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TRANSMISSION ET RÉCEPTION

DES PÈRES GRECS DANS L’OCCIDENT,


DE L’ANTIQUITÉ TARDIVE À LA RENAISSANCE
Entre philologie, herméneutique et théologie

Actes du colloque international organisé du 26 au 28 novembre 2014


à l’Université de Strasbourg
Collection des Études Augustiniennes

Fondateurs : F. CAYRÉ † et G. FOLLIET †


Ancien Directeur : Jean-Claude FREDOUILLE †

Directeur : Frédéric CHAPOT

Conseil scientifique : M. ALEXANDRE, N. BÉRIOU, A.-I. BOUTON-TOUBOULIC, N. DUVAL,


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Collection des Études Augustiniennes

Série Antiquité - 202

TRANSMISSION ET RÉCEPTION
DES PÈRES GRECS DANS L’OCCIDENT,
DE L’ANTIQUITÉ TARDIVE À LA RENAISSANCE
Entre philologie, herméneutique et théologie
Actes du colloque international organisé du 26 au 28 novembre 2014
à l’Université de Strasbourg

édités par Emanuela PRINZIVALLI, Françoise VINEL et Michele CUTINO


avec la collaboration d’Isabelle PERÉE

Institut d’Études Augustiniennes


PARIS
2016

Ouvrage publié avec le concours


Tous droits réservés pour tous pays. Aux termes du Code de la Propriété Intellectuelle,
toute reproduction ou représentation, intégrale ou partielle, faite par quelque procédé
que ce soit (photocopie, photographie, microfilm, bande magnétique, disque optique ou
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et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 à L 335-10 du Code de la
Propriété Intellectuelle.

© Institut d’Études Augustiniennes, 2016


ISBN : 978-2-85121-285-6
ISSN : 1158-7032
Au Professeur Manlio Simonetti,
en hommage
AVANT-PROPOS

L’historiographie contemporaine a désormais pris conscience de l’importance


des auteurs chrétiens (et donc des Pères de l’Église) dans la formation de la culture
médiévale et moderne. Il y a là un tournant décisif de la pensée occidentale, de
l’Antiquité tardive à l’âge carolingien, de la maturation d’un nouveau climat,
au XIIe et XIIIe s. jusqu’à l’humanisme, un tournant qui passe par la relecture et
en conséquence l’influence de ces auteurs anciens, à côté de la redécouverte, au
moins déjà à partir du XIIe s., de l’héritage classique.
Dans ces dernières décennies, des colloques et des études générales ou des
monographies ont été consacrés à la réception des Pères, et les deux volumes
édités en 1997 par Irena Backus sous le titre The Reception of the Church Fathers
in the West from the Carolingians to the Maurists ont eu un rôle pionnier. Mais
il reste beaucoup à faire, avant tout pour ce qui concerne les Pères grecs, dont
l’anthropologie apparaît largement comme une alternative à la vision d’Augustin.
Pour le dire brièvement, la postérité des Pères grecs en Occident reste un terrain
à explorer.
Le colloque international « Transmission et réception des Pères grecs dans
l’Occident, de l’Antiquité tardive à la Renaissance : entre philologie, herméneu-
tique et théologie », réuni à Strasbourg en novembre 2014, se proposait d’apporter
sa contribution en s’arrêtant à l’examen, dans une perspective diachronique, de
quelques cas exemplaires de la réception formelle et doctrinale des Pères grecs.
Une approche pluridisciplinaire s’avère indispensable pour ce travail : historiens,
philologues éditeurs, traducteurs, théologiens dialoguent dans ces pages, confor-
tés en quelque sorte par des faits comme la présence de tels ou tels écrits des
Pères, en grec ou en latin, dans les inventaires de bibliothèques médiévales. C’est
pourquoi plusieurs articles s’intéressent à la circulation des manuscrits mais aussi
des personnes de l’Orient vers l’Occident. Cependant, sur une période de plus
de dix siècles, de l’Antiquité tardive à la Renaissance, il y a aussi à prendre acte
de l’histoire des traductions de la littérature patristique grecque. On aborde ainsi
la question de la réception. Loin de signifier unanimité, celle-ci nous conduit au
cœur des controverses, voire des affrontements théologiques et ecclésiaux qui se
sont succédé – une manière de prendre conscience de l’instrumentalisation dont
peuvent faire l’objet des œuvres majeures comme celles de Cyrille d’Alexandrie
ou du Ps.-Denys l’Aréopagite.
10 AVANT-PROPOS

Concernant l’Antiquité tardive, on verra, à travers des lectures d’Ambroise et de


Jérôme, comment la réception d’Origène donne lieu à des interprétations plurielles
et divergentes. On poursuivra en examinant d’un point de vue à la fois philo-
logique et hermeunético-théologique des exemples de remplois de textes grecs
chrétiens en Occident au Moyen Âge et jusqu’à la Renaissance. On aborde alors
la question de l’appropriation de la théologie (exégétique et dogmatique) grecque
du Moyen Âge à la Renaissance et l’on voit en quelque sorte surgir une frontière
invisible – imaginaire et symbolique ? – entre Orient et Occident, entre théologie
orientale et théologie occidentale.
Mais un colloque strasbourgeois ne saurait manquer de s’interroger sur la place
des Pères grecs dans l’humanisme rhénan. Beatus Rhenanus comme Érasme et les
premiers Réformateurs, au moment même où l’imprimerie commence à offrir les
editio princeps du patrimoine antique, réinterprètent tout un ensemble d’œuvres
– et les choix qu’ils font sont aussi riches de signification. Nous avons choisi de
donner une large place à une contribution conclusive, sous le titre : « La lecture
des Pères grecs dans l’expérience intellectuelle des Humanistes », un essai de
récapitulation de tout ce qui se joue et se construit entre transmission et réception.

Le colloque n’a pu avoir lieu que grâce au soutien du Cercle Gutenberg, qui a
honoré le Professeur Emanuela Prinzivalli, de l’Université La Sapienza de Rome,
d’une Chaire Gutenberg pour l’année 2014, et les signataires de cet avant-propos
tiennent à en remercier le Président du Cercle, le Professeur Pierre Braunstein, ainsi
que les instances de la Communauté Urbaine et de la Région de Strasbourg. Nous
remercions également la Fondations des Presses de l’Université de Strasbourg
dont l’aide a permis la publication, et les Professeurs Frédéric Chapot et Vincent
Zarini qui ont accueilli ce volume dans la Collection des Études augustiniennes.
Enfin, nous sommes nombreux à avoir beaucoup reçu des enseignements et des
publications du Professeur Manlio Simonetti et c’est un honneur de lui dédier ce
livre.
Emanuela PRINZIVALLI
Françoise VINEL
Michele CUTINO
I.

ANTIQUITÉ TARDIVE :
ORIGÈNE ENTRE AMBROISE ET JÉRÔME
Ambroise de Milan
et l’exégèse vétérotestamentaire d’Origène :
questions méthodologiques à partir
d’un cas exemplaire
Iacobo Fontaine hoc opus grato animo
propter eius praecepta quae fuga temporum
diruere non poterit, dico.

Il manque encore aujourd’hui, comme chacun le sait, un travail global qui fasse
le point sur les rapports entre Ambroise et Origène, tout comme l’a fait H. Savon1
à propos de la dette de l’évêque milanais envers Philon d’Alexandrie. Je me réfère,
avant tout, à une étude d’ensemble qui ne se limiterait pas à mettre en lumière
les points, considérés distinctement, sur lesquels Ambroise semble reprendre,
avec ou sans modifications, l’intertexte origénien – à cet égard, nous possédons
des analyses partielles, mais également précieuses, surtout pour l’exégèse des
psaumes, celles d’Auf des Maur2, de Dassmann3 et de Pizzolato4, par exemple –,
mais qui pourrait montrer l’influence de la pensée théologique de l’Alexandrin

1. H. SAVON, Saint Ambroise devant l’exégèse de Philon d’Alexandrie, 2 vol., Paris, 1977.
2. H. J. AUF DER MAUR, Das Psalmenverständnis des Ambrosius von Mailand. Ein Beitrag zum
Deutungshintergrund der Psalmenverwendung im Gottesdienst des Alten Kirche, Leiden, 1977,
en part. les index aux p. 447-510.
3. E. DASSMANN, Die Frömmigkeit des Kirchenvaters Ambrosius von Mailand. Quellen
und Entfaltung, Münster, 1965 ; ID., « Ecclesia vel anima. Die Kirche und ihre Glieder in der
Hoheliederkläung bei Hippolyt, Origenes und Ambrosius von Mailand », Römische Quartalschrift
für christliche Altertumkunde und Kirchengeschichte, 61, 1966, p. 121-144, en part. p. 137-143.
4. Je me réfère, en particulier, à L. F. PIZZOLATO, La Explanatio psalmorum XII. Studio lette-
rario sull’esegesi di sant’Ambrogio, Milano, 1965, en part. les index aux p. 25-90, ainsi qu’aux
introductions conçues par ce savant aux éditions des Explanationes psalmorum XII et de l’Expo-
sitio psalmi CXVIII pour les volumes 8 et 9 de la collection SAEMO.
14 MICHELE CUTINO

sur celle de l’évêque milanais, et s’il y a des éléments en commun, mais aussi
des points de discontinuité, entre les systèmes élaborés par les deux auteurs. Cette
analyse est d’autant plus nécessaire qu’Origène est sans aucun doute, avec Philon,
l’exégète qui a eu le plus d’importance pour l’élaboration de la ratio interpretandi
scripturaire d’Ambroise. Par ailleurs, pour l’approche ambrosienne de l’exégèse
néotestamentaire origénienne, nous avons des travaux qui vont dans cette direc-
tion : je me réfère au livre publié en 1994 par Thomas Graumann5 sur l’exégèse
ambrosienne de Luc et son modèle origénien, et surtout à quelques travaux encore
d’Hervé Savon6, sur l’exégèse de Paul dans les deux auteurs, qui a montré com-
ment Ambroise, en faisant l’exégèse des épîtres pauliniennes, s’écarte résolument
de la conception origénienne du libre-arbitre, en se montrant un témoin essentiel
de la réception des idées pauliniennes sur le péché et la grâce dans les dernières
décennies du IVe s.
Étudier le rapport d’Ambroise avec l’exégèse vétérotestamentaire d’Origène
est plus complexe, étant donné l’attention particulière des deux auteurs à l’Ancien
Testament et l’évaluation formulée par Ambroise même à l’égard d’Origène exé-
gète de l’Ancien Testament dans la lettre 65 (par. 1) de sa correspondance :
« Etsi sciam quod nihil difficilius sit quam de apostoli lectione disserere, cum ipse
Origenes longe minor sit in nouo quam in ueteri testamento, tamen … hodierno
quoque sermone uim ipsam apostolicae disputationis meditabor aperire. »
Origène pour Ambroise vaut donc beaucoup moins dans le Nouveau Testament
que dans l’Ancien. Notre contribution ne peut pas, bien évidemment, accomplir un
examen exhaustif de cette question. Notre intention est de proposer des considé-
rations préliminaires à cette entreprise, à partir de l’analyse d’un texte significatif,
De Abraham, II, 8, 53-54, où Ambroise cite directement le nom d’Origène – ce
qu’il fait très rarement même à l’égard d’autres auteurs7 –, qui plus est, avec une
appréciation :

5. T. GRAUMANN, Christus interpres. Die Einheit von Auslegung und Verkündigung in der
Lukaserklärung des Ambrosius von Mailand, Berlin – New York, 1994.
6. Cf. H. SAVON, « Un dossier sur la loi de Moïse dans le recueil des lettres d’Ambroise », dans
La correspondance d’Ambroise de Milan, A. Canellis éd., Saint-Étienne, 2012, en part. p. 79-84.
Voir aussi ID., « Ambroise lecteur d’Origène », dans Nec timeo mori. Atti del Congresso interna-
zionale di studi ambrosiani nel XVI centenario della morte di sant’Ambrogio, Milano, 4-11 aprile
1997, L. F. Pizzolato – M. Rizzi edd., Milano, 1998, p. 221-234.
7. En particulier, le nom d’Origène apparaît dans trois œuvres ambrosiennes : la troisième, c’est
l’Expositio psalmi CXVIII (serm. 1, 7), où Ambroise apprécie en Origène le philologue biblique
pour son travail critique sur les différentes versions grecques du texte original hébreu de l’Ancien
Testament.
AMBROISE ET L’EXÉGÈSE VÉTÉROTESTAMENTAIRE D’ORIGÈNE 15

53. « Et hoc ipso quidem quod aues posuit, intellegere possumus caelestium meritorum
uolatus. … Et Ezechiel apertos sibi caelos dicit et uidisse inter alia etiam rotam unam
super terram coniunctam animalibus quattuor (Ez. 1,15). Et infra “audiebam” inquit
“uocem alarum eorum, sicut uocem aquarum multarum…” (Ez. 1, 24). 54. Vnde
quidam ad libros philosophiae diriuarunt eo quod ipsum caelum uolucris simile sit.
Denique Plato currum uolucrem dixit esse caelum eo quod propheta dixerat : “Cum
irent animalia, ibant etritae coniunctae illis, et cum eleuarent se animalia a terra,
eleuabantur rotae” (Ez. 1, 19). Sed propheta non caelum ipsum auem dixit, sed aues
esse in caelo… Animam autem describit propheta, cuius sunt motus quattuor uelut
equi, λογιστικὸν θυμικὸν ἐπιθυμητικὸν διορατικὸν. Haec animalia quattuor, id
est homo λογικόν, leo θυμικόν, uitulus ἐπιθυμητικόν, aquila διορατικόν… Ista
animalia quando eleuantur, eleuantur etiam rotae. Rotae autem uita est super terram,
qua uiuimus. Si animae nostrae motus quattuor eleuantur, eleuatur et uita nostra.
Ideoque addidit : “Quoniam spiritus” inquit “uitae erat in rotis” (Ez. 1, 20). Anima
ergo magis currus est, quae in Canticis cantico rum : “Posuisti me currus Amindab”
(Ct. 6, 11), hoc est dei nostri. Non ergo philosophiae traditioni descriptio concurrit
prophetica. Denique uocem alarum audisse se dicit propheta. Istae alae uirtutes sunt,
quae maximo et duplici plausu prudentiae fortitudinis temperantiae iustitiae suauem
decorem, uitae cantilenam resultant. Plato autem dulces quosdam sonitus siderum
mutuauit spherae caelestis generari conuersione, famam magis et pompam quam
ueritatem secutus. Nam licet Origenes quoque noster, hoc est ecclesiastico officio
deditus, planetarum stellarum quandam inenarrabilem motu armoniam esse suauissimi
illius soni caelestis adserat, tamen etiam ipsum plurimum indulgere philosophorum
traditioni pleraque eius scripta testantur. Quod eo scripsi, ut et ab aruspicinae et a
philosophiae traditione sacrificii istius interpretationem secernerem. Velint alii
doctrinam probare suam, ego iuxta apostolum timidus malo quam doctus uideri,
qui ait : “Videte ne quis uos depraedetur per philosophiam et inanem seductionem
secundum traditionem hominum … et non secundum Christum” (Col. 2, 8). »

I. – LE CAS EXEMPLAIRE DE DE ABRAHAM II, 8, 53-54


Dans ce passage, Ambroise conteste l’explication de la valeur allégorique de la
tourterelle et de la colombe, qui sont parmi les animaux du sacrifice d’Abraham
en Gen. 15, donnée par Philon dans l’ouvrage que l’évêque suit comme son véri-
table intertexte, le livre III des Quaestiones in Genesim8 : l’exégète alexandrin,
d’une part, assimilant les deux animaux aux forces célestes qui s’avancent dans
le ciel, fait référence au mythe très fameux de l’attelage ailé du Phèdre de Platon
(246 e) ; d’autre part, comme les deux volatiles sont aussi des chantres, Philon
observe que l’auteur vétérotestamentaire fait allusion, par le biais de ceux-ci, à la

8. PHIL., Quaest. in Gen. III, 3 : « Et les deux ordres de ces deux oiseaux [c.-à.-d. la tourterelle
et la colombe] ont été assimilés aux armées célestes, parce que, comme le dit Platon le socratique,
il convenait que le ciel fût un char qui vole comme un oiseau en vue de sa révolution si rapide,
lequel dans sa course dépasse la vitesse des oiseaux. Cependant les oiseaux cités sont des chantres,
le prophète faisant allusion à cette musique parfaite qui est dans le ciel, harmonieusement consti-
tuée par le mouvement des astres. »
16 MICHELE CUTINO

musique harmonieusement constituée dans le ciel par le mouvement des astres9.


Or Ambroise s’oppose à ces deux clés de lecture : il veut montrer que la tradition
philosophique ne sert pas à interpréter la Bible, mais que c’est celle-ci plutôt qui a
donné des informations aux philosophes10 (« Vnde quidam ad libros philosophiae
diriuarunt eo quod ipsum caelum uolucris simile sit »), qui, par ailleurs, les ont mal
entendues. En particulier, Platon se serait inspiré de l’image des quatre animaux
ailés sur les roues appartenant à la vision d’Ez. 1, homme – lion – taureau – aigle,
sans la comprendre effectivement (« Denique Plato currum uolucrem dixit esse
caelum eo quod propheta dixerat : “Cum irent animalia, ibant etritae coniunctae
illis, et cum eleuarent se animalia a terra, eleuabantur rotae” [Ez. 1, 19]. Sed
propheta non caelum ipsum auem dixit, sed aues esse in caelo ») : dans ceux-ci,
en effet, selon Ambroise, le prophète identifie les quatre mouvements/motus de
l’âme, loghikon – thymikon – epithymetikon – dioratikon, la raison, l’irascible, le
concupiscible et le discernement, selon une quadripartition qui est propre à l’exé-
gèse d’Origène de ce texte d’Ezéchiel11 – Platon parle seulement de la tripartition
de l’âme. Cependant, sur le quatrième élément, il n’y a pas d’accord : Origène
l’appelle pneuma/spiritus, Jérôme, qui le suit manifestement, dans son prologue
In Ezechielem, un texte que nous allons prendre en considération, l’appelle
syneidesis/conscience, Ambroise dioratikon, « discernement », un mot qui est lui
aussi origénien12. Quant au deuxième élément, la musique des sphères à laquelle
feraient allusion la tourterelle et la colombe, Ambroise la rapporte elle aussi plutôt
à une autre erreur de lecture du texte d’Ez. 1: Ambroise observe que le prophète
dit, en effet, dans les versets 19 et 26 que quand les animaux ailés décollaient de la
terre avec leurs ailes et qu’ils avançaient, le souffle de l’Esprit les poussant, il avait
entendu le bruit de leurs ailes comme le fracas des flots : or les ailes étant la vie
qui se lève de la terre vers le ciel, et les quatre vertus cardinales prudence – force
– tempérance – justice, ce bruit est justement pour Ambroise l’harmonie de la vie
que ces quatre vertus font résonner en accord (« Non ergo philosophiae traditioni
descriptio concurrit prophetica… Istae alae uirtutes sunt, quae maximo et duplici

9. Sur Ambroise et la musique des sphères, voir C. LO CICERO, « Un “recupero” pagano.


Ambrogio e l’armonia delle sfere », dans Pagani e cristiani da Giuliano l’Apostata al sacco di
Roma, F. E. Consolino ed., Soveria Mannelli, 1995, p. 279-297.
10. Sur le thème, topique chez les chrétiens, de l’antériorité de la sagesse biblique par rapport
à celle profane, voir J. PÉPIN, « Le “challenge” Moïse-Homère aux premiers siècles chrétiens »,
Revue des sciences religieuses, 29, 1955, p. 105-122.
11. ORIG., in Ez. hom. I, 16 : « Videamus ergo an tripertitam animam significet, de qua etiam
aliorum opinionibus disputatum est, et animae tripertitae alia quarta fortitudo praesideat.
Quae est tripertitio animae ? Per hominem rationabile eius indicatur, per leonem iracundia, per
uitulum concupiscentia. Spiritus uero qui praesidet ad auxiliandum … super omnes facies tres
consistit. Aquila quippe in loco alio nuncupatur, ut per aquilam spiritum praesidentem animae
significet. »
12. Voir M. CUTINO, « L’anima e le sue adfectiones nel lessico filosofico di Ambrogio »,
dans Atti della V Giornata Filologica Ghisleriana “Il Latino dei filosofi a Roma antica”, Pavia
12-13 aprile 2005, F. Gasti ed., Pavia, 2006, p. 171-207, en part. p. 191-197.
AMBROISE ET L’EXÉGÈSE VÉTÉROTESTAMENTAIRE D’ORIGÈNE 17

plausu prudentiae fortitudinis temperantiae iustitiae suauem decorem, uitae can-


tilenam resultant »). Mais ce qui importe davantage encore, c’est qu’Ambroise
insère ici l’appréciation sur Origène : après une pointe cinglante contre Platon, qui,
à propos de cette musique des sphères, se serait contenté de suivre la gloire et la
grandiloquence des idées reçues, Ambroise affirme :
« Bien que notre Origène, c’est-à-dire un homme adonné au service de l’Église,
soutienne lui aussi l’idée d’une indicible harmonie sonore produite par le mouvement
des planètes, cependant la plupart de ses écrits – pleraque eius scripta – attestent que
même lui a énormément d’indulgence – plurimum indulgere – pour la tradition des
philosophes. »
De plus, Ambroise affirme à nouveau qu’il veut, au contraire, distinguer l’inter-
prétation du sacrifice d’Abraham de ce que rapporte la philosophie, et il recourt à
un texte de Paul, Col. 2, 8 : « Veillez à ce que personne ne fasse de vous sa proie au
moyen de la philosophie et d’une vaine séduction selon la tradition des hommes
… et non selon le Christ », un texte que l’évêque emploie ailleurs, souvent là où
l’intertexte de repère est origénien, par exemple dans des textes qui viennent de
son traité sur le psaume 118, pour marquer avec plus de clarté par rapport à son
modèle la distance entre la perspective chrétienne de l’Écriture et celle des fausses
superstructures philosophiques13.
Pourquoi Ambroise a-t-il cru nécessaire d’exprimer cette appréciation ? Faut-il
voir dans celle-ci une attitude méfiante qui caractérise de manière générale
l’approche d’Ambroise vis-à-vis d’Origène ?

II. – L’EXÉGÈSE AMBROSIENNE D’ EZ. 1 ET DE CT. 6, 11


À propos de ce passage, les critiques se sont demandé, avant tout, où Ambroise
avait trouvé cette idée dans l’œuvre origénienne, et ils ont formulé différentes
hypothèses. En qui me concerne, je veux attirer l’attention sur un passage d’un
autre ouvrage ambrosien, De Isaac, 7, 63 :

13. Par exemple, là où dans la partie de son commentaire du v. 169 du Ps. 118 Origène se
limite à stigmatiser l’attitude des Grecs qui méprisent les Écritures comme ridicules (Πρόσεχε
τῇ ἀκριβείᾳ τῆς τάξεως τῶν γραφῶν, ὧν καταφρονοῦσιν Ἕλληνες ὡς ἰδιωτικῶν),
Ambroise en profite pour instaurer, selon une perspective topique chez les auteurs chrétiens,
un lien entre hérésie et intérêt pour la philosophie profane (In psalm. CXVIII serm. 22, 10 :
« Elaborandum est igitur ut in hoc saeculo stulti simus, nihil nobis cum philosophia … ne
quis adsertionem nostram per philosophiam depraedetur. Sic enim Arrianos in peridiam ruisse
cognouimus, dum Christi generationem putant usu huius saeculi colligendam. Reliquerunt apos-
tolum, secuntur Aristotelem. Reliquerunt sapientiam quae apud deum est, elegerunt disputationis
tendiculas et aucupia uerborum secundum dialecticae disciplinam, cum clamet apostolus : “Ne
quis uos depraedetur per philosophiam et inanem seductionem secundum traditiones hominum,
secundum elementa huius mundi et non secundum Christum” [Col. 2, 8] »).
18 MICHELE CUTINO

« Quod autem Aquila ait : “Sicut sonans sol” (Ct. 6, 10), uidetur illa axis caelestis
conuersio solisque et lunae et stellarum cursus concentusque globorum exprimi – ac
quibusdam etiam nostris uidetur – qui quoniam fidem non inuenit, saltem propter
gratiam suauitatis non uidetur alienus. »
En commentant une expression de Ct. 6, 10, Ambroise dit que celle-ci, dans
la traduction d’Aquila « résonnant comme le soleil », a donné l’impression à
quelques-uns parmi les écrivains chrétiens qu’elle se réfère à l’harmonie des
sphères. On doit observer, à cet égard, que la présence de nostri pour indiquer
les écrivains ecclésiastiques rappelle de près noster Origenes du De Abraham. Il
n’est pas du tout invraisemblable, donc, à la lumière de cette correspondance, de
penser qu’Ambroise ait présent ici à l’esprit un passage du commentaire origénien
du Cantique des Cantiques, véritable intertexte, par ailleurs, de son De Isaac. De
plus, il ne peut pas nous échapper qu’ici l’évêque milanais, tout au contraire de
son net refus du De Abraham, manifeste à l’égard de cette théorie une opinion
plus tolérante : même si cette théorie n’atteint aucune fiabilité (fidem non inuenit),
pourtant elle ne semble pas étrangère (alienus) pour la grâce de la suauitas qu’elle
promeut.
Or l’influence d’Origène dans le texte du De Abraham ne se limite pas à l’iden-
tification de l’âme quadripartite avec les animaux ailés d’Ez. 1, mais on doit la
reconnaître aussi derrière la citation explicite de Ct. 6, 11, « Aminadab a fait de
moi son char », le verset suivant immédiatement Ct. 6, 10 qui a été rattaché à
la musique des sphères. Ce verset est mis en cause par Ambroise lorsqu’il fait
référence aux parties de l’âme qui doivent se lever de la terre, pour conclure que
l’âme, donc, est plutôt un char (anima ergo magis currus est), un élément qui
n’appartient pas du tout à la lettre de la vision d’Ez., tout comme le rapprochement
entre les quatre éléments moteurs de l’âme et les chevaux (anima … cuius sunt
motus quattuor ueluti equi). Or Ambroise, dans toute sa production14, se réfère
au verset de Ct. 6, 11, toujours à l’intérieur de la métaphore de l’âme/char, dans
trois passages, De Isaac, 8, 65 – c’est un texte qui suit des près le passage sur
l’harmonie des sphères que nous avons vu –, le deuxième traité sur le psaume 118,
par. 33-35 et un long texte du traité De virginitate, par. 94-98 et 108-119. Pour
mieux suivre l’évaluation comparative entre les images de ces trois textes, il me
semble nécessaire de schématiser les données dans les tableaux suivants :

14. Voir aussi M. CUTINO, « L’anima e le sue adfectiones», p. 201-205.


Abr. 2, 8, 53-54 In psalm. 118, 2, 33-35 Isaac 8, 65 Virginit. 94-98 ;108-119
Les quatre animaux ailés – Ez. 1, 15 ss. , dans lequel – Dans Ez. 1, 15-17. 20
sur les roues de la vision le prophète voit à terre (par. 97 ;118), selon lequel
d’Ez. 1 une roue près de chacun les roues décollent de la
des quatre animaux ailés – terre sans obstacles avec
homme, lion, taureau, aigle les quatre animaux ailés
– est rapporté aux quatre – homme, lion, taureau,
motus animae, quatre élé- aigle –, si le souffle/spiritus
ments moteurs de l’âme les anime, on voit l’harmo-
représentés comme des che- nie interne atteinte grâce au
vaux, loghikon – thymikon – Christ/cocher qui a dompté
epithymetikon – dioratikon. les passions, si bien que
l’âme, désormais parfaite,
– Dans les roues qui dé- peut s’envoler (ses vols spi-
collent d’Ez. 1, 19-20, on rituels sont les liberae cogi-
voit la vie de l’âme sur tationes prudentium / les
la terre, qui s’élève si les pensées des sages : par. 108).
quatre animaux/motus ani-
mae décollent de la terre – Ez. 1, 10-11 (par. 113-
avec le souffle/spiritus qui 115) les quatre animaux =
les anime. adfectiones bonae.

– Dans le bruit des ailes – Ez. 1, 25-26 : après avoir


comme le fracas des flots rejoint le véritable accord
dans lesquels en Ez. 1, 24 on intérieur, on pourra écouter
peut entendre les animaux la voix divine, expression de
avancer, on voit l’harmonie la véritable harmonie.
de vie que les quatre ver-
AMBROISE ET L’EXÉGÈSE VÉTÉROTESTAMENTAIRE D’ORIGÈNE

tus prudentia – fortitudo –


temperantia – iustitia font
résonner avec leur double
battement (Ez. 1, 11).
19
20

Abr. 2, 8, 53-54 In psalm. 118, 2, 33-35 Isaac 8, 65 Virginit. 94-98 ;108-119

Ct. 6, 11 Le verset est cité après Le verset est appliqué d’une Le verset est appliqué à Le verset est appliqué à
l’exégèse sus-dite d’Ez. 1, part à l’âme rapprochée d’un l’âme rapprochée d’un char l’âme pendant son union
15ss. 19-20 pour documenter char tiré par des chevaux tiré par des chevaux mauvais avec le corps (94-98) :
la conclusion que, donc, qui correspondent à multae et par des chevaux bons. elle est rapprochée d’un
l’âme est un char. cogitationes. Le Christ = Le Christ = Naasson, fils char tiré par des chevaux
Naasson, fils d’Aminadab/ d’Aminadab-Dieu le Père caracolant, furieux/animaux
Dieu le Père = cocher, = cocher, doit dompter les irrationnels, que le Christ =
doit dompter les chevaux chevaux mauvais, furieux, Naasson, fils d’Aminadab/
caracolant, furieux, qui sont qui sont les passions, et Dieu le Père = cocher, doit
les passions, afin que les stimuler, par contre, les dompter pour conduire
chevaux rationnels – equi chevaux bons, les vertus, l’âme/char vers les réalités
rationabiles – puissent afin qu’ils puissent conduire supérieures.
conduire l’âme/char vers les l’âme/char vers les réalités
réalités supérieures (inter- supérieures.
prétation psychologique).
Il est appliqué d’autre part
à l’Église qui doit être
elle-même dirigée par le
cocher/Christ afin que ses
différentes composantes
puissent toujours être en
accord (interprétation
ecclésiologique).
MICHELE CUTINO
Abr. 2, 8, 53-54 In psalm. 118, 2, 33-35 Isaac 8, 65 Virginit. 94-98 ;108-119

Les adfectiones malae: les Les chevaux dangereux sont Les chevaux mauvais sont Les quatre chevaux furieux
passiones ira, libido, timor et omnes les passiones corporis : sont les quatre adfectiones :
saeculares concupiscentiae. iracundia, concupiscentia, ira, cupiditas, uoluptas,
timor, iniquitas. timor.

Les adfectiones bonae : les Les quatre vertus prudentia Les chevaux bons sont les Les quatre animaux sur
quatre vertus cardinales – fortitudo – temperantia quatre vertus cardinales les roues d’Ez. 1 qui se
– iustitia sont rapprochées prudentia – fortitudo – lèvent ad superiora, sont
des ailes des quatre animaux temperantia – iustitia. rapprochés (par. 113-115)
d’Ez. 1, 19 qui s’élèvent de de ces adfectiones, définies
la terre et qui produisent un par les prudentes Graeciae
bruit, selon Ez. 1, 24, comme (Origène) avec les noms
le fracas des flots. des quatre parties de l’âme
loghistikon – thymetikon –
epithymetikon – dioratikon,
en latin avec les quatre
vertus cardinales prudentia
– fortitudo – temperantia
– iustitia.
AMBROISE ET L’EXÉGÈSE VÉTÉROTESTAMENTAIRE D’ORIGÈNE
21
22 MICHELE CUTINO

Dans ces trois textes l’âme est rapprochée d’un char tiré par des chevaux bons
et des chevaux mauvais, selon l’image de l’attelage ailé de l’âme dans le Phèdre
platonicien – auquel, par ailleurs, comme l’a montré déjà Pierre Courcelle15, sont
empruntées dans les textes ambrosiens plusieurs expressions : le cocher/Christ
dont Naasson, le fils d’Aminadab cité dans ce verset du Cantique et équivalent à
Dieu le Père, est le typos, la préfiguration typologique, doit dompter les chevaux
mauvais, identifiés de façon variée avec les passions, afin que les chevaux bons
puissent amener l’âme vers les réalités supérieures.
Venons-en aux différences d’approche : dans les trois textes, pour connoter les
chevaux mauvais/passions, il n’y a pas la série canonique des quatre pathè de
l’âme, d’habitude identifiées avec les deux couples antinomiques joie/douleur et
désir/peur ; quant aux chevaux bons, ils sont définis dans le deuxième traité sur
le psaume 118 tout simplement comme equi rationabiles, chevaux raisonnables,
tandis que dans le De Isaac ils représentent les quatre vertus cardinales, et on
cherche une certaine correspondance avec les pathè : c’est pourquoi la quatrième
passion, opposée à la justice, est ici l’iniquitas. Dans le De virginitate, la situation
est encore plus complexe, parce qu’Ambroise partage ces entités entre l’image du
char d’Aminadab et celle des animaux ailés sur les roues d’Ez., en les reliant entre
elles. L’image du Cantique est référée à la condition de l’âme sur la terre, en train
de se former et de progresser : cette condition est assimilée justement à un char
avec des chevaux furieux, caracolant, c’est-à-dire les passions, qui doivent être
domptés. Par contre, l’image d’Ez. est appliquée à l’âme désormais parfaite qui, en
ayant rejoint l’harmonie interne, peut finalement s’envoler vers les réalités supé-
rieures : pour son vol, cette âme se base sur ses quatre adfectiones/dispositions que
sont les vertus cardinales, appelées – dit Ambroise – par les sages de la Grèce (pru-
dentes Graeciae), derrière lesquels il n’est pas compliqué de voir Origène entre
autres, loghistikon – thymetikon – epithymetikon – dioratikon. À cet égard, il faut
remarquer d’autres éléments significatifs : et dans le De Abraham et dans le De
virginitate les quatre vertus cardinales sont reliées à l’âme qui s’est envolée grâce
à son parfait accord intérieur, mais ces vertus dans le De Abraham sont référées
aux ailes, tandis que dans le De virginitate elles sont associées directement aux
motus/parties de l’âme ; de plus, si, dans le De Abraham, l’association ailes des
animaux = vertus cardinales était finalisée de façon polémique contre l’harmonie
des sphères – l’harmonie en question, pour Ambroise, c’est plutôt l’harmonie de
la vie, produite par le battement de ces ailes/vertu, qui correspond au bruit entendu
par le prophète dans sa vision –, dans le De virginitate cette préoccupation est
tout à fait absente : le motif de l’harmonie de la vie rejointe par l’âme parfaite est
rapportée plutôt à d’autres versets d’Ez. 1, concernant la voix divine, « le bruit qui
vient du ciel au dessus d’eux », dont parle le texte biblique.

15. P. COURCELLE, « Flügel (Flug) der Seele I », dans Reallexikon für Antike und Christentum
VIII, Stuttgart, 1972, col. 29-63, en part. p. 51-54.
AMBROISE ET L’EXÉGÈSE VÉTÉROTESTAMENTAIRE D’ORIGÈNE 23

III. – LA DETTE ENVERS ORIGÈNE


Mais cette exégèse complexe de Ct. 6, 11 est-elle un approfondissement exclu-
sivement ambrosien ou peut-on aussi entrevoir ici la dette de l’évêque milanais
envers Origène ? De l’exégèse de l’Alexandrin concernant ce verset du Cantique
nous avons seulement un fragment rapporté dans les excerpta Procopiana16, dont
je donne ici ma traduction :
« Le père de Naasson, en effet, le prince de mon peuple, “Aminadab a fait de moi son
char”. Naasson signifie ‘serpentin’, prince du peuple de mon épouse. Cet Aminadab
c’est celui qui dans les Nombres est le père de Naasson, prince de la tribus de Judas,
lequel est considéré type du Christ : parce que, comme “Moïse éleva le serpent dans
le désert” (Io. 3, 14), ainsi celui qui guide comme cocher mes pensées (ἡνιοχῶν
μου τοὺς λογισμούς)… »
Bien que ce fragment soit très court, il nous montre cependant non seulement
que la typologie de Naasson, fils d’Aminadab = le Christ, fils de Dieu le Père, et
l’identification de celui-ci avec le cocher (ἡνιοχῶν du texte grec) qui doit guider
le char d’Aminadab, deux éléments communs aux textes du De Isaac, du com-
mentaire sur le psaume 118 et du De virginitate, viennent d’Origène, mais aussi
que le char guidé par Naasson = Christ cocher avait chez Origène une signification
allégorique de type psychologique – c’est-à-dire concernant l’âme – dont les textes
ambrosiens ont gardé quelques traces lexicales très significatives. Le texte le plus
significatif à cet égard vient du deuxième traité sur le psaume 118, par. 34 :
« Vna anima multas cogitationes habet, quas domini habena restringit et reuocat,
ne quod in praeruptum noster hic currus feratur… Ergo anima currus est dei, ut ira
eius libido et timor et omnes saeculares concupiscentiae refrenentur. »
Ici, on affirme en effet que l’âme que le Christ doit freiner avec les rênes de
sorte que le char ne finisse pas par tomber dans le précipice, dans « beaucoup de
pensées », multas cogitationes, terme qui rend parfaitement les λογισμοί conduits
par le Christ/cocher ἡνιοχῶν, en les freinant justement avec les rênes ; et dans le
texte du commentaire sur le psaume 118 les cogitationes ont la connotation de
mouvements qui doivent être réglés, si bien que tout de suite elles sont explicitées
en tant que passions (« Ergo anima currus est dei ut ira … libido … refrenentur » ;
et on remarquera aussi que ergo anima currus est dei équivaut parfaitement à
l’expression du De Abraham, anima ergo magis currus est … dei nostri). De plus,
ce même terme, cogitationes, se trouve dans le par. 108 du De virginitate (« Habet
ergo anima spiritales uolatus quae breui momento totum percurrit orbem – liberae
enim sunt cogitationes prudentium »), en rapport avec l’âme désormais parfaite
qui finalement, en s’élevant de la terre, peut s’envoler : Ambroise observe, à cet
égard, que les cogitationes prudentium, les λογισμοί/pensées de l’homme sage
sont libres.

16. PG XIII, 212.


24 MICHELE CUTINO

En tenant compte, alors, de ces échos terminologiques λογισμοί/cogitationes


référées par Ambroise et aux passions et aux vols de l’âme, de la présence de
certaines images du fragment origénien dans les traités ambrosiens (la typologie
de Naasson, le Christ cocher des pensées de l’homme), et, enfin, de ce que ces
textes-ci ont comme dénominateur commun, on peut alors affirmer que, dans
l’exégèse origénienne de Ct. 6, 11, Ambroise trouvait déjà très probablement une
connotation double des λογισμοί/chevaux, en tant que mouvements/tendances de
l’âme qui doivent être domptées, au risque de devenir des passions incontrôlables,
et dirigées vers le haut, vers les réalités supérieures. Il s’agit d’une image très
proche de celle du Phèdre platonicien : nous ne sommes pas en mesure, cependant,
d’établir si les claires correspondances que nous trouvons dans ces trois textes,
surtout dans le De virginitate17, avec des tournures précises du Phèdre, sont le
fruit aussi de la médiation origénienne de ces images, ou d’une connaissance
autonome de ce dialogue de Platon de la part d’Ambroise – et je partage plutôt
personnellement cette dernière opinion.

IV. – L’APPROCHE ORIGINALE D’AMBROISE


Par ailleurs, la variété des listes de ces passions dans les trois textes ambrosiens
et le fait que les quatre vertus cardinales, excepté dans le passage du De Isaac, sont
normalement associées au tétramorphe de la vision d’Ez. 1, nous montrent que,
très probablement, l’évêque milanais ne trouvait pas dans son modèle alexandrin
des indications contraignantes pour une corrélation précise entre les λογισμοί/
cogitationes et des séries de passions/vertus : d’où sa grande liberté dans leur
caractérisation. Une confirmation particulièrement importante de notre déduction
vient du commentaire, déjà cité, de Jérôme sur Ez. (I, 6-8), remontant à 410-415 :
« Plerique iuxta Platonem rationale animae et irascentiuum et concupiscentiuum, quod
ille λογικὸν et θυμικὸν et ἐπιθυμητικὸν uocat, ad hominem et leonem ac uitulum
referunt … quartumque ponunt quae super haec et extra haec tria est, quam Graeci
uocant συνείδησιν quae scintilla conscientiae … non extinguitur… Hanc igitur
quadrigam in aurigae modum Deus regit et incompositis currentem gradibus refrenat
docilemque facit et suo parere cogit imperio. … Haec et ad euangelia et ad cuncta
quae supraposuimus referre possumus. Audisse me memini quattuor perturbationes
de quibus plenissime Cicero in Tusculanis disputat, gaudii, aegritudinis, cupidinis et
timoris, … per quattuor significari animalia…, quae regi debeant ratione et potentia
dei, quibus oppositae sint, immo impositae, uirtutes quattuor : prudentia, iustitia,
fortitudo, temperantia, ut earum gubernentur arbitrio, quae quomodo uultibus hominis,
leonis, uitulique et aquilae coaptentur, omnino tacuerunt. »
Après avoir rapporté les quatre animaux ailés de la vision aux quatre parties de
l’âme, Jérôme dit : « Ce char tout comme un cocher c’est Dieu qui le guide en le
freinant quand il se précipite avec des mouvements désordonnés, en les rendant

17. Voir Sant’Ambrogio. Opere morali II/I. Verginità e vedovanza, F. Gori ed., Milano – Roma,
1989, p. 76-78.
AMBROISE ET L’EXÉGÈSE VÉTÉROTESTAMENTAIRE D’ORIGÈNE 25

doux et en les forçant à obéir à ses commandements. » Sans aucun doute, Jérôme
peut faire ce rapprochement parce qu’il a présent à l’esprit l’antécédent ambrosien
qui avait mis en rapport l’âme quadripartite d’Ez. 1 avec l’image des chevaux et du
char d’Aminadab de l’exégèse origénienne de Ct. 6, 11 : et cela nous confirme que
l’image du char de l’âme conduit et réglé par le cocher/Christ est l’image de cette
exégèse fondamentalement retenue par les écrivains latins. Par contre, c’est très
probablement au développement du De virginitate ambrosien que Jérôme se réfère
de façon critique dans la suite : l’exégète latin, en passant à d’autres interprétations
marginales d’Ez. 1, dit se souvenir d’avoir entendu (audisse me memini) que l’on
avait cherché à rapprocher du tétramorphe de la vision prophétique et les quatre
perturbationes/passions de l’âme qui doivent être réglées par Dieu, et les quatre
vertus cardinales, sans cependant qu’on ait éclairci – omnino tacuerunt – les liens
entre chaque vertu/passion et chaque animal. Ce passage de Jérôme, au-delà de
l’attitude critique envers Ambroise – non expressément mentionné – et certaines
imprécisions dans les informations – en effet, Ambroise avait seulement relié les
vertus cardinales aux quatre animaux, il est vrai, sans en expliquer les rapports –,
nous montre bien que le développement sur les passions/vertus est propre à
Ambroise, en n’étant pas relié par Jérôme à l’image, de provenance origénienne,
du cocher/Christ qui doit dompter les mouvements/parties de l’âme.

V. – CONCLUSIONS

On peut tirer, à mon avis, de cet examen, des conclusions importantes. Notre
analyse nous a permis non seulement de vérifier à propos de l’interprétation
d’images comme les animaux d’Ez. ou le char et les chevaux d’Aminadab de
Ct. 6, 11, ce qu’Ambroise doit au génie exégétique d’Origène, mais aussi, en
valorisant son originalité par rapport au modèle, de faires les considérations que
nous envisagions comme préliminaires à une analyse systématique de l’approche
ambrosienne de l’exégèse vétérotestamentaire de l’Alexandrin. Nous pouvons
enfin affirmer que le rapport de l’évêque milanais avec cette exégèse est marqué
en profondeur par son évaluation des concessions faites par Origène à la connais-
sance philosophique, évaluation qui se pose, donc, comme une piste, une clé de
lecture à approfondir de façon analytique, et affirmer aussi que dans l’évaluation
d’Ambroise il y a sans doute une évolution très intéressante. Il est évident que,
dans le De Abraham, Ambroise cherche à montrer, contre son intertexte, le livre III
des Quaestiones in Genesim philonien, l’étrangeté de la tradition philosophique,
de Platon en particulier, par rapport à l’exégèse de la Bible : pour cela, d’une part
il utilise sans aucun problème la quadripartition de l’âme, formulée par Origène
dans sa première homélie sur Ez., parce qu’il la sent, bien évidemment, comme
pleinement chrétienne, en dépassant la conception tripartite de l’âme d’origine
platonicienne ; d’autre part il rapproche cette interprétation du tétramorphe d’Ez.
de l’image de l’âme/char d’Aminadab de Ct. 6, 11 – appartenant également à
l’exégèse origénienne, cette fois du Cantique, techniquement c’est une contami-
natio –, mais il se limite, nous l’avons vu, tout simplement, à en tirer l’assimilation
des quatre animaux ailés à des chevaux et l’identification de l’âme avec un char,
26 MICHELE CUTINO

sans faire aucune référence aux λογισμοί/cogitationes de l’âme conduits par


le cocher/Christ, qui auraient pu rappeler le mythe de l’attelage ailé du Phèdre,
justement contesté dans ce passage du De Abraham. De plus, Ambroise ne se
limite pas dans ce traité-ci à censurer Origène tout en l’utilisant, mais il en profite
pour prendre en même temps une distance par rapport à son attitude exégétique :
pour avoir acquis dans le commentaire même du Cantique le motif de la musique
des sphères, qui, il faut le rappeler, en fait, véhiculait implicitement la religion
cosmique, donnant au monde créé une certaine autonomie vis-à-vis de son créa-
teur, l’évêque milanais assimile de quelque façon Origène à Platon qui a cherché
plutôt la gloire des opinions communes que la vérité, et aux chrétiens qui, selon
Col. 2, 8, peuvent être séduits par les vaines traditions philosophiques. Dans les
trois autres textes la situation est bien différente : en De Isaac, 7, 63, la référence
du commentaire origénien du Cantique à l’harmonie des sphères est acceptée avec
une certaine bienveillance, pour en garder l’aspect hédonistico-psychagogique de
la suauitas18 ; l’image de l’âme avec des chevaux que le cocher/Christ doit régler
est pleinement développée encore en De Isaac, 8, 65, dans le deuxième traité de
l’exégèse du psaume 118 et dans le De virginitate, en intégrant, dans celui-ci en
particulier, l’exégèse d’Ez. 1 du De Abraham, avec en plus des références précises
au mythe de l’attelage ailé du Phèdre platonicien ; Origène même, dans un passage
du De virginitate, là où Ambroise rapproche les termes grecs de la quadripartition
de l’âme due à l’exégète alexandrin, des quatre vertus cardinales latines, est inséré
parmi les prudentes Graeciae, les philosophes grecs, sans que cela fasse problème.
Comme, au-delà de la datation précise, ces trois textes sont sans aucun doute
postérieurs au De Abraham19, on peut, donc, constater une évolution importante
dans l’attitude d’Ambroise envers l’exégèse origénienne du Cantique, dont la
lecture constitue un tournant décisif, comme l’indiquait déjà E. Dassmann20,
et envers les images – souvent, à connotation philosophique – que cette œuvre
véhiculait : d’un Origène apprécié en tant qu’exégète, mais censuré, nous passons
à un Origène pleinement intégré dans la perspective ambrosienne plus mûre –
évidente dans les trois textes que nous avons examinés – de christianisation de ces
images philosophiques, qui, en paraphrasant le passage de Col. 2, 8 cité dans le De
Abraham, ne craint plus de paraître savant plutôt que timoré.
Michele CUTINO
Université de Strasbourg

18. Sur l’importance rhétorique de la suavitas chez Ambroise, voir L. F. PIZZOLATO, « Ambrogio
e la retorica: le finalità del discorso », dans Nec timeo mori, p. 235-265.
19. Les savants pour la plupart acceptent la datation de cette œuvre proposée, sans argu-
ments solides cependant, par J.-R. PALANQUE, Saint Ambroise et l’Empire romain, Paris, 1933,
p. 509-511.
20. Voir E. DASSMANN, Die Frömmigkeit des Kirchenvaters.
Origen and Ambrose on the Gospel of Luke:
A question revisited
When the organisers of this conference – to whom I owe a debt of gratitude for
their kind invitation – invited me to take another look at the interpretation of the
Gospel of Luke that both Origen and Ambrose provide, I was challenged to revisit
a topic that had formed a central element in my doctoral thesis many years ago. It
is perhaps a fortunate coincidence that the publication of the book which resulted
from the research of my thesis, called Christus interpres is now exactly 20 years
in the past; it was printed in 19941. Revisiting the questions and discussion about
Ambrose’s exegesis, and its relationship to Origen, with which I had engaged at
the time, has provided me with an encounter with my younger self, but also now
gives me occasion to present something akin to an Augustinian-style retractatio,
reflecting on changing perspectives and scholarly preoccupations past and present
in relation to the book’s main aims.
Back in the early 1990, the academic discussion about Ambrose of Milan,
about his exegesis, and about the biblical interpretation of ancient churchmen in
general was at a very different point. I shall therefore try, in the first part of my
presentation, to recover briefly what my examination was trying to demonstrate
at the time, and how it related to what was even then ‘past’ and ‘current’ schol-
arship. In my second part I sketch some of the scholarship that has since tackled
related questions. It is impossible, and not my contention, to provide a complete
survey and a critical review of 20 years of scholarship on Ambrose’s exegesis,
let alone on that of Origen, which has found exponentially more interest2. I shall
simply point out a few examples, which were in conversation – either directly or

1. T. GRAUMANN, Christus Interpres. Die Einheit von Auslegung und Verkündigung in der
Lukaserklärung des Ambrosius von Mailand (PTS 41), Berlin, 1994.
2. For an overview, see T. HEITHER, “Origenes als Exeget. Ein Forschungsüberblick”, in
Stimuli. Exegese und ihre Hermeneutik in Antike und Christentum. Festschrift für Ernst Dassmann
(Jahrbuch für Antike und Christentum. Ergänzungsband 23), G. Schöllgen – C. Scholten Hrsg.,
Münster, 1996, p. 141-153; and more recently, but very briefly, P. W. MARTENS, Origen and
Scripture. The contours of the exegetical life, Oxford, 2012, p. 6-11.
28 THOMAS GRAUMANN

indirectly – with my research. And finally I shall try, in the spirit of Augustine’s
retractatio, to consider what elements of my investigation might still be useful and
how they relate to changes in Patristic and historical approaches to the period and
its Christian protagonists over the course of almost a generation of scholarship.

I. – CHRISTVS INTERPRES
IN THE CONTEXT OF AMBROSIAN SCHOLARSHIP OF ITS TIME

The first interest in conceiving my book was not principally the relationship
between Ambrose’s biblical interpretation and theology and that of Origen. To
understand something of Ambrose’s own thinking and theological work was rather
the primary focus and intention. Nevertheless the comparison of two sets of texts
by these two authors and thinkers covered a significant section of my enquiries3,
and provided me with a key – arguably the main key – to unlock the thinking, and
working methods of Ambrose’s theology and exegesis. I shall recapitulate some of
the central ideas, but will now refract them more closely in the light of the topics
of our Colloquium. To do this I need to sketch very broadly those interpretations
and attitudes towards Ambrose that were prevalent at the time, thus hoping to
illustrate what kind of contribution to the scholarly discourse I was trying to make.
In the first half of the 20th century, Ambrose was seen principally as a power-
ful advocate of Christian interests, a “Kirchenpolitiker4” – as the title of Hans
von Campenhausen’s influential monograph put it. Neither was he considered a
respectable theologian of sufficient intellectual rigour and originality, nor an inter-
preter of scripture worthy of study. The dismissal of his exegesis rested in part on
the general verdict over the nature of much of ancient exegesis: it was character-
ised by allegory as a fanciful flight of fantasy, reading into scripture whatever the
authors presumed; and so it was best forgotten or could provide at best a negative
background against which to contrast the achievement and methodological rigour
of modern historical-critical exegesis. Ambrose did not escape this verdict. That
he used Origen as a source and a model made it all too easy to put him into the
group of the so-called Alexandrian school. An influential German protestant New
Testament scholar found his Expositio in Lucam to be the worst example of his
generally unpalatable exegesis, an “embarrassment5”. Only occasionally – this

3. The comparison with Origen is present throughout (as is apparent from the indices), yet
particularly prominent in the first parts of the analysis, p. 29-173, especially p. 47-52 and 166-171.
4. H. VON CAMPENHAUSEN, Ambrosius von Mailand als Kirchenpolitiker (Arbeiten zur
Kirchengeschichte 12), Berlin, 1929.
5. A. JÜLICHER, “Ambrosios (7)”, in Pauly-Wissowa, Realencyclopädie der classischen
Altertumswissenschaft, vol. I, 2, Stuttgart, 1894, col. 1812-1814; the quotation at 1813: “Zum
Gelehrten passt A[mbrosios] nicht; wo er es doch sein will, wird er fühlbar abhängig von seinen
Vorlagen, und etwas Einheitliches bringt er nicht zu stande. Seine exegetischen Arbeiten sind trotz
des darauf verwandten Fleisses keine angenehme Lectüre, breit, schwülstig und in der Allegoristik
ungeheuerlich ausschweifend, am peinlichsten [my emphasis] die expositio evangelii secundum
Lucam …”
ORIGEN AND AMBROSE ON THE GOSPEL OF LUC 29

kind of verdict goes on to proclaim – did Ambrose steer toward a more Antiochene-
style exegesis which tempered some of the excesses at times, not enough to rescue
him, though. Ambrose’s failure (in this view) as an exegete is thus also tied to the
observation of his general lack of original thought and a helpless dependence,
rather, on the sources he used. In relation to classical authors, foremost to Cicero,
this dependency and intellectual vacuity was considered to be most apparent.
Harald Hagendahl, in comparing Ambrose’s De officiis to Cicero’s did not shy
away from calling him an “unscrupulous plagiarist6”, and did not think much of
what little Ambrose had added or changed of his own account. The assessment
of his relationship to Philo and to Christian authors followed in much the same
vein, so much so that it could be suggested, that Ambrose’s biblical hermeneutic
changed depending on whatever source he had in front of him. In other words, he
had no reasoned hermeneutics of his own at all but was tossed and turned on the
waves of the sea of source in which he barely managed to swim.
Even if gradually these damning verdicts were modified and a number of
scholars suggested that Ambrose was not completely without a distinct profile,
the area in which these personal traits were located was chiefly his practical work
as a pastor and a preacher or was found in a certain intrinsic ‘piety’ that gave his
ministry and work a modicum of coherence – not in his exegesis or theology7.
The narrow focus of the approach of the Quellenstudie that aimed to uncover the
sources of Ambrose’s work and, was generally content with identifying these as
though sufficient for the interpretation of his treatises, was decisively overcome
by the work of Hervé Savon, who studied Ambrose’s usage of Philo8. Not only
could Savon discover the critically selective way in which Ambrose used Philo, he
also described how his accommodation was expressive of a coherent theological
idea that differed from Philo, and for which Scripture provided the key and guide.
Not only was Ambrose not helplessly dragged along by whatever source came into
his hand; he was instead capable of integrating what he considered useful into a
carefully considered message of his own, and – this is the most important aspect
for our concern today – this personal stamp was the result of his engagement with
Holy Scripture. Ambrose was a theologically informed interpreter of the Bible and
could for this reason also be a critical reader of sources9.

6. H. HAGENDAHL, Latin Fathers and the Classics. A study on the Apologists, Jerome and
other Christian Writers (Acta Universitatis Gothoburgensis 64), Göteborg, 1958; the quotation
on p. 372.
7. See, for example, E. DASSMANN, Die Frömmigkeit des Kirchenvaters Ambrosius von
Mailand. Quellen und Entfaltung (Münsterische Beiträge zur Theologie 29), Münster, 1965.
8. H. SAVON, Saint Ambroise devant l’exégèse de Philon le Juif, 2 vols., Paris, 1977.
9. The resultant fundamental change of view is succinctly summarized by J.-N. GUINOT (see
below, n. 29), p. 147: “Il n’est plus possible aujourd’hui, notamment après les travaux d’H. Savon,
d’affirmer … que ‘les idées sont de Philon et les mots seulement d’Ambroise’ … [quoting
Schenkel].”
30 THOMAS GRAUMANN

Printed one year after Savon’s seminal study, the undergirding principals of
Ambrose’s exegesis had been investigated by Luigi Franco Pizzolato10, who had
also shown the great similarity and basic methodological consensus with Origen
in this respect. Yet Pizzolato’s analysis did not yet take account of Savon’s insight,
that Ambrose’s fundamental concerns and the spring from which any independence
of judgment flowed had to be discovered in the close reading of his treatises as
practical exercises in understanding Scripture, and by perceiving through this lens
the embedded engagement with source texts. Pizzolato had instead consciously
opted to discuss the ‘theory’ of exegesis (dottrina esegetica) and wilfully excluded
any attention to the exegetical practice. Savon and others had, however, shown
that Ambrose did not operate in these systematic categories and, if constrained by
a systematic corset, some of his most characteristic traits disappeared11.
Against this backdrop, my analysis of Ambrose’s Expositio of the Gospel of
Luke tried to uncover the theological driving forces at the heart of his hermeneu-
tics through the observation of his exegetical practice: my findings included that
any reflections on the principles behind this practice were themselves purveyed in
the mode of biblical exegesis. His exegetical practice proved to be both the result,
and the form, of a self-reflective hermeneutical project of some sophistication12.
And it was in this exegetical reflection on the preconditions and requirements of
biblical interpretation that Ambrose’s use of Origen as a model and source was at
its most pertinent.
Origen’s Homilies were the object of meticulous study and careful appropria-
tion in Ambrose’s Expositio13. They allowed him to hone his skills and profile as a

10. L. F. PIZZOLATO, La dottrina esegetica di sant’Ambrogio (Studia Patristica Mediolanensia 9),


Milano, 1978.
11. For a more detailed sketch of past and recent Ambrosian scholarship, see. T. GRAUMANN,
Christus Interpres, p. 1-14 and G. VISONÀ, “Lo status quaestionis della ricerca ambrosiana”, in
Nec timeo mori. Atti del Congresso internazionale di studi ambrosiani nel XVI centenario della
morte di sant’ Ambrogio, Milano, 4-11 aprile 1997, L. F. Pizzolato – M. Rizzi edd., Milano, 1998,
p. 31-71.
12. See also, for the central theological impulse driving the hermeneutics, T. GRAUMANN,
“Die theologische Grundlage der Auslegung in der Expositio evangelii secundum Lucam des
Ambrosius von Mailand”, in Studia Patristica 30, Leuven, 1997, p. 19-27. For a description of
scriptural exegesis as fundamentally driven by a move towards an “encounter with Christ”, see
now also B. STUDER, “Esegesi patristica, un incontro con Cristo. Osservationi sull’esegesi dei
padri latini”, Augustinianum, 40, 2000, p. 321-344.
13. See, in summary, T. GRAUMANN, Christus Interpres, p. 166-171. Compare, for the attesta-
tion of Ambrose’s use of Origen from a source critical perspective, the efforts by Max Rauer to
use Ambrose’s text for the recovery of fragments of Origen’s treatment of Luke; M. RAUER, Die
Homilien zu Lukas in der Übersetzung des Hieronymus und die Griechischen Reste der Homilien
und des Lukas-Kommentars (Die Griechischen Christlichen Schriftsteller 49; Origenes Werke,
vol. 9), 2nd edition, Berlin, 1959, p. 227-336; and the detailed comparison of parallel passages by
ORIGEN AND AMBROSE ON THE GOSPEL OF LUC 31

biblical scholar and to outline more clearly the contours of his exegetical methods
and hermeneutical decisions in conversation with Origen and in subtle contrast
with Origen’s text.
Let me illustrate this point by just a few observations.
The relationship between Ambrose’s interpretation and his model, the Homilies
of Origen, is especially close in the first two books of Ambrose’s Expositio. These
books cover the first chapters of Luke’s Gospel, the story leading up to the birth of
Jesus. Even over this relatively short span it is noticeable on textual observations
alone how Ambrose gradually moves away from the Homilies: When initially
he takes up almost every word of Origen, interspersing only small additions
and changes, by the end of the chapters, the relationship is much reversed and
Origen provides but a minor contribution to Ambrose’s exposition. Yet even at the
start the small adjustments made by Ambrose point in the direction of what will
become a more fully developed thematic refraction of his model text. For example,
Origen has much to say on most textual details of the Lukan prologue: the failing
efforts by others to which Luke contrasts his Gospel in the first verse, bring him
to the question of the canonicity of only four Gospels and the topic of inspiration.
Even though he follows Origen very closely in these early parts, canonicity is not
Ambrose’s topic. Rather he begins to probe more deeply the contrast between the
one gospel message (in fourfold textual instantiation) and the principal failings
of the heretics to perceive, understand and proclaim the one truth14. This nuance
sets up the reading of the entire story of the following Gospel passages: Elisabeth,
Zacharias and John, Mary and the annunciation are interpreted as the paradigmatic
story of the encounter with Christ, which shows the attitudes and mental forma-
tions required for a true meeting and understanding. How to meet Christ is the
overarching theme across Ambrose’s reading of these passages15.
Still commenting on the first verse, for Origen, inspiration assured the partaking
in the Logos on which the truth of the Gospel rested and which the heretics lacked.
In another subtle nuancing of Origen, Ambrose focuses this necessary connection
more closely to the Incarnate Christ. This requires him to elaborate further on the
nature of the ‘seeing’ of Christ mentioned in Luke 1, 1b. Origen had contrasted
the deficiencies of sense perception with the needs for spiritual seeing. Ambrose
expands the discussion by introducing further biblical passages about ‘seeing’,
from which he takes that ‘seeing’ Christ truly always includes beholding the

C. CORSATO, La Expositio evangelii secundum Lucam di sant’Ambrogio. Ermeneutica, simbolo-


gia, fonti, Roma, 1993, p. 196-265.
14. See for a step-by-step examination of the seemingly minor changes and their effect,
T. GRAUMANN, Christus Interpres, p. 52-67.
15. Detailed analysis of the passages concerned is provided by T. GRAUMANN, Christus
Interpres, p. 97-161.
32 THOMAS GRAUMANN

Incarnate even in the Old Testament16. Ambrose’s method remains that of Origen;
he interlinks biblical verses (in what we might now call observations of intertex-
tuality) to gain additional insight. The revision of Origen consists fundamentally
in the drawing of new and additional biblical interconnections. Yet a twofold
‘updating’ takes place in this way: Ambrose distinguishes not just a seeing with
the senses from a spiritual one as Origen had done, but shows how precisely the
perception of the activities of the Incarnate in the body, perceived spiritually, of
necessity has to lead to ‘see’ the divine. For this spiritual seeing it is necessary to
distinguish at all times what belongs to the divine nature and what belongs to the
human nature of the Incarnate. It is obvious how the current Trinitarian debates
shape this hermeneutical reflection; Ambrose’s distinction can be likened to that of
Athanasius and others, and in this way provides the necessary theological ‘updat-
ing’ of Origen17. The spiritual seeing of the Incarnate is the theological lynch pin
of all biblical hermeneutics, and crucially, also holds true for the Old Testament.
When the Prophets and others come to a true apperception of the divine, it always
centres on the Incarnate, even before his birth. This unifying focus is subsequently
expanded and applied as the common thread for the reading of Luke 1-2: How
Mary receives the Word, how John perceives of it in the womb, how Zacharias
only regains ‘speech’ once the connection to the ‘Word’ is re-established after
overcoming initial doubts – all passages contribute to the question of the possibili-
ties, preconditions and modalities for understanding and proclaiming the one truth
that is the Word. This thematic focus, importantly, serves to derive from the Bible
and in the mode of exegetical enquiry the very principles of biblical interpretation
and hermeneutics. The Gospel read like this provides at its inception the keys to its
own interpretation. This interest determines whether, and how Origen’s observa-
tions are appropriated. Origen, arguably, did not develop an overarching theme in
the relevant Homilies in this way, but a collection of significant individual lessons
to be taken from numerous elements in the text. Ambrose shares with Origen
the basic methods and the fundamental convictions undergirding his exegetical
approach, but it is refreshed and re-formed not just in the light of recent dogmatic
controversies but also on account of the fundamental need, learnt in the Gospel
itself, that the exegete and preacher cannot engage in intellectual curiosity for its
own sake but must at heart simply allow the Word to proclaim itself. Interpreting
Bible is to proclaim Christ.

16. The theological significance of this topic may be gauged from B. STUDER, Zur Theophanie-
Exegese Augustins. Untersuchungen zu einem Ambrosius-Zitat in der Schrift ‘De videndo Deo’
(ep. 147) (Studia Anselmiana 59), Roma, 1971.
17. For the interweaving of Trinitarian and Christological theology with a Christo-centric
hermeneutic, see esp. Christus Interpres, p. 255-275, and the study “Die theologische Grundlage
der Auslegung”.
ORIGEN AND AMBROSE ON THE GOSPEL OF LUC 33

II. – CONTEMPORARY AND SUBSEQUENT RESEARCH


ON THE EXEGESIS OF AMBROSE AND ORIGEN

Almost simultaneously with my study, Celestino Corsato undertook another


investigation into Ambroses’ Expositio in Lucam18. Corsato’s approach differed
from my own in that he analysed, and grouped together, Ambrose’s interpretations
of a large number of biblical images and metaphors found across the length and
breadth of the Commentary. Different from this method, I had foregrounded, and
tried to uncover, an overarching interpretative perspective in Ambrose, hoping to
demonstrate that such a perspective was apparent in his reading of the Gospel as
a continuous narrative; its sequence and order exercised Ambrose almost as much
as the detail of individual verses and motifs. I argued that this perspective and
approach remained in evidence in Ambrose’s literary presentation, even if this
presentation reworked and strung together material often taken from earlier and
originally distinct sermons and ‘essayistic’ exegetical reflections19. In contrast,
Corsato’s selection and regrouping of images, almost inevitably emphasised even
more strongly Ambrose’s intimate connection to, and the similarities with, Origen’s
exegesis. In a way, the approach which Corsato had chosen matched Origen’s
intense attention to even the smallest textual detail more closely than Ambrose’s
style, and thus inevitably heightened the Origenistic flavour of Ambrose’s work.
Through a comparison, for example, with Cyril of Alexandria, whose exegesis
of Luke stands in the tradition of Origen, Corsato identified additional passages
in Ambrose, for which Origen’s exegeses seemed a likely source. He suggested
that such passages demonstrated that Ambrose had Origen’s Commentary on the
Gospel – now lost – to hand and used it extensively, rather than merely using the
Homilies on Luke20. The specific assumption of such traces of communality to
suggest a direct usage of this text has not always fully convinced me21, but there
remains a valid point: namely that Ambrose shows himself deeply steeped within
an exegetical tradition flowing from Origen that, to me however, goes beyond the
level of direct textual links. Detailed studies of both authors’ understanding of
certain biblical passages will undoubtedly confirm this at every step and illustrate
it with more examples.
My own analysis had suggested that at the level of the theological foundation and
framework of his biblical interpretation, a strong interest in the figure of Christ as
the divine Work provided the main hermeneutical key of Ambrose’s exegesis. This

18. C. CORSATO, La Expositio.


19. See T. GRAUMANN, Christus Interpres, p. 293-347 and passim, cf. also, in conclusion,
p. 417-427.
20. C. CORSATO, La Expositio, p. 188-191; 196-265. Specifically for the parallels with Cyril,
see p. 266-278.
21. Cf. my review in Jahrbuch für Antike und Christentum, 38, 1995, p. 185-190.
34 THOMAS GRAUMANN

understanding ties in with a certain ‘Christocentrism’ that has been highlighted by


other scholars in other areas of Ambrose’s work, beginning already with Karl Baus
classic – if somewhat summary – 1954 article “Das Nachwirken des Origenes
in der Christusfrömmigkeit des heiligen Ambrosius22”. The interpretations of his
ecclesiology and ‘Christusfrömmigkeit’ sketched by Ernst Dassmann23 (to name
but one further leading scholar of Ambrose), for all their differences in emphasis
otherwise, appear to confirm such a view. In the area of exegesis specifically,
Giorgio Maschio24 has amply demonstrated how Ambrose’s reading of Psalm 118
revolves around this central pivot, and has spelled out in great detail the wider
implications of his approach and perspective in that important exegetical work.
Other scholars could be named; the Christ-focused theology and exegesis of
Ambrose may now be considered, by and large, the scholarly communis opinio.
On the whole, it seems, my analysis of Ambrose’s interpretation of the Gospel
of Luke has in this respect been accepted in scholarship and has been taken up
and carried forward for further enquiry. Though it was not really at the heart of
my question, I had tentatively gestured toward a subtle difference in this emphasis
between Origen and Ambrose. When I saw Christ the Word of God in the centre
of Ambrose’s exegetical and hermeneutical effort, I had intimated that this was
more strongly and consistently the case than in Origen and in so far marked a
point of demarcation between the two. Specifically the doctrinal controversies
of the fourth century had alerted Ambrose to this need, and these had inevitably
formed his theological understand of what was meant by such a constant recourse
to “Christ”. Without engaging very deeply with Origen in his own right about this
point, I had been of the impression that Origen’s Logos-centrism – if we can call
it that – had a wider purview that emphasized the eternal Logos and consequently
engaged in a broader range of metaphysical and soteriological concerns, reflected
in a wider range of exegetical themes and observations of detail in almost every
conceivable area of antique learning and thought. The exegetical focus of Origen
is thus, paradoxically narrower and wider at the same time: it engages with the
textual detail down to individual words and places these in the horizon of the

22. Römische Quartalschrift für christliche Altertumskunde und Kirchengeschichte, 49, 1954,
p. 21-55.
23. E. DASSMANN, “Die Christusfrömmigkeit des Bischofs Ambrosius von Mailand”, in
Historiam perscrutari. Miscellanea di studi offerti al prof. Ottorino Pasquato (Bibliotheca di
Scienze Religiose 180), M. Maritano ed., Roma, 2002, p. 653-672; cf. ID., “Ecclesia vel anima.
Die Kirche und ihre Glieder in der Hoheliederklärung bei Hipplolyt, Origenes und Ambrosius
von Mailand”, Römische Quartalschrift, 61, 1966, p. 121-144. See more recently G. MADEC, “La
centralité du Christ dans la spiritualité d’Ambroise”, in Nec timeo mori, p. 207-220.
24. G. MASCHIO, La Figura di Cristo nel Commento al Salmo 118 di Ambrogio di Milano
(Studia Ephemeridis Augustinianum 88), Roma, 2003. The motif also features repeatedly in the
analysis of Ambrose’s interpretations of the other Psalms; for which see F. BRASCHI, L’Explanatio
Psalmorum XII di Ambrogio: Una proposta di lettura unitaria. Analisi tematica, contenuto teolo-
gico e contesto ecclesiale (Studia Ephemeridis Augustinianum 105), 2 vols., Roma, 2007.
ORIGEN AND AMBROSE ON THE GOSPEL OF LUC 35

divine Logos that is all-encompassing of what is open to rational investigation and


disclosure. The reverse might be said for Ambrose; he too is wider and narrower
than Origen: narrower in defining a distinct message of Christ’s saving work as
the heart and core message of divine revelation, wider in demonstrating this in the
analysis of the interconnecting files of biblical narrative over the longer range.
While eternal Logos and Incarnate Christ are of course never separated in Origen,
I had seen the stronger relative weight falling on the former in his theological
vision. What is important is that I had always meant this perceived difference to
be one of nuance and subtle difference in emphasis rather than as a stark contrast.
Basil Studer, in a review of my book and in a parallel article25, engaged deeply
with the concept and my analysis of Ambrose’s biblical interpretation as funda-
mentally shaped by the Christocentric theological and hermeneutical logic. He
suggested that the difference between the two authors might in fact be smaller
than I had perceived of it. His suggestion was subsequently taken up by Christoph
Markschies in an article on the exegesis of Origen and Ambrose26. Markschies
engaged with the hermeneutics of both fathers more generally, for which the trea-
tise of the Gospel of Luke provide but a few examples27.
Markschies concluded that both Origen and Ambrose shared the fundamen-
tal tenets of their hermeneutics – a point I had also made – and that Ambrose
distinguished himself from Origen not so much by a developed Christocentric
theological vision, but rather in the practice of its exegetical application. I had
not located (here Markschies misreads and exaggerates my views) any difference
between the two exegetes on the level of exegetical ‘theory’ – criticizing, rather,
efforts to focus on ‘theory’ as for example Pizzolato had done – but in what we
might call Ambrose’s theorizing of, or perhaps more modestly: his reflections
on, exegetical practice that were themselves developed in the mode of scriptural
interpretation. Ambrose was willing to select, reshape and simplify the fruits of
Origen’s stupendous erudition to meet the perceived needs of his congregation,
arming them against heretical positions and speaking directly to the cultural and
educational presuppositions and concerns and – of course – following the needs
created by the act of preaching and its communicative framing and restrictions.

25. B. STUDER, Review of GRAUMANN, Christus Interpres, Theologische Rundschau, 92, 1996,
p. 245-249. ID., “Das Christusbild des Origenes und des Ambrosius”, in Origeniana Septima.
Origenes in den Auseinandersetzungen des vierten Jahrhunderts (Bibliotheca Ephemeridum theo-
logicarum Lovaniensium 137), W. A. Bienert – U. Kühneweg Hrsg., Leuven, 1999, p. 571-590.
26. C. MARKSCHIES, “Ambrosius und Origenes. Bemerkungen zur Hermeneutik zweier
Kirchenväter”, in Origeniana Septima (see above, n. 25), p. 571-590 (since reprinted in his
Origenes und sein Erbe. Gesammelte Studien [TU 160], Berlin, 2012, p. 195-223).
27. If my argument that the decisive hermeneutical decisions must fall in the interpretation of
the New Testament to which the exegesis of the Old constantly looks as to its goal and measure
was right the decision to search for a unifying hermeneutic cutting across the interpretation of all
biblical books and of both testaments – for all the other benefits of its comprehensiveness – might
already be flattening something of the decisive difference.
36 THOMAS GRAUMANN

In these important respects both Markschies and I agree. Any difference between
Ambrose and Origen, however, admittedly subtle, is, in my view, to be found in the
theologically informed attempt by Ambrose, to allow his exegetical eye to be lifted
from the textual detail to behold the larger contours of the landscape, in which
the Gospel narrative moves and for which Christ provides the compass. This is
emphatically not a function purely of the genre of sermon and of the requirements
of preaching. For the difference could be observed precisely in the comparison of
the preaching both fathers undertook on the same biblical texts. Ambrose had after
all reworked Origen’s Homilies on Luke – a text in itself shaped by the require-
ments of preaching and a resonant of its practice. And the closest engagement with
the Homilies, when dealing with the prologue and opening chapters of the Gospel,
I had shown to be not the direct fruits of Ambrose’s preaching but were conceived
by him in a mode of (possibly editorial) writing, allowing for detailed editorial
shaping and a critically informed re-reading and accommodation of Origen’s
ideas. It is precisely in these passages that Ambrose develops and explains his exe-
getical and hermeneutical preoccupations and expounds his decisions most clearly
and consistently28. They are, thus, not the result of the constrictions imposed by
preaching, but the characteristics of an interpreter’s mind that at all stages of his
work sees the proclamation of the gospel message to an audience as his primary
task. Exegesis, for Ambrose, is coextensive with the proclamation of the Gospel
message in its very nature; it does not require a separate act of transferral into
sermonising as a secondary move. Ambrose’s scriptural interpretation preaches,
even where it is not made of sermons!
Since this debate only a very small number of studies, mainly concerned with
specific passages and themes in the interpretation of Luke’s Gospel have appeared
in print29. Such studies add further detail both to our knowledge of Ambrose’s
reading of specific biblical passages, and thus also to our understanding of his
exegetical proceedings, hermeneutical drive and theological interests; but they do
not on the whole – I would claim – call into question the main planks of our under-
standing of Ambrose’s exegetical and hermeneutical concerns, nor challenge our
perception of their relationship with either the methods and the broader biblical
vision of Origen or with specific exegetical treatises composed by him.

28. Cf. Christus Interpres, p. 169-171.


29. The two most important examples are: J.-N. GUINOT, “L’exégèse ambrosienne des
apparitions pascales (Lc. 24)”, Augustinianum, 40, 2000, p. 145-172, where the comparison is
however not with Origen but Eusebius – Guinot’s account is the most balanced and nuanced
recent interpretation of the relationship between scriptural interpretation, theology and use of
sources in Ambrose’s work on the Gospel of Luke –; C. BURINI, “Il ‘Magnificat’ (Lc. 1, 46-55)
nelle interpretazione di Origene et di Ambrogio”, Augustinianum, 50, 2010, p. 83-117. Burini’s
study, in contrast, curiously fails to engage with almost any previous scholarship, including mine.
ORIGEN AND AMBROSE ON THE GOSPEL OF LUC 37

III. – AMBROSE AND ORIGEN’S EXEGESIS: TRANSFER AND TRANSFORMATION


It may be useful, finally, to place these observations into the wider horizon of
the more recent directions of patristic and late antique scholarly discussion.
My study had attempted a re-evaluation of Ambrose as a theologian, preacher and
biblical interpreter breaking free from the narrow focus and the resultant restraints
and distortions of the Quellenstudie; and allowing for an honest assessment of the
achievements as well as the limits of his work within the specific conditions of his
time and location. Though by no means an apologetic of the Milanese bishop, my
study on one level is concerned with freeing Ambrose from the lasting legacy of
Jerome’s spiteful comments that blackened him as a plagiarizer30, and also to drag
him as a out of the looming shadow of the theological giant that is Augustine. It
tries to appreciate his contribution in a more balanced way. Without falling into the
trap of older debates about his originality or lack thereof31 – which might result
in a simple reversal of claiming ‘originality’ but would remain inside the frame-
work of that debate –, the evaluation of Ambrose’s exegesis and theology must
rather come to understand his reception and transformation of Greek theology and
exegesis as well as that of Latin and Greek Philosophy for what it is: not intellec-
tually ‘original’ but nevertheless the work of a judicious and theologically sharp
mind; highly successful and influential in the formation of North-Italian, Latin-
speaking Christianity and its theology. It addresses the needs of his congregation,
the Milanese citizens, and the many functionaries associated with the resident
imperial court and administration with an acute sense of their social, cultural and
intellectual formations. In so doing it informs, and acts as midwife to, an emergent
‘Latin’ type or style of theologizing and biblical engagement. Any ‘originality’
– or perhaps more modestly: any distinct Ambrosian contribution to Christian
biblical interpretation and theological reflection – is to be located precisely in this
receptive yet transformative activity: it is a creative appropriation. Appropriation
if it wants to be successful requires perceptiveness, judgment, socio-cultural and
intellectual competence. These we find in Ambrose in significant measure.

30. This interpretation of Jerome’s attitude to Ambrose’s writings remains the most plausible
despite N. ADKIN, “Jerome on Ambrose: The preface to the translation of Origen’s Homilies on
Luke”, Revue bénédictine, 107, 1997, p. 5-14 and ID., “Jerome on Ambrose. The preface to the
translation of Origen’s homilies on Luke again”, Rivista di storia e letteratura religiosa, 42, 2006,
p. 341-343; cf. also the less than flattering remarks JEROME, De viris illustribus 124 with the
attendant observations by RUFINUS, Apol. c. Hier. 2, 25-28; and JEROME, Didym. spir. praef. See
now also D. G. HUNTER, “The raven replies: Ambrose’s Letter to the Church at Vercelli (Ep. ex.
coll. 14) and the criticisms of Jerome”, in Jerome of Stridon: His Life, Writings and Legacy,
A. Cain – J. Lössl eds., Farnham, 2009, p. 175-190.
31. It may nevertheless be said, that there seems to prevail a wider acceptance in scholarship
that Ambrose’s engagement with Origen should be considered a self-conscious and purposefully
selective adaptation, rather than a slavish act of copying or exploitation – Ambrose’s work is at
least in this regard also creative.
38 THOMAS GRAUMANN

This specific point about Ambrose of Milan, namely that we should take seri-
ously the effort of creative appropriation of source material, whether classical or
by earlier Christian authors, chimes with wider trends in patristic scholarship and
especially in what is often called late antique studies in recent years. Authors such
as Hagendahl, whom I mentioned earlier, had simply seen in Ambrose’s De officiis
as a much-diluted version of Cicero’s work of the same title32. Studies such as
these worked from an implied, and often clearly stated sense of the priority, in
both time and intellectual vigour of the pagan classics. Studies about ‘Christian’
philosophy progressed in similar veins and arrived at the same conclusions. The
idea – often unspoken – of a late antique ‘decline’ still loomed large over such
portrayals of fourth-century and later literature and of the Christian contributions
to late Roman culture and life. The ‘Christianization’ of Roman culture was in
itself perceived to be a contributing factor to the eventual ‘decline and fall’ of
the Empire. Such perspectives have been largely outmoded for some time – even
if they make resurgence in some quarters. The paradigm of ‘transformation’ has
frequently replaced that of ‘decline’. The monograph series entitled “The trans-
formation of the classical heritage” and inaugurated by Peter Brown33, whose
own studies have contributed seminally to this shift, is an exemplary witness
to this trend; and the whole concept of ‘late antiquity’ is very much concerned
with continuity and change, transformation and accommodation, rather than with
identifying breaking points resulting in the dismissal of the period as unworthy of
serious study. Arguably figures such as Ambrose of Milan – and their scholarly
evaluation – illustrate this newfound interest with particular clarity. His famous
confrontations with the Emperor Theodosius can thus be evaluated not in the for-
mulaic framework of Church versus State, but as the complex negotiation between
competing interests in a transforming late antique society, when Christian leaders
and imperial office holders both seek new ways of self-defining and projecting
their status and roles34. Similarly, but perhaps less obvious, the theologians and
writers that collected and ordered – even systematized – the thoughts of the great
creative geniuses such as Origen or Augustine and in this way shaped the collective
memory of their times and achievements, have begun to be rediscovered as sig-
nificant figures in the process by which the patristic heritage that shapes Western
Europe – and the Byzantine World – was conceived35. Equally the ‘translators’ of

32. See above, n. 6. Contrast the almost complete reversal of such an assessment in
M. BECKER, Die Kardinaltugenden bei Cicero und Ambrosius, De officiis (Chrêsis. Die Methode
der Kirchenväter im Umgang mit der antiken Kultur 4), Basel, 1994.
33. Berkeley, since 1981.
34. The move is best exemplified by N. MCLYNN, Ambrose of Milan, Church and Court in a
Christian Capital (The transformation of the classical heritage 22), Berkeley, CA, 1994.
35. It is impossible, here, to survey the entire field of studies in this respect; useful guidance on
related questions, and the reception specifically of Augustine, has emerged from the Leverhulme
research project “After Augustine”, led by Karla Pollmann. Cf., for a brief introduction, specif-
ically D. LAMBERT, “Patterns of Augustine’s Reception, 430-700: a Synthesis”, in The Oxford
ORIGEN AND AMBROSE ON THE GOSPEL OF LUC 39

Greek texts, mainly initially into Latin, but only a little later to a significant extent
also into Syriac have attracted scholarly interest, and the act of translation, in the
direct philological sense as well as in the wider sense of the word, is increasingly
valued for its cultural importance.
Ambrose cannot strictly be compared to either group; his engagement with
Origen is not similar to the way in which, for example, Prosper of Aquitaine or
Possidius of Calama could be said to act as conveyors and prisms for the legacy
of Augustine, nor is his transferal and appropriation of Origenistic exegesis quite
on the same level as that of a ‘translator’ such as Rufinus – even if Jerome wanted
to convince us of just that. I do not want to downplay the intellectual energy
Rufinus invested in his appropriation of Origen when I say this36; nor must we
forget that Jerome also took it upon himself to translate Origen into Latin before
he came to criticizing him as a heretic in later years. But I mention these figures
simply to illustrate the point that the various acts of engagement with the heritage
of outstanding Christian thinkers and theologians of the past has more recently
come to be appreciated for its vital importance in shaping Christian thought and
culture. Ambrose, as a Christian leader, theologian and not least as interpreter of
Holy Scripture, this much his Commentary on Luke shows in exemplary fashion,
allows the best of Greek theology and exegesis, and the best of Roman thought
and philosophy, to speak for his time and audience – and through him to subse-
quent generations. It is in numerous small but momentous acts like these that
the late Roman Empire is transformed and its heritage re-shaped, re-fashioned
(and secured) for the Middle Ages. Interpreting Scripture in the way that Ambrose
learnt from Origen had a lasting import on western European Christian identities
and cultures. That interpreting scripture is at the heart of theology; that its her-
meneutic requires, and should be done with, a clear sense of what the Christian
message is fundamentally about: the good news of Christ the saviour for us and all
mankind, this Ambrosian insight, though by no means exclusive to him, remains
an important theological admonition beyond his day.
Thomas GRAUMANN
Cambridge University

Guide to the Historical Reception of Augustine, K. Pollmann et al. eds., vol. 1, Oxford, 2013,
p. 15-22.
36. For Rufinus, see the article by E. PRINZIVALLI in this volume p. - and M. KRÁNITZ,
“Rufino, interprete dell’esegesi di Origene”, in L’esegesi dei padri latini. Dalle origini a
Gregorio Magno. XXVIII Incontro di studiosi dell’antichità cristiana (Studia Ephemeridis
Augustinianum 68), Roma, 2000, p. 487-492.
L’epistolario di Ambrogio e il commento
di Origene alla Lettera ai Romani

I. – UN SONDAGGIO IN UN CONTESTO DI PIÙ AMPIE PROBLEMATICHE


A partire dallo studio di Ernst Dassmann del 1965 sulla spiritualità ambrosiana1,
la valutazione degli studiosi del rapporto tra Ambrogio e l’esegesi origeniana si
è indirizzato sempre più verso un apprezzamento dell’autonoma rielaborazione
dei materiali, esegetici e soprattutto di dottrina spirituale, che il vescovo di
Milano traeva dagli scritti del maestro alessandrino. Come noto, per Dassmann
fu proprio l’incontro con l’esegesi origeniana del Cantico dei cantici a provocare
una decisiva svolta nella costruzione della spiritualità ambrosiana, culminata
nell’Expositio sul salmo 118 e nel De Isaac vel anima, anche se, come nota
sempre Dassmann, « der Einfluß des Origenes beschrankt sich von da an aber
nicht nur auf die Hoheliedinterpretation, er befruchtet darüber hinaus die gesamte
Theologie und Frömmigkeit des Ambrosius2 ». Dassmann colloca l’incontro di
Ambrogio con Origene intorno al 386 e conseguentemente data i due scritti sopra
citati a prima del 390; più di recente, Luigi Franco Pizzolato3 e sulla sua scia
Giuseppe Visonà4 hanno invece proposto, con buoni argomenti, di collocarne la
composizione nell’ultimo decennio del quarto secolo, negli anni finali della vita
di Ambrogio; così, la « svolta » origeniana sarebbe piuttosto da intendersi come
una sempre più personale e profonda appropriazione del legato alessandrino, un
« culmine origeniano dell’itinerario spirituale di Ambrogio », come si esprime

1. E. DASSMANN, Die Frömmigkeit des Kirchenvaters Ambrosius von Mailand. Quellen und
Entfaltung, Münster, 1965.
2. Ibid., p. 138.
3. L. F. PIZZOLATO, « Ambrogio e Paolino di Nola: per una più precisa datazione della Expositio
Psalmi CXVIII di Ambrogio », in Polyanthema. Studi di letteratura cristiana antica offerti a
Salvatore Costanza, Messina, 1989 (= Studi tardoantichi, 6, 1989), p. 333-345.
4. G. VISONÀ, « Origene nella spiritualità di Ambrogio », in Origene maestro di vita spirituale
– Origen: Master of Spiritual Life, L. F. Pizzolato – M. Rizzi edd., Milano, 2001, p. 223-247.
42 MARCO RIZZI

Visonà5, che invita però a non sottovalutare l’influsso delle letture neoplatoniche
del vescovo di Milano, di cui si sente l’eco soprattutto nelle conclusioni dei due
scritti.
La recente scoperta di una serie di omelie origeniane sui salmi, di cui è ormai
imminente la comparsa nell’edizione critica a cura di una équipe di studiosi italiani
guidati da Lorenzo Perrone per i GCS, potrà sicuramente arricchire il quadro dei
dati a disposizione e permettere una migliore valutazione dell’impatto di Origene
sull’esegesi e la teologia di Ambrogio, come alcuni primi, parziali sondaggi hanno
già posto in luce6. Non pare però destinata a essere revocata in dubbio la prefe-
renza ambrosiana per l’Origene interprete dell’Antico, piuttosto che del Nuovo
Testamento, sancita dalla celebre affermazione secondo cui ipse Origenes longe
minor sit in novo quam in veteri testamento7. Del resto, anche delle uniche altre
due occasioni in cui Ambrogio cita esplicitamente il maestro alessandrino, una
appare sostanzialmente neutra8, l’altra gli rimprovera invece un eccesso di dipen-
denza dalla tradizione filosofica antica9. Questa presa di distanza dall’esegesi
neotestamentaria origeniana da parte di Ambrogio è stata sempre recepita dalla
storiografia come un dato di fatto, senza che però venisse approfondita quanto ad
origine e motivazione.
A questo riguardo, mi propongo qui di soffermare l’attenzione sulla raccolta
delle lettere di Ambrogio, con specifico riferimento al commento origeniano alla
Lettera ai Romani. Come ha da poco osservato uno dei massimi conoscitori dell’o-
pera ambrosiana, Gérard Nauroy, « la méditation de cette épître paulinienne s’est
étendue sur toute la période de l’activité pastorale d’Ambroise… Ce texte fonda-
teur de la première théologie chrétienne revient régulièrement dans le discours du
pasteur milanais10 ». Sempre Nauroy rileva però che Ambrogio sembra ben poco
in debito con Origene, « sauf, peut-être, … [pour] quelques clés herméneutiques
et quelques formules11 ». L’apprezzamento di Ambrogio nei confronti di Origene
potrebbe forse essere meglio valutato se si accogliesse per vera la proposta di
Michaela Zelzer di considerare la suddivisione in dieci libri dell’epistolario
ambrosiano sul modello di Plinio il frutto di una revisione operata dallo stesso

5. G. VISONÀ, « Origene nella spiritualità di Ambrogio », p. 229 e n. 28.


6. E. PRINZIVALLI, « Il Cod. Mon. Gr. 314, il traduttore ritrovato e l’imitatore », Adamantius,
20, 2014, p. 194-216, su Ambrogio p. 201-215.
7. AMBR., Epist. IX, 65, 1.
8. AMBR., Expl. ps. CXVIII, IV, 16.
9. AMBR., Abr. II, 8, 54.
10. G. NAUROY, « L’épître aux Romains dans le De Iacob et vita beata d’Ambroise de Milan :
entre judaïsme hellénisé et néoplatonisme », in Justice et Grâce dans les commentaires de l’Épître
aux Romains, A. Noblesse-Rocher éd., Strasbourg, 2008, p. 45-74, in part. p. 72.
11. Ibid.
AMBROGIO E ORIGENE SULLA LETTERA AI ROMANI 43

vescovo negli ultimi anni di vita in vista della pubblicazione12. Se ciò fosse vero,
nelle lettere Ambrogio offrirebbe il suo punto di vista definitivo sull’esegesi ori-
geniana, anche senza ipotizzare una rivisitazione dei materiali così profonda come
vorrebbe la studiosa austriaca da poco scomparsa. Tuttavia, dopo un periodo di
generale, positiva accoglienza, la sua proposta viene ora revocata in dubbio, a
partire da cospicue argomentazioni legate anche alla tradizione manoscritta13.
La stessa Zelzer aveva proposto, durante i lavori dell’Origeniana septima, un
primo bilancio della presenza di Origene nell’epistolario ambrosiano14, arricchen-
done il dossier anzitutto grazie all’individuazione di un riferimento alla prima
omelia origeniana sul Primo libro dei Re nella lettera di apertura dell’intero corpus,
suggeritole da Johan Baptist Bauer15, che permette di risolvere l’incongruenza
di un finale apparentemente polemico nei confronti del destinatario, il vescovo
di Lione Giusto. Con più diretto riferimento al Commentarius in Epistulam ad
Romanos Zelzer rilevava poi ulteriori imprestiti nelle epistole 63, 64 e 69, aggiun-
gendoli all’elenco stilato ormai più di un secolo fa, nel 1910, da Wilhelm Wilbrand
che aveva segnalato le lettere 21, 22, 23 e la stessa 69, ma con paralleli differenti
in quest’ultimo caso16.
La mia proposta di individuazione di alcune ulteriori riprese nell’epistolario
ambrosiano dell’esegesi origeniana alla Lettera ai Romani in primo luogo potrà
forse arricchire questo quadro; poi, fornire anche qualche elemento per la data-
zione, come visto discussa, dell’incontro del vescovo di Milano con l’esegesi del
maestro alessandrino; infine, arricchire di qualche dettaglio la discussione sull’or-
ganizzazione e la struttura delle raccolta delle lettere di Ambrogio, nonché sul suo
severo giudizio sul valore dell’esegesi neotestamentaria di Origene.

12. Zelzer ha programmaticamente chiarito i criteri ispiratori della sua proposta nella prefa-
zione a Sancti Ambrosi opera. Pars X: Epistulae et acta, tomus III: Epistularum liber decimus.
Epistulae extra collectionem. Gesta concilii Aquileinsis, recensuit M. Zelzer, CSEL 82/3,
Vindobonae, 1982, p. XIX-CCI.
13. Delle posizioni critiche alla proposta di Zelzer mi limito a segnalare, perché in qualche
misura attinente anche al tema qui trattato, H. SAVON, « Note sur Ambroise, Origène et l’Épître
aux Galates », in L’exégèse patristique de l’Épître aux Galates, I. Bochet – M. Fedou éd., Paris,
2014, p. 125-132. Per una ampia discussione del problema generale della costituzione ed edizione
dell’epistolario ambrosiano, si veda da ultimo M. CUTINO, « Les finalités et l’organisation de la
correspondance d’Ambroise de Milan : un projet inachevé », Revue des études tardo-antiques, 4,
2014-2015, Supplément 2, p. 87-144.
14. M. ZELZER, « Origenes in der Briefsammlung des Ambrosius. “…cum ipse Origenes
longe minor sit in novo quam in veteri testamento” », in Origeniana septima. Origenes in den
Auseinandersetzungen des 4. Jahrhunderts, W. A. Bienert – U. Kühneweg Hrsg., Leuven, 1999,
p. 591-596.
15. Ibid., p. 592.
16. W. WILBRAND, « Ambrosius und der Kommentar des Origenes zum Römerbrief », Biblische
Zeitschrift, 8, 1910, p. 26-32.
44 MARCO RIZZI

II. – MONETE DELL’ANTICO E DEL NUOVO TESTAMENTO


Come detto, Michaela Zelzer ha individuato nelle battute conclusive della
prima lettera dell’epistolario ambrosiano un preciso riferimento alla prima ome-
lia origeniana sul primo libro dei re17, laddove Ambrogio esorta il destinatario/
lettore a mantenersi « a somiglianza del Signore uno e sempre uguale a te stesso »,
vincendo la tentazione di cedere alla mutevolezza e all’instabilità del peccato,
così come « nella dracma c’è un’immagine immutabile che conserva ogni giorno
il medesimo aspetto18 ». L’intera missiva è infatti incentrata sulla spiegazione del
precetto mosaico secondo il quale gli ebrei erano tenuti a versare la metà di un
didracma « per il riscatto della propria vita19 ».
L’estesa risposta ambrosiana alla quaestio avanzata da Giusto ruota attorno all’i-
dentificazione delle due parti del didracma con l’Antico e il Nuovo Testamento,
dalla continuità dei quali si è generata la completezza dell’opera di redenzione e di
riscatto dell’uomo da parte di Dio per il tramite del Figlio. Ambrogio20 concentra
la sua attenzione sui diversi usi della moneta prescritti dalla legislazione vete-
rotestamentaria, sviluppandone un’interpretazione allegorica che segue da vicino
alcuni capitoli del trattato Quis rerum divinarum heres sit di Filone21, come è stato
puntualmente rilevato già da tempo. Quando poi Ambrogio passa al significato
plenius, ovvero all’interpretazione cristologica, accosta alla prescrizione mosaica
quei passi del Nuovo Testamento in cui la moneta, quale che ne sia l’esatto conio,
viene a giocare un ruolo significativo, vale a dire i due luoghi matteani del tributo
per il tempio22 e del tributo a Cesare23.
Nella spiegazione di questi ultimi due luoghi matteani, Ambrogio si rifà alla
sezione del nono libro del commento di Origene24 dedicata all’interpretazione dei
primi versetti del capitolo tredicesimo della Lettera ai Romani di Paolo, laddove
l’apostolo raccomanda la sottomissione alle sublimiores potestates e il pagamento
delle tasse loro dovute25. Proprio l’idea dei tributi aveva consentito ad Origene di
creare una catena esegetica che legava le due pericopi matteane a quella paolina.
Il punto decisivo è dato dalla presenza sulla moneta del tributo dovuto a Cesare

17. ORIG., Hom. 1 Reg. I, 1, 4.


18. AMBR., Epist. I, 1, 22.
19. Ex. 30, 12-13, citato in AMBR., Epist. I, 1, 1.
20. AMBR., Epist. I, 1, 20.
21. PHIL., Quis heres, 38-40.
22. Mt. 17, 24-27.
23. Mt. 22, 16-21.
24. ORIG., Comm. Rom. IX, 25-30.
25. Rom. 13, 1-7.
AMBROGIO E ORIGENE SULLA LETTERA AI ROMANI 45

dell’iscrizione e dell’immagine del « principe di questo mondo26 ». Per Origene,


chiunque possiede denari e proprietà o risulta implicato in affari mondani, porta su
di sé una tale iscrizione e deve perciò sottomettersi alle autorità terrene, pagando
il necessario tributo a Cesare, che, al di là del significato letterale che obbliga il
cristiano al lealismo politico, sul piano spirituale indica il permanere di un vin-
colo che lega l’uomo alla dimensione caduca della carne e della realtà terrena.
Al contrario, solo coloro che risultano realmente spirituali, ovvero liberi da ogni
legame con la dimensione mondana, sono esenti dal pagamento del tributo, in
quanto sottomessi solo al Padre27. Per Origene, è il caso di Pietro e Giovanni, che
dichiarano di non possedere nulla al povero paralitico incontrato sulla strada del
tempio28. È soprattutto il caso di Cristo e di Pietro, che tuttavia, per non destare
scandalo, pagano la tassa al tempio pescando lo statere dalla bocca del pesce,
come narrato nell’altro episodio evangelico29. Origene osserva anche come Cristo,
pur libero dal tributo, giunse sino a pagarlo con la propria morte, risultando così
« libero tra i morti30 ».
Gli elementi ora succintamente richiamati compaiono, con alcuni evidenti paral-
leli testuali, anche in Ambrogio, che li rifunzionalizza però alla propria intenzione
esegetica, intrecciandoli nella seconda parte della lettera agli spunti filoniani e
arricchendo la sua esposizione con un fitto e originale tessuto di rimandi a ulteriori
passi vetero e neotestamentari, a dimostrazione del fatto che il didracma di par-
tenza simboleggia l’indispensabile unità dei due Testamenti. Infatti, il pagamento
dello statere indica come Cristo abbia preferito « pagare andando oltre la Legge
che rifiutare ciò che la Legge prescriveva31 », pur non avendo alcuna necessità di
riscattarsi dalla morte, lui che aveva acquistato con la propria morte la salvezza per
tutti gli uomini32. Su questo spunto, Ambrogio innesta l’esegesi delle due pericopi
matteane, seguendo Origene nell’affermare che Cristo non dovesse nulla a Cesare,
perché nulla aveva di questo mondo, così come Pietro e gli altri apostoli; Sono
invece coloro che esibiscono la figura e l’immagine di Cesare, coloro presso cui
esse si trovano a dover pagare anzitutto ciò che è proprio del mondo33. È il caso
dei farisei che tendono il tranello a Gesù34, cui Ambrogio oppone i tre fanciulli
ebrei nella fornace, che non possedevano nulla dei beni soggetti al re terreno e
quindi non gli dovevano alcun tributo. Ambrogio modifica impercettibilmente la

26. ORIG., Comm. Rom. IX, 30.


27. ORIG., Comm. Rom. IX, 25.
28. Act. 3, 6, citato in ORIG., Comm. Rom. IX, 25.
29. ORIG., Comm. Rom. IX, 30.
30. Ps. 87, 6, citato in ORIG., Comm. Rom. IX, 30.
31. AMBR., Epist. I, 1, 13.
32. AMBR., Epist. I, 1, 12.
33. AMBR., Epist. I, 1, 17.
34. AMBR., Epist. I, 1, 16.
46 MARCO RIZZI

vicenda raccontata dal libro di Daniele, dove si parla semplicemente del rifiuto
di adorare la statua di Nabucodonosor. Sfruttando la resa del termine originale
con imago, il vescovo di Milano aggiunge che i tre non receperunt eam, con un
evidente riferimento ai farisei apud quos figura et imago invenitur Caesaris,
ma senza che nulla del racconto danielico giustifichi l’idea di un accoglimento
dell’immagine, dato che si trattava di rendere omaggio alla statua35. L’aggiunta da
parte di Ambrogio di questo exemplum veterotestamentario vuole evidenziare l’in-
capacità di comprendere adeguatamente l’Antico Testamento da parte degli ebrei,
proprio perché sono tributari della sola mezza didracma, privi cioè dell’unità dei
Testamenti. E tuttavia, anche Ambrogio sottolinea come il perfectus, l’opposto
dell’anima ordinaria citata da Origene36, il praedicator evangelii, abbia accettato
di pagare per sé e per Pietro « perché entrambi erano stati generati sotto la Legge.
Ordina dunque che si paghi secondo la Legge, per redimere quelli che erano sotto
la legge37 ». L’intreccio tra Filone e Origene emerge con nettezza nell’immagine
che Ambrogio pone a conclusione del suo ragionamento esegetico, prima della
perorazione finale: « La dracma non è il denario, ma una cosa diversa. Tant’è
vero che nel denario c’è l’immagine di Cesare, nella dracma l’immagine di Dio,
poiché la monade è l’immagine del solo Dio ad imitazione di Lui38. » Le ultime
parole della citazione provengono da Filone39, ma modificate da Ambrogio, che vi
aggiunge ad imitationem ipsius, in modo da farvi risuonare l’eco dell’antropologia
alessandrina, secondo cui l’anima dell’uomo è a sua volta esemplata sul Logos,
come Ambrogio in un’altra lettera40, Epistola 21, 3, mostra di desumere sempre
dal commento a Romani di Origene41. L’esortazione rivolta al lettore perché sia
« uno e sempre uguale a se stesso » diviene coerentemente quella di perseguire la
somiglianza del Signore, ad similitudinem Domini unus esto. Così, le immagini
delle due monete rispecchiano le due fonti cui Ambrogio ha attinto, il denario di
Cesare da Origene, la dracma immagine della monade da Filone, ma pur sempre
rivisto in prospettiva cristologica42.
Va infine osservato come lo sviluppo ambrosiano dell’esegesi dei due episodi
evangelici prenda spunto proprio dal commento origeniano a Romani, e non
dall’interpretazione che di essi Origene aveva offerto nel suo commento a Matteo;
in quest’ultimo, infatti, egli opponeva il tributo dovuto dall’anima a Dio, ovvero
la pratica delle virtù, a quello dovuto dal corpo al « principe di questo mondo »,

35. AMBR., Epist. I, 1, 17.


36. ORIG., Comm. Rom. IX, 25.
37. AMBR., Epist. I, 1, 18 con citazione di Gal. 4, 5.
38. AMBR., Epist. I, 1, 21.
39. PHIL., Quis heres, 38, 187.
40. AMBR., Epist. V, 21, 3.
41. ORIG., Comm. Rom. VII, 4.
42. AMBR., Epist. I, 1, 22.
AMBROGIO E ORIGENE SULLA LETTERA AI ROMANI 47

ovvero il soddisfacimento delle necessità della vita, quali il nutrirsi, il vestirsi, il


necessario riposo; in questo modo, per Origene, l’anima risultava portare su di
sé l’immagine di Dio, secondo la quale era stata creata, mentre il corpo quella di
Cesare, senza che tra le due ci fosse alcuna opposizione43, come invece appare
nitidamente nel commento origeniano a Romani e nella lettera di Ambrogio.

III. – NELLO SCONTRO DELLE BASILICHE


Quest’ultima osservazione risulta rilevante per l’individuazione di una proba-
bile, ulteriore dipendenza dal commento di Origene alla Lettera ai Romani di un
testo ambrosiano conservato all’interno del suo epistolario, il cosiddetto Sermo
contra Auxentium, trasmesso come appendice alla lettera 75 nella numerazione
CSEL e pronunciato nel pieno dello scontro per le basiliche del 386, anche se la
cronologia relativa e assoluta della lettera, del discorso e della successiva epistola
76 resta ancora oggetto di dibattito storiografico44. Il Sermo contra Auxentium è
una puntuale e puntuta replica da parte di Ambrogio alle accuse mossegli, che a sua
volta ritorce contro il vescovo ariano Mercurino Aussenzio, ispiratore dell’inizia-
tiva imperiale volta a sottrarre una o più basiliche ai niceni. Dopo aver ricostruito
l’andamento della vicenda e il suo comportamento, dichiarandosi pronto a subire,
se necessario, anche il martirio, Ambrogio avvia a conclusione il suo discorso
richiamando l’episodio del tributo a Cesare e accostando alla malizia dei giudei
che tentavano il Signore quella degli ariani; anzi, costoro risultano peggiori perché
non si limitano a chiedere, come quelli, se occorra pagare il tributo a Cesare, bensì
vogliono trasferire all’imperatore un diritto che appartiene alla chiesa, ovvero la
titolarità degli edifici di culto45.
Come nella prima lettera esaminata qui sopra, l’interpretazione ambrosiana
verte sul significato dell’immagine di Cesare rappresentata sulla moneta. A detta di
Ambrogio, questa moneta non può essere valida per esigere il tributo degli edifici
ecclesiastici, perché nella chiesa è ammissibile una sola immagine, quella di Cristo
icona del Dio invisibile, come Ambrogio argomenta con una serie di citazioni46,
che vanno dalla Genesi47 alla Lettera agli Ebrei48, al Vangelo di Giovanni citato
due volte49. In questo modo, Ambrogio si sta opponendo ad una contestazione

43. ORIG., Comm. Matth. XVII, 25-28.


44. Per una sintetica presentazione del problema e delle diverse posizioni storiografiche, si veda
G. VISONÀ, Cronologia ambrosiana. Bibliografia ambrosiana, Milano – Roma, 2004, p. 37-43.
45. AMBR., Epist., X, 75a, 30 s.
46. AMBR., Epist., X, 75a, 32.
47. Gen. 1, 26: « Facciamo l’uomo a nostra immagine e somiglianza », interpretato da Ambrogio
a significare che il Logos è presente al Padre al momento della creazione.
48. Hbr. 1, 3: « Cristo splendore della sua gloria e immagine della sua sostanza. »
49. Io. 14, 9: « Chi vede me vede anche il Padre »; 10, 30: « Io e il Padre siamo una cosa sola ».
48 MARCO RIZZI

che è al tempo stesso politica – ovvero la pretesa del diritto imperiale su ogni
edificio e su quella basilica in particolare – e teologica – ovvero il rifiuto ariano
dell’uguaglianza tra le persone della Trinità. Per Ambrogio, Valentiniano non può
rivendicare quello spazio nemmeno per il culto, perché in ogni caso l’immagine
che egli presenta per richiederla è distorta come lo è l’immagine di Cristo proposta
dalla sua fede ariana50.
Tuttavia Ambrogio non rifiuta in linea di principio di pagare il tributo legittimo
all’imperatore. In quella circostanza, gli doveva essere sicuramente ben presente
il passo della Lettera ai Romani che predica la sottomissione alle sublimiores
potestates e il pagamento delle tasse da loro richieste, anche se, per ovvi motivi,
si guarda bene dal citare esplicitamente il testo di Paolo. È a questo riguardo che
si può cogliere un riferimento preciso al commento origeniano. Rivendicando la
propria umiltà, Ambrogio si allinea esplicitamente al lealismo – anzitutto fiscale
– della tradizione cristiana a lui precedente: « Se chiede il tributo, non lo rifiu-
tiamo. I possedimenti della chiesa pagano il tributo; se l’imperatore desidera i
possedimenti, ha il potere di rivendicarli a sé: nessuno di noi si oppone51 ». Anche
in quest’ultimo caso, cioè di un vero e proprio esproprio, Ambrogio non si oppor-
rebbe, pur essendo i possedimenti della chiesa destinati al sostegno degli indigenti:
si resterebbe pur sempre nell’ambito dell’ambito dell’esazione di imposte, sia pure
straordinarie, e del resto il vescovo potrebbe sempre contare sulla colletta del suo
popolo per assistere i poveri. A questo punto, Ambrogio introduce un’espressione
che richiama, adattandola al contesto, la risposta di Pietro e Giovanni al mendi-
cante paralitico sulla via del tempio, che Origene52 aveva collegato all’episodio
del tributo a Cesare: « Se cercano oro, posso dire: non cerco argento e oro53. »
Ambrogio può così concludere ribadendo la distinzione origeniana tra ciò che
appartiene a questo mondo ed è quindi di pertinenza di Cesare, e ciò che invece
non ne porta su di sé l’immagine, appartenendo esclusivamente a Dio: « Paghiamo
a Cesare ciò che è di Cesare e a Dio ciò che è di Dio. Il tributo è di Cesare e non
gli viene rifiutato, la chiesa è di Dio, e certamente non deve essere ricondotta a
Cesare, perché il tempio di Dio non può essere diritto di Cesare54. »
Come noto, risulta impossibile definire con esattezza la cronologia delle epi-
stole cosiddette esegetiche di Ambrogio che riprendono il commento origeniano
alla Lettera ai Romani, già citate in apertura di questo contributo, cui vanno
aggiunte ora la prima e il Sermo contra Auxentium. Proprio quest’ultimo, però,
consente una chiara collocazione cronologica al 386 nel momento dello scontro

50. A questo proposito, si veda M. RIZZI, Cesare e Dio. Potere spirituale e potere secolare in
Occidente, Bologna, 2009, p. 80-85.
51. AMBR., Epist. X, 75a, 33.
52. ORIG. Comm. Rom. IX, 25.
53. AMBR., Epist. X, 75a, 33.
54. AMBR., Epist. X, 75a, 35.
AMBROGIO E ORIGENE SULLA LETTERA AI ROMANI 49

sulle basiliche, tenendo conto che, come osservava Nauroy, la Lettera ai Romani
è stata presente al vescovo di Milano sin dall’inizio della sua attività pastorale55.
Così, nel commentare la seconda tentazione di Gesù nel deserto, quando il diavolo
dal pinnacolo del tempio gli mostra tutti i regni della terra e afferma « tutte queste
cose mi sono state date e io le do a chi voglio56 », Ambrogio osserva come questa
affermazione non contrasti con quella di Paolo, secondo cui omnis potestas a Deo
est57, in quanto lo stigma demoniaco del potere è dato solo dall’ambitio che l’ac-
compagna in questo mondo soggetto al male; solo la condotta di chi lo amministra
può rendere malvagio l’esercizio del potere; chi invece lo gestisce correttamente
può essere chiamato a giusto titolo « ministro di Dio », con una variazione rispetto
al dettato di Paolo, che aveva riservato questa qualifica indifferentemente a tutti
i governanti, in quanto chiamati a reprimere il male58. Nel caso dell’Expositio in
Lucam, Ambrogio si limita a riprendere la tradizionale prospettiva lealista, sia
pure aggiornandola al contesto dell’impero cristiano in cui il governante è chia-
mato ad un più significativo impegno etico a favore della giustizia; nell’asprezza
dello scontro con Valentiniano, invece, il rapporto dialettico istituito da Origene
tra il precetto paolino di pagare le tasse (cui può essere accostato anche l’episodio
del tributo al tempio del Vangelo di Matteo) e la distinzione tra tributo a Dio o a
Cesare iuxta imaginem sembra offrire ad Ambrogio una via d’uscita esegetica per
giustificare il suo rifiuto di consegnare le basiliche, senza con questo negare il
giusto ossequio all’imperatore o tradire il dovere di lealtà nei suoi confronti, come
invece gli era stato rimproverato da Aussenzio e dai suoi seguaci. La data del 386
potrebbe dunque costituire un decisivo riferimento cronologico per individuare il
momento in cui Ambrogio potrebbe aver approfondito la conoscenza dell’esegesi
di Origene, in special modo del commento a romani, cui era destinata a seguire in
un arco di tempo più esteso una progressiva rivisitazione anche della sua spiritua-
lità da parte del vescovo59.

IV. – LA CREAZIONE E LA CHIESA


Quanto alle altre presenze del commento di Origene all’interno dell’epistolario
di Ambrogio, la densità maggiore si riscontra nelle ultime tre delle sei lettere
indirizzate a Oronziano, tutte di carattere esegetico, che aprono il quinto libro
della raccolta secondo l’edizione CSEL. Anche se sembrano prendere spunto da

55. G. NAUROY, « L’épître aux Romains », p. 72.


56. Lc. 4, 6.
57. Rom. 13, 1
58. AMBR., Exp. Lc. IV, 29.
59. Ovviamente, resta il problema della datazione dell’Expositio in Lucam, sia per quello che
riguarda la rielaborazione finale, sia per le singole omelie che ne sono alla base, molte delle quali
contengono significative tracce del conflitto con Aussenzio. Per la questione, si veda G. VISONÀ,
Cronologia ambrosiana, p. 95-99.
50 MARCO RIZZI

una domanda di Oronziano circa la natura dell’anima, le lettere dalla ventunesima


alla ventitreesima si confrontano da vicino con la densa sezione del settimo libro
dello scritto origeniano dedicata all’interpretazione di alcuni versetti dell’ottavo
capitolo della Lettera ai Romani60. Se ad un primo sguardo Ambrogio sembra
trarre elementi disparati dalla pagina origeniana e ricomporli in un quadro sostan-
zialmente simile, anche se drasticamente semplificato, ad un più attento esame non
deve sfuggire come il vescovo di Milano non si periti di smentire né di correggere
il didascalo alessandrino.
Nella lettera prima di queste lettere, Ambrogio, diversamente da Origene, non
assimila gli astri agli angeli, e ne afferma esplicitamente la natura corruttibile,
mentre il primo considerava entrambi, astri e angeli, creature razionali sullo stesso
piano, sulla base di un passo della Lettera agli Ebrei61. Per Ambrogio, il ministe-
rium mundanum degli astri è limitato alla sola funzione di scandire il tempo dei
giorni e delle stagioni, di offrire punti di riferimento ai naviganti e ai viaggiatori,
risultando così parte del mondo corruttibile62, laddove Origene interpreta la loro
funzione di far crescere le messi e far scorrere i cicli dell’anno come sottomis-
sione alle necessità e alle vanità degli esseri corruttibili, da cui sarebbero però ben
distinti63. Ambrogio prosegue nella sua direzione divergente e, laddove Origene
distingueva tra i compiti, appunto, degli astri, degli angeli e degli arcangeli, attri-
buendo a questi ultimi il servizio più corruttibile di ogni altro, ovvero « far guerre
in questo mondo, suscitare battaglie di re e di popoli tra loro64 », il vescovo di
Milano parla genericamente di « angeli, che nelle fatiche di questo mondo sosten-
gono compiti di vario genere », tra cui quello di essere strumenti di punizioni e di
stragi65. Il sigillo a questa sottile presa di distanza da uno dei punti che sarà poi
oggetto di critica e condanna del pensiero origeniano è posto da Ambrogio con la

60. Rom. 8, 20-26: « La creazione è stata sottoposta alla vanità, non di sua propria volontà,
ma a motivo di colui che ve l’ha sottoposta, nella speranza che anche la creazione stessa sarà
liberata dalla schiavitù della corruzione per entrare nella gloriosa libertà dei figli di Dio. Sappiamo
infatti che fino a ora tutta la creazione geme ed è in travaglio; non solo essa, ma anche noi, che
abbiamo le primizie dello Spirito, gemiamo dentro di noi, aspettando l’adozione, la redenzione
del nostro corpo. Poiché siamo stati salvati in speranza. Ora la speranza di ciò che si vede, non è
speranza; difatti, quello che uno vede, perché lo spererebbe ancora? Ma se speriamo ciò che non
vediamo, l’aspettiamo con pazienza. Allo stesso modo ancora, lo Spirito viene in aiuto alla nostra
debolezza, perché non sappiamo pregare come si conviene; ma lo Spirito intercede egli stesso per
noi con sospiri ineffabili. »
61. Hbr. 1, 14: « Sono tutti spiriti incaricati di un servizio, mandati a prestare la loro opera per
coloro che ricevono l’eredità della salvezza », citato in ORIG. Comm. Rom. VII, 2.
62. AMBR., Epist. V, 21, 7.
63. ORIG., Comm. Rom. VII, 2. Le implicazioni di questa teoria origeniana, soprattutto per
quello che riguarda la dottrina della risurrezione, sono state illustrate da A. SCOTT, Origen and the
life of the stars. A history of an idea, Oxford, 1991.
64. ORIG., Comm. Rom. VII, 2.
65. AMBR., Epist. V, 21, 10.
AMBROGIO E ORIGENE SULLA LETTERA AI ROMANI 51

sostituzione dell’originaria citazione dal libro di Daniele invocata da Origene66


per individuare la specificità dell’agire degli arcangeli (cioè brandire la spada)
con una menzione esplicita dell’ Apocalisse67, ovvero dal libro neotestamentario
che aggiorna in chiave cristologica la rivelazione escatologica di Daniele, ma
che, come noto, risultava del tutto inviso a Origene. A un lettore attento e buon
conoscitore della Bibbia, come Oronziano, non sarebbe certo sfuggito l’implicito
riferimento alla visione finale dell’ Apocalisse che comporta la caducità degli astri
(non assimilabili, quindi, alle nature spirituali): « Poi vidi un nuovo cielo e una
nuova terra, poiché il primo cielo e la prima terra erano scomparsi, e il mare non
c’era più68. »
Nella lettera successiva69, l’attenzione di Ambrogio si appunta sulle implicazioni
ecclesiologiche dell’esegesi di Origene. Quest’ultimo, infatti, legge nelle parole di
Paolo: « noi che abbiamo le primizie dello spirito70 » un’indicazione del ruolo e
dei doni straordinari concessi dallo Spirito santo agli apostoli e a Paolo perché
potessero « portare a compimento la predicazione del vangelo da Gerusalemme
e dintorni fino all’Illirico71 ». Se anche si estende l’espressione paolina all’intera
chiesa e a tutti i battezzati, precisa Origene, va mantenuta la posizione di primazia
degli apostoli rispetto ad ogni altra categoria di credenti, come indica sempre
Paolo: « Nella chiesa Dio pose al primo posto gli apostoli, al secondo i profeti,
al terzo i dottori72. » Risulta evidente qui l’impronta dell’ecclesiologia spirituale
di Origene, rispetto alla concezione gerarchica che si stava affermando proprio
ai suoi giorni e che risultava ormai più che consolidata al tempo di Ambrogio,
il quale sembra polemizzare apertamente con la visione origeniana, laddove
afferma genericamente che « i santi sono primizie del Signore, specialmente gli
apostoli73 ». Ma, dopo aver ripreso la medesima citazione dalla Prima lettera ai
Corinzi secondo cui Dio ha posto questi ultimi al primo posto74, perché « fecero
molte profezie e annunciarono il Signore Gesù », Ambrogio elenca una serie di
personaggi del Nuovo Testamento, profeti e non, Simeone, Zaccaria, Giovanni
Battista, Natanaele, Giuseppe di Arimatea, per concludere: « Questi sono le primi-
zie della nostra fede. Ma tuttavia la natura degli altri semi è uguale a quella delle
primizie, sebbene alcune godano di minor favore. Infatti Dio è capace di suscitare

66. Dan. 10, 21, citata in ORIG., Comm. Rom. VII, 2.


67. AMBR., Epist. V, 21, 10; il riferimento è ad Apoc. 7, 1-3.
68. Apoc. 21, 1.
69. AMBR., Epist. V, 22.
70. Rom. 8, 23, citato in ORIG., Comm. Rom. VII, 3.
71. ORIG., Comm. Rom. VII, 3.
72. ORIG., Comm. Rom. VII, 3, con citazione di 1 Cor. 12, 28.
73. AMBR., Epist. V, 22, 10.
74. 1 Cor. 12, 28.
52 MARCO RIZZI

dalle pietre figli di Abramo75. » La sottolineatura dell’eguaglianza ben si spiega


con l’avversione per l’elitismo spirituale che stava iniziando a caratterizzare la tra-
dizione origeniana nelle sue declinazioni monastiche più radicali, che non doveva
certo risultare ben accetta al vescovo di Milano.
Sempre in questa direzione, Ambrogio ignora completamente un ulteriore
spunto ecclesiologico dell’interpretazione di Origene. Questi infatti legge la parola
« corpo » nel nesso paolino « la redenzione del nostro corpo76 » come sinonimo di
« chiesa », sulla scorta di un passo della Lettera ai Colossesi77, e conclude: « [l’a-
postolo] non ritiene che si possa dare ai singoli membri quanto è perfetto se tutto
il corpo non sarà stato raccolto in unità78 ». Le ultime parole sembrano alludere al
passo della Lettera agli Efesini, in cui compare la successione di apostoli, profeti,
evangelisti, pastori, dottori dati da Dio alla chiesa « per il perfezionamento dei
santi in vista dell’opera del ministero e dell’edificazione del corpo di Cristo, fino
a che tutti giungiamo all’unità della fede e della piena conoscenza del Figlio di
Dio79 », ancora cioè in direzione della ecclesiologia spirituale e gnosticheggiante,
caratteristica di Origene. Solo in seconda istanza Origene accede alla più ovvia
spiegazione, ovvero la resurrezione dei corpi al momento del giudizio, su cui
invece concentra la sua esegesi Ambrogio, che riconosce uno ruolo alla chiesa
solo come spazio in cui « avviene l’adozione a figli … quando lo Spirito grida:
Abbà Padre80 », mentre ribadisce che la redenzione della condizione umana sarà
veramente compiuta al momento della resurrezione dei corpi. Solo in questo senso
ristretto, Ambrogio può accedere al significato di « corpo » come « corpo della
chiesa », riconoscendo che apostoli e santi gemono perché, pur essendo già certi
del loro merito, patiscono « in quanto deve ancora venire la redenzione di tutto il
corpo » ovvero di quelle altre membra che con loro costituiscono la chiesa81.
Infine, la terza e ultima epistola della serie, la più breve82, prende spunto dalla
perplessità di Oronziano su quale sia lo spirito di cui è detto « intercede per noi
con gemiti inesprimibili83 ». Il commento di Origene a questi versetti non risulta
particolarmente esteso, ma Ambrogio amputa qualsiasi riferimento alle sue rifles-
sioni sul senso del termine « gemito » che compare tre volte in poche righe, come

75. AMBR., Epist. V, 22, 10, con citazione di Mt. 3, 9.


76. Rom. 8, 23.
77. Col. 1, 24, citato in ORIG., Comm. Rom. VII, 3.
78. ORIG., Comm. Rom. VII, 3.
79. Eph. 4, 11-13.
80. AMBR., Epist. V, 22, 13, con citazione di Gal. 4, 6.
81. AMBR., Epist. V, 22, 7.
82. AMBR., Epist. V, 23.
83. Rom. 8, 26, citata in AMBR., Epist. V, 23, 2.
AMBROGIO E ORIGENE SULLA LETTERA AI ROMANI 53

nota con acribia colui che in gioventù fu anzitutto γραμματικός84. Tuttavia il


vescovo di Milano riprende il doppio riferimento di Origene ad Adamo che si
nasconde dopo il peccato85 mentre Davide, altrettanto peccatore, può dire a Dio:
« il mio gemito non ti è nascosto86 ». Il punto è che Origene scorge in questi gemiti
« molta fiducia e libertà davanti a Dio, perché l’orazione che viene a lui con dolore
e gemito riceve dallo Spirito santo la fiducia di poter salire a Dio87 », mentre
Ambrogio riduce il tutto a una banale prospettiva morale, secondo cui è Cristo che
« geme per cancellare i nostri peccati, per insegnare a fare penitenza88 ». Anche
in questo caso sembra di poter cogliere un problema di natura ecclesiologica alla
base delle scelte di Ambrogio, che evidentemente non poteva più accettare che
il peccatore implorasse direttamente a Dio il perdono, saltando la mediazione
penitenziale del vescovo e della chiesa.

V. – AMBROGIO E ORIGENE SULLA LEGGE


Riferimenti a Origene compaiono ancora nelle tre lettere del nono libro indi-
rizzate da Ambrogio a Ireneo89. Incentrate sulle parole spese da Paolo a proposito
della legge90, offrono ad Ambrogio l’opportunità di approfondire il nesso tra legge
di natura, legge mosaica, legge evangelica91. Un preciso riferimento al commento
origeniano, sin qui non rilevato dalla critica, permette di cogliere come Ambrogio
prenda ancora una volta le distanze da quella interpretazione. Anzitutto, il vescovo
di Milano afferma che l’originaria legge di natura è presente nei bambini, che solo
alla fine dell’infanzia, con l’acquisizione della piena consapevolezza intellettuale,
fuoriescono dall’innocenza originaria, ma al tempo stesso ottengono la possibilità
di conoscere per via razionale quella stessa legge di natura che l’uomo dovrebbe
osservare per timore del giudizio divino92. Allo stesso modo, il peccato di Adamo
rese necessario un testo scritto della legge, in modo che nessuno potesse invocare
l’ignoranza a propria scusa. Tuttavia, abbastanza sorprendentemente, Ambrogio

84. ORIG., Comm. Rom. VII, 4.


85. Gen. 3, 8.
86. Ps. 37, 10.
87. ORIG., Comm. Rom. VII, 4.
88. AMBR., Epist. V, 23, 5.
89. AMBR., Epist. IX, 63-65.
90. Rom. 4, 5: « La legge provoca l’ira; dove invece non c’è legge, non c’è trasgressione »,
citato in AMBR., Epist. IX, 63, 1; Rom. 2, 14: « Anche i pagani secondo natura compiono ciò che
prescrive la legge », citato in AMBR., Epist. IX, 63, 2.
91. A questo proposito si veda M. RIZZI, « Ethos, legge e fede nel cristianesimo antico sino
ad Agostino », in Una fede per tutti? Forma cristiana e forma secolare, Milano, 2014, p. 73-95.
92. AMBR., Epist. IX, 63, 5.
54 MARCO RIZZI

viene poi a dire che « non era necessaria la legge promulgata per mezzo di Mosé93 »;
e per giustificare questa affermazione, si rifà all’uso lessicale di Paolo relativo al
verbo subintravit: « È subentrata la legge, perché abbondasse la caduta94. » Chiosa
Ambrogio: « Perciò subentrò subito dopo, cosa che sembra indicare un ingresso
non regolare, ma – in un certo senso – furtivo, perché entrò in luogo della legge
naturale95. » In realtà, qui Ambrogio sta riprendendo, correggendola, l’esegesi di
Origene. Questi ha un approccio molto più articolato al problema, e sviluppa il
suo ragionamento operando una serie di distinzioni nell’uso del termine « legge »
da parte di Paolo. Per Origene la legge di cui si parla nel passo in questione96
non è certo quella mosaica, bensì « la legge delle membra » che spinge l’uomo al
peccato. In questo senso va interpretato il verbo « subentrare »:
« In effetti anche lo stesso termine utilizzato mi pare pienamente confermare quanto
stiamo dicendo… Subentrare indica questo: insieme ad uno che è entrato, sotto la sua
copertura ne entra un altro. … Sotto la copertura della legge naturale, che l’apostolo
ha chiamato legge della mente e che va d’accordo con la legge di Dio, è spuntata la
legge delle membra la quale, suggerendo i desideri della carne e conducendo l’uomo
schiavo della libidine e proclive ai piaceri, fa abbondare in lui il peccato97. »
Da buon giurista, Ambrogio riduce invece il concetto di legge a quello di
norma giuridica che regola il comportamento dell’uomo, intendendo così quella
di natura come « legge non scritta » e quella mosaica come « legislazione scritta »,
con quest’ultima resasi necessaria a motivo della superbia che aveva condotto gli
uomini a dimenticarsi della prima. Decisivo è osservare come per Ambrogio la
legge scritta mosaica coinvolga non solo gli ebrei, ma tutti gli uomini: « Infatti
venivano associati proseliti dalle nazioni pagane: e non può considerarsi eccet-
tuato chi, dopo essere stato chiamato, non corrispose all’invito. La legge infatti
anche vincolò quelli che aveva chiamato98. » Ancora: « Perciò subentrò questa
[la legge mosaica], per chiamarci in giudizio con un testo scritto e tappare ogni
bocca99. » La venuta di Cristo, conclude Ambrogio ancora in termini giuridici, ha
cancellato con il suo sangue questa nostra cambiale, chirographum nostrum. La
legge evangelica, legge dell’amore, ha portato a compimento la legge mosaica,
ma non l’ha svuotata del suo significato di norma: « nella legge c’è dunque una
parte, nel vangelo la perfezione100 ». Ambrogio sembra accedere alla visione di

93. AMBR., Epist. IX, 63, 10.


94. Rom. 5, 20.
95. AMBR., Epist. IX, 63, 10.
96. Rom. 5, 20.
97. ORIG., Comm. Rom. V, 6.
98. AMBR., Epist. IX, 63, 6.
99. AMBR., Epist. IX, 63, 10.
100. AMBR., Epist. IX, 64, 5.
AMBROGIO E ORIGENE SULLA LETTERA AI ROMANI 55

Eusebio di Cesarea, secondo cui è stata la diffusione universale della legislazione


mosaica a creare le condizioni necessarie perché l’umanità potesse accogliere il
messaggio evangelico101. Profondamente differente è la ricostruzione del nesso
tra legge di natura, legge mosaica, legge evangelica che ricorre in più luoghi
del commento origeniano; la legge di natura si ritrova tanto nella pluralità delle
legislazioni umane « sotto cui ad ognuno dei mortali capita di vivere102 » quanto
nelle prescrizioni che sono contenute in quella che in seguito sarà definita la
« seconda tavola » della legge mosaica; e le norme contenute nel cuore di ogni
uomo, secondo l’indicazione di Paolo103, concordano con le leggi del vangelo,
dove tutte le prescrizioni vengono ricondotte alla giustizia naturale, piuttosto che
con quelle mosaiche104. Ancora una volta una simile visione doveva apparire
inaccettabile ad Ambrogio, che non si stanca di ribadire la sostanziale continuità
tra legge naturale, legge mosaica, legge evangelica, di cui la chiesa è ora custode,
nello spirito del detto di Gesù, che dice: « Non sono venuto ad abolire la legge, ma
a darle compimento105. »

VI. – CONCLUSIONE. AMBROGIO DI FRONTE A ORIGENE


Non stupisce quindi che proprio nell’ultima di queste lettere a Ireneo compaia
il già ricordato giudizio di Ambrogio su Origene longe minor in novo testamento,
proprio in riferimento agli scritti dell’apostolo « di cui nulla è più difficile da
discutere106 »: al vescovo doveva suonare pericolosa la tendenza origeniana all’e-
same analitico degli scritti di un autore come Paolo, che al di là della difficoltà,
gli appariva esaustivo nel suo insegnamento, come Ambrogio osserva in un’altra
epistola:
« La profondità del suo [di Paolo] insegnamento riesce difficile da comprendere, la
sublimità dei suoi concetti desta l’attenzione di chi ascolta e stimola chi ne discute;
inoltre, perché in molti suoi discorsi si esprime in modo tale che chi li spiega non
trova nulla di suo da aggiungere e, se volesse dire qualcosa, farebbe più la parte del
grammatico che del commentatore107. »

101. EUS., Hist. eccl. I, 2, 23. A questo proposito si veda M. RIZZI, « La storia come cristologia.
La Historia ecclesiastica di Eusebio », Rivista di storia del cristianesimo, 11, 2015, p. 51-65.
102. ORIG., Comm. Rom. II, 8.
103. Rom. 2, 14.
104. ORIG., Comm. Rom. II, 9.
105. AMBR., Epist. IX, 64, 2, con citazione di Mt. 5, 17.
106. AMBR., Epist. IX, 65, 1.
107. AMBR., Epist. I, 7, 1.
56 MARCO RIZZI

In particolare, dovevano risultare problematiche ad Ambrogio le conseguenze


ecclesiologiche e la visione della dinamica storica della salvezza che da Paolo
sembrava trarre Origene – e che già Eusebio aveva profondamente rimeditato108.
Stupisce piuttosto che per la lettera conclusiva della sezione « privata » dell’e-
pistolario Ambrogio, se si deve accettare la ricostruzione di Zelzer, o chi per lui
scelga invece di seguire alquanto pedissequamente, quasi riga per riga, il tredice-
simo capitolo del secondo libro del commento origeniano a romani per spiegare
a Costanzo « per quale motivo la circoncisione sia imposta – perché considerata
utile – dall’autorità dell’Antico Testamento, e sia invece respinta – perché ritenuta
inutile – dall’insegnamento del Nuovo Testamento109 ». In realtà, se si considera
come l’Origene del Commentarius in Epistulam ad Romanos era risultato decisivo
per permettere ad Ambrogio di costruire nella prima lettera l’esegesi del precetto
del pagamento della metà del didracma in funzione della dimostrazione dell’unità
salvifica dei due testamenti, si comprende bene come Ambrogio stabilisca una
chiara simmetria tra l’inizio e la fine della raccolta delle epistole private, al tempo
stesso lasciando trasparire ciò che riteneva insuperato del magistero esegetico
origeniano: la capacità di mostrare l’intrinseca unità delle scritture dei cristiani
tramite la lettura spirituale e cristologica della legge mosaica, componendo senza
strappi Antico e Nuovo Testamento nella prospettiva della salvezza inaugurata
dalla venuta di Gesù. Una salvezza che però ora, per Ambrogio, è mantenuta salda
dalla chiesa e dalla sua gerarchia, che amministra fede e opere, legge e vangelo,
come il vescovo di Milano ammonisce Oronziano: « Opportunamente, dunque, o
figlio, hai cominciato dalla legge, nel vangelo sei stato confermato di fede in fede,
come sta scritto: il giusto, infatti, vive di fede110. »
Marco RIZZI
Università Cattolica di Milano

108. In questo senso si veda M. RIZZI, « Filosofia, teologia e potere in Eusebio di Cesarea », in
Costantino I. Enciclopedia costantiniana sulla figura e l’immagine dell’imperatore del cosiddetto
Editto di Milano 313-2013, 3 voll., Roma, 2013, vol. 2, p. 135-145.
109. AMBR. Epist. IX, 69, 1.
110. AMBR. Epist. V, 20, 15, con citazione di Rom. 1, 17.
L’exégèse de Nombres 33, 1-49 :
d’Origène à saint Jérôme (Epist. 78 à Fabiola)
« Si les hommes, écrit Jérôme à la vierge Principia en 397, posaient des questions
au sujet des Écritures, ce n’est pas aux femmes que je m’adresserais1. » En effet,
nombreuses sont les lettres exégétiques qu’il envoie à des correspondantes2, aris-
tocrates très cultivées, telles Marcella, qui ne quitta jamais Rome, qu’il appelait
affectueusement son ἐργοδιώκτης3, ou encore Paula et sa fille Eustochium, dont
il partage la vie retirée dans les monastères de Bethléem depuis 387. C’est avec
elles deux qu’il parcourt la Palestine et l’Égypte après leur départ de Rome (385-
386), voyage dont témoigne la Lettre 46, vraisemblablement écrite de sa main,
envoyée à Marcella pour la convaincre de les rejoindre4, et, à l’instar d’Abraham,
de venir « habiter la Terre Promise, qui n’est pas, comme l’Égypte, arrosée d’en
bas, mais d’en haut, et qui ne produit pas des légumes, nourriture des malades,
mais attend du ciel la pluie saisonnière et celle qui est tardive5 ». Cette lettre est

1. JÉRÔME, Epist. 65, 1 : « Si uiri de scripturis quaererent, mulieribus non loquerer » ( J. Labourt
éd., CUF 3, Paris, 1953, p. 140, l. 27-28).
2. Voir A. CANELLIS, « Les premières lettres exégétiques de saint Jérôme » dans Epistulae
Antiquae III. Actes du IIIe colloque international : L’épistolaire antique et ses prolongements
européens, Université François Rabelais, Tours, 25-27 septembre 2002, Louvain – Paris, 2004,
p. 365-384 ; « L’exégèse du Psaume 44 selon Jérôme (Ep. 65 à Principia) », dans Caritatis scripta.
Mélanges de littérature et de patristique offerts à Patrick Laurence (Collection des Études
augustiniennes, Série Antiquité 199), A. Canellis – É. Gavoille – B. Jeanjean éd., Paris, 2015,
p. 177-190.
3. JÉRÔME, Epist. 28, 1 (J. Labourt éd., CUF 2, Paris, 1951, p. 19, l. 11-12).
4. Elle est parvenue sous le nom de Paula et Eustochium (c. 392-393).
5. JÉRÔME, Epist. 46, 2 : « Iubetur patriarchae […] ut […] habitet terram repromissionis,
quae non rigatur ut Aegyptus de deorsum sed de sursum, nec facit holera languentium cibos
(cf. Rom. 14, 2), sed temporaneum et serotinum de caelo expectat imbrem » (J. Labourt éd.,
CUF 2, p. 101, l. 28 – p. 102, l. 1).
58 ALINE CANELLIS

l’occasion de commenter le sens spirituel de l’Égypte, « de toute évidence ce


monde-ci », dont le nom est souvent rapproché de ceux de Sodome et Gomorrhe6.
Quitter l’Égypte pour gagner la Terre Promise, tel est le sujet développé dans
le petit traité exégétique de la Lettre 78, que Jérôme dédie, en 400, à Fabiola
récemment disparue : ce sont là le « tribut offert à sa mémoire » et les « honneurs
funèbres » qu’il lui décerne7. Jérôme élabore ainsi l’exégèse promise de la péri-
cope du Livre des Nombres sur les quarante-deux étapes des fils d’Israël dans
le désert (Num. 33, 1-49)8, pour celle qui « revêtue des ornements sacerdotaux
d’un précédent volume à elle adressé [= Epist. 649], peut se réjouir, après avoir
traversé le désert de ce monde, d’être enfin parvenue à la Terre Promise10 ». Si ce
petit traité doit beaucoup aux Homélies d’Origène sur les Nombres11, notamment
à l’Homélie 27 commentant Num. 33, 1-4912, il dévoile toutefois l’originalité de
la méthode et de la pensée de Jérôme, qui s’éloigne, une fois encore, de celle
d’Origène, tant pour l’architecture d’ensemble de son commentaire et le détail des
procédés employés que pour son explication.

I. – ARCHITECTURE D’ENSEMBLE
Comme l’Homélie 27 d’Origène, l’Epist. 78 se compose globalement de trois
parties : exorde, exégèse de la péricope (Num. 33, 1-4913) et épilogue. Une fois lais-
sées de côté la diversité des genres littéraires et leurs habitudes, telles les marques
d’oralité si caractéristiques du sermon14 qui peuvent à l’occasion, dans un écrit

6. JÉRÔME, Epist. 46, 6-7 (p. 105-108), en part. § 7 : « …ubi manifestissime mundus hic
Aegyptus appellatur » (p. 107, l. 24-25).
7. JÉRÔME, Epist. 77, 7 (J. Labourt éd., CUF 4, Paris, 1954, p. 52-93) ; (p. 47, l. 26 – p. 48,
l. 10) ; 77, 12 (p. 52, l. 1-2).
8. JÉRÔME, Epist. 78 (J. Labourt éd., CUF 4, p. 52-93) ; voir en part. § 1 : « Sed iam tempus est,
ut promissa conplentes, mansionum Israhel ordinem persequamur » (p. 54, l. 20-22).
9. Voir A. CANELLIS, « La Lettre 64 de saint Jérôme [à Fabiola] et le symbolisme des couleurs :
les vêtements sacerdotaux d’Exode, 28, 1-43 » (à paraître à la MOM, Lyon).
10. JÉRÔME, Epist. 77, 7 : « …ut sacerdotibus prioris ad se uoluminis induta uestibus, per
mundi huius solitudinem gaudeat se ad terram repromissionis aliquando uenisse » ( p. 48, l. 8-10).
11. ORIGÈNE, Homélies sur les Nombres, XX-XXVIII, L. Doutreleau éd., SC 461, Paris, 2001.
Le texte est parvenu dans la traduction latine de Rufin (c. 410).
12. SC 461, p. 265-347. Dans son article « Israels Wüstenwanderung (Num. 33) in der
Auslegung des Hieronymus und des Origenes. Ein Beitrag zur Geschichte der Spiritualität und der
origenistischen Streitigkeiten » (Theologie und Philosophie, 77, 1, 2002, p. 1-22), H.-J. SIEBEN
n’étudie pas en détail le travail de Jérôme sur ses sources autres que l’Homélie 27 d’Origène sur
les Nombres (p. 6), pas plus qu’il ne fait de comparaisons avec d’autres œuvres d’Origène.
13. Jérôme ne cite pas Num. 33, 2, contrairement à Origène, HNb 27, 2, 1 (p. 278, l. 105-106).
14. Voir par ex. ORIGÈNE, HNb 27, 2, 1 (p. 278-279), 2, 2 (p. 280-281) par exemple. Des
formules moins orales se trouvent également, comme en 3, 1 (p. 282-293).
L’EXÉGÈSE DE NOMBRES 33, 1-49 D’ORIGÈNE À JÉRÔME 59

didactique, se changer en apostrophes à un lecteur fictif15, les points communs


et divergents de la structure des deux œuvres apparaissent. Globalement les deux
préambules ont des objectifs méthodologiques et pédagogiques16, mais les deux
auteurs donnent une orientation différente à leur explication. Jérôme ne reprend
que peu d’éléments au prologue grec dans sa propre entrée en matière : d’abord,
en inversant leur ordre et en les rallongeant, les deux citations des Psaumes 119,
5-6 et 41, 5 sur l’exil de l’âme, attendant de pénétrer dans le lieu du Tabernacle
admirable17 ; ensuite, l’allusion à 1 Cor. 3, 2 sur le régime lacté qui convient aux
enfants18 : tandis qu’Origène commente longuement la métaphore de la nourriture
spirituelle19, Jérôme contextualise davantage son propos, en expliquant dès le
début de son libelle la différence entre l’interprétation historique et/ou littérale, et
l’interprétation spirituelle20. Il s’appuie notamment sur Rom. 7, 14 (Lex spiritalis
est)21 et 1 Cor. 10, 4 : « Si donc, commente Jérôme, une partie de l’histoire de ce
voyage hors d’Égypte doit être comprise au sens spirituel, le reste, que l’Apôtre
a passé sous silence faute de temps, doit, de toute évidence, ressortir au même
sens22. »
Vient ensuite un bref résumé de l’histoire des Hébreux avant leur départ
d’Égypte, qui rappelle plus le contenu de l’Homélie 4 d’Origène sur l’Exode que
les deux sens à donner à la « sortie d’Égypte » des Homélies sur les Nombres 26,
4, 1 et 27, 2, 2-4, i. e. l’abandon de la vie païenne pour accéder à la connaissance
de la Loi divine ou bien le moment où l’âme quitte le corps qu’elle habite. Sans
préciser vraiment, à la fin de son préambule – contrairement à Origène –, quel va
être le sens spirituel donné à la péricope des Nombres, Jérôme laisse entendre qu’il
traitera des progrès de l’âme dans la foi chrétienne23.
Ce voyage spirituel est envisagé à travers le cheminement des fils d’Israël dans
le désert, et leurs arrêts dans les diverses stations mentionnées dans Num. 33,

15. JÉRÔME, Epist. 78, 17 : « Et hoc, prudens lector, adtende, quod … » (p. 70, l. 1) ; 78, 42 :
« Simulque considera, quod » (p. 90, l. 7).
16. JÉRÔME, Epist. 78, 1 (p. 52-54), cf. ORIGÈNE, HNb 27, 1-6, 1 (p. 270-297).
17. JÉRÔME, Epist. 78, 1 (p. 53, l. 10-12 ; 14-17), cf. ORIGÈNE, HNb 27, 4, 1 (p. 286, l. 203-206 ;
209-210).
18. JÉRÔME, Epist. 78, 1 (p. 53, l. 24-26), cf. ORIGÈNE, HNb 27, 1, 2 (p. 272, l. 25-28).
19. ORIGÈNE, HNb 27, 1 (p. 270-279).
20. JÉRÔME, Epist. 78, 1 (p. 52, l. 17 ; 19 ; 24 ; p. 53, l. 29).
21. Ibid. (p. 53, l. 19-20).
22. Ibid. : « Si ergo pars historiae itineris ex Aegypto spiritaliter accipitur, et cetera, quae ab
Apostolo pro angustia temporis praetermissa sunt, eiusdem intellegentiae conuincitur » (p. 53,
l. 7-10).
23. Ibid. (p. 54, l. 1-20), cf. ORIGÈNE, HNb 27, 2, 2-4 (p. 279-283).
60 ALINE CANELLIS

3-4924. Ces étapes, au nombre symbolique de quarante-deux, rappellent le


décompte matthéen des générations d’Abraham à David, de David à la déportation
de Babylone, enfin de la déportation de Babylone au Christ (Mt. 1, 17)25. À l’instar
d’Origène, Jérôme commente l’ensemble de la péricope, sans toutefois reprendre
la méthode explicative de son modèle : au lieu de segmenter le texte biblique
en petites unités de sens26 ou de sélectionner le seul nom de l’étape27, Jérôme,
selon son habitude exégétique, cite l’intégralité du texte scripturaire, lemme après
lemme, avant d’élaborer son commentaire. S’il suit globalement la dynamique
explicative de son prédécesseur, il s’en éloigne néanmoins : de fait, alors qu’Ori-
gène commente avec une certaine précision les étapes de l’itinéraire des Hébreux
jusqu’à Num. 33, 12, mais, faute de temps, passe « en revue rapidement, en les
resserrant28 », les étapes suivantes, Jérôme s’efforce de commenter l’ensemble
de ces étapes même si parfois certaines retiennent moins son attention29. À la
différence d’Origène, il numérote toutes les stations afin de rendre son texte clair
et il démontre ainsi sans conteste l’exactitude de son comput30. Or, la compa-
raison entre les deux décomptes révèle une différence notable entre Origène et
Jérôme : si, pour Origène, suivi notamment par Eusèbe de Césarée31, la première
station est le premier lieu de bivouac des Hébreux après leur départ, i. e. Sochoth
(Num. 33, 5), c’est en revanche pour Jérôme le lieu même de départ des Hébreux,
i. e. Ramesse (Num. 33, 3). Ce décalage se poursuit jusqu’à la station mentionnée

24. JÉRÔME, Epist. 78, 2-43 (p. 54, l. 23 – p. 93, l. 8), cf. ORIGÈNE, HNb 27, 6, 2 – 13, 1 (p. 296-
345) ; voir aussi HEx 8, 1 (p. 242-243, l. 32-52).
25. JÉRÔME, Epist. 78, 2 (p. 55, l. 1-7), cf. ORIGÈNE, HNb 27, 3, 1 (p. 282-284). Ce symbolisme
numérique ne figure pas dans le Commentaire sur Mathieu de Jérôme, écrit en 398 (É. Bonnard
éd., SC 242, Paris, 1977, p. 72-77).
26. Par ex. ORIGÈNE, HNb 27, 9, 1 (p. 308, l. 465-466) ; 9, 2 (p. 310, l. 487-488) ; 9, 3 (p. 310-
312) ; 10, 1 (p. 312-314).
27. Par ex. ORIGÈNE, HNb 27, 12, 3 (p. 322, l. 640) ; 12, 5 (p. 326, l. 671 ; l. 682).
28. ORIGÈNE, HNb 27, 12, 2 (p. 322, l. 624-628), en part. l. 626-628 : « strictim tamen et breui-
ter percuremus, ut non tam plenam uobis expositionem, quia minime id tempus indulget, sed
occasiones intellegentiae praebeamus ».
29. Stations 19, 22, 26, 30.
30. Difficulté chez Origène dont témoigne, dans l’édition des « Sources chrétiennes », la n. 1,
p. 310-311.
31. EUSÈBE, Onom. (traduction de Jérôme) : « Socchot : prima mansio filiorum Israel in
deserto, postquam de Aegypto sunt profecti, antequam Mare transierunt Rubrum » (p. 153)
[dans Translatio Eusebii de situ et nominibus locorum Hebraicorum libri = Liber locorum =
Onomasticon (Eusebius’ Werke, 3, 1 ; GCS 11), E. Klostermann ed. , Leipzig, 1904, 2/3-176/177
(onomasticon grec et traduction latine, avec modifications de J. en italiques, mais ordre du texte
grec d’Eusèbe), p. 1-177].
L’EXÉGÈSE DE NOMBRES 33, 1-49 D’ORIGÈNE À JÉRÔME 61

dans Num. 33, 36, où Origène distingue deux étapes : Sin et Pharancades32, tandis
que Jérôme n’en compte qu’une (Station 33)33.
Le détail des quarante-deux stations est suivi, au terme de la Lettre, d’un court
épilogue où sont juxtaposés Rom 9, 33 et Os. 14, 9, évoquant l’inscrutabilité et
l’inaccessibilité, mais aussi la droiture des voies de Dieu, où marchent les justes
et s’écroulent les prévaricateurs. Allusion est faite au sage qui pourra comprendre
ou connaître ces choses34. Même si, à certains égards, elle rappelle l’exhortation
achevant l’Homélie 27 d’Origène sur les Nombres35, la finale de l’Epist. 78
tranche, par sa concision et son envolée, sur l’exposé méthodologique et didac-
tique d’Origène justifiant sa technique d’explication36. Ainsi, même si Jérôme
s’inspire du mouvement général de l’Homélie 27, il s’écarte de son modèle, non
seulement dans l’agencement global de son libelle, mais surtout dans le détail des
procédés qu’il utilise.

II. – DÉTAIL DES PROCÉDÉS


En commentant Num. 33, 1-49, Origène s’appuie vraisemblablement sur la Bible
des Septante, pour autant qu’il est possible d’en juger d’après la traduction de
Rufin transmettant le texte de l’Alexandrin (c. 410)37. Il suit notamment la version
de Num. 33, 36 donnée par la Septante, qui ajoute en fait une étape par rapport au
texte hébreu38, ce qui le force à commencer le décompte des quarante-deux étapes
à partir de Sochoth. Cependant, outre quelques variantes qui s’expliquent par la
transposition en langue latine des toponymes hébreux déjà transcrits en grec39,

32. ORIGÈNE, HNb 27, 12, 10 (p. 334, l. 768 – p. 736, l. 777).
33. JÉRÔME, Epist. 78, 35 : « Et profecti de Asion-Gaber, castra metati sunt in deserto Sin : haec
est Cades » (p. 81, l. 20-22).
34. JÉRÔME, Epist. 78, 43 (p. 93, l. 8-14).
35. ORIGÈNE, HNb 27, 13, 1-2 (p. 342-347). Voir en part. la thématique des « courants de la
Sagesse » (p. 342, l. 852), la mention des « prudents » et des « sages » (p. 344, l. 878 et 880), ou
celle de la « route plus haute et suprêmement élevée » (p. 346, l. 888).
36. ORIGÈNE, HNb 27, 13, 1 (p. 342-344).
37. Pour le texte de Num. 33, 1-49, voir A. RAHLFS, Septuaginta, id est Vetus Testamentum
Graece juxta LXX interpretes, 2 vol., Stuttgart, 1979, v. 1, p. 277-278 ; mais surtout G. DORIVAL
et al., La Bible d’Alexandrie, 4, Les Nombres, Paris, 1994, p. 542-554.
38. Num. 33, 36, selon la LXX (G. DORIVAL, Les Nombres, p. 551) : « Et ils décampèrent de
Gesiôn-Gaber et campèrent dans le désert de Sin. Et ils décampèrent du désert de Sin et campèrent
dans le désert de Pharan, c’est-à-dire Kadês. » Selon l’hébreu (Ancien Testament interlinéaire
hébreu-français, Alliance biblique universelle, 2007 : texte de la BHS, traductions de la TOB et
de la Bible en français courant, p. 558) : « Partis de Eciôn-Guèvèr, ils campèrent dans le désert de
Cîn, c’est-à-dire à Qadesh. »
39. Pour un récapitulatif sur les toponymes, voir Annexe : Noms des « stations » dans le désert
chez Origène (traduction de Rufin) et Jérôme.
62 ALINE CANELLIS

plusieurs divergences sont dues à la difficile vocalisation de la langue sémitique et


aux confusions entraînées par la lecture de consonnes à la forme assez proche40. À
la différence d’Origène, Jérôme revendique son retour à l’Hebraica ueritas : « Je
prie, s’explique-t-il, le lecteur intelligent et instruit de vouloir bien noter que je
traduis les noms d’après l’original hébreu41. » Cette revendication est concrétisée
avec l’incipit de l’exégèse de Num. 33, 1-49 puisque Jérôme donne le titre hébreu
du uolumen, à savoir vaiedabber42. D’ailleurs, c’est précisément dans les années
398-400, sans qu’il soit possible de dater plus précisément son entreprise, qu’il
traduit tout le Pentateuque, ce dont témoigne sa préface à la traduction de ces
livres d’après l’hébreu43.
Or la traduction présentée dans l’Epist. 78 est très différente de celle de la future
Vulgate44, et elle se rapproche plus d’une traduction latine de la Septante que de
la traduction sur l’hébreu, sans qu’elle soit pour autant totalement dépourvue de
variantes par rapport à l’original grec45 : c’est peut-être une Vieille latine retouchée
ou une traduction personnelle de Jérôme, comme le laisse penser son commen-
taire de sa traduction de Num. 33, 246. Reconnaissables en effet sont les tournures
qui calquent le grec : parallélisme presque constant dans toute la péricope de Et
profecti de… (ou profectique de…) / castrametati sunt, qui reprend le grec καὶ
ἀπῆραν … καὶ παρενέβαλον47 ; participe présent employé en latin comme en

40. Les v. 33, 18-19 ; 20-22 ; 23-24 ; 27-28 ; 30-36 ; 42-43 ; 45-46 qui offrent les toponymes
différents de ceux de la Septante (Rhathama, Lebôna, Dessa, Saphar, Tarath, Haselmôna,
Masourouth, Banaiakan, Gadgad, Etebatha, Gêsion-Gaber, Phinô, Daibôn-Gad).
41. JÉRÔME, Epist. 78, 11 : « Prudentem studiosumque lectorem rogatum uelim, ut sciat me
uertere nomina iuxta Hebraicam ueritatem » (p. 64, l. 11-13) ; voir également Epist. 78, 17 (p. 70,
l. 28-29).
42. JÉRÔME, Epist. 78, 12 (p. 54, l. 23-25).
43. Datation : Y.-M. DUVAL, Nouvelle histoire de la littérature latine, dans Handbuch der latei-
nischen Literatur (= HLL) 6, trad. allemande, à paraître, München, s. u. « Hieronymus », § 647,
Bibelübersetzungen.
44. R. WEBER, Biblia sacra iuxta vulgatam editionem, Stuttgart, 1983, p. 228-230. On
remarquera que quelques toponymes sont différents de ceux de l’Epist. 78 : Ceelatha (Num. 33,
22), Sepher (v. 23), Esmona (v. 29), Mseroth (v. 30), Hietebatha (v. 33), Salmona (v. 41),
Elmondeblathaim (v. 46), Bethsimon ; Belsattim (v. 49).
45. Par exemple, autem est ajouté en latin en Num. 33, 3 (p. 55, l. 24) ; en Num. 33, 14 (p. 65,
l. 13-14), la traduction omet le verbe πιεῖν (à boire), rendu par ad bibendum dans la Vulgate.
46. JÉRÔME, Epist. 78, 2 : « Haec sunt castra filiorum Israhel […] quas Graeci ἀπάρσεις
uocant, nos propter linguae proprietatem significantius mansiones, siue quia de exercitu dicitur,
castra, transtulimus » (p. 54, l. 27-29). Or Eusèbe de Césarée, dans son Onomasticon, utilise le
terme σταθμὸς que Jérôme traduit principalement par castra (dans Translatio Eusebii de situ
et nominibus locorum Hebraicorum libri = Liber locorum = Onomasticon, E. Klostermann ed.,
p. 152, l. 16).
47. Exceptions faites de Num. 33, 9 où, comme en grec, il y a un autre verbe (uenerunt – p. 61,
L’EXÉGÈSE DE NOMBRES 33, 1-49 D’ORIGÈNE À JÉRÔME 63

grec au v. 5, au lieu du verbe conjugué comme en hébreu48 ; tournure maladroite


en latin au v. 37 (in Or monte)49 et mouvement de la phrase latine identique à
celle du grec au v. 3950. La traduction ainsi proposée par Jérôme est également,
semble-t-il, influencée par la traduction qu’il a faite de l’Onomasticon d’Eusèbe
de Césarée (en 390) : en effet, contrairement à son choix, dans la Vulgate, du mot
mansiones pour traduire ἀπάρσεις, il opte pour castra en se justifiant51 ; c’est ce
mot qu’il utilise la plupart du temps dans sa traduction de l’Onomasticon52. Du
reste, pour trouver le meilleur équivalent latin possible de mots hébreux, Jérôme
recourt souvent à un intermédiaire grec : κροῦσμα / pulsatio pour expliquer
Dephca (Station 9 : Num. 33, 12)53 ; ῥοιᾶς διακοπή / mali punici diuisio pour
Remmon Phares (Station 16 : Num. 33, 19)54 ; κατακοπή / concisio pour Gadgad
(Station 29 : Num. 33, 32)55; παρέλευσις / transitus siue translatio pour Hebrona
(Station 31 : Num. 33, 34)56 ; ξυλακισμοὶ ἀνδρός / ligna uiri siue dolationes
hominis pour Asion-Gaber (Station 32 : Num. 33, 35)57.
Mais, malgré ces grécismes, la transcription hiéronymienne des toponymes en
revient bien à l’original hébreu, lorsqu’elle s’écarte de celle d’Origène58 : certains
noms sont ceux que retient Eusèbe59 ; d’autres ne sont empruntés ni à Origène ni
à Eusèbe, et la plupart figure déjà dans l’ouvrage de Jérôme sur les Noms hébreux
(de 389). Hormis de petites divergences de translittération dues à la prononciation
de l’époque et à l’absence de vocalisation de l’hébreu, ces toponymes sont ceux-là

l. 7) et de Num. 33, 15 où, à la différence du grec, il y a une variante (castra posuerant – p. 66,
l. 20).
48. JÉRÔME, Epist. 78, 4 : « Et proficientes… » (p. 57, l. 20).
49. Ibid., 36 (p. 83, l. 2-3).
50. Ibid., 39 : « Eratque Aaron […] quando » (p. 83, l. 7-8).
51. Ibid., 2 : (p. 54, l. 25-29) – voir texte cité supra n. 46.
52. Voir par ex. EUSÈBE, Onom. : « Aelim castra filiorum Israel » (p. 9) ; « Aelus in deserto ubi
filii Israel castra metati sunt » (p. 11) ; « Asemona castra filiorum Israel » (p. 11) ; « Selmona castra
filiorum Israel in deserto » (p. 155).
53. JÉRÔME, Epist. 78, 11 (p. 63, l. 29-30).
54. Ibid., 18 (p. 72, l. 4-6).
55. Ibid., 31 (p. 79, l. 17-18).
56. Ibid., 33 (p. 80, l. 19-21).
57. Ibid., 34 (p. 81, l. 6-8).
58. Voir Annexe : Noms des « stations » dans le désert chez Origène (traduction de Rufin) et
Jérôme.
59. Reprises d’Eusèbe et différences avec la LXX : Aetham, Raphidim, Thaat, Baneiacan,
Gadgad, Cades, Abelsattim. Cf. Ancien Testament interlinéaire : Etam, Refidim, Tahat, Bené-
Yaaqân, (Hor-)Guidgad, Qadesh, Avel-Shittim.
64 ALINE CANELLIS

mêmes du texte hébreu60. Pour démontrer l’exactitude de sa transcription des topo-


nymes hébreux, Jérôme fournit des explications philologiques précises. En effet,
les mélectures sont souvent dues à des confusions de consonnes en hébreu : Heth/
Ain pour le toponyme de la Station 4 (Num. 33, 7 : Phiahiroth au lieu de Hiroth)61,
Ain/Gimel pour le toponyme de la Station 32 (Num. 33, 35 : Gasiongaber au lieu
d’Asion-Gaber)62, He/Aleph, Ain, et Heth pour le toponyme de la Station 34
(Num. 33, 32-33 : Or)63, Daleth/Res pour le toponyme de la Station 9 (Num. 33,
13 : Dephca au lieu de Raphaca)64, ou encore Sade/Samech pour le toponyme de la
Station 33 (Num. 33, 36 : Sin). Ces corruptions fréquentes dans les manuscrits grecs
et latins65 expliquent la nécessité de travailler directement sur les rouleaux hébreux
pour pouvoir rectifier des erreurs : comme l’a découvert Jérôme – et à juste titre
– après sa publication du dictionnaire des Noms hébreux, Dephca s’écrit non avec
un Beth mais avec un Phe, ce qui l’amène à corriger la signification du nom et à
en donner une explication différente de celle qui se trouve dans son dictionnaire66.
Dès lors, aux toponymes présentés dans l’Epist. 78 s’attache une interprétation
qui s’éloigne parfois considérablement de celle de l’Homélie 27 d’Origène. Alors
qu’il propose une signification du nom d’Oboth, Jérôme s’abstient de commenter
l’aveu d’Origène qui n’en a trouvé aucune67. D’ailleurs, jamais nommé – entre
autres anonymes visés68 –, Origène est reconnaissable sous des vocables tels
que quidam69 ou plerique70, surtout lorsque Jérôme rejette ses interprétations

60. C’est le cas de : Phiahiroth, Dephca, Sinai, Caaltha, In monte Sapher, Arada, Methca,
Museroth, Asion-Gaber, Hieabarim, Almon-Deblathaim. Les divergences entre certains de ces
noms sont parfois seulement dues à des différences de vocalisation ; il en va de même pour les
noms donnés dans l’ouvrage de Jérôme sur les noms hébreux. Cf. Ancien Testament interlinéaire :
Pi-Hahiroth, Dofqa, Sinai, Qehélata, à la montagne de Shèfer, Harada, Mitqa, Moseroth, Eciôn-
Guèvèr, (Cîn), Iyyé-Avarim, Almôn-Divlataïma.
61. JÉRÔME, Epist. 78, 6 (p. 59, l. 5-9). Autre erreur due à la lecture d’un Ain au § 26 pour le
toponyme de la Station 24 (Num. 33, 27 – p. 76, l. 1-4).
62. Ibid., 34 (p. 81, l. 6-10).
63. Ibid., 36 (p. 83, l. 12-19).
64. Ibid., 11 (p. 64, l. 18-20).
65. Ibid. : « Alioquin in Graecis et Latinis codicibus praeter pauca omnia corrupta repperimus »
(p. 64, l. 13-14).
66. Ibid. (p. 64, l. 1-9).
67. JÉRÔME, Epist. 78, 39 (p. 86-87), cf. ORIGÈNE, HNb 27, 12, 11 (p. 336, l. 775-481).
68. JÉRÔME, Epist. 78, 17 (p. 70, l. 25-27) ; 18 (p. 72, l. 6) ; 26 (p. 75, l. 28 – p. 76, l. 4) ; 36
(p. 83, l. 12-20) ; 40 (p. 87, l. 29 – p. 88, l. 3).
69. JÉRÔME, Epist. 78, 3 (p. 56, l. 4), cf. ORIGÈNE, HNb 27, 9, 1 (p. 308, l. 476-477) ; Epist. 78,
6 (p. 59, l. 7-8), cf. ORIGÈNE, HNb 27, 9, 3 (p. 310, l. 500-501) ; Epist. 78, 19 (p. 72, l. 18-19), cf.
ORIGÈNE, HNb 27, 12, 5 (p. 326, l. 671-672).
70. JÉRÔME, Epist. 78, 35 (p. 81, l. 27-28), cf. ORIGÈNE, HNb 27, 12, 10 (p. 336, l. 775-776).
L’EXÉGÈSE DE NOMBRES 33, 1-49 D’ORIGÈNE À JÉRÔME 65

de Ramesse, Hiroth, Lebna, Sin. Un éloge ironique est même introduit au détour
d’une critique : « Et j’admire comment des érudits, des hommes d’Église ont
voulu traduire des choses qui n’existent pas dans l’hébreu <i. e. Raphaca> et,
partant de mauvaises traductions, ont recherché des explications fantaisistes71. »
Toutefois, en reprenant presque les propres mots de l’Homélie 12 d’Origène sur
les Nombres72, Jérôme va jusqu’à le critiquer – sous le terme d’alii – d’interpréter,
dans le catalogue des stations, « le spirituel par le spirituel » (1 Cor. 2, 13) et de
« refuser d’y voir des indications topographiques. Ces noms signifieraient les
progressions des vertus73 ».
Cependant, malgré ces attaques, la carte hiéronymienne des vertus est rede-
vable au parcours spirituel brossé dans l’Homélie 27 sur les Nombres d’Origène,
lui-même influencé par les écrits de Philon d’Alexandrie74. Jérôme s’inspire
d’Origène notamment dans la première partie de son libelle75, mais sans bien
souvent respecter l’ordre de sa démonstration, en amplifiant ou réduisant son
raisonnement, voire en citant presque textuellement des expressions d’Origène :
à sa suite, il évoque une des étymologies de Ramesse, déjà donnée par Philon
(Somn. 77)76 et la description de la Pâque77 ; il reprend l’étymologie de Socchot78
et le thème de l’avancée de l’âme sur le chemin de la vertu79 ; les étymologies de
Beelsephon et de Magdol80 ; le thème de l’engloutissement de Pharaon dans la Mer
Rouge, des périls qui se présentent à nouveau, du salut obtenu après les épreuves,
avec la mention des traitements médicaux dont l’amertume aide à recouvrer la

71. JÉRÔME, Epist. 78, 11 : « Et miror quosdam eruditos et ecclesiasticos uiros ea uoluisse
transferre quae in Hebraico non habentur, et de male interpretatis fictas explanationes quaerere… »
(p. 72, l. 15-18) ; cf. ORIGÈNE, HNb 27, 12, 1 (p. 320, l. 609-623).
72. ORIGÈNE, HNb 12, 3, 4 : « Si hoc itinere incedamus, quod non tam locorum uocabulis quam
animae profectibus constare ratio explanationis asseruit, … » (p. 100, l. 347-350).
73. JÉRÔME, Epist. 78, 40 : « Alii autem ‘spiritalibus spiritalia conparantes’, nolunt regiones
significari ; sed per locorum nomina, uirtutum profectus esse, … » (p. 59, l. 7-8).
74. Voir par exemple PHILON, Migr. 25 ; 36 ; 131 (Les Œuvres de Philon d’Alexandrie, 14,
J. Cazeaux éd., Paris, 1965, p. 108-110 ; 116-118 ; 176-177) ; Quaest. Ex. 1, 4 ; 1, 15 (Les Œuvres
de Philon d’Alexandrie, 34c, A. Therian éd., Paris, 1992, p. 68-71 ; 88-89).
75. Jusqu’à la Station 7 surtout.
76. JÉRÔME, Epist. 78, 3 (p. 56, l. 3-4), cf. ORIGÈNE, HNb 27, 9, 1 (p. 308, l. 476-477).
77. JÉRÔME, Epist. 78, 3 (p. 56, l. 25 – p. 57, l. 6), cf. ORIGÈNE, HNb 27, 8, 1 ; 8, 3 ; 8, 4
(p. 300-305).
78. JÉRÔME, Epist. 78, 4 (p. 57, l. 25-25), cf. ORIGÈNE, HNb 27, 9, 1 (p. 308, l. 481-482).
79. JÉRÔME, Epist. 78, 4 (p. 58, l. 7-8), cf. ORIGÈNE, HNb 27, 9, 1 (p. 308, l. 468).
80. JÉRÔME, Epist. 78, 6 (p. 59, l. 10-12), cf. ORIGÈNE, HNb 27, 9, 3 (p. 312, l. 508-510 ;
516-517).
66 ALINE CANELLIS

santé81 ; l’étymologie d’Elim et le symbolisme numérique des douze sources et


des soixante-dix palmiers82 ; l’explication de la différence notable entre traverser
la Mer Rouge et camper à proximité, être pris dans les dangers ou les regarder à
distance83 ; l’étymologie du désert de Sin84 ; le thème des « sépulcres blanchis » de
Mt. 23, 27, assimilés aux « tombeaux de la convoitise », à la différence d’Origène
qui faisait allusion à ce texte à propos de l’étymologie de Lebna85 ; les étymologies
de Thabatha/Iethabatha, Hebrona86, Gelmon/Almon Deblathaim87, Abarim88. Or
l’Homélie 27 d’Origène n’est pas seule à influencer Jérôme : il s’inspire, en parti-
culier au début de l’Epist. 78, des Homélies sur l’Exode89. Des parallèles peuvent
également être faits avec les Homélies sur Josué90, mais aussi avec les Homélies
sur Ezéchiel91 et sur le Cantique des Cantiques92 qu’il a traduites93.
Mais Jérôme ne lit pas qu’Origène et Eusèbe pour élaborer son interprétation
spirituelle des quarante-deux stations ; il recourt à sa culture encyclopédique en

81. JÉRÔME, Epist. 78, 7 (p. 60, l. 1 ; l. 10 ; l. 12-30), cf. ORIGÈNE, HNb 27, 10, 1 (p. 313,
l. 524) ; 10, 2, l. 540 (= Ex. 14, 31) ; 10, 3 (p. 315, l. 547 ; l. 552-558).
82. JÉRÔME, Epist. 78, 8 (p. 61, l. 14 ; l. 22 – p. 62, l. 3), cf. ORIGÈNE, HNb 27, 11, 1 (p. 308,
l. 568-570 ; p. 318, l. 577-586).
83. JÉRÔME, Epist. 78, 9 (p. 62, l. 14-15 ; l. 18-20), cf. ORIGÈNE, HNb 27, 11, 2 (p. 318,
l. 587-591).
84. JÉRÔME, Epist. 78, 10 (p. 63, l. 15), cf. ORIGÈNE, HNb 27, 11, 2 (p. 318, l. 593).
85. JÉRÔME, Epist. 78, 15 (p. 69, l. 15-19), cf. ORIGÈNE, HNb 27, 12, 5 (p. 325, l. 671-672).
86. JÉRÔME, Epist. 78, 32 et 33 (p. 80, l. 4), cf. ORIGÈNE, HNb 27, 12, 9 (p. 334, l. 756 et 758).
87. JÉRÔME, Epist. 78, 41 (p. 89, l. 12), cf. ORIGÈNE, HNb 27, 12, 13 (p. 340, l. 833-835).
88. JÉRÔME, Epist. 78, 42 (p. 90, l. 1), cf. ORIGÈNE, HNb 27, 12, 13 (p. 342, l. 839).
89. JÉRÔME, Epist. 78, 1 (p. 54, l. 3-20), cf. ORIGÈNE, HEx 4, 7 (p. 136) ; 4, 9 (p. 146, l. 31-39) ;
Epist. 78, 4 (p. 58, l. 4-9), cf. ORIGÈNE, HEx. 7, 4 (p. 216-218, l. 26-34) ; Epist. 78, 5 (p. 58,
l. 19-29), cf. ORIGÈNE, HEx 5, 2 (p. 154, l. 28-30) ; 5, 5 (p. 168) ; 7, 3 (p. 214, l. 24-25) ; Epist. 78,
6 (p. 59, l. 11-12), cf. ORIGÈNE, HEx 5, 3 (p. 156) ; Epist. 78, 7 (p. 60, l. 5-7 ; l. 13 ; l. 19-20 ;
l. 25-30), cf. ORIGÈNE, HEx 6, 1 (p. 170, l. 19 – p. 172, l. 1) ; 5, 4 (p. 160, l. 16) ; 5, 5 (p. 166,
l. 23-34) ; 7, 1 (p. 206, l. 22-24) ; 5, 2 (p. 154, l. 37-47) ; 7, 4 (p. 216, l. 15-21) ; 7, 2 (p. 210,
l. 17-18) ; Epist. 78, 8 (p. 61, l. 27-29), cf. ORIGÈNE, HEx 7, 3 (p. 214, l. 19-22) ; Epist. 78, 13
(p. 64, l. 20-24), cf. ORIGÈNE, HEx 11, 4 (p. 336, l. 46-53).
90. Sur l’exode mystique, cf. ORIGÈNE, HJos 1, 1 (A. Jaubert éd., SC 71, Paris, 1960, p. 148-
149) ; JÉRÔME, Epist. 78, 2 (p. 55, l. 7-9), cf. ORIGÈNE, HJos 13, 1 (p. 304) ; Epist. 78, 4 (p. 56,
l. 29 – p. 58, l. 2), cf. ORIGÈNE, HJos 6, 1 (p. 181-182) ; Ep. 78, 13 (p. 65, l. 25 – p. 66, l. 11),
cf. ORIGÈNE, HJos 1, 2-3 (p. 96-100) ; Epist. 78, 42 (p. 90, l. 1-5), cf. ORIGÈNE, HJos 1, 3 (p. 100) ;
Epist. 78, 43 (p. 93, l. 5-8), cf. ORIGÈNE, HJos 5, 5 (p. 168-171).
91. JÉRÔME, Epist. 78, 6 (p. 59, l. 15-18), cf. ORIGÈNE, HEz 1, 14 (M. Borret éd., SC 352, Paris,
1989, p. 91, l. 15-22) ; Epist. 78, 32 (p. 80, l. 9-11), cf. ORIGÈNE, HEz 1, 4 (p. 58, l. 1-10).
92. JÉRÔME, Epist. 78, 6 (p. 59, l. 16-17), cf. ORIGÈNE, HCCt 1, 6 et 1, 8 (O. Rousseau éd.,
SC 37bis, Paris, 1966, p. 86-88 et 96-97).
93. Homélies sur Ézéchiel traduites c. 379-381 et sur le Cantique, c. 383 (pour Damase).
L’EXÉGÈSE DE NOMBRES 33, 1-49 D’ORIGÈNE À JÉRÔME 67

expliquant le nom de Ressa (Station 18) : « Ce mot, autant que ma mémoire me le


suggère, explique Jérôme, ne se trouve nulle part ailleurs dans les saintes Écritures
chez les Hébreux ; je ne me souviens pas de l’avoir rencontré, sinon dans un livre
apocryphe appelé par les Grecs la Petite Genèse94. » Ainsi, en partie parce que les
toponymes qu’il retient diffèrent de ceux d’Origène, en partie parce que les éty-
mologies hébraïques de ces toponymes divergent de celles que propose Origène,
Jérôme se démarque assez vite de son modèle, pour proposer une exégèse person-
nelle de la péricope.

III. – UNE EXÉGÈSE PERSONNELLE


Soucieux de la lettre du texte biblique et de l’histoire du peuple juif dans la
tradition de la Vie de Moïse de Philon et des Antiquités juives de Flavius Josèphe95,
et en même temps critique à l’égard de la méthode excessivement allégorique
d’Origène, Jérôme en revient non seulement à l’original hébreu, en regardant le
texte dans la langue source, mais au récit lui-même ; à la différence d’Origène,
il situe, autant que faire se peut, les stations dans leur contexte géographique :
Ramessès, « ville placée à l’extrémité des frontières de l’Égypte96 », Soccoth, lieu
voisin des provinces de l’Égypte, et Étham, aux confins du désert et de l’Égypte97,
le désert de Sur à la sortie de la Mer Rouge, lui « qui n’est autre que la solitude
d’Étham98 », la désignation en hébreu de la Mer Rouge, Iam-Suph, i. e. Mer des
Roseaux, liée à la présence d’un « certain marais ou lac rempli de laiche et de
joncs99 », l’étendue du désert de Sin100 et du désert de Pharan101, enfin le pays des
Iduméens102. À ce balayage géographique se superpose une réflexion sur l’itiné-
raire même des Hébreux; en effet, contrairement à Origène dans l’Homélie 27 sur
les Nombres103 et l’Homélie 11 sur l’Exode, Jérôme compare le récit de Num. 33,
aux autres récits du voyage, en particulier à celui de l’ Exode et de Num. 21,

94. JÉRÔME, Epist. 78, 20 : « Hoc uerbum, quantum memoria suggerit, nusquam alibi in
Scripturis Sanctis apud Hebraeos inuenisse me noui, absque libro apocrypho, qui a Graecis
λεπτὴ, id est ‘parua’ Genesis, appellatur » (p. 73, l. 7-11) ; voir aussi 78, 21 (p. 73, l. 23).
95. FLAVIUS JOSÈPHE, Ant. Iud. 2, 5 – 4, 8 (dans FLAVIUS JOSÈPHE, Les Juifs, Histoire ancienne
des Juifs, La guerre des Juifs contre les Romains, Autobiographie [Histoire ancienne des peuples],
trad. A. D’Andilly, Paris, 2008).
96. JÉRÔME, Epist. 78, 3 (p. 56, l. 7-8).
97. Ibid., 5 (p. 58, l. 21-24).
98. Ibid., 7 (p. 60, l. 13-15).
99. Ibid., 9 (p. 62, l. 20-24).
100. Ibid., 10 (p. 63, l. 9-14).
101. Ibid., 17 (p. 70, l. 16-20).
102. Ibid., 39 (p. 86, l. 29).
103. La remarque vaut également pour les Homélies 12 et 13 portant sur Num. 21.
68 ALINE CANELLIS

et il en note scrupuleusement les divergences104 ; il émet même une hypothèse


sur l’histoire du texte105. Pareil hommage rendu à l’histoire et à la géographie
n’exclut pas une interprétation spirituelle des déambulations des Hébreux, que
souligne quelques termes techniques106. Jérôme entend montrer le parcours ini-
tiatique du « véritable Hébreu », i. e. du chrétien, « qui veut voyager en hâte de
la terre au Ciel107». Au lieu de réduire son exégèse à l’explication d’une seule
étymologie, il enrichit son propos en reliant entre eux différents sens. Au long de
son interprétation allégorique des quarante-deux stations, la progression de l’âme
sur les degrés de la vertu est envisagée selon trois « lignes de développement » qui
souvent, en allant du pointillé au trait continu108 ou inversement, se mêlent et se
démêlent : tropologique surtout à l’instar d’Origène, mais aussi ecclésiologique et
christologique.
Le parcours du chrétien sur le chemin des vertus est ainsi envisagé dans sa
dimension individuelle et personnelle, du point de vue tropologique. Sujet de
nombreuses stations, la vie et ses aléas donnent lieu à divers conseils éthiques.
Après avoir été « éveillé par le tonnerre de la joie109 », « remué par la trompette
évangélique », et « après la manducation de l’agneau sans tache » (Station 1)110, le
chrétien quitte l’Égypte et dresse des tentes, conscient qu’il devra « aller plus loin »
(Station 2)111. Il s’arme de « courage » et d’ « une vaillance parfaite » (Station 3)112.
Il méprise les « mystères de l’idole de Béelsephon », fuit la « grandeur et la
superbe, manifestées par ses tours » (Station 4)113. Il peut connaître « l’amertume
après la victoire » (Station 5)114. Devant lui, il voit surgir « de graves périls »

104. JÉRÔME, Epist. 78, 9 (p. 62, l. 26 – p. 63, l. 3) ; 10 (p. 63, l. 7-8) ; 12 (p. 64, l. 26) ; 32 (p. 81,
l. 17-19) ; 35 (p. 81, l. 23-24) ; 40 (p. 87, l. 14-15).
105. Ibid., 17 (p. 70, l. 21-22).
106. Ibid., 3 : « spiritaliter » (p. 57, l. 15) ; 10 : « ad mysticos intellectus » (p. 63, l. 16) ; 11 :
« atque exinde tropologiam similem prosequuntur » (p. 64, l. 21-22) ; 13 : « in typum Ecclesiae »
(p. 66, l. 7) ; 26 : « in typo Israelis » (p. 76, l. 11) ; 34 : « credentium multitudinem figurare » (p. 81,
l. 15-16) ; 37 : « in typum Saluatoris » (p. 85, l. 7) ; 41 : « iuxta mysticos intellectus » (p. 89, l. 20) ;
43 : « spiritaliter » (p. 91, l. 9). On peut ajouter à cette liste un terme rare : meditatorium Euangelii
(Epist. 78, 43 – p. 92, l. 6-7).
107. Ibid., 2 : « Per has currit uerus Hebraeus, qui de terra transire festinat ad caelum » (p. 55,
l. 7-8).
108. Voir Y.-M. DUVAL, Jérôme, Sur Jonas, SC 323, Paris, 1985, p. 97.
109. Dans les phrases qui suivent, les mots mis en italique évoquent l’étymologie hébraïque
des toponymes, retenue par Jérôme. Pour plus de détails, voir Annexe.
110. JÉRÔME, Epist. 78, 3 (p. 56, l. 18-19 ; l. 24).
111. Ibid., 4 (p. 57, l. 27-29).
112. Ibid., 5 (p. 58, l. 19-20 ; l. 25-26).
113. Ibid., 6 (p. 59, l. 12-15).
114. Ibid., 7 (p. 60, l. 10-13 ; l. 25-26).
L’EXÉGÈSE DE NOMBRES 33, 1-49 D’ORIGÈNE À JÉRÔME 69

qu’il supposait passés (Station 7)115. Dans les « vestibules de la vertu », « ceux
qui sont debout peuvent tomber et ceux qui étaient tombés se relever », puisque
« Jésus a été placé pour la ruine et le relèvement de beaucoup » (Station 14)116. Le
chrétien doit donc craindre pour éviter la chute (Station 23)117, et ne pas céder à
l’orgueil (Station 39)118. Il devra « être prêt à engager le combat » (Station 29)119,
et parviendra à la perfection (Station 30)120. Il est toujours provoqué au combat
(Station 37)121, que ce soit en pratiquant l’ascèse au quotidien, en luttant contre les
hérésies ou en subissant le martyre comme l’attestent les écrits de Jérôme.
En tout cas, pour l’aider dans son cheminement et le guider, le chrétien ren-
contre la doctrine de ses maîtres, douze apôtres et soixante-dix disciples du Christ
(Station 6)122, et bénéficie de « l’enseignement d’un maître attentif et diligent »
(Station 32)123. Il se hâtera donc et s’élancera vers l’avenir (Station 26)124, vers
les Maîtres (Station 27)125. « Après les réponses du Seigneur, après le huitième
degré, qui est celui de la résurrection », le chrétien se met « à heurter à la porte
des mystères du Christ » (Station 9)126. Il lui est accordé la manne, i. e. le pain
des Anges (Station 10)127, et après avoir « abandonné la sagesse du siècle », il
ne doit pas « murmurer contre le pain céleste des Écritures » (Station 13)128. Le
chrétien a la ferveur de l’esprit et annonce l’Évangile du Seigneur (Station 15)129.
Il entendra « l’Époux » (Station 25)130. « Véritable hébreu », il passera alors vers
le lieu du Tabernacle admirable (Station 31)131. En Moïse et Aaron finissent la Loi
et le sacerdoce ; or le précepte est accompagné du péché, le péché, de l’offense et

115. Ibid., 9 (p. 62, l. 18-19).


116. Ibid., 16 (p. 70, l. 6-10).
117. Ibid., 25 (p. 75, l. 17-18).
118. Ibid., 40 (p. 89, l. 6).
119. Ibid., 31 (p. 80, l. 2-4).
120. Ibid., 32 (p. 80, l. 9).
121. Ibid., 38 (p. 86, l. 11).
122. Ibid., 8 (p. 61, l. 14 ; l. 21-22 ; l. 26-28).
123. Ibid., 34 (p. 81, l. 10-13).
124. Ibid., 28 (p. 77, l. 18-20).
125. Ibid., 29 (p. 77, l. 25-27).
126. Ibid., 11 (p. 64, l. 9-11).
127. Ibid., 12 (p. 65, l. 9-10).
128. Ibid., 15 (p. 69, l. 9-11).
129. Ibid., 17 (p. 71, l. 8-11).
130. Ibid., 27 (p. 77, l. 2-4).
131. Ibid., 33 (p. 80, l. 21 ; l. 27-29).
70 ALINE CANELLIS

l’offense, de la mort (Station 33)132. Mais dans l’Évangile la mort est « l’émigra-
tion vers le paradis » (Station 34)133. Passer d’une vertu à l’autre est le « privilège
de ceux qui contemplent le Soleil de justice » (Station 38)134. L’opprobre engendre
la béatitude (Station 40)135. La Loi finit et « la grâce de l’Évangile se déploie sans
borne » (Station 41)136. Circoncis par le couteau de l’Évangile, le chrétien mange
donc du pain céleste, la vraie pâque (Station 42)137.
Ce cheminement individuel et personnel du chrétien vers le sommet de la vertu
s’intègre dans une vision collective de l’Église, avec ses célébrations et ses luttes
contre les persécutions. En effet, sous les yeux du chrétien, « l’Église est incen-
diée par les persécutions, sans qu’elle périsse » (Station 8)138. « Comme figure de
l’Église rassemblée d’entre les Gentils, la Loi diminue, mais elle est complétée
des suggestions de l’Évangile », mais les démons fomentent « des attentats de toute
nature » (Station 11)139. La Pentecôte est célébrée et « le mystère de l’Évangile est
achevé par la descente du Saint-Esprit » (Station 12)140. Le chrétien est dans « le
sein de l’Église qui protège d’une même écorce la foule entière des croyants »,
où se révèle « la diversité des vertus et leur symphonie » (Station 16)141. « Tantôt
en progrès, tantôt en décadence », il peut passer « des dignités dans l’Église » « au
travail des briques » (Station 17)142. Il peut être « freiné » dans ses « démarches
vagabondes » (Stations 18 et 19)143, et, ainsi détourné du vice, il vient « habiter
dans le Christ, montagne magnifique » (Station 20)144, où, frappé d’admiration,
il découvre des merveilles (Station 21)145. L’assemblée, c’est « la multitude
des croyants, l’Église des premiers-nés, la symphonie de toutes les vertus »
(Station 22)146. Les préposés des églises doivent ainsi être vigilants, ou le chré-

132. JÉRÔME, Epist. 78, 35 (p. 82, l. 16-18 ; l. 27-30).


133. Ibid., 36 (p. 83, l. 29).
134. Ibid., 39 (p. 87, l. 6-8).
135. Ibid., 41 (p. 89, l. 22-24).
136. Ibid., 42 (p. 86, l. 3-5).
137. Ibid., 43 (p. 86, l. 93, l. 5-8).
138. Ibid., 10 (p. 63, l. 20-21).
139. Ibid., 13 (p. 66, l. 7-8 ; l. 16-18).
140. Ibid., 14 (p. 67, l. 15-17).
141. Ibid., 18 (p. 72, l. 7-10).
142. Ibid., 19 (p. 72, l. 24-27).
143. Ibid., 20 et 21 (p. 73, l. 6-7 ; l. 22-23).
144. Ibid., 22 (p. 74, l. 5-6).
145. Ibid., 23 (p. 74, l. 21-23).
146. Ibid., 24 (p. 75, l. 1-2).
L’EXÉGÈSE DE NOMBRES 33, 1-49 D’ORIGÈNE À JÉRÔME 71

tien lui-même, pour éviter les assauts du diable (Station 24)147. « Les foules des
fidèles quittent les chaînes du diable et courbent la tête sous le joug du Christ
Seigneur » (Station 28)148. Le Sauveur est vu sur la croix, lui « qui a triomphé du
véritable et antique serpent, les venins du diable étant anéantis » (Stations 35 et
36)149. Illuminée par le Christ, l’Église rassemble ainsi tous les fidèles. Jérôme
ne manque pas d’exprimer son appartenance à cette communauté, par un « nous »
collectif, qui scande l’exégèse de la péricope150.
Globalement logique dans son évolution, cette interprétation allégorique à visée
didactique151 est marquée par la touche personnelle de Jérôme : non seulement il
assume ou revendique son point de vue152, insère quelques remarques explicatives
(médicales, en évoquant l’amertume curative de tel antidote153, botaniques, en
expliquant ce qu’est le genévrier154, linguistiques, en recourant à la langue des
Syriens155 ou en établissant des parallèles avec le latin156, grammaticales, en
précisant le sens d’un mot)157, et il ajoute quelques expressions proverbiales, clins
d’œil pour un lecteur cultivé158. Ce souci constant de la vérité et de l’exactitude,
mais aussi du lecteur qu’il doit former et informer159, aide le comparatiste qu’est

147. Ibid., 26 (p. 76, l. 15-20).


148. Ibid., 30 (p. 79, l. 11-12).
149. Ibid., 37 (p. 85, l. 7-9).
150. Par ex. ibid., 3 (p. 56, l. 20) ; 4 (p. 57, l. 27) ; 5 (p. 58, l. 28) ; 7 (p. 60, l. 10) ; 8 (p. 62,
l. 3-5) ; 9 (p. 62, l. 17) ; 10 (p. 63, l. 19) ; 14 (p. 67, l. 13) ; 15 (p. 69, l. 9) ; 16 (p. 70, l. 6) ; 19 (p. 72,
l. 24-25) ; 20 (p. 73, l. 7) ; 22 (p. 74, l. 4) ; 23 (p. 74, l. 22) ; 28 (p. 77, l. 17 et 19-20) ; 29 (p. 77,
l. 25) ; 30 (p. 78, l. 21) ; 31 (p. 80, l. 1-3) ; 32 (p. 80, l. 9) ; 36 (p. 84, l. 12-14) ; 38 (p. 85, l. 29) ;
40 (p. 88, l. 13) ; 41 (p. 89, l. 14) ; 42 (p. 90, l. 10). Parfois, le « tu » (lecteur fictif) est utilisé : § 7
(p. 60, l. 26) ; 10 (p. 63, l. 21) ; 25 (p. 75, l. 10-11) ; 27 (p. 76, l. 25) ; 30 (p. 78, l. 24) ; 37 (p. 85,
l. 13) ; 42 (p. 90, l. 7).
151. Ibid., 7 (p. 60, l. 10) ; 15 (p. 69, l. 9) ; 16 (p. 70, l. 6) ; 41 (p. 89, l. 14).
152. Par ex. ibid., 9 (p. 62, l. 23) ; 26 (p. 76, l. 5).
153. Ibid., 8 : « Apud medicos quoque, quaedam antidotus, noxios humores temperans, ex
amaritudine nominatur, quae dulcis ostenditur, restituens sanitatem » (p. 60, l. 30 – p. 61, l. 3).
154. Ibid., 17 (p. 70, l. 25 – p. 71, l. 2).
155. Ibid., 13 : « Sin autem ‘remissionem manuum’ iuxta Syros ‘Raphidim’ sonat… » (p. 66,
l. 11-12) ; voir également § 13, p. 65, l. 19-20.
156. Ibid., 35 : « Sin autem ‘sancta’ interpretatur, κατὰ ἀντίφρασιν intellegendum : quomodo
Parcae dicuntur ab eo quod minime parcant, et bellum, quod nequaquam bellum sit, et lucus, quod
minime luceat » (p. 82, l. 6-10) ; 37 : « Simulque nota, quod utraque mansio ὑποκοριστικῶς
apellatur quia… » (p. 85, l. 13-14).
157. Ibid., 37 (p. 85, l. 4).
158. Ibid., 17 : Sall. Bell. Iug. 19, 2 (p. 71, l. 27-29) ; 38 : « Sirenarum carmina » (p. 86, l. 7).
159. Ibid., 36 (p. 84, l. 6-7).
72 ALINE CANELLIS

Jérôme à sélectionner les éléments les plus probants, à aller à l’essentiel160, à


élaborer une synthèse concise161, à faire des renvois internes162 ou des transitions
qui servent de pallier dans la démonstration163, d’autant plus qu’il est conscient
de l’ampleur et de la richesse du sujet abordé : le traiter en totalité l’entraînerait
beaucoup trop loin164.
Ainsi, dans ce commentaire de la péricope de Num. 33, 1-49, Jérôme met tout
en œuvre pour en revenir à la source hébraïque, sans écarter pour autant ses pré-
décesseurs érudits, Origène et Eusèbe, dont il prolonge, complète et corrige le
travail grâce à ses compétences linguistiques si rares au IVe siècle. Il parvient à
trouver le juste milieu entre une exégèse purement littérale ou historique, fondée
sur les récits de Philon et de Flavius Josèphe, et une interprétation allégorique à
l’excès, comme celle d’Origène. Aussi, pour narrer l’exode des fils d’Israël dans le
désert et leurs quarante-deux haltes, superpose-t-il au voyage matériel un itinéraire
spirituel, véritable pèlerinage intérieur sur les degrés de la vertu.
Mais, malgré la discrétion de Jérôme sur cette question, les tribulations des
Hébreux peuvent s’entendre dans les deux sens évoqués par Origène, tropologique
et eschatologique : il s’agit à la fois des progrès à accomplir dans la foi pour accé-
der à la perfection, et du parcours de l’âme pour parvenir jusqu’à la résurrection,
double voyage déjà accompli par Fabiola, qui avait quitté l’Égypte de ce monde
pour franchir le Jourdain.
L’exégèse hiéronymienne de la péricope du Livre des Nombres retentit alors
comme un hommage à la culture, à la curiosité intellectuelle et à la sainteté de
son amie trop vite disparue165 : elle qui était « pérégrine dans le monde entier166 »,
« débarrassée enfin de tout bagage, elle s’envola plus légère vers les cieux167 ». Il
n’y avait donc rien d’étonnant à ce « que les hommes se réjouissent de son salut,
quand les Anges dans le ciel s’étaient félicités de sa conversion168 ».
Aline CANELLIS
Université Jean Monnet
Saint-Étienne

160. JÉRÔME, Epist. 78, 13 (p. 66, l. 14-15).


161. Ibid., 43 (p. 90, l. 22).
162. Ibid., 10 (p. 63, l. 11-14).
163. Par ex. ibid., 8 (p. 61, l. 11-13) ; 23 (p. 74, l. 17-19) ; 27 (p. 76, l. 24 – p. 77, l. 2).
164. Ibid., 14 (p. 67, l. 25-30 ; p. 68, l. 4-5) ; 17 (p. 71, l. 27-29).
165. JÉRÔME, Epist. 77, 7 (p. 47, l. 18 – p. 48, l. 3) ; 11 (p. 51).
166. Ibid., 8 : « […] et in omni orbe peregrina » (p. 49, l. 13).
167. Ibid., 11 : « […] et deposita tandem sarcina, leuior uolauit ad caelos » (p. 51, l. 8-9).
168. Ibid., 11 : « Nec mirum si de eius salute homines exultarent, de cuius conuersione angeli
laetabantur in caelo. » (p. 51, l. 27-29).
L’EXÉGÈSE DE NOMBRES 33, 1-49 D’ORIGÈNE À JÉRÔME 73

ANNEXE
NOMS DES « STATIONS » DANS LE DÉSERT CHEZ ORIGÈNE
(TRADUCTION DE RUFIN) ET JÉRÔME

(En gras [je n’ai pas de gras dans le document fourni] les différences entre Origène et Jérôme;
en PETITES CAPITALES les différences entre les toponymes donnés par Origène et la Septante)
Origène, HNb 27 (numérotation des étapes) Jérôme, Epist. 78
9, 1 Ramesse Station 1 Ramesse1
= commotio turbida uel commotio (78, 3) = commotio turbulenta aut
tineae amaritudo commotioque tineae
= tonitruum gaudii (Jérôme)
(1) Sochoth Station 2 Sochoth2
= tabernacula (78, 4) = tabernacula siue tentoria
9, 2 (2) Buthan Station 3 Aetham3
= conuallis (78, 5) = fortitudo atque perfectio
9, 3 (3) Iroth Station 4 Phiahiroth4
= uicus (78, 6) = uillae
= os nobilium (Jérôme)
Beelsephon Beelsephon5
Adscensio speculae siue turris = Dominus aquilonis aut ascensus
speculae aut habens arcana
Magdolum Magdol6
= magnificentia = magnitudo uel turris

1. EUSÈBE, Onomasticon (traduction de Jérôme) : Ramesse (p. 143) [dans Translatio Eusebii de
situ et nominibus locorum Hebraicorum libri = Liber locorum = Onomasticon (Eusebius’ Werke,
3, 1 ; GCS 11), E. Klostermann ed. , Leipzig 1904, 2/3-176/177 (onomasticon grec et traduction
latine, avec modifications de J. en italiques, mais ordre du texte grec d’Eusèbe), p. 1-177]. Cf.
JÉRÔME, Nom. hebr. : « Ramesse pabulum uel tinea siue malitia de tinea » (P. de Lagarde éd.,
CCSL 72, Turnhout, 1959, p. 57-161, p. 71).

2. EUSÈBE : « Socchot : prima mansio filiorum Israel in deserto, postquam de Aegypto sunt
profecti, antequam Mare transierunt Rubrum » (p. 153). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Socchoth
tabernacula » (p. 85).
3. EUSÈBE : « Buthan castra filiorum Israel in deserto, quae et Aetham nuncupatur » (p. 45).
Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Etham fortem » (p. 81).
4. EUSÈBE : « Iroth locus deserti ad quem uenerunt filii Israel mare rubrum transfretantes »
(p. 83).

5. EUSÈBE : Beelsefon (p. 45). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Behelsefon habens aquilonem siue
speculam ; Beelsefon adscensio speculae » (p. 79).
6. EUSÈBE : Magdolus (p. 125-127). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Magdolon quis grandis uel
turris » (p. 76).
74 ALINE CANELLIS

Origène, HNb 27 (numérotation des étapes) Jérôme, Epist. 78


10, 1 (4) Ad amaritudines Station 5 Mara7
(78, 7) = amaritudo
11, 1 (5) Aelim Station 6 Aelim / Helim8
(78, 8) = arietes fortesque
11, 2 (6) Mare Rubrum Station 7 Mare Rubrum
(78, 9) = Iam Suph
Suph : rubrum et scirpus
(7) Sin Station 8 Sin9
= rubus siue tentatio (78, 10) = rubus uel odium
12, 1 (8) Raphaca Station 9 Dephca10
= sanitas (78, 11) = κροῦσμα id est pulsatio
12, 2 (9) Halus Station 10 Halus11
= labores (78, 12) = fermentum
(10) Raphidin Station 11 Raphidim12
= laus iudicii (78, 13) = uidit os sufficiens eis, uisio oris
fortium
= dissolutio fortium, uel sanitas
fortium (Jérôme)
12, 3 (11) Sina Station 12 Sinai13
(78, 14) = rubi
(12) Ad monumenta concupiscentiae Station 13 In sepulchris concupiscentiae14
(78, 15) = Cabaroth Atthava
= memoriae desiderii (LXX)

7. EUSÈBE : « Merra, quod interpretatur amaritudo » (p. 127). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Mara
uel Merra amaritudo » (p. 76).

8. Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Elim aries » (p. 75).


9. EUSÈBE : « Sin : desertum inter Mare Rubrum et solitudinem Sina. Nam de deserto Sin filii
Israel uenerunt in Rafidim et a Rafidim in desertum Sina iuxta montem Sina, ubi Moyses tabu-
las Legis accepit. Desertum autem Sin idem dicit esse Scriptura quod et Cades ; sed hoc iuxta
Hebraeos, ceterum in Septuaginta non habetur » (p. 153-155). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Sin
amphora uel tentatio siue rubus » (p. 77) ; « Sin sitiens » (p. 85).
10. EUSÈBE : Rafaca (p. 143). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Defeca adhaesit uel remissio » (p. 81).
11. EUSÈBE : Aelus (p. 11). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Alus fermenta siue conmisce, quod
graece dicitur φύρασον ». (p. 79).
12. EUSÈBE : « Rafidim locus in deserto iuxta montem Choreb, in quo de petra fluxere aquae,
cognominatusque est tentatio, ubi et Iesus aduersum Amalec dimicat prope Faran » (p. 143).
Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Rafidim laxae manus uel sanitas iudicii aut uisio oris sufficiens eis »
(p. 77).
13. Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Sinai rubus amphora mea siue mensura mea uel mandatum »
(p. 77).

14. EUSÈBE : « Memoriae, id est sepulchra, concupiscentiae castra filiorum Israel » (p. 127).
L’EXÉGÈSE DE NOMBRES 33, 1-49 D’ORIGÈNE À JÉRÔME 75

Origène, HNb 27 (numérotation des étapes) Jérôme, Epist. 78


(13) Aseroth Station 14 Aseroth15
= atria perfecta uel beatitudo (78, 16) = atria
12, 4 (14) RATHMA Station 15 Rethma16
= uisio consummata (78, 17) = sonitus aut iuniperus (arceu-
Ou thon apud Graecos)
Faran Pharan17
= uisibile os = onager aut feritas
(15) Remmon Phares Station 16 Remmon Phares18
= excelsa intercisio (78, 18) = ῥοιᾶς διακοπή
= mali punici diuisio, malum
granatum
12, 5 (16) Lebna Station 17 Lebna19
= dealbatio (78, 19) = candor
= lateres (Jérôme)
(17) RESSA Station 18 Ressa20
= uisibilis siue laudabilis tentatio (78, 20) = freni
12, 6 (18) Macelath Station 19 Caaltha21
= principatus uel uirga (78, 21) = ecclesia
(19) In monte SEPHAR Station 20 In monte Sapher22
= tubicinatio (78, 22) = pulchritudo et in monte decoris
(20) Caradath Station 21 Arada23
= idoneus effectus (78, 23) = miraculum
12, 7 (21) Maceloth Station 22 Maceloth24
= ab initio (78, 24) = coetus

15. EUSÈBE : Aseroth (p. 11). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Aseroth atrium angustiae siue
beatitudines » (p. 78).
16. EUSÈBE : Rathma (p. 145). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Rathma uisio consummata siue
iuniperus uel sonitus » (p. 83).

17. EUSÈBE : « Faran : per hoc iter fecerunt filii Israel, cum de monte Sina castra mouissent »
p. 167). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Faran ferus eorum uel frugifer » (p. 81).
18. EUSÈBE : « Remmonfares, ubi filii Israel castra metati sunt » (p. 145). Cf. JÉRÔME, Nom.
hebr. : « Remmonfares maligranati diuisio siue sublimium diuisio » (p. 83).
19. EUSÈBE : Lebona (p. 121). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Lobna alba uel candida » (p. 82).
20. EUSÈBE : Ressa (p. 145). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Reesa fraenum » (p. 83).

21. Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Calaath ecclesia uenit uel uoces » (p. 80).
22. EUSÈBE : « Safar : mons safar in deserta castra filiorum Israel » (p. 155). Cf. JÉRÔME, Nom.
hebr. : « Sofar tuba » (p. 85).
23. EUSÈBE : Charada (p. 173). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Arada obstupuit, admiratus est »
(p. 79).

24. EUSÈBE : Maceloth (p. 127). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Maceloth ecclesia » (p. 82).
76 ALINE CANELLIS

Origène, HNb 27 (numérotation des étapes) Jérôme, Epist. 78


(22) Cataath Station 23 Thaat25
= confirmatio uel patientia (78, 25) = subter sed melius pauor
(23) THARA Station 24 Thare26
= contemplatio stuporis (78, 26) = malitia, pastura
= abactor, depulsor (Jérôme)
12, 8 (24) Matheca Station 25 Methca27
= mors noua (78, 27) = dulcedo
(25) ASEMNA Station 26 Asmona28
= os uel ossa (78, 28) = festinatio
(26) MESOROTH Station 27 Museroth29
= excludens (78, 29) = uincula siue disciplinae
(27) BANEAIN Station 28 Baneiacan30
= fontes uel excolationes (78, 30) = filii necessitas seu stridor
12, 9 (28) GALGAD Station 29 Gadgad31
= temptamentum siue constipatio (78, 31) = nuntius siue expeditio et
accinctio
= κατακοπή id est concisio
(29) TABATHA Station 30 Ietabatha32
= bona (78, 32) = bonitas
(30) Ebrona Station 31 Hebrona33
= transitus (78, 33) = παρέλευσις id est transitus
siue translatio

25. EUSÈBE : Thaat (p. 99). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Theet subter » (p. 85).
26. EUSÈBE : Thara (p. 99). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Thare exploratio uel pastura siue
nequitia » (p. 85).

27. EUSÈBE : Matheca (p. 127). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Mathca dulcedo uel saturitas »
(p. 83).
28. EUSÈBE : Asemona (p. 11 ; p. 15). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Asmona festinus siue festinans
aut numera » (p. 79) ; « Asemona os eius, ab osse, non ab ore » (p. 79).
29. EUSÈBE : Masuruth (p. 127). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Maseroth exclusiones uel uincula
aut successiones siue disciplinae, quod in nostris codicibus Mazuroth legitur » (p. 82).

30. EUSÈBE : Baneiacan (p. 45). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Benacan filius necessitatis » (p. 80).
31. EUSÈBE : Gadgad (p. 63 ; 65).

32. EUSÈBE : Ietabatha (p. 105). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Etebatha bonitates siue declinauit
ut ueniat » (p. 82).
33. EUSÈBE : Ebrona (p. 83). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Ebrona transgressus siue transgressio »
(p. 81).
L’EXÉGÈSE DE NOMBRES 33, 1-49 D’ORIGÈNE À JÉRÔME 77

Origène, HNb 27 (numérotation des étapes) Jérôme, Epist. 78


(31) GASIONGABER Station 32 Asion-Gaber34
= consilia uiri (78, 34) = ligna uiri siue dolationes
hominis
= ξυλακισμοὶ ἀνδρός
(32) Sin Station 33 Sin
(78, 35) = mandatum
(33) PHARANCADES Cades35
= fructificatio sancta = sancta
= mutata siue translata (Jérôme)
Station 34 Edom36
(78, 36)
(34) In monte Or In monte(m) Or37
= montanus = lumen
= pellis
= foramen
= mons (Jérôme)
Horma38
= anathema
12, 11 (35) Selmona Station 35 Selmona39
= umbra portionis (78, 37) = imaguncula
(36) Phinon Station 36 Phinon40
= oris parsimonia (78, 37) = os (ab ore, non ab osse)
(37) Oboth Station 37 Oboth41
[signification non trouvée] (78, 38) = magi siue pythones
(38) Gai Station 38 Hieabarim, in finibus Moab42
= chaos (78, 39) = acerui lapidum transeuntium

34. EUSÈBE : Gasiongaber (p. 63) / cf. Asiongaber (p. 37).

35. EUSÈBE : Cades (p. 106). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « commutatus siue sanctus » (p. 80).

36. Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Edom rufus » (p. 74).


37. EUSÈBE : « Or mons in quo mortuus est, iuxta ciuitatem Petram, ubi usque ad praesentem
diem ostenditur rupes qua percussa Moyses aquas populo dedit » (p. 177). Cf. JÉRÔME, Nom.
hebr. : Or lumen (p. 83).

38. EUSÈBE : Erma (p. 83). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Erma anathema eius » (p. 81).
39. EUSÈBE : Selmona (p. 155). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Salmona umbra portionis siue
umbra numerauit aut imago eius » (p. 85).

40. EUSÈBE : Fin (p. 169).


41. EUSÈBE : Oboth (p. 144). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Obath magus uel pythonissa, quam
Graeci ἐνγαστρίμυθον uocant » (p. 83).

42. EUSÈBE : Gai (p. 63).


78 ALINE CANELLIS

Origène, HNb 27 (numérotation des étapes) Jérôme, Epist. 78


Hihim
12, 12 (39) Dibongad Station 39 Dibon-Gad43
= apiarium temptationum (78, 40) = fortiter intellecta temptatio
[Zared44
= aliena descensio]
[Arnon45
= maledictio]
[in finibus Amorraeorum
= uel amari hostes sunt uel multa
locuntur]
[Matthana46
= donum]
[Nahaliel47
= torrentes Dei]
[Bamoth48
= excelsa siue adueniens mors]
[Phasga49
= dolatus]
[solitudo50
= Isimum]

43. EUSÈBE : « Debon quae et Dibon, in solitudine castra filiorum Israel. Est autem alia Dibon,
uilla pergrandis iuxta Arnonem, quae cum prius fuisset filiorum Moab, et post eam Seon rex
Amorreaorum belli iure tenuisset, a filiis Israel capta atque possessa in partem uenit tribus
Gad. » (p. 77) ; « Debongad castra filiorum Israel » (p. 77). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Dibongad
sufficienter intellegens tentationem » (p. 80).

44. EUSÈBE : « uallis Zared in parte deserti » (p. 93).


45. EUSÈBE : Arnon (p. 11).

46. EUSÈBE : « Maththane, quae nunc dicitur Maschana. Sita est autem in Arnone duodecimo
procul miliario contra orientalem plagam Medabus » (p. 127).

47. EUSÈBE : Naaliel (p. 137).


48. EUSÈBE : Bamoth (p. 45). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Bamoth in morte siue excelsa » (p. 79).

49. EUSÈBE : « Ianna quae est in campo Moab subtus uerticem Fasga, id est excisi, quid respicit
ad desertum iuxta Arnon » (p. 105) ; « Fasga ciuitas Amorraeorum. Est autem mons contra orien-
talem plagam Fasga, quo pro Aquila interpretatur excisum. Sed et septuaginta interpretes Fasga
in quodam loco excisum transtulerunt » (p. 169). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Fasga abscisus uel
dolatus aut os multum, ab ore, non ab osse » (p. 81).

50. EUSÈBE : « Isimoth ubi absconditus est Dauid. De qua et supra quid nobis uideretur dixi-
mus, ponentes Bethsimuth. Sed et in Regnorum libro primo pro Isimuth Aquila interpretatur
dissipatam, Symmachus uero desertam » (p. 107). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Isimoth adducet
mortem » (p. 82).
L’EXÉGÈSE DE NOMBRES 33, 1-49 D’ORIGÈNE À JÉRÔME 79

Origène, HNb 27 (numérotation des étapes) Jérôme, Epist. 78


12, 13 (40) Gelmon Deblathaim Station 40 Almon Deblathaim51
= contemptus ficuum (78, 41) = Contemptum palatharum
(41) Abarim contra Nabau Station 41 In montibus Abarim52, contra
= Abarim : transitus (78, 42) faciem Nabo53
= Nabau : abscessio = Abarim : transeuntium
= Nabo : conclusio
Iordanis fluenta descendimus54
= descensio
(42) Ab occidente Moab iuxta Ior- Station 42 In campestribus Moab super
danen (78, 43) Iordanem iuxta Hiericho
Abel Sattim in planitie Moab55
= luctus spinarum

51. Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Deblathaim lateres siue massas, quas de recentibus ficis
conpingere solent, quas Hebraei deblathan, Graeci παλάθας nuncupant, in praesenti loco nomen
quod proposuimus, interpretatur παλάθαι eorum » (p. 80).

52. EUSÈBE : « Abarim mons in quo mortuus est Moyses. Dicitur autem et mons esse Nabau
in terra Moab contra Iericho supra Iordanem in supercilio Fasga ostenditurque ascendentibus de
Liuiade in Esbun antiquo hodieque uocabulo iuxta montem Fogor nomen pristinum retinentem a
quo circa eum regio usque nunc appellatur Fasa » (p. 17). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Abarim in
transitu, quod significantius graece πέραν dicitur » (p. 79).
53. EUSÈBE : « Nabau, quod hebraice dicitur Nebo » (p. 137). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Nabau
ueniemus uel in conclusione » (p. 83).

54. Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Iordanis descensio eorum aut adprehensio eorum uel uidens
iudicium » (p. 140).

55. EUSÈBE : Abelsattim (p. 11). Cf. JÉRÔME, Nom. hebr. : « Abelsattim luctus litorum uel
riparum » (p. 79).
Origène prédicateur et ses traducteurs latins :
la ratio interpretandi de Jérôme et de Rufin

I. – À L’ORIGINE DE LA MÉDIATION :
LE PROBLÈME DE LA TRADUCTION DE LA BIBLE

À bien y regarder, le thème de notre colloque célèbre l’importance au cours des


siècles de la médiation culturelle (on ne peut plus fondamentale dans notre société
multiculturelle et multireligieuse), et dans ce domaine le travail de traduction des
textes revêt un aspect particulièrement important. La médiation culturelle primaire
s’effectue oralement, grâce à des sujets bilingues1, et à plus forte raison dans le
monde antique où la culture est orale, même en présence d’alphabétisation et donc
de produits d’écriture. Mais la traduction d’un texte dans une autre langue prend
un rôle stratégique, justement à cause de la perception persistante que l’écrit a
une qualité « qui pèse », héritage de sa fonction sacrée2 originelle. Le processus
de formation de la culture occidentale, dont le centre de gravité, pour l’époque
antique, était représenté par la civilisation grecque, peut être lu dans ce registre,
comme le confirme l’énoncé qui suit d’une série de données, dont quelques-unes
sont très connues.
La littérature latine classique naît avec la traduction de l’Odyssée d’Homère
par le grammairien de Tarente Livius Andronicus au IIIe siècle av. J.-C. Il s’agit
là, de la part de Livius, d’une déclaration implicite de la valeur fondamentale
des poèmes homériques et de la dette contractée à l’égard de la langue et de la

1. Toujours utile sur le thème du bilinguisme dans le monde antique : Bilinguismo e biculturali-
smo nel mondo antico, E. Campanile – G. R. Cardona – R. Lazzeroni edd., Pisa, 1988 ; sur ce sujet
sera bientôt disponible le volume Vie quotidienne et pluralité des langues. Le plurilinguisme dans
les chrétientés du Haut et Bas-Empire (Cahiers du GSEP 2), G. Aragione éd., Prahins (CH), 2016.
2. G. PICCALUGA, « I testi magico-rituali », dans Lo spazio letterario di Roma Antica. I. La
produzione del testo, G. Cavallo – P. Fedeli – A. Giardina edd., Roma, 1998, p. 37-62.
82 EMANUELA PRINZIVALLI

littérature grecque, mais, étant donné qu’il la destine à un public qui connaît le
grec, il s’agit aussi d’un défi d’émulation envers l’original, à travers des choix
lexicaux et stylistiques très soignés.
Dans le cas du passage des affirmations de Jésus de l’araméen au grec, la situa-
tion est inverse : si l’autorité de Jésus est la plus grande, du point de vue, du moins,
des évangélisateurs, la langue qu’il emploie n’inspire que dédain par rapport à la
langue dominante, le grec. La traduction de ses paroles est donc indispensable
pour garantir leur diffusion, leur compréhension et leur acceptation.
À plus forte raison, au fur et à mesure que le message évangélique tendait à se
centrer sur la figure même de Jésus et que se développait la réflexion christolo-
gique, déjà présente chez Paul et dans les évangiles canoniques, l’emploi de la
langue grecque devenait essentiel. Dans les débats sur la messianité de Jésus, les
chrétiens se servirent des Écritures hébraïques dans la traduction grecque de la
bible hébraïque, dite des Septante, commencée à Alexandrie d’Égypte, au milieu
du IIIe siècle av. J.-C. Il s’agissait là d’une opération grandiose, d’avant-garde,
inédite par rapport à un monde hellénique où la traduction en grec de textes en
langue étrangère était jusqu’alors impensable, mais qui était nécessaire pour la
communauté juive alexandrine désormais grécophone : sinon, comment entrer en
contact avec son propre texte sacré (à savoir en premier lieu la Torah), devenu
incompréhensible pour la plupart ? Cette entreprise qui eut lieu presque parallèle-
ment au travail de Livius Andronicus, suscita pratiquement aussitôt le problème
de sa légitimation, du moment que la fonction originelle sacrée de l’Écriture, que
j’ai évoquée au début, pèse doublement dans le texte que l’on déclare sacré, d’où
la question : si Dieu a confié sa parole à une langue spécifique, l’hébreu, comment
justifier l’autorité d’une traduction ? La réponse de Philon d’Alexandrie (Ier siècle
ap. J.-C.) dans le De Vita Mosis représente bien la nécessité d’une garantie fai-
sant autorité au niveau le plus élevé. Nous assistons ainsi à la modification qu’il
apporte à la légende des soixante-douze traducteurs, telle qu’elle est évoquée dans
l’Epistula Aristaeae (IIe siècle av. J.-C.) : selon Philon, Dieu lui-même prédispose,
en amont, l’uniformité parfaite et miraculeuse des soixante-douze traducteurs,
chacun traduisant dans l’isolement, tandis qu’Aristée situait cette concorde à la fin
d’un processus humain de comparaison des traductions, effectué selon les prin-
cipes de la philologie et dont la conclusion était bénie par Dieu3. Mais les doutes
sur la validité de la traduction du texte sacré ne faisaient pas défaut et de ce fait,
peut-être, Philon insiste sur la sacralité de la traduction des Septante. Le témoi-
gnage du prologue grec du Siracide est, à cet égard, éclairant : on y exclut que la
traduction de la Bible puisse avoir la même valeur que le texte hébraïque originel.
L’auteur du prologue est le petit-fils de Jésus ben Sirach, qui traduisit l’ouvrage de
son grand-père en grec à Alexandrie d’Égypte vers 130 av. J.-C., au profit des juifs

3. M. BETTINI, Vertere. Un’antropologia della traduzione nella cultura antica, Torino, 2012,
p. 212-223.
ORIGÈNE PRÉDICATEUR ET SES TRADUCTEURS LATINS 83

du lieu. Par une série de hasards ce fut sa traduction, et non l’original hébraïque,
qui fut diffusée et connue jusqu’à une époque récente. Voici ses mots : « Car les
choses dites en hébreu dans ce livre n’ont pas la même valeur lorsqu’elles sont
traduites en une autre langue. D’ailleurs non seulement cet ouvrage, mais aussi
la Loi, les Prophètes et les autres livres4 présentent des divergences considérables
quant à leur contenu5. »
Bien que n’étant pas exprimée avec la même clarté que ce prologue, la crainte
d’altérer la parole d’un texte consacré se retrouve aussi à l’égard des traductions
latines de la Bible grecque, dont la sacralité, contrairement aux doutes que nous
avons vu naître chez le petit-fils de Ben Sirach à Alexandrie, avait été considérée
comme acquise par les chrétiens qui en faisaient usage dès les origines. En effet,
la littérature latine chrétienne, ainsi que la littérature classique, commencent pro-
bablement par une traduction, ou plutôt par les multiples traductions de la Bible
grecque, outre les auteurs les plus anciens considérés comme dignes de foi et
qui, par la suite, comme dans le cas de Paul, formeraient ensemble le Nouveau
Testament ou resteraient longtemps en marge, comme c’est le cas pour l’Epistula
prima Clementis ad Corinthios, l’Epistula Barnabae, l’Epistula Polycarpi et le
Pastor Hermae6. Contrairement à Livius Andronicus, il n’y a, dans les premières
traductions latines chrétiennes, aucune intention littéraire. On connaît bien la litté-
ralité des traductions de la Bible, qui suscitèrent du dégoût chez le jeune Augustin,
et dont passèrent au latin chrétien de nombreux emprunts au grec : la sacralité du
texte suscite en effet un respect révérenciel de la lettre. Ce fut au nom de cette même
sacralité que Rufin, au cours de son contentieux avec Jérôme, contesta durement
son initiative de traduire directement de l’hébreu au latin le texte biblique7, ce qui
changeait la traduction en usage chez les chrétiens d’Occident.

4. Le petit-fils de Ben Sirach atteste qu’à son époque subsiste désormais la distinction entre
Torah, prophètes et autres écrits, ce qui se maintiendra comme caractéristique de la bible hébraïque.
5. Traduction de l’édition TOB 2010.
6. Les datations de ces traductions de textes chrétiens antiques et faisant autorité sont en réalité
incertaines. Le Pastor d’ Hermas connut deux traductions, la Vulgate et la Palatine. La Vulgate est
la plus ancienne, mais elle ne date de l’an 200 que par convention : cf. The Sheperd of Hermas in
Latin. Critical Edition of the Oldest Translation Vulgata (TU 173), C. Tornau – P. Cecconi eds.,
Berlin – Boston, 2014, p. 4. La citation qu’en fait le ps.Cyprien De aleatoribus n’est pas dirimante,
car la datation de ce psaume peut arriver jusqu’à la moitié du IIIe siècle et au-delà : cf. Pseudo
Cipriano, Il gioco dei dadi, C. Nucci ed., Bologna, 2006, p. 21 ; M. MARIN, « Sulla presenza di
Cipriano nel De aleatoribus », Auctores Nostri, 6, 2008, p. 133-194. Même incertitude entre IIe
et IIIe siècle (plus probable) pour la traduction de l’Epistula prima Clementis : cf. M. SIMONETTI,
« Sulla datazione della traduzione latina della lettera di Clemente Romano », Rivista di Filologia
e Istruzione classica, 116, 1988, p. 203-211, et sur la traduction de l’Epistula Polycarpi et de
celle de Barnabé : cf. E. PRINZIVALLI, dans Seguendo Gesù. Testi cristiani delle origini, vol. II,
E. Prinzivalli – M. Simonetti edd., Milano, 2015, p. 110.
7. Les argumentations les plus serrées contre la traduction de Jérôme se trouvent dans RUFIN,
Apol. c. Hier. II, 35-41.
84 EMANUELA PRINZIVALLI

De même les traductions des textes chrétiens antiques en langue grecque


mentionnées ci-dessus sont sous le signe d’une grande adhérence à l’original,
probablement en raison d’une vénération générale qui les plaçait presque sur un
pied d’égalité avec l’Écriture8.

II. – L’OCCIDENT CHRÉTIEN AUX IIe ET IIIe SIÈCLES


ENTRE TRADUCTION, PLAGIAT ET IMITATION

Bien vite la situation change et l’on voit le début d’une littérature chrétienne
autonome de langue latine avec Minucius Felix et Tertullien. Ce dernier est bien
connu pour son parfait bilinguisme, chose rare en Afrique, ce qui lui permet de
composer des œuvres en grec et d’y introduire la production des premiers penseurs
chrétiens de langue grecque, en particulier Justin et Irénée. Avec Tertullien on
arrive à un stade différent de la médiation culturelle, plus raffiné d’un côté, mais
aussi moins transparent, parce que les sources grecques de départ sont réinterpré-
tées avec une autonomie de l’auteur, constituant une sorte de sève pour un arbre
désormais feuillu.
Si en Afrique la littérature chrétienne de langue latine est précoce, car le grec
y est aussi moins répandu, à Rome le christianisme cultivé continue, presque
jusqu’au milieu du IIIe siècle, à écrire en grec. L’auteur romain de l’écrit anti-
hérétique Elenchos, un temps identifié à Hippolyte de Rome, copie souvent ad
litteram ses sources grecques, Irénée en premier lieu, mais aussi le juif Flavius
Josèphe : nous pouvons sans hésiter définir cet usage comme plagiaire, dans la
mesure où il s’agit de copier en grec du grec9 et non de faire passer pour une
œuvre propre des traductions du grec au latin ; sur ce point, la mentalité antique
est très libre par rapport à nos paramètres : Tertullien, par exemple, avait largement
copié dans son Adversus Valentinianos le livre premier de l’Adversus haereses
d’Irénée10.
Au cours des premières décennies du IIIe siècle en Orient, le christianisme
alexandrin parvient à un sommet avec Origène, dont le personnage marquera les
futures évolutions doctrinales et exégétiques de l’histoire du christianisme. Dans

8. Nous avons différents témoignages à ce sujet aussi bien dans le cadre d’Alexandrie que dans
le cadre africain. Probablement le Fragment de Muratori, écrit à Rome, réagit à cette tendance, en
mettant le Pastor dans les lectures conseillées pour une édification privée.
9. On peut en déduire que l’œuvre d’Irénée, malgré ses relations étroites avec l’Église de Rome,
n’était pas encore répandue à Rome : sa traduction latine remonte au IVe siècle. Pour Flavius
Josèphe, par contre, connu dans les cercles cultivés pour avoir été à Rome en tant que cliens des
Flavii, cette reprise faite par l’auteur de l’Elenchos a un sens différent : cf. E. CASTELLI, Un falso
letterario sotto il nome di Flavio Giuseppe. Ricerche sulla tradizione del Peri tou pantos e sulla
produzione letteraria cristiana a Roma nei primi decenni del III secolo (Jahrbuch für Antike und
Christentum. Ergänzungsband. Kleine Reihe 6), Münster, 2011.
10. M. BETTINI, Vertere, p. 70-73.
ORIGÈNE PRÉDICATEUR ET SES TRADUCTEURS LATINS 85

la partie finale de ce même siècle commence, entre l’Égypte et la Syrie, le phé-


nomène du monachisme, qui, dans sa première phase se nourrira de la spiritualité
d’Origène.
En face de la créativité orientale, à laquelle s’ajoute la conflictualité de la ques-
tion arienne, l’Occident manifeste, à partir de la deuxième moitié du IIIe siècle
jusqu’à la deuxième moitié du IVe siècle, une vitalité moindre. À Rome, au milieu
du IIIe siècle, nous avons Novatien, le dernier grand théologien romain avant
Léon le Grand, qui connaît dans une certaine mesure Origène11, par des moyens
qui nous échappent (n’oublions pas qu’Origène vint à Rome12) ; mais ensuite la
recherche théologique s’éteint13, à mesure que se restreint la connaissance de la
langue grecque : au cours du IVe siècle, le nombre d’aristocrates qui ne sont pas
capables de la comprendre croît, ce qui était impensable au IIe siècle. Il faut tenir
compte de cet état de choses pour bien voir la transformation des modalités de
fruition du grec dans l’Occident de l’Antiquité tardive et du Moyen Âge ; après
l’œuvre de Walter Berschin, Griechisch-lateinisches Mittelalter, nous savons qu’il
s’agit en tout cas d’une « composante essentielle14 » de la culture médiévale.

III. – LE RÉVEIL DE L’OCCIDENT ET SES SOURCES D’INSPIRATION :


ORIGÈNE ET LE MONACHISME
Toutefois, dans la deuxième moitié du IVe siècle, malgré la condamnation
romaine émise sous Pontien (232 env.)15, quelque chose d’Origène passe en
Occident, à travers la médiation d’Hilaire de Poitiers, qui, exilé en Orient, apprend
le grec et dans les Tractatus in Psalmos, écrits après son retour (après 360), imite
amplement Origène, en ajoutant quelque chose de sa main (« in quo opere imitatus
Origenem nonnulla etiam de suo addidit »), comme nous le dit Jérôme dans le
De viris illustribus16. Jérôme ajoute une information frappante : Hilaire aurait

11. Cf. M. SIMONETTI, « A proposito di un recente libro su Novaziano », Vetera Christianorum,


48, 2011, p. 5-21.
12. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. eccl. 6, 14, 10.
13. Dans cette décadence, le peu d’efforts de Rome est déterminant, après la marginali-
sation ecclésiale de Novatien : cf. M. SIMONETTI, « Roma cristiana fra II e III secolo », Vetera
Christianorum, 26, 1989, p. 115-136, réédité dans ID., Ortodossia ed eresia tra I e II secolo,
Soveria Mannelli, 1994, p. 291-314.
14. Cette expression est de E. LIVREA, dans la préface (p. XV de l’édition italienne, augmentée),
de l’œuvre de W. BERSCHIN, Medioevo greco-latino da Gerolamo a Niccolò Cusano, Napoli,
1989.
15. Sur instigation de Démétrius d’Alexandrie : cf. JÉRÔME, Epist. 33, 5. L’ancien disciple
Héraclas lui aussi dénonça Origène : Epist. 84, 10 de JÉRÔME : cf. M. SIMONETTI, « Origene in
Occidente prima della controversia », Augustinianum, 46, 2006, p. 25-34.
16. De vir. ill. 100, A. Ceresa Gastaldo ed., p. 204: ici il les appelle In Psalmos Commentarii.
86 EMANUELA PRINZIVALLI

traduit ad sensum les homélies sur Job d’Origène (« de Graeco Origenis ad sensum
transtulit »). L’expression ad sensum est celle que l’on utilise traditionnellement
pour la traduction littéraire. Hilaire a donc précédé Jérôme. L’aurait-il influencé ?
C’est probable, même si l’entreprise de Jérôme aura une dimension et un souffle
différents. Mais nous ne pouvons rien dire de définitif car les homélies d’Hilaire
sur Job sont perdues. Plus tard17, Jérôme mettra sur le même plan les homélies
sur Job et l’œuvre sur les Psaumes en les considérant toutes deux comme des
traductions ad sensum. Mais c’est une affirmation destinée a soutenir une position
défensive : il y a lieu de croire que les Tractatus in Psalmos d’Hilaire ont été une
réélaboration de matériaux d’Origène, exactement ce que fait Ambroise de Milan :
dans des œuvres de ce genre, il y avait des parties traduites littéralement du grec,
mais avec une disposition différente de la matière et des modifications du sens18.
Sans doute, les Tractatus d’Hilaire, que Jérôme (Epist. 5, 2) avait copiés à Trêves
pour Rufin, auront accru en lui l’amour de l’exégèse spirituelle, puis l’auront
nourri par la connaissance directe d’Origène : ainsi, une fois arrivé en Orient en
374, Jérôme apprend le grec et des rudiments d’hébreu et continue à approfondir
les grands exégètes grecs à partir de 379 à Constantinople auprès de Grégoire de
Nazianze, qu’il appelle praeceptor meus (De vir. ill. 117).
Après le milieu du IVe siècle, donc, deux facteurs concomitants, les déplace-
ments des ecclésiastiques de l’Orient vers l’Occident et vice-versa, ainsi que
l’attrait exercé sur les esprits les plus sensibles par le monachisme oriental, font
mûrir en Occident des conditions pour puiser de façon plus directe, à travers la
traduction, aussi bien dans les sources monastiques que dans la production intel-
lectuelle d’Origène. Ainsi s’ouvre une nouvelle phase dans l’histoire des dettes
contractées par l’Occident à l’égard de la culture chrétienne grecque, et une
saison de traductions qui voit le passage d’un uertere purement fonctionnel, ce
qu’il avait été par le passé, à la reprise de la ratio interpretandi littéraire théorisée
par Cicéron. La différence entre les deux traductions latines antiques de la Vita
Antonii d’Athanase est emblématique : la première, anonyme, encore dépendante
de la lettre, que ce soit par manque d’expérience du traducteur, ou en raison de
sa finalité essentiellement pratique, permet, justement grâce à ce caractère moins
filtré par la présence de l’auteur, de fournir un apport à la constitution du texte
critique grec. Avec la seconde, composée vers 370 par Évagre d’Antioche, on
entre par contre dans le domaine de la traduction littéraire. Évagre offre un modèle
à Jérôme, qui, en fait, citera les mots de son programme19 : « Traduire de manière

17. Epist. 75, 6 ; In Michaeam 2, 4 ; Adv. Ruf. I, 2.


18. Cf. E. PRINZIVALLI, « Il Cod. Mon. Gr. 314, il traduttore ritrovato e l’imitatore », Adamantius,
20, 2014, p. 194-216.
19. Dans Epist. 57, 6 (CSEL 54, p. 511), il cite la préface d’Évagre : « Vt nihil desit ex sensu,
cum aliquid desit ex uerbis. Alii syllabas aucupentur et litteras, tu quaere sententias. » Pour une
synthèse des caractères des deux versions, cf. G. J. M. BARTELINK, Athanase d’Alexandrie. Vie
d’Antoine (SC 400), Paris, 1994, p. 95-98. Il y a aussi trois versions en syriaque, copte et paléo-
slave (ibid., p. 98-101). Sur la traduction d’Évagre : P. BERTRAND, Die Evagriusübersetzung der
ORIGÈNE PRÉDICATEUR ET SES TRADUCTEURS LATINS 87

qu’il ne manque rien du contenu, même s’il manque quelques mots : que d’autres
aillent chercher syllabes et lettres, quant à toi occupe-toi des idées. »

IV. – JÉRÔME TRADUCTEUR DES HOMÉLIES D’ORIGÈNE


Jérôme ne fut jamais versé dans la théologie. Son inclination était celle du
philologue (domaine où l’on voit son génie), du lettré et de l’exégète. Dans cette
dernière voie, l’exégèse, il se rapproche d’Origène, qui est d’ailleurs le plus grand
représentant de la caractéristique dominante de la théologie antique : avancer dans
la formulation théologique à travers l’exégèse de l’Écriture. Ne soyons donc pas
surpris par ce choix de commencer à traduire20 l’Origène prédicateur, et prédica-
teur des livres des Prophètes, où apparaît immédiatement une référence au Christ :
il y a tout d’abord les 14 homélies sur Jérémie et tout autant sur Ézéchiel. La lettre
d’accompagnement de la traduction d’Ézéchiel, adressée au prêtre et ami Vincent,
nous permet d’entrevoir ses lignes directrices. Tout d’abord21, la fierté de rendre
Origène Latinum. L’épithète laudatif à l’adresse d’Origène ne saurait être plus
élevé : « second maître des Églises après Paul » (alterum post Apostolum eccle-
siarum magister), une expression qu’il attribue à Didyme. Il déclare ensuite son
intention que la translatio conserve la simplicitas d’Origène, « car elle seule fait
du bien aux Églises » (quae sola Ecclesiis prodest), ayant répudié toute splendeur
de l’art rhétorique. La mention de la triple subdivision des œuvres d’Origène entre
scholii, homileticus genus et Tomoi ou uolumina – faite de toute évidence, non
pas pour Vincent, qui avait une certaine connaissance d’Origène, mais pour un
public plus vaste22 – lui offre l’occasion d’affirmer qu’avec les uolumina (c’est-
à-dire les commentaires) Origène se lance en pleine mer (in medium pelagus).

Vita Antonii: Rezeption- Überlieferung- Edition: Unter besonderer Berücksichtigung der Vitas
Patrum-Tradition, Utrecht, 2006 (texte intégral disponible sur le web).
20. Traditionnellement on place le début des traductions d’Origène à Constantinople. Dans un
article savant (« La lettre Magnum est de Jérôme à Vincent et la traduction des homélies d’Ori-
gène sur les prophètes », dans Jérôme entre l’Occident et l’Orient. XVIe centenaire du départ de
saint Jérôme de Rome et de son installation à Bethléem, Y.-M. Duval éd., Paris, 1988, p. 27-39),
P. NAUTIN veut anticiper la traduction d’Antioche au moment où Jérôme séjournait auprès
d’Évagre, sur la base du fait que, dans la Philocalie, on cite selon l’ordre correct une homélie
sur Jérémie, tandis que Jérôme traduit confuso ordine les 14 homélies à sa disposition. Ceci fait
supposer à Nautin qu’il se servait de la bibliothèque d’Évagre d’Antioche où « certainement » il
y avait davantage d’œuvres d’Origène et ces œuvres n’avaient pas été mises en ordre, comme le
fera par la suite Euzoios. Pour ma part, je pense que l’allusion à Didymus, qui montre aussi de
la part de Jérôme une certaine connaissance de cet auteur, devrait faire pencher pour la datation
traditionnelle.
21. Hom. in Hiez., prol., SC 352, Paris, 1989, p. 30.
22. F. E. CONSOLINO, « Le prefazioni di Girolamo e Rufino alle loro traduzioni di Origene »,
dans Origeniana Quinta, R. Daly ed., Leuven, 1992, p. 92-98, en part. p. 93 ; cf. aussi, sur les
traductions de prologues, la perspective intéressante de A. MONACI CASTAGNO, « L’uso “politico”
delle traduzioni nella crisi origenista (382-402) », Adamantius, 19, 2013, p. 50-68.
88 EMANUELA PRINZIVALLI

Enfin Jérôme promet à cet ami, sinon « toutes » (cuncta), « de très nombreuses »
(permulta) traductions, au cas où ce dernier déciderait de le soutenir en lui payant
un scribe. Notre Stridonien semble prêt à un projet de grande envergure, com-
prenant également les commentaires : mais il continuera en fait à se concentrer
sur les corpora homilétiques (deux homélies sur le Cantique, homélies sur Luc,
homélies sur Isaïe). En réalité, bien avant la première controverse sur Origène,
cet ambitieux projet se modifie. En dédiant au pape Damase la traduction (années
383-384) des deux homélies d’Origène sur le Cantique des Cantiques, il dit que
traduire le commentaire entier du Cantique d’Origène demanderait trop de temps,
de travail et de frais pour être achevé digne. C’est bien compréhensible : une fois
mis sur le chemin de la traduction littéraire on ne revient pas en arrière. Il n’y a pas
lieu de croire, comme l’avait fait autrefois Cavallera23, les affirmations réitérées
de Jérôme sur la rapidité de ses traductions : ce ne sont que des topoi. Jérôme tient
trop à lui-même, comme le montrent toutes ses idiosyncrasies, pour négliger le
soin stylistique et son projet de garder la simplicité d’Origène n’exclut en rien la
recherche formelle. Mais peut-être dans le refus de traduire les uolumina, entrait
aussi en jeu la conscience que la pensée théologique d’Origène était mise en accu-
sation ces années-là. Ce scrupule s’est probablement manifesté par la suite, même
si dans l’épître 33 à Paule il confirme que les accusations (que de toute évidence
il connaissait déjà bien) à l’égard de la doctrine d’Origène sont un pur prétexte24.
En vérité, dans la préface de sa traduction du De principiis, Rufin compte aussi,
parmi les traductions de Jérôme, « bon nombre de commentaires écrits sur Paul »
(aliquantos etiam de tomis in apostolum scriptis), mais ces derniers25 sont à ran-
ger dans la catégorie rappelée ci-dessus des réélaborations mises sous son nom.
Malgré le résultat inférieur dans l’ensemble au travail de traduction que Rufin fera
par la suite, force nous est de reconnaître l’intelligence de l’entreprise de Jérôme,
qui voulait mettre un Occident encore déprimé au courant des meilleurs fruits de
l’Orient, comme le montre, dans le domaine de l’histoire, la traduction et la mise
à jour des Chronici Canones d’Eusèbe de Césarée, qui proposent une véritable
révolution par rapport aux œuvres précédentes de ce genre, en appliquant à la
chronographie une forme de tables élaborée par Origène pour les Hexapla26.

23. F. CAVALLERA, Saint Jérôme : sa vie et son œuvre (Spicilegium sacrum Lovaniense. Études
et documents 1-2), Paris, 1922, t. 1, p. 131.
24. RUFIN, Apol. c. Hier. II, 23, a beau jeu de lui reprocher avec précision les mots contenus
dans la lettre à Paule pour défendre Origène, contre ceux qui l’accusaient, sous des prétextes,
d’erreurs doctrinales.
25. Sur les épîtres à Philémon, aux Galates, aux Éphésiens, à Titus.
26. Cf. A. GRAFTON – M. WILLIAMS, Come il cristianesimo ha trasformato il libro, Roma,
2011 (éd. orig. 2006) ; O. ANDREI, « I Chronici Canones di Eusebio di Cesarea. Una rivoluzione
cronografica », Adamantius, 16, 2010, p. 34-51.
ORIGÈNE PRÉDICATEUR ET SES TRADUCTEURS LATINS 89

La traduction des homélies sur Jérémie est non seulement la première des traduc-
tions d’Origène, mais c’est aussi la seule que nous pouvons mettre en regard avec
l’original grec. En effet, sur les 20 homélies conservées par le Codex Scorialensis
Ω ΙΙΙ, 19, arrivées sans nom, 12 ont une traduction de Jérôme correspondante.
L’analyse des modifications d’ordre doctrinal effectuées par Jérôme, au net des
accusations de Rufin, a déjà été menée par Vittorio Peri27, qui sépare les passages
concernant les rapports Père-Fils dans le domaine trinitaire en trois groupes :
passages littéralement fidèles, passages légèrement modifiés mais essentiellement
fidèles et, pour le troisième groupe, un seul passage altéré avec un ajout de Jérôme.
Une grande adhérence donc à ce que dit Origène, confirmée par le fait que Rufin,
en pleine polémique, dit, pour se défendre, que Jérôme aussi avait modifié des
concepts d’Origène d’une orthodoxie douteuse sur la Trinité (toutefois il n’y a
que trois exemples cités, et aucun n’est pris dans les homélies sur Jérémie) ; mais
il soutient également qu’il en avait gardé d’autres parfaitement intacts, et cite en
premier lieu les homélies sur Jérémie, puis celles sur Isaïe, et celles sur Ézéchiel.
C’est dans ce sens que va le témoignage de Jérôme lui-même, qui admet28 sa
fidélité mais la justifie aussi bien par son jeune âge (donc son manque d’expé-
rience) que par le fait que la prédication d’Origène contienne non tanta scandala :
même si nous considérons comme acquise sa rhétorique défensive, Jérôme laisse
entendre que le traducteur d’Origène jouissait d’une plus grande sérénité avant
l’explosion de cette polémique29.
En effet, au-delà des corrections signalées par Peri, et qui toutefois sont limi-
tées, on constate une inclination générale de Jérôme à mettre en œuvre de petites
modifications visant à s’adapter à l’orthodoxie de son époque : alors qu’Origène
parle de Dieu et du Christ, Jérôme corrige en traduisant « Dieu le Père » à la place
de « Dieu », et « Fils » à la place du « Christ ». Il s’agit d’une modification petite
mais systématique, et tout à fait intentionnelle30.
Passant à la comparaison qui nous intéresse ici, entre l’original des homélies
sur Jérémie et la traduction de Jérôme, il faut avant tout considérer qu’elle est
compliquée par une circonstance précise : l’éditeur Klostermann, comme Nautin31

27. V. PERI, « I passi sulla Trinità nelle omelie origeniane tradotte in latino da San Gerolamo »,
dans Studia Patristica 6 (TU 81), F. L. Cross ed., Berlin, 1962, p. 155-180, en part. p. 159.
28. Adv. Ruf. II, 23.
29. En effet, le passage malheureusement conservé uniquement dans sa traduction latine, sur
lequel on peut entrevoir les plus grosses modifications, appartient aux homélies sur Isaïe que
Jérôme devrait avoir composées après l’explosion de la controverse (en tout cas, elles n’appa-
raissent pas dans le catalogue de ses traductions du De viris illustribus : V. PERI, « I passi sulla
Trinità », p. 166).
30. Cf. ORIGÈNE, HIer VIII, 1 (E. Klostermann Hrsg., GCS 3, p. 55; P. Nautin éd., SC 232,
p. 354); JÉRÔME, PG 13, 335. Cf. aussi ci-après dans le texte.
31. P. NAUTIN, SC 232, p. 62.
90 EMANUELA PRINZIVALLI

l’avait déjà remarqué, a amendé le texte du Scorialensis précisément sur la base


de la traduction de Jérôme, et l’a fait dans une mesure non négligeable. Le résultat
de l’opération de Klostermann est que le texte grec de son édition critique est
plus proche de Jérôme que ne l’était l’original : une nouvelle collation, que Nautin
n’eut pas le temps de faire, serait nécessaire.
Il ressort deux caractères particuliers de Jérôme traducteur homilétique : tout
d’abord, avec un effort minimum, il rend le discours plus clair chaque fois qu’il le
juge nécessaire, en ajoutant le sujet lorsqu’il est sous-entendu, ou un adjectif, ou
une phrase très brève. Ces ajouts prennent parfois une connotation péjorative de
polémique anti-juive. En voici un exemple, tiré de la première homélie :
Origène, HIer I, 4 ; Jérôme, PG 13, 258BC
Klostermann Hrsg., p. 3, 3-9
Τοιαῦτα καὶ περὶ ἡμᾶς ἐστιν. Ἐὰν « Haec autem et de nobis possumus
ἁμαρτάνομεν, αἰχμάλωτοι καὶ ἡμεῖς intellegere : si peccauerimus, et nos captiui
μέλλομεν γίνεσϑαι. Τὸ; γὰρ παραδοῦναι futuri sumus. Etenim tradi peccatorem
τὸν τοιοῦτον τῷ σατανᾷ (1 Cor. 5, 5) Satanae nihil distat ab eo quod Iudaei sunt
οὐδὲν διαφέρει τοῦ παραδοῦναι τοὺς traditi Nabuchodonosor. Vtque illos Deus
ἀπὸ Ἱερουσαλὴμ τῷ Ναβουχοδονόσορ· concessit aduersario, propter frequentes
ὡς: γὰρ· ἐκείνῳ παρεδίδοντο διὰ impietates, sic nos propter peccata quae
τὰς ἁμαρτίας, οὕτως τῷ σατανᾷ fecimus tradimur spiritali Nabuchodonosor. »
παραδιδόμεϑα διὰ τὰς ἁμαρτίας ὄντι
Ναβουχοδονόσορ·
Dans le morceau ci-dessus, le terme peccatorem remplace τὸν τοιοῦτον de
la citation biblique et le terme Iudaei explicite le τοὺς ἀπὸ Ἱερουσαλὴμ chez
Origène : ce sont de petites modifications effectuées par souci de clarté. L’adjectif
frequentes est un rapide ajout péjoratif sur la condition peccamineuse des Juifs et
l’adjectif spiritali éclaire le passage à l’allégorie.
Je propose comme confirmation un autre exemple, tiré de la seconde homélie
sur Jérémie (la treizième dans la liste de Jérôme) :
Origène, HIer II, 3 ; Jérôme, PG 13, 282AB
Klostermann Hrsg., p. 19, 21 – 20, 5
Μακάριος ὁ ἔχων μέρος ἐν τῇ ἀναστάσει « “Beatus qui habet partem in resurrectione
τῇ πρότῃ (Apoc. 20, 6), ὁ τηρήσας τὸ prima.” Si quis seruauierit lauacrum Spiritus
βάπτισμα τοῦ ἁγίου πνεύματος. Τίς sancti, iste in resurrectionis primae parte
ἐστiν ὁ ἐν ἑτέρᾳ σωζόμενος ἀjναστάσει; communicat. Si quis uero in secunda resur-
ὁ δεόμενος βαπτίσματος τοῦ ἀπὸ rectionis seruatur, iste peccator est, qui ignis
πυρός, ὅταν ἔλθῃ ἐπὶ τὸ πῦρ ἐκεῖνο, indiget baptismo, qui combustione purgatur ut
καὶ τὸ πῦρ αὐτὸν δοκιμάζῃ, καὶ εὕρῃ τὸ quidquid habuerit lignorum, feni et stipulae,
πῦρ ἐκεῖνο ξύλα, χόρτον καὶ καλάμην ignis consumat. Quamobrem cum talia post
(1 Cor. 3, 12.13) ὥστε αὐτὰ; κατακαῦσαι. mortem nobis residere uideamus, Scripturas
Διὰ τοῦτο τούvτων τῶν λεγομένων ὅση diligenter recitantes, reponamos eas in cor-
δύναμις συναγαγόντες τοὺς λόγους dibus nostris, etc. »
τοὺς τῶν γραφῶν, εἰς τὴν καρδίαν
ἀποτιθώμεθα αὐτοὺς etc.
ORIGÈNE PRÉDICATEUR ET SES TRADUCTEURS LATINS 91

Ici aussi on remarque la tendance de Jérôme à expliciter par souci de clarté ce


que l’oralité d’Origène, préservée dans la transcription, laisse plutôt indéfini. Les
deux premières phrases brèves d’Origène, dont la deuxième est une interrogation
rhétorique, sont transformées en deux conditionnelles parallèles auxquelles sont
ajoutées deux brèves apodoses. Le génitif absolu d’Origène est explicité dans
une phrase au sens complet (« Quamobrem cum talia post mortem nobis residere
uideamus »), par ailleurs pas très heureuse. La phrase en soi n’a pas grand sens :
Jérôme en réalité voulait dire que quelqu’un qui se sait pécheur, et donc destiné
à subir après la mort la purification par le feu, s’en remet à la lecture attentive
de l’Écriture et cherche à vivre selon ses préceptes. Par contre, la traduction par
diligenter du difficile ὅση δύναμις est plus heureuse, ainsi que la traduction,
intéressante, de ce « recueillant les paroles des Écritures » en « récitant à voix haute
les Écritures ».
Parfois et toujours dans un but de clarté, Jérôme (dans la cinquième dans sa
liste) est disposé à sacrifier une citation biblique de l’original :
Origène, HIer VIII, 1 ; Jérôme, PG 13, 335
Klostermann Hrsg., p. 55
Χρείαν ἔχομεν τῆς ἰσχύος τοῦ θεοῦ, « Necessariam habemus fortitudinem Dei,
χωρὶς δὲ τῆς δυνάμεως τοῦ θεοῦ οὐχ quia absque ea impossibile est nobis id
οἷοί τέ ἐσμεν ἐπιτελέσαι ταῦτα, ὅσα exsequi, quod carni repugnat. »
οὐ κατὰ τὸ φρόνημά ἐστιν τῆς σαρκός
(Rom. 8, 6).
Dans l’exemple ci-dessus, d’un côté Jérôme sacrifie un terme (τῆς δυνάμεως
τοῦ θεοῦ) qu’Origène emploie comme synonyme de τῆς ἰσχύος τοῦ θεοῦ
qu’il trouve dans le lemme commenté de Ier. 10, 12, en simplifiant la phrase, de
l’autre il élimine l’allusion à Rom. 8, 6. Le texte d’Origène en fait s’exprime ainsi :
« Nous avons besoin de la force de Dieu : en effet sans la puissance de Dieu nous
ne sommes pas capables d’accomplir toutes ces choses qui ne sont pas selon les
affections de la chair » (Rom. 8, 6). Jérôme traduit de la façon suivante : « Nous
avons besoin de la force de Dieu, car sans elle il nous est impossible d’accomplir
ce qui est contraire à la chair. »
Le tableau suivant permet d’examiner aussi bien le travail des éditeurs que les
modifications de Jérôme par rapport au texte d’Origène, toujours à propos d’un
extrait de Hom. VIII, 132.

32. Il m’est agréable de rappeler que j’ai discuté de ce passage avec Pierluigi Banna et Bartolo
Saltalamacchia pendant un cours tenu cette année à l’Institutum Patristicum Augustinianum.
Origène (PG 13, 336C-337A Klostermann Hrsg., p. 55-56 Nautin éd., p. 354-356 Jérôme
92
(PG 13, 335C-338a ; PL 25, 626AB)
Οἶδα ψυχὴν οἰκουμένην: οἶδα Οἶδα ψυχὴν οἰκουμένην, οἶδα Οἶδα ψυχὴν οἰκουμένην, οἶδα « Scio animam meam inhabitatam,
ψυχὴν ἔρημον. Eἰ γὰρ οὐκ ἔχει ψυχὴν ἔρημον. εἰ γὰρ οὐκ ἔχει ψυχὴν ἔρημον. εἰ γὰρ οὐκ ἔχει scio animam meam desertam.
τὸν θεόν, οὐκ ἔχει τὸν Χριστὸν, τὸν θεόν, <εἰ> οὐκ ἔχει τὸν τὸν θεόν, <εἰ> οὐκ ἔχει τὸν
τὸν εἰπόντα· Ἐγὼ καὶ ὁ Χριστὸν τὸν εἰπόντα· Ἐγὼ καὶ Χριστὸν τὸν εἰπόντα· Ἐγὼ καὶ
πατήρ μου ἐλευσόμεθα πρὸς ὁ πατήρ μου ἐλευσόμεθα πρὸς ὁ πατήρ μου ἐλευσόμεθα πρὸς Si enim non habet Deum Patrem ;
αὐτὸν, καὶ μονὴν παρ’ αὐτῷ αὐτὸν καὶ μονὴν παρ’ αὐτῷ αὐτὸν καὶ μονὴν παρ’ αὐτῷ si non habet Filium dicentem :
ποιησόμεθα (Io. 14, 23) ποιησόμεθα, ποιησόμεθα, “Ego et Pater ueniemus ad eum, et
Eἰ οὐκ ἔχει τὸ Pνεῦμα τὸ ἅγιον εἰ οὐκ ἔχει τὸ πνεῦμα τὸ ἅγιον εἰ οὐκ ἔχει τὸ πνεῦμα τὸ ἅγιον mansionem apud eum faciemus” ; si
ψυχή, ἔρημός ἐστιν. ψυχή, ἔρημός ἐστιν· ψυχή, ἔρημός ἐστιν·οἰκουμένη non habet Spiritum sanctum, anima
Oἰκουμένη δέ ἐστιν, ὅτε οἰκουμένη δέ ἐστιν, ὅτε δέ ἐστιν, ὅτε πεπλήρωται deserta est. Habitata autem est,
πεπλήρωται θεοῦ, ὅτε ἔχει τὸν πεπλήρωται θεοῦ, ὅτε ἔχει τὸν θεοῦ, ὅτε ἔχει τὸν Χριστόν, ὅτε quando plena est Deo, quando habet
Χριστόν, ὅτε πνεῦμα ἅγιόν Χριστόν, ὅτε πνεῦμα ἅγιόν πνεῦμα ἅγιόν ἐστιν ἐν αὐτῇ. Christum et Spiritum sanctum.
ἐστιν ἐν αὐτῇ. ἐστιν ἐν αὐτῇ.
Ταῦτα δὲ ποικίλως καὶ διαφόρως ταῦτα δὲ ποικίλως καὶ Ταῦτα δὲ ποικίλως καὶ Verum haec differenter et uarie in
ἐν ταῖς Γραφαῖς λέγεται, τὸ διαφόρως ἐν ταῖς γραφαῖς διαφόρως ἐν ταῖς γραφαῖς Scripturis dicuntur : in anima homi-
εἶναι τὸν Πατέρα, καὶ τὸν Υἱὸν, λέγεται, τὸ εἶναι τὸν πατέρα λέγεται, τὸ εἶναι τὸν πατέρα nis Patrem et Filium et Spiritum
καὶ τὸ ἅγιον Πνεῦμα ἐν τῇ τοῦ καὶ τὸν υἱὸν καὶ τὸ ἅγιον καὶ τὸν υἱὸν καὶ τὸ ἅγιον sanctum commorari.
ἀνθρώπου ψυχῇ. πνεῦμα ἐν τῇ τοῦ ἀνθρώπου πνεῦμα ἐν τῇ τοῦ ἀνθρώπου
ψυχῇ. ψυχῇ.
Ὁ γοῦν Δαβὶδ ἐν τῷ Ψαλμῷ τῆς ὁ γοῦν Δαβὶδ ἐν τῷ Ψαλμῷ τῆς Ὁ γοῦν Δαβὶδ ἐν τῷ Ψαλμῷ Nam et David in psalmo confessio-
ἐξομολογήσεως περὶ τούτων ἐξομολογήσεως περὶ τούτων τῆς ἐξομολογήσεως περὶ nis tres spiritus postulat, dicens :
τῶν πνευμάτων αἰτεῖ τὸν τῶν πνευμάτων αἰτεῖ τὸν τούτων τῶν πνευμάτων αἰτεῖ
πατέρα λέγων· πατέρα λέγων· τὸν πατέρα λέγων·
Πνεύματι ἡγεμονικῷ στήριξόν πνεύματι ἡγεμονικῷ στήριξόν Πνεύματι ἡγεμονικῷ στήριξόν Spiritu principali confirma me :
με, Πνεῦμα εὐθὲς ἐγκαίνισον με, πνεῦμα εὐθὲς ἐγκαίνισον με, Πνεῦμα εὐθὲς ἐγκαίνισον spiritum rectum innoua in uisceri-
ἐν τοῖς ἐγκάτοις μου, Καὶ ἐν τοῖς ἐγκάτοις μου, καὶ ἐν τοῖς ἐγκάτοις μου, Καὶ bus meis : spiritum sanctum tuum
τὸ πνεῦμα τὸ ἅγιόν σου μὴ τὸ πνεῦμα τὸ ἅγιόν σου μὴ τὸ πνεῦμα τὸ ἅγιόν σου μὴ ne auferas a me. Qui sunt isti tres
ἀντανέλῃς ἀπ’ ἐμοῦ (LXX, ἀντανέλῃς ἀπ’ ἐμοῦ. τίνα τὰ ἀντανέλῃς ἀπ’ ἐμοῦ. Τίνα τὰ spiritus ?
Ps. 50, 14.12.13) Τίνα τὰ τρία τρία πνεύματα ταῦτα; τρία πνεύματα ταῦτα;
πνεύματα ταῦτα;
Τὸ ἡγεμονικὸν ὁ πατήρ, τὸ τὸ ἡγεμονικὸν ὁ πατήρ, τὸ Τὸ ἡγεμονικὸν ὁ πατήρ, τὸ Principalis spiritus, Pater est : spiri-
εὐθὲς ὁ Χριστός, καὶ τὸ πνεῦμα εὐθὲς ὁ Χριστός, καὶ τὸ πνεῦμα εὐθὲς ὁ Χριστός, καὶ τὸ πνεῦμα tus rectus, Christus : spiritus sanctus,
τὸ ἅγιον. τὸ ἅγιον [<τὸ πνεῦμα τὸ τὸ ἅγιον. Spiritus sanctus est. »
EMANUELA PRINZIVALLI

ἅγιον>].
ORIGÈNE PRÉDICATEUR ET SES TRADUCTEURS LATINS 93

Dans ce cas, l’éditeur Klostermann n’a effectué qu’une petite intégration par
rapport au texte grec du Scorialensis : il s’agit de la particule εἰ, insérée par eupho-
nie, mais surtout sur la base de la traduction de Jérôme, qui présente la répétition
du si et du fait que la particule est répétée même après, à propos de l’Esprit. À
remarquer, les ajouts de Jérôme : tout d’abord, l’adjectif possessif double meam
à propos de la double situation de l’âme qui peut être habitée ou déserte, au sens
allégorique. L’ajout a pour but de personnaliser le discours. L’ajout suivant est
à caractère doctrinal : pour aligner les trois personnes trinitaires Jérôme ajoute,
comme je le disais plus haut, à Deus le terme Pater et, au lieu de Christus, il
écrit Filius. Afin d’être clair, Jérôme ajoute encore un tres à la première énon-
ciation des esprits dont parle le Ps. 50 et, de la même manière, il ajoute spiritus
aux spécifiques principalis, rectus et Spiritus sanctus. À propos de la dernière
phrase, remarquons que Klostermann a, dans ce cas aussi, intégré spiritus sanctus
<Spiritus sanctus est> sur la base du texte de Jérôme, tandis que Nautin reprend
à juste titre le texte trahi.
L’autre caractéristique de la traduction de Jérôme est d’accentuer le pathétisme.
Déjà Klostermann avait remarqué un des passages les plus significatifs en ce sens :
Origène, HIer IV, 3 ; Jérôme (dans sa liste il s’agit de
Klostermann Hrsg., p. 25, 19-24 l’homélie 14), PG 13, 287D-290
Ἀλλὰ τότε ἦσαν πιστοί, ὅτε τὰ; « Tunc erant uere fideles, quando martyrum
μαρτύρια τὰ γενναῖα ἐγίνοντο, ὅτε ἀπὸ uictimae feriebantur ; quando cruentas exse-
τῶν κοιμητηρίων προπέμψαντες τοὺς quias prosecuti, tristes ad ecclesiam reuer-
μάρτυρας ἠρχόμεθα ἐπὶ τὰς συναγωγὰς tebantur ; omnis erat multitudo lugentium;
καὶ ὅλη ἡ ἐκκλησία μὴ θλιβομένη quando cathecumeni statim in prima fide pro
παρεγίνετο, καὶ οἱ κατηχοῦμενοι ἐπὶ ferendo martyrio docebantur ; quando mu-
τοῖς μαρτύριοις κατηχοῦντο καὶ ἐπὶ lierculae et infirmus sexus usque ad mortem
τοῖς θανάτοις τῶν ὁμολογοῦντων manebat intrepidus. »
τὴν ἀλήθειαν μέχρι θανάτου (Apoc. 2,
10) μὴ πτυρόμενοι (Phil. 1, 28) μηδὲ
ταρασσόμενοι ἐπὶ τὸν ζῶντα θεόν
(Act. 14, 15).
Remarquons le glissement opéré par Jérôme. Origène dit « lorsqu’avaient lieu
les glorieux martyres » et Jérôme traduit : « lorsque les victimes des martyres
étaient sacrifiées » ; Origène dit : « lorsque, après avoir accompagné les martyrs
nous revenions des cimetières aux assemblées et toute l’église était présente et
n’était pas affligée » ; Jérôme, par contre, dit : « lorsque, après avoir suivi les
sanglantes obsèques, tristes nous revenions à l’église et il y avait toute la foule
de ceux qui pleuraient ». Le sens est opposé à celui d’Origène, qui veut mettre
en évidence que le martyre n’est pas source de tristesse mais de joie pour toute
l’église. L’incompréhension de Jérôme (qui à des fins pathétiques redouble en par-
lant de tristes et de lugentium) est due probablement à une erreur de banalisation
de son manuscrit, qui a laissé tomber la négation μὴ (ne) du texte grec. Si, dans
ce cas, l’incompréhension est due à son manuscrit, par contre tout de suite après,
c’est Jérôme qui change le sens de la phrase : Origène disait que les catéchumènes
étaient catéchisés « au milieu des martyrs », alors que Jérôme dit qu’ils étaient
aussitôt catéchisés pour soutenir le martyre. Origène poursuit en continuant à
94 EMANUELA PRINZIVALLI

parler des catéchumènes qui n’étaient pas troublés et mêle à la phrase des échos
néotestamentaires. Jérôme sacrifie les échos bibliques et introduit par contre le
mulierculae, suivant une rhétorique mise au point dès les origines chrétiennes,
où le martyre féminin était d’autant plus apprécié que c’était le sexe considéré
comme faible qui le vivait.
On pourrait multiplier les exemples, mais c’est là le maximum de liberté que
Jérôme atteint.

V. – RUFIN ENTRE EN SCÈNE


Pendant l’été 396, désormais impliqué dans la phase de la controverse sur
Origène inaugurée par Épiphane, Jérôme écrivit la fameuse épître 57 à Pammachius
pour se défendre contre l’accusation d’avoir traduit de façon tendancieuse la lettre
d’Épiphane à Jean de Jérusalem : s’étendant sur les critères d’une bonne traduc-
tion, d’un côté il confirme en théorie la ratio équilibrée que nous lui avons déjà
vu appliquer dans les homélies sur Jérémie, de l’autre il prouve en fait, au-delà de
sa volonté même d’auto-défense, qu’un traducteur peut produire des glissements
de sens intentionnels même sans se livrer à de grandes modifications sur le texte
de départ.
Dans l’épître 57, Jérôme défend le principe cicéronien de la traduction ad sen-
sum et la légitimité d’employer des termes conformes à l’usage courant en latin. Il
fait une exception pour le texte biblique, où, dit-il, l’ordo uerborum même a son
importance. Toutefois les exemples apportés montrent des cas où les évangélistes,
citant les prophètes, s’éloignent, dans différentes mesures, de la lettre du texte, ce
qui lui permet a fortiori de déclarer qu’une certaine liberté est permise dans les
autres cas. Probablement Jérôme défend aussi indirectement sa traduction de la
Bible, qui suscitait bien des critiques33. Le problème est que les passages très brefs
tirés par lui de sa traduction de la lettre d’Épiphane, pour montrer l’inconsistance
des accusations qui lui sont adressées sur ce qu’il veut qu’on considère comme des
minuties, démontrent qu’il rend plus explicite l’hostilité envers Jean, déjà présente
dans le texte d’Épiphane et en atténue les expressions de déférence. La fidélité34
d’un traducteur ne se mesure pas au caractère plus ou moins littéral du texte, mais
au respect de l’intention première, ce qui est par ailleurs un ordre de grandeur
difficile à évaluer.

33. Ainsi, à juste titre, E. BONA, La libertà del traduttore. L’epistola De optimo genere inter-
pretandi di Girolamo, Acireale – Roma, 2008, p. 42.
34. E. BONA, La libertà del traduttore, p. 46-48.
ORIGÈNE PRÉDICATEUR ET SES TRADUCTEURS LATINS 95

C’est précisément cette fidélité qui est en jeu dans la phase suivante des traduc-
tions d’ Origène en latin, inaugurée par Rufin avec le De principiis, l’œuvre la plus
contestée d’Origène, mais aussi celle où la pensée du théologien d’Alexandrie
apparaît plus claire, presque systématique. Je ne peux pas ici m’étendre sur les rai-
sons qui ont poussé Rufin à mener à bien l’entreprise que Jérôme n’avait pas voulu
tenter ; de surcroît il fait référence35, de façon provocatrice, à l’exemple donné des
années auparavant par Jérôme avec la traduction des homélies. Sa prudence se
révèle dans le fait que la traduction du De principiis est précédée de la traduction
du Ier livre de l’Apologia pro Origene de Pamphile et Eusèbe et d’une petite œuvre
défensive (le De adulteratione librorum Origenis) où il soutient la thèse suivante
qui va susciter l’hilarité de Jérôme36 : les expressions d’Origène non conformes à
l’orthodoxie sont des interpolations hérétiques.
À l’intérieur de la traduction de l’Apologia pro Origene, au chapitre qui pré-
sente les passages d’Origène sur le thème de la divinité du Fils, Rufin introduit un
morceau des homélies sur Jérémie (IX, 4), qui est certainement un ajout de sa main
par rapport au texte d’origine37. En fait, aucun autre passage dans l’Apologia n’est
tiré d’un recueil homilétique et, de surcroît, la façon de citer révèle clairement par
son caractère générique (Item de eodem aliud testimonium), l’embarras de Rufin.
Nous pouvons ainsi juger, par rapport à la traduction faite à l’époque par Jérôme,
littérale et aproblématique, à quel point Rufin, au beau milieu de la controverse
sur Origène survenue quelques années auparavant, est attentif et pour ainsi dire fin
stratège lorsqu’il coupe le passage original et le modifie afin qu’il rende le service
requis au profit de l’orthodoxie d’Origène.

35. Dans les phrases initiales de la préface du De principiis.


36. Adv. Ruf. II, 17, SC 303, p. 146.
37. Cf. R. AMACKER – E. JUNOD, dans Pamphile et Eusèbe de Césarée, Apologie pour Origène,
suivi de Rufin d’Aquilée, Sur la falsification des livres d’Origène, Tome 1, SC 464, Paris, 2002,
p. 118-119.
96

Origène, HIer IX, 4 ; SC 232, p. 392 Jérôme (dans sa liste il s’agit de l’homélie 6), Rufin, Apologia pro Origene, 64,
PG 13, 355-357 SC 464, p. 118-120
Ἴδωμεν δὲ τίς ἡμῶν ἐστιν ὁ σωτήρ· « Saluator noster splendor est gloriae, splendor « Pamphilus : Item de eodem aliud testimonium :
ἀπαύγασμα δόξης (Hbr. 1, 3). Tὸ autem non semel nascitur, et deinceps desinit Videamus ergo qui sit Saluator noster. Splendor
ἀπαύγασμα τῆς δόξης οὐχὶ ἅπαξ nasci : quotiescunque ortum fuerit lumen, ex quo dicitur gloriae, id est aeternae lucis splendor ;
γεγέννηται καὶ οὐχὶ γεννᾶται· ἀλλὰ ὅσον splendor oritur, toties oritur et splendor gloriae. et certum est quod splendor ex lumine
ἐστὶν τὸ φῶς (Sap. 7, 26 ; Io. 1, 5) ποιητικὸν Saluator noster sapientia est dei. Sapientia uero inseparabiliter generatur et donec permanet
τοῦ ἀπαύγασματος, ἐπὶ τοσοῦτον splendor est lucis aeternae. Si igitur Saluator lux permanet semper et splendor. Saluator
γεννᾶται τὸ ἀπαύγασμα τῆς δόξης τοῦ noster semper nascitur, idcirco dicit : Ante ergo noster qui Sapientia est – Sapientia
θεοῦ. Ό σωτὴρ ἡμῶν σοφία ἐστὶν τοῦ θεοῦ omnes colles generat me, non, ut quidam male autem Dei ipsa est splendor aeternae lucis –
(1 Cor. 1, 24)· ἔστιν δὲ ἡ σοφία ἀπαύγασμα legunt, generauit. Si semper ex Patre nascitur inseparabiliter et indesinenter generatur
φωτὸς ἀιδίου (Sap. 7, 26). Eἰ οὖν ὁ σωτὴρ Dominus, etiam tu in similitudinem eius tantum ex Patre. Sic enim et ipsa de se Sapientia per
ἀεὶ γεννᾶται, - καὶ διὰ τοῦτο λέγει· Πρὸ adoptionis spiritum habens, semper generaris a Salomonem dicit : “Ante omnes colles generat
πάντων βουνῶv γεννᾷ με (Prov. 8, 25), οὐχὶ Deo per singulos intellectus, per singula opera et me” ; non enim dixit “ante omnes colles genuit
δέ· πρὸ δὲ πάντων βουνῶν γεγέννηκέν efficeris filius Dei in Christo Iesu, cui est gloria me”, sed “generat meˮ, in quo significantia
με, ἀλλὰ· Πρὸ πάντων βουνῶv γεννᾷ με - et imperium in saecula saeculorum. Amen. » sempiternitatis est. »
καὶ ἀεὶ γεννᾶται ὁ σωτὴρ ὑπὸ τοῦ πατρός,
οὕτως καὶ σὺ ἐὰν ἔχῃς τὸ τῆς υἱοθεσίας
πνεῦμα (Rom. 8, 15) ἀεὶ γεννᾷ σε ἐν αὐτῷ
ὁ θεὸς καθ‘ ἕκαστον ἔργον, καθ‘ ἕκαστον
διανόημα, καὶ γεννώμενος οὕτως γίνῃ ἀεὶ
γεννώμενος υἱὸς θεοῦ ἐν Χριστῷ Iησοῦ·
ᾧ ἐστιν ἡ δόξα καὶ τὸ κράτος εἰς τοὺς
αἰῶνας τῶν αἰώνων. Ἀμήν.
EMANUELA PRINZIVALLI
ORIGÈNE PRÉDICATEUR ET SES TRADUCTEURS LATINS 97

La seule modification qui semblerait intentionnelle de la part de Jérôme consiste


à éviter la traduction de l’expression ποιητικὸν τοῦ ἀπαύγασματος se référant
à la lumière, à savoir « qui produit, qui crée la splendeur », ce qui pourrait faire
penser à l’idée d’Arius suivant lequel le Fils-splendeur est une créature. En réalité,
Origène emploie aussitôt après le verbe γεννάω, considérant très probablement
comme synonymes les deux verbes, que Jérôme traduit en fait en utilisant le même
verbe orior (« quotiescunque ortum fuerit lumen, ex quo splendor oritur, toties ori-
tur et splendor gloriae »). À certains endroits, Rufin produit plutôt une paraphrase,
afin de faire coïncider le texte d’Origène avec la théologie post-nicéenne. Il sou-
ligne de ce fait la génération éternelle, un point déjà bien exprimé par Origène,
mais il le précise davantage et l’intègre à l’indication de l’union indissoluble
(inseparabiliter) de Père et Fils. En outre, il est à remarquer que Rufin modifie la
dernière phrase de façon à couper le contexte anthropologique où Origène insérait
la notion de génération éternelle du Fils : en effet, ce qui tenait à cœur à notre
Alexandrin, c’était d’exhorter le fidèle à avoir des pensées et des œuvres dignes
de manière à être toujours engendré par Dieu, en vertu de l’esprit d’adoption dans
le Christ qui le rend fils de Dieu. Ce contexte ne pouvait pas servir l’intention de
Rufin, à savoir produire un témoin indiscutable de l’orthodoxie trinitaire d’Ori-
gène, car il finissait par mettre côte à côte et de façon indue le Fils et les hommes.
Ces présupposés défensifs en tête, sans doute, Rufin ajuste-t-il théologiquement
le texte du De principiis sur la base de l’orthodoxie trinitaire de son époque, mais
il maintient les théories d’Origène sur le cosmos et sur l’être humain montrant la
même confiance que celle d’Origène par rapport au fait que sur certains thèmes,
particulièrement importants pour la spiritualité ascétique, il y avait encore une
grande marge de discussion ; d’autant plus, dit-il, « que là n’est pas le sujet subs-
tantiel de la foi » (quia non in hoc est summa fidei)38. La réponse de Jérôme,
avec sa retraduction du De principiis, pour ce qui ressort de l’examen des rares
passages qui restent39 et que l’on peut confronter avec les lambeaux de l’original
grec, montre que sa fidélité « littérale » est tout autant, sinon plus, une trahison par
rapport aux modifications de Rufin. Les nombreuses analyses effectuées par la
critique moderne sur la traduction de Rufin et sur les fragments de celle de Jérôme,
en particulier la dernière analyse par ordre chronologique, œuvre du nouvel édi-
teur du De principiis Samuel Fernández, donnent confiance : la complémentarité
des programmes de Rufin et de Jérôme et le contrôle réciproque qu’ils exerçaient
l’un sur l’autre, font que nous sommes en possession, grâce à leurs traductions, de
tous les aspects importants de doctrine de cette œuvre d’Origène40.

38. RUFIN, Praef. in librum III, CCSL 20, p. 247, l. 27.


39. Pammachius fit disparaître la traduction et nous n’en connaissons que quelques passages
cités par Jérôme lui-même dans sa lettre à Avitus (Epist. 124).
40. Cf. S. FERNÁNDEZ, « Gli interventi dottrinali di Rufino nel De principiis di Origene », dans
L’Oriente in Occidente. L’opera di Rufino di Concordia. Atti del XIII Convegno Internazionale di
tudi promosso dalla Facoltà Teologica del Triveneto e dal Gruppo Italiano di Ricerca su Origene
e la Tradizione Alessandrina, Portogruaro, 6-7 dicembre 2013 (Supplementi di Adamantius 4),
98 EMANUELA PRINZIVALLI

La traduction de Rufin du De principiis provoque donc la reprise de cette


controverse, qui cette fois voit le déchirement réciproque des deux anciens amis :
Rufin et Jérôme. Il est impensable que cette situation n’ait pas eu d’influence sur
la traduction des nombreux corpora homilétiques d’Origène que Rufin continue à
traduire. Quelle différence entre le climat plein d’enthousiasme qui avait entouré
les traductions homilétiques de Jérôme, et celui où se trouve Rufin qui parfois,
signe évident de malaise, omet le nom de l’auteur traduit (Homélies sur Juges,
Genèse, Exode, Lévitique, I Rois, Psaumes 36-38), bien qu’il déclare toujours que
c’est de traductions qu’il s’agit. En effet, il n’accepta jamais la pratique commune
(nous l’avons vu tout à l’heure) que certains lui conseillaient, à savoir produire
des œuvres autonomes avec d’abondants emprunts ou même mettre les traductions
sous son propre nom.
Aujourd’hui nous sommes enfin en mesure de comparer la ratio interpretandi
de Rufin sur les homélies d’Origène et l’original grec, chose impossible jusqu’à il
y a deux ans, grâce à l’extraordinaire découverte en avril 2012, de Marina Molin
Pradel qui a reconnu, dans le Cod. Mon. Gr. 314, contenant une série de 29 homé-
lies anonymes sur les Psaumes, l’œuvre du grand Origène. Une attribution certaine,
que Lorenzo Perrone a démontrée ensuite avec des arguments irréfutables41. Pour
quatre de ces homélies, sur le Ps. 36, nous avons aussi la traduction de Rufin cor-
respondante, car ce dernier avait dédié (en 401 env.) au couple de nobles romains
Apronien et Avita sa traduction des homélies sur les Psaumes 36, 37 et 38, tirées
du vaste choix des homélies d’Origène sur les psaumes qu’il avait à sa disposition ;
l’interprétation origéniste/origénienne centrée sur les étapes de l’ascèse convenait
parfaitement pour nourrir et fortifier les intentions ascétiques des destinataires.
Remarquons qu’ici aussi il omet le nom de l’auteur.
En ce qui concerne les critères de la traduction homilétique de Rufin, lisons
son propre témoignage, bref mais significatif, dans la conclusion de la traduction
du Commentarius in Epistulam ad Romanos d’Origène : il souligne que le style

M. Girolami ed., Brescia, 2014, p. 27-44. Du même Fernández, voir maintenant la nouvelle édition
critique du De principiis : Orígenes, Sobre los Principios (Fuentes Patrísticas 27), Madrid, 2015.
41. Cf., e.g., L. PERRONE, « Riscoprire Origene oggi: prime impressioni sulla raccolta di
omelie sui Salmi nel Codex Monacensis Graecus 314 », Adamantius, 18, 2012, p. 41-58 ; ID.,
« Une nouvelle collection de 29 homélies d’Origène sur les Psaumes : le Codex Graecus 314
de la Bayerische Staatsbibliothek de Munich », Medieval Sermon Studies, 57, 2013, p. 13-15;
ID., « Origenes rediuiuus : la découverte des Homélies sur les Psaumes dans le Cod. Gr. 314 de
Munich », Revue d’études augustiniennes et patristiques, 59, 2013, p. 55-93. Voir maintenant
l’édition critique de GCS : Origenes Werke. Dreizehnter Band. Die neuen Psalmenhomilien. Eine
kritische Edition des Codex Monacensis Graecus 314. Herausgegeben von L. Perrone in zusam-
menarbeit mit M. Molin Pradel, E. Prinzivalli und A. Cacciari, Berlin, 2015.
ORIGÈNE PRÉDICATEUR ET SES TRADUCTEURS LATINS 99

d’Origène dans les homélies est parfois improvisé et, parfois, comme dans les
homélies sur le Lévitique, plus surveillé/contrôlé (perorandi stilo). En outre, Rufin
fait remarquer la présence de questions soulevées et aussitôt laissées de côté, consi-
dération qui vaut en général pour l’homilétique d’Origène (« in omiletico dicendi
genere ab illo saepe fieri solet »). Dans le cas des homélies sur Genèse, Exode et
Lévitique, il déclare avoir comblé ces lacunes, tandis qu’en ce qui concerne les
homélies sur Josué, Juges et Psaumes, il a traduit « simpliciter ut inuenimus et non
multo cum labore ».
On ignorait, jusqu’à cette découverte récente, ce qu’il entendait effectivement
lorsqu’il parlait d’un travail peu pénible et traduit comme il le lisait. Le synopsis
des quatre homélies sur le Ps. 36 en grec et en latin permet de vérifier que, par
contre, les modifications ne manquent pas, et sont même consistantes au regard
des paramètres actuels ; on peut donc supposer, avec une bonne marge d’approxi-
mation, que lorsqu’il dit lui-même être intervenu, les modifications auront eu une
incidence encore plus grande.
Sans aucun doute les modifications de Rufin sont-elles plus incidentes que
celles que Jérôme avait opérées dans les homélies sur Jérémie. Mais de quel type
sont-elles ? Rufin élimine en premier lieu les traces de l’oralité, en précisant les
phrases qui, en grec, restent génériques et en rendant plus évidents les passages
logiques du discours. Si parfois il élimine le τάχα (« peut-être ») caractéristique
d’Origène, marque de son attitude de chercheur, il l’introduit à d’autres moments
de son propre chef. Certaines modifications sont doctrinales, mais elles sont rares
et ne s’exercent que sur les points habituels : matière trinitaire, avec valorisation
du Saint Esprit et affirmation de l’égale dignité de la divinité du Christ par rapport
au Père et de la distance du Christ par rapport aux créatures. On trouve davantage
de longues paraphrases par rapport au texte grec et même de véritables ajouts qui
vont tous dans le même sens : renforcer l’orientation éthique de l’homélie (ten-
dance typique des latins), mais parfois ils enrichissent le texte d’Origène avec des
développements de pure nature origénienne. Rufin est dominé par le désir d’offrir
à chaque fois tout ce qu’il peut de l’enseignement d’Origène, et ses ajouts reflètent
une fréquentation assidue de l’ensemble de l’œuvre du théologien d’Alexandrie.
Je n’en donne ici qu’un exemple, et je vous renvoie pour plus d’exemples à
d’autres travaux que j’ai déjà publiés ou qui sont en cours de publication42.

42. E. PRINZIVALLI, « Il Cod. Mon. Gr. 314, il traduttore ritrovato e l’imitatore », et EAD.,
« Rufino traduttore delle omelie origeniane sui Salmi alla luce della scoperta del Mon. Gr. 314 »,
Auctores Nostri, 15, 2015, p. 45-63.
100 EMANUELA PRINZIVALLI

Origène, H36Ps I, 2, Rufin, Prinzivalli ed., p. 50


Mon. Gr. 314, f. 36r
Ἔρχεται οὖν ὁ Ἀχαάβ, ζητῶν τοῦτον Venit Achab iniquus et impius, Achab
τὸν ἀμπελῶνα ἐκκόψαι καὶ λάχανα inimicus uineae nostrae et aduersum studia
Αἰγύπτια ἐκεῖ καταφυτεῦσαι, ἀλλὰ haec sapientiae inuidiam concitat, tumultum
ἡμεῖς μιμησώμεθα Ναβουθαὶ τὸν commouet, dolos et factiones per Iezabel
Ἰεζραηλίτην καὶ μᾶλλον ἀποθανῶμεν (cf. 3 Reg. 20, 5-16), hoc est per carnalem
ἤπερ ἐάσωμεν τὰς ἀμπέλους τὰς sapientiam, instruit et uult excidi uineam istam
ἀληθινὰς ἐκκοπῆναι ἀπὸ τῶν χωρίων spiritalis intellegentiae et plantari holera, id
τῆς ψυχῆς ἡμῶν est, ut quae legimus carnaliter intellegamus.
Sicut holera enim omnis gloria carnis est, ut
impleatur in nobis illud quod culpat apostolus
dicens ad Galatas : « Sic insensati estis ut cum
spiritu coeperitis, nunc carne perficiamini ? »
(Gal. 3, 3).
« Achab arrive alors, cherchant à arracher cette « Vient Achab, l’inique et l’impie, Achab,
vigne et à planter les herbes des égyptiens, l’ennemi de notre vigne ; et contre ces études de
mais nous, nous imitons Naboth de Jizreel et la Sagesse il excite l’envie, suscite le trouble,
préférons être tués plutôt que permettre que dresse tromperies et intrigues par Jézabel,
soient arrachées les vraies vignes de notre c’est-à-dire par la sagesse charnelle ; il veut
âme. » arracher cette vigne d’intelligence spirituelle
et planter des légumes, c’est-à-dire nous faire
comprendre de façon charnelle ce que la gloire
de la chair, pour que s’accomplisse en nous
ce que reproche l’Apôtre aux Galates : “Êtes-
vous si fous : avoir commencé par l’Esprit et
maintenant finir par la chair ?ˮ (Gal. 3, 3) »
Origène est concentré sur la nécessité de remplir de biens spirituels sa propre
vigne, son âme, et d’empêcher le diable (= Naboth) de déraciner ses bonnes dispo-
sitions. Mais, dans sa phrase, l’allégorie reste implicite. C’est Rufin qui l’explicite,
en développant dans un style parfait à la manière d’Origène, à travers l’allégorie,
le thème du progrès à travers l’interprétation spirituelle de l’Écriture. Dans ce cas,
le traducteur est plus origéniste, pourrait-on dire, qu’Origène lui-même.
Ainsi se confirme, grâce à la présence d’un original non manipulé, une caracté-
ristique qui se déduit du seul autre cas où il est possible d’opérer une comparaison
réelle, à savoir l’homélie 20 sur Josué traduite par Rufin et dont une bonne partie
du grec est conservée par la Philocalia. L’homélie 20 est une des plus célèbres
d’Origène pour son ton mystique : son thème principal est la nourriture spirituelle
offerte par l’Écriture et la puissance qui jaillit de la simple prononciation de ses
paroles. Rufin paraphrase largement, mais sans trahir le sens, comme l’avait bien
vu Annie Jaubert43. Dans certains cas, il ajoute, et l’un de ces ajouts est si extraor-
dinaire que l’on a vraiment du mal à croire qu’il est de lui. Dans ce cas, je penche
à croire qu’il est plutôt d’Origène (cf. De orat. 27, 11) et que les philocalistes l’ont

43. ORIGÈNE, HIos, A. Jaubert éd., SC 71, p. 81.


ORIGÈNE PRÉDICATEUR ET SES TRADUCTEURS LATINS 101

négligé, peut-être parce qu’il présente une image trop hardie du Fils qui reprend
ses forces (refici dignatur) grâce à la nourriture offerte par le cœur de l’homme
saint.
« C’est que Notre Seigneur Jésus-Christ lui-même, lorsqu’il nous trouve en train de
nous livrer à une étude de ce genre et de nous consacrer à ces exercices, daigne venir
prendre en nous sa nourriture et y refaire ses forces ; bien plus, s’il voit chez nous le
repas préparé, il pousse la condescendance jusqu’à amener son Père avec lui. Voilà
qui paraît inouï et au-dessus de l’homme ! Mais tu en trouveras la preuve non dans
mes paroles, mais dans celles du Seigneur et Sauveur lui-même : “En vérité, je vous
le dis, mon Père et moi nous viendrons, nous ferons en lui notre demeure, et nous
dînerons chez lui (Io. 14, 23). Qui, lui ? Mais celui qui garde ses commandementsˮ
(1 Io. 3, 22)44. »
Si c’est Rufin qui préserve l’original (mais le doute reste), prenons acte qu’il a
compris la profondeur du texte d’Origène.

VI. – CONCLUSIONS
Pour conclure, en ce qui concerne les traductions homilétiques, Rufin nous
apparaît comme plus paraphraseur et plus enclin à enrichir le texte de base que
Jérôme ; d’autre part, la connaissance qu’il a d’Origène semble plus mûre que celle
dont fait preuve Jérôme dans les homélies sur Jérémie, et c’est en vertu de cette
plus grande familiarité avec l’esprit d’Origène que Rufin prend de plus grandes
libertés sur le plan de la lettre.
La fortune d’Origène ne fut pas des moindres au cours des siècles suivants
en Occident, avant la renaissance humaniste dont nous parlerons, bien que sa
condamnation fût connue. Les exposés de Rossana Guglielmetti et Emanuela
Colombi feront la lumière à ce sujet. Les traductions, y compris homilétiques,
de Jérôme et de Rufin l’avantagèrent par rapport à d’autres Pères grecs. Lorsque,
durant le Haut Moyen Âge, les autres grecs étaient presque inconnus, la cathédrale
de Laon45 possédait toutes les traductions de Jérôme et quelques-unes de Rufin.
Mais il s’agissait exclusivement de corpora homilétiques, et ceci confirme que
nombreux étaient ceux qui préféraient aborder le maître d’Alexandrie avec la
prudence du jeune Jérôme.
Emanuela PRINZIVALLI
Sapienza Università di Roma

44. HIos XX, 1, SC 71, p. 412 : « Ipse Dominus noster Iesus Christus, si nos inueniat his uacan-
tes et huiuscemodi studiis uel excercitiis operam dantes, non solum pasci et refici dignatur in
nobis, uerum etiam si has epulas apud nos uiderit apparatas, patrem secum dignatur adducere. Sed
haec, quia satis magna et supra hominem uidentur, non meis tibi, sed ipsius Domini et Saluatoris
sermonibus comprobentur dicentis : “Amen dico uobis quia ego et pater ueniemus et mansionem
faciemus et coenabimus apud eum.ˮ Quem ? Illum profecto qui sua mandata custodit. »
45. J. J. CONTRENI, The Cathedral School of Laon from 850-930: its Manuscripts and his
Masters, München, 1978.
II.

REMPLOI HERMÉNEUTIQUE ET THÉOLOGIQUE


DES PÈRES GRECS
DANS L’ANTIQUITÉ TARDIVE ET AU MOYEN ÂGE
Ex Orientis partibus.
Agostino e le fonti greche nel Contra Iulianum

I. – AGOSTINO E LA GRECITÀ
Nel primo libro delle sue Confessiones Agostino, ormai più che quarantenne,
ricordando gli albori della sua formazione intellettuale, inserisce un interessante
riferimento al suo primo contatto con la lingua e la letteratura greca1. Sono
pagine costruite, forse inconsciamente, attraverso un gioco di corrispondenze
ben bilanciate, in cui il vescovo di Ippona pone l’uno davanti all’altro il mondo
culturale greco e quello latino, lo studio della lingua e quello della letteratura, fino
ad arrivare al confronto, pesantemente caricato dal severo giudizio dell’Agostino
narrante, tra l’interesse per i personaggi fittizi e per le loro vicende con quello,
concorrenziale, verso l’unica vicenda veramente importante, cioè il percorso suo
personale e quello di ogni singolo uomo verso Dio.
Tralasciando quest’ultimo aspetto, che per Agostino è certamente il più impor-
tante, si osserva che nel giudizio dell’Ipponate lo studio della lingua, intesa come
morfologia e sintassi, è ben più importante di quello delle opere letterarie, in cui
la narrazione ha, come si è appena detto, il potere di sviare l’uomo dal suo fine
ultimo: naturalmente Agostino, da giovane, preferiva le seconde, e proprio per
questo, lascia intendere, ama il latino, ma solo, sembra confessare, perché lo ha
appreso naturalmente e senza sforzo, come lingua materna. Legge avidamente
Virgilio, mentre gli restano preclusi i poemi omerici, che offrono attrattive non
inferiori, ma per apprezzare i quali Agostino dovrebbe conoscere la lingua, quelle
Graecas litteras che trova odiose perché è costretto a impadronirsene attraverso
un intenso studio morfosintattico a cui preferisce sottrarsi (del resto anche lo
studio della grammatica latina gli riusciva altrettanto sgradito). Il dolce diletto di
leggere un bel racconto viene in qualche modo inficiato dallo sforzo, paragonato
addirittura al fiele, di doversi acclimatare, attraverso un esercizio lungo e in ampia
misura arido, alle strutture di una lingua percepita come estranea. Poi Agostino

1. Confessiones, I, 13, 20 – 14, 23.


106 GIUSEPPE CARUSO

introduce un’ulteriore corrispondenza, tutta interna allo studio delle lingue (e


quindi estranea a quello delle letterature, di cui ha già dichiarato egualmente
apprezzabili per valori letterari – e disprezzabili per la pessima ricaduta morale
– i due poeti maggiori) tra un apprendimento naturale, frutto della curiosità del
bambino che desidera relazionarsi con il contesto in cui vive (Confessiones, I,
8, 3, da leggersi in stratta contiguità con 14, 23), e un apprendimento forzoso e
innaturale, quale è quello di una lingua straniera. Dal testo delle Confessiones
emerge dunque il fatto che Agostino non ha una conoscenza del greco, se non
superficiale e stentata; secondo Pierre Courcelle si tratta, almeno fino agli anni tra
il 416 e il 419, di una conoscenza veramente approssimativa, destinata a restare a
lungo tale. L’illustre cattedratico si oppone frontalmente a quanti ipotizzavano che
Agostino avesse precocemente avuto una profonda dimestichezza con la lingua
greca, da far risalire agli anni tra il 391 e il 396 o, in alternativa, al 4002; prendendo
invece molto sul serio la dichiarazione di ignoranza che si legge nel Contra litteras
Petiliani3, ritiene che l’Ipponate abbia acquisito maggior confidenza con quell’i-
dioma intorno al 419, dal momento che in scritti risalenti a quel torno di tempo è
in grado di apprezzarne la bellezza e di fare pertinenti considerazioni grammaticali
su testi greci4. Sembra che un progressivo incremento nella conoscenza del greco
sia l’elemento costante emergente dalla lettura delle opere dell’Ipponate. Tuttavia
Henri Marrou, in seguito a una nuova analisi dei dati, conclude che Agostino, pur
migliorando progressivamente la sua conoscenza del greco, non ne ebbe mai una
padronanza paragonabile a quella di altri autori contemporanei, come Ambrogio e
Girolamo. Pertanto, benché l’una o l’altra volta egli faccia riferimento a vocaboli
greci e a termini tecnici della retorica o della filosofia, ciò indica un innegabile
contatto con la lingua di Atene, ma non assicura che egli abbia avuto la reale
possibilità di conoscere direttamente le fonti greche5.

2. Egli fa riferimento alle ipotesi di H. BECKER, Augustin. Studien zu seiner geistigen


Entwicklung, Leipzig, 1908, p. 120-138, che postula il 400, e a quelle di P. GUILLOUX, « Saint
Augustin savait-il le grec ? », Revue d’Histoire ecclésiastique, 26, 1925, p. 79-83 e S. SALAVILLE,
« La connaissance du grec chez saint Augustin », Échos d’Orient, 21, 1922, p. 387-393, che
invece si orientano per il 391-396; P. COURCELLE, Les lettres grecques en Occident. De Macrobe
à Cassiodore, Paris, 1948, p. 144-145.
3. Agostino riafferma di non conoscere poco, o addirittura per nulla, il greco in Contra litteras
Petiliani, 2, 38, 91: ma lo fa esattamente prima di correggere Petiliano, che traduce catholicos
come unicum sive totum, spiegandogli che il termine deriva da ὅλον, che significa totum e non
unum, e che καθ´ ὅλον, si deve tradurre secundum totum. Il contesto inclina a vedere qui un’e-
spressione ironica, esclusa però da P. COURCELLE, Les lettres grecques, p. 142.
4. Si legge nelle Quaestiones in Heptaeucum, VII, 37: « Vnde Graecorum nomine Apostolus
omnes gentes significat … quod in linguis gentium graeca ita excellat, ut per hanc omnes decenter
significentur » (CSEL 28/2, p. 471); P. COURCELLE, Les lettres grecques, p. 147-148, riferisce altri
brani del medesimo tenore nonché alcune annotazioni morfosintattiche in cui Agostino confronta
con proprietà il greco e il latino.
5. H.-I. MARROU, Sant’Agostino e la fine della cultura antica, Milano, 1987, p. 45-59.
EX ORIENTIS PARTIBVS 107

L’età di Agostino, lo ha messo in luce tra gli altri il già citato Marrou, cono-
sce una progressiva alienazione del mondo latino dalla grecità; solo le classi
più elevate riescono a conservare in larga parte un paritetico possesso delle due
lingue; ma non è questo il caso del retore di Tagaste. Egli si accosta al mondo
greco soprattutto attraverso traduzioni, con tutti i limiti che un simile approccio
comporta: quantitativi, posto che può leggere solo ciò che è stato tradotto, e quali-
tativi, in quanto la traduzione è sempre una mediazione, ed è ingenuo pensare che
non lasci nessuna traccia nel metatesto6; proprio a quest’ultimo limite Agostino
cerca di porre rimedio, di quanto in quanto, attraverso la consultazione diretta del
prototesto; è infatti assodato che egli conobbe il greco nella misura sufficiente per
verificare sugli originali i testi che egli leggeva in traduzione latina.
Nel corso della polemica contro Giuliano di Eclano, il campione del pela-
gianesimo che accusava Agostino di aver introdotto surrettiziamente nella fede
ecclesiale contenuti dottrinali manichei, innovando a sproposito quanto fino ad
allora era stato creduto e insegnato, l’Ipponate si trova costretto a ricorrere ai testi
dei suoi predecessori, sia latini che greci, per dar prova di essere in stretta continu-
ità con la fede di tutta la chiesa; si analizzerà pertanto qui l’uso degli autori greci
citati da Agostino nel Contra Iulianum7.

II. – IL CONTRA IVLIANVM


Nel De peccatorum meritis et remissione, il suo primo scritto antipelagiano
(e più precisamente anticelestiano) risalente gli inizi del 412, Agostino aveva
connesso la peccaminosità da cui sono indistintamente affetti tutti i bambini che
vengono al mondo alla concupiscenza, cioè al desiderio disordinato, che sempre
accompagna ogni intercorso sessuale, anche quello che si esercita nel più santo dei
matrimoni8: da questo gli derivò da parte dei pelagiani, di cui fu uno degli avver-
sari di punta, l’accusa di condannare le nozze in quanto lo strumento principe per
la propagazione del peccato originale e di essere pertanto, sia pure in modo non
manifesto, un manicheo9. Tale addebito fu più volte ripetuto nel corso dell’annosa
polemica pelagiana, come si evince dal De gratia Christi et de peccato originali,

6. Ciò è ancora più vero se si pone mente al fatto che la traduzione antica era piuttosto una
riscrittura: si veda quel che scrive Girolamo in Epist. 57 Ad Pammachium, de optimo genere
interpretandi.
7. Lo studio di P. F. BEATRICE, Tradux peccati. Alle fonti della dottrina agostiniana del peccato
originale, Milano, 1978 è volto a rinvenire i precedenti della dottrina agostiniana sul peccato
originale; pur restando un saggio di grande valore, si è da più parti sottolineato la grande, e forse
eccessiva importanza assegnata, tra questi precedenti, alla tradizione encratita, magari a scapito
di altre: si veda quanto scrive J. LÖSSL nella recensione alla traduzione in inglese: The Journal of
Theological Studies, NS 65, 2014, p. 759-762.
8. De peccatorum meritis et remissione et de baptismo parvulorum, I, 29, 57.
9. De nuptiis et concupiscentia, I, 1, 1.
108 GIUSEPPE CARUSO

opera composta nel 418. Albina, Piniano e Melania iuniore, personaggi di spicco
nella società dell’epoca, volevano adoperarsi per la pacificazione tra i pelagiani e
i loro avversari, tanto più che Pelagio intendeva accreditarsi come perfettamente
coerente con la fede tradizionale della chiesa, e probabilmente tale si sentiva, in
buona fede. Agostino, sollecitato da quei personaggi d’alto lignaggio, si propose
di mettere in evidenza, con lo scritto appena citato, la grande distanza intercorrente
tra la sua lettura della fede ecclesiale e il pensiero di Pelagio. Nel secondo libro
dell’opera, cioè quello che propriamente si può considerare il De peccato originali,
l’Ipponate cede la parola ai suoi avversari che gli chiedono se le nozze, e l’uomo
che da esse nasce, debbone essere ritenuti un male, in quanto ineluttabilmente
connessi a una situazione di peccato10: evidentemente le provocazioni sui questo
punto dovevano essere abbastanza ricorrenti, soprattutto in un contesto polemico
vieppiù arroventatosi e tenendo presente l’effettiva delicatezza dell’elaborazione
agostiniana, in cui non sempre riesce agevole distinguere tra le nozze, che sono
un bene, e la loro consumazione, in cui interviene un insopprimibile elemento
disordinato e peccaminoso.
Le critiche ad Agostino furono rinnovate ancora in un libello recapitato a
Valerio, un comes che occupava alla corte imperiale di Ravenna una posizione
prestigiosa e ragguardevole. Agostino, informato del fatto indirizzò allo stesso
Valerio quello che è il primo libro del De nuptiis et concupiscentia per rispondere
alle accuse che venivano formulate a suo carico11.
Giuliano rispose allo scritto di Agostino con un’opera in quattro libri, l’Ad
Turbantium, da cui venne estratta un’epitome che Alipio nel 419, di ritorno dall’I-
talia, recò ad Agostino: il secondo libro del De nuptiis et concupiscentia è appunto
la risposta a questa raccolta di estratti alla quale il vescovo di Ippona guardò con
una certa perplessità: infatti sospettava fortemente, fino ad esserne certo, che
essa fosse tratta da un’opera di Giuliano, la cui esistenza conosceva per altra via;
d’altra parte avrebbe preferito rispondere allo scritto giulianeo nella sua versione
completa e si rassegnò a prendere in considerazione l’epitome, che si rivelerà poi
maldestra, solo perché privo di quello12. Quando finalmente poté leggere l’Ad
Turbantium, Agostino riconobbe che la raccolta di estratti solo parzialmente
rendeva conto del pensiero espresso dal vescovo di Eclano e pertanto si risolse a
confutare l’intera e autentica opera con uno scritto di maggior respiro, il Contra
Iulianum, a cui pose mano intorno al 42113. L’opera di Agostino ha una struttura
particolare, e può essere distinta in due parti: la prima, che conta due libri, e la
seconda, che ne conta quattro. Se quest’ultima parte costituisce la risposta presso-

10. De gratia Christi et de peccato originali, II, 33, 38.


11. De nuptiis et concupiscentia, I, 2, 2.
12. De nuptiis et concupiscentia, II, 2, 2.
13. Nell’opera si fa riferimento a Girolamo, che morì tra il 419 e il 420, come a un defunto
(Contra Iulianum, I, 7, 34; II, 9, 36); inoltre in Retractationes, II, 61-62 l’opera è recensita subito
dopo il Contra duas epistolas Pelagianorum, assegnabile al 419-420.
EX ORIENTIS PARTIBVS 109

ché puntuale a quanto Giuliano scrive nei suoi quattro libri Ad Turbantium, nella
prima il vescovo di Ippona intende difendersi dall’accusa di essere latentemente
manicheo, dimostrando che egli professa una dottrina del tutto conforme a quella
di molti autori di sicura ortodossia, sia greci che latini14.
L’Ipponate è dunque è vivacemente impegnato a rinvenire testimonia relativi alla
condizione peccaminosa in cui l’uomo si trova al momento della nascita: impresa
facile sotto alcuni aspetti, in quanto più volte gli autori a lui precedenti hanno
fatto riferimento alla miserevole condizione dell’uomo, che è e nasce peccatore;
difficile sotto altri perché non pare affatto che la dottrina agostiniana del peccato
originale abbia trovato, prima dello stesso Agostino, fautori che gli siano pari per
coerenza e radicalità. Agostino dice che citerà solo una parte dei molti autori a
cui potrebbe far ricorso, e anche questi solo parzialmente: si tratta probabilmente
di un espediente retorico, quasi una praeteritio, per lasciar intuire che potrebbe
addurre molto di più a sostegno delle proprio posizioni15. Qui si porrà attenzione
soprattutto ai testi di autori greci in cui Agostino ritiene di rinvenire un sostegno
alle sue posizioni e al modo in cui egli se ne serve.

III. – IRENEO DI LIONE


Il primo autore citato nel Contra Iulianum è Ireneo di Lione, di cui Agostino
apprezza la straordinaria vicinanza all’ambiente e all’età apostolica. Di lui riporta
due brani tratti dall’Adversus haereses. Nel primo il vescovo di Lione intreccia
Num. 21, 8, e Io. 12, 32, che al primo fa riferimento, con Rom. 8, 3, per concludere
che gli uomini possono salvarsi dall’antico ferita dovuta al morso del serpente solo
confidando in Cristo, innalzato sulla croce con una carne simile a quella del pec-
cato. L’altro brano pone invece uno stretto parallelismo tra Eva e Maria, entrambe
vergini, ma disobbediente l’una e obbediente l’altra, e tra Adamo e Cristo: il
peccato del protoplasto viene guarito dalla rettitudine del Primogenito. Si osserva
anche qui un notevole sfondo paolino, quello tratteggiato in Rom. 5, 12-18: il
peccato di Adamo (e per Ireneo anche di Eva!), danneggia tutti, come la santità di
Cristo, e la correlativa obbedienza di Maria, a tutti recano giovamento. Purtroppo
Ireneo non dice come e fino a che punto la natura umana sia stata danneggiata; le
sue considerazione sul peccato che tocca in qualche modo tutta l’umanità bastano
però ad Agostino per ritenerlo un diretto predecessore della sua dottrina16. Da un
semplice confronto testuale emerge che Agostino leggeva l’opera di Ireneo nella
traduzione latina che è giunta integra alla posterità; meno facile, e al limite impos-
sibile, è stabilire se il vescovo di Ippona avesse a disposizione il testo ireneano in
versione integrale oppure avesse accesso solo ad alcuni brani, perché citati da altri

14. Contra Iulianum, I, 1, 3.


15. Contra Iulianum, I, 3, 5.
16. Contra Iulianum, I, 3, 5. I brani di Ireneo provengono da Adversus haereses, IV, 2, 7 e V,
19, 1.
110 GIUSEPPE CARUSO

(ma da chi?) o provenienti da una raccolta di testimonia; la mancata menzione


del titolo dello scritto di Ireneo potrebbe indurre ad avvalorare questa seconda
ipotesi17.
Agostino menziona gli scritti di Ireneo in connessione a quelli di una serie
di autori occidentali (Cipriano, Reticio di Autun, l’ispanico Olimpio, Ilario di
Poitiers, Ambrogio di Milano, Innocenzo di Roma)18; dopo aver presentato i testi
di questi autori, quasi per prevenire l’accusa di Giuliano di non aver preso in
considerazione la chiesa d’Oriente annuncia che farà riferimento anche ai vescovi
di lingua greca19; risulta dunque evidente che Agostino pone Ireneo fra i Latini, o
perché fu vescovo in una sede occidentale dell’impero, quindi in senso solo geo-
grafico o forse più probabilmente perché, leggendolo solo in traduzione, ignorava
che egli è un autore di lingua greca.

IV. – GREGORIO DI NAZIANZO


Per Agostino è fuor di dubbio che la chiesa d’Occidente condivida le sue
posizioni sul peccato originale: egli lo ha dimostrato riportando, come si è
detto, le opinioni dei più illustri dottori latini. Giuliano potrebbe però, con un
gesto brusco e polemico, volgere le spalle a quella chiesa nella quale egli è stato
generato alla fede, e volgersi verso la chiesa d’Oriente, ma sarebbe un’operazione
inutile in quanto una e la medesima è la fede dei cristiani, tanto in Oriente che in
Occidente20: Agostino si appresta a comprovarlo attraverso il ricorso agli scritti di
eminenti autori greci.
Il primo di questi è Gregorio di Nazianzo, di cui sono riportati quattro brani
provenienti da tre omelie; Agostino le legge nella versione predisposta da Rufino
di Aquileia21. La prima è un discorso pronunciato in occasione di una grandinata

17. Per approfondimenti sul tema si veda il capitolo « Augustinus und Irenäus », in B. ALTANER,
Kleine Patristische Schriften, Berlin, 1967, p. 194-203.
18. Le testimonianza di questi scrittori sono riportate, nell’ordine qui dato in Contra Iulianum,
I, 3, 6 – 4, 13, subito dopo Ireneo e prima di Basilio. In Contra Iulianum, II, 10, 33 Agostino
elenca i medesimi autori, aggiungendo i tre « greci » (Gregorio, Giovanni e Basilio) e, quasi
extra collectionem, Girolamo; tuttavia si ha qui un’inspiegabile inversione, in quanto Innocenzo,
l’ultimo latino, viene menzionato dopo Gregorio; così almeno nel testo della PL 44, col. 775. In
Contra Iulianum opus imperfectum, IV, 72-73 si legge per due volte un elenco abbreviato, ma
sempre con Ireneo in testa e i « greci » in coda: Ireneo, Cipriano, Ilario, Ambrogio, Gregorio,
Basilio, Giovanni.
19. Contra Iulianum, I, 4, 13; 5, 15.
20. Contra Iulianum, I, 4, 14.
21. Rufino tradusse 8 omelie del Nazianzeno (si trovano in CSEL 46), e probabilmente
Agostino ebbe a sua disposizione l’intera raccolta, forse con l’aggiunta di altri testi dei Cappadoci
o attribuiti a loro. Un codice Vaticano Reginense restituisce le omelie del Nazianzeno insieme
alle pseudobasiliane De ieiunio, di cui si dirà in seguito; si veda in proposito quanto scrive C. LO
EX ORIENTIS PARTIBVS 111

rovinosa che aveva distrutto i raccolti a Nazianzo. Gregorio vede in quella disa-
strosa circostanza una manifestazione della collera divina che colpisce i peccati
dei Nazianzeni per richiamarli alla conversione, che è sempre possibile. Agostino
riporta il brano in cui Gregorio auspica che l’anima, creata a immagine di Dio
si purifichi dal contatto con la carne (questa si segnala come un’interpretazione
rufiniana del testo di Gregorio, ben più neutrale verso la dimensione corporea) e
aggiunge poi che sarebbe stato meglio non staccarsi dall’albero della vita peccando
ma che, essendo questo avvenuto, la prospettiva migliore è quella di convertirsi
ed essere corretti. Il brano tratta effettivamente dell’universalità del peccato, ma
questa è conseguenza del fatto che tutti, l’una o l’altra volta, commettono peccati
personali; non sembra dunque che si stia facendo riferimento a una singola colpa
condivisa da quanti partecipano alla condizione umana22. Seguono due testi, tratti
questa volta da un’omelia natalizia. Il primo è sostanziato da due aperte allusioni
a brani paolini (1 Cor. 15, 22 e Rom. 5, 20), tesi a mettere in luce lo stretto paralle-
lismo tra Adamo e Cristo: nell’uno l’umanità ha conosciuto la morte, nell’altro la
salvezza, e così si è avviato il passaggio da una condizione peggiore a una migliore,
in cui la grazia ha superato di gran lunga il peccato. Sembra che Agostino evidenzi
questo brano perché esso mette in forte risalto la solidarietà di tutti gli uomini
con Adamo e al contempo la necessità di essere innestati nel mistero di Cristo per
essere giustificati e avere la vita. Purtroppo quello che il brano lascia in ombra, e
che costituisce l’argomento della controversia tra Agostino e Giuliano, è proprio il
modo di intendere la solidarietà tra il protoplasto e i suoi discendenti, ma all’Ippo-
nate basta far notare che non si può semplicemente tacciare di manicheismo ogni
visione antropologica che tenga conto del profondo limite morale che affligge
tutta l’umanità. L’altro brano dell’omelia natalizia connette la nascita di Cristo
con la liberazione dell’uomo e l’apertura del paradiso: quasi a dire che se Cristo
non fosse nato l’unico destino possibile per l’umanità sarebbe stato la prigionia e
l’alienazione dalla beatitudine23, idea questa che, ancora una volta, vale a dare la
misura di quanto sia difettosa la condizione umana.
La versione rufiniana del quarto testo del Nazianzeno citato da Agostino è
alquanto diversa dall’originale greco; si tratta dell’Oratio 41, un discorso pronun-
ciato nella festa di Pentecoste. Gregorio comprova la divinità dello Spirito Santo
adducendo passi scritturistici in cui se ne afferma la partecipazione sia all’opera
della creazione che a quella della rigenerazione spirituale; fa pertanto riferimento
a Io. 3, 5 e conclude che la nascita alla vita naturale è un « mistero notturno », una
realtà tenebrosa che deve essere riscattata attraverso la plasmazione che avviene

CICERO, « Audi, Iuliane. Echi della polemica contro Giuliano d’Eclano nelle glosse marginali del
Vat. Reg. Lat. 141 », in Venuste noster. Scritti offerti a Leopoldo Gamberale (Spudasmata 147),
M. Passalacqua – M. De Nonno – A. M. Morelli edd., Hildesheim – Zürich – New York, 2012,
p. 371-399.
22. Contra Iulianum, I, 4, 16. Il testo citato è GREGORIVS NAZIANZENVS, Oratio 16, 15.
23. Contra Iulianum, I, 4, 16. Il testi citati sono GREGORIVS NAZIANZENVS, Oratio 38, 4 e 17.
112 GIUSEPPE CARUSO

in piena luce, cioè la rinascita battesimale. Rufino esplicita il testo gregoriano e


invece di parlare di mistero notturno, che è espressione alquanto criptica, prefe-
risce scrivere di maculae della prima nascita e aggiunge, quasi a spiegazione di
quanto ha detto, un riferimento a Ps. 50, 7: le macchie sono le iniquità e i delitti nei
quali ciascuno è concepito e generato. Il testo gregoriano, con il suo riferimento
generico all’oscura peccaminosità della prima nascita, sarebbe stato per Agostino
un buon puntello; lo rende ottimo l’elaborazione rufiniana che, ispirata dal testo
salmico, ravvisa nella generazione e nascita un che di colpevole24.

V. – BASILIO
Subito dopo Agostino passa a un altro autore dell’Oriente cristiano, Basilio,
anche perché proprio nel IV libro dell’Ad Turbantium Giuliano lo citava a proprio
vantaggio estraendo da uno scritto Adversus Manicheos alcuni passi che negavano
risolutamente l’esistenza del male come sostanza, affermando invece che esso è
solo frutto di una volontà mal orientata25. Evidentemente citare uno scritto anti-
manicheo per combattere Agostino valeva ad appiattire ancora di più le posizioni
dell’Ipponate su quelle dei suoi antichi amici e poi acerrimi avversari; inoltre il
poter rivendicare come sodale un personaggio di chiara fama come Basilio di
Cesarea rafforzava ancora di più la sua posizione. L’Adversus Manicheos è in
realtà un’opera di Serapione di Thmuis, discepolo di Antonio e amico di Atanasio;
essa dunque non è basiliana26, anche se Giuliano la riteneva tale, e probabilmente
in buona fede: citare scientemente un testo pseudepigrafo sarebbe stato rischioso
nel corso di una polemica ormai candente. D’altra parte Agostino sembra non
dubitare affatto dell’attribuzione, e si limita a fare del testo pseudo-basiliano un’e-
segesi che non contrasti con le sue posizioni. Il primo brano tratto dall’Adversus
Manicheos, dove si afferma che il male non è connaturale alla sostanza, ma è
sopravvenuto in essa per un atto di volizione e che pertanto può essere da essa

24. Contra Iulianum, I, 4, 15 (PL 44, c. 650): « Persuadeat – inquit – tibi de hoc quoque
sermo Christi dicentis, neminem posse introire in regnum caelorum, nisi renatus fuerit ex aqua
et spiritu. Per hunc primae nativitatis maculae purgantur, per quas in iniquitatibus concipimur, et
in delictis genuerunt nos matres nostrae. » Questo il testo originale: GREGORIVS NAZIANZENVS,
Oratio 41, 14: Πειθέτω σε τὸ Μηδένα δύνασθαι τὴν βασιλείαν ἰδεῖν ἢ λαβεῖν, ὅς τις μὴ
ἄνωθεν ἐγεννήθη Πνεύματι, καὶ τὴν προτέραν ἐκαθαρίσθη γέννησιν, ἢ νυκτός ἐστι
μυστήριον, ἡμερινῇ καὶ φωτεινῇ διαπλάσει, ἣν καθ´ἑαυτὸν ἕκαστος διαπλάττεται.
Da: GRÉGOIRE DE NAZIANZE, Discours 38-41 (SC 358), C. Moreschini éd., Paris, 1990, p. 344-346.
25. Contra Iulianum, I, 5, 16. In Contra Iulianum, VI, 22, 69, proprio nel conteso della risposta
al quarto libro giulianeo, Agostino farà riferimento ai brani che qui si presentano.
26. Per il greco: SERAPION OF THMUIS, Against the Manichees, R. P. Casey ed., London,
1931; rist. New York, 1969, p. 31: si tratta dei capitoli IV e V. Si veda in proposito: N. CIPRIANI,
« L’autore dei testi pseudobasiliani riportati nel C. Iulianum, I, 16-17 e la polemica antiagosti-
niana di Giuliano d’Eclano », in Congresso internazionale su S. Agostino nel XVI centenario della
Conversione, Roma, 15-20 settembre 1986, t. I, Roma, 1987, p. 439-449.
EX ORIENTIS PARTIBVS 113

separato, è accolto da Agostino con alcune precisazioni che, a suo dire, erano
presenti, ancorché implicite, nella mente dell’autore (per lui Basilio!): il male
è sopravvenuto nella natura umana per la volontà perversa dei progenitori, che
acconsentirono al peccato e può essere effettivamente estirpato da essa, ma non
per volontà umana, bensì per la misericordia di Dio27.
La seconda citazione è tesa a dimostrare, attraverso una stringente argomen-
tazione, di tipo sillogistico, che la corporeità è una realtà buona: la castità è una
virtù, e quindi è certamente buona; se il corpo fosse un male sostanziale sarebbe
impossibile trovare un corpo casto, perché in tal caso si avrebbe la situazione con-
traddittoria di un male che è buono. Invece i corpi possono santificarsi attraverso
la virtù, fino a diventare tempio di Dio; pertanto risulta demolita l’idea manichea
della corporeità intesa come male sostanziale28. Agostino spiega che la sua visione
è ben diversa da quella manichea: egli ritiene infatti che il corpo sia un bene, ma
che durante il corso della vita terrena esso, in quanto corruttibile, sia un aggravio
per l’anima: tuttavia non lo fu all’origine, e non lo sarà alla fine; inoltre esso si
rende, già qui, tempio di Dio attraverso la virtù della castità, esercitata nei vari stati
di vita (e quindi anche nel matrimonio!)29.
Ai brani basiliani, o meglio pseudo-basiliani, citati da Giuliano e riletti da
Agostino, questi aggiunge un ulteriore brano, tratto dalla prima omelia De ieiunio
di Basilio. Agostino afferma di aver trovato il testo basiliano già tradotto, e non è
difficile ipotizzare dove: le omelie De ieiunio, infatti, sono tra quelle basiliane tra-
dotte da Rufino30 di cui l’Ipponate è, come si vide, lettore. Tuttavia si presenta qui
una circostanza particolarmente interessante: Agostino afferma di aver preferito
tradurre da sé il testo omiletico per essere sicuro di aderire strettamente all’ori-
ginale greco. Per sottolineare l’importanza del digiuno, il vescovo di Cesarea lo
connette al primo comando dato da Dio all’uomo, quello di astenersi dai frutti
dell’albero edenico; la trasgressione, egli continua, ha reso necessario il digiuno
ai figli di Eva: come tutti si sono ammalati per il peccato, infatti, tutti sono guariti
dalla penitenza che ha nel digiuno una delle sue forme principali. La traduzione
di Agostino appare assolutamente letterale, molto più di quella data da Rufino:
evidentemente Agostino aveva a disposizione il testo greco di Basilio, e dà qui
prova di poter confrontare un traduzione latina con il suo originale31.

27. Contra Iulianum, I, 5, 16.


28. Contra Iulianum, I, 5, 17.
29. Contra Iulianum, I, 5, 17.
30. Si veda in proposito RUFIN VON AQUILEIA, De ieiunio, I, II, Zwei Predigten über das
Fasten nach Basileios von Kaisareia, H. Marti Hrsg., Leiden, 1989.
31. Contra Iulianum, I, 5, 18 (PL 44 652): « Ieiunium – inquit – in paradiso lege constitutum
est. Primum enim mandatum accepit Adam: “A ligno sciendi bonum et malum non manducabitis.ˮ
Non manducabitis autem, ieiunium est, et legis constitutionis initium. Si ieiunasset a ligno Eva,
non isto indigeremus ieiunio. “Non, enim, opus habent valentes medico, sed male habentes.ˮ
Aegrotavimus per peccatum, sanemur per paenitentiam. Paenitentia vero sine ieiunio vacua est.
114 GIUSEPPE CARUSO

Continuando la sua lettura Agostino rinviene, poco dopo, un testo per lui
particolarmente significativo: Basilio, stabilendo una strettissima connessione e
addirittura identificando i progenitori e il suo uditorio, afferma che tutti, per non
aver digiunato, sono stati gettati fuori dal paradiso, e che pertanto devono digiu-
nare per farvi ritorno32: per il vescovo di Ippona è una chiara affermazione che
tutti sono colpevoli a causa del peccato commesso da Adamo ed Eva nel paradiso
terrestre, in quanto tutti gli uomini erano misteriosamente presenti nei progenitori.
Per Agostino Basilio e Gregorio di Nazianzo erano fratelli (evidentemente con-
fonde il secondo con il Nisseno); egli ritiene che la testimonianza di due uomini
tanto uomini insigni e santi dovrebbe essere sufficiente a Giuliano per rendersi
conto che tanto la chiesa di lingua latina che quella di lingua greca sono concordi
nel ritenere che gli uomini nascono bisognosi di purificazione in quanto affetti
dalle conseguenze del peccato di Adamo; qualora Giuliano voglia altri testimoni,
può volgere mente ai vescovi, tutti orientali, che riuniti nel sinodo di Diospoli
riconobbero erronea la dottrina di Pelagio: questi sfuggì alla condanna solo perché
in quel contesto ritrattò il suo pensiero33.

“Maledicta terra spinas et tribulos pariet.ˮ Contristari ordinatus es, numquid deliciari? » Questo è
il testo di BASILIO, De ieiunio, I, 3: Νηστεία ἐν τῷ παραδείσῳ ἐνομοθετήθη. Τὴν πρώτην
ἐντολὴν ἔλαβεν Ἀδάμ· Ἀπὸ τοῦ ξύλου τοῦ γινώσκειν καλὸν καὶ πονηρὸν οὐ φάγεσθε.
Τὸ δὲ, οὐ φάγεσθε, νηστείας ἐστὶ καὶ ἐγκρατείας νομοθεσία. Εἰ ἐνήστευσεν ἀπὸ τοῦ
ξύλου ἡ Εὔα, οὐκ ἄνταύτης νῦν ἐδεόμεθα τῆς νηστείας. Οὐ γὰρ χρείαν ἔχουσιν οἱ
ἰσχύοντες ἰατροῦ, ἀλλ’ οἱ κακῶς ἔχοντες. Ἐκακώθημεν διὰ τῆς ἁμαρτίας· ἰαθῶμεν
διὰ τῆς μετανοίας· μετάνοια δὲ χωρὶς νηστείας ἀργή. Ἐπικατάρατος ἡ γῆ, ἀκάνθας
καὶ τριβόλους ἀνατελεῖ σοι. Στυγνάζειν προσετάχθης, μὴ γὰρ τρυφᾷν. Così lo rende
RUFINO: « Prima ieiunii lex non in hoc mundo, sed ante mundum in paradiso data est. Hoc primum
mandatum primus a Deo homo factus accepit, ut “de ligno, scilicet, sciendi bonum et malum non
manducaretˮ; non manducare autem ieiunare est et legem continentiae custodire. Denique si ieiu-
nasset Eva illud ieiunium, numquam nos indiguisset isto ieiunio, quia “nec sani indigent medico,
sed qui male habentˮ; male habemus et aegrotamus per cibum peccati, curemur et sanemur per
ieiunium paenitentiae: per cibum offensus est Deus, per ieiunium mitigetur. Sed et ipsa sententia
qualis sit, nunc consideramus: “maledicta, inquit, terra in operibus tuis, spinas et tribulos proferet
tibiˮ. Numquid deliciari nos patitur ista sententia? » (H. Marti Hrsg., p. 14-16).
32. Contra Iulianum, I, 5, 18 (PL 44, c. 652): « Quia non ieiunavimus, inquit, decidimus de
paradiso. Ieiunemus ergo, ut ad eum redeamus. » Anche questa volta Agostino traduce pedisse-
quamente il testo di BASILIVS, De ieiunio, I, 4: Ἐπειδὴ οὐκ ἐνηστεύσαμεν, ἐξεπέσομεν τοῦ
παραδείσου νηστεύσωμεν τοίνυν, ἵνα πρὸς αὐτὸν ἐπανέλθωμεν. Questa invece è la
versione di RUFINO: « Expulsi sumus de paradiso, quia non ieiunavimus: ieiunemus nunc, ut ad
paradisum revertamus » (H. Marti Hrsg., p. 16).
33. Contra Iulianum, I, 5, 19; Agostino, nel De gestiis Pelagii, si era ampiamente occupato
del sinodo di Diospoli, i cui Atti, richiesti a Giovanni di Gerusalemme (Epist. 179, 7), gli erano
stati poi inviati da Cirillo di Alessandria (Epist. 4*, 2). Il documento era in greco, e quindi fu
tradotto, ma non si sa da chi. C. C. BURNETT, « Dysfunction at Diospolis: A Comparative Study
of Augustine’s De Gestis Pelagii and Jerome’s Dialogus Adversus Pelagianos », Augustinian
Studies, 34, 2003, p. 153-173, pur occupandosi ex-professo di tale questione, non sa dire se questa
versione fu fatta « da » o « per » Agostino (p. 156).
EX ORIENTIS PARTIBVS 115

VI. – IL DOSSIER SU GIOVANNI CRISOSTOMO


Agostino si volge in seguito agli scritti di Giovanni Crisostomo; il ricorso a
questo autore è in qualche modo obbligatorio in quanto Giuliano, nel IV libro
del suo Ad Turbantium, aveva citato un brano dell’omelia Ad neophytos, in cui
Crisostomo afferma che i bambini non hanno peccati personali, e ricevono il
battesimo non per la purificazione, ma per ottenere i benefici connessi a questo
sacramento34. Agostino si trova quindi nella necessità di spiegare un testo che
sembra muoversi in una direzione diametralmente contraria alla sua35. Il vescovo
di Ippona in questo caso controlla il testo riportato da Giuliano con l’originale
greco crisostomico, e scopre una circostanza che gioca a suo favore. Nella cita-
zione riportata da Giuliano si afferma che i bambini vengono battezzati, pur non
avendo peccato (« Hac de causa etiam infantes baptizamus; cum non sint coin-
quinati peccato, ut eis addatur sanctitas, iustitia, adoptio, hereditas, fraternitas
Christi, ut eius membra sint »); la forma del testo lascerebbe dunque intendere
che gli infanti sono senza peccato originale. Agostino ricorrendo al testo greco
dell’omelia Ad neophytos, che egli evidentemente aveva sottomano, si accorge
che contiene un plurale, ἁμαρτήματα, invece del singolare. Si deve dunque
intendere bene l’affermazione del Crisostomo; egli ha detto parvulos non habere
peccata, una cosa ben diversa dall’affermazione che si legge in Giuliano, non
coinquinatos esse peccato36. L’uso del plurale suggerisce che si sta parlando dei
peccati personali, i molti peccati che continuamente si compiono e di cui i bambini,
incapaci di volere, sono esenti; il singolare e l’intero tenore del testo trasmesso da
Giuliano, in cui si legge un eloquente aggettivo, coinquinatos, che allude a una
scellerata comunione nella colpa, induce il lettore a pensare che il Crisostomo si
riferisca al peccato originale. Per Agostino, invece, è evidente che il santo vescovo
di Costantinopoli ha escluso nei bambini la presenza dei peccati personali, ma non
il peccato originale37.

34. Si tratta di Ad neophytos, 5 e 6; Agostino ricorda questo riferimento, insieme a quello , di


cui si disse già, a Basilio in Contra Iulianum, VI, 22, 69, senza però ritornare sulla questione ma
rimandando al brano di cui qui si tratta.
35. Contra Iulianum, I, 6, 21.
36. Per il brano dell’omelia crisostomica si veda JEAN CHRYSOSTOME, Huit catéchèses bap-
tismales inédites (SC 50), A. Wenger éd., Paris, 1970, p. 153-154; per le questioni introduttive e
critiche, le p. 30-35. Si può inoltre consultare: GIOVANNI CRISOSTOMO, Le catechesi battesimali,
L. Zappella ed., Milano, 1998, specialmente le p. 30-35 e, per il testo omiletico in italiano, le
p. 214-215. Si veda anche F.-J. THONNARD, « Saint Jean Chrysostome et saint Augustin dans la
controverse pélagienne », Revue des études byzantines, 25, 1967, p. 189-218.
37. Contra Iulianum, I, 6, 22.
116 GIUSEPPE CARUSO

Come nel caso dell’omelia basiliana De ieiunio, di cui si è detto sopra, anche
questo ricorso all’originale crisostomico porta a pensare che Agostino abbia
sviluppato la capacità, se non di leggere speditamente un testo greco, almeno
di confrontarlo con uno latino, secondo una prassi che spesso lo ha illuminato
nell’interpretazione di passi biblici ambigui o difficili38. Tuttavia resta un margine
di dubbio: come ha messo in evidenza Bouhot, dovevano infatti già circolare due
traduzioni dell’omelia crisostomica, l’una che traduceva il greco con il singolare
riportato da Giuliano, e l’altra invece che, più fedele all’originale, riportava il plu-
rale; non è impossibile che Agostino, constatando la divergenza tra le due versioni
latine di Ad neophytos, un testo per lui di grande valore dogmatico, si sia procurato
l’originale greco e su quello abbia verificato entrambe le versioni, fino a produrne,
sia in questo caso che in un altro di cui si dirà tra breve, una sua propria39.
A questo punto sembra opportuno chiedersi come e di quali scritti crisostomici
Agostino possa realmente far uso. La questione è stata oggetto di uno studio
intenso culminato nella sintesi predisposta da Sever Voicu, pubblicata venti anni
or sono ma ancora valida e apprezzabile. Il vescovo di Ippona ha avuto a sua
disposizione una raccolta di testi latini, alcuni dei quali sono traduzioni di omelie
autentiche di Crisostomo, mentre altri hanno una provenienza disparata. Questa
raccolta è stata chiamata, da Wilmart in poi40, la « collezione delle 38 omelie »,
anche se si tratta di testi di varia forma letteraria (omelia, lettera, trattato), e a
dispetto del fatto che i codici restituiscano sillogi che presentano un numero di
scritti spesso superiore a 3841.
Sempre dalla cosiddetta raccolta « delle 38 omelie » Agostino cita una lettera
di Giovanni a Olimpiade in cui si dice che Adamo con il suo peccato condannò
se stesso e tutto il genere umano42, e, in stretta connessione con questo, un brano

38. Valga per tutti un solo, illuminante esempio di questa prassi, offerto dallo stesso Agostino
in De doctrina Christiana, III, 3, 7. Qui egli fa riferimento a un versetto salmico: « Non est
absconditum a te os meum, quod fecisti in abscondito » (Ps. 138, 15) e nota che il termine os può
essere ambiguo: se lo si pronuncia infatti con vocale breve, significa osso; se con la vocale lunga,
bocca (Agostino ricorre, per distinguere i due termini, ai loro plurali: ossa e ora); nel dubbio, il
ricorso al testo greco è dirimente, in quanto la presenza del termine ὄστεον invece di στόμα che
assicura che si sta parlando proprio di ossa.
39. La versione dell’omelia nota ad Agostino è stata pubblicata da J.-P. BOUHOT, « Version
inédite du sermon “Ad neophytos” de s. Jean Chrysostome, utilisée par S. Augustin », Revue des
études augustiniennes, 17, 1971, p. 27-41, articolo datato ma di gran pregio.
40. A. WILMART, « La collection des 38 homélies latines de saint Jean Chrysostome », The
Journal of Theological Studies, 19, 1918, p. 305-327.
41. S. J. VOICU, « Le prime traduzioni latine di Crisostomo », in Cristianesimo latino e cultura
greca. XXI Incontro di studiosi dell’antichità cristiana, Roma, 1993, p. 397-445; il saggio riporta
in bibliografia gli studi precedenti.
42. IOHANNES CHRYSOSTOMVS, Epist. 3, 3 (in PG 52, 574); nel volume A.-M. Malingrey éd.,
Paris, 1968, p. 248-249, il brano in questione è assegnato alla Epist. 10 (tra quelle indirizzate a
Olimpiade, disposte in ordine cronologico), par. 3a.
EX ORIENTIS PARTIBVS 117

tratto da un’omelia sulla resurrezione di Lazzaro, effettivamente di Potamio


di Lisbona43, ma trasmesso tra le crisostomiche, in cui si dice che il pianto di
Cristo davanti alla tomba di Lazzaro sia stato espressione del dolore provato dal
Redentore davanti alla disgrazia dell’umanità che, avendo amato realtà deteriori,
da immortale, quale avrebbe potuto essere, decadde nella condizione mortale44.
Nella sua terza omelia In Genesim Crisostomo mette in evidenza che, all’origine,
il rapporto tra gli uomini e gli animali era pacifico e alieno da ogni violenza, al
punto che l’uomo non aveva paura delle bestie feroci: in seguito alla trasgressione
del precetto divino l’uomo perse quel privilegio. La paura degli animali feroci è
comune a tutti gli uomini; poiché essa è conseguenza del peccato di Adamo, si
deve dedurre che tutti gli uomini sono in qualche modo partecipi di quel peccato45:
Agostino, si badi, nelle sue conclusioni va molto al di là di quanto Crisostomo non
abbia effettivamente detto. La collezione crisostomica superstite presenta solo il
primo dei sermoni sulla Genesi; è però possibile che l’esemplare in possesso di
Agostino avesse una struttura diversa da quelle giunte alla posterità46.
Subito dopo Agostino torna all’omelia Ad neophytos, proprio quella da cui l’E-
clanese ha tratto la citazione di cui si è già detto. Agostino accusa il suo avversario
di non aver letto il testo, oppure di averlo frainteso per incompetenza o, peggio,
per malizia, in quanto esso avrebbe dovuto indurlo a correggersi. Il brano del
Crisostomo a cui si assegna tanta efficacia è quello in cui, con implicito riferi-
mento a Rom. 5, 12, si fa riferimento al chirografo sottoscritto da Adamo, cioè al
debito da lui contratto a nome di tutti, che è poi accresciuto dai peccati di ognuno,
aggiunti come interesse47. Anche questa volta Agostino riporta, oltre al greco,
due versioni latine del testo: una che traduce liberamente e l’altra più letterale,
quasi a dar prova di accuratezza filologica nell’affrontare un brano teologicamente
impegnativo e per lui dirimente48.
In chiusura del dossier crisostomico Agostino cita otto brani tratti dall’Homilia X
in epistulam ad Romanos, la cui traduzione, allo stato attuale delle conoscenze,
non ha lasciato traccia nei codici superstiti delle « 38 omelie »49. La decima omelia
ha per oggetto la porzione della lettera paolina che va da Rom. 5, 12 a 6, 3, cioè
esattamente il brano in cui l’Apostolo delle genti istituisce il parallelismo tra

43. Pubblicato da A. WILMART, « Le De Lazaro de Potamíus », The Journal of Theological


Studies, 19, 1918, p. 289-304, 289, 297.
44. Contra Iulianum, I, 6, 24.
45. Contra Iulianum, I, 6, 25. L’omelia di Crisostomo si può leggere in PG 54, 590-595 (i
brani citati da Agostino in 592); quest’omelia non è contenuta nella raccolta delle 38; si veda in
proposito S. J. VOICU, « Le prime traduzioni », p. 404-405.
46. Si osservi quanto dice su questo S. J. VOICU, « Le prime traduzioni », p. 404-405.
47. Contra Iulianum, I, 6, 26.
48. Si veda in proposito: J.-P. BOUHOT, « Version inédite du sermon “Ad neophytos” », p. 40-41.
49. A tal proposito: S. J. VOICU, « Le prime traduzioni », p. 404.
118 GIUSEPPE CARUSO

Adamo e Cristo, il primo causa di morte e il secondo causa di vivificazione per


tutti50. Dal commento di Crisostomo emerge che la decadenza del mondo – che
dunque, contro il parere di Giuliano, c’è stata! – dipende dalla trasgressione di
Adamo; a chiosa di Rom. 5, 14, Crisostomo evidenzia che come la morte passò ai
discendenti, anche per quelli che non avevano mangiato dall’albero, così Cristo
è diventato per tutti, anche immeritevoli, motivo di salvezza. Ma di quale morte
sta parlando Crisostomo? Sembra proprio che egli abbia in mente la morte fisica,
che è un crudele lascito del progenitore, ma non la « morte spirituale », cioè una
condizione effettivamente peccaminosa. Il brano successivo si muove nella mede-
sima direzione, con una punta di polemica antigiudaica: all’ebreo che chiede come
la salvezza arrecata da Cristo possa giovare a tutti si deve far osservare che, a
medesimo titolo, il peccato di Adamo tutti ha danneggiato: se tanto ha potuto la
colpa di un uomo, certamente cose molto più grandi può fare la grazia di Dio.
Ciò viene spiegato da un ulteriore brano che però ho un carattere un po’ ancipite:
Crisostomo considera poco ragionevole che l’uno possa essere condannato per un
altro, ma, se questo è avvenuto, a maggior ragione si può essere salvati l’uno per
l’altro. La morte fu introdotta dal primo peccato; la grazia, poi distrusse sia quel
primo peccato con la relativa condanna (che è appunto la morte!) che tutti gli altri
peccati e ha donato, come ulteriore e più grande dono, la giustificazione.
L’ultimo brano riportato da Agostino mette in evidenza una distinzione impor-
tante: Cristo morì solo in ragione della sua carne, gli uomini, invece, a causa
del peccato51; per l’Ipponate quest’ultimo è quello trasmesso da Adamo alla sua
discendenza.
Agostino vuole rivendicare la profonda sintonia del pensiero di Giovanni
Crisostomo con il suo e con quello degli altri vescovi, di cui ha già dimostrato,
o si è sforzato di dimostrare, la solidarietà con lui. Eppure in questo contesto gli
sfugge un brano che sembra offrire una chiave di lettura alquanto diversa dei
brani crisostomici da lui citati: proprio nell’Homilia X in Epistulam ad Romanos,
quando si tratta di commentare Rom. 5, 19, Crisostomo spiega che il termine « pec-
catori » va inteso, in questo contesto, come soggetti alla sofferenza e alla morte e
non come moralmente riprovevoli: il vescovo costantinopolitano ritiene che gli
uomini abbiano ereditato dal progenitore le conseguenze della colpa primeva, ciò
la caducità e la mortalità, ma esclude che vi sia stata un’ereditarietà della colpa:
il passaggio dalla pena ereditaria alla colpa ereditaria sembra essere, in ultima
analisi, opera di Agostino.

50. Per il testo greco: PG 60, 473-484.


51. Contra Iulianum, I, 6, 27. Per il testo greco: IOHANNES CHRYSOSTOMVS, Homil. 10 in
Epist. ad Rom. 4: PG 60, 475; 476; 480.
EX ORIENTIS PARTIBVS 119

VII. – LE CITAZIONI DI AUTORI GRECI IN CONTRA IVLIANVM, II


Giuliano e i suoi sodali ritenevano che l’ammissione del peccato originale
sarebbe stata foriera di conclusioni teologicamente inaccettabili, che deducevano
con implacabile logica. Se davvero c’è il peccato originale, argomentavano, gli
uomini, nati da concupiscenza, sono opera del diavolo; le nozze sono degne di
condanna, il battesimo non è efficace per cancellare ogni traccia di peccato (infatti
questo passa dai genitori, anche se battezzati, ai figli); Dio, che punisce gli infanti
per colpe altrui e assolve i peccatori dalle proprie, non è veramente giusto e, infine,
l’autentica perfezione resta per sempre preclusa all’uomo52.
Giuliano e i suoi intendevano ovviamente dimostrare, con una reductio ad
absurdum, che l’idea del peccato originale è improponibile: nel secondo libro
del Contra Iulianum Agostino intende rispondere proprio a questi argomenti
attraverso l’esibizione di citazione autorevoli che valgano a scardinarli. Continua
quindi con il metodo inaugurato nel primo libro, facendo riferimento soprattutto
ad autori latini e solo quattro volte a greci.
La prima e la seconda citazione di autori greci provengono dal Nazianzeno.
Gregorio, nella sua Oratio XVII, fa riferimento alle fatiche dell’anima che,
oppressa dalla carne, si rifugia in Dio dal quale le proviene l’aiuto; l’Ipponate
legge l’omelia nella versione approntata da Rufino, che più dell’originale grego-
riano sottolinea l’idea che l’anima è oppressa dal corpo. Con questo testo Agostino
può mettere agevolmente in evidenza che la vita sulla terra è un diuturno combat-
timento contro le tentazioni, che insorgono dall’uomo stesso, scisso tra opposti
desideri; tuttavia ciò non significa che la carne sia intrinsecamente cattiva53. Poco
dopo viene citato un brano dell’Oratio II, il cosiddetto Apologeticum, in cui con
toni accorati e ampiamente debitori alla Scrittura Gregorio presenta la triste con-
dizione dell’uomo, tormentato dalle tentazioni lungo l’intero corso della sua vita,
e questo anche se si tratta di un battezzato che parla a un altro battezzato, segno
evidente, per Agostino, che il sacramento, se purifica il peccato, non ne svelle la
radice maligna54.
In seguito Agostino torna a citare i greci quando deve mettere in evidenza
che la sensualità ha un fondo di concupiscenza peccaminosa da cui è impossi-
bile sfuggire; adduce a sostegno un brano che ritiene di Giovanni Crisostomo in
cui si fa riferimento alle foglie di fico con cui i progenitori si coprirono dopo la
colpa (Gen. 3, 7), e si spiegano come allusive a un particolare genere di peccati
non espresso, ma facile da immaginare, di cui provavano vergogna55. Il testo

52. Contra Iulianum, II, 1, 2.


53. Contra Iulianum, II, 3, 7.
54. Contra Iulianum, II, 3, 7.
55. Contra Iulianum, II, 6, 17.
120 GIUSEPPE CARUSO

proviene da un discorso In venerabilem crucem, uno pseudocrisostomico greco,


la cui traduzione latina Agostino poteva leggere tra le « 38 omelie »56. Segue a
breve distanza un altro brano che Agostino dice essere dello stesso Crisostomo,
ma che invece appartiene all’omelia In sanctum baptisma di Basilio: si tratta di
un testo in cui il predicatore paragona la circoncisione al battesimo e invita a
non differire quest’ultimo, perché l’essere privi dell’uno come dell’altra esclude
dall’appartenenza al popolo di Dio. Agostino lo cita intrecciandolo con un brano di
Cipriano, e si spinge oltre nell’interpretazione, fino a far intendere che il prepuzio
significa il peccato da cui gli infanti, per mezzo del battesimo, vengono liberati:
evidentemente un peccato non personale, ma ereditato57.
Da quanto fin qui è stato detto emerge che Agostino, nella disputa con Giuliano
che lo accusa di essere un innovatore, è pressato dall’esigenza di dimostrare la
perfetta consonanza del suo pensiero con quelli di tutti i grandi autori che lo hanno
preceduto, tanto latini quanto greci; in effetti entrambi i contendenti, Agostino
e Giuliano, facevano ricorso ad autori del passato provocandoli ad esprimersi
sul tema del peccato di Adamo e delle sue conseguenze, che essi non avevano
affrontato in maniera diretta e compiuta, ma piuttosto in termini allusivi tali da
poter essere efficacemente citati, in modi e contesti diversi, a sostegno dell’una o
dell’altra posizione, pur non potendo essere rivendicati completamente da nessuna.
Giuseppe CARUSO
Institutum Patristicum Augustinianum
Roma

56. Si veda S. J. VOICU, « Le prime traduzioni », p. 401-403.


57. Contra Iulianum, II, 6, 18. Il testo di BASILIVS, Homilia 13, si può leggere in PG 31,
428. Perché Agostino dice crisostomica un’omelia basiliana? Il testo che leggeva gli proponeva
un’attribuzione sbagliata? O forse si tratta di un semplice errore prodottosi durante l’elaborazione
del testo? Queste domande restano fin qui senza risposta.
La voce greca della Chiesa latina
nell’ultima fase del Tardoantico.
La sinodica di Mansueto e la sua fortuna
dall’Italia longobarda fino all’Inghilterra
della Riforma enriciana

I. – GLI EFFETTI DELLA LEADERSHIP CULTURALE GRECA IN ITALIA


ALLA METÀ DEL VII SECOLO

Con la sacra del 12 agosto 678, rivolta al pontefice Dono, l’imperatore


Costantino IV diede formalmente istruzioni affinché l’Occidente si esprimesse,
attraverso le sinodi dei propri vescovi, in rapporto alla questione monotelita1. Tale
atto diede ufficialmente inizio alle operazioni propedeutiche alla convocazione
della sinodo costantinopolitana del 680-81, che condannò definitivamente la dot-
trina dell’unica volontà presente nella persona del Cristo.
Oltre al pronunciamento della Sede romana, che si espresse con una Suggestio2
e un Tomus3, siamo informati sul pronunciamento della Chiesa anglosassone sotto
Teodoro di Tarso, divenuto arcivescovo di Canterbury4, mentre le sottoscrizioni
di tre legati, apposte alla Suggestio sinodale romana del marzo 680, testimoniano
il coinvolgimento, non ben definibile, della Chiesa gallicana. All’interno di tale

1. Acta Conciliorum Oecumenicorum [= ACO], Series II, vol. II, 1, R. Riedinger Hrsg.,
Berolini, 1990, p. 2 ss.
2. ACO, Series II, vol. 1, p. 123-159.
3. ACO, Series.II. vol. II, 1, p. 52-121.
4. BEDA, Historia ecclesiastica gentis Anglorum, IV, 17-18 (15-16), B. Colgrave –
R. A. B. Mynors eds., Oxford, 1972 [I ed. 1969], p. 384-390.
122 FABIO FURCINITI

quadro si inserisce la documentazione sinodale milanese (composta da due testi:


una Suggestio5 e una Expositio fidei6), che costituì un pronunciamento autonomo
del locale episcopato provinciale, presieduto allora dal metropolita Mansueto.
Il pronunciamento redatto ai tempi di Mansueto segnò una svolta per la Chiesa
milanese sancendo il ripristino dell’assetto provinciale, seriamente messo in crisi
dall’invasione longobarda e segnando il ritorno, dopo oltre un secolo, della Chiesa
di Milano nel quadro dei grandi dibattiti che avevano turbato l’ecumene cristiana
nel Tardoantico7. Tale atto, inoltre, segnò la fine definitiva delle tensioni interne
all’episcopato provinciale connesse alla condanna dei Tre Capitoli.
Occorre, tuttavia, sottolineare come ciò sia avvenuto ad opera di un greco, ossia
di Damiano, al quale Paolo Diacono attribuisce la redazione del documento8. Una
conferma a quanto riportato dallo storico longobardo ci proviene da un’analisi
della Suggestio e della Expositio fidei milanesi, le quali dimostrano una conso-
nanza con i coevi documenti romani che risulta evidente anche alla luce di una
disamina preliminare di tali scritti9.
È comune ai due pronunciamenti l’invito all’imperatore ad impegnarsi per
l’ortodossia, ispirandosi ai suoi grandi predecessori10. La menzione di Costantino,

5. Clavis Patrum Latinorum, 1170. Per il documento milanese si veda anche: Clavis Patristica
Pseudepigraphorum Medii Aevi, I A, I. Machielsen ed., Turnhout, 1994, 1808.
6. Clavis Patrum Latinorum, 1171.
7. Sul ruolo rivestito dalla sede milanese nei precedenti grandi dibattiti della tarda antichità si
veda: C. ALZATI, « Metropoli e sedi episcopali fra tarda antichità e alto medioevo », in Chiesa e
società. Appunti per una storia delle diocesi lombarde, A. Caprioli – A. Rimoldi – L. Vaccaro edd.,
Brescia, 1986, p. 47-77; ID., « Residenza imperiale e preminenza ecclesiastica in Occidente. La
prassi tardo antica e suoi eco alto medievali », in Diritto e religione. Da Roma a Costantinopoli a
Mosca. Rendiconti dell’XI seminario “Da Roma alla Terza Roma”, Campidoglio, 21 Aprile 1991,
M. P. Baccari ed., Roma, 1994, p. 95-106; ID., Ambrosianum Mysterium. La Chiesa di Milano e
la sua tradizione liturgica, Milano, 2000, p. 8 ss.; ID., « Attività conciliare in ambito ecclesiastico
milanese nel contesto dell’Italia Annonaria tra Tarda antichità e Medioevo », in Albenga città epi-
scopale: tempi e dinamiche della cristianizzazione tra Liguria di Ponente e Provenza. Convegno
internazionale e tavola rotonda, Albenga, 21-23 settembre 2006, M. Mercenaro ed., Albenga,
2007, p. 253-256.
8. PAVLVS DIACONVS, Historia Langobardorum, VI, 4 (MGH, Script. Rer. Langob. et Italic.,
saec. VI-IX), L. Bethmann – G. Waitz Hrsg., Hannoverae, 1878, p. 166. Nell’epitaffio di Damiano
(G. PANAZZA, « Lapidi e sculture paleo-cristiane e pre-romaniche di Pavia », in Arte del primo
millennio, Atti del II Convegno per lo studio dell’arte dell’alto medioevo, Torino, 1953, p. 253) si
legge: « …quos sinus enutrit / Liguriae et gignunt quos Athenea rurat ». Su Damiano: B. BAVANT,
« Damiano, santo », in Dizionario biografico degli Italiani, XXXII, Roma, 1986, p. 339-343.
9. C. ALZATI, « Appendice: La sinodica di Mansueto all’imperatore Costantino IV. Osservazione
in margine », in ID., Ambrosiana Ecclesia. Studi su la Chiesa milanese e l’ecumene cristiana fra
tarda antichità e medioevo (Archivio Ambrosiano 65), Milano, 1993, p. 123-130.
10. Il riferimento agli imperatori, come la menzione diretta dei concili ecumenici, era già
stata presente nel testo d’area longobarda inviato dai vescovi aquileiesi all’imperatore Maurizio
LA VOCE GRECA DELLA CHIESA LATINA 123

Teodosio, Marciano e Giustiniano è comune, mentre in entrambi i documenti


non viene citato Teodosio II ed il secondo concilio di Efeso del 449 (latrocinio
Efesino11). Nel caso della Suggestio milanese appare significativo il richiamo ai
sovrani longobardi, felicissimi et christianissimi principes; in questo il richiamo
al teodolindiano Pertarito e a Cuniberto, associato al trono nel 680, sembrerebbe
riflettere un’esperienza ecclesiale in cui fattivamente si era avvertita la presenza
del principe e ne erano riconosciuti i compiti nel contesto delle dispute dottrinali.
L’articolazione del nesso concili-imperatori presenta nella Suggestio romana e
nel documento di Mansueto una medesima struttura, che trova ampia convergenza
con quanto contenuto negli Acta lateranensi del 649, la cui redazione era stata
opera di Massimo il Confessore e della sua cerchia12. Alla serie dei concili, quale
si presenta nel testo del 649 e nella Suggestio romana del 68013, analogamente
viene associata nella Suggestio di Mansueto la menzione dei personaggi che con la
loro dottrina eretica cercarono di scompaginare la Chiesa. Inoltre, il testo milanese
riconosce, come avviene negli Acta lateranensi e nella Suggestio romana del 680,
il ruolo avuto dalla sede apostolica a Calcedonia.
Nel documento di Mansueto Calcedonia è vista come un indiscutibile momento
di fondazione dogmatica; inoltre, l’enunciato calcedoniano costituisce agli occhi
del redattore della Suggestio milanese, così come avviene nel caso dei coevi
documenti romani, il momento conclusivo di un ciclo che aveva visto in poco
più di un secolo l’imperversare di varie dottrine eretiche, contrastate via dalle
deliberazioni di ben quattro concili ecumenici convocati dall’imperatore. Nella
Suggestio di Mansueto viene sottolineato con grande solennità il ruolo avuto dal
grande Giustiniano, che con la condanna dei Tre Capitoli aveva liberato quanto
stabilito a Calcedonia ab omni suspicione praui erroris. Nell’ambito di una nuova
consonanza dogmatica determinatasi tra l’Occidente e la Nuova Roma, da parte
milanese si offre, quindi, un pieno riconoscimento alle prerogative ecclesiali di
Costantino IV, che viene anzi esortato ad esercitare di nuovo quella funzione
magisteriale nell’ecumene cristiana già messa in atto dai suoi predecessori14.
A conclusione della Suggestio milanese è posto un richiamo assai eloquente
alle auctoritates. Al riguardo, oltre ad enfatizzare particolarmente l’autorità dei
dicta Leonis e dei suoi missi a Calcedonia, si menzionano i Padri greci Gregorio
Nazianzeno e Basilio, Cirillo Alessandrino e Atanasio e il costantinopolitano
Giovanni Crisostomo, ad essi seguono nell’ordine i quattro occidentali: Ilario,

nel 591/592: ACO IV: Concilium Vniuersale Constantinopolitanum sub Iustiniano habitum, II,
E. Schwartz Hrsg., Argentorati, 1914, p. 134; per la datazione tra gennaio 591 e luglio 592: ibid.,
p. XXIIII.
11. LEO, Epistula XCV: ACO II, IV, p. 51. 4.
12. ACO, Series II, vol. I.
13. ACO, Series II, vol. II, 1, p. 134, 135. 19-25; 136, 37. 1-16.
14. Cf. C. ALZATI, Ambrosiana Ecclesia, p. 97 ss.
124 FABIO FURCINITI

Agostino, Ambrogio e Girolamo. La posizione di particolare rilievo assunta dai


Padri orientali tra le auctoritates appare congrua rispetto ai contenuti teologici
del testo stesso, ma mette altresì in evidenza come, a dar voce alla Chiesa metro-
politica di Milano sia stato in quell’occasione un redattore di chiara formazione
orientale, quantunque caratterizzato da grande familiarità anche con le riflessioni
teologiche latine.
L’influsso della teologia greca si avverte chiaramente anche nel coevo Tomus
agatoniano, segnatamente nella sezione relativa alle testimonianze patristiche. Alla
menzione delle figure di grandi teologi come Ambrogio, Atanasio Alessandrino e
Agostino, per dare maggiore solennità ai detti diteliti vengono allegati « …nume-
rosa etiam aliorum sanctorum patrum … uolumina », dichiarando che tali scritti in
Graeco sunt e proponendo una lista di passi dei quali si indica l’autore e l’opera.
Occorre notare come i rinvii proposti dall’epistola di Agatone richiamino
molto da vicino le auctoritates presenti negli Acta lateranensi ed in particolare il
Secr. V15. Tali consonanze vanno oltre una comune e cristallizzata menzione dei
teologi greci e latini. Il proporre nel tomo agatoniano una serie di testimonianze
patristiche seguite a breve distanza da una lista di passi attribuiti a eretici, rie-
cheggia, in effetti, il dibattito sinodale veicolato dagli Acta lateranensi e sembra a
sua volta trovare un nesso nella menzione degli eresiarchi inserita nella Suggestio
milanese.
I due pronunciamenti con cui l’Occidente si espresse nel 680, quello romano
e quello milanese, oltre alle congruenze in rapporto alla ecclesiologia imperiale
ed alla tradizione patristica, presentano significative congruenze ed affinità in
rapporto alle formulazioni dottrinali, che tradiscono, oltre ad una chiara matrice
comune dei testi, l’influsso in essi della teologia greca.
La Confessio fidei milanese si apre con l’affermazione « Profitemur …
Trinitatem in distinctis atque discretis personis, hoc est: Patrem ex quo omnia;
Filium, per quem omnia; Spiritum Sanctum, in quo omnia; unius tamen diuinitatis,
unius essentiae, uniusque substantiae: in tribus quidem subsistentiis seu perso-
nis, ut Pater, Pater sit; Filius, Filius sit; Spiritus Sanctus, Spiritus Sanctus sit ».
L’espressione « in tribus quidem subsistentiis seu personis, ut Pater, Pater sit »
riecheggia da vicino le affermazioni contenute nella cosiddetta seconda profes-
sione di fede di Antiochia del 341, nella quale si dichiara che il mandato di Cristo
ai discepoli è stato dato nel nome « del Padre, che è veramente Padre; del Figlio,
che è veramente Figlio; dello Spirito Santo, che è veramente Spirito santo », sicché
quelli che vengono nominati sono « tre quanto all’ipostasi »16.

15. Concilium Lateranense a. 649 celebratum (ACO, Series II), vol. I, R. Riedinger Hrsg.,
Berolini, 1984, p. 244-403.
16. Πατρὸς ἀληθῶς πατρὸς ὄντος, υἱοῦ δέ ἀληθῶς υἱοῦ ὄντος, τοῦ δέ ἁγίου
πνεύματος ἀληθῶς ἁγίου πνεύματος ὄντος … ὡς εἶναι τῇ μὲν ὑποστάσει τρία, τῇ δέ
συμφωνίᾳ ἕν: ATHANASIVS, De Synodis, XXIII, 6 (H. G. Opitz Hrsg., Athanasius Werke II, 1,
Berlin, 1941, p. 249).
LA VOCE GRECA DELLA CHIESA LATINA 125

La stessa formulazione « Patrem, ex quo omnia; Filium, per quem omnia;


Spiritum Sanctum, in quo omnia » ricorda assai da vicino oltre al can. 1 del
« Quinto » concilio, quegli incisi ἐξ οὗ τὰ πάντα … δὶ οὗ τὰ πάντα che si
trovano anche nel Credo costantinopolitano del 36017.
Il redattore della sinodale di Mansueto ha ben presenti le tradizionali enun-
ciazioni cristologiche della teologia greca, e dimostra chiara coscienza dei
dibattiti che avevano accompagnato la riflessione dottrinale nelle Chiese d’Oriente
e dell’Occidente latino.
In Occidente non la categoria di ὑπόστασις ma quella di substantia era assurta
a cardine della riflessione sul mistero divino. La voce latina e quella greca, pur
presentando i caratteri del calco lessicale, assumevano una valenza concettuale
sostanzialmente opposta, tanto che per designare all’interno della Trinità cia-
scuno dei Tre nella sua specificità, l’Occidente ricorse ad un’ulteriore categoria
concettuale, quella di persona, divenuta a sua volta per l’area latina pilastro fon-
damentale dell’elaborazione cristologica18. Mentre dal testo milanese si evince
come a costituire il pilastro concettuale su cui viene proclamata l’unità del Cristo
è la categoria di ὑπόστασις-subsistentia.
Un indice assai significativo della difficoltà di comunicazione determinatasi tra
i due ambiti dottrinali è costituito proprio dall’oscillazione subsistentia-substantia
nella tradizione manoscritta degli Acta del concilio costantinopolitano del 55319
e dall’ analogo fenomeno verificabile nei codici latini degli Acta del concilio
costantinopolitano del 680-8120.
Nel redattore del testo milanese si riscontra una notevole sicurezza nella traspo-
sizione della categoria di ὑπόστασις, resa in latino col termine subsistentia. Tale
dimestichezza, non comune nell’Occidente del VII secolo, si giustifica solamente
ammettendo una profonda preparazione teologica chiaramente bilingue.
Nella sezione cristologia della Confessio fidei i padri presieduti da Mansueto
dichiarano: « Credimus autem ipsum Dei Verbum, hoc est, Filium Patris, sine
initio genitum et idem unum ex tribus subsistentiis de sancta Trinitate aeternum
Filium, pro dispensatione facta pro nobis et nostra salute, descendisse de caelis »
e successivamente: « Non quia Deus Verbum initium ex ipsa (Maria) accepit, sed
quod in ultimis diebus unigenitus Deus Verbum, qui ante saecula erat, incarnatus
ex ipsa inmutabiliter homo factus est. »

17. ACO IV, 1, p. 215.


18. Per la voce persona nella riflessione teologica latina e per il suo corrispettivo πρόσωπον,
entrato con Ippolito nel lessico triadologico greco, si può vedere A. MILANO, Persona in teologia
(Università degli studi della Basilicata. Saggi e Ricerche I), Napoli, 1984, p. 57 ss.
19. J. STRAUB, Praefatio (ACO IV, I), Berolini, 1971, p. VIII.
20. R. RIEDINGER, Der codex Vindobonensis 418. Seine Vorlage und seine Schreiber
(Instrumenta Patristica 17), Steenbrugis, 1989, p. 100-101.
126 FABIO FURCINITI

Tali espressioni pur non rifacendosi a elaborazioni teologiche esclusivamente


orientali, si ricollegavano a tematiche, che avevano avuto ampio spazio in Oriente.
Nella sezione cristologica viene pure proposta la formula « unum ex tribus subsi-
stentiis de sancta Trinitate », formula poi sviluppata dossologicamente nell’inciso
« unus de Sancta Trinitate, glorificandus cum Patre et Spiritu Sancto » che ricorda
da vicino il cosiddetto Troparion di Giustiniano: εἰς ὃν τῆς ἁγίας τρίαδος
συνδοξαζόμενος τῷ πατρὶ καὶ τῷ ἁγίῳ πνεύματι21.
Nel Tomus di Agatone, parallelamente a quanto avviene nel testo milanese,
è la categoria di ὑπόστασις a costituire il pilastro concettuale su cui viene
dichiarata l’unità del Cristo nella duplicità delle nature: « …absit haec impietas a
fidelium cordibus, nec tamquam separatas in duabus personis vel subsistentiis… »
(προσώποις ἤγουν ὑποστάσεσιν). In tale contesto si collocano anche espres-
sioni come unitio secundum subsistentiam / ἕνωσις καθ’ὑπόστασιν22 e, nella
Suggestio sinodale romana, di subsistentialis adunatio / ὑποστατικὴ ἕνωσις23.
Pure le enunciazioni in merito alle tematiche triadologiche, nella ferma condanna
del triteismo, presenti nel testo milanese, trovano riscontro nelle formulazioni
presenti nel Tomus agatoniano oltre che nella Suggestio romana.
La genesi redazionale e le congruenze tra i pronunciamenti antimonoteliti con
cui l’Occidente si espresse nel 680 rinviano al tema più generale della presenza
orientale nella vita ecclesiastica dell’Occidente durante la seconda metà del
VII secolo.
In proposito, un pregevole contributo è stato offerto da Jean-Marie Sansterre,
che con ricchezza di prove archeologiche e documentarie ha fornito un quadro
organico della presenza greca a Roma, spiegando quale dovette essere il ruolo
dei teologi orientali nella politica della sede romana e chiarendo quale sia stato
l’apporto dottrinale in merito alle grandi questioni del VII secolo24. Tuttavia, l’indi-
viduazione di un’egemonia greca nella vita ecclesiale della Chiesa romana durante
la prima metà del secolo VII, ha trovato un momento di fondamentale riconosci-
mento con la monumentale edizione degli Acta lateranensi del 649, ad opera del
tedesco Rudolf Riedinger25. Lo studioso, dopo una lunga serie di studi filologici e
linguistici, ha concluso che gli Acta della sinodo romana furono concepiti e redatti
in greco, per poi essere solo successivamente trasposti nella versione latina, che
si presenta in una veste linguistica non paragonabile per ricercatezza ed eleganza

21. Anthologia Graeca carminum Christianorum, W. Christ – M. Paranikas Hrsg., Lipsiae,


1871, p. 52.
22. ACO, Series II, vol. II, 1, p. 66. 22, 67. 19.
23. ACO, Series II, vol. II, 1, p. 128. 28, 129. 27.
24. J.-M. SANSTERRE, Le moines grecs et orientaux à Rome aux époques byzantine et carolin-
gienne, Bruxelles, 1980.
25. Concilium Lateranense a. 649 celebratum, p. .
LA VOCE GRECA DELLA CHIESA LATINA 127

al testo greco. Il Riedinger ha inoltre messo in luce come la redazione degli Acta
presenti connessioni con la figura del grande teologo Massimo il Confessore e del
suo discepolo Anastasio.
Le grandi novità emerse dall’edizione Riedinger hanno spinto Pietro Conte a
una vasta recensione che ha, peraltro, assunto il carattere di un personale e orga-
nico contributo26.
Nello specifico, il documento della Chiesa metropolitica di Milano, nella sua
genesi in un contesto caratterizzato da orientamenti dottrinali e sensibilità istitu-
zionale greca, consente di avviare una riflessione in merito a quale fosse, nella
seconda metà del VII secolo, la concezione delle strutture ecclesiastiche occiden-
tali da parte dell’Oriente, in particolare di matrice costantinopolitana. Damiano,
pur percependo chiaramente qual fosse l’ordinamento della provincia nel quadro
del Regnum longobardo, fa agire Milano quale autorevole istituzione ecclesiastica
nel contesto dell’ecumene facente capo all’imperatore romano di Costantinopoli.
La città che era stata sede dell’Augusto in Occidente continuava, agli occhi
dell’Oriente, ad essere seconda solo dopo Roma, come in età giustinianea l’aveva
presentata Procopio27.
Appare particolarmente significativo, inoltre, come nel documento milanese
del 680 i riferimenti alle testimonianze patristiche greche abbiano un particolare
rilievo, mentre la figura di Ambrogio non goda di una speciale attenzione. Tale
elemento prova l’assenza negli scritti di una coscienza ecclesiastica milanese,
circostanza che ben si spiega se posta in connessione con la matrice culturale
del redattore e con quell’ambiente romano in cui l’elemento greco esercitava,
ancora nella seconda metà del VII secolo, un forte influsso. Da notare, inoltre,
come la piena restaurazione delle strutture ecclesiastiche norditaliane, provate
dall’invasione longobarda e scardinate a seguito della condanna romana dei Tre
Capitoli, sarebbe giunta a maturazione diciotto anni dopo, quando, con la sinodo
pavese del 698, la scismatica Chiesa aquileiese tornò in comunione con l’ecumene
romana. Circostanza, quest’ultima, in cui fu, ancora una volta, Damiano, « sancti-
tate praecipuus, liberalibus artibus sufficienter instructus28 », a svolgere, in qualità
di vescovo pavese, e in uno stretto e privilegiato rapporto con la sede romana, un
ruolo essenziale29.

26. P. CONTE, Il Sinodo Lateranense dell’Ottobre 649, Città del Vaticano, 1989.
27. PROCOPIVS, De Bello Gothico, II, 21, 6; 12, 36, H. Haury – G. Wirth Hrsg., Lipsiae, 1963,
p. 241, 204: trad. it.: PROCOPIO DI CESAREA, La guerra gotica, F. M. Pontani ed., Roma, 1974,
p. 169, 137.
28. Con tali parole lo storico dei Longobardi (PAVLVS DIACONVS, Historia Langobardorum,
V, 38) definisce il presule pavese in occasione dell’insurrezione del duca Alachis, che nel 688,
approfittando dell’assenza di Cuniberto da Pavia, occupò il palazzo reale, costringendo Cuniberto
a rifugiarsi sull’isola Comacina.
29. Carmen de synodo Ticinensi (MGH, Poetae Latini Aevi Carolini IV, 2-3), K. Strecker ed.,
Berolini, 1923, p. 728-731.
128 FABIO FURCINITI

Grazie a Damiano la Chiesa metropolitica di Milano tornò ad intervenire nei


grandi dibattiti teologici che avevano caratterizzato il Tardoantico, e lo fece con un
rilevante documento rivolto al vertice stesso dell’ecumene cristiana.
Il ruolo svolto da Damiano nel Nord Italia, oltre all’attività di Teodoro di Tarso
in Anglia, concorrono ad avvalorare le considerazioni da tempo espresse in sede
storiografica riguardo ai personaggi di lingua e cultura greca operanti nell’Occi-
dente latino durante il VII secolo.
In conclusione, si può ragionevolmente affermare che la genesi redazionale dei
testi antimonoteliti con cui si espresse l’Occidente nel 680, quelli romani e quelli
milanesi, vada inserita nella congiuntura teologica determinatasi durante il ponti-
ficato del siciliano Agatone, quando venne riproponendosi in Roma una leadership
culturale greca; i temi in discussione erano del resto gli stessi che avevano visto
l’operato a Roma di Massimo il Confessore ai tempi di papa Teodoro e del suo
successore Martino. Nella seconda metà del VII secolo l’Occidente latino, in un
momento in cui stentava a ritrovare e a far sentire la propria voce di fronte al
vertice della cristianità, tornò ad avere un ruolo attivo, e ciò fu possibile solamente
grazie all’impegno di qualificati intellettuali di formazione greca, che furono
gli artefici e i testimoni di questa ultima stagione unitaria vissuta dalle due parti
dell’ecumene cristiana, prima della definitiva divaricazione tra l’Occidente latino
e l’Oriente greco.

II. – LA RECEZIONE EUROPEA DELLA SINODICA MILANESE


L’autorevolezza e l’ortodossia della sinodica milanese del 680 trovarono un
ampio riconoscimento ed una sempre rinnovata attualità nei secoli successivi. Il
documento milanese indirizzato all’imperatore Costantino IV ebbe, infatti, una
circolazione ampia e in contesti diversificati.
Una compiuta analisi del documento sinodale milanese ha richiesto una
indispensabile ricognizione della sua tradizione testuale e dei contesti in cui si
sviluppò la sua circolazione, prima della recezione nelle grandi raccolte di Acta e
testi conciliari date alle stampe a partire dal XVI secolo.
Sulla tradizione dei testi sinodali milanesi Mirella Ferrari30 è intervenuta con
un ricco contributo in cui ha delineato il quadro codicologico della tradizione
manoscritta, quale può ricostruirsi grazie alle indagini condotte da illustri studiosi
a partire dalla seconda metà dell’Ottocento. Tra questi spicca Friedrich Maassen,
cui spetta il merito di aver individuato e descritto gli esemplari più antichi31. Dopo

30. M. FERRARI, « Il nome di Mansueto arcivescovo di Milano (c. 672-681) », Aevum, 82,
2008, p. 281-291.
31. F. MAASSEN, Geschichte der Quellen und der Literatur des kanonischen Rechts, I, Graz,
1870, p. 226 e 349.
LA VOCE GRECA DELLA CHIESA LATINA 129

di lui la sinodale milanese attirò l’attenzione di Germain Morin fin dal 1905,
quando, nel quadro di un’indagine condotta su un gruppo di scritti relativi al Pater
noster e al Credo collocati in seguito al De natura rerum di Isidoro, il ricerca-
tore benedettino affermò di aver riconosciuto nel ms. di Verdun, Bibl. Mun., 27
(X-XI secolo) la Confessio fidei sinodale di Mansueto32. Il Morin segnalava di aver
individuato il testo milanese anche nel Credo anonimo e incompleto pubblicato
da Angelo Mai sulla scorta di un codice bobiense dell’XI secolo (Vat. Lat. 5755,
p. 322-323)33. È questa redazione ad essere confluita, quale testo incompleto e
anonimo, nel volume XIII della Patrologia Latina (col. 651-54), in cui viene
riprodotta la Nova Patrum Bibliotheca del Mai. Peraltro nel volume LXXXVII
(col. 1261-67) appare riprodotta l’edizione di Gian Domenico Mansi34, in cui la
Confessio fidei compare unitamente alla relativa Suggestio. Il Morin nel suo studio
aveva citato un’ulteriore testimonianza del documento già segnalata dal Maassen;
si tratta del manoscritto oxoniense, Bodleyan Library, Laud Misc. 436, risalente
al IX secolo, nel quale Suggestio e Confessio fidei rientrano in una silloge posta in
appendice alla Concordia Canonum di Cresconio35.
La piccola collezione di testi canonici e dottrinali (tra cui i testi milanesi), che
costituisce tale appendice all’opera cresconiana, è diventata più tardi oggetto di
speciale ricerca da parte di Georges Folliet (1975), il quale, pur in un quadro di
incertezza in merito alle ragioni della compilazione, è riuscito ad identificare otto
testimoni36.
L’intero quadro della tradizione codicologica relativa alla Concordia Canonum
di Cresconio e alla sua appendice, è stato con straordinaria sistematicità e ampiezza
di documentazione affrontato da Klaus Zechiel-Eckes, nello studio annesso all’e-
dizione critica apparsa a Francoforte nel 199237. In tale lavoro lo Zechiel-Eckes ha
aggiunto altri tre codici cresconiani a quelli fino ad allora censiti ed ha segnalato
altri due manoscritti, estranei alla tradizione dell’opera cresconiana, testimoni
della Suggestio milanese38.

32. G. MORIN, « Textes inédits relatifs au symbole et à la vie chrétienne », Revue bénédectine,
22, 1905, p. 505-524, in part. 511-512.
33. A. MAI, Nova Patrum Bibliotheca, I, Romae, 1852, XXII, p. 462-464.
34. J. D. MANSI, Sacrorum conciliorum nova et amplissima collectio, XI, Florentiae, 1759,
c. 203 ss.
35. F. MAASSEN, Geschichte, p. 349.
36. G. FOLLIET, « Expositio de secreto gloriosae Incarnationis D.N.I.C. Histoire d’un texte
attribué à saint Augustin », in Corona gratiarum. Miscellanea patristica, historica et liturgica
Eligio Dekkers OSB, I, Brugge – s’ Gravenhange, 1975, p. 354-367.
37. K. ZECHIEL-ECKES, Die Concordia Canonum des Cresconius. Studien und Edition
(Freiburg Beiträge zur mittelalterliche Geschichte 5), Frankfurt am Main, 1992.
38. K. ZECHIEL-ECKES, Die Concordia, I, p. 86, 118, 319, 322, 324, 326, 333, 339-340, 343,
345, 353.
130 FABIO FURCINITI

I pezzi che compongono tale appendice sarebbero stati organicamente riuniti


in area norditaliana sul finire del VII secolo per poi essere subito aggregati alla
Concordia cresconiana39. Quest’ultima appare tramandata da manoscritti prove-
nienti da varie aree d’Europa, e lo stemma codicum tracciato dallo Zechiel-Eckes
dimostra come la documentazione sinodale di Mansueto, pur non essendo presente
in tutti i codici, rientri comunque in tutti i rami della tradizione stessa40.
I codici più antichi che tramandano gli scritti sinodali milanesi (per lo più
congiuntamente) risalgono, dunque, al IX secolo e appartengono a diverse zone
geografiche. Disponendo i codici in ordine grosso modo cronologico, otteniamo
la seguente serie:
– Montpellier, Bibl. de la Faculté de Médecine, H 233, ff. 128v-133r, sec. IX41;
– Oxford, Bodl., Laud, Misc. 436, ff. 175v-182r, sec. IX, Würzburg (?)42;
– Vercelli, Bibl. Capitolare, CLXV, ff. 210r-214r, sec. IX, Nord-Italia43;
– Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vat. Pal. Lat. 579,
ff. 101r-104v, sec. IX, Germania occidentale44;
– Wolfenbüttel, Herzog-August Bibliothek, Helmstedt 842, ff. 85v-88r, sec. IX,
proveniente da Fulda45, da cui è derivato un apografo del XVI secolo: Helmstedt
21946;
– Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vat. Reg. lat. 423, f. 64v
(framm.), sec. IX, Wissenbourg47;
– Kraków, Biblioteca Jagiellónska, Inv.-Nr. 1894 (olim Berlin, lat. Qu. 104), f. 91r
(framm.), sec. IX, Francia orientale (?)48;
– Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vat. Lat. 1347, ff. 69v-72v,
sec. IX, Reims49.

39. K. ZECHIEL-ECKES, Die Concordia, I, p. 86-118.


40. K. ZECHIEL-ECKES, Die Concordia, II, p. 392.
41. Ibid., p. 325-27.
42. Ibid., p. 332-34.
43. K. ZECHIEL-ECKES, Die Concordia, I, p. 172-175; cf. S. GAVINELLI, « Testi agiografici e
collezioni canoniche in età carolingia attraverso codici dell’Ambrosiana », in Nuove ricerche su
codici in scrittura latina dell’Ambrosiana. Atti del Convegno, Milano, 6-7 ottobre 2005 (Biblioteca
erudita 31), Milano, 2007, p. 53-78, in part. p. 66-67.
44. K. ZECHIEL-ECKES, Die Concordia, II, p. 338-339.
45. Ibid., p. 352-354; L. KÉRY, Canonical Collections of Early Middle Ages (ca. 400-1140). A
Bibliographical Guide to the Manuscripts and Literature, Washington D.C., 1999, p. 35.
46. K. ZECHIEL-ECKES, Die Concordia, II, p. 351-352; L. KÉRY, Canonical Collections, p. 35.
47. K. ZECHIEL-ECKES, Die Concordia, II, p. 339-340.
48. K. ZECHIEL-ECKES, Die Concordia, II, p. 321-322; L. KÉRY, Canonical Collections, p 34.
49. K. ZECHIEL-ECKES, Die Concordia, II, p. 344-346; L. KÉRY, Canonical Collections, p. 34,
89-90, 168.
LA VOCE GRECA DELLA CHIESA LATINA 131

Per quanto riguarda il X e l’XI secolo, i testi milanesi sono trasmessi, in base alle
acquisizioni attuali degli studi, nei seguenti codici:
– Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vat. Reg. lat. 849,
ff. 224v-228v, sec. X inizio, Francia50;
– Einsiedeln, Stftsbiliothek 197, pp. 250-261, sec. X med. o X251;
– München, Bayerische Staatsbibliothek, Clm 3853, ff. 317r-318v, secolo X2,
Germania meridionale (tramanda la Suggestio in forma mutila in fine)52;
– Paris, Bibliothèque Nationale, Lat. 3878, ff. 170-171, sec. X ex., Germania
meridionale (Bressanone?) (la Suggestio è tramandata in forma mutila come in
Clm 3853)53;
– Monte Cassino, Bibl. dell’Abbazia, 541, ff. 134r-139r, sec. XI inizio, Sud-Italia
(apografo del Vat. Lat. 1347 del IX secolo)54;
– Verdun, Bibliothèque Municipale, 27, pp. 112v-118r, sec. XI255;
– Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vat. Lat. 5755, p. 322-323,
sec. XI2, scritto a Bobbio.
Relativamente al XII secolo, si dispone al momento di due manoscritti che tra-
mandano la documentazione sinodale milanese. Si tratta dei seguenti codici:
– London, British Library, Royal 5. B. VII, ff. 67v-71v, scritto a Rochester tra il
primo ed il secondo quarto del secolo;
– Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vaticano Lat. 268, ff. 36r-
38r, scritto in area milanese probabilmente verso la metà del secolo.
Segue, in rapporto al XIV secolo, il codice:
– Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vat. Lat. 281, ff. 110v-112v,
scritto probabilmente verso la seconda metà del secolo; in esso i testi milanesi
sono contenuti, oltre che ai ff. 110v-112v, anche ai ff. 125v-1227v. Come afferma
Mirella Ferrari, poche varianti esistenti tra le due copie non bastano a rendere
plausibile l’esistenza di un altro antigrafo; il motivo della doppia presenza della
lettera di Mansueto nel codice Vat. Lat. 281 rimane quindi oscuro56.

50. K. ZECHIEL-ECKES, Die Concordia, II, p. 341-344; L. KÉRY, Canonical Collections, p. 35,
90.
51. K. ZECHIEL-ECKES, Die Concordia, II, p. 318-319.
52. K. ZECHIEL-ECKES, Die Concordia, I, p. 90, n. 93.
53. Ibid., p. 90, n. 93.
54. K. ZECHIEL-ECKES, Die Concordia, II, p. 323-324; L. KÉRY, Canonical Collections, p. 34,
89, 168.
55. K. ZECHIEL-ECKES, Die Concordia, I, p. 90, n. 93.
56. M. FERRARI, « Il nome di Mansueto », p. 290.
132 FABIO FURCINITI

La studiosa ha, inoltre, richiamato l’attenzione anche sul codice:


– Escorial, Q.III.15, ff. 13 ss. del XV secolo, ipotizzando una parentela con Vat.
Lat. 268.
Le indagini in merito alla fortuna del documento milanese mi hanno condotto a
individuare un ulteriore esemplare nel codice:
– Cambridge, Parker Library, 156, XV-XVI, manoscritto d’area inglese testimone
di una versione del documento che, strettamente imparentata con il già citato
codice londinese, deriverebbe da una tradizione continentale riconducibile all’a-
rea normanna.
L’area di origine della silloge posta in appendice alla Concordia canonum
dovrebbe essere il Nord dell’Italia. I dati contenutistici e la struttura di tale raccolta,
entro cui il documento milanese si configura come unico compiuto testo sinodale,
hanno spinto Klaus Zechiel-Eckes a collocare l’ideazione della silloge nell’ultima
fase dello scisma tricapitolino. Ulteriori considerazioni in merito al complesso
contesto ecclesiale norditaliano nella seconda metà del VII secolo permettono,
inoltre, di avanzare l’ipotesi di una connessione tra l’ideazione della silloge
antitricapitolina e l’opera di ricompaginazione dell’ordine ecclesiastico, che ebbe
il suo interprete più autorevole nel greco Damiano il quale, come già ricordato,
svolse un ruolo essenziale in occasione della sinodo pavese del 698, evento con
cui si pose ufficialmente fine allo scisma tricapitolino nell’Italia settentrionale.
Come ben mostra il quadro codicologico, la documentazione sinodale milanese
conobbe una significativa diffusione in età carolingia, fase storica in cui i due
testi, Suggestio e Confessio fidei, vennero tramandati in connessione con le grandi
collezioni legate al tentativo di riforma politico-ecclesiastica promosso da Carlo
Magno e dai suoi successori.
Due tra i testimoni più antichi, il codice di Vercelli e quello conservato a
Montpellier, ben rappresentano l’Italia settentrionale. In particolare il codice mon-
tepessulano risulta vergato in scrittura retica, ossia in un tipo di scrittura diffuso,
dopo la metà del IX secolo, in un’area comprendente la maggior parte della provin-
cia metropolitica milanese57. Nei due manoscritti il testo appare in appendice alla
Concordia cresconiana, e con il nome di Mansueto nella rubrica come del resto
negli altri codici relativi al IX secolo.
La documentazione sinodale milanese qui analizzata conobbe ancora nel
X secolo una diffusione al di fuori di Cresconio ed in contesti diversi ma con-
nessi, in vario modo, con opere frutto della riforma carolingia, quali i nuovi Libri
penitenziali e le nuove raccolte giuridiche, sia secolari sia canoniche, allestite nel
IX secolo. Tale circolazione è bene attestata dal codice latino München, Clm 3853
(in cui è presente la sola Suggestio in forma mutila), dal quale, in base agli studi
di Victor Krause, sarebbe disceso il codice Heiligenkreuz 217 (il manoscritto non

57. M. FERRARI, « Il nome di Mansueto », p. 286.


LA VOCE GRECA DELLA CHIESA LATINA 133

riporta il testo milanese in quanto è privo dei fogli finali), intermediario rispetto al
parigino, Bibliothèque Nationale, Lat. 3878, in cui la Suggestio è mutila58.
Ulteriori testimoni dell’antico materiale sinodale milanese, secondo una tradi-
zione indipendente dalla Concordia, sono il codice Verdun 27 e il codice Vat.
Lat. 5755, risalenti all’XI secolo; essi, a differenza del München, Clm 3853 e del
Par. Lat. 3878, in cui è presente la Suggestio con il nome di Mansueto posto nella
rubrica, contengono la sola Confessio fidei ed in forma anonima, in un contesto di
natura teologico-liturgica e teologico-patristica altamente qualificato.
Il codice inglese Royal 5.B. VII del XII secolo, che tramanda il materiale milanese
in un contesto patristico, riporta sia la Suggestio che la Confessio fidei, fornendo
il nome di Mansueto in rubrica. In proposito, va segnalata la notizia attestante
l’esistenza di un secondo codice di area inglese identico a questo di Rochester e un
tempo conservato nella biblioteca della Christ Church di Canterbury, di cui posse-
diamo il catalogo risalente alla fine del XIII secolo; le affinità di contenuto tra i due
codici ben si spiegherebbero se poste in rapporto al contesto storico determinatosi
in Inghilterra, a partire dall’attività di espansione delle strutture ecclesiastiche
locali promossa da Lanfranco di Pavia, arcivescovo di Canterbury, cui si deve nella
seconda metà del secolo XI l’introduzione di gusti e orientamenti culturali tipici
del Continente e della Normandia in particolare59. Purtroppo il manoscritto della
Christ Church non sembra essere pervenuto fino a noi. Tuttavia, il ritrovamento da
me compiuto del codice n. 156 conservato presso la Parker Library di Cambridge
ha fornito una ulteriore e importante prova ai fini di una ricostruzione di questo
ramo della tradizione manoscritta attestante la prolungata fortuna dei testi sinodali
milanesi nell’Isola. La presenza della Suggestio milanese in tale codice, redatto al
tempo della Riforma protestante, assume una particolare rilevanza. Va osservato,
infatti, come nella Suggestio milanese la posizione che viene riconosciuta all’im-
peratore nella Chiesa, e così il ruolo di custode e garante tributato al monarca, si
riveli pienamente giustificativo rispetto a quanto Enrico VIII andava rivendicando
nei confronti della Sede romana. Le pretese nazionali di Enrico VIII miravano a
collocare il re in una sorta di ideale continuità con quanto era avvenuto nei primi
secoli dell’era cristiana, allorquando figure come Costantino il grande e Teodosio
avevano attivamente operato quali vertici del popolo cristiano. Inoltre, lo stesso
manoscritto fu salvato proprio da Matthiew Parker, uno dei padri nobili del pen-
siero anglicano60.

58. V. KRAUSE, « Die Münchener Handschriften 3851, 3853 mit einer Compilation von 181
Wormser Schlüssen », Neues Archiv der Gesellschaft für ältere deutsche Geschichtkunde, 19,
1894, p. 96-117, in part. p. 126-130.
59. M. FERRARI, « Il nome di Mansueto », p. 287-288.
60. Sulla fortuna della Suggestio milanese in Inghilterra si rimanda a: F. FURCINITI, « La pre-
senza greca in area latina e i rapporti tra Oriente e Occidente nell’ultima fase del tardo Antico »,
Mélanges de l’École française de Rome, Moyen Âge, 124/1, 2012 [in linea].
134 FABIO FURCINITI

La trasmissione di tali testi conobbe una tappa fondamentale nella prima metà
del secolo XII anche a Milano. In quegli anni Martino Corbo, prete decumano e dal
1134 preposito della basilica di S. Ambrogio, fece preparare un’edizione integrale
delle opere di Ambrogio, avviando ricerche nelle biblioteche italiane ed europee61.
Uno dei manoscritti era articolato in due sezioni: la prima, oggi perduta, conte-
nente le epistole ritenute autentiche, mentre la seconda, corrispondente al codice
Vat. Lat. 268, riporta ai fogli 36r-38r la documentazione sinodale di Mansueto
(Suggestio e Confessio fidei) insieme a vari testi attribuiti nel corpo del ms. ad
Ambrogio, ma in realtà non autentici. Accludere gli scritti di Mansueto in coda
all’opera di Ambrogio è certamente significativo della particolare considerazione
con cui si guardò allora a quei testi, considerazione per altro attestata in ambiti
diversi e per nulla accomunabili alla realtà milanese62.
Sempre in ambito milanese, tra il 1366 e il 1374, Andrea Serazoni, agostiniano
di S. Marco, poi vescovo di Piacenza e, successivamente, di Brescia63, trasse apo-
grafi di parecchi testi dalla grande collezione promossa da Martino Corbo più di
due secoli prima, allestendo due codici: Vat. Lat. 275 e 281; il secondo costituisce
un apografo del Vat. lat. 268 (contenuto integralmente ai ff. 81r-112v) che, entro
la metà del XV secolo servì come antigrafo a Roma per una sezione dell’attuale
Escorial Q.III.1564.
La ricchezza e la complessità dei dati emersi e qui semplicemente enunciati,
insieme ai forti limiti che contraddistinguono le edizioni esistenti, concorrono a
motivare la realizzazione di un’edizione critica della Suggestio e della Confessio
fidei della sinodo di Mansueto, testi che, oltre ad inserirsi a pieno titolo tra le fonti
relative al Concilio ecumenico di Costantinopoli del 680-681, ebbero una notevole
fortuna nei secoli successivi, dall’Età carolingia fino all’Inghilterra della Riforma
enriciana.
Fabio FURCINITI
Università Cattolica di Milano

61. G. BILLANOVICH – M. FERRARI, « La tradizione milanese delle opere di Sant’Ambrogio »,


in Ambrosius episcopus. Atti del convegno internazionale di studi ambrosiani nel XVI centenario
della elevazione di sant’Ambrogio alla cattedra episcopale, G. Lazzati ed., Milano, 1974, p. 5-22.
62. M. FERRARI, « Il nome di Mansueto », p. 289.
63. Cf. C. EUBEL, Hierarchia Catholica Medii Aevi, vol. I, Regensbergianae, 1913, p. 401; 147.
64. G. BILLANOVICH – M. FERRARI, « La tradizione milanese », p. 24-25.
« Origenes : Osculetur me osculo oris sui. »
Le père (difficile) du Cantique des Cantiques
au Moyen Âge latin
« Origenes : Osculetur me osculo oris sui » : c’est avec cette phrase qu’un exégète
italien anonyme du XIe/début XIIe siècle ouvre son commentaire du Cantique1 ; et
beaucoup d’autres lemmata seront expliqués par des emprunts déclarés à Origène,
précisément à ses Homélies traduites par Jérôme2. Ainsi que la (beaucoup plus
illustre) Glose ordinaire, que l’école de Laon va bientôt rédiger3, ce modeste
produit scolaire confie à plusieurs reprises l’explication du poème sacré aux mots
du Père grec, en le préférant aux nombreuses autres sources disponibles. Deux
exemples parmi des dizaines, qui nous montrent comment partout les maîtres de
la lectio biblica ressentaient l’autorité d’Origène, et, parfois, trouvaient même le
courage de le nommer.

1. Cf. Un commento anonimo al Cantico dei Cantici (XI-XII secolo), R. Guglielmetti ed.,
Spoleto, 2008, p. 85. Il s’agit d’une exposition de milieu scolaire, mais rédigée soigneusement,
par l’entrelacement d’extraits littéraux ou paraphrasés tirés d’un bouquet remarquable de sources :
Origène, Juste d’Urgell, Grégoire le Grand, Alcuin, Haymon d’Auxerre, Robert de Tumbelaine.
2. Publiées dans Origenes Werke 8. Homilien zu Samuel I, zum Hohelied und zu den Propheten,
Kommentar zum Hohelied in Rufins und Hieronymus’ Übersetzungen (GCS 33), W. A. Baehrens
Hrsg., Leipzig, 1925, p. 1-60. Le commentaire recourt aux paragraphes suivants des Homélies : I,
2-6, 8, 10 ; II, 3, 4, 6, 10-13, parfois avec quelque liberté, parfois par une transcription fidèle du
texte de la source.
3. Mary Dove, qui a édité la section sur le Cantique, compte dans son apparat des sources
44 citations, qui font d’Origène l’une des auctoritates les plus présentes dans la glose, après
Bède et Alcuin ; comme elle le remarque, la bibliothèque de Laon au temps d’Anselme et de son
école offrait au moins un exemplaire des Homélies (ms. Laon, Bibliothèque municipale, 299, sur
place depuis le IXe siècle) : Glossa ordinaria in Cantica Canticorum (CCCM 170), M. Dove ed.,
Turnhout, 1997, p. 34.
136 ROSSANA GUGLIELMETTI

Car on le sait bien, ce n’était pas du tout facile de s’avouer redevable à l’Ori-
gène exégète, celui qui était en même temps l’Origène à la dogmatique suspecte,
condamné par des conciles œcuméniques4, protagoniste d’une légende noire gro-
tesque mais souvent efficace, auprès des esprits les moins éclairés (il aurait sacrifié
aux idoles pour échapper à une violence humiliante, avant de se faire hérésiarque)5.
Si le XIe et plus encore le XIIe siècle voient l’éclat d’un nouveau succès, favo-
risé surtout par les Cisterciens et notamment par Bernard de Clairvaux, celui-ci
témoigne parfaitement de l’ambiguïté de ce succès : l’arbiter orthodoxiarum de
son époque n’évoque Origène que rarement, et pour lui reprocher des erreurs,
tandis que ses sermons sur le Cantique sont imprégnés de lui. Il fait profession de
méfiance, et ne peut se tenir de le lire et l’intérioriser avidement6.
Mais tout le Moyen Âge a été séduit par l’exégèse et la pensée origéniennes : le
Père Alexandrin est l’auteur grec le plus lu, le mieux représenté dans les inventaires
des bibliothèques7, l’un des plus souvent cités, avec les précautions opportunes.
Presque tous les écrivains carolingiens, par exemple, l’utilisent et le déclarent
bien – parfois précisant que bien sûr, tout ce qu’il a écrit n’est pas orthodoxe, mais
qu’il suffit de savoir distinguer8. Si l’on vient à notre sujet particulier, la postérité
d’Origène en tant qu’interprète du Cantique des Cantiques, on voit confirmée la
mesure de ce succès ininterrompu. Des deux homélies sur Ct. 1, 1 – 2, 14 (dans le
latin de Jérôme), 240 manuscrits environ ont été recensés, à partir du VIe/VIIe siècle
jusqu’au XVIe siècle9. Le commentaire sur Ct. 1, 1 – 2, 13 (traduit par Rufin), plus

4. Après les vagues intermittentes d’antiorigénisme des siècles passés, l’empereur Justinien
donna son appui décisif au parti des détracteurs, en imposant les anathèmes du 543 (un édit
confirmé par l’autorité épiscopale) et surtout du 553 (le Ve Concile œcuménique, qui sanctionne la
condamnation de 543). La sentence fut répétée par le Concile Latran du 649 et par trois conciles
encore (en 680, 787, 870) : cf. H. DE LUBAC, Exégèse médiévale : les quatre sens de l’Écriture,
vol. I/1, Paris, 1959, p. 239-257 ; M. SIMONETTI, « La controversia origeniana. Caratteri e signifi-
cato », Augustinianum 26, 1986, p. 7-31, réimprimé dans ID., Origene esegeta e la sua tradizione
(Letteratura cristiana antica. Nuova serie 2), Brescia, 2004, p. 241-262 ; et la section monogra-
phique consacrée à la controverse origéniste dans Adamantius, 19, 2013, p. 7-202.
5. Pour l’histoire de la formation et de la réception de cette légende, cf. H. DE LUBAC, Exégèse
médiévale, p. 257-274.
6. Cf. ibid., p. 227 et p. 283-284 ; et ORIGÈNE, Commentaire sur le Cantique des cantiques
– texte de la version latine de Rufin (SC 375), vol. I, L. Bresard – H. Crouzel éd., Paris, 1991,
p. 65-68.
7. Cf. la contribution de E. COLOMBI dans ce volume, p. -.
8. Pour un panorama sur le sujet, cf. H. DE LUBAC, Exégèse médiévale, p. 217-238.
9. Le codex antiquior, provenant peut-être de Vivarium, puis conservé à Bobbio et Corbie,
est le ms. St. Petersburg, XXX, Q. v. I. 8 ; on peut compter quinze manuscrits entre le VIIIe et le
IXe siècle, onze au Xe, dix au XIe, plus de soixante-dix au XIIe, une quinzaine au XIIIe, plus de quatre-
vingt-dix aux XIVe-XVIe siècles. Cf. Origenes Werke 8, p. XIV-XIX ; W. A. BAEHRENS, Überlieferung
und Textgeschichte der lateinisch erhaltenen Origeneshomilien zum Alten Testament (TU 42,
« ORIGENES : OSCVLETVR ME OSCVLO ORIS SVI. » 137

vaste et complexe, eut une diffusion plus limitée, mais pas tout à fait négligeable :
30 manuscrits conservés, à partir du Xe/XIe siècle10.
Si, à quelques exceptions près11, l’Occident n’a atteint que ce segment, indirect,
de la lecture origénienne du livre biblique, sa puissance était suffisante pour décider
de l’avenir entier de l’herméneutique latine, de la même façon qu’elle avait orienté
nettement celle du monde grec. Les termes de cette fondation sont connus, et je me
limiterai à les rappeler sommairement. Le Cantique est le sommet de la révélation
biblique, le livre qu’on ne peut aborder qu’après un long chemin intellectuel et
spirituel, parce que son dialogue amoureux n’a rien à voir avec une réalité histo-
rique : la lettre du texte, ici, n’est qu’expression dramatisée12 de réalités mystiques
et ecclésiologiques ; elle n’est que figure. Le livre parle du Christ et de son épouse,
qui est l’Église et, en même temps, à l’intérieur de l’entité collective de l’Église,
l’âme de chacun. Les vicissitudes de leur dialogue, de leurs pertes et de leurs
retrouvailles, de leur interaction avec des amis13, décrivent le rôle du Logos et le
progrès continuel de l’âme et de l’Église dans l’amour pour lui, pour restaurer la

I), Leipzig, 1916, p. 131-185 ; B. LAMBERT, Bibliotheca Hieronymiana Manuscripta, vol. II,
Steenbrugis, 1969, n. 206, p. 59-71.
10. Cf. Origenes Werke 8, p. XX-XXIV (édition du texte p. 61-241), qui compte trois manuscrits
de la fin du Xe et du XIe siècles, dix du XIIe, six du XIIIe, quinze entre le XIVe et le XVIe siècle ; la
classe la plus ancienne de la tradition (A) se répandit sur les axes bavarois, autrichien et de l’Italie
du Nord, tandis que les autres (BCD) ne se manifestèrent qu’à partir du XIIe siècle.
11. On rappellera Ambroise : cf. la contribution de M. CUTINO dans ce volume, p. -.
12. C’est grâce à cette catégorie d’analyse littéraire que la subtilité d’Origène parvient à sur-
monter le caractère problématique de la lettre du Cantique : le livre est composé par Salomon
suivant le genre de l’épithalame, donc dans la forme d’un drame à plusieurs voix. « Meminisse
oportet illud, quod in praefatione praemonuimus, quia libellus hic epithalamii habens speciem
dramatis in modum conscribitur. Drama autem esse diximus, ubi certae personae introducuntur,
quae loquuntur, et aliae interdum superveniunt, aliae recedunt aut accedunt et sic totum in muta-
tionibus agitur personarum. Haec ergo erit totius libelli species et secundum hanc pro viribus
historica a nobis aptabitur expositio. Spiritalis vero intelligentia secundum hoc nihilominus,
quod in praefatione signavimus, vel de ecclesia ad Christum sub sponsae vel sponsi titulo vel
de animae cum Verbo Dei coniunctione dirigitur » (Origenes Werke 8, p. 89). Il n’y a pas, par
conséquent, un sens véritablement matériel : la lettre n’est que convention littéraire qui envisage
« génétiquement » des sens spirituels. Cf. ORIGÈNE, Commentaire sur le Cantique, p. 18-26 ; et
E. MÉGIER, « Senso storico e senso della storia nei commentari latini al Cantico dei Cantici : dai
traduttori di Origene a Onorio Augustodunense e Guglielmo di Saint-Thierry », dans Il Cantico
dei Cantici nel Medioevo. Atti del Convegno Internazionale dell’Università degli Studi di Milano
e della Società Internazionale per lo Studio del Medioevo Latino (S.I.S.M.E.L.), Gargnano sul
Garda, 22-24 maggio 2006 (Millennio Medievale 76. Atti di convegni 23), R. E. Guglielmetti ed.,
Firenze, 2008, p. 295-336.
13. Les deux protagonistes sont entourés de « chœurs » de jeunes hommes (se présentant sous
plusieurs appellations) et de jeunes femmes (les filiae Hierusalem), qu’Origène lit les uns comme
anges, patriarches et prophètes ou apôtres, les autres comme Églises particulières face à l’Église
ou âmes imparfaites adressées vers le progrès spirituel par l’épouse.
138 ROSSANA GUGLIELMETTI

perfection originelle de leur unité avec le Verbe. C’est avec Origène que l’iden-
tité des personnages se fixe à jamais, et particulièrement cette double identité de
l’épouse, bien que, au long du Moyen Âge, les exégètes aiment parfois souligner
de préférence l’une des deux14. Par conséquent, il répéteront aussi beaucoup de
ses lectures de versets particuliers ; mais même quand ils varieront telle ou telle
lecture singulière ou seront obligés de continuer seuls, après le segment connu, ce
sera dans la ligne d’une compréhension identique de l’ensemble du texte.
On a presque tout dit de cet héritage capital de méthode herméneutique et de
contenus, parfois contrarié – on l’a vu – mais jamais menacé : on peut se passer
d’y insister. Par contre, ce que nous essayerons d’aborder ici sont trois questions
complémentaires :
1) L’exégèse du Cantique dans l’Occident latin s’identifie-t-elle tout simple-
ment avec une postérité origénienne ? C’est-à-dire : ne connut-on vraiment que lui
parmi les commentateurs orientaux ?
2) Si tout le monde dépendait d’Origène, dans quelle mesure cette dépendance
était-elle consciente ? Au-delà des auteurs qui le nomment, comme l’anonyme
rappelé plus haut, combien pesa une dette indirecte et cachée, souterraine, pour
ainsi dire ?
3) Troisième question, partiellement connexe à la deuxième : citer et exploiter
Origène ne signifie pas le reproduire tel quel. À travers quels filtres parcourut-il le
Moyen Âge, quelles métamorphoses lui furent imposées ?

I. – Y A-T-IL UN MONOPOLE ORIGÉNIEN SUR L’EXÉGÈSE LATINE DU CANTIQUE ?


En fait, la littérature patristique grecque compte plusieurs commentaires de ce
livre, avant et après les deux textes du grand Alexandrin. Au début du IIIe siècle
Hippolyte en expliqua les trois premiers chapitres, posant déjà l’équation époux-
Christ, épouse-Église ; mais il eut une influence limitée et rapidement évanouie :
Ambroise de Milan puise tacitement quelques lectures à cette source, en les trans-
mettant à une postérité latine, mais faute d’une traduction, hors de ces fragments
isolés et indirects, Hippolyte fut ignoré en Occident15.

14. Avec les mots d’Henri DE LUBAC : « C’est aussi le commentaire origénien du Cantique
des cantiques qui a fixé une fois pour toutes l’interprétation mystique de ce livre » (Exégèse
médiévale, p. 237).
15. Sur l’identité de l’Hippolyte exégète oriental et la distinction entre lui et Hippolyte de
Rome, cf. J. FRICKEL, Das Dunkel um Hippolyt von Rom. Ein Lösungsversuch: Die Schriften
des Elenchos und Contra Noetum, Graz, 1988 ; ID., « Ippolito di Roma, scrittore e martire », dans
Nuove ricerche su Ippolito (Studia Ephemeridis Augustinianum 30), Roma, 1989, p. 23-41 ; et
M. SIMONETTI, « Aggiornamento su Ippolito », dans ibid., p. 75-130. Du commentaire, conçu en
forme d’homélie (peut-être pour la Pâque) et comprenant les v. 1, 1 – 3, 7, seul un fragment grec
survit ; on peut pourtant le lire dans une version géorgienne intégrale et dans d’autres fragments
slaves, arméniens et syriaques : Traités d’Hippolyte sur David et Goliath, sur le Cantique des
« ORIGENES : OSCVLETVR ME OSCVLO ORIS SVI. » 139

Également, le manque d’une traduction confina hors du monde latin les exégètes
qui suivirent Origène et enrichirent de développements nouveaux et originaux
les fondations jetées par lui : Grégoire de Nysse16, Nil d’Ancyre17, Théodoret
de Cyr18 ; et les cinq chaînes grecques consacrées au Cantique entre le Ve et le
Xe siècle19 ne connurent pas non plus un sort plus favorable (il faut attendre le
XVIe siècle pour en voir traduite une, le type E pseudo-eusébien20).

cantiques et sur l’Antéchrist : version géorgienne (CCSO 264. Scriptores Iberici 16), G. Garitte
éd., Louvain, 1965 ; Hippolyt Werke I/1 (GCS, Neue Folge 7), G. N. Bonwetsch Hrsg. (1897),
révision par M. Richard, Berlin, 2000.
16. Ses quinze homélies, qu’il publia vraisemblablement en 391 et qui commentaient Ct. 1,
1 – 6, 9, sont éditées dans Gregorii Nysseni Opera VI. Gregorii Nysseni in Canticum Canticorum,
H. Langerbeck Hrsg., Leiden, 1960. Aucun auteur latin n’indique qu’il les connaît, plus ou moins
directement.
17. Nil (éparque de Constantinople, puis moine à Ancyre et dans le Sinai) commenta le
Cantique tout entier, vers le début du Ve siècle ou peu après. Son texte, jamais traduit, se perdit
même dans l’original grec ; pourtant il peut être rétabli en grande partie grâce à la tradition indi-
recte des chaînes : cf. NIL D’ANCYRE, Commentaire sur le Cantique des cantiques (SC 403), vol. I,
M.-G. Guérard éd., Paris, 1994 ; et NILUS VON ANCYRA, Schriften 1. Kommentar zum Hohelied
(PTS 57), H. Ringshausen – H.-U. Rosenbaum Hrsg., Berlin – New York, 2004 (mais voir les
remarques de M. A. BARBÀRA, « Su una recente edizione del commentario al Cantico dei cantici
di Nilo di Ancira », Adamantius, 12, 2006, p. 306-327).
18. Son commentaire, complet (PG 81, 27-214), écrit vers la moitié du Ve siècle, est largement
inspiré d’Origène et constitue un témoin remarquable pour les contenus de la partie perdue du
texte de celui-ci (cf. J.-N. GUINOT, « Les sources de l’exégèse de Théodoret de Cyr », dans Studia
Patristica 25, II. Biblica et Apocrypha, Orientalia, ascetica, E. A. Livingstone ed., Leuven, 1993,
p. 72-94). Il ne fut pas connu non plus dans la chrétienté latine.
19. Rappelons brièvement le classement établi par Michael VON FAULHABER (Hohelied-
Proverbien- und Prediger-Catenen, Wien, 1902, p. 64-65) : type A (CPG IV, C 80), mi- Ve siècle,
extraits tirés surtout de Grégoire de Nysse et Nil ; type B (C 81), fin VIIe siècle, scholia des
mêmes auteurs et de Maxime le Confesseur, retravaillés à la fin du IXe siècle sous les noms de
Théodoret et Pselle ; type C (C 82), Ve-VIe siècles, attribué à Procope, PG 87, 1545-1754 ; type D
(C 83), Xe siècle, attribué à Polychrone ; type E (C 84), Ve siècle, faussement attribué à Eusèbe,
extraits tirés de Philon, Athanase, Grégoire de Nysse, Eusèbe, Dydime l’Alexandrin, Théophile
d’Antioche.
20. Il s’agit de la version que la CPG (IV, C83) assigne par erreur au type D (d’après
A. SIEGMUND, Die Überlieferung der griechischen christlichen Literatur, München, 1949, p. 180,
n. 3), conservée par le manuscrit Madrid, Biblioteca Nacional, 3996, f. 6r-40r (fin XVIe siècle, pro-
venant de S. Vincente de Plasencia, Estremadura) et éditée par A. C. Vega en 1934 (Quorundam
veterum commentariorum in Cantica Canticorum antiqua versio latina nunc primum edita,
supplément à Religion y Cultura). La chaîne, attribuée à Eusèbe, correspond au texte grec typique
de la branche ibérique de la transmission du type E, augmenté de quelques additions : cf. Gregorii
Illiberitani Epithalamium, sive Explanatio in Canticis canticorum, Vetus Latina (Die Reste der
altlateinischen Bibel. Aus der Geschichte der lateinischen Bibel 26), E. Schulz-Flügel Hrsg.,
Freiburg im Breisgau, 1994, p. 110, n. 1. Schulz-Flügel suggère que la traduction a été réalisée
justement pour le manuscrit, qui réunit d’autres commentaires assez anciens du Cantique (ceux de
Grégoire d’Elvire, Juste d’Urgell et Taion de Saragoze).
140 ROSSANA GUGLIELMETTI

Quelqu’un, pourtant, fit exception : l’évêque cypriote Philon de Carpase, auteur


au début du Ve siècle d’un commentaire intégral21, eut la chance d’être traduit
grâce à Cassiodore : malgré le tourbillon de la condamnation récente voulue par
Justinien, en effet, le fondateur de Vivarium appréciait Origène et recueillait atten-
tivement ses écrits pour la bibliothèque du monastère. Il assigna la tâche à son
collaborateur Épiphane (dit « le Scholastique »)22, qui non seulement donna une
version latine du commentaire, mais l’accompagna aussi d’un texte du Cantique
rare et précieux : la traduction que Jérôme élabora sur les Hexapla, avant de rédi-
ger la forme de la Vulgata23. Pourtant, le travail d’Épiphane n’eut pas du tout de
chance, et avec lui les contenus de l’exégèse de Philon en Occident, qui paraissent
dépourvus de toute postérité : nous ne conservons qu’un manuscrit du VIe siècle,
vraisemblablement juste l’exemplaire de Vivarium (maintenant à la Città del
Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vat. lat. 5704). Bien que cette copie ait
voyagé quelque peu (elle était peut-être en France à l’époque carolingienne, puis
arriva à Bénévent), elle ne semble pas avoir suscité d’intérêt pour le texte, qu’au-
cun inventaire ni auteur médiéval ne mentionne24. Ses contenus, d’ailleurs, étaient
dans leur substance à leur tour origéniens : ce que Philon-Épiphane aurait offert
aux lecteurs latins, s’il avait circulé, ne serait que des propositions alternatives sur
tel ou tel lemma particulier, et non un point de vue herméneutique original.
Ce qui aurait, au contraire, marqué une différence par rapport à la démarche
typologique-psychologique de l’exégèse d’Origène, aurait été l’existence de
modèles d’interprétation « antiochienne », soit littérale. Et dans le cas du Cantique,
une lecture littérale impliquerait l’admission d’un dialogue amoureux humain
« historique », réel, au-dessous du niveau allégorique de signification, ou bien

21. Le texte, accompagné par une version latine moderne, est publié dans PG 40, 27-154.
22. CASSIODORE parle du travail d’Épiphane dans Institutiones I, V, 4, où il attribue le com-
mentaire grec à l’évêque homonyme de Salamine : la même faute apparaît dans le seul manuscrit
conservé (cf. infra).
23. Épiphane est justement la source de l’édition d’Alberto Vaccari : Cantici Canticorum vetus
latina translatio a S. Hieronymo ad graecum textum hexaplarem emendata, Roma, 1959.
24. Le manuscrit, en écriture onciale, a été daté par Elias E. LOWE de la seconde moitié du
VIe siècle (Codices Latini antiquiores 25) : il s’agirait donc d’une copie très proche de l’original,
peut-être précisément de la partie conservée de l’exemplaire décrit par Cassiodore dans le passage
cité supra (un volume qui recueillait les deux traductions des œuvres d’Origène et celle-ci, qui
occupe en effet douze cahiers aux numéros XXIX-XL). Il dut rejoindre la bibliothèque du Latran,
puisque Adrien I parle de l’œuvre dans une lettre à Charlemagne, en 791 ; son passage en France
est suggéré par une note marginale (f. 48v) en écriture caroline française du IXe siècle et par l’exis-
tence d’un apographe tardif (Paris, BnF, gr. 3092, fin XVIe siècle). Le manuscrit était à Bénévent en
1447, quand il fut annoté par Luigi Feoli, rédacteur de l’inventaire des volumes de la Cathédrale.
Cf. l’introduction de l’édition critique de FILONE DI CARPASIA, Commento al Cantico dei cantici
nell’antica versione latina di Epifanio Scolastico (Corona Patrum 6), A. Ceresa-Gastaldo ed.,
Torino, 1979.
« ORIGENES : OSCVLETVR ME OSCVLO ORIS SVI. » 141

encore le renoncement, tout court, à l’allégorie25. C’est là un bouleversement,


qu’une voix seulement osa, à notre connaissance, celle (tout de suite étouffée)
de Théodore de Mopsueste († 428). La damnatio memoriae qui s’abattit sur lui
nous empêche de lire une seule ligne de ce qu’il écrivit sur le sujet. C’est grâce
aux sources hostiles que nous sommes renseignés sur son opinion audacieuse : en
tant que poème nuptial, et rien de plus que cela, le Cantique serait à exclure du
canon biblique26. Si cette approche littéraliste intégrale disparut en Orient avec
Théodore27, c’est de la même école antiochienne que jaillit une nouvelle chance
d’exégèse non-origénienne, et celle-ci au cœur de l’Occident : l’expérience de
l’école de Canterbury au VIIe siècle.
Après la mission pionnière envoyée en Angleterre par Grégoire le Grand, une
seconde équipe partit de Rome en 668, pour aller consolider l’évangélisation des
Anglo-Saxons et les institutions scolaires implantées jadis : un autre Théodore
(602-690) la dirigeait, qui venait de Tarse en Cilicie et avait étudié à Antioche

25. La doctrine antiochienne de la theoria, niveau supérieur d’interprétation de la lettre, ne


refusait pas à l’Ancien Testament des intentions typologiques : les mots des prophètes, notam-
ment, pouvaient bien préfigurer le temps du Christ et de l’Église. En tout cas, au sein de l’école
commune, différents auteurs ouvraient différents espaces au sens allégorique dans leur pratique
exégétique : de la négation presque intégrale de Théodore de Mopsueste à la disponibilité assez
large de Théodoret.
26. Comme Origène, Théodore subit la condamnation du Ve Concile œcuménique en 553, qui
ordonna la destruction de tous ses écrits. Les Actes (Mansi, IX, 225-227) incluent une lettre à
un ami, qui lui avait demandé son avis sur le Cantique, où Théodore le définissait comme un
chant nuptial composé par Salomon pour ses noces avec une femme égyptienne, non pas, donc,
comme un texte inspiré. Le florilège des propositions condamnées rédigé par Léonce (PG 86,
1365D) confirme ce jugement du Cantique comme poème profane, hors du canon biblique.
Quand Théodore est mentionné par d’autres sources, il n’y a pour lui que désapprobation. Cf.
R. DEVRÉESSE, Essai sur Théodore de Mopsueste, Città del Vaticano, 1948, p. 35 ; F. OHLY,
Hohelied-Studien. Grundzüge einer Geschichte der Hoheliedauslegung des Abendlandes bis zum
1200 (Schriften der Wissenschaftlichen Gesellschaft an der Johann Wolfgang Goethe-Universität
Frankfurt am Main: Geisteswissenschaftliche Reihe 1), Wiesbaden, 1958, p. 55-56 ; Biblical
Commentaries from the Canterbury School of Theodore and Hadrian (Cambridge studies in
Anglo-Saxon England 10), B. Bischoff – M. Lapidge eds., Cambridge, 1994, p. 19-24.
27. Rien ne nous suggère concrètement qu’elle ait eu quelque postérité en Occident non plus :
s’il est vrai que le pélagien Julien d’Éclane († 454 environ) demeura quelque temps près de
Théodore en Cilicie, en déduire que son traité perdu De amore tirerait de lui une herméneutique
littéraliste du Cantique n’est qu’une suggestion : ce que Bède en rapporte dans le premier livre
de son commentaire n’autorise pas pareilles hypothèses. Cf. A. G. HOLDER, « The Anti-Pelagian
Character of Bede’s Commentary on the Song of the Song », dans Biblical Studies in the Early
Middle Ages. Proceedings of the Conference on Biblical Studies in the Early Middle Ages.
Università degli Studi di Milano Società Internazionale per lo Studio del Medioevo Latino,
Gargnano on Lake Garda, 24-27 June 2001, C. Leonardi – G. Orlandi edd., Firenze, 2005,
p. 91-103, p. 98. Les fragments extraits de Bède sont publiés dans Iuliani Aeclanensis Expositio
libri Iob – Tractatus Prophetarum Osee, Iohel et Amos accedunt operum deperditorum fragmenta
post Albertum Bruckner denuo collecta aucta ordinata (CCSL 88), L. de Coninck ed., Turnhout,
1977, p. 398-401.
142 ROSSANA GUGLIELMETTI

et peut-être Édesse, puis à Constantinople, avant de se rendre à Rome dans un


monastère grec et, après des années de collaboration avec la papauté, d’être consa-
cré évêque de Canterbury par Vitalien28. Bientôt il fut rejoint par celui qui l’avait
recommandé pour cette tâche non simple : Adrien († 709), abbé depuis longtemps
de Nisida, près de Naples, mais Afer, natif de la Cyrénaique ; il prend en charge
l’abbaye des SS. Pierre et Paul à Canterbury29. Deux hommes de langue grecque,
donc, pour refonder l’Église anglaise et surtout, pour ce qui nous concerne, ses
deux écoles reines, éduquant le clergé et les moines de l’île entière. Deux hommes
dont l’un, Théodore, avait appris à lire la Bible à Antioche. La lecture de la Bible
est en fait au cœur de la pratique didactique des deux maîtres : de leurs leçons,
par les notes de leurs élèves, jaillit un corpus de gloses qui envahira rapidement
l’Europe continentale aussi : il s’agit du glossaire dit souvent « de Leiden », que
nous connaissons mieux après l’édition fondamentale, en 1994, du manuscrit le
plus complet (Milan, B. Ambrosiana M 79 sup.) par Bernhard Bischoff et Michael
Lapidge (limitée, pourtant, au Pentateuque et aux Évangiles)30, et grâce aux
transcriptions de plusieurs manuscrits publiées par Paolo Vaciago31. Il vaut mieux
préciser d’abord qu’on a affaire à une pluralité de formes, où l’on reconnaît des
bases communes mais pas une rédaction originelle univoque : les manuscrits, une
vingtaine, nous attestent l’existence, dès le début de la transmission, de dossiers
alternatifs, comme c’était d’ailleurs prévisible dans le cadre d’une activité scolaire
« duelle » menée pendant plus de vingt ans32. D’après l’examen de Lapidge sur

28. Cf. Biblical Commentaries from the Canterbury School, p. 5-81. Ce que les gloses can-
torbériennes (dont nous allons bientôt parler) témoignent est exactement la méthode pratiquée à
Antioche : références à des notions de topographie des lieux bibliques, histoire, médecine, rhéto-
rique, philosophie, étymologie et lexicographie, comparaisons parmi plusieurs versions antiques,
grecques et latines, du texte sacré. À la même école renvoie l’analyse des sources : l’auctoritas la
plus citée est Jean Chrysostome et avec lui les autres « antiochiens », tandis que les « alexandrins »
sont parfois exploités mais jamais nommés. Les gloses montrent en même temps une familiarité
avec Edesse et les sources syriaques, par exemple Éphrem (cf. ibid., p. 25-37 et, pour l’examen
systématique des sources, p. 190-242). Théodore fut vraisemblablement poussé par l’invasion
arabe à laisser sa région pour Constantinople ; on ne parvient pas à comprendre pourquoi et quand
il se rendit à Rome, où il était, au moins à la moitié des années 660, moine près d’une des nom-
breuses communautés d’orientaux fuyant la Syrie et la Palestine (probablement, avec d’autres
ciliciens, ad aquas Salvias). Il contribua, avec le pape Martin et Maxime le Confesseur, à préparer
les Actes grecs du Concile du Latran de 649, qui condamna le monothélisme.
29. Cf. ibid., p. 82-132. On peut imaginer qu’Adrien aussi se soit rendu au-delà de la
Méditerranée pour échapper aux arabes. Pendant son abbatiat à Nisida, il conduisit des missions
en France en qualité d’ambassadeur de l’empereur Constant II et fut conseiller influent du pape. Il
se rendit à Canterbury en 670, un an après l’arrivée de Théodore.
30. Il s’agit du volume que nous venons de citer aux n. 26 et 28.
31. Glossae biblicae (CCCM 189A-B), 2 vol., P. Vaciago ed., Turnhout, 2004.
32. L’étude pionnière sur le corpus et ses filiations continentales est celle de E. E. STEINMEYER
– E. SIEVERS, Die althochdeutschen Glossen, V, Berlin, 1922, p. 108-407. Pour les manuscrits
qui transmettent le Pentateuque et les Évangiles, cf. Biblical Commentaries from the Canterbury
« ORIGENES : OSCVLETVR ME OSCVLO ORIS SVI. » 143

les livres édités, le corpus de Canterbury reflète la culture antiochienne qui était
celle de Théodore : les gloses sont toutes littérales, à trois exceptions près (dans
l’Exode)33, c’est-à-dire qu’on explique le sens des mots, leur étymologie, les qua-
lités naturelles des plantes et des animaux, la géographie des lieux cités, etc., sans
y admettre d’implications allégoriques. Les sources sont un petit groupe d’auteurs
latins (Jérôme, Augustin, Isidore) et beaucoup de pères grecs, de chaque école
herméneutique mais exploités uniquement pour ce qu’ils pouvaient donner à la
compréhension de la littera.
Avec ces prémisses, on pourrait aborder les gloses sur le Cantique avec des
espoirs légitimes d’y trouver une approche originale par rapport à l’interprétation
allégorique courante. Au contraire, dès le début, il est évident que le status du
livre est particulier au sein du glossaire. Voilà les premières voix du dossier dans
la forme du manuscrit de Milan (précisément du dossier appelé AI), la plus proche
des racines34 :
« 1. In libro Syrasirim id est cantica canticorum.
2. Osculetur me. Ista sunt oscula que ecclesie sue porrigit xpistus quam baptismi
nitore mundatam et ornatam per spiritum sanctum odoris sui gratia invitat ut sponsam.
3. Vbera apostoli.
4. Vino prophete35. »
Donc le Cantique, là encore, nous parle du Christ, de son Église, des apôtres etc.
Et, plus exactement, la glose s’ouvre avec les mots d’Origène même, dont deux
passages forment, en synthèse, le contenu de la voix 2 :
« Haec enim sunt Christi “oscula”, quae porrexit ecclesiae… » [= Orig., Comm. I,
Baehrens Hrsg., p. 90, l. 27]
« Istud autem “oleum”, id est “sancti Spiritus” “unguentum”, quo “unctus est”
Christus et cuius nunc “odorem” sponsa percipiens admirata est… » [Orig., Comm. I,
p. 100, l. 6-8]

School, p. 275-294 et p. 533-560. Une esquisse d’analyse des liens parmi les manuscrits prin-
cipaux est proposée par J. D. PHEIFER, « The Canterbury Bible Glosses: Facts and Problems »,
dans Archbishop Theodore. Commemorative Studies on his Life and Influence, M. Lapidge ed.,
Cambridge, 1995, p. 281-333. La glossographie de l’Europe continentale doit sa naissance à la
diffusion des gloses cantorbériennes, au plus tard pendant le VIIIe siècle : leur rôle dans l’exégèse
du Haut Moyen Âge est encore à découvrir, mais on peut le suspecter très remarquable.
33. Cf. ibid., p. 247 : Lapidge observe qu’il s’agit de passages où il n’y avait pas de sources
antiochiennes à exploiter.
34. Le manuscrit comprend des dossiers multiples pour plusieurs livres bibliques : deux sont
consacrés au Cantique, classés par Vaciago AI et AII.
35. Milano, Biblioteca Ambrosiana, M 79 sup., f. 83v (Glossae Biblicae, P. Vaciago ed., vol. I,
p. 58).
144 ROSSANA GUGLIELMETTI

En explorant, après cette évidence frappante, des branches différentes du cor-


pus, pour vérifier la conduite de chaque version du glossaire, nous avons constaté
qu’on peut définir trois typologies de gloses au Cantique, que nous appellerons
« primaire », « de Reichenau » et « sangallien »36.

A. Glossaire primaire
Milano, Biblioteca Ambrosiana, M 79 sup. XIe s., 66 gloses, forme plus complète
– dossier AI 2e moitié
Leiden, Bibliotheek der Rijksuniversiteit, fin VIIIe s.
Voss. Lat. Q.69
Leiden, Bibliotheek der Rijksuniversiteit, fin IXe s. forme réduite aux 2/3 environ,
Voss. Lat. F.24 sans additions37
Cambridge, University Library, Kk.4.6 XIIe s.,
1re moitié
Paris, Bibliothèque nationale de France, lat. 2685 IXe s., une glose seule38
3e tiers
Leiden, Bibliotheek der Rijksuniversiteit, XIVe s. forme réduite, avec interpolation
B.P.L. 191 puisée au type sangallien39

Le manuscrit de Milan et les autres du premier groupe témoignent de la version


primaire sortie de l’école de Canterbury : l’interprétation allégorisée l’emporte
jusqu’au verset 2, 9, c’est-à-dire pour les deux premiers tiers du glossaire
(voix 2-44, dont sept seulement littérales) ; après, les gloses deviennent sans
exception littérales et très discontinues (voix 45-66)40. Les deux sources domi-
nantes semblent être Origène et Grégoire d’Elvire, dont l’exposition s’arrête au
verset 3, 4 (possibles, mais moins sûrs, des emprunts à Juste d’Urgell, Apponius et
Théodoret de Cyr)41. Pour les explications littérales, à côté des mêmes auctores,

36. Les notices qui suivent dépendent de l’examen des gloses au Cantique dans chacun des
manuscrits énumérés et de l’identification des sources respectives (la liste, il faut le préciser,
n’est pas complète, parce que les témoins où le Cantique est absent ne sont pas mentionnés, et le
travail a dû se borner aux manuscrit transcrits par Vaciago). Nous ne donnerons ici qu’un tableau
synthétique, en nous proposant de revenir ailleurs plus largement sur ce sujet.
37. Les trois manuscrits partagent presque la même sélection de voix au sein du dossier.
38. Sans compter le titre : « 1. DE CANTICA. CANTICORUM. 2. Sunamitis. concubina dauid. quae
ministrabat ei. in senectute » (P. Vaciago ed., vol. II, p. 110). La glose 2 est la glose 63 du dossier
de Milan (ibid., vol. I, p. 60).
39. L’édition (ibid., vol. II, p. 540-542) compte 58 gloses, dont le groupe 6-13 dépend du type
de Sankt Gallen.
40. Le chapitre 2 est encore concerné par des gloses plus régulières (voix 45-49), tandis
qu’après, chaque chapitre ne reçoit que une ou deux gloses (v. 3, 9.11 ; 4, 8.13 ; 5, 11.13 ; 6, 11 ;
7, 1.2 ; 8, 2).
41. L’incertitude demeure là où les gloses répètent des contenus très répandus ou assez atten-
dus, une fois adoptée une démarche d’explication allégorique ; il reste aussi un petit nombre de
« ORIGENES : OSCVLETVR ME OSCVLO ORIS SVI. » 145

la tradition naturaliste et lexicographique donne sa contribution. On sera tenté de


conclure que le maître n’utilisa pas ou presque pas de sources grecques, en fait,
mais puisa surtout aux deux commentaires latins les plus anciens, celui de Grégoire
et de l’Origène latin de Rufin, dont il partageait le point de vue allégorisant ; et
puisque les deux n’expliquaient que les deux premiers chapitres, il se borna pour
le reste à peu de gloses éparpillées et plus « à la manière de l’école », soit littérales.
Même dans le fortin anglais de l’exégèse antiochienne, donc, le Cantique est
traité avec précaution : l’assomption herméneutique qu’il ne parle que du Christ
et de l’Église est confirmée et soulignée dès le début, avec pour conséquence de
se détacher de la méthode habituelle. Et si on voulait échapper à cette évidence,
en supposant une interpolation étrangère, voilà que la glose 41 étouffe pareille
hypothèse : « 41. Stipate stringite. Adrianus dicit .i. remissionem peccatorum per
baptismum42. » Adrianus dicit, la signature du maître43.
Nous avons donc affaire à un dossier véritablement ancré dans la pratique sco-
laire de Canterbury, et notamment d’Adrien : un dossier où l’exégèse du Cantique
demeure en grande partie allégorique et signée par l’autorité d’Origène.

B. Glossaire du type « de Reichenau »


Karlsruhe, Badische Landesbibliothek, Aug. perg. 99 fin VIIIe s.
Fulda, Hessische Landesbibliothek, Aa.2 Xe s.
forme base (26-52 gloses)44
Bern, Burgerbibliothek, 258 Xe s.
Città del Vaticano, BAV, Vat. Lat. 1469 Xe/XIe s.
Milano, Biblioteca Ambrosiana, M 79 sup. XIe s., forme réduite à six gloses45
– dossier AII 2de moitié

voix dont la source ne se laisse pas découvrir.


42. P. Vaciago ed., vol. I, p. 59.
43. Les noms de Théodore et d’Adrien en tant que sources de l’explication proposée parsèment
çà et là le corpus entier. Michael Lapidge avait déjà relevé cette glose d’Adrien, indice de son
souci de sortir de toute ambiguïté à propos du sens purement allégorique du Cantique, et la reliait
à quelques cas de désaccord entre les lectiones des deux maîtres attestées par les gloses – en
sous-entendant donc que l’avis de Théodore au sujet devait être différent (Biblical Commentaries
from the Canterbury School, p. 177-178). On reviendra sur cette suggestion.
44. On compte exactement 26 gloses dans Karlsruhe (P. Vaciago ed., vol. II, p. 59-60), 49 dans
Fulda (ibid., p. 280-283), 39 dans Bern (ibid., p. 614-617), 52 dans le Vatican (ibid., p. 467-470).
Il reste à préciser quelle dimension est la plus proche de l’original, puisque la cohérence générale
de ces gloses ne permet pas de pencher d’emblée pour le témoin le plus ancien et restreint.
45. P. Vaciago ed., vol. I, p. 130-131.
146 ROSSANA GUGLIELMETTI

Une version remaniée du corpus, connue sous la définition de « glossaire de


Reichenau », se répand sur le Continent dès l’âge carolingien (plus de soixante-
dix témoins recensés)46. Pour le Cantique, elle offre une série de gloses pour la
plupart différentes et tirées de sources en partie différentes, mais de conception
semblable : jusqu’au verset 2, 9, allégorie et sens littéral se mêlent, puis il ne reste
que le second. Tandis que le glossaire « primaire » tendait à la réécriture synthé-
tique de beaucoup de ses emprunts aux sources, celui-ci préfère les reproduire à la
lettre, ce qui accroît remarquablement la mesure de chaque glose. Les interpréta-
tions allégoriques sont puisées encore au commentaire d’Origène-Rufin – mais, à
observer, on ne retrouve pas les mêmes emprunts que dans le premier glossaire –,
plus souvent à Apponius, une fois à Grégoire le Grand. Plus large est le bouquet
des sources pour les gloses littérales : outre Apponius et Origène, les Étymologies
d’Isidore, les gloses du type primaire et celles du type de Sankt Gallen (s’il est
légitime, comme nous le croyons, de les assigner à une phase antérieure – on y
reviendra bientôt).
L’impression, d’après ces constatations, est que quelqu’un a suivi le même
canevas qu’on voit se matérialiser dans la forme cantorbérienne d’Adrien (pré-
dominance de l’allégorie pour la première partie, puis rien que le sens littéral et
une démarche plus intermittente), mais en tirant parti d’une collection des sources
renouvelée.

C. Glossaire du type « sangallien »


N’y a-t-il donc pas d’issue à cette urgence d’allégoriser le Cantique ? Si, à vrai
dire, car, dans un coin minoritaire de la tradition du glossaire, on rencontre un
manuscrit comme Sankt Gallen, Stiftsbibliothek, 295 (fin IXe siècle), où l’allégorie
est bannie. Il n’y a là que 37 gloses littérales, partiellement égales à celles des
deux autres versions, souvent originales. Les sources dominantes sont Isidore et
Apponius (mais exploité au même titre que l’encyclopédiste, pour ses explications
étymologiques, botaniques et zoologiques, ou d’histoire et géographie bibliques) ;
comme on l’a remarqué, nombre de gloses coïncident avec celles de Reichenau ;
une (peut-être deux), enfin, avec le dossier de Milan AI, ce qui enracine au moins
partiellement ce dossier dans le sillon de l’école de Canterbury.
La tentation serait forte d’y reconnaître, ne fût-ce que pour sa fidélité intégrale
au sens littéral, le travail de Théodore, puisque le premier glossaire était signé par
Adrien et c’était plutôt lui, Théodore, le gardien des traditions antiochiennes. Les
études sur ces matériaux compliqués ne font que débuter, mais il vaudra la peine

46. Cf. encore E. STEINMEYER – E. SIEVERS, Die althochdeutschen Glossen.


« ORIGENES : OSCVLETVR ME OSCVLO ORIS SVI. » 147

d’explorer l’éventualité que, parmi les dossiers sortis de Canterbury et répandus


sur le Continent, deux séries sur le Cantique aient existé, l’une remontant à Adrien
et l’autre à Théodore (de même qu’ils avaient deux écoles).
Ce qu’on peut affirmer dès maintenant, c’est qu’en tout cas la circulation de
ces glossaires, plus ou moins ancrés au sens littéral, n’entama jamais la démarche
« origénienne » d’interprétation du Cantique des commentateurs médiévaux. Ils
peuvent en avoir tiré quelques petits renseignements, mais pour en faire le point de
départ d’une lecture typologique et tropologique, dont l’inévitabilité ne fut jamais
en question.

II. – UNE DÉPENDANCE TOUJOURS CONSCIENTE ?


Nous arrivons ainsi à notre deuxième question : si l’exégèse du Cantique au
Moyen Âge est donc un monologue origénien diversement joué, est-ce que les
acteurs en étaient tous conscients ? Plus justement, est-ce qu’ils l’étaient dans
le détail de chaque lectio particulière qu’ils empruntaient à Origène ? Il faudra
répondre que non, et cela à cause de la nature même de la littérature exégétique.
Abstraction faite de quelques propos délibérés de cacher son nom (qu’on peut bien
soupçonner), c’est que tout d’abord la mention des sources utilisées ne s’imposait
guère aux auteurs médiévaux comme une obligation ; et que, de surcroît, il leur
arrivait souvent de ne pas connaître, de fait, la paternité de tout ce qu’ils citaient
ou retravaillaient. Le genre se déroule comme un réseau enchevêtré, où chacun
peut avoir exploité un auteur du passé dans sa forme originelle ou remaniée par
un intermédiaire, ou bien par des outils scolaires (chaînes, florilèges, abrégés…)
qui échappent souvent à notre connaissance, mais dont il ne faut jamais oublier
de suspecter le rôle ; et ceux-ci, témoins directs ou non, peuvent se présenter au
nouvel exégète correctement attribués ainsi qu’anonymes ou pseudépigraphes.
Pour le Cantique des Cantiques, on peut compter jusqu’au XIe siècle (donc avant
le grand développement de l’exégèse) au moins quatre commentaires perdus47,

47. Malheureusement, quatre parmi les plus anciens : le traité De amore concernant le
Cantique, aussi de Julien d’Éclane, déjà mentionné, et les véritables commentaires de Victorin
de Pettau († 304), Reticius d’Autun (premier quart du IVe siècle) et Hilaire de Poitiers († 367),
sur lesquels Jérôme nous renseigne. Victorin devait se tenir strictement au modèle d’Origène
(cf. HIER., De viris illustribus, 74 et Epist. 84). Reticius (CPL 78), au contraire, ne recourait pas
suffisamment à Origène, de l’avis de Jérôme, qui lui reproche des fautes d’interprétation dues à
son « indépendance » (cf. Epist. 37). L’approche d’Hilaire face aux œuvres d’Origène, d’après ce
que les allusions de Jérôme suggèrent, était celle du simple traducteur (De viris illustribus, 100 :
PL 23, 739A ; et Epist. 84 et 112).
148 ROSSANA GUGLIELMETTI

dix-huit avec attribution48 et dix anonymes49, pour ne pas parler des glossaires.
Une foule, dont on essaie de représenter les relations dans la tableau, à la fin
de l’article. L’héritage de chaque commentaire a sa couleur : Origène le noir,
Grégoire le Grand le lilas, etc. – mais il est évident que l’Origène qui a rejoint
Grégoire poursuivra autant son chemin le long des lignes lilas, comme il le pour-

48. Dans un ordre à peu près chronologique : l’Origène latin de Jérôme et Rufin ; Grégoire
d’Elvire (Gregorii Illiberitani Epithalamium, sive Explanatio in Canticis canticorum, E. Schulz-
Flügel Hrsg., Freiburg i. B., 1994) ; Épiphane (la traduction de Philon déjà présentée) ; Apponius
(Aponii In Canticum Canticorum expositio [CCSL 19], B. de Vregille – L. Neyrand eds., Turnhout,
1986, p. 1-311) ; Juste d’Urgell (GIUSTO D’URGELL, Explanatio in Cantica Canticorum. Un ves-
covo esegeta nel regno visigoto, R. E. Guglielmetti ed., Firenze, 2011) ; Grégoire le Grand, qui
compose une véritable exposition des v. 1, 1-8 (S. Gregorii Magni Expositiones in Canticum
Canticorum, In librum primum Regum [CCSL 144], P. Verbraken ed., Turnhout, 1963, p. 3-46),
mais explique aussi beaucoup de versets ailleurs, d’où les recueils d’extraits sur le Cantique
dans le Liber Testimoniorum de Patère (PL 79, 905-916) et dans les Excerpta sancti Gregorii
de Taio de Saragosse (A. C. VEGA, « Tajón de Zaragoza. Una obra inédita », España Sagrada,
56, 1957, p. 263-305 et PLS IV, col. 1680-1712) ; Burginda, qui abrège Apponius (B. de Vregille
– L. Neyrand eds., p. 391-463) ; Bède (Bedae Venerabilis Opera II. Opera exegetica IIB. In
Tobiam Proverbia ; In Cantica canticorum ; In Habacuc [CCSL 119B], D. Hurst – J. E. Hudson
eds., Turnhout, 1983, p. 165-375) ; Sicfridus (Versus in Canticis Canticorum, dans Poetae Latini
aevi Carolini 2 [MGH Antiquitates. Poetae Latini Medii Aevi 4], K. Strecker Hrsg., Berlin, 1914,
p. 620-629, et PLS IV, col. 1485-1493) ; Alcuin (ALCUINO, Commento al Cantico dei Cantici
con i commenti anonimi Vox ecclesie e Vox antique ecclesie, R. E. Guglielmetti ed., Firenze,
2004, p. 1-180); Angélome de Luxeuil (PL 115, 551-628) ; Haymon d’Auxerre (PL 70, 1057-
1106, ps.-Cassiodore et PL 117, 295-358, ps.-Haymon de Halberstadt) ; Bruno de Segni (PL 164,
1233-1288) ; Robert di Tombeleine (PL 150, 1359-1370 + PL 79, 492-548) ; Jean de Mantoue
(Iohannis Mantuani In Cantica et de sancta Maria tractatus ad comitissam Matildam, B. Bischoff
– B. Taeger Hrsg., Friburgo, 1973) ; Williram d’Ebersberg (WILLIRAM VON EBERSBERG, Expositio
in Cantica Canticorum und das Commentarium in Cantica Canticorum Haimos von Auxerre,
H. Lähnemann – M. Rupp Hrsg., Berlin – New York, 2004).
49. Ils apparaissent à partir du VIIIe siècle, et il s’agit souvent d’épitomés de commentaires
précédents : Veri amoris, abrégé d’Apponius (B. de Vregille – L. Neyrand eds., p. 315-90) ; le
commentaire des mss. Orléans, Bibliothèque municipale, 56 et Wolfenbüttel, Herzog August
Bibliothek, Novi 535.18 (inédit, mais en préparation par A. Berardi – R. E. Guglielmetti), qui sera
épitomé plus tard, comme en témoigne le ms. Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana,
Pal. lat. 76 ; l’épitomé d’Origène et Juste d’Urgell des mss. Paris, Bibliothèque nationale de
France, lat. 15679 et Arras, Bibliothèque municipale. Médiathèque, 235 (inédit, mais en prépara-
tion par M. Galli) ; le « fragment de Marburg » (M.-A. ARIS, « Aus fuldischen Handschriften: Das
Fragment eines Hoheliedkommentars im Staatsarchiv Marburg, [Marburg, Hessisches Staatsarchiv
Hr. 2,11] », Archiv für mittelrheinische Kirchengeschichte, 49, 1997, p. 379-92) ; l’épitomé de
Bède du ms. Düsseldorf, Universitäts- und Landesbibliothek B. 3 (A. ANGELINO, « L’epitome
del commento al Cantico di Beda nel ms. Düsseldorf, Universitäts- und Landesbibliothek B.3 »,
Filologia Mediolatina, 22, 2015) ; Vox ecclesiae, abrégé de Grégoire d’Elvire et Juste (édité dans
ALCUINO, Commento al Cantico, p. 183-232) ; Vox antiquae ecclesiae, qui réunit le précédent et
Alcuin (ibid., p. 235-305) ; le commentaire du ms. Paris, BnF, lat. 2673 (R. E. GUGLIELMETTI,
« L’esposizione sul Cantico dei Cantici del ms. Paris, BNF lat. 2673 », ACME. Annali della
Facoltà di Lettere e Filosofia dell’Università degli Studi di Milano, 59/2, 2006, p. 93-136) ; enfin,
le commentaire italien présenté au début.
« ORIGENES : OSCVLETVR ME OSCVLO ORIS SVI. » 149

suivra le long des lignes bleues de Juste ou rouges d’Apponius ; de telle façon que
tous répéteront ses idées par l’intermédiaire de tel ou tel autre interprète, ou de
plusieurs ensemble, sinon par la lecture directe de ses œuvres aussi. Et ce réseau
bariolé ne représente que les textes connus : combien d’autres voies et ruelles de
transmission auront-elles existé ?
Évidemment ces modalités de travail ne conditionnent pas seulement la
perception de l’auteur médiéval par rapport à ses sources, mais aussi bien la nôtre.
Plus encore qu’eux, c’est nous qui nous méprenons souvent sur les dettes et les
dépendances, en simplifiant les passages de transmission des idées ou des citations,
ou en nous arrêtant forcément aux doutes et aux hypothèses incertaines. Les lignes
en tirets signalent justement ces doutes, dont la plupart concerne la postérité
des traductions d’Origène et des pères latins perdus qui vraisemblablement
véhiculaient sa lecture du Cantique. Nous voilà face au paradoxe d’Origène : son
interprétation est tellement répandue, élue comme modèle inéluctable dès le début,
qu’elle devient moins discernable dans ses « produits directs » – pour les appeler
ainsi, par rapport aux emprunts indirects. À moins que, bien sûr, l’auteur ne le
nomme, en tranchant la question : ce qui pourtant n’arrive pas avant l’anonyme
italien du XIe siècle… Significativement, les éditeurs et spécialistes des commen-
taires de l’Antiquité tardive et du Haut Moyen Âge s’interrogent depuis longtemps
sur l’influence que les véritables textes d’Origène, traduits par Rufin et Jérôme,
auraient eu sur Grégoire d’Elvire, Juste d’Urgell, Apponius, Bède, en parvenant à
réponses opposées, changeantes, sous réserve50.
Pour éclairer comment pareille impasse a pu arriver, venons-en à un exemple
pratique, tiré du prologue, lorsqu’Origène explique la formule au génitif intensif
paronomastique « Cantique de Cantiques ».

50. Si Grégoire d’Elvire écrit son Epithalamium avant 392, ce qui paraît probable, il ne peut
avoir lu la version de Rufin (achevée vers 410), tandis qu’il montre qu’il connaît les Homélies,
déjà traduites ; d’ailleurs – comme l’éditeur l’observe – quelques affinités pourraient s’expliquer
par une connaissance médiate du commentaire (E. Schulz-Flügel Hrsg., p. 60). Des contiguïtés
de contenus (soit partagées avec d’autres exégètes, soit exclusives) se relèvent également chez
Juste d’Urgell, sans qu’il y ait pourtant d’indices verbaux suffisants pour déclarer une dépen-
dance directe (cf. R. E. Guglielmetti ed., p. XXXII). Exemplaire est le cas d’Apponius, dont les
similitudes avec Origène sont nombreuses : les éditeurs en 1986 penchaient pour un lien indirect
(Apponii In Canticum Canticorum expositio, p. LXXXVII-XC) ; en 1997 ils affirmaient l’utilisation
de Rufin (APPONIUS, Commentaire sur le Cantique, p. 74-76 et 115), d’après l’étude de H. KÖNIG,
« „Vestigia antiquorum magistrorum sequi“: wie liest Apponius Origenes? », Theologische
Quartalschrift, 170, 1990, p. 129-136. L’apparat des sources de l’édition de Bède (Hurst éd.,
passim) renvoie à Origène pour une vingtaine de passages, mais d’autres spécialistes sont d’avis
opposé (cf. A. G. HOLDER, « The Patristic Sources of Bede’s Commentary on the Song of Songs »,
dans Studia Patristica XXXIV, M. F. Wiles – E. J. Yarnold eds., Leuven, 2000, p. 370-375 ; et
ORIGÈNE, Commentaire sur le Cantique des cantiques, p. 60).
150 ROSSANA GUGLIELMETTI

Origène, Homélies [trad. Jérôme]


« Quomodo didicimus per Moysen esse quaedam non solum sancta, sed et “sancta
sanctorum”, et alia non tantum sabbata, sed et “sabbata sabbatorum”, sic nunc
quoque docemur scribente Solomone esse quaedam non solum cantica, sed et
“cantica canticorum”. Beatus quidem et is, qui ingreditur in sancta, sed multo ille
beatior, qui ingreditur in “sancta sanctorum”. Beatus, qui sabbata sabbatizat, sed
beatior, qui sabbatizat “sabbata sabbatorum”. Beatus similiter et is, qui intelligit
cantica et canit ea – nemo quippe nisi in sollemnitatibus canit –, sed multo beatior
qui canit “cantica canticorum”. Et sicut is, qui ingreditur in sancta, pluribus adhuc
indiget, ut valeat introire in “sancta sanctorum”, et qui sabbatum celebrat, quod a Deo
populo constitutum est multa adhuc necessaria habet, ut agat “sabbatum sabbatorum”,
eodem modo difficile repperitur, qui omnia, quae in scripturis continentur,
cantica peragrans valeat adscendere ad “cantica canticorum”. “Egredi” te oportet
“ex Aegypto” et “egressum” de terra Aegypti pertransire “mare rubrum”, et possis
primum “canticum canere dicens” : “Cantemus Domino ; gloriose enim magnificatus
est.” Licet autem primum dixeris canticum, adhuc longe es a “cantico canticorum”.
Perambula terram deserti spiritaliter, donec venias ad “puteum”, quem “foderunt
reges”, ut ibi secundum “canticum” canas. Post haec veni ad viciniam sanctae terrae,
ut super Iordanis ripam constitutus cantes “canticum” Moysi dicens : “Attende caelum,
et loquar ; et audiat terra verba oris mei.” Rursum habes necessarium, ut milites sub
Iesu et terram sanctam hereditate possideas et apis tibi prophetet apis que te iudicet –
“Debbora” quippe apis interpretatur –, ut possis et illud carmen, quod in Iudicum libro
continetur, edicere. Ad Regnorum deinceps volumen adscendens veni ad “canticum”,
quando “David” fugit “de manu omnium inimicorum suorum et de manu Saul et
dixit” : “Dominus, firmamentum meum et fortitudo mea et refugium meum et liberator
meus.” Perveniendum tibi est ad Esaiam, ut cum illo dicas : “Cantabo canticum dilecto
vineae meae.” Et cum universa transieris, ad altiora conscende, ut possis anima
decora cum sponso et hoc canere canticum canticorum. »

Origène, Commentaire [trad. Rufin]


« Post haec exigit nos consequentia sermonis dicere etiam de superscriptione ipsa
Cantici Canticorum. Simile enim est hoc illis, quae in tabernaculo testimonii
appellantur “sancta sanctorum”, et illis, quae in Numerorum libro memorantur
“opera operum”, quaeque apud Paulum dicuntur “saecula saeculorum”. Sed quo
differant a sanctis “sancta sanctorum” in Exodo et quo differant opera ab “operibus
operum” in Numerorum libro, tractatibus, prout potuimus, dictum a nobis est. Sed et
“saecula saeculorum” in locis, quibus occurrit, non omisimus et, ne eadem repetamus,
illa sufficiant. Nunc autem requiramus primo, quae sint cantica, quorum
“canticorum” hoc esse “canticum” dicitur. Puto ergo quod cantica sint illa, quae
dudum per prophetas vel per angelos canebantur. “Lex” enim dicitur “per angelos
ministrata in manu mediatoris”. Illa ergo omnia, quae per illos adnuntiabantur,
cantica erant per amicos sponsi praecedentia ; istud vero unum canticum est, quod
ipsi iam sponso sponsam suam suscepturo epithalamii specie erat canendum, in quo
sponsa non adhuc per amicos sponsi cantari sibi vult, sed ipsius iam sponsi praesentis
audire verba desiderat dicens : “Osculetur me ab osculis oris sui.” Vnde et omnibus
canticis merito praefertur ; videntur enim cetera cantica, quae “lex et prophetae”
cecinerunt, parvulae adhuc sponsae, et quae nondum vestibula maturae aetatis
ingressa sit, decantata, hoc vero canticum adultae iam et valde robustae et quae
capax iam sit virilis potentiae perfectique mysterii, decantari. Secundum quod
dicitur de ipsa quia “una sit perfecta columba”. Quasi “perfecta” ergo perfecti viri
sponsa perfectae suscepit verba doctrinae. Primum igitur “canticum cecinit Deo
Moyses et filii Istrahel”, quando “viderunt Aegyptios mortuos ad litus maris” et
« ORIGENES : OSCVLETVR ME OSCVLO ORIS SVI. » 151

quando “viderunt manum fortem et bracchium excelsum Domini et crediderunt Deo et


famulo eius Moysi”. Tunc ergo “cantaverunt dicentes” : “Cantemus Domino ; gloriose
enim glorificatus est.” Ego autem arbitror quod non possit ad istud perfectum quis et
mysticum canticum pervenire et ad istam perfectionem sponsae, quae in hac scriptura
continetur, nisi prius “ambulet per siccum in medio mari et fiat ei aqua murus dextra
laevaque” et sic evadat de manibus Aegyptiorum, ita ut “videat” eos “mortuos ad
litus maris” atque “intuens manum fortem Domini, quam fecit in Aegyptios, credat
Domino ac famulo eius Moysi”. Moysi autem dico legi atque evangeliis omnibus que
divinis scripturis ; tunc enim merito cantabit et dicet : “Cantemus Domino ; gloriose
enim glorificatus est.” Sed istud canticum canet quis, cum primum liberatus fuerit a
servitute Aegyptiorum. Post hoc autem, cum transierit per illa omnia, quae in Exodo et
quae in Levitico scripta sunt et venerit ad hoc, ut in divinos numeros adsumatur, tunc
iterum secundum canticum canet, cum exierit de “valle Zareth” ; quod interpretatur
aliena descensio, et venerit ad “puteum”, de quo scriptum est : “Et dixit Dominus ad
Moysen : congrega populum, et dabo iis aquam bibere de puteo.” Ibi enim cantabit et
dicet : “Initiate ei puteum ; foderunt illum principes, excuderunt eum reges gentium in
regno suo, cum dominantur eorum.” Sed de his plenius in Numerorum libro, secundum
quod dedit nobis Dominus, dictum est. Oportet ergo venire ad “puteum”, qui “a
principibus fossus est et a regibus excussus”, in quo opere nemo plebeius operatur,
sed omnes “principes”, omnes “reges”, regales scilicet et principales animae, quae
altitudinem putei aquam vivam continentis inquirunt. Post istud canticum venitur ad
Deuteronomii canticum, de quo dicit Dominus : “Et nunc scribite vobis verba cantici
huius, et docete illud filios Istrahel, et inicite illud in os eorum, ut fiat mihi canticum
istud ad testimonium in filiis Istrahel.” Et vide, quantum et quale sit istud canticum,
cui ad audiendum “terra” non sufficit, sed convocatur et “caelum” ; ait enim : “Attende
caelum et loquar ; et audiat terra verba ex ore meo.” Vide, quam magna sint, quam
ingentia, quae dicuntur. “Exspectetur” ait “sicut pluvia eloquium meum, et descendat
sicut ros super gramen, et sicut nix super foenum, quia nomen Domini invocavi” et
reliqua. Quartum canticum est in libro Iudicum, de quo scriptum est : “Et cantavit
Debbora et Barac filius Abinoem in die illa dicens : in incipiendo principes in Istrahel,
in proposito populi benedicite Dominum. Audite reges, auribus percipite satrapae”
et reliqua. Haec autem qui canit, apis esse debet, cuius opus tale est, quo reges et
mediocres utantur ad sanitatem. “Debbora” namque apis interpretatur, quae istud
canticum canit ; sed et “Barac” cum ipsa ; interpretatur autem “Barac” coruscatio. Et
canitur istud canticum post victoriam, quia nec ante quis potest, quae perfecta sunt,
canere, nisi adversarios vicerit. Sic denique et in ipso cantico dicitur : “Exsurge,
exsurge, Debbora, exsuscita milia populi. Exsurge, exsurge, cane canticum ; exsurge
Barac.” Verum et de his plenis in illis oratiunculis, quas de libello Iudicum edidimus,
disserta reperies. Quintum post haec canticum est in secundo libro Regnorum, cum
“locutus est David ad Dominum verba cantici huius in die, qua liberavit eum Dominus
de manu omnium inimicorum eius et de manu Saul et dixit” : “Dominus mihi petra
et munitio mea, liberator meus, Deus meus custos erit mihi.” Si ergo et tu potueris
considerare, qui sunt “inimici” David, quos in primo et secundo Regnorum libro
superat ac prosternit, et quomodo dignus factus est, ut Domini adiutorium mereretur
et “liberaretur” ab huiusmodi “inimicis”, tunc poteris et tu quintum istud canticum
canere. Sextum est canticum in primo Paralipomenon libro, ubi constituit David in
principio ad laudandum Dominum Asaph et fratres eius, et est initium cantici illius
tale : “Laudate Dominum et confitemini et invocate eum in nomine eius, notas facite
in populis voluntates eius. Canite ei et hymnum dicite, narrate omnes adinventiones
eius, quas fecit Dominus” et cetera. Sciendum tamen est, quod canticum quidem, quod
est in secundo Regnorum libro, valde simile est psalmo decimo septimo. Quod autem
est in primo libro Paralipomenon in initiis quidem usque ad eum locum, ubi dicit : “Et
152 ROSSANA GUGLIELMETTI

in prophetas meos nolite malignari”, simile est centesimo quarto psalmo. Posteriora
vero ab hoc loco similitudinem gerunt primarum partium nonagesimi et quinti psalmi,
ubi dicitur : “Cantate Domino, omnis terra” usque ad eum locum, ubi ait : “Quia venit
iudicare terram.” Igitur si in his concludendus est numerus canticorum, septimo in loco
ponendus videbitur liber hic Cantici Canticorum. Si quis vero etiam Esaiae canticum
cum ceteris numerandum putet – licet non valde convenire videatur, ut praecessisse
putetur Esaiae canticum, quod longe posterioribus temporibus Esaias scripserit –,
tamen, si quis putet quod prophetica dicta non temporibus, sed ratione pensanda
sunt, adiunget etiam istud canticum et dicet hoc, quod Solomon cecinit, Canticum
esse Canticorum non tantum eorum, quae prius, sed et quae postmodum canenda
videbantur. Si quis vero putet etiam ex libro Psalmorum debere adsumi, sicubi in eo
vel canticum scribitur vel canticum psalmi, multitudinem congregabit praecedentium
canticorum. Iunget enim ceteris etiam quindecim simul graduum cantica et requirens
singulorum virtutes canticorum atque ex his proficientis animae gradus colligens ac
spiritali intelligentia ordinem rerum consequentiamque componens ostendere poterit,
quam magnificis gressibus incedens sponsa per haec omnia perveniat usque ad
thalamum sponsi digrediens “in locum tabernaculi admirabilis usque ad domum Dei,
in voce exsultationis et confessionis, sonus epulantis” et perveniens usque ad ipsum,
ut diximus, thalamum sponsi, ut audiat et loquatur cuncta haec, quae continentur in
Cantico Canticorum51. »
Dans les deux versions, Origène offre le même parcours explicatif : il rappelle
d’autres « superlatifs » bibliques (sancta sanctorum et les autres soulignés) ; puis
définit la notion de « cantique » dans la Bible, en mettant en évidence la supériorité
du Cantique des Cantiques et de l’état spirituel qu’il requiert par comparaison avec
tout autre cantique : cetera cantica quae lex et prophetae cecinerunt s’adressent
à une épouse immature, celui-ci à l’épouse désormais capax perfecti mysterii, en
mesure de recevoir la révélation du Verbe et de ses arcanes. Sept cantiques sont
donc énumérés et interprétés comme les degrés de ce progrès vers la perfection
(et on peut constater avec quel détail, surtout dans le commentaire) : Ex. 15, 1 ;
Num. 21, 18 ; Dt. 32, 1 ; Iac. 5, 2 ; 2 Sam. 22, 2 ; 1 Par. 16, 8 (pas les Homélies) et
Is. 5, 1.
Or, qu’est-ce que les exégètes latins retiennent du discours assez complexe
d’Origène ? Grégoire d’Elvire propose une synthèse aussi brève que complète
des mêmes concepts ; petit trait original, quand il évoque les cantiques bibliques
(trois : Ex. 15, 1 ; Is. 5, 1 ; Hab. 3), il mentionne Abacuc qui n’était pas dans la liste
origénienne :
« Sic enim pronuntiatur Cantica canticorum, eo quod super omnia cantica, quae aut
Moyses aut Maria in Exodo aut Esayas aut Abacuc et ceteri cecinerunt, haec meliora
sunt cantica, quia illi aut pro liberatione populi aut pro conversatione hominum aut
pro admiratione divinorum operum accensi animo ac mente deo laudes dixerunt.

51. Origenes Werke 8, p. 27, l. 7 – 28, l. 18 ; et p. 79, l. 21 – 83, l. 20. Les passages en gras sont
les plus pertinents pour la comparaison avec les auteurs à suivre.
« ORIGENES : OSCVLETVR ME OSCVLO ORIS SVI. » 153

Hic autem Christi et ecclesiae vox psallentis auditur, propter quod divina et humana
sibimet invicem copulantur : Ideo Cantica canticorum, id est meliora melioribus
nuncupantur52. »
Mais, en revenant à notre problème : les idées sont bien les mêmes, mais
serons-nous autorisés par conséquent à conclure que Grégoire a utilisé le texte
d’Origène ? Puisqu’on ne découvre aucune trace lexicale sûre dans son résumé
extrême, nous sommes forcés d’admettre au même titre la possibilité alternative,
c’est-à-dire qu’il ait connu Origène non par lui-même, mais par l’intermédiaire
d’une source perdue.
La considération vaut d’autant plus dans le cas de Juste d’Urgell et de sa syn-
thèse, poussée plus loin encore : il ne retient que la supériorité du Cantique des
Cantiques vis-à-vis des autres, sans plus.
« Igitur sacramenta libri huius, quae multum inscrutabilia et involuta dinoscuntur, non
immerito in ipsa praenotatione tituli Cantica Canticorum praescribuntur, quia ceteris
eminentiora sine dubitatione aliqua perdocentur53. »
Pour y parvenir, Grégoire, qui est d’ailleurs parmi ses sources54, lui suffisait.
Quand Apponius aborde l’argument, il revient sur les idées d’Origène, mais
avec des changements et des mises au point et, à son tour, sans se laisser découvrir
par des extraits littéraux.
« 15. […] Quod Canticum ita intellegitur omnibus praecellere canticis, sicut Dominus
noster, adsumptus homo, apostolis, patriarchis uel prophetis aut quaecumque illae
sunt caelestium potestates ; ut, sicut “Rex regum” et “Dominus dominantium” est
Christus, ita et hoc “Canticum Canticorum”, super omnia cantica quae a prophetis
cantata sunt, titulatur.
16. Alia enim cantica, aut pro uictoriae laude, hoste prostrato, cantata sunt – sicut
Moyses, demerso pharaone, cantauit in Exodo libro, uel deletis Seon et Og regibus, in
Numerorum libro cantauit –, aut tradendo posteris salutaria praecepta, in Deuteronomii
libro cantauit quod iubente Deo ad uicem testamenti egressurus de corpore ingrato
populo dereliquit : quid eis maneret in nouissimo tempore, si eius mandata fuissent
obliti. Cantauit et Debbora canticum in libro Iudicum, deuicto hoste Sisara. Cantauit
et Anna uxor Helcana canticum in libro Regum, preces fundendo pro sobole
Samuhele. Cantauit et Dauid canticum item in libro Regum, qua die liberauit eum
Dominus de manu omnium inimicorum eius et de manu Saul. Cantauit et Abbacuc
propheta canticum quod pro ignorationibus praenotauit. Cantauerunt et tres pueri in
fornace babylonia canticum, in quo mirabilia omnipotentis Dei narrantur et humilitatis
forma ostenditur, dum se pro peccatis fatentur ignibus traditos, quos ignis tangere
non audebat. Cantauit et Hieremias propheta canticum lamentationis de euersione
Hierusalem et sanctuarii et totius populi Israhel captiuitate, in quo docuit: quanto quis
proximus fuerit Deo per sanctam conuersationem, tanto eum, si declinauerit, saeuior
poena manebit.

52. E. Schulz-Flügel Hrsg., p. 167.


53. R. Guglielmetti ed., p. 11-12.
54. Cf. ibid., p. XXXIII.
154 ROSSANA GUGLIELMETTI

17. Haec autem cantica a diuersis prophetis, ut diximus, pro diuersis personis uel
causis cantata sunt ; hoc uero ideo “Canticum Canticorum” appellatur, quia proprie ad
Christi regis et Ecclesiae coniunctionem cantatum esse manifeste probatur55. »
Il propose des superlatifs différents, empruntés à l’Apocalypse (Rex regum et
Dominus dominantium, Apoc 19, 16), ébauche une division par typologies des
cantiques bibliques en donnant d’eux une liste partiellement modifiée et accrue
(Ex. 15, 1 ; Num. 21, 18 ; Dt. 32, 1 ; Iac. 5, 2 ; 1 Sam. 2, 1 ; 2 Sam. 22, 2 ; Hab. 3 ;
Dan. 3, 24ss. ; Lam.) ; de plus, bien qu’il consacre au sujet une exposition plus
étendue que les autres, il néglige totalement le noyau générateur du discours ori-
génien, le concept de progrès. Là encore, difficulté pour trancher…
Les nouveautés introduites par Apponius, en outre, s’entremêleront par la suite
avec la ligne d’exposition origénienne : Grégoire le Grand suit celle-ci pour les
premières définitions, mais continue avec un classement par types des cantiques
(dont il ne mentionne que Ex. 15, 1 ; Dt. 32, 1 ; 1 Sam. 2, 1 et 2 Sam. 22, 2) qui
perfectionne celui d’Apponius.
« 6. Nec vacue adtendendum est, quod liber iste non “canticum” sed “Canticum
canticorum” vocatur. Sicut enim in veteri testamento alia sunt sancta et alia sancta
sanctorum, alia sabbata et alia sabbata sabbatorum, ita in scriptura sacra alia sunt
cantica et alia Cantica canticorum. Sancta erant quae in tabernaculo et quae exterius
agebantur, sabbata erant quae et singulis ebdomadibus celebrabantur ; sed sancta
sanctorum secretiori quadam veneratione suscipiebantur, et sabbata sabbatorum
nonnisi in suis festivitatibus colebantur. Ita Cantica canticorum secretum quoddam
et sollemne interius est. Quod secretum in occultis intelligentiis penetratur ; nam, si
exterioribus verbis adtenditur, secretum non est.
7. Sciendum est etiam, quia in scriptura sacra alia sunt cantica victoriae, alia cantica
exhortationis et contestationis, alia cantica exultationis, alia cantica adiutorii, alia
cantica coniunctionis cum deo. Canticum victoriae est, quod Maria, transacto mari
rubro, cecinit dicens : Cantemus Domino : gloriose enim honorificatus est, equum
et ascensorem proiecit in mare. Canticum exhortationis et contestationis est, quod
Moyses israhelitis ad terram repromissionis propinquantibus dixit : Adtende, caelum,
et loquar : audiat terra verba ex ore meo. Canticum exultationis est, quod Anna,
prospecta fecunditate ecclesiae in semetipsa, cecinit dicens : Exultavit cor meum in
domino. Vbi per semetipsam figuram fecunditatem prolis ecclesiasticae expressit,
cum dicit : Sterilis peperit plurimos et, quae multos habebat filios, infirmata est.
Canticum adiutorii David post proelium cecinit dicens : Diligam te, domine, virtus
mea. Canticum vero coniunctionis cum deo hoc est canticum, quod in nuptiis sponsi
et sponsae canitur, id est Canticum canticorum. Quod tanto est omnibus canticis
sublimius, quanto et in nuptu solemnitatis sublimioris offertur. Per illa enim Cantica
vitia devitantur, per ista vero unusquisque virtutibus locupletatur; per illa cavetur
hostis, per haec dominus familiari amore conplectitur56. »

55. B. de Vregille – L. Neyrand eds., p. 11-12, l. 229-260.


56. P. Verbracken Hrsg., p. 9-10.
« ORIGENES : OSCVLETVR ME OSCVLO ORIS SVI. » 155

Haymon d’Auxerre résume très rapidement l’idée principale avec les superlatifs
d’Apponius (et un troisième tiré d’ailleurs57) :
« Vnde et Cantica canticorum vocavit hunc libellum, quia omnia cantica superexcellit.
Sicut enim dicitur rex regum, et Dominus dominantium, et solemnitas solemnitatum,
sic dicuntur Cantica canticorum ob excellentiam et dignitatem. »
Ne serait-il donc que l’héritier indirect d’Origène, par la médiation d’Appo-
nius ? Pourtant, peu après, il montrera qu’il l’utilise58…
Celui qui nous donne des certitudes, enfin, est Angélome de Luxeuil, qui de
toute évidence ignore Origène et croise des emprunts littéraux à Grégoire le Grand
et Apponius.
« His itaque ut summa moralium tractator papa Gregorius depromit … non immerito
liber iste, non Canticum, sed Canticum canticorum nominatur, ubi coelestis verbi Dei
et animae coniunctio demonstratur.
Quod canticum ita intelligitur … titulatur [= Apponius, début].
Et sicut in Veteri Testamento … secretum non est [= Grégoire le Grand, dès la
deuxième phrase].
Vnde iam superius in praefatione disputavimus [Angélome].
Sciendum est etiam quia in Scriptura sacra … familiari amore complectitur [= Grégoire
le Grand, le reste].
Cantata sunt et alia cantica a diversis prophetis, pro diversis personis vel causis :
sicut et Habacuc pro ignorantibus praenotavit. Cantavit et Debora de victoria Sisarae.
Cantaverunt et tres pueri in fornace in quo mirabilia omnipotentis Dei narrantur.
Cantavit et Hieremias canticum lamentationis de conversione Hierusalem et sanctuarii,
et totius populi sui, et multi alii. Sed ideo hoc Canticum canticorum appellatur, quia
ad propriam Christi regis et Ecclesiae coniunctionem esse manifeste probatur59…
[= Apponius, dernière partie]. »
Les emprunts sont pourtant précédés, trompeusement, par le seul nom de
Gregorius papa. Son lecteur attribuera donc à une source ce qui vient de deux
auteurs – et qui en tout cas, en dernière analyse, remonte indirectement à la pensée
d’un troisième, Origène.

57. Solemnitas solemnitatum, définition de la Pâque d’après GRÉGOIRE LE GRAND, Homiliae


in Evangelia II, XXII, 6 : « Sicut enim in sacro eloquio sancta sanctorum uel Cantica canticorum
pro sui magnitudine dicuntur, ita haec festiuitas recte dici potest sollemnitas sollemnitatum »
(GREGORIUS MAGNUS, Homiliae in Evangelia [CCSL 141], R. Étaix ed., Turnhout, 1999, p. 185,
l. 111-114).
58. À propos des personae du dialogue dramatique : cf. R. SAVIGNI, « Il commentario di Aimone
di Auxerre al Cantico dei Cantici e le sue fonti », dans Il Cantico dei Cantici nel Medioevo, p. 189-
225, en part. p. 199-200.
59. PL 115, 556D-558A.
156 ROSSANA GUGLIELMETTI

Bref, par l’analyse systématique de ces commentaires, nous parvenons à recueil-


lir des présomptions, parfois convaincantes et soutenues par plusieurs indices, mais
sans jamais pouvoir trancher de façon irréfutable. Ce qu’on reconnaît clairement
est l’humus origénien commun, dont les auteurs, à leur tour, pouvaient être plus ou
moins conscients, tandis qu’ils répétaient des contenus de plus en plus mêlés avec
les retravaillements mêmes qu’ils subissaient, dans une contamination progressive
de voix anciennes et récentes.

III. – QUEL ORIGÈNE ?


Ce que l’on vient de décrire a des liens évidents avec la dernière question qu’on
posait au début : l’Origène qui a imprégné l’exégèse latine du Cantique est-il
encore le véritable Origène ? Ou bien est-il passé par des filtres qui ont estompé
sa physionomie ? Si cela est vrai pour n’importe quel auteur lu en traduction – et
nous savons bien que traduire ne signifiait pas s’en tenir aux mots exacts –, il
l’est d’autant plus pour un exégète si difficile. Difficile à traiter a priori pour son
statut controversé de théologien suspect, voire hérétique ; mais non moins difficile
à rencontrer dans le vif de son écriture dense, riche de discussions philologiques,
d’implications théologiques et anthropologiques complexes, nourri d’une culture
qui n’était plus la culture de ses lecteurs. Et sa lecture latine, en effet, fut nettement
simplifiée, à plusieurs niveaux.
D’abord, les traductions latines sacrifièrent (au moins) la discussion philolo-
gique sur les lemmata commentés, qui devait occuper une place importante dans
les textes grecs60 ; mais leur « trahison » partielle de l’original ne s’arrêta pas à
cet élément macroscopique61. Entre les deux textes traduits, on l’a rappelé, celui
qui jouit de la plus vaste tradition fut la version homilétique de l’exposition, plus
brève et accessible. Enfin – comme le montre encore l’exemple du prologue –, les
exégètes latins réduisirent les contenus qu’ils lisaient à une mesure plus « prag-
matique », en en tirant quelques concepts fondamentaux dépouillés de l’épaisseur
originelle.
On vient de constater comment le parcours détaillé à travers les cantiques
bibliques, pour y déceler les degrés du progrès de l’épouse, se réduit après
Origène à une énumération dé-hiérarchisée (pour se permettre un néologisme),
où l’insouciance à l’égard de la structure profonde de la source se révèle aussi
par les retouches individuelles à la liste, chacun des auteurs visant à l’adapter à

60. Cf. M. SIMONETTI, « La sacra Scrittura », dans Origene. Dizionario. La cultura, il pensiero,
le opere, Roma, 2000, p. 424-437, réimprimé dans ID., Origene esegeta e la sua tradizione,
p. 13-28, en part. p. 18.
61. Cf. ORIGÈNE, Commentaire sur le Cantique des cantiques, p. 13-15 ; et surtout la contribu-
tion d’Emanuela PRINZIVALLI dans ce volume, p. -.
« ORIGENES : OSCVLETVR ME OSCVLO ORIS SVI. » 157

ses habitudes liturgiques62. Cependant, l’idée du rétablissement progressif de la


perfection était centrale dans l’anthropologie et l’ecclésiologie d’Origène, dans
sa doctrine spirituelle tout entière63 : et son exposition du Cantique se tenait elle
aussi sur ce pilier. Mais justement, les épigones latins n’étaient ni intéressés ni
en mesure de maîtriser un dialogue avec lui au niveau des idées de structure : ils
en tirent un schéma plus ou moins articulé de décodage global et un répertoire
d’interprétations particulières condensées (la vigne est la synagogue, les épines
sont les hérétiques…), à recombiner librement.
Si on peut conclure avec une similitude hasardeuse, Origène est devenu « la
langue anglaise » de l’exégèse médiévale du Cantique : un langage partagé partout,
mais d’autant plus efficace pour communiquer qu’il est simplifié et débarrassé de
ses obstacles idiomatiques ; de ce qui en constitue, pourtant, la véritable identité.
Rossana GUGLIELMETTI
Università degli Studi di Milano

62. Sur les usages orientaux et occidentaux en matière de cantiques bibliques dans le contexte
de la liturgie, cf. Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, F. Cabrol – H. Leclercq éd.,
vol. II, Paris, 1910, col. 1975-1994 (F. CABROL).
63. Cf. par exemple M. SIMONETTI, « La mistica di Origene », dans La Mistica : fenomenologia
e riflessione teologica, 2 vol., E. Ancilli – M. Paparozzi edd., Roma, 1984, vol. I, p. 257-280,
réimprimé dans ID., Origene esegeta e la sua tradizione, p. 29-50.
158 ROSSANA GUGLIELMETTI
Scot Érigène, traducteur des Questions
à Thalassios de Maxime le Confesseur :
remarques introductives
En 2001, Jacqueline Hamesse publiait un recueil d’études sous le titre : Les
traducteurs au travail, leurs manuscrits et leurs méthodes1. Les articles ne por-
taient pas sur Jean Scot, mais j’introduirai mon exposé par une des remarques
conclusives de Louis Holtz : « Ce qui me frappe dans ce lot de traducteurs qui nous
ont été présentés, c’est la conscience avec laquelle ils ont travaillé, leur ténacité,
leur souci de l’exactitude dans la traduction ad verbum, leur hésitation entre leur
principe de donner toujours au même mot grec ou arabe le même équivalent latin,
et leur sens profond de la langue2. » Ces affirmations sont devenues pour moi des
questions lorsque j’ai abordé la version latine des Questions à Thalassios et c’est
donc essentiellement sous cet angle que j’en parlerai.
Dans une perspective plus proprement théologique, lors d’un colloque à
Belgrade en 2012, Nicholas Constas a défini trois phases de la réception de l’œuvre
et de la pensée de Maxime3 en Orient et en Occident. La première phase est liée
aux traductions latines de l’œuvre du Pseudo-Denys et de Maxime par Anastase le
Sinaïte et surtout par Jean Scot Érigène à la cour carolingienne dans la deuxième
moitié du IXe s. En Orient, une redécouverte de la théologie de Maxime correspond
à une période définie comme « renaissance macédonienne » aux Xe-XIe s. ; et en
Orient encore, c’est au miroir des polémiques philosophiques et théologiques du
début du XIVe s., avec Grégoire Palamas, que l’on relit Maxime. Pour en rester
à la première phase et à la carrière de l’Érigène, on en situe la traduction dans

1. Les traducteurs au travail, les manuscrits et leurs méthodes, J. Hamesse éd.,Turnhout, 2001.
2. L. HOLTZ, « Traductions médiévales et philologie », dans ibid., p. 495-506 (phrase citée
p. 501).
3. « St Maximus the Confessor: the Reception of His Thought in East and West », dans Knowing
the Purpose of Creation through the Resurrection. Proceedings of the Symposium on St. Maximus
the Confessor, Bishop Maxim (Vasiljevic) ed., Belgrade, 2013, p. 25-53.
160 FRANÇOISE VINEL

les années 864-866, après celle du Corpus dionysien et d’une première œuvre
de Maxime, les Ambigua ad Iohannem. Elle est donc le travail d’un traducteur
expérimenté !
Dans l’édition des Questions à Thalassios de Maxime le Confesseur dans le
Corpus Christianorum4, Carl Laga et Carlos Steel soulignent plusieurs aspects
de l’intérêt majeur de cette version latine, par son ancienneté en tout premier
lieu, puisque c’est « le témoin le plus ancien des QTh » (p. CVI) ! Et si Laga et
Steel éditent le texte grec de Maxime en reprenant à nouveaux frais la tradition
manuscrite et l’édition de la PG (qui reproduit l’édition du dominicain François
Combefis en 16755), ils donnent dans ce volume l’editio princeps de la traduction
latine de Scot Érigène, sur la base des deux manuscrits connus de cette œuvre : le
codex 333 du Mont Cassin, daté de 1100 ; et le codex 144 de Troyes, en minus-
cules françaises du XIIe s., dont « la seconde partie contient deux traductions latines
de s. Maxime, les Questions à Thalassios et, traduites par Cerbanus, les Centuries
sur la Charité. Pour cette dernière traduction, la date terminus post quem est
1134-1138. Le manuscrit du Mont Cassin est de meilleure qualité ; surtout, bien
qu’indépendants l’un de l’autre, les deux manuscrits sont apparentés, ce qui laisse
supposer une source commune, que Laga et Steel pensent trouver dans la liste
des livres d’« un ami de Jean Scot, Wulfad de Reims, à qui Jean a dédié son Peri
physeôn et qui devint archevêque en 8666 ».
C’est sur la traduction des œuvres de Denys7 que se sont concentrées les
recherches pour définir les qualités et modalités du travail de Jean, dans le contexte
d’un grand mouvement d’intérêt pour les Pères grecs à l’époque carolingienne. Un
article de Goulven Madec, « Jean Scot et ses auteurs8 », invite à des « enquêtes
méthodiques [repérant] tous les emprunts grecs et latins qui façonnent et ornent la
pensée et la langue de Jean Scot » (p. 9).
« Enquête méthodique », c’est ce que je vous propose de manière inchoative,
selon deux angles d’approche. Les Questions à Thalassios (désormais QTh) sont
des questions sur l’Écriture, même si les développements apportés aux versets
qu’il commente dans sa réponse au moine Thalassios font en quelque sorte éclater
le cadre du genre littéraire bien connu des « questions et réponses sur l’Ancien

4. CCSG 7 (Quaestiones 1-55), Turnhout, 1980 et CCSG 22 (Quaestiones 56-65), Turnhout,


1990.
5. CCSG 7, Introduction, p. LXXXIII : en 1675 parut l’édition générale des œuvres de
s. Maxime, par les soins de François COMBEFIS : S. Maximi Confessoris Graecorum theologie
eximiique operum tomus Primus (secundus) ex probatissimis quaeque mss. codicibus.
6. Ibid., p. XCVI.
7. Sur la réception du Corpus dionysien en Occident, voir infra la contribution de E. MAINOLDI,
p. -.
8. Contribution au 4e colloque international sur Scot Érigène, en 1983 à Montréal, « Jean Scot
et ses auteurs », article repris dans G. MADEC, Jean Scot et ses auteurs. Annotations érigéniennes,
Paris, 1988, p. 9-52.
SCOT ÉRIGÈNE, TRADUCTEUR DE MAXIME LE CONFESSEUR 161

et le Nouveau Testament ». Mais on laissera ici de côté la comparaison des cita-


tions bibliques par Maxime et par son traducteur, qui nous orienterait plutôt vers
l’examen des versions des Écritures dont l’un et l’autre disposaient. On cherchera
d’abord, comme cela a été fait pour la traduction du corpus dionysien, à repérer
quelques traits de la méthode de traduction d’Érigène pour cette œuvre écrite
dans un grec difficile et une syntaxe … parfois tortueuse ! J’insisterai d’abord
sur la présence, à analyser, de termes grecs dans la version de Jean Scot. Édouard
Jeauneau9 analysait, dans un article paru en 2000, le lexique érigénien en y distin-
guant avant tout l’invention de néologismes – on verra qu’ils ne sont pas absents
de la traduction des Questions, par fidélité, peut-être, à la propension de Maxime
lui-même aux néologismes. Mais il y a aussi des traductions qui modifient, ou,
préférerions-nous dire, brouillent le sens du texte maximien. J’ai choisi de regrou-
per, sur ce dernier point, plusieurs termes caractéristiques de la christologie et de
l’anthropologie maximiennes, et plus précisément de son analyse de l’agir humain
– en m’appuyant sur les travaux de Jean-Claude Larchet10. Les choix faits par Jean
ouvrent-ils à une autre interprétation, compréhension des analyses de Maxime ?

I. – LE TRADUCTEUR ET LE GOÛT DU GREC

A. Maintien de termes grecs


Avant de traduire les Ambigua ad Iohannem puis les Questions à Thalassios,
Jean Scot a d’abord traduit les œuvres du Pseudo-Denys11, dont une première
traduction avait déjà été faite par Hilduin à la demande de Charlemagne, et les
études sur Jean Scot traducteur portent principalement sur ce corpus. Mais c’est
aussi l’ensemble de son œuvre, et pas seulement ses traductions qui seraient à
considérer, c’est-à-dire d’abord son rapport à la langue grecque, la conscience
qu’il a de faire un travail de « passeur », d’une langue à l’autre, de l’Orient à
l’Occident. Des mots grecs, en majuscules grecques ou translittérés, parsèment
l’œuvre et cela se comprend aussi dans le contexte culturel. Dans sa monographie
sur Jean Scot, Cappuyns12 rappelle en effet que « l’insertion de termes grecs dans

9. É. JEAUNEAU, « L’influence des traductions érigéniennes sur le vocabulaire philosophique


du Moyen-Âge », dans L’élaboration du vocabulaire philosophique au Moyen Age, J. Hamesse –
C. Steel éd., Turnhout, 2000, p. 157-169.
10. Voir en particulier J.-Cl. LARCHET, La divinisation de l’homme selon Maxime le Confesseur,
Paris, 1996.
11. Il conviendrait de mentionner aussi sa traduction du traité de « la création de l’homme » de
Grégoire de Nysse, décisive pour la diffusion de cette œuvre majeure. Sur la place de ces trois
Pères orientaux dans la pensée et l’œuvre de l’Érigène, voir É. JEAUNEAU, « Pseudo-Dionysius,
Gregory of Nyssa and Maximus the Confessor in the Works of Johannes Scottus Erigena », dans
Carolingian Essays. Andrew Mellon Lectures in Early Christian Studies, U.-R. Blumenthal ed.,
Washington, D.C., 1983, p. 137-149.
12. M. CAPPUYNS, osb, Jean Scot Érigène. Sa vie, son œuvre, sa pensée, Louvain – Paris, 1933.
162 FRANÇOISE VINEL

le discours latin était d’un goût parfaitement apprécié et reconnu au IXe siècle13.
Cela se manifeste bien dans la lettre dédicace à Charles le Chauve des Ambigua
in Johannem14 :
« …Et quomodo praedicta quidem divina in omnia processio ΑΝΑΛΥΤΙΚΗ dicitur,
hoc est resolutio, reversio vero ΘΕΩΣΙΣ, hoc est deificatio. Et qua ratione que sunt
maxima multiplicatione, minima sint virtute ; quae vero minima multiplicatione,
maxima virtute. Quid ΚΑΤΑΦΑΤΙΚΗΝ et ΑΠΟΦΑΤΙΚΗΝ dicam ΘΕΟΛΟΥΙΑ,
in quibus maxime praedicti beati Dionysii Ariopagitae profundissima divinissimaque
admiranda est disputatio ! »
Mais il y a sans doute là plus qu’un effet de mode, qu’une forme de style savant :
le travail en acte d’un traducteur15 ! Significative à ce sujet est la manière dont
Jean Scot mentionne Cicéron dans son Commentaire de la Hiérarchie Céleste ; la
remarque porte sur la traduction du mot grec eupatheia :
« Vbi diximus constantiam, ibi in greco ΕΥΠΑΘΕΙΑΝ, quod Cicero voluit
transferre constantiam ; ipsi autem Greci ΕΥΠΑΘΕΙΑΝ dicunt ΕΝΕΡΓΕΙΑΝ,
id est benefacentiam. ΕΥΠΑΘΕΙΑΙ autem tres sunt, secundum stoicos, voluntas,
gaudium, cautio, et nonnisi in animo sapientis constituuntur… Nos autem dicimus
ΕΥΠΑΘΕΙΑΣ gaudium, amorem, odium, tristitiam, quando in animo sapientis
virtutes sunt… (Expositiones in Hierarchiam caelestem, VIII, 274-284). »
Se référer à Cicéron, c’est bien se situer dans une lignée de traducteurs éminents
qui contribuent à la création du vocabulaire philosophique latin, mais les deux
listes de passions soulignent que la question lexicale renvoie à un débat philo-
sophique, à des divergences d’écoles philosophiques. De même dans la lettre à
Charles le Chauve, l’introduction de termes grecs pourrait aussi indiquer la volonté
de souligner des termes importants, ici la distinction entre théologie affirmative et
théologie négative.
Comme on vient de le voir dans la lettre de dédicace à Charles le Chauve,
l’Érigène se plaît à juxtaposer le mot grec en majuscules et une explication du sens
latin, introduite par « id est » ou des équivalents – tant dans ses traductions que
dans ses propres œuvres. Ainsi, dans le Commentaire sur le Prologue de Jean, il
compare texte biblique grec et texte biblique latin, à propos de Io. 1, 3 (« Tout fut
par lui et sans lui rien ne fut ») :

13. M. CAPPUYNS, p. 141 : « Pour bien montrer qu’il n’ignore pas leur signification, Érigène
les traduit d’ailleurs volontiers dans ses commentaires et dans le De divisione naturae. Il arrive
même qu’on trouve ces gloses explicatives, – “hoc est… ˮ – dans les traductions elles-mêmes. »
14. Maximi Confessoris Ambigua ad Iohannem iuxta Iohannis Scotti Eriugenae latinam inter-
pretationem, nunc primum edidit Eduardus Jeauneau, CCSG 18, Turnhout, 1988, p. 3-5.
15. L’introduction de Laga et Steel comporte déjà des éléments d’analyse, auxquels nous
renvoyons (cf. CCSG 7, p. XCI à XCVIII sur la traduction latine).
SCOT ÉRIGÈNE, TRADUCTEUR DE MAXIME LE CONFESSEUR 163

« Tout cela est plus facile à saisir en grec. Car, là où les Latins écrivent sine ipso (sans
lui), les Grecs écrivent ΧΩΡΙΣ ΑΥΤΟΥ, c’est-à-dire : en dehors de lui. Pareillement,
le Seigneur dit lui-même à ses disciples : “En dehors de moi vous ne pouvez rien faire
(Io. 15, 5).” En d’autres termes : Vous n’avez pu vous faire vous-mêmes en dehors de
moi, que pouvez-vous faire en dehors de moi ? Car, là aussi, les Grecs écrivent, non
pas ΑΝΕΥ mais ΧΩΡΙΣ, c’est-à-dire, non pas “sans”, mais “en dehors de16”. »
Jean donne ensuite une justification théologique de la pertinence du grec et de
la difficulté introduite par la traduction latine :
« Lorsqu’on entend les mots “sans lui”, on peut penser que cela veut dire “sans son
conseil, sans son secours”, et, par là, on n’attribue pas le tout, on n’attribue pas toutes
choses au Verbe. En revanche, lorsqu’on entend les mots “en dehors de lui”, on ne
laisse absolument rien échapper qui n’ait été fait en lui et par lui17 (ibid.). »
Si l’on regarde systématiquement les traces de grec dans la traduction des
Questions à Thalassios, elles paraissent minimes (sans qu’il soit facile pour autant
d’assurer que cela signifierait l’abandon par Jean Scot de cet aspect de sa pratique
antérieure). Dans les versets bibliques cités par Maxime, il est intéressant de noter
que, dans un cas, Jean Scot conserve un terme grec. La Question 64 porte sur
un verset de livre de Jonas (Ion. 4, 11) et, dans la réponse, Maxime commence
par résumer tout le récit, rappelant les différentes étapes de l’itinéraire de Jonas :
« Il est à Joppé, en mer, dans le monstre marin, à Ninive et sous la coloquinte »
(QTh 64, l. 26-28 du grec). Jean ne traduit pas « coloquinte » et se contente de
faire figurer le mot grec, ΚΟΛΟΚΥΝΤΙΑ : «Fit ut ipse et in Ioppe et in mari
et in ceto et in Ninive et sub ΚΟΛΟΚΥΝΤΙΑ… (QTh 64, l. 23-24 du latin). »
Mais plus loin, il translittère colocyntam (QTh 64, l. 359 et l. 371) ; y compris
lorsqu’il cite Jonas 4, 7 (l. 377-378) : « Et precepit dominus deus vermem diluculo
in crastinum, et percussit colocyntam et arefacta est…» Comme on le sait, Jérôme
traduit le verset de Jonas en employant hedera, le lierre (« Et paravit Dominus
vermem ascensu diluculo in crastinum et percussit hederam et exaruit »), un choix
qui repose sur le texte de Symmaque. Si Jean garde le terme grec, est-ce pour
suivre Maxime, plutôt que de se fier à Jérôme, et/ou pour montrer qu’il connaît

16. « Et hoc facilius in graeco datur intelligi. Vbi enim latini ponunt “sine ipso”, ibi graeci
ΧΩΡΙΣ ΑΥΤΟΥ, hoc est, extra ipsum. Similiter et ipse dominus suis discipulis dicit : “Extra
me nichil potestis facere.” Qui per vos, inquit, extra me fieri non potuistis, qui extra me facera
potestis ? Nam et ibi non ΑΝΕΥ, sed ΧΩΡΙΣ, hoc est, non “sine”, sed “extra” graeci scribunt »
(JEAN SCOT, Homélie sur le Prologue de Jean [SC 151], É. Jeauneau éd., Paris, 1969, p. 240-241).
17. Dans le Commentaire de l’Évangile de Jean, il rappelle à propos de Io. 3, 23 (« Amen, amen
dico tibi, nisi quis natus fuerit denuo, potest videre regnum dei ») que « dans les manuscrits grecs,
on lit ἄνωθεν, d’en haut », ce qui « facilite l’intelligence du texte » – mais comme le remarque
l’éditeur, É. Jeauneau, Jean dépend peut-être sur ce point de la traduction latine du Commentaire
de l’Évangile de Jean d’Origène (SC 180, p. 202-203 et n. 7).
164 FRANÇOISE VINEL

les discussions sur la nature et le nom de la plante qui abrite Jonas ? Faut-il penser
simplement qu’il ignorait l’équivalent latin – cependant la liste des « auteurs » de
Scot Érigène établie par Goulven Madec montre qu’il connaissait des œuvres de
Jérôme (il ne mentionne cependant pas son commentaire de Jonas). L’exemple est
anecdotique mais nous montre « le traducteur au travail », conjuguant peut-être ici
le respect du texte de départ et un effet de mode.
La liste des mots grecs maintenus dans la traduction est rapidement faite :
Introduction, l. 16 πρακτικῶς en minuscules non traduit mais Jean emploie habituellement
l’équivalent practice, une translittération latinisée, si l’on peut dire – dont
on trouverait d’autres exemples.
QTh 11, l. 29 id quod non ΟΝ (grec : τὸ μὴ ὄν) – non traduit
QTh 27, l. 69 ex errore ΠΟΛΥΘΕΟΥ, idest multideo
QTh 28, l. 48 per hanc vocem ΠΟΛΥΘΕΙΑΣ, hoc est multidee
Ibid., l. 73 ΟΜΟΥΣΙΟΣ, idest coessentialis
QTh 30, l. 16 ΚΕΝΟΔΟΞΙΑΣ sagittis – non traduit
QTh 40, l. 18 ΠΟΛΥΘΕΙΑΝ, idest mutideam, docuit
QTh 61, l. 142 compellens ad ΑΠΟΓΕΝΕΣΙΝ, idest reditum ad nichilum
Ibid., l. 279-283 ΚΑΤΑΦΑΤΙΚΩΣ, hoc est affirmative … ΑΠΟΦΑΤΙΚΩΣ, idest
abnegative
QTh 63, l. 50 ΘΡΙΑΛΛΥΔΑΜ, hoc est ardentem candelabra summitatem
Ibid., l. 57-58 ΛΥΧΝΟΣ enim, idest lucerna, ΠΑΡΑΤΟΛΥΕΙΝ ΤΟΝΥΧΟΣ, hoc est a
solvendo noctem, dicitur ; ΝΥΧΟΣ autem, idest noctem…
QTh 64, l. 24 ΚΟΛΟΚΥΝΤΙΑ, non traduit (puis translittéré en minuscules [voir
ci-dessus]).

Quelques remarques sur cet ensemble de termes : dans la Question 61, on


retrouve l’opposition cataphatique/apophatique, déjà relevée dans la lettre dédi-
cace des Ambigua. Mais le maintien du grec peut avoir plusieurs explications.
Dans la Question 63, qui examine la description du chandelier en Zach. 4, 2-3, Jean
Scot semble se heurter à la fois à un mot qu’il ne connaît pas, ΘΡΙΑΛΛΥΔΑΜ18,
et qu’il traduit par une périphrase, et à la difficulté liée au jeu de mots fait par
Maxime à partir d’un rapprochement étymologique (faux, en l’occurrence) : il
s’agit d’une interprétation allégorique du chandelier et de ses différentes parties,
qui devient métaphore de l’incarnation. Maxime vient d’associer aux versets de
Zacharie la parole évangélique de Mt. 5, 15 : « personne n’allume une lampe pour
la mettre sous le boisseau » – la lampe est le Christ : « …car on l’appelle lampe du
fait qu’il détruit la nuit » :

18. Le terme désigne la mèche d’une lampe.


SCOT ÉRIGÈNE, TRADUCTEUR DE MAXIME LE CONFESSEUR 165

« Propterea etiam lucerna in scriptura appellatus est – ΛΥΧΝΟΣ enim, idest lucerna,
ΠΑΡΑΤΟΛΥΕΙΝ ΤΟΝΥΧΟΣ, hoc est a solvendo noctem, dicitur ; ΝΥΧΟΣ autem,
idest noctem, qui circa verba solliciti sunt tenebras vocant19. »
La traduction qui accompagne chaque mot grec montre la compréhension de
Jean, mais l’emploi par Maxime du terme rare ΝΥΧΟΣ sous-tend un jeu de mots,
au moins un jeu phonique pour lequel Jean n’a sans doute pas d’équivalents.
Autres exemples de ce « work in progress », signifié par l’insertion d’un mot
grec suivi de sa traduction latine – pratique que l’on retrouve pour des termes
plus chargés théologiquement : ΟΜΟΥΣΙΟΣ, « id est coessentialis », comme si la
traduction devenait le lieu d’un lexique grec/latin. De même dans la Question 61,
Maxime rappelle que le péché d’Adam a causé la mort de la nature :
« Adam … totam naturam condemnavit in mortem, compellens ad ΑΠΟΓΕΝΕΣΙΝ,
id est reditum ad nichilum, in morte per hominem eorum que facta sunt naturam
(QTh 61, l. 142). »
Dans la Question 28, le maintien du terme ΠΟΛΥΘΕΙΑΣ, aussitôt traduit,
n’est pas sans intérêt dans un contexte où Maxime vient de citer Gen. 1, 26
(« Faisons l’homme à notre image et ressemblance ») et rappelle, selon l’interpré-
tation traditionnelle, la signification trinitaire du pluriel « Faisons », aux antipodes
de tout « polythéisme » diabolique. Peut-on comprendre que Jean Scot garde le
mot grec pour marquer la distance entre deux époques de la théologie, celle des
controverses trinitaires et christologiques à laquelle Maxime appartient encore, et
le Haut Moyen Âge, où l’interprétation trinitaire de Gen. 1, 26 n’est plus sujette à
discussion et où la référence au « polythéisme » n’a plus guère de sens ?

B. Termes grecs translittérés20


Dans les Quaestiones, on trouve peu d’exemples de mots grecs translittérés. On
a déjà signalé la translittération colocynta dans un verset biblique (Ion. 4, 7) ; plus
intéressant ici la présence, dans la longue introduction aux Questions, d’une série
de cinq termes translittérés à l’intérieur d’une énumération de vingt-six termes
désignant les effets de la φιλαυτία21 :

19. CCSG 22, p. 148, l. 56-59. Notre traduction du grec (qui bute sur la même difficulté !)
pour ce passage : « C’est pourquoi il (= le Sauveur) a été appelé lampe par l’Écriture – car on
l’appelle “lampe” du fait qu’elle détruit la nuit ; et ceux qui s’intéressent aux mots appellent “nuit”
l’obscurité. »
20. Sur la question des translittérations du grec à l’époque médiévale, voir, dans ce volume,
l’article de F. RONCONI, p. -.
21. QTh, Introductio, l. 276-283 (grec) / l. 243-248 (latin) .
166 FRANÇOISE VINEL

« Vtpote, si quidem pro voluptate delectatio nobis est cure, gignimus, gastrimargiam,
superbiam, cenodoxiam, inflationem, filargyriam, avaritiam, tyrannidem,
ferocitatem, alaxoniam, contumaciam … multiloquium, akairologiam, et quecumque
alia id genus sunt. »
Gastrimargia et cenodoxia sont d’un emploi courant chez Cassien et sont
sans doute entrés dans la langue de l’ascèse, de la vie spirituelle ; on les retrouve
ensuite chez Alexandre de Halès et Thomas d’Aquin. À l’inverse, akairologiam et
alaxoniam (ἀλαζονείαν dans le texte de Maxime) n’ont pas d’autre attestation,
ni avant ni après Jean Scot Érigène ; s’il est possible d’envisager une erreur de
lecture pour alaxoniam, le terme ἀκαιρολογία est attesté chez Basile et Jean
Chrysostome, et on peut s’étonner que Jean n’ait pas usé ici de ses compétences
dans l’analyse étymologique.
Si l’on peut brièvement conclure sur ce point, notons que la question des trans-
littérations est à intégrer à celle, beaucoup plus large, de la création du vocabulaire
philosophique et théologique occidental au Moyen Âge, pour lequel l’Érigène est
héritier d’un lexique déjà existant, à travers, par exemple la littérature ascétique.

II. – QUELQUES REMARQUES SUR LES TECHNIQUES DE TRADUCTION


Après ses premiers travaux de traduction, Jean Scot se trouve donc confronté
à l’ampleur de l’œuvre maximienne, et l’on examinera à présent les choix du tra-
ducteur face à quelques traits stylistiques caractéristiques du grec de Maxime, au
plan lexical et syntaxique.
La langue de Maxime est en effet elle-même déjà inventive, avec en particulier
une propension aux néologismes. Le travail de son traducteur latin sur ce point a
déjà donné lieu à quelques études, dont celle de É. Jeauneau sur quelques mots à
préfixes22. Dans les Questions à Thalassios, l’emploi d’adjectifs avec le suffixe
-ikos est particulièrement frappant23. Scrupuleux dans sa manière de traduire plu-
tôt ad litteram et reposant sur l’étymologie/analyse de la formation des mots, Jean
Scot adapte cet usage maximien en utilisant le suffixe -trix : quelques exemples,
sous forme d’un tableau (la ligne du texte est donnée à la fois pour le grec et pout
le latin, à cause du décalage introduit par le travail de traduction) :

22. Dans son article sur « L’influence des traductions érigéniennes sur le vocabulaire phi-
losophique du Moyen-Âge » (voir n. 9), É. JEAUNEAU étudie en particulier l’abondance des
mots préfixés en auto- et hyper/super-. Voir aussi, dans le même volume, la contribution de
G. MENSCHING, « Bemerkungen zu den scotistischen Neologismen am Beispiel der formalitas »,
p. 369-396.
23. Voir la liste donnée par Laga et Steel, CCSG 7, p. CV. Et l’on peut regretter que l’index
gréco-latin annoncé ne figure pas dans le second volume
SCOT ÉRIGÈNE, TRADUCTEUR DE MAXIME LE CONFESSEUR 167

Maxime Jean Scot


QTh 2 λογικῆς … οὐσίας … (17) γνωμικὴν24 (13) rationabilis essentiae … (15)
διαφοράν discretivam differentiam

QTh 5 (37) ἐπιστημονικῷ τρόπῳ (32) scibili … vultu

QTh 13 (23-24) σοφὶαν ὑφεστῶσαν καὶ (21-22) sapientiam subtextricem atque


συνεκτικὴν continuatricem
(25-26) ζωὴν ὑφεστῶσαν καὶ (23-24) substitutricem … et complectricem
συμπληρωτικὴν vitam

QTh28 (76-86) ἀποδεκτικὴν … προνοητικὴν (67-72) …demonstraticem … providam


… τιμωρητικὴν … κριτικὴν καὶ … ultricem … iudicatricem et
διορθωτικὴ… correctricem…
…δημιουργικὴ ἡ τρίας συνεκτικὴ (72-75) creatrix … trinitas et …
καὶ διανεμητικὴ dispensatrix

QTh 37 (74-75) ψηλαφητικὴν ἐνεργείαν (63) palpatricem … operationem

QTh 43 (23-24) ποιητικὸν ξῦλον συστατικὴν (20-21) efficax … lignum vitae


διάκρισιν constitutricem … discreptionem

La consultation de différents dictionnaires et de la base du CLCLT25 montre


que certains mots étaient déjà attestés mais que d’autres n’ont pas d’autres
attestations. Ainsi, efficax est employé dans la langue classique et dispensatrix
ou operatrix sont déjà attestés chez Jérôme, Ambroise et d’autres ; à l’inverse,
subtextrix, complectrix, palpatrix, substitutrix semblent bien des hapax érigéniens
là où les adjectifs employés par Maxime sont, sinon usuels, du moins plusieurs
fois attestés. À partir de ces quelques cas, on peut encore, cependant, noter que
Jean n’est pas totalement dépendant de la littéralité et de l’analyse étymologique
du lexique grec, sachant recourir à scibilis pour ἐπιστημονικός, à rationabilis
pour λογικός ou encore à providus pour προνοητικός, tous adjectifs latins déjà
bien présents dans la langue philosophique et théologique ; dans la Question 13,
la traduction différenciée du participe ὑφεστῶσαν, là où Maxime suggère un
parallélisme entre une qualité de la sagesse et une qualité de la vie, s’éclairerait
sans doute par un examen des deux manuscrits connus de la version latine.

24. Voir dans la partie III, la question posée par la traduction érigénienne de γνώμη.
25. Dans le même volume sur L’élaboration du vocabulaire philosophique, T. GREGORY
concluait avec une contribution intitulée : « Vers un “Thesaurus totius latinitatis” : problèmes et
perspectives » (p. 539-549), en mettant l’accent sur les difficultés liées à l’évolution du sens des
mots.
168 FRANÇOISE VINEL

Quelques remarques seulement au plan syntaxique. Comment le traducteur


latin rend-il la syntaxe, complexe, pour ne pas dire lourde, du texte de Maxime,
en particulier avec la manière dont il abuse du pronom relatif et de phrases très
longues ? Ici encore quelques exemples :
• longueur et syntaxe des phrases :
– QTh 22, grec p. 139, l. 36-49 / latin p. 138, l. 31-41 : Jean calque sa traduction
sur l’ordre des mots grecs et leur forme grammaticale (par ex., respect de la
distinction entre participes et verbes conjugués).
– QTh 49, grec p. 359, l. 137-152 / latin, p. 358, l. 115-127 : on observe le même
effet de décalque, reprenant la structure comparative de la phrase (ut… sic…) ;
aux lignes 129-130, trois formes d’indicatif (inchoat … desinit … substitit…)
traduisent des formes grecques au participe, ce qui facilite la lisibilité de la fin de
la phrase avec son enchaînement de propositions ; la succession de trois relatifs
(l. 155-156 du grec : παρ οὗ καὶ ἐν ὧ καὶ εἰς ὅν) est respectée.
– QTh 55, grec l. 145-158 / latin, l. 121-132 : ici encore, la syntaxe de la phrase est
rigoureusement reproduite, et la traduction latine ne compte que quelques mots
de plus que l’original grec (en ne tenant pas compte de la présence des articles
en grec et de leur absence en latin).
• la surabondance des pronoms relatifs : ici encore, on peut percevoir la volonté de
respecter le déroulement de la phrase, où l’enchaînement des propositions exprime
la logique de Maxime. Tenons-nous-en à la Question 64, une des plus longues :
843 lignes pour le texte grec26. Les propositions relatives, récurrentes et comme
accumulées dans certains passages de la Question sont systématiquement rendues
par des relatives en latin, autre signe du caractère scrupuleux de la traduction.
• un dernier trait significatif peut être pris en considération : dans le texte de
Maxime, des ensembles que l’on pourrait appeler définitionnels, le dernier terme
d’une définition étant repris pour être à son tour défini. On en trouve un exemple
dans la Question 59 (lignes 121 à 159 du grec), qui commence avec la citation de
1 Ptr. 1, 9 : « “Le salut des âmes”, c’est, au sens propre, “la fin de la foi” », suivie
de la définition de « la fin de la foi », et ainsi de suite avec la reprise du mot ou de
l’expression achevant chaque proposition. Une telle succession permet à Maxime
d’introduire des équivalences de termes qui, étape par étape, décrivent l’itinéraire
spirituel de qui a foi jusqu’à son union à Dieu ; telles sont en effet les ultimes
définitions de ce long développement : « L’issue pour ceux qui sont limités par
un commencement et une fin, c’est la toute-puissante et suréminente énergie de
Dieu, immédiate, infinie et à l’infini, en ceux qui ont été jugés dignes de l’issue
considérée comme la meilleure pour les réalités naturelles ; la toute-puissante et
suréminente énergie de Dieu, immédiate, infinie et à l’infini, est le plaisir et la joie
indicibles et plus qu’indicibles de ceux qui ont bénéficié de cette énergie par une
union indicible qui dépasse toute représentation par l’intelligence – plaisir et joie

26. CCSG 22, p. 186-241.


SCOT ÉRIGÈNE, TRADUCTEUR DE MAXIME LE CONFESSEUR 169

dont il n’est aucunement possible de trouver dans la nature des êtres l’intelligence,
la raison, la représentation et l’expression27. » Fidèle à sa volonté de rester proche
du texte grec, Jean Scot reproduit la même structure syntaxique, respectant toutes
les reprises de termes et expressions. Mais cela nous conduit à la question de ses
choix pour les concepts centraux de la pensée maximienne.

III. – ENJEUX ANTHROPOLOGIQUES ET CHRISTOLOGIQUES


DE QUELQUES CHOIX LEXICAUX

A. Enjeux anthropologiques
Dans le cadre de cet article, on s’arrêtera à deux séries de termes, décisifs pour
la définition par Maxime du caractère humain et de la dynamique de conversion,
de progression vers le bien inscrite dans le projet du Créateur sur lui. Le concept
de φιλαυτία est privilégié comme antithétique de l’amour tourné vers Dieu et
la diversité des traductions du terme par Jean Scot en brouille quelque peu le
sens. D’autre part, un riche ensemble de notions définissent les facettes de l’agir
humain : comment Jean les appréhende-t-il ?
Variations sur la traduction de φιλαυτία
Le terme φιλαυτία est employé une vingtaine de fois par Maxime dans les
QTh, toujours en un sens négatif, pour caractériser l’attitude de celui qui s’est
détourné de Dieu. Le choix majoritaire de delectatio pour φιλαυτία par Jean
Scot gomme ce qu’a de toujours négatif ce terme – là où, à plusieurs reprises, la
traduction par amor proprius ou par libido marque mieux l’aspect négatif : faut-il
y voir une hésitation du traducteur, liée au contexte immédiat d’une phrase, d’une
interprétation des versets bibliques qui sont l’occasion de la question ? Quant au
sens positif de delectatio en latin, il suffit de se remémorer comment, dans les
Confessions, delectatio est appliqué au bonheur donné par la contemplation de
Dieu – delectationes Dei, dit Augustin28. Ci-dessous, une récapitulation des choix
du traducteur :
QTh Introduction,
l. 239-240-241-250-264-
φιλαυτία à delectatio
267-275-343 et passim
dans les QTh
Introd., l. 246 φιλαυτίας … τὸν ἔρωτα à delectationis amorem
Introd., l. 389 Νοερὰν φιλαυτίαν à intelectualem delectationem
QTh 40, 79 ἡ φιλαυτία τῆς ἑκάστου γνώμης à libido singulorum sententie
QTh 64, 753 διὰ τὴν φιλαυτίαν à per amorem proprium

27. Lignes 150-159 du grec – notre traduction.


28. AUGUSTIN, Conf. 10, 30, 5 ; 11, 29, 1 ; 11, 22, 12 : « contempler les délices du Seigneur » ;
12, 11, 21.
170 FRANÇOISE VINEL

Lexique de l’agir humain


Il y a dans les Questions à Thalassios une riche palette de termes et concepts
traduisant l’analyse par Maxime de la mise en acte du vouloir humain, du sujet
humain et cette attention est à situer dans le contexte de la lutte de Maxime contre
le monothélisme.
Quatre termes jouent un rôle central : d’abord γνώμη29 et προαίρεσις, pour
lesquels l’Érigène prend le même mot voluntas. Quant à l’opposition, récurrente
chez Maxime, entre ἑκούσιος et ἀκούσιος, elle est rendue le plus fréquemment
par libitus/on libitus mais aussi par d’autres couples de termes antithétiques pour
lesquels il faudrait analyser le contexte immédiat : libitus/molestus ; voluntarius/
invitus; violentus/libitus – on retourve donc un mot de la famillle de voluntas, et
il arrive que l’adverbe ἑκουσίως soit traduit par voluntarie (par ex. QTh 64, l. 53
du latin). Un quatrième terme est lui aussi traduit par voluntas : θέλημα. Ainsi :
θεῖα θελήματα/divinas voluntates (QTh 15, l. 43 du latin) ; ἀγαθὰ θελήματα/
bonas voluntates (QTh 13, l. 6-7 du latin) ; τὰ οἰκεῖα τοῖς ἄλλοις ἀνθρώποις
θελήματα/proprias in aliis hominibus voluntates (QTh 37, l. 44 du latin)
Il y a là une sorte de brouillage du sens dans la version latine et, plus encore,
un recentrement sur le concept de voluntas – un arrière-plan augustinien chez le
traducteur de Maxime, comme le suggérait Goulven Madec dans son article sur
« Jean Scot et ses auteurs »30 ?
Deux exemples de ces effets de brouillage, d’abord dans la Question 42 :
δύο ἁμαρτίαι … ἐν τῶ προπάτορι … ἡ μὲν προαιρέσεως, ἑκουσίως
ἀποθεμένης τὸ ἀγαθόν, ἡ δὲ τῆς φύσεως, ἀκουσίως διὰ τὴν προαίρεσιν
ἀποθεμένης τὴν ἀθανασίαν (l. 16-17)31.
« duo peccata … unum quidem voluntatis voluntarie deponentis bonum, alterum vero
nature coactive pro voluntate deponentis immortalitatem (l. 14-16). »
L’expression voluntatis voluntarie produit une confusion par rapport à la
distinction des deux termes grecs. Observons cela encore, sous une forme plus
accentuée, dans la Question 58, qui porte sur 1 Ptr. 1, 6 :

29. Une étude systématique de la traduction de γνώμη et ses dérivés serait utile, même si le
choix de voluntas paraît le plus fréquent. Mais, par exemple, l’adjectif est rendu par discretivus
dans la Question 2 (l. 15 du latin), qui introduit l’idée de discernement.
30. Voir plus haut, n. 8.
31. « …deux péchés dans notre premier père, … l’un était péché du libre-choix qui s’était
volontairement défait du bien, et l’autre, péché de la nature qui à cause du libre-choix s’était défait
involontairement de l’immortalité » (SC 554, ad loc.).
SCOT ÉRIGÈNE, TRADUCTEUR DE MAXIME LE CONFESSEUR 171

Question 58 : « Aussi tressaillez-vous d’allégresse même s’il faut que, pour un peu de
temps, vous soyez affligés dans diverses épreuves (1 Ptr. 1, 6). Comment celui qui est
affligé dans les épreuves peut-il se réjouir de ses afflictions mêmes ? »
Οὕτως καὶ τῶν πειρασμῶν διττὸν ἐπίσταμαι τὸν τρόπον· τὸν μὲν κατὰ
γνώμην, τὸν δὲ παρὰ γνώμην, καὶ τὸν μὲν ἑκουσίων ἡδονῶν δημιουργόν,
τὸν δὲ ἀκουσίων ὀδυνῶν ἐπακτικόν. Ὁ γὰρ κατὰ γνώμην πειρασμὸς
τὰς κατὰ προαίρεσιν ἑκουσίους σαφῶς συνίστησιν ἡδονάς, ὁ δὲ παρὰ
γνώμην προδήλως τοὺς ἀκουσίους παρὰ προαίρεσιν ἐφίστησι πόνους,
καὶ ὁ μὲν τῆς κατὰ ψυχήν, ὁ δὲ τῆς κατ’ αἴσθησιν λύπης καθέστηκεν
αἴτιος32 (l. 26-33).
…sic et temptationum duplicem intelligit modum, unum quidem secundum voluntatem,
alterum vero contra voluntatem, et unum quidem libitarum delectationum creatorem,
alterum vero non libitorum dolorum illatorem. Temptatio enim que est secundum
voluntatem voluntarias aperte juxta propositum constituit delectationes ; que vero
est contra voluntatem, preclare instat; et illa quidem secundum animam, ista vero
secundum sensum tristitie causa constituta est.
Ces quelques lignes montrent encore une hésitation du traducteur, qui introduit
le terme propositum pour traduire proairesis : kata proairesin/iuxta propositum,
mais para proairesin/contra voluntatem.
Jean-Claude Larchet, dans sa thèse sur La divinisation de l’homme selon saint
Maxime le Confesseur, a souligné combien les analyses de Maxime, dans les
Questions à Thalassios, mais aussi dans plusieurs de ses Opuscules théologiques
et polémiques, tâchent de préciser les étapes de l’agir humain. La γνώμη, un
terme que l’on peut traduire par « disposition de vouloir », y a un rôle décisif et
Larchet, s’appuyant sur la richesse des distinctions de Maxime, schématise ainsi
les étapes de l’agir : « le point de départ de ce processus est le souhait (boulèsis)
d’un sujet et la gnômè est la disposition qui permet le choix/la décision – elle est
une disposition qui rend capable l’exercice de la proairesis » – et en ce sens, les
choix lexicaux opérés par Jean Scot font disparaître des distinctions importantes.

B. Divinisation et connaissance de Dieu


Remarques introductives, ici encore ! Elles porteront sur le vocabulaire de la
divinisation, et sur un terme plus problématique pour le traducteur, μυσταγωγία.

32. Notre traduction du grec : « …de même aussi je connais le double mode des épreuves :
l’un suit la disposition de vouloir, l’autre lui est contraire, l’un est artisan de plaisirs volontaires,
l’autre induit des douleurs involontaires. En effet, l’épreuve qui suit la disposition de vouloir
comporte, clairement, les plaisirs volontaires par libre-choix, tandis que celle qui est contraire à la
disposition de vouloir comprend à l’évidence les peines involontaires contraires au libre-choix ; la
première est cause d’une affliction de l’âme, la seconde d’une affliction de la sensibilité. »
172 FRANÇOISE VINEL

Divinisation et adoption
La fréquentation de l’œuvre de Denys a rendu Jean Scot familier des termes
θέωσις, ἐκθέωσις et θεοποιεῖν. La régularité de la traduction de ces termes par
deificatio et deificare (sans distinction entre le verbe simple et le verbe avec pré-
fixe) est sans doute le fruit de cette expérience tout autant que liée à la conscience
que les Pères latins de l’Antiquité tardive s’étaient déjà appropriés ce lexique. À
l’inverse le choix de filiolitas33 pour traduire υἱοθεσία semble une singularité
de Jean Scot, alors que l’expression de Rom. 8, 15 « adoptio filiorum Dei » a fait
entrer adoptio dans l’usage. L’Érigène garde filiolitas dans le Commentaire sur
l’Évangile de Jean (I, XXXIII)34. Le choix du mot par l’Érigène peut sans doute
s’expliquer par son goût de la traduction étymologique, dont on a déjà vu des
exemples. Mais il est notable que le terme n’est guère mentionné dans les diffé-
rents dictionnaires du latin classique et médiéval ; seul le Glossaire de Ducange
donne pour filiolitas cette explication : « titulus honorarius, quo ut plurimum
Summi Pontifices utuntur, cum ad Principes fideles scribunt, a quibus Patrum
appellatione donantur » et il donne, entre autres attestations, une référence au pape
Adrien (772-795) et au pape Jean VIII (872-882). Une enquête plus approfondie
reste à mener, mais peut-être a-t-on avec filiolitas le cas d’un mot entré pour un
temps dans la langue médiévale.
Connaissance de Dieu : la « mystagogie »
Le terme μυσταγωγία est, bien sûr, loin d’épuiser le lexique de la connais-
sance de Dieu, tant chez Maxime que chez Jean Scot, mais il est visiblement de
ceux qui font difficultés pour Jean, aussi nous y arrêtons-nous. Il reçoit en effet, on
va le voir, plusieurs traductions, des périphrases formées à partir du substantif doc-
trina, ou le recours au verbe erudire. On peut apprécier cette constatation de deux
manières peut-être : la volonté de traduire (mais pourquoi ne pas laisser en grec un
terme si représentatif de la littérature patristique orientale – l’Érigène l’ignorait-
il ?), ou ne convient-il pas d’y voir une réticence face à ce terme, que d’ailleurs
Maxime emploie relativement peu (12 occurrences dont 9 dans les seules QuTh
et 3 dans la Mystagogie) ? Du côté de la littérature latine chrétienne, on ne trouve
aucune attestation d’une translittération de μυσταγωγία. Les propositions de
traductions de Jean Scot sont en tout cas à l’opposé de nos pratiques modernes de
traduction, où, en français du moins, est adoptée la simple translittération « mys-
tagogie ». Voici la liste des emplois du mot par Maxime et les traductions données
par Jean :

33. Quelques exemples dans les Questions : QTh 15, l. 30 et 40 (latin) ; QTh 23, l. 62 (verbe
filiolizare) ; QTh 61, l. 199 (latin).
34. Dans son édition pour SC, É. JEAUNEAU donne en note plusieurs autres emplois du terme
dans l’œuvre de Jean Scot (p. 192-193).
SCOT ÉRIGÈNE, TRADUCTEUR DE MAXIME LE CONFESSEUR 173

QuTh 5, 38 μυσταγωγία à mysteriorum doctrina


QuTh 25, 56 ταῖς ἀναποδείκτοις μυσταγωγίαις à indemonstrabilibus doctrinis
QuTh 40, 37 θεολογικὴν μυσταγωγίαν à theologicam doctrinam
QuTh 3, 20 διὰ τῆς θεωρητικῆς μυσταγωγίας (l. 15) à per theoreticam in mysteria
introductionem
QuTh 52, 73 θεωρητικὴν μυσταγωγίαν à theoreticam doctrinam
QuTh 65, 671 θεωρητικῆς μυσταγωγίας à theoretice mysteriorum doctrine
QuTh 65, 378 τῆς τῶν θείων ἔξω μυσταγωγίας à divinorum doctrinam
QuTh 65, 697 πνευματικῆς μυσταγωγίας à spiritualis doctrinae
QuTh 55, 340 μυσταγωγοῦντες à erudiunt
QuTh 59, 277 μυσταγωγῶν Σολομών à mysteriorum magister Salomon

La périphrase mysteriorum doctrina semble privilégiée par Maxime, mais un tel


choix oriente la compréhension dans un sens plus intellectualiste, qui gomme ce
que pouvait avoir de dynamique, par son étymologie comme par son histoire et ses
emplois dans les catéchèses anciennes par exemple, le terme grec. La question est
comme renvoyée aux traducteurs au fil de l’histoire : que comprend-on quand on
se contente de translittérer, que comprend Jean en recourant à doctrina ? Et l’idée
de « mystagogie » pourrait bien être un des lieux sensibles de la distance entre
l’Orient et l’Occident chrétiens.
À la lumière de ces quelques points de traduction renvoyant à des aspects
centraux des conceptions maximiennes, on peut relire l’article de E. D. Perl,
« Metaphysics and Christology in Maximus Confessor et Eriugena35 », fondé sur
une enquête beaucoup plus vaste dans les deux corpus. Perl met en question la
compréhension érigénienne de la christologie de Maxime et donc de sa théologie
de la divinisation et de la voie vers l’union à Dieu. Au terme de ce que nous avons
présenté comme des « remarques introductives », le jugement de Perl nous invite
à poursuivre les analyses lexicales en prenant en considération l’ensemble du
champ sémantique de l’incarnation et de la transformation spirituelle qui s’opère
dans l’homme tourné vers Dieu. L’importance de l’œuvre de Jean Scot et sa dif-
fusion ont sans aucun doute un rôle décisif pour la compréhension des approches
théologiques médiévales, à Byzance et en Occident, comme le montrent d’autres
contributions de ce volume.

35. Dans les Actes d’un colloque tenu en 2011 à l’Université Notre Dame et publiés sous le
titre Eriugena: East and West (Notre Dame Conferences in Medieval Studies, V), B. McGinn –
W. Otten eds., Chicago, 2013, p. 253-270. Je remercie J.-Cl. Larchet de m’avoir communiqué cet
article.
174 FRANÇOISE VINEL

IV. – CONCLUSION
Nous avons adopté en commençant le point de vue du traducteur et de de la
comparaison du texte de Maxime et de celui de Jean Scot – techniques et choix
de traduction –, avec une question plus vaste à l’horizon : face aux difficultés
présentées par l’œuvre grecque, a-t-on affaire à des choix … embarrassés ou à
des options qui orientent vers une théologie différente ? Les passages analysés
montrent sur le vif la recherche d’un vocabulaire adéquat et, dans certains cas,
sans doute, ses errements, comme on a pu le suggérer avec l’équivalence γνώμη/
voluntas, qui efface une caractéristique centrale de l’acte d’un sujet tourné soit
vers le bien soit vers le mal.
Écrivant et traduisant dans une période de puissante redécouverte de la théologie
orientale et d’admiration pour celle-ci, voire pour la langue grecque elle-même,
Jean Scot traducteur peut à la fois apparaître comme responsable d’un « passage »,
un passeur plutôt scrupuleux dans son respect du texte source, mais il est peut-être
aussi celui qui marque ou creuse un écart entre deux univers – écart linguistique,
culturel et théologique.
Françoise VINEL
Université de Strasbourg
La subordinazione di Agostino ai Padri greci:
l’escatologia antidualistica del Periphyseon
di Eriugena
« Graeci solito more res acutius considerantes
expressiusque significantes… » (Periphyseon V, 132)

È noto come l’originalissima ricerca teologica di Eriugena sia costantemente


supportata da un massiccio e sempre libero confronto con le auctoritates dei Padri,
sia latini che greci. Lo scopo di questo contributo, ridotto per esigenze editoriali
rispetto a una più ampia stesura1, è mostrare come, in particolare in ambito
escatologico, alla cui indagine è dedicato il V libro del Periphyseon (= PP) o De
divisione naturae2, la straordinaria, ingombrante autorità di Agostino sia bilan-
ciata con strategici prestiti dalla tradizione patristica greca (supportata dall’altro
grande padre latino: Ambrogio), anzi persino nettamente subordinata ad essa3.
Questo complesso contrappunto teologico ed ermeneutico conserva, comunque,
ambiguità e persino, almeno in apparenza, contraddizioni, che testimoniano
del dissonante sovrapporsi in ambito escatologico di tradizionali prospettive

1. Cf. Adamantius, 2016, c.d.s., cui rimando sia per le tematiche che qui sono state tagliate sia
per la completezza delle note, qui drasticamente ridotte di numero e di consistenza.
2. Si citerà l’opera nell’edizione del Corpus Christianorum Continuatio Medievalis,
vol. CLXI-CLXV: GIOVANNI SCOTO ERIUGENA, Periphyseon (= PP), É. A. Jeauneau ed., I-V,
Turnhout, 1996-2003: al numero del libro del PP segue il numero della pagina dell’edizione; vi è
affiancata la numerazione relativa alle colonne dell’edizione della Patrologia Latina, vol. CXXII,
De divisione naturae, H. J. Floss ed., Paris, 1853.
3. « L’Eriugena è consapevole di questo contrasto e anche quando tenta interpretazioni con-
cordistiche di tesi diverse, si attesta sempre sulla linea della tradizione greca » (T. GREGORY,
« L’escatologia di Giovanni Scoto », Studi medievali, 16, 1975, p. 497-535, quindi in ID., Mundana
sapientia. Forme di conoscenza nella cultura medievale, Roma, 1992, p. 219-260, in part.
p. 246). Cf., da ultimo, W. OTTEN, « The Texture of Tradition: the Role of the Church Fathers in
Carolingian Theology », in The Reception of the Church Fathers in the West. From Carolingians
to the Mauristis, I, I. Backus ed., Leiden, 1997, p. 3-50, in part. p. 31-44.
176 GAETANO LETTIERI

dualistiche, apocalitticamente nutrite, e di innovative prospettive monistiche, pro-


fondamente segnate dall’incidenza di un platonismo cristiano mistico-speculativo,
che vede in Origene il suo primo teorizzatore.
Non posso in questa sede dare ragione della riduzione platonica cui Eriugena
sottopone il dottore di Ippona, a partire già dal De praedestinatione, privilegiando
il primo Agostino rispetto all’altro4 Agostino, pur nel profondo debito generale
contratto nei suoi confronti. Rimandando pertanto ad altra sede la dimostrazione in
proposito5, mi limito qui a definire il principio ispiratore del pensiero di Eriugena
come un processo di allegorizzazione ontologica e mistico-speculativa di tutti i
dualismi apocalittici – agostinianamente riattivati all’interno della stessa ricon-
figurazione platonica del cristianesimo protocattolico, in controtendenza rispetto
a un processo che nella gnosi cattolica platonizzante di Origene aveva trovato
il suo culmine6 –; quindi come un aggiornato ritorno a Origene della teologia
cristiana. Nel V libro di PP più volte torna una decisa scelta di campo in favore
delle auctoritates greche7. Faccio un solo esempio: contro la dottrina dell’elezione
predestinata (cioè contro il dualismo charislogico, in particolare giovanneo, tra
eletti e reietti, luce di Dio e tenebra del mondo, tra un’universale, maligna massa
damnationis e una ristretta civitas eletta, non universale e indebitamente separata
dal destino di condanna della natura decaduta) Eriugena ricorre a una citazione
dal Commentarius in Epistulam ad Romanos di Origene8 e una citazione dal De
opificio hominis di Gregorio di Nissa9.

4. Cf. G. LETTIERI, L’altro Agostino. Ermeneutica e retorica della grazia dalla crisi alla meta-
morfosi del De doctrina christiana, Brescia, 2001.
5. Si veda la versione lunga di questo saggio in Adamantius, 2016.
6. Proprio contro Origene erano state composte profonde pagine del De Civ. Dei: cf. XI, 23;
XII, 18-21; XXI, 17, ove ricorre l’espressione misericordior Origenes.
7. Più volte sono citati nel V libro del PP il latino Ambrogio, debitore dei Greci, Gregorio
di Nissa e il suo grande interprete Massimo; Dionigi Areopagita; Origene, persino. La piena
legittimità dogmatica di eleggere le auctoritates greche rispetto a quelle latine, in particolare
ad Agostino, è apertamente affermata, seppure (soltanto apparentemente!) attenuata con l’af-
fermazione del debito, religioso rispetto nei confronti di tutti i Patres: « Non enim nostrum est
de intellectibus sanctorum patrum diiudicare, sed eos pie ac uenerabiliter suscipere. Non tamen
prohibemur eligere quod magis uidetur eloquiis rationis consideratione conuenire » (PP II, 32,
548d-549a). Cf., ancora a proposito della divergenza tra Agostino e Gregorio di Nissa (e il suo
interprete Massimo), PP V, 42, 889a-b: « Vnusquisque de talibus disputantium intra se ipsum
deliberet quid sibi rationabilius sequendum sit »; evidentemente, l’affermazione ribadisce la piena
legittimità di preferire, in base all’esercizio della ragione, le prospettive dei Padri greci rispetto
a quelle di Agostino. Cf. in tal senso PP IV, 107, 816d, ove il rifiuto del colluctari e l’appello al
« libero esame » razionale delle autorità dei Padri, comunque prelude a una retractatio greca delle
prospettive agostiniane sulla realtà dell’Eden e sulla creazione dell’uomo.
8. ORIGENE, Com. Rom. III, 1, 925c-926a, citato in PP V, 88, 922c-d.
9. GREGORIO DI NISSA, De Op. Hom. 16, 185a-d, citato in PP V, 88-89, 922d-923c.
LA SUBORDINAZIONE DI AGOSTINO AI PADRI GRECI 177

I. – ERIUGENA COME « ORIGENE REDIVIVO »:


PROTOLOGIA, ALLEGORIA, APOCATASTASI CONTRO IL DUALISMO AGOSTINIANO

Con Eriugena non siamo semplicemente di fronte a singoli prestiti o tracce di


una lettura origeniana o nissena, quanto a una vera e propria riattivazione anti-
agostiniana del grande Origene10 e della tradizione patristica da lui dipendente,
già ontologicamente dispiegata contro i persistenti elementi apocalittici del
dualismo gnostico e marcionita. Una riattivazione che in Eriugena è funzionale
alla strutturazione del radicalissimo platonismo cristiano mistico-speculativo.
Rispetto al progresso teologico di Agostino, da lui stesso esemplarmente ricostru-
ito nelle Retractationes, il metodo di lettura eriugeniano è antitetico, lucidamente
epistrofico, già a partire dal De praedestinatione: a) le prospettive origeniane e
platonizzanti del primo Agostino (quello dei dialoghi di Cassiciaco e in partico-
lare del De libero arbitrio) vengono privilegiate rispetto a quelle dell’Agostino
maturo11; b) il persistente platonismo dell’Agostino maturo viene sistematica-
mente messo in rilievo e forzatamente riattivato in funzione antidualistica, come
leva decostruttiva dell’assetto in realtà neoapocalittico dell’altro Agostino.
Eriugena sottopone l’eredità agostiniana a un sistematico processo di riduzione
o allegorizzazione infinita del dualismo, quindi a un progressivo superamento spe-
culativo di tutte le antitetiche polarità ontologiche e soprattutto economiche che,
seppure dominate dalla trascendente e assoluta onnipotenza di Dio, rivelavano
l’universo agostiniano come irriducibilmente contraddittorio, tragicamente non
unitario. Pertanto, la reductio, il reditus in unum – dominante l’escatologia, quindi
perfezionante la teoria eriugeniana della natura e della duplice dialettica esse/non
esse – è di fatto la reductio non soltanto della molteplicità della creazione all’unità
di Dio che corre in lei12, manifestandosi (dandosi a vedere e vedendosi) come
totalità discreta degli ordini del creato, ma anche reductio del dualismo storico-
economico all’atto unitario dell’unico Dio; della grazia alla natura; del tempo/

10. Origene è definito summus sanctae scripturae expositor (PP IV, 109, 818b); beatus
Origenes (V, 88, 922C); magnus Origenes, diligentissimus rerum inquisitor (V, 929a).
11. Cf. PP IV, 103-104, 814b-815a, ove vengono apertamente messe in contrasto due citazioni
di Agostino, una (nella quale egli duos paradisos asserit esse) tratta da De Gen. Litt. VIII, 1, 1,
l’altra dal giovanile De uera religione 20, 38 (ove unum tantummodo paradisum, eundemque spiri-
tualem, uidetur asserere), con la netta subordinazione della prima alla seconda. Cf. J. J. O’MEARA
« “Magnorum Virorum Quendam Consensum Velimus Machinari” (804d). Eriugena’s Use of
Augustine’s De Genesi ad litteram in the Periphyseon », in Eriugena. Studien zu seinen Quellen,
W. Beierwaltes Hrsg., Heidelberg, 1980, p. 105-116.
12. Sulla celeberrima doppia etimologia eriugeniana di ϑεός da ϑέω, curro (a partire da
Salmo 147, 15), e da ϑεωρῶ, video, cf. PP I, 17-19, 452b-d. Cf. PSEUDO-DIONIGI, De divinis
nominibus 12, 2, 969c; R. ROQUES, Structures théologiques. De la Gnose à Richard de Saint-
Victor. Essais et analyses critiques, Paris, 1962, p. 151; G. D’ONOFRIO, « I loci della mente:
l’essenza dello spazio nel primo Medioevo e in Dante », in Locus-Spatium, D. Giovannozzi –
M. Veneziani edd., Firenze, 2014, p. 149-194, in part. p. 165-166.
178 GAETANO LETTIERI

della storia all’eternità; dei molteplici corpi, luoghi, sensi, fantasie, intelletti per-
sino, alla trascendenza/immanenza delle causae primordiales nel Verbo, nel quale
e con il quale l’intera teofania logica si protende infinitamente nell’immateriale
meontologico abisso dell’Uno.
Il reditus universale è pertanto un movimento di grandioso transitus ontologico
ed ermeneutico, che risolve ogni dualismo ontologico e rivelato in un monismo
metafisico radicale, capace di identificare dinamicamente natura e grazia, eternità
e tempo, abisso divino e creazione, platonismo e cristianesimo. In una vera e
propria ontologia della grazia, il reditus in unum, che riassorbirà universalmente
la differenza dei corpi nella scaturigine logica delle cause create eternamente nel
Verbo13, è quindi il correlato necessario della conversione universale della creatura
in Dio, eternamente e universalmente predestinata14. Visione, questa di Eriugena,
in perfetta antitesi con la nozione elettiva, non universale della grazia predesti-
nata agostiniana, che definiva la relazione tra eletti e Dio come intrascendibile
differenza ontologica, tale, comunque, da consentire all’umanità redenta l’eterna
fruizione di un escatologico dono eccedente, cristicamente elettivo, rispetto all’u-
niversale, protologico dono naturale della partecipazione all’essere.
Al contrario del dualismo agostiniano fra condizione protologica ed escato-
logica, un ruolo assolutamente capitale non soltanto nella dottrina escatologica
di Eriugena, ma nella stessa struttura metafisica del PP, è assunto dalla teoria
origeniana della perfetta identità tra protologia ed escatologia, initium et finis15,
che consente di pensare la compiuta restituzione o apocatastasi del molteplice
creato nell’unità assoluta e trascendente dell’origine, nella quale la totalità dei
logoi è predestinata nel Logos all’intima partecipazione logica a Dio. Sicché
il ricongiungersi dell’universa creatura nell’unus finis (De Princ. I, 6, 1) con
l’Vnum increato e increante (il Padre al quale, nel Figlio, il tutto ritorna teoreti-
camente e misticamente) compie la dinamica, universale rivelazione dell’initium,

13. Cf. PP II, 24-26, 542c-544a.


14. Cf. PP II, 43-46, 558b-559b.
15. Cf. ORIGENE, De Princ. I, 6, 2: « Semper enim similis est finis initiis; et ideo sicut unus
omnium finis, ita unum omnium intellegi debet initium; et sicut multorum unus finis, ita ab uno
initio multae differentiae ac varietates, quae rursum per bonitatem dei, per subiectionem Christi
atque unitatem spiritus sancti in unum finem, qui sit initio similis, revocantur. » Sulla corrispon-
denza tra fine e principio, cf. PP V, 11, 866c-d: « Finis enim totius motus est principium sui.
Non enim alio fine terminatur, nisi suo principio, a quo incipit moueri, et ad quod redire semper
appetit, ut in eo desinat atque quiescat. Et non solum de partibus sensibilis mundi, uerum etiam de
ipso toto id ipsum intelligendum est. Finis enim ipsius principium suum est, quod appetit, et quo
reperto cessabit, non ut substantia ipsius pereat, sed ut in suas rationes, ex quibus profectus est,
reuertatur »; PP V, 12, 867c: « Nam et apud graecos principium ΤΕΛΟΣ (id est finis) appellatur,
indiscrete quidem dicentes principium et finem ΤΕΛΟΣ – quid aliud nobis mystice intimatur, nisi
reditus nostrae naturae ad principium suum, a quo facta est, et in quo et per quod mouetur, et ad
quod redire semper tendit? »
LA SUBORDINAZIONE DI AGOSTINO AI PADRI GRECI 179

dell’originario Principio/Verbo creatore. Ora, la dottrina origeniana dell’apoca-


tastasi è assolutamente inconciliabile con l’escatologia agostiniana, imperniata
sulla rivelazione dell’eterno, misterioso scindersi della volontà di Dio in una
rivelazione di amore elettivo e in un’apocalissi di giudizio implacabile, che separa
in due civitates predestinate e antiteticamente eternizzate la creazione universale.
L’eterno rifulgere della bellezza armonica della creazione è per Eriugena in fine
monistico, per Agostino in fine dualistico16; sicché l’intero sistema teologico
eriugeniano può essere interpretato come allegorizzazione, transitus allegorico
monistico origeniano-gregoriano della littera dualistica agostiniana. In Eriugena,
infatti, ogni dualismo, ogni differenza, ogni materia, ogni littera è elemento prov-
visorio, transitorio, tutt’al più simbolo pedagogico misericordiosamente sensibile/
congetturale, comunque tolto dinamicamente, allegoricamente nella trascendenza
meontologica dell’Uno, nel quale lo stesso Verbo eterno si sprofonda, avendo
riunificato in sé la totalità apocatastatica della creazione logica. Al contrario, ogni
dualismo, se indurito e fissato, è illusoria phantasia, littera occidens, delirio di una
mente ancora prigioniera della sua sensibilità violenta e malata.
Anche nell’identificazione di corrispondenze testuali, sono certo si possano
moltiplicare le tracce nel PP di testi origeniani, in particolare del De principiis17.
Ovviamente strategiche sono le due citazioni origeniane che ricorrono nel PP, che
quindi testimoniano di una diretta dipendenza eriugeniana da due capolavori del
Padre alessandrino: 1) la pregnante citazione di Commentarius in Epistulam ad
Romanos III, 1, 925c-926a, in PP V, 88, 922c-d: Dio chiama « tutti » « dèi e figli »
e in tutti distrugge l’uomo per creare dio al suo posto; 2) la lunghissima e capitale
citazione di De Princ. III, 6, 2-5, in PP V, 98-100, 929a-930d, brano dedicato
a) all’affermazione dell’apocatastasi, cioè all’universale redenzione escatologica
di tutte le creature, diavolo compreso; b) alla teorizzazione della progressiva spi-
ritualizzazione dei corpi; c) in generale, all’escatologica soppressione di qualsiasi
diversitas.
Ma quali sono gli elementi teologici origeniani strutturalmente presenti nella
teologia di Eriugena Origene redivivo18? Provo qui a schematizzarli, limitandomi
a rinviare unicamente al De principiis, non potendo Eriugena fondarsi su una
conoscenza diretta del testo greco del Commentarius in Iohannem origeniano:

16. Cf. G. LETTIERI, L’altro Agostino, p. 381-427.


17. Cf. V. PETROFF, « Theoriae of the Return in John Scottus’ Eschatology », in History and
Eschatology in John Scottus Eriugena and His Time, J. McEvoy – M. Dunne eds., Leuven, 2002,
p. 527-579, in part. p. 556-565, dedicate all’incidenza di Origene nel PP.
18. Ritengo pertanto sia da recepire e da approfondire la tesi di M. L. COLISH, « John ths Scot’s
Christology and Soteriology in Relation to his Greek Sources », Downside Review, 100, 1982,
p. 138-151: Eriugena, partendo dai più moderati pseudo-Dionigi e Massimo, risalirebbe alle
prospettive più radicali di Origene in materia cristologica, protologica, escatologica.
180 GAETANO LETTIERI

1) L’identificazione della creazione originaria di Dio come intellettuale, al punto


che gli stessi archetipi del reale sono identificati con gli intelletti creati come uomo
ad immagine19, donde l’affermazione della scintilla della mens umana – nous,
logos nel Logos – come immagine incorruptibilis et aeterna della Luce assoluta
di Dio/Abisso, che la trascende e la illumina20.
2) Il rapporto intimo tra la generazione eterna del Logos e la creazione eterna
della totalità dell’essere intellettuale come presenza immanente nell’eterno pen-
siero del Figlio, donde la dottrina della creazione delle causae primordiales in
Dio come intime al Logos, sicché il Figlio può essere definito, in riferimento alla
totalità delle rationes delle creature, Sapienza creata21.
3) L’identificazione della realtà materiale e dell’ordine22 diversificato dell’es-
sere creato come diversitas sopravvenuta, comunque escatologicamente destinata
ad essere tolta/riassorbita nella ricapitolazione/apocatastasi di tutta la natura intel-
lettuale23 nell’intimità mistica del Figlio, che si inabissa nell’unione estatica con il

19. Cf. ORIGENE, De Princ. I, 7, 1; II, 9, 1; II, 9, 6; III, 6, 1.


20. Cf. ORIGENE, De Princ. I, 1, 5-6. Cf. De Princ. IV, 4, 10, sulla sinderesi: « Mens semper
habet in se semina quaedam reparandi ac revocandi melioris intellectus. »
21. Cf. ORIGENE, De Princ. I, 4, 5; I, 2, 10 e I, 2, 2-3, dove è detto: « In hac ipsa ergo sapientiae
subsistentia quia omnis virtus ac deformatio futurae inerat creaturae, vel eorum quae principaliter
exsistunt vel eorum quae accidunt consequenter, virtute praescientiae praeformata atque disposita:
pro his ipsis, quae in ipsa sapientia velut descriptae ac praefiguratae fuerant, creaturis se ipsam
per Salomonem dicit creatam esse sapientia “initium viarum” dei, continens scilicet in semet
ipsa universae creaturae vel initia vel rationes vel species. » Cf. la testimonianza di GIROLAMO,
Epist. 124, 14: « Omnes rationabiles naturas, id est Patrem et Filium at Spiritum Sanctum, ange-
los, potestates, dominationes, ceterasque virtutes, ipsum quoque hominem secundum animae
dignitatem, unius esse substantiae… Ex quo concluditur Deum et haec quodam modo unius esse
substantiae. » Cf. ORIGENE, De Princ. III, 5, 4; e soprattutto IV, 4, 9. Questa relazione intima ed
eterna tra Logos e logoi creati affermata da Origene è certo una delle auctoritates greche più
importanti che può spiegare l’affermazione eriugeniana dell’intima unità, persino dell’identità
tra Creatore e creature: « Non duo a se ipsis distantia debemus intelligere deum et creaturam, sed
unum et id ipsum » (PP III, 85, 678c).
22. C. ARRUZZA, « Ordo e mediazione gerarchica nelle Expositiones in ierarchiam coelestem
di Giovanni Scoto Eriugena », Studi medievali, 44, 2003, p. 117-145, in un notevole saggio,
sostiene che, contrariamente a quanto affermato da Origene, secondo Eriugena, discepolo dello
Psuedo-Dionigi, i diversi ordini gerarchici delle creature razionali, permarrebbero in dimensione
escatologica. Come mostrerò più avanti, a me pare piuttosto che nel V libro del PP si dia il
tentativo di mediare la radicale prospettiva apocatastatica origeniana con l’infinito dinamismo
progressivo gregoriano, all’interno del quale la differenza di ordine (persino quella tra beati ed
empi) è tendenzialmente relativizzata e dinamicamente tolta. Cf. infra, n. 87.
23. Cf. la citazione origeniana riportata in GIROLAMO, Epist. 124, 7: « Cumque in tantum
profecerimus, ut nequaquam carnes et corpora, forsitan ne animae quidem fuerimus, sed mens
et sensus ad perfectum ueniens nulloque perturbationum nubilo caligatus, intuebitur rationabiles
intellegibilesque substantias facie ad faciem. »
LA SUBORDINAZIONE DI AGOSTINO AI PADRI GRECI 181

Padre/Uno, del tutto semplice e trascendente24. Vbi omnia unum sunt iam non erit
diversitas25. Ne deriva la dottrina della doppia creazione dell’uomo e del carattere
sopravvenuto, non originario, quindi soltanto provvisorio ed escatologicamente
tolto, della corporeità e della differenza sessuale26. Mentre la prima creazione,

24. « Deus [est] intellectualis natura simplex, nihil omnino in se adiunctionis admittens; uti
ne maius aliquid et inferius in se habere credatur, sed ut sit ex omni parte Monas, et ut ita dicam
Henas, et Mens ac Fons, ex quo initium totius intellectualis naturae vel mentis est » (De Princ. I,
1, 6).
25. ORIGENE, De Princ. III, 6, 4; e ancora: « Cum vero res ad illud coeperint festinare, “ut sint
omnes unum”, sicut est “pater cum filio unum”, consequenter intellegi datur quod, ubi omnes
unum sunt, iam diversitas non erit » (ORIGENE, De Princ. III, 6, 4); cf. I, 6, 2; II, 9, 6. Ovviamente,
non si deve intendere questa soppressione della diversitas come soppressione panteistica della
differenza tra Dio e creatura, né tra le persone trinitarie, né tra la singolarità dei molteplici intelletti
creati, bensì come molteplice fruizione personale di una piena identità mistico-intellettuale, quindi
come superamento della differenza peccaminosa tra le creature e Dio, così come della differenza
tra i diversi ordini di perfezione e beatitudine delle creature. L’escatologica unità in Dio garan-
tirà comunque il mantenimento dell’alterità delle proprietà, quindi le distinzioni delle nature:
« Naturarum igitur manebit proprietas, et earum erit unitas; nec proprietas auferet naturarum
adunationem, nec adunatio naturarum proprietatem » (PP V, 30, 880a); cf. PP V, 29, 879b; V, 49,
894a. Sulla complessità della nozione di alterità in Eriugena, nella sua originale reinterpretazione
delle prospettive neoplatoniche pagane e cristiane, cf. S. GERSH, From Iamblichus to Eriugena:
An Investigation of the Prehistory and Evolution of the Pseudo-Dionysian Tradition, Leiden,
1978, tr. it. Da Giamblico a Eriugena. Origini e sviluppi della tradizione pseudo-dionisiana, Bari,
2009, il cap. « L’alterità e le sue varie tipologie », p. 288-299.
26. Sull’incorporeità protologica ed escatologica degli intelletti in Origene, cf. De Princ. I,
7, 1. Altrove, l’incorporeità assoluta dei noes è affermata soltanto zeteticamente: cf. l’ipotesi
avanzata in II, 3, 3; cf. II, 2, 1; I, 6, 2; I, 7, 5 e soprattutto il limpido III, 6, 5-6: « In hunc ergo
statum [puramente spirituale] omnem hanc nostram substantiam corporalem putandum est perdu-
cendam, tunc cum omnia restituentur, ut unum sint, et cum deus fuerit “omnia in omnibus” »; II,
1, 4: « Mundi diversitas sine corporibus subsistere non potest »: il superamento escatologico della
realtà mondana (creazione seconda frutto di caduta, per Origene), coincidente con il superamento
di qualsiasi diversitas, dovrebbe quindi coincidere con il superamento divisivo della corporeità;
infatti, escatologicamente, « ubi omnia unum sunt iam non erit diversitas » (III, 6, 4). Più proble-
matico I, 6, 4, ove pare prevalere, quasi certamente a causa della « traduzione » rufiniana, l’ipotesi
della natura eterea dei persistenti corpi escatologici; d’altra parte, in II, 3, 7 e 9, prevale nettamente
l’interpretazione che considera come soltanto penultimo lo stato etereo dei corpi escatologica-
mente progredienti fino alla perfezione assolutamente incorporea dell’apocatastasi; IV, 4, 8 (ove
tornano le due ipotesi alternative della natura eterea dei corpi escatologici e quella della loro
assoluta incorporeità); II, 2, 1-2, ove l’affermazione che soltanto Dio è assolutamente incorporeo
coesiste con quella della materialità progrediente e sempre più smaterializzata delle intelligenze,
la cui irriducibile « corporeità » è comunque interpretabile come determinazione/contingenza/
dipendenza ontologica della creatura derivata. Fondamentale il passo del De Princ., attenuato/
censurato nella traduzione di Rufino, ma trasmessoci da GIROLAMO, Epist. 124, 9, nel quale si
afferma con nettezza la tesi dell’incorporeità originaria e finale degli intelletti creati assimilati a
Dio. In 124, 4 si legge la tesi dell’escatologica risoluzione delle sostanze corporee: « Corporales
quoque substantias penitus dilapsuras. » Per un’analisi sistematica di questa radicale prospettiva
origeniana, confermata soprattutto da inequivoche affermazioni dell’origeniano Commentarius
in Iohannem (qui non chiamato in causa, perché ignoto a Eriugena), cf. G. LETTIERI, « It doesn’t
182 GAETANO LETTIERI

quella dell’uomo-ad-immagine, è interpretata come sovratemporale (protologico/


escatologica) immanenza edenica degli intelletti nel Logos27, la seconda creazione
– quella dell’uomo e del mondo materiali, come degli stessi ambiti celesti – seppure
definita « caduta » (καταβολή), non è comunque interpretata come sinistro luogo
di anticipata vendetta penale (alla quale soltanto gli eletti sono sottratti), ma come
spazio di prova medicinale e provvidenziale scuola di educazione dell’umanità,
capace di educare il desiderio di ogni singolo intelletto al taedium per il sensibile
nel quale è imprigionato, liberandolo al protendersi amoroso verso la trascendenza
intellegibile di Dio28.
4) La tesi della riduzione della corporeità corruttibile al suo principio formale
logico, all’origeniana, incorruttibile insita ratio29, che Eriugena definisce occulta
corporis ratio30; questa consente di interpretare la stessa ipotesi dei corpi eterei

matter. Le metamorfosi della materia nel cristianesimo antico e nei dualismi teologici », in
Materia, D. Giovannozzi – M. Veneziani edd., Firenze, 2011, p. 75-173, in part. p. 136-146 e
p. 141-142, n. 297-300.
27. Cf. G. LETTIERI, « Origene e l’incarnazione eterna di Cristo. L’Eden spirituale come imma-
nenza dell’uomo nel Logos », in Gesù Cristo speranza del mondo, I. Sanna ed., Roma, 2000,
p. 307-322.
28. Cf. De Princ. I, 6, 3; II, 10, 6; cf. la lunga serie di citazioni origeniane in GIROLAMO,
Epist. 124, 4. Tutta origeniana è pertanto l’interpretazione eriugeniana della creazione materiale,
quindi delle uicissitudines rerum per loca et tempora, come dispiegamento di una provvidenziale
economia divina di eruditio medicinale, finalizzata alla reuocatio dell’intera natura creaturale in
Dio: « Eo enim modo spiritualis medicinae imaginem suam deus uoluit et in se ipsam et ad se
ipsum reuocare, ut rerum mutabilium taedio fatigata et exercitata immutabilium aeternorumque
stabilitatem contemplari desideraret ardenterque uerorum incommutabiles species appeteret, in
quarum absque ulla uarietate pulchritudine quiesceret » (PP V, 139, 959b). Cf. V, 138-139, 959a-b.
29. Cf. ORIGENE, De Princ. II, 10, 3: nei corpi è presente « insita ratio ea, quae substantiam
continet corporalem, quamvis emortua fuerint corpora et corrupta atque dispersa, verbo tamen
dei ratio illa ipsa, quae semper in substantia corporis salva est »; cf., inoltre, II, 10, 2 e IV, 4, 7,
ove viene lungamente presentata la tesi della riduzione della corporeità a complesso di qualità.
Sulla riduzione della corporeità alla sua insita ratio, tesi ampiamente approfondita da Gregorio di
Nissa, cf. M. NALDINI, « Gregorio Nisseno e Giovanni Scoto Eriugena. Note sull’idea di creazione
e sull’antropologia », Studi medievali, 20, 1979, p. 501-533, in part. p. 515-517; G. LETTIERI, « It
doesn’t matter », in part. su Origene: p. 142-143, n. 303; e su Gregorio: p. 147-152. Sulla prospet-
tiva radicalmente idealista di Eriugena, cf. D. MORAN, « Jean Scot Érigène, la connaissance de
soi et la tradition idéaliste », Les études philosophiques, 104/1, 2013 = Érigène, p. 29-56, in part.
p. 52-53; e, più in generale, ID., The Philosophy of John Scottus Eriugena: A Study of Idealism in
the Middle Ages, Cambridge, 1989.
30. Sulla riproposizione dell’argomentazione origeniana e gregoriana del ritorno dei corpi
nelle qualità incorporee dal cui incontro soltanto essi derivano, cf. PP I, 53, 479b-c; I, 82, 501b-c;
V, 36-36, 885a-b; V,186, 994a. Pertanto, si manterranno differenze tra le sostanze (intelligenti),
ma non gli accidenti corporei e materiali che, nella realtà proceduta, le determinano: « Ac per
hoc non temere, ut arbitror, dixerim ipsum reditum, de quo nunc tractamus, non substantiarum,
quae immutabiliter et insolubiliter in se permanent, sed qualitatum et quantitatum aliorumque
accidentium, quae per se et mutabilia sunt et transitoria, locis temporibusque subiecta, generatio-
LA SUBORDINAZIONE DI AGOSTINO AI PADRI GRECI 183

come ipotesi provvisoria, relativa, tolta nell’affermazione del transitus assoluto di


qualsiasi corporeità nella sua pura radice ideale.
5) La capitale dottrina delle molteplici epinoiai del Logos, cioè delle sue diverse
denominazioni, corrispondenti alle diverse modalità di azione (contemplativa del
Padre, in quanto Sophia; creatrice e redentrice delle creature, in quanto Logos) e di
apparizione teofanica, adeguata al diverso grado di perfezione/merito delle crea-
ture. Il Figlio è, pertanto, la teofania assoluta, che si adegua al progresso spirituale
delle creature, provocandolo e perfezionandolo31: la dottrina gregoriana, quindi
dionisiana delle teofanie ha, pertanto, un’origine origeniana.
6) L’assoluta centralità della dottrina del libero arbitrio32 e il rifiuto della
dottrina dell’elezione « arbitraria » di Dio: nella sua elezione, Dio si rivela assolu-
tamente unitario, come già il DP aveva, proprio a partire da Origene, dimostrato.
Ne consegue il netto rifiuto della dottrina della predestinazione dualistica gnostica,
cui è contrapposta l’interpretazione universalistica del meritorio passaggio della
creatura libera dai vasa irae ai vasa misericordiae33.
7) In generale, all’interno di un allegorismo sfrenato e ontologicamente
dispiegato, il sistematico antimillenarismo34 e il disprezzo per la « sciocca » inter-
pretazione letteralista dei racconti dell’Eden, cioè dell’origine dell’uomo e della
sua identità materiale e sessuata, quindi della beatitudine escatologica materiali-
sticamente intesa35.

nibus et corruptionibus obnoxia, futurum esse » (V, 37, 885c). Cf. V, 993d-994b: gli angeli hanno
soltanto « corpora spiritualia intellectibus suis coadunata »; analogamente gli uomini avranno
corpi intellettualmente ricondotti alla loro occulta ratio ideale; Cristo stesso, pur possedendo
un corpo reale, nelle sue due perfette nature non possiede comunque « nullam sui partem ullo
uel loco uel tempore seu aliquo modo quo creatura diffinitur circumscribi ». Per la definizione
di sostanza come determinazione individuata dell’unica natura umana, cf. V, 39, 887a: « Causas
dicimus generalissimas omnium rerum simul rationes in uerbo dei constitutas, substantias uero
singulas et specialissimas singularum et specialissimarum rerum proprietates et rationes in ipsis
causis distributas et constitutas. » Interpreterei queste sostanze come le individualità immateriali
degli intelletti, tutti contenuti nell’unica causa della natura umana. Cf. V, 40-41, 887c-888a, ove
i « uerba Verbi sono le incommutabiles rerum rationes in sapientia dei factae » (887c). Penso che
essi possano corrispondere ai logoi origeniani, cioè ai noes creati come eterni pensieri pensanti
del Verbo.
31. Cf. De Princ. I, 2, 1-13; in part. I, 2, 1: è possibile riferirsi al Figlio multis et diversis
nominibus, eppure egli unus atque idem est; I, 2, 8; e la parafrasi di passi origeniani dal I libro del
De Princ. proposta da GIROLAMO, Epist. 124, 2.
32. Cf. il vero e proprio trattato sul libero arbitrio in ORIGENE, De Princ. III, 1, 1-24.
33. Cf. ORIGENE, De Princ. II, 9, 8; soprattutto III, 6, 6.
34. Cf. ORIGENE, De Princ. II, 11, 2-3.
35. Cf. ORIGENE, De Princ. II, 11, 2; IV, 3, 1-4.
184 GAETANO LETTIERI

8) L’allegorizzazione delle pene infernali in (comunque provvisorie!) sofferenze


puramente interiori, rimorso per il peccato inscritto nella memoria, dolore colpe-
vole (e per questo suo pur imperfetto desiderare già meritorio!) per l’alienazione
dalla pienezza36.
9) Il principio chiave dell’universalità del desiderio di Dio, che non può rimanere
frustrato o inappagato, se non introducendo una scissione all’interno dell’ordine
assolutamente buono della creazione37.
10) La conversione ultima del diavolo e di tutti gli empi e la loro reintegrazione
nel corpo mistico divino, interpretata come distruzione della morte/male e non
come distruzione della loro sostanza personale, corrispondente al superamento
escatologico di ogni differenza di perfezione gerarchica tra le creature38.

36. Cf. ORIGENE, De Princ. II, 10, 4-6; GIROLAMO, Epist. 124, 7.
37. Cf. ORIGENE, De Princ. II, 11, 4: « Quod desiderium, quem amorem sine dubio a deo nobis
insitum credimus; et sicut oculus naturaliter lucem requirit et visum, et corpus nostrum escas
et potum desiderat per naturam: ita mens nostra sciendae veritatis dei et rerum causas noscendi
proprium ac naturale desiderium gerit. Accepimus autem a deo istud desiderium non ad hoc, ut
nec debeat umquam nec possit expleri; alioquin frustra a conditore deo menti nostrae videbitur
“amor veritatis” insertus, si numquam desiderii compos efficitur »; cf. IV, 4, 10; Hom. Num. 17, 4.
38. « Perfecta universae creaturae restitutio … salus et reparatio perditorum » (ORIGENE, De
Princ. III, 5, 7). Sulla redenzione escatologica del Diavolo/Morte, quindi sulla redenzione apoca-
tastatica di tutte le nature create, capitale per la sua influenza su Eriugena questo testo di ORIGENE,
De Princ. III, 6, 3 (brano citato nel PP) e 5-6; in part.: « Destrui sane “novissimus inimicus”
ita intellegendus est, non ut substantia eius quae a deo facta est pereat, sed ut propositum et
voluntas inimica, quae non a deo sed ab ipso processit, intereat. “Destruetur” ergo, non ut non
sit, sed ut “inimicus” et “mors” non sit » (De Princ. III, 6, 5). Sulla traduzione latina del termine
ἀποκατάστασις, cf. PP V, 24, 876b: « in pristinum statum … mirabilis atque ineffabilis reuer-
sio »; V, 47, 892c: « restauratio humanae naturae in pristinum statum ». In effetti, in PP V, 113,
941a-b, si dichiara, del tutto ambiguamente, prudente sull’ipotesi della redenzione escatologica
del diavolo e dei demoni, di cui d’altra parte è affermata con certezza l’annientamento dell’empia
volontà, quindi l’escatologica riassunzione in Dio dell’unica (quindi della totalità della) prima
natura razionale. Se, con É. A. JEAUNEAU, « The Neoplatonic Themes of Processio and Reditus »,
Dionysius, 15, 1991, p. 3-29 si deve riconoscere che in proposito Origene è certo « bolder »
(p. 28) rispetto a Eriugena, d’altra parte mi pare evidente come quella eriugeniana sia soltanto
una prudenza tattica, dettata dall’assoluta ostilità del suo contesto culturale (si pensi a Prudenzio
di Troyes) nei confronti di una dottrina così eversiva e tradizionalmente minoritaria, e niente
affatto una prudenza teologico-speculativa, come prova l’ambigua formulazione della tesi, prima
avanzata come ontologicamente indubitabile, ma poi formalmente « sospesa » (ma niente affatto
ritrattata) e restituita come ipotesi non confermata da alcuna auctoritas patristica (ma Origene e
Gregorio?). In effetti, se la natura del/dei demonio/i è redenta e annientata la sua/loro perversa
volontà, cosa del Demonio resterebbe di irredento ed escluso dall’unità onnicomprensiva di Dio?
Insomma, qui Eriugena finge soltanto di non assumere l’ipotesi origeniana della conversione esca-
tologica del demonio, sospesa esplicitamente, ma affermata, between the lines, come evidenza
logicamente svelata a occhi spirituali. Cf. PP V, 199, 1002b-c, ove ambiguamente, se da una
parte si afferma che sempre il diavolo « dulcedinem beatitudinis perpetualiter in odio habebit »,
dall’altra si riconosce che « non quod et ille, si uellet, ad creatorem naturae suae conuerti non
posse » e si sottolinea che sarà eternamente annientata la sua malizia, quindi non la sua sostanza
LA SUBORDINAZIONE DI AGOSTINO AI PADRI GRECI 185

11) La theosis come passaggio della natura inferiore in quella superiore diviniz-
zante del Logos interpretata in relazione all’interpretazione dinamica dello stesso
soggetto cristologico, quindi come trasfigurazione e fusione del ferro dell’umanità
nel fuoco della divinità39. Tornata ad essere intima nel Verbo che eternamente la
crea, la natura umana è restituita come pura, identica contemplazione logica del
Padre40, che riunifica tutti i noes nell’identità del Figlio mistico41. L’apocatastasi
corrisponde, pertanto, alla platonizzante interpretazione mistico-speculativa di
1 Cor. 15, 28, Deus erit omnia in omnibus.

II. – ERIUGENA E GREGORIO DI NISSA:


APOCATASTASI ED ESCATOLOGIA INFINITA

Rispetto alla perfetta identità nel Figlio dell’universale creazione intellegibile,


apocatasticamente protesa nel Logos, nello sprofondamento mistico nel Padre/
Uno, Eriugena presenta comunque una fondamentale complicazione escatologica:
quella del progresso infinito delle creature indiatesi, comunque chiamate ad ascen-
dere plus ultra rispetto al sempre congetturale e provvisorio loro attingimento di
Dio (inattingibile nella sua intima, abissale essenza), sempre mediato da teofanie

razionale. Sulla fortuna dell’apocatastasi origeniana in Eriugena, cf. I. RAMELLI, The Christian
Doctrine of Apokatastasis: A Critical Assessment from the New Testament to Eriugena, Leiden,
2014, p. 773-815.
39. Cf. ORIGENE, De Princ. II, 6, 5-6; IV, 4, 4-5. Sull’analogia origeniana (quindi massimiana)
del ferro, che nel fuoco viene arroventato e liquefatto, trasmutandosi esso stesso in fuoco, cf. PP V,
28, 879b: « Ferrum aut aliud aliquod metallum in igne liquefactum in ignem conuerti uidetur, ut
ignis purus uideatur esse, salua metalli substantia permanente… Nec aliter dixerim de transitu, ut
non adhuc dicam omnium, sed rationabilium substantiarum in deum, in quo cuncta finem positura
sunt et unum erunt. » Cf. inoltre I, 16, 451a-b; I, 100-101, 515b-c, ove è riportata la citazione di
Massimo il Confessore, mediatrice dell’immagine origeniana. Su Cristo come fuoco teofanico
nel quale il tutto sarà riconciliato, cf. É. A. JEAUNEAU, « La métaphysique du feu », in ID., Études
érigéniennes, Paris, 1987, p. 297-319, in part. p. 318.
40. Cf. PP IV, 132-133, 835a: la visione escatologica avverrà « solo mentis contuitu,
ultra omnem sensum corruptibilem, ultra omnem locum et omne tempus, in rationibus suis ».
Sull’ascesa eriugeniana alla sommità di Dio come (origeniana, aggiungerei!) ascesa al Padre nel
Figlio, cf. H. A.-M. MOONEY, Theophany. The Appearing of God According to the Writings of
Johannes Scottus Eriugena, Tübingen, 2009, p. 178-181.
41. Cf. ORIGENE, De Princ. III, 6, 1-3; e III, 5, 4: « Finis et consummatio sanctorum erit in his
quae non videntur et aeterna sunt. » Cf. PP V, 22, 874b: « Tota siquidem humana natura in solum
intellectum refundetur, ut nil in ea remaneat praeter illum solum intellectum, quo creatore suum
contemplabitur. » Sicché, la quinta, culminante tappa del reditus sarà la piena riassunzione in Dio
della natura creata, ritornata alla sua pura identità intellettuale: « Quinta, quando ipsa natura cum
suis causis mouebitur in deum, sicut aer mouetur in lucem. Erit enim deus omnia in omnibus,
quando nihil erit nisi solus deus » (PP V, 24, 876b). Ove, sul pieno riassorbimento nell’intel-
letto del corpo, ricapitolato nel suo razionale principio formale, nuovamente Eriugena dichiara
di seguire l’origenismo di Gregorio di Nissa, Ambrogio, Massimo il Confessore contro il pur
autorevolissimo parere di Agostino: cf. PP V, 24-28, 876c-879b.
186 GAETANO LETTIERI

divine, da doni di grazia illuminativa, che esse fruiscono come rappresentazioni,


phantasiae spirituali infinitamente ascendenti. Questa notevolissima complica-
zione escatologica, che riattiva differenza, processo, movimento, quindi in qualche
modo « spazio/tempo » intellegibili all’interno della stessa fruizione dell’immate-
riale pienezza divina, deriva ad Eriugena dalla « riforma » della mistica speculativa
origeniana avanzata dal magnus theologus42 Gregorio di Nissa. Essa è incentrata
sulla novità della definizione di Dio come infinito, quindi come assolutamente tra-
scendente rispetto al potere conoscitivo dello stesso uomo-ad-immagine indiato,
ove ogni conoscenza/fruizione ontologica e mistica di Dio è katafasi provvisoria
e congetturale, subito corrotta in littera occidens se fissata, di un’assoluta trascen-
denza meontica. L’epektasis, pertanto, vive dell’infinita dialettica tra katafasi ed
apofasi, tra littera e Spiritus, in un interminabile movimento di protensione, nel
quale l’intelligenza estatica accoglie sempre soltanto una traccia donativa del Dio
infinito che la trascende irriducibilmente, pure avvenendo senza requie nelle sue
teofanie come Spiritus di grazia43.
Tralascio, in questa sede, un’analisi delle lunghe, fondamentali citazioni del
De opificio hominis di Gregorio, tradotto integralmente da Eriugena e citato
estesamente44, con il titolo De imagine, in luoghi decisivi del trattato (tornerò
infra sul fondamentale e meraviglioso cap. 21 del De Opificio hominis, chiamato
strategicamente in causa in PP V, 81-82, 917a-918a). Mi interessa piuttosto riba-
dire come, in Eriugena, la dottrina gregoriana dell’epektasis (che comunque si
prospetta come variante infinitista della dottrina origeniana dell’apocatastasi) sia
in rapporto di difficile tensione con quella dell’origeniana, identica riunificazione

42. PP IV, 81, 799a.


43. Cf. G. LETTIERI, « Il corpo di Dio. La mistica erotica del Cantico dei Cantici dal Vangelo
di Giovanni ad Agostino », in Il Cantico dei Cantici nel Medioevo, R. Guglielmetti ed., Firenze,
2008, p. 3-90, in part. p. 69-80; ID., « It doesn’t matter », p. 147-157. Sulla mistica eriugeniana,
cf. K. RUH, Geschichte der abendländischen Mystik. I. Die Grundlegung durch die Kirchenväter
und die Mönchstheologie des 12. Jahrhunderts, München, 1990, tr. it. Storia della mistica
occidentale. I. Le basi patristiche e la teologia monastica del XII secolo, Milano, 1995, il cap.
« Eriugena », p. 199-238. Sulla novità e l’incidenza storica della mistica dell’infinità di Gregorio
di Nissa (nella sua tensione all’unio mystica, che pure esclude l’attingimento perfetto dell’u-
nione), cf. Th. BÖHM, « Adnotationes zu Maximus Confessor und Johannes Scottus Eriugena », in
Deutsche Mystik im abendländischen Zusammenhang, W. Haug Hrsg., Tübingen, 2000, p. 51-60.
44. Circa il 25% del De hominis opificio del Nisseno è citato alla lettera nel PP: cf. W. OTTEN,
« The Texture of Tradition », p. 4. Cf. M. CAPPUYNS, « Le De imagine de Grégoire de Nysse traduit
par Jean Scot Érigène », Recherches de théologie ancienne et médiévale, 3, 1931, p. 237-272;
M. NALDINI, « Gregorio Nisseno e Giovanni Scoto Eriugena »; É. A. JEAUNEAU, « La division de
sexes chez Grégoire de Nysse et chez Jean Scot Érigène », in Eriugena, p. 33-54, in part. p. 33-36;
ID., « Pseudo-Dionysius, Gregory of Nyssa, and Maximus the Confessor in the Works of John
Scottus Eriugena », in Carolingian Essays, U.-R. Blumenthal ed., Washington, 1983, p. 137-149;
Ch. ERISMANN, L’Homme commun. La genèse du réalisme ontologique durant le haut Moyen
Âge, Paris, 2011, il cap. « Jean Scot lecteur et traducteur du De hominis opificio », p. 181-185.
LA SUBORDINAZIONE DI AGOSTINO AI PADRI GRECI 187

mistico-speculativa nel Figlio sprofondato nell’Uno (ma anche con il modello


neoplatonico procliano, che pensa nel segno della perfetta circolarità il rapporto
tra Uno, anime e mondo)45: appunto, il ritorno universale e perfetto nell’integrità
dell’origine, quindi nell’intimità di Dio riconosciuto come Infinito assolutamente
trascendente, separato da un invalicabile diastema dalla creatura finita, è dina-
mico, infinitamente proteso, quindi differenziato, sempre provvisorio. Sicché
problematica parrebbe la conciliazione di questa escatologia dello « gnostico » e
beatifico movimento infinito di approssimazione a Dio con la dottrina origeniana
dell’estatica riunificazione di tutti gli intelletti/dell’unico Uomo ad immagine in
Dio, o con quella dionisiana dell’entrata unitiva nella tenebra. Possiamo comun-
que indicare in queste prospettive patristiche greche, che mettono in tensione e
mediano apocatastasi, epektasis e teologia apofatica, l’opzione ferma e profonda
del pensiero escatologico eriugeniano, cercando di scorgerne, ancora, il netto
scarto nei confronti dell’escatologia agostiniana.
Per motivi di spazio, in questa sede mi limito a proporre un’ipotesi di com-
posizione tra alcune dissonanze o apparenti contraddizioni, tutte connesse a
diverse prospettive patristiche fra cui si cerca una mediazione, che caratterizzano
l’escatologia del V libro del PP. L’escatologia di Eriugena, infatti, propone una
problematica coesistenza tra reditus in unum della natura universale, identificata
con lo stesso uomo ad immagine protologico, e la differenza tra infiniti gradi di
partecipazione e persino alienazione delle creature rispetto a Dio, corrispondenti
ai loro meriti personali, che è comunque riassunta nella distinzione tra beati e
dannati, sicché nell’eschaton si riattiverebbe un consonanza dialettica tra unità e
differenza (infinita!): avremmo dunque una paradossale coincidenza divergente
tra reditus universalis della natura e reditus specialis della grazia, ove soltanto
gli uomini eletti perché meritevoli sono ammessi ad entrare tramite teofanie
infinitamente sempre più gloriose nell’intimità mistica con Dio, nella cui unità
l’intera natura umana è comunque ritornata46. Possiamo definire la differenza tra
reditus generalis e reditus specialis come il resto dualistico eriugeniano (resto per
me del tutto precario, perché cripticamente liquidato nel PP). Che la chiave che
apre il segreto di questa liquidazione del tradizionale debito dualistico eriugeniano
non sia allora proprio il differire dell’epektasis come universale movimento di

45. « Ogni causato (πᾶν τὸ αἰτιατόν) e rimane nella sua causa (καὶ μένει ἐν τῇ αὐτοῦ
αἰτίᾳ) e procede da essa (καὶ πρόεσιν ἀπ’ αὐτῆς) e ritorna a essa (καὶ ἐπιστρέφει πρὸς
αὐτήν) » (PROCLO, Elementi di teologia 35). Cf. J. TROUILLARD, Jean Scot Érigène. Études, Paris,
2014, in part. il cap. XI, « Métensomatose proclienne et eschatologie érigénienne », p. 251-272.
46. Sulla distinzione tra reditus generalis e reditus specialis, cf. É. A. JEAUNEAU, « Le thème
du retour », in ID., Études érigéniennes, Paris, 1987, p. 367-394, in part. p. 388; A. M. HAAS,
« Mystische Züge in Eriugenas Eschatologie », in History and Eschatology, J. McEvoy – M. Dunne
eds., p. 429-446, in part. p. 438-440; P. ARFÈ, « Triplex modus theoriae de reditu. The Doctrine
of Universal Return in Eriugena », Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 78,
2011, p. 7-45, in part. p. 30-35; H. A.-M. MOONEY, Theophany, p. 162-172.
188 GAETANO LETTIERI

universale, infinito sprofondamento progressivo nell’Uno, capace di convertire e


ricapitolare lo speciale nell’universale, superando l’ultima ombra materialistica e
letteralistica di tutte le differenze escatologiche?

III. – PHANTASIAE ESCATOLOGICHE: TEOFANIE E ALLUCINAZIONI


Centrale è, nel PP, la dottrina gregoriano-dionisiana delle theophaniae, inter-
pretate come vere e proprie apparizioni divine nell’intelligenza progrediente
dei beati, quindi come congetture catafatiche dell’eccedenza apofatica di Dio
infinito47. Essa è comunque innestata sulla dottrina delle phantasiae48, cioè delle
rappresentazioni mentali (vere o illusorie), che rimangono comunque connesse al
colpevole differire nel tempo e nello spazio49 della natura ad immagine, chiamata a
ritornare da esso nell’unità originaria dell’intelletto50. Ambiguamente, pertanto, le

47. Si noti come la prima trattazione che, subito dopo la definizione della quadripartizione
della natura, apre il trattato è proprio quella dedicata alle teofanie, rispetto alle quali si tenta una
problematica e infine forzata concordanza tra le dominanti prospettive di Gregorio di Nissa e del
suo interprete Massimo e quelle recessive di Agostino: cf. PP I, 5-16, 443b-451b. Cf. l’insuperato
studio di T. GREGORY, « Note sulla dottrina delle teofanie in Giovanni Scoto Eriugena », Studi
medievali, 4, 1963, p. 75-91; H. A.-M. MOONEY, Theophany, p. 209-214.
48. Cf. J.-C. FOUSSARD, « Apparence et apparition : la notion de phantasia chez Jean Scot »,
in Jean Scot Érigène et l’histoire de la philosophie, R. Roques ed., Paris, 1977, p. 337-348;
J. TROUILLARD, « La notion de “théophanie” chez Érigène », in Manifestation et révelation,
S. Breton ed., Paris, 1976, p. 15-39, quindi in Jean Scot Érigène, p. 99-131; N. GORLANI, « Le
causae primordiales e l’uomo: aspetti neoplatonici nel Periphyseon di Giovanni Scoto Eriugena.
Saggio integrativo » in GIOVANNI SCOTO ERIUGENA, Divisione della natura, Milano, 2013,
p. 2219-2503, in part. p. 2251-2265.
49. Cf. PP I, 58, 483b: « Ac per hoc concluditur nil aliud esse locum nisi naturalem diffinitionem
modumque positionemque uniuscuiusque siue generalis siue specialis creaturae, quemadmodum
nil aliud est tempus nisi rerum per generationem motionis ex non esse in esse inchoationem
ipsiusque motus rerum mutabilium certae dimensiones donec ueniat stabilis finis, in quo immu-
tabiliter omnia stabunt »; cf. PP I, 61, 485d. Sulla centralità delle categorie dello spazio e del
tempo, cf. J.-F. COURTINE, « Les catégories dans le De divisione naturae de Jean Scot Érigène :
espace et temps », in Les catégories de l’être. Études de philosophie ancienne et médiévale, Paris,
2003, p. 129-166; mai, comunque, Courtine affronta la questione, escatologicamente decisiva,
del trascendimento delle differenze spazio-temporali nell’attingimento dell’unum perfetto, divino
ed eterno, del principio/fine della creazione. E questo perché, per Courtine, spazio/tempo sono
le dimensioni irrinunciabili della creaturalità; eppure, il paradosso della teologia eriugeniana è
proprio il tentativo di pensare, nell’uomo, l’eccedente partecipazione della creatura al Dio incor-
poreo/eterno, nella mediazione di Cristo.
50. Sul ruolo dei sensi all’interno del dinamismo ascensivo della conoscenza eriugeniana,
cf. l’importante saggio di G. D’ONOFRIO, « Le fatiche di Eva. Il senso interno tra aisthesis
e dianoia secondo Giovanni Scoto Eriugena », in Corpo e anima, sensi interni e intelletto dai
secoli XIII-XIV ai post-cartesiani e spinoziani, G. Federici Vescovini – V. Sorge – C. Vinti edd.,
LA SUBORDINAZIONE DI AGOSTINO AI PADRI GRECI 189

phantasiae, in quanto rappresentazioni della mente nei suoi diversi stadi di aliena-
zione/concentrazione/progresso, sono sia il luogo irreale dell’illusione sensibile51,
sia il luogo intellegibile della teofania divinizzante, dispiegando in un’infinita
serie di gradi le modalità umane di rappresentazione interna della realtà, che pro-
grediscono dalla colpevole e fallace dispersione nel non essere irreale del sensibile
alla serie infinita delle teofanie ascensive, che protendono l’intelletto creato verso
il non essere assoluto della trascendenza divina52.
È assai significativo che questo processo rappresentativo così infinitamente
diversificato sia in sede escatologica « dualisticamente » riattivato nella descri-
zione della distinzione tra le pene dei dannati e le glorie dei beati53. Sorge, infatti,
un’acuta difficoltà: come possono coesistere, escatologicamente, intellettuali appa-
rizioni teofaniche ascensive, delle quali Dio è « donatore » illuminante che avviene
infinitamente dalla sua tenebra meontologica, con apparizioni fantasmatiche illu-
sorie, perverse, dolorose (ossessionate dal rimorso)54, comunque irriducibilmente
sensibili, che pure verrebbero attivate all’interno della stessa eternizzata, unitaria,
immateriale casa di Dio? Come può l’apparizione infinita di Dio, ontologicamente

Turnhout, 2005, p. 21-53; in part. p. 51: « La storia universale successiva alla creazione non può
che essere intesa da Giovanni Scoto come la descrizione di un reditus, un percorso di ritorno dalla
dispersione degli effetti all’eterna e immutabile perfezione unitaria della causa. » Cf., in tal senso,
il notevolissimo studio di G. D’ONOFRIO, « Cuius esse est non posse esse. La quarta species della
natura eriugeniana, tra logica, metafisica e gnoseologia », in History and Eschatology, p. 367-
412. Sorge comunque una questione: il reditus come giudizio spirituale totalizzante, che riunifica
l’intera creazione nella natura umana cristificata, è esclusiva conquista dei beati (quindi oggetto
del reditus specialis della grazia) o universale fruizione di tutte le singolarità redente?
51. « Est igitur forma omnium spirituum irrationabilium phantasia corporalium rerum in
memoria eorum per corporales sensus infixa » (PP I, 47 = 474c).
52. « Vtrisque tamen erunt phantasiae ueluti facies quaedam expressae, iustis quidem diui-
narum contemplationum (nam non per se ipsum sed per quasdam suas apparitiones secundum
altitudinem uniuscuiusque sanctorum contemplationis uidebitur deus; hae quippe sunt nubes, de
quibus ait Apostolus: “Rapiemur in nubibus obuiam Christo”, nubes uidelicet appellans diuina-
rum phantasiarum diuersas apparitiones secundum uniuscuiusque deificati altitudinem theoriae);
impiis uero mortalium rerum semper erunt phantasiae ac diuersae falsaeque species secundum
diuersos malarum suarum cogitationum motus » (PP V, 119-120, 945c-d). Sulle nubi come allego-
ria delle teofanie divine, cf. il lungo excursus in PP V, 192-196, 998a-1000d.
53. « Hoc autem dicimus, non quod natura in omnibus aequaliter futura sit beata, sed quod in
omnibus morte et miseria futura sit libera. Esse enim et uiuere et aeternaliter esse commune erit
omnibus, et bonis et malis; bene autem et beate esse solis actione et scientia perfectis proprium et
speciale erit » (PP V, 13, 868b).
54. Sul rimorso come origeniana punizione dei dannati e sulla coscienza come unico luogo
penale, evidentemente spiritualizzato, ove è possibile la punizione escatologica degli empi,
cf. PP 106-109, 935d-938b; V, 118-120, 944d-946a.
190 GAETANO LETTIERI

ricapitolata e identificata con il Verbo piantato nel paradiso della natura umana
universalmente redenta, essere contraddetta dalla vanità sensibile, temporalmente
e spazialmente alienante, della memoria ferita dei peccatori? Non esisterebbe,
interior intimo Verbi, nel più profondo dell’intellegibile incarnazione universale
del Figlio, un resto malvagio irriducibile, una negazione ontologica assunta come
fantasma irreale irredento? Questo significherebbe affermare un limite escatolo-
gico all’irradiante, infinita potenza illuminatrice di Dio, finitizzata dalla perversa
« creatività » sensibile, materiale della creatura, che nella sua memoria intellettuale
vivrebbe la latitanza o l’attenuazione contraddittoria della luce di Dio, che pure
allaga la natura redenta. Insomma, se dovessimo fermarci alla littera del testo
eriugeniano, nell’Eden cristologico, nel quale la natura universale è redenta come
corpo mistico dell’incarnazione di Cristo, verrebbe eternizzata anche la molteplice
allucinazione alienata dei peccatori, la loro fantasmatica55 frustrazione56, il pen-
timento tardivo e la nostalgia dei beni fallaci perduti57, soprattutto lo struggersi
esiziale per il loro paradossale essere nella pienezza di Dio non essendovi piena-
mente, per il loro vivere eternamente la loro mortale alienazione dal Cristo, nel
quale sono pure radicati, vivificati, redenti. Il paradiso di Eriugena nasconderebbe,
pertanto, un inferno spiritualizzato, allucinatorio, psicotico, quindi sadicamente
raffinato e paradossalmente altrettanto, se non più incubotico di quello apocalit-
tico e agostiniano tradizionale. Penso non possa essere questa l’autentica, ultima
soluzione escatologica di un pensatore, quale Eriugena, di straordinaria coerenza
speculativa, centrata su un fondante, radicale monismo apocatastatico, culminante
nell’affermazione escatologica di un’unica Natura divina quae nec creat nec cre-
atur. Considerare l’ultima differenza escatologica tra universale reditus generalis
della natura e non universale reditus specialis della grazia come littera da alle-
gorizzare nell’affermazione di una spiritalis apocatastasi ulteriore, è la proposta
innovativa sulla quale questo saggio scommette.
Come si è anticipato, il paradiso eriugeniano è interpretato come totalità della
natura intellettuale redenta, ove è piantato/universalmente « incarnato » l’albero
della vita che è Cristo58: il paradiso è allora la Gerusalemme celeste59, il monte/
tempio di Dio, la sua unica casa, caratterizzata da una pluralità infinita di differenti

55. « Et caetera, quibus discernitur natura et culpa, praemium et poena, dum mirabili et ineffa-
bili modo natura omnino libera phantasias sustineat, in quibus culpa quod deliquerat luat » (PP V,
158, 973b-c).
56. « Et hoc est totum quod dicitur liberae ac perversae voluntatis supplicium, hoc est, ab
illicitis suis motibus prohiberi ne ad finem suae cupiditatis possit pervenire » (PP V, 149, 967a).
57. Cf. PP V, 163-165, 976d-978b.
58. Cf. PP V, 165-166, 978d-979b; PP V, 168-170, 980d-982b. L’identificazione di Cristo con
l’albero della vita è già presente in ORIGENE, Com. Rom. V, IX, 1043c.
59. « Nil obstat credere totum genus humanum et in Christo redemptum et in caelestem
Hierusalem reuersurum » (PP V, 207, 1007c).
LA SUBORDINAZIONE DI AGOSTINO AI PADRI GRECI 191

mansiones (cf. Io. 14, 2)60, proporzionate ai diversi meriti delle creature61, nella
quale comunque anche i malvagi abitano, seppure all’ultimo posto62, appunto
confinati negli atrii. Quest’interpretazione dinamica della casa di Dio era già stata
proposta diffusamente da Origene, che comunque l’aveva pensata come stadio
escatologicamente soltanto provvisorio, proprio perché ancora caratterizzata
dalla differentia di ordini, di τάξεις, quindi come attraversata da un dinamismo
transitorio, culminante nella vera fine, ultimo superamento di qualsiasi differenza
e resistenza della malvagità nell’apocatastasi universale63. Ebbene, ritengo che
adottando l’immagine dell’unica casa redenta di Dio, Eriugena già suggerisca
origenianamente un movimento inarrestabile di universale transitus oltre ogni dif-
ferenza (compresa quelle tra le molteplici mansiones o quella tra reditus generalis
e specialis) nella compiuta, identica apocatastasi.
L’affermazione della persistenza escatologica, all’interno dell’ assolutamente
unitaria natura universale redenta assunta dal Verbo, di un chasma magnum, di un
impermeabilis hiatus64 tra premi degli eletti e « supplizi » dei reietti, pare davvero

60. « “In domo patris mei mansiones multae sunt” (Io. 14, 2). In atriis domus huius omnes man-
siones possidebunt, dum in causas suas redituri sunt, siue bene in carne siue male uixerint. Nullus
enim pulchritudinem eius potest corrumpere, neque honestatem turpificare, neque amplitudinem
minuere uel augere. … Nulla enim pulchritudo efficitur, nisi ex compaginatione similium et dissi-
milium, contrariorum et oppositorum, neque tantae laudis esset bonum, si non esset comparatio ex
uituperatione mali. Ideoque quod malum dicitur, dum per se consideratur, uituperatur, dum uero
ex eius consideratione bonum laudatur, non omnino uituperabile uidetur. Quod enim boni laudem
cumulat non omnino laude caret » (PP V, 171-172, 982c-983a).
61. « Non locorum interualla, sed meritorum qualitates faciunt hominem appropinquare
Christo aut ab eo elongari… Omnes homines unius eiusdemque naturae, quae in Christo redempta
est omnique seruitute liberata, participes esse et in ea unum omnes subsistere; meritorum uero
qualitates et quantitates, hoc est bonorum actuum malorumque differentias… » (PP V, 173-174,
984a-b). In PP I, 12, 448c-d, 448c-d, è anticipata l’interpretazione di Io. 14, 2: le diverse mansio-
nes nella casa del Padre, che è la Sapienza unica eppure molteplice, sono identificate come gradi di
partecipazione degli eletti, delle anime sante, quindi dei doni stessi di grazia: « Nam unusquisque
unigeniti dei verbi notitiam in se ipso possidebit, quantum ei gratia donabitur. Quot enim numerus
est electorum, tot erit numerus mansionum. Quanta fuerit sanctarum animarum multiplicatio, tanta
erit diuinarum theophaniarum possessio »; significativamente, in I, 13, 449b-c, la dottrina delle
teofanie è forzatamente rintracciata in Agostino stesso; in I, 14-15, 450b-451b, mentre l’Alumnus
si dichiara (giustamente!) perplesso sull’attribuzione della dottrina delle teofanie ad Agostino, il
Nutritor la ribadisce, accentuandone la forzatura, comunque insistendo sull’auctoritas di Gregorio
e Massimo. Sull’immagine dell’ampia casa del Padre, cf. anche PP V, 73, 911c.
62. Cf. PP V, 171-172, 982c-983a. In part.: « Vna siquidem essentia iungit quos meritum
dissimile diuidit » (PP V, 173, 983c).
63. Cf. ORIGENE, De Princ. II, 11, 6-7 (ove ricorre la citazione di Io. 14, 2); II, 3, 5-7; II, 9, 8;
III, 6, 5-6 e 9; in part. III, 6, 6; cf. ORIGENE, Com. Rom. VI, VI, 1068a-b.
64. « Et hoc est chasma magnum et inpermeabilis hiatus dividens inter praemia et supplicia…
Vna siquidem essentia iungit quos meritum dissimile diuidit » (V, 173, 983c).
192 GAETANO LETTIERI

una focaccia concessa al cerbero agostiniano/agostinista, che l’allegoria orige-


niana (nutrita dall’assioma platonico dell’irrealtà ontologica del male, che Origene
prima di Agostino aveva assunto) è già capace di addomesticare, abbandonandolo
alla sue spalle. In effetti, se il reditus escatologico si compie nella fruizione dell’as-
soluta unità originaria (il paradiso come unico eterno « luogo » metamondano del
radicarsi creativo/redentivo del Verbo), come può questa assoluta unità, questa
semplicità originaria del tutto priva di differenza, essere in se stessa “tagliata” da
chasma e hiatus65?
Ambiguamente, in PP V, 123, 948b-c, Eriugena afferma che da una parte la
natura umana universalmente redenta, fatta risorgere e restaurata come perfetta
immagine di Dio, sarà del tutto purificata del male (che è nulla), non soltanto nei
beati, ma anche nei dannati: « temporalium mortaliumque rerum, quibus in hac
uita inficitur, phantasticam memoriam infra se et extra in his quo omni beatitu-
dine priuabuntur sustinebit », sicché « extra eam [al di fuori della natura umana
redenta] damnentur penitusque pereant, malitiam dico et impietatem »; d’altra
parte, questa espulsione della vanità del male al di fuori della natura e della stessa
memoria del peccato non impedisce che venga contraddittoriamente riaffermata
la persistenza penale negli empi delle recordationes dei loro peccati; come se nei
dannati rimanesse una mera, estrinseca, appunto fantasmatica traccia di un male
obliato, annientato al di fuori della loro natura66. D’altra parte, la punizione del
peccato nullificato negli empi, pure partecipi della natura umana risorta e redenta,
è apertamente indicata come vero e proprio paradosso (corrispondente a quello
della partecipazione della natura degli eletti alla sovrannaturale perfezione di
Dio), che la ragione umana è chiamata ad assumere con pazienza, confidando
nell’onnipotenza divina67.

65. PP V, 90-91, 923d-924b restituisce drammaticamente, nelle parole dell’Alumnus, il


conflitto logico tra l’apocatastasi universale della natura umana assunta in Cristo, nella quale il
non essere di male e morte non è razionalmente ammissibile, e il duro dato rivelato dell’eterna
punizione dei demonii e dei dannati: « Ratio quippe euidentissime docet nil bonitati uitaeque ac
beatitudini ex diametro contrarium perpetuo esse posse… In hac acie, inter haec tela ueluti ex
utroque latere confixus, ignorans quo tendam et quid potius sequar, anxius consisto. » Il Nutritor
risponde certo dell’avvento della divina Lux mentium, che « ambigua ad certam quodammodo
sententiam adducit » (PP V, 91, 924d).
66. Cf. V, 125, 950a; V, 139, 959c-960a; e l’eterna punizione intellettuale degli empi netta-
mente ribadita in V, 141-142, 961a-c.
67. « Ac ne longius praesenti negotio transitum facere uideamur, si quaeris a me qua ratione
quod non est secundum naturam sed extra naturam expellitur, in natura et sustinetur et punitur,
ipsa natura impunita permanente omnibusque contrariis passionibus illaesa, quaeram a te qua
ratione ea quae uirtutes naturae excellunt qui intra terminos naturae continentur possidebunt, hoc
est, qua ratione sancti et naturae suae fines non excedent, et ea quae ultra naturam sunt (dona
uidelicet gratiae) suscipient. At si in his omnibus non solum humana uerum etiam angelica deficit
ratio et intelligentia, patiens esto diuinaeque uirtuti incomprehensibili locum da eamque silen-
tio honorifica, quoniam dum ad eam peruenitur, omnis ratio deficit et intellectus » (PP V, 127,
951b-c).
LA SUBORDINAZIONE DI AGOSTINO AI PADRI GRECI 193

Ora, quello che solleva difficoltà è che la coesistenza dei contrari è, in Eriugena,
mai fissata in una coesistenza statica, ma sempre risolta in ascensivo dinamismo
redentivo, grazie al quale l’inferiore è assorbito, tolto, risolto nel superiore. Sicché
l’affermazione estremamente problematica e appunto paradossale, che rivela
come escatologicamente « humanam naturam contrariorum capacem esse, ex
quibus nihil patitur neque suae simplicitatis serenitas perturbatur » (V, 121, 946d),
parrebbe profilarsi come persistente nodo teologico, che soltanto la misericordiosa
onnipotenza di Dio è in grado di sciogliere; tanto più che, del tutto problemati-
camente, l’unico luogo ontologico nel quale l’irrealtà del male sarebbe ancora
irrealmente rappresentata e punita dovrebbe essere quello delle contrariae pas-
siones68, persistenti nella realissima perfezione delle menti degli empi comunque
trasfigurate (nella partecipazione all’unica natura umana redenta)69, introducendo
davvero un residuale dualismo apocalittico all’interno dell’escatologica onto-
logia apocatastatica eriugeniana. All’affermazione della fede nell’onnipotenza
redentiva di Dio – capace di convertire la stessa persistenza irreale del male in
universale rivelazione del dono di sé alla natura umana redenta –, si sovrappone
la stessa evidenza razionale (cf. il volere rationem reddere, in PP V, 130, 953c),
che tiene paradossalmente in uno l’assoluta sproporzione ontologica tra il piano
intimamente teologico della natura universalmente cristificata, quindi deificata, e
il piano irreale e del tutto contingente delle fantasie passionali, dei fantasmi illu-
sori dei peccatori, che sussistono soltanto svanendo in loro stessi. Interpretando
le ambigue affermazioni eriugeniane, possiamo allora ipotizzare che egli volesse
prudentemente insinuare che il mistero escatologico si compia proprio in questo
eterno venir meno dell’irrealtà del male, inscritto nell’universale divinizzazione
dell’umano, che la debolezza conoscitiva dell’uomo può soltanto rappresen-
tare progressivamente, in maniera dualistica e divisiva, ma che la stessa ratio
mistico-speculativa intuisce come già tolta nell’infinita profondità della potenza
trasfigurante di Dio. In Dio, sono accolte non le passiones contingenti e irreali dei
singoli, ma la totalità dei loro intelletti-immagini, tutti partecipi dell’universale
trasfigurazione della natura sovrannaturalizzata. Ove il tremendo, apocalittico
argomento agostiniano della coesistenza predestinata tra civitas eletta e civitas
reietta come manifestazione della dialettica natura/grazia70 risulta di fatto invertito,
in quanto i differenti gradi della partecipazione alla vita deificante delle creature

68. Può infatti essere punita soltanto « peruersa uoluntas (quae penitus substantialis non est) in
phantasiis rerum sensibilium » (PP V, 139, 959d), ovvero umbrae (V, 144, 963a), « irrationabiles
motus peruersarum uoluntatum » (V, 144, 963b).
69. Sugli straordinari doni divini che discendono da Dio sull’universalità della natura umana
redenta, empi compresi, cf. PP V, 120, 946a-b: « In utrisque tamen, iustis dico et impiis, salua et
integra et incontaminata omnique contraria passione libera erit et semper erit humana natura…
Haec sunt data desursum a patre luminum descendentia… Attamen sunt contrariorum qualitatum,
bonarum dico malarumque uoluntatum, uirtutis ignominiaque capacia. »
70. Cf., ad esempio, AGOSTINO, De Civ. Dei XI, 8; XIV, 26-27; e il terribile XXII, 12.
194 GAETANO LETTIERI

sono tutti interni ad un’unica universitas divinizzata71, sicché l’opposizione (col-


latio) tra beati ed empi è dinamicamente riconciliata e tolta nella cristificazione
dell’universale natura umana redenta, nella quale sono riassorbite e vanificate,
proprio in quanto irrazionali, accidentali, dunque transeunti, anzi irreali, le stesse
passioni contrarie dei malvagi72. Mentre in Agostino l’antitesi dialettica tra le
due civitates angelico-umane rivela l’armonia dei contrari (vanità della natura e
onnipotenza della grazia) sussistendo eternamente fissata, in Eriugena l’antitesi
escatologica non può che essere fatta traslare, finendo risucchiata in un universale,
inarrestabile processo ascensivo, nel quale il male stesso è accolto e annientato,
tolto, nel vortice semplificante della natura redenta e assunta in Cristo.
E, in effetti, Eriugena riconosce apertamente la non fissità dei fantasmi e del
rimorso penali degli empi, quando sottolinea, con una forzata citazione evangelica,
che il dolore penale non è affatto malvagio, ma è al contrario buono, perché ori-
genianamente prepara, nel piangere i propri stessi delitti, alla consolazione e alla
stessa prossima beatitudine73; ove il divisivo giudizio escatologico (che lo stesso
Origene riconosceva, ma soltanto come passaggio provvisorio: cf. De Princ. II, 9,
8), attivato all’interno della natura universale redenta, pare essere misericordiosa
imposizione di pene pedagogiche, premessa di ulteriori progressi redentivi74, sug-
gerendo come ulteriore l’attingimento del culmine apocatastatico. In effetti, una
radicale argomentazione del Nutritor di fatto vanifica la stessa persistenza eterna
delle rappresentazioni penali dei dannati, che – a differenza delle divinizzanti
rappresentazioni teofaniche dei beati, che ricevono loro tramite l’intelligenza pro-
gressiva e la grazia di Dio stesso – sono rappresentazioni false, in quanto passioni
malvage (quindi insussistenti) relative a realtà sensibili transeunti, che tutte sva-

71. « Videtur enim mihi propterea totius uniuersitatis conditae creatorem et ordinatorem
irrationabiles motus peruersae malorum et hominum et angelorum uoluntatis intra eam puniri
siuisse, ipsa (uidelicet uniuersitate) omnibus contrariis passionibus absoluta omnino que libera
semper subsistente, ut ex collatione, sicut ait sanctus Augustinus, peruersae uoluntatis impiorum
laudaretur et exaltaretur rata uoluntas iustorum » (PP V, 130, 953c).
72. « In utrisque tamen, iustis dico et impiis, salua et integra et incontaminata omnique contra-
ria passione libera erit et semper erit humana natura » (PP V, 120, 946a).
73. « Et hoc est totum quod dicitur malarum cogitationum irrationabiliumque cupiditatum
poena atque supplicium, dolor uidelicet atque tristitia, quibus duobus impiorum conscientia intra
semet ipsam punitur. Quae duo propterea mala non sunt, quoniam iustissima diuinae prouidentiae
administratione his quos torquent accidunt, et quoniam quod ubique in omnibus malum non est,
malum dici non potest. Est autem tristitia bona in his qui sua lugent delicta, sicut ait dominus in
euangelio: “Beati qui lugent nunc, quoniam ipsi consolabuntur” (Mt. 5, 4). Similiter bonus dolor
in his quibus tardum morosumque uidetur donec ad promissam sibi beatitudinem perueniant. …
Sunt enim ueluti quaedam materia copiosissimae laudis aeterni gaudii aeternae que salutis, quibus
qui in deum transeunt fruuntur » (PP V, 132-133, 955b-c).
74. Cf. PP V, 138-139, 959a-c. Sulla dialettica tra escatologia penultima (progressiva, ulte-
riormente correttiva e redentiva) ed ultima (apocatastatica), cf. ORIGENE, De Princ. I, 6, 1-4; II,
11, 6 (ove il culmine dell’ascesa escatologica coincide con la visione di Dio faccia a faccia e la
conoscenza puramente intellettuale delle cause); soprattutto III, 6, 1-9.
LA SUBORDINAZIONE DI AGOSTINO AI PADRI GRECI 195

niranno75. Ora, l’affermazione dell’impossibilità che il falso perduri eternamente


– sofisticamente annidato all’interno delle intelligenze empie eternizzate, perché
partecipi dell’universale natura umana cristificata – è affermata con assoluta net-
tezza. Il falso, infatti, sarà eliminato « non solum de natura rerum, verum etiam
de iudicio totius rationabilis et intellectualis creaturae », sicché la Verità assoluta
sarà fruita da tutte le intelligenze partecipi dell’unica natura redenta, quindi dagli
stessi « empi », evidentemente ormai redenti nel vortice conversivo che muove
estaticamente la totalità della creazione intelligente assunta in Cristo76.
Più avanti, il Nutritor affermerà apertamente l’universale riconoscimento della
Veritas divina, la quale ogni mortem mentis destruetur, rendendo chiaramente
impossibile qualsiasi idolatria, quindi qualsiasi falsa rappresentazione del divino,
alla quale seguirà l’universale confessione di fede nella Luce divina77. Rivelativo
è, in proposito, PP V, 191-192, 997d, ove, dopo la citazione di un passo da De
Civ. Dei XX, 14 (sull’apertura/lettura del libro apocalittico della predestina-
zione), Eriugena rinvia al risplendere universale del Figlio dell’uomo, del Verbo/
intellegibilis Lux come fiamma che consumerà in ogni creatura il male, « quando
nil aliud et bonis et malis in omnibus splendebit… Consumet enim omnia, quando
omnia in omnibus erit et solus in omnibus apparebit »78.

75. « Quae (uidelicet materia) sicut foenum ardebit, quando sanctificabitur (id est purgabitur)
ipsa natura ad imaginem dei facta, ita ut nihil in ea materiale uel temporale uel terrenum uel
uisibile uel transitorium uel mutabile remaneat, quoniam omnino in spiritualem uertetur stabili-
tatem et uniformitatem. Aut cunctorum uitiorum et malefactorum occasiones (hoc est malitiam,
impietatem, iniquitatem) materiae uocabulo propheta uoluit insinuare. Quomodo ergo supplicia
erunt, quando nil dignum supplicio in natura rerum relinquetur? » (PP V, 141, 960d).
76. « De eo autem quod falsum et falsitas non perpetuo uero et ueritati opponentur, ne coaeterna
sint, nullus sapiens dubitare debet. …Quamuis enim non eodem modo, sed multiplicibus in infi-
nitum diuinarum uisionum ascensionibus et descensionibus iustis et iniustis apparebit, omnibus
tamen apparebit, quando in omnibus iniustis, sola iniustitia punita et interempta, ipsa purgata et
intemerata relinquitur natura, in ipsos gradus de quibus peccando corruerat reuersura » (PP V,
145, 963c-964a).
77. « …in fine autem non solum generaliter mors corporis, uerum etiam mors mentis destrue-
tur, ac penitus idololatriae ritibus omnibus que omnium nationum superstitionibus iniquitatibus
que uentilatis, unius ueri dei cognitio uniuersae praestabitur creaturae. Cuncti siquidem boni et
mali, quando stabunt ante tribunal domini, cognoscent “quia unus deus est et non alius praeter
eum”. Tunc quippe erit generalis omnibus unius dei confessio, quando nulla erit ueritatis negatio »
(PP V, 199-200, 1003a).
78. Come esempio di transitus origeniano della dottrina della predestinazione agostiniana,
cf. PP V, 151-152, 968d-969b: Dio non punisce la sua creatura, né vuole (come empiamente
alcuni affermano) irae suae uiam inuenire; Dio piuttosto accoglie nella sua creazione eternamente
predestinata la punizione del male introdotto dalla creatura, che salva universalmente, liberandola
dai suoi movimenti perversi, eternamente dannati e separati dalla natura teomorfa. Cf. l’afferma-
zione di fatto antiagostiniana in PP V, 94, 926A: « Nam quicquid non fecit, sua scientia penitus
alienum est. » Mentre per Eriugena, Dio crea il mondo eternamente nelle sue cause senza alcun
male, quindi non riconosce la presenza di alcun male nella fine apocatastatica, per Agostino,
al contrario, Dio non soltanto conosce eternamente nella sua prescienza il male libero della
196 GAETANO LETTIERI

Quale resistenza di oscuramento, vaneggiamento sensibile, quale latebra fanta-


stica potrà resistere all’abbacinante e universale risplendere, all’apparire salvifico
universale della Luce eterna di Dio? Come può ontologicamente sussistere l’ir-
realtà dell’errore della mente, quando questa è resa partecipe dell’eterna Verità
personale? L’irreale supermachinatum, che il peccato dell’uomo ha sovrapposto
alla divina natura-ad-immagine e che gli empi penalmente continuano a fissare, è,
infine, assunto in Dio stesso e tolto dalla sua eternizzante onnipotenza redentiva,
capace di convertire la stessa falsa rappresentazione dei peccatori in armonico,
perché infinitamente progressivo desiderio di Dio79: cosa, infatti, se non lo
stesso diffusivo amore del suo Spirito, può Dio ospitare in se stesso? L’eversiva,
misericordiosissima dottrina dell’apocatastasi universale di tutte le creature e di
tutti i loro desideri verificati in Dio – « ista theoria paucis recte sapientibus nunc
perspicua, in futuro uero omnibus patefacta, dum ueritas per omnia in omnibus
elucescet80 » – viene infine ribadita con l’affermazione dell’assenza del male non
soltanto nel tutto (nella natura redenta), ma anche nella parte (nelle penali rappre-
sentazioni false delle menti empie), nella quale pure sembra permanere81.
E se, di nuovo, ritorna più avanti l’argomentazione della differenza escatologica
tra deificante partecipazione all’unica natura redenta dei beati e penale82, ormai
essa può ripresentarsi come riaffermazione di un dualismo soltanto provvisorio –
appunto formalizzato nella distinzione tra reditus generalis e reditus specialis83 –,
che di fatto è già stato dimostrato come tolto nella semplicità assoluta della onni-
potente misericordia di Dio. Il V libro, infatti, torna ripetutamente sulla dialettica
diastole/sistole o diaresi/analisi, suggerendo una spirale argomentativa sempre
più veloce e stretta, con la quale il Nutritor rivela all’Alumnus quel transitus,
che è la traiettoria escatologica che dal mondo della divisione creaturale conduce

creatura, ma vuole anche che esso sia nella creazione, lasciandolo non redento. Cf. G. LETTIERI,
« Enchiridion: la summa dell’altro Agostino », in Fede e vita. Lectio Augustini XVIII. Settimana
Agostiniana Pavese (2002), Roma, 2004, p. 57-127.
79. « Et iam, ni fallor, intelligis non solum omne quod ab uno deo creatum est, uerum etiam
omne quod irrationabilis motus rationabilis et intellectualis creaturae supermachinatus est, et nunc
intra ordinem diuinae prouidentiae contineri, et tunc post uniuersalis creaturae in suas causas
reditum inque ipsum deum ordinandum fore, quando totius uniuersitatis conditae plenissima
perficietur pulchritudo » (PP V, 147, 965b-c).
80. PP V, 150, 967c: « Etiam iniustis prauisque … ipsa ueritas per omnia fulgebit in futuro…
Omnes enim uidebunt gloriam dei » (150, 967d).
81. « Quod enim in toto malum non est, malum fieri in parte non potest, quamuis uideatur esse
illicitum atque purgandum seu refrenandum » (PP V, 150, 967c)
82. Cf. soprattutto il lungo excursus di PP V, 163-165, 976d-978b, che si conclude con la secca
conclusione: « Vnusquisque itaque in sua conscientia intra semet ipsum aut praemia recipiet aut
poenas luet; ipsa natura in omnibus libera permanebit. »
83. Cf. PP V, 165-166, 978c-979c e soprattutto V, 196-197, 1001a-b.
LA SUBORDINAZIONE DI AGOSTINO AI PADRI GRECI 197

all’eccedente semplicità di Dio: come se la trascendente apofasi dell’apocatastasi


potesse essere approssimata soltanto attraverso la ripetuta, eppure progressiva
allegorizzazione delle catafatiche congetture dualistiche84.
In PP V, 196-197, 1000c-1001a, Eriugena assume una nuova, netta presa di
posizione a favore dei padri greci contro Agostino: mentre questi ha affermato che
soltanto Dio « si muove » assolutamente al di là di qualsiasi spazio e di qualsiasi
tempo, vincolando ogni creatura a tempo e spazio, il Nutritor ribadisce, Graecorum
auctoritatem sequens, la piena rimozione escatologica di spazio e tempo85, così
come, precedentemente, aveva affermato che la natura unita al Verbo, Principio e
Fine della creazione, avrebbe attinto la piena, beatifica cessazione di ogni movi-
mento e di ogni desiderio tendenziale e insoddisfatto86.
Evidentemente, la persistenza dell’alienazione intracristologica della differenza
dei redenti/dannati (pure soltanto spiritualmente puniti nella loro memoria/fanta-
sia), rispetto all’epektasis dei beati (reditus specialis), all’interno dell’unica natura
universale redenta (reditus generalis), può sussistere soltanto problematicamente,
provvisoriamente, quindi allegoricamente, rinviando cioè a una verità eccedente
che illumini il defectus litterae dualistico.
Ma, prima di tornare ad esaminare la paradossale concordia discors dei due
reditus, quello della natura e quello della grazia, soffermiamoci su tre esegesi
scritturistiche proposte da Eriugena nel V libro del PP.

84. Eriugena adegua il suo origenianamente zetetico metodo compositivo a quello che pensa di
ritrovare nella Scrittura: « Non enim alio modo sanctorum prophetarum multiplex in diuinis intel-
lectibus contextus potest discerni, nisi per frequentissimos non solum per periodos uerum etiam
per cola et commata transitus ex diuersis sensibus in diuersos, et ab eisdem iterum in eosdem
occultissimas creberrimasque reuersiones. Saepissime enim unam eandem que expositionis spe-
ciem absque ullo transitu in diuersas figurationes sequentibus aut error aut maxima difficultas
innascitur interpretandi. Concatenatus quippe est diuinae scripturae contextus daedalicisque
diuerticulis et obliquitatibus perplexus. Neque hoc spiritus sanctus fecit inuidia intelligendi (quod
absit existimari), sed studio nostram intelligentiam exercendi sudorisque et inuentionis praemii
reddendi. Praemium quippe est in sancta scriptura laborantium pura perfectaque intelligentia… »
(PP V, 1010a-d).
85. « Dicuntur etiam uenire, quando in aliquo uisibili his qui digni sunt apparent, recedere uero,
quando omni sensu corporeo omnino remouentur. Nec te moueat quod dixi spirituales substantias
temporalem motum non pati, dum sanctus Augustinus proclamat solum deum sine loco et tempore
a se ipso moueri, conditum uero spiritum per tempus sine loco, corpus autem per locum et tempus
ab eo qui mouet omnia motum pati. Hoc enim dixi graecorum auctoritatem sequens, quae incun-
ctanter astruit omne quod localiter mouetur temporaliter moueri. Omne autem, quod locali motu
caret, sequitur temporali etiam carere. Haec enim duo (locum dico et tempus) aut simul erunt aut
simul auferentur, quoniam a se inuicem disgregari non patiuntur » (PP V, 196-197, 1000d-1001a).
Cf. PP V, 59, 901a-b.
86. Cf. PP V, 48, 892d-893a.
198 GAETANO LETTIERI

IV. – L’EDENICO E APOCALITTICO ALBERO DELLA VITA:


UN’ESEGESI PROGRESSIVA

Prova di questa prospettiva dominante, seppure implicita o « nascosta », della


piena riunificazione tra natura e grazia è l’ambiguità dell’esegesi eriugeniana
della partecipazione all’albero edenico della vita di Gen. 2, 9 e di Apoc. 22, 2,
albero – quindi – che rivela la coincidenza non perfetta tra protologico ed escato-
logico, come la strategia eriugeniana di allegorico riassorbimento dell’ultimo nel
primo. Come abbiamo anticipato, il PP lo identifica con il Verbo eterno, deificante
nell’infinita serie delle sue teofanie87, piantato al centro del paradiso, quindi della
natura universale dell’uomo-ad-immagine, ma rileva che dell’albero della vita il
protologico uomo-ad-immagine non aveva mangiato, avendo peccato, quindi non
accedendo all’intima partecipazione deificante88. Esso, pertanto, si rivela come
albero soltanto escatologicamente fruibile, con un’evidente sfasatura (tipicamente
apocalittica e del tutto problematica in prospettiva neoplatonica) tra l’inizio e
la fine, che evidentemente paiono non coincidere del tutto. Ebbene, del cristico
albero di vita Eriugena restituisce due interpretazioni notevolmente diverse89 e di
fatto progressive, dichiarandolo 1) prima come privilegio esclusivo degli uomini
meritevoli della grazia, appunto nutriti dalle teofanie cristiche, 2) poi, al contrario,
partecipato, seppure secondo gradi diversi, da tutte le creature, empi compresi.
Infatti, 1) in PP V, 165-169, 978c-980d, a partire da una distinzione pseudo-a-
gostiniana tra natura e grazia, il Nutritor afferma che anche gli empi torneranno
nel paradiso della natura redenta, quindi nell’uomo-ad-immagine cristificato, ma
che, privi di grazia, non potranno mangiarvi dall’albero della vita, cioè dal Cristo
che in quell’uomo universale si incarna90. 2) Al contrario, in PP V, 216-218,

87. Sul Figlio come albero della vita, cf. PP V, 9, 865b. Sul Verbo come « luogo » divino di
infinite teofanie (corrispondenti alle origeniane epinoiai rivelative-redentive del Logos), cf. V,
75, 912c-d. Sulla contingenza sopravvenuta della distinzione tra angeli e uomini, in effetti tutti
intelletti originariamente ed escatologicamente equiparati nella fruizione di Dio, cf. IV, 56-57,
780a-b; cf. anche IV, 60, 783a. La prospettiva è antiagostiniana (per Agostino, Dio ab aeterno
elegge il caelum caeli angelico, distinguendolo dalla natura ontologicamente inferiore dell’uomo:
cf. AGOSTINO, Conf. XII) e perfettamente origeniana: cf. ORIGENE, De Princ. I, 8, 1-4.
88. « Legimus quippe primum hominem ad imaginem et similitudinem dei factum in paradiso
positum fuisse, sed non legimus eum de ligno uitae comedisse. Esu siquidem prohibiti ligni prae-
occupatus, dulcedine ligni uitae est expulsus » (PP V, 166, 979a).
89. Quest’importante correzione di interpretazione in itinere è stata già segnalata da P. DRONKE,
« Introduzione », in GIOVANNI SCOTO, Sulle nature dell’universo (Periphyseon), I, Milano, 2012,
XI-LXXIII, in part. LXIV.
90. « Non omnes plane, sed soli qui mundum et carnem uicerint, sicut in Apocalypsi scriptum
est: “Vincenti dabo edere de ligno uitae, quod est in paradiso dei mei”. Et gratia siquidem et
natura, ut in superioribus tractatum est, omnibus hominibus communiter praestatur in paradisum
redire, sola uero gratia solis deificatis de ligno uitae edere » (PP V, 168, 980d). Cf. V, 165-166,
LA SUBORDINAZIONE DI AGOSTINO AI PADRI GRECI 199

1014d-1016a91, si legge che anche gli empi partecipi dell’unica natura redenta
mangeranno dell’albero della vita, seppure in maniera inferiore: « Vel certe omnes
de ligno uitae sunt accepturi, sed non aequaliter » (V, 216, 1015a). Quest’ulteriore
introduzione degli stessi empi nella fruizione dell’albero dei doni cristici – sep-
pure ancora in una posizione inferiore litteraliter insuperabile in quanto confinata
alla fruizione dei doni naturali – non può essere esito di una distrazione casuale:
essa, piuttosto, tende (come nel caso degli atrii della casa/tempio di Dio) a sugge-
rire una comunicazione di natura e grazia nell’universale partecipazione a Cristo
mediatore, suggerendo un’almeno tendenziale coincidenza tra apocatastasi della
natura (reditus generalis) e deificazione della grazia (reditus specialis). In effetti,
se nella natura umana universalmente redenta, partecipe del Verbo edenico, non
potranno che essere tolti differenza spazio-temporale, movimento di alterazione,
differenza tra genere e specie, infine presenza defettiva del male, come potrà mai
sussistervi la differenza di gradi, cioè l’« aliud/aliud » di distinzioni quantitative
e di serie temporali di approssimazione? Evidentemente, assistiamo a un progres-
sivo assorbimento della specie nel tutto o viceversa, in una ticoniana reciproca
conversione della sineddoche92, sicché la specie della grazia comunica in Cristo-

978c-979a). Sull’arditissima cristologia di Eriugena, che nel reditus escatologico non può non
pensare origenianamente il totale riassorbimento finale della carne nel Verbo, cf. PP V, 185-188,
993b-995b: chiaramente alla dottrina della persistenza escatologica della carne reale di Cristo
è sostituita la dottrina del corpo mistico intellettuale, vivificato dall’infinita serie delle teofanie
divinizzanti. Se quindi Eriugena insiste sul mistero cristologico della perfetta unità tra Gesù uomo
assunto e Verbo (cf. PP V, 86, 920d-921b), comunque pensa in Cristo l’assunzione universale
dell’umanità, interpretata come unica natura non divisibile in parti, dunque tutta redenta, ove si
deride chi (agostinianamente, potremmo aggiungere) la divide in parti, cioè in una parte redenta
e in una parte dannata; cf. PP V, 87, 921d-922b (segue immediatamente questo brano la lunga
citazione dal III libro del De Princ. di Origene!). Cf. J. MCEVOY, « “Reditus omnium in superes-
sentialem unitatem”: Christ as Universal Saviour in Periphyseon V », in Giovanni Scoto nel suo
tempo. L’organizzazione del sapere in età carolingia, C. Leonardi – E. Menestò edd., Spoleto,
1989, p. 365-381. Considerato l’assoluto immaterialismo ontologico di Eriugena, mi pare comun-
que condivisibile questa netta affermazione di Th. BÖHM, « Adnotationes zu Maximus Confessor
und Johannes Scottus Eriugena », p. 51-60, in part. p. 53: « Eriugena hat kaum ein Interesse an
dem factum brutum der Inkarnation. »
91. « Fruentur itaque omnes homines ipsius fructu participatione naturalium bonorum gene-
raliter, fruentur electi soli excelsitudine deificationum ultra omnem naturam specialiter » (PP V,
216-217, 1015a-b).
92. Giustamente, W. OTTEN, « The Dialectic of the Return in Eriugena’s Periphyseon »,
Harvard Theological Review, 84, 1991, p. 399-421, in part. p. 420, n. 61, sulla connessione della
sineddoche genere/specie come transitus rimanda a TICONIO, Liber regularum, r. IV – De specie
et genere, sottolineando come il testo fosse almeno presente nella biblioteca di Incmaro di Reims.
Cito soltanto un breve passaggio ticoniano: « Dum enim speciem narrat ita in genus transit ut
transitus non statim liquido appareat, sed talia transiens ponit uerba quae in utrumque conueniant,
donec paulatim speciei modum excedat et transitus dilucidetur, cum quae ab specie coeperant
non nisi in genus conuenerint. Et eodem modo genus relinquit in speciem rediens » (LR IV, 2, 1).
200 GAETANO LETTIERI

Albero della Vita93 con il tutto della natura universale, essa stessa paradossal-
mente riassorbita nella parte teofanica. La parte inferiore (quella « eternizzata? »
come empia) dell’unica natura, che prima era definita del tutto priva di grazia, ora
si rivela innestata nell’unico albero donativo di Cristo, si nutre dello stesso unico
nutrimento di vita, che pure riserva ai beati la sua pienezza di grazia.
Ma, all’interno di un processo di infinita ascesa teofanica, questa minima par-
tecipazione al nutrimento di Cristo non dovrà necessariamente crescere? Com’è
possibile far coesistere una partecipazione a Cristo-Vita, un nutrirsi dei suoi doni,
con una allucinatoria, fantasmatica, alienante prigionia spirituale nell’irrealtà del
male? L’ammissione degli empi al nutrimento cristico, seppure limitatamente alla
natura, suggerisce forse una mediazione dinamica di natura e grazia: nel nutrirsi
dell’unico, teofanico e deificante albero della vita che è Cristo, reditus specialis
e reditus generalis paiono potersi convertire l’uno nell’altro. D’altra parte, nel
IV libro, la descrizione dell’albero della vita/Cristo Verbo culminava nell’affer-
mazione che chiunque ne avesse mangiato, avrebbe nutrito un desiderio infinito
di continuare a nutrirsene94. Così, significativamente, nel V libro, la fine escato-
logica del sabato eterno è rappresentata dalla cena illa magna, dall’eternizzazione
della fruizione eucaristica delle teofanie, ex qua nullius substantia, quia ex Deo
facta est, respuetur95, alla quale corrisponderà l’annientamento di ogni male.
Apocatastaticamente, vanificata la vanità delle stesse rappresentazioni degli empi,
ogni creatura si ciberà di Dio, parteciperà della Gerusalemme celeste96, diverrà
immateriale luogo teofanico, avrà in dono divinizzanti teofanie: « illuminabun-
tur abscondita tenebrarum, omnia in omnibus uidebitur deus97 ». D’altra parte,
nell’Homilia super « In principio erat uerbum » (= HIP), Eriugena identifica la
vita eternamente fatta nel Verbo come la perfetta unità causale della creazione
razionale, prima che essa si differenzi in generi e specie, in determinazioni

93. Cf. ORIGENE, De Princ. II, 11, 3-4: il nutrirsi di Cristo-Pane di Vita corrisponde alla
restaurazione dell’intelligenza dell’uomo-ad-immagine indiato nel Principio, che è il Verbum,
quindi introdotto nella Gerusalemme apocalittica, ove il suo inesauribile desiderio di Dio verrà
perfettamente appagato.
94. Cf. PP IV, 1115-117, 823a-824a; in part.: « Cuius gustus et comestio nescit saturitatem. Eo
siquidem in quantum quis uescitur, in tantum in desiderium uescendi suscitatur » (IV, 117, 823d).
Sull’escatologico annullamento di tutto il male, espunto dalla natura redenta, e sull’universale
resurrezione e partecipazione all’albero apocalittico del Verbo redentore, cf. IV, 10-11, 747c-748a.
95. « Ac sic cena illa magna ordinabitur et celebrabitur, ex qua nullius substantia, quia ex deo
facta est, respuetur, nullius uitium, quia ex deo factum non est, introducetur. Purgabitur enim
natura, uentilabitur uitium, recondentur substantialia grana, flamma diuinae sententiae delictorum
ardebit palea, illuminabuntur abscondita tenebrarum, omnia in omnibus uidebitur deus » (PP V,
218, 1016a). Cf. V, 183, 991c.
96. « Nihil obstat credere totum genus humanum et in Christo redemptum et in caelestem
Hierusalem reuersurum » (PP V, 207, 1007c).
97. PP V, 218, 1016a.
LA SUBORDINAZIONE DI AGOSTINO AI PADRI GRECI 201

spaziali e temporali, nella distinzione tra intellegibile e sensibile98. Ma questo


prima coincide con il dopo escatologico! Ricondotta alla partecipazione eterna del
Verbo, la vita non può che riattingere la sua dimensione assolutamente unitaria,
trascendendo il limite della propria determinazione contingente e fruendo, per
grazia, dell’intima comunione con Dio. Quale permanente differenza di fruizioni
della Vita che è Vnum può, pertanto, essere ammessa nell’albero divino di Cristo?

V. – DUE ESEGESI PARABOLICHE:


IL FIGLIOL PRODIGO E LE VERGINI STOLTE/SAGGE

Un trattato spregiudicatamente speculativo e potentemente monistico, quale


il PP, si conclude stranamente con due ambigue esegesi allegoriche, finalizzate
evidentemente a fornire una chiave escatologica risolutiva delle residue resistenze
dualistiche, che tendono a contraddire o comunque a turbare il potente moni-
smo ontologico dominante. L’esegesi della parabola del figliol prodigo (Lc. 15,
11-32)99 e quella delle vergini stolte e sagge in attesa dello Sposo (Mt. 25, 1-13)100
condividono la coincidenza tra intimità familiare (i due fratelli, le donne destinate
alle nozze) e aspro dualismo che ne divide la comunione (apocalitticamente, il
corpo di Dio si scinde in una parte eletta e in una parte « rimossa », sospesa, se
non esclusa).
La parabola del figliol prodigo riceve, in realtà, una duplice interpretazione alle-
gorica, corrispondente all’ambigua valutazione dei due figli: 1) mentre il figliol
prodigo rappresenta l’universale uomo-ad-immagine nelle sue due fasi di caduta
e di reditus, il figlio maggiore è identificato con gli angeli che rimangono saldi
presso il Padre101; 2) il figliol prodigo è poi identificato con l’universalità conver-
tita delle genti, mentre il figlio maggiore è identificato con Israele indurito, che
storicamente non si converte a Cristo (si oppone al sacrificio dell’agnello grasso

98. « Omnia quae per ipsum facta sunt, in ipso uita sunt et unum sunt. Erant enim (hoc est
subsistunt) in ipso causaliter, priusquam sint in semet ipsis effectiue. Aliter enim sub ipso sunt
ea quae per ipsum facta sunt, aliter in ipso sunt ea quae ipse est » (GIOVANNI SCOTO ERIUGENA,
Homilia super « In principio erat uerbum », 9).
99. PP V, 202-210, 1004c-1010a.
100. PP V, 211-217, 1011a-1015c. Per un’analisi delle due parabole, cf. H. A.-M. MOONEY,
Theophany, p. 173-177; e soprattutto l’importante saggio di W. OTTEN, « The Dialectic of the
Return », p. 417-421, ove si sottolinea il carattere « “hyperallegorical” or “performative” » (419)
dell’esegesi delle due parabole che chiudono il PP, ove il transitus che costituirebbe l’originale
soluzione eriugeniana al compimento escatologico tende comunque, nel senso opposto a quello
qui proposto, a pensare litteraliter lo scartare del genere rispetto alla specie e non, come da me
proposto infra, il transitus perfettamente origeniano della specie nel genere, quindi il riassor-
bimento, in tal senso davvero iperallegorico, dell’escatologia divisiva nell’escatologia monista.
101. Cf. PP V, 202-203, 1004c-1005a. Cf. P. A. DIETRICH – D. F. DUCLOW, « Virgins in
Paradise: Deification and Exegesis in “Periphyseon V” », in Jean Scot Écrivain, G.-H. Allard éd.,
Montréal –Paris, 1986, p. 29-49.
202 GAETANO LETTIERI

e si rifiuta di partecipare al banchetto « eucaristico » in cui culmina la conversione


del minore), ma che pure escatologicamente la misericordia di Dio accoglierà
nella sua intimità102. In tal senso, il figlio maggiore/Israele rappresenta la parte
che, nel tutto, si esclude/è esclusa dalla partecipazione dei doni di grazia, ma,
d’altra parte, davvero catastroficamente, finisce per assumere il ruolo di nuovo
protagonista (il figlio perduto, la specie esclusa), che nel rovescio della parabola
è corrispondente al figliol prodigo convertito e assunto nella totalità celeste. Il
maggiore è figura di quei « Iudaei uero perfidi filium negantem » (PP V, 209,
1009c), che, inizialmente lasciati fuori dalla Gerusalemme elettiva, « in fine mundi
ineffabili diuinae bonitatis magnanimitate recipiantur » (PP V, 209, 1009d): il tra-
dizionale, orrendo antisemitismo è paolinamente, quindi origenianamente tolto e
convertito nell’escatologico, universale amore di Dio per la totalità della creatura.
Soprattutto, fondamentale è la motivazione che spiega la misericordia divina: pur
nel loro indurimento, comunque gli ebrei tendono alla « ciuitas, societas uidelicet
catholicae fidei, uolentes in eam recipi » (ivi). Negli ebrei sono quindi figurati
gli empi, che – inscritti in un originario, irrevocabile patto divino – mantengono
un incancellabile desiderio di Dio, cui sono naturalmente chiamati. Desiderio,
volontà che, per quanto informi e imperfetti, non potranno (origenianamente ed
eriugenianamente)103 rimanere frustrati! Il figlio maggiore, allora, non entra, ma
vuole entrare, è esule dalla casa eucaristica della fede, ma desidera quell’intimità,
che ancora non merita di fruire, ma che già è anticipata nel protendersi del suo
desiderio. Sicché il maggiore diviene il minore, il detentore dell’eredità diviene il
prodigo alienato, quindi colui che, decaduto dalla casa del Padre e affamato (privo
del nutrimento del vitello grasso)104, comunque desidera ritornarvi e vi è, infine,
già, da sempre, misericordiosamente accolto (cf. Lc. 15, 31). Tutte le creature,
infatti, non possono non attingere escatologicamente la perfetta realizzazione del
loro desiderio di Dio nel Verbo, venendo tutte riunificate nella perfetta pienezza
protologica della natura umana redenta, che non può darsi senza l’assoluto appa-
gamento del proprio desiderio intellettuale105. Se in ogni singola creatura Dio è

102. Cf. PP V, 207-210, 1008a-1009d. Cf. l’interpretazione apocatastatica della parabola,


evidentemente dipendente da Origene, in AMBROGIO, Expositio euangelii secundum Lucam VII,
2632-2634: « Sed bonus pater etiam hunc saluare cupiebat dicens: tu me cum semper fuisti, uel
quasi Iudaeus in lege uel quasi iustus in conmunione; sed et, si desinas inuidere: et omnia mea tua
sunt, uel Iudaeus sacramenta ueteris testamenti, uel baptizatus etiam noui possidens. » Per un’in-
terpretazione paolina del fratello maggiore della parabola lucana come simbolo della maggioranza
di Israele, che non riconosce l’ingresso/il ritorno escatologico delle genti nella nuova alleanza
rivelata da Gesù Cristo, cf. G. LETTIERI, « Un’interpretazione paolina del malfattore convertito
sulla croce: Luca 23,39-43 », Segno, 39, 2013, p. 113-125.
103. Cf. supra, n. 37, per Origene; e infra, n. 116, per Eriugena.
104. Significativamente, in riferimento all’Israele indurito, Eriugena cita Ps. 58, 7, testo che
riecheggia l’abbrutimento del figliol prodigo lucano, degradato a livello delle bestie e oppresso
dalla fame: « conuertentur ad uesperam et famem patienter ut canes et circuibunt civitatem ».
105. Cf. PP V, 49, 893c-894a.
LA SUBORDINAZIONE DI AGOSTINO AI PADRI GRECI 203

perfetta illuminazione106, come può « qualcuno » non essere deificato dalla sua
redenzione? Come può la casa di Cristo, res publica uniuersitatis107 del Dio che
accoglie personalmente in sé omnia, la totalità redenta della natura umana, ospi-
tare empi non perfettamente redenti e deificati108?
È della massima rilevanza che Eriugena inserisca, nel cuore109 e alla fine110
di quest’esegesi origeniana111 della parabola del figliol prodigo, una trattazione
dedicata all’ermeneutica della Scrittura e in particolare alla legge scritturistica del
transitus parabolico, dell’allegoria, del tropos: è questo il vero e proprio nodus
quaestionis dell’ermeneutica ontologica del PP. La Bibbia registra continui tran-
situs, impone all’interprete una serie ininterrotta di rovesciamenti misteriosi, di
andirivieni, passaggi dal genere alla specie e dalla specie al genere. Il labirinto
scritturistico impedisce la fissazione, rivela il transitus come unica, inesausta,
allegorica legge dinamica di toglimento delle differenze nell’unità. Il transitus,
insomma, è allegoricamente sempre verticale e tendenzialmente apocatastastico,
anche se chiama continuamente a invertire, a dividere e a ricapitolare, a distinguere
natura e grazia, genere e specie, identità e differenza. In particolare, il transitus
è applicato all’interpretazione duplice della figura del figliol prodigo, prima sim-
bolo dell’intera umanità redenta (genere), quindi delle genti convertite (specie): la
parabola propone pertanto un’inversione del genere nella specie e viceversa una
riassunzione della specie (Israele come maggiore divenuto estraneo) nel genere (la

106. « Ipse [Christus] est redemptio et salus, purgatio et illuminatio et perfectio universae
humanitatis in omnibus et in singulis » (PP V, 170, 981d).
107. PP V, 173, 984b.
108. « Domus illa Christus est, qui omnia et ambit uirtute, disponit prouidentia, regit iustitia,
ornat gratia, continet aeternitate, implet sapientia, perficit deificatione, “quoniam ex ipso et per
ipsum et in ipso et ad ipsum sunt omnia” » (PP V, 173-174, 984b).
109. « Nodum huius quaestionis ad soluendum difficilem uno modo arbitror enodari posse, qui
parabolarum transitus uocari potest » (PP V, 208, 1008c); in particolare, la species della parabola
è quella « quae transitum in diuersas conformat figuras » (ibid.).
110. « Non enim alio modo sanctorum prophetarum multiplex in diuinis intellectibus contextus
potest discerni, nisi per frequentissimos non solum per periodos uerum etiam per cola et commata
transitus ex diuersis sensibus in diuersos, et ab eisdem iterum in eosdem occultissimas creberri-
masque reuersiones. Saepissime enim unam eandemque expositionis speciem absque ullo transitu
in diuersas figurationes sequentibus aut error aut maxima difficultas innascitur interpretandi.
Concatenatus quippe est diuinae scripturae contextus daedalicisque diuerticulis et obliquitatibus
perplexus. Neque hoc spiritus sanctus fecit inuidia intelligendi (quod absit existimari), sed studio
nostram intelligentiam exercendi sudorisque et inuentionis praemii reddendi. Praemium quippe
est in sancta scriptura laborantium pura perfectaque intelligentia » (PP V, 210, 1010a-b).
111. Sulla redenzione escatologica di Israele, come compimento dell’apocatastasi dell’intera
umanità in Dio secondo Rom. 11, 26, cf. ORIGENE, Cpm. Rom. VIII, 9, 1185a-b; in part., si noti
l’affermazione che chiude l’elenco delle cadute di Israele indicate dalla Scrittura: « Et omnes hi
casus de quibus in supradictis sermonibus scripturam pronuntiasse memorauimus habent utique
resurrectionem et auersio eorum habet conuersionem » (1185a). Cf., inoltre, VIII, 12,1196c-1202c;
VIII, 13, 1199c-1200a; ricordo che Eriugena conosce e cita il Com. Rom. origeniano.
204 GAETANO LETTIERI

ricostituzione dell’unità perfetta dell’umanità redenta nella ciuitas Dei). Figura in


se stessa conversiva, la sineddoche diviene, pertanto, legge dinamica del divenire
di Cristo, di quel transitus redentivo che, assumendo in sé la totalità delle creature,
tutte le visita e le riconcilia, per poterle poi fare ascendere tutte infinitamente:
« Et quis est, Domine, transitus tuus, nisi per infinitos contemplationis tuae gradus
ascensus? … Ministras igitur tuis praesentiam tuam ineffabili quodam modo
apparitionis tuae, transis ab eis incomprehensibili excelsitudine et infinitate essentiae
tuae (PP V, 210-211, 1010c-d). »
L’esegesi della parabola delle dieci vergini, tutte in attesa dello Sposo, che di
fatto chiude il PP, è interpretata in maniera perfettamente corrispondente. Le cin-
que vergini sagge, destinate alle nozze mistiche dai loro meriti (l’olio necessario
per accendere le lampade della loro visione teofanica), condividono comunque
con le cinque vergini stolte prive di meriti (appunto prive di olio) la partecipazione
all’unica natura redenta, che viene significativamente identificata con la stessa
Gerusalemme celeste, con la città di Dio, che non può che essere l’agostiniana
città degli eletti, nella quale la totalità dell’umanità (rappresentata dal numero
dieci) entra, proiettatavi dal suo universale desiderio112. E seppure subito Eriugena
ribadisce che all’interno della totalità redenta si distinguono gradi di partecipa-
zione diversi, appunto ricapitolati nella distinzione tra vergini sagge e vergini
stolte, l’intensità con la quale egli ha indicato come comune il desiderio mentale,
quindi spirituale dello Sposo (rappresentato dal comune possesso della lampada,
che è simbolo dell’intelletto-immagine e del suo desiderio razionale della Luce
eterna)113 attenua, di fatto toglie, il ritorno della differenza nel transitus escatolo-
gico, che finisce per essere nuovamente visitato da un ulteriore dinamismo, quanto
meno implicito, comunque rivelato dal protendersi pur fallimentare del desiderio
d’amore delle vergini stolte. Se, insomma, le due classi di vergini rappresentano
due specie distinte all’interno dell’unico genere dell’umanità redenta – rappresen-
tando rispettivamente a) le vergini sagge, i beati escatologicamente deificati114
e b) le vergini stolte, gli empi escatologicamente puniti –, la dimensione nuziale
della metafora, ove anche le vergini stolte sono chiamate a divenire spose, non

112. « Venit ergo obuiam omnibus cum sponsa sua (Hierusalem uidelicet caelesti), qui recipere
omnes deuotus est in consortium suae ciuitatis. Et animaduerte quod tota humanitas denario
numero comparatur, quoniam decimam in aedificatione superae ciuitatis possidet regionem.
Decem itaque uirgines (hoc est tota humanae naturae numerositas) naturali appetitu obuiam
diligenti se et ad eam uenienti exit, non gressibus corporis, sed affectibus mentis » (PP V, 212,
1011b-c).
113. « Sed quamuis aequalis motus sit rationalis naturae ad finem suum, qui est Christus,
aequalisque aeterni luminis quae per lampades significatur appetitio, non tamen aequaliter lucem
illam “quae illuminat omnem hominem uenientem in hunc mundum” participat » (PP V, 212,
1011c); cf. PP 213, 1012a-b.
114. Cf. D. CARABINE, « Five Wise Virgins. Theosis and Return in Periphyseon V », in
Iohannes Scottus Eriugena. The Bible and Hermeneutics, G. van Riel – C. Steel – J. McEvoy eds.,
Leuven, 1996, p. 195-207.
LA SUBORDINAZIONE DI AGOSTINO AI PADRI GRECI 205

può non spingere a chiedersi se davvero questa divisione nell’identità della natura
redenta non sia in effetti penultima. La stessa legge allegorica del transitus spinge
infatti l’intelligenza a ricapitolare la specie nel genere, quindi a universalizzare il
reditus specialis della grazia, facendolo coincidere con il reditus generalis della
natura redenta.
Proprio l’insistenza sulla legge ermeneutica del transitus, infatti, suggerisce –
obliquamente, che a ma pare del tutto visibile written between the lines – l’urgere
dell’intelligenza verso il superamento di ogni dualismo, il passaggio dalla specie
al genere. Nel testo, in effetti, restituendo l’huius parabolae medulla (1014d)
come transitus de genere ad speciem, Eriugena identifica apertamente i due fra-
telli con le dieci vergini, distinguendoli rispettivamente in riferimento al genere
della natura redenta e alla specie dei beati deificati115. Ma, come abbiamo visto,
quello che accomuna sia il figlio maggiore/Israele indurito che le vergini stolte
proiettate verso l’intimità dello Sposo è il volere entrare, è il desiderio razionale
– « attualmente » frustrato – di un’intimità con Dio, sorretto dall’universale natura
teomorfa dell’uomo e soltanto provvisoriamente contraddetto dalle fantasie irreali
del peccato. Ricordo come Eriugena abbia apertamente affermato che il desiderio
di perfezione divinizzante, il movimento di perfezionamento ontologico intrinseco
a tutta la natura umana non può essere escatologicamente vano o frustrato:
« Nunquid ipsa causarum causa finis mundi est, in quam desinet, quando omnia
quae in motu sunt in eo quod appetunt (in ipso uidelicet dei uerbo) motus sui finem
constituent, ultra quem finem nullus ullius creaturae appetitus erit? Non enim habet
ulterius quo tendat, uel quid petat. Vniuersalis quippe totius creaturae finis dei uerbum
est. Principium itaque et finis mundi in uerbo dei subsistunt et, ut apertius dicam,
ipsum uerbum sunt, quod est multiplex sine fine finis et principium ΑΝΑΡΧΟΝ, hoc
est sine principio praeter patrem (PP V, 48, 893a)116. »
Può, allora, il desiderio del maggiore o il desiderio delle comunque innamorate,
seppure stolte vergini escluse dal talamo nuziale, – desiderio così chiaramente sot-
tolineato da Eriugena – essere definitivamente contraddetto all’interno dello stesso
intimo riassorbimento cristologico dell’intera umanità in Dio117? In riferimento a

115. Cf. PP V, 216, 1014d-1015a.


116. Cf. PP IV, 53, 777c-d.
117. L’origeniana dottrina della sempre eccedente ed escatologicamente del tutto riunificante
misericordia divina, ontologicamente onnipotente nella sua infinita capacità di ricapitolazione
di tutta la creaturalità redita nella sua causa assoluta, è apertamente affermata nell’HIP: « Iam
diuiditur, non humanitas rationabilis mundi, sed uoluntas. Segregantur receptores incarnati uerbi
a respuentibus illud. Fideles credunt aduentum uerbi et libenter recipiunt dominum suum. Impii
negant et contumaciter renuunt, iudaei per inuidiam, pagani per ignorantiam. Recipientibus dedit
potestatem filios dei fieri, non recipientibus dat adhuc spatium recipiendi. A nullo enim aufertur
possibilitas credendi in dei filium et possibilitas essendi dei filium: hoc enim in arbitrio hominis
et cooperatione gratiae constitutum est » (20). Qui si svela perfettamente quello che era detto
piuttosto obliquamente sia nel caso del figlio maggiore che si separa dal banchetto escatologico
deificante, che in quello delle vergini stolte non ancora degne di essere ammesse al talamo nuziale:
origenianamente, mai è tolta alla creatura la possibilità di desiderare il credere e, con il credere,
206 GAETANO LETTIERI

questo confuso e ancora torbido desiderio di Dio, come non continuare a chiamare
ancora in causa la preghiera (vera e propria confessione autobiografica), che
Eriugena stesso indirizzava alla misericordia infinita di Dio118? Non vi sono, forse,
origenianamente altri tempi e spazi, anzi tempi e spazi intracristologici, attraverso
il quale il reditus si dispiega, prima del definitivo, assolutamente unitario compi-
mento escatologico? O, in senso più radicale, assunte tutte le creature nell’unico,
eterno Verbo/Luce di Vita, le differenze contingenti di meriti e progressi non sono
tutte tolte ed eucaristicamente comunicate?

VI. – IL TRANSITVS ALLEGORICO DELLA SINEDDOCHE:


IL RITORNO ONTOLOGICO DELLA SPECIE NEL GENERE

Ma, oltre a questa potente affermazione dell’impossibilità di frustrazione del


desiderio di eccedenza creaturale, possiamo rintracciare nel PP altre conferme
ontologiche di questa spregiudicata, iperallegorica ipotesi interpretativa, che
assume la stessa distinzione escatologica tra genere e specie come residua littera
dualistica (di origine apocalittica, quindi radicata all’interno della tradizione
neotestamentaria e di quella patristica cristiana) da togliere, da fluidificare,
nell’affermazione di un ulteriore transitus infinito? Ermeneutica e ontologia non
si rivelano, forse, allegoricamente del tutto coincidenti? Il transitus delle parabole
dal genere alla specie non comanda, in realtà, secondo la regola stessa della sined-
doche, la sua inversione, quindi il ritorno della specie al genere, il riassorbimento
della grazia nella natura, quindi l’infinitizzazione del dono della divinizzazione?
Segnalo una capitale affermazione del V libro del PP, relativa alla tendenziale,
infinita approssimazione gregoriana dei beati a Dio, che li spinge a trascendere
spiritualmente, nell’attingimento metaontologico della stessa unità di Dio, la
differenza tra parte e tutto, quindi anche tra specie e genere, come la differenza
di spazi e di tempi: nell’eschaton, infatti, tutto tornerà in Dio, trascendendo qual-
siasi differenza o gerarchia ontologica119. E in effetti, nel II libro, la dialettica tra

di ricongiungersi con il principio assoluto. Dio ha infatti un infinito ed eterno spatium recipiendi,
all’interno del quale qualsiasi finita e provvisoria, temporale differenza di specie o spazio/tempo
– materialmente, logicamente, volontariamente divisiva – è trascesa e riunificata.
118. Cf. PP III, 649d-650b; in part.: « Nulla enim peior mors est quam ueritatis ignorantia,
nulla uorago profundior quam falsa pro ueris approbare, quod proprium est erroris… Hinc assi-
due debemus orare ac dicere: Deus nostra salus atque redemptio, qui dedisti naturam, largire et
gratiam. Praetende lumen tuum in umbris ignorantiae palpitantibus quaerentibusque te. Reuoca
nos ab erroribus. »
119. « …Sed quorsum ascendit spiritualis ille homo, qui de omnibus iudicat, et de quo nemo
iudicare potest, nisi ipse solus qui fecit omnia? Nunquid in eum qui omnia superat et ambit et in
quo sunt omnia? In ipsum itaque deum ascendit qui uniuersitatem creaturae simul contemplatur
et discernit et diiudicat, neque eius iudicium fallitur, quoniam in ipsa Veritate, quae nec fallit
nec fallitur quia est quod ipse est, omnia uidet. Virtute siquidem intimae speculationis spiritualis
homo in causas rerum, de quibus iudicat, intrat. Non enim iuxta exteriores sensibilium rerum
LA SUBORDINAZIONE DI AGOSTINO AI PADRI GRECI 207

exitus e reditus viene interpretata come analisi, cioè come risoluzione nell’unità
del Principio di tutte le realtà divise, diverse, moltiplicate, perché procedute
dall’Uno120. Così, in PP III, 6-7, 621b-622a, Dio creatore/redentore è il principio
assoluto che precede, costituisce e riassume/riunisce in sé tutte le divisiones, in
particolare quelle tra genere e specie, tutto e parte:
« Vides ne quemadmodum totius uniuersitatis conditor primum in diuisionibus
obtinet locum? Nec immerito, dum sit principium omnium et inseparabilis ab omni
uniuersitate quam condidit et sine quo subsistere non potest. In ipso enim immutabiliter
et essentialiter sunt omnia, et ipse est diuisio et collectio uniuersalis creaturae et genus
et species et totum et pars, dum nullius sit uel genus uel species seu totum seu pars, sed
haec omnia ex ipso et in ipso et ad ipsum sunt (PP III, 6, 612b-c). »
Nella perfezione assoluta di Dio, lo squadernarsi delle divisioni è riassunto,
ricapitolato, protologicamente contratto e apocatasticamente riconciliato; così
come nella monade o nel punto/centro della circonferenza – luoghi di coincidenza
ontologica tra tutto e parte, primordium e diuisio – sono perfettamente riuniti
la totalità dei numeri o delle rette/figure che ne procedono121. Il culmine della
conoscenza dell’unica natura creatrice/creata di Dio è, quindi, l’attingimento della
ricapitolazione di tutto e parte, genere e specie, uno e divisione: essa è oggetto
della sapientia intuitiva e non discorsiva, della suprema, semplice theologia, divi-
nizzante culmine assolutamente unitario della conoscenza progressiva dell’uomo,
mentre oggetto dell’inferiore scientia discorsiva, della physica di angeli e uomini
è appunto la corsa nel creato attraverso la diuisio, le differentiae di genus e

species discernit omnia, uerum iuxta interiores earum rationes et incommutabiles occasiones
principaliaque exempla, in quibus omnia simul sunt et unum sunt. Ibi ergo spiritualis homo iudicat
omnia, ubi omnia unum sunt et uere et immutabiliter uiuunt et subsistunt, et quo omnia, quae ex
primordialibus suis causis profecta sunt reuersura sunt et quorum nihil extra relinquetur tempo-
ralibus mutabilitatibus subiectum seu localibus circumscriptionibus inclusum, quando uniuersitas
naturae super omnia localia et temporalia spatia in causas suas, in quibus omnia unum sunt, finito
sensibili mundo reuertetur. Nam et ipsa loca et tempora cum omnibus, quae in eis adhuc in hac uita
ordinantur et mouentur et circumscribuntur, in suas aeternas rationes redire necesse est » (PP V,
154, 970b-d).
120. « Est igitur reditus et resolutio indiuiduorum in formas, formarum in genera, generum
in ΟΥΣΙΑΣ, ΟΥΣΙΑrum in sapientiam et prudentiam, ex quibus omnis diuisio oritur in eas
que finitur » (PP II, 4-5, 526a-b). Cf. PP II, 12-15, 532a-534d. Sui due movimenti diairetico
(che divide « l’unité des genres les plus universels de haut en bas, jusqu’à ce qu’elle parvienne
aux espèces individuelles ») e analitico (che « part des espèces individuelles et s’oriente vers
le haut ») della dialettica eriugeniana, cf. R. ROQUES, Structures théologiques, in part. p. 355;
J. TROUILLARD, « La notion d’“Analyse” chez Érigène », in Jean Scot Érigene et l’histoire de la
philosophie, p. 349-356, quindi in ID., Jean Scot Érigène, p. 133-151; S. GERSH, « The Structure
of the Return in Eriugena’s Periphyseon », in Begriff und Metapher. Sprachform des Denkens bei
Eriugena, W. Beierwaltes Hrsg., Heidelberg, 1990, p. 108-125.
121. Cf. PP III, 6-7, 621c-d. Illuminante, in proposito, il saggio di S. GERSH, « L’ordo natura-
lis des causes primordiales. La transformation érigénienne de la doctrine dionysienne des noms
divins », Les études philosophiques, 104/1, 2013 = Érigène, p. 57-78, in part. p. 66-72.
208 GAETANO LETTIERI

species122. La scientia divisiva della physica, nella quale significativamente è


collocata la stessa morum disciplina, è quindi subordinata alla sapientia unitiva
della suprema mistica theologia, che vede tutte le divisioni, le differenze, i gradi
dello stesso progresso morale creaturale ricapitolati nell’unità assoluta di Dio, che
appunto corre nella creazione per ritornare o meglio per essere eternamente ritor-
nato – in essa, per essa, con essa – a se stesso123. La theologia è allora il culmine
assolutamente unitario, intuitivo, non discorsivo, mistico-estatico dell’universale
transitus attraverso il quale sono tolti in Dio ordini, differenze e divisioni, quindi

122. PP III, 17, 629a-b. Sulla diuisio gerarchica dell’ousia in genere e specie, quindi sulla cen-
tralità dell’influenza porfiriana in proposito, cf. Ch. ERISMANN, L’Homme commun, p. 237-252;
trovo più problematica la tesi della riduzione dell’individuo eriugeniano a composto accidentale
corporeo (cf. p. 268-279): « Dans une métaphysique de l’un, où l’unité absolue de l’essence
générale est un postulat inconditionnel, l’individuation est restreinte au strict plan corporel… Le
seul élément individuel de la métaphysique universaliste de Jean Scot est l’individu corporé…
L’individuation est pensée par Jean Scot comme corporalisation… Seuls les corps sont réelle-
ment individués » (p. 276-277). In tal senso, l’individuo è definito come « universel concret »
(p. 282) soltanto in quanto incorporato: « Selon Jean Scot, ne sont individués que les corps des
individus, leur essence spécifique et générique étant commune » (p. 282). Si potrebbe obiettare
ad Erismann: « Bien entendu, l’universel néoplatonicien ne se confond pas avec l’abstrait aristo-
télicien » (J. TROUILLARD, « La “Virtus gnostica” selon Jean Scot Érigène », Revue de théologie
et de philosophie, 115, 1983, p. 331-354, quindi in ID., Jean Scot Érigène, p. 165-172, in part.
p. 169). D’altra parte, come pensare, nell’interpretazione di Erismann, pure intelligenze indivi-
duali? E come pensare, allora, l’intero reditus eriugeniano, che afferma la paradossale permanenza
delle individualità (e dell’intero mondo creato) nell’unica, puramente immateriale natura umana
redenta, sprofondata nella dinamica contemplazione del non essere di Dio che infinitamente la tra-
scende? Il paradosso cristiano che Eriugena assume da Origene è che, nello stesso riassorbimento
in Dio Uno, le creature molteplici mantengono la loro individualità intelligente e incorporea:
cf. PP V, 49, 893d-894a. L’assorbimento dell’inferiore nel superiore non comporta, pertanto, il
suo annullamento: « Inferiora uero a superioribus naturaliter attrahuntur et absorbentur, non ut
non sint, sed ut in eis plus saluentur et subsistant et unum sint » (V, 28, 879a). Cf. S. GERSH,
« Omnipresence in Eriugena… »; e P. ARFÈ, « Triplex modus », p. 45. Sul Logos divino come Uno
e molteplice, in quanto causa creatrice della molteplicità dei logoi che sussistono simul distinti
e unificati in lui, cf. MASSIMO IL CONFESSORE, Ambigua ad Iohannem, tr. lat. di Eriugena, II,
1203c-1205c.
123. In PP V, 40-41, 887d-888a, significativamente le eterne causae et substantiae rerum
in Verbo Dei substitutae vengono definite creaturae per sineddoche, in quanto pur essendo
immutabili nel Figlio al di là di qualsiasi determinazione spazio/temporale, comunque sono i
modelli ontologici di tutte le realtà derivate, appunto create: « Quod autem ante omnia tempora
et loca substitutum est, quoniam ultra tempora et loca est, creatura proprie non dicitur, quamuis
modo quodam loquendi sinecdochicos uniuersalitas, quae post deum est ab ipso condita, creatura
uocitetur » (V, 41, 888a). La figura grammaticale della sineddoche rivela, pertanto, la stessa legge
ontologica che dispiega gli esemplari logici divini nelle divise realtà creaturali, per poi ricapi-
tolarle eternamente nel Verbo, quindi in Dio. Il Verbo, inversamente, è egli stesso Sineddoche
assoluta: atto della processione e della conversione della natura divisa, creata in natura identica,
redenta, divinizzata.
LA SUBORDINAZIONE DI AGOSTINO AI PADRI GRECI 209

qualsiasi dualismo o contraddizione, ancora dinamicamente attraversati e inevi-


tabilmente constatati/determinati dalla discorsiva, umana-troppo-umana scientia
physica124.
Abbiamo visto come l’attestato dualismo/materialismo apocalittico di Agostino
venisse spiegato come mera assunzione provvisoria di un condescensionis modus
(cf. PP V, 177, 987a), tolto all’interno dell’allegoria teologica dell’universale
progresso spirituale, idealisticamente culminante nella ricapitolazione dei corpi
nella loro ratio immateriale e di tutti gli uomini, buoni e malvagi (essi stessi eter-
namente eletti, perché creati da Dio immagini intime a se stesso e manifestazioni
di se stesso), nella loro originaria natura ad-immagine: la rappresentazione duali-
stica di corpi dannati eternamente puniti (un doppio grado di contraddizione che
fantasticamente nega la perfezione originaria della semplice immateriale natura
dell’uomo creato da Dio in Dio) era litteraliter accettata, soltanto per essere peda-
gogicamente finalizzata a stimolare il desiderio dell’uomo per la trascendenza,
dischiudendo spiritaliter125 la comprensione progressiva del transitus di tutto il
corporeo, quindi di tutto il male « sensibile/fantastico » nell’intellegibile Bene spi-
rituale126. Corrispondentemente, ritengo che, nella littera escatologica del V libro
del PP, la specie « dannata », seppure riportata nell’Eden, sia distinta da quella
« beata » soltanto provvisoriamente e secondo un condescensionis modus – che
rivela apertamente il principio logico che presiede all’eriugeniano writing between
the lines –, in quanto in realtà già pensata in tensione verso l’eccedenza della
specie « eletta », sicché il genere non potrà non riunificarle identiche nella loro
fruizione assoluta di Dio, che eternamente tutto ha già riunificato in sé, già da
sempre acquietatosi nella sua universale corsa creativa e redentiva.

124. Le argomentazioni di Eriugena « tels qu’ils se fondent sur l’affirmation et la négation du


tout et de la partie (ou du genre et de l’espèce), et de l’ordre, introduisent une notion explicite
de pensée non discursive ainsi qu’un contraste implicite avec sa contrepartie discursive… »
(S. GERSH, « L’ordo naturalis des causes primordiales », p. 68); sicché, uno dei criteri logici
fondamentali del pensiero non discorsivo è identificato con « la suspension du principe de con-
tradiction » (ibid.).
125. Sulla dialettica littera/spiritus restituita come rapporto di transitus (morte/resurrezione)
intellettuale/mistico dalla « materialistica » teologia occidentale alla « spirituale » teologia orien-
tale, cf. M. A. RIGONI, « La lettera e la tomba. Nota su “allegoria” e “simbolo” nel pensiero di
Giovanni Scoto Eriugena », Conoscenza religiosa, 3, 1978, p. 267-285 (il riferimento alla littera
come petra tombale è tratto da HIP 3). Ricordo, comunque, come in ORIGENE, V, I, 1007d-1008c;
V, II, 1023a-1024a, Eriugena potesse leggere un’approfondita e raffinatissima teorizzazione della
necessità di adottare una modalità pedagogicamente prudente e progressiva nella rivelazione del
segreto più profondo della rivelazione, quello dell’assoluta misericordia di Dio rivelata tramite la
grazia di Cristo, quindi dell’escatologica apocatastasi universale; segreto da celare, per non allen-
tare il doveroso lottare contro il male, quindi per non favorire la pigrizia dei semplici; cf. la stessa
argomentazione in VIII, XII, 1198b-c, in riferimento alla conversione escatologica di Israele; e
VII, XVIII, 1150d-1151a.
126. Cf. PP V, 177-178, V, 987b.
210 GAETANO LETTIERI

Abbiamo già evidenziato come, nel V libro, fosse affermato il paradosso


dell’annientamento escatologico del male nella natura umana redenta, male pure
residualmente persistente nel vuoto irreale delle fantasie degli empi: « Mirabili et
ineffabili modo natura omnino libera phantasias sustineat, in quibus culpa quod
deliquerat luat » (PP V, 158, 973b-c). Evidentemente, l’eterna punizione della
volontà cattiva è il suo stesso estinguersi, il suo essere eternamente separata dalla
creatura, liberata dall’irrealtà delle sue immaginazioni corporee, che la memoria
« dimentica » nel suo progresso di indiamento. Il modo ineffabile della punizione
degli empi non sarebbe, in tal senso, la paradossale immanenza del difetto onto-
logico della fantasia perversa all’interno della natura cristificata, ma il suo eterno
« irrealizzarsi », snaturarsi, svanire.
« Nam et praeuaricantium angelorum naturam non punit nec puniturus est, illorum
uero malitiam et impietatem nociuamque potentiam, quemadmodum et malorum
hominum eis adhaerentium, extinguet. Et fortassis illorum erit aeterna damnatio suae
malitiae impietatisque uniuersalis abolitio127. »
Così, in PP V, 175-176, 985b-986a, in prospettiva antiagostiniana, l’inter-
pretazione predestinazionistica di Rom. 9, 21, secondo la quale Dio forma
arbitrariamente vasi d’ira e di misericordia, viene apertamente corretta dall’apoca-
tastatica interpretazione origeniana della redenzione universale delle creature, alle
quali è donata vita e piena resurrezione dalla morte della mente, vanificazione che
si identifica con la massima pena degli empi:
« Et fortassis ipse est sol qui omnibus similiter oritur et pluuia quae similiter super
omnes pluit, generaliter quidem omnibus resurrectionis et uitae gratiam praestans,
specialiter uero in se credentibus non solum mortem carnis, sed etiam mortem mentis,
qua deus ignoratur et quae maxima impiorum poena est, auferens128. »
Il segreto dell’escatologia eriugeniana – prudentemente velato, eppure
traslatamente trasmesso – sarebbe pertanto l’inversione del transitus ermeneutico-
ontologico all’interno della sineddoche – che è la stessa dialettica diuisio naturae
–, che mette in relazione Dio e diuisio, infinito e finito, genere e specie (e indi-
vidui), reditus ed exitus, principio e ordine, natura e grazia129. Se quindi « the

127. PP V, 89, 923-c-d. « Ignorat itaque deus in impiis peccatoribusque quod non fecit, illorum
uidelicet malignos irrationabilisque motus » (PP II, 94, 594b). Sull’escatologica sparizione di
qualsiasi rappresentazione falsa, divinamente annientata dalla rivelazione del Vero assoluto, cf. V,
145, 963c-964a.
128. PP V, 175-176, 985d-986a. Pertanto, con Origene e Gregorio, i vizi si tramuteranno
comunque in virtù. « Saepe etiam penitus ea (uitia dico) extinguunt, saepe in semet ipsas transfun-
dunt, ita ut et uitia in uirtutes uertantur » (PP V, 156, 972a).
129. Sulla centralità ontoteologica (quindi teologica, ontologico-creativa ed escatologica) della
nozione di transitus, cf. W. BEIERWALTES, Eriugena. Grundzüge seines Denkens, Frankfurt am
Main, 1994, tr. it. Eriugena. I fondamenti del suo pensiero, Milano, 1998, p. 76-82; p. 365-369. La
nozione di transitus è assolutizzata nella stessa trascendenza infinita di Dio rispetto al protendersi
infinito delle creature: « L’essere-in-sé di Dio rimane un “transitus” che trascende anche l’ultimo
LA SUBORDINAZIONE DI AGOSTINO AI PADRI GRECI 211

theme of grace is the culmination of the reditus specialis130 », il riassorbimento


delle differenze di meriti, gradi di perfezione, specie dei beati e dannati, quindi il
riassorbimento della grazia (e delle due specie) nella natura (nell’unico genere) è
il culmine del reditus generalis, nel quale l’altro reditus è ricapitolato.

VII. – IL REDITVS DELL’EPEKTASIS GREGORIANA:


FINITEZZA DEL MALE E CONVERSIONE UNIVERSALE IN DIO INFINITO

Nella sua massiccia collazione di auctoritates patristiche, Eriugena ha comun-


que a disposizione una dottrina capace di fungere da vera e propria macchina
allegorica dell’irriducibile opposizione escatologica beati/dannati, ultimo residuo
del dualismo apocalittico-agostiniano tra eletti e reietti, non avendo la nozione
agostiniana di predestinata elezione non universale alcuno spazio, né alcuna credi-
bilità nel pensiero di Eriugena. Si tratta della dottrina gregoriana dell’epektasis, che
non a caso viene sistematicamente chiamata in causa per descrivere il progresso
infinito delle creature beate e deificate, quindi per articolare il reditus specialis.
Litteraliter, la dottrina dell’epektasis parrebbe limitare soltanto ai beati il reditus
specialis; d’altra parte, essa veicola l’aperta affermazione (neoorigeniana) della
finitezza del male e della conversione universale di ogni intelligenza creata, rapita
nel progresso infinito del desiderio e della conoscenza sempre ulteriore di Dio
eccedente131. In particolare, in un decisivo excursus in PP V, 81-87, 917a-922a,
Eriugena cita un lungo passo dal De Hom. Op. (cap. XXII) di Gregorio di Nissa,
ove ricorrono alcune affermazioni strategiche che contrappongono, all’infinità del
movimento che tende il desiderio e l’intelligenza in Dio infinito, proprio la finitezza
del male, che non è in grado di contenere, appagare, esaurire il dinamismo appe-
titivo dell’intelligenza132. Queste profonde affermazioni gregoriane vengono fatte
proprie da Eriugena, che afferma la necessaria finitezza del male e la redenzione

“transitus” dell’uomo verso Dio: “transis ab eis incomprehensibili excelsitudine et infinitate


essentiae tuae” (PP V, 211, 1010d) » (80).
130. P. ARFÈ, « Triplex modus », p. 41.
131. Cf. D. ANSORGE, Johannes Scottus Eriugena: Wahrheit als Prozess. Eine theologische
Interpretation von „Periphyseon“, Innsbruck – Wien, 1996; cf. H. A.-M. MOONEY, « Infinitus
enim infinite, etiam in purgatissimis mentibus formatur: die Struktur der Begegnung mit dem
unendlichen Gott nach Johannes Scottus Eriugena », in History and Eschatology, p. 463-486, in
part. p. 482-486.
132. « “Sed non sic est fortis malitia ut bonitatis uincat uirtutem… Conversibile nostrae naturae
non in malo fixum manet. Quod enim semper omnino mouetur, si quidem ad bonum processionem
habuerit, propter eximietatem rei perquirendae nunquam desinet ab ipso qui sursum est meatu. …
Nam dum malitia in infinitum non progrediatur, sed necessariis finibus comprehenditur, conse-
quenter boni successio finem malitiae excipiet” » (GREGORIO DI NISSA, De Hom. Op. 22, cit. in
PP V, 81, 917a-c).
212 GAETANO LETTIERI

universale della natura133; ma, soprattutto, riconosce che persino nel desiderio
malvagio sia contraddittoriamente operante il desiderio di Dio, inalienabile dalla
natura razionale134. Non si dà insomma redenzione della natura senza redenzione
della volontà, del suo desiderio intellettuale, che toccato l’estremo limite finito del
male, non può che riconvertirsi nel desiderio ulteriore di Dio135, sostituendo quindi
alle rappresentazioni perverse delle fantasie sensibili le progressive conoscenze
estatiche, sempre congetturali e inadeguate, dell’Infinito, che pure le genera nel
suo donarsi teofanico136. Se Eriugena cita l’auctoritas gregoriana che afferma
apertamente la finitezza del desiderio del male e la sua necessaria conversione
in desiderio di Dio, egli non può non pensare che tutta la natura umana non si
limiterà ad essere salvata, ritornando nel paradiso, ma si convertirà nel desiderio
ardente di nutrirsi perfettamente dell’albero della vita, cioè delle teofanie infinite
dello stesso Verbo137. Pertanto, la dottrina dell’epektasis consente l’affermazione

133. Cf. PP V, 82, 918a-b. Cf. DP 18, 143: « Non enim sinitur alicuius malitia in infinitum,
prout uelit, extendi, diuinis legibus progrediendi modum imponentibus. » Ricordo come, in PP III,
684a, 92, si affermi che il uerbum incarnatum discende per ricondurre alla visione beatifica la
totalità della natura umana, « delictorum uulnera sanans, falsarum phantasiarum umbras extin-
guens, oculos mentis aperiens »; pare qui apertamente affermata l’escatologica volatilizzazione
delle stesse false/colpevoli fantasie degli empi, ai quali verrà aperto l’occhio della mente. Cf. I,
95-96, 511b, ove si legge che, con la « purgatio ipsius naturae … sola bonitas in omnibus et
apparebit et regnabit et uniuersaliter peritura malitia ». Su Dio come universalis amor, potenza di
riunificare in se stesso la totalità della natura creata, che ritorna a lui operata dalla sua stessa intel-
lettiva causa assoluta, cf. I, 106-107, 519d-520a. La finitezza del male era già stata limpidamente
affermata in DP 18, 434a-b: « Non enim sinitur alicuius malitia in infinitum, prout uelit, extendi,
diuinis legibus progrediendi modum imponentibus. » Cf. M. CRISTIANI, « La notion de loi dans le
De praedestinatione de Jean Scot », Studi medievali, 17, 1976, p. 81-114.
134. « Tota siquidem rationalis creatura, quae proprie in hominibus subsistere intelligitur, etiam
in delictis suis peruersisque anfractibus deum suum, a quo est et ad quem contemplandum con-
dita est, semper quaerit. Rationabilis quippe natura nunquam malum appetit » (PP V, 83, 919a).
« Ipsum [Deum] enim omnia appetunt » (PP I, 17, 451d).
135. « Nam in ratione adunationis hoc semper obseruari necessarium est ut quod inferius esse
uidetur in id quod superius, hoc est melius, moueatur » (PP II, 14, 534a).
136. « Quaereris enim ab eis semper, et semper inueniris et non inueniris. Semper inueniris
quidem in tuis theophaniis, in quibus multipliciter, ueluti in quibusdam speculis, occurris menti-
bus intelligentium te eo modo quo te sinis intelligi, non quid es, sed quid non es et quia es. Non
inueniris autem in tua superessentialitate, qua transis et exsuperas omnem intellectum uolentem
et ascendentem comprehendere te. Ministras igitur tuis praesentiam tuam ineffabili quodam
modo apparitionis tuae, transis ab eis incomprehensibili excelsitudine et infinitate essentiae tuae »
(PP V, 210-211, 1010 C-D). Cf. V, 83-84, 919 C.
137. « Proinde ipso irrationabili motu (qui totius mali et malitiae et causa et plenitudo est)
bonitatis amplitudine circumscripto penitusque terminato, rationabiliter secundum insitas sibi
naturales uirtutes humana natura mouebitur sursum uersus erecta, causam suam semper appetens
et in paradisum (delicias dico uirtutum quas naturaliter sibi insitas peccando perdiderat) rediens,
escamque ligni uitae (dei uidelicet uerbi contemplationem) ardenter desiderans, diuinaeque
imaginis (ad quam facta est) dignitatem recipere festinans. Sed quoniam quod quaerit et appetit,
LA SUBORDINAZIONE DI AGOSTINO AI PADRI GRECI 213

del contenimento del male nella finitezza e la conversione universale della natura
intellettuale e del suo desiderio amoroso nell’infinità di Dio. Ove non pare affatto
esservi luogo per la differenza tra ontologico reditus generalis e graziato/deificante
reditus specialis, in quanto è qui esplicitamente affermata non soltanto l’univer-
sale conversione ontologica, ma la stessa progressiva unificazione del desiderio
intellettuale della totalità delle creature. Pertanto, se certo Eriugena sottolinea la
modalità diversificata, progressiva, ascensiva con la quale l’intelligenza angelica
e umana contempla, filosofando, la verità ontologica delle divine primordiales
causae138, comunque essa è relativa al dispiegarsi « storico » del reditus, ma dovrà
essere pensata eternamente riunificata e simultaneamente perfezionata nella fru-
izione escatologica donata alla totalità degli intelletti redenti, divenuti partecipi
dell’assoluta, metaontologica semplicità dell’Uno.
In tal senso, mi pare non sia mai stata evidenziata una cogente corrispondenza
tra la distinzione o meglio lo scarto tra a) reditus specialis e b) reditus generalis da
una parte e, dall’altra, quello tra a) conoscenza/prospettiva divisiva, spazio-tempo-
rale139 dell’intelligenza umana e b) conoscenza/visione unitiva dell’assolutamente
semplice, eterna, eccedente intelligenza divina, sulla quale – a partire da alcune
limpide affermazioni di Eriugena140 – tra gli altri Gersh141, Stock142, D’Onofrio143
hanno fortemente insistito. Ritengo, infatti, che il reditus specialis (all’interno del
quale il deificante destino escatologico dei beati è dualisticamente differenziato
rispetto al penale/fantasmatico destino escatologico degli empi) sia « visibile »

dum recte mouetur uel non recte, infinitum est omnique creaturae incomprehensibile, necessario
semper quaeritur ac semper mouetur per hoc quod quaerit, mirabilique modo quodammodo quod
quaerit inuenit, et non inuenit, quia inueniri non potest » (PP V, 83, 919b).
138. Cf. PP III, 13, 626a-b.
139. Cf. G. D’ONOFRIO, « I loci della mente », p. 161-184, sull’interpretazione eriugeniana del
locus logico, distinto dalla spatium (relativo a un’estensione corporea misurabile).
140. Cf. PP 525b-c.
141. Cf. S. GERSH, « Omnipresence in Eriugena », p. 59-63, ove si insiste sul principio della
« subjective multiplication » (p. 60) della trascendente unità divina che si rende immanente nelle
sue creature, e p. 66-73, ove tra l’altro si evidenzia la mediazione cristologica della dialettica
reciproca tra onnipresente creatrice/redentrice unità divina e molteplicità creaturale.
142. « Division is more a matter of human language than divine intentions… » (B. STOCK, « In
Search of Eriugena’s Augustine », in Eriugena. Studien zu seinen Quellen, W. Beierwaltes Hrsg.,
Heidelberg, 1980, p. 85-104, in part. p. 90).
143. « …La verità ultima della diuisio universitatis risiede più nella strutturazione organica
del modo di essere e di operare del soggetto che conosce che non in quella reale dell’oggetto
conosciuto… Conoscere le res significa dunque unificarle, mentre ignorarle equivale a dividerle;
e inversamente, se riunirle intellettualmente è conoscerne la vera natura, dividerle vuol dire
perdere di vista la loro autentica verità, che è intellettuale e reale a un tempo » (G. D’ONOFRIO,
« “Cuius esse est non posse esse”. La quarta species della natura eriugeniana tra logica, metafisica
e gnoseologia » in History and Eschatology, p. 367-412, p. 391 e p. 396-397).
214 GAETANO LETTIERI

soltanto nella prospettiva umana, divisiva e ancora contingente, in quanto spazio-


temporale, definitoria, specificante/differenziante. Dio, al contrario, non può che
« vedere » il reditus generalis, la redenzione universale della natura umana ricon-
ciliata nella sua propria infinita eccedenza, nella quale coincidono immobilmente
ed eternamente principio e fine144, prima e quarta divisione della natura, quindi
Dio e sua totalità teofanica nel Verbo145.
Pertanto, tenendo presente la capitale differenza tra uisio Dei e uisio homi-
nis, è possibile ordinare le diverse teorie escatologiche patristiche secondo uno
schema discensivo, che ovviamente impone la conversione, quindi l’inversione
della sopravvenuta divisione umana nell’eccedente riunificazione in Dio:
a) Apocatastasi origeniana: l’apocatastasi restituisce la realtà dalla prospettiva
dell’eterna uisio Dei, rivelando la natura come tutta riconciliata; essa può essere
attinta soltanto sprofondandosi nella tenebra divina, intuendo l’assoluto, sorgivo
non esse, estaticamente, cioè al di là di qualsiasi determinazione di spazio, tempo,
concetto, genere, specie. b) Epektasis gregoriana: l’epektasis coincide con il
transitus allegorico, l’innalzarsi alla prospettiva dello Spiritus che toglie la lit-
tera, rendendola effimera, trascendendola nel vortice universale del dinamismo
infinito, da Dio stesso teofanicamente attivato: è quindi processo di mediazione
e conversione della morte in vita, della molteplicità in unità, dello spazio/tempo
nell’eterno, del corporeo in puro Spirito, di qualsiasi residuo di male in assoluta
riconciliazione misericordiosa, della determinazione creaturale nell’infinita inde-
terminazione divina, della divisione delle nature nell’unica Natura assoluta, quindi
di ogni dualismo in apocatastasi. c) Dualismo elettivo-escatologico: qualsiasi
dualismo residuo, persino quello che distingue le due specie di beati e dannati nel
reditus specialis, è pertanto interpretato come transitoria littera occidens, come
uisio hominis, che inevitabilmente moltiplica, divide, spazializza/temporalizza l’i-
narrestabile processo di reditus, di riconversione, cristologicamente mediato, del
tutto nell’Uno, processo già unitariamente compiuto nell’apocatastatica perfetta,
eterna unità del non esse divino nel quale e dal quale la creaturalità discende,
dipende, riceve cristologicamente l’infinità delle teofanie. Se, allora, il reditus,
l’ἀνάλυσις ontologica eriugeniana è non soltanto un processo di redenzione

144. « Non aliud esse principium aliud finem, sed unum et id ipsum » (PP V, 48, 892d).
Sull’immobilità perfetta della realtà ricapitolata in Dio, che quindi esclude movimento di pro-
gresso e differenza di gradi, cf. I, 49, 476b: « Participatio siquidem et inchoari et augeri minui que
potest, donec mundus iste ad finem suae stabilitatis in omnibus perueniat, post quem nec essentia
nec accidens nec eorum inter se inuicem participatio ullum motum patietur. Omnia enim unum et
id ipsum immobile erunt, quando in suas immutabiles rationes omnia reuersura sunt »; « Et haec
omnia [la totalità delle creature] deo copulabuntur, ita ut unum sint » (II, 26, 543c-d).
145. Cf. PP I, 20-21, 454b-d; II, 6-7, 527a-528b.
LA SUBORDINAZIONE DI AGOSTINO AI PADRI GRECI 215

delle creature, ma l’eterno trinitario e cristologico tornare in sé di Dio146, com’è


possibile che non tutto torni perfettamente nelle sue cause, com’è possibile che il
reditus generalis nel quale Dio stesso si compie eternamente ospiti la dissonanza
contingente dell’imperfetto reditus specialis dei dannati, che renderebbero imma-
nente in Dio il resto – non analizzato, non risolto – di una materiale, fantasmatica,
irredenta illusione?
Interpreto, pertanto, la distinzione eriugeniana tra reditus generalis e reditus
specialis come un tattico cedimento alla dominante « logica equina147 », di fatto
corrispondente alla teologia dualistica latina e agostiniana, più (dualismo eletti/
reietti) o meno (dualismo beati/dannati) radicalmente assunta. Essa è qui ospitata
soltanto come verità pedagogica e provvisoria, tombale littera relativizzata e tolta
nella superiore prospettiva spiritalis della uisio Dei, che non conosce, quindi non
accoglie ontologicamente alcun male, alcuna imperfezione, alcuna alienante dif-
ferenza nella natura umana e nelle volontà individuali nelle quali essa si dispiega;
natura umana che, in Cristo, Dio riunifica perfettamente nella sua eterna infinità,
al di là di qualsiasi grado provvisorio di partecipazione diversa148.

146. « L’analyse n’est donc pas seulement un processus ontologique, mais pour ainsi dire
théogonique, puisqu’elle consomme la déification des esprits et puisque Dieu se crée lui-même en
eux à travers une manifestation ainsi consacrée. Elle est à la fois transfiguration de toutes choses
en Dieu et pour la Déité passage de la négation à l’affirmation dans un univers devenu verbe
divin » (J. TROUILLARD, « La notion d’“Analyse” », p. 137).
147. L’espressione, ispirata dagli swiftiani Gulliver’s Travels, è proposta da L. STRAUSS,
« Persecution and the Art of Writing », Social Research, 8:1/4, 1941, p. 488-504, per designare
il pensiero dominante acriticamente accettato e imposto condannando/perseguitando il dissenso,
rispetto al quale l’innovatore è costretto ad assumere una strategia di comunicazione sdoppiata:
essa finge di adottare il luogo comune, scartando rispetto ad esso e insinuando, tra le righe, verità
eversive, esoteriche, pericolose, attingibili unicamente da parte di intelligenze libere, capaci di
leggere in profondità. Prescindendo dalla leggenda, riportata da Guglielmo di Malmesbury, della
morte di Eriugena per mano di confratelli/discepoli terrorizzati dalle sue eresie, non si dimentichi
che, nel 1210, quindi con la lettera del 1215 di Onorio III, il PP verrà condannato al rogo, ed
eventuali possesso e lettura dell’opera verranno proibiti con la minaccia della pena di morte.
148. Cf. G. D’ONOFRIO, « “Cuius esse est non posse esse” », p. 400. Ma Dio, allora, potrà cono-
scere le fantasie frustrate dei dannati, nel suo assoluto, puro, unitario atto intellettuale, nel quale
tutta la natura creata è eternamente redenta? In tal senso, ribadire che i dannati « continueranno,
come hanno fatto in vita, a soffermarsi su falsae phantasiae o aspetti particolari della verità, senza
riuscire ad elevarsi ad una comprensione globale del vero » (p. 405; cf. p. 406-409), mi pare essere
una contraddittoria fissazione letterale sul dettato estrinseco eriugeniano, del tutto incoerente
rispetto alla spirituale comprensione della visione di Dio, di cui i beati hanno in dono l’eterna
partecipazione, come atto puramente unitario, perfetto, eterno, universalmente predestinante.
216 GAETANO LETTIERI

Pertanto, si potrebbe interpretare la stessa dottrina dell’epektasis (con la quale


sempre Eriugena descrive il reditus specialis) come sineddoche ontologica
che determina la conversione dell’exitus nel reditus, cioè come riassorbimento
della specie finita del male nella specie infinita del bene, che proprio in quanto
infinita, interminata, coincide con il genere universale della Natura teoandrica.
Nel progresso infinito, pertanto, il finito (il corporeo, il male) si trasfigura: la
fantasia sensibile si dissolve convertendosi in conoscenza intellettuale, il tempo
si sporge nell’eterno, risucchiato nella sua eccedenza, le specie sono fluidificate
nel dinamismo del transitus proprio dell’intero genere, la differenza è tolta in uni-
versale identità creaturale sprofondata nella tenebra divina149. Assumendo come
principio fondativo della realtà quello dell’« incarnazione » del divino nell’umano,
questo perde la sua alienante « fissità », per potere essere paradossalmente assunto
– impossibilità possibile all’onnipotenza di Dio150 – nell’unità di Dio, che in sé

149. « Lo spazio e il tempo più che un modo di essere oggettivo della realtà sono le necessarie
condizioni a priori in cui è realizzabile per la mente la conoscibilità di qualsiasi oggetto. Anche
Dio, dunque, per essere in qualche modo pensabile pur nella sua assoluta indeterminabilità con-
cettuale, deve essere da noi collocato entro parametri spazio-temporali » (G. D’ONOFRIO, Storia
della teologia. II: Età medievale, Casale Monferrato, 2003, il cap. « Giovanni Scoto Eriugena »,
p. 94-111, in part. p. 102). Secondo questi presupposti, dispiegare la pienezza escatologica nella
progressione temporale e nella divisione spaziale di luoghi/gradi di partecipazione all’intimità
divina significa vederla, rappresentarla in prospettiva solamente umana, comunque infinitamente
trascesa dalla semplicissima, unitaria, ineffabile e umanamente negativa prospettiva divina.
Sull’eccedenza mistica del nulla divino, cf. D. F. DUCLOW, « Divine Nothingness and Self-Creation
in John Scotus Eriugena », The Journal of Religion, 57, 1977, p. 109-123; R. SCHMITZ-PERRIN,
« “Θέωσις hoc est deificatio”. Dépassement et paradoxe de l’apophase chez Jean Scot Érigène »,
Revue des sciences religieuses, 72, 1998, p. 420-445; G. ZUANAZZI, « Dire l’indicibile. Negazione
e trascendenza nel Periphyseon di Giovanni Scoto Eriugena », Acta Philosophica, 12, 2003,
p. 89-121, in part. p. 116-120, che pure si chiude tentando una (a mio avviso fuorviante) concor-
danza tra l’epektasis gregoriana e « il motivo agostiniano del quaerere/invenire Deum ».
150. « L’adesione dell’intelligenza alla verità spirituale della rivelazione, al di là della super-
ficie ancora corporea della littera, porta invece a compimento il preannunciato capovolgimento
dei princìpi della logica creaturale. Con l’attuarsi della conoscenza teologica che rivela potenza
e volontà del Creatore, ciò che è incomprensibile diviene in qualche misura comprensibile; e
ciò che è impossibile diviene possibile… La quarta species naturae è una realtà naturalmente
“impossibile”, ma teologicamente “possibile” » (G. D’ONOFRIO, « “Cuius esse est non posse
esse” », p. 367-412, in part. p. 382 e 386). Interessante, indipendentemente dalle sue forzature
heideggeriane, il saggio di E. FALQUE, « Jean Scot Érigène : la théophanie comme mode de la
phénoménalité », Revue des sciences philosophiques et théologiques, 86, 2002, p. 387-421: la
teofania è interpretata con Eriugena come grido di Dio che chiama a sé la totalità della creatura
umana (cf. GIOVANNI SCOTO ERIUGENA, Commentarius in Evangelium Iohannis, I, 27, 300d),
quindi come modalità rivelativa che dischiude l’apofatica tenebra divina in eterna, amorosa
« ambition de visibilité », di manifestazione creativa e redentiva dell’umanità. Ove il grido di Dio
non è suasivo appello, ma eterno, onnipotente atto di creazione/conversione della totalità della
creatura in Dio.
LA SUBORDINAZIONE DI AGOSTINO AI PADRI GRECI 217

ricapitola la totalità del molteplice, che eternamente vede, crea e redime, nella
quale e con la quale infinitamente corre e ritorna in sé151.

VIII. – CONCLUSIONE – IL TRANSITVS PATRISTICO


Quella dell’epektasis è, insomma, la più dialettica delle dottrine patristiche,
consentendo il transitus del dualismo neoapocalittico agostiniano e latino (più
o meno radicale) nel monismo apocatastatico origeniano e greco, proiettandosi
nel culmine apofatico dionisiano152. L’escatologia eriugeniana, compimento della
sua teologia, può quindi essere definita come una metafora speculativa153, che
fa passare la rivelazione di grazia nella conoscenza dell’unica eterna natura di

151. « Non enim aliud est Deo currere per omnia quam uidere omnia; sed sicut uidendo, ita et
currendo fiunt omnia » (PP I, 19, 452d). La corsa creativa/redentiva di Dio è quindi l’eterno movi-
mento di Dio a se ipso in se ipso ad se ipsum (I, 19, 453a), identificato con lo stesso immobile
propositum della sua voluntas predestinante, che crea la totalità della natura perché esse « torni »
a sussistere in lui, nella quale soltanto essa ha realtà: « Deus ergo currens dicitur non quia extra se
currat, qui semper in se ipso immutabiliter stat, qui omnia implet, sed quia omnia currere facit ex
non existentibus in existentia. »
152. Non a caso, in PP V, 84-85, 919d-920c, Eriugena conclude la descrizione della dottrina
gregoriana dell’epektasis con una lunga citazione dal De mystica theologia dello Pseudo-Dionigi.
Cf., in PP III, 101-102, 690b-c, l’interpretazione dell’ermeneutica biblica come infinito processo
teofanico, quindi come allegoria infinita all’interno della quale tutte le diverse interpretazioni
patristiche, ispirate dallo Spirito Santo, si ricompongono dinamicamente. In PP III, 101-102,
690b-c la libertà nei confronti delle interpretazioni teologiche dei Padri (e in particolare di Agostino
stesso) è originalmente fondata sulla stessa interpretazione agostiniana dello Spirito come capace
di accendere infiniti sensi del testo scritturistico (comunque tutti veri, compossibili e concordati
dalla stessa Verità divina), forse non tutti previsti dallo stesso autore sacro, nelle menti degli
interpreti umani (cf. AGOSTINO, Conf. XII, 30, 41-32,43). Di fatto, il metodo ermeneutico patri-
stico di Eriugena prevede la libertà di innovare/approfondire rispetto ai Padri, come di seguirne
alcuni per abbandonarne altri. Sull’originalità dell’ermeneutica biblica e patristica eriugeniana,
quindi sul suo scartare rispetto al modello agostiniano, cf. W. OTTEN, « The Pedagogical Aspect of
Eriugena’s Eschatology: Paradise between the Letter and the Spirit », in History and Eschatology,
p. 509-526. Più in generale, cf. l’eccellente tesi di dottorato, di prossima pubblicazione, di
A. CAVALLINI, Divina scriptura mundus est intellegibilis. L’ermeneutica biblica nel pensiero di
Giovanni Scoto Eriugena, Salerno, 2011, in part. il cap. IV, « La concezione eriugeniana della
Scrittura », p. 125-159. Rimando, infine, al volume collettaneo John Scottus Eriugena. The Bible
and Hermeneutics, G. van Riel – C. Steel – J. McEvoy eds., Leuven, 1996.
153. Giovanni Scoto utilizza il termine metaphora come sinonimo di translatio: cf. I, 19, 453b;
I, 27, 458c; I, 31, 461c; I, 86, 504a; I, 97, 512d; III, 77, 673a. Se il linguaggio teologico dice
Dio soltanto metaforicamente, translative e mai proprie (cf. PP I, 29, 460c; I, 109, 522a-b; II,
86, 588c), il movimento traslativo, allegorico del reditus escatologico non può che coincidere
con la propria, perfetta, immobile unità apocatastatica, cui approda il correre metaforico di Dio
attraverso le creature che ritornano in lui (cf. PP I, 19, 453a-b).
218 GAETANO LETTIERI

Dio154, quindi come un transitus allegorico ermeneutico-patristico, ove la dura lit-


tera dualistica agostiniana (seppure spiritualizzata nella distinzione tra universale
reditus generalis e non universale reditus specialis) è relativizzata, allegorizzata,
infine tolta nella spiritalis epektasis gregoriana, il cui dinamismo approda all’apo-
catastasi origeniana, culminante nella mistica tenebra apofatica dionisiana: vertice
estatico dell’infinito vortice ascensivo di tutte le differenze delle creature, riunifi-
cate nell’universale, teofanica partecipazione cristologica all’eccedenza meontica
dell’abisso di Dio.
Gaetano LETTIERI
Sapienza Università di Roma

154. Seppure forse troppo radicale è da segnalare il bilancio di C. RICCATI, « Processio » et


« explicatio ». La doctrine de la création chez Jean Scot et Nicolas de Cues, Napoli, 1983, p. 275:
« L’accord de la religion et de la philosophie, de la foi et de la raison, est en vérité dans le sens
d’une réduction du premier terme au deuxième… Ce qui n’est pas accepté c’est une philosophie
qui n’avance pas jusqu’aux conclusions extrêmes, c’est-à-dire jusqu’à l’apophatisme en tant que
sommet d’une démarche intellectuelle qui ne voit dans la religion positive qu’un point de départ
métaphorique. Les exigences spéculatives, chez l’Érigène comme chez le Cusain, absorbent les
exigences religieuses. »
Pour une cartographie des thèmes
et des contextes de réception
du Corpus Dionysiacum dans l’Occident latin
L’étude d’un thème vaste et complexe tel que la réception de l’œuvre du
pseudo-Denys l’Aréopagite en Occident pendant le Moyen Âge exigerait au
moins une thèse de doctorat. L’étude seule de l’historiographie relative à la for-
tune latine du Corpus Dionysiacum, même limitée aux seules contributions les
plus récentes, exigerait davantage que les limites imposées au présent article.
Toutefois l’intérêt toujours vif parmi les savants pour les contours de cette récep-
tion mérite aujourd’hui une tentative de synthèse, bien que limitée et partielle.
Des nombreuses contributions ont étés consacrées à plusieurs cas de réception du
Corpus dionysien parmi les auteurs latins médiévaux. Pendant les deux dernières
décennies, des colloques et des recueils d’essais ont été dédiés spécialement à
la réception du pseudo-Denys, ce qui montre tout l’intérêt pour la question et
inaugure une période de renouvellement des études dionysiennes, produisant des
progrès importants sur l’état de la question.
Ce renouvellement, à partir des années 90 du XXe siècle, a été inauguré par un
colloque international qui s’est déroulé en deux temps : la première partie a été
organisée par Evanghelos Moutsopoulos à Athènes en 1993 et visait la philosophie
du pseudo-Denys1 ; la deuxième partie, organisée par Ysabel de Andia, à Paris en
septembre 1994, et intitulée « Denys l’Aréopagite et sa postérité en Orient et en
Occident », touchait aussi, entre autres sujets, la réception de l’œuvre et de la pen-
sée pseudo-dionysiennes2. Parmi les trente-trois contributions publiées dans les
actes du colloque de Paris, dont une large partie s’est révélée fondamentale pour le
progrès des études dionysiennes, sept ont été consacrées à la réception de Denys
en Occident. Quelques d’années plus tard, un autre colloque, organisé à Sofia en

1. Philosophie dionysienne, E. Moutsopoulos éd., Athènes, 1994, Diotima. Epitheoresis philo-


sophikes ereunes / Revue de recherche philosophique, 23, 1995, p. 9-142.
2. Denys l’Aréopagite et sa postérité en Orient et en Occident. Actes du colloque international,
Paris, 21-24 septembre 1994, Y. de Andia éd., Paris, 1997.
220 ERNESTO MAINOLDI

avril 1999, dans le cadre des colloques annuels de la Société internationale pour
l’étude de la philosophie médiévale, se concentrait en particulier sur la réception
du pseudo-Denys au Moyen Âge3. Ici, sur les dix-sept contributions, treize étaient
consacrées à la réception latine. Ensuite, une série de contributions consacrées à
l’Aréopagite et à sa réception étaient publiées en octobre 2008 dans une parution
monographique de la revue Modern theology, sous le titre Re-Thinking Dionysius
the Areopagite. Ce recueil proposait une mise au point sur l’état des études diony-
siennes et remarquait l’actualité d’une reprise de l’intérêt pour le pseudo-Denys,
que Sarah Coakley, dans son introduction, définissait comme « current Dionysian
revival ». On ne peut qu’être d’accord avec cette remarque, en considérant
qu’en 2010 un colloque, organisé à Tours par le Centre d’études supérieurs de la
Renaissance, dont les actes viennent de paraître, essayait de faire le point – pour
la première fois – sur la réception du pseudo-Denys à la Renaissance4. On ne peut
pas non plus oublier de mentionner la parution en 2013 de l’étude monographique
de Dominique Poirel consacrée au Commentaire de Hugues de Saint-Victor sur la
Hiérarchie céleste du pseudo-Denys, où la réception latine du Corpus aréopagi-
tique du IXe au XIIe siècle a été aussi largement abordée5. Enfin, deux essais sur la
réception de Denys chez Albert le Grand et Thomas d’Aquin, et un autre qui offre
une récapitulation sur la quaestio Dionysiaca6, sont également parus, en 2013,
dans un volume consacré au néoplatonisme chrétien de Documenti e Studi, revue
d’histoire de la philosophie médiévale de la Scuola Normale Superiore de Pisa.
Sur la base de ces parutions, nous pourrions donc affirmer avoir à notre dispo-
sition une remarquable série d’essais récents consacrés à plusieurs épisodes de
la réception du pseudo-Denys dans l’Occident médiéval, et ceci nous inviterait
à tracer les lignes d’une synthèse générale. Toutefois, il ne sera pas question de
résumer ici les différentes et multiples issues de l’historiographie, ou de chercher
à tirer des conclusions à propos des nombreuses perspectives à travers lesquelles
le pseudo-Denys a été lu, cité, interprété et utilisé par les auteur du Moyen Âge

3. Die Dionysius-Rezeption im Mittelalter. Internationales Colloquium in Sofia vom 8. bis 11.


April 1999 unter der Schirmherrschaft der Société Internationale pour l’Étude de la Philosophie
Médiévale, T. Boiadjiev – G. Kapriev – A. Speer Hrsg., Turnhout, 2000. Dans une contribution
d’Edward P. Mahoney publiée dans ce volume sous le titre « Pseudo-Dionysius’s Conception of
Metaphysical Hierarchy and Its Influence on Medieval Philosophy », on lit, aux p. 429-430, un
bref aperçu sur les études consacrées à la réception du pseudo-Denys avant les années 90 ; on peut
aussi mentionner le résumé du status quaestionis dans les prolégomènes du premier volume des
Dionysiaca, Ph. Chevalier et al. éd., Brügge, 1937.
4. Le Pseudo-Denys à la Renaissance. Actes du colloque de Tours, 27-29 mai 2010,
Ch. Trottmann – S. Toussaint éd., Paris, 2014.
5. D. POIREL, Des symboles et des anges : Hugues de Saint-Victor et le réveil dionysien du
XIIesiècle, Turnhout, 2103.
6. P. PODOLAK, « Platonismo, teologia cristiana e fioritura apocrifa alle soglie dell’età bizantina:
il caso dello ps. Dionigi Areopagita », Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale, 24,
2013, p. 1-30.
LA RÉCEPTION DU CORPVS DIONYSIACVM EN OCCIDENT 221

latin : notre but sera de proposer une esquisse générale sur la circulation médiévale
des grands thèmes dionysiens, et, à partir de là, de mettre en évidence les points
les plus remarquables, ou bien problématiques, de cette réception, dans l’esprit
de contribuer à une future reconstruction de plus grande portée et surtout plus
détaillée.

I. – TRADUCTIONS ET COMMENTAIRES DU PSEUDO-DENYS


DU MOYEN ÂGE À LA RENAISSANCE

Le nombre de traductions latines de Denys témoigne sans doute d’une fortune


tout à fait étonnante. On compte sept traductions intégrales du Corpus, réalisées
entre le IXe et le XVIe siècle: Hilduin de Saint-Denis l’a traduit en 832, suivi par
Jean Scot Érigène, qui l’a retraduit dans une première version entre 862 et 866,
et dans une seconde, améliorée, peu d’années après ; Jean Sarrazin a traduit le
Corpus en 1167, en révisant la version érigénienne. Un siècle plus tard, en 1235,
ce sera le tour de Robert Grosseteste, puis encore d’Ambrogio Traversari en 1436,
de Marsilio Ficino en 1492 et enfin, en 1536, de Joachim Périon. Angelo Colozio
réalisa l’editio princeps du texte grec à Florence en 1516. Une deuxième édition
du texte grec sera accomplie par Guillaume Morel (1562), et celle-ci servira de
base à quatre autres traductions latines, parues entre 1615 et 1634, tandis qu’à
partir du panégyrique de Michel Syncelle, trois autres traductions latines paraî-
tront entre 1546 et 1662. Aux sept traductions médiévales et renaissantes, il faut
donc ajouter sept autres versions latines réalisées au XVIIe siècle7. L’apparition de
l’imprimerie ne faisait que multiplier cet intérêt extraordinaire : entre la fin du XVe
et le XIXe siècle, le Corpus Dionysiacum a été l’objet de cent quarante éditions.
Pour le seul XVIe siècle, on en compte quatre-vingt-onze, presque une par an.
En plus des traductions, il faut compter un grand nombre de commentaires,
qu’ils portent sur le Corpus entier, ou, plus souvent, sur l’une des œuvres qui
le composent ; le premier essai d’interprétation d’une œuvre pseudo-dionysienne
étant constitué par les Expositiones in Ierarchiam coelestem de Jean Scot Érigène,
œuvre qui a aussi servi à la préparation de la deuxième version du Corpus par
le même maître irlandais8. Après Érigène, il faudra attendre deux siècles pour
voir renouveler l’intérêt pour le texte dionysien. En effet, aux Xe et XIe siècles,
on n’enregistre aucun commentaire dionysien, et on ne connaît que très peu de
citations du Corpus ; c’est justement cette période que Dominique Poirel a définie,

7. W. P. GRESWELL, Memoirs of Angelus Politianus, Actius Sincerus Sannazarius, Petrus


Bembus, Hieronymus Fracastorius, Marcus Antonius Flaminius, and the Amalthei: translations
from their poetical works: and notes and observations concerning other literary characters of the
fifteenth and sixteenth centuries, Manchester – London, 1801, p. 444.
8. E. S. MAINOLDI, « Iohannes Scottus Eriugena », dans La trasmissione dei testi latini del
medioevo. Mediaeval Latin Texts and their Transmission (Te.Tra. 2), P. Chiesa – L. Castaldi edd.,
Firenze, 2005, p. 219-227.
222 ERNESTO MAINOLDI

par rapport à Denys, comme celle du « sommeil dionysien9 ». Au tournant du


XIIe siècle, le renouvellement des études qui éclatera dans cette période donnera
vie aussi à une renaissance de l’intérêt pour le Corpus dionysien, comme le montre
une fleurissante exégèse, qui compte dans sa liste le Commentaire sur les noms
divins par Guillaume de Lucques, un élève de Gilbert de Poitiers, qui commenta
à son tour la Hiérarchie ecclésiastique (ce commentaire est aujourd’hui perdu) ;
le commentaire sur la Hiérarchie céleste du bénédictin Hervé de Bourgdieu ; la
contribution de Jean Sarazin, qui vers le milieu du siècle allait réviser la traduc-
tion érigénienne du Corpus, à la requête de Jean de Salisbury, et s’appliquer à
l’exégèse de la Hiérarchie céleste ; un autre commentaire sur le même traité allait
paraître avant 1170 sous la plume de Boto de Prüfening, sans parler de plusieurs
autres attestations mineures10.
D’une importance fondamentale pour la réception de Denys est enfin l’Exposi-
tio in Hierarchiam coelestem de Hugues de Saint-Victor, écrite entre 1120 et 1140.
Après ce commentaire, tous les auteurs seront influencés par le grand victorin,
comme le montre sans peine le nombre des manuscrits qui nous sont parvenus :
cent dix-neuf, dont une trentaine datés du XIIe siècle11 ! Pour rester à ce siècle et à
ses auteurs principaux, une réception de Denys, à en juger du moins d’après la ter-
minologie, se trouve chez le bénédictin Hervé de Bourgdieu, et chez les chanoines
réguliers Richard de Saint-Victor, Géroh de Reichersberg et Adam le Prémontré12 ;
les cisterciens semblent aussi offrir un milieu favorable à la réception de la théolo-
gie et du langage mystique de Denys, comme le montrent les œuvres de Guillaume
de Saint-Thierry, Amédée de Lausanne, Aelred de Rievaulx, Gilbert de Hoylande,
Isaac de l’Étoile, Éverard d’Ypres et Garnier de Rochefort13. Parmi les Porrétains,
la lecture du pseudo-Denys semble être courante14 et, parmi eux, Guillaume de
Lucques, commentateur de Denys, montre une remarquable connaissance de la
pensée dionysienne15.

9. D. POIREL, Des symboles et des anges, p. 273.


10. On peut en trouver la liste dans D. LUSCOMBE, « The Commentary of Hugh of Saint-Victor
on the Celestial Hierarchy », dans Die Dionysius-Rezeption im Mittelalter, p. 163-164.
11. D. POIREL, Des symboles et des anges, p. 270.
12. Ibid., p. 255.
13. Ibid., p. 255; B. MCGINN, « Pseudo-Dionysius and the Early Cistercians », dans One Yet
Two: Monastic Tradition, East and West, M. B. Pennington ed., Kalamazoo, 1976, p. 200-241.
14. L. CATALANI, I Porretani. Una scuola di pensiero tra alto e basso Medioevo, Turnhout,
2008, p. 327.
15. É. JEAUNEAU, « Le Commentaire de Guillaume de Lucques sur les Noms Divins », dans
Die Dionysius-Rezeption im Mittelalter, p. 177-195. Selon l’éditeur de ce commentaire, Ferruccio
Gastaldelli, Guillaume se révèle être le plus complet connaisseur du pseudo-Denys entre Jean
Scot et les auteurs scholastiques : voir WILHELMUS LUCENSIS, Comentum in tertiam ierarchiam
Dionisii que est de diuinis nominibus, F. Gastaldelli ed., Firenze, 1983, p. VIII.
LA RÉCEPTION DU CORPVS DIONYSIACVM EN OCCIDENT 223

L’âge scholastique affrontera le pseudo-Denys avec une grande attention,


attestant le déplacement de l’intérêt pour Denys des écoles cathédrales et monas-
tiques aux nouveaux milieux culturels urbains, tels que les écoles des ordres des
Prêcheurs et des Mineurs, et l’université. C’est aux Dominicains de Paris qu’on
doit la réalisation de l’édition du Corpus Dionysiacum qu’on appelle aujourd’hui
par convention le « Corpus dionysien de l’Université de Paris », un instrument
de travail basé sur la collection synoptique des traductions d’Érigène et du
Sarrazin, accompagnées par les commentaires d’Érigène (les Expositiones et des
longues citations du Periphyseon), les gloses de Jean de Schytopolis / Maxime le
Confesseur et d’Anastase le Bibliothécaire, le commentaire de Hugues de Saint-
Victor et l’Extractio du victorin Thomas Gallus16. Celui-ci, lecteur à l’université
de Paris et abbé d’un monastère de nouvelle fondation à Verceil, jugeant insuffi-
santes les traductions disponibles du Corpus, en réalisa, en 1238, une paraphrase,
intitulée Extractio, basée sur la traduction du Sarrazin, mais aussi comparée avec
celle de l’Érigène, et destinée à connaître une large diffusion ; entre 1241 et 1244,
Thomas réalisera l’Explanatio, c’est-à-dire un commentaire de tous les écrits
pseudo-dionysiens. Parmi les Dominicains, il faut rappeler le commentaire intégral
d’Albert le Grand, et le commentaire des Noms Divins dû à son disciple Thomas
d’Aquin, qui a pu se familiariser avec le texte dionysien à Cologne, en aidant à
la préparation des leçons de son maître. Parmi les franciscains, Bonaventure de
Bagnoregio montre qu’il a assimilé le langage propre de la mystique spéculative
pseudo-dionysienne17, tandis que Robert Grosseteste commente les Noms divins,
la Hiérarchie céleste et la Théologie mystique. L’enseignement du pseudo-Denys
se trouve encore au centre des discussions des auteurs scholastiques de la fin du
XIIIe siècle, tels que Henri de Gand, qui, sur la base du Corpus, se focalisera sur la
correspondance entre la hiérarchie céleste et la hiérarchie ecclésiastique, sur la via
negationis et sur les exemplaires ontologiques18 ; Gilles de Rome discutera aussi
de questions d’ontologie théologique et d’angélologie19.
Le tournant du XIIIe au XIVe siècle signera toutefois le déclin de l’intérêt pour
le pseudo-Denys parmi les auteurs spéculatifs : Ockham ne le mentionne qu’une
dizaine de fois tandis que Duns Scot l’évite délibérément sur la base d’une
présupposition théorique, c’est-à-dire à cause de son idiosyncrasie pour la théo-
logie négative, dont le pseudo-Denys était universellement considéré comme

16. H. F. DONDAINE, Le corpus dionysien de l’université de Paris au XIIIe siècle, Rome, 1953.
17. W. BEIERWALTES, « Dionysius und Bonaventura », dans Denys l’Aréopagite et sa postérité,
p. 489-501.
18. P. PORRO, « Pseudo-Dionysius and Henry of Ghent », dans Die Dionysius-Rezeption im
Mittelalter, p. 395-427 ; E. P. MAHONEY, « Pseudo-Dionysius’s Conception of Metaphysical
Hierarchy and Its Influence on Medieval Philosophy », dans Die Dionysius-Rezeption im
Mittelalter, p. 458-463.
19. Ibid., p. 463-467.
224 ERNESTO MAINOLDI

l’initiateur20. Cette perte de centralité parmi les scholastiques sera contrebalancée


par les auteurs qui traiteront de mystique, en tenant le pseudo-Denys comme une
référence obligée21 : c’est en particulier le cas du chartreux Hugues de Balma,
qui commentera vers la fin du XIIIe siècle le quatrième traité dionysien dans un
commentaire intitulé Théologie mystique ou Viae Sion lugent, qui contribuera
grandement à la diffusion des thèmes dionysiens de l’élévation spirituelle et de
la théologie mystique en tant que connaissance supra-intellectuelle. L’influence
d’Hugues de Balma s’exercera surtout au XIVe siècle, comme on peut le constater
chez Jean Gerson22, qui identifiera dans le Corpus un modèle théologique alterna-
tif à la scholastique, ou encore chez Denys le Chartreux, le doctor ecstaticus, qui
est le seul auteur médiéval avec Albert le Grand à avoir commenté le Corpus dans
son intégralité23.
Avant la Renaissance et l’utilisation néo-platonisante de Denys chez Marsile
Ficin, les derniers chapitres de la réception dionysienne au Moyen Âge seront
écrits par les mystiques rhénans et par Nicolas de Cues, qui donneront vie à une
élaboration complexe de la mystique spéculative dionysienne basée sur les thèmes
de la théologie apophatique et sur la voie unitive à Dieu24.
L’évidence de la présence de Denys parmi les principales sources théologiques
médiévales a consolidé, d’une certaine manière, la conviction que le Moyen Âge
latin avait reçu la pensée du pseudo-Denys dans son intégralité et qu’il avait été
modelé par ses idées. Certainement, l’influence du pseudo-Denys n’est pas négli-
geable, non seulement sur la vision du monde au Moyen Âge, mais probablement
aussi sur certains aspects de l’imaginaire occidental : qu’il suffise de penser à
la fortune de l’angélologie dionysienne ou à la conception de l’ordre universel,
qui est admirablement synthétisée dans le plus fameux néologisme dionysien, le
mot « hiérarchie ». De plus, selon Walter Berschin, l’intérêt pour le grec dans le

20. R. SCHÖNBERGER, « Negationes non summe amamus. Duns Scotus’ Auseinandersetzung


mit der negativen Theologie », dans John Duns Scotus. Metaphysics and Ethics, L. Honnefelder
– R. Wood – M. Dreyer eds., Leiden – New York – Köln, 1996, p. 475-496.
21. D. TURNER, « Dionysius and Some Late Medieval Mystical Theologians of Northern
Europe», Modern Theology, 24, 2008, p. 651-665.
22. M. VIAL, « Jean Gerson face au corpus “mystique” du Pseudo-Denys. D’une lecture héritée
à une interprétation originale », dans Le Pseudo-Denys à la Renaissance, p. 17-32.
23. K. EMERY jr., « A Complete Reception of the Latin “corpus Dionysiacum”. The
Commentaries of Denys the Carthusian », dans Die Dionysius-Rezeption im Mittelalter, p. 197-
247 ; ID., « Denys the Carthusian, Interpreter of Dionysius the Areopagite, on the Modes of
Theology », dans Le Pseudo-Denys à la Renaissance, p. 33-56.
24. H. G. SENGER, « Die Präferenz für Ps.-Dionysius bei Nicolaus Cusanus und seinem italie-
nischen Umfeld », dans Die Dionysius-Rezeption im Mittelalter, p. 505-539 ; W. J. HOYE, « Die
Vereinigung mit dem gänzlich Unerkannten nach Bonaventura, Nikolaus von Kues und Thomas
von Aquin », dans Die Dionysius-Rezeption im Mittelalter, p. 477-504 ; G. FEDERICI VESCOVINI,
« L’élaboration de la théologie mystique de Denys l’Aréopagite dans la philosophie de Nicolas de
Cues », dans Le Pseudo-Denys à la Renaissance, p. 83-91.
LA RÉCEPTION DU CORPVS DIONYSIACVM EN OCCIDENT 225

Moyen Âge latin aurait été maintenu vivace par la nécessité d’étudier le Corpus
Dionysiacum25. Toutefois les contours généraux de cette réception ne peuvent
pas être bien appréciés si l’on ne prête pas attention aux perspectives doctrinales
selon lesquelles le pseudo-Denys a été lu au Moyen Âge par les latins. Avant
de commencer cette enquête, qui essayera de vérifier les contours doctrinaux de
la fortune dionysienne, nous devons mettre en évidence deux problèmes d’ordre
méthodologique :
1) Avant tout, il faut remarquer que c’est une habitude courante de parler de
fortune d’un auteur en utilisant les mots « réception » et « influence » comme
synonymes. Cette attitude est explicable par le fait que le seul élément qui nous
permette de reconstruire soit l’une soit l’autre est le texte. Toutefois, la réception
d’un texte ne coïncide pas nécessairement avec l’influence qu’il a eue. Un texte
peut en effet influencer des développements doctrinaux particuliers, tout en étant
lu d’une façon partielle ou même infidèle. Pour utiliser des mots allemands bien
attestés dans l’usage historiographique, nous pouvons affirmer qu’en parlant de
Fortleben, il faut bien distinguer la Rezeption de la Wirkungsgeschichte.
2) Deuxièmement : la compréhension d’un texte ne peut pas être séparée de
l’étude de sa réception littéraire et doctrinale : si l’on ne comprend pas le sens
original d’un texte et les buts pour lesquels il a été écrit, son Fortleben sera aussi
susceptible d’être mal compris ; et, vice versa, une compréhension inexacte de
la fortune d’un texte risque d’empêcher la compréhension de sa signification
originelle26.
Dans le cas du pseudo-Denys, nous sommes confrontés à ces deux problèmes
méthodologiques d’une façon frappante, car l’auteur réel de ce Corpus textuel
– dont la fortune est tout à fait extraordinaire – ne coïncide pas avec la personne his-
torique-hagiologique sous la paternité de laquelle le Corpus, pendant plus de onze
siècles, a été lu et assimilé par la plupart des savants chrétiens, qui ont reconnu à la
doctrine du pseudo-Denys le rang d’enseignement apostolique. Pendant le Moyen
Âge, la fortune du Corpus a été sans aucun doute soutenue par l’identification de
son auteur au disciple de saint Paul dont parlent les Actes des Apôtres (17, 34). Il est
toutefois vrai que si le contenu du Corpus n’avait pas été au niveau de l’ambition
de son attribution, il serait passé inaperçu, comme toutes les autres pseudépigra-
phies aux grandes prétentions, telles que la correspondance entre Sénèque et saint
Paul ou celle entre Jésus et le roi Abgar. Dévoilé par la philologie humaniste en
tant que Corpus fictivement attribué, c’est-à-dire pseudépigraphique, l’étude des
origines de l’opération pseudo-dionysienne est devenue l’un des buts principaux
des recherches actuelles autour du pseudo-Denys. L’évaluation historiographique
de sa réception entre Moyen Âge et Renaissance ne peut donc pas manquer d’être
influencée par la compréhension du projet original, qui jusqu’à aujourd’hui nous

25. W. BERSCHIN, Medioevo grecolatino. Da Gerolamo a Niccolò Cusano, Napoli, 1989, p. 59.
26. P. CHIESA, introduction à La trasmissione dei testi latini del medioevo (Te.Tra. 1), P. Chiesa
– L. Castaldi edd., Firenze, 2005, p. XIII.
226 ERNESTO MAINOLDI

échappe, en oscillant entre des interprétations qui se repoussent mutuellement :


c’est le cas de la lecture du Corpus comme fondement de l’orthodoxie byzantine
et celle du même Corpus comme projet crypto-païen27.
Notre évaluation de la portée réelle de la réception du pseudo-Denys et de la
profondeur de son influence au Moyen Âge latin doit commencer par l’observation
que les études que nous avons mentionnées dans les pages précédentes, dédiées à
la réception de Denys en Occident, n’offrent aucune contribution spécifiquement
consacrée à Jean Scot Érigène, qui a sans aucun doute joué un rôle majeur dans
l’introduction de Denys au Moyen Âge latin, dans la mesure où ni sa traduction ni
son commentaire de la Hiérarchie céleste ne sont tombés dans l’oubli, même après
la parution d’autres traductions et les développements connus par l’exégèse du
Corpus. Lors du colloque parisien en 1994, Édouard Jeauneau focalisa son atten-
tion sur l’Érigène, mais, en admettant la complexité de la relation entre sa pensée
et celle de Denys, il déclinait la possibilité de la traiter de façon approfondie dans
l’espace d’une contribution à un colloque. Dans le recueil de Modern Theology de
2008, Paul Rorem consacrait une contribution qui semblait se rapporter spécifi-
quement, d’après son titre, à Jean Scot, mais sa contribution se focalisait plutôt sur
Hugues de Saint-Victor28.
À partir de ces simples remarques, qui nous montrent combien de travail il faut
encore accomplir dans ce domaine, nous nous bornerons à proposer ici l’esquisse
d’une cartographie diachronique et thématique de la réception de Denys. La
présence de Denys en Occident ne semble pas trouver pendant le Haut Moyen
Âge un accueil extraordinaire. Utilisé au Concile du Latran de 649 contre les
Monothélites29, cité par quelque auteur latin majeur, tel que Grégoire le Grand,
Isidore de Séville et Bède le Vénérable30, le Corpus n’attire pas l’intérêt des
traducteurs latins. De plus, nous savons que le pape Paul I envoya au roi carolin-
gien Pépin le Bref une copie du Corpus en grec31, mais évidemment la pensée de
Denys, à cause de la barrière constituée par la langue grec, par son langage obscur
et par sa complexité conceptuelle, ne sembla pas susciter l’intérêt des théologiens,
au contraire de la réception extraordinaire qu’il avait reçu parmi les Orientaux,
soit Byzantins soit Syriaques, depuis les premiers années de son apparition, dans
le deuxième quart du VIe siècle.

27. T. LANKILA, « The Corpus Areopagiticum as a Crypto-Pagan Project », Journal for Late
Antique Religion and Culture, 5, 2011, p. 14-40.
28. P. ROREM, « The Early Latin Dionysius: Eriugena and Hugh of St. Victor », Modern
Theology, 24, 2008, p. 601-614.
29. Dionysiaca, ed. Ph. Chevalier et al. éd., Brügge, 1937, I, p. LXV-LXX,
30. F. DELL’ACQUA, « L’auctoritas dello pseudo-Dionigi e Sugerio di Saint-Denis », Studi
medievali, 55, 2014, p. 193.
31. Codex Carolinus, Ep. 24, dans MGH, Epistolae Merowingici et Karolini Aevi, I, p. 529 :
« Direximus itaque excellentissime praecellentiae vestrae et libros … Dionysii Ariopagitis. »
LA RÉCEPTION DU CORPVS DIONYSIACVM EN OCCIDENT 227

II. – THÈMES DE LA RÉCEPTION DIONYSIENNE : ENQUÊTE DIACHRONIQUE

A. IXe – XIe s.
La première traduction latine s’inscrit dans une opération politique promue par
l’idéologie universaliste des rois carolingiens, qui ont toujours cherché à légitimer
leur rang d’empereurs d’Occident par une politique religieuse et culturelle ouverte
à l’Orient chrétien : Louis le Pieu, ayant reçu en hommage, en 827, par l’empereur
de Constantinople Michèle le Bègue un manuscrit du Corpus dionysien, chargea
l’abbé Hilduin, de l’abbaye royale de Saint-Denis, de le traduire en latin32. Aidé
peut-être par des moines grecques qui étaient hôtes à Saint-Denis33, Hilduin
accomplit ce devoir entre 831 et 835. L’abbé a aussi été l’auteur de la Passio
Dionysii, c’est-à-dire la récriture hagiographique qui scellait l’identification entre
l’auteur pseudépigraphe du Corpus et le Denis apôtre de la Gaule, martyrisé sur la
colline de Montmartre et inhumé à l’endroit où surgira l’abbaye qui lui sera dédiée.
L’invention d’Hilduin répondait aux attentes de Louis le Pieu de voir soulignée la
liaison entre l’Orient chrétien et la Gaule, sur la base de la sainteté de Denys,
apôtre, martyr et théologien. Mais, de même, après Hilduin, la pensée dionysienne
restera étrangère aux paramètres de la théologie latine. Il faut toutefois remarquer
la grande fortune de la Passio Dionysii qui fixera à jamais dans les coordonnées de
l’hagiologie médiévale l’origine grecque du martyr parisien34.
Le travail de traduction de Jean Scot Érigène s’inscrit dans un pareil objec-
tif d’idéologie politique, cette fois sous les auspices de Charles le Chauve, fils
de Louis le Pieux, convoitant à son tour le titre impérial. La rencontre entre le
Corpus et le génie spéculatif de l’Irlandais donnera d’importants fruits : Jean Scot
se mettra à l’école du pseudo-Denys et bénéficiera grandement des richesses de
la théologie orientale, qu’il apprenait dans les Areopagitica, mais aussi à travers
d’autres sources patristiques orientales, auxquelles il adressera d’ailleurs son tra-
vail de traducteur, c’est-à-dire Grégoire de Nysse et Maxime le Confesseur. Chez
Jean Scot, les grands thèmes de la théologie byzantine trouvèrent une réception
attentive, mais surtout capable de s’adapter au paradigme théologique oriental :
nous voyons donc Jean Scot reprendre et développer d’après le pseudo-Denys
la distinction entre théologie apophatique et théologie cataphatique, la notion
de symbole, la doctrine de la déification, la méontologie (c’est à dire la doctrine
du non-être en tant que suressence divine), l’hyper-théologie et la doctrine des

32. C’est le bien connu manuscrit Paris, Bibliothèque nationale de France, gr. 437 ; voir
J. IRIGOIN, « Les manuscrits grecs de Denys l’Aréopagite en Occident, les empereurs byzantins et
l’abbaye royale de Saint-Denys en France », dans Denys l’Aréopagite et sa postérité, p. 23.
33. G. THÉRY, Études Dionysiennes : Hilduin, traducteur de Denys, 2, Paris, 1937, p. 436, 462 ;
cette hypothèse est d’ailleurs mise en doute par Walter BERSCHIN, dans Medioevo grecolatino,
p. 151-152.
34. D. POIREL, Des symboles et des anges, p. 280-283.
228 ERNESTO MAINOLDI

théophanies – pour ne nommer que les arguments les principaux. Jean Scot ne
s’est certainement pas contenté de reprendre ces thèmes, mais il les a développés
avec originalité dans une direction qui portait la théologie dionysienne aux consé-
quences extrêmes, surtout dans le cas de l’unité super-ontologique de la division
généralissime entre Créateur et création, aspect qui attirera pendant le Moyen Âge
de fréquents soupçons autour de la pensée érigénienne35.
L’enseignement de Jean Scot, grâce à la protection du roi Charles, a réussi à
propager certaines perspectives ainsi que certains thèmes dionysiens dans les
milieux scolaires de l’âge carolingien tardif, surtout à l’école de Auxerre, avec
Heiric et Remi, mais aucun de ceux qui étaient venus au contact de l’enseignement
érigénien ne fut à la hauteur de son acuité spéculative ou ne fut capable de donner
suite à une élaboration du Corpus dionysien pareille à celle qu’il avait entreprise.
Comme on l’a déjà dit, les deux siècles qui suivirent se signalent par le « sommeil
des études dionysiennes ». L’esprit philosophique d’Anselme d’Aoste n’entra pas
en contact avec la richesse spéculative du pseudo-Denys. Ou plutôt il ne s’est pas
ouvert à son paradigme, dans la mesure où l’archevêque de Canterbury montre
bien qu’il a connu certains thèmes dionysio-érigéniens, mais qu’il a aussi opéré un
filtrage de toute référence à la méontologie36 ; il est donc probable que la difficulté
de concilier la perspective théologique dionysienne, qui sépare Dieu de l’être, avec
le paradigme onto-théologique occidentale, qui identifie Dieu à l’être suprême, a
déterminé la prudence d’Anselme.
Le regain d’intérêt pour Denys, qui se vérifiera seulement au XIIe siècle, doit
être mis en parallèle avec la renaissance érigénienne qui se déroulera dans cette
même période. Un trait distinctif de cet intérêt est lié au thème des théophanies,
qui a trouvé une vaste diffusion grâce à l’interprétation de Jean Scot. L’Irlandais
avait porté ce concept bien au-delà de la lettre dionysienne, en développant toute-
fois une possibilité latente dans la théologie du pseudo-Denys : pour lui, la limite
gnoséologique qui empêche à n’importe quelle intelligence de connaître l’essence
divine en ce qu’elle est (quid est) est surmontée par la divine bienveillance, qui se
manifeste par des apparitions sous forme créaturelle ou dans les créatures mêmes
(theophaniae). Étant donné que le thème des théophanies occupe une place aussi
importante dans la pensée de Jean Scot que dans celle du pseudo-Denys, nous pou-
vons en déduire que l’interprétation érigénienne est à l’origine du grand intérêt des
théologiens pour ce sujet au XIIe siècle. Le problème posé par une connaissance

35. Je me permet de renvoyer à mes études : L’influenza letteraria e dottrinale del pensiero e
dell’opera di Giovanni Scoto Eriugena nel Medioevo (secc. IX-XV). Thèse de Doctorat discuté à
l’Université de Salerne (2006), à paraître ; « Creation in Wisdom. Eriugena’s sophiology beyond
ontology and meontology », in Eriugena and Creation. Proceedings of the Eleventh International
Conference on Eriugenian Studies, held in honor of Édouard Jeauneau, Chicago, November 9-12,
2011, W. Otten – M. Allen eds., Turnhout, 2014, p. 183-222.
36. E. S. MAINOLDI, L’influenza letteraria e dottrinale, p. 296-299.
LA RÉCEPTION DU CORPVS DIONYSIACVM EN OCCIDENT 229

de Dieu qui trouve des intermédiaires créés contraste en effet avec le principe de
l’immédiateté entre Dieu et l’intellect de la créature, principe qui avait été postulé
par Augustin (De vera religione, 55).
Ce conflit ne pouvait pas passer inaperçu pour un théologien fidèle à l’ensei-
gnement augustinien tel que le fût Hugues de Saint-Victor et, à notre avis, c’est
principalement à cause de ce problème que le maître victorin a été poussé à
intervenir sur un thème qui était évidemment déjà débattu dans les discussions
théologiques de son temps37. Ceci expliquerait pourquoi le langage et les concepts
dionysiens, à part le discours sur la théophanie et la connaissance symbolique,
n’ont laissé aucune trace dans l’œuvre de Hugues en dehors de son Commentaire
sur la Hiérarchie Céleste : en effet, pour étonnant que ceci puisse sembler, « la
somme hugonienne est rigoureusement imperméable au chant dionysien38 ». En
plus des théophanies, l’autre préoccupation majeure du Commentaire de Hugues
vise à l’interprétation symbolisant l’Eucharistie, dans l’intention de distinguer
la position de Denys par rapport à l’interprétation du Saint Sacrement comme
symbole – donc à risque de nominalisme – qui avait donné lieu à la polémique
entre Lanfranc de Pavie et Bérenger de Tours un siècle avant et qui avait impliqué
le nom de Jean Scot, à cause de la fausse attribution à celui-ci du traité De corpore
et sanguine Domini de Ratramne de Corbie. Dans la condamnation du Concile
de Vercelli en 1050, Bérenger était condamné avec le traité faussement attribué à
Jean Scot. On a donc des bonnes raisons de supposer que l’intervention de Hugues
a été motivée par la nécessité de corriger l’interprétation érigénienne de Denys.
Hugues simplifia la lecture du texte de Denys, en s’efforçant de le « retraduire
du latin dionysio-érigénien en un latin plus accessible, disons un latin augustino-
hugonien39 », mais, peut-on ajouter, il a surtout fait une œuvre de réinterprétation
des concepts dionysiens et dionysio-érigéniens en les adaptant au cadre paradig-
matique latino-augustinien.

B. XIIe s. : le regain d’intérêt pour le corpus dionysien


L’exigence d’une meilleure compréhension du texte dionysien devait porter
à la révision de la version érigénienne par l’helléniste Jean Sarrazin, qui utilisa
les manuscrits érigéniens glosés par Anastase le Bibliothécaire et probablement
le manuscrit grec Paris, Bibliothèque nationale de France, gr. 933, arrivé en
France en 116740. Il est bien connu que le Sarrazin a été appelé à entreprendre

37. E. S. MAINOLDI, « “Immediate viam facimus”. La teologia dionisiana al bivio dell’interpre-


tazione di Ugo di S. Vittore », dans XLVII Convegno storico internazionale del CISBaM-Accademia
Tudertina Ugo di San Vittore, Todi 10-12 ottobre 2010, Spoleto, 2011, p. 153-171.
38. D. POIREL, Des symboles et des anges, p. 267.
39. Ibid.
40. J. IRIGOIN, « Les manuscrits grecs de Denys l’Aréopagite en Occident, les empereurs
byzantins et l’abbaye royale de Saint-Denys en France », dans Denys l’Aréopagite et sa postérité,
p. 23.
230 ERNESTO MAINOLDI

ce travail par Jean de Salisbury, qui avait probablement connu l’Aréopagite pen-
dant sa formation à l’école de Chartres et, à sa mort, possédait des copies des
deux Hiérarchies. Toutefois, dans l’œuvre de l’évêque de Chartres les traces de
l’influence dionysienne sont minces – comme d’ailleurs chez les autres maîtres
chartrains41. Un profil pareil, caractérisé par un évident intérêt, suivi cependant
par une réception minimale des enseignements dionysien, peut être pris comme
paradigme de la fortune dionysienne au XIIe siècle : la renommée de Denys disciple
de saint Paul et la richesse de ses écrits ont déterminé la fortune du Corpus, mais
il devait se confronter avec la difficulté linguistique de lecture du texte et de son
assimilation conceptuelle, ce qui a requis une nouvelle traduction et la réinterpré-
tation de Hugues de Saint-Victor.
Un autre cas emblématique de la réception dionysienne au XIIe siècle est celui
de Suger de Saint-Denis. L’abbé qui donna vie au style architecturale que nous
aujourd’hui appelons « gothique » connaissait l’œuvre du pseudo-Denis, comme
l’a démontré Dominique Poirel42, chose qui ne doit pas nous étonner dans la
mesure où des copies du Corpus étaient conservées dans la bibliothèque du monas-
tère dédié au prétendu disciple de saint Paul et apôtre-martyr de la Gaule – bien
que cela ne démontre point une relation entre la théologie pseudo-dionysienne et
l’esthétique de la lumière des cathédrales gothiques : ce qui est étonnant est que,
dans les écrits destinés à présenter et à magnifier sa propre œuvre d’agrandisse-
ment de la basilique de Saint-Denis, Suger ne parle jamais de saint Denys en tant
que théologien grec converti par la prédication de l’Apôtre des Gentils. Il semble
donc se dissocier de l’opération pseudépigraphique de Hilduin, qui avait pour but
le rapprochement de l’Orient chrétien pendant l’âge carolingien, motif culturel
qui, dans la seconde moitié du XIIe siècle, semble être désormais dépassé et semble
refléter l’éloignement ecclésiastique et politique entre l’Occident latin et l’Orient
byzantin43.
L’intervention de Hugues fut donc nécessaire pour rendre accessible ce corpus
textuel qui était jusque-là admiré et souhaité, mais toujours resté au-delà d’une
véritable assimilation et utilisation, avec la seule exception de Jean Scot Érigène,
qui a eu le courage de suivre le pseudo-Denys sur les chemins de la théologie
orientale. Ainsi Hugues distingua l’anagogie de la connaissance symbolique, et

41. D. POIREL, Des symboles et des anges, p. 258-259.


42. D. POIREL, « Symbolice et anagogice : l’école de Saint-Victor et la naissance du style
gothique », dans L’abbé Suger, le manifeste gothique de Saint-Denis et la pensée victorine,
Colloque organisé à la Fondation Singer-Polignac le mardi 21 Novembre 2000, D. Poirel éd.,
Turnhout, 2001, p. 160-161.
43. E. S. MAINOLDI, « La bellezza sofianica: sentieri dionisiani al liminare di programmi
estetico-politici, chiese-simbolo e loro ekphraseis tra Oriente e Occidente », dans L’estetica nel
pensiero tardo-antico, medievale e umanistico. Atti del convegno di studi. Università degli Studi
di Salerno, 17-19 Dicembre 2012, R. de Filippis – G. Gambale edd., Roma, à paraître.
LA RÉCEPTION DU CORPVS DIONYSIACVM EN OCCIDENT 231

interpréta la première comme synonyme de l’immédiateté chère à Augustin et


la deuxième comme connaissance par la médiation des formes créaturelles, de
façon à éviter les problèmes issus d’une application rigoureuse de la théologie
apophatique à la connaissance de Dieu44 : ces thèmes, avec celui de la théophanie,
reviendront aussi dans les œuvres hugoniennes autres que le Commentaire sur la
Hiérarchie céleste45. Si l’exégèse de Hugues fut décisive pour la fortune posté-
rieure du Corpus, il faut ajouter que cette réception a été marquée par une sélection
et une réinterprétation radicale des thèmes dionysiens : on peut bien le constater
dans les œuvres de Richard, Gautier et Achard de Saint-Victor46. L’apport du
XIIe siècle, et de Hugues de Saint-Victor en particulier, aboutit donc à délivrer
une lecture du Corpus dionysien compatible avec les perspectives de la théologie
occidentale. Aux historiens de juger si on a là un cas d’énième parricide dans
l’histoire de la philosophie occidentale.

C. XIIIe s.
Les fruits de l’exégèse dionysienne du XIIe siècle ne tarderont à se manifester
au XIIIe siècle : les auteurs scholastiques se rapprocheront du Corpus avec une
confiance supérieure à celle des savants des siècles précédents. Toutefois, le pro-
blème du rapport entre fidélité de réception et influence de la pensée dionysienne
devient encore plus contraignant. On peut affirmer en général que Denys est l’un
des auteurs patristiques de repère pour les scholastiques, qui n’hésitent pas à en
appeler à son autorité, si bien que plusieurs thèmes dionysiens sont cités et exploi-
tés dans les summae du XIIIe siècle – de la théologie mystique à l’union avec Dieu,
de l’angélologie à la notion de hiérarchie –, mais il faut aussi considérer comment
ces thèmes dionysiens ont été transformés et adaptés à des perspectives théoriques
différentes sinon opposées au contexte dans lequel ils ont été élaborés à l’origine.
Nous nous bornerons ici à présenter quelques-uns des thèmes majeurs.
Albert le Grand, commentateur du Corpus entier, considérait Denys comme
la source la plus importante pour la théologie après la Bible et a bien enrichi sa
réflexion par son enseignement, en reprenant les principes de la théologie apopha-
tique et de la distinction entre la divine essence, qui reste inconnaissable, et les
divines processions, ou encore la théologie mystique et le schéma de la processio/

44. D. POIREL, « Symbolice et anagogice : l’école de Saint-Victor et la naissance du style


gothique », p. 166 ; E. S. MAINOLDI, « “Immediate viam facimus” », p. 163-164, 169.
45. N. REALI, « Né mero segno né solo simbolo, ma sacramento. Per una rilettura della cate-
goria di sacramento nella teologia di Ugo di San Vittore », Reportata. Passato e presente della
teologia, 7, 1, 2010 (http://mondodomani.org/reportata/reali01.htm).
46. C. NÉMETH, « The Victorines and The Aeropagite », dans L’école de Saint-Victor de Paris.
Influence et rayonnement du Moyen Âge à l’époque moderne. Colloque international du CNRS
pour le neuvième centenaire de la fondation (1108-2008) tenu au Collège des Bernardins à Paris
les 24-27 septembre 2008, D. Poirel éd., Turnhout, 2010, p. 382.
232 ERNESTO MAINOLDI

reditus47. Toutefois, on peut observer chez Albert une approche ontologisante de


la théologie dionysienne : pour le maître colonais, en effet, Dieu est le Premier
Être, et tous les autres êtres se différencient entre eux par leur éloignement par
rapport à lui48. Dieu devient ainsi partie du domaine ontologique, tandis que
pour Denys il restait au-delà de n’importe quelle analogie avec les êtres créés. Le
discours dionysien sur la suressence divine et sur les noms-énergies semble donc
passer inaperçu pour Albert, et en général pour les maîtres scholastiques. Or il est
vrai que, dans le domaine de la connaissance, Albert admet que la voie négative
est la seule par laquelle il soit possible d’arriver à une véritable connaissance de
Dieu, mais il identifie le sujet de la connaissance à l’intellect, tandis que, pour
Denys, la connaissance hyper-théologique transcende toute intellection. Aussi le
mono-causalisme de Denys est-il mis en discussion par Albert sur la base de la
lecture du Liber de causis : si, pour Denys, la causalité divine passe à travers les
énergies divines, pour le modèle proclusien et pour la philosophie arabe transmise
par le Liber, les donations des Biens divins passent par les intermédiaires causals
qui sont constitués par les premières intelligences.
Le modèle ontologique incarné par le Liber de causis se trouve souvent rap-
proché de la lecture du Corpus au XIIIe siècle et il semble obtenir les préférences
de ses lecteurs, comme c’est évident dans le cas de Siger de Brabant, qui propose
un schéma de hiérarchie métaphysique modelé sur le Liber, cité plusieurs fois,
contre l’absence de citations de Denys49. La tendance scholastique à lire le Corpus
en le mettant en relation avec des sources philosophiques qui soutiennent des
paradigmes en désaccord avec la méontologie et le mono-causalisme dionysiens
se retrouve chez Thomas d’Aquin, encore avec le Liber de causis, chez Jacques
de Viterbe avec Aristote et chez Geoffroi de Fontaine avec l’Elementatio theo-
logica de Proclus. On peut donc souligner que la compréhension ontologisante
de la philosophie dionysienne est le trait le plus frappant, sur le plan doctrinal,
de la réception scholastique du Corpus, et elle constitue en même temps l’obs-
tacle majeur à l’exercice d’une véritable influence conceptuelle par la pensée
pseudo-dionysienne.
Thomas d’Aquin ne fait pas exception : la transformation de la pensée diony-
sienne est ce qui caractérise aussi la réception de Denys chez le Doctor angelicus.
Comme pour Albert, pour Thomas l’être n’est plus l’un des noms divins, c’est-
à-dire une énergie de la suressence divine, mais le prédicat le plus approprié du
Premier principe50. La notion de hiérarchie est comprise par Thomas à la fois de

47. D. BURRELL – I. MOULIN, « Albert, Aquinas, and Dionysius », Modern Theology, 24, 2008,
p. 634-637.
48. E. P. MAHONEY, « Pseudo-Dionysius’s Conception of Metaphysical Hierarchy and Its
Influence on Medieval Philosophy », dans Die Dionysius-Rezeption im Mittelalter, p. 453.
49. Ibid., p. 458.
50. W. J. HANKEY, « Dionysian Hierarchy in Thomas Aquinas: Tradition and Transformation »,
dans Denys l’Aréopagite et sa postérité en Orient et en Occident, p. 436.
LA RÉCEPTION DU CORPVS DIONYSIACVM EN OCCIDENT 233

façon légaliste et politique : tandis que, pour Denys, la hiérarchie est communion
au biens théarchiques, pour Thomas elle devient un ordre basé sur la puissance
exercée dans un domaine particulier ; en contraste avec l’ecclésiologie diony-
sienne, pour l’Aquinate la hiérarchie ecclésiastique est le gouvernement de la
République chrétienne, qui reconnaît son chef dans le Pape51. Thomas définit la
hiérarchie comme lex divinitatis52, tandis que, pour Denys, elle est la communion
ordonnée des créatures intellectuelles aux biens élargis par la divine Théarchie, et
la notion de loi reste confinée à la troisième hiérarchie, qui est celle selon la loi (ἡ
κατὰ νόμον ἱεραρχία)53. En outre, la préoccupation épistémologique de donner
un statut de science à la théologie, programme poursuivi par la scholastique et par
Thomas en particulier, sous l’influence d’Aristote, ne trouve aucun parallélisme
chez Denys et la tradition orientale54.
Henri de Gand, qui s’est confronté largement avec l’œuvre pseudo-dionysienne,
occupe parmi les scholastiques une position singulière, en ayant accepté sans
réserves la supériorité de la voie négative, tandis que Thomas, qui d’ailleurs en
défend le primat, la considère comme subordonnée à la valeur cognitive des affir-
mations, et que Duns Scot la rejette totalement55. Néanmoins on peut remarquer
même dans la lecture de Denys donnée par Henri l’hégémonie de la perspective
ontologisante : ainsi, reprenant le théologoumène pseudo-dionysien de la préexis-
tence des raisons des êtres en Dieu, Henri établit que la perfection de chaque être
dépend de son essence particulière56, qui gagne ainsi en autonomie par rapport à
la participation au nom divin de l’être. De plus, selon le maître flamand, les idées
en Dieu correspondent aux différentes modalités d’imitation de l’essence divine
par les essences des créatures57. Henri réintroduit donc le principe platonicien
de l’autonomie ontologique des paradigmes et de l’analogie entre l’être divin et
l’être créaturel que le pseudo-Denys avait réussi à expulser à jamais du courant
dominant de la théologie orientale.
Au XIIIe siècle, le rapprochement spéculatif avec Denys, représenté dans ses
expressions les plus hautes par des théologiens tels qu’Albert le Grand, Thomas
d’Aquin ou Bonaventure, ne fut pas le seul paradigme interprétatif appliqué à

51. Ibid., p. 436-437.


52. E. P. MAHONEY « Pseudo-Dionysius’s Conception of Metaphysical Hierarchy and Its
Influence on Medieval Philosophy », dans Die Dionysius-Rezeption im Mittelalter, p. 458.
53. Voir par exemple EH II, I, 392C ; EH III, III, 4, 429C ; EH, V, I, 2, 501B ; Epist. VIII, 1,
1089C.
54. P. KALAITZIDIS, « Theologia. Discours sur Dieu et science théologique chez Denys l’Aréo-
pagite et Thomas d’Aquin », dans Denys l’Aréopagite et sa postérité en Orient et en Occident,
p. 484.
55. P. PORRO, « Pseudo-Dionysius and Henry of Ghent », p. 417-418.
56. Ibid., p. 420.
57. Ibid., p. 422.
234 ERNESTO MAINOLDI

la lecture du Corpus. Il faut en effet compter aussi la lecture affective, qui eut
une grande diffusion à travers les œuvres exégétiques du victorin Thomas Gallus.
Thomas avait repris de l’Expositio sur la Hiérarchie céleste de Hugues de Saint-
Victor la lecture affective de la théologie mystique dionysienne, selon laquelle
l’amour surpasse la connaissance58, et l’appliqua à son exégèse du Cantique des
Cantiques, fusionnant le nuage de l’inconnaissance de Moïse avec la chambre
nuptiale de l’époux, et réinterprétant l’eros dionysien comme dilectio de l’âme
pour le Verbe, de façon à ce que la rencontre entre Dieu et l’homme se réalise
comme une extase. L’abbé de Verceil offre, de plus, une théorie de la structure
de l’âme humaine basée sur l’ordre ternaire des hiérarchies angéliques et mise
en relation avec l’ascension extatique, structuration qui a été définie comme
« angélisation » de l’âme59. Le populaire texte du XIVe siècle en moyen anglais
intitulé The Cloud of Unknowing est un remarquable exemple de la fortune de la
lecture affective dionysienne et de l’approche de l’union mystique comme extase
de l’âme. La perspective affective de Thomas Gallus et sa tradition façonnent donc
une lecture alternative à celle spéculative et intellectualiste d’Albert le Grand.
Toutefois si l’une se montre infidèle à la théologie de la déification de Denys, du
moment que celui-ci n’a jamais affirmé une supériorité de l’amour sur la connais-
sance60, l’autre s’éloigne de l’intention anti-intellectualiste de la gnoséologie
pseudo-dionysienne61.

D. Dante et le Pseudo-Denys
Une vérification ponctuelle de l’influence générale jouée par le pseudo-Denys
sur l’imaginaire latin médiéval nous vient de l’œuvre de Dante. Deux références à
Denys dans le Paradis lui reconnaissent le rôle d’autorité suprême dans le domaine
de l’angélologie (X, 115-117), qu’il a révélé d’après l’enseignement reçu de saint
Paul (XXVIII, 130-139). Dans la fiction poétique dantesque, saint Grégoire le
Grand, qui avait proposé une taxonomie angélique différente de celle dionysienne,
une fois monté aux cieux et ayant pu contempler directement l’ordonnancement
des hiérarchies angéliques, reconnaît la vérité et rit de son erreur. Ce cas parti-
culier est important car Dante suit ici l’interprétation d’Albert le Grand sur la
signification des ordres célestes, qui ne se trouve d’ailleurs pas chez Denys62,
et résout avec cette invention de son génie poétique le désaccord entre les deux

58. P. ROREM, « The Early Latin Dionysius: Eriugena and Hugh of St. Victor », Modern
Theology, 24, 2008, p. 601, 609ss.
59. B. T. COOLMAN, « The Medieval Affective Dionysian Tradition », Modern Theology, 24,
2008, p. 615-32.
60. P. ROREM, « The Early Latin Dionysius », p. 601; 609 ss.
61. Sur ce thème, je me permet de renvoyer à mon étude : Dietro “Dionigi l’Areopagita”. La
genesi e gli scopi del Corpus Dionysiacum, à paraître.
62. D. SBACCHI, La presenza di Dionigi Areopagita nel Paradiso di Dante, Firenze, 2006,
p. 1 ss.
LA RÉCEPTION DU CORPVS DIONYSIACVM EN OCCIDENT 235

Pères. Dans une troisième référence à Denys dans le Paradis (XXIX, 97-102),
Dante fait allusion à l’explication fournie par le supposé disciple de saint Paul
dans sa Septième épître, selon laquelle l’éclipse au moment de la Crucifixion a
été causée par le mouvement rétrograde de la lune, mais le poète florentin lui
préfère l’explication de saint Jérôme, qui consistait en un obscurcissement spon-
tané du soleil63. Enfin, on peut affirmer avec certitude que la doctrine de Denys
a influencé la mystique de la lumière chez l’auteur de la Divine Comédie, à partir
de l’image des « miroirs », avec laquelle Denys décrit la diffusion de la lumière
théarchique à travers les hiérarchies et les hommes saints, métaphore que Dante
utilise largement dans le Paradis, et qu’il rapporte explicitement à la Hiérarchie
céleste dans son Épître XIII, 6064.
Cela dit, il faut souligner que l’univers dantesque dessine une cosmologie de
l’au-delà bien différente de l’univers dionysien, même si l’idée de hiérarchie
pourrait suggérer une similitude du point de vue de l’ordre « vertical ». Mais la
dynamique de la purification cosmique incarnée par le Purgatoire – si on laisse de
côté les analogies structurales – est tout à fait distante de la doctrine dionysienne
des trois dégrés de l’anagogie, qui est rendue possible par la synergie des hommes
et des bonnes donations divines et n’implique nullement un renvoi à l’au-delà.

E. Les mystiques rhénans : XIIIe-XIVe s.


L’attention portée par Albert le Grand à la théologie pseudo-dionysienne aura
une influence considérable sur les auteurs qui gravitèrent autour du Studium
generale des dominicains de Cologne, lesquels se formèrent directement sous
sa conduite ou dans le cadre de son héritage spéculatif. La présence massive du
Corpus Dionysiacum parmi les sources des théologiens rhénans est bien évidente,
mais sa réception doit être comprise à la lumière de la tendance à adapter sa théo-
logie à des paradigmes qui lui sont antithétiques. Comme dans le cas d’Albert,
qui a essayé de synthétiser la « théorie dionysienne de l’illumination théarchique »
avec « la théorie avicennienne de la lumière intellectuelle et la théorie averroïste
du “contact” de l’âme avec l’Intelligence séparée »65, nous trouvons chez l’un de
ses élèves les plus significatifs, Ulrich de Strasbourg (1220/25-1277), une tenta-
tive de compléter ou plutôt de dépasser Denys – comme cela a été mis en lumière
par Alain de Libera – « vers l’émanatisme avicenno-albertien66 ». Bien que Ulrich,
dans sa monumentale Summa de summo bono, ait eu un recours massif aux mots

63. Ibid., p. XIII.


64. Ibid., p. XII, 93-113. Sur la transformation de la théologie de la lumière pseudo-dionysienne
dans les sources scholastiques de Dante, voir A. SPEER, « Lichtkausalität. Zum Verhältnis von
dionysischer Lichttheologie und Metaphysik bei Albertus Magnus und Thomas von Aquin », dans
Die Dionysius-Rezeption im Mittelalter, p. 343-372.
65. A. DE LIBERA, La mystique rhénane d’Albert le Grand à Maître Eckhart, Paris, 1994, p. 54.
66. Ibid., p. 112.
236 ERNESTO MAINOLDI

et aux concepts pseudo-dionysiens, et le deuxième livre de cet ouvrage puisse être


considéré comme un commentaire sur les Noms divins, on y constate à sa base
une tentative de synthèse avec l’ontologie augustinienne, pourla quelle l’Être est
prioritaire sur le Bien67.
On observe une même situation chez Thierry de Freiberg (1250-1320), qui, par
la « métaphysique de la conversion […] va sceller l’accord paradoxal d’un Denys,
d’un Augustin et d’un Proclus68 », où « la vision dionysienne du monde passe ainsi
d’elle-même dans la définition augustinienne de l’ordre69 ».
Maître Eckhart (1260-1327) est témoin de l’importance générale du pseudo-
Denys pour la théologie de l’école de Cologne. Sa réception du Corpus est bien
reconnue par les savants70, ainsi que l’influence particulière des thèmes diony-
siens de la théologie apophatique et de l’union à Dieu sur le développement de
sa pensée71. Toutefois, bien que Eckhart s’écarte de la lignée ontologisante et de
la lignée intellectualiste qui marquent communément les lectures dionysiennes
des autres rhénans, il aboutit à une théologie de l’unification de l’âme à Dieu qui
se trouve assez éloignée de la déification selon le pseudo-Denys72. Une étude
détaillé des contours de cette réception, telle qu’elle a été proposée récemment par
Elisa Rubino, parvient à confirmer la tendance – déjà retrouvée ailleurs – d’une
réception, néanmoins tout à fait remarquable, où les concepts pseudo-dionysiens
sont transformés selon les nécessités spéculatives de son lecteur73.

67. A. DE LIBERA, La mystique rhénane d’Albert le Grand à Maître Eckhart, p. 132, 140.
68. Ibid., p. 175.
69. Ibid., p. 173.
70. J. KOCH, « Augustinischer und Dionysischer Neuplatonismus und das Mittelalter », dans
ID., Kleine Schriften, Roma, 1973, I, p. 3-25.
71. K. RUH, Meister Eckhart. Theologe, Prediger, Mystiker, München, 1985, p. 47-59 ;
ID., « Dionysius Areopagita im deutschen Predigtwerk Meister Eckharts », Perspektiven der
Philosophie. Neues Jahrbuch, 13, 1987, p. 207-223.
72. A. DE LIBERA, La mystique rhénane d’Albert le Grand à Maître Eckhart, p. 294-295.
73. « Le citazioni esplicite tratte dal Corpus dionisiano non appaiono tanto numerose quanto
ci si potrebbe attendere. L’esiguità del numero di citazioni dionisiane in Eckhart appare un dato
ancora più significativo se si pensa che nei trattati pseudo-eckhartiani in alto tedesco medio …
la densità delle citazioni dionisiane è di gran lunga superiore e, presa nel suo complesso, supera
addirittura il numero assoluto delle menzioni di Dionigi nelle opere genuine latine e tedesche:
66 di fronte a 62. … La lettura di Eckhart è selettiva: dei temi dionisiani alcuni trovano riscontro
in misura significativa nelle citazioni considerate, altri, invece, non vengono affatto trattati. …
Dal De caelesti hierarchia deriva poi l’idea di una struttura gerarchica del mondo angelico, ma
viene del tutto tralasciata la visione gerarchica della comunità degli uomini e in particolare di
quella ecclesiastica… Il sovrappeso autoritativo che, nell’opera di Eckhart, contrassegna il De
divinis nominibus rispetto agli altri trattati, in particolare rispetto al De mystica theologia, induce
a pensare che la lettura e l’uso che Eckhart fa dei temi e dei passi dionisiani non confortino
tanto un’interpretazione mistica dell’unione dell’uomo con Dio, quanto piuttosto rientrino nel
più ampio tentativo eckhartiano di proporre una dottrina filosofica razionalmente formulata »
LA RÉCEPTION DU CORPVS DIONYSIACVM EN OCCIDENT 237

Le dernier grand exposant de la théologie rhénane, Berthold de Moosburg


(† ca. 1361), confirme le pseudo-Denys comme l’un des auteurs privilégiés de
cette école, mais cet intérêt doit être mis en relation avec sa prédilection pour
Proclus, qu’il « rapproche pour ainsi dire structurellement de la théologie chré-
tienne74 » et, vice versa, considérant Denys comme platonicien, ils les oppose, en
tant que champions de la « position platonicienne », au péripatétisme.

F. Nicolas de Cues et la fin du Moyen-Âge


Le dernier grand philosophe médiéval, Nicolas de Cues (1401-1464), signe
le dernier épisode remarquable de la réception de la doctrine dionysienne, ou
mieux de certains des ses thèmes distinctifs. Suivant Denys, le cardinal accueille
comme éléments-clés de sa pensée plusieurs thèmes dionysiens, tels que la
non-connaissance (agnosia), en tant que mode positif de connaissance (docta igno-
rantia), ou la vision béatifique, tout en admettant l’impossibilité de contempler
directement l’essence divine75. Son approche de l’union mystique ne doit rien à la
lecture affective et extatique médiévale tardive, mais se configure plutôt comme
une théologie du « transcendement76 ». Dans ce cadre, il admet une intellectualité
spéculative en discontinuité avec la logique basée sur la non-contradiction, à
partir de laquelle il élabore le concept de coincidentia oppositorum et envisage
une mathématique non-rationnelle, voire symbolique, relevant du domaine de
l’intellect. D’après cette doctrine, Nicolas conçoit l’union à Dieu comme surpas-
sement des oppositions, et le Paradis comme lieu où toute distinction essentielle
(les étants, entes) sera annulée77. Toutefois, face à cette élaboration, on s’aperçoit
qu’un grand déplacement s’est introduit par rapport aux idées dionysiennes ori-
ginales. Pour Denys, en effet, l’union à Dieu comme déification est une union
hypostatique et n’annule point les distinctions ontologiques. La théorie cusaine
donne plutôt l’impression d’être grosso modo, dans ce domaine, une répétition de
l’eschatologie origénienne, pour la quelle les essences intellectuelles sont desti-
nées à fusionner dans une hénade incorporelle à la fin des temps, perspective qui a
constitué précisément l’un des objectifs critiques originaux qui se cachent derrière
le projet du Corpus Dionysiacum78. Bien que Denys soit l’une des principales

(E. RUBINO, « Dâ von sprichet der liehte Dionysius: Eckhart e Dionigi Areopagita », dans Studi
sulle fonti di Meister Eckhart. I [Dokimion 34], L. Sturlese ed., Freiburg, 2008, p. 113-134).
74. A. DE LIBERA, La mystique rhénane d’Albert le Grand à Maître Eckhart, p. 324, 404.
75. G. FEDERICI VESCOVINI, « L’élaboration de la théologie mystique de Denys l’Aréopagite
dans la philosophie de Nicolas de Cues », dans Le Pseudo-Denys à la Renaissance, p. 83, 88.
76. Ibid., p. 89.
77. Ibid., p. 86.
78. Voir E. S. MAINOLDI, Dietro “Dionigi l’Areopagita”. La genesi e gli scopi del Corpus
Dionysiacum, chap. I.3 ; II.3, à paraître ; E. FIORI, « The impossibility of the apokatastasis
in Dionysius the Areopagite », dans Origeniana decima. Origen as writer. Papers of the
10th International Origen Congress, S. Kaczmarek – H. Pietras eds., Leuven, 2001, p. 831-843.
238 ERNESTO MAINOLDI

sources du Cusain, le cardinal n’arrive pas à lui faire de place dans une com-
préhension historiographique fondée sur le paradigme de la Révélation, duquel
d’ailleurs le pseudo-Denys se réclame avec insistance méthodologique à plusieurs
endroits du Corpus : ainsi, en relation à la théologie négative, le Cusain range
Denys à côté d’Avicenne et d’Al-Gazali, en fonction d’une manière structuraliste
de faire de la théologie, c’est-à-dire basée sur les similitudes formalistes et non
sur la distinction des paradigmes théologiques79. De même, en rangeant Denys
parmi les platoniciens, il s’inscrit dans une ligne historiographique qui manifeste
la tendance du Moyen Âge latin à considérer la pensée de Denys en continuité
avec la pensée grecque ancienne, suivant les suggestions linguistiques et formelles
de la terminologie platonisante adoptée par celui-ci, mais en ne comprenant pas
son travail de transformation et d’apologie conceptuelle au regard des fondements
spéculatifs et paradigmatiques de la philosophie païenne. Si les byzantins ont lu
les affinités entre la langue de Denys et celle des néoplatoniciens comme la preuve
du plagiat par ces derniers, les latins ont subi la fascination des motifs platonisants
du Corpus, et les ont mis en lumière de façon a-problématique, comme Thomas
d’Aquin dans la préface de son commentaire sur les Noms divins80, pour arriver à
l’exaltation de Denys en tant que platonicien par Marsile Ficin81, et conclure avec
la condamnation du prétendu platonisme dionysien par Luther82.

III. – UNE RÉCEPTION DIFFÉRENCIÉE


Ces remarques, en conclusion, nous amènent à constater que, si la fortune de
Denys a été extraordinaire et la réception de ses œuvres capillaire, il n’est pas
pour autant possible d’affirmer la même chose à propos de la réalité effective
de l’influence exercée par sa doctrine. Pour le Moyen Âge latin la taxonomie
angélique demeure certainement dionysienne, mais on ne peut pas affirmer la
même chose pour la réception des concepts essentiels à la théorie dionysienne de

79. G. FEDERICI VESCOVINI, « L’élaboration de la théologie mystique », p. 85.


80. « …plerumque utitur stilo et modo loquendi quo utebantur Platonici, qui apud modernos
est inconsuetus. Platonici enim omnia composita vel materialia, volentes reducere in principia
simplicia et abstracta, posuerunt species rerum separatas, dicentes quod est homo extra materiam,
et similiter equus, et sic de aliis speciebus naturalium rerum » (THOMAS DE AQUINO, In librum
B. Dionysii De divinis nominibus expositio, Prooemium, Genova, 1950, p. 1).
81. Sur la distance de Marsile par respect à Denys, voir E. FIORI, « La perte de l’ordre sacra-
mentel et le centre du monde. Un point crucial de la réception de Denys l’Aréopagite chez Marsile
Ficin », dans Lire les Pères de l’église entre la Renaissance e la Réforme, A. Villani éd., Paris,
2013, p. 55-67.
82. MARTIN LUTHER, De captivitate Babylonica ecclesiae praeludium, dans MARTIN LUTHER,
Werke, 6. Band, Weimar, 1888, p. 562 : « In “Theologia” vero “mystica”, quam sic inflant ignoran-
tissimi quidam Theologistae, etiam pernitiosissimus est, plus platonisans quam Christianisans » ;
voir aussi P. J. MALYSZ, « Luther and Dionysius: Beyond Mere Negations », Modern Theology,
24, 2008, p. 679-692.
LA RÉCEPTION DU CORPVS DIONYSIACVM EN OCCIDENT 239

la hiérarchie, tels que la synergie et la déification. Le concept même de hiérarchie


est conçu comme synonyme de l’ordre ontologique des créatures, tandis que pour
le pseudo-Denys la hiérarchie décrit les dégrés de la déification. Dans la plupart
des cas, on a donc compris la hiérarchie telle qu’une « ontarchie ». La réception
de certains thèmes dionysiens se vérifie sans qu’il y ait une même réception du
contexte conceptuel qui unifie les parties de l’univers dionysien. Nous constatons
ainsi que la réception de la taxonomie angélique se dégage de la théorie de la
hierarchia, et pareillement on assume le concept de hierarchia sans une théologie
de la déification et sans la présenter comme koinonia, et, encore, on apprécie bien
la notion de théologie apophatique comme discours sur les limites de la connais-
sance, mais on laisse à part la méontologie.
Certaines doctrines fondamentales pour Denys brillent par leur incapacité à
obtenir une véritable réception dans le système théologique latin : c’est le cas de
la doctrine de la déification, dont seulement l’Érigène saisit la centralité à l’inté-
rieur du système dionysien ; la théosis en effet n’est pas synonyme de sainteté
ou de perfection morale, mais décrit une union supra-ontologique entre la nature
humaine et la nature suressentielle de Dieu, que Jean Scot définit supernaturalis
adunatio, où supernaturalis ne signifie pas suprasensible, mais super-ontologique.
De même, l’union extatique à Dieu dans les développements du Moyen Âge tardif
demeure dans le domaine de la psychologie, qui reste bien distinct de la déification
trans-ontologique de Denys.
On peut aussi remarquer l’absence presque totale du climat liturgique dionysien
dans la réception latine du Corpus. Le De ecclesiastica hierarchia est le traité qui
est resté le plus périphérique dans l’histoire de la réception générale des écrits
pseudo-dionysiens, et en effet soit la liturgie soit l’ecclésiologie ici présentées
semblent être demeurées étrangères au monde latin. La liturgie dionysienne naît
au croisement des grandes traditions liturgiques orientales, voire syriaques et
constantinopolitaines, et en réfléchit la terminologie et les développements rituels,
symboliques et théologiques. C’était donc normal que cet aspect de l’univers dio-
nysien n’ait pas suscité l’attention des latins médiévaux, au contraire de l’influence
extraordinaire qu’il a joué sur la liturgie byzantine83. On peut affirmer la même
chose à propos de l’ecclésiologie : l’organisation de l’Église comme hiérarchie
qui se développe autour de l’évêque et exerce la fonction de porter ses membres
à la déification par la communion aux « biens théarchiques », constituait une syn-
thèse et une vigoureuse répétition de l’ecclésiologie épiscopo-centrique des trois
premiers siècles84, et devait constituer le modèle de l’organisation ecclésiastique
dans l’Orient chrétien jusqu’à nos jours : rien de plus étranger à l’ecclésiologie

83. P. SCAZZOSO, « Valore della liturgia nelle opere dello pseudo-Dionigi Areopagita », La
Scuola Cattolica, 93, 1965, p. 122-142; ID., « La liturgia dello pseudo-Dionigi e la parola che
la esprime », Aevum. Rassegna di scienze storiche linguistiche e filologiche, 41, 1967, p. 23-52.
84. J. D. ZIZIOULAS, Eucharist, Bishop, Church: The Unity of the Church in the Divine
Eucharist and the Bishop During the First Three Centuries, Brookline (MA), 2001, p. 9-24.
240 ERNESTO MAINOLDI

occidentale, laquelle, à partir du XIe siècle, fixait son paradigme dans le primat
universel du successeur de saint Pierre. En lien avec ces développements, l’inter-
prétation donnée par Thomas d’Aquin de l’ecclésiologie dionysienne se soumet à
la perspective d’une Église qui exerce le pouvoir temporel. Il faudra donc attendre
le projet de réforme de l’Église élaboré par Jean Gerson pour trouver de l’intérêt à
approfondir l’ecclésiologie pseudo-dionysienne85.

Écart entre réception byzantine/orientale et réception latine/occidentale


Une compréhension générale et synthétique de la réception latine du pseudo-
Denys peut gagner en clarté par une comparaison avec sa réception byzantine.
Avantagés du point de vu linguistique sur les Latins, les Byzantins n’ont pas dû
passer à travers un laborieux travail exégétique basé sur des traductions et des
commentaires, mais ils ont plutôt montré une anodine disposition à assimiler le
langage et les concepts pseudo-dionysiens sans solution de continuité dès l’appa-
rition du Corpus au commencement du VIe siècle. La théologie byzantine, même
dans son Fortleben contemporain orthodoxe, grec, moyen-oriental et slave, a
maintenu une forme et une substance dionysiennes. Si les latins ont traduit et
retraduit presque continuellement le Corpus dionysien depuis le Haut Moyen Âge
jusqu’à la Renaissance, c’est surtout pour surmonter la difficulté chronique de
ne pas arriver à saisir le sens le plus profond des concepts dionysiens, à cause
de la distance paradigmatique qui s’était désormais enracinée entre les traditions
théologiques orientale et occidentale. On peut affirmer la même chose à propos de
la prolifération des commentaires latins : bien que ceux-ci témoignent de l’effort
de saisir la pensée dionysienne, ils attestent aussi qu’elle demeurait étrangère au
noyau central de la théologie latine, alors qu’une tentative de dépasser les fron-
tières de ce noyau a été entreprise par Jean Scot Érigène seulement.
Il est aussi indubitable que la systématisation dionysienne a contribué de
manière générale à former la vision du monde du Moyen Âge latin et qu’elle
a exercé son influence dans certains domaines de la théologie latine, tels que
l’angélologie ou la mystique, mais, dans ces cas, on assiste plutôt à une transfor-
mation sélective de la pensée dionysienne qu’à sa réception fidèle et inclusive86 :
les thèmes théologiques les plus importants se montrent imperméables pour les
Latins à l’influence dionysienne, comme on peut le voir dans le domaine de la
triadologie, de la doctrine eucharistique, de l’ecclésiologie et de la déification. De
plus, la compréhension ontologisante de la théologie pseudo-dionysienne est le
fruit de la distance paradigmatique qui s’est introduite entre la théologie byzantine
et la théologie latine à partir de la révolution ontologique opérée par les Pères
cappadociens, laquelle peut être résumée dans la distinction entre l’essence et
l’hypostase – laquelle est comprise comme source de l’être et non comme son
synonyme existentiel –, et dans l’impossibilité de connaître l’essence divine en

85. M. VIAL, « Jean Gerson », p. 17.


86. Pour une conclusion similaire, voir W. BERSCHIN, Medioevo grecolatino, p. 28.
LA RÉCEPTION DU CORPVS DIONYSIACVM EN OCCIDENT 241

soi, étant donné que celle-ci peut être connue seulement à travers ses énergies.
Denys a contribué grandement à établir ce paradigme comme fondement de la
tradition byzantine, de sorte que la relation entre les êtres sera conçue comme rela-
tion énergétique entre les hypostases, en vertu de laquelle celles-ci peuvent arriver
à une union trans-ontologique, c’est-à-dire malgré la différence entre leurs êtres.
Denys a apporté une grande contribution à l’affirmation de ce modèle, surtout en
niant toute autonomie ontologique aux causes-idées et en rompant ainsi avec la
tradition platonicienne. À la seule exception de Jean Scot Érigène, qui a pu profiter
en partie de la lecture de Grégoire de Nysse et du même Denys, l’Occident latin
n’a pas reçu ces développements et par conséquent sa vision ontologique et cos-
mologique demeurera, même après le Moyen Âge, ontologiste et idéaliste, tandis
que la perspective byzantine s’est configurée dès le Ve siècle comme hypostatiste
et énergétiste.

IV. – CONCLUSION
Un texte majeur ne se distingue pas seulement par l’influence qu’il exerce, mais
aussi par la possibilité qu’il a d’être utilisé et transformé. Si, dans le milieu doctri-
nal byzantin, le Corpus a eu une influence telle qu’on peut parler de la théologie
dionysienne comme de l’une des colonnes fondatrices de l’édifice spéculatif qui
a façonné la vision du monde chrétien oriental, dépassant les limites temporelles
du Moyen Âge byzantin et la fin même de Byzance, tout en demeurant vivante
jusqu’à aujourd’hui, en Occident le pseudo-Denys a connu une fortune qui n’est
pas pleinement réceptive du point de vue doctrinal, mais qui, grâce à la fiction
pseudépigraphique, a joué de concert avec sa richesse doctrinale ; il a défié à toutes
les époques les théologiens, les philosophes et les philologues qui ont cherché à
l’interpréter, à percer son énigme, et l’ont utilisé en le transformant et en l’adap-
tant. Le Pseudo-Denys a représenté en Occident pendant tout le Moyen Âge une
ressource qui permettait de raccrocher les racines d’un supposé enseignement
apostolique spéculatif, dans la mesure où le pseudo-Denys était encore « Denys
l’Aréopagite », mais aussi parce que son système présentait la richesse spéculative
des sources philosophiques anciennes, tout en offrant une synthèse qui s’insérait à
la perfection dans le paradigme chrétien.
Ernesto MAINOLDI
Università degli Studi di Salerno
Les premiers légendiers latins
et l’héritage grec*
La transmission et la réception des Pères grecs en Occident est une question
connexe dans le domaine hagiographique, une sorte d’excursus, statut qui est le
sien dans plusieurs livres d’histoire de la pensée et de la littérature chrétiennes : je
pense à Albert Siegmund1, Albert Ehrhard2, Berthold Altaner3, Otto Bardenhewer4
et leurs épigones, dont les points de vue convergent sur le statut de l’hagiographie
tardo-antique et proto-médiévale pour la décrire, avec raison, comme une histoire
de la littérature plutôt qu’une histoire de la pensée5. Si l’on excepte les « best-
sellers » que sont les Actes apocryphes des apôtres et les Vitae patrum, le corpus
hagiographique traduit du grec en latin est, jusqu’à la fin du VIIIe siècle, composé
majoritairement de Passions de martyrs, qui dessinent une sorte de mythologie ou
de « triomphe du christianisme ». On trouvera ici les premiers résultats de travaux
consacrés à l’hagiographie latine traduite du grec.

* Je remercie Caroline Philippart de Foy pour sa relecture critique et les graphiques des p. -.
1. A. SIEGMUND, Die Überlieferung der griechischen christlichen Literatur in der lateinische
Kirche bis zum Zwölften Jahrhundert, Munich, 1949 [section hagiographique, p. 195-277].
2. A. EHRHARD, Überlieferung und Bestand der hagiographischen und homiletischen Literatur
der griechischen Kirche, I. Teil: Die Überlieferung. I-III (TU 50-52), Leipzig – Berlin, 1937-1952.
3. B. ALTANER, Patrologie, Freiburg im Breisgau, 1938.
4. O. BARDENHEWER, Geschichte der altkirchlichen Literatur, II. Band, Freiburg im Breisgau,
2
1914 (section hagiographique, p. 664-697, § 93 : « Die älteste Märtyrerakten, von der Mitte des
2. Jahrhunderts bis zum Begin des 4. Jahrhunderts »).
5. Par exemple, au seuil de sa longue section hagiographique, A. SIEGMUND affirme qu’il n’y a
pas à chercher l’autorité des Pères dans un genre qui n’appartient que partiellement à la patristique
et au moins autant à la littérature (Die Überlieferung der griechischen christlichen Literatur,
p. 196).
244 MONIQUE GOULLET

I. – LES TEXTES ISSUS DU GREC DANS LES PREMIERS LÉGENDIERS LATINS


Les manuscrits antérieurs à 750 contenant de l’hagiographie latine sont très
rarement parvenus jusqu’à nous, et il est difficile d’estimer la perte subie. Guy
Philippart a recensé une quinzaine de survivants dans le volume qu’il a consacré
aux légendiers latins6 ; dans cette production, parfois réduite à quelques folios
par manuscrit, on ne peut guère estimer la part des textes hagiographiques latins
issus du grec. En revanche les premiers légendiers latins, dont le plus ancien a été
écrit vers 750, en ont transmis un grand nombre. Parmi les quatre plus anciens
légendiers conservés, trois ont été rédigés en France, le quatrième en Bavière :
– Le Clm 3514 de Munich (codex Velseri), daté des environs de 750, a été écrit en
onciale, en France du nord.
– Le Clm 4554 de Munich a été écrit en caroline, à Benediktbeuern, par trois
mains successives datées de la fin du VIIIe et du début du IXe siècle.
– Le manuscrit Torino, BNU, D.V.3 a été écrit aux environs de 790, vraisemblable-
ment à Soissons, en écriture « a-b »7.
– Le manuscrit Montpellier, BIU, Méd. H.55, a été écrit en caroline au début du
IXe siècle, peut-être à Autun selon Bernhard Bischoff. Les légendiers de Turin et
de Montpellier comptent une quinzaine de textes communs, dont la moitié est
traduite du grec.
Le tableau ci-dessous compare la production des quatre légendiers cités :
Clm 3514 Clm 4554 Torino, D.V.3 Montp. H55 Total
Afrique 1 3 0 0 4
Espagne 2 0 1 1 4
Germanie 1 0 1 1 4
Illyrie 0 0 1 0 1
Italie 3 9 = 32% 8 = 22% 11 = 25% 33
Gaule 6 3 10 = 27% 23 = 48% 42
Byzance 12 = 40% 13 = 46% 16 = 43% 12 = 25% 52
Indéterminé 4 0 1 0 5
Total 29 28 38 48 145

6. G. PHILIPPART, Les légendiers latins et autres manuscrits hagiographiques (Typologie des


sources du Moyen Âge occidental 24-25), Turnhout, 1977, avec un Supplément, 1985.
7. Ce manuscrit a été édité sous le titre Le Légendier de Turin (Torino, Biblioteca Nazionale
e Universitaria D.V.3), coord. M. Goullet avec la collab. de S. Isetta, Firenze, 2014 (avec DVD).
Le premier chapitre du livre, p. 7-74, est le fruit d’une recherche nouvelle de grande envergure
entreprise par Guy Philippart sur l’histoire des légendiers, à laquelle j’emprunte ici très largement.
LES PREMIERS LÉGENDIERS LATINS 245

Les Passions du Clm 3514 sont réparties sur trois grandes zones. L’espace médi-
terranéen oriental est majoritaire ; il est représenté par 12 dossiers, majoritairement
anatoliens (7)8, mais aussi syriens (2) et égyptiens (3), tous traduits du grec. Les
autres zones sont sous-représentées : la Méditerranée occidentale ou latine, Italie
comprise, comprend 6 dossiers, soit respectivement 3 pièces pour l’Italie, 2 pour
l’Espagne, 1 pour l’Afrique ; il y a 6 dossiers aussi pour la Gaule, et un seul dossier
pour la Germanie, celui de sainte Afra d’Augsbourg, qui selon la table des saints
aurait été ajouté tardivement et qui aujourd’hui a disparu du manuscrit. Dans
4 dossiers les martyrs ne sont pas identifiables, en raison d’homonymie ou de
défaut de localisation.
SAINTS D’ORIGINE BYZANTINE. – 1. Julien et Basilisse (Égypte) ; 5. Trijumeaux :
Speusippe, Eleusippe et Meleusippe (Cappadoce) ; 6. XXXVII martyrs d’Égypte ;
10. Babylas (Antioche) ; 11. Georges (Cappadoce) ; 12. Taracus et socii (Anazarbe
en Cilicie) ; 13. Maxime (Asie Mineure) ; 15. Cyrille enfant (Césarée de
Cappadoce) ; 20. Thyrse et socii (Asie mineure) ; 22. Pierre d’Alexandrie (Égypte) ;
23. Anicetus et socii (Nicomédie) ; [30. Add. Xe siècle : Serge et Bacchus (Syrie)].
Le Clm 4554 est un témoin très important pour la question des traductions du
grec. La table de ce légendier contient 90 entrées (plus 3 écrites par des mains
plus récentes, que l’on exclut ici)9. Sur les 90 entrées anciennes mentionnées,
54 textes ont disparu, sans qu’on en sache la raison ; il s’agit majoritairement de
textes d’origine byzantine10. La part des textes byzantins conservés est encore
la plus importante (46% du total). Cette table témoigne-t-elle du passage de ces
textes en Occident, et à quelle époque ? Hippolyte Delehaye y avait vu la trace
« d’un ménologe grec où les Passions des saints d’Asie Mineure, d’Égypte et
de Mésie étaient disposées selon l’ordre du calendrier11 ». Cette hypothèse, très
séduisante, a été discutée par Siegmund, qui, en s’appuyant sur les recherches
d’Ehrhard, a fait valoir l’absence de ménologe grec qui pourrait en être la source,
d’autant que la naissance de ces ménologes date au mieux de la fin du VIIIe siècle,
et même plutôt du début du IXe siècle. Plus vraisemblable serait, selon Siegmund,
l’hypothèse que le Clm 4554 se soit formé à partir de micro-séquences empruntées
à des modèles divers, reconnaissables à certaines marques de fabrique étrangères
à l’usage occidental, par exemple les formules stéréotypées du type Domino

8. Par Anatolie il faut entendre ici Asie Mineure et Cappadoce.


9. Voir F. WILHELM, « Die lateinischen Akten des hl. Psotius. Ein Beitrag zu den Beziehungen
zwischen Aegypten und dem Abendland », Münchener Museum für Philologie des Mittelalters
und der Renaissance, I, 1, 1911, p. 185-214, avec la table complète du Clm 4554, p. 193-199.
L’astérisque indique les textes manquants.
10. Le tableau ci-dessus ne comptabilise que les textes présents dans le légendier ; il exclut les
54 textes manquants et les 8 Passions d’Apôtres.
11. H. DELEHAYE, « Les Martyrs d’Égypte », Analecta Bollandiana, 40, 1922, p. 5-154, spéc.
p. 124-125.
246 MONIQUE GOULLET

regnante (et non pas imperante), ou l’emploi de rex (et non pas imperator) pour
désigner l’empereur romain, ou encore la localisation in Aegypto, qui introduit
souvent des forgeries12.
SAINTS D’ORIGINE BYZANTINE. – 12. Ignace ep. (Antioche) ; 16. Polycarpe
ep. (Smyrne) ; 17. Babylas ep. (Antioche) ; 18. Nestor ep. (Asie) ; 20. Cirillus
ep. (Crète) ; 21, 22, 23. Cyprianus et Iustina (Nicomédie) ; 24. Meletius (un des
XXXVII martyrs d’Égypte : voir Marcellus et socii, BHL 5240) ; 27. Irénée ep.
(Sirmium) ; 28. Psotius ep. (Égypte) ; 32. Iulianus et Basilissa (Égypte) ; [les
n° 33-90 désignent presque tous des textes absents du manuscrit] ; 69. Julienne
(Nicomédie) ; [Cyr et Julitte (Tarse), d’une main plus récente].
Le légendier Torino, BNU, D.V.3 a souvent transmis les plus anciennes versions
des textes, et il se révèle donc, autant qu’on puisse en juger, souvent le plus proche
des originaux grecs. Il est, par exemple, le témoin latin de la Vie d’Eupraxie le plus
proche du fragment grec du papyrus 1 du Louvre, que Laurent Capron date du Ve/
VIe siècle13 ; il existe aussi un fragment copte de cette Vie, postérieur au papyrus
du Louvre14.
SAINTS D’ORIGINE BYZANTINE. – Anatolie : 2. Christophe ; 3. Longin ; 9. Adrien
et Natalie ; 29. Julienne ; 35. Eufémie ; Égypte : 14. Eupraxie ; 24. Apollonius ;
39. Victor et Corona ; Grèce : 25. Agapè ; 26. Cyrillus ; 34. Matrone ; Syrie-
Palestine : 16. Christine ; 17. Cyr et Julitte ; 19. Théodosie ; 20. Babylas ;
32. Marine/Marguerite.
Le légendier Montpellier, BIU, Méd. H.55 contient 10 Passions d’apôtres et
48 Passions et Vies de saints hommes et de saintes femmes. La part des textes
d’origine byzantine y est inférieure à celle des autres manuscrits, au profit de
textes de Gaule (ou de Francie, comme on voudra), et tout spécialement de la
région de Troyes.
SAINTS D’ORIGINE BYZANTINE. – 20 et 31. Eufémie (Chalcédoine, deux ver-
sions différentes, BHL 2708 et 2708c) ; 28. Eupraxie (Égypte) ; 29. Thècle, Paul
(Séleucie) ; 30. Marine/Marguerite (Antioche) ; 35. Eufrosyne (Alexandrie) ;
41. Babylas (Antioche) ; 45. Dorothée et Théophile (Césarée de Cappadoce) ;
46. Julienne (Nicomédie) ; 52. Christophe (Lycie) ; 55. Romain, Hisicus et Barulas
(Antioche) ; 57. Adrien et Natalie (Nicomédie).

12. Die Überlieferung der griechischen christlichen Literatur, p. 204-208. Pour les saints
égyptiens, voir le classement de H. DELEHAYE (« Les Martyrs d’Égypte », p. 120-124).
13. L. CAPRON, Codex hagiographiques du Louvre sur papyrus (Papyrologica Parisina II),
Paris, 2013, p. 15-31.
14. G. QUISPEL – J. ZANDEE, « A Coptic Fragment from the Life of Eupraxia », Vigiliae
Christianae, 13, 1959, p. 193-203.
LES PREMIERS LÉGENDIERS LATINS 247

L’hypothèse communément admise aujourd’hui est que les traductions latines


faites sur le grec sont de provenance italienne, plus exactement d’une zone entre la
Calabre et Rome, où s’étaient installés des moines orientaux. Il faut écarter l’idée
que ces traductions aient pu être faites en Gaule, la connaissance du grec y étant
quasi nulle au VIIIe siècle15.

II. – REPÉRAGE DES TEXTES LATINS TRADUITS DU GREC

A. Difficultés
Pour les raisons matérielles qu’on connaît, on a conservé un grand nombre de
manuscrits latins des VIIIe/IXe siècles, mais très peu de manuscrits grecs de cette
époque. Cette distorsion chronologique et numérique entre le domaine grec et le
domaine latin nuit au repérage des textes traduits du grec : certes, un texte grec
copié au XIIe siècle peut avoir conservé des traces très anciennes, mais il peut aussi
avoir été considérablement rajeuni, si bien que n’avons guère de textes grecs qui
puissent apparaître comme la source directe des versions latines correspondantes.
Il faut en effet se garder des illusions d’optique. Comme l’a écrit Siegmund, la
règle « naturelle » voudrait qu’un martyr mort en terre grecque reçoive prioritai-
rement une Passion grecque, et inversement pour les martyrs occidentaux. Et les
saints d’Orient sont supposés avoir reçu une traduction grecque de leur Passion
car, toujours selon Siegmund, les Passions orientales ne passaient pas en latin
sans la médiation du grec, affirmation sur laquelle je ne me prononcerai pas. Mais
parfois (ou souvent ?) la version latine est la première : lorsqu’un saint martyrisé
en Orient a fait l’objet d’une translation en Occident, il y reçoit une Vie latine16.
Inversement, d’assez nombreux saints occidentaux ont eu une Passion grecque
à l’origine. Il s’agit surtout des Passions siciliennes et sud-italiennes. Mais c’est
aussi le cas de saints plus ou moins romains : par exemple le cycle d’Anastasie,
auquel se rattache la Passion des trois vierges Agapè, Chionia et Irène, est le
fruit d’une romanisation de ces personnages, dont les noms attestent clairement
une origine grecque. Ce cycle de Passions latines s’est enrichi progressivement
de nouveaux personnages, et a été traduit en grec. Donc bon nombre de textes
grecs du cycle d’Anastasie sont des traductions faites sur le latin. S’agissant, par
exemple, d’Agapè, Chionia et Irène, on aboutit à ce résultat que le cycle BHG 81

15. Voir la communication de Filippo RONCONI dans ce volume, p. -. D’une façon plus
générale, l’étude de Louis BRÉHIER sur « Les colonies d’Orientaux en Occident au commence-
ment du Moyen Âge, Ve-VIIIe s. », Byzantinische Zeitschrift, 12, 1903, est aujourd’hui critiquée
à la fois pour la notion de « colonie » et pour le nombre des implantations, qui pour la Gaule
mérovingienne se limitent aux régions méridionales (J.-P. DEVROEY – C. BROUWER, « Les juifs et
le commerce dans le monde franc », dans Voyages et voyageurs à Byzance et en Occident du VIe au
XIe siècle, A. Dierkens – J.-M. Sansterre éd., Genève, 2000, p. 339-374).

16. Die Überlieferung der griechischen christlichen Literatur, p. 197-199.


248 MONIQUE GOULLET

est une traduction grecque du cycle latin d’Anastasie, tandis que BHG 34 est une
version grecque ancienne d’une Passion d’Agapè, Chionia et Irène, dont s’est ins-
piré l’auteur latin du cycle. Quand il s’agit de textes très répandus, le plus souvent
connus dans des versions multiples, il est très difficile de déterminer l’antériorité
de l’une ou l’autre langue.

B. Méthodes de détection
Parmi les quarante textes du légendier de Turin ont été sélectionnés pour une
étude détaillée quatre textes susceptibles de dériver du grec17 ; ils sont classés ici
en fonction de trois situations possibles.
1) Cas 1 : absence de texte grec
Sainte Matrone de Thessalonique a reçu deux Passions. La première (BHL 5687b)
est connue seulement par le légendier de Turin. Le martyrologe lyonnais (composé
avant 806) résume fidèlement cette version, en empruntant des mots du texte18 ; il
est repris littéralement par les martyrologes de Florus et d’Adon. Selon la version
BHL 5687b (d’une facture très fruste, voire maladroite), Matrone est la servante
d’une riche juive de Thessalonique nommée Plautille. Pendant que celle-ci va à la
synagogue, Matrone, qui est chrétienne, va à l’église et, un jour, elle se fait prendre
sur le fait. Sa maîtresse lui fait donner le fouet et l’enferme, attachée sur un banc ;
trois jours plus tard elle la découvre debout, sans aucune marque de coups. Elle
augmente alors la force des coups, l’attache plus solidement et l’enferme, mais
trois jours plus tard elle la retrouve debout, en train de prier. Plautille finit par
la faire battre à mort. Le lendemain, des « religieux » (viri religiosi) l’emportent
pour lui donner une sépulture. La seconde version (BHL 5688), transmise par deux
manuscrits des Xe/XIe siècles19, n’a guère de points communs avec la précédente.
Le premier chapitre est un long préambule qui situe la Passion à l’époque de la
prédication de Timothée à Thessalonique, durant laquelle celui-ci guérit un hydro-
pique, miracle qui engendre de nombreuses conversions de juifs. Apprenant que
Matrone, sa chambrière, fait partie des convertis et qu’elle a fait vœu de virginité,
Plautille propose à Eupator, un de ses esclaves expert en débauches, de lui livrer
Matrone et de les affranchir tous les deux s’ils se marient. Ce qui est bientôt fait,
mais une fois qu’il est couché dans le lit nuptial, la peau et les chairs d’Eupator
restent collées aux draps. Pour venger son esclave, Plautille enveloppe Matrone
dans la peau d’un veau récemment tué, l’expose au soleil, puis près de la chaudière

17. Marine/Marguerite (p. 729-749) ; Matrone (p. 759-765) ; Eupraxie (p. 407-439) ; Babylas
(p. 559-572) ; la pagination indiquée est celle de l’édition du légendier de Turin (voir n. 9).
18. Voir A. PONCELET, dans l’appendice au catalogue des manuscrits de la Bibliothèque natio-
nale de Turin, Analecta Bollandiana, 28, 1909, p. 460 ; édition du texte p. 461-464.
19. Catalogus codicum hagiographicorum Bibl. nat. Paris., Bruxelles, 1893, mss. Paris, BnF,
lat. 10862, ff. 56r-62r, Xe s.; Paris, BnF, lat. 5321, ff. 123r-124r, Xe/XIe s ; édition du texte p. 202-
206 (appendix ad cod. 5321).
LES PREMIERS LÉGENDIERS LATINS 249

des bains, afin que ses chairs adhèrent à la peau de l’animal ; mais la peau ne sécha
pas et devint pour Matrone une source de rafraîchissement. Un juif nommé Zoilus
conseille alors à Plautille de l’enfermer, de doubler ses corvées et de lui donner
très peu de nourriture, ce qui n’épuise nullement la jeune fille. Zoilus envoie à
Matrone un certain Marsus et ses serpents venimeux, qui ne lui font aucun mal ;
devant ce prodige, Marsus se convertit et reçoit le baptême des mains de l’évêque
Simon. Plautille prive Matrone de nourriture et de boisson durant sept jours, mais
celle-ci ne meurt pas. Pour finir, Plautille la fait battre à mort et jeter dans un trou
plein d’épineux ; l’évêque Simon a la révélation du lieu du corps et, avec le clergé
et tous les chrétiens, il l’inhume près de Thessalonique. Dans cette version de la
Passion, la bastonnade est le dernier supplice réservé à Matrone ; il est évoqué en
deux lignes. Dans la version BHL 5687b, Matrone est battue trois fois, de plus en
plus fort (flagellis ; loris crudis ; fustibus robustis), et il n’y a pas d’autre supplice ;
la bastonnade est le seul point de contact des deux versions.
Aucune version n’a transmis le nom ou la fonction de l’époux de Plautille. En
revanche le synaxaire de Constantinople le présente comme stratopeda/rxhj20 et,
si l’on admet la brillante reconstitution proposée par Delehaye pour la mention
de Matrone dans le martyrologe hiéronymien, il faudrait lire : « <Thessalonicae
natale Matronae> ancillae militis quae pro castitate occisa est21 ». Ce que signale
à juste titre Delehaye, c’est que ces variantes multiples – aussi bien dans le nom
des évêques de Thessalonique (Simon dans la Passion longue et Alexandre dans le
synaxaire22) que dans les supplices et la mort de la sainte – cachent des versions
multiples et des aller et retour du grec vers le latin, ou l’inverse. Dans le synaxaire,
Plautille est appelée Pauti/lh ou Pauti/la ; elle jette le cadavre de Matrone du haut
des murs et, en retour, elle subit un juste châtiment en glissant et en tombant
dans la cuve d’un pressoir à vin23, épisodes absents des deux Passions. Toutes ces
variantes cachent-elles une riche tradition, dont nous n’aurions plus que quelques
bribes ? Ce récit doit-il être perçu comme le prolongement d’un certain anti-
judaïsme présent dans les Passions grecques des temps héroïques, où les chrétiens
s’opposent non seulement aux païens mais aussi aux juifs responsables de la mort
du Christ, par exemple celles de Polycarpe et de Pionius ? On peut penser que
non : l’antijudaïsme véhiculé par la Passion de Matrone semble étranger au milieu
et au souvenir des textes des premières persécutions ; Matrone subit un « martyre
domestique ». C’est vraisemblablement un « antijudaïsme sociétal », dont pourrait

20. « Synaxarium Ecclesiae Constantinopolitanae », H. Delehaye éd., dans Propylaeum ad


Acta Sanctorum Novembris, Bruxelles, 1902, ici p. 563, l. 4.
21. H. DELEHAYE, « Une page du “martyrologe hiéronymien” », dans Mélanges d’hagiogra-
phie grecque et latine (Subsidia Hagiographica, 42), Bruxelles, 1966, p. 331-340.
22. Il y eut un évêque de ce nom à Thessalonique durant la première moitié du IVe siècle (deux
lettres de lui sont signalées chez Athanase d’Alexandrie).
23. Dans le synaxaire de Constantinople ces deux faits sont introduits par le verbe φάσιν
(l. 12).
250 MONIQUE GOULLET

témoigner le texte BHL 5687b, qui ne figure que dans le manuscrit de Turin, et qui
a pu être réactivé en Gaule sous l’influence de la législation conciliaire mérovin-
gienne à l’égard des juifs possédant des esclaves chrétiens24.
Ces deux textes latins – surtout le premier – dégagent-ils des traits visibles
hérités du grec (lexicaux, linguistiques et stylistiques) ? Apparemment non, mais
une analyse textométrique pourrait donner quelques résultats, comme on va le voir
dans les deux cas suivants.
2) Cas 2 : existence d’un texte grec et d’un texte latin proches l’un de l’autre
Les méthodes de textométrie se multiplient aujourd’hui. Pour les langues
anciennes, le LASLA de Liège (Laboratoire d’analyse statistique des langues
anciennes) propose une lemmatisation, à laquelle s’adosse, dans le cas du latin,
une analyse lexicale et morpho-syntaxique complète (chaque mot étant encodé),
assistée par l’ordinateur. Le philologue a toujours la maîtrise des procédures et
des résultats, car parmi les propositions faites par le programme il lui revient de
choisir – et parfois de corriger ou de compléter si le programme ne propose rien – à
la fois le lemme et l’analyse. À chaque mot du texte latin correspond ainsi un code
chiffré qui définit son profil morpho-syntaxique25. Le traitement des résultats par
différents logiciels (en l’occurrence ici avec Hyperbase, adapté aux codages du
LASLA) permet de situer le profil de ce texte dans un vaste corpus hagiographique
qui, sur le plan chronologique, va de la tardo-Antiquité jusqu’au XIe siècle, et qui,

24. C. DE CLERQ – J. GAUDEMET – B. BASDEVANT, Les Canons des conciles mérovingiens,


VIe-VIIe s. (SC 353-354), Paris, 1989, vol. 1, p. 242, col. 14, Orléans III (538) : « Pour les esclaves
chrétiens qui sont attachés au service des juifs, si leurs maîtres leur imposent quelque chose qui
est interdit par la religion chrétienne, ou si, après les avoir retirés, en leur pardonnant, de l’église
où ils avaient cherché asile, ces maîtres se permettaient de les châtier ou de les battre pour la faute
pardonnée, et qu’eux se réfugient à nouveau dans l’église, l’évêque ne doit nullement les rendre.
Seulement on offrira et on donnera aux maîtres le prix que fixera pour ces esclaves une juste
estimation » ; Mâcon I (581-583) : « …nous décidons en ce présent concile, sous l’autorité de
Dieu, qu’aucun chrétien désormais ne doit servir un juif, mais que moyennant douze sous pour
chaque esclave valide, tout chrétien ait la faculté de racheter cet esclave soit pour la condition
libre, soit pour la servitude. …Nous décidons tout spécialement que si un juif est convaincu
d’avoir persuadé un esclave chrétien de passer à l’erreur judaïque, il soit d’une part dépossédé
de cet esclave et d’autre part frappé de la condamnation légale » (Les Canons, vol. 2, p. 437-439,
col. 16-17) ; Clichy (626-627) : « Si d’autre part des juifs osent inviter des esclaves chrétiens à
passer au judaïsme ou les accablent de sévères tourments, que ces esclaves soient attribués au
fisc » (Les Canons, vol. 2, p. 536-537, col. 13). Voir aussi A. LINDER, The Jews in the legal sources
of the early Middle Ages, Detroit – Jerusalem, 1997 ; C. GEISEL, Die Juden im Frankenreich. Von
den Merowingern bis zum Tode Ludwigs des Fromme, Frankfurt am Main – New York, 1998.
Dans la législation mérovingienne le leitmotiv est que les juifs ne doivent pas avoir d’esclaves
chrétiens, et qu’il leur est interdit de les faire circoncire, sous peine d’avoir à leur accorder la
liberté.
25. http://www.cipl.ulg.ac.be/Lasla/index.html, dirigé par Dominique Longrée. À titre
d’exemple, pour un verbe : sa conjugaison, sa voix, son mode, son temps, sa personne, la conjonc-
tion dont il dépend s’il y a lieu.
LES PREMIERS LÉGENDIERS LATINS 251

sur le plan géographique, comprend, entre autres, des traductions hagiographiques


faites sur le grec. La majeure partie du corpus hagiographique a été constituée par
Caroline Philippart de Foy dans le cadre de sa thèse de doctorat26. Elle a baptisé
« orphelines » des traductions faites entre le VIe et le début du IXe siècle, en ce sens
qu’elles ne sont pas issues de la plume de professionnels connus comme Anastase
le Bibliothécaire ou d’écoles réputées comme l’école napolitaine (IXe-Xe s.) ou
amalfitaine (XIe s.). Ces traductions « orphelines » émanent majoritairement de
Rome, mais aussi d’Italie du Nord et d’Italie du sud. Deux textes du légendier
de Turin, la Vie d’Eupraxie et la Passion de Marine, ont été soumis à une analyse
textométrique27.
Dans le cas de la Vie d’Eupraxie, moniale en Thébaïde, on a la chance de
posséder à la fois une version latine (BHL 2718, et BHL 2719 qui n’est qu’un sous-
groupe du précédent28) et une version grecque (BHG 631), qui entretiennent une
relation de dépendance littérale ; la Vie latine a connu un succès hagiographique
très important en Occident : la base internet des Bollandistes (BHLms) répertorie
une soixantaine de manuscrits qui attestent son succès constant du VIIIe jusqu’au
XVIIe siècle. Une comparaison mot à mot avec l’édition du manuscrit Vat. gr. 866
publiée dans les Acta Sanctorum29 suggère que le texte grec est premier, ce qui est
confirmé par la concordance de ce manuscrit avec le fragment de papyrus grec du
Louvre (Ve/VIe siècle) mentionné ci-dessus. De son côté l’analyse textométrique du
texte latin place la Vie d’Eupraxie dans la sphère des traductions « orphelines »30.

26. Hagiographie et statistique linguistique : étude d’un corpus de traductions médiolatines


d’origine grecque, thèse dirigée par Sylvie Mellet (Univ. de Nice, laboratoire Bases, Corpus,
Langages) et François Dolbeau (EPHE). Cette recherche est un prolongement du projet
Mediolatinitas dirigé par Guy Philippart à l’Université de Namur ; il a été présenté par Caroline
Philippart de Foy sous le titre « Mediolatinitas : légendes hagiographiques et statistique lin-
guistique », Hagiographica, 10, 2003, p. 37-78. Le LASLA de Liège effectue actuellement le
traitement de textes tardo-antiques et médiévaux en respectant les spécificités de ces textes tardifs,
y compris dans leurs versions manuscrites. Voir, très récemment, D. LONGRÉE et C. BERTRAND-
DAGENBACH, « Le traitement de l’Histoire Auguste selon les méthodes du LASLA : descriptif du
projet et perspectives linguistiques », Actes du Colloque Latin vulgaire et Latin Tardif, LVLT 10,
Bergame, 5-8 septembre 2013, sous presse.
27. Cette analyse textométrique n’a été appliquée qu’aux traductions latines ; une comparaison
entre les versions grecque et latine pourrait fournir des éléments intéressants sur la méthode de tra-
duction adoptée, mais il n’a pas été techniquement possible de l’effectuer pour cette publication.
28. Voir Le Légendier de Turin, p. 409-410.
29. AASS, Mart. II, p. 727-736 ; ce texte grec a été comparé avec le texte latin des manuscrits
Torino, BNU, D.V.3 ; Montpellier, BIU, Méd. H.55 ; Basel, Universitätsbibliothek, F.III.15b
(Fulda[ ?], 1er quart du IXe s.) ; les trois sont de la même famille ; Mp H. 55 est très lacunaire.
30. C. PHILIPPART DE FOY et M. GOULLET, article à paraître dans les Mélanges de l’École
française de Rome – Moyen Âge (MEFRM). Sur le texte grec, voir P. ODORICO, « Ideologia reli-
giosa e contestazione politica in una opera agiografica tardo antica », Ricerche di Storia Sociale e
Religiosa di Vicenza, 8, n. 15-16, 1979, p. 59-75.
252 MONIQUE GOULLET

La version de la Passion de Marine transmise par le légendier de Turin


(BHL 5303c) est, elle aussi, une traduction « orpheline » du grec selon l’analyse
textométrique effectuée31. Mais la version grecque éditée par Usener32 est mani-
festement un texte refait, car selon la version latine BHL 5303c copiée à la fin du
VIIIe s., quand le préfet Olibrius rencontre Marine gardant ses brebis, il est dans
un buricale, hapax latin translittéré du grec βουρικάλιον ou βουριχάλιον,
qui désigne une voiture tirée par une bourrique ou un mulet. La translittération
de βουρικάλιον suggère que la rédaction de la première traduction latine de la
Passio Marinae s’est faite en milieu byzantin. Or dans la version de la Passion
éditée par Usener d’après le manuscrit Paris, BnF, gr. 1470, daté de 890, que le
futur patriarche de Constantinople, Méthode, copia entre 815 et 821 en lui ajoutant
des scolies, le mot qui désigne l’attelage d’Olibrius est ῥαιδίον en lieu et place de
βουρικάλιον : Olibrius est assis ἐπὶ ῥαιδίου. Méthode n’a vraisemblablement
pas seulement copié le texte, mais il l’a aussi amendé ou réécrit partiellement.
Dans le titre de ses scholies, il dit qu’il est à Saint-Pierre de Rome33 : il aurait
donc pu avoir à sa disposition une version latine de la Passion, dans laquelle le
cabriolet d’Olibrius aurait été appelé raeda ou rheda (équivalent du grec ῥέδη),
mots plus répandus que buricale ; mais il se trouve que seule la version BHL 5303c
mentionne le véhicule sur lequel est monté Olybrius. Il semble plus vraisemblable
que Méthode ait pu tout simplement emprunter le mot ῥαιδίον au texte de l’Apo-
calypse 18, 1334.
Sur les critères de distance lexicale et de distance grammaticale – terminologie
exprimant la proximité ou l’éloignement entre deux ou plusieurs textes en fonction
du lexique ou la grammaire – l’analyse textométrique a permis de situer la Vie
latine d’Eupraxie et la Passion latine de Marine dans le corpus des traductions
« orphelines ».

31. M. GOULLET et C. PHILIPPART DE FOY, « Mesurer les distances entre des textes pré-
carolingiens linguistiquement non-normés : le cas de la Passion de sainte Marine », à paraître dans
la revue Les études classiques (thématique « Langues anciennes et analyse statistique : recherches
sur les distances textuelles et l’intertextualité »). Les différentes versions latines de la Passion ont
été analysées et éditées dans M. CLAYTON – H. MAGENNIS, The Old English Lives of St Margaret,
Cambridge, 1994.
32. H. K. USENER, Acta S. Marinae et S. Christophori. Festschrift zur fünften Säcularfeier
der Carl-Ruprechts-Universität zu Heidelberg, überreicht von Rector und Senat der rheinischen
Friederich-Wilhelms-Universität, Bonn, 1886 (édition du texte p. 15-47).
33. Paris, BnF, gr. 1470, fol. 135r, Usener, p. 48, l. 5.
34. G. BIGUZZI, Apocalisse. Nuova versione, introduzione e commento (I Libri Biblici 20),
Milano, 2005, p. 41.
LES PREMIERS LÉGENDIERS LATINS 253
254 MONIQUE GOULLET

3) Cas 3 : versions latines multiples issues d’un même modèle grec (?)
La Passion de Babylas a été un grand succès de l’hagiographie du haut Moyen
Âge. Elle nous est parvenue dans trois versions latines au moins, copiées dans
les quatre légendiers les plus anciens de la zone franco-germanique qui ont été
présentés ci-dessus, avec des variantes si importantes parfois qu’il faut employer
le mot « réécriture » et non « traduction ». La version commune aux manuscrits
Torino, BNU, D.V.3 et Montpellier, BIU, Méd. H.55 appartient à la famille
BHL 889, celle du Clm 4554 à la famille BHL 890, et celle du Clm 3514 à la
famille BHL 891 ; BHL 890 est également représenté par deux témoins plus tardifs
mais importants, Zürich, C10i (Passionnaire de Saint-Gall, écrit vers 900), et Vat.
lat. 5771 (écrit à Bobbio, entre 850 et 950), qui s’écartent parfois du Clm 4554
et divergent ponctuellement entre eux par des variantes significatives. Or tout
se passe comme si ces versions latines représentaient trois types d’adaptations
différentes d’un même texte grec de la famille BHG 205, qui sera représentée
ici par le témoin St-Petersburg 213 (milieu du XIIe siècle selon Ehrhard)35. La
traduction latine la plus littérale est celle du Clm 4554 (BHL 890), suivie de près
par BHL 889, représenté par les manuscrits de Turin et de Montpellier, qui tout en
traduisant souvent littéralement le grec différemment de BHL 890 est aussi sou-
vent plus synthétique ; la version du codex Velseri (BHL 891) ajoute des discours
homilétiques à la trame narrative36, et elle multiplie les exemples bibliques ; mais
surtout elle s’ouvre sur un bref prologue, de portée idéologique, qui prend appui
sur le triomphe des martyrs pour affirmer fortement la supériorité du divin sur le
temporel, ce qui est le leitmotiv du Discours et de l’Homélie de Jean Chrysostome
sur Babylas. Il se peut bien que la personnalité d’un des plus grands Pères grecs de
l’Occident ne soit pas pour rien dans le succès de l’hagiographie de Babylas. On
peut s’interroger sur l’origine de la version latine figurant dans le codex Velseri :
est-elle le résultat d’une traduction ad sensum amplifiée, ou bien n’est-elle qu’une
réécriture par amplification d’une version latine déjà existante ? La complexité des
rapports entre la riche tradition grecque d’une part, et les différentes recensions
latines d’autre part, émane vraisemblablement de contaminations successives
entre grec et latin.

35. Édité en 1907 par PAPADOPOULOS-KERAMEUS dans Syllogè Palaistines kai Syriakès agio-
logias, p. 75-84. L’éditeur le date du Xe siècle, mais A. EHRHRARD, Überlieferung und Bestand,
vol. I, Leipzig, 1937, le date du milieu du XIIe siècle (p. 375-377).
36. Sur cette question, voir M. GOULLET, « Per Asclepium contemno sermones tuos (Passio
Babylae, ms Torino, D.V.3, 156r, 1) : san Babila e la testimonianza polemico/omiletica del
pastore », dans Forme della polemica nell’omiletica latina di IV-VI secolo. Convegno internazio-
nale, Foggia, 11-13 settembre 2013, Auctores Nostri. Sudi e testi di letteratura cristiana antica,
14, 2014, p. 87-101.
LES PREMIERS LÉGENDIERS LATINS 255

À titre d’exemple, voici le début du texte grec édité par Papadopoulos Kerameus
suivi des trois versions latines :
Νουμεριανὸς ὁ βασλεὺς θύσας τοῖς ἀκαθάρτοις δαίμοσιν
BHL 889 « Nomerianus rex cum immolasset obscenis daemoniis » // BHL 890
« Numerianus rex cum immolasset inmundis idolis » // BHL 891 « Nam cum
Numerianus imperator noui sacrificii busto redundans necdum inluuie sordidi nitoris
abluta, »
ἠθέλησεν εἰσελθεῖν εἰς τὸν οἶκον τοῦ θεοῦ.
BHL 889 « uoluit introire in domum Domini. » // BHL 890 « uoluit introire in domum
Dei. » // BHL 891 « facto impetu ingredi pararet eclesiam, »
ὁ δὲ τρισμακάριος Βαβυλᾶς, τῆς ἐν Ἀντιοχείᾳ καθολικῆς ἐκκλησίας
ἐπίσκοπος ὦν
BHL 889 « Beatus autem Babyllas episcopus eius catholicae eclesiae » // BHL 890
« Sed sanctus Babillas episcopus » // BHL 891 « ut locum illum ueneratione calcaret,
Babylas episcopus illius et ciuitatis et temporis »
καὶ εἰδὼς καλῶς ποιμαίνειν τὰ πρόβατα τὰ ὑφ´αὐτὸν,
BHL 889 « ut bonus pastorum ouium suarum » // BHL 890 « qui sciebat bene regere
oues Christi que erant sub ipso » // BHL 891 « (vacat) »
ἀκούσας μέλλοντα εἰσιέναι τὸν Νουμεριανόν,
BHL 889 « audiens uelle ingredi Numerianum ecclesiam » // BHL 890 « audiens
ingressurum Numerianum » // BHL 891 « conuocatis omnibus christianis, ubi hoc
primum conperit, »
ἄρας τὴν φωνὴν αὑτοῦ πρὸς τὸν λαὸν ἔφη
BHL 889 « eleuans uocem suam dixit ad plebem. » // BHL 890 « praesenti omni populo
dixit. » // BHL 891 « quid agi deberet ostendit, hac omnes oratione confirmans. »
Στερροὶ γίγνεσθε, τέκνα. ἐνταῦθα παραμείνατε.
BHL 889 « Filioli mei stabiles estote in fide et orate sine cessatione » // BHL 890
« Fortes estote filii et expectate hic » // BHL 891 « Nullus ex uobis, o dulcissimi fili,
formidet exitum. State fortiter, durate feliciter. »
λύκος γὰρ μέλλει εἰσιέναι εἰς τὸν οἶκον τοῦ θεοῦ
BHL 889 « minatur enim lupus ingredi in ouilem Domini » // BHL 890 « lupus enim
incipit introire in domum Dei » // BHL 891 « Quæ enim disperatio habenda est,
ubi defendit Christus, et temptat inripe, et hunc sanctæ orationis locum, perfusum
hostiarum cruore maculare. »
καὶ ἐὰν μὴπροκαταλάβηται ἡμᾶς ὁ θεός, ἀπολλύμεθα.
BHL 889 « Quem Dominus Ihesus Christus expectantibus uobis habet confundere. » //
BHL 890 « et si non Deus conpraehendat aut antecipet nos, perimus. » // BHL 891 « In
grandis periculi angustiis sumus et, nisi opem Deus largiatur, occidimur. »
Οἱ δὲ ὑπήκουσαν καὶ παρέμειναν, αὐτὸς δὲ πρὸ τῶν θυρῶν ἑστὼς
ἐξεδέχετο.
BHL 889 « Ipse uero egressus foras expectabat eum. » // BHL 890 « Quique oboedierunt
ei et expectauerunt. Ipse autem stans ante ianuam exspectabat. » // BHL 891 « Hoc
sermone completo, eclesiæ ianuam repugnaturus obsedit. »

Cet exemple mérite qu’on poursuive la recherche sur les rapports entre les
trois versions latines d’une part, et, d’autre part, les rapports de chacune de ces
versions avec le texte grec. Si l’on élimine la soixantaine de témoins manuscrits
256 MONIQUE GOULLET

de la version métaphrastique BHG 206, il ne reste que quatre témoins de la version


BHG 205, parmi lesquels deux sont fragmentaires ou mutilés (Istanbul, Patriar.
Bibl., Hagia Trias, 100 [XIe s.], 12r-13v, et 102 [rescriptus]). Seuls les manuscrits
St-Petersbourg 213 et Roma, Bibl. Vallicelliana, C034, f. 13-18 (XIIIe-XVIe s.) sont
complets et transmettent la même version du texte. Là encore l’analyse textomé-
trique permettra d’avancer.
Ce qu’on vient de lire ici ne sont que les prémices d’un vaste projet en cours sur
les Passions traduites du grec.
Monique GOULLET
CNRS – Université de Paris I
La réception des Pères grecs
par les franciscains au XIIIe siècle.
Essai de mise au point
La réception des Pères de l’Église au Moyen Âge a déjà été étudiée par deux
volumes relativement récents. Le premier, paru chez Brill en 1996, s’intitule
The Reception of the Church Fathers in the West: From the Carolingians to the
Maurists ; Irena Dorota Backus a rassemblé en deux tomes des contributions qui
concernent non seulement l’ensemble des Pères de l’Église, mais aussi les périodes
médiévale et moderne. Plus récemment, en 2013, sont parus à Münster les actes du
congrès intitulé Réceptions des Pères et de leurs écrits au Moyen Âge. Le devenir
de la tradition ecclésiale édités par les soins de Rainer Berndt et Michel Fédou.
L’objectif de cette contribution est de restreindre le champ d’investigation dans
la mesure où il ne concerne plus que les Pères grecs. En outre, il va se concen-
trer sur les franciscains qui, avec les dominicains, sont les deux grands ordres
mendiants qui apparaissent au début du XIIIe siècle. Rapidement, les deux ordres
s’investissent dans les activités intellectuelles, dans l’élaboration de nouveaux
instruments de travail et de méthodes d’enseignement, ce qui va les conduire à
s’intéresser à la patristique grecque. Le rôle des dominicains, et particulièrement
de Thomas d’Aquin, dans la réception des Pères grecs est relativement bien étu-
dié : Giuseppe Conticello a notamment montré comment Thomas d’Aquin a fait
traduire par son équipe des Pères grecs et a ainsi permis leur introduction dans
l’exégèse biblique1. Il notait à cette occasion que la traduction et la mise en circu-
lation d’un grand nombre de textes grecs patristiques vers 1160 constituaient un
phénomène extrêmement important. Sur son impact, souvent négligé par rapport
à celui de l’aristotélisme, il écrivait en 1990 : « Mancano ancora i lavori impor-
tanti2. » Cette mise au point sur la participation active des franciscains dans ce

1. C. G. CONTICELLO, « San Tommaso e i Padri: la Catena aurea super Ioannem », Archives


d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 57, 1990, p. 31-92.
2. Voir, par exemple, C. KÖNIG-PRALONG, Avènement de l’aristotélisme en terre chrétienne :
l’essence et la matière : entre Thomas d’Aquin et Guillaume d’Ockham, Paris, 2005.
258 SOPHIE DELMAS

phénomène permettra de combler, au moins partiellement, cette lacune. En effet,


quelques noms proches du franciscanisme, tels ceux de Robert Grossetête, Roger
Bacon ou encore Ange Clareno, viennent spontanément à l’esprit de l’historien
médiéviste. Est-ce à dire qu’il existe un intérêt propre aux franciscains pour les
Pères grecs ? Si certains frères mineurs sont connus pour s’être attelés à l’étude du
grec, ils ont également pu accéder à la patristique grecque par l’intermédiaire des
traductions et des florilèges.

I. – L’ACCÈS AUX ŒUVRES DES PÈRES GRECS

A. Un accès direct : la langue


Comme l’a déjà souligné Gilbert Dahan à propos des études bibliques, les
savants du Moyen Âge n’ont pas attendu la Renaissance pour s’intéresser aux
langues anciennes, quelles qu’elles soient3. L’intérêt pour le grec, attesté chez les
dominicains, ne l’est pas moins chez les franciscains. Le grec peut être appris en
Orient ou auprès d’orientaux venus en ambassade ou en mission. La connaissance
du grec a un aspect indéniablement utilitaire : ainsi, les franciscains apprennent le
grec pour des raisons pragmatiques ou diplomatiques. C’est notamment le cas en
Angleterre où la langue grecque, son apprentissage et ses traductions sont associés
aux noms de Roger Bacon, de Robert Grossetête ou de Guillaume de la Mare.
Ainsi, pour le franciscain Roger Bacon, « la connaissance de la langue est la
première porte de la sagesse4 ». En effet, dans l’un de ses ouvrages, il indique les
raisons pour lesquelles il est indispensable de s’intéresser à la langue grecque.
Il s’agit de la partie III de l’Opus maius intitulée De utilitate grammaticae dans
laquelle Roger Bacon démontre la nécessité de connaître non seulement la langue
grecque, mais aussi l’hébreu, l’arabe ou la langue chaldéenne (syriaque). La trilo-
gie sur laquelle il insiste le plus est celle qui rassemble l’hébreu, le grec et le latin :
il considère que l’Église a commencé chez les Hébreux, puis s’est développée
chez les Grecs et enfin s’est accomplie chez les Latins5. Il invoque pour cela
cinq raisons : (1) les mots grecs ou hébreux sont utilisés dans la liturgie ; (2) la
connaissance des langues est nécessaire aux prêtres pour les sacrements et les
consécrations ; (3) ces langues sont importantes pour les missions ; (4) les textes

3. G. DAHAN, « La connaissance et l’étude des langues bibliques dans le monde chrétien


d’Occident, XIIe-XIVe siècles », dans Les origines du Collège de France (1500-1560), M. Fumaroli
éd., Paris, 1998, p. 327-355. Voir aussi R. WEISS, « Greek in Western Europe at the end of the
Middle Ages », Dublin Review, 119, 1955, p. 68-76.
4. Citation relevée notamment par P. BOURGAIN, « Le sens de la langue et des langues chez
Roger Bacon », dans Traduction et traducteur au Moyen Âge. Colloque international du CNRS,
IRHT, 26-28 mai 1986, Paris, 1989, p. 317-331.
5. R. WEISS, « The Study of Greek in England during the Fourteenth Century », Rinascimento,
2, 1951, p. 209-214, notamment p. 215.
LA RÉCEPTION DES PÈRES GRECS PAR LES FRANCISCAINS 259

les plus importants en théologie, en philosophie et en science sont écrits dans ces
langues ; (5) enfin elles sont importantes pour le commerce et pour la diplomatie6.
Les frères mineurs ont été du reste particulièrement actifs dans les échanges avec
l’Église grecque orthodoxe qui vont aboutir en 1274 au concile de Lyon II7.
Robert Grossetête, maître séculier et chancelier de l’Université d’Oxford,
premier régent du studium franciscain d’Oxford et évêque de Lincoln (entre
1229/1230 et 1235), s’intéresse d’abord au grec pour ses études exégétiques : il
réalise alors à quel point il est difficile de comprendre un texte en traduction8.
C’est pour cette raison qu’à ses yeux, il est nécessaire de connaître la langue et de
lire le texte dans sa version originale ou bien d’en donner une traduction littérale.
R. Southern suppose que Jean de Basingstoke fut un des professeurs de grec de
Robert Grossetête. Quoiqu’il en soit, il s’est entouré de collaborateurs gréco-
italiens parmi lesquels un Sicilien appelé Nicolas le Grec.
Enfin, l’autre franciscain anglais que l’on peut associer étroitement à l’étude
du grec est Guillaume de Mara († 1298), auteur d’un commentaire des Sentences,
de questions disputées et de sermons. Il est aussi connu pour ses correctoires, un
correctoire biblique et un Correctorium Fratris Thomae. Il connaît aussi le grec
et l’hébreu comme en témoigne son De Hebreis et Grecis Vocabulis Glossarium
Biblie : mais cette compétence est davantage mise au service du texte biblique que
des textes patristiques9.
La connaissance du grec est cependant limitée. L’accès à la patristique grecque
se fait essentiellement par des intermédiaires, à commencer par les traductions du
grec au latin.

B. Un accès indirect: les traductions


Dans un article fondateur, Hyacinthe-François Dondaine avait relevé quatre
groupes de citations dionysiennes (sur les idées divines, la définition du baptême,
la définition du caractère sacramentel et les propriétés de la foi) et avait étudié leur
utilisation par les théologiens du XIIIe siècle : sa conclusion montre que les ¾ des

6. ROGER BACON, Opus maius, J. H. Bridges ed., vol. I, Cambridge, 2010, p. 66-67.
7. M. RONCAGLIA, Les frères mineurs et l’Église grecque orthodoxe au XIIIe siècle (1231-
1274), Le Caire, 1954, p. 249-264.
8. Sur Robert Grossetête, les études sont nombreuses. Citons notamment : A. C. DIONISETTI
«The Greek Studies of Robert Grosseteste », dans The Uses of Greek and Latin. Historical
Essays, A. C. Dionisetti – A. Grafton – J. Kraye eds., London, 1988, p. 19-39 ; J. MCEVOY,
Robert Grosseteste, Exegete and Philosopher, Aldershot, 1994 ; ID., Robert Grosseteste: New
Perspectives on his Thought and Scholarship, Turnhout, 1994.
9. G. DAHAN, « La connaissance du grec dans les correctoires de la Bible du XIIIe siècle », dans
Du copiste au collectionneur: Mélanges d’histoire des textes et des bibliothèques en l’honneur
d’André Vernet, D. Nebbiai-Dalla Guarda éd., Turnhout, 1998, p. 89-109.
260 SOPHIE DELMAS

citations sont faites de mémoire ou réarrangées de façon arbitraire, les autres sont
données directement à partir des traductions latines10.
En effet, de nombreuses traductions latines des Pères grecs sont réalisées au
Moyen Âge. Joseph Thomas Muckle en a donné une liste exhaustive dans deux
articles déjà anciens, parus dans Medieval Studies en 1942 et 194311. Le XIIe siècle
constitue un tournant : Burgundio de Pise (1130-1193) traduit entre 1148 et 1150 le
De fide orthodoxa de Jean Damascène, puis Grégoire de Nysse (De natura homi-
nis) et Jean Chrysostome (Homiliae in Mattheum, in Iohannem, in Genesim). Au
siècle suivant, les traducteurs des Pères grecs sont nombreux chez les franciscains
ou dans leur entourage.
C’est de nouveau Robert Grossetête qui s’illustre dans ce domaine. Selon Roger
Bacon, au début de sa carrière, il ne connaît pas le grec. Son commentaire sur les
Psaumes témoigne cependant de son intérêt croissant pour les étymologies des
mots grecs, sur les termes grecs et leurs équivalents en latin. Il s’intéresse alors
déjà à des Pères grecs tels Jean Chrysostome, Jean Damascène, le Pseudo-Denys
et Basile de Césarée. Ce n’est qu’à la fin de sa vie, grâce aux leçons prises auprès
de certains de ses collègues, qu’il réussit à traduire des textes du grec. Vers 1240,
après son élévation à l’épiscopat, il traduit Jean Damascène (il révise la traduction
faite par Burgundio de Pise) et le Pseudo-Denys. En plus de ses traductions, Robert
Grossetête a rassemblé une impressionnante collection de textes grecs : il les a
réunis dans sa propre bibliothèque qu’il a ensuite léguée au couvent franciscain
d’Oxford12.
Plus tard, à la fin du XIIIe siècle, au moment où l’ordre des frères mineurs est
traversé par de graves crises internes, les Spirituels franciscains rapportèrent de
leur exil de nombreux textes patristiques et les traduisirent. Le cas le plus connu
est celui d’Ange Clareno13. Pierre de Fossombrone entre chez les franciscains

10. Les citations originales sont en outre plus fréquentes dans les sommes et dans les questions
que dans les Commentaires des Sentences. H.-F. DONDAINE, « Les scolastiques citent-ils les Pères
de première main ? », Revue des sciences philosophiques et théologiques, 36, 1952, p. 231-243.
11. J. T. MUCKLE, « Greek works translated Directly into Latin before 1350 », Medieval Studies,
4, 1942, p. 33-42 et 5, 1943, p. 102-114.
12. Sur Robert Grossetête et les Pères grecs, voir en particulier R. WEISS, « The Study of Greek
in England during the Fourteenth Century », p. 209-214, notamment p. 211 ; R. W. SOUTHERN,
Robert Grosseteste: The Growth of an English Mind in Medieval Europe, Oxford, 1992, notam-
ment p. 181-182 et 199-200 ; N. LEWIS, « Robert Grosseteste and the Church Fathers », dans The
Reception of the Church Fathers in the West: From the Carolingians to the Maurists, I. Backus
ed., Leiden, 1996, tome I, p. 197-229.
13. Sur ce personnage, voir notamment B. GAIN, « Ange Clareno et les Pères grecs », dans
Angelo Clareno francescano. Atti del XXXIV Convegno internazionale, Assisi, 5-7 ottobre 2006,
Spoleto – Assisi, 2007, p. 393-408 ; L. VON AUW, « À propos d’Angelo Clareno », dans Chi erano
gli spirituali. Atti del III Convegno internazionale, Assisi, 16-18 ottobre 1975, Assisi, 1976,
p. 207-220.
LA RÉCEPTION DES PÈRES GRECS PAR LES FRANCISCAINS 261

vers 1275 et se montre rapidement favorable à la pauvreté radicale. Emprisonné,


il est libéré en 1290, part pour la Cilicie, puis revient en Italie où l’élection de
Célestin V lui est favorable. Mais son remplacement par Boniface VIII l’oblige
à se réfugier en Grèce pendant une dizaine d’années (entre 1295 et 1304/1305) :
c’est à ce moment-là qu’il se lance dans la traduction en latin de nombreux textes
patristiques grecs. Nous ignorons comment se fit son apprentissage du grec : on
ne peut évidemment guère se fier aux trois témoignages selon lesquels il aurait
appris cette langue de façon miraculeuse, en une nuit de Noël. Selon les travaux de
Benoît Gain, Ange Clareno a traduit quatre auteurs grecs, le Pseudo-Macaire, Jean
Chrysostome (Epist. 125), Jean Climaque (les dix premiers degrés de la Scala
Paradisi) et surtout Basile de Césarée qu’il admirait pour sa conception rigoureuse
de la pauvreté : l’enseignement de saint Basile n’est pas sans rappeler celui de
saint François, par exemple à propos de la possession d’une seule tunique. Ange
Clareno ne se contente pas de traduire les Pères grecs : il les cite abondamment
dans son œuvre. Dans ce cas, il a souvent puisé dans les citations d’autorités des
maîtres franciscains de la génération antérieure, tels Bonaventure, Jean Pecham
ou Ubertin de Casale.
Ainsi, les théologiens de l’Université de Paris accèdent progressivement à ces
différentes traductions. Ils n’hésitent pas à utiliser les différentes versions latines
d’un même texte grec et dans certains cas même les comparent. H.-F. Dondaine a
par exemple montré que le maître franciscain du milieu du XIIIe siècle, Eustache
d’Arras, utilisait diverses traductions latines du Pseudo-Denys14. La première ver-
sion latine de ce dernier fut faite à l’abbaye de Saint-Denis dans les années 830 par
l’abbé Hilduin. Cette traduction est rapidement remplacée par celle de Jean Scot
Érigène trente ans plus tard. Dans ses questions disputées De naturali dilectione,
Eustache d’Arras cite le Pseudo-Maxime, appelé aussi Maximus ou Commentator
par ses contemporains : il s’agit du De divisione nature de Scot Érigène. Eustache
d’Arras emploie aussi une troisième traduction, celle de Jean Sarrazin : Eustache
d’Arras, à l’instar d’Albert le Grand et Thomas d’Aquin, donne une définition
dionysienne de la foi d’après la traduction de Jean Sarrazin. De même, dans la
question disputée De fide et scientia in patria, il cite intégralement un extrait de
Sarrazin. Enfin, vers 1238, alors que la version de Sarrazin commence à s’impo-
ser, Thomas Gallus en propose une paraphrase simplifiée, l’Extractio. Elle obtient
un certain succès, plus particulièrement chez les maîtres franciscains : Eustache
d’Arras emprunte au moins une dizaine de citations des Noms divins à l’Extractio,
notamment dans la question disputée 1 De naturali dilectione15.

14. H.-F. DONDAINE, Le corpus dionysien de l’Université de Paris au XIIIe siècle, Rome,
1953, p. 115. Sur ces traductions, voir la contribution de E. MAINOLDI dans cet ouvrage, p. -.
Sur Eustache d’Arras, cf. S. DELMAS, Un franciscain à Paris. Le maître en théologie Eustache
d’Arras (o.f.m.) au milieu du XIIIe siècle, Paris, 2010.
15. H.-F. DONDAINE, Le corpus dionysien, p. 115.
262 SOPHIE DELMAS

Eustache d’Arras utilise au moins quatre traductions différentes du Pseudo-


Denys. Il est également conscient de leur diversité et des sens différents qu’elles
peuvent susciter. Il comprend que cette multiplicité puisse conduire à des erreurs
de compréhension et d’interprétation. Cela apparaît clairement dans la deuxième
question disputée sur l’ordre de la charité16 : à cette occasion, Eustache d’Arras
se demande si l’homme doit davantage s’aimer lui-même ou aimer autrui. Dans
la longue série d’objections selon lesquelles cet amour doit d’abord porter sur le
prochain, l’autorité du Pseudo-Denys est invoquée17. Dans l’une d’elles, Eustache
d’Arras souligne qu’il existe deux possibilités de traduction18 : l’amour évoqué par
le Pseudo-Denys peut être celui qui est « envers Dieu » ou « en Dieu ». En effet, soit
il s’agit de l’amour parfait par lequel quelqu’un aime Dieu, lui-même, le prochain
de façon ordonnée : c’est un amour qui tend « vers Dieu », qui se porte non pas vers
celui qui aime, mais vers celui qui est aimé. Soit cet amour est l’amour parfait qui
est « en Dieu », c’est-à-dire l’amour divin comme le dit, selon les propres termes
d’Eustache d’Arras, « l’ancienne traduction » (antiquam translationem). Dans ce
cas, ce qui est et doit être aimé n’est pas le prochain, mais les biens éternels.
Cette « ancienne traduction » désigne sans doute celle d’Érigène qu’on peut lire
aujourd’hui dans la Patrologie latine19. Ainsi, assis à sa table de travail, Eustache
va consulter plusieurs traductions du Pseudo-Denys et essaie d’en tirer le meilleur
parti possible.

16. EUSTACHE D’ARRAS, question 2 De ordine caritatis : « Secundo queritur de ordine diligendi
secundum comparationem sui ad proximum in via, et est questio utrum homo in statu vie plus
teneatur ex caritate diligere proximos suos quam se, vel e contrario. » Pour la liste des manuscrits,
cf. S. DELMAS, Un franciscain à Paris, p. 370.
17. EUSTACHE D’ARRAS, question 2 De ordine caritatis, d’après Vatican Borghese 139,
fol. 77ra : « Item, Dyonisius iiii de divinis nominibus : est amor in Deum tendens, faciens extha-
sim, non permittens amatores esse sui ipsorum per mentis sobrietatem, sed eorum qui amantur
per mentis excessum. Sed constat quod amor caritatis quo diligitur proximus est huiusmodi. Ergo,
facit necessario maiorem excessum respectu proximi quam respectu sui. Sed omnis talis amoris
motus forcius intenditur circa amatum. Ergo, amor caritatis plus intenditur circa proximum quam
circa proprium subiectum. Constat autem quod non intenditur nisi secundum quod debet. »
18. EUSTACHE D’ARRAS, question 2 De ordine caritatis, d’après Vatican Borghese 139,
fol. 79rb : « Ad illud quod obicitur xix, dicendum quod beatus Dyonisius loquitur ibi de amore
perfecto quo quis ita diligit Deum et se ipsum ordinate et proximum quod ita fervet in procurando
salutem proximorum quod non currat de vita sua corporali et quod non sufficit ei quod ipse sal-
vetur, sed laborat ferventissime spiritu et corpore quod alii salventur. Qualis fuit apostolus Paulus
qui dicebat i Cor. x : cotidie morior propter gloriam fratres. Tamen, hoc faciendo, plus diligit
se, quia hoc faciendo adquirit sibi augmentum glorie et salutis et intensius ad hoc movetur si
comparet unum alii.
Posset autem dicit secundum antiquam translationem quod loquitur de amore perfecto qui est
in Deum. Unde antiqua translatio dicit : est autem amor divinus etc. Et amanda et amata in plurali
non sunt proximi, sed bona eterna sicut pulcritudo eterna, sapientia, bonitas et huiusmodi que
licet sint unum in Deo secundum rem propter divinam simplicitatem, tamen sunt plura secundum
humanam acceptionem. »
19. Cf. PL 122, col. 1029-1194.
LA RÉCEPTION DES PÈRES GRECS PAR LES FRANCISCAINS 263

Cependant, la plupart du temps, les maîtres en théologie médiévaux ne sont pas


aussi scrupuleux et recourent à des intermédiaires.

C. Un accès indirect : les dossiers patristiques


Les auteurs du Moyen Âge accèdent aux Pères grecs par le biais de dossiers
patristiques, notamment la glose ordinaire, les Sentences de Pierre Lombard ou
encore le Décret de Gratien.
Au sein des multiples florilèges patristiques utilisés par les théologiens
médiévaux, prenons le cas récemment étudié de la Pharetra. Il s’agit d’un flo-
rilège patristique thématique, daté au plus tard de 1261 et doté d’un prologue.
Il a été publié sous le nom de saint Bonaventure et attribué à divers auteurs20.
Trois manuscrits attribuent la Pharetra à Guillaume de Fourmenterie (dit aussi
de Gloucester), un auteur franciscain dont on ignore tout21. Dans le prologue,
l’auteur explique avoir « divisé cet opuscule en quatre livres, dont le premier traite
de la diversité des personnes, le second de la multitude des vices et des vertus, le
troisième des choses périlleuses, le quatrième des choses gracieuses », puis avoir
recueilli différentes autorités dont il fournit la liste dans l’ordre suivant : Grégoire,
Ambroise, Jean Chrysostome, Isidore, Cyprien, Augustin, Jérôme, Bernard,
Anselme, Cassiodore et Sénèque. La consultation du contenu de l’ouvrage permet
d’y apporter des corrections : en effet, par rapport à la liste donnée dans le pro-
logue, certains auteurs ont été rajoutés, notamment Jean Damascène22. D’autres
auteurs sont à l’inverse étrangement absents, comme le Pseudo-Denys à propos
des ordres angéliques. Ce florilège a été abondamment diffusé : il est possible
de répertorier plus d’une centaine de manuscrits, principalement en Europe du
Nord, en France septentrionale, en Angleterre et en Allemagne. Les florilèges
patristiques constituent donc aussi des moyens par lesquels les Pères grecs vont
être largement diffusés.
Cet intérêt croissant pour le grec et pour la patristique grecque est logique-
ment visible dans le contenu des bibliothèques franciscaines. C’est le cas dans
les bibliothèques conventuelles. Deux exemples suffiront à illustrer ce propos.
Selon l’inventaire de la bibliothèque conventuelle de 1355, le couvent de Pise
possédait ainsi deux volumes de Jean Chrysostome parmi les livres enchaînés dans
l’Armarium, dans lequel se trouvaient en tout 86 volumes. Parmi les 291 livres
non enchaînés qui pouvaient, eux, être empruntés par les frères, on comptait des

20. PS.-BONAVENTURE, Pharetra, Opera omnia, A. C. Peltier éd., tome VII, Paris, 1866,
p. 3-231. Sur la Pharetra, je me permets de renvoyer à mon étude : « Prêcher en extraits au
XIIIe siècle : la Pharetra attribuée à Bonaventure », dans Lire en extraits. Une contribution à l’his-
toire de la lecture et de la littérature, de l’Antiquité au Moyen Age, S. Morlet dir., Paris, 2015,
p. 425-442.
21. Voir R. SHARPE, A Handlist of Latin Writers, Turnhout, 1997, p. 770.
22. Par exemple, à propos de la Vierge, PS.-BONAVENTURE, Pharetra, p. 14.
264 SOPHIE DELMAS

ouvrages de saint Basile (Hexaméron), Jean Chrysostome (sur Matthieu et Jean) et


Jean Damascène. De même, selon l’inventaire de Santa Croce datant de 1426, les
frères du couvent de Florence disposaient de 781 volumes parmi lesquels la patris-
tique était bien représentée avec six recueils de Jean Chrysostome et cinq volumes
du Pseudo-Denys auxquels s’ajoutaient divers manuscrits d’Origène, saint Basile
et Jean Damascène23. C’est également le cas dans certaines bibliothèques privées
bien étudiées comme celle du franciscain et cardinal Matthieu d’Aquasparta. Sa
bibliothèque est connue non seulement par son acte de donation (1287), mais
aussi par des manuscrits qui en sont issus, conservés à Assise et à Todi. Sur les
quelques quatre-vingts manuscrits mentionnés dans l’acte de donation, on peut
en répertorier trois liés à la patristique grecque : le n 55 (Gregorii Nazanzeni cum
multis aliis) non conservé, le n 59 (Yerarchia Dionisii) aujourd’hui Assise 152 et
le n 64 (Liber Dionisii) aujourd’hui Assise 8024.

II. – L’UTILISATION DES PÈRES GRECS PAR LES MAÎTRES FRANCISCAINS


Si les maîtres se mettent à utiliser les Pères grecs, le terme latin de « Pères
grecs » n’est cependant pas expressément employé : on trouve davantage l’expres-
sion de sancti expositores. En suivant les pistes suggérées par Stephen Brown dans
son article sur le « Patristic Background » de la philosophie médiévale, on peut
essayer de quantifier et de qualifier cette utilisation en s’appuyant sur quelques
études récentes25.

A. Des Pères grecs utilisés et appréciés


En effet, dans quelques études récentes, l’apport de la patristique grecque à la
pensée franciscaine médiévale a été souligné, notamment chez Alexandre de Halès
et Bonaventure.
Si l’on se réfère aux Prolégomènes de la Summa fratris Alexandri, on peut
trouver quelques indications statistiques : les deux Pères grecs les plus cités sont
Jean Damascène (591 citations explicites), le Ps-Denys (346 citations explicites),
puis Jean Chrysostome (235 citations explicites), Origène (86 citations explicites),
suivis par les Pères cappadociens (Grégoire de Naziance, Grégoire de Nysse,

23. K. W. HUMPHREYS, The Book Provisions of the Mediaeval Friars 1215-1400, Amsterdam,
1964, notamment p. 102 et 113.
24. E. MENESTÒ, « La biblioteca di Matteo d’Aquasparta », dans Matteo d’Aquasparta, fran-
cescano, filosofo, politico. Atti del XXIX Convegno storico internazionale, Todi, 11-14 ottobre
1992, Spoleto, 1993, p. 257-289 ; ID., « La biblioteca di Matteo d’Aquasparta », dans Francesco
d’Assisi, Documenti et Archivi, Milano, 1982, p. 104-110.
25. S. F. BROWN, « The Patristic Background », A Companion to Philosophy in the Middle
Ages, J. J. E. Gracia – T. B. Noone eds., Oxford, 2003, p. 23-31.
LA RÉCEPTION DES PÈRES GRECS PAR LES FRANCISCAINS 265

Basile). Une étude plus précise encore a été récemment proposée par Aleksander
Horowski. Ce dernier a en effet réalisé un premier sondage concernant les Pères
dans les Postilles d’Alexandre de Halès sur Isaïe et sur les quatre Évangiles26.
Il souligne que les citations sont plus nombreuses dans celle sur Matthieu : les
similitudes avec Hugues de Saint-Cher sont importantes, notamment pour l’Opus
imperfectum in Mattheum (alors attribué à Jean Chrysostome). Ces œuvres exé-
gétiques d’Alexandre témoignent aussi de l’intérêt de l’exégèse parisienne pour
la traduction des Pères grecs ; celle-ci ne se contente pas de florilèges ou des
commentaires du Haut Moyen Âge.
De même, Jacques-Guy Bougerol a étudié à plusieurs reprises l’influence
importante du Pseudo-Denys sur Bonaventure. Même s’il n’en a pas fait de com-
mentaires, Bonaventure cite le Pseudo-Denys au moins 248 fois dont 142 fois
pour Les Noms divins27. Parmi les thèmes privilégiés, on trouve l’idée de la pré-
éminence du bien sur l’être, celle de l’exemplarisme ou la notion de hiérarchie.
De la même façon, à la fin du XIIIe siècle, l’analyse des œuvres du franciscain
Matthieu d’Aquasparta ou de Pierre de Jean Olivi fait apparaître les mêmes Pères
grecs : Jean Chrysostome, Jean Damascène, Origène et bien sûr le Peuso-Denys28.
Il serait inutile de multiplier les auteurs et les statistiques. Il serait intéressant de
prolonger l’analyse sur le modèle du travail effectué récemment par Dragos Calma
à propos des sources arabes et grecques chez Dietrich de Freiberg en distinguant
qualitativement les citations ad litteram, les citations ad sensum et les citations
se détachant complètement de leurs sources29. Ce que l’on peut souligner pour
l’instant, c’est que ces citations sont parfois accompagnées d’un jugement très
positif sur leurs auteurs. Ainsi, l’élève d’Alexandre de Halès, Jean de la Rochelle,
parle de façon élogieuse de Jean Damascène dans son traité De multiplici divi-
sione potentiarum animae composé vers 1233. Il explique qu’il s’agit « d’un

26. Summa fratris Alexandri, edd. PP. del Collegio S. Bonaventura, volume IV, Quaracchi
1948 ; A. HOROWSKI, « I Padri nell’opera esegetica di Alessandro d’Hales ofm († 1245) »,
dans Les réceptions des Pères de l’Église au Moyen Âge. Le devenir de la tradition ecclésiale,
R. Berndt – M. Fédou éd., Münster, 2013, vol. I, p. 465-492. Je remercie vivement l’auteur de
m’avoir transmis cet article.
27. J.-G. BOUGEROL, « Saint Bonaventure et le Pseudo-Denys l’Aréopagite », dans Saint
Bonaventure. Étude sur les sources de sa pensée, Nothampton, 1989, p. 33-123 ; ID., « Saint
Bonaventure et la Hiérarchie dyonisienne », Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen
Âge, 36, 1969, p. 131-167. Voir aussi Denys l’Aréopagite et sa postérité en Orient et en Occident.
Actes du colloque international, Paris, 21-24 septembre 1994, Y. de Andia éd., Paris, 1997.
28. P. VIAN, « Le letture dei maestri francescani. Tre casi nel secondo Duecento », dans Libri,
bibliotheche e letture dei fratri mendicanti (secoli XIII-XIV), Atti del XXXII Convegno internazio-
nale, Assisi, 7-9 ottobre 2004, Spoleto, 2005, p. 31-78, notamment p. 56, p. 63.
29. D. CALMA, Le poids de la citation. Étude sur les sources arabes et grecques dans l’œuvre
de Dietrich de Freiberg, Fribourg, 2010.
266 SOPHIE DELMAS

grand théologien, d’un grand médecin et d’un grand philosophe » (sicut dicit
Iohannes Damascenus, magnus theologus, medicus, philosophus). Il l’utilise du
reste de façon conséquente dans son traité, comme l’a récemment souligné Alain
Boureau30.

B. Des utilisations variées


Les citations patristiques grecques apparaissent généralement dans des
contextes précis, à propos de controverses disputées par les maîtres en théologie.
L’argumentation scolastique recourt habituellement à trois types de matériaux, la
raison, la Bible et les autorités patristiques.
Comme l’a montré Alain Boureau, les citations des Pères grecs sont notamment
sollicitées dans les disputes mettant en scène les controverses entre les Grecs et
les Latins31. Les discussions concernent principalement quatre thèmes sur lesquels
portent des désaccords, la procession de l’Esprit saint a Filio, le primat du pape, le
pain azyme dans la célébration eucharistique et la question du purgatoire.
Les questions trinitaires traitées par les maîtres franciscains ont récemment
été étudiées à travers plusieurs livres et articles32. L’autorité de Jean Damascène
y occupe toujours une place importante aux côtés d’Augustin, d’Anselme et de
Richard de Saint-Victor. Par exemple, dans la première question De divinarum
personarum distinctione, Eustache d’Arras se demande s’il est nécessaire que le
Saint-Esprit procède du Fils pour en être distingué. Pour Eustache, cette condition
n’est pas indispensable : « C’est pourquoi il faut dire et soutenir avec fermeté que,
même si l’Esprit saint ne procédait pas du Fils, mais seulement du Père, il se
distinguerait cependant personnellement du Fils33. » Eustache d’Arras présente

30. A. BOUREAU, « Jean Damascène et l’anthropologie franciscaine du XIIIe siècle », dans Les
réceptions des Pères de l’Église au Moyen Âge, vol. II, p. 997-1010. Je remercie vivement l’auteur
de m’avoir transmis cet article.
31. A. BOUREAU, « L’usage des textes patristiques dans les controverses scolastiques », Revue
des sciences philosophiques et théologiques, 91/1, 2007, p. 39-49.
32. R. L. FRIEDMAN, « Divergent Traditions in Later-Medieval Trinitarian Theology: Relations,
Emanations, and the Use of Philosophical Psychology, 1250-1325 », Studia Theologica, 53, 1999,
p. 13-25; ID., Medieval Trinitarian Thought from Aquinas to Ockham, Cambridge, 2010 et, plus
récemment, ID., Intellectual Traditions at the Medieval University: The Use of Philosophical
Psychology in Trinitarian Theology among the Franciscans and Dominicans, 1250-1350, Leiden,
2012 ; S. DELMAS – C. SCHABEL, « Le maître franciscain Eustache d’Arras et la théologie trini-
taire. La question 2 de divinarum personarum distinctione édition et commentaire », Archives
d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 80, 2013, p. 247-275.
33. EUSTACHE D’ARRAS, question 1 De divinarum personarum distinctione, d’après Florence
BN Conv. Soppr. B6912, fol. 92rb : « Propter hoc, dicendum est firmiterque tenendum quod, licet
Spiritus sanctus non procederet a Filio, sed solo Patre, tamen distinguetur personaliter a Filio. »
LA RÉCEPTION DES PÈRES GRECS PAR LES FRANCISCAINS 267

une doctrine trinitaire qui pose résolument la procession du Saint-Esprit a Patre


et a Filio. Dans cette questions disputée, il se montre assez sévère envers les
Grecs : il affirme qu’en refusant le Filioque, ils sont induits en erreur, se trompent
gravement et sont comme aveuglés. Par contre, on peut noter que l’autorité de
Jean Damascène occupe une place à part : c’est le seul Père grec qu’il cite parmi
les arguments en faveur de sa propre opinion, aux côtés d’Augustin, Anselme et
Richard de Saint-Victor. Il s’empresse du reste de rappeler qu’il s’agit d’un Grec,
mais qu’il rejoint sa position34. Cette position conciliante envers Jean Damascène
se lit un peu plus tard chez Jean Duns Scot, toujours à propos du Filioque. Dans
son commentaire des Sentences, il souligne que les Pères grecs et latins ne peuvent
pas être en désaccord, puisque ni les premiers, ni les seconds ne peuvent être
déclarés hérétiques35.
D’autres questions théologiques font apparaître les autorités grecques, par
exemple sur les puissances de l’âme. Alain Boureau a ainsi montré que dans le
chapitre 81 de sa Summa, Jean de la Rochelle s’appuyait essentiellement sur des
extraits de Jean Damascène (il a même compté 135 lignes sur 14336 !).

34. « Item, Augustinus in libro De trinitate quasi per totum dicit quod distinctio personarum
divinarum fit per proprietates personales. Sed dato quod Spiritus Sanctus non procedat a Filio,
adhuc sunt in divinis pro-prietates personales distinguentes. Ergo adhuc est Filii et Spiritus Sancti
personalis distinctio. Quod autem ibi sint, hoc dato, patet per Damascenum qui Graecus fuit I lib.,
cap. 10, qui dicit quod omnia habet Pater quae habent Filius et Spiritus Sanctus et e converso
“praeter ingenerationem, generationem, et processionem. In his enim solis hypostaticis proprieta-
tibus ab invicem different hae sanctae tres hypostases, non substantia. »
35. JEAN DUNS SCOT, Commentaire du premier livre des Sentence, d. 11, q. 1 : « In ista quaes-
tione dicuntur graeci discordare a latinis, sicut videntur auctoritates Damasceni sonare. Sed de ista
discordia dicit Lincolniensis (in notula quadam super finem epistolae De trisagio) quod sententia
graecorum est quod Spiritus Sanctus est Spiritus Filii, sed non procedens a Filio sed a solo Patre,
per Filium tamen ; et videtur haec sententia contraria nostrae, qua dicimus Spiritum Sanctum a
Patre et Filio procedere. Sed forte, si duo sapientes – unus graecus et alter latinus – uterque verus
amator veritatis et non propriae dictionis, unde propria est, de hac visa contrarietate disquirerent,
pateret utrique tandem ipsam contrarietatem non esse veraciter realem, sicut est vocalis ; alioquin
vel ipsi graeci vel nos latini vere sumus haeretici. Sed quis audet hunc auctorem, scilicet Ioannem
Damascenum, et beatos Basilium, Gregorium Theologum et Gregorium Nyssenum, Cyrillum,
et consimiles Patres graecos, haereticos arguere ? Quis utique arguet haereticum iterum beatos
Hieronymum, Augustinum et Hilarium, et consimiles latinos ? Verisimile ergo est quod non subest
dictis verbis contrariis contrariorum sanctorum sententia : multipliciter enim dicitur (sicut hic
“huius”, ita hic “ex hoc” vel “illo”, vel “ab illo”), qua multiplicitate forte subtilius intellecta et
distincta, pateret contrariorum verborum non discors sententia. » Cf. H. GUERRERO TRONCOSO,
« Si duo sapientes, unius veritatis et non propriae dictionis amatores: Duns Scoto e la dottrina di
S. Giovanni Damasceno sulla processione dello Spirito Santo (I) », Porphyra, 13, 2009, p. 18-39.
36. A. BOUREAU, « Jean Damascène et l’anthropologie franciscaine du XIIIe siècle »,
p. 997-1010.
268 SOPHIE DELMAS

Le rapprochement entre les franciscains et les Pères grecs peut aussi s’expliquer
par des conceptions communes en matière d’ascétisme. C’est ce que suggéraient
les traductions de saint Basile par Ange Clareno. C’est ce que peut confirmer
aussi l’iconographie avec l’église de la Vierge Kyriotissa, aujourd’hui mosquée
(Kalenderhane Camii) d’Istanbul37. Cette église a été construite, sous sa forme
actuelle, à la fin du XIIe siècle. On peut encore y voir les décors peints : en effet, une
petite chapelle au sud de l’abside principale est ornée de peintures murales qui ont
pour sujet la vie de saint François d’Assise. Le cycle de saint François se déploie
sur la demi-coupole de l’absidiole de cette chapelle : François, qui est représenté
en pied tenant un codex, occupe une position centrale sur la voûte ; cinq scènes de
sa vie l’encadrent. Surtout, deux Pères de l’Église sont peints sur l’arc triomphal :
l’un d’eux est vraisemblablement Jean Chrysostome. Ces peintures, datées de
1250, confirment l’activité précoce de l’ordre en Orient. Elles coïncident avec la
volonté de l’ordre en 1254 d’inclure les saints orthodoxes dans son calendrier38.

III. – CONCLUSION
Les ordres mendiants et notamment l’ordre des frères mineurs se sont intéressés
aux études et aux nouvelles traductions. Cependant, l’histoire mouvementée de
l’ordre et leur rôle dans les missions diplomatiques envers l’Église grecque ont
sans doute accentué cet intérêt. Cette première mise au point confirme l’intérêt
spécifique des franciscains pour les Pères grecs – avec une certaines prédilection
pour le Pseudo-Denys et Jean Damascène – qui s’explique par la conjonction de
plusieurs facteurs : leur goût pour le savoir et les entreprises collectives, l’évolution
propre de l’ordre avec le « cercle » des franciscains anglais, puis des Spirituels,
enfin la rencontre féconde autour de certains points doctrinaux, de certaines
valeurs telles que l’ascétisme.
Sophie DELMAS
Université Lumière – Lyon 2

37. A. DERBES – A. NEFF, « Italy, the Mendicant Orders, and the Byzantine Sphere », dans
Byzantium: Faith & Power (1260-1557), H. Evans ed., New York, 2004, p. 448-461, notamment
p. 452.
38. http://www.qantara-med.org/qantara4/public/show_document.php?do_id=716. Merci à
Pierre Moracchini de m’avoir fait connaître cet exemple.
III.

CIRCULATION ET DIFFUSION DES TEXTES GRECS


CHRÉTIENS DANS L’OCCIDENT MÉDIÉVAL :
QUELLE SÉLECTION ?
Il ruolo dei Padri greci
nella cultura dell’Occidente altomedievale:
alcuni spunti dai codici superstiti

I. – LA CIRCOLAZIONE DELLE TRADUZIONI DAL GRECO


Il presente contributo rappresenta la prosecuzione e il complemento della prima
tappa di una ricerca di gruppo, finanziata dal Ministero Italiano dell’Università,
dell’Istruzione e della Ricerca, che costituisce il progetto PRIN 2012 intitolato
Tradurre tradire tramandare: i Padri greci nell’Occidente latino e nell’Oriente
siriaco. L’Unità di Ricerca di Udine, che coordino, ha in particolare il compito
di occuparsi della storia della trasmissione delle versioni latine dei Padri greci
nell’Occidente tardoantico e medievale.
Il primo approccio a tale ambito di indagine ha preso le mosse dalle attestazioni
della presenza di traduzioni della produzione patristica greca negli inventari medie-
vali, in particolare carolingi, con qualche incursione nei testimoni manoscritti
superstiti che certamente o probabilmente corrispondevano alle voci di inventario
prese in considerazione1. Ne sintetizzo per praticità e continuità i risultati che mi
sono apparsi più evidenti, e alcuni spunti metodologici che mi sono sembrati utili
come guida alla ricerche successive, aggiungendo ulteriori riflessioni scaturite dal
prosieguo dell’indagine:
– anzitutto, una riflessione generale sullo statuto attribuito ai testi in latino
ascritti a un autore greco nel corso della loro storia: le classificazioni moderne, che
sovente cristallizzano ipotesi di paternità ormai superate per testi dei quali pare
assodata la redazione originale in lingua latina, non tengono conto di una realtà
culturale che dovrebbe costituire un punto di partenza, ovvero il fatto che tali

1. I risultati di questa prima indagine sono pubblicati in E. COLOMBI, « La presenza dei Padri
greci nelle biblioteche dell’Occidente medievale », in Miscellanea Graecolatina III, F. Gallo –
S. Costa edd., Milano, 2015, p. 65-103.
272 EMANUELA COLOMBI

testi sono stati percepiti come traduzioni dal greco, e quindi come patrimonio del
pensiero teologico orientale, per tutta l’età tardoantica e medievale e spesso oltre.
Un caso esemplare in questa direzione è quello del testo teologico che risulta
più diffuso sia negli inventari che nei codici superstiti almeno fino all’età carolin-
gia, ovvero quello che ora definiamo come De Trinitate pseudoatanasiano: se tutti
gli studiosi sono concordi nel ritenerlo una compilazione di testi latini2, restano
ancora oggetto di dibattito l’origine e l’attribuzione dell’opera. Nella Clavis
Patrum Latinorum la troviamo catalogata sotto il nome di Eusebio di Vercelli
(CPL nr. 105), in corrispondenza dell’edizione del testo all’interno dell’opera
di Eusebio nel Corpus Christianorum per le cure di Vincent Bulhart3, che aveva
seguito la proposta attributiva avanzata (e poi ritrattata) da Dom Germain Morin4.
Tuttavia tale classificazione non corrisponde più agli orientamenti della critica più
recente, che oscilla tra la Spagna e il nord Italia per il luogo di composizione5, e
preferisce considerare il testo come anonimo6.
Quello che tuttavia va in primo luogo sottolineato è il fatto che nessuna delle
attribuzioni proposte corrisponde alla tradizione manoscritta, che ascrive presso-
ché senza eccezione l’opera ad Atanasio: l’auctoritas del vescovo alessandrino non
sarà stata certo senza conseguenze nella diffusione del testo e nella sua recezione,
dal momento che il De Trinitate venne letto come opera teologica di riferimento
prodotta da un esponente autorevole del pensiero patristico greco.

2. Compilazione in parte rimaneggiata da una prima redazione in sette libri a una seconda in
otto, in parte dovuta ad autori diversi, ma assemblata in dodici libri dall’arbitrio dei due primi
editori, Johann SICHARD (Antidotvm contra diversas omnivm fere secvlorvm haereses, Basileae,
1528) e Pierre-François CHIFFLET (che li pubblicò come opera di Vigilio di Tapso: Victoris
Vitensis, et Vigilii Tapsensis, provinciae Bizacenae episcoporum opera, Divione, 1664), i quali
associarono ai primi otto libri della seconda redazione altri quattro brevi trattati mai attestati tutti
insieme dalla tradizione manoscritta.
3. V. BULHART, Eusebii Vercellensis episcopi quae supersunt (CCSL 9), Turnhout, 1957.
4. G. MORIN, « Les douze livres sur la Trinité attribués à Vigile de Thapse », Revue bénédictine,
15, 1898, p. 1-10; ma cf. ID., Études, textes, découvertes. Contributions à la littérature et à l’his-
toire des douze premiers siècles, 1, Abbaye de Maredsous – Paris, 1913, p. 32.
5. Cf. da ultimo J. KWON, « Letters of Eusebius of Vercelli and the Authorship of the De
Trinitate: Did Eusebius of Vercelli Write the Pseudo-Athanasian De Trinitate? », Scrinium, 5,
2010, p. 89-112; ID., A Theological Investigation of the De Trinitate Attributed to Eusebius of
Vercelli, PhD diss. University of St. Michael’s College, Toronto, 2011, p. 1-35; ID., « The Latin
Pseudo-Athanasian De Trinitate Attributed to Eusebius of Vercelli and Its Place of Composition:
Spain or Northern Italy? », in Studia Patristica, LXIX. Papers presented at the Sixteenth
International Conference on Patristic Studies held in Oxford 2011, M. Vinzent ed., Leuven et al.,
2013, p. 169-174.
6. L’attribuzione a Eusebio di Vercelli è stata successivamente ripresa da D. H. WILLIAMS,
Ambrose of Milan and the End of the Nicene-Arian Conflicts, Oxford, 1995, p. 239-242
(Appendix III. Eusebian Authorship of De trinitate, I-VII), ma cf. poi M. SIMONETTI, « Eusebio
nella controversia ariana », in Eusebio di Vercelli e il suo tempo, E. dal Covolo – R. Uglione –
G. M. Vian edd., Roma, 1997, p. 154-179, in part. p. 175-177.
IL RUOLO DEI PADRI GRECI 273

Va segnalata inoltre la proposta di Lorenzo Dattrino7 che ha ipotizzato la


redazione dello scritto in un contesto luciferiano, ove si sarebbe reso necessario
accreditare e diffondere il testo grazie all’autorità del nome di Atanasio. Mi pare
suggestivo il fatto che una dinamica di pseudoepigrafia affine si sia verificata
anche per uno dei leader dello scisma luciferiano, ovvero Gregorio di Elvira, le
cui opere più significative e di sicura attribuzione sono state tramandate sotto il
nome di Origene (i venti tractatus di commento alla Scrittura, CPL nr. 546) e di
Gregorio di Nazianzo (la seconda recensione del De fide orthodoxa, CPL nr. 551)8
senza dunque alcun preciso legame storico-teologico con gli autori greci oggetto
delle false attribuzioni.
– nello studio della trasmissione dei testi patristici greci va dunque sempre
tenuta presente la possibilità di una sorta di « doppia pseudoepigrafia », ovvero
sia dell’autore che della lingua di composizione. Due personalità emblematiche in
questa direzione sono Giovanni Crisostomo (sul quale cf. anche infra) e Efrem il
Siro, per i quali il corpus di opere in lingua latina comprende, oltre a testi autentici,
anche scritti pseudoepigrafi sia nella lingua originale sia nella traduzione latina (o
anche per le vere o presunte versioni in greco nel caso di Efrem) ascritti tuttavia
dalla tradizione a Crisostomo o Efrem e quindi implicitamente presentati come
traduzioni.
– a proposito di quest’ultima considerazione, tuttavia, va anticipato un fattore
abbastanza costante che ricorrerà anche nelle pagine che seguiranno: è vero che,
ragionevolmente, la maggior parte o la totalità dei lettori di queste traduzioni (o
pseudo tali) dovevano essere consapevoli di trovarsi di fronte a una traduzione,
ma quest’ultima operazione sembra venire nella gran parte dei casi sistematica-
mente ignorata, quasi a ratificare che non vi fosse in realtà differenza con la lettura
dell’opera nella sua lingua originale. In qualche modo, la tradizione e la perce-
zione stessa della traduzione hanno di fatto ratificato lo statuto di quest’ultima
come « operazione di servizio », nonostante le traduzioni cristiane tardoantiche
avessero sovente conservato un margine di creatività non indifferente nella resa
del testo originale9.

7. L. DATTRINO, Il De Trinitate pseudoatanasiano, Roma, 1976, p. 10-12.


8. Cf. i prolegomena e l’edizione critica di M. SIMONETTI, Gregorio di Elvira. La fede, Torino,
1975. Qualche considerazione sulla presenza della pseudoepigrafia nella trasmissione dei testi
redatti in area iberica ho proposto nell’introduzione a TraPat – Traditio Patrum. La trasmissione
testuale dei Padri nel Medioevo, 2. Scriptores Hispaniae, Turnhout, 2015.
9. Non richiamo qui il dibattito sulla teoria e la prassi della traduzione cristiana tardoantica,
sulla quale ho esposto sommarie riflessioni nel contributo citato alla nota 1 (E. COLOMBI, « La
presenza », p. 69-71), rimandando almeno a P. CHIESA, « Ad verbum o ad sensum? Modelli
e coscienza metodologica della traduzione tra tarda antichità e alto medioevo », Medioevo
e Rinascimento, 1, 1987, p. 1-51; H. MARTI, Übersetzer der Augustin-Zeit. Interpretation von
Selbstzeugnissen, München, 1974; M. BETTINI, Vertere: un’antropologia della traduzione nella
cultura antica, Torino, 2012, in particolare il cap. IX: « Alla ricerca della traduzione perfetta ».
Per Rufino si veda C. LO CICERO, Tradurre i greci nel IV secolo. Rufino di Aquileia e le omelie
274 EMANUELA COLOMBI

– il fatto di trovarsi di fronte a un doppio livello testuale (quello della traduzione


e quello dell’originale) implica la necessità di sdoppiare per alcuni aspetti anche i
piani di indagine: oltre a quella che abbiamo definito « doppia pseudoepigrafia »,
va tenuto presente nella valutazione dell’effettivo impatto culturale di questi testi
anche quello, in un certo senso speculare, che potremmo chiamare « doppio filtro »
a cui sono state sottoposte le versioni latine di originali greci, ovvero il filtro della
traduzione e poi quello della tradizione. Tra IV e VI secolo è stato infatti selezionato
un gruppo di testi che sono stati tradotti in base a diverse motivazioni (teologiche,
esegetiche, ascetiche, genericamente formative), escludendo per secoli il resto
della produzione patristica greca dalla circolazione in Occidente. Tuttavia non tutti
i testi che furono tradotti vennero poi necessariamente letti e fruiti, e conseguente-
mente non tutti ebbero un effettivo impatto culturale: il secondo filtro, quello della
tradizione, sembra infatti aver ulteriormente selezionato un ristretto manipolo di
testi, che ricorrono con costanza da un inventario all’altro e che, come di seguito
vedremo, sono anche i più rappresentati nei codici superstiti fino all’età carolin-
gia compresa, e che consistono in testi di argomento storico (Eusebio, Giuseppe
Flavio) ed esegetico (Origene, Crisostomo, quest’ultimo presente anche per scritti
di interesse ascetico-monastico), oltre alla costante e significativa presenza delle
Recognitiones pseudoclementine tradotte da Rufino, uno dei testi più letti tra tar-
doantico e alto medioevo (cf. anche infra).
Benché la sproporzione delle attestazioni a favore di alcuni autori e di alcune
opere fosse apparsa quantitativamente piuttosto netta nell’indagine sugli inventari
carolingi10, e inoltre grosso modo coincidente con le opere trasmesse nei codici
superstiti antiquiores, è stato comunque sorprendente riscontrare una precisa
corrispondenza con i risultati della presente indagine, condotta sul versante com-
plementare delle testimonianze materiali, ovvero i codici carolingi superstiti che
ci hanno trasmesso traduzioni latine della produzione patristica greca: nonostante
la parzialità di entrambe le tipologie di fonti, gli esiti appaiono univoci anche dal
punto di vista quantitativo.

di Basilio, Roma, 2008; E. PRINZIVALLI, « La controversia origeniana di fine di IV secolo e la


diffusione della conoscenza di Origene in Occidente », Augustinianum, 48, 2006, p. 35-50;
M. SIMONETTI, « L’attività letteraria di Rufino negli anni della controversia origeniana », in Storia
ed esegesi in Rufino di Concordia, Udine, 1992 ( = AAAd, 39), p. 89-107; A. GRAPPONE, Omelie
origeniane nella traduzione di Rufino: un confronto con i testi greci, Roma, 2007; M. M. WAGNER,
Rufinus the Translator, Washington, 1945; B. STUDER, « À propos des traductions d’Origène par
Jérôme et Rufin », Vetera Christianorum, 4, 1968, p. 137-155. Per Gerolamo, cf. L. GAMBERALE,
« Problemi di Gerolamo traduttore fra lingua, religione e filologia », in Cultura latina cristiana fra
terzo e quinto secolo. Atti del Convegno di Mantova, 5-7 novembre 1998, Firenze, 2001, p. 311-
345; E. BONA, La libertà del traduttore. L’epistola De optimo genere interpretandi di Gerolamo,
Acireale – Roma, 2008.
10. Confermata dalla ricerca sugli inventari anche dei secoli successivi, come bene mostra il
contributo di Jérémy DELMULLE in questo stesso volume, p. -.
IL RUOLO DEI PADRI GRECI 275

Come accadeva per gli inventari, infatti, risalta con evidenza anche nei
manoscritti superstiti una decisa predominanza dei libri di storia e di esegesi, e
nell’ambito di questi è maggiormente rappresentato lo stesso circoscritto gruppo
di autori e testi.
Il riscontro con i testimoni manoscritti carolingi, ora assai più agevole grazie
alla pubblicazione, curata da Birgit Ebersperger, del terzo e ultimo volume del
Katalog der festländischen Handschriften des neunten Jahrhunderts di Bernhard
Bischoff (d’ora in poi abbreviato come KFH)11, consente inoltre riflessioni ulte-
riori e maggiormente concrete sugli spunti di indagine emersi nella prima fase
della ricerca, oltre che la possibilità di lavorare su una più ampia base quantitativa.
Per quanto riguarda la presenza dominante dei libri di storia, va anzitutto
sottolineata la sinergia di almeno tre fattori culturali, indagati in particolare
dalle approfondite indagini di Rosamund McKitterick, ovvero: la volontà di tra-
smissione e conservazione dei testi di storia, non solo cristiani; la produzione di
nuove opere di argomento storico in età carolingia; il ruolo dei monasteri nella
percezione del passato (e in generale nella formazione culturale dell’Occidente
medievale)12. Per le opere di storia di interesse cristiano, in particolare, i nomi pro-
tagonisti restano i medesimi riscontrati per gli inventari: Eusebio, Giuseppe Flavio
e l’enigmatico Egesippo nonché, con maggiore evidenza rispetto agli inventari,
l’Historia Tripartita, compilata forse da Cassiodoro sulla base delle opere dei
cosiddetti continuatori di Eusebio.
I codici superstiti offrono inoltre ulteriori spunti di dettaglio di non secondaria
importanza. Anzitutto, per quanto riguarda Eusebio e Giuseppe Flavio, gli inven-
tari considerati sembravano annoverare una presenza pressoché equivalente delle
quattro opere storiche (Chronicon, Historia ecclesiastica, Antiquitates Iudaicae
e Bellum Iudaicum), pur dovendo tenere presente l’aporia delle attestazioni per
quanto riguarda il Bellum Iudaicum, dal momento che spesso non risultava inequi-
vocabile a quale delle due versioni (la parafrasi di Egesippo o la versione latina
del Bellum Iudaicum più aderente all’originale) il catalogo medievale si stava
riferendo.
Il riscontro con i manoscritti carolingi impone invece di considerare ulteriori
distinzioni. Il primo dato è l’assoluta prevalenza, rispetto a tutti gli altri scritti
di argomento storico, dell’Historia ecclesiastica di Eusebio tradotta e continuata
da Rufino, di cui possediamo una trentina di esemplari superstiti (in parte ora

11. B. BISCHOFF, Katalog der festländischen Handschriften des neunten Jahrhunderts (mit
Ausnahme der wisigotischen), 1-3, Wiesbaden, 1998-2014.
12. Cf. almeno R. MCKITTERICK, History and Memory in the Carolingian World, Cambridge,
2004; EAD., « The Writing and Copying of History in Carolingian Monasteries: the Example of
Lorsch », in Le scritture dai monasteri nel alto medioevo, Flavia de Rubeis ed., Roma, 2003,
p. 157-177; EAD., Perceptions of the Past in the Early Middle Ages, Notre Dame, 2006. Molti utili
spunti sono contenuti nei contributi del recente volume miscellaneo The Resources of the Past in
Early Medieval Europe, C. Gantner – R. McKitterick – S. Meeder eds., Cambridge, 2015.
276 EMANUELA COLOMBI

frammentari)13 a fronte di solo sei testimoni della versione latina del Chronicon14
che godeva invece di un numero di citazioni pressoché equivalente negli inventari
carolingi. Le motivazioni di tale discrepanza sono naturalmente difficili da divi-
nare, e possono avere a che vedere anche con situazioni di ordine pratico, come una
maggiore fruizione concreta dell’Historia ecclesiastica rispetto al Chronicon che
ne ha determinato un maggior numero di trascrizioni (volte eventualmente anche
a sostituire copie deteriorate dall’uso), nonché la possibilità che a una singola voce
di inventario corrispondessero in realtà copie multiple proprio per supplire a tali
necessità di lettura. Non si possono inoltre escludere fattori del tutto legati alle
casualità della storia; la sproporzione resta comunque vistosa, e non è forse privo
di significato il fatto che le copie del Chronicon siano originarie soprattutto dell’a-
rea francese e, in minor misura, italiana, mentre quelle dell’Historia ecclesiastica
provengono in modo omogeneo da tutta l’Europa carolingia.
Anche l’esame autoptico che ho potuto condurre di alcuni codici dell’Historia
ecclesiastica tradotta da Rufino sembra confermare modalità di fruizione altret-
tanto omogenee: anzitutto, nell’organizzazione del testo appaiono di primaria
importanza i titoli dei capitoli dell’opera, costantemente premessi ai singoli libri
e messi in evidenza da intitolazioni più articolate rispetto a quelle dedicate agli
incipit dei libri stessi. L’importanza di tale strumento di ausilio alla lettura è con-
fermata anche dalla costanza con cui vengono riprodotti a margine i numeri dei
capitoli nel corso del testo; in alcuni casi (come nel codice Paris, BnF, lat. 12527,
orig. Corbie) anche i titoli vengono riprodotti all’interno del testo; in altri invece
(come accade nel ms. München, BSB, Clm 6375, orig. Italia settentrionale) la
prima riga di ogni capitolo viene evidenziata da un inchiostro di colore diverso
dalla scrittura principale; nei rari casi in cui si riscontra una discontinuità nella tra-
scrizione dei numeri dei capitoli restano comunque presenti le iniziali in ekthesis,
come nel codice München, BSB, Clm 6381 (orig. Benediktbeuern).
Un altro dato significativo che emerge dalle intitolazioni sia dell’intera opera
che dei singoli libri è l’esplicitazione del nome dell’autore e/o del traduttore
dell’opera. Anche in questo caso risulta confermato e anzi amplificato quanto sem-
brava risultare dagli inventari, ovvero la tendenza a omettere il nome di Rufino,
passando sotto silenzio anche l’autorialità del prologo premesso alla traduzione.
Il solo manoscritto tra quelli consultati che fa esplicita menzione del traduttore
dell’opera è il codice, trascritto a Lorsch attorno all’anno 800, attualmente Città
del Vaticano, BAV, Pal. lat. 822, ove a f. 1r il prologo è preceduto dall’intitolazione
incipit prologus Rufini in libros historiarum Eusebii quem de Greco transtulit in
Latinum.

13. KFH nr. 45; 72; 635; 1136; 1137; 1303; 1408; 1444; 1981; 3063; 3065; 3066 (= CLA 9,
1279); 3443; 3553; 3633; 3742; 4364; 4708; 4840; 4841; 5046 (= CLA 5, 674); 5306 ; 5495; 6093;
6554 (= CLA Suppl., 1774); 6700; 7011; 7112.
14. KFH nr. 435; 439; 553a (CLA 7, 860); 2237; 2237a (= CLA 5, 563); 2524.
IL RUOLO DEI PADRI GRECI 277

Il già menzionato Paris, BnF, lat. 12527, che contiene la seconda metà dell’opera
(ll. 6-11), ricorda invece nell’intitolazione iniziale dei capitula solo l’operazione
di traduzione (f. 2r: haec continet sextus liber aecclesiasticae istoriae Eusebii
Caesariensis de Greco in Latinum versae) senza menzionare Rufino, il cui nome
potrebbe tuttavia essere stato esplicitato all’inizio della prima metà dell’opera15.
Va segnalata tuttavia a questo proposito la probabilità di una prolungata circo-
lazione dell’assetto editoriale in due volumi (ll. 1-5 e 6-11), che non esclude la
successiva sovrapposizione di linee di trasmissione differenti quando, almeno a
partire dall’età carolingia, la tendenza divenne quella di assemblare l’intera opera
in un unico volume. È quanto sembra per esempio essere accaduto per il codice
Paris, BnF, lat. 11738, ancora di origine francese, in cui vengono nominati autore
(greco) e titolo dell’opera solo all’inizio del VI libro, mentre l’esordio del testo
portava la sbrigativa intitolazione incipit prefatio libri ecclesiastici (f. 1r). La
seconda metà dell’opera inoltre è connotata da un layout molto più ordinato, con
tituli dei capitoli incolonnati e rimandi a capo sistematici per ogni capitolo, mentre
nella prima metà la capitulatio e le intitolazioni vengono trascritti di seguito, con
una certa discontinuità nella numerazione marginale, nonché segnali di copiatura
simultanea che potrebbero suggerire una certa fretta e conseguente trascuratezza
nella trascrizione.
Il codice München, BSB, Clm 6381 (orig. Benediktbeuren), ove l’intitolazione
iniziale si limita a nominare Eusebio pur facendo riferimento al prologo (f. 1v:
incipit prologus in libris historiarum Eusebii Caesariensis), a cui segue una
discontinua trascrizione delle intitolazioni per i libri successivi, all’inizio del
VI libro presenta invece una formula pressoché identica a quella del codice di
Corbie (f. 150r: haec continet sextus liber Eusebii Caesariensis ecclesiasticae
historiae in Latinum versae). La medesima intitolazione si incontra anche nel
ms. München, BSB, Clm 6383 (orig. Bodensee o Freising), ancora in corrispon-
denza di un manifesto disinteresse per il nome del traduttore ma anche dell’autore,
soprattutto nella prima metà del testo, presumibilmente erede di una diversa linea
di trasmissione, ove mancano del tutto le intitolazioni per il prologo, i capitula
e l’inizio del primo libro, e il titolo dell’opera viene esplicitato solo alla fine del
secondo libro (mentre è quasi sempre presente, senza però menzione di Eusebio,
nella seconda metà dell’opera). Da segnalare inoltre il caso del già citato Pal.
lat. 822 e del ms. Einsiedeln, StiftsB, 346 (284), trascritto nel sud della Germania,
che presentano anche, al termine del V libro, la medesima sottoscrizione che invita
alla cura nella trascrizione dell’opera, e che parrebbe confermare la discendenza
da un esemplare in due tomi (non necessariamente appartenenti alla stessa linea
di trasmissione)16. Va notato che, mentre nel codice palatino ricorre la già vista

15. Ovvero il codice Paris, BnF, lat. 12526, che non ho avuto modo di consultare.
16. F. 88r: « Adiuro te, quicumque hos descripseris libros, per dominum nostrum Iesum
Christum et gloriosum eius adventum, in quo veniet iudicare vivos et mortuos, ut conferas quod
descripseris et emendes ad exemplaria ea, de quibus transscripseris, diligenter, et hoc adiurationis
genus similiter transscribas et transferas in eum codicem, quem descripseris. »
278 EMANUELA COLOMBI

formula che segnala all’inizio del libro VI l’operazione di traduzione, in quello


di Einsiedeln la sottoscrizione non si accompagna ad alcuna intitolazione che
denunci una pregressa partizione in due volumi.
Una seconda cesura appare significativa in relazione alla percezione dell’ap-
porto di Rufino all’opera di Eusebio, non solo come traduttore ma anche come
continuatore. Mi sembra degno di nota il fatto che al passaggio tra nono e decimo
libro, ovvero tra la parte « eusebiana » ridotta da Rufino e la continuazione di
quest’ultimo, non venga mai fatta menzione dell’autore latino (almeno nei codici
che ho potuto consultare), e in molti testimoni sembri non esservi percezione di
alcuna cesura tra le due parti, nonostante la presenza del breve prologo di Rufino
a introdurre i libri di cui era autore. In altri casi invece sembra esservi contezza
di una discontinuità, ma dichiarata in modo ambiguo, poiché quand’anche venga
esplicitato il nome di Eusebio (con formule del tipo finit liber VIIII Eusebii
Caesariensis ecclesiasticae historiae. Incipit liber decimus)17, non viene comun-
que nominato Rufino, posizionando il prologo di quest’ultimo indifferentemente
prima o (meno frequentemente) dopo i capitula del libro decimo, e lasciando
l’impressione piuttosto di una continuità, sottolineata dal permanere nelle formule
di incipit o explicit dei libri e dei capitula del titolo di Ecclesiastica Historia.
Le costanti che accomunano i manoscritti consultati sembrano dunque essere:
l’omissione del nome di Rufino; una decisa prevalenza del titolo dell’opera
anche rispetto alla menzione di Eusebio; un’attenzione particolare ai dispositivi
di mise en page che agevolino la consultazione del testo (tituli e numerazione
marginale). Mi domando se tali riscontri possano essere messi in relazione con le
indagini sulla tradizione indiretta dell’opera condotte da Pier Franco Beatrice18
che ha riscontrato, a partire almeno dal VI secolo, la progressiva scomparsa della
menzione di Rufino a favore del solo Eusebio o anche del solo titolo dell’opera.
Una convergenza che parrebbe suggerire la percezione di questo testo, diffuso
ovunque, più come un manuale di storia che come un’opera letteraria in senso
stretto.
Anche le copie carolingie superstiti delle Antiquitates Iudaicae di Giuseppe
Flavio risultano avere una distribuzione abbastanza omogenea quanto ai luoghi
d’origine, con una prevalenza di qualche unità a favore dell’area germanica. Il dato
di per sé non appare sorprendente, in coerenza con i molteplici motivi di interesse
nei confronti di quest’opera che si giustapposero tra tardoantico e medioevo19, a

17. München, BSB, Clm 6381, f. 167r; cf. anche Clm 6383, f. 126r; Vaticano (Città del), BAV,
Pal. lat. 822, f. 148r; Einsiedeln, StiftsB, 346 (284), p. 328; München, BSB, Clm 6375, f. 189v.
18. P. F. BEATRICE, « De Rufin à Cassiodore: la réception des Histoires ecclésiastiques grec-
ques dans l’Occident latin », in L’historiographie de l’Église des premiers siècles, B. Pouderon
– Y.-M. Duval éd., Paris, 2001, p. 237-257.
19. Per una panoramica della recezione delle differenti versioni dell’opera di Giuseppe Flavio
dal I al XVI secolo, attraverso le testimonianze della tradizione indiretta, si vedano i lavori di
H. SCHRECKENBERG, Die Flavius-Josephus-Tradition in Antike und Mittelalter, Leiden, 1972
IL RUOLO DEI PADRI GRECI 279

partire dalle indicazioni di Cassiodoro, che nelle Institutiones (1, 17, 1) definisce
Giuseppe Flavio come paene secundus Livius, dedicandogli la prima menzione
tra i libri di storia necessari alla formazione cristiana, e rivendicando il proprio
contributo alla diffusione in particolare delle Antiquitates nel mondo occidentale:
fu infatti proprio Cassiodoro a provvedere a far convertere in Latinum l’opera (in
ventidue libri, con l’aggiunta del Contra Apionem), impresa a cui Gerolamo aveva
rinunciato propter magnitudinem prolixi operis.
Nei secoli successivi l’impulso alla diffusione dell’opera di Giuseppe Flavio
fu verisimilmente connesso a un altro non meno importante fattore, ovvero
l’ambizione dei sovrani franchi di presentarsi come i re del popolo eletto, tramite
un reimpiego sistematico e consapevole di elementi e simboli tratti dall’Antico
Testamento e inseriti in ambiti differenti, dalla liturgia alla ritualità in generale,
religiosa ma anche politica, alla legislazione e persino alla produzione letteraria
anche poetica, come ha mostrato l’analisi dei documenti più significativi a questo
riguardo da parte di Mary Garrison20. In questa prospettiva, è ragionevole pensare
che sia risultata estremamente funzionale la diffusione e lettura delle Antiquitates
Iudaicae, che fornivano dettagli assenti nell’Antico Testamento, con una narra-
zione più omogenea e in uno stile più accurato.
Rispetto agli elementi di continuità nella presentazione dei volumi superstiti
dell’Historia ecclesiastica, tuttavia, i testimoni che ho potuto esaminare delle
Antiquitates Iudaicae sembrano piuttosto rivelare tratti contrastanti o discontinui,
che potrebbero corrispondere a differenti modalità di fruizione/percezione del
testo, oppure (ma i due fattori non si escludono reciprocamente) a rami di trasmis-
sione inizialmente separati.
Le suggestioni in questa direzione provengono da fattori di diverso tipo. Per
esempio, nel codice trascritto a Fulda, attualmente Paris, BnF, lat. 5052, conte-
nente i libri 4-11 (ma il codice è mutilo sia all’inizio che alla fine) la presenza di
intitolazioni essenziali (incipit/explicit liber seguiti dal numero d’ordine del libro),
dalle quali sono assenti sia il titolo dell’opera che il nome dell’autore, e viceversa la
maggiore attenzione alla suddivisione in capitoli, i cui tituli sono elencati all’inizio
di ogni libro, e che vengono sottolineati nel testo sia dalla numerazione marginale
che dai rimandi a capo e dalle iniziali in ekthesis, sembrerebbero ricordare l’aspetto
« manualistico », in cui si trovano in maggiore evidenza i dispositivi di ausilio
alla concreta fruizione del testo, già notato per i testimoni esaminati dell’Historia
ecclesiastica. Lo stesso sembra suggerire il ms. Würzburg, UB, M.p.th.f.5 (orig.
Würzburg), contenente i libri 7-12, che mostra analogo disinteresse per la men-
zione dell’autore e del titolo dell’opera (presenti solo nell’intitolazione iniziale

(in particolare p. 68-171) e ID., Rezeptionsgeschichtliche und textkritische Untersuchungen zu


Flavius Josephus, Leiden, 1977 (p. 26-43 per la tradizione nel mondo latino).
20. M. GARRISON, « The Franks as the New Israel? Education for an Identity from Pippin
to Charlemagne », in The Uses of the Past in the Early Middle Ages, Y. Hen – M. Innes eds.,
Cambridge, 2000, p. 114-161.
280 EMANUELA COLOMBI

del libro XII, forse per agevolare la continuità con il tomo contenente i libri
successivi) e la medesima attenzione alla trascrizione dei capitula, con numeri in
inchiostro rosso, ancorché si riscontrino alcune discontinuità nella presenza della
numerazione marginale, soprattutto nella seconda metà del testo trascritto.
Constatazioni affini si possono fare anche per il codice conservato a Cologny-
Genève, B. Bodmer., 98, originario di Nonantola, contenente i primi sei libri delle
Antiquitates: anche in questo caso i capitula sono dotati di intitolazioni (che
richiamano l’autore e a volte il titolo dell’opera), mentre le formule di incipit
dei libri ne sono prive (con qualche integrazione marginale). Vi è una minore
attenzione alla scansione dei capitoli nel corso del testo, e va anzi segnalato il
fatto che questa manca del tutto nel primo libro, in cui sono assenti anche i tituli
all’inizio del libro stesso, forse a causa della caduta del foglio che li conteneva
nell’esemplare di riferimento. Tuttavia la fruizione concreta del testo è mostrata
dalla frequente presenza di marginalia che costellano tutta la trascrizione: Richard
M. Pollard ha anzi rilevato come si tratti di uno dei libri più annotati, insieme agli
scritti agostiniani, tra quelli originari dello scrittorio di Nonantola, con presenza
di diverse note che rivelano interesse per le origini e le tradizioni del sacerdozio21.
Va però osservato che, mentre i sei libri del codice Bodmer. 98 presentano
tratti caratteristici omogenei per tutta la trascrizione, il codice Paris. lat. 5052
che abbiamo menzionato poco sopra, del quale non è dato conoscere l’estensione
originaria della trascrizione (libri 1-11?), a partire dal passaggio dal quinto al sesto
libro (f. 28v-29r) attua differenti strategie testuali: compaiono infatti intitolazioni
dettagliate in capitale rustica, comprensive del nome dell’autore e del titolo dell’o-
pera, sia in riferimento ai capitula che ai libri, ed è invece assai meno in evidenza
la scansione dei capitoli nel corso del testo, che presenta anzi diverse discontinu-
ità. È verisimile dunque che vi sia alla base un cambiamento dell’esemplare di
riferimento, appartenuto a una diversa linea di trasmissione, collegata forse ad
altre modalità di fruizione del testo medesimo. Segnalo per altro che il numero
dei libri contenuti nei codici attualmente superstiti sembra essere piuttosto vario, e
suggerisce molteplici possibilità di sovrapposizione di diversi rami della trasmis-
sione sia nelle operazioni di accorpamento di più libri che in quelle di eventuali
recuperi di gruppi di libri mancanti per (ri)ottenere l’opera completa.
Una differente tipologia di assetto librario sembra invece manifestata dal codice
Wolfenbüttel, HAB, Guelf. 22 Weiss. (orig. Wissembourg), che si distingue dagli
altri codici consultati anzitutto per la presenza del prologo, e inoltre per una mise
en page più accurata, con intitolazioni iniziali in capitale quadrata che occupano
l’intera colonna (f. 1v) o almeno metà di essa (f. 4r) e iniziali decorate: una cura
editoriale piuttosto vistosa che tuttavia non viene mantenuta per i libri successivi,

21. R. M. POLLARD, « “Libri di scuola spirituale”: Manuscripts and Marginalia at the Monastery
of Nonantola », in Libri di scuola e pratiche didattiche. Dall’Antichità al Rinascimento. Atti del
Convegno internazionale di studi, Cassino, 7-10 maggio 2008, L. Del Corso – O. Pecere edd.,
Cassino, 2010, p. 331-401 (p. 377 et passim).
IL RUOLO DEI PADRI GRECI 281

in cui le intitolazioni, pur dettagliate, sono in corpo minore e in capitale rustica in


inchiostro rosso. Resta invece costante anche in questo caso l’attenzione alla scan-
sione in capitoli: i tituli anzi vengono ripetuti anche nel corso del testo, evidenziati
dalla grafia distintiva e dall’inchiostro rosso, agevolando in modo evidente l’o-
rientamento del lettore all’interno dell’opera.
All’estremo opposto di tali strategie paratestuali sembra invece collocarsi,
almeno nella sua prima parte, il codice conservato a Bamberg, SB, Msc. Class. 78,
forse originario dell’Italia settentrionale, contenente tutti i venti libri delle
Antiquitates: le intitolazioni, in lettere capitali di modulo ingrandito in inchiostro
rosso, ricordano il layout più appariscente già riscontrato solo all’inizio del codice
di Wolfenbüttel (con il quale condivide la presenza del prologo iniziale), ma in
questo caso caratterizzano tutto il volume (con aggiunta o raramente sostituzione
della capitale con l’onciale). L’aspetto di codice più « d’apparenza » che d’uso con-
creto (almeno negli intenti iniziali del concepteur, o nell’antigrafo di riferimento)
sembra confermato anche dall’assenza dei tituli e della corrispondente scansione
in capitoli nel corso del testo: tale omissione sembrerebbe essere intenzionale,
ancorché sorprendente, dal momento che per alcuni libri (1, 6, 8-12) non ve n’è
alcuna menzione (per i libri 8-12 vi è invece la dichiarazione, sporadicamente
presente anche in altri testimoni esaminati, del torno di tempo compreso nel libro
in questione: continet hic liber tempus annorum et sim.), mentre per altri libri (2,
3, 4) è presente la formula introduttiva dei capitula (haec sunt in … libro, seguita
da autore e titolo dell’opera) ma i tituli sono in realtà assenti, oppure recuperati a
margine da altra mano (per il quarto libro la trascrizione marginale si accompagna
all’assenza di menzione dei titoli stessi, cf. tav. 1). La probabile sovrapposizione
di linee di trasmissione differenti, prevedibile in un codice che assembla tutti i libri
dell’opera, è inoltre confermata dalla presenza della capitulatio in testa ai libri per
i ll. 5 (cf. tav. 2) e 13-20, in cui i titoli si accompagnano anche all’indicazione del
numero di anni trattati nel libro che segue.
Analoghe discontinuità e tipologia di presentazione del testo sembrano sugge-
rite anche dal codice, trascritto a Lorsch attorno all’anno 800, attualmente Città
del Vaticano, BAV, Pal. lat. 814, contenente i libri 1-12 delle Antiquitates. Il testo
è in questo caso privo del prologo, ma l’intitolazione iniziale è vergata ancora in
capitale quadrata di modulo ingrandito (f. 2r: incipit liber antiquitatis Iosepphi
historiographi feliciter). Fino al sesto libro compreso i capitoli, seppur presenti
all’inizio dei libri, non sembrano però rappresentare la chiave di volta per la frui-
zione del testo, dal momento che per alcuni libri (3, 5, 6) non vengono numerati,
e la corrispondente numerazione marginale risulta discontinua o assente, supplita
solo per alcune porzioni (non oltre il terzo libro) da note marginali che richiamano
il contenuto del passo. Anche in questo caso tuttavia si registra un cambiamento
evidente a partire dal settimo libro, quando la capitulatio torna a essere in parti-
colare evidenza, sottolineata dalla numerazione in inchiostro rosso che prosegue
anche ai margini del testo, accompagnata dall’impiego dell’onciale per la prima
riga di ogni capitolo. Tali caratteristiche del codice laureacense potrebbero inoltre
essere collegate a quanto osservato da Rosamund McKitterick a proposito dei
codici di opere storiche tardoantiche copiati a Lorsch tra fine VIII e inizi IX secolo,
282 EMANUELA COLOMBI

che presentano tutti un formato quasi quadrato, probabile riflesso un antigrafo


tardoantico22. È possibile che tale ipotesi possa essere messa in relazione anche
con l’isolata menzione di Rufino come traduttore nel già menzionato Pal. lat. 822.
Oltre a questi elementi di discontinuità e forse di variegata fruizione, che parreb-
bero più frequenti rispetto a quanto riscontrato per i codici esaminati dell’ Historia
ecclesiastica, va inoltre segnalata l’esistenza di almeno una linea di trasmissione
che ha unificato sotto il titolo di Antiquitates Iudaicae i primi dodici libri con i sette
del Bellum Iudaicum, numerando questi ultimi a partire dal libro XIII, senza alcuna
indicazione del fatto che si tratti in realtà di un’altra opera. Questo si verifica, tra i
codici esaminati d’età carolingia, per il ms. Wolfenbüttel, HAB, Guelf. 23 Weiss.,
continuazione del Guelf. 22 Weiss. citato sopra per i libri 1-12 delle Antiquitates,
e per il ms. Cologny-Genève, B. Bodmer., 99, che doveva rappresentare l’ultimo
volume di una terna, originaria di Nonantola, di cui non è sopravvissuto il secondo
tomo, con i libri 7-12 delle Antiquitates, mentre i primi sei libri sono contenuti nel
già menzionato codice Bodmer 9823.
La motivazione di tale sovrapposizione era già stata individuata da Franz
Blatt24: dal momento che il Bellum Iudaicum narra avvenimenti che coincidono
con la seconda parte delle Antiquitates, proseguendo però fino alla caduta di
Gerusalemme, è stata operata una sostituzione che permettesse di integrare e
proseguire gli avvenimenti narrati dalle Antiquitates. L’operazione tuttavia non è
priva di peso nella storia della recezione del testo, come manifestato soprattutto
dalla numerazione continuata e dall’assenza di intitolazioni che esplicitino la
sutura di due differenti opere.
Va notato inoltre che tra i codici posteriori al periodo preso qui in esame alcuni
presentano tutti e venti i libri delle Antiquitates, seguiti dal Bellum Iudaicum
numerato come libri XXI e seguenti (e.g. Paris, BnF, lat. 5045, pars 2, XI sec.):
potrebbe trattarsi di un’operazione in questo caso di giustapposizione, ma non si
può escludere un’integrazione a posteriori, dal momento che si registra anche
la presenza di un gruppo di codici che trascrive il Bellum Iudaicum tra Ant. 12 e

22. R. MCKITTERICK, « The writing and copying », p. 169-171. Sulla relazione tra formato
e antigrafi tardoantichi rimando a G. CAVALLO, « Qualche annotazione sulla trasmissione dei
classici nella tarda antichità », Rivista di filologia e di istruzione classica, 125, 1995, p. 205-219.
23. Come già segnalato (E. COLOMBI, « La presenza dei Padri greci », p. 77), un analogo
assetto sembra manifestato anche dall’inventario carolingio di Murbach, che elenca Iosephum
Antiquitatum et Iudaice captivitatis libri XVIIII: il numero totale dei libri corrisponde per altro
a quello dichiarato dai cataloghi di Lorsch, cf. A. HÄSE, Mittelalterliche Bücherverzeichnisse
aus Kloster Lorsch. Einleitung, Edition und Kommentar, Wiesbaden, 2002, catalogo A nr. 98;
Ca nr. 110: libri antiquitatis [-tum Ca] Iosephi historiographi a duodecimo libro usque in nonum
decimum.
24. F. BLATT, The Latin Josephus, 1. Introduction and Text: The Antiquities, Books I-V, Aarhus,
1958, p. 42.
IL RUOLO DEI PADRI GRECI 283

17-20, ove gli ultimi libri sono stati probabilmente reinseriti in seguito per com-
prendere la testimonianza di Giuseppe Flavio su Gesù e Giovanni Battista25.
Una minoranza di testimoni, invece, aggiunge alla trascrizione di parte o di
tutte le Antiquitates i cinque libri della rielaborazione dello pseudo Egesippo26.
È possibile che tali iniziative editoriali siano almeno in parte avvenute indipen-
dentemente, dal momento che risultano trasversali ai raggruppamenti dei codici
individuati da Blatt sulla base delle evidenze testuali27.

II. – LA FORTUNA DI FLAVIO GIUSEPPE


Più complessa è la valutazione della diffusione dell’altra opera di Giuseppe
Flavio, il Bellum Iudaicum, a partire dal fatto che ne esistono in un certo senso due
versioni latine antiche: una letterale in sette libri (ma con una scansione interna
differente dall’originale) e una in cinque libri, che presenta una rielaborazione
decisamente più marcata, meglio definibile come una riscrittura cristiana dell’o-
pera28. Quest’ultima versione è stata tràdita sotto il nome di (H)Egesippus, che
potrebbe essere una verisimile storpiatura di Ioseppus/Iosippus, e per il quale
recentemente Chiara Somenzi ha riproposto l’identificazione con il giovane
Ambrogio nel suo periodo romano, in ragione di numerose affinità culturali e nelle
citazioni sia bibliche che di autori pagani29.
Entrambe le versioni sono in ogni caso di misteriosa origine e attribuzione:
Cassiodoro, nel passo sopra citato delle Institutiones (1, 17) sembra riferirsi a una
sola di queste, affermando che la traduzione dei sette libri in cui Giuseppe Flavio
captivitatis Iudaicae mirabili nitore conscripsit … alii Hieronymo, alii Ambrosio,

25. Nell’ambito del « Northern group of MSS. » della classificazione di F. BLATT, The Latin
Josephus, p. 42.
26. Nel codice tra questi che ho potuto consultare (Firenze, BML, Plut. 66.1, sec. XI) lo pseudo
Egesippo fa seguito al libro XVI delle Antiquitates senza alcuna intitolazione che indichi l’inizio
di un nuovo testo (cf. F. BLATT, The Latin Josephus, p. 32).
27. Si può citare a esempio il codice Pluteo menzionato alla nota precedente, che risulta essere
copia di Montecassino, BAbb, 124 QQ, contenente però tutti e venti i libri delle Antiquitates senza
lo pseudo Egesippo.
28. Come ha precisato Chiara Somenzi, in realtà la parte corrispondente al Bellum Iudaicum
nell’opera dello pseudo Egesippo è preceduta dal resoconto della storia precedente della monarchia
giudaica sulla falsariga dei libri dei Re e dei Maccabei, cf. C. SOMENZI, « Egesippo, Ambrogio e
la tradizione romana dei Maccabei », in I sette fratelli Maccabei nella chiesa antica d’Occidente,
F. Pizzolato – C. Somenzi edd., Milano, 2005, p. 47-77, in part. p. 56.
29. C. SOMENZI, Egesippo Ambrogio. Formazione scolastica e cristiana a Roma alla metà
del IV secolo, Milano, 2009; cf. in precedenza i lavori di Vincenzo Ussani, cui si deve l’edizione
critica tuttora di riferimento (V. USSANI, Hegesippi qui dicitur Historiae libri V [CSEL, 66/1],
Wien, 1932), e in particolare V. USSANI, « La questione e la critica del così detto Egesippo », Studi
italiani di filologia classica, 14, 1906, p. 245-361.
284 EMANUELA COLOMBI

alii deputant Rufino. Alcuni studiosi hanno sostenuto l’ipotesi che Cassiodoro,
nonostante la menzione di sette libri, si riferisse in realtà in questo passo alla
versione di Egesippo30.
L’esistenza stessa di due differenti versioni latine, l’una traduzione e l’altra
riscrittura, ha dunque generato quella che Fausto Parente ha definito come una
dicotomia tra la tradizione filologica e quella ecclesiastica31, dicotomia che
stratifica ulteriormente i filtri cui sono state sottoposte la diffusione e fruizione
dell’opera. Le difficoltà interpretative del passo in cui Cassiodoro si riferisce alla
traduzione latina dell’opera, inoltre, sono complicate dai riscontri con la tradi-
zione indiretta, che tra tardoantico e alto medioevo sembra conoscere e citare solo
l’opera di Egesippo, considerandolo però come Iosephus32.
Tale constatazione sembra trovare riscontro, non senza discontinuità e aporie,
anche nelle intitolazioni dei codici superstiti. Emblematico è quanto accade nel
ms. Milano, BAmbr., C 105 inf. (CLA 3, 323-324), che contiene tutti e cinque i libri
dello pseudo Egesippo, e che per una settantina di fogli (a partire da f. 136r) è una
trascrizione di V-VI secolo eseguita nell’Italia settentrionale, mentre il resto del
testo è stato riscritto, probabilmente a Bobbio nell’VIII secolo, forse per integrare
porzioni del testo non più leggibili o non presenti. Il codice manca dell’intitolazione
iniziale, ma a f. 67v si legge Egesippi (ma corretto sopra a Ioseppi, verisimilmente
per mano dello stesso copista) liber primus explicit. Incipit secundus Ambrosi
episcopi de grego (sic) transtulit in latinum, da un lato dichiarando la paternità
ambrosiana della traduzione, in probabile connessione con l’origine lombarda del
codice33, dall’altro manifestando la sovrapposizione tra l’autorialità di Giuseppe
Flavio e quella di Egesippo. Non si tratta del resto di un fatto isolato nel codice:
infatti i titoli correnti della parte antica nel verso dei fogli presentano sempre il
nome Ioseppi (il primo di questi, f. 140v, è eraso per le prime quattro lettere);
sembra perciò che il copista dell’VIII secolo abbia composto (o trascritto) l’inti-
tolazione iniziale sulla base dell’attribuzione dell’opera nel codice di VI secolo, e

30. F. PARENTE, « Sulla doppia trasmissione, filologica ed ecclesiastica, del testo di Flavio
Giuseppe: un contributo alla storia della recezione della sua opera nel mondo cristiano », Rivista
di storia e letteratura religiosa, 36, 2000, p. 3-51, in part. p. 40-43, con ulteriori indicazioni
bibliografiche. Contra F. BLATT, The Latin Josephus, p. 17; A. A. BELL, An Historiographical
Analysis of the De excidio Hierosolymitano of Pseudo-Hegesippus, Diss. Univ. of North Carolina,
Chapel Hill, 1977.
31. F. PARENTE, « Sulla doppia trasmissione ».
32. Cf. V. USSANI, « Su le fortune medievali dell’Egesippo », Rendiconti della Pontificia
Accademia di Archeologia, 9, 1933, p. 107-118; ID., « Nuovi contributi alla storia della fortuna
dell’Egesippo nel medio evo », in Corona Quernea. Festgabe Karl Strecker zur 80. Geburtstage
dargebracht, Leipzig, 1941, p. 29-40; C. SOMENZI, Egesippo Ambrogio, p. 4-5.
33. M. FERRARI, « La biblioteca del monastero di S. Ambrogio: episodi per una storia », in
Il monastero di S. Ambrogio nel Medioevo, Convegno di studi nel XII centenario (784-1984),
Milano, 1988, p. 82-164, in part. p. 112.
IL RUOLO DEI PADRI GRECI 285

l’abbia poi rapidamente corretta sulla scorta forse di quanto si riteneva dell’opera
stessa nell’VIII secolo, ossia che si trattasse dell’opera di Egesippo.
La menzione di Ambrogio si ritrova anche nel codice vaticano Pal. Lat. 170
(f. 1r): incipit tractatus sancti Ambrosii episcopi de historia Iosippi captivi tran-
slata ab ipso ex greco in latinum, dove il ruolo del vescovo milanese sembra quasi
sconfinare in quello di autore di un trattato « ispirato » (de) alla sua traduzione
dell’historia di Giuseppe Flavio (da notare anche in questo caso l’assenza del
nome di Egesippo). Il codice, scritto a Lorsch all’inizio del IX secolo, dovrebbe
corrispondere a quanto dichiarato dai cataloghi34, che tuttavia non fanno alcuna
menzione di Ambrogio, e registrano invece la presenza di Isyppi [sic] libri V de
eodem historiographo, ovvero Giuseppe Flavio, nominato alla voce precedente: se
anche si tratta di una indicazione di traduzione, la formulazione (Isyppi … de…)
appare piuttosto ambigua.
La medesima discrepanza tra voci degli inventari carolingi, che sembrano in
linea di massima distinguere tra l’opera dello pseudo Egesippo e la versione lette-
rale del Bellum Iudaicum (pur con diverse ambiguità, come ho già avuto modo di
osservare)35. e intitolazioni dei codici che attribuiscono il testo di « Egesippo » a
Giuseppe Flavio si riscontra probabilmente anche per la biblioteca di Sankt Gallen,
il cui catalogo dichiara di possedere Egesippi libri V excerpti de istoria Joseppi36:
se tale riferimento andasse identificato con l’attuale codice 626 conservato presso
la Stiftsbibliothek di Sankt Gallen37 si tratta di un testimone contenente tutti e cin-
que i libri della versione di Egesippo, che sarebbe improprio definire excerpta. Dal
momento che il codice è mutilo della parte iniziale non è possibile conoscere quale
fosse l’attribuzione dell’opera nell’intitolazione iniziale; tutte le successive però,
fino a quella di chiusura (p. 311: finit liber quintus historiae Iosephi de bello Iudaico
feliciter) considerano l’opera come il Bellum Iudaicum scritto da Giuseppe Flavio,
diversamente da quanto dichiarato dall’inventario. In ogni caso la stessa biblioteca
possedeva anche la versione latina in sette libri, correttamente menzionata dal
catalogo come eiusdem hystoriographi [scil. Giuseppe Flavio] de bello Iudaico
libri VII38, che dovrebbe corrispondere all’attuale cod. 627 della Stiftsbibliothek
(IX sec.), in cui viene indicato come autore Iosephus historiographus.

34. A. HÄSE, Mittelalterliche Bücherverzeichnisse, p. 189, nr. 63.


35. E. COLOMBI, « La presenza dei Padri greci », p. 78-81.
36. P. LEHMANN, Mittelalterliche Bibliothekskataloge Deutschlands und der Schweiz, 1,
München, 1918, p. 76, l. 15.
37. Il codice è datato al primo quarto del sec. IX e attribuito allo scriptorium di Sankt Gallen
da Bischoff, KFH nr. 5823. Le mani che lo trascrivono non sembrano invece sangallesi a
B. M. VON SCARPATETTI, Die Handschriften der Stiftsbibliothek St. Gallen, 1.4. Codices 547-669:
Hagiographica, Historica, Geographica, 8.-18. Jahrhundert, Wiesbaden, 2003, p. 230-232; vede
continuità con altri codici sangallesi A. VON EUW, Die St. Galler Buchkunst vom 8. bis zum Ende
des 11. Jahrhunderts, 1. Textband, Sankt Gallen, 2008, p. 323-324, nr. 31.
38. P. LEHMANN, Mittelalterliche Bibliothekskataloge, 1, p. 81, l. 13.
286 EMANUELA COLOMBI

I riscontri dell’attribuzione dell’opera dello pseudo Egesippo a Giuseppe Flavio


sia nella tradizione indiretta che in quella manoscritta, in cui si verifica dunque una
sorta di sovrapposizione tra le due versioni latine del Bellum Iudaicum, hanno por-
tato anche alla formulazione dell’ipotesi che fino al IX secolo compreso quella che
veniva considerata la versione latina del Bellum Iudaicum fosse in realtà la riscrit-
tura di Egesippo (alla quale si riferirebbe dunque Cassiodoro), e che la traduzione
più fedele in sette libri sia stata redatta solo tra IX e X secolo39. Sarebbe tuttavia più
opportuno retrodatare tale cronologia almeno all’VIII-IX secolo, in considerazione
sia della distinzione presente in alcuni inventari, come quello di Sankt Gallen, che
conoscono entrambe le versioni, nonché della correzione effettuata nell’VIII secolo
sul codice ambrosiano C 105 inf., che testimonia il passaggio dell’attribuzione
della stessa opera da Ioseppus a Egesippus. Non è escluso poi che la costituzione
di un’edizione critica della traduzione in sette libri, tuttora inesistente, possa con-
tribuire a dipanare i nodi irrisolti della « questione dell’Egesippo »40.

III. – INVENTARI E INTITOLAZIONI DEI CODICI: LE DISCREPANZE


Ancora nell’ambito dei testi di storia, si riscontra un altro esempio di discrepanza
tra le menzioni degli inventari e le intitolazioni dei codici superstiti, in un certo
senso speculare a quello ora visto per lo pseudo Egesippo, che i cataloghi carolingi
sembrano distinguere dall’anonima versione latina del Bellum Iudaicum in sette
libri più spesso di quanto si riscontri nei codici esaminati, forse anche a motivo
della diffusione della seconda opera proprio a partire dal IX secolo. Per quanto
riguarda l’Historia ecclesiastica tripartita, invece, sembra verificarsi il contrario,
e va anzitutto segnalato, come si accennava all’inizio, che la sua presenza nelle
biblioteche carolingie appare in proporzione più cospicua di quanto sembrava di
poter dedurre dalle menzioni degli inventari.
Bisogna poi ricordare che si tratta di un testo per il quale è meno che mai
appropriato parlare di semplice traduzione, dal momento che consiste in una
compilazione, composta forse proprio da Cassiodoro e fatta tradurre a Epifanio
Scolastico41, che assembla in un unico racconto le opere dei cosiddetti continuatori
di Eusebio, ovvero Socrate, Sozomeno e Teodoreto, mettendo anche a confronto
le versioni diverse di medesimi avvenimenti fornite dai tre autori greci: siamo
dunque di fronte a una rielaborazione dell’originale, anzi degli originali, già a
partire dalla struttura stessa del testo.

39. F. PARENTE, « Sulla doppia trasmissione », in particolare p. 41-43, con ulteriore bibliografia
sulle discussioni della critica a questo proposito.
40. Non ha infatti avuto compimento quella annunciata da G. USSANI, « Studi preparatorii ad
una edizione della traduzione latina in sette libri del Bellum Iudaicum », Bollettino del Comitato
per la preparazione della edizione nazionale dei classici greci e latini, n.s. 1, 1945, p. 85-102.
41. Considerato sia compilatore che traduttore da W. JACOB – R. HANSLIK, Cassiodori-
Epiphanii Historia Ecclesiastica Tripartita (CSEL 71), Wien, 1952, che ritengono Cassiodoro
solo il committente dell’opera (p. XIII).
IL RUOLO DEI PADRI GRECI 287

Negli inventari carolingi vengono quasi sempre citati solo i tre autori greci, come
se fossero gli autori dell’opera, secondo un atteggiamento che abbiamo già riscon-
trato come molto frequente, persino nel caso di opere tradotte da personaggi noti
e autorevoli come Rufino. Nei secoli successivi sembra poi imporsi il solo titolo
di Historia tripartita, senza menzione esplicita degli autori42. Fanno eccezione
l’inventario di Würzburg, che menziona Cassiodoro, ma come traduttore: eccle-
siasticae historiae de graeco in latinum a Cassiodoro translatae43 e il catalogo di
Reichenau, che descrivendo una raccolta di testi cronachistici nomina invece una
chronica Cassiodoris senatoris, senza citare gli autori greci e attribuendo l’opera
a un differente genere letterario44. Solo il catalogo di Sankt Gallen (IX sec. med.)
manifesta consapevolezza del ruolo di Cassiodoro come compilatore, ma senza
fare esplicita dichiarazione dell’operazione di traduzione: Cassiodoris senatoris
ecclesiasticae historiae de tribus auctoribus sumptae, id est Sozomeni Theodoriti
atque Socratis45.
Tali riscontri contrastano con la presenza delle formule di incipit dell’opera,
ben più dettagliate, che si riscontrano anche in codici di IX secolo, come accade
nel testimone conservato a München, BSB, Clm 6376 (KFH nr. 3064), trascritto a
Sankt Emmeram e datato alla prima metà del IX sec., che in un’intitolazione a tutta
pagina a linee bicrome specifica dopo il nome degli autori greci sia l’operazione
di compilazione che quella di traduzione: in hoc corpore continentur historiae
ecclesiasticae ex Socrate Sozomeno et Theodoreto in unum collectae et nuper
de greco in latinum translatae in libris numero duodecim (f. 1v). Mi sembra in
particolare significativa la presenza dell’avverbio nuper, che parrebbe rimandare a
una fase antica della storia del testo. I prolegomena dell’edizione curata da Walter
Jacob e portata a compimento da Rudolf Hanslik per il CSEL riferiscono inoltre
che tale intitolazione si riscontra in tutti i testimoni dell’opera consultati per l’e-
dizione, e che se ne trova traccia già a metà del VI secolo nel Breviarium causae
Nestorianorum et Euthychianorum di Liberato di Cartagine (ACO 2.5, col. 1204B:
ex ecclesiastica historia nuper de Graeco in Latinum translata)46.
La possibilità che i paratesti iniziali, conservatisi in modo compatto nella tradi-
zione, riflettano l’assetto editoriale tardoantico, andrebbe ulteriormente indagata
in relazione a quanto si riscontra nelle intitolazioni successive del codice di Sankt
Emmeram, dove anzitutto si trova esplicita menzione di Cassiodoro (f. 2r): pra-
efatio senatoris servi Dei e, dopo il prologo in calce alla pagina: « perlegi per
[sic] Cassiodori senatoris iam domino prestante conversi », dove le prime parole
potrebbero rappresentare una traccia delle note tironiane di correzione riscontrate

42. E. COLOMBI, « La presenza dei Padri greci », p. 86-87.


43. G. BECKER, Catalogi Bibliothecarum antiqui, Bonn, 1885, p. 40, nr. 99.
44. P. LEHMANN, Mittelalterliche Bibliothekskataloge, 1, p. 258, l. 28-32.
45. P. LEHMANN, Mittelalterliche Bibliothekskataloge, 1, p. 76, l. 9-10, tra i libri di Cassiodoro.
46. W. JACOB – R. HANSLIK, Cassiodori-Epiphanii, p. VIII-IX.
288 EMANUELA COLOMBI

in due codici vivariensi (Paris, BnF, lat. 8907: per[legi] Cassiodorus e Città del
Vaticano, BAV, Vat. lat. 5704, su cui cf. anche infra: Cas[siodor]us l[eg]i)47.
Nel verso del foglio si trova poi menzione anche del traduttore: incipiunt tituli
ecclesiasticae historiae cum opere suo ab Epiphanio scolastico domino prestante
translati. Anche queste intitolazioni sembrano presenti in forme simili nei codici
utilizzati per la costituzione del testo nel CSEL, ma sono stati seclusi da Hanslik
sulla base del fatto che (p. IX) « antiquissimis enim temporibus nec Cassiodori
neque Epiphanii nomen occurrit ». In ogni caso, almeno a partire dal IX secolo è
testimoniata una dettagliata consapevolezza della storia del testo, difficilmente
riscontrabile per altre opere, e che potrebbe avere origini molto più antiche.
Il solo altro testimone che ho potuto consultare, trascritto a Orléans nei primi
decenni del IX secolo e attualmente conservato a Chartres, BM, 10 (21), è grave-
mente danneggiato soprattutto nella parte iniziale e in quella finale, e non consente
il riscontro delle formule che accompagnano l’incipit dell’opera in gran parte della
tradizione. Tuttavia nel corso del testo spicca un elemento presente anche nel codice
monacense, ovvero la costante indicazione, in caratteri onciali e inchiostro rosso,
dell’autore greco da cui è tratto il brano di riferimento, consentendo una precisa
mappatura delle fonti selezionate e giustapposte nella compilazione dell’Historia
tripartita, che si aggiunge alla presenza dei capitoli, elemento quest’ultimo che
sembra essere sempre presente e ben evidenziato nei libri di storia. Il codice di
Chartres inoltre presenta titoli in scrittura distintiva anche per alcuni dei docu-
menti trascritti nell’opera.
Certamente tali dispositivi suggeriscono una fruizione concreta del testo come
repertorio di notizie e documenti agevolmente rintracciabili e verificabili quanto
alla loro originaria provenienza, confermando la definizione dell’opera da parte di
Désirée Scholten come « a work of reference on how correct politics and religion
should be conducted », cui si aggiungono gli impieghi particolari sia in ambito
di discussioni dogmatiche come la lotta iconoclasta nel IX secolo, sia l’inseri-
mento di singoli episodi di valore morale ed esemplare nelle raccolte spirituali
o di sermoni48. Scholten inoltre suggerisce che l’Historia ecclesiastica tripartita
possa aver goduto di « a particularly large audience in the areas where important
bishoprics and other centres of power were located. This adds to the image of the
Historia as an important work, one which was relevant for contemporary politics ».
In una fase anteriore a tali molteplici motivi di interesse e quindi di circolazione
dell’opera nel corso dei secoli, mi domando tuttavia, anche in paragone a quanto
riscontrato sinora per altri testi, se il complesso degli elementi peculiari all’Histo-
ria ecclesiastica tripartita – le intitolazioni iniziali che danno conto della storia

47. F. TRONCARELLI, Vivarium. I libri, il destino, Turnhout, 1998, p. 45.


48. D. SCHOLTEN, The History of a Historia: Manuscript transmission of the Historia
Ecclesiastica Tripartita by Epiphanius-Cassiodorus, MA Thesis, Utrecht University, 2010, dis-
ponibile online.
IL RUOLO DEI PADRI GRECI 289

del testo, la prima delle quali contiene l’avverbio nuper; l’indicazione di volta in
volta della fonte di riferimento, che difficilmente sarà stata recuperata nei secoli
successivi alla composizione dell’opera stessa – sia da mettersi in relazione con il
fatto che, diversamente da quanto accadde per le traduzioni di Rufino e Gerolamo,
quest’opera legata all’iniziativa di Cassiodoro vide una significativa coincidenza
tra il luogo di composizione e traduzione del testo e il centro propulsore della sua
conservazione e diffusione49. Tale sincronia all’origine potrebbe aver generato una
linea di trasmissione compatta e conservativa anche nei dispositivi di approccio
al testo. Andrebbe inoltre valutata con indagini più approfondite, anche nella tra-
dizione indiretta, la possibilità che la conservazione di tali elementi paratestuali,
che sembrano risalire alle prime fasi della storia del testo, sia inoltre da mettere in
relazione con un eventuale momento di « congelamento » nella diffusione dell’Hi-
storia tripartita tra tardoantico e alto medioevo, in conseguenza della condanna
dell’Historia Sozomeni (ma il riferimento è certamente all’Historia tripartita) da
parte di Gregorio Magno nell’ambito dello scisma dei Tre Capitoli50.
La riflessione sul ruolo nella trasmissione dei testi tra tardoantico e alto medio-
evo di alcuni luoghi chiave, Vivarium in primis51, sembra trovare riscontro per le
traduzioni latine di testi patristici greci anche per un’altra opera collegata all’i-
niziativa di Cassiodoro, ovvero il commento omiletico di Giovanni Crisostomo
alla Lettera agli Ebrei, che Cassiodoro stesso fece tradurre a Muziano (cf. Inst. 1,
8, 3), e che risulta essere il solo testo esegetico non origeniano cospicuamente
rappresentato sia negli inventari carolingi che nei codici superstiti.
Come accadeva per l’Historia tripartita, anche in questo caso l’opera, almeno
nei codici che ho potuto consultare, è accompagnata da una sottoscrizione che
fornisce informazioni dettagliate sulla sua storia, che vennero poi incorporate
nel titolo sin dalla sua più antica storia editoriale. La sottoscrizione è presente
già nel codice, scritto all’epoca dell’arcivescovo Ildebaldo (795-819), attual-
mente Köln, DomB, 41 (CLA 8, 1147; KFH nr. 1884), che nell’intitolazione
iniziale (f. 2r) menziona come d’abitudine il solo nome di Crisostomo, mentre
in quella finale (f. 174v-175r) si legge: explicit commentarium Iohannis episcopi
Constantinopolitani in epistolam Pauli ad Ebreos ex notis editum post eius obitum
a Constantino presbytero Antiocheno et translatum de greco in latinum a Muciano
scolastico.

49. Cf. anche le considerazioni di P. COURCELLE, Les lettres grecques en Occident. De Macrobe
à Cassiodore, Paris, 1943, p. 351-352.
50. Cf. M. L. W. LAISTNER, « The Value and Influence of Cassiodorus’ Ecclesiastical History »,
Harvard Theological Review, 41, 1948, p. 51-67; P. F. BEATRICE, « De Rufin à Cassiodore »,
p. 254-256.
51. Rimando almeno a F. TRONCARELLI, Vivarium, con segnalazione di ulteriore bibliografia e
dei precedenti contributi sull’argomento dello stesso studioso.
290 EMANUELA COLOMBI

Un’analoga indicazione si ritrova inoltre nell’intitolazione finale del codice


Milano, B. Ambros., A 135 inf., di origine francese (dintorni di Parigi secondo
Bischoff, KFH nr. 2596, probabilmente Saint-Denis: fu uno dei volumi donati
al monastero di San Colombano a Bobbio da Dungal), in cui il testo è abbinato
al commento di Origene alla Lettera ai Romani. Anche il codice vaticano Pal.
lat. 153, originario di Tours (KFH nr. 6458) trascrive le medesime notizie, ma in
posizione iniziale (f. 1r: incipit commentarium…), e lo stesso accade nei codici
München, BSB, Clm 6291 (orig. Freising?) e Cambrai, BM, 464 (orig. Francia,
forse nella stessa Cambrai), con formula introduttiva in hoc corpore continetur
commentum sancti Iohannis…; il codice di München inoltre ripete la medesima
sottoscrizione al termine della trascrizione dell’opera. Da segnalare che le stesse
parole sono impiegate per descrivere l’opera anche nei cataloghi di Lorsch52.
La mancanza di un’affidabile edizione critica delle omelie crisostomiane sulla
Lettera agli Ebrei, che leggiamo ancora in PG 63, col. 237-456, non consente di
spingersi oltre nelle considerazioni: tuttavia la possibilità che alcune tipologie
di sottoscrizioni possano essere collegate alle fasi più antiche della circolazione
del testo, e a Vivarium in particolare, se confermata potrebbe agevolare anche
l’indagine filologica su quest’opera, così diffusa da un lato grazie all’autorità
delle indicazioni (e dell’iniziativa) di Cassiodoro, dall’altro perché consentiva la
copertura sistematica dell’esegesi anche per il libro biblico oggetto del commento.
La presenza importante di Giovanni Crisostomo nelle letture del mondo tar-
doantico e medievale, in ogni caso, segue anche altri percorsi e motivazioni, e
non è legata soltanto all’esegesi della Lettera agli Ebrei. Come è noto, infatti, già
a partire dall’inizio del V secolo cominciarono a circolare dei corpora di omelie
sotto il suo nome (a partire dalla cosiddetta « collezione di 38 omelie » individuata
da André Wilmart)53 di cui fa menzione già Agostino: emblematico il fatto che tali
raccolte, tutt’altro che stabili, comprendessero sia testi autentici tradotti (in parte
forse da Aniano di Celeda, traduttore delle prime 25 omelie sul vangelo di Matteo,

52. A. HÄSE, Mittelalterliche Bücherverzeichnisse, A nr. 41; B nr. 131; Ca nr. 320.
53. A. WILMART, « La collection des 38 homélies latines de saint Jean Chrysostome », The
Journal of Theological Studies, 19, 1918, p. 305-327; W. WENK, Zur Sammlung der 38 Homilien
des Chrysostomus Latinus (mit Edition der Nr. 6, 8, 27, 32 und 33), Wien, 1988. Tuttavia, come
fa notare S. VOICU, « Le prime traduzioni latine di Crisostomo », in Cristianesimo latino e cultura
greca. XXI Incontro di studiosi dell’antichità cristiana, Roma, 7-9 maggio 1992, Roma, 1993,
p. 397-445, non tutti i testi che compongono il corpus sono propriamente omelie, e l’instabilità
dei testi che compongono la raccolta nei diversi codici suggerisce che a monte della collezione vi
fosse una realtà più complessa della definizione di « 38 omelie ». Cf. anche J.-P. BOUHOT, « Les
traductions latines de Jean Chrysostome du Ve au XVIe siècle », in Traduction et traducteurs au
Moyen Âge. Actes du colloque international du CNRS organisé à Paris, Institut de recherche et
d’histoire des textes, les 26-28 mai 1986, G. Contamine éd., Paris, 1989, p. 31-39, e G. BADY,
« Les traductions latines anciennes de Jean Chrysostome : motifs et paradoxes », in L’Antiquité
tardive dans les collections médiévales : textes et représentations, VIe-XIVe siècle, B. Grévin éd.,
Rome, 2008, p. 305-318.
IL RUOLO DEI PADRI GRECI 291

in parte da autori ignoti: codici e inventari del resto nominano solo l’autore greco),
sia testi pseudoepigrafi già nell’originale greco, sia testi composti direttamente in
latino54.
È suggestiva la constatazione che un analogo complesso di fenomeni, ovvero
le traduzioni in molteplici lingue e la pseudoepigrafia in ciascuna di queste, oltre
all’esistenza di codici superstiti anche tardoantichi, si riscontri da quanto ho potuto
sinora verificare solo per un altro autore, ovvero Efrem il Siro, che tecnicamente in
verità non si potrebbe classificare come un Padre greco: tuttavia, diversamente da
quanto accade per Giuseppe Flavio (greco ma non cristiano), lo troviamo incluso
nella Clavis Patrum Graecorum55, dal momento che (come anche per Crisostomo)
gli scritti di spiritualità che gli furono attribuiti si corrispondono solo in parte nelle
diverse traduzioni, ed esistono anche scritti giunti a noi solo in una lingua (siriaco,
greco, latino, ma anche armeno, copto, georgiano), senza che sia tuttora chiaro,
anche per la mancanza di edizioni affidabili, quali testi siano effettivamente tra-
duzioni e da che lingua, e quali siano stati invece composti sotto il nome di Efrem
direttamente nella lingua in cui li leggiamo ora56.
Tale affinità nella trasmissione mi pare possa essere inoltre messa in relazione
all’ulteriore (e probabilmente predominante) ambito del pensiero in cui si esercitò
anche in Occidente l’influsso degli scritti crisostomiani, ovvero quello relativo
agli argomenti d’interesse ascetico-monastico, e più genericamente spirituale.
Tant’è che, insieme o separatamente rispetto ai corpora omiletici, sono largamente
diffuse (nonché menzionate dagli inventari) soprattutto due opere di Crisostomo:
il De compunctione cordis e il De reparatione lapsi, di cui possediamo anche
codici antiquiores superstiti57.
Per Giovanni Crisostomo in particolare vanno infine tenuti presenti altri fattori
di ordine storico prima ancora che culturale. Le prime fasi della diffusione del suo
pensiero in Occidente hanno infatti implicazioni politico-teologiche ben precise,
provenienti da due differenti contesti: anzitutto lo schierarsi di papa Innocenzo I e
dei vescovi italiani a favore del patriarca di Costantinopoli deposto, e in seguito il
fatto che Pelagio e i suoi seguaci ebbero buon gioco a sottolineare la consonanza

54. Cf. S. VOICU, (« Le prime traduzioni latine », cit. n. 53); contro l’attribuzione delle tradu-
zioni delle omelie ad Aniano di Celeda J.-P. BOUHOT, « Les traductions », p. 34.
55. Per Efrem CPG 2, nr. 3905-4175.
56. Per il cosiddetto « Efrem latino » in particolare rimando allo status quaestionis sulla storia
della trasmissione (con elenco dei codici) e sulle modalità di diffusione tracciato da D. GANZ,
« Knowledge of Ephraim’s Writings in the Merovingian and Carolingian Age », Hugoye: Journal
of Syriac Studies, 2.1, 1999, p. 37-46 (on line), ove si sottolinea (p. 37) come « fundamental ques-
tions about the reception of Ephraim’s works in the Latin West, such as when and where the Latin
translation was made, or what factors determined its popularity, await investigation ».
57. CLA 3, 352; 4, 425; 8, 1187; 11, **182 (p. 6).
292 EMANUELA COLOMBI

delle proprie teorie sul libero arbitrio con quelle delle omelie di Crisostomo58 in
funzione antiagostiniana, tanto che alcuni hanno ipotizzato che dietro la compila-
zione di alcuni tra i primi florilegi di omelie sia da vedersi proprio un’iniziativa
di parte pelagiana59. È importante ricordare poi che tale favore si mantenne anche
presso i sostenitori di una posizione più moderata e conciliante, che fu poi quella
che finì nei fatti per imporsi anche grazie alla diffusione di testi ad hoc, ovvero
i cosiddetti « semi-pelagiani », o maestri provenzali, il cui esponente forse più
rappresentativo, Giovanni Cassiano, fu amico, collaboratore e poi difensore dello
stesso Crisostomo.
Più in generale, mi domando se non sia possibile individuare nella Gallia della
controversia pelagiana un altro punto di partenza « forte » per la selezione e la
circolazione di alcuni testi funzionali al dibattito su grazia e libero arbitrio che si
trascinò per più di un secolo, volendone individuare un termine almeno formale
nel secondo concilio di Orange del 52960. La suggestione nasce dalla constatazione
della presenza quantitativamente significativa, sia negli inventari che con ancor
più evidenza nei codici superstiti, di altri due testi, appartenenti al ristretto gruppo
che fu in grado di superare quello che abbiamo definito all’inizio come « doppio
filtro », che potrebbero essere collegati al medesimo contesto di diffusione.
Il primo è il Commentarius in Epistulam ad Romanos di Origene, anch’esso già
ben rappresentato anche nei testimoni superstiti tardoantichi61, e poi attestato con
continuità negli inventari e nei codici carolingi: per questi ultimi in particolare si
riscontra una netta prevalenza di testimoni superstiti originari dell’area franco-gal-
lica. Mi domando se tale dato possa essere messo in verisimile relazione con la
possibilità che si tratti anche dell’area in cui nei secoli precedenti la circolazione
di questo testo fu più intensa che altrove. Certamente il commento fu conosciuto
e utilizzato da Pelagio, e forse anche dai successivi promotori di posizioni meno
estreme ma comunque alternative al predestinazionismo agostiniano62. I testi
chiave della polemica erano comunque, ed è importante tenerlo presente, suscet-

58. C. BAUR, « L’entrée littéraire de saint Chrysostome dans le monde latin », Revue d’histoire
ecclésiastique, 8, 1907, p. 249-265; J.-P. BOUHOT, « Les traductions », p. 32; G. BADY, « Les tra-
ductions », che sottolinea anche l’importanza del valore letterario dei testi crisostomici (autentici
o meno) come primo criterio nella scelta delle traduzioni.
59. Cf. G. BARDY, « Grecs et Latins dans les premières controverses pélagiennes », Bulletin de
littérature ecclésiastique, 49, 1948, p. 3-20, in part. p. 13-16.
60. Sul concilio rimando alla dettagliata recente analisi da parte di R. MATHISEN, « Caesarius
of Arles, Prevenient Grace, and the Second Council of Orange », in Grace for Grace. The Debates
after Augustine and Pelagius, A. Hwang – B. Matz – M. Casiday eds., Washington, 2014,
p. 208-234.
61. CLA 3, 374b; 5, 690; 6, 779; 9, 1390; Suppl., 1804.
62. Cf. C. P. HAMMOND BAMMEL, « Rufinus’ Translation of Origen’s Commentary on Romans
and the Pelagian Controversy », in EAD., Tradition and Exegesis in Early Christian Writers,
Aldershot, 1995, p. 133-142.
IL RUOLO DEI PADRI GRECI 293

tibili di essere impiegati da entrambe le parti in causa: è significativa a questo


riguardo, la presenza, indagata da Caroline Hammond Bammel63, nel più antico
codice superstite dell’opera (Lyon, BM, 483 [413])64 di annotazioni marginali in
corrispondenza dei passaggi relativi ad argomenti quali il peccato originale, il
libero arbitrio, la responsabilità del peccato nei bambini, il cui autore manifesta
posizioni opposte al pelagianesimo e più vicine al pensiero agostiniano. Anche le
recenti indagini di Thomas P. Scheck65 mostrano come le idee espresse da Origene
nel Commentarius in Epistulam ad Romanos, in particolare su giustificazione,
libero arbitrio e connessione tra fede e buone opere dopo il battesimo, siano state
impiegate e reinterpretate sia da Pelagio che da Agostino: i sondaggi sulla fortuna
successiva dell’opera portano l’autore a definire l’esegesi cattolica all’epistola
paolina quasi una serie di « footnotes to Origen »66.
Come si è già riscontrato, in particolare per l’Historia ecclesiastica, anche
per quest’opera la tradizione manoscritta consultata tende a omettere il nome di
Rufino a favore di quello del solo Origene. Fanno eccezione i due codici, origi-
nari di Reichenau, attualmente Karlsruhe, BLB, Aug. perg. 126 e 127 (contenenti
rispettivamente i libri 1-5 e 6-10), che secondo la descrizione di Alfred Holder67
erano originariamente rilegati in un unico tomo. Va tuttavia rilevato che le indica-
zioni della traduzione da parte di Rufino, eccezionalmente dettagliate (Aug. 126,
f. 171r: Rufino presbytero de greco in latinum transferente eloquium; Aug. 127,
f. 168 r: Rufino de greco transferente in eloquium latinae linguae) non si trovano
nelle intitolazioni iniziali, che nominano il solo Origene, bensì nelle formule di
explicit del V e del X (e ultimo) libro, denunciando forse una scansione in due
tomi anche all’origine del testo o comunque presente nella linea di trasmissione
cui la trascrizione appartiene, secondo l’assetto testuale della prima circolazione
dell’opera forse voluto dallo stesso Rufino68.

63. Ibid.; cf. anche C. P. HAMMOND BAMMEL, « A Product of a Fift-Century Scriptorium pre-
serving conventions used by Rufinus of Aquileia », The Journal of Theological Studies, 29, 1978,
p. 366-391; 30, 1979, p. 430-462; 35, 1984, p. 345-393. La maggior parte dei codici superstiti
inoltre presenta marginalia, correzioni e segni d’uso, cf. C. P. HAMMOND BAMMEL, « Notes on
the Manuscripts and Editions of Origen’s Commentary on the Epistle to the Romans in the Latin
Translation of Rufinus », The Journal of Theological Studies, 16, 1965, p. 338-357, in part. p. 346.
64. Sec. V-VI, orig. Italia settentrionale (CLA 6, 779).
65. Th. P. SCHECK, Origen and the History of Justification: The Legacy of Origen’s
Commentary on Romans, Notre Dame (IN), 2008, in partic. i cap. 2 e 3, p. 63-102.
66. Ibid., p. 217.
67. A. HOLDER, Die Handschriften der Badischen Landesbibliothek in Karlsruhe, 5. Die
Reichenauer Handschriften, 1. Die Pergamenthandschriften, Wiesbaden, 1972, p. 312-313.
68. Cf. l’introduzione di M. FÉDOU in Origène, Commentaire sur l’Épître aux Romains, 1,
texte critique établi par C. P. Hammond Bammel, introduction par Michel Fédou, traduction,
notes et index par Luc Brésard, Paris, 2009, p. 108-109; C. P. HAMMOND BAMMEL, « Notes on
the Manuscripts », p. 347.
294 EMANUELA COLOMBI

Nel ms. Sankt Gallen, StiftsB, 88 (orig. Sankt Gallen), invece, il nome di Rufino
è menzionato come autore dell’epistola dedicatoria (p. 3: epistola Rufini presbyteri
ad Eraclium), ma le intitolazioni iniziali della prefazione (p. 3: incipit praefatio
Origenis de explanationibus suis…) e del testo (p. 8: explanationum Origenis in
epistolam Pauli ad Romanos liber primus incipit) non fanno parola del suo ruolo
come traduttore.
Tuttavia sia l’Augiense 127 che il Sangallese 88 condividono quella quella che
sembra essere la medesima misurazione sticometrica al termine dell’opera: habet
uñ (i.e. versuum numerus?) ID.CCC.LXX. La stessa sottoscrizione si trova al
termine del solo testimone precarolingio che ci sia giunto in condizioni non fram-
mentarie, il codice Wolfenbüttel, HAB, Guelf. 74 Weiss., trascritto a Wissembourg
tra VIII e IX secolo (CLA 9, 1390; KFH nr. 7419): quest’ultimo testimone, che
contiene solo i libri 6-10, presenta la misurazione sticometrica al termine di ogni
libro (f. 26v; 62r; 91r; 123r; 155r, cf. tav. 3 e 4). Secondo la classificazione dei
testimoni della più recente editrice del testo, Caroline Hammond Bammel69, i
tre manoscritti ora citati risultano imparentati, e al tempo stesso indipendenti dal
codice tardoantico lionese sopra citato: risulta dunque particolarmente interes-
sante la possibilità che tali indicazioni si siano conservate (in modo più completo
nel testimone di Wissembourg) come fossili da un antigrafo tardoantico70, dal
momento che a quanto sembra il conteggio della lunghezza di un’opera in versus
non fu più impiegato nei secoli successivi71.
Mi domando inoltre se non sia possibile collegare questo dato, che andrebbe
verificato nel resto della tradizione manoscritta, a preoccupazioni sulla correttezza
della trasmissione dell’opera, originatesi forse proprio in un contesto polemico
come quello sopra adombrato. Mi limito solo a ricordare a questo proposito la
discussione, sorta più di un secolo fa, a proposito delle enigmatiche affermazioni
di Rufino nel prologo stesso all’opera, in cui dichiara che i libri dell’originale
greco interpolati sunt, precisando però di seguito: « desunt enim fere apud omnium
bibliothecas (incertum sane quo casu) aliquanta ex ipso corpore volumina72 ». Tale
espressione è stata variamente interpretata, e rispetto alla convinzione di Adolf

69. C. P. HAMMOND BAMMEL, Der Römerbriefkommentar des Origenes: kritische Ausgabe der
Übersetzung Rufins, 1. Buch 1-3, Freiburg im Breisgau, 1990, p. 5-23.
70. Come potrebbero indicare anche le crocette (x) precedenti la sottoscrizione al f. 26v,
possibile riproduzione del fregio posto a chiusura della pagina in molti codici tardoantichi, e
forse anche l’elegante capitale quadrata, talora in bicromia di inchiostro rosso e bruno, delle
sottoscrizioni stesse.
71. R. ROUSE – Ch. MCNELIS, « North African Literary Activity: a Cyprian Fragment, the
Stichometric Lists and a Donatist Compendium », Revue d’histoire des textes, 30, 2000, p. 189-
238: « the use of stichometry seems to die in the Latin West in late antiquity (p. 202) »; cf. Th. BIRT,
Das Antike Buchwesen in seinem Verhältniss zur Litteratur: Mit Beiträgen zur Textgeschichte des
Theokrit, Catull, Properz und anderer Autoren, Berlin, 1882, in partic. p. 171-177.
72. Tyrannii Rufini Opera (CCSL 20), Turnhout, 1961, M. Simonetti ed., p. 275, l. 12-14.
IL RUOLO DEI PADRI GRECI 295

von Harnack73 che il riferimento di Rufino fosse a vere proprie adulterazioni del
testo origeniano, si è imposta nel tempo l’ipotesi, già di Cuthbert Hamilton Turner
e perfezionata poi da Henry Chadwick74, che legge interpolari nel senso proprio
di « interrompere (una continuità) ». Sono dunque seguite speculazioni su quali
potessero essere i libri del commento origeniano che Rufino non aveva a dispo-
sizione, e per i quali avrebbe dunque dovuto colmare una lacuna appoggiandosi
all’esegesi dei passi coinvolti formulata da Origene in altre opere. Tuttavia, come
ha mostrato da ultimo Francesca Cocchini75, non appare possibile dimostrare con
sicurezza quali fossero i volumi mancanti, posto che ve ne siano stati.
Ipotizzare un collegamento tra l’affermazione rufiniana, di incerta inter-
pretazione, e la presenza della misurazione sticometrica in alcuni manoscritti
parrebbe in ogni caso imprudente sic stantibus rebus. Un’indagine su eventuali
ulteriori testimonianze in proposito tuttavia potrebbe risultare di interesse per
diversi aspetti. Mi sembra interessante il fatto che nel IX secolo si possa trovare
almeno un’affermazione esplicita di sospetti di adulterazioni nel testo: nell’885
infatti Notker I di Sankt Gallen (Notkero il Balbo), nelle due lettere indirizzate
al futuro vescovo di Konstanz Salomone (la cosiddetta Notatio de illustribus
viris)76, volte a fornire suggerimenti sulle letture necessarie per comprendere le
Scritture e per un’adeguata formazione cristiana, precisava come « in epistolam
ad Romanos multa et mira scripsit Origenes, quibus adversarii eius quedam prava
inseruerunt ». Una ricerca più approfondita potrebbe eventualmente consentire di
risalire all’origine di tale convinzione, forse legata proprio a un’interpretazione
del passo di Rufino analoga a quella che poi diede Harnack. Non bisogna in ogni
caso trascurare, tra gli elementi a favore della diffusione del testo in Occidente,
anche i ritocchi apportati dalla traduzione rufiniana, volti a introdurre e/o enfatiz-
zare concetti cari alla prospettiva monastica e ascetica, adeguando ad altri tempi e
contesti la soteriologia dell’originale greco77.
È in ogni caso scontata la necessità di inquadrare anche la diffusione del
Commentarius in Epistulam ad Romanos nell’ambito della generale fortuna degli
scritti esegetici origeniani di cui si è detto all’inizio, o per meglio dire di alcuni
scritti in particolare. La presenza dominante di Origene nelle letture dell’Occidente

73. A. VON HARNACK, Geschichte der altchristlichen Literatur, 1, Leipzig, 1893, p. 373.
74. H. CHADWICK, « Rufinus and the Tura Papyrus of Origen’s Commentary on Romans »,
The Journal of Theological Studies, 10, 1959, p. 10-42, in part. p. 39-41. Per lo status quaestionis
dettagliato delle diverse ipotesi cf. la citata introduzione di M. FÉDOU in Origène, p. 38-42.
75. F. COCCHINI, Origene. Commento alla Lettera ai Romani. Annuncio pasquale; polemica
antieretica, L’Aquila, 1979, 2, p. XII-XX.
76. Il titolo con cui il testo è comunemente citato non è originale e si ritrova solo in un ramo
della tradizione. Ediz. di riferimento: E. RAUNER, « Notker des Stammlers Notatio de illustribus
viris. Teil I: Kritische Edition », Mittellateinisches Jahrbuch, 21, 1986, p. 34-69.
77. Cf. K. HILL, « Rufinus as an Interpreter of Origen: Ascetic Affliction in the Commentarii in
Epistulam ad Romanos », Augustiniana, 60, 2010, p. 145-168.
296 EMANUELA COLOMBI

medievale è argomento vastissimo, che ancora necessita di approfondimenti critici


sulle vie e le tipologie anche materiali della recezione in Occidente78: i contributi
contenuti in questo volume daranno un decisivo impulso in questa direzione, in
un’indispensabile ottica trasversale, consentendo anche un aggiornato status qua-
estionis secondo diverse angolature.
Mi limito dunque a qualche considerazione generale, anzitutto quanto al fatto
che anche per gli scritti origeniani la convergenza tra attestazioni degli inventari
medievali e codici superstiti risulta pressoché totale. Va precisato tuttavia, rispetto
alle considerazioni che avevo proposto solo sulla base degli inventari79, che nei
codici superstiti la predominanza delle omelie sulla Genesi sembra da attenuarsi,
rivelando una predilezione generale per le omelie origeniane sull’Ottateuco, nel
rispetto dell’assetto editoriale originario che in età tardoantica fu certamente in
possesso di Paolino da Nola, e più tardi di Eugippio e Cassiodoro80. La conser-
vazione di esemplari contenenti solo le omelie sulla Genesi, o – come si riscontra
di frequente nei codici e nei cataloghi – su Genesi Esodo e Levitico, va dunque
tarata in ragione dello stato frammentario di diversi testimoni, o in ogni caso
della sopravvivenza del solo primo volume di una raccolta originariamente più
ampia81: Cassiodoro stesso nelle Institutiones (1, 1, 8) descrive una raccolta in
tre volumi. A tale evidenza va inoltre accostata la possibilità di una catalogazione
approssimativa del contenuto dei codici da parte degli inventari medievali, che
potevano riferirsi solo al primo libro oggetto del commento omiletico, anche se il
volume ne conteneva ulteriori (eventualità per altro da non escludersi anche nella
consultazione sia dei CLA che del KFH di Bischoff). La tendenza a raccogliere
tutte le omelie origeniane sull’AT in un unico volume in ogni caso si manifesta, a
motivo della mole complessiva del testo, piuttosto tardi nella tradizione superstite,
attorno all’XI-XII secolo82.
Certamente la tradizione superstite è materialmente debitrice ancora una
volta alla conservazione dei codici di Vivarium83, e ancor prima all’iniziativa di
Cassiodoro che, nonostante l’inasprirsi dell’embargo nei confronti del pensiero
origeniano, ne promosse l’opera esegetica nell’ottica di un inscindibile e program-

78. Rimando almeno a G. SFAMENI GASPARRO, Origene e la tradizione origeniana in


Occidente. Letture storico-religiose, Roma, 1998.
79. E. COLOMBI, « La presenza dei Padri greci », p. 89.
80. Origenes. Die Homilien zum Buch Genesis, Berlin – Boston – Freiburg, P. Habermehl
Hrsg., 2011, p. 19.
81. Ibid., p. 20 (e in generale tutto il capitolo III). Per una revisione aggiornata della tradi-
zione manoscritta delle omelie sulla Genesi rispetto allo studio, ancora imprescindibile, di
W. A. BAEHRENS, Überlieferung und Textgeschichte der lateinisch erhaltenen Origeneshomilien
zum Alten Testament, Leipzig, 1916, cf. anche l’introduzione in P. HABERMEHL, Homilien zum
Hexateuch in Rufins übersetzung, 1. Die Homilien zu Genesis, Berlin – New York, 2012.
82. Origenes. Die Homilien zum Buch Genesis, p. 20.
83. P. HABERMEHL, Homilien, p. XLII-XLV; W. A. BAEHRENS, Überlieferung, p. 186-199.
IL RUOLO DEI PADRI GRECI 297

matico legame tra testo sacro ed esegesi necessaria per comprenderlo, e quindi
necessariamente sistematica84. Le eloquentissimae nimis omeliae di Origene
sull’Ottateuco, così definite da Cassiodoro stesso nel passo delle Institutiones
sopra citato, risultavano quindi funzionali e anzi imprescindibili per un progetto
culturale di tale portata.
Più delicata è la valutazione del possibile legame tra Cassiodoro-Vivarium e la
circolazione di un’altra opera sempre presente negli inventari e nei codici super-
stiti carolingi, ovvero l’esegesi al Cantico, diffusa in Occidente nella traduzione
delle due omelie da parte di Gerolamo, e nel commento tradotto da Rufino solo
fino all’interpretazione di Ct. 2, 15. Non sorprende che la traduzione delle omelie,
di maggiore fruibilità, risulti ovunque più diffusa rispetto a quella del commento.
Cassiodoro (Inst. 1, 5, 4) le nomina entrambe, e nell’ottica di un progetto di coper-
tura integrale dell’esegesi scritturistica non appare sorprendente nemmeno quanto
dichiara nelle righe successive: « Post quos Epiphanius antistes Cyprius totum
librum Graeco sermone uno volumine sub brevitate complexus est. Hunc nos ut
alios in Latinam linguam per amicum nostrum virum disertissimum Epiphanium
fecimus domino iuvante transferri. Quapropter praedicti libri diligentissimos
expositores sub uno codice comprehendi, ut simul omnes legentibus offerantur
qui tractatores unius voluminis extiterunt. » Tuttavia questo progetto sembrerebbe
non aver avuto buon esito: il Commentarius in Canticum Canticorum di Filone di
Carpasia, erroneamente identificato da Cassiodoro con Epifanio di Salamina, restò
pressoché sconosciuto all’Occidente latino, né ebbe fortuna l’assetto editoriale
proposto che abbinava i diversi commenti al Cantico, neppure per quanto riguarda
le due opere origeniane. Il solo testimone superstite di tale iniziativa è proprio
l’esemplare proveniente da Vivarium e passato poi in Laterano, il Vat. lat. 5704,
che allo stato attuale, gravemente mutilo, contiene solo il commento di Filone85.
Come per le omelie sull’Ottateuco, anche per il commento e le omelie sul
Cantico origeniani è stato ipotizzato che la tradizione superstite possa dipendere
dall’archetipo vivariense, con maggior probabilità per quanto riguarda le omelie
tradotte da Gerolamo86. Tuttavia Manlio Simonetti ha in seguito dimostrato pro-
prio per la tradizione di queste ultime la mancanza di elementi sufficienti a provare
l’esistenza di un unico archetipo, e viceversa la bipartizione dello stemma che
vede un ramo rappresentato dal solo codice Sankt Petersburg, GBP, Q.v.I.8, datato
al VI secolo e di probabile origine vivariense (CLA 11, 1614), e l’altro derivato
da un comune subarchetipo, cui afferisce il resto della tradizione consultata87.
Inoltre, come per il Commentarius in Epistulam ad Romanos, la quasi totalità

84. Su Cassiodoro e Origene cf. P. COURCELLE, Les lettres grecques, p. 337-339, e le riflessioni
di F. TRONCARELLI, Vivarium, con ulteriori indicazioni bibliografiche.
85. Cf. P. COURCELLE, Les lettres grecques, p. 365-367.
86. W. A. BAEHRENS, Überlieferung, p. 193-195 e cap. 6; P. COURCELLE, Les lettres grecques,
p. 365-366.
87. M. SIMONETTI, Origene. Il Cantico dei cantici, Milano, 1998, p. XXXI-XXXIV.
298 EMANUELA COLOMBI

dei codici superstiti contenenti le omelie sul Cantico di età carolingia è di origine
francese, mentre le omelie sull’Ottateuco, pur con le necessarie cautele dovute alla
frammentazione dei testimoni superstiti, risultano diffuse in modo omogeneo in
tutte le aree. Mi domando dunque se si possa adombrare la possibilità che il centro
propulsore della maggiore diffusione del testo sia stato in questo caso diverso da
Vivarium (va ricordato in ogni caso che anche il codice petropolitano fu presto
trasferito in Francia e appartenne poi all’abbazia di Corbie). Non sorprenderebbe
individuare tale centro nell’area franco-gallica, dove l’autorità di Gerolamo sem-
bra aver avuto più peso che altrove anche per quanto riguarda la conservazione e
circolazione dei testi88.

IV. – LA TRASMISSIONE DELLE RECOGNITIONES


Vi è infine un’ulteriore traduzione che meriterebbe approfondite indagini
sul contesto e le motivazioni della sua diffusione: si tratta delle Recognitiones
pseudoclementine tradotte da Rufino. Anche in questo caso si registra una
piena corrispondenza tra le attestazioni degli inventari e la presenza nei codici
superstiti, di cui possediamo ancora una volta esemplari antiquiores89, e che
nel riscontro con i testimoni d’età carolingia si conferma come uno dei testi più
diffusi nell’Occidente medievale, rappresentato da un numero di copie che lo
avvicinano all’Historia ecclesiastica e all’Historia tripartita. Anche quest’ultima
constatazione potrebbe essere foriera di riflessioni: certamente le Recognitiones
hanno mantenuto nel tempo un ruolo del tutto funzionale, legato alla trasposizione
della letteratura d’intrattenimento, il romanzo con tutte le peripezie proprie del
genere, in un contesto cristiano e apostolico (dai viaggi di Clemente al seguito
di Pietro alla lotta contro Simon Mago, all’agnizione dei familiari perduti etc.)90,
in cui trovano posto affermazioni di fede già sorvegliate dalla traduzione fatta da

88. Il dato sembra emergere con evidenza quantitativa almeno per i codici supersiti antiquio-
res, cf. E. COLOMBI, « La presenza dei Padri nelle biblioteche altomedievali: primi spunti per
una ricerca », in Scrivere e leggere nell’Alto Medioevo. Atti della LX Settimana di Studio del
Centro Italiano di Studi per l’Alto Medioevo, Spoleto, 29 aprile-4 maggio 2011, Spoleto, 2012, 2,
p. 1047-1133, in part. p. 1065-1066; 1068; 1120; per l’età carolingia cf. M. L. W. LAISTNER, « The
Study of St. Jerome in the Early Middle Ages », in A Monument to St. Jerome, F. X. Murphy ed.,
New York, 1952, p. 235-256.
89. CLA 3, 318; 4, 468; 4, 493, Suppl. 1732. I testimoni superstiti dell’opera ammontano a
più di un centinaio (di cui una ventina d’età carolingia), elencati in dettaglio nell’edizione curata
da B. REHM – G. STRECKER, Die Pseudoklementinen, 2. Rekognitionen in Rufins Übersetzung
(GCS 42), Berlin, 1942.
90. Per una riflessione sulla funzione e il messaggio delle Recognitiones tradotte da Rufino
per la società occidentale di V secolo cf. le riflessioni di C. MORESCHINI, « Motivi romanzeschi e
interessi cristiani nelle Recognitiones dello Pseudo Clemente tradotte da Rufino », Koinonia, 35,
2011, p. 179-196.
IL RUOLO DEI PADRI GRECI 299

Rufino91. Tuttavia sarebbe forse corretto sospendere almeno in parte il giudizio


sul significato di quello che può apparire oggi come « intrattenimento » in altri
ambiti di lettura culturalmente differenti, e su quale potesse essere la percezione
anche di un testo come questo: colpisce per esempio il fatto che sia nell’inventario
carolingio di Lorsch92 che in quello di Murbach93 le Recognitiones siano schedate
tra i libri di storia.
Come per il Commentarius in Epistulam ad Romanos di Origene e le omelie di
Crisostomo (o pseudo tali), in ogni caso, è possibile inoltre che il primo contesto
di diffusione dell’opera sia legato a motivazioni di ordine teologico: Yves-Marie
Duval ha ben puntualizzato come il prologo di Rufino alla traduzione delle
Recognitiones, che sottolinea le difficoltà insite nel testo e gli occulti sapientiae
thesauri che vi sono contenuti, non sembri affatto suggerire l’approccio a un testo
volto alla mera edificazione tramite « intrattenimento ». La conoscenza, dimostrata
da Duval, delle Recognitiones da parte di Pelagio, e il dibattito su libertà, libero
arbitrio e astrologia, tema centrale nell’opera, hanno portato lo studioso a ipotiz-
zare che le motivazioni della traduzione di Rufino volessero contribuire proprio a
questo dibattito, che sarebbe rimasto quanto mai d’attualità negli anni successivi94.
Del resto anche l’interpolazione eunomiana presente nel testo greco, e nota
come tale a Rufino (che la espunse quindi dalla sua versione), fu comunque tra-
dotta e aggiunta anche al testo latino da una mano anonima, e si ritrova almeno in
una decina dei testimoni superstiti delle Recognitiones95, a ulteriore conferma del
tipo di interesse che quest’opera poteva suscitare.
Anche per il romanzo pseudoclementino, dunque, è forse da domandarsi quale
ruolo abbia eventualmente giocato nella sua successiva e capillare diffusione in
Occidente il favore monastico che poteva derivare dall’affermazione del ruolo
positivo del libero arbitrio, nonostante l’opera fosse stata inclusa nei libri non
recipiendi del Decretum pseudogelasiano: un ulteriore spunto di riflessione sul
ruolo discriminante degli spazi deputati alla trasmissione dei testi nella selezione
del patrimonio culturale e quindi nella formazione del pensiero.

91. Sul prologo alla traduzione cf. C. LO CICERO, Tradurre i Greci, p. 83-99 (con segnalazione
e discussione della bibliografia precedente).
92. A. HÄSE, Mittelalterliche Bücherverzeichnisse, catalogo Ca nr. 100: libri Clementis X.
93. O. MILDE, Die Bibliothekskataloge des Klosters Murbach aus dem 9. Jahrhundert,
Heidelberg, 1968, p. 47, nr. 276: historia Clementis libri X.
94. Y.-M. DUVAL, « Le texte latin des Reconnaissances clémentines. Rufin, les interpolations
et les raisons de sa traduction », in Nouvelles intrigues pseudo-clémentines – Plots in the Pseudo-
Clementine Romance. Actes du deuxième colloque international sur la littérature apocryphe
chrétienne, Lausanne – Genève, 30 août-2 septembre 2006, F. Amsler – A. Frey – C. Touati éd.,
Lausanne, 2008, p. 79-92.
95. B. REHM, « Zur Entstehung der pseudoclementinischen Schriften », Zeitschrift für die
Neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde der Älteren Kirche, 37, 1938, p. 77-184 (p. 164,
n. 248).
300 EMANUELA COLOMBI

È certamente vero, come ha sottolineato André Schneider, che le Recognitiones


si prestassero anche « à des lectures multiples : tel y cherchera un témoignage
historique sur les âges apostoliques ou immédiatement postérieurs, tel autre sera
séduit par la trame romanesque, l’intêret d’un autre se portera vers le contenu
théologique ou philosophique, etc.96 »: l’indagine condotta da Schneider sulla
tradizione indiretta dell’opera mostra bene i diversi tipi di letture che si sono stra-
tificati in diversi momenti e contesti, tra cui mi sembrano di particolare interesse
la presenza delle Recognitiones da un lato nella raccolta di scritti ariani edita da
Roger Gryson97, a riprova dell’interesse teologico del testo, e dall’altro in florilegi
di interesse ascetico-spirituale98, che ne consacrano l’uso in ambiente monastico.
Come lo stesso Schneider sottolinea, l’enorme diffusione delle Recognitiones
rende in molti casi difficile discriminare tra conoscenza diretta del testo e cono-
scenza mediata da una fonte intermedia. Si tratta comunque di un’opera che a
quanto pare è stato considerata estremamente funzionale a diversi livelli sin dalla
sua prima diffusione: oltre alla tradizione indiretta, tale pluralità di usi e lettura
sembra riflettersi anche nella tradizione manoscritta.
Alcune caratteristiche sembrano comuni a tutti i codici che ho potuto consul-
tare: anzitutto il nome di Rufino viene esplicitamente dichiarato nell’intitolazione
iniziale del prologo (incipit prologus Rufini Torritani), mentre come d’abitudine
scompare dalle intitolazioni del testo, tutte essenziali (explicit liber … incipit liber)
tranne quella iniziale, dove l’opera viene definita liber Clementis o anche liber
recognitionum sancti Clementis. Vengono inoltre di solito segnalate le citazioni
scritturistiche, e distinte con diverse forme di espedienti grafici e/o cromatici le
parti dialogiche nella disputa tra Pietro e Simon Mago narrata nel secondo libro,
che è anche la parte di testo in cui sono più presenti le annotazioni marginali e
sintetiche indicazioni sul contenuto dell’episodio narrato.
Oltre a tali tratti comuni, si riscontrano anche manifestazioni di interesse per
diversi aspetti del testo, talora espressi dalla mano del copista o da mani pressoché
coeve, ma anche stratificati nel tempo, come mostrano le maniculae bassomedie-
vali presenti nel codice conservato a Einsiedeln, StiftsB, 264 (731) (orig. Disentis),
che sottolineano sia gli snodi tematici e « drammatici » del testo, sia nozioni di sto-
ria sacra, sia frasi ad effetto o proverbiali (queste ultime talora evidenziate anche
in altri testimoni). In altri casi invece, come per i mss. Salzburg, St Peter StiftsB,
a IX 27 (orig. Salzburg) e München, BSB, 14253 (orig. Regensburg, che presenta
nella parte iniziale del testo una inedita scansione in corti paragrafi), l’interesse

96. A. SCHNEIDER, « Lectures médiévales des Reconnaissances », in Nouvelles intrigues


pseudo-clémentines, p. 123-133, cit. da p. 123.
97. Scripta Arriana Latina: Collectio Veronensis, Scholia in Concilium Aquileiense, Fragmenta
in Lucam rescripta, Fragmenta theologica rescripta (CCSL 20), R. Gryson éd., Turnhout, 1982,
p. 281-282.
98. A. SCHNEIDER, « Lectures médiévales », p. 127-129.
IL RUOLO DEI PADRI GRECI 301

delle note coeve alla scrittura principale sembra concentrato sulle principali affer-
mazioni teologiche e filosofiche del testo, relative al libero arbitrio, all’origine del
male, alla volontà di Dio e dell’uomo, ovvero gli argomenti che potrebbero essere
stati all’origine della straordinaria diffusione delle Recognitiones. Viceversa, nello
stesso IX secolo, va ricordato come la compilazione della Vita Clementis da parte
di Giovanni Immonide, perfezionata dopo la morte di quest’ultimo da Gauderico
vescovo di Velletri, rielabori il testo in senso narrativo e agiografico, eliminando
le parti dottrinali pur mantenendosi molto fedele alla fonte rufiniana nelle por-
zioni di testo selezionate99, e rivelando così una differente recezione dei contenuti
dell’opera. Uno studio sistematico dei marginalia e in generale dei paratesti nei
testimoni superstiti di quest’opera in particolare potrebbe probabilmente fornire,
insieme alla tradizione indiretta, utili indicazioni non solo sulla storia del testo in
sé, ma anche, visto l’immutato favore di cui godette nei secoli, sulla storia della
cultura e della formazione del pensiero medievale.
Emanuela COLOMBI
Università degli Studi di Udine

99. Tanto da poter dare un contributo alla ricostruzione del testo originale di Rufino: cf. l’intro-
duzione di G. ORLANDI all’edizione da lui curata degli Excerpta ex Clementinis recognitionibus a
Tyrannio Rufino translatis, Milano – Varese, 1968.
302 EMANUELA COLOMBI

1) Bamberg, Staatsbibliothek, Msc. Class. 78, f. 38r

2) Bamberg, Staatsbibliothek, Msc. Class. 78, f. 50v


IL RUOLO DEI PADRI GRECI 303

3) Wolfenbüttel, Herzog-August Bibliothek, Guelf. 74 Weiss., f. 26v

4) Wolfenbüttel, HAB, Guelf. 74 Weiss., f. 155r100

100. L’artificiosa corsiva che precede l’intitolazione finale compare solo in questo foglio, in
corrispondenza delle ultime righe dell’epilogo di Rufino, ed è della stessa mano del copista che
trascrive il testo in minuscola carolina fino al f. 154v, e che in questo caso sta forse riprodu-
cendo una grafia differente nell’antigrafo. Ringrazio Laura Pani per la sua sempre indispensabile
consulenza.
Présence des Pères grecs dans les bibliothèques
anciennes de France du VIIIe au XIIe siècle :
le témoignage des inventaires*
À l’origine de toute bibliothèque chrétienne – si tant est qu’il soit possible de
parler de bibliothèque proprement chrétienne1 –, il y a une exigence, intrinsèque-
ment liée à la foi et à l’orthodoxie, bien formulée, par exemple, par un Vincent
de Lérins, qui ouvre son Commonitorium sur l’injonction mosaïque « Interroge
tes Pères2. » Lors et parce que la Bible, bibliotheca par excellence, est l’objet
d’interprétations nombreuses et variées et qu’elle n’apparaît donc pas univoque,
il devient nécessaire de compléter sa lecture par celle de l’interprétation qu’en a

* Les pages qui suivent reposent sur l’exploitation de données brutes, qui ont été rassemblées
dans trois annexes (décrites ci-dessous, n. 23) qui, à défaut de pouvoir être imprimées dans ce
volume, par manque de place, sont disponibles et téléchargeables en ligne sur le site Libraria. Pour
l’histoire des bibliothèques anciennes (IRHT, Section de codicologie, d’histoire des bibliothèques et
d’héraldique) : http://www.libraria.fr/fr/publications-scientifiques/delmulle-presence-des-peres-
grecs-annexes. Tous mes remerciements vont à Anne-Marie Turcan-Verkerk et à Guillaume Bady,
pour l’aide apportée durant la préparation de cet article comme pour leur relecture attentive.
Toutes les erreurs qui subsisteraient encore me sont évidemment imputables.
1. La question a été posée récemment par H. Y. GAMBLE, Livres et lecteurs aux premiers temps
du christianisme. Usage et production des textes chrétiens antiques, P. Renaud-Grosbras trad.,
Genève, 2012, qui n’y a pas apporté de véritable réponse ; les spécificités matérielles du livre en
contexte chrétien ont, en revanche, été exposées par G. CAVALLO, « I fondamenti materiali della
trasmissione dei testi patristici nella tarda antichità: libri, scritture, contesti », dans La trasmis-
sione dei testi patristici latini: problemi e prospettive. Atti del Colloquio internazionale, Roma,
26-28 ottobre 2009 (Instrumenta Patristica et Mediaevalia. Research on the Inheritance of Early
and Medieval Christianity 60), E. Colombi ed., Turnhout, 2012, p. 51-73 ; en outre, se reporter
encore à H. LECLERCQ, « Bibliothèques », Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, 2,
1, 1910, col. 842-904.
2. VINCENT DE LÉRINS, Commonitorium, 1, 1 : « Dicente Scriptura et monente : Interroga patres
tuos et dicent tibi » (CCSL 64, R. Demeulenaere éd., Turnholti, 1985, p. [147]-195, p. [147]).
306 JÉRÉMY DELMULLE

donnée la Tradition3. La physionomie de cette Tradition, que forment des auteurs


ecclésiastiques tant grecs que latins, se retrouvera ensuite détaillée dans divers
« guides de lecture » tels que, par exemple, les Institutiones de Cassiodore4.
Mais avec le temps, les aléas de la transmission des textes et une connaissance
amoindrie de la langue grecque ont empêché que l’on suive très longtemps et
aussi scrupuleusement des conseils avant tout écrits à destination de moines de
l’Antiquité tardive, particulièrement lettrés et appartenant à une région et à un
milieu encore fort imprégnés d’hellénisme5.
Il était donc naturel que les bibliothèques médiévales fussent majoritairement,
voire presque exclusivement, composées d’ouvrages latins, réservant à quelques
cercles très restreints les livres en grec et reléguant, en tout cas, à une place très
secondaire, les œuvres des Pères de l’Église grecs. Claudio Leonardi a même
pu écrire, en ouvrant le colloque de 2008 consacré à la question des Pères au
Moyen Âge, en une phrase sans doute un peu trop généralisante : « Le Moyen
Âge avait connu relativement peu de Pères grecs, en particulier le grand Denys
[l’Aréopagite]6. » Certes, l’œuvre du pseudo-Denys avait été traduite, et par deux
fois, dès le milieu du IXe siècle, par Hilduin et Jean Scot7 ; mais a-t-elle été réel-

3. Sur le mot bibliotheca comme principal terme utilisé pour désigner la Bible au Moyen Âge,
voir H. DE LUBAC, Exégèse médiévale. Les quatre sens de l’Écriture (Théologie 41), t. 1, Paris,
1959, p. 337 et n. 5, et M. DUCHET-SUCHAUX – Y. LEFÈVRE, « Les noms de la Bible », dans Le
Moyen Âge et la Bible (Bible de tous les temps 4), P. Riché – G. Lobrichon éd., Paris, 1984,
p. [13]-23, p. 14-15.
4. Ou les différents De uiris illustribus (de Jérôme ou de Gennade de Marseille ; voir à ce propos
J. DE GHELLINCK, « Diffusion, utilisation et transmission des écrits patristiques. Guides de lectures,
bibliothèques et pages choisies », Gregorianum, 14, 1933, p. 356-400). Au IXe siècle, l’abbaye de
Murbach offre un exemple manifeste de l’utilisation bibliothéconomique des Institutiones comme
liste de livres à rechercher : voir W. MILDE, Die Bibliothekskatalog des Klosters Murbach aus
dem 9. Jahrhundert. Ausgabe und Untersuchungen zu Cassiodors „Institutionen“ (Beiheft zum
Euphorion. Zeitschrift für Literaturgeschichte 4), Heidelberg, 1968.
5. Voir là-dessus P. COURCELLE, Les lettres grecques en Occident. De Macrobe à Cassiodore
(Bibliothèque des écoles françaises d’Athènes et de Rome 159), Paris, 1943, surtout le ch. III :
« Les moines au service de l’hellénisme. Vivarium et le Latran », p. 342-392. Les codices Graeci
n’occupaient cependant qu’une armoire du monastère (ibid., p. 321-336 et 382-388).
6. C. LEONARDI, « Esiste un Medioevo dei Padri? », dans Leggere i Padri tra passato e pre-
sente. Atti del Convegno internazionale di studi, Cremona, 21-22 novembre 2008, M. Cortesi ed.,
Firenze, 2010, p. 3-7, p. 7. La même remarque se trouvait déjà, par exemple, sous la plume de
J. DE GHELLINCK, « En marge des catalogues des bibliothèques médiévales », dans Miscellanea
Francesco Ehrle. Scritti di storia e paleografia pubblicati sotto gli auspici di S. S. Pio XI in
occasione dell’ottantesimo natalizio dell’E.mo Cardinale Francesco Ehrle (Studi e testi 41), t. 5,
Roma, 1924, p. 331-363.
7. Sur ces deux traductions et leur tradition médiévale, voir surtout É. JEAUNEAU, « L’abbaye
de Saint-Denis introductrice de Denys en Occident », dans Denys l’Aréopagite et sa postérité en
Orient et en Occident. Actes du colloque international, Paris, 21-24 septembre 1994 (Collection
des Études augustiniennes, Série Antiquité 151), Y. De Andia éd., Paris, 1997, p. [361]-378, et
LES PÈRES GRECS DANS LES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE 307

lement lue ? Et si oui, quand et par qui ? L’influence, bien étudiée, de l’orientale
lumen sur l’Occident, se fait surtout sentir, en réalité, à partir du Moyen Âge cen-
tral8. Mais qu’en est-il donc des périodes intermédiaires ? André Vernet, dressant,
quant à lui, un rapide panorama de la composition des bibliothèques médiévales,
écrivait il y a plus de vingt ans, à propos de ces mêmes Pères grecs :
« Les textes les plus anciens sont rares – telle la Didache, sauf des apocryphes comme
le roman des Reconnaissances attribué à tort à Clément de Rome. La diffusion du
Pasteur d’Hermas a été faible, celle du traité d’Irénée de Lyon Contre les hérésies
également. Seules les Lettres d’Ignace d’Antioche, vraies ou fausses, ont suscité
un intérêt soutenu. Origène, le commentateur par excellence de l’Écriture, dont
l’influence, malgré des réserves sur son orthodoxie, prédomine chez tous les exégètes
médiévaux, emplit à lui seul le IIIe siècle. Les IVe et Ve siècles sont représentés par Basile
et son Hexaméron, Grégoire de Nazianze et ses Sermons, Jean Chrysostome surtout
avec ses Homélies, authentiques ou non, et ses opuscules, Eusèbe de Césarée et ses
ouvrages historiques continués par Socrate, Sozomène et Théodoret, qui, en extraits,
constituent l’Histoire tripartite de Cassiodore, des Vies des Pères du désert, leurs
enseignements, des Règles monastiques d’origine orientale et les Sentences d’Évagre.
Toutes ces œuvres, les plus remarquables de la littérature grecque chrétienne, sont
présentes dans la majorité des bibliothèques médiévales9. »
Entre deux affirmations si opposées, seul pourrait permettre de trancher un exa-
men d’ensemble de la documentation, qui prenne en compte à la fois le matériel
conservé (les manuscrits), les attestations de l’existence de tels livres (les inven-
taires) et les emplois qu’en ont réellement faits les littérateurs médiévaux (les
citations). L’étude que je propose dans ces pages ne saurait, à l’évidence, prétendre
régler la question : elle ne peut que l’aborder, et encore partiellement. J’entends,
par cette enquête, me placer dans le sillage de l’étude déjà fort documentée de
dom Albert Siegmund10 et prolonger les réflexions développées récemment par

C. LANÉRY, « Hilduinus sancti Dionysii abb. », dans Clavis des auteurs latins du Moyen Âge.
Territoire français (735-987), t. III : Faof - Hilduin (CCCM. CSLMA), M.-H. Jullien éd., Turnhout,
2010, p. 482-546, spécialement, pour les Dionysiaca (= HILDU 3), p. 513-526.
8. Pour la question dionysienne, la bibliographie abonde : voir le bilan bibliographique de
B. FAES DE MOTTONI, Il Corpus Dionysianum nel Medioevo. Rassegna di studi: 1900-1972
(Pubblicazioni del Centro di studio per la storia della storiografia filosofica 3), [Bologna], 1977.
Pour compléter M.-D. CHENU, La théologie au douzième siècle (Études de philosophie médiévale
45), Paris, 1957, p. 174-178, voir surtout D. POIREL, « Le mirage dionysien : la réception latine du
Pseudo-Denys jusqu’au XIIe siècle à l’épreuve des manuscrits », Comptes rendus des séances de
l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 151, 3, 2007, p. [1435]-1455.
9. A. VERNET, « Survivances et innovations dans la littérature latine de l’occident médiéval »,
Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et belles-lettres, 137, 4, 1993, p. [889]-898, ici
p. 892.
10. Dr. P. A. SIEGMUND, Die Überlieferung der griechischen christlichen Literatur in der
lateinischen Kirche bis zum zwölften Jahrhundert (Abhandlungen der bayerischen Benediktiner-
Akademie 5), München – Pasing, 1949. A. Siegmund donnait déjà, pour chaque Père, une liste de
manuscrits conservés et d’articles de catalogues médiévaux. Il est aujourd’hui possible d’augmen-
ter considérablement le nombre des références.
308 JÉRÉMY DELMULLE

Emanuela Colombi11, en adoptant un angle de vue à la fois plus étroit et plus


large : plus étroit, parce qu’il s’agit de se concentrer exclusivement sur l’histoire
des bibliothèques, atteignable à travers les inventaires et catalogues de livres dont
nous disposons ; plus large, parce qu’ainsi circonscrite, l’investigation peut être
étendue jusqu’à 1200 environ.

Les catalogues et inventaires de bibliothèques :


leurs spécificités et leur apport à la question
En choisissant le prisme du catalogue pour aborder la question, il faut être
conscient qu’il s’agit là d’une source qui ne saurait être qu’un complément à l’exa-
men des manuscrits conservés12. Dans la quasi totalité des cas, les inventaires ou
les catalogues décrivent non pas des œuvres, mais des livres ; et dans la description
succincte de manuscrits contenant de nombreux textes, il est peu probable que tous
les textes, même brefs, aient été dûment signalés, alors qu’ils auraient pu intéres-
ser cette enquête. Par ailleurs, il faut aussi garder à l’esprit que la connaissance
des Pères grecs ne se limite pas à la connaissance de leurs œuvres : ils pouvaient
être parfois aisément accessibles par le biais de florilèges, de citations dans des
ouvrages latins, etc. – ce que les inventaires rendent, bien sûr, indétectable. Enfin,
bien des livres devraient être cités dans ces pages, qui ne s’y trouvent pas, n’ayant
pas été inventoriés ou ayant été intégrés à un catalogue désormais perdu13.

11. Voir sa contribution dans le présent volume, « Le rôle des Pères grecs dans la culture de
l’Occident médiéval », p. -, ainsi que E. COLOMBI, « La presenza dei Padri nelle biblioteche
altomedievali: Qualche spunto per una visione d’insieme », dans Scrivere e leggere nell’Alto
Medioevo. Spoleto, 28 aprile – 4 maggio 2011 (Settimane di studio della Fondazione Centro
italiano di studi sull’Alto Medioevo 59), Spoleto, 2012, p. 1047-1133, en particulier p. 1065-1068.
12. En attendant le livre (en préparation) de A.-M. TURCAN-VERKERK, “Madamina, il cata-
logo è questo”. Le « catalogue » de « bibliothèque » en domaine latin avant le XIIIe siècle, on lira
avec profit la synthèse récente d’EAD., « Accéder au livre et au texte dans l’Occident latin du Ve
au XVe siècle », dans De l’argile au nuage : une archéologie des catalogues (IIe millénaire av.
J.-C. – XXIe siècle), F. Barbier – Th. Dubois – Y. Sordet dir., [Paris] – Genève, 2015, p. [47]-[61],
ainsi que Y. SORDET, « Pour une histoire des catalogues de livres : matérialités, formes, usages »,
ibid., p. 15-[46].
13. Je pense, entre autres exemples, à une bibliothèque désormais bien connue : celle de
l’abbaye cistercienne de Vauluisant, pour laquelle le plus ancien catalogue connu ne date que de
1525 environ, mais décrit des manuscrits qui, pour beaucoup, remontent à l’époque des débuts de
l’abbaye : « 2. Expositio Origenis super Cantica canticorum » (= ms. Paris, BnF, lat. 1635, XIIe s.) ;
« 160. Beati Iohannis Chrisostomi XV homeliæ. Item plurimi sermones b. Ambrosii episcopi. Item
sermones Gregorii Nazianzeni de nativitate, epiphania, et penthecoste », etc. Sur cette biblio-
thèque, ses catalogues et ses manuscrits, voir la monographie de F. BOUGARD – P. PETITMENGIN,
La bibliothèque de l’abbaye cistercienne de Vauluisant. Histoire et inventaires (Documents,
études et répertoires 83), Paris, 2012.
LES PÈRES GRECS DANS LES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE 309

Mais les inventaires et catalogues de bibliothèques ont, sur les manuscrits,


l’avantage d’apporter des informations qu’ils sont les seuls ou presque à donner :
ils établissent d’abord, le plus souvent, un lien direct entre des livres et un posses-
seur bien identifié, à une époque donnée ; ils permettent de replacer les livres au
sein d’une collection, dont on peut ainsi connaître la composition et tenter de com-
prendre le classement (celui du catalogue comme celui de la bibliothèque décrite) ;
ils peuvent en donner, finalement, une description, et c’est là leur apport majeur,
surtout s’agissant de livres détruits ou perdus ou de bibliothèques dispersées.
Ils présentent encore un dernier atout : la description même que le catalographe
fait des livres qu’il a entre les mains est susceptible de nous renseigner sur la façon
dont tel livre était perçu, considéré, utilisé ; la désignation même du livre surajoute
donc un discours auquel il convient aussi d’être attentif.

Cadres de l’enquête
Un bilan serait aujourd’hui tout à fait prématuré. Le domaine des bibliothèques
médiévales et de leurs catalogues est un chantier encore largement en friche, qui
impose d’exploiter, avec toutes les précautions nécessaires, des corpus qui bien
souvent ne sont pas encore clos, et qui sont surtout, pour la plupart, mal connus et
imparfaitement édités. À cette contrainte, liée aux aléas de la recherche, s’ajoute
une caractéristique propre aux catalogues, qui fait que, pour des raisons historiques
au moins autant que pratiques, leur recensement, leur édition, leur exploitation
même ont la particularité d’être nationaux. Aussi notre connaissance des diffé-
rents corpus dépend-elle avant tout de l’avancée des projets menés dans les pays
concernés. Les corpus autrichien et suisse sont exhaustivement répertoriés ; ceux
des Îles britanniques et de la Belgique sont en passe de l’être14. Pour l’Italie et
pour la France, pays dans lesquels les documents sont aussi les plus nombreux, le
répertoriage des différents documents est encore en cours15.
On comprendra donc aisément que le présent essai, qui se concentre sur le
matériau français, ne se veut qu’un premier aperçu de ce que permettront, une
fois conduits à leur achèvement, les travaux menés actuellement au sein de la
section d’Histoire des bibliothèques de l’Institut de Recherche et d’Histoire des

14. Corpus of British Medieval Library Catalogues, R. Sharpe dir., J. M. W. Willoughby coll.,
London, 1990- (16 vol. parus) ; Corpus catalogorum Belgii. De middeleewse bibliotheekscatalogi
der Zuidelijke Nederlanden, A. Derolez dir., Brussel, 1966- (6 vol. parus).
15. Le projet italien RICABIM (Repertorio di inventari e cataloghi di biblioteche medievali),
dirigé par D. Frioli, prévoit de répertorier les listes de livres du VIe siècle à 1520 ; cinq volumes
ont paru depuis 2013. Pour la France, on dispose du répertoire de A.-M. GENEVOIS – J.-F. GENEST
– A. CHALANDON, Bibliothèques de manuscrits médiévaux en France. Relevé des inventaires du
VIIIe au XVIIIe siècle, M.-J. Beaud – A. Guillaumont coll., Paris, 1987 (abrégé BMMF), appelé à
être remplacé progressivement par le « Répertoire BMF » dont une première version est en cours
d’édition sur le site Libraria. Pour l’histoire des bibliothèques anciennes : http://www.libraria.fr/
BMF/ (voir n. suivante).
310 JÉRÉMY DELMULLE

textes, dans le cadre de son projet BMF (Bibliothèques médiévales de France)16.


Pour m’en tenir à un champ d’étude suffisamment représentatif et déjà assez bien
balisé, je limiterai donc mon enquête aux bibliothèques situées sur l’actuel terri-
toire français, en en réduisant encore le nombre pour ne me focaliser que sur celles
pour lesquelles on dispose d’un inventaire, quel qu’il soit, rédigé entre la fin du
VIIIe siècle, date du plus ancien inventaire connu, jusqu’à la fin du XIIe siècle ou à
l’orée du XIIIe, époque qui voit l’essor de telles listes de livres et qui constitue aussi
une époque charnière pour la diffusion et la connaissance de la littérature grecque
en général17.
Correspondant à ces critères, cent soixante-six listes constituent donc notre
documentation18, dont il faut exclure d’emblée les informations susceptibles
d’être postérieures à la période que nous nous sommes fixée19. Elles sont de nature
et de statut très divers : inventaires ou catalogues de bibliothèque proprement dits,
mais quelquefois aussi seulement mentions ponctuelles de prêt ou de don, dans
le volume même, dans un obituaire, un testament ou d’autres sources encore, qui
ne peuvent donc pas du tout rendre compte du contenu exact d’une bibliothèque
entière. De même, le degré de précision du nombre de livres et de leur titre est, lui
aussi, très variable. À la lecture d’un inventaire, il est parfois difficile de faire une
claire distinction entre un titre d’œuvre et une désignation valant pour le volume
entier : on aura donc soin de ne pas identifier trop rapidement item et livre20 ; un
même livre peut, du reste, être intitulé d’une manière qui ne laisse pas le moindre
doute sur son contenu, comme être désigné par le seul nom de l’auteur, rendant
quasiment impossible l’identification des textes qui le composent21.

16. Projet dirigé par Monique Peyrafort-Huin et auquel collaborent les membres de la sec-
tion de codicologie, d’histoire des bibliothèques et d’héraldique de l’IRHT, sous la direction
d’Anne-Marie Turcan-Verkerk. Voir M. PEYRAFORT-HUIN – A.-M. TURCAN-VERKERK, « Les
inventaires anciens de bibliothèques médiévales françaises : bilan des travaux et perspectives »,
dans L’historien face au manuscrit, F. Henryot dir., Louvain, 2012, p. 149-150.
17. Sur le renouveau de la culture grecque en Occident au cours du XIIIe siècle, voir la synthèse
de P. BOULHOL, La connaissance de la langue grecque dans la France médiévale (VIe-XVe s.)
(Textes et documents de la Méditerranée antique et médiévale), Aix-en-Provence, 2008, en par-
ticulier p. [79]-90.
18. Ma sélection des inventaires à étudier repose principalement sur l’index des BMMF, mis
à jour, pour les datations discutées depuis 1987 , et complété par les recherches ultérieures de la
section de codicologie (voir l’exemplaire interfolié conservé à la section).
19. C’est le cas de trois documents, recensés comme listes dans les BMMF, qui, commencés
avant 1200, ont été complétés jusqu’à la fin du XVe siècle : le premier est le nécrologe de Notre-
Dame de Paris, qui mentionne nombre de donateurs (BMMF, n° 1335), les deux autres sont des
listes de bienfaiteurs de l’abbaye de Saint-Victor de Paris (BMMF, n° 1406 et 1406, dont seuls des
extraits ont été édités). Je les ai délibérément laissés de côté.
20. C’est particulièrement vrai, on s’en doute, pour les catalogues alphabétiques. Sur ce pro-
blème, voir l’introduction à l’Annexe I.
21. Sur la syntaxe des inventaires anciens, voir M. MORARD, « Titres des livres au Moyen
LES PÈRES GRECS DANS LES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE 311

Une dernière précision s’impose, avant de commenter les résultats de l’enquête :


quels auteurs peuvent ou doivent être considérés comme des « Pères grecs » ? J’ai
choisi d’entendre l’expression « Pères de l’Église » lato sensu, comme désignant
plutôt l’ensemble des écrivains ecclésiastiques, et d’enregistrer dans les résultats
les noms de tel ou tel auteur dans la mesure où celui-ci figure dans la Clauis Patrum
Graecorum22. Moins scientifique, cette acception large de l’expression aura tou-
tefois l’avantage de mieux rendre compte de la réalité d’une pratique de lecture et
d’une conception de la littérature et de l’histoire ecclésiastique exempte de toute
catégorisation trop radicale, et en tout cas anachronique. Je signale également que
seules les œuvres des Pères grecs, ou qui leur sont expressément attribuées dans
les inventaires, ont été recensées, à l’exclusion des ouvrages où l’auteur grec est
mentionné à un autre titre que celui d’auteur (par exemple en tant que destinataire
d’une lettre ou d’un traité ou qu’adversaire visé par un autre auteur).

I. – CE QU’ON LIT
Au terme de l’enquête, dont on trouvera les matériaux en annexe23, on est en
mesure de mettre en évidence les données suivantes, qui seront avant tout statis-
tiques. Avant de nous intéresser à ce qui, de la patristique grecque, avait réussi à
se faire une place dans les bibliothèques médiévales de France, il importe de faire
un premier constat d’ensemble : toutes les bibliothèques dont nous connaissons
les inventaires sont loin de posséder ne serait-ce qu’un volume d’auteur ecclésias-
tique grec. Sur les cent soixante-six listes dépouillées, soixante-et-onze seulement
contiennent à tout le moins un item concernant un Père grec ; plus d’un document
sur deux n’en mentionne donc aucun. Au total, on recense cinq cent soixante-huit
items relatifs à des Pères grecs – ce qui correspond peu ou prou au même nombre
de livres (en tenant compte des éventuels problèmes posés par tel item unique ser-
vant à désigner deux volumes, qui s’équilibrent avec les cas d’items de catalogues
multiples d’une même bibliothèque qu’il ne faudrait compter qu’une fois).

Âge », dans Terminologie ancienne du livre, M. Morard dir., 2011-2012 (livre en ligne sur
Libraria : http://www.libraria.fr/terminologie/editer-un-inventaire-medieval).
22. À l’exception de Flavius Josèphe, qui doit cependant être intégré à l’enquête, ne serait-ce
que pour la place qu’il occupe en tant qu’historien, au même titre qu’Hégésippe. On trouvera une
liste de référence, qui fait autorité, sur le site de l’Institut des Sources chrétiennes : http://www.
sources-chretiennes.mom.fr/index.php?pageid=auteurs_anciens.
23. Tous les items recensés dans les inventaires exploités sont reproduits dans l’Annexe I, leurs
titres identifiés et rassemblés ensuite sous la forme d’un index dans l’Annexe II. Par commodité,
lorsqu’il sera fait référence dans des notes à un des catalogues figurant dans l’Annexe, celui-
ci sera désigné par son numéro au sein de l’Annexe I. Le cas échéant, les citations sans autre
indication sont fidèles à l’édition de référence signalée dans l’Annexe, dans la notice propre à
chaque inventaire.
312 JÉRÉMY DELMULLE

Il ne faut pas perdre de vue que, dans cette approche, nous dépendons exclu-
sivement de la documentation conservée, et que les conclusions que l’on pourra
en tirer peuvent n’être pas tout à fait généralisables. Ces résultats ne prétendent
donc pas donner autre chose qu’un aperçu d’ensemble, valable pour les lieux et
les établissements concernés ; mais leur nombre et leur variété sont des garanties
suffisantes de leur représentativité. De plus, exprimés dans l’absolu, ils brossent
un tableau réaliste des bibliothèques du haut Moyen Âge, mais indistinctement
pour la totalité de la période envisagée ; on veillera, le cas échéant, à en nuancer
les perspectives par une approche diachronique.

A. Les auteurs
1) Bilan général
Pour dresser le palmarès des auteurs grecs les plus copiés, sinon les plus lus
ou connus, commençons par reproduire les résultats bruts de l’analyse des inven-
taires. On s’apercevra, dès le premier coup d’œil, que le corpus de ces auteurs est
finalement fort restreint, et qu’il se résume surtout à une dizaine de noms à peine.
En voici le détail, par ordre décroissant, en fonction du nombre de titres ou, à
défaut, de mentions du nom de chaque auteur dans les inventaires :
Origène 163
Jean Chrysostome 123
Eusèbe de Césarée 53
Flavius Josèphe 42
Basile de Césarée 39
Historia tripartita 32
Grégoire de Nazianze 31
Éphrem (« Éphrem latin ») 28
Ps.-Athanase d’Alexandrie 28
Ps.-Clément de Rome 25
Hégésippe 19
Ps.-Denys l’Aréopagite 17
(Ps.-)Cyrille d’Alexandrie 8
Théophile d’Alexandrie 7
Didyme l’Aveugle 5
Hésychius de Jérusalem 4
Grégoire de Nysse 4
Irénée de Lyon 3
Ps.-Macaire 3
Maxime le Confesseur 3
Ps.-Anastase le Sinaïte (?) 2
Ignace d’Antioche 2
Pamphile de Césarée 1
Nil d’Ancyre 1
LES PÈRES GRECS DANS LES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE 313

Hermas 1
Timothée d’Alexandrie (?) 1
Lucien d’Antioche 1
Polycarpe de Smyrne 1
(Philon d’Alexandrie) 2

Le bilan est sans appel. C’est Origène qui arrive en tête, suivi – et encore,
d’assez loin – par Jean Chrysostome, ces deux auteurs devançant de beaucoup
les suivants, qui se trouvent être précisément trois historiens : Eusèbe de Césarée,
Flavius Josèphe, puis Socrate, Sozomène et Théodoret, lisibles dans l’Historia
tripartita rassemblée par Théodore le Lecteur. À Basile de Césarée (ou aux écrits
à lui attribués), situé au même rang que les historiens, s’ajoutent ensuite un autre
Cappadocien, Grégoire de Nazianze, et les pseudo-Éphrem et Athanase, puis le
pseudo-Denys et enfin, de nouveau un historien, Hégésippe, les autres ne bénéfi-
ciant que de moins d’une dizaine de mentions.
2) Évolution chronologique
Il n’est pas inutile, pour compléter les remarques précédentes, de nuancer notre
constat par une répartition chronologique des phénomènes observés. Voici, pour
les quinze auteurs les plus représentés, la manière dont leurs noms se répartissent
au sein des inventaires sur l’ensemble de la période considérée
VIIIe s. IXe s. Xe s. XIe s. XIIe s.
Origène – 20 – 24 119
Jean Chrysostome – 19 2 46 56
Eusèbe de Césarée 2 8 1 13 29
Flavius Josèphe – 4 1 5 32
Basile de Césarée 1 5 – 13 20
Historia tripartita – 5 1 9 17
Grégoire de Nazianze – 10 – 11 10
Éphrem (« Éphrem latin ») – 4 – 11 13
Ps.-Athanase d’Alexandrie 1 4 1 8 14
Ps.-Clément de Rome 1 1 1 10 12
Ps.-Denys l’Aréopagite – 2 – 4 11
Hégésippe – 2 – 4 13

Les écarts entre les siècles ne sont pas significatifs, la masse documentaire étant
elle-même très inégale d’un siècle à l’autre. Mais cette nouvelle distinction permet
d’attirer l’attention, entre autres, sur la place du pseudo-Denys, pour qui non seu-
lement les inventaires ne totalisent qu’une quinzaine de mentions, mais qui plus
est uniquement à partir de la seconde moitié du XIe siècle et surtout au suivant24.

24. Dont trois dans la seule bibliothèque de l’abbaye de Cluny, et compte non tenu de l’excep-
tion de Vulfad (Annexe I, n° 6, items 5-6). Voir l’Annexe I, n° 23, items 25, 278 et 352 ; n° 24,
314 JÉRÉMY DELMULLE

On remarquera cependant le cas exceptionnel de l’abbaye du Bec-Hellouin qui


s’honore de posséder en un fort volume l’intégralité des Dionysiaca d’Hilduin25.

B. Les œuvres
Quant aux œuvres elles-mêmes, elles sont généralement, pour chacun des
auteurs, en nombre limité. Ainsi, de Grégoire de Nazianze ne sont connus que
quelques discours, de Théophile d’Alexandrie une seule lettre, de Didyme le seul
De spiritu sancto. Seuls deux auteurs sont richement représentés, qui sont d’ail-
leurs les deux écrivains le plus cités : Origène et Jean Chrysostome. Du maître
alexandrin, on pouvait lire les commentaires ou les homélies à tous les livres de
l’Ancien Testament, ou peu s’en faut, ainsi qu’aux Évangiles de Matthieu et Luc et
à l’Épître aux Romains, tirés d’une vingtaine d’œuvres différentes ; de son œuvre
non exégétique, en revanche, n’est connu que le De principiis. Pour Chrysostome,
présent à travers une quinzaine d’œuvres au total, les lecteurs médiévaux dispo-
saient d’un échantillon plus varié, dans la mesure où la production homilétique
accessible excède le simple commentaire des Écritures et confine à la direction
spirituelle, et est donc naturellement complétée par d’autres écrits de même teneur
(ses deux traités De compunctione, son Ad Theodorum, ses homélies De paeniten-
tia, etc.). On en trouvera la liste complète dans l’Annexe II.
Une autre constatation s’impose, qui permet d’expliquer les remarques précé-
dentes. Pour l’époque et les régions concernées, il va sans dire que parler de textes
de Pères grecs revient à parler de leurs traductions latines. La présence de textes
grecs, rarissime dans les bibliothèques françaises, est d’ailleurs le plus souvent
dûment signalée dans les catalogues26. Lorsqu’il n’en est rien, il faut supposer que

item 10 ; n° 43, item 39 ; n° 44, item 48 ; n° 46, items 6 et 16 ; n° 48, items 93 et 129, n° 53,
item 102 ; n° 58, item 147 ; n° 59, item 120 ? ; n° 71, item 17. Concernant Denys, je n’ai pas retenu
les items trop imprécis, qui ne mentionnent pas une œuvre à proprement parler et qui peuvent être
dits sancti Dionysii en raison de leur provenance ou, pour les livres liturgiques, du rite concerné.
Ainsi dans le catalogue de Saint-Vaast d’Arras (BMMF, n° 114 ; n° 59 de l’Annexe I) l’item 41
ciclus Dionisii ; de même pour le catalogue anonyme peut-être originaire de Chelles (BMMF,
n° 1349), qui rassemble trois entrées : « 87-89. Libri sancti Dionisii de pastoforiis. Missalis. I.
Textus. I. Lectionarius. I. » : malgré la lecture difficile de de pastoforiis, il faut vraisemblable-
ment voir dans cette entrée des livres liturgiques, comme le remarque A.-M. TURCAN-VERKERK,
« Ouvrages de dames ? À propos d’un catalogue du XIe siècle jadis attribué à Notre-Dame de
Paris », Scriptorium, 61, 2, 2007, p. 286-353, p. 300 (n. 79) et 335.
25. Voir l’Annexe I, n° 48, item 129. Le manuscrit ne correspond à aucun des rares témoins
conservés (voir G. NORTIER, Les bibliothèques médiévales des abbayes bénédictines de Normandie,
Caen, 1966, p. [208], et C. LANÉRY, « Hilduinus sancti Dionysii abb. » [2010], p. 514).
26. Ainsi l’inventaire de Gorze, du XIe siècle (BMMF, n° 643 ; n° 27 de l’Annexe I), mentionne
expressément la présence d’ouvrages écrits en grec : « 303. Rotula officii sancti baptiste grece
compositi », « 454. Quaternio de alphabeto Hebraico et greco » ; l’abbaye de Corbie possède un
exemplaire bilingue des Épîtres pauliniennes : « 247. Epistole pauli grece ; Epistole pauli latine »
(BMMF, n° 483 ; n° 68 de l’Annexe 1), etc.
LES PÈRES GRECS DANS LES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE 315

le texte n’est pas dans la langue originale. Et l’on reconnaît bien, d’ailleurs, dans
les textes cités, les œuvres qui, à une période très ancienne déjà, ont fait l’objet de
traductions latines. Ainsi Eusèbe est lisible, pour le Chronicon, dans la traduction
de Jérôme, et pour l’Histoire ecclésiastique dans celle de Rufin d’Aquilée27. De
même, l’Historia tripartita n’est accessible que par le biais de la traduction viva-
rienne d’Épiphane le Scolastique28. Parmi les traducteurs non anonymes, c’est
Rufin qui, malgré son effacement, est le mieux représenté, à travers ses traduc-
tions des homélies d’Origène (sur la Genèse, sur l’Exode, sur le Lévitique, sur les
Nombres, sur Josué ou encore sur les Juges29), de ses traités sur le Cantique des
cantiques et sur l’Épître aux Romains ou du Peri arkhôn30, des homélies de Basile
de Césarée, ou encore des écrits du pseudo-Clément31. Jérôme est présent pour
d’autres homélies d’Origène (sur le Cantique, sur Isaïe, sur Jérémie, sur Ézéchiel,
sur Luc32), mais aussi pour le De spiritu sancto de Didyme ; Anianus de Celeda
pour les traités de Chrysostome (les sept Homélies à la louange de saint Paul et
au moins les vingt-cinq premières homélies sur Matthieu33) ; Mutianus pour les
homélies du même sur Hébreux ; Eustathe, enfin, pour l’Hexaméron de Basile. Les
seuls traducteurs plus récents qui soient identifiables sont Jean Scot et Hilduin,
pour leurs versions latines du pseudo-Denys34.
C’est aussi ce filtre de la traduction qui explique la présence d’un certain
nombre de textes apocryphes, attribués à des Pères grecs alors qu’ils ont été
initialement rédigés en langue latine. Ils sont cependant assez rares et isolés, et
concernent en particulier Athanase d’Alexandrie, sous le nom de qui sont souvent
transmis le De fide d’Eusèbe de Verceil et le Dialogus de Vigile de Thapse35 ;

27. CPG, n° 3495. Voir S. MORLET, « La version latine de l’Histoire ecclésiastique », dans
EUSÈBE DE CÉSARÉE, Histoire ecclésiastique. Commentaire, t. I : Études d’introduction (Anagôgé),
S. Morlet –L. Perrone éd., Paris, 2012, p. [243]-266.
28. CPL, n° 7502. Sur cette traduction, voir F. WEISSENBURGER, Epiphanius Scholasticus
als Übersetzer. Zu Cassiodorus-Epiphanius Historia Ecclesiastica tripartita (Österreichische
Akademie der Wissenschaften. Philosophisch-historische Klasse 283), Wien, 1972.
29. CPG, n° 1411 ; 1414 ; 1416 ; 1418 ; 1420 ; 1421.
30. CPG, n° 1433 ; 1457, 1 ; 1482, 2.
31. CPG, n° 1015, 3 et 5.
32. CPG, n° 1432 ; 1437 ; 1438, 1 et 2 ; 1441 ; 1451.
33. CPG, n° 4308-4309 ; 4305 ; 4392 ; 4424 a. Sur cette dernière œuvre, voir M. GORMAN,
« Annianus of Ceneda and the Latin Translations of John Chrysostom’s Homilies on the Gospel
of Matthew », Revue bénédictine, 122, 1, 2012, p. [100]-124. Pour un aperçu plus général des
traductions latines de Chrysostome, voir G. BADY, « Les traductions latines anciennes de Jean
Chrysostome : motifs et paradoxes », dans L’Antiquité tardive dans les collections médiévales.
Textes et représentations (VIe-XIVe siècle) (Collection de l’École française de Rome 405),
S. Gioanni – B. Grévin éd., Rome, 2008, p. 305-318.
34. Voir ci-dessus, p.  et n. 7.
35. CPL, n° 105 et 807 ; voir l’Annexe II.
316 JÉRÉMY DELMULLE

une œuvre comme la collection des trente-huit sermons du « Chrysostome latin »


découverts par dom Wilmart, dont une partie seulement est apocryphe, reste, par
exemple, limitée à une diffusion beaucoup plus restreinte que celle des sermons
de l’« Éphrem latin »36.
Les catalogues apportent également des renseignements précieux sur la trans-
mission, notamment d’Origène, mais aussi d’Eusèbe, sous la forme de fragments
ou de florilèges37. Mais ils ne mentionnent pas de véritables raretés, à l’exception
d’une entrée du grand catalogue de Cluny, dans lequel on trouve la description
d’un volume contenant à la fois des lettres (au pluriel) de saint Polycarpe, suivies
d’autres lettres d’un « saint Lucien martyr » qui, vu le contenu général du manus-
crit, ne peut être identifié qu’avec Lucien d’Antioche, maître supposé d’Arius
martyrisé en 31238. Or on n’a nulle connaissance de la moindre version latine
de ses lettres aux Antiochiens, dont d’ailleurs seul un unique fragment nous est
parvenu en langue originale39. Si cette interprétation de l’item du catalogue est
correcte, on possédait alors à Cluny, vers le milieu du XIe siècle, un texte rarissime
dans l’absolu et dont on a depuis complètement perdu la trace.

C. Les « genres »
Une autre répartition de ces résultats, sans doute plus fidèle, consisterait à ras-
sembler les auteurs et leurs œuvres en fonction des « genres » (pris au sens large)
dans lesquels ils s’inscrivent. On en distingue ainsi trois principaux, classés ici par
ordre décroissant :
– homilétique : Origène, Jean Chrysostome, Grégoire de Nazianze ;
– ascético-moral : Jean Chrysostome, Basile de Césarée, Éphrem ;
– historique : Eusèbe, Historia tripartita, Flavius Josèphe, Hégésippe.

36. CPL, n° 915 app. ; on ne la trouve, semble-t-il, dans notre corpus, qu’à Cluny (voir l’An-
nexe I, n° 23, item 108). Sur cette collection, voir A. WILMART, « La collection des 38 homélies
latines de saint Jean Chrysostome », Journal of Theological Studies, 19, 1918, p. 305-327, et
W. WENK, Zur Sammlung der 38 Homilien des Chrysostomus Latinus (mit Edition der Nr. 6, 8,
27, 32 und 33) (Wiener Studien Beiheft 10), Wien, 1988. Sur l’« Éphrem latin », voir la n. 52.
37. Voir, par exemple, l’Annexe I, n° 1, items 1-2, n° 56, item 39 et n° 70, item 89.
38. Voir l’Annexe I, n° 23, item 336. Le pluriel d’epistule et la mention du martyre de l’auteur
empêchent d’identifier ce titre avec la lettre de inventione corporis s. Stephani, d’un autre Lucien,
traduite en latin par Avit de Braga (BHL, n° 7850-7856). Le reste du contenu du manuscrit paraît,
d’ailleurs, confirmer l’hypothèse que le volume formait un recueil des écrits des martyrs des
premiers siècles : on pouvait y lire également, outre le Contre les hérésies d’Irénée, les lettres
d’Ignace et Polycarpe. Sur Lucien d’Antioche, voir G. BARDY, Recherches sur saint Lucien
d’Antioche et son école (Études de théologie historique), Paris, 1936.
39. Dans le Chronicon paschale ; voir CPG, n° 1721.
LES PÈRES GRECS DANS LES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE 317

Ils rendent bien compte, en effet, de l’usage qui pouvait être privilégié, dans
certains milieux contrairement à d’autres, de telle ou telle œuvre, de tel ou tel
auteur. C’est ce que montrera une étude spécifiquement axée sur les différentes
catégories de bibliothèques et de possesseurs.

II. – CEUX QUI LISENT


Les soixante-et-onze listes que l’on a isolées, qui donnent à voir la composition
de cinquante-sept bibliothèques différentes, totalisent, on l’a dit, pour la période
considérée, quelque cinq cent soixante-huit items mentionnant des ouvrages
d’auteurs ecclésiastiques grecs. Mais ce sont des nombres qu’il ne faut pas, là
encore, prendre absolument. Si l’on rapporte ce nombre au total des articles de
l’ensemble de ces inventaires (environ dix mille unités), on s’aperçoit qu’il s’agit
là d’une infime portion.
D’un autre côté, en les rapportant au nombre des possesseurs, on obtient une
moyenne de dix volumes par bibliothèque. Mais la répartition à l’intérieur de ces
listes est évidemment très inégale, allant d’une unité seulement pour des biblio-
thèques relativement peu pourvues en livres au cas vraiment – et à plusieurs égards
– exceptionnel de la bibliothèque de Cluny, dont le grand catalogue du XIe siècle
recense près de soixante entrées comportant au moins un titre patristique grec et
représente ainsi à lui seul plus d’un dixième de la totalité des items40. On veillera
donc à prendre les considérations qui suivent pour ce qu’elles sont, sans chercher
à les généraliser.

A. Typologie des possesseurs


Signalons d’abord que la répartition des possesseurs de manuscrits d’œuvres
grecques entre bibliothèques privées et bibliothèques communautaires est tout
sauf équitable. Sur le total, treize possesseurs sont des particuliers, quarante-
quatre des communautés. Mais c’est là une spécificité à mettre au compte non des
bibliothèques elles-mêmes, mais des inventaires qui en ont été rédigés et qui se
sont conservés.
La distinction la plus utile est celle entre les fonds que l’on pourrait dire laïcs
et les bibliothèques religieuses, et à l’intérieur de celles-ci, les listes concernant le
clergé séculier et le clergé régulier, d’un ordre ou d’un autre. On peut représenter
comme suit la répartition, telle qu’elle ressort des inventaires étudiés, entre les
possesseurs, qu’il s’agisse de personnes physiques (PP) ou de personnes morales
(PM) :

40. Voir l’Annexe I, n° 23, et ci-dessous § III. B. 3.


318 JÉRÉMY DELMULLE

B. Bibliothèques communautaires vs bibliothèques privées


Le principal facteur qui différencie une bibliothèque communautaire d’une
bibliothèque privée est évidemment le volume de la collection. Sauf en de rares
exceptions, on rencontrera beaucoup plus sûrement certaine littérature spécialisée,
pour son contenu doctrinal, théologique ou a fortiori législatif, dans une biblio-
thèque d’étude, que celle-ci soit monastique ou non. Si donc les livres contenus
dans l’une et l’autre bibliothèques n’ont pas de raison d’être foncièrement dif-
férents, les bibliothèques de particuliers présenteront seulement quelques titres
choisis, spécialement utiles pour tout un chacun.
Concernant les « livres grecs » – au sens où nous l’entendons –, on peut ainsi
penser qu’il n’est pas fortuit que, dans la première moitié du IXe siècle, le seul que
l’abbé de Fontenelle, Anségise, ait offert à son abbaye soit un volume des Historiae
de Josèphe41, tout comme, plusieurs siècles plus tard, au milieu du XIIe siècle,
lorsqu’Étienne de Chandieu, archidiacre de Lyon, offrira à la primatiale trois de
ses livres, on n’y trouvera comme seul ouvrage grec l’Histoire ecclésiastique
d’Eusèbe42. De la même façon, Sæwold, abbé de St. Peter’s Abbey à Bath, qui
avait dû fuir son pays après la conquête de l’Angleterre, n’aura emporté avec lui,
dans son exil à Arras, parmi les trente-trois livres qu’il finira par léguer à l’abbaye
Saint-Vaast, qu’une Historia tripartita43. C’est dire combien les « Histoires », et

41. Voir l’Annexe I, n° 2, item 49.


42. Voir l’Annexe I, n° 42, item 2.
43. Voir l’Annexe I, n° 30, item 33. Sur ses livres, voir Ph. GRIERSON, « Les livres de l’abbé
Seiwold de Bath », Revue bénédictine, 56, 1940, p. [96]-116, et surtout M. LAPIDGE, « Surviving
Booklists from Anglo-Saxon England », dans Learning and Literature in Anglo-Saxon England.
LES PÈRES GRECS DANS LES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE 319

singulièrement les « Histoires ecclésiastiques », sont aptes à fournir à des particu-


liers des lectures à la fois érudites et édifiantes.

C. Bibliothèques privées : clercs vs laïcs ?


Il serait sans doute vain de se livrer, à l’intérieur de ces trop rares attestations,
à une comparaison de la composition des bibliothèques des laïcs avec celle des
religieux44. C’est d’autant plus vrai que, sans compter les aléas de la transmission
et de la conservation de ces documents, les traces dont nous avons connaissance
à propos de certaines bibliothèques parmi les plus anciennes risquent fort, pour
beaucoup, de relever de cas particulièrement exceptionnels.
Pour cette raison, il faut réserver un sort particulier au document le plus ancien de
notre corpus, qui est aussi fortuitement l’un des plus riches pour notre recherche. Il
s’agit d’une liste – de titres plutôt que de livres – rendant compte de la bibliothèque
rassemblée par Wandon, abbé de Fontenelle entre 742 et 756, et dont celui-ci a fait
don à son abbaye45. Outre un certain texte appelé Fides Nicaeni concilii – sans
doute le De fide orthodoxa de Grégoire d’Elvire46 –, ses livres grecs contiennent
principalement des textes historiques ou monastico-ascétiques : on trouve en effet,
pour la première catégorie, l’Histoire d’Eusèbe, présente sous la forme d’extraits
dans sa version augmentée par Rufin47 ; pour la seconde, l’Exhortation ou la Règle
du pseudo-Macaire ou encore la lettre du pseudo-Clément48.
À titre d’exemple, on peut aussi se livrer à une comparaison entre deux listes
qui ont l’avantage d’être quasiment contemporaines (rédigées vers le milieu du
IXe siècle), d’ampleur similaire et de concerner, l’une un abbé élevé à l’épiscopat,
l’autre un aristocrate laïc. La première – un « catalogue domestique » – a gardé
le souvenir des trente-et-un livres laissés par Vulfad, abbé de Saint-Médard de
Soissons, avant que celui-ci ne soit élu évêque de Bourges en 866, voire abbé

Studies presented to Peter Clemoes on the occasion of his sixty-fifth birthday, M. Lapidge –
H. Gneuss eds., Cambridge – London – New York, 1985, p. 33-89, p. 58-62.
44. Sur les spécificités des bibliothèques laïques à haute époque, voir R. MCKITTERICK, The
Carolingians and the Written Word, Cambridge, 1989, en particulier le ch. 6 « The Literacy of the
Laity », p. [211]-270.
45. On en a connaissance grâce au cartulaire de Saint-Wandrille : voir l’Annexe I, n° 1.
46. CPL, n° 551. Je remercie le Prof. Gaetano Lettieri de son indication.
47. Les titres mentionnés dans les items renvoient, en effet, à la Continuatio (CPL, n° 197
b) : voir l’Annexe I, n° 1, items 4 (Rufini ex historia ecclesiastica de Spiridione episcopo) et 5
(eiusdem de muliere captiua ex eadem chronica ab eo translatum, quae Hiberorum gentem ad
fidem Christi conuertit), correspondant aux ch. 5 et 11 du livre X (cf. Eusebius Werke, 2. Bd.: Die
Kirchengeschichte, E. Schwartz Hrsg. – Die lateinische Übersetzung des Rufinus, Th. Mommsen
Hrsg. [GSC 9.2], Leipzig, 1908, p. 963-965 et 973-976).
48. Voir l’Annexe I, n° 1, items 7, 11 et 18.
320 JÉRÉMY DELMULLE

de Rebais six ans plus tôt49 ; ses livres grecs se répartissent équitablement en
trois groupes : trois livres d’histoire, deux volumes du pseudo-Denys, quatre
autres manuscrits portant sur l’exégèse, qu’il s’agisse de commentaires suivis ou
d’homélies. La seconde est celle d’un noble, Évrard, comte de Cysoing (Nord)
et marquis de Frioul, et de sa femme Gisèle, fille de Louis le Pieux, dont on a
conservé le testament par lequel les époux ont voulu répartir leurs biens – et,
parmi eux, leurs livres – entre tous leurs enfants50. Parmi la cinquantaine de livres
en leur possession, deux livres seulement ressortissent, quoique indirectement, à
la patristique grecque51 : « le livre d’Éphrem » (les sermons de l’Éphrem latin52)
et « le livre qui est appelé Livre sur la doctrine de saint Basilide » (qui doit plus
vraisemblablement désigner l’Admonitio du pseudo-Basile53). Mais il est intéres-
sant de voir à qui et avec quoi ils sont légués. Alors que les deux aînés, Unroch et
Bérenger, tous deux appelés à gouverner, reçoivent les seuls livres historiques et
militaires de la bibliothèque, ils trouvent dans leur dotation chacun un écrit moral
(librum de Utilitate penitentie pour le premier, librum Ephrem pour le second),
tandis qu’à la fille aînée Engeltrud, qui ne se voit offrir que quatre livres, sont
réservés deux livres à vocation édificatrice : les Vitae Patrum et le livre de Basile54.

49. Voir l’Annexe I, n° 6. Sur Vulfad et son inventaire, voir M. CAPPUYNS, « Les “Bibli Vulfadi”
et Jean Scot Erigène », Recherches de théologie ancienne et médiévale, 33, 1, 1966, p. 137-139 ;
L. BRIX, « Note sur la bibliothèque de Wulfad de Bourges », Revue des études augustiniennes, 14,
1-2, 1968, p. 139-141 ; M. I. ALLEN, « Le catalogue de la bibliothèque de Vulfad (vers 860) », dans
De l’argile au nuage : une archéologie des catalogues, notice n° 3, p. 161-165 (nouvelle datation,
nouvelle édition et bibliographie mise à jour).
50. Sur cet inventaire, voir P. RICHÉ, « Les bibliothèques de trois aristocrates laïcs carolin-
giens », Le Moyen Âge, 69, 1963, p. [87]-104, p. 96-101, et tout récemment S. LEBECQ, « Le
testament d’Évrard et Gisèle de Cysoing. Présentation et traduction », dans Splendor Reginae.
Passion, genre et famille. Mélanges en l’honneur de Régine Le Jan (Haut Moyen Âge 22),
L. Jégou – S. Joye, –Th. Lienhard – J. Schneider dir., Turnhout, 2015, p. [59]-67.
51. Il faut exclure, dans cette liste, l’item [29] Librum Aniani, qui n’est pas l’une ou l’autre tra-
ductions de Jean Chrysostome, mais le Bréviaire d’Alaric (voir P. RICHÉ, « Les bibliothèques… »,
p. 99-100 et n. 71, et A. DUBREUCQ, « Le Bréviaire d’Alaric de Couches-Les-Mines et l’influence
aquitaine en Burgondie », dans Le Bréviaire d’Alaric. Aux origines du Code civil, M. Rouche –
B. Dumézil éd., Paris, 2008, p. 161-178, ici p. 171, n. 30).
52. CPL, n° 1143. Sur l’importante diffusion et sur l’influence de ce recueil au Moyen Âge,
voir D. HEMMERDINGER-ILIADOU, « Éphrem latin », dans Dictionnaire de spiritualité, 4, 1, 1960,
col. 815-819, spécialement col. 818.
53. Voir l’Annexe I, n° 5, items 20 et 42 (et n. suivante). Il semble en effet difficile, vu la
présence de sancti, d’imaginer qu’il soit ici question du gnostique Basilide (pourtant lectio diffici-
lior), auquel cas le « livre sur sa doctrine » pourrait désigner sa réfutation, soit par Hippolyte, soit
par Irénée. L’identification avec l’Admonitio est confortée par plusieurs parallèles qui désignent
incontestablement Basile : voir l’Annexe I, n° 43, item 136 et n° 50, item 106 ; la formulation
se retrouve, du reste, dans plusieurs manuscrits : mss. Reims, BM, 1392, f. 247r ; Paris, BIU
Sorbonne, 1383, f. 166r, etc.
54. Je reproduis la liste des livres offerts à l’un et à l’autre : « Berengharius alium Psalterium
LES PÈRES GRECS DANS LES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE 321

D. Bibliothèques privées de religieux : réguliers vs séculiers ?


On serait confronté à la même limite, non moins documentée, si l’on cherchait à
comparer la configuration des bibliothèques de réguliers et de séculiers : dans une
période plus tardive, l’écart, notamment universitaire, qui séparera un chanoine ou
un évêque d’un abbé se matérialisera souvent, à travers ses livres personnels, par
la présence ou non de « classiques » qui feront régulièrement défaut chez l’abbé.
Constat beaucoup moins valide dans les premiers siècles du Moyen Âge, s’agissant
des Pères, et spécialement des Pères grecs. S’il est une constante, que l’on retrouve
quasiment toujours, tant chez les abbés que chez les évêques, c’est la présence
dans leur bibliothèque personnelle des livres historiques déjà rencontrés dans les
bibliothèques de particuliers en général (Flavius Josèphe, Hégésippe, l’Histoire
tripartite ou celle d’Eusèbe) : pour Anségise de Fontenelle comme, un peu plus
tard, chez Vulfad, les récits des hauts faits des premiers temps du christianisme
restent une des lectures les plus répandues55.
À rebours, c’est chez les évêques que l’on trouvera plus facilement des écrits
d’ordre théologique, nécessaires à la prédication et à l’enseignement. C’est le cas,
surtout, lorsqu’il s’agit, pour la fin de notre période, d’un évêque de la trempe
de Jean de Salisbury, dont les intérêts intellectuels et l’activité philosophique et
théologique expliquent qu’il ait au moins dans sa bibliothèque, outre un Origène
sur Josué, non moins de deux exemplaires du pseudo-Denys56. Seule une liste des
livres qu’il a légués à la cathédrale de Chartres nous donne accès à sa bibliothèque,
mais son œuvre personnelle est également là pour témoigner de ses lectures
multiples, qui excèdent évidemment les quelque vingt-cinq titres ici considérés.
Mais sans même aller chercher des personnalités intellectuelles de premier plan,
on trouverait chez d’autres prélats plusieurs autres cas d’étude corroborant cette
suggestion. Dans le legs consenti, au tournant du XIIe siècle, par l’archevêque de
Lyon Hugues de Bourgogne à l’autel de Saint-Étienne de sa primatiale, on recense
un Grégoire de Nazianze, un Didyme et un Théophile d’Alexandrie57. Grégoire est

volumus ut habeat cum auro scriptum, et librum de Ciuitate Dei sancti Augustini, de Verbis Domini,
et Gesta Pontificum Romanorum, et Gesta Francorum, et librum Isidori, Fulgentii, Martini,
episcoporum, et librum Ephrem, et Sinonima Isidori, et librum Glosarum et Explanationis et
Dierum. […] Primogenita etiam filia nostra Engeldrud volumus ut habeat librum qui appellatur
Vitas Patrum, et librum qui appellatur Liber de doctrina sancti Basilidis, et Apollonium, et
Sinonima Isidori » (Documents et extraits divers concernant l’histoire de l’art dans la Flandre,
l’Artois & le Hainaut avant le XVe siècle, 1re partie : 627-1373, Ch. Dehaisnes éd., Lille, 1886,
p. 11).
55. Voir l’Annexe I, n° 2, items II.20 et III.35-37, et n° 6, items 1-3.
56. Voir l’Annexe I, n° 46. Sur la bibliothèque de Jean de Salisbury, voir la communication de
P. STIRNEMANN, « De l’importance de croiser les sources de toute nature : l’exemple de la biblio-
thèque de Jean de Salisbury », donnée lors de l’École d’été organisée à Chartres par Biblissima
(30 août 2013).
57. Voir l’Annexe I, n° 34, items 17, 22 et 23.
322 JÉRÉMY DELMULLE

aussi le seul auteur grec dont l’un des successeurs d’Hugues, Humbaud, confiera
un volume à l’Église de Lyon vingt ans plus tard, avec un codex des lettres de
Jérôme, seuls ouvrages littéraires au milieu de quelques livres essentiellement
liturgiques, canoniques ou administratifs58.
On trouvera évidemment des exceptions, telle la collection particulière de
Philippe de Harcourt, évêque de Bayeux († 1163), qui a fait don de ses livres à
l’abbaye bénédictine du Bec59. Ce prélat, dont la bibliothèque ne contenait pas
moins d’une douzaine d’ouvrages de Pères grecs, possédait, certes, les sermons
d’Éphrem et plusieurs livres d’histoire, mais également quatre traités exégétiques
d’Origène (en deux volumes) et deux manuscrits de Chrysostome60.

E. Bibliothèques communautaires :
bibliothèques monastiques vs bibliothèques séculières
Existe-t-il aussi une différence, même minime, entre les bibliothèques capitu-
laires et les bibliothèques conventuelles ? L’infériorité numérique des catalogues
de bibliothèques cathédrales n’est pas en lui-même signifiant, puisque les six listes
retenues dans notre enquête constituent l’exacte moitié des documents conservés
pour l’époque et pour ce type de bibliothèques61.
La première impression, en tout cas, qui se dégage de la lecture des inventaires
des chapitres est la relative pauvreté de leurs livres « grecs », et ce à quelque époque
que ce soit. À Rouen, on possède un Hégésippe et un Éphrem, et plus tard un
Irénée62 ; à Nevers comme à Clermont, uniquement un volume de Chrysostome63 ;
seule sort du lot la bibliothèque capitulaire de Cambrai, connue pour l’activité de
son scriptorium64. Mais cette pauvreté doit, néanmoins, elle-même être nuancée,

58. Voir l’Annexe I, n° 39, item 4. En voici le passage complet : Epistolas Ieronimi, Decreta
Pontificum et libros capelle, Gregorium Nazianzenum, et duo scrinia preciosissima.
59. Ce double inventaire a déjà été étudié de nombreuses fois. Outre V. BOURRIENNE, Un
grand bâtisseur : Philippe de Harcourt, évêque de Bayeux (1142-1163), Paris, 1930, voir plus
particulièrement G. NORTIER-MARCHAND, Les bibliothèques médiévales des abbayes bénédic-
tines de Normandie, Caen, 1966, p. 39-45, et R. H. et M. ROUSE, « “Potens in opere et sermone”:
Philip, Bishop of Bayeux, and his Books », dans The Classics in the Middle Ages, A. S. Bernardo
ed., Binghamton, 1990, p. 315-341. M. PEYRAFORT-HUIN s’y intéresse également à propos de la
bibliothèque du Bec-Hellouin (voir sa communication au séminaire d’histoire des bibliothèques
anciennes [Paris, IRHT] du 9 décembre 2011, sur « Inventaires anciens et codicologie : quelques
questions à propos des inventaires du Bec et quelques points de terminologie »).
60. Voir l’Annexe I, n° 44, items 37-38 et 54-55.
61. Pour le relevé complet, voir l’index chronologique des BMMF (1987), p. 241-244.
62. Voir l’Annexe I, n° 35, items 2 et 4, et n° 47, items 44 et 47.
63. Voir l’Annexe I, n° 10, item 59, et n° 13, item 25.
64. Voir l’Annexe I, n° 12. Sur le fonds de la cathédrale de Cambrai, voir D. MUZERELLE,
« Introduction », dans Manuscrits datés des bibliothèques de France, t. 1 : Cambrai (CMD-F2 1),
LES PÈRES GRECS DANS LES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE 323

dans la mesure où elle correspond aussi proportionnellement au contenu général


de chacune de ces bibliothèques65.
Il ne faut pas oublier non plus que plusieurs facteurs risquent de venir brouiller
ce panorama par trop schématique. À l’instar des archevêques de Lyon qui ont fait
don de leurs livres au chapitre cathédral, d’autres, comme Philippe de Harcourt,
ont choisi comme récipiendaire de leur donation une abbaye à laquelle ils étaient,
pour une raison ou pour une autre, particulièrement attachés. Quoi qu’il en soit,
et mis à part la provenance éventuelle des volumes conservés dans une cathédrale
ou dans une abbaye, le fonds lui-même des bibliothèques communautaires est peu
variable.
La différence pourrait être à rechercher non dans la conservation, mais dans le
type d’utilisation de ces ouvrages. Comme on ne le sait que trop, la simple pré-
sence d’un livre dans une bibliothèque est loin de garantir qu’il ait été lu ou utilisé.
Dans le meilleur des cas, c’est l’examen des volumes, s’ils sont conservés, qui seul
permet de s’en assurer. On dispose, à ce sujet, d’un document assez exceptionnel,
conservé à Farfa, mais dont dom Wilmart a démontré qu’il provenait de Cluny
et qu’il concernait directement les livres de l’abbaye bourguignonne. Il s’agit,
comme l’indique son titre, d’un « Bref des livres, réalisé au début du Carême » de
l’année 1042 ou 104366. À chacun des soixante-quatre moines qui composaient
alors l’abbaye à la fin de l’abbatiat d’Odilon a été distribué un livre, dans le but
obvie qu’il occupe le moine le Carême durant et lui offre le support de sa lec-
tio67. Une liste de lecture de ce type apporte un témoignage des plus éclairants
sur l’approche directe que des bénédictins pouvaient avoir des textes qui nous
intéressent et pour comprendre quels genres de textes étaient propres, aux yeux du
supérieur – de l’abbé ? du bibliothécaire ? –, à guider leur conduite spirituelle. Sept
des moines reçoivent l’ouvrage d’un auteur oriental, suivant une répartition assez
équilibrée : à deux d’entre eux revient la lecture d’ouvrages d’édification morale
(Basile, pour Johannes ; Éphrem, pour Benedictus) ; trois autres ont à méditer sur
des prédications (Gregorius sur le Josué d’Origène ; Teobaldus sur le Mathieu de
Chrysostome et Lando sur le Lévitique d’Hésychius) ; les deux derniers, enfin, qui
sont les seuls qui soient appelés fratres, Wirardus et Vmbertus, liront, quant à eux,
des ouvrages historiques, celui de Josèphe et celui d’Eusèbe68. Si l’on accepte de

D. Muzerelle éd., G. Grand – G. Lanoë – M. Peyrafort-Huin coll., Paris, 2000, p. IX-XXVI,


p. IX-XXII.
65. Ainsi le chapitre cathédral de Cambrai possède huit livres d’œuvres grecques sur un total
de soixante-trois volumes (selon la numérotation de D. Muzerelle, n° 12 de l’Annexe I, et non
celle de A. MOLINIER, « Introduction », dans CGM in-8°, XVII, 1891, p. I-XXIV, p. VII-VIII, qui
dénombre cinquante-et-un volumes).
66. Voir l’Annexe I, n° 17 : De breue librorum quod fit in capud quadragesimae.
67. Voir A. WILMART, « Le convent et la bibliothèque de Cluny vers le milieu du XIe siècle »,
Revue Mabillon, 11, 1921, p. [89]-124.
68. Voir l’Annexe I, n° 17, items 19 et 31 ; 6, 13 et 41 ; 34 et 39.
324 JÉRÉMY DELMULLE

voir dans ce programme de Carême une certaine hiérarchie, allant de la découverte


des événements de l’histoire de l’Église ou du christianisme à leur compréhen-
sion grâce à l’aide apportée par l’exégèse et la prédication, puis enfin jusqu’aux
moyens d’en mettre en pratique les principes fondamentaux dans une vie sainte,
on comprendra combien ce document est précieux pour l’histoire de la lecture
des Pères, et nous donne les clés nécessaires à la compréhension des résultats
présentés au tout début de notre enquête.
Avec l’émergence, à partir de la fin du XIe siècle, et surtout au suivant, de
nouveaux ordres monastiques, ayant des préoccupations intellectuelles propres,
les bibliothèques monastiques auront tendance à évoluer, pouvant, pour certains
domaines ou certaines disciplines, chercher à se spécialiser. Le nombre des articles
recensés dans le catalogue de Pontigny est, par exemple, une illustration suffi-
samment parlante de ce que la conservation de manuscrits patristiques doit aux
entreprises de recueil et de transcription des centres cisterciens69.

III. – CE QUE DISENT LES CATALOGUES


Il est temps, désormais, de faire parler les catalogues à propos de ce sur quoi
ils sont les seuls, ou presque, à fournir des informations souvent fondamentales
pour notre propos. Car au-delà des livres décrits et de leurs lecteurs potentiels,
les catalogues et autres inventaires sont souvent porteurs d’un véritable discours,
explicite parfois, le plus souvent implicite, qu’il faut savoir décrypter pour mieux
se représenter, sinon la lecture même des Pères telle qu’elle était pratiquée au
Moyen Âge, du moins l’image que pouvaient alors s’en faire des spécialistes
des livres ou des textes comme l’étaient les bibliothécaires, archivistes et autres
catalographes.
S’interroger sur la manière dont les Pères grecs étaient connus, perçus, puis
représentés par les rédacteurs d’inventaires, c’est entrer dans la profondeur
et l’intimité d’une certaine pratique des textes. Pour ce faire, le moyen le plus
simple est de scruter dans leurs moindres détails quels sont les expédients qui,
lors de la rédaction des diverses listes de livres, sont employés pour y relever ou,
au contraire, gommer tel ou tel aspect de l’œuvre ou de la personnalité d’un Père
donné. L’ordre adopté au sein de la liste a évidemment, en ce sens, une importance
de premier ordre.

69. Voir l’Annexe I, n° 50.


LES PÈRES GRECS DANS LES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE 325

A. Pères grecs, Pères latins


1) Une parfaite indistinction, voire une subordination des Grecs aux Latins
Avant toutes choses, il importe de se demander si la notion de « Pères grecs »,
que nous avons nous-mêmes tendance à plaquer sur nos sources, est réellement
pertinente dans la rédaction des inventaires anciens comme dans le rangement des
volumes dans la bibliothèque. Car bien des exemples suggèrent qu’au contraire,
il n’en est rien.
Tous nos auteurs ne sont pas, loin s’en faut, dotés d’une position significative
à laquelle il soit besoin de chercher une explication. Tout au plus le traitement
qui leur est réservé dans certains inventaires laisse-t-il entrevoir plutôt une légère
inculture dans le domaine de la patristique grecque, où peut régner une certaine
confusion entre divers auteurs, comme en témoignent plusieurs rapprochements
indus. On ne s’étonnera pas, par exemple, de rencontrer, dans un inventaire du
XIIe siècle de La Trinité de Fécamp, l’Histoire ecclésiastique au milieu d’un
ensemble de volumes d’œuvres ascétiques ou exégétiques, pour la simple raison
qu’elle y jouxte un volume d’homélies d’« Eusèbe » – mais il s’agit là, vraisembla-
blement, de l’Eusèbe Gallican70. À Corbie, c’est tout un recueil des homélies d’un
autre prédicateur homonyme, Eusèbe d’Émèse, qui est mis sous l’entrée Eusebius
Panphilus71. De même certaines appellations, comme celle, à Notre-Dame de
Rouen, d’un Egeripus (pour Hégésippe)72 ou l’orthographe souvent fluctuante
du nom d’Hésychius de Jérusalem – ysitium ou Assitius à Cluny, eziti, Isitius ou
Isichius à Corbie73 – semblent laisser échapper, à tout le moins, l’aveu d’un déficit
de connaissance.
Mais, dans la majeure partie des cas envisagés, c’est une indistinction quasi
totale que l’on observe entre auteurs latins et grecs. Ce qui compte surtout, aux
yeux du rédacteur de l’inventaire et de ses éventuels utilisateurs, n’est pas la langue
d’expression originelle, ni même la culture, qui peut différer, des auteurs présents
dans la bibliothèque, mais bien uniquement leur qualité de Pères. C’est à ce titre
qu’ils sont rassemblés, le plus souvent en seconde position, immédiatement après
les volumes de l’Écriture sainte, eux-mêmes éventuellement complétés par des

70. Voir l’Annexe I, n° 53, item 129 ; cf. l’item 128 : Omelie Eusebii. Sur cet Eusèbe, voir
G. MORIN, « La collection gallicane dite d’Eusèbe d’Émèse et les problèmes qui s’y rattachent »,
Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft, 34, 1, 1935, p. 92-115 et, en dernière analyse,
L. K. BAILEY, Christianity’s Quiet Success: The Eusebius Gallicanus Sermon Collection and the
Power of the Church in Late Antique Gaul, Notre Dame (IN), 2010.
71. Voir l’Annexe I, n° 22, item 128 ; n° 68, item 165.
72. Voir l’Annexe I, n° 47, item 47.
73. Voir l’Annexe I, n° 16, item 41 ; n° 22, item 208 ; n° 23, item 349 ; n° 26, item 19 ; n° 68,
item 213.
326 JÉRÉMY DELMULLE

œuvres historiques74 : qu’ils soient latins ou grecs, ces interpretes constituent la


« bibliothèque » destinée à permettre et à faciliter une lecture intelligente de la
Bible. L’important est donc surtout que l’on puisse bien les distinguer des écrivains
profanes ou classiques, ou encore du corpus des textes législatifs ou canoniques.
C’est, à la rigueur, à l’intérieur de cette catégorie de Patres ou d’interpretes qu’un
départ peut être fait entre les productions latines et grecques. Mais à plusieurs
exceptions près, qu’il conviendra de souligner et d’interroger, c’est une fois encore
un désordre, du moins apparent, qui règne entre les mentions des titres patristiques,
les auteurs latins alternant avec les grecs sans plus de difficulté.
2) L’auctorialité des Pères grecs : la question de la traduction
L’une des principales raisons de ce fait va de soi, et on l’a déjà rappelée. C’est
que les Pères grecs qui sont lus dans nos bibliothèques médiévales d’Occident le
sont dans des traductions latines.
Cette donnée, banale, n’est que rarement signalée. Lorsqu’il en est question,
c’est souvent dans le but de souligner l’éminence du traducteur ou le prestige du
texte. Ainsi l’on trouve dans le grand catalogue de Cluny, concernant le pseudo-
Denys, une notice assez longue, qui indique avec toute la précision requise que
les livres De celesti hierarchia contenus dans un manuscrit de la bibliothèque sont
ceux « que Jean Érigène a traduits du grec au latin, sur l’ordre et à la demande
du roi Charles, fils de l’empereur Louis75 » – l’identification du traducteur peut
ainsi, le cas échéant, permettre de dissoudre une éventuelle hésitation (ici, avec la
version d’Hilduin76).
La personnalité du traducteur – personnalité littéraire, mais aussi doctrinale, qui
est en mesure d’apporter ou de surajouter sa propre autorité et garantie d’ortho-
doxie à un texte qui lui est primitivement étranger – exerce elle-même parfois
une influence sur la formulation du titre d’un volume dans un catalogue. Lorsque
Mannon de Saint-Oyen, par exemple, rédige l’inventaire de ses livres personnels,
il signale l’identité du traducteur des homélies d’Origène, Jérôme, mais ne le fait
plus, quelques items plus loin, pour les textes d’un recueil computistique (dont

74. Sur la première place au sein du catalogue, qui échoit par nécessité à la Bible, voir
P. PETITMENGIN, « La Bible à travers les inventaires de bibliothèques médiévales », dans Le Moyen
Âge et la Bible, P. Riché – G. Lobrichon dir., Paris, 1984, p. [31]-54, p. 38-39. Les livres de la
Bible sont d’ailleurs eux-mêmes considérés, en premier lieu, comme historiques : voir, entre autres
exemples, dans le catalogue de Saint-Martial de Limoges du tournant du XIIIe siècle (Annexe I,
n° 72) les items 13 (Due ystorie magne nove), 14 (Alie due ystorie veteres) et 16 (Vetus istoria
alia), qui désignent chacun des manuscrits de la Bible. Sur l’appellation historia à propos de la
Bible, voir A.-M. TURCAN-VERKERK, « La bibliothèque de l’abbaye de Haute-Fontaine aux XIIe
et XIIIe siècles. Formation et dispersion d’un fonds cistercien », Recherches augustiniennes, 25,
1991, p. 223-261, p. 248, note aux n° 6.8.9.
75. Voir l’Annexe I, n° 23, item 278. Sur cette indication, voir ci-dessous la n. 115.
76. Voir plus haut, p.  et n. 7.
LES PÈRES GRECS DANS LES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE 327

une pièce au moins, pourtant, est aussi une traduction de Jérôme : les lettres de
Pascha de Théophile d’Alexandrie)77. Certes, il y a fort à parier que l’item repro-
duit assez fidèlement le titre qui était déjà celui du livre, et que les inventaires
ne se fassent ici encore que le relais de la renommée répandue dans les livres de
certains « interprètes ». Mais l’empreinte du traducteur peut se révéler bien plus
décisive, au point qu’il arrive de trouver dans tel catalogue, entre autres exemples
similaires, l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe sous le titre de Rufini, ex historia
ecclesiastica (dans l’inventaire des livres de Wandon78) ou même tout simplement
d’Istoria Rufini (à Moissac79).
Mais ce que l’inventaire, ou à la limite, lors d’une étape antérieure, le cadre
de classement de la bibliothèque, ajoute de son cru, c’est la position qui doit
revenir à telle ou telle œuvre traduite. Plusieurs catalogues, nous le verrons, vont
jusqu’à réserver une catégorie, parfois importante, à des auteurs grecs ; ailleurs
et le plus souvent, le classement est surtout thématique. Il arrive toutefois que
les œuvres grecques traduites soient rangées non à la place qui leur reviendrait
logiquement, au milieu des autres œuvres du même auteur, mais sous le nom
du traducteur lui-même. Cela s’explique facilement lorsque c’est le recueil lui-
même qui donne comme unité la production d’un même auteur. À Cluny, les deux
homélies d’Origène sur le Cantique sont rangées dans la section hiéronymienne
parce que le volume qui les conserve transmet aussi des lettres et autres œuvres
du Stridonien80 ; mais quelques lignes plus loin, dans la même section se trouve
indexée la Chronique d’Eusèbe, uniquement parce qu’elle y est signalée comme
« traduite du grec au latin par Jérôme81 ». À Chaalis, il a même fallu créer une
section spéciale, sous le nom de Rufin, pour y intégrer l’Histoire ecclésiastique,
alors même qu’un autre volume de la même œuvre figurait sous le nom d’Eusèbe
au commencement de la liste82.
Pareille tendance a pour effet, au moins inconscient, de remettre en cause,
sinon l’autorité, du moins l’auctorialité de ces auteurs grecs, qui se trouvent ainsi
subordonnés à leurs traducteurs, leurs passeurs dans le monde latin, qui sont par
ailleurs souvent des auteurs eux-mêmes (au premier chef, Jérôme). On ne peut
donc ignorer, vu ses multiples implications sur la connaissance directe qu’en
avaient les lecteurs, le filtre en même temps que l’écran que constitue l’opération
de traduction pour l’appréhension des auteurs grecs.

77. Voir l’Annexe I, n° 9, items 92 et 95.


78. Voir l’Annexe I, n° 1, item 2.
79. Voir l’Annexe I, n° 20, item 7.
80. Voir l’Annexe I, n° 23, item 209.
81. Voir l’Annexe I, n° 23, item 218.
82. Voir l’Annexe I, n° 51, items 91 et 2.
328 JÉRÉMY DELMULLE

B. L’autorité des Pères grecs : l’ordre et la structure des catalogues


Malgré cette indistinction d’ordre général, on trouve nombre d’inventaires dont
la composition et la présentation révèlent un véritable travail de classification
réfléchi et plus ou moins poussé. D’autres, même, sont dotés d’une structuration
nettement plus soulignée, qui donne à voir beaucoup plus clairement la place et le
relief qui reviennent aux Pères grecs dans l’esprit des catalographes.
1) Un ordre chronologique ?
Que, dans un catalogue, les Grecs aient la préséance, ne serait-ce qu’une
préséance d’ordre chronologique, sur les Latins serait exceptionnel. Même dans
l’unique cas où se rencontre cette configuration dans notre corpus, la motivation
de ce choix n’en paraît pas aussi évidente à interpréter. Le catalogue de l’abbaye
royale de Chaalis, établi dans le dernier quart du XIIe siècle, commence en effet
par décrire le contenu de six manuscrits transmettant exclusivement des textes
grecs : un volume des Antiquités de Josèphe, un deuxième de l’Histoire ecclésias-
tique, puis quatre autres d’Origène (Sur l’Heptateuque en trois volumes et Sur
le Cantique en un seul)83. Seuls Eusèbe et Origène y sont indiqués, en guise de
manchette marginale84. Mais, au fond, l’ordre qui prévaut reste assez traditionnel :
l’histoire, celle des premières années du christianisme autant que celle des siècles
ultérieurs, peut en effet être regardée comme le complément naturel de l’histoire
biblique, présente dans les volumes de la Bible, qui sont, certes, omis dans la liste
de Chaalis, mais auxquels revient quasiment toujours la place d’honneur85. Après
les textes mêmes narrant cette histoire du peuple élu doivent logiquement venir
ceux qui, par leur lecture et leurs interprétations, ont contribué à y donner un accès
plus facile et plus sûr ; voilà qui explique la présence d’Origène, suivi d’ailleurs,
pour cette raison, par Jérôme, son pendant latin dans la catégorie des interpretes.
L’hellénisme des premiers auteurs semblerait donc totalement fortuit, sans quoi
les titres de Chrysostome ou de Basile, relégués à la fin du catalogue, y auraient
également trouvé leur place86.

83. Voir l’Annexe I, n° 51, items 1-6.


84. Sur ces manchettes et la préparation à quatre mains du catalogue, voir A. BONDÉELLE-
SOUCHIER et P. STIRNEMANN, « Vers une reconstitution de la bibliothèque ancienne de l’abbaye
de Chaalis : inventaires et manuscrits retrouvés », dans Parva pro magnis munera. Études de litté-
rature latine tardo-antique et médiévale offertes à François Dolbeau par ses élèves (Instrumenta
Patristica et Mediaevalia. Research on the Inheritance of Early and Medieval Christianity 51),
M. Goullet éd., Turnhout, 2010, p. [9]-73, surtout p. 28-32.
85. C’est, par exemple, nettement le cas, à la même époque, dans le catalogue de Saint-Arnoul
de Crépy-en-Valois (BMMF, n° 500 ; Annexe I, n° 52), où les deux volumes de la Bible sont
directement suivis de Josèphe, puis de l’Histoire ecclésiastique et de l’Histoire tripartite.
86. Voir l’Annexe I, n° 51, items 80 et 97.
LES PÈRES GRECS DANS LES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE 329

2) Quel « canon » des Pères grecs ?


Bien qu’il ne revienne pas de position attitrée aux auteurs ecclésiastiques grecs,
il n’empêche que la manière dont ils sont indiqués et l’ordre qui préside à leur
entrée dans les listes sont susceptibles de nous renseigner sur le statut qui leur est
reconnu. Car autre est l’image que peuvent donner les manuscrits, voire les entrées
mêmes des catalogues, en terme de volume bibliométrique, autre le constat qui
ressort du discours, même implicite, des rédacteurs de ces mêmes catalogues – et
autre encore, d’ailleurs, le « canon » littéraire tel qu’il tend à s’établir au travers,
notamment, d’œuvres littéraires originales qui doivent ici nous fournir un point de
comparaison.
Auteurs et lecteurs médiévaux soucieux de rechercher les plus grandes autorités
patristiques pouvaient, en effet, se reporter à deux compositions métriques – on
reviendra sur cette forme avec l’exemple du catalogue de Cluny – remontant, pour
l’une, à Venance Fortunat et, pour l’autre, à Alcuin87. Dans leur « catalogue » des
Pères, le premier ne mentionne que deux Grecs, Basile et Athanase ; le second
les conserve, leur ajoutant Jean Chrysostome88. On a vu que, pour le domaine
français, du moins, l’identité des deux premiers, et l’ordre en général, ne cor-
respondent aucunement à la réalité des textes vraiment copiés et lus dans les
bibliothèques. Mais l’époque de Fortunat est déjà bien lointaine, et il s’agit de se
faire l’écho d’auctoritates ecclésiastiques, et non de rendre compte du contenu
d’une bibliothèque89. En revanche, c’est précisément parce qu’il les a préparés
pour orner les murs de sa bibliothèque que les Versus d’Isidore de Séville semblent
refléter une configuration qui nous est quelque peu familière : le premier Père grec
nommé est Origène, qui suit immédiatement un poème De sacris Scripturis et se
voit accorder le plus grand nombre de vers, les deux autres orientaux cités étant
Iohannes Chrysostomus et Eusebius90.

87. Mon propos est ici redevable à une communication inédite de C. FELISI, « Chantiers de
recherche sur l’histoire de la bibliothèque de l’abbaye de Cluny et sur le fonds de Cluny de la
Bibliothèque nationale », donnée dans le cadre du séminaire de A.-M. Turcan-Verkerk (EPHE –
IVe section) les 13 et 20 mai 2014.
88. Comparer VENANCE FORTUNAT, Carmina, 8, 1, 53-55 : « Cuius sunt epulae quidquid pia
regula pangit, / quidquid Gregorius Basiliusque docent, / acer Athanasius, quod lenis Hilarius
edunt […] » (MGH. Auct. ant. 4, 1, F. Leo Hrsg., München, 1881, p. 1-270, p. 179) et ALCUIN,
Carmina, 1, 1540-1545 : « Quod pater Hieronymus, quod sensit Hilarius atque / Ambrosius praesul,
simul Augustinus, et ipse / sanctus Athanasius, quod Orosius edit avitus : / quidquid Gregorius
summus docet et Leo papa ; / Basilius quidquid, Fulgentius atque coruscant. / Cassiodorus item,
Chrysostomus atque Iohannes » (MGH. Poetae, 1, E. Dümmler Hrsg., München, 1881, p. 169-
351, p. 203).
89. Pour ce passage de Fortunat, voir, en particulier M. ROBERTS, The Humblest Sparrow: The
Poetry of Venantius Fortunatus, Ann Arbor (MI), 2009, p. 115-117.
90. ISIDORE DE SÉVILLE, Carmina, 4, 9 et 12 (CCSL 113A, J. M. Sánchez Martín éd., Turnhout,
2000, p. 215, 221 et 223).
330 JÉRÉMY DELMULLE

Pour revenir à notre matière première et à nos inventaires, on remarquera avec


intérêt que, si l’écart ne saurait bien sûr être aussi grand, il existe néanmoins : le
« top 2 (ou 3) » des Pères grecs repéré statistiquement, tout d’abord, à partir du
nombre de titres ou de volumes recensés dans les listes, n’est qu’imparfaitement
superposable au discours qui se dégage de la rédaction des catalogues.
À ne considérer que les listes dont les sections sont pourvues d’intertitres ou
dont l’ordre adopté trahit à l’évidence un cadre de classement savamment mûri91,
on parvient à se faire une idée assez fidèle de la manière dont les Pères (grecs, en
l’espèce) sont situés au sein d’une hiérarchie, mentale autant que doctrinale, que
ce soit par les rédacteurs eux-mêmes (pour les indications apportées dans l’inven-
taire) ou par des bibliothécaires, éventuellement plus anciens (pour la structuration
générale et l’agencement des pupitres ou des volumes tels qu’ils sont décrits dans
les inventaires).
On observe ainsi les constantes suivantes, qui ne tiennent pas compte des
éventuels auteurs latins qui peuvent s’être intercalés entre l’un et l’autre Pères
grecs. Il arrive qu’Origène soit l’unique Grec dont les œuvres soient rassemblées
en une section intitulée à son nom : c’est le cas à Clairvaux, certes, mais sans qu’on
puisse en tirer le moindre argument, puisque Origène est aussi le seul auteur grec
dont les volumes soient recensés92 ; c’est aussi le cas dans les deux catalogues de
Haute-Fontaine93, comme surtout dans celui de Gorze, dans lequel on trouve, sous
la mention LIBRI ADAMANTII ORIGENIS, un seul volume d’Origène, quand les
œuvres de Grégoire de Nazianze et de Chrysostome sont signalées plus loin, sans
soulignement particulier, dans le corps du catalogue94. Ailleurs, et notamment dans
les catalogues les plus anciens, il figure en tête, devançant donc Jean Chrysostome :
le catalographe de Saint-Riquier réserve des sections à Origène, Chrysostome, un
groupe d’« auteurs divers », suivis par les livres canoniques puis par les histo-
riens95 ; à Murbach, c’est une configuration qui deviendra traditionnelle que l’on
trouve, avec des titres pour Origène, Basile, Chrysostome et enfin Grégoire de
Nazianze96 ; de même, au Bec-Hellouin, Origène précède Chrysostome, Athanase
et le pseudo-Denys, avant de se voir consacrer une seconde section à la fin du
catalogue97 ; à Chaalis, encore, Chrysostome lui cède la place, bien que, comme on

91. On doit donc exclure de cette liste les catalogues de Saint-Bertin, de peu postérieur à 1100
(Annexe I, n° 33), et de Corbie, de la fin du XIe siècle (Annexe I, n° 22), qui respectent l’ordre
alphabétique, comme d’ailleurs l’index de la bibliothèque de Murbach (Annexe I, n° 8).
92. Voir l’Annexe I, n° 61, items 51-58.
93. Voir l’Annexe I, n° 57, items 23-23 et n° 69, items 1-4.
94. Voir l’Annexe I, n° 27, items 100-101 ; cf. items 210-212 et 215-221 (Grégoire) et 271-272
(Chrysostome).
95. Voir l’Annexe I, n° 3.
96. Voir l’Annexe I, n° 4.
97. Voir l’Annexe I, n° 48.
LES PÈRES GRECS DANS LES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE 331

l’a vu, Origène soit précédé cette fois par l’Histoire d’Eusèbe98. Seuls font excep-
tion deux catalogues, qui sont à situer dans la seconde moitié de notre période :
celui de Pontigny, qui présente l’ordre Jean Chrysostome – Origène – Grégoire de
Nazianze – Basile – historiens99 ; celui de Cluny qui, un siècle plus tôt, en offrait
un encore plus particulier : Grégoire de Nazianze – Jean Chrysostome – Origène
– Athanase – Origène (de nouveau)100.
Si donc Origène se taille encore la part du lion101, il s’en faut de beaucoup
que les suivants occupent l’exact rang qui leur serait dû au regard de leur pré-
sence effective dans les bibliothèques et les manuscrits. Cette position privilégiée
d’Origène s’explique aisément, outre par la quantité de ses écrits qui peuplent
les bibliothèques, par son statut reconnu d’exégète par excellence, qui a donc
un rang tout à fait légitime à la suite immédiate des volumes de la Bible. Elle a
toutefois pour corollaire une singularité dont plusieurs inventaires se font l’écho
d’une façon particulièrement frappante. Au Bec ou à Pontigny, bien que dans une
position remarquable, Origène figure comme le seul auteur ecclésiastique qui ne
soit pas dit sanctus ou beatus : situé, dans le catalogue du Bec, entre les Libri beati
Augustini episcopi et les Libri sancti Jeronimi, non loin des Libri beati Johannis
cognomento Crisostomi, la section des Libri Origenis se signale ainsi comme par
un manque, à peine réparé dans une dernière section à lui de nouveau consacrée,
qui rassemble les Libri Origenis presbiteri102.
Le fait que, à Pontigny et à Cluny, Jean Chrysostome finisse par passer devant
Origène est tout sauf banal. Il semble qu’il s’agisse là de l’amorce d’un rééqui-
librage, appelé à persister, et d’un intérêt croissant pour l’œuvre de l’archevêque
de Constantinople103. Chrysostome était, du reste, dès le début, comme l’attestent
les différentes appellations sous lesquelles il est mentionné, considéré comme
facilement identifiable sous le nom de Iohannes Constantinopolitanus (comme à
Saint-Martial de Limoges ou à Saint-Vaast d’Arras104), voire sous le simple nom
de Iohannes (toujours à Saint-Vaast, ou à Corbie105) ; il est tout de même le plus
souvent nommé – plus d’une quarantaine de fois au total – Iohannes Chrysostomus
(la précision cognomento du catalogue du Bec se révélant régulièrement inutile)

98. Voir l’Annexe I, n° 51.


99. Voir l’Annexe I, n° 50.
100. Voir l’Annexe I, n° 23 ; voir aussi ci-dessous, § III.B.3.
101. Voir les remarques que faisait déjà H. DE LUBAC, Exégèse médiévale, 1, p. 225-227, pour
corriger ses prédécesseurs, notamment J. DE GHELLINCK, « En marge des catalogues… » – voir
p. 225, n. 5.
102. Voir l’Annexe I, n° 48, en particulier les titres précédant les items 44-46 et 162-166 ; pour
Pontigny, voir aussi l’Annexe I, n° 50, et la section des items 91-95.
103. Il faudrait pouvoir vérifier ce phénomène en étudiant les inventaires postérieurs à 1200.
104. Voir l’Annexe I, n° 54, items 72-73 ; n° 59, item 189.
105. Voir l’Annexe I, n° 59, item 177 et 209 ; n° 68, item 86.
332 JÉRÉMY DELMULLE

ou, pour quatorze cas plus particuliers, désigné par le surnom Iohannes Os
aureum106 ; on trouve même, dans trois occurrences (à la cathédrale de Clermont,
à Saint-Aubin d’Angers et à la Trinité de Fécamp), un item qui se résume à la
simple mention Os aureum, censée suffire à désigner le volume107. Ces divers
noms, sans doute présents déjà, pour une bonne part, dans les manuscrits décrits,
n’en disent pas moins le cas que l’on fait de son éloquence et donc le caractère
précieux de ses réflexions et de ses prédications.
Plus frappant encore est le sort réservé à Grégoire de Nazianze. Comme on l’a
fait remarquer, son œuvre est, d’une manière qui, rétrospectivement, peut paraître
surprenante, très peu représentée dans les bibliothèques françaises avant 1200, qui
n’en conservent que cinq fois moins qu’elles ne possèdent d’œuvres d’Origène.
Mais s’il a réussi à se hausser, dans le catalogue de Murbach ou dans celui de
Cluny, à un rang égal à celui des deux principaux « maîtres » grecs, Origène et
Jean Chrysostome, c’est vraisemblablement, à mon sens, pour avoir bénéficié de
l’aura de son homonyme latin. Autour de 1200, les Victorins de Marseille pos-
sèdent un seul volume de Grégoire de Nazianze, qui est rangé parmi les œuvres de
Grégoire le Grand108. À Murbach, en rédigeant l’inventaire de la bibliothèque au
milieu du IXe siècle, on a rassemblé sous une entrée dédiée au Cappadocien non
moins de sept items pour décrire un seul et même volume, contenant plusieurs
de ses Orationes109. Du reste, si l’on en croit le copiste moderne de l’inventaire
original perdu, Grégoire était le seul Père grec, aux côtés d’Origène, Basile et
Jean Chrysostome, à être mis en valeur par un artifice graphique, GREGORII
étant écrit en lettres capitales110. Or c’est là un des expédients les plus caracté-
ristiques, bien attestés dans les catalogues médiévaux, qui ont contribué à donner
à Grégoire le Grand la primauté parmi les auctoritates patristiques en général111.

106. Voir l’Annexe I, n° 4, tit. ; n° 8, item 28 ; n° 14, item 13bis ; n° 15, item 57 ; n° 20, item 18 ;
n° 22, item 190 ; n° 23, items 169, 172, 327 et 422 ; n° 55, item 50 ; n° 59, items 184-185 ; n° 62,
items I.23 et II.63. Le titulus métrique du grand catalogue de Cluny le nomme, d’une façon encore
plus singulière, aurea bucca Johannes ; voir là-dessus le § III.B.3.
107. Voir l’Annexe I, n° 13, item 25 ; n° 49, item 125 ; n° 53, item 107.
108. Voir l’Annexe I, n° 58, item 103.
109. Voir l’Annexe I, n° 4, items 214-221 (voir le n° 221 : in codice vno). La mise en page et
l’éventuelle distinction des lemmes dans le document original ne sont reconstituables, il est vrai,
qu’à partir d’une copie datée de 1464 (ms. Colmar, AD, 10 G, cartulaire 1 ; voir W. MILDE, Die
Bibliothekskatalog, pl. 9).
110. Voir l’Annexe I, n° 4, titre précédant l’item 214.
111. D’après la démonstration de A.-M. TURCAN-VERKERK, « La place de Grégoire le Grand
dans les inventaires de livres avant le XIIIe siècle », dans Gregorio Magno e le origini dell’Eu-
ropa. Atti del Convegno internazionale, Firenze, 13-17 maggio 2006 (Millennio Medievale 100.
Strumenti e Studi 37), C. Leonardi ed., Firenze, 2014, p. [355]-396, ici p. 364-365. L’indice perd,
cependant, de sa valeur, s’agissant du catalogue de Murbach, dans la mesure où, tel qu’il a été
copié au XVe siècle, le titre Grego(r)ij Su(m)mi po(n)tificis est l’un des seuls auteurs latins à ne pas
figurer en capitales (voir l’éd. de W. MILDE, Die Bibliothekskatalog…, p. 42).
LES PÈRES GRECS DANS LES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE 333

Une autre distinction est réservée à ce Père, vers la fin du XIIe siècle, dans le
catalogue de Pontigny, qui présente le seul ouvrage du Cappadocien possédé par
l’abbaye comme contenant opuscula beati Gregorii Nazanzeni episcopi clarissimi
et eruditissimi viri112. Mais ce statut privilégié trouve son couronnement dans
le grand catalogue de Cluny, dans lequel Grégoire, dont pourtant deux volumes
seulement sont décrits, vient bouleverser l’ordre établi des Pères pour venir se
glisser à la troisième position, après la Bible et à la suite immédiate du pape
Grégoire, et ainsi donner son nom à une section entière du catalogue qui réunit
donc, assez malhabilement, les œuvres du rhetor Gregorius et celles du doctor
Cyprianus113. En réalité, sous ce nom de Grégoire sont rassemblées, grosso modo,
les œuvres des trois Cappadociens et quelques autres écrits ascétiques apparentés
à l’œuvre de Basile ; de Cyprien il n’est même nullement question, hormis dans un
unique item114. S’agissant de Grégoire, c’est donc moins le nombre de ses œuvres
conservées ou lues que sa réputation d’orateur, voire, par ricochet, la renommée
de Grégoire le Grand, qui aura valu au Théologien de Nazianze de figurer dans
le « canon », tout implicite qu’il est, véhiculé à tout un chacun à travers l’outil de
travail quotidien que constitue le catalogue de bibliothèque.
3) Louer les Pères grecs : l’exemple du grand catalogue de Cluny
Comment passer de cet implicite à l’explicite ? Rares sont les cas où, comme
dans l’item cité plus haut de la traduction du pseudo-Denys, le catalographe se
permet d’ajouter une incise pour apporter quelque précision sur une œuvre115 – et
encore ne s’agissait-il que d’informations relatives à la traduction et à l’époque
de sa réalisation. Certes, on peut bien lire, dans le premier catalogue de Pontigny,
par exemple, à la fin du XIIe siècle, un item à la syntaxe peu commune dans les
inventaires : Beatus Johannes Chrisostomus partim exponit Mathaei Ævangelium,
omeliis viginti quinque, sub uno volumine116. Mais il ne s’agit, là encore, que
d’une pure indication de contenu.

112. Voir l’Annexe I, n° 50, item 105. A.-M. TURCAN-VERKERK, « La place de Grégoire », a
justement souligné les efforts du catalographe de Pontigny pour mettre en relief les nom et qualité
du pape Grégoire (p. 365 et n. 42).
113. Voir l’Annexe I, n° 23, titre précédant l’item 65 (et ci-dessous, la n. 118).
114. Voir l’Annexe I, n° 23, items 65-66, 69-71 et 77. Pour Cyprien, il s’agit de l’item 67.
115. Voir l’Annexe I, n° 23, item 278. Ou bien cette indication était-elle déjà présente dans le
manuscrit ? Comparer avec le titre contenu dans le ms. El Escorial, Biblioteca del real monasterio
de San Lorenzo, Q. III. 8 (XIVe s.), f. CXXVIIv : In hoc libro sci. dyonisii ariopagite continentur
libri IIII quos iohannes fruigena (Erigena) transtulit de greco in latinum iubente ac postulante
gloriosissimo Rege karolo ludouici imperatoris filio (retranscrit par G. ANTOLÍN, Catálogo de los
códices latinos de la real biblioteca del Escorial, vol. III : [L. I. 2. – R. III. 23], Madrid, 1913,
p. 422).
116. Voir l’Annexe I, n° 50, item 80.
334 JÉRÉMY DELMULLE

C’est encore le grand catalogue de Cluny qui offre, sur cette question, les par-
ticularités les plus intéressantes. Comme on sait, il se trouvait à l’entrée de la
grande bibliothèque de l’abbaye quatre grands panneaux de bois, modulables, et
dont chacune des huit faces était recouverte d’un grand morceau de parchemin
sur lequel étaient inscrits, ligne après ligne, les titres de non moins de cinq cent
soixante-dix volumes, initialement répartis dans de grandes sections, réservées à un
ou quelques auteurs117. En guise de titre pour chaque section, c’est un hexamètre
dactylique (à l’exception du distique initial, à la fois titre de la table et consacré à
la première section, celle de la Bible) qui vient signaler à l’utilisateur le nom de
l’auteur principal de la section118. Sur les douze tituli relatifs aux auteurs, trois
concernent des Grecs, bien que le premier, Grégoire de Nazianze, doive partager
le vers avec un Père latin, Cyprien :
v. 3 Rethor Gregorius serit ac doctor Ciprianus.
v. 7 Lucentes apices notat aurea bucca Johannes.
v. 10 Origenes varios præclaros conserit actus.
Dans ces vers, par nature laudatifs, la caractérisation de nos auteurs n’a rien
que de très traditionnel, mais elle nous aide, du moins, à entrevoir l’aspect fonda-
mental auquel un lettré – voire un poète – clunisien de la fin du XIe siècle pouvait
réduire l’œuvre et la pensée de tel ou tel Père : la qualité oratoire des œuvres de
Grégoire – on n’en possède, en effet, à Cluny que les Orationes ; l’éclat des écrits
de Chrysostome – toujours désigné par ou avec son surnom, en grec ou en latin,
lorsqu’il est mentionné en dehors de la section qui lui est dévolue ; l’aspect pro-
lifique et autorisé de la production origénienne – alors qu’en nombre de volumes
conservés, cet auteur le cède largement à Chrysostome119.

117. Sur ce catalogue, édité par L. DELISLE, Inventaire des manuscrits de la Bibliothèque
nationale. Fonds de Cluni, Paris, 1884, p. [337]-373, voir surtout V. VON BÜREN, « Le grand
catalogue de la bibliothèque de Cluny », dans Le gouvernement d’Hugues de Semur à Cluny.
Actes du Colloque scientifique international, Cluny, 1988, p. 245-263, et EAD., « Le catalogue de
la bibliothèque de Cluny du XIe siècle reconstitué », Scriptorium, 46, 2, 1992 , p. 256-267, à qui est
due la nouvelle datation, désormais bien admise.
118. Seuls les deux premiers panneaux, cependant, comportent des titres. La médiocrité de la
seule copie moderne qu’on en ait (ms. Paris, BnF, lat. 13108, f. 236-249), relevée par L. DELISLE,
Inventaire des manuscrits, p. [373], n. 1, est particulièrement mesurable dans ces titres métriques :
sur les treize, quatre sont incorrects. Je les cite d’après la reconstitution qui en a été proposée
par C. FELISI, « Chantiers de recherche » : « Inditur his tabulis e queis nitet aula libellis / Priscae
necne novae legis honorificae. / Gregorius papas depromit dulcia dicta. / Rethor Gregorius serit
ac doctor Cyprianus. / Indicat Hilarius quantus sit quamque peritus. / Ambrosius fatur multum
perplexus et altus. / Lucentes apices notat aurea bucca Johannes. / Multiplices sensus Augustini
reserantur. / Ingenium vivax Hieronimi peraravit. / Origenes varios praeclaros conserit actus. /
Probata Anglus opuscula Beda scribit acutus. / Oddo stylo pulchro nitet, Odilo nec minus apto.
/ Constat Martinus cum vita nomine magnus. / Ribanus adsequitur multorum dicta librorum. /
Disputat Isidorus nonnullo famine clarus. »
119. Le catalogue ne recense, en effet, que huit volumes d’œuvres d’Origène, quand celles de
Chrysostome sont présentes dans dix-neuf manuscrits ; voir l’Annexe I, n° 23, items 209, 220-224,
LES PÈRES GRECS DANS LES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE 335

On peut tenter, à l’issue de cette enquête, de dresser un premier bilan provisoire.


On aura remarqué, pour commencer, que, dans une bibliothèque médiévale, c’est à
peine si la distinction entre Père latin et Père grec est valide. Tous étant lus dans la
même langue, et tous partageant la même « fonction », ils sont considérés comme
faisant un au titre de l’autorité de la tradition. C’est davantage pour nous que le
départ entre les deux revêt une importance particulière.
De fait, durant les premiers siècles du Moyen Âge, les Pères grecs ne sont connus
et lus qu’à travers leurs traductions latines. Et ces traductions latines datant, pour
la majorité d’entre elles, de l’Antiquité tardive – pour celles de Jérôme, de Rufin,
d’Anianus, d’Eustathe et de nombreuses autres anonymes120 –, le corpus des
auteurs ecclésiastiques grecs est donc clos dès avant nos plus anciens inventaires.
C’est ce qui explique qu’il reste stable tout au long de la période et qu’on n’y
observe pas d’innovation remarquable. En réalité, concernant les Pères grecs, les
bibliothèques médiévales sont donc exclusivement débitrices d’une sélection qui
remonte à la fin de l’Antiquité et qui s’est comme fossilisée121. Il faudra attendre
l’apparition, plus tardive, de nouvelles traductions du grec, et l’activité de nou-
veaux réseaux de diffusion des livres, pour que le panorama littéraire grec des
bibliothèques françaises se diversifie.
Si donc le Moyen Âge occidental n’a eu qu’un rôle fort restreint dans la sélection
des textes grecs lus et médités, il en va différemment de l’influence qu’il a exercée
sur l’image et la renommée des Pères. On a souligné l’hégémonie d’Origène,
qui n’est quasiment jamais démentie, hormis à partir de la seconde moitié de la
période que nous avons étudiée, lorsque de nouveaux choix bibliothéconomiques
et catalographiques ont contribué à diffuser un « canon » des Pères légèrement
différent – à moins qu’ils se soient simplement fait l’écho d’innovations qui leur
étaient antérieures.

232 et 243 (Origène) et items 11, 62, 106-111, 113, 116, 150, 169, 172, 186, 325, 327, 375-376 et
422 (Chrysostome).
120. Notons l’exception de celles, apparemment déjà introuvables, de Gennade de Marseille
(qui avait traduit deux œuvres d’Évagre le Pontique et une lettre de Timothée Élure ; voir GENNADE
DE MARSEILLE, De uiris illustribus, 11 et 73, et la toute récente mise au point de P. MATTEI,
« Massilia Christiana. Lettrés, théologiens et spirituels dans la Marseille du Ve siècle. État de
quelques questions », dans Arcana Imperii. Mélanges d’histoire économique, sociale et politique,
offerts au Professeur Yves Roman [Mémoires de la Société des amis de Jacob Spon], C. Chillet –
C. Courrier – L. Passet éd., Lyon, 2015, p. [471]-504, ici p. 492-494).
121. Voir déjà la remarque de A. VERNET, « Survivances et innovations », p. 891 : « Le contenu
des bibliothèques est exclusivement d’expression latine et de dimensions réduites. La littérature
grecque était représentée par des traductions en majorité antérieures au Moyen Âge, œuvres ano-
nymes ou signées de Jérôme, Rufin, Eustache, Anianus, etc. »
336 JÉRÉMY DELMULLE

Telles sont donc, du moins pour l’aire géographique et les bornes chronologiques
que nous nous étions fixées, les grandes lignes qui semblent se dégager d’un exa-
men d’ensemble de la documentation et de l’étude plus approfondie de quelques
cas particuliers. Pour qu’on puisse en mesurer le caractère paradigmatique, et
pour que le panorama ainsi brossé ne soit pas trop faussé par l’angle d’attaque
adopté, ces tendances mériteraient d’être vérifiées en élargissant l’enquête aux
régions voisines, et complétées en y intégrant les données des siècles ultérieurs.
Même provisoires, les résultats auxquels nous sommes parvenus laissent en tout
cas entrevoir – j’espère avoir réussi à le montrer – tout l’intérêt et les riches béné-
fices, y compris en dehors de la seule sphère des spécialistes du Moyen Âge,
que promettent les travaux depuis longtemps menés sur l’histoire du livre et des
bibliothèques, ainsi que les projets actuellement en cours sans lesquels aucune
étude extensive ne serait envisageable.
Jérémy DELMULLE
Katholieke Universiteit Leuven
IRHT (UPR 841) – LEM (UMR 8584)
« Graecae linguae non est nobis habitus. »
Notes sur la tradition des Pères grecs
en Occident (IVe-IXe s.)*
L’incidence culturelle des ouvrages patristiques grecs sur la pensée médiévale
fut la conséquence de leur pénétration dans les milieux cultivés occidentaux :
pénétration qui s’est prolongée, suivant des biais et des modalités différentes
selon les aires, au cours d’une longue période comprise entre le IVe et le IXe s.
Les débuts de ce phénomène coïncident avec la rupture du continuum politique
méditerranéen, qui résulta de la progressive réduction du bilinguisme propre
aux élites tardo-républicaines et impériales. Si, à partir de cette époque, la voie
principale de pénétration de la patristique orientale en Occident fut celle des tra-
ductions latines, la circulation des originaux grecs ne fut pas pour autant absente
à l’Ouest : dans des aires circonscrites de l’Europe occidentale (notamment en
Italie méridionale et, dans certaines périodes, à Rome), le nombre de grécophones
s’accrut progressivement entre le VIe et le VIIIe s., pour entrer en contact avec les
latinophones et donner lieu à des processus d’acculturation et à de nouveaux
espaces de bilinguisme1. La complexité ethno-linguistique italienne (et, dans une
moindre mesure, sud-gauloise et nord-africaine) détermina ainsi un double pro-
cessus de diffusion des ouvrages patristiques orientaux en Occident, à savoir d’un
côté leur traduction en latin et, de l’autre, leur transmission en langue originale.
Deux typologies de propagation ayant des caractères différents et concernant des
publics distincts : les traductions se diffusèrent rapidement parmi les latinophones,
majoritaires en Europe occidentale, mais de manière irrégulière, se hiérarchisant
bientôt pour former un canon sclérosé autour de quelques auteurs principaux ; les

* Je remercie Guglielmo Cavallo pour ses observations. La phrase latine du titre est inspirée du
prologue du De Trinitate de saint Augustin (cf. infra).
1. La question de la diffusion du grec en Occident ne peut pas aller sans la prise en compte
des différents niveaux linguistiques dans l’espace byzantin, aussi bien d’un point de vue synchro-
nique que diachronique. Pour cela, je me limite à renvoyer à C. G. HORROCKS, « Lingua alta e
lingua popolare », dans Lo Spazio letterario del Medioevo. 3. Le culture circostanti. I. La cultura
Bizantina, G. Cavallo ed., Rome, 2004, p. 457-489, surtout p. 467.
338 FILIPPO RONCONI

versions originales eurent en revanche une transmission généralement limitée


d’un point de vue géographique (dans une aire coïncidant avec les régions où la
grécophonie s’était enracinée), mais ramifiée en profondeur et tumultueuse, qui
reflète, dans sa variété, le dynamisme d’une tradition vivante. En somme, alors
qu’un nombre limité d’ouvrages en traduction passe des mains de Cassiodore en
Calabre à celles de Bède en Angleterre, ou de Sigebert de Gembloux en Belgique
(qu’on pense seulement au voyage de la version latine de la Chronique d’Eusèbe
faite par Jérôme à Constantinople2), une myriade de textes patristiques orientaux
en langue originale, inconnus dans le reste de l’espace européen, se répandit en
Calabre, et n’arriva que très rarement au-delà du Latium. On est donc en présence
de deux flux textuels dont la nature et la consistance très différentes ont joué des
rôles divers sur le plan historique : les versions latines ont influencé dans son
processus la formation de l’identité culturelle se développant dans le vaste espace
latinophone. En revanche, dans l’Italie méridionale grecque sans cesse entourée
par davantage de cultures et de peuples différents, les textes patristiques orientaux
(surtout ceux des aires égyptienne et syro-palestinienne) pénétrèrent dans une
structure sociale dominée par le composant religieux, qui façonne en profondeur
l’identité locale, et dont les points de repère culturels, outre les lectures typiques
du monde byzantin, sont des ouvrages marginaux au goût des lecteurs constan-
tinopolitains. L’influence des périphéries orientales contribua à faire de l’Italie
méridionale une entité culturelle spécifique3, à tel point que ni les traductions ni
les transcriptions des textes patristiques grecs en Occident ne relèvent de la simple
conservation, mais de la greffe. Cette véritable implantation est à interpréter avec
attention.
Notre contribution ne visera ni à dresser une liste exhaustive des versions
latines des textes patristiques orientaux4, ni à mener une évaluation globale ou
ponctuelle de leur influence théologique et littéraire sur les auteurs latins. Nous
essaierons plutôt d’observer quatre facteurs qui, liés à la circulation de livres et
de textes, nous semblent essentiels d’un point de vue culturel : l’origine des flux
de manuscrits réceptacles d’ouvrages grecs traduits ou copiés en Occident ; leurs
voies de pénétration ; les milieux principaux où leurs traductions et leurs transcrip-
tions ont eu lieu, et, enfin, les raisons historiques qui les ont déterminées. Aucune

2. Cf. en particulier le compte rendu par R. W. BURGESS de B. JEANJEAN – B. LANÇON, Saint


Jérôme, Chronique. Continuation de la Chronique d’Eusèbe années 326-378. Suivie de quatre
études sur les chroniques et chronographies dans l’ Antiquité tardive (IVe-VIe siècles). Actes de
la table ronde, Rennes, 2004 : Bryn Mawr Classical Review, 2005.09.47 (http://bmcr.brynmawr.
edu/2005/2005-09-47.html).
3. A. PETERS-CUSTOT, Les Grecs de l’Italie méridionale post-byzantine. Une acculturation en
douceur, Rome, 2009, p. 145. 150 et passim.
4. Cf. au moins A. SIEGMUND, Die Überlieferung der griechischen christlichen Literatur in
der lateinischen Kirche bis zum zwölften Jahrhundert, München, 1949. Il énumère environ cinq
dizaines de traducteurs (sans compter les anonymes), responsables de la traduction d’un peu plus
de cent ouvrages.
« GRAECAE LINGVAE NON EST NOBIS HABITVS » 339

étude exhaustive n’étant envisageable dans l’analyse de données si nombreuses,


nous nous contenterons de dessiner un cadre indicatif de quelques dynamiques
fondamentales.

I. – SOURCES ET MÉTHODE
Notre enquête se fondera, tant pour les traductions que pour les textes origi-
naux, selon une double démarche, sur l’analyse conjointe des sources primaires
et secondaires.

A. La pauvreté des sources primaires : manuscrits et inventaires


On constate en premier lieu que les manuscrits latins et surtout grecs produits
dans les différentes aires de l’Europe Occidentale aux IVe-VIIIe s. sont peu nom-
breux. Les causes en restent floues : s’agit-il de la conséquence d’une circulation
effectivement réduite, ou plutôt de problèmes de conservation ? Quoi qu’il en soit,
le recours à des manuscrits plus récents s’impose, car ce n’est que sur leur base
que l’on peut essayer de reconstruire rétrospectivement les dynamiques culturelles
de la période qui nous intéresse, avec le risque, nous le verrons, de superposer
des couches de pénétration textuelle diachroniques. Les inventaires de l’époque,
un autre outil potentiellement précieux, sont eux aussi, de fait, inexistants pour
ce qui concerne la langue grecque. Quant aux inventaires en latin, ils sont rares
et ne mentionnent que de manière sporadique les traductions des textes qui nous
occupent5. En outre, si le point de vue ne se veut pas simplement descriptif et
énumératif, mais culturel et historique, la simple présence d’un ouvrage dans un
contexte donné, attestée par un manuscrit ou un inventaire, n’en implique pas la
lecture : un livre peut être conservé dans une bibliothèque comme dans un tom-
beau, ou peut être au contraire l’objet d’une véritable ruminatio, mais aussi d’une
consultation partielle et cursive, ou encore d’une lecture critique6. Les indices
contenus dans certains livres – annotations interlinéaires, notes de possession,
d’achat, probationes calamorum – permettraient, certes, d’en reconstruire les
modalités d’utilisation et de circulation, mais ils sont bien loin d’avoir été étu-
diés systématiquement. On se trouve donc en présence de sources primaires (les
manuscrits et les inventaires), qui ne donnent qu’une idée vague de leur influence
culturelle réelle, même si l’on essaie de les interpréter, comme nous le ferons, de

5. Sur la valeur historique des inventaires médiévaux et sur des questions de méthode qui en
concernent l’étude, cf. D. FRIOLI, « Gli inventari medievali di libri come riflesso degli interessi di
lettura: scandagli sparsi », dans Scrivere e leggere nell’Alto Medioevo. Atti della LIX Settimana
di Studio della fondazione CISAM, Spoleto, 28 aprile-4 maggio 2011, Spoleto, 2012, p. 855-943,
en part. 855-858.
6. Pour les différents types de lecture à Byzance, mais aussi en Occident, cf. G. CAVALLO, Lire
à Byzance, Paris, 2006.
340 FILIPPO RONCONI

manière quantitative7. C’est pour cette raison qu’il faudra considérer à chaque
fois, même superficiellement, le contexte d’où sont issus les témoignages, avec la
conviction qu’en dernière analyse, la pénétration réelle d’un ouvrage dans un tissu
socioculturel ne peut être documentée que par les traces qu’il a laissées là où il a
circulé. Cela implique d’autres questions.

B. Les sources secondaires : l’origine des citations


La démarche qui consiste à étudier les témoignages indirects (citations,
mentions, évocations) de textes patristiques grecs en Occident se heurte à une
difficulté, celle d’en déterminer la nature et l’origine, c’est-à-dire établir s’ils sont
tirés de la consultation directe des textes concernés dans leur intégralité, ou plutôt
d’anthologies, de recueils8 ou encore d’ouvrages antérieurs. Parmi les extraits du
corpus areopagiticum et des homélies de Grégoire de Nazianze qu’on lit dans des
ouvrages médiévaux, combien y en a-t-il qui dérivent des traductions des Ambigua
de Maxime le Confesseur ? Le problème se pose de façon radicale pour les actes des
conciles, notamment œcuméniques9, qui contiennent généralement des florilèges
ayant eu souvent une large diffusion en Occident, tant en grec qu’en traduction.
Les citations qui s’y trouvent connurent un large écho dans d’autres ouvrages :
Cassiodore tira des actes des premiers conciles œcuméniques les passages de
l’Adversus Nestorium de Cyrille d’Alexandrie, que, semble-t-il, il ne connaissait
pas directement10 ; d’une manière semblable, Bède inséra dans ses ouvrages des
citations de Théodore de Pharan (en Nubie) et du corpus areopagiticum, qu’il
avait trouvées dans les actes du concile de Latran de 64911, dont une copie avait
été amenée en Angleterre probablement par Jean, le chef-chanteur de Saint-Pierre,
vers 68012.

7. Plus intéressantes de ce point de vue, sont les listes de desiderata, qui, impliquant un intérêt
spécifique de la part d’un individu ou d’une institution, comportent une connaissance préventive
de l’existence d’un ouvrage et une volonté de l’acquérir. Mais ces sources, rares et qui témoignent
seulement des intérêts d’individus ou d’institutions, ne se réfèrent pas, semble-t-il, à des ouvrages
patristiques grecs : D. FRIOLI, « Gli inventari medievali ».
8. Cf. M. LAPIDGE, The Anglo-Saxon Library, Oxford, 2006, p. 36 et E. COLOMBI, « La pre-
senza dei padri nelle biblioteche altomedievali: qualche spunto per una visione d’insieme », dans
Scrivere e leggere, p. 1047-1129, en part. 1051.
9. Cf. en général, pour leurs traductions, A. SIEGMUND, Die Überlieferung, p. 144-161.
10. P. COURCELLE, Les lettres grecques en Occident. De Macrobe à Cassiodore, Paris, 1943,
p. 339 et n. 4.
11. Dans son In Marcum II, 6 (CCSL 120, Turnhout, 1960, p. 518), il cite un passage du
corpus areopagiticum qui se trouve dans les actes (Concilium Lateranense a. 649 celebratum,
R. Riedinger Hrsg., Berlin, 1984, p. 35-37) : cf. E. DEKKERS, « Les Pères grecs et orientaux
dans les florilèges patristiques latins », dans Miscellanea in honorem Caroli Laga septuagenarii,
A. Schoors – P. van Deun éd., Leuven, 1994, p. 569-576, en part. 575, p. 24.
12. BEDA, Historia ecclesiastica, IV, 18 : cf. M. W. LAISTNER, « The Library of the Venerable
« GRAECAE LINGVAE NON EST NOBIS HABITVS » 341

En somme, la mention ou la citation d’un ouvrage n’implique pas la disponibilité


intégrale de ce dernier dans le milieu où le texte réceptacle a été composé. Seules
des analyses philologiques et historico-culturelles spécifiques peuvent éclairer la
nature primaire ou dérivée des citations. Une approche multidisciplinaire, capable
d’aller au-delà de la simple énumération, est donc nécessaire, comme le démontre
l’étude menée par Alexander Alexakis sur le florilège contenu dans le Paris.
Gr. 1115. Nous y reviendrons13.

II. – LA PÉNÉTRATION DANS LES MILIEUX GRÉCOPHONES

A. Le contexte
Les flux de livres qui ont permis le passage en Occident de textes patristiques
orientaux dans leur langue originale furent déterminés pour la plupart par les
communautés grécophones d’Italie méridionale. La nature et la consistance de
celles-ci furent façonnées par les flux migratoires qui eurent lieu dans le bassin
méditerranéen entre le VIe et le IXe s.
La reconquête justinienne avait entraîné l’arrivée d’une première vague de
grécophones en Occident, après celles qu’avait connues l’Antiquité. Les aires
concernées avaient été l’Italie, la France méridionale, l’Espagne orientale et
méridionale et l’Afrique septentrionale. Il s’agissait toutefois d’un processus
éphémère autant sur le plan politique qu’ethno-culturel, car les fonctionnaires et
les militaires orientaux qui s’installèrent dans ces régions, ne fondèrent pas une
véritable tradition culturelle locale en langue grecque, notamment patristique14.
Dans la plupart des aires jadis « reconquises », en effet, il n’y a aucune trace,
au haut Moyen Âge, de textes qui nous intéressent : pour nous limiter à l’Italie,
Ravenne, la capitale de l’exarchat byzantin15, resta toujours majoritairement

Bede », dans Bede, his Life, Times and Writings, A. Hamilton Thompson ed., Oxford, 1935,
réimprimé dans M. LAPIDGE, The Anglo-Saxon Library, p. 191-228. Cf. D. GANZ, « Roman
Manuscripts in Francia and Anglo-Saxon England », dans Roma fra Oriente e Occidente, Atti
della XLIX Settimana di Studio della fondazione CISAM, Spoleto, 19-24 aprile 2001, Spoleto,
2002, p. 607-647, en part. 618 ss. ; R. LOVE, « The Library of the Venerable Bede », dans The
History of the Book in Britain, R. Gameson ed., I, Cambridge, 2011, p. 606-632.
13. A. ALEXAKIS, Codex Parisinus Graecus 1115 and Its Archetype, Washington D.C., 1996.
14. C. MANGO, « La culture grecque et l’Occident au VIIIe siècle », dans I problemi dell’Oc-
cidente nel secolo VIII. Atti della XX Settimana di Studio della fondazione CISAM, Spoleto,
6-12 aprile 1972, Spoleto, 1973, p. 683-721, en part. p. 684 ss.
15. V. VON FALKENHAUSEN, « La Campania tra Goti e Bizantini », dans Storia e civiltà della
Campania, II, Il Medioevo, G. Pugliese Carratelli ed., Napoli, 1992, p. 7-35, en part. p. 20.
342 FILIPPO RONCONI

latine16 et les livres grecs à caractère religieux y sont très rares17 et ne consistent
généralement qu’en des Évangiles d’apparat18. L’enracinement de la grécophonie
fut encore plus superficiel par exemple en Sardaigne, où la langue hellénique ne
sortit pas de l’enceinte des monastères et de quelques milieux bureaucratiques19.
Le fait qu’Anastase, un disciple de Maxime le Confesseur, ait écrit en grec, en 655,

16. G. CAVALLO, « La cultura italo-greca nella produzione libraria », dans I Bizantini in Italia,
G. Pugliese Carratelli ed., Milano, 1982, p. 495-612, en part. p. 507.
17. G. CAVALLO, « La cultura scritta a Ravenna tra antichità tarda e alto medioevo », dans Storia
di Ravenna, II. 2. Dall’età bizantina all’età ottoniana. Ecclesiologia, cultura e arte, A. Carile ed.,
Venezia, 1992, p. 79-125, en part. p. 79.
18. Il s’agit des manuscrits Vindob. (lat.) 847 (ff. 1, 4-6 : G. CAVALLO, « La cultura scritta a
Ravenna », p. 99) et probablement des écritures inferiores, du Ve ou du VIe s., des palimpsestes
Guelf. A (Weissenb. 64 : G. CAVALLO, Ricerche sulla maiuscola biblica, Firenze, 1967, p. 92) et
Monac. Lat. 29022E (G. CAVALLO, « La cultura scritta a Ravenna », p. 106-107). À la suite aussi
de l’autocéphalie, au VIIe s., la présence culturelle grecque, de faible qu’elle était, y devient nulle.
Sur les aspects administratifs et l’origine des fonctionnaires de l’Italie byzantine, cf. A. PETERS-
CUSTOT, Les Grecs de l’Italie méridionale, p. 112-113.
19. Des monastères grecs semblent être les destinataires de plusieurs lettres de Grégoire le
Grand. Quant à la connaissance du grec dans les milieux bureaucratiques, cf. A. LAI, « Il codice
Laudiano greco 35 e la Sardegna altomedievale », Bollettino di studi sardi, 1, 2008, p. 129-144,
en part. 132 et n. 19, 133, 143-144. On a voulu attribuer à l’île et sans aucun doute à l’Occident
le Laudianus gr. 35, un manuscrit des Actes des Apôtres du VIe s. transcrit par un seul copiste
de langue grecque sur deux colonnes juxtaposées en latin et en grec (CLA 251) : cf. à ce sujet
G. CAVALLO, Ricerche sulla maiuscola biblica, p. 100 et 105 ; P. RADICIOTTI, « Manoscritti digra-
fici grecolatini e latinogreci nella tarda Antichità », dans Da Ercolano all’Egitto, M. Capasso ed.,
Galatina, 1998, p. 155-185, en part. p. 160-163 ; P. ORSINI, Manoscritti in maiuscola biblica.
Materiali per un aggiornamento, Cassino, 2005, p. 247 et P. SCHREINER, « Die Begegnung von
Orient und Okzident in der Schrift », dans Byzanz und das Abendland, Budapest, 2013, p. 11-44,
en part. 15. A. LAI, « Flavio Pancrazio δοὺξ Σαρδινίας: un contributo alla prosopografia altome-
dioevale sarda dal Codice Laudiano Greco 35 », Sandalion, Quaderni di cultura classica, cristiana
e medioevale, 31, 2008, p. 169-189 souligne la présence, sur le f. 227v, des premières lignes d’un
édit du dux Sardiniae Flavius Pancratius. Quoi qu’il en soit, le manuscrit (sur lequel existe une
ample bibliographie) passa par Rome et, de là, vers la fin du VIIe s., en Angleterre, avant de revenir
sur le continent, au VIIIe s., comme l’atteste une note de possession au f. 226v (église Sainte-
Marie-de-Gamundum à Hornbach, dans le diocèse de Metz : cf. A. LAI, « Il codice Laudiano greco
35 », p. 139). Ce livre rentre dans une série de manuscrits qui présentent la juxtaposition des
versions grecque et latine d’un même texte : dans plusieurs cas, notamment pendant l’Antiquité
tardive, il ne s’agit pas de véritables traductions, mais de simples rapprochements de versions
distinctes : cf. aussi le codex Bezae (Cant. Univ. Libr. II. 41), qui contient les Évangiles et les Actes
des Apôtres et remonte au Ve s., et pour lequel une origine occidentale (Sud de la Gaule, Italie
du Nord, Sicile) a été également proposée (J. IRIGOIN, « L’écriture grecque du Codex de Bèze »,
dans Codex Bezae. Studies from the Lunel Colloquium, June 1994, D. C. Parker – C.-B. Amphoux
eds., Leiden – New York – Köln, 1996, p. 3-13, en part. p. 11), même si plus nombreuses sont les
études qui l’attribuent à l’Orient (Jérusalem, Beyrouth : D. C. PARKER, Codex Bezae: An Early
Christian Manuscript and Its Text, Cambridge, 1992, p.  ; Constantinople : P. SCHREINER, « Die
Begegnung », p. 15). Quoi qu’il en soit, les livres bilingues et digraphiques de cette époque ne
contiennent jamais à ma connaissance d’ouvrages patristiques.
« GRAECAE LINGVAE NON EST NOBIS HABITVS » 343

à une communauté grecque de Cagliari ou que, toujours au VIIe siècle20, Euthalios,


évêque de Sulci, ait souscrit une profession de foi en grec21 ne change pas le
cadre : si des textes patristiques furent lus sur l’île, aucune trace n’en reste. Un
cas différent est celui de Naples22 : port stratégique byzantin lié à Constantinople
malgré la pression lombarde, la ville fut abandonnée politiquement par l’Empire
au VIIe siècle23. Les dynasties administratives locales latines essayèrent toutefois
de se rattacher toujours idéologiquement à Byzance24. La présence d’individus
et de milieux bilingues, jusqu’à la deuxième moitié du Xe siècle25, détermina la
réalisation de plusieurs traductions de textes généralement plutôt hagiographiques
que patristiques26. Ces derniers circulèrent, certes, en Campanie, mais plutôt dans
leur langue originale, grâce aux milieux niliens, bien présents dans la région à
cette époque27.
Ce ne fut en effet qu’en Italie méridionale que la grécophonie s’enracina de
manière pérenne : antérieure à la vague justinienne, elle fut renforcée par les
flux migratoires engendrés aux VIIe-VIIIe s. par les invasions slave, persane et
surtout arabe dans les aires balkanique, nord-africaine et syro-palestinienne. Cela
provoqua le déplacement de groupes de grécophones de ces régions vers l’Italie

20. A. LAI, « Il codice Laudiano greco 35 », p. 133.


21. G. CAVALLO, « La cultura italo-greca », p. 503. À cet Euthalios sont parfois attribués abusi-
vement par les copistes des ouvrages d’un homonyme du IVe s.
22. Pour les aspects démographiques, cf. A. PETERS-CUSTOT, Les Grecs de l’Italie méridio-
nale, p. 78-79.
23. L’archéologie démontre que les monnaies les plus utilisées à cette époque étaient celles des
empereurs contemporains : V. VON FALKENHAUSEN, « La Campania », p. 16.
24. Ibid., p. 20-21. Cf. A. PETERS-CUSTOT, Les Grecs de l’Italie méridionale, p. 79-80. Si,
au cours du VIIIe s., Byzance répondit à l’alliance de la papauté et de la cour carolingienne en
soumettant le ducat de Naples au contrôle du stratège de Syracuse (V. VON FALKENHAUSEN, « La
Campania », p. 21), la ville ne retrouva jamais une âme grecque : lorsque, à la deuxième moitié du
IXe s., Basile Ier et Léon reconquirent des parties d’Italie du Sud, le contrôle de l’Empire sur cette
aire resta purement théorique : ibid., p. 22.
25. Que l’on pense aux ducs Serge Ier (840-864), Grégoire (864-870), ou aux évêques
Athanase II (875-898) et Étienne : ils appartenaient tous à une même « dynastie » : G. CAVALLO,
« La cultura greca. Itinerari e segni », dans Storia e civiltà della Campania, p. 277-292, en part.
p. 278. La réorganisation du calendrier liturgique napolitain (P. CHIESA, « Dal culto alla novella.
L’evoluzione delle traduzioni agiografiche nel medioevo latino », dans La traduzione dei testi reli-
giosi, C. Moreschini – G. Menestrina edd., Brescia, 1994, p. 149-169, en part. 158-159), attestée
par le calendrier en marbre de San Giovanni Maggiore (formé de deux dalles couvrant toutes les
festivités annuelles), comporte la présence de vingt-et-un saints orientaux dont les vies venaient
d’être traduites du grec.
26. Le niveau littéraire de ces textes est généralement élevé : P. CHIESA, « Dal culto alla
novella », p. 158 ; R. FORRAI, « The Readership of Early Medieval Greek-Latin Translations »,
dans Scrivere e leggere, p. 292-312, en part. p. 301.
27. V. VON FALKENHAUSEN, « La Campania », p. 23.
344 FILIPPO RONCONI

du Sud, où évidemment existait un contexte ethno-linguistique favorable28. Les


couches alphabétisées de ces communautés de migrants étaient constituées géné-
ralement d’hommes d’Église, qui avaient de très nombreux motifs pour fuir la
domination musulmane29. Une vague ultérieure, moins importante et encore une
fois composée de moines et d’ecclésiastiques, eut lieu aux VIIIe-IXe s. : il s’agissait
cette fois surtout de rescapés constantinopolitains, victimes des perturbations
politico-religieuses telles que l’iconoclasme, l’affaire « moechienne » et la ques-
tion photienne. Ils s’installèrent généralement entre la Calabre et Rome, où ils
se joignirent à des communautés orientales d’ancienne tradition, renforcées déjà
au VIIe s. par les réfugiés anti-monothélites30. Le tissu socioculturel hellénophone
d’Occident était donc dominé, surtout dans les villes d’Italie méridionale, par l’élé-
ment religieux (ecclésiastique et monastique). D’ailleurs les conditions politiques
locales rendaient provisoire le séjour dans la région des fonctionnaires civils et
militaires, dont les membres les plus éminents, choisis généralement parmi les
familles constantinopolitaines les plus en vue, se considéraient généralement en
Italie comme à l’étranger31.
La grécophonie est, somme toute, bien enracinée, à partir du VIIe s., en Calabre,
dans les Pouilles, en Basilicate méridionale et surtout en Sicile (jusqu’à l’occupa-
tion arabe)32 : on ne saurait oublier que Constant II, après être passé par Tarente,
Naples et Rome, décida de transférer la capitale de l’empire, de Constantinople, en
Sicile (à Syracuse), où existait une importante communauté grecque. Maxime le
Confesseur avait des interlocuteurs siciliens33 et c’est d’Italie que venait Cosme,

28. Cf. F. BURGARELLA, « La Calabria bizantina (VI-XI secolo)», dans ID., San Nilo di Rossano
e l’Abbazia greca di Grottaferrata, Roma, 2009, p. 19-38, en part. p. 28-29.
29. Même si elle fut marquée par le respect des particularismes, du moins jusqu’au VIIIe s. :
cf. le témoignage de l’Hodoeporicon par Willibald, un pèlerin anglo-saxon qui visita la Syrie et
la Palestine entre 724 et 727 (cf. MGH, SS XV/2, p. 91-102). La situation se détériora entre les
années 40 et 70 du IXe s., par suite du déclin des Abbassides : M. LAPIDGE, « Byzantium, Rome and
England », dans Roma fra Oriente e Occidente, p. 363-399, en part. p. 373-374.
30. G. CAVALLO, « La cultura italo-greca », p. 502.
31. Cf. G. CAVALLO, « La cultura italo-greca », p. 542 ; G. CAVALLO, « En barbarois cho-
riois. Riflessioni su cultura del centro e cultura delle periferie a Bisanzio », dans Byzantina
– Metabyzantina. La péripherie dans le temps et l’espace. Actes de la 6e séance plénière du
XXe Congrès international des Études byzantines, Paris, 2003, p. 77-106.
32. G. CAVALLO, « La cultura italo-greca », p. 500, en. part. p. 521. Le codex purpureus
Rossanensis, contenant les Évangiles de Matthieu et de Marc et réalisé en Syrie-Palestine pro-
bablement au VIe s., fut porté en Calabre peut-être un siècle plus tard, au cours des migrations
concernant pour la plupart, comme nous l’avons dit, des hommes d’Église : cf. La scrittura greca
dall’antichità all’epoca della stampa. Una introduzione, E. Crisci – P. Degni edd., Roma, 2011,
p. .
33. Cf. L. CRACCO RUGGINI, « Grégoire le Grand et le monde byzantin », dans Grégoire le
Grand, J. Fontaine – R. Gillet – S. Pellistrandi éd., Paris, 1986, p. 86.
« GRAECAE LINGVAE NON EST NOBIS HABITVS » 345

le maître de Jean de Damas. Même si elle fut de courte durée (663-668), l’instal-
lation de la cour à Syracuse entraîna sans aucun doute des mouvements culturels
ultérieurs, qui laissèrent probablement des traces durables : un siècle et demi plus
tard, Méthode, le futur patriarche de Constantinople, se forma justement dans cette
ville, où il était né34.

B. Les limites des sources : les manuscrits grecs


Cette situation socio-culturelle implique la circulation locale intense de textes
patristiques en langue originale, dont toutefois, comme nous l’avons dit, très peu
de manuscrits ont survécu35. Pour les VIIIe-IXe s., il semble qu’on ne peut attribuer
à l’Italie du Sud, pour ce qui nous concerne, qu’un bel exemplaire en majuscule
biblique des homélies d’Éphrem le Syrien36 et quelques livres (sauvés partielle-
ment sous forme de feuillets palimpsestes) contenant Basile le Grand37, Grégoire
de Nysse38, Jean Chrysostome39 et les Sacra Parallela40. Ces cas sont trop spo-
radiques pour pouvoir fonder une vision historique organique, si bien qu’on est
obligé d’avoir recours à des livres plus tardifs, en prenant toutefois le risque, déjà
évoqué, de superposer des couches de pénétration textuelle diachroniques. Par
prudence, nous éviterons de prendre en considération les manuscrits postérieurs
au XIe s. : si, jusqu’à cette époque, il semble possible de reconnaître une continuité
de fond dans les dynamiques de transmission textuelle dans l’aire italo-grecque, la
domination normande comporta une reprise éphémère de l’élément hellénophone,
qui se manifesta par une amélioration qualitative des manuscrits41, une augmenta-
tion quantitative de leurs copies42, mais surtout par la présence d’ouvrages jamais

34. G. CAVALLO, « La cultura italo-greca », p. 521.


35. Daniele Bianconi coordonne un projet, les Codices Graeci Antiquiores (un recensement
critique des livres manuscrits grecs antérieurs au IXe s.), qui constituera un pas en avant fonda-
mental de ce point de vue.
36. Vallic. C 34IV : cf. P. CANART – A. JACOB – S. LUCÀ – L. PERRIA, Facsimili di Codici greci
della Biblioteca Vaticana, Città del Vaticano, 1998, p. 40-41 et La scrittura greca dall’Antichità
all’epoca della stampa, p. 111.
37. Vat. Gr. 2066 + Washingt. Congr. Lib. 60 : G. CAVALLO, « La cultura italo-greca », p. 522 ;
La scrittura greca dall’Antichità all’epoca della stampa, p. 116 ; Scriptio inf. (b) du B.a.XXIII :
ibid.
38. Vat. Gr. 2066 + Washingt. Congr. Lib. 60 : G. CAVALLO, « La cultura italo-greca », p. 522.
39. Crypt. Γ.γ.v (a) : La scrittura greca dall’Antichità all’epoca della stampa, p. 117.
40. Vat. gr. 1456 (B) : ibid., p. 117.
41. M. MANIACI, Costruzione e gestione della pagina nel manoscritto bizantino, Cassino,
2002, p. .
42. P. CANART, « Aspetti materiali e sociali della produzione libraria italo-greca tra Normanni
e Svevi », dans Libri e lettori nel mondo bizantino. Guida storica e critica, G. Cavallo ed., Bari,
1982, p. 103-153.
346 FILIPPO RONCONI

attestés auparavant dans l’aire considérée, aussi bien profanes43 que (dans une
moindre mesure) religieux44. Il est donc évident que de nouvelles greffes textuelles
ont eu lieu, à cette époque, de l’Orient, notamment de Constantinople45. Certes, ces
phénomènes ne semblent pas avoir changé d’une manière radicale le cadre de la
circulation des ouvrages patristiques dans l’Occident grécophone, mais les livres
italo-grecs des Xe-XIe s. proposent eux-mêmes un catalogue de textes patristiques
si remarquable qu’ils suffiront à notre analyse46. Nous ne nous bornerons pas aux
seuls livres pourvus de souscription, car la paléographie permet de reconnaître
avec certitude les produits italo-grecs de cette période. En revanche, aucune valeur
ne peut être attribuée, en vue de la localisation des manuscrits patristiques, au
critère philologique dit « des translittérations excentriques ».

C. Le mirage des translittérations excentriques des textes patristiques grecs


Formulé il y a longtemps par Jean Irigoin à propos de l’étude des textes grecs
profanes47, le critère des translittérations excentriques présuppose qu’une ligne de
tradition issue d’une translittération distincte de celle(s) attestée(s) à Constantinople
est suspecte d’être originaire d’un endroit périphérique (l’Occident notamment) et
d’y avoir été translittérée dans une sorte d’isolement géographique « darwinien »48.
Ce principe, qui doit de toute manière se fonder aussi, selon Irigoin, sur une série

43. Achilles Tatius, Diogènes Laertius, Ammonius, Aristénète, Hésiode (avec le commentaire
de Jean Tzetzes), Hesychius, Galien, Liban, Héliodore, des commentaires à Hérmogène et à
l’Isagogè de Porphyre.
44. Georges le Moine, Théophilacte de Bulgarie, Nicétas d’Héraclée, Nicétas Stétatos, Élie
de Crète, Grégoire de Corinte, Cristophore de Mytilène : cf. S. LUCÀ, « Note per la storia della
cultura greca della Calabria medioevale », Archivio storico per la Calabria e la Lucania, 74, 2007,
p. 43-101, en part. p. 84 et n. 130 ; ID., « Dalle collezioni manoscritte di Spagna: libri originari o
provenienti dell’Italia greca medievale », Rivista di studi bizantini e neoellenici, 44, 2007 [2008]
[= Ricordo di Lidia Perria, III], p. 39-96, en part. p. 88-89.
45. Cf. CAVALLO, « La cultura italo-greca », p. 558 e ss. Contra N. G. WILSON, Filologi bizan-
tini, Napoli, 1990, p. 322 ; S. LUCÀ, « I Normanni e la “rinascita” del secolo XII », Archivio Storico
per la Calabria e la Lucania, 60, 1993, p. 1-91, en part. p. 27 ss.
46. Entre le IXe et le XIe s., plus de 600 manuscrits peuvent être attribués à l’Italie méridionale.
47. J. IRIGOIN, « L’Italie méridionale et la tradition des textes antiques », Jahrbuch der
österreichischen Byzantinistik, 18, 1969, p. 57-55, réimpr. dans Griechische Kodikologie und
Textüberlieferung, D. Harlfinger Hrsg., Darmstadt, 1980, p. 234-258, et dans ID., La tradition des
textes grecs. Pour une critique historique, Paris, 2003, nr. 27 (= p. 439- 465) ; ID., « La culture
byzantine dans l’Italie méridionale », dans La cultura in Italia fra Tardo Antico e Alto Medioevo,
Rome, 1981, p. 587-603 ; ID, « L’Italie méridionale et la transmission des textes grecs du VIIe au
XIIe siècle », dans L’ellenismo italiota dal VII al XII secolo, Convegno Internazionale organizzato
dall’Istituto Ellenico di Studi Bizantini e Postbizantini di Venezia, Istituto di Ricerche Bizantine /
Atene, Venezia 13-16 novembre 1997, Athènes, 2001, p. 83-98.
48. Probablement à partir du Xe s., lorsque la minuscule s’affirma en Occident : La scrittura
greca dall’antichità all’epoca della stampa, p. 153.
« GRAECAE LINGVAE NON EST NOBIS HABITVS » 347

d’autres indices codicologiques et paléographiques, semble avoir été à l’origine


d’erreurs graves49 et l’on ne saurait en aucun cas l’appliquer aux textes chrétiens.
Les dynamiques de transmission de ceux-ci diffèrent en effet sur un point essen-
tiel de celles des ouvrages profanes dans toutes les aires de culture byzantine. La
circulation des textes profanes a été en général très réduite à Byzance, ne s’élevant
– selon des calculs statistiques menés sur un ample échantillon des IXe-XIIe s. –
qu’à un peu plus de 9% du total50. Pour les siècles immédiatement précédents, le
pourcentage était probablement encore plus bas : en effet, lorsqu’entre le VIIe et le
VIIIe s., à la suite d’une raréfaction de la vie urbaine et d’une série complexe de
vicissitudes, les études se raréfièrent dans l’espace culturel byzantin, la circulation
des textes profanes subit une réduction drastique par rapport à l’Antiquité, réduc-
tion qui s’enracine dans la politique justinienne, la fin de l’Académie d’Athènes en
529, les mesures répressives vis-à-vis des grammairiens, des rhéteurs et d’autres
catégories d’hellènes en 546 et l’autodafé des livres païens au Cynégios en 56251.
Très peu d’exemplaires d’ouvrages profanes parvinrent donc au IXe s., lorsque, en
Orient, les translittérations de la majuscule à la minuscule commencèrent à être
effectuées systématiquement. Leur nombre est donc normalement, pour tout texte
profane, limité à l’espace byzantin, si bien que le principe des translittérations
excentriques peut être prudemment appliqué. Mais les textes chrétiens, qui consti-
tuèrent les lectures habituelles non seulement d’hommes d’église byzantins, mais
de tout individu alphabétisé même aux époques de crise culturelle, continuèrent à
être copiés massivement aussi aux VIIe-VIIIe s. Plusieurs translittérations indépen-
dantes de ces ouvrages furent donc réalisées, parfois dans les mêmes aires, comme
les études philologiques le confirment : pour les Ambigua ad Thomam de Maxime
le Confesseur, on a postulé au moins cinq translittérations52 ; la tradition du Contre

49. Je me borne à renvoyer à F. RONCONI, « La miscellanea che non divenne mai silloge:
il caso del Bodl. Barocci 50 », dans Selecta colligere II, R. M. Piccione – M. Perkamps edd.,
Alessandria, 2006, p. 295-353 ; ID., « Il Paris. suppl. gr. 388 e Mosè del Brolo da Bergamo », dans
Italia Medievale e Umanistica 48, 2007, p. 1-27 ; ID., I manoscritti greci miscellanei. Ricerche su
esemplari dei secoli IX-XII, Spoleto, 2007, p. 91-147. Pour des livres patristiques illégitimement
attribués à l’Italie méridionale, cf. S. LUCÀ, « Il Diodoro Siculo Neap. gr. 4* è italogreco? »,
Bollettino della Badia greca di Grottaferrata, n.s., 44, 1990, p. 33-79 ; ID., « Note per la storia »,
p. 59 ; ID, « Dalle collezioni manoscritte di Spagna », p. 42 e 46 ; ID., « Doroteo di Gaza e Niceta
Stetato. A proposito del Neap. gr. 7 », dans Bisanzio e le periferie dell’Impero. Atti del Convegno
Internazionale nell’ambito delle Celebrazioni del Millenario della fondazione dell’Abbazia di
San Nilo a Grottaferrata, Catania, 26-28 novembre 2007, R. Gentile Messina ed., Acireale –
Roma, 2011, p. 145-180, en part. p. 146 ss.
50. M. MANIACI, « Costruzione e gestione », p. 29.
51. G. CAVALLO, « La circolazione libraria nell’età di Giustiniano », dans L’imperatore
Giustiniano. Storia e mito. Giornate di studio a Ravenna, 14-16 ottobre 1976, G. G. Archi ed.,
Milano, 1978, p. 201-236 : 211-212.
52. B. JANSSENS, Maximi Confessoris, Ambigua ad Thomam una cum Epistula secunda ad
eundem, Paris, 2002, p. CXXIII.
348 FILIPPO RONCONI

Eunome de Basile de Césarée serait caractérisée par six translittérations53 ; les


Quaestiones et responsiones54 et le Viae Dux55 d’Anastase le Sinaïte respective-
ment par six et sept. Dans certains cas, le nombre de témoins est tel qu’aucune
étude philologique poussée n’est envisageable56. Les caractères de la tradition de
la plupart des textes patristiques aussi bien en Orient que dans l’Occident byzantin
empêchent d’attribuer d’une manière fiable, sur la seule base de critères philolo-
giques, des manuscrits patristiques grecs à l’Occident.

D. Les Pères orientaux en Italie méridionale


Le plus ancien manuscrit grec daté qu’il soit possible d’attribuer à l’Occident
se compose, à ma connaissance, des deux tomes Paris. Gr. 1470 + 1476, copiés en
890 par un certain moine Anastase, qui toutefois ne mentionne pas, dans sa sous-
cription, le lieu de la copie57 : ces deux tomes contiennent la moitié d’un ménologe

53. B. SESBOÜE, Basile de Césarée, Contre Eunome, I, Paris, 1982, p. 32.


54. M. RICHARD – J. A. MUNITZIS, Anastase le Sinaïte, Quaestiones et responsiones, Turnhout
– Leuven, 2006, p. .
55. K.-H. UTHEMANN, Anastasii Sinaitae Viae Dux, Turnhout – Leuven, 1981. Il faut aussi
considérer l’existence de transcriptions dans des écritures « mixtes », dont l’appartenance à l’un ou
à l’autre des deux systèmes alphabétiques n’était pas définie : c’est probablement les cas des auto-
graphes d’Anastase le Sinaïte : cf., pour la Viae Dux, ibid., p. 320 ; M. J. LUZZATTO, « Grammata e
syrmata. Scrittura greca e produzione libraria tra VII e IX secolo », Analecta papyrologica, 14/15,
2002/2003, p. 5-89.
56. Que l’on pense aux Sermons sur la Genèse par Jean Chrysostome, pour lesquels Baur,
au début du XXe s., à la suite d’un sondage effectué dans 70 bibliothèques, avait compté 1917
manuscrits (contenant un sermon au moins) : cf. L. BROTTIER, Jean Chrysostome, Sermons sur
la Genèse, Paris, 1998, p. 71. Un problème radical qui se pose dans la détection des translittéra-
tions des textes patristiques est d’ailleurs celui des méthodes d’édition et de reconstruction des
rapports entre les témoins : je me limite de renvoyer à F. RONCONI, « Philologie gréco-latine »,
dans Encyclopédie de l’humanisme méditerranéen, H. Touati éd., printemps 2014 (http://www.
encyclopedie-humanisme.com/?Philologie-greco-latine#antiquite).
57. Il s’agirait de Constantinople (L. PERRIA, «La minuscola “tipo Anastasio”», dans Scritture,
libri e testi nelle aree provinciali di Bisanzio. Atti del seminario di Erice, 18-25 settembre 1988,
G. Cavallo – G. de Gregorio – M. Maniaci edd., I, Spoleto, 1991, p. 271-318, en part. p. 312-
313 ; I. HUTTER, « La décoration et la mise en page des manuscrits grecs de l’Italie méridionale.
Quelques observations », dans Histoire et culture dans l’Italie byzantine. Acquis et nouvelles
recherches, A. Jacob – J.-M. Martin – G. Noyé éd., Rome, 2006, p. 69-93, en part. p. 79 n. 32),
l’Asie mineure (K. WEITZMANN, Byzantinische Buchmalerei des 9. und 10. Jahrhunderts, Berlin,
1935, p. 40. 43 ; R. DEVREESSE, Les manuscrits grecs de l’Italie méridionale, Città del Vaticano,
1955, p. 29-30), de la Calabre ou d’une autre région d’Italie méridionale ; E. FOLLIERI, La minus-
cola libraria dei secoli IX e X (= E. FOLLIERI, Byzantina et Italograeca: studi di filologia e di
paleografia [Storia e letteratura: raccolta di studi e testi 195], A. Acconcia Longo – L. Perria
– A. Luzzi edd., Roma, 1997, p. 205-248) ; P. CANART, « Le patriarche Méthode de Constantinople
copiste à Rome », dans Palaeographica. Diplomatica et Archivistica. Studi in onore di Giulio
Battelli, Roma, 1979, p. 343-353, en part. p. 353 et n. 37 ; G. CAVALLO, « La cultura italo-greca »,
p. 171 ; G. PRATO, « Una questione di metodo », dans I manoscritti greci tra riflessione e dibattito.
« GRAECAE LINGVAE NON EST NOBIS HABITVS » 349

qui présuppose plusieurs textes patristiques et qui fut confectionné peut-être à


Rome par Méthode, le futur patriarche de Constantinople (nous y reviendrons).
Mais il ne s’agit que d’une attestation indirecte, conservée dans un livre dont
l’origine occidentale n’est pas totalement sûre. Différent est le cas du Patm. 33, le
deuxième manuscrit daté d’Italie méridionale, d’un point de vue chronologique : il
s’agit d’un codex monumental et richement enluminé souscrit à Reggio de Calabre
en 941 par deux copistes – pas nécessairement italo-grecs – qui y ont transcrit un
corpus d’homélies de Grégoire de Nazianze58. Commandité évidemment par un
membre des élites locales, ce livre de luxe n’est pas le seul dans son genre, car
d’autres manuscrits grecs de haut niveau contenant des textes de Basile59 et de
Chrysostome60 peuvent être attribués à l’Italie méridionale des Xe-XIe s. Mais le
cœur de la production manuscrite italogrecque de cette phase est constitué par
des livres modestes, copiés pour la plupart dans les monastères fondés par Nil
de Rossano (910-1005) au cours de ses pérégrinations de la Calabre méridionale
jusqu’à Grottaferrata, dans le Latium. Dans les cénobies qu’il avait fondées sur
sa route, la circulation des Pères orientaux fut très intense. On conserve même,
démembré en trois parties, un manuscrit autographe du saint contenant entre
autres la Doctrina de Dorothée de Gaza61. L’activité des copistes niliens nous
intéresse à double titre : celui de l’origine de leurs modèles et celui de la diffusion
des textes patristiques qu’ils copièrent, non seulement parmi les grécophones,
mais aussi parmi les latinophones. La question des modèles est liée aux migrations
dont on a fait mention. D’ailleurs, pour ne citer que deux auteurs, une proximité
textuelle spécifique a été détectée entre les manuscrits calabrais du De virginitate
de Grégoire de Nysse et la version syriaque du texte62 ; en outre, une recension
orientale des ouvrages de Maxime le Confesseur circulait sans aucun doute en
Calabre, car elle fut utilisée pour tirer des variantes insérées dans les marges du

Atti del V Colloquio Internazionale di Paleografia Greca, Cremona 4–10 ottobre 1998, G. Prato
ed., Firenze, 2000, II, p. 701-707, en part. p. 704-707 et passim.
58. Sur ce manuscrit existe une bibliographie très ample, qui reflète des points de vue très dif-
férents et qu’on trouve citée dans I. HUTTER, « Patmos 33 in Kontext », Rivista di Studi Bizantini
e Neoellenici, 46, 2009, p. 73-126.
59. Vat. Gr. 2053 et Vat. Gr. 2056.
60. Le Oxon. Bodl. Laud. Gr. 75, de l’an 977, peut-être originaire d’une aire plus septentrio-
nale, la Campanie. Cf. aussi, pour le XIe s., les Vat. Gr. 2035 et Ottob. Gr. 12.
61. Crypt. B.b.I, B.a.20 et B.a.19.
62. Les manuscrits italogrecs sont les Messan. gr. 80, le Scorial Ω.III.14 et le Vat. gr. 1907 :
cf. J. IRIGOIN, « Éditions d’auteur et rééditions à la fin de l’Antiquité (à propos du Traité de la
virginité de Grégoire de Nysse) », Revue de Philologie, n. s., 44, 1970, p. 101-106, en part. p. 102-
103 (qui ne mentionne pas le Vat. gr. 1907, mais le Paris. Coislin 58[E]). Cf. aussi S. LUCÀ,
« Attività scrittoria e culturale a Rossano: da S. Nilo a S. Bartolomeo da Simeri (secc. X-XII) »,
dans Atti del Congresso Internazionale su S. Nilo di Rossano, Rossano, 28 settembre-1° ottobre
1986, Grottaferrata, 1988, p. 27-77, en part. p. 39 (qui parle de Basile de Césarée).
350 FILIPPO RONCONI

Vat. gr. 180963. Plus généralement, une bonne partie des modèles des ouvrages
patristiques circulant en Italie du Sud au haut Moyen Âge fut apportée de la péri-
phérie byzantine orientale. C’est sur cette base que s’explique la présence, dans les
manuscrits niliens des Xe-XIe s., à côté de Pères que l’on retrouve dans tout l’espace
grécophone (Basile le Grand, Grégoire de Nazianze, Jean Chrysostome, Jean de
Damas, Maxime le Confesseur, Théodore Stoudite, Jean Climax64, Grégoire de
Nysse65, Théodoret de Cyr66), d’auteurs dont la diffusion fut moins ample pour
ne pas dire locale (Éphrem le Syrien, Nil d’Ancyre67, Antiochus de Saint-Sabas
en Palestine68, Isaac le Syrien69, Isidore de Péluse). Cette liste coïncide en bonne
partie avec celle des Pères mentionnés dans la Vie de Nil, écrite au lendemain de
la mort du saint : selon l’hagiographe, celui-ci nourrissait son âme, entre autres,
par la lecture de Grégoire de Nazianze, de Chrysostome, de Basile, d’Athanase, de
Théodoret de Cyr, de Jean de Damas et de Théodore Stoudite70, mais aussi juste-
ment d’Éphrem le Syrien, de Dorothée de Gaza, de Diadoque de Photicé et de Jean
Climaque71. Selon certaines reconstructions, l’activité nilienne ne se limitait pas
à la transcription d’ouvrages patristiques, mais comportait parfois des opérations
ecdotiques complexes, par exemple pour les Épîtres d’Isidore de Péluse (un auteur
égyptien du Ve s.), des textes de Dorothée de Gaza et de Diadoque de Photicé,

63. S. LUCÀ, « Attività scrittoria e culturale a Rossano », p. 42.


64. S. LUCÀ, « Sulla sottoscrizione in versi del Vat. gr. 2000 (ff. 1-154) », dans Οὐ πᾶν
ἐφήμερον. Scritti in memoria di Roberto Pretagostini, C. Braidotti – E. Dettori – E. Lanzillotta
edd., Roma, 2009, p. 275-308, en part. 277, 286, 297, 299 ; ID., « L’apporto dell’Italia meridionale
alla costituzione del fondo greco dell’Ambrosiana », dans Nuove ricerche sui manoscritti greci
dell’Ambrosiana. Atti del Convegno, Milano, 5-6 giugno 2003, C. M. Mazzucchi – C. Pasini
edd., Milano, 2004, p. 191-242, en part. p. 205, 217, 226 ; ID., « Dalle collezioni manoscritte
di Spagna », p. 59, 60 ; ID., « Su origine e datazione del Crypt. B. b. VI (ff. 1-9). Appunti sulla
collezione manoscritta greca di Grottaferrata », dans Tra Oriente e Occidente. Scritture e libri
greci fra le regioni orientali di Bisanzio e l’Italia (Testi e Studi bizantino-neoellenici 14), L. Perria
ed., Roma, 2003, p. 145-224, en part. p. 145-146, 202, 209.
65. ID., « Su origine e datazione », p. 146, 195.
66. ID., « Sulla sottoscrizione in versi », p. 277, 286, 297, 299 ; ID., « L’apporto dell’Italia meri-
dionale », p. 205, 217, 226 ; ID., « Dalle collezioni manoscritte di Spagna », p. 145-146, 202, 209.
67. ID., « Dalle collezioni manoscritte di Spagna », p. 58.
68. Ibid., p. 60.
69. Ibid., p. 146.
70. G. GIOVANELLI, Βίος καὶ πολιτεία τοῦ ὁσίου πατρὸς ἡμῶν Νείλου τοὺ Νέου,
Grottaferrata, 1972, cap. 15, p. 63 ; 47, p. 91 ; 77, p. 116 ; 16, p. 64 ; 23, p. 71. Cf. S. LUCÀ,
« Attività scrittoria e culturale a Rossano », p. 35-36.
71. G. GIOVANELLI, Βίος, cap. 2, p. 48. Cf. S. LUCÀ, « Attività scrittoria e culturale a Rossano »,
p. 67 et n. 70.
« GRAECAE LINGVAE NON EST NOBIS HABITVS » 351

des Ascetika de Basile72, des Homélies de Grégoire de Nazianze, des ouvrages de


Jean de Damas et de Maxime le Confesseur, pour le Lexique du ps.-Cyrille et les
Grandes catéchèses de Théodore Stoudite73.
La seconde question, celle de la diffusion, à partir des milieux niliens, de
textes patristiques orientaux parmi des groupes latinophones, est centrale de notre
point de vue et se lie à des témoignages spécifiques. Nous savons que Nil était
au moins bilingue : il célébra à Montecassino un office ῥωμαικῇ γλώσσῃ74 et
vécut quatorze ans dans une dépendance du monastère bénédictin, à Vallelucio75.
Le bilinguisme gréco-latin se consolida progressivement dans la communauté
nilienne, notamment à la suite de son déplacement progressif vers le nord, dans
la Calabre septentrionale d’abord, puis en Campanie, enfin dans le Latium méri-
dional : le grand monastère de Grottaferrata, bâti dans l’endroit où Nil mourut à la
fin de ses pérégrinations, n’est pas loin de Rome et se trouve dans une aire qui, à
l’époque, était totalement latinophone76. L’intégration de la communauté dans son
environnement, et la nécessité de se mettre en rapport avec la papauté engendrèrent
des dynamiques d’interaction à divers niveaux. Un témoignage important est celui
des longues annotations gréco-latines que l’on trouve dans quelques manuscrits et
qui sont dues, à ce qu’il semble, au successeur de Nil à la tête de la communauté,
Bartholomée77 : parmi elles, il y a un florilège qui juxtapose des passages en grec
des Quaestiones ad Thalassium de Maxime le Confesseur et des excerpta latins
de Grégoire le Grand, de Fulgence, de Gennadius de Marseille, d’Augustin78. Un
cas encore plus intéressant concerne les ouvrages de Dorothée de Gaza, qui furent
copiés, comme nous l’avons dit, par Nil lui-même dans un manuscrit79, à son
tour utilisé, paraît-il, comme modèle par des copistes niliens en Campanie. Or ces
mêmes textes furent traduits en latin, pour la première fois, à Montecassino, au
XIe s., c’est-à-dire vers l’époque du séjour de Nil et de ses confrères à Vallelucio80.
D’ailleurs, à cette même époque – celle où Désiderius fut l’abbé de Montecassino

72. Ibid., p. 43.


73. ID., « Note per la storia », p. 81-82 ; ID., « Su origine e datazione », p. 145-146.
74. G. GIOVANELLI, Βίος, cap. 74 (p. 113-114). Cf. aussi S. LUCÀ, « Graeco-latina di
Bartolomeo Iuniore, egumeno di Grottaferrata († ca. 1055) ? », Nea Rhome, 1, 2004, p. 143-184,
en part. p. 177 e 179.
75. G. GIOVANELLI, Βίος, cap. 73-74 (p. 112-114)
76. S. LUCÀ, « Graeco-latina », p. 179 ss.
77. Ibid.
78. Ibid., p. 148, 154.
79. Le Crypt. B.a.XX.
80. S. LUCÀ, « Attività scrittoria e culturale a Rossano », p. 47.
352 FILIPPO RONCONI

(1058-1086) –, des manuscrits patristiques en langue grecque y circulèrent81 et un


moine nommé Georges, probablement un grécophone, y fut custos ecclesiae : une
note obituaire dans le calendrier de Léon Marsicanus (Vat. Borg. Lat. 211) lui rend
hommage, au titre de Georgius skeuophylax sacerdos et monachus82.
Nous parvenons ainsi au phénomène de la traduction. À cette fin, il faut revenir
en arrière dans le temps.

III. – LA PÉNÉTRATION DES TEXTES PATRISTIQUES ORIENTAUX


DANS LES MILIEUX LATINOPHONES

A. Traductions et dynamiques culturelles


Les activités de traduction des textes patristiques orientaux en latin deviennent
plus fréquentes à des périodes bien précises, qui s’inscrivent dans des phénomènes
culturels de plus grande ampleur. Dans la période dont nous nous occupons, les
moments les plus intenses d’activité (IVe, VIe et IXe siècles83) coïncident avec une
relance remarquable – motivée par des raisons soit culturelles, soit politiques, soit
religieuses – de l’intérêt de l’Occident envers l’Orient. La vague des traductions
carolingiennes est à resituer, par exemple, dans un contexte politique complexe,
marqué par des démarches diplomatiques carolingiennes visant à rapprocher
simultanément la Francie de Byzance et de Rome, comme le démontre la construc-
tion de la légende dionysienne, sur laquelle nous reviendrons. Les versions latines
des Pères grecs s’accompagnent, sur le plan chrono-géographique, de traductions
non seulement d’ouvrages chrétiens d’autres types (écrits hagiographiques, actes
de conciles)84, mais aussi de textes profanes. Cette convergence d’intérêts et de
pratiques fut manifeste par exemple entre le IVe et le Ve s. : lorsque la connaissance
du grec se raréfiait en Occident, les milieux aristocratiques païens, notamment ita-
liotes, virent dans les lettres et la philosophie grecques « des arguments en faveur
de la mythologie traditionnelle » capables de donner une nouvelle vie à leur iden-
tité païenne déclinante85. Vettius Agorius Pretextatus traduisit par exemple des
ouvrages néoplatoniciens et Macrobe fournit, dans son commentaire au Somnium

81. Les Vat. Ottob. gr. 250 + Matrit. gr. 4585 [O 74] (Xe-XIe s.) contenant des ouvrages
de Nil d’Ancyre et le Vat. Ottob. gr. 251, contenant les Petites catéchèses et le Testament de
Théodore Stoudite présentent des gardes tirées de manuscrits latins de l’époque de Désiderius :
cf. F. NEWTON, The Scriptorium and the Library at Monte Cassino, 1058-1105, Cambridge, 1999,
p. 250. À ces livres grecs, il faut ajouter au moins les Casin. 431 et 432 (Dorothée de Gaza et
Grégoire de Nazianze), produits en Campanie par le moine Arsenius (cf. ibid., p. 378).
82. F. NEWTON, The Scriptorium, p. 220.
83. W. BERSCHIN, « La cultura greca », dans Lo spazio letterario nel medioevo. I. La produ-
zione del testo. 1. Il Medioevo latino, Roma, 1992, p. 182-197.
84. C. MORESCHINI, « I Padri », dans Lo spazio letterario, p. 563-604, en part. p. 575-576, avec
bibl.
85. P. COURCELLE, Les lettres grecques, p. 35.
« GRAECAE LINGVAE NON EST NOBIS HABITVS » 353

Scipionis, une introduction au platonisme86. Ces intérêts étaient partagés, à


l’époque, par les milieux aristocratiques convertis au christianisme : Calcidius, qui
écrivit un commentaire au Timée, était peut-être chrétien, ainsi que l’étaient Boèce
et Marius Victorinus, auteur celui-ci d’une traduction de l’Isagogè de Porphyre87,
et encore Claudien Mamert, qui, selon Sidoine Apollinaire, était peritissimus
Christianorum philosophus88. Mais, dans les milieux chrétiens, les textes profanes
avaient une fonction instrumentale plutôt qu’identitaire (du moins dans le sens
traditionnel) : le processus d’appropriation qui, comme nous le verrons, fut patent
à Vivarium, se perpétua au cours du Moyen Âge, prenant des voies inattendues,
qui comportèrent parfois une re-contextualisation culturelle radicale des textes
profanes. Au IXe s., par exemple, Évrard, le comes du Frioul qui énuméra dans
son testament environ soixante livres, cita le roman d’Apollon à côté des sermons
d’Éphrem89. Ce roman se retrouve, souvent avec les textes de Darès Phrygius et
Dictys Cretensis, dans les inventaires de plusieurs bibliothèques monastiques de
Gaule et d’Allemagne : loin de constituer des lectures d’évasion, ces ouvrages ren-
traient dans une démarche qui y cherchait des traces d’une identité appartenant à la
préhistoire chrétienne, ce qui se produisit surtout dans les aires où l’enracinement
chrétien était plus superficiel90.
En définitive, l’étude des traductions des textes patristiques grecs ne peut pas
être dissociée de l’évaluation du cadre culturel global des contextes où elles eurent
lieu.

B. La première phase : les IVe-Ve s.


Dès le IVe s., l’enseignement du grec s’étant effondré comme le système
éducatif, le latin était devenu la langue de la communication et de la liturgie
occidentales91. C’est dans ce contexte que l’Église dut faire face à de nombreuses
hérésies, qu’elle dut combattre en consultant des Pères orientaux, qui avaient le
plus approfondi les questions christologiques et trinitaires92. Entre la seconde
moitié du IVe s. et le Ve s., il se produisit donc une vague de traductions latines de
textes patristiques grecs : textes de Basile, de Grégoire de Nazianze, de Didyme

86. W. BERSCHIN, « La cultura greca », p. 183.


87. Ibid., p. 183.
88. SID. AP., Epist. 5, 2 ad Nymphidium.
89. Cf. P. KERSHAW, « Eberhard of Friuli, a Carolingian lay intellectual », dans Lay Intellectuals
in the Carolingian World, P. Wormald – J. Nelson eds., Cambridge, 2007, p. 77-105, en part.
p. 97-105 et la bibliographie citée dans G. CAVALLO, « Leggere e scrivere. Tracce e divaricazioni
di un percorso dal tardoantico al medioevo greco e latino », dans Scrivere e leggere, p. 1-38, en
part. p. 20 n. 62 ; cf. aussi D. FRIOLI, « Gli inventari medievali », p. 865.
90. Ibid., p. 870 et n. 38 avec bibliographie.
91. P. COURCELLE, Les lettres grecques, p. IX ss. ; C. MORESCHINI, « I Padri », p. 571.
92. Ibid., p. 581.
354 FILIPPO RONCONI

d’Alexandrie, d’Origène, d’Eusèbe, de Jean Chrysostome, de Philon93. Ces traduc-


tions influencèrent la pensée théologique occidentale à double titre : en inspirant
d’abord les conceptions des Pères latins des IVe-Ve s. (pensons à l’influence de
Philon d’Alexandrie, de Didyme, d’Origène et de Basile sur Ambroise94 ; d’Ori-
gène, de Didyme et de Grégoire de Nazianze sur Jérôme95 ; d’Eusèbe, d’Athanase
et des Pères cappadociens sur Augustin96), en façonnant ensuite la réflexion
médiévale, soit indirectement justement à travers les Pères latins tardoantiques
et haut-médiévaux, soit grâce à de nouvelles traductions et à la remise en cir-
culation de versions latines plus anciennes. Trois exemples excellents montrent
la variété des dynamiques opérantes : les traductions des ouvrages exégétiques
d’Origène sur le Cantique des Cantiques ont déterminé la naissance d’un mou-
vement, l’origénisme médiéval, qui a marqué en profondeur l’exégèse biblique97.
Ces traductions (notamment celle du Commentaire au Cantique faite par Rufin, et
celles des homélies origéniennes sur le même texte scripturaire par Jérôme98) sont
mentionnées, au Moyen Âge, parmi les livres des monastères de Fulda, Saint-Gall,
Gorze, Lorsch, Murbach, Petershausen, Regensburg, Reichenau, Schaffhausen,
Trier, Würzburg, Corbie, Bobbio ; elles sont citées par Isidore de Séville, Bède,
Jonas d’Orléans, Angélome de Luxeuil, Raban Maur, Alvare de Cordoue, Rémige
d’Auxerre99, Bernard de Clairvaux100. Un cas semblable est celui des traductions
de la Chronique et de l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe, respectivement par
Jérôme et Rufin. Leur diffusion a déterminé la naissance du genre des chroniques
chrétiennes en Occident, à une période – celle comprise entre l’Antiquité tardive
et le haut Moyen Âge – où la définition de l’histoire de l’Église constitua un enjeu
identitaire majeur101. Différente est la dynamique de pénétration à l’Ouest du
corpus areopagiticum. Grégoire le Grand reprend des concepts du De caelesti
hierarchia dans l’une de ses homélies102 et Jean de Scythopolis affirme qu’un

93. C. MORESCHINI, « I Padri », p. 571-572.


94. A. SIEGMUND, Die Überlieferung, p. 127 ; C. MORESCHINI, « I Padri », p. 575. Je me borne à
renvoyer aux contributions de M. CUTINO, p. -, Th. GRAUMANN, p. -, et M. RIZZI, p. -,
dans les actes de ce même colloque.
95. C. MORESCHINI, « I Padri », p. 575. Cf., dans ces mêmes actes, les articles de A. CANELLIS,
p. -, et E. PRINZIVALLI, p. -.
96. Ibid., p. 575. Cf. aussi, dans ces mêmes actes, l’article de G. CARUSO, p. -.
97. Ibid., p. 580 ss. Cf. aussi, dans ces mêmes actes, l’article de R. GUGLIELMETTI, p. -.
98. A. SIEGMUND, Die Überlieferung, p. 110-111.
99. C. MORESCHINI, « I Padri », p. 572.
100. Ibid., p. 576 ss.
101. Cf. infra.
102. GREG. M., Homiliae in Evangelia, hom. 34, ch. 7 et 12 ( R. Étaix – G. Blanc – B. Judic
éd., II, Paris 2008, p. 334, l. 43 ss. et p. 348 l. 16-22 ). Pour la lecture du ps.-Denys de la part
de Grégoire, éventuellement en traduction, cf. S. LILLA, « Brief Notes on the Greek Corpus
« GRAECAE LINGVAE NON EST NOBIS HABITVS » 355

certain diacre Pierre lui avait assuré qu’une copie du Corpus gisait κατὰ τὴν
ἐν Ῥώμῃ τῶν ἱερῶν βιβλιοθήκην103. Méthode semble l’avoir copié, dans la
ville italienne, dans la première moitié du IXe s.104, mais l’ouvrage dionysien n’a
influencé la théologie occidentale qu’à la suite, comme nous le verrons, de sa réin-
troduction à la cour carolingienne comme cadeau diplomatique par Michel II105.
Mais revenons aux IVe-Ve s. Le sac de Rome par Alaric en 410 semble avoir
eu l’effet paradoxal de dévaloriser la culture hellénistique en Italie et de céder la
place aux milieux cléricaux106. Ces milieux étaient déjà bien agissants à l’époque,
comme le démontrent Jérôme et Rufin d’Aquilée. Ces deux grands personnages
avaient acquis en Orient leurs compétences en grec, et ce fut d’ailleurs là que
Jérôme exerça son activité de traducteur. Leurs versions latines se cantonnaient
à deux domaines principaux, correspondant aux priorités culturelles des commu-
nautés chrétiennes occidentales de l’époque : l’exégèse et l’histoire. La vitalité de
ces opérations est démontrée entre autres par les remaniements auxquels les deux
traducteurs ont soumis les textes eusébiens : Rufin modifia l’Histoire ecclésias-
tique en maints endroits du texte107 et la prolongea de l’an 324, où se terminait
l’original, jusqu’en 395, l’an de la mort de Théodose108 ; d’une manière analogue,
Jérôme, traduisant la Chronographie, la continua jusqu’en 378. Quant aux textes
exégétiques, le fait que ces deux traducteurs se soient formés, du moins en partie, à
Alexandrie, auprès de Didyme l’Aveugle, disciple d’Origène109, contribue à expli-
quer la prépondérance des textes de ce dernier dans leurs traductions, mais aussi,
plus radicalement, l’importance du Père alexandrin dans l’exégèse occidentale :
Rufin en mit en latin le De principiis et plusieurs homélies (traduisant aussi l’Apo-
logie pour Origène par Pamphile de Césarée), et Jérôme, qui traduisit lui aussi
ses homélies et son Sur les Principes, abandonna le projet d’une version intégrale
des ouvrages du Père oriental, seulement, paraît-il, en raison de sa condamnation

Areopagiticum in Rome during the Early Middle Ages », Dionysius, 19, 2001, p. 201-214, mais
cf. aussi la prudence de R. ÉTAIX – G. BLANC – B. JUDIC, Grégoire le Grand, Homélies sur
l’Evangile, I, Paris, 2005, p. 30. Cf. infra.
103. Ibid.
104. Cf. infra.
105. Je me borne à renvoyer à Denys l’Aréopagite et sa postérité en Orient et en Occident.
Actes du Colloque International, Paris, 21-24 septembre 1994, Y. de Andia éd., Paris, 1997,
p. 361-515 ; Die Dionysius-Rezeption im Mittelalter. Internationales Kolloquium in Sofia vom
8. bis 11. April 1999, T. Boiadjiev – G. Kapriev – A. Speer Hrsg., Turnhout, 2000 ; Y. DE ANDIA,
Denys l’Aréopagite. Tradition et métamorphoses, Paris, 2006, p. 143-211 ; C. MORESCHINI, « I
Padri », p. 574.
106. P. COURCELLE, Les lettres grecques, p. 129 ss.
107. Ibid., p. 130.
108. W. BERSCHIN, « La cultura greca », p. 184.
109. R. A. LAYTON, Didymus the Blind and His Circle in Late-Antique Alexandria, Urbana
(Il.), 2004.
356 FILIPPO RONCONI

en 400110. L’éventail des intérêts des deux traducteurs fut toutefois plus ample :
Rufin traduisit en latin aussi les Recognitiones et la Lettre à Jacques de Clément,
les Sentences d’Évagre le Pontique, plusieurs homélies de Basile et de Grégoire
de Nazianze ; Jérôme s’intéressa aux ouvrages de personnalités qu’il avait fré-
quentées à Antioche (Apollinaire de Laodicée), à Constantinople (Grégoire de
Nazianze et Grégoire de Nysse), ou ailleurs (Épiphane de Chypre)111. S’il est vrai
que les deux étaient originaires d’Occident, en somme, les modèles pour la plupart
de leurs traductions venaient d’une vaste aire s’étendant de la région alexandrine
à la Syrie-Palestine, passant par Antioche, Chypre et Constantinople. La première
grande greffe de textes patristiques orientaux en Occident, aux IVe-Ve s., fut
donc réalisée surtout grâce à des contacts individuels et à des modèles trouvés
en Orient. Un autre Père grec qu’on commença à lire et traduire en Occident à
cette même époque fut Jean Chrysostome. La diffusion de ses ouvrages fut due
au pélagianisme112 : à une époque où la connaissance du grec était résiduelle non
seulement en Italie113, mais aussi en Espagne, en Afrique du Nord et dans le reste
de l’Europe occidentale, y compris les aires insulaires114, le Breton Pélage et ses
acolytes témoignèrent d’une connaissance remarquable de la patristique orientale.
Anianus de Celeda traduisit une partie au moins des quatre-vingt-dix homélies de
Chrysostome in Matthaeum, mais aussi ses sept homélies De laudibus sancti Pauli
apostoli115. Une fois de plus, la présence de ces textes à l’Ouest était la consé-
quence de contacts directs avec l’Orient : Julien d’Éclane, lecteur de Basile et de
Chrysostome, fut par exemple lié à Théodore de Mopsueste, et à la même époque
Marius Mercator (traducteur de Nestorius, de Cyrille et de Théodore de Mopsueste),
originaire d’Italie ou d’Afrique du Nord, vit longtemps à Constantinople116. Il a
été écrit que ce furent les pélagiens qui obligèrent Augustin à lire Chrysostome117.
Vrai ou non, toujours est-il que le Père de Hippo Regius affina progressivement

110. W. BERSCHIN, « La cultura greca », p. 184-185.


111. P. COURCELLE, Les lettres grecques, p. 38-39.
112. Ibid., p. 133.
113. Ibid., p. 392.
114. Ibid., p. 390 ss.
115. Celeda est un endroit inconnu : l’auteur est mentionné comme Celedensis par JÉRÔME
(Epist. 143, éd. J. Labourt, VIII, Paris, 1963, p. 98.) : cf. K. COOPER, « An(n)ianus of Celeda and
the Latin Readers of John Chrysostom », dans Studia Patristica, 27, Leuven, 1993, p. 249-255 :
249 et s. ; E. BONFIGLIO, « Anianus Celedensis, Translator of John Chrysostom’s Homilies on
Matthew: A Pelagian Interpretation? », dans Papers from the First and Second Postgraduate
Forums in Byzantine Studies: Sailing to Byzantium, S. Neocleous ed., Newcastle, 2009, p. 77-104.
116. The Oxford Dictionary of the Christian Church, F. L. Cross – E. A. Livingstone eds.,
Oxford, 1997, s. v. Cf. aussi P. COURCELLE, Les lettres grecques, p. 134-135.
117. Ibid., p. 133-134.
« GRAECAE LINGVAE NON EST NOBIS HABITVS » 357

sa connaissance du grec, pour pouvoir justement faire front aux hérésies. Il resta
toutefois toujours tributaire des traductions d’autrui118, car, comme il l’affirma
lui-même, « graecae autem linguae non sit nobis tantus habitus ut talium rerum
libris legendis et intellegendis ullo modo reperiamur idonei119 ». Ce ne fut donc
qu’en traduction qu’il lut le Contre les hérésies d’Irénée de Lyon, les Homélies sur
la Genèse d’Origène (dans la version de Rufin) et le De principiis (dans celle de
Jérôme)120. Eusèbe, quant à lui, fut connu d’un côté grâce à la version de l’Histoire
ecclésiastique de Rufin121, de l’autre grâce à la traduction hiéronimienne de la
Chronique122 : une copie lui en fut donnée par son ami Alypius, qui l’avait eue de
Paulin de Nole, en un exemplaire copié d’un codex de Domnion, un correspondant
de Jérôme123. On est en présence d’un cas intéressant de circulation précoce d’une
traduction, dans plusieurs aires, grâce à un réseau de savants très limité. Et c’est
encore à une traduction de Jérôme qu’Augustin doit la lecture du De spiritu sancto
de Didyme124. Il cite enfin Grégoire de Nazianze et Basile dans les versions de
Rufin et sur la base de traductions perdues125.
Au bout d’une génération, les traductions réalisées par Jérôme et Rufin commen-
cèrent non seulement à circuler en Occident, mais aussi, grâce à leur utilisation dans
les disputes hérésiologiques, à y influencer le débat théologique. L’éloignement
linguistique qui se faisait de plus en plus fort entre l’Orient et l’Occident fut ainsi
surmonté. Cela vaut aussi pour Rome, où le grec (qui sera la langue des papes aux
VIIe-VIIIe siècles126) semble inconnu, au Ve s. par exemple, à Célestin Ier et à Léon
le Grand. Des traductions fondamentales y furent toutefois exécutées par Denis
le Petit : originaire d’une aire de Scythie, une région bilingue à l’époque, entre la
fin du Ve et les années 30 du VIe s., il traduisit le De opificio hominis de Grégoire
de Nysse et la lettre de Proclus de Constantinople aux Arméniens, mais il fut sur-
tout l’auteur de ce qu’on appelle la Collectio Dionysiana. Ce document essentiel

118. G. C. HORROCKS, Greek: A History of the Language and Its Speakers, London – New
York, 2010, p. 196.
119. AUG., Trin. III, proem. 1 (cf. P. COURCELLE, Les lettres grecques, p. 143 et n. 1). Sur
la question concernant l’évolution diachronique de la connaissance du grec par Augustin,
cf. P. COURCELLE, Les lettres grecques, p. 144 ss. ; C. MORESCHINI, « I Padri », p. 571.
120. P. COURCELLE, Les lettres grecques, p. 185-186.
121. Ibid., p. 187.
122. Ibid., p. 187.
123. PAUL. NOL., Epist. 24, 3 (PL 33, 99), ad Alypium.
124. P. COURCELLE, Les lettres grecques, p. 188.
125. Ibid., p. 189 ss.
126. Cf. infra.
358 FILIPPO RONCONI

dans l’histoire du droit canon englobe, parmi plusieurs autres textes127, le Codex
canonum Ecclesiæ universæ, c’est-à-dire les canons des conciles, de Nicée I à
Chalcédoine, en original et en traduction. Les modèles grecs étaient parvenus à
Rome évidemment de Constantinople128 et ces textes connurent, en partie grâce
justement à leur insertion dans la Collectio et dans les révisions qui en furent
faites, une ample diffusion en Europe129. Enfin, même la diffusion par Denis du
comput pascal à l’alexandrine se fonde en dernière analyse sur une traduction :
celle de la lettre de Protérius d’Alexandrie au pape Léon, un document issu des
archives papales, qu’il inséra, en version latine, dans son Liber de Paschate130.
Entre la fin du Ve et le VIe s., un changement important se produisit, en Italie,
où l’empire d’Orient assuma la fonction de point de repère, essentielle sur le plan
culturel et politique, pour Odoacre d’abord, puis, surtout dans la première phase
de son règne, pour Théodoric131. Cela comporta une circulation accrue de livres
grecs et une nouvelle vague de traductions.

C. Cassiodore et l’Europe
Cette époque fut marquée par l’activité de Cassiodore132, membre d’une
élite bureaucratique qui, se mouvant avec désinvolture entre Rome, Ravenne et
Constantinople, constitua une intelligentsia bi-(ou multi-)lingue favorisant la
circulation de manuscrits dans la Méditerranée133. Après une carrière politique
de haut niveau, il fonda en Calabre le monastère de Vivarium, y transposant les
paradigmes culturels typiques de la bureaucratie tardo-impériale134 : dans une
Italie méridionale où le composant grécophone ne semble pas avoir laissé de trace

127. Le Codex canonum ecclesiasticorum (ou Codex canonum Ecclesiæ Romanæ), en latin,
les Canons des Apôtres, les canons d’autres conciles grecs, du concile de Sardique et de ceux
d’Afrique, ainsi qu’un recueil de décrétales papales allant de la fin du IVe à la fin du Ve s. Il réalisa
aussi une autre version bilingue des canons des conciles grecs pour le pape Hormisdas.
128. Cf. aussi W. BERSCHIN, « La cultura greca », p. 186 ; C. MORESCHINI, « I Padri », p. 572.
129. E. BRUNET, La ricezione del concilio quinisesto (691-692) nelle fonti occidentali
(VII-IX sec.). Diritto, arte, teologia, Paris, 2011, p. .
130. M. RICHTER, « Dionysius Exiguus », dans Theologische Realenzyklopaedie, I, t. 9, 1981,
p. 1-4. Cf. aussi P. COURCELLE, Les lettres grecques, p. 314-315.
131. Ibid., p. 257 ss. et 312.
132. W. BERSCHIN, « La cultura greca », p. 186-187.
133. Sa carrière politique s’était déroulée sous le règne des Goths à Ravenne (il avait été entre
autres magister officiorum et præfectus praetorio).
134. G. CAVALLO, « Biblioteca monastica e trasmissione dei testi », dans Le vie e la civiltà dei
pellegrinaggi nell’Italia centrale. Atti del Convegno di studio svoltosi in occasione della tredi-
cesima edizione del Premio internazionale Ascoli Piceno, Ascoli Piceno, 21-22 maggio 1999,
E. Menestò ed., Spoleto, 2000, p. 3-15, en part. p. 5.
« GRAECAE LINGVAE NON EST NOBIS HABITVS » 359

culturelle à cette époque135, ce monastère latin entreprit une vaste campagne de


traductions et de copie de versions latines antérieures136. Cela concerna aussi
des ouvrages profanes, dans une optique étroitement utilitariste cependant, car il
s’agissait pour la plupart de textes techniques, permettant une meilleure compré-
hension des Écritures137. Pour une bonne part, les modèles en grec de Vivarium
étaient probablement originaires de Constantinople, où Cassiodore semble avoir
séjourné après l’occupation de Ravenne par Bélisaire, en 540138. Ils étaient
conservés dans une bibliothèque qui constituait le cœur de la communauté, mais
ils n’occupaient qu’une des armoires où étaient disposés les manuscrits du monas-
tère139. Les livres grecs de Vivarium n’étaient donc probablement pas plus d’une
quinzaine140 et les traductions patristiques – exécutées par quelques moines spé-
cialistes141 ou simplement copiées – ne devaient donc concerner encore une fois
que l’exégèse et l’histoire de l’Église. Dans la première catégorie rentre l’intérêt
pour le Commentaire sur les épîtres canoniques de Clément d’Alexandrie, l’Intro-
duction au commentaire des Psaumes d’Athanase, et pour une série d’ouvrages
d’Origène (les homélies sur l’Octateuque, celles sur le Cantique, sur Jérémie,
sur les Rois, une sur les Paralipomènes, deux sur Esdras, le Commentaire sur
l’Épitre aux Romains) : ces textes étaient souvent lus dans les versions de Rufin
et de Jérôme142. De ce dernier, Cassiodore connaissait aussi la traduction du De
spiritu sancto de Didyme (dont il fit traduire des commentaires143) et de plusieurs
ouvrages antiorigéniens par Théophile d’Alexandrie et Épiphane de Chypre144.

135. Sur la grécophonie en Italie du Sud à cette époque, cf. G. ROHLFS, Scavi linguistici nella
Magna Grecia, Halle – Roma, 1933, p. 120-122. Pour le cadre culturel, cf. G. CAVALLO, « La
circolazione dei testi greci nell’Europa dell’alto medioevo », dans Rencontres de cultures dans
la philosophie médiévale. Traductions et traducteurs de l’Antiquité tardive au XIVe siècle. Actes
du colloque international de Cassino, 15-17 juin 1989, J. Hamesse – M. Fattori éd., Louvain-la-
Neuve – Cassino, 1990, p. 47-64, en part. p. 55.
136. P. COURCELLE, Les lettres grecques, p. 320.
137. Par exemple les Catégories, le De interpretatione et les Topiques d’Aristote, l’Eisagogè de
Porphyre, la Géometrie d’Euclide, la Cosmographia et les Canons de Ptolémée : pour la liste des
ouvrages présents à Vivarium, je me limite à renvoyer à l’Index Auctorum dans R. A. B. MYNORS,
Cassiodori Senatoris Institutiones, Oxford, 1937, où les livres dont la présence est « certain,
or virtually so » sont marqués d’une croix à côté du titre. Cf. aussi P. COURCELLE, Les lettres
grecques, p. 316.
138. Cf. J. J. O’DONNELL, Cassiodorus, Berkeley, 1979.
139. CASSIOD., Instit., , p. 32, 9 : « In suprascripto octavo armario dereliqui, ubi sunt Graeci
codices congregati. » Cf. aussi ibid., , p. 41, 6.
140. P. COURCELLE, Les lettres grecques, p. 319.
141. Ibid., p. 320.
142. Ibid., p. 337-338.
143. Ibid., p. 338.
144. Ibid.
360 FILIPPO RONCONI

Il posséda en outre l’Hexaméron de Basile traduit par Eustathe145, et du même


auteur il fit traduire d’autres homélies146. Il lisait celles sur les Actes des Apôtres
de Chrysostome, mais aussi, du même auteur, en grec à ce qu’il semble, celles sur
les Épîtres de saint Paul, ainsi que les Actes des quatre premiers conciles œcumé-
niques, d’où il puisa, paraît-il, des citations d’ouvrages qu’il ne connaissait pas
directement147. Le second grand pôle d’intérêt – celui de l’histoire de l’Église – se
manifeste par la réalisation, vers 560, de l’Historia Tripartita (une traduction-
remaniement des Histoires ecclésiastiques de Socrate, Sozomène et Théodoret de
Cyr148), accompagnée de la retranscription de la version rufinienne de l’Histoire
ecclésiastique d’Eusèbe (dont il connaît aussi les Canons évangéliques), et de
celle, due à Jérôme, de la Chronique du même auteur149. Toujours dans le cadre de
son entreprise intellectuelle, Cassiodore fit réaliser une traduction des Antiquités
judaïques de Flavius Josèphe150, inscrivant ainsi – ce qui ensuite se répéterait
aussi bien en Occident qu’à Byzance – l’histoire juive dans la longue tradition
identitaire du peuple chrétien. En définitive, Vivarium semble avoir eu surtout
un rôle culturel dans la conservation et la relance de certains ouvrages orientaux ;
en effet, à partir de ce moment, ces ouvrages semblent largement répandus en
Occident : s’il est vrai que le rôle du monastère dans la transmission des textes
grecs profanes au Moyen Âge occidental est sub iudice151, et que son modèle
organisationnel n’eut pas de vraie postérité152, il reste que les traductions patris-
tiques dont Cassiodore disposait à Vivarium semblent avoir circulé précocement
en Europe, comme le démontreraient des manuscrits qu’on retrouve à Bobbio,
Vérone, Wearmouth Jarrow, Bamberg, Cologne. Bède lisait probablement les
homélies de Chrysostome sur l’Épître aux Hébreux dans la traduction réalisée

145. P. COURCELLE, Les lettres grecques, p. 375. Cf. aussi M. LEJBOWICZ, « Cosmogenèse,
traditions culturelles et innovation (Sur les sections 18-21 du Tractatus de sex dierum operibus de
Thierry de Chartres ) », dans Langage, Sciences, Philosophie au XIIe siècle, B. Joël éd., Paris, 1999,
p. 39-60, en part. p. 46 et n. 1 (avec bibl.). Pour une éventuelle origine italienne de ce traducteur
généralement connu comme Afer, cf. B. ALTANER, « Eustathius, der lateinische Ubersetzer der
Hexaemeron-Homilien Basilius des Grossen », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft,
39, 1940, p. 161-70.
146. P. COURCELLE, Les lettres grecques, p. 338.
147. Cf. supra.
148. Cf. S. RATTI, « Épiphane traducteur dans l’Historia Tripartita : contresens et déforma-
tions », Göttinger Forum fur Altertumswissenschaft, 9, 2006, p. 21-35.
149. D’Eusèbe, Cassiodore connaissait aussi, toujours dans la version de Jérôme, les Canons
évangéliques : P. COURCELLE, Les lettres grecques, p. 338.
150. A. SIEGMUND, Die Überlieferung, p. 102 ; W. BERSCHIN, « La cultura greca », p. 186.
151. Cf. L. D. REYNOLDS – N. G. WILSON, Scribes and Scholars: A Guide to the Transmission
of Greek and Latin Literature, Oxford, 1991, p. 83.
152. P. COURCELLE, Les lettres grecques, p. 342 ss.
« GRAECAE LINGVAE NON EST NOBIS HABITVS » 361

dans le monastère de Cassiodore153 : que le point de retransmission et de diffusion


des livres de Vivarium jusqu’en Angleterre ait pu être Rome est une hypothèse
séduisante, mais incertaine154. À l’appui de la possibilité du passage au Latran des
manuscrits cassiodoréens après la ruine du monastère, on a invoqué, entre autres,
la présence à Rome de certains ouvrages de ce milieu (par exemple l’Histoire
tripartite) déjà à l’époque de Grégoire le Grand155 et, encore, la provenance du
Latran des manuscrits parvenus à Wearmouth Jarrow et Bobbio, et dont on soup-
çonne l’origine cassiodoréenne. Des faibles indices, qui nous donnent toutefois
l’occasion de penser à Rome comme au véritable centre de l’activité de propaga-
tion des ouvrages patristiques grecs en Occident au haut Moyen Âge.

D. Le rayonnement de Rome
Après la restriction de la diffusion du grec qu’on enregistre dans la ville des
papes entre le Ve et le VIe siècle156, la reconquête justinienne, accomplie vers la
moitié du VIe s., avait relié Rome à Constantinople, du moins sur le plan formel :
les papes, élus dans la ville de manière indépendante de la capitale orientale,
requéraient la ratification de l’empereur ou de l’exarque de Ravenne157. Aux VIIe
et VIIIe s., Rome fut dominée par une élite grecque qui en fit un point de repère
pour plusieurs savants éminents, généralement opposés à l’Église constantinopo-
litaine : c’est le cas de Maxime le Confesseur, de Théodore de Tarse et peut-être
de Sophrone de Jérusalem et de Jean Moschos158. Entre les années 40 du VIIe et
le milieu du VIIIe s., les papes furent presque tous grécophones159 et la présence
de plusieurs communautés orientales à Rome est attestée, entre autres, par les
monastères grecs qui s’y trouvaient : au VIIe s., il y en avait six au moins sur les

153. Ibid., p. 376 ss.


154. Ibid.
155. Ibid., p. 381.
156. Cf. supra.
157. F. BURGARELLA, « Presenze greche a Roma: aspetti culturali e religiosi », dans Roma fra
Oriente e Occidente, p. 943-988, en part. 962-963 ; G. CAVALLO, « Quale Bisanzio nel mondo di
Gregorio Magno? », Augustinianum, 47, 2007, p. 209-227, en part. p. 209.
158. Sur le fait que Moschos soit mort à Rome, a exprimé des doutes radicaux E. FOLLIERI,
« Dove e quando mori Giovanni Mosco? », Rivista di studi bizantini e neoellenici, n.s. 25, 1988,
p. 3-39. La traduction du Pratum qu’Anastase paraît avoir faite dans l’Vrbs (R. FORRAI, « The
Readership », p. 309) descendrait peut-être d’un modèle grec conservé là-bas, même si l’on ne
peut pas exclure que ce dernier ait été importé dans la ville par Anastase lui-même, au retour
de son séjour constantinopolitain (sur lequel cf. infra). Sur la complexe genèse de l’ouvrage de
Moschos et de ses rédactions, cf. aussi C. FARAGIANNA DI SARZANA, « Gli insegnamenti dei Padri
del Deserto nella Roma altomedievale (secc. V-IX): vie e modi di diffusione », dans Roma fra
Oriente e Occidente, p. 587-605, en part. 593 ss.
159. Cf. F. BURGARELLA, « Presenze greche », p. 944-945.
362 FILIPPO RONCONI

vingt-quatre cénobies urbaines dont on a connaissance160. Cela s’accompagna,


d’un côté, d’une ample production manuscrite en langue grecque, dont il ne reste
que quelques traces (mais il ne s’agit pas de manuscrits patristiques161) ; de l’autre,
de traductions dans les deux directions : que l’on pense seulement à la version
du latin au grec des Dialogues de Grégoire le Grand due au pape Zacharie162.
La question de la bibliothèque pontificale reste ouverte, car même sa structure et
son indépendance par rapport aux archives papales demeurent incertaines à cette
époque163. Mais il semble hors de doute qu’elle contenait, déjà au milieu du VIIe s.,
une quantité importante de textes patristiques grecs en langue originale : dans la
souscription d’un florilège iconophile copié en 1276 dans le Parisinus gr. 1115,
le copiste Léon Kinnamos affirme en avoir trouvé le modèle dans l’« ancienne
bibliothèque de la sainte Église de l’ancienne Rome ». Ce modèle était, selon la
reconstruction d’Alexakis, un grand dossier contenant un florilegium florilegiorum
beaucoup plus ample que celui reflété par le manuscrit de Paris164 : florilège issu
de documents et de livres des scrinium et bibliotheca patriarchii Lateranensis,
c’est-à-dire de la chancellerie-bibliothèque papale165. Mis à jour progressivement,
ce dossier documente l’ampleur et la vitalité de la circulation de plus de cinquante
textes patristiques grecs à Rome, entre le VIIe et le IXe siècle166. Dans ce grand

160. Les actes du concile du Latran de 649 mentionnent, pour la première fois, le cénobie des
moines de Cilicie de S. Anastase ad Aquas Salvias (non loin de S. Paul), celui de S. Lucia Renati,
à côté, semble-t-il, de l’Esquilino, tenu par des moines provenant de l’Armeniakon. Sans compter
les cénobies de S. Sabas sur l’Aventino et de S. Erasme au Celio : cf. J.-M. SANSTERRE, Les
moines grecs et orientaux à Rome aux époques byzantine et carolingienne (milieu du VIe s. – fin du
IXe s.), I, Bruxelles, 1983, p. 9 ss. ; G. CAVALLO, « La cultura italo-greca », p. 504.

161. Il s’agit d’un psautier bilingue gréco-latin du VIIe ex.-VIIIe in. s. (Paris. Coisl. 186),
d’homiliaires du VIIIe s. conservés dans les écritures inférieures de quelques palimpsestes (Crypt.
B.a.55 et Paris. Lat. 4403B) et d’un ménologe (Vat. Gr. 2627) : G. CAVALLO, « La cultura italo-
greca », p. 506.
162. Cf. infra.
163. T. F. X. NOBLE, « The Intellectual Culture of the Early Medieval Papacy », dans Roma
nell’Alto Medioevo. Atti della LI Settimana di Studio della fondazione CISAM, Spoleto, 27 aprile
– 1 maggio 2000, Spoleto, 2001, p. 179-219 : 196-197.
164. A. ALEXAKIS, « Codex Parisinus Graecus 1115 », p. 260.
165. Ibid., p. 255 ss.
166. La liste complète du contenu du florilegium florilegiorum comprend plus de cinquante
auteurs et ouvrages, parmi lesquels Jean de Damas, Théodoret de Cyr, Eustathe d’Antioche,
Syméon le Stylite junior, Antipater et Étienne de Bostra, Leontius de Naples, Sozomène, Evagrius
Scholasticus, Jean Moschos, Georges Sycéote, Eusèbe de Césarée, Daniel de Scété, Timothée
de Constantinople, les Constitutiones Apostolorum, André de Crète, Anastase Apocrisiarius,
Asterius d’Amasée, Constantin diacre et chartophylax de Constantinople, Théodore Anagnostès,
Jean I de Thessalonique, Jérôme de Jérusalem, Dorothée de Gaza, Cyrille d’Alexandrie, Paul
d’Émèse, Jean d’Antioche, Flavianus de Constantinople, Gérmanus de Constantinople, Proclus de
Constantinople, Jean de Jérusalem, Sophronius de Jérusalem, Eutychè de Constantinople, Grégoire
de Nazianze, Philon, Anastase du Sinaï, Athanase d’Alexandrie, Amphilochius d’Iconium, Jean
« GRAECAE LINGVAE NON EST NOBIS HABITVS » 363

dossier l’on trouvait aussi un florilège réalisé à l’occasion du concile de Latran


de 649 contre le monothélisme, et dans lequel sont citées plus de trois dizaines
de Pères grecs167. Les études de Rudolf Riedinger ont démontré que ce florilège
anti-monothélite fut préparé probablement par Maxime le Confesseur168, ce qui
infirmerait l’éventualité selon laquelle les sources d’où il est tiré se soient trouvées
à Rome. Mais la confrontation accomplie par Alexakis entre cette anthologie et
celle produite lors d’un concile postérieur, le sixième œcuménique de 680/681
(Constantinople III) a éclairé la question. En effet, les passages cités dans le flo-
rilège plus récent correspondent en gros à une partie de ceux qui se trouvent dans
celui de Latran de 649169. Il ne s’agit toutefois pas d’une simple copie : le florilège
de 680 s’est en effet inspiré du précédent, citant à chaque fois une portion plus
longue des mêmes passages. L’analyse philologique semble démontrer que les
citations des deux anthologies sont issues des mêmes modèles. Or il est certain que
le florilège plus récent a été réalisé à Rome, car c’est une lettre du pape Agathon
qui l’atteste170, lettre avec laquelle furent envoyés à Constantinople au moins sept
des livres d’où avaient été tirés les excerpta171. En somme, si le florilège de 680 a
été fabriqué à Rome, et si celui de 649 a été réalisé à partir d’une partie au moins
des manuscrits du précédent, il faut croire que les deux proviennent de la ville
papale, plus précisément, en bonne partie, du fond de Latran172. Si donc vraiment
ce fut Maxime le Confesseur qui réalisa le florilège anti-monothélite de 649,

Chrysostome, Grégoire de Nysse, Cyrille de Jérusalem, ps.-Denis l’Aréopagite, Théophile


d’Alexandrie, Marcellus d’Ancyre, Athanase I et Jean I d’Antioche, Grégoire Thaumaturge,
Éphrem le Syrien, Sévérianus de Gabala, Méthode d’Olympius, Maxime le Confesseur, la
Doctrina patrum, Basile de Césarée, Isidore de Pélouse, outre plusieurs miracles et vies de saints :
cf. A. ALEXAKIS, « Codex Parisinus Graecus 1115 », p. 27 n. 121 ; p. 261 ss.
167. Amphilochius d’Iconium, Anastase d’Antioche, Apollinaire de Laodicée, Athanase
d’Alexandrie, ps.-Athanase (= Marcellus d’Ancyre), Basile et ps.-Basile (= Didyme d’Alexan-
drie), Cyrille d’Alexandrie, Cyrus d’Alexandrie, ps.-Cyrille de Jérusalem, ps.-Denis l’Aréopagite,
Éphrem d’Antioche, Épiphane de Constantia, Flavianus de Constantinople, Grégoire de Nazianze,
Grégoire de Nysse, Jean Chrysostome, Jean de Skytopolis, Julien d’Halicarnasse, ps.-Justin
(Théodoret de Cyr), Lucius d’Alexandrie, Marcellus d’Ancyre, Nestorius, Paul, Proclus, Pyrrhus
et Serge de Constantinople, Severus d’Antioche, Themistius d’Alexandrie, Théodoret de Cyr,
Théodore de Mopsueste, Théodore de Pharan, Théodose d’Alexandrie, Théodoulos (un disciple
de Nestorius), Théophile d’Alexandrie : je me borne à renvoyer à R. RIEDINGER, Concilium
Lateranense.
168. R. RIEDINGER, Concilium Lateranense.
169. Sur la composition de ce florilège, cf. A. ALEXAKIS, « Codex Parisinus Graecus 1115 »,
p. 16.
170. Lettre envoyée par le pape le 27 Mars 680, en réponse à une missive de Constantin IV
à son prédécesseur Domnus en 678 : Agathon, Epist. I, PL 87, col. 1166A (= ACO ser. II,
vol. II.1.6.7-8.4).
171. Cf. J.-M. SANSTERRE, « Les moines », p. 177-178 ; A. ALEXAKIS, « Codex Parisinus
Graecus 1115 », p. 21 ss. et 258.
172. Ibid., p. 28 ss. Sur la question, cf. aussi J.-M. SANSTERRE, « Les moines », p. 176 ss.
364 FILIPPO RONCONI

comme le soutient Riedinger, il faut admettre que le savant y travailla à Rome, où


du reste il résida à l’époque173. Ainsi, sur la base des différentes anthologies patris-
tiques composées dans la ville au VIIe s., il semble qu’on y disposait au moins de
textes grecs du ps.-Athanase et de Cyrille d’Alexandrie, d’Anastase et d’Éphrem
d’Antioche, d’Épiphane de Salamine, de Grégoire de Nazianze et de Grégoire
de Nysse, de Jean Chrysostome, de Jean de Scythopolis174. La disponibilité de
livres dans la ville s’accrut au fil du siècle suivant, comme le démontre l’étude
du florilegium florilegiorum d’Alexakis : on comprend mieux, dans ce contexte,
la désinvolture avec laquelle Adrien I répondit au Capitulare adversus synodum
(rédigé à la cour de Charles le Grand en réponse aux délibérations du concile de
Nicée II) en citant, en latin, les actes de plusieurs conciles et au moins trente-
huit ouvrages grecs, entre autres d’Athanase d’Alexandrie, de Grégoire de Nysse,
de Basile de Césarée, de Jean Chrysostome, de Basile d’Ancyre, de Grégoire de
Nazianze, de Cyrille d’Alexandrie, ainsi que l’Histoire ecclésiastique par Eusèbe-
Rufin175. La lettre d’Adrien laisse entrevoir aussi un autre phénomène : à son
époque, Rome semble avoir été un endroit où le bilinguisme permettait d’extraire
des passages d’ouvrages grecs, les transposant dans un document en latin sans
passer par des traductions intégrales des textes concernés. On y reviendra.
Un témoignage important, mais douteux, concerne enfin le ménologe conservé
partiellement dans les manuscrits probablement italo-grecs (dont il a été question)
Paris. Gr. 1470 et 1476. Ce ménologe semblerait avoir été réalisé à Rome par
Méthode, qui, originaire de Syracuse, vécut à Rome de 815 à 821, avant de deve-
nir le premier patriarche post-iconoclaste de Constantinople (après la parenthèse
de Taraise). Pour réaliser son ménologe, il semble avoir utilisé des livres de la
ville italienne176, citant Jean Chrysostome, Basile de Séleucie, Basile de Césarée,
Grégoire de Nazianze, Cyrille d’Alexandrie, André de Crète177. Il copia proba-
blement dans l’Vrbs aussi un ps.-Denys l’Aréopagite (transcrit par la suite dans le
Brit. Libr. Add. Ms 36821178).

173. Pour un panorama sur la question, cf. P. ALLEN – B. NEIL, The Oxford Handbook of
Maximus the Confessor, Oxford, 2015, p. 218-220. Cf. aussi M. LAPIDGE, « Byzantium » , p. 368.
174. A. ALEXAKIS, « Codex Parisinus Graecus 1115 », p. 27 n. 121.
175. MGH Epistolae V, Karolini Aevi III, p. 5 ss. Cf. aussi M. NOBLE, « The Intellectual
Culture », p. 211.
176. P. CANART, « Le patriarche Méthode ».
177. Cf. aussi V. KONTUMA, « Vie de Jean Damascène », dans Jean Damascène, La foi ortho-
doxe, Paris, 2010, p. 11-30 , in part. 991-992.
178. Le texte de ce manuscrit semble être apparenté à celui du Laur. Conv. Soppr. 202, de
probable origine romaine : cf. S. LILLA, « Brief Notes » et infra.
« GRAECAE LINGVAE NON EST NOBIS HABITVS » 365

La bibliothèque du Latran cessa d’exister entre le XIIe et le XIIIe siècle179, mais


jusqu’à ce moment-là – et notamment au haut Moyen Âge –, elle semble avoir fait
de Rome, beaucoup plus que Constantinople, un point de repère pour les commu-
nautés qui, en Europe centrale et insulaire, avaient besoin de livres patristiques en
latin, rarement en grec180. Plusieurs témoignages des VIe ex.-VIIIe s. le confirment :
la mission envoyée par Grégoire le Grand en 597 au Kent était dotée, selon Bède, de
codices plurimos181 ; Benoît Biscop ramena de ses cinq voyages à Rome plusieurs
livres patristiques en Angleterre182 et ce furent des volumes de la même ville qui
permirent à son successeur Coelfrid de doubler sa bibliothèque183 ; encore au VIIe s.,
Jean le chef-chanteur de Saint-Pierre semble avoir apporté en Northumbrie des
livres romains, parmi lesquels des actes de conciles184, tout comme Théodore de
Tarse et Hadrien d’Afrique transférèrent à Cantorbéry des livres grecs patristiques
provenant de la Ville éternelle185. Mais plusieurs autres manuscrits parvinrent,
de Rome, dans d’autres endroits de l’Europe continentale : cela se produisit, par
exemple, grâce à Godo de Saint-Wandrille en 657186, à Cuthwine, évêque de
Dunwich, au cours des premières décennies du VIIIe siècle187, à Grégoire d’Utrecht
en 722 ou 737188. On n’hésitait pas à en demander : sainte Gertrude de Nivelles
sollicita le pape pour obtenir des « sanctorum patrocinia vel sancta volumina » en
651/652189 et il en fut de même pour Wando de Saint-Wandrille avant 747190 (les

179. G. B. DE ROSSI, De Origine Historia Indicibus Scrinii et Bibliothecae Sedis Apostolicae


Commentatio, Rome, 1886, p. XCV ss.
180. Mais cf. l’avis différent de D. GANZ, « Roman Manuscripts in Francia », p. 612 ss.
181. Historia Ecclesiastica I, 29. Cf. D. GANZ, « Roman Manuscripts in Francia », p. 617.
182. Livres qui furent en partie donnés, en partie, semble-t-il, achetés : cf. ibid., p. 622.
183. I. WOOD, The Most Holy Abbot Coelfrid, Jarrow, 1995. Cf. aussi D. GANZ, « Roman
Manuscripts in Francia », p. 622.
184. M. W. LAISTNER, « The Library of the venerable Bede », p. 142 ; cf. D. GANZ, « Roman
Manuscripts in Francia », p. 618 ss.
185. Ibid.
186. Gesta sanctorum patrum Fontanellensis coenobii, 1, VI, F. Lohier – J. Laporte éd., Rouen
– Paris, 1936, p. 10.
187. BEDA VENERABILIS, Liber Quaestionum, c. 2, PL 93, 456 : D. GANZ, « Roman Manuscripts
in Francia », p. 624.
188. Vita Gregorii abbatis Traiectensis, MGH Scriptores XV, c. 8, p. 73. Cf. D. GANZ, « Roman
Manuscripts in Francia », p. 610.
189. Vita Gerethrudis, Scriptores Rerum Merovingicarum III, p. 457 : D. GANZ, « Roman
Manuscripts in Francia », p. 610.
190. Gesta sanctorum patrum Fontanellensis coenobii, 1, IX, F. Lohier – J. Laporte éd., p. 66.
Cf. D. GANZ, « Roman Manuscripts in Francia », p. 611.
366 FILIPPO RONCONI

demandes de livres et de reliques allaient souvent de pair191). La pression sur la


bibliothèque papale était si forte que le pape Martin I, à la moitié du VIIe s., répondit
à une demande de la part d’Amand, évêque de Maastricht, en écrivant « reliquias
vero sanctorum […] dari praecepimus. Nam codices iam exinaniti sunt a nostra
bibliotheca et unde ei dare nullatenus habuimus192 ». Ce rayonnement livresque
de la Rome bilingue stimula, au cours du VIIIe s. et de la première moitié du IXe s.,
une vague d’immigration de Constantinople, qui engendra à son tour un regain de
la composante hellénophone dans la ville et la fondation de nouveaux monastères
grecs193. Tout cela ne se traduisit toutefois pas par un rapport idéologique étroit
avec Constantinople : les positions des papes furent encore une fois influencées
par les idées des rescapés de la capitale byzantine, qui avaient rompu avec le
patriarcat local194. Le caractère spécial de Rome se structura en somme d’abord
sous l’influence de la périphérie orientale (qui avait été déjà pour Grégoire le
Grand une réalité culturelle plus influente de Constantinople195), puis grâce aux
résistants constantinopolitains196. Ces influences furent réinterprétées à la lumière
d’une identité locale de plus en plus marquée, grâce aussi à l’acquisition d’une
indépendance politique substantielle fondée sur la naissance d’un état pontifical,
dans la première moitié du VIIIe siècle197. Ces dynamiques donnèrent naissance à

191. R. SCHIEFFER, « Redeamus ad fontem. Rom als hort authentischer Überlieferung im frühen
Mittelalter », in Roma – Caput et fons. Zwei vorträge über das päpstliche Rom zwischen Altertum
und Mittelalter, A. Angenendt – R. Schieffer Hrsg., Opladen, 1989, p. 45-70, en part. p. 66-69.
Cf. aussi D. GANZ, « Roman Manuscripts in Francia », p. 610.
192. Vita Armandi, Scriptores Rerum Merovingicarum V, p. 456. Cf. D. GANZ, « Roman
Manuscripts in Francia », p. 610 et n. 11.
193. Comme S. Silvestre in capite, Santa Prassede, non loin de Santa Maria Maggiore, San
Cesario in Palatio, San Lorenzo Foris Muros. Des monastères passèrent sous le contrôle des Grecs
(S. Grégoire in clivo Scauri), si bien qu’au IXe s. on comptait au moins dix cénobies grecques à
Rome, dont cinq sont rangées, dans le Liber pontificalis, parmi les plus importantes de la ville
(J.-M. SANSTERRE, « Les moines », p. 31 ss. ; G. CAVALLO, « La cultura italo-greca », p. 504).
194. Si donc une influence de l’Orient se manifeste à cette époque dans le calendrier litur-
gique romain (comme le démontre le nombre imposant de traductions de vies de martyrs et leur
insertion dans le ménologe), entre la seconde moitié du VIIIe s. et la première du IXe, les papes
firent exhumer systématiquement des catacombes les dépouilles des martyrs locaux : les déposant
dans des églises (J.-M. SANSTERRE, « Entre “koinè méditerranéenne”, influences byzantines et
particularités locales : le culte des images et ses limites à Rome dans le Haut Moyen Âge », dans
Europa medievale e mondo bizantino. Tavola rotonda del XVIII Congresso del CISH – Montréal,
29 agosto 1995, G. Arnaldi – G. Cavallo edd., Roma, 1997, p. 109-124, en part. p. 119), ils façon-
nèrent « à l’occidentale » la toponymie ecclésiastique de la ville et de ses alentours.
195. L. CRACCO RUGGINI, « Gregorio Magno e il mondo mediterraneo », dans Gregorio Magno
nel XIV centenario della morte. Atti del convegno internazionale, Roma, 22-25 ottobre 2003,
Roma, 2004, p. 11-51 ; L. CRACCO RUGGINI, « Grégoire le Grand », p. 15-19 , en part. p. 84 ss.
196. F. BURGARELLA, « Presenze greche », p. 969-970.
197. Ibid., p. 947.
« GRAECAE LINGVAE NON EST NOBIS HABITVS » 367

une vaste production manuscrite grecque, qui connut un dernier essor au moment
où la diffusion de la langue commençait à décliner198. Souvent de haut niveau, ces
livres contiennent parfois des textes scripturaires et patristiques excentriques par
rapport aux main streams constantinopolitains. C’est le cas du Vat. Gr. 749, conte-
nant le livre de Job avec des commentaires caténaires particuliers199, qui semble
remonter à l’époque de Pascal I (IXe s.) et qui a été mis en rapport à plusieurs
reprises avec un autre Job, le Patm. 171, dont l’origine reste incertaine200 ; ou de la
scriptio inferior du Crypt. A.d.IV(a), contenant – outre les Apophtegmata Patrum,
des Vies de saints, les Actes de Jean du ps.-Prochoros et des Erotapocriseis –
le Pratum de Jean Moschos201 ; peut-être, encore, du Paris. Gr. 923, contenant
les Sacra Parallela de Jean de Damas, probablement de la deuxième moitié du
IXe siècle202 ; il y a, enfin, un ps.-Denys, également du IXe siècle203 et l’Ambros.
E 49 inf. + E 50 inf., contenant un corpus d’homélies de Grégoire de Nazianze204.
De l’an 800 est enfin daté un codex attribué à la ville en raison de ses caractères
graphiques et du fait qu’il contient la traduction en grec, que nous avons citée, des
Dialogues de Grégoire le Grand, traduction réalisée un demi-siècle auparavant par

198. Sur cette production manuscrite, cf. G. CAVALLO, « Le tipologie della cultura nel riflesso
delle testimonianze scritte », dans Bisanzio, Roma e l’Italia nell’alto medioevo. Atti della XXXIV
Settimana di Studio della fondazione CISAM, Spoleto, 3-9 aprile 1986, Spoleto, 1988, p. 467-516
e M. L. AGATI, « Centri scrittori e produzione di manoscritti greci a Roma e nel Lazio », Bollettino
della Badia Greca di Grottaferrata, n.s. 48, 1994, p. 141-165.
199. J. DEVOGE, « Quand Job tombe malade. Étude littéraire et iconographique d’une scène
biblique d’après la Septante », Zograf, 33, 2009, p. 9-18 ; cf. aussi C. FARAGGIANA DI SARZANA,
« Gli insegnamenti », p. 600.
200. Sur les deux manuscrits (et notamment le Patm. 171, attribué parfois à Rome ou à l’Occi-
dent, souvent à l’Orient) je me limite à renvoyer à M. D’AGOSTINO, « Furono prodotti manoscritti
greci a Roma tra i secoli VIII e IX? Una verifica codicologica e paleografica », Scripta, 6, 2013,
p. 41-56, en part. 43, 45, 46-47, 51-52 (avec bibl.).
201. C. FARAGGIANA DI SARZANA, « Gli insegnamenti », p. 596 ss.
202. L. D’AGOSTINO, « Furono prodotti manoscritti », p. 44, 46-47, 53-54.
203. Laur. Conv. Soppr. 202 : cf. P. ORSINI, « Genesi e articolazioni della “maiuscola litur-
gica” », dans The Legacy of Bernard de Montfaucon: Three Hundred Years of Studies on Greek
Handwriting. Proceedings of the Seventh International Colloquium of Greek Palaeography,
Madrid – Salamanca, 15-20 September 2008 (Bibliologia 31), Turnhout, 2010, p. 17-35, 669-682
33, 682 (pl. 12a) ; C. FARAGGIANA DI SARZANA, « Il Nomocanon Par. gr. 1330 “Horride rescriptus”
su pergamene in maiuscola contenenti un antico commentario ad Aristotele, il corpus dionysiacum
e testi patristici », Nea Rômê, 6, 2009, p. 191-225, en part. 208. 210 et n. 44 ; L. D’AGOSTINO,
« Furono prodotti manoscritti », p. 54-55. Le texte du manuscrit semble s’apparenter à celui du
Lond. Brit. Lib. Add. Ms 36821, qui paraît être la copie d’un livre transcrit à Rome par le futur
patriarche de Constantinople Méthode : cf. supra et L. D’AGOSTINO, « Furono prodotti manos-
critti », p. 44.
204. L’origine romaine du manuscrit est probable, mais cf. E. CRISCI – P. DEGNI, « La scrittura
greca », p. 117 et L. D’AGOSTINO, « Furono prodotti manoscritti », p. 44, 46, 53.
368 FILIPPO RONCONI

le pape Zacharie (Vat. Gr. 1666)205. Vers la deuxième moitié du IXe s., la connais-
sance du grec semble avoir baissé radicalement dans la ville206 : les traductions
exécutées à cette époque par Anastase le Bibliothécaire (c. 815-880) ont ainsi
la valeur d’un effort documentaire et identitaire, à une époque où Rome avait
désormais consolidé son originalité culturelle face à l’Orient207. En effet, les
textes traduits là-bas diffèrent de ceux transposés en latin dans l’Vrbs aux époques
précédentes : il s’agit encore, pour la plupart, de Vies de saints, qui toutefois ne
concernent plus des martyrs, majoritaires auparavant, mais des Pères de l’Église
(Amphiloque d’Iconium, Basile de Césarée)208, parfois récents. Anastase – qui
pendant son séjour à Constantinople fréquenta des milieux anti-photiens – accom-
plit aussi des traductions de textes patristiques pour des ecclésiastiques actifs en
dehors de Rome, transcrivant par exemple en latin des documents sur la querelle
monothélite pour Martin de Narni, et, pour Aio de Bénévent, un sermon de
Théodore Stoudite (IXe s.) sur saint Bartholomée209. La présence, en traduction, en
original ou par excerpta, d’ouvrages de Pères récents – qu’on pense par exemple
à ceux de Sophrone et de Jean de Jérusalem, de Germain I de Constantinople,
d’André de Crète et surtout de Théodore Stoudite – reflète le dynamisme vital des
rapports de Rome avec certains milieux orientaux de l’époque.

E. L’aire franco-gauloise
Le panorama change radicalement si l’on passe à l’Europe continentale, où les
milieux grécophones et bilingues étaient presque inexistants et où la connaissance
du grec se concentrait principalement autour de personnalités ou de petits groupes
isolés. Il s’agit d’un phénomène de longue durée : au IVe s., en Gaule méridionale,

205. Le manuscrit fut conservé à Grottaferrata : cf. S. LUCÀ, « Graeco-latina », p. 180 n. 125.
Sur cette traduction, cf. F. BURGARELLA, « Presenze greche », p. 953 ss.; L. D’AGOSTINO, « Furono
prodotti manoscritti », p. 55.
206. Des recherches que Francesco D’Aiuto est en train de conduire sur les épigraphes de la
ville sembleraient attester une diffusion du grec jusqu’à la fin du Xe s. : mais cf., contra, aussi
T. F. X. NOBLE, «The Declining Knowledge of Greek in 8th and 9th Century Papal Rome »,
Byzantinische Zeitschrift, 78, 1985, p. 56-62 et ID., « The Intellectual Culture », p. 211-212.
207. Anastase ne fut pas le seul traducteur actif à Rome à cette époque : on a conservé des
Miracles et des Passiones traduits par un certain Léon et un certain Grégoire : R. FORRAI, « The
Readership », p. 298-301. Il est vrai qu’Anastase dédia ses traductions à des papes (Nicolas Ier
et Formose) ou à des membres de la cour papale (Ursus, le physicien de cour de Nicolas Ier :
R. FORRAI, « The Readership », p. 297), mais il n’a pas opéré dans une optique liturgique locale :
d’un côté, les saints dont il traduit les Vitae (Amphilochius d’Iconium, Basile de Césarée, Jean
l’Aumônier d’Alexandrie, Jean le Calibite) n’entrèrent pas dans le calendrier liturgique romain,
de l’autre, la diffusion d’une grande partie de ces traductions n’a pas eu lieu à Rome, mais plutôt
en Francie (où évidemment les textes originaux avaient été envoyés) : P. CHIESA, « Dal culto alla
novella », p. 152.
208. R. FORRAI, « The Readership », p. 298.
209. Aio venait d’en faire transférer les reliques dans sa ville.
« GRAECAE LINGVAE NON EST NOBIS HABITVS » 369

même Jean Cassien (qui, originaire de Scythie Mineure et fondateur de l’abbaye


Saint-Victor de Marseille, se vantait d’être disciple de Jean Chrysostome) mani-
feste une connaissance douteuse du grec. Il cite Chrysostome et le Contra Arianos
d’Athanase, peut-être Origène, mais il les lit probablement en latin, tout comme
les discours de Grégoire de Nazianze, qu’il ne connaît que dans la traduction de
Rufin210. Il en va de même, le siècle suivant, pour les membres d’un des plus
importants monastères de Gaule, Lérins : Vincent de Lérins cite, certes, Nestorius,
Apollinaire de Laodicée, Origène, Paul de Samosate, l’Histoire ecclésiastique
d’Eusèbe, mais il n’en a lu – s’il l’a fait vraiment211 – que des traductions. Dans la
seconde moitié du Ve s., on assiste en Gaule à une floraison éphémère du grec : la
nomination de l’hellénophone Anthémius comme empereur d’Occident (467-472)
avait permis à des membres de l’élite gallo-romaine d’occuper des positions de
prestige, parfois aussi en raison de leur connaissance de la langue et de la culture
orientales (pensons à Sidoine et à Claudien Mamert)212. Cela comporta une inten-
sification de la présence de textes patristiques en grec213 : Gennade de Marseille
semble avoir eu une connaissance de première main de Nestorius, de Théophile
d’Alexandrie, de Théodore de Mopsueste, d’Antiochus de Ptolémaïs et de Sévérien
de Gabala, mais peut-être aussi de Jean de Jérusalem, de Théophile, de Cyrille et
de Cyrus d’Alexandrie, d’Atticus de Constantinople, de Théodoret d’Ancyre, de
Jean d’Antioche214. Encore une fois, ce qui s’avère le moteur décisif de la péné-
tration de ces textes en Occident, c’est la lutte contre les hérésies : dans la dernière
notice, autobiographique, de son De viris illustribus, Gennade écrit « ego
Gennadius, Massiliae presbyter, scripsi adversus omnes haereses libros octo, et
adversus Nestorium libros sex, adversus Pelagium libros tres215… ». Le cadre qui
se dessine pour les siècles suivants est sombre : la connaissance du grec en Gaule
ne laisse plus de traces à partir du VIe s., pour devenir inexistante vers la moitié du
VIIIe siècle216. Un passage problématique d’une épître de Paul I à Pépin en donne
un indice : le pape y affirme avoir envoyé des livres liturgiques en grec, quelques
ouvrages d’Aristote et du ps.-Denys l’Aréopagite, mais aussi des textes
grammaticaux, évidemment destinés à favoriser un apprentissage basique de la

210. P. COURCELLE, Les lettres grecques, p. 212-213.


211. Ibid., p. 219.
212. Ibid., p. 223 ss., 245. Pour Sidoine Apollinaire, cf. H. RUTHERFORD, Sidonius Apollinaris,
l’homme politique, l’écrivain, l’évêque. Étude d’une figure gallo-romaine du Ve siècle, Clermont-
Ferrand, 1938 ; New Approaches to Sidonius Apollinaris, J. A. van Waarden – G. Kelly eds.,
Leuven, 2013 ; pour Mamert, cf. M. DI MARCO, La polemica sull’anima tra Fausto di Riez e
Claudiano Mamerto, Roma, 1995.
213. Cf. supra.
214. P. COURCELLE, Les lettres grecques, p. 222-223.
215. GENNADIUS, De viris illustribus, cap. 100.
216. P. COURCELLE, Les lettres grecques, p. 224 ss.
370 FILIPPO RONCONI

langue217. Dans ce cadre, des renseignements utiles viennent d’un dépouillement


des Codices Latini Antiquiores effectué récemment par Emanuela Colombi218.
Notamment l’aire franco-gauloise du Nord et celle du Nord-est – surtout Corbie et
peut-être Tours219 – semblent se distinguer par une transmission intense de traduc-
tions de textes patristiques grecs, en particulier au VIIe s. : il s’agit pour la plupart
d’ouvrages exégétiques concernant l’Ancien Testament (notamment de Basile220
et d’Origène dans les traductions de Rufin221) et le Nouveau Testament (Origène
sur l’Évangile de Luc222 et Théodore de Mopsueste sur les Épîtres de saint Paul223),
mais il y a aussi des ouvrages ascétiques, par exemple d’Éphrem le Syrien et de
Jean Chrysostome224. Il ne manque pas l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe-
Rufin225, bien attestée aussi dans l’aire orientale du domaine franc (les actuelles
Allemagne occidentale, Autriche et Suisse)226, avec des textes de Flavius
Josèphe227. Il semble donc évident, en définitive, que, juste au moment où l’Europe
continentale perd sa capacité à lire les ouvrages patristiques en grec, l’intérêt pour
ces textes, loin de disparaître, se transfère sur les traductions faites aux siècles
précédents, généralement dans d’autres aires. Mais le dépouillement de Colombi
permet de faire aussi une remarque d’ordre quantitatif : la majorité des manuscrits
contenant des traductions d’ouvrages patristiques orientaux a été produite, entre
l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge, justement en Gaule/Francie. Il s’agit de
33 unités (24 dans l’aire centrale et occidentale, 9 dans l’aire orientale), contre les

217. MGH, Epist. 3 (1892), p. 529, 19-22. Cf. aussi A. SIEGMUND, Die Überlieferung, p. 182-
183. La véracité de ce passage a été mise en doute et le texte pose des problèmes : G. ARNALDI,
« Anastasio Bibliotecario, Carlo il Calvo e la fortuna di Dionigi l’Areopagita nel secolo IX »,
dans Giovanni Scoto nel suo tempo. L’organizzazione del sapere in età carolingia. Atti del XXIV
convegno storico internazionale, Todi, 11–14 ottobre 1987, Spoleto, 1989, p. 513-536, en part.
p. 526-528. Les positions d’Arnaldi ont été reprises par G. CAVALLO, « La circolazione dei testi
greci », p. 50-51. Cf. aussi G. CAVALLO, « La cultura italo-greca », p. 507 et A. ALEXAKIS, « Codex
Parisinus Graecus 1115 », p. 258.
218. E. A. LOWE, CLA I-XI, avec les mises à jour de B. BISCHOFF – V. BROWN, « Addenda to
Codices Latini Antiquiores », Mediaeval Studies, 47, 1985, p. 317-366 ; B. BISCHOFF – V. BROWN
– J. J. JONES, « Addenda to Codices Latini Antiquiores (II) », Mediaeval Studies, 54, 1992,
p. 286-307.
219. E. COLOMBI, « La presenza », p. 1072 et 1075.
220. CLA II 261 (Hom. in ps.), CLA V 621 (Hexaem.) : E. COLOMBI, « La presenza », p. 1071.
221. CLA V 532, CLA VI 774a (Orig. in Gen ; in Ex.), CLA XI** 182 (Hom. in Num., sur lequel
cf. aussi infra), CLA VI 774b (Hom. in Lev.) : cf. E. COLOMBI, « La presenza », p. 1067.
222. CLA II 128 : E. COLOMBI, « La presenza », p. 1072.
223. CLA VI 709, CLA II 200 et CLA V 649 : E. COLOMBI, « La presenza », p. 1072.
224. CLA XI**182 : E. COLOMBI, « La presenza », p. 1066.
225. CLA V 594 et 674 ; CLA V 643 : E. COLOMBI, « La presenza », p. 1068.
226. CLA VII 878, CLA IX 1279 et Suppl. 1774 : E. COLOMBI, « La presenza », p. 1081.
227. CLA VII 882, CLA X 1443 et Suppl. 1773 : E. COLOMBI, « La presenza », p. 1081.
« GRAECAE LINGVAE NON EST NOBIS HABITVS » 371

16 d’Italie et les 6 de l’aire insulaire. Certes, l’échantillon est mince et les dyna-
miques de conservation influencent ce tableau, qui a toutefois une forte valeur
indicative228. Or ces données semblent contraster avec le fait avéré que l’impact
de la production patristique orientale a été plus fort sur les auteurs italiens que sur
ceux d’Europe continentale. Pour une explication possible de cette contradiction
apparente, il faut observer que les ouvrages grecs eurent au Moyen Âge une circu-
lation en langue originelle bien plus ample dans certaines aires de la péninsule
qu’au Nord des Alpes, et que, dans plusieurs centres (surtout à Rome, mais aussi
en Campanie, comme nous l’avons dit), des milieux bilingues étaient capables de
transférer directement – sans avoir recours à des traductions complètes – des pas-
sages d’ouvrages grecs dans des textes, documents et florilèges latins229. Dans ces
milieux on n’avait donc aucune nécessité réelle de préparer ou de copier des ver-
sions latines d’ouvrages qu’on pouvait bien lire dans leur langue originale. Mais le
dépouillement de Colombi suggère aussi une dernière réflexion, au sujet de la
distribution chronologique des manuscrits contenant les traductions de textes
patristiques orientaux en Europe continentale230. Si l’on considère ces livres par
rapport à tous les Codices Latini Antiquiores de cette aire, on constate une dyna-
mique sinusoïdale : de 9% du total au VIe s. (deux unités), on passe à 22% au VIIe s.
(neuf unités), pour descendre à 6% aux VIIIe/IXe s. (treize unités). Des telles diffé-
rences ne semblent pas fortuites, même si l’on tient compte de l’exiguïté de
l’échantillon : au VIIe s. – l’époque où dans l’aire franco-gauloise la connaissance
du grec périclite – l’accès aux sources orientales n’était possible que par l’intermé-
diaire de traductions préexistantes, qui sont donc copiées en quantité. Pour qu’il y
ait une nouvelle vague de traductions, il faut attendre justement l’époque de Louis
le Pieux, lorsque le corpus areopagiticum fut traduit en latin par Hilduin à partir
probablement du Paris. Gr. 437, un livre en majuscule envoyé comme cadeau

228. En effet, si l’on considère l’Italie et la Gaule/Francie du point de vue des valeurs absolues,
on constate une équivalence en gros de l’échantillon global (un total de 256 manuscrits patris-
tiques en langue latine pour l’Italie et de 269 pour la Gaule/Francie). En revanche, la différence
arithmétique entre les quantités de manuscrits appartenant à chacune des deux aires contenant des
traductions de Pères grecs (16 unités contre 24) n’est pas à attribuer exclusivement aux aléas de la
conservation, mais signale un véritable déséquilibre.
229. Ce fut par exemple probablement le cas de Grégoire le Grand, qui semble avoir extrapolé
des passages du De caelesti hierarchia directement de l’original grec grâce à des interprètes, les
insérant dans l’une de ses homélies : cf. supra, G. CAVALLO, « Quale Bisanzio », p. 220-221, mais
aussi R. ÉTAIX – G. BLANC – B. JUDIC, Grégoire le Grand, I, p. 30. Grégoire cite ou évoque aussi,
entre autres, Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse, Jean Chrysostome, Théodoret de Cyr,
Énée de Gaza, mais il est difficile d’établir s’il s’agit de citations de premier ou de second degré :
cf. L. CRACCO RUGGINI, « Grégoire le Grand », p. 84.
230. La nature de l’échantillon et la distribution des exemplaires ont permis à E. Colombi de
disposer les valeurs sur un plan chronologique seulement pour l’Italie et l’aire française occiden-
tale. En Italie, on enregistre une augmentation progressive légère entre les IVe/Ve s. et le VIIe s.,
allant de 3% aux IVe/Ve s. (une seule unité), à 8% au VIe s. (six unités), à 9% au VIIe s. (quatre
unités). Aux VIIIe/IXe s., le pourcentage tombe à 5% (cinq unités).
372 AUTEUR

diplomatique à Compiègne par l’empereur Michel II231. Mais la connaissance du


grec qu’avait Hilduin était si faible et sa traduction si médiocre que Jean Scot
Érigène, originaire d’Irlande (et qui s’occupa aussi des Quaestiones ad Thalassium
et des Ambigua ad Iohannem de Maxime le Confesseur232), en fit une nouvelle
sous Charles le Chauve. Ces versions s’inscrivent, on le sait, dans une stratégie
politique : le ps.-Denys était, ces années-là, identifié au martyr de Montmartre,
pour donner un titre de noblesse para-apostolique à l’abbaye de Saint-Denis, à
proximité de Paris233. Rome prêta main-forte à cette opération : les rapports entre
la cour carolingienne et la ville italienne s’étaient intensifiés à partir des années 70
du IXe s., se renforçant justement à l’époque de Charles le Chauve234. C’est dans
ce contexte qu’il faut interpréter la présence en Francie, à cette époque, de deux
autres traductions, dues à Anastase le Bibliothécaire, concernant, l’une, des scho-
lies au corpus aréopagitique, l’autre, la Passio sancti Dyonisii235. Les compétences
linguistiques médiocres de Jean Scot Érigène – qui, avec ses intérêts théologiques
poussés, semble avoir été isolé dans le monde carolingien236 – ne permettaient pas
une appropriation profonde des textes grecs qu’il avait traduits237 : une lettre
d’Anastase le Bibliothécaire à Charles le Chauve de 875 souligne la superficialité
des choix lexicaux de Jean Scot pour rendre des concepts clefs, dont la compré-
hension, note Anastase, pouvait être améliorée grâce à la consultation de passages
de Maxime le Confesseur et de Jean de Scythopolis238. On mesure là en dehors de
l’autopromotion du romain, la différence de niveau – mais aussi de ressources
libraires – entre les deux meilleurs traducteurs de l’époque. Les rapports intenses
avec Rome facilitèrent la présence, à la cour carolingienne, d’autres versions

231. P. MAGDALINO, « Évaluation de dons et donations de livres dans la diplomatie


byzantine », dans Geschenkeerhalten die Freundschaft. Gabentausch und Netzwerkpflegeim
europäischen Mittelalter, M. Grünbart Hrsg., Münster, 2011, p. 103-116. Cf. aussi A. SIEGMUND,
Die Überlieferung, p. 185 ss.
232. Cf., dans ces mêmes actes, l’article de F. VINEL, p. -.
233. R. J. LOENERTZ, « La légende parisienne de s. Denys l’Aréopagite. Sa genèse et son pre-
mier témoin », Analecta Bollandiana, 69, 1951, p. 217-237.
234. E. BRUNET, « La ricezione del concilio quinisesto », p. 103 ; G. ARNALDI, « Anastasio
Bibliotecario », p. 514-518.
235. R. FORRAI, « The Readership », p. 300. Sur la reception du Corpus Areopagiticum en
Occident, cf., dans ces mêmes actes, l’article de E. MAINOLDI, p. -.
236. Contre un isolement total de Jean Scot, cf. W. OTTEN, « The Texture of Tradition: The
Role of the Church Fathers in Carolingian Theology », dans The Reception of the Church Fathers
in the West from the Carolingians to the Maurists, I. Backus ed., I, Leiden, 1997, p. 3-50, en part.
p. 5.
237. É. JEAUNEAU, Jean Scot Erigène, p. 26-40. Cf. aussi G. CAVALLO, « La circolazione dei
testi greci », p. 53 ; W. OTTEN, « The Texture of Tradition », p. 5 ss.
238. MGH, Epist. 7/2 (1928), pp. 430-434, n. 13. Cf. G. CAVALLO, « La circolazione dei testi
greci » , p. 53.
TITRE 373

latines provenant de la Ville des papes et plus en général d’Italie, comme celles
des commentaires liturgiques de Maxime le Confesseur et de Germain Ier de
Constantinople, ou celles de plusieurs textes hagiographiques239. Et, du moins
en partie, venaient de Rome probablement aussi les modèles grecs d’autres tra-
ductions de Jean Scot : ceux des Ambigua ad Iohannem et des Quaestiones ad
Thalassium240 (les ouvrages mentionnés par Anastase dans la lettre à Charles)
et du De hominis opificio de Grégoire de Nysse, qui à Rome circulait en latin
au moins depuis l’époque de Denis le Petit241. Jean semble en outre avoir utilisé
une traduction des Homélies sur l’Hexaméron de Basile différente de celle d’Eus-
tathe242. D’ailleurs, les florilèges carolingiens semblent emprunter la plupart de
leurs extraits à des versions latines préexistantes ou contemporaines provenant
d’autres aires (notamment de Rome)243.

F. L’aire insulaire et la péninsule ibérique


Dans le territoire insulaire aussi, à une diffusion importante de traductions
patristiques correspond une connaissance probablement presque nulle de la langue
grecque244. Cantorbéry n’est qu’une exception apparente, malgré les compétences
d’Adrien et de Théodore, rares pour ce VIIe s. anglais : berbère d’Afrique du Nord
et jadis abbé bénédictin de Hiridanum (l’actuelle île de Nisida dans le golfe
de Naples), le premier fut envoyé en 664 dans la ville britannique par le pape
Vitalien, avec Théodore, originaire de Tarse en Cilicie. Ce dernier, avant d’arriver
en Angleterre, avait participé, à Rome, au concile de Latran de 649 et avait été
qualifié par le pape Agathon de « théologien le plus compétent du monde occiden-
tal245 ». Il avait séjourné aussi, paraît-il, à Antioche et à Constantinople246. Dans ses
commentaires bibliques, il cite – parfois en employant des mots grecs translitérés
en caractères latins, parfois tout court en traduction latine – Cyrille d’Alexandrie,
Grégoire de Nysse, Théodore de Mopsueste, Sévérian de Gabala, Théodoret de
Cyr, Maxime le Confesseur, Basile de Césarée, Clément d’Alexandrie, Cosmas
Indicopleuste, Épiphane, Jean Chrysostome, Jean Moschos, Procope de Gaza,

239. La traduction de la Passio de saint Démétrius avait été mise au point à Rome par Anastase
le Bibliothécaire ; des traductions hagiographiques l’avaient été à Naples par Pierre Diacre :
R. FORRAI, « The Readership », p. 300.
240. Cf. G. CAVALLO, « La circolazione dei testi greci », p. 54, avec bibliographie.
241. A. SIEGMUND, Die Überlieferung, p. 51 ; C. MORESCHINI, « I Padri », p. 574.
242. M. LEJBOWICZ, « Cosmogenèse », p. 46 n. 1.
243. E. DEKKERS, « Les Pères grecs et orientaux », p. 575.
244. Qu’on pense à l’Irlande : A. SCHREINER, « Die Begegnung », p. 16 et n. 15.
245. Cf. BÈDE LE VÉNÉRABLE, Histoire ecclésiastique du peuple anglais, O. Szerwiniack et al.
éd., Paris 1999, II, p. 158 n. 6.
246. M. LAPIDGE, « Byzantium », p. 367 ss.
374 FILIPPO RONCONI

Sophrone247. Mais, toute remarquable qu’elle fût, l’activité missionnaire des deux
ne semble pas avoir déterminé une véritable diffusion de la connaissance du grec
en Angleterre248, se bornant à faire arriver des livres grecs produits ailleurs249.
Le témoignage de Bède (dont la connaissance du grec était, entre la fin du VIIe et
le VIIIe s., élémentaire250) est, dans ce sens, essentiel à deux niveaux. En premier
lieu en tant que témoin direct : il connaît l’Hexaméron de Basile dans la traduction
d’Eustathe251 et il cite le corpus areopagiticum, même s’il ne le fait que grâce aux
Actes de Latran de 649252. Mais il est aussi un témoin indirect important : c’est lui
qui parle de relations étroites entre la bibliothèque du monastère de Wearmouth
Jarrow – où il composa ses ouvrages – et celle de Rome dans les dernières décen-
nies du VIIe s. Il atteste, entre autres, que le fondateur de Jarrow, Benoît Biscop, y
avait apporté quantité de livres de la ville papale, en trois voyages successifs (en
671, 678 et 684)253. De toute manière, la diffusion des textes patristiques grecs sur
l’île n’était pas homogène : au VIIIe s., les Versus de sanctis Eboracensis Ecclesiae
d’Alcuin semblent démontrer que les Pères grecs présents à York (évidemment
en traduction) étaient les seuls Athanase, Basile, Chrysostome et Clément254.
D’ailleurs, les manuscrits de l’aire insulaire parvenus reflètent une pauvreté de
textes patristiques orientaux, car il s’agit de documents pour la plupart à caractère
pénitentiel (tel le De reparatione lapsi par Chrysostome255) ou historique (l’His-
toire ecclesiastique par Eusèbe-Rufin est attestée aussi bien par la tradition directe
que par celle indirecte locale256).

247. B. BISCHOFF – M. LAPIDGE, Biblical Commentaries from the Canterbury School of


Theodore and Hadrian, Cambridge, 1994, p. 249-266 ; M. LAPIDGE, « Byzantium », p. 370.
248. Cf. G. CAVALLO, « La circolazione dei testi greci », p. 49-50. Contra M. LAPIDGE, « The
Study of Greek at the School of Canterbury in the Seventh Century », dans The Sacred Nectar
of the Greeks, M. W. Herren ed., London, 1988, surtout p. 189 ; M. MCCORMICK, « Byzantium
and the Early Medieval West: Problems and Opportunities », dans Europa medievale e mondo
bizantino: contatti effettivi e possibilità di studi comparati, G. Arnaldi – G. Cavallo edd., Roma,
1997, p. 1-17, en part. p. 3 ; cf. B. BISCHOFF – M. LAPIDGE, Biblical Commentaries from the
Canterbury School of Theodore and Hadrian, Cambridge, 1994.
249. A. SCHREINER, « Die Begegnung », p. 16.
250. A. C. DIONISOTTI, « On Bede, Grammars and Greek », Revue bénédictine, 92, 1982,
p. 111-141, en part. p. 128, 140-141 ; G. CAVALLO, « La circolazione dei testi greci », p. 48.
251. P. COURCELLE, Les lettres grecques, p. 375.
252. Cf. supra.
253. Cf. en général L. OLLEY, « Benoit Biscop: Benedictine, Builder, Bibliophile », Theological
Librarianship, 7, 2014, p. 30-37. Cf. aussi P. COURCELLE, Les lettres grecques, p. 374.
254. E. DEKKERS, « Les Pères grecs et orientaux », p. 575.
255. CLA VIII 1187 : E. COLOMBI, « La presenza », p. 1089.
256. M. LAPIDGE, « The Anglo-Saxon Library », p. 127-128.
« GRAECAE LINGVAE NON EST NOBIS HABITVS » 375

Pour terminer, la péninsule ibérique. Entre le VIe et le VIIe s., cette aire connut
un épanouissement culturel remarquable, dont le foyer fut Séville. Dans cette
ville, sous le contrôle des Wisigoths, se refugièrent, provenant de Carthagène, les
parents d’Isidore, en fuite de la guerre liée à la reconquête justinienne. Les nom-
breux livres qu’Isidore eut à disposition provenaient probablement de Rome et de
Constantinople, mais aussi de l’Afrique du Nord. Et toutefois, dans son De viris
illustribus, il ne cite que Jean Chrysostome (ch. 6) et Jean II de Constantinople
(ch. 26, qu’il appelle « Cappadocien »). Sa connaissance des Pères orientaux, bien
que non limitée à ces deux seuls personnages, ne semble toutefois pas avoir été
approfondie : laissant de côté les rares citations qu’il tire de traductions257, on
trouve dans les Versus Isidori, qui reproduisent les inscriptions des armaria de
la bibliothèque épiscopale de sa ville, Origène et Jean Chrysostome (une armoire
est réservée à chacun d’eux), et Eusèbe (qui en partage une avec Orose)258. Les
sources directes sont, probablement non sans cause, très pauvres pour l’aire ibé-
rique, se limitant – me semble-t-il – à un seul manuscrit du VIIe s. (dont l’origine
espagnole est probable) contenant les Recognitiones pseudoclémentines traduites
par Rufin et les Acta Petri cum Symone259.

IV. – CONCLUSIONS
Revenons-en donc, pour conclure, sur les aspects essentiels de notre recherche. La
plupart des manuscrits qui ont permis la connaissance des Pères grecs en Occident
est originaire de la périphérie orientale, en particulier des aires égyptienne et
syro-palestinienne, mis à part ceux provenant directement de Constantinople. Ces
livres parvinrent en Occident, à des moments différents, grâce à des dynamiques
distinctes : l’une, la plus ancienne, vit des savants distingués (généralement des
hommes d’Église, tels Jérôme et Rufin) se déplacer en Orient, où, pendant de longs
séjours, ils acquirent des compétences linguistiques poussées, tissèrent des liens
personnels, entrèrent en contact avec des livres et des textes qu’ils traduisirent,
parfois sur place, et dont ils firent parvenir directement en Occident les versions
latines. C’est grâce à ce type de dynamique que se diffusèrent en Europe, entre
autres, les versions latines d’Origène et d’Eusèbe, ouvrages qui s’enracinèrent
d’abord dans la péninsule italienne, se ramifiant, au cours du Moyen Âge, partout
en Europe, de façon à influencer à la longue le développement de la pensée occi-
dentale. D’un autre côté, des flux de populations bien plus massifs entraînèrent,
au fil des siècles, la migration de livres grecs contenant des textes patristiques
dans leur version originale. Accueillis, ainsi que leurs porteurs, dans des aires
déjà hellénisées – l’Italie méridionale notamment – ou qui s’hellénisèrent pro-
gressivement (Rome), ces textes y furent conservés et copiés, donnant naissance à

257. Cf. supra.


258. E. DEKKERS, « Les Pères grecs et orientaux », p. 575.
259. CLA IV, 468a : E. COLOMBI, « La presenza », p. 1063.
376 FILIPPO RONCONI

des lignes de transmission grecques italiotes. Leur diffusion s’articula par la suite
en plusieurs formes : ils restèrent en partie dans les aires hellénophones d’Italie
méridionale, un contexte géographique et socioculturel limité ; ils parvinrent dans
quelques cas dans des endroits où des milieux grecs interagissaient avec d’autres
groupes linguistiques (tels que Rome ou la Campanie) : ils étaient alors traduits
parfois, entrant dans une dynamique de diffusion plus ample ; mais de ces endroits
occidentaux hellénophones ou bilingues, les manuscrits grecs pouvaient aussi se
déplacer (à la suite de donations, de missions, de contacts diplomatiques) dans
des aires latinophones, où ils pouvaient tomber dans l’oubli ou, au contraire, être
traduits, de manière souvent sommaire, dans des milieux bilingues ou par des
individus isolés. Dans quelques cas, des contacts directs reliaient des milieux
européens spécifiques et l’Orient, entraînant l’arrivée de livres grecs en Occident
directement de Constantinople, sans la médiation des hellénophones d’Italie.
Ils engendrèrent ainsi des greffes de textes et de lignes de tradition orientales
directes : l’exemple le plus évident en est celui de la cour carolingienne, qui fut
en relation avec la capitale byzantine grâce surtout à des ambassades assurant
souvent la transmission de livres, mais qui établit parfois avec cette capitale des
contacts plus surprenants. Lors des préparatifs du mariage – jamais célébré – entre
Rhotrude et Constantin VI, fils de l’impératrice Irène et de Charles le Grand,
un notarios constantinopolitain, l’eunuque Elyssaios, fut par exemple envoyé à
la cour carolingienne pour former la future épouse « aux lettres et à la langue
grecques, ainsi que pour l’instruire sur les coutumes de l’empire romain260 » : il
y apporta sans aucun doute des livres et y rencontra peut-être le Lombard Paul le
Diacre, responsable de la formation du clergé local dans la langue hellénique261.
Il y eut des cas où le dynamisme de certains auteurs orientaux contribua à la
circulation de leurs propres ouvrages en Occident : Théodore Stoudite, le héros
constantinopolitain de l’iconodoulie, avait des contacts fréquents aussi bien avec
des milieux palestiniens que romains, contacts qui, paraît-il, comportaient des
échanges de livres ; Moschos semble avoir voyagé entre Constantinople, la péri-
phérie orientale et Rome, tout comme Maxime le Confesseur. Les ouvrages de ces
trois auteurs connurent une diffusion précoce en Occident, aussi bien en version
originale qu’en traduction. Rome fut d’ailleurs le véritable centre de rayonnement
de la culture patristique grecque à l’Ouest, grâce à l’autorité du Saint-Siège, à son
importance politique, mais surtout à son identité essentiellement bilingue et au rôle
religieux et politique bilatéral qu’elle joua entre ce qui restait de la pentarchie et
les chrétiens latinophones262. Les textes grecs qui y circulaient – comme d’ailleurs
ceux d’Italie méridionale – avaient souvent un caractère anti-constantinopolitain,

260. THEOPH. CONF., AM 6274 : […] πρὸς τὸ διδάξαι αὐτὴν τὰ τε τῶν Γραικῶν
γράμματα καὶ τὴν γλῶσσαν, καὶ παιδεῦσαι αὐτὴν τὰ ἥθη τῆς ᾿Ρωμαίων βασιλείας.
Cf. W. OHNSORGE, Abendland und Byzanz, Darmstadt, 1958, p. 65 ss.
261. Cf. P. RICHÉ, Éducation et culture dans l’Occident barbare, Paris, 1962, p. 46 ss.
262. Cf. au moins E. MORINI, « Roma nella pentarchia », dans Roma fra Oriente e Occident,
p. 833-939.
« GRAECAE LINGVAE NON EST NOBIS HABITVS » 377

importés généralement par des rescapés s’opposant aux positions officielles du


patriarcat de la capitale orientale. L’importance d’Alexandrie dans la formation de
Jérôme et de Rufin, tout comme l’origine périphérique de la plupart des immigrés
grécophones arrivés en Italie aux VIIe-VIIIe s., a joué un rôle essentiel dans la sélec-
tion des textes patristiques grecs qui, circulant en Occident, contribuèrent à en
façonner, à divers niveaux, progressivement, l’identité culturelle et à en orienter
la réflexion théologique. Une contribution essentielle a été donnée, en ce sens,
par les controverses religieuses, aussi bien en Occident, où elles préparèrent le
terrain à la réception de certains textes grecs (qu’on pense au pélagianisme), qu’en
Orient, où elles entraînèrent la migration de personnages destinés à influencer la
construction théologique occidentale (le monothélisme, par exemple, mais aussi
l’iconoclasme).
En somme, l’étude des critères de sélection des textes traduits est essentielle d’un
point de vue culturel, car ils témoignent des causes, des fins et de la destination des
versions (destination qui détermine le niveau littéraire, la circulation primaire et
la diffusion postérieure de chaque traduction263). Et toutefois il faut admettre que,
dans plusieurs cas, le hasard a joué un rôle important dans les contacts, notam-
ment individuels, qui ont déterminé la migration de certains textes fondamentaux.
L’Histoire est peut-être un chemin providentiel où, comme l’affirme Théodoret
de Cyr, chaque événement se lie aux autres dans un continuum nécessaire264.
Cependant, le caractère fortuit de certains épisodes ne peut qu’évoquer la possibi-
lité de scénarios d’uchronie, où par exemple Rufin n’aurait pas rencontré Didyme,
Jérôme ne serait jamais arrivé à Constantinople, où Michel II n’aurait pas envoyé
la légation de 827 à Louis le Pieux. De petits changements dans la Grande Histoire
auraient pu marquer à jamais la pensée médiévale, qui n’aurait pas été la même.
Après tout, c’est de fils bien subtils qu’est tissée l’« identité occidentale ».
Filippo RONCONI
EHESS – Paris
CéSor – Centre d’Études en Sciences Sociales du Religieux

263. Cf. P. CHIESA, « Dal culto alla novella », p. 150.


264. Je me borne à renvoyer à THÉODORET DE CYR, Discours sur la Providence, Y. Azéma éd.,
Paris, 1954.
IV.

L’AUTORITÉ DES PÈRES GRECS


AUX XVe ET XVIe SIÈCLES
I Padri greci e la loro tradizione ecclesiale
nel decreto d’Unione del Concilio di Firenze

I. – LA DISTANZA FRA IL DECRETO E LE SUE RECEZIONI


La pubblicazione, a partire dal 1995, della Storia del Concilio Vaticano II, diretta
da Giuseppe Alberigo, è stata occasione per un dibattito storiografico di grande
interesse metodologico, con implicazioni ecclesiologiche importanti1. Centrale nel
contesto della discussione risulta essere il problema di quale sia la gerarchia delle
fonti più idonea per un’adeguata valutazione del messaggio conciliare. In effetti,
nell’opera realizzata dalla « officina bolognese2 », i diversi contributi hanno attinto
alla più vasta documentazione, assegnando tra l’altro particolare attenzione alle
memorie dei grandi protagonisti del concilio. Tale modalità di analisi è risultata
oltremodo utile per la conoscenza delle vicende da cui i testi conciliari sono sca-
turiti e per la ricostruzione del clima che ne ha accompagnato l’elaborazione. Si
tratta peraltro di un tipo di analisi che ha suscitato una decisa critica nel momento
in cui, abbandonato il livello descrittivo delle dinamiche collettive sviluppatesi
nell’assemblea conciliare e delle variegate percezioni soggettive, ha inteso tra-
sformarsi in criterio esegetico del concilio e delle sue deliberazioni, giungendo a
identificarne l’autentico messaggio – lo « spirito » – in aspirazioni e orientamenti,
che vanno oltre la lettera dei testi concretamente promulgati3.

1. Storia del Concilio Vaticano II, G. Alberigo dir., A. Melloni ed., 5 voll., Bologna – Leuven,
1995-2001 (20122).
2. Sull’esperienza storiografica sviluppatasi a Bologna attorno alle personalità di Giuseppe
Dossetti e Giuseppe Alberigo si potrà vedere L’« officina bolognese »: 1953-2003, G. Alberigo
ed., Bologna, 2004.
3. Con riferimento ai problemi della successiva recezione, eloquenti appaiono le parole di
Giuseppe Alberigo: « L’assimilazione dello spirito conciliare, anche al di là della lettera e dei con-
tenuti puntuali delle deliberazioni, è stata di norma lenta e contrastata, si è svolta secondo una linea
spezzata che dava talvolta l’impressione più di un fallimento che di un successo » (G. ALBERIGO,
« La condizione cristiana dopo il Vaticano II », in Il Vaticano II e la Chiesa [Biblioteca di cultura
religiosa 47], G. Alberigo – J. P. Jossua edd., Brescia, 1985, p. 15-16). Al riguardo sono ben
382 CESARE ALZATI

Non ho potuto non pensare alle questioni sollevate da questo dibattito, allorché
ho preso a ripercorrere la documentazione relativa al concilio di Ferrara-Firenze.
Se infatti consideriamo le consolidate tradizioni dottrinali che si confrontarono
in quella prestigiosa sede (che lo stesso metropolita di Efeso, Marco Eugenico,
fieramente antilatino, riconobbe essere ecumenica4 e anche fonti ad essa avverse
denominarono l’Ottavo Concilio5), se analizziamo gli interventi sinodali, se riflet-
tiamo sulle successive interpretazioni che delle decisioni conciliari furono date in
ambito greco e – soprattutto sulla scia del concilio di Trento – in ambito latino,
non possiamo non rilevare il distacco sussistente tra tale vasto insieme di fonti e il
testo, che il concilio sinodalmente approvò, e che fu promulgato solennemente dal
papa di Roma con l’esplicito consenso dell’imperatore della Nuova Roma.
Questo dato di fatto sta ad indicare come il decreto d’Unione fiorentino assuma
una configurazione sua propria (testuale, oltre che istituzionale), non riducibile a
ciò che l’ha preceduto (anche nei dibattiti sinodali) e a quanto è seguito6.

note le dialettiche puntualizzazioni di Agostino MARCHETTO raccolte in Il Concilio Ecumenico


Vaticano II: contrappunto per la sua storia (Storia e Attualità 17), Città del Vaticano, 2005.
4. Πρακτικὰ  τῆς  ἁγίας  καὶ  οἰκουμενικῆς  ὀγδόης  συνόδου: Quae supersunt Actorum
Graecorum Concilii Florentini, 1: Res Ferrariae gestae (Concilium Florentinum 5/1), I [J.]. Gill
ed., Roma, 1953, p. 29, 35-37; cf. Oratio ad Eugenium papam quartum, Documents relatifs au
Concile de Florence, 2 : Œuvres anticonciliares de Marc d’Ephèse (Patrologia Orientalis 17/2),
L. Petit éd., Paris, 1923, p. 337-338.
5. Narrazione dello ieromonaco Simeone di Suzdal’ su come il papa romano Eugenio con i
suoi conniventi abbia radunato l’Ottavo Concilio: così suona il titolo di uno scritto di carattere
memorialistico, presumibilmente di poco anteriore al 1453, Pov™st´ svåwennoinoka Simeona
suΩdalca, kako rimskîi papa Evgenîi sostavlålss Osm¥i Soborss so svoimi edinom¥sleniki, in
Acta Slavica concilii Florentini (Concilium Florentinum 11), Joannes [Jan] Krajcar ed., Roma,
1976, p. 79. Questa narrazione rappresenta lo sviluppo moscovita di un precedente racconto, datato
agli anni 1447-1448: Isidorovss soborss i xoΩ(d)enie ego, in Acta Slavica concilii Florentini,
Krajcar ed., p. 51 ss. Una più tarda rielaborazione dello scritto, tra gli anni 1461 e 1462, si pre-
senta depurata di qualsiasi riferimento autobiografico: Slovo … na lat¥nü, ed. Andrej Nikolaevič
Popov, Историко-литературный обзор древнерусских полемических сочинений против
латинян. XI-XV в., Moskva, 1875 (ried. an.: introd. Ivan Dujčev, London, 1972), p. 360-396. Jan
Krajcar nella sua edizione ha parlato di tre « recensioni »; per parte sua, Natalija Aleksandrovna
KazaKova, Западная Европа в русской письменности XV-XVI веков, Leningrad, 1980,
p. 66-67, avendo preso in considerazione pure la forma testuale della narrazione confluita nella
cronachistica russa, ha ipotizzato l’esistenza di due redazioni (segnate dalla presenza o meno
dell’elemento autobiografico), al cui interno sarebbero venute sviluppandosi due diverse tipologie
testuali (Isidorovss soborss e Pov™st´ svåwennoinoka Simeona – ossia, recensioni A e B di
Krajcar – nel primo caso; Slovo na lat¥nü e testo cronachistico, nel secondo).
6. Per fare un esempio della distanza fra ricezione e decreto si tenga presente che nelle varie
riscritture di cui si è parlato alla nota precedente è evidente il progressivo accentuarsi dell’im-
pronta apologetica, volta a rendere quanto più ripugnante l’operato degli occidentali. Tale
orientamento antilatino giunge nella Pov™st´ svåwennoinoka Simeona fino a inventare per il
metropolita Marco di Efeso (eroe indiscusso in tutte le versioni testuali) una morte martiriale
nell’isola di Rodi, incarcerato con altri presuli ortodossi e fatto morire di fame nelle prigioni del
I PADRI GRECI E LA LORO TRADIZIONE ECCLESIALE 383

In assenza degli autentici Atti sinodali, già irreperibili nel xvi secolo7, la
variegata documentazione in merito ai lavori e agli interventi – in assemblea e in
riunioni ristrette – ci rappresenta il clima e le difficoltà del concilio, ci segnala le
tradizioni dottrinali e canonico-istituzionali che in esso si confrontarono, ci spiega
non poco di quanto è seguito nell’immediato e nella media e lunga durata, ma ci
attesta anche che il decreto conciliare è altro rispetto a quel clima e agli atteggia-
menti che lo determinavano.
Esemplare da questo punto di vista risulta l’enunciato relativo al primato del
pontefice romano.
Nonostante le evidenti diverse ecclesiologie professate e vissute nelle Chiese
di Roma e della Nuova Roma, per secoli la comprensione che il vescovo romano
aveva della propria autorità non aveva costituito (a differenza della dottrina
del Filioque e della prassi liturgica dell’azimo) una causa specifica di rottura.
L’ordinamento patriarcale impediva – di fatto – alterazioni della prassi canonica
tradizionale. Fu soltanto in seguito alle Crociate che il diretto contatto con i Latini
e le loro istituzioni ecclesiastiche rese evidenti ai Greci le dirompenti implicazioni
comportate dalla concezione ecclesiologica romana.
In effetti, come Yannis Spiteris a suo tempo ha mostrato in un testo ormai
classico, fu col XII e gli inizi del XIII secolo che i canonisti greci iniziarono una
sistematica contestazione delle pretese ecclesiologiche romane, a cominciare dal
principio petrino su cui esse si fondavano8.

Gran Maestro dei Cavalieri di San Giovanni. A tale proposito merita ricordare come i Gioanniti,
nei loro oltre due secoli di presenza nel Dodecanneso, abbiano avuto un ottimo rapporto con la
locale popolazione greca e in più occasioni ne abbiano anche difeso la gerarchia episcopale di
fronte ai tentativi di prevaricazione dell’episcopato latino; cf. Zacharias N. Tsirpanlḗs: Ἡ Ῥόδος
καὶ οἱ Νότιες Σποράδες στὰ χρόνια τῶν Ἰωαννιτῶν Ἱπποτῶν (14ος-16ος  αἰ.), Rhodos,
1991; ID., « Il decreto fiorentino di Unione e la sua applicazione nell’arcipelago greco. Il caso di
Creta e di Rodi », Θησαυρίσματα / Thesaurismata, 21, 1991, p. 43-88.
7. Cf. V. PERI, Ricerche sull’editio princeps degli Atti greci del Concilio di Firenze (Studi e
Testi 275), Città del Vaticano, 1975, p. 3 ss. In effetti quelli che talvolta sono definiti gli Atti
latini risultano essere una registrazione del protonotaro pontificio Andrea da Santa Croce, che
non sappiamo se fosse (o meno) finalizzata alla redazione del testo protocollare degli Atti latini:
incarico affidato a tre notai. Quanto a quelli che abitualmente vengono indicati come gli Atti greci
(Praktiká), sono per una parte la ripresa del verbale ufficiale delle sedute redatto dai tre notai greci,
integrato dalla narrazione degli avvenimenti dall’arrivo dei Greci a Venezia fino alla loro partenza
da Firenze (opera di un metropolita partecipante al concilio), cui si aggiungono una breve intro-
duzione e pochi altri documenti. Anche il reciproco confronto rivela la grande accuratezza dei due
testi, che pertanto offrono una documentazione importante e autorevole, ma non rappresentano gli
Atti sinodali: cf. J. GILL, The Council of Florence, Cambridge, 1959, p. VIII-XV.
8. J. SPITERIS, La critica bizantina del primato romano nel secolo XII (Orientalia Christiana
Analecta 204), Roma, 1979.
384 CESARE ALZATI

S’avviò così una tradizione polemica, di cui erano in varia misura portatori
anche i presuli che, rispondendo all’invito di Eugenio IV, a Costantinopoli
s’imbarcarono per l’Italia con l’imperatore alla fine di novembre del 14379. Per
parte sua la Cristianità occidentale, dopo aver raggiunto a Costanza (1414-1418)
– attraverso la via concilii – una faticosa ricomposizione del Grande Scisma d’Oc-
cidente, stava vivendo nel quarto decennio del xv secolo il drammatico confronto
tra le dottrine conciliariste, espresse dal concilio di Basilea, e la riaffermazione ad
opera di Eugenio IV delle prerogative papali, quali erano venute delineandosi nei
secoli medioevali fino al periodo avignonese10. Va notato il fatto che, sia ad opera
del papa e della sua Curia11, sia da parte dei sinodali di Basilea12, la questione
dell’Unione delle Chiese veniva configurata nei termini di reductio Graecorum,
ossia riconduzione degli Orientali all’unità cattolica, dottrinalmente e istituzional-
mente conservata dalla Chiesa latina.
Si trattava di atteggiamenti, presso gli orientali come presso gli occidentali,
consolidatisi nel tempo, e che vediamo riemergere nelle esegesi che del decreto
d’Unione fiorentino furono formulate successivamente al concilio.
Nell’Apparatus super decretum Florentinum Unionis Graecorum di Ioannes de
Torquemada, il fondamento scritturistico e petrino del primato romano è riaffer-
mato con forza (« A Domino Ihesu Christo, non a conciliis universalibus … sancta
Romana ecclesia … prelata est ») e il rapporto tra la Chiesa romana e le altre
sedi patriarcali è riletto esclusivamente alla luce della tradizione dottrinale e della
canonistica latine (decretali pseudoisidoriane comprese)13.

9. Per la complessa questione della tormentata scelta di Ferrara quale sede del concilio unio-
nistico, si potranno vedere le pagine che al tema ha dedicato J. GILL, The Council of Florence,
p. 46-93.
10. Per un attento profilo delle posizioni ecclesiologiche allora a confronto, potrà vedersi
G. ALBERIGO, Chiesa conciliare. Identità e significato del Conciliarismo (Testi e ricerche di
scienze religiose 19), Brescia, 1981.
11. Basti qui segnalare: le « Instructiones pontificiae ad nuntios apostolicos » (Firenze, giu-
gno 1436), o le « Instructiones pro legato imperiali » (Bologna, c. 13 marzo 1437), in Epistolae
Pontificiae ad concilium Florentinum spectantes, I: Epistolae Pontificiae de rebus ante concilium
Florentinum Gestis (1418-1438) (Concilium Florentinum 1/1), G. Hofmann ed., Roma, 1940,
n. 56, p. 50, 1; n. 64, p. 62, 27.
12. Cf., ad esempio, la responsio synodalis basileese « Beatus Hieronymus » (7 ottobre 1439):
« Alii enim pontifices in veris conciliis generalibus, ut Innocentius III. in concilio Lateranensi …
et Gregorius X in concilio Lugdunensi, Graecos reduxerunt » (J. D. MANSI, Sacrorum conciliorum
nova et amplissima collectio [= MANSI], 29, Venetiis, 1788; ried. an.: Graz, 1961, c. 354 B).
13. IOANNES DE TORQUEMADA, Apparatus super decretum Florentinum Unionis Graecorum
(Concilium Florentinum, 2/1), E. Candal ed., Roma, 1942, p. 107, 1 (principio petrino, con
riferimento al testo probabilmente sinodale di Damaso del 382: Decretum Gelasianum [Texte
und Untersuchungen, 38/4], E. von Dobschütz Hrsg., Leipzig, 1912, p. 7); 114, 4-16 (rapporto
pontefice romano altri patriarchi, con riferimento alla const. 5 del Lateranense IV: Constitutiones
Concilii Quarti Lateranensis una cum Commentariis Glossatorum [Monumenta Iuris Canonici,
I PADRI GRECI E LA LORO TRADIZIONE ECCLESIALE 385

Per parte sua in Oriente, il grande oppositore dell’Unione, che contribuì in modo
decisivo al suo fallimento, Marco Eugenico, facendosi portavoce dei tradizionali
atteggiamenti antiromani, con esplicito riferimento al decreto fiorentino venne
rimproverando ai sottoscrittori dell’Unione – etichettati come Greco-latini – d’a-
ver accettato per il papa di Roma il titolo di « padre e maestro di tutti i cristiani »,
ratificandone le pretese14.
Se peraltro noi consideriamo il decreto fiorentino nella sua formulazione testuale,
dobbiamo constatare come entrambe tali interpretazioni, benché formulate da
personaggi illustri del concilio, prescindano da quanto enunciato sinodalmente
dal concilio stesso. Al riguardo merita segnalare come il decreto sinodale appaia
configurarsi in termini decisamente autonomi segnatamente rispetto ad afferma-
zioni costantemente riaffermate da parte latina. Queste ultime furono ribadite
anche nel discorso (con punte di sapore ierocratico) tenuto il 18 giugno 1439
dall’oratore ufficiale Giovanni di Montenero, proprio in vista della redazione del
testo conclusivo15.
È pertanto assolutamente impropria la pretesa di Emmanuel Candal di voler
considerare l’Apparatus del Torquemada uno strumento tramite il quale « et mens
concilii clarescit, et textus Bullae Unionis in tota sua extensione melius cogno-
scitur16 ». Di fatto, cercare la mens concilii oltre il testo promulgato dal concilio
stesso, affidandosi alle parole di autorevoli personaggi di quell’assemblea – come
il Torquemada o il metropolita efesino – risulterebbe altamente fuorviante.
Anche la dinamica, che caratterizzò la redazione del testo, concorre a eviden-
ziarne la specificità.

Series A: Corpus Glossatorum 2], A. García y García ed., Città del Vaticano, 1981, p. 52); 105,
28-29 (le superiori dignità ecclesiastiche come vocatio in partem sollecitudinis ad opera del
pontefice romano). Cf. A. MARCHETTO, « La “fortuna” di una falsificazione. Lo spirito dello
Pseudo-Isidoro aleggia nel nuovo Codice di Diritto Canonico? », in Fälschungen im Mittelalter.
Internationaler Kongress der Monumenta Germaniae Historica. München, 16.-19. September
1986 (Monumenta Germaniae Historica [= MGH], Schriften 33/2), II, Hannover, 1988, p. 398-
401; ID., « “In partem sollicitudinis … non in plenitudinem potestatis.” Evoluzione e “fortuna” di
una formula di rapporto Primato-Episcopato », Apollinaris, 66, 1993, p. 451-485.
14. MARCUS Ephesius, Epistula ad omnes Christianos, 6 (Patrologia Orientalis 17/2),
L. Petit éd., p. 458 (320). 16-17; per l’epiteto di Γραικολατῖνοι, accentuazione del più comune
Λατινόφρονες: ibid., 1, p. 450 (312), 6-7.
15. « Ipsi [i. e.: reges et principes] sunt executores mandatorum sedis apostolicae, sic dicuntur
executores potestatis ecclesiae »: ANDREAS DE SANCTA CROCE, advocatus concistorialis, Acta
Latina Concilii Florentini (Concilium Florentinum, 6), G. Hofmann ed., Roma, 1955, p. 246, 2-5.
Per la data, in conformità alla plausibile successione degli eventi proposta dagli Acta Graeca:
J. GILL, The Council of Florence, p. 278; l’Hofmann, seguendo Andrea di Santa Croce, aveva col-
locato tale discorso il 20 giugno: G. HOFMANN, « Due discorsi di Giovanni di Montenero O. P. nel
concilio di Firenze », in Papato, conciliarismo, patriarcato (1438-1439). Teologi e deliberazioni
del concilio di Firenze, Roma, 1940, p. 38-48.
16. E. CANDAL, in IOANNES DE TORQUEMADA, Apparatus, p. XXXVI.
386 CESARE ALZATI

Domenica, 28 giugno, una bozza, redatta da un comitato misto, fu presentata


all’imperatore Giovanni VIII. Questi, visto il protocollo iniziale (in cui quale
promotore del concilio appariva il solo papa, senza menzione né dell’imperatore,
né della Chiesa greca)17 e letto su quali fondamenti fossero legittimate le preroga-
tive primaziali del pontefice romano (« come stabiliscono la Divina Scrittura e le
parole dei santi »)18, dichiarò che, se non si fossero rettificati quei due enunciati,
altro non restava che predisporre la sua partenza19. Continuò il travagliato con-
fronto e sabato 4 luglio si ebbe la stesura definitiva, su cui fu possibile ottenere
una generale convergenza.
La nuova formulazione inserì esplicitamente, all’interno del protocollo, la men-
zione del consenso che al concilio era stato accordato dall’« illustre imperatore
dei Romei, il nostro carissimo figlio Giovanni Paleologo », dai luogotenenti dei
« venerabili nostri fratelli i patriarchi » e dagli altri rappresentanti della Chiesa
orientale20. Quanto poi alle prerogative papali, quantunque venissero ribadite le
tradizionali formulazioni romane, non si fece più alcun riferimento – in merito al
loro principio di legittimità – alla Scrittura e agli scritti dei santi, ma esclusiva-
mente « a quanto contenuto negli Atti dei concili ecumenici e nei sacri canoni21 ».
Oltre a ciò, e in forma speculare, nel testo si confermava « l’ordine degli altri
venerabili patriarchi trasmesso nei canoni … salvaguardandosi tutte le loro prero-
gative e i loro diritti22 ».

17. Quae supersunt Actorum Graecorum Concilii Florentini, 2: Res Florentiae gestae
(Concilium Florentinum, 5/2), J. Gill ed., Roma, 1953, p. 454. 26-35.
18. « …καθὼς ὁρίζεται ἡ θεία γραφὴ καὶ τὰ ῥητὰ τῶν ἁγίων »: ibid., p. 454-455.
19. Ibid., p. 455, 4-6.
20. Non è di poco conto un particolare narrativo reperibile nel già menzionato scritto di
Simeone di Suzdal’, fin dalla sua « prima » redazione. Riferendo in merito alla fase ferrarese
del concilio, Simeone afferma che Marco d’Efeso in una seduta avrebbe rivolto a papa Eugenio
questi rimproveri: « Ascolta, venerando papa romano e maestro della gente latina, … tu designi
questo l’Ottavo concilio, ma non fai nemmeno una menzione dell’imperatore; chiami questo il
concilio tuo, e Ottavo, … e non chiami tuoi fratelli i patriarchi » (Isidorovss soborss, p. 56;
Pov™st´ svåwennoinoka Simeona suΩdalca, p. 84). Non si può non rilevare la consonanza di
questa fonte russa con la documentazione relativa al serrato confronto sviluppatosi negli ultimi
giorni del concilio tra Giovanni VIII ed Eugenio IV, confronto dimostratosi, di fatto, decisivo per
la compiuta configurazione sinodale del decreto d’Unione.
21. Per cogliere il significato di tale aspetto, va ricordato che nei precedenti dibattiti – in merito
alle espressioni con cui al concilio Calcedonese (451), a quello Costantinopolitano (680-681) e al
Niceno II (787) furono accolte le epistole dei pontefici romani (rispettivamente Leone, Agatone
e Adriano) – i Greci avevano obiettato trattarsi di « verba per modum honoris posita, et videban-
tur, ut non facerent auctoritatem », mentre per parte loro i Greci « voluissent videre canones aut
capita conciliorum »: cf. in merito il secondo discorso sul Primato di Giovanni da Montenero
(in ANDREAS DE SANCTA CROCE, advocatus concistorialis, Acta Latina, G. Hofmann ed., p. 241,
26-29). Tali obiezioni furono ribadite il 28 giugno dall’imperatore: cf. Quae supersunt Actorum
Graecorum Concilii Florentini, 2, J. Gill ed., p. 455, 2-3.
22. « Eugenius episcopus, servus servorum Dei, ad perpetuam rei memoriam, consentiente
I PADRI GRECI E LA LORO TRADIZIONE ECCLESIALE 387

Sicché l’affermazione di Marco Eugenico che tale decreto sia stato un cedi-
mento alle pretese papali appare assai poco pertinente. In merito ai fondamenti
del primato romano (e, conseguentemente, ai suoi caratteri istituzionali), come
lo stesso Gill fa notare, furono in realtà i Latini a recepire le istanze dei Greci23.

ad infrascripta carissimo filio nostro Iohanne Paleologo Romeorum imperatore illustri et


locatenentibus venerabilium fratrum nostrorum patriarcharum et ceteris orientalem ecclesiam
repraesentantibus. / Item diffinimus sanctam apostolicam sedem et Romanum pontificem
in universum orbem tenere primatum, et ipsum pontificem Romanum successorem esse beati
Petri principis apostolorum et verum Christi vicarium totiusque ecclesiae caput et omnium
Christianorum patrem et doctorem existere … quemadmodum etiam in gestis ycumenicorum
conciliorum et in sacris canonibus continetur. Renovantes insuper ordinem traditum in canonibus
ceterorum venerabilium patriarcharum, … salvis videlicet privilegiis omnibus et iuribus eorum. »
/// Εὐγένιος  ἐπίσκοπος  δοῦλος  τῶν  δούλων  τοῦ  Θεοῦ  εἰς  ἀΐδιον  τοῦ  πράγματος 
μνήμην. Συναινοῦντος τοῖς ὑπογεγραμμένοις τοῦ ποθεινοτάτου υἱοῦ ἡμῶν Ἰωάννου 
Παλαιολόγου  τοῦ  περιφανοῦς  βασιλέως  τῶν  Ῥωμαίων, καὶ  τῶν  τοποτηρητῶν τῶν 
σεβασμίων  ἀδελφῶν  ἡμῶν  τῶν  πατριαρχῶν,  καὶ  τῶν  λοιπῶν  τὴν  ἀνατολικὴν 
ἐκκλησίαν  παριστανόντων  /  Ἔτι  ὁρίζομεν  τὴν  ἁγίαν  ἀποστολικὴν  καθέδραν  καὶ 
τὸν  Ῥωμαικὸν  ἀρχιερέα  εἰς  πᾶσαν  τὴν  οἰκουμένην  τὸ  πρωτεῖον  κατέχειν,  αὐτόν 
τε  τὸν  Ῥωμαικὸν  ἀρχιερέα  διάδοχον  εἶναι  τοῦ  μακαρίου  Πέτρου,  τοῦ  κορυφαίου 
τῶν  ἀποστόλων,  καὶ  ἀληθῆ  τοποτηρητὴν  τοῦ  Χριστοῦ,  καὶ  πάσης  τῆς  ἐκκλησίας 
κεφαλήν, καὶ πάντων τῶν χριστιανῶν πατέρα καὶ διδάσκαλον ὑπάρχειν … καθ᾽ὃν 
τρόπον  καὶ  ἐν  τοῖς  πρακτικοῖς  τῶν  οἰκουμενικῶν  συνόδων  καὶ  τοῖς  ἱεροῖς  κανόσι 
διαλαμβάνεται.  Ἀνανεοῦντες  ἔτι  καὶ  τὴν  ἐν  τοῖς  κανόσι  παραδεδoμένην  τάξιν 
τῶν  λοιπῶν  σεβασμίων  πατριαρχῶν  …  σωζομένων  δηλαδὴ  καὶ  τῶν  προνομίων 
ἁπάντων  καὶ  δικαίων  αὐτῶν. /// EÁgenîe episkûpss, rabss rabomss boΩ´imss, vss
spominanïê v™çnoê. PodpisÁêmss sêmu d™lu sss proizvolênîêmss vozlüblênnago mi syna
IΣanna PalêΣloga, sv™tl™i‚ago carå RomêΣromss, i s nam™stniki çist´n™i‚ixss brat´i na‚ixss
patriarxovss ï in¥xss vs™xss, iΩê vssstoçnûü cêrkov´ pravåtss. / Smotrixom Ωê i o sêmss
sicê svåt¥i apostol´skii prêstolss i rimssskiæ arxiêr™a vo vs™xss konc™xss vsêlên¥æ im™ti
êgo pêr´vago i nam™stinka blaΩênago i vêrxov´någo apostola Pêtra, Isûsss Xristova vikaria i
vs™mss cer´kvamss gla[v]u i vs™mss xristianomss Σt´ca i uçitêlå … æko Ωê êst´ ustavlêno na
v´sêlen´skixss zborêxss i svåt¥xss pravil™xss. Tako Ωê po prêdan´ü pravil´nomû da imaütss
ustavss çesti™i‚aæ brat´æ na‚a patrîar´si … vo vs™xss svoixss m™stexss i zakonêxss stoæti i
im™ti ispolnêno vo vsêmss: Conciliorum Oecumenicorum Generaliumque Decreta, 2/2 (Corpus
Christianorum. COGD, 2/2), F. Lauritzen et al. eds.,Turnhout, 2013, p. 1212 (550), 980-990; 1217
(555), 1204 – 1218 (556), 1233; Acta Slavica Concilii Florentini (Concilium Florentinum, 11),
J. Krajcar ed., Roma, 1976, p. 129, 132.
23. J. GILL, The Council of Florence, p. 345, 347. Nel contesto delle discussioni connesse al
concilio Vaticano I, Ignaz von Döllinger all’inizio del 1870 avviò un dibattito sulla redazione
latina del decreto fiorentino ritenendo l’espressione quemadmodum etiam un’alterazione del testo
originario, corrispettivo del greco καθ᾽ὃν  τρόπον  καί: cf. G. HOFMANN, « Quemadmodum
etiam », in Papato, conciliarismo, patriarcato, p. 65-68. In realtà l’affermazione non risulta codi-
cologicamente giustificabile, ed anche contenutisticamente di scarso rilievo, visto che l’aspetto
essenziale della redazione finale è rappresentato dal richiamo agli Atti dei concili ecumenici e ai
canoni, in sostituzione dell’originario riferimento ai testi scritturistici e agli scritti dei santi.
388 CESARE ALZATI

II. – LA DINAMICA DELL’ACCORDO RAGGIUNTO NEL DECRETO D’UNIONE


Anche la sezione di gran lunga più rilevante del decreto d’Unione – relativa
alla « processione » dello Spirito Santo e all’interpolazione del Filioque – risulta
confermare tanto l’impossibilità di condurre una corretta esegesi delle decisioni
conciliari ricorrendo alle memorie di attori anche molto autorevoli del concilio
stesso, quanto l’irriducibilità di quelle decisioni agli orientamenti dottrinali, che
precedettero e accompagnarono il concilio e che riemersero dopo di esso (in
tempi relativamente brevi in Oriente, soprattutto a seguito del concilio di Trento
a Roma24).
Questa distanza tra decreto conciliare e ciò che l’aveva preceduto era, del
resto, inscritta nella natura stessa del concilio, che elaborò quel testo per mani-
festare l’avvenuta convergenza di due tradizioni ecclesiali diverse, sviluppatesi
da secoli in condizione di separatezza. Ed è una distanza che conferma come a
Firenze si ebbe non una reductio Graecorum ma, grazie alla straordinaria tenacia
di Giovanni VIII e dei Greci, una vera Unione (nell’accezione calcedoniana del
termine) tra Chiesa latina e Chiesa greca25.

24. Sulla svolta rappresentata in Occidente nella fase postridentina dal Breve « Romanus
pontifex » emesso da Pio IV nel 1564, mi permetto rinviare all’excursus sviluppato nella Nota in
appendice.
25. Immediata evidenza al preciso orientamento impresso alle decisioni conciliari dalla com-
ponente greca è offerta dal confronto con il documento relativo agli Armeni (totalmente romano
quanto a ecclesiologia e latino quanto a temi dottrinali) ratificato il 22 novembre 1439, sempre
a Firenze, dalla sparuta – e istituzionalmente debole – delegazione giunta da Caffa: Conciliorum
Oecumenicorum Generaliumque Decreta (Corpus Christianorum. COGD, 2/2), p. 1224 (562) –
1259 (597). Sia permessa a questo punto una rapida considerazione in merito al termine «Unione».
Nel corrente lessico ecumenico, per indicare la ricomposizione delle divisioni ecclesiastiche, si è
introdotto l’uso (non generalizzato) del termine Unitas / Ἑνότης. Su questo aspetto lessicale ha
fortemente inciso la posizione espressa nel 1960, quale interprete del Trono Ecumenico (cf. « Der
Patriarch von Konstantinopel bekundet erneut den Willen zur Einheit », Herder Korrespondenz,
14 [12], 1960, p. 561-562), da Chrysostomos Konstantinidis: questo illustre personaggio della
scena ecumenica del tempo ricorse allora alla seguente espressione: « Ἕνωσιν δὲν ζήτουμεν. 
Ἑνότητα  ἐπαγγελλόμεθα (Non vogliamo l’Unione. Pretendiamo l’Unità) ». L’allora archi-
mandrita Chrysostomos apertamente dichiarò che il suo rifiuto del termine Hénosis era motivato
dall’avversione alle Unioni storiche, che ai suoi occhi avevano corrotto il termine stesso, facen-
dolo diventare sinonimo di fusione (συγγώνευσις), commistione (σύγκρασις), assimilazione
(ἀφωμοίωσις), assorbimento (ἀπορρόφησις) (ChrysósTomos KonsTanTinίDēs, « Ἰδεῶν 
διαπλάτυνσις. Ἕνωσις καὶ Ἕνότης », Ὀρθοδοξία, 35 [2], 1960, p. 277-302; segnatamente
p. 278, 284). In realtà Unio / Ἕνωσις è termine che, oltre ad appartenere alla ininterrotta tradizione
ecclesiologica (fino alle United Churches costituitesi nel secolo XX in ambito anglicano), presenta
– e non casualmente – un fondamentale radicamento cristologico, essendo il termine specifico
utilizzato nel tomo calcedonese per designare l’unione ipostatica delle due nature, che sussistono
nell’unico Logos Dio ἀδιαιρέτως / indivise, ma altresì ἀσυγχύτως / inconfuse; σῳζομένης 
δὲ μᾶλλον τῆς ἰδιότητος ἑκατέρας φύσεως / magisque salva proprietate utriusque naturae:
I PADRI GRECI E LA LORO TRADIZIONE ECCLESIALE 389

In effetti, nelle discussioni sinodali, l’intento di entrambe le parti fu prevalente-


mente polemico da una parte e apologetico dall’altra. Mentre i Greci miravano a
mostrare l’insostenibilità della interpolazione del Credo e della connessa dottrina
occidentale26, i Latini (che, a Lione nel 127427 e in occasione della venuta a Roma
di Giovanni V Paleologo nel 136928, avevano semplicemente imposto agli inter-
locutori greci l’accettazione della tradizione romana) nel confronto diretto – pur

Conciliorum Oecumenicorum Generaliumque Decreta, 1: The Oecumenical Councils (Corpus


Christianorum, COGD, 1), G. Alberigo et al. eds., Turnhout, 2006, p. 137, 378-384.
26. Esemplari a tale proposito gli interventi di Marco d’Efeso e di Bessarione di Nicea
sull’aggiunta del Filioque affrontata nelle sessioni ferraresi: Quae supersunt Actorum Graecorum
Concilii Florentini, 1, J. Gill ed., p. 47 ss., 59 ss. Quanto alle analoghe convinzioni presenti negli
scritti del metropolita di Kiev: ISIDORUS Kioviensis et totius Russiae, Sermones inter concilium
Florentinum conscripti (Concilium Florentinum, 10), G. Hofmann – E. Candal edd., Roma, 1971,
p. 9-16 (Sermo prior contra additionem ad Symbolum), 17-53 (Sermo alter). Non meno militanti
le affermazioni del metropolita efesino nei dibattiti intrecciati con Giovanni di Montenero nelle
sessioni fiorentine dedicate agli aspetti d’ordine dottrinale della questione triadologica: Quae
supersunt Actorum Graecorum Concilii Florentini, 2, J. Gill ed., p. 253 ss.; ANDREAS DE SANCTA
CROCE, advocatus concistorialis, Acta Latina, G. Hofmann ed., p. 136 ss. L’atteggiamento di
Marco Eugenico al riguardo è, del resto, ben espresso da suoi scritti quali i Testimonia quibus
probatur Spiritum Sanctum ex solo Patre procedere, i Capita syllogistica adversus Latinos de
Spiritus Sancti ex solo Patre processione, il Dialogus de additione ad Symbolum a Latinis facta
(Patrologia Orientalis 17/2), L. Petit éd., p. 343 (204) – 367 (229), 368 (230) – 415 (277), 415
(277) – 421 (283).
27. La Professione di fede formulata da Clemente IV (4 marzo 1267) e richiesta da Gregorio X
a Michele VIII (24 ottobre 1272) in Acta Urbani IV, Clementis IV, Gregorii X (1261-1276)
(Pontificia Commissio ad redigendum Codicem Iuris Canonici Orientalis. Fontes, ser. III, 5/1),
A. L. Tãutu ed., Città del Vaticano, 1953, p. 65-67, 91-100, 116-121. Per il previo anatematismo
sinodale della Const. XXIX sul Filioque: Conciliorum Oecumenicorum Generaliumque Decreta,
2/1: The General Councils of Latin Christendom. 869-1424 (Corpus Christianorum, COGD, 2/1),
A. García y García et al. eds., Turnhout, 2013, p. 357-358. Sul rituale imposto nel concilio ai
rappresentanti del basileus, si potrà vedere, tra gli altri, J. GILL, Byzantium and the Papacy. 1198-
1400, New Brunswick, 1979, p. 97-141. Le fonti greche in v. laurenT – J. DARROUZÈS, Dossier
grec de l’Union de Lyon (1273-1277) (Archives de l’Orient chrétien 16), Paris, 1976. Per il dibat-
tito che la questione suscitò all’interno dello stesso mondo greco, soprattutto in occasione della
sinodo delle Blacherne del 1285: A. PAPADAKIS, Crisis in Byzantium. The Filioque Controversy in
the Patriarchate of Gregory II of Cyprus (1283-1289), New York, 1983 (Crestwood [NY], 1997).
Per un quadro bibliografico sul concilio, dopo C. CAPIZZI, « Il II Concilio di Lione e l’Unione del
1274: saggio bibliografico », Orientalia Christiana Periodica, 51, 1985, p. 87-122 e B. ROBERG,
Das zweite Konzil von Lyon (Konziliengeschichte), Paderborn, 1990, può ora vedersi l’introdu-
zione dello stesso Roberg alla sua recente edizione delle costituzioni: Corpus Christianorum,
COGD, 2/1, p. 247-286.
28. O. HALECKI, Un empereur de Byzance à Rome. Vingt ans de travail pour l’Union des
Églises et pour la défense de l’Empire d’Orient. 1355-1375 (Travaux historiques de la Société des
Sciences et des Lettres de Varsovie 8), Warszawa, 1930 (ried. anast.: London, 1972), in particolare
p. 188-212; a vasil’ev, « Il viaggio di Giovanni V Paleologo in Italia e l’Unione di Roma »,
Studi Bizantini e Neoellenici, 3, 1931, p. 151-193.
390 CESARE ALZATI

essendo interiormente animati dall’idea della reductio Graecorum29 – dovettero


di fatto limitarsi a difendere l’ineccepibilità del proprio operato e ad affermare la
validità della propria tradizione dottrinale30.
Un orientamento decisamente avverso agli enunciati triadologici latini era
inizialmente condiviso dallo stesso Bessarione, che al suo arrivo a Ferrara era
pienamente persuaso della indiscutibile inaccettabilità del Filioque e della sua
dottrina31. Fu alla luce dell’approfondita analisi delle fonti condotta nei lavori
conciliari ch’egli – greco – fu spinto a riconsiderare l’intero dibattito non sem-
plicemente alla luce della propria precedente tradizione dottrinale, da lui peraltro
venerata come esemplarmente ortodossa, ma tenendo altresì conto dei dati eccle-
siali e dottrinali emersi nella documentazione prodotta durante le sedute da parte
latina32. Fu al termine di tale progressivo cammino di ricerca dottrinale ed eccle-
siologica che emerse in lui il convincimento – espresso con parole appassionate
alla riunione dei suoi colleghi greci e decisivo per l’esito finale del concilio – che
tra i padri ortodossi orientali e occidentali, dagli uni e dagli altri concordemente
riconosciuti, non potesse esservi contraddizione. Si doveva, dunque, presupporre
in loro una consonante percezione dell’ortodossia, quantunque espressa attraverso
linguaggi distinti e diversi, che dovevano essere adeguatamente analizzati33. Da
qui nacque la sua Oratio dogmatica de Unione34.

29. Si veda al riguardo il già citato Apparatus super decretum Florentinum del Torquemada
(cf. nota 12) o un’opera quale il Tractatus polemico-theologicus de Graecis errantibus di Andrés
Diaz de Escobar (Concilium Florentinum 4), E. Candal ed., Madrid – Roma, 1952.
30. Si considerino, ad esempio, le argomentazioni degli interlocutori latini nelle sessioni fer-
raresi e fiorentine dedicate al tema trinitario (Andrea Chrysoberges, Aloisio da Pirano vescovo
francescano di Forlì, Giuliano Cesarini, il domenicano Giovanni di Montenero): Quae supersunt
Actorum Graecorum Concilii Florentini, J. Gill ed.: 1, p. 50 ss.; 2, p. 250 ss.; ANDREAS DE SANCTA
CROCE, advocatus concistorialis, Acta Latina, G. Hofmann ed., p. 40 ss., 135 ss.
31. Basti segnalare i suoi già ricordati interventi (cf. nota 25) alle sessioni VI e VII (1° e
4 novembre) durante la fase ferrarese: Quae supersunt Actorum Graecorum Concilii Florentini,
J. Gill ed.: 1, p. 138-160; ANDREAS DE SANCTA CROCE, advocatus concistorialis, Acta Latina,
G. Hofmann ed., p. 46-56. La sua evoluzione è già percepibile al termine dell’VIII sessione
dell’8 dicembre, nelle espressioni di apprezzamento rivolte al vescovo di Forlì e al card. Cesarini:
con parole misurate in Quae supersunt Actorum Graecorum Concilii Florentini, J. Gill ed.: 1,
p. 186; riportate forse con eccessiva enfasi in ANDREAS DE SANCTA CROCE, advocatus concisto-
rialis, Acta Latina, G. Hofmann ed., p. 76.
32. Un censimento delle fonti proposte nella fase fiorentina in G. HOFMANN, « Die Konzilsarbeit
in Florenz (I) », Orientalia Christiana Periodica, 4, 1938, p. 170-187.
33. Οἱ  δυσικοὶ  καὶ  ἀνατολικοὶ  ἅγιοι  οὐ  διαφωνῶσιν,  ἀλλὰ  τὸ  αὐτὸ  Πνεῦμα 
ἐλάλησεν  ἐν  πᾶσι  τοῖς  ἁγίοις,  καὶ  εἰ  θέλετε,  συγκρουσάσθωσαν  τὰ  συγγράμματα 
αὐτῶν ἀπ’ἀλλήλων, καὶ οὕτως εὑρεθήσονται ὁμογνώμονες οἱ ἅγιοι: Quae supersunt
Actorum Graecorum Concilii Florentini, J. Gill ed.: 2, p. 401.
34. Essa fu stesa nella prima metà dell’aprile 1439, avendo quali destinatari i padri sinodali
greci, per esortarli a non abbandonare l’impresa, vincendo il diffuso senso di frustrazione da
I PADRI GRECI E LA LORO TRADIZIONE ECCLESIALE 391

A differenza di Marco d’Efeso, rigidamente arroccato in funzione antilatina


su l’ἐκ  μόνου  τοῦ  Πατρός di matrice foziana35, Bessarione, impegnatosi a
riflettere approfonditamente sul διὰ τοῦ Υἱοῦ / per Filium (ossia, sull’enunciato
che caratterizzava la triadologia neonicena dei Cappadoci)36, vide nel Filioque
latino una differente modalità d’espressione della dottrina, presente anche tra gli
Orientali, in merito alla partecipazione del Logos alla spirazione del Pneuma37.
Nell’assumere tale prospettiva Bessarione venne riproponendo quel criterio
della intenzionalità, che nel 362 era stato formulato dal grande Atanasio nel Tomus
ad Antiochenos, in cui il papa alessandrino, di fronte alla irrisolvibile confusione
dei linguaggi teologici determinatasi attorno al concetto di ὑπόστασις, venne
affermando la plausibilità tanto della formulazione τρεῖς  ὑπoστάσεις quanto
dell’altra μία ὑπόστασις, qualora la loro utilizzazione derivasse da un comune
sentire (φρόνημα τῆς εὐσεβείας)38.
Questo convincimento, che linguaggi diversi possano tendere ad esprimere la
medesima fede, fu un’acquisizione maturata nel Bessarione, e che da lui si trasfuse

cui era stato contagiato lo stesso imperatore: BESSARION Nicaenus, Oratio dogmatica de Unione
(Concilium Florentinum 7/1), E. Candal ed., Roma, 1958.
35. Così, ad esempio, l’Epistula ad omnes Christianos, 3 (Patrologia Orientalis 17/2), L. Petit
éd., p. 451 (313), 13-14. Evidentemente il principio della non contraddizione tra i santi (Confessio
fidei: ibid., p. 438 [300], 31-33) non era da lui vissuto senza incoerenze, o almeno in lui non
riuscì a scalfire la preminente preoccupazione antilatina, sebbene lo costrinse ad affermare che
i testi citati dei padri latini dovevano ritenersi falsificati (Relatio de rebus a se gestis: ibidem,
p. 445 [307]. 20 ss.). Tale rigida riproposizione dell’enunciato foziano (ἐκ τοῦ Πατρὸς μόνον:
PHOTIUS Constantinopolitanus, Encyclica epistola, 8; μόνον  ἐκ  τοῦ  Θεοῦ  καὶ  Πατρός:
Epistola ad archiepiscopum et metropolitam Aquileiae, 3 [Bibliotheca Teubneriana], B. Laoúrdas
– L. G. Westerink edd., Leipzig: I, 1983, p. 43, 106-107; III, 1983, p. 140, 46) tanto più colpisce
quando si constati che, tra le numerose auctoritates patristiche da Marco prodotte, nessuna poteva
avallare la sua interpretazione radicale delle parole del grande patriarca: cf. J. GILL, The Council
of Florence, p. 230.
36. Cf. BASILIUS Caesariensis, De Spiritu Sancto, XVIII, 47 (Sources chrétiennes 17),
B. Pruche éd., Paris, 1971 (1968), p. 198 (διὰ τοῦ Μονογενοῦς). Cf. C. MORESCHINI, I Padri
Cappadoci. Storia, letteratura, teologia, Roma, 2008, p. 254 ss.
37. BESSARION Nicaenus, Oratio dogmatica de Unione, 27 ss., E. Candal ed., p. 24 ss.; per la
presenza anche tra i Padri orientali del ricorso alla preposizione ἐκ: 55 ss., p. 49 ss.; cf. altresì De
Spiritus Sancti processione ad Alexium Lascarin Philanthropinum (Concilium Florentinum 7/2),
56 ss., E. Candal ed. , Roma, 1961, p. 47 ss.
38. ATHANASIUS Alexandrinus, Tomus ad Antiochenos, 5, 6, 11: Lettera agli Antiocheni
(Biblioteca Patristica, 46), A. Segneri ed., Bologna, 2010, p. 88, 90, 100; testo siriaco in
Athanasiana Syriaca (Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium, 272), II, R. W. Thomson
ed.; trans. lat.: 273. Scriptores Syri, 118; transl. angl.: 119, Louvain, 1967, p. 31-36; transl. angl.:
p. 25-30.
392 CESARE ALZATI

nella sinodo greca, permettendo di giungere con i Latini a un testo comune ampia-
mente condiviso39.
L’affermazione dell’equivalenza concettuale delle due formulazioni – per
Filium e Filioque – può essere discutibile, visto che tali formulazioni sono
espressione di tradizioni di pensiero teologico diverse, ma l’assunto in merito alla
loro convergente intenzionalità dottrinale appare possedere una intrinseca validità,
difficilmente sconfessabile. Sarebbe altrimenti privo di giustificazioni il costante
culto delle Chiese « greche » per Padri occidentali, come Ambrogio, la cui tomba è
tuttora oggetto di pellegrinaggi ad opera di comunità e di presuli ortodossi.
Come si sa, la concreta redazione del decreto finale ebbe all’origine una serie di
cedulae elaborate dai Latini, e da loro trasmesse ai Greci40. Questo determinò una
certa « trazione latina », che ebbe particolare incidenza nella sezione dedicata al
destino delle anime dopo la morte, non sussistendo in merito una dottrina univoca
e consolidata presso i Greci41. Tale « trazione latina » appare percepibile anche
nella sezione del decreto relativa alla dottrina trinitaria. Ma in questo caso – come

39. Estremamente rappresentativo di tale processo ciò che il metropolita di tutta la Rus’,
Isidoro, disse ai colleghi orientali, nelle settimane risolutive del concilio: Quae supersunt Actorum
Graecorum Concilii Florentini, J. Gill ed.: 2, p. 426; il suo solido radicamento in una prospettiva
di mutua accoglienza tra Greci e Latini, conservatosi intatto a Firenze anche nella complessa fase
successiva all’interruzione delle sedute pubbliche (24 marzo 1439), trova chiara espressione nella
Oratio exhortatoria ad concilium (creazione essenzialmente letteraria), G. Hofmann – E. Candal
edd., in ISIDORUS Kioviensis et totius Russiae, Sermones inter concilium Florentinum conscripti,
p. 54-80; in particolare sulla questione trinitaria: p. 71 ss. Merita osservare come in Isidoro vi sia
anche una ripresa delle argomentazioni di Giovanni Veccos, in merito alle quali si potrà vedere
A. BUCOSSI, «Ἐκ e διά: la processione dello Spirito Santo tra il XII ed il XIII secolo. Spunti di
riflessione», Πορφύρα / Porphyra, 6 (13/2), 2009, p. 4-12.
40. Ne offre documentazione ANDREAS DE SANCTA CROCE, advocatus concistorialis, Acta
Latina, G. Hofmann ed., p. 225 ss., 230 ss.; cf. anche in Quae supersunt Actorum Graecorum
Concilii Florentini, J. Gill ed.: 2, p. 413-414. Il Siropulo ricorda in particolare i ripetuti inter-
venti latini presso l’imperatore: sylvesTer syropoulus, Vera historia Unionis non verae
inter Graecos et Latinos, Les « Mémoires » du grand ecclésiarque de l’Église de Constantinople
Sylvestre Syropoulos sur le Concile de Florence (1438-1439), X, 1 (Concilium Florentinum 9),
V. Laurent ed., Roma – Paris, 1971, p. 474.
41. Se infatti nel decreto finale fu ribadita la comune prassi di pregare per i defunti, vi si ratificò
pure la dottrina, consolidata tra i Latini, dell’immediato giudizio individuale e si menzionarono
le « pene purgatorie » (ma non si parlò, né di « Purgatorio », né di fuoco, elemento quest’ultimo
cui faceva invece riferimento la prima cedula formulata dai Latini: ANDREAS DE SANCTA CROCE,
advocatus concistorialis, Acta Latina, G. Hofmann ed., p. 225 ss.). Il tema nel suo complesso era
stato affrontato già nella fase ferrarese (Quae supersunt Actorum Graecorum Concilii Florentini,
J. Gill ed.: 1, p. 19-26; cf. De Purgatorio disputationes [Concilium Florentinum 8/2], L. Petit –
G. Hofmann edd., Roma, 1969; sylvesTer syropoulus, Vera historia Unionis non verae inter
Graecos et Latinos, V. Laurent ed., p. 280 ss.), ma ancora nella seconda metà del giugno 1439,
l’autore della Descrizione connessa agli « Atti Greci » rendeva testimonianza alla poca chiarezze
di idee al riguardo riscontrabile tra i presuli orientali: Quae supersunt Actorum Graecorum
Concilii Florentini, J. Gill ed.: 2, p. 446, 25-27; 447, 19-23.
I PADRI GRECI E LA LORO TRADIZIONE ECCLESIALE 393

già si è visto per la questione del primato del pontefice romano – il testo rivela
chiaramente anche la concomitante presenza della « trazione orientale ».
La legittimità della triadologia latina, proclamata in forza della equivalenza
dottrinale tra Filioque e διὰ  τοῦ  Υἱοῦ / per Filium, veniva infatti a ratificare
la tradizione greca dei Cappadoci quale forma ecumenicamente riconosciuta di
ortodossia. Sicché per i Greci era chiaro – come l’imperatore ebbe a dire – che « né
i Latini ci hanno costretto ad aggiungere alcunché nel nostro sacro Simbolo, né
a cambiare qualcosa degli usi della nostra Chiesa42 », come concretamente venne
dimostrato dal patriarca ecumenico che, alla luce degli accordi intercorsi, dichiarò
convintamente la propria comunione coi Latini, corredandola con le parole: « Io
mai muterò o mi separerò dal dogma, che noi abbiamo ricevuto dai Padri, ma
rimarrò in esso fino all’ultimo mio respiro43. »
Quanto poi all’alterazione latina del Credo (in palese contrasto rispetto alle
disposizioni dei concili di Efeso e di Calcedonia44) il decreto si configura, signi-
ficativamente, come una solenne giustificazione sinodale accordata dai Greci ai
Latini: una legittimazione post factum, che col suo stesso porsi manifesta l’origi-
naria censurabilità della interpolazione avvenuta.
Accertata la plausibilità della dottrina latina, l’alterazione del Simbolo – agli
occhi di Bessarione – aveva nell’assemblea fiorentina, stante la riconosciuta
ecumenicità di quest’ultima, l’occasione propizia per essere canonicamente legit-
timata45. Merita osservare che pure Eugenio IV, in una riunione con i Greci alla
metà di giugno del 1439, espresse la sua convinzione in merito all’opportunità di

42. Quae supersunt Actorum Graecorum Concilii Florentini, J. Gill ed.: 2, p. 433, 34 – 434, 3.
43. Ibid., p. 438, 12-20.
44. Per quanto fu sancito dal concilio di Efeso del 431 con specifico riferimento alla profes-
sione di fede Nicena: Acta Conciliorum Oecumenicorum, I: Concilium Vniuersale Ephesenum,
I, 7, E. Schwartz ed., Berolini – Lipsiae, 1929, p. 73-77, p. 84-106, segnatamente: 74, 3 – 77,
p. 89, 105-106; per le decisioni assunte al riguardo nel 451 a Calcedonia: Acta Conciliorum
Oecumenicorum, II: Concilium Vniuersale Chalcedonense, I, 2, E. Schwartz ed., Berolini –
Lipsiae, 1933, Actio V, 30-34, p. 126 [322] – 130 [326]; per il rinnovato riferimento ai due Simboli
nel concilio Costantinopolitano del 680-681: Acta Conciliorum Oecumenicorum, Series II,
II: Concilium Vniuersale Constantinopolitanum tertium, 2, R. Riedinger ed., Berolini, 1992,
Actio XVIII, p. 770. In effetti già nel 431 al concilio Efesino Giovenale di Gerusalemme aveva
proposto, prima dell’esame delle sentenze dogmatiche, la lettura del Simbolo di Nicea quale
paradigma d’ortodossia cui riferirsi (Acta Conciliorum Oecumenicorum, I: Concilium Vniuersale
Ephesenum, I, 2: 43, p. 12, 17 ss.). Con tale testo dogmatico furono in effetti posti a confronto gli
scritti di Cirillo (I, 2: 45, 1 ss., p. 13, 26 ss.) e di Nestorio (I, 2: 46-48, p. 31-36). Analoga proce-
dura, con riferimento ai Simboli Niceno e Niceno-Costantinopolitano, fu seguita a Calcedonia.
Essi furono recitati nella III sessione quali testi nei quali si condensava la fede ortodossa (Acta
Conciliorum Oecumenicorum, II: Concilium Vniuersale Chalcedonense, I, 2: Actio III, 7 ss., p. 78
[274] ss.); e nella IV sessione vennero proposti quale paradigma d’ortodossia con cui verificare il
Tomo a Flaviano del romano Leone (I, 2: Actio IV, 8 ss., p. 93 [289] ss.).
45. BESSARION Nicaenus, Oratio dogmatica de Unione, 5, E. Candal ed., p. 7-8.
394 CESARE ALZATI

un’esplicita legittimazione sinodale, onde evitare il rinnovarsi in futuro delle accuse


fino ad allora risuonate da parte greca46. Su questo aspetto offre una documenta-
zione oltremodo interessante una fonte russa, la Peregrinazione del metropolita
Isidoro: un’accurata descrizione del lungo viaggio compiuto dal metropolita della
Rus’ per giungere da Mosca al concilio, con una succinta relazione sui lavori di
quest’ultimo e una stringata indicazione dell’itinerario percorso al ritorno47 Tale
testo, dopo aver descritto la promulgazione del decreto d’Unione nella seduta
del 6 luglio 1439, afferma: « E dopo questo l’intera compagine del clero latino
e tutto il popolo iniziarono a cantare e a rallegrarsi che da parte dei Greci fosse
stato loro accordato il perdono. » L’affermazione può apparire curiosa, ma riflette
una percezione interessante di quanto avvenuto in concilio. Se teniamo presente
la giustificazione « ecumenica » accordata ai Latini in merito all’interpolazione
filioquista, un siffatto riferimento al « perdono » non risulta per nulla immotivato,
e si direbbe riflettere un sentimento avvertito (almeno nella delegazione russa) e
strettamente legato ai giorni del concilio (vista la sua difficile componibilità con
le argomentazioni della successiva polemica antifiorentina in ambito moscovita).
Del resto, in un colloquio del 10 giugno 1439, voluto da Eugenio IV, con Isidoro
di Russia, Doroteo di Trebisonda, Bessarione di Nicea e Doroteo di Mitilene,
proprio in riferimento all’interpolazione, i metropoliti suggerirono che i Latini ne
riconoscessero l’illegittimità, così da « ottenere il perdono48 ».
Il decreto d’Unione quale reciproco riconoscimento d’ortodossia, senza
che venisse a « cambiare alcunché negli usi » delle due Chiese, è connotazione
emblematicamente confermata da quanto enunciato in merito alla diversificata
utilizzazione – nell’ambito delle celebrazione eucaristica – di pane fermentato
(i Greci) e pane azimo (i Latini): « Nel pane di frumento – tanto azimo, quanto
fermentato – si rende realmente presente il Corpo di Cristo, e nell’uno e nell’altro i
sacerdoti devono rendere presente quello stesso Corpo del Signore, evidentemente
ciascuno secondo la consuetudine della propria Chiesa, vuoi occidentale vuoi
orientale49. »

46. ANDREAS DE SANCTA CROCE, advocatus concistorialis, Acta Latina, G. Hofmann ed.,
p. 239, 30-37; cenno seppur vago al riguardo anche nel card. Giuliano Cesarini: p. 254, 35-38.
47. XoÙdênîê mitropolnta Isidora … (Sankt-Peterburg, Biblioteka Akademii Nauk:
Cod. 16.8.13, f. 127r), in Acta Slavica concilii Florentini (Concilium Florentinum 11), J. Krajcar
ed., Roma, 1976, p. 32.
48. Quae supersunt Actorum Graecorum Concilii Florentini, 2, J. Gill ed., p. 443, 21-23.
49. « Item, in azimo sive fermentato pane triticeo, Corpus Christi veraciter confici, sacerdote-
sque in altero ipsum Domini Corpus conficere debere, unumquemque scilicet iuxta suae Ecclesiae
sive occidentalis sive orientalis consuetudinem » / Ἔτι ἐν ἀζύμῳ ἢ ἐνζύμῳ ἄρτῳ σιτίνῳ τὸ 
τοῦ  Χριστοῦ  Σῶμα  τελεῖσθαι  ἀληθῶς,  τούς  τε  ἱερεῖς  ἐν  θατέρῳ  αὐτὸ  τὸ  Σῶμα  τοῦ 
Κυρίου ὀφείλειν τελεῖν, ἕκαστον δηλονότι κατὰ τὴν τῆς ἰδίας Ἐκκλησίας εἴτε δυτικῆς 
εἴτε ἀνατολικῆς συνήθειαν: Conciliorum Oecumenicorum Generaliumque Decreta (Corpus
Christianorum. COGD, 2/2), p. 1216 (554).
I PADRI GRECI E LA LORO TRADIZIONE ECCLESIALE 395

Il dibattito al riguardo era drammaticamente scoppiato alla metà dell’XI secolo


ad opera del patriarca Michele Cerulario, con chiusura e devastazione delle chiese
latine di Costantinopoli, come ricorda il papa romano Leone IX nella sua lettera
allo stesso Michele e a Leone di Ochrida50 Quest’ultimo, presule della sede bul-
gara agli inizi del 1053, aveva duramente censurato l’uso dell’azimo in uno scritto
indirizzato, su ispirazione del proprio patriarca, al vescovo Giovanni di Trani51.
Con questo testo e con la menzionata replica di Leone IX aveva preso avvio un
violento incrociarsi di scritti polemici, tra cui spiccano quelli di Niceta Stethatos52.
Com’è ben noto, dopo le concilianti missive inviate dall’Imperatore Costantino IX
Monomachos e, su pressione di questi, dello stesso patriarca Michele53 la lega-
zione inviata nel gennaio 1054 da Roma a Costantinopoli, si concluse nel luglio
successivo, quando papa Leone già si era spento da circa tre mesi, con lo scambio
di scomuniche: quella depositata, in modo alquanto sconsiderato, sull’altare di
Santa Sofia dai legati romani – il cardinale vescovo di Silvacandida Umberto,
l’arcivescovo di Amalfi Pietro, nonché il diacono Federico54 – e quella contro gli
stessi legati emessa in risposta dal patriarca Michele e dalla sinodo dei metropoliti
e arcivescovi afferenti alla cattedra costantinopolitana55.

50. LEO IX Romanus, Epistula ad Michaelem Constantinopolitanum et Leonem Achridanum,


C. Will ed., Acta et Scripta quae de controversiis ecclesiae Graecae et Latinae saec. XI composita
extant, Lipsiae – Marpurgi, 1861 (ried. an.: Frankfurt am Main, 1963), segnatamente p. 76 (XX),
80-81 (XXIX); cf. ID., Epistula ad imperatorem Constantinum Monomachum, ibid., p. 86b, 17 ss.;
88b, 9-14.
51. LEO Bulgariae archiepiscopus, Epistula, C. Will ed., Acta et Scripta, p. 56-60.
52. Indicativa al riguardo la documentazione offerta dal Will, Acta et Scripta, alle p. 93-126,
127-136, 136-150, 150-152, 229-253; 254-259: HUMBERTUS a Silva Candida, Dialogus inter
Romanum et Constantinopolitanum; NICETAS PECTORATUS, Libellus contra Latinos; HUMBERTUS a
Silva Candida, Responsio; HUMBERTUS a Silva Candida, Commemoratio brevis; THEOPHYLACTUS
Bulgarorum archiepiscopus, Libellus; Disputatio adversus Graecos; in merito cf. A. MICHEL,
« Die vier Schriften des Niketas Stethatos über die Azymen », Byzantinische Zeitschrift, 35, 1935,
p. 308-336.
53. Cf. le risposte a entrambi di Leone IX: Acta et Scripta, C. Will ed., p. 85-89, 89-92.
54. Acta et Scripta, C. Will ed., p. 153-154.
55. Acta et Scripta, C. Will ed., p. 155-168. Va ricordato che in quegli stessi anni in Occidente la
Chiesa Ambrosiana, uniformatasi al corrente uso carolingio dell’azimo, nelle maggiori solennità,
celebrava usando anche pane fermentato: L(ANDULFUS), Historia Mediolanensis I, 11 (Rerum
Italicarum Scriptores, nova editio, 4/2), A. Cutolo ed., Bologna, 1941, p. 53.1-2 (l’edizione
presenta gravi carenze, ma un testo meglio stabilito rispetto a quello curato da L. C. Bethmann
– W. Wattenbach [MGH, Scriptores 8], Hannoverae, 1848, p. 42, 39-41); la prassi, attorno al
1130, trova conferma nell’Ordo del cicendelario Beroldo, testo che conobbe una riscrittura
ancora nel 1269: cf. BEROLDUS, Ordo et caeremoniae ecclesiae Ambrosianae Mediolanensis,
M. Magistretti ed., Mediolani, 1894, p. 103; per la nuova redazione del 1269, integrata all’interno
di un Manuale: G. FORZATTI GOLIA, « Le raccolte di Beroldo », in Il Duomo cuore e simbolo di
Milano. IV Centenario della Dedicazione (1577-1977) (Archivio Ambrosiano 32), Milano, 1977,
p. 330 ss.; cf. C. ALZATI, « Considerazioni in margine all’uso del pane nella tradizione rituale
396 CESARE ALZATI

A Firenze, sopraggiunta la morte del patriarca Giuseppe il 10 giugno 1439, i tre


metropoliti, Isidoro, Bessarione e Doroteo di Mitilene, convocati dopo il funerale
da Eugenio IV per esprimere loro le condoglianze, nello sviluppo della conversa-
zione e con riferimento alla questione dell’azimo – pur dichiarando di parlare a
titolo personale – l’avevano immediatamente derubricata come irrilevante, essendo
entrambe le consuetudini frutto di consolidate tradizioni ecclesiali56 Naturalmente
Marco d’Efeso si pose nei suoi scritti postconciliari quale zelante continuatore
del Cerulario, negando sprezzantemente la realtà sacramentale dell’Eucaristia
celebrata dai Latini con l’azimo57.

III. – IL TRADIMENTO DEL POSTCONCILIO


È ben noto come i rapporti tra le due Chiese siano venuti evolvendo nei decenni
e nei secoli successivi.
Si potrebbe dire che il postconcilio – seppure con modalità diversificate in
ambito greco e latino – tradì il concilio, ricorrendo di norma anche a interpreta-
zioni distorte e strumentali di quest’ultimo58.
Peraltro, anche dopo il lungo e amaro cammino di separazione vissuto dalle
Chiese e continuato fino ai nostri giorni, quel momento singolare di confronto e
d’incontro tra Latini e Greci, che storicamente fu il concilio di Ferrara e Firenze,
riesce ancor oggi a far udire nitidamente il suo messaggio, ma non certamente
attraverso le riletture e le memorie di alcuni autorevoli attori di quell’assemblea
(quali il Torquemada o il Siropulo); quel messaggio, infatti, si trova fissato, ed è
ancora perfettamente percepibile, nelle concise e pregnanti parole del decreto che,
prodotto dal concilio stesso, fu solennemente promulgato in S. Maria del Fiore il 6
luglio 1439 ad opera di Eugenio IV, con il consenso dell’imperatore Giovanni VIII
e l’adesione dei rappresentanti dei patriarchi e della Chiesa orientale.
Cesare ALZATI
Università Cattolica di Milano

ambrosiana », in La civiltà del pane. Storia, tecniche e simboli dal Mediterraneo all’Atlantico.
Convegno internazionale di studio. Brescia, Università Cattolica del Sacro Cuore, 1-6 dicembre
2014, cur. G. Archetti, Brescia, 2015, p. -.
56. Ὅτι τὸ ἔνζυμόν ἐστι ἐν ἡμῖν πατροπαράδοτον, ὁμοίως τὸ ἄζυμον ἐφ’ὑμῖν∙ καὶ 
ἔστωσαν  ἀδιάφορα: Quae supersunt Actorum Graecorum Concilii Florentini, 2, J. Gill ed.,
p. 446, 21-25.
57. Τὸ ἄζυμον Σῶμα τοῦ Χριστοῦ λέγουσι: Epistola encyclica, 1; οἱ τὴν ἄζυμον καὶ 
νεκρὰν  θυσίαν  ἰουδαïκῶς  ἱερουργοῦντες  καὶ  τῇ  σκιᾷ  τοῦ  Νόμου  παρακαθήμενοι 
τολμῶσιν  ἐγκαλεῖν  ἡμῖν: Epistola encyclica, 1; Epistola ad Georgium presbyterum, 1
(Patrologia Orientalis 17/2), L. Petit éd., p. 450 [312], 19; 471 [333], 2-5. Ὅτι τὸ ἔνζυμόν ἐστι 
ἐν ἡμῖν πατροπαράδοτον, ὁμοίως τὸ ἄζυμον ἐφ’ὑμῖν∙ καὶ ἔστωσαν ἀδιάφορα: Quae
supersunt Actorum Graecorum Concilii Florentini, 2, J. Gill ed., p. 446, 21-25.
58. In particolare per quanto concerne l’ambito latino, si rinvia alla Nota in appendice.
I PADRI GRECI E LA LORO TRADIZIONE ECCLESIALE 397

APPENDICE
PROSSIMITÀ INTELLETTUALE ED ESTRANEITÀ ECCLESIOLOGICA.
Breve noTa su inTelleTTualiTà laTina e monDo eCClesiasTiCo greCo
DOPO IL CONCILIO FIORENTINO

Con riferimento al lungo postconcilio seguito all’Unione Fiorentina (un postconcilio che –
potremmo dire – continua fino ai nostri giorni) non si può non osservare la disparità sussistente
tra gli esiti derivati a livello istituzionale e lo straordinario sforzo di conoscenza della tradizione
cristiana greca, messo in atto tra gli intellettuali d’Occidente in riferimento ai lavori conciliari
(ricca documentazione di tale impegno di ricerca e di studio può trovarsi nelle pubblicazioni di
M. CORTESI; ad esempio: « Giovanni Tortelli alla ricerca dei Padri », in Tradizioni patristiche
nell’Umanesimo. Atti del Convegno. Istituto Nazionale di Studi sul Rinascimento – Biblioteca
Medicea Laurenziana. Firenze 6-8 Febbraio 1997, M. Cortesi – C. Leonardi edd., Firenze, 2000,
p. 231-272; ma, della stessa studiosa, si veda lo splendido contributo conclusivo del presente
volume). Tale dissonanza tra prossimità verso i Greci intellettualmente acquisita e prassi concreta
delle realtà istituzionali latine è un dato storicamente rilevante e sul quale andrebbe condotta
un’approfondita riflessione, visto che i ricordati intellettuali erano di norma personaggi contigui
ai vertici istituzionali, soprattutto ecclesiastici.
La segnalata discrasia, qualora osservata nel contesto delle terre centro-orientali europee,
mostra immediatamente a quali esiti potesse accompagnarsi. Il 5 marzo 1440 il metropolita di
tutta la Rus’ e legato papale, Isidoro, rientrando a Mosca, ebbe cura di promulgare solennemente,
da Buda, l’Unione per tutti gli orientali di tradizione costantinopolitana presenti nell’Europa cen-
tro-orientale: Ruteni, Serbi e Romeni; egli invitò l’insieme dei fedeli, greci e latini, a partecipare
gli uni alle celebrazioni cultuali degli altri, e i sacerdoti ad amministrare i sacramenti ai fedeli del
proprio e dell’altro rito (l’enciclica dell’alto presule in Acta Slavica concilii Florentini, Krajcar
ed., p. 140-142; il conseguente Privilegium Ruthenorum emesso il 22 marzo 1443 da Ladislao
Jagellone [Władysław III Jagiełło di Polonia / I. Jagelló Ulászló d’Ungheria] in Monumenta Medii
Aevi Historica res gestas Poloniae illustrantia 19, F. Papée ed., Kraków, 1927, p. 390-393). Ma
negli anni immediatamente successivi, 1445-1446, proprio nelle regioni del regno d’Ungheria
a mezzogiorno di Buda, l’inquisitore generale Giovanni da Capestrano non dubitò di lanciare
una violenta azione contro gli « scismatici », con l’imposizione generalizzata del rebattesimo in
rito latino a clero e laici e con la distruzione mediante il fuoco degli edifici di culto orientali, tra
cui la chiesa del vescovo residente presso la corte degli Hunyadi: si veda al riguardo la lettera
indirizzata dallo stesso inquisitore alla nobiltà di Transilvania e Banato nel giorno dell’Epifania
del 1456: « Exemplo magnifici domini Joannis wayuodae comitis Bistricensis et aliorum baronum
regni Hungariae moveri debetis, qui sinagogas sathanae eorum scismaticorum comburi mandarunt
ubique in dominiis suis, querentes quod sacerdotes scismatici aut baptizentur aut omnino expel-
lantur » (Schematismus almae Provinciae Sancti Joannis a Capistrano Ordinis Fratrum Minorum,
Kolozsvár, 1909, doc. 35, p. 34-35). In merito si veda il recente, bel volume di I. DAMIAN, Ioan
de Capestrano și Cruciada Târzie, Cluj Napoca, 2011, p. 96 ss.
Analoga situazione si verifica nella Repubblica di Venezia. Questa nel suo ducato di Creta
aveva visto diffondersi tra i Greci il culto di san Francesco (sulla sua presenza iconografica
nelle chiese greche dell’isola: K. E. LASSITHIOTAKES, « Ὁ ἅγιος Φραγκίσκος καὶ ἡ Κρήτη »,
in Πεπραγμένα τοῦ Δ´ Διεθνοῦ Κρητολογικοῦ Συνεδρίου. Ηράκλειο, 29 Αυγούστου
- 3 Σεπτεμβρίου 1976, II, Athḗna, 1981, p. 146-154; per la continuità di tale devozione per
tutta la durata della Venetocrazia: G. GEROLA, « I Francescani in Creta al tempo del dominio
veneziano », Collectanea Franciscana, 2, 1932, p. 303) e aveva conosciuto casi come quello del
francescano Marco Sclavo, che nel 1414 ottenne da Giovanni XXIII la facoltà di far celebrare nel
San Francesco candiotto anche il clero greco in occasione della festa del santo: L. [A.] TăuTu,
398 CESARE ALZATI

Acta Pseudopontificum Clementis VII (1378-1394), Benedicti XIII (1394-1417), Alexandri V


(1409-141)] et Johannis XXIII (1410-1415) (Pontificia Commissio ad redigendum Codicem Iuris
Canonici Orientalis. Fontes, s. III, 13/2), Romae, 1971, nr. 179, p. 234-235; cf. G. FEDALTO, « Il
grande scisma d’Occidente e l’isola di Creta (1378-1417) », in Πεπραγμένα τοῦ Δ´ Διεθνοῦ
Κρητολογικοῦ Συνεδρίου (precedentemente cit.), p. 99; F. THIRIET, «Le zèle unioniste d’un
Franciscain crétois et la riposte de Venise [1414]», in Études sur la Romanie greco-vénitienne,
London, 1977, XII, p. 496-504. Eppure la Repubblica veneziana nella stessa Creta – anche dopo
Firenze – mai volle legittimare l’istituzione di sedi episcopali greche per la popolazione locale, con
la sola momentanea eccezione ad personam accordata al giurista dell’ateneo patavino Giovanni (?)
Paleocapa, vescovo col nome monastico di Giosafat, insediato nella località di Chissamo durante
gli anni 1577-1583: Z. TSIRPANLES, « Ἡ ἐπισκοπὴ Κισάμου καὶ ἡ θρησκευτικὴ πολιτικὴ 
Βενετίας  καὶ  Βατικανοῦ », in Πεπραγμένα τοῦ Γ´ Διεθνοῦ Κρητολογικοῦ Συνεδρίου.
Ρέθυμνο, 18-23 Σεπτεμβρίου 1971, II, Athênai, 1974, p. 317 ss.
Quanto alla Sede Apostolica, per vedere impresso nella sua azione verso i Greci un atteggia-
mento autenticamente conforme al decreto di Firenze, si sarebbe dovuto attendere l’afflusso di
intellettuali greci a Roma al tempo dei papi medicei, Leone X e Clemente VII: è il caso di Giano
Lascari, Marco Musuro, Basilio Calcondila, Zaccaria Calliergi: G. FEDALTO, Ricerche storiche
sulla posizione giuridica ed ecclesiastica dei Greci a Venezia nei secoli XV e XVI (Civiltà Veneziana.
Saggi 17), Firenze, 1967, p. 45-48: fu grazie alla loro diretta presenza e al loro rapporto col vertice
stesso della Chiesa romana che la discrasia tra prossimità intellettuale e comportamenti istitu-
zionali venne risolvendosi. Peraltro già sotto Alessandro VI si era avuto, sul piano dottrinale, un
fondamentale intervento volto a riaffermare in modo definitivo la validità del Battesimo dei Greci
(A. THEINER, Vetera monumenta Poloniae et Lithuaniae gentiumque finitimarum historiam illu-
strantia, II, Romae, 1861, doc. 319), in opposizione a obiezioni ricorrenti (esemplare il ricordato
caso di Giovanni da Capestrano), che all’inizio del Cinquecento erano state riprese nell’Università
Jagellonica di Cracovia da Johannes Sacranus (Jan z Oświęcimia) nel suo Elucidarius errorum
ritus Ruthenici, in cui si affermava l’insussistenza dei sacramenti celebrati dagli orientali. Sul
piano istituzionale, lo stesso pontefice nel 1498 era intervenuto – in contrasto con la politica
ecclesiastica della Serenissima, volta a conservare una rigorosa dipendenza dei Greci di Venezia
dal patriarca latino della città – e aveva sottratto il papas Andrea Servos alla giurisdizione del pre-
sule locale, legandolo al patriarca di Costantinopoli (il seggio latino della Nuova Roma era allora
tenuto da Giovanni Michele, card. di Sant’Angelo): G. FEDALTO, Ricerche storiche sulla posizione
giuridica ed ecclesiastica dei Greci, p. 4041; a p. 124 si trova l’edizione del documento in cui si
esprime il disappunto del Consiglio dei Dieci veneziano, che ottenne la revoca della bolla papale.
Dopo che nel novembre di quello stesso anno la Serenissima diede riconoscimento al costituirsi
della Schola dei Greci (cf. al riguardo i contributi di D. JACOBY e G. FEDALTO in I Greci a Venezia.
Atti del Convegno internazionale di Studio, Venezia, 5-7 novembre 1998, M. F. Tiepolo – E. Tonett
edd., I, Venezia, 2002), furono le successive bolle di Leone X, emesse il 18 maggio e il 3 giugno
1514, che garantirono definitivamente alla comunità greca di Venezia il regime d’esenzione sotto
la diretta tutela ad opera della Sede Apostolica, con facoltà di edificare il proprio luogo di culto
con cimitero e campanile, e di tenervi un proprio cappellano. In un ulteriore documento del 18
maggio 1521 il papa ribadì solennemente alla Chiesa intera la piena libertà, per i Greci residenti
in terra latina, di esercitare il proprio culto e di osservare le proprie consuetudini, garantendo alle
vedove dei papades il mantenimento dei diritti di cui usufruivano viventi i mariti; nel documento
pontificio si assicurava inoltre ai vescovi orientali il libero esercizio della giurisdizione sui rispet-
tivi fedeli, comminando la sospensione a divinis ai vescovi latini che si fossero opposti, e agli altri
ecclesiastici la scomunica latae sententiae. Tali documenti di Leone X sarebbero stati con forza
ribaditi da Clemente VII: il Breve del 18 maggio 1521 mediante un analogo intervento del 26
marzo 1526 e, su sollecitazione della comunità di Venezia, le precedenti Bolle del 1514 in un Breve
del 5 settembre 1526 (edizione dei testi in G. S. ploumíDēs, « Αἱ βοῦλλαι τῶν Παπῶν περὶ 
τῶν Ἑλλήνων ὀρθοδόξων τῆς Βενετίας [1445-1782]», Θησαυρίσματα / Thesaurismata, 7,
1970, p. 238-239 [18.V.1514], 240-245 [18.V.1521]; B. CECCHETTI, La Repubblica di Venezia e la
I PADRI GRECI E LA LORO TRADIZIONE ECCLESIALE 399

Corte di Roma, I, Venezia, 1874, p. 462-463 [3.VI.1514]; F. UGHELLUS, Italia Sacra, V, Venetiis,
1720, col. 1311-1314 [26.III.1526]; FEDALTO, Ricerche storiche sulla posizione giuridica ed
ecclesiastica dei Greci, p. 126-127 [5.IX.1526]). Documenti di tale rilievo non rimasero senza
eco anche in altri territori italiani, nei quali consistenti si presentavano le presenze greche: cf.
S. L. varnaliDis, « Le implicazioni del Breve Accepimus nuper di Papa Leone X (18.5.1521)
e del Breve Romanus pontifex di Papa Pio IV (16.2.1564) nella vita religiosa dei Greci e degli
Albanesi dell’Italia meridionale », Nicolaus, 9, 1981, p. 359-382. Questa compiuta applicazione
del regime fiorentino trovò ulteriore concreta manifestazione nella giurisdizione, che i metropoliti
orientali di Agrigento, inviati dagli arcivescovi/patriarchi di Ochrida, fattivamente esercitarono
in quel secolo xvi sugli orientali emigrati dall’area balcanica in Italia per sfuggire alla domina-
zione islamica: V. PERI, « I metropoliti orientali di Agrigento. La loro giurisdizione in Italia nel
xvi secolo », in Bisanzio e l’Italia. Raccolta di studi in memoria di Agostino Pertusi, Milano,
1982, p. 274-321. Un’ultima conferma a tale regime istituzionale e canonico, pienamente coerente
con l’Unione fiorentina, venne da Pio IV e dal Breve, che egli emise nel 1562 a favore del vescovo
Timoteo di Grevenà (cf. ibidem, p. 319).
Va altresì rimarcato come in tale fase pienamente « fiorentina » la Sede Apostolica a più riprese
fece proprio anche il lessico dei Greci unionisti, definendo il concilio di Ferrara-Firenze l’Ottavo
concilio: cf. v. peri, « La lettura del Concilio di Firenze nella prospettiva unionistica romana »,
in Christian Unity. The Council of Ferrara-Florence 1438/39 (Bibliotheca Ephemeridum
Theologicarum Lovaniensium 97), G. Alberigo ed., Leuven, 1991, p. 593-611; successivamente
in v. peri, Da Oriente e da Occidente. Le Chiese cristiane dall’Impero Romano all’Europa
moderna (Medioevo e Umanesimo, 107), I, M. Ferrari ed., Roma – Padova, 2002, p. 375-397.
Particolarmente rilevante è il fatto che Venezia, dopo le ricordate resistenze iniziali, abbia
assunto pienamente l’orientamento ecclesiologico e istituzionale espresso dai documenti dei papi
medicei sopra menzionati, ed abbia continuato ad attenervisi anche quando – dopo il concilio di
Trento – esso venne abbandonato dalla Chiesa romana: cf. V. PERI, « L’“incredibile risguardo” e
l’“incredibile destrezza”. La resistenza di Venezia alle iniziative postridentine della S. Sede per i
Greci dei suoi domini », in Venezia centro di mediazione tra Oriente e Occidente (secc. XV-XVI).
Aspetti e problemi (Civiltà Veneziana. Studi 32), II, Firenze, 1977, p. 1599-1625.
In effetti quello stesso Pio IV, che aveva confermato a Timoteo di Grevenà le prerogative dei
presuli greci in Occidente, una volta conclusosi nel 1563 il concilio di Trento, già il 16 febbraio
1564 emise il Breve Romanus pontifex, con cui venivano aboliti tutti i privilegia precedentemente
accordati alle istituzioni ecclesiastiche greche presenti in territorio « latino » e al clero che vi
operava. Iniziava anche riguardo alle comunità orientali una nuova fase normativa, nella quale la
preoccupazione primaria era costituita dalla promozione generalizzata del disciplinamento postri-
dentino. In tale contesto si sviluppò tra i Latini anche una nuova esegesi del decreto fiorentino di
Unione, che fu re-interpretato, non quale mutuo riconoscimento d’ortodossia scambiato tra due
Chiese con tradizioni – nella loro diversità – analogamente legittime, ma quale recezione delle
dottrine latine da parte dei Greci, che poterono esclusivamente conservare ritus et mores. In sif-
fatta prospettiva la Chiesa greca fu ecclesiologicamente declassata a Rito, come ben recita il titolo
del classico lavoro di V. PERI, Chiesa Romana e Rito Greco. G. A. Santoro e la congregazione dei
Greci (1566-1596) (Testi e ricerche di Scienze religiose 9), Brescia, 1975.
Ne consegue che in età postridentina le Unioni, che furono progressivamente stabilite con
diverse Chiese orientali, da parte di tali Chiese – come ben è indicato dalle clausole di salva-
guardia e normalmente dalle modalità sinodali di promulgazione – furono intese (e per lungo
tempo anche concretamente vissute) in perfetta continuità rispetto alla Unione fiorentina, mentre
agli occhi della Chiesa romana si configurarono quali realizzazioni, seppure parziali, della tardo
medioevale reductio Graecorum: cf. C. ALZATI, « Le Chiese Orientali Unite. Alcune conside-
razioni tra storia ed ecclesiologia », in Vybrané otázky a perspektívy teológie vo Východných
Cirkvách Zjednotených s Rímom / Selected Questions and Perspectives on the Theology in the
Eastern Churches United with Rome (Orientalia et Occidentalia, 14), Š. Marinčák ed., Košice,
400 CESARE ALZATI

2014, p. 9-39. L’ispirazione fiorentina, che spinse le Chiese orientali unite verso la comunione con
Roma e l’Occidente latino, nonché il loro tenace, prolungato radicamento nella propria organica
tradizione ecclesiastica sono stati recentemente documentati in modo estremamente efficace, con
riferimento alla Chiesa romena di Transilvania, da Ana Victoria Sima, che ha mostrato come fu
soprattutto nel clima seguito al Concilio Vaticano I che Roma riuscì ad immettere nella vita di tale
Chiesa elementi normativi e di dottrina mutuati dall’Occidente : A. V. SIMA, Affirming Identity.
The Romanian Greek-Catholic Church at the Time of the First Vatican Council (Storia. Ricerche),
Milano, 2014.
Sicché, pure in riferimento ai rapporti con le comunità orientali unite, si deve prendere atto
di come l’interesse intellettuale verso l’Oriente cristiano e lo studio delle sue specifiche tradi-
zioni – interesse e studio che mai vennero meno ed anzi ottennero risultati scientifici di grande
rilievo – per diversi secoli non siano riusciti a ispirare conseguenti comportamenti istituzionali.
Nel Cinquecento, ad esempio, è ben nota la vasta conoscenza del mondo greco raggiunta dal
card. Guglielmo Sirleto, ma questo non impedì che, attraverso la Congregazione dei Greci (cui
egli appartenne dal momento della fondazione nel 1573), si realizzasse il progressivo inquadra-
mento degli orientali presenti in Italia nell’ordine ecclesiastico postridentino, avviandone di fatto
l’assimilazione al contesto latino; non diversamente, nell’Ottocento, la profonda consuetudine di
studio e il diretto contatto con il mondo orientale (greco e slavo) di matrice costantinopolitana non
appaiono aver suscitato nel card. Pitra una specifica sensibilità ecclesiologica e conseguenti orien-
tamenti in merito al rispetto dovuto alle tradizioni ecclesiastiche orientali, proprie delle Chiese
unite e non: cf. F. CABROL, Histoire du Cardinal Pitra, bénédictin de la Congrégation de France,
Paris, 1893; A. BATTANDIER, Le cardinal Jean-Baptiste Pitra, évêque de Porto, bibliothécaire de
la Sainte Église romaine, Paris, 1896.
Quantunque il concilio Vaticano I sia potuto apparire come la ratifica dell’autoreferenzialità
ecclesiologica, che nei secoli postridentini animò la prassi della Chiesa romana nelle sue rela-
zioni con l’Oriente cristiano (e si ricordi l’appello al decreto d’Unione fiorentino, che il patriarca
melkita Gregorio II Yussef e il qatûliqâ caldeo Giuseppe VI Audo inserirono – quale clausola di
salvaguardia – nelle proprie sottoscrizioni a posteriori alla costituzione conciliare Pastor aeter-
nus: MANSI, 53, col. 942. 943), di fatto furono gli studi sul Cristianesimo orientale sviluppatisi
dopo tale evento a creare progressivamente anche sul piano ecclesiologico germi di novità, sfo-
ciati nei due decreti del concilio Vaticano II promulgati 21 novembre 1964: Unitatis redintegratio
(specialmente: 14-18) e Orientalium Ecclesiarum (Acta Synodalia sacrosancti concilii oecume-
nici Vaticani II, III [Periodus tertia], pars VIII, Città del Vaticano, 1976, p. 854-857, 837-845).
Sulla scia di questi testi, ma ampiamente trascendendone gli enunciati, chi dal soglio romano è
venuto a configurare la tradizione ecclesiastica orientale quale componente imprescindibile del
pleroma ecclesiale è stato il polacco Karol Wojtyła, papa col nome di Giovanni Paolo II. La sua
riflessione ecclesiologica non è – con ogni evidenza – riproposizione di una tradizione di scuola,
ma il frutto originalissimo di una singolare figura di intellettuale, che si è sentito chiamato a
ripensare in prospettiva teologica la storia dell’uomo e le modalità con cui in tale vicenda è venuta
inserendosi la salvezza cristiana. Tale riflessione si caratterizza per una concezione cristocentrica
e pneumatologica della Chiesa, concepita quale unico corpo, in cui coesistono nella loro diversità
e complementarietà le tradizioni ecclesiali, che della Chiesa stessa hanno segnato il cammino
storico in Oriente e in Occidente: « La tradizione orientale e la tradizione occidentale confluiscono
entrambe nell’unica grande Tradizione della Chiesa universale »; « Le due tradizioni sono, da
sole, in qualche modo imperfette. È incontrandosi che possono reciprocamente completarsi ed
offrire una interpretazione meno inadeguata del “mistero nascosto da secoli e da generazioni ma
ora manifestato ai santi”(Col. 1, 26) »; « Le parole dell’Occidente hanno bisogno delle parole
dell’Oriente perché la parola di Dio manifesti sempre meglio le sue insondabili ricchezze »; « È
per il desiderio di obbedire veramente alla volontà di Cristo che io mi riconosco chiamato, come
vescovo di Roma, a esercitare tale ministero … Io prego insistentemente lo Spirito Santo perché ci
doni la sua luce, e illumini tutti i pastori e i teologi delle nostre Chiese, affinché possiamo cercare,
I PADRI GRECI E LA LORO TRADIZIONE ECCLESIALE 401

evidentemente insieme, le forme nelle quali questo ministero possa realizzare un servizio di amore
riconosciuto dagli uni e dagli altri » (Slavorum apostoli [2 giugno 1985], 27; maiuscola e varianti
grafiche sono nell’originale latino: « Acta Apostolicae Sedis [= AAS] », 77, 1985, p. 807; Nuntius
scripto datus. Praesidibus Conferentiarum Episcoporum Europae missus [2 gennaio 1986]: AAS,
78, 1985, p. 454; Orientale lumen [2 maggio 1995], AAS, 87, 1995, p. 774; AAS, 80, 1988, p. 714:
testo [6 dicembre 1987] ripreso nell’enciclica Ut unum sint [25 maggio 1995], 95: AAS, 87, 1995,
p. 978; cf. C. ALZATI, « Oriente e Occidente in Giovanni Paolo II: tra ecclesiologia e teologia
della storia », in L’unità multiforme. Oriente e Occidente nella riflessione di Giovanni Paolo II,
C. Alzati – P. Locati edd., Milano, 1991, p. 5-53). Si potrebbe dire che il magistero di Giovanni
Paolo II abbia rappresentato – dopo gli interventi dei papi medicei del primo Cinquecento – il più
impegnativo riconoscimento reso da parte romana al valore ineludibile della tradizione cristiana
orientale. Sotto tale aspetto, le affermazioni di questo pontefice, recentemente canonizzato dalla
sua Chiesa, appaiono come la piena assunzione – dopo secoli – delle istanze espresse nell’inci-
piente estate del 1439 dai Greci a Firenze, quando essi vollero (e ottennero) che nel decreto finale
le realtà istituzionali della loro Chiesa fossero esplicitamente presentate quali componenti costi-
tutive dell’evento conciliare e i patriarchi quali vertici, con Roma, dell’ordinamento ecclesiastico
dell’ecumene cristiana.
Non si può tacere, peraltro, il fatto che la prospettiva ecclesiologica, professata con inequivo-
cabile chiarezza da Giovanni Paolo II, solo parzialmente abbia trovato riflesso sia nei contenuti
del Codex Canonum Ecclesiarum Orientalium (cf. C. G. FÜRST, Canones Synopse zum Codex
Iuris Canonici und Codex Canonum Ecclesiarum Orientalium, Freiburg – Basel – Wien, 1992),
sia nelle modalità con cui esso fu promulgato il 18 ottobre 1990, senza alcun atto collegiale, che
vedesse pienamente partecipi i patriarchi orientali: IOANNES PAULUS II, Constitutio Apostolica:
Sacri Canones, AAS, 82, 1990, p. 1033-1044. Soprattutto tale prospettiva ecclesiologica wojtyliana
non pare aver inciso nell’autocomprensione istituzionale della Curia romana, visto che l’Annuario
pontificio con l’edizione del 2006 ha abolito il titolo di patriarca d’Occidente e, in merito alla
Congregazione per le Chiese Orientali, continua a recitare ch’essa (non: « coordina le relazioni
con », ma) « esercita sulle eparchie, sui Vescovi, sul clero, sui religiosi e sui fedeli di rito orientale
le facoltà che le Congregazioni per i Vescovi, per il Clero, per gli Istituti di vita consacrata e le
Società di vita apostolica, e per l’Educazione Cattolica hanno sulle diocesi, sui Vescovi, sul clero,
sui religiosi e sui fedeli dei riti latini » (Annuario Pontificio 2006, Città del Vaticano, 2006, p.
1867).
In ogni caso, proprio quanto si è appena ricordato, mi pare confermi come il rapporto puramente
intellettuale con l’Oriente cristiano non basti per creare nei confronti di quest’ultimo un’autentica
prossimità e un reale riconoscimento religioso; perché ciò avvenga risulta imprescindibile l’acqui-
sizione di un’ecclesiologia, che dia fondamento – in una prospettiva non relativizzante, ma quale
riconoscimento di valore – al fraterno incontro dell’Occidente con le Chiese orientali, considerate
nella loro concretezza antropologica e nella continuità storica del loro patrimonio istituzionale e
di spiritualità. I papi medicei testimoniarono fattivamente nelle loro decisioni istituzionali una
prospettiva ecclesiologica siffatta, Giovanni Paolo II l’ha a sua volta delineata sul piano teoretico.
Allo storico è consentito soltanto di prendere atto di tale passato, attendendo che il Tempo ne
disveli gli imprevedibili sviluppi.
La réception de Cyrille d’Alexandrie
en Occident aux XVe et XVIe siècles
Pourquoi s’intéresser spécifiquement à la réception de Cyrille d’Alexandrie en
Occident ? Il n’est pas le plus connu et le plus lu des Pères grecs dans le Moyen
Âge latin, comme le montrent, dans ce volume, les travaux d’Emanuela Colombi
et de Jérémie Delmulle notamment. Mais sa postérité fut importante à deux
reprises, dans l’Antiquité tardive (Ve-VIIe siècles) et à la fin du Moyen Âge (XIIe-
XVIe siècles), dans deux domaines successifs bien distincts.
Le premier temps, du Ve au VIIe siècle, se situe dans le prolongement direct des
combats théologiques de Cyrille dans la dernière période de sa vie (429-444),
c’est-à-dire sur le terrain de la christologie. Cyrille est invoqué comme une auto-
rité, à la fois par les Églises de tradition monophysite et par les chalcédoniens. Les
premiers brandissent comme un étendard sa formule de « l’unique nature incarnée
du Verbe », les seconds en proposent une interprétation destinée à lui ôter son
venin, sans remettre en cause l’autorité du grand Alexandrin. Ceux qui s’opposent
à Chalcédoine le font au nom de Cyrille, ceux qui le défendent le font en s’effor-
çant de prouver que Chalcédoine et Cyrille professaient la même théologie ; pour
tous Cyrille est une référence obligée.
Après le troisième concile de Constantinople (680-681), les querelles chris-
tologiques s’estompent (le schisme avec les Églises non-chalcédoniennes s’est
installé), et Cyrille n’occupe plus en Orient le devant de la scène. Mais un autre
domaine, dogmatique également, va le solliciter à partir du XIIe siècle : celui de la
théologie trinitaire, plus précisément la question de la procession du Saint-Esprit
et du trop fameux Filioque. La nouvelle ligne de front oppose l’Orient à l’Occi-
dent, les Grecs aux Latins. La division remonte au temps du patriarche Photius au
IXe siècle, dont la Mystagogie fonde un véritable genre littéraire, celui des traités
sur la procession du Saint-Esprit dont la fortune sera grande jusqu’au XVe siècle.
L’Esprit procède-t-il du Père seul ? Photius l’affirme, et après lui les Grecs, même
si beaucoup nuancent l’affirmation en admettant l’expression « du Père par le
Fils », comme Nicéphore Blemmydès au XIIIe siècle1. Quant aux Latins, il disent

1. Voir l’introduction de M. STAVROU dans NICÉPHORE BLEMMYDÈS, Œuvres théologiques, t. 1


(Sources chrétiennes [SC] 517), Paris, 2007, p. 101-118.
404 BERNARD MEUNIER

que l’Esprit procède du Père et du Fils, et ont même unilatéralement ajouté, à


l’époque carolingienne, le mot Filioque dans le credo de Nicée-Constantinople
qui est le credo commun des Églises d’Orient et d’Occident. Malgré des tentatives
officielles de réconciliation au second concile de Lyon (1274) et à celui de Ferrare-
Florence (1438-1439), le schisme demeurera.
C’est dans ce contexte que l’œuvre de Cyrille est abondamment réinterrogée,
par les Grecs mais aussi par les Latins, car il est l’un des auteurs anciens à avoir
donné le plus de place au Saint-Esprit dans sa théologie trinitaire, et de plus,
ses formulations semblent souvent proches de la théologie latine du Filioque.
Cependant, ce n’est pas sous la forme d’une lecture et d’une étude de ses œuvres
qu’on le sollicite alors, mais sous la forme plus superficielle des florilèges patris-
tiques : ceux-ci, à partir du XIIe siècle, sont couramment intégrés dans les œuvres
de controverse sur la question2, et ils intègrent tous un matériel cyrillien plus ou
moins abondant, tiré principalement de trois œuvres trinitaires : le Thesaurus3,
les sept Dialogues sur la Trinité4, le Commentaire sur Jean5 ; avec l’adjonction
notable de la dispute avec Théodoret sur le 9e anathématisme6.
Nous allons nous intéresser à la réception de Cyrille au XVe et au XVIe siècles,
parce que c’est une époque de mutation où l’on voit changer le rapport aux textes
anciens, aussi bien dans les raisons de les interroger que dans les méthodes dont
on use. Mais il est nécessaire de remonter un peu le temps, jusqu’au moment où
Cyrille fait son apparition dans les florilèges. Les premiers sont grecs ; mais des
florilèges latins ne tardent pas à apparaître, citant eux aussi des Pères, car les
Latins savent qu’en ne citant que des Pères latins, ils ont peu de chances d’empor-
ter l’adhésion de leurs interlocuteurs orientaux. Ils se mettent donc à s’intéresser
de près à quelques auteurs grecs, au premier rang desquels Basile de Césarée7 et
Cyrille d’Alexandrie, sans oublier les autres Cappadociens et Épiphane.

2. Pour une première vue d’ensemble sur ces florilèges, renvoyons à l’étude classique de
Th. SCHERMANN, Die Geschichte der dogmatischen Florilegien vom V.-VIII. Jahrhundert (Texte
und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur [TU] 28-1), Leipzig, 1904,
cf. p. 78-98 pour les florilèges trinitaires. Quelques florilèges sont étudiés dans B. MEUNIER,
« Cyrille d’Alexandrie au concile de Florence », Annuarium Historiae Conciliorum, 21, 1989,
p. 147-174, surtout p. 152-168.
3. Patrologia Graeca (PG) 75, 9-656.
4. CYRILLE D’ALEXANDRIE, Dialogues sur la Trinité (SC 231, 237, 246), G. M. de Durand éd.,
Paris, 1976-1978.
5. Cyrilli archiepiscopi Alexandrini in D. Joannis evangelium, Ph.-E. Pusey ed., 3 vol., Oxford,
1872, réimp. Bruxelles, 1965.
6. Acta Conciliorum Œcumenicorum I, 1, 6, E. Schwartz Hrsg., Berlin, 1928, p. 107-146
(p. 134, l. 17 – 135, l. 22 pour la défense par Cyrille du 9e anathématisme).
7. Le fameux passage du début du livre III du Contre Eunome de Basile de Césarée sur l’Esprit,
avec sa variante, sera l’un des plus discutés à cette époque. Voir la note de B. SESBOÜÉ dans
LA RÉCEPTION DE CYRILLE D’ALEXANDRIE EN OCCIDENT 405

I. – CYRILLE ENTRE GRECS ET LATINS À PARTIR DU XIIe SIÈCLE


Cyrille d’Alexandrie occupe une place significative dans les florilèges patris-
tiques latinophrones ou antilatins sur la procession du Saint-Esprit qui fleurissent
entre le XIIe et le XVe siècle. Ceux-ci sont souvent difficiles à dater8 et leur tradition
manuscrite est mouvante. Les florilèges grecs n’ont été qu’exceptionnellement
connus en Occident, mais il faut tout de même en mentionner un, riche en citations
cyrilliennes, dont les latins auront une connaissance au moins indirecte : le recueil
latinophrone composé par le patriarche de Constantinople Jean Veccos dans ses
Epigraphai composées juste après le concile de Lyon (1274) pour justifier son
ralliement à l’union9. Veccos s’inscrit lui-même dans une tradition antérieure
puisqu’il réfute, vers la même époque, le florilège patristique antilatin contenu
dans l’Arsenal sacré d’Andronicos Camateros, œuvre de la deuxième moitié
du XIIe siècle10. Ni Camateros ni Veccos ne seront traduits en latin11, mais les
Epigraphai de Veccos joueront un rôle lors du concile de Florence où elles sont
lues et utilisées par les Grecs latinophrones ; dès avant cela une autre œuvre, celle
de Calécas, les utilise aussi et sera traduite en latin (voir plus bas).
Du côté occidental, le premier travail de documentation patristique dévolu au
Filioque est celui de Hugues Éthérien – le futur cardinal – à la fin du XIIe siècle,
qui écrit à la demande de l’empereur de Byzance Manuel Comnène et publie son

BASILE DE CÉSARÉE, Contre Eunome suivi de EUNOME, Apologie, t. 2 (SC 305), p. 146-147, n. 1,
ainsi qu’un extrait d’une lettre de Bessarion traduit en français dans la thèse de H. VAST, Le car-
dinal Bessarion 1403-1472. Étude sur la chrétienté et la Renaissance vers le milieu du XVe siècle,
Paris, 1878, réimp. Genève, 1977, p. 81-82, n. 2. La comparaison des variantes de ce passage,
avec des tentatives embryonnaires de datation des témoins, peut être considérée comme l’acte de
naissance de l’édition critique moderne.
8. À moins qu’ils n’intègrent un auteur récent, comme le florilège du Paris. gr. 1261 qu’on peut
rattacher au patriarche Germain II de Constantinople (1222-1240); voir B. MEUNIER, « Cyrille
d’Alexandrie », p. 157-158.
9. PG 141, 613-724. Le P. de Durand, éditeur des Dialogues (ci-dessus, n. 4), a donné une liste
des citations des Dialogues qu’il a repérées dans la tradition indirecte, et particulièrement dans les
Epigraphai de Veccos dans SC 231, p. 98-108 (et p. 111).
10. L’œuvre de Camateros vient de faire l’objet d’une édition critique par A. BUCOSSI :
Andronici Camateri sacrum armamentarium pars prima (Corpus Christianorum, Series Graeca
75), Turnhout, 2014. Le florilège proprement dit, assez long, occupe les p. 81 à 215 (avec une
introduction, p. 79-80). VECCOS le réfute dans ses In Camateri Animadversiones, PG 141, 396-
613. D’après BUCOSSI (Andronici Camateri, p. LIX de l’Introduction), la PG, à la suite d’Allatius
(voir n. 11), ne donne qu’une seconde recension abrégée, faite par Veccos lui-même, de sa réfuta-
tion; la première recension, plus complète, se trouve dans le Laur. Plut. VIII 26.
11. Veccos le sera bien plus tard par ALLATIUS, Graecia Orthodoxa, t. 2, Roma, 1659.
406 BERNARD MEUNIER

ouvrage12 en grec et en latin : c’est une défense du Filioque qui s’appuie sur un
certain nombre de citations de Pères grecs et latins, dont Cyrille. Il est imité au
siècle suivant, par le Contra Graecos d’un dominicain anonyme en 1252, puis par
Nicolas de Cotrone, un grec d’origine qui compose vers 1254/56 à la demande
de l’empereur Théodore Lascaris un Liber de fide Trinitatis13 doté d’un copieux
florilège de Pères grecs14 ; son florilège est réutilisé à peu près intégralement,
une dizaine d’années plus tard, par Thomas d’Aquin dans le Contra errores
Graecorum15 qui jouira d’une plus grande notoriété. Le traité thomiste sera à son
tour repris et remanié au début du XIVe siècle par un dominicain de Constantinople,
le fr. Barthélémy16. On voit par cette seule énumération que Cyrille, sous la forme
modeste de quelques citations, est entré pour longtemps dans la controverse. Le
concile d’union de Florence va donner aux Occidentaux l’occasion de le lire d’un
peu plus près.

II. – CYRILLE AU XVe SIÈCLE


Pour la première fois depuis le second concile de Lyon en 1274, le concile de
Ferrare-Florence (1438-1439) voit les Grecs et les Latins de nouveau rassemblés
pour discuter des points qui les divisent et tenter de refaire l’union des Églises. Quoi
qu’on puisse dire sur les méthodes, le contexte, les arrière-pensées et les limites
de ces tentatives, qui échouèrent l’une et l’autre, il faut reconnaître que le projet
d’union eut de part et d’autre de sincères défenseurs. Le dialogue théologique fut
exigeant17 et poussa ceux qui s’y engageaient à un vrai travail de documentation

12. De haeresibus quas graeci in latinos devolvunt libri tres, Patrologia Latina 202, 227-396.
Sur sa connaissance des Pères grecs, voir l’étude ancienne de R. LECHAT, « La patristique grecque
chez un théologien latin du XIIe siècle, Hugues Éthérien », dans Mélanges d’histoire offerts à
Charles Moeller, Louvain – Paris, 1914, p. 485-507 (liste des Pères grecs, p. 498-500 et bref
rappel de la documentation grecque en Occident avant Hugues, p. 500-501).
13. A. DONDAINE, « “Contra Graecos”. Premiers écrits polémiques des dominicains d’Orient »,
Archivum Fratrum Praedicatorum, 21, 1951, p. 320-446. Ces deux écrits furent rédigés en grec
et en latin.
14. Comme le précise son titre dans le Vat. lat. 808 (XVe s.), f. 47r : ex diversis auctoritatibus
sanctorum grecorum confectus contra grecos. Ce florilège dépend lui-même de recueils anté-
rieurs, comme le montre H. F. DONDAINE dans Sancti Thomae de Aquino Opera omnia, t. 40,
pars A, Rome, 1967, p. A 13.
15. Éd. critique par H. F. Dondaine dans l’édition léonine, ibid., t. 40, p. A 69-105. Une traduc-
tion française (celle de l’édition Vivès) a été réimprimée chez Vrin – reprise dans Opuscules de
saint Thomas d’Aquin 2, Paris, 1984, p. 1-76.
16. Voir M.-H. CONGOURDEAU, « Note sur les Dominicains de Constantinople au début du
XIVesiècle », Revue des études byzantines, 45, 1987, p. 175-181, et H. F. DONDAINE, Sancti
Thomae, p. A 7 de l’introduction.
17. Le travail est plus poussé, semble-t-il, à Florence qu’à Lyon ; pour Lyon II, voir H. WOLTER
– H. HOLSTEIN, Histoire des conciles œcuméniques 7 : Lyon I et Lyon II, Paris, 1966, p. 225 : « On
LA RÉCEPTION DE CYRILLE D’ALEXANDRIE EN OCCIDENT 407

biblique et patristique. Ce retour aux sources – en particulier, pour les Latins, aux
sources grecques – est souvent considéré, avec raison, comme l’un des premiers
moments de l’humanisme en Occident.
Dès avant le concile, les théologiens occidentaux savaient qu’il leur faudrait
étudier sérieusement les Pères grecs, et s’efforçaient de s’y préparer. Cela signi-
fiait, au-delà des quelques florilèges disponibles en latin, de pouvoir disposer de
traductions d’œuvres entières.
Pour les simples citations, ils avaient une mine importante avec l’Adversus
Graecos du grec unioniste Manuel Calécas, écrit un peu après 140018. Cette
œuvre, qui contient de nombreuses citations de Cyrille (84 exactement)19, avait
dès 1423 attiré l’attention du pape Martin V qui, en vue des pourparlers d’union
avec les Grecs, en avait commandé une traduction au moine camaldule Ambrogio
Traversari20, l’un des meilleurs hellénistes du temps en Occident. Calécas avait
lui-même pillé les Epigraphai de Veccos (cf. plus haut). Avec cette traduction, les
Latins disposaient déjà d’une première documentation cyrillienne ; mais ce n’était
qu’un florilège. Traversari disposait peut-être aussi à cette époque directement des
Epigraphai, si le Laurentianus Conventi Soppressi 603 qui les contient est bien le
reflet de son travail conciliaire21. Dans le camp unioniste, Bessarion connaît aussi
l’œuvre de Veccos, qu’il défend peu après le concile contre la réfutation rédigée
par Palamas au siècle précédent22. Mais sa connaissance de Cyrille ne semble pas
encore de première main à ce stade.

ne voit pas qu’il y ait eu, soit avant, soit pendant le concile, de discussions vraies entre représen-
tants qualifiés et “experts” des deux Églises. » Néanmoins, le concile de 1274 fut l’occasion du
travail approfondi de Veccos sur les Pères grecs. Pour Florence, voir J. GILL, Histoire des conciles
œcuméniques 9 : Constance et Bâle-Florence, Paris, 1965, p. 232-240, sur les sessions dogma-
tiques de mars 1439 où l’on échangea sur le Filioque des arguments patristiques documentés.
18. La PG 152, 13-258 publie la version latine de Traversari. L’œuvre est la dernière de
Calécas, écrite peu avant sa mort en 1410, d’après Cl. DELACROIX-BESNIER, Les Dominicains et
la chrétienté grecque aux XIVe et XVe siècles (Collection de l’École française de Rome 237), Roma,
1997, p. 267.
19. B. MEUNIER, « Cyrille d’Alexandrie », p. 166-167.
20. Sur ce personnage, voir notamment C. STINGER, Humanism and the Church Fathers.
Ambrogio Traversari (1386-1439) and Christian Antiquity in the Italian Renaissance, New York,
1977. Pour avoir une idée d’ensemble de l’activité de traducteur de Traversari, compléter le chap. 5
de Stinger (p. 203-222) avec M. CORTESI, « Umanesimo greco », dans Lo spazio letterario del
medioevo. 1. Il medioevo latino. III. La ricezione del testo, G. Cavallo – C. Leonardi – E. Menesto
edd., Roma, 1995, p. 457-507, en particulier p. 468 pour sa formation d’autodidacte, et p. 490-493
pour son activité conciliaire. Voir aussi, sur son activité de copie dans les deux langues anciennes,
M. PONTONE, Ambrogio Traversari monaco e umanista. Fra scrittura latina e scrittura greca,
Torino, 2010.
21. Références bibliographiques dans B. MEUNIER, « Cyrille d’Alexandrie », p. 164, n. 27.
22. Contra Palamam apologia inscriptionum Vecci, PG 161, 244-288. Voir H. VAST, Le cardi-
nal Bessario, p. 139-140, et aussi ce qu’en dit brièvement J. MONFASANI, Bessarion Scholasticus.
408 BERNARD MEUNIER

Connaissait-on Cyrille plus directement, en Occident, au moment du concile ?


Nous n’en avons guère d’indice. Outre les florilèges, on pouvait lire en latin le
De fide orthodoxa de Jean Damascène, un compendium des acquis dogmatiques
de l’époque patristique, connu grâce aux traductions de Jean Scot Érigène au
IXe siècle, puis de Burgundio de Pise vers 1150, et qui synthétise la christologie
cyrillienne ; Thomas d’Aquin utilise beaucoup la traduction de Burgundio dans
la Somme. Mais il n’y a pas encore de traductions latines de Cyrille lui-même23.
Traversari s’est sans doute intéressé à lui : il mentionne un manuscrit du Contre
Julien entrevu chez Bessarion24. Ce dernier est donc venu avec au moins une
œuvre (non traduite) de Cyrille ; mais le Contre Julien occupe une place à part,
car il contient beaucoup d’extraits d’œuvres philosophiques anciennes perdues
par ailleurs : l’intérêt pour cette œuvre n’était donc probablement pas théologique.
Au tout début du concile, deux jours après la séance inaugurale à Ferrare du
9 avril 1438, Traversari écrit à fra Michele, son confrère resté à Florence, de
trouver dans le fonds laissé par Niccolo Niccoli25 des œuvres d’Athanase et le
Thesaurus de Cyrille, dont il mesure l’importance26. On ne sait s’il a reçu les
livres demandés. En octobre, le cardinal Cesarini, légat du pape à Ferrare, l’adjure
de revenir au concile, qu’il avait quitté pour un temps avec la permission du pape
Eugène IV, et de ramener tous les livres grecs relatifs au point discuté, spéciale-

A Study of Cardinal Bessarion’s Latin Library (Byzantios. Studies in Byzantine History and
Civilization 3), Turnhout, 2011, p. 62-63, n. 7, d’après les travaux de A. Rigo. Bessarion cite plu-
sieurs fois Cyrille (249A, 264C, 265C : dans ce dernier passage, il cite un extrait du Commentaire
sur Jean) pour montrer qu’en vertu de l’unité de substance, l’Esprit est à la fois le bien propre
du Père et du Fils, ce qui justifie à ses yeux le Filioque. Bessarion a lui-même rédigé une version
latine de son œuvre, éditée à la suite dans la PG (col. 287-310).
23. En dehors des textes présents dans les collections conciliaires d’Éphèse, traduites en latin ;
mais cela ne concerne pas les présents débats.
24. « Cyrilli magnum volumen contra Iulianum Apostatam habet ; quod et transcribendam
curabimus », lettre de Traversari à Filippo Pieruzzi de Florence, mars/avril 1438, citée dans
G. MERCATI, Ultimi contributi alla storia degli umanisti. I. Traversariana (Studi e Testi 90), Città
del Vaticano, 1939, p. 26. Mercati a probablement raison (ibid., n. 2) de supposer que ce ms est le
Marc. gr. 123. En ce cas, il se pourrait que le Marc. gr. 124, du milieu du XVe s., soit le résultat du
projet de Traversari de (faire) recopier le texte ; mais en a-t-il eu le temps ?
25. Niccolo Niccoli, le grand libraire florentin ami de Traversari, décédé en 1437, avait chargé
ses exécuteurs testamentaires, au premier rang desquels Côme de Médicis, de constituer avec ses
livres une bibliothèque publique, qui sera celle du couvent San Marco. En attendant, ses livres
ont dû passer quelque temps au couvent camaldule de Sainte-Marie des Anges, auquel Niccoli,
dans un premier testament lors de la peste de 1430, avait légué sa bibliothèque à cause de son ami
Traversari.
26. « Thesauros Cyrilli in Papyro inter nostri Nicolai volumina diligentissime facias, et ad nos
mittendos cures… », Epist. XIII, 18 du 11 avril 1438, L. Mehus éd., Ambrosii Traversarii …
Latinae epistolae, a Domno Petro Canneto abbate Camaldulensi in libros XXV tributae, Firenze,
1759.
LA RÉCEPTION DE CYRILLE D’ALEXANDRIE EN OCCIDENT 409

ment le Thesaurus de Cyrille27. Mais son travail direct sur Cyrille semble s’être
arrêté là. Pendant le concile lui-même, il avait dû travailler en urgence, sur la
commande pressante des Latins, à la traduction d’extraits du Contre Eunome
de Basile, dont un passage, au début du livre III, était âprement débattu jusque
dans sa teneur textuelle, manuscrits à l’appui28. C’est encore une lettre, presque
pathétique, de Cesarini qui atteste la pression sous laquelle Traversari a travaillé
pendant ces semaines : « Même si tu devais vivre aussi vieux que Mathusalem, tu
ne saurais être plus utile à la foi qu’en ces quelques jours29… » Est-ce le fait de
l’épuisement ? Traversari est mort en octobre de cette année 1439, et n’a donc pas
poursuivi son œuvre de traducteur au service de l’Église latine (même pour le
Contre Eunome de Basile, dont il n’aura traduit que des morceaux) ; Georges de
Trébizonde lui succédera dans ce travail quelques années plus tard.

III. – L’APRÈS-CONCILE
Après le concile, le travail patristique se poursuit dans les deux camps, tant on
est persuadé de part et d’autre que l’œuvre des Pères grecs est, sur la question
du Filioque, le lieu théologique le plus décisif que chacun voudrait faire prêcher
pro domo. Qu’en est-il du côté latin ou unioniste ? Traversari est mort ; quelques
années plus tard, en 1444/1445, Georges Scholarios, tenant sa promesse à Marc
Eugenikos mourant30, est passé dans le camp antiunioniste au service duquel il
mettra sa grande érudition. Les deux plus grandes figures savantes qui restent,
du côté latinophrone, sont deux Grecs : Bessarion et Isidore de Kiev, que le pape
Eugène IV fait cardinaux dès décembre 1439 eu égard aux services rendus à la
cause de l’Union. L’un et l’autre s’efforceront de gagner les Grecs à cette cause,
mais tous deux se replieront vers l’Occident, Bessarion assez vite, Isidore plus
tard. Aucun ne fera de traductions patristiques.

27. Lettre XXIV, 5 de l’éd. L. Mehus, du 17 octobre 1438, citée par C. STINGER, Traversari,
p. 212-213 et p. 297, n. 20.
28. Ci-dessus, n. 7. Sur Traversari et Basile, voir B. GAIN, « Ambroise Traversari (1386-1439)
lecteur et traducteur de saint Basile », Rivista di Storia e Letteratura Religiosa, 21, 1985, p. 56-76,
qui cherche notamment à identifier les manuscrits dont Traversari s’est servi.
29. Lettre XXIV, 6 Mehus, cité par C. STINGER, Traversari, p. 216-217 et p. 297-298, n. 32.
30. Eugenikos est mort en 1444 ou 1445, la date étant discutée ; voir G. MERCATI, Scritti
d’Isidoro il cardinale ruteno e codici a lui appartenuti (Studi e Testi 46), Città del Vaticano, 1926,
p. 122-126 ; J. GILL, The Council of Florence, Cambridge, 1959, p. 365-366 et n. 2 ; O. KRESTEN,
Eine Sammlung von Konzilsakten aus dem Besitze des Kardinals Isidoros von Kiev (Österreichische
Akad. der Wiss., Philos.-Hist. Klasse 123), Wien, 1976, p. 32-34 ; M.-H. BLANCHET, Georges-
Gennadios Scholarios (vers 1400-vers 1472). Un intellectuel orthodoxe face à la disparition de
l’empire byzantin (Archives de l’Orient chrétien 20), Paris, 2008, p. 384-390.
410 BERNARD MEUNIER

À l’époque du concile, Bessarion avait dans sa bibliothèque en fait d’œuvres de


Cyrille, outre le Contre Julien comme il a été dit, le livre I du De Adoratione31.
Dans la bibliothèque que Bessarion léguera à Venise, on trouve 4 manuscrits,
les Marciani graeci 121 à 12432, qui contiennent essentiellement, de Cyrille, le
Commentaire sur Jean, le Thesaurus et le Contre Julien. Ajoutons-y le Marc.
gr. 523 qui contient le début des Glaphyra in Genesim de Cyrille33. Mais on ne
peut dire de quand datent ces acquisitions.
En 1445, l’empereur de Constantinople provoque une série d’entretiens entre
unionistes et antiunionistes dans son palais de Xylalas à Constantinople. Ces
entretiens provoquent une recrudescence du travail de documentation patristique ;
Scholarios rédige, sans doute juste après, deux traités sur la procession du Saint-
Esprit34. Dans ces traités, il cite Cyrille plus que tout autre Père grec, et puise en
particulier dans le Commentaire sur Jean un matériel nouveau par rapport aux
florilèges déjà rencontrés. Du côté des unionistes, Isidore de Kiev cherche à com-
pléter sa documentation patristique grecque35. Son activité de lecteur, copiste et
commanditaire est bien connue depuis les travaux du cardinal Mercati, puis ceux
de Otto Kresten qui les a complétés. On sait qu’Isidore a notamment fait recopier
une collection aussi complète que possible des actes des premiers conciles, de
Nicée à Constantinople 3. La chance m’avait permis d’ajouter un nouveau manus-
crit à cet ensemble, commandé par le même Isidore et copié en même temps que
ceux des conciles anciens, le Vaticanus graecus 593, qui contient précisément le
Commentaire sur Jean de Cyrille36. Peut-être au contact de Scholarios, Isidore a

31. On trouve mention d’un manuscrit du De Adoratione parmi les emprunts de Bessarion à la
bibliothèque papale, identifié avec le Vat. gr. 599 (Xe s.) : voir R. DEVREESSE, Le fonds grec de la
Bibliothèque Vaticane des origines à Paul V (Studi e Testi 244), Roma, 1965, p. 40 (item n° 409).
Le ms. emprunté contient 8 livres (sur les 17) du De Adoratione.
32. E. MIONI, Bibliothecae Divi Marci Venetiarum Codices Graeci Manuscripti. I Thesaurus
Antiquus, cod. 1-299, Roma, 1981, p. 168-172 (et voir ci-dessus, n. 23).
33. Signalé par J. MONFASANI, Bessarion Scholasticus, p. 167-169 : ce manuscrit composite est
en partie copié par Bessarion lui-même et paginé par lui. Les filigranes ramènent autour de 1440.
Il contient les Sentences de Pierre Lombard traduites en grec par Bessarion. Cf. aussi E. MIONI,
Bibliothecae Divi Marci Venetiarum Codices Graeci Manuscripti. II Thesaurus Antiquus,
cod. 300-625, Roma, 1985, p. 396-398.
34. G. MERCATI, Scritti d’Isidoro, p. 124-125, met ces traités en rapport avec les entretiens
de Xylalas ; cf. O. KRESTEN, Eine Sammlung, p. 35-38 ; M.-H. BLANCHET, Georges-Gennadios
Scholarios, p. 387-390.
35. Sous le pontificat de Calliste III (1455-1458), le bibliothécaire du pape, Cosme de Monserrat,
enregistre 52 prêts de livres grecs à Isidore (dont certains en long dépôt) : R. DEVREESSE, « Pour
l’histoire des manuscrits du fonds Vatican grec », dans Collectanea Vaticana in honorem Anselmi
M. card. Albareda (Studi e Testi 219), Roma, 1962, p. 322 et n. 5.
36. B. MEUNIER, « Cyrille d’Alexandrie », p. 169-170.
LA RÉCEPTION DE CYRILLE D’ALEXANDRIE EN OCCIDENT 411

voulu disposer du texte complet (tout au moins de ce qui était alors accessible,
c’est-à-dire le premier et le troisième tiers de l’œuvre). A-t-il eu le temps d’utiliser
son édition ? L’absence d’une souscription comme celles qu’il avait lui-même
apposées sur les autres manuscrits37 (et qui a fait que ce codex, le Vat. gr. 593,
était resté inaperçu par Mercati et Kresten) laisse le doute là-dessus. En tout cas, ce
qui nous intéresse est qu’un exemplaire du Commentaire sur Jean, en grec, allait
désormais être disponible en Occident après avoir été copié à Constantinople,
puisque ce manuscrit d’Isidore suivra le repli sur Rome de son propriétaire38 ; il
n’entre pas tout de suite à la bibliothèque vaticane puisqu’une marque de posses-
seur de Bessarion prouve qu’il a temporairement fait partie de la bibliothèque de
celui-ci : est-ce parce qu’Isidore le lui avait prêté ? Le manuscrit rejoint finalement
la bibliothèque papale avant 1475 (date de l’inventaire de Platyna où il figure39).
L’œuvre de Cyrille a pu être consultée, puisque l’actuel Vat. gr. 592 (qui contient
aussi le Commentaire sur Jean de Cyrille en grec40) date de la même époque41 et
fournit un texte très proche du 593, qui est peut-être son modèle.

IV. – LE TEMPS DES TRADUCTIONS


À cette époque entre sur la scène cyrillienne un autre humaniste de renom :
Georges de Trébizonde. Ce savant est surtout connu comme traducteur d’Aristote,
dont il exalta la philosophie en attaquant celle de Platon dans une querelle qui
l’opposa notamment à Bessarion. Grec d’origine passé au camp latin, il fait une
carrière mouvementée en Italie, en partie au service des papes. Sur commande de
Nicolas V (1447-1455), il traduit des auteurs classiques et des auteurs chrétiens.
Le pape lui demande plusieurs textes liés aux controverses avec les Grecs (dont le
Contre Eunome de Basile), mais aussi les Homélies sur Matthieu de Chrysostome

37. G. MERCATI, Scritti d’Isidoro, p. 72-73 ; O. KRESTEN, Eine Sammlung, p. 39-40 et 101-104.
38. Sur l’histoire du ms., B. MEUNIER, « Cyrille d’Alexandrie », p. 172. Le texte de ce ms (et du
Vat. gr. 592 qui lui est apparenté) est très proche du Marc. gr. 121, mais peut-être pas directement
recopié sur lui. Ajoutons que dans l’inventaire des manuscrits grecs de Nicolas V par Cosme
de Monserrat (cf. 1455) figure, à la rubrique Athanase, un ms. de Cyrille : les Dialogues sur la
Trinité ; voir R. DEVREESSE, Fonds grec, p. 19 (item n° 100, identifié avec l’actuel Vat. gr. 596). Ce
ms. est le n° 452 de l’inventaire de Platyna (ibid., p. 64). Les autres items de Platyna concernant
Cyrille (outre les 2 mss. du Commentaire sur Jean, cf. notes suiv.) sont les n° 459 (De vera fide
ad Theodosium = Vat. gr. 597), 555 (Glaphyra in Genesim = Vat. gr. 1166), 605 (Opus ?), 615 (De
trinitate = Thesaurus, Vat. gr. 594). Par rapport à Chrysostome et aux Cappadociens, c’est peu.
39. R. DEVREESSE, Fonds grec, p. 68 (n° 552).
40. Avec les mêmes livres I-IV et IX-XII, contrairement à ce que dit Ph. E. PUSEY (cité n. 5)
dans la préface de son édition de Cyrille, p. VIII, qui croit que ce ms. n’a que les 4 premiers livres.
41. Ce ms. est sans doute le n° 609 du même inventaire de Platyna (ibid., p. 71).
412 BERNARD MEUNIER

(à partir de l’hom. 26). De Cyrille, il traduit le Thesaurus42 et le Commentaire sur


Jean (livres I-IV et IX-XII)43. On a l’impression que Nicolas V lui fait traduire
ce que Traversari avait voulu traduire sans en avoir eu le temps44. Il vaut la peine
de citer le début de la préface que Georges a mise en tête de sa traduction du
Commentaire sur Jean, où il s’adresse à son commanditaire45 :
« Nous avons traduit du grec au latin beaucoup de livres épais sur ton ordre, bienheureux
pape Nicolas V. Nous avons d’abord achevé les commentaires de Chrysostome sur
Matthieu commencés par Anianus, homme à l’éloquence cicéronienne ; puis nous
avons publié les livres d’Eusèbe sur la Préparation évangélique, en lesquels abonde le
savoir en maint sujet important. Et récemment, nous avons traduit les commentaires
de Cyrille d’Alexandrie sur Jean. Après tant de grands labeurs, ta Sainteté ne nous
laisse pas nous endormir dans l’oisiveté, car à peine avons-nous entrevu la fin d’un
livre, qu’elle nous en propose toujours d’autres à traduire46. »
Le travail de traducteur de Georges de Trébizonde a été assez vivement critiqué,
de son vivant et encore longtemps après sa mort. Jean Aubert, le grand éditeur de
Cyrille en 1638 dont l’édition gréco-latine des Opera omnia, la première à être
complète, sera reprise par Migne, avertit dans la préface au lecteur du tome 1 que
« beaucoup de textes ont été abrégés, et certains mal traduits ». Plus sévère était la
note que déjà Bonaventure Vulcain avait mise en tête de sa propre traduction du
Thesaurus (Bâle, 1576) :

42. La dédicace du traducteur du Thesaurus, telle qu’elle se lit dans le Vat. Urb. lat. 482,
est adressée à « Alphonse d’Aragon, roi des Deux Siciles » (C. STORNAJOLO, Codices Urbinates
latini. I. Cod. 1-500, Rome, 1902, p. 492), ce qui date la traduction de Georges d’avant 1458,
année de la mort d’Alphonse. Il est difficile de savoir dans quel ordre exact Georges a effectué ses
traductions. Nicolas V, à qui est dédiée la traduction du Commentaire sur Jean, est mort en 1455.
43. I. BACKUS, « Ulrich Zwingli, Martin Bucer and the Church Fathers », dans The Reception
of the Church Fathers in the West. From the Carolingians to the Maurists, I. Backus ed., vol. 2,
Leiden, 1997, p. 634, déclare que Zwingli, étudiant et annotant le commentaire de Cyrille dans la
traduction de Georges éditée à Paris en 1508, « avait conscience que les livres 7 à 12 manquaient
dans la traduction de Georges » ; en fait, ce sont les livres 7 à 10 qui manquent. Georges lui-même
signale ce manque dans sa préface (Vat. lat. 525, f. 3r ; cf. plus bas, n. 45).
44. Sur le désir qu’avait Traversari de traduire les homélies sur Matthieu de Chrysostome, voir
M. PONTONE, Ambrogio Traversari, p. 213, n. 144.
45. La préface, assez peu reproduite, figure dans le Vaticanus latinus 525, ff. 1r-3r. Ce ms est
autographe de Georges, selon le catalogue de M. VATASSO – P. FRANCHI DE’ CAVALIERI, Codices
Vaticani Latini. I. Cod. 1-678, Roma, 1902, p. 399. De fait, les trois autres copies du XVe siècle
qui se trouvent dans le fonds romain (Vat. lat. 526, 527, 528), et qui sont d’une écriture de librairie
calligraphiée, ne contiennent pas la préface, tandis que le 525 est d’une écriture cursive d’érudit, à
l’exception des deux premiers tiers du premier folio, qui semblent d’une autre main.
46. Vat. lat. 525, f. 1r. Anianus de Célède, diacre latin inconnu par ailleurs, avait traduit les
25 premières homélies de Chrysostome sur Matthieu vers 420.
LA RÉCEPTION DE CYRILLE D’ALEXANDRIE EN OCCIDENT 413

« Moi, Bonaventure Vulcain, de Bruges, j’ai entièrement traduit du latin ce Thesaurus


de Cyrille, autrefois traduit sans fidélité par Georges de Trébizonde, qui en a tronqué
beaucoup de passages et en a donné, en d’innombrables endroits, un résumé plutôt
qu’une véritable traduction ; il a de plus opéré un certain nombre d’ajouts et a assez
souvent mal traduit. J’ai d’autre part respecté l’ordre <des chapitres> voulu par
Cyrille, ordre qu’il avait totalement bouleversé avec une audace inouïe : ainsi les
lecteurs auront le Thesaurus de Cyrille comme l’auteur l’avait conçu. Je me suis
adonné à l’ouvrage de telle sorte qu’on ne puisse me reprocher aucun ajout ni aucune
suppression, et que la pensée de Cyrille soit rendue aussi fidèlement que possible47. »
On comprend que l’érudit flamand, dont la traduction sera reprise par Aubert
et par Migne, ait préféré tout retraduire à nouveaux frais, plutôt que de retoucher
le travail de son prédécesseur ! Il n’empêche que Georges de Trébizonde, dont
les traductions seront plusieurs fois réimprimées48 avant d’être remplacées par
celles du XVIe ou du XVIIe siècle, a été le premier à traduire des œuvres entières de
Cyrille. La première appréhension sérieuse de cette œuvre en Occident passe par
lui49.

V. – LE TEMPS DE LA RÉFORME ET DE LA CONTRE-RÉFORME :


NOUVELLES ENTREPRISES

Quelle est la présence de Cyrille en Europe occidentale à l’aube du XVIe siècle ?


Dès avant 1519, Zwingli lit et annote le Commentaire sur Jean de Cyrille,
précisément dans la traduction de Georges de Trébizonde, et se montre critique
sur la manière dont Cyrille, comme tous les Grecs, envisage la procession du
Saint-Esprit50. Nous sommes dans le prolongement du XVe siècle et de ses préoc-
cupations. Un autre théologien s’intéresse de près au Commentaire sur Jean : Josse
Clichtove (Jodocus Clichtoveus, cf. 1472-1543), théologien catholique, disciple
de Jacques Lefèvre d’Étaples et futur auteur d’un Antiluther (Paris, 1524). Dès
1508, donc avant le début de la Réforme, il publie chez Wolfgang Hopyl à Paris le
Commentaire sur Jean de Cyrille, dans la traduction de Georges de Trébizonde51,

47. Le texte latin de cette note est reproduit, à la fin du Thesaurus, dans l’édition d’Aubert,
t. V-1, p. 387-388, puis dans Migne en tête de la traduction (PG 75, 9-10).
48. Pour le Commentaire sur Jean : Paris, 1508, 1520, 1521, Bâle, 1524, 1528, pour ne citer
que les premières (V. FABRICIUS-HARLES, t. 9, Hambourg, 1804, p. 454-455), à quoi on peut
ajouter Paris, 1573. Il semble que toutes ces éditions comportent l’ajout des 4 livres manquants
(7-10) dans la rédaction de Josse Clichtove (voir plus bas).
49. Plusieurs manuscrits latins attestent une réelle diffusion des traductions de Georges ; sans
être exhaustif, mentionnons pour le Thesaurus les Vat. lat. 298 (1482, dédié à Sixte IV) et 530
(XVe s., au cardinal de Bologne) ou le Vat. Urb. lat. 482 (XVe s.) ; pour le Commentaire sur Jean,
les Vat. lat. 525, 526, 527, 528 (tous du XVe s.) ; le Paris. lat. 2124 (XVe s., copié par Petrus de
Middelburgo).
50. Ci-dessus, n. 43 (I. BACKUS).
51. Il la republiera chez le même éditeur en 1521.
414 BERNARD MEUNIER

qu’il complète en rédigeant lui-même en latin ce qu’il devait y avoir dans les
quatre livres manquants (5-8) ! Il semble qu’il a résumé à la fois du Chrysostome
et de l’Augustin pour rédiger ces livres. C’est cette édition latine de Georges de
Trébizonde augmentée par Clichtove qui sera réimprimée plusieurs fois pendant
le XVIe siècle. Chez le même Hopyl, Clichtove publie en 1514 le Thesaurus de
Cyrille (toujours dans la traduction de Georges de Trébizonde), avec les 16 homé-
lies d’Origène sur le Lévitique dans la traduction latine de Rufin, œuvre qu’il croit
être de Cyrille sur la foi d’un manuscrit qui les lui attribuait52.
Une autre grande figure des débuts de la Réforme, le bâlois Œcolampade,
s’intéresse lui aussi de près à Cyrille, dont il traduit lui-même plusieurs œuvres en
latin. Alors que Luther et Calvin semblent avoir eu pour Cyrille un intérêt surtout
exégétique53, Œcolampade s’intéresse aussi, comme Zwingli, à la dogmatique.
Il traduit celle des trois œuvres trinitaires de Cyrille que Georges de Trébizonde
n’avait pas traduite : les sept Dialogues sur la Trinité ; il traduit encore le livre I
du De Adoratione, le Contre Julien – un gros morceau ! – et quelques œuvres
antinestoriennes, ensemble qu’il édite à Bâle, chez Cratander, en 152854 (après
avoir édité en 1524 le Commentaire sur Jean et le Thesaurus) ; le tout sera réédité
en 1546 par Wolfgang Musculus55 qui y ajoute quelques pièces de la controverse
nestorienne.
Les traductions d’Œcolampade seront souvent attaquées pour leur manque de
rigueur : le même Bonaventure Vulcain que nous avons vu critiquer Georges de
Trébizonde critique aussi Œcolampade pour sa traduction des Dialogues, qu’il a
amplement amendée56, ou pour sa traduction du début du De Adoratione, dont il
dit qu’Œcolampade l’a traduit de telle manière « ut eum non tam vertisse quam
pervertisse videatur57 » ! Pourtant les traductions du réformateur bâlois seront
plusieurs fois réimprimées. Jusqu’à la fin du XVIe siècle, les érudits occidentaux
désireux de lire Cyrille, mais ne pouvant le faire en grec, sont tributaires, soit de

52. Les 16 homélies sur le Lévitique d’Origène ont été plusieurs fois imprimées, au XVIe siècle,
sous le nom de Cyrille, à cause d’un codex fabri qui les transmettait sous ce nom (V. FABRICIUS-
HARLES, t. 9, p. 490-491, n. 165), comme dans le ms. 67 de Reims (XIIe s.), cf. W. A. BAEHRENS,
Überlieferung und Textgeschichte der lateinisch erhaltenen Origeneshomilien zum alten Testament
(TU 42-1), Leipzig, 1916, p. 50.
53. Voir les remarques rapides de M. SCHULZE pour Luther et de J. VAN OORT pour Calvin dans
The Reception, I. Backus ed., p. 615 et 693.
54. Voir la description donnée par G.-M. DE DURAND dans CYRILLE D’ALEXANDRIE, Dialogues
sur la Trinité, vol. 1 (SC 231), p. 89, n. 2.
55. R. BODENMANN, Wolfgang Musculus (1497-1563). Destin d’un autodidacte lorrain au
siècle des Réformes, Genève, 2000, p. 158-159. Sur son activité de traducteur des Pères grecs,
cf. dans ce volume la contribution de A. NOBLESSE-ROCHER, p. -.
56. G.-M. DE DURAND, SC 231, p. 120-121.
57. Préface dédicatoire de sa traduction du Contre les anthropomorphites, voir plus bas,
Cologne, 1573, p. a 5.
LA RÉCEPTION DE CYRILLE D’ALEXANDRIE EN OCCIDENT 415

Georges de Trébizonde, soit d’Œcolampade. Éditions et rééditions se sont mul-


tipliées, mais le nombre de traductions nouvelles reste faible ; comme au siècle
précédent, la tenue d’un grand concile va donner un coup de fouet aux travaux
patristique.

VI. – LE CONCILE DE TRENTE


Le concile de Trente est un lieu d’érudition patristique, parce que dès le début de
la Réforme, la référence aux premiers siècles a été au centre des débats. Cyrille y
est moins sur le devant de la scène qu’il ne l’avait été à Florence pour sa théologie
trinitaire, mais sa théologie eucharistique intéresse les controversistes. Ses fortes
affirmations sur le pouvoir vivifiant de la chair du Verbe incarné sont invoquées
par les défenseurs de la présence réelle, ou à l’inverse interprétées dans un sens
spirituel par certains réformés. Dès 1555 le théologien luthérien Joachim Westphal
(1510-1574), défenseur de la présence réelle contre Calvin, utilise largement
l’œuvre d’Augustin, mais aussi celle de Cyrille ; il publie en 1555 à Francfort, chez
Pierre Braubach (Petrus Brubacchius), un petit in-8° de 88 pages intitulé : Fides
divi Cyrilli episcopi Alexandrini, de praesentia Corporis et Sanguinis Christi in
sacrae coenae communione, où il attaque nommément Zwingli. Il y cite plusieurs
longs extraits du Commentaire sur Jean (en particulier, on s’y attend, sur Jn 6)
dans la traduction de Georges de Trébizonde58. Calvin y répondra, entre autres,
dans la Dilucida explicatio en 1561, où il recourt aussi, à côté de plusieurs autres
Pères, à Cyrille59.
Au concile, des théologiens sont conscients de l’enjeu des travaux sur les Pères
de l’Église. Presque en prélude au concile, le jésuite Petrus Canisius, qui sera
célèbre pour son catéchisme, a consacré ses premiers travaux à l’édition de deux
Pères, Léon le Grand et Cyrille d’Alexandrie, dont il fait paraître une édition
latine chez Melchior von Neuss à Cologne, l’une et l’autre la même année 1546 ;
l’édition de Cyrille est en deux volumes et affiche l’ajout des 11 livres sur la
Genèse60. Il s’agit, comme l’indique la page de titre61, d’une traduction corrigée
et non d’un travail neuf. Le contenu est en assez grande partie semblable à ce

58. Ces extraits se trouvent aux p. 49-54 de l’opuscule ; Westphal cite ensuite un bref extrait
du Contre Julien (p. 48, trad. d’Œcolampade), et quelques extraits d’œuvres antinestoriennes
(p. 49-54) avant de commenter ce florilège (p. 55-88, la dernière page contenant un extrait
d’Ambroise).
59. J. VAN OORT, « John Calvin and the Church Fathers », dans The Reception, I. Backus ed.,
p. 680.
60. En réalité, les 4 premiers Glaphyra sur la Genèse (PG 69, 16-223), découpés en 11 livres
dans les premières éditions, comme encore dans l’édition Hervet de 1572/1573 (cf. plus bas).
61. Divi Cyrilli archiepiscopi alexandrini Operum omnium, quibus nunc praeter alia compluta
nova, recens accessere undecim Libri in Genesim, nunquam antea in lucem aediti. Omnia iam
tum studio, tum labore integritati suae restituta, & a mendis, quibus conspurcata erant, repurgata,
Coloniae : ex officina Melchioris Novesiani, 1546 mense Aprili.
416 BERNARD MEUNIER

qu’Œcolampade avait publié à Bâle en 1528, et qu’on retrouvera dans l’édition


parisienne de Cyrille par Gentien Hervet en 1572/1573 : les premiers Glaphyra
in Genesim (première parution, semble-t-il, pour ce texte présent en 1573 mais
absent en 152862), les seize homélies d’Origène sur le Lévitique sous le nom de
Cyrille, le Commentaire sur Jean dans la traduction de Georges de Trébizonde
avec la rédaction de Josse Clichtove pour les livres 5 à 8 ; dans le deuxième tome le
Thesaurus (version de Georges de Trébizonde), les Dialogues sur la Trinité dans
la version d’Œcolampade, le livre I du De Adoratione (Œcolampade) et divers
textes antinestoriens.
Au moment du concile même, Cyrille intéresse l’un des principaux légats du
pape, le cardinal Marcello Cervini, futur pape Marcel II, et son collaborateur
Guiglielmo Sirleto63. Un humaniste orléanais, Gentien Hervet, travaille pour
Cervini. Il a été son secrétaire lors de son second séjour à Rome, à partir des
années 1540. Il est plus connu pour sa traduction de la Cité de Dieu d’Augustin
ou des œuvres de Clément d’Alexandrie ; on lui doit aussi la publication d’œuvres
de Théodoret (l’Eranistes), ou de Chrysostome sur les psaumes. Il a peu traduit
Cyrille, mais il réédite en latin, à Paris en 157264 chez Michel Sonnius, les œuvres
disponibles dans les traductions déjà connues de Georges de Trébizonde et d’Œco-
lampade, auxquelles il ajoute quelques traductions de son fait, pour des écrits
antinestoriens notamment.

VII. – AUTRES OUVRIERS CYRILLIENS À LA FIN DU XVIe SIÈCLE


Un nouvel élan aux traductions de Cyrille est alors donné par un humaniste
originaire de Bruges, Bonaventure Vulcain (1538-1614)65, dont il a été question

62. V. FABRICIUS-HARLES, t. 9, p. 458, en attribue à tort la traduction à Traversari, alors qu’il


s’agit d’un autre Ambroise, Ferrarius (cf. ci-dessous). Le texte latin des Glaphyra publié à Paris
en 1573 est le même que celui imprimé dans l’édition de Canisius en 1546 : ce serait lui le premier
à le publier (voir G. MERCATI, Codici latini Pico Grimani Pio e di altra biblioteca ignota del
secolo XVI esistenti nell’Ottoboniana [Studi e Testi 75], Rome, 1938, p. 178-179).
63. La correspondance entre les deux hommes se trouve dans les Vat. lat. 6177-6178 et
contient de nombreuses allusions aux œuvres patristiques, notamment autour de la justification
(S. DITCHFIELD, « What was sacred History? (Mostly roman). Catholic Uses of the christian Past
after Trent », dans Sacred History. Uses of the Christian Past in the Renaissance World, K. Van
Liere – S. Ditchfield – H. Louthan eds., Oxford, 2012, p. 81 et n. 16). Sur Sirlet, voir I. BACKUS
– B. GAIN, « Le cardinal Guglielmo Sirleto (1514-1585), sa bibliothèque et ses traductions de
saint Basile », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen-Âge, Temps modernes, 98, 1986,
p. 889-955 ; les travaux de traduction de Sirlet sont énumérés aux p. 912-915 ; un seul extrait
de Cyrille, p. 915, sans doute tiré du Commentaire sur Jean, dans le Vat. lat. 7093, f. 201 s. ; il
est précisé que Sirlet possédait 3 mss de Cyrille. On trouve p. 925-926 la mention de certains
travaux patristiques favorisés par Sirlet, et p. 928-952 l’étude des travaux de Sirlet sur Basile, avec
notamment la collaboration de Gentien Hervet.
64. Ou 1573, selon les exemplaires.
65. Sur cette figure de l’humanisme flamand, on peut consulter :, Bonaventura Vulcanius,
LA RÉCEPTION DE CYRILLE D’ALEXANDRIE EN OCCIDENT 417

plus haut pour ses critiques de ses prédécesseurs. Vulcanius passe les dernières
décennies de sa vie comme professeur à Leyde. Les manuscrits qu’il a laissés
à la bibliothèque de l’université attestent son activité, entre autres, de lecteur et
traducteur de Cyrille66. Il traduit le petit traité Contre les anthropomorphites67,
avec le premier livre du De Adoratione (il édite ces deux textes en latin à Cologne,
chez les héritiers de Iohann Quentel en 1573, puis à Tolède en 1575 chez Juan de
Ayala). Il retraduit aussi, après Œcolampade, les sept Dialogues sur la Trinité68 et,
après Georges de Trébizonde, le Thesaurus (Bâle, 1574)69 ; il rééditera le Contre
les anthropomorphites à Leyde en 1605, avec le texte grec cette fois, suivi (sans le
grec) de la traduction latine des deux dialogues christologiques De incarnatione
Unigeniti et De recta fide ad Theodosium, traduction réalisée dès 1576, mais
restée inédite70, et qui sera reprise par Aubert et Migne. Il compose également
une traduction complète des 17 livres du De Adoratione, en vue d’une édition
gréco-latine, comme le montre le projet de page de titre du Cod. Vulc. 25, f. 371,
mais cette édition ne verra jamais le jour et c’est celle d’Agellio (ci-dessous) qui
sera reprise par Aubert et par Migne72.

Works and Networks, Bruges 1538 – Leiden 1614 (Brill’s Studies in Intellectual History 194),
H. Cazes ed., Leiden, 2010 ; cf. notamment la contribution de T. M. CONLEY, « Vulcanius as
Editor: the Greek Texts », p. 337-350.
66. Les Codices Vulcaniani 5, 10 à 14, 16, 25, 26, 29, 52, 62 I-II, 92 E, 109.
67. Sous ce titre sont en réalité réunis plusieurs textes : la Lettre à Calosirius, le De dogmatum
solutione (CPG 5231), les Réponses à Tibère le diacre (CPG 5232), auxquels s’est ajouté à la fin
au moins un texte de Grégoire de Nysse (la fin de l’Homélie sur la Nativité). Voir V. BROWN –
P. O. KRISTELLER – F. E. CRANZ, Catalogus translationum et commentariorum: Mediaeval and
Renaissance Latin Translations and Commentaries, vol. VII, Washington, 1992, p. 317. Aubert et
Migne en reprendront la première partie.
68. Cologne 1573, cf. Cod. Vulc. 10, f. 8, et Vulc. 12, où la traduction latine de Vulcain est auto-
graphe (P. C. MOLHUYSEN, Bibliotheca universitatis leidensis. Codices manuscripti. I. Codices
vulcaniani, Leiden, 1910, p. 6-7). Comme l’explique G.-M. DE DURAND (introduction à CYRILLE
D’ALEXANDRIE, Dialogues sur la Trinité, t. I [SC 231], Paris, 1976, p. 120), la traduction de
Vulcain semble être restée ignorée d’Aubert, qui a dû refaire le travail.
69. Voir la note autographe de Vulcain à la fin du cod. Vulc. 16 (P. C. MOLHUYSEN, Bibliotheca,
p. 7) reprise par Aubert, t. V-1, p. 381-382 puis par Migne, PG 75, col. 9-10 en bas. Aubert a utilisé
ce Vulc. 16 pour éditer en 1638 la version de Vulcain, pour laquelle je n’ai pas trouvé trace d’une
édition antérieure séparée. Elle avait pu rester inédite comme d’autres travaux du même auteur.
70. La traduction fut faite d’après le Monacensis gr. 368 : voir G.-M. DE DURAND dans CYRILLE
D’ALEXANDRIE, Deux dialogues christologiques (SC 97), Paris, 1964, p. 152.
71. P. C. MOLHUYSEN, Bibliotheca, p. 12.
72. B. VILLANI, « Trois traducteurs du De Adoratione de Cyrille d’Alexandrie au XVIe siècle.
Jean Œcolampade, Bonaventure Vulcanius et Antonio Agelli », dans Lire les Pères de l’Église
entre la Renaissance et la Réforme : six contributions (Collection Christophe Plantin 2), A. Villani
éd., Paris, 2013, p. 123-148 (p. 132 à propos de ce projet).
418 BERNARD MEUNIER

D’autres traducteurs à cette époque entreront, via Aubert, dans la Patrologie


de Migne. On peut mentionner Laurent Hunfredus qui traduit le Commentaire
sur Isaïe (1563 chez les héritiers de Jean Hervage, traduction incluse dans une
nouvelle édition des œuvres complètes, en 5 tomes, en 1566) ; André Schott publie
en 1605 une traduction des Glaphyra, précédée pour les Glaphyra in Genesim, par
Ambrosius Ferrarius, moine de Saint-Georges le Grand à Milan73, et par Nicolas
Drumezius de Bruges74, deux versions latines qui semblent être restées inédites75
et dont Bonaventure Vulcain, qui les possédait, a pu se servir.
Antonius Agellius (1532-1608), prêtre théatin puis évêque d’Acerno, bibliste,
collaborateur du Cardinal Carafa pour l’édition sixto-clémentine de la Vulgate vers
1590, publie une traduction complète du De Adoratione à Lyon en 1587 ; devant le
nombre de fautes (il s’en plaint dans son introduction, dénonçant notamment des
notes ineptes76 !), il republie une édition corrigée, à Rome, chez Giorgio Ferrari en
1588 (version reprise par Aubert et Migne), et à Venise en 160477. Il traduira aussi
de Cyrille les cinq livres Contre Nestorius qu’il publie en édition gréco-latine à
Rome en 160778, et qui sera également reprise par Aubert et Migne79.
À ces traducteurs de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle Jean Aubert rend
hommage, dans sa grande édition gréco-latine des œuvres complètes de Cyrille
qu’il fait paraître à Paris en 1638 et qui, reprise par Migne, reste irremplacée. Il
les énumère tous dans son Avertissement au lecteur, non paginé, qu’il fait figu-
rer en tête du premier tome : Agellius, Schott, Pontanus80, Vulcain, Salmatia81,

73. P. O. KRISTELLER, Iter italicum, V. Alia itinera III and Italy III, Leiden, 1990, p. 42
(A II 42). G. MERCATI, Codici latini Pico Grimani Pio, p. 176-181; P. C. MOLHUYSEN, Codices
Vulcaniani, p. 7 (Vulc. 10, dont les ff. 123-207 contiennent la traduction d’Ambroise).
74. P. C. MOLHUYSEN, Codices Vulcaniani, p. 7 (Vulc. 13).
75. Précisons pour être complet qu’une autre traduction latine des Glaph. in Gen. I-IV, d’un
certain « Joseph », se trouve déjà dans un manuscrit du XVe siècle, le Vat. lat. 529 (M. VATASSO –
P. FRANCHI DE’ CAVALIERI, Codices Vaticani Latini, p. 400).
76. Lettre-Préface reproduite dans PG 68, 119-120.
77. V. FABRICIUS-HARLES, t. 12, Hambourg, 1809, p. 457 ; R. CEILLIER, Histoire générale
des auteurs sacrés et ecclésiastiques, t. 13, Paris, 1747, p. 406. B. VILLANI, « Trois traducteurs »,
p. 132-133 pour Agellius.
78. Réimprimée l’année suivante dans une collection regroupant tous les conciles œcumé-
niques, parfois considérée à tort comme la première édition bilingue de ce texte.
79. Schott (Glaphyra) et Agellius (De Adoratione) complètent la seconde édition parisienne
de Cyrille, en 1605, qui reprend celle de 1573 en l’augmentant de ces deux œuvres (R. CEILLIER,
Histoire générale, t. 13, p. 406).
80. Jacobus Pontanus, s.j. (1542-1626) fait paraître à Ingolstadt, en 1607, une traduction latine
du Commentaire sur les douze petits prophètes de Cyrille. Sa traduction est reprise par Aubert et
Migne.
81. Antonio Salmatia, de Milan, publie en 1618 à Anvers sa traduction latine des Lettres
Festales de Cyrille, que reprendront Aubert et Migne, après le retrait d’André Schott, s.j. qui garda
LA RÉCEPTION DE CYRILLE D’ALEXANDRIE EN OCCIDENT 419

Borbonius82… Ils l’avaient précédé et, sans eux, il n’aurait pu fournir son édition
complète de Cyrille en grec et en latin. Nous avons, aujourd’hui encore, la même
dette.

VIII. – CONCLUSION
Les controverses religieuses ont souvent été déterminantes pour l’étude et la
réception des textes patristiques : cela est vrai de Cyrille comme des autres. Au
XVe siècle, son œuvre fait l’objet d’une approche encore très partielle et utilitaire :
il s’agit d’aligner des citations pour argumenter dans un débat. Si le concile de
Florence a inauguré l’essor de l’humanisme occidental, il n’a pas immédiatement
produit de grands travaux sur Cyrille. Il a d’abord provoqué une recrudescence
de florilèges trinitaires, dans lesquels Cyrille avait une part importante ; ensuite,
l’après-concile a fait émerger le besoin de disposer de grandes œuvres en leur
entier : c’est le temps de nouvelles copies grecques et des premières traductions
latines.
Au XVIe siècle, le champ s’ouvre davantage. Certes, les besoins polémiques
sont toujours là et continuent de susciter des commandes ; un grand traducteur
de Cyrille comme Bonaventure Vulcain travaille encore ainsi : lorsqu’il est en
Espagne, il édite et traduit Cyrille sur le vœu du cardinal Mendoza, évêque de
Burgos83 ; lorsqu’il se trouve ensuite à Cologne, c’est le jésuite Jean Reidt (Rhetius)
qui l’engage, en 1572, à traduire les Pères, pour que ce ne soit pas l’apanage
des Réformés84 ! De fait, on s’affronte alors, entre autres, sur l’eucharistie et la
présence réelle, et les Réformés recourent aussi à l’argument patristique, en faisant
une lecture spiritualiste de certains textes de Cyrille. Leur intérêt pour l’Écriture
englobe ses lecteurs anciens. Les traductions nouvelles de Cyrille concernent cette
fois ses premières œuvres, qui commentent l’Ancien Testament : De Adoratione,
Glaphyra, Commentaire sur Isaïe.
Le concile de Trente convoque de nouveau les Pères pour les besoins d’une
théologie qui réponde aux défis de la Réforme ; mais l’intérêt pour Cyrille se
diversifie, devient plus humaniste et gratuit. On veut lire des œuvres complètes et
non plus quelques morceaux choisis à titre d’arguments. Les Pères sont moins des
auctoritates théologiques que les auteurs d’un patrimoine intellectuel qu’on veut

inédite sa propre traduction pour laisser la place à Salmatia (cf. W. H. BURNS dans l’introduction
à CYRILLE D’ALEXANDRIE, Lettres Festales I-VI [SC 372], P. Évieux dir., Paris, 1991, p. 133).
82. Nicolas Bourbon (1574-1644) avait fait paraître sa traduction du livre I du Contre Julien
sous le titre Poematia exposita chez R. Sara, à Paris en 1630, traduction reprise par Aubert et
Migne. Aubert assura lui-même la traduction des autres livres. Cette nouvelle traduction supplante
désormais celle d’Œcolampade.
83. B. VILLANI, « Trois traducteurs », p. 128. Vulcain dédicace à Mendoza son projet de traduc-
tion intégrale du De Adoratione dès 1570 (ibid., p. 130).
84. Ibid., p. 129.
420 BERNARD MEUNIER

se réapproprier. Lorsque paraît une première ébauche d’Opera omnia de Cyrille en


1524, on est déjà sorti d’un choix d’œuvres dicté par les débats sur le Filioque, sans
se limiter pour autant à des points débattus par la Réforme naissante. Les éditions
d’œuvres complètes se succèdent alors, visant de plus en plus l’exhaustivité pour
elle-même, un peu comme le faisaient, au même moment, les éditions successives
de la Bibliotheca Patrum de Marguerin de la Bigne. En même temps, les exigences
proprement philologiques grandissent au cours du XVIe siècle et assurent une qua-
lité plus grande des traductions85. La porte est ouverte, et le chemin bien préparé,
pour les grandes entreprises éditoriales qui feront l’honneur du Grand siècle.
Bernard MEUNIER
HISOMA, CNRS

85. B. VILLANI, « Trois traducteurs », p. 133-141, a montré sur échantillons le progrès des
traductions de Vulcanius et d’Agellio par rapport à celles d’Œcolampade, à la fois par rapport
aux choix textuels fondés sur une meilleure base manuscrite, et par rapport à la méthode même de
traduction, plus proche du texte original.
La recepción de Ireneo en Occidente
antes de Erasmo
No obstante haber transcurrido gran parte de su vida en la provincia romana de
Galia, y haber ejercido su ministerio como obispo de la comunidad de cristianos
en Lyon a finales del s. II, podemos considerar a Ireneo de Lyon Padre griego, en
virtud de haber recibido su formación en Esmirna1 y haber compuesto sus obras
en griego2. Acerca de la posterior recepción de su obra en el Occidente se conoce
poco. La exposición más detallada y completa, hasta la fecha, la encontramos, sin
duda, en el volumen séptimo de Catalogus Translationum et Commentariorum, a
cargo de los profesores O. Reimherr y F. E. Cranz. editado por Virginia Brown y
publicado en 19923. El recorrido que aquí presento no es exhaustivo, paso por alto
algunos autores citados por Vernet, Reimherr o Arduini.

I. – ALGUNOS TESTIGOS OCCIDENTALES DE LA PRIMERA:


RECEPCIÓN GRIEGA Y LATINA (SS. III-V)

El primer eco de la utilización de Ireneo entre latinos lo encontramos bastante


pronto en la obra de Tertuliano. En efecto, en Adversus Valentinianos 5, 1, datado
en 207/2094, Tertuliano introduce a Ireneo junto a otros más: Justino, Milcíades y
Próculo. Según Tertuliano se trata de « viri sanctitate et praestantia insignes, nec
solum nostri antecessores sed ipsorum haeresiarcharum contemporales, instructis-
simis voluminibus et prodiderunt et retuderunt ». Cuando llega más concretamente
a Ireneo, Tertuliano lo presenta como omnium doctrinarum curiosissimus

1. Cf. EUSEBIUS, Historia Ecclesiastica V, 20 , 4-8, E. Schwartz ed., Leipzig, 1903, p. 482, 484.
2. Sobre la vida y obra, cf. J. J. AYÁN, « Ireneo di Lione », en Letteratura Patristica, A. Di
Berardino – G. Fedalto – M. Simonetti dir., Milano, 2007, p. 769-775 (con bibliografía).
3. Cf. O. REIMHERR – F. E. CRANZ, « Irenaeus Lugdunensis », en Catalogus Translationum et
Commentariorum: Mediaeval and Renaissance Latin Translations and Commentaries. Annotated
Lists and Guides, vol. VII, V. Brown ed., Washington D.C., 1992, p. 15-54.
4. Cf. TERTULLIEN, Contre les Valentiniens, vol. I, J.-C. Fredouille éd., Paris, 1980, p. 11, 88.
422 PATRICIO DE NAVASCUÉS

explorator. Por tanto, el interés de Tertuliano por este grupo de cuatro – entre los
que figura Ireneo– se centra en las notas de sanctitas – que probablemente vale
tanto como decir « cristiano », « bautizado » – y praestantia. Además, Tertuliano
insiste, a propósito de estos cuatro, en el hecho de ser antecessores de él, con-
temporales a los herejes y en el hecho de haber escrito obras muy bien instruidas
donde expusieron y confutaron las herejías. Para el caso particular de Ireneo, el
Africano subraya el alto grado de conocimiento que el obispo de Lyon obtuvo a
raíz del examen de las obras de los herejes: curiosissimus explorator. De Ireneo le
interesa su vertiente heresiológica, pero no tanto su lado más expositivo.
El segundo paso cierto en nuestro camino compete al anónimo autor de la
Refutatio omnium haeresium – a veces, conocido como Pseudo Hipólito o Hipólito
– que hemos de situar en Roma, poco antes de la mitad del s. III. El interés de
este autor, como el de Tertuliano, se reduce a la faceta heresiológica de Ireneo,
utilizado como suministrador de información e inspirador de algunas confutacio-
nes5. Se refiere a Ireneo, del que acepta genéricamente la idea de la dependencia
existente entre filosofía pagana y herejías cristianas, en dos ocasiones (6, 42. 55)
como « el dichoso presbítero Ireneo » (ὁ μακάριος πρεσβύτερος Εἰρηναῖος6).
Entre la composición del Adversus haereses por parte de Ireneo y el uso que
Agustín hizo de la obra susodicha, ha de situarse la elaboración de su traduc-
ción latina. La cuestión ha desencadenado muchas hipótesis entre los estudiosos.
Parece que Tertuliano consulta aún el texto griego7. A comienzos del s. XX tuvo
bastantes seguidores la hipótesis que proponía una traducción latina, casi con-
temporánea al mismo Ireneo, dentro de los límites del s. II, pero también había
quien sugería la fecha del s. IV y la región de África para encuadrar la traducción8.
En la edición de Sources chrétiennes, B. Hemmerdinger recoge la opinión de
B. Altaner9, sugiere como límite el año de 422, en el que Agustín compondría su
obra Contra Iulianum, y rescata la vieja hipótesis de H. Dodwell: « Crediderim
occasione Priscillanistarum versionem hanc Irenaei fuisse elaboratam10. » De ser

5. Cf. E. CASTELLI, ‘Ippolito’. Confutazione di tutte le eresie, A. Magris ed., Brescia, 2012,
p. 31-34.
6. Cf. HIPPOLYTUS, Refutatio omnium haeresium, M. Marcovich Hrsg., Berlin, 1986, p. 259
y 278.
7. La cuestión ha sido convenientemente expuesta por J.-C. FREDOUILLE en Tertullien. Contre
les Valentiniens, vol. II, Paris, 1981, p. 263-269.
8. A propósito de la discusión y con bibliografía al respecto, cf. O. REIMHERR, « Irenaeus
Lugdunensis », p. 32-34; M. L. ARDUINI, « Alla ricerca di un Ireneo medievale », Studi medievali,
21, 1980, p. 269-299, aquí, en concreto, p. 270-272.
9. Cf. B. ALTANER, « Augustinus und Irenäus », Theologische Quartalschrift, 129, 1949,
p. 162-173.
10. Cf. B. HEMMERDINGER, « La tradition latine », en Irénée de Lyon. Contre les hérésies.
Livre IV, vol. I, A. Rousseau éd., Paris, 1965, p. 16; H. DODWELL, Dissertationes in Irenaeum,
Oxford, 1689, p. 405.
LA RECEPCIÓN DE IRENEO EN OCCIDENTE 423

cierta esta hipótesis, estaríamos de nuevo ante un interés por la obra del obispo de
Lyon centrado en su facies heresiológica. En efecto, para hacer frente a la herejía
de Prisciliano y los suyos se habrían traducido durante comienzos del s. IV en la
provincia de Hispania los cinco libros del Adversus haereses.
Hacia finales del s. IV, Rufino de Aquileya llevaría a cabo la traducción de la
Historia Ecclesiastica de Eusebio de Cesarea. Ireneo aparece numerosas veces a lo
largo de los libros II, III, IV y V. De estas citas se deduce la labor que realizó como
heresiólogo, combatiendo a Marción y a los gnósticos, y trazando una historia de
las herejías que se remontaba a la única fuente de la doctrina de Simón el Mago.
Aparece también la faceta de Ireneo como exegeta del Apocalipsis y buen conoce-
dor de tradiciones ligadas al Asia menor, a Papías, Ignacio, Policarpo, Justino, o a
la Iglesia de Lyon. Eusebio (resp. Rufino) no deja de encuadrar cronológicamente
a Ireneo y presentar asimismo, en dos lugares complementarios de su Historia
Ecclesiastica, un elenco de sus obras. El tono de Eusebio, a la hora de presentar
a Ireneo, es fundamentalmente sobrio, muy lejos, por ejemplo, del entusiasmo
que profesará en el libro VI de su misma obra por Orígenes. La importancia de
la obra de Rufino, que tuvo una difusión enorme en el Occidente, radica en que,
a menudo, la información suministrada por Eusebio-Rufino acerca de Ireneo se
convertirá, en el dominio europeo, en la única fuente de conocimiento acerca del
obispo de Lyon en los siglos sucesivos.
En su tratado dirigido contra Helvidio – Adversus Helvidium 17 – compuesto en
el año 383/38411, Jerónimo da pruebas de conocer y de haber leído a Ireneo, al que
cita en una serie formada por Ignacio, Policarpo, Ireneo y Justino. Más adelante,
le reserva el padre dálmata un lugar en su De viris illustribus compuesto hacia
el año 39312. Cabe reseñar que Jerónimo presenta a Ireneo rodeado de mártires :
Fotino, mártires de Lyon, Policarpo. A continuación, ofrece un elenco de sus obras
y lo encuadra cronológicamente. En la misma obra, tuvo aún ocasión Jerónimo
de referirse a Ireneo como exegeta del Apocalipsis, junto con Justino (cf. De viris
illustribus 9), y como seguidor de la tradición judía de los mil años proclamada
por Papías. En su epístola a Teodora del año 399, viuda de su amigo Licinio, se
refiere a Ireneo como a un vir apostolicorum temporum, que escribió ante annos
circiter trecentos, y compuso contra los herejes unos libros doctissimo et eloquen-
tissimo sermone13. Este último dato llevó a Hitchcock a suponer que Jerónimo leía
el original griego, y no la traducción latina, ciertamente ruda en cuanto a calidad
literaria se refiere14.

11. Cf. SAN JERÓNIMO, Tratados apologéticos. Obras completas, vol. VIII, M.-A. Marcos
Casquero – M. Marcos Celestino edd., Madrid, 2009, p. XXXIII.
12. Cf. GEROLAMO, Gli uomini illustri, A. Ceresa-Gastaldo ed., Firenze, 1988, p. 20.
13. Cf. Epístola 75, 3, en SAN JERÓNIMO, Epistolario, vol. I, J. B. Valero ed., Madrid, 1993,
p. 771-772.
14. Cf. F. R. HITCHCOCK, Irenaeus of Lugdunum, New York, 1891, p. 43.
424 PATRICIO DE NAVASCUÉS

Por último, en su Commentarium in Esaiam 17, 64, 4, escrito en 408/410, se


refiere a Ireneo como vir apostolicus … episcopus Lugdunensis et martyr, y en
18, praef., considera a Ireneo escritor griego, en un contexto en el que critica
su milenarismo15. En el Commentarium in Ezechielem – compuesto inmediata-
mente a continuación –, 11, 36, critica de nuevo la doctrina milenarista, a la que
se refiere con el término griego de deuterosis utilizado, según él, por los judíos.
Tal doctrina la comparten multi nostrorum como Tertuliano, Lactancio, Victorino,
Severo « et ut Graecos nominem et primum extremumque coniungam, Ireneus et
Apollinaris16 ». Este pasaje de Jerónimo del año 410 puede considerarse el último
testimonio explícito, en ámbito occidental, de la graecitas del obispo de Lyon,
hasta el juicio lúcido de algunos autores del s. XVI (Sirleto, Feuardent). Acerca
del apelativo martyr añadido a las otras notas biográficas de vir apostolicus y
episcopus Lugdunensis, Jerónimo se nos presenta como el primer testigo del
« martirio » de Ireneo junto con las Quaestiones et Responsiones ad Orthodoxos
del Pseudo Justino – que, según parece, debemos datar a finales del s. V17. Muchos
argumentos llevan a rechazar como auténtica esta información acerca del martirio
de Ireneo, tal como sugirió, ya en 1705, William Cave en su Historia literaria18.
Sin embargo, no reaccionó del mismo modo el período medieval ni renacentista,
más crédulo a este propósito19.
Creo que, en su conjunto, tanto el testimonio de Jerónimo como el anterior de
Eusebio-Rufino, han sido decisivos a la hora de configurar la imagen de Ireneo en
los siglos venideros: respecto a la hagiografía de Ireneo al que se presentará como
santo, obispo, mártir, de tiempos apostólicos; respecto a la labor heresiológica
de Ireneo, que será siempre el dato más apreciado ; respecto a la labor exegética
de Ireneo, en la que se insistirá en su interpretación del Apocalipsis y que podrá
influir – como veremos ahora – en la inclusión de Ireneo en la obra de Beato; y
respecto a la mutilación de los últimos capítulos del libro quinto del Adversus hae-
reses que podemos observar en parte de la transmisión occidental de la traducción
latina. No se puede probar el vínculo de causa-efecto entre las afirmaciones de

15. Cf. SAN JERÓNIMO, Comentario a Isaías. Obras Completas VIb, J. Anoz ed., Madrid, 2007,
p. 408 y 418.
16. Cf. SAN JERÓNIMO, Comentario a Ezequiel. Obras Completas Vb, H. B. Riesco Álvarez
ed., Madrid, 2006, p. 180.
17. Cf. J. P. MARTÍN, « Las Quaestiones del Pseudo Justino: un lector cristiano de Aristóteles
en tiempos de Proclo », Tópicos, 18, 2000, p. 115-141, sobre todo, p. 136-137, aunque la opinión
común sitúe esta obra a comienzos del s. V, cf. B. POUDERON, « Les écrits apologétiques », en
Histoire de la littérature grecque chrétienne, vol. II, B. Pouderon – E. Norelli éd., Paris, 2013,
p. 747.
18. Cf. G. CAVE, Scriptorum ecclesiasticorum historia literaria, Genevae, 1705, p. 40.
19. Cf. F. VERNET, « Irénée (Saint) », en Dictionnaire de théologie catholique, vol. VII, Paris,
1927, col. 2394-2533, aquí col. 2397-2398, donde añade también el testimonio de Gregorio de
Tours, lejano más de un siglo respecto a Jerónimo.
LA RECEPCIÓN DE IRENEO EN OCCIDENTE 425

Jerónimo y los hechos apuntados, pero dada la difusión en Occidente de su obra es


una hipótesis no desdeñable.
En su Contra Iulianum, Agustín cita varias veces a Ireneo. Es la primera vez que
se registra explícitamente un uso inteligente y una reflexión, aunque mínima, de la
teología ireneana, puesta al servicio del dogma. En I, 3, 5 y 7, 32, lo presenta como
primero de una larga serie de autores eclesiásticos favorables a la doctrina de la
transmisión hereditaria del pecado de Adán. En concreto, Agustín cita Adversus
haereses 4, 2, 7 y 5, 19, 120. El santo obispo de Hipona se interesa, por tanto, de
un modo más reflexionado que sus predecesores en la teología de Ireneo. Esta vez
no se trata de oponerla a valentinianos o a priscilianos, ni de ofrecer meros datos
históricos o literarios y criticar su milenarismo, como en Jerónimo, sino de hacer
valer lo dicho por Ireneo como muestra de la verdadera doctrina frente a una cues-
tión, ut talis, nueva, a saber, la cuestión pelagiana. Agustín se refiere a él como uno
de los viri fidei catholicae defensores y, más en concreto, se refiere sólo a Ireneo
así: « Irenaeus Lugdunensis episcopus non longe a temporibus Apostolorum
fuit. » Dispuestos como en orden cronológico desfilan a continuación de Ireneo,
Cipriano, Reticio, Olimpio, Hilario y Ambrosio. La cercanía con los Apóstoles no
otorga ningún rango especial a Ireneo. De hecho, según Agustín, a propósito de
esta cuestión Cipriano discurre multo apertius. Resulta interesante para nuestro
objetivo el hecho de que ya Agustín haya perdido la memoria del Ireneo griego.
En efecto, el Hiponense reprocha retóricamente a Juliano como si éste despreciara
toda esa serie de testigos favorables a la doctrina del pecado original (Ireneo,
Cipriano, Reticio…) a causa de su proveniencia latina y se pregunta: « An ideo
contemnendos putas, quia occidentalis Ecclesiae sunt omnes, nec ullus est in eis
conmemoratus a nobis Orientis episcopus? Quid ergo faciemus, cum illi Graeci
sint, nos Latini? » (I, 4, 13)21.

II. – DEVOCIÓN AL « IRENEO » PERDIDO (SS. VI-VIII)


Con Gregorio de Tours encontramos más desarrollada la memoria del culto de
Ireneo, mártir, en Lyon, señalándose además el lugar de su sepultura, en su Liber
in gloria martyrum 49 del año 59022. Antes, en torno al 575, Gregorio se había
referido a Ireneo en su Historia Francorum I, 2923. Pocos años más tarde, en 601,
se interesa sin éxito el papa Gregorio Magno en obtener de Eterio, obispo de Lyon,
los escritos de Ireneo, tal como delata Registri epistularum XI, 40: « Gesta vero

20. Cf. Contra Iulianum, en SAN AGUSTÍN, Obras completas. Escritos antipelagianos (3º),
vol. 35, A. Turrado – T. C. Madrid – L. Arias Álvarez edd., Madrid, 1984, p. 447 y 485.
21. Contra Iulianum, p. 456.
22. Cf. C. MORESCHINI – E. NORELLI, Storia della letteratura cristiana antica greca e latina,
vol. II/2, Brescia, 1996, p. 723.
23. Cf. GREGORIO DE TOURS, Liber Historiarum I, 29, B. Krusch – W. Levison Hrsg.,
Hannoverae, 1993, p. 21-22; para la datación, ibid., p. xxi.
426 PATRICIO DE NAVASCUÉS

vel scripta beati Herenaei iam diu est quod sollicite quaesivimus, sed hactenus ex
eis aliquid inveniri non valuit24. » ¿Se refería al Adversus haereses tan sólo, o, tal
vez, conoció – como sugiere Reimherr – otras obras ireneanas en su versión griega
cuando fue enviado a Constantinopla, allí donde en la mismas fechas se realizaba
– según parece – la traducción armenia del Adversus haereses y de la Epideixis25.
En cualquier caso, parece que los ss. VI y VII, en Occidente, reflejan un escaso
interés por la obra de Ireneo. La memoria del santo permanece en el culto y en los
catálogos escritos por parte de los historiadores.

III. – RENACIMIENTO CAROLINGIO EN LYON Y EN CORBIE


El panorama se ilumina un poco cuando entramos en el primer renacimiento, el
carolingio. Agobardo de Lyon introduce a Ireneo en su obra De iudaicis supers-
titionibus – escrita en 826/827 – del modo siguiente: « Videamus quid de beato
Iohanne … antiquissimus et apostolicus doctor ac martyr Christi et Ecclesiae
Lugdunensis episcopus Hyreneus dicat26 », para después aportar una cita de Ireneo
que pertenece a Adversus haereses III, 3, 4, pero que, en realidad, pudo tomar muy
fácilmente de la versión latina de Rufino, Historia Ecclesiastica IV, 14, 3-727.
De este solo dato no podríamos deducir el contacto directo del sucesor de Ireneo,
Agobardo, en época carolingia con la obra del santo obispo y, sin embargo, parece
que el Adversus haereses, difícil de encontrar en Lyon en tiempos del obispo
Eterio (cf. supra), fuese conocido, en cambio, ahora, en tiempos de Agobardo.
Un ejemplar, hoy perdido, del Adversus haereses de Ireneo, fue transcrito con
toda probabilidad por Floro, diácono de Lyon. Dicho ejemplar circuló con un
prefacio atribuido a Floro y una epístola de Agobardo (hoy perdida). El prefacio
ha sobrevivido en un único manuscrito del Adversus haereses, el Arundelianus 87
(cf. infra)28.
Por primera vez, encontramos una descripción literaria de Ireneo independiente
del testimonio de Eusebio-Rufino y de Jerónimo. Floro realiza una verdadera y
propia recensión – y, por cierto, muy elogiosa para con Ireneo – que denota una
lectura completa de la obra29. Se subraya también, por primera vez, no sólo la

24. Cf. GREGORIO MAGNO, Registrum epistularum. Libri VIII-XIV, Appendix, D. Norberg ed.,
Turnholti, 1982, p. 937.
25. Cf. O. REIMHERR, « Irenaeus Lugdunensis », p. 20.
26. Cf. AGOBARDUS LUGDUNENSIS, De iudaicis superstitionibus 9, L. van Acker ed., Turnhout,
1981, p. 204.
27. Sobre el tenor del texto que no coincide estrictamente con la versión de Rufino,
cf. G. MERCATI, « Ancora sul frammento Agobardino d’Ireneo », en Note di letteratura biblica e
cristiana antica, Roma, 1901, p. 241-243.
28. Cf. B. HEMMERDINGER, « La tradition latine », p. 21-22.
29. PG 7, c. 431-432. La edición de Migne depende de J. B. PITRA, Spicilegium Solesmense,
vol. I, Parisiis, 1852, p. 8.
LA RECEPCIÓN DE IRENEO EN OCCIDENTE 427

faceta simple y exclusivamente heresiológica y, por tanto, destructiva, del obispo


lionés, sino también la cara expositiva. Recomienda la lectura de la obra y acon-
seja paciencia al lector, a la hora de atravesar el primer libro donde Ireneo detalla
las doctrinas gnósticas. Valora igualmente la exposición genética de las herejías y
de los matices que distinguen a una escuela de otra, a un maestro de su discípulo,
etcétera. Pondera la finura de Ireneo a la hora de discernir la verdad del error:
« Vbi in melle venenum, ubi in columbae specie vulpes lateat, curiosa discussione
perquirit. » El prólogo de Floro presupone un original en su poder, del que él
transcribe la copia que realiza con dispendio y esfuerzo, sumtum et laborem, que
considera muy necesario por cinco causas (actualidad, antigüedad, conocimiento
directo de las herejías, discusión clara y global, defensa de la fe).
En resumen, este momento es cualitativamente notable en la recepción latina de
Ireneo. El innegable tono apologético de la obra podía prestar al clero de Lyon un
apoyo indiscutible para luchar contra la herejía adopcionista (si bien, ésta fuera –
en la representación que de ella se hacían los teólogos carolingios – doctrinalmente
bastante opuesta a la línea gnóstica), pero también contra el predestinacionismo
de Escoto Eriúgena o contra los errores eucarísticos del obispo Amalario (que
distinguía tres tipos de « cuerpo » de Cristo. En realidad, tampoco faltaban en
Adversus haereses pasajes dirigidos contra ebionitas que podrían ser utilizados
para el propósito de la lucha antiadopcionista. Un estudio de la obra restante de
Floro podría arrojar alguna luz acerca de las relaciones entre el Adversus haereses
y la teología de la jerarquía oficial de Lyon en torno al 850.
No menos interés reviste Pascasio Radberto (792-865), monje ilustrado y
piadoso de la Abadía de Corbie. Cita a nuestro autor por dos veces. En un caso
Pascasio razona sobre la interpretación que Ireneo ofrece de Mammona, término
encontrado en el texto mateano, en su Expositio in Mattheum, IV, 630. En este
lugar se refiere al santo como Lugdunensis episcopus et martyr Christi. En el otro
caso, en su De partu Virginis, I31, opone Ireneo a Ambrose32. La importancia de
este testigo de la traducción latina de Ireneo es doble. Por un lado, representa –
como en el caso de Agustín – otro tipo de recepción inteligente y discriminada, en
un caso acepta el dato de Ireneo, en otro, lo refuta. Cabe preguntarse si Pascasio
no da muestras de tener un conocimiento de la teología ireneana más reposado
que varios de los teólogos anteriores a él. Al menos, el interés mariológico es,
en este sentido, un buen indicio. Además, si el caso de Pascasio fuera el de un
autor, como tantos otros medievales, que se sirve de sus fuentes sin necesidad de
citarlas, integrándolas en su propio discurso, podría deparar algún fruto un cotejo
de la obra restante de Pascasio, en particular, la eucarística (piénsese en su Liber

30. PL 120, 307CD.


31. PL 120, 1376D.
32. Cf. M. MANITIUS, Geschichte der lateinische Literatur des Mittelalters, vol. I, München,
1911, p. 406-407.
428 PATRICIO DE NAVASCUÉS

de corpore et sanguine Domini), con la doctrina ireneana. A priori armonizan


bastante bien una con otra33.
Por otro lado, la evidencia que muestra de conocer el texto latino este monje,
que viajó por Francia, Alemania e Italia, pero que fue abad de Corbie, cuadra con
otro dato: uno de los nueve manuscritos, el más antiguo, que nos han transmitido,
más o menos íntegramente (y repartidos en dos familias, la irlandesa y la lionesa),
el texto latino del Adversus haereses, el actual Berolinensis latinus 43 (C), fue
copiado en torno a la mitad del s. IX en Corbie, abadía, por lo demás, con fuertes
vínculos con el monasterio de Luxeuil, fundado por Columbano, monje irlandés.
Todo esto podría converger con la hipótesis del arquetipo irlandés de nuestra
tradición textual latina, del que C es el representante más antiguo conocido por
nosotros34.
Añádase que en C faltan los capítulos de tono más milenarista situados al final
de la obra, a saber: AH V, 26, 1 – 36, 3. Los únicos manuscritos, hoy en nuestra
posesión, que nos transmiten esta sección final comprometida (V y H) pertenecen
a la misma familia irlandesa de C, y se remontan a un códice, hoy perdido, que
estaba en Inglaterra. ¿Cuándo y dónde se ha obrado la supresión de los capítulos
finales? Si tenemos en cuenta que, según el stemma codicum presentado por B.
Hemmerdinger35, todos los otros seis manuscritos que conforman la familia lio-
nesa se remontan también a un arquetipo irlandés por vía paralela a C, ¿no habría
que suponer que fue ya en Irlanda, o en Inglaterra, donde, en algún momento
anterior al s. IX y conducidos por las advertencias de Jerónimo, se diera lugar a
una transmisión mutilada, mientras que en otros manuscritos – como así lo atesti-
guaría el modelo perdido británico del que dependen V y H – se mantendría dicho
final milenarista? Algo podría aportar para intentar una respuesta un estudio de la
escatología cristiana irlandesa e inglesa de la Antigüedad cristiana.
A Beato de Liébana, autor del célebre Commentarius in Apocalipsin, se le
atribuía tradicionalmente en la investigación moderna haberse inspirado, entre
otros, en Ireneo. Él mismo habría dado testimonio de ello: « Quae tamen non a me,
sed a sanctis patribus quae explanata reperii, in hoc libello indita sunt et firmata
his auctoribus, id est Iheronimo Agustino Ambrosio Fulgentio Gregorio [Ticonio
Hireneo] Abringio et Ysidoro… » (Commentarius in Apocalipsin, praef. I, 5)36.
Sin embargo, en la reciente edición a cargo de R. Gryson, se distinguen, además

33. En este sentido, M. L. ARDUINI, « Alla ricerca di un Ireneo medievale », p. 282, ofrece un
paralelo interesante entre Ireneo y Pascasio. Parece que pueden presentarse más.
34. Cf. B. HEMMERDINGER, « La tradition latine », p. 16 y 18.
35. Cf. ibid., p. 17.
36. BEATUS LIEBANENSIS, Tractatus de Apocalipsin. Pars prior, R. Gryson – M.-C. de Bièvre
éd., Turnhout, 2012, p. 2. Las adiciones de Ticonio e Hireneo pertenecen a la recensio postuma
eiusdem editionis (940 ca.), a juicio del editor.
LA RECEPCIÓN DE IRENEO EN OCCIDENTE 429

de dos ediciones que se remontarían a Beato, respectivamente en 776 y 784, una


edición póstuma, en torno al año 940, a cargo de un autor anónimo que añadiría
con acierto el nombre de Ticonio, pero que supondría, en este caso erróneamente,
que Beato se habría servido también de Ireneo37. Si hemos de eliminar a Beato de
la breve historia de la recepción latina de Ireneo, hemos de incorporar este dato
que refleja el conocimiento en el s. X, en medios monásticos del norte de España,
de la noticia subrayada por Rufino y Jerónimo a propósito de Ireneo y su exégesis
del Apocalipsis.

IV. – ENTRE LA ERA CAROLINGIA Y EL HUMANISMO (SS. XII-XIV)


Arduini trataba de mostrar la dependencia entre Ruperto de Deutz (1075-1130)
e Ireneo, así como poco después, entre Hildegarda de Bingen (1098-1179) y el
obispo lionés. En ninguno de ambos casos estamos ante citas directas y, ni siquiera,
indirectas. Mientras que los paralelos abundantes aportados para el primer caso
podrían fundamentar, en parte, la hipótesis, me resultan poco decisivos, por gené-
ricos, los paralelos aportados entre Hildegarda e Ireneo. Habría que estudiar la
cuestión más de cerca38.
La escasa documentación supérstite nos regala algún dato interesante a pro-
pósito del s. XII. En efecto, consta que, tanto en La Grande Chartreuse, abadía
fundada por Guido y construida en 1133, como en alguna parte de Alemania, tal
vez en la abadía de Lorsch, en torno a la segunda mitad del s. XII, se copiaron
ejemplares del Adversus haereses. El Carthusianus lo hemos perdido. El otro es el
conocido hoy como Arundelianus 87 (A), único que hoy nos transmite el prólogo
atribuido a Floro39. El ms. A depende, a su vez, de dos manuscritos del Adversus
haereses pertenecientes a la abadía de Lorsch (ambos perdidos hoy). La abadía de
Lorsch había sido fundada en el s. VIII, de donde se puede pensar que, en algún
momento entre la época de Floro y la segunda mitad del s. XII pudo llegar el texto
de Ireneo al monasterio Laureshamense (no es improbable ya que existe, al menos,
el caso de un manuscrito con glosas de la mano de Floro, diácono, que ha llegado
a Lorsch). En dicho monasterio está catalogada la existencia de dos manuscritos
que contenían los cinco libros del Adversus haereses.
Siempre sin salir del s. XII, señalaba Reimherr en el Catalogus Translationum
la relación explícita que existía entre el Adversus haereses y el anónimo medieval
Liber de sectis haereticorum, que extrae una selección perteneciente a los tres
primeros libros de la obra ireneana. Estudios posteriores de H. J. Sieben y – muy

37. Cf. R. GRYSON, en Beatus Liebanensis, p. CXXXVIII; para la datación, cf. ibid., p. XLIV-XLV;
para la finalidad de la recensión póstuma, cf. ibid., p. LI.
38. Cf. M. L. ARDUINI, Alla ricerca di un Ireneo medievale, p. 287-299.
39. Cf. B. HEMMERDINGER, « La tradition latine », p. 21-23, 25-27.
430 PATRICIO DE NAVASCUÉS

recientes – de J. L. Narvaja han logrado concluir más datos40. El anónimo ya no


es tal: se trata de Balduino de Canterbury. Balduino se inspiró en Ireneo a la hora
de componer su Liber de sectis no sólo para obtener material e información, sino
también dejó que la marca de Ireneo se imprimiera sobre la estructura de la obra y
sobre el método escogido. En último término, este nuevo momento de calidad en
la historia de la transmisión de Ireneo, tenía como principal objetivo salir al paso
de las herejías de los cátaros y de los nihilianistas. La actividad de Balduino de
Canterbury coincide con el punto culminante de la lucha contra la herejía cátara,
entre el III y el IV Concilios de Letrán, 1179 y 1198, respectivamente. El nihi-
lianismo, por lo demás, consistía en una herejía cristológica que minusvaloraba
la humanidad de Cristo, al modo de un accidente: « Christus, secundum quod est
homo, non est aliquid ». Es evidente que esta doctrina confutada en el III Concilio
de Letrán también se prestaba a ser discutida a partir del Adversus haereses de
Ireneo. Más aún, es interesante el uso amplio que Balduino hace de Ireneo, al que
cita literalmente y por extenso.
Del s. XIII proviene la cita – desapercibida hasta ahora, si no me equivoco
– de san Buenaventura en sus Collationes in Hexaemeron, que reza así de
sorprendentemente :
« Sic in novo testamento summo patri pontifici Romano dati sunt quasi duodecim
patriarchae scilicet duodecim sacrae scripturae doctores sex graeci scilicet epiphanius
basilius gregorius nazianzenus iohannes chrysostomus gregorius nyssenus athanasius
item sex in latina lingua scilicet irenaeus hilarius ambrosius hieronymus augustinus
orosius41. »
Como es sabido esta obra presenta sus peculiaridades formales. No se trata
de una obra compuesta por Buenaventura, sino de lecciones dictadas que eran
registradas por escrito en las reportationes. La edición del texto del docto fran-
ciscano presenta su dificultad, pues conoce una doble recensión. El problema no
es sólo filológico. Podrían remontarse ambas al propio Buenaventura y que la
diversificación se explique cómodamente por sus alumnos. En cualquier caso, en
nuestro pasaje la recensión A lee: « irenaeus hilarius ambrosius hieronymus augus-
tinus orosius »; mientras que la recensión B lee: « hieronymus augustinus hilarius
ambrosius orosius gregorius »42. Parece claro que la lectio difficilior la constituya
en este caso la recensión A, aun así, es aconsejable resolver la cuestión en el marco
de la obra entera, y no sólo de nuestro pasaje. Únicamente vale la pena resaltar

40. Cf. J. L. NARVAJA, « Recepción de Ireneo de Lyon en el siglo XII », en Réception des Pères
de l’Église et de leurs écrits au Moyen Âge. Le devenir de la tradition ecclésiale, R. Berndt éd.,
Münster, 2013, p. 529-541 e ID., « Recepción de Ireneo en la Edad Media: el Adversus haereses
en las bibliotecas de Inglaterra », Teología y Vida, 55, 2014.
41. Vis. 3, coll. 4, n. 25, en Collationes in Hexaemeron et Bonaventuriana quaedam selecta,
F. Delorme ed., Quaracchi, 1934, p. 189.
42. Collationes in Hexaemeron XVI, 26, B. de Armellada ed., Roma, 1994, p. 304.
LA RECEPCIÓN DE IRENEO EN OCCIDENTE 431

la memoria de padre latino de que Ireneo goza aún en tiempos de Buenaventura


así como los posibles puntos de contacto que pudiera haber entra la exégesis de
Ireneo y la de Buenaventura en lo que atañe al planteamiento de la historia como
desarrollo cósmico de la primera semana del Génesis.
Antes de entrar de lleno en el período humanista, hemos de mencionar una
cuestión que ha puesto de relieve recientemente el profesor Narvaja a propósito de
una anotación de John Leland. El historiador Inglés anota que Simon Mepeham
(arzobispo de Canterbury entre 1328 y 1333) da en regalo a los monjes del prio-
rato de Christ Church un ejemplar de Irenaeus contra omnes haereses. Si este
ejemplar no lo hemos de identificar con el manuscrito de Oxford, del que hablan
fuentes posteriores del s. XV (cf. infra), tendríamos que enriquecer un poco más la
evidencia de la difusión en la Inglaterra medieval del Adversus haereses latino43.

V. – EL CÍRCULO HUMANISTA FLORENTINO (1425-1455)


Humanistas, de entre los más celebres, están involucrados en el comienzo de la
historia humanista del Adversus haereses latino, me refiero al círculo italiano de
los florentinos A. Traversari y N. Niccoli44. La historia del llamado manuscrito
Nicolianus comienza, según hipótesis muy cabal de Loofs45, con la estancia de
T. Parentucelli (futuro papa Nicolás V) en Francia entre 1422 y 1426. Parentucelli,
doctorado con gran relieve por la universidad de Bologna, había sido convertido
por el venerable Niccolò Albergati, obispo de Bologna, en su secretario y biblio-
tecario. Pertenecían ambos a los círculos de hombres de Iglesia y humanistas.
Tanto uno como otro procuraron durante toda su vida, y a lo largo de todos los
cargos que pasaron recopilar todos los manuscritos posibles, para colecciones
privadas o de instituciones a las que estaban ligados. Albergati, antes de obispo
de Bologna, había sido cartujo, con lo cual no resulta nada extraño suponer que
pasaran, durante su embajada en Francia, por La Grande Chartreuse. Aquí tuvo
oportunidad Parentucelli de copiar el manuscrito Q, que hoy conservamos como
Vat. lat. 187. Esta copia realizada en La Grande Chartreuse indica el punto
de partida – según la información a nuestra disposición – de la entrada de los
manuscritos latinos del Adversus haereses en Italia. El propio Parentucelli dejó
testimonio escrito de ello en carta a Niccoli.

43. La cuestión permanece abierta, para una exposición más detallada del planteamiento y de
las posibles soluciones, cf. J. L. NARVAJA, « Recepción de Ireneo ».
44. Cf. B. HEMMERDINGER, « La tradition latine », p. 23-30. Téngase presente C. STINGER,
« Italian Renaissance learning and the Church Fathers », en The Reception of the Church Fathers
in the West. From the Carolingians to the Maurists, I. Backus ed., vol. II, Leiden, 1997, p. 473-520.
45. Cf. F. LOOFS, « Die Handschriften der lateinischen Übersetzung des Irenaeus und ihre
Kapiteleilung », en Kirchengeschichtliche Studien. Fs. Hermann Reuter, Leipzig, 1888, p. 1-93,
aquí p. 77, n. 1.
432 PATRICIO DE NAVASCUÉS

En algún momento comprendido entre el 1429 (fecha en que Parentucelli


presta su manuscrito de Ireneo a Traversari) y el 13 de abril de 1432 (fecha en que
Parentucelli solicita a Traversari la copia de Ireneo que tenía en su poder Niccoli,
porque Traversari previamente se lo había dejado) tuvo lugar la redacción del
Nicolainus, que debemos considerar una copia de Q con correcciones al texto a
cargo de Niccoli. Éste, en efecto, no sólo fue excelente calígrafo, sino también
enmendador. El ms. Nicolainus lo hemos perdido, pero de él dependen – según
Hemmerdinger – otros dos de los manuscritos latinos que nos transmiten hoy el
Adversus haereses, a saber: O (Ottobonianus lat. 752), datado entre 1417 y 1440,
que presenta varias correcciones y R (Vat. lat. 188), datado entre 1447 y 1455,
ambos con escritura humanística.
Se deduce, pues, que en las redes italianas de Niccoli y Parentucelli no se podía
encontrar el Adversus haereses y que, de hacía tiempo, ambos eruditos deseaban
poder contar con la obra de Ireneo. ¿Qué motivación les pudo mover? A falta de
otra conjetura mejor, podemos achacarlo al afán coleccionista, tan propio de los
humanistas del s. XV. Ahora bien, reparemos en que también concurrió el interés de
Traversari, primer humanista en dedicarse a la carrera patrística, conocido por su
interés en los escritos de Padres latinos y, sobre todo, griegos en aras de fundamen-
tarse en ellos para la docta pietas, para el diálogo ecuménico con los orientales y
para afrontar la reforma interna tan necesaria para la Iglesia de su tiempo, después
del cisma de Occidente46. Recordemos que, sobre todo, Traversari y Parentucelli
no sólo se distinguieron por ser grandes eruditos sino también hombres de Iglesia
que asumieron grandes responsabilidades en los años de la celebración del conci-
lio de Basilea-Ferrara-Florencia (1431-1449). Fijémonos, además, que la fecha en
que Parentucelli requiere, de nuevo, el manuscrito de Ireneo, que estaba en poder
de Niccoli, es la del 13 de abril de 1432, cuando ya se habían producido grandes
disensiones entre conciliaristas y papistas en el Concilio de Basilea.
Sabemos que Parentucelli, junto a su obispo, Albergati (al que tanto admiraba y
del que tomará más adelante su nombre de pila, cuando se convierta en Nicolás V)
se alistaron entre los papistas, del lado de Eugenio IV. ¿Encontraba Parentucelli
alguna afirmación en Ireneo que pudiera apoyar doctrinalmente la posición de
los papistas? ¿Preparaba la discusión con los Griegos ahondando en los prime-
ros escritos, cercanos a los tiempos apostólicos? En cualquier caso, resaltemos
también que la historia de Q, O y R dan buena prueba del interés suscitado por el
Adversus haereses latino entre los círculos humanistas florentinos en el curso de
apenas 30 años, entre 1425 y 1455.

46. Cf. C. L. STINGER, Humanism and the Church Fathers: Ambrogio Traversari (1386-1439)
and Christian Antiquity in the Italian Renaissance, Albany, 1977, p. 196.
LA RECEPCIÓN DE IRENEO EN OCCIDENTE 433

VI. – UN HUMANISTA DE LA UNIVERSIDAD DE SALAMANCA:


IOHANNES DE SEGOVIA (1393-1458)
Juan de Segovia fue alumno y docente en la Universidad de Salamanca (1407-
1432), institución de la que fue enviado como representante al Concilio de Basilea
de 1433 a 144947. La función que desempeñaron las principales universidades
europeas en los concilios del s. XV ha sido puesto de relieve últimamente48. En
calidad de orator de la Universidad salmantina le fue asignado, en el Concilio de
Basilea, el rango inmediatamente posterior a la Universidad de París, en aquella
sede la más importante. Se convirtió en más de una ocasión en el portavoz del lado
conciliarista. Tuvo ocasión de participar en la primera disputa de los dos bandos
en el año 1438, celebrada en Nuremberg. En aquel momento, entre los papistas, se
encontraba el cardenal Albergati, a cuyas órdenes seguía Parentucelli.
Sabemos que, en algún momento, entre el año 1433 y el 1457, con papel
suizo49, J. de Segovia copió un ejemplar del Adversus haereses que, habría de
donar después, junto con gran parte de su biblioteca personal a la Universidad
de Salamanca, donde allí se conserva como Salmanticensis lat. 202. Cabe la
posibilidad de que no fuera J. de Segovia quien lo copió, sino quien adquirió esa
copia – en cualquier caso siempre antes del 1457 –, copia que, en ese caso, habría
sido hecha anteriormente. No podemos precisar más. La copia parece estar hecha
en dos fases50. En una primera se realiza una selección de fragmentos (S). En otra
segunda fase se trata de colmar los vacíos para lograr una versión completa de la
obra (Sf). Quienquiera que haya sido el segundo copista se ha interesado por contar
con toda la obra, no contentándose con una serie de fragmentos. La filigrana suiza
nos ayuda a enmarcar, a situar el lugar aproximadamente, pero tampoco se puede
llegar a la exactitud51. Hemmerdinger denominó Helvetius al manuscrito, hoy
perdido, a partir del cual J. de Segovia copia S.
¿Por qué pudo Juan de Segovia interesarse en el Adversus haereses de Ireneo?
No es fácil responder a esta pregunta. En su valiosa escritura de donación,
Salmanticensis lat. 211 1r-15r, J. de Segovia organiza él mismo los fondos que
dona. No hace inventario absoluto de todos los títulos a los que clasifica en 8
apartados : « Historiales, scientiales de ecclesie auctoritate, ad materiam fidei spe-
cialiter pertinentes, ad praedicationes pertinentes, doctrinales circa expositionem

47. Sobre el personaje, cf. S. MADRIGAL TERRAZAS, El pensamiento eclesial de Juan de


Segovia (1393-1458), Madrid, 2004.
48. Cf. J. MIETHKE, « Le università e il Concilio de Basilea », Cristianesimo nella storia, 32,
2011, p. 1-41.
49. Cf. B. HEMMERDINGER, « Stemma des manuscrits de Saint Irénée », Scriptorium, 10, 1956,
p. 267-268.
50. Cf. B. HEMMERDINGER, « La tradition latine », p. 30.
51. Cf. ibid., p. 25.
434 PATRICIO DE NAVASCUÉS

Sacra Scripturae et contemplationes ad vitam christianam, scienciales de diver-


sis, aliarum scientiarum Theologiae famulantium, pertinentes ad confutationem
sectae Mahumeti. » Pues bien, el Salmanticensis lat. 202 (S), encabeza el tercer
apartado de « Libri ad materiam fidei specialiter pertinentes, in quibus tamen sunt
quidam tractatus alii »52. Al Adversus haereses le acompañan en este apartado
obras como el De synodis de Hilario, De heresibus de Agustín, De Trinitate de
Richardus, etc.53. Su interés, por tanto, era básicamente doctrinal. Una vez que
las obras concernientes a la polémica conciliarista las incluyó entre los scienciales
de ecclesie auctoritate, y, descartado el interés del recurso a Ireneo para dirigirlo
contra husitas o utraquistas, podríamos lanzar como hipótesis que J. de Segovia
persiguiera estudiar a Ireneo de cara a fortalecer la posición doctrinal en diálogo
con los Griegos, obligados a reconocer a un autor que el propio Segovia, yendo
más allá que todos sus predecesores medievales, llegó a calificar de contempo-
raneus apostolum54. La difusión de Ireneo por los dominios de Europa central
estaría además asegurada también con el manuscrito Hirsaugiensis – hoy perdido,
probablemente en el asedio de 1692 durante la Guerra de los Nueve Años – que,
sin duda, utilizó Erasmo para su editio princeps de 152655.

VII. – LA ORDEN CARMELITA Y LOS HUMANISTAS:


L. BURELLUS (1444/1448-1504)
Avanzamos unas cuantas décadas a lo largo del s. XV y unos cuantos kilóme-
tros más al norte de Europa, hasta dar con Laurentius Burellus (Laurent Bureau),
O. Carm., uno de los carmelitas más importantes de la época. Natural de Dijon,
graduado en París, (1480) llegó a ser provincial de Narbona (1493) y protovicario
general encargado de visitar los carmelos de Inglaterra (1494). Su vida ha de ser
encuadrada en la ola especial de renacimiento que afectó a la Orden carmelitana
a finales del s. XV. Los Carmelitas, en comparación con otras órdenes llevaban
en Europa mucho menos tiempo, pues se habían comenzado a trasladar desde el
Oriente a comienzos del s. XIII, en torno al 1240, cuando se realizaron las primeras
fundaciones fuera de Tierra Santa, en Chipre, Sicilia, Inglaterra y Provenza. No es
extraño, por tanto, identificar en muchos de ellos un gran afán por hacerse, entre
otras cosas, con bibliotecas capaces de rivalizar con aquellas de los benedictinos,
dominicos, franciscanos, agustinos, con las de las universidades, o con las de las

52. Para toda la escritura de donación, cf. B. HERNÁNDEZ MONTES, Biblioteca de Juan de
Segovia. Edición y comentario de su escritura de donación, Madrid, 1984. Para la clasificación
del inventario, cf. ibid., p. 34; para el lugar del Adversus haereses, cf. ibid., p. 97-98.
53. Cf. B. HERNÁNDEZ MONTES, Biblioteca de Juan de Segovia, p. 98.
54. Cf. ibid., p. 98, l. 3-4.
55. Cf. B. HEMMERDINGER, « La tradition latine », p. 36.
LA RECEPCIÓN DE IRENEO EN OCCIDENTE 435

escuelas catedralicias. Los historiadores consideran que se puede hablar de un


primer movimiento humanista en la Orden que se desarrolló entre el año 1475 y
el 152856.
Precisamente, en ese período Bureau fue enviado como vicario general a
Inglaterra, donde pudo encontrar en los Carmelitas de Oxford, muy próximos a
la Universidad, un manuscrito del Adversus haereses, hoy perdido, pero del que
todavía daba cuenta John Leland entre 1534 y 1542. De este manuscrito, Bureau
realizó una copia importantísima, conocida como V (Vossianus lat. F 33), que
introdujo, junto con otros dos, en el convento carmelita de París. Lo extraordinario
de esta copia realizada por Bureau reside en que, a diferencia de los demás manus-
critos de la traducción latina de los que se ha hecho mención hasta ahora, éste es el
primero que contiene la versión íntegra del Adversus haereses, es decir, la versión
con los últimos capítulos del libro V, de contenido tendencialmente milenarista.
De V se realizará una copia en París, a principios del s. XVI, en torno a 1510, que
conocemos como H, Holmiensis A 14057.

VIII. – BILIBALDUS PIRCKHEYMERUS (1470-1530):


Y EL HUMANISMO CENTROEUROPEO

En un momento que no sabemos precisar exactamente, aquel códice del Adversus


haereses que dejamos en la abadía de Lorsch en el s. XII, único de entre los que
poseemos que presenta el prólogo anónimo atribuido a Floro, diácono de Lyon,
pasó a manos de Willibald Pirkheimer, natural de Eichstätt, jurista, formado en las
universidad de Padua y Pavía, y muy entusiasta de la recuperación patrística, que
opuso tenazmente a la teología escolástica tardomedieval58. Logró hacerse con
una excelente colección privada de libros que, un siglo más tarde, pasaron en su
mayoría a manos de Thomas Howaard, conde de Arundel, de donde se conoce a
este manuscrito originario de la abadía de Lorsch, Arundelianus 87 (A).
A mi parecer, el motivo por el que Pirckheimer se hizo con un Ireneo podría
ponerse en relación con la célebre disputa eucarística que tuvo lugar entre cató-
licos, luteranos y reformadores a comienzos del s. XVI, antes y después de la

56. Cf. J. SMET, O. Carm., Los Carmelitas. Historia de la Orden del Carmen. Los orígenes.
En busca de la identidad, vol. I., Madrid, 1987; para L. BUREAU, especialmente, p. 225-226;
B. ZIMMERMANN, « Les Carmes humanistes (environ 1465 jusque 1525) », Études carmélitaines,
20, 1935, 2, p. 19-93; para L. BUREAU, p. 85-88.
57. Cf. B. HEMMERDINGER, « La tradition latine », p. 19-21; J. L. NARVAJA, Recepción de
Ireneo en la Edad Media.
58. Cf. L. GRANE, « Some remarks on the Church Fathers in the first years of the Reformation
(1516-1520) », en Auctoritas Patrum. Contribution on the reception of the Church Fathers in the
15th and 16th Century, L. Grane – A. Schindler – M. Wriedt eds., Mainz, 1993, p. 21-32.
436 PATRICIO DE NAVASCUÉS

editio princeps de Ireneo59. Veamos: Iohannes Faber fue el hombre que involucró
a Ireneo en la disputa eucarística. Hasta entonces, como hemos podido ver, el
interés de los humanistas del s. XV por el Adversus haereses no parecía haberse
centrado en ese punto. En una estancia en Roma, Faber descubre una versión
latina del Adversus haereses, que se suele identificar con R, y selecciona una serie
de fragmentos que oportunamente dirigirá contra los luteranos en lo que sería la
primera edición impresa, si bien parcial, de Ireneo, unos cuantos años antes de
Erasmo: Opus adversus nova quaedam et a christiana religione prorsus aliena
dogmata Martini Lutheri (1522), cuya segunda edición llevaba por título : Malleus
in haeresim Lutheranam (1524).
Con ella pudo preparar Eck su disputa de Baden en mayo de 1526, contra el
reformador Oecolampadius60, que, a su vez, parece conocer también a Ireneo,
para sorpresa de Eck. A partir de aquí surgen muchas preguntas: ¿De dónde
Oecolampadius pudo obtener un ejemplar de Ireneo? Un mes después, en junio
de 1526, Oecolampadius se ve envuelto en otra disputa eucarística, pero esta
vez, contra Pirckheimer. Ambos conocen a Ireneo. ¿Acaso tenía ya en su poder
Pirckheimer el Arundelianus 87? ¿Pudo consultar Oecolampadius el manuscrito
Hirsaugiensis, hoy perdido, pero entonces muy cerca de él? ¿Recibió Rhenanus,
antes del debate de Baden, el manuscrito que le había prometido enviar Faber y,
de este modo, Oecolampadius pudo tener acceso al texto del Adversus haereses?
De este complejo mundo de controversias doctrinales, relaciones personales y
ediciones que van y vienen, se puede obtener la impresión de que, probablemente,
hubiera bastantes más manuscritos del Adversus haereses de lo que avaramente
nos ha dejado conocer la historia del texto.
Pero ha llegado ya aquí el momento en el que dejamos de perseguir el curso del
Adversus haereses, justo en las vísperas de su editio princeps por parte de Erasmo
(1526). A Erasmo le seguirá el calvinista Nicolas des Gallars (1569 y 1570), y
una más del protestante suizo Grynaeus (1571) y otra, antes de terminar el siglo,
por parte del franciscano Feuardent (1575 y 1596), que es el primero que tiene en
cuenta V y restituye la parte final al conjunto entero del Adversus haereses. Entre
otras cosas, el s. XVI devolverá poco a poco a Ireneo la Graecitas. Erasmo dudaba

59. Cf. J.-L. QUANTIN, « Irénée de Lyon entre humanisme et Réforme : les citations de l’Ad-
versus haereses dans les controverses religieuses de Johann Fabri à Martin Luther (15221-527) »,
Recherches augustiniennes, 27, 1994, p. 131-184.
60. Cf. E. W. NORTHWAY, The Reception of the Fathers & Eucharistic Theology in Johannes
Oecolampadius (1482-1531), with special reference to the Adversus haereses of Irenaeus of Lyon,
Univ. Durham, Diss. 2008 (etheses.dur.ac.uk/1941/1/1941.pdf), en particular, p. 243-271.
LA RECEPCIÓN DE IRENEO EN OCCIDENTE 437

sobre si contarlo entre los latinos o los griegos. Gallars publica ya el largo frag-
mento griego recogido por Epifanio en el Panarion, con traducción latina, pero
no termina por inclinarse. Feuardent reconoce finalmente en 1575 a Ireneo entre
los griegos, y aduce bastantes fragmentos griegos más recabados de otros Padres.
Otro humanista católico, probablemente antes que Feuardent, había emitido ya el
siguiente juicio: « Quod Ireneus latino scripsit, quod omnino falsum est. » Se trata
de Guglielmo Sirleto en una de las tantísimas Annotationes aún inéditas al texto
bíblico : Vaticanus latinus 6138 [ff. 1-330v]: Lc 16, 22-2461.

IX. – HACIA UNA CONCLUSIÓN


Se suele decir que, durante la Edad Media, Ireneo se convierte prácticamente
en un desconocido, hasta la editio princeps de Ireneo. Una mirada más pausada
de la historia del texto del Adversus haereses así como de la literatura cristiana
medieval está legitimada para concluir de modo un poco diferente. Ciertamente,
su difusión está lejísimos de compararse con la de otros Padres de la Iglesia, pero
se puede decir que prácticamente no hay siglo de la época medieval que no nos
ofrezca alguna noticia acerca del interés suscitado por Ireneo, al que, desde los
días después de Jerónimo y hasta la mitad del s. XVI, se considerará en Occidente
uno más entre los Padres latinos.
Algunos de los testigos de la recepción de Ireneo no son precisamente auto-
res de segunda fila. Pensemos en Floro de Lyon, Pascasio Radberto, Balduino
de Canterbury, Buenaventura… Fijémonos también las sedes que parecen haber
albergado los manuscritos ireneanos muy bien custodiados, al parecer, en las islas
británicas: Corbie, Oxford, La Grande Chartreuse, Lorsch, Hirschau… No lo
encontraba en Roma, sin embargo, Gregorio Magno y no hay evidencia italiana
hasta los días de Tommaso Parentucelli. En Lyon parece que revivió su tradición
con el primer renacimiento, el carolingio. Pero será, sobre todo, con la llegada
del humanismo cuando prácticamente quede difundido a lo largo y ancho de
Europa (desde Salamanca hasta Florencia y Roma, pasando por París y viniendo
de Oxford, e introduciéndose en la Europa regada por el Rhin, interesando a los
hombres más destacados que se enfrentaron en el Concilio de Basilea). Se trata
de una difusión, ciertamente, erudita, poco divulgada, pero tal vez, la base de la
posterior difusión en la era de la imprenta.

61. Cf. E. ROMERO POSE, La siembra de los Padres. Scripta Collecta II, Madrid, 2008,
p. 673-716 (publicado anteriormente: ID., « G. Sirleto y la tradición manuscrita patrística »,
Compostellanum, 40, 1995, p. 49-84).
438 PATRICIO DE NAVASCUÉS

En fin, Ireneo interesó a unos y otros por sus planteamientos doctrinales o filo-
lógicos, heresiológicos, trinitarios, eclesiológicos, eucarísticos… Por lo demás,
habría que profundizar aún en la recepción de la doctrina eucarística de algunos
autores medievales, más libres tal vez de la polarización de los controversistas
protestantes y católicos posteriores. La nota de la antiquitas jugó a favor de Ireneo
en el s. IX (con Floro) o en el s. XV (con Segovia, Faber, Lutero…). Curiosamente,
los planteamientos antropológicos de Ireneo puestos de relieve en el s. XX no
parecen haber dejado mucha huella. Ni rastro tampoco de su rica teología sobre la
unción, bastante más difícil de destilar a partir de la lectura del Adversus haereses.
Patricio DE NAVASCUÉS
Facultad de Literatura Cristiana y Clásica San Justino – Madrid
La Vita Chrysostomi di Erasmo
tra biografia patristica
e (auto?)ritratto umanistico
« Magari poter attingere a quel fiume salutare1… »: Così scrisse Erasmo da
Basilea, nel marzo 1525, all’amico Willibaldo Pirckheimer, traduttore di autori
antichi e membro della cerchia di Umanisti di Norimberga. Da qual fiume desi-
derava bere, dunque, l’umanista olandese stabilitosi ormai da una decina d’anni
nella città renana2? Non certo dal Reno, benché questo fiume fosse per lui, come
per tutta Basilea, una grande risorsa3. L’autore intendeva qui, però, un altro fiume,
che sgorga « da una bocca davvero d’oro » col vigore di un torrente straripante di

1. « Liceat ex illo felicissimo amne haurire, qui ex ore vere aureo velut ex fonte ditissimo
promanat »: così la lettera dedicatoria dell’edizione di CHRYSOSTOMUS, De sacerdotio, Basel,
Froben, 1525 (VD 16 J 455) = ERASM., Epist. 1558 (P. S. Allen, ed. 6, p. 49, 179-180). Qui e
in seguito si fa riferimento all’edizione dell’Epistolario di Erasmo: Opus epistolarum Desiderii
Erasmi Roterodami, P. S. Allen ed., Oxford, 1906-1958, 12 voll. La frase citata è la protasi di un
periodo ipotetico inserito nel seguente contesto (ibid., l. 175-179): « Eruditi quidam literis hoc a
me postularunt, ut studiosis gustum aliquem praeberem Chrysostomi sua lingua loquentis: cuius
admirabilem suauiloquentiam deprehendunt in libris eius vtcunque translatis, atque hinc coniectant
quanto plus tum fructus tum voluptatis capturi sint, si liceat ex illo felicissimo amne haurire… » Su
Pirckheimer, destinatario della lettera dedicatoria, cf. B. KÖNNEKER, « Willibald Pirckheimer »,
in Contemporaries of Erasmus. A Biographical Register of the Renaissance and Reformation,
P. G. Bietenholz – Th. B. Deutscher eds., Toronto, 2003, 3, p. 90-94. Le Cinquecentine che ho
menzionato nel presente contributo e consultato, se presenti, all’Universitätsbibliothek di Basilea,
saranno sempre contrassegnate coi loro numeri identificativi del Verzeichnis der im deutschen
Sprachbereich erschienenen Drucke des 16. Jahrhunderts (VD 16) ovvero dell’Universal Short
Titel Catalogue (USTC).
2. Per un profilo biografico sintetico di Erasmo (nato a Rotterdam, 1466 o 1469 – morto a
Basilea, 1536) cf. P. SCHENK, « Desiderius Erasmus von Rotterdam », in Lateinische Lehrer
Europas. Von Varro bis Erasmus von Rotterdam, W. Ax Hrsg., Köln, 2005, p. 391-396; in par-
ticolare sui suoi anni a Basilea cf. W. RIBHEGGE, Erasmus von Rotterdam, Darmstadt, 2010,
p. 138-160.
3. In merito cf. infra, testo e n. 12.
440 CRISTINA RICCI

sapienza4. A questo fiume volevano bere intellettuali come lui, assetati di cultura
antica. Appunto per costoro egli curò l’edizione frobeniana, in originale greco,
del dialogo De sacerdotio della « bocca d’oro » della Chiesa antica: Giovanni
Crisostomo5, dalla cui prefazione è tratto l’auspicio sopra citato.
Il presente contributo intende indagare le ragioni di questa « sete » nei confronti
di Crisostomo, che certi eruditi avevano evidentemente segnalato al collega di
Rotterdam, tanto da indurlo a pubblicare la prima opera dell’aureo predicatore
greco: i Dialogi sex de sacerdotio.
Prima però di affrontare la suddetta questione, bisogna chiedersi come e quando
Erasmo avesse conosciuto quest’autore, e come costui fosse approdato dalle rive
del Bosforo del IV/V secolo alle rive del Reno, più di mille anni dopo. Su questo
argomento, preliminare alla mia indagine, mi limito qui a segnalare alcuni studi
rilevanti, come quelli di Maria Rosa Cortesi6; quindi, dopo un sintetico resoconto
(§ 1) sulla recezione di Crisostomo fino alla sua edizione completa del 1530,

4. L’immagine di Crisostomo come fiume di sapienza (evocante Prov. 18, 4) è diffusa nell’a-
giografia e nell’iconografia crisostomiana: cf. K. KRAUSE, « Göttliches Wort aus goldenem Mund.
Die Inspiration des Johannes Chrysostomos in Bildern und Texten », in Chrysostomosbilder in
1600 Jahren. Facetten der Wirkungsgeschichte eines Kirchenvaters, R. Brändle – M. Wallraff
Hrsg., Berlin, 2008, p. 139-167, in part. p. 150-154.
5. Nato ad Antiochia, 349 – morto presso Comana Pontica, 407. Per la biografia di Crisostomo
mi limito a rinviare all’esaustivo articolo di R. BRÄNDLE, « Johannes Chrysostomus I », Reallexikon
für Antike und Christentum, 18, col. 428-438 e a ID., Johannes Chrysostomus. Bischof, Reformer,
Märtyrer, Stuttgart, 1999 (trad. it. Giovanni Crisostomo. Vescovo, riformatore, martire, Roma,
2007).
6. Cf., ad esempio, M. CORTESI, « Giovanni Crisostomo nel secolo XVI: tra versioni antiche
e traduzioni umanistiche », in I Padri sotto il torchio: edizioni dell’antichità cristiana nei secoli
XV-XVI. Atti del convegno di studi SISMEL, Certosa del Galuzzo, Firenze, 25-26 giugno 1999,
M. Cortesi ed., Firenze, 2002, p. 127-146; EAD., « Erasmo editore dei Padri della Chiesa », in
Erasmo da Rotterdam e la cultura europea, E. Pasini et al. edd., Firenze, 2008, p. 121-147, in part.
p. 135-139. Di seguito si tralasciano le questioni legate sia alla storia della stampa delle edizioni
di Crisostomo, sia alla trasmissione manoscritta degli scritti a lui attribuiti e delle loro traduzioni
latine: per tutto ciò si rinvia a C. BAUR, Saint Jean Chrysostome et ses œuvres dans l’histoire
littéraire, Louvain – Paris, 1907, in part. p. 61-67 e 82-182; W. KINZIG, In Search of Asterius.
Studies on the Authorship of the Homilies on the Psalms, Göttingen, 1990, Appendix 4, p. 254-
266 (Lista completa delle edizioni di Crisostomo fino alla fine del XIX sec.). Per le traduzioni in
latino, tra cui anche quelle dell’edizione di Erasmo a Basilea nel 1530, cf. J.-P. BOUHOT, « Les
traductions latines de Jean Chrysostome du Ve au XVIe siècle », in Traduction et traducteurs au
Moyen Âge. Actes du colloque international du CNRS organisé à Paris, Institut de recherche
et d’histoire des textes, les 26-28 mai 1986, G. Contamine éd., Paris, 1989, p. 31-39; S. VOICU,
« Le prime traduzioni latine di Crisostomo », in Cristianesimo latino e cultura greca sino al
sec. IV, XXI Incontro di Studiosi dell’antichità cristiana, Roma, 7-9 maggio 1992, Roma, 1993,
p. 397-415. G. MASI, « Le traduzioni di Giovanni Crisostomo nel primo Quattrocento. Fra “Studia
Humanitatis” e “Studia Pietatis”: Ambrogio Traversari e altri », in Studia Humanitatis. Saggi in
onore di Roberto Osculati, A. Rotondo ed., Roma, 2011, p. 269-283.
LA VITA CHRYSOSTOMI DI ERASMO 441

curata da Erasmo, il mio discorso si focalizzerà (§ 2) sulla Vita Chrysostomi scritta


da Erasmo e in particolare su cinque aspetti concernenti il rapporto del biografo
col suo personaggio.

I. – CRISOSTOMO NELL’UMANESIMO RENANO:


L’EDIZIONE DEGLI OPERA OMNIA CURATA DA ERASMO

Quando Erasmo approdò per la prima volta a Basilea nel 1514, il Padre greco vi
era già giunto almeno da quasi un secolo, ossia nel bagaglio di codici portati dal
cardinale domenicano croato Ivan Stojkovič, che aveva presieduto al concilio di
Basilea (1431-1449)7.
Non solo per via di manoscritti, anche in forma « stampata » è attestata la pre-
senza del teologo di Antiochia nella città renana ben prima di quella del filologo di
Rotterdam. Infatti, a portarvelo da Venezia all’inizio del Cinquecento deve essere
stato il commerciante di libri Wolfgang Lachner8, futuro suocero dello stampatore
Johann Froben, che sarebbe diventato l’editore di Erasmo « par excellence ».
Lachner, dunque, si procurò la prima edizione veneziana in latino degli Opera
omnia crisostomici, uscita nel 1503 e, con notevole solerzia, entro un anno la fece
riprodurre a Basilea (1504)9. A questa seguirono, in forma rivista e ampliata, due
altre edizioni di Crisostomo prima di quella curata da Erasmo: l’una nel 1517
presso Johann Froben10, l’altra nel 1521/1522 presso Andreas Cratander11. In
meno di trent’anni, quindi, uscirono tre edizioni basiliensi di tutte le opere criso-
stomiche, che erano fino allora note.

7. Su Ivan Stojkovič (Giovanni di Ragusa, 1390/1395 circa – 1443) e i suoi manoscritti


cf. A. CATALDI PALAU, Studies in Greek Manscripts, Spoleto, 2008, 1, p. 235-280, in part.
p. 238-248.
8. Su Wolfgang Lachner cf. F. HIERONYMUS, « Wolfgang Lachner, Buchhändler und Verleger,
Schwiegervater Johannes Frobens », Gutenberg Jahrbuch, 60, 1985, p. 145-152. Su Johann
Froben cf. P. G. BIETENHOLZ, « Johannes Froben », in Contemporaries of Erasmus, p. 60-63.
9. L’edizione si presenta col seguente titolo: Accipe candidissime lector opera divi Ioannis
Chrysostomi archiepiscopi Constantinopolitani, [Basel], [officina Iacob Wolff von Pfortzheim, a
spese di Wolfgang Lachner], [1504], 2 tomi (VD 16 J 395).
10. Tomus primus[-quintus] operum Io. Chrysostomi Constantinopolitani, Basel, [Io. Froben],
1517, 5 tomi + Indice (VD 16 J 396).
11. Tomus Primus [-quintus] Operum Ioannis Chrysostomi Constantinopolitani, [Basel],
[A. Cratander], [1521–1522] (VD 16 J 397). Su queste prime edizioni basiliensi degli Opera
omnia crisostomici, oltre alla bibliografia citata supra, n. 6 (in particolare gli studi di M. Cortesi),
cf. C. RICCI, « Liceat ex illo felicissimo amne haurire, qui ex ore vere aureo velut ex fonte ditis-
simo promanat. Johannes Chrysostomus im oberrheinischen Humanismus », in Latein am Rhein
(1400-1800). Zur Kulturtopographie und Literaturgeographie eines europäischen Stromes.
5. Arbeitsgespräch der Deutschen Neulateinichen Gesellschaft, Zürich, 21-23. Februar 2013,
C. Cardelle-de Hartmann – U. Eigler Hrsg., Berlin, 2015 c.d.s.
442 CRISTINA RICCI

La frequenza di tali pubblicazioni è sintomo palese di un’attività di edizione e


stampa dei testi antichi straordinariamente feconda. In effetti, Basilea nella prima
metà del Cinquecento era – almeno (ma non soltanto) per il settore riguardante
le stampe della Bibbia e dei Padri della Chiesa – un centro d’eccellenza a livello
internazionale; e ciò – come accennato all’inizio – grazie anche al ruolo del Reno
come via di trasporto e scambio tra il Nord e il Sud dell’Europa, Venezia com-
presa12. Cruciale, inoltre, fu la presenza, nella città renana, d’intellettuali di gran
fama, come Erasmo da Rotterdam. Costui si trasferì da Londra a Basilea nel 1514,
attratto dalle prospettive di collaborazione editoriale con l’intraprendente stampa-
tore Johann Froben, che aveva in progetto l’edizione completa di san Girolamo,
uscita poi nel 1516 a cura di Erasmo stesso.
In effetti, l’interesse non solo di quest’ultimo, ma anche di molti umanisti
mitteleuropei per le fonti dell’Antichità si concentrava, accanto ai Classici, sui
Padri, i cui scritti venivano molto spesso citati (e talora funzionalizzati) come fonti
autorevoli nel fervente dibattito teologico dei primi decenni del XVI secolo, specie
in concomitanza con l’emergere della Riforma, a Basilea e oltre. Basti ricordare,
al proposito, la serie delle edizioni patristiche integrali uscite a Basilea ai tempi di
Erasmo e poco prima: nel 1492 fu pubblicata l’editio princeps degli Opera omnia
di Ambrogio; nel 1506 l’opera di Agostino, cui seguì, nel 1516, l’edizione era-
smiana di Girolamo, che inaugurò una serie di edizioni patristiche da lui curate13,
compresa quella degli Opera omnia di Crisostomo tradotta in latino, pubblicata da
Froben nel 1530, e infine quella di Origene, apparsa proprio l’anno in cui Erasmo
morì (1536).

12. « Tra la fine del ‘400 e i primi lustri del ‘500 venne a costituirsi a Basilea il polo più
importante dell’editoria patristica »: così P. STELLA, « Editoria e lettura dei Padri: Dalla cultura
umanistica al modernismo », in Complementi interdisciplinari di patrologia, A. Quacquarelli ed.,
Roma, 1989, p. 799-837, in part. p. 801-802. Cf. anche U. LEU, « The Book and Reading Culture
in Basel and Zurich during the Sixteenth Century », in The Book Triumphant. Print in Transition
in the Sixteenth and Seventeenth Century, M. Walsby – G. Kemp eds., Leiden – Boston, 2011,
p. 295-319, in part. p. 303-305 e p. 297 sul ruolo del Reno, per cui si veda anche W. RIBHEGGE,
Erasmus, p. 74.
13. Per le edizioni di Ambrogio (1492), Agostino (1506) e Girolamo (1516) cf. B. C. HALPORN,
Johann Amerbach’s Collected Editions of St. Ambrose, St. Augustine, and St. Jerome, Ann Arbor
(Mich.), 1989, p. 91-135, 136-205, 206-236. In particolare su quella di Agostino cf. anche
G. PANI, « L’Opera omnia di S. Agostino in Lutero e nei Riformatori », Augustinianum, 40,
2000, p. 519-566, in part. p. 519-520, 523-526; su quella di Girolamo (e le successive dei Padri)
cf. M. CORTESI, « Erasmo editore », p. 121-147, in part. p. 123-125.
LA VITA CHRYSOSTOMI DI ERASMO 443

II. – IL RAPPORTO DI ERASMO CON CRISOSTOMO NELLA SUA VITA CHRYSOSTOMI


La suddetta edizione di Crisostomo uscì dunque nel 1530, appena un anno dopo
l’adesione ufficiale di Basilea alla Riforma (1529), che influì anche sull’attività
delle stamperie e indusse Erasmo a trasferirsi nella vicina Friburgo, rimasta catto-
lica. Ciò tuttavia non impedì, evidentemente, che nel 1530 Froben facesse uscire
la prima edizione delle opere crisostomiche curata dal suo illustre collaboratore e
amico. Ne risultò una « maestosa » stampa di cinque volumi in folio, innovativa
non solo per le aggiunte e i miglioramenti rispetto alle edizioni precedenti14, ma
anche perché conteneva una biografia dell’autore (Crisostomo) composta ex-novo
dall’editore (Erasmo)15 sulla base di fonti tardo-antiche: l’una coeva al Padre
greco, l’altra posteriore di circa un secolo.
Quest’ultima è l’Historia ecclesiastica tripartita16, alla quale Erasmo attinse
per la prima redazione della sua Vita Chrysostomi. Questa fu da lui poi integrata
con il Dialogus de Vita sancti Ioanni Chrysostomi di Palladio, del quale solo dopo
il 1530 egli venne a conoscenza nella traduzione latina di Ambrogio Traversari
che, in effetti, fu pubblicata per la prima volta a Venezia nel 153317. Egli se ne

14. D. Ioannis Chrysostomi Archiepiscopi Constantinopolitani Opera, Basel, Froben, 1530


(VD 16 J 399): in una lettera del 1526 Erasmo ne auspica la pubblicazione cum maiestate (ERASM.,
Epist. 1736, P. S. Allen ed., 6, p. 381, 18-19).
15. « Vita diui Ioannis Chrysostomi ex historiae, quam tripartitam uocant, libro decimo
magna ex parte concinnata, per Desiderium Erasmum Roterodamum », in Opera diui Ioannis
Chrysostomi, 1, ff. A 2v – B 2r. Un nucleo di questa Vita si trova già nell’epistola dedicatoria
dell’edizione erasmiana di alcune prediche di Crisostomo, del 1527 (cf. Diui Ioannis Chrysostomi
… et diui Athanasii … Lucubrationes aliquot, Basel, Jo. Froben, 1527: VD 16 J 408), edita in
ERASM., Epist. 1800 (P. S. Allen ed., 6, p. 483-491, in part. p. 486-490, l. 115-280).
16. CASSIODORUS – EPIPHANIUS SCHOLASTICUS, Historia ecclesiastica tripartita, CSEL 71,
W. Jacob – R. Hanslik Hrsg, Wien, 1952. Di questa esistevano ai tempi di Erasm o già alcune
edizioni (cf. M. WALLRAFF, « Die Rezeption der spätantiken Kirchengeschichtswerke im
16. Jahrhundert », in Auctoritas Patrum II: Neue Beiträge zur Rezeption der Kirchenväter im 15.
und 16. Jahrhundert, L. Grane – A. Schindler – M. Wriedt Hrsg., Mainz, 1998, p. 223-260, in part.
p. 226, n. 14), tra cui, da segnalare per la prossimità di ambiente e data, quella a cura di Beato
Renano in Autores historiae ecclesiasticae. Omnia recognita ad antiqua exemplaria Latina per
Beatum Rhenanum, Basel, Froben, 1523 (VD 16 E 4273), p. 278-693.
17. Palladii episcopi Helenopolitani De vita d. Ioannis Chrysostomi archiepiscopi
Constantinopolitani dialogus, Ambrosio monacho Camaldulense interprete, Venezia, 1533
(USTC 846314, cf. Bibliotheca Hagiographica Latina, Nr. 4374). Per l’edizione del testo greco
cf. PALLADIOS, Dialogue sur la vie de Jean Chrysostome, SC 341-342, A.-M. Malingrey éd.,
Paris, 1988. Di seguito le due versioni saranno citate parallelamente così: PALL., Dial., trad.
A. Traversari = A.-M. Malingrey éd., SC 341. In merito all’uso della traduzione di Traversari da
parte di Erasmo cf. J. DEN BOEFT, « Erasmus’ life of John Chrysostom », Euphrosyne, 31, 2003,
p. 379-384, in part. p. 382-383.
444 CRISTINA RICCI

servì dunque per una seconda redazione della Vita, significativamente ampliata e
apparsa non più a Basilea, bensì in un’edizione dell’Opera crisostomica a Parigi
nel 153618.
La Vita Chrysostomi così risultante apporta una certa novità non tanto per le
informazioni sul santo, che derivano, appunto, principalmente dalle due fonti citate
(e solo marginalmente dalla Suda19), quanto nel modo in cui il biografo ha fatto
uso delle sue fonti, citandole esplicitamente20, confrontandole21, giudicandole e
giungendo addirittura ad affermare di fidarsi di più dell’Historia ecclesiastica che
non di Palladio22: un approccio – per così dire – « storico-critico » alla biografia
d’un santo, che caratterizza il filologo umanista e si differenzia sensibilmente
dall’agiografia tradizionale, così come diverso è il tipo di esemplarità attribuita al
protagonista (come si evidenzierà in seguito).

18. Il testo della Vita Chrys. citato di seguito è dunque tratto dalla sua ultima redazione: « Vita
diui Ioannis Chrysostomi ex historiae, quam tripartitam uocant, libro decimo magna ex parte
concinnata: nonnullis adiectis ex dialogo Palladij episcopi Helenopolitani, qui fuerat Chrysostomi
discipulus, et Theodori Romanae ecclesiae diaconi, per Desiderium Erasmum Roterodamum »,
in Diui Ioannis Chrysostomi archiepiscopi Constantinopolitani Opera, Paris, C. Chevallon,
1536 (USTC 147132), 1, ff. 5v-10v. Questa versione, riapparsa a Basilea tre anni dopo (in Opera
diui Ioannis Chrysostomi archiepiscopi Constantinopolitani, Basel, Herwagen, 1539 [VD 16 J
400], 1, ff. α 5v – β 6r), è ristampata in Desiderii Erasmi Roterodami Opera omnia, J. Clericus
ed., Leiden, 1703 (ristampa: Hildesheim, 1962), 3.2, col. 1132 C-1147 B: alle colonne di questa
stampa (= LB) si fa riferimento di seguito, in attesa della pubblicazione dell’edizione critica a
cura di C. Ricci, preparata per il volume ASD VIII.1 degli Opera omnia di Erasmo. Per maggiori
dettagli sulla questione delle fonti usate da Erasmo si rinvia all’introduzione di codesta edizione e
a J. DEN BOEFT, « Erasmus’ life of John Chrysostom ».
19. Per la notizia concernente Crisostomo nella Suda cf. Suidae Lexicon, Δ-Θ, ι 463
(Lexicographi Graeci, A. Adler ed., 1, Stuttgart, 1994, p. 647-649). La Suida è citata da Erasmo
una sola volta: « Apud Suidam haud scio quis non indoctus primam laudem tribuit operi de
sacerdotio » (ERASM., Vita Chrys., LB 3.2, col. 1346CD). Che Erasmo conoscesse questa notizia
sembra plausibile dal fatto che una versione latina di essa era già presente nell’edizione basi-
liense dell’Opera del Padre greco del 1517 (Vita Chrys. ex Suida, in Chrysostomi Opera, Basel,
J. Froben, 1517, t. 6, f. 13v); la stessa fonte, in latino e in originale greco, compare nell’edizione
parigina del 1536 (Vita Chrys. ex Suidae Coll., in Chrys. Opera, Paris, 1536, ff. 10v - 11r).
20. « Certe in historia tripartita multa de illo [scil. Theophilo] narrantur » (ERASM., Vita
Chrys., LB 3.2, col. 1337D); « Operum illius certum indicem non habemus: saltem hoc beneficii
nobis impendisset ecclesiastica historia » (ibid., col. 1346C); « Palladius ita refert… » (ibid.,
col. 1333E); « Quod si vera sunt, ut sunt verisimilia, quae de illo [scil. Theophilo] in dialogo
narrat Palladius… » (ibid., col. 1337E).
21. « Miror autem quur quod Palladius refert a Meletio factum, Socrates in historia, quam
tripartitam vocant, dicat a Zenone factum » (ERASM., Vita Chrys., LB 3.2, col. 1333E).
22. « ecclesiastica historia, cui magis fido… » (ibid.).
LA VITA CHRYSOSTOMI DI ERASMO 445

Nuova rispetto alle precedenti edizioni basiliensi di Crisostomo è pure la posi-


zione della Vita Chrysostomi, che Erasmo ha posto in risalto, immediatamente
dopo la dedica a Cristoforo di Stadion, vescovo di Augusta23, al principio dell’e-
dizione, come per presentare prima l’autore, poi i suoi scritti. A questi poi egli ha
dedicato, alla fine della Vita, un excursus sul loro stile e su questioni di autenticità,
dimostrando un’acribia filologica non dissociata, però, da una certa empatia. Su
quest’ultima s’intende ora soffermarsi, focalizzandone alcuni aspetti.

A. Martyr
Il primo aspetto da evidenziare si trova alla fine della biografia: riguarda, infatti,
la morte del santo, che Erasmo narra attenendosi alla testimonianza di Palladio24,
ma col pathos di chi s’immedesima nel vescovo di Costantinopoli condannato
con accuse pretestuose, nel sinodo della Quercia (403), sotto la pressione dei
suoi avversari, poi due volte esiliato e costretto, sulla via del secondo esilio verso
Pitiunte sul Ponto, a delle marce massacranti che lo sfinirono fino a farlo morire:
morte alla quale si preparò con consapevolezza e compostezza, decidendo di ren-
der lo spirito nella basilica di Basilisco, un martire del Ponto25.
Ac martyri iunctus est martyr osserva Erasmo e commenta: « Perché dovrei
esitare a chiamare martire colui che da così tante ingiurie ed afflizioni non si lasciò
né indurre all’insofferenza, né dissuadere dal diffondere la pietas Christiana? Non
fu colpito dalla scure, ma da calunnie più taglienti di una scure », scagliate non
una volta per sempre, ma a ripetizione: un martirio, dunque, consumatosi nella
quotidiana sopportazione di disagi e ostilità, più che un martirio di sangue per
morte violenta26.

23. La dedica è riportata da Allen, tuttavia senza l’appendice della Vita Chrys.: cf. ERASM.,
Epist. 2359 (P. S. Allen ed., 9, p. 3-6). Sul dedicatario dell’edizione di Crisostomo, lo stesso
dell’Ecclesiastes di Erasmo (infra, testo e n. 58), cf. M. ERBE, « Christoph von Stadion », in
Contemporaries of Erasmus, p. 274-276.
24. Cf. PALL., Dial. 11 (trad. A. Traversari, p. 91, l. 22 – p. 93, l. 24 = A.-M. Malingrey éd.,
SC 341, p. 224-228, l. 101147).
25. Queste vicende (condanna, esilio, rientro, secondo esilio e morte) sono esposte in ERASM.,
Vita Chrys., LB 3.2, col. 1340B-1342E. Cf. la ricostruzione storico-biografica di R. BRÄNDLE,
Johannes Chrysostomus, p. 113-149.
26. « Quur enim verear illum appellare martyrem, qui tot iniuriis, tot contumeliis, tot affli-
ctionibus nec ad impatientiam perpelli, nec a propaganda Christiana pietate depelli potuit? Non
percussus est securi, sed calumniis omni securi acutioribus non semel ictus est » (ERASM., Vita
Chrys., LB 3.2, col. 1342E). Sul concetto di martirio senza sangue, già emerso nella letteratura tar-
doantica, cf. in modo emblematico SULP. SEV., Mart., Epist. 2, 9. 12-13 (J. Fontaine éd., SC 133,
Paris, 1967, p. 328-330 e il relativo commento in SC 135, Paris, 1969, p. 1178-1182).
446 CRISTINA RICCI

Non era forse simile, in ciò, l’esperienza di Erasmo? Anche lui, come Crisostomo,
era gracile di salute, anche lui sottoposto ripetutamente, specie dalla metà degli
anni ‘20 in poi, agli attacchi soprattutto di chi, tra i suoi conoscenti, non era riu-
scito a guadagnarlo alla Riforma e di chi, sul versante cattolico, lo considerava
troppo riformista27. Erasmo, tuttavia, faceva « parte per se stesso »28: se infatti era
critico verso la Chiesa del suo tempo, al contempo si è dimostrato un tenace soste-
nitore della sua unità29. Similmente Crisostomo, dopo essere stato condannato da
un sinodo, fu pronto a cedere per evitare ulteriori dissidi tra i vescovi, e dunque
a sacrificarsi per la pace della Chiesa30, pur avendone combattuto più volte la
corruzione con franchezza tanto audace31, da inimicarsi prelati e potenti, in primis
Teofilo, patriarca di Alessandria, e l’imperatrice Eudossia, principali fautori della
sua condanna.

27. La controversia di Erasmo con Lutero da un lato e, dall’altro, coi teologi cattolici conser-
vatori (specialmente quelli della Sorbona, come Noël Béda e Pierre Cousturier) è ampiamente
attestata dall’epistolario: cf., ad es., ERASM., Epist. 1571 (P. S. Allen ed., 6, p. 65-69 con intro-
duzione di Allen sulla controversia in questione); 1675 (ibid., p. 283, 29-32); 1677-1678 (ibid.,
p. 284, 8-10 e p. 285, 23-27); 1721-1723 (ibid., p. 357-366). Su queste vicende cf. E. RUMMEL,
The Humanist-Scholastic Debate in the Renaissance and the Reformation, Cambridge (Mass.),
1995, p. 104-107, 111-113; C. CHRIST-VON WEDEL, « Erasmus von Rotterdam zwischen den
Glaubensparteien », Zwingliana, 37, 2010, p. 21-39; EAD., Erasmus of Rotterdam. Advocate
of a New Christianity, Toronto, 2013, p. 162-199 (in particolare sul conflitto coi Riformatori).
Sulla controversia con Alberto Pio, principe di Carpi e detrattore delle idee « luteraneggianti » di
Erasmo, cf. ERASM., Epist. 1634 con ampia introduzione di Allen (P. S. Allen ed., 6, p. 199-203):
in merito cf. G. G. KROEKER, Erasmus in the Footsteps of Paul: a Pauline Theologian, Toronto,
2011, p. 4-5.
28. Cf. DANTE, Paradiso, XVII, 69. Cf. l’inizio del saggio biografico di C. AUGUSTIJN,
Erasmus: His Life, Works, and Influence, tr. ingl., Toronto, 1991, p. 3: « Erasmus stands apart. »
29. Per l’impegno di Erasmo all’insegna dell’unità della Chiesa cf., ad es., lo scritto del 1533:
ERASM., De sarcienda ecclesiae concordia (R. Stupperich ed., ASD V.3, Amsterdam, 1986, p. 245-
313); dello stesso periodo cf. ID., Precatio ad Dominum Jesum pro pace ecclesiae (J. Leclerc ed.,
LB IV, Leiden, 1703, col. 653-656). In merito cf. W. RIBHEGGE, Erasmus, p. 195-198; C. CHRIST-
VON WEDEL, « Erasmus von Rotterdam zwischen den Glaubensparteien », p. 34-37.

30. Si consideri, in merito, il commento di Erasmo alla rassegnazione di Giovanni di fronte


alla sua seconda cacciata in esilio: « “Si regina vult me exulem, agat in exilium”… Tantum doluit
hac occasione turbari tranquillitatem et concordiam ecclesiarum » (ERASM., Vita Chrys., LB 3.2,
col. 1342F).
31. Più volte ricorrono allusioni alla parrhesia di Giovanni: ad esempio, all’inizio del suo man-
dato episcopale: « libera lingua iuxta propheticum sermonem euellit, destruit, disperdit, dissipat,
aedificat et plantat » (ibid., col. 1334C). Per questa caratteristica dell’uomo di Dio cf. H. SCHLIER,
« παρρησία », Theologisches Wörterbuch zum Neuen Testament, 5, in part. p. 877-884.
LA VITA CHRYSOSTOMI DI ERASMO 447

Martire, dunque, fu Cristostomo, ma in quanto vittima dell’odio non di pagani,


bensì di cristiani32 – osserva Erasmo con una nota amara (e forse autoreferenziale)
– per poi menzionare, commosso, il trionfale ritorno delle reliquie del vescovo
nella città da cui era stato scacciato33. « Ma le viventi reliquie – aggiunge il
biografo – le possediamo noi », avendo i suoi scritti come tesoro e modello34.
A questo punto Erasmo introduce un excursus sulle opere ascritte a Crisostomo,
discutendone questioni di contenuto, di stile e di autenticità35.

B. Opes Aegyptiorum
In tale contesto, il filologo e pedagogo umanista coglie di nuovo l’occasione
per esaltare in Crisostomo se stesso, o meglio, per proiettare sul predicatore dalla
« bocca d’oro » il proprio modello di oratore cristiano: Un orator che, animato
da zelo didattico, mette le proprie abilità e conoscenze, incluse quelle derivategli
dalla sua educazione classica profana, a servizio della fede cristiana. Proprio a
ciò allude Erasmo quando, riferendo degli anni di formazione di Giovanni ad
Antiochia, dice che egli ebbe come docente di filosofia un certo Andragazio (altri-
menti ignoto), e aggiunge che mise a disposizione le ricchezze degli Egiziani per
edificare il tempio di Dio, congiungendo fin da giovane età l’eloquenza con la
sapienza: « Iam tum Aegyptiorum opes ad dominici templi structuram comparans,
vt teneris statim annis eloquentiam cum sapientia coniungeret36. »
Cosa s’intende qui con opes Aegyptiorum? Per comprendere quest’aggiunta,
che Erasmo ha inserito nella versione ampliata della Vita Chrysostomi, bisogna
confrontarla con la fonte cui egli attinge in questo passo. Il Dialogus di Palladio,
infatti, nella traduzione latina di Ambrogio Traversari usata dall’Olandese, dice di
Giovanni – alludendo alla sua futura attività esegetica e pastorale: « Iam tum se
ad sanctarum scripturarum ministerium comparabat37. » Con questa formulazione

32. « Hoc praemii vir optimus pro tam praeclaris in ecclesiam meritis retulit per episcopos
orthodoxos et sub imperatore Christiano » (ERASM., Vita Chrys., LB 3.2, col. 1342E): questa
considerazione segue immediatamente al discorso sul martirio quotidiano, per il quale cf. supra,
n. 26.
33. « Tandem et huius reliquiae Constantinopolim imperatoris iussu deportatae sunt miroque
totius populi gaudio ac celebritate exceptae, existimantis eam ciuitatem incomparabili thesauro
locupletatam » (ibid., col. 1343D).
34. « At nos praeciosorem tenemus thesaurum, illius sanctissimae mentis viuas reliquias in eius
monumentis possidentes ac fruentes » (ibid., col. 1343DE).
35. « De quibus nunc pauca mihi dicenda sunt » (ibid., col. 1343E). Segue l’excursus sulle
opera di Crisostomo (ibid., col. 1343E-l346F).
36. Ibid., col. 1332D. La fonte della notizia su Andragazio è CASSIOD., Hist. trip. X, 3, 9
(W. Jacob – R. Hanslink Hrsg., CSEL 71, p. 584, 38), che riprende in merito la Historia ecclesia-
stica di Socrate.
37. PALL., Dial. 5 (tr. A. Traversari, p. 39, l. 3-4 = A.-M. Malingrey éd., SC 341, p. 106, 4-5):
ἐξησκήθη τοῖς λόγοις πρὸς διακονίαν τῶν θείων λογίων.
448 CRISTINA RICCI

Traversari pare aver frainteso l’espressione τῶν θείων λογίων del testo origi-
nario, la quale andrebbe resa con « cancelleria imperiale » (sbocco professionale
ovvio per chi aveva una formazione retorica come Giovanni) e non con « Sacre
Scritture »38.
La suddetta traduzione di Traversari è trasformata da Erasmo in una metafora,
presente anche nella letteratura patristica39 e da lui già adottata nella Vita Hieronymi
(1516)40. La spiegazione di questa figura si trova negli Antibarbari, un’opera
composta dall’umanista durante il suo studio a Parigi (1494/1495), a difesa della
letteratura classica contro i suoi detrattori. Qui la pericope di Ex. 12, 35-3641 è
interpretata nel senso seguente: sottrarre le ricchezze degli Egizi per adornare il
tempio di Dio significa trasferire il sapere pagano antico a servizio e decoro della
fede cristiana42. Ciò corrisponde al « Bildungsideal » tipico dell’umanesimo, spe-
cialmente mitteleuropeo: Erasmo lo ribadisce negli scritti più disparati, da quelli
polemico-apologetici come gli Antibarbari, fino a quelli di accompagnamento alle
sue edizioni patristiche, come le biografie di Girolamo e di Crisostomo.

C. Accommodatio / συγκατάβασις
Così il vescovo di Costantinopoli, pur essendo un campione di erudizione e di
eloquenza, appresa alla scuola di retori e filosofi « pagani », quando predicava al
popolo, in generale presumibilmente non molto colto, sapeva adattare il suo mes-
saggio ai suoi destinatari e alle circostanze43, attuando nella predicazione cristiana

38. Cf. l’ampia nota esplicativa dedicata a questo passo da Anne-Marie Malingrey in PALL.,
Dial. (A.-M. Malingrey éd., SC 341, p. 106, n. 1).
39. Presente in ORIGENE, Epistula ad Gregorium. Usata anche da Agostino: AUG., doctr.
Christ. II, 40, 60-62, in part. ibid., 61 in riferimento a Ex. 12, 35-36 (L’istruzione cristiana,
M. Simonetti ed., Milano, 1994, p. 164, 39-41): « [Aegyptii] dederunt aurum et argentum et
vestem suam exeunti de Aegypto populo Dei nescientes quemadmodum illa quae dabant, in
Christi obsequium redderentur. »
40. ERASM., Vita Hieronymi (W. K. Ferguson – A. Vanautgaerden éd, in ÉRASME DE
ROTTERDAM, Vie de saint Jérôme, Turnhout, 2013, p. 130, 698-700).
41. « Feceruntque filii Israhel sicut praeceperat Moses et petierunt ab Aegyptiis uasa argentea
et aurea uestemque plurimam. Dedit autem Dominus gratiam populo coram Aegyptiis ut commo-
darent eis et spoliauerunt Aegyptios » (Ex. 12, 35-36).
42. « Aegyptias opes tollit, qui literas Ethnicorum ad nostrae fidei decus et usum transfert.
… Haec summa est, multis quidem summis viris non contigit eruditio secularis, at cui contigit,
nemo non est usus, nemo veritus est Christianorum templum ethnicis opibus exornare» (ERASM.,
Antibarbari, K. Kumianecki ed., ASD I.1, Amsterdam, 1969, p. 1-138, in part. p. 116-117, in part.
p. 117, 5-7 e p. 129, 16-18). Per la metafora cf. anche ID., Epist. 164 (P. S. Allen ed., 1, p. 375,
49-50).
43. « Cumque tantus esset tum eruditione, tum eloquentia, tamen incredibili quodam iuuandi
studio quicquid fere scripsit, accommodauit auribus populi eoque ad huius captum demisit ora-
tionis habitum, quasi praeceptor cum puero discipulo balbutiat » (ERASM., Vita Chrys., LB 3.2,
col. 1344A, idem in Epist. 1800, P. S. Allen ed., 6, p. 486-487, 135-138).
LA VITA CHRYSOSTOMI DI ERASMO 449

un noto principio della retorica antica: l’accommodatio44. In tal modo riusciva a


rendere « theatricum ac populare » ogni suo discorso, anche se trattava dei misteri
più impenetrabili della S. Scrittura45.
Lo stesso si può dire sostanzialmente di Erasmo, incline a mettere in scena
personaggi pittoreschi per trattare di problematiche sensibili e complesse: è que-
sto, ad esempio, il caso del dialogo Ciceronianus, uscito due anni prima della
Vita Chrysostomi e imperniato sulla questione dell’imitatio, ossia del rapporto coi
modelli della letteratura antica46.
Per Erasmo, in effetti, come già per Crisostomo, l’accommodatio – o
συγκατάβασις, termine ricorrente nell’opera crisostomica – non è solo un’abi-
lità retorica, bensì è una questione di carità, di disponibilità a farsi omnia omnibus
per il bene di tutti, secondo il motto e l’esempio di san Paolo47.

D. τò διδακτικόν
Proprio Paolo è il modello di riferimento (e termine di paragone) per il prota-
gonista della Vita Chrysostomi, come già lo fu nelle prediche di Crisostomo48. A
Paolo, infatti, si appella il biografo per esaltare, nel suo protagonista, quel talento

44. La stessa capacità è riscontrata da Erasmo, ad esempio, anche in Ambrogio, come attesta la
prefazione alla seconda parte dell’edizione erasmiana degli Opera omnia del vescovo milanese:
cf. ERASM., Praefatio in Ambr., Basel, J. Froben, 1527, pars II., f. a 1v, l. 14-15 (VD 16 A2180):
« quod [Ambrosius] puer in rhetorum scholis didicerat, feliciter accommodat ad seriam scriptura-
rum tractationem ».
45. Sull’efficacia « teatrale » del modo di predicare di Crisostomo cf. A. HEISER, Die
Paulusinszenierung des Johannes Chrysostomus. Epitheta und ihre Vorgeschichte, Tübingen,
2012, in part. p. 3-12.
46. Cf. ERASM., Dialogus Ciceronianus, P. Mesnard ed., ASD I.2, Amsterdam, 1971, p. 581-710.
47. « Omnibus omnia factus sum ut omnes facerem salvos » (1 Cor. 9, 22). Sulla
συγκατάβασις cf. R. BRÄNDLE, « Die Synkatabasis als hermeneutisches und ethisches Prinzip
in der Paulusauslegung des Johannes Chrysostomus », Jahrbuch für antikes Christentum.
Ergänzungsband, 23, 1996, p. 297-307. Per il rapporto tra la συγκατάβασις e la figura di Paolo
in Crisostomo cf. A. HEISER, Die Paulusinszenierung, p. 25-28. Un’efficace definizione del con-
cetto, anche se non riferita a questo termine, è in ERASM., Ecclesiastes, IV, 19-20 (J. Chomarat
ed., ASD V.4-5, Amsterdam, 1991. 1994: ivi 5, p. 374, 247-248): « Humanitas [numinis], semet ad
nostram infirmitatem accommodantis, exemplo matrum … haec ratio et ad docendum aptissima
est et ad persuadendum efficacissima est. »
48. Cf. le numerose omelie su Paolo: Ioannis Chrysostomi interpretatio omnium epistularum
Paulinarum, F. Field ed., Oxford, 1839-1862, 7 voll. (non vidi); inoltre le omelie crisostomiche
di lode a Paolo edite da Erasmo in Chrysostomi Opera, t. 4, ff. a 2r – c 2v: cf. l’edizione critica
in JEAN CHRYSOSTOME, Panégyriques de s. Paul, A. Piédagnel éd., SC 300, Paris, 1982, in part.
p. 8-9 sui motivi ricorrenti in questi panegirici, sui quali cf. anche M. M. MITCHELL, The Heavenly
Trumpet. John Chrysostom and the Art of Pauline Interpretation, Tübingen, 2000, p. 137-164. Sul
ruolo di Paolo nella predicazione di Crisostomo cf. anche A. HEISER, Die Paulusinszenierung, in
part. p. 12-16 l’entusiasmo del predicatore per l’Apostolo.
450 CRISTINA RICCI

didattico che l’apostolo raccomanda tra le virtù del vescovo49, e che Erasmo stesso
dimostra: non però come pastore, bensì grazie ai numerosi scritti pedagogici e alla
sua « Nachwirkung » che lo ha reso – secondo il detto di Margolin – « precettore
dell’Europa »50.
Per Erasmo, d’altronde, se Crisostomo è l’alter-Paulus51, Paolo è a sua volta un
testimone d’eccezione della philosophia Christiana proclamata dall’umanista52;
egli rappresenta, per così dire, l’Ulisse cristiano: modello, negli Adagia, dell’uomo
versatile, πολύτροπος, che sa adattare se stesso e il proprio discorso ai diversi
contesti di comunicazione, per riuscire più efficace nel trasmettere il messaggio
di salvezza53.

49. « Praecipue in illo eminet τò διδακτικόν, quod potissimum in episcopo requirit beatus
Paulus » (cf. 1 Tim. 3, 2: ERASM., Vita Chrys., LB 3.2, col. 1343E). Su questo tema in Paolo,
valorizzato anche da Crisostomo, cf. M. M. MITCHELL, The Heavenly Trumpet, p. 75-77.
50. Cf. J.-C. MARGOLIN, Érasme, précepteur de l’Europe, Paris, 1994.
51. « Nonne hunc [Ioannem] merito dixeris alterum Paulum, tanta solicitudine prospicientem
omnibus ecclesiis? » (ERASM., Vita Chrys., LB 3.2, col. 1334E).
52. Sul ruolo di Paolo nel pensiero di Erasmo cf. G. G. KROEKER, Erasmus in the Footsteps
of Paul, in part. p. 37-40 (e passim) sull’influsso di Crisostomo sulla recezione erasmiana di
Paolo, specie di Rom. nelle Annotationes del 1527 e nelle Paraphrases del 1532. Cf. inoltre
O. WISCHMEYER, Paulus: Leben, Umwelt, Werk, Tübingen, 22012, p. 402: « so ist er [Paulus]
ihm [scil. Erasmus] als Deuter der Schrift Leitfigur », come dimostrano anche le Paraphrases
in epistolas Pauli erasmiane (cf. loc. cit. infra, n. 53). Per l’espressione philosophia Christiana,
ricorrente in Erasmo, cf., ad es., ERASM., Ciceronianus, ASD I.2, p. 643, 16-17. 34; p. 650, 19;
p. 660, 1 etc.
53. « Polypi mentem obtine. Quo [scil. Adagio] iubemur pro tempore alios atque alios
mores, alium atque alium vultum sumere. Quod in Vlysse videtur Homerus laudare, qui eum
πολύτροπον appellat, id est moribus versatilibus. … Rursum est honesta quaedam ratio, qua boni
viri nonnunquam alienis moribus obsecundant, ne vel odiosi sint vel prodesse non possint, aut vt e
magnis periculis semet aut suos eximant. Quemadmodum fecit Vlysses apud Polyphemum multa
simulans, apud procos mendicum agens … Quin et diuus Paulus apostolus sancta quadam iactantia
gloriatur hac pia vafricie sese vsum esse, atque omnia factum omnibus, vt omnes Christo lucri-
faceret » (ERASM., Adagiorum chilias prima, 93, M. L. van Poll et al. eds., ASD II.1, Amsterdam,
1993, p. 198, 291-293; p. 200, 337-341; p. 201, 342-344); cf. ID., Paraphrases in Act. 17, 22
(J. Leclerc éd., LB 7, Leiden, 1706, col. 736A): « Paulus itaque qui noverat omnia fieri omnibus,
et eloquentiam suam ad omnium mores attemperare, nactus theatrum suum, in medio vici Martii,
circumfusa frequenti multitudine, sic exorsus est: “Viri Athenienses” » etc. Cf. anche Paraphrases
in Gal. 4, 20 (ibid., col. 959A): « In omnia me mutarem, quo vos revocarem ad Christum, nunc
blandiens, nunc obtrectans, nunc objurgans. Orationem melius ad varietates animorum et ad rem
praesentem accommodarem. Experirer omnes remediorum vias, donec omnes ad sanitatem revo-
cassem. » Sulle figure di Ulisse e di Paolo in Erasmo cf. J. WOLFE, « The Cosmopolitanism of the
Adages: the Classical and the Christian Legacies of Erasmus’ Hermeneutic of Accommodation »,
in Cosmopolitanism and the Middle Ages, J. M. Ganim – S. A. Legassie eds., New York, 2013,
p. 207-230, in part. p. 213-219.
LA VITA CHRYSOSTOMI DI ERASMO 451

E. Polygraphia
Quest’attitudine può contribuire a una certa polygraphia54, che Erasmo evi-
denzia in Crisostomo, senza esserne esente nemmeno lui: a entrambi, infatti, va
riconosciuto ciò che il biografo finemente nota e apprezza nel santo55: l’impegno
nel prodigare le proprie risorse intellettuali a profitto della respublica Christiana56.
Non, dunque, da vana loquacità, ma da spirito di carità, imperniato su una solida
preparazione teologica e retorica, sgorga l’ampia produzione del Padre greco, che,
tuttavia, non è meno copiosa di quella del suo biografo.
« Vtinam tales oratores nunc haberet vbique Christianus orbis57! » Con quest’au-
spicio Erasmo si avvia a concludere la Vita Chrysostomi e, in fondo, anche la
sua carriera di scrittore. È questa, infatti, l’aspirazione sottostante all’ultimo degli
scritti maggiori dell’Olandese, quasi coevo al suo lavoro sulla versione ampliata
della suddetta Vita: l’Ecclesiastes (1535)58: manuale di ermeneutica e di retorica
per chi predica la Parola divina, testamento spirituale di un umanista che crede
nelle potenzialità della parola umana. E all’arte umana della parola, la retorica,
egli si fa educare dai classici e dai Padri: li studia, li ammira, li adatta … un po’ a
se stesso, nonché alle istanze intellettuali e spirituali dei suoi tempi in fermento.
In questo lavoro Erasmo non è l’unico, ma è da considerare paradigmatico
delle tendenze condivise da più umanisti (filologi, teologi come Beato Renano,
Ecolampadio ecc.) negli anni intorno alla Riforma59. Per loro i Padri sono da
recuperare come maestri di un discorso teologico limpido, aderente al testo

54. « Omitto quod vix alius plura scripsit, nec in his vllum est argumentum quod non tractet ea
quae sunt Christianae pietatis; quum Augustinus noster, qui cum hoc polygraphia fortassis certare
possit, tantum operae dederit grammaticae, dialecticae, musicae, ac prophanae philosophiae
quaestionibus » (ERASM., Vita Chrys., LB 3.2, col. 1343F, idem in Epist. 1800, P. S. Allen ed., 6,
p. 486, 124-128).
55. « Hoc admonui, ne quis loquacitatis nomine damnet, quod charitas, quae nihil aliud quaerit
quam aedificare, dedit auditorum imbecillitati » (ERASM., Vita Chrys., LB 3.2, col. 1344F, idem in
Epist. 1800, P. S. Allen ed., 6, p. 488, 187-188).
56. L’espressione, usata da Erasmo in più varianti, si trova ad es. in ID., Ciceronianus (supra,
n. 46), ASD I.2, p. 644, 5; p. 650, 22.
57. « Vtinam tales oratores nunc haberet ubique Christianus orbis! Ab his enim praecipue
pendet totius reipublicae disciplina. Ideo tam nihil pene tenemus de dogmatibus Euangelicae
philosophiae, ideo sic frigemus ad ea quae sunt charitaris, ideo tam dubie credimus quae debebant
esse certissima, quia raro populus audit concionatores Euangelicos, rarius idoneos » (ERASM., Vita
Chrys., LB 3.2, col. 1345B; idem in Epist. 1800, P. S. Allen ed., 6, p. 488, 205-210).
58. ERASM., Ecclesiastes, J. Chomarat ed., ASD V.4-5.
59. Sull’atteggiamento verso Crisostomo di alcuni umanisti a Basilea, che furono poi in parte i
protagonisti della Riforma, cf. C. RICCI, « Liceat ».
452 CRISTINA RICCI

biblico, liberante da certi arzigogoli della Scolastica tardo-medievale. Gli autori


tardo-antichi valgono dunque come modelli, ma non come alter-ego: infatti, è la
distanza « storico-critica » propria del filologo – e di Erasmo in particolare – quella
che, da un lato, preserva da un’immedesimazione tout court nei propri modelli e,
dall’altro, stempera un’eccessiva idealizzazione agiografica.
Per il lettore d’oggi non è sempre facile distinguere, in modo netto e immediato,
quali tra i caratteri evidenziati da Erasmo in Crisostomo siano specifici di quest’ul-
timo e quali siano piuttosto la proiezione degli ideali del primo o addirittura un
riflesso della sua personalità. Tuttavia, se si guardano entrambi i teologi a distanza,
sulla base delle loro opere, risulta palese quanto li accomuna: l’essersi « riversati »
nei loro scritti, come fiumi ancora pieni di sapienza e di vitalità.
Cristina RICCI
Universität Basel
Les éditions de Grégoire de Nazianze
parues à Bâle chez Johannes Herwagen en 1550
En 1550, à Bâle, paraît pour la première fois l’œuvre complet de Grégoire de
Nazianze, à la fois en grec et en latin, et cela dans deux volumes séparés. L’éditeur
en est Johannes Herwagen, un imprimeur bâlois, époux de la veuve de Froben1. Le
volume contenant le texte grec n’a pas de nom d’auteur, tandis que la traduction
latine est présentée comme l’œuvre de Wolfgang Meuslin, dit Musculus, qui a déjà
publié chez le même éditeur, dix ans auparavant, une traduction latine des œuvres
complètes de Basile de Césarée2. Ces deux volumes sont conçus indépendamment
l’un de l’autre, mais ils obéissent à une même logique : réunir dans un seul volume
les ouvrages du Nazianzénien, qui avaient été jusque-là édités et/ou traduits dans
des ouvrages différents. Il s’agit donc à la fois d’offrir le texte grec à ceux qui
peuvent le lire, mais aussi de donner accès à un Père grec à ceux qui ne savent
que le latin. Ce travail présente une grande originalité à son époque, puisqu’il
faudra attendre l’édition de Leuvenklaius en 1571, dans les mêmes presses3, puis

1. Édition grecque : ΓΡΗΓΟΡΙΟΥ ΤΟΥ ΝΑZΙΑΝZΗΝΟΥ ΤΟΥ ΘΕΟΛΟΓΟΥ ΑΠΑΝTΑ,


τὰ μέχρι νῦν μὲν εὑρισκόμενα, ὦν σχέσιν σελὶς ἡ δευτέρα περιέχει (Εμ βασιλεία,
άναλώμασι Ιωαίνου τοῦ ἑρβαγίου, BNUS, E.11.400, 340 p. + 95 p. ; in-folio). Édition latine :
Divi Gregorii theologi, episcopi Nazianzeni opera, quae quidem extant, omnia, tam soluta quam
pedestrioratione conscripta, partim quidam iam olim, partim vero nun primum e Graeco in
Latinum conversa, Uni Bern – Zentralbibliothek (ZB), von Roll Speicher E6, ZB Aretius 2 A : 1.
Voir les annexes 1 et 2 reproduisant les pages de titre de ces deux éditions.
2. Opera D. Basilii Magni … omnia sive recens versa, sive ad graecos archetypos … collata
per Wolfgangum Musculum, Basileae : ex officina Hervagiana, 1540, BNUS, E. 414.
3. Operum Gregorii Nazianzeni, tomi tres / Nazianzemus Gregorius ; quorum editio … elabo-
rata est per Joannem Lewenklaium, Basileae : ex officia Hervagiana : per Eusebium Episcopium,
1571, BNUS, E. 11404.
454 DELPHINE VIELLARD

celle de Jacques de Billy en 15694, puis sa réédition en 15755 et 1609-16116,


pour retrouver chez les éditeurs la volonté d’être exhaustif, fût-ce comme dans
les cas précédents, avec des traductions latines. Les trois tomes de l’édition de
Leuvenklaius doivent leur impressionnante taille à un paratexte très important :
ajout des commentaires d’Élie de Crète, un exégète byzantin du XIIe siècle, et des
vers de Choniates devant les œuvres de Grégoire. Johannes Langus avait déjà
en 1552 ajouté ses propres vers à ceux du Père grec7. Jacques de Billy, pour sa
part, ajoute des commentaires de Nicetes et de Psellus, ainsi que des poèmes qui
n’avaient pas encore été publiés et des dialogues supposés être de Grégoire de
Nazianze. Nous allons donc dans un premier temps étudier la manière dont a été
constitué ce premier œuvre complet de Grégoire de Nazianze, en partant des deux
notices que nous avons rédigées, dans la continuité de l’ouvrage intitulé Gregorio
di Nazianzo in Occidente, paru à Florence en 20108. Nous étudierons d’abord
l’édition grecque, puis la traduction latine. Nous apprécierons aussi le travail de
traducteur de Musculus, en le confrontant avec ses prédécesseurs.

I. – L’ÉDITION GRECQUE DE 1550


Les éditions de 1550, avons-nous dit, présentent l’originalité, par rapport aux
éditions antérieures, d’offrir l’œuvre complet de Grégoire, en grec et en latin.

4. Divi Gregorii Nazianzeni, … Opera omnia … nova translatione donata, una cum … Nicetae
Serronii commentariis in … Panegyricas orationes, intextis etiam quibusdam Pselli enarrationi-
bus in obscuriora loca secundae orationis de Paschate. Adjunctum est … Nonni opusculum, quo
… fabulas quae in Invectivis adversus Julianum Apostatam reperiuntur, exponit. Quae omnia nunc
primum latina facta sunt, Jacobi Billii Prunaei, … labore. Addita sunt … quaedam scholia, eodem
abbate auctore…, Parisiis, apud C. Fremy, 1569, BnF, Tolbiac, C-925.
5. Divi Gregorii Nazianzeni, … Opuscula quaedam, nunc primum in lucem edita … magnaque
ex parte Cyri Dadybrensis episcopi commentariis illustrata, interprete Jacobo Billio, Parisiis :
apud J. Benenatum, 1575, In-8°, pièces liminaires, 408 p., index, BnF, Tolbiac, C- 4041.
6. Sancti Gregorii Nazianzeni, cognomento theologi, Opera. [Tomus primus -secundus :] Nunc
primum græce & latine conjunctim edita, subsidio & liberalitate reverendiss. episcoporum, & cleri
universi Franciæ regni. Jac. Billius Prunæus, S. Michaelis in Eremo Cœnobiarcha, cum mnss.
regiis contulit, emendavit, interpretatus est, una cum doctissimis Græcorum Nicetæ Serronii,
Pselli, Nonii, & Eliæ Cretensis commentariis. Aucta est hæc editio aliquammultis ejusdem
Gregorii epistolis nunquam antea editis, ex interpretatione Fed. Morelli professoris & interpretis
regii, Lutetiæ Parisiorum, Typis Regiis, apud Claudium Morellum, via Jacobæa, ad insigne Fontis,
BnF, Tolbiac, C-165 (1) et (2).
7. Divi Gregorii Nazanzeni episcopi theologi Graeca quaedam & sancta carmina. Cum Latina
Joannis Langi Silesii interpretatione. Et ejusdem Ioan. Langi Poemata aliquot Christiana. Quorum
omnium catalogum, epistolam dedicatoriam sequens pagella continet…, Basileae : per Ioannem
Oporinum, 1561, BNUS, C.122.612,1.
8. Gregorio di Nazianzo in Occidente, I, Edizioni e traduzioni latine a stampa 1500-1549,
R. Palla et al. edd., Pisa, 2010.
LES ÉDITIONS DE GRÉGOIRE DE NAZIANZE PARUES À BÂLE 455

ΓΡΗΓΟΡΙΟΥ ΤΟΥ ΝΑΖΙΑΝΖΗΝΟΥ ΤΟΥ ΘΕΟΛΌΓΟΥ ΆΠΑΝΤΑ, τὰ μέχρι


νῦν μὲν εὑρισκόμενα, ὦν σχέσιν σελὶς ἡ δευτέρα περιέχει.
ΤΟΥ ΑΥΤΟΥ ΒΙΟΣ, ΣΥΓΓΡΑΦΕΙΣ ΥΠΟ Σουίδα, Σωφρονίου, καὶ Γρηγορίου
τοῦ πρεσβυτέρου.
Εμ Βασιλεία : αναλώμασι Ιωάννου του Ερβαγίου.
Notice en grec de la Souda sur Grégoire de Nazianze, suivie de la notice en grec
sur Grégoire de Nazianze du De viris illustribus de Jérôme, traduite par Sophronius.
Notice en latin de la notice de Jérôme, dans le De viris illustribus, présentée comme
eadem latine. Courte biographie de Raffaele Maffei, dit Volaterranus, sur Grégoire de
Nazianze, extrait du Commentariorum urbanorum Libri octo et triginta, Livre XVI.
D. Erasmi Roterodami de Gregorio Nazianzeno iudicium : extrait de la lettre d’Érasme
à Georges de Saxe, écrite à Fribourg, le 15 mai 1531.
Texte grec seul.
Vie de Grégoire de Nazianze par le prêtre Grégoire.
Or. 2, 3, 10, 11, 9, 12, 19, 7, 8, 16, 18, 43, 21, 24, 6, 23, 22, 17, 14, 20, 15, 32, 25, 34,
33, 36, 26, 42, 13 ; carm. I, 2, 3 ; or. 37 ; epist. 243 ; or. 27, 28, 29, 30, 31 ; epist. 202 ;
or. 38, 39, 40, 45, 1, 41, 44 ; σημασία εἰς τὸν Ἰεζεκιήλ ; μετάφρασις εἰς τὸν
Ἐκκλησιαστήν ; or. 4, 5 ; ep. 114, 101, 102, 53, 54, 91, 186, 172, 120, 60, 1, 2, 4,
5, 6, 46, 8, 19, 16, 41, 43, 58, 59, 48, 49, 50, 45, 47, 40, 79, 80, 30, 92, 81, 72, 73,
76,182, 11, 195, 196, 141, 154, 130, 90, 193, 194, 25, 26, 138, 153, 20, 7, 29, 93, 135,
190, 191, 178, 32, 87, 34 , 33, 35, 36, 31, 224, 147, 148, 173, 132, 94, 112, 113, 64,
44, 65, 131, 125, 140, 199, 61 ; (Alde Manuce) Carmina II, 1, 1 ; I, 2, 1, 2 ; II, 1, 45.
19. 32. 42. 43. 16. 17. 13. 10 ; I, 2, 14. 15. 16. 17 ; II, 1, 2, 46. 54. 85. 55. 49. 81 ; I, ,
12. 13. ; II, 1, 87. 51. 27. 22. 92. 73. 57. ; I. 1, 12. 14. 15. 13. 19. 18. 20. 24. 23. 22. 26.
21. 27. ; I, 2, 5 ; II, 2, 1. 2. 4. 5. 3. ; I, 2, 26 ; I, 1, 36 ; II, 1, 34, 38 ; II, 2, 6 ; II, 1, 15 ; I,
2, 9 ; II, 1, 44. 50 ; II, 2, 7 ; I, 2, 31 + I, 1, 11 + epigr. 18 (vv. 1-4) + 10 + 20 (vv. 1-4) +
11 + 19 + 12 + 15 (vv. 1-6) + 14 (vv. 1-2) + II, 1, 82 ; I, 2, 29 ; epitaph. 119 ; I, 2, 32 +
19 + 39. 33. Χριστὸς πάσχων

Sur la première page figure le titre : ΓΡΗΓΟΡΙΟΥ ΤΟΥ ΝΑΖΙΑΝΖΗΝΟΥ


ΤΟΥ ΘΕΟΛΌΓΟΥ ΆΠΑΝΤΑ, suivi du sous-titre : τὰ μέχρι νῦν μὲν
εὑρισκόμενα, ὦν σχέσιν σελὶς ἡ δευτέρα περιέχει (« Tout ce qu’on a trouvé
jusqu’à maintenant de Grégoire de Nazianze et la 2e page contient une table des
matières »). Le nom de l’auteur n’est pas indiqué, mais, comme dans la préface de
la traduction latine, Musculus rappelle la demande d’éditer Grégoire de Nazianze
à la fois en latin et en grec, on a coutume d’attribuer l’édition grecque à Musculus9.
Sont annoncées, sur cette même page, la notice biographique de Grégoire dans la
Souda, celle de Sophronius, en fait la traduction en grec de la notice du De viris
illustribus de Jérôme. On a ensuite l’annonce de la biographie de Grégoire par le
prêtre Grégoire. En bas de la page, figure l’indication du lieu de l’édition : la ville
de Bâle.

9. Voir notre présentation de la traduction latine, p. 


456 DELPHINE VIELLARD

Musculus dispose comme textes liminaires des textes trouvés chez son édi-
teur. La Souda venait d’être réimprimée en 1544, chez Froben à Bâle10 : elle
reproduisait l’édition aldine de 151411. Quant à la notice du De viris, la notice 117
de l’ouvrage de Jérôme paru en 393 répertoriant tous les auteurs ecclésiastiques de
saint Pierre jusqu’à lui-même12, elle est déjà donnée dans sa traduction grecque par
Sophronius, un contemporain de Jérôme, puis dans sa version originale en latin.
On rencontre très souvent dans les éditions la notice de Jérôme, mais sa traduction
grecque ne se trouve que très rarement. Musculus les a copiées dans l’édition
d’Érasme du De viris illustribus parue en 1529 à Bâle, chez Andreas Cratander13,
omettant dans le texte latin les Laudes Cypriani. C’est un oubli puisqu’il a bien
inséré dans son édition ces Laudes Cypriani.
Le texte liminaire suivant a comme auteur Raffaelle Maffei, dit Volaterranus.
Ce toscan, traducteur dès 1515, à Rome, de l’oratio 43, le Discours funèbre du
grand Basile, trouva dans le séjour romain de son père, secrétaire pontifical, un
moyen de faire de solides études et d’avoir du grec une connaissance approfondie.
C’est le plus souvent sa traduction que l’on reprend jusqu’en 1550 pour l’éloge
funèbre de Basile14. En 1506, Volaterranus avait rédigé et publié à Rome une
Encyclopédie en 38 volumes sous le titre de Commentariorum urbanorum Libri
octo et triginta, dont onze livres contenaient des biographies15. Le toscan évoque
en même temps Grégoire de Nazianze et Basile de Césarée. Il parle d’abord de
leur vie, puis de leurs œuvres, en rappelant que lui-même a traduit les homélies
de Basile de Césarée, mais sans évoquer sa traduction de l’oratio 43 de Grégoire,
(sous le titre de Monodia Gregorii Nazianzeni in Magnum Basilium per Raphaelem
Volaterranum conversa16). Volaterranus recopie ensuite la notice du De viris illus-
tribus de Jérôme.

10. Suida, Venetiis, in aedibus Aldi et Andreae Soceri, 1514, Basileae, Froben, 1544, BnF
X-150.
11. Suida,Venetiis, in aedibus Aldi et Andreae Soceri, 1514, BNUS C. 15.789.
12. De viris illustribus, A. Ceresa-Gastaldo ed., Firenze, 1988, p. 218-219. Traduction fran-
çaise: D. VIELLARD, Les Hommes illustres (Les Pères dans la Foi 100), Paris, 2010, p. 165-166.
13. Epiphanii episcopi Cypri de prophetarum vita & interitu commentarius graecus, Basileae,
apud And. Cratandrum, 1529, Uni Basel – UB Hauptbibliothek, BG IV 35:1.
14. Une édition posthume de Willibald Pirckheimer (1470-1530) en offrit cependant en 1531
une nouvelle traduction latine (D. Gregorii Nazianzeni orationes XXX / Gregorius Nazianzenus ;
Bilibaldo Pirckheimero interprete ; nunc primum editae, quarum catalogum, cum alijs quibusdam,
post epistolam Des. Erasmi Roter. uidebis. – Nunc primum editae Basileae, Frobenius, 1531,
BNUS, E.11.399).
15. L’ouvrage a ensuite été réimprimé à Paris chez J. Parvus et J. Badius en 1515 (BNUS,
C.18.535), puis à Bâle, chez Froben, en 1530 (Uni Basel – UB Hauptbibliothek, EW I 8). Dans
l’édition de 1516, le passage consacré à Grégoire et à Basile se trouve au Livre XV, p. CLXV
(verso).
16. BNUS, E. 11. 333, p. 1-22.
LES ÉDITIONS DE GRÉGOIRE DE NAZIANZE PARUES À BÂLE 457

Pour finir, l’éditeur a inséré la fin de la lettre qu’Érasme envoya de Fribourg


au duc Georges de Saxe le 15 mai 1531, lors de la mort subite de Willibald
Pirckheimer17. Après avoir rappelé le rôle politique et littéraire joué par l’humaniste
allemand, Érasme précise que ce dernier avait été le traducteur en latin des œuvres
de Grégoire de Nazianze. Pirckheimer fit notamment paraître en 1531 la traduction
de trente orationes de Grégoire18, après avoir édité d’une manière indépendante
les orationes 38, 39, 40, 45, 41 et 4419 et, dans une autre édition, l’oratio 220.
Dans sa lettre à Georges de Saxe, le Rotterdamois souligne la difficulté de traduire
les subtilités de Grégoire en latin et inscrit ce dernier dans la tradition oratoire
d’Isocrate. Il le compare ensuite aux deux autres grands docteurs grecs : Basile de
Césarée, qu’il appelle « son frère » et Jean Chrysostome, qu’il met en relation avec
les Pères latins. Chrysostome « n’est pas différent d’Augustin. Grégoire ne l’est
pas d’Ambroise : si celui-ci avait écrit en grec, il n’aurait pas manqué de susciter
beaucoup de difficultés à un traducteur ». Basile a ceci de supérieur qu’il ne peut
être comparé à un seul Père latin : il est un mélange de Jérôme et de Lactance. Pour
finir, Érasme rappelle qu’il s’est toujours senti incapable de traduire Grégoire, à la
différence de Pirckheimer, à qui il rend un dernier hommage.
Avant le texte lui-même, on trouve une table des matières, en grec, que le titre
annonçait, présentant le titre de chacune des orationes, sans précision sur l’origine
de l’édition. Les pages sont indiquées pour les œuvres jusqu’aux Lettres. Les
Carmina présents dans l’édition ne sont pas mentionnés sur la page de titre. Le
Χριστὸς πάσχων n’a pas de pagination : on dirait qu’il a été rajouté après coup
dans l’édition21.
On trouve ensuite en grec la vie de Grégoire de Nazianze par le prêtre byzantin
Grégoire, texte récurrent des éditions de Grégoire de Nazianze.

17. Pour une édition moderne de ce texte, voir Opus epistolarum Des. Erasmi Roterdami,
P. S. Allen – H. W. Garrod eds., t. IX, Oxford, 1938, p. 266-268 et, pour sa traduction française,
voir La Correspondance d’Érasme, vol. IX, traduction et notes de B. Beaulieu – H. Vannerom –
Y. Remy, Bruxelles, 1980, p. 366-369.
18. Voir n. 14.
19. D. Gregorii Nazanzeni Theologi Orationes Sex : In Natalem Saluatoris ~ In Festum
Epiphaniorum ~ In Sanctum Lauacrum ~ In sanctam resurrectionem ~ In Sanctam Pentecostem ~
In Encaenia sive novum dominicum, Bilibado Pirckeymhero Interprete. Excusum Nornbergae per
Foedericum Peypus. Mense Martio. An. M.D.XXI.
20. Beati Gregorii Nazanzeni de officio Episcopi Oratio. ~ Bilibaldo Pirckeymhero Consiliario
Caesareo Interprete. ~ M.D.XXIX. Excudebat Norimbergae Foedericus Peypus, Impensis providi
viri Leonardi de Aich Civis ac Bibliopolae Norimbergen. Anno M.D.XXIX.
21. Voir annexe 1.
458 DELPHINE VIELLARD

Quant à l’édition proprement dite, elle a 436 pages de textes : 316 pour les
discours, 25 pour les lettres, 95 pour les poèmes et le Χριστὸς πάσχων. On
compte 52 discours. Parmi ceux-ci on a coutume de compter les lettres 101, 202,
243, les textes apocryphes sur Ézéchiel et l’Ecclésiaste, ainsi que le poème πρὸς
παρθένων παραινετικός.
Avant 1550, aucune édition n’a encore rassemblé tous les discours de Grégoire
de Nazianze. En 1516, une édition partielle des discours fut réalisée dans les
presses aldines22 (or. 27, 28, 29, 30 et 31 ; epist. 243 ; or. 4, 5, 38, 39, 40, 45, 41,
44, 43 et 21) En 1536, on fit dans les mêmes presses une édition des discours 2, 20,
14, 24, 15, 7, 8, 18 et 1123. Les éditions antérieures ne suffisaient pas, et comme
l’écrit Musculus dans la préface de sa traduction latine, il eut recours à deux
manuscrits24. André Misier, dans un article datant de 190325, a montré pour les
discours préalablement édités, et cela en faisant une comparaison minutieuse des
deux éditions du sermon 27, que les divergences étaient rares et que les corrections
apportées sur l’édition aldine étaient dues à des conjectures plus qu’à des leçons
de manuscrits. Il a aussi montré que Musculus a édité les autres discours à partir
d’un manuscrit qui se trouvait à Bâle, le Palatinus 402, mais n’a pas identifié le
deuxième manuscrit évoqué par Musculus. Le Palatinus 402 avait été la propriété
du Couvent des prêcheurs de Bâle, avant de devenir celle du grand imprimeur
Froben. L’inspection faite entre ce manuscrit et l’édition de Musculus par Misier,
qui a pris comme échantillon le discours 22, confirme qu’il a bien servi de base
aux discours non encore édités.
Comme nous le voyons, l’ordre des discours diffère entre les éditions aldines
et celle de 1550. Musculus a sans doute cru, à tort, trouver un meilleur ordre
chronologique, comme il le précise d’ailleurs dans sa préface.
Après les orationes, on trouve les 80 lettres. L’édition de 1550 est la première
qui présente les lettres de Grégoire de Nazianze sans celles de Basile de Césarée.
En 1528, à Haguenau, chez Johannes Secer, Vincent Heydnecker, dit Obsopoeus
ou Opsopoeus, publie 61 lettres de Basile accompagnées de 57 lettres de
Grégoire26. Dans la lettre rédigée à Pirckheimer, il dit s’appuyer sur un manuscrit

22. Voir Gregorio di Nazianzo in Occidente, I, p. 80-88.


23. Ibid., p. 227-231.
24. Voir notre article p. .
25. A. MISIER, « Origine de l’édition de Bâle de saint Grégoire de Nazianze », Revue de philo-
logie et d’histoire anciennes, Paris, 1903, p. 125-138.
26. Basilii magni et Gregorii Nazanzeni [sic]… Epistolae graecae / Magnus Basilius et Naz.
Gregorius ; nunquam antea editae. Haganoae, per Johannem Secerium, 1528, BNUS R.101.291.
LES ÉDITIONS DE GRÉGOIRE DE NAZIANZE PARUES À BÂLE 459

ayant appartenu au roi de Hongrie, Mathias Corvin27. L’identification du modèle


suivi pose problème. Gustaw Przychocki28 a pensé que cette édition s’appuie sur
un manuscrit d’Oxford, l’Oxoniensis Corpus Christi 284 datant du XIVe siècle ou
sur un manuscrit très semblable. Cependant ce manuscrit contient 80 lettres de
Grégoire, mais pas 57 ; les 23 manquantes sont à la fin. Elles manquaient peut-être
dans le manuscrit ou l’éditeur les a volontairement omises. Le manuscrit utilisé
n’a que peu de valeur : c’est un florilège des lettres de Basile et de Grégoire.
En 1532, chez Froben, Érasme publie une nouvelle édition des œuvres de Basile
avec un titre fort curieux, en ajoutant les 23 lettres évoquées plus haut29. Roberto
Palla30 a montré dans son analyse des éditions des lettres parues entre 1528 et 1583
qu’Érasme n’a pas seulement repris cette édition, mais y a apporté des corrections.
L’édition de 1550 de Musculus fait paraître pour la première fois les lettres
de Grégoire sans celles de Basile. Elle reprend les corrections faites par Érasme.
Par exemple, dans la 3e lettre à Basile : Musculus écrit πάγους à la place de
πάλους31. De même, dans la dernière phrase de la même lettre, l’éditeur de 1550
corrige en πηλῶν l’incompréhensible πολλῶν de l’editio princeps32.
Si l’on compare les deux éditions, on voit qu’il manque la lettre 42 attribuée
à Basile. Il est normal en effet qu’elle soit éliminée de la correspondance de
Grégoire.
Nous avons donc pour cette édition 80 lettres de Grégoire de Nazianze, sur les
245 qui sont actuellement en notre possession.

27. « Cum nuper inspiciendum mihi obtulisset ex Bibliotheca tua, Bilibalde clarissime,
Georgius Leutius, codicem epistolarum Basilii & Gregorii, quemcumque ob literarum characte-
ras, tum ob uetustatem uehementer uidere cupiebam. Est enim, ut mihi coniecturam facienti uisum
est, ante dicentos aut amplius annos descriptus, in quibus regis Vngariae Bibliothecam repositus »,
ibid., p. A ii.
28. G. PRZYCHOCKI, « De Gregorii Nazianzeni epistularum codicibus Laurentianis », Wiener
Studien, 33, 1911, p. 251-263.
29. En amice lector, thesaurum damus inaestimabilem D. Basilium vere Magnum sua lingua
disertissime loquentem quem hactenus habuisti Latine balbutientem… Operum catalogum,
et Erasmi Roterodami praefationem versa pagina monstrabit. Basileae ex officina Frobeniana
a. XXXII mense Martio. Cum privilegio Caesareas Maiestatis ad annos sex, Basileae : Ex officina
Frobeniana, 1532, BNUS E.11.336.
30. R. PALLA, « Editiones principes delle Lettere di Gregorio Nazianzeno: dal 1528 al 1583 »,
dans “Editiones principes” delle opere dei Padri greci e latini. Atti del Convegno di studi della
Società internazionale per lo studio del Medioevo latino, SISMEL – Galluzzo, Firenze, 24-25 otto-
bre 2003, M. Cortesi ed., Firenze, 2006, p. 355-369, en part. p. 357-359.
31. Ibid., p. 358.
32. Ibid., p. 358-359.
460 DELPHINE VIELLARD

Musculus a placé en tête de son édition grecque la lettre 114 adressée à Céleusios,
contrairement à l’édition de 1532 et à sa traduction latine. Cette lettre qui reprend
le récit mythologique de Procnè et de Philomèle a une portée allégorique : « Saisis
ce que je veux te dire, suivant le mot de Pindare, écrit Grégoire de Nazianze, et si
tu trouves mon mutisme préférable à ta verbosité, cesse de critiquer notre silence
par tes bavardages33. »
Pour ce qui est des carmina, Musculus a repris le texte grec et l’ordre de l’édi-
tion aldine.
Pour le Χριστὸς πάσχων en grec, trois éditions étaient parues avant la nôtre :
une en 1542 à Rome34, une deuxième à Louvain en 154435, une troisième à Paris,
également en 154436. C’est donc la première édition bâloise de ce texte.
Revenons sur l’histoire de ce texte. En 1542, un imprimeur romain, originaire
d’Asola, Antonius Bladus, publie sous le nom de Grégoire de Nazianze, un centon
de 2602 vers ïambiques d’Euripide sur la Passion du Christ. C’est de l’avis de
tous les philologues une édition fort médiocre. Mais on lui doit le titre de cette
œuvre Χριστὸς πάσχων ou en latin Christus patiens, titre étranger à la tradition
manuscrite37. C’est cette édition, dont certaines erreurs ont été corrigées pour une
2e version, qui est reprise en 1544 et en 1550.
L’édition grecque de 1550 a donc joué un rôle capital dans la transmission des
œuvres de Grégoire de Nazianze, car elle fut sans cesse rééditée avec ses barba-
rismes, jusqu’à la première édition de la Patrologie grecque. Seule la deuxième
édition s’en est écartée.
En 1550, paraît aussi chez Herwagen la traduction latine des œuvres de Grégoire
de Nazianze.

33. Σύνες ὅ τοι λέγω, φησὶν ὁ Πίνδαρος, κἂν εὕρῃς τὴν ἐμὴν ἀφωνίαν ἀμείνω τῆς
σῆς εὐγλλωτίας, παῦσαι καταφλυαρῶν ἡμῶν τῆς σιωῆς, p. 317.
34. Τοῦ Ἁγίου Γρηργορίου Ναζανζηνοῦ τοῦ Θεολόγου τραγῳδία, ~ Χριστὸς πάσχων.
~ Sancti Gregorii Nazanzeni Theologi tragoedia, ~ Christus patiens. ~ Romae M.D.XLII.
Impressum Romae per Antonium Bladum Asulanum. M.D.XLII.
35. Τοῦ Ἁγίου Γρηργορίου Ναζανζηνοῦ τοῦ Θεολόγου τραγῳδία, ~ Χριστὸς πάσχων.
~ Sancti Gregorii Nazanzeni Theologi tragoedia, ~ Christus patiens. ~ Lovanii ex officina Rutgeri
Rescij, Mense Martio. Anno 1544.
36. Τοῦ Ἁγίου Γρηργορίου Ναζανζηνοῦ τοῦ Θεολόγου τραγῳδία, ~ Χριστὸς πάσχων.
~ Sancti Gregorii Nazanzeni Theologi tragoedia, ~ Christus patiens. ~ Parisiis, Ex officina
Christiani wecheli, sub scuto Basiliensi, in vico Iacobaeo : et sub Pegaso in vico Bellovaceni.
M.D.XLIIII.
37. Voir La Passion du Christ (SC 149), A. Tuilier éd., Paris, 1969, p. 11.
LES ÉDITIONS DE GRÉGOIRE DE NAZIANZE PARUES À BÂLE 461

II. – LA TRADUCTION LATINE DE 1550

Divi Gregorii Theologi, Episcopi Nazianzeni opera, quae quidem extant, omnia, tam
soluta quam pedestrioratione, conscripta, partim quidem iam olim, partim vero nunc
primum etiam e Greco in Latinum conuersa
Basileae, per Ioannem Hervagium, Anno M.D.L.
Vita Divi Gregorii Nazianzeni Theologi, a Gregorio presbytero concripta, et a
Bilibaldo Pirckheymero in latinum versa.
Operum D. Gregorii Nazianzeni, quae hoc libro continentur, Catalogus.
(Wolfgang Musculus) Apologeticus (or. 2) ; (Bilibaldus Pirckeymerus) or. 3, 10, 11,
9, 12, 19, 7, 8, 16, 18, 43, 21, 24, 6, 23, 22, 17, 14, 20, 15, 32, 25, 34, 33, 36, 26, 42,
13 ; carm. 1, 2, 3 ; or. 37 ; epist. 243, 202 ; (Petrus Mosellanus) or 27, 28, 29, 30, 31 ;
(Bilibaldus Pirckeymerus) reverendo patri Venzeslao Linco, sacrae theologiae doctori,
ac Augustensium vicario dignissimo ; or. 39, 40 ; (Wolfgangus Musculus) or. 1, 45,
(Bilibaldus Pirckeymerus) 41, 44 ; (Wolfgangus Musculus) Annotatio in Ezechielem ;
Metaphrasis D. Gregorii Nazianzeni in Ecclesiasten ; (Bilibaldus Pirckeymerus) or. 4,
5 ; epist. 101, 102 ; (Rufin) (Gregoire d’Elvire), De fide, De fide Nicena ; (Wolfgang
Musculus) epistolae 53, 54, 114, 91, 186, 172, 120, 60, 1, 2, 4, 5, 6, 46, 8, 19, 16, 41,
43, 58, 59, 48, 49, 50, 45, 47, 40, 79, 80, 30, 92, 81, 72, 73, 76,182, 11, 195, 196, 141,
154, 130, 90, 193, 194, 25, 26, 138, 153, 20, 7, 29, 93, 135, 190, 191, 178, 32, 87, 34 ,
33, 35, 36, 31, 224, 147, 148, 173, 132, 94, 112, 113, 64, 44, 65, 131, 125, 140, 199,
61; (Alde Manuce) Carmina II, 1, 1 ; I, 2, 1, 2 ; II, 1, 45. 19. 32. 42. 43. 16. 17. 13. 10 ;
I, 2, 14. 15. 16. 17 ; II, 1, 2, 46. 54. 85. 55. 49. 81 ; I, , 12. 13. ; II, 1, 87. 51. 27. 22. 92.
73. 57. ; I. 1, 12. 14. 15. 13. 19. 18. 20. 24. 23. 22. 26. 21. 27. ; I, 2, 5 ; II, 2, 1. 2. 4. 5.
3. ; I, 2, 26 ; I, 1, 36 ; II, 1, 34, 38 ; II, 2, 6 ; II, 1, 15 ; I, 2, 9 ; II, 1, 44. 50 ; II, 2, 7 ; I, 2, 31
+ I, 1, 11 + epigr. 18 (vv. 1-4) + 10 + 20 (vv. 1-4) + 11 + 19 + 12 + 15 (vv. 1-6) + 14 (vv.
1-2) + II, 1, 82 ; I, 2, 29 ; epitaph. 119 ; I, 2, 32 + 19 + 39. 33. (Sebastian Güldenbeck)
Christus Patiens. Index in omnia Nazianzeni opera diligentissimus.

Le titre figurant sur la première page est très long : Divi Gregorii Theologi,
Episcopi Nazianzeni opera, quae quidem extant, omnia tam soluta quam pedes-
trioratione conscripta, partim quidem iam olim, partim uero nunc primum etiam e
Graeco in Latinum conuersa.
Musculus revendique l’exhaustivité de l’œuvre de Grégoire – prose et poésie
– ainsi que l’aspect variorum de l’ouvrage. Il a mêlé des traductions existantes à
ses propres travaux.
Après l’indication d’un catalogue (« Quorum Catalogum proxima post Vitam
eiusdem, a Gregorio presbytero descriptam, pagina reperies »), on lit une présen-
tation de Grégoire de Nazianze par Rufin d’Aquilée, qui en souligne l’éloquence,
l’orthodoxie et la science : c’est la fin de la préface de Rufin, que l’on trouve dans
la traduction de dix sermons de Grégoire de Nazianze, parue à Strasbourg en 1508,
chez Johann Knobloch38 :

38. Hi sunt in hoc codice Libelli X divi Gregorii Nazanzeni: Apologeticus liber I. ; De
462 DELPHINE VIELLARD

« Ex Rufino, de Gregorio Nazianzeno testimonium


Huius neque vita aliquid probabilius et sanctius, neque eloquentia clarius et illustrius,
neque finde purius et rectius, neque scientia plenius et perfectius inveniri potest : ut
qui solus sit de cuius fide ne dissidentes quidem inter se (ut fieri solet) et partes et
studia disputare potuerint ; sed id obtinuerit apud Deum et Ecclesias Dei meriti, ut
quicunque ausus fuerit doctinaeque eius in aliquo refragari, ex hoc ipso quia ipse sit
magis haereticus arguatur. Manifestum namque iudicium est, non esse rectae fidei
omnem qui in fide Gregorio non concordat. Hunc ergo absque ullo prorsus lege
scrupulo : sciens tamen quod eloquentiae eius praefulgidum in Graeco lumen, non
parum necessitas interpretationis obcurat. In quo utrum nostri sermonis paupertas, an
ipsa interpretationis natura hoc agat, tu qui utriusque linguae habes peritiam magis
probato. »
L’indication d’un index et un colophon se trouvent à la fin de la page. Puis
succède à la page de titre une lettre d’envoi de Wolfgang Musculus aux dirigeants
d’Augsbourg :
« Ornatissimis Augustanae Reipublicae Praefectis, Consulibus, ac Senatoribus,
Dominis suis singulari studio obseruandis, Vvolfgangus Musculus Gratiam ac pacem
a Domino apprecatur. »
Musculus, de son vrai nom Wolfgang Meuslin, est né en Moselle en 149739. Il
est remarqué pour ses talents musicaux par le prieur de l’abbaye bénédictine de
Lixheim qui lui suggère de devenir moine. C’est dans cet état qu’il passe quinze
ans de sa vie et qu’il lit les auteurs profanes aussi bien que les Pères de l’Église.
Dès 1518, il reçoit les premiers écrits de Luther qui l’impressionnent, mais ce
n’est qu’en 1527 qu’il abandonne l’état monastique pour gagner Strasbourg où il
se marie. Martin Bucer et l’Ammeister de Strasbourg lui demandent alors de vivre
dans le village de Dorlisheim, près de Molsheim, où il est chargé de convertir
les gens au protestantisme. Les réformateurs strasbourgeois l’envoient ensuite
à Augsbourg quand cette ville, récemment passée à la réforme, leur réclame un
prédicateur. Il y reste de 1531 à 1548, où il cumule les fonctions de prédicateur,
d’enseignant et de traducteur infatigable. En 1540, il publie notamment la traduc-
tion complète des œuvres de Basile de Césarée en latin40. Mais cette vie de labeur
est interrompue lors de l’arrivée de Charles Quint à Augsbourg le 1er septembre

Epiphaniis sive natali Domini; De Luminibus…, de Fide liber I.; De Nicena Fide, de Penthecoste
et Spiritu Sancto, de Semetipso ex agro reverso; de Dictis Hieremie … de Reconciliatione et
unitate monachorum; de Grandinis vastatione, de Arrianis… [liber translatus a quodam Rufino.
Edidit Johannes Adelphus Mulingus], [Impressus Argentine] : [per Johannem Knoblouch], [1508],
BNUS R.101.303.
39. Pour une étude approfondie de l’humaniste lorrain, lire R. BODENMANN, Wolfgang
Musculus (1497-1563), destin d’un autodidacte lorrain au siècle des Réformes, Genève, 2000.
40. Opera D. Basilii Magni … omnia sive recens versa, sive ad graecos archetypos … collata
per Wolfgangum Musculum, Basileae : ex officina Hervagiana, 1540, BNUS, E. 414.
LES ÉDITIONS DE GRÉGOIRE DE NAZIANZE PARUES À BÂLE 463

1547. Musculus trouve finalement refuge à Berne au début de 1549, après être
passé par Zürich, où l’on répugne à l’accueillir, puis par Bâle où il ne reste que peu
de jours chez son éditeur Johannes Herwagen. Il vivra à Berne jusqu’à sa mort,
survenue en 1563. C’est donc dans cette ville qu’il situe la lettre introduisant sa
traduction en latin de Grégoire de Nazianze, mais c’est à Bâle qu’il fait paraître
celle-ci.
Cette lettre de Musculus est intéressante à plus d’un titre parce qu’elle précise
la manière dont l’humaniste considère son travail d’éditeur et de traducteur, mais
aussi comment, en tant que protestant, il conçoit la lecture des Pères de l’Église.
S’adressant aux préfets, consuls, sénateurs et seigneurs d’Augsbourg, il com-
mence par déplorer la division existant entre les hommes, c’est-à-dire la division
entre catholiques et protestants et les temps troublés de son époque. La traduction
des auteurs chrétiens du grec au latin lui apparaît comme un moyen de restaurer la
paix et de montrer que l’orthodoxie est du côté des protestants. C’est à ce titre, à la
demande de Johannes Herwagen, qu’il publie les œuvres de Grégoire de Nazianze :
« Quare cum Ioannes Heruagius Basiliensis typographus, de Republica Christiana
optime meritus, opera ista D. Gregorii Nazanzeni cognomento Theologi, utraque
lingua tam Graeca quam Latina in publicum emittere statueret, & ad id instituti
operam meam amicitiae iure posceret : cogitaremque hoc maxime scriptorum genere
neminem ex cordatis offendi, quod praestare potui, haud illibenter praestiti41. »
Pour effectuer ce travail il dit avoir repris les traductions de Rufin d’Aquilée,
de Pierre de Moselle et Pirckheimer et les avoir corrigées à partir de deux vieux
manuscrits grecs qu’il a collationnés. À ces traductions, il a ajouté des textes inédits
qu’il a traduits lui-même. Enfin, il a adopté un ordre différent pour le classement
des textes, afin, précise-t-il, de ne pas apporter de la confusion chez le lecteur :
« Etenim licet multa iam antea partim ab insigni uiro, piae memoriae, Bililbaldo
Pirckheimero Norico, partim a Petro Mosellano Protengensi, uiris doctis, & in
utraque lingua non infeliciter institutis, latinitate donata essent : deemptis pauculis a
Ruffino uersis : multum tamen negocii exhibuerunt duo Greci codices uetusti quidem,
uerum iuxta plurimis in locis corrupti cui malo diligenti collatione, & perspicaci
iudicio occurendum fuit : id quod typographi est cura & diligentia factum. Deinde
desiderabantur quaedam latinis, quae uerti, & antea uersis adieci. Tertio, ne confusio
lectorem turbaret, cincta in ordinem redegi : quem etsi non prorsus exactum, hactenus
tamen tolerabilem esse iudicio, ut iam commodius qualicunque serie digesta legi
possint, quam si dispersa & confusa essent omnia, ut fuerunt antea42. »

41. Ibid., p. (7). Les numéros des pages indiqués entre parenthèses sont absents de l’édition,
c’est nous qui les indiquons pour aider le lecteur à se repérer dans l’œuvre.
42. Ibid., p. (8).
464 DELPHINE VIELLARD

S’il est moins besoin de présenter Rufin d’Aquilée43, quelques mots sur
Pirckheimer44 : né en Bavière en 1470, c’est un juriste et humaniste, proche de
Martin Luther, mais qui ne s’est toutefois pas rallié à toutes ses positions. Il a
fait connaître en Allemagne les auteurs antiques et y a surtout introduit le droit
romain. Quant à Pierre de Moselle45, de son vrai nom Peter Schade, c’est aussi un
humaniste allemand, né à Bruttig-sur-Moselle en 1493 et mort à Leipzig en 1524.
Il fut professeur de littérature grecque à Leipzig dès 1517 et fit connaître à ses
concitoyens les auteurs antiques. Irénique comme Érasme, il ne se rallia jamais à
la Réforme, mais fut néanmoins très proche de Mélanchton. Il essaya en vain de
rallier les deux camps adverses.
Dans sa préface, Musculus rappelle que les Pères de l’Église n’ont pas la
même autorité que les textes bibliques, qu’ils soient de l’Ancien ou du Nouveau
Testament. Et il ne cite les Pères que quand leur opinion appuie ses propres
convictions, comme Augustin, dans une lettre à Fortunatus :
« Neque enim quorumlibet disputationes quamvis catholicorum, et laudabilium
hominum, velut scripturas canonicas habere debemus, ut nobis non liceat, salva
honorificentia, quae ipsis debetur, aliquid scriptis improbare, atque respuere, si forte
invenerimus, quod aliter senserint, quam veritas habeat : divino adjutorio, vel ab aliis
intellecta, vel a nobis46. »
Ou dans une autre à Jérôme :
« Ego enim fateor charitati tuae, solis eis Scripturarum libris qui iam canonici
appellantur, didici hunc timorem honoremque deferre, ut nullum eorum auctorem
scribendo aliquid errasse firmissime credam. Ac si aliquid in eis offendero Litteris,
quod videatur contrarium veritati ; nihil aliud, quam vel mendosum esse codicem,
vel interpretem non assecutum esse quod dictum est, vel me minime intellexisse, non
ambigam. Alios autem ita lego, ut quantalibet sanctitate doctrinaque praepolleant,
non ideo verum putem, quia ipsi ita senserunt ; sed quia mihi vel per illos authores
canonicos, vel probabili ratione, quod a vero non abhorreat, persuadere potuerunt47. »

43. On peut lire néanmoins J. GRIBOMONT, « Rufin d’Aquilée », in Dictionnaire encyclopédique


du christianisme ancien, A. Di Berardino dir., trad. fr. de F. Vial, t. 2, Paris, 1990, p. 2197-2198.
44. Voir N. HOLZBERG, Willibald Pirckheimer: Griechischer Humanismus in Deutschland,
München, 1981.
45. Voir R. SCHOBER, Petrus Mosellanus, 1493-1524, ein vergessener Mosel-Humanist,
Koblenz, 1979. J. RÖMER, Petrus Mosellanus. Monographie eines in der Pädagogik nicht
beachteten Humanisten, Ruhr – Universität Bochum, 1983, M. OSTERMANN, Festschrift zur
500-Jahrfeier von Petrus Mosellanus, Gemeinde Bruttig-Fankel, 1993.
46. Ibid., p. 8 (Lettre 148 de la correspondance d’Augustin à Fortunatus).
47. Ibid., p. 8 (Lettre 82, 3 d’Augustin adressée à Jérôme.) Musculus cite aussi un extrait de
la lettre 93 de la correspondance d’Augustin adressée à Vincentius et un extrait du prologue du
Livre III du De Trinitate (ibid., p. 8-9).
LES ÉDITIONS DE GRÉGOIRE DE NAZIANZE PARUES À BÂLE 465

En lisant les Pères de l’Église, le lecteur doit, selon Musculus, distinguer les
opinions qui leur sont propres – dépendant par exemple de leurs disputes – de
celles que ces derniers tirent des textes sacrés. On ne doit pas donner autant
d’autorité aux Pères de l’Église qu’aux Écritures saintes. Le danger, répète-t-il,
c’est qu’on apporte foi et autorité à des écrits dont les genres littéraires attestent
de leur contingence et de leur subjectivité : commentaires, disputes, etc. Il ne
faut pas donner non plus d’autorité à des auteurs qui défendent la foi catholique.
Néanmoins, quand ils ont des positions orthodoxes, les Pères de l’Église peuvent
se révéler utiles en des temps de conflits.
Quelques lignes sont consacrées aussi à la manière dont Musculus a fait l’édition
de Grégoire : il a utilisé deux manuscrits très corrompus, qu’il dit avoir corrigés
par une collation soignée et un jugement perspicace.
« Deinde uisum est hac ratione animos uestros ad id excitare studii, ut quacunque
honesta poterit occasione fieri, codices Graecos illos, quos publica uestra Bibliotheca
egregios habet, ac peruetustos, non tineis ac blattis, sed publico fidelium usui
consecretis. Alioqui non uideo, quis usus esse possit, thesauri quantumuis magni,
tantisper dum claustris abditus latet, ac tenebris ueluti sepultus detinetur. Sunt
inter illos plerisque tales, ut digni uideantur, qui magnis etiam sumptibus in lucem
producantur, in quibus mille exemplaria multiplicentur : ad quam rem tum etiam
spectabatur, cum initio aere satis luculento comparabantur48. »
La fin de la lettre rend hommage à la cité d’Augsbourg qui lui a permis de
travailler pendant dix-huit ans, à ses dirigeants qui lui ont donné accès aux manus-
crits des bibliothèques, et à qui il dédie les traductions de Grégoire de Nazianze.
Grégoire a bien sa place dans leurs bibliothèques :
« Quare uiri ornatissimi, ut & animos uestros ad institui qualicunque meo officio
excitem, & simul uoluntatis meae propensionem erga Ecclesiam ac Rempublicam
uestram, perpetuo firmam & constantem declarem, haud incommodum putaui, si
editionem hanc operum D. Gregorii Nazanzeni, nomini uestro dedicarem49. »
On trouve ensuite avant la Vie de Grégoire par le prêtre byzantin Grégoire,
dans la traduction de Pirckheimer, parue dans l’édition de 153150, un résumé de
celle-ci. On y lit que Grégoire était un homme très savant, ami intime de Basile le
Grand, un lettré érudit et un bon poète. On rapporte qu’il composait des discours
ad sententiosum modum et qu’il y a de lui trente mille vers. Il était d’une grande
bonté d’âme même envers ses ennemis, et sa doctrine et son exégèse étaient
très recherchées. Chargé de régir l’Église à Constantinople, il repartit chez lui
à Nazianze. Il vécut alors une vie solitaire. La fin de la notice évoque l’amitié
existant entre Grégoire et Basile51.

48. Ibid., p. 10.


49. Ibid., p. 10.
50. Voir n. 14.
51. Ibid., p. 11.
466 DELPHINE VIELLARD

Après la Vie de Grégoire par le prêtre Grégoire (p. 12-28), on trouve le cata-
logue de ses œuvres, avec l’indication pour chacune d’elles du traducteur. L’aspect
variorum de l’ouvrage est ainsi mis en valeur (p. 29-30).
Sans transition, l’éditeur a fait se succéder les orationes de Grégoire de Nazianze
selon l’ordre que nous avons indiqué sur la notice.
Il y a peu de différences entre l’édition grecque et l’édition latine. La lettre 202
adressée à Nectaire est renvoyée dans l’édition grecque après les orationes 27, 28,
29, 30 et 31 et on trouve en plus, dans la version latine, deux discours attribués à
tort à Grégoire de Nazianze, en fait deux sermons de Grégoire d’Elvire, attribués
à Rufin. Tous les discours sont reproduits dans la traduction de Pirckheimer, à
l’exception des discours 1 et 2, retraduits par Musculus, et des discours 27 à 31
dans la traduction de Pierre de Moselle, parue chez Froben, à Bâle en 152352.
Musculus reprend, outre la traduction de 1531 de trente discours par Pirckheimer
chez Froben, la traduction des discours 4 et 5 parues à Nuremberg en 1528 chez
Fridericus Arthemisius53 et celle du discours 2 publiée chez Fredericus Peyper
également à Nuremberg, en 152954. Il intercale également entre les discours 31
et 39 une lettre de Pirckheimer à Wenzeslaus Linck, un réformateur et théologien
protestant, qui venait de mourir en 1547, à Nuremberg55. Cette lettre se trouvait
au début de l’édition de 152156 de six orationes de Grégoire de Nazianze et on la
retrouve dans l’édition de 153157 entre le discours à Évagre, en fait la lettre 243,
et les discours 38 à 41, traitant de la trinité. Dans l’édition de 1550, Musculus
insère celle-ci entre le discours 31 sur le Saint-Esprit et le discours 38 pour la
Théophanie. Ce qui importe c’est que cette lettre précède les discours 38 à 41,
rédigés dans une période où la question de la trinité entraînait bien des querelles,

52. Divi Gregorii Theologi Episcopi Nazanzeni, De Theologia libri quinque, nuper e Graeco
sermone in latinum, a Petro Mosellano Protegense traducti. Basileae apud Io. Frobenium, Anno
M.D.XXIII.
53. Beati Gregorij Nazanzeni theologi orationes duae Iulianum Caesarem infamia notantes. ~
Bilibaldo Pirckheymhero Caesareo consiliario interprete. ~ M.D.XXVIII. Excusum Norimbergae
per Fridericum Arthemisium.
54. Beati Gregorii Nazanzeni de officio Episcopi Oratio. ~ Bilibaldo Pirckeymhero Consiliario
Caesareo Interprete. ~ M.D.XXIX. Excudebat Norimbergae Foedericus Peypus, Impensis providi
viri Leonardi de Aich Civis ac Bibliopolae Norimbergen. Anno M.D.XXIX.
55. Ibid., p. 280.
56. D. Gregorii Nazanzeni Theologi Orationes Sex. ~ In Natalem Salvatoris ~ In Festum
Epiphaniorum ~ In Sanctum Lavacrum ~ In Sanctam Resurrectionem ~ In Sanctam Pentecostem
~ In Encaenia sive novum dominicum ~ Bilibaldo Pirckeymhero Interprete. Excusum Nornbergae
per Foedericum Peypus. Mense Martio. An. M.D.XXI.
57. Voir n. 14.
LES ÉDITIONS DE GRÉGOIRE DE NAZIANZE PARUES À BÂLE 467

de même qu’en 1550, on était aussi en pleine période de dissensions. Pirckheimer


y rappelle combien s’occuper des Écritures peut être dangereux : il plaide aussi pro
domo. Certains changements affectent l’ordre des discours par rapport à l’ordre
adopté dans l’édition posthume de Pirckheimer de 1531. Le discours 43, l’éloge
funèbre de Basile, précède le discours 21, consacré à Athanase d’Alexandrie,
placé avant le discours sur Cyprien. Le discours 43 succède aux éloges funèbres
de son frère, le 7, et de sa sœur, le 8, à un discours consacré à son père, le 16, et
au discours funèbre de son père, le 18. Musculus a donc volontairement entouré
l’éloge funèbre du frère de Grégoire de celui de Basile et d’autres textes familiaux.
Il a ajouté les discours 1 et 2, que Pirckheimer avait publiés dans des volumes
séparés, auxquels Musculus n’avait peut-être pas accès, ainsi que deux spuria sur
Ézéchiel et l’Ecclésiaste.
La traduction des discours se révèle la plus intéressante pour comprendre la
manière dont Musculus appréhende les Pères grecs, puisque c’est seulement dans
le texte de ceux-ci et dans la marge qu’on lit ses commentaires. Les lettres traduites
par lui en sont dépourvues.
Les commentaires sont de plusieurs sortes, mais en nombre très restreint.
Musculus précise l’original grec de certains termes traduits en latin. Il résume
aussi parfois les passages traduits. Il indique le nom des personnes dont Grégoire
de Nazianze parle d’une manière allusive. Il justifie aussi, mais il le fait très
rarement, des différences entre son édition et des précédentes. Enfin, il fait des
commentaires exégétiques des passages jugés peu aisés à comprendre. Mais dans
ce cas aussi, ce type de remarques n’est pas fréquent.
Ainsi dans l’Apologétique, outre des commentaires des deux premiers types,
deux remarques s’avèrent intéressantes, l’une d’ordre exégétique, la deuxième de
type philologique.
La première concerne le § 13 des éditions modernes de ce discours, quand on lit
cette traduction de Grégoire de Nazianze par Musculus58 :
« Est autem illud ex iis quae diximus primo loco uerendum, ne admirandae uirtutis
mali uideamur esse pictores, immo pictorum forte non adeo malorum, plebis uidelicet,
malum archetypum, uel ne non procul absimus a paroemia illa. Qui alios curare
nituntur, ipsi ulceribus59. »

58. Éd. cit. de 1550, p. 4.


59. « Ceci d’abord mérite d’être retenu dans notre exposé et doit nous mettre en garde : n’allons
pas nous montrer mauvais peintres d’une vertu merveilleuse, ou plutôt mauvais modèles, non
pour des peintres qui ne sont probablement pas mauvais, mais pour la foule. Ou encore : ne nous
éloignons pas de la leçon que donne le proverbe, en entreprenant de soigner autrui, alors que nous
sommes nous-mêmes couverts d’ulcères. »
468 DELPHINE VIELLARD

On lit en marge : « Pictor enim imaginem ad archetypum efficit : nos uero non
estis imagines, se ipsa paradigmata, id est archetypi, ad malum60. »
Nous renvoyons cette remarque, dont le type est très rare dans la traduction de
Musculus, à son rejet des images. Il se sent obligé ici d’intervenir quand Grégoire
de Nazianze assimile l’homme à une représentation.
Dans le § 95 de l’édition moderne de ce même discours61, Musculus précise
qu’il traduit par exemplar le grec ἀντίτυπον. Rufin le traduit par imaginem ac
figuram. Est-ce encore ici la condamnation des images ?
Autre remarque intéressante dans ce discours sur l’établissement du texte. Au
§ 90 des éditions modernes62, Musculus justifie un ajout de Rufin : « Illud in ama-
ritudinem uersa est, non habetur quidem in Graeco exemplari : uerum ut integer sis
sensus, uisum est adjicere. Id quod est Ruffinus fecisse uidetur63. »
Dans le § 111, alors que Rufin avait supprimé la condamnation par Grégoire de
la carrière d’Ambroise, Musculus la rétablit : « Videlicet multo inferiore condtione
sumus, qui ut in sacerdotio ministremus Deo64. »
Nous trouvons un éloge de Grégoire de Nazianze devant le sermon sur la pau-
vreté (oratio 14 des éditions modernes) :
« Qualis quantusque orator beatus fuerit Gregorius, quam uehemens in affectibus
concitandis, quam copiosus in locis Rhetoricis tractandis, quam felix & floridus
tam uerborum quam sententiarum figuris, quam grauis denique et acer, obiter tamen
elegans, sublimis, ac redundans, : uel unica haec oratio, et abunde quidem ostendere
potest quam si quis diligenter, nec sublimitatem Demosthenis, neque puritatem
desiderabit Ciceronis65. »

60. « Le peintre fait une représentation d’après un modèle, mais vous, vous n’êtes pas des
représentations, mais des originaux mêmes, c’est-à-dire des modèles qui ne doivent pas tendre
au mal. »
61. Éd. cit. de 1550, p. 21.
62. Ibid., p. 20.
63. Ibid., p. 20.
64. Ibid., p. 23.
65. Ibid., p. 148.
LES ÉDITIONS DE GRÉGOIRE DE NAZIANZE PARUES À BÂLE 469

Devant l’Annotatio in Ezechielem, Musculus rappelle que son modèle grec avait
dans la marge (« Graecum exemplar habebat hanc censuram in margine ») ce que
lui-même a inséré et que nous recopions. Il serait donc intéressant, pour identifier
le modèle, de rechercher où se trouve ce type d’annotation, car cette remarque
ne se trouve pas dans l’édition grecque, mais nous ne l’avons pas trouvée dans
une autre édition. Grégoire y précise que l’attribution de l’ouvrage à Grégoire de
Nazianze est mise en doute par certains :
« Sciendum est, in dubium uocari, a nonnullis, sit ne sequens sermo Gregorij
Nazianzeni, uel secus. Ipsae uero annotationes non Ezechieli tantum, sed et alijs
scriptoribus competunt. Forsan illas quisquam sic ut reperit, coniunctim scripsit,
propterea quod ipsum patrem (Gregorium) ad hunc modum eas in libello suo, cui
huiusmodi annotationes inferre consueuit, inscripsisse, ac principio quidem in
Ezechielem nonnulla annotasse, subinde tamen et alias S. scripturarum annnotationes
adiecisse inuenit. Qui libellus omnium opinione profitetur, quod sit sancti huius uiri
manu conscriptus, alioqui admodum ambiguus66. »
Avant la Metaphrasis D. Gregorii Nazianzeni in Ecclesiasten, Musculus insère
ce qu’il appelle une Scholia Graeca, et il ajoute dans la marge : « Scholia Graeca
in margine, et hanc lucubrationem Gregori dubitant67. » Comme dans la note pré-
cédente, il remet en question l’attribution de cet ouvrage à Grégoire de Nazianze :
« Incredibile uidetur, Ezchielem fuisse seruum, propterea quod de familia sacer-
dotali descendit. Gregorius uero id quod a quibusdam dicebatur, non quod omnino
uerum esset, annotauit. »
À la fin de l’ouvrage, un index thématique, occupant 16 pages, reflète l’intérêt
porté par Musculus au Nazianzénien. Les deux dernières pages contiennent un
index biblique et quelques phrases de Grégoire de Nazianze considérées comme
des proverbes. Nous trouvons entre autres comme occurrences baptême, Christ,
chrétien, Dieu, église, fides, mariage, esprit, pauvreté, piété et impiété, péché,
verbe, trinité, vérité et virginité68.

66. Ibid., p. 332.


67. Ibid., p. 333.
68. Ibid., p. 553-569.
470 DELPHINE VIELLARD

III. – MUSCULUS TRADUCTEUR


Pour apprécier la technique de la traduction de Musculus, nous avons comparé
la traduction du début du Discours 2 de Grégoire de Nazianze. Nous sommes
partie du texte grec de l’édition de 1550, avons recopié la traduction de Rufin69,
celle de Pirckheimer70 et enfin celle de Musculus71.
La traduction de Musculus est très littérale. Celui-ci multiplie les grécismes,
mais en opposition à Pirckheimer, il ne paraît pas faire une traduction mot à mot,
sans avoir en vue la construction de la phrase entière. Il veut rendre en latin les
subtilités du grec.
Dans la première phrase, Musculus, contrairement à ses prédécesseurs reprend
la répétition Ἥττημαι/ἧτταν sous la forme de uictus sum/me uictum. Il est le
seul aussi à insister sur l’idée de supplication marquée par ἱκέτευσα qu’il tra-
duit par supplicaui. Il exprime le subjonctif ἀρχέτω par la forme impersonnelle
conuenit suivie de ut et le subjonctif. Au risque de paraître littéral, il reproduit ὁ
ἐν τῷ Δαβὶδ φθεγξάμενος par qui in Dauide loquutus est, alors que le in gêne
Pirckheimer qui écrit per (Dauid) et ne répète pas δι᾿ αὐτοῦ. Néanmoins, comme
Pirckheimer, Musculus reprend la différence de temps entre φθεγξάμενος et
φθεγγόμενος, en usant dans un premier temps d’un parfait, puis dans un deu-
xième temps d’un présent.
Au début de la deuxième phrase, contrairement à ses prédécesseurs, Musculus
ne traduit pas littéralement τάξις ἀρίστη par ordo optimus, mais il use de la forme
impersonnelle optimum est et reprend ordo pour exprimer l’idée de commence-
ment : ἄρχεσθαι. Il traduit le participe présent passif et les deux infinitifs de la
deuxième phrase ἀρχομένῳ, ἄρχεσθαι et ἀναπαύεσθαι par une subordonnée
finale introduite par ut et trois verbes au subjonctif : ut … instituatur … prodeat
… desinat, en suivant le choix de Rufin ; Pirckheimer conjugue, quant à lui, les
verbes au présent de l’indicatif dans une subordonnée temporelle.
Dans la troisième phrase aussi, Musculus s’abstrait d’une traduction trop lit-
térale. Au lieu de copier le nominatif τὸ δὲ αἴτιον, il commence sa phrase par
l’expression De causa beaucoup plus latine que le simple causa et surtout il a
su corriger dans sa traduction le grec fautif πρωτοῦ : c’est en fait πρό τοῦ –
contrairement à Pirckheimer. La traduction de ηὐλίσθην par separatus a uobis
suit celle de Pirckheimer, abfui, mais rompt avec celle de Rufin qui conservait le
sens du verbe grec. La suite de la phrase épouse le style grec : ainsi alius aliud
reproduit ἄλλος ἄλλο, mais le choix de iuxta quod nos uel odio uel amore sequi-
tur pour traduire le génitif partitif τῶν ἢ μισούντων ἢ ἀγαπώντων ἡμᾶς vient

69. Voir n. 38.


70. Voir n. 14.
71. Pour plus de lisibilité, chaque phrase se trouve dans une ligne d’un tableau.
LES ÉDITIONS DE GRÉGOIRE DE NAZIANZE PARUES À BÂLE 471

de Pirckheimer qui avait choisi secundum quod nos odio aut amore prosequitur.
Rufin avait complètement chamboulé l’ordre de la phrase grecque. Dans la suite
aussi, Musculus imite Pirckheimer qui avait adopté le subjonctif pour traduire les
participes présents ἀφιεὶς et προσαποδεχόμενος, alors que Rufin transformait
le participe en un présent de l’indicatif. Musculus se différencie aussi de Rufin
quand il ne traduit pas l’idée de contingence détenue dans τύχωσιν, que l’écrivain
latin rendait par eueniat, comme le faisait aussi Pirckheimer. Au contraire, il garde
l’éventualité marquée par ἐὰν τύχωσιν que son prédécesseur avait transformée
en une temporelle à l’indicatif. À la fin de la phrase, Musculus, imitant Rufin,
reproduit l’idée d’habitude par l’adverbe frequenter – Rufin utilisait semper,
tandis que Pirckheimer use de solet suivi de l’infinitif, et transforme la relative
en une subordonnée de conséquence. Musculus choisit de rendre τἀληθὲς par
quae uera sunt, plutôt que ueritatem comme Pirckheimer et il ajoute un ablatif
absolu, pour traduire μηδὲν αἰσχυνθεὶς – son prédécesseur utilisait maladroi-
tement citra ullam uerecundiam. Musculus exprime le parallélisme τε καὶ par
cum … tum, Pirckheimer par tam … quam. Les traducteurs du XVIe siècle ajoutent
à la fin de la phrase une notion de conséquence absente du grec : le premier par
quin et l’indicatif, le second par ut suivi du subjonctif. Tous les deux reproduisent
μέν … δὲ par partim … partim. Dans la phrase suivante, l’idée que Grégoire
parlera d’abord de sa lâcheté est un contresens commis par Musculus – et il est
le seul à le faire –, car c’est la lâcheté qui est première et non l’acte de parler.
Musculus est aussi le seul à transcrire par deux subordonnées hypothétiques siue
bene habeant, siue male, le groupe participial εὖ τε καὶ ὡς ἑτέρως ἔχοντα,
Pirckheimer gardait lui la construction avec le participe. Dans la suite de la phrase,
Musculus choisit de faire de εὐδόκησεν un aoriste gnomique et le traduit par pla-
cet (Pirkheimer a écrit tribuit) et il fait de la subordonnée commencée par ἐπειδή
une subordonnée causale et non temporelle, comme le comprend Pirckheimer. Il
parle aussi abusivement des chrétiens en utilisant la première personne du pluriel,
alors que l’expression est générale, à la différence de Rufin et de Pirckheimer
qui reproduisaient l’expression de Grégoire. D’ailleurs toute cette phrase offre
un important contresens par rapport au texte original. J. Bernardi la traduit par :
« puisqu’il a plu à Dieu que ce qui nous concerne ait quelque importance aux yeux
des chrétiens72 », alors que nous traduisons ainsi le latin de Musculus : « puisqu’il
plaît à Dieu, que nous, qui sommes chrétiens, nous fassions ce qui est en notre
pouvoir ». Les deux participes dépendant de καλὸν sont traduits par des géron-
difs et Musculus répète le verbe peccare, alors que cette répétition est absente du
grec. Comme pour compenser l’énonciation générale présente dans le gérondif,
Musculus met la fin de la phrase à la première personne du pluriel, alors que
Grégoire usait d’une forme impersonnelle.

72. GRÉGOIRE DE NAZIANZE, Discours 1-3 (SC 247), édition et traduction de J. Bernardi, Paris,
1978, p. 89.
1. Ἥττημαι, καὶ τὴν Victus sum et fateor me esse Devictus sum, ac me superatum esse
Victus sum, ac fateor etiam esse me
472

ἧτταν ὁμολογῶ· ὑπετάγην τῷ superatum ; subiectus sum domino plane confiteor, subieci me domino,
uictum. Subiectus sum Domino,
κυρίῳ, καὶ ἱκέτευσα αὐτόν· ὁ et obsecraui eum. Dignum etenim et rogaui illum, sermonem enim
illique supplicaui. Conuenit
γάρ μοι μακαριώτατος δαβὶδ est, ut mihi beatus dauid aperiat beatissimus mihi Dauid inchoet, seu
enim, ut orationis meae exordium
ἀρχέτω τοῦ λόγου· μᾶλλον δὲ sermonis ostium, immo uero ille potius ille, qui per Dauid os loquutus
beatissimus Dauid subministret :
ὁ ἐν τῷ Δαβὶδ φθεγξάμενος, ipse qui in dauid loquebatur & qui est, qui et nunc quoque loquitur,
immo magis ille, qui in Dauide
καὶ εἰς ἔτι καὶ νῦν δι᾿ αὐτοῦ nunc etiam per eum loquitur. loquutus est, atque etiamnum per
φθεγγόμενος. illum loquitur.
Ἐπειδὴ καὶ τάξις ἀρίστη Optimus namque ordo est, & quandoquidem ordo ille est Optimum siquidem est, ut cuiusque
παντὸς ἀρχομένῳ καὶ λόγου totius uel uerbi uel operis ut a optimus, ubi omnis sermo, omneque uel sermonis, uel operis principium
καὶ πράγματος, ἐκ θεοῦ deo nobis origo sumatur & in deo negocium a deo exordium sumit, ordine instituatur, & ex Deo prodeat,
τε ἄρχεσθαι, καὶ εἰς θεὸν consummatio referatur. rursusque in deum desinit. & in Deum desinat.
ἀναπαύεσθαι.
Τὸ δὲ αἴτιον ἢ τῆς πρωτοῦ Causa, pro qua dudum uelut tedio Porro huius sermonis caussa, tam De causa uero uel dissidij et
στάσεως καὶ ὀλιγοψυχίας, δι᾿ quodam et indignatione superatus prima est seditio ac pusillanimitas, pusillanimitatis, propter quam
ἣν ἐμάκρυνα φυγαδεύων, καὶ abscessi & elongaui fugiens & propter quam longe hinc fugatus elongaui fugiens, et separatus a
ηὐλίσθην ἀφ᾿ ὑμῶν χρόνον οὐ habitaui in deserto non paruo sum, ac non paruo tempore a uobis uobis tempore non paruo, illorum
μικρὸν ἴσως τοῖς γε ποθοῦσιν, tempore, alia fortassis aliis uideatur, abfui, desiderantibus forsitan, quam forte iudicio mansi, qui nostri
ἢ τῆς νῦν ἡμερότητος καὶ his qui uel odio erga me, ut fieri praesens mansuetudo et mutatio, desiderio tenentur : uel praesentis
μεταβολῆς, δι᾿ ἣν αὖθις solet, uel amore detinentur. Et id propter quam rursus me ipsum huius mansuetudinis & mutatae
ἐμαυτὸν ἔδωκα φέρων ὑμῖν, quod tunc feri quidem uidebamur reddidi, ac uobis obtuli. Proinde sententiae, qua me uobis redidi,
ἄλλος μὲν ἄλλο τι οἰέσθω τε et inmites, nunc uero mansueuimus alius aliud quid censeat et loquatur, alius quidem aliud opinetur licet, ac
καὶ λεγέτω τῶν ἢ μισούντων ἢ et regressi sumus in hoc quod antea secundum quod nos odio aut amore dicat etiam, iuxta quod nos uel odio,
ἀγαπώντων ἡμᾶς· fugeramus, prosequitur, uel amore prosequitur :
ὁ μὲν οὐκ ἀφιεὶς αἰτιας, ὁ δὲ καὶ alius quidem culpat inconstantiae, et hic quidem nullam admittat & hic culpam non remittat, ille uero
προσαποδεχομενος· οὐδὲν γὰρ alius amplectitur factum. Nihil caussam, ille uero ultro etiam satisfactionem recipiat ultro (nihil
οὕτως ἡδὺ τοις ἀνθρωποις ὡς τὸ hominibus enim suauius quam suscipiat. Siquidem nil tam suaue enim tam est homi-nibus iucundum,
λαλειν τὰ ἀλλοτρια, καὶ μαλιστα aliena loqui & aliena curare, maxime est hominibus, quod de rebus atque aliena loqui : & maxime, si
ἐὰν τὐχωσιν ὑπ᾿εὐνοιας τινὸς si eueniat uel odio aliquos uel amore sermocinari alienis, praecipue, uel beneuolentia quadam uel odio
ἢ μισοὐς ἑλκομενοι, ὑφ᾿ ὧν καὶ praeueniri. A quibus praecipue quum ab amore aliquo aut odio rapiantur unde sit, ut ab illis ueritas
φιλει κλεπτεσθαι ὡς τὰ πολλὰ ἡ semper, occultatur ueritas & furatur. trahuntur, a quibus e ueritas, ut frequenter occulatur)
ἀλήθεια. plurimum, solet inuerti,
DELPHINE VIELLARD
Ἐγὼ δὲ τἀλήθὲς εἰς μεσον Alii igitur, ut dixi, putent alia, ego ego tamen ueritatem citra ullam ego tamen quae uera sunt, in
θήσω, μήδὲν αἰσχὐνθεὶς,0καὶ uero absque omni uerecundia quod uerecundiam in medium ponam, medium, abiecto pudore, adferam,
διαιτήσω δικαιως ἀμφοτεροις uerum est in medium proferam ac iuste erga utranque partem & iustas causas utrisque partibus
τοις μερεσιν, ὅσοι τε utrisque partibus satis faciens, id me geram, tam ergo eos qui nos exponam, cum illorum qui
κατήγοροὐσιν ἡμων, καὶ ὅσοι est tam his qui affectu in nos quam accusant, quam illos qui prompte nos accusant, tum qui causam
ὑπεραπολογοὐνται προθὐμως· τὸ etiam his qui odio permouentur, defendunt, quin et meipsum partim nostram alacriter tuentur, sic ut
μεν τι κατήγορήσας ἐμαὐτοὐ, τὸ in quibusdam quidem ipse mei incusabo, partim quoque excusabo, partim meipsum incusem, partim
δὲ ὑπεραπολογήσαμενος. accusator existens, pro quibusdam defendam.
uero etiam satis faciens.
2. Καὶ ἵνα γε καθ᾿ ὁδὸν ὁ λογος Et ut nobis secundum ordinem et ut sermo noster tamquam in uia Et ut sermo nobis ex ordine
ἡμιν προΐῃ, περὶ τής δειλιας sermo procedat, primo de formidine progrediatur, de timiditate quae procedat, de pusillanimitate, quae
προτερας οὐσής καὶ διαλεξομαι· mea ac metu pristino disseram. et prima sese offert, uerba facere in hac causa praecessit, prius dicam.
οὐδὲ γὰρ ἀνεχομαι πλήττεσθαι Neque enim patiar in me suspitiones incipiam. Si quidem haudquamquam Neque enim patiar, ut quisquam in
τινας ἐν ἐμοὶ των παντα cuiquam remanere eorum qui uel tolerabo, ut quidam mei gratia me offendatur, ex illis qui omnia
τήροὐντων ἐπιμελως τὰ ἡμετερα, bona nostra uel contraria curiosa offendantur, qui studiose cuncta nostra accurate obseruant, siue bene
εὐ τε καὶ ὡς ἑτερως ἔχοντα· examinatione discutiunt. nostra obseruant, recte se et aliter habeant, siue male :
habentia,
ἐπειδή τι τὸ καθ᾿ ἡμᾶς εἶναι Est enim & hoc religionis officium postquam nobis deus tribuit, ut quoniam sic Deo placet, ut qui
χριστιανοῖς εὐδόκησεν ὁ θεὸς, uerbi satisfactione curare, si qui Christiano nomine censeremur, qui Christiani sumus, id faciamus
καὶ τοὺς ἤδη πεπληγότας, illi fortasse sunt qui uidentur uero iam sunt offensi, si saltem quantum in nobis est : denique &
εἴπερ τινὲς εἰσὶ, διὰ τῆς suspitionum spiculis uulnerati, aliqui sunt, iis per excusationem illis qui iam offensi sunt, si quidem
ἀπολογίας ἰάσομαι· καλὸν quoniam quidem peroptimum est, remedium afferam. Bonum etenim offensi sunt aliqui, hac apologia
γὰρ μήτε ἁμαρτάνοντα, μήτε ut neque peccando quis neque est innocentem, suspitione etiam mea medebor. Bonum quippe
ὑπονοούμενον, ἕως ἂν οἷόν positus in suspitione peccati, si fieri quantum possibile est, carere, sed est, ut neque peccando, neque
τε ᾖ, καὶ ὁ λόγος αἱρῇ, τιθέναι potest & res indulget, offendiculum et ratio exigit, ne multis ponamus peccati suspicionem praebendo,
πρόσκομμα τοῖς πολλοῖς ἢ fratribus ponat aut scandalum. offendiculum aut scandalum. quantum fieri potest, & ratio patitur,
LES ÉDITIONS DE GRÉGOIRE DE NAZIANZE PARUES À BÂLE

σκάνδαλον· offendiculum multis aut scandalum


ponamus.
εἴπερ καὶ τοῖς ἕνα τῶν μικρῶν Scimus enim scandalizanti unum ex Scimus enim quam inexcusabilis Nouimus siquidem, quam graue sit
σκανδαλίσασιν ἴσμεν ὅπως minimis quam sit a domino grauis ac grauissima apud ueracem, eos & ineuitabile illis, qui uel unum ex
ἀπαραίτητος καὶ βαρυτάτη animaduersio constituta. homines poena maneat, qui uel pusillis offenderunt, supplicium ab
παρὰ τοῦ ἀψευδοῦς ἡ τιμωρία. paruulum quaendam scandalizare eo paratum qui mentiri nescit.
473

fuerint ausi.
474 DELPHINE VIELLARD

***
À l’issue de cette étude des deux éditions de Grégoire de Nazianze parues à
Bâle en 1550, nous pouvons dire qu’il y eut d’abord le souci d’un imprimeur de
publier l’œuvre complet d’un des plus grands Pères de l’Église et que cela se fit
dans un esprit humaniste, et non religieux. Comme l’écrit Musculus dans sa pré-
face, il s’agissait de publier un écrivain orthodoxe et non un auteur canonique, car
seules les Écritures saintes sont canoniques. L’édition grecque, bien que fautive
et trop rapidement faite, connut le succès, parce qu’exhaustive. À l’édition latine
il manquait de riches scholies, même si, ça et là, on trouve des commentaires
brefs de Musculus. Quant à la façon de travailler de l’humaniste mosellan, on la
voit surtout dans sa lettre aux dignitaires d’Augsbourg : il recopiait les éditions
antérieures, en se fiant à son jugement pour apporter des corrections, et s’appuyait
sur un ou plusieurs manuscrits, quand ceux-ci existaient. C’est ainsi qu’Érasme
travaillait. La méthode n’est donc pas originale et elle explique les erreurs qui
se sont propagées à travers les siècles. En tant que traducteur, Musculus voulait
rendre en latin les particularités du texte grec, fut-ce au prix de lourdeurs et de
maladresses.
Delphine VIELLARD
Strasbourg
LES ÉDITIONS DE GRÉGOIRE DE NAZIANZE PARUES À BÂLE 475

ANNEXES

1) Page de titre de l’édition grecque de 1550.


476 DELPHINE VIELLARD

2) Page de titre de la traduction latine de 1550.


LES ÉDITIONS DE GRÉGOIRE DE NAZIANZE PARUES À BÂLE 477

3) Table des matières de l’édition grecque


478 DELPHINE VIELLARD

4) Table des matières de la traduction latine


LES ÉDITIONS DE GRÉGOIRE DE NAZIANZE PARUES À BÂLE 479
V.

LES PÈRES GRECS ONT-ILS UNE PLACE


DANS L’HUMANISME RHÉNAN ?
La réception du De natura hominis
de Nemesius d’Émèse dans le Rhin Supérieur
L’utilisation du manuscrit Bodl. Auct. E. 1. 6 dans la réécriture
de la traduction latine de Burgundio de Pise publiée par Johann Cuno
et par Beatus Rhenanus à Strasbourg en 1512

À Strasbourg, au mois de mai 1512, chez l’imprimeur Matthias Schürer, une


traduction latine du De natura hominis de Nemesius, évêque d’Émèse vers 4001,
sortit des presses pour la première fois2. Ce fut Beatus Rhenanus de Sélestat (1485-
1547) qui avait demandé cette parution et fait la dernière révision du texte avant
l’impression3. Il était fasciné par le christianisme néo-platonicien de Nemesius,
approuvant, entre autres, sa critique d’Aristote et son affirmation de la nature
immatérielle et immortelle de l’âme. La diffusion de la pensée néo-platonicienne

1. Pour Nemesius en général, voir A. PALANCIUC, « Nemesius d’Emèse », dans Dictionnaire


des philosophes antiques publié sous la direction de Richard Goulet, avec une préface de Pierre
Hadot, vol. 4, Paris, 2005, p. 625-650.
2. Il exista d’autres traductions : Nicolas Alfanus (m. 1085) ; Burgundio de Pise (1110-1193) vers
1164/65, traduction dédiée à l’empereur Frédéric Barberousse (voir plus loin ici) et Giorgio Valla
de Piacenza (env. 1147-1500), traduction publiée seulement en 1538. Cf. NEMESIUS D’ÉMÈSE,
De natura hominis, traduction de Burgundio de Pise (Corpus Latinum Commentariorum in
Aristotelem Graecorum, Suppl. 1), édition critique avec une introduction sur l’anthropologie de
Nemesius par G. Verbeke – J. R. Moncho, Leiden, 1975, p. LXXXVI-XCIV.
3. Voir plus loin et B. RHENANUS, Epistulae Beati Rhenani, La correspondance latine et grecque
de Beatus Rhenanus de Sélestat (Studia humanitatis Rhenana 3), édition critique raisonnée, avec
traduction et commentaire, vol. 1 (1506-1517) éditée par J. Hirstein avec la collaboration de
J. Boës, Fr. Heim, Ch. Munier †, Fr. Schlienger, R. Walter † et d’autres collègues,Turnhout, 2013
(= RHENANUS, Epistulae, vol. 1, J. Hirstein éd.), l’Epist. 34, div. 17, p. 270-271 et div. 29-32,
p. 280-283 ; cf. le point de vue de Cuno dans l’Epist. 35, div. 1, p. 286-287, div. 5, p. 288-289,
div. 12, p. 292-295 et div. 26, p. 298-299 et enfin le résumé fait par Josse Bade dans l’Epist. 45,
div. 3, p. 378-379. Pour une vie récente du Sélestadien, voir, dans ce même vol., p. IX-XLII.
484 JAME HIRSTEIN

dans le Rhin Supérieur se trouva grandement facilitée grâce à cette publication4.


Il faudra attendre 1565 pour voir sortir l’editio princeps du texte original grec5.
Rhenanus avait demandé de l’aide à Johann Cuno, moine dominicain et hellé-
niste de Nuremberg (1462/3-1513), pour réussir cette parution6. À cette époque,
Cuno guidait Rhenanus dans ses efforts pour parfaire ses études de grec et, grâce
à ses connaissances bibliographiques, le dominicain put découvrir un manuscrit
contenant certains chapitres de Nemesius dans l’original. Cet aspect du travail dut
incomber presque exclusivement à Cuno, car nous n’avons pas trouvé de trace
de l’écriture de Rhenanus dans les parties du manuscrit que nous avons exami-
nées. De même, Cuno fit le premier gros travail de réécriture. En effet, les deux
hommes ne disposaient pas d’un texte complet en grec. Ils mirent au goût du jour
la traduction que Burgundio de Pise (vers 1110-1193), magistrat et juge, avait faite
d’après la langue originale en 1165 ; celui-ci avait appris le grec jeune, servant
d’interprète pour une députation à Constantinople de 1135 à 11387. La traduction
de Burgundio, ce fut Matthias Schürer, imprimeur actif à Strasbourg et concitoyen
de Rhenanus8, qui l’avait reçue pour publication sous forme de manuscrit en pro-
venance de Vienne9. Rhenanus se chargea de la publication avec enthousiasme10.
Suivant une tradition courante à l’époque, et sans doute l’indication du manuscrit,
Cuno et Rhenanus attribuèrent l’ouvrage à Grégoire de Nysse11.

4. Pour cette diffusion et aussi les conséquences sur la pensée de Rhenanus, voir J. HIRSTEIN,
« Une Druckvorlage de la bibliothèque de Beatus Rhenanus et la diffusion de la pensée néo-
platonicienne dans le Rhin Supérieur : l’Axiochus du Pseudo-Platon », dans L’espace rhénan, pôle
de savoirs (Études alsaciennes et rhénanes), C. Maurer – A. Starck-Adler dir. avec le concours de
C. Weeda, Strasbourg, 2013, p. 51-76.
5. H. B. WICHER, « Nemesius Emesenus », dans Catalogus Translationum et Commentariorum
vol. 6, F. E. Cranz dir., V. Brown – P. O. Kristeller ass. eds. , Wash., D.C., 1986, p. 42. L’ed.
princeps grecque fut procurée par Nicasius Ellebodius, chez Plantin à Anvers.
6. Pour Cuno en général, voir H. D. SAFFREY, « Un humaniste dominicain, Jean Cuno de
Nuremberg, précurseur d’Érasme à Bâle », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, 33, 1971,
p. 19-62 et M. SICHERL, Johannes Cuno. Ein Wegbereiter des Griechischen in Deutschland: Eine
biographisch-kodikologische Studie (Studien zum Fortwirken der Antike 9), Heidelberg, 1978.
7. Cuno dit clairement qu’il n’a pas disposé d’un texte intégral et regrette le recours à
Burgundio, mais il cherchait à satisfaire aux demandes répétées de Rhenanus, voir RHENANUS,
Epistulae, vol. 1, J. Hirstein éd., Epist. 35, div. 11, p. 292-293.
8. Pour Schürer, voir Ch. RESKE, Die Buchdrucker des 16. und 17. Jahrhunderts im deutschen
Sprachgebiet. Auf der Grundlage des gleichnamigen Werkes von Josef Benzing, Wiesbaden, 2007,
p. 876-877.
9. RHENANUS, Epistulae, vol. 1, J. Hirstein éd., Epist. 34, div. 16-17, p. 268-271.
10. Voir, plus haut, la n. 4 et, pour les motivations du Sélestadien, RHENANUS, Epistulae, vol. 1,
J. Hirstein éd., Epist. 34, p. 257, la n. 1.
11. Voir plus loin et H. B. WICHER, « Nemesius Emesenus », p. 32-33.
LA RÉCEPTION DU DE NATVRA HOMINIS DE NEMESIUS 485

Leur traduction a été très diversement appréciée. Selon Matthaei (1802), Cuno
a amélioré la traduction de Burgundio et corrigé des fautes. D’après Burkhard
(1888), en dépit de beaucoup de changements superflus, le dominicain a retrouvé
le sens correct dans de nombreux passages et relevé le style12. Verbeke et Moncho
(1975) ne sont pas de cet avis, ils écrivent : « La traduction en tant que telle, comme
expression du sens véritable du texte grec, n’a pas été améliorée, au contraire. S’il
s’agit de saisir le sens authentique du texte grec, la traduction de Burgundio, dans
sa forme orginelle, est indéniablement plus utile et plus valable que la version
de Cuno13. » On note que tous ces auteurs attribuent la traduction uniquement à
Cuno, bien que Rhenanus dise clairement qu’il a tout recopié et relevé le style
avant l’impression. Cela implique de sa part l’interprétation des corrections et de
la réécriture de Cuno ainsi qu’une dernière réécriture stylistique.
Notre but dans cette étude sera donc double. Pour ce qui est de cette « traduction »
faite par les deux hommes, nous voudrions la cerner de plus près en comparant
l’un des paragraphes avec le texte grec que Cuno réussit à localiser. C’est la seule
manière de juger les procédés de traduction sur pièces et d’essayer de départager
le travail effectué par chacun des deux hommes. Ensuite, nous voudrions voir
comment le manuscrit a été utilisé.
Il s’agit d’un manuscrit qui se trouve aujourd’hui à la Bodleian Library de
l’Université d’Oxford : Bodl. Auct. E. 1. 6. Il se trouvait à l’époque qui nous inté-
resse chez les dominicains de Bâle et faisait partie d’un legs important qui avait
été fait à la bibliothèque. Nous allons le décrire afin de comprendre les procédés
de traduction. Nous l’avons examiné seulement à partir d’un microfilm et cela en
temps limité. Notre but n’est pas d’en faire une description scientifique étendue.
Nous espérons néanmoins faire progresser les connaissances à son propos.

I. – Les manuscrIts grecs de Jean stoJkovIč


Les manuscrits que le cardinal de Raguse, Jean Stojkovič (1390-1443), légua
au couvent des dominicains à Bâle jouèrent un rôle essentiel dans la diffusion des
écrits des Pères grecs dans le Rhin Supérieur. Stojkovič avait passé les années
1435 à 1437 à Constantinople, où il participa aux négociations en vue de l’union
avec l’Église grecque, et put en même temps se procurer de nombreux manus-
crits14. La nature du legs dans son ensemble n’a pas été découverte avec précision.
En revanche, en 1961, André Vernet publia une liste des manuscrits grecs, au

12. Nous citons le résumé de M. SICHERL, Johannes Cuno, p. 141-142.


13. G. VERBEKE – J. R. MONCHO, dans NEMESIUS D’ÉMÈSE, De natura hominis, p. XCVII.
14. Voir R. W. HUNT, « Greek Manuscripts in the Bodleian Library from the Collection of John
Stojkovič of Ragusa », dans Studia Patristica VII.1 (Texte und Untersuchungen zur Geschichte
der altchristlichen Literatur 92), F. L. Cross ed., Berlin, 1966, p. 76. Il arriva le 23 septembre 1435
et repartit le 2 novembre 1437.
486 JAME HIRSTEIN

nombre de soixante et un, qui en faisaient partie15. Il avait découvert cette liste à la
Bibliothèque Humaniste de Sélestat en tête du manuscrit 102 de cette institution16.
Il attribua la liste à Beatus Rhenanus17. Mais ce fut une méprise ; l’auteur en était
plutôt Johann Cuno18. Cuno de fait avait légué une partie importante de ses livres
à Rhenanus19. Pour ce qui est des Pères grecs en général, Hunt signale la présence
d’Athanase, de Grégoire de Nazianze, de Basile, de Jean Chrysostome, de Cyrille
d’Alexandrie, de Théodoret et de Théophylacte20.
La publication de Vernet permit à R. W. Hunt de retrouver dans la Bodleian
Library à Oxford trois des manuscrits que le cardinal avait légués aux dominicains
de Bâle ; il s’agit d’un commentaire sur les Psaumes, de Nemesius et d’autres,
ainsi que de l’Histoire ecclésiastique de Théodoret21. Rhenanus fut associé à deux
d’entre eux. Il travailla de concert avec Cuno sur la publication de Nemesius, puis
utilisa le manuscrit contenant Théodoret pour ses Auctores historiae ecclesiasticae
(Bâle, 1523 et 1528)22.
Hunt souligne que cette collection bâloise de manuscrits grecs a fortement attiré
l’attention des érudits du XVIe s. Johann Reuchlin, qui avait étudié à Bâle de 1474
à 1477, connaissait ce fonds et le mit à profit23. Hunt met en avant de manière très
pertinente que la présence de ces manuscrits à Bâle a pu être l’un des arguments
qui ont décidé Érasme à s’y installer en août 151424. En effet, les manuscrits
du cardinal furent d’une grande utilité pour l’établissement et la publication du

15. A. VERNET, « Les manuscrits grecs de Jean de Raguse (m. 1443) », Basler Zeitschrift für
Geschichte und Altertumskunde, 61, 1961, p. 75-108.
16. Ibid., p. 77.
17. Ibid.
18. M. SICHERL, Johannes Cuno, p. 25-26 et 144, corrige l’erreur de Vernet.
19. Cuno avait légué des livres à Rhenanus et aussi à Willibald Pirckheimer, voir M. SICHERL,
Johannes Cuno, p. 166-205. Pour la mort de Cuno et le legs, voir aussi RHENANUS, Epistulae,
vol. 1, J. Hirstein éd., Epist. 44, p. 370-375.
20. R. W. HUNT, « Greek Manuscripts », p. 79. Pour plus de détails, voir A. VERNET, « Les
manuscrits grecs ».
21. R. W. HUNT, « Greek Manuscripts », p. 77-78. Il s’agit des Bodleian manuscrits Auct. P. 3.
17, une catena des Psaumes des X-XIe s. ; Auct. E. 1. 6, le manuscrit qui nous intéresse, du XIIIe s. ;
et Auct. E. 4. 18, l’Histoire ecclésiastique de Théodoret du Xe s.
22. Rhenanus dit que les dominicains lui avaient prêté ce manuscrit en provenance des livres
du cardinal de Raguse, voir S. RATTI, « Beatus Rhenanus éditeur de l’Historia Tripertita de
Cassiodore-Épiphane », dans Beatus Rhenanus (1485-1547), lecteur et éditeur des textes anciens.
Actes du colloque international tenu à Strasbourg et à Sélestat du 13 au 15 novembre 1998
(Collection Studia humanitatis Rhenana), colloque organisé par Fr. Heim et J. Hirstein, J. Hirstein
éd., Turnhout, 2000, p. 302.
23. R. W. HUNT, « Greek Manuscripts », p. 80.
24. Ibid., p. 75.
LA RÉCEPTION DU DE NATVRA HOMINIS DE NEMESIUS 487

Nouveau Testament grec en 151625. La même chose peut se dire de la venue dans
la ville suisse de Johann Cuno en décembre 1510 ; le dominicain avait été l’élève
de Reuchlin. En effet, dès 1494 Cuno emprunta un des livres de la bibliothèque26,
avant de passer plusieurs années en Italie auprès d’Aldo Manuzio à Venise et de
Marcus Musurus à Padoue, cela durant deux séjours. Une fois de retour dans la
ville suisse, il utilisa de nouveau le fonds27. Pour souligner la célébrité de cette
bibliothèque, notons, par exemple, que Rhenanus l’a fait visiter à Jakob Bannisius,
secrétaire impérial, qui était de visite à Bâle. Il dit à Bruno Amerbach le 18 mars
1518 : « Ostendi illi bibliothecam Graecam apud Dominicaleis28… »

II. – LE MANUSCRIT BODL. AUCT. E. 1. 6


Jean Stojkovič a dû acquérir ce manuscrit du XIIIe s. à Constantinople. Le prix qu’il
nota sur la page de garde était de « 6 iperpera » et de « 4 ducatelos » ; les « iperpera »
sont une monnaie byzantine29. Durant la période de son séjour à Constantinople,
Nicolas de Cues lui aurait emprunté ce manuscrit et l’aurait annoté30. Vernet,
dans son analyse de la liste de Cuno, indique, sous la rubrique XXVII [b], que
le manuscrit qui nous intéresse contient « Vulgarius, Super 14 Epistolas Pauli » ;
c’est-à-dire le Commentaire de Théophylacte d’Achrida sur les Épîtres de saint
Paul31. Vernet note aussi que ce texte de Théophylacte avait été utilisé par Érasme
et emprunté par Andreas Cratander. Plus tard, Philippe Montanus s’en servit dans
son édition latine publiée à Paris en 1552. Montanus indique que, grâce à des
amis, il obtint enfin le « très ancien texte dont Érasme s’était servi32 ». Hunt ajoute
qu’Augustine Lindsell mit le manuscrit à contribution pour la première édition
du texte grec parue à Londres en 163633. Hunt confirme cette présence dans le
volume qu’il a identifié, qui a toujours une reliure du XVe s., et explique que

25. Ibid., p. 80-81.


26. Voir ibid., p. 80 et H.-D. SAFFREY, « Un humaniste dominicain », p. 19-20. Il s’agit
d’un psautier grec qui se trouve maintenant à la Bibliothèque universitaire de Bâle (B X 33),
H.-D. SAFFREY, « Un humaniste dominicain », p. 20.
27. Cf. Epist. 35 et 38 ainsi que l’index des manuscrits (p. 915, sous « Bâle ») dans RHENANUS,
Epistulae, vol. 1, J. Hirstein éd.
28. B. RHENANUS, Briefwechsel des Beatus Rhenanus, A. Horawitz – K. Hartfelder Hrsg.,
Leipzig, 1886, rpt. Nieuwkoop, 1966, p. 105, lettre 74.
29. R. W. HUNT, « Greek Manuscripts », p. 77 : « Dedi perpera 6 et ducatelos 4. »
30. H. B. WICHER, « Nemesius Emesenus », p. 57. Wicher renvoie à A. krchňák, « Neue
Handschriftenfunde in London und Oxford », Mitteil. u. Forschungsbeiträge d. Cusanus-
Gesellschaft, 3, 1963, p. 105 ss, que nous n’avons pas vu.
31. A. VERNET, « Les manuscrits grecs », p. 88-89.
32. A. VERNET, ibid., p. 89, qui cite Montanus : « Per amicos, exemplar uetustissimum, quo
usus fuerat D. Erasmus, jam tandem sum nactus. »
33. R. W. HUNT, « Greek Manuscripts », p. 81.
488 JAME HIRSTEIN

l’étiquette en parchemin mis sur le premier plat par le couvent des dominicains
amenait à lire « Vulgarius34 ». Il note qu’Érasme aussi, qui a utilisé Théophylacte
dans ses Annotations au NT, se référa à « Vulgarius » dans la première édition de
151635. M. A. Screech, dans son livre Erasmus: Ecstasy & The Praise of Folly,
s’étend de manière utile et passionnante sur l’utilisation faite par Érasme de
Théophylacte. Il note qu’à l’époque d’Érasme, certains lecteurs pensaient que le
« Vulgarius » en question était saint Athanase. Screech suggère que ce nom pro-
viendrait de la mélecture de l’adjectif « Bulgaricus » qui désignait le lieu d’origine
de l’auteur36. L’étiquette du manuscrit Bodl. Auct. E. 1. 6 fournit le contenu du
manuscrit et contient le numéro Gr. 28. Hunt explique que Vernet a rangé le texte
de Théophylacte sous le numéro XXVII [b] parce que Cuno n’avait pas écrit le
chiffre XXVIII clairement en face de l’entrée37.
Vernet, sous le numéro XXVIII de la liste de Cuno, a rencontré quatre élé-
ments38. Il les présente comme suit : « Basilius, In Hexameron. Gregorius
Nyssenus, De mundo et generacione hominis. Opiniones de anima philosophorum
et christianorum hereticorum. Theodoretus, De luce ». Vernet traite d’abord la
mention Basilius, In Hexameron et fait savoir que le manuscrit renferme saint
Basile, Homiliae IX in Hexaëmeron39, ce qui est confirmé par Hunt40. Johann
Cuno, en décrivant le travail effectué sur Nemesius, fait allusion de nouveau au
texte de Basile sur l’Hexameron41.
Vernet, dont nous rappelons que l’analyse était limitée à la seule liste de Cuno,
rencontre ensuite le deuxième élément : Gregorius Nyssenus, De mundo et gene-
racione hominis. Il hésite entre trois identifications42, suggérant notamment le
De opificio hominis de Grégoire de Nysse et le De natura hominis de Nemesius
d’Émèse43. Il n’était pas en mesure de trancher. Hunt, quant à lui, en parlant du

34. R. W. HUNT, « Greek Manuscripts », p. 77-78.


35. Ibid., p. 81.
36. M. A. SCREECH, Erasmus: Ecstasy and the Praise of Folly, London, 1988 (1re éd. 1980),
p. xxii, 145-148 et 150-151.
37. G. W. HUNT, « Greek Manuscripts », p. 77-78.
38. A. VERNET, « Les manuscrits grecs », p. 89.
39. Ibid.
40. G. W. HUNT, « Greek Manuscripts », p. 77.
41. Cuno à Beatus Rhenanus, de Bâle, le 7 mars, 1512, voir RHENANUS, Epistulae, vol. 1,
J. Hirstein éd., l’Epist. 35, div. 13, p. 294-295 et M. SICHERL, Johannes Cuno, p. 140-141.
42. A. VERNET, « Les manuscrits grecs », p. 89 : la première est le De hominis structura attribué
soit à Grégoire de Nysse soit à saint Basile.
43. Ibid.
LA RÉCEPTION DU DE NATVRA HOMINIS DE NEMESIUS 489

manuscrit fait allusion seulement au De natura hominis, utilisé par Cuno pour la
« traduction » qui nous intéresse44.
En fait, d’après notre analyse des données, il faut d’abord voir dans le Gregorius
Nyssenus, De mundo et generacione hominis (« Sur l’univers et la génération de
l’homme ») le véritable Grégoire de Nysse et son ouvrage De opificio hominis
(« Sur la création de l’homme » ; Περὶ τῆς κατασκευῆς τοῦ ἀνθρώπου, le titre
traditionnel). Rappelons que Rhenanus appelle cet ouvrage De la création de
l’homme (Περὶ τῆς τοῦ ἀνθρώπου γενέσεως)45. En ce qui concerne le véri-
table Grégoire de Nysse, nous avons utilisé le manuscrit Bodl. Auct. E. 1. 6 afin
de contrôler les têtes de chapitre du De opificio hominis communiquées à Lefèvre
d’Étaples par Rhenanus46. Dans son étude de Grégoire de Nysse, H. B. Wicher fait
savoir que notre manuscrit contient le texte grec du De opificio hominis précédé
de la Summaria capitum47. Cuno mentionne l’ouvrage sous le titre De conditione
hominis dans sa lettre sur la publication de Nemesius48.
Ensuite, dans le troisième élément de la liste, n° XXVIII, c’est-à-dire les
Opiniones de anima philosophorum et christianorum hereticorum (les « Opinions
sur l’âme de philosophes et de chrétiens hérétiques »), Vernet écrit seulement
« Florilège non identifié ». Il faut comprendre ici les fragments de l’ouvrage de
Nemesius qui nous intéressent. La question se pose de savoir si Cuno, dans sa
liste, ne voulait pas comprendre que son auteur était aussi Grégoire de Nysse, car
il ne nomme pas d’auteur dans la liste d’après Vernet et, comme on le verra plus
loin, écrit le nom de Grégoire de Nysse au début de ces Opiniones.
En tout cas, H. B. Wicher fait savoir que le manuscrit d’Oxford ainsi qu’un
manuscrit de Madrid (Biblioteca Nacional, 4758, XVIe s.) contiennent la section de
Nemesius De anima (« Sur l’âme », chap. 2 et 3) ainsi que deux autres chapitres
(les 24 et 25) du même auteur, à savoir le De pulsibus et le De generandi facultate
(« Sur les pouls » et « Sur la capacité d’engendrer »). Ensuite, selon elle, les deux
manuscrits renferment des extraits du véritable Grégoire de Nysse, d’Irénée et de
Théodoret49.
Quant au quatrième élément de la liste de Cuno, Theodoretus, De luce, Vernet
écrit « Théodoret de Cyr (?), opuscule non identifié ». Nous ne pouvons pas ici
confirmer ou infirmer son propos, ni dire ce qu’il en est de l’extrait d’Irénée évo-
qué par Wicher.

44. R. W. HUNT, « Greek Manuscripts », p. 81.


45. Voir RHENANUS, Epistulae, vol. 1, J. Hirstein éd., Epist. 38, div. 1, p. 334, l. 3-4.
46. Voir ibid., p. 334, en note, 2e apparat.
47. H. B. WICHER, « Gregorius Nyssenus », dans Catalogus translationum et commentariorum,
vol. 5, F. E. Cranz ed., P. O. Kristeller ass. ed., Washington, D.C., 1984, p. 127.
48. Voir RHENANUS, Epistulae, vol. 1, J. Hirstein éd., Epist. 35, div. 49, p. 304-307.
49. H. B. WICHER, « Nemesius Emesenus », p. 34 et 57-58.
490 JAME HIRSTEIN

Notre centre d’intérêt est Nemesius et les deux chapitres « Sur l’âme ». D’après
notre effort pour examiner le manuscrit Bodl. Auct. E. 1. 6 sur microfilm en un
temps limité, nous arrivons au contenu suivant pour les ouvrages qui précèdent
Nemesius, cela d’après une entrée (f. 1 v°) d’une main plus récente au début (nous
n’avons pas pu examiner l’étiquette en parchemin mentionnée par Hunt) : « Super
14 epistolas Pauli » ; « Basilii commenta in aliquot capita Esaiae » ; « Eiusdem
Hexameron », « Greg. Nyss. De creatione mundi » [f. 319 v° – 363 r°]. Nous
retrouvons ensuite les chapitres de Nemesius qui nous intéresse aux f. 363 r° –
373 v°50. Pour ce qui est du commentaire sur Isaïe attribué à Basile, que nous
mentionnons uniquement sur la foi de l’entrée manuscrite plus récente, rappelons
pour mémoire qu’Érasme a publié une traduction de l’In Esaiam Commentariolus
de Basile chez Johann Froben en juillet 151851. Vernet, pour son numéro 4, men-
tionne un exemplaire de ce texte qui n’a pas été retrouvé52. Quant à sa présence
effective dans le manuscrit Bodl. Auct. E. 1. 6, nous ne pouvons pas actuellement
en dire plus.
L’éditeur scientifique moderne de Nemesius, Moreno Morani, mentionne seule-
ment en passant le manuscrit d’Oxford que nous étudions ici, cela en décrivant la
méthode de traduction de Cuno et de Rhenanus :
Burgundionis translationem reuisit Iohannes Cuno, qui XVI saec. uixit. cum iudicis
Pisani uersionem codicibus quibusdam adseruatam repperit, Burgundionis scribendi
genus omnino respuendum existimauit ; conatus est ergo barbaram et graecolatinam
Burgundionis structuram auferre, uersionem partim denuo rescribens partim auxilio
codicum, qui Nemesii textum non integrum amplectuntur (ut Bodl. Auct. E. 1. 6),
emendans53.
« Johann Cuno, qui vécut au XVIe s., reprit la traduction de Burgundio. Lorsqu’il
découvrit la version du juge de Pise, qui avait été conservée par plusieurs manuscrits,
il jugea que le style devait être entièrement rejeté ; par conséquent, il essaya
d’enlever la construction barbare et gréco-latine de Burgundio, d’un côté, en faisant
une réécriture de la version sur nouveaux frais et, de l’autre, en l’émendant grâce à
l’aide de manuscrits qui ne contiennent pas le texte intégral de Nemesius (comme le
manuscrit Bodl. Auct. E. 1. 6). »
Morani a sans doute été obligé de laisser de côté le manuscrit d’Oxford en
raison de son état fragmentaire et, comme nous le verrons, interpolé.

50. H. B. WICHER, « Nemesius Emesenus », p. 57, indique les f. 364-374, mais il y a en haut
des pages du manuscrit un double décompte (de bibliothécaire) des feuillets. Nous suivons ici le
décompte que nous avons indiqué.
51. Voir J. CHOMARAT, Grammaire et rhétorique chez Érasme (Classiques de l’Humanisme),
vol. 1, Paris, 1981, p. 455.
52. A. VERNET, « Manuscrits grecs », p. 82.
53. Nemesii Emeseni de natura hominis edidit Moreno Morani, Leipzig, 1987, p. X (= Mor.).
En évoquant la « barbaram et graecolatinam Burgundionis structuram », Morani pense à la lettre
de Cuno à Rhenanus du 7 mars 1512 ; voir RHENANUS, Epistulae, vol. 1, J. Hirstein éd., Epist. 35,
div. 1, p. 286, l. 9-10 etc.
LA RÉCEPTION DU DE NATVRA HOMINIS DE NEMESIUS 491

III. – LE DE NATVRA HOMINIS DE NEMESIUS


On accepte en règle générale que l’ouvrage comportait une division en 44 cha-
pitres. G. Verbeke et J. R. Moncho font savoir qu’« au neuvième siècle, le premier
chapitre, qui traite de la place de l’homme dans l’univers, a circulé en un opuscule
isolé portant le nom de Nemesius, tandis que les chapitres deux et trois ont été
considérés comme un Traité de l’âme de Grégoire de Nysse. Il en a résulté que
l’ensemble du traité a été attribué au même auteur, à savoir Grégoire de Nysse qui,
dans le monde chrétien, jouissait d’un très grand prestige54 ».
Ce sont les chapitres deux et trois qui se trouvent, entre autres, dans le manuscrit
d’Oxford55 et constituent en effet un tel traité sur l’âme.
Le titre au début des chapitres sur l’âme dans le manuscrit Bodl. Auct. E. 1.
6 est Περὶ ψυχῆς τῶν ἑκασταχοῦ φλοσόφων δόξαι διάφοροι Εἵθ´οὕτως ἡ
ἀληθὴς περὶ τούτων διήγησις56 (« Les différentes opinions des philosophes
partout à propos de l’âme, puis ainsi une vraie exposition de celles-ci »). Cette
section commence par le chapitre 67 de l’édition moderne (Mor., p. 16, l. 11).
Cuno a écrit à côté du titre : Greg Nysse epi57.
L’une des actions de Cuno et de Rhenanus en retravaillant le texte fut d’en
créer huit grands chapitres. Morani, dans son étude de la tradition manuscrite, les
présente ainsi :
I (de homine) = cap. 1 ;
II (de anima) = cap. 2-3;
III (de elementis) = cap. 4-5 ;
IV (de viribus seu potestatibus animae) = cap. 5 ;
V (de voluntario et involuntario) = cap. 29-34 ;
VI (de fato) = cap. 35-39 ;
VII (de libero arbitrio) = cap. 40-41 ;
VIII (de providentia) = cap. 42-4458.
Le chapitre II de Cuno et de Rhenanus englobe les chapitres 2 (sections 67-125,
10 / p. 16, l. 11 – p. 38, l. 11) et 3 (sections 125, 11-145 / p. 38, l. 11 – p. 44, l. 21)
de l’édition moderne. Sauf erreur, il n’y a pas de mention du manuscrit Bodl. Auct.
E. 1. 6 dans l’étude de Morani sur les manuscrits.

54. G. VERBEKE – J. R. MONCHO, dans NEMESIUS D’ÉMÈSE, De natura hominis, p. VI.


55. H. B. WICHER, « Nemesius Emesenus », p. 57.
56. Ms. Bodl. Auct. E. 1. 6, f. 363r°. Nous ne reproduisons pas ici les trémas sur les voyelles,
les sigmas lunées ou les sigma médianes en fin de mot.
57. Le début de l’entrée est difficile à lire.
58. M. MORANI, La tradizione manoscritta del « De natura hominis » di Nemesio (Scienze
Filologiche e Letteratura 18), Milano, 1981, p. 38-39.
492 JAME HIRSTEIN

Mais Cuno et Rhenanus sont allés plus loin que cela. Ils ont divisé leur grand
chapitre II en douze sous-chapitres (1512, f. V v° – XIV v°). Nous n’avons pas la
place de traiter cette question dans le détail ici. Cuno a été aidé dans la création de
sous-chapitres par les divisions qui existaient déjà dans le manuscrit d’Oxford. Il
n’a pas annoté le manuscrit de manière suivie, mais on constate parfois sa prise en
compte des divisions. Au feuillet 364 v°, par exemple, il écrit en marge « Cap. 2 »,
pour le sous-chapitre 2, où il est question de Cléanthe et de Chrysippe (section
76, l. 11 / p. 20, l. 12). La division dans le manuscrit est signalée par un espace
blanc dans la ligne. Pour ce qui est du chapitre 5, par exemple, au feuillet 368 r°, à
propos de Pythagore (section 102, 18 / p. 29, l. 19), il entre le chiffre 5 au-dessous
d’un symbole qui marque déjà la division. Il fait des remarques plus développées
pour les sous-chapitres à la fin qui intéressaient beaucoup Rhenanus59, et lui-
même aussi sans doute. Pour signaler le sous-chapitre 10 (le début du chapitre 3
de Nemesius, voir plus haut), Cuno écrit en marge De unione animae ad corpus
(« Sur l’union de l’âme avec le corps », f. 371 v°). De même, il met en avant le
sous-chapitre 12 (section 137, 9 / p. 42, l. 9) De unione uerbi cum homine (« Sur
l’union du verbe avec l’homme », f. 373 r°)60.

IV. – LE SOUS-CHAPITRE 6 ET LA RÉFUTATION D’APOLLINAIRE


En voulant évaluer les pratiques de traduction de Cuno et de Rhenanus d’après
un échantillon, nous avons cherché à nous assurer de l’intérêt que Cuno portait au
passage choisi. Pour cette raison nous avons choisi le f. 369 r°, où Cuno écrit en
marge que quelque chose manque au texte et fournit un résumé pour combler la
lacune. Il s’agit des sections 108-110 (p. 32, l. 3-19) dans l’édition de Morani61.
C’est l’une des interventions les plus importantes de Cuno dans le manuscrit et
nous pouvons être certain qu’il a bien examiné ce passage.
Ce passage fait partie du sous-chapitre 6. Dans leur intitulé du sous-chapitre,
Cuno et Rhenanus évoquent le cas d’Apollinarius :
Cap. vi : …et contra Apollinarium episcopum, uirum clarissimum, qui animam ex
traduce parentum prouenire astruxerat62.
« Chap. vi : …et contre l’évêque Apollinarius, homme très illustre, qui avait déclaré
que l’âme provenait d’une transmission de la part des parents. »

59. Voir RHENANUS, Epistulae, vol. 1, J. Hirstein éd., Epist. 34, div. 20, p. 274-275.
60. Remarque qui se trouve deux lignes après le début du sous-chapitre.
61. Nemesii Emeseni de natura hominis edidit Moreno Morani, Leipzig, 1987.
62. M. SCHÜRER, Strasbourg, 1512, f. A [v] v° et C 4 r°.
LA RÉCEPTION DU DE NATVRA HOMINIS DE NEMESIUS 493

C’est une division du texte où Nemesius réfute la théorie de traducianisme, sou-


tenue entre autres par l’évêque Apollinaire de Laodicée (315-390), selon laquelle
l’âme existe dans chaque individu par voie de génération.
Nemesius expose d’abord la pensée d’Apollinaire, qui nie que les âmes soient
mises de côté ou créées à chaque fois. Si, dit Apollinaire, les âmes étaient créées
à chaque fois, Dieu jouerait un rôle dans la venue au monde d’enfants nés d’adul-
tère. De plus, la déclaration fondée sur le livre de la Genèse, selon laquelle Dieu
se reposa après son travail, serait fausse.
Ensuite, Nemesius, pour contrer l’idée que l’âme est tout bonnement transmise
par le premier homme à tous ses descendants, présente ce raisonnement. Si les
entités qui transmettent l’âme sont mortelles, l’âme transmise doit l’être aussi (car
la transmission des âmes est entreprise pour maintenir la lignée des mortels). Il
faut alors admettre ou bien que l’âme est mortelle, ou bien que les âmes ne sont
pas engendrées par cette succession.
Pour ce qui est de l’arrivée au monde d’enfants nés d’adultère, Nemesius renvoie
à la providence divine, que nous ne pouvons pas saisir, mais qui doit favoriser la
vie des hommes ou Dieu lui-même, et rappelle l’exemple éclatant de la naissance
de Salomon grâce à l’union de David avec Bethsabée, la femme d’Urie le Hittite63.
Par rapport au texte moderne de Nemesius établi par Morani, celui du manuscrit
d’Oxford, pour le passage en question, présente des variantes, des omissions et
une interpolation. Nous ne pouvons fournir une liste détaillée dans le cadre de
cette étude, mais mettons en annexe notre transcription du passage. Nous traitons
les différences les plus importantes ici. Il y a d’abord l’omission que Cuno a dû
réparer. Il y manque les lignes 10 à 13 de Morani, car il y a eu un saut « du même
au même ». L’omission (en caractères italiques ici) commence et se termine par
deux formes du verbe γεννάω :
Ἀλλ´εἰ πάντα τὰ κατὰ διαδοχὴν ἐξ ἀλληλογονίας γεννώμενα δέδεικται
θνητά (διὰ γὰρ τοῦτο γεννᾷ καὶ γεννᾶται, ἵνα τῶν φθαρτῶν διαμείνῃ τὸ
γένος), ἀνάγκη καὶ τοῦτον ἢ θνητὴν εἶναι λέγειν τὴν ψυχὴν ἐξ ἀλληλογονίας
γεννωμένην ἢ μὴ κατὰ διαδοχὴν ἐξ ἀλλήλων γεννᾶσθαι τὰς ψυχάς.
« Mais s’il a été montré que tous les êtres engendrés successivement à partir d’une
procréation mutuelle sont mortels (en effet c’est en ceci qu’ils engendrent ou sont
engendrées, que la race des choses périssables subsiste), il est nécessaire aussi que
celui-ci dise ou bien que l’âme engendrée de procréations mutuelles est mortelle ou
bien que les âmes ne sont pas engendrées successivement les unes des autres. »

63. Pour une brève analyse de cette section dans l’ouvrage de Nemesius en tant qu’ensem-
ble, voir Cyril of Jerusalem and Nemesius of Emesa Edited by William Telfer Master of Selwyn
College, Cambridge (The Library of Christian Classics IV), Philadelphia, 1955, p. 284-286.
494 JAME HIRSTEIN

À l’endroit où l’omission commence, Cuno écrit dans la marge droite Ibi defe-
cit, « il y a eu défaut à cet endroit-là », puis fournit un résumé de la pensée64 :
Demonstratum est // esse mortalia. Iccirco enim // generant et generantur ut //
corruptibilium permaneat// genus. Necesse est uel et // hanc mortalem dicere
animam //ex mutua successione// procreatam65.
« Il a été démontré que ces choses sont mortelles. Pour cette raison en effet elles
engendrent et sont engendrées, à savoir que la race des choses corruptibles perdure.
Il y a nécessité même aussi de dire que cette âme-ci est mortelle comme elle a été
procréée à travers une succession mutuelle. »
Le texte de Nemesius dans la traduction de Burgundio est :
« Sed si omnia secundum successionem ex adinuicem germinatione genita demonstrata
sunt mortalia esse (propterea enim generant et generantur, ut corruptibilium permaneat
genus), necesse est et hunc uel mortalem esse dicere animam ex adinuincem
germinatione fientem, uel non secundum successionem ex se inuicem generari
animas66. »
Rhenanus et Cuno dans leur réécriture proposent ce texte :
« Sed si omnia ex mutua propagatione secundum successionem genita, mortalia esse
demonstrata sunt (propterea enim generantur & generant vt corruptibilium permaneat
genus) vel hanc ex uicissaria procreatione ortam mortalem dicere, vel non secundum
successionem ex se inuicem generari est necessum67. »
On constate que Cuno, dans le résumé qu’il a dû faire à partir de la traduction
de Burgundio, utilise déjà quelques tournures que l’on retrouve dans la réécriture
finie. Néanmoins, si Burgundio reprend de si près le texte grec que hunc repré-
sente Apollinarius, Cuno comprend hanc animam, même si l’on ne voit pas le mot
dans ce paragraphe. Cette approche se voit aussi dans le texte publié à Strasbourg.
Cuno, en revanche, a repris tel quel le texte de Burgundio pour la remarque entre
parenthèses. Naturellement, Cuno ne pouvait s’inspirer du texte grec du manuscrit
Bodl. Auct. E. 1. 6 à cet endroit.
L’autre grande différence du manuscrit d’Oxford par rapport au texte actuel se
trouve à la fin du passage. Pour illustrer le rôle de la providence dans l’existence
des enfants illégitimes, Nemesius propose l’exemple de Salomon. On lit dans le
texte moderne :

64. Les « slashes » (//) indiquent les fins de ligne de l’entrée de Cuno dans la marge.
65. Dans le groupe de mots ex mutua successione le début de l’adjectif mutua est difficile à lire.
66. G. VERBEKE – J. R. MONCHO, dans NEMESIUS D’ÉMÈSE, De natura hominis, p. 42-43,
l. 34-39.
67. M. SCHÜRER, 1512, f. X v° - XI r°.
LA RÉCEPTION DU DE NATVRA HOMINIS DE NEMESIUS 495

Ἱκανὸν δὲ τεκμήριον τούτου λαμβάνομεν <τὸν> ἐκ τῆς Οὐρίου γυναικὸς


καὶ τοῦ Δαυὶδ γεννηθέντα Σολομῶνα68.
« Nous recevons un témoignage suffisant de cela dans le cas de Salomon qui fut
engendré de la femme d’Urie et de David. »
Le manuscrit d’Oxford propose une fin assez différente pour toute cette phrase :
Ἱκανὸν δὲ τεκμήριον τοῦτο ὡς κατὰ τὸν νόμον τὸν θεῖον τικτομένων ὡς
καὶ ἐπὶ τοῦ Σολομῶντος τοῦ υἱοῦ Δαυιδ γεννῶνται τὰ γεννώμενα.
« Un témoignage suffisant est celui des êtres enfantés selon la loi divine ; comme aussi
d’après le cas de Salomon, le fils de David, ce qui est engendré l’est selon la loi
divine69. »
On aborde ici également l’exemple de Salomon, avec moins de précisions sur
sa naissance d’une union adultère, mais plus sur la volonté divine, qui s’exprime
à travers sa loi. Étant donné que Morani ne tient pas compte du manuscrit Bodl.
Auct. E. 1. 6, il n’y a pas de trace de ces grandes différences dans son apparat
critique. En effet, le texte du manuscrit d’Oxford est dans cet endroit interpolé.
La traduction de Burgundio se lit :
« Sufficiens autem argumentum huius accipimus eum qui ex ea quae fuit Uriae,
Salomonem et David generatum70 ».
Chez Cuno et Rhenanus le texte est bien plus succinct :
« Cuius euidens argumentum Solomonem accipimus, ex vxore Vriae & David natum. »
Dans la réécriture, un relatif de liaison a été utilisé pour relier davantage la
phrase à ce qui précède. Cuno n’a pas été influencé par les données du manuscrit
d’Oxford, bien que ce soit une source grecque et qu’il l’ait vu de près à cet endroit.
Ce qui a primé ici était la simplification du texte de Burgundio ou la recherche
d’élégance dans sa réécriture. Peut-être Cuno a-t-il conclu que le manuscrit n’était
pas digne de confiance à cet endroit ; il avait déjà examiné sa source latine afin de
résumer les lignes omises. Nous reviendrons sur l’aspect stylistique de ce passage.
Outre les différences importantes que sont l’omission et l’interpolation exami-
nées, il en existe d’autres de moins grande taille. Il y a en effet de petites omissions
et des différences de vocabulaire que la comparaison avec le texte moderne révèle.
Mais comme nous nous intéressons à ce qui distingue la traduction de Burgundio
de la réécriture de Cuno et de Rhenanus, il est plus utile à cet endroit de comparer
celles-ci, puis de revenir au manuscrit d’Oxford à la recherche d’une réponse.

68. Mor., p. 32, l. 17-19.


69. Dans notre traduction de γεννῶνται τὰ γεννώμενα, nous n’avons pas appliqué la règle
πάντα ῥεῖ.
70. G. VERBEKE – J. R. MONCHO, dans NEMESIUS D’ÉMÈSE, De natura hominis, p. 43, l. 43-45.
496 JAME HIRSTEIN

Lorsque la pensée d’Apollinaire est explicitée au début, Burgundio traduit


Apolinario uero uidetur animas ab animabus generari, « mais il semble bon à
Apollinaire que les âmes s’engendrent à partir d’âmes ». Cuno et Rhenanus
écrivent Apollinarius vero censet animas ab animabus produci, « mais Apollinaire
est d’avis que les âmes se produisent à partir d’âmes ». Il y a une différence entre
les textes grecs à cet endroit. L’édition moderne présente l’infinitif τίκτεσθαι,
mais le Bodl. Auct. E. 1. 6 celui de κτίζεσθαι ; le manuscrit d’Oxford peut
expliquer la différence de traduction chez Cuno et Rhenanus. Toujours dans
l’exposition de la pensée d’Apollinaire, il y a une autre différence de traduction.
Burgundio écrit Prouenire enim animam secundum successionem primi hominis,
« en effet l’âme vient avant selon la succession du premier homme », alors que
Cuno et Rhenanus proposent Prouenire enim diffundique secundum corporalem
successionem primi hominis animam, « en effet l’âme vient avant et se verse en
tous sens selon la succession corporelle du premier homme ». L’ajout d’un second
verbe et la précision « corporelle » se constatent dans la réécriture. Mais, à cet
endroit, le texte grec est le même, προιέναι γὰρ τὴν ψυχὴν κατὰ διαδοχὴν
τοῦ πρώτου ἀνθρώπου, si bien qu’on est surpris par l’ajout de diffundi chez
Cuno et Rhenanus. Nous y reviendrons.
Toujours dans l’exposition, une autre différence se présente. Burgundio écrit :
neque enim subiacere animas neque nunc creari, « et en effet les âmes ne sont ni
mises de côté en attente ni créées maintenant », mais Cuno et Rhenanus rédigent
ainsi : neque enim constitui animas neque nunc creari, « et en effet les âmes ne
sont ni établies ni créées maintenant ». Le premier infinitif dans le texte moderne
de Nemesius est ἀποκεῖσθαι ; dans le manuscrit Bodl. Auct. E. 1. 6, c’est
συγκεῖσθαι. On admire la traduction littérale faite par Burgundio (subiacere)
d’un verbe courant. En revanche, le verbe dans le manuscrit d’Oxford, bien moins
fréquent, a le sens étymologique d’« être couchés, posés ensemble » et puis « se
composer ». La traduction par constitui semble assez recherchée. Nous sommes
peut-être devant un effort d’interprétation à travers la réécriture.
La dernière différence qui mérite commentaire est très claire. À la fin du passage,
lorsqu’il est question de l’arrivée au monde d’enfants nés d’adultère, Burgundio
fait une traduction littérale en écrivant animationem. À cet endroit, Cuno laisse le
mot grec dans la réécriture latine : ἐμψύχωσιν. Il a expliqué sommairement ce
procédé dans sa lettre à Rhenanus du 7 mars 1512 :
Porro id tibi adijcere minime negligendum duxi me inter emendandum ipsas graecas
uoculas quas repperi, restitutas quidem, integras reliquisse, imitatum non tam illius
uiri pium studium quam affectum.
« De plus, j’ai pensé que je ne devais absolument pas négliger d’ajouter à ton usage
qu’en corrigeant, lorsque j’ai trouvé des termes eux-mêmes en grec – après les avoir
rétablis bien entendu –, je les ai laissés entièrement sous cette forme, ayant imité en
cela non pas tant le zèle pieux de cet homme que son intention71. »

71. RHENANUS, Epistulae, vol. 1, J. Hirstein éd., Epist. 35, div. 38, p. 302-303.
LA RÉCEPTION DU DE NATVRA HOMINIS DE NEMESIUS 497

Mais Cuno pense ici à des cas où Burgundio translittère le grec en latin. Par
exemple, au début du chapitre sur l’âme : Ἀριστοτέλης δὲ ἐντελέχειαν72,
Burgundio traduit : Aristoteles autem entelechiam73 et Cuno et Rhenanus :
Aristoteles primam corporis … uitam habentis ἐντελέχειαν74. Mais, dans le cas
présent, le mot animationem de Burgundio est loin d’être une translittération de
ἐμψύχωσιν, c’est l’action exacte du terme grec exprimée grâce aux moyens dont
dispose la langue latine. Néanmoins, pour plus de précision, on aurait souhaité voir
inanimationem, mais cela aurait été ambigu. Il est certain que le manuscrit Bodl.
Auct. E. 1. 6 a pu aider Cuno à cet endroit pour retrouver le terme grec, qui n’était
pas forcément transparent à travers le texte de Burgundio. Il serait intéressant de
comparer les quatre chapitres 2, 3, 24 et 25 contenus dans le manuscrit d’Oxford
pour déterminer s’il y a d’autres exemples de cette sorte.
Chez Cuno et Rhenanus il y a une annotation marginale imprimée qui glose
le terme grec ἐμψύχωσιν : i[d est] animarum implantationem siue infusionem,
« c’est-à-dire l’implantation ou l’infusion des âmes ». Le terme d’infusio fait pen-
ser à l’utilisation du verbe diffundo en plus de prouenire plus haut pour traduire
προιέναι. Pour Cuno et Rhenanus l’ajout de la notion d’un « versement d’âmes »
est important pour décrire le traducianisme.
Nous voudrions revenir ici sur la participation de Rhenanus à la réécriture de la
traduction de Burgundio. Le Sélestadien décrit la situation de la manière suivante
dans la lettre qu’il a faite à Lefèvre le 1er mars 1512 pour lui présenter et lui
expliquer l’édition de Nemesius :
Ego uero huius operis utilitatem apud me perpendens, cum id ante praeceptor meus
obeliscis undique confodisset, etsi aliis rebus et maxime literarum graecarum studiis
praepedirer, excribendum duxi…
Inter describendum autem Burgundionianae tralationis, stilum ubique fere erexi ne
tam rustica barbarie deterriti lectores, ueluti de Nilo canes, ut uetus uerbum usurpem,
biberent et fugerent75.
« Mais quant à moi, pesant avec soin chez moi l’utilité de cette œuvre, alors que mon
professeur l’avait auparavant criblée d’obèles, même si j’étais retenu par d’autres
occupations et surtout par mon étude de la littérature grecque, j’ai estimé qu’elle
devait être recopiée.
Or, tandis que je transcrivais la traduction de Burgundio, j’ai relevé presque partout le
style pour éviter que les lecteurs, rebutés par une si grossière barbarie, fassent ce que
font les “chiens aux bords du Nil”, pour employer l’expression antique : “boire l’eau
et s’enfuir”76. »

72. Section 68, l. 4, p. 17, l. 4.


73. G. VERBEKE – J. R. MONCHO, dans NEMESIUS D’ÉMÈSE, De natura hominis, p. 24, l. 29-30.
74. M. SCHÜRER, Strasbourg, 1512, f. VI r°.
75. RHENANUS, Epistulae, vol. 1, J. Hirstein éd., Epist. 34, div. 29-30, p. 280-283.
76. Les mots apud me n’avaient pas été clairement traduits dans notre éd. des lettres de
Rhenanus ; nous le faisons ici.
498 JAME HIRSTEIN

Nous devons penser que le document « criblé d’obèles » (signe qui critiquait un
passage, son authenticité) par Cuno était le manuscrit même que Schürer avait reçu
de Vienne. Comme Cuno, d’après ses dires, a souvent réécrit fortement le texte, les
interventions critiques ou correctives devaient être nombreuses. Rhenanus a pro-
bablement pensé que les imprimeurs auraient du mal à lire le modèle d’impression,
la « Druckvorlage ». C’est ainsi qu’il se donna la peine d’en préparer un nouveau.
La lettre de Rhenanus fait savoir ensuite que pendant qu’il recopiait la tra-
duction, il a rehaussé le style « presque partout ». Il semble bien qu’il l’ait fait
uniquement à partir du texte corrigé par Cuno, sans aucune autre source. D’abord
il se trouvait chez lui (et non pas chez Cuno, chez les dominicains) et, ensuite, il
était pris par le temps. Il n’avait ni la possibilité, ni le temps, ni peut-être même le
désir de faire d’autres consultations. Il s’agissait donc d’ajouter de l’éclat au style
de l’ensemble, option que Cuno lui avait clairement offerte en lui disant : « À toi
d’être Aristarque77. »
Nous possédons des cas de « remises au propre » de la part de Rhenanus. Par
exemple, deux des lettres au lecteur signées par Bruno Amerbach pour certains
volumes des œuvres de saint Jérôme de 1516 furent recopiées par Rhenanus78. La
raison était sans doute la même, à savoir que le texte final écrit par Bruno et corrigé
par Rhenanus était trop criblé d’interventions. En effet, nous possédons une autre
lettre de l’édition de saint Jérôme qui est fondée sur un texte manuscrit de Bruno,
corrigé par Rhenanus, cas où un texte copié au propre par Rhenanus n’existe pas
ou plus79. Un autre exemple un peu plus complexe attire aussi l’attention, la lettre
de « Johann Froben » aux « Studieux » pour l’édition bâloise non-autorisée de 1513
des Adages. Nous possédons trois manuscrits préparatoires où Rhenanus corrige
le travail de Bruno, sans qu’il existe une mise au propre80. Remise au propre et
amélioration stylistique vont certainement de pair, surtout si l’on pense que son
modèle est « barbare ».
La dernière phrase du passage que nous avons examiné ici pourrait bien être un
exemple d’un tel rehaussement. Bien que la traduction de Burgundio présente un
mot de liaison sous la forme de la conjonction autem, les auteurs de la réécriture
ont voulu utiliser un relatif de liaison (cuius) pour la remplacer et créer un lien plus
fort avec la phrase précédente. Ils ont aussi préféré un nouvel adjectif, remplaçant
sufficiens (« suffisant ») par euidens (« manifeste »), bien que ce dernier terme soit
bien plus fort et plutôt éloigné du grec ἱκανός, ce qui fait penser à une correction
faite sans consultation de l’original. Or l’insertion de mots de liaison fait partie
de la manière dont Rhenanus a rehaussé le style de la lettre de « Froben » aux

77. RHENANUS, Epistulae, vol. 1, J. Hirstein éd., Epist. 35, div. 26, p. 298-299.
78. Voir ibid., Epist. 76 et 79.
79. Ibid., Epist. 74.
80. Ibid., Epist. 50. Il se peut que les dernières mises au propre aient été utilisées par les typo-
graphes, puis jetées.
LA RÉCEPTION DU DE NATVRA HOMINIS DE NEMESIUS 499

futurs lecteurs enthousiastes des Adages de 1513. Il en rajoute une série : Quorum,
tamen, Caeterum, In eo enim, Praeterea, Porro, etc81.
En l’absence du manuscrit que Cuno a « criblé d’obèles », nous sommes réduit
à des suppositions pour cerner la contribution de Rhenanus à la réécriture de la
traduction de Burgundio. Il n’en reste pas moins que le manuscrit d’Oxford nous
apporte un peu plus d’indices.
Notre échantillon est trop petit pour tirer de grandes conclusions. Il y a néan-
moins des résultats importants. L’absence de l’écriture de Beatus Rhenanus dans
le manuscrit Bodl. Auct. E. 1. 6 confirme l’idée qu’on obtient à partir de sa corres-
pondance, à savoir que ce fut Cuno qui a fait les recherches dans la bibliothèque
de son ordre pour le projet de réécriture et de publication d’une traduction latine
de Nemesius.
Pour ce qui est des procédés de traduction, l’examen du passage sélectionné
laisse penser que le texte grec a pu quelque peu influencer la réécriture. Ce qui
frappe néanmoins est que Rhenanus et Cuno ne se réfèrent pas très clairement
au manuscrit. On aurait pensé que la découverte d’au moins quatre chapitres de
l’original, même si le manuscrit n’était pas de la meilleure qualité, aurait suscité
plus de remarques. Il se peut néanmoins que les deux hommes n’aient pas été très
heureux de se contenter de si peu d’éléments du texte même en grec et ne voulaient
pas y attirer l’attention.
Rhenanus mentionne que Cuno a effectué son travail quibusdam capitibus spar-
sim inuentis parmi les livres grecs de Stojkovič chez les dominicains82. Le mot
sparsim attire néanmoins l’attention. Ces « certains chapitres découverts çà et là »
peuvent provenir de notre manuscrit, mais le « çà et là » implique d’autres sources.
Cuno est un peu plus clair. Il fait allusion à exemplaris graeci quibusdam capi-
tibus et fragmentis in nostra bibliotheca repertis, « certains chapitres et fragments
appartenant à un exemplaire grec et découverts dans notre bibliothèque83 ». Le
singulier « un exemplaire grec » et la mention de chapitres fait bien penser à notre
manuscrit et l’allusion à des fragments peut indiquer les autres textes du Bodl.
Auct. E. 1. 6. Cuno évoque par exemple l’Hexameron de Basile le Grand84.
Quant à la qualité de leur réécriture, on ne peut qu’être d’accord avec Verbeke
et Moncho lorsqu’ils soulignent la précision de la traduction de Burgundio. Cuno
et Rhenanus ont clairement mis au goût du jour sa traduction pour des lecteurs
influencés par le mouvement humaniste et on peut penser que cet effort, même si
quelque précision a été perdue, a pu favoriser la diffusion du De natura hominis
de Nemesius.

81. Voir ibid., Epist. 50, p. 433, la n. 26.


82. Ibid., Epist. 34, div. 17, p. 270, l. 64.
83. Ibid., Epist. 35, div. 4, p. 288, l. 27-28.
84. Ibid., div. 13, p. 294, l. 64.
500 JAME HIRSTEIN

Si l’on ajoute une autre publication, celle de 151385, à la liste proposée par
Wicher86, on obtient quatre éditions de la réécriture de Cuno et de Rhenanus après
la première de Schürer : Paris, Josse Bade, 1513 ; Cologne, Melchior Novesianus,
éd. J. Antonianus Noviomagus, 1537 avec des ouvrages de Grégoire de Nysse ;
Cologne, Novesianus, 1551 et Bâle, Episcopius Jr., 1562, avec 32 ouvrages de
Grégoire de Nysse.
Quant aux livres de Stojkovič, Hunt fait savoir que, lorsque le couvent des domi-
nicains fut fermé en 1525 en raison des progrès de la Réforme à Bâle, les livres
sont restés sur place. Ce n’est qu’en 1559 qu’ils furent transférés à la Bibliothèque
universitaire de Bâle. Sur les 61 livres recensés, près de la moitié sont restés à
Bâle ; 11 ou 12 se trouvent ailleurs ; 2 ont péri87. Plus précisément, il nous apprend
que le manuscrit Bodl. Auct. E. 1. 6 a été donné à la bibliothèque en 1604 par Sir
Ralph Winwood en rapport avec le mariage de Sir Thomas Bodley88.
Pour terminer, nous voudrions reprendre le jugement fait par Hunt à la fin de
son article. Il fait valoir que les livres grecs de Jean Stojkovič, cardinal de Raguse,
constituèrent la « première collection importante de manuscrits grecs disponible
dans une bibliothèque de ce côté des Alpes », qui de plus se trouva dans un « centre
important »89. Il poursuit en disant que « sans la disponibilité de ces livres, il est
difficile de voir comment les Amerbach et les Froben et les érudits qu’ils ont
attirés à Bâle auraient pu produire leurs traductions et leurs éditions des Pères
grecs90 ». En ce qui concerne Nemesius d’Émèse, il faudrait ajouter le nom de
l’imprimeur Matthias Schürer de Strasbourg à ceux de ces homologues bâlois pour
cette contribution.
James HIRSTEIN91
Université de Strasbourg

85. RHENANUS, Epistulae, vol. 1, J. Hirstein éd., Epist. 45, p. 376-381.


86. H. B. WICHER, « Nemesius Emesenus , p. 61-62.
87. R. W. HUNT, « Greek Manuscripts », p. 76.
88. Ibid., p. 78.
89. Ibid., p. 81-82.
90. Ibid., p. 82.
91. Nous voudrions remercier la Bodleian Library d’Oxford d’avoir communiqué à la
Bibliothèque humaniste de Sélestat un microfilm du ms. Auct. E. 1. 6 dans le cadre du projet de la
réédition de la correspondance de Beatus Rhenanus. Le responsable de la Bibliothèque humaniste
lors de l’envoi était Monsieur Hubert Meyer ; le responsable actuel, Monsieur Laurent Naas, nous
a permis de le consulter de nouveau. Nous exprimons aussi notre gratitude à Monsieur Jean-Luc
Eichenlaub, directeur des Archives départementales du Haut-Rhin (Colmar), et au personnel des
Archives, qui ont mis des moyens techniques à notre disposition.
LA RÉCEPTION DU DE NATVRA HOMINIS DE NEMESIUS 501

ANNEXES

Manuscrit Bodl. Auct. E. 1. 6, f. 369 r° (texte défectueux) : la réfutation d’Apollinaire par


Nemesius92 ; *** = la grande omission signalée plus haut.
Ἀπολινάριος δὲ δοκεῖ τὰς ψυχὰς ἀπὸ τῶν ψυχῶν κτίζεσθαι ὥσπερ ἀπὸ
τῶν σωμάτων τὰ σώματα. προιέναι γὰρ τὴν ψυχὴν κατὰ διαδοχὴν τοῦ
πρώτου ἀνθρώπου εἰς τοὺς ἐξ ἐκείνου τεχθέντας καθάπερ τὴν σωματικὴν
διαδοχὴν. Μήτε γὰρ συγκεῖσθαι ψυχὰς μήτε νῦν κτίζεσθαι. Τοὺς γὰρ ταῦτα
λέγοντας συνεργὸν ποιεῖν τὸν θεὸν τοῖς μοιχοῖς. Τὰ γὰρ ἐκ τούτων παιδία
ὑποτίθεται. Ψεῦδος δὲ εἶναι καὶ τὸ κατέπαυσεν ὁ θεὸς ἀπὸ πάντων τῶν
ἔργων αὐτοῦ ὧν ἤρξατο ποιεῖν εἴπερ ἔτι καὶ νῦν ψυχὰς δημιουργεῖ ἀλλ´εἰ
πάντα κατὰ διαδοχὴν ἐξ ἀλληλογονίας γινομένην, ἢ μὴ κατὰ διαδοχὴν ἐξ
ἀλλήλων γεννᾶσθαι τὰς ψυχάς. Τὸ γὰρ ἐπὶτῶν ἐκ μοιχείας γεννωμένων
τῷ τῆς προνοίας λόγῳ καταλείπομεν ἀγνώστῳ παρ´ἡμῖν ὄντι. Εἰ δέ τι
δεῖ καὶ τῆς προνοίας καταστοχάζεσθαι, πάντως οἶδε τὸ κτιζόμενον ἢ τῷ
βίῳ ἢ ἑαυτῷ χρήσιμον ἐσόμενον, καὶ διὰ τοῦτο συγχωρεῖ τὴν ἐμψύχωσιν
γίγνεσθαι. Ἱκανὸν δὲ τεκμήριον τοῦτο ὡς κατὰ τὸν νόμον τὸν θεῖον
τικτομένων. Ὡς καὶ ἐπὶ τοῦ Σολομῶντος τοῦ υἱοῦ Δαυὶδ γεννῶνται τὰ
γεννώμενα.
La traduction de Burgundio de Pise (G. Verbeke – J. R. Moncho, p. 42-43, l. 34-45) :
« Apolinario uero uidetur animas ab animabus generari, sicut a corporibus corpora.
Prouenire enim animam secundum successionem primi hominis in eos qui ex illo
sunt omnes, sicut corporalem successionem ; neque enim subiacere animas neque
nunc creari ; eos enim qui haec dicunt, cooperatorem facere Deum moechis : etenim
ex his pueri creantur ; falsum autem esse et hoc “Requieuit Deus ab omnibus operibus
suis quae coeperat facere”, si utique adhuc et nunc animas condit, ait. Sed si omnia
secundum successionem ex adinuicem germinatione genita demonstrata sunt mortalia
esse (propterea enim generant et generantur, ut corruptibilium permaneat genus),
necesse est et hunc uel mortalem esse dicere animam ex adinuincem germinatione
fientem, uel non secundum successionem ex se inuicem generari animas. Quod enim
est in his qui ex adulterio generantur, prouidentiae rationi derelinquamus ignoto nobis
existenti. Si autem oportet quid est et de prouidentia conicere, omnino nouit quod
gignitur uel uitae uel sibi ipsi utile futurum et propterea concedit animationem hanc
fieri. Sufficiens autem argumentum huius accipimus eum qui ex ea quae fuit Uriae,
Salomonem et David generatum. »

92. Vis-à-vis du manuscrit, nous n’avons reproduit ni les sigmas lunées ni les sigmas médianes
employées en fin de mot. Nous avons aussi régularisé le timbre des voyelles.
502 JAME HIRSTEIN

La réécriture de Johann Cuno et de Beatus Rhenanus (Schürer, Strasbourg, 1512, f. X v°


– XI r°) :
« Apollinarius93 vero censet animas ab animabus produci, sicut a corporibus corpora.
Prouenire enim diffundique secundum corporalem successionem, primi hominis
animam in eos qui ex illo descenderunt omnes secundum successionem. neque
enim constitui animas neque nunc creari. eos vero qui hoc dicunt, cooperatorem
moechis facere deum. Etenim ab his pueri progignuntur. Falsum item & hoc esse
ait. Requieuit deus ab omnibus operibus suis quae coeperat facere, si vtique adhuc &
nunc animas conderet. Sed si omnia ex mutua propagatione secundum successionem
genita, mortalia esse demonstrata sunt (propterea enim generantur & generant vt
corruptibilium permaneat genus) vel hanc ex uicissaria procreatione ortam mortalem
dicere, vel non secundum successionem ex se inuicem generari est necessum. Quod
tamen in hiis est qui ex adulterio nascuntur, prouidentiae rationi, nobis ignotae,
relinquamus. Si autem de ea nonnihil conijcere licet, omnino nouit quod gignitur, vel
vitae vel sibiipsi vtile futurum. & hac de re hanc ἐμψύχωσιν fieri permittit94. Cuius
euidens argumentum Solomonem accipimus, ex vxore Vriae & David natum. »

93. Une annotation marginale imprimée Apollinarius attire l’attention sur le nom de l’évêque.
94. Une annotation marginale imprimée glose le terme grec et reprend le nom des personnages :
.i. animarum im// plantationem// siue infusio-// nem.// Solomon.// Vrias.// Dauid.
Basile de Césarée
dans le commentaire sur la Genèse
de Wolfgang Musculus (1554)
La Réforme protestante au XVIe siècle a revendiqué la primauté de l’Écriture1.
Pour autant cette primauté n’exclut pas le recours à la tradition et aux Pères
de l’Église pour l’interprétation de la Bible. C’est le cas particulièrement du
Réformateur Wolfgang Musculus. Reinhardt Bodenmann et Irena Backus ont
commencé à explorer l’importance des Pères dans l’œuvre de cet exégète prolixe2.
Nous nous attacherons plus modestement ici au premier chapitre du commentaire
sur la Genèse du Réformateur, aux In Mosis in Genesim plenissimi Commentarii3,
et aux citations de Basile de Césarée. Dans ce commentaire figurant au sein d’une
œuvre exégétique féconde – les commentaires bibliques de Wolfgang Musculus
représentent plus de 6300 pages et 400 pages in-octavo4 –, quel est le statut de
Basile ? Quels sont les enjeux exégétiques et théologiques de ces emprunts ? Telles
sont les questions que nous nous sommes posées. Après avoir examiné la préface

1. Voir F. HIGMAN, La diffusion de la Réforme en France, Genève, 1992, p. 20. Voir aussi,
pour ce qu’on nomme l’évangélisme dit de Meaux, mais étendu aux deux étapes du mouvement,
concomitant à la Réforme : I. GARNIER-MATHEZ, L’épithète et la connivence : écriture concertée
chez les Évangéliques français (1523-1534), Genève, 2005, p. 29.
2. R. BODENMANN, Wolfgang Musculus (1497-1563), Destin d’un autodidacte lorrain au siècle
des réformes (Travaux d’Humanisme et Renaissance CCCXLIII), Genève, 2000. I. BACKUS,
Lectures humanistes de Basile de Césarée, traductions latines (1439-1618) (Collection des
Études augustiniennes, Série Antiquité 125), Paris, 1990, p. 35-42. L’ensemble de la produc-
tion bibliographique de Wolfgang Musculus est consultable dans M. VAN WIJNKOOP LÜTHI,
« Druckwerkverzeichnis des Wolfgang Musculus (1497-1563) », dans Wolfgang Musculus und
die oberdeutsche Reformation (Colloquia Augustana 6), R. Dellsperger – R. Freudenberger –
W. Weber Hrsg., Berlin, 1997, p. 351-414.
3. WOLFGANG MUSCULUS, In Mosis Genesim plenissimi Commentarii, in quibus veterum et
recentiorum sententiae diligenter expenduntur, Bâle, 1554.
4. R. BODENMANN, Wolfgang Musculus (1497-1563), p. 457. Cette monographie propose une
édition et traduction de la Vita Wolfgangi Musculi par son fils Abraham, p. 111-287.
504 ANNIE NOBLESSE-ROCHER

de Wolfgang Musculus aux Opera Latina5 de Basile de Césarée, nous dresserons


une typologie provisoire de ces emprunts permettant d’établir le statut exégétique
et théologique de cet auteur.

I. – WOLFGANG MUSCULUS SELON LA VITA MVSCVLI


La biographie de Wolfgang Musculus nous est accessible par la Vita Musculi
rédigée par son fils Abraham en 1555, un an après la mort de son père, à la demande
de ses amis6. Dès les premières lignes de la Vita, Wolfgang Musculus, né à Dieuze
en Lorraine en 1497, est introduit dans la galerie des « saints » Réformateurs ; sa
naissance est placée sous les heureux auspices de Philippe Mélanchthon et de
Pierre Martyr Vermigli, le Lorrain étant né la même année que le premier et le
même jour, le 8 septembre, que le second7. Wolfgang Musculus semble bien dis-
posé aux études et passionné pour les Lettres. Il devient bénédictin à Lixheim dans
le Palatinat jusqu’à ses trente ans, s’adonne, au sein du monastère, à la musique
pour laquelle il a des prédispositions, notamment pour l’orgue8. Son petit-fils
Abraham nous transmet surtout son goût pour les auteurs classiques, comme
Ovide, dont il rédige un résumé paraphrasé des Métamorphoses hélas perdu,
semble-t-il9. A l’âge de 20 ans, Wolfgang Musculus se tourne vers la théologie ;
ses capacités sont vite reconnues et il est chargé de la prédication à ses frères,
non sans un certain succès10. Pour ce faire, il est aussi encouragé par un vieux
confrère à « devenir un bon bibliste11 » (bonus biblicus). Wolfgang Musculus,
selon Abraham, semble « avoir été poussé à une lecture et à une méditation plus
assidues des Saintes Écritures par cette recommandation12 ». Comme elle le fut
pour Martin Bucer13, l’année 1518 est pour lui décisive. Il découvre cette année-
là les traités de Martin Luther ; il les lit avec avidité14. Wolfgang Musculus, si
l’on en croit son fils, gardait constamment avec lui les traités de Luther, il en

5. BASILE DE CÉSARÉE, Homélies sur l’Hexaéméron (SC 26), texte grec, introduction et tra-
duction de S. Giet, Paris, 1949.
6. Vita Wolfgangi Musculi, R. Bodenmann éd., p. 114. Le lecteur consultera avec grand
profit : R. DELLSPERGER, « Wolfgang Musculus (1497-1563). Leben und Werk », dans Wolfgang
Musculus (1497-1563) und die oberdeutsche Reformation, p. 23-41.
7. Vita Wolfgangi Musculi, p. 120.
8. Ibid., p. 114.
9. Ibid., p.131.
10. Ibid., p.133.
11. Ibid., p. 131.
12. Ibid., p. 133.
13. M. GRESCHAT, Martin Bucer (1491-1551), un réformateur et son temps (Études d’histoire
et de philosophie religieuses), tr. française de M. Arnold, Paris, 1990, p. 29-30.
14. Vita Wolfgangi Musculi, p. 133.
BASILE DE CÉSARÉE CHEZ WOLFGANG MUSCULUS 505

parlait aussi à ses confrères lors des repas, mais prêchait les idées luthériennes
aussi à l’extérieur dans ses tournées de prédicateur15. Cette évolution amena
Wolfgang Musculus, en 1527, à faire ses adieux définitifs à ses confrères et à
quitter son monastère16. Il parvient la même année à Strasbourg où il se marie,
béni par le pasteur de l’église Saint-Pierre-le-Vieux, Theobald Schwartz. Devenu
tisserand chez un anabaptiste, Wolfgang Musculus est envoyé peu de temps après
comme pasteur dans le village de Dorslisheim par le bourgmestre et par « deux
pasteurs » dont Martin Bucer17. Il rend d’éminents services à celui-ci : c’est ainsi
qu’il recopie de sa belle écriture (il faut dire que celle de Martin Bucer est qua-
siment illisible !) son commentaire sur Sophonie et celui, très volumineux, sur
les Psaumes18. Wolfgang Musculus est appelé l’année suivante à devenir diacre
de Matthieu Zell, desservant de la cathédrale de Strasbourg. Il assiste aux leçons
de théologie de Wolfgang Capiton et Martin Bucer ; et c’est à ce moment qu’il
commença à apprendre l’hébreu sous la houlette de Bonifacius Wolfhardt19. Au
début de l’année 1531, Wolfgang Musculus part pour Augsbourg, à la demande
de la ville, pour dialoguer avec des anabaptistes insurgés20. Il exerce aussi une
pugnacité notoire contre le clergé de l’Église traditionnelle jusqu’au 17 janvier
1537, date à laquelle le Grand Sénat d’Augsbourg décide l’expulsion des prêtres
et des moines hors de la ville. En cette même année 1537, Wolfgang Musculus est
chargé de la paroisse de l’église de Notre-Dame21 et il en restera le curé jusqu’en
1547. Selon la Vita, Wolfgang Musculus apprend le grec en cette même année
1537. Ce point est certainement faux puisque ses premières traductions latines de
Jean Chrysostome paraissent en 1536. Il traduit en effet les commentaires de Jean
Chrysostome sur les épîtres de Paul aux Romains, aux Éphésiens, aux Philippiens,
aux Colossiens et sur les deux lettres aux Thessaloniciens. Il traduit aussi le second
tome des œuvres de saint Basile, ses scolies sur le psautier, 39 épîtres de Cyrille
d’Alexandrie, 9 de ses homélies et divers textes synodaux, le tout chez Herwagen,
à Bâle, en 154622. Il traduisit aussi la Synopse des saintes Écritures de l’Ancien

15. Ibid., p. 133. Nous avons confirmation ici de la théorie de Jonathan A. Reid selon laquelle
la pénétration des idées luthériennes dans les couvents rhénans fut importante et la doctrine luthé-
rienne prêchée au sein des lieux conventuels traditionnels, voir J. A. REID, « French Evangelical
Network before 1555: Proto-church? » dans La Réforme en France et en Italie. Contacts, compa-
raison et contrastes, P. Benedict – S. Seidel – A. Tallon dir., Roma, 2007, p. 105-124.
16. Vita Wolfgangi Musculi, p. 141.
17. Ibid., p. 145.
18. Ibid., p. 147.
19. Ibid., p. 147 et 153 ; R. BODENMANN, Wolfgang Musculus, p. 223.
20. Vita Wolfgangi Musculi, p. 156-157.
21. Ibid., p. 157.
22. Ibid., p. 159. Ces données ont été authentifiées par Reinhard Bodenmann, voir
R. BODENMANN, Wolfgang Musculus (1497-1563), p. 232.
506 ANNIE NOBLESSE-ROCHER

et du Nouvel Instrument d’Athanase23. Irena Backus a d’ailleurs montré quelles


améliorations notables Wolfgang Musculus réalisa par rapport au Basile latin de
1515, mais aussi par rapport à l’édition parisienne de 1520 et celles de Cologne
de 1523 et 153124. Wolfgang est obligé de fuir la ville à la suite de l’Interim de
1548 ; il se réfugie à Berne où il occupe la chaire de théologie de 1549 jusqu’à sa
mort en 156325.

II. – WOLFGANG MUSCULUS ET L’EXÉGÈSE : UNE INFLUENCE VICTORINE ?


La note au lecteur que Wolfgang Musculus apposa à l’édition latine des œuvres
de Jean Chrysostome en 1539 est intéressante car il y expose son système exé-
gétique26. Dans cette note, Wolfgang Musculus explique le triple bénéfice de
la lecture des Pères27. Il est possible, selon lui, de s’en servir pour élucider les
obscurités de l’Écriture : les Pères méritent davantage notre confiance que bien
des commentateurs contemporains qui connaissent mal la Bible28. Les Pères nous
permettent de mieux connaître, pour mieux les combattre, les hérésies anciennes.
Enfin, et c’est la marque propre de l’exégèse de Wolfgang Musculus de tona-
lité souvent tropologique, les écrits des Pères permettent d’édifier le croyant et
l’Église. Dans une lettre du Lorrain à un Hongrois, datée du 18 novembre 155029,
la tonalité est moins irénique. Le premier usage des Pères est inutile, cet usage
qui consiste à éclairer l’Écriture, car celle-ci est clarté par elle-même : l’Écriture
« est, en effet, une lampe à nos pieds [Ps. 118 (119), 15], et n’a rien d’obscur, sauf
pour ceux qui s’appuient sur l’autorité humaine plutôt que sur la divine, et qui se
confient en la tradition verbeuse et universelle de ceux qui errent plutôt qu’en la
vérité de la parole de Dieu30 ». Le deuxième usage des Pères consiste à rassembler
des florilèges « pour briser l’arrogance des adversaires » et c’est bien dans ce but
que le Réformateur lit les Pères31. Cependant une question importante se pose
au Réformateur : le manque de concordance doctrinale chez les Pères. De ce fait,

23. Vita Wolfgangi Musculi, p. 159 et R. BODENMANN, Wolfgang Musculus (1497-1563),


p. 233 et 551.
24. I. BACKUS, Lectures humanistes de Basile de Césarée, p. 37.
25. Ibid., p. 35.
26. Opera D. Ioannis Chrysostomi archiepiscopi Constantinopolitani, quotquot per graecorum
exemplarium facultatem in Latinam linguam hactenus traduci potuerunt, Bâle, 1539.
27. Voir R. BODENMANN, Wolfgang Musculus (1497-1563), p. 453.
28. Ibid.
29. Cette lettre est publiée et traduite dans R. BODENMANN, Wolfgang Musculus (1497-1563),
p. 454-455.
30. Voir ibid., p. 454.
31. Voir ibid., p. 454.
BASILE DE CÉSARÉE CHEZ WOLFGANG MUSCULUS 507

pour Wolfgang Musculus : « En fait, parmi tous les Pères, il n’y en a pas deux dont
les écrits concordent en tous points32. » L’Écriture est l’instance autoritative, nor-
mative qui juge les Pères ; Reinhard Bodenmann y voit une conception proche de
celle de Philippe Mélanchthon, mais la conception de Wolfgang Musculus est plus
largement partagée au sein de la Réforme. Le Réformateur présente sa conception
dans ses In Mosis Genesim … Commentarii, dans l’adresse au lecteur. Il propose
un type de commentaire proche du modèle bucérien-rhénan : il soumet au lecteur
d’abord une lectio dans laquelle il compare, mais non systématiquement, le texte
massorétique, la Bible de Zürich et « la Bible allemande », la Biblia de Sancte
Pagninus, celle de Sebastian Munster, les LXX, le Targum, les Hexaples d’Origène
(via Basile, comme nous le verrons). Sont débattues ensuite les interprétations des
autorités patristiques et des auteurs contemporains comme Augustin, Basile de
Césarée, Jean Chrysostome, Pic de la Mirandole et Œcolampade, par exemple,
pour le premier verset de la Genèse33. À ces lectiones succèdent des explanationes
qui proposent l’exposé « le plus conforme à la pensée de l’auteur » biblique34 :
le Réformateur recherche ici le sens exégétique fondé sur l’intentio auctoris.
Viennent ensuite les quaestiones, visant l’élucidation des points doctrinaux obs-
curs35, puis des obseruatiunculae pour justifier des options de traduction pour un
lecteur peu expérimenté36.
Il existe pour Wolfgang Musculus une quadruple intelligence de l’Écriture37.
La première intelligence est celle par laquelle sont compris les voces singulas, les
mots particuliers ; ici est requise une certaine science des langues sacrées, l’hébreu
d’abord, le plus possible, et ensuite le grec, et ceci pour éviter de dépendre des
jugements des autres38. La deuxième intelligence est celle par laquelle on com-
prend le sens d’un discours qui constitue les mots en phrase. On doit à cette étape

32. Voir ibid., p. 454.


33. WOLFGANG MUSCULUS, In Mosis Genesim plenissimi Commentari, p. 3.
34. « Lectioni subiungo explanationes textus, quam indico esse menti scribentis confor-
miorem », WOLFGANG MUSCULUS, In Mosis Genesim plenissimi Commentari, Praefatio, [p. 12].
35. « Post hanc subjicio quaestiones obscuriorum locorum, non ut curiositatem leuium homi-
num alam, sed ut aliquousque piis conscentiis pro mea mediocritate succuram », WOLFGANG
MUSCULUS, In Mosis Genesim plenissimi Commentari, Praefatio, [p. 12].
36. « Postremum locum dedi obseruatiunculis pro meo more, ut aliquem lectori imperito ac
minus exercitato in scripturis sacris uersandi usum ostenderem », WOLFGANG MUSCULUS, In
Mosis Genesim plenissimi Commentari, Praefatio, [p. 12].
37. « Existimo quadruplicem intelligentiam necessariam esse illis qui in scripturis sacris utiliter
uerari cupiunt », WOLFGANG MUSCULUS, In Mosis Genesim plenissimi Commentari, Praefatio,
[p. 12].
38. « Prima est, qua uoces singulas intelligant. Hic requiritur qualiscunque scientia sacrarum
linguarum, Hebreae potissimum, deinde et Graecae. Sine hac cogetis, lector, ab aliorum pendere
iudicio », WOLFGANG MUSCULUS, In Mosis Genesim plenissimi Commentari, Praefatio, [p. 12].
508 ANNIE NOBLESSE-ROCHER

associer ce qui doit être associé, séparer ce qui doit être séparé39. La troisième
intelligence est celle par laquelle on comprend l’esprit de celui qui parle, ou de
Dieu, ou du prophète ou de l’apôtre. Il s’agit non seulement de comprendre ce qui
est dit mais aussi pourquoi et dans quel but c’est dit. En cela, beaucoup de com-
mentateurs contemporains, en particulier juifs, sont déficients, préférant l’exégèse
littérale40. Enfin, la quatrième intelligence – qui recouvre le sens tropologique
– permet de comprendre que toute l’Écriture est inspirée et qu’elle est utile pour
enseigner, argumenter, corriger et pour chercher la justice (2 Tim. 3 [16]) et a pour
fin la méditation41.
Wolfgang a-t-il eu pour source exégétique les écrits de Saint-Victor ? Cette
quadruple intelligence (qui ne recoupe pas les quatre sens de l’exégèse médié-
vale) est en effet proche de la conception des sens exégétiques décrite par Hugues
de Saint-Victor dans son Didascalicon, rédigé avant 1141, présent dès 1484 à
Strasbourg dans l’incunable édité par Johannes Grüninger42. Les trois premiers
sens énoncés par Wolfgang Musculus correspondent à l’exégèse littérale (littera)
et à son développement par le Victorin, regroupant la littera elle-même, le sensus
et la sententia : « L’exposition contient trois éléments, la lettre, le sens, la significa-
tion. Dans tout récit, il y a la lettre, car les mots eux-mêmes sont des lettres, mais
on ne trouve pas en même temps le sens et la signification dans tout récit43… »

39. « Secundo est, qua sensum orationis, quem uerba in singulis periodis constituunt, intelligant.
Hic necesse est, ut non solum singula uerba intelligant, sed et recte coniungenda coniungant ac
diuidenda diuidant, ne sinistra uel coniunctione uel diuisione uocum in alienos male dispositarum
periodorum sensus incidant », WOLFGANG MUSCULUS, In Mosis Genesim plenissimi Commentari,
Praefatio, [p. 12].
40. « Tertia est qua loquentis uel Dei uel Prophetae uel Apostoli aut Euangelistae spiritum
intelligant. Spiritum autem uoco rationem, mentem, consilium ac propositum loquentis ; Hac
intelligitur non solum quid, sed et quare et quo fine dicatur. Sine ista intelligentia parum in
scripturis intelligit etiam qui uerba ac sensum orationis intelligit. Hac in parte deficiunt admodum
multi, praesertim caeci Iudaei qui sic cortici literae inhaerent, ut potissimorum scripturae locorum
spiritum haud quanquam cognoscant », WOLFGANG MUSCULUS, In Mosis Genesim plenissimi
Commentari, Praefatio, [p. 12].
41. « Quarta est, qua unuscuiusque scripturarum loci usus aliquis intelligatur. Est enim omnis
scriptura diuinitus inspirata utilis ad docendum, ad arguendum, ad corrigendum, ad erudiendum in
iusticia, ut perfectus sit homo Dei, et ad omne opus bonum instructus, 2 Tim. 3. Haec intelligentia
plurimum assidua et pia non lectione modo, sed et meditatione innuatur. Et in illa potissimum
sacrae lectionis emolumentum esse iudico », WOLFGANG MUSCULUS, In Mosis Genesim plenis-
simi Commentari, Praefatio, [p. 12].
42. Didascalicon Hugonis de Sancto Victore auctore, Strasbourg, avant 1484. Voir l’édi-
tion critique : Hugonis de Sancto Victore Didascalicon. De studio legendi, C. H. Buttimer ed.,
Washington, 1939, et la traduction française : Hugues de Saint-Victor. L’art de lire. Didascalicon
(Sagesses chrétiennes), trad. M. Lemoine, Paris, 1991.
43. HUGUES DE SAINT-VICTOR. L’art de lire (nous reprenons ici la traduction citée de
M. Lemoine), p. 225 (« L’ordre de l’exposition »). « De ordine expositionis : Expositio tria conti-
net: litteram, sensum, sententiam. In omni narratione littera est, nam ipse voces etiam litterae
BASILE DE CÉSARÉE CHEZ WOLFGANG MUSCULUS 509

La littera correspond aux problèmes philologiques et textuels et l’on y retrouve


les deux premières intelligences de Wolfgang Musculus, celles qui s’attachent
aux mots et à l’ordonnancement des phrases. Le sensus est le sens exégétique,
et c’est la troisième intelligence de Musculus qui recherche l’intentio auctoris
et les circonstances rédactionnelles. Enfin, la sententia s’attache, quant à elle, au
sens théologique et elle correspond à la quatrième intelligence, tropologique chez
Musculus. On notera l’absence ici tout au moins, chez le Réformateur, du sens
allégorique.

III. – LES EMPRUNTS À BASILE DE CÉSARÉE


DANS LE COMMENTAIRE SUR LA GENÈSE (CHAP. 1) DE WOLFGANG MUSCULUS
Wolfgang Musculus, en 1540, publie en deux tomes les Basilii opera, à Bâle,
chez Jean Herwagen. Dans la préface à cette édition44, datée du 24 décembre
1539, il propose une présentation très élogieuse du Cappadocien et de son œuvre.
Les Ascetica en particulier constituent le modèle général pour toute communauté
chrétienne45, d’autant que, et c’est un élément capital, tous les préceptes basiliens
sont fondés sur l’Écriture46. De ce fait, ces Ascetica devraient être adoptés par
chaque foyer chrétien47. Dans le premier des Opera Basilii figurent les homélies
sur l’Hexaéméron de Basile que Wolfgang Musculus a en mains lorsqu’il com-
mente la Genèse et qu’il cite à 11 reprises explicitement, du moins s’agissant du
nom de leur auteur, Basilius, pour le seul premier chapitre. Les emplois se situent
dans la lectio, les explanationes ou les quaestiones. Nous proposons une typologie
de ces emplois.

sunt, sed sensus et sententia non in omni narratione inveniuntur…», Hugonis de Sancto Victore
Didascalicon, Livre VI, chap. 8, p. 125.
44. Opera D. Basilii magni Caesariae episcopi omnia, siue recens uersa, siue ad graecos
archetypos ita collate per Wolfgangum Musculum Dusanum, ut aliam omnino faciem sumpsisse
uideantur, Bâle, 1540.
45. « Lege autoris huius Ascetica, et uide, quam pauca, imo prope nihil ad pietatis σχῆμα,
quam uero omnia ad ipsam pietatem colendam sint instituta, quam ubique e divinis literis petitae
uiuendi formulae, quam crebra, quanque religiosa seruatoris nostri mentio, quam sedula ad illius
imitationem adhortatio … Et in hunc sine arbitror ab illo institutas esse Christianae Et in hunc
sine arbitror ab illo institutas esse Christianae συνοδίας ἀδελφίας et religiose conuersationis, ut
velut exemplaria recte institutae fidelium πολιτείας reliquis ob oculos essent exposita, quorum
imitatione mundi contemptum discerent, et relicta pristinae uitae ἀδιαφορία, diuino sese nutui
studiosus consecrarent », Opera D. Basilii p. a2v ; I. BACKUS, Lectures humanistes de Basile de
Césarée, p. 37.
46. « Ad istam sancti uiri pietatem accessit singulare quoddam sacrarum scripturarum stu-
dium », Opera D. Basilii p. a2r ; I. BACKUS, Lectures humanistes de Basile de Césarée, p. 36.
47. I. BACKUS, Lectures humanistes de Basile de Césarée, p. 35-36.
510 ANNIE NOBLESSE-ROCHER

A. Les emplois à finalité philologique


Il existe deux emplois à finalité philologique. Le premier se rapporte au com-
mentaire des premiers mots de Genèse 1, 1 : In principio. Wolfgang Musculus
propose trois explanationes de cette expression avant de citer Basile. Nous les
résumons ici afin de faire apparaître l’argumentation d’ensemble. Dans la pre-
mière explanatio, Wolfgang Musculus pose comme principe la clarté de l’Écriture
et propose trois quaestiones, selon la pratique des commentaires scolaires et
universitaires48 : pourquoi Dieu a-t-il créé, qu’a-t-il créé et quand a-t-il créé49 ?
Dans la deuxième explanatio, Musculus propose une interprétation « réaliste » de
la création des cieux et de la terre (‫)בראשׁית ברא אלהים את השׁמים ואת הארץ‬.
Pour mettre en avant la réalité de la création, il insiste sur la visibilité de celle-ci,
refusant celles évoquant l’Empyrée, et propose une interprétation au moyens de
démonstratifs : « ces cieux-ci et cette terre-ci comme si Dieu les montrait du doigt.
Il s’agit de ce que nos yeux discernent et cette terre que nos pieds foulent50 ».
Dans la troisième explanatio, Musculus relate les débats exégétiques dont il
a pu avoir connaissance : certains commentateurs cherchent anxieusement pour-
quoi Dieu fit ce commencement, ou dans quoi, ou par quoi ? D’autres pensent
que ce commencement c’est le Christ, le Verbe de Dieu. D’autres que c’est la
Sagesse (Wolfgang Musculus cite par ailleurs les interprétations du Targum de
Jérusalem51). Certains pensent qu’il s’agit du commencement des temps, ce que
d’autres refusent52. Face à ces multiples interprétations, Wolfgang Musculus
donne l’opinion du Cappadocien : « Basile cite certains traducteurs qui ne donnent

48. G. DAHAN, Exégèse chrétienne de la Bible dans l’Occident médiéval, XIIe-XIVe siècle
(Patrimoine christianisme), Paris, 1999, p. 131-134.
49. « In principio, inquit, creauit Deus caelum et terram. Nihil dicit obscuri. Uno est altero
uerbo tria de Deo predicat. Primum, quod creauerit. Secundum, quid creauerit : coelum uidelicet et
terram tertium quando coelum et terram creauerit : In principio, inquit », WOLFGANG MUSCULUS,
In Mosis Genesim plenissimi Commentari, p. 2.
50. « Deinde et illud notanter dictum est ‫ בראשׁית ברא אלהים את השׁמים ואת הארץ‬id
est, hoc coelum, et hanc terram. Sic enim ueluti digito monstrat, quod coelum, et quam terram
Deum in principio creasse dicat … Coelum uidelicet hoc ipsum, quod oculis nostris etiamnum
cernimus et terram hanc eandem, quam pedibus conculcamus, et in cuius superficie habitamus »,
WOLFGANG MUSCULUS, In Mosis Genesim plenissimi Commentari, p. 2.
51. « Et dum hanc simpliciter uerborum Mosis amplectimur, non negamus creasse Deum in
sapientia sua coelum ac terram : propterea quod non legimus cum Targo Hierosolymitano, In
sapientia creauit Deus coelum ac terram », WOLFGANG MUSCULUS, In Mosis Genesim plenissimi
Commentari, p. 3.
52. « Quaerunt anxie quod sit illud principium, in quo, uel per quod condiderit Deus coelum ac
terram. Exponunt alii principium hoc esse, Christum uerbum Dei. Quidam sentiunt dictum esse de
principio temporis quod rursus a nonnullis negatur », WOLFGANG MUSCULUS, In Mosis Genesim
plenissimi Commentari, p. 2v.
BASILE DE CÉSARÉE CHEZ WOLFGANG MUSCULUS 511

pas Ἐν ἀρχῇ mais ἐν κεφαλαίῳ, c’est-à-dire en tête (ou en récapitulation)53. »


Wolfgang Musculus fait allusion ici en effet à la Première homélie de Basile sur
l’Hexaéméron : « Afin donc de nous apprendre qu’à l’instant intemporel du vouloir
divin, le monde exista, il a été dit : Au commencement [Ἐν κεφαλαίῳ] Dieu créa,
ce que les autres interprètes expriment plus clairement par ces mots : Dieu fit tout
ensemble, c’est-à-dire à la fois et en peu de temps54. » Ἐν κεφαλαίῳ : il s’agit de
la traduction d’Aquila dans les Hexaples d’Origène55. Wolfgang Musculus n’y a
pas accès, mais Basile lui sert de maillon transmetteur.
Dans la lectio de Genèse 1, 9 (« Dixit vero Deus congregentur aquae quae
sub caelo sunt in locum unum et appareat arida factumque est ita »), Wolfgang
Musculus souligne que la Septante développe un texte plus long que le Texte
massorétique. La traduction grecque répète en effet après καὶ ἐγένετο οὕτως :
καὶ ἐγένετο οὕτως. καὶ συνήχθη τὸ ὕδωρ τὸ ὑποκάτω τοῦ οὐρανοῦ εἰς
τὰς συναγωγὰς αὐτῶν, καὶ ὤφθη ἡ ξηρά56. Wolfgang Musculus mentionne
Basile qui ne retient aucune interprétation sur ce supplément du texte grec : de ce
fait le supplément de la Septante ne doit pas être retenu57. Le Réformateur accorde
ici à sa source une réelle autorité interprétative sur le texte biblique.
C’est encore dans une visée documentaire et pour asseoir le sens littéral que
Basile est cité dans le commentaire de Genèse 1, 9. Dans la deuxième de ses
quaestiones sur ce verset, Wolfgang Musculus le cite à propos de ces eaux amas-
sées sous le ciel. Il s’agit de commenter in locum unum. La question est de savoir
comment des eaux qui occupaient jusque-là toute la surface de la terre pourraient
se rassembler dans un lieu unique : si les eaux qui étaient jusque-là sous le ciel
occupaient toute la terre, quel pouvait être le lieu sur la terre dans lequel afflue-
rait toute la multitude unique des eaux. Quelques-uns affirmèrent que les eaux
qui sont maintenant contenues en un seul lieu furent regroupées en altitude et se
constituèrent plus hautes que des montagnes. Wolfgang Musculus en appelle au
Cappadocien. Ici c’est l’image de la mer Rouge dressée par le vent qui suscite dans
son esprit une analogie avec d’autres commentaires évoquant les eaux ramassées
sur des hauteurs : « Basile dit que ceci fut confirmé par une expérience certaine

53. « Basilius et Hieronymus citant interpretes quosdam, qui uerterint non Ἐν ἀρχῇ sed ἐν
κεφαλαίῳ, id est in summa », WOLFGANG MUSCULUS, In Mosis Genesim plenissimi Commentari,
p. 3.
54. BASILE DE CÉSARÉE, Homélies sur l’Hexaéméron, p. 113.
55. Origenis Hexaplorum quae supersunt sive veterum interpretum Graecorum in totum vetus
testamentum fragmenta, F. Field ed., Oxford, 1875 (réimpr. Hildesheim, 1964), p. 1.
56. Septuaginta: id est Vetus Testamentum graece iuxta LXX interpretes,vol 1., A. Rahlfs Hrsg.,
Stuttgart, 1971, p. 7.
57. « Et Basilius testatur esse illa a nullo alio interpretum tradita : et praeterea superuacanea
censenda post testimonium hoc, Et factum est ita », WOLFGANG MUSCULUS, In Mosis Genesim
plenissimi Commentari, p. 3.
512 ANNIE NOBLESSE-ROCHER

à propos de la Mer Rouge58. » Mais l’allusion n’est pas en tous points précise
car Basile de Césarée évoque, non pas le rassemblement des eaux en des lieux
supérieurs, comme une montagne, mais la possible inondation de l’Égypte par
la Mer Rouge soulevée par les vents, plus haute en altitude, si celle-ci n’était
pas contenue par le commandement divin59. Passons maintenant aux emplois de
Basile qui servent le sens exégétique. Nous les trouvons bien sûr essentiellement
dans les explanationes.

B. Basile au service de l’exégèse


Dans le commentaire de Genèse 1, 2 (« Et spiritus Dei ferebatur super aquas »),
Wolfgang Musculus cite, non sans circonspection, Basile60. Le Cappadocien
évoque plusieurs interprétations possibles de ce spiritus : il peut s’agir du souffle
ou de l’air. L’auteur de la Genèse énumère en effet les éléments du monde que Dieu
a créés : le ciel, la terre et l’air. Ce dernier élément était déjà répandu et soufflait
sur les eaux61. Basile suggère une opinion préférée et plus véridique (μᾶλλον
ἀληθέστερον) parce que portée par les Anciens : cet esprit c’est l’Esprit de Dieu :
« Car on a remarqué que l’Écriture lui donne particulièrement et de préférence
cette appellation, alors qu’elle ne mentionne nul autre esprit de Dieu que ce Saint
[Esprit] qui complète la divine et bienheureuse Trinité62. » Wolfgang Musculus
rappelle la teneur du texte massorétique en Genèse 1, 2 (‫מרחפת על פני המים‬
‫ )ורוח אלהים‬qui peut être traduit, selon lui, ainsi : le vent, le souffle, l’air de
Dieu était étendu, se mouvait, soufflait. L’on notera ici que Wolfgang Musculus
traduit le verbe ‫ מרחפת‬par incubabat ; sans doute a-t-il consulté l’Historia scho-
lastica de Pierre Comestor ou les Postillae de Nicolas de Lyre qui proposent cette
traduction63.

58. « In locum unum. Secundo quaeritur : si aquae illae quae sub caelo adhuc erant, totam ter-
ram occupabant, quisnam potuerit esse locus in terra, in quem unum omni silla aquarum multitudo
conflueret … Quidam senserunt aqua sillas antequam iussu Dei in unum locum congregarent,
fuisse admodum raras ac nebulosas … Nonnulli dixerunt, aquas in eo loco in quo nunc sunt,
in maiorem altitudinem esse sublimatas, quam sit terra, imo quam sint montes terrae. Id quod
Basilius de mari rubro certo dicit esse experimento compertum », WOLFGANG MUSCULUS, In
Mosis Genesim plenissimi Commentari, p. 20.
59. BASILE DE CÉSARÉE, Homélies sur l’Hexaéméron, Quatrième homélie, p. 254-255.
60. Ibid., Deuxième homélie, p. 167.
61. Ibid., p. 167.
62. Ibid., p. 167-169.
63. « Hebreus habet pro spiritus ferebatur incubabat, vel Syra lingua fovebat sicut avis ova.
In quo etiam cum regimine nascentis mundi notatur initium. Hunc locum male intellexit Plato
BASILE DE CÉSARÉE CHEZ WOLFGANG MUSCULUS 513

Wolfgang Musculus n’est pas entièrement convaincu par l’argumentation du


Cappadocien : « Basile estime plus véridique l’opinion selon laquelle ces eaux
étaient l’Esprit saint. Mais aucune raison sûre ne permet de l’affirmer64. » Le
manque de sûreté réside pour le Réformateur dans le fait que cette opinion n’est
pas avérée dans l’Écriture. Cette vérification par l’Écriture est nécessaire pour
que Wolfgang Musculus accepte l’autorité de Basile. C’est le cas par exemple
de l’expression « Et uidit Deus quod esset bonum », en Genèse 1, 9, lors de la
création de la terre ferme. Dans sa 5e quaestio, Wolfgang Musculus évoque « les
manichéens qui coupent les cheveux en quatre en disant que cela ne peut être bon,
car tant de choses produites de la terre ont été créées néfastes, dont on constate
qu’elles sont empoisonnées et, si on les emploie, mortifères. Augustin leur répond
ainsi en disant qu’au commencement toutes choses étaient bonnes et créées utiles,
mais après le péché [originel] certaines devinrent nocives, comme les épines, les
ronces, les herbes vénéneuses et les arbres improductifs, pour que, par eux, nous
nous souvenions du péché et en soyons confondus. Basile dit qu’au commence-
ment les roses étaient privées d’épines avant que ne pèche Adam. Vraiment cette
réponse me semble trop peu fondée. C’est pourquoi j’estime suffisant de répondre
avec Basile que toutes les choses n’ont pas été fondées pour notre ventre65 ».
Wolfgang Musculus retient le commentaire basilien sauf s’il s’éloigne du
texte hébraïque. C’est le cas dans l’explanatio de Genèse 1, 26, sur la création
de l’homme. La troisième explanatio est consacrée à la propagation de l’espèce
humaine :

esse dictum hoc putans de anima mundi. Sed dictum est de spiritu creante, de quo legitur : Emitte
spiritum tuum et creabuntur », Petri Comestoris scholastic historia, Liber Genesis (CCCM 191),
A. Sylwan éd., Turnhout, 2005, p. 9 ; « Et spiritus Domini ferebatur, etc. Hieronymus in quo
Hebraeus habet merahephet, id est incubabat, vel fovebat, more volucris ova calore animantis.
Intelligimus ergo, non de spiritu mundi dici, ut putant multi; sed de spiritu sancto, qui et ipse est
omnium vivificator ; si autem vivificator et conditor; si conditor, et Deus. Ps. 103 », NICOLAS DE
LYRE, Postillae literatis et moralis, Biblia sacra cum Glossa ordinaria, vol. 1, Anvers, 1617,
col. 7.
64. « Basilius … licet ueriorem esse dicat, qua uerba de spiritu sancto intelligantur, nullas tamen
firmas rationes adducit », WOLFGANG MUSCULUS, In Mosis Genesim plenissimi Commentari, p. 4.
65. « Et uidit Deus quod esset bonum. Quinto, cauillantur Manichaei, non posse bonum dici,
quod tot sunt noxia terrae nascentia producta, quae constet esse uenenosa, et si usurpent, letifera.
Augustinus illis sic respondet, ut dicat initio esse omnia bona et utilia condita, uerum post pecca-
tum quaedam esse noxia facta, utpote spinas, tribulos et herbas uenenatas, et arbores infrugiferas,
ut per ista de peccato admoneamur et confundamur. Et Basilius dicit initio rosas caruisse spinis,
antequam peccasset Adam. Verum ista responsio parum uidetur esse firma. Quare satius esse
iudico, ut cum Basilio respondeamus, non esse omnia uentris nostri gratia condita », WOLFGANG
MUSCULUS, In Mosis Genesim plenissimi Commentari, p. 4.
514 ANNIE NOBLESSE-ROCHER

« Troisièmement, à propos de la multiplication et de la propagation du genre humain,


il fait ce rappel : Dieu les bénit et dit : “Croissez et multipliez et remplissez la terre.”
Quand il dit : “Croissez et multipliez”, cela ne veut pas dire qu’Adam et Eve vont
croître de volume, mais il est question de leur fécondité et de leur fructification, ce
qu’indique bien l’hébreu ‫פרו‬, qui ne signifie pas “croître en grandeur” mais “être
fertile en portant des fruits” […] Je sais que Basile propose un autre commentaire mais
j’ai décidé de mettre ces mots qui me semblent plus simples et plus proches des termes
hébreux, sans porter de préjudice à qui que ce soit66. »

Concluons : l’étude de quelques emplois emblématiques de Basile dans le


premier chapitre du commentaire sur la Genèse de Wolfgang Musculus nous a
permis d’établir quelques constats concernant son exégèse. Il apparaît clairement
que le Réformateur est bien informé de l’exégèse médiévale : ses quatre sens de
l’Écriture, novateurs, montre sa volonté de redéfinir les règles de l’interprétation
du texte biblique sur les fondements d’une recherche du sens littéral, comme le
montre sa proximité avec le triple sens d’Hugues de Saint-Victor, outrepassant le
traditionnel quadrige. Toutefois, alors que dans l’École rhénane, pensons à Martin
Bucer, le sens littéral est établi au moyen des auteurs juifs médiévaux, comme
Abraham Ibn Ezra67, chez Wolfgang Musculus, la tradition juive médiévale n’est
pas reprise, ce qui indique que notre Réformateur n’utilise certainement pas la
Biblia rabbinica comme le font les Rhénans. Mais, le plus inattendu, c’est que
précisément cette recherche du sens littéral ne s’affranchit pas de la tradition
patristique, mais se construit sur elle et en particulier sur Basile de Césarée, à
condition toutefois qu’elle soit consonante avec le texte de référence, le texte mas-
sorétique. De plus, il y a chez Wolfgang une certaine ambivalence vis-à-vis du sens
christologique ; sans le nier, il s’en méfie, préfère ne pas le retenir, le plus souvent,
pour l’établissement du sens exégétique68. Reste la présence de Jean Chrysostome
dans le commentaire. Deux types d’emplois sont requis par Wolfgang Musculus
pour Jean Chrysostome : soit que Jean Chrysostome vienne renforcer une opinion
déjà émise par Basile ou que Basile en propose une autre mais sans exclusive – il

66. « Tertio, de multiplicatione ac progatione generis humani sic meminit : benedixitque illis
Deus et ait, Crescite et multiplicamini, et replete terram. Quod dicit : Crescite, non est si Adamum
et Euam respexerimus intelligendum de corporum augmento, sed de foecunditate ac fructifi-
catione, quod uox Hebraea ‫ פרו‬satis indicat, quae non augmentari magnitudine, sed ferendis
fructibus fertilem esse significat … Scio Basilium ista aliter exponere, uerum quae mihi uidentur
simpliciora, et uerbis hebraecis uiciniora, sine cuiusquam praeiudicio in medium adferre statui »,
WOLFGANG MUSCULUS, In Mosis Genesim plenissimi Commentari, p. 40.
67. C’est d’ailleurs aussi le cas des professeurs du Collège royal, au point que l’on peut se
demander s’il n’existe pas une « école d’Ibn Ezra » chez les hébraïsants chrétiens du XVIe s. ; nous
sommes en train d’explorer cette hypothèse.
68. À propos de Genèse 1, 1 : In principio : « Consimili modo non negamus per Christum, uer-
bum Dei, condita esse omnia : propterea quod expositionem eorum non sequimur, qui per uocem
principii hoc loco Christum intelligunt », WOLFGANG MUSCULUS, In Mosis Genesim plenissimi
Commentari, p. 3.
BASILE DE CÉSARÉE CHEZ WOLFGANG MUSCULUS 515

est donc une autorité seconde, mais considérée comme valide69 –, soit qu’il se
trouve engagé dans le débat entre Pères latins et Pères grecs, exégèse allégorique
et exégèse tropologique ; dans ce cas, Jean Chrysostome est opposé à Augustin.
Ainsi à propos de Genèse 1, 3 (« Fiat lux et facta est lux »), Musculus rapporte
l’opinion d’Augustin contre celle de Jean Chrysostome : Augustin commente
cette lumière en évoquant des anges, ces bons esprits célestes que Dieu a créés au
Premier jour ; Augustin dit cela contre ce que dit Chrysostome. Augustin nie qu’il
s’agisse ici de vertus invisibles70. Enfin, Jean Chrysostome peut être convoqué
pour affirmer une orthodoxie biblique contre des opinions païennes. C’est le cas
quand Musculus évoque Genèse 1, 6, et la formation du firmament par division des
eaux. Chrysostome est requis contre l’opinion de Démocrite, et la conception des
cieux multiples71, empyrée, sidéral, cristallin, etc., et son opinion retenue parce
qu’elle est conforme à l’Écriture. Bien que leur autorité soit seconde par rapport à
l’Écriture, les Pères grecs n’en sont pas moins considérés comme des pourvoyeurs
de sources documentaires pour l’exégèse et des maillons vers les textes grecs
autres que la LXX. Leur autorité au niveau du sens exégétique est reconnue pour
peu qu’elle soit conforme au texte hébraïque et permette à Wolfgang Musculus de
construire ce sens tropologique à visée anagogique qui fait sa spécificité dans le
monde évangélique au XVIe siècle.
Annie NOBLESSE-ROCHER
EA 4378, Université de Strasbourg

69. « Chrysostomus dicit … Mihi uidetur hoc significare, quod affuerit efficax quaedam et
uitalis operatio aquis, et non fuerit simpliciter aqua stans et immobilis, sed mobilis et uitalem
quandam dicit : Et spiritus Dei ferebatur super aquas. Basilius utramque recenset, et lectoris
arbitrio permittit, utram amplectatur. Et licet ueriorem esse ducat, qua uerba ista de spiritu sancto
intelligantur, nullas tamen firmas rationes adducit », WOLFGANG MUSCULUS, In Mosis Genesim
plenissimi Commentari, p. 3-4.
70. « Augustinus pro sua scrupulositate lucem hanc exponit angelos, spiritus coelestes bonos,
quos Deus primo die condiderit, et a malis diuiserit, uim faciens simplicitati Mosaicae dictiones.
Contra Chrysostomus diserte negat, quicquam de uirtutibus inuisibilibus hic dici a Mose, et
lucem hanc de uisibili ac diurna exponit », WOLFGANG MUSCULUS, In Mosis Genesim plenissimi
Commentari, p. 9.
71. « Primum quaeritur hoc loco, quodnam sit hoc coelum, quod secundo die factum est :
deinde, quid sit, uel unde factum sit. Qui quaerunt, quodnam sit hoc coelum, de eo non quaererent,
nisi plures esse coelos statuerent : utpote, coelum empyreum, coelum crystallinum, coelum side-
reum … Plures esse coelos, constanter negat Chrysostomus, sic dicens : Et quomodo dicunt aliqui,
factos esse plures coelos ? Non ex diuina scriptura hoc didicerunt, sed ex suis opinionibus, ut ita
dicant, impelluntur », WOLFGANG MUSCULUS, In Mosis Genesim plenissimi Commentari, p. 14.
Origene nella Riforma a Strasburgo:
il caso di Martin Bucer
Negli ultimi decenni l’interesse della ricerca relativo alla ricezione della patri-
stica in età moderna è costantemente cresciuto, come dimostrano i non pochi
convegni dedicati all’argomento1. Tuttavia, i due autori oggetto delle seguenti
pagine non sono stati sinora tra i favoriti dagli studiosi. Perché dunque concentrare
l’attenzione proprio su Martin Bucer lettore di Origene?
La figura di Origene è senz’altro tra le più originali e significative della Chiesa
antica, accostabile ad Agostino per la profondità teologica del pensiero, ma la
sua fortuna ha percorso strade ben diverse da quelle del vescovo di Ippona, indi-
scusso punto di riferimento della cristianità occidentale. Origene, al contrario, già
vittima di invidie e animosità durante la sua esistenza, ha goduto di una fortuna
estremamente ambigua: anche solo per questo l’influenza sotterranea ma potente
che durante i secoli ha esercitato il suo pensiero merita di essere indagata più a
fondo di quanto non si sia fatto sin qui. Del resto, nelle controversie nate intorno
alla Riforma il ricorso a Origene non è sempre frutto di un particolare interesse
per la sua teologia, si limita anzi spesso ad essere uno strumento di polemica
insieme a tanti altri. Così, se da una parte Lutero respinge con forza e a più
riprese l’Alessandrino, nei cui scritti, ritiene, non è una sola parola su Cristo e le
cui allegorie altro non sono che fantasiose allucinazioni2, dall’altra parte, negli
scritti antiluterani, nei quali pure Origene compare a più riprese, si cercherebbe

1. Cf., a titolo di esempio, i pioneristici due volumi The Reception of the Church Fathers in the
West. From the Carolingians to the Maurists, I. Backus ed., Leiden et al., 1997, cui hanno fatto
seguito numerosi convegni, alcuni dei quali citati più oltre.
2. Cf. su Lutero e Origene G. PANI, « “In toto Origene non est verbum unum de Christo”:
Lutero e Origene », Adamantius, 15, 2009, p. 135-149.
518 ANDREA VILLANI

invano un reale confronto teologico tra l’autore e l’Alessandrino3. Diverso sem-


bra essere tuttavia il caso di Bucer, figura originale nel panorama della Riforma,
anche per la notevole influenza che sul suo pensiero ebbe, sin dalla formazione,
Erasmo, grande estimatore, oltre che editore, di Origene e protagonista di un
aspro dibattito con Lutero sul libero arbitrio, che in buona parte si fonda proprio
sull’esegesi origeniana (con particolare riferimento al trattato De libero arbitrio
di De principiis III e al Commentarius in Epistulam ad Romanos)4. Mettere a
fuoco l’immagine che di Origene aveva Bucer e gli eventuali influssi teologici a
partire dalle menzioni e citazioni dell’Alessandrino nelle opere del Riformatore
di Strasburgo è quanto questo contributo si propone: il rapporto di Bucer con
un’ autorità ambigua e problematica come Origene può offrire infatti spunti di
interesse per meglio comprendere sia la libertà di pensiero del Riformatore di
Strasburgo, sia la penetrazione dell’origenismo, o almeno di alcune componenti di
esso, nel milieu religioso e culturale della Riforma alsaziana.
Per fare questo sarà opportuno in primo luogo ripercorrere brevemente le tappe
principali della fortuna di Origene a partire dall’Antichità fino ai primi anni del
’500; in una seconda sezione, dopo aver richiamato i tratti più significativi della
figura di Bucer, si analizzerà il suo rapporto con i Padri della Chiesa per tentare,
da ultimo, di mettere in luce la specificità della presenza di Origene nei suoi scritti.

I. – ORIGENE NELLA TEOLOGIA OCCIDENTALE, DAL III AL XVI SECOLO


Per meglio comprendere quale fosse l’immagine di Origene corrente nella prima
metà del XVI secolo sarà utile ripercorrere a grandi linee la complessa storia della
fortuna di Origene a partire dall’antichità. Senza richiamare le figure di Girolamo
o Rufino, trattate ampiamente altrove in questo volume5, si potrà ricordare che
tra il IV e il VI secolo diverse crisi origeniste hanno agitato tanto l’Oriente quanto
l’Occidente, per concludersi con la condanna di Origene come eretico e l’ordine

3. Cf. ad esempio AMBROGIO CATARINO POLITI, Apologia pro veritate catholicae et aposto-
licae fidei ac doctrinae adversus impia ac valde pestifera Martini Lutheri dogmata, Firenze,
1520, su cui mi permetto di rinviare a A. VILLANI, « Origène entre Ambrosius Catharinus, Martin
Luther et Albertus Pighius. La reprise d’un Père au service de la polémique ad extra et ad intra »,
in L’argument hérésiologique, l’Église ancienne et les Réformes, XVIe-XVIIe siècles, I. Backus –
Ph. Büttgen – B. Pouderon éd., Paris, 2012, p. 223-255.
4. Sulla funzione di Origene nel dibattito tra Erasmo e Lutero si veda, da ultimo, P. WALTER,
« Inquisitor, non dogmatistes. Die Rolle des Origenes in der Auseinandersetzung des Erasmus von
Rotterdam mit Martin Luther », in Autonomie und Menschenwürde. Origenes in der Philosophie
der Neuzeit, A. Fürst – Ch. Hengstermann Hrsg., Münster, 2012, p. 169-183. Più in generale, sul
rapporto di Erasmo con Origene rimane insostituibile l’ampio studio di A. GODIN, Érasme lecteur
d’Origène, Genève, 1982.
5. Si vedano i contributi di A. CANELLIS, p. -, e E. PRINZIVALLI, p. -, in questo volume.
ORIGENE NELLA RIFORMA A STRASBURGO 519

di distruzione dei suoi scritti ad opera di Giustiniano nel 5536. Ciononostante,


l’opera di Origene, almeno nelle traduzioni latine esistenti, ha continuato ad
essere letta per tutto il medioevo, benché sempre con precise e dovute riserve7.
L’ambiguità della ricezione di Origene è ben espressa dal noto adagio formulato
da Cassiodoro e che risale forse allo stesso Girolamo, « ubi bene nemo melius, ubi
male nemo peius8 », che sintetizza icasticamente da una parte l’apprezzamento per
l’abile esegeta della Scrittura, di cui sa dischiudere i misteri più oscuri, dall’altra
il totale rifiuto dell’Origene « eretico », ossia del teologo speculativo che, nel De
principiis, ha proposto le dottrine della preesistenza delle anime o dell’apoca-
tastasi. Tale atteggiamento nei confronti di Origene si ritrova anche nel teologo
medievale per eccellenza, Tommaso d’Aquino, che nei suoi scritti non ha lesinato
critiche anche aspre all’Alessandrino per alcuni punti di dottrina, ma al contempo
se ne è ampiamente servito come di una auctoritas a tutti gli effetti per la propria
attività esegetica9. La menzione di Tommaso è per altro centrale per il nostro
tema se si considera che la formazione teologica di Bucer – come si osserverà a
breve – avviene nell’ambito della tradizione domenicana, che in Tommaso ha il
suo padre fondatore per eccellenza. Prima di passare alla figura di Bucer si dovrà
richiamare ancora la riflessione intellettuale del circolo neoplatonico fiorentino
della fine del XV secolo che fu senz’altro promotore, grazie soprattutto a Marsilio
Ficino e a Pico della Mirandola di un rinnovato interesse globale al pensiero di
Origene, non limitato all’esegesi ma esteso all’intera riflessione teologica se non
soprattutto alle sue tesi più ardite10. Sono note le vicende di Pico che, condannato
dal papa per aver sostenuto – tra l’altro – che è più ragionevole ritenere Origene
salvo che dannato (in una delle tesi pubblicate nel 1486), compose a propria difesa
un’apologia di Origene che ne metteva in luce la piena ortodossia dottrinale11.

6. Cf. le rapide ma informate panoramiche offerte da B. STUDER, « Origenismo (in Occidente,


secc. IV-VI) », in Origene. Dizionario. La cultura, il pensiero, le opere, A. Monaci Castagno ed.,
Roma, 2000, p. 302-307, e E. PRINZIVALLI, « Origenismo (in Oriente, secc. III-IV) », in ibid.,
p. 322-329.
7. Sul tema rimangono classiche le pagine di H. DE LUBAC, Exégèse médiévale. Les quatre sens
de l’Écriture, Paris, 1959, I, p. 221-304.
8. A questa sentenza dal carattere proverbiale CASSIODORO aggiunge di suo pugno: « et ideo
caute sapienterque legendus est, ut sic inde sucos saluberrimos assumamus, ne pariter eius venena
perfidiae vitae nostrae contraria sorbeamus » (Inst. 1, 1, 8, R. A. B. Mynors ed.).
9. Cf. G. BENDINELLI, « Tommaso d’Aquino lettore di Origene: un’introduzione », Adamantius,
15, 2009, p. 103-120.
10. Sulla fortuna umanistica di Origene si vedano M. SCHÄR, Das Nachleben des Origenes im
Zeitalter des Humanismus, Basel – Stuttgart, 1979; il recente P. TERRACCIANO, Omnia in figura.
L’impronta di Origene tra ’400 e ’500, Roma, 2012 e la sintesi di G. LETTIERI, « Origenismo (in
Occidente, secc. VI-XVIII) », in Origene. Dizionario, p. 307-322.
11. Su questa specifica vicenda cf. H. CROUZEL, Une controverse sur Origène à la
Renaissance : Jean Pic de la Mirandole et Pierre Garcia, Paris, 1977. Fresco di stampa è inoltre
520 ANDREA VILLANI

II. – MARTIN BUCER


Non è necessario ripercorrere qui in dettaglio le tappe dell’esistenza di Martin
Bucer12, sarà però utile inquadrarne brevemente la figura all’interno del compo-
sito panorama della Riforma, soprattutto riguardo ai decisivi rapporti con Erasmo
e con Lutero.
Formatosi nella famosa scuola di latino di Sélestat, rinomato centro educa-
tivo del Rinascimento, in cui l’ideale di un cristianesimo di stampo umanistico
si declinava in una proficua sintesi di studi classici e cristiani, Bucer strinse da
subito importanti amicizie con esponenti di spicco dell’umanesimo renano, quali
ad esempio il filologo e umanista Beato Renano. A questo primo periodo risale
anche la scoperta e l’innamoramento per la figura di Erasmo, che ha contribuito
in modo decisivo alla formazione del pensiero teologico di Bucer. La passione
per gli studi, non sostenuta dalla necessaria agiatezza economica, spinse Bucer
alla vita monastica, e la scelta ricadde sull’ordine domenicano, che nella sua città
natale aveva un convento che era centro di riflessione teologica dotato di una ricca
biblioteca. Qui il giovane Bucer fece ingresso nel 1507 seguendo il regolare ciclo
di studi teologici per essere inviato, nel 1517, ad Heidelberg, dove completare
la formazione all’università. Qui ebbe luogo il primo incontro con Lutero, che,
ascoltato nella disputa pubblica del 1518 ed incontrato privatamente già il giorno
seguente, conquistò il monaco domenicano per la forza e la chiarezza del pensiero
teologico, che metteva in primo piano la fede e la grazia divina a partire dalla ben
nota teoria della giustificazione per fede. Il sodalizio religioso avviatosi tra i due
durò, nonostante i numerosi alti e bassi, per tutta la vita. Abbandonato l’ordine
monastico e stabilitosi a Strasburgo, Bucer svolse un ruolo chiave per l’instaura-
zione della Riforma nella città e in tutta la Germania meridionale.
Questi dunque, umanesimo e Riforma, sono i due poli, in parte conciliati e in
parte no, all’interno dei quali si deve cercare di comprendere la figura di Martin
Bucer. I contatti con i maggiori esponenti di questi movimenti, Erasmo e Lutero,
sono entrambi decisivi per l’esperienza religiosa di Bucer. Nondimeno, i rapporti
tanto personali quanto intellettuali con il grande umanista di Rotterdam e con
il Riformatore di Wittemberg furono complessi e sfociarono in ripetuti scontri
e delusioni, pur rimanendo fondamentali punti di riferimento mai disconosciuti

Origenes Humanista. Pico della Mirandolas Traktat De salute Origenis disputatio, A. Fürst –
Ch. Hengstermann Hrsg., Münster, 2015.
12. Per ulteriori dettagli si rinvia all’aggiornata biografia di M. GRESCHAT, Martin Bucer.
Ein Reformator und seine Zeit (1491-1551), Münster, 2002. Per le opere di Bucer si fa uso
delle seguenti abbreviazioni: MBOL, Martini Buceri Opera Latina (Leiden, 1982-); MBDS,
Martin Bucers Deutsche Schriften (Gütersloh, 1960-); BCorr, Martin Bucer Correspondance/
Briefwechsel (Leiden, 1979-).
ORIGENE NELLA RIFORMA A STRASBURGO 521

definitivamente13. Quanto e in che modo i differenti approcci di Erasmo e Lutero


riguardo ai Padri in generale e a Origene in particolare influenzarono l’uso che
dei Padri e di Origene fece Martin Bucer è questione che rimane sullo sfondo
dell’indagine condotta nelle pagine seguenti.

III. – BUCER E I PADRI DELLA CHIESA


Un’analisi complessiva dell’influenza dei Padri sulla riflessione teologico-
esegetica di Martin Bucer non è ancora stata condotta, benché esistano alcuni
studi che ne esaminano aspetti particolari14. È merito soprattutto di Irena Backus
l’aver messo in luce come il rapporto di Bucer con i Padri subisca una notevole
evoluzione nel corso degli anni. Durante la sua formazione teologica, avvenuta
nell’alveo del convento domenicano di Sélestat, i Padri non sembrano aver
ricoperto un ruolo particolarmente significativo, al contrario di quanto avvenuto,
invece, nell’esperienza di Zwingli. Nella lista dei libri che Bucer possedeva nel
151815 compaiono solo 6 testi di carattere patristico (uno Ps. Dionigi commentato
da Ficino, un Lattanzio, un Gregorio di Nissa, un Atanasio ed il commento di
Paolo Ricci al Credo apostolico) a fianco di ben più nutrite sezioni di teologia o di
filosofia, nelle quali dominano gli scritti di Tommaso d’Aquino e di Aristotele, ma
anche a sezioni di grammatica o retorica, funzionali all’esegesi biblica, composte

13. Il rapporto tra Bucer e Erasmo è stato analizzato da N. PEREMANS, Érasme et Bucer d’après
leur correspondance, Paris, 1970 e da F. KRÜGER, Bucer und Erasmus. Eine Untersuchung zum
Einfluß des Erasmus auf die Theologie Martin Bucers (bis zum Evangelienkommentar von 1530),
Wiesbaden, 1970. Il rapporto tra Bucer e Lutero è stato, paradossalmente, meno approfondito
dalla critica: si vedano H. STROHL, « Bucer interprète de Luther », Revue de philosophie et d’his-
toire religieuses, 19, 1939, p. 223-261, M. BRECHT, « Bucer und Luther », in Martin Bucer and
Sixteenth Century Europe, Ch. Krieger – M. Lienhard eds., Leiden et al., 1993, p. 351-367 e
la raccolta di studi Martin Bucer zwischen Luther und Zwingli, M. Arnold – B. Hamm Hrsg.,
Tübingen, 2003. Tuttavia, nessuno di questi lavori prende in esame la componente patristica
all’interno delle reciproche influenze tra Bucer, Erasmo e Lutero.
14. Cf., a titolo di esempio, I. BACKUS, « Martin Bucer and the Patristic Tradition », in Martin
Bucer and Sixteenth Century Europe, p. 55-69; EAD., « Ulrich Zwingli, Martin Bucer and the
Church Fathers », in The Reception of the Church Fathers in the West, p. 627-660; A. N. BURNETT,
« Martin Bucer and the Church Fathers in the Cologne Reformation », Reformation and Renaissance
Review, 3, 1/2, 2001, p. 108-124. Su Bucer lettore di Agostino cf. il recente S. E. BUCKWALTER,
« Die Augustin-Rezeption Martin Bucers. Forschungsperspektiven », in Von Homer bis Landin.
Beiträge zur Antike und Spätantike sowie zu deren Rezeptions- und Wirkungsgeschichte. Festschrift
Wlosok, B. R. Suchla Hrsg., Berlin, 2011, p. 9-36. Inaccessibile mi è rimasto D. W. T. CARR, The
Influence of Patristic Writings on the Ecclesiology of Martin Bucer, Ph.D. diss., Southern Baptist
Theological Seminary, 1981.
15. Su questa lista, stesa in latino e indirizzata al priore dei domenicani di Sélestat, e che si
legge in MBDS 1, p. 281-284, cf. M. GRESCHAT, « Martin Bucers Bücherverzeichnis von 1518 »,
Archiv für Kulturgeschichte, 57, 1975, p. 162-185.
522 ANDREA VILLANI

tanto da autori contemporanei come Lorenzo Valla o Teodoro Gaza, quanto da


classici quali Cicerone e Quintiliano. Numerosi sono anche gli scritti di Erasmo
in possesso del giovane Bucer. Neppure nel percorso interiore che ha condotto
il domenicano a svestire l’abito monacale per farsi sostenitore e propagatore
della Riforma, l’influenza dei Padri appare rilevante. Nei primi scritti di Bucer
riformatore, che si collocano negli anni ’20, quali ad esempio la disputa con l’a-
gostiniano Conrad Treger, del 1524, o negli scritti relativi alle dispute di Baden
(1526) e Berna (1528), la presenza dei Padri comincia a farsi più rilevante, pur
rimanendo ancora secondaria16. In queste pubbliche dispute, benché la regola
ammetta solo argomenti biblicamente fondati, Bucer, qualora non disponga di un
sostegno biblico alle sue idee, non esita a proporre argomenti basati sull’autorità
dei Padri. Scopo di tale atteggiamento è quello di « neutralizzare » i Padri per
toglierne l’esclusiva ai cattolici del campo avverso. Questa sorta di appropriazione
della Chiesa antica, che pure non è interessata al raggiungimento di un consensus
Patrum, tema caro solo ai cattolici, consente ai riformatori di respingere le accuse
di apportare indebite innovazioni a dottrina e prassi consolidate e approvate dalla
Chiesa universale, in altre parole di respingere l’accusa di essere dei novatori.
A questo proposito Scott Hendrix17 ha adoperato un altro termine, derivandolo
dalla psicoanalisi, che ben esprime questo atteggiamento, quello di « deparentifi-
cazione », vale a dire la messa in dubbio di figure autoritative fino a quel momento
considerate indiscutibili – quale appunto quella paterna –, alle quali viene adesso
negata un’autorità per così dire « di diritto » che si ritiene non più appropriata.
D’ora in avanti, infatti, questa autorità non più accettata a priori sarà messa di
volta in volta alla prova e ammessa solo nel caso in cui risponda a determinate
condizioni, e tale prova comporta naturalmente maggiore responsabilità da parte
di chi ne è arbitro. Peraltro, questo atteggiamento non è solo realizzato nella pra-
tica delle controversie o nell’esegesi ma viene anche messo a tema dalla cosiddetta
regula Lutheri, che Bucer ha sempre considerato una valida norma cui attenersi:
« Quando patres loquuntur, accipiatur juxta canonem scripturae. Quod si videntur
contra scribere, adjuventur glossa, vel rejiciantur18. »
Benché Hendrix lo ammetta solo in parte, Bucer sembra essere, tra i Riformatori,
il meno incline a mettere radicalmente in discussione l’autorità dei Padri, che
invece continuano ad essere ai suoi occhi modello di originalità evangelica, di
unità ecclesiale e di vita cristianamente vissuta. Benché la regula Lutheri rimanga
per lui un valido metro di giudizio anche negli anni in cui i Padri sono considerati
con ammirazione sempre maggiore, mi pare non si possa negare una profonda dif-

16. Cf. I. BACKUS, The Disputations of Baden, 1526 and Berne, 1528: Neutralizing the Early
Church, Princeton, NJ, 1993.
17. Cf. S. H. HENDRIX, « Deparentifying the Fathers: the Reformers and Patristic Authority »,
in Auctoritas Patrum. Zur Rezeption der Kirchenväter im 15. und 16. Jarhundert, L. Grane et al.
Hrsg., Mainz, 1993, p. 55-68.
18. Tale regula si legge ad esempio nel Marburger Religionsgespräch: cf. MBDS 4, p. 348.
ORIGENE NELLA RIFORMA A STRASBURGO 523

ferenza ad esempio con Lutero e Melantone, il cui rapporto con i Padri ha percorso
la strada inversa, da una iniziale pur tacita accettazione, sottomessa all’autorità
biblica e in funzione antiscolastica, a un sempre maggior distacco che diviene
infine rifiuto19. Soggiacente a questo rifiuto sta l’idea, più volte ribadita, che i
Padri altro non sono che esseri umani, che per la loro natura hanno commesso
errori, di cui magari si sono poi pentiti, sicché la loro autorità deve essere consi-
derata molto inferiore rispetto alla rivelazione divina, che è invece infallibile e su
cui dunque devono fondarsi fede e dottrina dei cristiani.
Oltre agli scritti di polemica Martin Bucer ha elaborato un vero e proprio
programma esegetico nel quale declinare attivamente il principio del ritorno alla
Scrittura in una nuova interpretazione di essa, o meglio dei libri biblici ai suoi
occhi più significativi. In questo modo, egli principalmente intendeva dimostrare
che le pratiche instaurate dai Riformatori rispondevano a precise indicazioni
bibliche, mostrando così una preoccupazione di carattere apologetico-pastorale
più che scientifico20. Non si trovano infatti nelle sue pagine riflessioni di carattere
filologico (fatta eccezione per il commento alla lettera ai Romani, su cui si tornerà
poco oltre), di cui sono ricchi ad esempio i commentari di Erasmo.
Se si considerano i commentari esegetici degli anni ’20, ad es. l’Enarratio in
Evangelion Iohannis, la cui prima redazione risale al 1528 (poi riedito nel 1530
e nel 1536), si potrà notare come la presenza dell’esegesi antica riveste un ruolo
significativo, che però non è messo in evidenza dall’autore. I Padri menzionati per
nome sono rari, benché la loro esegesi fornisca a Bucer numerosi spunti: in linea
con la strategia della neutralizzazione, anche quando un’esegesi antica è utilizzata,
questo è fatto in silenzio, in modo quasi naturale, giacché il riformatore può dirsi
discendente diretto della purezza originaria dei Padri, che invece gli scolastici
(spesso definiti sofisti) con vuote sofisticazioni hanno contraffatto21.

19. Sulla posizione di Lutero riguardo ai Padri cf. V. LEPPIN, « Kirchenväter », in Luther
Handbuch, A. Beutel ed., Tübingen, 2005, p. 45-49, che mette in luce l’ambivalenza di Lutero
rispetto ai Padri, dalla giovanile accettazione di Agostino quale autorità al successivo rifiuto di
ogni autorità « umana » rispetto alla rivelazione divina. Per Melantone, il cui pensiero in pro-
posito è più complesso e sfaccettato, si veda, oltre ai classici P. FRAENKEL, Testimonia Patrum.
The Function of the Patristic Argument in the Theology of Philip Melanchthon, Genève, 1961
e E. P. MEIJERING, Melanchthon and Patristic Thought. The Doctrine of Christ and Grace, the
Trinity and the Creation, Leiden, 1983, anche il più recente H. ASHLEY HALL, Philip Melanchthon
and the Cappadocians. A Reception of Greek Patristic Sources in the Sixteenth Century,
Göttingen, 2014. Spunti interessanti sono offerti anche da G. HOFFMANN, Kirchenväterzitate
in der Abendmahlkontroverse zwischen Oekolampad, Zwingli, Luther und Melanchthon.
Legitimationsstrategien in der inner-reformatorischen Auseinandersetzung um das Herrenmahl,
Göttingen, 2011.
20. Cf. a questo proposito B. ROUSSEL, « Bucer exégète », in Martin Bucer and Sixteenth
Century Europe, p. 39-54, soprattutto p. 41-42.
21. Cf. I. BACKUS, « Martin Bucer and the Patristic », p. 59-60.
524 ANDREA VILLANI

Benché raramente, talvolta i Padri vengono però citati esplicitamente. Irena


Backus ha analizzato le citazioni dell’Enarratio in Evangelion Iohannis, di cui
ha curato l’edizione critica, pervenendo a una classificazione che ne distingue le
varie funzioni22: 1. In primo luogo vi sono citazioni dal carattere « scientifico »:
filologiche, grammaticali o storiche. 2. Alcuni Padri sono poi criticati per il
metodo esegetico che hanno adoperato: tra essi spiccano Origene e Girolamo23.
3. Talvolta i Padri servono a sostegno di dottrine non fondate biblicamente, come
ad esempio il battesimo degli infanti (Origene e Agostino) o la necessità di ridurre
il numero delle cerimonie (Agostino). 4. Citazioni in contesto polemico sono poi
quelle utilizzate per respingere l’accusa di introdurre innovazioni nel deposito di
fede della Chiesa.
Rimanendo in ambito esegetico, ma spostandoci in avanti negli anni, l’atteg-
giamento di Bucer riguardo ai Padri subisce un mutamento più radicale, giacché
a partire dagli anni ’30 la presenza dei Padri si fa sempre più rilevante sia per
la quantità che per la qualità delle citazioni, come attesta in modo particolare
il commento a Romani del 1536, su cui si tornerà anche più oltre. In esso il
Riformatore procede in modo molto metodico nel riservare alla discussione delle
fonti patristiche un’apposita sezione del suo commentario. Seguendo la classica
ripartizione del commentario o glossa medievale, che analizza il testo base parola
per parola, Bucer propone la propria interpretazione del termine in questione, cui
fa poi seguire una sezione di Sententiae Patrum, in cui è riassunta l’interpretazione
degli antichi esegeti e, qualora ve ne sia la necessità, segue un’ulteriore sezione
relativa alla Censura di questi ultimi. La stessa struttura del commento rende dun-
que chiaro come i Padri siano in esso reali interlocutori del Riformatore, che certo
non esita, all’occorrenza, a dissociarsi da loro o a criticarli anche duramente, ma
cui pure ritiene necessario concedere costantemente la parola. Diversamente dagli
scritti di polemica, in cui le testimonianze patristiche offrono solo un supporto alle
proprie tesi e sono quindi accuratamente selezionate in base a un presupposto teo-
logico, qui le diverse voci possono sì confluire in un unisono, possono però anche
solo essere riportate per venire in un secondo momento confutate. Si tratta di un
notevole ripensamento del rapporto di Bucer con le fonti patristiche, che denota
un maggior grado di libertà e allo stesso tempo di spirito critico. L’insistenza con
cui l’esegesi antica è messa a frutto lascia inoltre trapelare l’intento di Bucer di
inserire la sua propria interpretazione dell’epistola paolina ai Romani all’interno
della più ampia tradizione ecclesiale, quasi ne fosse una sorta di continuazione e
rivitalizzazione. Infatti, accanto ai Padri, massiccia è anche la presenza dei com-

22. Cf. I. BACKUS, « Ulrich Zwingli, Martin Bucer », p. 650-651.


23. Cf. ad es. Enarratio in Evangelion Iohannis, su Io. 3 (MBOL 2, p. 146-147): « Apostolos
igitur libeat magis quam veterum quosdam – Origenem, Hieronymum ac alios – in typorum expli-
cationibus et eorum quae veteribus contigerunt ad nos translationibus imitari. Manifestam enim
et certam habent illorum translationes et anagogae similitudinem; Patrum vero pleraque, maxime
Origenis, aut nullam aut valde obscuram. »
ORIGENE NELLA RIFORMA A STRASBURGO 525

menti dei contemporanei come Erasmo, Lutero, Melantone, Bullinger, a discapito


degli autori medievali, il cui apporto è minore.
Per completezza, è opportuno concludere questa sezione richiamando il
Florilegium patristicum, una raccolta di sentenze dei Padri composta a partire
dal 1536, rimasta in forma di manoscritto per tutta l’esistenza di Bucer e portata a
compimento dall’arcivescovo di Canterbury e riformatore inglese Matthew Parker
nel 155824. In essa vengono trattate questioni di ordine eminentemente pratico o
canonico come il governo della Chiesa, la disciplina ecclesiastica, i riti e così via,
mentre questioni teologiche o dottrinali sono praticamente assenti. Il florilegio
conferma una volta di più l’interesse del Bucer maturo nei confronti dei Padri e la
sua convinzione che essi, vera e propria propaggine ecclesiale del corpus biblico,
rispecchino uno stadio della Chiesa ancora puro, a cui la Riforma si propone di
ricondurre la Chiesa del momento, corrotta da incrostazioni sia teologiche che di
prassi. Con questa raccolta Bucer vuole quindi offrire ai pastori della Riforma,
che costituiscono il pubblico diretto del florilegio, una fonte di ispirazione per la
gestione delle proprie parrocchie. A livello più teorico, l’intento di questa antologia
è quello di mostrare agli avversari cattolici che la Chiesa nata dalla Riforma trova
nel modello di governo della Chiesa antica il fondamento della propria prassi.
Si tratta in fondo di una riformulazione dell’ideale erasmiano di una comunità
ecclesiale che fa ritorno alle proprie origini attingendo alla sapienza dei Padri.
Conformemente al suo carattere canonico-pratico, tuttavia, la presenza di Origene
in questo florilegio risulta ridotta al minimo e a questioni del tutto marginali ed
esso non contribuisce quindi in maniera significativa allo svolgimento del tema in
questione, cui si dedicherà adesso l’attenzione.

IV. – ORIGENE NEGLI SCRITTI DI BUCER


Si può adesso passare all’esame della specifica presenza di Origene negli scritti
di Bucer, per comprendere quale fosse l’immagine dell’Alessandrino propria del
Riformatore di Strasburgo e quale l’influenza della complessa teologia di questo
sul suo pensiero. Anche per questa analisi si impone un trattamento che prenda in
esame gli scritti di Bucer in modo diacronico, ma che allo stesso tempo suggerisca
una classificazione delle menzioni di Origene o delle citazioni dei suoi testi.

A. Origene testimonianza storica favorevole ai Riformatori


In primo luogo, si possono richiamare una serie di citazioni e/o menzioni, che
si ritrovano costantemente nell’arco della produzione di Bucer, nelle quali passi
di Origene sono utilizzati come testimonianza storica a favore di alcune tesi soste-
nute dal Riformatore. Esse si riducono principalmente alle tre seguenti categorie:

24. Cf. MBOL 3.


526 ANDREA VILLANI

1. Origene è citato come testimone dell’apostolicità della pratica del battesimo


degli infanti, questione rilevante soprattutto nella polemica con gli anabattisti25.
Il riferimento è all’origeniano Commentarius in Epistulam ad Romanos V, 926 tal-
volta citato espressamente, talaltra solo richiamato. In Bucer questo passo ricorre,
tra l’altro, nell’Enarratio in Evangelion Iohannis (la cui prima edizione risale al
1528)27; in una lettera dei predicatori di Strasburgo al Senato della città relativa
al dibattito con gli anabattisti Kautz e Reublin (1529)28; in una lettera in latino
alla sinodo di Mérindol e ai Valdesi di Provenza (1530)29; nella Verteidigung
der Kindertaufe gegen Pilgram Marpeck (1531-1532)30; nella Handlung gegen
Hoffman (1533)31; nel Bericht auß der heyligen geschrift (1534)32 e così via.
2. Origene è richiamato per la sua spiegazione della divisione del decalogo in
due tavole e del numero dei comandamenti, che differisce, ad esempio, da quella
di Agostino. Si tratta dell’ottava omelia sull’Esodo, cap. 2, in cui l’Alessandrino
spiega che per raggiungere il numero di dieci comandamenti non si può consi-
derare « Non ci saranno per te altri dèi all’infuori di me » e « Non ti farai idolo
né figura alcuna… » come un solo comandamento, come invece fanno alcuni.
L’interpretazione origeniana si ritrova in: Kurtze schrifftliche Erklärung (1534; si
tratta del primo catechismo composto da Bucer)33; Augsburger Kirchenordnung
(1537)34 e in altri scritti.

25. Sull’uso dei Padri in Lutero e Melantone relativamente alla questione del battesimo degli
infanti cf. K. ARFFMAN, « Die Begründung der Kindertaufe mit der alten Kirche in der Wittenberger
Theologie (1521-1536) », in Auctoritas Patrum II. Neue Beiträge zur Rezeption der Kirchenväter
im 15. und 16. Jahrhundert, L. Grane et al. Hrsg., Mainz, 1998, p. 1-11.
26. ORIGENE, Com. Rom. V, 9: « Pro hoc et ecclesia ab apostolis traditionem suscepit etiam
paruulis baptismum dare… » (C. Hammond Bammel ed.).
27. Cf. MBOL 2, p. 74.
28. Tra i predicatori firmatari della lettera si trovano, oltre a Bucer, Capitone, Caspar Hedio
e altri. Peraltro qui Origene è definito con l’insolito attributo di « santo martire »: « Origines, der
heilig martir… » (BCorr III, n. 216, p. 232.)
29. BCorr V, n. 351, p. 63.
30. MBDS 14, p. 27 (Origene viene definito « martire »), p. 38.
31. MBDS 5, p. 103-104.
32. MBDS 5, p. 175, 185, 204, 213.
33. MBDS 6, 3, p. 98-99. All’interno della sezione relativa ai dieci comandamenti il maestro
(U-nterrichter) chiede al bambino (K-ind) perché si parli di dieci comandamenti, visto che in
realtà il primo di essi non contiene nessun comando. K. risponde che è la Scrittura stessa a chia-
marli così. U. conferma e aggiunge alcune precisazioni, all’interno delle quali Origene viene
citato tra quanti hanno considerato distinti i primi due comandamenti, mentre Agostino li ha
accorpati, dividendo invece in due l’ultimo. Poco dopo il maestro aggiunge, comunque, che colui
che comprende la sostanza di tali comandamenti deve metterli in pratica e non disputare sulle
parole o sul numero di essi.
34. MBDS 16, p. 245.
ORIGENE NELLA RIFORMA A STRASBURGO 527

3. Da ultimo, Origene è testimone privilegiato, in coppia con Tertulliano,


dell’idea secondo cui la Chiesa antica non ha visto di buon occhio il secondo
matrimonio. Testo di riferimento è il Commentarius in Matthaeum 14, 23, che
ricorre in Bucer, tra l’altro, nel Gutachten für den Ulmer Rat. Von der Ehe und
Ehescheidung aus göttlichem und kaiserlichem Recht (1533)35.
Si tratta, come si vede, di citazioni di tipo storico (1. e 3.) o esegetico (2.),
che non costituiscono una testimonianza dell’influenza di Origene sul pensiero
di Bucer ma consentono di osservare come, in assenza di sostegno biblico, il
Riformatore di Strasburgo corrobori le proprie posizioni facendo ricorso ai Padri.
Del resto, in questo modo egli può dimostrare che le dottrine e prassi nate dalla
Riforma non contraddicono quelle della Chiesa antica, e anzi trovano in essa
conferma e supporto. Tali citazioni/menzioni svolgono così, indirettamente, la
funzione di respingere le accuse di parte cattolica di innovare la prassi ecclesiale
abbandonando tradizioni consolidate.
Quanto alla cronologia, gli scritti menzionati si collocano principalmente negli
anni ’30 del 1500 e non costituiscono le prime occorrenze del nome o degli scritti
di Origene nell’opera del Riformatore di Strasburgo.

B. La presenza di Origene in contesti polemici, teologici,


esegetici o storici (1524-1534)
Come accennato sopra, per i primi anni di attività letteraria di Bucer si è par-
lato di un processo di appropriazione della Chiesa antica al campo riformato con
conseguente neutralizzazione di essa in ambito polemico, che si sviluppa in un
apprezzamento sempre maggiore dell’opera dei Padri36. Si presentano di seguito
alcuni passi esemplificativi di questa attitudine con riferimento alla figura di
Origene, derivandoli da scritti di vario genere e dettati da diverse situazioni con-
tingenti, collocabili cronologicamente nel decennio che va dal 1524 sino al 1534.
Un caso esemplare di neutralizzazione e appropriazione della Chiesa antica si
ritrova nella disputa pubblica, cui già si è fatto cenno, del 1524 con Conrad Treger
(ca. 1480-1543)37, provinciale agostiniano e controversista cattolico autore di uno
scritto di cento paradossi relativi all’autorità della Scrittura, della Chiesa e dei
Concili38. Qui Origene viene una prima volta citato insieme a Ilario, Girolamo

35. MBDS 10, p. 181.


36. Cf. I. BACKUS, « Ulrich Zwingli, Martin Bucer », p. 646-648.
37. Su Conrad Treger cf. A. ZUMKELLER OSA, «Konrad Treger OESA (ca. 1480-1542)», in
Katholische Theologen der Reformationszeit 5, E. Iserloh Hrsg., Münster, 1988, p. 74-87.
38. Paradoxa centum de ecclesia conciliorumque auctoritate – Hundert Paradoxa oder
Wunderreden vom gewalt der Schrift, Kirchen und Concilien, Strassburg, 1524. La risposta di
Bucer apparve qualche mese più tardi: Ein kurtzer warhafftiger bericht von Disputationen vnd
gantzen handel so zwischen Cunrat Treger Prouincial der Augustiner vnd den predigern des
Euangelij zu Straßburg sich begeben hat, Strassburg, 1524.
528 ANDREA VILLANI

e Agostino come testimone della prassi per cui la Chiesa antica ha creduto sol-
tanto ciò che poteva essere provato con le Scritture, prassi che Bucer approva e
fa propria39. Benché la menzione sia del tutto vaga e non rimandi ad alcun testo
specifico, dà però l’idea di come Bucer, in uno scritto polemico, utilizzi la testimo-
nianza patristica a sostegno di un’idea tipica della Riforma.
Più interessante è la seconda occorrenza del nome Origene: nel cinquantesimo
paradosso, Treger aveva sostenuto la necessità di una regola certa per l’interpre-
tazione Scrittura, cui tutti debbano attenersi, al fine di individuare con sicurezza
l’eresia di coloro che invece da essa si distaccano40. Bucer, nella sua risposta, con-
corda con Treger e va oltre, specificando il carattere di tale regola: come lo Spirito
ha insegnato quali sono i libri biblici realmente divini (con allusione all’idea di un
canone diverso da quello cattolico, spesso supportato da testimonianze patristi-
che), così deve essere quello stesso Spirito, che in fondo ne è l’autore, ad aprire la
retta intelligenza delle Scritture41. Nel paradosso successivo Treger afferma che la
necessità di questa regola è rivendicata proprio da coloro che, nonostante fossero
circondati quasi da un’aura di santità, in realtà hanno sostenuto le più gravi eresie
dottrinali42. È nella sua risposta che Bucer identifica in Origene e Ario i riferimenti
di Treger, che questi aveva lasciato impliciti43. E anche qui va oltre il suo avversa-
rio: secondo tutte le storie ecclesiastiche i grandi errori d’Origene e Ario derivano
dallo spazio eccessivo concesso alla filosofia e dalla loro audacia speculativa, e

39. Il testo si legge in MBDS 2, p. 123: « Darzu schreibt Origenes, Hilarius, Hieronymus,
Augustinus und gar noch die alten alle, das sye nichts zu glauben annemen, es sey denn durch die
götlich schrifft bewert. Des glaubens sind wir auch. » L’editore della disputa, Johannes Müller,
rinvia in nota, per Origene, a PG 11, 341 ss. (Prin. IV 1); 13, 83 ss. (Com. Ct. I 1); 14, 1306 (Com.
Ph.).
40. Cf. MBDS 2, p. 139-140: « Die l. Wunderred. Es ist aber für war not, das man ein unbetrüg-
liche regel im ußlegen der schrifft als wol als im annemen habe, bey deren yederman bleiben solle,
damit getüschet werde die unbedachtsamkeit der speltigen und ketzer, und das in der Kirchen nit
stätz zwytracht sey von den geheymnüssen des glaubens. »
41. MBDS 2, p. 140: « Antwort [M. Butzers]: Auff dißen gegenwurff, den du so offt fürwürf-
fest, ist dir nun auch offt geantwort worden. Man mussz ja ein gewisse und unbetrügliche regel
haben. Die ist aber kein spruch der Concilien, sonder die schrifft selb von ussen. Inwendig aber
thuts der geist Gottes, wie bewerdt ist wider die xvi. Wunderred. Was die Kirchen aber darin
gepür, ist anzeygt wider die lxviii. Wunderred. Dann wie uß dem geist gelernt würdt, welches
göttlich schrifft sey, also mussz derselbig geist auch öffnen der schrifft rechten verstandt. Es ist ye
ein göttlich ding umb die schrifft, darumb kan sye on den geist Gottes nyemant verston. »
42. Ibid.: « Die li. Wunderred. Diß leerent uns die männer, die so offt geyrrt haben und doch
grosser heyligkeit geacht gewesen seind und für die gelertesten, die uns in der kirchen Christi, die
allerschädlichsten ketzereyen gesagt haben. »
43. Ibid.: « Ich weyssz solcher leüt nit vil, du woltest dann Origenem und Arium mit seinem
anhang meynen. Die selbigen, laut aller historien hat die philosophey verfürt und vermessenheit.
Darumb sye uns ja leren, allein bey der göttlichen schrifft bleiben und dieselbig nach ir eygen art
und nit der philosophey oder eygem duncken ußlegen. »
ORIGENE NELLA RIFORMA A STRASBURGO 529

conclude: quando si tratta di interpretare la Parola divina, rimaniamo piuttosto


all’interno degli scritti biblici stessi e chiariamone il senso nel modo loro proprio
lasciando da parte la filosofia e la speculazione personale.
Da una parte sembra di sentir risuonare qui la classica accusa, da sempre rivolta
a Origene, di dar troppo spazio alla filosofia e di confidare solo nella propria intel-
ligenza. D’altra parte, però, Bucer compie qui una raffinata operazione letteraria,
forse ispirato dal fatto che sta rispondendo a una raccolta di paradossi. Da una parte
infatti egli prosegue l’opera di neutralizzazione della Chiesa antica, anche se questa
volta e contrario: sia il cattolico che il riformatore sembrano respingere posizioni
errate della Chiesa antica e si mostrano quindi in perfetto accordo; d’altra parte
però introduce alcune idee, assenti nel testo che sta confutando, particolarmente
affini a riflessioni origeniane. La necessità di interpretare la Scrittura attraverso
quello stesso spirito che ne è l’autore in una sorta di circolo ermeneutico è tema
caro all’Alessandrino, e l’idea che la Bibbia si debba interpretare non dall’esterno
ma dall’interno è un principio ermeneutico che, recuperato dalla filologia alessan-
drina (Homeron ex Homerou saphenizein) e rifondato cristianamente per mezzo
di Paolo (1 Cor. 2, 13: pneumatikois pneumatika synkrinein, « comparare realtà
spirituali a realtà spirituali ») diviene uno dei cardini dell’ermeneutica biblica
origeniana.
È certo possibile che Bucer sia all’oscuro di questi principi ermeneutici che
stanno alla base dell’esegesi origeniana e soprattutto che l’argomentazione sia di
Bucer che di Treger si muova nell’ambito dello spiritualismo di tipo agostiniano
in voga in quegli anni, eppure, data per certa la conoscenza di Origene da parte
di Bucer, mi pare doveroso segnalare una vicinanza di intenti e di presupposti
esegetici – ai quali peraltro si potrebbe accostare la dottrina dell’ispirazione della
Scrittura – che sembrano qui essere introdotti volutamente dall’autore, in una sorta
di gioco di specchi.
La neutralizzazione e appropriazione dei Padri non comporta comunque un’ac-
cettazione assoluta e globale del loro pensiero. Alcune critiche aperte all’esegesi
di Origene si trovano infatti nelle In sacra quatuor Evangelia enarrationes del
1530 (opera che recupera e assembla lavori esegetici precedenti sui sinottici e
su Giovanni e sarà riedita nel 1536), in cui Bucer fa espressa menzione delle
Origenis allegoriae obscurae44 e accusa gli anabattisti di riportare in vita l’errore
di Origene, che ha proposto una salvezza universale, con palese rinvio alla dottrina

44. Questo è il titolo con cui nel sommario iniziale (privo di paginazione) delle In sacra qua-
tuor Evangelia enarrationes perpetuae, Basel, 1536, Bucer rimanda alla p. 629 del suo testo,
in cui scrive: « Apostolos igitur libeat, qui veterum quosdam Originem, Hieronymum, ac alios
in typorum explicationibus, et eorum quae veteribus contigerunt ad nos translationibus, imitari.
Manifestam enim et certam habent illorum translationes et anagogae similitudinem, patrum vero
plereque, maxime Originis aut nullam aut valde obscuram. » Si tratta di una ripresa leggermente
modificata delle parole dell’Enarratio in Evangelion Iohannis di Bucer citata supra, n. 23.
530 ANDREA VILLANI

dell’apocatastasi45. Si tratta certo di una critica da leggere come strumento di


polemica più che reale presa di distanza dall’Alessandrino, tuttavia, la disappro-
vazione di un’eccessiva tendenza all’allegoresi si ritrova anche in altri testi del
Riformatore46.
Già tra il 1529 e il 1530, però, la menzione di Origene non ha più una con-
notazione negativa. In una lettera in latino inviata a Bucer da Conrad Pellican
nell’agosto 152947, quest’ultimo esprime il suo giudizio sul commento ai Salmi di
Bucer, che Zwingli gli ha chiesto di leggere, approvandone tanto la forma quanto
l’esegesi. In questo contesto interviene un’annotazione a prima vista marginale
ma che tocca un tema caro all’umanesimo, l’educazione dei giovani48. Pellican
approva l’idea di Bucer, secondo cui i giovani debbano trarre giovamento per gli
studi biblici dagli studi profani e cita a tal proposito il metodo origeniano di inse-
gnare secularia per inculcare ecclesiastica49. Senza voler indebitamente esagerare
la portata di un’affermazione marginale, che peraltro non proviene dalla penna di
Bucer ma da quella di un suo corrispondente, mi pare interessante mettere in luce
quel clima di umanesimo riformatore che tale lettera lascia trasparire e dal quale
Bucer ha tratto ispirazione, innestandovi il proprio contributo. In esso Origene
trova spazio in modo del tutto naturale come modello educativo ancora attuale e
valido.
Ancora, nell’epistola prefatoria allo scritto di concordia sulla controversia euca-
ristica del 1530, indirizzata al duca di Braunschweig e Lüneburg50, Bucer in primo
luogo chiarisce i diversi punti di vista delle due parti in causa, gli svizzeri Zwingli e
Ecolampadio da una parte, i riformatori di Wittenberg Lutero e Melantone dall’al-
tra, poi argomenta che in tutta la storia della Chiesa a partire dal NT e dalla Chiesa
delle origini ci sono stati dissensi e pareri contrastanti anche tra cristiani santi e
pii. Come esempio di queste discordie riporta la disputa tra Epifanio e Crisostomo
che prende avvio da una questione che egli stesso definisce minore (« gering »),
ossia la condanna degli scritti di Origene, considerata necessaria dal vescovo di
Salamina e da evitare invece secondo Crisostomo. Che tra i tanti esempi possibili

45. Ibid., p. 313: « Est vero hic locus notandus contra Anabaptistas, reducentes errorem
Origenis, quod omnes demum salventur, daemones et universi. »
46. Sul pensiero di Bucer riguardo alla pratica allegorica cf. il classico J. MÜLLER, Martin
Bucers Hermeneutik, Gütersloh, 1965, specialmente p. 100-114.
47. BCorr V, n. 243, p. 310 ss.
48. Non è un caso se l’Oratio ad adulescentes di Basilio di Cesarea diviene un vero e proprio
best-seller nel XVI secolo, come dimostrato da L. SCHUCAN, Das Nachleben von Basilius Magnus
„ad adolescentes“: ein Beitrag zur Geschichte des christlichen Humanismus, Genève, 1973.
49. BCorr V, n. 243, p. 311: « Et secularium literarum inductio proderit sine dubio juventutj et
etiam gymnasiorum alumnis et inescabit studiosos Origeniaco quodam more, qui secularia docuit,
ut ecclesiastica inculcaret. »
50. BCorr V, n. 368, p. 131-145. La menzione della controversia sulla condanna di Origene si
legge a p. 139.
ORIGENE NELLA RIFORMA A STRASBURGO 531

di dissenso nella Chiesa antica la scelta ricada proprio sulla diversa valutazione
dell’opera di Origene da parte di Epifanio e Crisostomo può forse essere un caso,
può nondimeno anche esprimere la consapevolezza della paradossale centralità
dell’Alessandrino nella storia della Chiesa. Tanto più che questo scritto si colloca
pochi anni dopo l’aspro dibattito tra Erasmo e Lutero sul libero arbitrio, nel quale
quest’ultimo aveva criticato a più riprese l’Alessandrino e la sua esegesi.
I casi sin qui analizzati, e soprattutto gli ultimi due, laddove la presenza di
Origene non tocca aspetti centrali della dottrina né è rilevante a fini polemici,
mi sembrano particolarmente rivelatori della libertà di spirito propria di Bucer
e dell’umanesimo riformato al cui interno egli si muove. Disposto, all’occor-
renza, a criticare Origene e a prenderne le distanze, quando però può esprimersi
liberamente egli non esita a menzionare l’Alessandrino con approvazione se non
addirittura ammirazione.
Qualche anno più tardi, nel 1534, compare una citazione origeniana partico-
larmente rilevante dal punto di vista dottrinale, perché connessa alla scottante
questione della giustificazione. Nella Defensio adversus axióma catholicum51
scritta in risposta all’attacco del vescovo di Avranches Robert Ceneau (1483-1560)
sulla sua dottrina eucaristica, Bucer cita un lungo brano dal Com. Rom. di Origene
(III, 9, su Rom. 3, 27) per confermare l’ipotesi che anche i santi Padri sostengono
la giustificazione sola fide52. Non si tratta tuttavia di una citazione di prima mano,
ma di un estratto da Robert Barnes, Sentenciae ex doctoribus collectae, quas papi-
stae valde impudenter damnant. Per Anto[nium] Anglum [pseud.], Wittemberg
1530. Eppure, solo due anni più tardi, Origene diverrà un interlocutore prediletto
del Bucer esegeta di Paolo che, nel commento a Romani, oggetto del prossimo
paragrafo, sviluppa in maniera esaustiva il tema della grazia.

C. Origene nel Commento ai Romani del 1536


Lo scritto di Bucer in cui Origene è utilizzato in maggior misura è sicuramente il
commento alla Lettera ai Romani del 1536, purtroppo ancora sprovvisto di edizione
critica moderna: Metaphrases et enarrationes perpetuae Epistolarum D. Pauli
Apostoli … Tomus primus. Continens Metaphrasin et Enarrationem in Epistolam
ad Romanos… Argentorati, Rihelium, 1536. Alla struttura generale del commento
si è già accennato sopra, mettendo in rilievo soprattutto la presenza in esso di una
sezione di Sententiae Patrum dedicata alla discussione delle fonti patristiche. Si
può pertanto considerare subito la presenza di Origene in esso, valutandone tanto
la quantità che la qualità. Il primo aspetto fornisce già un’indicazione di massima
non trascurabile: una ricerca nella trascrizione del commento fornita dal database

51. MBOL 5, p. 47-48.


52. Sul ruolo giocato da Origene e dal suo Com. Rom. nello sviluppo del tema della giustifi-
cazione per fede cf. T. SCHECK, Origen and the History of Justification. The Legacy of Origen’s
Commentary on Romans, Notre Dame, IN, 2008.
532 ANDREA VILLANI

« The Digital Library of Classic Protestant Text53 » ha prodotto 175 occorrenze del
nome Origenes54. Questo dato appare degno di nota soprattutto se messo a con-
fronto con le 217 occorrenze di Agostino, o con quelle di Ambrogio, che si ferma
a 133: l’Alessandrino è molto più presente di Ambrogio e poco meno di Agostino.
Anche paragonato con altri scritti esegetici di Bucer, il dato numerico risulta indi-
cativo: nelle già citate In sacra quatuor evangelia enarrationes del 1530 Origene
compare solamente in 8 casi, a fronte delle 38 occorrenze di Agostino. I numeri
confermano quindi quanto la stessa struttura del commentario lascia intravedere:
l’esegesi dei Padri non è per Bucer orpello secondario, ma componente costitutiva
dell’elaborazione esegetica. E che Origene vi svolga una parte da protagonista è
ancor più significativo, per le implicazioni teologiche che ne derivano.
Esaminata la quantità, si dovrà adesso considerare la qualità della presenza di
Origene. Il suo nome compare sin dalla prefazione, nella quale Bucer si premura di
inserire il proprio lavoro esegetico all’interno della più ampia serie dei commen-
tari ai Romani dalla Chiesa antica sino ai sui contemporanei, partendo proprio con
Origene e altri Padri per poi arrivare sino ad Erasmo, Lutero, Melantone, Bullinger
e così via. L’intento di ricomporre un consenso della tradizione è messo in chiaro
dall’autore sin dall’inizio, benché Bucer faccia poi seguire la spiegazione della
necessità di un nuovo commento, appunto il suo. Essa si giustifica in primo luogo
con la scarsa fruibilità degli altri commenti: se in quelli dei moderni la dottrina di
Paolo è enucleata nel suo insieme ma manca una specifica analisi delle singole
pericopi – come invece Bucer si propone di fare – i commenti dei Padri risul-
tano per varie ragioni non adeguati. Così, ad esempio, Ambrogio è considerato
talmente breve da risultare adatto ai soli principianti (incipientes), di Agostino
si dice che abbia cominciato a commentare Paolo più che a realizzare un lavoro
compiuto, di Origene invece si dice che i suoi scritti non possano essere letti
senza pericolo da chi non possegga già una sicura, ovvero ortodossa, conoscenza
teologica (« iudicium in rebus divinis peracre et certum »). Così, sin dalla sua
prima apparizione, Origene è presentato come figura duplice: egli è il più antico
e autorevole commentatore dei Romani, deve tuttavia essere letto solo prendendo
precauzioni dottrinali. Si tratta di una messa in guardia programmatica, che non a
caso compare all’inizio del commento, e in un certo senso anche doverosa, perfet-
tamente in linea con la tradizione medievale55; ma come si sviluppa nel seguito del
commento il rapporto esegetico tra Bucer e Origene?

53. Consultata tramite l’abbonamento della Niedersächsische Staats-und Universitätsbibliothek


Göttingen: http://solomon.tcpt.alexanderstreet.com.digitallibraryofclassicprotestanttexts.han.sub.
uni-goettingen.de.
54. Considerando il nome proprio Origenes declinato nelle varie forme e le sue abbreviazioni
Orig., Orige., Origen.
55. Se ne può forse intravedere le origini nelle parole di Cassiodoro citate supra, n. 8.
ORIGENE NELLA RIFORMA A STRASBURGO 533

Ancora nella prefazione del commento, dove Bucer affronta alcuni temi gene-
rali dell’epistola paolina, Origene riappare all’interno di una questione di grande
importanza per i Riformatori, vale a dire il tema della giustificazione per fede, e in
particolare in un’analisi sul significato del verbo iustificari, in Paolo δικαιοῦσθαι:
dopo una lunga discussione semantica condotta in prima persona Bucer passa a
riferire il modo in cui i Padri hanno interpretato il verbo iustificari, partendo con
Agostino (De spiritu et littera 26), in base alla cui spiegazione si può sostenere che
le opere non svolgono alcun ruolo, giacché è solo grazie alla fede che l’uomo può
vivere da giusto. Allo stesso modo ha interpretato Crisostomo, mentre di diverso
avviso era Ambrogio. Agostino insegna, su questa linea, che è speranza di tutte le
persone pie di avere Gesù Cristo come proprio avvocato presso il Padre e che egli
stesso sia l’espiazione dei propri peccati. Lo stesso insegna anche Origene, postilla
Bucer56. La testimonianza congiunta di Agostino e Origene è particolarmente
significativa perché dimostra la consonanza dei Padri « maggiori », d’Occidente
e d’Oriente, con la dottrina e il pensiero della Riforma; in altre parole, grazie a
essa si può dimostrare che i Riformatori sono i veri restauratori dell’autentica
tradizione della Chiesa, abbandonata e tradita dalla teologia scolastica medievale.
In numerosi casi, poi, l’esegesi origeniana è messa a frutto su temi di carattere
strettamente storico-esegetico più che teologico: sui nomi di Paolo o sulla defi-
nizione che l’Apostolo dà di se stesso come di un servus Iesu Christi, le diverse
ipotesi avanzate da Origene sono ampiamente discusse e valutate criticamente57.
Alcuni esempi riportati più in dettaglio possono bastare a rendere l’idea del
metodo di lavoro di Bucer: a riguardo dell’indirizzo di saluto rivolto da Paolo ai
cittadini di Roma in Rom. 1, 7 (« A tutti coloro che sono a Roma diletti da Dio:
a voi la grazia e la pace da Dio nostro e dal Signore Gesù Cristo58 »), Origene
è ripetutamente chiamato in causa per gli spunti significativi che la sua esegesi
offre. L’Alessandrino, in primo luogo, riconduce la « benedizione di pace e gra-
zia » di Paolo a benedizioni simili nell’Antico Testamento, quali quelle di Noè,
Melchisedek, Isacco o Mosè, quindi confronta la formulazione di questa epistola
paolina con il restante corpus dell’Apostolo, annotandone meticolosamente le
divergenze. A conclusione, Origene si lascia andare ad una dichiarazione da una
parte programmatica ma con la quale, d’altra parte, intende anche giustificare

56. Cf. BUCER, Com. Rom., Praefata VIII, Quo D. Paulus significatu usurpet verbum iustifi-
cari, et iustificatio, p. 13.
57. Cf. BUCER, Com. Rom. ad cap. I, p. 5-8 (la paginazione ricomincia da 1, con il titolo di
Metaphrasis Epistulae D. Pauli ad Romanos, dopo le circa 40 pagine di prefazione). Su queste
citazioni si veda I. BACKUS, « Martin Bucer and the Patristic », p. 62-64.
58. La traduzione, fedele al testo biblico di Origene quale compare nella versione di Rufino,
è tratta dalla traduzione italiana del commento origeniano approntata da F. COCCHINI, Origene.
Commento alla Lettera ai Romani, vol. I, Casale Monferrato, 1985, p. 26.
534 ANDREA VILLANI

la minuziosità del suo metodo esegetico, che può apparire eccessiva59. Bucer
riprende tutti questi elementi, osserva inoltre che, ai suoi tempi, la situazione
testuale del corpus paolino è cambiata e alcune delle osservazioni di Origene non
sono più riscontrabili nei testi60, e – ciò che qui risulta particolarmente interessante
– riprende, e approva, l’annotazione finale di Origene, che nell’economia testuale
dell’Alessandrino rivestiva un ruolo marginale ma che grande portata aveva per i
suoi risvolti esegetici, secondo cui nella Scrittura non vi è nulla di inutile e tutto
pertanto merita di essere indagato a fondo61. Il Riformatore annota: « Origenes
existimat quum in Scripturis nihil ociosum sit, has quoque varietates non esse ina-
nes: quod libenter nos quidem admittimus, et ideo eorum quae62… » Che tramite
questa idea Origene giustifichi la sua pratica allegorica non pare aver disturbato
in questo caso Bucer, la cui teoria dell’ispirazione biblica e della sua infallibilità
non differisce troppo da quella dell’Alessandrino, soprattutto nell’importanza del
ruolo concesso allo Spirito-autore63.
La presenza di Origene non si limita peraltro agli apporti esegetici. Bucer
segue il commentario dell’Alessandrino – così come quelli degli altri Padri che
utilizza – così da vicino, da ritenere utile segnalare dove e perché un nuovo libro
prende avvio. Così, egli segnala che Origene avvia Com. Rom. II con il commento
a Rom. 2, 2 (invece che 2, 1) e propone come spiegazione il fatto che Rom. 2, 1
comincia con un « perciò » (gr. διὸ, lat. propterea) che quindi si collega a ciò che
precede piuttosto che a ciò che segue64.

59. Cf. ORIGENE, Com. Rom. I, 10 (8) (su Rom. 1, 7): Et quamuis curiosior uideatur huiusce-
modi obseruatio tamen qui nihil otiosum credit esse in scripturis diuinis etiam horum differentias
et diuersitates non inanes putabit (C. Hammond Bammel ed.); « E sebbene un’indagine di tal
genere possa sembrare troppo minuziosa, tuttavia chi crede che nelle Scritture divine non vi è
nulla di superfluo riterrà non inutili anche siffatte differenze e varianti » (tr. F. Cocchini, p. 27).
60. Cf. BUCER, Com. Rom. ad cap. I, p. 31: « Sed Origenes maiorem notat varietatem, quam
sit in nostris exemplaribus […] Nostra autem exemplaria in omnibus epistolis easdem habent
salutationes, nisi quod in utraque ad Timotheum, et ea quam ad Titum scripsit. »
61. Il principio, più volte ribadito, per cui niente nella Scrittura è inutile e ogni singola parola,
o addirittura sillaba, ha un suo senso, costituisce per Origene anche il fondamento dell’esegesi
spirituale o allegorica. Cf. M. SIMONETTI, « Scrittura sacra », in Origene. Dizionario, p. 424-437,
in part. p. 429.
62. Cf. BUCER, Com. Rom. ad cap. I, p. 31.
63. Cf. J. MÜLLER, Martin Bucers Hermeneutik, p. 72-80. Il ruolo dello Spirito è messo par-
ticolarmente in risalto anche da Erasmo, come sottolineato da F. KRÜGER, Bucer und Erasmus,
p. 89-98.
64. Cf. BUCER, Com. Rom. ad cap. IΙ, p. 90: « Origenes novum caput ibi incipit: Scimus verο,
quοd iudicium Dei est secundum veritatem: motus est forsan eo, quοd Apostolus quae praecedunt,
per διὸ, propterea, ad superiora intulit. »
ORIGENE NELLA RIFORMA A STRASBURGO 535

Le proposte di Origene non sono tuttavia sempre le più convincenti agli occhi
del Riformatore, e soprattutto la sua tendenza all’allegorizzazione è più volte
criticata: talvolta l’interpretazione letterale proposta da Crisostomo ha la meglio
su quella allegorica di Origene65. E altrove Bucer afferma di Origene: « Sed est
hic vir alioqui plus nimio ad allegorias propensus66. » Tale tendenza allegorizzante
è esplicitamente messa a tema e criticata in un lungo passo sulla questione delle
cerimonie sacre che prende avvio da Rom. 3, e che merita di essere riportato per
esteso, anche per la consapevolezza storica di cui Bucer in esso dà prova:
« Atqui supra generaliorem illam significantiam, quam paulo ante explicuimus, nihil
illis de sacris ceremoniis ac signis, quae eis per Mosen traditae erant, revelatum esse,
nemo est qui neget. nihil ergo ultra illam Deus in his proposuit, frustraque ultra eam in
illis philosophabimur. Istuc vero pace Origenis dictum sit: nam huic ferme debemus
istam allegoricarum interpretationum licentiam, quae apud plaerosque sacrorum
librorum enarratores conspicitur. Cordatiores enim, inter quos certe Chrysostomus et
Augustinus eminent, videmus in his fuisse parciores, et admodum sobrios. Origenes
a Supplicibus illis, de quibus Philo apud Eusebium in Ecclesiastica historia refert,
hanc rationem enarrandi Scripturas, forsan mutuatus est, et tanta autoritate reliquis
commendavit. Quae hinc etiam facilius obtinuit, quod natura ad inania commenta
rationis nostrae magis propendemus, quam ad solidam veritatem. Verum quoque et
germanum Scripturae sensum, id est, historicum, multis in locis Scripturae nemo facile
tradiderit, nisi exacto sit in religione iudicio, et scripturae sacrae habeat peritiam, qua
sane ecclesia luculento veritatis damno, nimis diu destituta fuit67. »
Origene è qui identificato come colui che in massimo grado si è servito della
« licenza di allegorizzare », divenendo un colpevole modello per numerosi altri
esegeti. A Origene vengono contrapposti, come esegeti più prudenti e sobri
nell’uso delle allegorie, Crisostomo e Agostino. Ricorre peraltro anche l’accusa,
tipica già in epoca medievale, secondo cui l’Alessandrino, proprio a causa di
questa eccessiva voglia di allegorie, ha fatto affidamento più sulla propria ragione
che sulla solida verità della Scrittura, non cogliendo così il senso genuino di essa,
quello storico. Si tratta di un’accusa dettagliata e precisa nei rimandi storici ma
che allo stesso tempo suona tradizionale e in certo senso obbligata. Senza volerne
sminuire la portata, si deve comunque considerarla insieme agli altri casi in cui
invece l’Alessandrino è apprezzato e la sua esegesi messa a frutto.
Su temi particolarmente rilevanti dal punto di vista teologico, comunque, Bucer
si premura di avere dalla sua l’Alessandrino. Così, a commento di Rom. 3, 27 si
trova una citazione dall’origeniano Com. Rom. III, 6 (9) in cui l’Alessandrino
sostiene la giustificazione per fede68:

65. Cf. BUCER, Com. Rom. ad cap. IΙ, p. 126: « Origenes et Ambrosius omnia ista allegoricos
accipiunt … Cum Chrysostomo igitur intelligemus haec dicta simpliciter. »
66. Cf. BUCER, Com. Rom. ad cap. IΙI, p. 146.
67. BUCER, Com. Rom. ad cap. IΙI, p. 159.
68. Anche in Agostino Bucer vede un sostenitore della propria dottrina della giustificazione:
cf. S. E. BUCKWALTER, « Die Augustin-Rezeption Martin Bucers », p. 19-22.
536 ANDREA VILLANI

« …Inutiles servi sumus etiam cum perfecimus, quaecunque nobis praecepta sunt: at si
credimus in Christum, iam habemus vitam aeternam. Istuc et Origenes agnovit. Scribit
enim: Solius fidei iustificationem sufficere, ac tantummodo credentem iustificari. et
probat hoc sic habere exemplis latronis, cui dominus in cruce paradisum promisit:
Mulieris peccatricis, de qua Lucas: et Publicani, qui prae pharisaeo fuit iustificatus:
de quo idem Lucas69. »
Origene è dunque chiamato in causa come sostenitore di una delle dottrine che
marcano teologicamente la Riforma, e proprio in questo Bucer mostra come egli
sia abile a smarcarsi da posizioni più chiuse nei confronti di Origene, quale quella
di Melantone, che nel suo commento ai Romani si era speso proprio contro la
dottrina della giustificazione dell’Alessandrino70.
In estrema sintesi, alla luce degli esempi analizzati, si può affermare che
Origene, nel Commentarius in Epistulam ad Romanos, costituisce una fonte
costante di ispirazione e di arricchimento del lavoro esegetico di Bucer. Certo, di
essa si deve far uso con alcuni caveat, in modo particolare per l’eccessiva tendenza
allegorizzante, ma che comunque fornisce sempre materiale meritevole di analisi e
discussione. In questo Bucer dà prova di un’apertura mentale e di una libertà dagli
schemi precostituiti che non è propria né di molti tra i suoi compagni riformati né
dei suoi avversari cattolici e che piuttosto si avvicina, senza tuttavia raggiungerla,
alla posizione di Erasmo.
Prima di concludere questa sezione, può essere utile richiamare alcuni tratti
caratteristici del commento a Romani e più in generale della produzione esegetica
di Bucer, messi meritoriamente in luce dalla critica71, che mi sembrano profonda-
mente affini al metodo e alla prassi esegetica origeniani. Bucer evita di proporre in
maniera autoritaria la sua esegesi, e ricorre spesso a formule dubitative: il metodo
ginnastico di Origene, tanto apprezzato da Erasmo, prevede lo stesso atteggia-
mento da parte dell’esegeta, il quale si muove all’interno di una « théologie en
recherche » che non perviene a soluzioni ultimative e anzi spesso propone varie
interpretazioni possibili. La ricorrente attualizzazione del messaggio biblico e il
conseguente richiamo ad un lettore collaborativo, continuamente esortato a met-
tere in pratica quanto legge sicché il commentatore si trasforma talvolta in maestro
spirituale che accompagna il lettore nel cammino di fede, sono tratti comuni a
Origene e Bucer. Ancora, la pratica di rivolgere preghiere allo Spirito perché con-
ceda all’esegeta di comprendere il testo che sta commentando è anch’essa comune
ai due esegeti. Non si vuole con questo supporre una influenza o tantomeno una
dipendenza di metodo di Bucer da Origene; tuttavia non si può negare come tutti

69. BUCER, Com. Rom. ad cap. IΙI, p. 213. Cf. su questo passo P. TERRACCIANO, Omnia in
figura, p. 266-267.
70. Cf. P. TERRACCIANO, Omnia in figura, p. 162-165.
71. Cf. B. ROUSSEL, « Bucer exégète », in Martin Bucer and Sixteenth Century Europe, p. 39-54
oltre a J. MÜLLER, Martin Bucers Hermeneutik. Non sono riuscito ad avere accesso a B. ROUSSEL,
Martin Bucer lecteur de l’Épître aux Romains, diss., Strasbourg, 1970.
ORIGENE NELLA RIFORMA A STRASBURGO 537

questi aspetti richiamino alla mente la lettura che di Origene ha fatto Erasmo.
Analisi più dettagliate sarebbero necessarie per pervenire a conclusioni certe, ma
a titolo di ipotesi non mi pare impossibile pensare alla mediazione di Erasmo come
fonte del rapporto tra l’Alessandrino e il Riformatore di Strasburgo.

V. – CONCLUSIONI
Dopo questa, nei limiti del possibile, ampia panoramica sulla presenza di
Origene in Bucer si può cercare di sviluppare qualche riflessione di carattere gene-
rale. Benché una concreta influenza del pensiero teologico di Origene su quello
di Martin Bucer – per la quale ricerche più approfondite, a livello sia testuale che
teologico, soprattutto sul commento ai Romani, potrebbero rivelare interessanti
paralleli – sia venuta alla luce solo in parte, l’immagine che dell’Alessandrino
aveva Bucer e il suo atteggiamento verso la tradizione patristica risultano ora più
chiari. Si è più volte ribadito, nelle righe precedenti, come nel caso di Martin
Bucer si riscontra un’attitudine nei confronti dei Padri diversa rispetto a quella di
Riformatori più ostili alla tradizione ecclesiale quali Lutero e Melantone, almeno
nella fase matura della loro produzione. Costoro, pur con sfumature diverse,
hanno rigettato in blocco Origene: Lutero, che probabilmente non ha mai letto le
opere di Origene direttamente, non ha tralasciato occasione per esprimere giudizi
pesantemente negativi verso l’Alessandrino, soprattutto a partire dallo scontro con
Erasmo, nella metà degli anni ’20, sul problema del libero arbitrio. Contro l’uma-
nista e contro l’autore antico Lutero ribadisce a più riprese come la Scrittura sia
chiara e non necessiti pertanto dello sfrenate allegorie di Origene e come sia neces-
sario puntare sulle divergenze tra AT e NT piuttosto che sulla loro omogeneità72.
Pure Melantone, normalmente meno propenso ad attaccare i Padri, non risparmia
a Origene critiche altrettanto dure e talvolta sprezzanti. Come è stato scritto, egli
« ritiene sostanzialmente corrotto e corruttore il suo [sc. di Origene] pensiero73 ».
Oggetto principale delle sue critiche sono le assurde allegorie e l’eccessivo apporto
della filosofia, specialmente platonica, nella speculazione teologica74. Tuttavia, al
pari di Bucer, il Riformatore umanista è disposto a riconoscere l’utilità storica di
Origene come testimone di prassi della Chiesa antica, citato ad esempio – come
Bucer – sul tema del battesimo degli infanti75.
Al contrario di quanto avviene a Wittenberg, a Strasburgo Origene è letto e
discusso ampiamente, certo non come autorità di riferimento ma senza precon-
cetti. Quello di Bucer si rivela dunque un atteggiamento più libero rispetto ad

72. Cf. P. TERRACCIANO, Omnia in figura, p. 140-144 oltre a G. PANI, « “In toto Origene non
est verbum unum de Christo” ».
73. P. TERRACCIANO, Omnia in figura, p. 161.
74. Cf. MELANTONE, Loci communes theologici, Wittemberg, 1521 (H. G. Pöhlmann ed., p. 9)
e le osservazioni di P. TERRACCIANO, Omnia in figura, p. 162-164.
75. Cf. P. TERRACCIANO, Omnia in figura, p. 163, che riporta le occorrenze.
538 ANDREA VILLANI

altri Riformatori ma anche, in parte, rispetto a quello dei suoi avversari cattolici,
che nell’Alessandrino non trovano che uno strumento polemico, un’autorità – per
altro non sempre insospettabile – cui fare riferimento nel caso si renda utile alla
discussione e alla polemica contingente; più libero appunto perché, almeno in
parte, privo della pre-comprensione polemica tipica dei cattolici ma anche dei
Riformatori di Wittenberg e pertanto più aperto alle suggestive soluzioni esegeti-
che che l’Alessandrino propone. Benché sul metodo allegorico, in ciò sulla stessa
linea dei Riformatori di Wittemberg, Bucer non sia disposto a concedere nulla
a Origene, quand’anche nella prassi esegetica egli si riveli meno granitico76, il
suo atteggiamento conciliante verso la tradizione patristica e l’Alessandrino si
avvicina all’ideale di riforma tipicamente erasmiano.
A conferma di ciò si può notare come l’apprezzamento per Origene si rivolga
soprattutto all’esegeta. Non si tratta però del recupero dello schema mentale
medievale, che, sulle tracce dell’ultimo Girolamo, distingue l’Origene dogmatico,
eretico, da quello esegeta, ortodosso, quanto piuttosto, ancora una volta, della let-
tura di Origene fatta da Erasmo, il quale, proprio facendo perno sulla tradizione di
Origene e Girolamo, ha rinnovato il modo di fare esegesi. Qui si può forse cercare
una chiave per la comprensione del Bucer esegeta « à l’Origène ». Il tema dell’in-
fluenza erasmiana in Bucer è stato spesso affrontato dalla critica, che talvolta ha
considerato Bucer fino in fondo un erasmiano, nonostante il rapporto personale tra
i due, del resto come quello con Lutero, non sia stato privo di scontri anche aspri.
Come ha affermato Friedhelm Krüger77, il peso decisivo che Lutero ha esercitato
su Bucer si è sovrapposto ad una base umanistico-erasmiana mai rinnegata, che
dell’umanista di Rotterdam sottolinea soprattutto il rinnovamento dell’esegesi, e
a cui riconosce di aver offerto impulsi fondamentali al ritorno alla Chiesa delle
origini o, in altre parole, alla Riforma. Il Riformatore di Strasburgo non è certo un
umanista o un bibliofilo intento alla ricerca dei testi originali e al lavoro filologico
su di essi alla maniera di Erasmo: l’interesse strettamente letterario o la necessità
di ricorrere agli originali greci non traspare in nessun luogo, benché il Commento
a Romani non manchi di erudizione anche filologica. Bucer rimane piuttosto un
riformatore sincero, dal pensiero profondo e mosso da un’ansia religiosa volta
all’unità del mondo riformato che, idea originariamente erasmiana, nei Padri,
e tra essi specialmente in Origene, potrebbe trovare un perfetto modello di vita
evangelica.
Andrea VILLANI
Georg-August-Universität Göttingen
Theologische Fakultät

76. Cf. J. MÜLLER, Martin Bucers Hermeneutik, p. 110-114.


77. Cf. F. KRÜGER, « Bucer und Erasmus », in Martin Bucer and Sixteenth Century Europe,
p. 583-594, qui p. 585-586.
CONCLUSION
La lecture des Pères grecs
dans l’expérience intellectuelle des Humanistes

I. – LA REDÉCOUVERTE DE NOUVEAUX MAÎTRES DE VIE


L’intérêt porté aux Pères de l’Église, grecs et latins, par les Humanistes a été
remarqué depuis longtemps, mais on connaît moins, à l’inverse, les modalités et les
voies par lesquelles leurs écrits ont été diffusés, occupant une place considérable
dans les bibliothèques de laïcs et de dignitaires de l’Église. Cette redécouverte de
la littérature patristique, en particulier grecque, qui fait autorité pour la doctrine
et qui est accompagnée d’un patrimoine linguistique et de traditions tout à fait
significatifs, a permis aux humanistes, engagés dans la construction d’une nou-
velle culture, de rendre vitale une telle acquisition et de renouveler leur vision du
monde. L’influence ainsi exercée par les Pères, ou, pour mieux dire, par les auteurs
chrétiens, dans une acception plus large, dans le débat philosophique et lors des
grandes controverses théologiques, de morale et de discipline ecclésiastique du
temps a contribué à l’élaboration de nouveaux modèles de vie religieuse.
C’est ce qui ressort des recherches récentes dans un domaine négligé au
siècle dernier, selon une perspective dont témoigne suffisamment l’affirmation
de Remigio Sabbadini de vouloir associer dans ses enquêtes sur les manuscrits
classiques latins tels grecs et latins chrétiens « de sorte que la place consacrée
aux grecs ne constituât plus qu’un intermède et que les chrétiens latins pussent
être cités à l’occasion1 ». Sabbadini avait donc placé sur des plans différents les
classiques païens et les Pères, conditionnant considérablement les recherches
futures des humanistes. Mais la présence des Pères dans un moment de passage,
à l’horizon du XIIIe siècle tardif, de la vocation latine à une confrontation directe
avec la civilisation grecque, donnant place à des problèmes en tout genre, linguis-
tiques, littéraires, archéologiques et historiques, à la fois purement philosophiques
et religieux, a caractérisé la nouvelle formation intellectuelle qui survient déjà

1. R. SABBADINI, Le scoperte dei codici latini e greci ne’ secoli XIV e XV, Firenze, 1905 (= rist.
anast. Firenze, 1967), p. VIII.
542 MARIAROSA CORTESI

avec François Pétrarque. Par conséquent, Giuseppe Billanovich, qui a consacré


ses recherches à la bibliothèque de cet humaniste, a seulement pris en considé-
ration, en abordant ce domaine si important, l’autorité extraordinaire d’Augustin
qui règne sur l’histoire de l’Église au long des siècles, quand de théologien et
moraliste il finit par être considéré comme un auteur littéraire et un philosophe2 ;
mais également des épisodes fameux ignorés par Sabbadini ; Billanovich fit de
leur découverte son pain quotidien et s’est ainsi avancé sur d’autres chemins, en
une recherche continue et rigoureuse, menée sans trève. Dès 1951, il découvrit
comment, dans une armoire du « très érudit et génialissime » Pétrarque, était caché
un beau manuscrit comprenant les quatorze lettres de saint Paul, accompagnées
de la Glossa ordinaria et, en préambule à chaque lettre, des argumenta de Pélage
et de Marcion, manuscrit achevé à la bibliothèque du Collège Saint Louis des
Jésuites au Pausilippe à Naples. L’exemplaire membrané, de la fin du XIIe s., acquis
à Rome en 1325, était par chance situé avec les écrits bibliques de la bibliothèque
de Pétrarque, qui était presque vide ; lui avait été accolée une imposante copie,
datée de la fin du XIe s., des commentaires aux épîtres de Paul – Ambrosiaster,
Jérôme, Aymon d’Auxerre –, le Parisinus lat. 1762, entré dans la bibliothèque
probablement vers 1360, dont c’est surtout la section hiéronymienne qui avait été
particulièrement apostillée : il sera utilisé et mentionné dans des écrits postérieurs
comme le De ignorantia, le Contra eum qui maledixit Italie et dans le Senile II, 1,
86, offerts par Pétrarque à son ami Boccace3.
C’est véritablement dans cette période, vers 1360, alors qu’il est désormais fixé
à Milan auprès des Visconti, que François Pétrarque confie à Francesco Nelli qu’il
éprouve un nouveau et déjà fort désir d’écrire sur un sujet sacré : il avait aimé
sans mesure Cicéron et Virgile, Platon et Homère, mais le temps était désormais
venu pour lui d’aborder d’autres ambitions, de se tourner à l’avenir vers des sujets
variés et de passer de son goût immodéré pour les païens à une préférence pour les
chrétiens4 – et il énumérait le canon sacré des quatre docteurs majeurs : Ambroise,

2. GIUS. BILLANOVICH, « Petrarca, Boccaccio e le Enarrationes in Psalmos di s. Agostino »,


Italia medioevale e umanistica, 3, 1960, p.  ; voir ID., Petrarca e il primo Umanesimo, Padova,
1996, p. 68-96. Sur le rôle des Pères de l’Église, voir aussi Petrarca e Agostino. Atti del Convegno
di San Gimignano, 25-26 febbraio 2000, R. Cardini – D. Coppini edd., Roma, 2004.
3. GIUS. BILLANOVICH, « Un nuovo codice della biblioteca del Petrarca: il san Paolo »,
Rendiconti dell’Accademia di Archeologia, Lettere e Belle arti di Napoli, n. s., 26, 1951,
p. 253-256 ; voir aussi l’art. intitulé « Un san Paolo del Petrarca », dans ID., Petrarca e il primo
Umanesimo, p. 59-62. Les nombreuses apostilles ont été publiées par M. BAGLIO, « San Paolo
nella biblioteca del Petrarca: le postille del codice di Napoli e del Par. lat. 1762 », Aevum, 82,
2009, p. 357-427.
4. Il affirmait en effet : « Legi que delectabant, lego que prosint » ( FRANCESCO PETRARCA, Le
Familiari, ed. critica di V. Rossi, IV, Firenze, 1968 = Firenze, 1997, p. 127). Sur cette expression
typiquement augustinienne, voir B. STUDER, « Delectare et prodesse. Zu einem Schlüsselwort
der patristischen Exegese », dans Memorial dom Jean Gribomont (1920-1986), Roma, 1988,
p. 555-581, mentionné aussi par E. GIANNARELLI, « Petrarca e i Padri della Chiesa », Quaderni
petrarcheschi, 9-10, 1992-1993, p. 397, n. 16.
LA LECTURE DES PÈRES GRECS PAR LES HUMANISTES 543

Augustin, Jérôme et Grégoire le Grand, une liste qui, cependant, n’est pas trop
significative, s’étant fixée avec le temps et ayant été solennisée dans la liturgie par
Boniface VIII5.
La lecture des Pères s’offrait donc comme un programme pour la suite de sa
vie ; son admiration pour Augustin, Augustinus meus, n’a pas connu de période
de pause et l’a accompagné toute sa vie comme modèle de pensée et de style, tel
un viatique personnel ; l’évêque d’Hippone lui ouvrait la porte d’un monde nou-
veau, différent de celui gouverné par la scolastique ; il lui offrait les instruments
d’une construction autobiobraphique, qui répondait à un besoin intérieur, et le
mettait en outre en contact avec des œuvres stimulantes et riches de suggestions et
d’allusions. Et l’ignorance des lectures chrétiennes qu’il manifeste dans le Rerum
memorandarum libri est incompatible avec la solide érudition sacrée qui se révèle
un peu plus tard dans le De otio religioso : dans la seconde partie de cet écrit, après
avoir rappelé le livre qui l’a sauvé, les Confessiones, en lui permettant de mettre
un frein à son âme inquiète, attirée par le talent vigoureux de l’auteur, avec son
phrasé pas trop travaillé, sobre et grave, à la doctrine riche et variée, il ajoute qu’il
suit le divin Ambroise, nommé avec grande révérence, Jérôme et Grégoire, et pour
finir Lactance et novissimus oris aurei Johannes – « tout récemment Jean bouche
d’or » – Chrysostome. C’est en cette magnifique compagnie qu’il entre dans la
terre de l’Écriture Sainte, qu’il avait d’abord dépréciée et il expérimente alors que
la réalité est tout autre que ce qu’il avait imaginé :
« Accessit sacer et submissa fronte nominandus Ambrosius, accessere Ieronimus
Gregoriusque, novissimus oris aurei Iohannes et exundans lacteo torrente Lactantius.
Ita hoc pulcherrimo comitatu Scripturarum sacrarum fines, quos ante despexeram,
venerabundus ingredior et invenio cunta aliter se habere quam credideram6. »
Il se trouvait donc, au total, en compagnie de cinq écrivains latins et aussi de
Chrysostome, sûrement en traduction – qu’il s’agisse de son œuvre authentique ou
des corpora douteuses largement diffusées – parce que Pétrarque n’avait pas suffi-
samment connaissance du grec pour pouvoir entreprendre la lecture des œuvres en
langue originale ; et il en était de même pour Boccace7. Mais parce que déjà dans
le premier humanisme, à cause d’une profonde influence exercée par l’exemple
de Pétrarque, les auteurs chrétiens sont perçus aussi comme supérieurs aux païens,
et vrais maîtres de vie grâce à la connaissance du vrai Dieu vers qui sont dirigées
nos actions, comme l’écrivait Coluccio Salutati le 26 mars 1406 au jeune Poggio
Bracciolini, fasciné par les anciens – et il lui fournissait une argumentation sur

5. G. POZZI, « Petrarca, i Padri e soprattutto la Bibbia », Studi petrarcheschi, n. s., 6, 1989,


p. 125-169.
6. FRANCESCO PETRARCA, De otio religioso, II, 8, 43-44, G. Goletti ed., Firenze, 2006, p. 256.
7. Sur la question de sa connaissance du grec, voir M. CORTESI, « Petrarca, il Triglossos e il
Penthaglossos », Studi petrarcheschi, n. s., 6, 1989, p. 201-223, et les contributions réunies dans
« Petrarca e il mondo greco », Quaderni Petrarcheschi, 12-13, 2002-2003.
544 MARIAROSA CORTESI

leur supériorité8 –, voici qu’il s’avérait nécessaire de rendre possible, grâce à une
opération de traduction, une connaissance large de ce patrimoine littéraire, dont
l’ampleur, la profondeur et la résonance attendent encore aujourd’hui un examen
détaillé et sérieux. Les traditions textuelles sont, en fait, nécessairement mêlées à
l’histoire des copistes et, par-dessus tout, à celle des lecteurs-utilisateurs de leurs
écrits, davantage diffusés grâce aux versions latines. C’est dans cette opération
qu’on voit impliqué, au commencement du XVe siècle, Ambrogio Traversari, qui,
encore très jeune, sous la poussée de son vieux prieur, Matteo Cardinali, se mit à
une entreprise littéraire où son soin attentif et assidu ne se révéla pas moindre que
le zèle montré par d’autres dans l’étude des auteurs païens.
Quelques exemples peuvent illustrer cette histoire complexe du point de vue
intellectuel et spirituel, qui va du Discours aux jeunes gens de Basile avec lequel
Leonardo Bruni, au commencement de son imposante entreprise de traduction
d’œuvres grecques à l’aube du Quattrocento, voulait répondre de façon marquée
et nette au débat sur la légitimité et sur l’utilité de la lecture des auteurs profanes,
en montrant comment chez Basile avait été surmonté le contraste entre la lettre et
la foi, à la fascination exercée sur Traversari par les Sermons d’Éphrem, diacre
de l’Église d’Édesse, dont la doctrine et la piété extraordinaires le rapprochent
de « l’admirable et suavissime » Jean Chrysostome. On a là des exemples de
l’engagement religieux et doctrinal de cette époque, avec son environnement et
ses traditions critiques et complexes, tout comme ceux dans lesquels vivaient
les humanistes. Et pendant ce temps Leonardo Bruni faisait passer en Italie
l’enseignement d’Aristote et de Platon : le moine camaldule se prévalait de pro-
curer un corpus de traductions liées à la doctrine de l’Église orientale, qui puisse
correspondre à un projet de renovatio spirituelle et de refondatio de l’unité de la
chrétienté.

II. – DISPONIBILITÉ DES TEXTES,


ENTRE RENOUVELLEMENT PÉDAGOGIQUE ET VIE QUOTIDIENNE

A. Le Discours de Basile aux jeunes gens sur l’utilité des lettres profanes
Basile lui-même avec son Discours aux jeunes gens s’ajoutait aux maîtres en
humanité, Augustin et Jérôme, pour défendre la nouvelle entreprise humaniste
d’étude des auteurs classiques. Leonardo Bruni, le disciple le plus original de
Manuel Crisolora, devait le prouver, peu après le départ de Florence du maître
byzantin, dont il avait assimilé l’enseignement : Bruni répondit consciencieu-
sement et avec conviction au débat qui se jouait à l’époque sur la légitimité et
l’utilité de la lecture des auteurs profanes, débat auquel étaient mêlés le chancelier

8. COLUCCIO SALUTATI, Epistolario, F. Novati ed., IV/1, Roma, 1911, p. 165. Sur cette période,
voir S. GENTILE : « Umanesimo fiorentino e riscoperta dei Padri », dans Umanesimo e Padri della
Chiesa, Manoscritti e incunaboli di testi patristici da Francesco Petrarca al primo Cinquecento,
S. Gentile ed., Milano, 1997, p. 45-62.
LA LECTURE DES PÈRES GRECS PAR LES HUMANISTES 545

Coluccio Salutati, son ami, le moine Giovanni de San Miniato et l’austère domi-
nicain Giovanni Dominici : ces derniers étaient occupés à émettre des réserves de
type moral et des préoccupations de nature théologique, mais le premier, Salutati,
visait au contraire à affirmer la liberté d’étudier les poètes antiques ; il défendait
la nouvelle orientation éducative consacrée à la formation intégrale de l’homme
grâce à la résurgence de la culture classique, et avait le projet d’un renouvellement
qui donne une place centrale aux studia humanitatis, en renforçant leur lien mutuel
avec les études théologiques, les studia divinitatis.
L’intervention de Bruni, énergique et novateur par rapport aux perspectives
opposées, fut déterminante, car il se révéla capable de faire ressortir l’inconsistance
de certaines argumentations : le rapport historique entre le monde gréco-romain et
le monde chrétien avait déjà été clairement défini par des hommes comme Basile,
qui avait trouvé dans la sagesse antique un instrument de formation humaine qui
s’harmonisait avec l’expérience chrétienne intense dont ils avaient été les protago-
nistes exemplaires. Il ne refusait aucunement la paideia grecque et, au contraire,
ses contenus étaient mis au service de la formation ascétique : l’évêque de Césarée
signalait dans ses écrits les modalités selon lesquelles on pouvait tirer profit de
la littérature païenne ; il demandait aux néophytes une familiarité attentive avec
ces auteurs profanes – poètes, historiens, rhéteurs – auxquels ils pouvaient recon-
naître quelque utilité pour le soin de leur âme, un avantage moral pour « le grand
combat » que l’homme devait affronter dans la vie. L’invitation et l’exhortation à
la lecture des classiques, fruits chez Basile d’un engagement littéraire et religieux
en fonction pédagogique, qui dérivait d’une réflexion équilibrée sur le contexte
culturel de ses destinataires et d’une capacité singulière de médiation, avaient fait
de cet opuscule un instrument exceptionnel de bataille pour Bruni, qui espérait
ainsi répondre d’une manière qui fasse autorité à l’ignorance et à la perversion des
détracteurs des études libérales et de leurs opposants, des hommes incapables et
obtus, comme il le déclarait dans sa lettre de dédicace à Salutati9.
L’autorité du législateur du monachisme oriental, universellement reconnu pour
l’austérité de sa vie, la sainteté de ses mœurs, son goût des lettres et sa connais-
sance de la sainte Écriture, est indiscutable et donne une légitimité à la proposition
éducative des humanistes, nouvelle par ses contenus, ses méthodes et ses moyens,
aucunement en conflit avec la foi chrétienne, soucieuse au contraire de fonder
une culture libérée des canons de la scolastique tardive, de définir les traits du
nouveau statut de l’intellectuel, caractérisé en même temps par une nouvelle
compréhension de la réalité variée et complexe, par l’intelligence historique et
par une pleine possession des instruments linguistiques : autant d’aspects dont les
écrivains antiques furent des exemples solides. Ces humanités, qui semblaient
pour Dominici constituer la tentation la plus grave du démon et l’origine de toute

9. Voir M. CORTESI, « Gli umanisti lettori di Basilio tra proposte pedagogiche, motivi ascetici
e dottrina teologica », dans Basilio tra Oriente e Occidente. Convegno internazionale “Basilio
il Grande e il monachesimo orientale”, Cappadocia, 5-7 ottobre 1999, Bose, 2001, p. 253-278.
546 MARIAROSA CORTESI

dégradation morale, étaient au contraire l’élément indispensable pour mettre en


œuvre le changement de la conception de la vie sociale, et Bruni percevait désor-
mais un protagoniste actif dans l’homme formé à l’étude des anciens avec lesquels
il instaure une discussion idéale.
Il faut préciser que Basile exhortait à utiliser la culture profane avec discerne-
ment, en vérifiant que son contenu était convenable et conforme à la vérité, en
particulier dans le cas des auteurs qui exaltaient la vertu, à l’exemple des abeilles
industrieuses et perspicaces qui ne prélevaient ce qui était utile à leur travail
que sur des fleurs déterminées. Avec cette image topique, qu’il traitait de façon
personnelle, Basile donnait la synthèse de son discours pédagogique et de sa pai-
deia chrétienne : elle se caractérisait par un souci prééminent d’évaluer le savoir
humain, « extérieur » au christianisme, selon des critères d’identité, de vérité et de
leur acceptation dans des conditions déterminées. Des limites et des réserves qui
n’intéresseront pas Bruni occupé à trouver dans l’autorité patristique une alliance
intellectuelle capable de justifier son projet culturel de nature classiciste, alternatif
et en opposition aux doctrines dominantes de l’institution officielle, et en même
temps d’accréditer son intention pourtant déclarée de traduire les œuvres grecques
de nature philosophique et, par exemple, les écrits de Platon, demandés par l’ami
Salutati, de façon à faire connaître cet antique et précieux patrimoine d’idées.
Une traduction de cet opuscule de Basile qui, malgré des omissions, des expres-
sions abrégées ou traduites de façon vague, en faisant souvent violence au texte
et travestissant l’original10, a connu une large diffusion, comme en témoigne une
tradition manuscrite11 variée et développée et son utilisation aussi dans le monde
scolastique ; par exemple, Guarino donne des cours, non pas sur le texte origi-
nal, mais bien sur la traduction de Bruni, comme l’attestent les recollectae d’un
manuscrit de Padoue. C’est sur elle aussi que se sont appuyées deux vulgarisations
dues à Antonio Ridolfi et Giovanni Cocchi, signe que désormais la culture en
vulgaire était entrée finalement dans le patrimoine grec fourni par l’humanisme,
en lui apportant du sang neuf12.

10. Certaines typologies ont été décrites par P. VITI, « Bruni e Traversari lettori di san Basilio »,
dans Tradizioni patristiche nell’Umanesimo. Atti del Convegno Istituto Nazionale di Studi
sul Rinascimento- Biblioteca Medicea Laurenziana, Firenze, 6-8 febbraio 1997, M. Cortesi –
C. Leonardi edd., Firenze, 2000, p. 23-41 : 28-32.
11. Au sujet de la diffusion des œuvres, voir : L. SCHUCAN, Das Nachleben von Basilius Magnus
„Ad adolescentes“. Ein Beitrag zur Geschichte des christlichen Humanismus, Genève, 1973 ; et
sur les éditions imprimées, M. CORTESI – S. FIASCHI, Repertorio delle traduzioni umanistiche a
stampa, secoli XV-XVI, I, Firenze, 2008, p. 340-352.
12. P. STROMBOLI, La orazione di s. Basilio Magno “Degli studi liberali e de’ nobili costumi”
volgarizzata da Antonio Ridolfi nel secolo XV, Firenze, 1889.
LA LECTURE DES PÈRES GRECS PAR LES HUMANISTES 547

Les écrits du père cappadocien présentaient des traits toujours plus appropriés
et variés, déterminés en partie par les événements qui préparèrent puis caracté-
risèrent la période du concile de Ferrare-Florence, et en partie par la conscience
critique et la compétence technique avec lesquelles les humanistes se consacrèrent
à traduire. C’est pourquoi à la petite œuvre, avec laquelle Basile voulait proposer
un remède à la division de la société chrétienne, partagée en deux partis opposés,
celui des philhellènes et celui des chrétiens intransigeants, sera associée au cours
du Quattrocento la redécouverte des écrits d’une spiritualité monastique profonde,
qui étaient porteurs d’une tradition théologique de grande importance et retrou-
vaient une actualité face aux nombreuses questions religieuses qui touchaient
à la fois les institutions ecclésiales d’Orient et d’Occident. Cette redécouverte
s’accompagne aussi de celle des œuvres d’Athanase, de Grégoire de Nazianze,
de Jean Chrysostome, dans une succession d’interventions, d’événements et de
modes de réception qui se concentrent autour de la figure du camaldule Ambroise
Traversari13.

B. La Lettre 2 de Basile à Grégoire de Nazianze


sur les avantages de la vie solitaire
Celui-ci, dès 1417, est à la recherche d’un manuscrit comprenant les lettres
de Basile, qu’il désirait par-dessus tout lire et qu’il obtint en prêt du vénitien
Francesco Barbaro en mai (1417) : c’est un témoin qui l’enthousiasme pour son
ancienneté, mais qui malheureusement est amputé des 24 premières lettres, raison
pour laquelle il voudrait le compléter avec un autre manuscrit ; mais celui-ci, fait-il
savoir à Barbaro, est difficile à trouver dans son entourage. Il fait quand même
exécuter une copie du manuscrit de son ami par le calligraphe Demetrio Scarano,
un réfugié grec de Constantinople entré à Sainte-Marie-des-Anges en 1406 et dont
Ambroise se servira souvent comme copiste et probablement comme référent pour
sa langue maternelle. En 1418, le manuscrit avait déjà été rendu à son propriétaire,
mais le seul fruit de cette lecture qui nous soit parvenu est la version de la célèbre
seconde lettre de Basile sur les avantages de la vie solitaire adressée à Grégoire de
Nazianze14. Et si le modèle grec sur la base duquel s’est fait ce premier exercice
littéraire n’a pas pu encore être identifié avec certitude, la traduction s’est diffusée
si rapidement qu’en 1419, non seulement Traversi lui-même n’en avait même plus
une copie, mais il n’était même pas possible d’en trouver une seule dans la ville

13. Il y a une bibliographie immense sur ce point et je me contente de renvoyer à Ch. L. STINGER,
Humanism and the Church Fathers. Ambrogio Traversari (1386-1439) and Christian Antiquity in
the Italian Renaissance, Albany, 1977, et aux contributions rassemblées dans Ambrogio Traversari
nel VI centenario della nascita. Convegno internazionale di studi (Camaldoli – Firenze, 15-18 set-
tembre 1986), G. C. Garfagnini ed., Firenze, 1988.
14. Pour cet aspect, je renvoie à M. CORTESI, « Gli umanisti lettori di Basilio tra proposte
pedagogiche, motivi ascetici e dottrina teologica», p. 253-278. Voir également J. DE KEYSER,
« Solitari ma non soli. Traduzioni umanistiche della lettera De vita solitaria di Basilio di Cesarea »,
Medioevo greco, 9, 2009, p. 53-83.
548 MARIAROSA CORTESI

entière15 ; aujourd’hui, au contraire, cet écrit est largement attesté, parfois sous
forme anonyme, et le plus souvent sans la mention du nom du traducteur16.
Ce texte de Basile, qui suscite la réflexion sur la fuite du monde comme voie
pour dépasser toutes les facultés et conduire à la vérité, avait déjà été pris en
considération par le franciscain Angelo Clareno et il avait aussi attiré l’attention
de Francesco Filelfo, poussé à lire cet opuscule par Alberto da Sarteano, qui avait
prêché à Milan sur son sujet. Nous sommes en mars 1445 : Filelfo, à peine rentré
de chez lui, cherche et trouve l’opuscule, qu’il lit attentivement en grec, comme
il le raconte dans la lettre qui accompagne la traduction : « Mirus sane ordo visus
est et preceptorum et rerum quibus fieri video ut cum maxime soli videamur nullis
tamen familiaribus egeamus, nullis comitibus, nullis sociis17. » Suit une vive exal-
tation du choix de la vie solitaire toute consacrée à Dieu :
« Quod si ea vis est naturaque virtutis ut non solum agendo nos ducat, sed etiam
contemplando perducat ad Deum, certe omni ope atque opera studere annitique
debemus, ut Dei magis quam hominum consuetudine delectemur. Non enim is solus
est qui habet in solitudine Deum contubernalem, sed qui sit inter homines solus. »
Mais, ajoutait-il, ce n’était pas son rôle de faire le prédicateur, et Filelfo invitait
Alberto da Sarteano à laisser de côté Filelfo et à suivre seulement Basile, « cuius
sanctam et sapientem animam te veluti indutum tamquam Pythagoram Euphorbi
ex suis hisce scriptis liquido intelliges ».

C. L’éloge des quarante martyrs


Par contre, des exigences pratiques avaient dicté de « faire en une seule nuit » (una
nocte elaborata) la traduction de l’Ἐγκώμιον εἰς τοὺς ἁγίους τεσσαράκοντα
μάρτυρας μετὰ τῆς ἱστορίας (Éloge des saints quarante martyrs d’après l’his-
toire), dont Lorenzo Valla avait annoncé l’envoi à son ami Giovanni Tortelli pour
la révision habituelle dans une lettre du 20 février 144618. Il s’agirait de l’homélie
célèbre dès l’Antiquité, qui, tout comme les éloges de Grégoire de Nazianze et
deux discours d’Éphrem le syrien, ou plutôt de l’auteur de leur traduction en grec,
célébrait le martyre, sous l’empereur Licinius, de quarante soldats appartenant à
la légion XII Fulminata stationnée à Mélitène en Arménie mineure. On ne sait
pas si l’ami l’a reçu et lu ; et ce d’autant plus que jusqu’à il y a peu d’années on
n’en avait retrouvé aucune trace, ni sous forme manuscrite ni sous forme éditée.
Mais le dépouillement des manuscrits, toujours providentiel, de la part Kristeller a

15. Ambrosii Traversarii Latinae epistolae, P. Canneto – L. Mehus edd., Florentiae, 1759, rist.
anast. Bologna, 1968, II, col. 289-290, ep. VI, 12.
16. P. J. FEDWICK, Bibliotheca Basiliana Universalis. A Study of the manuscripts tradition of
the works of Basil of Caesarea, I. The Letters, Turnhout, 1993, p. 456-459.
17. Texte cité dans M. CORTESI, « Gli umanisti lettori di Basilio », p. 261.
18. La lettre est éditée dans Laurentii Valle Epistole, O. Besomi – M. Regoliosi edd., Padova,
1984, p. 286 n° 32.
LA LECTURE DES PÈRES GRECS PAR LES HUMANISTES 549

permis d’identifier un fascicule de seulement quatre folios dans le manuscrit com-


posite 1530 de la Bibliothèque universitaire de Salamanque, avec une partie de la
traduction de Valla heureusement enrichie de la lettre de dédicace du « Martirium
sanctorum et gloriosorum victoriam consecutorum qui in Sebastia interfecti sunt
numero quadraginta »19. Le terme Martirium a ainsi conduit à identifier le contenu
ave la passio, cette forme narrative à laquelle l’Antiquité chrétienne avait confié
le souvenir des actions héroïques des martyrs, eux qui avaient supporté procès,
tortures et mort au nom de la foi.
Le motif qui avait poussé Traversari à s’intéresser à ce texte est expliqué dans
la lettre de dédicace à Matteo Pujades, trésorier du roi, auquel Alphonse V, en
février 1444, avait ordonné de concrétiser la décision d’une subvention annuelle
de 350 ducats à partir de septembre 1443, comme marque de gratitude à l’égard
de son secrétaire et conseiller Valla, qui lui avait été fidèle aussi par ses écrits.
Le trésorier, qui, dans le document, est désigné comme miles, consiliarius et
thesaurarius, jouit de l’estime de l’humaniste à cause de son intégrité, de son
courage, de sa sagesse, des qualités célébrées dans les libelli qui lui sont envoyés
dans la traduction latine qui concerne la mort et l’éloge des 40 soldats martyrs.
L’hommage répond à deux exigences : témoigner de son appréciation à travers
des textes riches d’une manière d’agir exemplaire et offrir à celui-ci, chef d’armée
et trésorier payant ses soldats, l’occasion d’inciter et d’exhorter ces derniers au
courage et à la fidélité en leur proposant l’exemple de la foi et du sacrifice de
militaires qui, dans les mêmes conditions de vie et de rang, avaient affronté le
sacrifice de leur propre vie.
L’exemple de leur héroïsme accroîtra les qualités des militaires, qui de fidèles
deviendront très fidèles aux roi, et de courageux très courageux. Une fonction édu-
cative, parénétique de l’exemplum, qui unit une sagesse et une fidélité extrêmes à
l’héroïsme collectif. Les soldats, qui partagent la même foi, sont aussi unanimes à
faire face aux épreuves auxquelles ils sont soumis, bien que durant leur interroga-
toire ils aient exprimé leur ferme refus de sacrifier aux dieux par l’intermédiaire
d’un (Chirion) ou deux des leurs (Domnus et Candidus), choisis comme portepa-
roles et leaders spirituels.
La brève préface pourrait laisser entendre avec les libelli qui suivent qu’il y
avait plus d’un texte traduit, c’est-à-dire la passio et l’éloge (« mortem pariter et
laudationem ») et qu’ensuite le récit anonyme composé au sujet de ces personnages
courageux, constants dans l’épreuve et fidèles à leur foi, est l’éloge de Basile,
qui produisit avec un art rhétorique consommé un développement théologique de
cette action communautaire, parce que l’unité de l’Église primait sur l’héroïsme
de l’individu. Il n’y a rien de théologique ni de religieux dans le travail de Valla :
les protagonistes du texte hagiographique ont été choisis parce qu’ils font partie
du milieu de la cour impériale, ce sont des soldats professionnels, courageux, qui

19. Voir, pour ce texte, M. CORTESI, «“Sanctissimum militum exemplum”: i martiri di Sebastia
e Lorenzo Valla», Bollettino della Badia greca di Grottaferrata, n. s., 54, 2000, p. 319-336.
550 MARIAROSA CORTESI

ont donné la preuve d’une authentique et solide force d’âme, d’un courage qui
n’était pas feint et de la fidélité à un idéal, comme tant de héros de l’Antiquité.
Le seul texte qui nous est parvenu, jusqu’à ce moment, est celui du martyrium20,
dans une forme incomplète cependant, car il s’arrête, à cause de la perte de folios
du livret, avec l’épisode dans lequel Satan, qui a pris une apparence humaine, est
contraint de reconnaître son propre échec face à la conversion du capeclarius, qui
s’est substitué au soldat apostat21.
Si nous pouvons situer l’intervention de Valla pendant sa période napolitaine
(1435-1447) et seulement de manière approximative autour des années quarante,
nous savons encore moins de choses sur le manuscrit grec utilisé. L’intitulatio
même, plus développée et plus riche quant aux qulificatifs des protagonistes par
rapport au texte de BHG 1201, ne se trouve pas dans les manuscrits hagiogra-
phiques que j’ai vérifiés22, ni non plus dans ceux utilisés par Gebhardt ; dans le
manuscrit Parisinus gr. 520, dont s’est servi Abicht23, nous trouvons au contraire
un équivalent de l’adjectif gloriosorum : μαρτύριον τῶν ἁγίων καὶ ἐνδόξων
τεσσαράκοντα μαρτύρων τῶν ἐν Σεβαστείᾳ μαρτυρησάντων, en même
temps que d’autres coïncidences24 ; mais nombre d’entre elles sont de purs hasards
dans lesquels la traduction se trouve concorder au contraire avec le texte publié
par Gebhardt. De tels résultats font qu’il est difficile, dans l’état actuel de notre
connaissance de la tradition manuscrite, d’identifier de façon sûre à quelle branche
de la tradition manuscrite se relie le texte grec suivi par Valla pour sa traduction,
parce que les rapprochements possibles ne marchent pas dans la même direction,
mais font plutôt supposer une situation textuelle plus articulée et caractérisée par
la contamination.

20. La contribution de F. LO MONACO, « Problemi editoriali di alcune traduzioni. Basilii Magni


Homelia XIX; Demosthenis Oratio pro Ctesiphonte; Herodoti Historiae », dans Pubblicare il
Valla, M. Regoliosi ed., Firenze, 2008, p. 395-396, n’ajoute rien de nouveau à ce que nous avons
remarqué dans l’article cité en n. 19.
21. Ce cas particulier se trouve au chap. X, r. 10, p. 179 (διαστρέψω τὴν καρδίαν τῶν
ἀρχόντων) de l’édition de O. von Gebhardt, dans Acta martyrum selecta. Ausgewählte
Märtyreracten und andere Urkunden aus der Verfolgungszeit der christlichen Kirche, Berlin,
1902, où aux p. 166-170 on peut lire aussi le Testament, la lettre écrite par les quarante chré-
tiens entre leur condamnation et leur mise à mort pour demander d’être ensevelis ensemble dans
un unique lieu : ce texte est jugé aujourd’hui authentique (cf. P. KARLIN-HAYTER, « Passio of
the XL martyrs of Sebastia, The Greek tradition: the earliest account [BHG 1201] », Analecta
Bollandiana, 109, 1991, p. 249-250, n. 2).
22. J’ai seulement travaillé sur le catalogue des manuscrits hagiographiques, en particulier sur
ceux conservés à la Bibliothèque Vaticane, à la Bibliothèque nationale de Paris et à la Bibliothèque
royale de Bruxelles.
23. R. ABICHT – H. SCHMIDT, « Quellennachweise zum Codex Suprasliensis », Archiv für
slavische Philologie, 18, 1896, p. 144-152.
24. Pour des exemples postérieurs, voir infra, p. -.
LA LECTURE DES PÈRES GRECS PAR LES HUMANISTES 551

Ensuite, l’incipit « Circa Licinii tempora nefandi imperatoris », avec l’addi-


tion d’une qualification pour l’empereur nous oriente plus précisément vers la
variante signalée dans BHG 1201 inc.b, dans laquelle Licinius est défini comme
τοῦ παράφρονος25. L’orthographe, aussi, des noms des quarante soldats varie
notablement dans la traduction latine, soit à cause des détérioriations dues aux
mécanismes de la tradition textuelle, soit à cause de la transposition en latin, soit
encore en ce qui concerne l’ordre des noms dans la liste des martyrs, qui, dans
notre texte, se trouvent placés tout de suite après les données chronologiques et
géographiques. La liste du codex de Salamanque contient seulement trente-neuf
noms de ces athlètes de la foi, de même que le Parisinus gr. 520, parce qu’aucun
des deux ne mentionne Ἐσύχιος ; mais le codex espagnol a ajouté tout à fait à la fin
le terme capiclarius, le garde qui, dans la version grecque, est nommé Ἀγλαΐος.
Dans la traduction du passage où apparaît pour la première fois ce personnage,
παραγγείλας Ἀγλαΐῳ τῷ καπικλαρίῳ ἀσφαλῶς τηρεῖν αὐτούς (173,
24-25), Valla ne comprend pas le nom propre, il lui substitue l’adjectif ἀγλαός et
traduit : « precepit eximio capiclario ut diligenter asservaret » (r. 76-77)26. Il s’agit
d’un personnage clé de cette passio, le gardien converti qui succède d’une façon si
prodigieuse dans le martyre à l’apostat infidèle.
Dans l’opération de traduction, Valla est guidé pour ce texte hagiographique par
le principe d’un rendu littéral, qui n’est cependant pas appliqué de façon banale et
mécanique, en particulier en ce qui concerne le contexte terminologique, où l’on
peut remarquer des amplifications synonymiques ou, au contraire, des expressions
plus synthétiques, mais aussi sur le plan de la structure syntactique, où l’hypotaxe,
propre au latin, est préférée à la parataxe préponderante du texte hagiographique
grec. Dans le domaine plus proprement lexical, la traduction littérale n’empêche
pas l’utilisation d’un vocabulaire changeant en ce qui concerne les termes clés :
le verbe θύω est rendu par facere rem divinam, diis immolare, sacrificare diis/
demonibus/numinibus ; μαρτυρέω, par interficere dans l’intitulatio, puis par pro-
fiteri ad principes dominum nostrum Iesum Christum, testari, martirium perferre.
L’effet de variatio est parfois donné en alternant les formes verbales et les formes
nominales : τὸ μισῆσαι καὶ τὸ ἀγαπῆσαι est rendu par odisse … amare e odium
et amor ; et parfois l’adjectif est substitué au substantif, par exemple προκοπῆς
καὶ τιμῆς rendu par incrementis honoribus27. Les variations introduites par Valla
supposent cependant parfois de façon certaine un texte plus riche que celui attesté

25. L’Auctarium signale, à cet égard, le ms. Parisinus graecus 979, un manuscrit au contenu
héterogène, avec de nombreuses homélies de Jean Chrystostome, où le texte lui est attribué.
26. Le nom n’est pas mentionné dans les panégyriques des Pères, qui voient dans le martyre
des quarante militaires l’expression d’un choix de vie collective. On peut lire une comparaison
entre les traits particuliers de la passio et ceux des éloges dans P. FRANCHI DE’ CAVALIERI, « I santi
quaranta martiri di Sebastia », dans Note agiografiche (Studi e Testi 49), Roma, 1928, p. 155-184.
27. Pour l’analyse des typologies différentes et pour leur exemplification, je renvoie à ma
contribution, p. -.
552 MARIAROSA CORTESI

par le manuscrit utilisé par notre éditeur ou ceux qu’on peut présupposer pour
la traduction latine ancienne ; en outre, il y a aussi dans certains passages une
disposition différente du contenu avec des déplacements de phrases.
À cause de sa brièveté et de son caractère incomplet, avec ses inexactitutes
qui vont de pair avec des traductions attentives et bien réussies, cette nouvelle
traduction constitue un apport qui n’est aucunement de second plan pour la
connaissance de l’activité culturelle de notre philologue, et elle est un élément de
plus dans l’ensemble du problème plus vase de la méthode de traduction et des
des techniques de traduction propres aux humanistes, qui voyaient dans ce travail
quelque chose d’utile mais aride, un moyen de rivaliser avec le modèle grec dans
une tentative pour le dépasser et montrer que la langue latine elle aussi était riche
et précise28.

D. L’homélie pseudo-chrysostomienne sur le Psaume 50


Une traduction assez importante est celle de la seconde Homélie pseudo-
chrysostomienne sur le Psaume 50, Miserere mei, Deus, réalisée par Giovanni
Tortelli pendant son voyage avec le Cardinal Ludovico Trevisan de Rome à
Florence, le 15 juin 1450, pour fuir l’épidémie de peste. Et comme le raconte
l’humaniste dans une courte lettre de dédicace à Côme de Médicis, il avait emporté
avec lui divers codices, dont l’un contenait les Homélies de Chrysostome sur les
Psaumes. Son choix s’étant porté sur le Psaume 50, il fit rapidement une traduc-
tion pour l’offrir en signe de son affection et de son profond respect à l’égard de sa
famille, à laquelle il rendrait visite à son arrivée dans la cité toscane29.
On n’a pas de trace du parvus codex, mais inversement on a retrouvé le manus-
crit probable de la dédicace, en parchemin avec une initiale enluminée, marquée
du blason des Médicis, aujourd’hui le Laurenziano 19, 26, qui donne l’intitulatio
et des corrections de la main de Tortelli, qui pourtant n’est pas intervenu pour rec-
tifier d’autres erreurs, qui sont donc passées dans un ensemble élégant et luxueux
de traductions d’œuvres chrysostomiennes, le ms. Fiesolanus 40 commandé par
Cosme à Vespasien de Bisticci pour la Badia dei Rocettini. Ce texte fut choisi par
l’Arétin, à cause de son caractère explicitement pédagogique, comme instrument
pour transmettre le sens de la douleur et du repentir pour une faute commise, dans

28. Le thème est traité par M. CORTESI, « La tecnica del tradurre presso gli umanisti », dans The
classical Tradition in the Middle Ages and the Renaissance. Proceedings of the first European
Science Foundation Workshop on the Reception of classical Texts, Firenze, Certosa del Galluzzo,
26-27 June 1992, C. Leonardi – B. Munk Olsen edd., Spoleto, 1995, p. 143-168 ; EAD., « Tecnica
versoria e composizione agiografia nella Vita Athanasii di Giovanni Tortelli », dans La tradu-
zione dei testi religiosi, C. Moreschini – G. Menestrina edd., Brescia, 1994, p. 196-223; EAD.
« Umanesimo greco », dans Lo spazio letterario del Medioevo. III. La ricezione del testo, Roma,
1995, p. 457-507.
29. J’ai donné l’édition du texte dans M. CORTESI, « Giovanni Tortelli alla ricerca dei Padri »,
dans Tradizioni patristiche, p. 231-272 : p. 256-272.
LA LECTURE DES PÈRES GRECS PAR LES HUMANISTES 553

le but de présenter une doctrine conforme à l’idéal évangélique ; c’est une œuvre
fortement imprégnée de rhétorique et de citations.
Le résultat difficile de la comparaison avec le texte grec et la traduction latine
ancienne, partie de la soi-disant collection des 38 homélies latines30, est qu’il faut
exclure que la traduction de l’humaniste dépende de la traduction ancienne, même
si l’on est en présence de quelques éléments qui pourraient être interprétés dans un
sens opposé, tandis que la proximité avec le texte grec est étroite, rendue nécessaire
par la succession des nombreuses citations scripturaires ; la correspondance entre
le grec et le latin est rigoureuse, avec une recherche d’équivalents sémantiques
dans une volonté de fidélité au modèle grec : cela consonne avec l’idéal proposé
par Vittorino da Feltre, auprès duquel l’Arétin avait commencé son apprentissage
du grec avant son voyage à Constantinople, un maîte auquel il restait très attaché.
Mais l’Arétin compléta sa traduction avec quelques éléments puisés à son patri-
moine culturel. C’est pourquoi certains passages du commentaire sont mis dans un
ordre différent de celui du texte grec, ou, s’ils ne s’en distinguent pas nettement,
il s’agit alors surtout d’amplifier ou de relier les pensées par des passages extraits
du commentaire de Théodoret [sur les Psaumes] qui y sont interpolés. Par ailleurs,
sa traduction se limite à quelques versets du psaume (3-6, 12, 15, 19, le vers. 11
est seulement cité), c’est-à-dire aux versets qui célèbrent l’appel à la miséricorde
de Dieu, la richesse du pardon, la confession des péchés et la reconnaissance de sa
culpabilité personnelle, ainsi qu’aux prières de purification qui suivent, afin que
l’âme puisse revenir à l’état d’innocence, avec un cœur plus ferme et plus solide,
humilié et contrit, à offrir en échange de la bonté de Dieu. Il manque les versets
qui chantent la justification de la faute, dont la gravité est liée à la nature humaine,
l’état d’attente du pardon qui apportera réjouissance et joie, la crainte d’être écarté
du regard de Dieu. Un David-Chrysostome en réduction est contenu dans ces
déclarations moralisantes et consonne avec la condition générale de l’homme.

III. – L’ÉTUDE DES TEXTES CHRÉTIENS ET LE TRAVAIL QUI S’Y RAPPORTE


Si l’attention tournée vers les Pères grecs paraît répondre dans les exemples
que nous avons examinés, pour Filelfo à des exigences occasionnelles, pour
Valla et Tortelli à des intérêts et à des sentiments personnels, il en est autrement
pour Traversari, dont l’intense activité de traduction, en réponse à l’exhortation
du prieur Matteo Cardinali qui lui avait conseillé d’orienter ses études vers les
traduction des écrits patristiques grecs31, fut conçue comme une étude et un travail
assidus des textes chrétiens et mise en œuvre dans un contexte monastique : c’est
à ces orientations qu’il s’est lui-même attaché dans le programme de ses activités

30. Pour les divers problèmes, je renvoie à ma contribution, p. .


31. Sur le prieur, voir C. CABY, De l’érémitisme rural au monachisme urbain. Les Camaldules
en Italie à la fin du Moyen Âge (Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome 355),
Rome, 1999, p. 606.
554 MARIAROSA CORTESI

littéraires et l’objectif ne fut jamais abandonné, même lorsqu’il se tourna vers la


Vie des philosophes de Diogène Laërce, non seulement pour accéder à la demande
de son puissant ami Côme de Médicis, mais aussi parce qu’il avait repéré dans
ce livre la richesse et la variété des courants de pensée qui avaient alimenté le
christianisme des Pères orientaux. La conviction qu’un tel patrimoine est utile
aux jeunes novices et aux moines répandus dans le monde entier l’avait poussé à
affronter la longue œuvre des trois livres de Chrysostome Adversus vituperatores
vitae monasticae, qui avait su défendre cette perspective de vie avec éloquence et
élégance de style, avec force et riche d’argumentations pour contraindre au silence
les mauvaises langues. Et Ambroise (Traversari) se faisait l’illusion de pouvoir
affaiblir l’audace, éclairer l’ignorance et adoucir le dédain de ses détracteurs
contemporains, en particulier des pères qui empêchaient leurs fils d’entrer dans
un monastère, et de les convertir progressivement à sa cause. Si le prieur, à qui la
traduction est dédiée, avait trouvé des lacunes dans la manière de rendre le texte
ou des périodes exprimées sous une forme raccourcie, celles-ci auraient dû être
imputées à son inexpérience et aux difficultés rencontrées pour rendre en latin pari
orationis luce l’incroyable souplesse et la prolixité d’un des auteurs chrétiens les
plus proches de l’idéal atticisant.
En 1418, Traversari fut à même de répondre encore à une requête du Cardinal
avec une nouvelle traduction de la Scala Paradisi de Jean Climaque, où se trouvait
exposée de manière précise la règle de perfection monastique, speculum perfec-
tionis, symbole de la condescendance de Dieu pour l’homme qui accueille le don
de la révélation32 – Climaque, qui vécut trop tard (VI-VIIe s.) pour être traduit en
latin par la grande porte des traducteurs de la génération de Rufin qui avaient
formé la base de la littérature ascétique occidentale et furent également les lec-
tures du Haut Moyen Âge33. C’est seulement au début du XIVe siècle que s’est fait

32. Sur ces œuvres, on manque encore d’instruments fiables et de recensements concernant
la transmission du texte grec ; la recensio de la tradition manuscrite est aussi incomplète, il n’y
a pas d’édition critique du corpus, c’est pourquoi l’on doit encore avoir recours au texte publié
dans PG 88, col. 632-1164. Voir M. CORTESI, « La ricezione della “Scala” in Occidente », dans
Giovanni Climaco e il Sinai. Atti del IX Convegno ecumenico internazionale di spiritualità orto-
dossa, sezione bizantina, Bose 16-18 settembre 2001, S. Chialà – L. Cremaschi edd., Bose, 2002,
p. 279-300. J’utilise encore la dénomination habituelle Scala del paradiso mais on a récemment
proposé celle de Tavole spirituali : cf. J. DUFFY, « Embellishing the Steps: Elements of Presentation
and Style in the Heavenly Ladder of John Climacus », Dumbarton Oaks Papers, 35, 1999, p. 5-6.
33. A. SIEGMUND, Die Überlieferung der griechischen christlichen Literatur in der lateinischen
Kirche bis zum zwölften Jahrhundert (Abhandlungen der bayerischen Benediktiner-Akademie 5),
München – Pasing, 1949, p. 179-180, en présentant quelques traductions des homélies contenues
dans deux manuscrits, Cassinesi, 143 e 324 du XIe siècle, signale la présence de deux fragments
de la Scala extraits du chapitre relatif au renoncement et aux remèdes contre la tentation du blas-
phème, et au de hospitalitate, un thème lié à celui de la sortie du monde (exire de saeculo), pris
comme schéma de réforme de l’Église et de combat spirituel contre le démon du blasphème. Les
manuscrits sont décrits par M. INGUANEZ, Codicum Casinensium manuscriptorum catalogus, I/
II, Montis Casini, 1923, p. 228-229 ; II/II, 1934, p. 163-165. La traduction de Climaque est éditée
LA LECTURE DES PÈRES GRECS PAR LES HUMANISTES 555

connaître la Scala grâce au travail de traduction du frère Angelo de Foligno, dit


Clareno, principal représentant italien des Spirituels franciscains qui, par amour
de la pauvreté, avait subi l’excommunication, des années de réclusion suivies par
d’autres de paix en mission en Arménie et qui, après un bref retour en Italie sous
le règne de Célestin V, fut à nouveau excommunié et parvint, avec un petit groupe
de partisans, à passer dans la Thessalie méridionale, orthodoxe, où il bénéficia
de l’hospitalité dans l’un des monastères de la région34. Ce frère Angelo avait eu
l’opportunité de se rapprocher de la littérature monastique orientale, qui fut pour
lui une révélation précieuse et un instrument utile pour approfondir et soutenir sa
position personnelle dans la controverse interne à son ordre. Gentile de Foligno,
lié d’amitié à Clareno, le raconte d’une façon pittoresque dans le prologue à la
version vulgarisée de l’Échelle, qu’il fit à partir de la traduction de son ami35 ;
lors d’une nuit de Noël, vraisemblablement en 1300, pendant que les franciscains
prenaient part à la liturgie en commun avec les grecs, « …sentendosi frate Agnolo
infondere nell’animo per divino miracolo la notitia della lingua greca, andò al
padre suo frate Liberato, domandò licentia di dire una lettione in quella lingua, et
dicendo Benedicite. Della qual cosa maravigliandosi frate Liberato, considerando
la sanctità sua, li concedette che andasse a dire. Et così lesse quella lettione come
se fusse nato et sempre nutricato in quella lingua greca, et da indi inanzi seppe
liberamente parlare in greco36 ».

dans : Florilegium Casinense, Abbatiae Montis Casini, 1877, appendice à Bibliotheca Casinensis
seu codicum manuscriptorum qui in tabulario Casinensi asservatur series, III, p. 328-330.
Siegmund connaissait aussi deux manuscrits du XVe s., dont le savant ne précise pas, cependant,
la bibliothèque où ils se trouvaient, et à propos desquels il se limite à affirmer de façon générique
que les textes semblaient provenir de traductions anciennes.
34. G. L. POTESTÀ, Angelo Clareno dai poveri eremiti ai fraticelli (Istituto storico italiano per
il Medioe Evo. Nuovi studi storici 8), Roma, 1990, p. 23 affirme que Clareno « entrò in contatto
con alcuni insediamenti monastici siti in Tessaglia, là dove qualche decennio dopo sarebbero
sorte le Meteore », mais les recherches récentes de A. RIGO, La “Cronaca delle Meteore”. La
storia dei monasteri della Tessaglia tra XIII e XVI secolo (Orientalia Venetiana 8), Firenze, 1999,
p. 59-62 montrent qu’aux premières décennies du XIVe s., dans cette région, vivaient seulement
quelques ermites. On peut trouver une reconstruction attentive de la vie tourmentée du franciscain
dans R. MANSELLI, « Spirituali missionari: l’azione in Armenia e in Grecia. Angelo Clareno »,
dans Espansione del francescanesimo fra Occidente e Oriente nel secolo XIII. Atti del Convegno
internazionale, Assisi, 12-14 ottobre 1978, Assisi, 1979, p. 271-291, maintenant aussi dans ID., Da
Gioacchino da Fiore a Cristoforo Colombo. Studi sul francescanesimo spirituale, sull’ecclesiolo-
gia e sull’escatologismo bassomedievali (Istituto storico italiano per il Medioe Evo. Nuovi studi
storici 36), P. Vian ed., Roma, 1997, p. 547-560. D’autres études se trouvent dans les mélanges
Angelo Clareno francescano. Atti del XXXIV Convegno internazionale, Assisi, 5-7 ottobre 2006,
Spoleto, 2007.
35. Il est utile aussi de consulter la notice de P. VIAN dans Dizionario biografico degli Italiani,
53, Roma, 1999, p. 160-162.
36. « Le frère Angelo, ayant senti s’insuffler dans son esprit, par un miracle divin, la connais-
sance de la langue grecque, se rend auprès de son père/supérieur, le frère Liberato, et lui demande
la permission de faire une lecture dans cette langue, tout en disant le Bénédicité. Émerveillé par
556 MARIAROSA CORTESI

Au-delà, en général, du miracle de la méthode globale d’apprendre la langue du


pays où l’on se trouve37, il me semble valoir la peine de souligner le fait étrange
de la prière commune des deux groupes monastiques et du témoignage qu’il
donne d’une assimilation de la vie des Frères Mineurs aux traditions spirituelles
orientales. Clareno, en recevant le don de la connaissance de la langue grecque,
a voulu utiliser celle-ci pour faire connaître aux fidèles latins l’idéal évangélique
franciscain (idéal pour lequel il subissait l’exil) présent ches les Pères grecs. De
là – c’est toujours au vulgarisateur de le souligner – vient à lui la force d’affronter
la traduction de l’Échelle, puis un traité de Basile « per modo di regola » (« en
fonction de règle »), c’est-à-dire le corpus ascétique38, ainsi qu’un groupe des
écrits de Macaire « nei quali si truova perfettamente d’ogni virtù e rimedio contra
ogni vizio » (« où se trouve parfaitement toute vertu et un remède à tout vice »)39.
J’ajoute encore que Clareno n’a pas affronté la traduction d’un autre livre de
Climaque portant sur la vie contemplative, qui lui paraissait trop profond, c’est
pourquoi il se contenta de rendre en latin seulement ce qui concernait la vie active.
Une rencontre, donc, avec trois Pères aux nuances bien définies : Climaque le
précurseur de l’hésychasme, Macaire qui transmet un écho du messalianisme,
Basile qui représente l’évangélisme et le renoncement total.
Ces traductions se trouvent réunies dans un unique manuscrit du XVe siècle,
l’Urb. Lat. 521, manuscrit luxueux, aux vastes marges destinées, au moins pour le
texte de Climaque, à accueillir les scolies traduites du grec40. Le nom de Clareno
n’apparaît dans aucune traduction, mais les textes de Basile et de Climaque corres-
pondent à ceux qu’Angelo cite dans son Expositio de la règle de François et dans
son Apologia, tandis que ceux de Macaire et de Chrysostome présentent beaucoup
d’affinité avec la typologie des deux premiers, ce qui permet avec une bonne proba-
bilité de proposer l’attribution de ces traductions à Clareno, en récupérant de cette
façon deux autres produits de son travail de traducteur41. Ce manuscrit présente un

cela, le frère Liberato, voyant sa sainteté, lui accorda ce qu’il avait demandé de dire. Et ainsi il
lut la lecture comme s’il avait été né et toujours nourri dans cette langue grecque, et à partir de
ce moment il sut parler couramment grec » (trad. fr. F. Vinel). Je cite le texte selon l’édition de
A. Ceruti : S. GIOVANNI CLIMAITION, La Scala del Paradiso. Testo di lingua corretto su antichi
codici mss., Bologna, 1874, p. 2.
37. On peut penser, à cet égard, à la suggestion du texte d’Act. 2, 1-11.
38. Il s’agit des Règles de Basile (CPG 2875) : B. GAIN, « Ange Clareno (†1337) lecteur et
traducteur de s. Basile », Archivum Franciscanum Historicum, 92, 1999, p. 329-350.
39. Il s’agit des Opuscoli II-VII e de la Grande lettera du pseudo-Macaire (CPG 2413 e 2415).
40. C. STORNAJOLO, Codices Urbinates Latini, II, Romae, 1912, p. 16-21, qui, cependant, ne
signale pas la particularité du premier feuillet qui a une provenance différente par rapport au reste
du manuscrit, et où ont été copiés par une main postérieure la version de la Vie de Basile composée
par le pseudo-Amphiloche et l’éloge de Paul.
41. Dans ce manuscrit Urb. Lat., qui, selon J. GRIBOMONT, « La Scala paradisi, Jean Raïthou
et Ange Clareno », Studia monastica, 2, 1960, p. 349-350, devrait comprendre toutes les versions
LA LECTURE DES PÈRES GRECS PAR LES HUMANISTES 557

autre trait étrange, témoin de l’échange culturel et spirituel entre le monachisme


basilien et l’idéal franciscain, sur la miniature en tête du texte de Basile : sous la
protection de François qui est dans le ciel, on voit un groupe de Frères Mineurs
réunis en chapitre, qui écoutent un saint revêtu de leur habit, et Jean Gribomont a
suggéré, de façon très convaincante, qu’il s’agissait de Basile ; François est l’alter
Christus, le patriarche oriental est pour Clareno un alter Franciscus42.
Pourtant un manuscrit de Subiaco, le ms. 112 du XIVe siècle, regroupe davan-
tage de traductions de Clareno43 : Macaire, l’Échelle du Paradis, et aussi les
Collationes d’Isaac de Ninive en 50 chapitres, comme j’y ai déjà fait allusion,
ainsi que des passages du Pseudo-Denys. Isaac est un auteur tardif, c’est pourquoi
la traduction peut avec certitude se situer dans la période médiévale et pourrait
être l’œuvre du même Clareno44 ; d’autre part, le fait qu’elle se trouve conservée
dans un manuscrit important de Subiaco parmi les meilleurs textes du franciscain,
n’est pas surprenant parce que Clareno trouva là un refuge approprié à son retour
d’exil45.
L’Échelle traduite par le franciscain commença à circuler dans le monde occi-
dental, contrairement à ce qu’a écrit De Ghellinck, qui plaçait le début à la fin du
XIIIe siècle46 ; ce fut un succès en Italie, mais il fut diffusé aussi de l’autre côté des
Alpes, mais non par l’intermédiaire des franciscains ni même grâce aux chartreux,
dans l’inventaire, daté de 1391,desquels, auprès de la Chartreuse de Notre-Dame
du Mont Dieu (Reims), figure un codex avec toutes les traductions conservées

de Clareno, il n’y a pas, en effet, les Collationes ou Liber de contemptu mundi de Isaac de Ninive
(CPG 7868), qui se trouvent, par contre, dans le manuscrit de Subiaco 112.
42. J. GRIBOMONT, « L’Expositio d’Ange Clareno sur la règle des Frères Mineurs et la tra-
dition monastique primitive », dans Lettura delle fonti francescane attraverso i secoli: il 1400
(Pubblicazioni dell’Istituto Apostolico Pont. Univ. Antoniana 6), G. Cardaropoli – M. Conti edd.,
Roma, 1981, p. 424.
43. Le manuscrit est signalé dans la liste de R. G. MUSTO, « Angelo Clareno, O.F.M.: Fourteenth-
Century Translator of the Greek Fathers. An Introduction and a Checklist of Manuscripts and
Printings of his ‘Scala Paradisi’ », Archivum Franciscanum Historicum, 76, 1983, p. 605-606,
et maintenant on trouve sa description dans I manoscritti della Biblioteca statale Monumento
nazionale di Santa Scolastica di Subiaco I. Dal S.S. 1. I. al S.S. 113, CX (Indici e Cataloghi,
n. s. 17), R. Crociani – M. Leardini edd., Roma, 2006, p. .
44. S. CHIALÀ, Dall’ascesi eremitica alla misericordia infinita. Ricerche su Isacco di Ninive e
la sua fortuna, Firenze, 2002.
45. Il n’y a pas beaucoup de témoignages jusqu’ici sur la présence d’Isaac, auteur syriaque
mais traduit en grec, dans les bibliothèques médiévales. Selon ce qu’Ambrogio Traversari observe
dans une lettre de 1432 adressée à son ami Niccolò Niccoli, une copie en grec se trouvait dans la
bibliothèque du Cardinal Giordano Orsini, dans laquelle il avait remarqué l’existence de manus-
crits grecs : « Novi nihil inveni, praeterquam Isaac Syri opuscula de perfectione vitae religiosae »
(Traversarii Latinae epistolae, II, col. 407, ep. VIII, 32).
46. J. DE GHELLINCK, « En marge des catalogues des bibliothèques médiévales », dans
Miscellanea Francesco Ehrle, V (Studi e Testi 41), Città del Vaticano, 1924, p. 333.
558 MARIAROSA CORTESI

dans l’Urb. Lat. 521 : en effet, nous le trouvons plutôt chez les bébédictins, les
célestins et les chanoines réguliers, d’après le recensement effectué par Ronaldo
Musto, sûrement encore susceptible d’additions et de corrections47.
Au début du Quattrocento, Climaque s’est imposé en Italie grâce à l’attention de
l’acteur principal du renouveau de l’Église, le camaldule Traversari, qui comprit la
valeur de formation de l’Échelle pour les moines et les ermites. Après avoir connu
son contenu à travers une traduction latine – celle de Clareno –, qu’il n’aimait
pas du tout, il eut soudain l’idée de retrouver l’original grec et écrivit pour cela à
son ami Francesco Barbaro à Venise en le priant de voir s’il le trouvait parmi ses
manuscrits ou parmi ceux de ses amis et de se hâter de lui faire savoir lorsqu’il
l’aurait retrouvé. L’œuvre était déjà traduite mais avec tant de maladresse que, les
syllabes à part, le résultat était incompréhensible. C’est pourquoi il désirait rendre
à Climaque son véritable « visage », que l’incapacité du traducteur avait dégradé48.
Nous sommes en 1414 et nous savons par ses lettres qu’en 1419, la traduction était
terminée, avec quelques difficultés formelles provenant du fait qu’il s’agissait
d’un texte profond, plus utile qu’agréable à lire.
En outre le codex grec avait été trouvé, la traduction avait été faite par lui et
dédiée à son prieur Matteo, qui l’avait exhorté à lui donner le texte en latin, parce
que c’était utile pour ses confrères de disposer de l’exposé exact de la règle de
toute la perfection monastique : l’Échelle de Climaque était « son Échelle ».
La traduction précédente donnait un texte très difficile à comprendre, obscur à
force de coller de trop près au texte grec et qui résultait d’une simple transposi-
tion de verbo ad verbum, à l’opposé des principes de l’Antiquité. L’intention de
Traversari fut donc d’offrir un texte compréhensible et de forme plus appropriée,
adéquate et claire, avec l’espoir de ne pas passer pour téméraire et arrogant. Cette
prise de position s’alignait sur celle affichée par un autre humaniste, Leonardo
Bruni, et marquait l’importance des critères guidant le traducteur dans son travail
de passage dans une langue différente de l’originale : on refusait une traduction
mécanique et on dénonçait en même temps la question du « pourquoi » traduire.
Ce n’est donc pas un crime que la tentative de Clareno, face à une précédente
expérience si médiocre, qui était sans aucun doute l’œuvre d’un saint homme,
mais ni érudit ni bon traducteur : « Aliud enim sanctitas est atque aliud eruditio » ;
et la fortune qu’avait connue cette traduction fut tout à fait miraculeuse, car elle
n’était vraiment pas due à son respect du texte original.

47. Dans ce recensement nous trouvons signalés 51 manuscrits pour le texte latin, 30 pour sa
version en vulgaire, 1 en portugais, 1 en anglais, auxquels il faut aussi ajouter des témoins frag-
mentaires. Pour quelques intégrations à cette liste, voir M. CORTESI, « La ricezione della Scala »,
p. 286, n. 24.
48. Traversarii Latinae epistolae, II, col. 284, ep. VI, 7 et, pour la lettre, voir aussi FRANCESCO
BARBARO, Epistolario. I. La tradizione manoscritta e a stampa, C. Griggio ed., Firenze, 1991,
p. 343.
LA LECTURE DES PÈRES GRECS PAR LES HUMANISTES 559

La critique sévère de Traversari n’est compréhensible que si on la replace dans


le contexte de la tension humaniste à l’égard de l’attrait du passé, c’est-à-dire
dans la volonté, partagée par les intellectuels de cette époque, de remonter d’un
état présent, marqué par la décadence, à la pureté mythique des origines ; dans des
temps de rudes conflits et de fracture de la respublica christiana, de la corrup-
tion de la vie ecclésiale et monastique, l’on regarde les paroles de la Bible et les
œuvres des Pères comme « l’unique étoile qui puisse guider la barque de Pierre
pendant la grande tempête ». Pour les humanistes comme Traversari, le retour à
l’antique voulait dire rechercher et retrouver, à l’aide de nouveaux instruments
linguistiques, méthodes et connaissance historique, les documents de l’Antiquité
chrétienne, grecque d’abord et latine, homogène dans ses principes et dans ses
traditions fondamentales, dans le but de rénover à la racine la société ecclésiale,
dont l’image sacrée avait été défigurée. Et précisément chez Traversari, qui fut
le principal et le plus efficace promoteur d’un tel renouveau, il est frappant de
constater que sa recherche s’est tournée vers les civilisations classique et chré-
tienne, jamais opposées entre elles, mais, tout au contraire, considérées, d’une
certaine façon, comme une expérience commune que le christianisme avait mise
en lumière. Et le moment où il commence son activité de traducteur et de diffuseur
en langue latine des œuvres classiques de la tradition patristique et monastique
grecque, et en même temps des écrits en rapport direct avec le problème de la
reconstitution de l’unité ecclésiale, coïncide avec un moment particulièrement
exaltant de la redécouverte humaniste du passé gréco-latin : le retour d’Athanase,
Basile, Climaque, Chrysostome, Éphrem, Jean Moschos, signifiait la reconquête,
elle-même humaniste, d’une manière de comprendre et de vivre le message
évangélique, dont l’Occident n’avait pas suffisamment reconnu et apprécié la très
grande force spirituelle, précisément parce qu’il en ignorait le langage véritable et
ne pouvait pas en comprendre l’inspiration la plus profonde et la plus originale.
Cela signifiait que le christianisme oriental pouvait finalement être interprété
dans un sens qui ne fût pas polémique ni nécessairement hostile, si l’on pouvait
vraiment mettre en lien ses raisons culturelles et spéculatives avec une histoire
beaucoup plus riche et multiforme de l’expérience des théologiens occidentaux,
raisons que les nouvelles découvertes et techniques humanistes permettaient
désormais de mieux déchiffrer.
Quelle est la valeur de cette nouvelle traduction ? Malheureusement cette ques-
tion n’a pas encore été examinée à fond, mais le sondage effectué sur quelques
parties du texte permet d’affirmer que le Camaldule a fait de nombreuses correc-
tions, a restructuré et amplifié ; il a modifié la prose de Climaque en la paraphrasant
lorsqu’il rencontrait des difficultés de compréhension. Cependant, dans bien des
passages, il dépend de la traduction de Clareno49. Et cela fut immédiatement

49. C‘est ce qu’a montré, à travers des échantillons, A. SOTTILI, « Humanistische


Neuverwendung mittelalterlicher Übersetzungen. Zum mittelalterlichen und humanistischen
Fortleben des Johannes Climacus », dans Die Rezeption der Antike. Zum Problem der Kontinuität
zwischen Mittelalter und Renaissance, A. Buck Hrsg., Hamburg, 1981, p. 165-185 ; voir aussi
560 MARIAROSA CORTESI

perçu, par exemple par l’abbé de Sainte-Justine de Padoue, Ludovico Barbo, qui
voulait se procurer une copie pour la mettre à la disposition de ses moines ; nous
pourrions aujourd’hui reconstruire cet exemplaire grâce aux apographes conser-
vés50. Mais le document le plus explicite pour recueillir les appréciations portées
sur le texte de la Scala en circulation est représenté par le commentaire de Dionigi
il Certosino, qui vécut dans la seconde moitié du XVe siècle : il exprime une appro-
bation de principe, mais manifeste des réserves sur l’orientation stoïcienne qui
la traverse. Son attention avait été attirée par quelques remarques perspicaces de
Gerson, qui trouvait qu’il valait mieux admirer Climaque que l’imiter. Assurément,
Climaque ne cherchait pas à adapter la spiritualité du désert à la nature humaine,
telle qu’elle avait été définie par la philosophie aristotélicienne, et il aspirait au
contraire à une norme plus élevée, celle qui avait séduit Clareno, c’est-à-dire la
voie angélique et surnaturelle éclairée par une psychologie pleine d’expérience et
implacablement lucide. Dionigi il Certosino avait à peine achevé son travail sur
Jean Cassien (« transtuli tria volumina ad stilum facillimum ») qu’il se mettait à
elucidare le texte de Climaque, qui présentait une double difficulté, de style et de
sens. Là où se présentaient des obstacles il souhaitait non seulement les rendre
d’une façon appropriée et qui permettre la compréhension, mais encore les éclairer
avec un bref commentaire. L’Échelle, à son avis, est un texte difficile, qui exige
une prédisposition particulière : on ne pourrait pas le comprendre pleinement sans
avoir « spiritum, gustum et exercitationem, imo perfectionem » égaux à ceux de
son auteur51.
Nous pouvons donc remarquer diverses manières d’aborder un texte peu com-
mun et pas facile : les Spirituels qui ont diffusé la Scala semblaient sensibles à
un aspect bien précis, comme nous avons pu le déduire des œuvres polémiques
de Clareno, l’Esposizione e l’Apologia. Le monachisme grec antique, exigeant
l’austérité et le renoncement intérieur, ainsi que l’obéissance, encourageait une
certaine liberté spirituelle – et c’était beaucoup plus que ce que les supérieurs des
communautés voulaient accorder aux amis de Clareno. Les Spirituels devaient être

P. VARALDA, « Prime indagini sulla tradizione manoscritta della versione climachea di Ambrogio
Traversari », Rivista di storia e letteratura religiosa, 38, 2002, p. 107-144 et « Per la conoscenza
di Giovanni Climaco nell’Occidente latino fra Trecento e Quattrocento », dans Padri greci e latini
a confronto (secoli XIII-XV), M. Cortesi ed., Firenze, 2004, p. 37-61.
50. On pourrait en avoir une copie dans le manuscrit aujourd’hui à la British Library, Egerton
911, écrit en 1440 et qui a appartenu au couvent vénitien de San Giorgio Maggiore (A. G. WATSON,
Catalogue of Dated and Datable Manuscripts c. 700-1600 in the Department of Manuscripts of
the British Library, I, Londres, 1979, p. 112, nr. 593).
51. Je lis le texte selon l’exemplaire du XVIe s. de la Bayerische Staatsbibliothek de München,
4 P. Lat. 367-28. L’ouvrage de Dionigi est illustré dans Dionysii Cartusiensis Opera selecta. I.
Prolegomena. Bibliotheca manuscripta. I: Studia bibliografica (CCCM 121), K. Emery jr. ed.,
Turnholti, 1991, p. 15-38 ; le commentaire est publié dans Dionysii Cartusiani Opera omnia,
XXVIII. In Scalam Paradisi Johannis Climaci abbatis, Coloniae, 1540 (rist. Tournai, 1905),
p. 11-497.
LA LECTURE DES PÈRES GRECS PAR LES HUMANISTES 561

frappés, en effet, par le manque de hiérarchie juridique, propre, par contre, aux
ordres religieux modernes, qui accordait généreusement la communion ecclésiale
à des solitaires qui n’avaient avec les évêques que des contacts occasionnels.
La société du Moyen Âge tardif était attirée par les rapports de la vie religieuse
confrontée à la hiérarchie, dans ses liens avec la pauvreté, la prière et la charité.
Climaque est de toute façon un auteur destiné à ne pas entrer dans toutes les
bibliothèques humanistes, pour autant que nous le sachions jusqu’à aujourd’hui :
aucune copie de ses écrits ne figure dans celles de Pétrarque, de Giovanni Aurispa,
de Jean Joffroy, de Guarniero d’Artegna, d’Alphonse d’Aragon, de Giano
Parrasio. On peut facilement comprendre, à l’inverse, la présence du texte grec,
avec delui d’Isaac de Ninive, dans les bibliothèques du Cardinal Bessarion et de
Jean de Raguse, et de la traduction de Traversari dans celles de Niccolò Niccoli et
de l’anglais William Gray, de la traduction de Clareno avec tout son appareil de
scolies dans celles de Nicolas de Cuses, tout comme dans celle de Sainte-Justine
de Padoue, tandis que, dans la Bibliothèque Vaticane, à côté de cinq manuscrits
grecs appartenant au fonds antique, se signale un témoin précieux de la traduction
du Camaldule, copié en 1436 avec des gloses du Cardinal Giuliano Cesarini qui
résume des passages importants et fait des correction interlinéaires ; deux exem-
plaires en sont conservés dans la Bibliothèque Laurentienne, l’un commandé par
Côme de Médicis pour la Badia de Fiesole, et l’autre pour la Bibliothèque de
Saint-Marc52. Les humanistes, à la recherche des traditions chrétiennes orientales,
ont toujours regardé Climaque, dans une perspective éthico-spirituelle, comme
une source d’émulation pour le présent, un modèle de sainteté, sûrement, mais
aussi comme le modèle d’une vertu cultivée et érudite, qui pouvait stimuler les
moines, ses propres moines pour le Camaldule, vers une synthèse entre l’ascèse
et la culture littéraire rhétorique. C’est pourquoi, après l’Échelle, Traversari se
tourna vers le Pré spirituel de Jean Moschos, qu’il connaissait sous le titre de
Vie des Pères, en se préoccupant de garder la simplicitas du grec de l’original,
et, s’il rencontra pour réaliser sa traduction des difficultés linguistiques à cause
de l’abondance des expressions de grec démotique, l’écrit qui en résulta fut utile
pour apprendre les termes techniques particuliers du monachisme oriental, qu’il
ne savait pas toujours rendre correctement avec leurs nuances institutionnelles.
La triade byzantine, qui a tant fasciné Traversari, fut complétée par les Sermons
d’Éphrem, le diacre de l’Église d’Édesse, célèbre pour ses écrits et pour la pro-
fondeur de sa doctrine53. Ses œuvres, à forte connotation morale, furent traduites
en grec immédiatement après sa mort, et une traduction latine de six premiers
sermons circulait déjà à l’époque médiévale. Traversari commença la traduction
de ces sermons en 1420 et six années plus tard, il en avait déjà traduit dix-neuf,
comme il le dit dans une lettre à Niccoli, dans laquelle, attiré par la piété et la doc-
trine extraordinaires de l’ascète syriaque, il insiste auprès de son ami pour obtenir

52. M. CORTESI, « La ricezione della “Scala” », p. 298-299.


53. Le manuscrit Laurentianus Fiesolanus 72 rassemble les versions des trois auteurs.
562 MARIAROSA CORTESI

le manuscrit qu’il avait trouvé au couvent de la Sainte-Croix, qui contenait, outre


les Sermons de Jean Chrysostome, « quaedam opuscola Ephrem Syri de laudibus
Ioseph54 » ; on n’a pas de trace de ce manuscrit, mais on a identifié un exemplaire
ayant appartenu à Niccoli dans l’actuel Barberianus gr. 528, sans le De laudibus
cependant55. La séduction exercée par l’œuvre d’Éphrem était racontée, de façon
ample et originale, sous la forme d’un récit merveilleux, à travers les images du
pélerin et de l’hôte, qui tiennent presque toute la place dans la lettre de dédicace
à Côme de Médicis. Attiré par le visage vénérable du vieillard, par la sainteté qui
émanait de toute sa figure, Traversari veut dialoguer avec Éphrem, bénéficier de sa
familiarité, parce qu’il imagine pouvoir tirer beaucoup d’utilité et de plaisir d’un
entretien avec lui. Il l’amène ainsi dans sa cellule, et rien ne le satisfait plus que sa
présence, rien n’est plus salutaire que son enseignement sur les réalités célestes,
sur les vertus, sur l’amour de Dieu, sur le mépris du monde.
L’approche de la sagesse chrtienne reste toujours très personnelle chez
Traversari, en quête des qualités héroïques de ses exempla, qui l’enthousiasmaient
et le passionnaient ; et il était à la recherche des traits caractéristiques de leur enga-
gement religieux et doctrinal dans un temps, un environnement et une tradition
autrement plus critique et complexe que ceux de ses contemporains.

IV. – À LA RECHERCHE DE NOUVEAUX AUTEURS ET DE NOUVELLES TRADUCTIONS


C’est à l’époque du Concile (1438-1439), au-delà des puissantes incompréhen-
sions, que se manifesta l’atmosphère culturelle particulière vécue par la génération
des humanistes tournée vers la conquête de l’Hellade, et qui fut aussi l’occasion
d’un renouveau des études patristiques56. Le patrimoine des bibliothèques que
les humanistes voyageurs avaient rapporté des territoires de l’empire byzantin,
les liens solides avec les intellectuels byzantins, l’intense travail de traduction
mené pour donner accès à ce trésor culturel avaient contribué à faire grandir
en Italie la conscience de la continuité entre la civilisation grecque et celle de
Byzance, gardienne du savoir antique et expression d’une tradition théologique
considérable. D’autre part, la diplomatie byzantine se voyait obligée d’ouvrir
des négociations pour la réunification des deux Églises, après que, au commen-
cement du Quattrocento, seules des circonstances fortuites avaient empêché la

54. Traversarii Latinae epistolae, II, col. 381, ep. 8, 18. Dans l’inventaire du XVe s. de
Santa Croce il n’y a aucun manuscrit grec : cf. la fiche du ms. Laurentianus Strozzi 13 faite par
S. GENTILE, dans Umanesimo e Padri della Chiesa, p. 207-208.
55. S. GENTILE, « Traversari e Niccoli, Pico e Ficino: note in margine ad alcuni manoscritti dei
Padri », dans Tradizioni patristiche, p. 106-107, 93-95.
56. À cet égard, sont fondamentaux les deux volumes Firenze e il Concilio del 1439. Convegno
di studi, Firenze, 29 novembre-2 dicembre 1989, P. Viti ed., Firenze, 1994.
LA LECTURE DES PÈRES GRECS PAR LES HUMANISTES 563

chute de Constantinople. Ferrare fut la ville choisie pour la session de 1438, après
qu’Eugène IV eut dissout de sa propre autorité celle de Bâle. La cité padane était
devenue un oasis de stabilité politique ; dirigée par le marquis Niccolò III, elle
connaissait une heureuse conjoncture politico-économique et une période de
fermentation intellectuelle nourrie par la présence d’un Studio et d’un groupe
d’humanistes, duquel se détachait Guarino Veronese57. Mais bien vite Côme de
Médicis veilla personnellement à ce que le Concile se réunisse à Florence pour
accroître le prestige de la ville et consolider par là même son propre pouvoir et le
rapprochement avec l’environnement humaniste, comme l’atteste la lettre que le
chancelier Leonardo Bruni envoya aux Pères de Bâle le 3 juillet 143658.
Les controverses théologiques furent débattues ensuite au prisme de subtiles
exégèses de textes et par le recours à des documents authentiques qu’augmentait
la disponibilité de textes qualitativement fiables, plus facilement accessibles à
Florence, sur lesquels tous les partis pouvaient asseoir leurs positions respectives.
Ils se préoccupaient de rechercher des manuscrits contenant les œuvres des Pères
et les Actes des Conciles, pourtant dispersés et d’élaborer un florilège de passages
des Pères grecs et latins pour discuter des questions du Filioque, du Purgatoire,
de l’Eucharistie et de la primauté du Pape ; ils cherchaient également à augmen-
ter la copie de nouveaux témoins à mettre à disposition pendant les discussions.
Traversari, bien qu’il n’ait pas été officiellement élu interpres au Concile, joua
un rôle déterminant pour la lecture des textes grecs pendant les sessions, pour la
découverte de manuscrits, grecs et latins, sur l’ordre du pape, et pour les traductions
des œuvres de Basile et d’Épiphane pour le dominicain Giovanni di Montenero59.
Les discussions sur la procession du Saint Esprit opposèrent le dominicain pour
les Latins et le métropolite Marc d’Éphèse pour les Grecs, antiunioniste acharné,
qui décida de mettre fin à la méthode du débat dialogué : il fit un exposé mieux
structuré et fondé sur maintes citations des Pères grecs et poussa ses adversaires à
répondre après avoir constitué leur propre dossier d’extraits, en tout premier lieu
de l’Écriture et des Pères latins, puis des Pères grecs60.

57. Voir les contributions rassemblées dans Ferrara e il Concilio 1438-1439. Atti del Convegno
di studi nel 550° Anniversario del Concilio dell’unione delle due Chiese d’oriente e d’occidente,
Ferrara, 23-24 novembre 1989, P. Castelli ed., Ferrara, 1992.
58. P. VITI, « Leonardo Bruni e il Concilio », dans Firenze e il Concilio, II, p. 519-531; sur la
figure du pape : L. BOSCHETTO, Società e cultura a Firenze al tempo del Concilio. Eugenio IV tra
curiali, mercanti e umanisti (1434-1443) (Libri, carte, immagini 4), Roma, 2012 ; J. GILL, The
Council of Florence, Cambridge, 1959 (= trad. it., Il Concilio di Firenze, Firenze, 1967), passim.
59. J. GILL, The Council of Florence (= trad. it., Il Concilio di Firenze), passim.
60. J. GILL, Il Concilio, p. 253-263 ; B. MEUNIER, « Cyrille d’Alexandrie au Concile de
Florence », Annuarium Historiae Conciliorum, 21, 1989, p. 147-174.
564 MARIAROSA CORTESI

Ces florilèges attirèrent en faveur des positions latines les théologiens grecs
les plus éminents, Bessarion61 et Isidore de Kiev. Alors que la théologie grecque
antiunioniste vivait à Florence en se basant sur les acquis anciens, et n’avait
pas jugé opportun de reprendre la réflexion sur de nouvelles bases, les Latins
au contraire, grâce à Traversari, disposaient de nouveaux textes : celui-ci se fit
envoyer de Florence un exemplaire du Thesaurus de Cyrille découvert parmi les
livres de Niccolò Niccoli62, qui fut mis à sa disposition par le Cardinal Cesarini,
légat du pape à Ferrare, l’Adversus Graecorum errores de Manuel Calecas, qu’il
avait déjà traduit pour le pape Martin V en 1423, et un riche florilège patristique
consacré aux problèmes trinitaires, qu’il avait fait circuler aussi au Concile de
Bâle ; outre les florilèges dont il disposait, il fit, en recourant directement aux
œuvres des Pères, de nouveaux recueils, comme celui conservé dans le manuscrit
Conventi soppressi 603 de la Bibliothèque Laurentienne de Florence, qui lui avait
été directement transmis pour qu’il puisse disposer d’une tradition latine de textes
utiles pour réfuter l’argumentation des Byzantins63.
Dans la demeure de Cesarini se trouvait de manière tout à fait fortuite une homé-
lie de Basile sur le Saint Esprit, contenue dans un manuscrit « longe vetustissimus
in membranis » apporté par Leonardo Bruni pour y chercher une lettre, comme le
raconte Giovanni da Montenero64. Aussitôt il chargea Traversari, qui était là, de la
lire entièrement « et magno interpretandi dono excellit ».
À partir de la troisième session du Concile, à l’automne 1438, d’après les
sources qui rendent compte des discussions, le débat s’est fait plus serré. Le
16 octobre, Cesarini avait présenté à la session plénière un manuscrit latin des
Actes du septième Concile, celui de Nicée II, en parchemin, et, selon lui, très
ancien, mais la valeur de celui-ci fut ramenée à de justes proportions par ses
adversaires, qui furent toutefois surpris et qui en conséquence demandèrent à pou-
voir vérifier ce témoin. L’événement fit rapidement réagir les deux délégations,
et surtout la latine : Cesarini invita Traversari à retourner rapidement à Ferrare
afin qu’il décrive minutieusement le manuscrit latin qui avait suscité les réac-
tions des adversaires, en indiquant la provenance du couvent dominicain de San
Cataldo à Rimini, et il lui demanda aussi des renseignements sur un manuscrit
grec de Nicolas de Cuse, que Traversari lui-même lui avait raconté avoir acquis à
Constantinople et dont il lui avait dit qu’il contenait le compte rendu des sixième,

61. C’est à partir de l’étude du florilège commenté de Bekkos que le métropolite de Nicée
quitta ses positions antiunionistes, comme le montre A. RIGO, « La Refutazione di Bessarione
delle Antepigraphai di Gregorio Palamas », dans Tradizioni patristiche, p. 283-294.
62. Traversarii Latinae epistolae, II, p. 626 ; Ch. L. STINGER, Humanism and the Church
Fathers, p. 203-222.
63. I. ORTIZ DE URBINA, S.I., « Un codice fiorentino di raccolte patristiche (Conv. sopp. 603
Bibl. Laurenziana) », Orientalia Christiana periodica, 4, 1938, p. 423- 440.
64. Quae supersunt actorum Graecorum Concilii Florentini, Pars II (Concilium Florentinum.
Documenta et scriptores. Series B, V/II), J. Gill ed., Romae, 1953, p. 327.
LA LECTURE DES PÈRES GRECS PAR LES HUMANISTES 565

septième et huitième conciles. En outre, dans le texte dont il lui avait parlé, s’il se
souvenait bien, l’expression Filioque était supprimée, mais pas assez bien pour ne
pas être visible :
« J’aurais donné cent ducats pour pouvoir le montrer hier, lors de la session publique,
en même temps que notre livre sur le septième concile, un manuscrit grec du même
concile avec l’expression susdite clairement et manifestement supprimée65. »
Mais au cours des discussions aucun délégé latin ne rouvrit la question, aussi
est-il probable que l’espoir du Cardinal fut déçu. Aujourd’hui, on peut répondre
à l’appel grâce à un manuscrit du fonds Harleianus, le 5665 : il ne semble porter
aucune marque de son appartenance au Cusain, mais il est entré dans sa biblio-
thèque grâce à celui qui fut chargé de préparer l’édition critique de ces actes66.
C’est encore le Cardinal Cesarini qui, dans une lettre de mars 1439, pria avec
insistance le Camaldule de se consacrer jour et nuit à la traduction des textes grecs,
en particulier du Contra Eunomium de Basile, ex integro, œuvre si nécessaire pour
la discussion en cours : et les actes du Concile (de 1438) ont conservé quelques-
uns des passages utilisé durant les débats entre Marc Eugenicos et Giovanni di
Montenero. Ce dernier, en tant que soutien de l’interprétation latine de la pro-
cession du Saint Esprit, avait présenté le manuscrit apporté de Constantinople, là
encore, par Nicolas de Cuse, codex très ancien, « ut videatur plusquam sexcentos
habere annos, hoc est multis annis antequam schisma hoc oriretur et dissidium »,
en parchemin et non in bombacinis, un codex « tam bene est interpunctus, tam
emendatus atque dispositus, ut nullam corruptelae suspicionem iniiciat », et il
revendiquait l’authenticité du texte qui n’était pas depuis assez longtemps à la
disposition des Latins pour avoir été altéré ; puis, pour en prouver encore mieux
l’authenticité face aux soupçons d’altération des passages cruciaux, il en présente
un qui était la propriété du métropolite grec Dorothée, très ancien, transmis après
le Concile à Bessarion et aujourd’hui à la Bibliothèque Marcienne, le fr. 5867.

65. Quae supersunt, p. 83-86 (trad. F. Vinel).


66. E. LAMBERZ, « Die Überlieferung und Rezeption des VII. ökumenischen Konzils (787)
in Rom und im lateinischen Westen », dans Roma fra Oriente e Occidente, 19-24 aprile 2001
(Settimane di studio del Centro italiano di studi sull’Alto medioevo 49), II, Spoleto, 2002, p. 1093-
1096. Pour participer à la session oecuménique, s’était rendu en Italie le philosophe néoplatonicien
Gemisto Pletone, chef de l’école de Mistrà dans le Péloponnèse, l’un des trois laïcs que Jean VIII
Paléologue avait convoqué afin qu’il fît partie de la délégation avec l’aristotélicien constantinopo-
litain Giorgio Scolario et le sceptique Giorgio Amirutzes de l’école de Trébizonde : il l’avait aussi
inséré parmi les orateurs officiels, mais ensuite il autorisa seulement Marc d’Éphèse et Bessarion,
tandis que Pletone fit seulement une intervention sur la question brûlante du Filioque.
67. Selon ce qui ressort des Actes, les pères conciliaires avaient à leur disposition six manus-
crits, dont quatre en parchemin, trois appartenant à Dorotheus, le dernier à Cusain, et deux
sur papier, dont l’un appartenait à Jean VIII Paléologue, l’autre au patriarche Joseph II. Sur le
Marcianus, voir O. KRESTEN, Eine Sammlung von Konzilsakten aus dem Besitze der Kardinals
Isidoros von Kiev (Österreichische Akademie der Wissenschaften, Philos-hist. Klasse 123), Wien,
1976, p. 21 et n. 18 ; pour l’identification des requêtes variées de Cesarini, p. 81-84 ; Bessarione e
l’Umanesimo (Catalogo della mostra), G. Fiaccadori ed., Napoli, 1994, p. 392-393.
566 MARIAROSA CORTESI

La liste des précieuses œuvres apportées d’Orient par l’infatigable découvreur


allemand peut être encore élargie par l’ajout de la Catena Patrum Graecorum à
l’Évangile de Jean (Ms. Cus. 18 de la Bibliothèque de Bern-Kues), d’Homélies
de Jean Chrysostome (Cus. 47), de l’Expositio de Nicétas, des carmina arcana
de Grégoire de Nazianze (Cus. 48), d’œuvres de Basile et de Grégoire de Nysse
dans le ms. Harleianus 5402, de Plutarque (ms. Harleianus 5692), d’un lexique
gréco-latin (ms. Harleianus 2773), du Tétra-Évangile Vaticanus gr. 358 : mais
sur aucun d’eux l’on ne trouve de signe permettant d’en attribuer avec certitude
l’appartenance au Cusain, alors que nous savons par lui, parce qu’il en a informé
la communauté monastique de Tegernsee, qu’il possédait un Ps. Denys l’Aréopa-
gite en grec, sans gloses, parce que c’est un texte qui « per se ipsum multipliciter
explanat68 ».
Le travail herméneutique sur le texte sacré et sur les écrits à caractère philoso-
phique et théologique nous donne des éclairages sur le chapitre de la proposition
renouvelée au monde occidental des textes fondamentaux, rendus actuels aussi par
les contacts récents avec le monde byzantin, mais surtout par la nouvelle orien-
tation prise par la théologie scripturaire considérée dans son rôle pragmatique,
réformateur, mais aussi ecclésiastique et social. C’est la période durant laquelle
les humanistes redécouvrirent et firent connaître, dans la littérature patristique,
des traductions et des réécritures latines du Haut Moyen Âge, et l’on arrive sans
aucune difficulté à celles de Traversari, le savant exégète, traducteur et interprète
des passages controversés relatifs aux thèmes les plus brûlants du Concile ; par
exemple, dans un manuscrit de Fiesole, le 44, produit dans l’atelier de Vespasien
de Bisticci, sont rassemblées, avec les traductions d’Ambrogio Traversari de
quelques opuscules d’Athanase, des traductions médiévales de Basile, de Grégoire
de Nazianze, de Grégoire de Nysse, ainsi que des contributions de Rufin et d’Eus-
tathe d’Antioche69 – c’est un point qu’on ne doit pas passer sous silence.

V. – LES MODALITÉS DE LA TRADUCTION


Le problème de la traduction des textes s’imposait avec toujours plus d’actualité
et d’acuité, parce que la phase de l’exercice linguistique était désormais présente
et que s’imposaient de manière plus fréquente et décisive les prises de position

68. M. CORTESI, « La letteratura cristiana tra i libri di Niccolò Cusano », dans Padri greci e
latini, p. 113-132.
69. Dans le manuscrit a été retrouvée la main du Poliziano par A. PEROSA, « Un codice della
Badia Fiesolana con postille del Poliziano », Rinascimento, s. 2, 21, 1981, p. 29-51 ; ce codex a été
reconduit à l’atelier de Vespasien par A. DE LA MARE, « New research on Humanistic scribes in
Florence », dans A. GARZELLI, Miniatura fiorentina del Rinascimento 1440-1525, Firenze, 1985,
p. 437-438, 443, 557. Cf. aussi P. VITI, « Per un’indagine filologica sul Traversari: la traduzione
dell’ Adversus gentiles di sant’Atanasio », dans Ambrogio Traversari, p. 489, n. 29.
LA LECTURE DES PÈRES GRECS PAR LES HUMANISTES 567

sur le nouveau rapport au passé à travers la philologie. Pour tout ce qui concernait
les textes sacrés s’ajoutait l’intérêt pour les études bibliques puis pour la langue
et la littérature hébraïques. Quand le florentin Giannozzo Manetti commença ses
réflexions, il prit pour référence le de interpretatione recta de Leonardo Bruni,
un texte exemplaire des théories humanistes du traduire, et, comme Bruni, il était
prêt à structurer de manière théorique sa pensée pour défendre ses traductions des
écrits aristotéliciens, contre celles du barbarus médiéval – en effet, Manetti sou-
tenait avec l’Apologeticus son activité de traducteur des textes sacrés en réponses
aux critiques qui avaient suivi sa traduction du Psautier hébraïque, composée à
la demande du pape Nicolas V70. Après avoir précisé que ce qui est demandé et
exigé d’un bon traducteur c’est la connaissance exacte de la langue de départ et
d’arrivée, de la « force », de la « nature » et des propriétés des paroles, des figurae
dicendi, accompagnées de talents stylistico-littéraires bien marqués, pour que la
façon de traduire ne se réduise pas à l’élaboration stérile des constructions raf-
finées, mais offre un produit qui ait une dignité littéraire, Manetti soutient avec
force que la traduction ad verbum est recommandée par Cicéron, Horace, Jérôme
et, parmi les contemporains, Bessarion et Traversari ; le Cardinal, qui « Aristotelis
Methaphysice libros ex ambiguis ac perplexis et obscuris utcunque latinis cla-
ros nimirum atque distinctos et apertos sua nova translatione reddidisse », le
Camaldule, dont il était le disciple, qui avait traduit les livres de Denys, « quos
omnes ad Timotheum Ephesium episcopum in lingua greca eleganter conscripsit,
non ineptus presertim in materia abstrusa, ita recondita, ita ab omni sensu remotis-
sima et, ut ita dixerim, abhorrentissima evidenter ostenditur. Et in Laertii insuper
Diogenis libris, qui de vita et moribus philosophorum inscribuntur, commemora-
tum Ambrosium ad sensum non ad verum egregie eleganterque inter legendum
convertisse cognovimus71 ».
Pour Traversari, l’opération menée sur le texte de Denys pseudo-Aréopagite
avait été difficile : il n’avait pas soumis la traduction au labor limae par peur de
ne pas trouver en latin des mots qui rendraient les termes grecs correspondants
et expliqueraient correctement les phrases72 ; l’écrit de Laërce, beaucoup plus
difficile que prévu, avec ses phrases interrompues et incomplètes, ses concepts
obscurs et incompréhensibles, l’avait encore plus mis à mal, car il ne disposait pas
d’outils linguistiques suffisants pour les rendre avec précision. Et en voulant offrir
une traduction qui ne soit ni rustre, ni rude, ni fruste, il devait recourir à une série

70. GIANNOZZO MANETTI, Apologeticus, A. De Petris ed., Roma, 1981 ; A. DE PETRIS, « Le


teorie umanistiche del tradurre e l’Apologeticus di Giannozzo Manetti », Bibliothèque d’Hu-
manisme et de Renaissance, 37, 1975, p. 15-32. L’activité de Manetti est bien illustrée par C.
TRINKAUS, In our Image and Likeness, II, London, 1970, p. 571-601.
71. Apologeticus V, 42-44, p. 116-117
72. Il le dit dans de nombreuses lettres : Traversarii Latinae epistolae, II, col. 193, 226, 414,
415, 621.
568 MARIAROSA CORTESI

de techniques rhétoriques pour ne pas trahir le sens. C’est pourquoi la traduction


obtenue a été faite avec une habileté d’autant plus grande que la matière mystico-
théologique à affronter était plus abstraite73.
L’Apologeticus de Manetti était en lien avec les théories humanistes qui pri-
vilégiaient la traductio ad sententiam pour les textes poétiques, historiques et
rhétoriques, mais pour les textes philosophiques et théologiques il préconisait une
traduction gravior et severior74 ; l’humaniste était guidé par les thèses affirmées
par Bessarion dans son petit traité In illud: Si eum volo manere, consacré aux
règles de la traduction en général et à celle des livres sacrés en particulier75. Pour
le Cardinal, il était nécessaire et incontournable de remonter à l’original en cas de
doute pour corriger les erreurs dues à des correcteurs incompétents ; la fidélité tex-
tuelle absolue, par ailleurs, devait être poursuivie avec précaution, elle ne devait
être acceptée qu’avec réserve et circonspection pour les traductions bibliques,
tandis que la familiarité avec les auteurs qu’on traduisait et la connaissance de la
langue étaient nécessaires. On ne comprenait le sens caché des Écritures que si
l’on respectait le caractère propre des phrases et l’ordre des paroles.
Tout cela est repris par Manetti, pour qui la traduction de la Bible ne devait être
ni trop littérale au point d’être incompréhensible, ni trop libre au point de déformer
l’original ; pour lui, les traductions de Jérôme étaient supérieures aux autres en
qualité, il se détournait parfois d’une métaphrase strictement littérale, mais ne
modifiait pas non plus le contenu. Pourquoi alors une nouvelle traduction des
Psaumes qu’il définit lui-même pene ad verbum ? Pour dépasser les inexactitudes
des traductions précédentes et pour répondre au besoin de rigueur et de précision,
dit Trinkaus, rigueur qui inspirera Lorenzo Valla dans ses Adnotationes ad Novum
Testamentum76.

73. Lettera di dedica e iter seguito per la traduzione di Laerzio sono ampiamente illustrati da
M. GIGANTE, « Ambrogio Traversari interprete di Diogene Laerzio », dans Ambrogio Traversari,
p. 367-459.
74. C’est pourquoi les livres III et IV de l’Apologeticus sont consacrés à l’illustration des
différences dans l’interprétation du texte des Psaumes dans les deux versions de Jérôme, du grec
et de l’hébreu.
75. Manetti possédait ce texte que nous lisons dans PG 161, col. 623-649 et dans L. MOHLER,
Kardinal Bessarion als Theologe, Humanist und Staatsmann, III, Paderborn, 1942 (rist. 1967),
p. 70-80.
76. Pour le rapport de celui-ci avec la Vulgata : M. CORTESI, « Lorenzo Valla, Girolamo e la
Vulgata », in Motivi letterari ed esegetici in Gerolamo, G. Menestrina – C. Moreschini edd.,
Brescia, 1997, p. 269-289. Il faut aussi faire remarquer l’acribie philologique avec laquelle Valla
exprima des doutes sur l’attribution du Corpus Dionysianum à l'Aéropagite, qu’à partir de lui
devient « pseudo- ». En fait, Grégoire le Grand déjà dans l’Homelia in Evangelium, 34, bien qu’il
nomme le corpus, n’identifie pas l’auteur avec l’Athénien converti par Paul. Valla fait observer
que personne n’avait cité les écrits de Denys avant Grégoire le Grand, et que certains intellectuels
grecs attribuaient ces textes à Apollinaire. Denys, qu’on avait cru être le converti par Paul qui avait
transmis les mystères de celui-ci par des traités destinés à excercer une énorme influence au cours
LA LECTURE DES PÈRES GRECS PAR LES HUMANISTES 569

Face à des textes complexes, même un byzantin reconnu comme Georges de


Trébizonde admet rencontrer des difficultés. Bessarion, qui après le Concile, était
à la recherche d’exemplaires du Contre Eunome de Basile pour se faire une opinion
définitive sur l’authenticité du fameux passage controversé du livre III, demanda
précisément à Georges de Trébizonde d’en préparer une traduction latine en même
temps que celle du traité Sur le Saint Esprit, à dédier au pape Eugène IV. Mais le
byzantin se sentait peu apte à rendre le style parfait de Basile et à comprendre la
difficile matière théologique de ce traité. C’est ce qu’il déclare dans une préface
adressée au Cardinal :
« Nam quanto perfectius ille Grece conscripsit, tanto difficilius in Latinam linguam
traduci potest. Quod enim in summum generis sui accedit, id difficilius in diversa
deducitur. Materies vero ipsa theologica et de summa theologie parte primum hominem
postulat, qui longe ab illuvie absit peccatorum ; deinde qui maiore otio fruatur et non
Latine lingue solum, verum etiam theologie peritum. Nam qui transferre conantur que
non intelligunt, eos video verborum solummodo, ut pueros, sequi potestates, a rebus
ipsis plurimum aberrare, quamvis et verba ipsa non bene interpretetur quio rem non
bene perceperit. Adde quod hec theologis reverentia omnino tribuenda est, ut sua fere
ut Grece iacent transferantur. Nam longius evagari, commutare, addere vel minuere
quicquam, quod plerumque traducenti necessarium est, a theologia quasi periculosum
alienissimum est, maximeque illi fugiendum qui hunc Basilii librum traducere cupiat,
in quo adeo acute atque sublimes res sunt ut mirandum sit quod primum omnium in
rebus tam altis sic omni ex parte optime conscripserit77. »
Il s’agit donc d’une déclaration explicite qui souligne la nécessité, vu la com-
plexité doctrinale et théologique du texte, de ne pas le modifier avec des ajouts ou
des réductions. Ce critère de fidélité à l’original avait guidé aussi Traversari dans
sa version du traité de Manuela Caleca et il l’avait assuré à Martin V malgré la dif-
ficulté de cette entreprise à cause de vulnérabilité de son contenu et l’insuffisance
du temps dont il disposait.
Par contre, Georges de Trébizonde ne montre pas ces réserves dans la lettre-pré-
face à la traduction remaniée du Contre Eunome adressée à l’archevêque de Gran,
Johan Vitez, dans l’intention de faire accepter à la cour du roi de Hongrie Matthias

du Moyen Âge, pour Valla n’est pas un philosophe, mais l’un des juges de l’Aéropage d’Athènes,
tandis que, pendant plusieurs décennies après lui – avant Traversari même qui avait abordé la
traduction du corpus –, on continuera à voir dans ce Denys le grand théologien chrétien du Ier s.,
plus grand que Platon et Aristote. Pour d’autres informations bibliographiques, voir M. CORTESI,
« Gregorio Magno e gli umanisti », dans Gregorio Magno e le origini dell’Europa. Atti del
Convegno internazionale, Firenze, 13-17 maggio 2006 (Millennio medievale 100. Strumenti e
studi, n. s. 37), sotto la direzione di C. Leonardi, Firenze, 2014, p. 577-599, en part. p. 580-581.
77. Je transcris le texte du Vat. Lat. 299 ; la préface a été publiée par J. MONFASANI, Collectanea
Trapezuntiana. Texts, documents and bibliographies of George of Trebizond, Binghamton, N.Y.,
1984, p. 160-161 ; voir aussi I. BACKUS, Lectures humanistes de Basile de Césarée, Paris, 1990,
p. 97-101 Le même Bessarion souligne des difficultés semblables dans la lettre dont il accom-
pagne les deux traductions de Georges de Trébizonde envoyées au pape Eugène IV (le texte est
publié dans L. MOHLER, Aus Bessarions Gelehrtenkreis, III, Paderborn, 1967, p. 450-452).
570 MARIAROSA CORTESI

Corvin . À la déclaration d’incompétence s’est substitué un emploi décidé et résolu


des arguments qui visent à manifester sa propre aversion pour les hérétiques, les
néoplatoniciens et les infidèles, les Turcs :
« Omnibus enim etiam tu viribus, consiliis, studiis religionem Christianam contra
infideles ac hereticos summis tue cum vite periculis domi forisque tutaris ; tuaque
unius opera et consilio fractos et pene eversos crucis hostes videmus. Unde et in celis
premium a deo tibi repositum et apud homines ad immortalitatem posteritatis tribuetur
perpetua laus gloriaque tuorum meritorum78. »
Aucun frein ensuite lorsqu’il traitait d’œuvres qui n’étaient pas totalement ortho-
doxes, qui auraient pu exercer une influence regrettable sur les discussions portant
sur la question trinitaire, comme pour la traduction du De evangelica preparatione
d’Eusèbe, l’un des textes les plus connus de la seconde moitié du Quattrocento
à cause de l’intérêt suscité par son riche matériau philosophique, historique et
religieux. Dans la lettre-préface, il déclare qu’il n’a pas hésité à intervenir sur le
texte, qu’il avait lu dans un manuscrit trouvé par hasard à Rome, ni à omettre des
passages nettement suspects d’arianisme et jugés hautement hétérodoxes après le
Concile de Nicée. Le résultat d’une telle opération fut soudain l’objet de fortes cri-
tiques et Nicolas V confia la révision à Andrea Contrario, qui centra ses profondes
critiques sur les défauts rhétoriques et en particulier les erreurs linguistiques et
grammaticales, signe de l’ignorance de la valeur sémantique des termes ; et il
conseilla de remplacer cette traduction par une autre, qui soit plus estimable79.
Ce sont là des demandes d’ordre philologique et théologique remarquables, si
l’on examine à l’inverse la longue lettre, étrange par son contenu, dont Lampugnino
Birago accompagne sa traduction de l’Hexaemeron de Basile au pape d’alors,
Paul II. Le curial avait traduit les homélies dans le but d’édifier l’Église romaine ;
mais, contrairement à ce que soutenaient les théologiens, c’est-à-dire que le texte
de la Bible ne devait être modifié ni dans ses termes ni dans son contenu, celui-
ci prenait ses distances avec la traduction proposée par Jérôme dans quelques
passages du texte biblique cités dans les homélies : il illustrait son attitude en
commentant deux passages de Genèse 1, 2 et 1, 4. Le premier, « Terra autem
inanis et vacua » de la Vulgate, devenait avec lui « Terra autem invisibilis et non
instructa », en accord avec la traduction de la Septante (Vetus Latina), que préférait
aussi saint Augustin ; le second passage « et vidit Deus lucem quod esset bona »
devenait « et vidit Deus lucem quod pulchra esset »80. Sa sensibilité linguistique

78. J. MONFASANI, Collectanea Trapezuntiana, p. 275-276. Dans la même perspective se place


la dédicace du De Spiritu Sancto à Giano Pannonio (Collectanea Trapezuntiana, p. 252-253), où
l’auteur présente son traité comme continuation du Contra Eunomium et réponse à la tentative,
de la part des Eunomiens, de postuler la non-égalité de l’Esprit par rapport au Père et au Fils
(cf. I. BACKUS, Lectures humanistes, p. 100).
79. Pour la dédicace : J. MONFASANI, Collectanea Trapezuntiana, p. 291-293.
80. Je lis le texte du manuscrit Vaticanus lat. 302, f.1r-5r, que j’ai collationné avec celui du
Vat. Lat. 6977, celui-ci, ignoré par I. BACKUS, Lectures humanistes, p. 85. Une description du
Vat. Lat. 302 se trouve dans Umanesimo e Padri, p. 350-353, n° 94. Ce même texte de Basile sera
LA LECTURE DES PÈRES GRECS PAR LES HUMANISTES 571

lui suggérait la pluralité des mots latins pouvant correspondre à un terme grec, qui
consonnerait de façon plus adéquate avec l’interprétation donnée par Basile, qui,
à partir de la Bible, faisait sa théologie propre et avec qui il serait ridicule d’entrer
en contradiction sous prétexte de suivre la Vulgate. En réalité, son travail ne se
différenciait pas substantielement des précédents, et les théories énoncées, comme
cela arrive fréquemment dans les dédicaces, ne correspondent pas à la praxis réelle
de la traduction !

VI. – POUR UNE NARRATIO RERVM GESTARVM MODERNE


Le 1er février 1438, Giovanni Tortelli était rentré de Constantinople après un
séjour de deux années à l’école du maître Giovanni Eugenicos81. Il était devenu
proche d’Isidore de Kiev, le futur Cardinal Ruthène, qui l’avait poussé à la lecture
et à la compréhension de Sophocle, et de Giovanni Stojkovic de Raguse, auquel
il avait vraisemblablement apporté son aide dans ses fonctions d’ambassadeur au
Concile de Bâle du côté grec. Le voyage de retour s’était fait avec la délégation
d’orientaux qui se rendaient à Ferrare dans la suite de l’empereur et du patriarche,
en vue d’avoir ensuite des contacts directs avec les représentants les plus éminents
du monde ecclésiastique et culturel gréco-latin ; et ce retour avait été demandé
par le même Cesarini, qui voulait mettre Tortelli à son service pour les rapports,
aussi nombreux que délicats, avec les orientaux82. Après son arrivée dans la cité,
Tortelli, sans doute grâce à une connaissance suffisamment grande de la langue
et de la littérature grecques, qu’il avait acquise à l’école du Patriarche, à laquelle
était liée celle d’Eugenicos, se trouva impliqué dans les opérations, promues et
soutenues par Cesarini, de recherche et de découverte de manuscrits contenant
les œuvres des Pères qui soient fiables, sur lesquels appuyer les débats. Aussi
fut-il en contact régulier avec Traversari, auquel il fit parvenir, par exemple, com-
plura opuscula Basilii, mais il s’engagea également dans la lectures des Actes

repris par Giovanni Argiropulo, lequel, cependant, dans la dédicace à Sixte IV (Vat. Lat. 301 et
Vat. Lat. 7843), ne soulève pas de questions d’ordre philologique ; il se limite à mettre en évidence
l’importance de l’ouvrage, dont la lecture permettrait au pape de bien comprendre les voies mises
en œuvre par s. Ambroise dans son Hexaemeron (pour l’important ms. Vat. Lat. 301, voir la fiche
n° 101 dans Umanesimo e Padri, p. 366).
81. Sur les événement liés à ce retour, voir M. CORTESI, « Tecnica versoria », p. 197-223,
et EAD., « Dalle terre d’Oriente alla provincia dell’Umanesimo fra le pagine dei libri », dans
L’Europa dopo la caduta di Costantinopoli: 29 maggio 1453. Atti del XLIV Convegno storico
internazionale, Todi, 7-9 ottobre 2007, Spoleto, 2008, p. 467-502.
82. Je pense que c’est lui l’interprète présent à l’occasion du dîner dans la maison du Cardinal,
où, selon ce que raconte Syropulos, se trouvaient en tant qu’hôtes les deux frères Eugenico,
c’est-à-dire son maître, haut dignitaire de l’empereur, et Marc d’Éphèse, l’un des opposants de
l’union, ainsi que le métropolite de Mitilène Dorotheus (V. LAURENT, Les « Mémoires » du grand
ecclésiarque de l’église de Constantinople Sylvestre Syropoulos sur le Concile de Florence [1438-
1439], Paris, 1971, p. 258) ; et pour l’identification de μεταγλωττιστός, voir M. CORTESI,
« Giovanni Tortelli alla ricerca », p. 232-234.
572 MARIAROSA CORTESI

du Concile d’Éphèse de 431, dont des extraits en latin sont conservés dans un
manuscrit de la Bibliothèque municipale de Ferrare, l’Antonelli 545, en même
temps que la traduction de la Vie de Romulus de Plutarque, en partie autographe,
ainsi que des résumés en latin et en grec du long discours prononcé par le Cardinal
Cesarini à Ferrare lors de la neuvième session : on a peut-être là une trace de la
documentation que le Cardinal avait progressivement retravaillée.
Puis, à titre de contribution remarquable dans le contexte du Concile de
Florence, il composa entre 1439 et 1440 deux biographies singulières de saints :
celle de saint Zénobie, évêque célèbre à l’origine mythique de la ville, et celle de
l’héroïque évêque d’Alexandrie, Athanase. La première lui avait été demandée
par le recteur de San Michele Visdomini à Florence, Giovanni di Paolo, vraisem-
blablement en même temps que la translation solennelle des reliques du saint (le
26 avril 1439) de la crypte à une chapelle qui leur était réservée à Santa Marie del
Fiore, pour racconter à leurs hôtes orientaux la gloire du pasteur florentin envoyé
en Orient, selon la légence, par le pape Damase : un saint qui combattait les héré-
tiques à Florence et à Constantinople, reconnu aussi par les orientaux au point
de constituer pour les Grecs et les Latins, réunis au Concile, un modèle de cette
unité spirituelle dont ils discutaient tant. La contribution du philologue Tortelli à la
formation de la légende zénobienne fut maigre, cependant, car il avait accordé foi
aux traditions douteuses valorisées par le pseudo Simplicianus (XIIe-XIIIe s.), mais
l’importance de cette translation de reliques est remarquable. De cette façon en
effet, « Zénobie prenait place, de plein droit, dans le contexte des renseignements
sur la latinité qu’il voulait offrir aux Grecs pour leur démontrer la légitimité (de
l’Église) occidentale, dans le projet de mettre à égalité la liste impressionnante des
auctoritates de l’Église d’Orient avec celle, plus restreinte mais aussi fiable – selon
la démonstration donnée par les Pères conciliaires latins – de l’Europe, sur la base
de l’affirmation incontournable et commune que les saints écrivent et s’expriment
toujours en accord les uns avec les autres sans jamais contredire l’Esprit Saint que
leurs cœurs abritent83 ». Un saint relooké avec des habits œcuméniques !
La seconde biographie porte sur un auteur largement invoqué et cité pendant les
sessions du Concile, et dont les écrits ont suscité l’intérêt personnel de Traversari à
cause de « la valeur de ses paroles et de la parfaite suavité de son discours », digne
d’être admiré et aimé de tous84. Il s’agit d’Athanase, le défenseur de l’orthodo-

83. A. BENVENUTI PAPI, « Un momento del Concilio di Firenze: la traslazione delle reliquie di
san Zenobi », dans Firenze e il Concilio, I, p. 202. Sur la Vita, voir F. VIOLONI, « La Vita Sancti
Zenobii di Giovanni Tortelli: l’architettura delle fonti », Aevum, 68, 1994, p. 407-424.
84. Traversari parle de cette lettre adressée le 1er mars 1424 à Niccolò Niccoli : Traversarii
Latinae epistolae, col. 375-376, VIII, ep. 12. Après avoir lu Eusèbe en grec en dix jours et en
avoir été fasciné – il n’avait pas reçu cette impression de la traduction de ce texte par Rufin –, il
se dédia à Athanase et traduisit les deux livres Contra gentes et le début de la Disputatio habita
in Concilio Nicaeno contra Arium : de ce traductions nous avons l’autographe aujourd’hui dans
la Biliothèque nationale de Florence, ms. Conv. Sopp. I VIII 8, avec le manuscrit sur lequel il fit
LA LECTURE DES PÈRES GRECS PAR LES HUMANISTES 573

xie, qui a combattu comme Cyrille la tromperie de l’hérésie, source d’une ruine
totale ; il avait critiqué le perfide Arius et lutté contre les ennemis de l’Église, en
généreux soldat, et il pouvait être un exemple pour l’évêque de Rome qui, en bon
pasteur, aurait dû affronter toutes les difficultés pour son troupeau, avec une égale
détermination, intransigeance et zèle. C’est ce que déclare Tortelli dans la lettre
de dédicace à Eugène IV de la Vita Athanasii, une lettre qui figure dans tous les
témoins manuscrits trouvés à ce jour ; on y trouve exaltée la sainteté héroïque du
pontife, exposé à maintes persécutions et souffrances, comparables à celles sup-
portées par l’évêque Athanase ; s’y joint le souvenir des quelques consolationes
qui lui ont été accordées récemment, liées au déroulement du Concile, et qui l’ont
récompensé de tant d’afflictions : sans doute une référence à l’Acte d’union avec
l’Église occidentale (6 juillet 1439) et à la création de quelques cardinaux grecs,
Bessarion et Isidore de Kiev (18 décembre 1439) prêts à se sacrifier pour la foi :
« et pro romana fide etiam si oportuerit mori paratos ». La Vie d’Athanase, qui « ex
graecis codicibus in latinum sermonem conscribere libuit », pourrait ainsi lui être
un exemple85.
Mais le procédé de traduction est bien défini dans une autre dédicace, de la
main de Tortelli, qui a heureusement été conservée sur un folio de parchemin collé
entre la couverture antérieure et le fascicule initial d’un témoin de la tradition,
le Vaticanus lat. 1216, de facture modeste, mais très intéressant par le nom du
destianataire mentionné dans la lettre-préface, l’évêque de Zamora Giovanni de
Mela. La traduction avait été initialement destinée, y raconte Tortelli, à un ami
évêque, mais il avait été sollicité au même moment par Cesarini, attentif à tout
ce qui pourrait favoriser la carrière curiale de son protégé, pour qu’il dédie à
Eugène IV son travail avant de partir à Bologne, pour y étudier la théologie ; il
n’avait pas autre chose de prêt sur le moment que la biographie du Père grec, aussi
fut-il contraint de la dédier et de l’offrir au pape, remettant ainsi à son retour de
Bologne, en hommage à l’évêque, d’autres écrits qui n’étaient pas iniocundiora,
moins plaisants. Il ne lui était resté aucun exemplaire de ce travail, duquel, à son
retour de Bologne – sans doute à la fin de 1445 –, il avait obtenu du pape la copie
qu’il avait décidé d’offrir à son ami, en attendant de traduire d’autres textes pour
le pontife.
Les multiples facettes de cette longue biographie sont complexes et embrouil-
lées, et il est impossible de les présenter dans ces pages ; mais il y a quelque chose
d’instructif et d’utile à choisir quelques épisodes de l’Alexandrin sur lesquels
s’est concentrée l’attention de Tortelli. Nous sommes brièvement introduits à la

sa version, manuscrit appartenant à Niccoli, aujourd’hui ms. San Marco 695 de la Bibliothèque
Laurentienne, utilisé et apostillé ensuite par Ange Politien.
85. Sur la tradition manuscrite découverte et sur la composition de la Vita, voir M. CORTESI,
« Tecnica versoria », p. 211-214, avec l’identification de la copie qu’avait obtenue le pape
(Vaticanus lat. 5101), et EAD., « Giovanni Tortelli alla ricerca », p. 236-272.
574 MARIAROSA CORTESI

période qui suit les persécutions de Dioclétien : un climat de tranquillité et de paix


finit par s’installer dans l’Église, vite interrompu par une confussus daemo, qui
« astu callido nova contra ecclesiam bella atque prioribus persecutionibus peiora
excogitavit », et « nova machinatus non iam aperte, sed ex his qui nomine potius
quam re Christiani dici poterant, aliquos occulte circumveniens ad discidium fidei
et ecclesiae Dei ac veri cultus persecutionem adduxit », facendo tornare all’antico
errore « ut creaturam potius quam creatorem adorari contenderent, Christum scili-
cet Ihesum, quem creaturam omnino profiteri non verebantur ».
Athanase fit obstacle aux pièges et aux machinations du diable en combattant
avec détermination ses adversaires, y consacrant toute son énergie avec intransi-
geance, zèle, fermeté, avec un esprit de sacrifice qui a fait de lui l’une des plus
éminentes figures de l’histoire de l’Église. On trouve dans ces lignes introductives
quelques indications explicites des sources possibles qui ont servi d’inspiration à
Tortelli, dont seulement trois citations scripturaires (Act. 9, 16; Ps. 26, 3 et Mt. 14,
24). Le passage semble être un collage d’extraits de Théodoret, Historia eccle-
siastica I, 2, de la Vie d’Athanase de Métaphraste, avec l’inversion de l’ordre de
plusieurs phrases et l’insertion de quelques points de l’Historia ecclesiastica (I,
14) de Rufin, traducteur et continuateur de celle d’Eusèbe, pour revenir ensuite
à Métaphraste. Un emboîtement parfait, au milieu duquel l’Arétin insère une
déclaration personnelle, c’est-à-dire que « pro virili nostra eius quaedam gesta,
quae apud Graecos conscripta comperimus, in latinum fidelissime convertemus
addemusque alia quaedam quae apud Latinos adprobatissimos auctores legendo
didicimus », en commençant à parler du caractère et de la vie d’Athanase enfant,
tout cela en s’appuyant sur une fausse indication de Métaphraste.
Nous avons aussi une attestation tout à fait significative de sa façon de procéder
pour composer et organiser sa biographie, ainsi qu’une preuve des difficultés avec
lesquelles Tortelli s’est débattu lorsqu’il a cherché à repérer et reconnaître les
auteurs d’où il a tiré tout son matériau. Et même là où l’on voit bien ce qui inté-
resse plus particulièrement Tortelli, en particulier en ce qui concerne la question
de la crise arienne, qu’il a voulu présenter de son début, dont il a souhaité suivre
l’évolution, en s’attardant sur le moment le plus significatif du débat dogmatique,
lors du concile de Nicée (325), les sources explicites sont rares. Il fait se dérouler
les événements à partir d’une présentation de la figure d’Arius, de son rôle dans
l’agitation qui frappe l’Église, de son désir d’être élu évêque à la suite d’Alexandre,
de la position d’Eusèbe, l’antichrist, évêque de Nicomédie ; et il intègre les lettres
d’Arius à Eusèbe et de Constantin à Arius : un texte assez long, avec un seul renvoi
explicite aux sources lorsqu’est mentionnée la nouveauté doctrinale de Mélèce « ut
Theodoritus auctor est » (His. eccl. I, 2) ; le reste est repris en partie de Rufin, de
Cassiodore-Épiphane (Historia tripartita 44) et du livre III de la Vita Constantini
d’Eusèbe, cité comme source également lors de la description de l’afflux des
évêques du monde entier à Nicée, avec maints détails sur leur moyen de transport,
sur les mets préparés pour les évêques et leur suite, mais aussi pour tous ceux qui
voulaient en profiter : toutes ces indications ne se trouvent absolument pas chez
Eusèbe et sont lues seulement en partie chez Théodoret (Hist. eccl. I, 6) et Socrate
(Hist. eccl. I, 9).
LA LECTURE DES PÈRES GRECS PAR LES HUMANISTES 575

Comment expliquer tant d’imprécisions ? Si l’on regarde la composition de la


biographie où les différents morceaux ont trouvé lentement et patiemment leur
place à travers des items, on peut facilement faire l’hypothèse que les différentes
fiches ont été mises au mauvais endroit. Cela est confirmé également par le fait
que, peu après, on reprenne le texte même d’Eusèbe pour préciser l’origine de tous
les participants du Concile. Eusèbe a été beaucoup lu et mis en fiches par Tortelli,
qui présente un rapide profil littéraire, en le comptant parmi les plus grands histo-
riens ecclésiastiques de la fin de l’époque constantinienne : son histoire, en effet,
est racontée « mira varietate et rerum peritia » ; il est l’auteur d’un De temporibus
« necessarium quidem et infinita pene cura digestum : quorum illum quidem
Rufinus, hunc vero Hieronymus in latinum stilum traduxit » à partir des quatre
livres de la Vita Constantini « quorum tertium ex omni pene Graecia vix comperire
valui ».
Outre Théodoret, Socrate, Eusèbe, Rufin, Métaphraste qui, pour les événements
qui suivent les concile de Nicée devient une source prépondérante, Tortelli connaît
la De vita Pauli de Jérôme et quelques œuvres d’Athanase et du pseudo-Athanase,
en particulier les lettres ad Marcum papam, ad diversos catholicos, envoyées
après son accès au siège épiscopal, ad orthodoxos, ad Ruffinianum episcopum
de recipiendis lapsis, la Vita Antonini dont il se sert pour un rapide excursus sur
le saint et le rôle que lui a assigné Athanase contre les Ariens, et le De Fuga.
Quelques annotations marginales du texte conservé dans le Vat. Lat. 1215 per-
mettent d’enrichir la liste et de repérer son fichier de sources, de citations, de
lectures : sur Eusèbe de Verceil, il a lu les éloges d’Ambroise dans ses lettres ; pour
ce qui concerne l’arrivée à Alexandrie d’Athanase après son second exil, il note :
« Legi, postquam scripseram ista, in quodam sermone Gregorii Naçançeni, quem
de laudibus beati Athanasii compilavit, similem honorem et pompam non presidi
non consuli non imperatori unquam factam fuisse » (f. 52v).
Effectivement le discours panégyrique du Nazianzène sur Athanase s’exprime
en termes presque semblables, tout en faisant une large place à l’épisode, raconté
avec beaucoup de détails. Et si une rapide enquête sur les manuscrits grecs qui
contiennent l’éloge ne m’a pas apporté d’indices que Tortelli avait lu ce pané-
gyrique, la recherche du côté des traductions m’a permis de repérer, dans le Vat.
Lat. 4249 contenant les traductions faites par Georges de Trébizonde ainsi que
celle de l’éloge de Basile vers 1451-1452 et dédiées au pape Nicolas V, la main
de Tortelli qui a écrit les deux intitulationes et une variante, sermo, face au lemme
oratio86.

86. Sur les apostilles de Tortelli repérées dans ce manuscrit et dans ceux contenant des versions
du commentaire de Cyrille sur l’évangile de Jean, de la Praeparatio evangelica d’Eusèbe de
Césarée, des deux discours de Basile, voir M. CORTESI, « Giovanni Tortelli alla ricerca », p. 240-
243. L’Arétin possédait probablement le Grégoire de Nazianze, Basel, Universitätsbibliothek,
A VIII 1, avec une reliure proche de celle de Thucydide E III 4, un don reçu à Constantinople par
son maître (E. GAMILLSCHEG, « Zur Geschichte einer Gregor-von-Nazianz-Handschrift [Basil.
A VII 1 = gr. 34] », Codices manuscripti, 5, 1979, p. 113 et n. 16a). Les deux manuscrits faisaient
576 MARIAROSA CORTESI

Quant à la traduction, comment se présente-t-elle ? Là où j’ai pu repérer avec


certitude la source, Théodoret par exemple, pour qui nous disposons d’une édition
critique fiable, mais, pour cette même raison pas pour Métaphraste, on trouve une
correspondance nette entre le grec et le latin, la recherche d’équivalents séman-
tiques fidèles au modèle grec, en harmonie avec l’idéal de traduction proposé à
l’école de Victorin de Feltre, idéal que Tortelli avait déjà mis en pratique dans sa
traduction des Homélies pseudochrysostomiennes ; sa traduction fait aussi écho à
son activité grammaticale et lexicographique bien connue, avec les observations
importantes, et encore inexplorées, sur les passages qu’il traduit. Une défense du
rôle de simple intermédiaire linguistique à une époque où la préoccupation de
l’ornatus l’emportait tant.
Dans la construction de la biographie d’Athanase, l’Arétin a véritablement mis
à profit toutes ses lectures et le résultat se base sur les sources grecques – « ex
graecorum codicibus in nostrum sermonem conscribens » –, comme il le déclare
dans la lettre de dédicace au pape, comme il le redit dans l’introduction à la Vie
(« eius quaedam gesta, quae apud Graecos conscripta comperimus, in latinum
fidelissime convertemus »), ou selon ses déclarations dans la dédicace à l’évêque
de Zamora (« vel ex Graecis traduxissem vel ex ingeniolo meo aliquo modo ela-
borassem ») : on a affaire à la combinaison de plusieurs éléments, une construction
de marqueterie, où les diverses pièces fournies par les sources grecques et latines,
quelques fois explicitées, le plus souvent passées sous silence, parviennent à être
assemblées grâce à lui, presque toujours avec habileté, mais aussi modifiées et
bouleversées dans leur ordre par rapport à celui qu’elles présentent dans le texte
original. C’est un mélange de faits parfois suspects sur le plan historique et rele-
vant davantage de la légende, transmis par des écrits d’Athanase lui-même, sans
qu’il y ait un examen attentif et un discernement des témoignages pour distinguer
l’apocryphe de l’authentique. Une narratio rerum gestarum source, donc, de
morale et d’exemplarité, qui retrace et repropose activement une image marquetée
du patrimoine culturel antique, au point de présenter un produit achevé articulé et
neuf.
Solidement liée aussi aux spécificités de l’époque, même si c’est avec d’autres
objectifs, on trouve aussi la Vie d’Athanase écrite par Ermolao Barbaro il Vecchio,
évêque de Vérone, pour les moines du monastère de Santa Croce alla Giudecca,
pour remplacer celle qu’ils avaient jusqu’alors entre leurs mains, non fiable (« in

partie de la bibliothèque de Giovanni Stojkovic, avec d’autres textes parmi lesquels aussi Justin,
Supplique en faveur des chrétiens d’Athénagore, et les Discours de Marc Antonin, donnés au
Cardinal par Tommaso d’Arezzo, le clerc qui avait accompagné Tortelli à Constantinople pour
maîtriser la langue grecque, mais qui ensuite décida de tout quitter, livres y compris, pour se
rendre avec trois missionnaires franciscains dans les terres occupées par les Turcs : M. CORTESI,
« Umanisti alla scoperta dell’Oriente tra i secoli XV e XVI », dans I lunedì delle Accademie
napoletane nell’Anno accademico 2008-2009, E. Catena – A. V. Nazzaro – C. Sbordone edd.,
Napoli, 2009, p. 37-53 : p. 39-43, où l’on trouve aussi la bibliographie précédente concernant
l’identification de l’Arétin.
LA LECTURE DES PÈRES GRECS PAR LES HUMANISTES 577

multis rebus apocrypha ») et éloignée en plusieurs endroits, et surtout à la fin, de


la vérité. Après avoir évalué la copie de l’ancienne traduction, qui lui avait été
soumise par l’abbé de Saint-Nicolas au Lido, après avoir surmonté les principales
hésitations liées à sa pauvre connaissance de la langue grecque, qui se limitait à
ce qu’il avait appris adolescent, et aux engagements de son ministère, il décida
de traduire pour eux quelques écrits d’Eusèbe, écrivain fidelissimus et approuvé
par l’Église87. Il devait avoir recours à ce texte parce que, dans leur milieu, on ne
possédait aucune version de la vie et des œuvres de l’évêque alexandrin (« nulla
extat apud nos graeca historia, in qua contemplari vita illius viri possemus »),
bien conscient, cependant, que sa manière de rendre en latin le texte grec aurait
été à la hauteur de l’élégance et du raffinement de l’original. Il aurait pu ajouter
ensuite le récit de la translation de son corps de Constantinople à Venise, qui eut
lieu au début du printemps 1455, sous le patriarcat de Lorenzo Giustiniani88 et le
compléter par le rappel des neuf miracles attribués au saint après son transfert en
Occident, qui attestaient sa capacité thaumaturgique.
Il n’en découle pas qu’ait circulé une vie grecque d’Athanase écrite par Eusèbe ;
en outre, le texte rédigé par Barbaro, pour autant que j’ai pu le vérifier, ne corres-
pond pas entièrement non plus à celui de Rufin89, qui dans les manuscrits aurait
bien pu se substituer à celui de l’auteur grec souvent traduit pas lui, mais pas
non plus avec l’une des vies connues : la vie anonyme (PG 25, 185-211), l’éloge
composé par Grégoire de Nazianze (PG 35, 1081-1128), le jugement développé
de Fozio (PG 25, 211-23), et le récit réécrit de Métaphraste (PG 25, 223-246).
Il s’agit au contraitre d’une réécriture des sources latines, en particulier Rufin,
alors que le récit de la translation est un remaniement en latin d’une chronique
en langue vulgaire sûrement écrite par un témoin oculaire : une rédaction plus
sobre mais plus riche en détails d’un transfert si important de reliques d’Orient,
conquises, acquises ou volées pour Venise, la cité « cui semper gloriae fuit corpora
magnopere venerari », surtout d’un saint oriental. C’est une réponse du vénitien
Barbaro au caractère récent de la translation plus qu’à un intérêt particulier pour
la figure du Père de l’Église.

87. Je lis le texte dans le manuscrit Marcianus Lat. II 123 (= 10383), f. 23r, décrit par
S. MARCON dans Oriente cristiano e santità. Figure e storie di santi tra Bisanzio e l’Occidente,
S. Gentile ed., [Milano], 1998, p. 314, 315 ; sur la « traduction », voir : M. CORTESI, « Memorie di
santi d’Oriente nell’Umanesimo », ibid., p. 117-123 : p. 120-121.
88. Les savants ont formulé l’hypothèse que le corps amené à Venise par le marchand véne-
tien Domenico Zottarello fût celui d’Athanase, patriarche de Constantinople en 1289-1309 :
D. STIERNON, « Le quartier de Xérolophos à Constantinople et les reliques vénitiennes de
s. Athanase », Revue des études byzantines, 19, 1962 (= Mélanges Raymond Janin), p. 165-188.
89. Comme l’avait, au contraire, supposé G. FEDALTO, « La versione latina di una biografia
di s. Atanasio (Cod. Marc. lat. CXXIII, cl. II n. 10383) », Ἐπετηρὶς ἐταιρείας βυζαντινῶν
σπουδῶν, 39-40, 1972-1973, p. 46-59, qui publie dédicace et vie aux p. 49-58. On peut lire
aussi la dédicace dans Ermolai Barbari Orationes contra poetas, G. Ronconi ed., Firenze, 1972,
p. 157-159.
578 MARIAROSA CORTESI

VII. – LES QUADRIGES DE L’ÉGLISE OCCIDENTALE ET ORIENTALE


Les Pères qu’ont fait circuler les traducteurs sont pourtant inadéquats pour
répondre aux bouillonnements religieux toujours plus pressants qui se répandaient
dans l’Italie de la seconde moitié du Quattrocento, et plus encore dans l’Europe
de la grande réforme, et ils sont insuffisants pour les théologiens ; c’est pourquoi
il est toujours plus urgent de mettre à disposition des textes fiables, tâche assumée
en grande partie par Érasme de Rotterdam. Son travail se situe dans une période
de deux décennies – 1516-1536 –, entre discussions théologiques et philologie,
entre programmes ambitieux de renouvellement et de redécouverte des textes
dans leur authenticité, entre idéal éthique et tous les problèmes internes au monde
chrétien ainsi que la nouvelle exégèse ; il cherche à faire connaître à ses contem-
porains, à des niveaux divers et dans un vaste rayon, combien il était nécessaire
pour la nouvelle théologie de revenir aux écrits des Pères, grecs et latins, utiles
aussi pour la prédication90. Cette fonction médiatrice du Hollandais n’est pas
facile à définir, si l’on veut également surmonter les mises en avant excessives
ou les interprétations forcées, si l’on ne veut pas le définir nécessairement comme
« augustinien » ou comme « origénien » ou le réduire aux seules citations plus ou
moins nombreuses qu’il fait des écrits des premiers auteurs chrétiens, parce que
les instances idéologiques qui sous-tendaient son exigeant parcours éditorial sont
très complexes. Son objectif personnel de renouveler la théologie en établissant
un contact plus intime avec la sainte Écriture puis avec les Pères, grâce auxquels il
pouvait « spiritualiser » la religion, se manifeste dans sa difficulté, mais aussi dans
son caractère inéluctable, puisqu’il voulait aussi restaurer à l’intérieur du catho-
licisme la liberté intellectuelle, revenir aux origines, aux sources, en s’enracinant
ainsi dans la confiance dans la Bible et le Nouveau Testament plutôt que dans les
commentaires théologiques, et en associant la spéculation à la vie concrète. Et
comme l’a montré Denus Gorce, la redécouverte de la patristique par Érasme est à
comprendre, non pas tant et non seulement comme une opération culturelle, que,
bien plutôt, comme dictée par une volonté ardente de réforme de l’Église91. En
lisant l’extraordinaire traité intitulé Ratio seu methodus compendio perveniendi
ad veram theologiam, nous pouvons saisir la place réservée à la patristique, la
familiarité et la communion requises du théologien avec le monde qu’elle repré-
sentait, l’aureum quoddam flumen en face duquel les tenuos quostam rivulos des
théologiens récents, des scolastiques, sont destinés à disparaître.

90. Les études à cet égard sont nombreuses, c’est pourquoi je me limite à renvoyer à M. CORTESI,
« Erasmo editore dei Padri della Chiesa », dans Erasmo da Rotterdam e la cultura europea –
Erasmus of Rotterdam and European Culture. Atti dell’incontro di Studi nel V centenario della
laurea di Erasmo all’Università di Torino, Torino, 8-9 settembre 2006, E. Pasini – P. B. Rossi
edd., Firenze, 2008, p. 121-147.
91. D. GORCE, « La patristique dans la réforme d’Érasme », in Festgabe Joseph Lortz,
I. Reformation Schicksal und Auftrag, E. Iserloh – P. Manns Hrsg., Baden-Baden, 1958, p. 233-276.
LA LECTURE DES PÈRES GRECS PAR LES HUMANISTES 579

Les Pères offraient un matériau abondant pour la réflexion, ils sont des exemples
des principes herméneutiques et, à travers la citation de passages extraits de
différents auteurs et aussi de la multiplicité des sens de l’Écriture, ils se situent
en intermédiaires pour une exégèse biblique personnelle et autonome. Sous le
signe de la philosophia Christi, la reformatio anthropologica et la biblica sont
possibles ; la vigueur originelle de l’Évangile perce dans les écrits d’Irénée engagé
dans la luttre contre les hérétiques, la tradition et l’Écriture sont le fondement du
commentaire de la doctrine d’Athanase, chez qui il n’y a pas de place pour des
spéculations vaines. A l’école des Pères, on apprend à se défier des positions trop
systématiques, à ne pas se perdre en questions futiles, mais à demeurer directe-
ment liés et enracinés dans les écrits sacrés considérés par le Hollandais comme la
médiation par excellence de la parole de Dieu.
C’est alors que Basile, témoin de la fidélité aux exigences de l’Église, très rigo-
riste dans son renoncement au monde, mais aussi défenseur d’un idéal ascétique
enraciné dans des préceptes évangéliques communs à tous les croyants, apparaît
comme le plus éloquent des théologiens parmi ceux dont la doctrine et la piété
sont comparables. Si nous admirons la limpidité sérieuse d’Athanase, tournée
vers l’enseignement, chez Basile nous vénérons, au-delà de sa subtilité, son élo-
quence suave, pieuse et douce, à l’inverse du discours coulant de son compagnon
Chrysostome. Ou encore : Basile « dilucidus est, pius, sanus suaviter gravis et
graviter suavis, nihil habens adfectatae loquacitatis » ; Athanase est admirable dans
son enseignement et ses discours publics, d’après toutes ses homélies, mais on peut
davantage rapprocher Basile de Chrysostome, dont les écrits sont presque tous
« popularia et ad imperitae multitudinis aures animosque accommodata », carac-
téristiques d’un orateur dynamique, dans un dialogue familier avec son auditoire,
capable de conjuguer une « eruditam pietatem cum populari eloquentia ». Aussi
celui qui se mettra à son école pourra-t-il facilement goûter sa parole abondante,
ses répétitions insistantes, ses multiples questions capables de réveiller l’auditoire
somnolent, même si tout cela ne veut pas dire que son texte est facile à comprendre
Un orateur qui par son éloquence se situe entre Isocrate et Démosthène92. Ses
exposés sont simples et naturels, sans ostentation mais d’une haute et parfaite
connaissance de la philosophie, maîtrisant les arts libéraux et les mathématiques,
entièrement mis au service de la pietas. Tout cela requiert une attention soigneuse,
le texte doit être établi dans ses leçons authentiques grâce à un travail de colla-
tion de davantage de témoins, à chercher dans les bibliothèques bien fournies – à
Vérone, Padoue, Florence –, pour que leur enseignement ne soit pas défiguré et
trahi par des fautes matérielles, et plus encore par des interpolations suspectes.

92. Erasmi Ecclesiastes II, J. Chomarat ed., Amsterdam, 1991, LB V 856E-857A, p. 266.
580 MARIAROSA CORTESI

Érasme avait compris et fait sienne la méthode critique, l’engagement et


l’audace de Lorenzo Valla, qu’il avait découvert par les Adnotationes ad Novum
Testamentum, trouvées dans un manuscrit de la bibliothèque de Park et publiées
en 1505 assorties d’une défense passionnée de l’humaniste italien et du renouveau
pour lequel il avait combattu même dans le domaine religieux et qui passait par la
« parole » et la philologie.
Et dans l’ultime tâche oratoire et humaniste du représentant le plus significatif
du nouvel ordre culturel, l’Encomion sancti Thomae, nous pourrions trouver la
fresque du rôle de la patristique définie comme une page magistrale de la littéra-
ture épidictique : Thomas, compté parmi les quatre Pères latins, qui forment un
quadrige, à mettre en parallèle de celui formé par le même nombre de Pères grecs,
est placé dans une situation privilégiée par rapport à la tradition monastique de la
théologie et de l’exégèse biblique ; mais il y a aussi la confrontation décisive qui
définit pour Érasme la différence qui demeure entre les grands Pères et docteurs de
l’Église grecque et latine : d’un côté la scolastique et son plus illustre représentant,
Thomas, et de l’autre, la patristique, pour laquelle penche Valla en se proposant de
redécouvrir de manière décisive la méthode théologique des « anciens » docteurs
de l’Église, la seule véritable alternative pour renouveler radicalement la scientia
rerum divinarum. Telle était la proposition faite par Valla à ses contemporains,
formulée de manière incisive dans ce court texte, où la répartition symétrique des
Pères les plus éminents en deux groupes de quatre – les quadriges de l’Église
occidentale et orientale –, reprenait aussi la ligne d’une thématique traditionnelle
et récurrente dans les textes et l’iconographie sacrée ; mais Lorenzo Valla y intro-
duisait des variations historiographiques et théoriques, reposant sur la critique
historico-philologique et qui confirmaient à nouveau la perspective humaniste ori-
ginelle de la recherche théologique, expressément désignée comme une alternative
à la « théologie scholastique »93.
Le quadrige des pères latins, Jérôme, Ambroise, Augustin et Grégoire le
Grand, selon l’ordre fixé par l’humaniste, était présenté ainsi : en reprenant un
point de vue courant (vulgo), Valla plaçait en premier Augustin parce qu’il traitait
de nombreuses questions théologiques, mais selon sa propre opinion les écrits
d’Ambroise n’étaient pas inférieurs, et il rétablissait ainsi une égalité entre les
deux. Mais Jérôme n’était pas non plus inférieur à Augustin, il est au contraire
plus grand sur bien des points doctrinaux et peut appraître comme un océan face à
la mer méditerranée de l’évêque d’Hippone. Grégoire est de très loin inférieur au
trois pour l’érudition, mais égal par cura et diligentia, par sa sainteté et la douceur
forte de son discours si bien qu’il a un caractère angélique. Ambroise était plutôt
digne dans son homilétique, beaucoup plus recherchée que celle de Grégoire,
tandis qu’Augustin mettait en valeur la pensée néoplatonicienne.

93. Pour l’édition du texte, voir Laurentii Valle Encomion sancti Thome Aquinatis, par
S. Cartei, Firenze, 2008, avec la bibliographie antérieure.
LA LECTURE DES PÈRES GRECS PAR LES HUMANISTES 581

S’ensuivait la confrontation avec les docteurs de la chrétienté orientale grecque,


qui passait par un jumelage associant Ambroise à Basile dont il avait été l’émule,
Jérôme à Grégoire de Nazianze dont il s’était déclaré disciple, Augustin à Jean
Chrysostome, par la quantité comparable de leurs œuvres, Grégoire le Grand à
Denys l’Aréopagite, mentionné pour la première fois parmi les latins. L’Aquinate
se trouvait couplé avec Jean Damascène, le premier des Grecs à adopter la philo-
sophie dialectique pour l’étude de la théologie, ce que faisait aussi Thomas parmi
les latins. Le chœur paradisiaque ante thronum Dei et Agnum, selon la vision
de l’Apocalypse johannique, était représenté par vingt-quatre anciens, auxquels
s’ajoutaient pour la louange sans fin chantée les cinq paria theologiae principum.
Pour compléter la fresque du triomphe de Thomas, Valla s’attardait sur des
références iconographiques médiévales et de la Renaissance de la distribution
orchestrale hiérarchique des intruments médiévaux : la lyre, le cistre et le psal-
térion pour les instruments à corde, le tuba ou la flûte pour ceux à vent, et les
cimbales, intrument à percussion, représentaient respectivement les cinq couples ;
cette ultime représentation de deux petites cymbales battant en même temps
que résonait l’ensemble instrumental déjà par lui-même complet et parfait des
quatre autres – le tétracorde classique – constituait ainsi le cinquième tétracorde,
apportant la variation de sa modulation94 et signifiait pour Valla que la théologie
scolastique et l’Aquinate, son représentant par excellence, n’avaient apporté, si
on les comparait à la Patristique, que des variations thématiques et formelles par
l’acceptation de la philosophie classique à l’intérieur de la pensée et du langage
dogmatique chrétien95.
Avec la redécouverte stratégique, textuelle et herméneutique des Pères de
l’Église, la res publica christiana s’est affirmée et s’est jointe à la res publica
literaria, toutes deux nourries du retour à l’Antiquité.
Mariarosa CORTESI
Université de Pavie
(Traduction de Françoise Vinel, révisée par Michele Cutino)

94. Tali riferimenti alla musica teorica e strumentale rinviano a testi noti e sicuramente
conosciuti dal Valla, quali il de institutione musicae di Boezio e il de musica di Isidoro, l’uno
utilizzato soprattutto per il libro primo, il secondo per il terzo, arricchiti dal de musica di Agostino
e dal de architectura di Vitruvio, tutti presenti nelle glosse autografe all’Institutio oratoria di
Quintiliano conservata nel Parigino lat. 7723 : LORENZO VALLA, Le postille all’Institutio oratoria
di Quintiliano. Edizione critica, L. Cesarini Martinelli – A. Perosa edd., Padova, 1996, p. 44,
46-47, 259-260.
95. L’Encomion a été présenté et commenté par S. I. CAMPOREALE, « Lorenzo Valla tra
Medioevo e Rinascimento. Encomion s. Thomae », Memorie Domenicane, n. s., 7, 1976,
p. 11-194 ; voir ID., Lorenzo Valla. Umanesimo, Riforma e Controriforma (Studi e Testi 22),
Roma, 2002, p. 123-330. Il fut ensuite reconsidéré dans « Alle origini della “teologia umanistica”
nel primo ‘400. L’Encomion s. Thomae di Lorenzo Valla », Moderni e antichi, 1, 2003, p. 179-195.
INDEX DES AUTEURS ANCIENS, MÉDIÉVAUX
ET HUMANISTES
TABLE DES MATIÈRES

AVANT-PROPOS ......................................................................................................9

I.
ANTIQUITÉ TARDIVE : ORIGÈNE ENTRE AMBROISE ET JÉRÔME
Michele CUTINO, « Ambroise et l’exégèse vétéro-testamentaire d’Origène :
questions méthodologiques à partir d’un cas exemplaire » ..............................13
Thomas GRAUMANN, « Origen and Ambrose on the Gospel of Luke: A question
revisited » .........................................................................................................27
Marco RIZZI, « L’epistolario di Ambrogio e il commento di Origene alla
Lettera ai Romani » ..........................................................................................41
Aline CANELLIS, « L’exégèse de Nombres 33, 1-49 : d’Origène à saint Jérôme
(Epist. 78 à Fabiola) » ......................................................................................57
Emanuela PRINZIVALLI, « Origène prédicateur et ses traducteurs latins : la
ratio interpretandi de Jérôme et de Rufin » .....................................................81

II.
REMPLOI HERMÉNEUTIQUE ET THÉOLOGIQUE DES PÈRES GRECS
DANS L’ANTIQUITÉ TARDIVE ET AU MOYEN ÂGE

Giuseppe CARUSO, « Ex Orientis partibus. Agostino e le fonti greche nel


Contra Iulianum » ..........................................................................................105
Fabio FURCINITI, « La voce greca della Chiesa latina nell’ultima fase del
Tardoantico. La sinodica di Mansueto e la sua fortuna dall’Italia longobarda
fino all’Inghilterra della Riforma enriciana ».................................................121
Rossana GUGLIELMETTI, « “Origenes : osculetur me osculo oris sui.” Le
père (difficile) du Cantique des Cantiques au Moyen Âge latin » .................135
Françoise VINEL, « Scot Érigène, traducteur des Questions à Thalassios de
Maxime le Confesseur : remarques introductives » ........................................159
Gaetano LETTIERI, « La subordinazione di Agostino ai Padri greci: l’escatologia
antidualistica del Periphyseon di Eriugena » .................................................175
 TABLE DES MATIÈRES

Ernesto MAINOLDI, « Pour une cartographie des thèmes et des contextes de


réception du Corpus Dionysiacum dans l’Occident latin » ............................219
Monique GOULLET, « Les premiers légendiers latins et l’héritage grec » ..........243
Sophie DELMAS, « La réception des Pères grecs par les franciscains au
XIIIe siècle. Essai de mise au point » ...............................................................257

III.
CIRCULATION ET DIFFUSION DES TEXTES GRECS CHRÉTIENS
DANS L’OCCIDENT MÉDIÉVAL : QUELLE SÉLECTION ?

Emanuela COLOMBI, « Il ruolo dei Padri greci nella cultura dell’Occidente


altomedievale: alcuni spunti dai codici superstiti »........................................271
Jérémy DELMULLE, « Présence des Pères grecs dans les bibliothèques anciennes
de France du VIIIe au XIIe siècle : le témoignage des inventaires » .................305
Filippo RONCONI, « “Graecae linguae non nobis est habitus.” Notes sur la
tradition des Pères grecs en Occident (IVe-IXe siècle) » ..................................337

IV.
L’AUTORITÉ DES PÈRES GRECS AUX XVe ET XVIe SIÈCLES
Cesare ALZATI, « I Padri greci e la loro tradizione ecclesiale nel decreto
d’Unione del Concilio di Firenze » ................................................................381
Bernard MEUNIER, « La réception de Cyrille d’Alexandrie en Occident aux
XVe et XVIe siècles » ........................................................................................403
Patricio DE NAVASCUÉS, « La recepción de Ireneo en Occidente antes de
Erasmo » .........................................................................................................421
Cristina RICCI, « La Vita Chrysostomi di Erasmo tra biografia patristica e
(auto?)ritratto umanistico » ............................................................................439
Delphine VIELLARD, « Les éditions de Grégoire de Nazianze parues à Bâle
chez Johannes Herwagen en 1550 » ...............................................................453

V.
LES PÈRES GRECS ONT-ILS UNE PLACE DANS L’HUMANISME RHÉNAN ?
James HIRSTEIN, « La réception du De natura hominis de Nemesius d’Émèse
dans le Rhin supérieur : l’utilisation du manuscrit Bodl. Auct. E. 1. 6 dans
la réécriture de la traduction latine de Burgundio de Pise publiée par Johann
Cuno et par Beatus Rhenanus à Strasbourg en 1512 » ...................................483
Annie NOBLESSE-ROCHER, « Basile de Césarée dans le commentaire sur la
Genèse de Wolfgang Musculus (1554) » ........................................................503
Andrea VILLANI, « Origene nella Riforma a Strasburgo: il caso di Martin
Bucer »............................................................................................................517
TABLE DES MATIÈRES 

CONCLUSION
Mariarosa CORTESI, « La lecture des Pères grecs dans l’expérience intellectuelle
des Humanistes » ............................................................................................541

INDEX DES AUTEURS ANCIENS, MÉDIEVAUX ET HUMANISTES ............................583


TABLE DES MATIÈRES ............................................................................................

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