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LE FORMALISME

« Le terme "formalisme" est issu du latin "formalis", signifiant depuis son origine "forme"
au sens littéral de "norme, règle stricte". Ce terme de "formalisme" (le suffixe "-isme" du latin
"ismus" apportant à un nom la notion de "doctrine, idéologie, théorie") est généralement
employé pour intégrer la notion de respect, voire d'attachement excessif, de rigidité maladive.
L'expression "formalisme russe" désigne la méthode adoptée par une école de théoriciens de la
littérature soviétique, qui, dans la période 1914-1930, révolutionna la critique littéraire et
influença la sémiologie et la linguistique du XXe siècle, notamment par le biais du
structuralisme. Certains auteurs français, comme André Gide, reprochèrent parfois à cette
école son formalisme excessif. »
Il faut dire d’emblée que la critique littéraire formaliste est centrée sur le
texte. Sa principale préoccupation est la production du texte. Autrement dit,
il est question pour les formalistes de s’interroger sur ce qui produit le
texte, « textuellement parlant ».

Selon certains critiques littéraires, « l’apparition des recherches


formalistes pose un problème historique, qu’il ne faudrait pas concevoir en
termes d’influence, de « qui a dit le premier ? », question dont Thynianov a
bien montré l’inanité. Il n’est certes pas négligeable de repérer, en un
moment donné, qui dispose ou non de tel outil conceptuel : un exemple,
l’analyse de Propp à laquelle « manque » l’articulation » psychologique.
Mais si la constatation en est relativement facile, une tentative
d’interprétation est plus malaisée.

Entre 1914 et 1930, se développent en Europe, des tentatives de


descriptions et d’analyse « formelle » des phénomènes littéraires. Ces
tentatives, selon Anne Roche, présentent un certain nombre de traits
communs : le refus de la biographie littéraire comme explication de
l’œuvre, le refus de toute métaphysique littéraire, le refus du référent
comme tel, le souci prioritaire du matériau verbal, le choix des procédures.

Historiquement ces tentatives se définissent en fonction de trois axes que la


critique littéraire présente ainsi :

1-La linguistique saussurienne, à laquelle elles empruntent des concepts ;

2-les écoles symbolistes, qu’elles rejettent ;

3-des pratiques littéraires de rupture, sur lesquelles elles s’appuient (par


exemple, pour les formalistes russes, ce sont des futuristes russes,
Maïakovski, Khlebnikov, etc. ; pour Proust ou Valéry, leur propre pratique
et celle de Mallarmé).

Or cette corrélation, dans le même temps, entre les formalistes russes et


certains écrivains français, si elle est intéressante, n’est pas une
découverte : s’il n’y a pas de connaissance mutuelle, et donc pas
d’influence, comment éviter l’arbitraire de deux séries « parallèles » ?faut-
il postuler une origine commune, à quel niveau la situer : Mallarmé ou la
révolution de 1917 ?
Pour répondre à cette question qui résume en quelque sorte ce que l’on
appelle « l’aporie de l’histoire littéraire, Anne Roche propose de partir
d’une description de l’enchainement des événements tout en indiquant, à
titre d’hypothèse, que l’opposition à l’idéologie symbolise (ou sous-
jacentes au symbolisme), au moins autant que l’influence linguistique, nous
semble un point commun déterminant.

Le formalisme selon Catherine Depretto, Une lecture


CAROLINE BÉRENGER

Le formalisme russe a connu la fortune que l’on sait dans le


développement des théories littéraires du XXe siècle en Occident. Diffusé
aux États-Unis et en Europe par Victor Erlich et Tzvetan Todorov, il s’est
imposé grâce à quelques concepts productifs, tels « la littérarité » ou « la
défamiliarisation ». Le contexte structuraliste a contribué à en faire un
phénomène atemporel et quasi immanent. L’objectif de Catherine Depretto
est de proposer un nouveau regard sur le formalisme, en le resituant dans
une perspective historique de la culture russe. Cette réflexion intègre la
phase de redécouverte et de réévaluation de l’héritage, engagée dans les
années 70, et les nouveaux questionnements qui en découlent.

La figure du poète philologue à l’Âge d’argent

L’auteur restitue l’atmosphère culturelle de la fin du XIX e et du début du


XXe siècle, celle dans laquelle évolua la génération de l’Âge d’argent et qui
favorisa l’éclosion du formalisme. L’Université de Saint-Pétersbourg,
ouverte sur l’Occident, à travers la philosophie néokantienne, les sources
gréco-latines, les études romanes et germaniques, la Renaissance italienne,
fut le lieu d’un renouveau méthodologique sans précédent. Malgré son
académisme, elle apparaît comme le creuset de l’avant-garde.
Dans le même temps, on assiste à l’émergence du symbolisme russe. Fruit
de nombreuses influences étrangères, en particulier françaises, cette école
poétique est devenue synonyme de modernité russe. Nouvelle vision du
monde, nouveau langage, elle se constitue en champ littéraire autonome,
sur un pied d’égalité avec les sphères politique et sociale.
C’est dans cette effervescence intellectuelle et créatrice que l’on voit surgir
dans les années 1910 une figure emblématique, celle du poète philologue.
L’extraordinaire inventivité de cette génération est issue d’une symbiose
entre la science et l’art, et permet de comprendre l’origine du
« philologisme » russe.

Au-delà de la forme : la redécouverte de Tynjanov

Le formalisme est passé à la postérité par son étude de la forme, mais ce


n’est qu’un aspect de ses nombreux apports. De même il a été présenté
comme une doctrine commune, mais cette unification a eu un effet
réducteur. Ceci est dû aux attaques dont il a fait l’objet en Union
Soviétique, et d’autre part à la simplification inévitable liée à sa diffusion à
l’Ouest. C. Depretto propose, à ce titre, une nouvelle entrée, en partant de
l’œuvre de Tynjanov.
6Si l’on a depuis longtemps intégré sa conception de l’œuvre littéraire
comme système dynamique entre un facteur constructif (la dominante) et
un matériau, ce qu’on ne sait peut-être pas, c’est que Tynjanov considérait
la littérature comme « un système synchronique en perpétuelle évolution »
et qu’il tentait de concilier synchronie et diachronie. Il pourrait être
fructueux d’explorer son concept d’époque-système, englobant le conflit
entre la structure et l’histoire, de même que la distinction qu’il fait entre
genèse et évolution. En effet, Tynjanov a réintroduit le sens et l’histoire
dans le formalisme.
Son étude du lyrisme nous offre également quelques perspectives
inexplorées. Partant de la notion de personnalité littéraire, image fictive née
de la poésie mais qui s’impose avec la force du réel, Tynjanov relie ce
phénomène de personnification à « la structure émotionnelle » de l’art. Si
une telle approche était un moyen de lutter contre le biographisme et le
psychologisme en Russie, elle permet d’observer les phénomènes de
contamination entre la vie et l’œuvre, ou les manifestations de
« l’expansion de la littérature dans la vie sociale ».

Les théories et les hommes


C. Depretto propose une approche différentielle des travaux des
formalistes, en fonction des personnalités et en insistant sur l’originalité de
leur pensée. À cet égard, leur correspondance et le Journal d’Èjxenbaum
nous offrent un angle d’observation inédit.
Le trio Šklovskij, Èjxenbaum et Tynjanov, à la tête de l’Opojaz, était animé
par de puissants liens affectifs et intellectuels. Les formalistes évoquent une
amitié « au sens fort, au sens hostile du mot » qui a résisté à une époque
terrible et à des moments de crise. L’auteur montre comment ces échanges
mouvementés entre des tempéraments profondément originaux ont donné
naissance à un courant capable de systématiser les phénomènes les plus
insaisissables de l’expérience esthétique.
Il est intéressant de suivre l’évolution de la pensée des formalistes et de
comprendre dans quelle mesure les circonstances extérieures ont influé sur
le développement de leurs théories. Le poids des contingences politiques,
les menaces qui pesaient sur leur vie, ont été sous-estimés, entraînant
parfois des malentendus ou des erreurs d’interprétation.
Leur correspondance invite à une réflexion sur l’usage qu’ils faisaient du
genre épistolaire. La lettre apparaît comme un laboratoire de la réflexion
théorique, elle éclaire la genèse de leurs travaux. Genre souple et hybride,
favorisant les combinaisons inédites, elle est aussi un moyen de renouveler
la prose russe et rejoint l’histoire de la « seconde prose » du XXe siècle en
Russie.

La personnalité créatrice des formalistes

C. Depretto explore, par ailleurs, les rapports intimes entre les poètes et les
théoriciens et montre comment les uns et les autres se sont influencés et
inspirés mutuellement. Ainsi, l’œuvre d’Esenin suggéra aux formalistes
une nouvelle approche du lyrisme. Les liens émotionnels et intellectuels
avec Majakovskij étaient puissants, les combats idéologiques violents. Son
suicide fut un traumatisme pour son entourage. Mandel’stam et Tynjanov
se rejoignaient dans la conception du mot, comme « paradigme culturel
diachronique ». Pasternak apparaît comme l’objet de la querelle entre les
formalistes et leurs successeurs, sa poésie est le vecteur du tournant
postformaliste.
Mais les formalistes eux-mêmes étaient des artistes et des écrivains.
C. Depretto revient sur l’œuvre de romancier de Tynjanov et suggère
d’étudier l’influence du créateur sur le chercheur pour faire émerger sa
biographie créatrice. Elle tire de l’oubli un savant génial et extravaguant, le
linguiste polyglotte Polivanov, devenu personnage légendaire par son
existence mystérieuse. Elle analyse la genèse du Faiseur de scandales de
Venjamin Kaverin. Ce roman, inspiré par les principales personnalités du
formalisme, que l’on pourrait qualifier de biographie littéraire collective,
soulève le thème majeur de l’intellectuel dans la révolution.
Un autre formalisme pour d’autres prolongements

C. Depretto s’intéresse enfin à des travaux peu connus du formalisme, ceux


de membres moins célèbres, tels Boris Jarxo ou Grigorij Vinokur, ou de la
seconde génération, comme Boris Buxštab.
Elle discute la place effective du Cercle linguistique de Moscou face à
l’Opojaz de Saint-Pétersbourg et révèle la spécificité de chaque groupe. Il
apparaît que les savants du MLK, plus soucieux de démontrer la validité
scientifique de leurs propositions, se basaient sur une méthode positiviste.
Tandis que les membres de l’Opojaz laissaient libre cours à leur esprit de
découverte, leur intuition et leur nature artistique.
Elle aborde la question complexe de la filiation entre formalisme et
structuralisme. Bien que le nom de Jakobson ait éclipsé celui de Tynjanov,
on peut considérer le structuralisme praguois comme un héritage de
l’Opojaz. S’il y a eu passage du formalisme au structuralisme, c’est en
termes de relève plutôt que de dépassement théorique. Si le formalisme
s’est éteint, ce n’est pas en raison d’un essoufflement théorique mais pour
des causes politiques et humaines.
Cette étude ouvre une nouvelle page dans l’histoire de la théorie. Catherine
Depretto invite à refonder la réception du formalisme dans sa version
occidentale, en suggérant des prolongements inattendus. Elle montre sa
faculté d’adaptation à l’ère postmoderne et laisse présager de sa
résurrection.
De l’analyse formelle au structuralisme

Le père de l'analyse "formelle" des récits est certainement Propp (18).


Après avoir effectué la compilation d'une collection de contes russes il
présenta entre autre une liste de 32 micro-thèmes d'action que l'on peut
rencontrer dans le récit populaire russe. Le structuralisme français a repris
(très tardivement) et développé cette idée de structure narrative.   Comme
Propp, la plupart des auteurs français s'intéressent avant tout à la structure
narrative et à ses invariants. Seule l'ambition change: Bremond par
exemple vise à élaborer une grammaire générale de l'action humaine. On
notera également que ces derniers travaillent souvent avec un niveau
d'abstraction très élevé. Ainsi l'intérêt pour les structures profondes du
monde narratologique a fait que l'intérêt plus thématique ou substantif de
l'analyse de Propp a été perdu.

L'ambition méthodologique des structuralistes est de développer un


système catégoriel - un mécanisme qui permettrait d'identifier des éléments
narratifs (essentiellement des syntagmes et des rôles) et leur enchainement
dans une structure d'analyse. Ce système catégoriel à recours souvent à des
catégories binaires développées dans l'interaction entre une analyse plus
théorique et l'analyse d'un domaine plus empirique. Les analyses
structurelles et en particulier celles de Greimas et de Todorov se situent à
un grand niveau d'abstraction. Leurs analyses essayent souvent de couvrir
un corpus de texte très large, c'est-à-dire d'établir des principes de narration
très généraux indépendants d'un genre littéraire ou d'un texte-type
spécifique. Ces auteurs s'attachent en général à dégager "seulement" les
principes profonds de base d'un phénomène. Ainsi Greimas définit très
simplement le récit comme passage de signification d'un personnage à un
autre -définition très abstraite qui assurément couvre ce genre de texte. Je
ne pense pas que ce type d'analyse structurelle soit approprié à mes intérêts.
Toutefois dans certains travaux comme ceux de Bremond (73) on trouve
des éléments théoriques (notamment des lexiques analytiques) très valables
que l'on pourra utiliser. D'une manière générale ces travaux sont
intéressants sur certains plans théoriques, mais leur manière d'aborder
certains problèmes conceptuels est inefficace. Ainsi leur notion technique
de structure est trop simpliste et trop statique.
EXAMEN

Brecht Bertolt affirme à propos du formalisme : « Dès lors, la


littérature n’a plus d’autre tâche que d’être littérature ; la seule tâche des
écrivains est de perfectionner leurs formes. »

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(UNE PAGE) remise LE 21 JUIN A 10 h.

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