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3.

L’opposition structure / jugement

Dans la lignée du processus de rationalisation et de normalisation, nous avons vu au cours de


la section 1 que les cabinets ont mis en place des méthodologies d’audit pour augmenter
l’efficacité et l’efficience de leurs missions. Ces méthodologies varient entre elles par ce que
les travaux de recherche en audit appellent la « structure » (§3.1) La structure a des avantages
et des inconvénients (§3.2), mais sa principale conséquence est son impact sur l’exercice du
jugement par l’auditeur individuel (§3.3). Avec la distinction craft of auditing / business of
auditing, l’opposition structure / jugement est la deuxième ligne de partage de l’audit
contemporain.

3.1 La structure en audit

Par structure, on entend une approche de l’audit caractérisée par la mise en œuvre d’une «
séquence logique et définie de procédures, de décisions et d’étapes de documentation, ainsi
que d’un ensemble intégré de pratiques et d’outils pour assister l’auditeur dans la conduite de
l’audit » (Cushing & Loebbecke 1986). La structure représente donc l’arrangement des
tâches, des gens et des processus de décision pour rendre plus calculable et prévisible le
travail et le contrôle du travail (Bamber et al. 1989).

Cushing & Loebbecke (1986) ont mis en évidence une opposition structuré / non structuré qui
représente un continuum de configurations pour situer l’approche conceptuelle et les
méthodes de chaque cabinet. Les différents cabinets se situent alors sur ce continuum en
fonction de la nature de leurs concepts et de leurs outils23. Pour Cushing & Loebbecke
(1986), la différence entre les cabinets s'effectue essentiellement au niveau de l’exécution de
l’audit, et non sur sa planification. Selon eux, tant les cabinets structurés que les cabinets non
structurés mettent l’accent sur la planification des missions et sur l’évaluation du contrôle
interne. La différence intervient au niveau de la manière dont les résultats obtenus au cours de
la phase de planification vont être mis en pratique : un cabinet structuré va avoir tendance à
quantifier et à spécifier de manière précise et détaillée les travaux à effectuer, alors qu’un
cabinet non structuré va se montrer moins directif à ce niveau et laissera davantage de liberté
à l’auditeur individuel. Ainsi, un cabinet structuré va utiliser des techniques d’échantillonnage
statistique, des évaluations structurées du contrôle interne et une formalisation poussée des
résultats de tests. A l’inverse, un cabinet non structuré ne va pas utiliser systématiquement
l’échantillonnage et va rendre facultative l’utilisation des guides formalisés d’évaluation du
contrôle interne (Schroeder et al. 1992).
Jusqu’au début des années 1990, la tendance dans les cabinets est clairement allée vers le
développement de la structure – y compris dans les cabinets traditionnellement considérés
comme non structurés (Carpenter et al. 1994). Or, l’impact de la structuration ne se limite pas
à la spécification des travaux, mais a également des conséquences organisationnelles et
techniques : elle influe sur l’organisation, qui est davantage hiérarchisée dans les cabinets à
méthodologie structurée (Bamber et al. 1989), sur l’évaluation des risques antérieure aux
travaux (Dirsmith & Haskins 1991), sur la culture du cabinet (Pratt & Beaulieu 1992) et
même sur le contenu et les conditions de production des rapports (Carpenter & Dirsmith
1993). Les conséquences de la structure dépassent donc en réalité l'exécution des travaux et
touchent l’audit dans son ensemble.

3.2 Avantages et inconvénients de la structure

La structuration possède à la fois des avantages pour à la bonne exécution des missions
d’audit, mais aussi un certain nombre d’inconvénients. La littérature montre que les gains qui
pourraient être retirés de la mise en oeuvre de méthodologies plus structurées sont les suivants
(Bamber et al. 1989 ; Dirsmith & Haskins 1991 ; Gist 1994) :
− un meilleur contrôle de la qualité du travail, rendu plus facilement vérifiable à la fois au
niveau du fond et de la forme ;
− une meilleure communication entre auditeurs par l’utilisation d’un langage commun ;
− une formation professionnelle plus facile ;
− une réduction du stress par la diminution de l’incertitude ;
− un meilleur contrôle des coûts.

D’un autre côté, les désavantages potentiels mis en relief dans la littérature sur le sujet sont
également nombreux :
− le manque de flexibilité face à des situations inhabituelles ;
− un surcroît de travail dû au respect du formalisme ;
− l’application mécanique des procédures par les auditeurs, sans recul critique ;
− une augmentation du stress liée à la perte de contrôle ;
− les coûts élevés liés à l’élaboration des méthodologies.
En pratique, les recherches effectuées pour mesurer l’impact réel de la structure sur l’audit
n’ont pas eu de résultats concluants : elles n’ont pas permis de démontrer l’intérêt de la
structuration tant pour l’efficience que pour l’efficacité des travaux, essentiellement parce que
l’impact de la structure varie selon la nature de la tâche (McDaniel 1990). Rien ne permet de
corroborer l’idée qu’un audit structuré est plus efficace. En fait, l’utilisation de méthodologies
structurées peut s’analyser davantage comme une contrainte sociale que comme une nécessité
liée à l’audit en lui-même (Carpenter & Dirsmith 1993). Tout d’abord, l’utilisation de
méthodologies structurées présente des avantages indéniables en
termes d’acceptabilité sociale, tant par la façade de rationalité qu’elle représente vis-à-vis de
l’extérieur que par l’homogénéité des travaux qu’elle peut procurer24. De plus, la
structuration facilite la normalisation. L’utilisation de méthodologies structurées – construites
dans le contexte des normes et orientées par elles – permet la mise en place de pratiques qui
s’inscrivent dans leur logique et selon leurs principes. Ceci est important à la fois pour la
pratique de l’audit, mais aussi pour son contrôle : l’auto-contrôle de la profession est facilité
par cette formalisation, tant au niveau interne aux cabinets qu’au niveau des organisations
professionnelles.

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