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LUKÁCS, ADORNO ET LA PHILOSOPHIE CLASSIQUE ALLEMANDE

Author(s): Nicolas TERTULIAN


Source: Archives de Philosophie , AVRIL-JUIN 1984, Vol. 47, No. 2 (AVRIL-JUIN 1984),
pp. 177-206
Published by: Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/43034799

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Archives de Philosophie 47 , 1984, 177-206

LUKÀCS, ADORNO
ET LA PHILOSOPHIE CLASSIQUE ALLEMANDE

par Nicolas TERTULIAN

RÉSUMÉ : En partant des études consacrées à Hegel par Georges Lukàcs ,


Ernst Bloch et Theodor W. Adorno , sans oublier la «r Dialectique négative »
de ce dernier , l'article se propose ďesquisser certaines convergences et di-
vergences des trois penseurs (mais en prenant en considération surtout Lu-
kàcs et Adorno) dans l'interprétation de la pensée hégélienne (et plus géné-
ralement de la philosophie classique allemande). L'analyse consacrée au
livre de Lukàcs sur <r Le jeune Hegel » est effectuée dans une double perspec-
tive : à la mise en valeur des contributions originales apportées par cet ou-
vrage aux recherches hégéliennes (non sans rappeler les contestations dont il
a été l'objet , y compris les objections de Bloch), s'ajoute une lecture du livre
à travers le développement de certains de ses thèmes dans l' opus postumum
de Lukàcs , <r Zur Ontologie des gesellschaftlichen Seins », /'Ontologie de
l'être social.
La deuxième partie de l'article est consacrée surtout à éclairer la position
ambivalente d'Adorno à l'égard de la dialectique hégélienne : l'assimilation
de certains thèmes majeurs de la logique hégélienne dans la pensée de l'au-
teur de la <r Dialectique négative» s'accompagne d'une critique réitérée à
l'égard de l'idéalisme et du caractère <r affirmatif » (positif) de la dialectique
de Hegel , non sans un paradoxal <r retour à Kant ». La confrontation Lukàcs
- Adorno , à travers leur interprétation divergente de certaines thèses hégé-
liennes , permet de dégager les racines philosophiques de la controverse qui
les a opposés , ainsi que la spécificité de chacune des deux positions à l'égard
du héritage hégélien.

SUMMARY : Hegel and German classical philosophy interpreted by G.


Lukàcs, E. Bloch and T.W. Adorno , specially in G. Lukàcs 's «Der junge
Hegel » and <r Zur Ontologie des gesellschaftlichen Seins ». Adorno (« Ne-
gative Dialektik ») criticizes sharply the positive (* affirmative ») character
of the hegelian dialectics. The opposition between him and G. Lukàcs.

Le livre de Georges Lukàcs sur Le jeune Hegel , peut être regardé de


plusieurs manières. On peut le prendre en considération exclusivement
comme un livre d'histoire de la philosophie et, dans cette perspective,
s'interroger sur le bien-fondé de sa méthode. On peut, par exemple, se
demander si le rôle décisif dans la genèse de la dialectique hégélienne

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doit être attribué, comme le fait


par Hegel des contradictions de la
sous ses yeux, et surtout à la déco
faits économiques qui fondaient
perspective lukácsienne, due à son
tions économiques de Hegel dans l
provoqué depuis le début de violen
connaissance de la parution du liv
« Sur les rapports entre la dialect
Croce, dans un fort mouvement d
qu'il nomma les « élucubrations du
G. Lukács »...* Nous n'avons cepen
trant que B. Croce se soit décidé à
nous est permis de supposer qu'ay
du livre, il s'en soit refusé la lectu
L'énergie avec laquelle Lukács s'es
tation donnée aux écrits du jeune
Haering - interprétation dans le s
sophie de la vie) - la violence de s
mais surtout le caractère extrêmem
l'existence d'un jeune Hegel éminem
bâtir une nouvelle religion aurait ét
sous l'influence de la Révolution F
et démocratique-révolutionnaire, n
ver des objections. Nombre de co
réfutation par Lukács d'une « péri
surtout, l'accent unilatéral mis su
Christianisme, sans tenir compte de
pour la forme originaire de cette re
pourrait citer ici le livre de Günthe
tion , mais celui d'Adrien Peperzak
du monde , par sa prise de positio
lisme partisan des thèses lukácsien
tique d'un type de réaction. Parad
démarche essentielle, n'est pas
lukácsienne de l'évolution du jeune
de « réduire chez Hegel la religion
possible sur la problématique reli
avoir mentionné une seule fois da
Vie de Jésus écrite par Hegel à Be
très drastique : « Mais Lukács cou

1. Benedetto Croce, Indagini su Hegel e s

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L UKÁ CS, ADORNO 1 79
méthode honteuse par le voile d'une érudition aveugla
impressionner un lecteur non averti »2.
Même si l'on s'accorde, sur des points très particulie
objections de Peperzak (il est étonnant, en effet, que l'aute
Hegel n'ait fait aucune mention de l'écrit sur la vie de Jésu
nous, indubitable que « l'érudition aveuglante » de Lukác
toute autre fonction que de tenter de donner crédibilit
insoutenable. La vérité est que Lukács a bouleversé p
l'interprétation traditionnelle de l'œuvre de Hegel et qu'il a
élargir de manière sensible la sphère des recherches hég
il l'a réalisé par la mise en valeur de la richesse et de la com
rapports de Hegel avec la réalité économique et sociale d
En valorisant par une analyse très scrupuleuse tous les text
dans ce sens, il a jeté un éclairage tout à fait nouveau su
la dialectique hégélienne.
Par un effort analytique impressionnant, Lukács a essayé
trer dans le chapitre sur la période francfortoise du j
(1797-1800), que ce sont les contacts tâtonnants avec le
tions de la société bourgeoise cristallisée à la fin du XV
tension éprouvée vis-à-vis de « l'objectivité morte » (le cara
des rapports inter-humains forgés à l'intérieur de cett
auraient aiguisé le sens de Hegel pour la contradiction co
du développement historique. Sa conception de la relatio
conscience-réalité, serait devenue beaucoup plus souple e
tique grâce à sa pénétration dans le « ferment » des co
propres au nouveau type de société. Il est certain que le
méneutique proposée par Lukács repose sur un ensembl
tions établies entre l'enchaînement des concepts hégélie
structure socio-historique que l'interprète déchiffre en fili
ainsi que dans les contradictions incluses dans les écrits hég
période de Francfort - contradictions entre la « multiplicit
finis et l'aspiration à l'unité, entre la « séparation » ( T
« l'opposition » ( Entgegensetzung ) de ces êtres et la force
l 'amour, entre la mortification par la soumission à la m
régénération grâce toujours à la puissance vivifiante d
Lukács voit se reproduire la contradiction centrale vécu
l'époque : celle de la « positivitě » (la force aliénante) d
rapports sociaux instaurés par le règne de la bourgeoisie et
irrépressible du philosophe à l'homme intégral.
On peut également aborder le livre sur Le jeune Hegel d'u
vue différent de celui de l'historien de la philosoph

2. Adrien T.B. Peperzak, Le jeune Hegel et la vision morale du mo


Nijhoff/La Haye/ 1960, p. 26.

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allemande, intéressé avant tout pa


lukácsienne de l'évolution du jeun
compliqués du parcours philosoph
raire à travers les rapports entre les
losophie de l'époque (Kant, Fichte,
macher), on se rend compte qu'
exposé purement historique. Le disco
« tendancieux » (au bon sens du te
position pour Fichte contre Kant,
Hegel contre ses trois grands cont
contre « l'école romantique ». En s
dans ce paysage philosophique d'u
celui de la philosophie classique all
d'une certaine conception des rappor
vité, entre la conscience et la réal
sion et l'accomplissement dans les de
l'auteur : YEsthétique et YOntolog
controverses philosophiques majeu
selon Lukács par des victoires et d
pour nous l'intérêt d'une « archéo
là, étape par étape, à la genèse d'un
que Lukács, en suivant Marx, va r
dernières œuvres.
L'un des symptômes en est ce grand intérêt que Lukács accorde tou-
jours à la critique formulée par le jeune Hegel envers la morale de
l'impératif catégorique que Kant développe dans sa <r Critique de la
raison pratique ». Le jeune Hegel était en rebellion contre ce qu'il
considérait comme le morcellement de l'être humain dans l'éthique de
Kant. La protestation passionnée du jeune Hegel contre le caractère
tyrannique du devoir-être kantien (le fameux Sollen) était dirigée
contre l'universalité formelle des exigences kantiennes, contre leur
souveraine indifférence envers la richesse contradictoire de l'être
sensible, avec la multiplicité de ses pulsions, inclinations et sentiments.
Hegel plaidant pour les droits inaliénables de l'être particulier contre le
despotisme de la « volonté pure » kantienne, défendait une morale
souple, flexible, adaptée à la variabilité des circonstances concrètes.
On peut comprendre le vif intérêt de Lukács pour cette démarche de
pensée du jeune Hegel réclamant explicitement qu'à la base de la
morale et de l'activité humaine en général, soit situé l'être (das Sein)
avec la multiplicité infinie de ses déterminations concrètes, et non le
devoir être (Sollen) dans le sens kantien du terme : abstrait, cœrcitif et
impersonnel. Ne sommes nous pas habilités à dire que Lukács va
totalement assimiler cette critique de la morale kantienne en l'intégrant
comme un motif central de son œuvre de maturité qui culminera

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précisément dans une Ontologie , donc dans u
suprématie de l'être infini sur la conscience finie ?
En suivant la lutte de Hegel contre l'idéalisme sub
de Fichte, Lukács la valorise comme une grandios
prérogatives de la subjectivité transcendantale, c
opération dont la finalité est la réappropriation
déterminations objectives. En effet, Hegel s'est élevé,
léna, dans la Differenzschrift et dans Glauben un
Savoir ), contre la thèse de Fichte sur l'auto-constitut
le pouvoir souverain de. la subjectivité, contre le prog
de résorption du non-moi (le monde objectif) dans
C'est justement cette volonté hégélienne d'épouser les
d'« abandon » à la chose elle même, d'émergence da
profondes qui a soulevé l'enthousiasme de Lukács a
d'Adorno. La subjectivité hégélienne est en même t
tuante et hétéro-conditionnée : c'est seulement grâce
dans les strata hétérogènes du réel qu'elle arrive en
dynamiser et à se constituer. « Hegel se plie partout
de l'objet, partout l'objet retrouve toujours pour lu
mais c'est précisément cette subordination à la dis
qui exige l'extrême contention du concept ( die A
Begriffs). Celle-ci triomphe à l'instant où les int
s'éteignent dans l'objet »3. Chaque acte du grand
qu'offre le développement de la philosophie classi
ses controverses - entre Fichte et Kant, Schelling
Kant, Fichte, Jacobi ou Schelling - devient ainsi,
son dénouement, un pas en avant vers la constitution
sophie de notre temps.
La défense par le jeune Hegel de la morale de Jésus
de Kant, de la morale de 1'« homme intégral » con
rigoriste de la « volonté pure » kantienne, peut êt
comme une défense des droits imprescriptibles du pa
logique dominatrice de Yuniversel formel. La crit
jeune Hegel contre la dissolution de la richesse de
concrètes dans le « bain sulfurique » de l'univers
reprendre une expression qu'utilisera Sartre par la su
que l'universel épouse le mouvement des détermi
sans se détacher d'elles d'une manière souveraine, a
devenir par un processus de radicalisation, la thèse
de l'être au savoir, défendue par Lukács dans son

3. Theodor W. Adorno, Drei Studien zu Hegel, Suhrkamp,


Seminaire du Collège de Philosophie, Trois études sur Hege

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thèse du substrat non-identique de t


développée par Adorno dans sa Dia
En analysant, par exemple, le conc
dans la nouvelle introduction à son
la religion chrétienne , Lukács y déc
intéressante de la conception ultérieu
oppose l'idéal aux concepts universe
l'abstrait et à l'anti-historique » dit L
de la citation de Hegel : « Mais un i
autre chose que les concepts universe
et la relation de l'homme à Dieu. L'
rité, la déterminité et exige même à
sentiments, des usages religieux, une
ce qui, à la lumière des concepts u
glace et pierre. »4 Cette volonté d
appelait à l'époque « l'idéal de la n
déterminations particulières, sing
l'homme, est interprétée par Luká
chez lui de l'idée suivant laquelle l'universalisation conceptuelle
n'entraîne pas nécessairement - comme l'admet la logique formelle -
un appauvrissement toujours croissant du contenu : au contraire, la
véritable universalisation philosophique est d'autant plus riche et plus
concrète (par la quantité de déterminations qu'elle dépasse) qu'elle se
trouve à un stade plus élevé d'universalité. »5
Mais Lukács ne peut pas se cacher que cette défense passionnée des
droits du particulier et du singulier dans l'histoire du genre humain se
développe, chez le jeune Hegel de la période de Francfort, dans le
cadre d'un éloge de la religion, dépositaire de cette richesse concrète,
s'accompagnant d'une critique explicite contre l'arrogance de l'enten-
dement et de la raison des Lumières* coupables d'avoir traité souvent
avec dédain cette variation historique des besoins humains. « Les
concepts universels de la nature humaine sont trop vides pour pouvoir
fournir un critère qui déterminerait les besoins particuliers et
nécessairement plus variés de la religiosité » écrivait Hegel dans la
même introduction à l'opuscule sur la Positivité... En reconnaissant
dans des textes de ce genre les grands progrès accomplis par le jeune
Hegel vers une historicisation de sa conception du monde, Lukács
censure en même temps, ici comme ailleurs, l'idéalisme et les glisse-
ments dans la religion chez Hegel. C'est justement ce souci perpétuel

4. Hermann Nohl, Hegels Theologische Jugendschriften , 1907, p. 142.


5. Georg Lukács, Der junge Hegel , Werke, Bd. 8, Luchterhand 1967, p. 239 trad,
par Guy Haarscher et Robert Legros, Le jeune Hegel Gallimard 1981, vol. I, p. 369.

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LUKÁCS, ADORNO 183
de Lukács de distinguer chez le jeune Hegel les p
constitution du « noyau rationnel » de sa philosophie
mystique » (de l'époque de Francfort) ou des envolées
qui a provoqué les remontrances assez sévères à son é
d'Ernst Bloch.
Bloch reproche à Lukács d'avoir majoré d'une façon unilatérale les
aspects de la pensée de Hegel qui la rapprochent directement de Marx
en diminuant d'une manière coupable la fécondité de la « confrontation
avec le religieux » dans les écrits du jeune Hegel. Le mécontentement
de Bloch est provoqué surtout, non sans raison, par l'abus d'adjectifs
tels que « confus, nébuleux, mystique, métaphysique » dont Lukács fait
usage soit pour rabaisser, soit pour excuser le Hegel du Sturm und
Drang . Comme on pouvait s'y attendre de la part d'un penseur
sensible aux richesses de pensée incluses dans les utopies millénaristes
et dans les écrits des grands mystiques du passé, la tendance de Bloch,
contraire à celle de Lukács, est d'accorder du poids aux rapproche-
ments entre Hegel et Meister Eckhart ou Jakob Böhme, ou même entre
Hegel et Hamann, philosophe hostile aux Lumières et considéré
comme l'un des grands précurseurs du romantisme. C'est de cette
perspective que se nourrit la conviction de Bloch sur la solidarité
intime qui existerait entre les penchants religieux du jeune Hegel de la
période de Francfort et les germes de la grande pensée dialectique : le
« mysticisme » du jeune Hegel ne serait que l'expression de la volonté
de transcender les « déterminations durcies des phénomènes » et de
retrouver leur vie intérieure. Or cette solidarité intime aurait été
minimisée par Lukács, sinon défigurée, par son utilisation obstinément
péjorative du mot « mystique ». « ... L'analyse, par ailleurs excellente,
que présente Lukács sur le jeune Hegel » écrit Bloch dans son livre
Sujet-Objet , Éclaircissements sur Hegel - précisément par sa sérénité
et son sérieux, attire l'attention sur un Hegel dont on ne peut se
débarrasser en lui appliquant l'épithète de mystique, entendue dans un
sens trop général... car la période mystique de Hegel est celle qui lui
ouvrit l'accès à bien des problèmes, à des déterminations terminolo-
giques, et non pas seulement terminologiques, de sa philosophie ulté-
rieure... Ainsi ce qui est par soi confrontation avec le religieux ne
saurait s'éliminer sans coup de force ni du développement historique
de la philosophie hégélienne, ni des implications de cette philoso-
phie »6.
Le reproche de Bloch est justifié, mais en partie seulement, car
Lukács est parfaitement conscient des imbrications intimes entre la
pensée dialectique et les tendances religieuses de Hegel lors de sa

6. Ernst Bloch, Subjekt-Objekt . Erläuterungen zu Hegel , Gesamtausgabe Band 8,


Suhrkamp 1962, p. 52, trad, par Maurice de Gandillac, Gallimard 1979, p. 48.

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période francfortoise. Ceci n'em


constamment, avec un scrupule exce
ment vrai qu'on peut retrouver dans
violences verbales à propos de ce qu'i
régressives dans la pensée de Hegel,
dans certains cas, tout à fait déplacé
Lorsque, dans un fragment de la pério
commentaire sur la Doctrine du Dro
discussion la thèse de Kant qui veut
pas s'occuper l'un de l'autre mais se lais
arrive à faire des considérations sur
qui le portent vers l'idée d'une unité
l'État comme fondé sur le principe
Eigentums) ce qui déterminerait une
l'homme, ancrée dans le principe de
l'homme comme une totalité vivante
Une lecture attentive du texte mont
l'unilatéralité coupable d'un État fo
dénonçait l'inhumanité et le fanatisme
tel État) par l'action d'une puissance
l'homme intégral. Lukács prend à la
synthèse entre l'État et l'Église et le
ment drastique : « Certes, Hegel n'ar
une conception correcte de la relati
l'État, mais jamais il n'est allé jusqu
réactionnaire et théocratique »8 (c'es
nous paraît évident que le pathos huma
tion de la religion du jeune Hegel, ex
théocratique et réactionnaire ; si on
non à la lettre, du fragment incriminé
une critique du principe d'avoir au n
comme totalité vivante). C'est d'ailleurs
la suite l'une des thèses centrales dé
dans sa critique de l'aliénation.
Lukács dans son livre Le jeune Hegel ,
sur Hegel mais aussi dans sa Dialectiq
Sujet-Objet . Éclaircissements sur Hege
grand éloge de la dialectique hégélien
la médiation et du devenir, qui a su

7. Dokumente zu Hegels Entwicklung , hr


p. 281-282.
8. Georg Lukács, Der junge Hegel , ibid, p. 202, trad, ibid., vol. I p. 268.

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LUKÁCS, ADORNO 185
statique que l'empirisme borné, en abolissant les dich
nelles entre la forme et la matière, l'universel et
l'immédiat et le médiat, le fini et l'infini. On peut dire que la
dialectique hégélienne est la matrice commune de la pensée développée
par chacun des trois philosophes, même si, à côté des affinités
fondamentales dans l'interprétation, dues aussi à l'influence centrale de
Marx, des différences importantes se font jour (surtout entre Lukács et
Adorno), liées à la finalité propre de chaque démarche de la pensée.
Lukács met un accent particulier sur ce qu'il nomme, une fois,
« l'objectivité splendide » de Hegel, sur son « combat héroïque » afin de
s'immerger « dans le ferment des contradictions » ( mitten im Dünger
der Widersprüche ), sur son âpre volonté d'imprégner sa pensée de la
multiplicité des déterminations et des contradictions du réel. Quelque-
fois l'analyse insiste surtout sur le souci hégélien de respecter le parti-
culier, de ne pas laisser la pensée s'égarer dans des principes généraux.
Il ne faut pas noyer la chose, car elle est irréductible, dans la pensée
de la chose. Lukács cite à un certain moment une note personnelle de
Hegel de la période de léna, publiée par Rosenkranz : « Pour étudier
une science il est nécessaire de ne pas se laisser détourner par les
principes. Ils sont généraux et n'ont pas tellement d'importance. Il
semble que seul ce qui est particulier ait de l'importance. Souvent ils
(les principes N.T.) sont également mauvais. Ils sont la conscience de
la chose et la chose est souvent meilleure que la conscience ». Lukács
voit dans cet apophtègme hégélien « la chose est souvent meilleure que
la conscience », la clé de toute la manière de philosopher propre au
jeune Hegel : « Cet 6 empirisme '... constitue un trait fondamental de la
forme spécifique de sa dialectique »9.
Ce qui est passionnant dans l'itinéraire spéculatif reconstruit par
Lukács à partir de la polémique entre Kant et Fichte, à travers les
divergences de plus en plus accentuées entre Schelling et Fichte,
jusqu'aux combats successifs de Hegel contre Kant, Fichte et Schelling
c'est que chaque épisode de ce parcours apparaît comme une étape
toujours plus avancée dans un mouvement de pensée qui se développe
irrésistiblement, souvent à l'insu de la conscience qu'en ont les
protagonistes eux-mêmes, dans une direction unitaire : il s'agit d'ouvrir
des brèches de plus en plus profondes dans l'auto-suffisance du
pouvoir constitutif de la subjectivité, de reconquérir dans toute sa
largeur et toute sa profondeur la dimension de l'objectivité, de
redonner au tissu de l'objet sa densité et sa complexité, de démontrer
finalement que c'est seulement à travers la confrontation avec la
richesse des déterminations objectives que la subjectivité peut arriver à

9. Ibid. p. 325-326, trad, ibid vol I, p. 407-408.

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son épanouissement. Il s'agit, en un


l'idéalisme subjectif à l'idéalisme objec
Kant était mécontent que Fichte acc
Science une place importante à la
connaissance. « Car une pure théorie d
sa réponse à Fichte de 1799 - n'est
logique dont les principes ne parvienn
connaissance, mais qui, en tant que p
contenu de la connaissance ; vouloir, à f
un objet réel est une tentative vaine et
faut tout d'abord, s'il s'agit de la phil
saut dans la métaphysique. »10
En incluant dans sa Théorie de la Sci
la « matière de la connaissance », ma
Fichte ouvrait ainsi une voie qui v
hégélienne. Lukács observe à juste
l'inclusion du contenu des problèmes
un élément très important de la logique
a supprimé le rigide dualisme kantien
en soi inconnaissable. En postulant la
l'activité instituante du Moi, en dissolva
les déterminations du Moi constitut
radicalisation de l'idéalisme subjectif, à une conception plus
dynamique de la relation sujet-objet que celle développée par Kant.
Lukács et Adorno reprochent tous deux à la théorie kantienne de la
connaissance son caractère relativement statique, le fait que les catégo-
ries constitutives de l'expérience sont acceptées comme données, ne
sont pas déduites dialectiquement l'une en fonction de l'autre. « La
problématique typique de la critique kantienne : ' Il y a des jugements
synthétiques a priori - comment sont-ils possibles ? ' » - écrit Lukács
à propos de Kant - « montre que Kant comprend les catégories et leurs
relations comme quelque chose de donné »12. Adorno note à son tour,
dans la première de ses Trois Études sur Hegel , à propos de la phi-
losophie kantienne : « Autant, d'un côté les formes catégoriales du
Je pense nécessitent un contenu qui est donné et ne procèdent pas
d'elles-mêmes, pour rendre possible , la vérité, c'est-à-dire la connais-
sance de la nature, autant, de l'autre côté, le Je pense lui-même et les
formes catégoriales sont respectées par Kant comme des sortes de don-

10. Fichte's Leben vol. II, p. 161-162, cité par Xavier Léon in Fichte et son temps ,
Librairie Armand Colin, vol. II, 1958, p. 121-122.
11. G. Lukács, Der junge Hegel , ibid. p. 309, trad. ibid. vol. I, p. 390.
12. Ibid., p. 311, tr. ibid., vol.1, p. 392.

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LUKÁCS , ADORNO 187
nées ; à cet égard, la Critique de la raison pure , au mo
phénoménologie de la subjectivité qu'un système spé
Chez Fichte, pour la première fois, par la position et
Moi et du Non-Moi, se fait jour une conception dia
antithèse, synthèse) de la relation sujet-objet et
acquièrent une genèse . Mais Fichte conçoit la natu
réalité objective, seulement comme une limite de la con
une donnée à laquelle s'applique l'activité formatrice
et qui n'existe effectivement que grâce aux lois imman
« ... en vérité, elle est trouvée non selon ses propres loi
lois immanentes de l'intelligence. »14 C'est seulemen
que la Nature, dans la plénitude et la richesse de ses
fait son irruption spectaculaire dans la philosop
allemande. Le fait que Schelling réclame la légitimité d'une
Philosophie de la Nature à côté de la Théorie de la Science fichtéenne,
marque un pas en avant décisif vers la reconnaissance d'une autono-
mie ontologique de la nature par rapport à la conscience, même si la
nature de Schelling reste toujours une émanation de l'Esprit : le
divorce avec Fichte devient inéluctable. Ernst Bloch a toujours célébré
« le dyonisiaque Schelling » et Lukàcs a reconnu dans les considéra-
tions dialectiques de Schelling sur la nature sa grande contribution à la
philosophie et le point le plus avancé de sa pensée.
Dans ses premiers écrits de la période de léna, Hegel a développé un
travail théorique extraordinaire pour soumettre à la critique la
« philosophie de la réflexion », nom sous lequel il désignait la pensée de
Kant, Fichte et Jacobi. Il reprochait essentiellement à la philosophie
de Kant et de Fichte de maintenir un rapport de juxtaposition entre la
multiplicité empirique des phénomènes finis et le pouvoir unificateur
du concept infini, de ne pas arriver à incorporer effectivement la
richesse phénoménale dans la synthèse conceptuelle, de se cantonner
dans les déterminations finies de l'intellect ( Verstand) et de ne pas
déboucher sur une compénétration effective de l'apparence et de
l'essence, jusqu'à leur vraie identité, établie par le pouvoir spéculatif de
la Raison (Vernunft). La philosophie qu'il critiquait ne réussissait pas,
d'après lui, à « digérer » effectivement les phénomènes (les apparences),
à épouser leurs contours concrets, leurs articulations et leurs liaisons
intimes grâce au travail concret d'une Raison dynamique : la réalité
conservait quelque chose d'une extériorité morte, d'un residuum non

13. Th. W. Adorno Drei Studien zu Hegel , ibid., p. 20, trad. ibid. p. 22-23.
14. Fichtes Briefe , vol. II, p. 292-293, cité par Lukács, ibid. p. 319, tr. ibid. vol. I,
p. 401.

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188 N. TERTULIAN

assimilé intégralement, le fini n'ét


absorbé dans la totalité infinie. La volo
les déterminations finies de la réalit
leur logique immanente, non pas po
équivaudrait à réduire le monde à un
les dépasser continuellement en altern
et l'opposition avec la tendance à leu
le double mouvement, contradictoir
hégélienne : l'extraordinaire soumissio
qui a séduit aussi bien Lukács qu' A
ment d'un inlassable travail de médi
Ce travail ne se propose pas de réso
dans le sujet, d'arriver à ce qu' Ador
trois études sur Hegel « l'univocité
travail de médiation de la subjectivité
minations durcies des phénomènes », à
du réel, à découvrir des articulation
accéssibles à l'intuition immédiate, m
dans l'idéalisme hégélien la résorbti
une mythique identité objet-sujet.
Adorno, Bloch et Lukács se rencon
philosophie hégélienne comme une vic
de l'idéalisme subjectif ; ils converg
d'avoir développé une pensée « qui s
objet », qui s'efforce d'intégrer dan
l'opacité, la résistance et la dureté con
dans le chapitre consacré à Hegel dan
qui porte le titre « La fausse et la vr
que ce dernier était possédé par un
authentique comme on ne peut pas
penseur depuis Aristote ».
Dans son livre sur Le jeune Heg
remarquables à la différence et à
hégélienne par rapport à celle de so
jeunesse Schelling. La volonté obstin
respecter scrupuleusement les détermi
ver à leur dépassement nécessaire à tr
développées dans l'immanence de l'o
de lui, de faire de la contradiction et d
(non pas de l'être-supprimé comme
de la réalité : voilà des traits distinc
n'a jamais témoigné la moindre sym
tructif » de l'idéalisme de Schelling, p
la fameuse « intuition intellectuelle

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LUKÁCS, ADORNO 189
contact immédiat avec l'absolu par dessus les limites et
de l'entendement. L'opposition statuée entre la « physion
tuelle » de Hegel et celle de Schelling, entre une méthod
« patience du concept », sur le dur travail du négatif, su
laborieuses, souvent pénibles, du premier et celle fondé
divinatoires, des « élans de génie » du second, est profon
trice de la physionomie intellectuelle de Lukács lui-mêm
aimé le style spectaculaire et les grands gestes inspirés
Dans son livre sur Thomas Mann il oppose à cette f
pher de Schelling, celui qui, d'après la remarque crit
accompli sa formation philosophique aux yeux du p
extrêmement consciencieux (gewissenhaft) et scrupu
Mann, sa rigueur et sa réserve bourgeoise exemplair
subtile entre la volonté de faire de son œuvre un « miroir du monde » et
l'expression de la conscience d'un bourgeois allemand caractérisée par
l'intégrité morale et par l'éthique du travail bien fait. En se posant la
question de savoir si ces deux exigences ne sont pas contradictoires
(l'œuvre comme « miroir du monde » et « conscience de la bourgeoisie
allemande ») Lukács répond par la négative et fait l'éloge de Thomas
Mann qui se cantonne dans l'immanence de la réalité à partir de
laquelle, sans quitter à aucun moment son sol ferme, il laisserait trans-
paraître progressivement son idéal : « L'impératif moral n'a pas besoin,
comme chez Kant et en grande partie chez Schiller, de s'opposer à la
réalité par sa nature tout à fait différente. Il peut naître, à la façon
hégélienne, de l'identité tout à fait contradictoire de l'apparence et de
l'essence. La conscience n'est alors que la mise en demeure : deviens
celui que tu es, sois conforme à ton essence, développe, en dépit des
influences fâcheuses du monde intérieur et extérieur, ce qui, comme
noyau essentiel, vit et se meut sans cesse au fond de toi »14bis. On peut
voir ici sur un exemple concret comment la pensée de Hegel, surtout
pas sa critique du moralisme et du devoir-être kantien et fichtéen, a
fourni un des principaux fondements théoriques à l'esthétique du
réalisme de Lukács. Quant à la critique portée par Hegel contre
Schelling, Adorno y souscrira avec non moins d'énergie que Lukács,
en dénonçant le dogmatisme de « l'intuition intellectuelle » comme
forme de contact avec l'Absolu15, tandis qu'Ernst Bloch adoptera une
position bien plus compréhensive vis-à-vis de Schelling, ce qui le
conduira vers des divergences significatives avec Lukács.
La thèse centrale du livre de Lukács sur Le jeune Hegel soutient que
la maturation de la pensée dialectique de Hegel s'est faite au fur et à
mesure qu'il s'est détourné des illusions jacobines de sa première

14bis. G. Lukács..., Thomas Mann in W. Bd. 7, p. 511, Neuwied-Berlin 1964.


15. Th. W. Adorno, Drei Studien zu Hegel , ibid. p. 15, tr. ibid., p. 16.

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190 N. TERTULIAN

jeunesse et qu'il a accepté la sociét


une réalité historique nécessaire d
la diversification ou de la « privat
même à cette société une supério
toujours admirée et glorifiée. Il aura
de ce nouveau type de société, aurait
plicité de ses contradictions et au
dans le « ferment des contradictio
forme moderne. A la fidélité lon
Hölderlin à l'égard de l'idéal jacobi
de Hegel et son esprit d'accommo
post-révolutionnaire. La thèse appa
Jeune Hegel tient à ce que le rigor
aurait provoqué l'arrêt et, finalemen
face à la nouvelle réalité post-r
Lukács, l'esprit de conciliation, la
deviennent source de l'extraordin
expliquerait pourquoi le bourgeoi
l'époque moderne et non pas le dé
Un problème s'impose ici, qui tou
de Lukács lui-même : la manière dont il reconstruit l'itinéraire
politique et philosophique de Hegel, depuis les écrits inspirés par
l'esprit républicain et révolutionnaire jusqu'au « sobre réalisme » qui se
fait jour dès les écrits de léna, la compréhension particulière dont il
témoigne à l'égard de l'acceptation hégélienne de la société post-
révolutionnaire comme réalité irréversible, ne représentent-elles pas
une expression déguisée, par le truchement de la biographie du jeune
Hegel, de son propre parcours intellectuel, depuis le messianisme et le
volontarisme utopique des écrits de jeunesse de la période de Histoire
et conscience de classe jusqu'à l'apologie inconditionnelle du réalisme
dans les écrits de la maturité ?
Lucien Goldmann a soulevé le premier ce problème avec beaucoup
d'intuition, mais sous une forme qui nous paraît fort discutable. Dans
l'article sur Lukács écrit pour 1 'Encyclopedia Universalis , Goldmann
rappelle la caractérisation par Trotsky du stalinisme : dictature
bonapartiste (concept qui désignerait la réalité sociale des dictatures
post-révolutionnaires en général). Goldmann affirme, sans étayer cette
affirmation par des preuves tangibles, que Lukács aurait admis cette
caractérisation du stalinisme comme bonapartisme, mais dans un sens
tout à fait différent de celui que lui donnait Trotsky. Son hypothèse est
que Lukács a adhéré au stalinisme parce qu'il avait établi, même sans
l'avouer sur le plan politique, un parallélisme entre la dictature stali-
nienne comme expression nécessaire d'une situation post-
révolutionnaire (« devant la menace hitlérienne, Lukács adhère au

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LUKÂCS , ADORNO 191
stalinisme ») et la dictature napoléonienne instaurée
la pression militaire du monde réactionnaire extérieu
les conquêtes essentielles de la Révolution. C'est par
logique, si on prolonge le raisonnement de Goldmann
rait mis consciemment entre parenthèses à l'époque
lemment répressifs du stalinisme, dénoncés avec tan
Trotsky, et qu'il l'avait accepté comme une forme d
Mais c'est surtout ainsi que Goldmann explique l'apo
de Goethe et de Hegel dans les écrits de Lukács des a
critique hongrois aurait vu en eux les deux seuls grands
mands ayant compris la signification du fait napol
qu'aspect de la Révolution française et s'étant ralliés,
tion, à l'action de Napoléon. L'hypothèse de Goldman
min dans des écrits plus récents (sous forme aggra
Lukács à l'égard de la sagesse résignée des œuvres d
Goethe ou de « l'accommodement » de Hegel à la soci
dorienne devient, dans cette interprétation, une sorte d
sa propre résignation (pour ne pas dire capitulation)
post-révolutionnaire de la Russie stalinienne. C'est
désenchantement par rapport à ses propres illusions de
poussé aussi bien à la compréhension de la tragédie d
l'impasse de la philosophie de Fichte que de la substa
œuvres de Goethe et de Hegel. H existe même un tém
tant de Cesare Cases, germaniste italien, ami de Luká
Lukács lui-même ne niait pas que sa reconstruction d
jeune Hegel puisse être regardée comme une « allégorie
cheminement depuis la frénésie révolutionnaire
conscience de classe jusqu'à la résignation devant la réalité
contraignante de l'époque post-révolutionnaire dans les écrits
postérieurs16. Même si on laisse de côté la suggestion de Goldmann
selon lequel Lukács aurait admis une analogie entre le règne
napoléonien et le règne stalinien, ce qui expliquerait son intérêt
passionné pour des figures comme Goethe et Hegel (sous cette forme le
raisonnement nous paraît peu convaincant), il nous semble
vraisemblable que l'éloge du « réalisme » de Hegel et surtout la façon
dont Lukács démontre que la dialectique de Hegel s'est forgée par
l'immersion « dans le ferment des contradictions » de la société dont il
était contemporain, se sont nourries de sa propre expérience socio-
historique : c'est l'expérience de la dureté, de l'opacité et de la
résistance contraignante du réel par rapport aux illusions volontaristes
et messianiques de sa jeunesse, l'expérience de la « ruse de l'histoire »

16. Cf. l'introduction de Cesare Cases au recueil Lehrstück Lukàcs , hrsg. von
Jutta Matzner, Suhrkamp 1974, p. 54.

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192 N. TERTULIAN

et de l'inégalité de son développemen


de la soumission de la matière histor
Lukács pouvait retrouver dans la « g
hégéliennes.
Certainement Lukács ne passe sou
livre sur Le jeune Hegel , l'idéalis
hégélienne : sa thèse, qui a provo
d'Eric Weil (il la trouvait probable
marxiste) soutient que la vision extr
sociales chez Hegel ne pouvant pas
dans l'immanence du processus soc
sophe allemand l'a projetée dans le
sujet-objet. L'impossibilité objec
antagonismes sociaux aurait eu com
fictive de ces contradictions dans l'id
le sujet.
L'attitude d'Adorno à l'égard de Hegel est, grosso modo, aussi
ambivalente que celle de Lukács : éloge superlatif pour la volonté
hégélienne de plonger par la pensée dans l'immanence des choses,
d'épouser au maximum leurs contours et leurs articulations, leurs
relations et leur dynamique, donc pour le puissant mouvement vers
l'objectivité chez Hegel, mais en même temps une critique réitérée à
l'égard de son idéalisme philosophique, de la restauration finale du
primat du sujet par la thèse de l'identité du sujet et de l'objet. Adorno,
lui, souligne que ces deux mouvements contradictoires sont intimement
imbriqués dans la pensée de Hegel : « Si Hegel peut penser à partir de
la chose, s'en remettre en quelque sorte passivement à son contenu
propre, c'est seulement parce que, grâce au système, elle est référée à
son identité avec le sujet absolu. Les choses parlent elles-mêmes dans
une philosophie qui se fait forte de prouver qu'elle-même ne fait qu'un
avec les choses ».n
Mais la confrontation d'Adorno avec la dialectique de Hegel, qui
revient comme un leitmotiv tout au long de son œuvre, a des nuances
très particulières dictées par ce qui forme le noyau de sa propre
pensée. Le principium movens de la réflexion d'Adorno est la volonté
de défendre, sur tous les plans, les droits imprescriptibles du singulier,
du particulier, de l'individuel, contre la pression envahissante des
mécanismes suprapersonnels, contre la puissance dominatrice des
systèmes totalitaires, contre l'hégémonie répressive de ce qu'il appelle
la « mauvaise universalité ». La caractéristique de ses raisonnements
est qu'il associe sans cesse la critique des sociétés fondées sur
l'asservissement de l'individu à des structures uniformisantes, qu'il

17. Th. W. Adorno, Drei Studien zu Hegel , ibid., p. 13, trad. ibid. p. 14-15.

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LUKÁCS, ADORNO 193
s'agisse de celles dominées par le principe d'écha
soumises à l'hégémonie d'un parti unique, à la critique d
pensée fondés sur la prééminence de l'universel sur
sujet transcendantal sur le sujet empirique, de l'iden
identique. C'est comme si toute pensée qui affirme la
natrice du concept sur la matière rebelle du non
l'empirique), de la pensée identifiante sur le singulier n
sujet sur l'objet (et ici est visé aussi tout l'idéalis
lemand) cautionnerait par sa structure même, sur le pla
mination des forces suprapersonnelles sur les individ
collective de la singularité, le sacrifice de l'individu
qui le dépasse nécessairement. Penseur d'un « temp
(c'est à Adorno, plutôt qu'à Heidegger, qu'on devrait
formule utilisée par Karl Löwith à l'égard du sec
Denker in dürftiger Zeit) Adorno veut faire de
philosophique le porte-parole de la singularité outrag
trop longtemps déconsidérée, d'après lui, par les sys
traditionnels (y compris celui de Hegel), ceux qui auraie
la prééminence du concept et de la totalité au détr
conceptuel et des moments particuliers. Un passage de l
la Dialectique Négative exprime clairement ce prog
donné la situation historique, la philosophie a son vé
où Hegel, d'accord avec la tradition, exprimait son dé
non-conceptuel, l'individuel et le particulier, dans
Platon - a été écarté comme éphémère et négligeable et
colla l'étiquette d'existence paresseuse. Son thème s
ravalées par elle comme contingentes au rang de quanti
Ce qui presse le concept c'est ce à quoi il n'atteint pas, c
mécanisme d'abstraction, ce qui n'est pas déjà un ex
cept ».18
La technique du raisonnement d'Adorno est la rétroversion directe
(je dirais presque brutale) des théorèmes philosophiques en réalités
socio-historiques. Il y a chez lui une osmose quasi perpétuelle entre la
critique des principes de la grande philosophie traditionnelle et la
critique des différents types de sociétés que l'humanité a connus
jusqu'à présent : c'est comme si ces principes n'avaient d'autre
fonction que de justifier et de transfigurer ces sociétés.
Lorsqu'il lui arrive, et c'est souvent le cas, de dénoncer la
prééminence de l'universel sur le particulier (péché dont il accuse aussi
la philosophie hégélienne), il vise au fond des universaux sociaux

18. Th. W. Adorno, Negative Dialektik , Gesammelte Schriften, Bandó,


Suhrkamp, Frankfurt am Main 1973, p. 19-20, trad, par le groupe de traduction du
Collège de philosophie, Dialectique négative , Payot, Paris 1978, p. 15.

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194 N. TERTULIAN

précis : il pense au fait que la sociét


socialisation progressive de la vie indiv
à créer des structures contraignant
principe d'échange en économie, l'Ét
mais qui, en fonctionnant de par leur
tanéités singulières, s'imposent à la mu
généralité impérative, non pas comm
diversité de leurs aspirations. La prédo
dans les systèmes philosophiques du
transfiguration justificative de c
contraignante (la généralité sociale)
sujets individuels dans les sociétés
tion). Écoutons Adorno lui-même : «
qui a la préséance sur l'individu et sa
de la société totalement socialisée. E
philosophique d'identité absolue, en
rieur d'elle-même. Élevée au ran
fallacieusement rehaussée au dépens
prééminence, qui, pour la tradition ph
présente le summum bonum , est en f
mum . Quelque chose de la transcendan
dans l'unité comme Idée lui appartien
La force percutante des raisonne
chaque fois qu'il pointe son doigt acc
des mécanismes collectifs qui, tout
existantes jusqu'à présent pour régle
survie de l'espèce, ne s'accompagnent p
traite » intrinsèque, d'une ablation des
plus intimes des sujets qui composen
telles structures collectives qui lui fou
ce qu'il nomme la « dictature » ou la
versel visé par Adorno est celui q
l'intimité du particulier, à respecter e
singulières, pour établir un rapport
nie d'un tel universel aboutit donc nécessairement à une fausse
réconciliation entre le général et le particulier car elle perpétue, au
fond, la scission entre le collectif et l'individuel, la domination du
premier sur le second. Le reproche principal qu' Adorno adresse à
Hegel, reproche qui est un leitmotiv dans la Dialectique Négative , est
d'avoir privilégié dans sa démarche, malgré les tendances contraires
inhérentes à sa pensée dialectique, l'universel par rapport au
particulier, d'avoir transfiguré le premier dans une force

19. Ibid., p. 309, trad. ibid. p. 246.

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LUKÁCS, ADORNO 195
obligatoirement positive sans tenir compte du fait
réelle, la généralité sociale in actu (les lois économiqu
réglée par le principe d'échange, les normes juridiques d
les prescriptions de l'État, etc.) est bâtie souvent sur
qu'il y a de spécifique et d'irréductiblement qualitatif
dus. Voilà le tableau mis en avant par Adorno pour ap
« La collectivité ( Allgemeinheit ) qui reproduit la co
vie, la met également en danger. La violence de l'univ
des Allgemeinen) en train de se réaliser n'est pas, co
Hegel, identique à l'essence des individus, mais elle l
toujours contraire. Non seulement ils sont, dans un
mique prétenduement à part, des masques de théâtre
valeur. Mais même là où ils imaginent avoir échapp
l'économie, jusqu'au tréfonds de leur psychologie, la m
l'individuel insaisissable, c'est sous la contrainte de l
réagissent ; plus est grande leur identité avec lui, plu
retour leur non-identité avec lui, dans la mesure où
sans défense. Dans les individus eux-mêmes s'exprime
la situation d'antagonisme maintient le tout, individu
La description d'Adorno devient particulièrem
lorsqu'elle montre que les individus arrivent à agir d
contrainte sociale (de l 'universel), qui est ainsi aidée à s'
que les individus agissent ainsi non pas de leur propre g
leur propre conscience, sous la pression des impératifs d
tion. « D'innombrables fois, même des hommes consc
d'une critique de l'universalité sont contraints p
inesquivables de l'autoconservation à des actes et à d
aident l'universel à s'affirmer aveuglément, alors q
conscience, ils s'opposent à lui ». Et, de nouveau, Heg
responsable (mais on peut se demander sérieusement
en raison de son culte de l'Idée qui aurait sanctionné
ment la subordination coupable de l'individu à la tota
la fausse conciliation entre les deux : « C'est uniquem
doivent, pour survivre, prendre à leur compte ce qui leu
que surgit cette apparence de conciliation que la
hégélienne, incorruptible dans sa reconnaissance de la
l'universel, avait la corruption de transformer en Idée »
Adorno est persuadé que pour sauver l'irréductibilit
l'individuel, il faut soumettre à une révision sévère
théorèmes fondamentaux de la philosophie classique.

20. Ibid. p. 305-306, trad. ibid. p. 243-244.


21. Ibid. p. 306, trad, ibid., p. 244.

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196 N. TERTULIAN

tions brutales du plan socio-his


auxquelles il nous a habitués, il n'h
que la conviction sur la puissance
re hétérogène non conceptuelle
souveraineté du sujet sur l'objet, ne f
pensée la domination sur le plan so
sur les moments particuliers. La
Dialectique Négative consiste à m
résorption des individus dans une r
neutraliser l'illusion que les différen
dans un tout social harmonieux, po
s'oppose à l'adaptation forcée, il fau
gique le caractère irréductible de la
dans son opacité) par rapport à la p
différence inéliminable entre le mom
lui-même) et le moment spirituel (l'a
de connaissance. « Le désensorcellem
de l'un des paragraphes de la Di
conceptuelle doit se souvenir qu'el
procès de connaissance, que la c
hétérogène du réel ne cessera ja
épuiser les déterminations de son ob
réveiller le sujet de l'illusion idéal
défendre avec véhémence le « primat
non-identique par rapport à l'ac
inhérente au concept, voilà l'essen
préconisée par Adorno.
Un des renversements les plus sp
face à la dialectique hégélienne est
exposée par Hegel dans sa préface
« das Ganze ist das Wahre » (le To
deuxième de ses Trois études sur
d'avoir transfiguré positivement l'id
qu'on peut arriver à comprendre l
dont il fait partie sans excédent, en
et de non-identique dans chaque pa
c'est l'optimisme hégélien quant à
qui est censée enserrer complèteme
minations conceptuelles, donc qui r
cative du sujet jusqu'à l'identité su
Il est difficile de résumer l'attitude
les pages qu'il consacre à son gran
par un perpétuel mouvement de bala
négatifs. Adorno ne peut se céler

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LUKÁCS, ADORNO 197
propre s'enracine dans la tradition hégélienne. Il
d'éloges à Hegel pour avoir rompu avec la théorie f
connaissance, pour avoir ouvert la pensée au conten
cognitif (l'immersion dans l'objet), pour avoir fait de
et de la « négation déterminée » la loi du développem
autant que de la pensée. « Hegel a opposé à la théorie de la
connaissance - écrit Adorno dans la Dialectique Négative - que c'est
en forgeant que l'on devient forgeron, dans l'accomplissement d'une
connaissance qui s'applique à ce qui lui résiste, de façon pour ainsi
dire a-théorique. C'est là qu'il faut le prendre au mot ; c'est la seule
façon de rendre à la philosophie ce que Hegel appelait : la liberté pour
l'objet qu'elle avait perdue sous l'emprise du concept de liberté, de
l'autonomie du sujet instauratrice de sens. »22 Adorno sait pertinem-
ment que cette impulsion qui consiste à « descendre » dans l'imma-
nence du particulier et du singulier, l'absence de peur de se salir au
contact du spécifique, la conviction que celui qui reste dans la sphère
du général est condamné à la stérilité, viennent de Hegel. C'est
d'ailleurs ce dernier qui a noté, dans ses fragments personnels de léna,
la proposition que nous avons évoquée à propos des analyses de
Lukács : « il semble que seul ce qui est particulier ait de l'importance ».
La profession de foi philosophique d'Adorno s'inscrit dans la voie
ouverte par Hegel : « La dialectique annonce que la connaissance
philosophique n'est pas chez elle là où on l'a domiciliée et où elle
prospère par trop facilement, libre en quelque sorte du poids de l'étant
et de sa résistance, mais qu'elle ne commence véritablement que là où
elle fait éclater ce qui pour la pensée traditionnelle, paraît opaque,
impénétrable, pure individuation. La proposition dialectique : « .... le
réel est absolument une identité de l'universel et du particulier »23 se
rapporte à ceci. »24
Mais dès les premières pages de la Dialectique Négative les grands
éloges décernés à Hegel pour avoir ouvert la pensée en direction des
déterminations infinies de la réalité, de ce qui est hétérogène à l'activité
synthétique du sujet, s'accompagnent du reproche d'avoir cassé cette
orientation foncièrement féconde de sa pensée par une tendance
contraire tendant à la résorption de l'infini dans la totalité du réel,
dans le Tout de l'Esprit. « Si la doctrine hégélienne de la dialectique
représente la tentative inégalée de se montrer, avec des concepts
philosophiques, à la hauteur de ce qui leur est hétérogène, il faut alors

22. Ibid., p. 38, trad, ibid., p. 29.


23. La citation est extraite de Hegel : Aufsätze aus dem Kritischen Journal der
Philosophie ..., hrsg. von H. Glockner, Stuttgart 1958, p. 527.
24. Th. W. Adorno, Drei Studien zu Hegel , ibid., p. 76, trad. ibid. p. 91.

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198 N. TERTULIAN

rendre compte du rapport à la dia


dans la mesure où sa tentative d'in
On peut se demander de quel droi
hégélienne « le Tout est le Vrai » la s
clos, d'univers fermé dans lequel les
de domination (et dont le « monde
pression la plus caractéristique). Il
une fois, à la fin de cette deuxièm
défense de Kant contre Hegel, justem
pas accepté de supprimer l'hétéro
pensée et n'aurait pas dissous les con
grative d'un Tout omnicompréhen
entre Kant et Hegel, dans lequel l
avait le dernier mot, n'est pas ter
percutant, la prédominance de la rig
la non-vérité face aux antinomies de
souverainement par sa critique de Ka
phie bien au-delà du domaine form
moment critique suprême, la critiqu
il aboutit » (souligné par nous - N.T
valeur des raisonnements d'Adorn
d'Adorno face à une organisatio
répressive suffit-elle à justifier le
totalité tenue responsable de «l'ave
lequel reste emprisonné tout ce q
l'égard de Hegel la contre-proposit
Non-Vrai » ?26
L'idée hégélienne sur « le Tout » {
tout exclure le caractère ouvert de la
travers les déterminations singulière
la légitimité des critiques à l'égard
son ambition de construire un systè
procès d'Adorno contre Hegel est
clôture du système hégélien, m
elle-même. Il nous semble donc que
la fin de ses Conversations avec Holz
de la totalité en récusant la contre-p
le non-vrai », car ce principe de la t
lité ouverte) garde intacte sa valeu
La critique d'Adorno à l'égard de la
vrai » est étroitement associée à la contestation d'une autre fameuse

25. Th. W. Adorno, Negative Dialektik , ibid., p. 16, trad., ibid., p. 12.
26. Th. W. Adorno, Drei Studien zu Hegel , ibid., p. 81-82, trad, ibid., p. 98-99.

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LUKÂCS, ADORNO 199
assertion de Hegel : celle qui concerne la rationalité
sa Philosophie du droit que Hegel a formulé sa thèse
réel est rationnel et tout ce qui est rationnel est réel
avec véhémence contre le principe de la « rationalité
chant dans ce théorème de Hegel une coupable sanc
capitulation devant la réalité existante. Il reproche
d'avoir « réchauffe » cette thèse qu'il considère comm
douteuses » : dans son livre Wider den missverstandenen Realismus
{La signification présente du réalisme critique ), Lukács se serait ap-
puyé sur cette thèse ainsi que sur la distinction hégélienne entre la
« possibilité réelle » et la « possibilité abstraite » afin de faire l'éloge
d'une littérature « réaliste », comprise comme subordination à la réalité
donnée et « pour diffamer toute littérature qui s'écarte de la réalité em-
pirique ».27
Adorno voit donc dans cette thèse de la « rationalité du réel » le
danger d'une caution accordée à la réalité telle qu'elle arrive à s'impo-
ser, en sorte que ne pourrait plus s'affirmer ce qui est « tout autre »
{das ganz Andere). « Une telle philosophie se range du côté des grands
bataillons. Elle fait sien le verdict d'une réalité qui sans cesse ensevelit
sous soi ce qui pourrait être autre ».28 Adorno se rend certainement
compte que la thèse hégélienne sur la rationalité du réel est au fond
liée à une orientation qui se trouve au cœur de sa propre philosophie,
celle de la « résistance » du réel aux prétentions hégémoniques de la
pensée : la loi de la pensée se trouve dans ce qui est autre qu'elle (le
réel) et non dans son autarcie présumée. L'ambivalence de la pensée
d'Adorno, de son attitude à l'égard de Hegel se manifeste aussi à cette
occasion. Il se déclare solidaire de Hegel dans la mesure où la thèse
sur la rationalité du réel ou celle de la prééminence de la possibilité
réelle sur la possibilité abstraite signifient l'exigence de se soumettre
aux contraintes du réel, ne pas faire confiance avec facilité aux illu-
sions et aux phantasmes de la subjectivité : ce qui s'est passé
effectivement dans la réalité a une logique intrinsèque, une causalité
immanente. « C'est le contenu de vérité de la philosophie de Hegel à
l'œuvre dans les passages même où il se résigne à la réalité ou semble
sournoisement lui donner raison en se moquant de ceux qui veulent
refaire le monde, comme dans la Philosophie de l'Histoire et particu-
lièrement dans la préface de la Philosophie du Droit ».29
Adorno voit dans la soumission à la réalité ainsi prêchée par Hegel
une attitude aux conséquences conservatrices sur le plan socio-
historique et il n'hésite pas à affirmer paradoxalement que c'est

27. Ibid., p. 78, trad, ibid., p. 93.


28. Ibid.

29. Ibid. p. 80, trad, ibid., p. 97.

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200 N. TERTULIAN

justement cette attitude qui va f


exercée par le socialisme scientifi
l'utopisme : « Ce sont les élément
les éléments libéraux et progressiste
le terrain à la critique socialiste ulté
sans fournir plus tard dans l'histoir
de nouvelles répressions ».30
Mais en passant à l'autre extrémi
du réel dans la mesure où rationalité
les aspirations de la subjectivité (le
marche objective des choses, une po
l'objet. Adorno fait de nouveau
l'expérience socio-historique pour
pas la ratio , mais plutôt Yirratio
raine, et pour opposer ainsi, grâc
démenti à l'idée de la rationalité
impuissante à comprendre le rée
mais parce que le réel n'est pas la
Il n'est pas difficile de voir que le
dans une acception normative , celle
penchants de la subjectivité et la
société rationnelle dans ce sens serait effectivement celle où un tel
accord se réalise. On peut se demander si Adorno ne joue pas avec le
même mot : rationalité, sur deux tableaux différents. Une fois le mot
vise une réalité de fait , l'existence d'une logique ou d'une causalité
intrinsèque des événements (c'est, il nous semble, le sens donné par
Hegel à sa thèse « Tout ce qui est réel est rationnel »), une autre fois le
mot rationnel est pris dans le sens normatif, celui d'un accord sans
fissures entre la subjectivité et l'objectivité. Une société irrationnelle
dans ce second sens, celle dans laquelle les antagonismes entre les
besoins réels des individus et la structure sociale existante restent
criants et irréductibles, (c'est celle que vise Adorno lorsqu'il dit que :
« le réel n'est pas la raison »), peut s'avérer parfaitement explicable
dans son fonctionnement avec les instruments rationnels d'une théorie
critique de la société.
Quel est alors le sens du reproche d'Adorno à Lukàcs lorsqu'il
l'accuse d'avoir « réchauffé » (remis en service, aufgewärmt ) la
douteuse thèse de Hegel sur la « rationalité du réel » ? Lukàcs sou-
mettait à l'épreuve de la critique l'image de la réalité proposée par
une certaine littérature d'avant-garde : il prenait pour cible le caractère
figé de la négativité du réel dans cette littérature, et l'image non moins

30. Ibid.

31. Ibid., p. 81, trad, ibid., p. 97.

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LUKÁCS, ADORNO 201
statique et réductrice des individus qui y sont imp
que les situations évoquées soient privées de leurs
historiques, les seules qui auraient pu dynamiser et offrir une
cohérence à cette image : la représentation du réel dans la littérature
réprouvée par Lukács est celle qui se caractérise nécessairement par
« l'absence du sens », celle à qui manque la « perspective » sur les
ressorts véritables de la dynamique socio-historique, et sur la vie des
individus qui y sont engagés. C'est dans ce contexte qu'il citait la
phrase de Hegel qui semble avoir déclenché les récriminations
d'Adorno : « Wer die Welt vernünftig ansieht den sieht sie auch
vernünftig an ; beides ist in Wechselbestimmung » (« Si vous
considérez le monde comme raisonnable, il vous considère, lui aussi,
comme raisonnable. Entre lui et vous la détermination est
réciproque »). Adorno repoussait la proposition de Lukács parce qu
lui semblait que l'exigence d'une perspective rationnelle sur le mon
mène nécessairement à occulter le caractère profondément scindé
déchiré de ce monde, à dissimuler l'antagonisme jusqu'à présent ir
ductible entre les structures sociales objectives et les pulsions et
besoins des individus. Rien dans l'expérience sociale contemporaine
justifierait une possible conjonction harmonieuse entre le sujet
l'objet. Il soupçonnait Lukács de vouloir imposer au monde représe
par les artistes contemporains une cohérence « du dehors », une ratio-
nalité extérieure à sa logique intime, ce qui contredirait les exigen
intrinsèques de la création artistique (mais la vérité est que Lukács
jamais renoncé à l'idée de « l'immanence du sens » dans l'œuvre d'a
idée qu'il a formulée dans la Théorie du Roman et qu' Adorno va so
vent reprendre). La position d'Adorno ne se laisse appréhender q
partir de l'arrière plan socio-historique de sa pensée, celui d'un monde
profondément brisé et traversé de distorsions : « ... la conception phil
sophique de l'identité s'est effondrée philosophiquement de même
la thèse de la rationalité du réel a été démentie par la réalité. La diffé
rence du sujet et de l'objet ne se laisse pas plus évincer dans la théorie
qu'elle n'a été effacée jusqu'ici dans l'expérience de la réalité ».32
Ce qui est en fin de compte le plus stimulant dans la Dialectiq
Négative d'Adorno, c'est l'appel incessamment formulé à la pens
d'être consciente de sa non-souveraineté, du fait qu'elle doive
mouler sans répit sur une matière qui lui est, par définition, hétérogèn
C'est ce qu' Adorno nomme le « moment mimétique » de la
connaissance, l'affinité avec Y objet (auquel il associe le « momen
rationnel », « l'organe logique de la relation, du genre, de l'espèce et d
la differentia specifica »33). Ce qui l'intéresse surtout c'est d'imposer

32. Ibid.

33. Th. W. Adorno, Negative Dialektik , ibid., p. 55, trad, ibid., p. 42.

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202 N. TERTULIAN

la pensée le respect de la nuance, de


lui exiger de descendre jusqu'à l'in
nière page de la Dialectique Négati
émigré dans la micrologie » - cf. p
Hegel peut être caractérisée brièvem
Hegel contre lui-même. Adorno s
dialectique de Hegel est une logique
culier et l'universel dans une fusion
grand prédécesseur dès qu'il a l'impr
imprescriptibles du singulier à l'h
épistémologique les réflexions adorn
de la distance qui s'ouvre nécessairem
au concept et la richesse, la densit
gramme de sa Dialectique Négativ
cette brèche, d'abolir le plus possibl
du concept et le mouvement des cho
laconceptualité, la tourner vers le
d'une dialectique négative » (p. 18). S
droits, à l'intérieur de la pensée, l
tité négligeables .
Il retrouve au fond, incessament
l'intellect abstrait ( Verstand) dév
son concrète {Vernunft). Il est sig
tantes contre le logicisme, en revendiquant les droits du non-
conceptuel (de la matière de la connaissance dans sa densité et son
opacité), Adorno se montre soucieux de ne pas verser dans l'irrationa-
lisme, dont il se démarque sans cesse. Il dénonce, par exemple, chez
Bergson, adversaire bien connu de l'intellect abstrait, le caractère non
moins abstrait de ses fameuses « intuitions ». « Le sel dialectique est
emporté par le flux indifférencié de la vie » - écrit-il à propos de
l'intuitionnisme et du vitalisme de Bergson. « Toute connaissance, même
celle de Bergson, a besoin justement lorsqu'elle veut se concrétiser, de
la rationalité qu'il méprisait. »34 Qu' Adorno ait aspiré à développer
une logique du singulier, en évitant de rester figé dans l'opposition
entre l'irréductibilité du cóncret et le caractère nécessairement abstrait
du concept, qu'il ait visé même à libérer une « force de cohérence » des
phénomènes, du non-identique, opposée à la cohérence abstraite d'une
logique déductive et classificatrice, cela apparaît clairement dans cer-
tains passages de la Dialectique Négative . Ce qui l'intéressait c'était
que la pensée épousât le mouvement intérieur des choses, le plus
possible, sans pour autant sacrifier aucune de leurs déterminations
concrètes : « Saisir une chose elle-même et ne pas seulement l'adapter,

34. Ibid., p. 20, trad, ibid., p. 15.

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LUKÁCS, ADORNO 203
la rapporter au système de référence, n'est rien d'
voir le moment singulier dans son rapport immanent
reconnaissait au fond que la logique hégélienne visa
« Sous l'enveloppe grinçante de l'idéalisme absolu, u
visme se manifeste dans la tendance à mettre à jour t
traiter par le recours à la façon dont elles advinren
telle logique dynamique et par elle qu'on peut arriv
cohérence concrète des phénomènes, celle qui aurai
l'idéalisme transcendantal : « la conception du syst
une forme inversée, la cohérence du non-identique
entamée par la systématique déductive ».35
L'énergie que déploie Adorno dans sa Dialecti
concentre sur la délivrance des traits singuliers des p
qu'il appelle la « contrainte identitaire ». Une impulsio
d'émanciper l'individualité de la pression des mécan
nels (Zwangsmechanismen) anime sa pensée. Il
conscient que l'universel a une existence non moin
singulier (sa critique du nominalisme le prouv
dialectique du particulier et du général, du singulie
l'accent de valeur et le centre d'intérêt tombent sur l
pour conclure sur ce point, l'avant-dernière phras
Négative : « Les traits intramondains les plus infi
importance pour l'absolu car le regard microlo
enveloppes de ce qui, selon le critère du conce
subsume, reste désespérément isolé, et fait écl
l'illusion selon laquelle il serait un simple exemplai
Lukács dans son Ontologie sociale , souligne a
d'énergie le poids des individus et de leurs décision
l'évolution historique, cependant le centre de ses inté
la capacité de la décision individuelle de s'inscrire
l'humanité en tant que genre, sur son potentiel de gé
donc dans la convergence entre les actes singuliers
loi universelle du genre humain (ce qu'il appelle la
keit). Les racines hégéliennes de cette orientation
Lukács de la maturité nous semblent aussi dans ce cas incontestables.
Il suffit de rappeller que dans Le Jeune Hegel il met en valeur non
seulement la polémique légitime de Hegel contre un certain formalisme
et caractère abstrait de l'éthique de Kant et de Fichte, mais encore la
légitimité du désaveu qu'inflige Hegel, au pôle opposé, à
l'individualisme et à l'empirisme de la morale de Jacobi. Cette éthique

35. Ibid., p. 36, trad, ibid., p. 28.


36. Ibid., p. 400, trad, ibid., p. 317.

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204 N. TERTULIAN

- celle de Jacobi - fondée sur le


spontanéité affective et dépourvu
exigences de la collectivité, était
moins abstraite que celle fondée su
Kant et de Fichte. Jacobi polémiquai
de la morale soit kantienne soit f
pouvant être d considérées comme «
que « la loi est faite pour l'homme
pour étayer sa conception, il cite
l'invitation du roi de Perse leur d
répondirent : « Comment pourrions
nos lois et des hommes pour qui n
un aussi long voyage dans l'intent
cite d'abord l'interprétation ja
n'essayèrent pas non plus de lui incu
non pas à leur entendement, à la sub
ment à des choses et à leur attachement à ces choses. Ils ne se
targuèrent pas de vertu et n'eurent pas non plus de philosophie ; ils
avouèrent seulement le sentiment de leur cœur, leur état affectif, ' ... leur
expérience... ». Hegel oppose, à l'interprétation de Jacobi, la sienne :
« Mais Jacobi donne à ce qu'il y a de plus vivant, à la patrie, au peuple,
aux lois, le nom de choses auxquelles ils sont habitués, comme on est
habitué aux choses. Il ne les conçoit pas comme des choses sacrées
mais profanes... Il conçoit comme une contingence et une dépendance
ce en quoi réside la nécessité suprême et l'énergie suprême de la liberté
éthique, en l'occurence le fait de vivre conformément aux lois d'un
peuple, et ici, par surcroît, du peuple spartiate ; il conçoit comme
chose vulgairement empirique ce qu'il y a de plus rationnel ». En
reproduisant l'essentiel de la polémique de Hegel contre Jacobi,
Lukács s'arrête sur le principe formulé en guise de conclusion par
Hegel : « A la beauté éthique ne peut faire défaut ni son aspect vivant
d'individualité, qui la dispense d'obéir aux concepts morts, ni l'aspect
universel et objectif (souligné par nous - N.T.) du concept et de la
loi ».37
On peut dire qu'ici est préfigurée, in nuce , la conviction qui animera
intégralement la pensée finale de Lukács : l'expérience individuelle
dans sa pure singularité, en tant qu'elle est dépourvue du rayonnement
de l'universalité, ce que Lukács va appeller la « particularité
abstraite », est repoussée ; c'est la convergence entre la singularité de
chaque décision individuelle et le développement du patrimoine des
qualités qui constituent le corpus du genre humain qui éveille son

37. Georg Lukács, Der junge Hegel , ibid., p. 372, trad, ibid., tome II, p. 22.

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LUKÁCS, ADORNO 205
intérêt et son approbation. Les exigences du « rationn
versel » hégéliens sont donc conservées.
A ce propos, il nous semble intéressant de rappeler
des notes autobiographiques de Lukács, rédigées av
l'on peut regarder comme son testament spirituel. Il
humaine ( Lebensführung ) comme le théâtre d'u
« (vraie !) curiosité » et la « vanité ». Cette derni
comme le « vice principal » de l'homme parce qu'e
dans sa pure particularité (la « frustration » lui ap
un arrêt au niveau de la particularité, comme un
vanité) ; c'est vers la «vraie» curiosité, c'est-à-dir
sans limites à l'égard du monde, vers l'authentiqu
la subjectivité pour s'imprégner de ce qui est autre, q
de Lukács, parce qu'elle lui apparaît comme l'uniqu
fusion entre le singulier et l'universel, à ce qu'il n
homme de l'homme ».

APPENDICE

Les lecteurs d'Adorno peuvent s'étonner du fait qu'il n'y a jamais da


écrits philosophiques la moindre référence au livre de Lukács sur Le
Hegel (publié en 1948). Ni les Trois Études sur Hegel (1963),
Dialectique Négative (1966), n'y font pas explicitement allusion. Une m
brève se trouve seulement dans l'introduction au texte polémique dirigé c
Lukács : Erpresste Versöhnung , publié dans le deuxième volume de Note
Literatur : Adorno rappelle en passant l'existence d'« un gros livre sur le
Hegel » (ein dickes Buch über den jungen Hegel), en parlant des trav
Lukács publiés après 1930, mais la façon dont est introduite cette m
(cf. p. 153 de la première édition, 1961) ne laisse pas pressentir une
nion excessivement favorable.
L'étonnement peut être justifié par le fait que les études hégéliennes d'Ador-
no reprennent inévitablement des thèmes traités par Lukács. En analysant le
rôle décisif du concept de travail dans la genèse de la dialectique hégélienne,
la fonction éminemment positive du concept ďEntáusserung (aliénation) chez
Hegel ou le caractère insoutenable de la thèse sur l'identité sujet-objet,
Adorno aurait dû se souvenir des longs développements contenus sur tous ces
sujets dans le livre de Lukács : mais aucune mention n'y est faite. Les
références polémiques, explicables par les différences dans l'approche des
mêmes sujets, sont également complètement absentes. Adorno faisait sem-
blant d'ignorer l'existence même d'un livre de Lukács qui traitait amplement
des mêmes thèmes.

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206 N. TERTULIAN

Il est donc d'autant plus surprenant d


Horkheimer, conservés dans les Archive
Francfort, un compte-rendu du livre
comprenant deux pages dactylographi
rédigé vraisemblablement peu après la p
junge Hegel en 1948, chez Europa- Ver
texte d'Adorno sont à cette édition. L
Ökonomie und Gesellschaft beim jung
était destiné à informer l'ami Horkhei
(le fait qu'il était signé avec le préno
permet de conclure qu'il a été rédigé e
fournit pas moins une preuve incont
Adorno a lu le texte de Lukács et du p
distances qu'il tient à prendre dans sa
Plusieurs fois au long de son compte-
l'intérêt extraordinaire de certains te
concernant les problèmes d'économie,
fois en valeur : l'expression « citation
revient deux fois à propos des considér
plus en plus machinal du travail humain
(pages 421 et 429 du livre de Lukács).
Lukács, un visage tout à fait inconnu
consacre au concept ďEntáusserung ch
retiennent aussi l'attention du comme
propres considérations sur la fécondit
monde pour le propre enrichissement d
écrits ou cours universitaires, Adorno v
de celle de Lukács (tous les deux étaient
Goethe).
La conclusion du compte-rendu fait état de la tendance trop marquée de
Lukács à analyser l'œuvre de Hegel exclusivement dans la perspective de
Marx. Adorno formule à l'égard de Lukács, en suivant une image qui va deve-
nir familière sous sa plume, la supposition peu bienveillante que par « peur des
bonzes » (« Aus Angst vor den Bonzen »), il n'aurait pas osé chercher « les motifs
matérialistes dans la Logique et la Métaphysique hégéliennes elles-mêmes »,
mais s'est limité aux rapprochements entre la pensée économique de Hegel,
calquée sur l'économie politique classique, et celle de Marx et Engels. En
faisant abstraction du caractère excessivement réducteur de cette image
concernant Der junge Hegel (elle ne tient pas compte de la riche partie
strictement philosophique du livre, qui analyse les rapports entre Hegel et
Kant, Fichte, Schelling ou Jacobi) il faut observer que Lukács va de son
propre gré se charger de remplir l'exigence formulée par Adorno et d'analyser
ce qu' Adorno appelle « les motifs matérialistes dans la Logique et la
Métaphysique hégéliennes », par exemple dans le vaste chapitre consacré à
Hegel : <r Hegels falsche und echte Ontologie », le troisième de son der-
nier grand ouvrage Zur Ontologie des gesellschaftlichen Seins.
Qui veut nous faire croire qu'il a entrepris cette opération seulement parce
qu'il était guéri de « la peur des bonzes » ?

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