la Règle et le Compas,
- puis les sept Arts libéraux faisant le lien avec la transformation spirituelle, après avoir
reçu en main la Règle et le Levier
- avant de découvrir, avec la Règle et l’Equerre dans la main gauche, les sphères
terrestre et céleste permettant de lire dans le monde d’en bas le reflet des choses d’en
haut,
- pour finir, libéré de tout, à reconnaître la morale qui dérive des connaissances acquises
et des principes inculqués.
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Alors que tout semble en ordre pour travailler à la construction de l’édifice, le Compagnon,
qui a reçu les témoignages de satisfaction de ses Maîtres, et conçu l’espoir d’être admis en
Chambre du Milieu, se voit soupçonné d’être à l’origine d’une grande calamité qui a frappé la
Franc-Maçonnerie : Hiram est tombé sous les coups d’infâmes meurtriers désireux d’obtenir
de l’avancement sans avoir complété leur temps, appartenant à la classe qui est la sienne.
Le monde a été plongé dans les ténèbres les plus épaisses et les travaux sont suspendus par
trois mauvais compagnons, qui ne sont autres que nous-mêmes, et qui considéraient qu’il
n’était pas nécessaire d’avoir à se perfectionner pour accéder au grade de Maître.
Hiram va renaître dans la personne du Compagnon qui est élevé à ce grade, en étant relevé par
les Cinq Points Parfaits de la Maîtrise, recevant à cette occasion le Mot Sacré substitué,
considérant qu’il est parvenu à la sagesse le mettant en mesure d’approcher la Connaissance,
en modifiant ainsi l’axe de l’Initié, et la perspective de sa démarche scalaire.
Ce relèvement indique au nouveau Maître que si le chantier peut reprendre, c’est que son
accession à ce grade marque à la fois la fin d’un cycle, et le commencement d’un nouveau
travail passant de l’Equerre au Compas.
L’élévation au grade de Maître Secret est la première étape qui va permettre la reprise des
travaux, en reposant sur un constat : ce que le Néophyte a pu apprendre jusqu’à ce moment
sur la Maçonnerie n’est rien auprès de ce qu’il lui reste à apprendre, son instruction est
incomplète, et de même qu’il ne voit pas bien la lumière qui frappe ses yeux à travers le
bandeau symbolique posé sur son front, de même il ne comprend pas bien, et même s’il n’est
pas un ignorant complet, comme peut l’être le Profane avant d’être initié, il a à se
perfectionner.
Au cours des voyages qui vont ponctuer la cérémonie d’élévation au 4 ème degré du R :. E :.
A :. et A :., le Trois Fois Puissant Maître enjoint au récipiendaire de s’efforcer de toujours
découvrir l’Idée sous le Symbole, ce qui fait écho à un passage du Rituel du 14 ème degré,
indiquant que le Philosophe ou le véritable Sage doit s’efforcer de rechercher le sens qui se
cache derrière l’apparence des choses, sonder l’Inconnu, en approfondissant les mystères
dérobés à la connaissance de la masse grossière des hommes, car le domaine de nos
connaissances est une sphère qui a pour rayon la portée de nos sens, augmentée de tout ce que
la pénétration de notre intelligence est susceptible d’y ajouter, et que cette sphère du Connu et
du Connaissable peut devenir immense pour le Penseur ou le véritable Initié.
Mais ce devenir n’est possible que si l’Initié poursuit inlassablement son perfectionnement,
car ainsi que l’énonce le Frère Inspecteur, la Maçonnerie est un Devoir, qu’il faut accomplir
parce qu’il est le Devoir, et que lui seul peut conduire à la Lumière qui est Vérité.
Les grades de Maître Secret (4), Maître Parfait (5), Secrétaire Intime (6), Prévôt et Juge (7),
ainsi que celui d’Intendant des Bâtiments (8) sont consacrés tout à la fois aux funérailles
d’Hiram dont l’assassinat est relaté au grade de Maître, et donc à la réalisation de sa sépulture,
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qu’à l’identification des Frères ayant les qualités nécessaires et par conséquent susceptibles de
remplacer le Maître disparu afin d’assurer la direction des travaux et la reprise du chantier.
Une fois ces Frères identifiés, les grades de Maître Elu des Neuf (9) et d’Illustre Elu des
Quinze (10) vont permettre de purifier la Loge en punissant les coupables de la mort d’Hiram,
avant que les travaux de la construction du Temple ne reprennent.
Cette purification de la Loge est aussi la nôtre, puisque lors de l’élévation au sublime grade de
Maître, les trois mauvais compagnons qui agressent Maître Hiram, ne sont autres que nous-
même, et que leur mort au 9ème et 10ème grade est allégoriquement le moment où nous nous
débarrassons des défauts et des vices qu’ils représentent.
Tout ceci va ensuite permettre de réorganiser la Loge et de remettre en route le chantier grâce
aux solides connaissances architecturales acquises et développées dans les grades de Sublime
Chevalier Elu (11) et de Grand Maitre Architecte (12), et construire le Temple allégorique,
intérieur, spirituel et ésotérique.
En effet, le Grand Maitre Architecte est appelé à construire en lui le Temple de l’Universel :
« Je veux et je construis » est la réponse du Deuxième Excellent Gardien au Sublime Grand
Maître qui dirige l’Archi-Loge que l’on nomme aussi la Boulomie (le lieu où l’on veut).
Mais alors que tout semble permettre l’achèvement de l’ouvrage, le Grand Maître Architecte
va découvrir en accédant au grade de Chevalier de la Royale Arche (13) que le Temple est
renversé, et que trois Mages vont en explorer les ruines, pour y découvrir un puits menant à 9
voûtes dont la dernière a failli être leur tombeau, la légende ainsi relatée suscitant nombre de
réflexions dont les développements seront repris dans le cadre de la thématique du rituel de
Grand Elu Sublime Maçon.
Si tout n’est que ruine, c’est que l’ennemi du dehors a détruit le Temple, mais sa destruction
n’a été rendue possible que grâce à l’ennemi du dedans, qui n’est autre que nous-même, en lui
permettant de s’en approcher, faisant en sorte qu’il n’y ait plus ni ordre, ni cohésion, laissant
la corruption faire son oeuvre.
Ainsi que cela est clairement énoncé dans le rituel du 14ème degré, la destruction de ce Temple,
qui figure l'édifice spirituel que nous sommes appelés à construire, présente certaines
analogies avec la mort d’Hiram assassiné par les trois mauvais Compagnons.
Si à nouveau, il nous semble que nous sommes à la fin d’un cycle, au terme duquel le Maître
Secret, après avoir subi les épreuves, éprouvé la pulsion de vengeance suivie de la
mansuétude du pardon, mesuré l’importance de la fidélité, de la générosité et de l’abnégation,
il ne s’agit nullement d’un aboutissement ou d’une fin, ce que souligne justement la phrase
« J’ai à me perfectionner ».
La dimension kabbalistique du grade de Grand Elu Sublime Maçon (ou Grand Elu de la Voûte
Sacrée) fait apparaître une ternaire dynamique du perfectionnement constitué dans l’Arbre des
Sephirots par « Netsah » (Victoire), « Hod » (Gloire du Grand Architecte de l'Univers) et
« Jesod » (Fondement).
Cette ternaire dynamique doit faire de l’Initié un agent actif de la marche du Progrès, de son
propre perfectionnement.
L’Initié est appelé à s’instruire par lui-même des divers systèmes de philosophie qui sont
issues d’anciennes et respectables traditions.
L’Initié s’initiant lui-même, comme le rappelle le Trois Fois Puissant Grand Maître au cours
de la cérémonie de réception au grade de Chevalier de la Royale Arche (13) est invité à
poursuivre son introspection par la phrase « J’ai à me perfectionner ».
Le constat de cette introspection fait prendre conscience au Grand Elu de la Voûte Sacrée ou
Sublime Maçon que malgré les épreuves subies et surmontées, malgré le travail accompli et
les ouvrages réalisés, tout doit être recommencé.
Cet effondrement ne découragera pas l’Initié, car ainsi que cela est évoqué lors de la
cérémonie d’initiation : « L’homme juste est toujours courageux ; l’univers s’écroulerait, que
les ruines l’en frapperaient sans l’étonner… »
Depuis l’initiation au grade d’Apprenti jusqu’à celle au grade de Grand Elu de la Voûte
Sacrée, les destructions succèdent aux périodes de construction.
Il est permis de s’interroger sur l’inévitable destruction qui survient, donnant à l’ouvrage un
caractère de perpétuel inachèvement.
L’achèvement complet et pérenne de l’ouvrage ne donnerait-il pas à celui qui l’a construit et à
ceux qui en assureront la garde et l’entretien, la tentation de l’ériger en dogme ?
Ce dogme ne risquerait-il pas de donner l’illusion que tout est dit, et que rien ne questionne
plus ?
« J’ai à me perfectionner » doit aussi se comprendre par l’épreuve de la 11ème porte, celle de
« En Soph », l’Infini.
Notre intelligence peut-elle nous permettre d’appréhender l’Infini, sans prendre le risque de
voir souffler le vent du désastre ?
Lors de la réception au 14ème degré, le Trois Fois Puissant Grand Maître exhorte les
récipiendaires à s’appliquer à pénétrer de manière effective les mystères du mot ineffable
composé des quatre lettres :
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Les mystères du Tétragramme sont soumis à notre étude, après qu’il nous ait été rappelé lors
de cérémonie au grade de Chevalier de Royal Arche (13), que nous ne pouvons pas prononcer
le nom ineffable qui ne doit sortir d’aucune lèvre et que nous ne pouvons que l’épeler, de
même que l’apprenti qui vient de sortir de sa condition de profane, ne sait ni lire ni écrire, et
qu’il ne peut qu’épeler.
Le Chevalier de Royal Arche puis le Grand Elu de la Voûte Sacrée sont ainsi amenés à
constater que notre esprit ne nous permet pas d’appréhender le Transcendant par surprise ou
par violence, et que même si nous parvenons à toucher des états supra-humains, nous ne
parvenons pas à pénétrer l’impénétrable.
Cette vérité et cette morale pure de la Franc-Maçonnerie, les Grands Elus de la Voûte Sacrée
ou Sublimes Maçons ont à les faire en voyageant partout sur la Terre, comme les Maîtres au
3ème degré du R :. E :. A :. et A :. le font de l’Occident à l’Orient et également sur toute la
surface de la terre, ainsi qu’il est dit à l’instruction de ce grade.