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Presses Universitaires du Midi

Review
Reviewed Work(s): La tortue et la lyre. Dans l'atelier du mythe antique by John Scheid and
Jesper Svenbro
Review by: Corinne Bonnet
Source: Pallas, No. 97 (2015), pp. 233-236
Published by: Presses Universitaires du Midi
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/43606256
Accessed: 03-07-2023 13:06 +00:00

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PALLAS, 97, 2014, pp. 233-247

Notes de lectures

John Scheid et Jesper Svenbro, La tortue et la lyre . Dans l'atelier du mythe antique ,
Paris, CNRS Éditions, 2014, 229 pages.

Dédié à Marcel Detienne « infatigable archégète », ce livre réunit de « vieux manuscrits »


issus des séminaires communs tenus par les Auteurs dans les années 1990 à l'EPHE, avec un
appendice au Collège de France en 2003. Qualifiés de « mytheux », comme pour alerter de
suite le lecteur sur l'enjeu que représentent les mots et ce qu'ils charrient par associations d'idées,
ces textes explorent les espaces, mentaux et concrets, où les récits s'élaborent, où la mémoire des
choses et de noms, et de leur singulier destin, se tisse, où Lévi-Strauss dialogue avec Usener,
Vernant, Vidal-Naquet, Detienne, mais aussi Mallarmé et Valéry.
La proposition majeure de ce livre tourne autour de la notion de « mythologie générative »
présentée dans l' Introduction, les 6 chapitres qui suivent en étant des exemplifications. Lorsqu'on
parle de mythe ou de mythologie, on met généralement en avant sa dimension narrative. À la
suite de Lévi-Strauss, on y détecte un langage, on le définit (par exemple dans Y Anthropologie
structurale ) comme un « mode du discours », on identifie sa « substance » à l'histoire
racontée, quels que soient la langue, le style, la syntaxe, le mode de narration adoptés... Il découle
d'une telle vision du mythe que son contenu sémantique serait pratiquement autonome par
rapport aux données linguistiques et philologiques dans lesquelles il « s'incarne », que Lévi
Strauss considère à l'instar des propriétés esthétiques de l'énoncé. Le récit serait tout, les mots
seraient cosmétiques. À l'emprise de la narratologie et à une certaine insouciance (au sens fort
du terme) quant aux « mot pour dire » le mythe, J. Scheid et J. Svenbro entendent opposer
une autre. Repartant de Mallarmé et Valéry, ils rappellent que l'opération mythique ne se fait
pas en dépit des mots, mais avec les mots, au moyen de ce matériau polysémique, capable de
générer des concaténations de sens qui construisent précisément le sens du récit. « Les mythes
se fabriquent avec des mots, non pas avec des idées » (p. 30). Ces mots renvoient à des acteurs, à
des actions, à des objets. Ainsi en est-il du nom d 'Œdipe, dont les auteurs montrent qu'il recèle
et annonce toute l'ambiguïté du destin tragique de l'homme « au pied enflé », dont la démarche
comme la filiation et la vie sont déséquilibrées, qui « sait » tant de choses, tout en ignorant
l'essentiel. Le nom d 'Oidipous possède donc une puissance générative considérable, en ce qu'il
condense et oriente la construction du récit, comme l'a déjà bien montré Vernant, revisitant
les analyses de Lévi-Strauss. Le nom, en d'autres termes, produit des rebondissements de sens,
génère des agrégats, associe diverses catégories d'acteurs (phrase nominale) et d'actions (phrase
verbale). Cette prolifération de signes, qui n'a rien d'anarchique, confère au mythe un aspect
d'arborescence, renforcé par les diverses variantes. Mais, au cœur même de cette germination,

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234 Notes de lectures

se trouve le nom, matrice ou noyau du


seconde démonstration de ce principe est f
des-siens » pour Virgilio Masciadri, « am
J. Scheid et J. Svenbro soulignent très judi
précisément la force du « signe » quest le n
mythe décline par le biais de sa généalogie,
d'un héros excessivement attaché à l'arc r
aux siens.

On le constate pour Œdipe comme pour Philoctète : les noms engagent souvent des
« objets » ; comme l'arc ou le pied. Se raccrochant à la pensée jadis novatrice de Louis Gernet,
J. Scheid et J. Svenbro mettent en avant le rôle des objets au sein des mythes ; au début serait
l'objet, bien davantage que le récit. C'est l'objet, en effet, qui mettrait en branle l'imagination,
qui susciterait l'exégèse, donc la narration. Ainsi en va-t-il pour le mythe de fondation de
Carthage qui trouve son origine dans la bursa , cette peau de vache découpée en lanières pour
concéder aux nouveaux arrivants une portion de territoire. L'objet, par sa symbolique, par les
relations qu'il détermine, par les traces qu'il a laissées dans la toponymie locale, traduit, dans le
récit qui se déploie à son sujet, la complexité des situations coloniales et des métissages culturels.
Situé à l'origine et au cœur d'une concaténation de notions ou de catégories, l'objet, comme le
nom, organise le récit mythique comme un discours relationnel qui engage les hommes et les
choses, le temps et l'espace, le passé et le présent.
On n'entrera pas ici dans le détail des six dossiers traités par les auteurs afin de montrer
concrètement, depuis son atelier, comment le mythe fonctionne. La plupart de ces cas ont fait
l'objet de leur part de publications antérieures, ici reprises dans une perspective herméneutique
revivifiée, dans le sens que nous venons de préciser. En cela, l'assemblage est non seulement
judicieux, mais éclairant. Le chapitre 1 rouvre ainsi le dossier des fondations de cités, en particulier
celui de Carthage, avec la ruse de la bursa , et celui d'Alexandrie, avec l'intervention d'oiseaux
effaçant le sillon initial. Les exégèses proposées, tout en finesse, font ressortir deux éléments
importants. Le premier est la fécondité d'une approche au plus près des mots et de leur spectre
sémantique, philologiquement, donc culturellement déterminé. Le second est l'indispensable
recours à la comparaison : comme l'a bien montré Marcel Detienne dans Tracés de fondation
(1990), les récits de fondation mis en série montrent à la fois des parentés conceptuelles et des
variations riches de sens. Comparer Carthage, Rome, Athènes, Thèbes et Alexandrie permet
de voir à l'œuvre des acteurs, des actions, des objets tantôt semblables, tantôt différents, qui
préfigurent le destin, l'identité, le rôle, la valeur de ces cités. Ainsi, les oiseaux mangeant la
farine qui avait servi à délimiter Alexandrie disent-ils sa destinée de centre nourricier et de ville
ouverte, sans limites.
Le chapitre 2 traite des tissus mythiques, qui agencent les différentes composantes de la cité
et parlent de son aspiration à l'unité dans la diversité : péplos d'Héra, manteau de Sosylon, ex-
voto d'Horace (qui recourt à une métaphore de l'amour comme navigation périlleuse)... tous ces
exemples illustrent la richesse des métaphores vestimentaires, du tissage des mots dans le texte
à l'entrelacement érotique ou à la toile d'araignée du mariage. Par delà la métaphore, qui peut
rester une trouvaille personnelle du poète, l'activité de la tisserande permet de penser, à plusieurs
niveaux, dans le savoir partagé qu'est le mythe, le tissu relationnel d'une communauté, sa force
et ses faiblesses. Le chapitre 3 s'intitule « Étude de botanique. Jacinthe, Crocus et Sidè » et

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Notes de lectures 235

part des récits qui mettent en scène les accide


et qui peut tuer, comme c'est le cas pour Hya
L'objet agit comme un catalyseur de transfo
entre Apollon ou Hermès et leurs jeunes aman
exprimer les qualités des êtres en matière de r
Le chapitre 4, « De la pierre à la lyre. La t
l'invention de la lyre telle qu'elle est mise e
particulier. L'analyse se déploie à travers u
l'invention de la pierre tombale, d'une part,
d'une co-naturalité entre la carapace de tortue
confirme que la lyre est amenée à interférer
qu'elle fut utilisée pour décorer le tumulus du
tombale, attestée par une tradition hésiodique
renversement, dans Y Hymne homérique , plu
né, coquin et filou, jouant avec la tortue et
musiciens », approfondit cette question en s' i
de Pan et des nymphes, le premier homme qu
lucane ou kermabux , pour avoir refusé de parta
Orphée, par son nom, est un poisson, plus p
frétiller même mort et découpé. Prolongeant
du nom » : celui d'Ajax, Aias, qui pousse le m
paroxysme. Après son suicide en effet, surgit
lettres AI qui, répétées, AIAI, renvoient aux c
même du héros. La syllabe AI évoque aussi l'aig
d'Ajax, Aiakos, père de Télamon et de Pélée,
aussi la première syllabe d 'âidôs, la honte et l
que tout autre. En suivant ces pistes qui condu
aux modes de pensée, il s'agit de tenter de p
pour construire le mythe et mettre en réseaux
objets. Ce type d'enquête donne à voir les inn
ses dérivés, de ses voisins, de ses parents... Il s
Auteurs (p. 174), de « répondre à une question
sont pas hiérarchisées entre elles et qui sont m
incompatibles ». Une approche analogue du n
de l'imaginaire (p. 176), illustre, jusqu'au Forum
que les récits déploient, tissent, explicitent et
des paramètres rituels et théologiques... C'est
dieu transformiste, qui investit les métamorph
comme les statues, l'histoire de Rome et son a
l'écho. Vertumne illustre, à sa façon, les vertigin
Passionnant de bout en bout, ce livre raviv
cesse questionnée dans sa pertinence même

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à penser...1 ? Elle n'est pas ici contestée, mais


de reproduction, sans que les Auteurs précise
yeux. Entre antiquisants, on s'entend certes, gr
implicite, mais on peut comprendre que les an
à une notion qui demeure si vague. On aurait a
le temps de discuter ce point théorique de si g
majeurs du livre, c'est qu'issu de travaux s 'é
questions de méthode, de définition, de positi
et de propositions audacieuses qui a marqué les
de Lévi-Strauss, Detienne, Vernant, Bourdieu
cas beaucoup en cheminant avec les Auteurs da
mieux construire des itinéraires et des passe
et Jesper Svenbro tiennent la barre et s'efforc
pourrait sembler infini : « À quel moment l'an
ne donne l'impression d'avoir basculé dans le r
marionnette ? » (p. 1 59). En revanche, tout en
s'engager dans une révision pointilleuse de leurs
rafraîchir, par quelques références essentielles, l
les travaux marquants sur les sujets abordés. J
Grand- Clément sur La fabrique des couleurs . Hi
début du Ve siècle avant notre ère , Paris, 20 1 1 ,
à celle de Dominique Jaillard, Configurations
2007, au sujet de l'invention de la lyre par le p
La cité des satyres . Une anthropologie ludique (A
sujet des satyres jouant de la lyre, ou encore à c
della traduzione nella cultura antica , Turin,
protéiformes. Enfin, un index aurait utilement
La tortue et la lyre : voilà un livre stimulant
public qui pourra apprécier la richesse des ana
par deux complices qui fréquentent les mythes
Corinne Bonnet
Université Toulouse Jean Jaurès
Institut Universitaire de France
PLH-ERASME (EA4601)

Paulin Is M ARD, L'événement Socrate, Paris, Flammarion, 2013, 300 pages.

Les contre-enquêtes sont dans l'air du temps, et l'auteur de ce livre publié quelques mo
avant celui de Kamel Daoud [Meursault. Contre-enquête) aurait aussi bien pu lui donner po
titre « Socrate. La contre-enquête ». Non que la dimension « événement » du personna

1 Voir, par exemple, le compte rendu de Michael Houseman au livre de J.-L. Siran, L'illusion mythique
Paris, 1998, dans le Journal des Africanistes 11 (2002), p. 276-278.

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