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Khadija Mouhsine
Khadija MOUHSINE
Faculté des Lettres -Rabat
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ciation, est capital, car ii y pose et traite de Ia question de l'énonciation dune
manière plus exhaustive, aboutissant même a Ia definition de principes
methodologiques pour l'analyse.
4) Fontanille (1990) consacre tout un chapitre aux problèmes épistémo-
logiques impliqués par une redefinition des categories de l'énonciation.
Ce relevé loin d'être exhaustif appuiera néanmoins le bien fondé du
constat.
Une question pertinente reste a poser: s'agit-il dun tournant, d'un revi-
rement au plan théorique ou dun aménagement ? Car ladéquation de Ia
sémiotique au(x) contenu(s) semblait pour tous, un acquis indiscutable, au
point que les fondements théorico-méthodologiques de Ia sémiotique pou-
vaient paraItre un facteur rédhibitoire pour une evolution dans une autre
direction.
(2) Landowski, Eric (1983) <<Simulacres en construction<< in Langages 70 : << La mise en dis-
cours>> p.73
(3) ibid. p. 73
(4) Bertrand, Denis (1984) : << Narrarivité et Discursivité>> in Acres Séiniotiques, VI, 59.
<<Conformément a ce choix, (on) a éliminé les coordonnées spécifiques du locuteur, cest-
a-dire Ia catégorie de Ia personne. celle du temps, celle de Ia deixis, ainsi que tous les élé-
ments phatiques. Cétait dans un premier temps Ia condition nécessaire a <<Ia construction
dune syntaxe sémantique, indépendante de Ia langue naturelle employée<<, doi est issue
Ia thorie de Ia narrativité>> (p.30).
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<<Methodologiquement, la sémiotique sest construite sur lana-
lyse de i'énoncé par la mise a l'écart temporaire des marques de
I'énonciation. Après Ia misc au point dun outil analytique et
l'acquisition dun savoir relatif a Ia structure de l'énoncé, Ic
retour sur I'énonciation énoncée est désormais possible>>(5).
- Enfin, le dernier ouvrage de Courtés vient confirmer que lénonciation
n'avait pas été éludée en sémiotique, mais que sa misc a lécart temporaire
n'était somme toute qu'une question methodologique. L'Analyse Séiniotique
dii Discours distingue désormais trois niveaux.
- la composante syntaxique,
- Ta composante sémantique,
- Ta composante énonciative.
Lintroduction de Ia troisième composante se justifie par Ic fait que,
scion 1'auteur : <d'énoncé doit être considéré en effet, comme 1'objet produit
par 1'acte d'énonciation. D'oui notre souci de completer 1'étude des struc-
tures narratives et séinantiques de 1'énoncé -dites alors formes énoncives
par celles desformes énonciatives, mêine si, en cc domaine Ia niethodologie
adoptée reste limitée, balbutiantex' (6) •
Nous avons sciemment souligne Ic mot clé, completer pour deux rai-
sons:
a) cest une sorte de reconnaissance tacite du caractère inachevé dune
chose, disons de la <<sémiotique première<<,
b) ii confirme que nous sommes historiquement a un tournant nouveau
du développement de la théorie sémiotique, qui se caractérise par une sorte
de quasi unanimité a admettre la nécessité de Ia prise en compte de Ia
dimension énonciative qui doit être intégrée a la description sémiotique,
(Courtés pane de composante).
3. Conception et description de 1'énonciation en sémiotique
(5) Ce complement est signé dans le Dict.II par Manar Hammad (pp.76-77).
(6) CourtCs, Joseph (1991) Analyse sénziorique du discours, p. 245
(7) a) On trouve une definition similaire dans Séinantique de lénoncé (1989b:48).
b) Lénoncé. precise Courtés, correspond en syntaxe a Ia phrase, ii est employé pour <<dis-
cours>>.
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a) Tout énoncé implique donc le niveau qui le génère, celui de son
énonciation. Ainsi, ce qui, en sémiotique, était considéré comme contenu
objective, devient contenu imputable a une source ou instance particuiière,
subjectivité a laquelle l'énoncé référe.
b) Lénonciation est marquee dans le discours (ou i'énoncé). La notion
de traces, en effet, signifie que certains éléments de lénoncé concernent et
réfléchissent son énonciation. Notons que cette definition reste en partie
fidèle a l'esprit du Dictionnaire raisonné 1(1979: 126); l'énonciation y était
appréhendée comme <<une instance linguistique, logiquement présupposée
par l'existence même de l'énoncé>>.
3.2. Dc I'énonciation a 1'énonciation énoncée
Lénonciation relève du niveau de Ia manifestation. Ii y a cependant
une distance importante entre les deux definitions que ion peut lire dans les
volumes I et II du Dictionnaire raisonné et même, au niveau épistémolo-
gique, une difference notable.
— Dans le Dict. I, lénonciation est définie comme un acte de langage
qui fait exister lénoncé.
II faut distinguer cette énonciation, acte empirique, dont le mode
d'existence est d'être le présupposé logique de 1'énoncé, de sa manifestation
linguistique : <<l'énonciation est un énoncé dont la fonction-prédicat est dite
"l'intentionnalité" et dont I'objet est l'énoncé discours>>(8) Le concept désor-
mais canonisé en sémiotique sera celui de I'énonciation énoncée (ou rap-
portée) <<qui est un simulacre imitant a l'intérieur du discours; le faire énon-
ciatif>(9).
- Les propositions et complements concement dans le Dctionnaire II,
<<l'énonciation énoncéeo, terme de rigueur.
En fait, la reformulation comme nous lavons vu, résulte dun virage
opéré au plan theorique : l'intégration a lanalyse sémiotique dune troisième
composante. En clair; cela signifie que ce niveau est : 1) autonome, 2) on
peut y lire du sens. Citons le Dict II: <<lensemble des éléments relevant de
lénonciation énoncée dans un texte donné fait sens en lui même malgré son
caractère fragmentaire et disperse>>(10)O 1)•
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L'énoncé énoncé se définit alors comme le produit dune énonciation
énoncée. Transpose au plan du récit par exemple; ii correspond au narré(12).
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plifie par i'analyse de Ia composante énonciative dans Une Vendetta de
Maupassant(l 7).
3.3.3.1. <<L'énonciation, dit Courtés, est justiciable d'une organisation
narrative>> (18) .
i) En tant que processus de communication, elle doit être homoioguee
a un programme narratif de type cognitif dont les trois poles sont:
Si : lénonciateur
S2 : lénonciataire
0 : lénoncé
Elie se distingue a ce titre du PN narratif pragmatique qui décrit ia syn-
taxe narrative au plan de l'énoncé. On aura donc deux types d'actants:
- les actants de Ia narration énoncé
- les actants de Ia communication énonciation
ii) La dimension cognitive de lénonciation comme PN entralne un
type de relation particulière entre les poles installés par les procès cognitifs,
énonciateur/énonciataire. Doü lautre definition que donne Courtés de
lénonciation : <une manipulation scion Ic savoim(19). Nous reviendrons sur
cc point important qu'il faut distinguer du reste; car, est ici reconnue, Ia
fonction de lénonciation.
iii) Lanalyse sémiotique de lénonciation comprendra les deux aspects
syntaxique et sémantique.
- Au plan syntaxique : comme tout programme narratif, le PN énoncia-
tion a virtueliement une structure polernique. II implique les quatre opéra-
tions fondamentales. Competence et performance sont considérées sous un
double angie de vue:
* celui de la relation a lobjet (ici cognitif : cest un savoir qui est len-
jeu de Ia performance),
* celui de la relation fiduciaire entre lénonciateur et lénonciataire dans
leur rapport a lobjet.
- Au niveau semantique. sont situées certaines données liées a lénon-
ciation vue dans son rapport a lénoncé Ct lCnonciataire. Cest là par
exempie, que dans i'anaiyse énonciative dUne Vendetta, Courtés situe
concrètement les categories suivantes : spatialisation, temporalisation (et
aspectualisation) et evaluation (modalisation et axiologie).
(17) Cette analyse a dahord paru darts les Actes du 100 Colloque dAlbi. 1990 pp. 83-103.
(18) Courtés, 1991 op. Cit. p. 253.
(19) ibid. p. 272.
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Ainsi on voit apparaItre clairement les deux niveaux impliques par
l'énonciation Ia relation entre sujets et objets, qui relève du syntagmatique,
et Ia relation des sujets au sens.
COMMENTAIRE
1) En fait, les notions dénonciateur/énonciataire, correspondent a
celles de destinateur/destinataire, tels que les distingue Ia syntaxe narrative;
mais ces termes étant déjà sémiotiquement marques, les reprendre pour dési-
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gner les instances du PN énonciation conduirait a une confusion. Ceci justi-
fie le recours a une terminologie nouvelle pour distinguer ces différentes
categories.
2) La categorie de lénonciateur, tout bien considéré, correspond a ce
que Ia narratologie designe par narrateur primaire iniplicite(23), c'est-à-dire
un narrateur omniscient heterodiégétique et extradiCgetique. II se distingue
du narrateur explicite, linguistiqueniem prsent a travers Ia premiere person-
iie et qui assume Ia relation des événements instance que Courtés designe
par narrateur.
3) Le cas de <<lénonciation rapportee>> : elle est traitée dune façon
quelque peu lapidaire. Courtés signale seulement, que dans le cas du dia-
logue, <des actants de Ia narration se transforment en actants de lénonciation
rapportée donnant lieu au couple interlocuteur vs interlocutaire>>(24). On
retrouve, projetée fictivement dans lénoncé (diegese), Ia structure initiale de
Ia communication.
3.3.3.3. EnonciationlManipulation
Décrire l'énonciation en tant quactivitC cognitive serait limiter sa fonc-
tion a une simple transmission dun savoir -salon Ia conception structuraliste
de la communication- . Autrement dit, transmission neutre qui n'impliquerait
pas une intentionnalité de lénonciateur. Pour évirer cette interpretation,
l'énonciation en tant que faire cognitif, est investie de Ia fonction principale
liée a cette dimension, a savoir Ia manipulation
ele but de l'énonciatioiz en effet, est moms defaire savoir que
defaire croire: même ies énoncés les plus objectives, tels ceux
du discours scientifique, se veu lent convaincants (Courtés
1991:250).
Ce qui amène Courtés a considérer que lénonciation <<relève moms de
lactivité (...) que de Ia factitivité>>(25). Courtés reste, là encore, fidèle aux
categories sémiotiques. Rappelons que ces notions se trouvaient aussi chez
Greimas, mais elles nétaient pas examinCes dans <<Le savoir et le cr01-
re>>(26) sous tangle de lénonciation. La dimension cognitive y était pourtant
décrite comme un PN, et dont les deux poles installés par tes procès cogni-
tifs sont: lénonciateur et lénonciataire.
(23) Danon-Boileau, L. Produire lefict(f chapitre II, Kiincksieck. 1982.
(24) Courtés, 1991 op. Cit. p. 249.
(25) ibid. p. 250.
(26) Greimas, A. J. <<Le savoir et Ic croirc : un seuI univers cognitif<< in Do Sens II. pp. 115-
133. Dans le cadre dune théorie des modalités, Ia question est repensée, la communica-
tion nest plus un simple• c/c s0voir> . Scion Greimas, interprétatlfCorrespon-
daiu et oppose. Le Changeineni de perspective ainsi obtenu se résu,nait en CeCi que per-
suader, s'ii reste en panic on /faire-savoir/ est surtout en premier lieu, on /faire-croi-
re/'. (p. 115).
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Ce point nous ramène au débat que nous soulevons plus loin a propos
de la <<vateur informative>>. Courtés pose implicitement a travers le concept
de manipulation:
- quil n'existe pas de valeur informative complètement objective et
neutre.
- que tout /faire savoir/ est dabord un /faire croire!. Ceci aurait pu ame-
ner, logiquement, a intégrer au sens, Ia facon de manipuier, cest-à-dire l'atti-
tude de lénonciateur par rapport a ce quil veut faire savoir, teile que Ia
représente son énonciation. Mais cest sans doute outrepasser lintention de
Courtés, car ii nintervient pas dans cette conception, une valeur pragma-
tique de lénonciation.
Au plan methodologique, lénonciation comme manipulation se verra
appliquer les mêmes procedures quun PN narratif de type cognitif. Deux
operations spCcifiques notamment sy rapportent: lefaire persuasif et Ic faire
interprétatif ils sont corrélés, l'un impliquant lautre. En syntaxe narrative,
its sont respectivement attribués aux poles du destinateur et du destinataire.
Au niveau de l'énonciation, Ic processus est décrit de Ia même facon : ii
y a chez i'énonciateur une intention dinfluencer lénonciataire en vue de
gagner son <<adhesion>>:
<<lénonciateur manipu le lénonciataire pour que celui-ci adhere
au discours qui lui est tenu>>(27).
Dans cette relation que Courtés qualifie de factitive, lénonciataire nest
pas un destinataire passif, ii est aussi <sujet de faire ; comme le /faire croi-
re/, le croire est une actionx, avec cc que cela implique au niveau de rela-
tion communicative, a savoir, Ia competence pour ce faire.
Avant de voir plus concrètement, comment, au niveau textuel par
exemple, lénonciation comme manipulation peut être sémiotiquement décri-
te, nous voudrions insérer une parenthèse a propos des rapports entre sémio-
tique et pragmatique.
Sémiotique I Pragmatique
La manipulation: fonction pragmatique ?(28). Les definitions et explica-
tions de Courtés suscitent les remarques suivantes;
* Un constat dabord: Ia distance prise a légard du schema traditionnel
structuraliste de Ia communication; cite a pour effet de détruire ici, lillusion
de Ia neutralité du message au scm dune communication <<objective>>.
* Ccci a pour consequence immediate, Ia reconnaissance dune inten-
tionnalité - consciente ou inconsciente - presente dans toute énonciation.
(27) Courtés, op. cit. p. 250.
(28) Pragrnatique est a entendre au sens inguisticue, Ct non sémiotique.
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Cette conception aurait Pu conduire a intégrer an sens de l'énoncé, une cer-
tame fonctiontde son énonciation, maintenant reconnue, voire prise en char-
ge par Ia sémiotique.
* Courtés semble aller dans ce sens en distinguant au plan de l'énoncia-
tion les deux operations principales: <activité<< et <factitivité<<. Le /faire
savoirl, valeur informative, se double dune intentionnalitC de l'énonciateur,
le /faire croire/. Le second semblait même premier dans Ia definition que
nous rappelions ci-dessus, de lénonciation comme onanipu1ation selon le
savoir. En ce sens, la sémiotique rejoindrait au niveau de sa conception de
l'énonciation, dautres theories linguistiques articulant sous une autre moda-
lité les categories de dictuin/inodus, contenu propositionnel/force illocutoire,
puisque, a côté du contenu informatif on reconnaIt Ia manière de dire
comme egalement pertinente.
La manipulation seraitelle alors homologable a une fonction pragma-
tique de lénonciation en sémiotique ? Courtés restreint cependant Ia mani-
pulation en lui assignant comme fonction, le résultat escompte : l'adhésion.
Le Ifaire croire/ compris comme un acte de persuader, privilegie non pas
lillocutoire mais le perlocutoire. A partir de là, Ia description prévoit tout un
scenario avec une structure polémique de ce PN:
adhesion r énonciataire
non adhesion —p. anti-Cnonciataire
Considérant davantage, leffet sur, et Ia reaction de lénonciataire -atti-
tude dailleurs qui peut être extra-linguistique-, Ia manipulation risque de
nêtre pas plus qu'une modalité rhétorique.
II est a remarquer certaines repercussions relatives a labsence dunivo-
cite de quelques concepts employés. Ainsi par exemple, celui
d'énonciataire, qui prend une acception nouvelle dans Ia mesure oü ii se
définit aussi comme celui qui <adhère>> an point de vue de lénonciateur, il
est même appelé par Courtés (1991 :254), le <convaincu. II y a donc deux
sens de énonciataire selon les positions actantielles:
- énonciataire avec guillemets (29), qui représente le persuade
- l'énonciataire dit, an <<sens large< et qui appelle son contraire, <lanti-
énonciataire>.
II nest pas inutile de signaler que dans Ic cadre general de Ia théorie
sémiotique, Ia notion de manipulation subsume celle des actes de langage
des philosophes anglo-saxons. Citons Ic Dictionnaire raisonné I:
En revanche, tine séiniotiql.le de faction peut specifier des
actes de Ian gage comine tine sous classe de manipulations,
par exeinplex.
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Le Dict. II va plus loin:
<La definition et Ia typologie des actes de langage (Austin,
Searle) reposent stir une théorie iinplicite et a priori de I'inten-
tionnalité des sujets parlants. Aussi ize peut-elle êt,-e intégrée
telle queue a Ia SCnhiotiqtiex.
Revenons aux propositions méthodologiques de Courtés pour une
approche de Ia composante énonciative. Ii distingue deux niveaux dans Ia
description:
- la relation énonciationlénoncé
- Ia relation énonciateur/Cnonciataire
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4. Autre traitement de I'énonciation en sémiotique
Cette breve presentation de lénonciation en sémiotique risque de
paraItre bien incomplete, car:
- Nous n'avons pas fait référence a Coquet a qui revient le mérite d'être
parmi les premiers a militer en faveur du passage dune <séiniotique objecra-
le a tine sémiotique subjectale. Se reclamant plus de Benveniste que dun
structuralisme orthodoxe, Coquet reste proche dune conception plutôt un-
guistique de lénonciation ; a ce titre ii peut légitimement être considéré
comme lélément Ic moms orthodoxe de lEcole de Paris.
- On se doit de mentionner egalenient les travaux de Fontanille, dont le
role dans l'élaboration d'une théorie de lCnonciation en sémiotique nous
semble determinant.
Plusieurs entrées, definitions, reformulations, ou complements du
Dict.II, afférant au domaine, sont signCs par lui.
Déjà dans son article <'Dimension cognitive dii discours< (1980:3),
Fontanille proposait de reconnaltre, a cOt de Ia dimension pragmatique, une
dimension cognitive qui, quelquefois double Ia premiere:
<La dimension cognitive it 'est pas seulement constitutive du
niveau narratif ; elle est ciussi partie prenante dans Ia discursi-
vationv.
Cette remarque n'aboutit pas encore a l'esquisse dune théorie de l'énon-
ciation, néanmoins, pour Fontanille, c'est un domaine que la semiotique
pourrait explorer:
on ne peut alors s'emnpêcher dc penser que c'est dons Ia
dimension cognitive, c'est-à -dire ici, dons les contrats de
savoirs determinant l'instance enonciatrice, qu 'une tvpologie
sémniotique des discours peut et doit se frmder(3 I),
La dimension cognitive est vue conime tin ensemble d'effets de seas
(p.10).
C'est dans les Espaces Subjectifs que Ion peut lire Ia presentation Ia
plus récente, mais aussi Ia plus systématique de sa conception de l'énoncia-
tion.
Chez Fontanille, le concept dénonciation recoit trois acceptions:
i ) acte de langage concret dont le résultat est I'apparition historique de
l'énoncé ; c'est un acte empirique,
-- dimension pragrnatique(32),
110 15
(31) Fontanille J. <<Dimension cognitive dn discours<< in Acles stiniotiques, Bulletin,
Sept. 1980.
(32) Fontanille j. Les espaces subjectij's : introduction le Ia séiniotiquc de 1'obser'ateur,
Hachette, 1989; pp. 11-12.
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ii) Le résultat de cet acte, véhiculant un savoir,
dimension cognitive,
iii) une presentation (ou representation) de cette énonciation,
dimension thynique (ou passionnelle).
L'introduction de cette troisième dimension achève de nous éloigner de
Greimas/Courtés (1979), puisque le sujet de énonciation nest plus seule-
ment le sujet 1ogique. Fontanille conçoit lénonciation comme un veau
autonome passible dune analyse aux trois plans, praginatique, cognilif et
thymique.
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b) L'énonciateur et i'énonciataire: us assument par syncrétisme deux
poles actantiels, celui de sujet et celui de destinateur ou destinataire. Par
contre us ne peuvent être acteurs -<n'ayant pas d'identitéx, aussi l'auteur pré-
fère-t-ii leur assigner un statttt interinédiaire, cclii 'd'archi-acra,ztsx( 33)
c) Les sujets énonciatifs : ce sont les <<-siinulacres discursifv par les-
quels l'énonciation doivze l'illusion de sa presence dans le discours énonce.
Fontanille en distingue trois types scion que ion considère lune des trois
dimensions de lénonciation : pragmatique, cognitive ou thymique. Le rOle
de <<sujet cognitif énonciatif revient a l'observateur>.
Point commun aux deux auteurs, lénonciation nest pas appréhendée en
tant que voix, mais surtout en tant que point de vue. Cette notion est séman-
tiquernent presente dans Ic terrne rnême d<ohsert'ateur...
Le Dict. II priviiégie égaiernent Ia categoric de lobservateur, die sup-
piée ceile de narrateur, jugée non operatoire puisque restreinte au domaine
verbal.
La notion dobservateur se voit elie-même parcellisée en plusieurs
types, scion Ia fonction attribuée a linstance, lobservateur sera focalisareur
et/ou aspectualisateur etlou assistant (34)
II ne sagit pas d'entrer dans un comparatisme fastidieux et somme
toute stériie, mais simplernent, de signaler objectivement, sinon des diver-
gences, du moms des variations au niveau CpistCmologique. Ce faisant, nous
nousjoignons même au voeu de COURTES (1991:66):
Les terines du métalan gage, dir-il, doivent Ctre, si possible
univoques, c 'est-à -dire, n 'admettre cju 'une settle acception,
quelque sUit leur contexte d'emploi.
Labsence dunivocité risque daggraver Ic coat theorique du déveioppe-
ment dune théorie de I'énonciation au scm de Ia sémiotique.
5. Conclusion
— 82
5.1. La lecture de lanalyse de Ia composante énonciative dans Une
Vendetta, que Courtés fait figurer a Ia fin de l'Analyse Sémiotique du dis-
cours, au titre de lexemplification, nous amène a formuler quelques
remarques.
i) - Lénonciation y est étudiée a partir de ses traces dans lénoncé.
- Telle queue est décrite dans Ia nouvelle de Maupassant, lénonciation
est conçue comme point de vuex.
- L'énonciateur est désigne comme étant lorigine de ce point L vue;
cest a partir de ses différentes positions -pour Ia plupart, implicites ou pré-
supposées- que les espaces et les positions des acteurs sont décrits. II en est
ainsi de l'opposition haut/bas qul structure lespace de Ia nouvelle, avec, au
plan sémantique, ses correspondants thymiques.
Cest aussi par rapport a lénonciateur que se modulent larticulation
temporelle et aspectuelle du récit:
Espace et teinps... n'ont de sens, en effet que par rapport aux
acteurs concernés dont us sont seuleinent les coordonnéesx
(Courtés 1991:284)
Le passage du passé - temps du récit -, au present descriptif, illustre un
cas de déhrayage énonciatiftemporel et partant, relève de 4a manipulation
énonciativex. <Il crée, dit Courtés, lillusion du moment même de lénoncia-
tion>> (35) •
Une interpretation similaire est donnée de 1emploi dun autre present
de vérité generale dans lénoncé suivant : <Le souvenir que rien n'efface.
Dans ces cas, estime Courtés, lénoncé est centre sur lénonciataire dont il
<<sembie prendre a témoin Ia competence séma/7tique(36). Un conditionnel a
la place du present par exemple, aurait renvoyé a un temps énoncif.
En dautres termes, ce present devrait être considéré comme extradiege-
tique, relevant du commentaire et renvoyant par consequent a linstance de
lénonciation. II figure ici, au titre de lincise dans le corps du récit, Ct y ins-
crit donc laxe de communication énonciateur/Cnonciataire; ii presuppose de
plus chez Fun et lautre une même référence cognitive. Mais Courtés ne Fin-
terprète pas comme voix.
ii) - Lénonciateur est implique egalement dans les modalités dévalua-
tion. Elles sont etudiees par lauteur au niveau des adjectifs descriptifs des
lieux et acteurs:
du fail quils lies évaivatifs] renvoient implicitement a I'ins-
tance de lénonciation, us donnent a lénoncé an caractère sub-
jectif mnarquex(37).
83
iii) L'étude dUne Vendetta privilégie le point de vue de lénonciateur,
point de vue øü sorigine le texte. II se trouve que dans le récit present, cest
le point de vue dominant, bien quon y décèle aussi des perspectives diffé-
rentes. Certaines evaluations sont en effet attribuées a dautres instances du
récit du point de vue desquelles, les choses et les événements sont décrits
Ia vieille/la chienne/l'actant collectif a la fin. Quen serait-il si la perspective
narrative était plus modulée et plus éclatée?
La question provient du fait que le cas n'est pas pose, ni methodologi-
quement envisage.
Axée davantage sur Ia problematique de la focalisation, l'étude de
lénonciation en sémiotique n'intègre pas -du moms a ce stade- de façon
satisfaisante, le problème de la voix, cest-à-dire le/les discours rapportés ou
transposes, des différents actants.
Ii faut souligner que l'apport de Courtés est sur ce plan, capital. Les
éléments de la deixis : temporalisation, spatialisation, ne sont plus implicite-
ment rattachés a ou a inférer du système actantiel on actoriel (par rapport a
un PN pragmatique), mais relies a une instance supérieure, subjectivité sub-
sumant le récit.
5.2 Troisième et dernier volet, la composante énonciative est destinée a
completer les composantes syntaxique et sémantique dans la perspective
d'une analyse sémiotique plus exhaustive.
Dans une analyse dun fragment du roman de Kessel, Le Lion, Courtés
(1986:49), fait une remarque intéressante. Ii signale l'absence de la tradition-
nelle segmentation du texte, expliquant qu'elle ne doit être faite, quune fois
achevées, non seulement les descriptions syntaxique et sémantique, <<mais
aussi celle de l'énonciation énoncée>>(38).
Ii est dommage qu'on ne soit pas davantage éclairé sur le pourquoi ?
Est-ce a dire que le niveau de l'énonciation intervient dans une stratégie
du/des sens ? On peut toutefois sautoriser a en inférer que lénonciation
énoncée nest pas indépendante, quelle oriente le repérage de la significa-
tion; sinon, pourquoi Ia prendre en compte dans une segmentation ? Car, par
segmentation, il faut entendre la procedure visant a limiter des unites tex-
tuelles .xfaisant sensx.
Ainsi, en plus des contenus, ii faudrait ajouter a present, la manière
dont ces contenus sont articulés on mis en perspective par rapport a leur
source énonciative.
5.3. La composante énonciative, reste an stade actuel, davantage objet
danalyse qu'outil danalyse. La description de lénonciation comme un PN
(38) Courtés, 1986 1ntroduction a Ia sémantique de léno,zcé in Actes Séiniotiques, vol. III,
p. 49.
— 84 —
avec toutes les dimensions impliquees par cette catégorie, ne peut que peser
sur l'énonciation comme instrument méthodologique.
Insistant sur le caractère non achevé de sa démarche - Courtés s'est
interdit daller plus avant. II considère sa contribution comme une ébauche et
en appelle a d'autres complements et a la proposition <d'autres concepts
pour une analyse plus fined. (1991:286)
- La niise en discoursx est une operation relevant de la sémantique
discursive ; telle quelle est examinée en sémiotique, elle est essentiellement
axée sur le rapport des sujets au discours, considéré comme nous lavons vu,
comme lenjeu dun PN. II reste un autre aspect tout aussi fondamental, le
rapport du sujet du discours au sens, dimension quinvestissent un certain
nombre dapproches linguistiques et pragmatiques de l'énonciation.
5.4. Si létude de lénonciation se limite au repérage des procédés dem-
brayage et de débrayage énonciatif a travers certaines categories, telles que
le temps, lespace, les acteurs, etc., la sémiotique n'irait pas plus loin que la
narratologie. Elle restera même en deça pour ce qui est de Ia catégorie de Ia
voix.
Rappelons qu'au niveau discursif s'inséraient déjà par le biais des ope-
rations d'embrayage/ débrayage, de l'actorialisation, la temporalisation et
laspectualisation. Comment s'articuleront alors les deux niveaux discursif et
énonciatif? Sagit-il désormais d'un transfert de ces categories d'un niveau a
un autre ? Y-a-t-il un rapport entre le cognitif énoncif et le cognitif énoncia-
tif? Auquel faudra-t-il rattacher le savoir des acteurs, par exemple?
Pour Courtés, semble-t-il, la syntaxe énoncive et Ia syntaxe énonciative
se déroulent le plus souvent, indépendamment lune de l'autre(39).
5.5. La sémiotique pourrait egalement par cette approche de lénoncia-
tion n'être qu'une simple relecture des modalités qui fait de la subjectivité
une catégorie qui subsume les deux autres niveaux, syntaxique et séman-
tique.
Une question théorique essentielle demeure, le niveau de l'énonciation
énoncée a-t-il tine fonction stratégique par rapport au sens? Autrement dit,
a-t-il un impact quelconque sur Ia sémiosis fondamentale ? Une réponse
positive remettrait fondamentalement en question 1'autonomie des structures
sémio-narratives.
II est a craindre pour le moment que le problème de lévaluation dun
développement dune théorie de lénonciation en sémiotique, ne soit pas seu-
lement une question technique délaboration dautres outils adequats. II nous
semble découler dun choix théorique inherent a Ia discipline même. Le der-
nier ouvrage de Greimas et Fontanille (1991) autorise linterrogation ou plu-
(39) Courtés, 1991, op. cit. p. 254.
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tot Ia suscite. On y lit clairement a propos de 'la mise en discours de 1'avari-
ce>
Mais Ic prix a payei en ce qui concerne Ia méthode, n 'est pas
négligeable: a partir de manifestations discursives, et sur le
fond cl'un petit nomnbre d'hypothèses théoriques, ii faut dégager
pro gressivement cc qui appartient (a titre d'hypothèse) aux uni-
versaux et cc qui appartient a Ia misc en discours,,(40).
L'essence de Ia sémiotique, sa vocation a 1'universalité qui en fait un
modèle puissant, serait a Ia fois un atout, mais une entrave a un développe-
ment, en son sein, dune approche de lénonciation plus hardie et plus proche
dune conception pragmatique ou linguistique qui a ouvert un vaste champ a
l'exploration de Ia signification.
La question est cependant au coeur des preoccupations des sémioti-
ciens; le séminaire intersémiotique de Paris est consacré cette année (1992-
1993) a La Praxis Enonciative. Les auteurs(41) du texte d'orientation propo-
sent trois axes pour Ic débat et Ia réflexion au sein du séminaire
4a praxis énonciative (...) touche 1) a l'usage, a Ia diachronie
et a l'histoire c/es Ian gues et des cultures, 2) aux procedures
cogn itives c/c Ia typification, productrices notammen t, de
formes canoniques, et 3) a notre conception de I'énoncia-
tion,(42).
Dans le même texte on peut constater une ouverture dans cette référen-
ce explicite a Ia distinction opérée par Benveniste entre <sémiotique< et
<sémantique<< ; distinction ainsi commentée par les auteurs
iI (Benveniste) voulait en quelque sorte faire tine place, a cóté
c/c Ia signification engendrée a partir dii système, aux effets de
sens suscités par i'initiative et l'activité des sujets énonçants.
Une sémiotique intégrée devrait étre i mnêmne cl'articuler ces
deux preoccupations : d'u,i cdtC I'engendrement des formnes
signifiantes a partir du système sémio-narratif et de l'autre Ia
contribution c/es instances ci 'Cnonciation, individuelles et col-
lectives, a Ia production et a Ia transformation des dis-
cours,,(43).
Mais une sémiotique intégrée>>, pour reprendre une formule de
Culioli, passe par une revision de Ia conception de Ia place du sujet dans Ia
sémiosis fondamentale. La publication prochaine des travaux du séminaire
décideront de l'orientation future de ce débat théorique.
(40) Greimas A.J. ci Fontanillc J., 1991, Séiniotique des passions des étals de choses aux
étazsd?lme, Scull, p.173.
(41) Le texte dorientation est signé par D. Bertrand et J. Fonlanille.
(42) Le texte dorientation.
(43)ibid.
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