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S4- Poésie au 19ème siècle : Cours anticipés- Séances de révision. Pr.

Nadia BIROUK-2024

Cours anticipés de révision


Module : S4- Poésie au 19ème siècle
RESPONSABLE ET ENSEIGNANTE DU MODULE :
Pr. NADIA BIROUK©

Ouvrage programmé :
Une Saison en Enfer, d’Arthur Rimbaud

2023-2024

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S4- Poésie au 19ème siècle : Cours anticipés- Séances de révision. Pr. Nadia BIROUK-2024

Module S4-Poésie au 19ème siècle


Cours anticipé de révision
Séance 9 relative au 8 Avril 2024
Comment réaliser un commentaire composé ?
Pr. NADIA BIROUK

Avant de se demander comment faire un commentaire composé, il faut d’abord définir

ce que nous voulons dire par un commentaire composé ou par le commentaire d’un

texte littéraire (roman, théâtre, poésie, essai…). Qu’est-ce qu’un commentaire

composé alors ?

Définition

Le commentaire composé est, tout simplement, l’analyse et l’explication argumentée

d’un texte. Cela veut dire que l’objectif est d’éclairer le texte et de le rendre plus

accessible, plus abordable, plus significatif en dévoilant le « non-dit ». Il s’agit

d’exposer les messages implicites et d’expliciter le contenu et les idées sous-jacents

dans un style cohérent, lisible et clair. Quand on ne peut comprendre un commentaire

cela veut dire que le récepteur n’a pas pu saisir l’essence du texte, objet d’analyse, et

qu’il est incapable d’expliquer un énoncé dont-il ignore les secrets, la nature, le

contexte socioculturel, littéraire, philosophique ou historique. Ainsi le récepteur est

amené à maîtriser le code linguistique, à situer le texte et à identifier son genre ou sa

nature avant de penser à le commenter.

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Comment effectuer le commentaire composé ?

Pour réussir son commentaire composé, il faut d’abord maîtriser le code linguistique

ou la langue, il faut surtout bien lire le texte support et bien déterminer son contexte

historique et littéraire sans oublier sa position littéraire au sein d’un siècle précis ou ses

caractéristiques. Quand on ignore sa position, comme c’est le cas dans certains textes

anonymes. Après avoir lu et saisi les particularités de l’énoncé objet d’analyse, il faut

délimiter les moments forts du texte ou ses axes d’analyse en les problématisant dans

une introduction succincte. Comment réussir son introduction ? (À ne pas dépasser

deux axes d’analyse)

L’introduction

Dans l’introduction, il faut surtout présenter brièvement le texte sans trop tarder sur les

détails. Ensuite, il faut le situer au niveau événementiel, surtout quand il s’agit d’un

roman ou d’une pièce théâtrale. Après il faut essayer de déterminer son contexte ou son

intérêt dans une ligne ou deux. Ensuite, il faut prévenir la thèse abordée ou supposée,

en annonçant le plan de votre commentaire composé et en déterminant deux grands

axes d’analyses (préférablement deux axes afin de les expliciter dans votre

développement). Annoncer le plan c’est bien, mais aussi vous pouvez, tout simplement,

problématiser vos axes sous forme de questions auxquelles vous allez répondre au

développement. Une manière très efficace pour vous faciliter une méthodologie de

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savoir questionner un texte et y trouver des réponses. Dans le cas échéant et au vu de

l’horaire accordé pour commenter un texte littéraire : il vaut mieux se contenter de

situer votre texte au niveau événementiel, de problématiser vos axes ou de les annoncer

sous forme d’un plan, afin de les développer dans votre développement.

Le développement

Tout est à observer pour réussir son développement. La structure du texte, son genre,

la description, l’intrigue, la narration, les personnages et leurs rapports de force, le

schéma actantielle ou narratif, les rimes, les thèmes, les idées, le style, qui parle dans

un texte ? À qui ? Pourquoi ? Quel est l’effet d’une certaine figure utilisée ? Quelle est

la portée d’une telle expression, d’une répétition ou d’un tel registre ?

En effet, en général, le développement doit respecter les axes annoncés déjà précisés

dans l’introduction, en essayant de les argumenter et de les expliquer à travers des

paragraphes précis, tout en employant les liens logiques qui conviennent, et tout en

gardant un style simple, voire clair pour dire les choses telles quelles, sans chercher à

utiliser des termes compliqués ou difficiles. Quand vous arrivez à expliquer et à

comprendre le « non-dit », il vaut mieux rester simple en optant pour des arguments

logiques et des explications rationnelles et objectives. Pour ce faire, il faut commencer

par le premier axe et dans un brouillon, il faut noter à l’improviste toutes les idées qui

peuvent l’éclairer ainsi que les procédés stylistiques qui peuvent servir le sens surtout

quand il s’agit d’un texte poétique. Après il faut choisir deux ou trois idées pertinentes

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en expliquant chacune d’elle dans un paragraphe bien argumentée. Une fois l’idée bien

expliquée vous passez au second paragraphe pour expliquer la deuxième idée tout en

argumentant et tout en utilisant les liens logiques adéquats. Et ainsi de suite. Après

avoir achevé l’explication des idées relatives au premier axe. Il faut faire une petite

transition pour passer au second axe et pour l’expliquer à son tour dans des paragraphes

précis englobant les idées sans se répéter ou dire la même chose autrement. Votre

rédaction doit être progressive, cohérente, inventive et non itérative. Il ne faut point

répéter les mêmes idées ni tourner en rond sans pouvoir avancer dans son analyse.

Votre réflexion doit aboutir à une conclusion claire et nette et non à un résultat ambigu.

Dans le développement vous pouvez citer le texte si cela est nécessaire à la

compréhension du sens et si vous arrivez à expliquer et à défendre votre citation, sinon

ce n’est pas utile de le citer. Il faut généralement se contenter de deux axes et de les

argumenter dans des paragraphes précis à idées adéquates qui consolident les axes

avancés. Après l’introduction et le développement il faut toujours sauter une ligne ou

deux sans oublier l’aliéna au début de l’introduction, au début du développement et au

début de la conclusion y compris au début de chaque paragraphe. Commencez vos

phrases en majuscules et respectez la ponctuation et surtout écrivez clairement les

lettres en gardant l’espace entre vos mots. Écrire clairement pour faciliter à votre

correcteur la correction et la lecture de votre commentaire. Évitez de citer le texte dans

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l’introduction ou dans la conclusion dans vos commentaires composés et sachez que la

conclusion est la fin de l’analyse et non le début.

La conclusion

Dans la conclusion, il faut surtout clôturer votre analyse. Dans ce cas, il faut récapituler

en quelques lignes l’essentiel de ce qui a été avancé ou dit. Vous pouvez aussi faire une

ouverture. C’est-à-dire ouvrir votre analyse sur d’autres perspectives de recherches ou

sur d’autres questions soulevées par votre texte, objet d’analyse, que vous n’avez pas

eu le temps d’aborder dans votre commentaire. Bien sûr, il ne faut pas oublier la

transition entre l’introduction, le développement et la conclusion, et il faut toujours

veiller à la bonne utilisation des connecteurs logiques dans ce sens. Restez cohérents,

simples, clairs et progressifs dans votre rédaction. Optez surtout pour des phrases

simples, courtes et significatives. Et enfin, respectez la procuration et habituez-vous à

utiliser des transitions et des liens logiques convenables.

Remarques :
 Le polycopié en papier de tout le cours relatif à votre Module est
déjà déposé au centre copie de votre faculté.
 Des questions, des explications supplémentaires, n’hésitez pas à
me contacter via WhatsApp ou émail.

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Cours anticipé de révision


Séance 10 relative au 15 Avril 2024

Module : S4- Poésie au 19ème siècle


Ouvrage programmé :
Une Saison en Enfer, d’Arthur RIMBAUD

Séance 10 : Exercices relatifs au commentaire-


composé (1)
Pr. Nadia BIROUK
Extrait : Poème L’Éclair, Saison en enfer de RIMBAUD
Objectifs :
-Se préparer aux examens.
-Consignes et corrections.

Faites le commentaire composé de ce poème :


L'Éclair (Extrait)
Le travail humain ! c'est l'explosion qui éclaire mon abîme de
temps en temps.
"Rien n'est vanité ; à la science, et en avant !" crie
l'Ecclésiaste moderne, c'est-à-dire Tout le monde. Et pourtant les
cadavres des méchants et des fainéants tombent sur le cœur des
autres... Ah ! vite, vite un peu ; là-bas, par-delà la nuit, ces
récompenses futures, éternelles... les échappons-nous ?...
— Qu'y puis-je ? Je connais le travail ; et la science est trop
lente. Que la prière galope et que la lumière gronde... je le vois
bien. C'est trop simple, et il fait trop chaud ; on se passera de
moi. J'ai mon devoir, j'en serai fier à la façon de plusieurs, en le
mettant de côté.
Ma vie est usée. Allons ! feignons, fainéantons, ô pitié ! Et
nous existerons en nous amusant, en rêvant amours monstres et
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univers fantastiques, en nous plaignant et en querellant les


apparences du monde, saltimbanque, mendiant, artiste,
bandit, — prêtre ! Sur mon lit d'hôpital, l'odeur de l'encens m'est
revenue si puissante ; gardien des aromates sacrés, confesseur,
martyr...
Je reconnais là ma sale éducation d'enfance. Puis quoi !...
Aller mes vingt ans, si les autres vont vingt ans...
Non ! non ! à présent je me révolte contre la mort ! Le travail
paraît trop léger à mon orgueil : ma trahison au monde serait un
supplice trop court. Au dernier moment, j'attaquerais à droite, à
gauche...
Alors, — oh ! — chère pauvre âme, l'éternité serait-elle pas
perdue pour nous !

Exemple d’un commentaire possible :


Le poème L’Éclair, fait partie d’Une saison en enfer de Rimbaud, un recueil rénové

écrit suite à son incident avec Verlaine. Comment Rimbaud illustre-t-il le travail et le

progrès humain ? Rimbaud renonce-t-il à son projet poétique ?

En effet le travail est l’existence de l’essence humaine, mais le travail n’est jamais

équitable ou rentable quand les méchants accaparent fortunes et biens. Rimbaud est

conscient de cette inégalité sociale qui fait que les uns sont les esclaves des autres, au

point de détester ce système de travailler, qui ne fait que diviser et séparer les hommes.

Le poète avait déjà une vision futuriste sur les dangers de ce progrès intense, de cette

modernité qui augmente la cupidité et la richesse des uns au détriment des autres.

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Certes le travail est nécessaire, mais l’homme a tendance de vouloir s’amuser, de

rêver, de tirer profit de la vie, mais il faut bien travailler pour se procurer certains

plaisirs, mais Rimbaud semble haïr le travail auparavant. Il confirme qu’il y a des

paresseux qui jouissent de la vie, qui travaillent moins ou pas du tout. Des tartuffes,

des profiteurs, des bandits, des malades…Pourtant le travail est l’éclair qui peut

illuminer le monde de temps en temps, qui peut donner sens à la vie, bien que le poète

semple prendre parti des rêveurs : « on se passera de moi. J'ai mon devoir, j'en serai

fier à la façon de plusieurs, en le mettant de côté. »

En outre le travail engendre le progrès, ainsi la science se développe

constamment suite à l’effort humain rapide, pour résoudre l’énigme de son existence

et pour rendre sa vie plus facile. La religion incapable de rivaliser avec le progrès, qui

le dépasse, essaie de se concilier avec la science à sa manière, pour assurer sa continuité

menacée : « Rien n'est vanité ; à la science, et en avant !" crie l'Ecclésiaste moderne,

c'est-à-dire Tout le monde. »

Rimbaud dénonce l’hypocrisie ecclésiastique, il dénonce également cette misère qui

écrase l’être humain malgré son travail et son progrès. Il ne peut imaginer un travail

éternel sans résultats fiables, sans dignité. Une science sans âme et sans conscience. Il

ne supporte point que l’homme moderne perde son sens de l’humour, son côté amusant,

ses amours et son plaisir de vivre. Rimbaud va jusqu’à prendre en défi son existence

en se révoltant contre son « enfance et sa sale éducation », contre la mort, en espérant

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garder le feu de son âme éternel, et remettre en second plan ce monde matériel sans

issue. Rimbaud semble renoncer à son projet poétique, écrasé par la réalité et la

nécessité de travailler pour gagner son pain quotidien.

Pour conclure, nous pouvons dire que Rimbaud est un poète engagé, qui a ce sens

de la révolte contre cette société moderne, écrasante, qui le dérange. Il a horreur du

travail qui peut nuire à l’humain et sa liberté. Faute de ne pas pouvoir y échapper,

Rimbaud cherche à le dévier pour pouvoir vivre sans regrets.

Pr. Nadia BIROUK

Pour aller plus loin


"L'Éclair" est l'antépénultième section d'Une saison en
enfer (avril-septembre 1871). Dans ce chapitre, à l'exemple de
ce qui se passe dans l'ensemble de l'œuvre, Rimbaud débat
avec lui-même. Le texte repose sur une oscillation rhétorique
entre deux options de vie contradictoires. Le poète se demande
s'il ne serait pas temps pour lui de renoncer à ses chimères de
poète et de se réconcilier avec le Travail, ce devoir social
auquel le jeune homme a hautement déclaré qu'il refusait de se
soumettre dans sa lettre du 13 mai 1871 adressée à Georges
Izambard ("J'ai horreur de tous les métiers", dit aussi le
narrateur de la Saison au début de "Mauvais sang"). Le texte
suit un mouvement dialectique complexe qui rappelle maint
passage d'Une saison en enfer. Comme tous les chapitres de
l'œuvre, "L'Éclair" pose de délicats problèmes d'interprétation.
Il suffit de lire les analyses critiques que nous citons dans notre
bibliographie, si embrouillées, si contradictoires entre elles,
pour mesurer les difficultés de ce texte. Nous tenterons
cependant (bravement) de les élucider par une "lecture
linéaire" minutieuse et littérale.

1° mouvement : Rimbaud est tenté de se rallier au culte


moderne de la Science (c'est à dire au Travail, à l'effort
patient et unanime, à la vie "normale").

Le travail humain ! c'est l'explosion qui éclaire mon


abîme de temps en temps.

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Le mot "abîme" renvoie à la métaphore de l'"enfer" par


laquelle Rimbaud peint son désarroi intérieur. Il faut donc
comprendre que la pensée du travail vient par moments
"éclairer" sa nuit, c'est à dire apporter une lueur d'espoir dans
le marasme moral qui est le sien. Remarquons que le caractère
fugitif de cet espoir est indiqué de façon redondante par la
locution adverbiale "de temps en temps", et par le terme
"explosion" qui surenchérit sur le mot du titre ("l'éclair") pour
suggérer l'idée d'une impulsion brutale mais momentanée.

"Rien n'est vanité ; à la science, et en avant !" crie


l'Ecclésiaste moderne, c'est-à-dire Tout le monde.

Cette deuxième phrase du texte développe l'idée de la


précédente. Le mot "science", tout d'abord, donne un contenu
plus précis au mot "travail". L'espoir qui réjouit (par moments)
l'esprit du poète, c'est celui de contribuer à l'accroissement des
connaissances, et par là au bonheur de l'humanité. Il fait sien
le credo moderne du "Progrès", avec ce que cette idéologie
peut avoir d'optimiste, un optimisme que traduit (mais non
sans ironie) l'allure toute militaire (ou militante) du slogan : "et
en avant".
Cet optimisme s'oppose pour Rimbaud à une idée véhiculée
par la culture chrétienne selon laquelle la vie terrestre et les
pouvoirs de l'homme ne sont rien, sentiment tragique de la
condition humaine que résume la formule de L'Ecclésiaste (l'un
des livres de l'Ancien Testament) : "Tout est vanité". À l'opposé
de ce poncif métaphysique, l'idéal scientifique moderne donne
du sens à la vie humaine : tout effort vers le bien ou la vérité,
toute connaissance nouvelle, toute avancée des sciences ou
des techniques est un pas de plus dans la direction du Progrès.
Autrement dit : "Rien n'est vanité".
Cette profession de foi matérialiste et positiviste est
cependant rendue ambiguë par l'ironie qu'on y devine. La
formule "l'Ecclésiaste moderne, c'est-à-dire Tout le monde"
contient une critique implicite de l'unanimité existant, à
l'époque de Rimbaud, autour de la Science. Si tout le monde
est d'accord, semble penser Rimbaud, c'est bien qu'on a affaire
à un nouveau poncif, aussi superficiel et fragile que l'ancien.
Par ailleurs, l'utilisation du terme "ecclésiaste", qui signifie
"ecclésiastique", pour désigner l'impératif moderne de la
marche au progrès, tend à insinuer que la foi dans la science
est elle aussi une sorte de religion, pas moins illusoire,
arbitraire et dogmatique que l'ancienne. Avant même d'être
contredite par l'introduction d'un argument contraire, l'idée de
la phrase (l'adhésion au culte moderne du Travail) se trouve
dévaluée d'avance par la charge ironique qui l'accompagne.

2° mouvement : Rimbaud se représente l'immense perte


impliquée par un tel ralliement (la perte de l'éternité) et
semble y renoncer.

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Et pourtant les cadavres des méchants et des fainéants


tombent sur le cœur des autres...

L'adverbe de liaison "pourtant", adverbe à valeur


concessive, annonce un mouvement de réfutation à l'intérieur
du raisonnement. Ce contre-argument introduit un thème
inattendu : la mort. La mort, peut-on comprendre, frappe les
"méchants" et les "fainéants" aussi bien que les autres.
L'argument fait appel à l'une des imageries traditionnelles de
l'enfer représenté comme un trou, sorte de basse-fosse au fond
de laquelle s'entassent les cadavres des réprouvés. Mais, pour
l'athée Rimbaud, le jugement divin est un mythe : tout le
monde va en enfer, la mort ne fait pas le tri.
À quoi bon s'efforcer vers le bien et la vérité (par le travail),
semble penser Rimbaud, si cet effort n'est pas récompensé par
un "salut" ? C'est l'idée chrétienne d'une vie après la mort, et
d'une félicité éternelle pour les "justes".

Ah ! vite, vite un peu ; là-bas, par-delà la nuit, ces


récompenses futures, éternelles... les échappons-nous
?...

L'enchaînement est elliptique (les "sauts" du raisonnement


étant notés par des points de suspension). Cependant, le
lecteur comprend en quoi cette nouvelle phrase prolonge la
précédente : Rimbaud parle des "récompenses futures", celles
que la religion promet aux croyants après la mort ("après la
nuit") ; ces récompenses, il en parle comme s'il les voyait (c'est
la fonction des déictiques "là-bas", "ces (récompenses)" que de
produire cette impression de présence) ; il les voit qui
s'échappent, qui lui échappent. Le texte utilise une construction
transitive, grammaticalement contestable, populaire, du verbe
"échapper" : "les échappons-nous ?" ; Rimbaud emploie
souvent des traits de langage populaire lorsqu'il évoque la foi
naïve des campagnes ("la Notre-Dame" par exemple dans
"Chanson de la plus haute tour").
Le sens général est clair : Rimbaud n'est pas complètement
résigné à la perte de ses illusions chrétiennes. Du moins en a-t-
il la nostalgie. Les perspectives de bonheur ouvertes par la
science ne valent pas celles que la religion promet aux "justes",
car elles n'apportent pas de solution au problème central de la
condition humaine, celui de la mort.
Le sens du début de la phrase est moins clair : "vite, vite un
peu". Faut-il comprendre qu'il faut "vite" se lancer à la
poursuite des "récompenses futures" avant qu'elles ne
s'échappent ? Ou bien ces mots introduisent-ils déjà le thème
de la science "trop lente" que nous allons rencontrer dans la
suite du texte (l'impatience rimbaldienne) ? C'est difficile à
dire. Les deux idées ne sont d'ailleurs pas si différentes. En
tout cas, ce point obscur ne semble pas de nature à remettre

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en cause la lecture d'ensemble que nous donnons de cette


phrase.

— Qu'y puis-je ? Je connais le travail ; et la science est


trop lente.

La petite phrase d'excuse "qu'y puis-je ?" confirme


l'embarras qu'éprouve Rimbaud, en tant qu'athée, à devoir
avouer sa nostalgie de la foi naïve de son enfance. Mais c'est
ainsi, il n'y peut rien.
Dans quel sens la science est-elle "trop lente" ? Rimbaud
exprime souvent cette idée. Par exemple dans "L'Impossible"
(Une saison en enfer) : "Ah ! la science ne va pas assez vite
pour nous !" ou encore dans "L'Éternité" : "Science avec
patience... / Le supplice est sûr." Rimbaud considère que la
science exige un effort trop important en proportion des
satisfactions limitées qu'elle apporte. Elle exige une trop longue
"patience" (au double sens de "persévérance" et de
"souffrance"). Elle ouvre une perspective de bonheur trop
éloignée pour le poète en quête d'une ivresse des sens, d'une
jouissance de l'instant. Sans doute même l'idée va-t-elle plus
loin et faut-il comprendre, métaphysiquement, que la science
est incapable d'apporter à l'homme la "satisfaction essentielle"
("Conte") dont il rêve.

Que la prière galope et que la lumière gronde... je le vois


bien.

Comme "Qu'y puis-je ?" dans la phrase précédente, "je le


vois bien" indique l'idée de la résignation, à son corps
défendant : j'aimerais bien qu'il en soit autrement mais je dois
reconnaître... "que la prière galope et que la lumière gronde".
C'est encore le thème de la lenteur de la science par
comparaison avec la rapidité de la "lumière" (au double sens de
lumière physique et d'illumination métaphysique). De même, la
prière est rapide parce qu'elle apporte au chrétien l'illusion de
voir ses vœux immédiatement exaucés par la Providence :
Rimbaud se voit contraint d'avouer que la voie laïque vers la
Vérité n'a pas la célérité et la fulgurance de la communion avec
Dieu dans la prière.

C'est trop simple, et il fait trop chaud ; on se passera de


moi.

Cette phrase assez opaque semble nous faire accéder à la


conclusion du raisonnement : "On se passera de moi". C'est à
dire : la société se passera de moi. La conversion au Travail
envisagée au début du texte est finalement rejetée : Rimbaud
ne participera pas à l'effort commun, ne se ralliera pas aux
"humains suffrages", aux "communs élans" ("L'Éternité").
J'avoue franchement que je ne comprends pas le début de
la phrase. Pierre Brunel (op. cit. p.326-327) pense qu'il y a là,

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peut-être, une allusion à la chaleur de l'été et aux travaux des


champs que Madame Rimbaud imposait à ses enfants à Roche.
Rimbaud les estimerait pour son compte trop "simples", trop
pénibles, et refuserait de s'y joindre pour se consacrer à "son
devoir" (phrase suivante) : l'écriture. La glose séduit par sa
logique, mais cette intrusion du contexte immédiat (Rimbaud
écrit probablement ce texte à Roche pendant l'été 1873) à
l'intérieur d'un raisonnement d'ordre général ne laisse d'être
bizarre et, pour tout dire, invraisemblable ! Brunel envisage
aussi qu'il puisse y avoir ici une allusion à l'imagerie chrétienne
de l'enfer ... Mais, alors, où serait la logique, puisque l'enfer
dont il est question dans la Saison est précisément celui de la
vie de bohème tout entière dédiée à la poésie, celui de la
paresse, de la vie marginale expérimentée par Rimbaud depuis
qu'il a rompu avec l'idéologie du travail ?

J'ai mon devoir, j'en serai fier à la façon de plusieurs, en


le mettant de côté.

Voici encore une phrase extrêmement obscure.


En parlant de "son" devoir, Rimbaud semble bien justifier
son refus du "travail" par les obligations qui découlent de sa
vocation poétique. C'est sa mission à lui. Telle est la thèse qu'il
défendait dans sa lettre du 13 mai 1871 adressée à Georges
Izambard. À ce propos, Pierre Brunel a sans doute raison
d'indiquer : "On aurait tort de comprendre j'ai mon
devoir comme : j'ai mon devoir fixé par la société (mais, ce
devoir, je le repousse). La paraphrase plus correcte serait : j'ai
mon devoir, qui est précisément de repousser ce devoir, ce
travail imposé. Ainsi se confirme la vocation de la marginalité"
(op. cit. p.327).
Cependant, ce "devoir" qui est le sien, qu'il a choisi, qu'il
oppose orgueilleusement aux contraintes sociales du commun
des mortels, Rimbaud annonce dans la deuxième partie de la
phrase qu'il le mettra aussi "de côté" (c'est à dire qu'il le
négligera, qu'il ne l'accomplira pas). Veut-il dire par là que sa
poésie n'est qu'un paravent pour sa paresse, un prétexte qu'il
ne met en avant que pour en retirer une certaine considération
("j'en serai fier...") comme font tous les hypocrites dans la
société ("...à la manière de plusieurs") ? Certes, un tel aveu de
cynisme ne surprendrait pas dans la bouche de celui qui écrit,
dans "Mauvais sang" : "Mais ! qui a fait ma langue perfide
tellement qu'elle ait guidé et sauvegardé jusqu'ici ma paresse ?
Sans me servir pour vivre même de mon corps, et plus oisif
que le crapaud, j'ai vécu partout." La suite permet peut-être
d'éclairer le sens de ce cynisme.

Ma vie est usée. Allons ! feignons, fainéantons, ô pitié !

Tout en faisant (apparemment) le choix de persévérer dans


sa vie d'artiste, Rimbaud n'en attend désormais rien de
vraiment satisfaisant. Il ne voit plus dans cette vie qu'illusion

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("feignons") et paresse ("fainéantons"). La paronymie


"feignons/fainéantons" est exploitée habilement pour résumer
le désenchantement au sujet de la poésie et de la "voyance".
Rimbaud n'a pas la force de changer son projet d'oeuvre-vie
(selon la formule d'Alain Borer) mais ne l'aime pas pour autant
: il se sent "usé", pitoyable ("ô pitié !").

Et nous existerons en nous amusant, en rêvant amours


monstres et univers fantastiques, en nous plaignant et
en querellant les apparences du monde, saltimbanque,
mendiant, artiste, bandit, — prêtre !

Voici, résumé par Rimbaud, le programme de ces


chercheurs d'infini à la troupe desquels il se résigne à
appartenir. Leur vie est un jeu, pas très sérieux, ("en nous
amusant"). Ils se nourrissent de rêves : "amours monstres"
(Christian Moncel, dans son "Rimbaud et les formes
monstrueuses de l'amour" (op. cit.) a montré tout ce que ce
thème devait à Baudelaire) et "univers fantastiques" (c'est le
thème du poète en quête de l'Inconnu, créateur d'un monde
imaginaire, amoureux de l'artifice et du mensonge : encore
Baudelaire). Ils justifient leur fuite hors du réel en se
"plaignant" de la médiocrité de la vie et en "querellant les
apparences du monde". Le verbe "quereller", dont le registre
est généralement celui de la dispute superficielle, artificielle
(chercher querelle, querelle de ménage... ) offre de la révolte
politique ou métaphysique une image dérisoire, qui fait sourire.
L'utilisation du mot "apparences" renforce l'ironie en suggérant
un combat contre des moulins à vent. Au nombre de ces
amants de la chimère, il y a bien sûr en premier lieu "l'artiste",
mais aussi le "saltimbanque", qui en est la dérisoire allégorie ;
il y a ensuite ces marginaux, ces "romanesques amis" du
littérateur romantique que sont le "mendiant" et le "bandit" ; il
y a enfin et surtout le "prêtre" qui est finalement, Rimbaud s'en
rend compte maintenant, celui qui souffle à l'artiste cet absurde
désir d'éternité. De la même façon, le Prince de "Conte"
dans Les Illuminations (qui est Rimbaud lui-même) se demande
s'il n'y a pas dans sa quête "du désir et de la satisfaction
essentiels" une "aberration de piété".

Sur mon lit d'hôpital, l'odeur de l'encens m'est revenue


si puissante ; gardien des aromates sacrés, confesseur,
martyr...

Ce thème de la religion s'associe dans la pensée de


l'énonciateur avec le souvenir d'une récente hospitalisation
(sans doute celle qui a suivi la blessure reçue de Verlaine, en
juillet 1873, à Bruxelles). Ayant frôlé la mort, il a vu se
présenter à son esprit les superstitions de son enfance
chrétienne :
- "l'odeur de l'encens", allusion à la fonction sacrée de ce
parfum dans le rite chrétien,

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S4- Poésie au 19ème siècle : Cours anticipés- Séances de révision. Pr. Nadia BIROUK-2024

- le prêtre considéré comme "le gardien des aromates


sacrés" : les aromates sont des plantes médicinales ou résines
parfumées qui servaient à fabriquer des remèdes,
particulièrement des pommades pour conserver les corps des
morts ("des aromates pour l'huile d'onction et le parfum
aromatique à brûler", Exode, Conseils de Moïse pour les
offrandes au tabernacle), peut-être est-ce ici, plus précisément,
une allusion à l'extrême-onction, ce viatique censé
accompagner le passage du croyant de sa vie terrestre à la vie
éternelle,
- le "confesseur" qui assiste les mourants et les sauve de
l'enfer,
- la tentation du "martyre" qui consiste à gagner l'éternité
en offrant sa vie...
Sans que cela soit dit, on peut deviner l'évolution qui se
produit dans la réflexion de Rimbaud. Ces associations
représentent à l'esprit du poète le lien étroit que la religion
entretient avec la mort.

Je reconnais là ma sale éducation d'enfance.

En glissant par digressions successives vers le thème de la


religion, la rêverie finit par entraîner un changement d'état
d'esprit chez l'énonciateur, qui est passé du consentement
ironique ("Allons, feignons, fainéantons, ...") au ton du
sarcasme rageur dont est porteur l'adjectif "sale" dans
l'expression "ma sale éducation d'enfance" (il s'agit de
l'éducation chrétienne que Rimbaud a reçue, bien sûr). Ce
changement annonce un possible retournement de
l'argumentation, qui s'amorce en effet, me semble-t-il, dans la
phrase suivante.
La suite du texte me paraît extrêmement difficile à
interpréter, tant elle est elliptique et allusive. Il me semble
malgré tout possible d'y déceler une logique, qui se résumerait
à un retour à l'idée initiale du texte.

3° mouvement : Rimbaud revient à la tentation de la vie


(de la vie "normale").

Puis quoi !... Aller mes vingt ans, si les autres vont vingt
ans...

En langage familier, la locution "puis quoi" annonce un


ultime argument dans une argumentation (je ferai ainsi ... j'en
ai bien le droit ... et puis quoi : qu'est-ce que je risque...). Ici,
il s'y ajoute une valeur implicite d'opposition : après tout,
pourquoi se résigner à mourir ? pourquoi n'irais-je pas vers
mes vingt ans, comme font les autres.
Rimbaud n'a pas encore fait ses dix-neuf ans quand il écrit
ce texte. "Aller mes vingt ans" veut sans doute dire pour lui :
accepter de vieillir, accepter de franchir cet âge fatidique des
vingt ans (voir sur ce point l'"adagio" de "Jeunesse" dans Les

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S4- Poésie au 19ème siècle : Cours anticipés- Séances de révision. Pr. Nadia BIROUK-2024

Illuminations) après lequel il serait difficile de continuer à


"fainéanter" et à "feindre", sauf à rester un de ces parasites de
la société ("saltimbanque, mendiant, artiste,
bandit, — prêtre !").
En quelque sorte, Rimbaud résiste à nouveau au charme qui
l'ensorcelle : celui de la poésie et de l'illusion, amies de la
religion et de la mort. Il envisage à nouveau de vivre, comme
les autres.

Non ! non ! à présent je me révolte contre la mort !

"Non" (répété) souligne le passage d'une thèse à la thèse


contraire ; "à présent" indique le franchissement d'une nouvelle
étape, dans le raisonnement. Cette phrase confirme l'évolution
que nous avons repérée dans la phrase précédente : Rimbaud
choisit maintenant la vie (la vie "normale", le travail, la
Science, contre la mort (que représente la plongée dans
l'imaginaire et l'illusion, tentations suicidaires qui sont au cœur
de l'esthétique rimbaldo-baudelairienne). C'est le retour à
l'"éclair" initial après une longue digression nostalgique.
Notre interprétation suppose de rejeter ici toute lecture
métaphysique de l'expression "je me révolte contre la mort". Il
ne s'agit pas ici pour Rimbaud, croyons-nous, de s'insurger
contre la condition mortelle de l'homme, contre le Temps. Une
telle lecture (qui est celle de Pierre Brunel, par exemple)
conduit à une impasse. Nous préférons, avec Chistian Moncel,
comprendre "la mort" comme la "trahison au monde" (phrase
suivante), la fuite hors du réel qui définit l'attitude de l'artiste
"idéaliste" à la manière de Baudelaire. Rimbaud se révolte
contre cet idéalisme de ceux qu'il définit dans "Adieu" (dernier
chapitre de la Saison) comme les "amis de la mort" : "Mes
derniers regrets détalent, — des jalousies pour les mendiants,
les brigands, les amis de la mort, les arriérés de toutes
sortes." On reconnaît là, partiellement, la même liste de
marginaux de la société que celle citée quelques lignes plus
haut dans "L'Éclair". Les "arriérés de toutes sortes" sont
probablement les nostalgiques de l'éternité et du salut chrétien,
ceux qui, comme le Prince de "Conte", s'obstinent à poursuivre,
par quelque reste d'"aberration de piété", la quête "du désir et
de la satisfaction essentiels". Une nostalgie qui était
précisément la sienne, l'instant d'avant, mais que maintenant,
il récuse.

Le travail paraît trop léger à mon orgueil : ma trahison


au monde serait un supplice trop court. Au dernier
moment, j'attaquerais à droite, à gauche...

S'il refuse (jusqu'ici) le travail, nous dit Rimbaud, c'est par


orgueil. Sans doute faut-il prendre l'adjectif "léger" au sens de
superficiel : le travail apparaît méprisable à l'orgueilleux qui vit
dans l'impatience de l'absolu, à celui qui se rêve un destin au-

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S4- Poésie au 19ème siècle : Cours anticipés- Séances de révision. Pr. Nadia BIROUK-2024

dessus des "humains suffrages".


Or, Rimbaud voit maintenant dans cette quête d'absolu une
"trahison au monde" et dans cette "trahison au monde" (nous
l'avons déjà montré) une forme de mort prématurée. D'où
l'expression : "supplice trop court". La vie, suggère l'auteur, est
certes un long supplice, supplice qu'il a cherché à raccourcir par
une conduite suicidaire. Mais il ne veut plus mourir. Si la mort
se présentait à lui maintenant, il se débattrait (comme il se
débat, en effet, tout au long de la Saison, tel est le sens
profond de son débat existentiel actuel). "Au dernier moment,
(il) attaquerai(t) à droite, à gauche...". Autrement dit :
l'instinct de vie l'emporte en lui sur la pulsion de mort.

4° mouvement : Rimbaud est (presque) résigné à la


perte de l'éternité.

Alors, — oh ! — chère pauvre âme, l'éternité serait-elle


pas perdue pour nous !

L'adverbe "alors", dans un raisonnement, possède un sens


consécutif, et ici, pourrions-nous dire, conclusif. Il n'est peut-
être pas sans intérêt de remarquer que cette phrase de
tournure interrogative (comme le montre l'inversion du sujet
dans "serait-elle pas") ne se termine pas par un point
d'interrogation mais par un point d'exclamation. Preuve sans
doute que cette interrogation est toute rhétorique et qu'en
réalité Rimbaud est convaincu qu'en effectuant le choix de la
vie, du travail, de la science, et — sous-entendu — de
l'athéisme, il renonce à poursuivre l'éternité. En effet, cette
"éternité" qu'il n'attend plus depuis longtemps de la religion, il
l'espérait d'une certaine manière, nous le savons bien, de la
poésie (voir le poème "L'Éternité" ou encore la "lettre du
Voyant" où Rimbaud définissait la poésie comme un moyen
pour accéder à "la plénitude du grand songe"). En choisissant
la vie positive contre la vie de bohême, il sait qu'il renonce à
cette utopie. Et lorsqu'à la fin du texte, la nécessité de faire son
deuil de l'éternité se présente à nouveau à son esprit, comme
conséquence du choix qu'il vient d'opérer, Rimbaud est
(presque) résigné.
Je dis "presque", parce qu'à l'évidence la fonction de cette
dernière phrase, mi-interrogative, mi-exclamative, est quand
même de maintenir une certaine ambiguïté. C'est le jeu du
poète.
On a noté depuis longtemps la nuance de dérision de
l'apostrophe "chère pauvre âme". Il faut en effet certainement
y voir quelque sarcasme à l'égard de la mièvrerie poétique,
qu'il s'accuse mainte fois dans la Saison, d'avoir entretenue, et
peut-être aussi, comme le suggère Suzanne Bernard (dans son
édition des classiques Garnier), peut-on y déceler une adresse
impertinente à Verlaine.

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S4- Poésie au 19ème siècle : Cours anticipés- Séances de révision. Pr. Nadia BIROUK-2024

Dans cet antépénultième chapitre d'Une saison en enfer,


Rimbaud annonce — si du moins notre interprétation est
exacte — sa volonté de rompre avec un certain type de mode
de vie et un certain type de poétique fondés sur l'idéalisme : la
quête de l'Absolu, de l'Inconnu (ce qu'on appelle parfois "la
Voyance"). Il voit une issue possible dans le Travail et la
Science. Pourtant, il se débat au milieu d'hésitations multiples ;
il a encore la nostalgie de ce Bonheur jadis promis aux hommes
par le christianisme et qu'il a naguère cherché à approcher par
l'exercice d'une magie poétique. Mais il lutte pour se déprendre
de cette chimère qui l'intoxique comme une drogue, un poison
mortel.
Le texte, tout en mettant en scène les oscillations sans fin
de la conscience, l'hésitation du sujet entre deux options de vie
contradictoires, accorde sa préférence à l'une d'entre elles : la
conversion au "travail", la rupture avec le passé. Tous les
commentateurs ne sont pas de cet avis. Pierre Brunel, par
exemple, résume ainsi le sens profond du texte : "Le texte
aboutit à une acceptation de soi-même comme non-travailleur
ou, — selon un autre sens du mot travail — comme révolté
contre le temps (voir dans Les Illuminations "À une raison")"
(op. cit. 2000, p.95). Selon nous, au contraire, comme nous
avons essayé de le montrer, le mouvement du texte illustre
en la dramatisant la résistance décroissante de l'utopiste
(du quêteur d'éternité) face à "la réalité rugueuse à
étreindre" (Une saison en enfer, "Adieu").
En cela, il résume et confirme le mouvement d'ensemble de
la Saison, qui est quand même en définitive (malgré les voltes-
faces et les palinodies qui en brouillent parfois le sens) le récit
d'une victoire du damné ("Car je puis dire que la victoire m'est
acquise", "Adieu"), fondée sur son arrachement progressif aux
illusions dont son enfer était fait :

"J'ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames.
J'ai essayé d'inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres,
de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J'ai cru acquérir des
pouvoirs surnaturels. Eh bien ! je dois enterrer mon
imagination et mes souvenirs ! Une belle gloire d'artiste et de
conteur emportée !
Moi ! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute
morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la
réalité rugueuse à étreindre ! Paysan !"

Une saison en enfer, "Adieu".

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S4- Poésie au 19ème siècle : Cours anticipés- Séances de révision. Pr. Nadia BIROUK-2024

Bibliographie

Pierre Brunel, Une saison en enfer, édition critique, José


Corti, 1987, p.321-330.

Alain Coelho, Arthur Rimbaud, fin de la littérature, lecture d'Une


saison en enfer, Joseph K, 1995, p.97-99 et 164-165.

Alain Dumaine, Rimbaud ou le renoncement à l'idéal


baudelairien, La petite Revue de l'Indiscipline, 1997, p.23-24.
(Voir aussi, chez le même éditeur : Christian Moncel, Rimbaud et
les formes monstrueuses de l'amour, 1980 et Claudel
récupérateur de Rimbaud, 2006).

Claude Jeancolas, Une saison en enfer, Repères


Hachette n°44, 1998, p.74-77.

Pierre Brunel, Anne-Gaëlle Robineau-Weber, Matthieu


Letourneux, Une saison en enfer, Illuminations, Profil bac, 2000,
p.90-95. Ce volume propose un commentaire composé de
"L'éclair" rédigé par Pierre Brunel.

Commentaire rédigé L’Éclair


Introduction
Le titre "L'éclair" est l'antépénultième titre d'Une saison en enfer avant "Matin" et "Adieu"
et en constitue comme une sorte d'illumination par l'analogie des deux mots. L'éclair
qui signifie une lumière vive aussitôt éteinte devient ici un monologue, une introspection,
un va et vient continuel entre les étincelles d'espoirs d'un travail humain et un fatalisme
lourd d'inactivité. Confondu ici à la science et au progrès, c'est le travail productif du
XIXème siècle industriel. Le travail et la science ont-t-ils les moyens de conduire au
bonheur qui est le salut espéré avec la contrepartie des misères sociales, son incapacité
à vaincre la mort, la paresse ou la méchanceté. Le poète y répond par la négative car la
perspective n'est qu'une illusion trop vive et trop brève.

Une sainte horreur du travail

Ne vaut-il pas mieux renoncer au travail que de souffrir à cette quête sans solution
possible et claire ? Ce pas vers le monde de l'action, du travail commandé par "en
marche" lui est apparu de façon fugitive comme un éclair . Il vaut mieux vivre en
s'amusant et mettre cette exigence de côté. Il se voit bien parmi ceux que cette société
matérialiste qualifie d'improductifs, les saltimbanques, les mendiants, les artistes, les

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S4- Poésie au 19ème siècle : Cours anticipés- Séances de révision. Pr. Nadia BIROUK-2024

bandits. Il s'appuie d'ailleurs en la retournant sur la bible de


Jérusalem, l'ecclésiate comparant les avantages de l'action ou de l'inaction et concluant
que le travail et l'oisiveté arrivent au même résultat. Non, il n'en veut pas de cette
société, lui c'est la marche qui l'intéresse, "la grande route par tous les temps", marcher,
insouciant, comme les jeunes gens de son âge. D'ailleurs il a légitimé son peu d'aptitudes
au travail par des défauts génétiques dans les premières lignes de "Mauvais sang" puis a
exprimé son refus de toute aliénation dans un travail organisé "J'ai horreur de tous les
métiers". Pour le descendant d'ancêtres Gaulois, se reconnaissant roturier, il ne veut
appartenir ni à la catégorie des maîtres ni à celle des ouvriers. Il méprise les paysans,
les écrivains à gages " la main à plume vaut la main à charrue". Le travail, celui offert
pas la société n'est pour lui qu'un détournement de l'essentiel, une agitation inutile. Or
l'idée d'un travail social ne lui apparaît pas seulement mais il explose dans son esprit,
explosion pouvant être comprise comme une une apparition soudaine comme une
destruction. Dans un cas, elle se manifesterait dans tout son éclat, dans l'autre elle
éclaterait sitôt exprimée.

Travailler est une trahison

Son orgueil le condamne à la lutte, à la révolte pour son salut et le salut du monde. Le
travail ne lui est apparu jusqu'ici que comme un engourdissement de l'esprit, une
léthargie qui empêche de prendre conscience du temps perdu. Le travail humain devient
l'explosion, qui de temps en temps, éclaire l'abîme du poète, et réintroduit un espoir qui
est aussitôt nié. Le monde moderne vante partout l'esprit positif " Rien n'est vanité", qui
s'oppose au "Tout est vanité" de l'Ecclésiaste 2 , dans la Bible. Il faut adhérer à la science
et au progrès "en avant". Mais ces propos ne le convainquent pas et il leur oppose déjà
une objection. A 19 ans il est déjà désabusé à l'égard du travail ; il craint surtout d'y
perdre son âme. Pourtant ce rythme lui apparaît trop rapide à suivre, il se sent, déjà
fatigué usé. Ce qui lui en reste devrait être consacrée à la paresse. Pour se donner bonne
conscience, Rimbaud nous dit qu'il a suffisamment cherché, qu'il a le droit à la tranquillité.
Alors il feint et trouve sa raison dans l'homonymie "feignons", "feignant" et "fainéant".
Dans cette abdication, le rêve, le regret, le souvenir peuvent alors envahir l'esprit.

Au bord de l'enfer

En plaçant le mot abîme, dès le début du poème, Rimbaud nous présente le désespoir de
sa situation. On sait que la faim Rimbaldienne est sans bornes, il dévore terre, espaces,
sédatifs ou excitants, l'apaisement n'est que provisoire. Sa vie faite de festins et
d'ivresses se termine par un abîme béant, un vide et au bout du compte, la mort. Enfer
renvoie à infernal. Son éducation chrétienne lui a appris que l'enfer est un gouffre géant
où tombent les cadavres, ceux des méchants, des fainéants comme ceux de tous les
autres. Tout espoir de paradis ou même de purgatoire semble exclu. Il souhaite vivre en
s'amusant, ne rien faire. Les "récompenses futures, éternelles" nous échappent ou,
comme l'écrit Rimbaud de manière plus abrupte, "nous les échappons" ou simplement
nous les laissons échapper. L' Enfer c'est celui de cet été 1873, l'enfer de la chaleur, du
feu, "il fait trop chaud. La température annihile tout effort, toute velléité, tout travail. Par
le témoignage de ses sœurs sur l'été de 1873 passé à la ferme de Roche nous savons
que le poète évitait de mettre la main aux travaux des champs et qu'il s'enfermait dans
le grenier pour écrire "Une saison en enfer" tout en trépignant de rage. Il nargue les
autres "On se passera de moi", les travailleurs des champs, à commencer par les
membres de sa famille. Son devoir, il considère qu'il est ailleurs. Il se souvient de sa

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S4- Poésie au 19ème siècle : Cours anticipés- Séances de révision. Pr. Nadia BIROUK-2024

blessure par les coups de revolver tirés par Verlaine 10 juillet, à Bruxelles, suivi de son
séjour à l'hôpital Saint-Jean où il aurait reçu la visite d'un prêtre "Sur mon lit d'hôpital,
l'odeur de l'encens m'est revenue si puissante".

Un abîme tout intérieur

Cette crise, c'est au plus profond de lui-même que Rimbaud la vit, au cours de cet été
1873, et il la transpose dans la situation du damné. C'est encore là son abîme, celui qui
s'est creusé en lui. La prière ne fait qu'y passer au galop : elle est à peine une velléité
fugitive. La seule occupation intérieure sera l'abandon aux rêveries et aux fantasmes,
aux masques aussi, aux personnalités d'emprunt "saltimbanque, mendiant, artiste,
bandit", et même, la plus inattendue, "prêtre". L'être souffrant est pris entre
les regrets et l'appréhension de l'avenir : l'âge de vingt ans, que Rimbaud ne doit
atteindre qu'un peu plus d'un an plus tard, le 10 octobre 1874. On retrouvera cette
appréhension des "Vingt ans" dans les Illuminations.

Des références bibliques

C'est assez fréquent, Rimbaud fait ici référence à un livre de la Bible, l'Ecclésiaste. Sans
le citer expréssément, il s'en inspire pour le moderniser et il crée un pseudo verset
attribué à "l'Ecclésiaste moderne" autrement dit laïque, c'est-à-dire la sagesse commune
de "Tout le monde" aujourd'hui : "Rien n'est vanité ; à la science, et en avant !". À en
juger par la seule longueur des alinéas, le mouvement du texte est remarquable. Les
alinéas les plus courts se situent au début et à la fin puis les alinéas se gonflent donnant
l'impression que le ton monte puis à la fin tout retombe, sans le moindre apaisement.

Une révolte d'adolescent

Le mot révolte se trouve dans l'avant-dernier alinéa. "Non! non! à présent je me


révolte contre la mort !". Attribuée à un damné, l'expression paraît légitime : il est déjà
mort, et il se révolte contre cette condition. Mais ce damné est aussi un vivant qui n'a
que 19 ans et se révolte déjà contre la pensée de la mort à venir. La prose, est dramatique
dans cette sorte de monologue intérieur, ponctué d'exclamations, qui sont autant
d'éclairs dans la nuit du damné. On ne compte pas moins de dix points d'exclamation
dans le texte parfois redoublés comme dans cette parole de refus, elle-même redoublée,
"Non! non !". Les points d'exclamation accentuent ici le refus de toute idée de travail, qui
aurait pu éclairer l'abîme et qui finalement ne l'éclaire pas. Pour être trop léger, le travail
humain ne saurait satisfaire un orgueil qui s'attribue la tache de lutter contre la mort, en
particulier au dernier moment. La dernière phrase de la section est ce point émouvante,
le poète se tourne vers son âme pour la réconforter car il n'y a peut-être pas de solution
et l'éternité n'est pas pour eux. En effet cette lutte dramatique peut n'aboutir à rien,
sinon à perdre l'éternité. Baudelaire disait la même chose avec " le Temps est l'Ennemi,
l'adversaire qui, dans un combat inégal, gagne à tout coup".

Fausses lumières

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S4- Poésie au 19ème siècle : Cours anticipés- Séances de révision. Pr. Nadia BIROUK-2024

L'espoir c'est celui des récompenses futures dans un paradis qui est moins perdu
qu'inexistant. On pourrait également parler d'un paradis refusé. Car si "la lumière
gronde", c'est qu'elle refuse d'accueillir le damné, ou bien elle devient l'orage de l'enfer.
L'idée salvatrice du "travail humain" est une vision chimérique, une illusion. La vraie
lumière est celle de la lucidité, sur soi, sur les autres, sur la vie, sur Dieu. Le texte
aboutit à une acceptation, une légitimation de soi-même comme non-travailleur,
comme simple révolté contre le temps.

Conclusion
Si la damnation de Rimbaud n'est qu'un damnation temporaire compte-tenu de sa
conduite, il comprend, à ce moment de "L'Éclair", que s'il ne trouve pas une autre voie,
peut perdre l'éternité et être damné à jamais. Fulgurante, la prose rimbaldienne est,
dans cette page, une prose limpide, transparente correspondant à une analyse
autobiographique très lucidite de l'auteur.

Source : http://rimbaudexplique.free.fr/saison/eclair.html

Liens, vidéos et documents :


https://commentairecompose.fr/
https://www.youtube.com/watch?v=zDqff45DMTs
https://www.youtube.com/watch?v=zDqff45DMTs&list=RDCMUCh5hj9OQX5gx_rdo6KJBPlw&s
tart_radio=1&rv=zDqff45DMTs&t=45
https://www.youtube.com/watch?v=ms9FcanWCoM&list=RDCMUCh5hj9OQX5gx_rdo6KJBPlw
&index=2
https://www.youtube.com/watch?v=TAVzM7ebySE&list=RDCMUCh5hj9OQX5gx_rdo6KJBPlw
&index=4
https://www.youtube.com/watch?v=xhn0Laxibsg&list=RDCMUCh5hj9OQX5gx_rdo6KJBPlw&in
dex=9
Exercices :
-Faites le commentaire composé du poème Matin, Saison en enfer de RIMBAUD.

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Cours anticipé de révision


Séances 11 et 12 relatives au 22 Avril 2024

Module : S4- Poésie au 19ème siècle


Ouvrage programmé :
Une Saison en Enfer, d’Arthur RIMBAUD
Cours anticipé de révision
Séance 11 : Exercices relatifs au commentaire
composé (2)
Extrait : Poème Matin, Saison en enfer de RIMBAUD
Objectifs :
-Se préparer aux examens.
-Consignes et corrections.
Faites le commentaire composé de cet extrait :

Matin

N'eus-je pas une fois une jeunesse aimable, héroïque, fabuleuse, à écrire
sur des feuilles d'or, - trop de chance ! Par quel crime, par quelle erreur,
ai-je mérité ma faiblesse actuelle ? Vous qui prétendez que des bêtes
poussent des sanglots de chagrin, que des malades désespèrent, que des
morts rêvent mal, tâchez de raconter ma chute et mon sommeil. Moi, je
ne puis pas plus m'expliquer que le mendiant avec ses
continuels Pater et Ave Maria. Je ne sais plus parler !

Pourtant, aujourd'hui, je crois avoir fini la relation de mon enfer. C'était


bien l'enfer ; l'ancien, celui dont le fils de l'homme ouvrit les portes.

Du même désert, à la même nuit, toujours mes yeux las se réveillent à


l'étoile d'argent, toujours, sans que s'émeuvent les Rois de la vie, les trois
mages, le coeur l'âme, l'esprit. Quand irons-nous, par-delà les grèves et les
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S4- Poésie au 19ème siècle : Cours anticipés- Séances de révision. Pr. Nadia BIROUK-2024

monts, saluer la naissance du travail nouveau, la sagesse nouvelle, la fuite


des tyrans et des démons, la fin de la superstition, adorer - les premiers !
- Noël sur la terre !

Le chant des cieux, la marche des peuples ! Esclaves, ne maudissons pas la


vie.

Commentaire possible :

Introduction
Avant-dernière section d’Une saison en enfer, "Matin" permet, mieux que tout autre
fragment, de percevoir les enjeux de l’écriture rimbaldienne. Si, en première lecture,
le poème en prose parait déroutant, voire hermétique, la rigueur de
sa progression laisse entrevoir un texte logique et, a tous égards, parfaitement
emblématique de l’ensemble du recueil qu’il pourrait à lui seul résumer. "Matin" tient
donc à la fois du bilan, du constat que toute révolte, aussi légitime soit-elle pour
affirmer son identité, doit s'assigner un but et une aspiration à un monde meilleur. C'est
à cette interrogation sur l'avenir que répond le texte. Le présent qu'il veut changer, celui
de l'échec, de l'enfer sur Terre fait apparaitre ce texte comme noir et bien désabusé
alors que le titre "matin" pouvait nous laisser entendre une aube nouvelle, une
renaissance.
La recherche des temps perdus
Le jeu des temps est ici très révélateur. Par rapport au présent de l’écriture, on évoque
au début le passé lointain de la "jeunesse" et de la "chance ". L’expression "une fois",
rend compte du statut particulier de ce moment originel, une période unique
impossible à revivre. C'est l’âge d’or ou "l'homme suçait, heureux sa mamelle chérie",
magnifié par des adjectifs "fabuleuse" ou "héroïque" rappelant les contes de fées. La
deuxième phrase en opposition avec le passé lointain volontairement mythifié fait
apparaître un présent dévalorisé par la "faiblesse". Le contraste est d’autant plus grand

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S4- Poésie au 19ème siècle : Cours anticipés- Séances de révision. Pr. Nadia BIROUK-2024

que le poète en cherche les raisons. Comme Adam chassé du paradis ("ma chute et mon
sommeil"), il ne peut expliquer pourquoi le bonheur lui a échappé, qui le punit ? Et de
quel droit, lui qui n'a pas commis le péché originel et ne mérite pas la déchéance. Il
n'a pas de réponses à ces questions et demande qu'on l'aide à comprendre.
La recherche des causes
Pour trouver ses réponses il se tourne vers les conteurs, les voyants de toute sorte.
De fait, après une transition assurée par le glissement du passé composé (ai-je mérité)
vers l’adjectif "actuelle", le texte est très largement dominé par le présent. On constate
que plusieurs verbes témoignent d'un profond doute chez le narrateur, d’une absence
de certitude ("tâchez ", "je crois") avec une abondance de tournures négatives ("je ne
puis pas plus", "Je ne sais plus", "sans que s’émeuvent"). Les actions mentionnées sont
souvent dépréciées ("Vous qui prétendez", "que des morts rêvent mal"), quand elles
n’évoquent pas directement le malheur ("des bêtes poussent des sanglots", "des
malades désespèrent"). Cette atmosphère de découragement caractérise donc un
"aujourd’hui" décevant, marqué à la fois par l’impossibilité de le communiquer et par
le retour à l’identique, avec répétition de termes ("enfer","même", "toujours")
évoquant le ressassement. Les deux occurrences de "même" et celles de "toujours". Le
"toujours" qui en début de troisième paragraphe, renvoie ainsi à "continuels",
parait emprisonner le narrateur dans une lassitude exprimée par la métaphore du
regard (" mes yeux las"). S’il y a bien réveil — donc évolution par rapport "sommeil",
sa réitération permet de douter de sa réalité. En ce sens, le proche passé guette toujours,
et il serait possible d’interpréter la fin du deuxième paragraphe (avec le retour de verbes
au passé) comme une difficulté supplémentaire à se dégager de l’enfer, ce que
confirmerait le recours à la formule dubitative "je crois avoir fini". La référence au
Christ ("le fils de l’homme") est d’ailleurs ambiguë : l'ouverture des "portes" de l’enfer
peut aussi bien faire allusion à sa résurrection d’entre les morts qu’au risque de
damnation que le baptême fait peser sur les hommes. Quoi qu’il en soit,
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S4- Poésie au 19ème siècle : Cours anticipés- Séances de révision. Pr. Nadia BIROUK-2024

l'"aujourd’hui" est marqué par l'échec. Dans la longue phrase qui débute le troisième
paragraphe, le désir de mythification du moment présent, sur le modèle de l’évocation
initiale de la "jeunesse aimable", vient lui aussi révéler la frustration : le recours à une
image "fabuleuse", celle des "trois mages", ne débouche cette fois que sur un constat
aride, puisque les aspirations au mouvement (ou à l’émotion, selon les deux sens de
"s’émeuvent) et à la spiritualité ne peuvent être satisfaites. Le passage des "feuilles
d’or" à "l’étoile d’argent" pourrait ainsi, paradoxalement, représenter une image
supplémentaire de dégradation.
Conclusion
Si le narrateur s'interroge sur la faute qui aurait pu provoquer sa chute
d'un paradis qu'il a dû connaître, il en recherche un témoin car lui ne peut rien dire,
rien expliquer. Il n'attend pas de réponses, il poursuit sa recherche d'un monde nouveau
qui ne manquera pas de venir et qu'il espère. Il se résout, comme les esclaves à avancer
comme les autres, sans haine avec cette espérance qui est en lui. Source :

http://rimbaudexplique.free.fr/saison/matin.html

Pour aller plus loin


Liens, vidéos et documents :
http://rimbaudexplique.free.fr/index.html
https://commentairecompose.fr/
https://commentairecompose.fr/rimbaud/
https://commentairecompose.fr/mouvement-litteraire/
https://www.youtube.com/watch?v=_8iX0PZV6v8
https://www.youtube.com/watch?v=GlQSa8cX8CY&t=109s
https://www.youtube.com/watch?v=eqzMja5zT-c
https://www.youtube.com/watch?v=zAqMSwwbmYM
https://www.youtube.com/watch?v=6WdNm5chtMk
https://www.youtube.com/watch?v=_cf-YsBQseo
https://www.youtube.com/watch?v=k-D3ZXqZWvQ&t=32s
https://www.youtube.com/watch?v=epl6xzm64x4

Exercices :
- Faites le commentaire composé du poème FAIM, Saison en enfer de
RIMBAUD.
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S4- Poésie au 19ème siècle : Cours anticipés- Séances de révision. Pr. Nadia BIROUK-2024

Module : S4- Poésie au 19ème siècle


Ouvrage programmé :
Une Saison en Enfer, d’Arthur RIMBAUD
Cours anticipé de révision
Dernière séance
Séance 12 : Exercices relatifs au commentaire
composé (3)
Extrait : Poème FAIM de RIMBAUD
Objectifs :
-Se préparer aux examens.
-Consignes et corrections.
Faites le commentaire composé de cet extrait poétique:
FAIM (Extrait)
Si j'ai du goût, ce n'est guère
Que pour la terre et les pierres.
Je déjeune toujours d'air,
De roc, de charbons, de fer.

Mes faims, tournez. Paissez, faims,


Le pré des sons.
Attirez le gai venin
Des liserons.
Mangez les cailloux qu'on brise,
Les vieilles pierres d'églises ;
Les galets des vieux déluges,
Pains semés dans les vallées grises.

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S4- Poésie au 19ème siècle : Cours anticipés- Séances de révision. Pr. Nadia BIROUK-2024

———

Le loup criait sous les feuilles


En crachant les belles plumes
De son repas de volailles :
Comme lui je me consume.

Les salades, les fruits


N'attendent que la cueillette ;
Mais l'araignée de la haie
Ne mange que des violettes.

Que je dorme ! que je bouille


Aux autels de Salomon.
Le bouillon court sur la rouille,
Et se mêle au Cédron.

Enfin, ô bonheur, ô raison, j'écartai du ciel l'azur, qui est du noir, et je vécus, étincelle d'or de la
lumière nature.
De joie, je prenais une expression bouffonne et égarée au possible :

Elle est retrouvée !


Quoi ? l'éternité.
C'est la mer mêlée
Au soleil.

Mon âme éternelle,


Observe ton voeu
Malgré la nuit seule
Et le jour en feu.
Donc tu te dégages

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S4- Poésie au 19ème siècle : Cours anticipés- Séances de révision. Pr. Nadia BIROUK-2024

Des humains suffrages,


Des communs élans !
Tu voles selon.....

— Jamais l'espérance.
Pas d'orietur.
Science et patience,
Le supplice est sûr.

Plus de lendemain,
Braises de satin,
Votre ardeur
Est le devoir.

Elle est retrouvée !


— Quoi ? — l'Éternité.
C'est la mer mêlée
Au soleil.
———

Je devins un opéra fabuleux : je vis que tous les êtres ont une fatalité de bonheur : l'action n'est pas la
vie, mais une façon de gâcher quelque force, un énervement.
La morale est la faiblesse de la cervelle.

À chaque être, plusieurs autres vies me semblaient dues.


Ce monsieur ne sait ce qu'il fait : il est un ange.
Cette famille est une nichée de chiens.
Devant plusieurs hommes, je causai tout haut avec un moment d'une de leurs autres vies.
— Ainsi, j'ai aimé un porc.

Aucun des sophismes de la folie, — la folie qu'on enferme, — n'a été oublié par moi : je pourrais les

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redire tous, je tiens le système.

Ma santé fut menacée. La terreur venait.


Je tombais dans des sommeils de plusieurs jours, et, levé, je continuais les rêves les plus tristes.
J'étais mûr pour le trépas, et par une route de dangers ma faiblesse me menait aux confins du monde
et de la Cimmérie, patrie de l'ombre et des tourbillons.

Je dus voyager, distraire les enchantements assemblés sur mon cerveau.


Sur la mer, que j'aimais comme si elle eût dû me laver d'une souillure, je voyais se lever la croix
consolatrice.
J'avais été damné par l'arc-en-ciel. Le Bonheur était ma fatalité, mon remords, mon ver : ma vie serait
toujours trop immense pour être dévouée à la force et à la beauté.

Le Bonheur !
Sa dent, douce à la mort, m'avertissait au chant du coq, — ad matutinum, au Christus venit, — dans les
plus sombres villes :

Ô saisons, ô châteaux !
Quelle âme est sans défauts ?

J'ai fait la magique étude


Du bonheur, qu'aucun n'élude.

Salut à lui, chaque fois


Que chante le coq gaulois.

Ah ! je n'aurai plus d'envie :


Il s'est chargé de ma vie.

Ce charme a pris âme et corps


Et dispersé les efforts.

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Ô saisons, ô châteaux !
L'heure de sa fuite, hélas !
Sera l'heure du trépas.
Ô saisons, ô châteaux !

———

Cela s'est passé. Je sais aujourd'hui saluer la beauté.

Exemple d’un commentaire :

Au sujet du poème "Fêtes de la faim"

Le poème "Fêtes de la faim" est daté selon les manuscrits du


mois d'août 1872. Son titre est une allusion sensible à des productions
antérieures de Rimbaud lui-même. Il s'agit d'une variation sur le titre
"Comédie de la soif" avec un passage du mot "soif" au mot "faim", mais aussi
d'une variation sur le titre "Fêtes de la patience" où "faim" se substitue à
"patience", à quoi ajouter qu'entre les deux titres nous passons d'un
ensemble de quatre poèmes à un poème unique. Au plan biographique,
l'idée de patience avait du sens en mai 1872. Dans la mesure où trois des
"Fêtes de la patience" sont datées de mai 1872 et une autre du suivant mois
de juin, nous partons du principe que ces "Fêtes de la patience" ont plutôt
été écrites à Paris, après le retour de Rimbaud au début du mois. Rimbaud
devait déjà patienter en province de mars au tout début du mois de mai,
mais une autre forme d'attente et donc de patience a continué de peser en
mai et juin, avant le départ précipité où Rimbaud a forcé la main à
Verlaine. Le mot "faim" qui servira de seul titre au poème dans la version
imprimée un an plus tard du livre Une saison en enfer est un signe
inquiétant d'une situation qui s'est aggravée, et le contraste avec l'idée de
soif confirme cette idée, sachant qu'en juillet les deux poètes lors de leurs
escapades semblent avoir beaucoup bu. Mais ils ont bu pas mal en août
également.

Ce que j'essaie de cerner, c'est à quel moment de l'existence de


Rimbaud le poème "Fêtes de la faim" peut renvoyer le plus probablement.

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S4- Poésie au 19ème siècle : Cours anticipés- Séances de révision. Pr. Nadia BIROUK-2024

Or, Mathilde Verlaine est venue récupérer son mari à Bruxelles, elle a réussi
à l'entraîner dans le train, mais lors du contrôle douanier Verlaine a refusé
de franchir la frontière, il est resté sur le quai à regarder partir sa femme
qui ne l'a plus jamais revu de sa vie ensuite et il est parti rejoindre
Rimbaud. La grande énigme pour les biographes, outre l'explication à
fournir dans le détail d'un tel comportement velléitaire et indécis de la
part de Verlaine, c'est si oui ou non Rimbaud était dans le train. Il y a un
fait qui plaide pour dire que Rimbaud n'était pas dans le train, c’est que le
témoignage de Mathilde fait prononcer par Verlaine une incertitude
d'opinion "s'il veut encore de moi (après ça)" (citation de mémoire, peu
importe ici). Il reste à bien étudier les lignes de chemin de fer belge en
juillet 1872 pour évaluer aussi quand et où ils se sont retrouvés. En effet,
Rimbaud s'est retrouvé presque sans le sou à Bruxelles en principe. Verlaine
est parti sans crier gare, il n'a même pas dû fournir à Rimbaud de quoi se
retourner. Peut-être Verlaine pensait-il que Rimbaud avait un peu d'argent
sur lui pour retourner à Charleville, à moins que Verlaine ait compté sur
les contacts bruxellois, en particulier parmi les réfugiés communards.
On imagine mal Rimbaud partir sans le sou à Charleroi, avec une poste
restant inespérée, qui aurait fait que Verlaine aurait rejoint Rimbaud
n'importe où en Belgique. Le scénario le plus crédible, c'est que Verlaine
soit retourné à Bruxelles et qu'il ait retrouvé un Rimbaud sur le qui-vive,
mais toujours là, n'ayant pas eu le temps de prendre une grande initiative.
Comme la mère de Rimbaud faisait rechercher son fils encore mineur et
que nos deux fugueurs devaient se douter qu'il y aurait des suites à la venue
de Mathilde, il semble logique d'imaginer qu'après une dernière nuit
bruxelloise Verlaine et Rimbaud soient partis pour une destination
inconnue de leurs proches. Rimbaud connaissait Charleroi depuis les mois
de septembre-octobre 1870, il en avait un bon souvenir, c'était une ville
ouvrière, et contrairement à ce qui se dit souvent sur la section des
"Paysages belges" de Romances sans paroles, les poèmes intitulés
"Walcourt" et "Charleroi" ont dû être composés après l'échec de
l'intervention de Mathilde et non avant. Dans l'hypothèse de lecture
biographique traditionnelle, on se contente de dire que Rimbaud et
Verlaine sont passés par Walcourt et Charleroi pour aller à Bruxelles autour
du 10 juillet, et qu'ils y ont fait deux escales. Il est vrai que le poème
"Walcourt" de Verlaine semble évoquer un passage fugace, pressé que nos
deux compères étaient par les horaires des trains. En gros, Rimbaud et
Verlaine n'ont pas logé à Walcourt, mais ils y ont passé une journée festive.
Walcourt était une ville liée à Charleroi, une ville industrielle clef, et la

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S4- Poésie au 19ème siècle : Cours anticipés- Séances de révision. Pr. Nadia BIROUK-2024

réputation de ville fêtarde de Walcourt est restée importante jusqu'aux


années 1960-1970 environ. La ville étant actuellement un peu isolée de
l'axe routier et l'activité ouvrière ayant complètement disparu, elle est
beaucoup plus paisible aujourd'hui. Le plus clair du séjour a dû se passer à
Charleroi, et cela fait une certaine étendue de temps entre le 22 juillet et
le 9 septembre, même si nous défalquons quelques journées bruxelloises
éventuelles autour du 22 juillet, même si nous retranchons la journée
festive à Walcourt. Outre cet important laps de temps, nous avons plusieurs
journées du mois d'août qui sont concernées, et enfin si Rimbaud a composé
"Fêtes de la faim" en août 1872, qu'il l'ait composé à Bruxelles après le 9
août ou à Charleroi avant le 9 août il peut très bien avoir songé avant tout
au séjour dans la ville minière entre le 22 juillet et le 9 août. C'est la
première hypothèse solide de réflexion sur le contexte de composition de
ce poème. Il est tout de même question de manger la terre, ce qui cadre
assez bien avec le problème de l'extraction du charbon par des ouvriers.
Le problème de la faim permet aussi de créer un unisson entre une situation
où l'argent a dû moins facile venir entre les mains de Verlaine et Rimbaud.
Dès le 9 août, ils sont de retour dans la capitale belge, parce que la vie
était plus facile pour deux étrangers, d'autant qu'ils avaient des contacts
avec des réfugiés, et parce que l'argent de madame Verlaine devait y
parvenir plus commodément aussi. Le problème de la faim a dû se poser
plus crûment pour les deux vagabonds entre le 22 juillet et le 9 août
qu'ensuite. On pourrait soutenir que le problème de la faim a très bien pu
les tarauder tout au long du second séjour bruxellois entre le 9 août et le
7 septembre 1872, mais à ce moment-là il faut prendre en compte un
voyage en Malines dont Verlaine a rendu compte par un poème, un voyage
à Liège sur lequel nous ne savons pas grand-chose, et puis il y a ce départ
en bateau pour l'Angleterre qui a nécessité des moyens. Par ailleurs, le
poème "Malines" ne soulève pas du tout le problème de la faim. Je n'exclus
pas que "Fêtes de la faim" ait été composé en fonction de l'expérience
bruxelloise à partir du 9 août, mais le lien à Charleroi s'impose plus
naturellement à mon esprit.
Il y a un autre point à observer. Le poème "Fêtes de la faim" possède un
refrain de chanson assez irrégulier au plan de la métrique littéraire, ce qui
est déjà intéressant en soi, mais ce refrain accentue la dimension musicale
et rythmique des répétitions. Quelque part, "Fêtes de la faim" est très
proche des thèmes sombres du poème "Charleroi" de Verlaine et ils ont en
commun une intériorisation psychologique catastrophée. Mais, dans le
refrain, nous avons droit à un effet de rythme entre des impératifs

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S4- Poésie au 19ème siècle : Cours anticipés- Séances de révision. Pr. Nadia BIROUK-2024

partageant nécessairement les mêmes terminaisons de deuxième personne


du pluriel :

Tournez, les faims ! paissez, faims,


Le pré des sons !
Puis l'humble et vibrant venin
Des liserons ;

Je remarque deux mots clefs du sonnet "Voyelles" dans ce refrain :


"paissez" au passage proche de "prés" et "vibrant". Il s'agit de mots clefs du
premier tercet de "Voyelles" : "pâtis" et "vibrements" :

U, cycles, vibrements divins des mers virides,


Paix des pâtis semés d'animaux, (...)
Je remarque aussi la mention "faims" au pluriel, substitut quelque peu des
mots "patience" ou "soif" d'autres poèmes de 1872, je remarque aussi
l'expression qui prend la forme d'un vers de quatre syllabes "Le pré des
sons!" et je la rapproche inévitablement d'un extrait du poème "Soir
historique" : "le clavecin des prés!"
Ainsi, il ne fait aucun doute que le poème "Fêtes de la faim" est
éminemment politique et lié étroitement aux métaphores du sonnet
"Voyelles".
Mais j'observe aussi la présence initiale du verbe "Tournez" qui avec le
verbe suivant "paissez" établit une scansion musicale et enfin, la rime
"sons"::"liserons" m'intéresse, car le mot "sons" souligne la nature musicale
du refrain, tandis que le mot de fin de strophe "liserons" après les effets
d'assonance à l'initiale dans "vibrant venin" suggère dans la tension entre "-
rant" dans "vibrant" et "-rons" dans "liserons" la présence suggestive à
l'oreille du mot "ronds" qui répond à "Tournez" et joue sur l'idée de
ritournelle que fait sentir le travail mélodique de ce quatrain.
Prenons maintenant le poème "Chevaux de bois" de Verlaine qui est lui aussi
daté du mois d'août 1872 et qui concerne une fête populaire à Bruxelles.
On y trouve l'idée de l'appétit rassasié : "Bien dans le ventre", mais aussi le
recours à une répétition parolière facile pour amuser la foule : "Tournez,
tournez bons chevaux de bois". Le procédé recourt comme Rimbaud à la
reprise d'impératifs, mais Verlaine le simplifie et l'accentue, puisqu'il
répète le verbe "Tournez" et cela à plusieurs reprises tout au long du
poème. Or, il est une strophe où le mot "ronds" est à la rime avec même
un tour pas complètement familier ou naturel "galops ronds", strophe
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S4- Poésie au 19ème siècle : Cours anticipés- Séances de révision. Pr. Nadia BIROUK-2024

lancée par le verbe "Tournez", et cette strophe se termine par une mention
du problème de la faim : "sans espoir de foin" avec même peut-être une
équivoque phonétique recherchée entre "foin" et "faim" pour ceux que la
rime fera songer.
De deux choses l'une. Ou Verlaine s'est inspiré partiellement de
"Fêtes de la faim", ou à l'inverse Rimbaud s'est inspiré partiellement de
"Chevaux de bois", ce qui aurait pour conséquence d'inviter à dater le
poème postérieurement au retour à Bruxelles le 9 août.
J'ai tendance à penser, mais c'est une intuition, que Verlaine répond à un
unisson de préoccupations personnelles et ouvrières qui faisaient méditer
Rimbaud et Verlaine depuis le séjour à Charleroi. Par ailleurs, "Chevaux de
bois" est une variante festive dans le milieu populaire au poème "Walcourt".
J'ai donc tendance à penser que le poème de Rimbaud est antérieur et l'un
des supports de la création verlainienne, mais je suis bien loin de pouvoir
établir ce fait. Ceci dit, deux vers de Verlaine ont une forte allure
d'imitation du parler goguenard de Rimbaud, ce qui encourage vraiment à
penser que "Chevaux de bois" est plus à penser comme une imitation de
Rimbaud que comme un poème qui pourrait être une source d'une
composition de Rimbaud.

C'est ravissant comme ça vous soûle


D'aller ainsi dans ce cirque bête :
(...)
Bien sûr, on peut penser que le poème de Verlaine s'inspire des gens qu'il
a entendus sur place ou même plus tôt en France. Mais, ces vers sont mis
dans un poème qui a une ambition littéraire et en la matière il y a un
antécédent rimbaldien que Verlaine connaissait et ne pouvait ignorer, il
s'agit de l'amorce des "Premières communions" :

Vraiment, c'est bête ces églises des villages


(...)
Je pourrais parler de l'évocation populaire et paysanne qui suit, du
désir de danser, etc., mais je vais me contenter de repérer les points
communs : gallicisme "C'est ravissant" ou "c'est bête", affectation sensible
du parler oral "Vraiment", "aller ainsi", "ces églises des villages", "comme
ça vous soûle"; présence à chaque fois du mot "bête". Qui plus est, le
premier vers des "Premières Communions" renforce son côté parlé oral par
l'accentuation à la césure du déterminant "ces" : "Vraiment, c'est bête ces
+ églises des villages", je mets un + pour indiquer la frontière entre les
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S4- Poésie au 19ème siècle : Cours anticipés- Séances de révision. Pr. Nadia BIROUK-2024

deux hémistiches. Même si ce n'est pas obligatoire ni automatique, la


pression du vers, sa signification, le contexte qu'il suggère, tout m'invite à
suspendre un peu ma lecture après ce déterminant et dans tous les cas ma
lecture doit mettre en relief le mot "églises" qui suit, et si je suspends ma
lecture, remarquer qu'on a un renforcement osé de la liaison [z] :
"Vraiment, c'est bête ces [z]églises des villages". Je plaide bien
évidemment une lecture de ce vers où la césure accentue l'affectation de
l'oral et le recours à des principes de mise en relief des mots par
l'intonation qui n'est pas dans la syntaxe. Il est évident que l'art de cette
césure se situe à ce niveau d'intention. Verlaine ne joue pas sur la
métrique, mais son vers "C'est ravissant comme ça vous soûle" crée une
tension entre "C'est" et "ça", et souligne un effet de familiarité comparable
à celui de Rimbaud comme à celui de l'amorce célèbre du Voyage au bout
de la nuit : "ça a débuté comme ça", quoique dans le cas de Céline la
substitution de "débuté" à "commencé" atténue l'effet de familiarité pour
créer une autre dynamique.
Tout ce que je viens d'exposer ne fait pas un commentaire du poème
"Fêtes de la faim", mais c'est une approche qui fait des remarques inédites
en essayant de bien circonscrire certains enjeux du poème...
Source : http://paintedplates.blogspot.com/2019/08/au-sujet-du-poeme-fetes-de-la-faim.html

Pour aller plus loin


Liens, vidéos et documents :
http://paintedplates.blogspot.com/2019/08/au-sujet-du-poeme-fetes-de-la-faim.html
https://commentairecompose.fr/
http://rimbaudexplique.free.fr/saison/alchimie.html
http://rimbaudexplique.free.fr/saison/adieu.html
http://rimbaudexplique.free.fr/saison/eclair.html

Révisions :
-Révisez l’ensemble de vos cours.
-Révisez Aussi vos notes prises lors de vos séances en présentiel.
-Faites plus d’exercices en se référant à votre dossier du
commentaire composé déjà communiqué dans ce sens.

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S4- Poésie au 19ème siècle : Cours anticipés- Séances de révision. Pr. Nadia BIROUK-2024

ÉVALUATION DU MODULE :
Examen Commentaire Écrit/ (Examen Final): Commentaire
composé d’un extrait d’Une Saison en Enfer, d’Artur
Rimbaud

Examen Écrit/ (Rattrapage) : composé d’un extrait d’Une


Saison en Enfer, d’Artur Rimbaud
Fin du Module 100 %

Source de l’image : https://www.europe1.fr/culture/Le-vrai-visage-d-Arthur-Rimbaud-27423

Le vrai visage d’Arthur Rimbaud

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Remarques :
 Le polycopié en papier de tout le cours relatif à votre Module est
déjà déposé au centre copie de votre faculté.
 Des questions, des explications supplémentaires, n’hésitez pas à
me contacter via WhatsApp ou émail.

Module : S4- Poésie au 19ème siècle


Ouvrage programmé :
Une Saison en Enfer, d’Arthur RIMBAUD
RESPONSABLE ET ENSEIGNANTE DU MODULE :
Pr. NADIA BIROUK©
2023-2024
FIN DU MODULE !
Pr. Nadia BIROUK

Bonne préparation et Bon courage !

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