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Université Sultan Moulay Slimane

Faculté des Lettres et des Sciences Humaines Béni Mellal

Département de langue et de littérature française

Master : Sciences du Langage

La sémantique générative

Développements théoriques:
Place des quantifieurs
Focus et présupposition

Élaboré par : Encadré par Monsieur le professeur :

Hassan SERRAR OUMERAOUCH Brahim


Rachid ELBOUSSAIDI
Omar EZZNAIDIA
Hicham ZAHOUMI
Abdelmak ELBAHRAOUI
Année universitaire : 2020/2021
INTRODUCTION

La naissance et le développement de la sémantique générative sont marqués


par une série de positions et de controverses, qui se manifeste par un certain nombre
d’articles repères. L’originalité de la théorie de la sémantique générative s’est
affirmée et précisée au cours de controverses1 entre orthodoxes et dissidents, Katz
et Chomsky, d’un côté, Mccawley et Lakoff de l’autre. Controverses qui ont
d’ailleurs conduit à une modification de la théorie standard. Les sémanticiens
générativistes développent et affinent les liens qu’ils voient entre la théorie
linguistique et la logique naturelle, Lakoff définit un nouveau domaine, de logique
pour le langage naturel, qui intègre en particulier les notions de présupposition, de
quantification, de postulat de sens, de sémantique des mondes possibles, pour rendre
compte de la complexité des phénomènes linguistiques.

Parmi les notions traitées par les sémanticiens générativistes, on a le


phénomène de quantification, de focus et présupposition. La quantification est
présentée à travers une analyse qui fusionne les aspects sémantiques et syntaxiques.
Les éléments quantifiés qui sont formellement des objets d'ordre supérieur affichent
un comportement assez particulier et inattendu d'un point de vue de la grammaire
traditionnelle, compte tenu de leur rôle dans l'espace syntagmatique. À des
anomalies logico-sémantiques s'ajoutent des particularités des plus variées au niveau
syntaxique. Le problème posé par les ambigüités de portée y figure au premier plan.

1
Les guerres linguistiques est l’expression couramment utilisée pour le long conflit académique de linguistique
générative américaine découlant d’une dispute entre Noam Chomsky et quelques-uns de ses collègues et élèves les
plus précoces. Il prend place essentiellement dans les années 1960 et 1970.Des linguistes tels que Paul Postal, John
R. Ross dit « Haj » Ross, George Lakoff et James McCawley, autoproclamés « Les Quatre Cavaliers de
l’Apocalypse », proposent une théorie alternative à la sémantique générative qui critique la théorie de Noam Chomsky
en se concentrant sur la sémantique plutôt que, comme le concept de structure profonde de Chomsky le fait, sur la
grammaire.

2
Les phénomènes s’avèrent déterminés par des contraintes structurelles. Le niveau
syntagmatique de forme logique fournit la plateforme conceptuelle pour une analyse
unifiée de cas divers. Les objets quantifiés sont généralement présumés être sujets à
l’opération transformationnelle de la montée quantifieurs.

La présupposition est un type d'inférence conventionnelle, qui se distingue de


l'assertion, qui fait partie du savoir partagé énonciatif et qui peut donner lieu à
l'accommodation. Une présupposition sémantique, dans une conversation, est une
information qui n’est pas dite, mais que le locuteur considère comme connue de la
part de son interlocuteur, ce qui ne l’oblige pas à la spécifier. Autrement dit, une
présupposition est une proposition secondaire implicite. Pour qu'un énoncé soit vrai,
ses présuppositions doivent l’être aussi. Les notions de focus et de présuppositions
sont des arguments empiriques solides qui ont participé à la modification de la
théorie standard. Il s'agit de divers cas où il semble que l'interprétation sémantique
soit plus liée à la structure de surface qu'à la structure profonde. C'est par exemple
le cas de certains phénomènes d'accentuation exprimant les notions de focus et de
présupposition. Ainsi la phrase (où le mot en capitales porte un accent spécifique) :
C'est Michel qui écrit des poèmes ? Exprime la présupposition que quelqu'un écrit
des poèmes et Michel est le focus de la phrase.

Notre travail cherche à éclairer la question de la spécificité des structures


quantifiés, des focus et des présuppositions et de leur valeur sur le plan
syntagmatique et sémantique : l’étude de la place du quantifieur, des focus et des
présuppositions semble être l’un des éléments indispensables pour une réponse à
cette question.

3
Nous avons formulé une problématique qui s’articule sur l’interrogation
suivante : Comment des concepts comme : les quantifieurs, le focus et les
présupposés ont contribué au développement théorique de la sémantique générative?

I- La quantification

La quantification consistant à lier les variables libres d’une formule logique par des
quantificateurs. C’est est une série d'opérations de détermination qui sont
constitutives de la bonne formation de l'énoncé. Le terme de quantification, en tant
qu'opérations, a été introduit par C. S. Peirce et par G. Frege pour analyser des
particules grammaticales comme « quelques », « certains », « chaque », « tous les »,
« aucun » etc.

1-Des dénominations différentes : quantificateur, quantifiant, quantifieur

Comme toujours en linguistique, la terminologie varie. Le terme de


quantificateur est le plus usité. Il est emprunté à la logique. Il faut rappeler que la
notion de quantification procède elle-même de la logique ; implicite déjà chez
Aristote puisque sa méthode syllogistique est principalement un processus
d'inférence sur des propositions quantifiées, elle devient explicite avec la logique
des prédicats.

Abandonnant quantificateur aux logiciens, Marc Wilmet adopte le vocable


quantifiant qui présente l'avantage à ses yeux de suivre le modèle de déterminant.
En effet, comme il emploie caractérisant pour désigner le second type de
déterminants, il fait le choix du même procédé de nominalisation des participes
présent tant pour la classe principale qui englobe l'ensemble des unités liées à la
détermination que pour les deux sous-classes dans lesquelles ces unités se

4
répartissent. Construit avec le suffixe -eur au lieu de la forme savante -ateur,
quantifieur est utilisé par Dominique Maingueneau.

2-l’étude de la quantification

La quantification peut être étudiée à partir de deux approches distinctes, mais


étroitement associées :

(i) Une approche interne, concernant les quantifieurs eux-mêmes, leurs structures
morphosyntaxiques et leurs propriétés de base ;

(ii) Une approche externe, concernant les quantifieurs en contexte, c’est-à-dire à


partir des relations syntaxiques et sémantiques entre les quantifieurs et le reste
des phrases où ils sont employés.

3-Les fondements théoriques de la sémantique quantificationnelle

3-1-Principes de base de la sémantique quantificationnelle

La caractéristique majeure de la sémantique générative est d’être une théorie


transformationnelle qui met la sémantique au centre de la linguistique. Elle fait de
la grammaire générative un cadre théorique acceptable pour des linguistes qui
travaillaient sur des langues auxquelles la syntaxe générative de l’époque semblait
inadaptée.

La conception du déplacement syntaxique en grammaire générative a permis


de rendre compte d'un grand nombre de phénomènes dans des domaines variés de la
recherche en linguistique. Ce mécanisme de déplacement joue un rôle particulier
dans le traitement des structures quantifiées. Leur interprétation s’avère
problématique puisque les structures de surface ne fournissent pas toutes les

5
informations nécessaires pour la dérivation des relations logico-sémantiques. Ce
phénomène, connu depuis longtemps, se traduit par une ambiguïté spécifique aux
structures quantifiées et interrogatives.
En incorporant aux structures sous-jacentes des représentations logiques, la
sémantique générative est confrontée à une double tache :
 La logique est censée définir des lois de la pensée et fonder ainsi les relations
entre énoncés sur des rapports d’équivalence, implication etc.,
 Tandis que la linguistique transformationnelle fonde en partie ces rapports
d’équivalence, qui définissent les énonces en relation de paraphrase, sur des
restrictions de sélection.
D’une part, nous devons avoir la capacité de penser logiquement, c’est-a-dire
conformément aux règles d’inférence et aux lois logiques. D’autre part, on est obligé
de constater qu’une langue particulière ne traite pas des énoncés logiquement
équivalents de la même manière.

Soit l’exemple suivant :

(1) Tous les étudiants ont une spécialité.

Dans cet exemple un peu classique, il est évident que l'interprétation de (1) conduit
à un ensemble de vériconditions disparates et logiquement incompatibles.

(2a) [tous les (étudiants)] [[une (spécialité)] : Une spécialité a été choisie par tous
les étudiants

(2b) [une (spécialité)] ([tous les (étudiants)] : Il y a une spécialité que tous les
étudiants ont choisie.

3-2-Les raisons d’introduction des quantifieurs

6
Afin de comprendre le statut de la logique dans la sémantique générative, il est bon
d’évoquer les raisons qui ont motivé son introduction.

Ces raisons sont de trois ordres :

1. Le formalisme logique permettait de résoudre certaines questions techniques


que la grammaire transformationnelle ne pouvait traiter ou décrivait de
manière inélégante ;

2. La réduction des catégories lexicales aux noms, verbes et phrases les rendait
assimilables aux prédicats, arguments, et propositions de la logique des
prédicats ;

3. Étant donné le contexte culturel auquel appartenaient les sémanticiens


générativistes, la logique apparaissait comme la seule option technique
sérieuse.

3-3-Typologie des quantifieurs

On appelle quantifieurs tous les mots exprimant une quantité. Plusieurs


paramètres sont à prendre en compte pour choisir le bon quantifieur :

 La nuance sémantique qu’on veut exprimer (la totalité, la majorité, le grand


nombre, etc.).
 La polarité de l’énoncé (affirmatif ou négatif ou interrogatif).
 La nature du nom (dénombrable ou indénombrable)
 Le fonctionnement syntaxique du quantifieur (déterminant ou pronom ou
autre).

3-3-1-Quantifieur universel et quantifieur existentiel

7
 Lorsqu’une proposition dépend d’un paramètre, on peut utiliser deux types de
quantificateurs :

a- Le quantificateur universel « Pour tout » ; se dénote par le symbole ∀ (un A


à l'envers).

Exemple : ∀x P(x) se lit « pour tout x P(x) » et signifie « tout objet du domaine
considéré possède la propriété P ».

 Une propriété peut être : Universelle si elle est vraie (ou fausse) pour tous les
cas :

 « Tous les élèves de Terminale font de la philosophie »

 « Aucun lapin ne porte de lunettes »

b- le quantificateur existentiel « Il existe ». Se note avec le signe ∃ (un E


retourné). Plus précisément, ∃x P(x) signifie : il existe au moins un x tel
que P(x) (un objet au moins du domaine considéré possède la propriété P)

 Une propriété peut être : Particulière si elle est vraie (ou fausse) dans au moins
un cas :

 « Il existe un élève de la classe qui est une fille »

 « Il existe un élève de la classe qui n’est pas une fille »

3-3-2-quantificateur flottant et quantificateur à distance

Cependant, certains quantificateurs peuvent aussi se placer devant le verbe tout en


continuant à exercer une quantification sur le nom. Ces quantificateurs préverbaux
se classent en deux groupes distincts en fonction des propriétés syntaxiques qu’ils

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manifestent : les quantificateurs flottants (QF) et les quantificateurs à
distance (QAD).

L’exemple classique du QAD est beaucoup (on a aussi trop, peu, etc.), alors
que tous et chacun sont des exemples typiques de QF.

Exemple : 1-Tous les étudiants sont venus

2. Les étudiants sont tous venus.

Tous : est un quantificateur flottant, qui modifie les étudiants mais qui est placé
séparément.

II- La quantification : typologie et portée des quantificateurs


;

1. Quantificateurs à distance et quantificateurs flottants ;

Les quantificateurs sont des mots qui ciblent un ensemble ou un sous-


ensemble d’objets ou d’individus dénotés par un nom. Généralement, on les trouve
à l’intérieur d’un syntagme nominal (SN), devant le nom, comme dans les
expressions suivantes :

▪ plusieurs pommes, tous les jours, certains travaux, trois amis, beaucoup de
livres, etc.

Il s’agit de ce que nous appelons la position normale, ou canonique, de ces


quantificateurs. Cependant, certains quantificateurs peuvent aussi se placer devant
le verbe tout en continuant à exercer une quantification sur le nom. Ces
quantificateurs préverbaux se classent en deux groupes distincts en fonction des
propriétés syntaxiques qu’ils manifestent :

9
➢ les quantificateurs à distance (QAD);( beaucoup, trop, peu).

➢ les quantificateurs flottants (QF) ; (tous, chacun);

(1)

a. Les critiques ont beaucoup vu de films.

b. Les étudiants ont tous remis leur travail à temps.

c. Ces politiciens ont chacun reçu un prix.

La seule façon d’identifier la position préverbale des quantificateurs est


d’utiliser des verbes à temps composé. Dans ces cas, le quantificateur figure après
l’auxiliaire mais devant le participe passé. Les verbes simples, quant à eux, ne
permettent pas aux quantificateurs de se placer devant le verbe :

(2)

a. *Les critiques beaucoup voient de films.

b. *Les étudiants tous remettront leur travail à temps.

c. *Ces politiciens chacun reçoivent un prix.

En admettant que le QAD beaucoup occupe la position normalement réservée


aux adverbes, c’est-à-dire immédiatement devant le syntagme verbal, l’ordre de
surface obtenu après le déplacement du verbe vers la gauche est le même pour le
QAD que pour le quantificateur nominal.

(3)

10
➢ Beaucoup à l’intérieur du SN :

a. Les critiques voient [SV t [SN beaucoup de films]].

➢ Beaucoup en position préverbale :

b. Les critiques voient beaucoup [SV t [SN de films]].

Cependant, avec les verbes à temps composé, c’est l'auxiliaire qui se déplace
vers la gauche ; le verbe (qui prend la forme participiale) reste sur place. Ceci nous
permet donc de faire la distinction entre beaucoup dans sa version nominale et le
QAD puisque l’ordre de surface ainsi obtenu n’est pas le même dans les deux cas.

(4)

➢ Beaucoup à l’intérieur du SN :

a. Les critiques ont [SV t vu [SN beaucoup de films]].

➢ Beaucoup en position préverbale :

b. Les critiques ont beaucoup [SV t vu [SN de films]].

Les quantificateurs préverbaux n’ont pas tous les mêmes propriétés


syntaxiques. D’où la différence au niveau de l’interprétation sémantique.

11
2. Les propriétés du quantificateur à distance beaucoup ;

Les propriétés principales de beaucoup peuvent se résumer en quatre points.


Ces propriétés servent à départager les QAD des QF.

1) Il est invariable ;

➢ Tout d’abord, beaucoup a toujours la même forme, peu importe les traits
morphologiques (genre, nombre) de l’objet qu’il quantifie :

(5)

a. Les enfants ont beaucoup vu de films (masc. plur.).

b. Les enfants ont beaucoup mangé de pommes (fém. plur.).

2) Il ne peut se rapporter qu’à l’objet ;

La quantification à distance avec beaucoup porte toujours sur l’objet du verbe.


La quantification sur le sujet est impossible (d’où l’agrammaticalité de (6b) :

(6)

a. Beaucoup de garçons ont parlé au père Noël.

b. *De/des/les garçons ont beaucoup parlé au père Noël.

Le constituant qui fait l’objet d’une quantification à


distance doit nécessairement être un SN objet direct du verbe.

La quantification ne peut pas porter sur un SN contenu à l’intérieur d’un SP


complément d’objet indirect (7a). Évidemment, cette restriction ne s’applique pas

12
lorsque beaucoup se trouve dans sa position canonique, (à l’intérieur du SN), comme
en (7b) :

(7)

a. * Il a beaucoup parlé à/avec de gens.

b. Il a parlé à/avec beaucoup de gens.

3. il doit se trouver dans la même proposition que le nom qu’il quantifie ;

La relation entre beaucoup et le SN qu’il quantifie doit nécessairement


s’établir à l’intérieur de la même proposition. Ainsi, les phrases suivantes, où
beaucoup figure dans la proposition principale et le SN quantifié dans la
subordonnée, sont agrammaticales :

(8)

a. * Il a beaucoup essayé [de lire de livres].

b. * Le professeur a beaucoup exigé [que les étudiants lisent de livres].

4. Il impose certaines restrictions quant à la classe de verbes devant lesquels


il peut figurer. La relation que ce quantificateur entretient avec le verbe qu’il précède
et le SN postverbal qu’il quantifie se manifeste ainsi :

En ce qui concerne le verbe, la quantification à distance ne peut s’exerce avec


n’importe quel type de verbe. Il faut que ce dernier ait la capacité de décrire des
actions potentiellement itératives.

(9)

13
a. Il a beaucoup vendu ce modèle.

b. J’ai beaucoup apprécié ses conseils.

Dans les deux phrases suivantes, beaucoup prend des sens différents en (a) et
en (b) : En (9a), beaucoup a le sens de « souvent », alors qu’en (9b), il a plutôt le
sens d’un adverbe de degré. La différence d’interprétation de beaucoup dépend du
verbe :

➢ Vendrese prête à une interprétation itérative de l’action ;

▪ il a vendu ce modèle de nombreuses fois

➢ apprécierne le peut pas.

Les verbes comme visionner, vendre, marquer, etc. font partie du premier
groupe, Les verbes comme apprécier, impressionner, accélérer et inquiéter font
partie du second. Seule la première classe de verbes permet à beaucoup d’occuper la
position postverbale et d’agir comme QAD. Cette situation découle du fait que le
QAD beaucoup, dans sa position préverbale, exerce une quantification à la fois sur
le verbe et sur le SN postverbal.

Pour illustrer cette constatation, comparons les phrases suivantes :

(10)

a. Il a beaucoup trouvé de pièces d’or.

b. * En soulevant le couvercle, il a beaucoup trouvé de pièces d’or.

14
Dans les deux exemples, beaucoup se place devant le même verbe, trouver. Il
s’agit d’un verbe qui permet l’interprétation itérative d’une action ;

▪ Il a trouvé des pièces d’or à plusieurs reprises.

Par conséquent, l’exemple (10a), où beaucoup exerce une quantification à


distance sur le SN objet direct, est grammatical.

L’exemple (10b) est agrammatical pour la raison suivante :

La locution en soulevant le couvercle impose une interprétation ponctuelle de


l’action décrite par le verbe trouver ;

▪ Il a trouvé des pièces d’or au moment où il a soulevé le couvercle.

La possibilité d’interpréter la phrase comme décrivant une itération de


plusieurs actions est alors bloquée. La quantification à distance avec beaucoup est
donc impossible. La quantification à distance est également possible avec d’autres
types de prédicats ;

➢ par exemple les prédicats dits « de masse », comme les verbes cracher et
transporter en (11).

Dans ces cas, la phrase décrit non pas une série d’événements consécutifs mais
plutôt un seul événement continu :

(11)

a. Pendant dix minutes, la fontaine a beaucoup craché d’eau.

b. L’oléoduc a beaucoup transporté de pétrole.

15
3. Les propriétés des quantificateurs flottants ;

3.1 Le quantificateur flottant tous ;

Comme beaucoup, tous peut se placer soit à l’intérieur d’un SN, soit devant
le verbe :

(12)

a. Tous les chapitres sont terminés,

b. Les chapitres sont tous terminés.

On appelle tous dans la position préverbale (ou, plus généralement, dans une
position non canonique) un quantificateur flottant (QF). Bien qu’ils puissent tous
deux occuper une position préverbale, tous diffère de beaucoup sous plusieurs
aspects.

❖ Tout d’abord, contrairement à beaucoup, tous n’est pas invariable.

➢ Il s’accorde en genre et en nombre avec le SN qu’il quantifie (13a, b).

❖ Deuxièmement, il peut quantifier soit le sujet (13a, b) soit l’objet du


verbe (mais seulement quand cet objet est pronominalisé ou relativisé).

❖ Troisièmement, il peut se trouver dans une proposition différente du SN


qu’il quantifie (13f).

❖ Enfin, il n’est pas sensible au type de verbe devant lequel il se place


(12g, h).

16
a. (13)

b. Les enfants (masc. plur.) ont tous (masc. plur.) fait leur devoir.

c. Les filles (fém. plur.) ont toutes (fém. plur.) fait leur devoir.

d. Julie les a tous lus.

e. Les amis de Sylvie, que j’ai tous connus à l’âge de sept ans, sont
sympathiques.

f. * Julie a tous lu les livres.

g. Il faut tous [qu’ils s’en aillent].

h. Les enfants ont tous vu le film.

i. Les enfants ont tous impressionné l’auditoire.

Bien que le SN quantifié par le QF tous soit généralement un sujet défini


pluriel, ce n’est pas toujours le cas : une liste d’individus distincts ou un pronom
personnel pluriel sont également possibles.

(14)

a. Jean, Jules et Julie sont tous partis.

b. Ils sont tous partis.

❑ Cependant, ni l’un ni l’autre de ces deux types de sujets ne permet à


tous d’apparaître en position non flottée :

17
(15)

a. * Tous (de) Jean, Jules et Julie sont partis.

b. * Tous ils sont partis. (à ne pas confondre avec Tous, ils sont partis).
Contrairement à beaucoup, le QF tous peut se placer à différents endroits de la
phrase, soit à la gauche, soit à la droite du SN qu’il quantifie.

➢ Tous à droite

Il s’agit des cas où tous se trouve à la droite du SN qu’il quantifie, le plus


souvent le sujet du verbe.

(16)

a. Tous les enfants ont dormi.

b. Les enfants ont tous dormi.

Les trois propriétés principales de tous à droite sont les suivantes :

➢Le QF tous et le SN quantifié doivent être dans la même proposition.

➢Ainsi la phrase (17b), où tous se trouve dans la proposition subordonnée et


le SN quantifié dans la principale, est agrammaticale :

(17)

a. Tous les enfants pensent que j’ai dormi.

b. * Les enfants pensent que j’ai tous dormi

18
La relation entre tous et le SN quantifié est soumise à une contrainte
hiérarchique. Ainsi, le SN quantifié ne peut pas être enchâssé à l’intérieur d’un
constituant si tous ne l’est pas aussi. C’est ce que montre l’agrammaticalité de la
phrase (18b) : (18)

La mère de tous ces enfants travaille énormément.

b. *La mère de ces enfants travaille tous énormément.

Si tous se place à la droite du SN quantifié, il ne peut toutefois pas occuper


n’importe quelle position. Par exemple, tous : ne peut pas figurer derrière le participe
passé ou derrière l’objet du verbe :

(19)

a. Les enfants ont dormi tous.

b. * Les enfants ont bu du chocolat tous.

c. * Les enfants ont parlé de leur mère tous.

Tous à gauche

On parle de tous à gauche lorsque le QF figure à la gauche de sa position


canonique. Le SN quantifié est normalement l'objet direct du verbe. La construction
avec tous à gauche se caractérise par deux propriétés principales.

➢l’objet doit être pronominalisé ou relativisé (20b, c) ; il ne peut pas


demeurer dans sa position de base (20d).

(20)

19
a. Mélanie a lu tous les livres.

b. Mélanie les a tous lus.

c. Voici les livres que Mélanie a tous lus.

d. * Mélanie a tous lu les livres.

❑ Contrairement à tous à droite, tous à gauche peut se trouver dans une


proposition autre que celle qui contient le SN quantifié.

(21)

a. Elle a tous voulu les lire.

b. Il a tous fallu les embaucher.

(22)

a. Elle a tous voulu qu’on les lise.

b. Il a tous fallu qu’on les embauche.

Cependant, cela n’est possible que si la subordonnée (qui contient le SN


quantifié) est au mode infinitif (comme en [21]) ou au mode subjonctif (comme en
[22]). Si la subordonnée est à l’indicatif, tous ne peut pas figurer dans la principale
:

(23)

a. *Elle a tous dit que nous les lirions.

20
b. * Jean a tous remarqué que nous les avions embauchés.

En ce qui concerne les complétives infinitives, notons toutefois que le choix


du verbe de la principale est déterminant : avec vouloir et falloir, tous peut se trouver
dans la principale. Mais avec d’autres verbes, notamment certifier, croire et penser,
tous ne peut pas figurer dans la principale.

(24)

a. * Jean a tous certifié les avoir rencontrés.

b. * Maxime a tous cru les avoir lus.

c. * Élie avait tous pensé les rencontrer.

Ainsi concernant la négation ; les mêmes conditions qui régissent la relation


entre tous et le SN quantifié régissent celle entre ne et personne.

(25)

a. Jean ne veut voir personne.

b. Il ne faut voir personne.

c. * Jean n’a certifié avoir rencontré personne.

d. * Maxime ne croit connaître personne.

e. * Élie ne pense connaître personne.

21
3.2. Le quantificateur flottant chacun ;

Comme tous, chacun se place le plus souvent immédiatement à côté du SN


qu’il quantifie (généralement à droite) ou encore en position préverbale :

(26)

a. Les étudiants ont lu trois livres chacun.

b. Les étudiants ont chacun lu trois livres.

Comme tous, chacun doit s’accorder (en genre seulement, cette fois) avec un
SN dans la phrase :

(27)

a. Les policiers (masc.) ont chacun (masc.) appréhendé deux criminels.

b. Les avocates (fém.) ont chacune (fém.) poursuivi deux criminels.

Chacun diffère toutefois de tous à plusieurs égards. Tout d’abord, il s’agit d’un
quantificateur de type binominal, c’est-à-dire qu’il exige la présence de deux
syntagmes nominaux d’un type particulier : ➢ un SN défini pluriel, normalement en
position sujet, ➢ un SN indéfini.

L’interprétation ainsi obtenue est une lecture distributive, où le second SN


représente le ou les objets qui sont distribués parmi chacun des membres dénotés par
le premier SN.

(28)

22
▪ Les policiers ont chacun appréhendé deux criminels. (= le policier A a
appréhendé deux criminels, le policier B a appréhendé deux criminels, etc.)

Certains autres constituants peuvent également remplir le rôle que joue le SN


indéfini, pourvu que la lecture distributive soit possible. Par exemple, le SN indéfini
deux criminels en (28) peut être remplacé par un SP qui comprend un SN contenant
même.

Dans ce cas, le SN lui-même peut être défini (ceci n’est pas sans rappeler les
cas d’occurrence de tous en position post-participiale que nous avons vus à la section
précédente) :

(29)

▪ Les policiers se sont chacun endormis sur le même bureau. (= le policier A


s’est endormi sur le bureau noir, le policier B s’est endormi sur le bureau noir, etc.)

Il existe deux autres positions dans lesquelles chacun peut se placer :

1) à l’intérieur d’un SN partitif (30a) ; 2) en position prénominale (30b):

(30)

a. Chacun des étudiants a parlé.

b. Les étudiants ont lu chacun un livre.

En ce qui concerne le partitif, on aura noté que, contrairement au chacun


binominal, cette construction ne nécessite pas la présence d’un SN indéfini en
position objet. Il ne s’agit que d’une des nombreuses différences entre les cas partitif
et binominal. En ce qui a trait à l’exemple (30b), on peut proposer que chacun fasse

23
partie du SN post verbal - nous l’appellerons « chacun prénominal » , comme le
montre, par exemple, la phrase clivée suivante :

(31)

▪ C’est [SN chacun un livre] que les étudiants ont lu.

Il ne s’agirait donc pas d’un cas de chacun déplacé (soit à droite à partir de la
position préverbale, soit à gauche à partir de la position postnominale). En résumé,
le QF chacun a des propriétés à la fois similaires et différentes du QF tous. Comme
tous, il peut se placer à différents endroits dans la phrase et doit s’accorder (en genre
seulement) avec un SN.

Mais chacun diffère de tous en ce qu’il déclenche une interprétation


distributive et qu’il exige donc la présence de deux SN de type particulier, un SN
défini (le plus souvent le sujet du verbe) et un SN indéfini (ou un SN contenant le
mot même). En général, nous avons abordé les principales
propriétés de trois quantificateurs qui ont la particularité de pouvoir se
détacher du SN qu’ils quantifient, le plus souvent en se plaçant devant un verbe :
beaucoup, tous et chacun. Du point de vue du constituant qu’ils quantifient, de leur
position dans la phrase et de la relation qu’ils entretiennent avec le SN quantifié, ces
trois quantificateurs sont soumis à des contraintes parfois similaires et parfois
distinctes.

4. Quantificateur universel et quantificateur existentiel ;

Le langage courant est facilement ambigu :

▪ Tous les guichets sont fermés certains jours.

24
Cette phrase est grammaticalement irréprochable. Mais, signifie-t-elle
"certains jours tous les guichets sont fermés" ? ou bien signifie-t-elle "chaque guichet
est fermé certains jours" ?

❖ Il y a une certaine différence.

Ce sont les mathématiques qui ont la prétention de pouvoir affirmer avec


certitude que telle propriété est vraie, que telle autre est fausse. C'est la raison de la
nécessité d'un langage précis spécifique aux mathématiques. Les signes qui dans le
langage mathématique expriment la quantification ; Ils expriment la quantité d'objets
(aucun, certains, tous) pour lesquels une propriété est vraie, on les appelle des
quantificateurs.

 Le quantificateur universel se lit pour tout, quelque soit,


 Le quantificateur se lit: pour chaque pour n'importe quel

❖ Quantificateur existentiel

Le quantificateur se lit : il existe. L'usage de ces quantificateurs est très précis


et diffère de l'usage intuitif du langage ordinaire. Cette précision est nécessaire pour
que les formules écrites avec des quantificateurs aient un sens précis et non ambigu.
C'est pourquoi il importe de prendre conscience des règles d'utilisation de ces
quantificateurs.

4.1. Quantificateur universel ; ∀x ∈ E, P(x)

Cette phrase formelle affirme que la propriété "P" est vraie pour tous les
éléments x de l'ensemble E, ou encore qu'il n'y a pas dans E de contre-exemple à la
propriété "P". On remarquera que le quantificateur∀ est placé avant la propriété qu'il

25
quantifie. En français, pour traduire le caractère universel d'une propriété dans
l'ensemble E, on utilisera des expressions comme :

✓ pour tout x,

✓ pour n'importe quel x,

✓ quelque soit x,

✓ pour chaque x,

✓ pour un x quelconque.

Cependant, alors que le quantificateur en mathématiques doit figurer


explicitement dans l'expression, il arrive en français qu'une phrase exprime une
propriété universelle sans qu'un mot particulier comme tout, n'importe quel... ne
figure.

➢ phrases universelles en français :

(32)

a. Tout homme est mortel.

b. N'importe quel homme est mortel.

c. L'homme est mortel.

Ces phrases françaises sont rigoureusement équivalentes. Pourtant dans la


dernière, il n'y a pas de marque explicite pour le caractère universel de la propriété
énoncée. C'est l'article défini qui joue ce rôle, et on doit d'après le sens de la phrase,

26
rétablir le quantificateur manquant pour traduire cette phrase en une phrase
formalisée en mathématiques. On écrira :

➢ ∀x ∈ H, M(x)

où H désigne l'ensemble des hommes et "M(x)" la propriété "x est mortel" .

➢mathématiques de phrases universelles :

Ce même phénomène se présente aussi en mathématiques, dans la mesure où


les propriétés mathématiques sont énoncées en utilisant la langue naturelle.
Lorsqu'on dit :

➢ "une n tier positif est plus grand qu'un entier négatif".

Il est évident que le sens est :

➢ "n'importe quel n tier positif est plus grand que n 'importe quel entier
négatifʺ. Donc que cette phrase se traduit par :

➢ ∀p ∈ N, ∀n ∈ N, p≥−n.

▪ " L'addition des entiers est commutative" :

On sait que cela veut dire que le résultat de la somme de deux entiers
(quelconques) ne dépend pas de l'ordre des termes. Si on veut formaliser cette
phrase, il faudra donc faire intervenir deux quantificateurs universels :

4.2. Quantificateur existentiel ;

➢ ∃x ∈ E, P(x)

27
Cette phrase formelle affirme que dans E il existe au moins un élément x qui
vérifie la propriété "P". Il peut aussi en exister plusieurs. La seule affirmation faite
est la suivante :

➢ l'ensemble des éléments de E qui vérifie la propriété "P" est non vide.

➢ Ceci est différent du langage courant souvent plus ambigu.

➢ Dans certains contextes, l'affirmation :

▪ Il y a un x qui vérifie "P" peut vouloir dire un seul x, alors que dans le langage
mathématique le sens est précis :

✓ au moins un x, éventuellement plusieurs.

❑ Pour illustrer :

➢ Si a Z, étudions la propriété :

"l'équation 2x2−(a+2) x + a =0 a une solution entière".

L'équation a deux racines, x′=1 et x"=a/2 ; si a est pair, elles sont entières
toutes les deux, sinon, seule la première est entière. La propriété est donc vraie, bien
qu'il y ait quelquefois deux solutions entières ; elle doit être comprise comme :

∃x ∈ Z, 2x2−(a+2) x +a =0

Souvent on précise quand même : " l'équation 2x2−(a+2) x + a =0 a au moins


une solution entière", mais ce n'est pas obligatoire. La propriété "∃x∈∅, P(x)" est

28
fausse quelle que soit la propriété "P", puisque l'ensemble vide ne contient aucun
élément. La propriété "∃x ∈ E, P(x)" ne dépend pas de x.

Les expressions "∃x ∈ E, P(x)" et "∃y ∈ E, P(y)" signifient exactement la


même chose. Les variables x et y sont ici des variables muettes.

5. Règles d'usage des quantificateurs ;

❖ Pas de mélange ;

Quand on écrit une phrase formelle avec des symboles logiques, on ne


mélange pas des mots et des signes logiques : ou bien on écrit des phrases complètes
en français, ➢ ou bien on écrit des phrases formelles.

En particulier, il est incorrect d'utiliser ces signes comme des abréviations et


cela conduit à des erreurs.

❖ L'ordre d'écriture ;

L'ordre d'écriture des quantificateurs est fondamental pour le sens d'une


phrase formelle. Quand deux quantificateurs existentiels se suivent, on peut les
échanger sans changer le sens. Quand deux quantificateurs universels se suivent, on
peut les échanger sans changer le sens. Quand on inverse l'ordre de deux
quantificateurs différents, le sens change.

❖ Sens d'une phrase formelle ;

Considérons la propriété "P (x, y)" voulant dire x aime y. Si nous écrivons les
deux phrases formelles suivantes, leur sens est très différent.

29
▪ phrase 1 ∀x ∈ E, ∃y ∈ E, P (x, y)

▪ phrase 2 ∃y ∈ E, ∀x ∈ E, P (x, y)

Pour mieux saisir cette différence, il faut comprendre qu'un système de


parenthèses est sous-entendu lorsque plusieurs quantificateurs se suivent. Si nous les
rétablissons, cela donne :

▪ phrase 1 ∀x ∈ E, (∃y ∈ E, P (x, y))

➢ ou encore :

▪ phrase 1 ∀x ∈ E, Q(x)

✓ où "Q(x)" est la propriété "∃y ∈ E, P(x, y)".

➢ La propriété "Q(x)" signifie x aime au moins une personne.

La phrase 1 affirme pour chaque élément x de l'ensemble E l'existence d'une


personne aimée E, y pouvant dépendre de x.

▪ phrase 2 ∃y ∈ E, (∀x ∈ E, P (x, y))

➢ ou encore :

▪ phrase 2 ∃y ∈ E, R(y)

➢ avec pour "R(y)" la propriété "∀x ∈ E, P (x, y)". La propriété "R(y)"


signifiant y est aimé par tout le monde. La phrase 2 affirme donc l'existence d'une
personne y au moins, qui est aimée par toutes les personnes (y compris par elle-
même)

30
En général ;

❑ ∀x ∈ E, ∃y ∈ F, P (x , y) pour chaque x il y a un y, fonction de cet x, tel


que\dots ∃y ∈ F , ∀x ∈ E, P(x , y) il y a un y, le même pour tous les x, tel que\dots

❑ On comprend pourquoi il faut mettre les quantificateurs devant la


propriété qu'ils quantifient : si on se permettait d'écrire :

➢ ∃y ∈ F, P (x, y),∀x ∈ E

III- La montée des quantifieurs

À la recherche d'une solution, les différentes écoles linguistiques ont proposé divers
moyens pour sauver la conception compositionnelle et fonctionnelle de la
grammaire. L'approche générative est probablement la plus connue. Au lieu de
traiter chaque constituant in situ, l'interprétation d'un syntagme quantifié peut
s'opérer par la mise en relation de la position de surface avec la position de portée
respective. Cela peut être effectué par le biais d'une simple chaîne syntaxique, ou à
l'aide d'une transformation. En tout état de cause, l'idée est de simplifier la
composante sémantique au profit d'une syntaxe plus explicite. Il ne s'agit que d'un
changement au niveau de la division de travail interne entre deux composantes de la
grammaire. En fait, selon les propos de Robert May, la relation entre syntaxe et
sémantique se présente de la manière suivante :

"Indeed, the more highly articulated the syntactic properties of logical representations
[...] the more highly determined will be the interpretations such representations

31
receive. Moreover, the more highly determined semantic structure is by syntactic
structure, the more transparent" the relation of form and interpretation will be."2

Cela veut dire que plus les propriétés syntaxiques des représentations logiques sont
articulées avec précision, plus les interprétations reçues par ces représentations
seront déterminées. De plus la structure sémantique soit fortement déterminée par la
structure syntaxique, plus la relation de forme et d'interprétation sera transparente.

Dans le modèle de May, une transformation - la montée des quantifieurs (quantifier


raising, désormais QR) relie les positions de surface avec les positions de portée.
Cela implique l'opération de l'abstraction du prédicat dont le but est de donner une
valeur sémantique à la trace du mouvement qui sert de variable3.

IV- Quantifieurs et distributivité

Les quantificateurs font varier la référence d'un groupe nominal sur un domaine
défini. Ces éléments modifient l'interprétation en fonction de la portée qu'ils ont au
sein de l'énoncé. Nous examinons les interprétations des phrases contenant les
quantifieurs tous et chacun dans les positions variées.

1. Quantifieur déterminant :

a. Chaque enfant recevra un ballon

b. Tout enfant recevra un ballon

2. Quantifieur partitif :

a. Chacun des enfants recevra un ballon

2
R. May. Logical Form, Its Structure and Derivation, (Cambridge, 1985), p. 2.
3
Heirn, et A. Kratzer, op. ch, p. 186

32
b. Tous les enfants recevront un ballon

3. Quantifieur flottant :

a. Les enfants recevront chacun un ballon

b. Les enfants recevront tous un ballon

4. Quantifieur binominal :

Les enfants recevront un ballon chacun

Notre travail consiste à faire une étude comparative entre ces types de quantificateurs
pour démontrer que plusieurs différences interprétatives sont dues à la position du
quantifieur en structure de surface, Nous considérons les quantifieurs tous et chacun
comme des opérateurs de distributivité, mais qui agissent différemment selon la
position qu'ils occupent dans la phrase. Nous en concluons que, bien que les
phénomènes de portée et interagissent de façon étroite avec la distributivité, la
distributivité mérite d'être traitée comme un phénomène à part.

La théorie de la distributivité où la position d'un opérateur de distributivité en


structure de surface détermine le codomaine d'une fonction distributive, qui
s'applique au niveau de la structure conceptuelle. L'analyse prédit les contrastes entre
les constructions (1-4) observés précédemment et apporte des solutions aux
problèmes posés par plusieurs théories alternatives.

33
1- chaque position du quantifieur dans la phrase correspond une
interprétation sémantique particulière

La position du quantifieur dans la phrase est liée à des différences


interprétatives entre les constructions. Nous contrasterons d'abord le quantifieur
déterminant avec le quantifieur partitif, puis le quantifieur partitif avec le quantifieur
flottant. Enfin, nous discuterons des propriétés communes de ces constructions.

2-Quantifieur déterminant et quantifieur partitif

Comparons le quantifieur déterminant chacun avec le quantifieur partitif chacun.

(5) a. Chaque enfant recevra un ballon

Each/every child will receive a balloon

b. Chacun des enfants recevra un ballon

Each/every one of the children will receive a balloon

La phrase (5a) est vraie dans une situation où une foule composée d'adultes,
de personnes âgées, d'enfants, de bébés, assistent à une fête. Parmi les membres de
ce groupe, tout individu que nous considérons comme un enfant, quel que soit notre
critère personnel pour "enfant", est tel qu'il ou elle recevra un ballon. Cela peut être
les gens en-dessous de douze ans, ou bien ceux qui se comportent comme des
enfants, quel que soit leur âge, ou encore ceux qui sont habillés comme des enfants.
D'une manière ou d'une autre, l'ensemble d'enfants dont il s'agit dans (5a) doit être
construit indépendamment par l'interlocuteur grâce au contexte. La phrase (5b) nous
donne plus d'information sur le groupe d'enfants. Ces enfants ont déjà été identifiés,
ils appartiennent à un terrain commun au locuteur et à l'interlocuteur.
34
Ce contraste est beaucoup plus vif entre le quantifieur déterminant tout et le
quantifieur partitif tous. Comparons (6a-b) :

(6) a. Tout enfant participant à la fête recevra un ballon

Any child attending the party will receive a ball

b. Tous les enfants participant à la fête recevront un ballon

All(of) the children attending the party will receive a ball

La phrase (6a) est vraie dans une situation où, parmi les gens participant à la
fête, quiconque satisfait au critère d'enfant, aussi vague et dépendant du contexte
soit-il, recevra un ballon. La phrase (6b) est vraie pour chaque membre du groupe
particulier d'enfants qui assistent à la fête. Ce groupe est déjà présent dans le
discours, appartient à un terrain commun entre locuteur et interlocuteur, alors que
pour (5a), ce groupe doit être reconstruit à partir d'un contexte.

Nos observations peuvent être résumées par la généralisation suivante:

(7) Le syntagme formé par le quantifieur déterminant à un réfèrent contextuel alors


que le syntagme formé par le quantifieur partitif a un réfèrent discursif.

On pourrait objecter que la force du contraste en (5) est due au fait que le quantifieur
singulier tout sert à former des phrases génériques et qu'il ne s'agit absolument pas
du même type de quantifieur.

L'équivalent anglais de (5a) est mieux exprimé par le quantifieur any, qui sert à
construire des phrases génériques en anglais. Or, Carlson, revoyant son analyse des
génériques en terme de relation sujet-prédicat, propose qu'une analyse relationnelle
des génériques est la plus souhaitable, c’est-à-dire une analyse qui inclut justement
des éléments du discours et du contexte. Une telle analyse des génériques serait

35
compatible avec la distinction entre les quantifieurs partitifs et déterminant en terme
de réfèrent discursif et réfèrent contextuel, telle que nous l'avons formulée en (7).

3-Quantifieur partitif et quantifieur flottant

Un quantifieur flottant requiert un contexte à événements multiples

Comparons la phrase contenant un quantifieur partitif en (7) avec la phrase contenant


un quantifieur flottant en (8).

(7) ???Chacun des enfants prendra un ballon l'un après l'autre

???Each of the children took a ball one after the other

(8) Les enfants prendront chacun un ballon l'un après l'autre

The children each took a ball one after the other

Dans les deux cas, l'expression l'un après l'autre/one after the other induit une
interprétation où l'événement de prendre un ballon ne peut pas être unique pour tous
les enfants, mais où nous avons plusieurs événements de prendre, des événements
multiples, mais du même type.

Or la phrase (7), contenant un quantifieur partitif, est ininterprétable. Nous pourrions


penser que chacun et l'un après l'autre créent une redondance. Ceci expliquerait la
difficulté à interpréter la phrase (7), à quantifieur partitif, mais n'expliquerait pas que
la phrase (8), à quantifieur flottant, est bonne. C'est donc la position du quantifieur
dans la phrase qui est en cause.

36
4-Différences de configuration et d’interprétation entre le quantifieur partitif
et le quantifieur flottant

Les différences interprétatives que nous avons observées entre les phrases contenant
un quantifieur flottant et les phrases contenant un quantifieur partitif sont inscrites
dans la configuration syntaxique de ces phrases. Selon les représentations, le
quantifieur partitif est dans une configuration où il domine toute la phrase, alors que
le quantifieur flottant est adjacent au SV.

Un quantifieur flottant relie des dénotations de SV à des dénotations de SN, alors


qu'un quantifieur partitif relie des dénotations de SN à des dénotations de SV.
Autrement dit, l'ordre dans lequel ces deux quantifieurs combinent leurs arguments
est inverse.

Une dénotation de SN, c'est toujours un ensemble d'ensembles d'individus. À cause


des différences que nous avons observées, il nous semble important d'avoir recours
aussi à la notion d'événement plutôt qu'exclusivement à des ensembles d'individus,
comme eux. Nous avons montré en particulier que les phrases à quantifieur flottant
induisaient une sorte de quantification sur l'événement. Or l'événement est justement
la dénotation du constituant auquel le quantifieur flottant est attaché en structure de
surface : le SV.

Les différences interprétatives entre phrases à quantifieur flottant et à quantifieur


partitif semblent donc résulter de la configuration syntaxique de ces quantifieurs en
structure de surface. En d'autres mots, la position du quantifieur en structure de
surface contraint l'interprétation.

37
V- La logique des quantifieurs

L’introduction d’un quantificateur permet d’exprimer diverses propositions que


nous appellerons quantifiés. Par exemple tout est éphémère, qui pourrait s’écrire
∀xE(x), mais aussi rien n’est éphémère, qu’on pourrait écrire ∀x¬E(x).

La tradition frégéenne introduit un second quantificateur, qui n’est pas à proprement


parler indispensable (il est définissable au moyen de l’universel), qu’on appelle
quantificateur existentiel. On le note ∃, et il permet de représenter assez
naturellement une phrase comme il a des choses éphémères : ∃xE(x) “Il existe x tel
que E(x)”. La relation entre les deux quantificateurs est assez facile à voir si on
considère, par exemple, que rien n’est éphémère (∀x¬E(x)) peut aussi se dire il
n’existe pas de chose éphémère (¬∃xE(x)). Cette équivalence est souvent illustrée
sous la forme du fameux carre d’opposition (qui remonte à Aristote), qui permet de
faire apparaitre clairement les interprétations des quantificateurs.

Le carré sémiotique : la quantification non restreinte

38
Ce carré d’opposition, très utile pour représenter de façon synthétique
l’interprétation des quantificateurs et leurs relations, permet aussi de définir en
passant les notions de contrariété et de contradiction, souvent improprement
confondues. Ces notions s’appliquent à des propositions, dont on dira qu’elles sont
contradictoires si d’une part elles ne peuvent pas ˆêtre vraies en même temps, et
d’autre part elle ne peuvent pas être fausses en même temps. Cela signifie que de
deux propositions contradictoires, exactement une est vraie dans toute circonstance.
La d´définition du connecteur négatif adoptée ici permet de formuler encore
différemment la contradiction : sont contradictoires deux propositions dont l’une est
´équivalente `a la n´négation de l’autre. Les propositions contraires, quant `à elles,
sont telles qu’elles ne peuvent ˆêtre vraies en même temps (comme précédemment),
mais qu’elles peuvent être fausses en même temps.

Les formules quantifiées que nous avons abordées jusque-là parlaient apparemment
de tous les individus de l’univers. C’est en tout cas ce que signifie une formule
comme ∀xE(x) : tout individu (au sens d’entité) vérifie la propriété d’être éphémère
(si cette formule est vraie). Mais en pratique, la plupart des énoncés
quantificationnels, même celui-ci, supposent de façon sous-entendue un “univers”
dans lequel la quantification s’applique.

Examinons l’exemple suivant qui montre la quantification non restreinte :

a. Tous les philosophes sont assis : ∀x(P(x) → A(x))

b. Quelques philosophes sont assis : ∃x(P(x) ∧ A(x))

On voit immédiatement la n´nécessite d’utiliser le conditionnel dans le


premier cas, la quantification logique étant par définition non restreinte, la formule

39
∀x(P(x) ∧ A(x)) ne serait vraie que dans un univers où il n’y a que des philosophes
(et ils sont tous assis).

C’est un peu moins direct, mais on peut voir pourquoi on utilise la conjonction
dans le second cas : la forme avec le conditionnel ∃x(P(x) → A(x)) serait vraie s’il
n’y a aucun philosophe, ce qui fait donc perdre à cette formule son caractère
existentiel.

On peut proposer maintenant une nouvelle version du carré sémiotique, avec des
phrases quantificationnelles dans lesquels on distingue une restriction et une portée
:

Le carré sémiotique : la quantification restreinte

40
VI-Présupposition et focus

Dans le domaine de la linguistique théorique, un certain nombre de thèmes dominent


une voire deux décennies, disparaissent et certains reviennent4. Dans les domaines
de la sémantique et de la pragmatique, les années soixante-dix et quatre-vingt-dix
ont vu un grand nombre de travaux sur les présuppositions (Kempson, 1975, Wilson,
1975, Kiparsky et Kiparsky, 1971, Gazdar, 1979, Ducrot, 1972, Rogers et al., 1977,
Oh et Dinneen, 1979, Kiefer, 1974, Levinson, 1983 pour une synthèse) et les actes
de langages (Cole et Morgan, 1975, Searle, 1969, 1979, Searle et Vanderveken,
1985), alors que depuis les années quatre-vingt-dix, c’est essentiellement le thème
des implicatures qui est en pool position (Levinson, 2000, Sperber et Wilson, 1986,
Horn, 1984, 1989, Geurts, 2010, Blakemore, 1992, Carston, 2002, Chierchia et
McConnell-Ginet, 1990, Chierchia, 2013, Potts, 2005). Cela dit, tous les handbooks
publiés depuis le début des années 2000 ont des entrées sur ces trois thèmes, avec
une insistance plus forte sur la question des présuppositions et des implicatures que
sur celle des actes de langage (cf. par exemple Moeschler et Reboul, 1994, Horn et
Ward, 2004, Schmid, 2012, Allan et Jaszczolt, 2012).

Ces dernières années, un regain d’intérêt pour la présupposition a été observé, et


peut certainement s’expliquer à cause des changements importants de la théorie
sémantique, notamment la sémantique dynamique (Roberts, 2004, Beaver, 2001) et
la sémantique intensionnelle (von Fintel et Heim, 2011) – pour une synthèse, voire
Beaver et al. (2013).

4
Article écrit dans le cadre du projet de recherche FNSRS Log Prag (Sémantique et pragmatique des mots logiques,
projet n° 100012_146093, 2014-2017). Merci à Joanna Blochowiak et à Karoliina Lohiniva pour leurs commentaires.

41
D’un autre côté, des notions anciennes, dans la perspective de la pragmatique
gricéenne, comme les implicatures conventionnelles, sont revenus au centre d’un
certain nombre de recherches, notamment sur les particules et des phénomènes
comme les clivées et les phrases exclusives (Beaver, 2014).

1. Essai de définition

Le focus est le terme qui porte l’accent d’insistance, et la présupposition


est obtenue en remplaçant dans la phrase le focus par une proforme (quelqu’un,
quelque chose, quelque part, etc.) La question de la présupposition a une origine
logique et non linguistique. Ce sont en effet les travaux de Frege (« Sinn une
Bedeutung », cf. Frege, 1971 pour la traduction française) et de Russell (« On
denoting »), respectivement de 1892 et de 1905, qui ont introduit une notion à
l’origine utilisée pour exprimer une propriété non logique des phrases en langue
naturelle.

La présupposition est ce qui résiste à la négation, ou, en d’autres termes, produit une
proposition vraie lorsque son déclencheur est une proposition fausse.

1. A présuppose B

2. Donc A entraîne B et ¬A entraîne B

3. (a) Chaque phrase A a une négation ¬A

(b) A est vraie ou A est fausse (bivalence)

(c) A est vraie ou ¬A est vraie (négation)

4. B doit toujours est vraie.

42
2. Sémantique et pragmatique

Depuis la thèse de Gazdar (1979), la frontière entre la sémantique et la pragmatique


a été définie d’une manière claire, sur la base de critères définis par Grice (1989) :
la pragmatique = le sens – les conditions de vérité. Cette définition a permis de
donner lieu à des périmètres précis pour la sémantique et la pragmatique : la
sémantique a pour objet la signification vériconditionnelle, la pragmatique la
signification non vériconditionnelle. La signification vériconditionnelle correspond
à ce que la philosophie du langage a défini comme le sens et la référence : c’est
l’étude de la proposition exprimée par la phrase. Deux précisions doivent être faites
: (i) la proposition correspond au sens littéral ; (ii) le sens littéral n’est pas équivalent
à la signification linguistique ou compositionnelle. La première précision implique
que la proposition a deux composants : le sens et la référence, ce qui correspond à la
définition classique d’Austin5 et de Searle6, dans la théorie des actes de langage,
alors que la seconde implique que la détermination de la proposition exprimée,
correspondant au sens littéral, n’est pas le résultat compositionnel de la signification
linguistique, mais un processus contextuel. La proposition, à savoir le contenu qui
peut être évalué comme vrai ou faux, est donc le résultat d’un processus à la fois
sémantique et pragmatique : il est sémantique parce qu’il est compositionnel et il est
pragmatique parce que contextuel7.

5
Dans Austin (1962: 94), la signification (meaning) est définie comme sens et référence: « the utterance [of Certain
words with a certain construction] with a certain ‘meaning’ in the favourite philosophical sense, i.e., with a certain
sense and with a certain reference ».
6
Correspondant aux actes de référence et de prédication (Searle, 1969 : 23). « Referring and predicating performing
propositional acts » (ibid. : 24).
7
Le même argument peut être donné pour les actes de référence : l’attribution d’un référent à une expression
référentielle est un processus pragmatique (Strawson, 1950).

43
Cette première définition est conforme à l’un des premiers programmes de recherche
en pragmatique, qui a consisté à comprendre le rapport entre le sens littéral et le sens
non littéral, ou implicite. On citera, dans la théorie des actes de langage, les
hypothèses de Searle sur les actes de langage indirects, dans lesquels le locuteur
réalise deux actes illocutionnaires, un acte secondaire (par exemple de question
comme en 1) et un acte illocutionnaire primaire, ici de requête (2) (cf. Searle, 1979)
:

(1) Peux-tu me passer le sel ?

(2) Je te demande de me passer le sel.

De même, dans sa théorie des métaphores, Searle décrit le sens métaphorique (PAR)
comme dérivé d’un sens littéral (MET), dont l’un des critères est la fausseté de la
proposition exprimée. Ce genre d’approche, que Ortony (1979) a qualifié de non-
constructiviste, à savoir distinguant entre sens littéral et sens non littéral, en faisant
de l’étape du sens non littéral un passage obligé pour obtenir le sens intentionné du
locuteur, correspond à la stratégie décrite par Grice pour la dérivation du sens
implicite (ou implicature). Voici comment Grice décrit le calcul d’une implicature :

Dans le cas des implicatures, la correspondance entre non-littéralité et non-


vériconditionnalité est parfaite : une implicature (cf. section 4) est une signification
à la fois non littérale et non vériconditionnelle. Elle est non littérale car elle est
calculée sur la base de ce qui est DIT, et elle est non vériconditionnelle, car elle ne
contribue pas aux conditions qui déterminent la vérité d’une phrase. Ceci peut être
illustré à la fois par les implicatures conventionnelles (3) et par les implicatures
conversationnelles (4) :

(3) a. Même Jean aime Marie

44
b. Implicature conventionnelle : (i) Il est surprenant que Jean aime Marie ; (ii) Jean
n’est pas le seul à aimer Marie.

(4) a. Quelques étudiants sont venus au congrès.

b. Implicature conversationnelle : tous les étudiants ne sont pas venus au congrès.

En effet, le contenu de l’implicature ne participe pas aux conditions de vérité de


l’énoncé : les implicatures (3b) peuvent être fausses et la proposition exprimée par
(3a) (JEAN AIME MARIE) vraie ; de même s’il se trouve que tous les étudiants sont
venus au congrès, la proposition exprimée par (4a) est vraie (tous les x impliquent
quelques x), et l’implicature conversationnelle peut donc être fausse, comme la
montre (5)8 :

(5) Quelques étudiants, en fait tous, sont venus au congrès.

Cette première distinction entre sémantique et pragmatique a cependant été mise


question par le second critère utilisé par Grice pour définir les faits pragmatiques :
ceux-ci peuvent en effet être conventionnels ou conversationnels. La définition
traditionnelle de la sémantique, qui associe à la signification linguistique la propriété
d’être conventionnelle, est donc refusée, car le critère dominant est celui de
vériconditionnalité. Dans cette hiérarchie, on a donc la typologie suivante des
contenus sémantiques et pragmatiques :

8
En revanche, et c’est un critère de définition des implicatures conventionnelles, une implicature conventionnelle ne
peut être fausse, sans entraîner une contradiction dans l’énoncé :
# Même Jean aime Marie, {mais il est en fait le seul à l’aimer, mais ce n’est pas surprenant}.

45
Figure 1 : la vision classique de la frontière entre sémantique et pragmatique

Ce tableau a été cependant mis en brèche dans les années quatre-vingt, avec
l’émergence de la Théorie de la Pertinence (Sperber et Wilson, 1986/1995, Wilson
et Sperber, 2004, Wilso et Sperber, 2012, Carston, 2002 ; voir aussi Moeschler et
Reboul, 1994 et Reboul et Moeschler, 1998 pour une présentation synthétique).
L’une des hypothèses centrales de l’approche gricéenne, comme nous l’avons vu,
est de faire du critère de vériconditionnalité le 6 critère décisif pour distinguer
sémantique et pragmatique. Mais il a été montré, notamment avec les travaux de
Carston (2002) et l’article de Wilson et Sperber (1993, cf. aussi Wilson et Sperber,
2012, chapitre 8), que le contenu explicite, ou explicature10, est d’une part le résultat
d’un développement (au sens d’enrichissement) pragmatique, et en second lieu
contribue aux conditions de vérité de l’énoncé.

3- Problèmes sémantiques posés par l’interprétation du focus et du


présupposé

Les notions de focus et de présuppositions ont été assez tardivement introduites


dans les travaux des linguistes générativistes. Ce n’était pas qu’elles étaient

46
méconnues-les grammaires traditionnelles elles-mêmes les avaient remarquées-
mais elles posaient de sérieux problèmes. Le fait de les mettre entre parenthèses n’a
pas empêché les travaux de syntaxe de se développer, mais plus tard, en explorant le
domaine de la sémantique.
Ex 1. Est-ce que JEAN est allé au cinéma ?
Le focus est Jean, et la présupposition est quelqu’un est allé au cinéma. En effet,
si à 1 il est possible de répondre 2 :
2-Non, c’est PAUL qui est allé au cinéma.
Il n’est absolument pas possible de considérer 3 comme une réponse linguistique
à1:
3-Non, c’est Jean qui est allé à la pêche.
C’est donc bien que la phrase 1 présupposait que quelqu’un est allé au cinéma,
et que le focus de cette phrase était Jean.
Le phénomène est le même dans une phrase affirmative, quoique moins net. Dans
4:
4-JEAN a bu mon vin.
Le focus est Jean et la présupposition est quelqu’un a bu mon vin. Au contraire,
dans 5 :
5- Jean a bu mon VIN.
Le focus est vin (ou mon vin) et la présupposition Jean a bu quelque chose.
Il est évident que l’interprétation sémantique doit tenir compte des notions de
focus et de présuppositions.
Le phénomène est le même dans une phrase affirmative, quoique moins net. Dans
4:
4-JEAN a bu mon vin.

47
Le focus est Jean et la présupposition est quelqu’un a bu mon vin. Au contraire,
dans 5 :
5- Jean a bu mon VIN.
Le focus est vin (ou mon vin) et la présupposition Jean a bu quelque chose.
Il est évident que l’interprétation sémantique doit tenir compte des notions de
focus et de présuppositions
Il n’est pas possible de prétendre décrire le sens des phrases1, 4 et 5 précédentes
sans préciser leur focus ni ce qu’elles présupposaient. Il faut donc intégrer ces
notions dans la composante qui engendre les phrases, c’est-à-dire la syntaxe, pour
que la composante sémantique puisse les prendre en considération lors de
l’application des règles de projection.
Mais un problème se pose. Si le focus est le terme qui porte l’accent d’insistance,
il ne peut être mis à jour que par l’observation des structures de surface.

Le focus ne peut donc pas être déterminé par l’observation de la structure


profonde, puisque celle-ci n’a encore reçu aucune interprétation phonologique, et
elle ne peut donc pas permettre de reconnaitre le terme qui porte l’accent
d’insistance.
En conséquence, si la composante sémantique veut rendre compte des notions
des focus et de présupposition, elle doit pouvoir utiliser certains éléments (les
accents d’insistance) qui se trouvent dans les structures qui se trouvent dans les
structures de surface.
Nous rappellerons que le principe de base de la composante (interprétative)
sémantique dans la théorie standard était de ne prendre comme input que les
structures profondes. Chomsky est donc amené à proposer une modification de la
théorie standard, en constatant que les structures de surface jouent un rôle dans

48
l’interprétation sémantique. Mais cette affirmation ne remet pas en question le
fonctionnement de l’interprétation sémantique9.

4-Développement théorique

Les réflexions de Chomsky sur les notions de focus et de présuppositions


impliquent qu’on leur ajoute une série de règles permettant de rendre compte des
phénomènes de sens en question.
La modification de la théorie standard qui s’impose, pour importante qu’elle
soit, n’oblige à rejeter cette théorie toute entière, mais à lui permettre de traiter de
nouveaux phénomènes, et c’est pourquoi Chomsky a simplement appelé la nouvelle
théorie qui en découle « théorie standard étendue ».
Comme nous l’avons indiqué, toute modification de la théorie doit etre
motivée par une série d’arguments empiriques solides. La notion de focus et de
présupposition en est un, mais elle a d’autant plus de force qu’elle s’ajoute à
d’autres arguments. Nous en examinerons deux : l’influence du mot « même »
dans l’interprétation sémantique, et le rôle du sujet superficiel dans la
détermination des présuppositions.

4-1-Le déplacement de « même »

Le déplacement de « même » est un phénomène de surface. En effet, ce mot


peut être associé à des syntagmes qui n’existent jamais en structure profonde.
La structure profonde 1 peut être convertie en structure de surface 2 :

9
Auparavant, Chomsky a montré qu’il n’est pas possible de rendre compte des notions en question dans la base par
des règles de réécriture. Pour les arguments, on se rapportera à Chomsky (1968a) et à Chomsky (1970).

49
1- Convaincre Jean- est – difficile.
2- Jean-est- difficile à convaincre.
On voit aisément que difficile à convaincre est un syntagme de surface
uniquement. Pourtant on peut lui adjoindre même dans 3 :
Jean-est-même difficile à convaincre.
Même est donc placé en surface par une transformation opérant sur des
structures profondes ou même n’a aucune place définie :
(Même) – Convaincre Jean – est – difficile
Jean – est – même difficile à convaincre
Or, bien qu’elle ne soit pas définissable en structure profonde, la place de
même a une influence directe sur le sens des phrases. Reprenons l’exemple
désormais classique de Chomsky. La phrase 4a présuppose que les pygmées sont
petits. Jean est grand pour un pygmée.
Alors que la phrase 5a, qui présuppose que les Wattusis sont petits, est
sémantiquement anormale :
5a- Jean est grand pour un Wattusi.
Si l’on introduit même, 4 b présuppose la même chose que 4a, mais 4c est
sémantiquement anormale10 :
4b- Même Jean est grand pour un pygmée.
4c- Jean est grand même pour un pygmée.
Par contre, c’est 5b qui est sémantiquement anormale, et 5c qui présuppose
que les Wattusis sont grands et est donc tout à fait acceptable :
5b- Même Jean est grand pour un Wattusi.
5c- Jean est même grand pour un Wattusi.

10
Car chacun sait (pense) Chomsky que les Wattusis sont tous grands au contraire des pygmées.

50
Ces quelques phrases montrent donc que la place de « même » doit être prise
en considération pour la détermination du sens et des présuppositions.
Or, si comme nous l’avons montré ci-dessus même ne reçoit sa place
définitive qu’en surface, il faudra ici encore que la surface soit prise en compte par
la composante sémantique.

4-2-Le rôle du sujet superficiel dans la détermination des présuppositions

L’exemple que nous allons utiliser maintenant est intraduisible en français,


mais il nous a paru intéressant de le signaler dans la mesure où il a été rarement
remarqué.
En anglais, il n’est possible d’employer le passé composé que si le sujet est
vivant. D’où Chomsky constate que 6 est grammatical, alors que 7 ne l’est pas :
Ex: Einstein lived in Princeton.
Einstein has lived in Princeton.
Ou encore :
Einstein taught me physics.
Einstein has taught me physics.
Pourtant, si 7 est impossible, le passif de 7 est possible :
8- I have been taught physics by Einstein.
Il faut donc considérer que c’est le sujet superficiel qui doit être marqué du
[+vivant] pour que le passé composé puisse été employé.
Donc, si une phrase est au passé composé, elle comporte la présupposition
que son sujet est vivant, et Chomsky note qu’« à cet égard, la structure superficielle
contribue au sens de la phrase en ce qu’elle est pertinente pour la détermination de
ce qui est présupposé dans l’utilisation de la phra

51
CONCLUSION

Au cours de ce travail nous avons essayé de distinguer la distributivité des


relations de portée entre SN dans la phrase. Ce point de vue est motivé par l'idée que
d'autres constituants syntaxiques que les SN sont impliqués dans la quantification :
des SV, des SP. Ainsi, les cas d'ambiguïtés de portée sont peut-être une sous-classe
d'un phénomène plus général qui est la distributivité, au sens de l'apparlement un à
un entre éléments appartenant à différentes catégories ontologiques. Comme nous
l'avons montré au chapitre quatre, la représentation conceptuelle joue un rôle
important à la fois dans ce qu'on a traditionnellement appelé le lexique et dans la
morphologie et la syntaxe. La poursuite de notre hypothèse sur le rôle de la structure
conceptuelle dans la quantification devrait consister à évaluer les règles de
correspondances que nous avons proposées pour le français au moyen de, langues
dont la syntaxe et la morphologie sont très différentes. Ce ne sont pas les items
lexicaux, mais des unités sémantiques qui doivent figurer dans la représentation
sous-jacente, les insertions lexicales sont dispersées parmi les autres
transformations.
Le niveau de la structure profonde n'est pas un niveau nécessaire, ni utile : il
y a, d'une part, des représentations sémantiques, définies par des conditions de bonne
formation sur les représentations sémantiques et, d'autre part, des représentations de
surface, elles aussi soumises à des conditions de bonne formation ; les règles
transformationnelles relient les deux types de représentation.

52
BIBLIOGRAPHIE

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 Choe, J. W.( 1 987) Anti-Quantifiers and a Theorv of Distributivitie. thèse de doctorat,
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chapitre de Chomsky (1995)

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 MCCAWLEY J. D., "Concerning the base component of a transformational grammar",
in: “Foundations of Language” N° 4, 1968.
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Chicago, Ill., Bailey et Darden, 1969.
 PAVEAU M. A., et SARFATI G. E., Les grandes théories de la linguistique, Paris,
Armand Colin/VUEF, 2003.

54
Table des matières
INTRODUCTION ........................................................................................................................................ 2
I- La quantification ....................................................................................................................................... 4
1-Des dénominations différentes : quantificateur, quantifiant, quantifieur .............................................. 4
2-l’étude de la quantification .................................................................................................................... 5
3-Les fondements théoriques de la sémantique quantificationnelle.......................................................... 5
II- La quantification : typologie et portée des quantificateurs ................................................................... 9
1. Quantificateurs à distance et quantificateurs flottants ; ........................................................................ 9
2. Les propriétés du quantificateur à distance beaucoup ; ...................................................................... 12
3. Les propriétés des quantificateurs flottants ;....................................................................................... 16
4. Quantificateur universel et quantificateur existentiel ; ....................................................................... 24
5. Règles d'usage des quantificateurs ; .................................................................................................... 29
III- La montée des quantifieurs ................................................................................................................... 31
IV- Quantifieurs et distributivité ................................................................................................................. 32
1- chaque position du quantifieur dans la phrase correspond une interprétation sémantique particulière
................................................................................................................................................................ 34
2-Quantifieur déterminant et quantifieur partitif..................................................................................... 34
3-Quantifieur partitif et quantifieur flottant ............................................................................................ 36
Un quantifieur flottant requiert un contexte à événements multiples ................................................. 36
4-Différences de configuration et d’interprétation entre le quantifieur partitif et le quantifieur flottant 37
V- La logique des quantifieurs .................................................................................................................... 38
VI-Présupposition et focus .......................................................................................................................... 41
1. Essai de définition ........................................................................................................................... 42
2. Sémantique et pragmatique ................................................................................................................. 43
3- Problèmes sémantiques posés par l’interprétation du focus et du présupposé ................................... 46
4-Développement théorique .................................................................................................................... 49
4-1-Le déplacement de « même » ........................................................................................................... 49
4-2-Le rôle du sujet superficiel dans la détermination des présuppositions ........................................... 51
CONCLUSION ........................................................................................................................................... 52
BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................................................................... 53

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