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La résurrection de Jésus : texte tiré de A. Gesché, Le Christ, Op. cit., p. 162-193.

Travail personnel (prévoyez 2-3 h)

A. Lisez le texte une première fois. Notez vos impressions générales en quelques lignes

B. Demandez-vous quelle est la thèse de l'auteur. Autrement dit : que veut-il vraiment exprimer ; pourquoi
a-t-il écrit ce texte ?

C. Puis reprenez le texte et demandez-vous :

. « La résurrection est aussi un combat » (p. 186) : a contrario, avez-vous déjà assisté à une présentation de
la résurrection comme facile, évidente ? D'après vous, quel est l'enjeu (théologique, spirituel, pastoral)
d'une juste dramatisation de la résurrection ?
. « Le ressuscité est en même temps le ressuscitant » (p. 189) : que pensez-vous de cette formule ? Comment
diriez-vous les choses ?
. Au final, après cette lecture, en quoi diriez-vous que la résurrection du Christ constitue plus qu'une sortie
du tombeau ? Et êtes-vous d'accord avec Gesché pour dire que la tradition de la descente aux Enfers recèle
un sens théologique plus explicite que les autres traditions (et que la plupart de nos « explicitations »
rationnelles) ?
162 LE CHRIST LA RÉSURRECTION DE JÉSUS 163
« Le même genre de représentation dont use l'Écriture pour
décrire l'origine du mal » ne peut certes être pris par le phi­
losophe comme une explication historique, mais il
« s' accorde bien » avec ce qui, dans sa recherche de « l'ori­
gine rationnelle, demeure pour [lui] impénétrable. Il n'existe
pas pour nous de raison compréhensible, poursuit Kant, po�r
savoir d'où le mal moral aurait pu tout d: abord nous vemr.
C'est ce caractère incompréhensible que l'Ecriture exprime. »
La raison ne peut le rendre, mais « la représentation n'en
est pas moins pour le sens philosophiquement exacte » 1 •
LE LIEU THÉOLOGIQUE Quant à ScheHing, comment ne pas citer le texte suivant,
DE LA RÉSURRECTION d'autant plus saisissant qu'il s'exprime précisément, lui, sur
la Descente aux Enfers : « Paroles obscures des Pères de
]'Ancienne Alliance parlant d'un lieu d'occultation, simple
En choisissant de parler de la résurrection de Jésus par le ombre de vie, sous la terre, où tout repose, et de l'enfer
biais du thème de la Descente aux Enfers, on choisit l'abord
le plus difficile et le plus problématique. Celui de tous les comme d'une puissance, d'un lieu de garde qui ne se laisse
risques de la naïveté cosmologique et de tous les dangers de pas ravir sa proie, même si de temps à autre pe�ce un rayon
d'espoir disant que le juste ne restera pas en ce heu : paroles
I� d �riv� mytho1�gique. Pourquoi tenter, en un domaine déjà

que nous ne devons pas toutes regarder �mme des !ables,
s1 d1ffic1le et dehcat, demarche aussi paradoxale? s'il nous reste quelque respect pour le caractère des anciennes
Parce que le iangage cosmologique et le discours mytho­ traditions2 ».
logique ont des capacités que n'a pas l!a raison purement Paul Ricœur a parlé largement dans le même sens, en mon­
rationnelle. Le langage cosmologique, avec bien sûr ses trant la dette de la philosophie à l'égard des représentations
risques de dérive gnostique, permet un déploiement qu'un théotogiques3• Quant à René Girard, on sait combien il juge
langage abstrait ( « mort », « vie », « résurrection ») ne prend indispensable de conserver les grandes figures du m31 que
pas en compte. Les Pères grecs l'avaient bien compris, qui l'on trouve dans la Bible (le récit du péché originel, les
tant ont recourv, dans leur christologie et dans leur sotério­ lamentations de Job, etc.) et dans les vieux récits mythiques,
logie, aux représentations cosmiques, et non point aux seules pour se comprendre soi-même.
ressources conceptuelles. Quant ·au discours mythologique, Avec l'autorisation que donnent de telles références, il ne
malgré ses dangers de dérive pseudo-historique, n'est-il pas semble pas interdit de tenter un essai de conquête spéc�la­
r�connu, par l'herméneutique d'aujourd'hui, comme plus tive, qui pourrait donc être d'ordre conceptuel et non s1m-
nchc que le discours de « simple raison » ? Joue ici la
fameuse « distance herméneutique », que pem1et précisément
le recours à un schème culturellement éloigné. Comme 1. E. KANT, la Religion dans les limites de la simple raison, trad. fse
l'observait déjà Aristote,« apercevoir une difficulté et s'éton­ J. Gibelin, Paris, 1968, p. 63, 65-66 et 84. Voir fussi la page 76, note 1, où
Kant confesse que la raison, sans toutefois pouvoir se les approprier comme
n�r, c'�st reconnaître sa propre ignorance, et c'est pourquoi relevant strictement de son domaine, doit s'étendre jusqu'à ces idées trans­
aimer les mythes est, en quelque manjère, faire de la philo­ cendantes capables de combler ses limites.
sophie » (Métaphysique, 982b). 2. rr. W. Sc.HELLING, Clara, Paris, 1984, p. 130-131. Voir, plus largement:
Kant, à propos du péché originel, reconnaissait aux « repré­ Cours d'introduction à la philosophie de la mythologie, trad. fse P. Courtine
sentations religieuses » une force que n'a pas la philosophie. et J.-Fr. Marquet, Paris, 19�8 et Leçons inédites sur la philosophi.e b. la
mythologie, trad. fse A. Pemet, Paris, 1997.
alors même qu'elle parle, elle aussi, d'un « mal radical » 3. P. R1cœuR, lectures 3 (voir par exemple p. 158).
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plement illustratif. D'expérience théologique, on sait I'Exultet pascal 1, le Unde et memores de l'eucharistie
d'ailleurs que, plus un donné de foi (songeons à la doctrine romaine2 (d'autant plus significatif dans un texte aussi
du péché originel) apparaît perdu dans une enveloppe mytho­ court, où l'on pourrait choisir d'évoquer d'autres choses)
logique, plus nous avons là le signe qu'il s'agit en fait d'un et le Symbole des Apôtres3• Mais nous allons faire ici réfé­
sujet important mais difficile, et qui, justement pour cela, a rence au texte le plus argumenté théologiquement, celui
dû, comme inconsciemment, faire appel à des ressources du discours de Pierre à la Pentecôte, discours qui se veut
autres que celles des abstractions communes. Du mythe, il un résumé de la foi au Christ ressuscité et à la conversion
ne faut pas souffler la bougie. qu'elle implique4• Nous le reproduisons largement, avant
L'hypothèse est donc délibérément faite que ce schème de d'en retenir les traits saillants :
la Descente aux Enfers (et de la Remontée des Enfers 1) peut « Cet homme [que] vous avez livré et supprimé en le fai­
réserver des surprises. Et des surprises qui, paradoxalement, sant crucifier[...], Dieu l'a ressuscité en ie délivrant des liens
vont dans le sens d'une meilleure compréhension de la [ôdinas] de la mort [toû thanatou]; [des Enfers (toû Hadou),
Résurrection, au point même de pouvoir surmonter certaines disent plusieurs manuscrits], car il n'était pas possible que
difficultés classiques. la mort le retînt en son pouvoir [krateisthaï hyp' autoû] »
Cependant, il va de soi que cette lecture de la Résurrection, (Ac 2, 23-24).
par le biais du schème des Enfers, devra être lue au second
degré. Non à la lettre, mais pour ce qu'elle signifie. C'est
l'esprit même d'une lecture herméneutique d'un récit qui Ga 1, 1 ; Col 1, 18; 2 Tm 2, 8) qui, elle, parle de la Descente aux Enfers
emprunte à des représentations culturelles que nous ne rete­ (Pierre) e! <le \a résurrection du séjour des morts (Paul). C'est cette tradition
nons plus comme telles. qui est reprise largement par nos credo, nos liturgies, toute la tradition patris­
tique et les représentations iconographiques orientales. Sur la difficulté à vou­
loir harmoniser divers types de présentation théologique de la Résurrection,
Le « fait » de cette tradition. lire J. PoNTHOT, « Vers l'historicisation lucanienne de la séquence pascale »,
dans À cause de l'É'vangile. Mélanges offerts à Dom J. Dupont, Paris, 1985,
Pratiquement tous les Credo anciens2, toutes les litur­ coll. « Lectio divina », 123, p. 643-654.
gies baptismales et eucharistiques (orientales aussi bien 1. « Haec nox est, c'est en cette nuit, que le Christ, ayant rompu les chaines
qu'occidentales), tous .les discours pétriniens et pauliniens de la mort [destructis vinculis morti.s; voir Ac 2, 24], est remonté victorieux
mentionnent la Descente aux Enfers comme partie inté­ des Enfers [Christus ab inferis victor ascendit]. 0 vere beata nox, ô nuit vrai­
grante de la geste pascaht Rappelons, entre autres, ment bienheureuse, qui seule a pu connru"tre le temps et l'heure en lesquels
le Ch.-ist est ressuscité des Enfers [in qua Christus ab inferis resurrexit]. ))
Et comparaison est faite avec l'astre du soleil : « cet astre, dis-je, qui ne
1. En parlant de « Descente aux Enfers », il faudra presque toujours avoir connait pas de couchant, cet astre qui, de retour des Enfers (regressus ab
en même temps en tête : « Séjour aux Enfers » et « Sortie des Enfers )>. inferis), a répandu sur ie genre humain une lumière sereine ». On aurait
Nous conserverons l'usage français, qui fait en somme synecdoque. presq:.ie envie de se demander si le orto iam sole de Mc 16, 2 n'est plis une
2. Le Credo dit de Nicée et Constanlinople constitue ici une notable excep­ métaphore pour le Seigneur ressuscité.
tion. Mais il est déjà tardif, plus rationalisé, et d'ailleurs plus attentif à la 2. « Nec rwn et ab inferis resurrectionis. »
confession trinitaire qu'à la confession christologiquc. 3. « [Et] je crois en Jésus-Christ [...], qui a souffert sous Ponce Pilate, a
3. li est vrai que tous les récits de Résurrection ne le font pas. À cet égard, été crucifié, est mort, ·a été enseveli, est descendu aux Enfers, le troisième
on peut dire qu'il existe trois traditions : la tradition johannique, qui fait car­ jour est ressuscité d'entre les morts [ek nekr6nf, est monté aux cieux »
rément l'impasse sur ce thème, la Croix étant d�jà le lieu et l'instant de la 4. Depuis tes travaux de l'école d'Uppsala (P. Lundbcrg, H. Riesenfeld,
victoire de résurrection; la tradition synoptique, et particulièrement la tradi­ B. Reicke, C. M. Edsi:nan), il n'est plus raisonnable de me.ire en doute
tion lucanienne, dont la séquence plus « historique », plus « chronologique », l'authenticité de la présence du thème de la Dei,cen:e aux Enfers dès le& écrits
retient les 'épisodes « empiri4ues » (ensevelissement, tombeau, apparitions, du Nouveau Testament '(cela contre !'opinion représentée essentiellement par
etc.); et la tradition paulinienne et pétriniennc (pour Pierre : Ac 2, 15-36, ici W. Bie<ler). Par ailiecrs, voir le discours de Paul (Ac 13, 26-42), presque
analysé; 1 P 3, 18-20; 4, 6; pour Paul: Ac 17, 31; Rm 6, 9; 8, 11; 10, 10: symétrique à celui de Pierre que nous reprenons ici.
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On croit voir déjà, marne si l'on ne devait pas retenir la Résurrection : l. 1erre (crucifixion, ensevelissement); 2.
leçon « tou Hadou 1 », que la mort dont on parle est celle Enfers (descente, séjour de « trois jours ») ; 3. Ciel (remon­
qui est représentée par le séjour parmi les morts (liens, affres, tée des Enfers au troisième jour, résurrection et exaltation,
douleurs), vécue comme une captivité, où règne un pouvoir à ce moment-là, à la droite du Père). On remarquera qu'il
(krateisthaiJ, celui du Démon. n'est pas question du tombeau trouvé vide (cc qui ne veut
Au reste, la suite du discours le confirme, où Pierre cite pas dire que cet événement est exclu); que la Résurrection
le Psaume prophétique (Ps 15, 8-11) : « Car tu n'abandon­ au troisième jour n'est pas représentée comme une sortie du
neras pas ma vie au séjour des morts [eis Hadèn] et tu ne tombeau, mais des Enfers 1; qu'il n'est fait nulle mention des
laisseras pas ton saint connaître la décomposition fdiaphto­ apparitions (qui semblent supposer une étape de séjour tran­
ran] » (Ac 2, 27). Le discours de Pierre cite le Psaume sitoire sur la terre). Bref, on ne parle pas d'une sortie des
d'après la Septante. Or le grec traduit généralement par le Enfers qui déboucherait sur un retour sur la Terre, mais d'une
terme diaphtora un mot hébreu dont le sens le plus courant sortie des Enfers gui débouche sur une entrée dans le Ciel.
est celui de « fosse >>, non celui de « décomposition ». On Le schéma est le suivant : Terre/Enfers/Ciel.
resterait donc bien dans le schéma de l'Hadès, il n'y a pas Or quel est le schéma que nous avons spontanément en
nécessairement allusion à l'état du corps dans le tombeau. tête? Celui-ci : 1. Terre (crucifixion, déposition du corps au
Pier:-e fait ensuite remarquer la différence entre la mort de tombeau, séjour de trois jours au tombeau); 2. sortie du tom­
Jésus et celle de David. Celui-ci aussi est « mort [et a été] beau et retour sur la Terre (résurrection du tombeau au troi­
enseveli », mais, lui, il « n'est pas monté au ciel », il est sième jour, séjour . sur terre pendant quarante jours,
resté auprès de ses Pères, dans le séjour des morts. Jésus, apparitions); 3 : puis, et alors seulement, accès au Ciel
lui, tout au contraire, « n'a pas été abandonné au séjour des (Ascension après les quarante jours). Bref, le schéma est
morts, oute enkateleiphthè eis Hadèn », « Dieu l'a ressus­ alors le suivant : premier épisode sur Terre/second épisode
cité [anestèsen] », il l'a ressuscité « en défaisant les lîens sur Terre/Ciel.
et les affres de la mort / de !'Hadès, lusas tas ôdinas toû Cette seconde sé.quence répond à un souci chronologique,
tanathou I toû Hadou ». et c'est ainsi, ressuscitant du séjour plus historiai et sans doute plus récent (caractéristique des
des morts ( ek nekrôn : Ac 2, 34 ; cf. 17, 31 2), qu'il a été synoptiques, et singulièrement de Luc), se superposant au
« exalté [hupsôtheis] à [ou : par] la droite de Dieu », ce qui schéma plus théologique, plus transcendant du discours de
non plus n'est pas arrivé à David, « lequel n'est pas monté Pierre (sans parler du schéma johannique, encore plus trans­
au Ciel, ou gar anebè eis tous ouranous » (Ac 2, 19-35). cendant et anhistorique2). Nous n'allons pas discuter de la
Ce qu'il importe de remarqùer dans ce texte, c'est la pertinence respective de nos deux schémas (ils ont chacun
séquence des lieux qui structure ce « scénario » de la leurs avantages), mais tirer du premier (le« mythologique») :
Terre/Enfers/Ciel, toute sa potentialité théologique qui, à
notre avis, lui permet, mleux que le second (Terre/ferre/Ciel),
1. La version Hadès au lieu de thllllato.'I a des chances pour clics. Shéol de comprendre la geste salvifique du Christ depuis sa mort
esL régulièrement rendu par thanatos dans la Septante : 2 S 22, 6; Pr 23, 14 ; jusqu • à sa montée à la droite du Père.
1s 28, 15; Si 51, 9, inversement, le mot hébreu mawtt (mort) est parfois tra­
duit par Hadès : Pr 16, 25; Jb 33, 22; Si 9, 12. Même s'il s'agit de (rela­
tives) exceptions. elles sont significatives. Oans I' Apocalypse, les mots
thanatos et Hadès apparaissent souvent ensemble, comme si les deux notions ! . Même chose chez ORIGÈNE. Homélie sur le Cantique des cantiques, II,
étaient impliquées (voir Ap l, 18; 6, 8; 20, 13-14). 12.
2. La Résurrection est régulièrement exprimée dans tout le Nouveau 2. Bien que ce schéma (qui voit la Résurrection dès la Croix) s'accom­
Testament comme une résurrection d'entre les morts (ek nekrôn), du séjour mode aussitôt (mais sans mention des Enfers) cl'une Résurrecticn du tom­
des morts (ek Tanathou, ex Hadou), non du tombeau (ck taphou) : Mc 9, 9- beau et d'apparitions. Sans doute l'évangile de Jean arrange-t-il (ou essaie-t-i\
10; 12, 25; Le 16, 31; Ac 17, 3; Ep 5, 14). d'arranger) plusieurs schémas déjà concurrents.
LE CHRIST LA RÉSURRECTION DE JÉSUS 169
168
La « théologie » de cette tradition. lée, � _succombé à la maladie. Mais la mort ne s'arrête pas
là, m a ces phénomènes immédiats : 1 'être que nous sommes
Cette tradition nous permet en effet une compréhension ne disparaît pas, H se rend dans le séjour de 1a m011 vivre
beaucoup plus riche que celle à laquelle nous avons accou­ d'une vie, plus ou moins sinistre et misérable d' « fünes en
tumé, à la fois de la mort de Jésus, de sa Résurrection per­ �ine », d�s un pays sans retour et absent à la significa­
sonnelle, des apparitions et de l'Ascension et enfin de la tion. « [Seigneur] quel sens y a-t-il {quae utilitas] à mon
Résurrection comme acte de salut. sang [à ma vie], si c'est pour descendre dans la fosse {dum
descendo in cor:ruptionem]'? La poussière peut-elle t'y
rendre grâce et y faire confession de ta vérité? » (Ps 29, 10;
lA mort de Jésus. cf. Ps 113, 17).
Pour nous, la mort est un phénomène biologique et ins­ Il est vrai, certaines traditions n'ignorent pas ]'espérance
tantané. Dès que survenue, a lieu un « on ne sait quoi », qu'il puisse y. avoir « un jour » un sauvetage (voir J S 2,
d'ordre métaphysique ou religieux : soit le néant, soit �c pas­ 6; Dt 32, 39; 1s 28, 18; Os 6, 2 et 13, 14; Jb ·14, 12; 19,
sage de l'âme à l'immortalité, soit la Résurrection (unm�­ 25-27 ; Ps 30, 2-4; Sg 16, 13; 2 M et Dn), mais telle n'est
diate ou différée). En toute occurrence, la mort, même s 11 pas i'idée dominante. Dans tous les cas, ces espoirs n'enlè­
y a passage à autre chose, est d'un instant : cet instant (in ve?t rien à 1:idée q�e la mort est longue (voire éteme!le), et
ictu oculi) où nous cessons de vivre. qu e�le consiste à v1vre dans les Enfers et à y séjourner pri­
C'est la même lecture que nous faisons spontanément à sonruer de la mort. Les Enfers sont au fond le lieu théolo­
propos de Jésus : c'est sur la Croix que meurt Jésus, au gique, !e vrai lieu de l'ensevelissement (voir Le 16, 23 : « Le
moment qu'il remet l'esprit, ce qu'atteste le f.este légal �t riche fut enseveli ·dans les Enfers », version latine). Mourir,
faisant preuve du centurion de garde. To?te 1 �conograp�te c'est descendre aux Enfers.
occidentale identifie le moment de la mort a celui de la Croix. P� ce thème appliqué à Jésus, il est donc dit que le Christ
Mais pour les Hébreux (comme d'ailleurs pour les Grecs), a vraiment connu la mort, la « vraie » mort, dans toute sa
la mort est autre chose. Elle a un déroulement temporel. vérité, « pendant trois jours». Il n'a pas vécu celle-ci comme
Mourir c'est bien sûr rendre le dernier souffle, mais c'est l'extinction d'une chandelle ou comme un simple coup de
aussi (�t surtout?) entrer (et demeurer) dans le séjour des lance, mais dans toutes ses conséquences. « Vous vous sou­
morts (le Shéol, l'Hadès 1). La mort n'est pas le drame d'un �ettez aux suites [exsequias] du trépas, vous l'auteur de la
instant, eHe est un événement qui consiste, si l'on peut ainsi vie et du monde. Vous entrez dans le chemin de la mort »
s'exprimer, à « vivre de la vie des morts2 ». Certes, on le (Hymne pascale attribuée à Fortunat). Jésus a connu la mort,
sait bien, la chair qui se décompose maintenant dans un tom­ il n'en a pas été dispensé2, il l'a vécue avec toutes ses affres
beau, s'est un jour éteinte de vieillesse, a péri noyée ou br0- qui ne se limitent pas aux douleurs physiques de la Croix:

1. Remarquer que le texte hébraïque dit « fosse », Shéol, Enfers, alcrs que
1. L'Arallou babylonien, )'Hadès et l'Acherôn grecs, les lnferi ou lnfemi 1� texte grec d� la Septante dit diaphtoran et celui de la Vulgate : comq,­
latins, etc. Les Enfers sont \e véritable lieu de désolation intense où se trou­ twnem, corruptmn. Les exégètes font remarquer que les traductions grecque
vent les morts : j'aimerais mieux, dit le fier Achille « valet de bœufs. vivre et laûne édulcorent ainsi le terme « Enfers » que nous trouvons dam, Je texte
de service chez un pauvre fermier qui n'aurait pas grand'chère, que régner hébrai'que. et que, très probablement. c'est cc mol concret de « Enfers » que
sur ces morts, sur tout ce peuple éteint» (Odyssée, XI, 489-491); « J:ai <=i:u les traducteurs ont en tête.
vr.timr..nt que j' aJJais en ce jour voir les morts, les demeures d'Hadcs : .JC �- �ême si, _à la différence des autres, il ne 1'2. connue que trois jours,
sentais s'exhaler mon cetur » (lliade, XV, 252). m'?s c _est p�strnent cela la Résurrection. Le hapax, c' est qu'un homme,
2. Le schème des trois jours peut avoir servi, pour le Christ, à indiquer qu1 était vraiment mort, puisse être déjà au Ciel (ce qui n' est Je cas ni de
cette temporalité de la mort Voir plus bas la note 1, p. 183. Lau.-e ni de David).
170 LE CHRIST LA RÉSURRECTION DE JÉS
US J71
Pascal l'a remarquablement compris et exprimé : « Jésus Adam I S'abîma, et luisit et
se e
était mort, mais vu, sur la croix. Il est mort et caché dans ne ressuscitera p as de •1a ' mort p rdit dans 1• ébouhs. 1 » Jésus
le sépulcre [...]. C'est là où Jésus prend une nouvelle vie, ment pas totalement connue. comem s'il ne l' avai· t fimale-
non sur la Croix. C' est Je dernier mystère de la Passion et
de la Rédemption» (Pensées, Br. 552 1). Jésus a vraiment su
clama vi ad Te Domi .,
sés, de la fos;e] a c n é _v
r:e, « De profundis [ek
�es profo?deu�s [des creux,batheôn]
des fos­
Ne fallait-il pas2'quJ e ite C h nsers toi, Seigneur » (Ps 129 1)·
ce qu' est être homme . Depuis la chute, toute vie humaine · t appelât des. profiondeurs? «'J'ai
se poursuit dans ce royaume de la mort. Jésus n'échappe à
rien de ce qu e connaît l'homme depuis le péché, puisque
crié vers vous des p�
prière. Si elle était
r : S:�fon1s: Seigneur, exauce
z ma
d'aill eurs « il a été fait péché pour nous» (2 Co 5, 21). avant le sommet de Ia monta a P ame, elle eût pu s 'arrêter
C'est la logique de son incarnatio n qu'il poursuit en entière3. » N'était-il pas venugne et ne pas percer la nue tout
somme en desr..enda..,t en ce lieu de désolation, éloignement La mort, encore une fois n •po ur cela? .
des hommes (on n'est plus sur la terre) et de Dieu ( on n'est biologique, ni m ême de p.J�s 1v
.. st pas un
. simple événement
pas au Ciel). « ln loco vastae solitudinis, en un lieu d'indi­ d'agonie. S' arrêter à la Pa ou , mo m s longue souffrance
e t a la mo
sont bien réeUes évidemm!� :ta pu e�g rt sur Ja Croix (qui
1
cible solitude." Jésus a vécu ains i jusqu'au bout (egenomen
nekros : Ap 1, 18; egeneto nekros, il est devenu mort : Ap 2, ristc et affectif 'outrancier t en�r un accent doJo-
u� e th�l ogie rédem
ptionniste
8), sans rien él uder de ce qu'est être homme (hominem excessive, où Ja souffrance
;h
verum), il est allé jusqu'au bout de la kénose de l'Incarnation, �onsidérée de soi salvatrice J'�!q�e ni5que , on le s '.1Ït, d'être
descente dans l'Incarnation q!.li n'en est une que si elle va tiv� pour le Christ mourant m > �m�as�1on affec-
�e sur:i; �t ' . ;1 s �git d �n dra
jusque-Ià2 • II a vécu cette agonie du sens et de l'évidence qm a les di mensions de 1a d � me
qu' est la mort pour tout homme. « "Le monde d'en-bas se celle des autrcs)4 « Le Jong se tinée d une vie, la sienne, et
trouble [lnfernus subter conturbatus est] à l'annonce de ta avec les rangées du d� tous les morts, côte à côt.
e
1 ntal, pendant trente heures
venue [in occursum adventus tui]". Eh! quoi, c'est donc 1a dépouiJie de celufqi:!l �e��nf� I rel av ec les �orts a
vrai3 ! ''Tu as été blessé comme nous ! Tu es devenu sem­ munié à notre cimetière, il a com-
. he om
Mais v01c1 alors le drame de o ogué notre
. . sJlo'I' . »
1::i�lf:u
blable à nous" » (1s 14, 9-10). � ·
Or tout cela (même quand on tient les Enfers pour la repré­ en valeur que tout a utreme 6 1 a �ort de �esus ?11eux mis
sentation d'un état) est capital pour bien comprendre la réa­ cela va signifier pour une 1 on dev1� de�à ce que

I,_· .
r �
lité et le réalisme de la mort de Jésus. Rilke l'a dit de manière Résurrection. C'est en effet
de cet eta � compre ens1on de la
étourdiss ante : « Il apparut, h�rs de souffle, / Debout, sans t-là, de ce lieu où Ia
parapet, maître des douleurs. / Leva le s yeux, en hâte sur
L R. M. RILKE, Desc
Enifers, dans Œuvres, t. Il,

1:,
ente du
l9?'J'· 422 (j'ai inversé l'or Ch · Paris,
dre,d�:1v:aj.
. n songe au
1. Certes, Pasca! parle du sépulcre, non des Enfers. mais l'idée est la même. 3. E. H lllLO, « ne fallait-il pas � d'Emmaüs (Le 24• 26).
4. Certes, il ne s'agit pas d'a (18177) · • Grenobl e, 1992, p. 118-12
,;•·-_·:�-' _
Paroles de Dieu
Voir plus loin note 4, p. 172 et note 3, p. 175. • 0.
2. Saint AUGUSTIN, à propos de la rencontre de Jésus avec la Samaritaine �. être la souffrance de la Croj voir inconvenance de minimiser ce qu'a pu
au puits de Jacob, semble voir dans cette scène une analogie avec la des­ 5, P. CLAUDEL
x

!·,·.
. • L'E.�""
,�e e1 ,e,· mir oir
cente aux Enfers, dans la mesure où puits et fosse désignent l'état d'abais­ . "· ' 6. Il existe une remarquable , Paris• 193
. 9. , p. 1 55.
li' ·

sement auquel Jésus a consenti, précisément parce qu'il a voulu aller jusqu'au ;
·. . le sang des pieds du Chr Cru cif x
i ion
. éthtOJ)lenn c (XIV"-xv• siècle)• où
· ,:· ist
bout de la logique de l'i:x:amation ; « Il est venu à un puits parce qu'il est : vent dans les Enfers, situés descend �ur la tête d'Ad . m a et Ève, qui se trou-
béa
descendu jusque dans l'abîme de notre séjour d'ici-bas » (Homélies .iur sainl êt� d'associer le schéma joh nts ·us��:\����o•x. Y?il_à qui permet peut-
v 1t souvent, dan anni�ue e a �trinien. De même, on
3. Ces six derniers mots sont de Ciaudel (référence perdue), mais ils mén­ ), ;. ·_ d?Adam (com s l'iconographie occ1·d_ental�• la Croix plantée sur le
Jean, XV, 9). --:

me si la mort sar la C ·'°'' ""' crâne


teraicnt de figurer dans une Bible apocryphe ... "'œ ""' ' io, Enfüra). dao, lo même tom ,- la de,.
172 LE CHRIST LA RÉSURRECTION DE JÉSUS 173

mort exerce sa puissance (voir le krateïsthaï, être sous la est ressuscité1• Ressusciter, ce n'est pas sortir du tombeau,
puissance de quelqu'un, de Ac 2, 24), que Jésus va être et c'est peut-être pourquoi l'ange se contente de dire : « il
«réveillé» relevé ressuscité, délivré 1 • C'est tout autre chose est ressuscité, iJ n'est pas ici »; à la limite : « il n'y a pas
et plus qu; de si�plement ress�sciter du -to .�beau - ce qui d� t�mbeau ». « Son tombeau est toujours parmi nous »,
n'en serait au fond que la consequence empmque : « voyez, d1srut plus haut Pierre, à propos de David. A l'inverse, le
il n'est pas là» (voir Mt 28, 62). Et qui n'est d'ailleurs pas texte même le suggère puisqu'il tend à différencier complè­
vécu comme une découverte de Jésus : « Quelques-uns de tement la figure de David de celle de Jésus, le tombeau de
nos compagnons sont allés au tombeau e� ce q?'ils o�t tr�u�é Jésus n• est plus pàrmi nous.
était conforme à ce que les femmes avaient dit; mais lui, ils Le Christ ressuscité, c'est le Christ qui sort du séjour des
ne l'ont pas vu » (Le 24, 24). morts, de l'état (du Heu) assigné aux morts, c'est-à-dire de
la véritable mort. C'est très exactement ce qu'a compris l'ico­
nographie orientale, où le Christ est représenté sortant et
montant (l'anabasis est une véritable anastasis) du gouffre
La résurrection personnelle de Jésus. s'ouvrant dans la paroi d'un rocher qui représente la porte
Qu'en disent nos textes? Que c'est de cet ét�t-là (si l'on des Enfers, et non celle du rocher dans lequel est creusé le
préfère ce mot à celui de lieu) que Jésus ressuscite : « re�ur­ tombeau (même s'il peut y avoir superposition symbolique
rexit a mortuis, ek nekrôn » (remarquer le pJunel). ou m�taphorique des deux thèmes, mais avec dominance du
Littéralement ; « de parmi les morts », du séjour des rnorts3 • pre!Iller2). Le tombeau, après tout, n'est jamais, pour nous
Il n'est dit nulle part (même si ce n'est pas nié) qu'Jl est aussi, qu'une trace, un souvenir : « Venerunt ad monumen­
ressuscité du tombeau (ex monumento, ek taphou)4. L'Evan­ tum » (Le 24, 1), elles arrivèrent au tombeau (littéralement :
gile parle seulement du tombeau tro�vé �ide. La_ pierre n'_a au lieu d'un souvenir, au lieu où l'on fait souvenir d'un
pas été roulée pour permettre au Christ d en sortir (!), mais mort). L'étymologie même en témoigne, qui nous enseigne
pour permettre aux fe� mes de voir. On I?ourrait, à la l�i_nite, que ce mot «tombeau », monumentum, renvoie à mnèmeïon,
dire que Jésus est sorti du tombeau, mais non pas qu 11 en lieu d'un (simpJe) souvenir.
Jésus sort victorieux des Enfers. Telle est proprement sa
Résurrection : cette sortie des Enfers, où il est allé vivre
jusqu'au bout la mort, et d'où il sort vivant à la Vie éter­
1. Et sans doute peut-on ainsi mieux comprendre le thème du Christ pan- nelle. « J'étais mort; et voici, je suis vivant pour les siècles
1okrator. Il ne s'agit pas d'affirmer d'abord une sorte de puissance <: contre des siècles, je tiens les clés de la mort et du séjour des
nous », comme on en a parfois la ténébreuse impression devant certaine�
icônes, mais d'une puissance qui s'exerce « contre le démon » : le verbe a
morts » (Ap 1, 18). Jésus a vaincu la mort en ce séjour, et
l'actif (kratein) de la Résurrection s'oppose ici au passif (krateisthai) des
Enfers. La toute-puissance du Pantocrator nous d�livrc de la puissance du
Démon. 1. À la limite, on pourrait se demander, nous l'avons vu plus haut, si l'épi•
2. li faut traduire : il n·esl pas là (ouk eslin Mde) et non pas « il n·est sode du tombeau trouvé "ide n'est pas surtout rapponé pour raconter un é�on­
plus là », comme on le fait d'habitude et qui �ffl?blit le cara�tère théolo­ nement (voir ici l'effroi des femmes), cet étonnement qui est à ia source
. d'une interrogation plus profonde, elle-même source d'une découverte et d'une
gique de la parole de l'ange au profit d'un détail simplement h1stonal.
3. Voir Mt 17, 9 (et par.); Mt 28, 7 (et par.); Ac 17, 31, Rm 1. 4; 8, 11; révélation. Un fait lingllistique ne laisse pas de m'intriguer : à côté du mot
10, 7, Gal, 1; 2 Tm 2, 8; Ap 1, 5.18. Remarquer qu'on ne parle pas dans taphos (ho taphos, -ou). le grec connaît un homonyme (to taphos,-eos/ous)
ces contextes de « résurrection des morts », de « resurreclio monuorum » qui signifie « stupeur », « effroi »... Qu'en penser?
(même si cela en est la conséquence), mais de -: résurrection d'entre les 2. On sait qu'il n'est pas toujours facile de distinguer, d'une icône à l'autre,
morts », « ressureclio e..i. mor(uis ». les thèmes de la sortie du tombeau, de la sortie des Enfers et de la Résurrection
4. Si je ne me trompe, c'est au vif' siècle seulement, au concile de Tolède comme telle, Il en est de même des scènes de l& Transfiguration, de
XI (675), que l'on rencontre pour la première fois ; « e sepu/chro surrexil ». l' Ascension et de la Parousie.
LA RÉSURRECTION DE JÉSUS 175
.L6_ÇHRIST
174
dans ce combat, non sim
plement chose qu'un phénomène biolo ·�que_ (b.
t h � , u�s). � miracle de la
non dans \ e tombeau, et chose n'est pas fausse, comme l'a R résu rection, c 'e s qu' u n o 9 u1 etait vr aiment mort (qui
sur 1a Croix, mê me si la mort en sortant se trouve dans le ro aume d mon et �e la mort) puisse
1• Jésus sort victorieux de la être déjà au Ciel (clins le RiY� urne de Dieu et de la vi e1 ),
vu saint Jcan t des Enfers : là est l e lie
u de la
des Enfers, en ressuscitan a vaincu la mort en son terrain ce qui n'est préc1s · ément pas le c� de .Lazare, du fils de
Résurrection victorieu se . Il tèsas, il a vaincu la mort par la Naïm ou de la fille de Jaïre C� -u exprime fo� bie n saint
même (thanatôi thanaton pa en son lieu propre ).
Paul en un discours de mê�e se:ema que celm de Pierre :
mort, il a vaincu la mort toute cette thématique. Elle donne « Nous aussi nous vous an
i ���
o s une] !J onne Nomre lle
çrc�our[ possible
On voit l'importance de plus grande qu e ne le fait toute [... ] : D ie u [l'J a r e ssus c té s à la décom-
ité
à la Résurrection une dens eptualisation. La Rés urrection ne position [diaphtoran dont'
(;;�';8 ;� 34) qu; cela signifie
aut re représenta tio n ou co nc « pro­ originellement : aux 'Enfers]�: ·
mme un acte quelque peu . ' u, e· lle n'est pas une
risque pas d' apparaître co» (dans le m auvais sens du terme), Du coup aussi la Résurrectio · n , puisq
digieux» ou« miraculeux e r quand on ne pa rle que de résur­ simpl e réanimati�n rso
r� n ���
a aît tout à
�f;e ri:.e la mort,faet non pas
it pour ce
comme on en court l e dang o ù, plus dangereu x enc ore, on u e
q_ ' U ese t, à sa v oi e
rection du tombea u . Et rrection que comme une revivis­ simplement, si l'on. peut d" �antre un� m�rt, contre t.elle
s'expose à ne voir la Résu, à la manière de la mal nommée mort. C'est la mort ui e��� �eue, pmsqu en son propre
cence ou une réanimation(nous e n parlons plus loin). L a lieu, « chez ell e3 » Qtelqu' un� entre les morts, et non pas
résu r re c�ion de Lazare on-des-Enfers, et nous compre ­ simple ment quel qu·•un de mort, sort de la mort du séiour
.' Du coup,
Résurrection est Résurrectia relevé plus haut : le S ei gneur .JI nel'état)
(de ou- eIl e ex· e rce sa puiss . �ce (krateisthai).. ;,
nons mieux alors le schém Car c'est cela ressusciter :
« quand s'agit plus et pour le Chns • et pour nous, d'un simple
'
passe des Enfers au Ciel. e à son Pèr e » (In 13, 1). La
Jésus passa de ce mond pass age du tombeau à la te rre 1. C'est ce qui est encore ex ·mé � Ac 13, 41 en une citation de Habacuc :
Résurrection n' est p as le surcroît séjour (apparitions, mani- r [ )·
« Soyez frappés de s tupeu ··· • Je VBIS en effet, de votre vivant » (do nc sans
(même s'il y a aussi et de us y r eviendrons). attendre une résurrection .fi na 1e, commune à tous), «. accomphr une œuvre
,
festation s] sur la terre, no acte de Dieu arrachant le Christ à
La Résurrection est un à la mort « métaphysique » ou
la mort <.< tout entière », voudra, mais vraie mort, mort
que vous ne croiriez pas si quelqu
2. On ne peut s'empêcher de
et plus théologiques de Pierre et r : ue
vous 1a �ontaJt » (Ha 1, 5).
q les discours moins anecdotiques
p � ont u� autr;
:
p_oids, en ce qui concerne
. la lecture et la comprélumsion - !t ne aussi la real1té - de la Résurrection ,
« théologique » (comme àonl a -simple mort biologique, maté­ que les récits de type lucanien.
totale , e xistenti ell e), non ction risquerait de n'être qu'une 3: Ml!me si, avec saint Jean, on dit que Jésus est déJà ressuscité sur la
rie lle, sans quoi la Résurre e . Le Père arrache l e Christ à la Cr01x et qu'avec certains· on d"t 1 que c, �t comm� ressuscité que le Christ
« ressuscitation » biologiqu ie descend aux Enfers cela n'est un p om! de foi. Au contraire, la foi ten­
e du Ciel, à la vra cirait à s'exprimer e� disant qu•ii=! scs le �isième jour (là est l'insis­
pa ss er de là à la gloir
à d� ar:;::, p :scr.tations en core, comme celle
mort po ur le fai re sur la mort
bio s). L a victoire de Jésus � la plus fréquente). Quant
vie (zô è et no n po int ique mais, qu 'on disant que Jésus n'est allé aux E ' s_on A�e (théorie tardiv�, bs­
ple vic toi r e sur la mort biolog
n' est pa s sim
r la mort « zôè-log
ique », sur pirée de l'ant.irop ologie grecque:::�:;;: imaginée pour harmoniser la
rm tte l'e xp res sio n, su Desccnte aux Enfers avec le sé"our du corps au tombeau); ou comme celle
nous pe e la vie (zôè) qui, elle aussi, est autre
e

't
disant que Jésus a visité les r:;niers a v n corps
�.ssuscité, je serais tenté
rt qu i fai t pe rd r
de di� qu'il importe peu (voir Jn 21 ;�-�� que � ! mporte »; 2 Co 12, 2-
la mo
ne autrenature), 3. « JC ne sai� ,., « Dieu le sait ») rl n que � su� Jité de ces présentations
:,i: événements (bien que d'u /
1. On peut penser que les deu du tombeau, ont lieu « en même temps ». (pour ne pas parler d'autre.� ·encon: st mauvms signe. Ce qui importe, c'est
la sortie des Enfers et la
sortie n'est guère repré­ que Jésus est .entré comme sauveu}dans les Enfers et qu'il «suffit,.(!) qu'il
occ ide nta le, où la sortie d�s Enfers l'ait fait comme Dieu et comme hJ�me, en son état d'incarnation, prolon-
Dans l'ic ono gra phi e sortie du tombeau,
ndante représentation de la geant ce qu'il a fait en Palestine . mr encore plus loin la note 2, p. 183.
sentée, à l'inverse d'une abo beau soit en même temps Je rocher des Bnfen;
il arrive que le rocher du tom
Lli_ÇHRIST LA RÉSURRECTION DE JÉSUS 177
176
épisode, mais d'un événement, voire d'un avènement. Telle imaginaire se représente confusément les choses. Les deux
est id la pointe de la résurrection d� Jésus : la. mort, _et nor situations (Résurrection et apparitions) sont bien distinctes.
pas simplement sa mort, est, par lm ou yar Dieu, vamcue . Les apparitions ne constituent pas la Résurrection : elles en
C'est pourquoi d'ailleurs, encore à la d1fférence de Lazare, sont la médiation (signes et témoignages), la manifestation,
il va au Père et retrouve ]es chemins de la Vie, hodous zôès la révélation, mais non pas le contenu, l'objet. La
(Ac 2, 28), non du simple bios, comme c'est le cas dans Résurrection n'est pas un simple et merveilleux retour de la
l'épisode de Lazare. La véritable affliction des Enfers, ce présence (désormais glorieuse) de Jésus sur terre.
n'est pas simplement, comme chez les Grecs traversant le 2. Les apparitions ne sont pas pour autant niées. Au
fleuve Léthé le fleuve de l'oubli, d'être oublié des hommes, � ontraire, elle� devi�nnent ce que sont vraiment des appari­
mais d'être 'séparé de Dieu. La nouvelle formidable de ia ttons : la mamfestation de quelqu'un qui est au Ciel, et non
Résurrection consiste à dire que l'homme est sauvé de cette point celles de quelqu'un qui se trouve quelque part sur la
situation, qu'il ne vivra pas séparé de Dieu. te�. Du coup, rion seulement s'effacent des questions assez
misérables (du type : où se cachait Jésus entre deux appari­
tions 1 ?), mais les apparitions prennent leur sens. Elles sont
Les quarante jours, les apparitions et l 'Ascension. théophaniques, ce sont des événements qui viennent du Ciel
: Jésus visiter)� Terre, ce qui nous permet d'ailleurs de comprendre
Rappelons-nous notre séquen� (Terre�nfers/Cie�) rence que Etienne et Paul peuvent parler d'apparitions du
ressuscite des Enfers vers le Ciel (le Pere ), à la diffé
» (Ac �. Ressuscité, alors que leur expérience se situe après cette
de David « qui lui, certes, n'est pas monté au ciel rs (vou période privilégiée (Ac 7, 55-56 et 9, 3-6). Les apparitions
34), mais est resté dans le tombeau et .dans ,les Enf �
où il résid e toujo urs. Mais q � en est-1 1 alors, sont des théophanies, des manifestations « célestes », des
Ac 2, 29), révélations de Dieu et de sa présence à l'homme dans le
puisque Jésus, lui, est au ci�l, _des qua�nt� JOU1? et des I?a­
_apdire
2 ? Ces cpiso des n mv1t ent-d s pas a Christ devenu Seigneur et présent à la droite du Père (voir
ritions sur la terre Ac 7, 55). « Dieu l'a ressuscité au troisième jour, et il lui a
que Jésus , quitl ant les Enfe rs, a d'ab ord passé quelque temps
�o_nné de m?nifester sa prése!'ce » (Ac 10, 40) . Les appa­
2
sont à
sur terre, avant de passer au ciel? Plusieurs choses nuons de Jesus ne furent pomt celles d'un Jésus redivivus
développer ici pas à pas. . , . , .. , l (comme le sera celle de Lazare), mais d'un Jésus ressuscité,
t. Tout importants que soient les rec1ts d appant1on que smt

dans la gloire du Père et dans la Puissance de l'Esprit.
Résurrection, en toute occurrenc e, c'est -à-di re quel
e notre Parler ainsi, ce n'est donc pas nier les Quarante Jours. Il
le schéma retenu, ne s'identifie .pas avec elles, comm y eut bien, pendant un temps déterminé, ces manifestations

de Jésus), cette l. « li ne faut pas croire que [le Seigneur] soit venu localement d'ailleurs
1. Même si, bien sOr (car c'est cela aussi la résurrection nelle. Nous p�ur �paraître à ses disciples et qu'il soit reparti ailleurs, quand il n'appa­
e sur sa mort person
victoire sur la mort a commencé p11r la victoir « écha�pe � raJssaJt pas � (JEAN Scor ÉR1GBNE, De la division de la narure; PL, 122, 536 D).
été disp e nsé de la.mo rt. Quand il en
\'avons vu: Jésus n'a pas mort) , ce qui fa�t 2.. En voyant les apparitions comme des manifestations théophaniques de
ieux sur la
(par la puissance du Père et son combat victor
sa « seule » différence avec nous, c'est qu'il ne l'a connu e « que » trois �1�1. qui est au ciel, _on �.o'mprend mieux aussi que Jésus soit généralement
uscite : « te�tia die resur­ mv1S1ble (un ressuscité n est pas visible « comme ça »); qu'il ne se soit
jours. Mais c' est bien du séjour des mo�s qu'!I r� 11les), ne res­ révélé qu"à quelques-uns, <.lij)ables de révélation; que même pour ceux-là. il
même s (voir la hturgi e des funéra
rexir a mortuis "· Et nous- es symbo liques )? n'est pas vu .racilcmcut (Madelt:inc le prend pour un jardinier; des apôtres
tons-nous pas aussi « trois jours » dans la mort (chiffr
plus haut, que cette le prennent pour un fantôme ou un esprit flottant sur l'eau; Thomas est sur
2. On aurait beau dire. comme nous l'avon� fait ses gardes: les disciples d'Emmaüs le prennent pour un voyageur et rappor­
siti littéraire que celle
séquence appartient à une autre tradition �e compo �� tout court et ne tent d'ailleurs fort virilement que. s'il est vrai que des femmes disent l'avoir
ient pas moms à la trad1b on
ici examinée. Elle n'en appart vu, « nous, nous ne l'avons pas vu »... ) !
pourrait être éludée.
178 LE CHRlST LA RÉSURRECI'ION DE JÉSUS 179

exceptionnelles du Seigneur venant du Ciel et partag�an. � su� La plupart des Credo, le schéma johannique et les séquences
terre l'intimité des croyants et des apôtres pour les m1t1er a pétrinienne et paulinienne voient la montée au Ciel bien avant
sa Résurrection et à ce qu'elle signifie. Mais ces jours pri­ l� Asccnsio�. En q�oi réside cependant le caractère excep­
vilégiés ne constituent pas une sorte de « trêve » pendant tlonne! de l Ascension? En ce que c'est à l'occasion de cette
laquelle Jésus réside (?) comme entre ciel et terre (!). Cc dernière apparition où Jésus se révèle pour la dernière fois
n'est pas un Jésus resté sur terre qui apparaît à ceux qu'il a à ses apôtres, qu'ils se voient confiée définitivement et solen­
choisis, mais le Seigneur ressuscité, venant du ciel, d'auprès nellement leur mission d'Église, et dont ils recevront confir­
du Père. À cet égard, il ·est remarquable que, pour Lazare mation et plénitude à la Pentecôte 1•
justement, on ne parle pas d' « apparitions ». ,Une_ trop gr�de crispation �ur les jours et leur durée pour­
3. Mais qu'en est-il alors de l' Ascension, si nous disons rait faire oubher que nous n avons pas affaire à un simple
que Jésus apparaît comme Seigneur venant du Ciel, où il se reportage empirique. Et chaque fois que nous parlons de des­
trouve donc déjà? L'Ascension serait-elle niée, qui semble cente du Ciel ou de remontée, il est clair que, nous aidant
bien supposer que c'est précisément après un séjour sur Terre d'ailleurs là aussi de représentations, nous ne parlons pas de
que Jésus gagne enfin le Ciel? Nous ne le pensons pas. Car faits cosmologiques, mais de réalités transcendantes. « Non
qu'est-ce que l'Ascension? Très exactement, la dernière e�t quae�tio motus », il n'est pas ici question de physique,
apparition et la fin des apparitions. Au terme des « quar�nte dira un Jour rondement et souverainement saint Thomas à
jours », les témoins ne bénéficièrent plus de ces révélations propos de l 'Ascension ! Et si cependant il y a temps et durée
du ressuscité; il « disparut à leurs yeux » (voir Ac 1, 9); ( les trois jours de la Résurrection; les quarante jours des
désormais ils ne le virent plus (Le 24, 31). Jésus, qui depuis manifestations; les dix jours encore avant la Pentecôte), c'est
la résurrection des Enfers est au Ciel, met fin à ses mani­ parce que Dieu est décrit comme respectant notre durée. << Le
festations sur Terre. L' Ascension est la dernière « remon­ Fils de Dieu pour opérer notre salut voulut avoir trois
tée » au Ciel, comme il y en avait eu après chaque apparition, jours2• » C'est là la véritable signification de toute cette chro­
et sans qu'il faille imaginer, dans ce cas comme dans les nologie théologique : pas plus que la Création, le salut ne
autres, un prodige particulier. s'est fait en un joui\ Mais, dans un cas comme dans l'autre
Certes, dans le schéma usuel et spontané, nous considé­ les chiffres ne sont que ce qu'ils sont. Au reste, l'entrecroi�
rons l'Ascension comme ce moment unique où le Seigneur semcnt même des deux schémas relevés plus haut (lucanien
<< monta au Ciel ». On ne niera pas que l'on peut voir les et pétrinien), largement incompatibles à les prendre comme
choses ainsi, selon un schéma qui répond à celui, plus « his­ des relations historiques, prouve à suffisance qu'il faut por­
torique » et chronologique, que nous avons appelé syno�­ ter son attention sur.. le contenu, non sur la comptabilité de
tique ou lucanien 1• Mais ce schéma ne s'impose pas à la foi.
suscité [anabebèka, monté] dan.r ta tête », ma résum:ction n'est tout à fait
J. On le retrouve même une fois, et paradoxalement, chez saint Jean (chez complète qu'à partir de li! foi (voir aussi A. GEScffé, « La résurrection de
qui tout semble être déjà accompli sur la Croix), rlans la fameuse scène du Jésus dans la théologie dogmatique», Revue théologique de Louvain, 2, 1971,
« Noli me tangere ». Ce qui prouve, encore une fois, que tous les scMmas p. 257-306 (surtout p. 283-296).
sont possibles et s'entrecroisent, preuve que la question est ailleurs, �u'elle 1. En toute occurrence,' (!Our I 'Ascension comme pour les apparitions, il
est de signification théologique avant d'être historique au sens re.�tremt du faut se défier de tout !aogilge qui oublierait lui-mêrr.e qu'il est ici très fragile.
mot. Le « Je ne suis pas encore monté », oupô anabebèka, donné par Jésus Les mots employés révèlent une certaine expérience faite par les témoins, mais
comme raison à son « Ne me retiens pas », signifie sans doute que, étant qui n'en porte pas moins sur des réalités essentiellement transcendantes. D'où
donné que !'Esprit n'a pas encore été donné (Pentecôte). l'entrée de Jésus d'ailleurs aussi les difficultés des témoins eux-mêmes à voir et à s'exprimer.
dans la gloire du Père, bien qu'effective, n'est pas encore pleinement accom• 2. HUGUES DE SAZNT-ViCTOR, De.r trois invisibles; PL 176, 838 A.
plie théologiquement. Voir ·aussi cette superbe exégèse augustinienne de ia 3. Zeus, lui, se défie du temps: il enferme Chronos dans l'abîme du Tartare.
parole à Marie-Madeleine : « [Ne me retiens pas], je oc suis pas encore rcs- Le Dieu de Jésus-Christ ne fait pas l'impasse sur le temps.
180 LE CHRIST LA RÉSURRECTION DE JÉSUS 181
ces événements : Jésus a connu la mort, il l'a vaincue, il est redivivus (comme pouvaient l'être Élie ou Jean Baptiste :
passé au Père, il s'est fait reconnaître par ses apôtres et a Mt 16, 14) ou un revenant (Mt 14, 26), mais le ho ercho­
achevé alors I' œuvre commencée à l'Incarnation. Tout cela, menos, celui qui est attendu et doit venir comme Seigneur
si l'on peut se permettre de s'exprimer ainsi, prend du temps, (Mt J 1, 3), et qui déjà maintenant vient (Ap 1, 7 et passim).
dès là qu'il s'agit d'un Dieu qui respecte l'homme dans la C'est cela la Résurrection, et non pas un simple retour sur
vérité de sa temporalité, non d'un Dieu qui le visiterait dans Terre. Et cette seùle nouvelle de la Résurrection personnelle
une éternité incandescente. Même une révélation prend du de Jésus est déjà salutaire, puisqu'elle nous donne ou nous
temps. rend une présence de la vraie vie (voir Jn 11, 25 : « Je suis
Parler ainsi des apparitions, c'est rappeler en quoi d'essen­ la Résurrection et la Vie »). Mais elle l'est plus encore si
tiel elles ont consisté. Elles ont d'abord été la poursuite, sur l'on saisit maintenant qu'elle est, et comment et pourquoi,
un autre mode, de l'enseignement du Seigneur à ses apôtres et œuvre de salut pour nous.
leur envoi en mission. Ensuite, ces manifestations de présence
ont été comme autant de témoignages destinés à révéler la La Résurrection, acte de salut.
Résurrection, tout comme au Jourdain, Je Père révèle son Fils
« Voici, mon Fils bien-aimé » (Mc 1, 11). Certes, dans une Tous nos textes nous disent que ce qui est arrivé à Jésus
certaine logique, il « suffirait» ou il « aurait pu suffire» d'une ne concerne pas seulement son destin personnel, mais qu'il
« voix d'en haut » (comme au Jourdain) ou plus simplement est ressuscité « pour notre justification » (Rm 4, 25;
encore d'un kérygme (comme au tombeau : « mon Fils n'est cf. 1 Th 4, 14). Plus sensible à la Passion et à la Croix salu­
pas ici », pourrait-on gloser), où l'Incarnation est révélée par taires, la pensée occidentale ne perçoit pas aussi bien le carac­
le Père (Mc 1, 11) et la Résurrection par les Anges hermé­ tère sotériologique de la Résurrection. Une fois de plus, à
neutes (Mc 16, 6). Il n'empêche - on ne peut davantage le déployer le thème de la Descente aux Enfers, nous allons
nier - les apparitions (qu_elles que soient la ou les manières voir tout ce que la foi en la Résurrection, comme acte spé­
dont on se les représente) ont été les médiations par lesquelles cifique de salut, à côté de la Passion et de la Croix, y gagne
Jésus s'est fait connaître ou a été annoncé par le Père et reconnu en intelligibilité.
par les disciples, comme ressuscité et vivant de la vraie Vie Prise dans son ensemble, la tradition voit dans la Descente
(Zôè). Mais nous n'avons pas à faire porter un poids excessif aux Enfers comme trois «moments», et trois moments pré­
et parfois exclusif sur ce caractère testimonial. L'histoire de la cisément salvifiques,. que bien sOr, ici aussi, nous ne devons
théologie montre que l'insistance apologétique sur les appari­ en aucune façon chercher à chronologiser rigoureusement ou
tions finit par occuper tout le ch'amp de l'imaginaire, aux dépens à voir de manière pseudo-réaliste.
des autres aspects, qtii, tous, sont plus importants. « Non sunt
probationes, sed signa, il n'y a pa� là des preuves mais des
signes », comme dit opportunément et superbement, encore
une fois, saint Thomas à propos des miracles. C'est toujours Dieu disait mainten��l : « Mon ms n'est pas ici. ». Ici, avec les appari­
à des signes, comme encore à Emmaüs, que le Seigneur se fait tions, il y a présence. Jésus ressuscité se donne lui-même à voir (ôphthè)
reconnaître. « Le poète doit laisser des traces de son passage, en personne, il témoigne lui-même de son nouvel état. Trouver vide le
non des preuves » (René Char). tombeau, ce n'est pas encore avoir trouvé Jésus ressuscité {« Pourquoi
Les apparitions sont celles de qui n'est plus dans les Enfers cherchez-vous le Vivant parmi les morts. Il n'est point ici »). À certains
(dans la mort), mais à la droite de Dieu 1• Il n'est pas un égards m!me, la découverte du tombeau reste, pendant un certain temps,
une mauvaise, non une bonne nouvelle. « On a volé mon Seigneur », dit
Madeleine, cl à plusieurs reprises on souligne, dans les couches les plus
1. Là, au tombeau, on constatait une absence (« Voyez, il n'est pas là»)_; anciennes de l'Évangile, que c'est avec effroi que les femmes quittèrent
comme si, à l'inverse du baptême au Jourdain (« Celui-ci est mon fils »), le tombeau.
182 LE CHRIST LA RÉSURRECTION DE JÉSUS 183
Un combat contre le Démon. du péché consiste en une erreur de destinée 1, non de simple
La tradition orientale est restée très fidèle à cet aspect du morale. On se trompe, on est en errance, on se perd.
séjour aux Enfers, que notre Occident tend davantage à ratio­ Il s'agit, dans cette « démonisation » de la Descent.e aux
naliser par des abstractions (lutte contre le mal, le péché, la Enfers, de signifier que le combat du Seigneur va jusqu'aux
mort, etc.). Il n'est pas dans notre propos de nous interro­ racines destinales, non simplement morales, du mal qui cor­
ger ici sur l'hypostase démoniaque 1• Ce qui importe, c'est rompt la vie, et que cc combat du Sauveur pour la vie doit
de saisir la signification de cette représentation de la victoire déboucher sur une victoire contre ce qui a empêché 1'accès
sur les Enfers comme salut. à la Vie, ce qui a fermé l'accès à ce qui constitue la fin et
Que nous dit-elle? Que, après sa mort sur la Croix, le la destinée de l'homme. Le combat du Prince de la Vie contre
Christ poursuit, dans l'ultime repaire du maJ (du Malin), la le prince de la mort (Jn 14, 30), qui détient la vie en otage,
lutte contre le péché, Je mal et la mort, commencée dès doit rouvrir l'accès à 1a Vie2•
l'Incarnation, poursuivie dans la vie publique (prédication du Où !' on voit mieux alors l'aspect sotériologique de la
salut, guérisons; pardon des péchés)2 et culminant sur terre Résurrection. Celle-ci s'accomplit au t.erme d'un combat. La
dans la Passion et sur la Croix. Mais ce combat n'était pas Résurrection n'est:pas un prodige, mais une victoire. Pierre,
terminé, il doit s'achever dans un dernier combat contre le de nouveau, l'a remarquablement exprimé, et nous abordons
mal en son lieu propre, les Enfers, là où règne précisément ainsi le deuxième aspect du séjour aux Enfers.
et presque sans contrainte, « chez lui », l' Adversaire, le
Mauvais, personnalisation du mal radical (He 2, 14). C'est
l'œuvre de l'Incarnation et de la Rédemption qui se pour­
suit 3.
Cette dramatisation n'a pas seulement l'avantage de sou­ 1. On nous dit que Jésus est resté trois jours dans les Enfers (l'Évangile
ligner, une fois de plus, que le Christ a vraiment connu la rapproche d'ailleurs le signe de la Résurrection de celui de Jonas, sorti après
mort et qu'il la rencontre avec sa puissance. Elle a surtout trois jours du gouffre de la mer). C'est avant tout la vérité théologique et
l'avantage de montrer que le péché ne relève pas d'une situa-• anthropologique de ce chiffre qui doit nous retenir : il y faut voir, comme
tion simplement morale, et en ce sens : « terrestre », concer­ plus haut, que Dieu respe.c+..e l'homme dans sa réalité d'être de temps et de
durée, ce qui souligne à sa manière que ce qui est en cause en cet événe­
nant les seuls rapports entre les hommes, les mœurs. Dans ment de salut, c'est l'homme dans sa dimension destinale. Une vue trop phi­
ce cas, le salut pourrait être assuré par simple effort moral. losophique des choses, et pour laquelle la temporalité n'a pas de sens dès là
Il s'agit d'une situation bien. plus grave : par le péché, qu'on parle de la destinée éternelle, nous a conduits à voir la Résurrection
l'homme a manqué son destin, il a perdu l'accès à (I'Arbre comme instantanée. Il y a peut-être là une perte de sens (et où d'ailleurs, en
de) la Vie. La question est d'ordre « infernal ». Le drame fonction d'un étrange comput, l'éternité est identifiée à l'instantanéité).
2. Je reviens sur la question (voir plus haut la note 3, p. 175). On a beau­
coup discuté pour essayer de savoir si le Seigneur est descendu mort ou déjà
ressuscité, avec sa seule âme ou aussi avec son corps, selon sa seufo divi­
nité ou aussi avec son hurr.anité. Toute opinion est possible. Il me semble,
salvo meliore iudicio, qu'on peut très bien admettre que Jésus « entre dans
1. Je m'en explique quelque peu dans mon livre Dieu pour pemer, t. I, les Enfers », c'est-à-dire connaît jusqu'au bout la mort, comme mort. N'est­
Le Mal, Paris, Éd. du Cerf, 1993, chap. 11. ce pas « au troisième jour » seulement qu'il ressuscite d'entre les morts?
2. Il n'est pas sans justification que les évangiles illustrent l'entrée en scène Qu'il n'y soit pas entré comme ressuscité, ce n'est pas cela qui l'empêche­
de Jésus dans sa vie publique par une lutte dans le désert avec le Démon et rait, puisqu'il est le Dieu Ge la vie, de sauver les hommes en prison. C'est
que les guérisons sont t:res souvent associées à cette même théologie. Voir en tout cas sur ce point qu'il faut rester vigilant et ne pas traiter les repré­
aussi Ac 10, 34-43. sentatiorts au-delà de cc qu'elles peuvent. Nous sommes, dans cette étude,
3. Très explicite chez MÉUTON DE SARDES, Homélie sur la Passion contre une minirnalisatlon du thème de la Descente aux Enfers; nous ne vou­
(11° siècle). drions pas qu'on tombe dans l'autre excè.�. celui d'une maximalisatioc:t.
184 LE CHRIST LA RÉSURRECTION DE JÉSUS 185

La prédication aux enchaînés. ment les Justes, comme on le répète trop souvent) vont pou­
« Le Christ lui-même est mort pour les péchés, une fois voir bénéficier de la Révélation salutaire de Dieu en Jésus
pour toutes, lui juste pour les injuste�, afin_ de nous prése�­ et adhérer (ou non) par la foi à son message1 • « Adam, pro�­
terné aux genoux du Seigneur, lui reni;Iait grâces d'�ne v01x
ter à Dieu, lui mis à mort en sa charr, mais rendu à la v1c mêlée de larmes [... ]. Et Je Seigneur, étendant la mam, "fit le
par ]'Esprit. C'est alors qu'il est allé prêcher même aux
esprits en prison, aux rebelles d'autrefois, quand se prolon­ signe de la croix sur Adam et sur tous 1es saints et, te�ant
la main droite d'Adam, remonta des Enfers, et tous les samts
geait la patience de Dieu aux jours de Noé » ( 1 P 3, 18-20 ; le suivirent » (Évangile de Nicodème, VIIO. Au fond, c'est
cf. aussi 4, 6 1 ).
dans les Enfers que se manifeste la victoire qu'est !a
La tradition occidentale, rejoignant pleinement cette fois Résurrection. « Voici que ce sommeil du Seigneur est devenu
la tradition orientale, est restée fidèle à cette vision des la veiile du monde entier » (Chromati:us d' Aquilée2). La
choses. Sa prédication salutaire, le Christ est représenté Résurrection, en un sens, n'est pas simplement une victoire
l'apporter aussi à ceux qui n'ont pu le connaître en terres de hors des Enfers, mais une victoire sur les Enfers, lesquels
Judée et de Galilée. Le Seigneur vient leur annoncer, à eux sont anéantis, n'existent plus.
aussi la bonne nouvelle du salut. Alors seulement s'accom­
plit t�ute l'évangélisation. « Celui qui a dit à Adam : "Où
es-tu 'r', [...] est descendu au Shéol [...] et il l'a trouvé. Ill'� La sortie victorieuse.
appelé et lui a dit : "Voici que je suis descendu apr�s toi C'est alors que nous allons toucher au plus près �u cara�­
pour te ramen�r à ton héritage" » (l!tur�ie pascale syn�qu�, tère résurrectionnel de la Descente aux Enfers, qm devrait
dite de saint Ephrem). « Le passe, s aneant1t. et renaît Jusll­ d'ailleu�s maintenant s'appeler la Remontée des Enfers.
fié2. » « Elle sera effacée, votre alJiance avec la Mort, votre pacte
Ici le thème de la Descente aux Enfers permet d'élargir avec le monde d'en-bas ne tiendra plus [pactum vestrum cum
l'œu�rc du salut en l'universalisant : la Prédication, la inferno non stabit] » (1s 28, 18).
Passion et la Croix sont proposées à tous les hommes, comme Ayant donc s�journé dans les Enfers, ie Christ ! alors, so�
elles le furent aux contemporains de Palestine. Et remar­ des Enfers véritable exodos3, et « enfin » ressuscite. « Tertia
quons, il vaut la peine de le souligner, que cette P�édication die resure;it a mortuis » (Credo). Nous avions déjà pu com­
aux enchaînés ne s'adresse pas seulement aux Justes de prendre que la résurrection de �ésus, sur le plan personnel,
l'Ancien Testament, mais aussi aux pécheurs (Pierre parle était résurrection des Enfers, mais les deux aspects que nous
des « rebelles >►), ce qui accentue le caractère salutaire de la venons de relever permettent maintenant de voir ce même
Descente aux Enfers. Tous les Anciens (et non pas seule-

1. Ce texte associe rcmarquab:ement la sotériologie par la mort (Descente


aux Enfers) et la sotériologie par la Résurrection (Sortie des Enfers). 1. Le Père envoie son Fils à tous les hommes, tel est le sens fondamental
2. J<rançoise MALU.,-JORIS, L'Empire céleste, Pans, 1958, p. 379. Et ceci, de cette représentation - même si la tradition n'a retenu que le salut des
de Caroii ne LAMARCHE, le Jour du chien, Paris, 1996, p. 51 : « Je me sou­ Enfers des seuls justes, ce qoi, il faut bien le reconnaître, estompe le carac­
viens avoir pensé que seule une femme, et une juive, était capable d'��ployer tère sotériologique du Séjour parmi les morts. Joue ià une jnterfé�nce entn:
de telles images pour décrire cc qui m'apparut alors _com1�e le T"é<.:1t m�crsé deux schèmes théologiques, celui du Jugement personnel immédiat et celut
de la Crucifixion. Je compris que la femme qui avait écnt cette liturgie du de la Résurrection immédiate ou finale.
génocide était comme Marie-Madeleine se précipitant au tombeau les bras 2. Homélie inédite publiée dacs Revue bénédictine, t. LXXII, 1962, p. 273-
chargés d'onguents parfumés: au lieu de nous détourner des Enfers, elle nous_ 274.
y faisait entrer avec amour, nous obligeant à prendre en nous cette lumière 3. Ce n'esl pas pour tien que l'on parle de Pâques comme d, un nouveI
noire comme on absorbe, couché sur l'herbe un jour d'été, l'innocent éclat Exode. Pâques « prend du Lemps », comme prit du temps li! traversée du
des saules. » désert et, ici, la traversée des Enfers.
186 LE CHRIST LA RÉSURRECTION DE JÉSUS 187
événement sous son aspect sotériologique 1. La sortie (la [agôn megistos kai eschatos] attend les âmes 1• » L'œuvre du
résurrection, bien plutôt) des Enfers (anestèsen ek nekrôn : salut n'a pas seulement été agonique dans la Passion et sur
Ac 2, 34) est une victoire contre le mal dont les hommes la Croix, mais· aussi dans la Résurrection et même dans
souffrent, captifs. « Ascendens in altum captivam duxit cap­ l' Ascension2• Il faut avoir vu la Sortie des Enfers en la petite
tivitatem, c'est en montant dans les hauteurs qu'il a délivré église du Saint-Sauveur-in-Chora à Istanbul, pour saisir ce
de la captivité » (Ep 4, 8}. À cet égard, il est remarquable caractère de lutte et de victoire « difficile » de la Réswrection :
que, à l'origine, la triple immersion baptismaJe se référait c'est avec « effort », à grand ahan, avec force et paissance
non à la Trinité, mais aux « trois jours » de « sépulture » que le Christ tire littéralement les premiers parents der. Enfers,
dans la mort. Le baptême chrétien est une plongée dans la les entraînant à sa suite3. « Je les tirerai dans les cordes
mort du Christ (« vous tous qui avez été baptisés [plongés] d'Adam, dans les liens de la charité » (Os Vg 11, 4)4• La
dans le Christ. .. ») et une sortie victorieuse avec lui de cette Résurrection ne fut pas « mince affaire». On peut même se
demeure (voir Jean Chrysostome, Hom., 40). Voilà ce qui demander si, pour le Christ lui-même, cette sortie des Enfers
est signifié. n'est pas comprise comme accomplie « à grand ahan », ce
En quittant le séjour des morts, comme le montrent super­ qui serait exprimé par le thème de 1a Droite (la force, la puis­
bement les icônes où il tire Adam et Ève par les poignets, sance) du Père nécessaire pour l'arracher et par celui de la
Jésus entraîne victorieusement dans son propre accès à la
Vie et en même temps que lui, ceux qui sont morts2• La
résurrection de Jésus est, dans le même temps, sa résurrec­ 1. PLorrN, Ennéades, 1, 6, 7.
2. Il faut aller voir à Sainte-Sabine de Rome la scène de I' Asce�sion à la
tion et celle des autres. Elle n'est pas seulement victoire per­ Porta i.rtoriata (v" siècle) : Jésus est vraiment tiré par deux anges comme les
sonnelle (« Dieu l'a délivré des affres de la mort »), mais premiers parents le furnnt par lui des Enfers. L' Ascension elle-même se fait
victoire qui « empoigne » ceµx qui étaient déjà morts et vic­ à grand ahan, èJJe est aussi un combat, une « agonie ». Comme sl le Christ
times de la perdition (Un-heil). Jésus, en ressuscitant, est en ne« voulait» pas monter, qu'il resterait bien à poursuivre son œuvre (comme
même temps le Ressuscité et le Ressuscitant, celui qui est le lui demandent les apôtres pour restaurer ici le Royaume). Voir aussi la
crypte romane de Saint-Bénigne à Dijon, où l'on voit quatre hommes, les
arraché et celui qui arrache au Mal et à la mort, pour entraî­ bras levés, comme s'ils sortaient des Enfers. Cette lecture que je fais de ces
ner victorieusement dans la Vie ceux qui en restaient éloi­ chapiteaux, contraire à celle des prospectus, m:: paraît justifiée du fait que
gnés. « Mais les trois jours que je devrai vivre me jetteront cette crypte, explicitement, imite celle du Saint-Sépulcre de Jérusalem. Autre
dans le vide, Seigneur, et j'apprendrai le poids de l'absence référence encore dans ! 'art : au musée de Cope:ihague, on peut admirer une
et le prix de ta Résurrection3 • » sculpture intitulée Ascension. Avec ce texte : « Surexit [sic] sicut dilexit vos,
Il a ressuscité comme il vous a aimés», non pas simplement« cor.:ime iU'a
Ce n'est donc pas seulemènt la Croix qui est un combat dit », sicut dixit, et avec ce superbe rapprochement avec le « aimez-vous les
et un arrachement au mal. La Résurrection aussi est un com­ uns les autres comme je vous ai aimés, sicut dilexi vos » (voir Jn 13, 4 et
bat et un arrachement au mal. La Résurrection aussi est ago­ 15, 9). Je pense d'ailleurs que, plus qu'une Ascension au sens strict, c'est
nique, un combat (agôn, agônia). « Un� grande et ultime lutte d'une sortie des Enfen; que représente cette sculpture.
3. Ce caractère de victoire « demandant effort» y e.�t encore souligné par
le fait que le Christ tient les protoparents par les poignets, pour qu'ils ne ris­
quent pas de glisser s'ils étaient seulement tirés par la mein, nous assurent
1. Il est remarquable que le nom des icônes représentant la Sortie des les iconologues.
Enfers soit celui de« Anastasis » et désigne cette résurrection comme rédemp­ 4. Le Seigneur n'est pas resté dans les « liens » de la mort (Ac 2, 24) et
trice, puisque ces mêmes icônes représenlent toujours le Seigneur, non point les morts en sont également délivrés. La récurrence du mot « liens » est frap­
seul mais arrachant les hommes à la mort. pante, depuis Osée (11, 4: en desmofs) jusqu'aux Actes des Apôtres (2, 24
2. Cette représentation de notre salut final est autre chose que celle de nos tas ôdinas). Est-il interdit de voir dans l'étrange et sublime scène jchannique
Jugements derniers ! du tombeau (Jn 20, 5-7), qui parle mystérieusement du linceul roèllé à part
3. Boris PASTERNAK, Le Docteur Jivago, Annexe : Poèmes de Jivago (1958), des « bandelettes ,. (ce sont des liens), comme une allusion à la ru.pture des
coll. « Folio », 1972. C'est Marie-Madeleine qui parle ainsi. liens de la mort?
188 LF. CHRIST LA RF..SURRECTION DE JÉSUS 189
Puissance de )'Esprit qui l'investit alors. « Devons-nous voir Résurrection, tout comme à Gethsémani il a vécu celle de
dans les paroles qui rapportent la victoire obtenue sur l'antique la Passion et, sur la Croix, celle de la Mort 1 •
Royaume de la mort par le Christ, des façons de parler très La résurrection de Jésus et celle de ceux auxquels il apporte
générales, dénuées de tout sens? Je crois plutôt ceci : la mort le salut coïncident (co-incidere, tomber en même temps, arri­
était vraiment devenue une puissance 1• » ver ensemble). Jésus n'est pas seulement le Ressuscité (resus­
Le salut trouve ainsi vraiment, grâce à cette thématique citatus), mais aussi et dans le même temps le Ressuscitant
des Enfers, l'expression de son accomplissement dans la (resuscitans, participe actif). Le destin personnel de Jésus et le
Résurrection2• Et ne comprend-on pas mieux dès lors com­ salut des sauvés coïncident. Ne « fallait-il pas » (Le 24, 26)
ment et pourquoi la Résurrection est partie intégrante de qu'on nous montre que le Christ fut !ui-même sauvé des Enfers
l'œuvre du salut, et non simple couronnement ou récom-­ (Ac 2, 24), pour qu'il en puisse sauver les autres? C'e:st dans
pense, comme le dira si longtemps la théologie occidentale? le même temps que Je Seigneur sort (sens transitif) les hommes
Si le Christ avait « renoncé », s'il était ressuscité « comme des Enfers et_qu'il sort (sens intransitif) lui-même des Enfers.
ça », « tout simplement », n'oserait-on pas ou ne devrait-on C'est après avoir vaincu la mort en son lieu et sauvé les morts
pas dire que manquerait quelque chose? Il manquerait en en leur séjour qti.e Jésus se présente comme vainqueur et res­
tout cas à notre imaginaire - nécessaire à la perception de suscité. La Résurrection a été un combat. en ce sens : une ago­
la foi, n'ayons pas peur de le dire -, un indispensable sup­ r..ie (ce que le mot signifie en grec), un arrachement« onéreux».
port pour penser la Résurrection comme combat victorieux On songe aux douleurs, aux affres de l'enfantement (sun-ôdi­
et comme salut3• Au reste, il ne s'agit pas simplement d'ima­ neiil), aux liens (odinas) qui retenaient Jésus dans le tombeau,
ginaire : la Résurrection fut bel et bien cette victoire sur la nous l'avons vu plus haut, et qui maintenant se délient. Ne pour­
mort, et dont Adam et Ève furent les premiers bénéficiaires4• rait-on suggérer que le texte énigmatique de saint Jean, où il
C'est dans les Enfers que Jésus vit l'agonie de la présente Pierre et Jean regardant les bandelettes qui entouraient
le corps de Jésus, désormais posées de côté, évoque les liens
dont Jésus est maintenant libéré (Jn 20, 5)?
I. Fr. W. SCHELLING, Clara, p. 13 I.
2. Et certes, pour comprendre toute la Résurrection et son déploiement « Comme une Pietà qui déploie sur ses genoux le corps
comme œuvre de salut. faudrait-il encore parler de la Pentecôte, qui l'accom­ rayonnant d'espace, le corps mort et ressuscitant2 • » Thème
plit clans l'effusion plénière de !'Esprit; de l'eucharistie, qui la rend présente de l'enfantement d'ailleurs associé à celui de la vie, autre
dans le signe sacramentel; de l'Église, qui veut !a rendre effective dans la mot pour résurrection, et à celui du cosmos en attente de la
charité fraternelle{« C'est à ce signe que l'on reconnaîtra que vous êtes pas­ résurrection des hommes (Rm 8, 19-24). Trop souvent, la
sés c!e la mort à la vie » : voir 1 Jn 3, 14; remarquons le vocabulaire de
« passage », typiquement résurrectionnel); de la Parousie enfin, où Jésus res­
Résurrection présentée comme suite trop immédiate, trop
suscité sera pleinement et définitivement, pour la création tout entière, « Celui « facile » de la Croix. ne vient-elle pas jusqu'à contredire
qui vient ». ho en:homenos, le Seigneur. le caractère onéreux de la Croix elle-même, comme si elle
'.I. Pourrait-on aller jusqu'à dire que Jésus a été sauvé des Enfers par son était son effacement3 ? Il est remarquable que, dans l'épisode
Père? Pourquoi pas, si, d'une part, le mot « salut » ne doit pas toujours être
évoqué à propos du seul péché {le salut est positivement : se Lre] trouver par­
tager la Vie) et si, d'autre part, on est quand même en droit de songer à un 1. Le 13, 32 a une formule étonnante : « kai tèi tritèi (hèmeroi) tekiou­
salut du péché, puisque Jésus, selon les fortes expressions de saint Paul. « a rnal" »,«et tertia die consummor ». Le sens n'est pas imméd:at, mais ne peut­
été fait péché pour nous » {2 Co 5, 21), il a connu la condition de péché, on être tenté d'y voir la Résurrection au troisième jour comme le véritable
alors même qu • il « n• a pas péché » personnellement (ibid.), car « il a pris « consummatum est ,. de la Croix? L'agonie a duré jusqu'au troisième jour.
une chair semblable à celle du péché » {Rm 8, 3). 2. Expression, dans un autre contexte, de M. Deguy, faisa.'lt comp�e rendu,
4. C'est tout autre chose de représenter Adam et Ève accueillis par le dans Le Monde du 10 juillet 1992, de J.-L. NANCY, Corpus, Paris, 1992.
Ressuscité, qm;; de monlit;i deux suldals témoins au toml>cau. Au reste, les 3. On entend parfois dire, et pas sculement pm- les cn[èlll:S : « P•Jisquc le
premiers sont vigilants et sont ressuscités (egeïro), les seconds sont endorc Christ allait quand même ressusciter, sa mort sur la Croix était-elle vraiment
mis et seulement réveillés par un tremblement de terre ... une agonie? »
190 LE CHRIST LA RÉSURRECTION DE JÉSUS 191
de Thomas au cénacle, c'est en montrant les blessures de la dans la Résurrection, et encore une fois }'Écriture le dit
Croix que Jésus invite l'apôtre à reconnaître sa résurrection. expressément. Mais ne crie+on pas trop facilement victoire
Idée que l'on trouve aussi dans l'iconographie qui nous et n'oublie-t-on pas le combat? Tantôt on nous dit, et tou­
montre Jésus ressuscitant des Enfers en portant sa Croix. jours en rappelant l'Écriture, que le Christ nous a sauvés par
Parler d'agonie de la Résurrection a pu, au premier abord, sa mort et oar sa Résurrection. C'est sans aucun doute la
paraître avoir quelque chose d'inconvenant. Sans doute parce meilleure affirmation formelle. Mais il faut bien admettre
que, comme « pressés d'en finir » après l'oppression du qu'elle donne l'impression d'une volonté incantatoire de vou­
Procès, de la Passion et de la Croix, nous la parons trop vite loir un peu hâtivement tout rassembler, et qu'elle a bien de
de son aspect de victoire et de gloire. Et c'est vrai que, pour la peine à penser la réalité en cause, à la rendre vraiment
Jésus comme pour les sauvés, la Résurrection revêt cet accent intelligible.
de joie et de libération, où la célébration festive n'a pas trop Une réflexion qui passe par le thème de la Descente aux
de mots et de gestes pour s'exprimer. Kristos voskresniè ! Il Enfers 1, associant intimement mort et résurrection au sein
n'empêchè, et cela n'enlève rien à ceci, au contraire, en tant d'une même agonie victorieuse, ne donne-t-elle pas du salut
qu'elle est œuvre de salut la Résurrection elle-même a été, une lecture plus appropriée? Le thème de la Descente aux
elle aussi, comme la Passion et la Croix, un combat, un com­ Enfers, qui ne réduit pas la mort à la Croix, mais l'étend à
bat contre, le mal. À Miguel de Unamuno « l'homme parais­ tout le déploiement d'un drame dans le temps et l'éternité -
sait impensable sans la référence au divin, mais le divin tout tout cela ne permet-il pas de mieux saisir toute la significa­
autant, sans référence d'un autre ordre à l'existence agonique tion destinale de l'acte de salut du Christ? C'est un drame
de l'homme 1 ». Le samedi saint est aussi saint (et sancti­ de destinée qui est en jeu.
fiant) que le vendredi2. Saint Jean parle bien de la gloire de Pour bien comprendre la chose, sans doute est-il bon de
la Croix. Ne pouvons-nous prendre la liberté symétrique de se rappeler la spéèificité de ]'anthropologie chrétienne: celle,
parler de l'agonie de la Résurrection? Une agonie n'a de précisément, d'une anthropologie de destinée. Plusieurs
sens que si elle débouche hors d'elle, sur une victoire. Mais anthropologies occupent le champ de la pensée huma5ne, et
une victoire n'a de sens que si elle se gagne sur un combat, sont d'ailleurs valables et, de principe, non concurrentes
sur une agonie. (anthropologie physique, culturelle, philosophique, morale,
Ne comprend-on pas mieux alors l'aspect sotériologique psychologique, phénoménologique, etc.). À côté d'elles, il y
de la Résurrection? Car tantôt on nous dit que Jésus nous a a une anthropologie théologale. Qu'est-ce que ]'homme selon
sauvés par sa mort, et cette affirmation est bien conforme la foi chrétienne? Un être destiné à partager plénièrcment la
encore Ûne fois à l'Écriture. Mais, étant donné le caractère vie de Dieu. L'homme est théologal (comme il est aussi
exclusif que cette affirmation peut prendre, on sait à quels rationnel, social, affectif, etc.). Cette anthropologie de des­
risques de dérives elle a pu conduire la théologie de la tinée théologale se joue « entre ciel et terre », entre don de
Rédemption. Tantôt on nous dit que le salut nous est accordé Dieu et réponse (ou refus) de l'homme.
Cette destinée, l'homme l'a reçue du Père à la Création.
1. Présentation de R. Munier à M. DE UNAMUNO, Le Christ de Velazquez,
Mais, en ce qu'on appelle énigmatiquement un iliame origi­
Paris, 1990, p. 16. nel, et gui fut précisément une erreur de destinée2, il en a
2. Voir X. TILLIETIE, La Semaine sainte des philosophes. Paris, 1992.
L'auteur montre fort bien qu'ui:ic christologie qui s'hypnotise sur la Croix
risque la dérive, une dérive qui ne peut être empechée que par une philoso­ 1. C'est un peu comme le tiers dont nous parlions dans notre essai sur
phie dt' samedi saint. Les « stations » du samedi saint sont autant d'étapes l'identité narrative (plus haut, p. 81). Et daŒ les deux cas (celle de l'iden­
nécessaires èntre la Croix et la Résurrection (d'après le cornptc rendu de tité de Jésus ou celle de notre salut), il y a mouvement, dynamisme dans la
É. ÛAZlAUX, dans Revue théologique de Louvain, 23, 1992, p. 493-494). Que représentation. Dans les deux cas, !lous avons affaire à un récit.
l'on songe aussi à l'étonnante remarque de Pascal citée plus haut, p. 170. 2. Voir A. GESCHÉ, Dieu pour penser, t. I. Le Mal. chap. 111.
192 LE CHRIST LA RÉSURRECTION DE JÉSUS 193
perdu l'accès. La Résurrection est maintenant cet acte du moment de la Résurrection, }'Écriture renvoie à tout le voca­
Père, en Jésus, dans la puissance de ]'Esprit, qui précisément bulaire de !a Création, présentée elle aussi comme acte a de
remodèle la création. L' œuvre de Rédemption est tout autant la toute-puissance de Dieu. Il a fallu force et effort (H a fllu
que la création primordiale (mirabiliter condidisti), œuvre de « six jours ») pour créer. De même manière (« J'ai achevé
création (mirabilius reformasti; notons que le mot formare, l'œuvre » du Père : voir Jn 17, 4), il a fallu force et puis­
plassein, appartient au vocabulaire de création). La diffé­ sance (il a faliu « trois jours.») pour arracher Jésus à la mort
rence est uniquement en ceci : que notre nature devient une et pour que celui-ci arrache les morts à la mort, restituant
nature résurrectionnelle (ce qui n'était pas nécessaire à Adam, ainsi l'accès à (l' Arbre de) la Vie. C'est ce que nous avons
qui pouvait choisir « tout de go » l 'Arbre de la Vie). Mais, appelé, pour cela, l'agonie de la Résurrection, depuis le jar­
à cela près, la résurrection de Jésus n'est pas d'une nature din de Gethsémani jusqu'au troisième jour à la sortie des
foncièrement différente de la Création. Le Fils de Dieu res­ Enfers 1•
suscite la Création. Et il fait de l'homme un être résurrec­
tionnel, au m!me titre que le Père a fait de l'homme un être Mais comme cette agonie-là est auréolée de . gloire !
créationnel. A la Résurrection, « la chair acquiert un statut
métaphysique 1 » el « le roc (Pierre] prend conscience de ses
vertus ouraniennes2 • »
La résurrection appartient désormais à la capacité théolo­
gale de l'homme créé, Homo capax Dei, ainsi restitué à sa
vocation destinale proposée à la Création et remodelée à la
Résurrection, Homo capax Resurrectionis. À la limite (à la
limite), on pourrait dire que c'est le péché, erreur de desti­
née, qui a modifié l'ordre de ia Création, plus que la
Résurrection qui, en quelque sorte, ne fait que reprendre
l'ancien vœu créateur pour en refaire don à l'homme.
Désormais, c'est en disant oui à sa nature résurrectionnelle
que l'homme trouvera le salut, c'est-à-dire le chemin de sa
destinée.
« Je ne suis pas le Dieu des morts, mais des vivants »
(Mt 22, 32). Le Fils de ce Dieu des vivants est celui qui
vient poursuivre cette affirmation : « Je suis la Résurrection
et la Vie» (Jn 11, 25)3• Par le recours au vocabulaire de la l. Faut-il rappeler (voir p. 164) que tout ce qui a été dit i::i sur la
Force de la Droite du Père et de la Puissance de l'Esprit au Résurrection comme descente et remontée des Enfers, s'appuie su� toute la
puissance symbolique de ces représentations. Le recours herméneutique à ces
catégories culturelles qui ne sont plus les nôtres n'a pas voulu pr::ndrc les
1. Dans un autre propos, expression de CIORAN, F.,xercices d'admiration, chiffres des jours (trois, quarante, cinquante) à la lettre, mais signifie...- l'épais­
Paris, 1986, p. 115. seur de la mort, non réduite à la seule instantanéité biologique; ne tient pas
2. À propos de la Pentecôte, E. JONGER, Approche, drogues et ivresses. les Enfers pour un lieu mais pour un état, celui de la mort en tant que « vie
Paris, 1991, p. 69. séparée de Dieu »; n'entend pas parler d'une descente ou d'une remontée
3. La fresque de l'église du Saint-Sauveur-in-Chora d'Istanbul porte comme « matérielle », mais d'un passage (Pasqua, Pâque) de la mort à la vie, acte·
inscription : « hè anastasis, lèsous Chrèstos ». On ne recourt pas au génitif. de Dieu envers Jésus et de Jésus envers nous; ne prend pas le séjour dans
comme si l'on parlait de la résurrection de Jésus (dans cc cas : tou /èsoû), les Enfers (lutte contre le Mal-Démon, prédication aux hommes décédés, etc.)
mais on proclame Jésus (fèsous, au nominatit) comme étant la Résurrection, comme une donnée empirique, mais comme l'expression de la mort et de la
conformément d'ailleurs à Jn 11, 25. résurrection de Jésus en tant qu'actes de salut.

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