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Origène

[Une esquisse]

par
Lorenzo Perrone
Index

I. La vie:
Maître d’école, maître d’Église

1. Les sources biographiques et autobiographiques 3


2. Le maître d’école à Alexandrie 4
3. Le didascale de l’Église à Césarée de Palestine 8

II. Les œuvres:


La poursuite d’un commentaire intégral des Écritures

1. Un héritage littéraire difficile à transmettre 10


2. La prédominance des genres exégétiques: scholies, homélies et commentaires 12
3. Des séries d’homélies sur l’Ancien et le Nouveau Testament: le maître d’école face à la communauté 13
4. Les grands commentaires bibliques: le génie déployé de l’exégète 14
5. Les traités: l’exégèse au service de la dogmatique, de la spiritualité et de l’apologétique 22

III. La pensée:
L’amour du Père et la liberté des fils.
Dieu et le monde dans l’attente de la rédemption

1. L’interprétation des Écritures: une théologie biblique 29


2. Un Dieu juste et bon: l’horizon de la paternité divine 32
3. Le Fils en communion avec le Père: de la Sagesse éternelle au Verbe fait homme 37
4. L’Esprit saint dans l’économie du salut: l’œuvre de la sanctification 40
5. Le monde et l’homme: libre arbitre des créatures et providence divine 43

IV. L’origénisme:
les vicissitudes d’un héritage vivant 46

Bibliographie 51

Origène:
une anthologie essentielle

I. Des témoignages personnels:


le travail de l’exégète et les débats du théologien 61

II. Au cœur des Écritures:


une théologie en recherche 65

III. Le mystère de l’amour de Dieu:


la révélation du Père, du Fils et de l’Esprit 72

IV. Le chemin du salut:


libération du péché et progrès spirituel 75

2
I. La vie:
Maître d’école, maître d’Église*

1. Les sources biographiques et autobiographiques

Au dire d’Eusèbe de Césarée, la vie d’Origène mériterait d’être racontée dès sa naissance1.
Or, dans les trois premiers siècles de la littérature chrétienne, il n’y a aucun autre écrivain
dont la biographie nous soit mieux connue que celle de l’Alexandrin. En effet, c’est grâce au
premier historien ecclésiastique que nous sommes en mesure d’en retracer l’itinéraire
biographique, bien qu’il s’agisse d’une perspective raccourcie et dictée par des
préoccupations apologétiques. Plusieurs aspects que nous transmet le VIe Livre de l’Histoire
Ecclésiastique relèvent, chez Eusèbe, de l’exigence de justifier son ‘héros’ vis-à-vis des
attaques dont il avait été l’objet, au cours de sa vie et après sa mort, le présentant dans une
lumière plus positive. Il poursuit par là la défense qu’avait écrite Pamphile de Césarée dans
l’Apologie d’Origène, la complétant après le martyre de son maître en 3102. D’ailleurs, même
la seconde source biographique dont nous disposons, le Discours de remerciement d’un des
élèves d’Origène, à l’identité controversée, portant sur sa formation dans l’école de Césarée,
n’est pas exempte de réserves. Car l’auteur y dessine le portrait de son maître non seulement
en tant que philosophe chrétien mais, en outre, comme un véritable “homme divin”
conformément au modèle répandu dans la religiosité de l’antiquité tardive3. À côté de cette
documentation majeure, il ne faut pas oublier l’apport qui nous vient des matériaux
autobiographiques fournis par Origène lui-même. Il n’est pas superflu d’exploiter autant que
possible le peu qui reste de son riche courrier (comme l’a fait déjà son premier biographe),
mais aussi de dégager à travers ses œuvres des ‘confessions’ personnelles: sans prétendre

*
Je remercie Agnès Bastit pour la révision stylistique de mon texte. [Rédaction: septembre 2016]
1
Eusèbe, H.E. VI,2,2.
2
Pamphile, Apol.
3
SFAMENI GASPARRO 2007.

3
l’assimiler à un Augustin, il nous faut quand même écouter sa voix intime qui parfois
s’exprime de façon assez révélatrice4.

2. Le maître d’école à Alexandrie

L’épithète d’‘Alexandrin’ reste liée à Origène, d’abord en raison du lieu où il naquit vers
185 et demeura jusqu’à l’année 232, mais également à cause du milieu culturel dont il hérita
les traditions savantes. Né au sein d’une famille chrétienne riche et nombreuse, l’enfance et
l’adolescence d’Origène se placent pour nous sous le regard vigilant d’abord de son père, puis
de sa mère5. Le premier, du nom de Léonide selon la notice d’Eusèbe, se charge de son
éducation l’introduisant en même temps à l’étude de la Bible et à celle des lettres6. Quoique
cette image d’Origène enfant contienne en germe sa future herméneutique des Écritures,
puisqu’il ne se contente pas de leur sens immédiat et recherche des explications plus
profondes, il est raisonnable d’en retenir que l’instruction reçue par son père portait
essentiellement sur la lecture de la Bible7. L’intensité de la foi qui anime son foyer se
manifeste à l’occasion d’une persécution déclenchée par le préfet d’Égypte Laetus en 201.
Tandis que le père se trouvait en prison attendant son martyre, Origène aurait été empêché par
sa mère de le suivre dans le même destin8. Après la mort du père, ayant complété ses études
de lettres, il assure le soutien économique de la famille comme ‘grammairien’
(grammatikòs)9. Sa tâche consiste dans la lecture et l’explication des auteurs classiques, ce qui
lui permettra de s’approprier les techniques de la philologie alexandrine. Celle-ci, prenant en
considération les fautes des manuscrits, recommandait en premier lieu l’établissement d’un
texte correct, par des procédés de ‘critique textuelle’, avant de passer à son commentaire. Tout
en considérant par la suite le métier du grammairien comme répétitif10, Origène sera marqué

4
PERRONE 2013b.
5
NAUTIN 1977 (spécialement p. 413-441); NORELLI 2000 .
6
Eusèbe, H.E. VI,2,7-11.
7
NORELLI 2004.
8
Eusèbe, H.E. VI,2,3-6. Origène se souviendra de son père (HEz IV,8) ainsi que des autres martyrs dont il fit
la connaissance (H73Ps III,7; HEz IV,7).
9
Eusèbe, H.E. VI,2,15.
10
H74Ps 6 (p. 279): “Notre Maître et Seigneur dispose d’enseignements en si grand nombre qu’il est capable
d’enseigner [pour l’éternité et] non pendant dix ans comme le grammairien, après quoi celui-ci n’aura plus rien à
enseigner”.

4
pour toujours par cet entraînement philologique dans son travail d’exégèse, mais aussi dans
son activité de prédicateur11.
D’ailleurs, il y ajoute bientôt l’enseignement de la doctrine chrétienne, d’abord pour
suppléer à l’absence de catéchistes qui avaient été obligés de s’éloigner de la ville pendant
une nouvelle persécution sous le préfet Aquila (206-210). Ensuite, il se consacre entièrement
à l’instruction chrétienne, vraisemblablement dans le cadre de la communauté ecclésiale, qui
est en train de consolider ses structures institutionnelles sous le long épiscopat de Démétrius
(189-232). Selon le profil biographique tracé par Eusèbe, Origène aurait dirigé le célèbre
‘Didascalée’, succédant à Pantène et Clément comme troisième chef de cette école chrétienne
d’Alexandrie 12. Du point de vue historique, nous ne pouvons ni établir une succession
formelle ni saisir la nature précise de l’établissement scolaire, qui ressemble plutôt aux écoles
philosophiques contemporaines, où des disciples se réunissent autour d’un maître reconnu.
Toutefois, en raison de l’étude de la Bible et de la préoccupation d’orthodoxie, étant donné
qu’Origène dès le début s’oppose aux hérétiques gnostiques et marcionites, le lien avec le
milieu écclésial, sous l’autorité croissante de l’évêque, deviendra de plus en plus étroit. Une
preuve en est aussi le fait qu’Héraclas, son collaborateur à l’école pour les débutants,
deviendra plus tard le successeur de l’évêque Démétrius. Dans un souvenir autobiographique
exprimé vers la fin de la vie, Origène rappelle comment durant sa jeunesse les ‘écoles’
(didaskaleia) des hérétiques fleurissaient du fait de la pénurie de maîtres solides au sein des
églises; mais par la suite la grâce divine les aurait dotées d’enseignants capables de
démasquer victorieusement les doctrines hérétiques13 – ce qui résume bien le défi de l’activité
déployée par l’Alexandrin tout au cours de sa vie.
L’enseignement à Alexandrie n’empêche pas Origène d’entreprendre des voyages et
d’établir des contacts ailleurs. Ils deviendront de plus en plus fréquents en raison de la
renommée grandissante du maître alexandrin. Sa curiosité intellectuelle le pousse à accueillir
l’influence des traditions exégétiques judéo-chrétiennes (paradoseis), même avant qu’il
déménage en Palestine après 232, par l’entremise de l’‘Hébreu’ (ho Hebraios), un maître juif
converti envers lequel Origène attestera ses dettes à plusieurs reprises, à la différence de son
silence à l’égard de ses prédécesseurs alexandrins à l’exception notable de Philon14. D’autre

11
NEUSCHÄFER 1987; MARTENS 2012.
12
Eusèbe, H.E. VI,3,8.
13
H77Ps II,4.
14
DORIVAL-NAIWELD 2013; SGHERRI 1982.

5
part, en vue de mieux répondre aux exigences du public mixte de chrétiens et païens qui
fréquente son école, il ressent le besoin d’approfondir sa connaissance de la philosophie. Il
n’est pas sûr que son maître ait été le philosophe Ammonius Saccas, dont Plotin, chef de file
du néoplatonisme, sera plus tard le disciple, de même qu’on a du mal à identifier l’Origène
philosophe, mentionné par Porphyre dans sa Vie de Plotin, avec notre Alexandrin15.
En outre, tout en reconnaissant ces analogies, il ne faut pas considérer la figure d’Origène
comme entièrement assimilable à celle des philosophes contemporains, dont il prend par
ailleurs ses distances, comme il le fait aussi par rapport à son ancien métier de grammairien16.
Dès le commencement de son enseignement, il se veut plutôt un ‘didascale’ (didaskalos) qui
se situe dans le sillon de Jésus Christ, avec les prophètes et les apôtres17, et s’efforce de
l’imiter, sinon par la voie radicale du martyre souvent souhaité, du moins par un genre de vie
‘prémonastique’ inspirée par le message évangélique18. Comme tel, il se consacre à l’étude de
la Parole de Dieu confiée à l’Église par le moyen des Écritures. Cette attitude explique entre
autres choses l’énorme entreprise philologique qu’Origène entame en vue de parvenir à une
synopse du texte grec de la Bible. Il se montre par là un adepte créatif de la philologie
alexandrine, tandis qu’il essaie de maintenir le lien avec le texte original en hébreu. Les
Hexaples constituent donc une synopse des Écritures, qui aligne sur six colonnes parallèles le
texte hébreu, sa translitération en caractères grecs, et les quatre traductions principales dont
l’Alexandrin disposait: la Septante, c’est-à-dire la Bible grecque en usage chez les Églises, et
ses ‘révisions’ (ekdoseis) par Aquila, Symmaque et Théodotion, surgies en milieu juif par
réaction à l’emploi chrétien de la Bible d’Alexandrie. Sans se contenter de celles-ci, il en
recherche encore, ajoutant aux Hexaples des Psaumes deux ou trois autres versions
grecques19.
Origène peut se lancer dans cette entreprise grâce au soutien financier d’un mécène,
Ambroise, venu à l’Église catholique de la gnose valentinienne. Nous devons aux
sollicitations de ce patron le fait que l’Alexandrin ne s’astreigne plus au seul enseignement
oral, comme le firent Pantène ou Plotin, mais commence à écrire des commentaires et des

15
Porphyre, V. Plot. 3,14.20. Cf. GOULÉ 1977.
16
H74Ps 6 (p. 279): “et [le maître, notre Seigneur, n’enseigne] même pas comme un philosophe qui se fait
porteur d’une tradition et n’a rien de nouveau à enseigner”.
17
Sur la fonction du “maître” par rapport à celle des “apôtres” et des “prophètes, voir CATTANEO 2017, ch. 5,
p. 57-80.
18
Eusèbe, H.E. VI,3,9-13; CROUZEL 1962. Il aurait même mis en pratique l’appel de Mt 19,12, en se faisant
eunuque, mais cette anecdote est regardée aujourd’hui avec scepticisme (MARKSCHIES 2009).
19
Eusèbe, H.E. VI,16,3; MUNNICH 1995.

6
traités, à commencer par un Commentaire sur les Psaumes 1-25. La relation avec Ambroise
accompagnera la majeure partie de l’activité littéraire d’Origène d’Alexandrie à Césarée,
comme en témoignent les prologues de nombreuses œuvres écrites en réponse aux attentes de
son ami20. Désormais, l’Alexandrin apparaît comme un personnage notoire: après un voyage à
Rome vers 215, où il aurait entendu Hippolyte, il noue des relations avec l’Arabie et la
Palestine, sur l’invitation d’un gouverneur ou des évêques de la région. Il est probable qu’il
ait été impliqué dans ces relations déjà avant le règne d’Alexandre Sévère (222-235). En tout
cas, sous cet empereur il devient ami d’Alexandre de Jérusalem et de Théoctiste de Césarée.
Les deux évêques palestiniens l’invitent même à prêcher devant leurs communautés, bien
qu’il soit encore un laïque21. Ensuite il interviendra comme arbitre dans des controverses
doctrinales en Arabie, jugeant même de l’orthodoxie de quelques évêques, comme l’atteste
l’Entretien avec Héraclide. Sa renommée se répand à tel point qu’il reçoit une invitation pour
une entrevue à Antioche avec Julia Mammée, la mère d’Alexandre Sévère (231-232).
Peut-être la célébrité dont jouit Origène a-t-elle contribué à augmenter les tensions avec
Démétrius, qui devait regarder avec peu de sympathie soit l’autonomie de ce maître soit
surtout sa façon d’interpréter les Écritures et les critiques qu’il adressait aux fidèles plus
simples (simpliciores). La brouille avec son évêque, à laquelle s’ajoute un refroidissement
avec son ancien collaborateur Héraclas, débouche finalement dans un conflit ouvert au
moment où Origène, passant par la Palestine au cours d’un voyage vers la Grèce, est ordonné
prêtre par Théoctiste de Césarée (232)22. Démétrius, par un synode, refusera cette ordination,
faisant aussi appel au pape Pontien qui lui donne raison. Mais Origène peut compter sur le
soutien d’autres évêques, comme Firmilien de Césarée en Cappadoce, et il se défend contre
les accusations de Démétrius par une ‘lettre autobiographique’ adressée à Alexandre de
Jérusalem. Il y aurait justifié aussi ses fréquentations philosophiques, en se fondant sur les
exigences apostoliques de son enseignement face à des païens cultivés. Au contraire, le
témoignage assez polémique de Porphyre, dans un fragment de son ouvrage perdu Contre les
chrétiens, insiste sur les penchants philosophiques de l’Alexandrin, tandis qu’il l’accuse de
schizophrénie entre sa foi chrétienne et sa science hellénique23.

20
MONACI CASTAGNO 2003.
21
Eusèbe, H.E. VI,19,15-16; PERRONE 2013a.
22
Eusèbe, H.E. VI,23,4.
23
Eusèbe, H.E. VI,19,1-14; ZAMBON 2011; PERRONE 2014b.

7
3. Le didascale de l’Église à Césarée de Palestine

Quoi qu’il en soit, les deux dernières décennies de sa vie, en milieu palestinien, ne feront
qu’épanouir pleinement l’image d’Origène comme maître d’Église à côté du maître d’école,
tandis qu’il poursuivra plus intensément son activité littéraire autour de la Bible. Il s’adonne
en effet à la prédication, en premier lieu pour la communauté de Césarée, mais aussi ailleurs,
par exemple à Jérusalem, où il commente le Ier Livre des Règnes (1 Sam.) en présence
d’Alexandre. Il approfondit ultérieurement la connaissance de la ‘Terre Sainte’, non
seulement en évoquant le circuit primitif des Lieux Saints avec leurs traditions les plus
anciennes (telles la grotte de Bethléem ou la sépulture d’Adam sous le Calvaire) mais en
visitant la région en suivant la géographie biblique24. Il entretient, d’autre part, des contacts
personnels avec les sages juifs, étant donné la présence d’écoles rabbiniques à Césarée25.
Comme il l’avait fait au cours de la période alexandrine, il exploite ces relations au bénéfice
de son travail exégétique, en particulier pour l’interprétation des Psaumes et des Prophètes,
mais il engage aussi des débats avec des rabbins sur des passages scripturaires26. Il revendique
ce genre d’expériences vis-à-vis de son ami et collègue Jules Africain, qui critique sa défense
de l’histoire de Suzanne27. En tant que prédicateur, il se livre à l’explication de l’Ancien et du
Nouveau Testament au cours d’‘assemblées’ (synaxeis), dont les circonstances précises
restent controversées, même à la lumière des nouveaux apports des Homélies sur les
Psaumes28. En fait, nous ne parvenons pas à établir un cycle de lectures bibliques déjà bien
défini, quoique certains éléments puissent aider à une pareille reconstruction. De toute
manière, il en ressort une certaine fréquence des réunions liturgiques au cours de la semaine,
avec ou sans célébration de l’eucharistie, ainsi que l’ampleur des sermons tenus par Origène,
bien qu’ils soient plus étendus sur les livres de l’Ancien Testament que sur ceux du Nouveau.
L’auditoire s’avère être mélangé et même partagé, car l’interprétation allégorique à laquelle

24
CIo VI,40,205 (“Béthanie au delà du Jourdain” en Jn. 1,28); CIo VI, 41, 208-211 (Gérasa, Gadara ou
Gergésa en Mt 8,28-34 par.); CC I,56 (la grotte de Bethléem). Voir LE BOULLUEC 2011; PERRONE 2013a.
25
DE LANGE 1976.
26
CC I,45.55; II,31; FrEz sur Ez 9,4 (PG 13, 800D-801A).
27
EpAfr 6.20. Voir aussi H77Ps I,1.
28
GRAPPONE 2001 et 2001a; MONACI CASTAGNO 1987 et 2014.

8
va la prédilection d’Origène rencontre des oppositions, étant donné aussi le contexte ecclésial
et religieux de Cesarée29. Le prédicateur, tout en reprenant les attaques habituelles envers les
Gnostiques et les Marcionites, doit aussi faire face aux chrétiens judaïsants, qui se recrutent
spécialement parmi les femmes. Par ses admonestations, ce maître exigeant dans l’étude des
Écritures dévoile souvent son tempérament passionné ainsi que l’intensité spirituelle de son
âme. Conscient de sa tâche délicate comme interprète de la Parole de Dieu, il fait appel aux
prières des fidèles et prie lui-même afin que sa prédication soit inspirée par le même Esprit
qui anime les Écritures30.
Au cours de cette période, Origène poursuit son enseignement dans le cadre de l’école, sur
laquelle nous renseigne un disciple, au moment de laisser Césarée, après plusieurs années
d’études. Ce Discours de remerciement trace un portrait idéalisé de l’Alexandrin présenté
comme un maître tributaire de l’attitude socratique vis-à-vis de ses disciples, qu’il introduit
dans une relation marquée par l’‘amitié’ (philia)31. Le parcours de formation auquel les élèves
doivent se soumettre comporte l’étude des disciplines préparatoires à la philosophie (d’abord
la dialectique, puis la ‘physiologie’ à travers la mathématique, la géométrie et l’astronomie)
aussi bien que l’effort de perfectionnement moral grâce à la connaissance de l’éthique, la
philosophie venant par là se placer au sommet de l’itinéraire didactique. Tandis que
l’approche aux doctrines philosophiques s’avère être éclectique, car seuls les philosophes
‘athées’, ceux qui nient Dieu ou l’action de sa providence dans le monde (comme les
épicuriens), sont exclus du programme des lectures, l’étude de la théologie, entendue comme
approfondissement des Écritures, ne fait pas l’objet d’une description détaillée. Il est vrai que
la ‘philosophie’ se présente comme la dernière étape avant la ‘théologie’; toutefois, l’auteur, à
part le rappel générique de l’herméneutique scripturaire prônée par l’Alexandrin, ne nous
dépeint pas les modalités du travail conduit par Origène avec ses élèves, dont nous saisissons
par contre les reflets dans ses écrits32. Peut-être le silence à cet égard dépend-t-il du public
envisagé par le panégyrique, qui s’adressait aussi à des païens cultivés en vue de soutenir la
conciliation possible entre l’‘éducation’ (paideia) grecque et le Christianisme33.
En réalité, la perspective d’une entente des chrétiens avec l’État romain est loin d’être
assurée. Bien qu’Origène parvienne à écrire personnellement soit à l’empereur Philippe

29
MARKSCHIES 2007.
30
PERRONE 2011b, p. 358-428.
31
LUGARESI 2004.
32
Remerciement XV, 174-183. Voir par contre BENDINELLI 1997 et 2001.
33
RIZZI 2002.

9
l’Arabe (244-249) soit à sa femme Sévéra34, il n’a pas oublié les persécutions, dont la plus
récente, due à Maximin le Thrace (235-238), avait failli frapper Ambroise. Il doit satisfaire,
du reste, une nouvelle fois les demandes de son mécène, qui le presse de réfuter le Discours
vrai de Celse, un philosophe platonicien ayant vécu à l’époque de Marc Aurèle (161-180). Sa
critique corrosive du Christianisme s’appuyait aussi sur le rejet de la nouvelle religion de la
part des Juifs et soulignait l’incompatibilité, en principe, de la foi chrétienne avec la
philosophie, anticipant par là les attaques de Porphyre et d’autres intellectuels païens. À
l’intérieur de l’Église, comme le montrent les homélies et, en particulier, vers la fin de la vie,
le Commentaire sur Matthieu, Origène n’épargnait pas ses reproches au sujet de la conduite
mondaine du clergé et de ses prétentions hiérarchiques, au nom d’une église fidèle à l’esprit
de pauvreté et de douceur de son Seigneur35. D’autre part, même cette dernière phase contraint
l’Alexandrin à se défendre des accusations que lui adressent des ecclésiastiques, à la suite de
débats publiques où il aurait défendu, entre autres, l’idée que le diable pourrait être sauvé.
Hiéraclas, le successeur de Démétrius, exprime ses réserves doctrinales au pape Fabien (236-
250), ce qui amène Origene à écrire lui-même une lettre à l’évêque de Rome, où il lui peint
l’activité philologique sur les Écritures à laquelle il s’applique sans cesse, en compagnie
d’Ambroise. Dans une autre lettre, elle aussi à visée apologétique, adressée à ses amis
d’Alexandrie, il revendique comme signe distinctif son ‘style’ argumentatif, afin de rejeter
comme manipulée la transcription d’une dispute avec un hérétique36.
L’atmosphère plus favorable dont les chrétiens avaient joui pour quelque temps après
Maximin le Thrace change brusquement suite à l’assassinat de Philippe l’Arabe et à la prise
du pouvoir par Dèce (249-251), qui lance la première persécution générale. Pendant celle-ci,
Origène est emprisonné et torturé, mais il échappe au martyre, car son juge décida de le lui
épargner37. À l’occasion de son emprisonnement Denys, qui avait succédé à Héraclas en
247/248, lui écrivit selon Eusèbe une lettre Sur le martyre, à prendre peut-être comme un
indice d’une nouvelle attitude de l’Église d’Alexandrie envers son ancien maître38. Il aurait
survécu de quelques années à la fin de la persécution, se déplaçant de Césarée à Tyr. Au dire

34
Eusèbe, H.E. VI,36,3.
35
PERI 1979.
36
PERRONE 2014b, p. 320-325.
37
Eusèbe, H.E. VI,39,5.
38
Eusèbe, H.E. VI,46,2; CROUZEL 1985, p. 58-59.

10
de Jérôme, il mourut et fut enterré dans cette ville de Phénicie aux environs de l’année 254, à
l’âge de 69 ans39.

II. Les œuvres:


La poursuite d’un commentaire intégral des Écritures

1. Un héritage littéraire difficile à transmettre

Les écrits d’Origène, même à l’état fragmentaire où ils nous sont parvenus, constituent l’un
des ensembles les plus imposants de toute l’ancienne littérature chrétienne. Jérôme en faisait
déjà l’éloge dans sa Lettre 33 à Paula, avant d’y transcrire leur catalogue40. Celui-ci dérive de
la Vie de Pamphile écrite par Eusèbe, car c’était d’abord son maître qui s’efforça de repérer
les œuvres d’Origène et de les rassembler dans la nouvelle bibliothèque chrétienne de Césarée
créée par lui-même41. Devant cette liste, qui par ailleurs s’avère être incomplète, au moins
dans la transcription par Jérôme (il y manquent, par exemple, le Traité sur la prière et le
Contre Celse), nous constatons la perte douloureuse de nombreux ouvrages en langue
originale. Leur disparition est compensée partiellement par les traductions latines de Jérôme
et surtout de Rufin, tandis que nous ne disposons pas de versions dans les langues de l’Orient
chrétien (à la différence d’autres auteurs, qui ont subi également une condamnation
ecclésiastique, comme c’est le cas d’Évagre le Pontique). Il serait cependant erroné d’en
déduire que la transmission fragmentaire des écrits provienne uniquement des sélections
opérées sur la base de préjugés dogmatiques. En effet, dès le début, l’énorme envergure de la
production littéraire d’Origène posait par elle-même un problème pour sa transmission.
Ensuite, les chaînes exégétiques contribueront pour leur part à couper et résumer les textes
originaux en en tirant des extraits pour leurs anthologies42. Cependant, l’ouvrage le plus
controversé sur le plan doctrinal, le Traité des Principes, a quand même survécu
intégralement dans le monde latin grâce à Rufin, tandis que la majeure partie du texte grec est

39
Eusèbe, H.E. VII,1; Jérôme, De vir. ill. 54,11; NAUTIN 1977, p. 215-218.
40
NAUTIN 1977, p. 225-260 (228-229 pour le texte de l’Ep. 33).
41
GRAFTON-WILLIAMS 2006.
42
BOSSINA 2015.

11
perdue43. À ce propos, il faut ajouter qu’en général les versions ressentent les conséquences
des pratiques anciennes de traduction, qui favorisent les adaptations ou les raccourcis des
textes, sans méconnaître pourtant leur effort, plus ou moins grand, de fidélité. En outre, on
doit tenir compte des réductions imposées par l’ampleur des commentaires origéniens et par
leurs caractéristiques techniques, qui entre autres exploitaient abondamment les Hexaples
pour leur exégèse. Ainsi, Rufin abrégea le Commentaire sur le Cantique ou le Commentaire
sur l’Épître aux Romains, de même qu’il les arrangea pour les mettre à la portée des milieux
cultivés de Rome44. Heureusement, ce procédé ‘anthologique’, appliqué directement aux
textes grecs, a donné lieu au recueil de la Philocalie, attribué jusqu’à présent à l’initiative de
Basile de Césarée et Grégoire de Nazianze, qui contient plusieurs morceaux en langue
originale, les plus précieux étant les extraits tirés du Traité des Principes45.

2. La prédominance des genres exégétiques:


scholies, homélies et commentaires

La liste originelle d’Eusèbe, telle que nous pouvons la reconstruire à partir de la Lettre 33
de Jérôme, répartissait les écrits d’Origène en traités (surtout exégétiques), homélies et lettres
(car l’évêque de Césarée avait encore accès à un recueil épistolaire abondant, dont
aujourd’hui nous ne possédons plus que des bribes). Quant à Jérôme, il en résume les
caractéristiques principales du point de vue littéraire dans la préface à sa traduction des
Homélies sur Ézéchiel. Il y reconduit les travaux exégétiques de l’Alexandrin aux trois genres
suivants: les extraits ou scholies, les homélies et les commentaires (tomoi).

Les œuvres d’Origène sur toute l’Écriture sont de trois sortes. La première, ce sont les Extraits, qu’on appelle
en grec des scholies, où il a condensé en un très bref résumé ce qui lui semblait être obscur ou comporter une
difficulté. La seconde est le genre homilétique, dont relève la présente traduction. La troisième, qu’il a lui-
même intitulée tomes, nous pouvons l’appeler volumes, œuvre où il a déployé aux souffles des vents toutes
46
les voiles de son génie, s’est éloigné de la terre et a fui en haute mer .

43
SFAMENI GASPARRO 1998.
44
GIROLAMI 2014.
45
Phil; JUNOD 2015.
46
HEz Préf., p. 31-33.

12
À en juger par cette classification, nous aurions affaire à un ordre progressif d’application
exégétique au texte de la Bible, comme le souligne Jérôme lui-même, bien que la nature
exacte des scholies demeure sujette à discussion 47 . Représentent-elles des ébauches
préliminaires, et par là provisoires, ou plutôt des écrits autonomes, quoique de forme plus
synthétique, étant donné l’impossibilité pour l’Alexandrin de commenter entièrement les
livres bibliques avec l’approche exhaustive des tomoi? Ou peut-être devrions nous considérer
les extraits comme des textes sortis de l’école d’Origène, c’est-à-dire des notes de cours prises
par ses disciples48? Par ailleurs, les Extraits sur l’Exode transmis par la Philocalie sont loin de
présenter un traitement succinct49. Il est vraisemblable que les scholies comprennent des
textes relevant d’un autre genre exégétique, celui des ‘questions et réponses’ (aporiai ou
quaestiones et responsiones), adopté par Philon d’Alexandrie pour son commentaire de la
Genèse et de l’Exode. Toutefois, Origène se sert habituellement de cette approche aporétique,
qui était courante dans les écoles, pour sa méthode exégétique, l’interprétation des Écritures
étant pour lui toujours de nature problématique. Par conséquent, nous la rencontrons partout,
sans distinction de genre littéraire, aussi bien dans les œuvres d’exégèse que dans les traités50.

3. Des séries d’homélies sur l’Ancien et le Nouveau Testament:


le maître d’école face à la communauté

Quant aux homélies, s’il est vrai que l’Alexandrin évite normalement de recourir aux
ressources de la rhétorique, il est loin de s’en priver complètement. Il le montre assez
éloquemment dans l’Homélie sur la magicienne d’Endor, prêchée à Jérusalem en présence de
l’évêque Alexandre 51 . En outre, par l’emploi de la ‘personnification’ (prosôpopoiia), il
manifeste sa prédilection pour une technique oratoire bien connue ainsi que son penchant
pour une exposition moins abstraite et plus vivante, comme l’attestent également les
nombreux traits d’oralité présents dans les textes des sermons52. D’après Eusèbe, Origène
n’aurait pas autorisé la transcription de ses homélies pour la communauté de Césarée avant
l’âge de 60 ans, et donc seulement peu d’années avant sa mort, car il estimait ne pas avoir

47
JUNOD 1995.
48
MARKSCHIES 2011.
49
Phil 27,1-12.
50
PERRONE 1995.
51
H1Rg V; MITCHELL 2007.
52
VILLANI 2008; TORJESEN 1995.

13
encore atteint l’habileté suffisante53. Cela laisse pressentir qu’il devait attribuer aux homélies
une importance toute particulière et le fait qu’en l’absence de commentaires il renvoie ses
lecteurs à des séries d’homélies pour un approfondissement ultérieur, en donne une preuve54.
Nous ne connaissons pas les procédés par lesquels on transcrivait les homélies, bien qu’il soit
raisonnable de supposer qu’Origène se livrait à une certaine forme d’activité rédactionnelle.
Dans certaines circonstances particulières, elles étaient tout à fait improvisées, car le choix du
texte sur lequel il avait à prêcher était faite au moment55; sinon, le prédicateur s’appliquait à
commenter les livres bibliques qui venaient d’être lus en s’arrêtant sur des péricopes qui –
comme c’est parfois le cas dans les Homélies sur les Psaumes – pouvaient même inclure un
nombre assez restreint de versets. L’ampleur des explications données par l’Alexandrin au
niveau homilétique aussi laisse comprendre que ses sermons, en général, ne parvenaient pas à
traiter l’ensemble du texte biblique concerné. Il en donnait cependant une explication détaillée
en découpant les morceaux choisis en unités textuelles plus petites.
Selon le catalogue de la Lettre 33, le nombre des sermons sur l’Ancien Testament aurait
été trois fois plus grand que ceux sur le Nouveau Testament, l’une et l’autre série atteignant
au total presque 500 pièces56. Pour donner une idée de ce qui nous reste de cet immense
corpus, prenons les Homélies sur les Psaumes: après la découverte en 2012 de 29 nouveaux
sermons en grec, nous disposons aujourd’hui de 34 homélies sur 120 dans la liste de Jérôme,
c’est-à-dire d’un quart par rapport au total. Outre les Homélies sur les Psaumes (dont la série
grecque est enrichie pas les traductions latines), on a conservé en grec seulement les 20
Homélies sur Jérémie ainsi que l’Homélie sur la magicienne d’Endor. Le reste des sermons
nous est parvenu uniquement en latin et comprend des homélies sur les quatre premiers livres
du Pentateuque (Homélies sur la Genèse, Homélies sur l’Exode, Homélies sur le Lévitique,
Homélies sur les Nombres), sur quelques-uns des livres historiques (Homélies sur Josué,
Homélies sur les Juges, Homélies sur le Ier Livre des Règnes) et prophétiques (Homélies sur
Isaïe, Homélies sur Jérémie, Homélies sur Ézéchiel), tandis que sur les livres sapientiaux nous
avons seulement les deux Homélies sur le Cantique. Quant au corpus des sermons
néotestamentaires, il se limite en pratique aux Homélies sur Luc, à moins de restituer les

53
Eusèbe, H.E. VI,36,1.
54
Par ex., CIo XXXII,2,5 et CMt XIII, 29 mentionnent HLc. Voir PERRONE 2011a.
55
Par ex., en H1Rg V,1; HEz XIII,1; HNm XV,1.
56
Respectivement 379 sermons sur l’Ancien Testament et 119 sur le Nouveau.

14
fragments grecs sur la Première Lettre aux Corinthiens à des homélies perdues, au lieu de les
assigner à un commentaire57.

4. Les grands commentaires bibliques:


le génie déployé de l’exégète

Les commentaires bibliques rééquilibrent, pour ainsi dire, l’image de l’activité homilétique
d’Origène, car ce qu’il nous en reste en grec concerne pour la majeure partie des livres
néotestamentaires. Si l’on s’en tient à nouveau à la Lettre 33, la statistique des ouvrages
s’avère impressionnante, car Jérôme nous renseigne sur 220 tomoi. À la différence des
homélies, pour lesquelles nous n’avons que les renvois internes aux textes, dont la
chronologie reste finalement assez vague, pour les commentaires Eusèbe et d’autres sources
nous fournissent des points de repère chronologiques suivant le développement du parcours
biographique de l’Alexandrin. Son premier ouvrage en tant que commentateur des Écritures,
lorsqu’il habitait encore sa ville natale, fut un Commentaire des Psaumes 1-25, auquel se
joignirent bientôt un Commentaire des Lamentations, un petit Commentaire du Cantique
(qualifié par la Philocalie d’“œuvre de jeunesse”)58, plusieurs livres d’un Commentaire de la
Genèse et d’un Commentaire de Jean. Ces deux derniers ouvrages trouveront leur
continuation à Césarée après le départ d’Alexandrie. Face à ces nombreux écrits, tous à situer
entre 220 et 232, il n’est pas aisé au premier abord d’extraire un projet littéraire plus ou moins
défini. Toutefois, la préface du Commentaire des Psaumes 1-25, que nous transmet Épiphane
de Salamine, l’un des plus farouches adversaires d’Origène, montre à quel point il était
sensible aux défis qui accompagnent la tâche délicate d’interpréter les textes inspirés, au
moment même où il abandonnait l’enseignement oral pour dicter son premier écrit.

Nous y sommes contraint par ton immense désir de savoir, saint Ambroise, en même temps que nous sommes
rempli de confusion devant ton excellence et ta modestie. Du moins m’y suis-je refusé pendant longtemps,
sachant le danger qu’il y a, dans les choses saintes, non seulement à parler, mais bien plus encore à écrire et à
laisser ces écrits à la postérité. Mais avec toute la magie de ton amitié et ton invitation tu m’y as amené.
Tu m’en seras témoin devant Dieu, quand il examinera, avec ma vie entière, les œuvres que j’aurai dictées et
qu’il regardera l’intention dans laquelle je l’ai fait, les passages où je tombe juste et ceux où, tantôt j’exagère,

57
Fr1Cor.
58
Phil 7 (p. 327).

15
tantôt je ne dis quelque chose qu’en apparence; mais j’ai scruté les textes, en gardant à l’esprit cette sentence:
“Quand tu parles de Dieu, tu es jugé par Dieu” – belle parole –, et cette autre: “Sur Dieu, même dire la vérité
n’est pas un petit danger”59.

Ce premier Commentaire des Psaumes est perdu en majeure partie, mais les fragments tirés
de la préface et de l’interprétation du Psaume 1 nous révèlent l’intention programmatique qui
animait l’entreprise exégétique d’Origène. Non seulement il y traçait le tableau du canon
scripturaire60, mais il y reprenait aussi une ‘tradition’ sur la façon d’expliquer les Écritures
qu’il avait reçue de son maître ‘hébreu’. Il lui fournit par là le critère fondamental pour
résoudre les obscurités du texte sacré: “la Bible s’explique par la Bible” – ce qui revenait, par
ailleurs, à reformuler le principe herméneutique cher à la philologie alexandrine selon lequel
“Homère s’explique par Homère”. Mais pour l’Alexandrin ce même critère se retrouve dans
un passage paulinien auquel il revient sans cesse – 1 Cor. 2,13 –, suivant lequel, si l’on veut
parvenir à l’intelligence des Écritures, il faut toujours “comparer les réalités spirituelles avec
les réalités spirituelles”.

Pour commencer l’interprétation des Psaumes, nous exposerons une très belle tradition qui nous a été
transmise par l’Hébreu et qui concerne d’une façon générale toute la divine Écriture. Selon cet homme,
l’ensemble de l’Écriture divinement inspirée, à cause de l’obscurité qui est en elle, ressemble à un grand
nombre de pièces fermées à clé, dans une maison unique; auprès de chaque pièce est posée une clé, mais non
pas celle qui lui correspond; et ainsi les clés sont dispersées auprès des pièces, aucune ne correspondant à la
pièce près de laquelle elle est posée; selon lui, c’est un grand travail de trouver les clés et de les faire
correspondre aux pièces qu’elles peuvent ouvrir, et par conséquent, nous comprenons même les Écritures qui
sont obscures dès lors que nous prenons précisément les points de départ de la compréhension des unes
auprès des autres, puisqu’elles ont leur principe interprétatif dispersé parmi elles. En tout cas, je pense que
l’Apôtre lui aussi suggère un mode d’approche similaire pour la compréhension des divines paroles lorsqu’il
dit: “Et cela nous le disons, non pas dans des mots qu’enseigne la sagesse humaine, mais dans ces mots
qu’enseigne l’Esprit, rapprochant les choses de l’Esprit des choses de l’Esprit” (1 Cor. 2,13)61.

Peut-être le choix de commenter le livre des Lamentations est-il lié pareillement à la


fréquentation du maître hébreu. En tout cas, ce Commentaire des Lamentations,
originellement en cinq tomes, à la lumière des extraits transmis par les chaînes, a une allure

59
Épiphane, Pan. 64.7; JUNOD 2011, p. 92. Origène cite les Sentences de Sextus.
60
Phil 3 (p. 261); Eusèbe, H.E. VI,25,1-2.
61
Phil 2,3 (p. 245).

16
plus ouvertement scolastique que les autres textes alexandrins du même genre. Origène y
distingue régulièrement le sens littéral, tandis qu’à partir de ceci il développe l’interprétation
allégorique des vicissitudes historiques de Jérusalem, regardée comme le symbole de l’âme
déchue et pécheresse62. À son tour, le petit fragment du premier Commentaire du Cantique
permet d’apercevoir déjà l’utilisation de l’exégèse prosopologique, une technique héritée des
philologues alexandrins qui visait l’identification des personnages dans des textes de nature
dialogique. Origène s’en servira spécialement pour l’interprétation des textes des Prophètes,
en particulier pour les Psaumes. Il rejoint par là aussi l’exégèse christologique du Psautier, qui
s’épanouit chez les auteurs chrétiens à partir des écrits néotestamentaires. Le Commentaire de
la Genèse constituait une entreprise plus hardie, du moment que l’exégèse de ce livre
demandait un examen de la cosmogonie et de l’histoire primordiale du salut. Cela explique le
fait que l’Alexandrin ait limité l’interprétation aux quatre premiers chapitres lui consacrant
treize livres. L’ouvrage, interrompu au huitième tome, à la suite du transfert à Césarée, sera
complété en Palestine par l’ajout des tomes IX-XIII63. Les extraits du troisième livre, transmis
par la Philocalie et par Eusèbe, nous font entrevoir le recours à la méthode des “questions et
réponses” à l’appui de la polémique contre le fatalisme astrologique et plus en général toute
forme de déterminisme 64 . En ce sens, le commentaire devait s’opposer aussi tout
particulièrement aux doctrines de la Gnose valentinienne.
Le Commentaire de Jean renvoie lui aussi à ce contexte polémique: en fait, l’Alexandrin,
sollicité par Ambroise, ancien adepte des Valentiniens, avait été précédé par le commentaire
d’Héracléon, un adhérent à cette même secte65. Origène, qui travaillait sur le quatrième
évangile en même temps qu’il écrivait le Commentaire de la Genèse et d’autres ouvrages,
n’arrivera à compléter que cinq livres à Alexandrie. Car il fut contraint de recommencer le
début du VIe lors de son déplacement en Palestine, après la “tempête” qui l’avait molesté dans
sa patrie66. Cet ouvrage de longue haleine, destiné à comprendre jusqu’à 32 livres au cours de
plusieurs années, sans néanmoins réussir à couvrir tout l’évangile, représente le chef-d’œuvre
d’Origène commentateur. Le précédent d’Héracléon, que nous connaissons grâce aux extraits
qu’en tire l’Alexandrin, ne semble conditionner que très partiellement le profil de l’ouvrage.
Celui-ci reflète le projet systématique de son auteur en vue d’atteindre une interprétation

62
MARCHETTO 2015.
63
HEINE 2010, p. 104-115.
64
Phil 23,1-11.14-21; KommGen, 70-133.
65
POFFET 1985; WUCHERPFENNIG 2002; HEINE 2010, 89-103.
66
CIo VI,2,8.

17
intégrale d’allure apodictique, plutôt que de transmettre d’abord l’expérience de l’école avec
ses méthodes interprétatives et la participation des élèves 67 . L’Alexandrin avançait très
lentement, comme le montre le premier livre, qui s’arrête sur la sentence initiale du quatrième
évangile en expliquant longuement les termes ‘principe’ (arché) et ‘Verbe’ (Logos). À leur
suite, il donne un inventaire raisonné des ‘dénominations’ (epinoiai) du Christ selon les
Écritures, mais il aura besoin de cinq livres pour commenter le prologue (Jn 1,1-18). Origène
éprouve déjà le besoin de justifier sa prolixité dans le prologue du Ve Livre. Il propose alors
l’idée que cette pluralité de livres n’est en réalité qu’un seul livre, pourvu qu’elle s’articule
dans le sillage du Verbe, dont les Écritures sont le livre unique. C’est une argumentation qui
vise, par ailleurs, les hétérodoxes lesquels, en allant contre la vérité, “font beaucoup de
livres”. Il est donc nécessaire de leur répondre au nom de l’Église du Christ et de sa
prédication évangélique.

Celui qui proclame quoi que ce soit d’étranger à la piété, celui-là parle de façon prolixe, mais celui qui dit la
vérité, même s’il disait tout sans rien laisser de côté, celui-là dit continûment une parole unique; et les saints
qui s’en tiennent à la visée conforme à la Parole unique ne parlent pas de façon prolixe. Si donc la prolixité
se juge aux doctrines et non pas à l’énoncé de beaucoup de mots, ne pouvons-nous pas dire ceci: tous les
livres saints sont un livre unique; en dehors d’eux, les autres sont multiples68?
Au moment où, sous prétexte de gnose, les hétérodoxes se lèvent contre la sainte Église du Christ et
produisent des compositions en beaucoup de livres qui promettent l’interprétation des textes évangéliques et
apostoliques, si nous nous taisons sans leur opposer les doctrines véritables et saintes, ils s’empareront des
âmes avides que la pénurie d’une nourriture salutaire jettera sur les aliments interdits, vraiment impurs et
abominables69. Aussi, à mon sens, est-il indispensable que l’homme capable d’être en ambassade de la parole
ecclésiale sans la contrefaire, capable aussi de réfuter les partisans de la fausse gnose, se dresse contre les
inventions hérétiques en leur opposant la sublimité de la prédication évangélique toute remplie de la
symphonie doctrinale qui unit ce qu’on appelle l’Ancien Testament à celui que l’on nomme le Nouveau70.

Plus que dans d’autres commentaires, l’attention d’Origène se tourne ici vers le rôle
fondamental du Fils, en tant que révélateur et sauveur, attirant l’âme à une compréhension
plus profonde des mystères de Dieu et à la communion avec lui71.

67
PERRONE 2005c.
68
Phil 5,4 (p. 291).
69
C’est l’idée qui revient, presque avec les mêmes mots en H77Ps II,4.
70
Phil 5,7 (pp. 297-298).
71
MCGUCKIN 1995.

18
La période de Césarée voit s’intensifier la production de commentaires, qu’Origène dicta
sur place ou au cours de ses voyages. Après des tomes perdus sur Isaïe et sur Ézéchiel,
l’Alexandrin composa un nouveau Commentaire sur le Cantique des Cantiques, dont il
rédigea les premiers cinq tomes durant un séjour à Athènes vers 240, le complétant par cinq
autres à son retour en Palestine. Il nous est parvenu en latin, à l’exception des fragments grecs
transmis par les chaînes72. Mais Rufin nous en a donné une traduction abrégée en quatre
livres, qui expliquent le texte uniquement jusqu’à Cant. 2,15. En outre, il a supprimé les
références systématiques aux Hexaples, ce qui selon l’éloge de Jérôme, dans sa préface à la
traduction des Homélies sur le Cantique, aurait fait de cet ouvrage le vrai chef-d’œuvre
exégétique d’Origène grâce à l’exploitation de la pluralité des textes.

Alors qu’il a dépassé tous les écrivains dans ses autres œuvres, Origène, dans le Cantique des Cantiques,
s’est surpassé lui-même. Car en dix volumes bien comptés, où sont contenues près de vingt mille lignes, il en
a magnifiquement et clairement disserté. Il l’a fait tout d’abord selon la version des Septante, ensuite d’après
celle d’Aquila, de Symmaque et de Théodotion, et enfin d’après une cinquième version, qu’il a trouvée, dit-
il, sur le rivage d’Actium. Il semble vraiment que se soit accomplie en lui cette parole: “Le roi m’a introduit
73
dans son appartement” (Ct. 1,4) .

En dépit du fait que l’ouvrage soit abrégé, il nous offre le témoignage le plus substantiel de
la doctrine spirituelle d’Origène, à partir du grand prologue avec son effort pour surmonter la
distinction ou opposition entre ‘charité’ (agapê) et ‘amour’ (erôs), par le moyen d’une
doctrine de l’amour ordonné qui anticipe les idées de Saint Augustin 74 . Bien que
l’interprétation des dialogues entre l’épouse et son époux débouche régulièrement sur
l’allégorie – l’épouse signifiant en ce sens soit l’Église soit l’âme, l’époux le Verbe75 –, pour
atteindre ce résultat l’Alexandrin exploite autant qu’il le peut la trame du texte. En effet, il
regarde le Cantique comme une pièce de théâtre et, soigneux d’en donner une interprétation
prosopologique correcte, il développe premièrement une interprétation dramatique du récit76.
Par ailleurs, le Cantique représente à ses yeux le sommet de la trilogie des livres attribués à
Salomon, en venant après les Proverbes et l’Ecclésiaste. Il regarde cet ordre progressif
comme l’équivalent biblique des disciplines philosophiques: tandis que les Proverbes et
72
FrCt.
73
Jérôme, Préf. HCt (p. 58).
74
RICKENMANN 2002.
75
CHÊNEVERT 1969.
76
CCt Prol. 1,1 (p. 80); HCt I,1; COX MILLER 1986; PERRONE 2006.

19
l’Ecclésiaste correspondent respectivement à l’éthique et à la physique, le Cantique s’identifie
à la théologie contemplative (epoptikè)77.
Origène a écrit de nombreux tomes sur les lettres de Paul78, le Commentaire sur l’Épître
aux Romains (composé vers 243) étant son entreprise exégétique la plus vaste sur les textes de
l’Apôtre. Si l’on excepte les extraits donnés par la Philocalie ou les chaînes, et surtout les
parties fragmentaires, qui ont été découvertes dans les papyrus de Toura, près du Caire, en
1941, nous le connaissons pour la plupart grâce à la réduction et à l’adaptation de 15 à 10
livres qu’en fit Rufin (en 405-406). L’Alexandrin a toujours éprouvé un fort attrait envers la
figure de Paul, qu’il regarde constamment comme le principal inspirateur de son
herméneutique pneumatique des Écritures. En même temps, il tire de lui sa doctrine sur la
prière dans l’Esprit ainsi que l’idée du progrès spirituel comme le passage de la condition
d’enfant à l’état de parfait79. Dans son commentaire, il aborde les questions concernant la
personnalité de l’Apôtre et les particularités de son style, qui exigent souvent une paraphrase
explicative, tout en rappelant que ces difficultés dérivent de l’économie divine de l’obscurité
des Écritures en vue de l’accès à leur mystère. Son intérêt pour la Lettre aux Romains est dicté
aussi par la préoccupation de soustraire son interprétation aux courants hétérodoxes. De
même que dans le Traité des Principes, sa cible polémique, ce sont surtout les Marcionites et
les Gnostiques. Il revendique l’unité des deux Testaments contre les Marcionites et s’oppose à
la doctrine valentinienne des “natures fixes”, c’est-à-dire déterminées par avance au salut (les
êtres pneumatiques) ou à la perdition (les êtres matériels), ou encore douées d’un certain libre
arbitre mais sans espoir d’un salut plein (les êtres psychiques). Il rejette l’exégèse de Rom. 9
donnée par ses adversaires, tout en réfléchissant à l’élection par Dieu de Jacob d’une façon
nouvelle par rapport à l’explication qu’il avançait dans le Traité sur les Principes. Il s’efforce
d’autre part de maintenir l’espoir dans le salut du peuple de l’Ancienne Alliance, suivant les
indications de l’Apôtre en Rom. 11. Cet espoir se fonde sur l’attente de la miséricorde de
Dieu, plutôt que sur les mérites des hommes, qui sont par ailleurs les fruits de cette grâce80.
Vers la fin de sa carrière, vraisemblablement dans les années 244-249, Origène se lança
dans un autre grand projet sur les évangiles, en composant un Commentaire sur Matthieu en
25 tomes. Il nous en reste une partie en grec, les livres X-XVII, et une traduction latine

77
HARL 1987.
78
Selon la Lettre 33 de Jérôme, sur Rom. (15 livres), Gal. (5 livres), Éph. (3 livres), Phil. (1 livre), Col. (3
livres), 1 Thess. (3 livres), 2 Thess. (1 livre), Tit. (1 livre), Phil. (1 livre).
79
COCCHINI 1992; PERRONE 2011b.
80
COCCHINI 2013; SGHERRI 1982.

20
anonyme (la Commentariorum Series) qui couvre environ la moitié de l’original. Elle se
juxtapose à celui-ci à partir de CMt XII,9 (tout en manifestant des diversités rédactionnelles)
et comble la lacune presque jusqu’au terme du premier évangile 81 . À la différence du
Commentaire sur Jean, l’Alexandrin a donc réussi à achever cet ouvrage. Il nous apparaît
comme le fruit mûr de son travail exégétique, non sans que l’ambiance scolaire y devienne
plus perceptible82. Si l’allure de l’interprète reste systématique, il s’agit maintenant d’un
“système ouvert”, car l’instance du lecteur collaboratif y gagne en importance et l’auteur ne
s’abstient pas de stimuler ses lecteurs en laissant même des questions sans réponse83. En
même temps, et peut-être davantage que dans les autres commentaires à notre connaissance,
nous y relevons l’expression d’une exégèse orante: l’auteur accompagne son interprétation de
l’invocation à Dieu, afin d’obtenir le don du Verbe et de l’Esprit et de parvenir ainsi à
l’intelligence spirituelle de l’Évangile. D’autre part, cet objectif ne sacrifie en aucune façon
les exigences de l’approche philologique, étant donné qu’Origène se montre encore une fois
attentif à la forme du texte ainsi qu’aux désaccords existant entre les versions synoptiques. Du
point de vue théologique, en raison aussi des caractéristiques de Matthieu, au lieu de revenir
sur les thèmes trinitaires et christologiques qu’il avait traités dans le Commentaire sur Jean, il
s’arrête surtout sur l’ecclésiologie. À ce propos, il s’avère assez sévère avec les fidèles
‘simples’, qui ne sont pas capables de s’élever à la compréhension spirituelle de
l’enseignement du Christ, comme c’est le cas des foules avec les paraboles, au contraire des
disciples admis par Jésus dans son intimité.

Quand Jésus est avec les foules, il n’est pas dans sa maison, car les foules se trouvent hors de cette maison; et
l’œuvre de son amour pour les hommes consiste à abandonner la maison et à se rendre auprès de ceux qui ne
peuvent venir à lui. Puis, quand il a suffisamment parlé aux foules en paraboles, il les quitte et va dans sa
maison, où les disciples le rejoignent, car ils ne sont pas restés avec ceux qu’il a quittés. Et il est vrai que tous
ceux qui écoutent Jésus avec une plus grande sincérité, d’abord le “suivent”, ensuite lui “demandent où est sa
demeure”, car ils désirent la voir, puis ils “s’y rendent, la voient et demeurent auprès de lui”...
Pour nous donc, si nous voulons ne pas entendre Jésus comme les foules qu’il quitte pour entrer dans sa
maison, prenons une attitude qui nous distingue des foules et devenons des familiers de Jésus, afin que,
comme ses disciples, nous le suivions quand “il entre dans sa maison” (Matth. 13,36), que nous nous

81
BOSSINA 2011.
82
BENDINELLI 1997.
83
VOGT 1999; BASTIT-KALINOWSKA 1995; PERRONE 2001.

21
approchions de lui pour l’interroger sur l’explication de la parabole, qu’il s’agisse de l’ivraie du champ ou
d’une autre84.

La perspective ainsi dessinée implique, en réalité, à l’encontre de toute forme de


déterminisme salvifique, l’acheminement actif des fidèles sur la voie du progrès spirituel,
dont le commentaire laisse entrevoir les étapes graduelles ainsi que le support assuré à chacun
par son ange au long de ce chemin. Si Origène regarde l’Église comme l’épouse et le corps du
Christ, il reste que son image des communautés ecclésiales de son temps est loin d’être
optimiste. En expliquant à nouveau l’expulsion des marchands du Temple, il l’actualise de
façon plus négative que dans le Commentaire sur Jean en dénonçant la hiérarchie qui trahit
l’exemple du Christ: ces “marchands” sont les évêques, les prêtres et les diacres avides et
despotiques85. Par contre, l’Alexandrin propose le modèle du Fils de Dieu, dont il évoque le
rapport intime avec le Père au moment de la mort sur la croix, épiphanie du mystère du Logos
incarné, vécue par Jésus jusqu’au bout dans une attitude de prière86.

5. Les traités:
l’exégèse au service de la dogmatique, de la spiritualité et de l’apologétique

Comme nous venons de le voir, la production exégétique domine toute l’activité littéraire
d’Origène. Cependant, en quelques occasions il a eu recours au genre du traité, sans toutefois
renoncer à sa vocation d’interprète des Écritures, sa façon d’argumenter restant toujours liée
au texte inspiré en tant que source et matière de réflexion. Au début de la période alexandrine
il écrivit des Stromates (“Tapisseries”) en dix livres, c’est-à-dire un ouvrage de mélanges avec
le même titre que celui de Clément d’Alexandrie. Jérôme, qui mentionne cet écrit à plusieurs
reprises, en résume le contenu dans les termes d’une comparaison systématique entre les
doctrines du Christianisme et celles de philosophes comme Platon, Aristote, Numénius et
Cornutus87. Bien qu’Origène cite les Stromates dans le Commentaire sur Jean à propos de
l’‘organe directif’ de l’âme (hêgemonikòn)88, nous en savons trop peu pour nous en faire une

84
CMt X,1 (tr. GIROD, p. 141-143).
85
CMt XVI,22.
86
CMtS 138-140; PERRONE 2010.
87
Jérôme, Ep. 70,4.
88
CIo XIII,45,298.

22
idée moins générique que celle d’un ensemble varié d’essais exégético-doctrinaux89. Au cours
de la même période, il acheva un traité en deux livres Sur la résurrection, thème assez débattu
aux IIe et IIIe siècle, qu’Origène abordera à nouveau par la suite. Pourtant, soit dans le Traité
des Principes soit dans le Contre Celse il renvoie pour un approfondissement à cet ouvrage
perdu pour nous, à l’exception de menus extraits90. Les idées subtiles de l’Alexandrin sur le
corps spirituel des ressuscités – dans le sillon de la doctrine énoncée par Paul en 1 Cor. 15,44
– soulevèrent contre lui des accusations récurrentes, comme l’attestera bientôt le traité Sur la
résurrection de Méthode d’Olympe.
Immédiatement après, vers les années 229-230, Origène composa le Traité des Principes,
sa ‘somme théologique’ qui rassemble ses enseignements et lui causera beaucoup d’ennuis,
prêtant le flanc à sa condamnation comme hérétique par le deuxième concile œcuménique de
Constantinople (553). En réalité cet ouvrage, comme le prouvent, à bien y regarder, son titre
et surtout sa structure, est loin d’être systématique91. On a beaucoup discuté sur l’explication à
donner du terme “principes”, d’autant plus qu’on a assimilé le Perì archôn aux traités de
physique païens92. Mais Origène semble lui-même nous fournir une clé dans la VIIe Homélie
sur le Psaume 77, nouvellement découverte, où il commente le mot “principes” (archaì) selon
Gen. 2,10 dans la Septante. Il revient ici sur le motif du disciple de Jésus, source d’eau vive
comme son Maître (Jn. 4,14), donnant naissance à plusieurs “fleuves”, qui sont “les
théorèmes et les doctrines”. Ceux-ci jaillissent, en effet, de chacun de ces disciples, à l’instar
des fleuves du Paradis, mais tous s’écoulent à partir du Christ, l’unique source.

Mais il y a un fleuve qui sort de Paul et un qui sort de Pierre. “Un fleuve sort d’Édem”, l’“Édem” de Paul, et
un (qui sort) de l’“Édem” de Pierre, “pour arroser le jardin”, l’Église, et “de là, il se sépare en quatre
principes” (Gn. 2,10). En effet, ils sont nombreux les principes des doctrines: un principe concerne le Père,
un le Fils, un le Saint-Esprit, un l’Église, un les saintes puissances. Mais pourquoi dois-je faire la liste des
“principes” vers lesquels sort l’unique source, le seul fleuve qui sort d’Édem 93?

Ce passage rappelle la préface du Traité des Principes, dans laquelle Origène résume les
doctrines principales de la prédication ecclésiastique, c’est-à-dire les enseignements transmis
par les apôtres aux Églises. C’est à partir d’eux que la théologie est appelée à s’articuler
89
NAUTIN 1977, p. 293-302; MORLET 2013 est porté à les regarder comme des scholies.
90
Prin II,10,1; CC V,20; NAUTIN 1977, p. 251-252.
91
LIES 1992.
92
DORIVAL 1987.
93
H77Ps VII,2 (p. 436-437); PERRONE 2014a.

23
assumant ainsi ses chances et ses risques. Car les apôtres, tout en proposant les doctrines à
croire, ne les ont pas expliquées ou définies en tout point. Par conséquent, la structure de
l’ouvrage reflète les contenus de cette “règle de foi”, à la fois apostolique et ouverte, en
proposant deux séries de traités en 4 livres. Chacune d’elles reprend les mêmes thèmes à un
degré différent d’approfondissement: une présentation plus synthétique est suivie d’une
exposition plus analytique et problématique, l’une et l’autre traitant, dans l’ordre, de Dieu
(suivant une perspective trinitaire, le Père, le Fils et le Saint-Esprit), des êtres rationnels et du
monde 94. L’œuvre s’achève par un traité sur l’herméneutique de la Bible (en guise de
“discours de la méthode” qui régit toute l’argumentation) et par une “récapitulation”
générale95. Celle-ci revient en raccourci une troisième fois sur les même doctrines, non sans
introduire des accents divers, comme il arrive du reste entre le premier et le deuxième cycle
de traités96. Cette architecture si complexe, dont la logique d’ensemble reste matière à débat,
semble ressortir de la pratique d’enseignement d’Origène, qui devait se situer à des niveaux
distincts, ou même relever de deux cycles d’études à proprement parler97.
Outre ces difficultés qui concernent l’aspect littéraire, l’approche du texte est rendue
problématique par l’absence de l’original grec. À part les quelques extraits controversés, qui
ont servi de pièces à conviction pour la condamnation de l’Alexandrin, nous en possédons
seulement deux larges tranches reprises par la Philocalie: le “Traité sur le libre arbitre” (Prin
III,1) et le “Traité sur l’herméneutique biblique” (Prin IV,1-2). Quant à la version latine de
Rufin, elle a été critiquée dès le début, à commencer par Jérôme devenu anti-origéniste, parce
que le traducteur aurait épuré le texte de ses éléments hétérodoxes. Apparemment Rufin, en
l’avouant en partie lui-même, a fait ce nettoyage surtout à la lumière des développements du
dogme trinitaire. Néanmoins, il est possible de reconnaître en général sa fidélité aux contenus
de l’argumentation d’Origène plus qu’à la formulation de la pensée comme telle, selon le
style propre de l’Alexandrin98.
Le Traité des Principes a été regardé comme une tentative pour créer une philosophie
chrétienne99. Cependant Origène s’abstient de citer les œuvres des philosophes et souligne dès
la Préface que le Christ représente la plénitude de la vérité, les Écritures inspirées constituant

94
Respectivement Prin I-II,3 et II,4-III,6.
95
Voir Prin IV,1-3 et IV,4.
96
HARL 1975; DORIVAL 1987.
97
FERNÁNDEZ 2014a.
98
PACE 1990; FERNÁNDEZ 2014a.
99
SIMONETTI 2006.

24
le fondement pour tout discours sur Dieu et le monde100. Rufin par sa traduction tient à
exprimer la convergence entre l’argumentation rationnelle et la preuve scripturaire (d’après la
formule “par la raison et l’autorité des Écritures”), mais la méthode prônée par l’auteur
subordonne par principe la première à la seconde. En tout cas, des analyses plus ouvertement
philosophiques, comme les arguments qui supportent la défense du libre arbitre (Prin III,1),
sont exploitées par l’Alexandrin pour des raisons premièrement polémiques et apologétiques,
en vue de maintenir la vérité des Écritures contre toute forme de déterminisme, qu’elle soit
philosophique ou hérétique. Il fait preuve par là d’une théologie qui combine l’instance
apodictique à l’attitude ouverte de la recherche, comme le montre spécialement le recours à la
méthode des “questions et réponses” pour résoudre les apories bibliques101.
Origène ne cite jamais le Traité des Principes (à moins de lui restituer la mention du
“Traité sur le libre arbitre” dans le Commentaire sur l’Épître aux Romains au lieu de
l’attribuer à Rufin)102. Il ne le fait pas même dans le Traité sur la prière, lorsqu’il revient
presque dans les mêmes termes sur le problème du libre arbitre103. Ce nouveau traité, dicté à
Césarée peu après son arrivée (233/234), associe l’intérêt doctrinal et l’approche exégétique,
ayant comme but d’élaborer le modèle de la vie parfaite du chrétien. L’horizon dessiné par
Origène, tout en rappelant par quelques aspects les exercices spirituels de la philosophie
tardo-antique, dépasse en réalité ces pratiques104. En son centre vient se situer l’expérience de
la prière, vécue en toutes ses dimensions, jusqu’à atteindre l’objectif d’une vie transformée en
prière par l’idéal de l’oraison perpétuelle. La prière, au moins sous la forme de la pétition,
avait attirée les réserves de philosophes, comme Maxime de Tyr, auteur au IIe siècle d’une
dissertation intitulée Faut-il prier?, dans laquelle il sauvait uniquement l’idée de l’oraison
comme “colloque” (homilia) avec Dieu. Au contraire, Origène repousse fermement les
objections philosophiques contre la prière de demande, partagées apparemment aussi par des
groupes gnostiques, et s’efforce de montrer comment Dieu attend des hommes qu’ils la lui
adressent en toute liberté. Il s’agit pour l’Alexandrin de réaffirmer au même temps la
responsabilité de l’orant face à Dieu ainsi que la préscience et la providence divines, tout en
recommandant que les demandes s’orientent de plus en plus vers “les biens grands et
célestes”, c’est-à-dire vers ce qui est essentiel pour le salut des hommes. Après avoir traité des

100
Prin Préf. 1.
101
PERRONE 1992.
102
CRm VII,16.
103
Orat 6,1, à comparer avec Prin III,1,2.
104
MONACI CASTAGNO 1997; GESSEL 1975; PERRONE 2011b, p. 51-121.

25
difficultés philosophiques et rétabli pleinement la possibilité de prier105, la deuxième partie du
traité est consacrée à l’exégèse du “Notre Père” en tant que paradigme normatif de toute
oraison. Dans cette interprétation, qui s’avère être la plus riche et la plus profonde de toute la
littérature patristique, la Prière du Seigneur devient le modèle de la vie sainte du chrétien en
tant que fils de Dieu106. Un complément de nature plus pratique s’arrête sur les temps, les
gestes, les lieux et les paroles de la prière107. Par cet examen l’Alexandrin est aussi soucieux
d’assurer, avec tout son défi et son dynamisme intérieur, le modèle de l’“oraison spirituelle”,
c’est-à-dire une prière animée intimement par l’Esprit (selon les indications de Rom. 8,26-
27), ayant toujours comme but la participation à la communion déifiante avec le Père et le
Fils.
Peu de temps après, en 235, la persécution de Maximin le Thrace poussa Origène à écrire
une Exhortation au martyre à l’adresse d’Ambroise et de Protoctète, un prêtre de l’Église de
Césarée qui tout comme son patron était en danger de mort. Il complète ainsi son discours sur
la vie spirituelle, en proposant par la voie du martyre l’imitation la plus radicale de Jésus.
Comme dans le Traité sur la prière, le recours à la Bible nourrit tout le texte, à commencer
par la reprise des exemples tirés de l’Ancien Testament, qui culminent dans l’attitude
héroïque de la mère et des sept frères maccabéens108. L’Alexandrin s’arrête, en particulier, sur
la prière de Jésus à Gethsémani, essayant de montrer comment le Christ se pose en modèle
des martyrs précisément en raison de son abandon à la volonté du Père109. L’attitude orante,
qui doit accompagner l’expérience du martyr, se manifeste en outre par la prière des Psaumes,
proposée selon l’“intention du Christ” comme réponse également aux attaques diaboliques.
Par là Origène, non seulement anticipe l’emploi des Psaumes développé par Évagre le
Pontique dans son Antirrhétique, pour les besoins de l’ascèse monastique, mais il nous laisse
aussi entrevoir la manière dont il prie lui-même grâce à sa méditation des Écritures110.
L’ouvrage dont le contenu est le plus ouvertement dogmatique relevant de l’époque de
Césarée est l’Entretien avec Héraclide (entre 239 et 249). À vrai dire, nous n’avons pas
affaire à un traité composé par Origène lui-même mais à l’enregistrement de ses discussions
avec Héraclide et d’autres évêques d’Arabie. Celles-ci semblent se rapporter à des occasions

105
Orat 3-17.
106
Orat 18-30; STRITZKY 1989; PERRONE 2011b, 195-239.
107
Orat 31-33.
108
EM 22-27.
109
EM 28-29.
110
NICULESCU 2000; PERRONE 2011b, 253-260.

26
différentes et ont été rassemblées par la suite en un seul document111. L’Entretien nous offre
un témoignage éloquent du rôle joué par l’Alexandrin en tant que maître reconnu de l’Église,
au point de soumettre un évêque comme Héraclide à un examen d’orthodoxie trinitaire. Celui-
ci, au cours de l’interrogatoire, est amené à reconnaître la distinction hypostatique entre le
Père et le Fils ainsi que leur rapport de communion, abandonnant ses convictions
monarchiennes sur Dieu. Origène s’appuie à cette fin sur la lex orandi, tirant son argument
majeur de la prière eucharistique, dans laquelle l’Église s’adresse au Père par le Christ,
associant l’un à l’autre 112 . Les débats ultérieurs dont témoigne l’Entretien nous font
comprendre dans quelle mesure l’Alexandrin devait encore se confronter avec des
conceptions archaïques sur l’âme, même à l’intérieur de la communauté ecclésiale. On se
demandait, en effet, si l’âme était le sang et si elle restait dans le sépulcre au moment de la
mort. Répondant à ce problème, Origène précise sa doctrine sur la mort de Jésus à la lumière
de son anthropologie trichotomique: c’est l’âme du Christ qui descend aux Enfers, tandis que
l’esprit est remis au Père, l’âme et l’esprit se réunissant au corps au moment de la
résurrection113.
Peu avant la persécution de Dèce, c’est-à-dire avant l’année 249, vraisemblablement au
même moment où il travaillait au Commentaire sur Matthieu, Origène rédigea sur la demande
d’Ambroise le Contre Celse, le plus grand ouvrage apologétique de l’époque anténicéenne. Il
y réplique en huit livres au Discours vrai de ce philosophe d’orientation platonicienne, auteur
sous Marc-Aurèle du premier traité connu de la polémique antichrétienne114. Grâce aux
nombreux extraits que l’Alexandrin a insérés dans son écrit, nous sommes en mesure de
retracer assez fidèlement les arguments de l’adversaire. Celse, avant de porter son attaque sur
la tradition religieuse du Judaïsme et du Christianisme dans leur ensemble, fait polémiquer
d’abord, par un dialogue fictif, un Juif contre Jésus et ensuite contre ses propres
coreligionnaires qui ont adhéré au Christianisme 115. Il s’agit à proprement parler d’une
“personnification” qui occupe les deux premiers livres du Contre Celse116. Dans sa réponse,
qui adopte la forme d’une exégèse presqu’aussi précise que celle des Écritures, Origène
conteste les traditions apocryphes sur Jésus ainsi que le mépris que Celse porte à son égard,

111
RIZZI 2015.
112
Dial 4.
113
Dial 10-24.
114
CC VIII,69.71.
115
Voir respectivement CC I,28-71 et II,1-79.
116
PICHLER 1980.

27
du fait qu’il est dépourvu de “titres de noblesse” sur le plan personnel et intellectuel, au
contraire de son héros Platon117. Si Celse, à la différence d’autres religions “barbares”, refuse
d’admettre le Judaïsme, et par conséquent le Christianisme qui en est sorti, au sein de la
“doctrine ancienne” (archaios logos) rassemblant à ses yeux le riche patrimoine de la
religiosité païenne, Origène s’empresse par contre de faire l’éloge de la “constitution des
Juifs”118. Leur genre de vie était supérieur, du point de vue moral aussi bien que social et
religieux, encore qu’ils aient représenté une phase historique antérieure à la venue du Christ et
du nouveau peuple des chrétiens, et comme telle provisoire 119 . Du reste, l’argument
apologétique sur lequel l’Alexandrin revient le plus fréquemment repose précisément sur les
conséquences éthiques qui découlent de l’adhésion à la foi chrétienne. À l’opposé des élites
philosophiques, même en reconnaissant l’éminence des idéaux d’un Platon, Jésus a proposé
une religion universelle capable d’amener les masses à se convertir et à transformer leur vie
en obéissant aux commandements exigeants du Christ120. Même le simple fidèle, au moment
de la prière, s’avère capable de s’élever jusqu’à la rencontre avec Dieu. Par contre le
philosophe, en vue de parvenir à la “ressemblance” (homoiôtês) avec lui, s’astreint à des voies
réservées à très peu de personnes et dont le succès est limité, tout au plus, à des très rares
instants extatiques121. En outre, l’opposition perçue par Celse entre la foi et la raison n’a
aucune raison d’être car, de l’avis de l’Alexandrin, la foi n’est pas la manifestation d’une
attitude irrationnelle; au contraire, elle interpelle l’intelligence et engage le croyant dans la
recherche (zêtêsis) des mystères de Dieu à travers les Écritures122.
En dépit du contraste qui, au dire de Celse, oppose les chrétiens à la civilisation gréco-
romaine, le philosophe s’efforce finalement de les convaincre de s’engager pour la défense
armée de l’Empire. À quoi Origène réplique en assurant ce soutien à la patrie et à l’Empereur
par les prières, les seules armes licites aux chrétiens123. Tout bien considéré, ni Celse ni
Origène n’entament un vrai dialogue, le Discours vrai tournant parfois au pamphlet. Quant à
lui, l’Alexandrin s’efforce de remplir autant que possible la tâche dont il a été investi par son
mécène. Comme le laisse entendre clairement le prologue, il aurait préféré suivre l’exemple

117
CC VI,1-11 reconnaît en Platon l’expression la plus haute du logos, autrement dit de la raison
philosophique ainsi que de la tradition religieuse dont elle est débitrice.
118
CC IV,1-V,2; FÉDOU 1995.
119
CC IV,31; V,42; PERRONE 2003.
120
CC II,76.79-83; VI,2.14-20; PERRONE 2005a.
121
CC VII,42-44; PERRONE 2011b, p. 271-281.
122
CC I,9-13; VI,66; VII,36-45; SIMONETTI 1998.
123
CC VIII, 65-76; RIZZI 1998.

28
de Jésus qui gardait le silence vis-à-vis des accusations qu’on lui adressait, en appelant à sa
conduite de vie comme au seul comportement valable à titre de réponse124. En dépit de l’effort
considérable qu’Origène a investi dans ce gros ouvrage, il n’était, semble-t-il, pas
complètement à l’aise en l’écrivant. Cette fois il devait, en effet, tenir compte d’un public
mélangé, car l’écrit visait aussi des païens ou, en tout cas, des chrétiens proches du monde
païens, à la foi encore faible125. Il ne cache pas ses réserves à traiter plus largement de
l’interprétation de la Bible et des doctrines du Christianisme, comme il le fait ailleurs.
L’apologète, apparemment, aurait bien aimé céder la place à l’exégète qu’il était de bout en
bout au cours de son activité littéraire126.

III. La pensée:
L’amour du Père et la liberté des fils.
Dieu et le monde dans l’attente de la rédemption

1. L’interprétation des Écritures:


une théologie biblique

On a coutume de reconstruire la pensée d’Origène à partir de son ouvrage “dogmatique”,


en se fondant sur le Traité des Principes, souvent au détriment du reste des ses écrits. Cela
comporte des inconvénients: d’un côté, on extrait du Traité un système doctrinal à utiliser en
général comme référence de jugement sur les idées de l’Alexandrin; de l’autre côté, on ne
tient pas compte suffisamment de l’application, de nature presque constamment exégétique, à
laquelle il s’est adonné dans son travail intellectuel. Il faut donc reconnaître initialement le
relief constitutif du support biblique, qui n’est pas du tout instrumental ou secondaire, mais
s’avère intrinsèque à la mouvance même de la pensée. Origène puise sa réflexion à la source
de la Bible et le face à face avec elle, plutôt que d’alimenter chez lui un exposé systématique,
l’amène à cristalliser des noyaux thématiques autour de coordonnées scripturaires qui
reviennent assez régulièrement. Par ailleurs, ses procédés interprétatifs vis-à-vis du texte
inspiré sont loin d’être uniformes. S’il est vrai que dans le “Traité d’herméneutique biblique”

124
CC Prol. 1.
125
CC Prol. 6.
126
PERRONE 2005b.

29
(Prin IV,1-2) il plaide pour une interprétation du texte à trois niveaux de signification, cela
signale avant tout son effort pour relier les Écritures, en tant que Parole de Dieu, à l’homme
vu dans la totalité du composé anthropologique. En ce sens, ayant égard à la tripartition
“corps, âme et esprit”, il parle de trois sens: a) somatique ou littéral, b) psychique ou moral, c)
pneumatique ou anagogique. Il veut par là souligner surtout le fait que le message divin confié
aux Écritures vise l’être humain dans son intégralité, en s’adaptant à lui sous tous les aspects;
en même temps il souhaite susciter le dynamisme du progrès spirituel capable d’amener de
plus en plus les fidèles à comprendre les desseins cachés de Dieu. Il s’agit essentiellement
d’atteindre une interprétation plus profonde du texte biblique, qui soit pleinement conforme à
la dignité de Dieu, en allant, pour ainsi dire, à rebours de la condescendance par laquelle il se
donne à connaître à l’homme avec ses faiblesses. Loin d’être schématique, Origène n’a pas
recours ailleurs au modèle des trois sens de l’Écriture qu’il développe dans le Traité des
Principes, mais s’astreint de préférence à adjoindre au sens littéral un sens supérieur, qu’il
désigne plutôt comme “anagogique” ou “tropologique”, se méfiant du terme “allégorique” à
cause de son association avec l’allégorie païenne des mythes127.
L’importance toute particulière que prend l’Écriture pour la pensée d’Origène invite à
situer l’apport de la philosophie à son élaboration dans les limites qui lui sont propres. En fait,
elle ne peut que jouer un rôle subordonné et complémentaire, à la limite ancillaire, par rapport
au discours de la théologie. L’Alexandrin expose ce point de vue à propos du personnage
d’Abimélech, en commentant l’épisode de Gn. 20 dans la XIVe Homélie sur la Genèse. Car il
regarde le roitelet philistin aux prises avec Isaac, type du Christ, comme la figure des savants
de ce monde. Or, ceux-ci font profession d’une science qui ne s’accorde que partiellement
avec les vérités de la révélation, tantôt concordant et tantôt contrastant avec elles.

Cet Abimélech, à ce que je vois, n’est pas toujours en paix avec Isaac: tantôt il est en désaccord, tantôt il
demande la paix... Abimélech tient ici le rôle des savants et des sages du siècle, qui, par leur érudition
philosophique, ont compris une bonne part de la vérité: vous pouvez donc comprendre qu’il ne peut être
toujours en désaccord, ni toujours en paix, avec Isaac, figure du Verbe de Dieu tel qu’il est dans la loi. Car la
philosophie n’est pas entièrement opposée à la loi de Dieu, ni entièrement d’accord avec elle. Bien des
philosophes professent l’existence d’un Dieu unique qui a tout créé: en cela ils pensent comme la loi de Dieu.
Quelques-uns même ont ajouté que c’est par son Verbe que Dieu a créé l’univers et le régit, qu’il y a un
Verbe de Dieu qui gouverne tout. Sur ce point ils s’accordent non seulement avec la loi, mais avec les

127
DE LUBAC 1950; SIMONETTI 1985 et 2004.

30
évangiles. Sur la morale et la physique la philosophie pense à peu près comme nous. Elle s’éloigne de nous
lorsqu’elle déclare la matière coéternelle à Dieu; lorsqu’elle refuse d’admettre que Dieu s’occupe des mortels
et qu’elle limite sa Providence aux espaces supralunaires; lorsqu’elle fait dépendre les destinées des nouveau-
nés du cours des astres; lorsqu’elle dit que ce monde durera à jamais sans connaître de fin. Et il y a encore
bien d’autres points de rencontre et de désaccord128.

À première vue, ces propos peuvent paraître plus ouverts, sinon conciliants, envers la
philosophie, mais à vrai dire ses rapports avec la foi chrétienne restent de nature
problématique. Auparavant, dans la VIe Homélie sur la Genèse, Origène avait en effet justifié
ainsi le fait qu’Abimélech ne peut s’approcher de Sarah, figure de la vertu: la sagesse du
monde, si elle n’adhère pas au Christ, est condamnée à être stérile. Ces réserves deviennent
encore plus directes dans la Lettre à Grégoire, un jeune homme sur le point de partir en
Égypte pour des études de philosophie. L’Alexandrin ne lui cache pas ses craintes à ce
propos, surtout parce que la connaissance de la philosophie aboutit souvent à l’hérésie. Il
l’exhorte par conséquent à se comporter comme les fils d’Israël avec les dépouilles des
Égyptiens (Ex. 11,2; 12,35), c’est-à-dire à emporter de la philosophie grecque tout ce qui peut
servir de propédeutique à la doctrine du Christianisme. D’après ce modèle (dont nous avons
observé les traces dans le Remerciement à Origène), la relation entre la philosophie et la
théologie, en tant qu’interprétation de l’Écriture, ressemble à celle qu’entretiennent les
disciplines du cursus scolaire, y compris la géométrie et l’astronomie, par rapport à la
philosophie: vis-à-vis de celle-ci, ce sont de savoirs préparatoires et subordonnés. Cela dit,
l’Alexandrin avoue ouvertement qu’il s’agit en tout cas d’une tâche très difficile et
dangereuse. Par contre, il invite le jeune homme qu’il traite comme un fils à se consacrer
entièrement à l’étude de la Parole de Dieu.

Toi donc, mon seigneur et fils, applique-toi principalement à la lecture des divines Écritures: applique-toi
bien à cela. Car nous avons besoin de beaucoup d’application lorsque nous lisons les livres divins, de peur de
prononcer quelque parole ou d’avoir quelque pensée trop téméraire à leur sujet. En t’appliquant à les lire avec
l’intention de croire et de plaire à Dieu, frappe, dans ta lecture, à la porte de ce qui est fermé, et il t’ouvrira, le
portier dont Jésus a dit: “À celui-là le portier ouvre” (Jn. 10,3). En t’appliquant à cette divine lecture, cherche
avec droiture et avec une confiance inébranlable en Dieu le sens des divins Écrits, caché au grand nombre.

128
HGn XIV,3; CROUZEL 1962, p. 19-20.

31
Ne te contente pas de frapper et de chercher, car il est absolument nécessaire de prier pour comprendre les
choses divines129.

Ce document, qui a l’air d’être une sorte de “testament spirituel” dicté, à ce qu’en dit
l’auteur, par des sentiments d’“amour paternel”, nous permet d’entrevoir aussi deux aspects
qui sont constitutifs pour la pensée d’Origène: la théologie comme étude des Écritures exige
une attitude constante de recherche; à son tour, celle-ci doit s’accompagner d’une disposition
spirituelle conforme. Par conséquent, si la théologie origénienne est “recherche”, elle ne peut
que briser toute rigidité d’un “système”. Car l’Alexandrin, quoiqu’il essaie de saisir
fidèlement la vérité des Écritures, est bien conscient de l’interprétation partielle qu’il arrive à
donner du mystère insondable de Dieu, d’autant plus que les paroles du texte inspiré lui-
même sont incapables de le manifester pleinement130. Pour cette raison, il avance souvent par
hypothèses, en distinguant entre ce qui peut être dit “à titre de doctrine” (dogmatikôs), et ce
qui est dit “à titre d’exercice” (gymnastikôs) ou hypothèse. En ce sens, il serait erroné de tenir
Origène pour un penseur systématique131. Déjà Pamphile s’efforçait de le démontrer dans son
Apologie contre les adversaire de l’Alexandrin, de même qu’il soulignait la dimension
intimement religieuse de cette attitude “heuristique” marquée par la crainte de Dieu et
l’humilité du chercheur132.

2. Un Dieu juste et bon:


l’horizon de la paternité divine

Le premier noyau doctrinal qui structure organiquement la pensée d’Origène porte sur
l’idée de Dieu. Sa conception se dessine, comme partout chez lui, à partir des données
scripturaires, mais doit aussi tenir compte de perspectives différentes. D’une part, elle
emprunte des notions sur l’être suprême à la philosophie contemporaine sous la forme du
Moyen Platonisme, l’école philosophique la plus proche de l’Alexandrin, sans réussir
toutefois à éviter les tensions avec l’optique biblique de l’histoire du salut. D’autre part,
Origène réfléchit sur Dieu sous l’urgence de plusieurs fronts polémiques. Il y a d’abord, la
“foi des simples” qui, à cause de leur compréhension littérale de la Bible, risquent parfois de

129
EpGr 4 (p. 193-195); PERRONE 2014b, p. 325-326.
130
Prin IV,3,14; CIo VI,36,343; XIII,5,29-30; VON BALTHASAR 1957.
131
CROUZEL 1959.
132
Pamphile, Apol.; JUNOD 1993.

32
se représenter Dieu de façon très primitive, en donnant de lui l’image d’un être injuste et
cruel. En outre, toujours à l’intérieur de la communauté ecclésiale, il ne manque pas d’autres
conceptions erronées sur Dieu, comme c’est le cas de ceux qui lui attribuent la corporéité (à
l’instar de Méliton de Sardes)133 ou s’en font une idée monothéiste tellement rigide qu’elle
exclut la foi trinitaire (comme l’évêque Bérylle de Bostra)134. À l’extérieur de l’Église,
Origène engage son combat pour la vraie doctrine de Dieu contre des adversaires hétérodoxes
multiples et insidieux. Ce sont les Gnostiques de Valentin et Basilide ainsi que les
Marcionites. Ce groupe hétérogène, qu’il tend à amalgamer par commodité polémique,
partage à ses yeux des idées incompatibles avec l’enseignement orthodoxe sur Dieu, comme
la distinction entre un Dieu suprême et le Créateur ou l’opposition antithétique entre le Dieu
de l’Ancien Testament et le Père de Jésus-Christ135.
L’idée fondamentale de la doctrine origénienne de Dieu consiste à reconnaître en même
temps sa transcendance et sa bonté, qui se résume dans la notion biblique et chrétienne de
Père. Cela implique l’existence d’un être suprême doué d’une existence spirituelle, tout à fait
dépourvue de corporéité, à la différences des créatures qui y participent à des degrés
différents, la notion d’incorporéité étant exprimée dans le langage biblique par le mot
“invisible” (aoratos)136. Notre connaissance de Dieu ne parvient pas à saisir son essence
inaccessible, ce qu’Origène formule occasionnellement à l’aide d’expressions propres à une
théologie négative d’origine philosophique137. Il applique par ailleurs positivement à Dieu le
Père le concept de “monade” ou “hénade” (monas ou henas), en affirmant son unité et
simplicité absolue par distinction avec le Fils qui est multiple138. En théorie, l’homme est
capable d’arriver à reconnaître l’existence du “Père de l’univers” à partir de la création et de
l’œuvre de sa providence, conformément à l’approche évoquée par Rom. 1,20 ainsi que par la
tradition stoïcienne 139 . Cependant, la voie privilégiée pour atteindre Dieu, dépassant la
faiblesse congénitale aux créatures, est celle qui se donne par la grâce divine et sous la
conduite du Verbe. C’est lui qui nous permet de pénétrer dans le mystère caché de Dieu140.
Dans la Ie Homélie sur le Psaume 80, au moment de commenter le v. 3 (“Entonnez un

133
FrGn (p. 158-159).
134
Eusèbe, H.E. VI,23,1-3.
135
SIMONETTI 2000.
136
Prin Préf. 8-9.
137
Prin I,1,4; IV,4,1; CC VI,16.62.
138
Prin I,1,6; CIo I,20,119; HGn III,2.
139
Prin I,1,6; CC I,23; III,77; IV,14; VI,4; Prin I,1,6; H77Ps II,7.
140
CC VII,44.

33
psaume, frappez le tympan, la douce harpe ainsi que la lyre!”), Origène résume les modalités
du discours sur Dieu qu’est la théologie, en montrant également les présupposés et les
conséquences spirituelles que ce discours implique.

Quand la grâce de Dieu me donne de parler de Dieu (theologein), afin que, à partir de ce discours sur Dieu
(theologia), je puisse comprendre Dieu, le connaître, élever son nom et le magnifier, elle me donne “un
psaume”. Révéler le Père et ‘entonner un psaume’ au sujet de notre Dieu sont un don du Christ – qui a dit:
“Nul ne connaît le Père, si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler” (Mt. 11,27). Et si
quelqu’un a connu le Père s’arrêtant conformément aux paroles “Arrêtez, connaissez que moi je suis Dieu”
(Ps. 45,11a), il a connu Dieu, il a reçu le “psaume”. Mais si tu reçois un “psaume”, rends toi aussi ce qu’on
demande de toi. Tu es constitué de trois éléments – esprit, âme et corps – et le Logos te demande une
sanctification intégrale, afin que tu sois sanctifié totalement dans l’esprit, dans l’âme et dans le corps, selon
ce que dit l’apôtre dans la Lettre aux Thessaloniciens (1 Th. 5,23)141.

L’Alexandrin joint encore l’approche apophatique à la perspective de la révélation


scripturaire et de l’histoire du salut dans son exégèse de la vision d’Isaïe (Is. 6,2). Les deux
séraphins, qui voilent le visage et les pieds de Dieu signifient pour lui que nous ne sommes
pas en état d’appréhender ni les débuts ni la fin de ses desseins (oikonomiai) envers les
hommes, mais nous pouvons comprendre seulement ce qui se passe historiquement au sein de
l’économie salvifique. Le principe et la fin en Dieu restent donc cachés pour nous, en dépit
des hypothèses qu’Origène avance respectivement à propos de la préexistence des âmes (ou
“intellects”) et de la restauration finale (“apocatastase”) de tous les êtres rationnels, ce qui
prouve à nouveau son absence de systématisation142. Des tensions semblables affleurent aussi
au moment où il tente de réfléchir ex mente Dei, en se plaçant dans l’optique de la pensée
divine elle-même, comme il aime le faire fréquemment par le moyen de la prosopopée. Il
arrive alors à déclarer que même Dieu n’est pas impassible, allant à l’encontre de la
conception métaphysique de la philosophie, car son initiative rédemptrice est foncièrement à
reconduire à sa passion d’amour envers les créatures. Comme le dit la IXe Homélie sur le
Psaume 77, “si le Dieu de l’univers et Père ne compatissait pas à la nature créée, la génération
des hommes et la substance des autres êtres raisonnables n’en tirerait aucun avantage”143.
Cette image d’un Dieu compatissant est associée dans la VIe Homélie sur Ézéchiel à celle du

141
H80Ps I,4 (p. 485-486). Voir aussi CIo I,38,277; CC VI,17; PERRONE 2017a.
142
H76Ps IV,5; HIs I,2; IV,1.
143
H77Ps IX,1 (p. 467).

34
Christ et de ses souffrances sur la croix. Le Fils participe ainsi du même mouvement de
compassion que le Père, ce que l’Alexandrin explique par l’analogie avec les sentiments de
l’homme miséricordieux face à son prochain dans le besoin.

Quand je m’adresse à un homme et, pour quelque chose l’implore d’avoir pitié de moi, s’il est sans
miséricorde, il ne souffre rien du fait de ce que je dis; mais s’il est d’une âme sensible, s’il n’a rien d’un cœur
sévère et endurci, il m’écoute, il a pitié de moi, ses entrailles s’émeuvent à mes prières. Comprends quelque
chose de pareil au sujet du Sauveur. Il descendit sur terre par pitié du genre humain, il a patiemment éprouvé
nos passions avant de souffrir la croix et de daigner prendre notre chair; car s’il n’avait pas souffert, il ne
serait pas venu partager la vie humaine. D’abord il a souffert, puis il est descendu et s’est manifesté. Quelle
est donc cette passion qu’il a soufferte pour nous? La passion de la charité. E le Père lui-même, Dieu de
l’univers, “plein d’indulgence, de miséricorde” (Ps. 102,8) et de pitié, n’est-il pas vrai qu’il souffre en
quelque manière? Ou bien ignores-tu que, lorsqu’il s’occupe des affaires humaines, il éprouve une passion
humaine? Car “il a pris sur lui tes manières d’être, le Seigneur ton Dieu, comme un homme prend sur lui son
fils” (Dt. 1,31). Dieu prend donc sur lui nos manières d’être, comme le Fils de Dieu prend nos passions. Le
Père lui-même n’est pas impassible. Si on le prie, il a pitié, il compatit, il éprouve une passion de charité, et il
se met dans une condition incompatible avec la grandeur de sa nature et pour nous prend sur lui les passions
humaines144.

Ce Dieu aux entrailles de miséricorde est, en tant que Père plein de bonté, à l’origine de la
création, de même qu’il est le moteur du processus de rédemption, s’associant étroitement dès
le principe le Fils, uni sans cesse à lui en raison de sa génération éternelle. Il est comme tel un
Dieu juste et bon, sans qu’il y ait aucune contradiction entre ces deux attributs divins. Tout au
long de ses écrits Origène n’arrête pas de contester les thèses de ses adversaires gnostiques et
marcionites qui opposent le Dieu juste de l’Ancien Testament au Dieu bon du Nouveau
Testament. En plus de l’effort pour montrer comme le deuxième Testament se réfère au
premier et contient lui aussi des aspects semblables, l’Alexandrin essaie constamment de
mettre en lumière tous les aspects de la bonté du Père à partir de l’économie
vétérotestamentaire. Dieu, étant par nature prescient et provident, agit envers les hommes à la
manière d’un bon économe qui administre les affaires de ses créatures en vue de leur assurer
la communion avec lui, sans entraver aucunement leur liberté145. Ses intentions sont toujours
inspirées par l’“amour des hommes” (philanthrôpia), même lorsqu’il les punit et les châtie à
cause de leur conduite. Il fait cela en bon pédagogue, soucieux de corriger les fautes et

144
HEz VI,6 (p. 229-231). Voir également CMt X,23; XIII,2.
145
Prin III,1,14; KOCH 1932.

35
d’améliorer ses élèves146, ou à la manière d’un médecin qui soigne ses malades sans céder à
leurs requêtes de thérapies faciles147. L’histoire biblique, aux yeux d’Origène, est le récit
ininterrompu de cet amour de Dieu, qui même devant les infidélités de son peuple, ne
l’abandonne jamais à son destin. L’Alexandrin s’est donné beaucoup de peine pour le
montrer, entre autres, dans l’épisode de l’endurcissement du cœur du Pharaon (Ex 4,21). En
réalité, l’endurcissement relève du libre arbitre du Pharaon qui ne répond pas positivement à
l’action de la grâce divine; cependant, par sa mort, le Pharaon transforme le châtiment en
occasion de salut, s’acquittant ainsi de toutes ses fautes148. Comme l’exprime le magnifique
prologue de la VIe Homélie sur le Psaume 77, Dieu fait preuve jusqu’à présent de sa patience
miséricordieuse, nonobstant nos péchés qui mériteraient sa colère. Même si cette miséricorde
aura son terme avec la destruction du monde présent, cette dernière n’arrivera qu’en vue de
réaliser le royaume de Dieu dans la plénitude de sa bonté149.
Origène établit la dynamique fondamentale qui gouverne l’agir du Père envers les hommes
à la lumière de plusieurs lieux scripturaires, dont Dt. 32,39 (“C’est moi qui fais mourir et qui
fait vivre...”), qui se charge d’une valeur paradigmatique, comme l’atteste la Ie Homélie sur
Jérémie avec beaucoup d’autres passages150: les paroles de mort et de destruction dans la
Bible ne sont jamais le dernier mot de la part de Dieu, mais constituent toujours le prélude de
leur renversement dialectique. En adoptant un argument de la conception stoïcienne de la
providence, l’Alexandrin insiste sur le fait qu’après avoir accepté la foi dans la providence
divine, nous sommes tenus d’admettre qu’elle est en œuvre, même là où nous ne l’apercevons
pas151. On pourrait taxer cette conception de “justificationnisme” à outrance à l’égard de Dieu.
Cependant, Origène n’ignore pas du tout les interrogations de Job, d’autant plus qu’il apprécie
la “franchise” (parrhêsia) des fils, don de l’Esprit, dans leur relation avec le Père, au point
d’envisager qu’ils puissent eux-mêmes “commander” à Dieu, pourvu qu’ils suivent ses
commandements152. D’ailleurs, ce Dieu qui aime la liberté des hommes se soumet lui aussi à
leur jugement: non seulement le Fils, mais le Père lui-même sera jugé avec nous, comme
l’affirme hardiment, par exemple, la Ie Homélie sur le Psaume 67 à propos de Ps. 50,6 LXX
(“afin que tu sois justifié dans tes discours et puisses vaincre au moment où tu seras jugé”).

146
HIer VI,2.
147
CMt XV,11; CC II,24; HEz I,2; FERNÁNDEZ 1999.
148
Phil 27; HARL 1967.
149
H77Ps VI,1 (p. 420-425).
150
HIer I,16; H77Ps VII,7; CRm VI,5; CC II,24.
151
Prin IV,1,7.
152
H67Ps I,2.

36
Dans un fragment des Homélies sur Job, Origène n’hésite pas à suggérer les accusations dans
ce procès éventuel, à condition qu’on puisse s’imaginer n’avoir pas reçu de la part de Dieu le
traitement providentiel qu’on aurait mérité153.

3. Le Fils en communion avec le Père:


de la Sagesse éternelle au Verbe fait homme

La doctrine d’Origène sur Dieu nous a déjà permis d’entrevoir la présence du Fils à côté du
Père. La communion qui relie l’un à l’autre se déploie dans l’horizon de la création aussi bien
que de la rédemption, sans exclure l’Esprit-Saint de ce rapport privilégié à deux. Le Père,
source d’être et de bien, étant continuellement actif, donne naissance au Fils par une
génération éternelle de nature spirituelle154. Le Fils, grâce à son union intime avec le Père,
participe de sa divinité, au titre de “deuxième Dieu”, et se pose en ministre de la divinisation
pour toutes les créatures155. Ainsi l’Alexandrin, tout en préservant sans faille la distinction
hypostatique du Fils vis-à-vis du Père, n’échappe pas à la perspective subordinatienne que
nombre de théologiens partagent jusqu’au milieu du IVe siècle156. Cependant, il faut avouer
que les éléments hiérarchiques impliqués par cette christologie s’avèrent tempérés par le
dynamisme que déploie intimement la vie de communion entre le Fils et le Père. Si le Fils
dépend du Père comme la “nourriture” et la “boisson” qui lui assurent la vie, celles-ci
consistent dans la contemplation du Père, source de joie pour le Fils et réciproquement pour le
Père qui se réjouit à son tour de lui157. Du reste, il convient de tenir compte du contexte au
sein duquel Origène a développé ses idées. La tradition platonicienne sur le Démiurge
créateur a sans doute contribué à nourrir sa réflexion sur le Verbe, car l’Alexandrin admet que
la philosophie peut arriver à se faire une certaine idée du Fils158. Mais pour préciser son statut
ontologique il s’appuie surtout sur la notion biblique de la Sagesse (Prv. 8,22-25 et Sag. 7,25-

153
FrIob 22,4 (II,373).
154
Prin I,2,2.4.9.
155
CIo II,2.
156
CIo XIII,25,151-153.
157
CIo II,2,18; H15Ps I,9; II,10.
158
Prin I,2,2.

37
26) ainsi que sur les passages néotestamentaires de Col. 1,15 (“premier-né de toutes les
créatures et image du Dieu invisible”) et Hb. 1,3 (le Fils “empreinte de la substance” du Père).
D’autre part, l’événement de l’Incarnation du Verbe a poussé Origène à approfondir le
mystère du Dieu fait homme, jusqu’à la mort sur la croix et la résurrection, en repoussant
toute forme d’adoptianisme ou de docétisme.
Par rapport au “Père-unité”, le Fils est “multiple” en tant que Sagesse du monde, la
première des “dénominations” (epinoiai) qui reflètent les différents aspects de son être de
même que la diversité des relations qu’il entretient avec les créatures. La Sagesse est
l’équivalent du “monde des idées”, puisqu’elle recèle les archétypes et les principes de tous
les êtres créés mais, à la différence de la conception platonicienne, elle est subsistante159. On
pourrait dire que la Sagesse constitue, à titre primordial et récapitulatif, la manifestation
initiale de cette condescendance qui, dans le sillon du Père, caractérise toute l’action du Fils
envers les créatures. À l’égard de celles-ci, le Fils se donne en premier lieu comme “Logos”,
son titre par excellence en tant qu’il agit comme Parole de Dieu créatrice, révélatrice et
rédemptrice160. C’est le Verbe qui communique les mystères cachés en Dieu, tandis qu’à
travers ses autres dénominations scripturaires, en particulier les titres qu’il s’attribue lui-
même, il se manifeste également comme Vérité, Vie, Voie, Résurrection, sans oublier par
ailleurs la longue série de noms qu’Origène réunit dans le Ier Livre du Commentaire sur Jean
à partir des évangiles, des prophètes et des écrits apostoliques161. À travers ces facettes
multiples, le Fils, désigné aussi comme Christ, Seigneur et Sauveur, déploie son œuvre
salvifique se rapportant aux créatures à mesure de leur condition spirituelle et de leurs
nécessités, sans en exclure aucun. Par conséquent, l’image que nous nous faisons du Christ
dépend pour chacun de l’état particulier où il se trouve. C’est grâce au progrès spirituel que
nous devenons capables de purifier et d’enrichir notre image jusqu’à découvrir pleinement en
lui celle du Père162. Comme le montre un passage du Traité des Principes, étant donné que le
Père est invisible, le Fils de Dieu se rend petit, à la portée des hommes, pour qu’ils
parviennent à le connaître, comme si c’était le modèle par rapport à une statue immense163.
Le doctrine origénienne du Christ s’articule à partir de cette perspective sotériologique de
la condescendance divine, l’action du Verbe ayant par ailleurs un relief universel du point de

159
Prin I,2,2; FÉDOU 1994, 271-310.
160
CROUZEL 1956; PAZZINI 1983.
161
CIo I,21,126-148. Plusieurs de ces noms reviennent partout. Voir, par ex., H36Ps I,4; II,4; H67Ps II,8.
162
CMt XI,17; XII,36.39; CC IV,16.
163
Prin I,2,8.

38
vue cosmique et anthropologique, du fait que toutes les créatures participent de la présence du
Logos: si le Père leur donne l’être, le Fils à son tour leur donne la raison164. À la suite de la
chute des intellects créés, d’après l’hypothèse de leur préexistence grâce à une première
création concernant uniquement les natures intellectuelles selon le récit de Gn. 1,26165, le Fils
s’engage, d’entente avec le Père, dans le procès de la rédemption. Le Logos-Sagesse, étant
d’abord l’artisan du monde par une deuxième création, conformément à l’homme façonné de
Gn. 2,7, se manifeste ensuite comme Parole de Dieu au cours de l’histoire, inspirant les
prophètes en tant que témoins de la révélation divine, jusqu’à s’incarner dans un homme
constitué d’esprit, d’âme et de corps 166 . Se remémorant Phil. 2,6-11, Origène regarde
l’incarnation comme une kénose du Fils à la portée cosmique: selon la IIe Homélie sur le
Psaume 15, le Verbe s’abaisse dans sa “descente” (katabasis) sur la terre, par un procès de
transformation et d’adaptation progressives, en fonction duquel il se rend semblable à chaque
ordre des créatures, se faisant par là ange avec les anges avant de devenir homme avec les
hommes167.

Si en descendant il est descendu aussi auprès des anges (car il venait du plus haut des cieux), peut-être s’est-il
transformé à chaque endroit. Comme dans la vie ici il se transfigura en présence de ceux qui étaient montés
avec lui sur la montagne et il se manifesta plus glorieux, il en fut de même en descendant du Père. Étant
donné que “le Verbe était au commencement, le Verbe était auprès de Dieu et le Verbe était Dieu” (Jn. 1,1),
en descendant du Père il ne resta pas tel qu’il était auparavant, “au commencement auprès de Dieu” (Jn. 1,2).
Car les êtres inférieurs ne pouvaient pas l’embrasser. Cependant, de même qu’il est devenu homme pour moi,
pour d’autres il est devenu ange et pour d’autres encore il est devenu trône, domination, principat, puissance.
Le Seigneur devient pour chacun ce que chacun est capable d’embrasser168.

Quelles que soient précisément la nature et les conséquences de ces “métamorphoses” du


Christ préconisées par Origène, il insiste sur l’intégralité de l’homme incarné, en
reconnaissant que nous avons à faire à un être “composé” (synthetos)169. Car pour réaliser le
salut de l’homme tout entier, l’Incarné est constitué pareillement d’esprit, d’âme et de
corps170. L’Alexandrin s’oppose, entre autres, à ceux qui soutiennent l’idée d’un “corps

164
Prin I,3,6; CC V,24.
165
HGn I,1 l’appuie aussi sur Gn. 1,1 et Jn. 1,1-3.
166
HARL 1958.
167
H15Ps II,8; H76Ps II,2.
168
H15Ps II,8 (p. 109). Voir aussi H15Ps I,4.
169
H15Ps I,3; II,8; CC I,66; II,9; Dial 6.
170
Dial 7.

39
pneumatique”, tandis qu’il s’efforce de considérer le rôle que joue chacun des éléments dans
ce composé. L’âme du Christ y occupe la place médiane et se dévoile comme l’aspect central
de l’humanité du Sauveur dans son Incarnation171. En effet, le Verbe a besoin de l’âme pour
s’unir à la chair. Or, cette âme, dès son existence antémondaine, est restée en communion
avec le Verbe-Sagesse devenant un seul esprit avec lui, selon l’interprétation spirituelle du
couple nuptial de Mt. 19,5-6 associée au rappel de 1 Cor. 6,17172. Comme telle, l’union intime
de l’âme avec le Verbe offre le modèle de tout processus de déification, bien que la condition
divinisée tout à fait unique du Christ ne soit pas comparable à celle des prophètes, des apôtres
ou des saints. Car l’ardeur de l’amour qui unit l’âme au Verbe l’amène à dépasser la faculté
du libre arbitre avec son choix potentiel du bien ou du mal, si bien que la volonté bonne
devient en elle comme une seconde nature173.
Au moment de la mort sur la croix, vécue jusqu’au bout par Jésus en communion orante
avec le Père174, l’âme du Christ se sépare du corps et descend aux Enfers, le lieu où demeurent
les âmes des défunts, pour annoncer le salut aux patriarches et à tous les justes de l’ancienne
économie, tandis qu’il consigne l’esprit au Père 175 . Spécialement dans son exégèse de
l’épisode de la magicienne d’Endor (1 Sam. 28), Origène a soutenu la nécessité sotériologique
de cette descente aux Enfers, afin de reconnaître la valeur universelle du salut apporté par le
Christ dans chaque région du monde. Son interprétation littérale du récit biblique lui attirera
la vive critique d’Eustathe d’Antioche au début du IVe siècle 176 . Au moment de la
résurrection, le Christ monte vers les cieux avec son corps glorifié, ce qu’aucun des hommes
n’a jamais expérimenté, comme l’Alexandrin l’énonce dans la IIe Homélie sur le Psaume 15
en soulignant l’unicité du Christ par rapport à Énoch et Élie177. Mais le corps du Ressuscité
n’est pas transformé au point qu’on ne discerne plus en lui les traces de la passion. Au
contraire de la christologie docète, il montre encore ses blessures. Les anges qui l’accueillent
en sont les témoins selon l’exégèse qu’Origène donne de l’“anabase” triomphale du
Ressuscité à la lumière d’Is. 63,1-7178.

171
Prin II,6,2.
172
Prin II,6,3.
173
Prin II,6,6.
174
CMtS 138-140; PERRONE 2010.
175
Dial 7.
176
H1Rg V.
177
H15Ps II,8.
178
CIo VI,56,288-289; CMt XVI,19; HIud VII,2; H15Ps II,8.

40
4. L’Esprit saint dans l’économie du salut:
l’œuvre de la sanctification

À l’encontre des doctrines sur Dieu Père et le Fils, pour sa pneumatologie l’Alexandrin fait
appel uniquement aux témoignages des Écritures et de la prédication ecclésiastique179. Or, il
constate que la règle de foi associe l’Esprit saint au Père et au Verbe, sans toutefois éclairer
son rapport avec les deux autres personnes de la Trinité: est-il ou non lui aussi engendré à
l’instar du Fils180? D’autre part, il est hors de doute que ce même Esprit inspire aussi bien les
prophètes que les apôtres, c’est-à-dire qu’il anime la révélation de l’Ancienne comme de la
Nouvelle Alliance, de même qu’il est, pour l’une et l’autre, la source de sainteté, déployant
pleinement ses charismes dans l’Église. Sous ce second aspect, les réflexions d’Origène sur
l’Esprit attestent également ses préoccupations antignostiques et antimarcionites, auxquelles il
joint aussi la polémique contre les montanistes avec leur prophétisme millénariste et leur
doctrine du “Paraclet”. En outre, il tient compte de la place de l’Esprit dans la lex orandi, qui
prescrit de baptiser “au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit”.
En tout cas, revenant à la question qui concerne le statut de l’Esprit saint par rapport au
Fils, il est évident que, dans sa pensée, la pneumatologie doit compter avec la christologie.
Plus qu’il n’arrive avec celle-ci, la pneumatologie nous apparaît comme un champ de tensions
non résolues. En témoigne, entre autres, la reprise d’une exégèse d’origine judéo-chrétienne à
propos de la vision d’Isaïe (Is. 1,3), selon laquelle les deux séraphins seraient le Fils et
l’Esprit, ce qui a suggéré l’idée d’une christologie ou pneumatologie “angéliques”181. À
l’inverse de cette juxtaposition à première vue égalitaire entre le Fils et l’Esprit, on a dû
parfois défendre l’Alexandrin de l’accusation de professer en substance un binitarisme182. Par
ailleurs, on retrouve encore chez lui des passages où l’association de l’Esprit saint avec le
Père et le Fils prend une couleur plus ouvertement “trinitaire” (et pas seulement dans les
traductions de Rufin)183.
À vrai dire, Origène se montre bien conscient des difficultés que l’on rencontre en voulant
développer une théologie organique de l’Esprit saint, même eu égard au témoignage

179
Prin I,3.
180
Prin, Praef. 4.
181
HIs I,2.
182
MARKSCHIES 2005.
183
Par ex. CRm IV,9,15; H36Ps IV,1; H67Ps II,1; H73Ps III,2.

41
scripturaire si riche le concernant184. C’est pourquoi il recourt souvent à des exposés de type
problématique, comme le prouve un passage du IIe Livre du Commentaire sur Jean. Il y
reconnaît la distinction des trois personnes (hypostaseis) trinitaires, en essayant en même
temps de les relier entre elles. Or, si le Père est inengendré et le Fils engendré, l’Esprit est le
premier des êtres qui dérivent du Père par la médiation du Fils. L’Esprit occupe par
conséquent une place subordonnée par rapport au Père et au Fils, d’autant plus que le domaine
de son activité se révèle plus réduit et spécialisé par rapport aux leurs, car il œuvre en vue de
la sanctification de ceux qui, grâce à lui, deviennent saints185. Ici l’Alexandrin est soucieux de
consolider l’idée que l’Esprit saint est doté d’une “substance” (ousia) distincte, c’est-à-dire
qu’il a sa propre consistance hypostatique, de même qu’il la possède grâce au Père et au Fils.
Cela dit, la mission de l’Esprit déploie son activité charismatique envers les créatures au sein
d’un horizon tout à fait trinitaire186. À ce propos, Origène se demande si l’Esprit n’aurait pu
s’incarner à la place du Christ, mais il répond que la tâche de la sanctification ne peut
s’exercer qu’après la libération du péché, celle-ci étant assurée d’abord par l’action
rédemptrice du Christ187. Il revient pareillement à l’Esprit d’intercéder pour les saints et d’agir
pour eux en pédagogue de la prière, selon l’interprétation que l’Alexandrin propose sur Rom.
8,26-27188.
Ainsi Origène, au lieu de souligner la “créaturalité” de l’Esprit, lorsqu’il explique la
signification du terme “Paraclet” insiste plutôt sur sa divinité et sur le mystère dont il est
porteur en vertu de son dialogue intradivin189. C’est lui, en effet, qui assure le “raccord” de
l’homme avec le monde divin, l’introduisant dans la connaissance du mystère transcendant de
Dieu, à partir de l’interprétation des Écritures inspirées. Car seulement celui qui participe de
l’Esprit saint est en mesure de parvenir à l’intelligence des textes dictés par ce même Esprit190.
Si les charismes proviennent de l’œuvre de l’Esprit au bénéfice des “saints”, la sainteté
assurée par son intervention aboutit finalement à la déification. Ce processus, comme le
soutient l’Homélie sur le Psaume 81, n’est pas restreint aux composantes spirituelles de
l’homme – l’esprit et l’âme –, mais investit même le corps, dans le sillon du Christ

184
Prin II,7,1.
185
CIo II,10,74-75. Voir aussi H77Ps I,2.
186
RIUS-CAMPS 1970.
187
CIo II,11,83.
188
CRm VII,6.
189
Prin II,7,4.
190
Prin IV,2-3; H77Ps IV,5; DE LUBAC 1950.

42
ressuscité191. D’après un passage du Commentaire sur l’Épître aux Romains, la participation à
la nature divine découle de la source trinitaire de Dieu en tant que caritas: cet amour, à partir
de sa source primordiale dans le Père, se répand dans le Fils et le Saint-Esprit, qui à leur tour
sont tous les deux ‘amour’; grâce à eux, les “coeurs des saints parviennent à participer de la
nature divine”.

Car Paul lui-même fait mention de “l’Esprit de Charité” (2 Tm. 1,7), et il est dit que “Dieu est Charité” (1 Jn.
4,8) et le Christ est appelé: “Fils de la Charité” (Col. 1,13). Si l’on reconnaît un Esprit de Charité, un Fils de
Charité, et si Dieu est Charité, il est sûr que de l’unique Source de la Divinité paternelle sortent le Fils et
l’Esprit. De l’abondance de cette source est aussi répandue une abondance de charité dans les cœurs des
saints, pour les rendre participants de la nature divine, comme l’enseigne l’apôtre Pierre (cf. 2 P. 1,4). De la
sorte, par ce don de l’Esprit, s’accomplit cette parole du Seigneur: “Comme Toi, Père, en moi et Moi en Toi,
que ceux-ci soient un en nous” (Jn. 17,21), à savoir qu’ils deviennent participants de la nature divine, dans
une abondance de charité qui leur est donnée par l’Esprit saint192.

À vrai dire, la plupart des textes semblent surtout attribuer la déification à l’initiative du
Fils, qui d’après Jn. 14,23 vient avec le Père pour établir sa demeure chez les fidèles. En
même temps la réflexion sur ce processus évoque le motif de leur conformation au Christ,
modèle de toute vie chrétienne, y compris dans l’effort pour se conformer à son corps
glorieux (Phil. 3,21). Cependant, le Contre Celse, faisant appel à 2 Cor 6,16 – “Or, c’est nous
qui le sommes, le temple du Dieu vivant, ainsi que Dieu l’a dit: ‘J’habiterai au milieu d’eux et
j’y marcherai; je serai leur Dieu et ils seront mon peuple’ (Lv. 26,12)” –, y ajoute
l’intervention de l’Esprit du Christ et souligne l’acquisition de la condition de ‘temple’
spirituel moyennant l’‘imitation de Dieu’193.

5. Le monde et l’homme:
libre arbitre des créatures et providence divine

Chez l’Alexandrin, cosmologie et anthropologie sont étroitement liées et toutes les deux
renvoient à son discours sur Dieu Père et sur le Christ194. Du reste, elles répondent aux mêmes

191
H81Ps 1; PERRONE 2017b.
192
CRm IV,9,15 (p. 317).
193
CC VIII,18.
194
Prin IV,2,7.

43
urgences polémiques et apologétiques, puisque Gnostiques et Marcionites s’avèrent à
nouveau les adversaires visés par Origène. Or, sa conception du monde est marquée par une
conscience aiguë de la grande diversité de conditions qui affectent les êtres raisonnables. Si
ceux-ci, selon la classification paulinienne (1 Cor. 15,40-41 et Eph. 4,9), peuvent se ranger en
général selon les trois ordres hiérarchiquement connotés des anges, hommes et démons, sa
réflexion est attirée d’abord par la varieté des situations de vie parmi les hommes: riches et
pauvres, sains et malades, heureux et malheureux, etc. Comment rendre raison d’une telle
diversité qui nous paraît souvent injuste, lorsqu’on admet que le monde a été fait, selon le
plan d’un Dieu juste et bon, par le Christ, Sagesse et Justice? L’Alexandrin articule la réponse
avec l’aide des deux principes fondamentaux de sa pensée: d’une part, la ferme conviction de
la bonté et justice de Dieu et, d’autre part, la reconnaissance du libre arbitre des créatures
douées de raison. La grande diversité des sorts des hommes sur la terre doit alors pour lui être
rapportée aux différentes manières d’user de cette liberté dans l’existence antémondaine.
Selon cette hypothèse de la préexistence, les intellects (noes) créés à l’origine tous égaux et en
nombre fini, au lieu de perdurer dans la contemplation de Dieu, s’en sont éloignés plus ou
moins par “nausée” ou “froideur” à son égard. Par leur chute ils ont déterminé l’existence
distincte des hommes et des démons avec leur variété, tandis que les créatures angéliques ont
progressé devenant les ministres de la providence. Car Dieu, en bon économe de l’univers,
assigne à chacun la place qui correspond à sa conduite originaire, sans que cela mine le libre
arbitre de ses créatures et la possibilité d’opérer le bien pour l’âme qui se sert désormais d’un
corps195.
On peut parcourir les écrits nombreux d’Origène sans y trouver, au moins de façon
explicite, cette hypothèse concernant une existence antécédente des esprits, fruit de la
première création, qu’il énonce principalement dans le Traité des Principes (mais vers
laquelle il pointe allusivement à diverses reprises dans ses autres œuvres). D’ailleurs, il ne
manque pas de réserves, chez les critiques, sur sa signification structurelle pour la pensée de
l’Alexandrin ainsi que sur l’héritage platonicien dont elle relèverait196. Mais il ne subsiste
aucun doute à propos du noyau théologique qui régit sa conception de l’homme. Car celle-ci
repose en principe sur l’idée biblique de sa création “selon l’image et la ressemblance” de
Dieu (Gn. 1,26-27). Il s’agit par conséquent d’une anthropologie théocentrique, axée sur le

195
Prin II,9,3-8.
196
EDWARDS 2002.

44
rapport dynamique de l’homme à Dieu à travers le Christ: en effet, c’est grâce au Verbe en
tant qu’image de Dieu que les créatures rationnelles parviennent à participer de lui197. Toute la
création se retrouve alors dans un certain régime d’“iconicité”, qui reflète l’action créatrice
divine, de même que le monde partage en quelque sorte l’effort de l’homme pour réaliser la
“ressemblance” déposée en germe dans l’“image” 198. Une page du Commentaire sur le
Cantique éclaircit l’aspect “épiphanique” du monde d’après Rom. 1,20:

L’apôtre Paul nous enseigne que les réalités invisibles de Dieu sont comprises à partir des choses visibles, et
“les réalités qui ne se voient pas”, contemplées à partir de “la raison séminale” et de la ressemblance avec les
choses qui se voient (Rom. 1,20; 2 Cor 4,18). Il montre par là que ce monde visible instruit de l’invisible, et
que ces choses terrestres contiennent certaines “copies des réalités célestes” (Hébr. 9,23), afin que nous
puissions, de ces choses d’en-bas nous élever jusqu’aux réalités d’en-haut, et à partir de ce que nous voyons
sur la terre percevoir et comprendre ce qui est dans les cieux199.

Ce lien entre le monde et Dieu est encore plus constitutif pour l’homme “microcosme”.
Comme le montre la Ie Homélie sur la Genèse, où Origène explique le récit de la création, la
disposition du cosmos préfigure à tous les niveaux la vocation spirituelle de l’homme. Bien
que le péché parvienne à offusquer l’image de Dieu en lui, en superposant au-dessus d’elle les
images du péché, cette image divine reste, pour ainsi dire, un patrimoine inaliénable dont le
siège propre est l’“esprit” (pneuma). Même dans l’homme qui est opprimé par ses fautes, le
Logos agit en lui, à l’instar d’un feu qui purifie, suscitant le tourment intérieur pour sa
vocation trahie. En tout cas, l’existence de l’homme au milieu d’un univers qui n’est pas sa
“prison” mais plutôt son lieu d’épreuve et d’éducation, se situe sous le signe du combat
spirituel (agôn). Il s’agit fondamentalement de l’alternative entre devenir “fils de Dieu” ou à
l’inverse “fils de Satan”; pour le dire avec Paul, il faut revêtir l’“image du céleste” et déposer
“l’image du terrestre” (1 Cor. 15,49). On reproche habituellement à Origène son optimisme
sotériologique en raison de la doctrine d’un salut universel, mais on oublie trop souvent que la
conception de l’apocatastase ne supprime pas l’agonisme auquel l’homme est convié sur la
terre. Dans ce combat, l’âme, lieu propre du libre arbitre pour l’intellect uni au corps, est
appelée à suivre de plus en plus l’esprit, l’élément du composé humain qui accueille en lui
l’image de Dieu. Selon une exégèse allégorique de Gn. 1,27, l’âme est la “femelle” qui doit

197
CROUZEL 1956.
198
CRm VII,2; CIo I,26,177-178.
199
CCt III,13,9 (p. 629); RAHNER 1947.

45
s’unir à l’esprit “mâle”200. Cet itinéraire de progrès spirituel, pour celui qui a entrevu le
rayonnement de l’image divine dans le Christ, s’accomplit sous l’urgence d’une blessure
d’amour, par analogie avec l’épouse du Cantique (Ct. 2,5) 201 . Le but ultime de la
“ressemblance” poursuivie est finalement le dépassement de la condition terrestre
d’“homme”, pour revenir non seulement à la condition originaire d’“esprit”, mais grâce à
celui-ci aussi pour s’ouvrir pleinement à la communion avec Dieu, sans sacrifier – comme on
l’a vu précédemment – toute forme de corporéité (d’autant plus que celle-ci est apparemment
la marque qui distingue les créatures de Dieu)202.
Le discours d’Origène sur la fin du monde et son retour à Dieu trouve son appui
scripturaire dans le motif de l’assujettissement de toutes les créatures au Christ, qui à son tour
se soumet lui-même au Père (1 Cor. 15,24-28). Si cet assujettissement implique le salut pour
ceux qui se soumettent, assurant la réintégration à ceux qui s’étaient perdus, la soumission du
Christ au Père signifie la parfaite restauration de toute la création en Dieu203. D’après cette
interprétation, la défaite de la mort comme le “dernier ennemi” (1 Cor. 15,26), que
l’Alexandrin identifie avec Satan, ne comportera pas la destruction du diable, mais la
transformation de sa volonté mauvaise en volonté bonne, car l’Alexandrin repousse l’idée
gnostique de “nature fixes” bonnes ou mauvaises. Par conséquent, même le diable, grâce à
l’exercice du libre arbitre, pourra un jour parvenir au salut204. Cependant, Origène n’ignorait
pas les risques qui pouvaient dériver de sa thèse hardie, non seulement à cause d’un
automatisme implicite du salut universel qui porterait atteinte à la liberté des créatures, mais
aussi par le danger du laxisme moral de la part des fidèles les plus simples. Somme toute,
l’Alexandrin est confiant dans la conciliation ultime entre la volonté individuelle et l’adhésion
au Logos 205 . De cette façon l’apocatastase porte à son accomplissement la médiation
salvifique du Christ, en assurant sa victoire définitive sur ses ennemis. Anticipée par la croix
et la résurrection, l’apocatastase est censée conduire à la résurrection générale de tout
l’ensemble des créatures en tant que “corps mystique” du Christ, dont l’Église représente la
première configuration206.

200
HGn I,15.
201
CCt III,8.
202
CIo XX,29,266.
203
Prin III,5,7.
204
Prin III,6,5; HLv IX,11; HIos VIII,4.
205
CC VIII,72.
206
H36PsL II,1.

46
IV. L’origénisme:
les vicissitudes d’un héritage vivant

L’œuvre et la pensée d’Origène ont suscité de nombreuses répercussions au cours des


siècles jusqu’à nos jours, attirant un grand intérêt et des échos durables mais aussi des
réserves et surtout des condamnations fatales207. Objet d’accusations déjà pendant sa vie,
Origène sera souvent soumis à des procès pour ses idées après la mort. Bientôt les adeptes les
plus décidés de sa tradition furent obligés d’écrire des défenses de l’Alexandrin, à commencer
par l’Apologie d’Origène rédigée par Pamphile et Eusèbe de Césarée au début du IVe siècle.
Ils y répliquaient, entre autres, aux attaques de Méthode d’Olympe contre la doctrine
origénienne de la résurrection. Peu de temps après, Eustathe d’Antioche critiqua l’exégèse
littéraliste que l’Alexandrin avait donnée de l’épisode de la magicienne d’Endor (1 Sam. 28),
lui reprochant en outre son penchant généralisé pour l’allégorie208. Au cours de la controverse
sur l’arianisme, bien qu’on ait parfois associé son nom à cette hérésie comme l’un de ses
inspirateurs, sa réputation n’en fut pas atteinte. Au contraire il s’attira l’éloge d’Athanase
d’Alexandrie qui le prit comme témoin la foi de Nicée et loua son zèle studieux.
Les conflits les plus âpres autour des doctrines d’Origène devaient se dérouler après la
conclusion de la controverse trinitaire, en deux phases successives qui se caractérisent par des
profondes différences entre elles, en raison soit des thèses contestées soit des conséquences de
ces débats. Vers 393 Épiphane de Salamine sollicita la condamnation de l’Alexandrin de la
part de Jean, évêque de Jérusalem. Il trouva le soutien polémique de Jérôme: celui-ci, après un
enthousiasme initial pour Origène, prit ses distances vis-à-vis de l’Alexandrin à cause des
doctrines qu’il considérait hérétiques. Au contraire, Rufin d’Aquilée, ancien ami de Jérôme et
traducteur avec lui des ouvrages d’Origène, vint au secours de Jean. Au centre des débats
était, en particulier, le Traité des Principes, dont Jérôme attaqua la traduction faite par Rufin
(398). À l’appui de sa dénonciation, Jérôme produisit à son tour une autre version du Traité.
Heureusement cette controverse, nonobstant la rupture temporaire de la communion entre
l’Église de Jérusalem et les communautés monastiques de Jérôme et Paula à Bethléem,
n’amena pas encore une condamnation formelle d’Origène. Cette crise eut par ailleurs un

207
GUILLAUMONT 1962; CLARK 1992.
208
PRINZIVALLI 2002.

47
retentissement plus lourd en Égypte, à cause du revirement de Théophile d’Alexandrie:
adversaire dans un premier temps des moines “anthropomorphites”, qui voulaient inclure le
corps dans l’“image de Dieu”, il se tourna ensuite sous l’influence d’Épiphane contre leurs
ennemis des milieux monastiques qui penchaient vers Origène, à cause aussi des soutiens
qu’ils avaient trouvés à Constantinople de la part de l’évêque Jean Chrysostome.
La deuxième crise origéniste éclata à nouveau en Palestine, vers le milieu du VIe siècle, au
sein des moines plus cultivés du désert de Judas, chez lesquels les doctrines ascétiques et
mystiques d’Évagre le Pontique († 399) s’étaient superposées à la couche proprement
origénienne. Selon le récit de Cyrille de Scythopolis dans la Vie de Saint Sabas, les moines
origénistes essayèrent de prendre le contrôle des fondations sabaïtes. Leur tentative échoua,
car l’abbé Gélase, le successeur de Sabas, obtint de l’empereur Justinien une première
condamnation d’Origène en 543, par un édit qui visait essentiellement ses thèses les plus
controversées (préexistence et apocatastase) à partir du Traité des Principes. Dix années plus
tard, cette condamnation fut renouvelée par le IIe Concile œcuménique de Constantinople
(553), qui associa à l’Alexandrin Évagre le Pontique et Didyme l’Aveugle. En effet, les thèses
sur lesquelles portaient les anathèmes reflétaient surtout la transformation de l’“origénisme”
mise en œuvre par Évagre avec sa mystique à tendance intellectualiste sinon moniste209.
En dépit de ces réserves et condamnations, l’œuvre d’Origène en tant qu’interprète des
Écritures a continué à exercer une fascination unique. À ce propos, le monde latin dès
l’antiquité tardive au Moyen Âge se souvient de la distinction établie par Jérôme entre
l’“exégète” et le “dogmaticien”: on doit accueillir le premier et repousser le deuxième. Mais
en Occident on va même plus loin car, à la différence de l’Orient byzantin, on n’a pas de
réserve à lire et transmettre même le Traité des Principe210. Toutefois, les traces de l’influence
d’Origène s’avèrent être nombreuses aussi chez les grecs, non seulement chez les auteurs de
la tradition alexandrine comme Denys (IIIe siècle) ou Didyme (IVe siècle), mais aussi les
grands Cappadociens. Si Basile est plus réservé en ce qui concerne l’allégorisme de
l’Alexandrin, Grégoire de Nazianze s’exprime en faveur d’une “théologie en recherche”, qui
rappelle l’approche origénienne avec ses questions ouvertes et ses hypothèses. Bien qu’on
rejette aujourd’hui la paternité de la Philocalie de la part de Basile et Grégoire de Nazianze,

209
GUILLAUMONT 1962; HOMBERGEN 2001.
210
SFAMENI GASPARRO 1998.

48
les deux Cappadociens ont utilisé cette anthologie précieuse211. Pour sa part, Grégoire de
Nysse manifeste des affinités intellectuelles avec l’Alexandrin jusqu’à reproposer la doctrine
de l’apocatastase. Quant aux écrivains occidentaux de l’antiquité tardive, à côté de Jérôme
(qui s’approprie en particulier la dimension philologique de l’exégèse origénienne, la
perfectionnant ultérieurement par son retour au texte original hébreu), il faut mentionner
spécialement Hilaire de Poitiers et Ambroise de Milan, influencés tous les deux par l’exégèse
et la doctrine spirituelle d’Origène. Même Augustin, grâce aux traductions de Jérôme et de
Rufin, a eu accès à quelques-uns de ses écrits et à sa pensée, se montrant plus ouvert à l’égard
de celle-ci que ne l’était Jérôme.
Il serait trop long de suivre maintenant les traces de l’origénisme médiéval avec toute sa
variété. Si nous apercevons encore la présence de l’Alexandrin à Byzance jusqu’au IXe siècle,
à travers la Bibliothèque de Photius, nombreux sont en Occident les auteurs qui se laissent
inspirer par lui212. Parmi ceux qui trahissent une influence plus manifeste, nous y trouvons
Jean Scot Érigène (IXe siècle), son Periphyseon trahissant des emprunts à la protologie et
l’eschatologie origéniennes. Trois siècles plus tard, la fortune médiévale de l’Alexandrin en
tant qu’exégète et écrivain spirituel arrive à son apogée avec Hugues et Richard de Saint
Victor, et surtout avec Guillaume de St. Thierry et Bernard de Clairvaux, dont les Sermons
sur le Cantique se rattachent au commentaire d’Origène probablement le plus répandu
pendant le Moyen Âge. D’ailleurs, même des théologiens comme Pierre Abélard et Thomas
d’Aquin ne restent pas indifférents vis-à-vis d’Origène: s’ils prennent leur distance par
rapport à certaines de ses thèses, ils apprécient quand même son autorité en tant qu’exégète.
Une nouvelle saison dans la réception d’Origène s’ouvre avec l’Humanisme et la
Renaissance, à la suite aussi de la redécouverte des textes originaux, en commençant par le
Contre Celse 213 . Ce fait crée de nouveaux présupposés pour l’appréciation des aspects
théologiques également. Au XVe siècle, Jean Pic de la Mirandole plaide en faveur de
l’orthodoxie de l’Alexandrin. Devant le rejet de cette thèse de la part du pape Innocent VIII
(1484-1492), il rédige une Apologie (1488) qui exploite des motifs formulés originairement
par Pamphile et en même temps insiste sur la loyauté d’Origène vis-à-vis de l’Église214. Au
début du XVIe siècle Érasme, sympathisera avec cette approche, tandis qu’il s’adonne à

211
JUNOD 2015.
212
MCGINN 2001.
213
SCHÄR 1979.
214
CROUZEL 1977.

49
l’édition de ses œuvres, dont il apprécie la richesse bien plus que celles d’Augustin. Son
attitude l’amène à estimer en lui surtout le philologue, l’exégète et le moraliste, tandis qu’il
laisse tomber les aspects plus spéculatifs et controversés215.
À l’époque de la Réforme et des controverses confessionnelles entre catholiques et
protestants, l’exégèse d’Origène rencontre les critiques de Luther, d’autant plus qu’il lui
conteste l’interprétation de l’endurcissement du Pharaon et la doctrine du libre arbitre. Pour
leur part, les théologiens catholiques s’opposent à la doctrine protestante de la grâce en faisant
appel à l’Alexandrin. Apprécié dans les milieux jésuites, il est l’objet d’une nouvelle Apologie
par le jésuite belge Pierre Halloix (1655), qui l’acquitte des accusations pour hétérodoxie,
tandis que Jansénius l’accusait dans l’Augustinus (1640) d’avoir inspiré Pélage. En dépit du
climat polémique de l’époque, c’est au cours de cette période que voit le jour la première
enquête historico-critique de large envergure autour de l’Alexandrin grâce aux Origeniana de
Pierre-Daniel Huet (1667), dont les apports remarquables à la connaissance d’Origène
écrivain et théologien n’ont pas perdu en actualité même aujourd’hui, grâce à l’admirable
érudition de l’auteur et à son approche plus objective216.
Au cours de la Renaissance, l’Alexandrin ne manque pas d’attirer les attentions de
philosophes tels, en Italie, Giordano Bruno et Tommaso Campanella ou, en Angleterre, les
Platoniciens de Cambridge. Ralph Cudworth (1617-1688) se rattache à Origène en tant que
représentant du platonisme chrétien de même qu’il s’efforce de reconnaître en lui un
précurseur de la doctrine trinitaire. Mais la personnalité philosophique qui se montre la plus
ouverte à la pensée d’Origène dans sa complexité est Gottfried Wilhelm von Leibniz (1646-
1716). La sympathie intellectuelle qu’il éprouve à son égard donnera lieu chez lui à une
reprise autonome de la doctrine de l’apocatastase.
Pendant le XIXe siècle, aux intérêts doctrinaux et apologétiques qui perdurent à l’égard de
l’Alexandrin – comme en témoigne, entre autres, John Henry Newman – s’ajoutent les
recherches philologiques et historiques. Elles prépareront le terrain pour les modernes éditions
critiques des écrits d’Origène, qui commencent à paraître en Allemagne dès la fin de ce siècle,
grâce aux travaux de savants comme Paul Koetschau et d’autres. Au cours du XXe siècle, le
ressourcement patristique dont les protagonistes les plus connus sont Henri De Lubac, Jean
Daniélou et Hans Urs von Balthasar, donne lieu à une nouvelle “renaissance” des études

215
GODIN 1982; SCHECK 2016.
216
RAPETTI 2012; FÜRST 2017.

50
origéniennes d’abord en France, et ensuite en Italie et dans le monde anglosaxon217. En
dépassant les préoccupations d’orthodoxie, qui accompagnaient habituellement l’approche
d’Origène dans le passé, ces nouvelles recherches nous restituent aujourd’hui l’image de
l’homme d’Église autant bien que du philologue et du savant exégète. Néanmoins, le débat en
vue de parvenir à une meilleure compréhension des intentions poursuivies par Origène avec
son œuvre exceptionnelle ne peut que rester encore ouvert.

217
ALEXANDRE 2006.

51
Bibliographie

I. Sources

a) Œuvres d’Origènes

CC = Origène, Contre Celse, par Marcel BORRET, Tomes I-V (SCh 132, 136, 147, 150, 227), Paris, Cerf, 1967-
1969 et 1976.
CCt = Origène, Commentaire sur le Cantiques des Cantiques, par Luc BRESARD et Henri CROUZEL, Tomes I-II
(SCh 375-376), Paris, Cerf, 1991-1992.
CIo = Origène, Commentaire sur Saint Jean, par Cécile BLANC, Tomes I-V (SCh 120, 157, 222, 290, 385),
Paris, Cerf, 1966-1992.
CMt = Origenes Werke, 10. Bd.: Matthäuserklärung, I: Die griechisch erhaltenen Tomoi, éd. Erich
KLOSTERMANN (GCS 40), Leipzig, J.C. Hinrichs, 1935; Origène, Commentaire sur l’Évangile selon
Matthieu, Tome I (Livres X et XI), éd. Robert GIROD (SCh 162), Paris, Cerf, 1970.
CMtS = Origene, Commento a Matteo. Series, I-II, par Guido BENDINELLI, Rosario SCOGNAMIGLIO, Maria
Ignazia DANIELI, Roma, Città Nuova, 2004, 2006.
CRm = Origène, Commentaire sur l’Épître aux Romains, par Michel FEDOU et Luc BRESARD, Tomes I-IV (SCh
532, 539, 543, 555), Paris, Cerf, 2009-2012.
Dial = Entretien d’Origène avec Héraclide, par Jean SCHERER (SCh 67), Paris, Cerf, 1960.
EpAfr = Origène, Philocalie, 1-20: Sur les Écritures et La Lettre à Africanus sur l’histoire de Suzanne, par
Marguerite HARL (SCh 302), Paris, Cerf, 1983, p. 522-573.
EpGr = Grégoire le Thaumaturge, Remerciement à Origène suivi de la lettre d’Origène à Grégoire, par Henri
CROUZEL (SCh 148), Paris, Cerf, 1969.
FrCt = Origene, Commentario al Cantico dei Cantici, éd. Maria Antonietta BARBARA, Bologna 2005.
FrGn = Origenes, Die Kommentierung des Buches Genesis, éd. Karin METZLER, Berlin, De Gruyter, 2010.
FrIob = Die älteren griechischen Katenen zum Buch Hiob, éd. Ursula et Dieter HAGEDORN, I-IV, Berlin-New
York, de Gruyter, 1994-2004.
Fr1Cor = Origene, Esegesi paolina. I testi frammentari, éd. Francesco PIERI, Roma, Città Nuova, 2009.
HCt = Origène, Homélies sur le Cantique des Cantiques, par Olivier ROUSSEAU (SCh 37bis), Paris, Cerf, 1966;
Origene, Omelie sul Cantico dei Cantici, éd. Manlio SIMONETTI, Milano, Mondadori-Fondazione Valla, 1998.
HEz = Origène, Homélies sur Ézéchiel, éd. Marcel BORRET (SCh 352), Paris, Cerf, 1989.
HGn = Origenes, Die Homilien zu Genesis, éd. Peter HABERMEHL (GCS.NF 17), Berlin 2012.
HIud = Origène, Homélies sur les Juges, par Pierre MESSIE, Louis NEYRAND, Marcel BORRET (SCh 389), Paris,
Cerf, 1993.
HPs = Origenes, Die neuen Psalmenhomilien. Eine kritische Edition des Codex Monacensis Graecus 314, éd.
Lorenzo PERRONE avec Marina MOLIN PRADEL, Emanuela PRINZIVALLI et Antonio CACCIARI (GCS.NF 19),
Berlin, de Gruyter, 2015.

52
H1Rg = Origène. Homélies sur Samuel, Édition critique, introduction, traduction et notes par Pierre et Marie-
Thérèse NAUTIN (SCh 328), Paris, Cerf, 1986.
KommGen = Origenes, Die Kommentierung des Buches Genesis, éd. Karin METZLER, Berlin, De Gruyter, 2010.
Orat = Origenes Werke, 2. Bd.: Buch V-VIII Gegen Celsus, Die Schrift vom Gebet, éd. Paul KOETSCHAU (GCS
3), Leipzig, J.C. Hinrichs, 1899.
Phil = Origène, Philocalie, 1-20: Sur les Écritures et La Lettre à Africanus sur l’histoire de Suzanne (SCh 302),
Paris, Cerf, 1983; Origène, Philocalie 1-27, Sur le libre arbitre, éd. Éric JUNOD (SCh 226), Paris, Cerf, 1976.
Prin = Origène, Traité des Principes, par Henri CROUZEL et Manlio SIMONETTI, Tomes I-V (SCh 252-253, 268-
269, 312), Paris, Cerf, 1978-1984.

b) Autres auteurs

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WUCHERPFENNIG 2002 = WUCHERPFENNIG Ansgar, Heracleon Philologus. Gnostische Johannesexegese im
zweiten Jahrhundert, Tübingen 2002.
ZAMBON 2011 = ZAMBON Marco, «Porfirio e Origene: uno status quaestionis», in: Le traité de Porphyre contre
les chrétiens. Un siècle de recherches, nouvelles questions, éd. Sébastien MORLET, Paris, Institut d’Études
Augustiniennes, 2011, p. 107-164.

60
ORIGENE:
UNE ANTHOLOGIE ESSENTIELLE

I. Des témoignages personnels:


le travail de l’exégète et les débats du théologien

Plusieurs témoignages personnels nous aident à reconstituer l’image qu’Origène a donnée en


quelques occasions de son activité comme exégète et théologien. Dans la Lettre à Africain (1)
nous apercevons le chantier des Hexaples, grâce auquel l’Alexandrin était en mesure de
comparer le texte hébreu à la Septante et aux autres traductions grecques. Il s’agissait d’une
occupation qui lui prenait beaucoup de temps, comme le montre la Lettre à Fabien de Rome
(2), en décrivant le travail philologique sur les manuscrits de la Bible. Les intérêts
philosophiques s’ajoutent aux efforts exégétiques, au moment où le public cultivé
d’Alexandrie, soit les chrétiens soit les païens, commence à remplir l’auditoire d’Origène.
Pour satisfaire ses exigences, il ira lui-même à l’école d’un philosophe, selon le témoignage
apologétique de la Lettre à Alexandre de Jérusalem (3) repris par Eusèbe de Césarée. Les
controverses sur les idées qu’il professe ne manqueront pas, surtout au moment où il devient
célèbre et engage des débats avec des hérétiques. Face aux tentatives de s’approprier sa
pensée ou même de la manipuler, dans la Lettre aux amis d’Alexandrie (4) il fait appel à son
style argumentatif et à son enseignement comme critères pour reconnaître sa doctrine
authentique. Dans une retrospective autobiographique, se situant vraisemblablement vers la
fin de la vie, la IIe Homélie sur le Psaume 77 (5) constate le succès de l’orthodoxie sur
l’hétérodoxie entre la fin du IIe et la moitié du IIIe siècle grâce à l’œuvre des maîtres d’Église.
Dans la Lettre à Grégoire (6), une sorte de ‘testament’ exégétique confié à un jeune disciple,
Origène recommande de joindre la prière à la recherche exégétique, afin de connaître plus à
fond le mystère de la Parole de Dieu, si bien que l’exégète de la Bible doit être aussi un
homme spirituel.

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1 – Lettre à Africain

La Providence, en donnant dans les Saintes Écritures l’édification pour toutes les Églises du Christ,
n’a-t-elle pas eu le souci de «ceux qui ont été achetés à grand prix» (1 Cor 6,20; 7,23), «eux pour
lesquels le Christ est mort» (Rm 14,15), lui que Dieu, qui est amour (1 Jn 4,9.16), «n’a pas
épargné» alors qu’il était son fils, mais «qu’il a livré pour tous», afin que «tout nous soit donné
avec lui» (cf. Rom 8,32). À ce propos, il vaut sûrement la peine de nous rappeler le texte qui dit:
«Tu ne déplaceras pas les bornes éternelles que tes prédécesseurs ont établies» (cf. Dt 19,14; Pro
22,28; 23,10).
Je ne dis pas cela parce que je répugnerais à examiner les Écritures selon les Juifs et à comparer
avec elles toutes les nôtres. Car, s’il n’est pas de mauvais goût de le dire, j’ai largement fait ce
travail, dans la mesure de mes forces, cherchant à découvrir le sens exact dans toutes les éditions
avec leurs variantes, en même temps que j’étudiais particulièrement la traduction des Septante,
pour ne pas dévaluer la monnaie des Églises qui sont sous le ciel, et donner ainsi à ceux qui la
cherchent l’occasion de calomnier, comme ils le désirent, les personnages publics et d’accuser ceux
qui sont éminents dans la société. Mais nous tâchons de ne pas ignorer non plus leurs textes afin de
ne pas leur citer, lorsque nous dialoguons avec des Juifs, ce qui ne se trouve pas dans leurs
exemplaires, et pour nous servir de ce qui se trouve chez eux, même si cela n’est pas dans nos
livres. Car, si nous donnons ainsi une bonne préparation pour nos controverses avec eux, ils ne
nous mépriseront pas, ni ne se moqueront, comme ils ont l’habitude de le faire, des croyants issus
des nations, disant qu’ils ignorent les leçons authentiques qui sont dans leurs textes.

[La lettre à Africanus sur l’histoire de Suzanne 8, traduction par Nicholas DE LANGE, SCh 302,
Paris, Cerf, 1983, 2008, p. 533-535]

2 – Lettre à Fabien de Rome

Le vénérable Ambroise, vraiment dévoué à Dieu, te salue bien. Lui qui m’estimait laborieux et
assoiffé des paroles de Dieu, m’a confondu par son propre zèle au travail et son amour pour les
science sacrées; il m’a dépassé au point que je risque de ne pas répondre à ses propositions. Il ne
m’est permis de manger qu’en devisant; il ne m’est pas permis après le repas de me promener et de
laisser le corps se reposer: même dans ces moments-là nous sommes astreints au travail
philologique et à la correction des copies; il ne nous est pas permis non plus de dormir la nuit
entière pour la santé du corps, le travail philologique se poursuivant très tard dans le soir; et je
laisse de dire ce que nous faisons de l’aurore jusqu’à la neuvième heure et quelquefois la dixième,

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car tous ceux qui veulent travailler consacrent ces moments-là à l’étude des paroles divines et aux
lectures.

[trad. Pierre NAUTIN, Lettres et écrivains chrétiens des IIe et IIIe siècles, Paris, Cerf, 1961, p. 251]

3 – Lettre à Alexandre de Jérusalem

Lorsque je m’attachai à la Parole et que se répandit la renommée de notre attitude, il vint à moi
tantôt des hérétiques, tantôt des hommes instruits dans les disciplines des Grecs et surtout dans la
philosophie: il me parut bon d’examiner les opinions des hérétiques et ce que les philosophes
promettaient de dire sur la vérité. C’est ce que nous avons fait, en imitant Pantène qui, avant nous,
a rendu service à beaucoup, et qui a possédé une préparation étendue en ces matières, et aussi
Héraclas, qui siège maintenant dans le presbyterium des Alexandrins et que j’ai trouvé chez le
maître des disciplines philosophiques où il se fortifiait déjà depuis cinq ans, avant que je
commençasse à écouter ces enseignements. Sous l’influence de ce maître, alors qu’auparavant il
portait le vêtement commun, il le quitta et prit le manteau des philosophes qu’il garde jusqu’à
présent, et il ne cesse pas d’étudier les livres des Grecs autant qu’il le peut.

[Eusèbe de Césarée, Histoire Ecclésiastique VI,19,12-14, trad. par Gustave BARDY, SCh 41, Paris,
Cerf, 1955, p. 117]

4 – Lettre aux amis d’Alexandrie

Un hérétique qui m’avait vu à Éphèse et qui avait refusé d’engager la controverse et n’avait même
pas ouvert la bouche en ma présence, évitant au contraire, pour je ne sais quelle raison, de le faire,
rédigea ensuite, en son nom et au mien une discussion conforme à ses vœux, qu’il envoya à ses
disciples – à ceux qui habitaient à Rome, comme je l’ai appris; mais je ne doute pas qu’il l’ait
adressée aussi à d’autres, en différents lieux. Il répandait ses outrages également à Antioche, avant
mon arrivée, de sorte que la discussion qu’il colportait parvint à une foule des nôtres. Mais lorsque
je fus arrivé, je le confondis en présence de beaucoup de monde. Et comme il persévérait sans plus
aucune retenue à affirmer impudemment le faux, je réclamai qu’on présentât publiquement
l’ouvrage, pour que les frères reconnussent ma façon d’écrire, puisque, naturellement, ils savaient
quels sujets j’ai l’habitude d’aborder et de quelle forme d’enseignement je me sers ordinairement.
Et lui, n’ayant pas osé produire le livre, fut confondu par tout le monde et convaincu de

63
falsification. C’est ainsi que les frères furent persuadés de ne pas prêter l’oreille aux accusations
calomnieuses.

[Rufin d’Aquilée, Sur la falsification des livres d’Origène, 7, trad. par René AMACKER dans:
Pamphile et Eusèbe de Césarée, Apologie pour Origène suivi de Rufin d’Aquilée, Sur la
falsification des livres d’Origène, SCh 464, Paris, Cerf, 2002, p. 303-305]

5 – Homélie II sur le Psaume 77

Cela, nous l’avons appris par l’expérience: dans notre jeunesse les hérésies fleurissaient
grandement et ils semblaient être nombreux ceux qui se rassemblaient autour d’elles. Or ceux qui
étaient gourmands des enseignements du Christ, par manque de maîtres capables au sein de
l’Église, imitèrent dans leur faim ceux qui, lors d’une famine, mangent des chairs humaines. Se
séparant de la saine doctrine, ils s’adonnaient à toute sorte d’enseignements et se réunissaient dans
leurs écoles. Mais quand la grâce de Dieu fit rayonner un enseignement plus abondant, jour après
jour les hérésies se dissolvaient et les doctrines qu’ils prétendaient être ineffables étaient mises à
nu. Elles s’avérèrent alors comme des blasphèmes, des doctrines impies et athées.

[H77Ps II,4, dans: Origenes, Die neuen Psalmenhomilien. Eine kritische Edition des Codex
Monacensis Graecus 314, éd. Lorenzo PERRONE, GCS.NF 19, Berlin, de Gruyter, 2015, p. 371-
372]

6 – Lettre à Grégoire

Toi donc, mon seigneur et fils, applique-toi principalement à la lecture des divines Écritures:
applique-toi bien à cela. Car nous avons besoin de beaucoup d’application lorsque nous lisons les
livres divins, de peur de prononcer quelque parole ou d’avoir quelque pensée trop téméraire à leur
sujet. En t’appliquant à les lire avec l’intention de croire et de plaire à Dieu, frappe, dans ta lecture,
à la porte de ce qui est fermé, et il t’ouvrira, le portier dont Jésus a dit: «À celui-là le portier ouvre»
(Jn 10,3). En t’appliquant à cette divine lecture, cherche avec droiture et avec une confiance
inébranlable en Dieu le sens des divins Écrits, caché au grand nombre. Ne te contente pas de
frapper et de chercher, car il est absolument nécessaire de prier pour comprendre les choses
divines. C’est pour nous y exhorter que le Sauveur a dit non seulement: «Frappez et l’on vous
ouvrira» et: «Cherchez et vous trouverez», mais aussi: «Demandez et l’on vous donnera» (Mt 7,7;
Lc 11,9). J’ai osé parler ainsi à cause de mon amour paternel pour toi. S’il est bon ou non de l’avoir

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osé, Dieu seul peut le savoir, et son Christ, et celui qui participe à l’Esprit de Dieu et à l’Esprit du
Christ. Toi aussi, puisses-tu y participer, et accroître sans cesse ta participation, afin de dire non
seulement: «Nous somme devenus participants du Christ» (Héb 3,14), mais aussi: Nous sommes
devenus participants de Dieu.

[Lettre à Grégoire 4, trad. par Henri CROUZEL dans: Grégoire le Thaumaturge, Remerciement à
Origène, suivi de la Lettre d’Origène à Grégoire, SCh 148, Paris, Cerf, 1969, p. 193-195]

II. Au cœur des Écritures:


une théologie en recherche

L’interprétation des Écritures occupe toute l’activité littéraire d’Origène. La Parole de Dieu
confiée à la Bible est pour lui le point de départ de la recherche théologique ainsi que l’âme
de l’existence spirituelle. Tout au long de sa vie, l’Alexandrin n’a pas épargné les efforts pour
défendre l’unité des Écritures de l’Ancien et du Nouveau Testament, à l’encontre des
Gnostiques et des Marcionites qui les opposaient l’un à l’autre, ou en soulignaient les
contradictions internes. Ainsi, un extrait du tome 2 du Commentaire sur l’Évangile de
Matthieu (1) fait ressortir l’harmonie de la «musique de Dieu», que le bon exégète doit savoir
écouter dans les écrits inspirés. Reconnaître l’inspiration de la Bible implique à son tour
d’admettre qu’elle recèle des significations plus profondes que le sens littéral. C’est pourquoi
le IVe Livre du Traité des Principes (2), consacré à l’herméneutique biblique, part de
l’affirmation de trois sens (somatique, psychique et pneumatique). Ceux-ci correspondent à la
tripartition de l’homme en corps, âme et esprit, étant donné que l’Écriture veut assurer le
salut à tout niveau de l’existence. Sans toujours suivre ce modèle, l’Alexandrin s’empresse en
général de parvenir à une lecture spirituelle de l’Ancien Testament, à la manière de
l’Homélie XV sur Josué (3), s’inspirant par là de 1 Cor 2,13 comme principe herméneutique.
Par ailleurs, selon la Préface au Commentaire sur la Genèse (4), on ne doit jamais oublier la
difficulté à saisir les mystères cachés dans les profondeurs de la Parole de Dieu, sans
prétendre de présenter nos déductions limitées comme si elles étaient des résultats assurés.
Origène décrit lui-même son expérience d’interprète du texte sacré, entre autres, dans le
Commentaire sur le Cantique (5), lorsqu’il commente la venue et l’absence de l’Époux pour
l’âme qui est sous l’étreinte de l’amour du Verbe. C’est au moment de s’interroger sur les

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énigmes et les obscurités des Écritures qu’elle fait l’expérience de son absence, tandis que
par sa venue elle avance dans la solution des problèmes. Cependant, la grâce de pouvoir
demeurer avec le Verbe revient uniquement aux parfaits. À partir de ces prémisses, on arrive
à comprendre la nature de la synthèse théologique dont témoigne le Traité des Principes (6).
La Préface, en rappelant les données principales de la prédication ecclésiastique, ajoute que
les apôtres n’ont pas éclairci leurs enseignements en tout point. C’est la responsabilité du
théologien que d’essayer de donner une réponse aux questions que soulève la doctrine
apostolique.

1 – Commentaire sur l’Évangile de Matthieu

Extrait du tome 2 sur l’Évangile de Matthieu, à propos de «bienheureux les pacificateurs» (Mt 5,9).
Pour cet homme qui est «pacificateur» dans les deux sens du mot, plus rien n’est «tordu ni
tortueux» dans les oracles divins, puisque «tout est bien droit pour ceux qui comprennent» (Pro
8,8-9). Et puisque plus rien n’est «tordu ni tortueux» pour un tel homme, il s’ensuit qu’il voit
«abondance de paix» dans toutes les Écritures, y compris dans celles qui semblent s’opposer et
présenter entre elles des contradictions. Mais il devient encore «pacificateur» dans un troisième
sens, celui qui démontre que ce que d’autres prennent pour une opposition n’est pas une opposition
et qui établit l’accord et la paix des Écritures: des Anciennes avec les Nouvelles, de la Loi avec les
Prophètes, des Écritures évangéliques entre elles, ou de celles des Apôtres entre elles. Toutes les
Écritures sont en effet, selon le mot de l’Ecclésiaste, «paroles de sages, comme des aiguillons et
comme des clous plantés, elles qui ont été données lors des assemblées par un unique berger, et
rien en elles n’est de trop» (Eccl 12, 11). L’unique berger des paroles, c’est la Parole: même si
celles-là ont l’apparence d’un désaccord pour ceux qui n’ont pas d’oreilles pour entendre, en réalité
elles possèdent l’accord.
Il en est comme des différentes cordes du psaltérion ou de la cithare: chacune d’elles produit un son
qui lui est propre, en apparence sans ressemblance avec le son des autres; l’ignorant, celui qui ne
connaît pas les règles de l’harmonie musicale, croit qu’elles sont en dysharmonie, à cause de la
dissemblance des sons; de la même façon, ceux qui ne savent pas écouter l’accord de Dieu dans les
Écritures sacrées croient que l’Ancienne Écriture est sans accord avec la Nouvelle, les Prophètes
sans accord avec la Loi, les Évangiles sans accord entre eux, l’Apôtre sans accord avec l’Évangile,
ou avec lui-même, ou avec les autres Apôtres. Mais que vienne celui qui a été instruit de l’art
musical de Dieu, quelque savant «en actes et en paroles» (cf. Act 7,22) qui pourrait à cause de cela
porter le nom de David – ce nom s’interprète «puissant par la main» –, et celui-là produira le son de

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l’art musical de Dieu; cet art lui a appris à frapper les cordes au moment opportun: tantôt celles de
la Loi et tantôt celles des Évangiles qui s’accordent avec les premières, tantôt celles des Prophètes
et, lorsque la raison le réclame, celles des Apôtres qui rendent le même son, et de même celles des
Apôtres accordées avec celles des Évangiles. Il sait en effet que l’Écriture tout entière est le seul
instrument de musique de Dieu, parfait et accordé, produisant à l’aide de sons différents une seule
mélodie salutaire pour qui veut bien l’apprendre; cette mélodie apaise et empêche toute action de
l’esprit mauvais, comme la musique de David apaisa l’esprit mauvais qui était en Saül et l’étouffait
(cf. 1 Rois 16,14). Tu vois donc qu’il y a un troisième «pacificateur», celui qui, conformément à
l’Écriture, à la fois voit la paix qui est en elle et fait naître cette paix chez ceux qui cherchent
droitement et ont sincèrement le goût de s’instruire.

[Commentaire sur l’Évangile de Matthieu II, trad. par Marguerite HARL, dans: Origène, Philocalie
1-20: Sur les Écritures, SCh 302, Paris, Cerf, 1983, 2008, p. 309-311]

2 – Traité des Principes, Livre IV

La méthode qui nous paraît s’imposer pour l’étude des Écritures et la compréhension de leur sens
est la suivante; elle est déjà indiquée par ces écrits eux-mêmes. Dans les Proverbes de Salomon
nous trouvons cette directive concernant les doctrines des divines Écritures: «Et toi, inscris trois
fois ces choses dans ta réflexion et dans ta connaissance, afin de répondre avec des paroles de
vérité aux questions qui te sont posées» (Pro 22,20-21). Il faut donc inscrire trois fois dans sa
propre âme les pensées des saintes Écritures: afin que le plus simple soit édifié par ce qui est
comme la chair de l’Écriture – nous appelons ainsi l’acception immédiate –; que celui qui est un
peu monté le soit par ce qui est comme son âme; mais que le parfait – semblable à ceux dont
l’Apôtre dit: «Nous parlons de la sagesse parmi les parfaits, non de celle de ce siècle ni des princes
de ce siècle qui sont détruits, mais nous parlons de la sagesse de Dieu cachée dans le mystère, que
Dieu a prédestinée avant tous les siècles à notre gloire» (1 Cor 2,6-7) – le soit de la loi spirituelle
(Rm 7,14) qui contient une ombre des biens à venir (Héb 10,1). De même que l’homme est
composé de corps, d’âme et d’esprit, de même l’Écriture que Dieu a donnée dans sa providence
pour le salut des hommes.

[De principiis IV,2,4, trad. par Henri CROUZEL dans: Origène, Traité des Principes, SCh 268,
Paris, Cerf, 1980, p. 311-313]

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3 – Homélie XV sur Josué

Si ces guerres charnelles n’étaient la figure de guerres spirituelles, je pense que jamais les livres
historiques des Juifs n’auraient été transmis aux disciples du Christ, qui est venu enseigner la paix;
jamais ils n’auraient été transmis par les Apôtres comme une lecture à faire dans les assemblées. À
quoi serviraient en effet de telles descriptions de guerres pour ceux qui s’entendent dire par Jésus:
«Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix» (Jn 14,27); pour ceux qui se voient ordonner par
l’Apôtre: «Ne vous vengez pas vous-mêmes» (Rm 12,19) et «Souffrez plutôt l’injustice, laissez-
vous plutôt dépouiller» (1 Cor 6,7).
L’Apôtre sait bien que nous n’avons plus à livrer de guerre selon la chair, mais qu’il faut combattre
à grand effort dans notre âme contre nos adversaires spirituels; il donne comme un chef d’armée ce
précepte aux soldats du Christ: «Revêtez-vous des armes de Dieu, afin de pouvoir résister aux
embûches du diable» (Éph 6,11). Et pour que nous puissions puiser dans les actes des anciens des
modèles de guerres spirituelles, il a voulu qu’on nous lise dans l’assemblée les récits de leurs
exploits, afin que, si nous sommes spirituels, nous qui apprenons que «la Loi est spirituelle» (Rm
7,14), nous rapprochions, à cette lecture «les choses spirituelles des choses spirituelles» (1 Cor
2,13); afin que nous considérions, à travers ces nations qui ont attaqué visiblement l’Israël charnel,
quelle est la puissance de ces nations d’ennemis spirituels, de ces «esprits mauvais répandus dans
les airs» (Éph 6,12), qui soulèvent des guerres contre l’Église du Seigneur, c’est-à-dire contre le
véritable Israël.

[Hom. in Jos. XV,1, trad. par Annie JAUBERT dans: Origène, Homélies sur Josué, SCh 71, Paris,
Cerf, 1960, p. 331-333]

4 – Commentaire sur la Genèse, Préface

Si quelqu’un, dans une discussion, a rencontré un point obscur, il lui faut certes en parler, mais sans
du tout se montrer affirmatif. Car c’est là le propre ou bien d’un homme inconsidéré, qui aurait
perdu le sens de la faiblesse humaine et oublié qui il est, ou bien sûr des parfaits, qui sauraient en
toute assurance qu’ils ont reçu leur savoir de la part du Seigneur Jésus lui-même, c’est-à-dire du
Verbe de vérité, et qu’ils l’ont reconnu comme vrai grâce à la Sagesse elle-même, par qui toutes
choses ont été faites (cf. Jn 1,3; Sg 9,1-2); ou encore de ceux qui, ayant pénétré dans l’orage et la
ténèbre où est Dieu lui-même (cf. Ex 19,16-20; 20,21), ont reçu du ciel les oracles divins, alors que

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Moïse lui-même, y ayant pénétré, put à peine comprendre ou exprimer de telles réalités (cf. Héb
12,18-21).
Quant à nous, dans la limite de nos médiocres moyens, nous avons beau avoir cru au Seigneur
Jésus et nous glorifier d’être son disciple, nous n’avons pourtant pas l’audace de dire que nous
avons acquis l’intelligence, transmise par lui-même face à face des réalités rapportées dans les
livres divins; d’ailleurs je suis sûr que l’univers lui-même ne peut le contenir (cf. Jn 21,25), eu
égard à la puissance et à la majesté de leur signification. C’est pourquoi nous n’avons pas l’audace
d’arrêter notre jugement sur ce que nous disons, comme en revanche les apôtres ont pu le faire;
mais nous rendons grâces de ce que, à la différence de beaucoup qui ne connaissent pas leur
incompétence et exposent de façon tranchée leurs idées confuses et désordonnées, quand ce n’est
même ineptes et chimériques, comme s’ils affirmaient, leur semble-t-il, la vérité absolue, nous
n’ignorons pas, quant à nous, notre ignorance des réalités majeures qui nous dépassent.

[Commentaire sur la Genèse, Préf., trad. René AMACKER dans: Pamphile et Eusèbe de Césarée,
Apologie pour Origène suivi de Rufin d’Aquilée, Sur la falsification des livres d’Origène, par René
AMACKER et Éric JUNOD, SCh 464, Paris, Cerf, 2002, p. 41-43]

5 – Commentaire sur le Cantique des Cantiques, Livre III

Chaque âme – celle du moins qu’étreint l’amour du Verbe de Dieu –, si parfois elle se trouve
engagée dans l’examen d’un texte – comme le sait quiconque a fait l’expérience de la manière dont
on arrive à un point embarrassant et se trouve enfermé dans les difficultés des sujets et des
questions –, si parfois des énigmes, des paroles obscures de la Loi et des prophètes la mettent à
l’étroit, l’âme, si d’aventure elle sent la présence de l’Époux et perçoit de loin le son de sa voix, est
aussitôt soulagée.
Et lorsqu’il commencera à s’approcher de plus en plus de ses pensées et à illuminer ce qui est
obscur, alors elle le voit «sautant par-dessus montagnes et collines», c’est-à-dire lui suggérant les
pensées d’une intelligence haute et sublime, si bien que cette âme dit avec raison: «Le voici qui
vient, sautant par-dessus les montagnes, bondissant par-dessus les collines» (Ct 2,8).
Ainsi donc, l’Époux, tantôt est présent et il enseigne, tantôt il est dit absent et on le désire. Et l’un
et l’autre cas s’appliquent soit à l’Église, soit à l’âme ardente. Car lorsqu’il permet que l’Église
souffre épreuves et persécutions, l’Époux lui semble être absent. Mais quand elle progresse dans la
paix et fleurit dans la foi et les bonnes œuvres, on comprend qu’il lui est présent.
De même aussi pour l’âme: quand elle cherche un sens et désire comprendre des sujets obscurs et
secrets, tant qu’elle ne peut trouver, nul doute, pour elle le Verbe de Dieu est absent. Mais quand

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apparaît et se présente ce qu’elle cherche, qui doute que le Verbe de Dieu est présent, illumine son
intelligence et lui offre la lumière de la science?
Et nous éprouvons que de nouveau il se dérobe à nous et de nouveau se présente à chaque point qui
est ou bien fermé ou bien ouvert à nos pensées. Et nous subissons cet état jusqu’à ce que nous
devenions tels que l’Époux daigne non seulement venir souvent nous visiter, mais encore rester
chez nous; ainsi, interrogé par un disciple disant: «Seigneur, comment se fait-il que tu commences
par te manifester toi-même à nous et non à ce monde?» (Jn 14,22), le Sauveur répondit: «Si
quelqu’un m’aime, il garde ma parole et mon Père l’aime, et nous viendrons à lui et nous ferons
chez lui notre demeure» (Jn 14,23).

[Commentaire sur le Cantique des Cantique III,11,13-14.17-19, trad. par Luc BRESARD dans:
Origène, Commentaire sur le Cantique des Cantiques, Tome II, SCh 376, Paris, Cerf, 1992, p. 605-
607]

6 – Traité des Principes, Préface

Puisque beaucoup de ceux qui professent la foi au Christ sont en désaccord, non seulement sur des
questions de peu et de très peu de valeur, mais sur des points de grande et de très grande
importance – Dieu, le Seigneur Jésus-Christ lui-même, le Saint Esprit –, et non seulement là-
dessus, mais à propos des autres êtres, qui sont créés, c’est-à-dire des Dominations et des
Puissances saintes, il paraît donc nécessaire sur chacun de ces points de définir ce qui est certain et
d’exposer clairement la règle de foi, avant de tourner ailleurs notre recherche.
En effet, alors que beaucoup de Grecs et de barbares promettaient la vérité, nous avons renoncé à la
chercher chez ceux qui la présentaient dans des opinions fausses, lorsque nous avons cru que le
Christ est le Fils de Dieu et que nous nous sommes persuadés que c’est de lui que nous devons
l’apprendre: maintenant, de même, puisqu’il y en a beaucoup qui croient avoir les sentiments du
Christ, alors que certains pensent différemment des autres, on doit garder la prédication
ecclésiastique, transmise à partir des apôtres par ordre de succession et conservée dans les Églises
jusqu’à présent; et seule doit être crue la vérité qui n’est pas en désaccord avec la tradition
ecclésiastique et apostolique.
Il faut en effet savoir que les saints apôtres, lorsqu’ils ont prêché la foi au Christ, ont transmis très
clairement à tous les croyants, même à ceux qui semblaient trop paresseux pour s’adonner à la
recherche de la science divine, tout ce qu’ils ont jugé nécessaire. Mais les raisons de leurs
assertions, ils ont laissé la tâche de les rechercher à ceux qui mériteraient les dons les plus éminents
de l’Esprit et surtout qui auraient reçu du même Saint Esprit la grâce de la parole, de la sagesse et

70
de la connaissance (1 Cor. 17,7-8). Des autres réalités, ils ont affirmé leur existence, mais ils n’ont
pas parlé de leur manière d’être et de leur origine, assurément pour que dans la suite les plus zélés,
par amour pour la Sagesse (cf. Sg. 8,2), aient de quoi s’exercer, pour montrer les fruits de leurs
capacités, ceux qui se sont préparés à devenir dignes et capables de recevoir la sagesse.
Voici tout ce qui est transmis clairement par la prédication apostolique. D’abord il y a un seul Dieu
qui a tout créé et établi, qui, alors que rien n’était, a fait être l’univers. Il est Dieu dès le début de la
création et formation du monde, le Dieu de tous les justes, d’Adam, Abel, Seth, Énos, Énoch, Noé,
Sem, Abraham, Isaac, Jacob, des douze patriarches, de Moïse et des prophètes. Et ce Dieu dans les
derniers temps, comme il l’avait promis auparavant par ses prophètes, a envoyé notre Seigneur
Jésus-Christ, pour appeler d’abord Israël, puis les nations après l’infidélité du peuple d’Israël. Ce
Dieu juste et bon, père de notre Seigneur Jésus-Christ, a donné lui-même la loi, les prophètes et les
évangiles: il est le Dieu des apôtres, celui de l’Ancien et du Nouveau Testament.
Ensuite Jésus-Christ, celui qui est venu, est né du Père avant toute création. De même qu’il a aidé
le Père dans la création de toutes choses, car «tout a été fait par lui» (Jn 1,3), de même dans les
derniers temps, s’anéantissant lui-même (Phil 2,7), il s’est fait homme, il s’est incarné, alors qu’il
était Dieu, et devenu homme, il est resté ce qu’il était, Dieu. Il a pris un corps semblable à notre
corps, avec cette seule différence qu’il est né d’une vierge et de l’Esprit Saint. Et puisque ce Jésus-
Christ est né et a souffert en vérité et non en apparence, il est mort de la mort commune; il est
vraiment ressuscité des morts et, après sa résurrection, ayant vécu avec ses disciples, il fut enlevé
(au ciel).
Ils ont ensuite transmis que le Saint Esprit est associé au Père et au Fils en honneur et en dignité.
En ce qui le concerne on ne voit pas clairement s’il est né ou n’est pas né, s’il faut le considérer
comme Fils de Dieu ou non. Mais tout cela doit être recherché dans la mesure de nos forces à partir
de la sainte Écriture et scruté avec sagacité. Cet Esprit a inspiré tous les saints prophètes et apôtres:
les anciens n’avaient pas un autre Esprit que ceux qui ont été inspirés à la venue du Christ. Tout
cela est très clairement prêché dans l’Église.
En outre l’âme, qui possède une substance et une vie qui lui sont propres, lorsqu’elle aura quitté ce
monde, recevra un sort conforme à ses mérites: ou bien elle obtiendra l’héritage de la vie éternelle
et de la béatitude, si ses actions le lui valent, ou bien elle sera abandonnée au feu éternel et aux
supplices, si les péchés commis par ses méfaits l’y entraînent; mais viendra le temps de la
résurrection des morts, lorsque ce corps-ci, aujourd’hui «semé dans la corruption, ressuscitera dans
l’incorruption» (1 Cor 15,42), aujourd’hui «semé dans l’ignominie, ressuscitera dans la gloire» (1
Cor 15,43).
Le point suivant est aussi défini par la prédication ecclésiastique: toute âme raisonnable est douée
de libre-arbitre et de volonté. Elle est en lutte avec le Diable et ses anges, ainsi qu’avec les

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puissances contraires, car ils s’efforcent de la charger de péchés: mais si nous vivons droitement et
avec réflexions, nous nous efforçons de nous débarrasser de telles souillures. Il faut donc
comprendre que nous ne sommes pas soumis à la nécessité et que nous ne sommes pas forcés de
toute manière, même contre notre gré, de faire le mal ou le bien.

[De principiis Préf. 2-5, trad. par Henri CROUZEL dans: Origène, Traité des Principes, SCh 252,
Paris, Cerf, 1978, p. 77]

III. Le mystère de l’amour de Dieu:


la révélation du Père, du Fils et de l’Esprit

À partir des Écritures inspirées et de la règle de la foi apostolique, la pensée théologique


d’Origène tourne constamment autour de l’idée d’un Dieu juste et bon, qui se manifeste aux
hommes en tant que Père et les appelle à entrer en communion avec lui à travers le don
d’amour de son Fils et de l’Esprit saint. L’Homélie VI sur Ézechiel (1) n’hésite pas à
affirmer que toute l’économie de la rédemption se situe dans le sillon d’une «passion de
charité»: ni le Sauveur ni le Père lui-même, à l’encontre de la conception philosophique de
Dieu, ne sont impassibles vis-à-vis des attentes du salut chez les hommes, mais ils éprouvent à
leur égard un mouvement de compassion et d’amour. Ce mystère de la charité divine est donc
à l’origine de la venue du Fils dans le monde par l’incarnation jusqu’à sa mort et
résurrection. Comme le dit le IIe Livre du Traité des Principes (2), le paradoxe du Dieu fait
homme est incompréhensible pour la raison humaine, tout en reconnaissant la pleine
humanité ainsi que la pleine divinité de l’Incarné. À son tour, l’Esprit déploie son activité
charismatique pour la sanctification des fidèles, se situant également dans la dynamique de la
condescendance divine envers les hommes. Si Origène tire de Rm 8,26-27 son inspiration
fondamentale pour son discours sur la prière, voyant chez Paul une conscience aigüe de
notre incapacité à prier authentiquement, dans le VIIe Livre du Commentaire sur l’Épître aux
Romains (3) il nous montre l’Esprit venant à la rencontre de l’homme pris dans un combat
entre la chair et l’esprit. Il s’avère alors comme son pédagogue et devient la voix de sa prière
au Père, agissant comme un maître envers ses élèves.

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1 – Homélie VI sur Ézéchiel

J’emprunterai un exemple aux hommes, puis si l’Esprit-Saint me l’accorde, je passerai à Jésus-


Christ et à Dieu le Père. Quand je m’adresse à un homme et pour quelque chose l’implore d’avoir
pitié de moi, s’il est sans miséricorde, il ne souffre rien du fait de ce que je dis; mais s’il est d’une
âme sensible, s’il n’a rien d’un cœur sévère et endurci, il m’écoute, il a pitié de moi, ses entrailles
s’émeuvent à mes prières. Comprends quelque chose de pareil au sujet du Sauveur. Il descendit sur
terre par pitié du genre humain, il a patiemment éprouvé nos passions avant de souffrir la croix et
de daigner prendre notre chair; car s’il n’avait pas souffert, il ne serait pas venu partager la vie
humaine. D’abord il a souffert, puis il est descendu et s’est manifesté. Quelle est donc cette passion
qu’il a soufferte pour nous? La passion de la charité.
Et le Père lui-même, Dieu de l’univers, «plein d’indulgence, de miséricorde» (Ps 102,8) et de pitié,
n’est-il pas vrai qu’il souffre en quelque manière? Ou bien ignores-tu que, lorsqu’il s’occupe des
affaires humaines, il éprouve une passion humaine? Car «il a pris sur lui tes manières d’être, le
Seigneur ton Dieu, comme un homme prend sur lui son fils» (Dt 1,31). Dieu prend donc sur lui nos
manières d’être, comme le Fils de Dieu prend nos passions. Le Père lui-même n’est pas impassible.
Si on le prie, il a pitié, il compatit, il éprouve une passion de charité, et il se met dans une condition
incompatible avec la grandeur de sa nature et pour nous prend sur lui les passions humaines.

[Homiliae in Ezechielem VI,6, trad. par Marcel BORRET dans: Origène, Homélies sur Ézéchiel,
SCh 352, Paris, Cerf, 1989, p. 229-231]

2 – Traité des Principes, IIe Livre

Avant d’être présent à nous de la façon qu’il a montrée par son corps, il a envoyé les prophètes,
précurseurs et messagers de sa venue; après son ascension dans les cieux, il a fait circuler par toute
la terre les saints apôtres remplis de la puissance de sa divinité, hommes inexpérimentés et
ignorants venus du milieu des publicains ou des pêcheurs, pour rassembler de toutes les nations et
de tous les peuples une foule de fidèles croyant en lui. Mais parmi toutes ces merveilles et
magnificences, il en est une qui dépasse complètement la capacité d’étonnement de l’intelligence
humaine; et la fragilité d’un entendement mortel ne voit pas comment elle pourrait penser et
comprendre que cette Puissance si grande de la majesté divine, cette Parole du Père lui-même, cette

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Sagesse de Dieu dans laquelle ont été créés tout le visible et tout l’invisible, ait pu, comme il faut le
croire, exister dans les étroites limites d’un homme qui s’est montré en Judée, et aussi que la
Sagesse de Dieu ait pénétré dans la matrice d’une femme, qu’elle soit née comme un petit enfant,
qu’elle ait émis des vagissements à la manière des nourrissons qui pleurent; et ensuite qu’elle ait
été troublée à l’heure de la mort, comme on le rapport et comme Jésus le reconnaît lui-même:
«Mon âme est triste jusqu’à la mort» (Mt 26,38); et enfin qu’elle ait été conduite à la mort que les
hommes jugent la plus indigne, bien qu’elle soit ressuscitée le troisième jour.
Tantôt nous voyons dans le Fils des traits si humains qu’ils ne paraissent différer en rien de la
fragilité commune des mortels, tantôt des traits si divins qu’ils ne conviennent à personne d’autre
qu’à la nature première et ineffable de la Divinité: aussi l’entendement humain reste immobile par
suite de son étroitesse, frappé d’une telle stupéfaction et admiration qu’il ignore où aller, que tenir,
vers où se tourner. Pense-t-il le Dieu, il voit le mortel. Pense-t-il l’homme, il l’aperçoit, ayant
vaincu le règne de la mort, revenir des morts avec ses dépouilles. C’est pourquoi il faut contempler
ce mystère en toute crainte et respect pour découvrir en un seul et même être la vérité de chaque
nature, afin de ne rien penser d’indigne et de messéant sur cette existence divine et ineffable, ni à
l’inverse de juger que ce qui s’est passé là est une illusion produite par des fausses apparences.
Exposer cela à des oreilles humaines et l’expliquer par des paroles excède de beaucoup les
possibilités de notre mérite, de notre talent et de notre discours. Je pense que cela dépasse même la
capacité des saints apôtres: bien mieux l’explication d’un tel mystère est peut-être au-dessus des
puissances célestes de toute la création.

[De principiis II,6,2, trad. par Henri CROUZEL dans: Origène, Traité des Principes, SCh 252, Paris,
Cerf, 1978, p. 310-313]

3 – CRm VII, 4

Ainsi donc, «nous ne savons pas prier comme il faut. Mais l’Esprit lui-même intercède pour nous
avec des gémissements ineffables» (Rm 8,26). Je ne sais ce que Paul comprend de grand par
«gémissements»; en effet, voici la troisième fois déjà qu’il met «gémissements». Car la création,
dit-il, «gémit» (Rm 8,22), et nous-mêmes «nous gémissons» (Rm 8,23), et «l’Esprit lui-même
intercède pour les saints avec des gémissements». À propos de ces gémissements qu’il dit être
offerts à Dieu par l’Esprit, il ajoute avec raison qu’ils sont «ineffables». Or il n’a pas dit cela à
propos des gémissements de toute la création ni à propos des siens. Et vois si nous pouvons
comprendre, avec ces «gémissements», beaucoup de confiance et de liberté en présence de Dieu,
parce que la prière qui est offerte à Dieu avec douleur et gémissements recevrait de l’Esprit saint la

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confiance pour s’élever vers Dieu. Par exemple Adam, après avoir péché, perdit la confiance et se
cachait de la face de Dieu. Mais le Saint dit: «Mon gémissement ne t’est pas caché» (Ps 37,10).
Mais voyons ce que veut dire: «L’Esprit lui-même intercède pour nous». En effet, Jean indique que
Jésus le fait quand il dit: «Mes petits enfants, je vous écris pour que vous ne péchiez pas; mais si
l’un d’entre nous pèche, nous avons un avocat auprès du Père, Jésus, le Juste» (1 Jn 2,1). Lui, il
«intercède pour nous» (Rm 8,34). Et ici l’Esprit intercède pour nous.
Or l’Esprit fait cela en aidant notre faiblesse. Et le Seigneur lui-même enseigne ce qu’est notre
faiblesse, quand il dit: «L’esprit est prompt, mais la chair est faible» (Mt 26,41). Notre faiblesse
provient donc de la faiblesse de la chair. Car celle-ci convoitise contre l’Esprit (cf. Ga 5,17); et
pendant qu’elle impose ses convoitises, elle empêche la pureté de l’esprit et obscurcit la sincérité
de la prière. Mais une fois que l’Esprit de Dieu a vu notre esprit prendre de la peine dans la lutte
contre la chair et s’attacher à lui, il tend la main et vient au secours de notre faiblesse; et il en est
comme lorsqu’un maître prend en charge un élève inculte et complètement ignorant de l’alphabet:
il doit nécessairement se pencher au niveau de l’élève et à ses débuts pour pouvoir l’enseigner et
l’instruire, et dire lui-même en premier le nom de la lettre pour que l’élève l’apprenne en la
répétant – et le maître lui-même devient d’une certaine manière semblable à l’élève débutant,
disant et répétant ce que le débutant devrait dire et répéter. Il en est ainsi du Saint-Esprit: quand il
aura vu que notre esprit est perturbé par les assauts de la chair et qu’il ne sait pas ce qu’il doit
demander dans la prière ni comment il le faut, le Saint-Esprit dit lui-même en premier, comme un
maître, la prière que notre esprit devrait poursuivre – si toutefois il désire être disciple du Saint-
Esprit –, il offre lui-même des gémissements par lesquels notre esprit puisse apprendre à gémir
pour se rendre Dieu à nouveau propice.

[Comm. in Ep. ad Rom. VII,4,2-4, trad. de Luc BRESARD et Michel FEDOU dans: Origène,
Commentaire sur l’Épître aux Romains, Tome III (Livres VI-VIII), SCh 543, Paris, Cerf, 2011, p.
293-295]

IV. Le chemin du salut:


libération du péché et progrès spirituel

Dans son amour, Dieu œuvre toujours en ayant en vue la rédemption de l’homme, sans qu’il
poursuive aucunement la ruine du pécheur. Au contraire, son châtiment répond à une visée
éducative et libératrice, comme Origène l’illustre souvent avec l’exemple des thérapies
auxquelles recourt la médecine avec les malades. Dieu se comporte en bon médecin aussi

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envers le Pharaon, qui est d’ailleurs lui-même responsable de son endurcissement en vertu de
son libre-arbitre, car il résiste à l’initiative de la grâce. Toutefois le Fragment sur Exode
10,27 (1), sans abandonner l’espoir du salut même pour le Pharaon (qui est une figure du
diable) suggère l’idée qu’il a été sauvé même dans sa mort, grâce à l’expiation du mal qu’elle
lui assura. En tout cas, l’aide de Dieu ne nous dispense jamais de nous engager autant que
possible dans le combat spirituel en avançant sur le chemin de la perfection. L’Homélie V sur
Josué (2) montre qu’il faut toujours se hâter pour accomplir le message exigeant des
Béatitudes et que le progrès spirituel n’est jamais assuré, si nous ne sommes pas assez
vigilants. Par l’accomplissement de cet itinéraire, l’homme tout entier a la chance
merveilleuse de se voir transformé par l’action divinisatrice de Dieu. Elle s’exerce non
seulement sur l’esprit ou sur l’âme, mais aussi sur le corps à l’image du corps glorieux du
Christ, selon l’Homélie sur le Psaume 81 (3).

1 – Fragment sur Exode 10,27

Pour certaines maladies du corps, lorsque le mal a, pour ainsi dire, gagné en profondeur, le médecin
grâce à certains remèdes attire et amène à la surface la substance malade, en produisant des
douloureuses inflammations, des enflures et des souffrances plus nombreuses que celles ressenties
avant le commencement du traitement – ainsi procède-t-on habituellement avec les enragés et avec
d’autres malades atteints de maux semblables. Eh bien! de la même façon Dieu aussi, à mon avis,
traite le mal caché qui a gagné la profondeur de l’âme.
Et de même que le médecin pourrait dire à propos de tel malade: «Je vais provoquer des
inflammations dans les zones en repos et je forcerai certaines parties du corps à enfler pour que se
produise un abcès douloureux» – en entendant le médecin tenir ce langage, un auditeur
expérimenté ne lui adressera aucun reproche, mais au contraire le louera de menacer en quelque
sorte de provoquer ces effets, alors qu’un autre blâmera le médecin et prétendra que celui qui
provoque des inflammations et des abcès, alors qu’il devrait guérir, trahit la profession de médecin
– de la même façon, à mon avis, Dieu également a dit: «Moi j’endurcirai le cœur de Pharaon» (Ex
7,3; 14,4.17). Celui qui comprend ces textes comme des paroles de Dieu les accepte, parce qu’il
révère la dignité de celui qui les prononce, mais quiconque cherche trouve (cf Mt 7,8) aussi dans ce
texte une attestation de la bonté de Dieu.
À première vue cela arriva pour le salut du peuple, fortifié dans sa foi grâce à de très nombreux
prodiges; ensuite pour les Égyptiens qui, frappés de stupeur par les événements, devaient être si
nombreux à suivre les Hébreux: «Une foule d’Égyptiens se mêla à eux pour partir» (Ex 12,38).

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Mais d’une façon plus secrète et plus profonde, peut-être cela arriva-t-il aussi pour le profit de
Pharaon lui-même: il ne cache plus son venin ni ne retient son naturel, mais il attire le venin et le
conduit au grand jour, et, peut-être, en agissant, l’élimine-t-il de sorte que, après avoir
complètement excrété le mal présent lui, il puisse rendre désormais sans force l’arbre porteur de
maux, peut-être même finalement le rendre desséché, lorsque lui, Pharaon, est englouti dans la mer;
ce qui n’arriva pas, comme on pourrait le penser, pour qu’il soit totalement anéanti, mais pour
qu’en rejetant ses péchés il en soit allégé, et que, en paix peut-être ou du moins sans que son âme
soit en si grand conflit, il descende dans l’Hadès.

[Philocalia 27,5, trad. par Éric JUNOD dans: Origène, Philocalie 21-27: Sur le libre arbitre, SCh
226, Paris, Cerf, 1976, p. 285-287]

2 – Homélie V sur Josué

Dans ce texte de l’Écriture: «le peuple se hâta de passer le Jourdain; et lorsque tout le peuple eut
achevé de passer, l’Arche d’alliance du Seigneur passa aussi» (Jos 4,10-11), les mots: «le peuple se
hâta de passer», ne me paraissent pas une addition superflue de l’Esprit-Saint. Je pense que nous
qui venons au baptême du salut et qui recevons les mystères de la parole de Dieu, nous ne devons
pas agir avec mollesse ou indolence, mais nous hâter, nous précipiter jusqu’à ce que nous ayons
tout franchi. Car, tout franchir, c’est accomplir tous les commandements. Hâtons-nous donc de
franchir, c’est-à-dire d’accomplir d’abord ce qui est écrit: «Bienheureux les pauvres en esprit» (Mt
5,3), afin qu’ayant déposé tout orgueil et embrassé l’humilité du Christ, nous méritions de parvenir
à la béatitude promise. Mais quand nous avons rempli ce précepte, il nous faut sans arrêt ni cesse, il
nous faut franchir toute la suite: «ayons faim et soif de la justice» (Mt 5,6); et il faut franchir aussi
«pleurons» (Mt 5,5) en ce monde, et franchir encore rapidement tout le reste: «devenons doux» (Mt
5,4) et restons «pacifiques» (Mt 5,9) afin que nous puissions par là écouter en «fils de Dieu»; et il
faut nous hâter aussi de franchir, par la vertu de patience, le fardeau des persécutions.
C’est dans cette quête active et ardente de toutes les perfections qui visent à la gloire de la vertu,
dans cette quête sans relâchement ni mollesse que consiste, à mon avis, le passage du Jourdain à la
hâte. Mais quand ce passage sera achevé et que nous aurons pris possession de ce que nous devons
obtenir, il faut à nouveau faire preuve de prudence et de vigilance, de peur qu’un excès de
négligence dans notre marche ne soit la cause d’un faux pas; «mon pied a presque glissé» (Ps 72,2),
dit le prophète. Nous ne devons pas avoir moins de zèle à conserver les vertus qu’à les rechercher.

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[Hom. in Jos. V,2, trad. par Annie JAUBERT dans: Origène, Homélies sur Josué, SCh 71, Paris,
Cerf, 1960, p. 161-163]

3 – Homélie sur le Psaume 81

Si Dieu le Verbe vient à l’âme, il fait de l’âme qui l’accueille un dieu. Car, si « un peu de levain
fait lever toute la pâte» (1 Cor 5,6), que dira-t-on du levain du Verbe, qui n’est ni peu ni sans valeur
mais au contraire déifiant, sinon que ce levain, lorsqu’il pénètre dans l’âme, fait lever toute la pâte
de l’homme en vue de le diviniser et l’homme tout entier devient dieu?
«Le royaume des cieux est semblable à du levain qu’une femme a pris et enfoui dans trois mesures
de farine, jusqu’à ce que le tout ait levé» (Mt 13,33). Or les «trois mesures» sont l’esprit, l’âme et
le corps de l’homme. Le levain est arrivé de la part de la femme, c’est-à-dire l’Église, qui a
accueilli le Christ. Ce levain, étant mélangé avec les trois mesures de farine, a fait lever toute la
pâte et a transformé l’homme en dieu sous tous ses aspects.
Ne sois pas étonné, si (le Verbe) a déifié l’esprit qui est en nous, car celui-ci a une parenté avec
Dieu, du fait que l’esprit incorruptible est présent en tous. Sois plus étonné par le fait que l’âme soit
déifiée, afin qu’elle ne pèche ni ne meure plus, car «l’âme qui pèche mourra» (Éz 18,4). Mais ce
qui étonne le plus est que le Verbe ait déifié aussi le corps, afin qu’il ne soit plus chair et sang (cf. 1
Cor 15,50), mais devienne «semblable au corps glorieux» (Phil 3,21) du Christ Jésus et, étant
divinisé, soit enlevé au ciel dans la gloire, selon les paroles: «nous serons emportés sur des nuées
pour rencontrer le Seigneur dans les airs. Ainsi nous serons avec le Seigneur toujours» (1 Th 4,17).
Étant devenus des dieux, nous sommes avec Dieu qui se trouve au milieu de notre assemblée,
(avec) Jésus Christ.

[H81Ps 1, dans: Origenes, Die neuen Psalmenhomilien. Eine kritische Edition des Codex
Monacensis Graecus 314, éd. Lorenzo PERRONE, GCS.NF 19, Berlin, de Gruyter, 2015, p. 512]

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