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ÉTUDES BIBLIQUES

(Nouvelle Série n° 42)


——

SAINT PAUL

ÉPÎTRE

AUX ÉPHÉSIENS
ÉTUDES BIBLIQUES
(Nouvelle Série n° 42)
——

S A I N T PA U L

ÉPÎTRE

AUX ÉPHÉSIENS

Introduction, traduction et commentaire


de
Jean-Noël ALETTI, S.J.

PARIS
Editions J. GABALDA et Cie
18, rue Pierre et Marie Curie

2001
Avant propos

Le présent travail paraît alors que viennent à peine d’être mis sur le marché
deux imposants commentaires sur la même lettre aux Éphésiens, ceux de E.
Best et P.T. O’Brien1, dont il est fait mention dans la bibliographie en fin de
volume. Nonobstant la qualité de ces deux études et de celles qui les ont
précédées, notre présentation d’Éphésiens (désormais Ep), loin de faire double
emploi, nous semble au contraire être la bienvenue, car elle tranche par son
approche. En effet, celle des derniers commentaires en date est essentiellement
diachronique : les passages d’Ep y sont mis en relation avec Colossiens – que
les uns tiennent pour antérieure et les autres non –, et avec les lettres
unanimement reconnues comme étant de la main de Paul (et pour cela appelées
homologoumena). Sans oublier cette dimension diachronique, qui s’étend
d’ailleurs à d’autres traditions (biblique, juive, grecque, hellénistique et
romaine), les analyses du présent commentaire seront avant tout
synchroniques : les différentes unités seront considérées dans leur dynamique et
en fonction de leur place dans la lettre. Il est ainsi possible de voir quels
vocables font l’objet d’un traitement et d’un développement spécial. Concrè-
tement, cela signifie que l’on se refusera à donner le sens d’un terme dès sa
première apparition, en s’appuyant au besoin sur les passages subséquents de la
lettre ou sur les autres écrits néotestamentaires – grâce surtout aux
concordances – : quel sens donner à musth,rion, avnakefalaiw,sasqai, etc., en Ep
1 ? Seule la suite du texte permet de décider. Certes, tout écrit – et tout acte de
parole – suppose qu’auteur et lecteurs s’entendent sur le sens des vocables
utilisés, sans avoir besoin de fournir continûment des précisions, par adjonction
ou par correction. Le critère (de l’usage) a sa pertinence. Et c’est
paradoxalement lui qui nous invite à être sensibles aux figures rhétoriques (à
tous les niveaux de discours) par lesquelles s’indique la construction du sens.

1
Publiés respectivement en 1997 et 1999.
ii ÉPHÉSIENS

Concrètement, l’analyse exégétique ne s’étendra pas à tous les vocables du


texte, verset par verset, mais seulement à ceux qui, en Ep, requièrent une plus
grande attention, parce que propres à cette lettre ou utilisés de manière
différente. Pour l’usage des termes pauliniens courants, le lecteur pourra
consulter le commentaire de A.T. Lincoln, les dictionnaires et vocabulaires du
Nouveau Testament2.
La fonction d’un commentaire est évidemment multiple, mais trop sou-
vent, les analyses de détail, que le texte d’Ep, difficile à tous les niveaux, a
rendues nécessaires, ne sont pas suivies d’une reprise ou une synthèse qui sou-
ligne les enjeux des différents champs théologiques. Voilà pourquoi, à la fin de
chaque séquence, nous avons donné quelques éléments de réflexion en un
paragraphe intitulé reprise théologique, qui, nous l’espérons, aidera le lecteur à
ressaisir les lignes de force de l’argumentation, l’originalité de l’ecclésiologie,
de la sotériologie ou de la christologie.
Il est difficile de dire comment un commentaire doit être utilisé, car, à la
différence d'une monographie ou d'un essai, il n'est jamais lu de façon suivie,
seulement consulté, pour l'analyse d'un verset ou, au maximum, d'une section.
Afin que le lecteur qui consultera cet ouvrage pour seulement un ou deux
versets ne manque pas les informations nécessaires ou plus importantes, ces
dernières seront donc parfois répétées (dans la présentation d’une sous-section
ou d’une unité, au cours de l’exégèse des versets et dans la reprise théologique).
Un effort spécial a été fait pour mettre en valeur la composition de la lettre et de
ses unités respectives. Les commentaires qui ont précédé le nôtre étant presque
exclusivement préoccupés de l’histoire de la rédaction – des rapports avec Col
et les homologoumena –, ont malheureusement négligé cet aspect, qui porte un
éclairage direct sur l’organisation du sens3. D’avoir en particulier considéré

2
Pour celles et ceux qui préféreraient un commentaire en langue française, on peut
conseiller celui de S. Légasse, Les épîtres de Paul aux Thessaloniens. (Lectio Divina –
commentaires 7). Le Cerf : Paris 1999, qui fournit, avec beaucoup de précision et de
bonheur, les informations sur la plupart des vocables utilisés par Paul en ses différentes
lettres.
3
À la fin de l’introduction à son commentaire (p.73-82), P.T. O’Brien consacre un long
paragraphe pour montrer qu’Ep ne saurait obéir aux modèles que certains rhétoriciens
voudraient imposer aux lettres pauliniennes – il se recommande même du livre de P.H. Kern,
Rhetoric and Galatians Cambridge University Press 1998. S’il est vrai que les lettres
pauliniennes n’obéissent pas servilement aux dispositiones des manuels, que Paul n’a
probablement pas lus, alors qu’il a manifestement eu une formation rhétorique – et plus que
minimale –, il importe néanmoins de mettre en valeur la dispositio de ses lettres – et d’Ep en
particulier –, qui obéit à des règles assez strictes, comme on va le voir au cours des analyses.
Refuser un modèle trop rigide ne devrait pas équivaloir à ne pas chercher de dispositio,
surtout lorsqu’il y en a une.
AVANT-PROPOS iii

ensemble Ep 2 et 3 – car ils forment, comme on le verra, une unité thématique –


, constitue sans doute l’un des acquis les plus nets. L’autre point sur lequel une
avancée est ici faite est le mystèrion. Ce commentaire fait bien suite à celui déjà
publié dans la même collection sur Colossiens. Si, ces dernières décennies,
l'histoire de la rédaction et de la tradition ont nettement progressé, en montrant
les attaches apocalyptiques (et non mystériques, voire gnostiques) du terme,
elles n'en ont pourtant pas mis à jour sa fonction sémantique, qu’il importait de
mettre en valeur. Un excursus sur le vocable musth,rion (après l’exégèse d’Ep
3,7) complètera utilement cette étude sémantique.
Un commentaire doit aussi faire état de l’histoire de l’interprétation, et
donc citer ses devanciers. Néanmoins, il est toujours tentant de procéder par
empilage, de déverser son fichier, pour fournir toutes les informations. La
longueur des notes suit alors une courbe exponentielle. Il nous a semblé
nécessaire de fuir la pure érudition, qui n'arrive pas toujours à cacher ses
déficiences relatives à l'intelligence du texte – la liste complète des positions
prises perd plus le lecteur qu'elle ne l'aide, surtout lorsque les raisons et les
critères de leurs choix ne sont pas mentionnés. Les notes en bas de page auront
pour fonction de fournir les informations techniques décisives ou les sources
auxquelles on pourra se référer. Le commentaire de M. Barth, encyclopédique et
exhaustif avec ses 849 pages, est un peu comme ces grands magasins où l’on
trouve presque tout sur tout. Mais en voulant tout embrasser, il a souvent mal
étreint, car trop d’information peut aussi perdre le lecteur. À ce commentaire
volumineux, nous en avons préféré quatre plus récents, ceux de R. Penna, M.
Bouttier, A.T. Lincoln, et P.T. O’Brien, moins épais, pourtant très bien informés
et typiques des nouveaux commentaires par leur attention à la plupart des
dimensions du texte. Le premier est catholique, et les autres protestants, mais
les choix exégétiques qu’ils font ne sont pas déterminés par l’Église à laquelle
ils appartiennent4. Nous n’avons pas trouvé de commentaire allemand assez à
jour pour être suivi comme ceux qui viennent d’être mentionnés ; il va de soi
que, pour Ep 2 et pour la partie exhortative de la lettre (Ep 4-6), les études
allemandes seront sollicitées, en particulier celles du regretté H. Merklein, car
leur contribution a eu beaucoup d’impact sur les travaux postérieurs, jusqu’à
aujourd’hui. Pour la littérature grecque non biblique, nous avons largement
utilisé la dernière édition du Thesaurus Linguæ Græcæ (en abrégé TLG) et suivi
les divisions qu’il propose, pour les textes consultés.

4
Celui de E. Best, pourtant remarquable, sera peu exploité, parce qu’il est amplement cité
et suivi par O’Brien ; le mentionner souvent n’aurait fait qu’ajouter un avis supplémentaire à
une liste déjà longue.
iv ÉPHÉSIENS

Sans doute quelques observations sur plusieurs vocables utilisés au cours


du commentaire permettront aux lecteurs de voir ce que nous supposons connu
et dissiperont quelques malentendus. Comme on le sait, les historiens des
origines chrétiennes débattent de l’opportunité d’utiliser l’expression ‘judéo-
chrétien(s)’ pour désigner ceux qui parmi les juifs du Ier siècle crurent en Jésus
Christ et entrèrent dans l’Église. L’expression « juifs chrétiens » semble
d’autant moins heureuse que les juifs contemporains refusent qu’on puisse être
l’un et l’autre. Si donc ‘judéo-chrétien’ est employé dans le présent
commentaire, c’est avec une valeur purement désignative, pour indiquer une
extraction ou une provenance, tout comme ‘ethnico-chrétien’ désigne les
croyants convertis du paganisme5. De même, pour éviter les répétitions, nous
utiliserons indifféremment plusieurs vocables pour désigner les différentes let-
tres de l’apôtre : ‘protopauliniennes’ équivaudra à homologoumena et désignera
les sept lettres unanimement reconnues comme authentiques ;
‘deutéropauliniennes’ et antilegomena seront eux aussi équivalents et
s’appliqueront à Col et Ep. Ces dénominations n’impliqueront jamais une prise
de position sur l’authenticité ; elles nous éviteront bien des circonlocutions.
Les notices bibliographiques figurant au début des sections ou des sous-
sections ne prétendent pas à l’exhaustivité, d’autant plus qu’elles ne signalent
en général que les articles ou monographies publiées ces vingt dernières années.
Quiconque désirerait avoir la liste complète des publications devra consulter le
commentaire de A.T. Lincoln, qui reste à cet égard aujourd’hui encore le plus
complet. Ne seront par ailleurs cités intégralement que les articles et ouvrages
ne figurant pas dans la bibliographie finale ; les autres le seront toujours en
abrégé.

5
On distinguera également entre ‘païens’ et ‘Gentils’ (avec une majuscule), le premier
terme désignant ceux qui s’adonnent au culte des religions de l’époque, alors que le second
dénote seulement une extraction, et est en opposition à ‘circoncis’ ou à ‘Juif’.
Abréviations

ANBIB Analecta Biblica


ATANT Abhandlungen zur Theologie des Alten und Neuen Testaments
BETL Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium
BIB Biblica
BTN Bibliotheca Theologica Norvegica
BU Biblische Untersuchungen
BZ Biblische Zeitschrift
BZ NF Biblische Zeitschrift neue Folge
BZNW Beihefte zur Zeitschrift für die neutestanientliche Wissenschaft
CBQ Catholic Biblical Quarterly
EKK NT Evangelisch-katholischer Kommentar zum Neuen Testament
ESTBIB Estudios Bíblicos
ETR Études théologiques et religieuses
EVQ Evangelical Quarterly
EVT Evangelische Theologie
FRLANT Forschungen zur Religion und Literatur des Alten und Neuen
Testaments
FRLANT NF Forschungen zur Religion und Literatur des Alten und Neuen
Testaments neue Folge
FS Festschrift (hommage)
FZB Forschung zur Bibel
GNT Grundrisse zum Neuen Testament
GREG Gregorianum – Roma
HNT Handbuch zum Neuen Testament
HTKNT Herders theologischer Kommentar zum Neuen Testament
ICC The International Critical Commentary on the Holy Scriptures of
the Old and New Testaments
IER Irish Ecclesiastical Record
INT Interpretation
JBL Journal of Biblical Literature
JSNT Journal for the Study of the New Testament
JTS Journal of Theological Studies
LAS Libreria Ateneo Salesiano
LD Lectio Divina
NICNT New International Commentary on the New Testament
vi ÉPHÉSIENS

NRT Nouvelle revue théologique


NT Novum Testamentum, Leiden.
NTOA Novum Testamentum et Orbis Antiquus, Freiburg.
NT.S Novum Testamentum Supplement
NTABHERGBD Neutestamentliche Abhandlungen. Ergänzungsband
NTD Das Neue Testament Deutsch
NTS New Testament Studies
NTTS New Testament Tools and Studies
ÖTKNT Ökumenische Taschenbuch Kommentar zum Neuen Testament
QD Quaestiones disputatae
RAC Reallexikon für Antike und Christentum
RAC SUP Reallexikon für Antike und Christentum. Supplément
RB Revue biblique
REGNT Regensburger Neues Testament
REVEXP Review and Expositor
RGG Religion in Geschichte und Ge genwart
RIVB Rivista biblica italiana
RSPT Revue des sciences philosophiques et théologiques
RSTH Revue des sciences théologiques
RTP Review of Theology and Philosophy
SALM Salmanticensis. Salamanca
SANT Studien zum Alten und Neuen Testament
SBESP Semana biblica española
SBL Society of Biblical Literature
SBS Stuttgarter Bibelstudien
SCESP Science et esprit
SE Studia Evangelica
SJT Scottish Journal of Theology
SNT Schriften des neuen Testaments
SNTSMS Society for the New Testament Studies Monograph Series
ST Studia Theologica
THBL Theologische Blätter
THNT Theologischer Handkommentar zum Neuen Testament
TLG Thesaurus linguae graecae
TLZ Theologische Literaturzeitung
TOB Traduction œcuménique de la Bible
TQ Theologische Quartalschrift
TRINJ Trinity Journal
TRTHST Trierer thelogische Studien
TS Theological Studies
TSK Theologische Studien und Kritiken
TU Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen
Literatur
TZ Theologische Zeitschrift
ABRÉVIATIONS vii

USQR Union Seminary Quarterly Review


WBC Word Biblical Commentary
WUNT Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament
ZBKNT Zürcher Bibelkommentar zum Neuen Testament
ZNW Zeitschrift für die neutestamentlichen Wissenschaft und die
Kunde der älteren Kirche
ZST Zeitschrift für systematische Theologie
ZTK Zeitscbrift für Theologie und Kirche
Introduction

Le présent commentaire vient, après bien d’autres, témoigner de la


fécondité du message délivré par la lettre aux Éphésiens (désormais Ep). Dès
l’antiquité chrétienne, Ep fut connue et citée par les grands écrivains
ecclésiastiques. Polycarpe semble être le premier à faire écho à un passage de la
lettre, Ep 2,5.8-9, en ad Phil 1,31; mais c’est seulement à partir du IIème siècle
que des citations explicites sont faites, avec l’intitulé ‘lettre aux Éphésiens’,
dans l’adversus Haereses d’Irénée2, les Stromates de Clément d’Alexandrie3, et
plusieurs ouvrages d’Origène4. Quelques commentaires de la période patristique
sont mentionnés par J. Gnilka5. À partir du Moyen Âge, les commentaires se
font plus nombreux, en Orient comme en Occident.

1
Epistula ad Philippenses 1.3.3-4 : ca,riti, evste seswsme,noi( ouvk evc e;rgwn( avlla.
qelh,mati qeou/ dia. Ihsou/ Cristou/ (« C’est par grâce que vous avez été sauvés, non à partir
des oeuvres, mais par la volonté de Dieu, par Jésus Christ »). Signalons aussi, avec toute la
réserve nécessaire, un passage des Epistulae interpolatae et epistulae suppositiciae d’Ignace
d’Antioche 2.9.4.2-3 kai. e;scisen to.n avp aivw/noj fragmo.n kai. to. meso,toicon auvtou/ e;lusen,
qui reprend manifestement Ep 2,14.
2
Adversus haereses 4.14-18, qui cite Ep 5,30 (‘Nous sommes membres de son corps’), et
qui ajoute ‘de sa chair et de ses os’ : Kaqw.j o` maka,rioj Apo,stolo,j fhsin evn th|/ pro.j
Efesi,ouj evpistolh|/ o[ti me,lh evsme.n tou/ sw,matoj auvtou/ evk th/j sarko.j auvtou/ kai. evk tw/n
ovste,wn auvtou/ (« Comme le dit le bienheureux apôtre Paul dans la lettre aux Éphésiens :
‘Nous sommes les membres de son corps’ – [faits] de sa chair et de ses os… »).
3
Stromates 4.8.64.1.1-4 : dio. kai. evn th|/ pro.j Efesi,ouj gra,fei\ u`potasso,menoi avllh,loij
evn fo,bw| qeou/ (« Voilà pourquoi il écrit aussi aux Éphésiens : ‘Soumettez-vous les uns aux
autres dans le respect de Dieu »).
4
Contra Celsum 3.20.8 ; De oratione 5.5.1 ; 27.15.7: In Jesu Nave homiliae xxvi 441.27 ;
Expositio in Proverbia 17.168.43 ; Fragmenta ex commentariis in epistulam i ad Corinthios
16.9. Sans doute aussi Origène est-il un des premiers, voire même le premier, à avoir fait un
commentaire d’Ep, dont il ne reste au demeurant que des fragments.
5
Voir dans Epheserbrief, les pages X-XI de la bibliographie.
2 ÉPHÉSIENS

Le débat sur l’authenticité ne commence vraiment qu’à partir du XIXème,


avec de Wette et Holtzmann6. Pour une histoire du problème, on ne peut que
renvoyer à la monographie de A van Roon, The Authenticity of Ephesians.

Les deutéropauliniennes et leurs difficultés

Si on le compare aux précédents, axés avant tout sur le rapport entre les
lettres unanimement reconnues comme authentiques d’une part, et Colossiens /
Éphésiens de l’autre, le présent commentaire insiste davantage sur la
construction du discours d’Ep, sur l’usage qui y est fait des images (tête-corps)
et des concepts (mystère) récurrents, pour déterminer leur importance, leur
portée théologique, encore et surtout aujourd’hui. Bref, sans que la diachronie
soit négligée, l’analyse sera principalement synchronique.
Les ressemblances et les différences entre les lettres de la captivité et les
homologoumena7 soulèvent de nombreux problèmes, mais les commentaires de
ces dernières décennies les ont déjà affrontés, et ont proposé des solutions qu’il
faudra sans aucun doute revoir. Il est d’autre part important de souligner que
c’est en comparant les glissements dans le langage et l’argumentation que l’on
peut mettre en relief l’originalité respective des homologoumena et des lettres
de la captivité.
Eu égard aux homologoumena, les traits des lettres de la captivité
manifestent leur originalité de diverses façons :
- par la syntaxe et le style, plus chargé, ampoulé, et appelé ‘baroque’ par
certains ;
- par les argumentations, où l’on note l’absence de diatribe et de preuves
scripturaires plus ou moins longues ;
- par l’usage des figures rhétoriques: moins d’auxèsis, de synkrisis, de
paradoxes ; mais les métaphores8 et métonymies9 y sont encore très présentes et
opérantes ;

6
On trouvera un bon résumé des travaux de ces deux pionniers (surtout de Wette) dans H.
Merkel, « Der Epheserbrief in der neueren Diskussion », 3162-3164 et 3164-3165.
7
On appelle homologoumena sept lettres pauliniennes dont l’authenticité n’est discutée
par personne : Romains, 1 et 2 Corinthiens, Galates, Philippiens, 1 Thessaloniciens,
Philémon. Ajoutons que si leur authenticité est unanimement reconnue, il n’en est pas de
même pour leur intégrité, puisque bon nombre de commentateurs voient en 1 et 2
Corinthiens, mais aussi en Philippiens et Romains, des billets originellement séparés et
ensuite regroupés par Paul lui-même ou par d’autres. Quant au terme antilegomena, il
désigne les lettres dont l’authenticité est discutée, à savoir Col, Ep, 2Th et les Pastorales (1-
2Tm et Tt).
8
‘Corps’, ‘temple saint’, etc., dit de l’Église ; ‘tête’ dit du Christ.
9
Le Christ appelé “notre paix”.
INTRODUCTION 3

- par le langage et les thèmes10, qu’il importe de présenter brièvement avant


d’en suivre le développement tout au long d’Ep :

(1) Le mystère
L’emploi répété du terme musth,rion pour désigner l’Évangile (Col 1,23.24-2,5 ;
Ep 3,4-6 ; 6,19) est typique des antilegomena. Comment expliquer cet emploi et
l’insistance sur les conditions spatio-temporelles de la diffusion du mystère, sur
son contenu christologique et ecclésiologique ? Surtout, de quel monde
religieux vient le vocable musth,rion, et que peut-on conclure de cette
ascendance ?

(2) La multiplication des êtres célestes


En Col et Ef, sont mentionnés les principautés et les puissances (célestes
et/ou terrestres: Ep 1,21 ; 2,2 ; 3,10 ; 6,12 ; Col 1,16 ; 2,10,15), les anges (Col
2,18), les êtres ou lieux célestes (oi` evpoura,nioi - Ep 1,3.20 ; 2,6 ; 3,10 ; 6,12),
mais sans que la raison en soit fournie par les rédacteurs. Cela est-il dû à
l’influence du judaïsme paratestamentaire (en particulier de l’apocalyptique) ?
Quelle est leur fonction exacte dans l’argumentation et la théologie de Col et
d’Ep ? Quel est le rapport11 entre les trônes, les seigneuries, les cieux supérieurs
(evpoura,nioi) et les anges de Col 2,18 ? Pourquoi enfin Col et Ep soulignent-
elles tant la plénitude du Christ, sa primauté absolue sur tous les êtres, en
particulier les êtres célestes ?

(3) La sotériologie et l’eschatologie


Comment expliquer le glissement des catégories sotériologiques et
eschatologiques ? Car les croyants ne sont plus seulement morts et ensevelis
avec Christ (Rm 6,1-14), ils sont aussi ressuscités avec lui (Col 2,12 ; 3,1 ; Ep
2,6), ils ont reçu toute plénitude en/avec lui, et sont déjà sauvés (Ep 2,5.8).
Comment en est-on arrivé à l’usage métaphorique du vocabulaire de la
résurrection ? L’eschatologie est-elle devenue totalement réalisée12?
Pour de nombreux exégètes, l’eschatologie de Col et Ep a perdu la
dimension apocalyptique fondamentale des homologoumena. Tel est alors le

10
Voir R. Penna, Efesini, 30-37 ; J.-N. Aletti, Colossiens, 243-245.
11
On sait que le terme a;ggeloj n’apparaît pas en Ep ; pour les homologoumena, voir 1Co
4,9 ; 6,3 ; 11,10 ; 13,1 ; 2Co 11,14 ; 12,7 ; Ga 1,8 ; 3,19 ; 4,14.
12
L’eschatologie des deutéropauliniennes a provoqué des discussions assez vives. On
pourra consulter F.-J. Steinmetz, «Parusie Erwartung in Epheserbrief ? – Ein Vergleich»,
(1969) ; M. Barth, «Die Parusie in Epheserbrief. Eph 4,13», 1972 ; A. Lindemann, Die
Aufhebung der Zeit, 1975 ; H.E. Lona, Die Eschatologie im Kolosser- und Epheserbrief ;
G.F. Wessels, «The Eschatology of Colossians and Ephesians» (1987).
4 ÉPHÉSIENS

paradoxe: la multiplication du vocabulaire de l’apocalyptique en Col/Ep irait de


pair avec une perte ou un retrait de l’apocalyptique ! Selon d’autres, Ep est
vraiment apocalyptique, non seulement par la présence du terme musth,rion et
du vocabulaire de révélation et de connaissance du musth,rion13.

(4) Christologie et ecclésiologie


Pourquoi l’Église est-elle décrite comme corps du Christ, qui est, lui seul,
sa tête (kefalh,) ? Il est d’autre part intéressant de voir quelles autres
métaphores décrivent le groupe des croyants en Ep 2,11-21 (une seule réalité,
un homme nouveau, un temple saint), car d’autres semblent soigneusement
évitées (peuple, vraie circoncision, etc.), et il importera d’interpréter ces
tendances.

(5) Les codes domestiques


Col et Ep invitent – sans qu’on puisse parler d’insistance — les épouses à se
soumettre à leurs époux, les dou/loi (serviteurs, esclaves) à obéir parfaitement à
leurs patrons et maîtres. L’interprétation de tels codes reste très discutée,
comme on le sait. Assistons-nous à la sacralisation de structures sociales
contingentes et temporellement déterminées, ou les enjeux sont-ils d’un autre
ordre ? Nous ne pourrons éviter ces difficiles questions.

La composition et le thème principal d’Éphésiens

Plutôt que de présenter exhaustivement les opinions et hypothèses des


exégètes, on ne discutera que trois dispositiones représentatives des différents
types de composition, et ce, afin de réfléchir sur les techniques et les modèles
sans lesquels le mode de composer du rédacteur d’Ep (que ce soit ou non Paul,
peu importe pour le moment) demeure incompréhensible. Auparavant,
dégageons quelques unes des composantes épistolaires retenues par de
nombreux commentaires, parce qu’elles sont facilement repérables :

(1) le cadre épistolaire :


- l’adresse initiale (1,1-2), composée de trois éléments :
a) le rédacteur ou l’envoyeur14, Ep 1,1a (Paul, qui ajoute sa qualification: apôtre) ;

13
Pour l’absence des vocables révélation et révéler (avpoka,luyij, avpokalu,ptein), cf. J.-N.
Aletti, Colossiens, 140-141 : comme l’auteur de Col veut montrer que les visions (fournissant
de nouvelles révélations, donnant accès à la sphère céleste, etc.), sont inutiles, puisque les
croyants sont déjà pleinement comblés en Christ, il ne peut utiliser le vocabulaire de
révélation des apocalypses, sinon il aurait beaucoup de mal à éviter les malentendus…
14
Au début de certaines lettres, Paul mentionne les noms de ceux qui, avec lui, saluent les
destinataires. Ils ont peut-être participé à la rédaction des lettres, mais il est impossible de le
INTRODUCTION 5

b) mention des destinataires Ep 1,1b ;


c) salut Ep 1,2.
- le cadre épistolaire final (6,21-24), constitué de trois éléments :
a) envoi d’un collaborateur, Tychique Ep 6,21-22 (voir aussi Col 4,7-9) ;
b) salut Ep 6,23 ;
c) bénédiction Ep 6,24 ;

(2) le début de la lettre, dont la fonction est introductive et qui comprend


- une prière (eulogie hymnique15) Ep 1,3-1416,
- suivie d’une mention de prières (action de grâces + demande) Ep 1,15-23.

Quelques observations sont ici nécessaires. Admettre que les passages qui
viennent d’être relevés ont une fonction introductive laisse entière la question
de leur appartenance à ce qu’il est convenu d’appeler le « corps de la lettre ».
Certains doutent d’une telle appartenance, et la question mérite d’être
soulevée17, d’autant plus que, selon les mots de D.E. Aune, « [l]’analyse de la
section centrale des lettres de la première période du Christianisme ne donne
pas encore de résultats satisfaisants »18 ; disons qu’elle est même jusqu’à
présent peu (ou pas) utile, car, si elle cherche le plus petit commun
dénominateur (les signaux) indiquant le début du corps des lettres anciennes,
elle ne donne pas assez d’attention aux formules propres à chaque auteur. Paul
fait presque toujours19 suivre l’adresse initiale d’une mention de prières
(d’action de grâces et d’intercession), dans laquelle beaucoup – y compris le
présent commentaire – refusent de voir le début du corps de la lettre. Si l’on
peut discuter ces choix, il faut cependant reconnaître que la forme des lettres

montrer. Voir 1Co 1,1b (Sosthène) ; 2Co 1,1b (Timothée) ; Ga 1,2a (et tous les frères qui
sont avec moi) ; Ph 1,2 (Timothée) ; 1Th 1,1 (Silvain et Timothée) ; Phm 1 (Timothée) ; Col
1,1 (Timothée).
15
Pour cette appellation (d’eulogie hymnique), voir infra l’exégèse d’Ep 1,3.
16
Comme celle d’Ep, l’eulogie de 2Co 1,3-11 commence comme une prière de bénédic-
tion, et se développe par une liste de bénédictions, de forme peu narrative.
17
Voir A.T. Lincoln, Ephesians, xxxviii, qui se demande : « Mais y a-t-il un corps de
lettre en Éphésiens ? Il est à vrai dire difficile de déterminer où commence et où finit le corps
des lettres de Paul (voir Doty, Letters in Primitive Christianity, 34. Selon J.L. White et J.
Sanders (voir l’article de ce dernier, « The Transition from Opening Epistolary Thanksgiving
to Body in the Letters of the Pauline Corpus », JBL 81 [1962] 348-362), le corps de la letter
ferait immédiatement suite à la mention d’action de grâces.
18
D.E. Aune, The New Testament in Its Literary Environment, 183, cite aussi A.T.
Lincoln, Ephesians, xxxviii.
19
Ga est l’exception qui confirme une tendance nette et continue.
6 ÉPHÉSIENS

anciennes, qu’elles soient ou non bibliques20, leur donne un appui non


négligeable. Mais il importe, après tant d’autres, de poser la question de la
fonction de ces prières21 et mentions de prières22.
Pour des raisons théoriques qui tiennent souvent de l’a priori, nombreux
sont encore ceux qui refusent de voir un exorde dans la mention de prière qui
suit immédiatement le salut initial ; selon eux, une telle dénomination
reviendrait à calquer le modèle des discours anciens sur celui des lettres, qui est
tout autre. Trop pressée d’exclure l’approche rhétorique et peu au fait de la
correspondance de l’époque, cette objection oublie qu’un certain nombre de
lettres anciennes ont un exorde, dont il est par ailleurs difficile de dire s’il
appartient ou non au corps de la lettre. Mais appeler introductions ou exordes
les mentions de prière inaugurales des lettres pauliniennes n’implique pas qu’on
assimile les lettres aux discours23. Et il faut bien admettre qu’après le
praescriptum de chaque lettre (ou presque24), Paul insère un passage dont la
fonction est certainement – sinon manifestement – introductive25.

20
On ne rencontre pratiquement jamais de bénédiction au début des lettres avant NT ; la
seule exception est constituée par 2Ch 2,11-12 (lettre de Hiram à Salomon, citée par Flavius
Josèphe en ses Antiquités Juives, 8,53,2-4), et cela confirme que les prières et mentions de
prières ne faisaient pas partie du corps de la lettre.
21
En 2Co 1,3-11 et Ep 1,3-14.
22
En toutes les autres lettres, excepté Ga.
23
Cela dit, séparer les deux types de rhétoriques est impossible. Que plusieurs lettres de
Paul contiennent des parties fortement argumentatives ne les empêche pas d’être et de rester
des lettres. Il n’y a pas à choisir entre deux types de dispositio (voir Lincoln, Ephesians,
p.xliii-xliv, qui présente deux développements, selon qu’on choisit de faire d’Ep une lettre ou
un discours écrit), mais à déterminer les fonctions respectives des parties de la lettre, selon
leur facture et leur teneur. On ne peut que regretter les distinctions trop rigides – telle celle de
H. Probst, Paulus und der Brief (WUNT 2.45), Tübingen 1991 – qui raisonnent par
exclusive : l’épistolaire ou le rhétorique, alors que les deux sont manifestement conjoints.
24
Seules 1Tm et Tt font exception : le corps de la lettre y suit immédiatement le praes-
criptum.
25
Sur l’ouverture des lettres pauliniennes, voir J.T. Sanders, « The Transition from
Opening Epistolary Thanksgiving to Body in the Letters of the Pauline Corpus », JBL 81
(1962) 348–62 ; J.H. Roberts, « Pauline Transitions to the Letter Body », dans A. Vanhoye
(éd.), L’Apôtre Paul, Leuven University Press : Leuven, 1986, 93–99. On pourra aussi
consulter J.L. White, The Form and Function of the Body of the Greek Letter, Scholars
Press : Missoula, MT 1972 ; du même auteur, « Saint Paul and the Apostolic Letter
Tradition », CBQ 45 (1983) 433–44. Soit dit en passant, les livres des Maccabées montrent
que, bien avant notre ère, la manière d’écrire les lettres dans le judaïsme (de la Palestine et de
la Diaspora) était très marquée par les modèles hellénistiques. Ainsi, plusieurs des lettres
mentionnées en 1-3Ma contiennent une très brève transition ou introduction (voir 1Ma
14,21 ; 2Ma 1,2-6 ; 9,20-21a ; 11,28 ; 3Ma 3,13 ; 7,2). Pour plus d’information, voir infra,
l’exégèse d’Ep 1,1-2.
INTRODUCTION 7

Sans refuser a priori qu’il y ait des exordes épistolaires, d’autres


commentaires s’interrogent sur les critères permettant de savoir où commence
le corps des lettres pauliniennes en général, et celui d’Ep en particulier. Si l’on
restreint le corps de l’épître au thème principal, ne faut-il pas alors en exclure
les introductions (les mentions de prière) et les exhortations finales de lettres
comme Rm, Ga et même Ep (Ep 4,17 à 6,20). Reconnaissons que, s’il existe des
critères pour repérer le début du corps d’une lettre, il importe néanmoins de
respecter la manière d’écrire de chaque auteur et la particularité de chaque
écrit26. Eu égard à Ep, deux raisons au moins pourraient autoriser à voir le corps
de la lettre commencer en 1,3. D’abord le fait que les mentions de prière
(d’action de grâce, en 1,15-16, et de demande en 1,17-23) sont plus liées
sémantiquement à la première partie (Ep 1-3) qu’à la seconde (Ep 4-6). C’est
avant et après l’enseignement sur le musth,rion que le rédacteur insiste sur la
connaissance que ses lecteurs doivent avoir de l’œuvre divine en leur faveur
(1,17-19 et 3,18-19) :

- première mention de prière 1,16b-23 ;


- proclamation du mystère en ses composantes Ep 2 et 3,1-13 ;
- deuxième mention de prière 3,14-19.

En outre, pour ouvrir et fermer cette première partie plus didactique, deux
prières forment une belle inclusion, l’eulogie de 1,3-14 et la doxologie de 3,20-
21. Sans nier la valeur de ces raisons, l’exégèse montrera que la bénédiction
initiale excède les limites des deux parties de la lettre et sert de frontispice à
l’ensemble. Que l’eulogie fasse ou non partie du corps de la lettre, n’a que peu
d’incidence sur son interprétation -- une étiquette n’a d’intérêt que si elle aide à
comprendre au mieux la fonction d’un passage. Quant aux mentions de prières
(1,15-23), elles ont certes un rapport direct avec Ep 2-3, car elles préparent le
lecteur (ou l’auditeur) à la présentation du mystère, mais cela n’implique pas
nécessairement qu’elles fassent partie du corps de la lettre. On ne peut
s’interroger sur la fonction d’Ep 1,15-23 sans considérer en même temps les

26
Voir par exemple A.T. Lincoln, Ephesians, qui, après s’être interrogé sur les indices
marquant le début du corps des lettres pauliniennes et reconnu que les études sérieuses sur la
question manquent encore, se range à l’avis de ceux qui font de 1,3—3,21 la première partie
du corps de la lettre, principalement à cause de la doxologie de 3,20-21 qui fait inclusion
avec l’eulogie initiale : « Nous suggérons que 1,3–3,21 est l’équivalent de la première partie
du corps, première partie ayant la forme d’une longue prière d’action de grâces…, et que le
parakalô en 4,1 fait office de transition à la parénèse, qui peut être considérée comme
l’équivalent de la seconde partie du corps » (p.xxxix). On sait que pour W. Doty, Letters in
Primitive Christianity, Fortress : Philadelphia, 1973, 27 et 37, la partie exhortative ne ferait
pas partie du corps des lettres pauliniennes.
8 ÉPHÉSIENS

passages parallèles des autres lettres pauliniennes, pour déterminer s’ils


appartiennent ou non à ce qui forme chaque fois le corps de la lettre.
Supposant donc admis que, faisant ou non partie intégrante du corps de la
lettre, l’eulogie et les mentions de prière ont une fonction introductive, nous
pouvons comparer entre elles ces unités qui font suite au salut initial ; pareille
opération est utile, car elle permet de déterminer leurs points communs mais
aussi leur spécificité respective. Un tableau synoptique montre bien quel type
de transition Paul utilise en ses lettres, selon les circonstances mais aussi selon
les destinataires :

Rm 1Co 2Co Ga Ep Ph Col 1Th Phm


eulogie 1,3-11 1,3-14
mention prière 1,8-10 1,4-9 1,15-23 1,3-11 1,3-23 1,2-10 4-7
blâme 1,6-12

Si les lettres pauliniennes commencent par des introductions relativement


semblables, ces dernières ne sont pas pour autant uniformes: celle d’Ep est de
loin la plus longue, puisqu’elle comprend deux éléments, l’eulogie et la mention
de prières, absents des autres exordes.
- L’eulogie :
Le passage commence par mettre en valeur l’œuvre de Dieu et la
médiation du Christ, avec des accents hymniques (Ep 1,3-14). La fonction
rhétorique de cette eulogie n’est pas d’abord de favoriser la bienveillance ou la
docilité des destinataires, bien plutôt d’inviter ces derniers à se tourner vers
Dieu de qui vient tout bien. Que l’eulogie ne soit pas une captatio
benevolentiae des récipiendaires de la lettre, les motivations qu’elle expose le
montrent clairement : non seulement le "nous" n’est pas l’opérateur des
bénédictions mentionnées, mais il déborde largement le groupe constitué par
une communauté particulière dont il faudrait se concilier les faveurs.

- La mention de prières :
Les caractéristiques générales des exordes épistolaires sont en revanche
présentes en Ep 1,15-23 : en rappelant qu’il rend grâces pour la foi et la charité
de ses destinataires, Paul (i) renoue chaleureusement les liens avec une
communauté dont il est physiquement séparé, et (ii) il ne peut pas ne pas
favoriser leur attention respectueuse, voire leur bienveillance.
L’emploi d’expressions nouvelles, si on les compare avec celles des lettres
dites authentiques (le mystère, la relation Christ / Église décrite comme celle
entre kefalh, et sw/ma), en Ep 1,3-14 et 1,15-23, ne peut pas ne pas également
INTRODUCTION 9

amener le lecteur à se demander si Paul n’en reparlera pas plus longuement


dans le corps de la lettre27; à cet égard, l’eulogie et la mention de prière ont
encore une fonction introductive, qui est de préparer ou de formuler
inchoativement certains des thèmes de la lettre.
Pour déterminer la composition de Col et Ep – et celle des autres lettres –,
il est utile de lire et étudier les modèles de l’époque, épistolaires et discursifs,
oraux28 et écrits, sans oublier cependant que Paul les utilise avec liberté et en les
modifiant plus ou moins.

(3) une division bipartite: enseignement et exhortations


La division du corps de la lettre en enseignement et exhortations est
repérable en plusieurs des écrits pauliniens29:

enseignement exhortations
[1 Th] [2 – 3] [4,1 - 5,22]
2 Th 2,1-17 3,1-15
Galates 1,6 - 5,12 5,13 - 6,10
Romains 1,18 -11,36 12,1 - 15,13
Colossiens 1,24 - 2,23 3,1 -4,1
Éphésiens 2,1 - 3,21 4,1 - 6,20

Ce schéma n’est pas présent en 1 et 2Co, qui sont formées de sections de


longueur variable, affrontant chacune un problème particulier30. Il en est de

27
Une telle attente, typique du reader-response criticism, s’appuie sur une connaissance
de la manière de procéder de l’apôtre en ses différentes lettres.
28
Plusieurs études récentes insistent sur les traces de composition orale dans les lettres
pauliniennes (où les parallélismes, les comparaisons, la technique de la reversio – en grec:
u,̀steron pro,teron ou encore evpa,nodoj). Voir J.D. Harvey, Listening to the Text. Oral
Patterning in Paul’s Letters, Grand Rapids, MI - Leicester, GB, 1998 ; C.W. Davis, Oral
Biblical Criticism. The Influence of the Principles of Orality on the Literary Structure of
Paul’s Epistle to the Philippians, JSNT Sup. Series 172, Sheffield 1999. Rappelons que la
reversio qui, comme son nom l’indique, consiste à reprendre en ordre inverse un
développement (en l’allongeant ou l’abrégeant) ne détermine pas nécessairement une unité
littéraire, car une reprise inversée peut chevaucher deux unités. En revanche, le chiasme, qui
est un cas particulier de reversio, délimite une unité linguistique et/ou littéraire.
29
Une telle division reste grossière, et il faut se garder de l’appliquer trop vite à 1
Thessaloniciens (mis entre parenthèses), car la première partie de cette lettre (chap. 2-3) ne
traite pas de sujets théologiques ; quant à la seconde, plus exhortative, elle contient
néanmoins deux passages plus théologiques, sur l’eschaton (4,13-18 et 5,1-11), qui sont pris
en sandwich entre des exhortations morales (4,1-12 et 5,12-22).
30
Pour 1Co : les chapitres 1-4 traitent des divisions internes à la communauté ; 5-6 de la
pornei,a ; 7 des questions relatives à la vie conjugale et au célibat ; 8-10 des viandes offertes
aux idoles ; 11 du repas du Seigneur ; 12-14 des charismes, et 15 de la résurrection.
10 ÉPHÉSIENS

même pour Ph et Phm, où les exhortations et les réflexions plus théologiques


sont inséparables.
Si la distinction entre partie ‘dogmatique’ (selon la dénomination de
nombreux commentaires) et partie exhortative ou éthique est pertinente pour
Ep, elle doit être affinée. Il faut maintenant montrer pourquoi, à partir
d’exemples.

(4) divisions basées sur des critères de contenu

Ce type de composition, en deux parties, l’une plutôt didactique (chap. 1-


3), et l’autre, à dominante exhortative (chap. 4-6), est retenu par l’ensemble des
commentaires, qui n’en restent pas moins divisés sur la nature de la lettre.
Certains en font un véritable traité sur l’Église, son statut et son rôle universel
voire cosmique – il ne s’agirait donc plus seulement d’un écrit de circonstance –
, alors que selon d’autres, tel U. Luz31, le rédacteur met plus en relief les
exhortations à l’unité et à l’amour fraternel.

Le commentaire de R. Penna me semble représentatif de cette manière de


percevoir le développement et l’articulation des thèmes, avec néanmoins une
réelle attention donnée à l’épistolographie, sans plus de justifications :
Cadre épistolaire: 1,1-14 adresse (v.1s) et eulogie (v.3-14).
Le mystère de Dieu en Christ comme fondement de l’Église (1,15 – 3,21)
(1) Ouverture épistolaire : 1,15-23
(Action de Grâces ; prière d’intercession ; confession christologique ; définition de
l’Église)
(2) La communauté chrétienne composée de contraires (2,1-22) :
a) Ethnico- et judéo-chrétiens rachetés par la miséricorde divine (2,1-10),
b) Païens et Juifs réunis par la croix du Christ (2,11-22).
(3) Les communautés comme expérience de communion et de mission (3,1-19).
(4) Doxologie conclusive (3,20-21).
La vie nouvelle des baptisés dans l’Église et le monde (4,1 — 6,20)
(1) Deux exigences typiques de la vie ecclésiale : unité et diversité (4,1-16).
(2) Exigences de la vie chrétienne de chaque jour (4,17--5,20).
(3) Les règles domestiques du chrétien (5,21--6,9).
(4) La lutte et les armes du chrétien (6,10-20).
Cadre épistolaire : 6,21-24.
Loin d’être inutiles, les divisions qui suivent la succession des thèmes,
soulignent ce que celles basées sur des critères purement formels oublient trop
souvent, à savoir que la dimension conceptuelle n’est pas secondaire :

31
U. Luz, "Überlegungen zum Epheserbrief und seiner Paränese" in H. Merklein (éd.),
Neues Testament und Ethik [FS R. Schnackenburg], Freiburg 1989, 376-396.
INTRODUCTION 11

développer des thèmes suppose une organisation et une progression de la


pensée, que l’exégète a le devoir de repérer et de décrire.
Cela dit, une division purement thématique ne suffit pas, dans la mesure où
l’articulation des idées se fait selon des règles logiques et rhétoriques qu’on
peut presque toujours repérer dans les textes — car il ne faut pas projeter notre
logique sur l’objet étudié. Il importe évidemment de connaître les modèles de
l’époque, pour voir jusqu’où vont les ressemblances et les différences, bref
l’originalité paulinienne.

(5) divisions de type formel


Elles suivent la forme de l’expression, autrement dit s’appuient
principalement sur les phénomènes lexicographiques. La dernière en date, celle
de P.S. Cameron32, est représentative, dans la mesure où elle s’appuie, sans le
dire et peut-être sans le savoir, sur les signes d’oralité que sont les répétitions et
les parallélismes de tout genre, en particulier les reversiones. Il nomme
palistrophique33 le type de composition qu’il relève. Les parallèles les plus nets
lui semblent être les suivants :
2,1-10 / 2,11-22 (2,11-22 étant de forme concentrique) et
3,1-7 / 3,8-13 (3,1-7 également concentrique).
D’autres passages forment aussi des suites (à deux éléments, telle l’eulogie
initiale avec la mention d’action de grâces qui suit), et Cameron les déclare
parallèles, mais sans vraiment le montrer. Le point le plus faible de sa
proposition concerne Ep 3,14--4,16, qu’il décompose ainsi: 3,14--4,6 / 4,7-16 ;
les répétitions lexicographiques symptomatiques sont néanmoins inexistantes
ou presque; en outre, les deux passages appartiennent manifestement à des
modèles littéraires différents et ont des fonctions opposées, l’une de clore la
première partie de la lettre, l’autre d’ouvrir la deuxième; pour ces raisons, il est
impossible de rattacher 4,1-6, qui commence les exhortations, à 3,14-21, qui
s’apparente aux prières, et sert de conclusion à 2,1--3,1334.
Pour l’ensemble d’Ep, Cameron propose une composition globalement
chiastique, dont la fragilité est tellement patente – pour les raisons à peine
énoncées sur les ch. 1-3 et 4-6 – qu’elle ne mérite pas une critique serrée.
Mentionnons-la seulement pour mémoire :

32
P.S. Cameron, «The Structure of Ephesians», Filologia Neotestamentaria 3 (1990) 3-
18.
33
Il s’agit de compositions récurrentes autour d’un vocable qui, lui, est sans correspondant
(voir la note 1 de son article).
34
En Ep, comme très souvent dans les lettres néotestamentaires, la fonction rhétorique
d’un passage commande ou régente les autres types de composition (d’origine orale ou
autre).
12 ÉPHÉSIENS

A 1,1-2 A’ 6,23-24
B 1,3-14 / 1,15-23 B’ 6,10-12 / 6,13-17
C 2,1-10 / 2,11-22 C’ 5,22-24 / 5,25-33 etc.
D 3,1-7 / 3,8-13 D’ 4,25-32 / 5,1-20(21)
E 3,14--4,6 / 4,7-16 E’ 4,17-19 / 4,20-24

Qu’il y ait des parallélismes concentriques en Ep, nul ne le niera et nous en


relèverons plusieurs au cours des analyses, mais l’approche monocolore utilisée
par Cameron ne permet pas de mettre en valeur la progression conceptuelle,
laquelle est souvent repérable grâce aux techniques épistolaires et
argumentatives.

(6) Division combinant les parallélismes, la nature épistolaire de certains


passages et les indices rhétoriques.
Les lettres pauliniennes ne sont pas toutes écrites sur le même modèle.
Mais l’articulation des sujets traités y est souvent signalée, outre les micro- et
macroparallélismes, par de brèves annonces de thèmes (partitiones), ou encore
sous forme de thèses (propositiones et subpropositiones), que Paul se propose
d’expliciter, voire d’expliquer et de prouver à l’aide d’arguments divers. La
lettre aux Éphésiens fait exception, pour des raisons tenant à la nature du thème
dominant, le mystère, qui est progressivement préparé et dévoilé, si bien qu’en
n’annonçant pas dès le commencement ses positions (sur le musth,rion), l’auteur
ne fait qu’épouser la spécificité du mystère, qui est précisément de n’être connu
et compris qu’au terme d’une longue préparation. Cela dit, les indices de
composition déjà mentionnés sont assez nets pour qu’on puisse dès l’abord
proposer une division qu’il importera de préciser au fur et à mesure des
analyses35 :

1,1-2 cadre épistolaire


1,3-14 : bénédiction inaugurale
1,15—6,20 le mystère à connaître et à vivre
1,15-23 : notification de prières d’action de grâces et d’intercession, pour que les croyants
connaissent et comprennent l’œuvre de Dieu pour eux
A - Révélation du mystère comme réalité à connaître 2,1 — 3,21

35
Signalons pour mémoire la division de P. Iovino, « La conoscenza del mistero », qui
cherche elle aussi à combiner les critères formels et sémantiques, et voit deux parties
(connaissance du mystère : 1,15 à 3,21 ; récapitulation de toutes choses en Christ : 4,1 à
6,22), calquées sur la composition bipartite de l’eulogie (1,3-10 et 1,11-14), qui servirait de
prologue et en quelque sorte de modèle. La difficulté de l’hypothèse vient de ce que les v.11-
14 de l’eulogie focalisent sur les destinataires chrétiens des bénédictions (ayant tous
pleinement reçu l’Esprit de la promesse), d’abord juifs, ensuite non juifs ; on voit mal
comment la seconde partie de la lettre reflète cette insistance.
INTRODUCTION 13

2,1 – 3,13 enseignement sur le mystère et ses composantes


- exposé de la situation des chrétiens
2,1-10: oeuvre du Père - salut et élévation des croyants aux cieux avec le Christ
2,11-22: oeuvre du Christ - réconciliation entre juifs et païens
- interprétation de l’œuvre divine (exposée en Ep 2) comme mystère 3,1-13
3,14-21 conclusion de la première partie
- notification de prière pour les progrès dans la connaissance 3,14-19
-doxologie 3,20-21
B - Vivre le mystère 4,1 — 6,17
- comme corps unifié (4,1-6) et diversifié (4,7-16)
- dans le quotidien:
pas comme les païens v.17-19
a raisons : qui sont ignorants du bien à cause de la dureté de leur cœur v.18
b agir : et qui font le mal, s’adonnant à la débauche v.19
vous, pas ainsi 4,20 à 5,21
A principes : ce que vous avez appris – vivez selon l’homme nouveau v.20-24
B agir : ce que vous devez éviter et ce que vous devez faire 4,25 – 5,21
5,(21)22 – 6,9 exhortations domestiques
- épouses et époux 5,22-33
- enfants et parents 6,1-4
-esclaves et maîtres 6,5-9
6,10-20 épilogue de la lettre - se revêtir de la force de Dieu
6,21-24 cadre épistolaire

(7) Corollaire : le type de lettre et son thème principal36

Il existait à l’époque divers genres de lettres37, et un commentaire ne peut


éviter la question du genre d’Ep, d’autant plus que cette problématique n’est pas
étrangère à celle du thème dominant ou principal. Mais il est assez difficile de
classer les lettres pauliniennes, car certaines semblent passer d’un topos à
l’autre. Ainsi, en fonction des commentateurs, la lettre aux Galates change de
genre : on y voit une lettre de reproche (aux Galates), de défense (de Paul et/ou
de son Évangile), d’exhortation (à ne pas se faire circoncire)… Certains ont

36
Sur ces questions, voir W. Doty, Letters in Primitive Christianity, Fortress :
Philadelphia 1973 ; P.S. Alexander, P. S. « Epistolary Literature », dans M.E. Stone (éd.),
Compendia Rerum Judaicarum ad Novum Testamentum, vol. 2, van Gorcum : Assen 1984,
579–596 ; K. Berger, «Hellenistische Gattungen im Neuen Testament», ANRW 2.25.2 (1984)
1031–1432, 1831–85 ; et surtout A.J. Malherbe, Ancient Epistolary Theorists, Scholars :
Atlanta 1988. Pour Ep, et en plus bref, voir A.T. Lincoln, Ephesians, xl-xlii.
37
Dans son essai Light from Ancient Letters, Philadelphia: Fortress, 1986, J.L. White
donne la liste des vingt et un topoi epistolikoi, attribuée à Demetrius de Phalère : lettres
d’amitié, de remerciements, de recommandation, de blâme ou d’éloge, de consolation, de
requête, d’accusation ou de justification, de défense, etc. Si l’écriture épistolaire ne fut
intégrée dans l’étude de la rhétorique qu’à partir du IVème de notre ère [voir A.J. Malherbe,
Ancient Epistolary Theorists, 3], il semble néanmoins assuré que les lettres anciennes – dès le
IIème avant notre ère – obéissaient à des règles rhétoriques. Outre les auteurs mentionnés ci-
dessus, voir encore B.K. Peterson, Eloquence and the Proclamation of the Gospel in Corinth,
Scholars : Atlanta 1998, 16-23.
14 ÉPHÉSIENS

encore rendu la situation plus confuse, en appliquant aux lettres pauliniennes les
genres rhétoriques discursifs (judiciaire, épidictique et délibératif). Mais, si
certaines parties des lettres de l’apôtre peuvent être assimilées à de véritables
argumentations, il est méthodologiquement périlleux d’appliquer telles quelles
les catégories des discours38, et aucune des lettres pauliniennes ne peut être
réduite à un seul des trois genres rhétoriques39. Les catégories épistolaires sont
ici plus nombreuses, plus fluides, et donnent en réalité moins le flanc à la
critique. Il est clair qu’il y a de l’éloge, de l’enseignement et de l’exhortation en
Ep, mais peut-on la décrire avec une seule de ces étiquettes ?
On le sait, les méthodes adoptées pour déterminer le genre – rhétorique
et/ou épistolaire – des lettres néotestamentaires sont divergentes sur bien des
points. Selon certains, c’est seulement à partir de la situation rhétorique40 qu’on
peut se prononcer sur le genre rhétorique (ou épistolaire), selon d’autres c’est
plutôt à partir de la dispositio d’ensemble d’une lettre, selon d’autres enfin,
c’est à partir du ou des thèmes dominants41. Plus qu’opposés, ces points de vue
me semblent complémentaires. Voilà pourquoi, contre la majorité des
commentaires, qui affrontent ce problème dans leur introduction, avant même
d’avoir analysé le texte, il faut obstinément répéter qu’on ne peut repérer les
raisons qui ont fait écrire une lettre avant d’avoir déterminé sa composition et la
progression de son argumentation. Cela est d’autant plus vrai que, de l’avis
même des spécialistes, Ep ne fait pas d’allusion explicite aux problèmes de la
communauté locale, qu’elle soit éphésienne ou autre. Au demeurant, c’est
souvent sans s’appuyer sur la dynamique du texte que les commentateurs se

38
Il va sans dire que l’observation ne vaut pas seulement pour le genre épistolaire, mais
aussi pour la dispositio, comme je l’ai montré ailleurs (J.-N. Aletti, « Paul et la rhétorique »,
dans J. Schlosser (éd.), Paul de Tarse, LD 165, Paris, 27-50 – en particulier 34-38).
Réticence encore plus marquée chez P.T. O’Brien, Ephesians, 73-82.
39
Et ce, d’autant plus que Paul mêle souvent les genres. Avec G. Lyons [Pauline
Autobiography: Toward a New Understanding (Scholars Press : Atlanta, 1985) 64, déjà cité
par A.T. Lincoln, Ephesians, xli] il faut admettre que « la liberté que les écrivains anciens
avaient à mélanger les genres et à organiser un discours, complique l’analyse rhétorique et
rend inévitable l’interprétation subjective des données ».
40
Je laisse ici de côté la situation historique, car les exégètes ont heureusement abandonné
l’idée que c’étaient les difficultés affrontées par les Églises et/ou par l’apôtre qui expliquaient
le genre adopté. Si le problème des croyants de Galatie est concret (et l’on opterait pour le
genre délibératif) – se faire ou non circoncire – la manière dont Paul le traite est théorique (le
genre pourrait alors être épidictique), car il y va de la vérité l’Évangile. Par situation
rhétorique, il faut entendre celle des lecteurs, qui, en suivant le texte, se font progressivement
une idée de sa composition, de son style, de son genre, de sa théologie et de ce que tout cela
implique comme exigences. La situation rhétorique évolue donc au fur et à mesure que l’on
suit le texte.
41
Sur ces questions, difficiles s’il en est, voir J.-N. Aletti, « Paul et la rhétorique », 38-40.
INTRODUCTION 15

prononcent sur les motifs qui auraient poussé Paul à écrire, comme le montre la
liste suivante, nullement exhaustive:
- une lettre pour aider à résister aux menaces ambiantes, de toute sorte et
origine :
a- repousser la menace constituée par le gnosticisme (syncrétiste) naissant42;
b- aider la communauté à résister aux pressions de la propagande judaïsante43,
c- ou, à l’opposé, la protéger contre l’emprise des croyances populaires44 ;
- une lettre suscitée par la situation ou les besoins internes de la communauté :
a- l’unité, scellée par l’union entre judéo- et ethnico-chrétiens ; l’auteur
voudrait souligner le rôle oecuménique de l’Église, comme lieu où est
dépassée l’opposition juif/païen45; ou encore, montrer comment la
proclamation d’une réconciliation universelle est déjà en germe dans l’Église,
à travers laquelle se manifeste le dessein éternel de Dieu46 ; ou encore, l’unité
de l’Église comme due à la victoire de Dieu sur les puissances hostiles, et
donc continûment à préserver et à soutenir47 ;

42
P. Pokorný, Der Epheserbrief und die Gnosis. Dans l’histoire récente de l’exégèse, la
question de la gnose ne s’est pas posée uniquement à propos de la situation ecclésiale
d’Éphèse (ou de Laodicée, voire des Églises de l’Asie Mineure d’alors), mais aussi et
principalement à propos de la tradition reprise par la lettre elle-même, autrement dit des
catégories utilisées par Ep (et déjà par Col). J’ai déjà dit ce que je pensais de cette hypothèse
(en particulier du mythe de l’Urmensch) en Colossiens 1,15-20 (publié en 1981), et dans mon
commentaire sur Colossiens (de 1993). Pour une information exhaustive sur cette
interprétation à propos d’Ep, on consultera J. Gnilka, Epheserbrief, 33-45.
43
C’est alors la fin de la lettre (Ep 6,10-17) qui est mise en valeur ; P.F. Beatrice, «Il
combattimento spirituale secondo san Paolo. Interpretazione di Ep 6,10-17» Studia Patavina
19 (1979) 359-422. Selon cet auteur, la lettre réfléchirait sur une situation précise des
communautés de l’Asie Mineure d’alors, où les judaïsants auraient été très actifs et agressifs
(voir Galates). Voir également M.D. Goulder, «The Visionaries of Laodicea», selon qui Ep
s’oppose aux prétentions des judéo-chrétiens prônant diverses pratiques en vue d’extases et
révélations spéciales, et rappelle que tous les chrétiens ont accès à Dieu avec et en Christ.
44
C.E. Arnold, Ephesians: Power and Magics. Cette hypothèse s’appuie principalement
sur les mentions des forces démoniaques et sur le combat auquel les croyants sont soumis
(2,1-3 ; 6,10-20 ; Arnold explique aussi 3,14-21 à partir de ce type de menace).
45
Voir par exemple Mitton, Fischer, Benoit (« Rapports littéraires », 318-319), Gnilka,
Schnackenburg. Si ces auteurs s’accordent pour dire que telle est la finalité d’Ep, ils
divergent cependant sur la situation ecclésiale ayant poussé l’apôtre à écrire : pour les uns, la
lettre ne reflète aucun conflit précis entre judéo- et ethnico-chrétiens (Mitton), pour les autres
le risque d’antisémitisme ou d’intolérance était réel (Fischer).
46
M. Bouttier, Éphésiens, 46.
47
J.H. Roberts, « The Enigma of Ephesians».
16 ÉPHÉSIENS

b- promouvoir l’unité interne de l’Église en insistant sur les ministères et


l’agapè ; et montrer en particulier que les ministères sont la garantie de
l’unité de l’Église48.
- une lettre dictée moins par les besoins d’une Église ou de l’Église, que par le
désir qu’a le Paul (ou le rédacteur) de diffuser ses idées,
a- sur l’Église et ses composantes, en ce qu’elles manifestent la nouveauté
radicale du groupe chrétien, qui constitue la nouvelle humanité49;
b- sur le mystèrion et sur son importance pour les croyants50, aux plans
ecclésial, familial et social51. Sans exclure la précédente, qui peut lui servir de
contenu (en décrivant l’objet même du mystère), cette dernière hypothèse a
au moins le mérite d’être confirmée par les derniers versets de la lettre Ep
6,19-20, où Paul répète que sa vocation est de faire connaître le mystère, ce
qu’il a précisément fait en Ep.

Pour décider du thème principal de la lettre, les critères sur lesquels on


s’appuie ont un rôle décisif. Les commentateurs procèdent en général
synoptiquement, en comparant Ep aux autres lettres pauliniennes (Col et
homologoumena), et leurs critères peuvent être regroupés sous trois chefs :
- le critère thématique. En suivant les répétitions et les différences entre Col et
Ep (voir par ex. Luz, selon qui les ressemblances et la reprise des exhortations
de Col en Ep sont un signe d’accentuation thématique), on note quels éléments
sont manquants, abrégés, ou au contraire développés, pour examiner ensuite les
déplacements, autrement dit les contextes différents où ces éléments
apparaissent. La comparaison s’étend naturellement aux homologoumena, pour

48
H. Merklein, Das kirchliche Amt nach dem Epheserbrief, 1973.
49
P.T. O’Brien, Ephesians, 58-65 ; R. Penna, Efesini, 55-58. Selon cet auteur, l’indice qui
permet de repérer à quelle fin fut écrite Ep, est la répétition de l’expression ‘homme
nouveau’ en chaque des parties du corps de la lettre (2,15 et 4,24), expression qui exprime
l’identité du chrétien. Sans nier que cette répétition puisse être importante, suffit-elle à
déterminer la finalité du texte ? Car il est d’autres répétitions, encore plus nombreuses
(l’insistance lancinante sur l’importance du connaître, sur le musth,rion, sur l’amour, l’unité,
la croissance du corps ecclésial, etc.) qui exigent une approche plus systématique de la
détermination de la finalité d’Ep – ce principe s’applique évidemment à tous les écrits,
bibliques ou non.
50
Ch. Reynier, Évangile et mystère, qui souligne très justement le rapport entre l’emploi
du terme musth,rion en Ep et celui de la métaphore corps-tête pour désigner l’union entre le
Christ et l’Église.
51
Sur Ep comme traité théologique, voir A. Lindemann, «Bemerkungen zu den
Adressaten», 240.
INTRODUCTION 17

faire la part entre les vocables, expressions ou thèmes présents antérieurement,


et les nouveaux52.
- le critère littéraire: quels genres, quels types d’argumentation ou d’exhortation
sont repris, mais aussi diffèrent ou divergent ; quelles figures rhétoriques, quels
modèles sont suivis, etc.
- les destinataires de la lettre. Souvent le thème central est exhumé à partir de ce
qu’on suppose être la situation de l’Église locale, autrement dit c’est en
déterminant les difficultés rencontrées par les destinataires que l’on croit
pouvoir repérer le thème principal de chaque lettre. Mais, mettre à jour la ou les
occasions qui ont fait écrire Ep, ne permet pas automatiquement de se
prononcer sur le thème dominant ou porteur. En effet, (i) l’apôtre peut traiter
une même difficulté de différentes manières. Le cas des dissensions entre
membres influents de l’Église de Corinthe (1Co 1—4) est typique, car, au delà
des disputes, Paul a perçu qu’il s’agissait d’une méprise fondamentale
concernant l’Évangile même ; voilà pourquoi il porte le débat à un niveau
radical : parce que suscité par des valeurs mondaines, le comportement des
Corinthiens dénote une totale incompréhension du renversement opéré par la
mort en croix du Christ. Le discours ecclésiologique de l’apôtre est ainsi
fondamentalement christologisé, et ce serait en manquer la portée que de le
réduire à une discussion sur les disputes internes de Corinthe, en confondant
l’occasion (les e;ridej) et le thème porteur de l’argumentation (l’Évangile de la
croix renverse les valeurs de la sagesse de ce monde). (ii) Comme le notent
plusieurs commentateurs d’Éphésiens, il est très difficile, voire impossible, de
déceler le problème ecclésial auquel cette lettre serait censée répondre ; certains
pensent même qu’étant donné son ton très irénique, la lettre reflète plus les
préoccupations théologiques de son rédacteur que les menaces dont il voudrait
délivrer ses destinataires. C’est donc en étant très attentifs à la progression du
texte, à ses silences et à ses insistances qu’on pourra mettre en évidence le
projet qui l’a fait naître. L’analyse synchronique est ici irremplaçable.

Le problème de l’authenticité d’Éphésiens

(1) Dès la plus grande antiquité, cela a déjà été dit plus haut, Ep fut reçue
comme une lettre authentique de Paul, avec ou sans son intitulé. Les
motivations pour lesquelles Ep a été, depuis la fin du XIXème (avec
Holtzmann53), considérée comme un écrit pseudépigraphique, sont multiples –

52
On trouvera sans doute la première application systématique de cette lecture en C.L.
Mitton, Ephesians, en particulier dans l’appendice I, p.279-315.
53
H.J. Holtzmann, Kritik der Epheser- und Kolosserbriefe de 1872. Avant lui, des doutes
avaient déjà été émis sur l’authenticité d’Ep par Érasme, mais surtout par E. Evanson (1792),
18 ÉPHÉSIENS

linguistiques, stylistiques, thématiques. Toutes les positions sont aujourd’hui


défendues, avec plus ou moins de nuances. Disons que les exégètes se
regroupent autour de quatre pôles :

a - Ep est entièrement authentique (E. Percy, L. Cerfaux, H. Schlier, A. Vanhoye, Ph.


Rolland, A. van Roon, P.T. O’Brien) ;
b - Ep est formée d’une lettre initialement écrite par Paul, avec des ajouts postérieurs;
hypothèse défendue dernièrement par M.-É. Boismard, L’énigme de la lettre aux Éphésiens,
sur les positions de qui l’on reviendra au cours de ce commentaire ;
c - Ep est entièrement pseudépigraphique (la majorité des commentateurs) ;
d – la question de l’authenticité ne peut être décidée, et il vaut mieux ne pas se prononcer.

(2) Les difficultés lexicographiques


Ep semble reprendre (parfois textuellement) des expressions voire des
passages entiers de Col, et ce serait une première, car Paul n’a pas l’habitude de
recopier presque mot pour mot ses lettres antérieures. Certains en concluent que
Paul a dû dicter les deux lettres en même temps ou à peu d’intervalle; selon
d’autres il serait plus naturel de penser qu’un disciple a pu reprendre, du vivant
de Paul ou après sa mort, les catégories (théologiquement nouvelles) proposées
en Col, pour en montrer la fécondité heuristique aux plans ecclésiologique et
anthropologique. De fait, il est indéniable que la thématique du mystère et la
métaphore tête-corps sont plus développées en Ep qu’en Col. S’il est vrai que le
plus court (Col) est en général antérieur – principe bien connu des spécialistes
de textes anciens, et souvent appliqué aux textes bibliques –, et que le plus
élaboré théologiquement (Ep) est postérieur, ne doit-on pas conclure à
l’antériorité de Col54?
À vrai dire, la reprise de thèmes pauliniens, qui est pour certains un signe
de pseudépigraphie, est au contraire pour d’autres (par ex. M.-É. Boismard) une
marque quasiment évidente de rédaction paulinienne. Pourquoi Paul ne
pourrait-il pas reprendre des motifs et thèmes déjà énoncés par lui ailleurs
(comme ceux de Ga en Rm) pour les approfondir ou les utiliser à d'autres fins?
Mais inversement, on ne voit pas pourquoi tous les passages où le style et les
idées sont pauliniens n'auraient pas pu être écrits par un rédacteur postérieur,
car, les spécialistes le savent bien, la pseudépigraphie suppose, implique même
une excellente connaissance du style et des idées de l'auteur dont on emprunte
le nom -- ainsi, ce n'est par parce qu'Ep 1,22-23 reprend 1Co 15,24-28 qu'il faut
l'attribuer sans autre procès à Paul.

que je n’ai pu moi-même lire, mais dont j’ai eu connaissance par M. Barth, Ephesians, 37, et
par A. van Roon, Authenticity, 3s.
54
Sur ces principes, voir J.-N. Aletti, Colossiens, 280.
INTRODUCTION 19

Quant à la brièveté de Col, qui serait un signe d’antériorité, il faut y


regarder de plus près. Les textes bibliques montrent en effet que le plus court
peut aussi être postérieur, et qu’avant de se prononcer sur les datations
respectives des textes, la prudence s’impose. Une prudence qui reste de rigueur
pour la datation des lettres pauliniennes, où les différents thèmes sont toujours
traités en rapport à leur fonction (littéraire et argumentative) dans l’unité où
elles apparaissent. Qu’Ep développe plus le rapport tête-corps ne signifie
absolument pas qu’elle soit postérieure à Col, dont la christologie est à certains
égards plus développée que celle d’Ep, car elle affronte d’autres problèmes. Les
principes de la longueur et de l’élaboration doivent tenir compte de la finalité et
des impératifs de chaque écrit. Les arguments ne sont donc jamais
contraignants. C’est en définitive sur des impressions ou des convictions plus
que sur les données qu’on se prononce en ces questions d’authenticité ou de
pseudépigraphie.

(3) Colossiens et Éphésiens


La pseudépigraphie d’Ep est souvent examinée à partir des ses rapports
avec Col, et le raisonnement implicite ou explicite des commentateurs est le
suivant: si Ep dépend de Col, et si cette dernière est déjà pseudépigraphique, a
fortiori Ep l’est-elle. Il est prématuré, avant même d’analyser les textes, de se
prononcer sur les critères utilisés par les uns et les autres pour défendre ou
refuser l’authenticité des deux lettres ainsi que l’antériorité de l’une ou de
l’autre. Une discussion rapide aura, souhaitons-le, l’avantage d’attirer
l’attention du lecteur sur les difficultés de tous ordres auxquels l’interprète est
confronté.

a – Les questions d’antériorité de l’une ou l’autre lettre


Que les deux lettres aient des rapports très étroits, cela a été depuis
longtemps mis en valeur,
- pour un certain nombre de vocables néotestamentaires, qui apparaissent
seulement en Col et Ep :

suzwopoiei/n Ep 2,5; Col 2,13 avfh, Ep 4,16; Col 2,19


sunegei,,rein Ep 2,6; Col 2,12 au;xhsij Ep 4,16; Col 2,19
avpallotriou/sqai Ep 2,12; Col 1,21 u[mnoj Ep 5,19; Col 3,16
avpokatalla,ssein Ep 2,16; Col 1,20.22 ovfqalmodouli,a Ep 6,6; Col 3,22
r`izou/sqai Ep 3,17; Col 2,7 avnqrwpa,reskoj Ep 6,6; Col 3,22
20 ÉPHÉSIENS

- pour des expressions et même des phrases entières, ces parallèles couvrant
l’ensemble des deux lettres, comme le montrent les listes que l’on trouvera dans
tous les commentaires55.
Mais il est périlleux, à partir du seul vocabulaire, de se prononcer sur
l’antériorité de l’une des deux lettres, car, on l’a signalé plus haut, elles ne
développent pas les mêmes champs théologiques. Pris un à un, les parallélismes
ne suffisent pas à faire pencher la balance, et les utiliser sans autre forme de
procès mène à des méprises. Pour formuler un jugement qui atteigne la
probabilité – qui dépasse donc la simple possibilité –, il importe de combiner
les différents aspects du problème. Montrons-le pour un passage où les
correspondances sont des plus strictes, Col 4,7-8 et Ep 6,21- 22 :

Col 4,7-8 Ep 6,21-22


Ta. katV evme. {Ina de. eivdh/te kai. u`mei/j ta. katV evme,(
ti, pra,ssw(
pa,nta gnwri,sei u`mi/n Tu,cikoj pa,nta gnwri,sei u`mi/n Tu,cikoj
o` avgaphto.j avdelfo.j o` avgaphto.j avdelfo.j
kai. pisto.j dia,konoj kai. su,ndouloj kai. pisto.j dia,konoj
evn kuri,w|( evn kuri,w|(
o]n e;pemya pro.j u`ma/j eivj auvto. tou/to( o]n e;pemya pro.j u`ma/j eivj auvto. tou/to(
i[na gnw/te ta. peri. h`mw/n i[na gnw/te ta. peri. h`mw/n
kai. parakale,sh| ta.j kardi,aj u`mw/n. kai. parakale,sh| ta.j kardi,aj u`mw/n.

Selon plusieurs commentateurs56 la lecture synoptique montre clairement que le


rédacteur d’Ep reprend le passage correspondant de Col, car, si le pluriel ta.
peri. h`mw/n (‘de nos nouvelles’ – traduction de la TOB) fait sens en Col, qui est
envoyée par Paul et Timothée, il n’en est pas de même en Ep, qui a pour seul
auteur Paul. Mais l’argument peut se retourner : si le pluriel de Col 4,8
s’explique par le fait que Tychique est chargé de donner des nouvelles de Paul
et de Timothée, pourquoi le verset précédent emploie-t-il le pronom personnel
(ta. katV) evme, ? Ne serait-ce pas lui, le rédacteur de Col, qui, connaissant la
formulation d’Ep 6,21, l’aurait malencontreusement reprise ? Mais, invoquer la
maladresse de l’un ou l’autre rédacteur est un pis aller, surtout à la fin de deux
lettres à l’écriture relativement soignée. En outre, n’est-il pas normal qu’en
arrivant à Éphèse (ou Laodicée), Tychique donne (en priorité) des nouvelles de
Paul, mais aussi (ensuite) de tous ses compagnons, et raconte enfin ce qui le
concerne, lui Tychique (sa collaboration avec Paul et les autres) ? Le pluriel ta.

55
Voir la table en fin de volume, p.327, empruntée à M. Bouttier, Éphésiens, 308-309. On
pourra aussi consulter, dans les appendices II (p.316-318) et III (p.319-321) de C.L. Mitton,
Ephesians, les tableaux très complets des correspondances entre les deux lettres.
56
Voir par exemple R. Penna, Efesini, 38. Également A.T. Lincoln et d’autres.
INTRODUCTION 21

peri. h`mw/n – à la suite du ta. katV evme, – en Ep 6,22 s’explique très bien
épistolairement, car il élargit naturellement le groupe de ceux dont on doit avoir
des nouvelles; il manifeste enfin, avec discrétion, la délicatesse de l’apôtre, qui
ne veut pas qu’on s’intéresse seulement à lui ! Insistons donc encore une fois
sur le fait que, pris un à un, les parallèles lexicaux ne sont pas concluants, et
qu’il faut tenir compte de l’ensemble des facteurs pour se prononcer sur les
questions de chronologie. Au demeurant, certains commentateurs ont raison
d’insister sur le fait que l’on peut avoir dépendance littéraire sans reprise
textuelle du vocabulaire57. Il importe également de déterminer la finalité propre
de chaque lettre, car s’y indiquent les choix du vocabulaire, des genres et des
arguments58.

b – des insistances différentes en Col et Ep


Avant de se prononcer sur l’antériorité de l’une ou l’autre lettre, il importe
de voir si le principe « ce qui est plus court est antérieur » peut s’appliquer sans
autre examen. Car, si l’on compare les deux lettres, leurs insistances sont
différentes.

Colossiens59
Aucune de celles attribuées à Paul ne souligne plus que Col la supériorité du
Christ sur tous les êtres célestes60. Non que l'un ou l'autre passage des
protopauliniennes ne mentionne pas sa victoire, obtenue par destruction totale,

57
Voir A.T. Lincoln, Ephesians, lv, qui donne comme exemple la paraphrase que Flavius
Josèphe fait de la Lettre dAristée en ses Antiquités juives (12.2.1–15 §§ 12–118). Voici son
commentaire : «Il y a dépendance littéraire – Josèphe paraphrase sa source –, mais les
passages où les mêmes mots se suivent de part et d’autre ne sont qu’au nombre de deux – une
séquence de douze mots et une autre de dix mots. La plupart du temps, ne sont reprises que
de courtes expressions, et Josèphe a fait des omissions ou, au contraire, embelli sa source en
fonction de son projet ». Sur la question, il mentionne l’étude détaillée de A. Pelletier,
Flavius Josèphe: Adaptateur de la Lettre d’Aristée, Klincksieck : Paris 1962. Mais, une
différence de taille entre les deux échantillons saute aux yeux : s’il est assuré que la lettre
d’Aristée a été écrite avant les Antiquités juives, nous ne pouvons montrer aussi
catégoriquement qu’il en est ainsi pour Col (par rapport à Ep).
58
E. Best, «Who used Whom?» a bien montré que beaucoup tiennent pour admise
l’antériorité de Col, sans vraiment le montrer.
59
Sur la christologie de Col et sur les questions qu’elle soulève, voir J.-N. Aletti,
«Colossesi : una svolta nella cristologia neotestamentaria», dans A. Strus – R. Blatnický,
Dummodo Christus annuntietur. Studi in onore del prof. Jozef Heriban, LAS : Roma 1998,
131-145.
60
Voir Col 1,15-20 ; 2,9-10 ; 2,15 ; 3,1-2. L’insistance est moindre en Ep, où les versets
explicites sont 1,21-22 et 4,10. La formulation de Ep 1,10 est inchoative, mais elle prépare sans
doute celle de 1,21-22.
22 ÉPHÉSIENS

sur toutes les avrcai,, evxousi,ai et duna,meij (1Co 15,24)61, mais on n’y rencontre pas
de développement sur le rapport entre le Christ et les puissances analogue à celui
de Col 1,15-2062.
Les commentateurs se sont très justement demandé si pareille insistance ne
vise pas à contrebalancer l'importance que les anges avaient dans la doctrine des
« hérétiques » de Colosses. Il est malheureusement impossible de répondre avec
une absolue certitude, car à aucun moment Paul ne dit à ses lecteurs que les
« docteurs » ont tort de voir dans les anges les plus élevés des êtres supérieurs
au Christ. L'insistance indique néanmoins qu'il y a un problème: insiste-t-on sur
ce qui va de soi ? Mais quel problème? Exige-t-on des Colossiens qu'ils rendent
un culte à ces êtres célestes, pour se concilier leur bienveillance ou même leur
intercession ? Ou bien leur demande-t-on, par des pratiques ascétiques, de se
préparer aux visions qui leur permettront d'avoir accès au ciel, comme les
voyants des apocalypses, et d'avoir ainsi part à la liturgie que les anges rendent
à Dieu ? Or, ces deux hypothèses opposées s'appuient l'une et l'autre sur
l'expression ‘culte des anges’ de Col 2,18, dont la compréhension s'avérerait
ainsi indirectement décisive pour une réflexion sur la christologie de la lettre.
Mais, à supposer même qu’en Col 2,18 Paul veuille parler du culte rendu
par les anges63 et auquel ceux qu’on appelle les «hérétiques» enjoignaient les
Colossiens de se joindre, moyennant force pratiques ascétiques, ce verset ne
suffit pas à expliquer l'insistance des autres passages sur les êtres célestes et sur
la suprématie totale du Christ à leur endroit. Même si un culte des anges n'est
pas encore attesté à l'époque, ce que dit la littérature juive paratestamentaire sur
le rôle prépondérant attribué aux êtres célestes pour l'exécution de la justice
divine punitive aurait-elle donc provoqué la peur, au moins la crainte de certains
croyants à leur égard ? Devaient-ils les implorer, voire se les concilier ? Comme
le signalent bon nombre de commentaires, Col 2,14-15 renvoie au monde de
représentations et à l'angélologie de certains courants juifs. Mais peut-on
conclure, à partir de ces versets que les croyants risquaient de minimiser ou
d'oublier la médiation puissante du Christ qui, par sa mort et sa résurrection les
avait mis hors de portée des êtres spirituels les plus élevés, ceux qui peuvent
pousser les croyants au péché et à la damnation (les anges mauvais), ou faire
tomber sur eux la colère divine (les anges du jugement)? Bref, pour

61
Cf. également Ph 2,9-11, où est affirmée la seigneurie de Jésus Christ sur tous les êtres,
célestes, terrestres et infra-terrestres.
62
En Colossiens 1,15-20 et dans mon commentaire sur Colossiens j’ai montré que les
puissances, principautés, etc., désignent avant tout les êtres célestes. Pour plus d’information,
on pourra consulter ces études, ou encore J.-N. Aletti, «Colossesi : una svolta nella cristologia
neotestamentaria», 134-138.
63
Le génitif serait alors subjectif.
INTRODUCTION 23

l'interprétation de la christologie de la lettre, Col 2,9.10.14-15 semblent aussi


importants que Col 2,18.
Sans rejeter totalement les suggestions qui viennent d'être faites, signalons
la difficulté qu'elles soulèvent: si une des questions fondamentales affrontées par
Col est celle de la médiation des êtres célestes64, pourquoi celle-ci n'est-elle
jamais mentionnée comme telle ni explicitement signalée comme un oubli de la
médiation radicale du Christ et donc de la plénitude accordée en lui aux
baptisés ? Si, comme l'admettent un certain nombre de commentateurs, ce sont
des anges qui marquent les fautes et les péchés des humains sur le document
d'accusation de Col 2,14, pourquoi Paul ne le dit-il pas ? Certes, il souligne
fortement la subordination totale des êtres célestes au Christ, et s'il les nomme
par leur nom de fonction et le pouvoir que ce dernier représente (Trônes,
Seigneuries, Principautés, Autorités), c'est pour signaler que désormais, Christ
seul a puissance et autorité absolue sur tous ces êtres. Mais pourquoi ne dit-il pas
nettement aux croyants qu'ils ne dépendent pas (ou plus) de ces puissances
invisibles et n'ont rien à craindre d'elles ? Qu'ils ne doivent plus avoir peur, Col
1,20 le suggère, qui déclare déjà réalisées, grâce à la médiation du Christ lui-
même, la réconciliation et la pacification universelles, y compris celles entre
créatures célestes et terrestres. Mais si Paul n'en dit pas plus, c'est sans doute
parce que le problème majeur auquel il pense n'est pas celui d'un juste rapport
entre les croyants et les anges, mais celui des pratiques ascétiques et rituelles que
les «docteurs» préconisaient, et qui signifiaient concrètement un retour à
l'esclavage. En réalité la mention répétée des êtres célestes a une fonction
rhétorique et (par là) christologique évidente: si les croyants admettent — et tel
semble être le cas — que Christ est celui à qui tous les êtres supérieurs sont
soumis, s'ils sont donc eux-mêmes libres par rapport à ces êtres, ne dépendant
que de leur unique Seigneur et Tête, pourquoi devraient-ils, eux les croyants,
s'obliger à des pratiques qui les rendraient esclaves de choses terrestres bien plus
basses ? Car en se pliant à des règles de pureté — seulement humaines (Col 2,8)
— qui prétendent les délivrer et leur donner accès à la liturgie céleste, alors
qu'elles les rendent esclaves des éléments matériels du monde (Col 2,8.2065), les
croyants vivraient une double contradiction — libérés de la menace du monde

64
Les commentaires d’il y a quelques décennies me semblent très marqués par les hypo-
thèses d’Ernst Käsemann concernant l’erreur enseignée à Colosses, et selon lesquelles les
puissances angéliques auraient été les gardiens de l’ordre créé (‘die Engelmächte als Hüter
der Weltordnung’). Pour avoir une idée claire et résumée des positions de cet exégète, on
pourra consulter sa note « Kolosserbrief » dans le lexique encyclopédique Religion in
Geschichte und Gegenwart, Mohr – Siebeck, Tübingen 31959, 1727.
65
Pour ces deux versets, voir J.-N. Aletti, Colossiens, 162-167 et 201-202.
24 ÉPHÉSIENS

céleste, ils deviendraient esclaves du monde matériel, et voulant obtenir


l'humilité, ils décrocheraient l'orgueil !
Il n'est donc pas certain que la mention répétée des êtres célestes en Col
1,15-20 ; 2,10 ; 2,14-15 et 2,18 indique une visée polémique: des textes, on ne
peut absolument pas conclure que les ‘docteurs’ donnaient trop d'importance
aux anges et minimisaient la médiation du Christ. Que leur doctrine ait
néanmoins pu avoir indirectement cet effet, et que Paul l'ait ainsi comprise, cela
semble probable. Ce qui est clair en revanche, c'est qu'il utilise ces êtres célestes
supérieurs pour mettre en valeur l'unicité du médiateur et son excellence. Et
telle est bien la spécificité de Col.

Éphésiens
Eu égard à Col, sur quels points Ep insiste-t-elle ? Il serait imprudent de
répondre avant d’avoir commencé l’exégèse de la lettre, mais une première
lecture, même rapide, ne peut pas ne pas repérer l’accent mis (i) sur le caractère
gratuit des dons faits par Dieu aux croyants (ii) sur l’unité de l’Église et des
groupes qui la composent, sur la manière de vivre ensemble et les enjeux qui en
découlent (iii) sur la connaissance des dons faits par Dieu en Christ, et en
particulier du musth,rion. Le nombre des vocables désignant l’Église mérite
aussi d’être relevé : elle est corps du Christ, temple saint et demeure de Dieu,
humanité nouvelle. Il importera de voir pourquoi l’auteur d’Ep a multiplié les
dénominations, tout en privilégiant celle de ‘corps’ (sw/ma). Le tableau suivant
permettra de visualiser ces répétitions, et de comparer avec Col :

Éphésiens Colossiens
être-de-l’Église être-ensemble (su,n) 2,19.21s ; 3,18 ; 4,16 2,19
corps 1,23 ; 2,4 ; 4,4.12.16 ; 1,18.24 ; 2,19 ;
5,23.30 3,15
unité, paix par Christ 2,14-18 ; 4,5s 1,20.22
nouvelle humanité 2,15 ; 4,24 3,9s
construction, édification 2,21 ; 4,12.16.29
vivre-en-Église unité à garder 4,3.13 3,15
paix, réconciliation 4,3 3,15
l’amour réciproque 4,2.15s ; 5,2.25.28.33 2,2 ; 3,14.19
le mystère musth,rion 1,9; 3,3.4.9; 5,32; 6,19 1,26s ;2,2 ; 4,3
révélé, notifié, connu, 1,9.17 ; 3,3.4.5.10 ; 3,19 ; 1,6.9.10.27 ;
avec sagesse… 4,13 ; 6,19 2,2s ; 3,16 ; 4,5

Comme Ep insiste davantage sur l’être ensemble ainsi que sur l’unité du
corps dans la diversité des conditions et des statuts, il importe d’attirer
l’attention du lecteur sur une difficulté de vocabulaire, déjà présente dans les
INTRODUCTION 25

homologoumena66. En effet, Ep 2,11 déclare que les croyants venus du


paganisme formaient les ‘Nations’, au sens où, incirconcis et idolâtres, ils ne
servaient pas le vrai Dieu ni n’appartenaient au peuple de la promesse, Israël67.
On attendrait donc qu’après leur conversion, ils ne portent plus le nom d’ e;qnh.
Or, Ep 3,1 les désigne toujours ainsi, sans rien de dépréciatif, évidemment :
« Vous, les Nations »68. Et, après les affirmations d’Ep 2,11-22 relatives au
groupe chrétien, qui forme une humanité nouvelle, une demeure sainte, la
maison de Dieu, etc., comment Paul peut-il encore appeler e;qnh ses
destinataires, d’autant que ces derniers ne sont plus xe,noi, mais sumpoli/tai tw/n
a`gi,wn (2,19) ? Sans entrer pour le moment dans l’exégèse de la lettre, signalons
dès l’abord que ces apparentes incohérences permettent en réalité d’entrer dans
l’ecclésiologie d’Ep, dont on verra plus loin qu’elle constitue un tournant dans
la réflexion néotestamentaire. Car, si Col est déterminante pour la progression
de la réflexion christologique, Ep l’est tout autant pour l’évolution de
l’ecclésiologie69.

(4) Éphésiens et les homologoumena


Contre l’authenticité d’Ep, les exégètes invoquent souvent un changement
de vocabulaire – pour la forme et le contenu — tel qu’il n’a pu s’opérer en un
laps de temps aussi court que celui fourni par l’hypothèse de l’authenticité – au
maximum huit ans entre Rm et Ep. Si Paul est l’auteur d’Ep, on peut se
demander pourquoi il a imité le style chargé et ampoulé des écrivains asiates
d’alors 70: s’agit-il bien de la même personne ?
Lorsqu’on jette un coup d’œil sur le vocabulaire d’Éphésiens, on rencontre
d’autre part un nombre impressionnant de paroles ou d’expressions qui ne sont

66
Sur la difficulté du vocabulaire ecclésiologique en Rm, voir J.-N. Aletti, Israël et la Loi
dans la lettre aux Romains, Le Cerf, Paris 1998, 184-192, 253-254 et 261-264.
67
La TOB rend ainsi le vocable : « vous qui portiez le signe du paganisme (tous les mots
en italiques rendent le seul e;qnh) dans votre chair, vous que traitaient d’ ‘incirconcis’ ceux
qui se prétendent les ‘circoncis’, à la suite d'une opération pratiquée dans la chair ». Cette
traduction a le mérite de bien montrer que, chez Paul, le terme e;qnh a, selon le contexte, une
connotation négative (païens) ou neutre (nations, peuples). Cela dit, en Ep 2,11, l’expression
u`mei/j ta. e;qnh evn sarki, se voit précisée par celle qui suit immédiatement, oi` lego,menoi
avkrobusti,a, et la TOB n’a pas laissé à l’expression e;qnh evn sarki le caractère générique
qu’elle doit garder.
68
Comme en Rm 11,13, par exemple. Pour ce verset de Rm et pour Ep 3,1, la traduction
de la TOB (« C'est pourquoi moi, Paul, le prisonnier de Jésus Christ pour vous, les païens »)
est fautive, car manifestement les destinataires de la lettre ne sont plus païens, c’est-à-dire
idolâtres, mais ils n’en sont pas pour autant membres du peuple d’Israël et juifs.
69
On reviendra sur la question de l’antériorité de l’une ou l’autre lettre dans la conclusion
générale.
70
Ce trait ne s’applique pas (ou moins) à Col.
26 ÉPHÉSIENS

utilisées que dans cette lettre et dans les homologoumena71. La liste peut donner
l’impression que certains concepts essentiels de la théologie paulinienne,
comme celui de justification (dikaio,w, dikai,wsij) par la foi seule, sont absents
d’Ep. Mais il ne s’agit que d’une impression, car cette lettre insiste trop sur la
gratuité de l’élection ou du salut pour qu’on n’y voie pas une reprise des idées
de l’apôtre, comme le montre emblématiquement Ep 2,8-9 : « C'est par la grâce,
en effet, que vous avez été sauvés, par le moyen de la foi; cela ne vient pas de
vous, c'est le don de Dieu. (Cela ne vient) pas des oeuvres, afin que nul ne se
vante ». De la liste, le lecteur un tant soit peu familier avec le NT ne peut pas ne
pas retenir quelques uns des thèmes typiquement pauliniens : la filiation divine
des croyants, les arrhes de l’Esprit, l’édification des frères, l’homme intérieur.
Mais l’idée d’un copiage suivi est peu probable, car les paroles communes ne
viennent pas d’un ou de deux chapitres successifs72, elles sont disséminées un
peu partout dans les homologoumena. Cet état de fait peut néanmoins être
interprété diversement: ceux qui penchent pour l’authenticité d’Ep en concluent
que seul Paul pouvait reprendre un vocabulaire qui lui était propre, et ceux qui
se prononcent pour la pseudépigraphie reconnaissent assurément là une
condition normale, car celui qui dit être Paul, doit bien connaître les techniques
stylistiques et rhétoriques de celui dont il prend le nom, a fortiori ses idées
théologiques, sans les répéter servilement, prenant au demeurant la liberté de
développer à sa manière l’une ou l’autre, en en montrant l’importance et la
fécondité73. Bref, à lui seul, le vocabulaire commun aux homologoumena et aux
antilegomena ne permet aucune prise de position définitive eu égard à
l’authenticité, sauf lorsque la pseudépigraphie est manifestement maladroite, ce
qui est pour le moins inhabituel dans les lettres pauliniennes74. Et tel n’est pas le
cas d’Ep.

71
Voir le tableau de la p.328-329, qui reprend et complète les listes de plusieurs
commentaires.
72
Exception faite d’Ep 2 et 3, où les parallèles avec Col sont longs et continus.
73
Ce critère est clairement exprimé par Mitton, Ephesians, 112. L’auteur ajoute néan-
moins que, si l’on supposait Ep pseudépigraphique, on attendrait de son auteur qu’il retienne
les concepts et les idées les plus marquantes de Paul, et donc que certains passages des
homologoumena soient plus repris que d’autres (Rm 8 plus que Rm 10, Rm 7 plus que Rm 14
ou 15, 1Co 15 plus que 1Co 5, etc.), autrement dit que les idées puisées ou les mots « striking
and memorable » (p.113) repris en certains passages des homologoumena ne soient pas
éparpillés en Ep, mais articulés dans l’une ou l’autre des argumentations. Sur la formulation
de ce critère voir infra le paragraphe sur le vocabulaire spécifique d’Ep.
74
Prenons dans les Pastorales un des rares exemples d’apparente distraction ou incompré-
hension de l’usage paulinien. En 1Tm 1,9-10 a`martwlo,j est bien utilisé comme dans les
homologoumena : la liste montre qu’il s’agit de tous ceux qui, païens ou juifs, ne veulent
entendre parler ni de Dieu, ni de sa Loi, en s’adonnant aux vices, etc, bref de ceux qui sont
séparés de Dieu. Mais, en 1Tm 1,15, l’usage est discordant, car le rédacteur affirme que
Jésus est venu « pour sauver les pécheurs, dont je suis, moi, le premier » ; il n’entend certes
INTRODUCTION 27

Au plan stylistique, ce que nous avons dit à propos de Colossiens75, vaut en


partie pour Éphésiens, où les relatives sont toutefois nettement moins
nombreuses76. Mais, plus qu’en Col et que dans les homologoumena, on note en
Ep la présence massive de la préposition evn77. Ce qui frappe le lecteur même
non averti c’est le style en cascade, où fleurissent les génitifs en série, les
syntagmes prépositionnels, mais aussi les propositions participiales, infinitives
et – en quantité moindre – relatives, style qui serait proche, nous l’avons déjà
signalé, du grec des écrivains asiates de l’époque, assez éloigné du style des
lettres antérieures, et pour cela susceptible d’appuyer l’hypothèse
pseudépigraphique.
Si le style d’Ep est bien plus ampoulé que celui des homolougmena, il n’a
pas perdu toutes ses caractéristiques pauliniennes78. Il en est d’ailleurs d’autres
qu’il vaut la peine de souligner, car elles sont oubliées des commentaires ; il
s’agit des développements par précisions et/ou associations progressives. En
effet, dans les argumentations des homologoumena, l’apôtre commence souvent
par un énoncé assez énigmatique et ramassé de sa position, et il l’explique par
touches successives. Ep fournit deux bons exemples de ces techniques. Ainsi,
en Ep 2,19-22, la progression sémantique est assez facilement repérable. De
pa,roikoi le texte passe au vocable contraire oivkei/oi, pour signifier la parenté –
l’appartenance à la même maison –, ensuite à l’image de la construction
(oivkodomei/sqai), avec ses fondations, sa clé de voûte, enfin aux images du
sanctuaire (nao,j) et de la demeure où Dieu même habite (katoikhth,rion tou/

pas signifier qu’il est encore ou toujours séparé de Dieu (il a dit le contraire aux v.13-14) et
donc a`martwlo,j au sens paulinien du terme ; à n’en pas douter, le Paul des homologoumena
aurait utilisé un temps passé : « dont j’étais, moi le premier », comme en Rm 5,8 : « alors que
nous étions encore pécheurs ». Car, les membres de l’Église sont désormais ‘saints’,
sanctifiés, et Paul les appelle plusieurs fois ainsi (Rm 1,7 ; 15,25s.31 ; 16,2.15 ; 1Co 1,2 ;
etc.), suivi d’ailleurs en cela par le rédacteur de 1Tm (voir 1Tm 5,10). Manifestement, le
a`martwlo,j de 1,15 n’a plus le sens fort et tranché que lui donnent les protopauliniennes, mais
déjà la connotation qu’on retrouvera plus tard dans la demande finale de l’Ave Maria : ora
pro nobis peccatoribus… Qu’en conclure ? Que le rédacteur de 1Tm 1,15 ne semble pas
avoir saisi la logique de l’usage de a`martwlo,j par l’apôtre ? Mais ne pourrait-on aussi y voir
une figure rhétorique déjà utilisée dans les homologoumena, spécialement en Rm 7,7-25, où
Paul s’identifie – par solidarité ou compassion, peu importe ici – avec l’evgw, habité et dominé
par le péché ? Comme on le voit, on peut presque toujours retourner les arguments, et pour
les rendre contraignants, il importe de n’en pas rester au seul vocabulaire, mais de rester
attentif aux différents niveaux de production du sens.
75
J.-N. Aletti, Colossiens, 22-23.
76
Seulement 33 relatives en Ep, contre 42 en Col, qui est bien plus courte.
77
Un relevé des chiffres parle de lui-même, eu égard à la longueur respective des lettres :
122x en Ep ; 173x en Rm ; 171x en 1Co ; 160x en 2Co ; 41x en Ga ; 66x en Ph ; 88x en Col
et 55x en 1Th.
78
Sur le sujet, on consultera A. Vanhoye, « Personnalité de Paul et exégèse paulinienne ».
28 ÉPHÉSIENS

qeou/). Ce type de chaîne sémantique79 est fréquent, comme on le sait, dans les
homologoumena. L’autre procédé, celui des précisions progressives, est
également repérable en Ep 2 et 3 ; ainsi l’expression insolite ta. e;qnh evn sarki,
se voit presque immédiatement précisée et colorée religieusement par le vocable
avkrobusti,a (incirconcision) . La remarque vaut encore pour le meso,toicon tou/
fragmou/ d’Ep 2,14 qui, selon les uns, désignerait le mur signalant aux Gentils la
limite à ne pas dépasser dans le Temple de Jérusalem, et, selon les autres, le
système législatif mosaïque, car le reste de la phrase est décisif pour une
solution sûre80.. Quant aux traces d’oralité, repérables dans les homologoumena
grâce aux reversiones et parallélismes de toute espèce, on les retrouve
nombreuses en Ep ; à cet égard, une décision relative à l’inauthenticité reste et
doit rester en suspens.
Évitant donc de me prononcer sur ces questions avant d’avoir procédé à
une analyse détaillée de la lettre, j’appellerai souvent ‘Paul’ celui qui l’a écrite
ou dictée, d’autant plus que ce dernier s’est lui-même nommé ainsi.

(5) Éphésiens et les autres écrits du NT


Pour les liens sémantiques ou thématiques d’Ep avec les autres écrits du
NT, les commentaires renvoient très justement à C.L. Mitton, qui fut le premier
à examiner sérieusement les données, au moins celles relatives aux Pastorales,
aux Actes des Apôtres81 et à la 1Petri82. Son étude exigerait pourtant d’être
reprise, complétée et corrigée sur de nombreux points83. L’enquête s’est depuis
lors étendue aux rapports d’Ep à Hébreux84, mais, à ma connaissance, rien de
systématique n’a été entrepris pour les contacts avec Jn. Avec Penna et d’autres,
je ne vois pas comment on peut montrer la dépendance littéraire directe d’Ep
par rapport à ces écrits (et vice versa) « car le phénomène est substantiellement
sporadique et ne touche pas la structure générale de la pensée des auteurs

79
En rhétorique, on parlerait de figure étymologique (jeu sur une racine).
80
Voir infra l’exégèse de ce verset et du suivant. Ce qui vient d’être dit s’applique
évidemment à Ep 3, où les composantes du musth,rion sont peu à peu dévoilées.
81
Tout dernièrement la paternité de la rédaction d’Ep a été attribuée à « celui qui a mis la
dernière main aux écrits lucaniens, évangile et Actes », M.-É. Boismard, Éphésiens, 168. Cet
auteur reconnaît très honnêtement n’être pas le premier à formuler pareille hypothèse, déjà
connue de C.L. Mitton, Ephesians, 217, qui ne la retient pourtant pas.
82
C.L. Mitton, Ephesians. Voir les chapitres suivants : Ep et les Pastorales, p.170-175 (Ep
antérieur aux Pastorales) ; Ep/1Pe, p.176-197 (il en conclut à l’‘antériorité d’Éphésiens’,
p.196) ; Ep et Ac, p.198-220
83
C’est ce qu’a voulu faire M.-É. Boismard, Éphésiens, pour l’hypothèse d’une rédaction
‘lucanienne’ (p.168-175).
84
Voir A. Vanhoye, «L’épître aux Éphésiens et l’épître aux Hébreux», Bib 59 (1978) 198-
230.
INTRODUCTION 29

respectifs. Ils semblent plutôt dépendre tous d’un moment historique ecclésial
commun »85, voire d’une tradition commune et dont le vocabulaire serait déjà
fixé. Cela dit, en ces matières, aucune conclusion ne saurait être définitive.
Le cas d’une possible dépendance directe entre Ep et 1P reste néanmoins
très discuté : pour les uns, 1P dépendrait d’Ep86, alors que, pour les autres, le
contraire serait vrai87. On doit en effet admettre que plusieurs passages d’Ep et
1P ont en commun des paroles et des syntagmes, même longs 88:

Ep 1,3 Euvloghto.j o` qeo.j kai. path.r tou/ kuri,ou h`mw/n VIhsou/ Cristou/( o` euvlogh,saj h`ma/j evn
pa,sh| euvlogi,a| pneumatikh/| evn toi/j evpourani,oij evn Cristw/|(
1P 1,3 Euvloghto.j o` qeo.j kai. path.r tou/ kuri,ou h`mw/n VIhsou/ Cristou/( o` kata. to. polu.
auvtou/ e;leoj avnagennh,saj h`ma/j eivj evlpi,da zw/san deV avnasta,sewj VIhsou/ Cristou/ evk
nekrw/n(
Ep 1,4 kaqw.j evxele,xato h`ma/j evn auvtw/| pro. katabolh/j ko,smou ei=nai h`ma/j a`gi,ouj kai.
avmw,mouj katenw,pion auvtou/ evn avga,ph|(
Ep 5,27 i[na parasth,sh| auvto.j e`autw/| e;ndoxon th.n evkklhsi,an( mh. e;cousan spi,lon h; r`uti,da h;
ti tw/n toiou,twn( avllV i[na h=| a`gi,a kai. a;mwmojÅ
1P 1,19s avlla. timi,w| ai[mati w`j avmnou/ avmw,mou kai. avspi,lou Cristou/(20 proegnwsme,nou me.n
pro. katabolh/j ko,smou fanerwqe,ntoj de. evpV evsca,tou tw/n cro,nwn deV u`ma/j.

De plus, certains vocables ne se rencontrent qu’en Ep et 1P89:


Ep 4,32 gi,nesqe Îde.Ð eivj avllh,louj crhstoi,( eu;splagcnoi( carizo,menoi e`autoi/j( kaqw.j kai. o`
qeo.j evn Cristw/| evcari,sato u`mi/nÅ
1P 3,8 To. de. te,loj pa,ntej o`mo,fronej( sumpaqei/j( fila,delfoi( eu;splagcnoi( tapeino,fronej(
Ep 2,20 evpoikodomhqe,ntej evpi. tw/| qemeli,w| tw/n avposto,lwn kai. profhtw/n( o;ntoj
avkrogwniai,ou auvtou/ Cristou/ VIhsou/(
1P 2,6 deo,ti perie,cei evn grafh/|\ ivdou. ti,qhmi evn Siw.n li,qon avkrogwniai/on evklekto.n
e;ntimon kai. o` pisteu,wn evpV auvtw/| ouv mh. kataiscunqh/|Å

85
R. Penna, Efesini, 43.
86
Outre Mitton, voir, par ex., E. Best, «Ephesians 1.1 Again», 273-279, selon qui, l’auteur
de la 1Petri connaissait la pensée de Rm et d’Ep (p.277).
87
Telle est la position de Ph. Rolland. Ses idées (centrées sur la question de la chronologie
des livres néotestamentaires) ont été diffusées par L. Houdry, La naissance du Nouveau
Testament, [sans éditeur ; contacter l’auteur : 7 avenue Salomon – 59800 Lille (France)] Lille
1999 (pour les rapports entre 1P et Ep, voir p.123).
88
C.L. Mitton, Ephesians (appendice I), et L. Goppelt, Der erste Petrusbrief, KEK 12,
Göttingen 1979, 49, ont relevé des parallèles qui complètent ceux relevés ici même.
89
Dans le NT, avkrogwniai/oj (Ep 2,20 ; 1P 2,6), eu;splagcnoj (Ep 4,32 ; 1P 3,8)
n’apparaissent pas ailleurs ; et deux autres sont communs à Ep/1Pe et Ac : a;gnoia (Ac 3,17 ;
17,30 ; Ep 4,18 ; 1Pe 1,14) et pa,roikoj (Ac 7,6.29 ; Ep 2,19 ; 1P2,11). Rappelons qu’à elles
seules, ces particularités lexicographiques ne sont significatives que si elles sont appuyées
par des correspondances épistolaires plus larges, comme dans les exemples choisis ci-dessus.
30 ÉPHÉSIENS

Quelles conclusions tirer de ces données, en particulier d’une comparaison


entre Ep 1,4 et 5,27 d’un côté, et 1P 1,19-20 de l’autre ? Prenons l’adjectif
a;mwmoj : manifestement,1P l’utilise en faisant allusion aux agneaux des
sacrifices qui doivent être sans défaut, a;mwmoi90, et l’on pourrait conclure
qu’étant figuré (irrépréhensibilité morale), l’emploi d’Ep 1,4 est de ce fait plus
tardif91. Certes, le sens figuré d’un mot est toujours postérieur à son sens propre
et ce, dans toutes les langues ; mais tirer de ce principe la conclusion qu’Ep 1,4
a été écrit avant 1P 1,19 est pour le moins prématuré, car (i) on ne fera croire à
personne que l’auteur de la 1P parle d’abord et seulement de l’intégrité
physique de Jésus, (ii) l’adjectif a;mwmoj est également employé au figuré dans
les homologoumena (Ph 2,15) et, déjà bien avant, dans la bible grecque92 ; et
personne n’oserait affirmer que ces passages vétérotestamentaires et pauliniens
furent écrits après 1P 1,19 ! La raison fournie pour montrer que Ep 1,4 dépend
de 1P 1,19 ne vaut donc rien. Quant à l’expression pro. katabolh/j ko,smou, elle
est tout aussi insuffisante pour déterminer l’antériorité de l’une ou l’autre lettre ;
très probablement, comme ses autres occurrences dans le NT, elle reflète un
langage chrétien commun tendant à se fixer93.

(6) Le vocabulaire spécifique d’Éphésiens


Plus de cinquante mots d’Ep n’apparaissent ni dans les homologoumena ni
en Colossiens. Et si l’on ajoute les quarante hapax legomena néotestamentaires,
les mots propres à Ep sont au nombre de quatre vingt dix94. De ces
particularités, quels éléments nouveaux sur la question de l’authenticité sem-
blent émerger ?
Un relevé des mots spécifiques donne les résultats suivants :

90
Voir Ex 29,1.38 ; Lv 1,3.10 ; etc. Les textes sont assez nombreux, et l’adjectif désigne
évidemment chaque fois l’intégrité physique de l’animal.
91
L. Houdry, La naissance du Nouveau Testament, 123.
92
Cf. 2Sa 22,24.31.33 Y 14,2 ; 17,24.31.33 ; 18,8.14 ; 36,18 ; 63,5 ; 100,2.6 ; 118,1.80 ;
Pr 11,5.20 ; 20,7 ; 22,11 ; Si 31,8 ; 40,19 ; 1Mac 4,42 ; Dn 1,4 ; Sg 2,22. Dans la littérature
non biblique de l’époque, a;mwmoj a plusieurs fois le sens figuré, même si les auteurs préfèrent
l’adjectif avmw,mhtoj pour décrire l’intégrité morale.
93
Avec la préposition avpo, voir Mt 13,35 ; 25,34 ; Lc 11,50 ; Hb 4,3 ; 9,26 ; Apo 13,8 ;
17,8. Et, avec pro,, Jn 17,24. Il est sans doute bon de rappeler que l’expression n’est pas
utilisée dans la LXX, et que le substantif katabolh, n’y apparaît qu’une seule fois, en 2Mac
2,29, et appliqué à la construction d’une maison, dans un tout autre contexte donc. Hors
Bible (et selon le TLG), on ne trouve une formulation similaire qu’en Chrysippe (IIIème),
Fragmenta logica et physica, 989.39 : avpo. kti,sewj kai. katabolh/j ko,smou.
94
Voir le tableau p.330.
INTRODUCTION 31

- la plupart des vocables apparaissent ailleurs dans le NT ; on revient alors à la


question des rapports entre Ep et les livres mentionnés plus haut (Ac, 1P, Jc,
Hb, Jn).
- plusieurs termes viennent de citations vétérotestamentaires disséminées tout
au long de la partie exhortative, en Ep 4—695, lesquelles reflètent bien la
manière de procéder d’un rédacteur soucieux de rattacher ses propos à ceux des
Écritures, prises dans leur ensemble. Ce vocabulaire n’est pas spécifique, et il
vaut mieux parler d’inspiration directement biblique.
- un bon nombre – dont la moitié sont des hapax legomena – viennent d’Ep 2-3,
et ce n’est pas un hasard, si, comme on le verra plus loin, ces chapitres
expriment la manière dont l’auteur de la lettre comprend le mystère en la
nouveauté de sa formulation96 : on notera en particulier les vocables exprimant
la division, la ségrégation et, en contraste, l’unité, l’être ensemble (ceux formés
à l’aide du préfixe sun). Pour cette série de termes, la spécificité est réelle et
manifeste.
Que pouvons conclure, à partir de ces quelques données, sur l’authenticité
d’Ep ? Ce qui fait la spécificité de sa pensée, l’auteur de la lettre l’exprime à
l’aide de mots nouveaux ou absents des homologoumena. Mais cela n’implique
pas qu’il ne s’agisse pas de Paul. Il est tout à fait possible que ce dernier ait
voulu ou dû forger des vocables – par adjonction de préfixes, etc. – pour
signifier et souligner la nouveauté de ses propos. Cela dit, la pseudépigraphie ne
doit pas davantage être exclue. La prudence devra donc accompagner notre
parcours, d’autant plus que nous en savons davantage aujourd’hui sur le rôle
des secrétaires (amanuenses) d’alors, qui avaient parfois beaucoup de liberté
pour corriger le style, abréger ou développer les questions traitées – l’hypothèse
d’un secrétaire assez, voire très actif dans la rédaction d’Ep (et/ou Col) ne peut
donc a priori être exclue97.

95
aivcmalwsi,a (Y 67,19, en Ep 4,8), aivcmalwteu,w (Y 67,19, en Ep 4,8), makrocro,nioj (Ex
20,12, en Ep 6,3), ovrgi,zw (Ps 4,5 en Ep 4,26), ovsfu,j (Is 11,5, en Ep 6,14), perizw,nnumi (Is
11,5, en Ep 6,14), enfin proskolla,w (Gn 2,24, en Ep 5,31) et swth,rion (Is 59,17, en Ep
6,17).
96
Voici les vingt deux vocables : a;qeoj (2,12), avkrogwniai/oj (2,20), avmfo,teroi (2,14),
e`no,thj (4,.3.13), katoike,w (3,17), katoikhth,rion (2,22), makra,n (2,13.17), meso,toicon
(2,14), mh/koj (3,18), pa,roikoj (2,19), patria (3,15), politei,a (2,12), polupoi,kiloj (3,10),
sugkaqi,zw (2,6), summe,tocoj (3,6 ; 5,7), sumpoli,thj (2,19), sunarmologe,w (2,21 ; 4,16),
sunoikodome,w (2,22), su,sswmoj (3,6), fragmo,j (2,14), u[yoj (3,18 ; 4,18), ceiropoi,htoj
(2,11).
97
Voir par exemple E.R. Richards, The Secretary in the Letters of Paul, WUNT 2. Reihe
42, Tübingen 1990. A.T. Lincoln pense que, loin de résoudre les problèmes, l’hypothèse d’un
secrétaire mène à des impasses (Ephesians, lxviii). Mais sur ce point comme sur d’autres, le
débat est loin d’être terminé.
32 ÉPHÉSIENS

Mais le genre littéraire des introductions impose qu’on formule par


anticipation une opinion, au moins dans ses grandes lignes. Le présent
commentaire, disons-le dès à présent, essaiera de montrer que l’hypothèse
d’une rédaction pseudépigraphique d’Ep est plus probable. Mais une
probabilité, même forte, ne saurait s’imposer catégoriquement. Certes, elle
s’appuie sur une bonne connaissance de la langue et du style de la lettre, et sur
une longue familiarité avec les écrits pauliniens. Mais, en ces matières, il faut se
garder d’absolutiser les résultats, même fondés, car, pour Col et Ep, il ne semble
pas qu’on puisse dépasser les présomptions98. Cela ne condamne aucunement
les recherches futures, qui seront les bienvenues à la mesure de leur sérieux. Au
demeurant, les questions d’authenticité sont moins grevées de présupposés
confessionnels : la plupart des exégètes séparent désormais avec raison la
question de l’authenticité d’Ep et celle de son autorité, de sa valeur, de sa vérité,
de son inspiration. Certains en sont encore à penser qu’Ep ne peut être
pseudépigraphique, car, en déclarant être Paul, un autre rédacteur ferait de lui
un faussaire, perdant ainsi tout ou une partie de son autorité99. Pareil jugement
manifeste seulement une ignorance de l’histoire des usages concernant la
paternité littéraire100.

Autres traditions reprises ou suivies par Ep


Si l’exégèse a fait des progrès, c’est dans l’abandon d’un certain nombre
d’hypothèses concernant l’arrière-fond religieux d’Ep - celui des destinataires
ou celui du rédacteur. On sait que le vocable musth,rion a longtemps fait penser
aux religions mystériques. Depuis au moins trois décennies, différentes études
sont venues infirmer l’hypothèse, qu’il faut désormais considérer comme
obsolète101. Une autre théorie doit également être éliminée, celle d’un milieu de
vie – a fortiori une influence – (pré- ou même proto)gnostique, pour les raisons
que l’on rappellera au cours de l’exégèse, il reste à examiner le rapport d’Ep

98
Je serais en revanche certainement plus catégorique pour les Pastorales (en particulier
1Tm et Tt).
99
Voir, par exemple, Van Roon, Authenticity, 2.
100
On sait que l’anonymat est un des faits les plus frappants de l’écriture biblique – usage,
soit dit en passant, respecté par les évangiles. Mais, les auteurs des Psaumes et de certains
livres bibliques ne se gênent pour attribuer leurs poèmes ou récits à des personnages connus
(David, Salomon, etc.), et cela n’ôte pourtant rien à la vérité ou à l’inspiration de leur propos.
101
Dans un récent article, T.B. Cargal, «Seated in the Heavenlies: Cosmic Mediators in
the Mysteries of Mithras and the Letter to the Ephesians», a, lui aussi, insisté sur les
différences fondamentales existant Ep et le milieu des cultes mystériques, tels que depuis
l’œuvre magistrale de F. Cumont, on a pu se les représenter. Les preuves montrant la non
influence des cultes mystériques seront fournies par l’exégèse de Ep 3,1-13.
INTRODUCTION 33

aux Écritures, au monde juif d’alors, mais aussi aux mouvements


philosophiques dominants.
(1) Éphésiens et les Écritures. Ep ne compte qu’une seule citation explicite de
l’Écriture, explicite parce que précédée d’une formule d’introduction, dio. le,gei
sans sujet, en 4,8102, qu’on ne rencontre ailleurs dans le NT qu’en Jc 4,6, mais
qui est aussi plusieurs fois utilisée par Philon103. Les homologoumena préfèrent
le parfait ge,graptai.
Mais, à la manière de plusieurs passages des homologoumena104, Ep cite
plusieurs fois des phrases bibliques entières en les insérant sans formule
d’introduction, comme si elles faisaient partie de son propre tissu : 1,22 (= Ps
8,6) ; 2,17 (= Is 57,19) ; 4,25 (= Za 8,16) ; 4,26 (= Ps 4,5) ; 5,31 (= Gn 2,24) ;
6,2-3 (= Dt 15,16105) ; 6,14 (= Is 11,5 ; 59,17) ; 6,15 (= Is 52,7) et 6,17 (= Is
59,17106).
Outre ces citations longues, une foultitude de vocables et d’expressions
viennent aussi des Écritures, l’exégèse le montrera, surtout dans la première
partie (Ep 1-3), où il est question du statut des chrétiens non circoncis,
autrement dit du musth,rion107.
De ces données, on peut tirer quelques conclusions : sans aucun doute,
l’auteur connaît les Écritures et les intègre à sa réflexion, en les faisant
totalement siennes et en les commentant plus ou moins longuement108. Ce qui
frappe, c’est sa connaissance de la thématique relative à l’appartenance au
peuple de la promesse et de l’alliance : élection, filiation, héritage, etc. Presque
tous les versets trahissent un arrière-fond scripturaire. Le lecteur attentif ne
manque toutefois pas d’être étonné, car certains mots (lao,j) sont absents, et
d’autres sont utilisés avec une connotation différente de celle donnée par la

102
Il s’agit du Y 67,18. La formule d’introduction est la même en 5,14, mais le passage
cité est une strophe hymnique d’origine chrétienne.
103
Legum alleg. 3.180.3 ; de agricultura 100.3 ; de ebrietate 138.1 ; de confusione lin-
guarum 182.1 ; quaestiones in Genesim 1.97.3. Le simple le,gei (non précédé de dio,) apparaît
deux fois dans les homologoumena (2Co 6,2 ; Ga 3,16 précédé d’une négation).
104
Voir 1Th 5,8 ; 1Co 2,16 ; 5,13b ; 6,16b ; 10,26 ; 15, 32 ; 2Co 3,16 ; 10,17 ; 13,1 ; 15,
32 ; Ga 3,6 ; Rm 3,20 ; 9,20b ; 10,13.18 ; 11,2.34-35.
105
La phraséologie d’Ep 6,2-3 est celle de Dt 15,16 (plus que celle d’Ex 20,12).
106
Is 59,17 est déjà cité par Sg 5,18 et 1Th 5,8. Même si Ep 6,14.17 cite le verset d’Isaïe
en relation à l’exhortation de 1Th 5,8, sa perspective est autre (voir l’exégèse d’Ep 6,14ss).
107
Pour la seconde partie, les allusions sont moins fréquentes, mais valent d’être relevées,
comme les substantifs prosfora, et qusi,a en 5,2 qui viennent du Y 39,7, et l’expression ovsmh.
euvwdi,aj, toujours en 5,2, que l’on rencontre une cinquantaine de fois dans les passages de la
Loi relatifs aux sacrifices.
108
Le procédé est typiquement midrashique ; il l’est explicitement en 4,8ss.
34 ÉPHÉSIENS

tradition juive d’alors (diaqh,kai, au pluriel, en 2,12109). Dans l’ensemble, ces


citations ou allusions touchent l’être et l’agir du Christ (1,22 ; 2,13-17 ; 4,8-11),
l’être et le statut des croyants (1,3-14 ; 1,15-20 ; 2,11-22 ; 3,3-7 ; 5,31).
Aucune des citations n’est polémique ou apologétique : à la différence du
Paul de Rm ou Ga, celui d’Ep n’a pas à montrer que l’Écriture est de son côté,
contre des opposants qui l’interprèteraient différemment. Il s’en sert
uniquement pour la commenter, toujours brièvement, en en signalant toutes les
implications, pour la situation des croyants. Qu’il ne fasse pas précéder les
phrases plus longues de formules d’introduction aussi souvent que dans les
homologoumena, peut signifier qu’il « évite d’établir un rapport explicite de
dépendance et d’accomplissement à leur égard110», mais pas nécessairement.
Outre le fait qu’à l’époque où fut écrite Ep, faire allusion aux grands auteurs
sans ostentation était reconnu comme une qualité littéraire111, le rédacteur de
notre lettre donne plutôt l’impression de relire la tradition biblique en la
reformulant, en en montrant la postérité inouïe, comme l’indiquent les
néologismes disséminés tout au long des premiers chapitres112. La technique
d’Ep n’est pas d’indiquer une prise de distance par rapport à la tradition
biblique, bien plutôt de laisser ses lecteurs comprendre la manière dont elle la
relit à la fois respectueusement et originalement, mystère oblige – car le
musth,rion, nous le verrons, est précisément la révélation de choses cachées
depuis la fondation du monde... Relecture – midrashique au sens large – des
Écritures, nourrie de l’événement Jésus Christ, et riche de tout ce qu’il a permis
de saisir du dessein de Dieu, en extension et en compréhension, pour le
reformuler à nouveaux frais.
(2) Éphésiens et Qumran. On sait qu’avec les publications des manuscrits
qumraniens, une série d’études sont parues, qui ont étudié la possibilité d’un
rapport et d’une influence de Qumran sur les écrits néotestamentaires et en
particulier sur Ep113, au point qu’on en est venu à faire de l’auteur de notre lettre
un collaborateur ou un même secrétaire de Paul gagné aux idées esséniennes114.
109
En continuité avec les homologoumena ; voir Rm 9,4.
110
R. Penna, Efesini, 36.
111
La typologie des les évangiles appartient souvent au même type de renvoi littéraire
discret. Voir J.-N. Aletti, « Le Christ raconté. Les évangiles comme littérature ? », in Fr.
Mies (éd.), Bible et littérature. L’homme et Dieu mis en intrigue, presses universitaires de
Namur 1999, 29-53. On objectera certainement que le style d’Ep n’a rien de littéraire ni
d’élégant. Certes, mais ses allusions continues obligent à reconnaître en cette discrétion une
manière de procéder.
112
Quelques uns sont formés à partir de termes bibliques par adjonction de préfixe (cf.
3,6).
113
K.G. Kuhn, « Der Epheserbrief im Licht der Qumrantexte », NTS 7 (1960-61) 334-
345 ; J. Coppens, « Le ‘mystère’ dans la théologie paulinienne et ses parallèles Qum-
INTRODUCTION 35

Les ressemblances, à dire vrai, ne manquent pas. Tous les commentaires


les signalent minutieusement, qu’elles touchent le style ou les représentations
théologiques. Effectivement, comparées aux phrases des autres écrits
néotestamentaires, celles d’Ep battent des records de longueur, en multipliant
les syntagmes prépositionnels, les relatives et circonstancielles de tous ordres
(voir 1,3–14; 1,15–23; 2:1–7; 3:1–7; 4:11–16; 6:14–20). Mais Kuhn avait
depuis longtemps repéré que ces phrases sinueuses, serpentines, ne sont pas
rares dans les écrits de Qumran, en particulier dans les Psaumes d’actions de
grâces ; il explique ces ressemblances par la reprise, ici et là, d’une même
tradition linguistique (plus précisément stylistique)115. Au niveau thématique,
ont été également mises en évidence un certain nombre de formules proches,
voire identiques :
« béni Dieu [qui/car] » en Ep 1,3116
« la bienveillance » divine en Ep 1,5 ;
voir 1QS VIII,6 (bienveillance - !wcr)
« la richesse de la grâce » Ep 1,7 ;2,7 ;
voir 1QS IV,3.4.5 ; 1Qha XI,28 (abondante grâce – wdsx bwr ; également l’expression
proche bwj bwr – son/ton abondante bonté)
« le lot de Dieu » Ep 1,11 ;
voir 1QS 2,2 (les hommes du lot de Dieu – la lrwg yvna)
« illuminer les yeux du cœur » Ep 1,18 ;
voir 1QS 2,3 (illuminer coeur – hbbl rayw)
« l’héritage des saints » Ep 1,18 ;
voir 1QS 11,7 (héritage des saints - ~yvwdq lrwg)
« révélé à ses saints apôtres et prophètes par l’Esprit » Ep 3,5 ; expression relativement
voisine en 1QS 8,16 (comme le révélèrent les prophètes par/avec son Esprit Saint –
wvdwq xwrb ~yaybnh wlg rvak)
D’autres expressions valent d’être mentionnées, parce qu’elles touchent
davantage la théologie d’Ep : la révélation et la connaissance du mystère de

râniens », dans A. Descamps (éd.), Littérature et théologie pauliniennes, Desclée : Louvain


1960, 142-165 ; F. Mussner, « Contributions made by Qumran to the Understanding of the
Epistle to the Ephesians », dans J. Murphy-O’Connor (éd.), Paul and Qumran, Priory Press :
Melbourne 1968, 159-178 ; P. Benoit, « Qumran and the New Testament » ibid. 1-30. Pour
les articles parus avant 1960, voir M. Barth, Ephesians, 405-406.
114
Murphy-O'Connor, J., «Who Wrote Ephesians?» Bible Today 18 (1965) 1201-1209
(voir en particulier la p.1202).
115
K.G. Kuhn, « Der Epheserbrief im Licht der Qumrantexte ». L’article a été repris dans
Paul and Qumran publié par J. Murphy-O’Connor, 115-131.
116
Les formules sont variées (à la deuxième ou à la troisième personne, et les
justifications pour bénir le plus souvent causales (conjonction kî) , une fois participiale (avec
l’article), comme en Ep 1,3 (voir 1QM XIV,4 hashômer, « celui qui garde »). Voici quelques
unes des occurrences du vocable barouk 1QS, XI,15 ; 1QM XIII,2 ; XIV,4 ; XVIII,6 ;
1Q34bis Frag. 1+2,4 ; 1QH V,20 ; X,14 ; XI,27. 29. 32 ; XVI,8 1 ; 1QH Frag. 4,15.
36 ÉPHÉSIENS

l’intelligence divine117, l’opposition entre fils de la lumière et fils des ténèbres,


avec un appel à la lutte (Ep 6,10-17), qui parcourt la règle de la communauté et
d’autres livres, et dénote un réel dualisme118, le fait aussi que le conseil de la
communauté essénienne se comprenne comme la demeure de Dieu119. Quant à
la mention de puissances célestes120, elle est n’est pas propre à Qumran,
puisqu’on la trouve en tous les écrits juifs paratestamentaires et dans le NT – en
particulier dans les évangiles.
Les données qui viennent d’être relevées ont amené quelques exégètes à
postuler une dépendance directe d’Ep par rapport à Qumran. Mais, cela semble
bien difficile à prouver, car : (a) les traits communs ne touchent pas l’essentiel
de la théologie d’Ep, à savoir l’œuvre divine de salut en Jésus Christ, la
domination suprême du Christ sur tout le créé (en particulier sur les puissances
célestes), le rapport Christ-Église décrit comme celui de tête à corps, la non
obligation, pour les ethnico-chrétiens de se faire circoncire, etc. ; (b) plusieurs
des traits relevés ci-dessus se rencontrent aussi dans les homologoumena et en
Col ; il semble plus approprié de reconnaître des traces de tradition commune,
sans qu’on puisse déterminer avec certitude si cet arrière-fond est passé par le
canal judéo-chrétien. Les scénarios ne se réduisent donc pas à l’unité, car le
Paul d’Ep a très bien pu reprendre ici et là – par exemple dans l’eulogie initiale
(1,3-14) – des expressions ou passages composés par d’autres chrétiens, eux-
mêmes d’origine juive, mais il a pu également utiliser des formules héritées de
sa propre culture juive. L’arrière-fond juif est indéniable, mais il est difficile
d’étayer les hypothèses qui iraient au-delà.
Plus importante est, semble-t-il, la capacité qu’a l’auteur, manifestement
au fait des représentations du judaïsme de son temps, de s’adresser à des
chrétiens d’une origine et d’une culture différente, nous montrant ainsi, à nous
qui sommes aujourd’hui dans des situations analogues, comment faire pour que
l’appartenance à une tradition, toujours particulière, ne reste pas frileuse, mais
s’ouvre à l’altérité et à la nouveauté.
(3) Éphésiens et les traditions philosophiques. Les commentaires d’il y a
quelques décennies insistaient sans doute plus que nous ne faisons aujourd’hui

117
Le grec musth,rion correspond à l’hébreu zr, plusieurs fois répété dans les écrits de
Qumran, où le passage le plus proche d’Ep 3 me semble être 1QH XII,13.
118
Voir 1QS I,9.10 ; III,13.24 ; etc. (rwa nyb et $vwx ynb).
119
Voir 1QS 8,5-9, où l’on retrouve des expressions proches d’Ep 2,19-22 : maison de
sainteté (vwdq tyb), pierre angulaire (hnp), demeure sainte (vwdq !w[m). L’image de la plantation
utilisée en 1QS VIII,5 n’est pas reprise en Ep, mais on la retrouve dans les homologoumena
(1Co 3).
120
Voir Ep 2,2 ; 6,12, où il est question de puissances antagonistes. Le mot a;ggeloj
n’apparaît pas en Ep. Pour Qumran, voir les fragments relatifs à la liturgie céleste.
INTRODUCTION 37

sur l’influence que put avoir la pensée grecque eu égard au développement des
idées théologiques du christianisme primitif. Pour Ep, c’est surtout au stoïcisme
qu’on a pensé. Certes, dans la philosophie grecque le salut est opéré par une
fuite du sensible – du corps donc --, et par un retour vers le monde intelligible,
immortel, impérissable. Si l’idée d’une résurrection des corps n’a pas pénétré, à
l’époque où vécut Paul, dans les écoles philosophiques grecques et romaines, il
est cependant des points sur lesquels on peut relever des analogies, d’autant
plus que la tradition juive hellénistique elle-même – surtout sapientielle – a eu
un rôle non négligeable dans la reprise de certains thèmes grecs.
La représentation d’un cosmos unifié et maintenu ensemble solidement
(cieux et terre), connue des grecs, est peut-être sous-jacente aux expressions
d’Ep 1,10.23. Quant à la métaphore de l’Église comme corps, elle vient
probablement du monde grec121, même si son utilisation est tout à fait originale
en Col et Ep, comme l’exégèse de la lettre le montrera. Bref, c’est en réutilisant
à sa manière des métaphores connues qu’Ep va pouvoir exprimer la relation
unique du Christ à l’Église.
Sans doute faut-il encore une fois souligner qu’Ep reflète plusieurs
cultures (biblique, juive, gréco-hellénistique) et plusieurs traditions (à
commencer par la tradition chrétienne prépaulinienne et paulinienne), et, plutôt
que d’insister sur un milieu, il est plus intéressant de voir comment l’auteur
combine des influences n’ayant ni la même origine ni le même poids – pour sa
propre réflexion s’entend. Sans renier ses propres origines (probablement
juives), il a su trouver les mots et les images qui, devenus populaires dans le
monde d’alors, devaient être compris par ses correspondants. Cette lettre n’a
rien d’élitiste ni d’ésotérique.

121
Sur le cosmos comme ‘corps’ composé de membres divers et complémentaires, les
commentaires mentionnent Platon. Ne pas oublier toutefois que pour Col et Ef ce n’est pas le
cosmos, mais l’Église seule qui est ‘corps’ du Christ. L’influence de l’usage social semble
plus probable ; voir, par exemple, Chrysippe, dont quelques fragments nous sont conservés
par ceux qui l’ont cité, dont Plutarque, de defectu oraculorum cap. 29 : ouv ga.r evntau/qa me.n
e]n suni,statai sw/ma polla,kij evk diestw,twn swma,twn( oi-on evkklhsi,a kai. stra,teuma kai.
coro,j( w-n e`ka,stw| kai. zh/n kai. fronei/n kai. manqa,nein sumbe,bhken( w`j oi;etai Crusippoj(
evn de. tw|/ panti. de,ka ko,smouj & e`ni. crh/sqai lo,gw| & avdu,nato,n evstin (classé par le TLG
comme Fragmenta logica et physica 367.1-5). Le lecteur aura noté au passage quels groupes
sont nommés ‘corps’ : assemblée [civile], armée et chœur. Sur l’application du vocabulaire
corporel au groupe social et à ses chefs chez les Latins, voir, entre autres, Sénèque de
clementia 1,5,1.3, qui déclare à l’empereur : « tu animus rei publicae tuae es, illa corpus
tuum ». Le sens des termes sw/ma et kefalh, dans les écrits grecs, littéraires et philosophiques,
a fait l’objet d’une discussion longue et polémique, par Grudem et Cervin, dont les articles
sont cités dans la bibliographie finale.
38 ÉPHÉSIENS

Datation et expédition de la lettre


Ceux qui se prononcent pour l’authenticité indiquent évidemment une date
antérieure à la mort de l’apôtre ; et si, comme le supposent certains, les deux
lettres (Col et Ep) ont été pratiquement dictées en même temps122, elles auraient
été également écrites avant le tremblement de terre de Colosses, en l’an 62. Il
reste alors à affronter le problème du lieu d’expédition : Césarée, Rome, ou
même une autre ville123?
Si l’on opte pour la pseudépigraphie, la datation peut aller de 65 à 90124.
Ceux qui voient en 2,14 une allusion à la destruction du Temple, ont tendance à
la placer après 70, mais cette exégèse n’est, on le verra, ni la seule ni la plus
probable. Quant au lieu de rédaction, il est encore plus difficile à déterminer
que pour l’hypothèse précédente (authenticité), car, en l’absence d’indices
certains, on peut avancer aussi bien Rome, Césarée qu’une des villes d’Asie
Mineure125, où vivaient des communautés pauliniennes avec, en leur sein, des
personnes capables de reprendre avec génie et originalité le message d’un
apôtre qu’ils avaient bien connu.

122
Cela vaut a fortiori si l’on admet que l’actuelle lettre aux Éphésiens est en réalité celle
aux Laodicéens, mentionnée en Col 4,16.
123
Cette dernière suggestion est peu ou pas retenue par les commentaires. Sur ces ques-
tions, voir M. Barth, Ephesians, 50-51, qui penche lui-même pour Rome, en admettant que le
lieu et la date qu’il propose n’ont rien de contraignant.
124
Le terminus a quo, l’année 65, dépend bien évidemment de la datation de la mort de
l’apôtre. Certains la placent en 63 ou 64, d’autres, vont jusqu’à 67-68 (sur le sujet, voir le
dossier fourni par J. Murphy-O’Connor, Paul. A Critical Life, Clarendon Press – Oxford,
1996, 368-371). Pour le terminus ad quem, il semble exagéré d’aller au delà des années 90, à
cause du témoignage des premiers Pères. Dans le même sens, voir Lincoln, Ephesians, lxxiii.
Et comme les premiers Pères à faire allusion à Ep sont asiates, on a mentionné comme lieu de
rédaction l’Asie Mineure – vaste contrée ! Autant que je sache, aucune localisation ne s’est
jusqu’à présent imposée.
125
À cause du style, plutôt asiatique, de la lettre, les villes de Grèce semblent moins pro-
bables ; on ne saurait toutefois a priori exclure qu’un proche de Paul, asiate d’origine, ait pu
passer quelque temps dans une de ces villes (pour des raisons pastorales ou autres).
Le cadre épistolaire
1,1-2

Bibliographie
E. Best, « Recipients and Title of the Letter to the Ephesians » ; G.W. Doty, Letters in
Primitive Christianity ; A.J. Malherbe, «Ancient Epistolary Theorists», Ohio Journal of
Religious Studies 5 (1977) 3-17 ; S.W. Stowers, Letter Writing in Greco-Roman Antiquity,
Westminster 1986 ; J.L. White, « New Testament Epistolary Literature in the Framework of
Ancient Epistolary », in ANRW II.25.2 (1984), 1730-1756 ; Id., «Ancient Greek Letters», in
D.E. AUNE (éd.), Greco-Roman Literature and the New Testament, Atlanta 1988, 85-105.

1
Paul, apôtre de Jésus Christ par la volonté de Dieu, aux saints qui sont [à
Éphèse] et fidèles en Christ Jésus : 2 à vous grâce vous et paix de la part de
Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ.

Présentation et composition

Pour la salutation initiale, l'exégèse est la même que pour Col 1,1-2 et les
homologoumena : une double lecture s’impose, (a) synoptique, car elle permet
d’évaluer les ressemblances et différences de chaque praescriptum, (b)
épistolaire, dans la mesure où Ep est inséparable des traditions et modèles
épistolaires de l’époque1. L’ordre des éléments signalés au paragraphe suivant
n’a rien d’original : on trouve le même agencement dans toutes les lettres
pauliniennes et dans celles de l’époque, en particulier les quelques unes, juives,
qui nous sont parvenues grâce aux livres bibliques écrits en grec, et qu’on
nomme habituellement deutérocanoniques. Ces passages reflètent un modèle
hellénistique commun2.
Voici, pour Ep, les trois éléments qu’on retrouve ailleurs, comme il vient
d’être dit :
a) l’envoyeur ou l’expéditeur (superscriptio)3, 1,1a ;
b) les destinataires (adscriptio)1,1b ;
c) salut (salutatio) 1,2.

1
Voir J.-N Aletti, Colossiens, 43-48 ; R. Penna, Efesini, 73-81.
2
Cf. 1Esd 6,8; 8,9; 1Ma 10,18; 10,25; 11,30; 11,32; 12,6; 12,20; 13,36; 14,20; 15,2;
15,16; 2Ma 1,1; 2Ma 1,10; 9,19; 11,16; 11,22; 11,27; 11,34; 3Ma 3,12; 7,1.
3
Comme cela a déjà été signalé dans l’introduction, les adresses pauliniennes mentionnent
souvent ceux qui, avec l’apôtre, saluent les destinataires, et dont il est impossible de montrer
qu’ils ont participé à la rédaction des lettres, même si on peut le supposer.
40 ÉPHÉSIENS

Une lecture synoptique des passages parallèles montre qu’avec 1Th et Col,
cette adresse est une des plus courtes, et ne comporte rien de spécial, excepté le
nom de la cité («à Éphèse»), qui a fait couler beaucoup d’encre. Comme tous
les mots apparaissent pour la première fois dans la lettre, le lecteur ne peut
saisir leur sens qu’en faisant appel à l’usage paulinien ou à l’usage de l’Église
primitive, ou plus largement encore, à leur emploi dans le monde hellénistique
d’alors. Ce n’est que progressivement, grâce aux répétitions, que le lecteur va
pouvoir saisir le sens et la portée des vocables.

Exégèse

v.1 - « Paul, apôtre de Jésus Christ »


Paul ne nomme que lui4. Comme dans presque toutes les lettres, suit la
qualification5 ; ici, un seul titre est mentionné, celui d’apôtre, comme en 1 et
2Co 1,1 ; Ga 1,1 ; Col 1,1 ; 1 et 2Tm 1,16. En toutes ces adresses, le titre est
toujours christologiquement spécifié7, mais le génitif reste brumeux ; il peut en
effet indiquer l’origine8 (c’est par le Christ que Paul se sait et se dit envoyé) ou
l’appartenance, la dépendance (c’est Christ qu’il sert et dont il est le
collaborateur, l’envoyé). Quant au sens du vocable avpo,stoloj, on ne peut a
priori fournir la raison de sa mention – Paul veut-il répondre implicitement à
des opposants lui contestant le titre ? Veut-il souligner son autorité ? Il est vrai
que, par le titre d’apôtre, il donne à sa lettre une réelle autorité, mais en Ep –
sans doute à la différence de 2Co et Ga –, rien ne prouve que cette dernière ait
été contestée ou non reconnue. Si la lettre est pseudépigraphe, le titre vise
probablement à conférer une autorité apostolique aux propos qui vont suivre –
mais il faut noter qu’à la différence de Ga, Rm ou 1Tm, on ne peut parler
d’insistance, comme le montre le syntagme suivant. Répétons seulement ici que
le sens du mot apôtre ne peut encore, au premier verset de la lettre, être
déterminé que par l’usage paulinien ; il ne sera spécifié que par ses occurrences
subséquentes (Ep 2,20 ; 3,5 ; 4,11).
- « par [la] volonté de Dieu »,
syntagme qui est également utilisé en 1Co 1,1 ; 2Co 1,1 (cf. Ga 1,4) et Col 1,1a
(de nouveau en 2Tm 1,1) : chaque fois que Paul se déclare apôtre, il fait suivre

4
Rm, Ep et les Pastorales sont les seules lettres où Paul est l’unique destinateur.
5
La qualification manque en 1 et 2Th.
6
Comme on le voit, ce titre n’est utilisé qu’à partir de 1Co, ce qui ne signifie aucunement
qu’en 1Th Paul ne se reconnaissait pas encore apôtre. Autre titre, accolé à ‘apôtre’ :
‘serviteur’ (ou esclave), en Rm 1,1 et Tt 1,1. En Phm 1, Paul se nomme seulement ‘pri-
sonnier’.
7
Il s’agit des adresses, car en Ep 3,5, il est théo-logiquement spécifié.
8
Ou la cause instrumentale (‘par Jésus Christ’), comme le montre dia, en Ga 1,1.
EP 1,1-14 41

le titre de l’origine divine. L’expression éclaire le terme qu’elle modifie : Paul


ne s’est pas constitué apôtre, il l’est parce que Dieu l’a voulu tel, Mais il s’agit
d’une notation brève, sans insistance particulière.
- « aux saints qui sont [à Éphèse] et fidèles en Christ Jésus »
L’appellatif « saints » est employé dans presque toutes les adresses, depuis
la première aux Corinthiens9. Étant précédé de l’article l’adjectif a une valeur
substantivale ; le fait que le second adjectif (« fidèles ») n’est pas précédé de
l’article indique évidemment qu’il ne désigne pas un autre groupe, mais
l’ensemble de ses destinataires comme « saints et fidèles ».
À la différence de plusieurs protopauliniennes, le mot « Église » ne figure
pas dans l’adresse de Col et Ep10. En Col, pareille absence ne vient pas de ce
que l'auteur de Col n'applique pas le terme aux Églises locales, car Col 4,15.16
prouvent le contraire. Mais comment l’interpréter en Ep ? Cela vient-il de ce
que l’Auteur va plus loin insister sur l’unique Église, incluant tous les baptisés
de toutes origines, cultures et nations, dans un seul et même corps ? À ce point
de l’itinéraire, il est impossible de répondre.
Pourquoi l’appellatif « saints » (flanqué de « fidèles ») est-il ici préféré à
d’autres (tel « frères », comme dans la salutation finale, en Ep 6,23 ou en Col
1,2a) ? L’usage paulinien permet une première réponse, dans la mesure où
« saints » désigne toujours pour l’apôtre celles et ceux qui sont en Christ, de
manière presque stéréotypée : au masculin pluriel, le vocable est employé 42
fois dans les proto- et deutéropauliniennes (plus une fois dans les Pastorales, en
1Ti 5,10) ; mais lorsque l’apôtre interpelle les saints, il les nomme « frères »
(avdelfoi,). L'appellation «saints» n'est pas sans précédents dans la littérature
biblique et juive pour désigner le peuple d'Israël appelé à rien de moins que la
sainteté11. En cette adresse, il est encore impossible de savoir exactement ce que
connote le terme.

9
L’adresse de Gal fait exception et est d’un laconisme extrême : « aux Églises de Gala-
tie » -- le reste de la lettre permet d’expliquer le ton un peu sec du commencement. 1Co 1,2
(« à ceux qui ont été sanctifiés en Christ Jésus, appelés saints »); 2Co 1,1 (« à l’Église qui est à
Corinthe, avec tous les saints qui sont en Achaïe »); Rm 1,7a (« à tous ceux qui sont à Rome,
aimés de Dieu, appelés saints ») ; Ph 1,1 (« à tous les saints en Christ Jésus qui sont à
Philippes »), Col 1,21 (« aux frères saints et fidèles en Christ qui sont à Colosses » -- c'est la
seule adresse initiale du corpus paulinum où l'appellation « frères » est utilisée pour désigner
les destinataires de la lettre).
10
Voir 1Th 1,1; 1Co 1,2; 2Co 1,1; Ga 1,2; Phlm 2. Ne pas oublier que le mot « Église »
est aussi absent de deux adresses des protopauliniennes (Rm 1,7 ; Ph 1,1).
11
Cf. en Ex 19,6 l'expression «nation sainte»; voir aussi Lv 11,44-45; 19,2; 20,7.26; 21,6;
22,32, en particulier le refrain «soyez saints, car moi je suis saint». La communauté de
Qumran se comprenait comme le peuple des saints de l'alliance (1QM 3,5; 6,6; 10,10; etc.).
42 ÉPHÉSIENS

Quant à l’adjectif « fidèles », il est difficile de savoir s’il est pure


désignation, ou si, comme en Ep 6,21, il connote la fiabilité et la fidélité (dans la
foi et dans le labeur). Aurait-il fallu traduire pistoi, par « croyants » ? Les
homologoumena utilisent pour ce dire le participe pisteu,ontej12, mais comme il
est impossible de savoir si Ep 1,1 donne à pistoi, ce sens, il est préférable de lui
laisser celui qu’il avait selon l’usage d’alors. Mais, si le syntagme prépositionnel
evn Efe,sw| est postérieur, la formulation du v.1b doit être interprétée selon les
lois élémentaires de la grammaire : « aux saints, qui sont aussi fidèles en Christ
Jésus »13.
L'ajout «en Christ Jésus» qualifie et souligne la modalité fondamentale de
l’être « saints et fidèles ». On peut donner au syntagme un sens faible (saints en
Christ équivalant à chrétiens) ou fort (saints parce que bénéficiant des dons du
Christ), et il est bien difficile de décider entre l’un et l’autre14.
- « à Éphèse » evn Efe,sw|
Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui voient en ce syntagme une addition
postérieure, car il manque dans le papyrus P46 et en d’autres excellents témoins,
et ne commence à être attesté que dans les versions latines, syriaques et coptes.
Mais si evn Efe,sw| est un ajout, le problème demeure, car toutes les
protopauliniennes et Col sont adressées à des communautés locales. Voilà
pourquoi certains pensent que la lettre étant destinée à plusieurs, voire à toutes
les communautés, il y aurait initialement eu un blanc dans le texte, à remplir par
les destinataires respectifs. S’il en fut ainsi, pourquoi evn Efe,sw| est-il
pratiquement le seul lieu dont les manuscrits fassent mention ? La formation de
collections de lettres, telle que la reconstitue J. Murphy-O’Connor15, pourrait
expliquer que le nom d’Éphèse se soit imposé assez rapidement, mais on en
reste à de pures conjectures.

12
Participe précédé de l'article. Voir en particulier 1Th 1,7; 2,10.13; Ga 3,22; 1Co 1,21;
14,22 (avec le terme opposé, «les incroyants», oi` pistoi,); Rm 1,16; 3,22; 4,11; 10,4;
également Ep 1,19. L'unique exception se trouve en 2Co 7,15 (mais l'opposition pisto,j /
a;pistoj doit être rendue ici plutôt par fidèle/infidèle que par croyant/incroyant).
13
Les autres interprétations sont moins fondées, entre autres celle d’Origène (que j’ai
connue par le commentaire de T.K. Abbott), qui donne au participe précédé de l’article toi/j
ou=sin un sens existentiel (« aux saints qui sont », parce que Dieu les a appelés du non-être à
l’être, selon les termes mêmes de 1Co 1,28). Pour ces diverses interprétations, voir R. Penna,
Efesini, 77-79.
14
En ce début de lettre, il n'est pas encore possible de saisir toute la portée du syntagme
« en Christ Jésus », qu'on retrouve par la suite tel quel ou sous d'autres formes: «en Christ»
(avec ou sans «Jésus») 1,2.10.12.20 ; 2,6.7.10.13, etc. ; le relatif « en qui » ; le pronom
personnel « en lui ».
15
Voir son essai, Paul et l’art épistolaire, Cerf : Paris1994, 167-188.
EP 1,1-14 43

v.2 - « à vous grâce et paix » ca,rij u`mi/n kai. eivrh,nh


Dans les lettres d’alors, le salut était en général cai,rein. Les lettres
mentionnées dans ce qu’il est convenu d’appeler les livres grecs deutérocano-
niques ont presque toutes le même salut16. Mais, en quelques unes de ces lettres,
les formules de salutation peuvent varier :
salut et paix 2Ma 1,1 ; paix Dn 4,1 et 6,26 (Q)17
salut et santé 2Ma 1,10 et 9,19 (cai,rein kai. u`giai,nein) et 3Ma 3,12 ; 7,1 (cai,rein kai.
evrrw/sqai)
On ne doit pas davantage croire que Paul a été le premier à insérer, juste après
le salut, des mentions de prière d’action de grâces et d’intercession. Un passage
comme 2Ma 1,2-6 est à cet égard très intéressant :

2 Que Dieu vous comble de bienfaits et se souvienne de son alliance avec


Abraham, Isaac et Jacob, ses fidèles serviteurs.
3 Qu'il vous donne à tous un cœur pour l'adorer et faire ses volontés géné-
reusement et de plein gré.
4 Qu'il ouvre votre cœur à sa Loi et à ses préceptes et qu'il fasse régner la
paix.
5 Qu'il exauce vos prières, se réconcilie avec vous et ne vous abandonne pas
au temps du malheur.
6 C'est la prière qu'ici même nous lui adressons en ce moment pour vous.

On trouvera quelques autres exordes brefs, en 2Ma 9,20-21a ; 11,28 ; 3Ma


3,13 ; 7,2. Cela dit, l’insertion d’une eulogie et la mention d’action de grâces
juste après l’adresse ne sont massivement attestées qu’à partir du NT.
Le salut de Paul ne semble pas différer tellement de ceux qui viennent
d’être mentionnés, et où plusieurs éléments étaient déjà combinés. Pourtant, le
simple fait de changer le « salut ! » (d’origine grecque, cai,rein) en « grâce »
(ca,rij), indique bien que l’origine des bienfaits souhaités ne peut être que di-
vine. Voilà pourquoi l’apôtre ajoute toujours ou presque « de la part de Dieu
notre Père et du Seigneur Jésus Christ ». L’usage paulinien permet aussi
d’indiquer la portée eschatologique de ces deux mots, puisque c’est en Jésus
Christ que Dieu a fait déborder sa grâce, sa miséricorde, et que nous sommes en
paix avec lui. Cela dit, le salut d’Ep n’a rien de spécial ; il ressemble en tout à
ceux des autres lettres attribuées à Paul18.

16
Voir 1Esd 6,8 ; 8,9; 1Ma 10,18; 10,25; 11,30; 11,32; 12,6; 12,20; 13,36; 14,20; 15,2;
15,16; 2Ma 1,1; 2Ma 1,10; 9,19; 11,16; 11,22; 11,27; 11,34; 3Ma 3,12; 7,1.
17
Voici le texte : Darei/oj e;grayen pa/si toi/j laoi/j fulai/j glw,ssaij toi/j oivkou/sin evn
pa,sh| th/| gh/)| eivrh,nh u`mi/n plhqunqei,h, adresse qui reprend mot pour mot celle de Nabucho-
donosor en 4,1 (Q). Même salut en Esd 5,7 (« Au roi Darius, paix entière »).
18
Rm 1,7 ; 1Co 1,3 ; 2Co 1,2 ; Ga 1,3 ; Ph 1,2 ; Col 1,2 (manque le « de la part du Sei-
gneur Jésus Christ ») 1Th 1,1 (manque l’origine divine et christologique des deux saluts) ;
2Th 1,2 ; 1Tm 1,2 ; 2Tm 1,2 ; Tt 1,4 ; Phm 3.
44 ÉPHÉSIENS

Introduction hymnique
1,3-14

Bibliographie
A.M. Buscemi, Gli inni di Paolo, 75-120 ; P. Grelot, « La structure d’Éphésiens 1,3-14 » ; F.
Montagnini, « Christological Features in Eph 1,3-14 » ; P. Iovino, « La conoscenza del
mistero » ; P.T. O’Brien, « Ephesians 1: An Unusual Introduction to a New Testament
Letter » ; C. Reynier, « La bénédiction en Éphésiens 1,3-14 » ; L. Ramaroson, « La grande
bénédiction (Ep 1,3-14) » ; C.J. Robbins, « The Composition of Eph 1:3–14 ».

Béni [soit] le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ, qui nous a bénis de
toute bénédiction spirituelle dans les cieux en Christ, 4 car il nous a choisis en
lui avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints et irréprochables
devant lui, dans l'amour, 5 nous ayant prédestinés à être pour lui des fils
adoptifs par Jésus Christ*, selon le dessein bienveillant de sa volonté, 6 à la
louange de gloire de la grâce dont il nous a gratifiés dans le Bien-aimé, 7 en qui
nous avons la rédemption par son sang, la rémission de nos fautes, selon la
richesse de sa grâce, 8 qu’il nous a prodiguée, en toute sagesse et intelligence, 9
nous faisant connaître le mystère de sa volonté, selon le dessein bienveillant
qu'il a d'avance arrêté en lui-même 10 pour régir la plénitude des temps*:
réunir en Christ tout ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre, en lui 11
en qui nous avons encore été mis à part, ayant été prédestinés, selon le projet
de celui qui mène tout au gré de sa volonté*, 12 pour être à la louange de sa
gloire ceux qui ont d'avance espéré dans le Christ, 13 en qui vous aussi avez
entendu la parole de vérité, l'Évangile qui vous sauve, en qui vous avez aussi
cru et vous avez été marqués du sceau de l'Esprit promis, [l'Esprit] Saint*, 14
qui est acompte de notre héritage, en vue de la rédemption de [ceux qui sont] la
possession [de Dieu], à la louange de sa gloire.
v.5 litt. « nous ayant prédestinés en vue de l’adoption filiale par Jésus Christ, pour lui ».
v.10 litt. « pour le gouvernement de la plénitude des temps » ;
v.11 litt. « selon le projet de celui qui mène tout selon le gré de sa volonté » ;
v.13 litt. « l’esprit saint de la promesse ».

Présentation et composition

L’adresse (1,1-2) est immédiatement suivie d’une prière, qui appartient


manifestement au genre bénédiction ou eulogie (bénir Dieu parce qu’il nous a
lui-même bénis). Comme les autres bénédictions (ou berakot) du NT, celle d’Ep
1,3-14 est typiquement chrétienne, au sens où l’agir divin s’exerce en et par
Christ. Mais cette densité christologique ne doit pas faire oublier que la
EP 1,1-14 45

bénédiction a Dieu pour objet, et qu’il n’y a donc pas lieu d’en faire une hymne
christologique19.
Les eulogies peuvent être énoncées à la seconde personne (« Tu es béni,
Seigneur, Dieu de l’univers, toi qui … ») ou à la troisième (« Béni soit Dieu qui
[ou ‘car il’] nous a bénis… »), les Écritures donnant plusieurs exemples de ce
deuxième type20. Mais la particularité d’Ep 1,3-14, semblable en cela à
plusieurs prières bibliques de louange, est d’annoncer en une proposition
générale les raisons de louer (v.3b), avant d’énumérer quelques uns des bien-
faits divins :
- Dieu « qui nous a bénis de toute bénédiction spirituelle » v.3b ;
- énumération des bénédictions, commençant par une conjonction indiquant la causalité
(kaqw,j) v.4-14.
La même progression est repérable dans le Ps 102-103 :
- n’oublie aucun de ses bienfaits v.2b
- énumération de sept bienfaits v.3-7
Une première division d’Ep 1,3-14 est ainsi repérable : la prière commence par
une déclaration indiquant le genre utilisé (v.3a), avec une première justification
(v.3b), le evn pa,sh| euvlogi,a| du v.3b étant à son tour développé et précisé par
l’ensemble des raisons énoncées aux v.4-14 (quelles sont toutes ces
bénédictions ?) :
- introduction (v.3) : le genre de prière (euvlogi,a), suivi des raisons de bénir (toutes les
bénédictions divines)21 ;
- développement des raisons (v.4-14) : liste de (toutes les) bénédictions.

19
Ce que fait malheureusement A. Buscemi, Gli inni di Paolo, 77, qui n’attache pas assez
d’importance à la phrase inaugurale du v.3, dont la fonction est d’introduire la bénédiction
entière et d’en indiquer les composantes : que l’agir divin s’exerce continûment en et par
Christ, ne fait pas changer de nature la bénédiction (adressée à Dieu pour ses bienfaits et les
modalités de son agir). Au demeurant, les syntagmes à finalité théologique (« pour lui », v.5 ;
« à la louange de sa glorieuse grâce », v.6.12 et 14) sont aussi symptomatiques de
l’orientation théo-logique du passage.
20
Dans l’AT , entre autres: Gn 9,26 ; 14,20 ; 24,27 ; 1Sa 18,28 ; 1R 1,48 ; 5,21 ; 8,15 ;
1Esd 8,25 ; Tobie 11,17 ; 13,2.18 ; 2Mac 1,17 ; 15,34 ; Y 17,47 ; 40,14 ; 65,20 ; 71,18 ;
134,21 ; 143,1 ; Dn 3,95 ; PsSal 6,6 ; Odes 9,68. Dans le NT, outre Ep 1,3-14, voir Lc 1,68.
Noter que les berakot vétérotestamentaires sont plus souvent formulées à la troisième
personne, et celles du judaïsme contemporain de Paul à la deuxième. À cet égard, les prières
de bénédiction des lettres du NT (2Co 1,3 ; Ep 1,3 et 1P 1,3) suivent davantage le modèle
vétérotestamentaire en IL. Et toutes se présentent comme une réponse aux bienfaits divins.
21
Le participe, précédé de l’article (ici o` euvlogh,saj) pour désigner les motivations de la
louange ou de la bénédiction est utilisé en plusieurs louanges bibliques. Pour la bénédiction,
voir par ex. 1Esd 8,25 euvloghto.j mo,noj o` ku,rioj o` dou.j tau/ta , Judith 13,17 euvloghto.j ei= o`
qeo.j h`mw/n o` evxoudenw,saj evn th/| h`me,ra| th/| sh,meron tou.j evcqrou.j tou/ laou/ sou , également
Tobie 13,2 ; 1Mac 4,30 ; 2Mac 15,34 ; y 71,18 ; 134,21 ; 143,1 ; PsSal 6,6.
46 ÉPHÉSIENS

La mise en évidence de ce rapport invite donc à ne pas isoler le v.4 des


suivants. Mais cette composition d’ensemble ne résout pas tous les problèmes,
car aux v.4-14 la multiplication des prépositions et des relatives semble interdire
une articulation régulière ; on n’y trouvera ni le rythme des Psaumes, basé sur le
parallélisme, ni la métrique grecque, seulement une prose ample, aux multiples
répétitions.
Les deux phénomènes linguistiques les plus obvies, sont, au plan syn-
taxique, l’unicité de la phrase et sa longueur – on a parlé de galimatias informe,
mais c’est oublier que le grec des écrivains asiates d’alors a le même type
d’embonpoint –, et au plan sémantique, les manifestes redondances de
différents registres (l’antériorité, la finalité, le dessein divin, la bienveillance et
la grâce). Que la prière ne soit formée que d’une seule phrase signifie
manifestement que le texte se refuse à séparer, mais lie tous les éléments
ensemble. Mais la phrase est si longue que, pour être comprise en nos langues
modernes elle doit être ponctuée. Et comme il vaut mieux diviser le texte en
suivant ses lignes de force, le premier travail consiste à repérer les indices de
hiérarchisation syntaxique et d’organisation sémantique, pour déterminer quel
type d’organisation régit l’autre : le syntaxique ou le sémantique ?
Ce travail de discernement n’est pas d’aujourd’hui, même si les études sur
la composition du passage abondent encore ; les nombreux syntagmes prépo-
sitionnels et les sept relatives semblent en effet résister à tout effort de
classification.

L’approche diachronique

Devant les difficultés posées par l’agencement actuel de la bénédiction,


certains se sont demandé si l’on ne pouvait pas repérer des couches rédaction-
nelles successives : une première lettre écrite par Paul, retravaillée par un ré-
dacteur postérieur, principalement à l’aide des expressions et des catégories de
l’actuelle lettre aux Colossiens22. L’exégète doit alors séparer la première
rédaction, dont le vocabulaire et les idées seraient pauliniennes, et les ajouts
rédactionnels, afin de retrouver la composition et la logique originelles du pas-
sage, pour déterminer les conséquences des ajouts et des transformations.
L’examen des versets montre que de nombreuses expressions ont été
parfois reprises textuellement de l’introduction de Col (1,3-23):

22
Telle est l’hypothèse de M.-É. Boismard, L'énigme de la lettre aux Éphésiens, 18-19 et
81-86. On l’a vu dans l’introduction, presque tous les commentaires supposent admis ou
démontré que Col est antérieure à Ep.
EP 1,1-14 47

- v.4 l’infinitive ei=nai h`ma/j a`gi,ouj kai. avmw,mouj katenw,pion auvtou/ evn avga,ph| semble re-
prendre en partie Col 1,22: parasth/sai u`ma/j a`gi,ouj kai. avmw,mouj kai. avnegklh,touj
katenw,pion auvtou/.
- les v.7-9 ont leur parallèle en Col 1,9.13-14. Que les versets soient postérieurs, la ré-
pétition au v.9b du syntagme kata. th.n euvdoki,an auvtou/ du v.5 semble le montrer, car cette
répétition est trop proche, signe qu’elle a été ajoutée pour faire rebondir la prière, après
l’ajout des v.6-9a.
- Le vocabulaire du v.6 n’est pas paulinien ; en effet, le participe hvgaphme,noj est appliqué
aux chrétiens en 1Th 1,4 et Col 3,12, mais Ep 1,6 est le seul passage des écrits attribués à
l’apôtre, où il est dit que Dieu aime le Christ; le verbe caritou/n (v.6) n’est pas davantage
paulinien; au demeurant, on ne le rencontre ailleurs dans le NT qu’en Lc 1,28; le
syntagme eivj e;painon do,xhj auvtou/ est lui aussi rédactionnel, parce qu’il apparaît dans un
passage probablement non paulinien (v.6-8), et que dans les homologoumena, le mot
« louange » (e;painoj) est, en toutes ses occurrences sauf une, réservé aux hommes : il
désigne la louange que les uns et les autres trouveront devant le tribunal de Dieu23. La
triple répétition des v.6, 12a et 14b vient donc probablement du dernier rédacteur de la
lettre.
- au v.7, les syntagmes dia. tou/ ai[matoj auvtou/ et th.n a;fesin tw/n paraptwma,twn viennent
respectivement de Col 1.20 et 1,14 (le a`martiw/n est néanmoins devenu paraptwma,twn).
- le pa,sh| sofi,a| kai. fronh,sei du v.8 semble venir de Col 1,9 (où le second membre du
couple est su,nesij et non fro,nhsij); de plus, le substantif fro,nhsij est non paulinien,
puisque la seule autre occurrence se trouve en Lc 1,17 ;
- le tou/ qelh,matoj auvtou/ du v.9 se trouve déjà tel quel en Col 1,9 ;
- à la fin du v.10, le ta. evpi. toi/j ouvranoi/j kai. ta. evpi. th/j gh/j vient de Col 1,16, et le evn
auvtw|/ qui suit a été ajouté par le rédacteur (pour donner au relatif du début du v.11 un
référent clairement christologique) ;
- le v.12b semble être un ajout postérieur, car il distingue deux groupes de croyants, alors
que le reste du passage fait des croyants une entité groupe unifiée.
- au v.13 u`mei/j avkou,santej to.n lo,gon th/j avlhqei,aj( to. euvagge,lion vient de Col 1,5 ;
- au v.14, le substantif peripoi,hsij, qui suit avpolu,trwsij, n’est pas paulinien – il est donc
ajouté par le rédacteur— ; de fait, en 1Co 1,30 (et Col 1,14; Ep 4,30, versets considérés
comme pauliniens par Boismard) Paul utilise avpolu,trwsij sans déterminant24.
De ces observations, Boismard conclut à une rédaction en deux étapes :
une eulogie originelle, de Paul lui-même (v.3.4a.5.9b-11 et 13b-14a), et des
ajouts (aux v.4b.6-9a et 12-13a), faits plus tard par le rédacteur de l’actuelle
lettre. Les versets écrits par l’apôtre, disposés concentriquement, auraient pour
centre les v.10-11a, qui mettent en valeur la finalité de l’œuvre divine, à savoir
la récapitulation de toutes choses en Christ :

23
Voir Rm 2,29 ; 3,3 ; 1Co 4,5. Même application, mais en un autre contexte, en 2Co
8,18, où il s’agit d’un frère loué par toutes les Églises. Le seul passage proche d’Ep 1 est Ph
1,11 « à la gloire et louange de Dieu » (eivj do,xan kai. e;painon qeou/) ; si la formule d’Ep
1,6.12.14 ne se trouve pas telle quelle dans les homologoumena, Ph 1,11, reconnu par tous
comme authentique, nous oblige à admettre que l’idée s’y trouve.
24
Voir cependant Rm 8,23.
48 ÉPHÉSIENS

Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur J.C. qui nous a bénis en toute bénédiction
spirituelle dans les cieux, dans le Christ, 4 du fait qu’il nous a choisis en lui avant la
fondation du monde [ ],
5
nous ayant prédéterminés à la filiation adoptive, pour Lui, par J.C. selon le
dessein bienveillant de sa volonté [v.6-9a] 9b qu’il a préétabli en lui,
10
pour l’économie de la plénitude des temps, récapituler absolument tout
dans le Christ [ ] 11 en qui nous avons reçu une part,
prédéterminés selon le plan préétabli de Celui qui opère tout selon le gré de sa
volonté, [v.12]
13b
en qui, ayant cru, vous avez été marqués d’un sceau par l’Esprit Saint de la pro-
messe 14 qui constitue les arrhes de notre héritage pour la délivrance [ ].

Sans nier que le passage ait pu faire l'objet de retouches (additions, mais
aussi omissions, lesquelles restent indécelables!), l’approche diachronique doit
être précédée d’une analyse synchronique serrée, sans laquelle il est impossible
de se prononcer sur la logique et la dynamique de l’actuelle prière. Au
demeurant, le texte initial retenu par Boismard n’est pas sans faire difficulté. En
effet, si les v.12-13a ne font pas partie de la prière originelle, le relatif « en qui »
du v.13b ne peut désigner que Dieu seul, alors que dans l’état actuel du texte il
se rapporte au Christ ou à l’Évangile, en une série qui vient du v.11 et ne peut
pas ne pas indiquer une réelle insistance et progression, comme on le verra :
v.11 [Christ] evn w-| kai.)) / v.13 [Christ] evn w|- kai. u`mei/j / v.13 [Christ/Évangile] evn w|- kai,

La suppression des v.12-13a ne permet d’ailleurs pas d’expliquer l'apparition


soudaine de la seconde personne du pluriel au v.13b, alors que tout le reste du
texte de Paul reconstitué par le père Boismard est en « nous » ; d’où vient ce
« vous » ? Or, que je sache, au v.13, la seconde personne du pluriel est unani-
mement attestée. Il faudrait alors admettre que c’est tout le v.13 qui est se-
condaire – et par là-même le v.14, puisque ce dernier ne se comprend que
comme spécification de l’être et de la fonction du Saint Esprit, mentionné au
v.13. S’il en était ainsi, c’est la bénédiction par excellence, à savoir le don de
l’Esprit, à laquelle pourtant la prière entière mène en une subtile progression,
qui disparaîtrait, et, avec elle, la belle composition concentrique exhumée par
Boismard25.

25
Au niveau lexical, la logique de Boismard reste également très relative, dans la mesure
où plusieurs vocables n’apparaissant pas dans les homologoumena sont néanmoins retenus
comme pauliniens : euvdoki,a au v.5, oivkonomi,a au v.10, evklhrw,qhmen v11, boulh, [divine] au
v.11. Est-ce l’idée ou la terminologie qui doit dicter le choix ?
EP 1,1-14 49

L’approche synchronique

Il reste donc à suivre le difficile chemin de l’analyse du texte en son état


actuel pour tenter d’y déceler des indices sûrs de composition. Si beaucoup de
commentaires font du v.3 un énoncé introductif, et des v.11-14 une finale
insistant sur les deux groupes de destinataires composant l’Église, à savoir les
juifs et les Gentils, il faut néanmoins reconnaître que, pour les autres versets,
l’unanimité est loin de régner.
Disons dès l’abord que plusieurs suggestions sont à écarter pour des
raisons grammaticales élémentaires. La première est celle qui met en parallèle
les trois participes grecs26 « qui nous a bénis » (o` euvlogh,saj h`ma/j, v.3), « nous
ayant prédestinés » (proori,saj h`ma/j, v.5) et « nous ayant fait connaître »
(gnwri,saj h`mi/n, v.9). On doit cependant noter que ces participes n’ont pas la
même fonction : comme l’indiquent les grammaires, celui précédé de l’article
équivaut à une proposition relative déterminative ou explicative27, alors que les
deux sans article sont compléments circonstanciels. Et il serait erroné de croire
que la lettre aux Éphésiens ne fait pas la différence entre les deux28. Cette
distinction confirme, s’il en était besoin, la fonction différente, déjà signalée,
entre le v.3 et les v.4-14.
Mais, pour ces versets, y a-t-il une progression et quelle est-elle ? La
conjonction kaqw,j de 4a indique bien qu’ils ne sont ni séparables ni isolables du
v.3, qu’ils ont pour rôle d’expliciter. Mais la conjonction a-t-elle un sens
comparatif (« comme », « de la même façon que »), ou causal (« parce que », «
du fait que ») ? L’un et l’autre usage sont attestés dans les homologoumena. La
nuance causale, plus rare, est néanmoins présente en Rm 1,28: 1Co 1,6; 5,7; Ph
1,729. Et la logique du passage, autrement dit le genre eulogie, où la déclaration

26
Voir, par ex., Lincoln, Ephesians, 14-16, et P. Grelot, « La structure d’Éphésiens ». ;
S’appuyant sur des indices syntaxiques, ce dernier auteur pense que le passage est divisé en
six strophes, participiales (v.3b-4, 5-6 et 9-10) et relatives (en evn w-,| v.7-8, 11-12 et 13-14).
27
On dit qu'une proposition est déterminative, si elle sert à distinguer une catégorie de
personnes ou d'objets d'une autre, de façon qu'on ne puisse la supprimer sans fausser le sens,
et explicative, si elle ne contient qu'une explication utile, mais non indispensable au sens.
Dans nos langues, et à la différence des propositions déterminatives, une proposition
explicative doit être enclavée entre deux virgules.
28
En Ep, on compte 28 participes avec article – la grande majorité à fonction explicative –
(voir 1,1.3.12.19.21 ; 2,7.11.14 ; 3,2.7.9.19.20 ; 4,10 [2x].18.22.28; 5,14 ; 6,16.24), et 79
participes sans article, à fonction circonstancielle (voir 1,5.11 [2x].13 [2x].15.16 [2x].18.20
[2x].21.23 [2x], etc.).
29
Voir Blass-Debrunner, Grammatik, §453,2, qui mentionne Ep 1,4 et Mt 6,12 = Lc 11,4
(« parce que [ et non ‘comme’, ‘de la même façon que’] nous-mêmes avons pardonné »)
50 ÉPHÉSIENS

initiale est souvent justifiée par une série de causales30, exige que telle soit la
nuance en Ep 1,4. La conjonction kaqw,j et la série de propositions qu’elle
introduit, ont ainsi pour fonction de spécifier le v.3. Et comme le verbe
evxele,xato enclenche la série des bénédictions, les autres propositions, toutes
participiales ou relatives dépendront directement ou indirectement de lui31. Mais
leur classification n’est pas obvie, car on peut faire prévaloir l’engendrement
syntaxique ou le développement sémantique. Au demeurant, l’engendrement
syntaxique est lui-même difficile, car étant entièrement hypotaxique, la prière se
déploie sans césures nettes, et l’on peut privilégier le style en cascade ou mettre
en parallèle des expressions récurrentes :
1 - disposition parallèle des participes circonstanciels proori,saj et gnwri,saj, qui régi-
raient alors les versets subséquents, comme l’indique le schéma suivant :
evxele,xato (suivi d’une finalité ei=nai h`ma/j a`gi,ouj kai. avmw,mouj)
- proori,saj (v.5-8)
- gnwri,saj (v.9-10, voire 9-14)
2 - disposition en cascade, où chaque proposition dépend de celle qui la précède immé-
diatement ; pareil engendrement a l’avantage de bien mettre en valeur le déroulement et
les modalités de l’agir divin, mais il rend plus difficile le repérage d’une quelconque or-
ganisation :
evxele,xato (suivi d’une finalité ei=nai h`ma/j a`gi,ouj kai. avmw,mouj)
proori,saj th/j ca,ritoj
h-j evcari,twsen h`ma/j evn tw/| hvgaphme,nw|
evn w-| e;comen… th/j ca,ritoj
h-j evperi,sseusen eivj h`ma/j( gnwri,saj...
Comme le montre le dernier schéma, les participes proori,saj et gnwri,saj ne
modifient pas le même verbe (le premier est relié à evxele,xato, et le second à
evperi,sseusen). Le seul critère à s’imposer est le continuum textuel, qui favorise
la seconde disposition, car tous les bienfaits s’enchaînent les uns les autres, du
v.4 au v.10, autrement dit de l’élection à l’unification ou à la réunion de toutes
choses en Christ. Mais la série n’est pas uniforme ; on peut en effet y discerner
une progression sémantique nette, en deux sous-unités :
- les v.4-6, où il s’agit du statut éternel (avant la fondation du monde) des croyants
(élection, spécifiée ensuite comme adoption filiale),
- les v.7-10 où sont mentionnés, dans l’aujourd’hui déjà eschatologique des croyants, les
effets salvifiques (la rédemption, le pardon des péchés et la connaissance du mystère) de
l’événement Jésus Christ.

30
Il en est presque toujours ainsi dans les prières bibliques : le premier énoncé indique le
genre (supplication : « Vers Dieu je crie », etc. ; louange : « Louez, chantez, acclamez »), et
les suivants énumèrent les raisons qu’on a de supplier («[car] ils veulent me/nous détruire »)
ou de louer (« [car] le Seigneur nous/m’a délivré[s] »).
31
Mais evxele,xato ne saurait être la (c’est-à-dire la seule) motivation de la bénédiction,
comme semble le donner à entendre A. Buscemi, Gli inni di Paolo, 78 et 83.
EP 1,1-14 51

Le même critère, celui du continuum textuel permet de prendre position


sur les relations entre les vocables de ces unités. Ainsi, de soi, l’infinitif
avnakefalaiw,sasqai, au v.10) peut être complément de gnwri,saj, de musth,rion,
de la relative [euvdoki,an] h]n proe,qeto))) tw/n kairw/n, ou encore du syntagme
prépositionnel qui le précède immédiatement, eivj oivkonomi,an tou/ plhrw,matoj
tw/n kairw/n. La syntaxe en cascade favorise cette dernière interprétation, et
l’ensemble n’en prend que plus de relief, car, le modifiant (modifier) et le
modifié (modified) sont proches l’un de l’autre et forment un tout, l’économie
de la plénitude des temps étant de réunir toutes choses en Christ32.
Si le passage ne forme donc qu’une seule phrase, il est possible, en
combinant les indices syntaxiques et sémantiques, d’en suivre la progression
climactique, au moins jusqu’au v.10, d’autant plus que chaque sous-unité
reproduit plus ou moins le même schéma, au plan des relations ; en effet,
chaque bienfait est accompagné de ses modalités – indiquées par des syntagmes
prépositionnels multiples (en evn, kata,, eivj) – et de ses destinataires, même si ces
composantes ne peuvent déterminer une composition strophique : Avec Sanders,
il faut admettre que « toute tentative pour découper Ep 1,3-14 en strophes est
vouée à l’échec »33. Cela dit, ces composantes traversent la bénédiction entière,
du v.4 au v.14 :
- l'agir divin (verbes à la voix active ou passifs théologiques),
- l'antériorité pré-temporelle (du dessein et vouloir divin): cf. la particule pro/ associée aux
verbes indiquant le passé (v.4.5.9.11),
- la finalité: cf. la particule eivj (en particulier la répétition des v.6a.12a.14c) et l’un ou
l’autre verbe à l'infinitif (v.4b.12a),
finalité divine (v.5a ; sa gloire, v.6.12.14),
finalité christologique (toutes choses en Christ, v.9-10),
finalité humaine, en rapport à la finalité divine (perfection v.4b, adoption filiale v.5a,
l’espérance en Christ v.12),
- les modalités
christologique (dia, ou evn cristw|//auvtw|/),
divine (kata,): insistance sur son dessein, sa volonté (pro,qesij; qe,lhma; euvdoki,a, boulh,),
sur la richesse de sa grâce (v.7 kata. to. plou/toj th/j ca,ritoj auvtou/).

Il reste ainsi à déterminer la fonction des v.11-14, qui se présentent


syntaxiquement comme une série d’ajouts34, à cause de la répétition du kai,

32
Exégèse prônée par J.G. Gibbs, Creation and Redemption. A Study in Pauline Theol-
ogy, Brill : Leiden 1971, 118-119.
33
J.A. Sanders, « Hymnic Elements in Ephesians 1–3 », 227.
34
Cela ne signifie pas que ces versets sont rédactionnellement postérieurs aux précédents
(v.4-10), mais que l’auteur entend ajouter des précisions aux bénédictions déjà énumérées.
Ces précisions supplémentaires commencent au v.11, et non, comme Lincoln l’indique, aux
v.13-14 (qu’il nomme « additional evn w|- statement addressing recipients », Ephesians, 16),
car l’adverbe kai, fait son apparition dès le v.11. Il est difficile de savoir si l’adjectif
‘additional’ a chez Lincoln une connotation redaktionsgechichtlich ou seulement descriptive.
52 ÉPHÉSIENS

adverbial des v.11a, 13a et 13b35. Les commentaires font en général prévaloir
l’ordonnancement sémantique, et essaient tant bien que mal de rattacher ces
versets aux précédents. L’un ou l’autre exemple suffira à montrer quels critères
ont prévalu et comment ils ont été combinés. Ainsi, P. Iovino36 distingue
différents types d’actions (génériques, aux v.4-10, et spécifiques, aux v.11-14),
qu’il voit chaque fois culminer sur la finale, en c (v.8-10) et c’ (v.14) :
v.3 = fondement et synthèse de l’eulogie
v.4-10 = trois actions divines
a- v.4-6a élection
b- v.6b-7 don de la grâce
c- v.8-10 surabondance du don
v.11-14 = trois actions spécifiques
a’- v.11-12 élection pré-chrétienne d’Israël
b’- v.13 extension de la bénédiction aux païens : don de l’Esprit Saint
c’- v.14 communion pleine du peuple des croyants dans l’Esprit Saint.

On peut effectivement parler de spécification, dans la mesure où l’agir divin n’a


pas pour objet les mêmes destinataires. Voilà pourquoi d’autres préfèrent
insister sur cette instance37: si une division est repérable entre les v.4-10 et 11-
14, c’est parce ces derniers versets distinguent entre les chrétiens issus du
judaïsme et ceux convertis du paganisme. Ajoutons aussitôt que la division en
question n’est pas repérable immédiatement, car, au v.11, le lecteur n’a aucune
raison de penser que le verbe evklhrw,qhmen, à la première personne du pluriel,
renvoie à un groupe autre que celui des v.3-10, où le ‘nous’ désignait
globalement tous les chrétiens, car l’auteur n’ajoute pas « nous, les juifs, [ou]
les circoncis »38. C’est seulement au v.13, à cause du ‘vous’ (u`mei/j) que la dis-
tinction peut être rétroactivement établie, les v.11-12 décrivant l’élection des
Juifs comme ceux qui attendirent dans l’espérance la venue du salut de Dieu dès
avant l’événement Christ, et le v.13 , la foi des Gentils en la proclamation
évangélique. Mais pourquoi, après le v.10, l’eulogie rebondit-elle avec une
distinction entre juifs et non juifs, alors que la fin du v.10 donnait tous les si-
gnes de clôture – rythmiquement, avec un mérisme (ta. evpi. toi/j ouvranoi/j kai.
ta. evpi. th/j gh/j), et sémantiquement, avec l’unification de toutes choses en
Christ, qui porte à son accomplissement le dessein divin ? Sans doute pour
arriver à la bénédiction finale, celle du don de l’Esprit Saint, reçu pleinement
par tous, juifs et non juifs. Il est d’ailleurs significatif que l’auteur ne désigne

35
Parfois, le kai, peut être explétif, mais il n’en est pas ainsi aux v.11-13, où il est bien
plutôt emphatique, et doit être rendu par « c’est en lui [Christ] aussi que nous/vous… »
36
P. Iovino, « La ‘conoscenza del mistero’ ».
37
Voir par ex. R. Penna, Efesini, 85 ; A. Buscemi, Gli inni di Paolo, 79.
38
Ce pourrait être une raison pour considérer, avec Lincoln, que seuls les v.13-14 sont des
ajouts, mais à tort, car la technique rhétorique est manifeste.
EP 1,1-14 53

pas explicitement les acteurs respectifs des v.11-13 par leur origine juive et
païenne, autrement dit par ce qui les divisait, mais positivement, par ce qui
constitue la bénédiction par excellence, l’Esprit qui scelle leur unité en Christ.
On peut encore expliquer la présence des v.11-14 à partir du reste de la lettre,
dans la mesure où les deux groupes y seront mentionnés, cette fois explicite-
ment, selon la même dynamique : les v.11-14 sont probablement une prépara-
tion du thème développé en Ep 2,1-11.
Si l'on combine tous les éléments, et si l’on tient compte de la composante
temporelle, une progression assez nette se dessine:

introduction (énoncé initial et raison générale) v.3ab


spécification de la raison générale, selon l’agir et selon les destinataires v.4-14
I – Agir divin : les moments de la bénédiction (v.4-10) :
1º décision divine avant le temps, en Christ (v.4-6) :
v.4 notre élection éternelle en vue de la sainteté en Christ,
v.5s notre destination pré-temporelle à l'adoption filiale en Christ39,
2º l’effectuation finale, aujourd’hui, en Christ (v.7-10) :
v.7s la rédemption moyennant le sang du Christ et le pardon,
v.9s la manifestation du Mystèrion,
dont le but est de tout unifier en Christ
II – Spécification des destinataires et don de l’Esprit (v.11-14) :
1º vocation respective des Juifs et des Gentils en Christ (v.11-13)
v.11s désignation comme part d’héritage : les juifs qui espérèrent en Christ
v.13 don de l’Esprit aux Gentils qui ont cru en l’Évangile,
2º l’Esprit, arrhes de l’héritage pour tous (v.14).
Avec Iovino et d’autres, il importe de noter le climax qui fait progresser chaque
partie et la porte vers sa pointe, en un premier temps la suprématie du Christ sur
toutes choses (v.10), ensuite la bénédiction par excellence, l’Esprit reçu par tous
les chrétiens comme acompte de l’héritage (v.14).
Il a déjà été dit plus haut que les v.11-14 préparaient Ep 2,11-22. En réalité
plusieurs expressions de la bénédiction sont textuellement reprises dans le reste
de la lettre, et l’on verra qu’elles touchent des points essentiels de sa théologie :
(a) l’expression evn toi/j evpourani,oij du v.340, (b) le syntagme evn Cristw|/41, (c)
l’appel des croyants à la sainteté42, (d) le vocable ca,rij et les mots de même

39
On peut – comme Buscemi, Gli inni di Paolo, 83-84 – découper autrement les v.4-6 (en
4a : élection ; 4b-5 : choisis pour la sainteté et adoption filiale ; et 6 : finalité divine ultime).
Quelle que soit la division proposée, il est sûr que le verbe dont dépend l’unité entière (v.4-6)
est evxele,xato.
40
Voir Ep 1,20 ; 2,6 ; 3,10 et 6,12.
41
En 1,20 ; 2,6.7.10.13 ; 3,6.11.21 ; 4,32 ; 5,21.
42
Ils sont dans la même situation que l’Église ; comparer 1,4 et 5,27-30.
54 ÉPHÉSIENS

racine43, (e) les thèmes du sang versé44 (f) et du mystère45, (g) le ta. pa,nta de
1,1046, (h) la promesse47, (i) l’Esprit Saint48. À lui seul ce relevé ne suffit pas à
montrer que la bénédiction introduit aux grands thèmes de la lettre, mais il
indique tout de même quelques unes de ses insistances, en particulier celles sur
le mystère et sur les deux entités, juive et non juive, qui constituent l’Église une
et sainte. Eu égard à Ep 1,3-14, qui constitue l’ouverture de toute la lettre,
l’unité suivante a, on le verra, la fonction plus restreinte d’introduire surtout à la
première partie (Ep 2-3).

Exégèse

v.3 déclaration générale et introductive


- « béni ». Dans le NT, l’adjectif grec euvloghto,j est toujours dit de Dieu ; pour
dire qu’une personne humaine est bénie, le même NT emploie le parfait passif
euvloghme,noj49 – mais il arrive à la LXX d’utiliser euvloghto,j aussi pour les
humains50. Comme souvent dans les prières bibliques, où les premiers mots
indiquent le type de prière qui va être récité, l’adjectif euvloghto,j ne laisse aucun
doute sur la forme et le contenu d’Ep 1,3-1451.
- « le Dieu et Père de Notre Seigneur Jésus Christ »52. L’expression se trouve
dans les homologoumena, en Rm 15,6 et 2Co 1,3 (qui est aussi une bénédic-

43
Le verbe cari,zomai en 4,32 [2x] ; le substantif en 2,5.7.8 ; 3,2.7.8 ; 4,7.29 et 6,24 (qui
renvoie plutôt à 1,2, comme formule typiquement paulinienne d’adresse épistolaire).
44
Ep 1,7 et 2,13 (et son contexte, où est soulignée la médiation du Christ).
45
En 3,3.4.9 ; 5,32 et 6,19.
46
En 1,22.23 ; 3,9 ; 4,6 et 4,10.
47
En Ep 2,12 ; 3,6.
48
Le rôle de l’Esprit est bien souligné en Ep. Voir 1,17 ; 2,2.18.22 ; 3,5.16 ; 4,3.4.23.30 ;
5,18 ; 6,17.18.
49
Voir Mt 21,9; 23,39 ; Mc 11,9 ; Lc 1,42; 13,35; 19,38 ; Jn 12,13, qui reprennent
Y 127,26 (euvloghme,noj o` evrco,menoj evn ovno,mati kuri,ou).
50
Comme en Gn 12,2 ; 26,29 ; 43,28 ; Dt 7,14 ; 33,24 ; Jg 17,2, etc. On ne rencontre
l’inverse qu’une seule fois dans la LXX, en 1R 10,9 = 2Ch 9,8 (exclamation de la reine de
Saba devant Salomon : ge,noito ku,rioj o` qeo,j sou euvloghme,noj).
51
La bénédiction d’Ep, comme celles du NT et celles du judaïsme de l’époque,
s’apparente à la louange, en magnifiant une personne, pour son héroïsme, ses vertus et ses
bienfaits, ou Dieu même, pour ses dons, dans l’ordre de la création et/ou du salut.
52
Le mot père ne se trouve pas dans le Codex Vaticanus (B), mais cela semble plutôt dû à
une distraction de copiste qu’à un propos délibéré, car pour les autres occurrences de
l’expression, B est en accord avec les meilleurs témoins.
EP 1,1-14 55

tion), et semble paulinienne53. Certaines traductions ne rendent pas la


conjonction kai, et lisent : « Béni soit Dieu, le Père de N.S.J.C. »54. L’expression
grecque est alors interprétée comme une christologisation de la théo-logie, au
sens où c’est comme Père de Jésus Christ que Dieu est désormais proclamé,
confessé, loué et béni par l’Église. Mais le syntagme connote-t-il seulement
cela ? Certes, nous ne retrouvons pas ici exactement les formules
vétérotestamentaires : « Béni soit le Seigneur, ton Dieu »55, ou « Béni soit le
Seigneur, le Dieu de X »56, ou encore « Béni soit le Seigneur, le Dieu
d’Israël »57, formules qui soulignent une relation privilégiée, reconnue et pro-
clamée même par des individus qui n’appartiennent pas au peuple d’Israël et ne
devraient donc pas en partager la foi58. Ici, Jésus, qui a une relation privilégiée
avec Dieu, est déclaré Seigneur, titre donné dans la LXX à Dieu : en le
nommant tel, le NT – et Paul en particulier – veut signifier non seulement que le
Christ est proche de Dieu, mais qu’il partage sa gloire et son autorité
seigneuriale. Qu’entendre par « Dieu de notre Seigneur Jésus Christ » –
formulation qui va être textuellement reprise au v.17 ? Le Dieu que Jésus a
prêché et prié, dont il a lui-même voulu tout recevoir et auquel il a voulu tout
donner, etc. ? Sans doute, mais si la christologisation de la théo-logie est ici
évidente, il est difficile de choisir entre les connotations suggérées par
l’expression. Peut-être même, faut-il toutes les retenir…
- « qui nous a bénis » (o` euvlogh,saj). Le participe avec l’article, cela a été déjà
signalé est explicatif59, et est rendu en français par une relative60. S’il est de la
même famille que l’adjectif euvloghto,j, sa désignation change – il s’agit donc
d’une antanaclase –, car au v.3, Dieu est l’objet d’un bénédiction (orale, qui

53
Ailleurs dans le NT : en 1P 1,3 –bénédiction dont l’incipit est le même que 2Co 1,3 et
Ep 1,3. En Col 1,3, la formulation est légèrement différente, puisque le « et » manque :
« Nous rendons grâces à Dieu, Père de notre Seigneur Jésus Christ ».
54
Voir par ex. la TOB, à 2Co 1,3 ; Ep 1,3 et 1P 1,3, qui rend ainsi équivalentes les for-
mulations de ces trois bénédictions avec celle de Col 1,3.
55
Littéralement, « Dieu de toi » (2S 18,28).
56
Voir par ex. Gn 9,26 ; 24,27, etc.
57
En 1S 25,32; 1R 1,48; 8,15; 1Ch 29,10, etc.
58
Tel Hiram en 2Ch 2,16, ou Nabuchodonosor en Dn 3,95.
59
Le participe n’est pas déterminatif ; il ne sert pas à distinguer ce Dieu d’un autre, cette
distinction ayant déjà été faite à l’aide du syntagme « Père de N.S.J.C. »
60
Ce participe rend idoinement celui de l’hébreu, lui aussi précédé de l’article, comme en
Ps 144,1 ; 1QM XIV,4 : « béni le Dieu d’Israël qui garde [hashômèr] sa bonté… », etc. En
LXX : 1Esd 8,25 ; Jdt 13,17 ; Tob 13,2 ; 1Ma 4,30 ; 2Ma 15,34 ; Y 71,18 ; 134,21 ;143:1 ;
PsSalomon 6,6 ; Dn 3,55, etc.
56 ÉPHÉSIENS

s’apparente à la louange), alors qu’ici il en est le sujet, et sujet d’un agir (par le
don de bienfaits, qui sont métonymiquement appelés bénédictions61 (euvlogi,ai).
- « de toute bénédiction spirituelle »62 L’adjectif « toute » a un sens distributif et
annonce proleptiquement les bénédictions des v.4-1463. Comment entendre
l’adjectif « spirituel » (pneumatiko,j), qui n’est pas utilisé dans la LXX, et qui,
dans le NT, si l’on fait exception de 1Pe 2,5, n’apparaît que dans les homolo-
goumena et les antilegomena64. Le contexte, c’est-à-dire la finale de la
bénédiction, qui forme inclusion avec le v.3 et montre bien que la bénédiction
spirituelle par excellence est le don de l’Esprit Saint65, indique comment le
comprendre : toutes les bénédictions ont rapport à l’Esprit et culminent dans le
don de ce même Esprit. Outre ce rapport à l’Esprit Saint, l’adjectif peut en outre
signifier que les bénédictions ne sont pas d’ordre matériel (comme en certains
Psaumes : longue vie, femme féconde, nombreux enfants, paix et prospérité),
mais spirituel (pardon des péchés, transformation du cœur, salut final).
- « dans les cieux » (evn toi/j evpourani,oij)
L’adjectif – dont l’emploi est ici substantival – semble être au neutre66. Quant au
syntagme, il ne saurait être apposé au précédent (« en toute bénédiction
spirituelle, c’est à dire céleste »), mais désigne le lieu auquel appartiennent les
bénédictions spirituelles, et où demeure Dieu, comme le déclare 2Ma 3,39
(auvto.j o` th.n katoiki,an evpoura,nion e;cwn). Cela dit, le problème demeure, car
s’il est vrai que les bénédictions viennent des cieux, le « dans les cieux » ne
semble-t-il pas indiquer qu’elles y restent? La préposition un evk dénoterait bien
l’origine divine et le mouvement (de Dieu vers nous), alors que le evn est
ambigu. Pour que l’expression gagne en clarté, il faut attendre Ep 2,6 où il est
dit que Dieu nous a ressuscités et fait siéger dans les cieux (sunh,geiren kai.
suneka,qisen evn toi/j evpourani,oij evn Cristw/| VIhsou/) : si les bénédictions nous
rejoignent dans les cieux, c’est parce que les chrétiens y sont désormais. C’est
donc le reste de la lettre qui lève l’ambiguïté du syntagme, et confirme ainsi le
caractère inchoatif (et donc elliptique) de plusieurs expressions de la bénédic-
tion.

61
Cette métonymie consiste à utiliser le même vocable pour l’action et son effet, son ré-
sultat.
62
Le terme euvlogi,a est évidemment une métonymie. Voir la note précédente.
63
Voir ci-dessus la présentation du passage, p.45-46.
64
Rm 1,11; 7,14; 15,27; 1Co 2,13.15; 3,1; 9,11; 10,3.4; 12,1; 14,1.37; 15,44.46; Ga 6,1;
Ep 1,3; 5,19; 6,12; Col 1,9; 3,16.
65
Lorsque la connotation est négative, comme en Ep 6,12, le vocable est suivi d’un déter-
minant (ta. pneumatika. th/j ponhri,aj).
66
À moins qu’il ne faille sous-entendre le substantif masculin to,poi (‘lieux’).
EP 1,1-14 57

En quoi les evpoura,nioi diffèrent-ils des ouvranoi,67 ? Car on rencontre les


deux vocables en Ep :
- evn toi/j evpourani,oij (qui n’a pas d’antonyme en Ep, par ex. evpi,geioj68) Ep 1,20; 2,6;
3,10; 6,12.
- evn toi/j ouvranoi/j (associé à evpi. th/j gh/j) Ep 1,10; 3,15; 4,10; 6,969.
Des diverses occurrences des deux syntagmes en Ep, on peut conclure que le
binôme ouvranoi,/gh/ décrit le créé (principalement visible) en sa totalité70, alors
que evpoura,nioj désigne, comme le suggère le préfixe evpi,, un au-delà des cieux
physiques, un « lieu » réservé pour les êtres spirituels, qui sont soustraits à
l’influence de ce monde-ci. Mais cet au-delà des cieux n’est pas encore un lieu
pacifié, puisque s’y opposent le Christ et les puissances nocives, conflit auquel
participent les croyants71.
- « en Christ ». Plus que les deux syntagmes prépositionnels qui le précèdent ce
« en Christ » énonce la modalité de la bénédiction. Plusieurs commentateurs y
voient une allusion à Ga 3,14 (« afin que la bénédiction d’Abraham passât aux
Nations en Christ »). Si l’hypothèse ne doit pas être a priori écartée, elle ne
permet pas de préciser si la préposition evn a une nuance instrumentale et plus
précisément salvifique ? À lui seul, le v.3 n’autorise pas de réponse, mais les
versets qui suivent (en particulier les v.5 et 7) confirment l'hypothèse. Quoi
qu’il en soit, le evn doit rester vague, à la mesure même du v.3, dont la fonction
est introductive, et dont les signifiés restent pour cela encore elliptiques ou
inchoatifs.

v.4-6 le dessein de Dieu avant le temps


v.4 - La conjonction kaqw,j ne signifie pas ici la comparaison, mais la cause, et
équivaut à kaqo,ti (‘puisque’). Les motivations qui suivent, et sont en quelque

67 III
Pour la différence entre ouvrano,j et evpoura,nioj en Ep, voir W.H. Harris , « The
‘Heavenlies’ reconsidered », que nous suivons plus ou moins ici.
68
Voir en revanche comment les deux vocables sont opposés en 1Co 15,45 et Ph 2,10.
69
La formulation de Ep 6,9 et Col 4,1 étant presque la même, on peut expliquer la pré-
sence de evn ouvranoi/j (sans article) en Ep 6,9, alors qu’on attendrait l’autre expression, evn
toi/j evpourani,oij.
70
Il s’agit donc d’un mérisme (dans les cieux et sur la terre, c’est-à-dire tout le cosmos),
analogue à ceux, nombreux, de la poésie biblique : du lever au coucher du soleil, etc.
71
L’assemblage des expressions « bénédictions spirituelles » et « dans les cieux » pourrait
n’être pas sans parallèles, si un passage tiré de la règle des prières (1Q28b = 1QSb 1,5 et
2,24), que j’ai connu par R. Penna, Efesini, 87, n’était aussi peu sûr (la majorité des mots
sont manquants et ont été reconstitués) : « Dieu te fasse grâce avec toutes les bénédic[tions
du ciel..] » (1,5 = h[kydwyw ~ymv tw]krb lwkb) ; l’observation est la même pour 2,24 : « Dieu te
fasse grâce [avec l’Esprit Saint et bon]té » (vwdq xwrb] d[sxw).
58 ÉPHÉSIENS

sorte engendrées par l’aoriste evxele,xato, ont pour fonction de spécifier la décla-
ration du v.3.
- lui qui nous a bénis de toute bénédiction spirituelle (v.3)
- puisque  liste des bénédictions (v.4-14)
- « il nous a élus en lui ». Le verbe evkle,gein n’apparaît, dans les homologou-
mena qu’en 1Co 1,27-28 (à trois reprises, avec une insistance sur le choix para-
doxal de Dieu). Beaucoup de commentateurs pensent que l’idée exprimée ici est
plutôt en continuité avec l’AT, où il est dit que Dieu s’est choisi un peuple
d’entre les peuples72 : serait alors repris, mais appliqué aux chrétiens – ceux qui
ont été choisis en Christ73 –, le thème de l’élection, pour signifier que « les
chrétiens sont le peuple que Dieu s’est choisi depuis la fondation du monde »74.
Que la thématique vienne de l’AT, nul ne le niera, mais qu’elle vise à appliquer
le concept de peuple à l’Église, ce n’est confirmé ni par le vocable lui-même,
qui de soi, indique seulement un choix entre divers objets, diverses personnes,
etc.75, ni surtout par le reste de la lettre, qui à aucun moment n’emploie les mots
peuple ou Israël76 pour décrire l’Église – et l’on verra que cela n’est pas fortuit.
Bref, au tout début de la lettre, il est impossible de dire si le mot vise à
substituer l’élection éternelle des chrétiens à celle d’Israël comme peuple de
Dieu, ou s’il entend parler d’une autre élection, éternelle et en Christ pour
l’opposer (ou non) à celle d’Israël. Il est en revanche clair qu’en liant
explicitement la notion d’élection à celle d’être en Christ, Ep se situe dans la
droite ligne de l’interprétation paulinienne77.
La voix moyenne (evxele,xato), indique que l’action de choisir a pour terme
Dieu lui-même, comme le suggèrent les syntagmes prépositionnels « devant
lui » (v.4) et « à louange de sa grâce glorieuse » (v.6). Les connotations du
verbe ne peuvent, elles aussi, être déterminées qu’à partir du contexte, c’est à
dire des destinataires (qui est choisi et qui ne l’est pas), des effets (l’élection
provoque-t-elle une division, une séparation, donne-t-elle un nouveau statut,

72
Voir Dt 7,6–8; 14,2 ; 1S 10,24; 1R 3,8; Y 32,12 (dans le NT Ac 13,17; et l’adjectif
evklekto,j, dit des chrétiens, Rm 8,33; Col 3,12).
73
Christ (et non Dieu le père) est le référent du evn auvtw|/, dans la mesure où la formulation
reprend le evn Cristw|/ qui précède immédiatement.
74
A. Buscemi, Gli inni di Paolo, 92, qui voit l’Église « comme peuple élu de Dieu en
Christ », et emploie le mot peuple.
75
La LXX connaît un usage non religieux du verbe. Voir Gn 6,2 ;13,11 ; Dt 1,33 ; etc.
76
Alors que pour A. Buscemi, Gli inni di Paolo, 92, le vocabulaire de l’élection vise ici à
faire de l’Église « le véritable Israël que Dieu a choisi, appelé et formé pour soi depuis toute
éternité » (il renvoie aussi à Ep 2,15-16). Qu’Ep évite d’appeler l’Église Israël, c’est le moins
qu’on puisse dire, et pareilles affirmations manifestent une certaine incompréhension du
passage et d’Ep en général.
77
Voir par ex. Ga 3. Même observation en A.T. Lincoln, Ephesians,23.
EP 1,1-14 59

etc. ?), des motivations (est-elle basée sur les qualités de qui est élu, ou sur la
miséricorde, la gratuité, l’exigence éthique qui en suivra, etc. ?) et des
modalités d’effectuation (spatiales, temporelles). Plusieurs de ces diverses
composantes de l’élection sont énoncées au v.4 : l’élection fut faite en Christ,
avant la fondation du monde et pour la sainteté des croyants.
- « avant la fondation du monde »78.
Si l’expression n’est pas utilisée dans la LXX et pratiquement pas dans le
grec extra-biblique79, elle l’est davantage dans le judaïsme postérieur80, et
souligne ici que l’élection n’est due « ni à des circonstances spéciales, ni aux
mérites humains, mais à la seule grâce souveraine de Dieu »81. L’idée d’élection
éternelle n’implique aucunement la préexistence de l’Église et des chrétiens. En
affirmant qu’elle a été opérée en Christ, le texte n’implique pas davantage la
préexistence de ce dernier, même si plusieurs commentateurs le pensent82.
- « pour que nous soyons saints et irréprochables devant lui, dans l'amour »
Le but de l’élection était la sainteté des croyants. Le thème de la sainteté
vient sans aucun doute (indirectement ?) de l’AT83 et (directement) de la
tradition paulinienne84. L’adjectif « irréprochable » (a;mwmoj), qui, au sens pre-
mier, exige des victimes sacrifiées qu’elles soient sans défaut physique, est ici,
comme en Ph 2,15 et Col 1,22, utilisé métaphoriquement, pour indiquer la
perfection morale. Mais, il est possible, voire probable85, que l’idée sous-jacente
soit, comme en Rm 12,1, celle d’une existence conçue comme un sacrifice
parfait offert à Dieu. Il importe de noter que la sainteté des croyants n’est pas
considérée en elle-même, mais en relation à Dieu, au sens où elle a été voulue
par lui (cf. l’infinitif final ei=nai) et où elle s’effectue « devant lui » (katenw,pion
auvtou/). Cette dernière expression ne renvoie d’ailleurs pas à la fin des temps, où

78
Pour ce verset et son arrière-fond, outre les commentaires, voir O. Hofius, « 'Erwählt
vor Grundlegung der Welt' ».
79
Le TLG ne signale sa présence qu’à partir du IIIe av. J.C., chez Chrysippe, Fragmenta
logica et physica 989.39-40. Voir aussi Jub 2,19-21, de peu antérieur au NT.
80
Voir Joseph et Aseneth 8.9 (A); MidrashPs 74.1; MidrPs 93.3; GenR 1.5.
81
A.T. Lincoln, Ephesians, 23.
82
Ainsi, R. Penna, Efesini, 90 ; A.T. Lincoln, Ephesians, 24 (qui, à vrai dire, parle au
conditionnel : « Il se pourrait que la préexistence du Christ soit présupposée »).
83
Cf. Lv 11,44.45 ; 19,2 ; 20,7.26 ; Nb 15,40. Également Ex 19,6; 23,22 LXX.
84
Non seulement parce que Paul appelle ainsi les chrétiens (Rm 1,7 ; 8,27 ; 12,13 ;
15,25.26 ; etc.), mais parce que lui aussi insiste sur leur vocation à la sainteté (1Co 1,2 ).
Pour ceux qui admettent l’antériorité de Col, il va de soi qu’Ep 1,4 s’inspire, jusqu’à le
reprendre presque textuellement, de Col 1,22.
85
Voir A. Buscemi, Gli inni di Paolo, 93 : « La sainteté chrétienne est un culte rendu à
Dieu ».
60 ÉPHÉSIENS

nous aurons à comparaître devant le tribunal de Dieu pour y être déclarés saints
et irréprochables86, car c’est dans le continuum de leur vie, sous le regard de
Dieu, que s’exprime la sainteté des croyants, ou encore – si l’on suit la
connotation sacrificielle – qu’ils offrent leur existence.
- « dans l’amour » (evn avga,ph|)
L’expression peut être rattachée à ce qui suit, c’est-à-dire au participe
proori,saj, et qualifie alors l’agir divin87, ou à ce qui précède, c’est-à-dire (a) au
verbe evxele,xato, pour signifier que Dieu a choisi par amour, (b) ou à a`gi,ouj kai.
avmw,mouj, spécifiant alors ce par quoi les croyants sont saints et irréprochables
devant Dieu – par leur conduite, comme dans les homologoumena88. Cette
dernière option est la meilleure ; en effet l’aoriste evxele,xato est trop éloigné, et
si le evn avga,ph| peut être rattaché à proori,saj, la syntaxe de l’eulogie montre
néanmoins que les syntagmes prépositionnels suivent les expressions qu’ils
modifient et déterminent ; enfin, le contexte plus large de la lettre montre que la
formule evn avga,ph| est chaque fois rattachée à l’être et à l’agir en Église des
croyants89. Le syntagme indique alors le moyen par lequel la sainteté des
croyants se réalise. À ce point de la lettre, on ne peut rien dire de plus sur le rôle
de l’amour comme instrument de sainteté.

v.5 - « nous ayant prédestinés » (proori,saj h`ma/j)


Si le participe est circonstanciel, la syntaxe ne permet pas de préciser le
rapport temporel entre l’aoriste evxele,xato du v.4 et le participe aoriste
proori,saj : ce dernier peut en effet décrire une antériorité (il nous a élus…,
nous ayant auparavant prédestinés à être fils et filles), une action (modale)
concomitante, qui précise le mode d’élection (il nous a élus dès avant la fonda-
tion du monde, en déterminant alors par avance que nous serions fils et filles),
ou enfin une action subséquente, qui s’ajouterait à la première (il nous a choisis
et nous a [ensuite] prédestinés à être fils). Si la syntaxe seule ne permet pas de
trancher, la logique invite à choisir la seconde solution : l’élection est
maintenant spécifiée par le statut de celles et ceux qu’elle a touchés90.

86
Rm 14,10 ; également le tribunal du Christ, en 2Co 5,10.
87
Ainsi H. Schlier, G. Gnilka, R. Schnackenburg. Ep 2,4 et 3,14 peuvent appuyer cette
lecture.
88
Pour evn avga,ph| voir 1Co 4,21; 16,14; 2Co 6,6, 1Th 5,13, et toutes les exhortations à
s’aimer les uns les autres.
89
Ep 1,15; 3,17; 4,2.15.16; 5,2.25.
90
Le participe peut aussi avoir une nuance causale (« parce que nous ayant prédestinés ») :
l’élection a alors pour cause la volonté divine de nous donner le statut de fils et de filles. Ces
nuances (causale et modale) pourraient être l’une et l’autre présentes.
EP 1,1-14 61

Le verbe proori,zw signifie « fixer à l’avance », « déterminer à l’avance ».


Manifestement le préfixe pro, reprend le pro. katabolh/j ko,smou du verset
précédent, et souligne la constance du projet divin – Dieu n’a pas changé d’avis,
c’est depuis toujours qu’il a voulu et fixé cela. Le verbe connote l’idée de
délimitation ; mais délimiter, c’est donner une identité – ce que souligne
précisément le mot qui suit immédiatement, ui`oqesi,a. Depuis toujours, le Père
de Jésus Christ nous voulait faire de nous ses enfants.
- « adoption filiale » (ui`oqesi,a).
Les seuls passages du NT où le terme apparaît sont pauliniens (Rm 8,15;
8,23; 9,4; Ga 4,5 et Ep 1,5)91. Certes, il est difficile de savoir si Ep 1,5 donne à
ui`oqesi,a le sens qu’il a dans les homologoumena, mais le fait même qu’aucune
précision ne soit donnée, que le sens en est donc supposé connu, permet de le
supposer – c’est donc le principe de l’usage de l’époque, et de sa reprise
paulinienne, qui doit guider l’interprétation. Dieu a ainsi depuis toujours voulu
nous adopter, pour que nous ayons le statut intégral de fils et filles, et que nous
héritions de ses bénédictions. Mais qu’il ait voulu cela depuis toujours implique
qu’il ne nous a pas prédestinés à être par nature ses enfants. L’ui`oqesi,a soulève
donc immédiatement une question théologique : avons-nous été adoptés parce
qu’être fils de Dieu par nature aurait impliqué que nous fussions divins, ou
parce que Jésus seul est tel ? Comme le vocable n’est utilisé qu’une seule fois
en Ep, et sans précision aucune, on ne peut que renvoyer aux passages des
homologoumena où l’apôtre développe cette thématique92.
Plus que le contenu, Ep 1,5-6 souligne le comment et le pourquoi de
l’ui`oqesi,a. Le médiateur de notre adoption filiale est Jésus Christ, et sur ce
point encore il faut renvoyer à Rm 8 et Ga 4 pour de plus amples développe-
ments – l’adoption filiale ne s’est effectuée qu’avec l’événement Jésus Christ, et
l’on peut inférer de cette médiation que l’affirmation s’appuie sur une expé-

91
Le mot ui`oqesi,a n’apparaît pas dans la LXX. Pour la littérature non biblique, le TLG ne
signale pas d’usage antérieur au deuxième siècle av. J.C. (le grammairien Ptolémée, de
differentia vocabulorum, 390.11; de differentia vocabulorum alpha.32.3; au Ier siècle :
Diodore de Sicile, Bibliotheca historica 31.26.1.9; 31.26.4.3; 31.27.5.11 ; Nicolas
Damascène, Fragmenta 101.173 ), et pour le premier siècle de notre ère, outre le NT,
Ammonius, De adfinium vocabulorum differentia, 61.3. De ces sources, il appert que le
terme vient du droit gréco-romain et désigne l’adoption, par des personnes, aisées mais
n’ayant pu avoir de fils, d’un mâle, souvent sorti de l’enfance et esclave, pour qu’il ait le
statut de fils, avec tous les droits afférents (en particulier celui d’hériter).
92
Paul insiste sur le rapport entre adoption filiale et droit à hériter, en Rm 8,17 et Ga 4,1-
5. Si l’on prend l’eulogie d’Ep 1,3-14 en l’intégralité de son parcours, on ne peut pas ne pas
noter que ce rapport y est implicitement notifié, dans la mesure où le v.5 parle de l’adoption
filiale et le v.14 de l’héritage promis. Les associations sont donc ici les mêmes que dans les
homologoumena.
62 ÉPHÉSIENS

rience actuelle, celle des croyants, au moment même où en est reportée la déci-
sion en Dieu avant le temps. Le pourquoi, à savoir le eivj auvto,n (pour que nous
allions à ou vers lui), fait difficulté, car le pronom peut désigner aussi bien le
Christ que Dieu le Père – il est alors réflexif. La logique du passage favorise
cette seconde interprétation93 et manifeste une redondance significative : c’est
moins le statut de l’adoption filiale qui est ici considéré, que ce que cela
implique de relation dynamique des fils et des filles avec leur Dieu.
- « selon le dessein bienveillant de sa volonté »
Le binôme euvdoki,a + qe,lhma semble redondant, comme le montrent les
expressions parallèles des écrits qumraniens (1QH 4,32-33 ; CD 3,15)94. Est
ainsi mise en relief une bienveillance demeurée constante et ferme : notre adop-
tion filiale n’est pas due à nos mérites, elle a sa source dans le bon vouloir
divin. Selon certains commentateurs, euvdoki,a n’est pas utilisé dans le grec
classique et hellénistique95. Il est en tout cas clair que le NT l’a pris de la LXX
(28x), où il est souvent appliqué à Dieu.
Si le syntagme a ses parallèles dans le judaïsme, il n’en a pas dans les
homologoumena, où les deux termes n’apparaissent jamais ensemble. En outre,
leur emploi n’a pas les mêmes caractéristiques, puisque la bienveillance
(euvdoki,a) est ou doit être celle des croyants96 ; elle n’est propriété divine qu’en

93
Contre cet emploi de auvto,n on pourrait objecter que pour l’accusatif, Ep utilise l’autre
réflexif (e`auto,n – voir Ep 5,2.25.28.33). Mais, si le pronom désignait le Christ, (a) une autre
formulation, non ambiguë était tout à fait possible, avec un kai, entre les deux syntagmes : dia.
VIhsou/ Cristou/ kai. eivj auvto,n, (b) au verset suivant, le même pronom auvto,j, au génitif cette
fois, devrait alors lui aussi avoir le même référent (à savoir le Christ), ce qui n’est pas le cas,
(c) dans l’eulogie, les autres syntagmes en eivj + nom/pronom décrivent tous une finalité
divine (v.6.12a.14a). Il semble donc plus conforme à la logique du passage de comprendre le
eivj auvto,n comme désignant Dieu.
94
Euvdoki,a (principalement utilisé dans les livres directement écrits en grec) traduit !wcr
(Ps 5,13 ; 18,15 ; 50,20 ; 68,14 ; 88,18 ; 105,4 ; 144:16), et qe,lhma, #px (comparer l’hébreu et
le grec en 2S 23,5 ; 1R 5,22.23.24 ; 9,11 ; 2Ch 9,12 ; Ps 1,2 ; 15,3 ; 39,9 ; 106,30; 110,2; Qo
5,3; 12,1.10; Job 21,21; Mal 1,10 ; Is 44,28 ; 48,14 ; 58,3.13 ; 62,4 ; Jer 9,23). Voir R. Penna,
Efesini, 92 ; A.T. Lincoln, Ephesians, 26. Quant au syntagme kata. to. qe,lhma ktl il est bien
attesté dans les écrits plus tardifs de l’AT (1Esd 8,16 ; Sir 8,15 ; 32,17 ; Dn 11,16 ; 11,36 ;
Dn (Q) 4,35 ; 8,4 ; 11,3).
95
L’affirmation n’est pas tout à fait exacte, car on le rencontre chez Hippocrate, Prae-
ceptiones 6.4 o`te. de. proi/ka (adv. gratuitement), avnafe,rwn mnh,nhn euvcaristi,hj prote,rhn h'
pareou/san euvdoki,hn. Le grec non biblique utilise les paroles suivantes : euvdo,kimoj,
euvdokime,w, euvdoki,mhsij (ce dernier terme seulement à partir du II av. J.C., si l’on en croit le
TLG).
96
Rm 10,1; Ph 1,15; 2,13.
EP 1,1-14 63

Ep 1,5.997. De même, si Paul dit plusieurs fois qu’il est devenu apôtre par la
volonté divine98, ailleurs le vocable qe,lhma indique la volonté divine à connaître
et accomplir99. Bref, en Ep 1,5, le binôme euvdoki,a + qe,lhma ne reflète pas un
usage antérieur. On ne peut donc qu’être étonné de voir Boismard le considérer
sans discussion préalable comme de la main de Paul.

v.6 « à la louange de gloire de la grâce » eivj e;painon do,xhj th/j ca,ritoj auvtou/
Si le premier génitif est objectif (louer la gloire), le deuxième fournit alors
le motif de la louange (louer la gloire pour la grâce qui nous fut donnée). Mais
les deux substantifs peuvent aussi former un hendiadis, et être rendus par « la
glorieuse grâce ». Les deux lectures se rejoignent, dans la mesure où le motif de
la louange est chaque fois la grâce divine.
L'objectif de l’adoption est donc divin, car Dieu a voulu nous adopter, faire
de nous ses enfants, pour que nous louions sa grâce. Pareille finalité n’est pas
sans soulever des difficultés, car en définitive, le don est-il si désintéressé et
‘gracieux’ qu’il apparaît ? Le genre eulogique et la logique du passage
permettent de formuler une réponse. Car la louange biblique n’est jamais
forcée, elle est toujours réponse libre à la grâce, réponse qui naît d’une
expérience et qui ne peut être que reconnaissance en tous les sens de ce dernier
terme. De plus, la finalité théologique ne supprime pas l’anthropologique : c’est
parce qu’ils ont devenus filles et fils, que les chrétiens peuvent s’exprimer
comme leur statut leur permet de le faire : il y a une logique profonde entre
l’expérience de la bénédiction divine (la grâce) et l’expression de la bénédiction
humaine (le rendre grâces).
F. Dreyfus100 a retracé en quatre points l’évolution d’une thématique
vétérotestamentaire dont il voit l’aboutissement en Ep 1,6.12.14 :
- YHWH doit manifester sa puissance aux yeux de son peuple, pour qu’ils n’aillent pas vers
d’autres dieux (Nb 14,13-19 ; Ex 9,15-16 ; Dt 9,26-29 ; Jos 7,8-9 ; Jr 14,7-9.
- Il doit agir avec miséricorde pour manifester à tous sa bonté (Ex 32,11-13 ; Nb 14, 17-
18a ; Ez 20 et 36 ; Is 48,9-11).
- Ce n’est pas seulement son dessein sur Israël, mais toute l’œuvre de création qui a pour
but de mettre en valeur sa gloire (Is 43,5.7.21 ; Ps 23,3 ; 25,11 ; 31,4 ; 54,3 ; 79,9 ;
106,8 ; 109,21 ; 115,1 ; 143,11 ; Joel 2,17 ; Dn 3,34 ; Ba 3,5).
- Un peuple purifié de ses péchés, transformé de l’intérieur, sera le témoin de la sainteté
divine (Ez 20 et 36).

97
Également en Lc 2,14. L’usage de terme n’est pas le seul à propos duquel on constate
un accord entre Lc-Ac et Ep, au point que plusieurs exégètes, comme cela a été déjà noté
dans l’introduction, pensent qu’Ep a été écrite par l’auteur de Lc-Ac.
98
Voir 1Co 1,1 ; 2Co 1,1 ; également Col 1,1 et Ep 1,1.
99
Rm 2,17-19; 12,2; 1Th 4,3; 5,18; Col 1,9; Ep 5,17.
100
Voir F. Dreyfus, « Pour la louange de sa gloire ».
64 ÉPHÉSIENS

Quoi qu’il en soit de la tradition vétérotestamentaire, l’important est ici que la


louange soit celle de fils et de filles reconnaissant Dieu comme Père de Jésus
Christ et en Jésus Christ.
- « dont il nous a gratifiés » (h-j101 evcari,twsen)
La répétition ‘grâce’ - ‘gratifier’102 est redondante ; elle vise à notifier une
surabondance que le verbe carito,w signifie déjà103. Mais la surabondance n’est
telle que parce qu’advenue dans le Christ, appelé ici le bien-aimé.
- « dans le Bien-aimé » (evn tw|/ avgaphme,nw|)
Que ce participe désigne le Christ, la relative qui suit et dont il est le
référent le confirme amplement : le sang qui nous obtient la rédemption ne peut
être que le sien ! Nulle part ailleurs dans le NT le Christ n’est nommé ainsi.
Selon certains, il se pourrait qu’ici comme ailleurs en Ep, la formulation
dépende de Col ; on renvoie à Col 1,13, où le Christ est le fils bien aimé de
Dieu (ui`o.j th/j avga,phj auvtou/). La tradition synoptique utilise un adjectif affin,
avgaphto,j104,, mais les lettres pauliniennes appliquent l’un et l’autre (le participe
et l’adjectif) aux chrétiens105. Si le participe est utilisé par l’eulogie, c’est pour
signifier que les chrétiens ont été l’objet du bon vouloir de Dieu en celui qui est
LE bien-aimé, car l’article souligne ici une relation unique. Et ce n’est pas un
hasard si cette relation est soulignée au moment même où est rappelée notre
adoption filiale.

v.7-10 – réalisation du dessein divin en Christ


v.7 - « en qui nous avons la rédemption » (evn w-| e;comen th.n avpolu,trwsin)
Cette relative est la première proposition qui n’a pas Dieu pour sujet et qui
exprime le vécu des destinataires ; jusque là, en effet, l’eulogie avait mentionné
les décisions divines prises avant le temps, le présent e;comen nous porte sans
transition dans l’aujourd’hui des communautés où le don s’effectue.
Originellement, le vocable « rédemption » désignait la libération,
moyennant finances – il s’agit donc d’un rachat – des prisonniers de guerre ou

101
Noter l’attraction du relatif, au même cas que son référent ca,ritoj. S’il n’y avait pas
attraction, le relatif pourrait être au datif ou à l’accusatif, mais le grec extra-biblique ne
fournissant pas d’exemples (même dans la dernière édition du TLG où je n’ai pu relever que
deux emplois sans complément, au IIIe : la lettre d’Aristée à Philocrate, 225,5, et les
Testaments des Douze Patriarches, 11,1.6.3), il est difficile de se prononcer. Le phénomène
d’attraction du relatif se reproduira au début du v.8.
102
Il s’agit évidemment d’une paronomase.
103
Les traducteurs ont raison de le rendre par « combler de grâces ».
104
Mt 3,17 et par. ; 12,18 ; 17,5 et par. ; Mc 12,6 et par.
105
Le participe, en 1Th 1,4 ; 2Th 2,13 ; Rm 9,25 ; Col 3,12 ; l’adjectif, en Rm 1,7 ; 12,19 ;
16,5.8.9.12 ; 1Co 4,14.17 ; 10,14 ; 15,58 ; etc.
EP 1,1-14 65

des esclaves. Dans le grec non biblique, le substantif avpolu,trwsij ou le verbe


avpolutro,w106, sont presque toujours utilisés au sens propre. Qu’en est-il en Ep
1,7 ? L’idée de racheter (en payant le prix) y est-elle connotée107 ? Or, à
l’époque du NT, le terme pouvait s’appliquer à des réalités autres, comme on
peut le constater dans un texte de Philon, qui parle de libération de l’intellect,
sans qu’il soit évidemment question d’argent108. N’en serait-il pas de même en
Ep 1,7 et dans les passages du NT où le vocable est utilisé pour signifier la
libération spirituelle, sans que soit mentionnée une quelconque rançon109 ?
L’usage vétérotestamentaire et, par lui, l’usage néotestamentaire, semble avoir
progressivement acquis une connotation exodale110, et le sens qui convient le
mieux est alors celui de libération. Au demeurant, Ep 1,7 est proche de Col
1,14, et dans les deux passages, la libération est explicitée comme rémission des
péchés111.
Le mot avpolu,trwsij réapparaîtra au v.14, où il désignera la libération de la
fin des temps. Cette double dimension, présente (le déjà-là) et future (à la fin
des temps), n’a rien de contradictoire, puisque la délivrance déjà obtenue est
gage de la libération universelle et glorieuse à la fin des temps ; elle n’est pas
propre à Ep – on la trouve aussi en Rm 3,24 (rédemption effectuée) et 8,23
(rédemption attendue).
La logique qui mène du v.6 au v.7 n’est pas obvie. Pourquoi passer sans
transition de l’adoption filiale avant le temps à la rédemption présente ? Mais le
vocable avpolu,trwsij implique une situation d’emprisonnement, d’esclavage, et
explique rétroactivement la thématique de l’adoption filiale : Dieu nous a

106
Environ soixante dix occurrences, et ce dès le Ve av. J.C. Également l’un ou l’autre
papyrus (en particulier le p. oxy. 722, du Ier de notre ère, relatant le rachat d’une esclave). Le
verbe lutro,w est employé plus d’une centaine de fois dans la LXX ; mais lorsqu’il s’agit de
la libération des israélites hors d’Égypte, l’idée de paiement, de rançon n’est ni évoquée ni
connotée.
107
Voir la discussion en A.T. Lincoln, Ephesians, 27-28. L’idée de prix à payer est
présente en 1Co 6,20 ; 7,23 , voire Ga 3,13 et 4,5, mais le verbe est [evx]agora,zein.
108
Legum alleg. 3.21.6-7 : ou[twj ga.r avpolutrou/tai kakiw/n kai. paqw/n dia,noia.
109
Le sens libération est clair en Lc 21,28. Si cela l’est moins pour les lettres attribuées à
Paul, on peut cependant noter qu’aucune mention n’est jamais faite de l’instance à laquelle il
faudrait payer une quelconque rançon – l’observation vaut pour les emplois
vétérotestamentaires ;. voir Dn 4,34 (substantif) et Ex 21,8 ; Dt 7,8 ; 9,26 ; 13,5 ; 15,15 ;
24,18 ; 1Ch 17,21 ; So 3,1 (verbe). Il en est de même pour lu,trwsij et lutro,w.
110
Pour la connotation exodale du vocable, voir Ex 6,6; Dt 7,8 ; 9,26 ; 13,6, etc. La
connotation est la même dans la tradition chrétienne de la fin du Ier siècle; cf., entre autres,
OdesSal 1,13 w`dh,ghsaj th/| dikaiosu,nh| sou to.n lao,n sou tou/ton o]n evlutrw,sw pareka,lesaj
th/| ivscu,i sou eivj kata,luma a[gio,n sou (c’est-à-dire la terre sainte).
111
Le syntagme « rémission des fautes » est en apposition à « rédemption ».
66 ÉPHÉSIENS

adoptés en nous libérant – par son Fils – de la situation d’esclavage et


d’emprisonnement où nous étions. De qui étions-nous esclaves ou prisonniers ?
L’apposition qui suit, « rémission de nos fautes », désigne obliquement
l’esclavage comme celui du péché.
L’adoption filiale a donc été acquise par la médiation du Christ, qui nous a
délivrés de l’esclavage. Comment ?
- « par son sang » (dia. tou/ ai[matoj auvtou/)
Si l’on penche pour l’antériorité de Col et sa reprise par Ep, on dira que le
« par son sang » vient de Col 1,20, où il apparaît tel quel.
Le « par son sang » justifie l’emploi du terme avpolu,trwsij, car il souligne
l’analogie qui sous-tend le passage, et qui est explicitement formulée par
d’autres témoins de la tradition apostolique, tel 1Pe 1,18-19. Si aucun argent n’a
été donné, c’est toutefois au prix du sang du Christ – autrement dit, au prix de
sa vie – que notre libération a été obtenue. Il est intéressant de noter que le
substantif mort n’est pas utilisé – il ne le sera pas en Ep –, et l’on tentera de
donner une réponse à partir des chapitres suivants, en particulier 2,13-18, où est
encore mentionné le sang du Christ. Ajoutée aux autres, cette reprise confirme
le caractère introductif de l’eulogie.
Le vocable ai[ma a-t-il ici une connotation sacrificielle, comme le pensent
plusieurs commentateurs112 ? Elle ne l’est pas, si, comme semble le donner à
entendre le terme avpolu,trwsij, l’arrière-fond est exodal, si le sang est donc
celui de l’agneau pascal. Elle l’est en revanche, si l’on pense que la mention du
sang et de la rémission des péchés se combinent pour évoquer le sacrifice pour
le péché113. Mais Ep 1,7 n’utilise pas le terme a`marti,a, qui confirmerait presque
à coup sûr pareille interprétation. Aussi vaut-il mieux rester prudent.
- « la rémission de nos fautes » (th.n a;fesin tw/n paraptwma,twn)
Ce syntagme, qui n’est pas sans rappeler Col 1,14114, n’est pas employé
dans les homologoumena. Il est difficile de savoir pourquoi la formulation n’est
pas exactement la même qu’ailleurs dans le NT, où l’on lit « pardon des
péchés » (a;fesij [tw/n] a`marti,wn). En tenant compte du reste d’Ep, on peut
malgré tout risquer une explication ; en effet, pour décrire le temps qui a pré-
cédé la conversion, l’auteur utilise de préférence le vocable « fautes » : « vous

112
Ainsi A.T. Lincoln, Ephesians, 28 ; A. Buscemi, Gli inni di Paolo, 99, qui précise que
le sacrifice est expiatoire et propitiatoire.
113
L’expression équivaudrait alors au peri. a`marti,aj de Rm 8,3.
114
Un emprunt direct à Col 1,14 n’est pas sûr, dans la mesure où l’expression a;fesij
a`marti,wn est traditionnelle, dans le mesure où c’est elle qu’on rencontre ailleurs dans le NT
(Mt 26,28 ; Mc 1,4 ; Lc 1,37 ; 24,47 ; Ac 2,38 ; 5,21 ; 10,43 ; 13,28 ; 26,18 ; et,
indirectement, Hb 10,17-18).
EP 1,1-14 67

qui étiez morts à cause de vos fautes et de [vos] péchés » (2,1)115, « alors que
nous étions morts à cause de nos fautes » (2,5). C’est donc ces fautes là qui ont
été remises, et de la mort qu’elles portaient avec elles, dont nous avons été
délivrés par le sang du Christ.
L’expression « pardon des fautes » peut être un complément d’objet pa-
rallèle à avpolu,trwsij, mais un kai, aurait alors été nécessaire pour éviter toute
ambiguïté. La solution qui respecte davantage la syntaxe est celle qui y voit une
apposition à th.n avpolu,trwsin, signifiant que la rédemption doit être entendue
comme pardon des fautes. Cette interprétation convient d’autant mieux que le
style d’Ep 1,3-14, redondant et répétitif, procède par précisions successives116.
S’il est une libération que l’humanité ne peut opérer par elle-même, c’est
bien le pardon des péchés – les affirmations de l’AT et du NT sont ici tellement
nombreuses qu’il est impossible de les mentionner toutes117.
- « selon la richesse de sa grâce » (kata. to. plou/toj th/j ca,ritoj auvtou/)
Le syntagme n’apparaît pas dans les homologoumena, même si l’on y
mentionne la richesse de la bonté (Rm 2,4) et de la gloire divines (Rm 9,23). La
remarque vaut pour quelques passages qumraniens dont la formulation n’est pas
sans rappeler Rm 2,4, Ep 1,7 et 2,7118.
La répétition de la racine ca,rij (v.6a.6b.7b) indique évidemment une
insistance. Le fait même que le vocable n’est pas spécifié montre que sa conno-
tation est connue (idée de gratuité, magnanimité, générosité, etc.): ainsi est mise
en valeur l’initiative et l’agir salvifique de Dieu en notre faveur : élection,
prédestination à l’adoption filiale, rédemption, pardon des fautes ne sont pas
dus ou proportionnés à la réponse des destinataires, mais ont leur raison d’être
dans la libéralité divine. Le syntagme (« richesse de sa grâce ») réapparaîtra en
2,7, preuve supplémentaire de la fonction introductive de l’eulogie.

v.8 - « qu’il nous a prodiguée » (h-j evperi,sseusen eivj h`ma/j)


La relative est redondante : non seulement Dieu nous a montré sa
générosité, mais il l’a fait jusqu’à l’excès. Les homologoumena utilisent l’une

115
Noter ici l’emploi des deux mots paraptw,mata et a`marti,ai.
116
Ainsi l’élection (v.4a) est ensuite spécifiée comme adoption filiale (v.5a), la délivrance
(v.7a) comme rémission des fautes (v.7b), le mystère (v.9a) comme réunion de toutes choses
sous un seul chef, le Christ (v.10, le « nous » chrétien (v.3-10) comme composé de judéo- et
ethnico-chrétiens (v.11-13).
117
Dans l’AT, le Ps 50-51 ; le Ps 102-103, qui reprend Ex 34 (voir en particulier le v.9) ;
Nb 14,19 ; Jer 31,34 (38,34 LXX) ; 50,20 (27,20 LXX). Dans le NT, Rm 5,1-2.8-10 ; Rm
5,15-17.20-21, et tous les textes évangéliques où il est explicitement signifié que le plus
grand des bienfaits est le pardon des péchés (Mc 2,5-11 et par. ; etc.).
118
Voir par ex. 1QS 4,3.4.5 ; 1QHa 4,32 ; 11,6.28.29 ; 14,17, où il est question de la
grande bonté de Dieu (dsx bwr, ~ymxr bwr, et bwj bwr).
68 ÉPHÉSIENS

ou l’autre fois le verbe perisseu,ein pour signifier que la générosité de Dieu ou


du Christ pour nous fut et reste sans calcul (2Co 9,8 ; Rm 5,15.20). Cette
thématique est paulinienne.
- « en toute119 sagesse et intelligence » (evn pa,sh| sofi,a| kai. fronh,sei)
Les deux mots sont synonymes et complémentaires120, mais paradoxale-
ment, ici comme dans les livres sapientiels bibliques, et à la différence de la
tradition philosophique (pour la quelle la sagesse est le fruit d’un parcours fait
par l’intelligence et la réflexion humaine) sagesse et intelligence viennent de
Dieu seul ; elles sont un effet de sa grâce et bonté, mais il faut les désirer et les
demander dans la prière121. Certaines traditions bibliques rattachent aussi la
sagesse et l’intelligence à l’agir divin :
Pr 3, 19 Dieu a fondé la terre avec sagesse (th/| sofi,a), il a préparé les cieux avec
intelligence (evn fronh,sei).
Jr 10,12 Le Seigneur qui établit le monde par sa sagesse (evn th/| sofi,a| auvtou/), et qui, par son intelligence
(th/| fronh,sei auvtou/), a déployé le ciel…
En Ep 1,8 le syntagme décrit-il la sagesse avec laquelle Dieu a fait abonder en
nous sa grâce, ou s’applique-t-il aux croyants (qui seraient alors les destina-
taires de la sagesse), comme le pensent plusieurs commentateurs et traduc-
teurs ? Outre Col 1,9 (« afin que vous soyez remplis de la connaissance de sa
volonté, en toute sagesse et intelligence spirituelle » - evn pa,sh| sofi,a| kai.
sune,sei pneumatikh/|), qui est considéré comme parallèle à Ep 1,8 et pourrait
avoir influencé sa rédaction, cette interprétation peut encore s’appuyer sur le eivj
h`ma/j qui précède immédiatement : Dieu a fait déborder sa grâce en nous [pour
qu’elle s’y exprime] en toute sagesse et intelligence. La logique du passage
semble respectée, dans la mesure où le don de la sagesse et d’intelligence (v.8)
trouve sa raison d’être au verset suivant : pour que nous puissions pénétrer le
mystère de la volonté divine122. On comprend ainsi pourquoi aussitôt après
mentionné la sagesse et l’intelligence, l’eulogie parle de la révélation du

119
L’adjectif « toute » est distributif et désigne « toute forme de sagesse et
d’intelligence ».
120
Voir par exemple. 4Ma 1,18; Pr 1,2; 3,13.19; 7,4; 8,1; 10,23; 16,16; Si 1,4; 19,22; Jer
10,12. Les deux vocables désignent-ils des connaissances différentes, selon la distinction
d’Aristote en son Éthique à Nicomaque (6.6.7), où sofi,a est une compréhension
intellectuelle et fro,nhsij une intelligence pratique aigue ? Si, comme cela est probable, la
tradition de laquelle s’inspire l’eulogie est biblique, les deux termes sont plutôt synonymes et
forment un hendiadis. L’accumulation des mêmes racines et des synonymes est en effet une
des caractéristiques de l’eulogie.
121
Voir 1R 2,35; 5,9; Sg 7,7; Dn 1,17; 2,23.
122
Ainsi, la TOB (« Dieu nous l'a [sa grâce] prodiguée, nous ouvrant à toute sagesse et
intelligence ») ; M. Barth, Ephesians, vol.1, 84-85 ; R. Penna, Efesini, 95 ; A.T. Lincoln,
Ephesians, 29 ; A. Buscemi, Gli inni di Paolo, 100.
EP 1,1-14 69

mystère. Sans rejeter cette seconde interprétation, qui fait sens, il importe de
souligner que la phraséologie du v.8 interdit qu’on exclue la première : les
syntagmes prépositionnels de l’eulogie sont compléments circonstanciels des
verbes, et il n’y a pas de raison de penser qu’il en soit autrement ici. Et cette
interprétation va aussi très bien avec le contexte (a) immédiat – si Dieu a fait
déborder en nous sa grâce, c’est en toute sagesse et intelligence123, car il nous a
fait connaître son dessein salvifique (v.9-10) – et (b) plus large, c’est-à-dire le
reste d’Ep, en particulier 1,17 (si 1,8 parlait d’une sagesse déjà donnée à
profusion, alors 1,17 semblerait l’ignorer, qui déclare demander à Dieu de
donner aux croyants un esprit de sagesse et de révélation) et 3,10 (où
l’expression « sagesse multiple de Dieu » semble reprendre le « en toute [forme
de] sagesse et intelligence » de 1,8) 124. Bref, pour ce difficile v.8, deux
interprétations sont possibles, et si le présent commentaire reconnaît le bien-
fondé de l’une et l’autre, il penche plutôt pour la dernière.

v.9-10 Avec ces versets, la première série de bénédictions arrive à son acmé. Il
peut sembler étrange que ces bénédictions ne culminent pas sur le statut des
croyants ou sur l’agir miséricordieux de Dieu, mais sur un connaître, comme si
ce dernier devait prévaloir. Voilà pourquoi, il y a quelques décennies, bien des
commentateurs étaient tentés de voir un commencement de gnose, voire de
gnosticisme, en cette place éminente accordée à la connaissance. Mais c’est
précisément ce point qui mérite toute notre attention : connaître le dessein de
Dieu en Christ, autrement dit connaître le mystère, dispense en réalité les
croyants de toute connaissance hermétique, de toute révélation céleste spéciale
– il est inutile d’avoir des visions ou d’être emporté au ciel, comme les voyants
des apocalypses, car le mystère est fait pour être connu de tous les chrétiens, et
c’est à eux tous que les apôtres doivent l’annoncer. Que Dieu ne se contente pas
de faire de nous ses enfants d’adoption, en nous rachetant par le sang de son
fils, mais veuille nous faire aussi connaître pleinement sa volonté, qui est de
tout ordonner et assujettir au Christ, indique manifestement que nous sommes
invités à épouser la perspective divine elle-même.
Sans qu’on puisse savoir si la formulation des v.9-10 doit beaucoup à la
situation des destinataires originaires de la lettre ou plutôt aux préoccupations
du rédacteur, on notera seulement que la trajectoire des bienfaits divins, tou-
jours fortement christologique, ne reste pas fermée sur les seuls croyants, mais
s’ouvre à l’ensemble du créé, qui trouve en Christ le facteur de son unification.

123
Interprétation de la BJ.
124
On notera qu’en Ep 3,10, et pareillement en Rm 11,33, Paul lie la révélation du
mystère à la sagesse insondable de Dieu.
70 ÉPHÉSIENS

Que, d’autre part, la connaissance du mystère de la volonté divine ne soit en


rien réservée à quelques initiés, mais s’offre à tous les croyants, montre à
l’évidence qu’Ep n’a rien de gnostique, dans son intention et dans son
expression.

v.9 - « nous ayant fait connaître le mystère de sa volonté »


Le participe gnwri,saj, qui peut avoir une valeur temporelle, causale ou
modale, n’est accompagné d’aucune précision (quand et comment Dieu nous a
fait connaître le musth,rion, etc.), car l'information sera fournie en Ep 3. Le
caractère introductif du passage exige que les thèmes soient amorcés sans être
développés. Quant au génitif « de sa volonté », il peut être subjectif ou ob-
jectif125. Mais, par son laconisme, le verset est d’interprétation difficile. Comme
le vocable musth,rion est au singulier, on peut se demander si c’est ou non à
partir de la tradition paulinienne qu’il faut le comprendre126. Il est prématuré de
se prononcer avant Ep 3 – même si les parallèles avec les homologoumena et
Col que nous avons déjà rencontrés semblent appuyer l’hypothèse –, Ep 3, où
les différentes composantes du mystère seront longuement exposées. On peut
donc déjà consulter l’exégèse d’Ep 3 pour en savoir plus. S’il est impossible de
déterminer immédiatement le sens et les harmoniques du vocable, sa nature
essentiellement christologique est néanmoins signifiée dès le v.10 : connaître le
mystère de la volonté divine, c’est pouvoir relire toute l’histoire, depuis son
commencement jusqu’à l’unification de toutes choses en Christ, pour en saisir
la dynamique et l’enjeu.
- « selon son dessein bienveillant » kata. th.n euvdoki,an auvtou/
Les commentateurs notent que ce syntagme est redondant ; de fait, puisque
Dieu a révélé le mystère de sa volonté – de ce qu’il avait le dessein de réaliser –
, il ne peut s’agir que d’un dessein bienveillant, comme toutes les bénédictions
qui ont précédé, et que le v.5 avait qualifiées ainsi, de manière déjà redondante.
Bref, de manière continue, l’eulogie nous dit que Dieu voulait nous faire le plus
grand bien (nous bénissait – le eu qui précède plusieurs vocables fait partie de
ce dispositif rhétorique).
- « qu'il a d'avance arrêté en lui » h]n proe,qeto evn auvtw/|
Le référent du « en lui » peut être Dieu (on doit alors le rendre par « en lui-
même ») ou le Christ. Parce que le « en lui » ou ses équivalents désignaient le

125
Le génitif objectif (le mystère concernant sa volonté) semble plus en accord avec le
contexte, qui a fait progressivement connaître le dessein salvifique de Dieu. On rencontre en
Jdt 2,2 une formulation proche (kai. [Nabuchodonosor] e;qeto metV auvtw/n [ses conseillers] to.
musth,rion th/j boulh/j auvtou/) de celle d’Ep 1,9.
126
Voir Rm 16,25, et surtout Col (1,26.27 et 2,2), qui parle du mystère de Dieu dans les
mêmes termes qu’Ep.
EP 1,1-14 71

Christ dans les versets précédents127, plusieurs pensent qu’il s’agit encore du
Christ ici128. Mais, grammaticalement, le pronom doit avoir le même référent
que ses deux précédentes occurrences dans le verset, sinon le risque
d’amphibologie est grand : « le mystère de sa [auvtou/ = Dieu] volonté, selon son
[auvtou/ = Dieu] dessein bienveillant, qu’il a d’avance arrêté en lui [auvtw|/ =
Dieu] ». Et si dans les versets précédents le evn auvtw|/ a été employé pour des
actions ayant comme objet les croyants129, ce n’est pas le cas au v.9. On
objectera sans doute (a) qu’Ep connaît le pronom réflexif, qui aurait évité toute
ambiguïté130, (b) qu’en faisant de Dieu le référent du evn auvtw|/, on rend la phrase
pléonastique, car, à l’évidence, c’est Dieu qui a établi le plan de salut, et le
verbe proe,qeto aurait suffi. Ces objections doivent être relativisées, car (a) le
pronom réflexif e`autou/ n’est pas toujours utilisé en Ep ; il suffit d’aller à 2,15-
16, où le sens est pourtant celui-là (c’est en lui-même que Christ a réunifié notre
humanité) ; (b) eu égard aux pléonasmes, n’oublions pas que depuis le début,
l’eulogie est redondante et qu’en renvoyant à Dieu, le evn auvtw|/ insiste sur le fait
que le projet divin était jusque là – comme l’indique le préfixe pro du verbe –
resté en Dieu (seul), lequel ne l’a fait connaître qu’à partir de l’événement Jésus
Christ. À ne considérer donc que la logique interne du passage, le evn auvtw|/ du
v.9 doit avoir Dieu pour référent. Que, d’autre part, la révélation du mystère ait
été placée au terme de la première série de bénédictions (v.4-10), confirme la
logique rédactionnelle et théologique de l’eulogie, car c’est toujours après coup,
à la fin, qu’on peut saisir le sens des événements, relire l’ensemble d’un
parcours, pour en percevoir l’unité et l’orientation.

v.10 - « pour régir la plénitude des temps »


Le « pour régir » rend une expression grecque substantivale, eivj
oivkonomi,an. Ce dernier terme peut désigner l’action d’administrer, de diriger,
l’objet à administrer (et donc le plan à exécuter), ou la charge, la fonction,
l’office131 ; autrement dit, l’usage est souvent métonymique. Ces désignations
diverses, qui viennent du grec classique, se retrouvent dans les écrits bi-

127
Voir « en Christ » (v.3), « en lui » (v.4a), « dans le bien-aimé » (v.6), « en qui » (v.7a).
128
Par ex., R. Penna, Efesini, 96 ; A.T. Lincoln, Ephesians, 31.
129
Au v.3, Dieu nous a bénis en lui (le Christ) ; au v.4, il nous a élus en lui (le Christ) ; au
v.6, il nous a comblés dans le bien-aimé.
130
Ep 5,27 donne un exemple de l’emploi du réflexif au datif (Christ a voulu se présenter
à lui-même l’Église pure et sainte).
131
Distinctions signalées par A.T. Lincoln, Ephesians, 31; A. Buscemi, Gli inni di Paolo,
101.
72 ÉPHÉSIENS

bliques132. Ici, il s’agit évidemment de l’action d’administrer ou de gouverner.


Traduire l’expression en nos langues tient de la gageure ; le français, en sa
littéralité, ne peut être que rocailleux, même si le substantif a été ici rendu par
un verbe133. Plus que de mener les temps à leur accomplissement, ou encore,
plus que de mener notre histoire vers le Christ, le texte parle de la fin des temps
– des temps fixés par Dieu pour unifier tout le créé en Christ. Est-ce donc cela
que désigne l’expression « plénitude des temps (kairw/n) » ? En Ga 4,4 la
formulation est légèrement différente : « plénitude du temps » – plh,rwma tou/
cro,nou – ce qui signifie qu’avec la venue du Christ, le temps est en quelque
sorte arrivé, comme un fruit mûr, à son terme. Si, les kairoi, désignent les
périodes de l’histoire ou les temps fixés134, la formulation d’Ep 1,10 désigne
alors le terme des périodes de l’histoire, le temps de la fin.
- « réunir toutes choses en Christ »
Cette proposition infinitive, qui est explicative – le mystère que Dieu
nous a fait connaître consiste dans l’avnakefalaiw,sasqai de toutes choses en
Christ –, constitue le sommet de la première série de bienfaits. Comment
interpréter le verbe avnakefalaiw,sasqai, dont Dieu est le sujet135, comme il l’a
été des verbes précédents ? Les dictionnaires rappellent que le verbe est dérivé
de kefa,laion – et non de kefalh, –, qui désigne (1) la somme ou le total, (2) le
point principal ou le sommaire d’un argument136. Le verbe avnakefalaiou/sqai

132
La gestion : Lc 16,2.3.4 ; l’office ou la charge : Is 22,19.21 ; 1Co 9,17 ; Col 1,25 ; Ep
3,2.9 ; le projet ou le plan 1Tm 1,4.
133
Avec M. Barth, Ephesians, vol.1, 76 ; R. Penna, Efesini, 96-97; A.T. Lincoln,
Ephesians, 31; A. Buscemi, Gli inni di Paolo, 101. Autres traductions, fautives cette fois:
« pour mener les temps à leur accomplissement » (TOB), « comme un plan [prévu] pour la
plénitude du temps » (Revised Standard Version), « porter à son acmé la plénitude des
temps » (Einheitsübersetzung), « pour le réaliser à la plénitude des temps » (CEI =
conférence épiscopale italienne).
134
Le passage où la distinction entre les deux termes est aisément repérable est celui de Tb
14,5, dans la version de Théodotion.
135
Après avoir envisagé la possibilité que ta. pa,nta puisse être sujet du verbe moyen
(toutes choses s’unifiant ou se rassemblant en Christ), Penna, Efesini 100, ajoute en note 82,
que le NT emploie souvent la voix moyenne là où l’on attendrait la voix active (comme, par
ex., en Ep 1,23), «et tel semble être le cas [en Ep 1,10] étant donné que le sujet agent en toute
l’eulogie est Dieu ». L’observation est pertinente. Il faut aussi noter, à la suite de Ch.
Reynier, que le Christ n’est pas celui qui révèle le mystère de Dieu, car pour l’eulogie, c’est
Dieu lui-même qui en est le révélateur, et le Christ, objet de révélation.
136
Dans la LXX et le NT, on trouve les deux désignations : (1) somme ou total (ce qui
récapitule tout) : Lv 4,2 ; Nb 5,7 ; 31,26.49 ; Ac 22,28 ; (2) point principal d’un argument :
Hb 8,1.
EP 1,1-14 73

signifie principalement résumer, récapituler137. En affirmant que Dieu a


« récapitulé » toutes choses en Christ, le verset entend-il dire que Christ est
celui en qui Dieu rassemble et unifie tout le créé ? Très certainement, mais il
est difficile d’en dire plus138, et surtout prématuré de conclure que 1,10 énonce
(déjà) la seigneurie du Christ sur toutes choses, car ce serait lire le verset à
partir de 1,22, où Christ est déclaré kefalh,139. En utilisant le verbe
avnakefalaio,w, l’auteur d’Ep ne veut-il donc pas faire entendre que Christ est
aussi le seigneur, le chef (kefalh,) du créé, d’autant plus que Dieu a sans doute
voulu lui confier l’administration (l’oivkonomi,a) des temps eschatologiques140?
Que le v.10 relie implicitement kefa,laion à kefalh,, et fasse ainsi usage de
l’étymologie, on ne peut a priori le rejeter, puisque l’eulogie a déjà donné un
exemple de ce type d’association au v.6, avec ca,rij – carito,w141, mais on ne
peut le montrer. Il importe donc de laisser à ce verset le caractère elliptique qui
est le sien, et qui confirme la fonction introductive du passage.
Dieu a ainsi voulu réunir, unifier toutes choses en Christ. Mais quand
cette récapitulation se fera-t-elle ? À lui seul, l’infinitif aoriste n’autorise
aucune réponse sûre. Que le mystère ait déjà été révélé aux croyants (v.9), ne
dit rien sur l’effectuation de son contenu, qui peut renvoyer au passé (avec la
résurrection du Christ), au présent (comme processus en cours de l’unification
du créé en Christ) ou au futur (le terme de l’histoire). Si l’on va plus loin, en
Ep 3, le contenu du mystère est une réalité déjà présente, et les croyants vivent
bien dans la période ultime, commencée avec l’exaltation du Christ (1,20-23),
qui affecte l’univers entier. Si l’ensemble d’Ep appuie l’hypothèse d’une
unification actuelle de toutes choses en Christ – l’unité de l’Église étant la
réalisation proleptique de l’unification cosmique (Ep 3 et 4) –, il faut répéter ce

137
Voir Aristote, Fragments 123 ; Quintilien, Instit. Orat. 6.1. C’est le sens qu’il a aussi
dans la LXX et le NT ; voir Si 32,8 ; Rm 13,9 et Ep 1,10.
138
Selon certains, le préfixe avna& du verbe indiquerait une reprise (comme avnaza,w en Rm
7,9, qui signifie « reprendre vie »), le retour à une harmonie et à une unité perdues (par le
péché) ; selon d’autres, ce même préfixe décrirait une ascension, et ferait donc du Christ le
sommet ou la clef de voûte de l’unité du créé. Ces hypothèses ne peuvent être ni infirmées ni
confirmées par la dynamique et la progression des v.4-10.
139
A.T. Lincoln, Ephesians, 33, rappelle très justement la critique faite par J. Barr à ce
type d’anticipation qui ne respecte pas la progression sémantique des textes (voir The
Semantics of Biblical Language, University Press : Oxford 1961, 237–238), faute
méthodologique due, soit dit en passant, à l’usage inconsidéré des concordances et à une
conception plate de l’unité sémantique des textes (en particulier des lettres pauliniennes).
140
La phraséologie du v.10 ne permet pas de se prononcer sur l’agent (Dieu le Père ou le
Christ) qui doit administrer la plénitude des temps. Ce n’est qu’en lisant le reste de la lettre
qu’on peut risquer une réponse pertinente (voir 1,22-23 ; 4,15).
141
Au v.6, le jeu de mots est explicite (in praesentia), alors qu’au v.10 il serait in
absentia, l’un des deux termes étant manquant.
74 ÉPHÉSIENS

qui a été dit plus haut, à savoir que le contexte immédiat (les v.9-10 et le reste
de l’eulogie) ne permet pas à l’exégète de tirer des conclusions définitives.
Les commentaires plus anciens ayant déjà longuement évoqué, à propos
de ce verset, la doctrine d’Irénée de Lyon sur la recapitulatio, et montré qu’elle
devait plus à la conjoncture (la polémique anti-gnostique et anti-marcionite)
qu’à Ep 1,10, on se contentera sur ce point de renvoyer à leurs observations142.
- « ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre, en lui »
Si l’on en croit l’approche diachronique, le syntagme a été postérieurement
ajouté par le rédacteur d’Ep à l’aide de Col 1,16. Que cette hypothèse soit ou
non fondée, il est plus intéressant de déterminer pourquoi le syntagme aurait été
ajouté, car il a manifestement pour fonction de préciser que l’extension du ta.
pa,nta est maximale, que par « tous les êtres », il ne faut pas entendre les seuls
êtres humains, mais le cosmos en sa totalité – la figure ici utilisée est le
mérisme143. Mais le pôle céleste inclut-il les anges, les puissances spirituelles ?
S’il est vrai que le mérisme vise à suggérer une extension maximale, les
puissances célestes n’en sont certainement pas exclues ; au demeurant, la
littérature apocalyptique antérieure au NT a suffisamment décrit les cieux et
leurs habitants – archanges, anges et dominations –, pour qu’il faille montrer
que tous ces êtres sont implicitement inclus dans les mérismes de Col 1,16.20144
et d’Ep 1,10, d’autant plus qu’en ce dernier verset la forme même du syntagme,
ta. evpi. toi/j ouvranoi/j au lieu de l’habituel ta, evn toi/j ouvranoi/j, pourrait donner
à entendre que les êtres habitant au-dessus (ou au-delà) des cieux physiques
font eux aussi partie de l’ensemble nommé ta. pa,nta145.
Quant au « en lui » (evn auvtw|/) qui clôt le verset, son référent est à n’en pas
douter le Christ, puisque le substantif singulier le plus proche est le evn Cristw|/
de 10b. Ce « en lui » final dénote une claire insistance désignative et, par là,
l’unicité : en lui, le Christ, c’est-à-dire en lui seul.

142
Voir par ex. R. Penna, Efesini, 98.
143
Le mérisme est fréquent dans la poésie biblique et décrit chaque fois, à l’aide de pôles
opposés, une totalité (par ex., du lever au coucher du soleil, jour et nuit, ciel et terre, etc.).
144
Que les êtres spirituels soient explicitement mentionnés en Col 1,16 et 20 n’a plus
besoin d’être démontré. Voir par ex. J.-N. Aletti, Colossiens, ad loc.
145
Cela dit, il est impossible de savoir si la formulation ta. evpi. toi/j ouvranoi/j est
intentionnelle ou non – elle serait alors une variante purement stylistique.
EP 1,1-14 75

v.11-14. les destinataires successifs des bénédictions146


Les v.4-10 ont énuméré les bienfaits de Dieu en faveur des chrétiens,
depuis la fondation du monde jusqu’à la fin des temps. Les v.11-14 focalisent
notre attention sur les deux groupes de destinataires, toujours décrits par leur
relation au Christ, les judéo- et les ethnico-chrétiens, dont il importe maintenant
de discerner pourquoi l’eulogie a voulu les distinguer pour mieux les unir dans
l’ultime bénédiction, le don de l’Esprit Saint.

v11 - « en qui [Christ] nous avons encore (kai,) été mis à part »
Le kai, est manifestement adverbial, mais il peut mettre l’accent sur le
relatif (« en qui encore »), donc sur le rôle du Christ, ou sur le verbe (« en qui
nous avons encore été choisis »), autrement dit sur la mise à part147. Comme le
relatif est déjà redondant (« en lui, en qui »), il semble plus approprié de
rattacher le kai, au verbe. Le choix sera justifié a posteriori au verset suivant, où
la même particule doit manifestement être rattachée au pronom u`mei/j : c’est la
distinction entre deux groupes qui est ainsi amorcée au v.11.
Si l’aoriste evklhrw,qhmen (« nous avons été mis à part ») est un hapax
néotestamentaire, les homologoumena utilisent néanmoins d’autres mots de
même racine : le verbe klhronome,w, les substantifs klhronomi,a et klhrono,moj148,
pour désigner le statut des chrétiens (lié à leur être-fils et filles), ou ce à quoi,
comme héritiers, il ont droit – l’héritage qui leur a été promis par Dieu, à savoir
l’Esprit Saint, la vie éternelle, la gloire, etc. Col 1,12 exprime une idée
semblable : Dieu a donné aux Colossiens d’avoir part à l’héritage (eivj th.n
meri,da tou/ klh,rou) des saints, et Ep 1,13-14 parle aussi de l’Esprit comme
arrhes de l’héritage (klhronomi,a) des croyants. Bref, ces différents passages, en
particulier le contexte proche, n’invitent-ils pas à paraphraser evklhrw,qhmen
ainsi : « nous ont été mis à part [pour recevoir comme lot l’Esprit Saint et
l’héritage] »149? Mais cette interprétation n’est pas la seule possible, disons
même qu’elle n’est pas entièrement satisfaisante150, et certains commentateurs
146
Ces versets forment la seconde partie de l’eulogie, et les pronoms nous/vous renvoient
à deux groupes distincts aux v.11-13 ; voir les justifications apportées plus haut, dans l’étude
de composition, p.48 et 52.
147
En faveur de l’insistance sur le Christ, J. Cambier, « La bénédiction d’Éphésiens », 91 ;
A.T. Lincoln, Ephesians, 35, opte pour le verbe. Évitent de se prononcer : R. Penna, Efesini,
101, et A. Buscemi, Gli inni di Paolo, 103, qui note avec raion la position ambiguë de
l’adverbe, entre le relatif et le verbe, comme si l’un et l’autre devaient être soulignés.
148
klhronomi,a Ga 3,18 (antilegomena: Col 3,24; Ef 1,14.18; 5,5); klhrono,moj Rm
4,13.14; 8,17; Ga 3,29; 4,1.7; klhronome,w 1Co 6,9.10; 15,50; Ga 4,30; 5,21.
149
Voir A. Buscemi, Gli inni di Paolo, 103.
150
Car, si le verset 11 décrit la situation des judéo-chrétiens, on ne voit pas pourquoi ces
derniers auraient été les seuls à avoir été choisis pour recevoir l’Esprit Saint, que les ethnico-
76 ÉPHÉSIENS

pensent que le verbe reprendrait plutôt ici l’image vétérotestamentaire du


peuple d’Israël comme lot de Dieu, et devrait être traduit par « nous avons été
choisis comme la portion ou l’héritage de Dieu »151. S’il est vrai que les v.11-12
parlent des juifs, qui avant même de devenir chrétiens, attendaient le Messie, et
faisaient évidemment partie du peuple élu, le evklhrw,qhmen peut avoir la
connotation suggérée. Néanmoins, comme il s’agit d’un hapax
néotestamentaire, et que, dans l’AT152 et le grec de l’époque, le verbe, tant à
l’actif qu’au passif, n’a pas cette connotation, il est logique de penser qu’en
l’absence de tout indice net, il ne l’a pas davantage en Ep 1,11. Aussi semble-t-
il préférable de donner au verbe le sens simple qui est le sien au passif, en
divers écrits, inscriptions et papyri de l’époque, à savoir « être désigné, choisi,
mis à part ».
- « ayant été prédestinés » (proorisqe,ntej)
Que le participe ne s’applique pas à tous les chrétiens, la progression de
l’eulogie semble l’imposer, qui des v.4-6, où sont énumérées les décisions
divines avant le temps, aux v.9-10, où il est question de la plénitude des temps,
avait mené le lecteur vers la bénédiction par excellence, à savoir la révélation
du mystère. Certes, l’eulogie pourrait après cela revenir sur les décisions
divines pré-temporelles, mais en les considérant à partir d’un autre angle.
L’exégèse du v.13 devra donc montrer que la distinction nous/vous équivaut à
celle entre juifs et non-juifs, bref elle devra montrer que le u`mei/j du v.13 ne
reprend pas seulement une distinction épistolaire entre le « nous » des
rédacteurs et le « vous » des destinataires, mais une distinction plus large, entre
chrétiens d’origine juive et chrétiens d’origine païenne. Supposons donc que le
verset parle des chrétiens d’origine juive ; le participe proorisqe,ntej n’a alors
certainement pas la même extension temporelle que le proori,saj du v.5, car si
c’est avant le temps que tous les chrétiens sans exception ont été mis à part (v.4-
5), on voit mal comment, dans ce groupe chrétien, certains auraient été choisis
avant le temps (v.11) et d’autres seulement dans le cours du temps (v.13). Le
pro, du v.11 doit logiquement viser une antériorité temporelle, et plus
précisément un choix qui précède celui des ethnico-chrétiens. Il faudrait plutôt
le rendre par « ayant été choisis ou désignés les premiers ».

chrétiens ont eux aussi reçu. La finalité ayant provoqué la mise à part des judéo-chrétiens est
autre, et elle est exprimée au v.12.
151
Voir par ex. J.A. Robinson, 34 ; R. Penna, Efesini, 101. Sur Israël comme klh/roj de
Dieu, voir Dt 9:29; 1S 10,1 (traduit hlxn), Est 5,17[8] ; et surtout 10,3[7-9], où l’on retrouve
le jeu de mots klh/roj/klhronomi,a. Avec d’autres mots (me,rij, Dt 32:8, 9 etc.) les Écritures
disent encore qu’Israël est la part ou la possession propre de Dieu.
152
Dans la LXX, le verbe klhro,w désigne un choix par tirage au sort (1Sa 14,41 ; Is 17,11
[2x]).
EP 1,1-14 77

- « selon le projet de celui qui mène tout au gré de sa volonté »


L’eulogie souligne encore, de manière itérative153, le dessein et la volonté
inflexible de Dieu. La disposition syntaxique la plus normale est celle qui fait
dépendre le deuxième syntagme prépositionnel (kata. th.n boulh.n tou/
qelh,matoj auvtou/) du premier (kata. pro,qesin tou/ ta. pa,nta evnergou/ntoj)154. Si
le kata. pro,qesin se trouve déjà en Rm 8,28, et en rapport à l’élection, le
substantif boulh, appliqué à Dieu ne se rencontre qu’ici dans les lettres attribuées
à Paul, mais dans la LXX il désigne un certain nombre de fois le bon vouloir
divin155 ; il se pourrait donc que le premier terme soit emprunté à Paul, et le
second à la LXX, mais il s’agit là d’hypothèses difficilement vérifiables.

v.12 - « pour être à la louange de sa gloire »


Pour cette proposition, voir l’exégèse du v.6a.
- « ceux ayant d'avance espéré (tou.j prohlpiko,taj) dans le Christ »156
Le participe prohlpiko,taj est diversement interprété. Pour les uns, il s’agit
de l’espérance concernant la venue du Christ à la fin des temps, espérance qui a
pour sujet tous les chrétiens sans exception – les v.11-12 parlent de tous les
croyants, pas seulement des judéo-chrétiens157, car jusque là, le « nous »
désignait le groupe chrétien en son entier, et à cet égard il n’y a aucun indice
signalant un quelconque changement. Pour les autres158, le « nous » du v.11
désigne les juifs et eux seuls ; mais le préfixe pro, peut être compris de deux
manières différentes : (a) il peut s’agir des juifs ayant espéré en la venue du
Messie à la fin des temps, (b) ou des judéo-chrétiens ayant espéré dans la venue

153
Voir ci-dessus l’exégèse de proori,zein et qe,lhma au v.5 et de proe,qeto (repris ici par le
substantif pro,qesij) au v.9.
154
On pourrait en effet mettre en parallèle les deux « selon » (kata,) (« selon le projet...,
selon le gré de sa volonté »), ce qui d’ailleurs ne changerait rien à l’insistance mise sur
l’intention divine.
155
Y 32,11 ; 65,5 ; 72,24 ; 105,13 ; 106,11 ; Sg 6,4 ; 9,13.17 ; Mi 4,12 ; Is 5,19 ; 19,17 ;
25,1.7 ; 46,10 ; 55,8[pl] ; Jr 27,45; 30,14.
156
Litt. « ceux ayant d’avance mis leur espérance dans le Christ » ; la formulation est
presque la même qu’en 1Co 15,19 (construction périphrastique + evn Cristw|/). L’expression
est concise et suppose connu l’objet qu’on espère voir le Christ apporter lors de sa venue ; il
s’agit très probablement des biens eschatologiques (libération, salut, règne de Dieu).
157
Ainsi les commentaires de J. Gnilka et R. Schnackenburg, ad loc ; également A.T.
Lincoln, Ephesians, 37, où sont relevés plusieurs auteurs partageant cette opinion, et qui
ajoute, p 38 : « La distinction proposée entre un ‘nous’ désignant les judéo-chrétiens, et un
‘vous’ désignant les ethnico-chrétiens ne vaut pas pour le reste de la lettre ».
158
Voir les divers auteurs mentionnés par A.T. Lincoln, Ephesians, 37. À cette liste
ajouter R. Penna, Efesini, 101-102 ; A. Buscami, Gli inni di Paolo, 105 ; P.T. O’Brien,
Ephesians, 116.
78 ÉPHÉSIENS

du Messie avant leur ‘conversion’. De soi, les deux font sens et ne sont pas
incompatibles, car en utilisant le « nous », l’auteur de l’eulogie peut s’identifier
implicitement à ceux de son peuple qui, dans le passé, attendaient la venue du
Messie, mais il peut aussi désigner les juifs qui, avant leur propre conversion à
l’Évangile (et non avant celle des païens), ont espéré cette même venue. Et, en
réalité, cette deuxième explication suppose la première, car c’est comme
membres du peuple élu que les chrétiens issus du judaïsme attendaient alors la
venue du Messie. Si l’on doit préférer le (b), c’est parce que le participe est au
parfait ; le résultat de l’action demeure, signe que l’espérance n’a pas été déçue.
S’il y a un choix à faire, c’est donc moins entre les variantes (a) et (b), qu’entre
un « nous » qui inclurait le groupe chrétien dans son ensemble, et un « nous »
qui ne désignerait que les judéo-chrétiens. Sans doute, dans les v.11, le
rédacteur n’a pas clairement signalé un quelconque changement d’acteurs.
Néanmoins, si le verset décrit l’espérance eschatologique des chrétiens, on ne
voit pas ce que vient faire le préfixe pro,, par ailleurs ignoré dans tous les autres
emplois néotestamentaires du verbe evlpi,zein. Il faut donc attendre le v.13 pour
voir confirmée ou infirmée l’hypothèse d’un dédoublement des acteurs
chrétiens.

v. 13 - « en qui vous aussi avez entendu la parole de vérité »


Les difficultés linguistiques sont au nombre de deux, et leur exégèse a des
conséquences décisives pour l’interprétation de la progression de l’eulogie. (1)
Quel groupe désigne le « vous » : les destinataires de la lettre (distinct du
« nous » constitué par ceux qui l’ont envoyée), et/ou plus largement, les
chrétiens venus de la gentilité (distinct des judéo-chrétiens dont il est question
aux v.11-12) ? Il est évident que le « vous » renvoie d’abord aux destinataires
de la lettre, et ce brusque retour à l’épistolaire soulève des questions
redaktionsgeschichtlich159 mais aussi exégétiques. En effet pourquoi le rédacteur
a-t-il voulu insister sur le fait que les destinataires ont cru à l’Évangile et ont
reçu le sceau de l’Esprit Saint ? Les autres chrétiens n’ont-ils pas cru eux aussi,
et n’ont-il pas obtenu le même don ? Pourquoi qualifier les premiers par
l’espérance et les seconds par la foi ? Comment les exégètes qui refusent de
voir en ce verset un passage des judéo- aux ethnico-chrétiens répondent-ils à
ces questions ? Selon eux, le reste de la lettre ne fait aucun écho à la distinction
entre judéo- et ethnico-chrétiens; s’il y a opposition, c’est entre la situation
passée (désespérée) et le présent (sauvé) des destinataires de la lettre, entre

159
Ceux pour qui le rédacteur a repris une eulogie antérieure et l’a adaptée à ses propres
fins, doivent évidemment admettre que le v.13 n’appartenait pas à l’eulogie initiale, puisqu’il
constitue une irruption de l’épistolaire dans une prière ayant une structuration actorielle
autre. Noter le même glissement du « nous » au « vous » dans l’eulogie de 1Pe 1,3-9.
EP 1,1-14 79

circoncis et incirconcis (juifs et païens), mais avant l’acte de réconciliation


opéré par le Christ sur la croix (Ep 2,11-22), car à aucun moment, ces
séparations ne sont dites perdurer dans l’Église, où c’est bien plutôt l’unité qui
est soulignée. Que le reste de la lettre n’oppose pas les chrétiens d’origine juive
et ceux d’origine païenne, on l’accordera volontiers. Mais il serait faux
d’ajouter que l’auteur ne les distingue pas, car il s’adresse encore à ses
destinataires en les appelant « vous, les nations » (3,1), signe qu’ils ne sont pas
devenus juifs, membres du peuple d’Israël – le mot peuple étant d’ailleurs
absent d’Ep pour les raisons que l’on verra, en faisant l’exégèse d’Ep 3. Qu’en
outre cette distinction soit déjà présente dans l’eulogie, les arguments jusqu’ici
fournis invitent à l’admettre. (2) Comme au v.11a, le kai, adverbial peut être
rattaché au relatif (« en qui aussi ») ou au pronom u`mei/j (« en qui, vous aussi »).
Le changement de personne des verbes et l’usage emphatique du u`mei/j invitent
à le rattacher à ce dernier, en sorte que les affirmations des v.11-12 trouvent ici
leur pendant, le « nous » étant suivi d’un « vous aussi », pour indiquer la
complémentarité et la différence des situations du « nous » et du « vous » : si le
premier est défini par l’espérance en Christ, le second l’est par la foi. Et si les
croyants d’origine juive sont caractérisés par l’espérance (et non par la foi en
l’Évangile), c’est sans doute parce que leur nombre est relativement restreint, la
plupart des juifs n’ayant pas cru en l’Évangile. En soulignant leur espérance –
qui reste celle des juifs –, l’auteur d’Ep évite ainsi de dire que beaucoup de juifs
ont rejeté la prédication apostolique, et il décrit en conséquence positivement la
relation de tous les juifs au Messie.
Le verset décrit les étapes de la conversion du point de vue des
destinataires du message. Le participe avkou,santej correspond à la première
étape160, car, avant d’être crue, la prédication doit être entendue et écoutée.
Pourquoi l’auteur ne dit-il pas simplement que l’écoute fut celle de la bonne
nouvelle du salut, l’Évangile, ainsi qualifié par ses effets sur l’humanité ? Car,
en appelant l’Évangile parole de la vérité, l’auteur le définit d’abord par son
contenu (il dit la vérité et y donne accès – vérité qui est le dessein de Dieu pour
l’humanité ?) voire par son origine (vérité venant de Dieu) ? Mais si la vérité de
l’Évangile se reconnaît à ses effets, on comprend que les deux vocables vérité et
salut soient plusieurs fois en parallèle dans l’AT et la littérature juive d’alors161.

160
Le participe aoriste avkou,santej décrit une action antérieure à celles du croire
(pisteu,santej) et du recevoir l’Esprit (evsfragi,sqhte tw/| pneu,mati tw/| a`gi,w|).
161
Y 24,5 ; 39,11 ; 68,14. Les deux vocables sont l’une ou l’autre fois associés à Qumran
(1QM 13,12-13) ; voir J. Murphy-O’Connor, « Truth : Paul and Qumran », dans J. Murphy-
O’Connor (éd.), Paul and Qumran, Melbourne 1968,179–230. Dans le NT, le lien entre les
deux est fait par les écrits pauliniens : 2Co 6:7, et surtout Col 1,5, où la formulation est la
80 ÉPHÉSIENS

Sans doute avons-nous encore ici une préparation lointaine de motifs repris par
la lettre (voir Ep 2,11-22 et 4,14.15.21).
- « en qui ayant aussi cru »
Le kai,, ici encore adverbial, soulève la même difficulté qu’aux v.11a et
13a. Même s’il peut encore être rattaché au relatif, il semble plus cohérent de le
voir modifier le participe avkou,santej qui décrit la deuxième étape de la
conversion à l’Évangile : vous avez entendu, mais vous avez aussi et surtout
cru. De plus, le evn w|- peut désigner le Christ (le pronom est alors au masculin et
parallèle à celui de 13a) ou l’Évangile (le pronom devient neutre). La proximité
et le style en cascade de l’eulogie semblent favoriser cette dernière exégèse,
mais la correspondance entre les deux premières étapes de la conversion,
entendre et croire, requièrent plutôt une mise en parallèle, et le evn w|- désigne le
Christ 162: « en qui [le Christ], vous aussi, ayant entendu la parole de vérité…,
en qui ayant aussi cru, vous avez été marqués… »
- « vous avez été marqués du sceau de l'Esprit promis, [l'Esprit] Saint »
Avec cette mention de l’Esprit l’auteur arrive à la troisième étape du
processus de conversion, qui est identiquement la réception de l’Esprit de
filiation et fait peut-être allusion au baptême163. En même temps, l’eulogie
arrive à son acmé, puisque l’Esprit constitue la bénédiction par excellence, qui
nous fait devenir véritablement fils et filles (v.5), héritiers (v.14). Que les païens
aient reçu l’Esprit, signifie que depuis toujours Dieu voulait leur accorder à eux
aussi la bénédiction des bénédictions. Le v.13 manifeste donc à la fois la
plénitude du don de Dieu en faveur des (ethnico-)chrétiens, et la logique
profonde de son dessein.

même (pour les tenants de l’antériorité de Col, Ep 1,13a reprend Col 1,5) ; également 2Tm
2,15 et Jc 1:18.
162
Dans le NT, on rencontre la chaîne pisteu,w + datif (ce/celui en quoi/qui l’on croit), au
moins deux fois, en Mc 1,15 (croire en l’Évangile) et en Jn 3,15 (croire en Jésus), mais pas
dans les homologoumena. Ep 1,13 est le seul passage des lettres dites pauliniennes à utiliser
une telle construction.
163
Le rapport temporel entre le participe pisteu,ontej et l’aoriste indicatif evsfragi,sqhte
peut être de simultanéité ou d’antériorité. Le avkou,santej dénote une action antérieure au
pisteu,ontej (d’abord l’entendre, ensuite le croire), et il semble plus approprié de voir les
deux participes comme décrivant des actions précédant evsfragi,sqhte. Au demeurant, que
l’acte de croire et de recevoir l’Esprit soient ou non simultanés, n’empêche pas leur
fondamentale distinction, car les verbes sont respectivement à l’actif (du côté des acteurs
humains) et au passif (signifiant que l’agent est divin). Pour appuyer la simultanéité, l’un ou
l’autre commentateur (A.T. Lincoln, Ephesians, 39) a invoqué Ac 19,2 (« Avez-vous reçu
[evla,bete] l’Esprit Saint quand vous avez cru [pisteu,santej] ? »), mais de soi cet énoncé ne dit
rien de précis sur la relation temporelle existant entre l’acte de croire et celui de recevoir
l’Esprit.
EP 1,1-14 81

On peut trouver en 2Co 1,22 une formulation analogue à celle d’Ep 1,13-
14 : o` [Dieu] kai. sfragisa,menoj h`ma/j kai. dou.j to.n avrrabw/na tou/ pneu,matoj
evn tai/j kardi,aij h`mw/n164Å L’image véhiculée par le verbe est celle de
l’appartenance : comme le bétail, les objets et les lettres qui portent le sceau de
leur propriétaire ou de l’envoyeur, les chrétiens sont de et à Dieu165. Outre
l’appartenance, le sceau symbolise aussi l’authenticité, la qualité, la protection
et l’indélébilité166 ; par l’Esprit Saint, les ethnico-chrétiens portent pour toujours
la marque de Dieu. S’agissant des non circoncis, le verbe sfragi,zw semble
surtout indiquer obliquement que le véritable sceau qui distingue les chrétiens
n’est pas la circoncision charnelle167, mais le don de l’Esprit! Nous serions donc
tentés de voir encore en ce verset une préparation d’Ep 2,11-22168. Pareille
interprétation implique-t-elle que, pour Ep 1,13, le sceau ayant marqué les
chrétiens soit le baptême, et que les destinataires originels de la lettre aient pu
comprendre que l’image du sceau était une manière de désigner le baptême ?
Pour beaucoup la réponse est négative ; ce n’est en effet qu’à partir du IIème
que l’image du sceau fut explicitement appliquée à la circoncision et au
baptême169 ; ce n’est donc pas parce qu’en Col 2,11 le baptême est dit être la
vraie circoncision et qu’en Rm 4,11 la circoncision est comparée à un sceau,
qu’il faut pour cela appliquer en Ep 1,13 l’image du sceau au baptême. Sans
aucun doute, Ep 1,13 ne renvoie pas, explicitement du moins, au rite du
baptême lui-même, car l’image ne vise pas d’abord à opposer un rite (le
baptême) à un autre (la circoncision), considéré comme obsolète, mais à
souligner que les ethnico-chrétiens sont pour toujours la propriété de Dieu. Que,
d’autre part, l’image de la circoncision comme sceau ait été connue des
destinataires des lettres pauliniennes, on peut le supposer, dans la mesure où son
utilisation sans explication en Rm 4,11 montre qu’elle n’avait besoin d’aucun
commentaire pour être comprise – qu’elle était donc connue. Si l’on ne peut
donc montrer qu’il y a implicitement une allusion polémique à la circoncision –
les chrétiens d’origine païenne n’ayant pas eu besoin de ce rite pour acquérir

164
Admettons avec Boismard qu’Ep 1,13-14 ait été élaboré à partir de 2Co 1,22 ; cela
n’implique pourtant pas que ces versets soient de la main même de Paul, car un rédacteur
postérieur a très bien pu reprendre à sa manière la formule de 2Co 1,22.
165
Voir Ap 9,4.
166
Ex 28,11.36 ; 36,13.37 ; Job 9,7 ; Ct 8,6; Jr 22,24 ; Si 45,12 ; Dn 6,18 ; Jn 6,27 ; 1Co
9,2 ; Ap 7,3.4.
167
Comparer avec Rm 4,11.
168
La phraséologie est presque la même en Ep 4,30.
169
État de la question en A.T. Lincoln, Ephesians, 39-40, qui cite 2Clem 7.6 ; 8.6; Herm.
Sim. 8.6.3 ; 9.16.3–6 ; 9.17.4; Actes de Thomas 131), et s’appuie sur G. W. H. Lampe, The
Seal of the Spirit, Longmans, Green and Co.: London, 1951.
82 ÉPHÉSIENS

l’ui`oqesi,a –, il faut cependant reconnaître que, si l’on rejette cet arrière-fond, la


présence du verbe sfragi,zw s’explique difficilement, c’est le moins qu’on
puisse dire.

v.14 - « [l’Esprit] qui170 est acompte de notre héritage »


Après avoir dit que les ethnico-chrétiens ont été marqués du sceau de
l’Esprit, l’eulogie revient au groupe chrétien dans son ensemble, donnant à
entendre que tous – pas seulement ceux venus du paganisme, même si le don de
l’Esprit qui leur a été fait est fortement souligné – dans le groupe chrétien, juifs
et non juifs, ont reçu le même Esprit.
Le mot ‘acompte’ (avrrabw,n) est emprunté à l’hébreu !wbr[, comme cela
apparaît clairement en Gn 38,17–20, où il signifie « gage ». Dans le grec
hellénistique, avrrabw,n fait partie du langage commercial pour désigner un
premier paiement, garantissant le versement de la somme totale. En affirmant
que l’Esprit Saint est acompte de notre héritage, l’eulogie confesse donc qu’il
est la garantie de notre salut. Quoi qu’on en ait dit, il n’y a pas de différence
majeure entre l’usage paulinien et celui d’Ep, car ici et là l’héritage y est décrit
comme une réalité future171, dont nous avons déjà les arrhes – la fameuse
tension eschatologique entre le déjà là et le pas encore n’a pas disparu.
- « en vue de la rédemption de [ceux qui sont] la possession [de Dieu] »
L’interprétation du syntagme change selon le sens donné, actif ou passif172
–ce dernier a été ici préféré –, à peripoi,hsij. Dans le premier cas, il s’agit de la
possession par les croyants des bénédictions promises, et dans le second, des
croyants comme possession de Dieu. Dans le NT, Dieu étant toujours l’agent de
la rédemption, le sens passif semble convenir davantage. Le vocable choisi
n’est pas indifférent, car si c’est comme peuple qu’Israël était l’acquisition ou la
possession de Dieu173, on ne trouvera nulle part en Ep le mot lao,j, appliqué aux

170
La dernière édition (la 27ème) de Nestlé-Aland met le pronom relatif au masculin (o[j),
ne suivant pas en cela quelques témoins anciens et fiables, tel le P46. Sans nous prononcer sur
la valeur respective des témoins, disons que le choix du masculin ou du neutre ne change
strictement rien à l’interprétation.
171
Voir 1Co 5,10 ; 15,50 ; Ga 5,21 ; Ep 5,5. Bref, la formulation d’Ep 1,14 n’est pas
éloignée de celle des homologoumena, aussi bien pour avrrabw,n que pour klhronomi,a ; voir
2Co 1,22 ; 5,5.
172
Voici deux traductions anglaises très connues, et représentatives des différences : la
Revised Standard Version, qui opte pour le sens actif (« jusqu’à ce nous en prenions
possession » [until we acquire possession of it]), et la New English Bible (« jusqu’à ce que
Dieu ait racheté ce qui est sa possession » [until God has redeemed what is his own]) qui
choisit le sens passif.
173
Voir Is 43,21 ; Mal 3,17 ; 1Pe 2,9.
EP 1,1-14 83

Juifs ou à l’Église174. Le substantif peripoi,hsij a deux avantages : souligner


l’idée de possession déjà connotée par l’image du sceau, mais aussi éviter de
donner à l’Église l’appellatif « peuple de Dieu ».
Pour l’exégèse du vocable « rédemption » et du syntagme « à la louange
de sa gloire », on pourra se reporter au v.6.

Reprise théologique175
a - Signification théologique de la composition de l’eulogie
S’il est vrai que l’eulogie veut bénir Dieu pour toutes les bénédictions
spirituelles reçues (v.3), le déploiement des motivations (v.4-14) étonne au
premier abord, moins par le peu de bénédictions énumérées, que par le choix
opéré ; en effet, (a) ne sont mentionnées que les décisions divines prises avant
le temps, et leur réalisation par et en Christ, à la fin des temps, (b) les décisions
divines et leur effectuation n’ont pour destinataires que les seuls chrétiens.
L’entre deux – toute la préhistoire et l’histoire d’Israël, d’Abraham à la période
post-exilique – est passé sous silence ! Sans doute, cet entre deux aurait-il pu
être vu comme une préparation de l’ère chrétienne, et fournir de solides raisons
de louer ou bénir, ainsi que le montrent de nombreux psaumes, mais l’eulogie
unifie tous les bienfaits sous ces seuls deux chefs.
Que l’eulogie procède aussi par dévoilement progressif de ce qu’elle nomme les
bénédictions spirituelles, la composition le montre nettement, en déroulant,
implicitement mais continûment, le processus de l’adoption filiale, qui culmine
avec le don de l’Esprit Saint :
- la décision éternelle de faire de nous des filles et des fils en Christ (v.4-6),
- l’exécution, grâce au sang du Christ (v.7-10), qui donne le statut (par libération et pardon
des péchés) et la connaissance idoine du dessein divin (comme filles et fils, les croyants
connaissent le dessein de leur père céleste).
- le statut de filles et fils vient du don de l’Esprit176, don par lequel est assuré le futur de
leur destinée filiale (l’héritage promis) (v.13b-14).
Si ces trois points manifestent la logique sous-tendant l’eulogie, ils ne la
manifestent néanmoins que partiellement – les v.11-13a ne semblent pas
nécessaires pour saisir le mouvement d’ensemble, tel qu’il vient d’être résumé à
propos de l’adoption filiale. Car la difficulté majeure soulevée par l’articulation

174
L’un ou l’autre commentaire, pourtant assez fiable, tel celui de R. Penna, a oublié ce
point, et traduit inopportunément « du peuple que Dieu s’est choisi » (Efesini, 82 et 104).
175
Pour une analyse thématique assez complète de l’eulogie, on consultera A. Buscemi,
Gli inni di Paolo, 107-120.
176
Rémission des péchés et don de l’Esprit Saint sont les deux faces d’une même
médaille.
84 ÉPHÉSIENS

des motivations (v.4-14) vient de ce que la distinction entre le nous judéo-


chrétien et le vous ethnico-chrétien n’entre pas dans le mouvement d’ensemble
– elle est d’ailleurs présentée comme un ajout ou comme une information
complémentaire –, et c’est une des raisons pour lesquelles la présence d’une
telle distinction a été refusée par bon nombre de critiques. Or, on l’a vu plus
haut, le rôle de la distinction est de souligner que les ethnico-chrétiens ne sont
pas des croyants de catégorie inférieure, mais qu’ayant été marqués par l’Esprit,
étant donc destinataires vrais et pleins de la promesse, ils sont, si l’on peut ainsi
parler, de même niveau que les judéo-chrétiens ; elle consiste donc à accentuer
et spécifier l’unité de la catégorie d’ui`oqesi,a, ce qui justifie sa présence, eu
égard à la progression globale de l’eulogie. Que plusieurs passages de la lettre
soulignent eux aussi l’unité, dans l’Église, entre ceux d’origine juive et ceux
d’origine païenne, confirme encore le rôle introductif joué par l’eulogie.
b – L’eulogie et son arrière-fond biblique
Pour qui lit l’eulogie avec, en arrière-fond, le paysage de l’AT, nombreux
sont, nous l’avons vu, les vocables ou les motifs qui y renvoient, au point qu’on
peut se demander si la thématique sous-jacente unifiant l’ensemble ne pourrait
pas être celle de l’alliance. Car certaines de ses composantes semblent bien
présentes : la libération et la rémission des péchés, le don de l’Esprit et la
sainteté des croyants, qui trouvent leur expression consommée en Ez 36-37,
avec pour corollaire, l’appartenance du peuple à Dieu, qui est et sera leur Dieu,
selon le refrain bien connu, « eux seront mon peuple, et moi je serai leur
Dieu »177. Mais, pas plus que le substantif peuple, l’eulogie n’emploie celui
d’alliance (diaqh,kh)178. Certes, l’absence du mot n’implique pas nécessairement
que la thématique soit exclue, mais, à supposer même que cette dernière irrigue
indirectement le passage, il importe d’examiner pourquoi nulle mention n’en a
été faite.
Que la catégorie d’alliance nouvelle ne convienne pas, le passage en son
entièreté le montre, qui, s’il place les décisions divines avant le temps, ne dit
pas qu’elles sont désormais dépassées, pour qu’une nouvelle alliance, avec des
conditions autres, doive les remplacer. Car tout a été depuis toujours décidé en
Christ et réalisé en lui : bien loin de rendre obsolètes les décisions divines, leur
effectuation confirme leur pérennité. L’idée d’une alliance nouvelle n’y est pas
davantage liée à la nécessité de dépasser l’impasse créée par la désobéissance
humaine, car l’effectuation de la décision divine initiale n’est pas rendue

177
Outre Ez 36,28 ; 37,23, voir Ez 11,20 ; 14,11 ; Jr 11,4 ; 24,7 39-32,38 , et surtout Mal
3,17, où figure le substantif peripoi,hsij.
178
Ce vocable n’apparaît qu’une seule fois, et au pluriel, en Ep 2,12 (il est déjà au pluriel
en Rm 9,4).
EP 1,1-14 85

impuissante par nos réponses : c’est depuis le commencement que les péchés
sont intégrés dans le dessein divin. De plus, le statut octroyé par Dieu aux
croyants, l’ui`oqesi,a, n’est pas le fruit d’un accord ou d’un contrat entre Dieu et
les croyants, mais d’une décision paternelle éternelle et irrévocable : la filiation
aussi bien que l’adoption filiale ne fut pas négociée, et le statut en a été décidé
avant le temps, avant même que les humains aient pu en avoir connaissance ou
le désirer. Certes, les enfants peuvent un jour ou l’autre se rebeller, fuir la
maison paternelle, il n’en demeure pas moins vrai que si le père ne les destitue
pas, ils restent ses fils, ses filles, car c’est lui qui fixe le statut ; et telle est bien
l’optique de l’eulogie. On ne doit donc pas s’étonner de ne pas voir Ep 1,3-14
amorcer la problématique de l’alliance. En outre, si un certain nombre de
vocables renvoient à l’AT, il est difficile de trouver un fil biblique unificateur tel
que le rapport promesse – effectuation, dans la mesure où le passage relate les
décisions divines d’avant le temps, lorsqu’il n’y avait pas encore d’humains
capables d’entendre une promesse et d’y croire. Bref, si l’eulogie se nourrit de
la Bible, il faut plutôt chercher son principe unificateur dans la christologie.
c - La christologie de l’eulogie
La christologie irrigue l’eulogie, puisque tous les bienfaits énumérés ont pour
destinataires ceux qui sont en Christ179, et sont christiquement marqués,
autrement dit sont inséparables de lui. Sans doute aussi est-il bon de rappeler
que la fonction du Christ décrite au v.10 est cosmique, au sens où elle touche le
créé en sa totalité, des êtres les plus humbles aux plus élevés.
En Ep 1,3-14, la finalité sotériologique de la christologie ne diffère pas de celle
des homologoumena, car elle souligne bien que notre adoption filiale se fait en
Christ et en lui seul180, et que c’est par le sang du Christ que nous avons reçu la
libération et le pardon des fautes181. Peut-on, également, comme en certains
passages des homologoumena – entre autres Rm 8,3 –, voir implicitement
exprimée la préexistence du Christ ? Car, si nous ne sommes que fils adoptifs,
n’est-ce pas parce que le Christ est éternellement et par excellence le fils ? En
réalité, on l’a vu à propos du v.5, l’eulogie n’établit pas d’opposition entre le
Christ, fils éternel, et nous, qui serions des enfants de second ordre ; le langage
de l’adoption est en effet déterminé par le contexte immédiatement subséquent,

179
On pourrait objecter que le v.10 élargit les bénédictions à tous les êtres créés,
puisqu’ils trouvent en Christ leur principe unificateur ou leur récapitulation. Sans nier qu’il
s’agisse d’un bienfait pour tout le créé, il faut souligner que pour l’eulogie, c’est la révélation
du mystère qui est bénédiction – non la récapitulation de tout en Christ –, et que cette
révélation est faite aux chrétiens.
180
Idée clairement exprimée en Ga 4,4-6.
181
Voir Rm 3,25 ; 5,9 ; 1Co 10,16 ; 11,25 ; également Col 1,20 dont s’inspire peut-être
l’eulogie.
86 ÉPHÉSIENS

à savoir l’esclavage dans lequel nous étions et qui nécessitait une libération. Et
l’exégèse n’a pas permis d’établir que les affirmations du v.5 sur notre adoption
filiale impliquent la nécessaire préexistence du Christ182.
La surprise christologique vient des v.9-10. De soi, le genre eulogique est
une reconnaissance et une louange des bienfaits et donc des desseins divins. Or,
les v.9-10 affirment que Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté, qui
est de récapituler toutes choses en Christ : le dessein divin est éminemment
christocentrique, et la connaissance de Dieu (de sa volonté) est identiquement
connaissance du rôle universel et eschatologique du Christ. Bref, le vouloir et
l’agir divin sont totalement christologisés. Au demeurant, cette christologisation
n’est pas seulement fonctionnelle, mais fondamentalement relationnelle,
puisque Dieu y est dès le commencement (v.3) nommé « père de notre Seigneur
Jésus Christ », car c’est comme tel qu’il a tout établi, préparé, effectué. À cette
christologisation manquent seulement les prépositions evk et su,n pour les raisons
qu’il faut brièvement rappeler.
d – L’eulogie et le reste de la lettre
Dans une monographie qui fit date, C. Caragounis183 a, de façon
exhaustive, montré comment plusieurs des thèmes de la lettre sont amorcés et
préparés par l’eulogie. Et, de fait, nous l’avons déjà noté juste avant l’exégèse
des versets, plusieurs thèmes ou motifs reviennent ou sont développés ensuite,
en particulier ce qui touche à la révélation du mystère ; d’autres ne sont pas
repris tels quels (l’oivkonomi,a, le plérôme), ou ne sont pas repris du tout
(l’élection, l’adoption filiale) ; d’autres enfin, importants et même majeurs dans
le corps de la lettre, ne sont pas évoqués en Ep 1,3-14 – même si, aux v.11-14,
on sent poindre une allusion à l’unité diversifiée du groupe chrétien – : ainsi en
est-il de la description du rapport Christ-Église en termes de tête et de corps, ou
encore de la thématique de l'être-avec, marquée grâce à la préposition su,n et
tous les vocables ayant ce préfixe184.
Bref, en développant principalement les composantes de l’ui`oqesi,a, l’eulogie se
présente plus comme toile de fond des développements subséquents sur l’être-
avec, que comme un début de réflexion. En cela, sa fonction hymnique est
respectée, s’il est vrai que, comme prière de louange, elle n’a pas d’abord pour
fonction d’amorcer une thématique ; elle fait néanmoins partie du cadre
épistolaire, et, comme telle, elle prépare indirectement les réflexions ultérieures.

182
Il n’en est pas de même en Col 1,15-20, où les énoncés concernant la médiation
créatrice du Christ impliquent, supposent la préexistence.
183
The Ephesian Mysterion, Lund 1977.
184
L’être-avec a deux dimensions (a) l’union avec le Christ (cf. 2,5.6), et (b) la
communion intra-ecclésiale, en particulier entre juifs et non juifs (2,21.22 ; 3,6.18 ; 4,3.16).
L’exorde épistolaire
1, 15-23

Bibliographie
T.G. Allen, «Exaltation and Solidarity with Christ: Ephesians 1.20 and 2.6» ; ID., «God the
Namer. A Note on Ephesians 1.21b» ; P. Benoit, « L'Église corps du Christ » ; T.B. Corgal,
«Seated in the Heavenlies» ; P. Dacquino, «La Chiesa 'corpo del Cristo'» ; E. De Los Santos,
La novedad de la metáfora KEFALH – SWMA ; I. de la Potterie, « Le Christ plérôme de
l'Église » ; A.R. McGlashan, «Ephesians 1,23» ; F. Mussner, Christus, das All und die
Kirche, 29–64 et 118–74 ; P.T. O'Brien, Introductory Thanksgivings ; A. Perriman, «His
Body, Which is the Church» ; P. Pokorný, «Sw/ma Cristou/ im Epheserbrief» ; R. Yates, «A
Re-examination of Eph. 1.23».

15
Voilà pourquoi, moi aussi, ayant appris votre foi dans le Seigneur Jésus et
votre amour pour tous les saints*, 16 je ne cesse de rendre grâce à votre sujet,
en faisant mémoire de vous dans mes prières, 17 afin que le Dieu de notre Sei-
gneur Jésus Christ, le Père de la gloire, vous donne un esprit de sagesse et de
révélation qui vous le fasse vraiment connaître*; 18 pour que, étant illuminés les
yeux de [votre] cœur*, vous sachiez quelle espérance [vous/nous] donne son
appel**, quelle est la richesse de son glorieux héritage parmi les saints***, 19
quelle extraordinaire puissance [il a déployée] pour nous, les croyants, selon
l’énergie de sa force vigoureuse*, 20 qu’il a mise en oeuvre dans le Christ, en le
ressuscitant des morts et en le faisant asseoir à sa droite dans les cieux, 21 au-
dessus de toute autorité, pouvoir, puissance, seigneurie et de tout nom qui
puisse être nommé*, non seulement dans ce monde [présent], mais encore dans
[le monde] à venir, 22 et il a tout mis sous ses pieds et il l'a donné comme chef
sur toutes choses à l'Église, 23 qui est son corps, la plénitude de celui qui
remplit tout totalement.

v.15 D’excellents témoins (P46 a* A B P 33 Origène) omettent « l’amour » et lisent ainsi : « votre
foi dans le Seigneur Jésus et celle [= la foi] pour tous les saints ». C’est certainement la leçon la
plus difficile, mais elle ne correspond à aucune des autres introductions de lettre – Phm 5 n’est pas
une exception, car la construction est manifestement chiastique : (a) amour (b) foi (b’) Christ (a’)
saints – et, avec les spécialistes de critique textuelle, on peut raisonnablement l’attribuer à l’erreur
d’un copiste qui est par mégarde passé du premier au second th,n.
v.17 litt. « dans la connaissance [que vous avez] de lui » ;
v.18 Le pronom personnel u`mw/n ne figure pas en plusieurs témoins ; le syntagme est à l’accusatif,
ce qui rend son interprétation difficile – voir l’exégèse du v.18a.
v.18 litt. « pour que vous sachiez quelle est l’espérance de son appel » ;
v.18 litt. « quelle est la richesse de gloire de son héritage parmi les saints »
v.19 litt. « selon l’énergie de la vigueur de sa force ».
v.21 litt. « et de tout nom nommé »
88 ÉPHÉSIENS

Présentation et composition

a – Le genre littéraire du passage.


Il a déjà été rappelé dans l’introduction qu’à la différence de l’eulogie
initiale, ces versets ne sont pas une prière, mais seulement une mention de
prières, d’action de grâces1 et d’intercession. Cette remarque permet de
résoudre une question affrontée par Schubert et d’autres2, relative à
l’appartenance ou la non appartenance des intercessions à l’AdG. Car le passage
n’est ni une AdG ni une intercession, mais l’affirmation, ou plutôt l’attestation
d’une prière par ailleurs continue, comme lorsqu’on dit à quelqu’un : ‘Je prie
toujours pour vous’ ; on ne prie évidemment pas au moment même où l’on fait
cette déclaration ! En mentionnant les deux grands types de prière qui sont les
siennes, l’AdG et la demande3, le rédacteur veut signaler que sa prière n’est pas
uniforme, mais diversifiée en fonction des circonstances, complète donc, et
qu’elle est constante ; il en notifie aussi les motivations4. Il s’agit donc d’un
prayer report, et c’est faire un contresens que d’analyser Ep 1,15-23 en
essayant de voir, à partir des modèles biblique et post-biblique, si ce qu’on croit
être une intercession fait ou non partie des composantes de ce qui n’est pas
davantage une AdG5.
b – Composition du passage
L’approche diachronique. Selon de nombreux commentateurs, les v.15-19
ressemblent à tous les passages correspondants des homologoumena, et il n’y a
pas de raison pour ne pas les considérer comme pauliniens, mais il n’en est pas
de même pour les v.20-23, qui seraient une expansion christologique ajoutée
postérieurement par le dernier rédacteur d’Ep, à partir d’un substrat paulinien. Il

1
Formule désormais écrite sous forme abrégée, AdG.
2
Les deux monographies ayant fait date sur la question sont celles de P. Schubert, Form
and Function of the Pauline Thanksgiving, BZNW 20, Berlin 1939, et de P.T. O’Brien,
Introductory Thanksgivings, qui reprend et complète la précédente. La terminologie est
reprise telle quelle en P.T. O’Brien, Ephesians, 123-126 ; malgré tout, il semble l’une ou
l’autre fois distinguer entre le genre AdG et la mention (en anglais : ‘report’) d’AdG (à la
p.127, par ex.).
3
La demande pour les autres a nom intercession ; de même qu’on rend grâces pour les
bienfaits reçus par nous ou par d’autres, on appelle Dieu afin qu’il nous protège, nous et/ou
les autres.
4
Paul n’est pas le premier à commencer ses lettres en rappelant qu’il prie pour ses desti-
nataires. Pour des mentions de prière dans des lettres juives antérieures à notre ère, voir 2Ma
1,2-6 (notification d’intercession).
5
L’exégèse anglophone a tout récemment forgé deux expressions qui conviennent très
bien ici : le prayer report (désignation générique), le thanksgiving report et le intercessory
prayer-report (désignations spécifiques). Sur ce méta-langage, voir A.T. Lincoln, Ephesians,
48-50, qui donne néanmoins ici et là l’impression de considérer Ep 1,15-19 comme une
tôdah ou AdG (remarque qui vaut pour P.T. O’Brien).
EP 1,15-23 89

semble en effet qu’on puisse isoler aux v.20 et 22 un morceau hymnique


antérieur de quatre stiques6 :
1 evgei,raj auvto.n evk nekrw/n
2 kai. kaqi,saj evn dexia|/ auvtou/
3 kai. pa,nta u`pe,taxen u`po. tou.j po,daj auvtou/
4 kai. auvto.n e;dwken kefalh.n u`pe.r pa,nta
Ces stiques ont les caractéristiques de la poésie des Psaumes, laquelle obéit à la
règle du parallelismus membrorum – souligné d’ailleurs ici par les homologies
lexicales et syntaxiques: des participes en 1 et 2, des aoristes indicatifs en 3 et 4,
les prépositions evk/evn et u`po,/u`pe,r. En outre, les idées sont bien celles du Paul
des homologoumena, qui rappelle l’une ou l’autre fois (par ex. en 1Co 15,25-
26) la résurrection et l’exaltation du Seigneur en faisant appel, comme ici, aux
Ps 110,1 et 8,7. Ces parallélismes invitent ainsi à considérer les autres
syntagmes (le evn toi/j evpourani,oij du v.20, le th/| evkklhsi,a| du v.22) ainsi que les
v.21 et 23 en leur entier, comme des gloses postérieures, et ce, d’autant plus
qu’ils sont typiques des préoccupations d’Ep (et de Colossiens7). À quoi l’on
objectera que si les quatre stiques retenus comme antérieurs sont sans aucun
doute parallèles deux à deux et de facture paulinienne, leur antériorité n’a rien
de certain, car l’auteur a très bien pu reprendre les idées de Paul à sa manière,
c’est-à-dire, en procédant, comme dans l’eulogie, par expansion stylistique ;
nous n’avons aucune preuve que ces stiques ont existé hors d’Ep, comme
strophe d’une hymne chantée par les premiers chrétiens.
Autre est l’hypothèse rédactionnelle du père Boismard, qui voit en Ep
1,15-23 un morceau originellement paulinien, dont la composition serait grosso
modo concentrique8 :
- v.15aa.16-18 : introduction au thème
- v.18b-21 : développement du thème
- v.22-23 : conclusion
Suivant les critères déjà utilisés dans l’exégèse de l’eulogie, Boismard met en
évidence quelques syntagmes probablement post-pauliniens, car ils viennent de
Col : il en est ainsi de tout le v.15 (excepté dia. tou/to kavgw), du v.21b et du to.
sw/ma auvtou/ de 23a. Mais il considère que les v.21-23 sont originels dans leur
ensemble ; en effet, ils ne copient pas Col 1,16.18s, comme on pourrait à

6
Voir l’histoire de l’exégèse diachronique de ces versets en A.T. Lincoln, Ephesians, 51,
qui présente les opinions de J.T. Sanders, « »Hymnic Elements in Ephesians 1-3 », et de
Deichgraher, Gotteshymnus, 165, sans lui-même les partager.
7
À cet égard, ceux qui défendent cette exégèse notent que le th/j evkklhsi,aj de la fin du
v.20 ressemble étrangement à celui de Col 1,18, qui a, lui aussi, toutes les chances d’être un
ajout à l’hymne primitive.
8
C’est par inadvertance que l’auteur parle de « structure chiastique » en L'énigme de la
lettre aux Éphésiens, 24. Il y a chiasme uniquement lorsque le centre est double (bb’ ou cc’,
etc.).
90 ÉPHÉSIENS

première vue le croire, mais sont une reprise de 1Co 15,24-28, où l’on retrouve
les Ps 110,1 et 8,7, également la liste des puissances ; quant à l'expression to.
plh,rwma tou/ ta. pa,nta evn pa/sin plhroume,nou, elle fait sans doute écho au ta.
pa,nta evn pa/sin de 1Co 15,28. Aussi suggestive que soit cette hypothèse, elle
reste elle aussi incontrôlable et donc indécidable. Que certains énoncés soient
proches de ceux des homologoumena n’empêche pas qu’ils puissent être de la
main du rédacteur d’Ep. Méthodologiquement il est donc plus sûr de s’appuyer
sur la composition du texte actuel, pour tester la valeur des reconstructions
relatives à l’histoire de la rédaction.
L’approche synchronique. À première vue, le passage donne l’impression
d’être déséquilibré par la présence d’énoncés christologiques et
ecclésiologiques (v.20-23) n’ayant apparemment aucun lien avec ceux qui les
précèdent, à savoir les motivations de la prière de demande (v.15-19). Cela dit,
une première mise en évidence de la fonction respective des énoncés souligne
immédiatement la construction inhabituelle des premiers versets:
(a) raisons (causalité) pour l’AdG (v.15)
(b) mention de prière d'AdG (v.16)
(a') raisons (finalité) pour l’intercession (v.17-23).
En effet, à partir du v.17, sont rappelées les intentions de la prière de demande,
sans pourtant que soit auparavant signalé le passage d’une prière à l’autre,
signalement d’autant plus nécessaire ici que, plusieurs fois dans les
homologoumena, le faire-mémoire fait partie de l’AdG9. Pour être complète, la
chaîne devrait être, comme ailleurs, la suivante : « Pour votre foi et votre
charité je rends grâces, et je demande à Dieu qu’il vous donne…»10; le rac-
courci (« Je rends grâces, afin que…») semble mal venu, à moins que la
participiale du v.6b (mnei,an poiou,menoj evpi. tw/n proseucw/n mou) ne fasse déjà
allusion à la demande, le mot prières comprenant alors toutes les prières, pas
seulement l’AdG. Auquel cas, nous serions en présence d’une reversio :

(a) raisons (causalité) pour l’AdG (v.15)


(b) mention de prière d'AdG (v.16a)
(b’) mention de toutes les prières – y compris la demande (v.16b)
(a') raisons (finalité) justifiant la prière de demande (v.17-23)

9
Le rappel est alors celui des fruits constatés (foi, charité, également espérance). Voir 1Th
1,2 ; Ph 1,3 et Phm 4.
10
Comparer avec Ph 1,9 (tou/to proseu,comai( i[na…) ; 2Th 1,11 (proseuco,meqa pa,ntote
peri. u`mw/n( i[na…) ; Col 1,9 (ouv pauo,meqa u`pe.r u`mw/n proseuco,menoi kai. aivtou,menoi(
i[na…). En Phm 4-6, on a cependant un phénomène semblable, car le o[pwj n’est pas précédé
d’un verbe de demande, et semble rattaché à euvcaristw/ - à moins que le verbe de demande
ne soit implicite.
EP 1,15-23 91

Quoi qu’il en soit pour le moment de la reversio, si le raccourci est inhabituel, il


ne manque pas d’intérêt, car il trahit la tendance d’Ep à subordonner toutes les
prières à l’AdG11 : même la demande de l’apôtre semble ainsi se faire sous le
signe de ce type de prière12!
La logique du passage est en tout cas nette, car si Paul demande à Dieu de
faire croître ses destinataires dans la connaissance (v.17-18a), c’est pour qu’ils
puissent en définitive comprendre le lien de causalité existant entre leur
situation (v.18b-19) et celle du Christ (v.20-22). Les développements christolo-
giques ne sont donc pas inopportuns, bien au contraire, on le verra. Les
motivations de l’intercession peuvent être divisées en deux, étant bien entendu
que le style est ici encore en cascade :
- raisons concernant les croyants : il leur faut savoir quelle est leur espérance et la puis-
sance divine ayant opéré en leur faveur (v.17-19),
- à la racine des raisons : la force divine déjà opérée pour le bénéfice du Christ, ressuscité
et exalté au-dessus de toute puissance, et donné comme tête à l’Église, qui est son corps
(v.20-23).
Les développements des v.20-23 montrent bien où va l’insistance ; il ne
s’agit pas d’excroissances venant d’un auteur ayant tendance à perdre le fil de
son sujet, mais d’une évidence : c’est en méditant sur la situation du Christ (et
de l’Église, qui est son corps) que les chrétiens peuvent comprendre à quelle
espérance les mène leur appel.
c – Fonction du passage
Le passage est explicitement accroché à l’eulogie (par dia. tou/to), et re-
prend ainsi implicitement toutes les raisons pour lesquelles Paul a déjà rendu
grâces, même si ces raisons ne s’appliquaient pas qu’aux destinataires concrets
d’une communauté, mais à l’ensemble des croyants. Ces versets visent donc
d’abord à particulariser les raisons de rendre grâces. Mais ils n’ont pas que cette
fonction. En disant qu’il demande pour ses lecteurs un esprit qui leur révèle
pleinement qui est Dieu, en insistant sur la connaissance que les lecteurs
doivent avoir de l’espérance qui leur est réservée, Paul prépare de manière plus
immédiate les thèmes qui vont être développés en Ep 2-3, car c’est bien la
situation nouvelle des chrétiens qui va constituer l’objet de l’enseignement de
ces chapitres. Il s’agit donc d’une introduction, semblable en cela à celles des
homologoumena, où les mentions de prière ont aussi pour fonction de prévenir
les lecteurs13.

11
Voir Ep 5,4.19-20. Également Col 2,7 ; 3,15.17.
12
La tendance est déjà manifeste en Ph 4,6, où il est dit que nos demandes à Dieu doivent
être imprégnées d’AdG.
13
Si le v.23 trouve un écho en 2,16, le thème de l’Église comme corps prend toute sa
force dans la deuxième partie de la lettre (4,4.12.16 ; 5,23.28.30). Bien qu’étant plus orienté
92 ÉPHÉSIENS

Ep n’est pas la seule lettre attribuée à Paul contenant une notification de


prières d’AdG et d’intercession14. Comme pour les autres lettres, on ne peut
justifier la présence de ces deux notifications seulement en recourant au modèle
des lettres hellénistiques15 ou à la liturgie de l’Église primitive, car le NT
contient d’autres lettres apostoliques, et aucune d’elles ne commence par une
notification d’AdG. Il semble bien qu’on ait là une des originalités de l’apôtre
Paul. Cela dit, si quelques expressions d’Ep 1,15-23 ne sont pas sans rappeler
Phm 4-616, l’expansion christologique finale (les v.20-23) la fait plutôt res-
sembler à Col 1,3-2017.

Exégèse

v.15 - « voilà pourquoi »


Pour ce syntagme, aller voir la présentation ci-dessus.
- « ayant appris »
C’est la seule fois chez Paul où le participe annonçant les raisons de l’AdG
précède le verbe principal euvcariste,w. La seule explication susceptible de
rendre compte de cette place inhabituelle serait la présence d’une reversio,
signalée plus haut dans l’analyse de la composition du passage, laquelle justifie
également la disproportion évidente entre la notification d’AdG avec ses raisons
(ab), les deux étant brèves, et celle d’intercession, dont les motivations sont
beaucoup plus longues, et pour cela placées seulement après (b’a’) – la
progression est évidemment climactique.
- « votre foi dans le Seigneur Jésus et votre amour18 pour tous les saints »
Telles sont les deux raisons pour rendre grâces. Elles ne sont pas propres à
19
Ep , et l’on ne saurait trouver là aucun indice permettant d’individualiser la

vers la révélation et la connaissance du mystère, le passage d’Ep 1,15-23 introduit donc bien
à un des thèmes principaux de toute la lettre.
14
Si le genre littéraire du passage n’est pas celui d’une prière, mais d’un prayer report,
néanmoins l’AdG et l’intercession dont parle l’apôtre doivent certainement beaucoup au
modèle biblique et juif (sur ce point, et sur ce point seulement, Schubert et O’Brien ont
raison). Comme déjà signalé, on trouvera en 1M 12,11, une notification de prière, en début
de lettre, ayant plusieurs mots en commun avec Ep 1,16 (mimnh|sko,meqa u`mw/n evfV w-n
prosfe,romen qusiw/n kai. evn tai/j proseucai/j).
15
Quoi qu’en pensent Schubert, Form and Function, 184, et Barth, Ephesians, 161.
16
Les éléments communs sont les suivants : (a) l’expression participiale mnei,an
poiou,menoj, suivie ou précédée d’un autre participe, avkou,saj (Ep 1,15) ou avkou,wn (Phm 5),
(b) l’absence de signalement de prière de demande et (3) et une conjonction apparemment
inadéquate, o[pwj en Phm 6, et i[na en Ep 1,17.
17
Col 1,15-20 est ainsi l’équivalent d’Ep 1,20-23 (même développement christologique, et
même mention de l’Église comme étant son corps).
18
Eu égard à l’absence du mot amour en certains témoins, voir plus haut, p.88 la note
relative à la traduction du v.15.
EP 1,15-23 93

communauté à laquelle la lettre pourrait être adressée. Le v.18 mentionnera le


dernier élément de la triade, l’espérance. Si les commentaires notent que l’ordre
d’apparition et la formulation sont pratiquement les mêmes en Col 1,4-5, pour
déclarer que ces versets ont été influencés pour la forme et le fond par Col, il
faut cependant ajouter que l’espérance n’a pas ici et là la même fonction,
comme le montrera l’exégèse du v.18. Sans doute est-il bon de noter la tournure
quelque peu stéréotypée des expressions : les rôles sont spécialisés (foi – Christ,
charité – frères) et peuvent ainsi exprimer comment Paul voit les dimensions de
toute vie chrétienne, la double relation au Christ et aux frères20.

v.16 - « je ne cesse de rendre grâce à votre sujet (u`pe.r u`mw/n) »


La formulation est semblable à celle de Col 1,9 (« nous ne cessons de prier
pour vous [u`pe.r u`mw/n]21»).
Cette notification d’AdG au début d’une lettre paulinienne est la seule à ne pas
mentionner Dieu comme complément du verbe euvcariste,w22.
- « en faisant mémoire de vous dans mes prières »
On trouve un précédent juif à ce motif épistolaire en 1M 12,11.
Si le motif peut être juif, la tournure est sans aucun doute paulinienne,
puisque le syntagme mnei,an poiou/mai (au présent) est employé en 1Th 1,2 ; Rm
1,9b-10a, Phlm 4 - le verbe est au participe en ces deux derniers versets et est
suivi, comme en Ep 1,6, de cet autre syntagme evpi. tw/n proseucw/n mou. Mais
on n’en peut rien conclure, eu égard à l’authenticité du passage.
Sur la possible fonction de ce verset comme notification de prière
d’intercession, se reporter ci-dessus, à la présentation d’ensemble des v.15-23 et
à l’exégèse du v.15.

v.1723 - « afin que le Dieu de notre Seigneur Jésus Christ »


Ici commence la notification de prière d’intercession, qui a pour compo-
santes (1) l’agent que Paul veut voir intervenir, (v.17a), (2) la faveur requise
(v.17b), (3) la motivation pour laquelle la demande est faite (v.18-19).
L’instance à laquelle Paul s’adresse (à savoir Dieu) n’est pas mentionnée, mais

19
Voir 1Th 1,3 ; 2Th 1,3 ; Col 1,4.
20
Cela ne signifie pas que les Éphésiens (ou les chrétiens en général) n’aiment pas le
Christ. Il ne faut pas davantage tirer de la simple juxtaposition des relations des consé-
quences allant au-delà de la visée du texte ; ainsi, à la différence de Ga 5,6, Ep 1,16 n’affirme
pas que la foi s’exprime par ou dans la charité.
21
Le ouv pau,omai/ ouv pauo,meqa est, en l’un et l’autre passage, suivi du participe présent
(euvcaristw/n/proseuco,menoi), et le vocable qeo,j manque.
22
Comparer avec Rm 1,8 ; 1Co 1,4 ; Ph 1,3 ; 1Th 1,2 ; 2Th 1,3 ; 2,13 ; Phm 4; également
Col 1,2.
23
Sur la portée des notifications de prière d’intercession chez Paul, consulter G.P. Wiles,
Paul’s Intercessory Prayers.
94 ÉPHÉSIENS

elle manque déjà pour la notification d’AdG au v.16, et comme le verbe


signifiant la demande est lui aussi omis, il est exclu que l’instance à laquelle on
s’adresse puisse plus être mentionnée.
L’emploi de la conjonction afin que (i[na) après euvcariste,w est unique dans
le NT et la LXX. Le simple fait qu’hors de la Bible on rencontre une telle
construction, à vrai dire rare24, montre qu’elle n’est pas fautive, et confirmerait
indirectement que le Paul d’Ep voit toute espèce de prière subsumée dans
l’AdG. Ailleurs chez Paul, la conjonction la plus utilisée pour exprimer les
raisons de rendre grâces est le o[ti25.
Quant à l’expression « le Dieu de N.S.J.C. », unique en son genre dans les
lettres pauliniennes, elle n’est pas sans rappeler les formulations vétéro-
testamentaires du genre « le Dieu de X et de Y», comme cela a déjà été signalé
à propos du v.3. Utilisée ici, elle reprend, avec une variante, le premier énoncé
de l’eulogie (« Béni soit le Dieu et Père de N.S.J.C »). Que le Dieu invoqué soit
celui de Jésus Christ, ne signifie pas seulement ou d’abord une distinction entre
Dieu et Jésus, voire une subordination du second au premier, bien plutôt, si l’on
veut prendre au sérieux le sens de la formule dans l’AT, (1) que le Dieu de Jésus
est le vrai Dieu, (2) qu’ils sont l’un et l’autre dans une relation spéciale et
spécifique, (3) que Dieu a manifesté sa préférence à l’élu dont il est le Dieu – la
résurrection est l’acte éminent par lequel il a manifesté sa faveur et son
attachement au Christ –, (3) qu’on s’adresse à lui à cause de cette relation
unique, dont on veut qu’elle soit bénéfique pour nous aussi.
- « le Père de la gloire » o` path.r th/j do,xhj
La recomposition du syntagme du v.3, et le parallelismus membrorum
(a) le Dieu (b) de N.S.J.C.
(a) le Père (b) de la gloire
manifeste le caractère liturgique de l’ensemble, en même temps que son origine
judéo-chrétienne. Si cette formulation, probablement empruntée à l’AT,
n’apparaît pas ailleurs dans le NT, elle a néanmoins des parallèles26. Rendre le
génitif par un adjectif (« glorieux », par ex.) ne fait sans doute pas justice à ce
que le reste du passage donne à entendre de la tournure, car c’est en glorifiant

24
Elle n’apparaît, semble-t-il, qu’à partir du Ier avant J.C., chez Philon, Heres 199.3-4 (..
dei/n euvcaristei/n tw|/ pepoihko,ti i[na lo,gw| [me.n] h` mureyikh|/ te,cnh| kataskeuasqei/sa
su,nqesij evkqumia/tai) ; au Ier de notre ère, outre Ep 1,17, voir Dion Chrysostome, Orationes
48.2.6-8 (to. de. nu/n euvxaristh,sate kai. deciw,sasqe kai. metV euvfhmi,aj kai. timh/j u`pode,casqe,
i[na mh. w[sper ivatro.j pro.j nosou/ntaj u`po,ptwj kai. avhdw/j qerapei,aj e[neken)))).
25
Voir Rm 1,8 ; 1Co 1,14 ; 1Th 2,13 ; 2Th 1,3 ; 2,13. En d’autres écrits du NT : Lc 18,11
et Jn 11,4.
26
Dans l’AT, « Dieu de gloire » (Ps 28-29,31 et Ba 5,1) ; « roi de gloire » (Ps 23-24,7).
Dans le NT, « Dieu de gloire » (Ac 7,2, qui reprend manifestement la formulation vétéro-
testamentaire). On trouve aussi une application christologique de la formule en 1Co 2,8 et Jc
2,1.
EP 1,15-23 95

Jésus, en lui faisant partager sa propre gloire (v.20), que Dieu a par excellence
manifesté la sienne ; mais l’on ne peut davantage interpréter le syntagme sans
se rappeler l’eulogie, selon laquelle Dieu a fait de nous des enfants d’adoption
« à la louange de sa gloire » : c’est parce nous avons reçu de lui la dignité de
fils et de filles que nous pouvons reconnaître et chanter sa gloire. Dans les deux
cas, la gloire de Dieu est manifestée et reconnue comme telle dans les dons
qu’il fait à ses enfants.
- « vous donne27 un esprit de sagesse et de révélation »
Après avoir nommé celui qu’il veut voir intervenir, Paul expose
maintenant l’objet de sa demande.
L’énoncé présente deux difficultés : (1) le mot pneu/ma désigne-t-il l’Esprit
Saint, dont la présence rend sage et perspicace, ou bien l’esprit humain visité
par la grâce divine et pour cela rendu sage ? Les commentateurs sont divisés, et
il est à vrai dire très difficile voire impossible d’arriver à une décision tranchée,
car les deux interprétations peuvent l’une et l’autre trouver dans le contexte
proche (Ep) et lointain (les lettres pauliniennes) des arguments qui les
appuient28. Que Paul fasse la distinction entre l’un et l’autre pneu/ma, 1Co 2,11 et
Rm 8,16 le montrent bien ; que d’autre part la distinction existe en Ep, on peut
l’affirmer sans risque d’erreur en comparant Ep 1,13-14, qui parle de l’Esprit
Saint, et Ep 4,23, où il s’agit de l’esprit humain. Si la distinction existe bien, Ep
4,23 montre qu’appliqué à l’esprit humain, le terme pneu/ma désigne ce qui, de
l’intelligence humaine, est orienté vers l’Esprit divin et marqué par lui. Loin de
nous pousser à séparer, la distinction entre les deux met en relief leur relation.
Si Ep 1,17 parle de l’esprit humain, il est exclu que ce dernier puisse recevoir
sagesse et intelligence sans les recevoir par ou avec l’Esprit29. (2) La deuxième
difficulté vient de l’écart possible existant entre les v.8 et 17 : ceux pour qui le
v.8 parle déjà de la sagesse et de l’intelligence que Dieu a données aux
chrétiens, interprètent le présent verset comme une demande pour que ce don
accordé soit rendu effectif30. Sur le sujet, le lecteur peut consulter l’exégèse du
v.8.
L’intérêt du verset vient de ce que la demande de Paul concerne tous les
chrétiens – pas seulement les apôtres et les prophètes – et écarte un quelconque
élitisme et/ou hermétisme, car tous sans exception doivent pouvoir connaître
Dieu. Non que cette connaissance soit naturelle et vienne des capacités

27
L’aoriste dw,h|, qu’on retrouve en 2Tm 2,25, est interprété par les uns comme un sub-
jonctif postclassique, et par les autres comme un optatif.
28
J. Gnilka, Epheserbrief, 90 et M. Barth, Ephesians, 162, arrivent à cette conclusion.
29
L’observation est faite par Paul lui-même en 1Co 2,11. R. Penna, Efesini, 114, cite deux
textes qumraniens véhiculant la même idée : 1QH 12,11-12 et 1QS 4,4 (texte aussi signalé,
avec 1Enoch 49.3 par A.T. Lincoln, Ephesians, 56).
30
Voir par ex. A.T. Lincoln, Ephesians, 57.
96 ÉPHÉSIENS

intellectuelles : l’emploi du terme avpoka,luyij indique bien qu’il s’agit d’une


révélation faite à l’esprit du chrétien par l’Esprit divin – dans les lettres
pauliniennes, spécialement en Ep (voir 3,3), le terme avpoka,luyij désigne une
connaissance venant de Dieu, et non une qualité (perspicacité, intuition, etc.) ou
le résultat d’un effort humain31. Voilà pourquoi l’emploi avpoka,luyij permet,
semble-t-il, d’affirmer que le pneu/ma dont il est question ici est l’Esprit divin.
Le vocabulaire de la connaissance du v.17 (mais aussi du v.18) est propre à
Col et Ep32, car il concerne la connaissance du mystèrion, connaissance qui a
pour objet la richesse de la grâce et de la puissance divine en faveur des
croyants. À cet égard, le verset prépare sans doute les développements d’Ep 3.

v.18 - « [pour que] étant illuminés les yeux de [votre] coeur »


En grec, cette participiale est à l’accusatif (pefwtisme,nouj tou.j ovfqalmou.j
th/j kardi,aj Îu`mw/nÐ) et non au génitif absolu comme on aurait pu l’attendre.
L’anomalie a été expliquée de diverses manières : (1) en faisant de la
participiale le second complément d’objet du verbe dw,h| (v.17)33, (2) ou en la
reliant au u`mi/n qui précède, l’accusatif s’expliquant alors par attraction avec
l’infinitive qui suit, car les deux propositions – la participiale et l’infinitive –
sont inséparables : « qu’il donne un esprit à vous, dont les yeux ont été illu-
minés pour connaître… »34. Il existe une troisième solution, présentée ici même,
laquelle consiste à voir la participiale rattachée tout simplement à l’infinitive, ce
qui explique l’attraction du cas. Le moins qu’on puisse dire c’est que l’accusatif
et la place du syntagme ne peuvent pas attirer l’attention de quiconque est tant
soit peu familier avec le grec.
Quant à l’expression « yeux du cœur », qu’elle n’apparaît ni dans la LXX
ni chez les auteurs juifs antérieurs ou contemporains, ni dans le grec extra-
biblique, excepté dans le corpus hermeticum35 ; voilà pourquoi les com-

31
Un passage comme 1Co 14,26 ne contredit en rien l’observation.
32
Voir Ep 1,8 ; 1,17 ; 3,10 ; Col 1,9 ; 1,28 ; 2,3 ; 2,23 ; 3,16 ; Col. 4:5. Sur les raisons
pour lesquelles le Paul des homologoumena ne demande jamais la sagesse pour les chrétiens,
voir J.-N. Aletti, « Sagesse et mystère chez Paul ». Que le vocabulaire des v.17-18 soit
propre aux antilegomena n’autorise pas de soi à conclure à une rédaction non paulinienne,
comme cela a été rappelé dans l’introduction.
33
Voir par ex. J. Gnilka, Epheserbrief, 90 ; R. Penna, Efesini, 114-115. Le sens est alors
plus ou moins le suivant: « Que Dieu vous donne un esprit … [et vous donne d’avoir] les
yeux de votre coeur illuminés pour connaître à quelle espérance vous avez été appelés ». S’il
en était ainsi, le style en serait maladroit, à la limite de l’incorrection, et correspondrait mal
avec ce qu’on jusqu’à présent vu d’Ep.
34
C’est la solution que A.T. Lincoln, Ephesians, 47, préfère.
35
Le corpus hermeticum est plus tardif qu’Ep, mais on peut supposer une tradition orale
que les écrits postérieurs auraient simplement fixée. Les deux passages habituellement cités
sont 4.11 et 7.1. On ajoutera le o[ti me,giston kako.n evn avnqrw,poij h` peri. tou/ qeou/ avgnwsi,a
1.3-4. Mais « illuminer les yeux » apparaît cinq fois dans la LXX (en Esd 9,8 ; Ps 12,4 ;
EP 1,15-23 97

mentaires pensent que l’auteur d’Ep aurait pu avoir connaissance par ouï dire de
l’expression, déjà utilisée par la tradition hermétique de son temps, et l’adapter
à ses propres vues. Rien ne permet de le prouver. Clément de Rome l’emploie
aussi, mais il dépend très probablement d’Ep 1,1836.
- « vous sachiez quelle espérance [vous/nous37] donne son appel »
Cette infinitive finale constitue la troisième composante, à savoir la triple
motivation pour laquelle la demande est faite :
- quelle espérance vous/nous donne son appel,
- quelle est la richesse de sa gloire, …
- quelle extraordinaire puissance [il a déployée] pour nous les croyants…
Un examen plus attentif des trois motivations montre qu’elles n’ont pas la
même fonction, car la première présente et qualifie les deux autres en les dé-
clarant objet de l’espérance chrétienne (spes quae creditur38) ; cette première
motivation est en quelque sorte un méta-énoncé, qui doit être rattaché
sémantiquement au v.15, où Paul énumère deux des dimensions de toute vie
chrétienne, la foi et la charité; l’espérance qui nous est promise fait partie
intégrante de notre appel (klh/sij), et constitue la toile de fond sans laquelle la
vie chrétienne n’a pas de sens. Seules les affirmations subséquentes permettent
de dire si l’objet que notre vocation chrétienne nous donne d’espérer est pour
cette vie ou pour après, en particulier pour la fin des temps.
- « quelle est la richesse de son glorieux héritage »
Le deuxième substantif de la double construction génitivale (th/j do,xhj th/j
klhronomi,aj auvtou/39), vraisemblablement empruntée à la syntaxe sémitique,
peut désigner deux réalités : (a) le groupe qui constitue l’héritage de Dieu – et
l’on paraphrasera : « la richesse de gloire, celle de ses élus, qui sont son
héritage » –, ou (b) la gloire promise en héritage aux élus – dans ce cas, le texte
est à entendre ainsi : « la richesse de l’héritage qu’il donne [aux croyants], à
savoir la gloire ». Si l’un et l’autre sens sont de soi possibles, c’est en fonction
du v.14 qu’il faut traduire présentement – en optant pour la seconde
interprétation –, car, concernant le motif en question, le texte ne donne aucun
signe de glissement.

18,9 ; Sir 34,17 et Bar 1,12), et « illuminer le coeur » à Qumran (1QS 2,3 ; expression
proche : « lumière pour le cœur », en 1QS 3,20 ; 11,5).
36
Clément de Rome, I ad Corinthios, 36.2.4 et 59.3.2.
37
Ce pronom manque en grec, et il est difficile de savoir si les bénéficiaires de l’appel
sont tous les chrétiens sans exception (on peut alors supposer le nous inclusif), ou si Paul
pense seulement ici à l’appel de ses correspondants (il s’agit alors d’un vous).
38
J’emprunte l’expression à R. Penna, Efesini, 115. Elle n’est donc pas ici une attitude ou
une disposition, comme la foi ou la charité du v.15.
39
La formulation est assez proche de celle de Col 1,12 (th.n meri,da tou/ klh,rou tw/n
a`gi,wn), mais pour montrer qu’il y a emprunt, il faut prendre l’ensemble du passage et tous
ses parallèles dans la péricope respective de Col.
98 ÉPHÉSIENS

Le verset permet-il de savoir si l’objet de l’espérance est pour maintenant


ou pour la fin des temps ? L’idée de glorieux héritage n’est pas sans rappeler le
v.14, où – voir l’exégèse de ce verset – l’héritage est une réalité future, nimbée
de gloire, le mot do,xa faisant allusion à la glorification ou résurrection finale,
car il s’agit bien de cela.
- « parmi les saints (evn toi/j a`gi,oij) »
Qui le mot oi` a[gioi désigne-t-il : les chrétiens en général40, les membres
des Églises de Judée41, les anges 42? La première désignation va bien avec le
contexte, car ce que les correspondants de Paul ont à comprendre qu’ils sont
appelés avec tous les croyants à hériter de la gloire (en Christ)43. La désignation
judéo-chrétienne est moins probable, car rien dans le passage ne la prépare ; à
supposer que les chrétiens d’Éphèse (ou d’une Église particulière) doivent
comprendre que leur futur est de partager la destinée glorieuse des judéo-
chrétiens, on se demande pourquoi les judéo-chrétiens seraient à cet égard le
point de référence ? On pourrait rétorquer : parce que les judéo-chrétiens sont le
reste saint du peuple de Dieu, et que les ethnico-chrétiens sont admis par pure
grâce à être des leurs. Disons seulement, à cette étape de l’analyse, qu’une telle
réponse est prématurée et non fondée ; l’exégèse d’Ep 2-3 montrera qu’elle est
en plus erronée, car Paul passe totalement sous silence la thématique du peuple
(de Dieu), et ne fait pas des judéo-chrétiens un centre autour duquel
s'assembleraient les croyants venus de la gentilité. Les saints désigneraient-ils
donc les anges ? À vrai dire, les textes qumraniens invoqués n’emportent pas la
conviction, d’autant plus que jusqu’à présent, c’est-à-dire en 1,1 et 1,15, le
terme « saints » a désigné les chrétiens44 : la ressemblance de vocabulaire avec
Col 1,12 n’est pas décisive, et la faiblesse des arguments fournis en faveur

40
Comme en Rm 1,7 ; 8,27 ; 12,13 ; 16,2.15 ; etc., position tenue par beaucoup ; voir A.T.
Lincoln, Ephesians, 60.
41
Ainsi G.B. Caird, Letters from Prison, 45. Voir Rm 15.25.26.31; 1Co 16,1.15; 2Co 8,4;
9,1.12. En ces différents passages, on peut montrer que la désignation « saints » est générique
– elle équivaut à celle utilisée de nos jours, ‘chrétiens’, et ne renvoie aux judéo-chrétiens
qu’en vertu du contexte ; en effet, elle est une fois ou l’autre suivie d’une précision (« les
saints qui sont à Jérusalem » Rm15,26 ; ), signe qu’elle ne suffit pas à elle seule à désigner
des communautés précises. Les chapitres sur la collecte font évidemment allusion aux judéo-
chrétiens, comme le disent certains, mais il vaut mieux dire « chrétiens de Jérusalem ou de
Judée », car c’est l’étiquette « chrétiens » (ou « saints ») qui compte avant tout (la collecte est
pour tous les saints qui sont en Judée, qu’ils soient ou non d’origine juive).
42
Position défendue par plusieurs exégètes du passage, qui s’appuient sur les parallèles
qumraniens – 1QS 11,7-8 (~ymv ynb ~[w ~yvwdq lrwgb) et 1QH 11,11 ($tma ynb hkyvwdq ~[ lrwgbw)
–, et sur le verset supposé parallèle, Col 1,12. Voir par ex., P. Benoit, « ‘Haghioi ‘ en
Colossiens 1,12 » ; R. Penna, Efesini, 115.
43
A.T. Lincoln, Ephesians, 60, renvoie très justement à ces passages comme Sg 5,5 et Ac
20,32 ; 26,18, qui reflètent aussi une formulation reçue et connue.
44
Et qu’il en sera de même en 2,19 et 3,8, sans qu’on puisse noter un quelconque glis-
sement.
EP 1,15-23 99

d’une désignation angélique en ce dernier verset est telle, qu’il semble pour le
moins hasardeux de suivre cette piste.

v.19 - « quelle extraordinaire puissance [il a déployée] pour nous, les


croyants ». Telle est la troisième motivation des intercessions de Paul. Le style
étant à dessein redondant, le lecteur ne peut pas ne pas noter l'accumulation des
substantifs exprimant la plénitude de la force divine45 – extrême grandeur
(u`perba,llon me,geqoj), puissance (du,namij), énergie (evne,rgeia), vigueur (kra,toj),
force (i`scu,j), les deux derniers apparaissant dans les doxologies non
pauliniennes46. Si le précédent verset est tourné vers le futur, celui-ci reste tem-
porellement indéterminé : il peut s’agir de la force que Dieu va exercer en
faveur des croyants à la fin des temps, pour les ressusciter et les glorifier, force
à la fois salvifique et créatrice, ou de celle qu’il déploie déjà en leur faveur par
la résurrection du Christ. La dimension future est la plus obvie, car le v.20
favorise la thèse d’un exercice eschatologique : de même que Dieu a déjà
déployé sa force en faveur du Christ en le ressuscitant des morts, ainsi fera-t-il
pour nous. Les v.22-23 et le reste de la lettre – en particulier 2,6, où il est dit
que nous sommes déjà ressuscités avec Christ – favorisent également
l’hypothèse d’une force déjà pleinement déployée, car Dieu lui-même a donné
le Ressuscité comme tête de l’Église. En d’autres termes, la redondance des
v.18-19 vise à préparer les affirmations des v.20-23 : le lien rhétorique entre ces
versets est tel qu’il fait rejeter les hypothèses d’une rédaction postérieure des
uns par rapport aux autres.

v.20-22
Les v.20-22 rappellent que Dieu a élevé le Christ à sa droite, au dessus de
tout, et qu’il a tout mis à ses pieds, les deux affirmations reprenant deux versets
des psaumes, déjà rapprochés par Paul en 1Co 15,25-26, et sans doute par la
tradition chrétienne pré-paulinienne d’origine juive, car la règle à l’aide de
laquelle les deux psaumes ont été interprétés l’un par l’autre, à savoir la gezerah
shawah47, est aussi utilisée dans le judaïsme rabbinique. L’expression commune
aux Y 109,1 et 8,7 est « sous tes/ses pieds », étant bien entendu que le contexte
est chaque fois le même48 : Dieu a rendu seigneur et maître de tout celui dont

45
Comme le dit A.T. Lincoln, Ephesians, 60, l’auteur épuise les ressources du grec en
accumulant les synonymes pour signifier la puissance divine.
46
Voir 2Th 1,9 ; 1Tm 6,16 ; 1P 4,11 ; 5,11 ; 2P 2,11 ; Jude 25 ; Ap 1,6 ; 5,12-13 ; 7,12.
47
En hébreu, hwv hryzg, qui signifie « principe équivalent », et qui autorise à interpréter de
la même façon, ou selon les mêmes règles, deux textes ayant en commun un ou plusieurs
mots.
48
Contexte d’inimitié (comparer Ps 8,3 et Y 109,1 « tes ennemis », ceux de Dieu et du
messie). C’est d’ailleurs une des conditions d’application de la gezerah shawah, car si deux
100 ÉPHÉSIENS

parlent les deux psaumes ; dans le Ps 109-110,1 Dieu exalte son Messie, lui fait
partager sa royauté, en mettant tous ses ennemis à ses pieds, signe de victoire et
de seigneurie totale ; dans le Ps 8,7, c’est l’homme que Dieu a fait seigneur des
autres créatures vivant sur terre et dans la mer. Si les deux psaumes ont été
réunis par la tradition chrétienne, après la résurrection de Jésus, c’est parce
Jésus, désormais exalté et intronisé roi, est cet homme dont le Ps 8 dit que Dieu
lui a donné d’être souverain du monde ; si le Ps 8 s’applique aux humains en
général à qui le monde a été confié, a fortiori s’applique-t-il au Christ, homme
eschatologique, vainqueur d’une mort symbole des puissances ennemies de
l’homme et de Dieu. Ep 1,20-22 suit l’exégèse de 1Co 15,25-26, sans rien y
changer, se contentant seulement d’ajouter, au v.21, une longue liste de
puissances, désormais inférieures et soumises au Christ. L’arrière-fond
psalmique (car en ces deux psaumes, il est chaque fois question d’opposition à
Dieu ou à son élu) n’implique pas nécessairement que les puissances énumérées
au v.21 aient toutes été ennemies de Dieu, car ce sur quoi insiste le passage,
c’est sur le fait que le Christ est désormais supérieur à toutes les êtres célestes –
angéliques – même les plus élevés. Sur ce point, voir l’exégèse du v.21.

v.20 - « [énergie] qu’il a mise en oeuvre dans le Christ, en le ressuscitant des


morts et en le faisant asseoir à sa droite dans les cieux »
Le relatif h-n peut avoir comme référent les substantifs ivscu,j ou evne,rgeia,
qui sont tous les deux féminins, mais comme le verbe evnh,rghsen est de même
racine qu’evne,rgeia, c’est lui que le relatif doit normalement reprendre. En
certains manuscrits, le verbe est au parfait, pour indiquer une action dont l’effet
se prolonge : la résurrection étant pour toujours, l’effet de l’énergie divine a
donc la même durée et ne saurait fléchir. Voilà pourquoi Paul insiste tant au
v.19 sur la force divine. La résurrection est en effet l’acte par lequel Dieu est
vainqueur de tous ses ennemis, et grâce auquel les chrétiens peuvent
comprendre ce à quoi eux-mêmes sont appelés, en Christ49.
Avec d’autres passages néotestamentaires, celui-ci distingue deux aspects,
plutôt que deux moments : la résurrection et l’intronisation glorieuse50, pour

passages ayant en commun un ou plusieurs mots ont des contextes totalement différents, il
est impossible de les rapprocher.
49
Le lecteur doit noter que l’énoncé ne contient aucune allusion à la mort en croix, non
que l’auteur d’Ep l’a oubliée – il en parlera au ch.2 –, mais il insiste seulement ici sur la
situation glorieuse et seigneuriale du Christ. Le lien entre resurrection et puissance de Dieu
est déjà present dans les homologoumena (1Co 6,14 ; Rm 1,4, et Phil 3:10), et en Col 2:12 ;
manifestement Ep 1,20 se situe dans la même ligne.
50
Voir Rm 8,34 ; Col 3,1 ; 1P 3,21-22 et Ac 2,32-33. Souvent c’est l’un ou l’autre des as-
pects qui est retenu, soit la résurrection (1Th 1,10 ; Ga 1,1 ; 1Co 15,3 ; Rm 1,4), soit
l’exaltation (Ph 2,9 ; Ac 5,31 ; Hb 1,3 ; 8,1 ; 10,12 ; 12,2).
EP 1,15-23 101

mettre en valeur d’une part la victoire sur la mort, et d’autre part indiquer ce
que cette victoire signifie, à savoir l’exercice de la royauté, avec Dieu, sur
toutes choses. En effet, s’il est vrai que la résurrection peut être conçue comme
un prélude ou comme une condition à l’élévation glorieuse et royale, le
passage, redondant comme les précédents, insiste sur tous les aspects mettant en
valeur la force divine, ayant non seulement vaincu la mort, mais ayant donné au
Christ de partager sa propre seigneurie sur tout l’univers. Car tel est le privilège
du Christ, de siéger à la droite de Dieu : lorsque, en Ep 2,6, Paul dit que Dieu
nous a « ressuscités avec lui et fait siéger dans les cieux », il met encore la
puissance divine en relief, et veut indiquer que nous ne sommes pas séparés du
Christ. Mais, bien que siégeant avec lui dans les cieux, nous ne sommes pas à la
droite de Dieu.
Pour l’expression « dans les cieux », voir l’exégèse d’Ep 1,3. Sans doute
ici, le syntagme a-t-il une fonction encore redondante, celle de renforcer ou
souligner l’idée exprimée, à savoir que le Christ, trônant avec Dieu, ne peut être
que là où celui-ci est, dans les cieux.

v.21 - « au-dessus de toute autorité (avrch,), pouvoir (evxousi,a), puissance


(du,namij), seigneurie (kurio,thj) et de tout nom nommé »
C’est parce que Dieu l’a ressuscité et fait trôner à sa droite que le Christ est
désormais supérieur à toute espèce de puissance. On aura noté que la liste met
indirectement en relief l’expression redondante de la force divine, car il s’agit
bien d’un rapport de forces. Mais les puissances énumérées ici sont-elles
angéliques ou simplement humaines ? Plusieurs fois, les autres lettres attribuées
à Paul mentionnent l’un ou l’autre nom de la liste ; en certains passages, il
s’agit d’êtres angéliques ou célestes51, en d’autres ce sont des pouvoirs humains
qui sont ainsi désignés52, en d’autres enfin il est difficile de savoir ce que Paul
désigne exactement, mais le contexte favorise l’interprétation céleste ou
angélique53. Pour Ep 1,21, certains commentateurs invoquent les écrits juifs
paratestamentaires54. Sans nier que l’arrière-fond incite à aller dans cette

51
Comme en Rm 8,38, où le premier terme, anges, invite à considérer les deux autres
(principes, puissances) comme désignant aussi des êtres célestes ; ou encore en Col 1,16, car
la liste, qui recouvre presque celle d’Ep 1,16 (principes, autorités, trônes, seigneuries),
désigne les êtres invisibles – ce dernier adjectif est en effet explicité par la liste ; pour une
preuve, voir J.-N. Aletti, Colossiens, à l’exégèse de ce verset, p.101. Même observation pour
Ep 3,10 et 6,12, où l’ajout « dans les cieux » indique immédiatement qu’il s’agit d’êtres
spirituels supérieurs.
52
Ainsi en est-il de Tt 3,1.
53
Sans que l’autre soit exclue, car il s’agit d’un a fortiori (si Christ est au-dessus des puis-
sances célestes, combien plus le sera des terrestres). Voir 1Co 15,24 ; également Col 2,15 ;
54
Ainsi, A.T. Lincoln, Ephesians, 63, qui cite 2En 20–22 ; 1En 61.10 ; T Levi 3. Il fait en
outre très justement remarquer que dans l’AT, o` qeo.j tw/n duna,mewn rend plusieurs fois Yhwh
102 ÉPHÉSIENS

direction, il faut plutôt suivre le contexte immédiat, qui par sa redondance,


invite à considérer toutes les puissances, des plus élevées, célestes donc, aux
plus basses, humaines, car en ajoutant que Christ est supérieur à tout nom [qui
puisse être] nommé, Paul entend donner à la liste la plus grande extension
possible – il ne procède pas par sélection , mais par accumulation.
Les pouvoirs mentionnés ici sont-ils ou non hostiles à Dieu55 ? Si l’on va
plus avant dans la lecture d’Ep, ces puissances sont évidemment décrites
comme opposées à Dieu et à ses élus (2,2 ; 6,12), mais si l’on considère les
seuls v.20-22, aucune réponse décisive ne peut encore être fournie, et il vaut
mieux interpréter ces versets à partir des tensions qu’ils expriment. Or, le
paradoxe mis en relief par le passage est bien celui d’un homme élevé, par sa
résurrection-exaltation, plus haut que toutes les puissances célestes, preuve
absolue, indépassable, de la puissance divine56.
- « non seulement dans ce monde-ci, mais encore dans le [monde] à venir »
La distinction entre les deux mondes (les deux éons) n’a pas ici la portée
qu’elle a dans la littérature apocalyptique, avec une forte opposition entre ces
mondes, opposition qu’on retrouve en Ep 2,2. Le terme est ici pris dans son
sens courant ou banal.

v.22 - Le verset décrit nerveusement les deux relations du Christ, celle avec tout
le créé, définie comme souveraineté absolue, et celle avec l’Église, qu’il va
maintenant préciser.
- « et il [Dieu] a tout mis sous ses pieds »
Cette proposition est une citation implicite du Ps 8. Pour son exégèse, voir ci-
dessus la présentation globale des v.20-22.
- « et il [Dieu] l'a donné comme chef sur toutes choses à l'Église »
Les propositions des v.22b-23 sont sans doute parmi les plus difficiles de
la lettre, aux plans morphologique, syntaxique et sémantique ; elles ont en outre
fait l’objet de nombreuses études, et sans pouvoir faire état de toutes les
opinions et interprétations, un commentaire se doit de rendre compte des orien-
tations majeures, de leurs apports et de leurs limites.
Puisque la syntaxe du v.22b fait difficulté, qu’il faut donc raisonner sur le
grec, sans doute convient-il d’avoir la proposition sous les yeux: kai. auvto.n
e;dwken kefalh.n u`pe.r pa,nta th/| evkklhsi,a|.

ebaot : à n’en pas douter il s’agit des armées célestes (1R 17,1 ; 2R 19,20 ; Ps 58,6 ;
79,5.8.15.20 ; 83,9 ; 88,9 ; Is 42,13).
55
Parmi ceux qui penchent pour des puissances célestes (et humaines) ennemies, voir M.
Barth, Ephesians, 180; G.B. Caird, Letters from Prison, 46; J. Gnilka, Epheserbrief, 95; W.
Wink, Naming the Powers, 50–55, 60–61; A.T. Lincoln, Ephesians, 64.
56
Le texte joue sur la répétition du mot du,namij, qui s’applique aussi bien à Dieu qu’aux
êtres célestes supérieurs.
EP 1,15-23 103

La principale difficulté concerne le syntagme prépositionnel u`pe.r pa,nta,


qui peut être interprété (a) comme prédicat du pronom auvto,n (« lui [qui est] au
dessus de tout »), (b) comme locution adverbiale (« surtout »), ou encore (c)
comme complément de kefalh, (« chef sur toutes choses »). Chacune des ces
solutions détermine évidemment une traduction :
- (a) et il l’a donné lui [qui est] au dessus de tout comme tête à l’Église57;
- (b) et il l’a donné comme tête surtout à l’Église.
- (c) et il l’a donné comme chef sur toutes choses à l’Église 58;

Selon quels critères opérer un choix ? Comme pour les versets précédents,
l’ordre syntaxique est encore une fois décisif. En effet, si le u`pe.r pa,nta suivait
immédiatement le pronom auvto,n, il devrait lui être rattaché (« il l’a donné, lui
qui est au-dessus de tout ») ; mais il suit le substantif kefalh,. On pourrait certes
avoir affaire à un hyperbate, mais cette figure n’est pas utilisée, si elle doit
provoquer l’amphibologie59. La solution (a) semble donc la moins probable.
L’accusatif kefalh,n est évidemment attribut du pronom auvto,n, mais le sens du
u`pe.r pa,nta reste encore à déterminer. En suivant l’interprétation (b), on peut y
voir une expression adverbiale visant à focaliser sur l’Église ; on pourrait alors
paraphraser ainsi : si le Christ est chef de tous les êtres créés (v.10), il l’est
surtout de l’Église. Sans devoir être a priori exclue, cette interprétation s’appuie
sur une compréhension du v.10 que le présent commentaire n’a pas voulu
suivre, car elle rend identiques les significations de kefa,laion et kefalh,, sans
que le contexte y oblige. Il ne reste ainsi que l’interprétation (c), suggérée par
beaucoup de Bibles et de commentaires60. Il importe de noter que, selon cette
lecture, kefalh, et u`pe.r pa,nta reprennent les citations bibliques (Y 109,1 et
8,7), qui insistent sur la supériorité absolue du Christ. Les deux expressions
forment ainsi une unité sémantique : c’est comme chef-sur-toutes-choses –
telles sont les données psalmiques – que le Christ a été donné à l’Église ;
autrement dit, celui que Dieu a donné à l’Église, c’est le Christ seigneur du ciel
et de la terre. Le verset ne dit donc pas que Dieu a donné le Christ comme
kefalh, à l’Église, mais qu’il a donné à cette dernière le Christ kefalh, sur toutes

57
Sans faire du u`pe.r pa,nta un attribut du pronom, la TOB et la BJ l’y rattachent néan-
moins : « Il l’a donné, au sommet de tout, pour tête à l'Église ».
58
Ou encore : Il l’a constitué chef sur toutes choses pour l’Église.
59
Au demeurant, Ep procède plutôt en faisant usage de participiales explicatives, comme
en Ep 1,1 (les saints qui sont ..) ; 1,3 (le Dieu.. qui nous a bénis) ; 1,12 (afin que nous soyons,
nous, ceux qui ont espéré par avance) ; etc. La phraséologie aurait alors été la suivante : kai.
auvto.n to.n [o;nta] u`pe.r pa,nta e;dwken kefalh.n th/| evkklhsi,a.
60
Parmi les commentaires, voir en particulier ceux de R. Penna, Efesini, 119, A.T.
Lincoln, Ephesians, 67-68, P.T. O’Brien, Ephesians, 124 et 143-144. Voici quelques unes
des Bibles qui optent pour cette lecture : la King James (et la New KJ), la RSV (Revised
Standard Version) et la New RSV, la NAB (New American Bible), la NIV (New
International Version).
104 ÉPHÉSIENS

choses – on aura noté comment le u`pe,r permet d’éviter un génitif (kefalh.


pa,ntwn) qui aurait fait du Christ la tête du cosmos entier, alors qu’il ne l’est que
de l’Église (5,23). Paul laisse néanmoins clairement entendre que si Dieu donne
le Christ à l’Église, c’est parce qu’il est seigneur de tout le créé ; en le recevant,
elle accueille donc un seigneur maître de toutes choses, et qui, comme tel, est
lui une protection inégalable. Le verbe di,dwmi reprend l’idée de don, qui était
un leitmotiv de l’eulogie ; l’Église seule a donc reçu de Dieu le Christ comme
seigneur de l’univers : de cette affirmation quelque peu elliptique, qui prépare
les développement de 2,14-18 et 5,22-33, des Pères à aujourd’hui l’exégèse a
exhumé des trésors.

v.23 - « qui est son corps, la plénitude de celui qui remplit tout totalement »
Un bref relevé de traductions montrera la difficulté du verset:
RSV: [l’Église] qui est son corps, la plénitude de celui qui remplit tout en tout.
Yates: [l’Église] qui est son corps, la plénitude (ce qui complète) de lui (le Christ) qui est
rempli complètement [par l’Église]61.
J. Gnilka : elle [l’Église] est son corps, la plénitude de celui, qui remplit toutes choses en
tout62.
M. Barth: Elle est son corps, pleine de celui qui remplit toutes choses totalement.
BJ: [l'Église], la plénitude de celui (le Christ) qui est rempli, tout en tout.
TOB: [l'Église] qui est son corps, la plénitude de celui qui est rempli totalement en toutes
choses.
CEI: [l’Église], la plénitude de celui qui se réalise entièrement en toutes choses.
Penna: [l’Église] qui est son corps, la plénitude de lui, qui remplit tout en toute partie.
Bouttier: église qui est son corps, la plénitude de celui qui remplit tout en tous
Lincoln: [l’Église] qui est son corps, la plénitude de celui qui remplit toutes choses de
toutes les façons63.
la Potterie: (Dieu) l'a donné pour tête à l'Église, qui est son corps; car le Christ est le
plérôme de ce qui (de ce corps qui) progressivement et toutes manières est rempli en
tous64.

Si l’on reprend les traductions, les choix opposés viennent de ce que les
mots et leurs relations sont conçus de différentes manières :
a – plh,rwma peut avoir un sens actif (ce qui remplit, ce qui complète, d’où complément)
ou passif (ce qui est rempli, comblé, plein, d’où plénitude) ;
b – le participe plhroume,nou est pour certains à la voix moyenne (il a donc un sens actif
avec une nuance réflexive), pour d’autres à la voix passive ;
c – to. plh,rwma est en apposition à sw/ma (et désigne l’Église) ou au pronom auvto,n (et
qualifie alors le Christ) ;
d – ta. pa,nta evn pa/sin est pour les uns une expression adverbiale équivalente à
panta,pasin (absolument, totalement), mais, pour les autres, chaque forme a une valeur
(substantivale) propre.

61
En ExpTimes 83 (1971-72) 146-151 (151).
62
En Epheserbrief (« sie ist sein Leib, die Fülle dessen, der das All in allem erfüllt »).
63
La traduction de P.T. O’Brien, Ephesians, 124 et 147-152, est la même.
64
I. de la Potterie, « Le Christ, Plérôme », 522.
EP 1,15-23 105

Prenant en compte trois premières significations possibles, A. Feuillet avait


depuis longtemps décrit les quatre types d’exégèse du verset65:
- plh,rwma a le sens actif de complément, et plhroume,nou un sens passif (complété) :
l’Église est le complément de celui qui est complété ;
- plh,rwma a le sens passif de plénitude, et plhroume,nou est à la voix moyenne :
l’Église est la plénitude, la totalité des richesses de celui qui remplit ;
- plh,rwma a le sens actif et plhroume,nou est à la voix moyenne :
l’Église est le complément de celui qui remplit ;
- plh,rwma et plhroume,nou ont tous deux un sens passif :
l’Église, plénitude de celui qui est rempli [par Dieu].
Feuillet quant à lui préfère cette dernière solution. La difficulté vient de ce
qu’aucune des solutions proposées ne remplit tous les critères de fiabilité ; cer-
taines, morphologiquement satisfaisantes, ne le sont pas syntaxiquement ou
sémantiquement, et vice versa. Il importe donc de savoir, parmi les critères,
ceux qui régissent ou dominent les autres. De plus, l’ordre dans lequel on pro-
cède modifie la trajectoire de l’interprétation. En effet, si l’on part, comme le
fait la Potterie66, du participe plhroume,nou et non de l’ordre des paroles aux
v.22-23, les conclusions peuvent être tout à fait différentes. Car une fois établi
que le participe est à la voix passive, on en déduit logiquement que Christ,
ressuscité et exalté à la droite de Dieu, ne manque de rien, qu’il ne saurait donc
être progressivement rempli67 par l’Église ou par Dieu ; lui seul peut être le
plh,rwma. Et de proche en proche, la Potterie arrive à établir que plh,rwma est
apposé au pronom auvto,n du verset précédent, comme le montrent les
parallélismes qu’il établit ensuite, à partir de son analyse linguistique68:

Christ Église
a v.22 kai. pa,nta u`pe,taxen u`po. tou.j po,daj auvtou/
b kai. auvto.n e;dwken kefalh.n u`pe.r pa,nta th/| evkklhsi,a|(
c v.23 h[tij evsti.n to. sw/ma auvtou/(
b' to. plh,rwma tou/ ta. pa,nta evn pa/sin plhroume,nou

En revanche, si l’analyse commence avec l’ordre syntaxique, alors il devient


improbable que plh,rwma puisse avoir Christ comme référent – qu’il soit donc
en apposition au pronom auvto,n du v.22b, car la syntaxe du passage est en cas-
cade. De plus, le pronom auvto,n est trop éloigné pour que plh,rwma lui soit ap-

65
A. Feuillet, Le Christ sagesse de Dieu, 278-279 (déjà publié en NRT 1956).
66
I. de la Potterie, « Le Christ, Plérôme », 501.
67
Le participe présent indique en effet une action en train de s’effectuer.
68
Le tableau est de l’auteur, « Le Christ, Plérôme », 517. Les lignes n°2 et 4 (b et b' du
tableau) sont déclarées parallèles : Christ est alors kefalh, et plh,rwma (en sens actif) de
l’Église. Outre les difficultés soulevées par le lien établi entre plh,rwma et auvto,n, signalons-en
une autre, déjà affrontée dans l’exégèse du v.22, à savoir le rattachement de u`pe.r pa,nta à th/|
evkklhsi,a| et non à kefalh,n.
106 ÉPHÉSIENS

posé, car une apposition suit immédiatement le substantif qu’elle détermine (ici
sw/ma), sinon, le lecteur nage dans l’ambiguïté. À ces observations qui infirment
la lecture faite par la Potterie, il faut en ajouter une autre, d’ordre rhétorique : si
le complément indirect th/| evkklhsi,a| a été placé à la fin de la proposition, c’est
parce que la relative qui suit focalise sur l’Église et son statut (de corps et de
plérôme). Certains, il est vrai, pensent que cette relative est une glose ajoutée
après coup, et que le texte primitif passait directement de th/| evkklhsi,a| à to.
plh,rwma, qui était de ce fait en apposition au pronom auvto,n, et désignait donc le
Christ; la version originale aurait ainsi été la suivante: « [Dieu] le donna comme
chef au dessus de toutes choses à l’Église, [lui] le plérôme de ce [le cosmos] qui
est rempli de toutes manières en tous »69. Malheureusement, aucun des témoins
anciens ne porte trace de l’absence du début de la relative (« laquelle est son
corps »), et, on vient de le dire, la construction syntaxique fait attendre des
informations sur l’Église. La traduction qui fait le moins violence au
déroulement du texte est donc celle choisie par la majorité des commentaires.
Admettons que la lecture linéaire interdise de faire du Christ le plérôme ou
la plénitude de l’Église. La difficulté morphologique demeure néanmoins, car,
comme Yates et la Potterie l’ont rappelé, il n’y aurait pas d’autre exemple
d’emploi du verbe plhro,w à la voix moyenne aux différents modes du présent70,
car la voix moyenne est utilisée lorsqu’il n’y a pas d’ambiguïté possible (par ex.
à l’aoriste)71. Ces auteurs semblent avoir d’autant plus raison qu’en 4,10, le
même verbe, cette fois, à l’actif, dit bien que le Christ remplit toutes choses72.
Sinon, on doit opter pour le passif, comme en Ep 5,18, où l’on retrouve un
présent manifestement passif : mh. mequ,skesqe oi;nw|( evn w-| evstin avswti,a( avlla.
plhrou/sqe evn pneu,mati. Si l’on part maintenant de l’usage du substantif
plh,rwma en Col 1,19 ; 2,9 et Ep 4,13, on voit, qu’en vertu de sa résurrection, le
Christ a déjà reçu toute la puissance et la gloire divines73. Il ne peut donc être

69
Voir G.B. Caird, Letters from Prison, 49; C.F.D. Moule, Colossians, 164–69.
70
I. de la Potterie, « Le Christ, Plérôme » 506, cite l’affirmation catégorique de Yates :
« Il n’y a pas, dans le Nouveau Testament, ou dans la littérature contemporaine, d’exemple
de plhrou/sqai utilisé en un sens actif ». Un examen du TLG (dernière version) confirme
entièrement l’observation. Il est d’autre part vrai que la quasi totalité des Pères ont compris le
participe comme un passif. Et si le participe est passif, alors il ne peut s’appliquer au Christ.
71
I. de la Potterie (note 24, p.506 du même article). Cette observation est exacte pour
plhro,w mais ne vaut ni pour tous les verbes ni pour tous les temps, car, aux modes du parfait
et du présent, la voix moyenne est utilisée plus souvent qu’on pourrait le penser. Il suffit de
chercher les présents et parfaits moyens dans BibleWorks ou tout autre programme
informatique suffisamment puissant, pour s’en rendre compte.
72
Dans l’AT, il est aussi affirmé que Dieu ou son Esprit remplissent l’univers, et le verbe
est déjà à l’actif : Jr 23,24 (th.n gh/n evgw. plhrw/ le,gei ku,rioj) et Sg 1,7 (pneu/ma kuri,ou
peplh,rwken th.n oivkoume,nhn).
73
On a invoqué Col 1,19 et 2,9, où le plh,rwma est appliqué au Christ pour dire qu’il en
était de même en Ep 1,23, mais la syntaxe de ce dernier verset invite impérativement à
EP 1,15-23 107

davantage rempli et le passif ne saurait s’appliquer à lui, seulement à l’Église. À


supposer même qu’il s’agisse d’un passif, la lecture de Feuillet semble aller
contre les affirmations des v.21-22 ; car on ne voit pas en quoi le Christ,
désormais ressuscité et seigneur de toutes choses pourrait encore être
progressivement rempli par Dieu : n’a-t-il pas déjà tout reçu en plénitude
(l’Esprit, la vie, la gloire, etc.)74? Au demeurant, à aucun moment, le reste de la
lettre ne dit que le Christ doit être rempli ou comblé par quoi que ce soit. On
revient ainsi à la difficulté signalée plus haut : la lecture continue demande que
plh,rwma soit apposé à sw/ma et désigne l’Église, mais on bute alors sur le
participe, qui devrait en principe être au passif, et ne peut être appliqué au
Christ ; semblablement, en partant du participe, l’exégèse de la Potterie achoppe
sur l’ordre phrastique et ne s’en tire qu’en établissant des parallélismes qui
n’ont jusqu’ici convaincu personne, pour des raisons syntaxiques et
rhétoriques ; outre la règle de la contiguïté (pour l’apposition), il existe aussi un
micro-parallélisme assez obvie, mais que la Potterie n’a pas jugé bon de
considérer, et qui suggère les identifications suivantes :

Église Christ
to. sw/ma auvtou/
to. plh,rwma tou/ ta. pa,nta evn pa/sin plhroume,nou

Cela dit, la question demeure : que faire du participe, dans l’hypothèse où c’est
l’Église qui est décrite par le substantif plh,rwma ? La logique exige évi-
demment que le participe plhroume,nou, qui désigne en conséquence le Christ,
ne soit pas au passif, sinon on aurait le paradoxe d’une Église « plénitude » et
d’un Christ qui serait encore en train d’être rempli75. Le verbe ne peut donc être
qu’à la voix moyenne76. Mais peut-on justifier l’usage de cette voix ? On le
peut. Nous avons déjà signalé, en effet, qu’au début d’Ep les verbes à la voix

rattacher le substantif à l’Église. Il en serait certainement autrement si la première partie du


verset (o[ evstin to. sw/ma auvtou/) était absente. Mais, on vient de le voir, tel n’est pas le cas.
74
Par son indétermination même, la traduction de la TOB ne peut que laisser le lecteur
non familier avec le grec incapable de savoir par quoi ou qui le Christ est (en train d’être)
rempli. L’observation est la même pour la traduction de la BJ, à ceci près que le père Benoit
a par ailleurs clarifié sa pensée et dit que, selon lui, le Christ était rempli par l’Église (voir
« Corps, tête et plérôme »), opinion qui est aussi celle de R. Yates, « A Re-examination of
Eph. 1. 23 ».
75
La remarque est de A.T. O’Brien, Ephesians, 77, qui ajoute que nulle part ailleurs [dans
le NT] le passif du verbe est appliqué au Christ.
76
S’agit-il d’un vrai moyen, soulignant l’intérêt du sujet pour une action opérée à son pro-
fit, ou, au contraire, d’un simple moyen à sens actif ? Plusieurs exégètes en discutent, sans
trop se prononcer, la difficulté venant de ce qu’un vrai moyen mettrait en relief l’agir du
Christ en un passage où l’agent principal est Dieu. Voir A.T. Lincoln, Ephesians, 77, qui
opte lui-même pour le moyen à sens actif.
108 ÉPHÉSIENS

moyenne sont assez nombreux, et que, chaque fois que cela lui est possible,
l’auteur en fait usage77. L’explication est ainsi basée sur ce qu’il est convenu
d’appeler un style d’auteur ; ne pouvant supprimer la difficulté, elle ne saurait
être contraignante et reste de l’ordre du plausible, du probable, mais sans plus.
Comme on peut le voir, c’est le point de départ qui détermine principalement
l’interprétation du v.23, mais ce point de départ ne saurait être le participe
plhroume,nou, car la disposition syntaxique du verset ne peut pas ne pas faire de
plh,rwma une apposition à sw/ma, et les parallélismes guider le lecteur vers la
compréhension qui est celle du plus grand nombre. On sait que le sens du
vocable plh,rwma n’est pas uniformément actif ou passif, et que le contexte
immédiat est décisif pour le sens. Or, en Ep 1,23, comme le vocable désigne
assurément l’Église, le sens ne peut être que passif : l’Église est plénitude, parce
qu’elle est comblée des biens reçus par le Christ et par Dieu le père ; et si le
participe plhroume,nou est à la voix moyenne, c’est eu égard à ce que désignent
et signifient les vocables sw/ma et plh,rwma. Parce que son ordre d’apparition est
postérieur, le participe voit ainsi son interprétation subordonnée aux choix qui
s’imposaient précédemment. Non que le sens d’un terme ne puisse avoir des
effets rétro-actifs, mais pas lorsque l’exégèse des syntagmes antérieurs ne
souffre aucune alternative. Bref, lorsqu’on affronte des difficultés de ce genre, il
importe de suivre les conseils du reader response criticism.
Eu égard au substantif plh,rwma, qui a ici le sens passif de plénitude,
l’exégèse de ces dernières décennies s’est heureusement séparée de celle de ses
prédécesseurs qui lisaient le terme avec les lunettes du gnosticisme78. La
difficulté est précisément de savoir ce que veut dire pour l’Église d’être la plé-
nitude du Christ : pleinement remplie par lui, ne manquant donc de rien ? Si
Paul n’en dit pas plus, c’est sans doute parce que le vocable doit être compris à
partir de ce qui a déjà été affirmé aux v.6-10. Mais, comme ce passage (1,15-23)
a une fonction introductive, ce qu’il entend exactement par plérôme et corps
devrait être explicité dans le reste de la lettre (2,11-22 et 4,7-16).
Quant au syntagme ta. pa,nta evn pa/sin, que l’on retrouve ailleurs dans les
écrits pauliniens79, il peut exprimer une seule idée ou chacune de ses com-
posantes a sa fonction propre. Selon certains, il équivaudrait au panta,pasin du
grec classique et aurait une valeur adverbiale. Mais il ne peut en être ainsi que

77
Ainsi, evkle,gomai en 1,4 ; proti,qemai en 1,9 ; avnakefalaiou/sqai en 1,10 ; pau,omai et
poie,omai en 1,16.
78
On pourra lire en R. Penna, Efesini, 122-123, en A.T. Lincoln, Ephesians, 73-76, et
dans les commentaires allemands, le sens qu’ont les concepts, en particulier celui de
plh,rwma, dans le gnosticisme.
79
En 1Co 12,6 ; 15,28 et Col 3,11. Selon les manuscrits, l’article neutre manque, mais il
s’agit bien de la même expression.
EP 1,15-23 109

si le participe plhroume,nou est un passif80, car si le sens du verbe est actif, il a


besoin d’un complément d’objet : « celui qui remplit toutes choses de toutes
manières » ou encore, si l’on donne à evn pa/sin un sens local : « celui qui
remplit tout en tout ».

Reprise théologique

a – L’insistance sur le connaître


En informant ses destinataires qu’il prie pour que leur connaissance de
Dieu croisse et que l’Esprit leur fasse connaître toutes les dimensions de leur
vocation, Paul touche un point essentiel sur lequel on n’insistera jamais assez.
En effet, beaucoup de croyants se contentent souvent d’une connaissance élé-
mentaire, minimale, sans réaliser que la dynamique de la foi consiste à connaî-
tre, non pas théoriquement, mais par le cœur, les richesses de leur foi. Si la
connaissance à laquelle Paul veut que nous parvenions n’a rien d’élitiste, si elle
est à la portée de tous, car tous, en recevant l’Esprit, sont à même de connaître
celui qui les a bénis, alors il importe de le connaître davantage. Comment
l’Esprit de Dieu pourrait-il ne pas nous faire désirer entrer dans une relation
toujours plus intime et forte avec Dieu ? Ce que laisse entendre Paul, c’est sans
aucun doute que la croissance dans la connaissance de Dieu est essentielle à
l’être chrétien, d’autant plus que Dieu lui-même veut que nous le connaissions
et chantions sa gloire !
L’autre intérêt du passage est de faire dériver la connaissance des réalités
espérées (v.18) de la connaissance même de Dieu (v.17). C’est parce que
l’Esprit nous fait entrer dans le mystère de Dieu, et que nous comprenons
jusqu’où va la bonté de Dieu pour nous, que nous pouvons aussi percevoir ce
qui nous est promis.
En signalant l’enjeu de la connaissance de ce qui constitue notre espé-
rance, Paul dévoile déjà de manière anticipée et inchoative le contenu d’Ep 2-3.
Ce faisant, l’apôtre fait obliquement de sa lettre un sommaire de ce que les
croyants doivent comprendre de leur vocation, pour en vivre. La fonction de
l’écrit trouve sa raison d’être, non dans les circonstances ou difficultés tra-
versées par la communauté, mais dans son articulation et son contenu.

b – Les instances trinitaires

80
On traduit alors, selon qu’il s’agit de l’Église ou du Christ : « ce/celui qui est rempli
totalement » ; noter que, pour la TOB et I. de la Potterie, il y a bien une locution adverbiale,
mais uniquement pour la première partie, c’est-à-dire pour le ta. pa,nta, comme en Ep 4,15,
l’ensemble étant alors ainsi rendu : « de toutes façons (ta. pa,nta) et en tous (evn pa/sin) ». Le
genre du datif pa/sin est masculin ou neutre, selon les exégètes ; la logique phrastique invite à
y voir un neutre ; on traduit alors : « de toutes façons en toutes choses ».
110 ÉPHÉSIENS

Les instances trinitaires présentes dans l’eulogie le sont ici encore.


L’Esprit, dont on a vu qu’il vient de Dieu, est celui qui fait entrer dans la
connaissance de Dieu, des réalités eschatologiques, du Christ et de l’Église. Le
don de l’Esprit est donc la condition sine qua non de la connaissance à laquelle
les croyants ont accès.
Du Christ, le passage ne retient que sa résurrection, son élévation à la
droite de Dieu, passant sous silence la mort en croix. L’insistance est bien sur sa
gloire et sa seigneurie. L’intérêt du passage ne vient pas de ce que l'eschatologie
reste en tension (v.21), mais de ce que le primat du Christ est de toujours à
toujours, sans qu’il ait jamais à s’effacer devant le Père – à la différence de 1Co
15,28 qui, mentionne la soumission finale du Fils à Dieu. L’aspect déjà réalisé
prévaut ici. Mais ce Christ glorieux est donné par Dieu à l’Église, et il est le
seigneur de tout le créé – des êtres terrestres, célestes et spirituels. Cela signifie
(i) qu’il n’y aucune séparation entre le Christ et l’Église (ii) que l’Église ne
pouvait recevoir plus grand chef et seigneur ; (iii) qu’elle n’a donc pas besoin
d’un chef plus puissant pour la gouverner et la protéger ; est implicitement
exclue la multiplicité des médiateurs ; (iv) que le Christ seul a été donné à
l’Église, don inégalable, puisqu’il s’agit du Fils lui-même, en qui et par qui
nous avons obtenu l’adoption filiale, qui nous est donc aussi donné comme
frère.
De Dieu – encore ici ‘christologisé’ puisqu’il est le Dieu de N.S.J.C. –,
c’est encore le don qui est souligné, lui qui en exaltant son Fils ne l’a pas séparé
de son Église, mais le lui a donné. Don qui est complémentaire de celui de
l’Esprit : l’Esprit fait entrer dans la connaissance parfaite, le Fils est seigneur
tout-puissant, présence même du Père à son Église. L’intérêt du passage est ici
de montrer que la connaissance que l’Esprit donne du Père (v.17) n’évince pas
le Fils, puisque ce dernier reste définitivement uni à son Église. C’est le Père
qui veut que le Christ, pourtant exalté au dessus de tout, reste toujours avec
nous. L’agir salvifique de Dieu est donc lui aussi christologisé.

c – L’Église et le Christ
C’est la première fois que le mot Église apparaît dans la lettre, et l’on voit
bien qu’ainsi l’ecclésiologie est amorcée comme un thème dominant des
développements futurs. Si l’appellation corps n’est pas nouvelle, il est difficile
de savoir si elle vient des homologoumena – ou de Col, si l’on admet
l’antériorité de cette lettre. Par rapport à 1Co 12, les changements dans la thé-
matique du corps sont encore à peine perceptibles ; ils n’apparaîtront que plus
avant. L’unique changement substantiel vient, si l’on suit l’interprétation
dominante du v.23, de l’appellation plérôme (ou plénitude) donnée à l’Église.
Une Église perçue comme une plénitude, à cause de la plénitude des dons
qu’elle-même a reçus.
EP 1,15-23 111

Comment comprendre le don que Dieu fait à l’Église? Paul entend-il dire
que désormais le Christ se laisse rencontrer et reconnaître en et par l’Église
seule ? Mais étant chef de tout le créé, le Christ est plus grand que l’Église. Le
texte ne procède pas par exclusion, seulement de manière assertive. Il faudra
attendre les développements d’Ep 3 et 4 pour savoir quelle place reçoit l’Église
dans le dessein de Dieu.
Mais le plus important semble encore être le phénomène de christo-
logisation de l’ecclésiologie : si l’eulogie montre bien comment les chrétiens
ont reçu leur statut d’enfants de Dieu, l’ui`oqesi,a, par le sang du Christ, comme
Église, leur statut est encore christologisé : puisqu’ils sont ici entièrement
définis par rapport au Christ, comme son corps et comme sa plénitude. Il faudra
nous demander pourquoi Ep a poussé aussi loin la christologisation de
l’ecclésiologie.
La situation des chrétiens
Ep 2,1-22

Qu’Ep 2 forme une unité sémantique ne va pas de soi, puisque cela a été
contesté1. Que 1,23 marque néanmoins le terme de la notification de prières
(d’AdG et d’intercession), tous les indices le montrent. Le genre, la thématique,
le style et la syntaxe changent, et si Ep 2 n’est pas sans reprendre certains
motifs des unités précédentes – mais, en termes de rhétorique, cela signifie
seulement que les thèmes étaient annoncés –, cela n’implique pas que le
chapitre doive être rattaché à l’exorde ; en d’autres termes, ce n’est pas parce
qu’un exorde annonce les thèmes qui seront développés qu’il faut en faire une
partie du corps de la lettre2. Car, Ep 2 a une réelle unité d’écriture, au niveau
stylistique et sémantique, une unité qu’il est assez aisé de montrer. En effet, les
deux parties du chapitre présentent l’œuvre de salut effectuée en faveur des
croyants,
- par Dieu: leur glorification avec Christ (v.1-10);
- par le Christ: l'unification de deux groupes antagonistes en un seul corps, l’Église (v.11-
22).
En outre, ces deux parties sont bâties selon le même schéma, sur un
contraste fort, entre le passé (négatif), aux v.1-3 et 11-12, et le présent de la
grâce (positif), aux v.4-10 et 13-22. Le fait même que l’un et l’autre passage

1
Voir l’hypothèse de L. Ramaroson, « Une lecture de Eph 1,5 - 2,10 », selon laquelle une
césure majeure doit être faite en 2,10. Sans discuter longuement une division qui, entre
autres, unifie le discours paulinien de 1,15 (le début de la notification d’AdG) à 2,10, il
importe plutôt de montrer que les parallélismes sont trop nets entre 2,1-10 et 2,11-22 pour
qu’on sépare les deux passages.
2
Lorsque les découpages ne sont fondés que sur les récurrences lexicales, les risques
d’erreur sont énormes ; il importe aussi et surtout de tenir compte de la nature littéraire et
rhétorique des différents passages. Les reprises lexicales sont notables, (a) entre 2,1-10 et
1,15-23 : les verbes evgei,rw et kaqi,zw (1,20 et 2,6) ; les expressions evn toi/j evpourani,oij (1,20
et 2,6), « cet éon » (1,21 et 2,2) ; (b) entre 2,1-10 et 1,3-14 : to. plou/toj th/j ca,ritoj auvtou/
(1,7 et 2,7), la miséricorde, qui rappelle le pardon des fautes (1,7 et 2,4-5), l’agir bon (1,4 et
2,10).
EP 2,1-22 113

commence par un « vous », montre également que l’insistance est avant tout
mise sur la situation des chrétiens, et pas sur l’œuvre divine3:

Ef 2,1-10 Ef 2,11-22
a situation antérieure (pote,) v.1-3 v.11-12 (13)
b situation due à l’agir divin v.4-10 (Dieu) v.(13)14-22 (Christ)

Le fait même que la situation positive soit décrite en second et plus


longuement, indique bien que celle, négative, qui la précède, a pour unique but
de la préparer et de souligner la qualité de l’œuvre effectuée respectivement par
Dieu et par le Christ, oeuvre décrite de deux manières complémentaires ; dans
le premier volet, l’agir divin consiste à mettre les croyants avec Christ, dans les
cieux, agir qu’on pourrait qualifier de vertical, et dans le deuxième volet, l’agir
du Christ consiste à réconcilier, à faire l’unité entre deux groupes séparés, agir
horizontal en quelque sorte. On pourrait encore les distinguer comme suit : dans
le premier volet, c’est la situation personnelle de chacun qui est considérée,
alors que dans le second il s’agit de groupes (la non circoncision et la
circoncision). Cela dit, il ne faut pas se tromper sur le rapport entre les deux
passages, comme si Paul laissait entendre que « l’on ne devient membre de
l’Église qu’en étant d’abord un croyant »4, car manifestement Paul n’insiste pas
sur l’attitude personnelle de foi (2,8), qui mentionnée ici uniquement pour
souligner que tout vient de Dieu et rien de nous5 – les croyants ont un rôle
passif en ce chapitre –, mais sur la gratuité totale qui a présidé au changement
de situation et donc de statut. C’est plutôt comme descriptions complémentaires
de ce qui ne peut être exposé de manière monocolore, que les deux volets
doivent être compris.
On peut aussi voir Ep 2 structuré autour de l’opposition entre l’autrefois et
le maintenant, mais pas au point de conclure que les v.1-10 sont incomplets, que
la tension demeure jusqu’à la conclusion des v.19-22, les v.4-10 et 14-18 n’étant
ainsi que des excursus6. Car la situation négative mentionnée aux v.1-3 ne
trouve pas sa résolution aux v.19-22, qui parlent d’autre chose, mais aux v.4-
10 : les premiers dix versets forment bien une unité tenant par elle-même, et il
importe de le vérifier maintenant dans le détail.

3
M. Bouttier, Éphésiens, 93, dégage une disposition analogue.
4
C.L. Mitton, Ephesians, 79. Lorsque le même auteur ajoute : « On ne devient pas chré-
tien en entrant dans l’Église », la pointe anti-ecclésiale est patente.
5
Le lecteur aura noté en passant que la formulation des v.8-9 est en tout semblable à celle
des lettres majeures.
6
Ainsi, P. Tachau, ‚Einst’ und ‚Jetzt’, 131-143.
114 ÉPHÉSIENS

De la mort du péché à la glorification avec Christ


Ep 2,1-10

Bibliographie
T.G. Allen, «Exaltation and Solidarity with Christ» ; E. Best, «Dead in Trespasses and Sins
(Eph. 2.1)» ; H. Merklein, «Paulinische Theologie in der Rezeption des Kolosser- und
Epheserbriefes» ; L. Ramaroson, « Une lecture de Eph 1,5 - 2,10 » ;

1
Et vous, qui étiez morts à cause de vos fautes et de vos péchés 2 où vous
cheminiez autrefois, quand vous suiviez le dieu de ce monde*, le prince qui est
le maître de l’air* [et] de l'esprit qui agit maintenant parmi les rebelles*** –
3
parmi lesquels nous tous aussi nous vivions alors, dans les [mauvais] désirs
de notre chair, faisant les volontés de la chair et des pensées, et nous étions par
nature, tout comme les autres, voués à la colère*, 4 mais Dieu étant riche en
miséricorde; à cause du grand amour dont il nous a aimés*, 5 alors que nous
étions morts à cause de nos fautes, nous a fait vivre avec* le Christ - c'est par
grâce que vous avez été sauvés - , 6 nous a ressuscités avec [lui] et fait asseoir
avec [lui] dans les cieux, en Christ Jésus, 7 afin de montrer dans les siècles à
venir l'incomparable richesse de sa grâce, par sa bonté pour nous en Christ
Jésus. 8 C'est par la grâce, en effet, que vous avez été sauvés, par le moyen de
la foi; vous n'y êtes pour rien*, c'est le don de Dieu. 9 Cela [ne vient] pas des
œuvres, afin que nul ne se vante. 10 Car c'est lui qui nous a faits; nous avons été
créés en Jésus Christ pour les œuvres bonnes que Dieu a préparées d'avance
afin que nous y cheminions.

v.2 litt. « en accord avec l’éon de ce monde »


v.2 litt. « le prince de l’autorité de l’air »
v.2 litt. « parmi les fils de la désobéissance »
v.3 litt. « fils de la colère »
v.4 le P46, itd,g, l’Ambrosiaster et quelques rares autres témoins lisent : « amour par lequel
il nous a fait miséricorde » ; cette leçon semble moins fondée que celle qui répète la racine
avga,ph – avgapa,w, répétition qui correspond parfaitement au style d’Ep.
v.5 P46 B 33 vgcl Ambrosiaster Ephrem Ambroise Chrysostome, etc., ont « en Christ »
après « nous a fait vivre » ; les autres (a A D Ggr K P Y Hilaire Pélage Jérôme, etc.) ont le
datif sans préposition. La présence du evn peut s’expliquer par dittographie (sunezwpoihsen
en).
v.8 litt. « cela [n’est pas] de vous »
EP 2,1-22 115

Composition et présentation

Il n’est pas facile de déterminer l’articulation du passage. Car, au plan


syntaxique, les v.1-7 ne forment qu’une seule phrase, et la division normale
serait la suivante : v.1-7 et 8-10 ; mais, au plan sémantique, le contraste est très
fort entre la situation négative du passé et celle du présent, et l’on doit couper
autrement, entre les v.1-3 et les v.4-10. Si l’on tient compte aussi des différents
niveaux de discours, une autre division est encore possible, qui recouvre les
deux premières ; les v.1-7 décrivent les situations initiale et finale, et le
processus qui a fait passer de l’une (v.1-3) à l’autre (v.4-7) ; quant aux v.8-10 ils
sortent de ce cadre et constituent un méta-discours sur le premier, car ils
reviennent sur les conditions qui ont permis le passage et reprennent quelques
affirmations fortes de Paul sur la foi et les oeuvres :

v.1-3 : situation passée négative pour tous (Vous + Nous)


v.4-7 : intervention de Dieu et situation positive avec le Christ pour tous
┌ a initiative divine (v.4)
│ b agir divin : Dieu a mis les croyants avec Christ (v.5-6)
└ a' finalité divine : manifestation de la richesse de sa grâce (v.7)
v.8-10 : précisions sur les conditions du passage (par pure grâce) et additions.

Outre ces blocs, par lesquels la logique du passage apparaît assez nettement,
une inclusion formée par le verbe peripatei/n aux v.2a et 10 confirme l’unité
d’ensemble.
Composition et histoire de la rédaction.
Ayant le souci de retracer l’histoire de la rédaction, et après avoir éliminé
les ajouts du dernier rédacteur, à savoir les v.1-2, 5 et 9, le père Boismard pense,
quant à lui, que la composition initiale paulinienne était parfaitement
concentrique :

péchés/bonnes oeuvres v.3a v.10


colère/salut v.3b v.8
miséricorde/bonté v.4 v.7
ressuscités avec Christ v.6

Les motivations de Boismard peuvent être brièvement résumées ainsi : le v.1 est
rejeté, car le pronom « vous » et la formulation des idées viennent très
certainement de Col 2,13a ; il en est de même pour le v.2 dont les expressions
sont inconnues de Paul est semblent empruntées au judaïsme contemporain (en
particulier qumranien) ; le v.5a est une reprise rédactionnelle manifeste et assez
maladroite visant à rattacher les v.4-7 aux v.1-2, et le v.5b reprend textuellement
Col 2,13b ; quant au v.9 son statut d’ajout saute aux yeux. Mais en matière
d’histoire de la rédaction, les choses ne sont jamais simples, et l’on ne sera pas
116 ÉPHÉSIENS

nécessairement d’accord avec les versets ainsi attribués à Paul, car s’il est un
verset qui semble refléter une correction deutéro-paulinienne c’est bien le v.10 ;
en effet, après avoir affirmé que les oeuvres ne comptent pour rien dans le
processus du salut (affirmation paulinienne), l’auteur d’Ep se croit obligé
d’ajouter que les chrétiens ne peuvent se dispenser des bonnes oeuvres7. Si l’on
regarde de plus près les remarques de Boismard, qui rejoignent celles des
exégètes allemands8, on doit admettre que le texte actuel d’Ep semble plus
inspiré par Col que par les homologoumena. Le schéma suivant permettra de
préciser les questions et les réponses :

Rm 6,1-14 Col 2,8.12-13 Ef 2,1-10


v.13a kai. u`ma/j nekrou.j o;ntaj v.1 Kai. u`ma/j o;ntaj
ÎevnÐ toi/j paraptw,masin nekrou.j toi/j
paraptw,masin kai. tai/j
a`marti,aij
kai. th/| avkrobusti,a| th/j v.3 evn tai/j evpiqumi,aij
sarko.j u`mw/n th/j sarko.j h`mw/n
Col 3,7 evn oi-j kai. u`mei/j v.2 evn ai-j pote
periepath,sate, pote periepath,sate
v.8 kata. th.n para,dosin tw/n kata. to.n aivw/na tou/
avnqrw,pwn( kata. ta. stoicei/a ko,smou tou,tou( kata. to.n
tou/ ko,smou a;rconta th/j evxousi,aj
v.4 suneta,fhmen ou=n auvtw/| v.12 suntafe,ntej auvtw/| evn tw/|
dia. tou/ bapti,smatoj eivj to.n baptismw/|(
qa,naton(
i[na w[sper hvge,rqh Cristo.j dia. th/j pi,stewj th/j
evk nekrw/n dia. th/j do,xhj tou/ evnergei,aj tou/ qeou/ tou/
patro,j( evgei,rantoj auvto.n evk nekrw/n\
v.8b pisteu,omen o[ti kai. v.13b sunezwopoi,hsen u`ma/j v.5 sunezwopoi,hsen tw/|
suzh,somen auvtw/| su.n auvtw/|( Cristw/|(
v.11 ou[twj kai. u`mei/j carisa,menoj h`mi/n pa,nta ta. & ca,riti, evste sesw|sme,noi
logi,zesqe e`autou.j Îei=naiÐ paraptw,mata
nekrou.j me.n th/| a`marti,a|
zw/ntaj de. tw/| qew/| evn C) I) v.12 evn w-| kai. sunhge,rqhte v.6 sunh,geiren ))) evn C)

Ces parallèles entre Rm 6,1-14, Col 2,8-13 et Ep 2,1-10 sont signalés par tous
les commentaires, et sont interprétés de la même façon : Rm 6 serait le texte de
base, commenté et modifié par Col 2,8-12, lequel serait à son tour repris,
presque textuellement par Ep 2,1-6. Il n’y aurait ainsi aucun contact direct entre
Rm 6 et Ep 2, le texte intermédiaire étant Col 2. Il est possible que la

7
Opinion de R. Penna, Efesini, 126.
8
On trouvera en H. Merklein, «Paulinische Theologie in der Rezeption des Kolosser- und
Epheserbriefes», un excellent échantillon d’exégèse basée sur l’histoire de la rédaction d’Ep,
eu égard en particulier à Ep 2.
EP 2,1-22 117

généalogie du texte d’Ep 2,1-6 soit celle-là, mais toute affirmation apodictique
doit être évitée. Certes, on ne peut montrer que Col 2 serait une conflation de
Rm 6 et Ep 2, qu’il serait donc postérieur à Ep 2. Mais il importe aussi de se
demander pourquoi l’auteur d’Ep n’a pas cru bon devoir utiliser le thème de
l’être-ensevelis avec Christ pour ressusciter ensuite avec lui, et pourquoi,
d’autre part, à la suite de Rm 6, celui de Col, a insisté sur cela. Ne sont-ce donc
pas d’abord les impératifs de la thématique développée en chaque lettre qui
déterminent la manière d’articuler les différents motifs9? On ne peut en effet
expliquer pourquoi Ep 2 ne parle ni de la mort, de l’ensevelissement du Christ
et des chrétiens avec lui sans élargir l’enquête, puisque, à aucun moment, la
lettre ne mentionne la mort du Christ. Non qu’il l’ait oubliée, puisqu’il parle de
son sang (1,7 ; 2,13), de sa croix (2,16), de sa résurrection d’entre les morts
(1,20), mais il évite le champ sémantique de la mort pour parler de cet
événement et de l’itinéraire du chrétien avec le Christ. Bref, c’est seulement
avec l’exégèse synchronique que l’on peut entrer dans la logique des choix de
l’auteur d’Ep, et donner les vraies raisons pour la sélection du vocabulaire.
Toujours en lien avec l’histoire de la rédaction, signalons l’hypothèse d’un
morceau hymnique préexistant (repris et réélaboré par l’auteur d’Ep) en 2,4-7 et
1010, hypothèse des plus fragiles, car le vocabulaire et le style des versets
retenus comme ceux d’une hymne antérieure sont pour la plupart typiques d’Ep
et leur présence ne s’explique pas sans les autres versets du passage11; de plus,
les v.1 et 5b rappellent Col 2,13, et c’est plutôt sur le possible arrière fond de
ces versets qu’il faut s’interroger12.
Une présentation, même rapide, d’Ep 2,1-10 ne peut pas omettre
l’alternance du « vous » au « nous » : les v.1-2, 5b et 8, à la deuxième personne
du pluriel, et les v.3-5a, 7 et 10 à la première. Ce balancement a été interprété de
différentes manières : les uns y voient exprimée la distinction entre chrétiens
venus de la gentilité (le « vous ») et chrétiens venus du judaïsme (le « nous ») ;

9
Ainsi, par ex., Col 2 et Ep 2 disent l’un et l’autre que les croyants sont ressuscités avec le
Christ, mais Col 2 ne déclare pas qu’ils sont sauvés (sw|,zw et les mots de même racine
n’apparaissent pas en Col), alors que cela est dit explicitement en Ep 2,5.8.
10
Telle est l’hypothèse de G. Schille, Frühchristliche Hymnen, 53–60, plus ou moins
suivie par K.M. Fischer, Tendenz und Absicht, 121-122, et par M. Barth, Ephesians, 217–
218. Le morceau serait composé de quatre strophes de trois stiques chacune (v.4-5a ; v.5b-6 ;
v.7 et 10).
11
Ainsi, le verbe peripatei/n du v.10 fait pendant avec celui du v.2a ; quant au v.10 lui-
même, il n’a de sens que comme explication du v.9.
12
À cet égard, les avis sont partagés, car pour certains, Ep 2 et Col 2 reprendraient de
manière indépendante le morceau hymnique en question. Quelle coïncidence ! Voir la
discussion en A.T. Lincoln, Ephesians, 89-90, qui conclut très justement que l’hypothèse est
indémontrable.
118 ÉPHÉSIENS

les autres y voient au contraire une alternance de type épistolaire, entre le


« vous » des destinataires et le « nous » des autres chrétiens13, pour rendre plus
vif le style du passage. Cette solution semble plus fondée. En effet, si une réelle
distinction entre judéo- et ethnico-chrétiens était suggérée, elle devrait mettre en
valeur des rôles différents ou complémentaires, comme par exemple en 1,11-13,
ce qui n’est justement pas le cas : car, « en ce temps là » (po,te), le « vous » et le
« nous » étaient exactement dans la même situation (v.1-2 et 3)14; et, dans
l’aujourd’hui de l’Église (v.5b-10), aucune distinction d’origine n’est également
repérable, car les effets de l’agir divin sont les mêmes pour tous : le « nous
tous » du v.3a, le « nous » des v.7 et 10 valent pour tous les chrétiens sans
exception ; sinon le passage en entier perd son sens. Le changement de
personne est donc attribuable au style épistolaire : en s’adressant directement à
des lecteurs, Paul les invite à comprendre que leur situation passée fut la même
que celle des autres hommes, une situation de mort, et que leur situation
présente est la même que celle de tous les autres chrétiens, un être-avec le
Christ ressuscité dans les cieux. La vocation et le statut sont bien les mêmes
pour tous.
Si la fin du premier chapitre laissait croire qu’on allait immédiatement
avoir affaire à un développement ecclésiologique, tel n’est pas le cas, car Ep
2,1-10 est avant tout sotériologique, et s’il ne reprend pas la catégorie
d’ui`oqesi,a, il souligne le rapport étroit et fort existant entre le Christ et les
croyants ; or, c’est ce qu’a énoncé 1,20-23. Les catégories ecclésiologiques
seront magistralement développées aux v.11-22, et l’on peut justement voir en
2,1-10 la première étape du discours sur l’être-avec (en su,n), ce premier temps
insistant sur l’être avec le Christ, alors que le second va traiter de l’être avec les
autres ; la particule su,n scelle effectivement l’unité thématique d’Ep 2,1-2215.

Exégèse

v.1-3. Ces trois versets forment une anacoluthe, qui a toutes les apparences de la
technique rhétorique, car elle met bien en relief ce qui suit, à savoir l’agir
miséricordieux et aimant de Dieu à notre égard. Cette période phrastique est
composée de deux parties, une première en « vous » (v.1-2), et une deuxième en
« nous » (v.3), qui décrivent la situation passée identique, négative, des uns et

13
Le « nous » n’est pas celui des rédacteurs, car Paul est le seul rédacteur, et il dit « je »
lorsqu’il se désigne (voir Ep 1,15-16 ; 3,1-4.7.8.13 ; etc.).
14
On peut comparer avec Ep 1,11-12 et 2,11-12, où les rôles et les situations permettent
assez aisément de repérer l’origine des uns et des autres.
15
Le su,n n’apparaît que comme préfixe en Ep 2 (v.5.6 [2x].19.21.22).
EP 2,1-22 119

des autres. Il a été dit dans la présentation que le passage du « vous » au


« nous » ne décrit pas les chrétiens venus de la gentilité et ceux venus du ju-
daïsme, mais plutôt les destinataires et les autres chrétiens. Le texte est assez
clair, sauf le relatif evn oi-j, au v.3a, dont le référent peut être soit les « fautes »
du v.1, soit l’expression qui est placée juste avant, à savoir « les fils de la
désobéissance ». Les exégètes anciens et contemporains sont divisés16. Plusieurs
voient une préparation des thèmes au v.1, le tout se développant selon une belle
reversio17:
- toi/j paraptw,masin annoncerait le v.3 (evn oi-j),
- tai/j a`marti,aij enclencherait le v.2 (evn ai-j).
La disposition est séduisante, mais elle fait fi du style d’Ep, qui depuis le
commencement est en cascade : l’engendrement se fait de proposition à propo-
sition, et les référents précèdent immédiatement les relatifs, sans qu’il faille
aller chercher les antécédents à deux ou trois versets de distance. Le premier
relatif est au féminin (evn ai-j) par attraction, mais il se rapporte bien au deux
substantifs paraptw,mata et a`marti,ai qui sont ici utilisés synonymiquement
(voir l’exégèse du v.1).

v.1 - « Et vous, qui étiez morts à cause de vos fautes et de vos péchés »18
La vie des croyants avant leur rencontre avec le Christ est vue comme
entièrement négative. La métaphore de la mort pour résumer pareille situation
n’est pas propre à ce verset, puisqu’on l’a vu dans la présentation du passage,
l’image est exactement la même en Col 2,13 ; on la retrouve ailleurs dans le
NT19. Elle semble avoir été héritée du judaïsme20. La raison de l’image et de
celles qui suivent, au v.2, en ce verset ne sera identifiable qu’au v.5 ; en effet, si
les chrétiens sont ressuscités avec Christ, s’ils ont donc entrés dans la vie
céleste, qui est celle de l’âge à venir, alors l’état antérieur ne peut être perçu
rétrospectivement que comme mort. Le terme « mort » qui exprime ici la condi-

16
Penchent pour le référent du v.1 : St Jérôme, St Thomas, Robinson, la Potterie ; et pour
celui de la fin du v.2, H. Schlier, P. Benoit, M. Barth, R. Penna, A.T. Lincoln.
17
L. Ramaroson, « Une lecture de Éphésiens 1, 15–2, 10 », 397 ; également I. de la Pot-
terie, qui défend cette composition, parce qu’elle lui semble confirmer sa propre
interprétation des v.22-23 (où les termes ne seraient pas reliés par contiguïté, mais par sauts
phrastiques. Voir la discussion de cette exégèse en 1,23.
18
Eu égard au cas (accusatif) de la participiale, voir ci-dessous l’exégèse du v.5.
19
Mt 8,22 et par. ; Lc 15,24.32 ; Ap 3,1. Les homologoumena évitent d’employer cette
métaphore pour le temps ayant précédé la vie en Christ, sans doute parce que la métaphore de
la mort y est utilisée positivement, pour décrire la séparation d’avec la Loi (mosaïque) et le
péché (voir en particulier Rm 6).
20
Les passages les plus proches sont qumraniens: 1QH 3,19 et 1QH 11.10–14. Voir F.
Mussner, F., «Contributions made by Qumran», 174-176.
120 ÉPHÉSIENS

tion antérieure des croyants, équivaut à celui de « péché » (a`marti,a, au


singulier) dans les homologoumena.
Les fautes (ou les chutes) et les péchés décrivent synonymiquement21 les
actions mauvaises. On aura remarqué que l’auteur n’utilise pas le mot
para,basij qui, chez Paul, renvoie plus spécifiquement aux transgressions de la
loi mosaïque : pour ses lecteurs, majoritairement non juifs, la non connaissance
de la loi mosaïque n’a pas empêché que l’agir ait concrètement sanctionné la
séparation d’avec Dieu22.

v.2 - « où (evn ai-j) vous avez cheminé autrefois »


La formulation est exactement la même qu’en Col 3,7. Pour le genre du
relatif, voir ci-dessus la présentation des v.1-3. Le verbe « cheminer »
(peripatei/n) indique dans les homologoumena, mais aussi déjà dans l’AT, le
comportement éthique d’une personne au cours de son existence23. L’aoriste
n’indique pas un agir ou un comportement ponctuel24, mais un agir ou un com-
portement du passé (qui n’est donc plus en cours), sans rien indiquer de sa
durée25. Pour l’adverbe « autrefois » (po,te), voir supra la présentation
d’ensemble du passage.
- « quand vous suiviez le dieu de ce monde, le prince qui est le maître de l’air et
de l'esprit agissant maintenant parmi les fils de la désobéissance »
La conduite pré-chrétienne consistait à vivre en accord avec les valeurs
mondaines. S’il est difficile d’individuer les trois instances mentionnées (éon,
prince, esprit), le fait même que le verset les présente avec redondance comme
des synonymes ou des expressions décrivant la même force mauvaise, montre

21
Qu’il s’agisse ou non d’un hendiadis (deux mots pour exprimer un seul concept), le
phénomène de redondance, typique du style d’Ep, est ici encore évident.
22
Ceux qui n’ont pas la loi mosaïque ont leur conscience et le code moral qui, à l’époque
était déjà assez élaboré, au moins dans les traités ou dialogues philosophiques. Sur le rapport
établi par Paul entre Loi et transgressions, voir Ga 3,19 ; Ga 4,15. Le terme para,ptwma doit
être pris ici de manière plus générique, comme en Col 2,13 (et dans mon commentaire sur
Colossiens, je l’ai rendu par « transgression », ce qui peut porter à confusion eu égard à la
tradition paulinienne). E. Best, « Dead in Trespasses », n’interprète pas les deux datifs
(paraptw,masin, a`marti,aij) comme causatifs mais comme descriptifs (« en vos fautes et en
vos péchés »), ce qui signifie que les péchés sont moins la cause de la mort spirituelle que le
signe concret, le symptôme de cette mort. Il est difficile de savoir si le datif a cette nuance,
alors que la causalité instrumentale s’impose, du moins à première lecture.
23
Voir Rm 6,4; 8,4; 13,13; 14,15; 1Co 3,3; etc. Pour l’AT, voir par ex. Pr 8,20 (le verbe
traduit $lh ; voir plus tard, dans le judaïsme, la halakah).
24
Contre Penna, Efesini, 127, note 169.
25
Ainsi, « x assiégea la ville » (Jos 10,34) ne dit rien sur la durée du siège (à moins que
celle-ci ne soit signalée ; 2R 17,5), seulement que cela s’est déroulé dans le passé.
EP 2,1-22 121

qu’il s’agit de comprendre l’ensemble comme une expression polymorphe du


pouvoir mauvais auquel les humains sont soumis.
Le syntagme « l’éon de ce monde» n’est pas sans rappeler celui, inverse,
de 2Co 4,4, « le dieu de cet éon », qui est, lui, typique de la manière dont Paul
les homologoumena emploient le terme aivw,n, avec une connotation seulement
temporelle26. C’est le seul passage néotestamentaire où l’éon (aivw,n) est ainsi
personnifié ; voilà pourquoi on a parlé d’influence gnostique27. Mais il vaut sans
doute mieux aller du côté des religions hellénistiques28. En personnifiant les
forces mauvaises, l’auteur d’Ep procède à la manière des apocalypticiens, et
semble, à partir de plusieurs arrière-fonds religieux, désigner la ou les forces
supérieures qui dominent et séduisent les humains. Les images se suivent par
focalisation progressive : on attribue d’abord à la ou aux puissances la maîtrise
du cosmos en son entier, ensuite celle de l’espace qui est juste au-dessus des
humains, on (la ou) les montre enfin à l’œuvre au milieu d’eux. Pour
l’expression « le prince de l’autorité de l’air », un passage du Testament de
Benjamin constitue un parallèle presque parfait (Beliar, qui vit dans l’air29) ;
mais il y en a d’autres, dans les écrits juifs paratestamentaires30, et cet arrière-
fond n’est pas nécessairement le seul, car l’hellénisme a lui aussi connu une
démonisation de l’espace. Quant à la dernière expression, « l’esprit qui agit
parmi les désobéissants », sa forme grammaticale a retenu l’attention des
commentateurs, car on attendrait un accusatif, parallèle aux deux précédents (le
dieu et le prince), alors que le mot pneu/ma est au génitif. Plusieurs solutions ont
été proposées : (a) selon les uns, pneu,matoj serait apposé à a;rconta, et le génitif
s’expliquerait soit comme un génitif d’apposition31, soit par attraction, les deux
mots qui précèdent étant au génitif32; (b) selon d’autres33, pneu,matoj serait

26
Les Bibles traduisent en général par « siècle » : voir Rm 1,25; 11,36; 12,2; 16,27; 1Co
1,20; 2,6.7; 3,18; 8,11; 2Co 9,9.
27
Voir les références fournies par R. Penna, Efesini, 127.
28
L’information est fournie par A.T. Lincoln, Ephesians, 94, qui s’appuie sur M. Zepf,
« Der Gott Aion in der hellenistischen Theologie », ARW 25 (1927) 225–44; H. Sasse, aivw,n,
TWNT 1; et surtout A. D. Nock, « A Vision of Mandulis Aion », HTR 27 (1934) 53–104, en
particulier 78–99.
29
Testamenta xii patriarcharum 12.3.4.2-4 `O ga.r fobou,menoj to.n Qeo,n( kai. avgapw/n to.n
plhsi,on auvtou/, u`po. tou/ averi,ou pneu,matoj tou/ Beli,ar ouv du,natai plhgh/nai.
30
R. Penna, Efesini, 127 ; A.T. Lincoln, Ephesians, 96, qui renvoie à la littérature juive
paratestamentaire : 2Mac 5,2 ; 1En 61,10 ; 90,21.24 ; Philon, de plantatione 14 ; et plus tard,
AscIsaïe ; 7,9 ; 10,29 ; 11,23 ; 2En 29,4.5 ; TestBenj 3,4; TargJob 5,7.
31
Blass-Debrunner § 167.
32
Ainsi J. Gnilka, Epheserbrief, 115, et, semble-t-il R. Penna, Efesini, 125, qui ne justifie
pas sa traduction.
33
H. Schlier, Epheser, 104 ; G.B. Caird, Letters from Prison, 51.
122 ÉPHÉSIENS

apposé à tou/ ave,roj, et devrait être plus ou moins rendu ainsi : « en accord avec
le prince ayant la maîtrise de l’air, de l’esprit qui agit… » ; le rapprochement
entre air et esprit s’expliquerait par une assimilation de l’air au souffle, à
l’esprit (xwr) ; (c) selon Lincoln et d’autres34, pneu,matoj serait complément du
substantif a;rconta, et parallèle à evxousi,aj. L’esprit serait alors une force35 au
pouvoir de l’être mauvais qui a la maîtrise de l’air36. Les exégèses (b) et (c) sont
grammaticalement correctes, et la dernière a en sa faveur des parallèles juifs (en
particulier qumraniens). C’est donc elle qui semble la plus probable et qui est
ici suivie. Rappelons néanmoins, que l’énumération de trois instances est une
manière redondante de signifier une unique inimitié fondamentale. La
redondance a une fonction théologique importante ; elle ne nie pas la liberté
humaine, mais elle laisse clairement entendre que la situation mortelle ainsi
décrite dépend surtout d’êtres supérieurs au pouvoir desquels il est difficile de
résister.
Quant au syntagme « les fils de la désobéissance » (les désobéissants), il
s’agit d’un sémitisme analogue à beaucoup d’autres : les fils d’Israël (les
israélites), les fils d’homme (les humains), etc.

v.3 - « parmi lesquels nous tous aussi nous vivions alors »


Le relatif a pour antécédent les désobéissants (et non les fautes du v.137) ;
et le « nous » désigne tous les autres chrétiens (avant leur rencontre avec
l’Évangile38). Le verbe grec avnastre,fein est synonyme de peripatei/n (v.2a)39 et
signifie « vivre », « se conduire » ; il est de soi neutre, et sa connotation positive
ou négative est fournie par le contexte immédiat. Le Paul des homologoumena
aurait-il déclaré qu’avant de devenir chrétiens, nous étions tous
fondamentalement désobéissants, ennemis de Dieu ? Si l’on considère Ga 1 et
les passages où l’apôtre parle de son passé juif comme celui d’un pharisien à la
conduite exemplaire, impeccable, on répondra par la négative. Mais tel n’est
pas la perspective d’Ep 2,1-3, qui doit être interprété dans la ligne de Rm 5,12-

34
A.T. Lincoln, Ephesians, 96.
35
A.T. Lincoln, Ephesians, 96-97, note qu’Ep 6,12 appelle pneumatika, et non pneu,mata les
êtres spirituels ennemis ; cela pourrait signifier qu’ici le pneu/ma est plus une force qu’un être
personnel; le même auteur signale la ressemblance entre Ep 2,2 et 1QS 3,13 – 4,26, où
l’esprit de mensonge est dirigé et conduit par Bélial, l’ange des ténèbres.
36
1 Cor 2,12 parle aussi de l’esprit du monde (opposé à l’esprit de Dieu), mais rien ne
permet de le caractériser davantage.
37
Pour la démonstration, se reporter ci-dessus à la présentation des v.1-3.
38
Pour la démonstration, voir ci-dessus la présentation des v.1-10.
39
Ep 4,22 emploiera le substantif avnastrofh, (même observation que pour le verbe). Si le
verbe et le substantif ne sont pas fréquents dans les homologoumena, ils n’en sont pas
toutefois absents. Pour le verbe, voir 1Co 1,12, et pour le substantif, Ga 1,13.
EP 2,1-22 123

19 et 7,7-25, où Paul va jusqu’à s’identifier avec l’homme qui fait l’expérience


de son impuissance à opérer le bien, et qui se déclare mort ; en ces passages,
auxquels Ep 2,3 ressemble fort, Adam et son lignage y sont aussi présentés
comme allant vers la destruction. Par rapport à Rm 5,12-19 où la portée
universelle de la faute d’Adam est clairement énoncée, à la suite de l’Écriture et
de nombreux courants juifs, Ep 2,3 ne dit rien d’explicite, car tel n’est pas son
rôle – mais sa formulation est assez ouverte pour permettre une telle
interprétation. En réalité, par rapport au précédent verset, qui insistait sur les
forces supérieures influant sur le comportement éthique humain, celui-ci met en
relief le désordre interne à chacun. Paul ne dit pas que ce désordre est
fondamentalement dû à l’influence des êtres supérieurs et du péché originel, il
signale seulement de manière complémentaire, l’autre raison concrète pour
laquelle l’humanité sans Christ est en situation de mort.
- « dans les [mauvais] désirs de notre chair »
L’autre caractéristique de la situation passée est ainsi son orientation vers
la chair. La formulation rappelle celle des homologoumena40, et suppose même
connues les idées de l’apôtre sur nos penchants charnels. Il ne s’agit donc pas
seulement de notre pesanteur physique ou de notre fragilité naturelle, mais de
tout ce qui en nous est opposé à Dieu, ou, dans le meilleur des cas, de notre
incapacité à lui plaire, comme dit Rm 8,8.
- « faisant les volontés de la chair et des pensées »
La mention des pensées41 est métonymique, car en nommant le résultat de
l’acte de penser, le verset entend bien signifier que si les pensées sont
corrompues, l’intelligence est elle aussi prise dans le même mécanisme mor-
tifère que le corps. On pourrait paraphraser ainsi : « étant menés par nos désirs
charnels et par nos opinions », ce dernier terme indiquant bien l’aspect précaire
et superficiel du travail de l’intelligence. Étant ici au pluriel, le substantif
dia,noia ne serait-il pas plutôt synonyme de sa,rx et ne désignerait-il pas les sens
ou les instincts42? Rien ne permet de l’affirmer. Ce qui est en revanche plus
certain, c’est le changement par rapport aux homologoumena, car en faisant des
opinions ou des pensées une catégorie parallèle à la chair, l’auteur d’Ep semble
fixer cette dernière dans le domaine des sens et l’identifier à la sensualité43,

40
Voir Ga 5,16.24 ; Rm 7,5 ; 13,14 ; 8,8.
41
Le mot dia,noia n’apparaît pas dans les homologoumena. Seulement en Col 1,21, où il
est au singulier, dans un contexte également négatif, comme en Ep 2,3 et 4,13.
42
C’est le sens proposé par certains pour le mot en Nb 15,39, qui est aussi au pluriel, mais
traduit manifestement l’hébreu « cœurs », et ne saurait donc servir de confirmation.
43
Réflexion de A. Lindemann, Aufhebung der Zeit, 113, et reprise par A.T. Lincoln,
Ephesians, 98.
124 ÉPHÉSIENS

alors que, par chair, les protopauliniennes entendent la personne humaine, en sa


faiblesse chronique, et, plusieurs fois, en son hostilité profonde à Dieu.
- « et nous étions par nature, tout comme les autres, enfants de la colère »
L’expression te,kna ovrgh/j est, comme celle du v.2 (« fils de la désobéis-
sance »), un sémitisme44, qui signifie « passibles du jugement et/ou du
châtiment divin ». Son emploi en Ep 2,3 semble traditionnel, au sens où, comme
le Paul de Rm 1-2, qui reprend les idées du judaïsme de son temps sur la
rétribution divine, le verset indique seulement une situation par rapport à
laquelle celle des v.4-10 sera opposée en tout : la fonction du verset est ainsi de
préparer les suivants, pour que soit mise en valeur la bonté et la miséricorde de
Dieu, qui au lieu de nous punir, nous a généreusement pardonné. Par « les
autres », il faut entendre le reste de l’humanité, c’est-à-dire tous ceux qui ne
connaissent pas l’Évangile ou refusent d’y croire.
Beaucoup d’études ont été écrites sur le fu,sei (« par nature »)45. Le
vocable apparaît trois fois au datif dans les homologoumena46, et il a ici le
même sens, ce qui veut dire que depuis leur naissance tous les humains sont non
seulement faillibles, mais passibles du jugement divin. On peut se demander si
le verset ne fait pas ainsi allusion à ce qu’il est convenu d’appeler l’état de
« péché originel », celui d’une humanité incapable d’obéir à Dieu ; certains le
pensent47, d’autres sont d’un avis contraire48. Quelle que soit la façon dont on
désigne pareille situation, il s’agit bien d’une humanité moribonde, embourbée
dans ses contradictions. Mais si cette situation radicalement négative est men-
tionnée ici, c’est sans aucun doute pour être mise en contraste avec la grâce
divine, en une opposition fu,sei / ca,riti où beaucoup voient la première expres-
sion nette du rapport nature – grâce.

44
La formulation n’est pas uniforme, et l’on peut avoir « fils » (d’Israël, de la destruction,
de la paix, de l’injustice, de la lumière, des ténèbres, etc.) ou « enfants », comme en 1Pe 1,14
(te,kna u`pakoh/j).
45
On trouvera l’histoire de l’interprétation en J. Mehlmann, Natura filii Irae: Historia
interpretationis Eph 2, 3 ejusque cum doctrina de Peccato Originali nexus, Pontifical
Biblical Institute : Rome, 1957. Depuis lors, aucune monographie n’est à ma connaissance
parue, mais plusieurs articles, et tous les commentaires s’attardent plus ou moins longuement
sur la question d’une allusion au péché originel en ce verset.
46
En Rm 2,14 (ceux qui par nature font ce que dit la Loi – par nature, c’est-à-dire sans
connaître la Loi, sans être juifs, par les ressources de leur conscience désireuse de faire ce
qu’elle juge être le bien) ; Ga 2,15 (juifs par nature, c’est-à-dire de naissance, parce que nés
de parents eux-mêmes juifs) et 4,8 (allusion aux idoles qui ne sont pas dieux par nature, car
ils ne sont que des choses façonnées par l’homme, qui leur donne un nom divin).
47
Voir par ex. A.T. Lincoln, Ephesians, 99.
48
J. Gnilka, Epheserbrief, 117 ; M. Barth, Ephesians, 231.
EP 2,1-22 125

v.4-7. Ces versets décrivent l’œuvre salvifique de Dieu en faveur des croyants,
avec une insistance nette (1) sur l’être avec le Christ, (2) qui manifeste la totale
libéralité de l’agir divin.
Eu égard au (1) : comme cela a déjà été signalé dans la présentation des
v.1-10, l’être sauvé n’est pas ici décrit comme lié au baptême, ni comme mort et
ensevelissement avec le Christ, mais uniquement comme résurrection avec lui.
Il n’est pas davantage exprimé en termes d’adoption filiale (1,5), de don de
l’Esprit Saint (1,13-14), ou encore de justification, mais de co-glorification et
de co-intronisation céleste. Ces choix s’expliquent évidemment par la logique
du passage, c’est-à-dire par la christologisation de la sotériologie. En effet, que
le motif de la justification ne soit pas mentionné vient de ce qu’il n’est pas
applicable au Christ (on ne peut dire des chrétiens qu’ils ont été « co-justifiés »
avec lui), et pas davantage celui de l’ui`oqesi,a (car le Christ n’a pas été adopté) ;
quant au champ sémantique de la mort, sa connotation entièrement négative aux
v.1-3 interdisait une reprise de la thématique de Rm 6 (la mort au péché). (2) Le
motif de la grâce ou de la prodigalité divine n’est pas nouveau, puisqu’il a déjà
irrigué l’eulogie, et de manière redondante, par répétitions synonymiques49. Le
substantif jusque là non utilisé est e;leoj (miséricorde), lequel est manifestement
occasionné par la situation négative exposée en Ep 2,1-2.

v.4 - « mais (de,) Dieu étant (w;n) riche en miséricorde – à cause du grand amour
dont il nous a aimés »
Même si elle ne soulève pas de difficulté particulière, la phraséologie
demande quelques brèves explications : (1) le de, signifie une opposition forte
entre la situation décrite aux v.1-3 et celle qui va suivre ; (2) le participe w;n
n’étant pas précédé d’un article est donc circonstanciel et la nuance est ici
causale – la participiale peut être ainsi rendue : « mais Dieu, parce qu’il est très
miséricordieux, etc. » ; (3) le syntagme prépositionnel dia. th.n pollh.n avga,phn
auvtou/ se présente comme une spécification du vocable e;leoj, et confirme la
nuance causale de la participiale. La miséricorde est l’expression ou la forme
qu’a pris le grand amour de Dieu pour nous qui étions dans une situation
désespérée, et elle est ici éminemment active, transformatrice50.
Telle est l’idée paradoxale que ce verset souligne, grâce aux répétitions :
en un sens, c’est la situation misérable de l’humanité qui a occasionné l’agir
salvifique de Dieu, mais cet agir ne s’est exprimé que parce qu’il vient de l’être

49
Voir Ep 1,4.5.6.7, et l’exégèse qui en est faite.
50
R. Penna, Efesini, 130, signale justement une méprise possible, car, en nos langues, le
terme miséricorde est synonyme de la compassion, du souffrir avec, alors qu’en Ep 2,4 cet
aspect est exclu, la Passion et la mort en croix du Christ ne pouvant être mentionnées pour les
raisons susdites.
126 ÉPHÉSIENS

même de Dieu ; en dernière analyse, les raisons du salut sont en Dieu même,
qui a de plus agi pour manifester sa bonté (v.7). Cette théologisation de la
miséricorde est déjà à l’œuvre dans les homologoumena51 où elle n’est d’ailleurs
qu’une reprise originale des oracles et des psaumes bibliques52. Originale, parce
que les lettres pauliniennes sont les premiers documents du NT à caractériser
l’événement Christ comme manifestation de la miséricorde et/ou de l’amour de
Dieu53 – non que Dieu n’ait pas aimé l’humanité avant d’envoyer son Fils, mais,
pour l’apôtre, cette venue est perçue par Paul comme le signe par excellence de
son amour et de sa miséricorde. L’insistance du verset est donc typiquement
paulinienne.

v.5 - « alors que (kai,) nous étions morts à cause de nos fautes, [Dieu] nous a fait
vivre avec le Christ »
Observations grammaticales. La construction à l’accusatif reprend celle du
v.1, et elle confirme l’interprétation de 1,18, où l’accusatif a déjà été rattaché au
verbe suivant ; on a vu qu’il s’agit d’une technique stylistique et rhétorique. Le
kai, initial peut être interprété diversement ; comme une conjonction de
coordination, qui ne fait que répéter celle du v.1, pour faire rebondir le discours,
cette fois à la première personne du pluriel, ce « nous » étant inclusif (tous les
chrétiens), ou comme un adverbe (« nous, qui étions également morts », ou
« nous aussi »54), mais, le contexte interdit cette solution, car le « nous » est
inclusif, et il n’introduit ni un troisième groupe ni une troisième situation, mais
reprend les deux précédent(e)s, ou enfin comme une conjonction à valeur
concessive, équivalant à kai,per (« bien que [étant morts] »), et c’est ce sens qui
a été ici préféré, car il souligne mieux le contraste (mort / vie) entre les deux
parties du verset55. Pour le datif Cristw|/, voir ci-dessus la note au v.5, qui
accompagne la traduction du passage, car le datif seul dépend du préfixe sun&
accolé au verbe ; il faut traduire : « Dieu nous a fait vivre avec le Christ », et
non « il nous a fait revivre ensemble en Christ »56.

51
Voir par ex. Rm 9 et 11 ; également Rm 15,9.
52
Outre Rm 9, où l’on trouvera cité abondamment l’AT, se reporter aux psaumes dits de
pénitence qui en appellent principalement voire exclusivement à ce que Dieu lui-même a dit
être (en Ex 34), riche en miséricorde (voir les Ps 50-51 et 129-130, où le motif est
emblématiquement développé ; également le Ps 102-103 qui est, lui, une eulogie, mais où le
motif est dominant).
53
Voir Rm 9,23 ; 15,9.
54
Sic, in R. Penna, Efesini, 125; traduction qui ne respecte pas l’ordre des mots grecs, le
kai, précédant le participe, devant donc lui être rattaché (et non au pronom).
55
A.T. Lincoln, Ephesians, 100, et P.T. O’Brien, Ephesians, 153 interprètent de même.
56
Cf. P.T. O’Brien, Ephesians, 153 et 167, contre A. Lindemann, Die Aufhebung der Zeit,
119, qui voit ici soulignée l’union entre chrétiens.
EP 2,1-22 127

Théologiquement. Le salut est ici défini (1) comme vie (2) avec le Christ.
Le (1) est traditionnel, au sens où l’idée et la formulation se trouvent déjà dans
les écrits bibliques et dans les homologoumena57. Mais en ces lettres, salut et vie
éternelle sont pour la fin des temps, alors qu’ici ils sont déjà obtenus.
L’eschatologie semble entièrement réalisée. Si le (2), comme être avec le Christ,
trouve dans les homologoumena des antécédents (en Rm 6 par ex.), la
formulation du verset ne se trouve telle quelle ailleurs qu’en Col 2,1358: nous
sommes déjà ressuscités et assis dans les cieux avec le Christ. La vie donnée est
en rapport au Christ, et s’il n’est pas explicitement dit que cette vie est la même
que la sienne, on peut l’inférer à cause du sun. Comment expliquer l’application
du verbe suzwopoiei/n à un agir divin qui n’est plus celui d’une résurrection
corporelle 59? Le verset suivant permettra d’affronter directement la question.
- « c'est par grâce que vous avez été sauvés »
Ce verset est le seul des lettres pauliniennes où il est dit que nous avons
déjà été sauvés60, celui où l’eschatologie est à ce point réalisée. On y reviendra
au cours de l’exégèse du v.6, pour retenir seulement ici l’insistance sur la grâce,
typique des homologoumena, où Paul répète d’ailleurs plusieurs fois que nous
avons été justifiés ca,riti61. Pas plus que la justification, le salut ne vient de
nous, il est un don fait à quiconque croit, et c’est cette commune insistance qu’il
faut pour le moment retenir du passage.

v.6 - « [Dieu] nous a ressuscités avec [le Christ] et fait asseoir avec [lui, le
Christ] dans les cieux, en Christ Jésus »
Observations linguistiques. Le préfixe su,n indique une relation au Christ,
comme au v.5, et le syntagme final evn Cristw/|, fait que la relation se redouble :
avec et en lui, manière redondante d’exprimer que les croyants sont

57
Salut appelé chez Paul vie éternelle (Rm 2,7 ; 5,21 ; 6,22.23 ; Ga 6,8), ou seulement vie
(par ex. Rm 5,17 ; 11,15).
58
En Rm 4,17 et 8,11, le verbe zwopoiei/n, à l’actif et avec Dieu comme sujet, désigne la
résurrection des corps (celle de Jésus, déjà advenue, et la nôtre à la fin des temps).
59
Sur ce thème, on consultera une monographie exhaustive, même si la méthode et les
résultats laissent à désirer, celle de P. Siber, Mit Christus leben, Theologischer Verlag :
München, 1971.
60
Le verbe est au futur (Rm 5,9.10 ; 10,9.13 ; etc.) ou le salut est déclaré être au futur,
comme en Rm 13,11 ; noter le seul emploi à l’aoriste passif de Rm 8,24 (th/| evlpi,di
evsw,qhmen) ! Pour dire la situation actuelle des croyants, Paul a quantité de vocables : création
nouvelle, justification, rédemption, rachat, libération du péché, réconciliation. Pour certains
auteurs, que l’eschatologie soit entièrement réalisée en Ep 2 est un signe évident de
l’inauthenticité de la lettre (ainsi, A. Lindemann, Aufhebung der Zeit, 137).
61
Voir Rm 3,27 et les expressions semblables en Rm 5,17.21 ; Ga 2,21 ; 5,4. Pour la
différence et néanmoins la proximité entre les concepts de grâce et de miséricorde dans la
Bible hébraïque (!x et dsx), voir A.T. Lincoln, Ephesians, 103.
128 ÉPHÉSIENS

inséparables du Christ. À l’idée que nous obtenons résurrection et gloire avec le


Christ62, le evn Cristw/| ajoute que, ressuscités et glorieux, nous ne lui sommes
pas extérieurs, comme si la vie que nous avions était autre que la sienne.
Avec le v.6, l’aspect réalisé de la sotériologie du passage est renforcé.
Mais il ne suffit pas de constater le phénomène, il faut essayer d’en déterminer
les raisons et la fonction63. La raison vient, semble-t-il, des qualificatifs donnés
à l’Église en Ep 1,23. En effet, si elle est le corps du Ressuscité, alors les
membres de ce corps doivent aussi être ressuscités et glorieux. La métaphore de
l’Église-corps est vive, au sens où elle implique l’expérience d’un lien unique et
fort entre le Christ et son Église, entre le Christ et les membres de son corps64.
Quant à ce que vise l’eschatologie réalisée du passage, on peut le discerner
grâce au contexte d’inimitié des v.1-3, où sont mentionnées les puissances
hostiles qui réduisent l’humanité à quia. En déclarant que les chrétiens sont aux
cieux avec le Christ, Paul signifie qu’ils sont hors de portée de ces puissances ;
ils n’ont plus rien à craindre, car Dieu les a mis avec le Christ, et ils sont
vainqueurs avec lui. Mais la session glorieuse des chrétiens avec leur Seigneur
n’est-elle pas une fuite hors du monde, ne les éloigne-t-elle pas des réalités
quotidiennes où se décide précisément la victoire sur le mal ? La partie
exhortative de la lettre (Ep 4-6) montrera que loin de les faire rêver ou de les
faire craindre le monde, l’eschatologie réalisée de la première partie, leur
permet au contraire d’affronter sans peur tous les problèmes nouveaux qui se
posent à eux et aux communautés. L’eschatologie réalisée d’Ep est une manière
d’exprimer la foi de l’Église en la victoire totale et définitive du Christ, sa tête,
victoire qui est celle de tous les croyants.
Pour le syntagme « dans les cieux », voir ci-dessus l’exégèse d’Ep 1,3.

v.7 - « afin de montrer dans les siècles à venir l'incomparable richesse (plou/toj)
de sa grâce (ca,rij), par sa bonté (crhsto,thj) pour nous en Christ Jésus »

62
Les protopauliniennes énoncent aussi, mais pour la fin des temps, le règne des croyants
(Rm 5,17 ; 8,17 ; 1Co 6,2) ; l’idée n’est pas propre à Paul ; on la retrouve ailleurs dans le NT
(2Tm 2,12 ; Mt 19,28 ; Apo 3,21) et déjà dans certains écrits vétérotestamentaires plus
tardifs, à propos des justes (Dn 7,22.27 ; Sg 3,8 ; 5,16).
63
On peut chercher des raisons extérieures au texte, comme le fait R. Penna, Efesini, 133,
selon qui l’auteur d’Ep pourrait insister sur le déjà-là pour s’opposer à certains judéo-
chrétiens marqués par l’apocalyptique et selon lesquels les effets de la rédemption n’étaient à
attendre que pour la fin des temps. Outre que l’hypothèse est invérifiable, car la lettre ne
polémique aucunement sur ce point, l’usage du vocabulaire du mystère oblige à chercher
dans la lettre elle-même la logique du glissement.
64
Même réflexion en A.T. Lincoln, Ephesians, 105 : « En énonçant que Dieu a ressuscité
les croyants avec Christ et les a fait asseoir avec lui dans les cieux, l’auteur d’Ep explicite les
implications de la relation d’incorporation en Christ en une forme qui n’est nulle part aussi
développée dans le corpus paulinien ».
EP 2,1-22 129

Questions grammaticales. le syntagme prépositionnel evn toi/j aivw/sin toi/j


evpercome,noij a été interprété de deux manières différentes : (1) il s’agirait des
éons, puissances hostiles – « attaquer » pour evpe,rcomai est de fait attesté par les
dictionnaires65; on traduira alors : « pour montrer aux puissances hostiles » ; (2)
le sens temporel, qui est préférable, à cause de la préposition evn et des
expressions temporelles équivalentes66. Le evn crhsto,thti est complément de
moyen (afin de montrer par sa bonté).
Le verset exprime encore de manière redondante – par accumulation et
reprise des mêmes vocables67 –, la prodigalité de l’agir divin en faveur des
croyants. Le seul mot nouveau est crhsto,thj, mais il est synonyme de ceux
utilisés précédemment (amour, grâce, miséricorde) ; comme il l’a déjà fait,
l’auteur utilise toutes les ressources du vocabulaire pour souligner la bonté de
Dieu. Les répétitions montrent bien que le passage est parallèle à 1,19-22 ; de
même que la résurrection du Christ manifestait l’incomparable grandeur de la
puissance divine, de même celle des croyants met en valeur sa grâce. La dif-
férence entre les deux passages – force d’un côté, grâce miséricordieuse de
l’autre – vient évidemment de la différence des situations exposée en 2,1-3.
Ce qu’ajoute ce verset aux précédents, c’est l’idée de durée, et de manière
paradoxale, puisque si les croyants ont déjà la vie de l’eschaton, la proclamation
se fait néanmoins au cours des siècles. Ce que Dieu a fait en faveur des croyants
aura des effets dans les siècles futurs, en confirmant non seulement la solidité
de ce qui a été effectué, mais aussi l’insurpassable libéralité de Dieu, qui en et
avec Christ nous a tout donné ; avec la résurrection du Christ et celle des
chrétiens, événements non mondains, commence paradoxalement une nouvelle
période de l’histoire.

v.8-10. Après avoir évoqué comment s’est effectué le salut des croyants, Paul
revient maintenant, en une sorte de méta-discours réflexif, sur les conditions du
salut, en reprenant les affirmations des homologoumena, mais en précisant leur
portée, pour éviter toute méprise.

v.8 - « C'est par la grâce, en effet, que vous avez été sauvés »
Pour l’exégèse de cette phrase, voir ci-dessus le v.5.

65
Certains donnent ce sens au verbe en Lc 12,22, mais on peut très bien lui laisser sa
connotation temporelle (« survenir » ou « venir après »).
66
En Mc 10,30 et Lc 18,30 (evn tw/| aivw/ni tw/| evrcome,nw|)| ; le TLG ne donne pas d’autre
occurrence dans la littérature grecque, du VIème au Ier siècle de notre ère.
67
Pour les substantifs plou/toj et ca,rij, voir l’exégèse d’Ep 1,6..7.18 et 2,5, et pour le
participe u`perba,llon, Ep 1,9.
130 ÉPHÉSIENS

- « par le moyen de la foi; cela (tou/to) ne [vient] pas de vous, [c'est] le don
(dw/ron) de Dieu »
Le pronom neutre tou/to ne désigne pas la foi (il serait alors au féminin),
mais l’effectuation du salut – ce qui est décrit dans les versets précédents, car
ici le pronom est sans aucun doute analeptique –, à savoir la résurrection et la
session glorieuse dans les cieux. Et l’on comprend aisément que cela soit
l’œuvre de Dieu. Pour le passage au « vous », voir ci-dessus la présentation
d’ensemble des v.1-10.
Le dia. pi,stewj est un motif paulinien68, et le lien foi/grâce/sans les
oeuvres en est aussi un69. L’originalité du passage vient de ce qu’il interprète en
termes pauliniens – ou, dit avec plus de prudence, en utilisant les catégories des
homologoumena –, la sotériologie entièrement réalisée des v.4-7, et qui ne serait
plus paulinienne. L’auteur d’Ep n’a pas pu ne pas voir le glissement qu’il y
avait du « c’est par grâce que tous ont été justifiés » (Rm 3,24) au « c’est par
grâce que vous avez été sauvés » (Ep 2,5.8). Pour les raisons qui ont provoqué
le passage, voir ci-dessus l’exégèse du v.6.
Quant au substantif dw/ron, synonyme de tous ceux déjà employés depuis
le début de la lettre, il permet au motif de la prodigalité divine de se prolonger
et de s’étoffer. Tout aussi importante que celle de dw/ron est la présence du
génitif qeou/, qui indique la provenance du don – si le verset a jusque-là utilisé le
passif théologique, c’est parce qu’il considérait la situation à partir des
destinataires, en les menant progressivement vers le donateur.

v.9 - « Cela [ne vient pas] des oeuvres »


Le premier énoncé (ouvk evx e;rgwn) reprend sous une autre forme celui du
verset précédent (ouvk evx u`mw/n), car il s’agit bien ici des oeuvres humaines et
bonnes, comme invite à le comprendre la proposition finale qui suit. La diffi-
culté du verset vient de ce que, si le mot « oeuvres » rappelle effectivement les
homologoumena, son arrière-fond n’est pas nécessairement le même. En effet,
lorsque, dans les homologoumena, l’apôtre parle des oeuvres pour les opposer à
la foi et à la grâce divine, il entend toujours – même à propos d’Abraham ou des
autres patriarches – désigner celles que la loi mosaïque demande de faire pour
avoir la vie70, et lorsqu’il dit que la justification n’a pas été obtenue à partir des
oeuvres (de la Loi), mais par la foi seule, c’est pour s’opposer aux judaïsants
qui exigeaient la circoncision pour les croyants venus de la gentilité. Ep 2,9
renvoie-t-il à la même problématique ? Il est clair que, même et surtout si la

68
Rm 3,22 ; 2Co 5,7 Ga 2,16 ; Ph 3,9 ; voir également 2Tm 3,15. Le evk pi,stewj est
néanmoins plus employé (sur les 25 occurrences, 23 sont en Ga/Rm).
69
Rm 3,22-24.28 ; 11,5-6.
70
Voir Ga 2,16 ; 3,2–5.9.10 ; Rm 3,27-28 ; 4,2-3.5 ; 9,32 ; Rm 11,6.
EP 2,1-22 131

lettre est pseudépigraphique, la reprise d’une expression aussi caractéristique ne


peut pas ne pas se faire en excluant un tel arrière-fond. Mais la problématique
n’est plus celle d’une circoncision des ethnico-chrétiens en vue de l’obtention
de la justification (et donc du salut), et le syntagme en vient à désigner tout
effort humain ou toute performance méritant l’approbation divine, car le salut
est l’effet de la seule grâce divine, « l’œuvre » de Dieu71. Bref, si le ouvk evx
e;rgwn vaut toujours pour la circoncision et les oeuvres exigées par la Loi, son
extension est désormais plus grande, puisqu’il peut s’appliquer aussi hors du
périmètre de la loi mosaïque. L’auteur d’Ep procède donc ici par synecdoque
généralisante.
- « afin que nul ne se vante »
Le verbe kauca/sqai vient lui aussi des homologoumena72. Comme on le
sait, l’usage qui en est fait en ces lettres est assez varié73, aussi est-il préférable
d’interpréter la proposition en son contexte immédiat, c’est-à-dire à partir d’Ep
2,9, car, la vanterie qui est ici exclue concerne l’effectuation du salut : et
l’opposé de la vanterie s’appelle eulogie ou louange, celle-là même que depuis
le commencement Ep a pratiquée. Et il n’y a rien là que de très paulinien.

v.10 - « Car c'est lui qui nous a faits; nous avons été créés en Jésus Christ pour
les oeuvres bonnes (evpi. e;rgoij avgaqoi/j) que Dieu a préparées d'avance afin que
nous y cheminions (paripatei/n) »
L’idée que les croyants doivent faire le bien se trouve dans les homolo-
goumena, également le syntagme e;rgon avgaqo,n, mais au singulier74.
Néanmoins, de l’emploi du pluriel en ce verset, on ne peut rien conclure, eu
égard à l’authenticité du passage.
On notera l’inclusion formée par le verbe paripatei/n aux v.2a et 10. Du
vivre dans les péchés au vivre dans les bonnes oeuvres, s’indique toute la

71
Le contexte est le même en 2Tm 1,9 et Tt 3,5.
72
Sur les 59 occurrences de la racine (verbe ou substantif) dans le NT, 57 se trouvent dans
les lettres attribuées à Paul.
73
Quoi qu’en disent certains interprètes – qui s’appuient en général sur Rm 3,27 et 1Co
1,29 –, Paul ne voit pas la vanterie (qui est une fierté exprimée devant d’autres que soi)
comme mauvaise en soi, puisqu’on peut se vanter en Christ Jésus, en Dieu (1Co 1,31 ; Ph
3,3) ; en revanche, se vanter dans la chair, de sa propre sagesse ou de ses oeuvres est exclu
(Ga 6,13 ; Ph 3,3).
74
Cette thématique est évidemment présente dans les homologoumena. L’idée d’Ep 2,10
est plus ou moins celle de Ga 5,6 (evn ga.r Cristw/| VIhsou/ ou;te peritomh, ti ivscu,ei ou;te
avkrobusti,a avlla. pi,stij diV avga,phj evnergoume,nh). Voir encore Rom 2,7 ; 13:3 ; 2Co 5,10 ;
Ga 6,10 ; Ph 1,6. 1Th 5,15). L’expression « toute oeuvre bonne » se trouve en 2Co 9,8 ; Col
1,10 et 2Th 2,17. Pour le pluriel e;rga avgaqa,, outre Ep 2,10, voir 1Tm 2,10. Le binôme e;rgon
+ kalo,j n’apparaît pas dans les proto- et deutéro-pauliniennes, mais dans les Pastorales ; voir
1Tm 5,10.25 et 6,18 Tt 2,7.14 ; 3,8.14.
132 ÉPHÉSIENS

dynamique du passage. En nous ressuscitant avec le Christ, Dieu a changé notre


comportement moral, qui, s’il n’est pas la cause de notre salut, en est l’effet et
le signe. Malgré tout, le v.10 semble mal accroché au reste de l’unité, en
particulier au verset précédent : si les bonnes oeuvres ne servent pas à nous
obtenir le salut (v.9), pourquoi Dieu nous a-t-il créés pour que nous en fassions
(v.10) ? Car le v.10 se contente d’affirmer, sans fournir de justification. Mais la
phraséologie est ainsi faite que c’est encore Dieu qui fait tout, car les bonnes
oeuvres en question ont été conçues, préparées d’avance par lui. Voilà pourquoi
l’agir chrétien est supposé refléter la volonté de Dieu. Bref, le v.10 va encore
plus loin que le v.9 : même le bien que nous faisons vient de Dieu ! En effet, si
nous le faisons, c’est parce que Dieu, qui nous a faits, nous a préparés pour cela,
et c’est encore lui qui nous donne la force de le faire. L’intérêt du verset est
d’ailleurs double : (1) il montre à sa manière que le salut n’est pas seulement
une vie et une gloire reçues, il doit s’exprimer et se signifier par l’agir moral75.
(2) C’est à partir de l’agir salvifique de Dieu en Christ (v.4-9) que la vocation
de l’humanité, comme création ou « fabrication » (poi,hma) de Dieu, se
manifeste pleinement (v.10). La relation établie par ces versets entre salut et
création n’est pas fortuite.
Reprise théologique

Sans reprendre ce qui a déjà été dit dans la présentation de cette unité, et
dans l’exégèse des différents versets, en particulier sur la grâce divine – car une
telle insistance demande des explications –, il est possible de retracer quelques
traits spécifiques et théologiquement forts.

a - L'eschatologie réalisée
Il a déjà été dit que, des lettres attribuées à Paul, ce passage est sans doute
celui où l’eschatologie et la sotériologie sont les plus réalisées. L’auteur dit que
les croyants ont déjà été sauvés, c’est-à-dire ressuscités et placés dans les cieux
avec le Christ. Nous avons également vu que les v.8-10 interprètent cette
eschatologie, qui va bien au-delà de celle des homologoumena, en reprenant –
et c’est un paradoxe – les catégories des homologoumena. L'eschatologie
réalisée du passage met évidemment en relief la miséricorde, la grâce et la bonté
de Dieu, qui nous a tellement donné que nous ne manquons de rien. Mais si
l’eschatologie réalisée a pour effet premier de souligner la bonté divine – effet
théologique –, sa raison d’être est en réalité christologique, car on ne peut

75
La remarque est de R. Penna, Efesini, 127 ; voir également P.T. O’Brien, Ephesians,
180-181 qui ajoute, pour souligner le lien entre création et salut, ou encore entre création et
nouvelle création : « Notre attitude et notre comportement doivent donner toutes les marques
de la nouvelle création » (p.181).
EP 2,1-22 133

expliquer autrement le glissement des motifs et des catégories : c’est parce que
l’Église est le corps du Christ, sa plénitude, que ce corps, en ses divers
membres, est ressuscité et monté aux cieux avec la tête. La métaphore
corporelle exigeait que la résurrection et l’ascension soient aussi appliquées aux
chrétiens, même si tout cela se fait sans confusion, puisque seule la tête, le
Christ, est à la droite de Dieu (Ep 1,20). Et si l’eschatologie totalement réalisée
est liée à ladite métaphore, c’est celle-ci qu’il faudra en dernière analyse
expliquer, autant que faire se peut. Cela dit, les raisons de cette radicalisation ne
sont pas seulement théoriques, elles viennent aussi d’une expérience, partagée
par le rédacteur et ses destinataires, celle d’une plénitude de grâce reçue en et
par Christ. Expérience que les âges à venir annoncés par Ep 2,7, et qui sont les
nôtres, confirment largement. Avec et en Christ, tout nous a été donné.

b - L'être des croyants comme être avec le Christ


En mettant les croyants avec le Christ, Dieu leur donne déjà la vie de
l’eschaton, il les met hors de portée des puissances hostiles (v.1-3), leur assurant
ainsi une protection totale et définitive. Et si l’être avec le Christ, n’est pas
décrit ici en termes de mort avec lui, d’ensevelissement avec lui, mais
seulement de résurrection et d’ascension, c’est pour les raisons évoquées au
paragraphe précédent : le corps ecclésial est ressuscité avec sa tête !
Mais le plus intéressant est sans doute le total retournement du rôle de
médiateur. Car lorsqu’un médiateur a fini son travail, il s’écarte pour que les
parties réconciliées puissent de nouveau avoir des rapports directs. Sans nier
que nous soyons en relation directe avec Dieu, l’auteur d’Ep dit que c’est Dieu
lui-même qui nous a mis avec celui par qui nous avons obtenu l’adoption fi-
liale ; non seulement nous ne sommes pas séparés du Christ, mais nous n’avons
jamais été aussi unis à lui, puisque c’est encore en lui que nous avons été
ressuscité et glorifiés. C’est sans doute ces versets qui indiquent le mieux
jusqu’où Dieu voulait faire aller l’adoption filiale.

c – La christologie
Plus qu’en 1,20-22, la christologie est fonctionnelle. Elle n’est pas déve-
loppée, et aucun autre titre que « Christ » n’est utilisé, mais elle irrigue le
discours et les autres champs (théo-logique et sotériologique). Ni la mort, ni la
croix ne sont mentionnées. Cela vient de ce qu’en Rm 6, Paul pouvait montrer
que la mort avec le Christ mettait les croyants hors d’atteinte de la Loi et du
péché (un mort n’est plus sous la Loi, ne pèche plus et ne peut donc être
condamné), mais le statut céleste des nouveaux oppresseurs ne lui permet plus
de se satisfaire de cette explication : seule la session définitive aux cieux avec le
Christ peut mettre les croyants à l’abri de ces êtres. Certes, une christologie qui
n’intègre pas la croix et ne met en valeur que le volet résurrection, n’est pas
134 ÉPHÉSIENS

sans risque, mais il ne faut pas oublier qu’Ep 2,1-10 n’est que le premier volet
d’un diptyque, et que la croix va justement être mentionnée dans l’unité qui
suit.

c - salut et morale
La mention finale des bonnes oeuvres montre que la session céleste des
croyants n’est pas une fuite, bien plutôt une victoire sur le mal. Que l’agir
éthique soit le lieu privilégié où se manifeste le salut reçu, n’est pas une inven-
tion des commentateurs de Paul, mais l’expression exacte de sa pensée. Loin
d’être une fuite, la session dans les cieux permet au contraire aux croyants de
vivre dans la liberté – sans peur, sans crainte. L’éthique est ainsi le lieu où se
vérifie la transformation totale des croyants – transformation impliquée par les
vocables relatifs à la résurrection (v.6a) et à la création (v.10a), et cela aussi est
bien un thème cher à Paul76.

76
Le motif de la nouveauté n’advient qu’en Ep 2,15. Les raisons en seront alors notifiées.
EP 2,1-22 135

Réconciliation et unification entre juifs et non juifs


Ep 2,11-22

Bibliographie
E. Best, «Dead in Trespasses and Sins» ; A.M. Buscemi, Gli inni di Paolo, 121-150 ; G.
Giavini, « La structure littéraire d’Eph 2:11–22 » ; J. Gnilka, «Christus unsere Friede» ; A.T.
Lincoln, «The Church and Israel in Ephesians 2» ; R.P. Martin, «Reconciliation and Unity in
Ephesians» ; H. Merklein, «Zur Tradition und Komposition von Eph 2,14-18» ; H. Merklein,
«Paulinische Theologie in der Rezeption des Kolosser- und Epheserbriefes» ; H. Merklein,
Christus und die Kirche ; M.S. Moore, «Ephesians 2,14-16» ; R. Penna, «La proiezione
dell'esperienza comunitaria» ; R. Penna, «'Cristo nostra pace'» ; W. Rader, The Church and
Racial Hostility ; Schnackenburg, R., «Die Politeia Israels in Eph 2, 12» ; R. Schnackenburg,
«Die Kirche als Bau: Epheser 2: 19–22» ; R. Schnackenburg, «Zur Exegese von Eph. 2,11-
22» ; D.C. Smith, «Cultic Language in Ephesians 2:19-22» ; E. Testa, «Gesù pacificatore
universale» ; G. Wilhemi, «Der Versöhner-Hymnus in Eph 2,14ff».

11
Souvenez-vous donc qu'autrefois, vous qui portiez le signe de la gentilité dans
votre chair*, appelés «incirconcision»** par ceux qui sont appelés «cir-
concision», à la suite d'une opération pratiquée dans la chair***, 12 [souvenez-
vous] qu'en ce temps-là, vous étiez sans Christ, privés de la citoyenneté
d’Israël, étrangers aux alliances de la promesse, sans espérance et sans Dieu
dans le monde. 13 Mais maintenant, en Jésus Christ, vous qui jadis étiez loin,
vous êtes devenus proches par le sang du Christ. 14 C'est lui, en effet, qui est
notre paix, lui qui des uns et des autres a fait une seule chose, et qui a détruit le
mur de séparation, ayant aboli la haine en sa chair, 15 la loi et ses
commandements avec leurs observances, afin de transformer* en lui les uns et
les autres en un seul homme nouveau, en faisant la paix, 16 et [afin de] les
réconcilier avec Dieu les uns et les autres en un seul corps, au moyen de la
croix, ayant tué la haine. 17 Et il est venu annoncer* la paix à vous qui étiez
loin, et la paix à ceux qui étaient proches, 18 parce que c'est grâce à lui que les
uns et les autres, dans un seul esprit, nous avons accès auprès du Père. 19 Ainsi,
vous n'êtes plus des étrangers, ni des émigrés; vous êtes concitoyens des saints,
vous êtes de la famille de Dieu, 20 édifiés sur la fondation des apôtres et
prophètes, Christ Jésus lui-même étant [la] pierre maîtresse, 21 [lui] en qui tout
[l’] édifice bien ajusté ensemble grandit pour former* un temple saint dans le
Seigneur, 22 en qui, vous aussi, vous avez été ensemble intégrés à la
construction pour devenir une demeure de Dieu dans l'Esprit.
136 ÉPHÉSIENS

v.11 litt. « vous les Gentils dans la chair »


v.11 litt. « prépuce »
v.11 litt. « circoncision dans la chair, faite-par-une-main (d’homme) »
v.15 litt. « créer »
v.17 litt. « étant venu, il annonça »
v.21 litt. « croît vers un temple saint »

Composition et présentation

Après avoir rappelé l’agir salvifique de Dieu en faveur de chacun des


croyants, Paul passe maintenant au deuxième volet, et en vient à décrire l’agir
salvifique du Christ, lequel a réconcilié une humanité divisée par les barrières
religieuses, en juifs et non juifs. La composition globale du passage est assez
facile à repérer, les coupures syntaxiques majeures étant relativement nettes :
v.11-12, v.13, v.14-16, v.17-18 et 19-22. Ces phrases peuvent immédiatement
être regroupées grâce aux sujets des verbes, les v.11-13 et 19-22 étant en
« vous », alors que les v.14-18 parlent du Christ, qui est le sujet de presque
toutes les propositions, en ce qu’il a fait pour « nous »77:

A v.11-13 VOUS
le passé des SEPARATIONS entre nations et Israël
oppositions entre circoncision/incirconcision, entre nations/Israël;
insistance sur les MANQUES
v.13 reprise et transition vers le positif
B v.14-18 LUI (le Christ) et NOUS
les raisons et les modalités (quand, comment) du changement de situation:
= l'agir salvifique du Christ et sa finalité
destruction de l’inimitié par la création d’un unique homme nouveau;
A' v.19-22 VOUS
le résultat: l'UNITE d’un seul édifice (un être-avec) dans l’Esprit.
v.19 reprise des v.11-12 et transition
insistance sur les DONS REÇUS.

L’interprétation de l’ensemble est assez aisée, puisque les v.11-13 (A) et


19-22 (A’) se correspondent strictement, les uns et les autres mettant en

77
On aura noté les changements d’acteurs par lesquels s’indiquent les différentes unités ;
le « nous » commence au v.14 et va jusqu’au v.18 ; étant une justification (en o[ti) du v.17, le
v.18 en est syntaxiquement inséparable et appartient donc à la section centrale. E. Best,
Ephesians, 236, refuse la composition concentrique proposée par Giavini et d’autres, parce
que trop forcée. Si une mise en parallèle de toutes les répétitions lexicographiques mène
effectivement à des impasses, une composition globalement concentrique en ABA est
tellement manifeste qu’il faut être aveugle pour l’ignorer.
EP 2,1-22 137

contraste la situation du passé, entièrement négative, et celle du présent, entiè-


rement positive, à cette différence près que les v.11-13 insistent avant tout sur
les manques, et les v.19-22 sur les grâces reçues par l’intervention du Christ :

v.11-13 v.19(-22)
le négatif « exclus de la citoyenneté (politei,aj) « donc vous n’êtes plus étrangers
autrefois d'Israël et étrangers (xe,noi) aux al- (xe,noi) ni émigrés (pa,roikoi)
liances de la promesse »
« autrefois vous étiez loin » (makra,n)
le positif « vous êtes devenus proches (evggu,j) par mais vous êtres concitoyens
aujourd’hui le sang du Christ » (sumpoli/tai) des saints et de la
famille de Dieu » + v.20-22

Si les unités A et A’ énoncent les différences entre le passé de la séparation et le


présent de l’union entre les deux groupes, situations décrites pour des chrétiens
issus de la gentilité à partir des catégories bibliques et juives, l’unité centrale B
énumère les raisons qui ont fait passer de A à A’, en insistant exclusivement sur
la radicalité de l’agir du Christ. En définitive, l’enjeu du texte est bien marqué
par la première et la dernière unité, où il s’agit de l’identité et du statut religieux
des Gentils ou des non circoncis. La progression est bien marquée, car au début,
les nations sont définies par rapport à Israël comme e;qnh evn sarki,, et tout à la
fin comme katoikhth,rion tou/ qeou/ evn pneu,mati :

v.11 Définition des nations en rapport à Israël


(païens dans la sa,rx = inclusion antithétique) ;
v.22 Définition de la nouvelle entité comme construction dans l’Esprit
(pneu/ma = inclusion antithétique).

Et comme, dans une composition concentrique, la fonction du passage est


signalée par les unités initiale et finale, le lecteur peut comprendre que Paul ne
veut montrer ni « comment juifs et Gentils peuvent être le peuple eschatolo-
gique de Dieu »78, ni comment ils doivent arriver à dépasser les tensions
internes à l’Église79, mais comment l’agir salvifique du Christ leur a donné une
identité ecclésiale forte. Certes, les v.14-18 affirment que l’agir du Christ a
unifié Juifs et Gentils et en a fait un homme nouveau, mais l’admission des
païens à égalité avec les Juifs dans l’Église est ici iréniquement affirmée ; elle
ne fait plus problème, et ces versets ne reflètent ni un mépris des non circoncis

78
Opinion de H. Merklein, Christus und die Kirche, 28, 71–72, 76. Noter encore chez cet
auteur l’emploi de la catégorie de peuple, alors que les v.19-22 emploient bien des
expressions, mais pas ce vocable-là.
79
Ainsi P. Pokorný, Epheserbrief, 12, 13.
138 ÉPHÉSIENS

par les chrétiens d’origine juive – le v.11 parle d’un passé désormais révolu –,
ni l’inverse – ce qui était encore la crainte de Paul en Rm 1180.
Si la composition d’ensemble et sa fonction sont ainsi relativement aisées
à repérer, en revanche, les parallélismes lexicographiques de détail, surtout au
centre du passage, à première vue assez évidents, sont difficilement ajustables.
Depuis l’étude de G. Giavini81, basée exclusivement sur les parallélismes de
vocabulaire, les rares essais parus ont renoncé à ne considérer que ces
parallélismes, pour prendre en considération toutes les strates du texte82. Car si
l’on veut mettre en parallèle les répétitions de vocabulaire, il est impossible
d’arriver à les concilier toutes83.
Nonobstant la composition assez ferme du passage, ceux qui sont sensibles
à l’histoire de la rédaction n’en vont pas moins à la recherche d’un texte
primitif débarrassé de ses ajouts postérieurs. Telle est, on le sait, l’ambition du
P. Boismard, qui met au jour une composition originelle parfaitement
concentrique84:

sans Christ/près de Dieu 11-12a 18


paix aux deux groupes 14a 17
destruction inimitié 14b 16b
création de deux en un 15b 16a
paix 15c

Comme on peut le voir, ne sont attribués à Paul que les v11-12a et 14-18, car ils
n’ont pas de parallèle en Col, et le rédacteur n’y a ajouté qu’une seule glose, à
savoir « la loi des préceptes dans les décrets » du v.15a. Mais les v.12b-13, qui
seraient empruntés à Col 1,21-22, ne sont pas de Paul ; quant aux v.19-22, ils

80
Arrière-fond proposé pour Ep 2,11-22 par K.M. Fischer, Tendenz und Absicht, 79–94 ;
R.P. Martin, Reconciliation and Unity, 160–61, 166–67. En disant « souvenez-vous », Paul
demande à ses lecteurs de se rappeler des carences peut-être oubliées depuis. Les v.11-13 et
14-18 ne reflètent manifestement pas un problème actuel de relation entre judéo- et ethnico-
chrétiens, ou entre l’Église et la synagogue, mais, à la différence des v.1-10 d’Ep 2, renvoient
à un passé où le plan de Dieu pour les Gentils est pensé à partir de la question d’Israël. Le
diptyque semble indiquer à sa manière que cette dimension historique ne doit pas être
oubliée !
81
G. Giavini, « La structure littéraire d'Eph II.11-22 », NTS (1969/70).
82
Par ex., A. Buscemi, Gli inni di Paolo, 124-127.
83
Ainsi, le fait de mettre en parallèle les adverbes makra,n et evggu,j des v.13 et 17 aurait
pour effet de ne plus faire des v.14-18 une unité ferme, alors que le v.17 en fait intégralement
partie pour des raisons stylistiques et syntaxiques fortes. Avec raison A.T. Lincoln
Ephesians, 127, voit une coupure au début du v.17, la citation biblique n’étant pas de même
style que les v.14-16, mais elle est mineure, interne aux v.14-18. Noter à ce propos
l’inclusion partielle des v.14 et 17-18 (les mots eivrh,nh et avmfo,tera – avmfo,teroi / e[n).
84
M.-É Boismard, L'énigme, p.33-40 et 98-101.
EP 2,1-22 139

n’ont pas leurs correspondants en Col, mais comme ils reprennent le v.12b et lui
font pendant, ils doivent être un ajout du rédacteur. Pareille construction est
possible, sans aucun doute, mais il importe de savoir ce qu’elle signifie : telle
quelle, elle n’insiste plus sur l’identité nouvelle et inouïe qu’ont obtenue les
Gentils – et que les actuels v.11-13 et 19-22 mettent justement en relief –, elle
indique seulement que la situation initiale désespérée des Gentils a été dépassée
par l’accès de tous – comme l’indique le « nous » ecclésial – auprès du Père.
Bref, si la composition initiale exhumée par Boismard est bien concentrique,
elle ne répond pas à la question soulevée aux v.11-12a – alors que le texte
actuel, déclaré plus récent par certains, y répond magnifiquement. Voilà
principalement pourquoi une telle reconstruction semble improbable.
Autre est l’hypothèse selon laquelle les actuels v.14-16 – l’ensemble des
v.14-18 –, seraient la rédaction remodelée d’un morceau hymnique antérieur85.
Les arguments fournis sont (1) le grand nombre d’hapax legomena86, (2) le
parallelismus membrorum et le style manifestement rythmé des v.14-18, (3)
enfin la syntaxe assez embarrassée des v.14-16, où plusieurs syntagmes peuvent
être rattachés aux mots qui les précèdent ou qui les suivent. Ces arguments
doivent être utilisés avec la plus grande prudence, Comme on peut le constater,
(1) les hapax legomena ne couvrent pas seulement et principalement les v.14-16
(ou 14-18), mais les unités périphériques (v.11-13 et 19-22) ; (2) quant au style
rythmé et aux parallèles, le texte actuel les met suffisamment en évidence, pour
qu’il faille les retrouver en recourant à un morceau hymnique préexistant ; voir
ci-dessous la présentation et l’exégèse des v.14-18 ; (3) eu égard au style, ce
n’est pas la première fois qu’il est difficile de rattacher en Ep certains
syntagmes à ceux alentour, et c’est plus une caractéristique d’Ep que le signe
d’ajouts postérieurs. Sans donc rejeter l’existence possible d’un morceau
hymnique repris, remodelé et brièvement commenté par l’auteur d’Ep, il est
pour le moins difficile d’évaluer la christologie respective de strates dont
l’existence n’est pas certaine.
Les liens existant entre Ep 2,11-22 et Col 1,21-23 sont en revanche sûrs ;
les ressemblances ne sont pas négligeables, dans la description de la situation
des destinataires (v.11-12 et Col 1,21) et la médiation du Christ (v.14-18 et Col
1,22a). Cela dit, l’orientation des passages respectifs est très différente, et, dans

85
Parmi les études plus récentes, voir M. Barth, Ephesians, 261–62 ; A. Lindemann,
Aufhebung der Zeit, 156–159 ; R.P. Martin, Reconciliation and Unity, 168–71. Pour une liste
plus longue, voir A.T. Lincoln, Ephesians, 127-128, qui partage aussi cette opinion.
86
Voici la liste : a;qeoj (2,12), avkrogwniai/oj (2,20), avmfo,teroi (2,14), katoikhth,rion
(2,22), makra,n (2,13.17), meso,toicon (2,14), pa,roikoj (2,19), politei,a (2,12), sumpoli,thj
(2,19), sunoikodome,w (2,22), fragmo,j (2,14), ceiropoi,htoj (2,11). Pour avoir une liste de
tous les hapax legomena d’Ep consulter le tableau ad hoc en fin de volume, p.330.
140 ÉPHÉSIENS

l’hypothèse d’une rédaction postérieure d’Ep, on peut seulement dire que


l’auteur de cette lettre a complètement changé la perspective, en focalisant sur
la question de l’identité des ethnico-chrétiens. Mais ce qui frappe, c’est la
manière paradoxale dont le passage parle de cette identité, car d’une part, les
Gentils sont situés tout au long du passage en rapport à ceux qui viennent du
judaïsme et à leurs privilèges, mais d’autre part, aucune intégration ou
absorption des Gentils dans le groupe juif n’est décelable : ils ne deviennent ni
Juifs, ni israélites, ni le nouveau peuple de Dieu ; aux v.19-22, mais déjà aux
v.14-18, le nom d’Israël n’est plus prononcé, et ce, jusqu’à la fin de la lettre ! Le
choix des vocables requiert une attention spéciale, afin d’éviter tout contresens.

Exégèse

v.11-13 L’autrefois des séparations


Comme on l’a observé à propos de la composition d’ensemble du passage, ces
versets sont unifiés par les acteurs, le « vous », désignant les Gentils, et le
« eux », les circoncis, de la descendance d’Israël, qui constituent le modèle
religieux à partir duquel sont énoncés les appellatifs. L’ensemble est subdivisé
en deux, v.11-12 et v.13, ce dernier verset reprenant les manques énoncés pour
signifier qu’aujourd’hui il n’en est plus ainsi. Le point de départ n’est plus,
comme en 2,1-3, une situation due à l’agir des intéressés, mais une situation
dont ils ne semblent pas responsables, qui n’est liée, au départ, qu’à un bout de
chair externe, nommé « prépuce ». Pour une comparaison entre 2,1-3 et 2,11-13,
voir la présentation globale d’Ep 2.

v.11 - « Souvenez-vous donc qu'autrefois, vous les Gentils dans la chair, appelés
‘prépuce’ par ceux qui sont appelés la ‘circoncision’ dans la chair, faite par la
main (des hommes) »
Le style, quelque peu chargé, vise à mettre en regard les répétitions de
deux vocables, qui forment une reversio:

a ...evn sarki,
b oi` lego,menoi
b th/j legome,nhj
a evn sarki,

Ces répétitions indiquent bien comment le Paul d’Ep voit le rapport entre
Gentils et juifs. Pour lui, la différence entre les deux groupes se situe dans la
chair – avoir ou ne pas avoir de prépuce. Mais, de ces différences physiques,
charnelles, sont énoncées des oppositions religieuses, entre juifs et non juifs, et
tout le drame vient de ce passage. Car Paul laisse bien entendre que c’est le
EP 2,1-22 141

langage, avec toute sa force métonymique87, qui a fixé les différences


charnelles. Mais la parole qui les a fixées vient-elle de Dieu ou des hommes ?
Ce n’est pas Dieu, mais ceux appelés circoncis, qui nomment les autres
« prépuce », pareille désignation étant par ailleurs péjorative88. Mais ne doit-on
pas dire que la différence entre circoncision et incirconcision vient en définitive
de la parole divine elle-même qui, en Gn 17, a ordonné à Abraham et à tous ses
descendants de se faire circoncire pour appartenir au peuple de Dieu ? N’est-ce
donc pas la parole divine qui, pour des raisons religieuses, a déterminé les
différences physiques et charnelles ? Pour ceux qui sont appelés
« circoncision », le participe passif peut ainsi être théologique89. À ce propos,
les commentaires indiquent les parallèles existant entre ce verset et Col 2,11.13,
qui semblent confirmer la dépendance d’Ep par rapport à Col. Sans rejeter a
priori l’hypothèse, il importe de noter les différences : en Col, le vocabulaire de
la circoncision est métaphorique – il s’agit d’incirconcision du cœur et de
circoncision non effectuée par une main (humaine), pour désigner
respectivement une vie dans les péchés et le baptême. Ep 2,11 met au contraire
en avant l’aspect physique des deux situations : l’incirconcision, est naturelle, et
n’est donc pas liée à une quelconque faute morale, et, en regard, la circoncision,
qui consiste à changer cet état de fait naturel, est pratiquée par une main qui ne
peut être que celle des hommes90. Même si donc le participe passif lego,menh
appliqué au deuxième groupe – celui de la circoncision –, est théologique,
l’ajout « fait de main [humaine] » signifie néanmoins clairement que ce sont les
hommes qui opèrent la différence (avec leurs mains) !
Pourquoi Paul commence-t-il par des oppositions exprimant le point de
vue juif ? La progression du passage montre bien que s’il part d’une différence
apparemment superficielle, mais durablement inscrite dans la chair, c’est pour

87
Ici la métonymie consiste à passer sémantiquement (1) pour l’avkrobusti,a, de l’objet (le
prépuce) au statut (être incirconcis) puis au groupe (les incirconcis), avec une connotation
religieuse (les païens, adonnés à l’idolâtrie) et aussi socio-politique (les Nations), (2) pour la
peritomh,, de l’opération (couper le prépuce), au résultat (être circoncis), et de là au groupe
(les circoncis, la circoncision), avec une connotation religieuse (les juifs, adorateurs du vrai
Dieu) et socio-politique (Israël).
88
C’est le jugement dépréciatif du juif sur l’incirconcis qui est ici rapporté. Mais, comme
le fait remarquer R. Penna, Efesini, 137 note 198, on ne doit pas oublier qu’historiquement
Grecs et Romains ont eux aussi ridiculisé la circoncision.
89
Littéralement « la dite circoncision ». Il vaut mieux laisser au participe passif tout son
poids d’indétermination, et ne pas traduire, comme plusieurs Bibles et commentaires : « ceux
qui se nomment la circoncision », comme si l’appellation dépendait uniquement de ces
derniers.
90
Le contexte – le contraste entre les v.11-12 et 19-22 – indique bien que l'adjectif
ceiropoi,htoj est péjoratif. Il en est de même dans l’AT, où il s’applique aux idoles, et dans le
NT, au Temple : Mc 14,58 ; Ac 7,48 ; 17,24 ; Hb 9,11.24.
142 ÉPHÉSIENS

montrer qu’elle a des implications religieuses fondamentales. C’est par rapport


aux privilèges des juifs, et pas seulement à partir de ce qu’ils disent des Gentils,
que Paul va maintenant énumérer ce que fut le handicap religieux de ceux qui
étaient auparavant païens. Les privilèges des juifs restent le point de référence
et de comparaison obligé.

v.12 - « [souvenez-vous] qu'en ce temps-là, vous étiez sans Christ, privés du


droit de la citoyenneté d’Israël, étrangers aux alliances de la promesse, n’ayant
pas d’espérance et privés de Dieu dans le monde »
Le choix de certains manques s’explique dans doute par l’inversion dont
ils vont être l’objet dans l’unité finale : les Gentils sont devenus concitoyens des
saints, ils sont intégrés dans une construction qui a le Christ pour pierre de faîte,
et qui est la demeure de Dieu. Les autres vocables – alliances, promesse et
espérance n’ont pas leurs correspondants aux v.19-22, mais il est tout de même
possible de trouver une logique à l’ensemble, en suivant l’ordonnancement
syntaxique :
(1) sans Christ
(2) privés de la citoyenneté d’Israël et étrangers aux alliances de la promesse
(3) n’ayant pas d’espérance et privés de Dieu

La place du cwri.j Cristou/ s’explique par ce qui en est le pendant au v.13, à


savoir le nuni. de. evn Cristw/| VIhsou/. De même en effet que les avantages pré-
sents sont tous evn Cristw|/, parce c’est en Christ que les croyants ont tout reçu,
ainsi que vient de le rappeler Ep 2,1-10, de même c’est à partir de l’horizon
d’un Messie91 attendu, que les manques d’alors prennent aujourd’hui toute leur
signification. Quant aux deux couples suivants, leur expression est biblique et
juive ; ils désignent un statut (l’appartenance à un peuple) et les dispositions
anciennes qui l’ont permis, tout comme elles ont déterminé l’histoire d’Israël et
de ceux qui en ont été les membres – passé drastiquement résumé par deux
substantifs très employés dans la Bible, diaqh,kh et evpaggeli,a ; sans doute ici
diaqh,kh doit-il être rendu par un terme générique, disposition – les dispositions
voulues et prévues par la promesse – car, comme en Rm 9,4, le pluriel renvoie
aux alliances successives92, ici considérées comme des dispositions visant à
l’effectuation de la promesse. Quant au couple suivant, l’espérance et l’être-

91
La plupart des Bibles et commentaires traduisent le cwri.j Cristou/ par « sans Messie »,
et ils n’ont pas tort, puisque Paul fait allusion à une attente qui n’avait pas encore de nom
propre (Jésus de Nazareth), mais la reprise du terme au v.13 indique bien aussi que ce « sans
Christ » n’est compris comme important qu’à partir de l’expérience faite en Jésus Christ (et,
au v.l3, il s’agit bien du nom propre Jésus-Christ).
92
Avec Abraham, Isaac, Jacob, Israël dans le désert, David, sans compter les nombreux
renouvellements d’alliance.
EP 2,1-22 143

sans-Dieu, il ne reprend pas des motifs ou thèmes typiquement bibliques ou


juifs, mais il élargit l’horizon, sans qu’on puisse le séparer de l’histoire d’Israël,
qui a su ce que signifiait espérer la venue du règne de Dieu93, et a fait
l’expérience de s’en remettre au seul vrai Dieu94.
Pourquoi Paul mentionne-t-il la question de la citoyenneté95? En effet, il
reprend une terminologie héritée de l’hellénisme, et cela surprend d’autant plus
que Rm 9,4 avait utilisé le substantif ivsrahli/tai, d’origine biblique, qui,
précédé d’une négation, aurait tout aussi nettement exprimé la non appartenance
des Gentils au peuple élu. Ce choix vient probablement de l’évolution de la
définition de l’identité juive elle-même, transformation qui demande un
excursus.

Excursus sur la citoyenneté96

Si po1iteia signifie d’abord citoyenneté, la qualité d’être un membre de la cité (un


politès), par extension, il renvoie aussi aux institutions et aux usages, aux conventions
permettant à un membre de la cité de vivre sa citoyenneté. La politeia renvoie donc à
tout un ensemble socio-politique. « Pris dans cette deuxième acception [usages et
institutions], le mot est souvent traduit ‘constitution’, mais en de nombreux textes il
serait préférable de le rendre par ‘lois du pays’ ou ‘manière de vivre’. La politeia d’un
individu, c’est sa citoyenneté; celle d’un état, c’est la manière de gouverner »97.
C’est cette conception de la politeia grecque que les israélites de Judée et de la
diaspora ont connue, et c’est elle qui leur a fait prendre conscience de la manière dont
ils pouvaient à la fois vivre au milieu d’autres peuples et en même temps garder ce qui
faisait leur spécificité. En effet, les habitants de Judée aussi avaient leur propre manière
de vivre, la loi mosaïque, et si les lois ancestrales des israélites constituaient leur
politeuein, alors eux-mêmes et ceux des leurs vivant dans la diaspora, sont devenus
politai, ‘citoyens’. La lettre d’Aristée appelle ‘citoyens’ les ‘juifs’ vivant partout dans
la diaspora, car ils obéissaient à la loi mosaïque et aux décrets promulgués par Eléazar,
le grand prêtre de Jérusalem, qui n’avait pas seulement la responsabilité des habitants

93
Le syntagme evlpi,da mh. e;contej apparaît déjà en 1Th 4,13 et il vise la non croyance en
une vie après la mort. Sans nier qu’il y ait emprunt, il faut noter que l’extension du syntagme
est ici plus large.
94
Le « sans Dieu » (a;qeoi) ne signifie pas que les païens ne voulaient pas entendre parler
de Dieu, ou qu’ils ne croyaient pas en Dieu, car ils avaient plutôt trop de dieux et d’idoles,
mais qu’ils ne connaissaient pas le vrai Dieu, sa bonté, ses bénédictions.
95
Le terme politei,a est utilisé surtout dans les livres tardifs, comme 1-4 Mac. La phra-
séologie du verset rappelle par ailleurs celle du Y 68, 9, qui exprime bien l’état du suppliant,
dont le statut familial est nié par ses propres frères : « Je suis devenu un étranger
(avphllotriwme,noj) pour mes frères, un immigrant (xe,noj) pour les fils de ma mère » ;
situation peu enviable.
96
Pour cet excursus j’utilise abondamment S.J.D. Cohen, The Beginnings of Jewishness.
Boundaries, Varieties, Uncertainties, University of California Press, Berkeley : Los Angeles
– London 1999, 125-127.
97
S.J.D. Cohen, The Beginnings of Jewishness, 125.
144 ÉPHÉSIENS

de Judée, mais aussi celle des autres ‘juifs’, des ‘citoyens habitant en différents pays’.
Lorsqu’il écrit à Eléazar, Ptolémée Philadelphe (309-246 av. J.C.) parle des ‘juifs’
d’Égypte comme ‘tes citoyens’, et dans sa réponse, Eléazar les désigne comme ‘nos
citoyens’. Semblablement, deux siècles après Philadelphe, et peut-être un siècle après
la lettre d’Aristée, Hyrcan II (110-30 av. J.C.), grand prêtre de Jérusalem, dit des ‘juifs’
vivant à Éphèse qu’ils sont ‘ses citoyens’. Les juifs sont ‘citoyens’, et l’être-juif leur
politeia98. Car « à la différence de la naissance, la politeia dans les deux sens de
‘manière de vivre’ et ‘citoyenneté’ est sujette à changement… Dans le Contre Apion,
Flavius Josèphe prétend que l’une des preuves de la supériorité du politeu,ein juif est sa
durée ; aucune des constitutions grecques n’a résisté aux forces de changement avec
autant de succès que la politeia juive »99. Mais si les lois et la manière de vivre étaient
sujettes au changement, il en était de même pour la ‘citoyenneté’. Individus et groupes
obtiennent une citoyenneté qui n’est pas la leur par naissance. La polis inventa le
concept de naturalisation, c’est-à-dire le changement de nationalité par déclaration
légale et décret. Autre conséquence très importante : en acceptant la définition grecque
de leur manière de vivre comme une politeia, et en séparant la ‘citoyenneté’ de
l’origine ethnique, les Asmonéens découvrirent une manière d’incorporer les Gentils
dans la manière de vivre ‘juive’. « L’idée que les peuples d’Idumée et d’Iturée
pourraient en quelque sorte devenir membres de l’état de Judée, et judéens eux-mêmes
par l’observance de la manière de vivre judéenne, suppose la définition de la
judéenneté comme manière de vivre et comme citoyenneté »100.

Le passage des Gentils à la politeia juive était donc possible, et si Ep 2,2


ne le mentionne pas, c’est parce qu’il ne fait que considérer les deux groupes,
Israël et les Nations, en leurs situations et identités religieuses tranchées, pour
mieux souligner les manques. L’emploi du vocable politeia a l’avantage de
l’ambiguïté ; en focalisant sur la « citoyenneté », Paul laisse dans l’ombre les
institutions juives, autrement dit la loi mosaïque, car, le lecteur l’aura certai-
nement noté, à la différence de Rm 9,4 qui énumère la nomoqesi,a parmi les
privilèges historiques d’Israël, Ep 2,12 ne la mentionne pas, et pour cause : elle
n’a rien d’un avantage, puisqu’il va déclarer qu’elle est un mur de haine et de
division (Ep 2,14-15).

98
Voir S.J.D. Cohen, The Beginnings of Jewishness, 126, qui renvoie à Flavius Josèphe,
AJ 3,44.46 46 54 et 14,226.
99
S.J.D. Cohen, The Beginnings of Jewishness, 127.
100
S.J.D. Cohen, The Beginnings of Jewishness, 127. Les termes « judéen » et “judéen-
neté » traduisent respectivement « Judaean » et « Judaeanness » ; par ces appellatifs, Cohen
veut signifier que l’idée d’une identité liée à l’origine géographique (personne originaire de
Judée, lois en vigueur en Judée, etc.) a précédé celle d’un statut essentiellement religieux
(Jewish, Jewishness), qui n’a été perçu comme tel que bien plus tard.
EP 2,1-22 145

v.13 - « Mais maintenant, en Jésus Christ, vous qui jadis étiez loin, vous êtes
devenus proches ».
Comme déjà signalé dans la présentation du passage, ce verset sert de
transition entre l’autrefois (négatif) et le maintenant (positif), en même temps
qu’il souligne le contraste entre l’être « sans Christ » et l’être « en Christ Jé-
sus ». Le verset a la même fonction que 2,4 dans l’unité précédente : il y a donc
un parallèle entre « mais Dieu, riche en miséricorde » (2,4), et « mais
maintenant, en Jésus Christ » (2,13)101.
Les Gentils, qui étaient loin, sont devenus proches102. Mais de qui ? Selon
de nombreux commentateurs, Paul cite implicitement Is 57,19, où Dieu promet
la paix aux israélites en exil (au loin) et à ceux qui sont sur leur terre (proches) :
« Paix, paix à ceux qui sont loin et à ceux qui sont près ». Par la suite, le verset
servit à décrire l’itinéraire des prosélytes, qui, du paganisme, s’étaient
approchés du judaïsme. Paul veut-il dire que les ethnico-chrétiens sont dans la
situation des prosélytes, parce que désormais proches de leurs frères d’origine
juive ? Mais le statut des prosélytes est inférieur à celui des juifs. Et la logique
de la lettre, jusqu’ici sans défaut, deviendrait vacillante, car, dans l’eulogie,
Paul a affirmé que le statut des tous les chrétiens sans exception est l’adoption
filiale, et à aucun moment il ne fait de différence entre le statut des judéo- et des
ethnico-chrétiens. L’adverbe evggu,j ne saurait donc faire allusion à une situation
analogue à celle des prosélytes. La question vaut donc d’être de nouveau
posée : de qui les Gentils étaient-ils loin ? D’Israël, comme le verset précédent
l’indique103. En effet, c’est par rapport aux privilèges d’Israël que la situation
des Gentils est ici évaluée. Quelle situation ou quel statut recouvre exactement
l’adverbe evggu,j, il est encore impossible de le dire, et Paul crée ainsi un effet de
suspense. Mais si l’adverbe reste flou, le syntagme suivant, « par le sang du
Christ », permet de voir que la situation des croyants venus de la gentilité est de
qualité égale à celle de leurs frères venus du judaïsme, car il reprend 1,7, verset
où il est précisément question de l’adoption filiale. Au demeurant, il faut éviter
de voir le evggu,j comme indiquant une intégration dans la politei,a d’Israël, car
les v.14-18 insistent trop sur la création d’une entité unique et nouvelle – c’est
ce qu’implique l’idée de création –, ne ressemblant donc à aucune des deux

101
Pour de plus amples explications, se reporter à la présentation d’ensemble d’Ep 2.
102
gi,nesqai evggu,j ne se trouve nulle part ailleurs dans la Bible grecque, mais on le trouve
hors de la Bible. A.T. Lincoln, Ephesians, 138, mentionne Xénophon, Anab. 4.7.23 ; 5.4.16
et Thucydide 3.40.6 (mais cette dernière référence n’est pas bonne).
103
Outre le contexte immédiat, l’usage biblique semble aussi le suggérer ; en effet le voca-
bulaire de l’éloignement y est plusieurs fois appliqué aux Nations : outre Is 5,26, voir 1R
8,41 ; Mi 4,3 ; Jer 5,15.
146 ÉPHÉSIENS

entités précédentes (juifs et païens), pour qu’on parle d’intégration, de


conversion au judaïsme, d’entrée des Gentils dans le peuple d’Israël, etc.
- Le syntagme « par le sang du Christ104» énonce la médiation salvifique du
Christ, et annonce les v.14-18. Son emploi en Ep 1,7 a déjà été signalé. Mais
pourquoi le statut que le sang du Christ nous a obtenu n’est-il pas réitéré ici ? Il
ne dit rien sur l’inimitié antérieure entre juifs et païens, et n’exprime pas
suffisamment l’union qui s’est opérée à la croix du Christ entre les deux
groupes antagonistes. Le caractère laconique du verset crée ainsi un effet de
suspense – sur le sens du syntagme « devenus proches » – qu’il importe de
respecter.

v.14-18 L’agir du Christ


Cette unité, que certains décrivent comme un encomium christologique, a
pour fonction d’amplifier ce qui est brièvement énoncé au v.13. Elle ne peut
être considérée comme un ajout postérieur, car le mode de procéder est typi-
quement paulinien: une phrase brève et elliptique (le v.13), est immédiatement
clarifiée par une série de spécifications – les v.14-18.
Ces versets décrivent l’agir salvifique du Christ, qui est le sujet de tous les
verbes excepté de celui du v.18. Selon certains, ces versets seraient un midrash
chrétien d’Is 57,19105 – l’idée d’une citation et d’une reprise chrétienne a déjà
été évoquée au cours de l’exégèse du v.13 ; pour invérifiable qu’elle soit,
l’hypothèse ne doit pas a priori être rejetée, d’autant plus que la thématique de
la paix eschatologique est importante pour Paul106. Mais plus que le genre
midrashique, il reste à expliquer une telle insistance, inhabituelle et unique, sur
le rôle pacifique du Christ et sur son être-paix.
La division interne est syntaxiquement facile à repérer : un titre, suivi de
trois participiales (v.14-15a), elles-mêmes suivies de deux finales parallèles
accompagnées chacune d’une participiale (v.15b-16). Les v.17-18 sont syntaxi-
quement indépendants des précédents, mais sémantiquement essentiels, car ils
reprennent les affirmations générales des v.14b-16 et les appliquent, à l’aide des
pronoms « vous » et « nous », aux deux groupes composant l’Église107. Les

104
Les lettres pauliniennes antérieures emploient plusieurs fois cette expression ; voir Rm
3,25; 5,9 ; 1Co 10,16 ; 11,25 ; la formulation de Col 1,20 est différente (avec un dia, suivi du
génitif).
105
Voir P. Stuhlmacher, „Er ist unsere Friede”, 347–358 ; R. Deichgräber, Gotteshymnus,
167 n.1 ; R. Schnackenburg, Epheser, 112.
106
Pour l’apôtre, l’Évangile est celui de la paix, au sens eschatologique et fort (cf. Rm
2,10). Outre les débuts et fins de lettres, voir aussi Rm 5,1 8,6; 14,17.19; 15,13; 1Co 7,15;
14,33; Ga 5,22; Ph 4,7; également Col 3,15.
107
Comme on le sait, le fait que les v.14b-16 ne soient pas directement épistolaires est un
argument mis en avant par ceux qui voient en ces versets un morceau hymnique préexistant.
EP 2,1-22 147

v.17-18 reviennent donc au ton épistolaire provisoirement abandonné à partir du


v.14b, et, grâce aux pronoms personnels, indiquent quels sont les bénéficiaires
concrets de l’agir salvifique du Christ décrit aux v.14b-16 :
v.14a il est notre paix…
v.17 il proclama la paix à vous …, parce que, par lui, nous avons accès…
Eu égard au style, le passage est caractérisé par une répétitivité aussi
(sinon plus) prononcée que celle d’Ep 2,1-10. Les mêmes idées sont en effet
reprises trois ou quatre fois, d’abord positivement, ensuite négativement, et
ainsi de suite108 ; les répétitions lexicographiques sont évidemment nom-
breuses : le pronom auvto,j109, les antonymes eivrh,nh et e;cqra110, les adjectifs ei-j et
avmfo,teroj111, avec une homologie entre l’inimitié et la pluralité d’une part, entre
la paix et l’unicité de l’autre. Ces répétitions montrent, s’il en était besoin,
l’enjeu du passage, car il importe de saisir pourquoi Paul insiste tant sur
l’inimitié entre Gentils et Juifs et sur le rôle pacificateur du Christ. Des
éclaircissements seront fournis dans la reprise théologique du passage.

v.14-15a
14
« lui, en effet, est notre paix (eivrh,nh)
lui qui fit des uns et des autres (ta. avmfo,tera) une seule chose (e[n)
et qui détruisit la barrière du mur qui divisait,
ayant aboli112 l’inimitié (e;cqran) « en sa chair,
15
la loi des commandements et des ordonnances »

La syntaxe de cette sous-unité requiert quelques explications, décisives


pour sa compréhension. La difficulté vient en effet des trois participiales. La
première, à cause de l’article, est manifestement explicative et doit être rendue
par une relative. La deuxième participiale étant reliée à la première par un kai,,
doit, elle aussi, être explicative. Les deux sont complémentaires, par leur
manière positive et négative d’expliquer le titre donné au Christ. Mais, à la
différence des deux premières, la troisième participiale (katargh,saj) est com-
plément circonstanciel de cause de la participiale explicative qui la précède

108
R. Penna, Efesini, 139, insiste aussi sur le style ampoulé des v.14-18, répétant les
mêmes idées avec presque les mêmes formulations, et il y voit une quadruple reprise des
quatre composantes suivantes : 1° la situation antérieure, 2° le facteur christologique, 3°
l’action salvifique, 4° le résultat ecclésial.
109
Aux v.14 [2x], v.15, v.16 et 18. Même si à proprement parler il n’y a pas de polyptote,
la médiation est bien soulignée par la répétition du génitif et du datif.
110
Eivrh,nh aux v.14a, 15c et 17 [2x] ; e;cqra aux v.14b et 16.
111
Les deux adjectifs sont presque toujours conjoints ; voir les v.14b, 15b, 16, 18.
112
Dans le grec, le participe circonstanciel katargh,saj (« ayant aboli ») est placé après le
substantif « ordonnances ». Il a été ici déplacé pour faciliter la compréhension.
148 ÉPHÉSIENS

immédiatement (lu,saj). Les deux premiers participes expliquent donc le titre


« paix » attribué au Christ, et le troisième justifie la formulation du deuxième.
Sur le lien des mots th.n e;cqran evn th/| sarki. auvtou/ avec le contexte immédiat,
voir l’exégèse du v.14113.

v.14
- « C'est lui, en effet (ga,r), qui est notre paix »114
Le ga,r qui ouvre le passage est explicatif, et fait du v.14 (mais aussi des
suivants, on le montrera) une justification de l’énoncé du v.13 (« vous êtes
devenus proches par le sang du Christ »). Telle qu’elle est formulée,
l’attribution a une valeur désignative forte ; en effet, Christ n’est pas appelé
artisan de paix (eivrhnopoio,j), il est identifié à la paix elle-même115, en une belle
métonymie116, qui a aussi pour effet de souligner indirectement l’unicité de celui
qui est ainsi désigné : lui et lui seul est notre paix.
La formulation des v.13 et 17 a fait dire à de nombreux commentateurs que
le passage fait ici allusion à plusieurs textes prophétiques117, et procède à la
manière de Paul, par une gezerah shawah. Qu’Ep connaisse cette règle, c’est
possible, puisqu’il l’utilise déjà en Ep 1,20-22118. À vrai dire, Ep 2,17 semble
bien être un mélange d’Is 52,7 et 57,19119, et l’idée d’une lecture midrashique
est probable. Mais l’important, répétons-le, est de déterminer les raisons qui ont
favorisé cette lecture et poussé l’auteur d’Ep à tout lire en termes de
pacification et réconciliation.

113
On peut seulement regretter que les commentaires n’aient pas vu la fonction diversifiée
des participes.
114
Sur le concept de paix dans les littératures biblique, grecque et romaine, voir R. Penna,
« L’Évangile de la paix ».
115
Comme YHWH en Jg 6,24 (dans l’hébreu : ~Alv hwhy). Voir également Is 9,6 et Mi 5,4
(~Alv hz hyhw>).
116
Le substantif ne renvoie pas seulement à celui par qui la paix est arrivée (l’effet pour la
cause), mais aussi au contenu de la paix (la paix vécue entre les groupes est christique).
117
Outre ces deux versets, Is 9,5 serait sollicité et serait le texte permettant de relier les
deux autres, car le Messie y est déclaré ‘prince de la paix’. Ainsi, P. Stuhlmacher, «‘Er ist
unsere Friede,’», 345; M. Barth, Ephesians, 261 n. 36; R. Schnackenburg, Epheser, 112–
113 ; R. Penna, Efesini, 141 ; A. Buscemi, Gli inni di Paolo, 128. On renvoie encore à Mi
5,4.
118
Mais, comme il reprend presque littéralement 1Co 15,25-27, il est difficile de savoir si
l’auteur d’Ep est conscient que ces versets de 1Co 15 procèdent par gezerah shawah.
119
Si A.T. Lincoln, Ephesians, 127, accepte la possibilité d’un midrash (pour la lecture
conjointe d’Is 52,7 et 57,19), il refuse en revanche l’idée d’une possible allusion à Is 9,5-6 :
si l’allusion ne peut être prouvée, la non allusion ne le peut davantage. La question est
indécidable.
EP 2,1-22 149

- « lui qui des uns et des autres (ta. avmfo,tera) a fait une seule chose (e[n)»
Cette première proposition participiale explicative, rendue en français par
une relative, exprime très brièvement et positivement le titre donné en 14a ; il
est implicitement supposé que le ta. avmfo,tera, vise la situation de division
décrite aux v.11-12 : ce qui était séparé est devenu une réalité une. L’usage du
neutre – qui, selon certains, serait un reste du morceau hymnique antérieur
parlant des cieux et de la terre – a l’avantage de souligner l’aspect non encore
déterminé de réalités qui ne seront spécifiées que dans les versets suivants.
Même le verbe (« des deux il a fait une seule chose »), car il aurait pu
simplement raccommoder les deux morceaux, sans que la réalité unique soit
qualitativement ou substantiellement différente des morceaux qui la forment.
Mais le résultat est clair : ce premier temps signifie que la paix est faite par
réunion, unification d’entités auparavant opposées.
- « et qui a détruit le mur de séparation »
La seconde participiale explique – car il s’agit bien d’une explicative –les
choses à l’aide d’un vocabulaire sémantiquement négatif. Mais la paix consiste
aussi et surtout à détruire les instruments de guerre ou de division ; car une paix
où les deux camps restent armés, où les facteurs de division demeurent intacts,
est une paix menacée. La destruction signifie évidemment la sécurité et la
pérennité de la paix obtenue par le sang du Christ.
Le syntagme to. meso,toicon tou/ fragmou/ est un hapax legomenon du NT
et de l’AT ; le TLG ne signale l’usage du substantif meso,toicon qu’à partir du Ier
siècle de notre ère120. Le génitif tou/ fragmou/ pourrait être épexégétique, mais
cela ne change en rien le sens. Le vrai problème est de savoir ce que désigne
l’expression : le mur qui, dans le Temple de Jérusalem empêchait les païens
d’aller plus loin121? Ou, si le sens est figuré, la loi mosaïque122? L’une et l’autre
solution peuvent être appuyées par le contexte : (1) s’il s’agit d’une
impossibilité d’entrer dans le Temple, et donc de participer pleinement au culte

120
Voir Vita Aesopi (version W) 75.14-16, où il s’agit du mur mitoyen d’un champ : « Et
la femme dit : ‘Moi je t’ai engagé (evmisqwsa,mhn) pour bêcher (ska,ptein) le champ. Mais toi,
après être passé par-dessus le mur (meso,toicon), tu es allé bêcher celui du voisin’ ».
121
Voir par exemple C. McMahan, «The Wall is Gone», 262, qui renvoie à Ac 21,28.
Allusion à ce mur en Flavius Josèphe, AJ 15.417 ; BJ 5.194. Mais pareille interprétation
suppose (1) pour Ep une date postérieure à la destruction du Temple (et donc du mur en
question) en 70 ; (2) que les ethnico-chrétiens d’Asie aient pu comprendre une telle allusion
(observation de A.T. Lincoln, Ephesians, 141).
122
L’hypothèse d’un mur ou d’une barrière cosmique séparant le plérôme céleste du
monde terrestre, empêchant donc les humains d’aller vers la patrie céleste (par ex. K.M.
Fischer, Tendenz und Absicht der Epheserbriefes, 133-134) n’a heureusement pas fait long
feu. Elle est aujourd’hui mentionnée pour mémoire.
150 ÉPHÉSIENS

du vrai Dieu, les v.21-22 indiqueraient alors un dépassement total du handicap ;


plus que d’avoir accès au culte du Temple, les Gentils seraient en effet devenus
eux-mêmes la demeure de Dieu ; (2) quant à la deuxième interprétation, si le
contexte la favorise aussi – car c’est en définitive la loi qui séparait Gentils et
juifs, la loi comme système religieux global –, la syntaxe des v.14-15a l’impose
même. En effet, il a été dit plus haut que la troisième participiale est
complément circonstanciel123 de la deuxième. Or cette troisième participiale
parle de la Loi et de ses commandements. En conséquence, le mur de division,
c’est la Loi ; la haine, c’est la Loi124.
- « la haine en sa chair »
Les textes grecs du NT et les traductions varient dans leur manière de voir
la fonction du syntagme th.n e;cqran evn th|/ sarki. auvtou/. La question est
simple : doit-on le rattacher à ce qui précède (au v 14) ou à ce qui suit (au v
15) ? L’une et l’autre solution restent problématiques125. En effet, si l’on voit le
syntagme comme apposé à meso,toicon, on a affaire à un hyperbate, car le
participe lu,saj semble clore la deuxième participiale ; et si on le rattache à ce
qui suit, le style est à la limite de l’incorrection, car le participe katargh,saj se
trouve assez loin, en fin de clause. C’est cette deuxième solution qui a été ici
choisie, sans que les raisons en soient totalement contraignantes. Quelles que
soient d’ailleurs les options syntaxiques, le sens n’est pas changé.
Pourquoi Paul ajoute-t-il « en sa chair » ? Le evn th|/ sarki. auvtou/ doit être
rattaché à un des deux participes (lu,saj ou katargh,saj). Il vient d’être dit que
le présent commentaire a rattaché le syntagme au troisième participe: « il a
aboli la haine en sa chair », mais qu’on le rattache au deuxième ou au troisième,
le sens est le même. On revient ainsi à la question : que désigne l’expression ?
Pourquoi est-ce en sa propre chair que le Christ a aboli la haine ? L’expression
fait sans aucun doute allusion au corps du Christ en croix en qui la haine s’est
exténuée, parce qu’en ce corps ont été définitivement unis ceux qui jusque là se
haïssaient ; ce corps de chair est celui qui a donné naissance au corps ecclésial,
et les v.14-16 montrent le passage d’une expression à l’autre, en un glissement
progressif : « en sa chair » (v.14), « en lui » (v.15), « en un seul corps » (v.16).

v.15a
- « ayant aboli la loi et ses commandements avec leurs observances »
Le syntagme to.n no,mon tw/n evntolw/n evn do,gmasin est un hapax lego-
menon du NT. Si l’on en croit les commentateurs, sa forme n’est pas

123
Il s’agit certainement d’une participiale causale (« parce qu’il avait aboli la loi »).
124
Cette métonymie fait évidemment pendant à la première (le Christ, paix).
125
Observation d’A. Buscemi, Gli inni di Paolo, 130.
EP 2,1-22 151

paulinienne – do,gma ne se rencontre qu’en Lc 2,1; Ac 16,4 et Col 2,14. Quoi


qu’il en soit du caractère paulinien de l’expression, il faut maintenir que la
présence du vocable no,moj n’est pas accidentelle ou secondaire, car, depuis le
v.11, le rédacteur insiste sur le système mosaïque, et le présente comme cause
directe de division entre Israël et les Nations : ainsi, le v.15 ne fait que nommer
une réalité déjà visée depuis le v.11, et dont la technique du suspense a différé la
mention explicite. Mais que désigne exactement le syntagme, ampoulé comme
souvent en Ep ? Il s’agit certes de la loi mosaïque ; mais de toute la Loi ? Paul
ne vise-t-il que les seules règles alimentaires, ou encore celles concernant la
purification et la séparation ? Inclut-il aussi les commandements moraux ? Ici
encore, ce n’est pas par sélection que le Paul d’Ep procède, mais par
accumulation : il a mis ensemble plusieurs mots indiquant le caractère
obligatoire et pesant des différentes lois ; rien n’indique que l’expression ait une
extension réduite, et ce, d’autant plus que les raisons pour lesquelles la Loi est
source de haine ne sont pas formulées126.
La loi mosaïque est donc identifiée à la haine127, selon une métonymie
inverse de la première, celle du Christ-paix. Ce qu’il faut noter, c’est le chan-
gement d’optique par rapport à Rm, où Paul ne dit pas que la Loi a été détruite,
même si elle ne touche plus les chrétiens – morts avec le Christ à la Loi et au
péché128. Le glissement de Rm à Ep 2,15 est explicable historiquement, par
l’évolution du tissu ecclésial. Car c’est ecclésialement qu’une affirmation aussi
forte – d’autant plus forte qu’elle pouvait choquer les croyants d’origine juive –
trouve sa raison d’être : à la manière dont l’unité s’est faite entre chrétiens
d’origine juive et païenne, et au rôle que la Loi a ou n’a pas eu dans les Églises
d’alors.

126
P.T. O’Brien, Ephesians, 199, parle de la « loi comme un tout, conçue comme une
alliance ». Que le texte ait en vue toute la loi mosaïque, il faut de fait l’admettre, mais sans
introduire le terme ‘alliance’, que le v.12 vient d’employer au pluriel et qui ne recouvre pas
ce que O’Brien entend par là. Introduire des termes ayant une connotation autre que celle
qu’il ont en Ep ne peut que faire errer le lecteur.
127
On a, dans la littérature de l’époque, des traces de cette haine occasionnée par le mode
de vie des juifs. Le passage le plus cité par les commentaires est celui de Tacite, hist 5,5,
mais on trouvera mentionnés d’autres auteurs en R. Penna, Efesini, 143, note 221.
128
Dans les homologoumena, Paul signale plusieurs fois que la régime de la Loi est
obsolète pour les chrétiens (Ga 3,24-25 ; Rm 6,14 ; etc.). Rm 10,4 étant très discuté, exigeant
donc une fort longue discussion, ne sera pas utilisé ici.
152 ÉPHÉSIENS

v.15b-16

pour créer à partir des deux (tou.j du,o) en lui-même,


un seul (e`na,) homme nouveau,
faisant la paix,
16
et pour réconcilier les uns et les autres (tou.j avmfote,rouj)
en un seul (e`ni,) corps, avec Dieu, par la croix,
tuant l’inimitié (e;cqran) en lui (evn auvtw|/).
Les deux clauses sont parallèles : les finales sont l’une et l’autre suivies
d’une participiale exprimant le moyen par lequel le changement visé a été
chaque fois obtenu. Les versets précédents avaient déjà notifié le passage de la
séparation à l’unité, mais avec les v.15b-16, cette unité se voit précisée ; elle
prend des formes concrètes : un seul homme nouveau, un seul corps.

v.15b
- « afin de transformer (kti,sh|)129 en lui les uns et les autres en un seul homme
nouveau (kaino.n a;nqrwpon) »
Le « en lui » (evn auvtw/|) constitue la première difficulté sémantique. Si tous
sont d’accord pour dire que c’est en lui-même que le Christ a créé un homme
nouveau, le syntagme est compris de différentes manières ; il pourrait signifier :
(1) « créer à son image », l’homme nouveau étant créé à partir du modèle
constitué par le Christ lui-même ; (2) « créer par le moyen de son sang », le « en
lui » ayant alors un sens instrumental ; (3) créer une entité nouvelle qui n’existe
pas indépendamment du Christ, mais seulement « en lui », comme le répète
inlassablement Ep. Cette dernière exégèse semble mieux s’inscrire dans le
contexte et doit pour cela être préférée. Quant à l’adjectif kaino,j, il indique que
le résultat de l’acte de créer est une réalité entièrement différente, littéralement
inouïe, par son statut, sa composition et sa qualité – chez Paul le terme a une
connotation eschatologique130.
Pourquoi Paul dit-il que l’œuvre rédemptrice du Christ est une création ?
Si l’entité nouvelle a été faite à partir de deux groupes, les païens et les juifs,
s’il ne s’agit donc pas de création ex nihilo, le verbe « créer » laisse entendre
que le résultat est totalement différent de ce qui le précédait, et que le nouveau

129
Le verbe « transformer » souligne le changement opéré par l’agir du Christ, avec
l’inconvénient de ne pas rendre le verbe kti,zein (créer). La construction syntaxique du
verset, où l’accusatif précédé de eivj est attribut du complément d’objet, se trouve plusieurs
fois dans la Bible grecque. Voir par ex. Gn 12,2 (kai. poih,sw se eivj e;qnoj me,ga), Gn 48,4
(kai. poih,sw se eivj sunagwga.j evqnw/n) ; etc.
130
L’expression kaino.j a;nqrwpoj sera reprise en Ep 4,24. Dans les homologoumena (2Co
5,17; Ga 5,17; 6,15), le thème de la nouveauté eschatologique est désigné par l’expression
kainh. kti,sij. L’adjectif ne,oj quant à lui désigne la nouveauté temporelle - ce qui est récent –,
par ex. le vin nouveau, un nouveau-né, etc.
EP 2,1-22 153

groupe n’est pas l’addition des deux anciens. On objectera sans doute que cela
n’est pas totalement vrai, puisque les païens qui sont devenus croyants, restent
des Gentils et appartiennent toujours aux Nations – Paul les nomme d’ailleurs
ainsi en Ep 3,1 « vous, les Nations ». Mais, si les appartenances sociales,
culturelles et politiques des croyants n’ont pas disparu, il n’empêche que les
différences préjudicielles ne devraient pas exister dans l’Église, où il n’y a ni
grec, ni juif, ni esclave, ni homme libre. La création dont il est question ici est
eschatologique – c’est l’Église, qui, comme résultat de l’agir du Christ, ne fait
pas nombre avec les deux groupes antérieurs, qui restent des entités mondaines.
L’Église est ainsi une réalité eschatologique où la diversité ethnique n’a certes
pas disparu, mais n’est pertinente ni eschatologiquement ni ecclésialement,
puisque c’est l’unité et l’unicité qui caractérisent cet homme nouveau. C’est
d’ailleurs au plan eschatologique que l’affirmation du v.15a sur l’abolition de la
Loi fait sens : l’humanité nouvelle pourrait-elle avoir comme charte une
législation obsolète131?
Ainsi, le verbe « créer » implique l’avènement de quelque chose
d’entièrement nouveau. En n’utilisant pas le terme « peuple » (lao,j ou e;qnoj)
pour décrire la réalité résultant de l’acte créateur, Paul a voulu signifier qu’elle
n’était pas de ce type132. Exploitant les possibilités de l’expression « homme
nouveau », certains préfèrent parler de « troisième race »133. S’il est vrai que
l’acte de créer consiste à faire du nouveau, et si cet homme nouveau est
différent des deux composantes à partir desquelles il a été créé, de soi une telle
appellation serait possible. Néanmoins, en rigueur de termes, les v.15-16
n’autorisent pas à parler de l’Église comme d’un tertium quid, comme si elle
était de même plan ou de même nature qu’Israël et les Nations, pour les raisons
énoncées au paragraphe précédent. Au demeurant, les oppositions du passage
sont toutes duelles : avant vs. maintenant, circoncision + incirconcision vs.
homme nouveau, haine vs. paix, division vs. unicité. Pourquoi Paul a-t-il préféré
l’image de l’homme nouveau ? Sans doute à cause de l’unité corporelle : si les
membres luttent les uns contre les autres, la mort et la destruction s’ensuivront ;
sans doute aussi, parce qu’outre la complémentarité des membres, l’image

131
La difficulté de l’affirmation d’Ep 2,15 vient de ce qu’elle est dite en passant et n’est
accompagnée d’aucune explication.
132
Car il aurait été possible de dire le Christ avait créé un seul peuple nouveau – réalité de
même ordre que les précédentes, mais totalement nouvelle, avec donc une subversion des
composantes de la structure politique. Mais tel n’a pas été le champ choisi par le Paul d’Ep.
À la différence de R. Penna, Efesini, 144, et P.T. O’Brien, Ephesians, 200, qui parlent
respectivement de « peuple nouveau » et de « peuple du Christ », A. Buscemi, Gli inni di
Paolo, 133 note avec raison que Paul n’utilise pas ce champ sémantique.
133
A.T. Lincoln, Ephesians, 144.
154 ÉPHÉSIENS

véhicule avec elle l’idée de croissance organique, de vie134; sans doute enfin,
parce qu’ainsi l’agir du Christ reproduit celui de Dieu créant l’homme à son
image et à sa ressemblance – car cet homme nouveau ressemble en tout au
Christ, puisqu’il est son corps ! L’agir salvifique du Christ, agir eschatologique,
rejoint ainsi parfaitement celui, protologique, de Dieu le Père. C’est aussi la
première fois que l’agir salvifique du Christ est nommé créateur, donnant au
Christ des prérogatives divines. Voilà pourquoi sans doute, un tel agir, qui est
celui du vivant par excellence, Paul n’a pas voulu l’exprimer à partir du
vocabulaire de la mort, aussi salvifique soit cette dernière.
- « en faisant la paix »
Le participe a une valeur instrumentale ou modale135, qui indique avec
redondance le rapport existant entre l’être-paix du Christ, et l’efficacité de son
agir, également pacifique et pour cela créateur – c’est par l’agir pacifiant du
Christ qu’une humanité nouvelle a vu le jour.

v.16 - « et [afin de] les réconcilier avec Dieu les uns et les autres en un seul
corps, au moyen de la croix »
Ce verset est parallèle au précédent (finale au subjonctif + participiale). Il
lui est aussi complémentaire, car l’humanité nouvelle trouve sa raison d’être
ultime dans un rapport vrai avec Dieu – en mettant en série création et réconci-
liation, le passage indique bien que l’humanité n’est elle-même que si elle est
tournée vers Dieu. Le verbe avpokatalla,ssw ne se trouve ailleurs dans le NT
qu’en Col 1,20.22, et il a comme agent le Christ136. Ici aussi c’est le Christ qui
réconcilie les deux groupes avec Dieu – dimension verticale –, au moment
même où il les unit en un seul corps (evn e`ni. sw,mati) – dimension horizontale.
Mais que désigne ce dernier syntagme : le corps du Christ en croix ou le corps
ecclésial, voire l’un et l’autre ? S’il avait parlé du corps du Christ en croix, Paul
n’aurait sans doute pas insisté sur le « un seul » ; il aurait plutôt dit « en sa
chair » ou « en son corps ». L’ajout « un seul » met immédiatement le « en un
seul corps » en parallèle avec le « un seul homme nouveau » du v.15b, et porte à

134
Cette interprétation est corroborée par les v.20-22, où ces composantes (unité, crois-
sance, complémentarité, harmonie) sont présentes. On peut ainsi dire que l’image du kaino.j
a;nqrwpoj permet et prépare les suivantes – telles semblent être les raisons pour lesquelles elle
a été préférée par Paul pour exprimer le résultat de l’agir salvifique et créateur du Christ.
135
La valeur finale du participe semble exclue, car la finalité est déjà exprimée par la
proposition finale dont dépend la participiale. Quant à la causalité, du moins telle que
l’exprime A. Buscemi, gli inni di Paolo, 134 (perché la pace sia stabile - « pour que la paix
soit stable »), elle équivaut à une finale ; on revient alors au problème précédent.
136
Le thème de la réconciliation est aussi présent dans les homologoumena (Rm 5,10.11;
11,15; 1Co 7,11; 2Co 5,18-20), où l’agent est Dieu, et la cause instrumentale, la mort du
Christ.
EP 2,1-22 155

préférer l’interprétation ecclésiale. De plus, comme le « un seul » fait suite à la


dualité « les uns et les autres », le parallèle avec le v.15b et l’interprétation
ecclésiale en sont encore renforcés137. Cela dit, il n’en est pas moins vrai que ce
corps ecclésial est inséparable du corps du Christ en croix, en qui la haine a été
vaincue et l’homme nouveau créé. Si elle ne désigne donc pas d’abord le corps
du Christ en croix, mais le corps ecclésial, l’expression semble avoir néanmoins
été choisie pour indiquer comment le corps ecclésial est inséparable du corps du
Christ en croix.
- « ayant tué la haine en lui ». Étant parallèle à celui du verset précédent, le
participe aoriste a la même fonction circonstancielle, modale, instrumentale ou
encore temporelle. Quant au contenu, le syntagme est redondant, car il répète, à
l’aide d’un oxymore138, le leitmotiv du Christ opérateur de paix.

v.17-18

17
Étant venu, il proclama la paix à vous [qui étiez] loin (makra,n)
et la paix (eivrh,nhn) à ceux proches (evggu,j)
18
parce que, par lui, nous avons l'accès
les uns et les autres, dans un seul Esprit, auprès du Père

Il a déjà été dit plus haut que le v.17 donnait l’impression d’être déplacé ou
superfétatoire : déplacé, car il semble remonter au ministère de Jésus, sans en
relever les effets bénéfiques, alors que les v.14-16 ont souligné ce que la croix a
bouleversé du rapport entre juifs et païens ; mais aussi superfétatoire, car ce qui
y est énoncé reste en deçà des affirmations précédentes. Mais, ces versets sont
une application épistolaire de la geste salvifique décrite aux v.14-16. Comment
percevoir le passage des v.14-16 à 17-18 et la progression qui s’y dessine ?

v.17
- « Et étant venu, il annonça (euvhggeli,sato) la paix à vous qui étiez loin, et la
paix à ceux qui étaient proches »
Dans la présentation des v.14-18, la possibilité d’une lecture midrashique
de plusieurs passages prophétiques a déjà été signalée. Le v.17 a pour fonction
de la reprendre et de l’appliquer aux destinataires de la lettre – comme on le

137
Voir A.T. Lincoln, Ephesians, 144 ; P.T. O’Brien, Ephesians, 202.
138
Le verbe tuer a des connotations négatives, pareillement la haine (car la haine tue),
mais leur articulation inversée (tuer la haine) devient positive (la destruction du négatif est
positive). Ce n’est pas la première fois que Paul procède ainsi en cette unité. Voir l’exégèse
du v.14 (« il a détruit le mur de séparation »).
156 ÉPHÉSIENS

sait, le phénomène d’actualisation et d’application est typique des midrashim


homilétiques.
Le participe evlqw,n est un complément circonstanciel de temps. Certains
l’interprètent comme une allusion à l’incarnation et l’aoriste qui suit,
euvhggeli,sato, comme un résumé du ministère terrestre du Christ139. D’autres,
pour sauver la logique temporelle des v.16-18, pensent que le verset décrit
plutôt l’entrée du Christ dans la gloire, et parce qu’ainsi il a pu atteindre tous les
humains, païens et juifs – l’Évangile de la paix aurait alors commencé avec
l’exaltation du rédempteur, avec l’annonce apostolique140. D’autres encore
voient en ce verset résumée toute l’œuvre du Christ141. Il est en réalité plus
important de déterminer l’originalité du verset par rapport aux précédents. Car
ce n’est pas seulement à la croix (v.14-16) que s’opère la pacification
définitive ; le v.17 rappelle que toute la vie de Jésus a été une annonce de la
paix, que la bonne nouvelle n’est rien d’autre que la paix. Le v.17 se présente
donc, encore de manière redondante, comme un pas en avant dans le dévelop-
pement du thème de la paix, qui devient coextensif à l’Évangile. La question
soulevée plus haut n’en devient que plus brûlante : pourquoi Paul fait-il de la
paix le cœur de l’Évangile et de l’œuvre salvifique du Christ ?
En ce verset, la paix n’est pas présentée comme caractérisant la relation
nouvelle entre circoncis et non circoncis (relation horizontale), mais comme
bonne nouvelle annoncée aux uns et aux autres : ce qui importe maintenant
c’est que la paix soit annoncée comme don de Dieu fait à tous les hommes, car
c’est comme grâce et don eschatologique par excellence qu’elle les rejoint tous,
grâce depuis longtemps annoncée et attendue par les prophètes. Le v.17 reprend
ainsi le thème des v.14-16 en le situant dans l’histoire d’une attente née de la
parole divine elle-même, comme exaucement et effectuation de l’acte divin de
parole – lorsque dire c’est créer !

v.18
- « parce que (o[ti) c'est grâce à lui (diV auvtou/) que les uns et les autres, dans un
seul esprit, nous avons accès (prosagwgh,) auprès du Père »
Difficultés linguistiques. (1) La plupart des commentateurs pensent que le
o[ti introduit une causale, et quelques autres une complétive142. La causale est
syntaxiquement plus sûre, car s’il s’agissait d’une complétive, il y aurait sans

139
K.M. Fischer, Tendenz und Absicht, 131–32 ; C.L. Mitton, Ephesians, 109.
140
Ainsi, J. Gnilka, Epheserbrief, 146.
141
A. Lindemann, Aufhebung der Zeit, 176–177.
142
Le sens est alors le suivant : « il proclama l’Évangile de la paix (en disant) que c’est
par son intercession que nous avons les uns et les autres accès auprès du Père ».
EP 2,1-22 157

doute un verbum dicendi juste avant le o[ti pour éviter toute ambiguïté, le verbe
euvhggeli,sato du v.17 étant trop éloigné. (2) Que désigne le evn e`ni. pneu,mati ?
Pour les uns, il s’agit de l’Esprit Saint et pour les autres de l’esprit
communautaire. Les deux positions sont défendables. La première (trinitaire) a
pour elle Ep 1,13-14, et Ep 4,4, car c’est dans l’unique Esprit reçu que les
chrétiens trouvent leur unité, et peuvent connaître Dieu comme Père – motif
plusieurs fois repris dans les homologoumena143 ; de même ce n’est pas sur la
qualification des sentiments communautaires que le passage insiste, mais sur les
dons reçus, car en ce passage, les croyants sont passifs144. La seconde position
(ecclésiologique) a aussi pour elle les parallélismes des versets précédents, où
les chrétiens sont devenus « une seule chose » (v.14), « un seul homme
nouveau » (v.15a), « un seul corps » (v.16) ; il semble normal que la progression
aille jusqu’à « un seul esprit », dans la mesure où cette unité des cœurs et des
esprits ne vient pas des forces humaines, mais de l’œuvre pacificatrice du
Christ ; au demeurant, si Paul avait voulu éviter que son lecteur n’interprète pas
ecclésialement l’expression, aurait-il ajouté l’adjectif « seul » ou « unique »
(e`ni,)145? Cette deuxième interprétation ecclésiologique étant plus en harmonie
avec le contexte immédiat, semble préférable. Mais il faut immédiatement
ajouter que le v.18 n’est pas tout à fait parallèle aux v.14-16. En effet, au v.14b
il était dit : « des uns et des autres il a fait une seule chose », au v.15b « il a créé
les deux comme un seul homme nouveau », et au v.16 « il a réconcilié les uns et
les autres en un seul corps » : en toutes ces propositions, on relève une
transformation, un changement radical entre l’avant de la séparation (ou de la
division) et l’après de l’unification. En revanche, au v.18 c’est dans le présent
que les uns et les autres (oi` avmfo,teroi)146, comme composantes d’une même
Église, ont accès au Père : la communion spirituelle et l’unité des cœurs sont
celles de groupes distincts. Après avoir insisté sur la dissolution des divisions,
Paul peut maintenant réaffirmer la diversité dans l’unité : le v.18 indique à sa
manière qu’un seul esprit et un seul cœur ne signifient aucunement
l’uniformisation des origines et des cultures.
Quant à la finale du verset, « l’accès auprès du Père », elle indique le terme
du processus de pacification : c’est ensemble, comme enfants, fils et filles, que

143
Voir Rm 8,14.15 et Ga 4,6. Également 1Co 12,13 où est souligné le lien entre unique
Esprit et unique corps ecclésial.
144
Voilà pourquoi un texte comme celui de Ph 1,27, où l’unité des sentiments et des cœurs
est requise, ne saurait être invoqué pour rendre compte d’Ep 2,14-18, où l’agir est
entièrement christique. Les contextes sont entièrement différents, quoi qu’en dise R. Penna,
Efesini, 146.
145
Comparer en effet avec le evn pneu,mati d’Ep 2,22 ; 3,5 ; 5,18 et 6,18.
146
C’est à tort que R. Penna, Efesini, 146, fait du oi` avmfo,teroi du v.18 une réalité du
passé. Le verbe est au présent, et c’est du « nous » chrétien qu’il est question.
158 ÉPHÉSIENS

tous ont accès auprès de leur Père. Ainsi est implicitement affirmée que la
médiation christique nous a obtenu l’adoption filiale. Mais le lieu où nous avons
accès à Dieu n’est pas mentionné – serait-ce la montagne de Sion et le Temple
qui y a été édifié ? Dans les versets suivants Paul déclare que l’Église est
demeure de Dieu ; cela signifie qu’étant constitués en Église, les chrétiens ont
accès au Père.

v.19-22 Les conséquences ecclésiales de l’agir du Christ


Comme la présentation globale aux v.11-22 l’a montré, ces versets font
pendant aux v.11-13 (le v.19 reprend le v.13, et les v.20-22 les v.11-12), et ils
décrivent la nouvelle situation ecclésiale, comme une conséquence – ainsi que
l’indique le a;ra ou=n au début de cette sous-unité – de l’agir salvifique du Christ.
Les images du v.19 appartiennent aux champs socio-politique et familial, et
celles des v.20-22 viennent toutes du domaine de l’architecture. Il faudra
évidemment expliquer le choix de ces divers champs sémantiques dans la
reprise théologique.

v.19
- « Ainsi (a;ra ou=n), vous n'êtes plus des étrangers, ni des émigrés; vous êtes
concitoyens des saints, vous êtes de la maison de Dieu »
Paul commence donc avec des images socio-politiques et familiales. Le
verset est construit sur un parallélisme antithétique encore redondant : à xe,noi
(« étrangers ») s’oppose sumpoli/tai tw/n a`gi,wn (« concitoyens des saints), et à
pa,roikoi (« éloignés de la maison ») s’oppose oivkei/oi tou/ qeou/ (« de la maison
de Dieu »). Partant d’une situation négative (pour ceux qui n’étaient ni du pays
ni de la maison), le verset souligne un double renversement identitaire dont
l’extension va se resserrant : une vraie citoyenneté, mais aussi et surtout
l’appartenance à une maisonnée, celle même de Dieu. Le premier renversement
met en relation les Gentils avec les saints (relation horizontale), le second avec
Dieu (relation verticale).
L’expression « concitoyens des saints », forgée avec le préfixe su,n, qui ne
dénote pas, comme en Ep 2,6, un être-avec le Christ mais avec d’autres
chrétiens, amorce la thématique de la vie ecclésiale comme être-avec. Elle
indique aussi que ceux à qui Paul s’adresse ont désormais acquis la politeia des
saints147. Mais au v.12, il était dit que ceux qui étaient alors païens étaient privés
de la politeia d’Israël. Les croyants issus de la gentilité sont-ils donc devenus
juifs, membres du peuple d’Israël, la nation sainte (Ex 19,6)148? Les

147
Sur la politeia et sur les changements possibles de politeia, voir l’excursus à Ep 2,12.
148
Ainsi J.J. Meuzelaar, Der Leib des Messias, 63–64; Barth, Ephesians, 269-270.
EP 2,1-22 159

commentateurs qui défendent cette interprétation s’appuient sur le parallélisme


existant entre les v.l2 et 19. Pareille exégèse implique évidemment que les
Gentils ont été purement et simplement incorporés dans le peuple d’Israël149.
D’autres pensent plutôt que Paul voudrait ainsi désigner l’intégration des Gen-
tils à la communauté chrétienne d’origine juive, celle qui forme désormais
l’Israël de Dieu150. D’autres encore pensent aux anges, car en adhérant à
l’Évangile, en étant donc ressuscités avec le Christ et assis avec lui dans les
cieux (Ep 2,5-6), les croyants convertis du paganisme feraient désormais partie
de la patrie céleste et auraient la citoyenneté des anges151. Selon d’autres enfin,
il s’agit de tous les membres de l’Église, ceux que Paul a appelés « saints »
depuis le début de sa lettre152. Le contexte interdit que l’adjectif « saints »
désigne tous les israélites. Certes, le v.19 est en contraste avec le v.12, mais il
est en décalage par rapport à lui, car si dans l’unité inaugurale, c’est par rapport
à Israël que les manques des païens étaient énoncés, il ne peut plus en être de
même dans l’unité finale où les identités sont déterminées par l’agir salvifique
du Christ décrit aux v.14-18 : car s’ils avaient désormais la politeia d’Israël,
cela signifierait qu’ils obéiraient à ses institutions153, à la Loi qui a été abolie par
le Christ en croix (v.15). Or, c’est des « saints », et non des israélites que les
chrétiens issus de la gentilité sont désormais sumpoli/tai. Certes les « saints »
pourraient être les anges, qui sont aux cieux et sont ainsi désignés dans certains
écrits juifs de l’époque. Mais, depuis le début de la lettre, l’adjectif a désigné les
chrétiens154 et il en sera de même dans le reste de la lettre155; si donc, sans
fournir d’indice clair à son lecteur, Paul désigne ici les anges, il court le risque
de voir le mot interprété à partir de ses précédentes occurrences. C’est
justement parce qu’il n’a aucun indice lui permettant de changer de référent que
le lecteur doit comprendre qu’il s’agit des chrétiens, déclarés maintenant saints,
parce que sanctifiés par l’agir du Christ décrit aux v.14-18. Les règles du reader

149
Cette conclusion a été logiquement tirée par M. Barth, Ephesians, 270.
150
Par ex. R. Penna, Efesini 148.
151
Voir H. Schlier, Epheser, 140–41 ; F.-J., Steinmetz, Protologische Heilszuversicht, 48 ;
J. Gnilka, Epheserbrief, 154; A. Lindemann, Aufhebung der Zeit, 183 ; A.T. Lincoln,
Ephesians, 151, qui renvoie à Ph 3,20, mais aussi aux passages des écrits qumraniens où les
« saints » sont les anges avec lesquels la communauté élue est unie (1QS 11.7, 8 ; 1QH 3.21–
23 ; 6.10–14 ; 1QM 12.1,2), et à Philon, de confusione 78.
152
Ep 1,1.4.15.18. Cette exégèse est la plus suivie. Ainsi, entre autres, R.P. Meyer, Kirche
und Mission, 141 ; K.T. Abbott, Ephesians, 69 ; F. Gaugler, Epheserbrief, 120 ; F. Mussner,
Christus, 105-106; J. Pfammatter, Die Kirche als Bau, 76–77 ; H. Merklein, Das kirchliche
Amt, 132 ; P.T. O’Brien, Ephesians, 211.
153
Se reporter à l’excursus du v.12 sur la citoyenneté dans le monde grec d’alors.
154
Voir en particulier l’exégèse d’Ep 1,18.
155
Voir Ep 3,8.18 ; 4,12 ; 5,3 et 6,18.
160 ÉPHÉSIENS

response criticism s’appliquent encore pour l’adjectif a[gioi du v.19, qui ne peut
dès lors que désigner les chrétiens. Mais la question rebondit : le verset entend-
il par là tous les chrétiens ou seulement ceux issus du judaïsme ? La réponse
n’est pas simple, car elle suppose qu’on réponde préalablement à deux autres
questions : (1) le « vous » du v.19 désigne-il seulement les Éphésiens (ou les
destinataires concrets de la lettre) ou tous les chrétiens venus du paganisme ?
(2) la citoyenneté est-elle juive (comme au v.12) ou bien plutôt la nouvelle
identité chrétienne, que se partagent les croyants d’origine juive et païenne ? Eu
égard au (1), manifestement l’apôtre ne s’adresse pas seulement aux ethnico-
chrétiens d’Éphèse (ou de toute autre communauté), mais, à travers eux, à tous
les croyants venus de la gentilité, ses lecteurs potentiels, de la même façon que
le v.12 (auquel le v.19 fait pendant) visait tous les païens privés de la
citoyenneté israélite ou juive. Réponse est ainsi donnée au (2) : les ethnico-
chrétiens sont sumpoli/tai des judéo-chrétiens. Mais cela n’implique pas que la
politeia commune aux judéo- et ethnico-chrétiens soit la constitution juive, la
loi mosaïque, car les v.14-18 ont explicitement déclaré que les uns et les autres
sont devenus une humanité nouvelle. Ce qu’avec le substantif sumpoli/tai le
verset veut indiquer, c’est que les chrétiens non circoncis ont désormais une
véritable identité qu’ils partagent pleinement avec les chrétiens circoncis156.
Quant à l’adjectif oivkei/oi (« de la maison de Dieu »), il est opposé à
l’adjectif pa,roikoi (« éloignés de la maison ») du même verset, mais aussi à
l’adverbe makra,n du v.13 ; à cause des v.14-18, il ne peut avoir qu’un sens fort :
Paul entend bien dire que les ethnico-chrétiens sont désormais de la famille de
Dieu, qu’ils le connaissent et vivent même avec lui. Mais avec l’idée
d’appartenance à une maisonnée, ne faut-il pas voir préparée la thématique de la
construction, avec un glissement des habitants oivkei/oi à l’habitation oivkodomh, –
l’édifice spirituel dont vont parler les versets suivants157? Cela est probable, et il
est clair, après ce que les v.14-18 ont énoncé, que le vocable, utilisé ici au sens

156
R. Penna, Efesini, 148 a d’autant plus raison d’affirmer que l’Église ne remplace pas
Israël, que, pour le passage, les deux réalités ne sont pas de même ordre, comme on l’a
montré à propos de l’exégèse des v.14-18. Mais Ep 2,19 ne dit pas, même implicitement, que
le fondement historique de l’Église vient d’Israël. Que l’Église ne doive pas renier ses
racines juives, il faut le souhaiter vivement, mais Ep 2,19 ne fait aucunement allusion à cela :
son seul propos est d’insister sur l’identité pleine, nouvelle, due à l’agir salvifique du Christ,
que les ethnico-chrétiens ont désormais en partage avec les judéo-chrétiens, alors qu’ils
étaient auparavant totalement séparés de ces derniers.
157
Selon certains, le verset signifierait aussi indirectement que les ethnico-chrétiens peu-
vent désormais offrir un sacrifice spirituel à Dieu. On aurait alors la même idée qu’en 1P 2,5.
L’association a été suggérée par H. Merklein, Das kirchliche Amt, 133-134, F. Mussner,
Christus, 92 et 106-107, R. Penna, Efesini, 148-149, et d’autres. Si le glissement oivkei/oi
(v.19) – oivkodomei/sqai (v.20) – oivkodomh, (v.21) est probable, il est en revanche impossible de
montrer que l’idée d’offrande et de sacrifice spirituel est présente au v.19.
EP 2,1-22 161

figuré158, suggère la proximité, la familiarité avec Dieu: l’adjectif oivkei/oi


signifie que désormais les ethnico-chrétiens sont en rapport direct et continu
avec Dieu.

v.20
- « édifiés (evpoikodomhqe,ntej) sur la fondation des apôtres et [des] prophètes »
Observations grammaticales. Pour harmoniser ce verset avec 1Co 3,11,
dont l’influence est ici plus que probable, certains pensent que tw/n avposto,lwn
kai. profhtw/n est un génitif subjectif (« sur la fondation qui a été posée par les
apôtres… »), mais cela ne résout pas le problème, car le Christ serait alors à la
fois la fondation et la pierre d’angle ; or la syntaxe impose qu’on choisisse entre
les deux ! Comme le même syntagme tw/n avposto,lwn kai. profhtw/n n’est
précédé que d’un seul article déterminant les deux substantifs, on peut
légitimement se demander si l’ensemble renvoie à un seul ou à deux groupes
différents. Le contexte immédiat ne permet pas de décider, mais Ep 4,11 ne
laisse aucun doute sur le sujet, car il distingue les apôtres et les prophètes. Il
semble improbable que les prophètes ici évoqués soient ceux de l’AT, non
seulement parce qu’ils sont mentionnés après les apôtres159, mais aussi parce
que Paul les compte parmi les charismes ecclésiaux (1Co 12,28), et qu’Ep 4,11
les mentionne aussi parmi les dons faits par le Christ à son Église.
À lui seul Ep 2,20 ne permet pas de savoir pourquoi les prophètes sont
conjoints aux apôtres et quel est leur rôle160. Ep 3,5 dira que les uns et les autres
sont les dépositaires de la révélation du mystère. Selon plusieurs com-
mentateurs, les prophètes seraient les interprètes charismatiques des révélations
faites par l’Esprit Saint. Si Ep reste plus que laconique sur l’exercice de leur
fonction, plusieurs passages du NT fournissent des indications sur l’activité
prophétique dans les premières communautés161. En les adjoignant aux apôtres
Ep reconnaît que leur autorité est grande et leur rôle fondamental – même si
l’on ne peut dire exactement ce qu’il fut – dans l’édification de l’Église.

158
R. Penna, Efesini, 149, signale un passage de Strabon, Geogr. 17.1.5, où l’adjectif est
aussi employé métaphoriquement et connote la familiarité avec quelqu’un ou quelque chose.
Ce n’est évidemment pas le seul. Voir Polybe, Hist 4.57.5.1 ; Archimède, Quadratura
parabolae 2.164.5 ; etc.
159
Comparer avec Lc 11,49.
160
Sur le rôle des prophètes dans les premières communautés, consulter H. Merklein, Das
kirliche Amt, 135-144. La reconstruction proposée est suggestive, mais elle ne s’appuie pas
(ou si peu) sur le témoignage d’Ep. Il est vrai que, cette lettre supposant connus les
prophètes, on est tacitement invité à aller chercher les informations manquantes dans les
autres écrits.
161
Voir par ex. Ac 11,27 ; 13,1 ; 15,32 ; 19:6; 21,9-11 ; Rm 12,6 ; 1Co 12 et 14 ; 1Th
5,20 ; Ap 1,3; 10,11 ; 16,6 ; 18,20.24 ; 19,10 ; 22,6-10.18.19.
162 ÉPHÉSIENS

Pourquoi, à la différence de 1Co 3,11, qui fait du Christ la fondation


(qeme,lioj) de l’Église, Ep 2,20 assigne-t-il cette fonction aux apôtres et aux
prophètes ? Pour répondre à la question il faut auparavant voir ce que devient le
Christ dans cette nouvelle architecture.
- « Christ Jésus lui-même étant [pierre] maîtresse »
Le sens de l'adjectif avkrogwniai/oj, qui n’apparaît pas hors de la Bible
avant son usage en Is 28,16 et deux fois dans le NT – en Ep 2,20 et 1P 2,6 qui
s’inspirent du passage d’Isaïe162. La rareté de son emploi rend sa compréhension
difficile. En Is 28,16 le vocable désigne une pierre d’angle servant à la
fondation de l’édifice. Comme la pierre sert pour la fondation, le préfixe avkro-
peut être compris de deux façons différentes, verticalement (« le plus haut » ; il
s’agit alors de la partie supérieure des fondations) ou horizontalement (« qui se
trouve tout au bout » ; et la pierre forme l’extrême angle des fondations). Cette
ambiguïté (vertical/horizontal) se retrouve en Ep 2,20, où certains comprennent
« pierre de fondation angulaire »163, et d’autres « clef de voûte »164. Contre cette
dernière interprétation les arguments n’ont pas manqué : outre le fait qu’elle
n’est vraiment attestée que dans des écrits postérieurs à Ep, elle semble
inconsistante, car que peut bien être la clef de voûte d’un édifice encore en
croissance (v.21), c’est à dire inachevé ? Mais n’oublions pas qu’Ep utilise des
images apparemment saugrenues, comme celle du corps en croissance vers sa
tête, en 4,15-16, qui a par ailleurs plusieurs traits communs avec Ep 2,20. Rien
n’indique d’ailleurs que l’édifice en croissance qu’est l’Église n’est pas achevé
et qu’il lui manque quelque chose – Ep 4,1-16 dira même le contraire –, qu’il ne
peut donc avoir de clef de voûte ; la construction d’Ep 2,20 croît à la manière
du corps vivant d’Ep 4,15. L’apparente incongruité de l’image s’avère
théologiquement riche, tout comme celles de Rm 7,1-6 et 11,16-24. Enfin, que
le Christ soit la clef de voûte de l’édifice manifeste bien la position éminente et
supérieure qui lui a été dévolue par Dieu en 1,20-22 et 2,5-6. Cette exégèse est
celle qui rend le mieux compte des paradoxes ecclésiaux du passage :
croissance et néanmoins achèvement. Les apôtres sont les fondations de
l’édifice, et le Christ en est la clef de voûte, celui qui donne à l’édifice son

162
En 1P 2,6 il s’agit d’une citation, et en Ep 2,20, on retrouve conjoints deux mots qui le
sont en Is, qeme,lion et avkrogwniai/oj.
163
E. Percy, Probleme, 328-332 ; J. Pfammatter, Kirche als Bau, 143-151 ; F. Mussner,
Christus, 108-111 ; H. Merklein, Das kirchliche Amt, 144-152 ; R. Schnackenburg, «Die
Kirche als Bau», 263-264 ; R. Penna, Efesini, 150-151 ; P.T. O’Brien, Epehsians, 216.
164
H. Schlier, Epheser, 142 ; J. Gnilka, Epheserbrief, 158 ; M. Barth, Ephesians, 317-
319 ; A. Lindemann, Aufhebung der Zeit, 185-186 n.213 ; A.T. Lincoln, Ephesians, 154-156.
EP 2,1-22 163

achèvement165; cette double polarité, apostolique et christique, constitue


l’Église.

v.21
- « [le Christ] en qui tout [l’] édifice bien ajusté ensemble, grandit pour former
un temple saint dans le Seigneur »
La langue et le style. Le syntagme pa/sa oivkodomh,, sans article166 constitue
la première difficulté linguistique du verset. A-t-il un sens distributif (toute
espèce de construction) ou désigne-t-il la construction dont a parlé le verset
précédent ? On peut justifier la seconde exégèse, non seulement au vu du
contexte immédiat, mais aussi parce que l’on rencontre la même formulation
ailleurs dans l’AT et dans le NT, comme le montrent les exemples suivants, où
le sens distributif ne convient manifestement pas : Mt 2,3 (pa/sa ~Ieroso,luma) ;
Ac 2,36 (pa/j oi=koj VIsrah,l) ; 17,24 (evpi. panto.j prosw,pou th/j gh/j) ; Rm 11,26
(pa/j VIsrah,l). Ce qui est visé en ce verset, c’est bien l’Église universelle,
composée de judéo- et d’ethnico-chrétiens. Quant au style, il est toujours aussi
redondant, puisque le evn kuri,w| en fin de relative fait double emploi avec le evn
w-| initial, qui renvoie déjà au Christ. Cette redondance renforce la
christologisation de l’ecclésiologie du passage167.
L’Église est déjà appelée nao,j a[gioj en 1Co 3,16-17168. Et avant les propos
de Paul sur l’Église, la communauté de Qumran se considérait déjà comme le
vrai temple spirituel169. Deux aspects sont soulignés : l’harmonie de l’édifice,
symbolisant l’ordre, la concorde et l’unité ecclésiale ; est encore plus souligné
le fait que l’entière communauté est désormais un lieu sanctifié par la présence

165
Le relatif evn w-| au début du v.21 n’indique pas un mouvement vers le Christ : l’édifice
ne tend ni ne monte vers la clef de voûte ; mais il n’y a là aucune contradiction, car c’est
comme déjà constitué que tout l’édifice croît – il semble même que Paul voie la croissance de
l’édifice à la manière d’un corps vivant, dont tous les membres sont déjà en place et qui
néanmoins grandit en toutes ses parties.
166 a
a A C P quelques minuscules Origène et Chrysostome lisent pa/sa h` oivkodomh,. Mais il
s’agit là d’une correction manifeste, comme le notent tous les commentateurs.
167
À propos du evn kuri,w|, A.T. Lincoln, Ephesians, 157, signale que sa présence confir-
merait la tendance générale des lettres pauliniennes à utiliser ce syntagme pour ce que les
chrétiens deviennent ou doivent faire, alors que le evn Cristw/| accompagnerait davantage les
énoncés d’état. Il mentionne, entre autres, M. Barth, Ephesians, 273, et C. F. D. Moule, The
Origin of Christology, Cambridge University Press : Cambridge 1977, 58–60.
168
Même thématique en 2Co 6,16, qui la relie à celle de l’alliance.
169
1QS 8,5-6 et 9,5-6 (maison sainte, vdwq tyb) ; 4QFlor 1,6 (temple humain, vdqm ~da).
Selon certains, qui par ailleurs interprètent avkrogwniai/oj comme clef de voûte, il se pourrait
que, dans sa manière de décrire l’Église en son rapport au Christ, l’auteur d’Ep fasse allusion
à la thématique du temple céleste ; voir par ex. J. Gnilka, Epheserbrief, 155, et A.T. Lincoln,
Ephesians, 157.
164 ÉPHÉSIENS

même de Dieu, qui y habite ; l’Église devient le lieu où les hommes peuvent
rencontrer et reconnaître Dieu. Le verset indique ainsi la dignité et la
responsabilité de l’Église.
De quel type de croissance, quantitative et/ou qualitative, parle le verset ?
Sans doute l’une et l’autre, car c’est bien dans la sainteté que doit grandir
l’Église170, mais le verset suivant montre que l’auteur fait aussi allusion aux
nouveaux membres qui sont constamment agrégés au corps ecclésial. Cela dit,
la formulation, quelque peu ambiguë, doit être interrogée : est-ce la croissance
qui va faire de l’Église un temple saint, n’est-ce pas plutôt parce qu’elle est
harmonieuse – comme l’indique le participe sunarmologoume,nh – que cette
croissance se fait dans l’unité et la paix ? La dynamique et la cohérence du
passage favorisent la seconde interprétation. Eu égard aux images utilisées aux
v.20-22 et à leur fonction, se reporter infra à la reprise théologique de la section.

v.22
- « en qui, vous aussi, vous avez été ensemble intégrés à la construction pour
devenir une demeure de Dieu dans l'Esprit »
Le evn w-| initial peut avoir comme référent le Christ ou le temple saint. Le
parallélisme entre les v.21 et 22, ainsi que la similarité phrastique et les
réminiscences sémantiques avec Ep 1,12-13 invitent à choisir le Christ comme
référent.
Après avoir décrit le statut et le développement de l’Église, Paul applique
ses propos à ceux à qui il s’adresse, reprenant avec quelques variantes les
images relatives à la construction. La redondance est nette, mais chaque reprise
ajoute quelque chose aux énoncés précédents. Le substantif katoikhth,rion est
synonyme de nao,j ; au demeurant, dans la LXX, il désigne plusieurs fois
l’habitation divine171. Les ethnico-chrétiens auxquels s’adresse Paul ont donc
eux aussi été intégrés dans l’édifice ecclésial, et forment avec les autres
croyants une demeure spirituelle : l’Esprit est la présence même de Dieu à son
Église. En affirmant cela, Paul ne fait que redire, sous une autre forme, ce qu’il
a déjà énoncé en 1,13-14. La macro-unité formée par les v.11-22 finit d’autre
part avec une formulation trinitaire, indiquant bien comment l’Église vit le
rapport à Dieu, au Christ et à l’Esprit. Mais le evn pneu,mati forme aussi une
inclusion avec le evn sarki, du v.11 ; de l’un à l’autre syntagme se lit tout
l’itinéraire de ceux qui, autrefois païens et privés de Dieu, sont devenus proches

170
L’observation vient de R. Penna, Efesini, 152.
171
Le Temple : Ex 15,17 ; Ps 75-76,3 ; le ciel : Ps 32-33,14 ; 3R 8,39.43.49 ; 2Ch
6,30.33.39 ; 30,27 ; 3M 2,15.
EP 2,1-22 165

de lui au point de lui être une demeure spirituelle. Mais cet itinéraire est décrit
avec des images dont il reste à mettre la logique et la cohérence en valeur.

Reprise théologique

a – La christologie et ses enjeux


Ep est le premier et le seul des livres néotestamentaires à avoir attribué le
titre paix au Christ172. Et comme les v.14b-18 explicitent ce titre, en montrant sa
pertinence, c’est dans ce choix que s’indique la visée du passage. Certes, le
Christ mérite le titre, parce qu’il a fait oeuvre pacificatrice. Mais l’intérêt du
titre vient de ce qu’il est expliqué à partir du vocabulaire de la création. En
effet, un médiateur peut œuvrer pour la paix, mais sans pouvoir transformer les
partenaires, ni détruire les instruments de haine ou de guerre, et la paix qu’il
aura instaurée n’en sera que plus fragile. En détruisant ce qui provoquait
l’inimitié et en transformant les acteurs, le Christ a établi une paix forte et
durable. C’est bien parce qu’il a créé l’humanité nouvelle, capable de vivre
unie, en paix, qu’il est le pacificateur par excellence.
Mais le Christ n’est pas seulement pacificateur, il est aussi la paix en un
autre sens. En effet, lorsque les ennemis se serrent la main, le médiateur se
retire, puisqu’une relation directe et positive entre parties autrefois antagonistes
est désormais possible. Or, il n’en est pas de même avec le Christ : loin de se
retirer, de s’effacer, il demeure celui sans qui la paix ne saurait durer, car c’est
en son corps qu’elle s’effectue : elle est immanente au corps ecclésial, qui est
son corps. Vivre dans la paix équivaut ainsi à vivre en Christ. On ne pouvait
mieux exprimer que par une métonymie le rapport du Christ à la paix173.
b – Une ecclésiologie paradoxale
Mais pourquoi Paul décrit-il la médiation du Christ principalement voire
exclusivement comme une œuvre de paix, alors que dans les homologoumena, il
utilise d’autres champs sémantiques – justification, rédemption, expiation, etc. ?
On peut chercher une explication de type historique, en disant par exemple que
la communauté à laquelle Paul s’adresse est en crise et court le risque de
retourner au passé pré-chrétien, à une séparation entre ethnico- et judéo-
chrétiens174. L’auteur d’Ep proposerait une voie nouvelle, celle opérée par le
Christ, celle de l’unité sans uniformité. Malheureusement, il n’y a aucun indice

172
On trouvera des titres voisins en 2Th 3,16 et Hb 7,2. Pour une présentation concise de
la thématique biblique de la paix, voir A. Buscemi, Gli inni di Paolo, 138-150.
173
Pour la métonymie elle-même, voir l’exégèse du v.14.
174
Hypothèse formulée par R. Penna, « La posizione dell'esperienza comunitaria sul piano
storico (Ef 2,11-22) e cosmico (Ef 1,20-23) », RivB 26 (1978) 163-186.
166 ÉPHÉSIENS

susceptible d’appuyer cette exégèse, même dans les exhortations d’Ep 4-5, qui
restent générales et ne laissent subodorer aucun conflit de ce genre. Les v.14-22
ne décrivent d’ailleurs pas une union utopique ne devant se réaliser que plus ou
moins lointainement dans le temps, mais une union déjà tout à fait réelle. Au
demeurant, la nature eulogique de la lettre montre bien que ce n’est pas pour
répondre à une communauté divisée ou en voie de l’être que Paul écrit, mais
bien pour formuler de manière forte ce que les communautés d’alors vivaient
déjà.
Quelle qu’ait été la situation ecclésiale, c’est plutôt dans la logique et la
progression d’Ep 2,11-22 qu’il faut chercher les raisons décisives pour les-
quelles Paul a autant insisté sur l’œuvre pacificatrice du Christ. En effet, les
énoncés du passage ne manquent pas d’étonner : l’unicité de l’homme nouveau
ou du corps ecclésial y est bien soulignée, comme pour donner à entendre qu’il
ne saurait y avoir deux spécimens de l’un ou de l’autre ; mais on peut aussi
noter que les différences ne se sont pas toutes envolées : circoncis et non
circoncis restent tels, et Paul nomme encore ses lecteurs e;qnh175. Car la paix
suppose précisément qu’il n’y ait pas absorption de l’un des partenaires : le
vocabulaire de la paix permet d’exprimer l’union dans la différence, et c’est
bien parce que circoncis et non circoncis restent les uns et les autres ce qu’ils
sont qu’on peut parler de paix entre eux. À aucun moment le texte ne déclare ni
ne laisse entendre que les Gentils sont devenus membres d’Israël. Il se peut
même, comme le pensent certains, que le evggu,j du v.13 ait pour fonction de
signifier que les Nations restent ce qu’elles sont culturellement : elles n’ont pas
dû passer au judaïsme, et l’Église n’équivaut pas à un Israël élargi176. En réalité,
si les v.19-22 allaient dans le sens d’une intégration des Gentils dans le peuple
juif, ils seraient en rupture sémantique par rapport aux précédents, où il était dit
que la Loi, qui était la constitution d’Israël, sa politeia, avait été abolie par le
Christ. Car les conséquences du v.15 doivent bien être perçues : si ce sont les
institutions qui font la politeia, et si la Loi a été abolie par le Christ, l’Église ne
saurait être le nouveau peuple d’Israël. C’est à dessein et en toute cohérence que
le passage ne déclare pas que les Gentils étaient devenus membres du peuple de
Dieu.
Sans doute aussi est-il opportun de noter ici que, suivant en cela les
homologoumena, le passage n’oppose pas Israël et l’Église, mais Israël et les

175
En Ep 3,1.6.8, où e;qnh doit être rendu par « nations », et non par « païens ».
176
Observation de H. Merklein, Christus und die Kirche, 26, et de M. Rese, «Church and
Israel», qui note le non usage du vocabulaire référentiel habituel (Israël, etc.), mais qui, p.29,
déclare que si Israël était peuple élu dans le passé, l’Église l’a remplacé dans le présent. Non
seulement l’entité nouvelle n’a pas la constitution d’un peuple, mais elle ne se substitue pas à
Israël.
EP 2,1-22 167

Nations. Car, si Israël et les Nations sont des peuples ayant les uns et les autres
leur histoire, leurs institutions, l’Église est une réalité eschatologique, qui, sans
être en continuité avec ces peuples et sans faire nombre avec eux, est le lieu de
leur unité. Disons-le autrement : ce que Ep 2,11-22 décrit, ce n’est pas l’unité
entre chrétiens et juifs, mais entre circoncis et non circoncis (juifs et non juifs)
en cet unique corps qu’est l’Église.
L’importance donnée en Ep 2 – et dans le reste de la lettre – au langage du
corps pour élaborer l’ecclésiologie est très certainement un gain, car il est par là
bien montré que l’Église est inséparable du Christ – que serait un corps sans
tête ? – et qu’elle a pour vocation de faire connaître, par l’unité et la paix dont
elle vit, celui dont elle est le corps. Mais ce langage n’est pas sans risques : si,
dans une Église désormais définie principalement en rapport à sa tête, les
chrétiens venus du judaïsme deviennent une minorité, comment les chrétiens
venus de la gentilité vont-ils pouvoir tenir compte de ce qui fait aussi partie
intégrante de leur mémoire, à savoir la foi juive et biblique ?
Le mystère comme clef de lecture
Ep 3,1-13

Bibliographie
M.N.A. Bockmühl, Revelation and Mystery ; C.C. Caragounis, The Ephesian Mysterion ; H.
Merklein, Das kirchliche Amt nach dem Epheserbrief, 159–224 ; R. Penna, Il ‘mysterion’
paolino ; Ch. Reynier, Évangile et mystère.

1
Voilà pourquoi moi, Paul, le prisonnier de Jésus Christ pour vous, les Na-
tions... 2 si du moins vous avez su comment m’a été confiée la grâce de Dieu*,
qui m'a été accordée pour vous, 3 [à savoir que], lors d’une révélation, me fut
notifié le mystère, tel que je viens de l’esquisser rapidement*, 4 à cause de quoi,
vous pouvez constater, en me lisant, quelle intelligence j'ai du mystère du
Christ, 5 qui n’a pas été notifié aux hommes des générations passées comme il a
été révélé maintenant à ses saints apôtres et prophètes dans l'Esprit : 6 les
Nations sont admises au même héritage, membres du même corps, associées à
la même promesse, en Jésus Christ, par le moyen de l'Évangile, 7 dont j'ai été
fait ministre par le don de la grâce de Dieu qui m'a été accordée selon la force
de sa puissance. 8 À moi, le plus petit de tous les saints, a été accordée cette
grâce d'annoncer aux Nations l’insondable richesse du Christ 9 et de mettre en
lumière quelle est l’économie du mystère tenu caché depuis toujours en lui, le
créateur de toutes choses; 10 afin que soit notifiée maintenant aux Pouvoirs et
Autorités, dans les cieux, grâce à l'Église, la sagesse multiple de Dieu, 11 selon
le projet éternel qu'il a exécuté en Jésus Christ notre Seigneur, 12 en qui nous
avons, par la foi en lui, l’assurance de nous approcher en toute confiance. 13
Ainsi, je demande de ne pas perdre courage dans les tribulations que j'endure
pour vous; elles sont votre gloire.

v.2 litt. « vous avez entendu [parler de] l’administration de la grâce de Dieu »
v.3 litt. « comme j’ai écrit ci-dessus (ou ‘avant’) brièvement »
EP 3,1-21 169

Composition et présentation

a – La section en son contexte


Le style du passage, pléonastique et redondant, est en tout semblable à
celui des unités précédentes : des phrases assez longues – les v.2-7 n’en forment
qu’une –, un style en cascade où alternent circonstancielles et relatives, des
formules répétées deux ou trois fois – « la grâce qui m’a été donnée aux v 2, 7
et 8, le « mystère » v 3, 4 et 9, qui « a été notifié » v 3, 5 et 10. La répétition est
la figure rhétorique la plus nette, et une lecture même rapide montre déjà que la
pensée progresse en reprenant le vocabulaire en ordre alterné – selon la
technique de la reversio –, avec des éléments plus développés que d’autres1:

a =v.1 Paul, prisonnier du Christ pour vous, les Nations


b = v.2 la grâce de Dieu donnée à moi pour vous
C = v.3-6 révélation du mystère à Paul, aux apôtres et prophètes
b = v.7-8a la grâce de Dieu donnée à Paul pour être ministre de l’Évangile
C = v.8b-12 pour annoncer le mystère aux Nations
a = v.13 les tribulations de Paul pour vous (les Nations)

Outre la continuité stylistique, la continuité sémantique, en particulier avec


l’unité immédiatement précédente, ne fait pas davantage de doute : le passage
se présente comme une reprise d’Ep 2, pour en donner une clef de lecture : il
suppose connu ce qui vient d’être dit sur le statut des chrétiens venus de la
gentilité – cf. les v.3b-4 –, et il le nomme mystère. La question posée à
l’exégète est ainsi très simple, dans sa formulation s’entend : pourquoi Paul
tient-il à reformuler à l’aide du vocabulaire du mystère ce qu’il a énoncé dans
l’unité précédente ? Si l’on dispose synoptiquement les deux péricopes, les
correspondances sont frappantes :

Ep 2,11-22 Ep 3,1-13
la question : le statut des chrétiens non circoncis v.11-13, 19-22 v.1.6
statut exprimé comme participation v.19 sumpoli/tai v.6 sugklhrono,ma
(composés en sun) su,sswma
summe,toca
rôle des apôtres et des prophètes dans l’Église v.20 v.5
accès à Dieu par Jésus Christ v.18 v.12

De proche en proche, on pourrait aussi, à la suite de l’un ou l’autre


commentateur, mettre en évidence d’autres liens avec Ep 1-2, montrant, s’il en

1
Les majuscules désignent les passages quantitativement plus longs.
170 ÉPHÉSIENS

était besoin, que cette unité est bien insérée dans la lettre, qu’elle en est une
pièce maîtresse, en particulier pour les catégories qu’elle met en place. La
technique rhétorique explicitement énoncée par Paul est de faire en sorte que
ses destinataires se remémorent et, au mieux, relisent Ep 1-22, pour percevoir
tout ce que ces unités contenaient d’annonce et de préparation, eu égard à leur
compréhension du mystère3.

b – Ep 3,1-13 et Col 1,23-29


Un coup d’œil à l’intertexte paulinien montre aussi que le passage res-
semble fort à Col 1,24-28, dont la thématique est grosso modo la même, qui met
en valeur la grâce ministérielle de Paul, mais aussi ses souffrances pour
l’annonce et la diffusion du mystèrion :

Col 1,24 tribulations de l’apôtre Ep 3,1.13


Col 1,25 charge confiée à l’apôtre Ep 3,2
Col 1,26 la révélation du mystère caché Ep 3,4.5.9
Col 1,27 le contenu du mystère Ep 3,6
Col 1,28 et sa proclamation Ep 3,8.9

Depuis des décennies, la plupart des exégètes des deux lettres tiennent pour
certain que ce dernier passage a été repris par l’auteur d’Ep et modifié en fonc-
tion de son projet. Les parallélismes lexicographiques sont bien connus et ont
été maintes fois commentés4; au demeurant, ils sautent aux yeux, et ne sont
certainement pas fortuits. Autant qu’on puisse connaître l’histoire de la
rédaction, l’hypothèse la plus séduisante est que l’un des deux passages a été
repris et modifié par l’autre, et comme les développements d’Ep 3,1-13 sont
plus longs, la plupart des commentaires pensent que cette unité est rédac-
tionnellement postérieure à Col 1,23-295. Le tableau suivant permettra de
visualiser les principales correspondances6:

2
Pour les liens lexicographiques et thématiques avec le reste de la lettre, en particulier Ep
1-3, on consultera avec profit les monographies de C.C. Caragounis, The Ephesian
Mysterion, et de Ch. Reynier, Évangile et mystère, 31-42 et 168. Le tableau de la p.331, qui
visualise ces liens, s’inspire en grande partie de ces deux auteurs.
3
Parmi les thèmes récurrents, noter surtout les suivants : l’insistance sur la grâce (1,6.7 ;
2,5.8 et 3,2.7.8), le projet divin avant les siècles (1,11 et 3,11) et sa gestion (1,10 et 3,2.9), la
connaissance du mystère (1,9 et 3,3.4.5.9.10), l’héritage et la promesse (1,11.13.14 et 3,6),
l’Église corps (1,23 et 3,6).
4
Pour une étude de ces parallélismes, entièrement basée sur l’antériorité de Col par rap-
port à Ep, voir H. Merklein, Das kirchliche Amt, 160-171.
5
Le critère étant que ce qui est plus long est en général postérieur. Sur les questions
d’antériorité de Col ou d’Ep, voir le chapitre d’introduction.
6
Le tableau reprend celui de A.T Lincoln, Ephesians, 169.
EP 3,1-21 171

Ep 3
Col 1
v.23c evgw. Pau/loj v.1 evgw. Pau/loj
v.24 u`pe.r u`mw/n v.1 u`pe.r u`mw/n
v.24b tw/n qli,yewn tou/ Cristou/ v.13 evn tai/j qli,yesi,n mou
u`pe.r tou/ sw,matoj auvtou/ u`pe.r u`mw/n
v.25a h|" ejgenovmhn ejgw; v.7a ou| ejgenhvqhn dia,konoj
dia,konoj v.2 th.n oivkonomi,an th/j ca,ritoj tou/ qeou`
v.25b th.n oivkonomi,an tou/ qeou/ th/j doqei,shj moi eivj u`ma/j
th.n doqei/sa,n moi eivj u`ma/j
v.26a to. musth,rion v.4b.5a tw/| musthri,w| tou/ Cristou/,
to. avpokekrumme,non v.9 tou/ musthri,ou tou/ avpokekrumme,nou
avpo. tw/n aivw,nwn avpo. tw/n aivw,nwn
v.26b nu/n de. avpekalu,fqh v.5b nu/n avpekalu,fqh
toi/j a`gi,oij auvtou/ toi/j a`gi,oij avposto,loij auvtou/ kai. profh,taij
v.27.28a gnwri,sai v.8b toi/j e;qnesin euvaggeli,sasqai
ti, to. plou/toj th/j do,xhj to. avnexicni,aston plou/toj
tou/ musthrivou tou,tou evn toi/j
e;qnesin,
o[ evstin Cristo.j evn u`mi/n tou/ Cristou/
… o[n h`mei/j katagge,llomen
v.29b kata. th.n evne,rgeian auvtou`` v.7c kata. th.n evne,rgeian th/j duna,mewj auvtou`
th.n evnergoume,nhn evn duna,mei

En réalité, il n’est pas nécessaire d’être certain de l’antériorité d’un document


sur l’autre pour réfléchir sur leurs ressemblances et leurs différences. La pre-
mière des différences concerne la révélation du mystère : le tableau montre bien
qu’en Ep 3, les dépositaires de la révélation du mystère sont les apôtres et les
prophètes – et non tous les croyants ou tous les saints, comme en Col 1,26 –,
qui doivent à leur tour le faire connaître à tous. Mais si le mystère est fait pour
être connu de tous, par l’annonce qu’en font les apôtres – Paul plus que tous,
car grâce lui a été donnée d’être l’apôtre des Nations –, il n’a été révélé qu’aux
apôtres et prophètes : en d’autres termes, nous n’avons accès au projet divin de
salut que par l’annonce qu’ils en ont faite ; ainsi est clairement signifié leur rôle
unique, mais aussi définitif, parce qu’après eux, les générations de croyants
devront renvoyer à leur message et à leur interprétation.
Il existe deux autres différences entre Col 1,24-28 et Ep 3.1-13, que le
tableau ne met pas en évidence, à savoir la teneur doublement ecclésiologique
du mystère en Ep 3 : dans son contenu (v.6) et dans son annonce (v.10). C’est
en effet l’ecclésiologie qui intéresse principalement Ep 3,1-13, et il nous faudra
en expliciter les raisons mais aussi en montrer les conséquences.
Comme ce sont principalement les v.2-7 qui semblent être repris de Col, le
père Boismard voit en ce passage deux sources différentes : un morceau
originellement écrit par Paul, les v.8-13 – exception faite de l’expression
« depuis les siècles » du v.9 –, et des ajouts du rédacteur de l’actuelle lettre, les
172 ÉPHÉSIENS

v.2-77. En effet, comme il vient d’être dit, ces versets ont leur parallèle en Col
1,23-29 ; ils reprennent aussi la conception du mystère développée en Ep 2,12b-
13 et 19-22, qui étaient déjà des ajouts du rédacteur8, et font du mystère une
réalité ecclésiale : « il [le mystère] consiste en ce que les Gentils sont appelés à
se joindre aux Juifs pour profiter de leur privilèges »9. En revanche, aux v.8-13,
le mystère reste de nature christologique et l’Église n’est que l’instrument de sa
proclamation. Bref, il n’y a pas d’unité vraiment sémantique entre les v.2-7 et 8-
13. Il faudra revenir sur l’unité de la péricope, mais on peut déjà s’interroger sur
la fonction épistolaire de l’unité considérée par Boismard comme paulinienne et
originelle. Car, dans l’unité précédente (Ep 2,11-22), les v.14-18, qu’il déclare
également originels, avaient déjà une coloration ecclésiologique, et orientaient
vers l’interprétation ecclésiologique d’Ep 3,2-7. Même en supprimant comme il
le fait Ep 2,19-22 et 3,2-7, la coloration ecclésiologique est déjà présente, et Ep
3,8-13 ne suffit pas à en rendre compte. De plus, On ne voit pas pourquoi cette
dernière unité, déclarée paulinienne parce qu’elle reprend plusieurs motifs de
1Co 2,1-16, ne pourrait pas être rédactionnelle ? Pourquoi exclure qu’un
rédacteur connaissant bien le vocabulaire, le style et les idées de l’apôtre, ne
puisse les reprendre et les agencer avec originalité ?

c – la composition et son intérêt


Que l’unité doive aller jusqu’au v.13 n’aurait pas besoin d’être montré, si
l’un ou l’autre commentaire n’avait apodictiquement déclaré qu’il faut couper
après le v.1210. Tous notent l’anacoluthe du v.1 et sa reprise sémantique au v.13,
qui termine syntaxiquement et sémantiquement la phrase commencée au v.1, et
ne saurait donc commencer une unité nouvelle, d’autant plus que le tou,tou
ca,rin du v.14 reprend manifestement celui du v.1 pour faire rebondir le
discours. Que le v.13 finisse l’unité et ait pour fonction d’inscrire l’annonce du
mystère dans le contexte des épreuves apostoliques, cela est patent. Cela dit,
après l’anacoluthe du v.1 qui trouve sa complétion au v.13, deux unités
littéraires sont repérables, les v.2-7 et 8-12. Les v.2-7 énoncent brièvement le
contenu de la révélation du musth,rion faite aux apôtres et prophètes, et les v.8-

7
M.-É. Boismard, L’énigme de la lettre aux Éphésiens, 41-43 et 102-107
8
Sur la manière dont Boismard voit l’histoire de la rédaction d’Ep 1-2, voir les présen-
tations faites aux unités jusqu’ici analysées.
9
M.-É. Boismard, L’énigme de la lettre aux Éphésiens, 103.
10
J. Gnilka, Epheserbrief, 179 ; R. Penna, Efesini, 154. Cette position peut être discutée à
partir de critères synchroniques. Mais, comme ces commentaires s’appuient plus sur la
diachronie que sur la synchronie, c’est à ce niveau que la logique de leur choix doit d’abord
être interrogée ; ils admettent en effet qu’Ep 3 dépend de Col 1,24-28, mais Ep 3,13 étant
parallèle à Col 1,24b, devrait en principe faire partie du groupe de versets (à savoir 3,1-13)
dépendant du passage de Col, comme le montre le tableau ci-dessus.
EP 3,1-21 173

12 sa proclamation comme Évangile aux Nations11. Ou encore : si dans un


premier temps (v.2-7), le mystère révélé aux apôtres concerne les Nations, dans
un second (v.8-12), il est annoncé aux Nations (et notifié aux puissances par le
moyen de l’Église). La composition des v.2-7 consiste en une reversio qui
culmine sur la formulation du contenu du mystère (v.6)12:

v.2 si du moins vous avez entendu parler de l’économie (oivkonomi,a) de la grâce de Dieu
celle qui m’a été donnée pour vous
a v.3 [à savoir que] par révélation (avpoka,luyij)
b a été notifié (evgnwri,sqh) à moi
c le mystère (to. musth,rion)
d comme j’en ai écrit ci-dessus brièvement

d v.4 vous pouvez, en lisant, comprendre (noh/sai)


c ma compréhension (su,nesij) du mystère (musth,rion) du Christ
b v.5 qui ne fut pas notifié (ouvk evgnwri,sqh) aux autres générations humaines
A comme maintenant il a été révélé (avpekalu,fqh) à ses apôtres et prophètes
v.6 (à savoir, que) les Nations sont (ei=nai) cohéritières
et membres d’un même corps
et coparticipantes de la promesse
en Christ Jésus par le moyen de l’Évangile,
v.7 dont je suis devenu ministre selon le don de la grâce de Dieu, qui m’a été donnée
Le passage voit son unité confirmée par l’inclusion des v.2 et 7. L’intérêt de ces
six versets vient de leur double statut linguistique : au moment même où Paul
dit que la révélation du mystère lui a été faite, parce qu’apôtre des Gentils, il en
notifie le contenu ; ces versets sont donc à la fois le compte rendu de la
révélation reçue et une annonce de son objet. Quant aux v.8-12, ils énumèrent
les composantes de la relation d’annonce, et leur style en cascade n’est pas sans
rappeler celui de l’eulogie d’Ep 1 :

héraut v.8a à moi le dernier de tous les saints fut donnée cette grâce :
objet v.8b annoncer aux Nations l’insondable richesse du Christ
v.9 et mettre en lumière quelle est l'économie du mystère
finalité v.10 pour que soit notifiée (evgnwri,sqh) maintenant
destinataires v.10 aux autorités et aux pouvoirs dans les cieux
instrument v.10 par le moyen de l’Église
objet v.10 la sagesse multiforme de Dieu et ses modalités v.11
En résumé, malgré le style ampoulé et les nombreuses répétitions, la
division du passage en deux sous-unités (v.2-7 et 8-12) est assez aisément repé-

11
Cette distinction est très bien mise en valeur par M. Bouttier, Éphésiens, 136-137. La
composition proposée ici pour les v.2-7 s’inspire de celle de Ch. Reynier, Évangile et
mystère, Le Cerf, Paris 1992, 61-79.
12
Les mots soulignés une fois sont relatifs à la relation auteur/lecteur, et ceux soulignés
deux fois soulignent, sous forme d’inclusion, l’origine divine de la compétence de l’apôtre.
174 ÉPHÉSIENS

rable ; l’inclusion biographique d’ensemble (v.1.13) met en valeur l’importance


décisive du ministère de Paul :

- v.1 Paul prisonnier pour vous


- v.2 don de la grâce de Dieu à Paul
- v.7 Paul ministre par la grâce de Dieu
-------
- v.8 la grâce donnée à Paul
- v.13 mes tribulations pour vous

Exégèse

v.1 - « Voilà pourquoi moi, Paul, le prisonnier de Jésus Christ pour vous, les
Nations... »
Le premier syntagme « voilà pourquoi » (tou,tou ca,rin) fait du passage une
conséquence ou une conclusion des affirmations d’Ep 2. Mais comme cette
première phrase est une anacoluthe, il est impossible de savoir comment Paul
allait conclure. Sans doute le v.13, qui fait le lien avec le v.1 permettra de voir
comment ces versets (de type biographique) peuvent être une conclusion.
La présentation que Paul fait de lui-même est paradoxale, car il se présente
solennellement13, alors que, sa situation de prisonnier n’a rien de mirifique.
Mais si Paul souligne son être-prisonnier, c’est à cause de ses lecteurs : c’est
pour eux, en leur faveur, qu’il l’est. La formule indique bien que c’est à cause
de son ministère auprès des païens, à cause de l’Évangile qu’il leur a prêché,
qu’il est dans cette situation. Peut-on aller plus loin et conclure, à partir d’Ep
2,11-22 que c’est parce qu’il a voulu défendre leur dignité en Christ contre ceux
qui voulaient les forcer à se faire circoncire, et qu’il aurait été fait prisonnier
sous la pression des Juifs ? La discrétion de l’apôtre ne permet pas de répondre.
Mais il est sûr que son incarcération est directement liée à sa manière de prêcher
l’Évangile. La formule est encore plus paradoxale si l’on veut bien se rappeler
de qui Paul est le prisonnier : comment donc peut-il se déclarer prisonnier du
Christ, alors qu’il est dans une geôle, aux mains des juifs ou des romains ?
L’emploi de de,smioj serait-il donc métaphorique ? Signifierait-il la totale
dépendance de l’apôtre ? Le reste de la lettre, le salut final (Ep 6,20) où le style
n’est en rien métaphorique, montre que la métaphore suppose une situation
d’emprisonnement physique14: Paul est vraiment en prison, voilà pourquoi la

13
Outre le evgw. Pau/loj, utilisé dans les homologoumena pour insister sur l’autorité (1Th
2,18 ; 2Co 10,1 ; Ga 5,2 ; Phm 19), on aura noté que l’apposition précédée de l’article a ici
une fonction emphatique – comme en Ep 4,1.
14
Un coup d’œil à Phm 1 et 9-10 montre aussi que l’emprisonnement est bien réel.
EP 3,1-21 175

figure est pour le moins hardie. Certes, l’apôtre entend signifier qu’il est
prisonnier à cause du Christ – de l’Évangile qu’il prêche –, mais aussi qu’en lui
confiant ce ministère, son Seigneur le laissait affronter les tribulations et qu’il
était en quelque sorte responsable de sa situation actuelle – n’oublions pas que
Paul aime ces raccourcis, où la causalité est divine : Dieu a livré son Fils (Rm
8,32), il nous a tous enfermés dans la désobéissance (Rm 11,32), etc.
Paul appelle les destinataires de sa lettre, « vous, les Nations ». Comme
Rm 11,13, ce verset n’hésite pas à appeler les chrétiens d’origine non juive ta.
e;qnh15, non qu’ils soient encore païens, adonnés au culte des idoles, mais ils
restent non circoncis, non juifs donc. L’appellatif a une extension maximale et
désigne tous les ethnico-chrétiens, pas seulement les Gentils de la communauté
à laquelle la lettre est censée être envoyée.

v.2-7 La révélation du mystère


Commence ici ce que beaucoup appellent une digression16, qui ne fait pas
sortir du sujet traité, bien au contraire, car elle consiste à revenir sur les unités
précédentes (surtout Ep 2,11-22) pour les interpréter avec le vocabulaire du
mystère et pour en montrer les enjeux17. Ces v.2-7 insistent sur le fait que le
mystère a été révélé aux apôtres (et spécialement à Paul) et prophètes, et les
raisons de cette insistance ont déjà été signalées dans la présentation
d’ensemble des v.1-13.

v.2 - « si certainement (ei; ge)18 vous avez entendu [parler de] l’économie
(oivkonomi,a) de la grâce de Dieu, celle qui m'a été accordée pour vous »
Le substantif oivkonomi,a peut désigner ce qui est administré19, l’acte même
d’administrer et de gérer20, ou encore la charge d’administrer elle-même ; ceux
qui optent pour ce dernier sens, distinguent entre la charge en tant qu’elle est
confiée21 ou en tant qu’elle est exercée22. Pour décider du sens, il importe de se

15
Paul interpelle deux fois ses lecteurs, en des contextes où il évoque le sort d’Israël ou le
rapport entre juifs et non juifs. Outre Ep 3,1, voir Rm 11,13.
16
Pour la composition des v.2-7, voir ci-dessus la présentation des v.1-13.
17
Sur le mystère et les composantes de sa notification, aller voir l’excursus qui fait suite à
l’exégèse du v.6
18
La condition eiv est renforcée par le ge, dont la nuance dépend du contexte. Ici elle ex-
prime quelque chose qui est de l’ordre de la certitude, car, bien que n’ayant pas fondé leur
communauté, Paul suppose que ses lecteurs ont entendu parler de son ministère d’apôtre des
Nations. Selon plusieurs commentateurs, la formule est un signe de pseudépigraphie.
19
Ainsi, H. Schlier, Epheser, 148 ; J. Gnilka, Epheserbrief, 163 ; H. Merklein, Das
kirchliche Amt, 173-174 ; R. Schnackenburg, Epheser, 132.
20
Se reporter à l’exégèse d’Ep 1,10 ; également Ep 3,9.
21
R. Penna, Efesini, 157, préfère cette solution, à cause surtout du parallèle avec le v.7.
22
Sens retenu par A.T. Lincoln, Ephesians, 174, à cause du parallèle avec Col 1,25.
176 ÉPHÉSIENS

demander si le substantif oivkonomi,a est en lien avec l’initiative divine – c’est


alors Dieu qui a confié la charge – ou avec l’activité de l’apôtre – et il s’agit
dans ce cas de l’exercice de la charge ? Les génitifs qui suivent oivkonomi,a
favorisent manifestement la première interprétation, qu’on pourrait paraphraser
ainsi : « vous avez entendu parler de la charge que Dieu m’a confiée par grâce,
une grâce qu’il m’a donnée pour vous23». Si l’ensemble du v.2 est redondant,
c’est pour mettre en valeur la grâce divine, en ses décisions, ses choix et ses
réalisations – mais, on l’a déjà noté au cours de l’exégèse des unités
précédentes, cette thématique est un leitmotiv d’Ep.

v.3 - « [à savoir que], c’est lors d’une révélation que me fut notifié le mystère
(to. musth,rion), tel que je viens de l'esquisser rapidement »
Ce verset explique et explicite le précédent, car il dit en quoi consiste la
grâce – la révélation du mystère – et, en même temps, la charge confiée à Paul –
celle de l’exposer. Mais ce même verset renvoie aussi aux unités précédentes –
Ep 2,11-22, et très certainement Ep 1,10, où l’apôtre a pour la première fois
prononcé le mot –, qui sont ainsi décrites comme un bref exposé du mystère24.
Que la circonstancielle kaqw.j proe,graya evn ovli,gw| renvoie à l’unité précédente
et non à d’autres lettres, comme certains le pensent, le v.4 le montre à l’envi : ce
n’est pas à des écrits antérieurs que Paul fait allusion, mais à celui-là même que
ces lecteurs sont en train de lire, et dont le contenu doit pour cela leur être bien
connu.
C’est kata. avpoka,luyin que Paul a connu le mystère. La préposition kata,
suivie de l’accusatif ne semble pas devoir dénoter l’instrumentalité – « par le
moyen d’une révélation »25 –, car un tel usage n’est pas attesté ailleurs, mais le
temps – « (durant ou) lors d’une révélation », comme semble y inviter le
contexte, sens qui est préférable à d’autres : norme – « selon une révélation » –
ou encore raison (« à cause d’une révélation »)26. Paul ne dit rien du quand et du
comment de cette révélation, car son propos est plutôt d’insister sur la qualité
de la connaissance reçue. Étant au début de la proposition, le syntagme kata.
avpoka,luyin est mis en valeur, et notre traduction a rendu cette insistance par
une expression pléonastique (« c’est durant une révélation que »). Est ainsi
soulignée l’origine divine de la connaissance : le mystère n’est pas à la portée

23
En grec, la participiale déterminative th/j doqei,shj moi peut renvoyer à deux substantifs
féminins, oivkonomi,a ou ca,rij. Le contexte – la syntaxe du v.2, mais aussi les syntagmes
parallèles du v.7 – invitent fortement à rattacher la participiale à ca,rij.
24
Pour les correspondances existant entre Ep 2,11-22 et 3,2-7, voir ci-dessus la présen-
tation d’ensemble de 3,1-13.
25
Telle est l’interprétation de P.T. O’Brien, Ephesians, 223 et 229.
26
Ces deux dernières suggestions viennent, entre autres, de H. Merklein, Das kirchliche
Amt, 198, et A.T. Lincoln, Ephesians, 175.
EP 3,1-21 177

des humains ! Mais l’emphase mise sur la révélation prépare aussi le v.4 : c’est
parce que le mystère lui a été révélé que Paul peut en parler aussi bien qu’il le
fait.
Le substantif « mystère », au singulier, est précédé de l’article, to.
musth,rion, comme s’il n’y en avait qu’un et était connu de tous. Comme Ep
1,9-10 en a déjà parlé et lui a donné un contenu christologique, le lecteur est en
droit de penser que le vocable a la même compréhension. Mais il s’agit aussi
d’une technique déjà utilisée par Paul dans les lettres précédentes, où il procède
souvent par précisions successives. Il en sera de même en Ep 3,3-6, où le
vocable musth,rion va progressivement être explicité en ses différentes
composantes. Ce qu’il faudra clarifier, c’est le rapport entre Évangile et
mystère, et les raisons pour lesquelles Paul emploie ce nouveau terme, qui
semble faire double emploi avec celui d’Évangile.

v.4 - « à cause de quoi (pro.j o[), vous pouvez constater, en me lisant, quelle
intelligence j'ai du mystère du Christ »
Comme on vient de le signaler, ce verset explicite le précédent : la qualité
du discours paulinien ne peut s’expliquer que par une révélation divine. Pour de
nombreux commentateurs, la manière dont l’auteur parle de son intelligence du
mystère ressemble très peu à celle du Paul des homologoumena, qui ne faisait
montre de sa science que pour se défendre27, et elle leur semble être un signe
presque certain de pseudépigraphie. Sans rejeter a priori l’idée, on peut aussi se
demander si l’insistance sur l’intelligence des communications divines n’est pas
déterminée par l’arrière-fond apocalyptique, comme le montrent plusieurs
passages semblables des écrits bibliques et qumraniens, où ceux qui ont été les
destinataires de telles révélations relatent les circonstances de leur réception,
moins pour se vanter ou se glorifier que pour insister sur le fait que leurs propos
ne viennent pas d’eux mais de Dieu seul28. Enfin, si Ep est pseudépigraphique,
le fait de renvoyer à Paul comme à celui qui a pu exprimer au mieux le mystère
du Christ, est de première importance. Cela fait de la lettre (Ep) un point de
référence obligé.
Dans les unités précédentes, nous avons plusieurs fois constaté que
l’auteur procède en spécifiant progressivement ses affirmations. Ainsi en est-il
ici à propos du mystère ; si le v.3 parle du mystère, sans plus, le v.4 fournit une
première indication très importante : le mystère dont parle Paul, c’est celui du
Christ, tou/ Cristou/. Cette appellation va dans le même sens que l’affirmation

27
2Co 10-13 est à cet égard typique de la réaction du Paul des protopauliniennes.
28
Voir Dn 10,1 ; 4Esd 5,22 ; 14,40.47 ; TestLévi 2,3 ; 18,1.7 ; 1QH 2,13 ; 12,13 ;
ApoBaruch 81,4. Sur le sujet, voir K. G. Kuhn, « Der Epheserbrief im Licht der
Qumrantexte ».
178 ÉPHÉSIENS

d’Ep 1,9, et confirme la nature christique du mystère. Le génitif peut au


demeurant être épexégétique – « le mystère, c’est-à-dire Christ » –, mais aussi,
et tout simplement, de relation – « le mystère concernant le Christ ». Peut-on
entrer en plus avant dans les précisions : s’agit-il du mystère concernant l’être,
l’identité même du Christ, ou ce qui, en lui et avec lui, est désormais connu du
dessein salvifique de Dieu ? Il faut attendre les versets suivants pour en savoir
plus.

v.5 - « qui n’a pas été notifié aux hommes des générations passées, comme (w`j)
il a été révélé maintenant à ses saints apôtres et prophètes dans l’Esprit »
Après avoir énoncé la première composante essentielle du mystère, à
savoir sa nature christique, Paul formule ici la seconde : il a été caché aux
générations passées et vient d’être révélé aux seuls apôtres et prophètes.
Notes linguistiques. La conjonction w`j n’indique pas une moindre intensité
(le mystère fut certes connu dans le passé, mais pas comme il l’est aujourd’hui),
bien plutôt une opposition radicale entre le passé et le présent29. Car, si l’on
admet qu’il y a déjà eu une révélation inchoative du mystère, elle doit avoir été
faite aux sages ou aux prophètes d’Israël ; or l’extension de l’énoncé est
universelle. Au demeurant, Ep 3,9 confirme l’impression laissée par le v.5 : le
mystère est bien resté caché depuis toujours jusqu’à sa révélation aux apôtres et
prophètes ; car, avant le message apostolique, personne, même parmi les
prophètes d’Israël, n’a conçu ni annoncé une communauté messianique
harmonieusement composée de païens et de juifs en Christ30. Le syntagme evn
pneu,mati se trouve en fin de verset, et peut modifier (1) les mots qui le suivent
(« dans l’Esprit, les Nations sont cohéritières »), (2) le verbe avpekalu,fqh
(« mystère révélé par/dans l’Esprit »), (3) les deux substantifs qui le précèdent
(« saints apôtres et prophètes dans l’Esprit »), exégèse qui a ici été préférée. Le
(1) est improbable, car depuis le commencement de la lettre, les syntagmes
prépositionnels modifient ce qui les précède. Le (2) est cohérent avec le
contexte, car c’est sans aucun doute par ou dans l’Esprit que fut révélé le
mystère divin31, mais comme jusqu’à présent l’auteur a presque toujours
rattaché les syntagmes prépositionnels aux mots les précédant immédiatement,
le (3) a été ici préféré, d’autant plus qu’un parallèle est possible entre « saints

29
Ainsi, J. Gnilka, Epheserbrief, 167 ; H. Merklein, Das kirchliche Amt, 166 ; R.
Schnackenburg, Epheser, 134 ; R. Penna, Efesini, 159 ; A.T. Lincoln, Ephesians, 177. Contre
cette exégèse, voir en particulier M. Barth, Ephesians, 333-334. également H. Schlier,
Epheser, 149-150 ; C.C. Caragounis, The Ephesian Mysterion, 102.
30
Observation de R. Penna, Efesini, 159.
31
Voir aussi Ep 1,17, qui avait déjà bien établi le lien entre Esprit et révélation (« que
Dieu vous donne un Esprit de sagesse et de révélation »), et déjà antérieurement, 1Co 2,10.
EP 3,1-21 179

apôtres » et « prophètes dans l’Esprit »32 ; on pourrait certes objecter qu’il y a


tautologie à dire que les prophètes sont tels « dans l’Esprit » – pourraient-ils
autrement être déclarés tels ? –, mais l’auteur d’Ep nous a habitués aux
expressions pléonastiques et redondantes. Même si donc aucune des exégèses
n’est contraignante, le critère syntaxique, dominant jusqu’ici en la matière, a
dicté encore une fois notre choix33.
Le verset fait des apôtres et prophètes (chrétiens) les destinataires de la
révélation du mystère. La connaissance du mystère comporte donc deux temps :
(1) une révélation aux apôtres et prophètes, lesquels ont charge (2) de le notifier
aux autres croyants et au reste du monde, Paul ayant lui-même reçu la grâce de
l’annoncer aux Nations. Certains commentateurs voient en ce verset une
spécification de Col 1,26, où le syntagme toi/j a`gi,oij ne désignerait pas tous les
chrétiens, mais les prédicateurs de l’Évangile34. En faisant des (seuls) apôtres et
prophètes les destinataires de la révélation du mystère, Ep entend évidemment
signifier que la notification du mystère au cours des âges se fera en référence à
eux, qu’elle aura pour contenu la révélation qui leur aura été faite, et que le
message de l’Église sera donc toujours essentiellement apostolique. Le verset
justifie indirectement l’affirmation de 2,20 (les apôtres et prophètes sont le
fondement de l’Église), car la révélation qui leur a été faite est à la fois ce qui
constitue l’Église comme communauté œcuménique et ce qui sert de fondement
à l’ecclésiologie postérieure.
Les deux passifs (evgnwri,sqh, avpekalu,fqh) sont évidemment théologiques.
Ils mettent bien en valeur la nature paradoxale du mystère, que Dieu a voulu
communiquer à tous les hommes (grâce à la révélation faite aux apôtres et
prophètes, et à l’annonce faite ensuite par eux et par les générations de
croyants) et qu’il a pourtant depuis toujours tenu caché. Pourquoi Dieu n’a-t-il
pas annoncé, même inchoativement, ce mystère par les prophètes et les sages
des temps anciens, et n’a-t-il voulu le révéler qu’à l’Église et par elle ? Certains
exégètes, on l’a vu avec l’analyse du w`j, préfèrent l’idée d’une révélation
inchoative du mystère qui soit biblique, car, disent-ils, si l’auteur d’Ep a cité Is
57,19 en 2,17, n’est-ce pas parce qu’il y discerne une révélation de ce qui est
vécu par la génération chrétienne à laquelle il appartient35? Que la situation

32
Ainsi, par ex., H. Merklein, Das kirchliche Amt, 189 ; R. Schnackenburg, Epheser, 135,
qui notent par ailleurs le lien établi par Paul entre prophétie et Esprit (. 1Th 5,19-20 ; 1Co
12,9-10).
33
Même solution chez M. Bouttier, Éphésiens, 144. L’exégèse d’Ep 2,20 a déjà affronté la
question du rapport entre apôtres et prophètes. Pour une réponse, se reporter à ce verset.
34
Ainsi, P. Benoit, Les épîtres de la Captivité, le Cerf : Paris 1969, 60. Pareille exégèse de
Col 1,26 est déterminée par celle d’Ep 3,5. En Col 1,26 il s’agit bien de tous les chrétiens
sans exception, pour des raisons montrées ailleurs. Voir J.-N. Aletti, Colossiens, ad loc.
35
Ainsi, M. Barth, Ephesians, 334.
180 ÉPHÉSIENS

actuelle de l’Église l’aide à relire les Écritures et à y trouver des annonces


lointaines du mystère, nul ne penserait à le nier, mais il est tout aussi clair qu’il
n’y voit pas de révélation – au sens où il l’entend en ce v.5 – du mystère vécu
par les chrétiens non circoncis, car la situation et le statut de ces derniers ne
correspond ni à une conversion au judaïsme, ni à une intégration dans le peuple
d’Israël, ni à un pèlerinage à la montagne de Sion, mais à une réalité
entièrement nouvelle : s’il a parlé de création, ce n’est pas par hasard.

v.6 - « les Nations sont (ei=nai) admises au même héritage, membres du même
corps, associées à la même promesse, en J. C., par le moyen de l'Évangile »
L’infinitif ei=nai est épexégétique ; il spécifie ce qu’il faut entendre par
mystère. Le style, encore une fois redondant, vise à exprimer la participation à
l’aide de trois adjectifs composés en sun : sugklhrono,ma, cohéritières 36;
su,sswma, formant corps avec ; summe,toca37 th/j evpaggeli,aj, coparticipantes de
la promesse38. Ces mots composés en sun s’ajoutent à ceux, déjà nombreux,
rencontrés depuis le commencement de la lettre, et qui n’expriment pas
seulement un être ensemble, mais le partage d’un même statut, d’une même
dignité, d’une même bénédiction39. La difficulté de la série vient de son
laconisme, car il n’est pas dit avec qui les Nations sont cohéritières, ‘co-corpo-
rées’ et coparticipantes – et cela étonne d’autant plus que le style de la lettre est,
sur d’autres points, des plus redondants. Mais ces adjectifs font manifestement
allusion à des informations données au cours développements précédents :
sugklhrono,ma renvoie à 1,14.18, su,sswma à 1,23 et 2,16, summe,toca th/j
evpaggeli,aj à 1,13, confirmant bien qu’Ep 3 se présente comme une relecture ou
plutôt comme une grille de lecture des affirmations antérieures. Le lecteur
pourra consulter l’exégèse de ces versets, où les partenaires des ‘Nations’ ont
déjà été identifiés40. Mais il faut ici ajouter que les images véhiculées par les
trois adjectifs ne sont pas dues au hasard ; elles expriment en effet l’être en
Église avec des vocables dont on a plus haut montré la complémentarité ; mais
manque encore ici la référence au peuple : les Nations n’ont pas eu à entrer ou à
être intégrées dans le peuple d’Israël, autrement dit c’est comme Nations
qu’elles sont cohéritières, coparticipantes et membres du même corps ecclésial.
En définitive, la raison de l’ellipse est rhétorique : si ce verset ne fait aucune

36
Autres occurrences : Rm 8,17; Hb 11,9; 1P 3,7.
37
Noter la redondance : me,tocoj indique déjà l’idée de participation.
38
Seule autre occurrence de l’adjectif : Ep 5,7.
39
L’être avec Christ, en Ep 2,5-6 (sunezwopoi,hsen tw/| Cristw/| & kai. sunh,geiren kai.
suneka,qisen) ; l’être avec d’autres, en Ep 2,19 (sumpoli/tai tw/n a`gi,wn) et 2,21-22
(sunarmologoume,nh, sunoikodomei/sqe).
40
Voir en particulier 2,19 (sumpoli/tai tw/n a`gi,wn).
EP 3,1-21 181

mention de ceux avec qui les Nations héritent, participent et forment le même
corps, c’est parce que l’insistance est mise plus sur le prédicat que sur ceux
avec qui il est partagé.
La description du mystère fournie par le v.6 est essentiellement ecclésiale.
Il n’y a pourtant aucune contradiction entre ces affirmations et celle du v.4, où
le mystère est qualifié christiquement (« mystère du Christ »), car c’est « en
Christ » que tout advient. En outre, c’est en rapport aux énoncés d’Ep 2,14-18,
où il est dit que le corps ecclésial est devenu tel en Christ – car il en est
inséparable –, que doivent être lus ceux d’Ep 3,2-7. Les composantes christique
et ecclésiale du mystère sont ainsi inséparables.
La présentation d’Ep 3,1-13 a déjà signalé les parallèles existant entre Col
1 et Ep 3. Les deux passages parlent en effet du mystère, mais les accents sont
différents. En Col 1, l’accent est christique, et en Ep 3 il est ecclésial. De plus,
si de part et d’autre le mystère a été notifié à l’Église, Ep 3,6 met en valeur la
révélation exclusive qui en a été faite aux apôtres et prophètes ; ils deviennent
ainsi la norme de l’annonce de l’Église. Pour certains commentateurs41, cela
implique concrètement que la personne de l’apôtre Paul soit intégrée dans le
musth,rion : recevoir le mystère signifie recevoir le message incorporé en Paul,
et l'insistance sur Paul permet aussi de faire passer des thèmes non pauliniens
comme s’ils l’étaient42.
- « par le moyen de l'Évangile » (dia. tou/ euvaggeli,ou).
Le verset finit avec ce syntagme prépositionnel, qui fait donc de l’Évangile
l’instrument d’exécution du mystère, car c’est parce qu’elles ont cru en
l’Évangile que les Nations ont pu devenir ce qu’elles sont désormais en Christ
et que la nouveauté du statut ecclésial ainsi formé a pu être révélée, puis
notifiée au monde et aux puissances. S’il y a donc un lien inamissible entre
Évangile et mystère, les deux sont-ils identiques ? Au vu du passage, certains
répondent par la négative, car l’Évangile semble être l’annonce première, celle
qui demande à être crue, et le mystère ce qui, dans un second temps, est notifié
à ceux qui ont cru en l’Évangile et sont déjà entrés dans l’Église43. D’autres
penchent pour l’identification, à cause de l’expression « mystère de
l’Évangile » d’Ep 6,19. Il est encore impossible de répondre de manière nette et
sûre.

41
Ainsi, H. Merklein, « Paulinische Theologie in der Rezeption des Kolosser- und
Epheserbriefes ».
42
Cette conclusion reste évidemment dans la mouvance de l’hypothèse pseudépi-
graphique.
43
Sur la question, voir H. Merklein, Das kirliche Amt, 202-216, qui distingue entre Évan-
gile et mystère ; voir aussi l’étude très complète de Ch. Reynier, Évangile et mystère ; et, en
J.-N. Aletti, Colossiens, suivre l’exégèse de Col 1,24 – 2,5.
182 ÉPHÉSIENS

v.7 - « dont j'ai été fait ministre (dia,konoj) par le don de la grâce de Dieu qui
m'a été accordée selon la force de sa puissance »
Ce verset fait inclusion avec le v.2, et rappelle emphatiquement que Paul a
été fait ministre de l’Évangile. L’inclusion doit en principe faire conclure que la
grâce mentionnée ici est la même que celle octroyée au v.2. Mais la question est
plus difficile qu’il n’y paraît, car au v.7, la grâce est celle d’annoncer l’Évangile
aux païens (v.7), alors que celle reçue au v.2 concerne la révélation et la
communication du mystère. Mystère et Évangile seraient-ils donc identiques ?
Peut-être, mais cela n’est pas explicitement dit, et les v.3-6 semblent indiquer
que le mystère est communiqué à ceux qui sont déjà dans l’Église, parce que
c’est en étant dans l’Église qu’ils y ont accès et qu’ils en expérimentent toute la
richesse (voir Ep 1,17)44. Le rapport entre mystère et Évangile n’est donc pas
explicité, et l’on ne peut en rester qu’à des présomptions, et seulement dire
qu’ils sont inséparables.

Excursus sur le musth,rion45

L'origine du substantif demeure obscure; il pourrait venir du verbe mu,w (fermer; être
fermé → bouche close); la désinence -thrion peut indiquer soit un lieu, soit un espace (dans le
quel et sur le quel quelque chose se met ou se fait), soit un moyen, un instrument. Cf. par ex.
yalth,rion, qusiasth,rion, potisth,rion, desmwth,rion, poth,rion, koimhth,rion, swth,rion [vient
de l'adjectif swth,rioj → moyen de salut], peirath,rion, i`lasth,rion, a`giasth,rion,
fugadeuth,rion, krith,rion [ce qui sert à juger → (i) là où est rendue la justice, le tribunal; (ii)
faculté de juger], bouleuth,rion, oivkhth,rion, avkroath,rion, etc. Voilà pourquoi, selon de
nombreux exégètes, le musth,rion a pu initialement désigner le lieu où se communiquaient les
secrets des religions mystériques (et par métonymie, les secrets eux-mêmes – musth,ria). Le
lien avec les religions mystériques est retraçable en plusieurs livres de la littérature biblique
(LXX - Sg et Dn), où néanmoins les différences sont plus fortes que les ressemblances. Voir
par ex. en Sg 14,15.23 le couple musth,ria – teletai, (cérémonies, rites d’initiation).
Dans la LXX, la parole apparaît seulement dans les livres directement écrits en grec
(les deutérocanoniques) ou en Dn 2 (passage originellement écrit en araméen, et musth,rion y
traduit le substantif zr), autrement dit dans les livres tardifs46. À cet égard, il est intéressant
de noter que le vocale hébreu dws n’est jamais traduit musth,rion dans la LXX, mais boulh,,

44
Sur ce point, se reporter à l’exégèse du v.2.
45
Outre R. Penna, Il ‘mysterion’ paolino, et Ch. Reynier, Évangile et mystère, en parti-
culier 105-124, voir C.C. Caragounis, The Ephesian Mysterion, et M.N.A. Bockmühl,
Revelation and Mystery. Pour l’usage paulinien des termes et le rapport entre Évangile,
sagesse et mystère, voir J.-N. Aletti, «Sagesse et mystère chez Paul ».
46
Voir Jdt 2,2 ; Tb 12,7.11 ; 2Ma 13,21 (pl.) ; Sg 2,22 (pl.) ; 6,22 (pl.) ; 14,15 (pl.) ; 14,23
(pl.) ; Si 3:19 (selon certains manuscrits) ; 22,22 ; 27,16 ; 27,17 (pl.) ; 27,21 (pl.) ; Dn
2,18.19.27.28 (pl.).29 (pl.).30.47 (28 pl. et sg.).
EP 3,1-21 183

su,ntagma, kratai,wma, sustrofh,, paidei,a47. Quelques caractéristiques de l’usage du terme


dans la LXX:
- On constate une réelle diversité. En certains livres (Jdt, Tobie), le mystère ne fait pas partie
du vocabulaire religieux, mais désigne la volonté ou le plan du roi; en revanche, Sg et en Dn
2, le mystère ou les mystères renvoient au monde religieux ;
- la composante silence/secret/occulte ne peut être exclue ; cf. l’ajout d’un adjectif ou d’un
verbe en Tb 12,7.11 (musth,rion kru,ptein); Sg 6,22 (ouvk avpokru,ptein musth,ria); Sg 14,23
(kru,fia musth,ria); Dn 2,47 (musth,ria krupta,); Si 22,22 (si du dévoiles ses mystères, un ami
ne te le pardonneras pas) et Si 27,16-17.21 (dévoiler les mystères ruine la confiance des
amis) impliquent la même idée.
- de Jdt/Tb à Dn on peut noter une nette évolution :
(a) Dieu veut que ses mystères soient connus. À la différence des livres mentionnés ci-
dessus (Jdt, Tb, Si), en Sg 6,22, mais surtout en Dn, il devient essentiel de dévoiler ou révéler
les mystères. Mais il s’agit des mystères divins (voir la formulation diverse en Tb 12,7.11 et
Dn 2,28.29).
(b) les destinataires des mystères et leur compétence. Il ne s’agit pas d’une connaissance
élitiste, réservée aux sages et aux savants, mais d’une annone aux petits et aux humbles
(néanmoins, on ne parle pas encore de diffusion universelle des mystères révélés). La
perspective est en tout opposée à celle des religions mystériques. La connaissance des
mystères divins n’est pas le fruit d’une recherche de la raison ou des forces humaines, mais
elle vient seulement d’une révélation divine : les mystères sont inaccessibles aux hommes, si
Dieu ne leur en fait la révélation. Comme on l’a dit: « Dieu seul domine le temps et
l’histoire; lui seul peut connaître l’avenir et le révéler par ses prophètes »48. Les textes de Dn
2 indiquent deux étapes : (1) celui qui reçoit (voyant ou entendant) connaissance du mystère
ne le comprend pas nécessairement : le musth,rion peut être communiqué (cf. dhlo,w aux
v.28.29.30) d’une manière non limpide, mais obscure et imagée ; (2) suit alors l’étape de
l’interprétation : il faut quelqu’un (rendu) capable (par Dieu lui-même) de déchiffrer le
message et de dire s’il s’agit ou non d’un mystère, à savoir d’une révélation divine touchant
la fin des temps. Le voyant et l’interprète peuvent être une même personne, comme Daniel,
qui n’est pas seulement l’interprète de quelque chose qu’il n’aurait pas vu, mais a lui-même
connaissance du mystère dans une vision (Dn 2,19).
(c) en Dn, le contexte est bien eschatologique. Cf. l'expression grecque a] dei/ gene,sqai / ta.
evso,mena evpV evsca,twn tw/n h`merw/n en Dn 2,28.29.45. Le grec traduit semblablement en Nb
14,14, Jer 23,20 ; 30,24 ; 49,39 = 25,19 LXX ; Ez 38,16 ; Os 3,5 ; Mi 4,1 ; le grec traduit
encore ainsi en Is 2,2 (evn tai/j evsca,taij h`me,raij) et Dt 31,25 (e;scaton tw/n h`me,rwn).
- mais si Dieu veut révéler maintenant (ou plus tard) les événements de la fin, cela signifie
que dans le passé, il n’a pas révélé entièrement son plan de salut – ni surtout ses modalités. Il
y a donc un aspect inouï, non encore prophétisé ou annoncé par les prophètes du passé. Ce
qu’il faut noter en Dn 2, c’est la déclaration de Daniel concernant la volonté de Dieu de faire
connaître ou révéler ses mystères (parce qu’il aurait pu décider de ne pas notifier aux
hommes son plan divin de salut) – maintenant concernant la fin des temps.
Le rapport entre mystère et sagesse. Déjà dans les livres de la LXX – surtout ceux qui
sont tardifs -, il est dit que l’homme ne peut par ses propres forces obtenir la sagesse. Cf Sg
9,6 ; Dn 2,30, typique à cet égard : kavmoi. de. ouv para. th.n sofi,an th.n ou=san evn evmoi. u`pe.r
pa,ntaj tou.j avnqrw,pouj to. musth,rion tou/to evxefa,nqh (et déjà Dn 2,27). Cette affirmation
signifie (1) que la sagesse est nécessaire pour connaître un mystère divin, mais en outre, (2)

47
Cf. Ch. Reynier, Évangile et mystère, 216-219.
48
Ch. Reynier, Évangile et mystère, 217.
184 ÉPHÉSIENS

que la nature divine du mystère exige, pour être connue et comprise, une sagesse elle aussi
divine, et donc (3) une sagesse infuse en l’être humain par Dieu même49. Les écrivains
vétéro- et néotestamentaires disent que les mystères sont révélés par Dieu même, comme le
déclare Dn 2,28 : « il y a un Dieu au ciel qui révèle les mystères ». En nommant le plan divin
de salut mystère, les lettres pauliniennes n’entendent pas seulement souligner l’incapacité que
les humains ont d’en prendre connaissance par eux-mêmes, ils indiquent aussi qu’une fois ce
plan de salut révélé, la sagesse humaine reste impuissante à le comprendre et à le recevoir,
car il se réalise par des moyens et des événements apparemment déraisonnables (en
particulier la mort en croix). Ce n’est donc pas seulement parce que les voies divines ne
furent pas jusque-là révélées qu’elles sont mystère, mais aussi parce que, même révélées et
proclamées, le monde ne peut les reconnaître comme voulues de Dieu. Ainsi s’explique que
Paul voie dans la croix de Jésus le mystère de Dieu par excellence50.
Toutes ces composantes ont leur importance, car elles sont reprises dans les lettres
pauliniennes, spécialement en Col/Ep : le même contraste, car les mystères concernant les
derniers jours, maintenant révélés par Dieu ont été cachés depuis toujours ; révélation de
situations inouïes, surprenantes, exprimées en un langage nouveau. Ce qui est propre à
Col/Ep, c’est l’emploi du vocable au singulier et avec l’article défini : LE mystère de Dieu ou
du Christ.
La vraie question est celle des raisons qui ont poussé le Paul de Col et Ep à utiliser
abondamment le vocable mystère. Parce qu’il dit la nouveauté en Jésus-Christ, le musth,rion
permet à l’Évangile de s’annoncer à l’aide de nouveaux concepts. Mais s’il suscite de
nouvelles formulations de l’Évangile, il fonde aussi leur légitimité. En effet, les propos de
Col et Ep sur l’Église et son rapport au Christ n’étaient pas imaginables. Ils ne sont pas
davantage annoncés tels quels dans les Écritures. Mais si les formulations nouvelles ne
peuvent s’appuyer sur les Écritures, ne risquent-elles pas d’être invalidées ? C’est ici que
l’emploi du vocable musth,rion prend toute son importance. Car il est emprunté à l’Écriture –
Dn 2 faisait déjà partie du livres saints – et, comme parole d’Écriture, il notifiait que
l’Écriture n’avait pas tout annoncé, qu’à la fin des temps Dieu dirait des choses nouvelles.
Paradoxal usage d’un terme scripturaire, pour justifier l’emploi de termes non scripturaires
(en particulier la relation corps/tête) !

v.8-13 La proclamation du mystère


Après avoir décrit le mystère qui lui a été révélé (v.2-7), Paul énumère
maintenant les composantes de sa proclamation : compétence donnée par Dieu,
pour annoncer quoi, à qui, et pour quelles raisons (v.8-12).

v.8 - « à moi, le plus petit de tous les saints, a été accordée cette grâce
d'annoncer aux Nations l’insondable richesse du Christ »

49
Noter en passant que l’idée d’une sagesse révélée est pour le moins paradoxale, et l'ex-
pression sagesse révélée (ou révélation de la sagesse) est en réalité un oxymore, qui
n’apparaît jamais dans la littérature biblique. Mais on dit de la sagesse (cf. Dn 2,21; etc.) –
cette fois non pas vue comme contenu ou message, mais comme compétence cognitive (pour
le discernement, etc.) – que Dieu la donne, et que sans ce don divin nul n’est vraiment sage.
50
Voir 1Co 1,18 – 2,4.
EP 3,1-21 185

En reprenant certaines expressions du v.7, le v.8 fait rebondir l’exposé de


Paul, qui est ici construit sur un contraste entre l’indignité de l’élu et la grâce
divine, mais l’insistance initiale sur la bassesse du receveur a pour unique
fonction de mettre en relief la grâce. En grec, l’adjectif grec rendu par « le plus
petit » (evlacisto,teroj) est délibérément redondant, puisque c’est le comparatif
d’un superlatif ; il aurait fallu le rendre par « plus petit que le plus petit ». Son
interprétation n’est pas aisée ; certains y voient une exagération rhétorique, qui,
en soulignant l’indignité des apôtres ou des pasteurs, met en relief la grâce
divine opérant par eux ; on trouve déjà des notations de ce genre dans les
protopauliniennes, mais aussi dans les Pastorales et chez les premiers Pères51 ;
l’exagération est ici maximale, car Paul ne dit pas seulement qu’il est le dernier
des apôtres, mais le dernier de tous les saints, c’est-à-dire de tous les croyants52.
La remarque de Paul peut-elle être utilisée pour ou contre l’authenticité d’Ep ?
Les commentateurs restent très divisés ; on peut penser que personne d’autre
que Paul ne pouvait dire cela, mais on peut tout aussi bien y voir un signe de
pseudépigraphie. Il est très difficile de tirer une conclusion ferme sur le sujet au
vu d’Ep 3,8a, et mieux vaut s’abstenir.
La suite du verset énonce le contenu et nomme les destinataires du minis-
tère de Paul. L’apôtre dit avoir pour charge d’annoncer aux Nations
l’insondable richesse du Christ. Le verbe euvaggeli,sasqai laisse entendre qu’il
s’agit de l’annonce de l’Évangile. Quant au contenu, à savoir l’« insondable
richesse du Christ », équivaut-il au mystère ? Il se peut que les v.8 et 9 soient
complémentaires, que le v.8 fasse donc allusion à l’annonce évangélique en vue
de la foi (premier temps) et le v.9 à la notification et à l’explicitation du
mystère, cette fois aux croyants (deuxième temps). Mais, le style d’Ep étant
redondant, les deux versets peuvent aussi décrire synonymiquement la même
charge. Le rapport entre Évangile et mystère reste malgré tout non explicité.
Quant au contenu (to. avnexicni,aston plou/toj tou/ Cristou/), il rappelle Col
1,27-28a et 2,3 ; voilà pourquoi le génitif tou/ Cristou/, doit probablement être
objectif. Mais l’adjectif « insondable »53 est ambigu, et la déclaration de Paul un

51
Voir la formulation de 1Co 15,9 (evgw, eivmi o` evla,cistoj tw/n avposto,lwn), à laquelle
celle d’Ep 3,8 est vraisemblablement empruntée. Également 1Tm 1,15 (« Christ Jésus est
venu dans le monde pour sauver les pécheurs dont je suis, moi, le premier ») ; Ignace
d’Antioche, Tralliens, 13,1 et épBarnabé 5,9 – j’ai connu ces deux derniers textes par A.T.
Lincoln, Ephesians, 183.
52
Rien n’indique que le génitif pa,ntwn a`gi,wn doive avoir une extension restreinte. Bien
au contraire, le superlatif renforcé est une indication à ne pas minimiser l’exagération, et une
invitation à lui laisser en toute sa force.
53
Il faut évidemment se méfier des explications étymologiques, mais, comme l’indique sa
racine avnexicni,astoj signifie « ce dont on n’a pas trace (i;cnoj) ». L’adjectif n’apparaît que
dans le grec biblique ; voir Job 5,9-10 ; 34,24, et Rm 11,33.
186 ÉPHÉSIENS

oxymore : comment peut-on annoncer ce dont ne saurait avoir trace ? Mais telle
est bien l’idée : ce que le monde n’a pu connaître, ce dont il n’a pu avoir trace,
l’annonce apostolique le donne à connaître et à vivre. Selon certains, l’adjectif
pourrait aussi avoir un autre sens : la richesse du Christ serait insondable,
comme une profondeur dont il est impossible de toucher le fond.

v.9 - « et de mettre en lumière [aux yeux de tous] quelle est l’économie du


mystère tenu caché depuis les siècles en lui, le créateur de toutes choses »
Critique textuelle. Après l’infinitif fwti,sai, P46 ac B C D G K P Y it vg syrp,h copsa,bo
Marcion Tertullien ont le complément d’objet pa,ntaj. Ces témoins étant excellents, il semble
recommandé de les suivre. Et en fin de verset, après le kti,santi, Dc K L P et syrh lisent dia.
vIhsou/ Cristou/. Mais si le syntagme était original, pourquoi d’excellents témoins tels que P46
a A B l’auraient-ils supprimé ? Il semble donc préférable d’y voir une addition postérieure.
Il appartient à Paul de faire connaître la manière dont le mystère s’est
réalisé, la manière dont Dieu a mené les événements jusqu’à aujourd’hui. C’est
en fait à une interprétation de toute l’histoire humaine que Paul doit se livrer,
car si le mystère est fait pour être révélé, pour quelles raisons a-t-il été caché
depuis les siècles ? Mais le ministère de Paul montre aussi l’importance
décisive de l’Église pour annoncer et interpréter le plan de Dieu : sans elle,
corps du Christ et humanité nouvelle, le mystère ne pourrait être vécu, connu et
donc annoncé. Deux composantes du mystère sont ici nettement tracées : le
contraste entre le silence des siècles et l’annonce présente, et le fait que tous
sont invités à le connaître grâce à l’annonce apostolique, car le mystère n’a rien
d’une vérité ésotérique.
- « [mystère caché en Dieu] le créateur de toutes choses »
Comme on l’a noté un commentateur, l’annonce du mystère ne peut pas ne
pas montrer comment le projet salvifique de Dieu rejoint son projet créateur, au
moment même où il advient par la vie et l’annonce de l’Église, car « la mission
exauce l’intention du Créateur »54.
Pour l’exégèse des vocables «économie », « mystère » et « tenu caché », se
reporter respectivement aux v.2, 5 et 6.

v.10 - « afin que soit notifiée maintenant aux Pouvoirs et Autorités, dans les
cieux, grâce à l'Église, la sagesse multiple de Dieu »
L’importance de ce verset ne saurait être minimisée, car il témoigne d’une
conscience aiguë du rôle de l’Église. C’est en fonction de ce qu’elle vit – son
rapport unique et inaliénable au Christ – que l’Église peut annoncer la sagesse
divine ; elle fait donc elle aussi partie du message ; c’est en parlant d’elle-
même, c’est-à-dire de la grâce de Dieu pour elle et de l’amour de sa tête, le

54
M. Bouttier, Éphésiens, 147.
EP 3,1-21 187

Christ, qu’elle rend compte du dessein divin de salut. Le dia. th/j evkklhsi,aj ne
désigne pas d’abord ou seulement une annonce orale – au demeurant, Paul ne
spécifie pas –, mais un témoignage concret : c’est par ce qu’elle est et
expérimente de son union au Christ, que l’Église manifeste, expose la sagesse
multiple de Dieu.
Les destinataires du témoignage ecclésial sont les avrcai. kai. evxousi,ai. Les
commentateurs mettent diverses réalités sous ce couple : certains y voient les
êtres célestes ennemis des humains, ceux-là mêmes dont parlait Ep 2,2, d’autres
des pouvoirs humains déifiés. L’interprétation ne peut faire fi des re-
présentations dont dépend Ep, car sa manière de parler des réalités invisibles
qui oppriment les humains, est celle de son époque55. Au delà des représenta-
tions historiquement déterminées, il importe de saisir que l’enjeu posé est le
rôle même de l’Église : face à tout pouvoir voulant oppresser les humains, elle a
pour tâche de montrer par ce qu’elle vit, que la sagesse divine a définitivement
prévalu.
Quant à l’expression « sagesse multiple (polupoi,kiloj56) de Dieu », elle
répond, à l’aide de topoi sapientiels bibliques, à la question de l’oivkonomi,a du
mystère57. La finalité ultime de la proclamation du mystère est donc théo-
logique.

v.11 - « selon le projet (pro,qesij) éternel qu'il a exécuté (evpoi,hsen58) en Jésus


Christ notre Seigneur »
Ce verset est lui aussi redondant, puisqu’il répète le schéma présent dans
l’eulogie, mais aussi dans l’exposé du mystère, aux v.5-6, schéma qui comprend
deux étapes : le projet éternel de Dieu (mais caché) et sa réalisation en Christ.
L’énoncé est assez général pour reprendre et englober tous les développements
antérieurs, d’Ep 3, mais aussi d’Ep 2, et même de l’eulogie inaugurale.

v.12 - « en qui nous avons, par la foi en lui, l’assurance de nous approcher en
toute confiance »
Le style en cascade d’Ep finit souvent par des relatives, et ce verset
confirme la tendance. Ici encore les reprises des développements passés sont

55
Les représentations ont probablement leur milieu de vie dans le judaïsme de l’époque,
en particulier apocalyptique. A.T. Lincoln, Ephesians, 186, mentionne, entre autres, Dn
10,13.21 ; 2M 5,2; 1En 61,10; 90,21.24. Sur le sujet, voir l’exégèse d’Ep 2,2.
56
Il s’agit encore d’une redondance, car poiki,loj signifie déjà multicolore.
57
Sur cet arrière-fond sapientiel, voir R. Penna, Efesini, 164, qui renvoie à Jb 28,15-19 ;
Si 6,30-31 ; Sg 7, 17-21.
58
L’expression poiei/n pro,qesin peut aussi signifier « concevoir un projet ». Mais le
contexte et la dynamique du verset, qui reprend les distinctions faites auparavant, conseillent
d’y lire une réalisation.
188 ÉPHÉSIENS

nettes. Mais ce qui domine, c’est l’idée que toute peur est désormais bannie :
trois substantifs – encore la redondance ! – soulignent bien cela : foi (pi,stij),
assurance (parrhsi,a) et confiance (pepoi,qhsij). Désormais en Christ, les
croyants n’ont plus peur, voilà ce qu’il faut retenir. Il n’est pas dit auprès de qui
nous avons accès : il va de soi qu’il s’agit de Dieu, mais le verset l’omet, pour
que le lecteur ne retienne que l’attitude qui devrait être la sienne. Attitude qui
explique pourquoi Paul parle de ses tribulations au verset suivant.

v.13 - « Ainsi, je demande de ne pas perdre courage (evgkakei/n) dans les


tribulations que j'endure pour vous; elles sont votre gloire »
Même si tous les commentaires le restituent, le pronom « vous » n’apparaît
pas en grec ; or, lorsque le sujet de l’infinitive n’est pas spécifié, il doit en
principe être le même que celui de la principale ; en conséquence Paul doit être
le sujet de evgkakei/n, et il faut en rigueur de termes traduire comme nous l’avons
fait : « je demande de ne pas perdre courage dans les tribulations que j’endure
pour vous »59. Pour qui l’apôtre prie-t-il, pour lui ou pour les destinataires de sa
lettre ? Si les commentaires récents ajoutent le pronom « vous », c’est à cause
de sa présence aux v.14-19, où Paul fait mention de sa prière d’intercession
continue pour les croyants : pourquoi le v.13 n’en constituerait-il pas la
première demande ? Cette justification n’est valable que si, avec R. Penna, on
rattache le v.13 à ce qui suit – mais l’étude de composition a montré le non
fondé d’une telle lecture. Il est d’autre part vrai que nulle part ailleurs Paul ne
mentionne de prière de demande pour lui-même ; mais cet argument par le
silence doit se plier aux règles de la syntaxe du v.13.
C’est ici qu’on voit pourquoi Paul parle de ses tribulations, car elles sont
liées à la grâce qui lui a été donnée : tribulations qui ont permis la révélation du
mystère, et sa notification par écrit60. Elles ne sont donc pas un handicap, mais
ce qui permet aux Nations d’entendre Paul parler de la dignité (et de la gloire)
qui est la leur, et d’entrer par là dans le mystère même du dessein divin.

59
Cette lecture est très ancienne : Origène, Théodore de Mopsueste, Jérôme, etc. La tra-
duction des commentaires contemporains change, selon qu’on y lit une demande adressée à
Dieu (ex. R. Penna, Efesini, 153 et 166 : « je demande [à Dieu] que vous ne vous laissiez pas
abattre par les tribulations que j’endure pour vous ») ou une demande adressée aux
destinataires (« je vous demande de ne pas vous laisser abattre par les tribulations que
j’endure pour vous »).
60
Comme le soulignent les commentaires, la portée salvifique des souffrances endurées
par l’apôtre est un motif qui se retrouve ailleurs dans les lettres attribuées à Paul : Ph 1,12-
26 ; Col 1,24 ; 2Tm 2,10.
EP 3,1-21 189

Reprise théologique
La présentation et l’exégèse de cette unité ont montré que l’on a affaire à
une reprise herméneutique des précédents développements, en particulier d’Ep
2,11-22. L’auteur répète trois fois le vocable musth,rion au singulier, précédé de
l’article61, sans autres précisions – « le mystère », comme si les lecteurs
devaient bien le connaître, d’autant plus qu’il n’y en a qu’un seul. Cette
répétition montre bien l’importance que la lettre accorde au vocable, car par lui
s’indiquent de nouveaux enjeux. Voyons lesquels.
S’il est vrai que le mystère divin est de nature christique, Ep montre qu’il
est aussi ecclésial, au point, on l’a vu, que les deux composantes en sont
devenues indissociables : en proclamant le dessein de Dieu, l’Église part de sa
propre expérience, du rapport unique vécu avec sa tête, de l’unité entre judéo- et
ethnico-chrétiens, etc., au point qu’elle en vient à faire elle-même partie du
message. Elle ne peut pas ne pas s’auto-impliquer dans ce qu’elle dit du dessein
de Dieu et de l’œuvre salvifique du Christ ; en parlant d’elle-même, en
indiquant ce qu’elle manifeste du mystère du Christ, elle met en jeu sa propre
crédibilité, car c’est de la manière dont elle vit sa totale dépendance au Christ et
l’unité entre croyants d’origines différentes, qu’elle peut témoigner de l’inouï
de son statut et de ce que celui-ci indique du dessein de Dieu pour l’humanité.
En faisant prévaloir le concept de mystère, Ep force en quelque sorte l’Église à
étonner le monde par son statut et sa manière de vivre. L’annonce du mystère ne
peut se faire que comme témoignage.
L’autre enjeu est la nouveauté des images et des catégories que véhicule
avec lui le vocable musth,rion, sans doute parce que seul un nouveau langage
peut vraiment rendre compte d’une situation inouïe. C’est en quelque sorte
l’envoi de la réflexion théologique qui s’autorise avec ce vocable : non que
toute image soit adéquate, ni que le vocable musth,rion ait des vertus magiques :
il ne suffit pas de rapporter au mystère les catégories nouvelles qu’on pourrait
trouver suggestives ou opérantes, pour qu’elles vaillent ; c’est en rapport à la
révélation faite par Dieu aux apôtres et aux prophètes que le langage utilisé en
Ep fait autorité. En d’autres termes, c’est en référence aux catégories fournies
par les apôtres et les prophètes de la première génération chrétienne, que le
discours théologique reçoit sa pertinence. La théologie trouve ainsi sa raison
d’être dans l’étude de la nouveauté christo- et ecclésio-logique, mais elle ne
saurait se passer du langage de référence, langage apostolique, par rapport
auquel ses propres concepts doivent être vérifiés.

61
Aux v.3 (kata. avpoka,luyin evgnwri,sqh moi to. musth,rion), 4 (noh/sai th.n su,nesi,n mou
evn tw/| musthri,w| tou/ Cristou/) et 9 (h` oivkonomi,a tou/ musthri,ou tou/ avpokekrumme,nou avpo.
tw/n aivw,nwn evn tw/| qew/|).
190 ÉPHÉSIENS

Ep 3 établit un rapport, sans aucun doute étroit, entre mystère et Évangile,


mais on a vu que, par son laconisme sur le sujet, le passage ne permet pas de
tirer des conclusions nettes. Ce qu’il rappelle néanmoins, c’est que le mystère
met tout spécialement en valeur le statut et la dignité des non circoncis –
Gentils ou Nations – dans l’Église, mais ce faisant, il oblige à relire et peser
l’histoire biblique, car les Nations avaient été écartées depuis les siècles : c’est
donc à une réflexion sur le dessein de Dieu les concernant, éternel – selon les
mots mêmes de l’eulogie d’Ep 1 – et pourtant caché jusqu’à l’avènement du
Christ, que le Paul d’Ep convie ses lecteurs. Et telle est bien la perspective
paradoxale adoptée par le mystère : souligner la nouveauté, mais obliger aussi à
relire patiemment le passé.
Conclusion de la première partie
Ep 3,14-21

Bibliographie
N.A. Dahl, « Cosmic Dimensions and Religious Knowledge (Eph 3:18) ».

14
Voilà pourquoi je fléchis les genoux devant le Père, 15 de qui toute famille
tient son nom, aux cieux et sur la terre; 16 afin qu'il vous donne, selon la ri-
chesse de sa gloire, d’être fortifiés de puissance, par son Esprit [envoyé] en
l'homme intérieur, 17 [en sorte que] le Christ habite en vos cœurs par la foi,
enracinés et fondés dans l'amour, 18 afin que vous ayez la force de saisir, avec
tous les saints, ce qu'est la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur... 19
[c’est-à-dire] connaître l'amour du Christ qui surpasse toute connaissance, afin
que vous soyez comblés jusqu'à [recevoir] toute la plénitude de Dieu.
20
À celui qui peut, faire infiniment au-delà de ce que nous demandons ou
imaginons, par sa puissance qui agit en nous, 21 à lui la gloire dans l'Église et
en Christ Jésus, pour toutes les générations, au siècle des siècles. Amen.

Présentation et composition

La connaissance du mystère doit normalement provoquer louange et AdG,


car on ne peut reconnaître le plan salvifique de Dieu – c’est-à-dire faire
l’expérience de la ca,rij divine –, sans s’ouvrir à la louange. Toute la première
partie de la lettre est habitée par cette dynamique, qui va de l’eulogie (1,3-14) à
la doxologie finale (3,20-21). Une telle réaction n’étonnera aucunement celles
et ceux qui sont familiers avec les louanges bibliques, dans la mesure où ces
prières suivent généralement la relecture d’un parcours où l’on a pu reconnaître
une finalité, un sens.
Après avoir exposé les grandes composantes du mystère, Paul rappelle à
ses lecteurs qu’il demande à Dieu de les faire croître dans la connaissance de
cela même qui les constitue en Église. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une
prière, mais, comme cela a déjà été noté à propos de 1,15-23, d’une notification
de prière. Le passage est d’ailleurs divisible en deux : les v.14-19, qui sont une
mention d’intercession, et les v.20-21, qui sont, eux, une prière doxologique.
Le passage se raccroche explicitement au « voilà pourquoi » du v.1, qu’il
reprend après ce qu’on appelle à tort la digressio des v.2-13. C’est en effet
l’anacoluthe du v.1 qui, loin d’être une maladresse, a bien au contraire provoqué
192 ÉPHÉSIENS

un hiatus et donné à l’apôtre l’occasion de répéter ses développements à l’aide


de la catégorie de mystère, pour leur conférer une autorité forte, apostolique. Il
peut désormais finir en disant qu’il désire voir les croyants entrer dans une
connaissance toujours plus grande de ce mystère.
Les v.14-19 se présentent comme une séquence longue – l’ensemble ne
forme qu’une seule phrase. Le style en est chargé et redondant, en cascade1,
chaque finale étant engendrée par la précédente et plus courte qu’elle. Cette
phrase peut être divisée en deux :

- notification de prière (v.14-15)


- motivations de la prière (v.16-19), qui elles-mêmes forment trois étapes (en i[na) dé-
pendant chacune de la précédente :
(a) afin (i[na) que les croyants reçoivent de Dieu force
= compétence (v.16-17)
(b) pour que (i[na) ils puissent comprendre l’amour sans mesure du Christ
= en vue de la performance (v.18-19a) verbe actif
(c) qu’ainsi (i[na) ils soient comblés jusqu’à la plénitude de Dieu
= résultat (v.19b) passif théologique

Eu égard à l’histoire de la rédaction, la plupart des exégètes attribuent ces


versets à l’auteur de l’actuelle Ep. Le style est en effet aussi chargé que celui de
l’eulogie et de la première mention de prière. L’un ou l’autre distingue
cependant entre une première couche paulinienne, et quelques ajouts du dernier
rédacteur de la lettre2, à savoir les v.15 et 17b ; en effet, au v.15, l’expression
« toute famille » (pa/sa patria,) semble être lucanienne (voir Lc 2,4 ; Ac 3,25) ;
quant aux participes parfaits passifs du v. 17b, evrrizwme,noi et teqemeliwme,noi,
ils reprendraient ceux de Col 2,7 et 1,23 et, comme ils ne sont attestés nulle part
ailleurs dans le NT, on peut considérer que l’auteur d’Ep les a repris de Col.
Sans rejeter a priori une telle hypothèse, il importe de s’interroger sur le style
du passage, tellement semblable à celui des sections déjà analysées – en
particulier à l’eulogie et à la première mention de prière de 1,15-23 –, qu’il
semble bien difficile de l’attribuer au Paul des homologoumena. Comme cela a
déjà été signalé dans l’introduction, le style d’Ep est sans doute l’élément qui
appuie le plus sérieusement l’hypothèse pseudépigraphique.
Le passage a une teneur trinitaire manifeste. Cela vient de ce qu’étant une
notification de prière, il énonce la fonction des différentes instances : le Père est
celui à qui l’on s’adresse, pour qu’il envoie l’Esprit et que le Christ soit ainsi

1
Avec M. Bouttier, Éphésiens, 154, on peut également parler de « construction télés-
copique ».
2
M.-É. Boismard, L’énigme de la lettre aux Éphésiens, 109.
EP 3,1-21 193

mieux connu. Le Christ est nommé le dernier (v.17-19a), et ce qui est dit de lui
est plus long, parce que Paul insiste sur son rôle.

Exégèse

v.14-15 La notification de prière


- « Voilà pourquoi je fléchis les genoux devant le Père3, de qui toute famille
(patria,) tient son nom, aux cieux et sur la terre »
Les premiers mots (tou,tou ca,rin) visent à souder ce qui suit à 3,1, mais
sans oublier l’acquis des v.2-13, car c’est à cause de (a) ce qui a été dit du mys-
tère et (b) des tribulations de Paul que les croyants doivent croître en (b) force et
(a) connaissance. Quant à la position (ka,mptw ta. go,nata), elle renvoie à une
attitude de prière ; le NT signale plusieurs prières – surtout des demandes – à
genoux4. Pourquoi devant « le Père » (et pas « Dieu » ou « Dieu le Père ») ?
Sans doute à cause du jeu de mots pate,ra / patria,5, qui s’explique au mieux à
partir des développements précédents : les Gentils ont reçu l’adoption filiale, et
il font désormais partie de la famille de Dieu ; c’est de lui et de lui seul que leur
(nouvelle) famille tire son nom6. C’est donc les développements sur le mystère
qui ont porté Paul à donner à Dieu le titre « Père », celui auquel on peut
désormais s’adresser sans crainte, en toute confiance et assurance : l’expression
fait manifestement allusion au v.12. Le mérisme final (« aux cieux et sur la
terre ») souligne à sa manière que le Père auquel l’apôtre s’adresse est le
créateur de tous les êtres. Le texte laisse certainement entendre que Dieu est le

3
Après le mot « Père » ac D G K Y 88 itd,g vg syrp,h lisent tou/ kuri,ou h`mw/n ivhsou/
cristou/. Mais la version brève est bien attestée par de très bons témoins, tels que P46 a* A B
C P 33 81 1739 syrpal copsa,boh. On peut présumer que la version longue, postérieure, a repris
1,3.
4
Le verbe gonupete,w, utilisé au participe (prières adressées à Jésus : Mt 17,14 ; Mc 1,40 ;
10,17) ; ti,qhmi ta. go,nata (Lc 5,8 ; 22,41 ; Ac 7,60 ; 9,40 ; 20,36 ; 21,5). Le syntagme
ka,mptein go,nu / go,nata ne se rencontre que chez Paul (Rm 11,4 citant 1R 19,18 ; Rm 14,11
et Ph 2,10 citant Is 45,23 ; et Ep 3,14). Les textes bibliques connaissent aussi des prières en
station debout et prosternée.
5
En termes techniques, il s’agit d’une double figure rhétorique, l’étymologie et la
l’allitération. Le terme patria, désigne tout groupe ethnique, familial : famille, tribu, patrie,
race (voir par ex. Y 22,28 ; 95,7 ; Jr 2,4 etc.), et il est sans doute appliqué aux familles
angéliques en 1En 69,3 ; 71,1 ; 106,5.
6
Le syntagme « tient son nom » rend le grec ovnoma,zetai, qui équivaut à « recevoir
l’existence », comme le montrent de nombreux textes bibliques. La situation ecclésiale ex-
plique en partie seulement le vocabulaire du verset, et le pa/sa patria, ne désigne pas d’abord
ni seulement les communautés ecclésiales (quoi qu’en dise C.L. Mitton, Ephesians, 131-132)
– P.T. O’Brien, Ephesians, 255-256, note que pour désigner le peuple de Dieu, l’Église,
l’article défini serait nécessaire.
194 ÉPHÉSIENS

père de tous les êtres, mais en disant que c’est lui qui nomme (et fait donc venir
à l’existence) tous les êtres, le texte écarte élégamment l’idée d’une paternité
par engendrement7. Typique est ici la dynamique dans laquelle se trouve Paul :
en notifiant l’importance du mystère, où s’exprime le dessein salvifique de
Dieu, il ressaisit en même temps le plan créateur, l’unité d’origine de tout le
créé.

v.16-19 Les motivations de la prière


La proposition finale, qui décrit le contenu de la demande – pour assurer la
compétence8 des croyants –,engendre deux infinitives parallèles ou presque :
16
afin qu’il vous donne
- d’être fortifiés (krataiwqh/nai)
par son Esprit (dia. tou/ pneu,matoj auvtou)
[envoyé] en (eivj) l’homme intérieur,
17
- le Christ habiter (katoikh/sai)
par la foi (dia. th/j pi,stewj)
en (evn) vos cœurs.

Chaque infinitive commence par une action, accompagnée des moyens


permettant sa réalisation, et du lieu où elle s’opère. Le rapport des deux infi-
nitives n’est pas aisé à déterminer, car si l’on dit qu’elle dépendent toutes deux
de la finale (« qu’il vous donne »)9, comment les relier l’une à l’autre,
puisqu’elles ne sont pas coordonnées ? En effet, si la deuxième infinitive dé-
pend directement du « qu’il vous donne », le style est pour le moins maladroit,
impossible à rendre tel quel en français. L’autre solution, préconisée par de
nombreux commentaires, est de faire dépendre la deuxième infinitive de la
première, comme si elle en était une conséquence (« en sorte que le Christ
habite par la foi en vos cœurs »)10. Mais tous s’accordent pour dire que la
première infinitive est ordonnée à la deuxième : la force donnée par le moyen
de l’Esprit aux croyants permet au Christ d’habiter en leurs cœurs par la foi.
v.16 - « afin qu'il vous donne, selon la richesse de sa gloire, d’être fortifiés de
puissance, par son Esprit [envoyé] en (eivj) l'homme intérieur »

7
C’est un des points sur lesquels le verset diffère de l’hellénisme, où Zeus était chanté
comme le père des hommes et des dieux (Odyssée 1,28 path.r avndrw/n te qew/n te).
8
Ce terme appartient au vocabulaire sémiotique. Les dons reçus vont en effet rendre les
croyants capables (= compétence) de connaître (= performance) l’immensité de l’amour du
Christ pour eux.
9
Solution proposée par R. Penna, Efesini, 169.
10
Ainsi, par ex., M. Barth, Ephesians, 367 ; M. Bouttier, Éphésiens, 152 et 158 ; P.T
O’Brien, Ephesians, 252 et 258, selon qui la demande ne concerne pas la première venue du
Christ chez les croyants (car il habite déjà en eux), mais sa présence continue.
EP 3,1-21 195

Le style est une fois encore redondant (« fortifiés de puissance »). Chez les
grecs, l’expression « homme intérieur » désigne l’âme ou l’esprit d’un être
humain, et le parallèle avec l’expression biblique correspondante du verset
suivant11, « en vos cœurs », indique qu’il faut la comprendre ainsi. La
préposition eivj a été diversement interprétée : (a) comme ayant le même sens
que le evn du verset suivant12; (b) comme désignant la venue de l’Esprit en
l’homme intérieur pour le fortifier (c) ou la progression, la croissance des
croyants vers l’homme intérieur13; (d) comme un dativus commodi : « au profit
de l’homme intérieur »14. Toutes ces exégèses sont défendables jusqu’à un
certain point, et aucune ne saurait s’imposer. La lecture (b) semble la plus
indiquée, car elle respecte le sens habituel de la préposition et le parallélisme
des v.16 et 17 ; on pourrait objecter que c’est le Christ (v.17) et non l’Esprit qui
doit habiter dans les croyants ; mais il ne faut pas raisonner par exclusion – ou
l’Esprit ou le Christ –, car la présence revigorante de l’Esprit est ordonnée à
celle du Christ, qu’elle prépare.

v.17 - « (que) le Christ habite en vos cœurs par la foi – enracinés et fondés dans
l'amour »
Parallèle au précédent pour la syntaxe et la sémantique, ce verset est
intéressant, car il indique indirectement pourquoi l’habitation du Christ dans les
croyants ne les prive ni de leur personnalité ni de leur liberté. C’est en effet
« par la foi » que le Christ habite en eux, et l’expression doit être comprise à au
moins deux niveaux : (1) la foi est attachement au Christ ; colorée par son objet,
elle n’en peut donc être séparée ; en ce sens, vivre de la foi implique déjà qu’on
vive du Christ ; (2) la présence du Christ est comme la présence de Dieu en ses
créatures : sa visite ne les absorbe pas en lui – comme dans la théologie de la
grâce, aucun panthéisme n’est ici décelable – ; l’habitation du Christ dans les
croyants ne supprime donc pas l’altérité ; mais elle fait que ses membres vivent
de sa vie15.
Faut-il rattacher la dernière partie du verset (« enracinés et fondés dans
l'amour »), à ce qui précède ou à ce qui suit ? Si l’on pense que les deux parti-
cipes parfaits passifs font partie de la proposition infinitive antérieure, on doit

11
Voir, page précédente, le schéma des correspondances entre les deux versets.
12
Ainsi, R. Penna, Efesini, 169, qui recourt à Blass-Debrunner-Rehkopf, Grammatik,
§205,5 (cas où la première proposition équivaut à la seconde), mais sans plus de justification.
13
Voir M. Barth, Ephesians, 367 et 369, qui traduit « pour croître vers l’homme inté-
rieur », l’idée de croissance étant reprise d’Ep 2,21 (et 4,15-16).
14
M. Bouttier, Éphésiens, 152 et 157.
15
Les commentaires renvoient à Ga 2,20.
196 ÉPHÉSIENS

expliquer pourquoi ils sont au nominatif16. L’explication la plus satisfaisante est


de voir ici une anastrophe17: les deux nominatifs ont été placés avant la
proposition à laquelle ils appartiennent, pour être mis en valeur – l’observation
vaut pour le lien foi/charité.
Selon certains exégètes, ces deux participes pourraient venir de Col 1,23 et
2,7, comme cela a été dit dans la présentation d’ensemble des v.14-21. Les deux
images de l’enracinement et de la fondation viennent de la Bible, et si on ne les
y trouve associées qu’en Si 3,918, nombreux sont les passages où l’on trouve des
images affines19.

v.18 - « afin que vous ayez la force de saisir (katalabe,sqai), avec tous les
saints, ce qu'est la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur... »
Cette seconde finale dépend de la première (v.16a), et en constitue la visée,
car si l’Esprit est venu nous donner vigueur et le Christ habiter en nous, c’est
pour que nous puissions connaître l’immensité de son amour. Dans le passé,
cette visée cognitive a été comprise comme un signe de pré-gnosticisme, mais
elle est le résultat normal de la notification que Paul a faite du mystère :
comment pourrait-il alerter les croyants sur l’importance de ce qu’ils vivent
sans demander qu’ils en soient conscients et toujours plus désireux d’entrer
dans le mystère du Christ ? Quant aux images spatiales, elles visent à signifier
une plénitude, de façon redondante et paradoxale – est-il possible de saisir une
immensité ?
L’énumération des quatre dimensions spatiales consiste à procéder par
accumulation, pour marquer une insistance. Mais sur quoi ? Ces quatre
dimensions20 – sans doute préparées au v.10 par la mention de la sagesse

16
Noter la solution très élégante de M. Barth, Ephesians, 372, qui prend ces participes
comme des impératifs (ce qui est possible en grec) ; mais le contexte ne favorise absolument
pas cette solution, car il s’agit d’une notification de demandes faites à Dieu – des impératifs
adressés aux lecteurs sont ici plus que mal venus.
17
Ou un hyperbate. Option qui semble être celle de la TOB. En bon français, on traduira
donc : « afin qu’enracinés et fondés dans l’amour, vous ayez la force de comprendre… ».
Solution analogue à celle de P.T. O’Brien, Ephesians, 259-260.
18
Où il s’agit d’arracher les fondations (evkrizo,w qeme,lia).
19
Par ex. bâtir/planter : Jer 1,10 ; 31, 27-28 ; Ez 36,36. Même association à Qumran (1QS
8,5 ; 11,8 ; 1QH 6,15.16 ; 8,4-11), et en 1Co 3,5-17.
20
Tous les commentateurs s’interrogent sur le nombre des dimensions : pourquoi quatre et
pas seulement trois ? Il est possible de fournir une double réponse : (1) il s’agit de mérismes,
lesquels marchent toujours par deux – comme il y a deux plans (horizontal et vertical), et que
chaque plan est présenté par un mérisme (long/large ; haut/bas), le total ne peut être que
quatre. Cette réponse, très prosaïque, est de loin la plus sûre ! (2) On retrouve le même type
de figure (le mérisme) en Jb 11,8-9. On voit, j’espère, les conclusions qu’on peut en tirer, eu
égard à la culture de l’auteur d’Ep.
EP 3,1-21 197

multiple de Dieu, mais déjà mentionnées dans la Bible21 – font-elles allusion à


une réalité précise, et si la réponse est positive, laquelle ? Depuis les Pères, de
nombreuses interprétations ont été proposées. Les dimensions seraient celles de
l’Église, des cieux, de la croix, de la sagesse, ou encore du mystère ; d’autres
s’intéressent plus à la symbolique des chiffres, etc.22 Une dernière hypothèse
semble plus probable que les autres, parce que basée sur le contexte immédiat
(v.17b et 19a), celle qui voit énumérées les dimensions immenses de l’agapè du
Christ.

v.19 - « (c’est-à-dire) connaître (gnw/nai) l'amour du Christ surpassant toute


connaissance »
Le style est ici encore répétitif : ginw,skw et gnw/sij en 19a, plhro,w et
plh,rwma en 19b. L’infinitif gnw/nai est explicatif ou, mais cela semble moins
probable, final. Il faut aussi noter le paradoxe, qui est un oxymore étiré :
connaître ce qui dépasse toute connaissance ! Il va de soi que la connaissance
de l’amour ne peut se faire que par expérience : c’est à une relation personnelle
et forte que sont invités les croyants. Non pas connaître pour aimer, mais
connaître l’amour ; cela signifie que c’est l’amour qui meut la connaissance – le
lien entre le v.17b (« enracinés et fondés dans l’amour » qui sont des passifs
théologiques et indiquent donc un agir divin) et celui-ci est patent : enracinés
(par Dieu) dans l’amour, les croyants veulent connaître l’amour qui leur a tout
donné – leur dignité filiale, ecclésiale et humaine…
- « afin que vous soyez comblés jusqu'à toute la plénitude de Dieu 23»
Cette dernière finale, dépendante de la précédente (la connaissance de
l’amour du Christ) souligne que les croyants peuvent arriver à la plénitude di-
vine seulement par l’expérience qu’ils font de l’amour du Christ, car
connaissant mieux celui qui les habite, ils pourront être remplis de sa propre
plénitude qui est celle de Dieu. Le passif théologique indique bien que le pro-
cessus est effectué par Dieu même.

21
Appliquées à la perfection de Dieu en Jb 11,8-9 (« Elle est haute comme les cieux - que
feras-tu? Plus creuse que les enfers - qu'en sauras-tu? Plus longue que la terre elle s'étend, et
plus large que la mer ») ; à l’immensité du créé en Sir 1,3 (« la hauteur du ciel, la largeur de
la terre, la profondeur de l'abîme, qui les explorera ? »).
22
Voir par ex. M. Barth, Ephesians, 395-397, et M. Bouttier, Éphésiens, 160-161, qui
donnent la palette des diverses lectures, avec leurs représentants.
23
a A C D G K P Y it vg syrp,h,pal copbo goth lisent plhrwqh/te eivj pa/n to. plh,rwma tou/
qeou/. Le présent commentaire a suivi cette lecture. Mais en P46 B 462 copsa, on lit plhrwqh|/
pa/n to. plh,rwma tou/ qeou/ (« que toute la plénitude de Dieu puisse être remplie ». Cette va-
riante semble être une correction de la version précédente, pour éviter de dire que les
humains possèdent la plénitude de la divinité.
198 ÉPHÉSIENS

Le syntagme final est elliptique, et un verbe doit être restitué. Lequel ?


Quatre verbes au moins conviennent24:« que vous soyez comblés jusqu’à –
former / atteindre / saisir / recevoir – toute la plénitude de Dieu ». Appliqué à
Dieu, le mot « plénitude » (plh,rwma) ne peut être qu’actif (ce qui remplit), car
Dieu ne peut être rempli. De ce fait, seul le dernier sens convient vraiment :
étant comblés, les croyants iront jusqu’à recevoir la plénitude de Dieu, qui sera
tout en tous. Comme dans les précédentes unités, la finalité ultime est théo-
logique. Car, si les croyants sont fermement et définitivement amarrés au
Christ, ils sont de plus en plus comblés par Dieu, qui nous voulant avec le
Christ ne peut pas ne pas tout nous donner avec et en lui.

v.20-21 Doxologie finale


- « À celui qui peut, faire infiniment au-delà de ce que nous demandons ou
imaginons, par sa puissance qui agit en nous, 21 à lui la gloire dans l'Église et en
Christ Jésus, pour toutes les générations, aux siècles des siècles. Amen »
Le passage finit par une prière, plus précisément une doxologie, qui
comme celle de Rm 11,36, indique la fin de la section25. Le syntagme « à lui la
gloire dans l'Église et en Christ Jésus » (v.21) est intéressant par sa formulation,
parce que c’est sans doute la première fois qu’un evn th/| evkklhsi,a| est accolé à un
evn Cristw/|. Non que les deux instances soient sur le même pied d’égalité, mais,
par cette notation, le Paul d’Ep veut signifier qu’elles sont inséparables, parce
qu’être dans l’Église, c’est être en Christ. Noter également l’usage absolu du
vocable evkklhsi,a : l’Église, c’est-à-dire l’Église universelle, aux dimensions de
l’oikoumenè, comme entité eschatologique qui, sans faire nombre avec les
peuples, les familles, et les cultures, les réunit et les réconcilie : telle est la
nouvelle humanité.
Que l’Église veuille chanter la gloire de Dieu tout aux long des siècles se
situe dans plus pure tradition biblique, où la louange désire être de toujours à
toujours. Mais l’intérêt de la notation vient de la nouvelle perspective sur
l’Église: le Paul d’Ep ne la voit-il pas déjà durer au long des siècles ? Réalité
eschatologique, elle est néanmoins appelée à vivre dans l’histoire, pour qu’y
soit manifesté et proclamé, par sa propre existence et son unité dans la diversité,
le dessein salvifique de Dieu pour notre humanité.

24
Voir M. Bouttier, Éphésiens, 163.
25
Comme le montre Rm 9,5b, il serait erroné de dire que toutes les doxologies pauli-
niennes ont pour fonction de clore une section. Le père Boismard considère que la doxologie
d’Ep 3,20-21 est authentiquement paulinienne ; voir L’énigme de la lettre aux Éphésiens, 46
et 110.
EP 3,1-21 199

Reprise théologique
a – Mystère et connaissance
Ep 3,14-21 confirme les observations faites à propos des développements
précédents : les chrétiens ne sauraient se passer de la connaissance du mystère.
Non que le Paul d’Ep pousse ses lecteurs aux spéculations ou à l’ésotérisme,
mais sa conviction est que la progression dans la connaissance du mystère doit
être le fait de tout croyant26. L’approfondissement de la foi est essentiel, voilà
pourquoi la prière de Paul se fait instante.

b – Église et mystère
Si Paul fait mémoire du dessein salvifique de Dieu en sa nouveauté radi-
cale, c’est pour que l’Église vive ce mystère qui est le sien et qu’elle l’annonce
comme elle le doit, car elle est à la fois l’annonceur et l’annoncé. Pour la
première fois sans doute, l’enjeu de ce que vit et expérimente l’Église est aussi
fortement souligné. La responsabilité de l’Église est grande, puisque c’est en
elle que le monde doit reconnaître l’humanité nouvelle, unie et réconciliée,
puisque c’est aussi par elle qu’elle doit connaître le Christ, par qui unité et
réconciliation sont advenues. Mieux connaître le Christ n’en apparaît que plus
nécessaire, car c’est à la mesure de sa connaissance du mystère que l’Église
pourra être toujours plus attachée à son Seigneur, tout recevoir de lui, et devenir
en quelque sorte elle-même Bonne Nouvelle pour notre monde.

26
Eu égard au style – on aura noté les oxymores et les paradoxes – et au vocabulaire
gnoséologique, Ep 3 trahit une influence sapientielle nette. Voir les observations de M.
Bouttier, Éphésiens, 135-165.
Vivre le mystère
Ep 4,1–6,20

Comme les exhortations de Rm et de Ga, les celles d’Ep forment la partie


finale de la lettre, et ont d’assez nombreux rapports avec la première, sur le
mystère. L’ensemble se laisse aisément diviser en unités distinctes, même si,
dans le détail, les commentateurs coupent au mieux, selon des critères souvent
sémantiques, car ces exhortations forment un flot continu dont la composition
subtile ne se laisse pas aisément saisir. Des exhortations sur l’unité et
l’édification du corps ecclésial (4,1-17) sont suivies de principes et
d’instructions pour la vie de tous les jours, entre chrétiens et avec les non
chrétiens (4,17 à 6-9) ; le tout finit avec une invitation s’armer de la force
divine pour se protéger de ceux, êtres humains ou célestes, qui veulent nous
tromper et nous faire échouer. Sans entrer ici dans les détails, il est possible de
présenter la composition de cette section exhortative :

Introduction aux exhortations 4,1-3


(A) unité et diversité ecclésiales (4,4-16)
(B) vie morale et relations dans le quotidien
4,17–5,21 vivre autrement
5,(21)22–6,9 soumission mutuelle: exhortations domestiques
6,10-20 s’armer de la force même de Dieu et demandes de prières

Cette section est un bon échantillon de l’enseignement paulinien en matière de


morale, mais aussi de la catéchèse de l’Église primitive, et il est du plus grand
intérêt de comparer les exhortations d’Ep et celles d’autres écrits chrétiens de la
même période, comme la 1Pt, par exemple1. Mais les parallélismes les plus
nombreux sont certainement ceux existant entre Col et Ep ; ils ont déjà fait

1
Ce travail a été fait dans le détail par E.G. Selwyn, The First Epistle of St Peter,
McMillan : London 1947 (21964).
202 ÉPHÉSIENS

l’objet d’analyses exhaustives, dont il faudra présenter les résultats2. Les élé-
ments communs entre les deux lettres sont à ce point nombreux que les contacts
ne doivent rien au hasard. Seuls Col 3,1-4 et 3,11 n’ont pas leur équivalent en
Ep 4 – 53.
S’il est vrai que les rapports entre Ep et Col sont très étroits, selon d’autres
exégètes4, c’est ailleurs, dans les homologoumena, que les exhortations d’Ep ont
trouvé l’inspiration de leurs orientations et accentuations principales : (1)
l’orientation ecclésiale de l’éthique chrétienne, avec une insistance particulière
sur l’unité, la compassion, et le pardon mutuel ; (2) la manière dont Paul voit
son apostolat suscité par l’agapè et au service de l'unité5. Au delà de tous les
emprunts, ce qui fait l’originalité des exhortations d’Ep, c’est sans aucun doute
les codes domestiques, non dans les impératifs, qui sont identiques à ceux de
Col, mais dans les motivations apportées. De nombreuses études ont été dédiées
aux rapports épouse/époux tels que les voit Ep, et, étant donné la conjoncture,
un commentaire, même obligé au laconisme, ne peut pas ne pas s’y arrêter
longuement, à cause des enjeux soulevés par le passage.
Dans leur ensemble, les exhortations d’Ep ressemblent à celles des lettres
pauliniennes antérieures, tant pour les impératifs que pour les motivations : (1)
il n’y a qu’une mention de châtiment (en 5,5), mais les motivations ne visent
pas à faire peur, elles s’appuient bien plutôt sur la vie nouvelle reçue (4,24) et
sur l’expérience de la miséricorde de Dieu (4,32 ; 5,2.25.29) ; (2) la loi
mosaïque ne semble inspirer qu’une ou deux instructions6 ; (3) et l’Écriture
dans son ensemble y a peu de place ; à vrai dire, en Ep 4 – 6 elle n’est qu’une
seule fois citée explicitement7.
Avec les commentateurs, il importe de se demander si en Ep, la première
partie n’est qu’une introduction à la deuxième, ou si la seconde n’est qu’une
application de la première. Ceux qui optent pour la première hypothèse, notent
qu’à la différence de Rm ou Ga, où la section exhortative est nettement plus

2
Les parallèles de détail seront présentés au début des différentes sous-sections de la para-
clèse, à l’aide de H. Merklein, «Eph 4,1 - 5,20 als Rezeption», 197-200.
3
Selon H. Merklein, qui défend l’antériorité de Col, cette absence vient de ce qu’Ep
transpose les catégories spatiales verticales (haut = chrétien / bas = païen) de Col 3,1-4 en
catégories horizontales (loin/proche; séparation / unité)..
4
Ainsi, U. Luz, «Überlegungen zum Epheserbrief».
5
U. Luz, «Überlegungen zum Epheserbrief», 392-393, signale aussi l’un ou l’autre motif
reprenant ceux des protopauliniennes, comme la manière de vivre des païens (Ep 4,18-19 =
Rm 1,19-32), l’importance du discernement (Ep 5,10 = Rm 12,2), le vivre en fils de la
lumière (Ep 5,8 = 1Th 5,4-8), la protection des croyants grâce à l’armure de Dieu (Ep 6,10-
17 = 1Th 5,8), etc.
6
Lv 19,18 en 5,33 (l’emprunt peut être indirect, c’est-à-dire passer par Paul) ; Ex 20,12 en
6,2. Sur la citation (non formelle) de Gen 2,24 voir l’exégèse d’Ep 5,31.
7
Le Y 68,19 en Ep 4,8. Telles sont les allusions retenues par les commentaires : Gen 1,26
en 4,24 ; Za 8,16 en 4,25 ; Ps 4,5 en 4,26 ; Pr 23,31 en 5,18 ; Ex 20,12 en Ep 6,2 ; Is 11,5 ;
52,7 ; 59,17 en 6,14-17.
EP 4,1-16 203

courte que la section théologique, les exhortations d’Ep sont plus longues que
les développements sur le mystère. Certains pensent même que la lettre a été
écrite parce qu’il y avait des risques graves de scission dans les Églises d’Asie,
entre croyants juifs et non juifs ; il y allait de l’unité : comment expliquer
autrement des passages comme 2,11-22 ; 4,1-16 et toutes les exhortations sur
l’amour, l’accueil et la vérité8? Toujours dans la même ligne, mais avec d’autres
raisons, Ep viserait à rappeler aux ethnico-chrétiens, qui avaient sans doute mal
compris les propos de Paul sur la liberté, et retournaient à une manière de vivre
païenne, que pareille interprétation était erronée9. Selon d’autres, Ep serait
plutôt une présentation abrégée de l’ensemble du message de Paul, aux plans
théorique et pratique à une génération ne l’ayant pas directement connu10. Il est
vrai que la lettre donne l’impression d’avoir été écrite non sous la menace de
dangers graves, internes ou externes à l’Église, mais dans une situation où les
relations entre judéo- et ethnico-chrétiens étaient sereinement vécues ; le ton
eulogique de l’ensemble ainsi que le statut des non circoncis brossé de manière
entièrement positive, semblent montrer que l’auteur de la lettre a voulu faire
part aux Églises composées en majorité de Gentils, comment lui-même
interprétait l’unité des deux composantes, juifs et non juifs, et y voyait un appel,
une responsabilité mondiale. N’a-t-il pas voulu montrer la richesse heuristique
de la métaphore tête-corps, et par là du statut inouï de l’Église11? C’est
d’ailleurs sur le désir et le devoir qu’il a de proclamer l’Évangile du mystère
que Paul finit sa lettre (6,19-20), signe que cette dernière en est un résumé en
bonne et due forme. C’est donc l’hypothèse d’une lettre écrite pour présenter
des catégories nouvelles et riches qui est ici retenue, parce qu’elle rend compte
du plus grand nombre de données.

8
Position K.M. Fischer, Tendenz und Absicht des Epheserbriefes, 79–94, 201-202, et de
R. Penna, Efesini, 49-59. Dans le même sens, H. Luz, «Überlegungen zum Epheserbrief»,
pense que le risque de rupture était dû aux luttes intra-communautaires, et qu’Ep a pour
fonction de rappeler le primat de l’amour.
9
Voir H. Merklein, «Eph 4,1 - 5,20 als Rezeption».
10
Ainsi, M. Bouttier, Éphésiens, 45-47. mais on ne doit pas oublier que les écrits et donc
les enseignements de Paul étaient déjà connus par beaucoup d’Églises, surtout en Asie
Mineure, puisque déjà citées par les Pères du Ier siècle.
11
Telle est la thèse de E. de Los Santos, La novedad de la metáfora KEFALH – SWMA.
204 ÉPHÉSIENS

L’unité dans la diversité


Ep 4,1-16

Bibliographie
G.B. Caird, «The Descent of Christ in Ephesians 4,7-11» ; J. Cambier, « La signification
christologique d'Eph. 4,7-10 » ; H.P. Hamann, «The Translation of Ephesians 4:12 ; H. -J.
Klauck, «Das Amt in der Kirche nach Eph 4,1-16» ; R. Rubinkiewicz, «Ps 68,19 (= Eph
4,8)» ; L. M. White, «Social Authority in the House Church Setting and Ephesians 4:1–16».

Je vous exhorte donc, moi le prisonnier dans le Seigneur, à marcher en accord


avec l'appel que vous avez reçu; 2 avec entière humilité, douceur et patience, en
vous supportant les uns les autres dans l'amour , 3 mettant tout votre soin à
garder l'unité de l'esprit par le lien de la paix. 4 Il y a un seul corps et un seul
Esprit, de même que vous avez été appelés à une seule espérance, [celle] de
votre appel ; 5 un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême; 6 un seul Dieu
et Père de tous, qui [est] au dessus de tous, par tous, et en tous. 7 Mais à chacun
de nous la grâce a été donnée selon la mesure du don du Christ. 8 Voilà
pourquoi [l’Écriture] dit: « Voilà pourquoi [l’Écriture] dit: ‘Monté dans les
hauteurs, il captura des captifs; il fit des dons aux hommes’ ». 9 Il monta!
Qu'est-ce à dire, sinon qu'il descendit aussi dans les régions inférieures de la
terre? 10 Celui qui descendit, est le même aussi que celui qui monta plus haut
que tous les cieux, afin de remplir l'univers. 11 Et c’est lui qui donna les uns
comme apôtres, les autres comme prophètes, les autres comme évangélistes, les
autres comme pasteurs et enseignants , 12 afin de mettre les saints en état
d'accomplir le ministère, [c’est-à-dire] de bâtir le corps du Christ*, 13 jusqu'à
ce que nous parvenions tous ensemble à l'unité de la foi et de la connaissance
du Fils de Dieu, à l’homme accompli, à la taille du Christ dans sa plénitude*, 14
afin que nous ne soyons plus des enfants, ballottés, menés à la dérive à tout vent
de doctrine, joués par les hommes et leur astuce à fourvoyer dans l'erreur*, 15
mais [afin que], confessant la vérité dans l'amour, nous grandissions à tous
égards vers celui qui est la tête, Christ, 16 de qui le corps tout entier, coordonné
et bien uni grâce à toutes les articulations qui le desservent, selon une activité
répartie à la mesure de chacun, réalise sa propre croissance pour s’édifier lui-
même dans l'amour.

v.12 litt. « pour la préparation des saints, en vue de l’œuvre de service, en vue de
l’édification du corps du Christ »
v.13 litt. « à la mesure de la taille de la plénitude du Christ »
v.14 litt. « par le jeu des hommes, par leur habileté qui camoufle la tromperie »
EP 4,1-16 205

Présentation et composition

a – Ep 4,1-6 et la tradition paulinienne


Comme cela vient d’être signalé, les différentes unités de la partie exhor-
tative sont formées à l’aide de mots et d’idées empruntées aux lettres
pauliniennes antérieures. Quiconque essaie d’isoler les différents passages
sollicités a l’impression de se trouver devant une mosaïque ou un patchwork,
dont la composition échappe. Le premier travail est donc de voir d’où viennent
les différents mots et groupes de mots, et la solution la plus simple est de suivre
l’ordre des versets12 :

v.1 la formule parakalw/ ou=n u`ma/j, est la même qu’en Rm12,1 ; et la deuxième
moitié est peut-être inspirée de 1Th 12,2 peripatei/n u`ma/j avxi,wj tou/ qeou/ tou/
kalou/ntoj u`ma/j.
v.2-4 a en commun avec Col 3,12-15 un nombre impressionnant de mots et de
suites de mots, dans l’ordre13:

Ep 4,2-4 Col 3,12-15


4:2 meta. pa,shj tapeinofrosu,nhj 3:12 tapeinofrosu,nhn prau<thta
kai. prau<thtoj( meta. makroqumi,an
makroqumi,aj(
4:2 avneco,menoi avllh,lwn 3:13 avneco,menoi avllh,lwn
4:2 evn avga,ph|( 3:14 evpi. pa/sin de. tou,toij th.n
avga,phn
4:3 evn tw/| sunde,smw| th/j eivrh,nhj 3:14 o[ evstin su,ndesmoj th/j
teleio,thtoj
4:3 evn tw/| sunde,smw| th/j eivrh,nhj 3:15 h` eivrh,nh tou/ Cristou
4:4 kaqw.j kai. evklh,qhte 3:15 eivj h]n kai. evklh,qhte
4:4 e]n sw/ma 3:15 evn e`ni. sw,mati

v.4 le e]n sw/ma se trouve aussi en Rm 12,4-5, et un emprunt est probable, car
d’autres versets vont ensuite manifester une grande dépendance par rapport à Rm
12.
v.4-6 ces versets ressemblent beaucoup à 1Co 12,4-6 ;
v.7 certainement inspiré de Rm 12,3.6 (ca,rij, di,dwmi, e[kastoj) ;
v.11 la liste des dons (prophètes, enseignants etc.) vient probablement de Rm 12,4-
8, (passage qui pourrait d’ailleurs reprendre 1Co 12,28) ;
v.12-13 et 16 ont en commun avec Rm 12 3-4 les vocables me,tron et sw/ma ;
v.13 et Col 1,28 parlent l’un et l’autre de l’homme parfait (eivj a;ndra te,leion /
pa,nta a;nqrwpon te,leion) ;
v.14 et Col 2,22 polémiquent l’un et l’autre contre toute (fausse) didaskali,a ;

12
Voir H. Merklein, « Eph 4,1 – 5,20 als Rezeption », 194–210, qui a passé au crible
l’entière section exhortative et l’a systématiquement comparée à Col 3.
13
Le schéma des correspondances a été tel quel emprunté à A.T. Lincoln, Ephesians, 228.
206 ÉPHÉSIENS

v.15 pourrait s’inspirer Col 1,18 et Ep 1,22 (Cristo.j kefalh,)


v.16 et Col 2,19 ont de nombreux syntagmes en commun (evx ou- pa/n to. sw/ma...
sumbibazo,menon dia. pa,shj a`fh/j th/j evpicorhgi,aj...).

De cette liste de correspondances, quelques caractéristiques émergent : (1)


les emprunts sont plutôt faits par blocs : Col (si l’on opte évidemment pour
l’antériorité de cette lettre) pourrait avoir inspiré les v.2-4 et 13-16, 1Co 12 et
Rm 12 les autres versets ; (2) de 1Co 12 et Rm 12, Ep 4 reprend la liste des
charismes, pour articuler son discours sur l’unité dans la diversité ; comme Col
3, il retient les attitudes que les croyants doivent avoir entre eux ; (3) la seule
originalité du passage est constituée par le midrash pesher des v.8-11a, qui n’a
de correspondant ni en Col ni dans les homologoumena ; mais cette originalité
est décisive, car c’est ce midrash qui préside à l’organisation de la pensée.

b – la composition
Les v.1-6 sont composés de deux micro-unités dont la fonction est diffé-
rente. Les v.1-3 sont une introduction générale à toute la section exhortative, et
en même temps une introduction aux v.1-16, avec une nette insistance sur
l’unité entre chrétiens ; ce préambule est immédiatement suivi des raisons pour
lesquelles l’unité doit être vécue et maintenue. Les v.7-16 montrent comme
cette unité se vit aussi dans la diversité des dons en vue d’une croissance
organique. Il est important de repérer que c’est grâce au texte du Ps 67-68,19
que l’auteur organise les v.7-16, par une annonce de trois thèmes, qu’il
développe systématiquement :

- v.1-3/4-6 exhortation à l’unité et ses raisons


- v.7-16 diversification des dons:
- v.7 phrase introductive (subpropositio)
- v.8 justification scripturaire - Y 67,19 (partitio)
a) il est monté
b) il a donné des dons
c) aux hommes
Explication midrashique :
A) v.9-10 qui est monté ? Le Christ, désormais plus haut que tout
B) v.11 quels dons ? Énumération des dons
C) v.12-16 finalité des dons et leurs destinataires = les saints, l’Église
12-13 croissance et pleine stature du corps ecclésial
14-16 finalité reformulée,
- négativement : ne pas errer et ne pas être trompés v.14
- positivement : comme mouvement
d’aller (de tous les croyants vers le Christ) v.15
et de retour (du Christ à l’Église) v.16.
EP 4,1-16 207

c – Style et fonction du passage.


Le style est encore redondant et chargé, comme aux v.11-16, qui ne
forment qu’une seule phrase : la technique principale est celle des répétitions de
toutes sortes, qui mettent en relief l’unité à laquelle sont appelés les croyants.
Mais pourquoi, dès le commencement, Paul insiste-t-il sur l’unité ? Quelques
commentateurs s’appuient sur ce passage pour affirmer qu’il y avait une
menace de scission dans l’Église d’alors. D’autres pensent au contraire que
l’insistance est mise sur les ministères institutionnels, qui, dans l’Église post-
apostolique sont présentés comme les garants de l’unité ecclésiale. Mais avant
d’aller chercher hors de la lettre les raisons qui ont fait commencer
l’exhortation par un développement sur le primat de l’unité, il importe de se
rappeler que l’exhortation ne fait que refléter l’insistance mise sur l’unité par la
première partie, en particulier Ep 2,11-22. Il est somme toute normal et cohérent
que la partie exhortative montre comment doit être concrètement vécue l’unité
reçue comme grâce.

Exégèse

v.1-3 Exhortations initiales


v.1
- « Je vous exhorte (parakalw/) donc, moi le prisonnier dans le Seigneur (evn
kuri,w|), à marcher en accord (avxi,wj) avec l'appel que vous avez reçu »
Observations linguistiques. Le parakalw/ sonne comme une ouverture à
toute la série des exhortations14. Le syntagme evn kuri,w peut être rattaché à
parakalw/) (« je vous exhorte dans le Seigneur »), comme en 1Th 4,1 et 2Th
3,12, ou au verbe « marcher » (« marcher dans le Seigneur »), ou encore au
substantif « prisonnier » (de,smioj). La plupart des commentaires, y compris le
nôtre, optent pour cette dernière lecture, parce qu’elle respecte l’ordre et la
contiguïté syntaxiques, qui, l’exégèse des unités précédentes l’a montré, ga-
gnent à être pris en considération15.
Paul se nomme « le prisonnier dans le Seigneur ». Pourquoi ajoute-t-il cet
appellatif ? On sait que, même si, pour lui, ses propres directives éthiques ont
du poids, parce que venant d’un homme mu par l’Esprit de Dieu (1Co 7,40b), il
ne les impose jamais ; c’est en effet de l’intérieur que les croyants doivent faire
leurs choix pour l’action. L’ajout « prisonnier du Seigneur », analogue à celui
de Phm 9, veut-il signifier la condition humble de celui qui demande, ou même

14
Comme celui de Rm 12,1 ou encore celui de Phm 9. Sur ce verbe, voir C.J. Bjerkelund,
Parakalô. Form, Funktion und Sinn der parakalô-Sätze in den paulinischen Briefen, (BTN 1)
Universitetsforlaget : Oslo 1967.
15
Pour le verbe « marcher » (peripate,w), voir ci-dessus l’exégèse d’Ep 2,2.
208 ÉPHÉSIENS

le désir de ne pas s’imposer ? Car un prisonnier ne peut qu’implorer ? Quoi


qu’il en soit, ce n’est pas en s’appuyant sur son autorité personnelle que Paul
exhorte ses lecteurs, mais pour des raisons qui tiennent à leur transformation
intérieure, celle dont a parlé Ep 2,1-10 : il les renvoie à la logique de leur propre
itinéraire. Et comme cet itinéraire est dû à un appel, la vie chrétienne se
présente comme une réponse généreuse à cet appel – car être appelé, c’est être
aimé. Mais, Paul ne va pas demander aux croyants d’aimer Dieu pour la raison
que lui-même les a aimés ; la réponse à l’amour de Dieu fait se tourner vers les
frères pour leur manifester ce qu’on a soi-même reçu, l’amour et la miséricorde
(4,32)16.

v.2
- « avec entière humilité, douceur et patience, en vous supportant (avn& eco,menoi)
les uns les autres dans l'amour »
Questions linguistiques. Les trois premier substantifs (humilité, douceur,
patience) peuvent être rattachés au verbe « marcher » du verset précédent
(« marcher en accord avec votre vocation, [c’est à dire] avec totale humilité,
douceur et patience »), ou au participe avneco,menoi (« vous supportant avec
humilité, douceur et patience »). Le premier choix a pour lui l’ordre des mots –
on a déjà vu qu’en Ep la plupart des syntagmes prépositionnels suivent le
régime qu’ils modifient –, il évite en outre de relier les quatre modalités (ex-
primées par les quatre substantifs) au seul avneco,menoi. Mais comme ce verset
est parallèle à Col 3,12-13, où les trois premiers substantifs sont suivis du même
participe avneco,menoi, les commentaires préfèrent cette deuxième lecture ; reliés
à ce qui les suit, ces substantifs se présentent comme les modalités
indispensables du support mutuel. Le meta. pa,shj peut signifier « avec toute
sorte de » ou « avec une entière » : le contexte impose ce deuxième sens. Quant
aux participes, il sont assez fréquents dans les exhortations pauliniennes, où ils
peuvent avoir une valeur impérative.
Après le v.1, qui formule la règle générale (marcher en accord avec
l’appel), le v.2 fournit des moyens concrets : « en vous supportant dans l’amour,
avec humilité, douceur et avec patience ».
Les trois substantifs humilité, douceur et patience renvoient à des com-
portements diversement appréciés dans le monde ambiant. L’humilité
(tapeinofrosu,nh), y était en effet assimilée à de la servilité17, alors que dans le

16
Sur le rapport entre appel divin et éthique, consulter R. Hasenstab, Modelle paulinischer
Ethik, Grünewald : Mainz, 1977, 151-183.
17
A.T. Lincoln donne comme exemples Epictète, diatribai 3,24.56 et Flavius Josèphe,
Bellum Judaicum 4,494. Dans la Bible grecque le vocable n’existe pas, mais ce sont les
tapeinoi,, les humiliés que Dieu écoute et délivre de la main des orgueilleux. Ainsi, Y 17,28 ;
33,19 ; 101,18 ; etc.
EP 4,1-16 209

NT, elle est une attitude positive et nécessaire18. Dans le monde grec, la douceur
(prau<thj) était un signe de force et de grandeur d’âme, et dans le NT, elle décrit
un comportement que tous les croyants devraient avoir19. Quant à la patience,
Paul l’associe à l’amour et en fait un fruit de l’Esprit20. Comme l’indique le
contexte dans lequel il est généralement employé, le verbe « supporter »
consiste à tolérer et endurer les défauts, les défaillances, les fautes ; Col 3,12
laisse même entendre qu’il s’accompagne de pardon. Avec l’agapè, ces trois
substantifs résument l’attitude chrétienne communautaire. En utilisant des
vocables affins, l’auteur procède encore avec une certaine redondance, mais il
souligne par là le sine qua non de la vie ecclésiale, où le plus grand doit se
rendre le plus humble, et user de patience envers les autres. Mais s’il faut être
doux, longanime, c’est qu’il y a en chacun des traits de caractère qui peuvent
énerver, irriter les autres : l’être en Christ ne supprime pas les différences de
sensibilité, de tempérament et les inévitables frictions qui en découlent ; si
l’unité est un don reçu à la croix, elle est aussi un chemin à parcourir dans le
quotidien des vies.

v.3
- « mettant tout votre soin à (spouda,zontej) garder l'unité (e`no,thj) de l'esprit par
le lien de la paix »
Le second moyen proposé pour vivre en accord avec l’appel, c’est le souci
de garder l’unité21 en vivant dans la paix. Mais il s’agit d’une unité déjà donnée,
puisqu’il faut la conserver (threi/n), et qu’Ep 2,15 en avait fait le résultat de
l’agir salvifique du Christ, notre paix22. C’est d’ailleurs à cause d’Ep 2,14-18
que ce verset déclare que l’unité est le résultat de la paix et non l’inverse.
Qu’entendre par e`no,thj tou/ pneu,matoj : l’unité qui fut donnée par le
moyen de l’Esprit Saint, ou l’unité des esprits et des cœurs ? Il est bien difficile
de prendre position, car tous les arguments peuvent être retournés. Mais, à
supposer même que le verset parle de l’unité de l’esprit (des hommes), l’Esprit
(de Dieu) n’y est pas étranger, car l’unité ecclésiale ne peut durer sans lui : les
deux sont inséparables. Mais, puisqu’il faut prendre position, disons que le
contexte immédiat, autrement dit les v.2-3, qui insistent l’un et l’autre sur

18
Voir Ac 20,19 ; Ph 2,3 ; Col 2,18 ; 2,23 ; 3,12 ; 1P 5,5. Les commentaires mentionnent
à ce propos 1QS 2,24 ; 3,8 ; 4,2 ; 5,3 ; 11,1 ; 1QS 5,25-26 est sans doute le passage auquel Ep
4,2 ressemble le plus.
19
Voir, entre autres, Ga 5,23 ; 6,1 ; Col 3,12. Il y a évidemment la béatitude de Jésus aux
doux (Mt 5,5) et l’exemple de Jésus (Mt 11,29 ; 21,5 citant Za 9,9).
20
Voir 1Co 13,4 ; Ga 5,22.
21
Le substantif e`no,thj n’apparaît pas dans la LXX ; dans le NT, il n’est employé qu’ici et
en Ep 4,13.
22
L’unité n’a donc pas à être promue ou produite par les croyants, car elle leur a déjà été
donnée ; mais ils ont pour tâche de la préserver et de la protéger, et ils sont les artisans de son
maintien.
210 ÉPHÉSIENS

l’attitude intérieure des croyants, semblent favoriser l’interprétation an-


thropologique : c’est la convergence et l’unanimité des sentiments, des attitudes
intérieures, et donc des esprits, que le texte considère principalement ici.
Quant au syntagme « par le lien de la paix », il indique le moyen par lequel
l’unité se maintient. Si en Ep 2,14-18, c’est le Christ qui a fait et proclamé la
paix, il incombe en effet maintenant aux croyants d’être agents de paix et de
réconciliation dans l’Église pour préserver son unité.

v.4-6 Acclamations
Avec le v.4 le style change : si les trois premiers versets ne formaient
qu’une seule phrase, les trois suivants sont des phrases nominales indépen-
dantes, très brèves ; le ton n’est plus celui de l’exhortation, mais de
l’acclamation23. Les commentateurs sont divisés sur l’origine du passage : pour
certains, le morceau, originellement préexistant, aurait été copié et commenté
(au v.4b) par l’auteur d’Ep, pour d’autres, il aurait été créé par ce même auteur.
Il est difficile de se prononcer avec certitude. Il est néanmoins sûr que l’auteur a
voulu maintenir le style épistolaire – en « vous », comme au v.4 – et que le
morceau est ainsi bien inséré dans la lettre.
Le commentaires signalent un certains nombre de passages d’écrits juifs,
assez proches, où l’unicité du peuple, de la Loi, du Temple, a sa raison d’être
dans l’unicité de Dieu24. Il en est probablement de même ici, même si la relation
de causalité n’est pas explicitée, car les propositions nominales ne sont pas
syntaxiquement reliées aux précédentes.
Quant à la progression des idées, elle se laisse deviner :
un seul corps, un seul Esprit, une seule espérance
un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême
un seul Dieu et père de tous, à travers tous, en tous.
Les deux premières énonciations sont centrées sur ce qui fait la vie de l’Église :
Paul part de la réalité ecclésiale et de son avenir – le corps unique, l’Esprit reçu
et la gloire espérée – (série 1) ; il passe ensuite à ce qui l’a constituée – l’agir de
son Seigneur, le Christ, la foi en lui et le baptême (série 2). Il finit avec le Dieu
bien au dessus de tous les croyants, voire de tous les humains, ou encore de tous
les êtres du créé – l’exégèse devra déterminer si l’adjectif est au masculin (et
désigne les seuls croyants et/ou humains) ou au neutre (et s’applique à tous les
êtres créés) (série 3). Le mouvement de l’ensemble est significatif, car c’est à
partir de la vie du corps ecclésial, et en vivant sa foi au Christ Seigneur que
l’Église peut confesser Dieu comme père de tous, agissant en tous25.

23
On a comparé Ep 4,4-6 à 1Co 8,6, qui reprend le shema Israël.
24
Ainsi Philon, spec.leg. 1,68,1 (evpeidh. ei-j evstin o` qeo,j( kai. i`ero.n e]n ei=nai mo,non ; un
seul Temple, car un seul Dieu). A.T. Lincoln, Ephesians, 238, mentionne d’autres écrits juifs.
25
Le mouvement est inverse de celui de l’eulogie, qui part de Dieu le Père de N.S.J.C., et
de son projet éternel nous concernant.
EP 4,1-16 211

v.4
- « [Il y a] un seul corps et un seul Esprit, de même que votre appel vous a
appelés à une seule espérance »
Les difficultés grammaticales sont au nombre de trois : (1) les termes sw/ma
et pneu/ma sont-ils à l’accusatif (et donc compléments de l’infinitif threi/n du
v.3 : « [garder] un seul corps, un seul esprit »)26 ou au nominatif, comme le
donne à entendre la traduction ici choisie ? (2) Quel est le référent du substantif
pneu/ma : l’esprit ecclésial ou l’Esprit Saint ? (3) Quel est le rapport logique de
ces syntagmes avec les précédents ? Eu égard au (1), il est improbable que les
deux substantifs soient des compléments directs du verbe « garder », car il n’y a
aucune particule de liaison, le lien entre les substantifs et le verbe n’est
aucunement marqué ; le grec en serait des plus mauvais – que veut dire « garder
un seul corps »27? – ; enfin le dernier membre (« garder un seul esprit ») ne
ferait que répéter le verset précédent. En outre, s’il est un passage où le lecteur
bénéficie rétroactivement de la dynamique sémantique, c’est bien celui-ci : les
substantifs des deux versets suivants, tous au nominatif, et les phrases, toutes
deux nominales, donnent à entendre qu’il en était de même au v.4. Le verbe
manquant semble donc devoir être un verbe d’existence. (2) La question du
référent de pneu/ma est tout aussi difficile que pour le verset précédent. Certains
indices plaident en faveur de l’esprit communautaire : à la différence de
« Seigneur » et « Dieu », le pneu/ma ne se trouve qu’en deuxième position ; placé
juste après le « un seul corps », le « un seul esprit » désignerait alors l’unité
spirituelle de l’unique corps. Mais ceux pour qui il s’agit de l’Esprit Saint,
peuvent eux aussi se recommander de la dynamique du passage : si la lecture a
des effets rétroactifs, comment le lecteur, après avoir constaté la présence des
instances « Seigneur » et « Dieu » dans les séries subséquentes, pourrait-il ne
pas penser que le pneu/ma est celui de Dieu ? De plus, et l’on répond ainsi à la
question (3), les acclamations semblent bien fonctionner comme des
motivations implicites pour appeler à l’unité concrète, car une acclamation qui
n’aurait pas de conséquences sur la vie ecclésiale serait vaine. Si donc les
acclamations sont des motivations, alors le v.4 peut être ainsi interprété : faites
l’unité spirituelle (v.3), car il n’y a qu’un seul Esprit (v.4) ; l’Esprit étant
unique, l’unité spirituelle doit suivre. Quant à l’objection sur la deuxième place
du mot pneu/ma, elle doit être relativisée, car l’Esprit Saint est aussi mentionné
après l’unicité du corps en 1Co 12,13, verset qui pourrait d’ailleurs avoir inspiré

26
Lecture défendue par R. Penna, Efesini, 181, qui peut se recommander du fait qu’en
grec, si un verbe est manquant, il faut en général suppléer avec celui précédant
immédiatement.
27
R. Penna lui-même est obligé de changer le verbe et d’ajouter entre parenthèses
« (formant) un seul corps ».
212 ÉPHÉSIENS

Ep 4,428. Il semble donc raisonnable de conclure que le vocable pneu/ma du v.4


désigne l’Esprit Saint.
Comme cela a été signalé dans la présentation des v.4-6, ce v.4 inaugure la
première série d’exclamations, et la toute première a pour objet l’Église (« un
seul corps »)29. La copule qui unit le « un seul corps » et le « un seul Esprit »
signifie que les deux doivent être pris ensemble, parce que l’unique corps ne va
pas sans l’unique Esprit, celui là-même que les croyants ont reçu comme arrhes
de leur héritage (1,14). Et puisque l’Esprit a été relié à l’eschaton dès l’eulogie,
on ne s’étonnera pas de retrouver la même association ici. Ce qu’ajoute le v.4b,
c’est, tous les commentaires le notent, que l’espérance n’est pas considérée
individuellement, mais collectivement : il n’y qu’une seule espérance pour tous,
car c’est comme unique corps que l’Église attend la gloire : l’appel qui est le
nôtre est un appel à vivre en un unique corps, animé par un unique Esprit et
espérant une unique gloire30.

v.5
- « un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême »
Que le titre Seigneur désigne le Christ, le contexte et plusieurs autres
passages des lettres pauliniennes le confirment. Le contexte, car comme cela a
déjà été noté dans la présentation des v.4-6, le « une seule foi » qui suit immé-
diatement est en rapport au Christ : qui croit en l’unique Seigneur reçoit
l’unique baptême31. L’usage paulinien confirme aussi que le titre « Seigneur »
est devenu progressivement le titre christologique par excellence32. Quant à la
formule « un seul baptême » elle atteste une pratique baptismale unifiée et
reconnue par tous, et que l’unique baptême ait servi à Paul comme argument en
faveur de l’unité ecclésiale, 1Co 12,13, déjà cité, le montre.
v.6
- « un seul Dieu et Père de tous (pa,ntwn), qui [est] au dessus de tous, par tous,
et en tous »

28
Ou dépendre de la même tradition baptismale. Voici les expressions où apparaissent les
deux termes sw/ma et pneu/ma, et qui sont parallèles en 1Co 12,13 : pa,ntej eivj e]n sw/ma
evbapti,sqhmen( kai. pa,ntej e]n pneu/ma evpoti,sqhmen.
29
Pour l’analyse du terme, se reporter à l’exégèse d’Ep 1,23 et 2,16.
30
Le verset ne parle pas de la spes qua speratur, comme dans les protopauliniennes (cf.
Rm 4,18 ; 5,2.4.5 ; 8,20.24 ; etc.), mais de la spes quae speratur.
31
Comme pour l’espérance, ce qui est ici désigné par « foi » est plus la fides quae creditur
que la fides qua creditur.
32
Voir 1Co 6,8 ; Ph 2,11 ; etc. Également le contexte de la lettre aux Éphésiens (2,21 et
4,1). Le titre « Seigneur » étant de plus en plus attribué au Christ, celui de « Père » s’est
substitué à lui et a été accolé au mot « Dieu » (« Dieu et Père »), titre retenu depuis les plus
anciennes confessions de foi. Voir M. Bouttier, Éphésiens, 177.
EP 4,1-16 213

Ce n’est pas la première fois qu’Ep nomme Dieu « père »33, mais il est ici
pour la première fois nommé « père de tous ». La difficulté vient du référent de
l’adjectif « tous » : s’agit-il des seuls croyants, de l’ensemble des êtres humains,
ou de tout le créé ? Si l’adjectif renvoie aux seuls humains (croyants et/ou
autres), il est au masculin, et au neutre dans le cas contraire. Les commentateurs
sont divisés. Selon certains, pa,ntwn est au masculin34, selon la majorité d’entre
eux, il est neutre35, selon d’autres encore le premier pa,ntwn serait au masculin,
et les trois autres occurrences de l’adjectif au neutre36. Cette dernière hypothèse
est la moins fondée, car il n’y a aucun indice signalant un changement de
référent de 6a à 6b ; en outre, la première occurrence prépare manifestement les
trois autres (o` evpi. pa,ntwn kai. dia. pa,ntwn kai. evn pa/sin), qui ont pour fonction
de l’expliciter. Que l’adjectif puisse s’appliquer aux croyants, qui ont Dieu
comme père – un père qui est au-dessus d’eux tous, qui habite en eux tous et
donc agit par eux tous –, Ep l’a répété plusieurs fois depuis l’eulogie. Mais
l’exégèse d’Ep 3,14 a montré que pour l’auteur de la lettre, la paternité de Dieu
s’étend à tous les êtres ; par la double technique de la répétition et du
polyptote37, Ep 4,6b souligne comment Dieu qui est au-dessus de tout le créé le
pénètre néanmoins, sans qu’il y ait confusion possible – tout panthéisme est
exclu. L’intérêt de la progression des v.4-6 est de montrer comment Paul part de
l’Église pour arriver à une affirmation concernant le créé : c’est à partir de
l’eschaton que se fait la remontée vers le prôton, ou, en d’autres termes, c’est
parce que l’Église, comme humanité nouvelle, vit vraiment ce qu’elle est,
qu’elle peut mieux comprendre et dire comment Dieu est le créateur.

v.7-16 Diversification des dons


La présentation d’ensemble des v.1-16 a déjà évoqué la fonction pro-
grammatrice du texte biblique, commenté et appliqué au Christ et à l’Église
selon les règles homilétiques juives de l’époque. La citation du Ps 67/68,19,
divisible en trois parties,
(a) élévation et victoire du Christ VAnaba.j eivj u[yoj hv|cmalw,teusen aivcmalwsi,an(
(b) il fait des dons e;dwken do,mata
(c) les destinataires des dons toi/j avnqrw,poij)
va être commentée en trois étapes : les v.9-10 déclarent que le psaume parlait du
Christ, en son itinéraire de descente et de montée (= A) ; le (b) est repris au v.11,

33
Pour plus d’information sur l’appellatif et son application à Dieu, dans et hors de la
Bible, voir l’exégèse d’Ep 1,2.3.17 ; 2,18 et 3,14.
34
Ainsi, R. Schnackenburg, Epheser, 170.
35
Entre autres, J. Gnilka, Epheserbrief, 204 ; M. Barth, Ephesians, 471 ; A.T. Lincoln,
Ephesians, 240 ; P.T. O’Brien, Ephesians, 285-286.
36
R. Penna, Efesini, 185.
37
Figure qui consiste à jouer sur les différents cas (ici, le génitif et le datif), pour exprimer
une totalité.
214 ÉPHÉSIENS

où sont énumérés les dons fournis à l’Église par le Christ (= B) ; la finalité


ecclésiale de ces dons est développée aux v.12-16 (= C). Une inclusion, aux v.7
(e`ni. de. e`ka,stw|) et 16 (e`no.j e`ka,stou), signale les frontières de l’unité.
Après avoir fortement insisté sur l’unicité, sur l’attitude de tous qui doit
rejoindre la foi de tous et se calquer sur elle, Paul ajoute maintenant que cette
unicité n’a rien d’une uniformité, car le tissu ecclésial est organique et diversifié
– d’une ‘diversité structurée’38. La progression est obvie : Le Christ (v.7-10)
donne des ministres (v.11) pour le bien et la croissance de l’Église (v.12-16).

v.7
- « Mais39 à chacun de nous (h`mw/n) la grâce (ca,rij) a été donnée selon la
mesure (me,tron) du don du Christ »
En ce verset, un contraste est marqué avec le développement précédent,
car si les v.1-6 insistaient sur la nécessité de l’unité, les suivants vont mettre en
valeur la diversité des dons, en vue de l’unité et de la croissance du corps
entier ; le verset a aussi la fonction d’annoncer inchoativement le thème des
v.8-16.
Le pronom personnel « nous » désigne-t-il les ministres mentionnés au
v.11 et parmi lesquels Paul se rangerait alors40, ou tous les chrétiens sans
exception41? Comme Paul n’a pas mis de restriction à l’extension du pronom, le
lecteur l’interprète comme un « nous » désignant tous les chrétiens. On
objectera peut-être qu’au v.11, il va rétroactivement appliquer ce « nous » aux
ministres, parmi lesquels Paul lui-même se range. L’exégèse confirmera ou in-
firmera en son temps. Quoi qu’il en soit pour le moment des versets
subséquents, le lecteur n’a aucun indice pour voir dans ce « nous » un groupe
plus restreint. Quant au substantif ca,rij, il est encore impossible de lui donner
un référent précis : grâce du salut, grâce pour accomplir une tâche particulière,
et laquelle ? Le v.8 pourrait donner à croire qu’il s’agit de la grâce nous libérant
des puissances mauvaises (désormais captives), mais le v.11 ira dans une autre
direction et obligera à y voir des grâces différenciées. Le substantif me,tron
(« mesure ») indique déjà de manière elliptique que chacun des croyants a reçu
selon une mesure diverse, c’est-à-dire selon le poids ou l’effet pour lequel Dieu
offre ses dons.

v.8-10 Selon l’un ou l’autre commentaire42, les v.8-10 interrompent le fil du


discours, et l’on pourrait passer directement aux v.11-16, sans que cela gêne le

38
Expression empruntée à R. Penna, Efesini, 185.
39
Le de, est manifestement adversatif.
40
Position de H. Merklein, Das kirliche Amt, 59-62.
41
Ainsi, M. Barth, Ephesians, 430 ; R. Penna, Efesini, 241 ; A.T. Lincoln, etc.
42
M. Barth, Ephesians, 430.
EP 4,1-16 215

sens ou la logique de l’unité. Mais tel n’est pas le cas, parce que le v.8 annonce
la composition des versets suivants, et que la citation scripturaire est décisive
pour le propos de Paul : grâce à elle, il va pouvoir affirmer que les ministères et
autres grâces ecclésiales viennent du Christ lui-même.

v.8 La citation du psaume


« Voilà pourquoi [l’Écriture] dit: ‘Monté dans les hauteurs, il captura des
captifs; il fit des dons aux hommes’ »
Le verbe le,gei, sans sujet -- ce peut être Dieu, ou l’Écriture43 – qui
introduit formellement la citation biblique, se trouve ailleurs dans le NT44. Mais
c’est la seule référence scripturaire formelle d’Ep45. Le texte auquel Paul
renvoie est le Y 67,19, qui n’est pas cité tel quel46 ; dans l’hébreu et le grec le
psalmiste s’adresse à Dieu : le « tu es monté », et le « tu as pris des dons parmi
les hommes » ont été modifiés en « étant monté, il donna des dons aux
hommes ». Doit-on accuser Paul d’avoir trafiqué le texte pour les besoins de la
cause ? Certes, le psaume originel célèbre la victoire de Dieu qui a dispersé les
rois ennemis sur une montagne – et nulle montagne vaut celle où il a voulu
habiter. Quelle est-elle ? Le texte hébreu étant plutôt obscur, les traductions
juives anciennes l’ont interprété chacune à leur manière. Pour notre propos, il
est moins important de les mentionner toutes, que de noter les similitudes
existant entre leur exégèse et celle de Paul, qui n’a donc fait qu’adapter christo-
logiquement le passage psalmique47. Ainsi, le Targum des Psaumes applique le
verset à Moïse : « Tu es monté au ciel, ô Moïse, le prophète, tu as tenu la
captivité captive, tu as enseigné les paroles de la Loi, tu les as données en don
aux hommes »48. Selon toute vraisemblance, Ep 4,8 transpose
christologiquement cette tradition relative à Moïse, interprétant la fin du verset

43
Pour « le Seigneur dit », voir 2Co 6,18. Pour la formule h` grafh. le,gei, voir Rm 4,3 ;
9,17 ; 10,11 ; 11,2 ; Ga 4,30 ; 1Tm 5,18.
44
Voir aussi Jc 4,6 et Hb 3,7. Pour Paul, voir Rm 15,10 ; Ga 3,16 – ailleurs, même si le
verbe n’est pas précédé de son sujet, ce dernier se trouve en général dans le verset précédent.
45
L’autre le,gei se trouve en Ep 5,14 mais introduit à un passage hymnique chrétien.
46
Paul reste à distance de l’hébreu et de la LXX, où l’on lit : avne,bhj eivj u[yoj
hv|cmalw,teusaj aivcmalwsi,an e;labej do,mata evn avnqrw,pw|.
47
Sur ces différentes versions, voir M. Barth, Ephesians, 472-477, et R. Rubinkiewicz,
« Ps 68,19 (= Eph 4,8) ».
48
Le midrash ExR 27,1 cite le même verset du Ps 67-68 en reprenant une variante
intéressante : « comme il est écrit : ‘tu as reçu des dons parmi les hommes’ – le mot homme
se rapporte à Abraham ». Selon certains, le passage s’expliquerait par glissement textuel, de
xql (« prendre ») à qlx (« distribuer »). C’est possible. Si le targum des Psaumes a été édité
bien après Ep, tous sont d’accord pour dire qu’il reflète ici une tradition ancienne, où l’on
parlait de l’ascension de Moïse au ciel pour y recevoir la Torah et d’autres secrets.
L’ascension de Moïse est mentionnée en d’autres passages des écrits rabbiniques, tel
MTehillim sur le Ps 24,1 et le Ps 106,2, signalé par A.T. Lincoln, Ephesians, 243. Voir
également Philon, vita Mosis 1,158 ; posteritate 14.
216 ÉPHÉSIENS

comme une victoire du Christ ressuscité et glorieux dans les cieux sur la puis-
sance qui asservissait l’humanité et qu’il a emmenée en captivité.
Outre le fait que le développement des v.9-16 va se faire à l’aide de la
citation biblique, l’intérêt cette dernière vient de la lecture christologique qu’en
fait Paul. Pareille application se comprend d’autant mieux qu’elle se situe dans
une tradition qui voyait Moïse comme étant monté aux cieux pour y recevoir les
commandements divins et les transmettre aux hommes. Il serait donc erroné de
dire qu’Ep 4,8 christologise purement et simplement les affirmations théo-
logiques du Psaume : l’intermédiaire mosaïque, tel qu’il apparaît dans les
traditions juives d’alors, ne doit être ni ignoré ni oublié.

v.9-10 Qui est monté ?


- « Il monta! Qu'est-ce à dire, sinon qu'il descendit aussi dans les régions
inférieures de la terre? Celui qui descendit est le même aussi que celui qui
monta plus haut que tous les cieux, afin de remplir (plhrw,sh|) toutes choses (ta.
pa,nta) »
Avec ces deux versets (= A) commence un midrash pesher, c’est à dire une
application au Christ du Y 67,19, cité au v.8. Le verbe « monter » fait sans
aucun doute allusion à l’exaltation du Christ, celle-là décrite en Ep 1,20-22.
Mais les avis sont partagés sur la descente ici mentionnée ; s’agit-il de celle aux
enfers ou simplement de la mise au tombeau49, avant la résurrection, ou de
l’incarnation50 ? Une comparaison avec Rm 10,6-7, où le même schéma spatial
est à l’œuvre, est tentante, mais ceux qui optent pour l’incarnation répondent
qu’on ne voit pas en quoi la descente au séjour des morts ajouterait quelque
chose d’essentiel à l’argumentation. Ajoutons qu’on ne voit pas davantage en
quoi l’incarnation est directement nécessaire à l’argumentation, car ce qui est ici
décisif, c’est que le Christ, exalté et monté à la droite de Dieu, a le pouvoir de
faire vivre et croître son Église51. À dire vrai, ni l’une ni l’autre des options ne
s’impose. En effet, si l’incarnation est désignée au v.9, on est obligé de qualifier
le génitif d’épexégétique, ce qui veut dire qu’on n’a pas d’autre solution. On

49
Le génitif est alors partitif (« parties inférieures de la terre »). Ainsi, F. Büchsel,
« ka,tw », TWNT 3 (1965) 642 ; J. D. G. Dunn, Christology in the Making, SCM :London,
1980, 186-87. Parmi les Anciens: Tertullien, Irénée, Chrysostome, l’Ambrosiaster, Jérôme ;
au Moyen Âge : Thomas d’Aquin. Certaines Bibles renvoient en marge à 1P 3,19.
50
Dans ce cas, le génitif est explicatif ou épexégétique (« les régions inférieures, c’est-à-
dire la terre »). Ainsi M. Barth, Ephesians, 433-434, qui fournit plusieurs arguments contre
un passage du Christ par l’Hadès (les puissances mauvaises en Ep sont dans les cieux et non
sous terre ; une conquête du royaume des morts est totalement étrangère au contexte d’Ep
4,9 ; les parallèles avec Jn 3,13 ; 17,5 font pencher en faveur de l’incarnation ; etc.) ; H.-J.
Klauck, « Das Amt in der Kirche », 94-95 ; J. Gnilka, 209 ; H. Merklein, Das kirchliche Amt,
68-69 ; A. Lindemann, Aufhebung der Zeit, 84-86, 218-221 ; R. Schnackenburg, 180-181 ; R.
Penna, Efesini, 188 ; M. Bouttier, Éphésiens, 183 ; A.T. Lincoln, Ephesians, 245 ; P.T.
O’Brien, Ephesians, 296.
51
Même observation chez P.T. O’Brien, Ephesians, 298.
EP 4,1-16 217

pourrait certes répliquer qu’à aucun moment Ep ne parle de la mort de Jésus52,


mais l’expression ne pourrait-elle pas désigner indirectement le séjour des
morts53? Et pourquoi Paul rappellerait-il que le Christ est aussi (kai,) descendu
dans les régions inférieures de la terre – qu’il est allé là où vont tous les morts –
, sinon pour souligner que sa montée au plus haut des cieux, n’est pas une
montée semblable à celle de Moïse – ou des voyants des apocalypses –, mais
une montée post mortem, définitivement glorieuse, et que celui qui est descendu
dans la terre est le même (auvto,j) qui est ensuite monté au plus haut des cieux ?
Même si elle ne s’impose pas, l’hypothèse d’une allusion à une descente au
séjour des morts n’est donc pas aberrante – elle l’est d’autant moins que deux
autres passages néotestamentaires en parlent explicitement54. De la même façon,
ceux qui optent pour une allusion à l’incarnation, doivent expliquer sa fonction
argumentative.
Quel que soit le référent du verbe katabai,nw, l’un ou l’autre trait de la
christologie de ces versets vaut d’être relevé. Sans s’attarder sur la victoire du
Christ sur ses ennemis – les captifs qu’il a capturés –, Paul met en valeur son
ascension suprême qui va lui permettre d’être présent à tout le créé. Ce qui a été
dit de Dieu le père au v.6, l’est maintenant de lui. Cette dilatation du Christ aux
limites du créé a été perçue comme une première ébauche de christologie
cosmique, mais elle fut critiquée, parce qu’elle semblait diluer le Christ et faire
oublier le Jésus de Nazareth, mort en croix. Sans tomber dans une quelconque
spéculation, Ep rend seulement le Seigneur semblable à Dieu, en lui faisant
pénétrer toutes choses : visité par lui, le créé reçoit ainsi sa vocation pleine et
ultime, l’espérance de sa propre glorification.

v.11 Quels dons ?


- « Et c’est lui (auvto,j) qui donna les uns (tou.j me.n) comme apôtres, les autres
(tou.j de.) comme prophètes, les autres (tou.j de.) comme évangélistes, les autres
(tou.j de.) comme pasteurs et (kai.) enseignants »
Note grammaticale : la syntaxe (e;dwken tou.j me.n avposto,louj( tou.j de. profh,taj, ktl.)
montre bien que les mots « apôtres », « prophètes », etc. sont attributs des articles (à valeur
pronominale) compléments d’objet.
Le midrash pesher se poursuit. Ce verset (= B) explicite le e;dwken do,mata
du v.8. L’ordonnancement de la clause montre que l’insistance est désignative :
c’est sur le auvto,j initial, autrement dit sur le Christ donateur, que Paul insiste ;
ce n’est pas l’Église qui se donne à elle-même des ministres pour son bon
fonctionnement, elle les reçoit du Christ lui-même. Quant au verset, il n’a pas

52
Le concernant, l’adjectif nekro,j n’est utilisé qu’en 1,20 pour dire que Dieu le ressuscita
d’entre les morts.
53
F. Büchsel, « ka,tw », TWNT 3 (1965) 642, note que le eivj indique un entrer dans, pas
seulement un descendre sur (evpi,) terre.
54
Rm 10,7 et 1P 3,19.
218 ÉPHÉSIENS

du tout la même visée que 1Co 12 et Rm 12, où sont énumérés des charismes
accordés à des hommes ; ici, ce sont des hommes qui sont donnés à l’Église par
le Christ. Mais, si les apôtres et les prophètes ne forment pas un binôme,
comme en 2,20 et 3,5, on ne peut dire que les apôtres sont nettement détachés
des prophètes et des fonctions suivantes55 ; le verset énumère une hiérarchie de
fonctions, qui sont par ailleurs les unes et les autres mentionnées dans le NT et
sont toutes en rapport à l’Évangile, à sa proclamation, à son interprétation, à sa
prédication et à l’enseignement qui en découle56. La liste du v.11 aurait-elle une
prétention à l’exhaustivité ? Rien ne permet de répondre par l’affirmative à cette
dernière question ; mais qu’il y ait une insistance sur les fonctions ayant rapport
à l’Évangile, c’est indéniable. D’autres fonctions – épiscopes, presbytres et
diacres57 – ne sont pas ici énumérées. Sont-elles ignorées de l’auteur d’Ep, ou
inexistantes dans la communauté à laquelle il s’adresse ? Il est impossible de le
savoir. Mais comme elles concernent les communautés locales, et qu’Ep
considère avant tout l’Église universelle, elles ne sont pas directement
nécessaires à ses propos. Si Ep reflète une situation de transition d’une
génération (apostolique) à l’autre (post-apostolique), le problème majeur est
moins celui des Églises locales, où les apôtres ont mis en place les instances
nécessaires, que celui de l’unité de foi de l’Église universelle. La liste d’Ep 4,11
mentionne donc les seuls ministères directement impliqués dans l’annonce et
l’explicitation de l’Évangile, du mystère. Car, en réalité, le v.11 montre
comment se réalise le mystère ; c’est en effet du Christ que vient l’initiative de
doter l’Église, qui est son corps, d’apôtres et autres ministres qui la feront entrer
dans la connaissance du mystère : la dynamique de l’annonce du mystère vient
du Christ lui-même, telle est bien la pointe du verset.

v.12-16 La finalité des dons


Comme cela a été indiqué dans la présentation d’ensemble du passage, les v.12-
16 (= C), qui constituent la dernière partie du midrash pesher, traitent de la

55
Telle est la position de M. Bouttier, Éphésiens, 186, qui me semble être basée sur une
interprétation erronée de la série (men .. de .., ktl) : le premier de la série n’est ni plus ni
moins distingué des autres que les autres entre eux ; les apôtres sont les premiers nommés, et
pour cette raison ils sont suivis de la particule me,n, mais ils ne sont pas pour cela « détachés »
(sic !) des prophètes et des suivants. L’analyse du verset faite par cet exégète est par ailleurs
excellente.
56
Le ministère de pasteur est une tâche de gouvernement, mais, inséré dans une liste où
les autres ministères sont tous des ministères de la parole, il ne peut pas ne pas être, lui aussi,
proposé comme un exercice de discernement, d’exhortation et d’encouragement entièrement
au service de l’unité et la croissance de toute l’Église. Quant aux évangélistes, il ne s’agit
probablement pas des auteurs des récits néotestamentaires, car le genre évangile ne fut défini
que longtemps après, mais de ceux qui, à la suite des apôtres annoncent l’Évangile partout où
il doit l’être.
57
Pour les épiscopes et les diacres, voir Ph 1,1 ; les presbytres ne seront mentionnés que
dans les Pastorales (1Tm 5,1.2.17.19 ; Tt 1,5).
EP 4,1-16 219

finalité des dons et de leurs destinataires – l’ensemble des croyants –, en deux


étapes :

- v.12-13 croissance et pleine stature du corps ecclésial


- v.14-16 finalité reformulée,
- v.14 négativement : ne pas errer et ne pas être trompés
- v.15-16 positivement : comme mouvement
d’aller (de tous vers le Christ) v.15
et de retour (du Christ à l’Église) v.16
L’unité de l’ensemble est rendue manifeste par l’inclusion des v.12 et 16 :
(v.12) eivj oivkodomh.n tou/ sw,matoj tou/ Cristou/
(v.16) th.n au;xhsin tou/ sw,matoj poiei/tai eivj oivkodomh.n e`autou/ evn avga,ph|

v.12
- « afin de mettre les saints en état d'accomplir le ministère (diakoni,a), (c’est-à-
dire) de bâtir le corps du Christ »
Notre traduction n’est pas seulement une paraphrase, elle suppose des
choix qu’il importe de justifier, car la manière dont on comprend le verset a des
conséquences pour l’ecclésiologie d’Ep. Le verset est en effet composé de trois
syntagmes prépositionnels, que nous appellerons (a), (b) et (c) pour faciliter
l’argumentation :
(a) pro.j to.n katartismo.n tw/n a`gi,wn (pour la préparation des saints)
(b) eivj e;rgon diakoni,aj (pour l’œuvre de service)
(c) eivj oivkodomh.n tou/ sw,matoj tou/ Cristou/ (pour l’édification du corps du Christ).
On peut en effet penser que ces trois syntagmes sont des compléments circons-
tanciels du verbe e;dwken (v.11) et décrivent trois finalités parallèles58: les
ministres énumérés au v.11 ont été constitués (a) pour la préparation des saints,
(b) en vue de l’œuvre de service, et (c) en vue de l’édification du corps du
Christ. Cette lecture parallèle est possible, car les unités précédentes d’Ep
donnent des exemples de chaînes prépositionnelles rattachées au même verbe59.
Et à ceux qui hésitent à suivre cette lecture parce qu’elle a l’inconvénient de ne
pas impliquer l’ensemble des croyants dans l’édification de l’Église60, il est
répondu que leur rôle actif est sauvegardé aux v.7 et 16, mais que sont ici

58
Lecture faite par H. Schlier, Epheser 198-199 ; H. Merklein, Das kirchliche Amt, 76 ; R.
Schnackenburg, Epheser, 186 ; A.T Lincoln, Ephesians, 253-254.
59
A.T. Lincoln, Ephesians, 253, note qu’il en est ainsi en 1,3 ; 1,20.21 ; 2,7 ; 4,13.14
(chaîne de trois syntagmes prépositionnels), en 1,5-6 ; 6,12 (cinq).
60
Telle est l’opinion de M. Barth, Ephesians, 479 : « Cette interprétation a un parfum
aristocratique, c’est-à-dire clérical et ecclésiastique ; elle distingue la masse des ‘saints’ de la
classe supérieure des officiers de l’Église ». Si les ministères énumérés sont ceux qui doivent
annoncer, interpréter et enseigner le mystère, on n’arrive pas inéluctablement à ce genre de
conclusion, car le verset ne dit pas que les (autres) saints n’ont pas reçu de grâce ministérielle
pour le bénéfice des communautés où ils sont.
220 ÉPHÉSIENS

considérés les seuls ministères directement impliqués dans l’annonce et la


connaissance du mystère – du statut de l’Église, de sa composition, de sa
vocation mondiale, etc. – ces ministères ayant une finalité universelle61. La
lecture en parallèle de (a), (b) et (c) ne serait donc pas dictée par un réflexe
‘clérical’, mais par la prise en considération du contexte immédiat62. Selon
d’autres, le changement de préposition (de pro,j à eivj) semble indiquer deux
étapes dans la finalité : une première, où les ministères énumérés au v.11,
consisteraient à former les croyants (les saints63) pour qu’à leur tour (deuxième
étape) ils puissent s’adonner à l’œuvre ministérielle qu’est l’édification du
corps du Christ64. En d’autres termes, les deux derniers syntagmes
prépositionnels seraient dépendants du premier et l’on devrait lire les trois
comme s’ils étaient en cascade65:

(a) pour la préparation des saints 


(b) en vue de l’œuvre de service 
(c) en vue de l’édification du corps
En paraphrasant, on dira que le Christ a donné des apôtres, etc., (a) pour
préparer les saints à (b) accomplir une/l’œuvre de service (c) qui a pour finalité
l’édification du corps du Christ. Réponse est alors donnée à la question du v.7 –
le « nous » désigne tous les croyants : c’est grâce aux ministères directement
impliqués dans l’annonce et l’interprétation du mystère, que tous les croyants
sont en mesure d’œuvrer pour la croissance du corps ecclésial. Les deux
lectures sont syntaxiquement et sémantiquement défendables. Si nous avons ici
préféré la deuxième, c’est parce qu’en Ep les changements de préposition sont
indicatifs d’une insistance rhétorique66 et/ou d’une diversification des modalités
d’un agir67.

61
Voir A.T. Lincoln, Ephesians, 253.
62
L’opposition ne serait donc pas entre ministres (actifs) et fidèles (passifs), mais entre les
fonctions liées à l’annonce du mystère (universelles) et les autres (locales).
63
Que le mot « saints » désigne ici tous les croyants, le verset suivant le montre, qui en
donne une expression synonyme, « nous tous ».
64
Ainsi, J. Gnilka, Epheserbrief, 213 ; H.-J. Klauck, «Das Amt in der Kirche», 100 ; M.
Barth, 439 et 478-484; R. Penna, Efesini, 192-193 ; M. Bouttier, Éphésiens, 190.
65
Pour les auteurs cités dans la note précédente, les syntagmes (b) et (c) sont parallèles.
Le (c) pourrait même être une explication du (b).
66
Ils expriment alors une redondance, en général à l’aide du polyptote.
67
Comme dans l’eulogie initiale, où les pro,, kata,, evn, eivj, visent à indiquer l’amplitude et
les multiples composantes du projet divin.
EP 4,1-16 221

Observations sémantiques. Le substantif katartismo,j68 pourrait n’être suivi


d’aucun complément circonstanciel, mais on ne verra rien que de très normal à
ce que la finalité de la préparation soit signalée69. Quant à l’expression « œuvre
de service », où le substantif diakoni,a n’est pas défini par son objet70, l’absence
d’article rend difficile son interprétation : elle peut désigner une œuvre de
service particulière – au sens où 1Co 12,5 dit qu’il y a diversité de services – ou
l’œuvre de service en vue de (eivj) l’édification du corps du Christ71.
Que l’on opte pour la première (en parallèle) ou la seconde lecture (en
série) des trois syntagmes, le poids sémantique est mis sur la fin du verset, sur
l’édification du corps du Christ. Loin de provoquer la dissolution ou la désagré-
gation du tissu ecclésial, la diversité des ministères – en particulier ceux chargés
du mystère – mène bien plutôt à sa construction et à sa croissance. La diversité
des fonctions a ainsi une origine christologique et une fin ecclésiale. La richesse
de la métaphore corporelle – avec ses corollaires : la croissance organique,
harmonieuse, etc. – saute ici aux yeux, puisque c’est grâce à elle qu’à la suite
des homologoumena, Ep peut combiner diversité et unité ecclésiales : étant au
service de l’unité, la diversité des fonctions est une chance et doit être d’autant
moins empêchée qu’elle est voulue par le Christ… pour l’unité de son Église.

v.13
- « jusqu'à ce que (me,cri) nous parvenions (katanta,w) tous ensemble à (eivj)
l'unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, à (eivj) l’homme accompli,
à (eivj) la taille de la plénitude du Christ »
Après avoir dit pourquoi le Christ a donné des ministres à son Église, c’est
maintenant la direction unifiée vers laquelle tendent tous les membres de
l’Église qui est présentée en trois syntagmes prépositionnels parallèles :
(a) eivj th.n e`no,thta th/j pi,stewj kai. th/j evpignw,sewj tou/ ui`ou/ tou/ qeou/(
(b) eivj a;ndra te,leion(
(c) eivj me,tron h`liki,aj tou/ plhrw,matoj tou/ Cristou/(
La perspective est-elle celle d’une unité, d’un accomplissement et d’une
plénitude ultimes, à la parousie du Christ, ou, au contraire, restons-nous dans le
temps de l’histoire ? Les premiers mots du verset indiquent bien qu’il s’agit du

68
Si le substantif n’apparaît qu’ici dans le NT (il n’est pas davantage employé dans l’AT),
le verbe se rencontre plusieurs fois (13x dans le NT, dont 5x chez Paul, et 17x dans la LXX).
Le mot désigne l’acte de compléter, de préparer, d’équiper, de former (les ministres ont donc
été donnés à l’Église pour former ou préparer les croyants), et non l’objet qui équipe (comme
la cuirasse, l’épée, et autres instruments).
69
Ainsi en est-il, en Rm 9,22, Hb 11,3 et 13,21 (katarti,zw + eivj).
70
À la différence de 1Co 3,8 ; 5,18.
71
Le mot diakoni,a est également suivi d’un eivj en 2Co 8,4 et 9,1 (service au profit des
saints). Dans ce cas, on omettra la virgule qui, sans la plupart des NT grecs, sépare les
syntagmes (b) et (c). Le troisième syntagme du verset peut encore être explicatif (« pour
l’œuvre de service, c’est-à-dire pour l’édification du corps du Christ »).
222 ÉPHÉSIENS

temps ‘de la foi’, celui d’une Église dont la croissance et la stature dépendent de
ce qu’elle croit et connaît de son Seigneur. L’insistance est encore sur l’unité et
ce qu’elle favorise.
Le génitif tou/ ui`ou/ tou/ qeou/ est objectif, car dans les chapitres précédents,
les croyants sont toujours sujets des verbes de connaissance72. Pourquoi le
verset met-il ensemble foi et connaissance73? Parce que, pour le Paul d’Ep,
connaître le mystère fait partie intégrante du parcours des croyants. Depuis le
début de la lettre, l’auteur répète à ses lecteurs qu’il demande à Dieu de les
remplir tous de sagesse et d’intelligence, afin qu’ils comprennent les trésors de
richesse dont Dieu a voulu les combler et l’amour du Christ pour eux74. Voilà
pourquoi l’unité de la foi et de la connaissance est nécessaire. En effet, si c’est
par la connaissance qu’on entre toujours davantage dans le mystère, c’est le
même Christ qu’il importe de connaître pour grandir en lui. Une autre raison est
d’ailleurs esquissée par Ep : l’unité dans la foi et dans la connaissance a son
origine en Christ même, qui a révélé aux apôtres et prophètes ce que les
croyants doivent croire et connaître du mystère le concernant. La formulation
est encore intéressante à un autre titre : celui en qui il faut croire et qu’il faut
connaître, ce n’est pas d’abord Dieu, mais son Fils ; en effet, depuis le com-
mencement, Ep a affirmé que connaître Dieu équivaut à connaître le mystère de
sa volonté, qui s’est réalisé en Christ.
L’édification du corps est ensuite dite mener à « l’homme accompli »,
c’est-à-dire adulte. L’adjectif « accompli » semble redondant, mais il connote
une maturité réussie à tous égards. Qui est cet adulte accompli à la rencontre
duquel va le corps ecclésial ? Si l’interprétation gnostique75 est heureusement
abandonnée, deux autres, christologique et ecclésiologique, restent aujourd’hui
en lice76. Pour les uns77, ce ne peut être que le Christ. L’identification peut
s’appuyer sur le contexte immédiat et global d’Ep : (a) le fait que l’on n’ait pas
le vocable a;nqrwpoj, mais avnh,r, qui désigne l’adulte mâle, (b) qu’en Ep,
l’Église est en position d’épouse, (c) qu’elle n’est pas une fin en elle-même,
mais qu’elle va à la rencontre du Christ glorieux78, (d) ce que le verbe katanta,w
et (e) le v.15 – où la croissance mène le corps ecclésial vers le Christ – semblent
confirmer. Sans nier la pertinence des remarques sur le vocabulaire, il faut tout

72
Même observation chez R. Penna, Efesini, 195.
73
Le contexte laisse manifestement entendre que la connaissance en question n’est pas la
raison (naturelle), car elle n’est ni en deçà ni au-delà de la foi.
74
Se reporter à l’exégèse de 1,17-23 et 3,14-19.
75
Les textes invoqués sont de loin postérieurs et culturellement distants d’Ep. Cet adulte
accompli représenterait l’Homme céleste reconduisant à soi les croyants parfaits.
76
M. Barth fait une présentation des différentes lectures, en Ephesians, 493-496.
77
Ainsi, M. Barth, Ephesians, 495-496.
78
Plusieurs textes néotestamentaires, entre autres pauliniens parlent de cette rencontre, qui
aura lieu à la fin des temps. Ainsi, 1Th 4,13-18.
EP 4,1-16 223

de même les relativiser. Certes, le terme grec avnh,r peut surprendre, car il
désigne l’homme mâle, et ne correspond pas à l’image féminine qu’Ep 5,22-33
donne de l’Église, en en faisant implicitement l’épouse du Christ79. Néanmoins,
on ne doit pas oublier qu’Ep 4,13 emploie le terme pour marquer une
opposition, non pas entre homme et femme (gunh,), mais entre différents âges :
le te,leioj avnh,r désigne ici l’adulte, physiquement et moralement développé,
opposé à l’enfant, encore mineur et immature, celui-là même dont va parler le
verset suivant80. Un texte de Philon, cité très à propos par un commentateur,
permet de voir comment l’image doit être comprise 81: « Où sont les apparentes
différentes d’âge (h`liki,ai) ? Où est le nouveau-né (bre,foj), le bambin (pai/j),
l’enfant (avnti,paij), …, le jeune homme (neani,aj), l’adulte accompli (te,leioj
avnh,r) ? ». On aura noté que la réflexion de Philon et Ep 3,13 ont en commun
deux expressions : « âge » ou « taille » (h`liki,a), et « adulte accompli ». Voilà
pourquoi la lecture ecclésiologique (« atteindre l’adulte accompli ») pourrait
être préférée à l’autre (« rencontrer l’homme parfait, c’est-à-dire le Christ »).
Malgré les objections soulevées à son encontre, l’interprétation ecclésiologique
ne manque pas de défenseurs82, car la préoccupation du contexte est bien
communautaire et vise à stimuler la croissance de tous les croyants dans la foi.
Ce à quoi doit parvenir (katanta,w) le corps ecclésial, c’est à la taille d’un adulte
accompli, ayant harmonieusement développé l’ensemble de ses facultés.
Le dernier syntagme du verset « vers la mesure de la stature de la plénitude
du Christ » est délibérément redondant – la redondance vise à rendre
verbalement la plénitude – et paradoxal, car la mesure de la plénitude du Christ
est d’être sans mesure. Tout comme les précédents, ce dernier syntagme montre
bien que l’ecclésiologie d’Ep se meut entre deux pôles, celui d’un déjà-là
originel, puisque l’Église est plénitude du Christ, c’est-à-dire totalement
remplie par lui (1,23), et qu’elle doit néanmoins marcher vers cette même
plénitude qu’elle n’a pas encore – second pôle (3,19 ; 4,13).

v.14
- « afin que (i[na) nous ne soyons plus (mhke,ti) des enfants (nh,pioi), ballottés,
menés à la dérive par tout vent de doctrine, par le jeu (kubei,a) des hommes, par
leur habileté à fourvoyer dans l’erreur (pla,nh) »

79
Noter que l’Église n’est jamais explicitement nommée « épouse » en Ep 5,22-33. Il
importera d’en déterminer les raisons, autant que possible.
80
Même observation chez M. Bouttier, Éphésiens, 191, et R. Penna, Efesini, 196.
81
Voir R. Penna, Efesini, 196. Ce passage du de cherubim (114,3-5) s’interroge sur la
fugacité de la vie et des différentes étapes qui la composent. Le sens de l’expression est le
même, en Philon, spec.leg 4,140,5 ; Diodore de Sicile, bibliotheca historica 9,11,2-3 ; Dion
Chrysostome, orationes 77/78,17,1-2.
82
Voir, entre autres, R. Penna, Efesini, 196 ; A.T. Lincoln, Ephesians, 256-257 ; P.T.
O’Brien, Ephesians, 307.
224 ÉPHÉSIENS

Après avoir décrit le but, les versets 14-16 expriment d’abord négati-
vement, puis positivement les effets de la croissance du corps ecclésial.
Les enseignants ou docteurs implicitement visés, seraient, selon certains,
des « judéo-chrétiens qui sapaient le ‘mystère’ du Christ en prétendant que sa
mort ne suffisait pas pour nous sauver, mais qu’il fallait en plus conserver
toutes les observances du judaïsme, spécialement la circoncision »83. Cette
affirmation s’appuie sur Ep 2,12a (les païens sont sans Christ), et les faux
docteurs sont ceux qui, en prônant la circoncision (2,11), s’opposent à cette
doctrine essentielle. Il y va donc du mystère du Christ. Les adversaires seraient
ainsi les mêmes qu’en Gal. Le moins qu’on puisse dire est que les indices
confirmant l’hypothèse sont ténus : il est impossible de savoir à quelle doctrine
le verset fait allusion84. Mais, objectera-t-on, le « ne plus » (mhke,ti) ne laisse-t-il
pas entendre que dans le passé, les croyants se sont laissés endoctriner ? Certes,
l’adverbe peut faire allusion des situations ecclésiales antérieures, telles celles
vécues par les Corinthiens85 ou par les Colossiens, mais il peut aussi renvoyer
au temps où les croyants étaient encore païens (Ep 2,2-3).
Le verset, exprime négativement et avec redondance les effets de la
croissance. Pour souligner le caractère périlleux et aventureux des doctrines qui
pourraient tenter les croyants, Paul utilise des images renvoyant à deux champs
sémantiques différents : les bateaux ballottés et emportés par des vents
capricieux, et les jeux dominés par le hasard et la triche86. Cela dit, la fonction
du verset est avant tout rhétorique, celle d’introduire, sous mode de contraste, à
l’itinéraire que les croyants vont certainement prendre, car il mène au Christ.

v.15-16
Les deux versets sont encadrés par une inclusion :
v.15 avlhqeu,ontej de. evn avga,ph| auvxh,swmen eivj auvto.n ta. pa,nta(
v.16 th.n au;xhsin tou/ sw,matoj poiei/tai eivj oivkodomh.n e`autou/ evn avga,ph|Å
Le mouvement de croissance indiqué est double, (a) la confession de la
vérité permet au corps ecclésial de croître et de rejoindre le Christ (v.15), mais
(b) en retour, c’est du Christ que le corps reçoit sa croissance, pour devenir un
édifice harmonieux et solide (v.16).

83
M.-É. Boismard, L’énigme de la lettre aux Éphésiens, 52.
84
Certains commentateurs, notant que le vocable « doctrine » (didaskali,a) est au singulier
et précédé de l’article, pensent qu’il désigne la doctrine chrétienne, mais utilisée à des fins
perverses ; cf. H. Merklein, Das kirchliche Amt, 107 ; R. Schnackenburg, Epheser, 189. Mais
la tournure « par tout vent de la doctrine » désigne toute sorte de doctrine, chrétienne ou non,
l’article étant probablement ici une trace de sémitisme.
85
Le verset peut exploiter 1Co 3,1, où l’apôtre traitait les Corinthiens de nh,pioi.
86
Le terme kubei,a désigne le jeu de dés, mais aussi la triche, car les dés sont souvent
pipés…
EP 4,1-16 225

v.15
- « Mais [afin que]87, confessant la vérité (avlhqeu,ontej) dans l'amour (avga,ph),
nous grandissions à tous égards (ta. pa,nta) vers celui qui est la tête, Christ »
Le subjonctif auvxh,swmen est probablement final, et doit être rattaché au i[na
du début du v.14, ce qui renforce le contraste entre les deux versets. Son sens
est certainement intransitif (croître, et non « faire croître »), comme en 2,2188.
Quant au verbe avlhqeu,w (« dire la vérité »), le fait même que son usage soit
absolu ne permet pas de savoir exactement ce à quoi Paul fait allusion : s’agit-il
de dire la vérité aux autres (cf. Ep 4,25), ou de confesser la vérité, qui est celle
de l’Évangile89? La seconde lecture semble plus conforme au contexte ; c’est
parce qu’ils croient et confessent la vérité de l’Évangile que les croyants
peuvent rejoindre celui qui en constitue l’objet principal, le Christ. Mais si
l’apôtre ne dissocie pas l’orthodoxie de l’amour, il est difficile de savoir quelle
nuance exacte – causale ou modale – il faut donner au participe avlhqeu,ontej.
À quelle fin le corps ecclésial en croissance va-t-il vers le Christ ? Pour se
soumettre totalement à lui ? Le fait même que le Christ soit ici nommé « tête »
peut confirmer cette exégèse. Mais il ne faut pas oublier le v.16, qui fait du
Christ celui dont l’Église reçoit sa croissance harmonieuse et donc sa vie90.

v.16
- « de qui (evx ou-) le corps tout entier, coordonné et bien uni grâce à toutes les
articulations qui le desservent, selon une activité répartie à la mesure de chaque
partie, réalise sa propre croissance pour s’édifier lui-même dans l'amour »
Le mouvement de retour (du Christ à l’Église) est décrit en un style
chargé, d’une élégance douteuse, mais qui, par l’accumulation des procédés
syntaxiques et sémantiques91, veut signifier que l’Église est un ensemble orga-
nique où tout est lié. Ce verset reprend et synthétise les idées émises aux v.7-16,
comme l’indiquent les diverses inclusions signalées en cours d’exégèse, et dont
le deuxième terme se trouve chaque fois au v.16 (en 7.16, 12.16 et 15.16) : sont
ainsi ré-évoquées les thématiques de la mesure (v.7.16), du corps (v.12.16), de
l’édification (v.12.16), de la croissance (v.15.16), de l’amour (v.15.16).

87
Le « afin que » (i[na) est ici restitué, car le subjonctif « grandissions » (auvxh,swmen)
88
H. Schlier, Epheser, 205-207, opte pour le sens transitif et fait de ta. pa,nta le
complément d’objet (« afin que nous fassions grandir toutes choses vers le Christ »), ce qui
met en valeur le rôle cosmique de l’Église. Mais cette lecture est improbable, à cause du
verset parallèle Ep 2,21, mais aussi parce que le v.16 ne parle que de l’Église.
89
Sur l’identification de la vérité avec l’Évangile, voir Col 1,5 et l’exégèse de Ep 1,13.
90
Sur le sens de kefalh, (autorité et/ou source), se reporter à l’exégèse d’Ep 1,22.
91
En plus des six prépositions (evk, dia,, kata,, evn, eivj, evn), noter la répétition du préfixe sun-
devant les participes passifs (sunarmologou,menon kai. sumbibazo,menon).
226 ÉPHÉSIENS

Ce compendium a son correspondant en Col92:

Ep 4,16 Col 2,19


evx ou- pa/n to. sw/ma evx ou- pa/n to. sw/ma (1)
sunarmologou,menon kai. sumbibazo,menon kai. sumbibazo,menon (4)
dia. pa,shj a`fh/j dia. tw/n a`fw/n kai. sunde,smwn (2)
th/j evpicorhgi,aj evpicorhgou,menon (3)
katV evne,rgeian evn me,trw| e`no.j e`ka,stou me,rouj
th.n au;xhsin tou/ sw,matoj poiei/tai au;xei th.n au;xhsin tou/ qeou/ (5).
eivj oivkodomh.n e`autou/ evn avga,ph|

Les ressemblances entre les deux textes sont patentes et importantes. (a)
C’est du Christ que le corps entier reçoit sa cohésion et son unité. Et sans doute
est-ce la première fois que, dans les lettres pauliniennes, la préposition evk,
jusque là réservée à Dieu le Père93, est appliquée au Christ pour dire l’origine
des dons reçus par les croyants. (b) L’organisme ecclésial est desservi par toutes
sortes d’articulations94; l’image signifie qu’aucune partie du corps n’est laissée
pour compte. Nombreux sont les interprètes pour qui ces articulations désignent
de façon imagée les ministres énumérés au v.11. Mais plutôt que de chercher à
préciser à qui Paul fait allusion, il vaut mieux retenir la force d’une image
insistant sur la circulation à l’intérieur du corps ecclésial. (c) La croissance
organique constitue le bouquet final, car elle exprime la vie, la vitalité du
corps ; le texte fournit ici un critère pour juger de l’origine de la vitalité de
l’Église : tout ce qui fait croître harmonieusement le corps vient du Christ. En
l’un et l’autre verset, et sans doute plus encore en celui d’Ep, l’ecclésiologie est
fortement christologisée : l’image corps/tête ne signifie pas seulement que
l’Église est inséparable du Christ, qu’elle lui est entièrement soumise, qu’elle
reçoit de lui sa vie et sa croissance, car ici quelque chose de plus nous est
suggéré, à savoir que plus le corps tend vers sa tête, plus il se réalise lui-même ;
c’est en étant continûment tournée vers le Christ que l’Église acquiert toute sa
stature, et cela dit bien qu’il est de sa responsabilité de toujours mieux connaître

92
Les mots parallèles sont soulignés, et la place originelle des segments de Col 2,19 est
signalée entre parenthèses.
93
Ainsi, par ex., 1Co 2,12 ; 7,7 ; 8,6 ; 11,12 ; 2Co 3,5 ; 5,18 ; 13,4 ; Ph 3,9 ; Ep 3,15.
94
L’expression dia. pa,shj a`fh/j th/j evpicorhgi,aj doit être traduite « par toute sorte
d’articulation qui sert à lui assurer subsistance », car le génitif evpicorhgi,aj indique la
fonction des articulations – on ne doit pas oublier le parallèle avec Col 2,19 – plutôt que leur
origine (des articulations qui seraient un subside [de la part du Christ]). Quant au syntagme
katV evne,rgeian evn me,trw| e`no.j e`ka,stou me,rouj, il peut être rendu ainsi : « selon la force
proportionnée à chacune des parties », ce qu’on peut paraphraser comme suit : la tête répartit
les forces au mieux de l’ensemble, c’est-à-dire selon les besoins et les fonctions des
différents membres.
EP 4,1-16 227

son Seigneur, afin de pouvoir remplir sa mission auprès de l’humanité et du


créé.

Reprise théologique

a – Ecclésiologie et éthique
À peine la section exhortative ébauchée, et exprimé l’appel à l’humilité, à
la patience et à l’amour, Paul semble partir à la dérive, dans une réflexion non
directement exhortative, sur l’unité ecclésiale, son origine et ses effets. En
réalité, la dérive n’est qu’apparente, car en plaçant en frontispice de ses
exhortations éthiques une réflexion sur l’unité et la croissance organique du
corps ecclésial, il ne veut pas seulement signifier que la vie en Église est le lieu
où les croyants ont à vivre les valeurs évangéliques, mais aussi montrer que
c’est d’abord en vivant l’unité que les croyants peuvent porter un témoignage
responsable à l’Évangile. Le vivre ensemble comme corps du Christ est
premier95, et la morale des croyants est enracinée ecclésiologiquement.
b – Connaissance et éthique
L’auteur d’Ep est convaincu que l’unité dans la foi et dans la connaissance
du Fils de Dieu est ce qui mène à l’âge adulte accompli. Et ce, parce que
l’éthique est toujours une question de discernement, et que c’est la connaissance
du Christ qui évitera aux croyants de se laisser séduire par les idées en vogue,
aussi alléchantes soient-elles. La méditation sur le mystère du Christ et de
l’Église est ainsi le lieu privilégié où naît une éthique saine, car c’est en prenant
conscience du dessein du Christ sur son Église que les croyants pourront
comprendre qu’ils ont tous leur rôle à jouer dans la construction du corps
ecclésial et qu’ils sauront se respecter, dans la vérité, la patience et l’amour.
Pour Ep, la connaissance du mystère, du lien entre la tête et le corps, est ce qui
fonde et donne sa force à l’éthique chrétienne.
c – Christologie et ecclésiologie
L’ecclésiologie d’Ep 4 est entièrement christologisée, puisque c’est le
Christ qui prend l’initiative de susciter les ministères susceptibles de préparer
tous les croyants à œuvrer pour l’édification du corps ecclésial, c’est aussi vers
lui qu’est fondamentalement orientée l’Église. Comme entité eschatologique96,

95
Ce que, dans une belle formule, A.T. Lincoln, Ephesians, 269, appelle « the corporate
dimension of believers’ existence ».
96
Quelques interprètes (Käsemann; Lindemann, etc.) se sont demandé si Ep n’avait pas
une compréhension anti-historique et atemporelle de l’Église, surtout à cause de l’idée d’une
Église universelle sans lien apparent avec les Églises locales concrètes. En réalité, pour Ep,
l’Église n’est pas une réalité historique, puisque crée à la croix (Ep 2,15), mais cela ne
l’empêche pas de se situer aussi historiquement.
228 ÉPHÉSIENS

comme corps du Ressuscité, elle est totalement dépendante de lui, et ne peut


être elle-même qu’en allant vers lui : c’est l’altérité christique qui constitue
l’identité ecclésiale. Paradoxale situation, car elle a tout reçu de son Seigneur et
doit néanmoins être continûment tournée vers lui, aller à lui pour atteindre sa
pleine stature de corps du Christ.
d – la métaphore tête/corps et sa fonction heuristique
Ep 4,1-16 est un des passages où l’auteur d’Ep emploie le vocabulaire
corporel pour en montrer toutes les possibilités, car ce vocabulaire permet
d’allier unité et diversité, unité et non uniformité, croissante et harmonie,
complémentarité et solidarité entre les membres, etc. Il reste à voir jusqu’à quel
point cette métaphore va être sollicitée dans la suite de la lettre.
Vivre en chrétiens
Ep 4,17–5,20(21)1

S’il y a unanimité parmi les commentateurs pour dire que les directives morales
relatives à la vie de tous les jours commencent en Ep 4,17 et vont jusqu’au
cadre épistolaire final, la délimitation des sous-sections et unités respectives est
plus délicate. La solution apparemment la plus aisée consiste à diviser en unités
de faible extension, sans plus d’explication (v.17-24 ; v.25-32 ; etc.). Sans
préjuger de la pertinence de ce type de découpage2, on peut simplement dire
qu’il n’est d’aucune utilité pour le lecteur, qui ne peut percevoir la progression
ou la logique de l’ensemble. On rétorquera peut-être que la composition de ces
exhortations est inexistante. L’objection n’est pas fondée, car on peut déjà isoler
les codes domestiques (5,22 à 6,9), et la plupart des études relèvent bien les
deux contrastes imagés courant tout au long des exhortations, entre le vieil
homme et l’homme nouveau (4,17-32 ou 4,17 – 5,2, ou encore 4,17 – 5,5), entre
les fils des ténèbres et les fils de la lumière (5,1-20 ou 5,3-20, ou même 5,5-20).
Sans doute est-il plus difficile de discerner quelle est l’articulation interne de
ces ensembles, mais ils existent, et c’est en étudiant de plus près la façon dont
Paul mène sa comparaison, qu’on peut saisir comment il avance dans la
description de ce que doit être le penser et l’agir des chrétiens. Dans un premier
temps, la manière de penser et de vivre des païens va servir de contre-modèle
(4,17-19) ; c’est en opposition au comportement des païens que Paul décrit, en
quatre unités de longueur à peu près égale, la manière dont les chrétiens doivent
vivre : il commence par tout ce qui touche au langage (4,25-32), et à l’impureté
(5,1-5), et poursuit avec des réflexions sur le discernement et la sagesse qui
doivent régler les décisions (5,6-21) ; suivent les unités consacrées aux rapports
domestiques (5,22 à 6,9) ; l’ensemble finit par une exhortation (à la puissance
deux) sur les moyens spirituels sans lesquels les croyants ne pourront affronter

1
Sur l’ensemble des exhortations, consulter H. Merklein, «Eph 4,1-5,20 als Rezeption von
Kol 3,1-17» ; U. Luz, «Überlegungen zum Epheserbrief und seiner Paränese».
2
Plusieurs commentaires prolongent en effet jusqu’en 5,2, voire 5,5, l’unité qui
commence en 4,25
230 ÉPHÉSIENS

les difficultés qui les attendent, car ils doivent se mesurer avec des forces qui
les menacent (6,10-20). Ce découpage sera justifié lors de la présentation de
chaque sous-section. L’ensemble se présente grosso modo comme suit:

4-17 – 5,21 les païens vs. vous


- pas comme les païens v.17-19
a raisons : ils sont ignorants du bien à cause de la dureté de leur cœur v.18
b agir : et ils font le mal, s’adonnant à la débauche v.19
- vous, pas ainsi 4,20 à 5,21
A principes : ce que vous avez appris – vivez selon l’homme nouveau v.20-24
B agir : ce que vous devez éviter et ce que vous devez faire 4,25 – 5,20(21)
5,(21)22 – 6,9 exhortations domestiques
- épouses et époux 5,22-33
- enfants et parents 6,1-4
- esclaves et maîtres 6,5-9
6,10-20 se revêtir de la force de Dieu

Si les exhortations d’Ep ressemblent à celles des homologoumena, c’est


sans doute parce qu’elles s’en inspirent. Sans aller jusqu’à les copier purement
et simplement, elles leur empruntent beaucoup de leurs motifs. Avec Col, les
ressemblances sont telles3 que la question de l’antériorité de l’une ou l’autre
lettre en devient encore plus aiguë. Le père Boismard pense pouvoir discerner
deux couches rédactionnelles, la première, originelle et paulinienne, la
deuxième, postérieure et non paulinienne4. Si l’hypothèse n’est pas dénuée de
fondement, elle n’emporte pas la conviction. Certes, on peut distinguer les idées
ou les motifs qui viennent des homologoumena et de Col, mais il est bien
difficile de savoir si leur agencement s’est fait par stratification successive, ou
si l’auteur d’Ep –que ce soit ou non Paul – s’est tout simplement servi des uns
et des autres pour présenter ses exhortations. En bref, ce n’est pas parce qu’un
vocable, un syntagme ou une idée d’Ep viennent des homologoumena qu’ils
sont de la main de Paul5. Au demeurant, plus que de mettre à jour la sédimen-
tation rédactionnelle, il importe d’expliquer et de justifier autant que possible
les choix opérés par l’auteur d’Ep : pourquoi, parmi tous les motifs ou thèmes à
sa disposition, a-t-il choisi celui-ci plutôt que celui-là, etc. ? À la différence des
autres sections, celle-ci ne brille pas par son originalité, mais par la pertinence
de ses reprises. Le lecteur ne doit donc pas se dérober au travail de
discernement qui lui est proposé.

3
Les parallèles seront présentés par sous-sections.
4
M.-É. Boismard, L'énigme de la lettre aux Éphésiens.
5
L’inverse est tout aussi vrai, voilà pourquoi il faut d’autres critères pour se prononcer.
Sur ces questions d’authenticité, le lecteur peut se reporter à l’introduction générale.
EP 4,17–5,21 231

Principes et composantes de la conduite chrétienne


Ep 4,17 – 5,20(21)

Cette sous-section, divisée en unités assez brèves, commence par une


comparaison entre païens et chrétiens, en un parallélisme assez strict, qui
énonce les raisons de l’agir (a et A), avant de présenter l’agir lui-même (b et
B) : la mention des païens (v.17-19) sert de point de départ commode, et fait
déjà pressentir que les exhortations alterneront, négatives (faisant allusion à
l’agir des païens) et positives (énonçant le comportement positif des croyants,
dont Dieu et le Christ sont les modèles).
Les v.17-19 ont ainsi pour fonction de lancer les exhortations et de
déterminer la division d’ensemble (les raisons de l’agir et l’agir lui-même). Les
v.20-24, dont H. Merklein a bien montré l’importance, constituent les principes
(A) que le reste de la sous-section (B) ne fera qu’illustrer6.

- pas comme les païens v.17-19


a raisons : ils sont ignorants du bien à cause de la dureté de leur cœur v.18
b agir : et ils font le mal, s’adonnant à la débauche v.19
- vous, pas ainsi 4,20 à 5,21
A principes : ce que vous avez appris – vivez selon l’homme nouveau v.20-24
B agir : ce que vous devez éviter et ce que vous devez faire 4,25 – 5,21
4,25 – 5,2 le modèle de l’agir
5,3-6 pas d’impureté
5,7-14 la lumière
5,15-20(21) la sagesse

Les principes – pas comme les païens


Ep 4,17-19 + 20-24

Bibliographie
H. Halter, Taufe und Ethos, Herder : Freiburg 1977, 248-256 ; H. Merklein, «Eph 4, 1–5, 20
als Rezeption von Kol 3, 1–17», 194–210.

6
La justification de la division de 4,25 à 5,20(21) sera faite plus loin. M. Bouttier,
Éphésiens, 202, note que le verbe peripatei/n (« marcher », employé au sens figuré : « se
comporter », « vivre moralement ») revient plusieurs fois (en 4,1.17 ; 5,2.8 et 14), précédé
d’un ou=n (« donc » ; 4,1.17 ; 5,1.7 et 15). On constate que, de fait, ces deux vocables sont
présents au commencement et/ou à la fin des différentes unités..
232 ÉPHÉSIENS

17
Voici donc ce que je dis et atteste dans le Seigneur : de ne plus vivre comme
vivent les païens dans l’inanité de leur intelligence, 18 enténébrés dans leur
pensée, et étrangers à la vie de Dieu, à cause de l'ignorance qui est en eux, à
cause de l'endurcissement de leur cœur, 19 lesquels [païens] ayant perdu toute
sensibilité morale, se sont livrés à la débauche, au point de pratiquer toute
sorte d’impureté avec avidité.
20
Mais vous, ce n'est pas ainsi que vous avez appris le Christ, 21 si du moins
c'est bien de lui que vous avez entendu parler, et en lui que vous avez été
enseignés, conformément à la vérité qui est en Jésus, 22 à vous dépouiller du
vieil homme caractérisé par votre conduite précédente, celui qui se corrompt
sous l'effet des convoitises trompeuses, 23 à être renouvelés par la transfor-
mation spirituelle de votre intelligence 24 et à revêtir l'homme nouveau, celui
[qui fut] créé selon Dieu dans la justice et la sainteté [qui viennent] de la vé-
rité.

Présentation et Composition

Les v.17-24 ne forment pas un passage unifié, et la fonction des unités


respectives doit être bien mise en évidence. Comme introduction, les v.17-19
servent de tremplin à toute la sous-section, en un style quelque peu stéréotypé.
En contrepoint, présentation est faite de ce que doit être la conduite chrétienne,
en deux volets : un premier, où sont énoncés les principes fondamentaux (v.20-
24) et un second, beaucoup plus long, puisqu’il va jusqu’à 5,21(21), où sont
passés en revue les principaux domaines de la vie morale.
Les v.17-19, qui forment une seule phrase, peuvent être à leur tour divisés
en quelques segments brefs :

- une énonciation solennelle « Voici donc ce que je dis et atteste » (v.17a)


- une exhortation négative : ne pas vivre comme les païens (v.17b)
- situation négative des païens (2 participes parfaits passifs) (v.18a)
- les raisons : ignorance et endurcissement (v.18b)
- leur agir (comme conséquence) : débauche et impureté (v.19).

Les v.20-24 ne forment eux aussi qu’une seule phrase, construite sur une
opposition entre le vieil homme dont il faut se dépouiller, et l’homme nouveau
qu’il faut revêtir. Les principes fournis ne sont pas nouveaux, et renvoient
manifestement à la catéchèse baptismale. Au demeurant, Paul répète au moins
trois fois qu’il s’agit d’un enseignement reçu : « ce n’est pas ainsi que vous avez
appris le Christ » (v.20), « si c'est bien de lui que vous avez entendu parler »
(v.21), « si vous avez été enseignés en lui » (v.21).
EP 4,17–5,21 233

Les exhortations d’Ep ne prétendent donc pas à l’originalité, et le lecteur


ne doit pas s’étonner de relire des exhortations déjà énoncées dans les lettres
antérieures de Paul. L’ensemble donne en effet l’impression d’un patchwork fait
de morceaux choisis. L’originalité est ici moins dans les motifs que dans les
choix opérés. Au fil des versets, on voit reparaître des thèmes connus, sans que
cela surprenne. Si la lettre aux Romains est abondamment sollicitée, les
parallèles avec Col sont presque littéraux7.
Le modèle littéraire des v.17-19 trouve un parallèle clair en Rm 1,21-24,
qui reprend des topoi bibliques et juifs sur la manière de vivre insensée des
païens. Ce genre ne fait pas dans la nuance, et l’on n’accusera pas l’auteur d’Ep
de ne pas relever tout ce qui chez les païens est généreux, noble et bon, car tel
n’est pas le but. Il ne fait que suivre ses sources, en les abrégeant même :

Ep 4,17-19 Rm 1,21.24
4,17c evn mataio,thti tou/ noo.j auvtw/n 1,21 evmataiw,qhsan evn toi/j dialogismoi/j auvtw/n
4,18° evskotwme,noi th/| dianoi,a| o;ntej 1,21 kai. evskoti,sqh h` avsu,netoj auvtw/n kardi,a
4,19 e`autou.j pare,dwkan 1,24 pare,dwken auvtou.j o` qeo.j
eivj evrgasi,an avkaqarsi,aj pa,shj eivj avkaqarsi,an

Mais, comme dans les sections précédentes8, les parallèles avec Col, plus
nombreux et plus étroits, soulèvent la question de la chronologie rédactionnelle
des deux séries d’exhortations, sans qu’il soit possible de dire avec certitude
laquelle a servi de modèle à l’autre :

Ep 4,17-24 Col 3,5-10


4,17 mhke,ti u`ma/j peripatei/n( kaqw.j kai. 3,7 evn oi-j kai. u`mei/j periepath,sate, pote
ta. e;qnh peripatei/
4,19 eivj evrgasi,an avkaqarsi,aj pa,shj evn 3,5 pornei,an avkaqarsi,an pa,qoj evpiqumi,an
pleonexi,a| kakh,n( kai. th.n pleonexi,an( h[tij evsti.n
4,22 kata. ta.j evpiqumi,aj th/j avpa,thj eivdwlolatri,a
4,22 avpoqe,sqai u`ma/j kata. th.n prote,ran 3,8 nuni. de. avpo,qesqe kai. u`mei/j
avnastrofh.n to.n palaio.n a;nqrwpon 3,9 avpekdusa,menoi to.n palaio.n a;nqrwpon
4,23 avnaneou/sqai de. tw/| pneu,mati tou/ 3,10 o.n avnakainou,menon eivj evpi,gnwsin
noo.j u`mw/n
4,24 kai. evndu,sasqai to.n kaino.n 3,10 kai. evndusa,menoi to.n ne,on
a;nqrwpon
4,24 to.n kata. qeo.n ktisqe,nta 3,10 katV eivko,na tou/ kti,santoj auvto,n

7
Comme pour Ep 4,2-4, les tableaux qui suivent viennent de Lincoln, Ephesians, 273 ;
s’ils ont été presque tels quels recopiés, ce n’est pas parce qu’ils fourniraient des données
nouvelles, loin de là, mais parce qu’on ne peut trouver plus clair.
8
Voir par ex. la présentation d’Ep 4,1-16 (en particulier 4,2–4), où les parallèles avec Col
3,12–15 ont déjà été mis en tableau.
234 ÉPHÉSIENS

En Ep et en Col, on retrouve l’opposition entre deux modes de vie opposés,


avec les images du vieil homme et de l’homme nouveau à revêtir. Mais en
Col 3, la comparaison se fait dans le temps (comment vous viviez alors, et
comment vous devez vivre maintenant), alors qu’Ep 4 compare les croyants,
dans le présent de leur vie, avec ce qu’ils ne sont plus, des païens. Et telle est
bien l’originalité d’Ep : Paul joue sur le mot e;qnh, car ceux à qui il s’adresse
sont des Gentils, mais plus des païens. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Paul
emploie e;qnh à propos de morale, car, si par leur origine, ceux auxquels il
s’adresse sont tels, par l’esprit et le comportement ils ne le sont pas. On peut
même légitimement se demander si ce n’est pas pour cette raison qu’Ep 4,18
parle de « l’endurcissement du cœur » des païens, qui est l’incirconcision par
excellence9. En d’autres termes, cette sous-section exhortative va parler de
morale en fonction du statut nouveau des e;qnh qui croient en l’Évangile.

Exégèse

v.17-19 les païens


- v.17
Au lieu de e;qnh, ac Db,c K L P Y syrp goth arm lisent ta. loipa. e;qnh. La variante est
intéressante, car elle montre bien l’embarras de copistes réalisant que les destinataires de la
lettre faisaient partie des e;qnh, et que de la sorte, l’exhortation semblait devenir absurde. La
lectio difficilior choisie par les NT grecs est appuyée par d’excellents témoins tels que P46 a*
A B D* F G 082 33 88 255 256 263 itd,g vg copsa, bo eth.
« J’atteste » (martu,romai). L’énonciation est solennelle, pour attirer
l’attention sur le point important, à savoir celui concernant le comportement
moral (le peripatei/n). S’il insiste, c’est vraisemblablement parce que son pro-
pos sera paradoxal : inviter ses lecteurs, en majorité e;qnh, à ne pas vivre comme
les e;qnh. Il ne leur demande pas de changer d’identité, mais de la vivre
autrement.
Les v.17-19 reprennent, sous forme brève, des topoi fréquemment utilisés
par les écrits juifs de l’époque, en une formulation assez proche de Rm 110. Si
les deux motifs à l’origine de l’aliénation des païens, l’ignorance (a;gnoia) et

9
Le texte voudrait alors signifier que les e;qnh, qui ne sont pas circoncis de corps, ne le
sont pas davantage de cœur.
10
Voir le premier tableau de la page précédente. Pour les composantes de l’apologétique
juive sur le sujet, on pourra consulter J.-N. Aletti, « Comment Paul voit la justice de Dieu en
Rm. Enjeux d’une absence de définition », Bib 71 (1992) 359-375. La thématique est absente
de Col, où le problème affronté étant de nature élitiste, l’auteur n’a pas besoin de faire
référence à la conduite des païens - le substantif e;qnh n’apparaît qu’en Col 1,27, et avec un
sens neutre (« Nations »).
EP 4,17–5,21 235

l’endurcissement (pw,rwsij), ne sont pas originaux11, c’est néanmoins la seule


fois où le NT parle de l’endurcissement du cœur – autrement dit, moral – des
païens. Ces versets reprennent les topoi de l’être enténébré, de l’ignorance, et de
l’endurcissement, comme motivations de la conduite des païens, afin de mieux
souligner, par contraste, celle des chrétiens, basée sur la connaissance du Christ
– à propos de laquelle Ep 4,7-16 est plusieurs fois revenu – et sur le
renouvellement intérieur (v.20-24).
- v.1912. Les effets de l’ignorance et de l’endurcissement. Trois substantifs
décrivent de façon brève et variée13 l’agir des païens, selon les lieux communs
de l’apologétique juive de l’époque, reprise par la catéchèse chrétienne. En
résumant la conduite des païens en termes de débauche et d’impureté sans frein,
Ep n’innove pas, mais se coule simplement dans le modèle choisi.

v.20-24 les principes de l’agir chrétien


Les v.20-24 se laissent aisément diviser en deux sous-unités :
- v.20-21 : rappel de l’enseignement en Christ
- v.22-24 : contenu de cet enseignement :
v.22 expression négative : se dépouiller de
v.23-24 expression positive : se renouveler, revêtir
Avant d’énumérer des règles concrètes s’opposant par leur contenu à
l’immoralité païenne, Paul énonce d’abord une norme fondamentale. De ma-
nière contrastée14, à l’ignorance coupable des païens, il oppose la connaissance
que les chrétiens doivent avoir du Christ. Au delà de possibles allusions à Col 3,
avec lequel les parallèles sont nombreux, le rapport entre connaissance du
Christ et vie morale est du plus grand intérêt. Dans l’unité précédente, Paul a
déclaré que la connaissance du Christ est nécessaire à la croissance ecclésiale,
et il ajoute maintenant qu’elle est condition de la conduite morale qui doit être
celle des croyants. La raison en sera fournie aux v.23-24, à l’exégèse desquels le
lecteur peut se reporter.

11
Pour l’ignorance, voir Aristée 130-138 ; Sg 14,22 ; 15,11 ; également Philon, decal 8 ;
special 1,15 ; Flavius Josèphe, Antiquités 10,142 ; et quelques passages du NT : Ac 17,30 ;
1P 1,14 ; 2,15. Comme cela déjà été suggéré à propos de la présentation de l’unité, l’emploi
de l’expression « endurcissement du cœur » au v.18, pourrait venir d’un jeu de mots oblique
relatif aux païens, qui ne sont pas circoncis.
12
D F G P 1241 it syrp goth arm eth Irénée lisent avphlpiko,tej (« sans espoir »), au lieu de
avphlghko,tej (insensibilisés), participe qui a été ici préféré à cause de l’excellence des autres
témoins : P46 a A B syrh copsa,bo Clément Origène.
13
Le premier substantif est au datif (th/| avselgei,a|), les deux suivants sont précédés de
prépositions (eivj evrgasi,an avkaqarsi,aj pa,shj et evn pleonexi,a). Pour une liste assez complète
des parallèles juifs, voir A.T. Lincoln, Ephesians, 279.
14
Au début du v.20, la particule de, a un sens adversatif.
236 ÉPHÉSIENS

- v.20-21.
Par trois fois, l’apôtre fait mémoire de l’enseignement reçu par les
chrétiens. La première formulation (« ce n’est pas ainsi que vous avez appris le
Christ » ouvc ou[twj evma,qete to.n Cristo,n) éveille l’attention, car c’est la seule
fois où le verbe manqa,nein a pour objet une personne : l’objet de la catéchèse est
d’introduire à un vivant, pour le faire connaître15. Par sa concision même,
l’énoncé est des plus parlants, car tout l’enseignement reçu est résumé dans le
nom du Christ – preuve qu’en lui se donne à lire le dessein de Dieu sur
l’humanité. Les deux verbes suivants semblent faire allusion à la prédication de
l’Évangile, ou plutôt à son écoute (avkou,ein), et à l’enseignement qui a suivi
(dida,skein)16. Mais quel Christ les croyants ont-ils appris ? La fin du v.21
(kaqw,j evstin avlh,qeia evn tw/| VIhsou/), qui a été interprétée de différentes
manières17, va le préciser. Il est vrai que la mention de Jésus peut surprendre.
Mais, précisément parce qu’il parle de l’enseignement concernant le Christ,
l’apôtre entend rappeler qu’on ne peut séparer le Ressuscité du Jésus terrestre,
celui qui est né de Marie, a vécu comme charpentier dans un village de la
Galilée d’alors, est mort en croix, conspué et rejeté : c’est cet homme-là, qui est
la vérité du Christ glorieux, et que les chrétiens doivent apprendre à connaître.
Indirectement donc, Paul montre combien le témoignage et la prédication des
apôtres concernant le Jésus terrestre ne sont pas superflus : connaître le Christ,
c’est donc aussi suivre Jésus de Nazareth en ses choix, ses réactions. Le modèle
est bien esquissé. Il semble donc approprié de traduire l’expression :
« conformément à la vérité qui est en Jésus ». Le Christ dont les croyants ont
entendu parler, n’est pas seulement celui qui est tête de son Église, Seigneur du
ciel et de la terre, mais aussi l’homme Jésus, en sa singularité. On ne s’étonnera
donc pas de trouver en 4,32 et 5,2 des expressions faisant allusion à la manière
dont le Christ a vécu et donné sa vie pour tous. C’est cet amour-là que les
croyants ont appris. En d’autres termes, Paul rappelle aux chrétiens que c’est la
connaissance de Jésus Christ qui est le fondement de la morale : car nous
formons en lui un homme nouveau.
- v.22-24.
La logique syntaxique semble inviter à rattacher les infinitifs avpoqe,sqai,
avnaneou/sqai18 et evndu,sasqai19 au passif evdida,cqhte du verset précédent: c’est en

15
Sans doute est-il bon de rappeler ici que le mot disciple (maqhth,j) vient du verbe
manqa,nein. En certains passages de l’AT, le verbe a déjà un rapport immédiat à la vie
morale ; cf. Dt 4,10 ; 5,1 ; 14,23 ; 17,19 ; 31,12-13 ; Y118,7.71, etc.
16
Observation de C.L. Mitton, Ephesians, 163, reprise par tous les commentaires.
17
M. Barth, Ephesians, 533-536, donne une liste.
18
Au lieu de l’infinitif avnaneou/sqai, P46 D K 33 69 it syrp ont un impératif (avnaneou/sqe).
Cette leçon est manifestement un essai postérieur destiné à régler la question de l’infinitif et
de sa fonction.
EP 4,17–5,21 237

Christ qu’on a enseigné aux croyants à déposer, à se renouveler et à revêtir


(l’homme nouveau)20. Ces infinitifs donnent un contenu au verbe evdida,cqhte21.
Le v.22 énonce négativement la première composante de la catéchèse
chrétienne, le « se dépouiller du vieil homme ». Si l’on jette un coup d’œil au
verset parallèle, Col 3,8, on voit ce que recouvre l’image : « déposez tout cela –
colère, passion, malice, médisance et obscénités » ; sont ainsi visés les vices
dans lesquels les lecteurs de Paul vivaient avant d’avoir entendu l’Évangile. Ep
4,22 se contente d’une image, parce qu’elle a une importance décisive depuis
les affirmations d’Ep 2,15 : si le Christ a créé un homme nouveau, alors la
vieille humanité est obsolète et ne saurait motiver l’agir du chrétien.
La deuxième composante, au v.23, se présente en opposition frontale au
v.17 ; en effet, si les païens marchent « dans l’inanité de leur intelligence » (evn
mataio,thti tou/ noo.j auvtw/n), l’être chrétien est constitué par un renouvellement
spirituel de l’intelligence (tw/| pneu,mati tou/ noo.j u`mw/n). Le vocable pneu/ma
désigne-t-il l’Esprit Saint22 ou l’esprit humain23? La phraséologie (« l’esprit de
votre intelligence ») et le parallèle avec le v.17 laissent entendre qu’il s’agit de
la partie spirituelle ou supérieure de l’intelligence (celle qui est apte à recevoir
l’Esprit)24. On voit pourquoi Paul insiste encore une fois sur l’intelligence,
puisque c’est par elle que le croyant va connaître le Christ. L’enjeu, à savoir la
connaissance du Christ, explique le besoin de transformation de la partie la plus
haute et spirituelle de l’intelligence. Car, une fois l’intelligence renouvelée, le
croyant peut connaître son Seigneur et revêtir l’homme nouveau…
Le v.24 complète le v.22, grâce à sa formulation positive. L’opposition
entre les deux comportements est marquée par des adjectifs (ancien/nouveau),

19
P46 a B* K it syr ont l’impératif evndu,sasqe. La raison semble être la même que pour le
verbe précédent.
20
Nous rejoignons la lecture de R. Penna, Efesini, 206 ; P.T. O’Brien, Ephesians, 326.
A.T. Lincoln, Ephesians, 283-284, qualifie ces infinitifs d’épexégétiques, et ajoute qu’ils
pourraient également exprimer la conséquence. D’autres commentaires les rattachent à la
dernière clause du v.21 (conformément à la vérité en Jésus, à savoir qu’il vous faut déposer,
vous renouveler, revêtir…) et les font ainsi équivaloir à des impératifs. Ainsi, M. Bouttier,
Éphésiens 209. Même si la première solution semble plus naturelle, et donc plus fondée, le
sens n’est pas tellement changé, que l’on prenne l’une ou l’autre.
21
En outre, ne pas oublier que ces v.22-24 ont la même la progression que Col 3,8-10, du
négatif au positif.
22
Ainsi, la majorité des commentaires. Entre autres, J. Gnilka, Epheserbrief, 230 ; R.
Schnackenburg, Epheser, 204 ; M. Bouttier, Éphésiens, 210.
23
Voir par ex. C.L. Mitton, Ephesians, 165 ; M. Barth, Ephesians, 508-509 ; R. Penna,
Efesini, 207 ; A.T. Lincoln, Ephesians, 287 ; P.T. O’Brien, Ephesians, 330.
24
Avec raison, semble-t-il, R. Penna, Efesini, 207, pense que l’expression est redondante,
semblable en cela à de nombreuses autres d’Ep (cf. par ex. 1,19b) et équivaudrait à celle de
Rm 12,2 (metamorfou/sqe th/| avnakainw,sei tou/ noo,j).
238 ÉPHÉSIENS

des substantifs (tromperie/vérité), et des verbes (déposer/revêtir). Si l’image (du


revêtir) peut venir de Col 3,10, elle a d’évidents antécédents dans les
homologoumena25. Cet homme nouveau qu’il faut revêtir est-ce le Christ ?
Certains le pensent, et invoquent Rm 13,14 et Ga 3,27, où il est dit que les
croyants doivent revêtir ou ont déjà revêtu le Christ26. Mais l’ajout « celui créé
selon Dieu [dans la justice et la sainteté] », semble suggérer que le créateur de
cette humanité nouvelle est, comme en Ep 2,15, le Christ lui-même – création
exauçant le projet de Dieu sur l’humanité, rendant aussi cette dernière
semblable à Dieu27. Le syntagme « homme nouveau » désigne donc plutôt un
agir totalement différent de l’ancien. Mais l’homme ancien et l’homme nouveau
ne restent-ils pas extérieurs, comme les vêtements ? Suffit-il de les ôter et de les
enfiler pour fondamentalement changer l’intelligence et la volonté, le cœur ? En
réalité, si ces images – se dépouiller, revêtir – ont été choisies pour décrire le
nécessaire changement moral des croyants, c’est parce que l’agir est comme le
vêtement, il se voit, il est en quelque sorte ce qui exprime la personnalité, la
manière d’être de quelqu’un. Mais, pour signifier que le changement requis
n’est pas purement extérieur, superficiel donc, Paul ajoute qu’il s’agit de revêtir
l’homme nouveau : il s’agit bien d’être ce que l’on revêt, et ce que l’on revêt est
ce qui nous constitue fondamentalement, cette humanité nouvelle, créée et
renouvelée par le Christ, collectivement et individuellement.
Qualifier quelque chose de nouveau, c’est sans doute encore le situer par
rapport à l’ancien, qui est connu, et dire que cela n’est pas comme ce qui fut.
Voilà, pourquoi Paul a commencé ses exhortations avec une comparaison : en
évoquant l’agir ancien, il va procéder par négation – ce qu’il ne faut plus faire –
avant d’indiquer la direction nouvelle. Le nouveau commence donc par se
définir comme négation de l’ancien. Mais, en ajoutant que l’humanité nouvelle
est comme Dieu, il va pouvoir fournir un modèle, déjà formulé par l’Écriture et
rendu visible en la personne et l’agir du Christ. En affirmant que les croyants
doivent revêtir l’homme nouveau, Paul se met ainsi à distance des modèles
anciens d’action. De tous les modèles, même celui constitué par la loi

25
Cf. Rm 13,12.14 ; 1Co 15,43.54 ; 2Co 5,3 ; Ga 3,27 ; 1Th 5,8 (citation d'Is 59,17).
L’image vient de l’AT et on la retrouve dans le judaïsme – ainsi, en 1En 62,15, où, lors du
jugement, « les justes et les élus seront relevés de terre... et revêtus d'un vêtement de gloire ».
26
Ainsi, M. Barth, Ephesians, 509 et 539-540.
27
Le kata, de kata. qeo,n signifie très probablement ici la comparaison (« comme Dieu »),
car si l’homme nouveau a été créé « dans la justice et la sainteté », c’est qu’il est comme
Dieu, qui est juste et saint. Pour l’AT, voir Dt 32,4 ; Y 114,17 ; Sg 9,3 ; PsSal 10,5. Le NT
allie aussi les deux racines plusieurs fois : Lc 1,75 ; 1Th 2,10 ; Tt 1,8. Voir R.A. Wild, «‘Be
Imitators of God’», 134-135. A.T. Lincoln, Ephesians, 288, signale à ce propos comment,
selon Platon, Théètète, 176b (et Philon, de fuga, 63, qui le cite in extenso) les adjectifs
di,kaioj et o[sioj expriment ce qu’être comme Dieu signifie.
EP 4,17–5,21 239

mosaïque ? À l’analyse de répondre. La nouveauté doit trouver sa propre voie,


et Paul en esquissera progressivement les traits. Va-t-il donc partir de rien ? En
réalité, le modèle qui lui permet de fournir un contenu à l’adjectif nouveau,
vient sans aucun doute des lettres qu’il a écrites antérieurement.

Les composantes de la conduite chrétienne 4,25–5,20(21)

Après avoir énoncé les principes généraux de l’agir des croyants en Christ,
Paul propose des directives concrètes, en une série d’exhortations qui semblent
à première vue défier une classification précise, même si l’on peut y repérer des
regroupements sémantiques tels, que les commentaires coupent plus ou moins
aux mêmes endroits28. En réalité, si l’on tient compte des préparations de
thèmes, on peut voir comment Paul reprend en ordre inverse les traits présentés
aux v.17-2429. Il déclare en effet que les païens (a) sont pris dans l’inanité de
leur intelligence (b) enténébrée, (c) qu’ils se laissent aller à une débauche
effrénée, (d) que les chrétiens ont au contraire été instruits en Christ selon la
vérité qui est en Jésus. Tous ces éléments sont repris en ordre inverse dans les
développements suivants :
d - l’enseignement et la vérité qui est en Jésus, le modèle (4,25 à 5,2)
c - la luxure et l’impureté (5,3-6)
b – un jugement éclairé et non enténébré (5,7-14)
a – agir en sages (5,15-20)
Cela dit, si les procédés rhétoriques permettent de mettre en évidence
l’ordonnancement des unités, il est d’autant moins aisé de les découper avec
précision que Paul fait tout pour ne pas les séparer. On ne s’étonnera donc pas
de voir les commentaires diverger dans les découpages.

Vers le modèle christique - Ep 4,25–5,2

25
Ainsi, ayant déposé le mensonge, que « chacun dise la vérité à son pro-
chain », car nous sommes membres les uns des autres. 26 « Êtes-vous en colère?
ne péchez pas »; que le soleil ne se couche pas sur votre ressentiment. 27 Ne
donnez pas d’espace au diable. 28 Celui qui volait, qu'il cesse de voler; qu'il
prenne plutôt la peine de faire le bien de ses mains, afin d'avoir de quoi
partager avec celui qui est dans le besoin. 29 Aucune parole pernicieuse ne doit

28
Telles sont les divisions de trois commentaires plus récents : R. Penna : 4,25 – 5,2 ; 5,3-
20 ; M. Bouttier : 4,25-32 ; 5,1-5 ; 5,6-14 ; 5,15-21 ; A.T. Lincoln : 4,25 – 5,2 ; 5,3-14; 5,15-
20; P.T. O’Brien, Ephesians : 4,25 – 5,2 ; 5,3-14 ; 5,15 – 6,9.
29
Cette composition thématique se combine avec la précédente, où alternent les principes
(a, A ) et l’agir (b, B).
240 ÉPHÉSIENS

sortir de vos lèvres, mais, quelque parole bonne, pour l’édification, lorsque
nécessaire, afin de donner grâce à ceux qui l'entendent. 30 Et n'attristez pas
l’Esprit Saint, par lequel vous avez été marqués d'un sceau pour le jour de la
délivrance. 31 Que toute espèce d’amertume et d’irritation et de colère et de cri
et d’injure soit ôtée de chez vous, avec toute espèce de méchanceté. 32 Soyez
bons les uns pour les autres, miséricordieux, vous pardonnant mutuellement,
comme Dieu vous* a pardonné en Christ. 51 Devenez donc imitateurs de Dieu,
comme des enfants bien-aimés, 2 et vivez dans l'amour, comme le Christ nous a
aimés et s'est livré lui-même pour nous, en « offrande et victime » à Dieu,
« pour [être] un parfum d'agréable odeur ».

v.32 P46 a A G P 81 326 614 al it copsa,bo goth eth Clément Tertullien lisent « vous », et
d’autres, tels P49vid B Dgr K Y 33 88 630 1739 syrp,h arm Origène, « nous ».

Présentation et composition

Sans qu’on puisse avec certitude savoir si le passage obéit aux lois d’un genre
ancien précis30, sa composition est à la fois ferme et souple. Ferme, car sept
groupes ou blocs d’exhortations peuvent y être repérés31, mais souple, eu égard
à leur forme, qui est assez variée :

versets types d’exhortation sujet clause explicative


4,25 1 positive mensonge/vérité causale (v.25b)
4,26-27 3 négatives colère
4,28 1 négative, 1 positive voler/faire le bien finale (v.28b)
4,29 1 négative, 1 positive paroles acerbes/bonnes finale (v.29c)
4,30 1 négative Esprit Saint relative (v.30b)
4,31-32 2 positives32 méchanceté/miséricorde comparative (v.32b)
5,1-2 2 positives bons comme Dieu comparatives (v.1b.2b)

L’ensemble est unifié par la technique du contraste, celui-là même qui a


dominé dans les deux sous-unités précédentes, entre l’agir ancien (celui des
païens) et l’agir nouveau (celui des croyants en Christ). Si l’opposition n’est pas
explicitement signifiée en chacun des blocs, elle est néanmoins bien présente,
témoin la première exhortation ( « ainsi, ayant déposé le mensonge, que chacun

30
Voir la discussion en A.T. Lincoln, Ephesians, 294-295.
31
Le chiffre est à l’évidence symbolique.
32
L’impératif avrqh,tw du v.31 est en quelque sorte une négation du négatif (enlever de
chez vous toute irritation, colère, éclats de voix et injure)
EP 4,17–5,21 241

dise la vérité »), où il est bien signalé que l’ensemble doit être lu à l’aide de
cette grille.
Quant aux sources de ces sept séries d’exhortations, elles sont d’abord
constituées pas l’Écriture. Certes, l’un ou l’autre verset montre de réelles
affinités avec d’autres passages des homologoumena, en particulier Rm 1233,
1Co 434, et peut-être Ga 235. Mais, si emprunts il y a, ils sont brefs et moins nets
que ceux de la LXX. Ainsi, Za 8,16 est cité en 4,25, le Ps 4,5 en 4,26, et le Y
39,7 en 5,236. Néanmoins, le lecteur ne peut pas ne pas se demander pourquoi le
passage reprend l’AT sans le citer explicitement. L’exégèse tentera de fournir
une réponse… Et, comme dans les unités précédentes, on note les parallèles
incessants avec Col 3 :

Ep 4,25 – 5,2 Col 3,8-14


4,25 avpoqe,menoi to. yeu/doj 3,8a avpo,qesqe kai. u`mei/j ta. pa,nta
3,9a mh. yeu,desqe eivj avllh,louj
4,26 ovrgi,zesqe kai. mh. a`marta,nete 3,8b ovrgh,n
4,29 pa/j lo,goj sapro.j evk tou/ sto,matoj 3,8b aivscrologi,an evk tou/ sto,matoj u`mw/n
u`mw/n mh. evkporeue,sqw
4,31 pa/sa pikri,a kai. qumo.j kai. ovrgh. kai. 3,8b ovrgh,n( qumo,n( kaki,an( blasfhmi,an
kraugh. kai. blasfhmi,a avrqh,tw avfV u`mw/n
su.n pa,sh| kaki,a|
4,32 gi,nesqe Îde.Ð eivj avllh,louj crhstoi,( 3,12 VEndu,sasqe spla,gcna oivktirmou/
crhsto,thta
eu;splagcnoi( carizo,menoi e`autoi/j( kaqw.j 3,13 carizo,menoi e`autoi/j … kaqw.j kai. o`
kai. o` qeo.j evn Cristw/| evcari,sato u`mi/n ku,rioj evcari,sato u`mi/n ou[twj kai. u`mei/j
5,1 w`j te,kna avgaphta, 3,12 w`j evklektoi. tou/ qeou/ a[gioi kai.
hvgaphme,noi
5,2 kai. peripatei/te evn avga,ph| 3,14a evpi. pa/sin de. tou,toij th.n avga,phn

À cause de l’opposition forte entre ce qu’il faut éviter et ce qu’il faut faire,
certains en sont venus à penser que l’arrière-fond principal était la doctrine
biblique des deux voies, celle qui mène au mal et celle qui mène au bien. Pa-
reille hypothèse est improbable, car la composition même de la lettre montre
que c’est leur statut en Christ que les chrétiens ont à vivre. Ils ne sont pas

33
Ep 4,25 avec Rm 12,5 (avllh,lwn me,lh), et Ep 4,28 avec Rm 12,8.14 (metadi,,donai,
crei,a).
34
Ep 4,28b avec 1Co 4,12 (evrgazo,menoi tai/j ivdi,aij cersi,n). Voir aussi 1Th 4,11.
35
Comparer Ep 5,2 (o` Cristo.j hvga,phsen h`ma/j kai. pare,dwken e`auto.n u`pe.r h`mw/n) et Ga
2,20 (tou/ ui`ou/ tou/ qeou/ tou/ avgaph,santo,j me kai. parado,ntoj e`auto.n u`pe.r evmou/).
36
Les commentaires signalent aussi qu’Ep 4,30 peut faire allusion à Is 63,10, que l’idée
d’imitation de Dieu était traditionnelle dans le judaïsme hellénistique (A.T. Lincoln,
Ephesians, 298, mentionne testAser 4,3 ; Philon, de sacrificiis 68 ; de SpecLeg 4,73 ; de virt
168). Pour prosfora. kai. qusi,a en 5,2, voir Y 39,7 ; l’expression eivj ovsmh.n euvwdi,aj du
même verset, est employée 26x dans la LXX (2 Cor 2,14-16 l’avait déjà reprise).
242 ÉPHÉSIENS

devant deux voies, entre lesquelles choisir, car le choix a déjà été fait, et c’est
en vertu de leur être nouveau en Christ qu’ils sont invités à agir. Les exhor-
tations sont comme un rappel fait à des lecteurs ayant déjà choisi.

Exégèse

- v.25. En commençant par la vérité à dire, l’auteur reste cohérent avec les
unités précédentes, où il a insisté sur l’importance de la connaissance. Si Za
8,16 – ou ses reprises juives37– a été choisi pour illustrer l’exhortation, c’est
vraisemblablement à cause des mots meta. to.n plhsi,on auvtou/. Car les autres
croyants sont bien des proches. La raison fournie (« nous sommes membres les
uns des autres ») le dit autrement, avec encore plus de force (nous sommes
membres du même corps), et dans la ligne d’Ep 4,1-16, car, on l’a vu, c’est par
la connaissance du Christ, que la croissance harmonieuse du corps peut se faire.
Le mensonge ne détourne pas seulement de la vérité, il empêche l’unité du
corps. L’enjeu ecclésial est ainsi immédiatement souligné.
- v.26-27. Selon tous les commentateurs, l’impératif ovrgi,zesqe a une valeur
concessive38. C’est implicitement reconnaître que la colère est souvent incontrô-
lable. Mais le passage ne la considère pas comme une fatalité, puisque, plus
loin, au v.31, il est dit qu’elle doit être éradiquée39. Ce qui est demandé ici, c’est
de ne pas entretenir la colère, et donc la violence. Voilà pourquoi il faut se
réconcilier avant le coucher du soleil40, car laisser durer la colère, c’est affaiblir
l’unité de la communauté, et c’est faciliter le travail du diable41. Cette deuxième

37
Selon certains commentateurs (J. Gnilka, Epheserbrief, 234 ; A.T. Lincoln, Ephesians,
300), Ep 4,25 s’inspirerait plutôt des reprises du Psaume par la tradition juive, comme
testDan 5,2 et testBenjamin 10,3 (où la préposition est la même qu’en Ep 4,25 – meta,). Cela
est possible, mais ces reprises montrent que les paroles du prophète étaient devenues
proverbiales.
38
Voir Blass-Debrunner, § 387.
39
L’évaluation d’Ep rejoint celle, négative, d’autres écrits du NT (Mt 5,22 ; Ga 5,22 ; Col
3,8 ; 1Tm 2,8 ; Tt 1,7 ; Jc 1:19, 20). Le jugement était déjà le même dans l’AT (Pr 15,1.18 ;
22,24 ; 29,8 ; etc. On trouvera en A.T. Lincoln, Ephesians, 301, d’autres exemples tirés de la
littérature non biblique.
40
Sur ce qu’on doit faire avant le coucher du soleil, voir par ex. Ex 22,25 ; Dt 24,13.15.
Un passage des Moralia de Plutarque (de fraterno amore, 488c) est souvent cité à propos de
ce verset ; cet auteur loue les Pythagoriciens qui se réconcilient avant le coucher du soleil (ei;
pote proacqei/en eivj loidori,an u`pVovrgh/j( pri.n h] to.n h[lion du/nai ta.j dexia.j evmbalo,ntej
avllh,loij kai. avspasa,menoi dielu,onto). Voir également à Qumran, ce que dit CD 7,2-3.
41
Car le diable est celui qui divise, et c’est sans doute en pensant à l’étymologie du mot
(diaba,llein) que l’auteur l’a ici employé. Noter que le vocable diable n’est jamais utilisé
EP 4,17–5,21 243

série d’exhortations va donc dans le même sens que la première : favoriser


l’unité du tissu ecclésial.
- v.28. L’exhortation à ne pas voler, au style chargé, est faite de trois segments :
un impératif négatif (« qu’il ne vole plus »), suivi d’un impératif positif qui lui
est opposé (« mais plutôt qu’il peine en travaillant de ses mains »), et d’une
justification (« afin qu’il ait à partager »). Le problème auquel renvoie le verset
n’est pas le refus du travail, quelle qu’en soit la raison (l’imminence de la
parousie ou l’oisiveté42), mais le vol, parce qu’il nuit à la vie communautaire, et
donc à l’unité du corps ecclésial. La motivation finale vise à aller dans le sens
inverse : plutôt que de nuire aux frères, travailler permet de renforcer la
solidarité avec les pauvres, et favorise l’unité. Le choix du motif (voler) est
ainsi explicable, comme les précédents, par ses conséquences ecclésiales. Le
verset s’inspire-t-il de l’Écriture43, de la vie même de Paul, qui a toujours tenu à
travailler de ses mains44, et de l’ordre donné par lui aux communautés de
travailler pour vivre de son travail45? Il est difficile de le dire – le verset pourrait
même s’inspirer de l’une et l’autre –, mais il importe de répéter que le travers à
éviter ici n’est pas le refus du travail mais le vol, à cause de ses effets sur le
tissu ecclésial.
- v.29. Quelques tournures dénotent une influence sémitique46, et d’autres sont
plutôt abstruses : quel sens donner au génitif th/j crei,aj – ici rendu par un
génitif de cause (« en cas de nécessité »)47 – et au ca,rin dido,nai48? On sait
d’autre part que les différentes traditions juives insistaient pour que chacun

dans les homologoumena. Son apparition ici et en Ep 6,11 semble être due à une influence de
la catéchèse chrétienne, qui s’étendait, en s’uniformisant, à toutes les communautés.
42
Voir 1Th 4,11 ; 2Th 3,11.
43
Eu égard au commandement « ne pas voler », voir le décalogue (Ex 20,15 ; Dt 5,19 ; Lv
19,11 reprend le décalogue) et d’autres passages (Dt 24,7 ; Is 1,23 ; Jer 7,9) ; pour le travail
manuel, voir Si 6,19 ; 7,15 ; 33,27-29.
44
Cf. 1Co 9,4 ; 2Th 3,7-9.
45
Ainsi 2Th 3,12.
46
Ainsi, le tour de phrase pa/j))) mh, (« tout .. ne », c’est-à-dire « aucun »), qu’on retrouve
en Ep 5,5, et ailleurs dans le NT (Rm 3,20 ; 1Co 1,29 ; Jn 3,16 ; 6,39 ; 12,46 ) ; autre
expression qu’on rencontre au moins quatre fois dans la LXX (Pr 3,16 ; Job 41,11.13 ; Si
28,12) : evk tou/ sto,matoj evkporeu,esqai.
47
Avec M. Bouttier, Éphésiens, 214, et P.T. O’Brien, Epehsians, 345. Autre traduction
également possible, celle de R. Penna, Efesini, 210, qui en fait un génitif de qualification
(« pour la nécessaire édification ») ; selon M. Barth, Ephesians, 518-519, le mot crei,a devant
avoir le même sens que dans le v.28, doit être rendu ainsi : « pour l’édification de [qui a un]
besoin ». Aucune de ces lectures n’est pleinement satisfaisante.
48
Voici quelques traductions : « donner joie » (Penna - grâce et joie ont la même racine),
« communiquer un don » (Bouttier), « être profitable » ou « faire du bien » (Lincoln et
Barth). Cette dernière lecture semble plus en harmonie avec le reste d’Ep.
244 ÉPHÉSIENS

surveille ses propos. Autant de raisons pour penser, avec les commentateurs,
que le verset s’inspire d’une source juive. Quel que soit le milieu auquel la
thématique est empruntée, elle est ici reprise parce qu’elle entre dans la visée
communautaire du passage, où l’édification et l’unité sont essentielles.
- v.30. Que vient faire cette exhortation, totalement différente des précédentes,
qui énumèrent des actes nuisant à d’autres membres de la communauté (mentir,
se mettre en colère, voler, paroles méchantes) ? Comme le verset n’a pas son
parallèle en Col 3, il est tentant de conjecturer une influence vétéro-
testamentaire, d’autant plus qu’on a, dans l’hébreu, un texte où il est dit
qu’Israël a fortement peiné ou attristé Dieu49. La raison est qu’ils n’obéirent pas
au Dieu qui les avait pourtant fait sortir de l’esclavage : la peine infligée à Dieu
fut d’autant plus grande qu’ils avaient oublié l’amour dont il avait fait preuve à
leur égard. Ce que demande donc Ep 4,30 aux chrétiens, c’est de ne pas oublier
les bienfaits de Dieu pour eux, et le bienfait le plus grand, c’est, selon le mot de
l’eulogie, l’Esprit Saint (1,13)50. La fonction de cette exhortation peut alors être
mise en évidence : tout retour aux désordres païens d’autrefois est considéré
comme une peine faite à Dieu et pas seulement aux frères dans la foi ; ainsi sont
radicalisées les motivations des versets précédents, car il y va de l’identité et
donc de l’existence du groupe chrétien. Si le verset introduit indirectement les
motivations des exhortations qui suivent51 – la bonté de Dieu et du Christ à
garder en mémoire –, il manifeste en même temps l’enjeu ultime des
exhortations antérieures52.
- v.31-32. Alors qu’en Col 3,8.12-13, les séries négative et positive sont sé-
parées, en Ep elles ont été collées pour être lues ensemble, car elles décrivent
des attitudes opposées, d’abord négatives (v.31), ensuite positives (v.32a). La
première liste est composée de six substantifs – au singulier – désignant des
comportements agressifs, voisins ou proches de la colère : amertume, empor-
tement, colère, cri, injure et méchanceté. Les commentateurs ont essayé de

49
Avd>q' x;Wr-ta, WbC.[iw, c’est-à-dire : « ils peinèrent son Esprit Saint » (litt. « l’esprit de sa
sainteté »). Dans un tout autre contexte, deux passages des versions grecques ont presque la
même formulation qu’Ep 4,30 : 2R 31,21 LXX et Tobie 13,21 (S) (où chaque fois un père ne
veut pas faire de la peine à son enfant : ouv/mh. lupei/n to. pneu/ma auvtou//auvth/j).
50
Pour le sens du v.30b (« par lequel vous avez été marqués d'un sceau »), se reporter à
l’exégèse d’Ep 1,13, et pour le vocable « rédemption » (avpolu,trwsij), à celle d’Ep 1,7.14.
On aura noté que la fin du verset dénote une eschatologie non encore réalisée.
51
L’absence de lien syntaxique (kai, ou toute autre particule) avec le v.31 n’est pas
dirimante, loin s’en faut. Le lien entre péchés faits par la bouche (ou la langue) et l’outrage à
l’Esprit Saint est aussi fait en CD 5,11-12.
52
La plupart des commentaires rattachent 4,30 à ce qui précède. Ainsi, J. Gnilka,
Epheserbrief, 238 ; R. Schnackenburg, Epheser, 214 ; R. Penna, Efesini, 210 ; A.T. Lincoln,
Ephesians, 307.
EP 4,17–5,21 245

repérer une progression : l’amertume serait à l’origine de l’emportement et de la


colère, que le cri et l’injure extérioriseraient53. Sans doute y a-t-il encore une
progression, du cri à l’injure, qui n’est pas seulement violente, en réaction ou
non à une attaque, mais touche l’identité de l’autre, qu’on veut abaisser et
humilier54. Bref, ces substantifs sont représentatifs de tout ce qui, de l’unité du
corps ecclésial, peut être brisé par la violence de la parole. La deuxième liste,
positive, au v.32, aligne deux adjectifs et un participe55 – tous trois au pluriel –,
exprimant l’attitude opposée, qui doit caractériser les chrétiens : bons, miséri-
cordieux et se pardonnant (carizo,menoi) mutuellement. Si l’on compare encore
les trois vocables avec la liste de Col 3,1256, ils sont retenus parce qu’ils
peuvent tous être dits de Dieu même, qui exerce sa bonté, fait grâce et prend
pitié57. Car le modèle des chrétiens est Dieu même, comme le dit explicitement
la fin du v.32.
- 5,1-258. Ces versets sont présentés comme une conséquence des précédents :
pardonner comme Dieu pardonne, c’est imiter Dieu, et faire de l’agir divin un
modèle pour toute la vie. Les commentateurs notent très à propos que l’on ne
trouvera pas ailleurs dans le NT (et l’AT) une invitation aussi explicite à
l’imitation de Dieu. L’un ou l’autre exégète pense même que l’idée d’imitation
de Dieu n’est pas d’origine biblique59. Qu’elle ne soit pas formulée telle quelle,
on doit l’admettre, mais elle a des équivalents – en d’autres termes, la structure
de la relation est la même. Dans le code de sainteté, Dieu n’exige-t-il pas des
israélites qu’ils soient saints, parce que lui-même l’est (Lv 19,2 ; 20,7.26) ? Et

53
Entre autres, M. Barth, Ephesians, 521 ; R. Schnackenburg, Epheser, 215.
54
Les changements par rapport à Col 3 confirment l’idée d’une progression en force et en
malignité. Le dernier terme (« méchanceté »), résume et généralise les cinq premiers ; ce qui
est en cause, c’est le mal fait aux frères, et donc l’intégrité du corps ecclésial.
55
Noter au passage que la différence entre les deux listes est morphologiquement
significative. Car les attitudes à éviter, étant rendues par des substantifs, sont comme des
objets qu’on prend ou qu’on laisse, alors que les adjectifs décrivent l’être même des chrétiens
(en Col 3,12 les attitudes positives sont rendues par des substantifs).
56
Trois éléments de Col 3,12 n’ont pas leur équivalent en Ep 4,32 : tapeinofrosu,nh,
prau<thj et makroqumi,a.
57
Pour la bonté, voir Ep 2,7 ; la grâce, Ep 1,6.7 ; 2,5.7.8 ; 3,2.7 ; 4,32 ; la pitié ou la
miséricorde (e;leoj), Ep 2,4. En Ep, la racine splagcn- n’est pas employée pour décrire la
miséricorde divine, mais elle l’est en Jc 5,11.
58
Voir R.A. Wild, «‘Be Imitators of God’: Discipleship in the Letter to the Ephesians»,
dans F.F. Segovia (éd.), Discipleship in the New Testament, Fortress : Philadelphia, 1985,
127-143; K. Romaniuk, L’amour du Père et du Fils dans la sotériologie de Saint Paul,
AnBib 15, Rome 1961 (en particulier les p.74-95).
59
B. Lindars, «Imitation of God and Imitation of Christ», Theology 76 (1973) 394-402.
246 ÉPHÉSIENS

dans le NT, Jésus ne demande-t-il pas à ses disciples d’être parfaits ou


compatissants comme leur père céleste (Mt 5,43-48 ; Lc 6,36)60?
La composition est assez simple : les deux exhortations (toutes deux
positives) sont chacune suivies d’une comparative. La première de ces clauses
renvoie au statut des croyants : « comme des enfants bien-aimés » (w`j te,kna
avgaphta,). Parce qu’ils sont eux-mêmes aimés61, d’un amour qui les a constitués
filles et fils (Ep 1,5), les croyants sont capables d’aimer à leur tour, de s’aimer
comme frères et sœurs. Paul commence donc par invoquer l’expérience d’un
amour reçu, sans lequel aimer est impossible. La deuxième exhortation fait de
l’agapè le tout de la vie éthique chrétienne. On voit ici pourquoi cette dernière
exhortation clôt la série des sept comportements choisis comme typiquement
chrétiens : après avoir dit tout ce qu’il faut faire pour préserver et favoriser
l’unité ecclésiale, Paul donne enfin l’esprit dans lequel il faut vivre et agir, à
savoir l’aga,ph. Mais la deuxième motivation (v.2bc) propose le Christ en
modèle, car c’est en lui que l’amour de Dieu s’est pleinement et définitivement
manifesté en notre faveur (Rm 8,35.37.39). La formulation du v.2b semble être
inspirée de Ga 2,20. Quant au langage sacrificiel du v.2c, son vocabulaire est
emprunté à l’AT, en particulier au Y 39,7, comme cela a été dit dans la
présentation de l’unité. C’est sans doute la première fois où la connotation
sacrificielle est aussi explicitement signifiée dans les lettres pauliniennes.
En finissant cette première série par une invitation à faire de toute leur vie
une offrande d’amour, à l’exemple du Christ, Paul propose le nouveau modèle
par excellence par lequel l’éthique chrétienne reçoit sa raison d’être. Grâce à
cette ultime motivation, le lecteur croyant peut mieux entrevoir en quoi consiste
la nouveauté de son agir.
Revenons à la question de l’Écriture, qui est littéralement reprise aux v.25-
26, sans être pourtant jamais citée comme telle. Comme les commentaires
l’indiquent très justement, elle n’est jamais explicitement citée – avec des
formules du genre : « comme il est écrit », « comme le dit l’Écriture », comme
le dit le prophète », etc. – sans doute parce que les écoles philosophiques
d’alors demandaient aussi de ne pas mentir, d’éviter la colère, etc. L’auteur
d’Ep reprend ainsi toutes les traditions qui lui paraissent bonnes, d’où qu’elles
viennent, et, en les plaçant avant les motivations théo-logiques et
christologiques, il fait œuvre de pédagogie : le nouveau ne renie pas ce qui, de
l’ancien, vaut encore et prépare le modèle ultime, Jésus Christ.

60
L’invitation à imiter Dieu s’est amplifiée avec le judaïsme hellénistique. A.T. Lincoln,
Ephesians, 311, fournit les indications bibliographiques.
61
La racine agap& est trois fois répétée en ces versets (bien-aimés, dans l’amour, nous a
aimés).
EP 4,17–5,21 247

Impureté et pureté - Ep 5,3-6

3
Mais, luxure, impureté, quelle qu'elle soit, ou convoitise, cela ne doit même
pas être mentionné parmi vous; comme cela va de soi pour des saints. 4 Pas
d’obscénité, d’insanité, de propos scabreux: c'est inconvenant; mais plutôt
l'action de grâce. 5 car sachez ceci : tout débauché, ou impur, ou cupide – c’est-
à-dire idolâtre – n’a pas sa part d'héritage dans le Royaume du Christ et de
Dieu. 6 Que personne ne vous dupe par de spécieuses raisons: à cause de ces
choses en effet vient la colère de Dieu sur les rebelles.
Présentation et composition
Après avoir passé en revue sept attitudes par lesquelles le chrétien doit
exprimer la nouveauté de son agir en vue de l’unité du corps ecclésial, Paul
aborde deux autres domaines, la sainteté (v.3-6) et le discernement (v.7-14),
qu’il distingue sans séparer, et il les développe encore l’un et l’autre à partir de
l’opposition fondamentale païens/chrétiens.
Les v.3-6 sont divisés en deux parties :
- v.3-4 : 6 vices à éviter absolument
v.3 trois substantifs désignant un agir dissolu ;
v.4 trois substantifs désignant un langage inconvenant ;
- v.5-6 : rétribution pour qui y est adonné : privés du Règne, colère divine.
Cette composition (liste de vices et rétribution conséquente) se trouvant
déjà dans les homologoumena – et dans les écrits juifs paratestamentaires –,
l’auteur d’Ep l’a très certainement connue, voire empruntée aux lettres pauli-
niennes ou même à Col 3, avec lequel il a beaucoup de points communs62:

Ep 5,3-6 Col 3,5-8


5,3 pornei,a de. kai. avkaqarsi,a pa/sa h' 3,5 pornei,an avkaqarsi,an
pleonexi,a kai. th.n pleonexi,an
5,4 kai. aivscro,thj 3,8 aivscrologi,an
5,5 pleone,kthj( o[ evstin eivdwlola,trhj 3,5 kai. th.n pleonexi,an( h[tij evsti.n
eivdwlolatri,a
5,6 dia. tau/ta e;rcetai h` ovrgh. tou/ 3,6 diV a] e;rcetai h` ovrgh. tou/ qeou/
qeou`

Il s’agit d’un schéma traditionnel, déjà utilisé par les homologoumena, et qui
comprend deux éléments ; le premier consiste en l’énumération d’un certain
nombre de vices, et le second en l’énoncé de la réaction divine, sous différentes
formes (colère, privation du Règne, etc.) :

62
Les trois premières lignes du schéma sont descriptives (les vices), et la dernière énonce
le verdict.
248 ÉPHÉSIENS

a - liste de vices Ep 5,3-4 ; Col 3,5.8 ; cf. déjà en 1Th 4,3-6a ; Rm 1,29-31 ;
Ga 5,19-21a; 1Co 6,9b-10a63.
b – la punition Ep 5,5-6 ; Col 3,6 ; et en 1Th 4,6b ; Rm 1,32a ; Ga 5,21b; 1Co
6,9a.10b.

Exégèse

- v.3-4. Les listes de vices.


Le de, du début du v.3 est adversatif (« Mais luxure, impureté, convoitise,
etc. »), car il oppose une liste de vices à l’agir du Christ qui vient d’être
mentionné au v.2. La première énumération – luxure, impureté, cupidité – se
trouve aussi en Col 3,5, et elle semble reprendre, avec une variante, celle d’Ep
4,1964: signe que cette unité garde en mémoire les conduites sexuelles
symptomatiques, pour le judaïsme et les premières communautés chrétiennes,
du comportement des païens. Le premier terme, pornei,a, désignait à l’époque
toute immoralité sexuelle en général, et comme Paul ne donne pas d’exemple, il
est impossible de savoir s’il pense à des cas précis65. Le deuxième terme,
avkaqarsi,a, désigne l’impureté, quelle qu’en soit la nature, et le dernier,
pleonexi,a, la convoitise, l’avidité. Ep n’est évidemment pas le premier écrit à
condamner ces vices66. La brièveté de la liste et de l’interdit, qui la suit et
procède par prétérition, montrent d’abord que la communauté à laquelle
s’adresse l’apôtre n’était pas connue pour ses excès en la matière, ensuite, que
le jugement de valeur devait être assez partagé, dans l’Église et dans le monde
ambiant – on n’insiste jamais sur ce qui va de soi. Quant à la deuxième liste,
elle vise l’indécence du langage, qui peut aller de la simple vulgarité ou
obscénité aux allusions salaces67. Là encore, Paul est extrêmement bref. Mais le
lecteur pourra en revanche être surpris par les motivations fournies aux v.5-6,
qui restent traditionnelles, et s’éloignent du modèle théo-logique et
christologique proposé en 5,1-2.

63
Les vices mentionnés en Ep 5,3 le sont déjà dans les homologoumena et Col : pornei,a;
1Co 6,13.18 ; Ga 5,19 ; Col 3,5 ; avkaqarsi,,a 5,3 ; Col 3,5 ; Rm 1,24 ; 6,19 ; 2Co 12,21 ;
Ga 5,19 ; 1T 2,3 ; 4,7 ; pleonexi,a Rm 1,29 ; Col 3,5.
64
Les trois substantifs d’Ep 4,19 sont avselgei,a, avkaqarsi,a et pleonexi,a.
65
Le sens du terme pornei,a ne semble plus devoir être discuté. Outre l’article pornh, de F.
Hauck and S. Schulz, dans le TWNT, voir la discussion entre B. Malina, «Does Porneia
Mean Fornication?» NT 14 (1972) 10–17, et J. Jensen, «Does Porneia Mean Fornication? A
Critique of Bruce Malina»,” NT 20 (1978) 161-184.
66
Sur ces vices, consulter le TWNT, qui fournit toutes les indications nécessaires.
67
C’est certainement ce que désigne le terme euvtrapeli,a traduit ici par « propos
scabreux », et dont la nuance péjorative dépend du contexte ; voir la discussion en A.T.
Lincoln, Ephesians, 323-324.
EP 4,17–5,21 249

- v.5-6. Les motivations


Au début de la parenthèse o[ evstin eivdwlola,trhj, deux leçons peuvent être
suivies, selon que le relatif est au masculin (‘le cupide, qui est idolâtre’) ou au
neutre (‘tout débauché, ou impur, ou cupide – c’est-à-dire idolâtre’). Certains
témoins (A D K L P et nombre de minuscules) lisent en effet o[j evstin, et
d’autres (P46 a B F G Y 33 81 it vg goth) o[ evstin. Selon les spécialistes de
critique textuelle, le masculin serait une correction postérieure effectuée pour
accorder le genre du pronom avec le ou les noms qui en sont les référents.
Même si le parallèle avec Col 3,5 semble inviter à rattacher la parenthèse à la
convoitise, grammaticalement, le pronom neutre peut renvoyer aux trois.
La motivation est la même qu’en Col 3,5 (sur la colère de Dieu à l’endroit
de qui fait cela) mais elle est plus étoffée : le Paul d’Ep baserait-il ses
exhortations sur la peur de la sanction ? Le ton avec lequel il demande aux
croyants de faire très attention (« Sachez-le bien »68) est-il ou non menaçant ?
Selon certains69, ces versets viseraient des membres de l’Église encore englués
dans leur ancien mode d’existence, et ils renverraient à une discipline ecclé-
siastique déjà en vigueur70. Mais s’il y avait eu des problèmes, le passage serait
bien plus long et sans doute bien plus polémique, comme en 1Co 5. Au
demeurant, le v.6 suppose que les croyants ne sont pas dans cette situation et
qu’ils l’éviteront à l’avenir. De plus, c’est moins la peur de la sanction qui doit
dicter la conduite des chrétiens, que la connaissance des conséquences de leur
agir. On ne s’étonnera pas que dans une lettre où la connaissance a tant
d’importance, Paul informe ses lecteurs sur le résultat certain de certains com-
portements71, afin qu’eux mêmes ne se laissent pas illusionner. L’auteur cherche
donc moins à provoquer la peur ou la crainte, qu’à indiquer où mène
l’ignorance : la vraie connaissance reste pour lui le meilleur antidote. Ceux qui
pourraient duper les croyants « par de spécieuses raisons » (kenoi/j lo,goij) sont-

68
Le i;ste ginw,skontej (litt. ‘sachez connaissant’) est redondant, et marque donc une
insistance. Il s’agit d’un sémitisme, tout comme le pa/j ))) ouv (‘tout débauché… n’héritera
pas’ équivalant à ‘aucun débauché n’héritera’). Il y a un autre sémitisme au v.6 (« les fils de
la rébellion », tou.j ui`ou.j th/j avpeiqei,aj), qui ajouté aux précédents et à la mention du
Royaume, permet de conclure que ces deux versets citent probablement un schéma
traditionnel juif ou judéo-chrétien antérieur.
69
M. Barth, Ephesians. On lit à la p.564 : « Les personnes immorales mentionnées en Ep
5,3sq sont membres de la communauté, et non des gens extérieurs à l’Église ».
70
Analogue à celle notifiée en 1Co 5,1-13. Voir M. Barth, Ephesians, 593-598.
71
L’expression « colère de Dieu » est stéréotypée ; elle désigne la séparation d’avec Dieu,
c’est-à-dire l’impossibilité de partager la gloire des enfants de Dieu, qui est celle du Christ, et
qui est l’autre nom du Royaume de Dieu (lorsque le dernier ennemi, la mort, sera vaincu ; cf.
1Co 15,23-28). Quant au verbe e;rcetai, il peut avoir une connotation présente (et la
perspective serait alors la même qu’en Rm 1,18-32, où la colère divine est déjà à l’œuvre)
et/ou future. Le contexte ne permet pas de répondre avec sûreté.
250 ÉPHÉSIENS

ils des chrétiens, des juifs ou des païens ? Si, isolé de son contexte, le v.6 ne
permet aucune réponse sûre72, les affirmations d’Ep 2,3 invitent en revanche à
conclure qu’il ne s’agit pas de chrétiens.

La lumière - Ep 5,7-14

7
Ne soyez donc pas leurs associés. 8 Autrefois, en effet, vous étiez ténèbres; mais maintenant
[vous êtes] lumière dans le Seigneur. Vivez comme des enfants de lumière. 9 – en effet, le
fruit de la lumière [est] en toute bonté et justice et vérité –, 10 discernant ce qui plaît au
Seigneur. 11 Et ne vous unissez pas aux oeuvres stériles des ténèbres; mais blâmez-les plutôt.
12
En effet, ce qui est fait en secret par ces gens, on a honte même de [le] dire; 13 mais tout ce
qui est blâmé, est manifesté par la lumière, 14 car tout ce qui est manifesté est lumière. Voilà
pourquoi l'on dit: « Éveille-toi, toi qui dors, lève-toi d'entre les morts, et le Christ
t’illuminera ».

Présentation et composition

Même si, pour le vocabulaire, cette unité a moins de mots en commun


avec Col 3 que les précédentes, la structuration du passage est la même, car elle
suit encore le schéma dont la précédente unité reprenait deux éléments (liste de
vices et sanctions). En effet, en opposition à la liste des vices, cette unité va
mentionner trois attitudes (bonté, justice et vérité) qui caractérisent l’agir moral
des croyants, et qui vaudront à ces derniers d’être illuminés par le Christ. Le
schéma que l’on trouve ailleurs dans les lettres pauliniennes est ainsi repris
originalement par l’unité précédente et la présente, en ses différents éléments :
liste de vices (v.3-4), sanctions (v.5-6), avec, en opposition, une liste de vertus
(v.9)73. Cette opposition est renforcée par une autre, temporelle, identique à
celle de Col, entre le passé pécheur, enténébré (pote,), et le présent de la lumière
(nu/n)74.
La progression et les oppositions rappellent ainsi Col 3. Quant à
l’opposition entre ténèbres et lumière, elle a des précédents en 1Th 5,5-7 et Rm

72
Tout dépend de ce qui est désigné par « fils de la rébellion ». Malgré son laconisme, on
peut penser que le verset reprend les idées des traditions juives, dont Rm 1,18 - 2,16 se fait
d’ailleurs l’écho, selon lesquelles les désordres sexuels étaient une conséquence du rejet de
Dieu, de son autorité, et qu’ils étaient le fait des païens. L’expression ayant été analysée à
propos d’2,2, où elle apparaît pour la première fois dans la lettre, se reporter à ce verset. Voir
aussi P.T. O’Brien, Ephesians, 365.
73
Pour une liste de vertus faisant suite à une liste de vices, voir Ep 5,9; Col 3,12; Ga 5,22-
23. Noter la phraséologie semblable d’Ep 5,9 (o` ga.r karpo.j tou/ fwto,j) et Ga 5,22 (o` de.
karpo.j tou/ pneu,mato,j evstin)))).
74
Comparer Ep 5,8 et Col 3,7-8.
EP 4,17–5,21 251

13,11-13. L’une ou l’autre expression pourrait également être inspirée de Rm75.


En bref, le passage suit la tradition paulinienne, sans prétendre à l’originalité, et
il faut seulement expliquer son insistance sur l’opposition entre ténèbres et
lumière.
La composition est assez aisément repérable. Deux niveaux de discours
doivent être distingués : les v.7-11 sont des exhortations invitant les chrétiens à
agir en enfants de lumière, alors que les v.12-14 sont des explications sur le
rapport entre blâme et lumière:
v.7-11 exhortations à marcher dans la lumière
- v.7 : introduction et transition
- v.8-11 : vivre en enfants de lumière76
a = v.8a statut passé : ténèbres
b = v.8b-9a statut présent : lumière dans le Seigneur,
B’= v.8c-10 agir : marchez comme enfants de la lumière
A’= v.11 agir : ne pas s’unir aux œuvres infructueuses des ténèbres
v.12-14 explication sur le rapport blâme/lumière77
a = v.12 : les actions honteuses même à évoquer
b = v.13-14 : tout ce qui est manifesté est lumière
– le chrétien illuminé par le Christ.

Exégèse

- v.7. « Ne soyez donc pas leurs associés ». Cette très brève exhortation rattache
par un « donc » cette sous-unité à la précédente : après avoir présenté le
comportement immoral des païens, en actes et en paroles, et mentionné la
punition divine à leur endroit, Paul invite ses lecteurs croyants à ne partager ni
leur manière de se conduire ni le sort qui leur est réservé. L’adjectif « leurs »
traduit le pronom personnel auvtw/n, qui peut désigner les vices des v.3-478 ou les
rebelles qui viennent d’être mentionnés à la fin du v.679. Certes, en Ep 3,6,
l’adjectif summe,tocoi (« associés ») a pour déterminant la promesse, mais le
préfixe sun laissait alors bien entendre que les Gentils participaient de la pro-
messe avec les croyants d’origine juive80 ; en outre, l’usage d’Ep81 invite à
choisir la deuxième solution. Si les croyants venus de la gentilité ne doivent pas

75
Ainsi, dokima,zein ti, evstin euva,reston en Ep 5,10, déjà présent en Rm 12,2.
76
Les v.8-11 se déploient en une brève reversio (en abba) ; M.-É. Boismard, L’énigme de
la lettre aux Éphésiens, ad loc., est à ma connaissance le seul à l’avoir relevée.
77
Les v.13-14a procèdent par enthymème.
78
Ainsi, J. Gnilka, Epheserbrief, 250.
79
Voir, entre autres, R. Schnackenburg, Epheser, 226 ; A.T. Lincoln, Ephesians, 326 ;
P.T. O’Brien, Ephesians, 365.
80
Pour plus d’explications, se reporter à l’exégèse d’Ep 3,6.
81
Sauf en quelques rares constructions parallèles, les pronoms renvoient presque toujours
au substantif qui précède immédiatement.
252 ÉPHÉSIENS

devenir les associés de ceux qui ne connaissent pas Dieu, c’est parce qu’avec
les croyants d’origine juive ils forment le corps du Christ. Cette union ecclésiale
implique une séparation d’avec tous ceux qui vivent dans la débauche. Par son
laconisme, l’exhortation ne permet pas de savoir si elle interdit tout rapport,
même professionnel, avec ces ‘rebelles’, mais le modèle suivi par Qumran – se
retirer loin du monde – ou celui recommandé par Paul en 1Co 5,9-11 ne
semblent pas devoir s’appliquer ici – en particulier le deuxième, car il concerne
la séparation d’avec des membres de la communauté s’adonnant à l’immoralité
– or Ep 5,6 ne considère pas cette situation. L’exhortation reprendrait-elle plutôt
2Co 6,14 – 7,1, où l’opposition entre lumière et ténèbres est également faite ? Il
semble bien, mais le contexte ne semble pas imposer de séparation totale d’avec
le monde païen, seulement une non participation à tout ce qui mène à la
débauche ou à l’immoralité.
- v.8-11. Exhortations à vivre en enfants de la lumière82.
La justification de l’exhortation (formulée au v.7) commence au v.8 en faisant
appel au changement de statut des chrétiens : « vous étiez alors ténèbres, mais
maintenant lumière dans le Seigneur ». Pourquoi, à ce point de son
développement, l’auteur utilise-t-il la métaphore des ténèbres et de la lumière
pour désigner les chrétiens, métaphore qui est évidemment homologue à celle
entre vieil homme et homme nouveau (4,22-24) ? Le contexte gnoséologique
explique assez bien cette présence, car le v.6 a parlé de tromperie. Or, le propre
des ténèbres, c’est d’empêcher de voir la réalité, de discerner et de se guider,
comme en Ep 4,18, où les ténèbres sont la cause de l’ignorance des païens ;
devenus lumière, les croyants œuvrent pour que la la vérité puisse devenir
manifeste ; mais Paul ajoute qu’ils sont devenus lumière dans le Seigneur83, car
c’est d’être chrétiens qui les a rendus tels84. De par son statut, le chrétien doit

82
Si l’expression est très proche de cette autre, « fils de la lumière » – qu’on rencontre en
1Th 5,5 ; Lc 16,8 ; Jn 12,36 –, elle ne lui est pas identique. Le sémitisme « fils de la
lumière » est abondamment attesté à Qumran, en particulier en 1QM, où il est en l’antonyme
de « fils des ténèbres » (rwa ynb / $vwx ynb – voir par exemple 1QM 1,3.9.11.13.14.16, etc.).
L’expression « enfants de… » connote l’appartenance, la dépendance et la soumission tout
autant que l’origine, cette dernière étant plus fortement marquée en « fils de… ».
83
Le evn kuri,w| est alors avant tout une désignation de la condition ecclésiale du croyant.
Comme M. Bouttier l’a noté (En Christ. Étude d’exégèse et de théologie paulinienne, PUF :
Paris 1962, 54-61), le syntagme evn kuri,w| est plus utilisé que evn Cristw/| dans les sections
exhortatives. Ce qui n’empêche pas de comprendre le syntagme comme si le evn équivalait au
b et avait une valeur instrumentale. Ainsi, R. Penna, Efesini, 216-217, qui voit au v.14 une
confirmation de cette exégèse (le chrétien est lumière par l’action du Seigneur, qui l’a
illuminé).
84
Les commentaires insistent à juste titre sur l’arrière-fond baptismal des v.8-14. Sur la
symbolique de la lumière et des ténèbres dans l’AT et le NT, outre les dictionnaires, voir
A.T. Lincoln, Ephesians, 327, où l’on trouvera de nombreuses citations.
EP 4,17–5,21 253

donc faire advenir la lumière sur les êtres et les choses. Car immoralité,
mensonge et ténèbres ont partie liée.
Dans le fil du raisonnement, le v.9 donne l’impression d’être une paren-
thèse – de fait, au plan syntaxique, le participe du v.10 doit être rattaché au v.8
(marchez en enfants de lumière…, en discernant…). Le verset introduit une
nouvelle métaphore, celle du fruit, déjà présente dans les homologoumena et
exploitée quelques décennies plus tôt par Jean-Baptiste et Jésus85. Les trois
comportements qui sont le fruit de la lumière, sont la bonté, la justice et la
vérité. Comment expliquer le choix de l’auteur86? En réalité, la triade reprend ce
qui a été dit au début de la section, en 4,24, où apparaissent justice et vérité.
Quant au premier substantif, avgaqwsu,nh87, qui a été préféré à d’autres – e;leoj ou
encore avga,ph( makroqumi,a( crhsto,thj, de Ga 5,22 –, il reprend, sans répétition,
ce qui a été dit en Ep 5,1-2. Les trois vocables sont donc représentatifs de toute
la section, au sens où ils connotent les attitudes chrétiennes complémentaires
rappelées par Paul à ses lecteurs88: que serait une justice qui ne veut pas le bien
du frère, une bonté qui accepterait qu’on lèse l’innocent et qu’on cache la vérité
au prochain ? Si la liste finit par la vérité, c’est certainement parce que cette
dernière a une importance décisive en Ep, on l’a plusieurs fois constaté89.
Le v.10 procède de manière apparemment paradoxale, car si les croyants sont
lumière, ils devraient éclairer les êtres et les choses et manifester ce qu’ils ont
de bon ou de mauvais, sans avoir besoin de les tester – il y a discernement parce
que nous ne sommes pas dans la (pleine ou totale) lumière. Certes, mais le
verbe dokima,zein est aussi appliqué à Dieu, qui teste et discerne ce qu’il y a
dans les reins et les cœurs90. Car la capacité de tester et discerner rend l’homme
semblable à Dieu, en lui donnant de faire la lumière sur les êtres et sur les
choses – le v.12 retiendra ce trait. Il y a plus : le croyant, nous dit Paul, doit
discerner ce qui plaît à Dieu ; reconnaissons que, sans être spéculaire, cette
position répond à celle de Dieu, qui scrute le cœur de l’homme. Dieu scrute
l’homme, qui, en retour, doit discerner ce qui plaît à Dieu, et seul celui qui est

85
Voir Ga 5,22 ; Rm 6,21.22 ; Mt 3,10 ; 7,16-20 ; etc.
86
Ep 5,9 et Col 3,12 n’ont aucun élément commun ; et seul avgaqwsu,nh se trouve en Ga
5,22.
87
Si l’on en croit le TLG, ce substantif n’est pas connu du grec classique, et semble avoir
été forgé par la LXX (15x), où le NT l’a trouvé (4x).
88
R. Penna, Efesini, cite 1QS 1,5-6, auquel ressemble Ep 5,9, et qui demande aux
membres de la communauté de pratiquer la vérité, la justice et le droit.
89
De ces trois notes, la justice et la vérité, sont très souvent associées dans la LXX, à
propos de Dieu, ou de ce que doit faire le peuple (par ex. Y 14,2 ; 44,5 ; 96,13 ;
118,75.138.142 ; Is 11,5 ; 26,2 ; 45,19). Avec la pitié (e;leoj) également : Y 39,11 ; 84,11-12 ;
88,15 ; Is 16,5.
90
Cf. par ex. Y 16,3 ; 25,2 ; 65,10 ; 81,8 ; 138,1.23. 1Th 2,4 reprend à la lettre cette
tradition biblique.
254 ÉPHÉSIENS

dans la lumière le peut. À n’en pas douter, ce verset reprend un thème


paulinien91, sans le modifier, parce qu’il met en valeur l’importance de la
connaissance de la vérité pour l’unité ecclésiale, en allant plus loin que les
observations précédentes : non seulement les croyants ne doivent pas se mentir
les uns aux autres, mais ils doivent aussi débusquer le mensonge et le mettre à
nu, blâmer ce qui se cache et se voile dans les ténèbres, comme vont l’expliquer
les versets suivants.
Le v.11 revient aux œuvres mauvaises sous une forme synonymique du
v.8, mettant ainsi un terme à la reversio. La formulation est proche de celle de
Rm 13,12, où le syntagme « œuvres des ténèbres92» est déjà utilisé. En affir-
mant que les œuvres des ténèbres sont infructueuses (a;karpa), le verset ne les
oppose pas seulement aux œuvres de la lumière, qui, elles, portent du fruit (v.9),
il rappelle et souligne qu’elles mènent à leur propre mort. Plutôt que de s’unir
aux œuvres de mort, les croyants doivent evle,gcein. Ce dernier verbe est
employé sans complément d’objet ; mais comme il réapparaît au v.13, au parti-
cipe passif neutre, il semble normal de suppléer ta. e;rga au v.1193; ce ne sont
pas les individus qui sont blâmés ou mis à jour, mais les oeuvres. Néanmoins,
comme le v.12 affirme qu’on a même honte de mentionner des actions aussi
abominables, qu’il vaut donc mieux ne pas en parler, certains pensent que le
verbe evle,gcein doit être rendu par « démasquer » ou « rendre manifeste »94.
Mais comment les croyants peuvent-ils rendre manifestes de telles actions, s’ils
n’en peuvent parler ? Selon Lincoln, c’est leur manière de vivre la bonté, la
justice et la vérité, qui, par contraste, montrera que la vie des autres est
désordonnée. Mais le blâme ne consiste pas à raconter tout ce qu’ont fait ceux
qui s’adonnent au désordre ! Il n’y a aucune opposition entre blâmer une
conduite et ne pas parler des désordres en question, c’est-à-dire les narrer par le

91
Rm 12,2 fait de toute la vie morale un continuel discernement, et l’exprime de deux
manière complémentaires : discerner quelle est sa volonté, discerner ce qui lui plaît, cette
dernière expression étant reprise ici, en Ep 5,10. Noter en passant les analogies entre notre
passage et Rm 2,18-19, où Paul rend compte de la compréhension que le juif a de la grâce
reçue avec la Torah, qui fait de lui la « lumière de ceux qui sont dans les ténèbres, le guide
des aveugles ».
92
Il peut s’agir d’un genitivus auctoris, car si les croyants sont lumière (v.8), les rebelles
sont ténèbres.
93
Au demeurant, le v.11 est ainsi construit qu’on peut sans risque d’erreur et sans attendre
le neutre du v.13, suppléer e;rga.
94
Voir A.T. Lincoln, Ephesians, 330, qui utilise le verbe « to expose » difficile à rendre
en français (‘exposer à la vue’, d’où ‘rendre manifeste, visible’). Cette compréhension du
verbe semble être celle de la TOB, à Jn 3,20 : « Quiconque fait le mal hait la lumière et ne
vient pas à la lumière, de crainte que ses oeuvres ne soient démasquées (evlegcqh/|) ».
EP 4,17–5,21 255

détail95. Mais qui sont ceux dont il faut blâmer les actions infructueuses : des
chrétiens96 ou des païens97? Il est vrai que dans le NT – et à Qumran – la
désapprobation est une monition, car elle a pour destinataires des membres de la
communauté98. Mais le contexte invite fortement à penser que ceux dont les
croyants doivent réprouver les actes infamants, sont des non chrétiens. Certains
pensent même que le scénario sous-jacent pourrait être le même que celui décrit
en 1Co 14,24-25. Comme le passage reste très laconique, la prudence est de
rigueur.
- v.12-14. Ces versets forment une unité syntaxique et sémantique nette qui se
présente comme une explication de l’affirmation du v.11.
Le v.12 amorce un autre thème, celui de l’antagonisme entre caché et
révélé, mais à l’aide d’un concept intermédiaire, qui vient du verset précédent,
celui de blâme. Car blâmer ou désapprouver le mal caché, c’est le mettre à la
lumière. Le v.12 ne dit rien de plus que ce que la tradition juive hellénistique
déclarait déjà, à savoir que de certains péchés, il n’en faut même pas parler99.
Pourquoi les croyants doivent-ils blâmer ces actions et ainsi les inonder de
lumière ? Parce qu’en procédant ainsi, ils montrent que la lumière gagne sur les
ténèbres, et qu’en éclairant tout ce qu’elle touche, elle a un effet bénéfique,
salvifique. Étant lumière, les chrétiens sont ainsi instruments de salut pour le
monde. Car certains maux se développent seulement dans les ténèbres, et le
simple fait de les manifester, les prive de l’obscurité sans laquelle ils ne peuvent
se propager100. Cela dit, qui le substantif ‘lumière’ (fw/j) du v.13 désigne-t-il, les
chrétiens ou le Christ ? Il faut éviter pareille alternative, car s’il est vrai que les
croyants sont illuminés par le Christ (v.14b), eux-mêmes n’en sont pas moins
devenus lumière (v.8) : le v.14 ne supprime ni ne corrige le v.8, il lui donne son
explication ultime.
Le v.13 peut d’ailleurs être entendu de deux manières différentes, selon
que l’on rattache le syntagme u`po. tou/ fw/toj à ce qui précède ou à ce qui suit :
« tout ce qui est mis à l’épreuve par la lumière, devient manifeste »101 ou, avec

95
M. Barth, Ephesians, 570, garde l’idée de blâme et, à cause du v.12, ajoute :
« Désapprouvez-les par votre conduite ». L’un n’empêche pas l’autre.
96
Ainsi, J. Gnilka, Epheserbrief, 255-256.
97
Entre autres, R. Schnackenburg, Epheser, 230 ; A.T. Lincoln, Ephesians, 330.
98
Cf. Mt 18,15-17 ; 1Tm 5,20 ; 2Tm 4,2 ; Tt 1,9.13. Également 1QS 5,24-26; CD 7,2; 9,8;
20,4-5.
99
Les commentaires citent tous le de opificio mundi, 80, de Philon d’Alexandrie. Mais
Paul ne dit pas que l’on doit taire pareil comportement pour éviter aux croyants d’être tentés,
car tel n’est pas le problème ici.
100
Sans doute s’agit-il des maux énumérés en Rm 13,13.
101
Ainsi, J. Gnilka, Epheserbrief, 258 ; P.T. O’Brien, Ephesians, 357 et 372. Le sens est
alors le suivant : ce que les croyants (qui sont lumière) réprouvent et blâment, devient
256 ÉPHÉSIENS

la plupart des commentaires : « tout ce qui est réprouvé, est manifesté par la
lumière »102. Les deux lectures font sens, et, à vrai dire, ne diffèrent pas telle-
ment l’une de l’autre. Mais les affirmations s’enchaînant comme des enthy-
mèmes, il importe d’en respecter la forme à chaque étape :
(a) ne vous y unissez pas (b) mais réprouvez-les,
(b) ce qui est réprouvé (c) est rendu manifeste par la lumière,
(c) ce qui est rendu manifeste [par la lumière] (d) est lumière (14a).
Voilà pourquoi la deuxième lecture convient davantage. Mais le v.14a, censé
expliquer le v.13, n’est pas du tout ‘clair’. Est-il bien vrai que « tout ce qui est
rendu manifeste103 est lumière » ? Certes non, à moins d’ajouter, avec le v.14b :
si et seulement si cette manifestation a valeur salvifique, car il ne suffit pas à
une vie de débauche d’être blâmée pour cesser. Voilà pourquoi le v.14b doit
venir ‘éclairer’ l’affirmation du v14a : ce qui est rendu manifeste ne devient
lumière que si une autre lumière, suffisamment puissante et forte, l’a purifié et
transformé, et tel est bien le cas des baptisés. Illuminés par le Christ ressuscité
(v.14b), ils sont eux-mêmes devenus lumière (v.8).
L’origine de la citation du v.14b a beaucoup intrigué les exégètes, mais
jusqu’à présent, la source en question n’a pas été retrouvée104. Les deux pre-
miers stiques de ce passage hymnique ne sont pas sans rappeler les textes
vétérotestamentaires où le peuple de Dieu est appelé à se relever et à vivre105.
L’image du sommeil comme euphémisme pour désigner la mort n’est pas
nouvelle106. Étant donné le contexte (v.7-14), le sommeil mortel dont il faut
sortir, est celui d’une existence pécheresse107. Le troisième stique semble lui
aussi s’inspirer de la tradition relatant la venue de la gloire de Dieu comme
celle de l’astre du jour à son lever108. Considérée par tous comme une hymne

manifeste (parce qu’ils le dénoncent) ; et tout ce qui ainsi manifesté (v.14a) est lumière,
parce que mis hors du pouvoir des ténèbres qui le maintenaient caché.
102
Par leur conduite et/ou la manière dont ils montrent leur réprobation, les croyants font
que le comportement ignoble qui restait jusque là caché, devient connu ; c’est le blâme qui
jette la lumière sur la nature véritable des choses.
103
Le v.13, où fanerou/tai est un passif, exige que le participe neutre fanerou,menon de 14a
soit lui aussi un passif, et non un moyen.
104
Pour une discussion sur le sujet, voir A.J.M. Wedderburn, Baptism and Resurrection.
Studies in Pauline Theology against Its Graeco-Roman Background, WUNT 44, Tübingen
1987, 52-54 et 80-82. Certains ont vu en ce passage une reprise poétique d’Is 60,1 ; d’autres
évoquent des poèmes de la littérature apocalyptique juive, tels 4Esd 7,113-114 ; 10,55.
105
Voir 51,17 ; 52,1-2 ; 60,1.
106
Voir Job 14,12 ; 1Th 5,5-8 ; Rm 13,11-14.
107
Le sens en est donc métaphorique. Pour l’être-mort à cause du péché, voir Ep 2,1. Et
pour le passage des ténèbres à la lumière du Christ, 1Th 5,5-7 ; Col 1,13 ; 1P 2,9.
108
Cf. testLévi 18,3-4 ; testJuda 24,1; tradition qu’on retrouve dans le NT (Mt 2,2 ; 4,16 ;
Lc 1,78 ; Apo 22,16).
EP 4,17–5,21 257

baptismale, cette citation est composée de trois stiques brefs et bien rythmés109:
deux impératifs à la 2ème sg, ayant pour sujet quelqu’un de non identifié et mort,
sont suivis d’un indicatif futur ayant pour sujet le Christ. La progression est
nette : s’éveiller, (puis) se lever, c’est-à-dire ressusciter ; vient alors la raison,
qui sonne comme une certitude : s’il faut se réveiller et se lever du sommeil de
la mort, c’est pour être illuminé par le Christ et vivre de sa lumière110. La
lumière que le croyant reçoit du Christ, ne lui permet pas seulement de voir, de
discerner, de le connaître (cf. 3,17-19), elle va jusqu’à le faire devenir
lumière111. Son propre itinéraire (décrit par les deux premiers stiques), reproduit
celui du Christ lui-même, car son existence est désormais inséparable de son
Seigneur. En bref, Ep 5,14 invite les croyants à vivre ce qu’ils sont, lumière
reçue de la lumière, le Christ.

Sages et remplis de l’Esprit - Ep 5,15-21

15
Soyez donc vraiment attentifs à la manière dont vous vivez : non comme des
insensés, mais soyez des sages, 16 qui mettent à profit le temps présent, car les
jours sont mauvais. 17 À cause de cela, ne soyez pas inintelligents, mais com-
prenez bien quelle est la volonté du Seigneur. 18 Et « ne vous enivrez pas de
vin », dans lequel il y a dérèglement, mais soyez remplis de l'Esprit, 19 vous
parlant les uns aux autres par des psaumes, des hymnes et des chants inspirés;
chantant et psalmodiant au Seigneur de tout votre cœur, 20 en tout temps, à tout
sujet, rendant grâces à Dieu le Père au nom de notre Seigneur Jésus Christ, 21
vous soumettant les uns aux autres, dans la crainte du Seigneur.

Présentation et composition

Eu égard à la thématique, le passage se laisse diviser en deux sous-en-


sembles, le premier (v.15-17), constitué par deux exhortations appelant les
croyants à vivre en faisant preuve de sagesse et d’intelligence, le second (v.18-
20), par une invitation à demeurer dans la prière et l’action de grâces. Trois

109
Les trois stiques sont composés de deux termes principaux, et sont parallèles (le verbe
suivi du sujet, aux stiques 1 et 3, et du complément, au stique 2).
110
Le verbe evpifau,skw (l’autre forme étant evpifw,skw) est inchoatif, et il indique bien que
c’est avec le baptême que commence la vie dans la lumière du Christ. La citation peut être
paraphrasée simplement : « Reçois le baptême, et le Christ t’illuminera ». Sur le Christ
lumière, voir Lc 2,32 ; Jn 1,4.5.9 ; 3,19-21 ; 8,12 ; 9,5 ; 12,46 ; Ap 1,16.
111
Sur ce point encore le passage rejoint la catéchèse de l’Église primitive (voir par ex.
Mt 5,14.16 ; 6,23 ; etc.). Sur les diverses dimensions de la lumière en ce passage, voir M.
Barth, Ephesians, 599-601.
258 ÉPHÉSIENS

oppositions (en mh. ))) avlla,), aux v.15, 17 et 18, montrent que le modèle est
toujours celui d’une opposition entre les païens, « vivant dans l’inanité de leur
intelligence » (4,17), et les chrétiens, vivant en personnes sensées et guidées par
l’Esprit112. Cette unité appartient donc bien à l’ensemble qui commence en
4,17113. Mais où finit-elle exactement ? Le v.20 donne en effet des signes
évidents de clôture, et si le v.21 y est rattaché, ce ne peut être que de façon
lâche, sémantiquement s’entend, car il introduit un thème (celui de la
soumission réciproque), qui ne trouve pas sa place dans l’unité constituée par
les v.15-20. Ce même v.21 irait mieux avec ce qui suit, car, on peut, sans aller
contre la syntaxe ou la logique, lire ainsi l’enchaînement : « Soyez soumis les
uns aux autres, les femmes à leurs maris, comme au Seigneur, etc. » – le
participe u`potasso,menoi peut être rendu par un impératif, comme il arrive dans
les sections exhortatives, et le verbe sous-entendu du v.22 ne peut être que
u`pota,ssesqai, à l’impératif. Voilà pourquoi, certains préfèrent rattacher l’unité
entière (les v.15-20 + 21) aux codes domestiques114, ce qui semble impossible,
pour trois raisons au moins : (1) dans les codes domestiques, le style change du
tout au tout ; les oppositions qui courent depuis 4,17 (ne pas…, mais…)
disparaissent en effet, et (2) les exhortations traitent de rapports particuliers, liés
à la vie familiale et domestique, qui tranchent avec le caractère général des
exhortations précédentes. (3) Il a déjà été signalé que les thèmes de la section
sont annoncés dès le commencement, et comme celui de 5,15-20 l’est en 4,17,
cette unité se rattache bien à l’ensemble 4,17 – 5,14.
Comme pour les unités antérieures, les passages les plus proches se
trouvent en Col115:

Ep 5,15-20 Col 3,6-7 ; 4,5


5,15 … pw/j peripatei/te mh. w`j a;sofoi 4,5 VEn sofi,a| peripatei/te
avllV w`j sofoi 3,16b evn pa,sh| sofi,a|
5,16 evxagorazo,menoi to.n kairo,n 4,5 to.n kairo.n evxagorazo,menoi
5,19a lalou/ntej e`autoi/j ÎevnÐ yalmoi/j 3,16b nouqetou/ntej e`autou,j( yalmoi/j
kai. u[mnoij kai. wv|dai/j pneumatikai/j u[mnoij wv|dai/j pneumatikai/j
5,19b a;|dontej kai. ya,llontej th/| kardi,a| 3,16c evn Îth/|Ð ca,riti a;|dontej evn tai/j

112
Si les v.15-18a sont bâtis sur des antithèses, les v.18b-20 le sont, eux, sur une
accumulation de mots relatifs à la prière et au chant. Mais comme cette accumulation est
reliée au v.18a (être remplis de l’Esprit), la division reste bien celle relevée ci-dessus (v.15-
17 et 18-20).
113
Pour plus de détails, le lecteur peut se reporter ci-dessus à la présentation d’ensemble
de la section.
114
Ainsi, J. Gnilka, Epheserbrief, 264-265; A.T. Lincoln, Ephesians, 338, qui, pour des
raisons de commodité, distingue néanmoins les v.15-20 de ce qui suit. Également P.T.
O’Brien, Ephesians, 378.
115
Ce schéma est inspiré comme les autres du commentaire de A.T. Lincoln (p.339).
EP 4,17–5,21 259

u`mw/n tw/| kuri,w| kardi,aij u`mw/n tw/| qew/|


5,20 euvcaristou/ntej pa,ntote u`pe.r 3,17 poih/te))) pa,nta evn ovno,mati kuri,ou
pa,ntwn evn ovno,mati tou/ kuri,ou h`mw/n VIhsou/( euvcaristou/ntej tw/| qew/| patri. diV
VIhsou/ Cristou/ tw/| qew/| kai. patri, auvtou/

L’un ou l’autre motif, tel celui de chercher à faire la volonté de Dieu, ne vient
pas de Col 3,16-17 ou 4,5 mais d’autres lettres pauliniennes, en particulier Rm
12116. L’horizon reste donc encore paulinien, excepté pour le v.18a, qui se fait
l’écho d’une tradition biblique et juive117.
Les exhortations d’ordre général finissent par cette unité, pour deux
raisons, semble-t-il. D’une part, en effet, la finale sur la prière d’action de
grâces montre bien que cette dernière est le sommet de la vie chrétienne.
D’autre part, finir les exhortations en demandant aux chrétiens d’être sages et
intelligents, constitue une exhortation à la puissance deux : il ne s’agit pas
seulement de bien agir, de vivre selon les exigences de l’homme nouveau et en
enfants de lumière, mais de réfléchir à la façon dont on peut vivre au mieux
dans un monde toujours en évolution. S’il faut suivre le modèle par excellence,
christique (5,2), il importe aussi d’inventer la conduite juste, en économie, en
société et en Église, selon les lieux et les temps. Certes, l’auteur d’Ep n’entre
pas dans les détails, il a néanmoins perçu les enjeux auxquels les chrétiens de
tous les temps seraient confrontés.

Exégèse

- v.15-17. Paul demande à ses lecteurs de faire très attention à ce que leur
manière de vivre soit sage. Vivre avec sagesse, tel est le thème de ces versets.
Mais comment vit-on en sage ? En tirant profit du temps118, car, ajoute l’apôtre,

116
Voir ti, to qe,lhma tou/... en Ep 5,17 (comparer avec Rm 12,2).
117
Il n’est pas sûr que le v.18a s’inspire directement de Pr 23,31, mais des exhortations
juives, telles qu’on les retrouve, nombreuses, par ex. dans les Testaments des douze
Patriarches. Voir en particulier testJuda 14,1-2, formulé exactement comme en Ep 5,18 :
te,kna mou, mh. mequ,skesqe oi;nw|( o[ti o` oi=noj diastre,fei to.n nou/n avpo. th/j avlhqei,aj.
Également 16,1-3 où apparaît le mot ‘dérèglement’ (avswti,a), comme en Ep 5,18 (fula,ssesqe
ou=n( te,kna mou( o[ron oi;nou) :Esti ga.r evn auvtw|/ te,ssara pneu,mata ponhra,\ evpiqumi,aj(
purw,sewj( avswti,aj). Même opinion en J. Gnilka, Epheserbrief, 269, et A.T. Lincoln,
Ephesians, 340.
118
L’expression se trouve déjà en Dn 2,8, où elle signifie « gagner du temps ». En Ep 5,8
il s’agit moins de gagner du temps que de l’exploiter au maximum, sans pour autant que
l’idée équivaille à « ne pas perdre de temps ». Les chrétiens sont plutôt invités à tirer le
meilleur parti du temps qui est à leur disposition, comme l’indique le verbe evxagora,zw utilisé
ici et en Col 4,5 à la voix moyenne. R. Penna, Efesini, 221, cite la lettre de Sénèque à
Lucilius (epist 1,1) où certains éléments sont communs.
260 ÉPHÉSIENS

« les jours sont mauvais »119. L’apôtre laisse ainsi entendre que la sagesse est
d’autant plus nécessaire que les circonstances sont difficiles et les décisions à
prendre moins évidentes. Dans l’apocalyptique, la recrudescence du mal
annonce la fin des temps, et s’il est peu probable que le verset parle de son
imminence – et donc du temps qu’il ne faut pas perdre, car il se fait court –, il
rappelle aux chrétiens que le mal, auparavant nommé ténèbres, est à l’œuvre
dans le monde. « Tirer profit du temps, car les jours sont mauvais » veut alors
dire que les chrétiens doivent exploiter le temps qui leur est donné pour contrer
les forces du mal. Et cela ne peut se faire qu’en discernant et en comprenant
quelle est la volonté du Seigneur (v.17) : les occasions sont à saisir, et les
moyens également, car tous ne sont pas nécessairement bons, voilà pourquoi les
chrétiens sont obligés au discernement. Paradoxalement, ce sont « les jours
mauvais » qui poussent les chrétiens à chercher et comprendre quelle est la
volonté de Dieu ! Et quelle est-elle ? En 1Th 4,3, c’est notre sanctification, et en
1Th 5,18, rendre grâces. Mais ici, aucune précision n’est donnée. Cela signifie-
t-il que toutes les exhortations qui vont d’Ep 4,17 à 5,20 expriment ce qu’est la
volonté de Dieu pour les croyants120? Sans aucun doute. Mais en sont-elles une
expression exhaustive ? Car certains choix ne s’imposent pas121, et c’est par une
plus grande ouverture et docilité intérieure que les croyants peuvent choisir ce
que leur inclination spirituelle leur fait éprouver comme étant le meilleur.
- v.18-20. Que vient faire ici l’exhortation à ne pas s’enivrer de vin ? C’est que
l’ivresse porte les humains à la torpeur, au sommeil, à l’oubli du réel et donc à
l’incapacité de discerner122. Plus qu’à la torpeur ou au sommeil, le verset
semble faire allusion à deux types opposés d’inspiration forte – les boissons
fortes et l’Esprit Saint ; à la faconde et au délire provoqués par l’enivrement,
l’apôtre conseille aux croyants de préférer les chants, hymnes et psaumes

119
Expression métonymique : en ces jours-ci que de maux nous assaillent.
120
Voir l’excursus de M. Barth sur la question, Ephesians, 603-606.
121
1Co 7 fournit une gamme de situations, qui vont au delà de l’alternative bien/mal (car
aucune n’est mauvaise en soi), où Paul est amené à venir au secours du discernement des
Corinthiens, pour leur proposer ses propres critères, sans se substituer à leur intelligence et
liberté spirituelles.
122
M. Bouttier, Éphésiens, 234, signale un passage du de vita contemplativa de Philon
(§74), où le vin est une potion portant à l’inintelligence (oi=noj me.n ga.r avfrosu,nhj
fa,rmakon) : le mot avfrosu,nh est de même racine que le a;fronej du v.17. Et de
l’inintelligence, Philon déclare, dans le de ebrietate 20,2 – 21,1, qu’elle est le plus grand de
tous les maux (e]neka de. th/j tou/ avkrota,tou pa,ntwn <kakou/>, avfrosu,nhj). Sur le vin comme
boisson provoquant l’égarement, voir Is 28,7 ; PsSalomon 8,14.
EP 4,17–5,21 261

spirituels123, car ce qu’il désire, c’est que tous soient inspirés au point d’exulter
et de s’instruire les uns les autres124.
Les v.19-20 sont formés de trois participiales, plus ou moins redondantes,
qui font de l’action de grâces le sommet de la vie chrétienne. Ce n’est donc pas
un hasard si cette mention des hymnes, psaumes et actions de grâces se présente
comme le bouquet final des exhortations générales. La progression de ces
versets est assez aisément repérable, d’une participiale à l’autre :
a – au v.19a : le premier participe fait sans doute allusion aux prières collectives
où l’on se répondait les uns aux autres, à la manière des thérapeutes
d’Alexandrie125. Elle est désignée ici comme instruction, c’est-à-dire comme
moyen de faire connaître le dessein de Dieu, et c’est ainsi qu’a procédé l’auteur
d’Ep dans l’eulogie inaugurale, où il expose toutes les raisons qu’ont les
croyants de bénir Dieu. À la fois prière et révélation des voies de Dieu – car la
louange est toujours un témoignage rendu à la bonté et à la grandeur divine –,
telle est l’hymnologie chrétienne, comme celle, biblique, qui lui a servi de
modèle.
b – au v.19b : deux participes parlent de chants et de psalmodies adressées cette
fois directement au Seigneur126, en une prière qui jaillit du cœur, et qui s’appuie
très certainement sur l’expérience de foi radicale de chacun127.
c – au v.20 : si les participes du v.19 supposent des assemblées de prière, le
dernier participe semble avoir une application qui déborde le cadre liturgique et
cultuel, puisque les croyants sont invités à rendre grâces partout et pour tout. La
vie chrétienne, ruisselante de prière, prend la forme d’une gratitude exprimée
continûment, au nom du Seigneur Jésus : parce que toute prière faite en son
nom est exaucée128? Parce que rendre grâces au Père ne peut se faire qu’au nom
de celui grâce à qui nous sommes devenus filles et filles ? Ces deux raisons sont
probablement les bonnes. L’important est bien que l’action de grâces soit faite à
Dieu (notre) Père, car c’est comme enfants que nous rendons grâces. L’AdG est
la prière filiale par excellence. Voilà pourquoi elle est le sommet de la vie

123
Les effets du vin sont signalés dans la LXX et le NT. Voir par ex. 1S 1,13 ; Lc 1,15
(avec la même opposition qu’en Ep 5,18) ; Ac 2,13.
124
Noter, en Lc 1,67, le même rapport qu’en Ep 5,18 – entre être rempli de l’Esprit Saint
et louer avec des psaumes.
125
Philon d’Alexandrie, de vita contemplativa, 88,2-4, où femmes et hommes alternent en
se faisant écho les uns aux autres (me,lesin avnth,coij kai. avntifw,noij pro.j baru.n h=con tw/n
avndrw/n o` gunaikw/n ovxu.j avnakirna,menoj). Les hymnes qui nous sont restés de Qumran
(surtout en 1QH) semblent appartenir à cette catégorie.
126
Le titre ku,rioj semble ici comme ailleurs en Ep désigner le Christ.
127
Le passage paulinien le plus proche d’Ep 5,19b semble être 1Co 14,15-19.
128
Comme Jésus lui-même le dit en Jn 14,13.14.16.23.24. Le verset d’Ep semble refléter
la pratique de l’Église primitive -- s’adresser à Dieu le Père au nom du Christ.
262 ÉPHÉSIENS

chrétienne, qui est filiale, puisqu’elle est la vie en Christ, le Fils en qui nous
sommes filles et fils129.

Reprise théologique

a – Le primat de la vie ecclésiale.


Les premières exhortations (4,17 à 5,2) valent avant tout pour la sphère
ecclésiale130. On ne s’étonnera pas que le Paul d’Ep commence ainsi, suivant en
cela le modèle de certaines de ses lettres antérieures, Rm et Ga par exemple, car
c’est comme membres d’un même corps que les croyants doivent d’abord vivre
les exigences fondamentales de l’Évangile131. L’exégèse a par ailleurs montré
combien cette sous-section d’Ep est proche de Col 3, dont l’ordonnancement
diffère de celui qui vient d’être signalé, car les exhortations relatives à la morale
sexuelle y précèdent celles concernant les rapports entre membres de la
communauté132 ; cela vient de la composition choisie, qui est basée sur une
opposition entre le céleste et le terrestre133. En commençant par souligner les
attitudes requises pour la vie ecclésiale, Ep 4,17–5,20 montre que cette dernière
est le lieu par excellence où s’exprime la nouveauté radicale de l’Évangile134.
b – Le modèle christique

129
Le v.21 étant une transition, son exégèse sera faite avec celle de la sous-section
suivante (5,22 – 6,9).
130
Ne valent-elles qu’à l’intérieur de l’Église ? Autrement dit, peut-on ne pas aimer des
non chrétiens, leur cacher la vérité, les voler, etc. ? Si l’on peut assurément affirmer qu’elles
s’appliquent avant tout aux chrétiens, car il y va de l’unité et de la croissance du corps
ecclésial, assurément elles valent aussi pour les rapport avec ‘ceux du dehors’ (cf. Rm 12,17-
21 ; Col 4,5-6), car l’abandon du mode de vie païenne implique un changement radical dans
la manière de vivre les relations avec tous, qu’ils soient ou non membres de l’Église.
131
Voir Rm 12,3-16 ; Ga 5,13-15 ; en 1Co, l’ordonnancement des thèmes est le même,
puisque l’apôtre commence avec la question des rivalités et querelles entre membres de la
communauté de Corinthe (1Co 1-4), et aborde seulement ensuite celles concernant la morale
sexuelle (1Co 5-6).
132
Ainsi, les exhortations à mortifier ou mettre à mort l'homme terrestre (Col 3,5-9a) sont
suivies de motivations (Col 3,9b-11), lesquelles sont à leur tour suivies d’invitations à vivre
ecclésialement la nouveauté en Christ (Col 3,12-17).
133
De fait, la brève introduction aux exhortations (Col 3,1-4) présente les questions
abordées sous deux chefs, le céleste et le terrestre, ces deux domaines étant ensuite repris en
ordre inverse (Col 3,5 à 4,1). La longueur du paragraphe réservé aux relations entre chrétiens
montre bien le point souligné par l’apôtre.
134
Sur l’importance de la composante communautaire pour la vie chrétienne, on lira avec
profit J. Murphy O’Connor, L’existence chrétienne selon Saint Paul, LD 80, Le Cerf : Paris
1974. Un simple coup d’œil à Ga 5,15 fait pressentir les enjeux d’une relation
communautaire vraie, juste et bienveillante.
EP 4,17–5,21 263

Ep et Col affirment l’une et l’autre que les croyants doivent revêtir


l’homme nouveau. Mais les exhortations concrètes qui devraient illustrer ce
principe général d’action ne semblent pas tellement nouvelles. Si pour des
croyants venus du paganisme, la nouveauté consistait à changer radicalement de
mœurs, les exhortations relatives à cette transformation et leurs motivations, en
Col/Ep et déjà dans les homologoumena, reprennent grosso modo celles du
judaïsme hellénistique, on l’a vu135. Où est donc la nouveauté ? Certes dans le
statut des croyants : étant ressuscités avec le Christ, ayant reçu les arrhes de
l’Esprit, ils sont devenus fils et filles de Dieu, corps du Christ, Temple saint et
demeure de Dieu. Mais, cette nouveauté se donne-telle également à lire dans les
directives de l’apôtre ? Car il y a bien nouveauté, et nouveauté christologique,
puisque, en opposition à l’immoralité des païens, Paul rappelle aux croyants ce
qu’on leur a appris du Christ (Ep 4,20-21). Or, cet enseignement, supposé
connu et assimilé, n’est pas reformulé en Ep. Mais on peut légitimement inférer
que, grâce à leur relation personnelle et communautaire avec le Christ, les
croyants ont été progressivement amenés à mieux connaître et suivre celui en
qui ils croient et avec qui ils sont ressuscités. Voilà pourquoi, sans revenir en
détail sur le contenu de ce que les croyants doivent savoir du Christ, l’apôtre
répète qu’il faut croître dans la connaissance de l’amour du Christ, sans doute
parce que de l’amour reçu vient la dynamique de la conduite chrétienne, sans
doute aussi parce que la connaissance de la vérité qui est en Jésus (Ep 4,21)
rapproche les croyants de leur Seigneur. L’homme nouveau étant celui qui est
transformé au contact du Christ, plus le croyant connaît la vérité qui est en
Jésus, plus il lui ressemble. Dans la même ligne que les lettres précédentes,
mais de manière unique, Ep insiste sur l’importance de la connaissance du
Christ pour l’agir des croyants.
Ainsi, plus le croyant connaît le Christ, plus il trouve en lui le modèle de
son agir. Mais cette connaissance nécessaire, ne semble pourtant pas suffisante
pour guider les décisions des croyants, qui sont invités à discerner quelle est la
volonté de Dieu. Même si le sommet de la conduite chrétienne consiste à imiter
Dieu et le Christ136, un discernement continu est indispensable. Y aurait-il donc
contradiction entre les deux ? Certes non, car la connaissance du Christ
transforme, et seule une intelligence transformée peut sentir ce qu’il faut faire
dans un monde en perpétuel changement. Il est même essentiel qu’en ces unités
Paul mette en valeur les deux aspects – la connaissance du Christ et le
discernement de sa volonté. Car cela indique bien que Dieu ou le Christ ne
dictent ni les mots qu’il faut dire ni les gestes qu’il faut faire. Le discernement

135
Voir Ep, 5,3 et 5,5-6, dont l’exégèse a reconnu le caractère traditionnel.
136
Voir l’exégèse d’Ep 5,1-2, où il est montré que ces deux versets constituent le sommet
de l’unité qui va de 4,17 à 5,2.
264 ÉPHÉSIENS

est le fruit d’une intelligence habitée par l’Esprit, et qui, librement, s’engage. Si
en proposant un modèle christique (5,2) et en rappelant l’importance du
discernement (5,10.17), le Paul d’Ep n’innove pas vraiment – car ces traits se
rencontrent déjà dans les lettres précédentes, nous l’avons vu –, il insiste
néanmoins davantage, sans doute parce que l’Église doit affronter des situations
nouvelles et que le discernement est plus que jamais déterminant.

c – Les chrétiens, lumière.


Un titre n’a été jusque là jamais été appliqué aux chrétiens dans les lettres
pauliniennes, celui de lumière137. Ils ne sont pas seulement ‘enfants de la
lumière’, appartenant au monde de la lumière et dépendant d’elle, ils sont
devenus ‘lumière’ – mot que Paul écrit au singulier. Et ils sont tels parce qu’ils
sont ressuscités avec le Christ, qui les a illuminés (5,14b). C’est donc le
compagnonnage des chrétiens avec leur Seigneur qui fait d’eux la lumière du
monde, car partout où ils iront, les ténèbres reculeront. Par leur situation, les
chrétiens sont ainsi amenés à être des instruments de salut. L’exégèse d’Ep 5,7-
14 s’est interrogée sur les raisons qui ont poussé Paul à utiliser ces métaphores
(ténèbres/lumière), et le contexte gnoséologique – l’importance du connaître – a
en partie fourni une réponse. Mais ce titre (‘lumière’), par lequel le Paul d’Ep
rejoint la tradition des logia, donne une dimension nouvelle à la vie chrétienne,
qui n’est pas seulement une croissance continue dans la sanctification : la
lumière est faite pour éclairer, par sa présence elle fait la vérité sur les êtres et
les choses ; bref, la croissance du corps ecclésial est identiquement celle de la
lumière. Mais l’Église lumière a aussi pour fonction de faire connaître celui
dont elle a pour charge de témoigner, le Christ. Le statut des chrétiens est ici
décrit en toutes ses dimensions : l’enjeu de la moralité des croyants est bien
l’Évangile lui-même.
d – La métaphore du corps et l’éthique.
En faisant de sa réflexion sur l’Église le frontispice de ses exhortations
éthiques, le Paul d’Ep montre clairement que le témoignage porté à l’Évangile
doit être d’abord ecclésial. On ne doit pas s’étonner qu’Ep 4,1-16 utilise la
métaphore du corps pour exprimer l’unité dans la diversité, la croissance et la
solidarité des membres. On ne doit pas davantage s’étonner que la même
métaphore soit mise sous le boisseau en Ep 4,17–5,20, dans la mesure où cette
sous-section reprend et réorganise des thèmes traditionnels qui couvrent tous les
champs de la morale. La motivation qui accompagne la première des
exhortations, en Ep 4,25, fait néanmoins directement allusion au corps ecclésial
(« nous sommes membres les uns des autres »), et l’on peut raisonnablement se

137
Pour une vérification, se reporter à l’exégèse des v.7-14.
EP 4,17–5,21 265

demander si elle ne reste pas en arrière-fond des suivantes, comme l’exégèse de


4,17 – 5,2 l’a montré. En effet, 5,2 dit que « le Christ nous a aimés et s’est livré
pour nous », et, comme en écho, 5,25 répètera qu’il « a aimé l’Église et s’est
livré pour elle », qui est son corps (5,23). C’est parce que nous avons tous,
comme membres du corps ecclésial, expérimenté l’amour du Christ pour nous,
que nous avons la force et le désir de dire la vérité, d’avoir compassion et
bienveillance pour ceux qui ont comme nous été rejoints jusque dans leur
misère. Expérience fondamentale, car si les membres se méprisent, se battent
entre eux, la mort du corps est imminente, et tel est bien l’enjeu de la
métaphore : il est nécessaire que le corps vive et manifeste la vie du Ressuscité
qui l’anime. La morale chrétienne, comme morale ‘somatique’, est tout
simplement une question de survie.
Règles sur les relations familiales
Ep 5,(21)22–6,9

Bibliographie
D. Balch, «Household Codes» ; E. Best, « The Haustafel in Ephesians » ; E. Bosetti, «Codici
familiari» ; V.P. Branick, The House Church ; J. E. Crouch, The Origin and Intention of the
Colossian Haustafel ; A. Di Marco, « I ‘codici familiari’ nel Nuovo Testamento » ; J.F.
Gardner – T. Wiedemann, The Roman Household ; M. Gielen, Tradition und Theologie
neutestamentlicher Haustafelethik ; E. Kamlah, «Upota,ssesqai in den neutestamentlichen
'Haustafeln'» ; H.-J. Klauck, Hausgemeinde und Hauskirche ; F. Laub, «Relevanz der
neutestamentliche- frühchristlichen Haus- und Gemeinde- Tafelparänese» ; W. Munro, «Col
III.18-IV.2 and Eph V.21-VI.9» ; A. Niccacci, «Sfondo sapienziale dell’etica dei codici» ; W.
Schrage, «Ethik der neutestamentlichen Haustafeln» ; D.C. Verner, «The Houselhold of God» ;
Strecker, C., «Die neutestamentlichen Haustafeln» ; J. Woyke, Die neutestamentlichen Haus-
tafeln.

a – Les règles en leur temps.


Les codes familiaux appartiennent à un sous-genre éthique, qui semble
remonter à Aristote1. Ils apparaissent également dans les listes stoïciennes
d'obligations2, et l'on peut y voir un modèle littéraire lointain pour leurs
homologues néotestamentaires. La plupart des exégètes pensent en effet que le
chaînon intermédiaire est constitué par la tradition juive hellénistique3. En Ep, ils

1
Cf. Aristote, Politique I 1253b-1255b; Éthique à Nicomaque VIII 1160a 23 - 1161a 10;
V 1134b 9-18; Pseudo-Aristote, Magna Moralia, I 1194b 5-28.
2
Cf. Epictète, diatribai, II,10,1ss.; 2,14,8 ; 2,17,31 ; 3,2,4 ; 3,7,21; Diogène Laerce
VII,108; Sénèque, epistolæ 89, 10-11 ; 94,1. Également un texte d'Arius Didyme (I° av. JC),
qui cherche à établir et justifier philosophiquement les rapports domestiques : entre l'époux et
l'épouse, la relation est de type aristocratique; entre les parents et les enfants, elle est de type
monarchique; et entre enfants, de type démocratique. On trouvera le texte et son
commentaire, en D. Balch, « Household Codes », 28-47.
3
Depuis la monographie de J.E. Crouch, Origin and Intention (cf. en particulier 95–101),
les exégètes admettent presque tous que les codes domestiques néotestamentaires ni ne sont
une création chrétienne, ni ne s’inspirent directement de la morale stoïcienne. Les auteurs les
plus cités sont Philon (hypothetica 7.1–14; de decalogo 165–67; de posteritate Caini 181),
Flavius Josèphe (contre Apion 2.22–28 §§ 190–210), et le Pseudo-Phocylide (sententiae 175-
227).
EP 4,17–5,21 267

forment un ensemble distinct de ce qui les précède et les suit, au point qu’on y a
vu un ajout postérieur, rattaché au contexte plus ou moins maladroitement, à
l’aide de l’actuel v.21. Qu’elles aient ou non été ajoutées, ces règles n’en
demeurent pas moins différentes, dans leurs motivations, de celles rencontrées
dans les écrits alentour. Si, dans les codes domestiques du monde païen d'alors, la
subordination a des raisons principalement économiques, voire politiques (le bon
ordre dans la famille comme condition de la structuration harmonieuse et de la
survie de la po,lij), dans le NT, les raisons sont uniquement théologiques et/ou
christologiques. Mais ces motivations posent question. Certains y ont vu un signe
de la fin de l'attente eschatologique et un retour à l'ordre ancien du monde4, qui
semble sceller et immortaliser les valeurs de ce dernier. Selon d’autres, ces codes
auraient une finalité apologétique, celle de montrer que l'ordre et la paix dans les
familles chrétiennes témoigne en leur faveur5. On peut aussi se demander si ces
exhortations ne donneraient pas le coup d'envoi à une évangélisation progressive
(toujours à poursuivre, évidemment) des structures sociales, liées aux cultures,
non pour les baptiser et les appuyer inconditionnellement, mais, grâce aux
motivations théologiques et christologiques, pour montrer en quoi elles peuvent
et doivent même s'ouvrir à l'Évangile. Car les variations des motivations qui
existent entre les différents codes familiaux néotestamentaires semblent indiquer
une volonté d’évangéliser des relations considérées comme normales à un
moment et en un monde donnés6. N’est-il pas enfin possible d’interpréter ces
codes à partir de la situation ecclésiale d’alors ? Dans un premier temps, les
déclarations pauliniennes sur la caducité des statuts religieux et sociaux dans
l’Église (1Co 7.19.22 ; Ga 3,28 ; Col 3,11) auraient suscité des revendications
chez les femmes et les esclaves chrétiens. Devant les risques de confusion, voire

4
Selon cette lecture, les codes familiaux sont en contradiction - pour le moins en contraste
- avec Ga 3,28 et Col 3,11, qui reflètent la nouveauté chrétienne.
5
Ainsi, D. Balch, «Household Codes», 29, qui voit en ces règles « une réponse
apologétique à des critiques venant de l'extérieur de la communauté », et renvoie à 1P 2,12b
3,15b; Col 4,6; Tt 3,5; 1Tm 5,14. Les écrivains juifs ont eux aussi voulu répondre aux
calomnies des païens, en insistant sur la soumission dans les relations familiales, pour
montrer que le judaïsme n’était en rien opposé aux règles éthiques en cours dans le monde
gréco-romain d’alors ; voir Flavius Josèphe, contre Apion . 2,201 (gunh. cei,rwn avndro.j eivj
a[panta) toigarou/n u`pakoue,tw( mh. pro.j u[brin( avllV i[nV a;rchtai) qeo.j ga.r avndri. to. kra,toj
e;dwken:) ; les motivations apportées par Josèphe sont des plus intéressantes lorsqu’on les
compare à celles d’Ep ; Philon, hypothetica, 7.3. Sur cet aspect du problème, consulter D.
Balch, Let Wives Be Submissive, 63-80.
6
P. Pokorný, Kolosser, 151. Il mentionne Phm 16, où il est dit que, dans le Seigneur,
maître et esclave doivent vivre en frères très chers, et Rm 16,21-23, où Paul mentionne,
ensemble et sans distinction de niveau, des croyants portant des noms d'esclaves (Tertius,
Quartus) et d'autres ayant des fonctions supérieures.
268 ÉPHÉSIENS

de désordre, les responsables ecclésiaux auraient exhorté les uns et les autres au
réalisme, en rappelant d'abord les règles sociales en usage, qu'il fallait suivre sous
peine de passer pour des destructeurs de la société, en évangélisant aussi ces
codes, pour les rendre vivables à l'intérieur de l'Église… Il incombe à l'exégèse
des de confirmer ou d’infirmer ces hypothèses.
Cela dit, comme depuis le début de la lettre, Paul insiste sur la session
céleste des chrétiens avec le Christ, on peut se demander si ces exhortations ne le
mettent pas en contradiction avec lui-même. N’aurait-il pas dû s’expliquer sur
l’écart entre ses déclarations relatives au statut céleste des croyants et sa demande
de respecter des statuts mondains fixés par la société de leur temps ? Ep 5,21,
dont on va reparler plus bas, suffit-il à lever toute équivoque sur la manière dont
les chrétiens doivent vivre la vie de l’eschaton dans un monde ayant des règles
compatibles seulement jusqu’à un certain point avec les exigences de l’être-en-
Christ ? Ces questions devront être éclairées et discutées au terme de l’analyse
détaillée du passage.
b – Les destinataires de ces règles
Tous les acteurs du passage sont-ils des baptisés ? À n’en pas douter, les
directives sont adressées à des chrétiens : les épouses vers qui il se tourne et à qui
il demande d’être soumises à leur époux, sont chrétiennes7, et les maris à qui il
demande d’aimer leur épouse comme le Christ a aimé l’Église, le sont aussi, etc.
Mais toutes les épouses chrétiennes ont-elles un mari chrétien, et tous les maris
chrétiens ont-il une épouse qui partage leur foi ? Le mari dont l’épouse n’est pas
chrétienne doit-il l’aimer comme le Christ a aimé l’Église ? Une baptisée mariée
à un non-chrétien doit-elle lui être soumise comme « au Seigneur » ? De même,
les esclaves auxquels il est demandé d'obéir sont des membres de l'Église; mais
leurs maîtres le sont-ils ? Et les maîtres mentionnés juste après, sont-ils
nécessairement les maîtres des esclaves chrétiens à qui Paul vient de s'adresser :
un esclave baptisé ayant un maître non-chrétien est-il tenu de lui obéir ? En
d’autres termes, les exhortations valent-elles seulement si tous les partenaires
sont des baptisés ? Certes, à cette époque, la conversion d'un paterfamilias
entraînait en général celle de toute la maisonnée8, et, l’on peut estimer, en
conséquence, que la lettre considère les seules relations entre chrétiens.
Néanmoins, un passage comme celui de 1Co 7,12-16 montre que la situation était
plus complexe et diversifiée qu'on ne l’imagine parfois. Au demeurant, Paul ne
dit pas aux hommes: « maris, aimez vos femmes, car elles sont vos sœurs en
Christ » ; « maîtres, traitez vos esclaves avec justice, car ce sont vos frères en

7
Car elles doivent se soumettre à leur mari « comme au Seigneur » (v.22b).
8
Autrement dit, épouse, enfants, esclaves. Cf., par ex., Ac 10,2; 16,15.31.34; 18,8; 1Co
1,16.
EP 4,17–5,21 269

Christ » (à la suite de Col 3,11). Cela ne signifie-t-il pas que les chrétiens
doivent soumission, amour, respect ou obéissance indépendamment du statut
chrétien de celles et ceux envers lesquels ces attitudes sont requises ? Par ses
silences donc, le passage laisse une marge d’incertitude qui oblige à la prudence.
c – Ep 5,21 – le vocabulaire de la soumission
Il est malgré tout sûr que les codes domestiques ne sont pas séparables d’Ep
5,21, qui en constitue une prémisse étonnante9. Car si les codes commencent par
des exhortations adressées chaque fois à la catégorie socialement inférieure
(épouses, enfants, esclaves), pour inviter à la subordination, à la soumission ou à
l’obéissance – l’exégèse devra déterminer lequel de ces substantifs est le plus
exact –, ces exhortations sont elles-mêmes précédées d’une clause, selon laquelle
les croyants doivent être subordonnés ou se soumettre les uns aux autres : une
telle attitude est-elle aussi requise de ceux qui ont un statut supérieur ? Et en quoi
pourraient-ils se rendre inférieurs à ceux de rang social inférieur ?
La première difficulté est de traduire le verbe u`pota,ssesqai : être soumis, se
soumettre, obéir, ou bien être subordonné, inférieur en rang ? Comme le Paul
d’Ep ne précise pas le sens du vocable, on peut supposer qu’il suit l’usage alors
en cours ou même celui des homologoumena, ce qui ne fait que repousser le
problème. Qu’Ep 5 fasse une distinction entre u`pakou,ein (‘obéir’) et
u`pota,ssesqai, on peut le penser, car si l’apôtre demande aux épouses d’être
soumises à leurs époux, il ne leur dit pas d’obéir, à la différence des enfants et des
esclaves (6,1.5)10. Certes, l’une ou l’autre fois, les deux verbes sont synonymes11,
mais pas en Ep, qui semble en cela suivre les homologoumena, où la soumission
consiste à reconnaître le statut supérieur d’un autre, et agir en accord avec le
statut inférieur qui est le sien, fixé par les règles en vigueur dans l’organisation
sociale à laquelle on appartient : famille, armée, cité, état, Église, etc.12 À vrai

9
De fait, le v.21 amorce le thème de la soumission, qui court jusqu’au v.33, et l’on peut
même rattacher le v.22 au v.21 («… vous soumettant les uns aux autres, les femmes à leurs
maris respectifs comme au Seigneur »). Mais, d’autre part, le v.21 n’est pas syntaxiquement
séparable des précédents, car même si le participe u`potasso,menoi a une nuance impérative, il
est rattaché – comme les participes des v.19-20 – à l’impératif du v.18 (« soyez remplis par
l’Esprit »). En reliant de la sorte le v.21 à ce qui précède, le passage donne une extension
maximale à la soumission réciproque, qui déborde ainsi les seuls rapports familiaux et peut
s’appliquer à tout rapport dans l’Église.
10
La différence est la même en Col 3,18 (‘soumettez-vous’) et 3,20.22 (‘obéissez’).
11
Ainsi en est-il en 1P 3,5-6. Voir à ce propos M. Barth, Ephesians, 714.
12
Les organisations et donc le devoir de soumission se recouvrent et s’additionnent: la
soumission au chef de famille se double d’une soumission aux responsables politiques, etc.
En presque toutes ses occurrences u`pota,ssesqai connote l’idée d’avoir un rôle subordonné
ou inférieur en rapport à celui d’un autre (consulter les différents dictionnaires, et E. Kamlah,
« u`pota,ssesqai », 239-240).
270 ÉPHÉSIENS

dire, le verbe u`pakou,ein ne fait pas nécessairement intervenir le statut d’autrui ;


l’obéissance consiste à exécuter et effectuer ce que l’autre me demande de faire,
si possible en y consentant intérieurement. En Ep 6, Paul ne mentionne pas le
u`pota,ssesqai aux enfants et aux esclaves, car si les enfants peuvent désobéir, ils
ne contestent pas pour autant leur statut de mineurs. Et que le verbe u`pota,ssesqai
n’apparaisse pas en 6,1.5 signifie tout simplement que les enfants et les esclaves
ne remettaient pas en question le rang inférieur qui était le leur. On peut donc, eu
égard aux esclaves et aux enfants, éliminer la dernière hypothèse évoquée plus
haut : si une majorité d’esclaves devenus chrétiens avaient invoqué les propos de
Paul en Ga 3,28 pour revendiquer la manumission, les exhortations n’auraient
pas pu ne pas demander aux esclaves la reconnaissance du statut supérieur au
leur, celui des maîtres. Mais puisque Ep 5,22.24 demande aux épouses de
reconnaître le statut supérieur de leur mari, cela signifie-t-il qu’elles contestaient
l’infériorité qui leur était imposée par les lois d’alors ? Seule l’analyse du passage
permettra de répondre correctement. Notons seulement ici que, pour les épouses,
reconnaître la supériorité (juridique) de leur époux n’implique pas une attitude
infantile ou servile. Lorsque le v.21 demande à tous les chrétiens, de quelque
rang social qu’il soient, d’être subordonnés les uns aux autres, il n’entend certes
pas dire que le maître doit désormais considérer que son esclave est de statut
social supérieur au sien, ni qu’il doit inverser les rôles13; la subordination requise
au v.21 ne s’applique pas aux statuts sociaux – sinon que signifieraient les
exhortations des v.22sq ? –, elle invite plutôt chaque croyant – homme ou femme,
mineur ou majeur, maître ou serviteur, édile ou simple citoyen, apôtre ou croyant
lambda – à considérer les autres comme supérieurs à soi. Si la formulation est
autre, l’esprit est le même qu’en 1Co 9,19 ; Ph 2,3 ; Rm 12,16 ; Mc 9,35 ; 10,44
et Jn 13,14. En faisant de l’exhortation du v.21 un exorde à toutes les règles
familiales, le Paul d’Ep notifie implicitement la relativité des statuts sociaux : ils
existent, mais doivent être vécus chrétiennement, c’est à dire dans l’humilité.
À la fin du v.21, il est dit que la soumission réciproque doit se faire « dans la
crainte du Christ ». La formule n’est pas seulement exceptionnelle14, elle est
ambiguë : la crainte est-elle proche de la peur15, ou d’un immense respect devant

13
Aujourd’hui, du moins en français, « se soumettre » est sans doute pour cela ambigu,
car s’il connote l’idée de subordination, il équivaut souvent à obéir. Sans vraiment justifier
ses propos, M. Barth, Ephesians, 609, déclare sans plus de nuances : « La traduction ‘soyez
soumis’ est certainement étrangère au sens et à l’intention du verbe (hypotassomai) utilisé
par Paul ».
14
Dans le NT, on rencontre deux fois l’expression « crainte du Seigneur » (2Co 5,11 ; Ac
9,31), et deux fois « crainte de Dieu » (Rm 3,18 ; 1Co 7,1).
15
Selon M. Barth, Ephesians, 662 (sa note des p.662-668 est dédiée à l’expression
« crainte du Christ »), tout essai d’affaiblir le sens de l’expression – respect, déférence, etc. –
EP 4,17–5,21 271

celui qui est la tête de l’Église ? Infini respect et abaissement, sans nul doute.
Mais l’intérêt de la formulation vient de ce qu’elle ancre l’attitude de soumission
réciproque des chrétiens dans le respect qu’il ont pour le Christ ; la motivation
christologique est ici très importante, car elle signifie que la relation de chaque
membre de l’Église au Christ détermine et colore sa relation à tous les autres :
parce que les croyants reconnaissent avec vénération que le Christ a été
l’opérateur de leur adoption filiale et donc de leur dignité respective, ils doivent
se soumettre les uns aux autres.
d – Influence et composition.
Sans doute est-il superflu de s’attarder sur la source directe des exhor-
tations domestiques d’Ep, car presque tous, convaincus de l’antériorité de Col,
admettent qu’elles sont inspirées de Col 3,18–4,1, dont elles respectent
l’ordonnancement16. Quant à la composition, elle est simple ; trois séries
d’exhortations se suivent, commençant chaque fois par le partenaire de rang
inférieur :
- aux épouses 5,22-24
aux époux 5,25-33
- aux enfants 6,1-3
aux parents 6,4
- aux esclaves 6,5-8
aux maîtres 6,9

Ep 5,22-33 - épouses et époux chrétiens

Bibliographie
J. Aadna, « Die eheliche Liebesbeziehung » ; D. Balch, Let Wives Be Submissive ; G.
Baldanza, «L'originalità della metafora sponsale in Ef 5, 25-32» ; S. Bedale, «The Theology
of the Church» ; G.W. Dawes, The Body in Question ; K.H. Fleckenstein, Ordnet euch
einander unter in der Furcht Christi ; E. Kamlah, «Upota,ssesqai in den neutestamentlichen
Haustafeln» ; A.J. Kostenberger, «The Mystery of Christ and the Church» ; F. Laub, «Sozial-
geschichtlicher Hintergrund » ; S.F. Miletic, One Flesh ; D. Park, «The Structure of
Authority in Marriage»; P. Rémy, «Le mariage, signe de l'union du Christ et de l'Église » ;
K.H. Rengstorf, «Die neutestamentlichen Mahnungen an die Frau» ; J.P. Sampley, And the
Two Shall Become One Flesh.

« contredit l’évidence philologique et doit être rejeté au profit d’une traduction littérale » ; il
refuse quant à lui d’assimiler la crainte pour le Christ à de la peur, et semble en faire comme
un total abaissement devant celui qui nous a sauvés et est désormais notre unique Seigneur.
En Ep 5,21 comme en 5,33, la crainte naît de ce que l’autre (Christ, puis le mari) a fait pour
nous par amour. Le total abaissement me semble équivaloir à un respect immense.
16
Signalons néanmoins l’opinion contraire de W. Munro, «Col III.18-IV.2 and Eph V.21-
VI.9», selon qui les codes domestiques de Col dépendraient de ceux d’Ep.
272 ÉPHÉSIENS

22
Femmes [soyez soumises] à vos propres maris* comme au Seigneur, 23 car le
mari est tête de la femme, tout comme le Christ [est] tête de l'Église, lui le
Sauveur de son corps*. 24 Eh bien, comme l'Église est soumise au Christ, ainsi,
femmes [soyez soumises] en tout à vos maris.
25
Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Église et s'est livré lui-
même pour elle, 26 afin de la rendre sainte en la purifiant par le bain d’eau
27
[accompagné de] parole, afin de se présenter à lui-même l’Église glorieuse,
sans tache ni ride, ni rien de tel , mais afin qu’elle soit sainte et irréprochable.
28
C'est ainsi que les maris doivent aimer leurs propres femmes, comme leurs
propres corps. Celui qui aime sa femme, s'aime lui-même. 29 En effet, jamais
personne n'a haï sa propre chair ; mais on la nourrit, on l'entoure d'attention
comme le Christ pour son Église; 30 car nous sommes les membres de son
corps. 31 « C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, il s'attachera à
sa femme, et les deux ne seront qu'une seule chair ». 32 Ce mystère est grand:
moi, je déclare qu'il concerne le Christ et l'Église. 33 En tout cas, chacun de
vous, pour sa part, qu’il aime sa femme comme lui-même, et la femme, qu’elle
craigne le mari.
v.22 litt. « aux propres maris »
v.23 litt. « sauveur du corps »

Présentation et composition

Pour être évaluées honnêtement, les exhortations d’Ep 5,22-33 doivent être
situées dans leur contexte historique. Quel était le statut de l’épouse dans
l’empire romain au premier siècle ? Malgré des améliorations progressives,
celui de l’épouse grecque n’était pas égal à celui de son époux17. Et, si à Rome,
l’indépendance de l’épouse était plus grande au début de l’empire, au moins
dans les classes supérieures, son statut restait toujours inférieur18: le changement
fut donc limité en extension et en amplitude, le statut de l’épouse au Ier siècle
restant inférieur à celui du mari, et, il ne semble pas que le monde ambiant ait
espéré ou, au contraire, redouté une évolution allant vers l’égalité des
partenaires conjugaux19. L’auteur d’Ep n’écrit certes pas pour faire régresser ou

17
Sur l’évolution du statut de l’épouse grecque durant la période hellénistique, voir J.L.
White, « The Improved Status of Greek Women in the Hellenistic Period », Biblical
Research 29 (1994) 62-79. À cause d’une plus grande égalité, en Égypte, les filles grecques
commencèrent à hériter, comme leurs frères, et quelques unes s’engagèrent dans les affaires.
18
Car, sous la république, la femme mariée dépendait totalement de son époux – elle était
presque sa possession.
19
Sur cette situation, voir D.C. Verner, The Household of God. The Social World of the
Pastoral Epistles (SBLDS 71), Scholars: Chico, CA 1983.
EP 4,17–5,21 273

freiner les transformations, mais il ne les précipite pas : les a-t-il même
envisagées, sous la pression d’une revendication féministe à l’intérieur du
groupe croyant ? Rien n’est moins sûr. Ce qu’il faut donc retenir, c’est moins
l’absence de modèle susceptible d’apporter de nouvelles représentations du
rapport mari/femme, que la manière dont, indépendamment du rôle fixé à
chaque partenaire par la société ambiante, l’auteur d’Ep entend favoriser le
renouvellement des comportements, en particulier chez le mari – celui dont le
statut était socialement supérieur.
Les questions exégétiques sont elles aussi difficiles. Il importe en effet de
considérer comment Paul met en rapport d’analogie les époux chrétiens et le
couple Christ/Église, et de s’interroger sur la validité du rapprochement. Il faut
également voir si l’analogie fonctionne en partant des époux chrétiens ou du
Christ et de l’Église, si d’autre part le vocable « mystère » du v.32 désigne
d’abord la relation entre époux – pour s’appliquer en un temps second au Christ
et à son corps –, ou bien celle entre le Christ et l’Église, et seulement celle-là.
La composition des deux exhortations suit un schéma que l’on rencontre
souvent dans les exhortations des homologoumena20, en aba’, où le a désigne
les exhortations et le b les motivations, et qui peut être simplifié comme suit :
a = exhortation(s) (faites / ne faites pas)
b = motivation(s) (en effet…)
a’= exhortation(s) (donc, faites / ne faites pas)

L’exhortation aux épouses suit grosso modo ce modèle :


a = v.22 que les épouses soient soumises
b = v.23a car l’homme est tête de la femme (raisons basées sur le statut social)
b’= v.23b et le Christ est tête et sauveur de l’Église (statut et agir du Christ)
a’= v.24 donc, que les épouses soient soumises comme l’Église

L’exhortation aux époux respecte aussi le modèle, en plus long :


a = v.25a maris aimez vos femmes
b = v.25b-27 comme le Christ a aimé l’Église (raisons basées sur l’agir du Christ)
a1= v.28a vous aussi, maris, aimez vos femmes comme vos propres corps
b1= v.28b-29b en effet (raisons basées sur l’expérience humaine)
b2= v.29c-32 comme le Christ a aimé l’Église (raisons basées sur l’agir du Christ)
a2= v.33 que chacun aime sa femme comme lui-même
et que la femme craigne son mari (inclusion avec le v.22)

Exégèse

20
Qu’il suffise de renvoyer à 1Co, où de nombreux développements ont cette forme, de
1Co 7 (où les micro-unités et les macro-unités sont en aba’) à 1Co 14.
274 ÉPHÉSIENS

v.22-24 – L’exhortation aux épouses

La difficulté de cette unité ne vient pas des exhortations, très claires – les
épouses doivent se soumettre à leurs époux respectifs –, bien plutôt des
motivations qui s’accumulent – anthropologiques (statut social du mari), puis
christologiques (statut et agir du Christ) et ecclésiologiques (attitude de sou-
mission de l’Église) –, mais semblent insuffisantes à justifier l’exhortation, car
si le Christ est sauveur de son corps, l’Église, et mérite ainsi d’être sa tête, le
mari n’est pas sauveur de sa femme – les uns et les autres n’ont qu’un seul
sauveur Jésus Christ – ; mérite-t-il le titre qui lui est donné ? En d’autres ter-
mes, la christologie suffit-elle à fonder un rapport social qui semble dépassé au
plan ecclésial ? Peut-on dès lors dire que l’épouse est le corps du mari, comme
l’Église est corps du Christ ? Les enjeux, on le voit, sont de taille.

v.22 - « Femmes [soyez soumises] à vos propres (toi/j ivdi,oij) maris (avndra,sin)
comme (w`j) au Seigneur (tw/| kuri,w|) »
Comme l’indiquent les parenthèses droites, le verbe manque. Le verbe
sous-entendu est évidemment u`pota,ssesqai : si les voix moyenne et passive
conviennent toutes les deux, il est plus normal d’y lire un moyen, à cause de
l’attitude volontaire demandée par le v.21. Son absence autorise deux traduc-
tions : ou la troisième personne du pluriel (‘que les femmes soient soumises à
leurs propres maris’), ou la deuxième, comme ci-dessus21. L’adjectif i;dioj
s’emploie en effet avec l’une et l’autre personne22. Comme l’indique l’adjectif
i;dioj – on pourrait paraphraser ainsi : le mari qui est le leur/vôtre –, le
commandement ne s’adresse pas aux femmes en général, mais aux femmes
mariées, aux épouses, qui sont invitées à ne se soumettre qu’à leur mari – et non
à tous les hommes23. Dans la présentation d’ensemble du passage, il a été dit

21
Le choix qui a été ici fait s’appuie sur deux raisons : (1) depuis le v.18, c’est l’impératif
pluriel qui régit la syntaxe, et (2) le parallélisme avec le v.25, où Paul s’adresse directement
aux maris.
22
Il est presque toujours employé avec la troisième personne, mais on le trouve avec la
seconde en l’un ou l’autre verset du NT ; par ex. en Lc 6,41 ; Ac 3,12 ; 1Th 4,11 ; 2P 3,17 ;
et avec la première en 1Co 4,12. Quant à 1P 3,1, assez proche d’Ep 5,22, il s’agit très
probablement de la deuxième personne (mais la troisième irait également).
23
M. Barth, Ephesians, 611, pense que cette exhortation opère une drastique restriction de
la subordination, car, comme femme, l’épouse n’y est pas subordonnée à tous les hommes,
mais seulement à son mari. L’observation est vraie, car, à la différence de Col 3,18 qui a
seulement : « Femmes soyez soumises aux hommes », en ajoutant « les vôtres », Ep 5,22 vise
à éviter toute généralisation et donc toute méprise (les hommes sont les maris). Hors du NT,
on relève seulement deux passages où le verbe u,pota,ssesqai décrit l’attitude que la femme
doit avoir envers son mari : Plutarque, conjugalia praecepta 142E, et le Pseudo-Callisthène,
EP 4,17–5,21 275

qu’ici Paul fait très certainement une différence entre la soumission et


l’obéissance24, différence rejetée par certains commentateurs, selon qui la
soumission de l’épouse équivaut à de l’obéissance, car elle est comparée à celle
de l’Église, dont la relation au Christ ne consiste pas seulement à accepter le
rang inférieur qui est le sien, mais s’accompagne d’obéissance25. Que l’Église
obéisse en tout au Christ, nul ne le contestera, mais le but du v.22 n’est pas
d’exiger de l’épouse qu’elle obéisse à son époux, bien plutôt qu’elle le
reconnaisse comme supérieur à elle – dans la mouvance du v.21, qui le
demandait à tous les croyants. Et pourquoi le devrait-elle ? Le propos de la
longue exhortation faite aux maris (v.25-33) est précisément de fournir les
raisons qui vont aider l’épouse à se soumettre en tout à son époux.
Quel sens doit-on donner au « comme » (w`j) ? Paul semble rendre ana-
logues deux relations, en calquant celle de la femme avec son mari sur le
modèle de celle qu’a cette même femme avec le Seigneur. Il est difficile de dire
si la comparaison vise à la fois la qualité de la soumission (avec la même
soumission qu’au Seigneur) et le degré de soumission (avec autant de sou-
mission qu’au Seigneur) ; le w`j n’offrant aucune restriction, l’une et l’autre
nuance semble connotée. Et qui est le Seigneur : Dieu le Père ou le Christ ?
L’ambiguïté n’est résolue que par ce qui suit : il ne peut s’agir que du Christ
puisque la femme va avoir comme modèle l’Église, qui est totalement soumise
au Christ (v.24)26. Cela dit, la demande semble exorbitante : que la femme soit
soumise à son mari, passe encore, mais qu’elle lui soit soumise comme (elle
l’est) au Seigneur, demande à être justifié. Est-ce parce que sa relation au mari
reflète celle de l’Église avec le Christ ? Autrement dit, est-ce parce que le mari
sera invité à aimer sa femme comme le Christ a aimé son corps – le comme de
la soumission ayant alors pour fondement l’agir mimétique du mari ? L’exégèse
se doit de peser le bien-fondé de ces affirmations fortes.

v.23 - « Car le mari est tête de la femme, tout comme le Christ27 [est] tête de
l'Église, lui [le] Sauveur du corps »

Hist. Alex. Magni 1.22.4. Cf. Rengstorf, «Die neutestamentlichen Mahnungen», 132. Noter
qu’en plus du verbe u,pata,ssesqai, le passage de Plutarque est encore intéressant pour
l’image choisie, celle du rapport âme/corps (142E.5-7 kratei/n de. dei/ to.n a;ndra th/j
gunaiko.j ouvc w`j despo,thn kth,matoj avllV w`j yuch.n sw,matoj).
24
Voir p.269-270.
25
Ainsi, A.T. Lincoln, Ephesians, 367-368.
26
L’usage antérieur du terme « Seigneur » confirme cette lecture.
27
On aura sans doute remarqué le changement de nomination : au v.22, qui est une
exhortation, Paul emploie le titre ku,rioj, mais il passe à cristo,j dans les motivations des
v.23-24. Pour certains, le glissement est significatif ; ainsi, M. Bouttier, Éphésiens, 243 : « La
276 ÉPHÉSIENS

Le verset énonce deux raisons : la première fondée sur l’être ou le statut


supérieur du mari (chef ou tête28 de l’épouse), statut qui lui est accordé par les
lois sociales d’alors29. Mais ce statut est immédiatement relié à celui du Christ
(chef ou tête de l’Église). Le lecteur aura noté que dans cette première micro-
unité (v.22-24), Paul ne pousse pas la comparaison jusqu’au bout, en établissant
que l’épouse est le corps de son mari, de la même façon que l’Église est le corps
du Christ, et il ne déclare pas davantage – explicitement s’entend – que le Christ
et l’Église sont respectivement époux et épouse. Si l’Église est corps du Christ,
en quoi l’épouse le serait-elle de son mari, puisqu’ils ont chacun leur propre
corps, et qu’ils sont l’un et l’autre membres du corps ecclésial ? En quoi le mari
est-il tête de son épouse, comme le Christ l’est de l’Église ? Car la seconde
motivation (Christ, tête de l’Église) semble plutôt interdire l’analogie. Elle est
en effet suivie d’une précision exprimant un autre statut, celui de sauveur, basé
sur un agir (l’acte de sauver). Certes, Paul n’établit explicitement aucun lien de
causalité entre les deux (Christ est tête de l’Église, parce qu’il l’a sauvée), mais
si son statut est lié – il faudra préciser en quoi – à son agir, le mari doit-il son
statut de tête au fait qu’il a donné ou doit donner sa vie pour son épouse
(comme le Christ pour l’Église) ? La précision n’aurait-elle pas plutôt pour
fonction de limiter la comparaison ? En effet, si le mari est tête, comme le
Christ, seul ce dernier, comme semble l’indiquer le auvto,j30, est sauveur du
corps31. Mais en quoi le mari peut-il être tête, comme le Christ ? Car si c’est
l’agir qui justifie le statut, jamais il ne sera le sauveur de son épouse – il n’y a
qu’un sauveur, Jésus Christ. En d’autres termes, comment concilier l’unicité de
la seigneurie du Christ (l’unique tête) et la supériorité de l’époux, exprimée elle
aussi avec le vocable kefalh, ? Mais, nous l’avons vu, si Paul laisse entendre
qu’il y a un rapport entre le statut de tête qu’a le Christ et son agir de sauveur, il
ne l’explicite pas. Pourquoi donc ajoute-t-il une telle précision, qui semble

référence au Seigneur élevé désigne le Maître et l’inspirateur de la vie ecclésiale comme du


domaine éthique. Le titre de Christ évoque, quant à lui, l’action messianique et
rédemptrice ». Le lecteur pourra vérifier s’il en est ainsi en comparant toutes les occurrences
de ces deux titres en Ep.
28
Il s’agit évidemment d’une métaphore, car l’épouse pourrait répondre : « j’ai déjà une
tête, la mienne, et je n’ai pas besoin d’en avoir une deuxième ». Mais la ratio de la
métaphore est-elle la même pour le mari et pour le Christ ?
29
Voir ci-dessus, p.263-265 et 269-270.
30
Comme en 2,14, le pronom auvto,j a pour référent le Christ, et, sa position emphatique lui
donne une fonction désignative nette (lui, et lui seul). L’expression « sauveur du corps » est
un hapax legomenon.
31
Paul ne précise pas de quel corps il s’agit. Le contexte antérieur permet de comprendre
qu’il parle de l’Église. Jusqu’ici en effet Ep a utilisé le vocable sw/ma pour désigner l’Église.
Voir l’exégèse de 1,23 ; 2,16 ; 4,4.12.16.
EP 4,17–5,21 277

miner l’analogie ? Pour créer un effet de suspense ? En outre, la soumission de


l’Église est basée sur l’agir du Christ en sa faveur (et pas d’abord sur son être-
tête : la sotériologie reste la motivation ultime ; l'agir salvifique fonde le primat
du Christ sur l’Église). La conclusion qui peut être alors implicitement tirée est
que le mari doit mériter le statut de tête-chef32 - son amour fidèle, sa libéralité,
etc., pour son épouse fonde ou devrait fonder son être-kefalh,33. En d’autres
termes, la soumission de l’épouse ne saurait être d’abord basée sur des normes
sociales, mais sur un agir (venu de l’amour) et sur sa dynamique. C’est
justement ce que l’unité suivante (v.25-33) va montrer et développer.

v.24 - « Eh bien (avlla,)34, comme (w`j) l'Église est soumise (u`pota,ssetai) au


Christ, ainsi femmes [soyez soumises] à [vos] maris en tout (evn panti,) »
Après avoir présenté un modèle pour les maris35, Paul fournit maintenant
un modèle pour les épouses, celui d’une l’Église entièrement soumise à sa tête,
le Christ. Le w`j du v.24 établit une analogie, mais cette fois, pas entre des
statuts, bien plutôt entre des attitudes. Et l’analogie se veut forte : de même que
l’Église se soumet au Christ, les épouses [doivent se soumettre] en tout à leurs
époux. Le evn panti, (en toute chose) doit sa présence à la comparaison ; c’est en
effet parce que l’Église se soumet en tout au Christ que les épouses doivent
faire de même avec leurs propres époux. Mais une fois encore, l’analogie
semble outrée et mal fondée, car les raisons de la soumission de l’Église, qui ne
sont d’ailleurs pas explicitement énoncées – avoir été sauvée par celui qui est sa

32
Sur les raisons pour lesquelles, à l’époque de Paul mais déjà depuis la plus haute
antiquité, l'homme était considéré comme supérieur à la femme, voir A. Tosato, Il
matrimonio israelitico, AnBib 100, Roma 1982, 162-170. L'hypothèse de l’auteur est la
suivante : la supériorité du mâle – dans le mariage, la famille et la société – serait due non à
une prévarication, mais à des connaissances anatomiques erronées – le mâle étant pour les
anciens l’unique producteur du patrimoine génétique, et donc le seul porteur de la
descendance, le ventre de la femme n’étant ainsi que le réceptacle passif de ce patrimoine
génétique. Que le terme kefalh, connote ici l’autorité, le contexte le montre à l’évidence. Eu
égard au débat sur le sens de kefalh,, source ou autorité, se reporter ci-dessus à l’exégèse
d’Ep 1,22.
33
L’exhortation à aimer le partenaire conjugal est adressée aux seuls maris : l’épouse ne
doit-elle donc pas aimer son mari ? Si la réponse est positive, comme le donnent à entendre
4,2.15.16 et 5,2 (car l’amour doit caractériser la conduite chrétienne), pourquoi cela n’est-il
pas rappelé ici ?
34
Le avlla,, qui n’est pas adversatif, renforce l’impératif, comme en Mt 9,18b ; Mc 16,7 ;
Ac 9,6 ; 10,20 ; 26,16 ; 2Co 11,1.
35
Ne pas oublier le w`j du v.23 : la comparaison est-elle seulement illustrative ou
normative ? La conclusion tirée au v.24, qui oblige les épouses, ne se comprendrait plus si le
w`j du v.23 ne faisait qu’illustrer un rapport.
278 ÉPHÉSIENS

tête36 –, ne sauraient être les mêmes que celles des épouses. Ces dernières étant
membres du corps ecclésial sont soumises au Christ, qui est leur sauveur. Si le
salut est ce qui détermine la soumission et la vénération de l’Église – de ses
membres –, les épouses ne peuvent, à l’exemple de l’Église, reconnaître comme
unique seigneur que le Christ. Paul a affirmé que le mari est tête, comme le
Christ l’est de son Église, mais il n’a pas montré le lien de nécessité obligeant
les épouses à se soumettre à leurs maris respectifs, comme elles se soumettent
au Christ. Répétons une fois encore que les raisons invoquées ne sont pas
seulement faibles, elles semblent se retourner, car si c’est l’agir salvifique qui
justifie le titre de tête, alors Christ est le seul à pouvoir l’être !
Si Paul s’était arrêté là, les motivations apportées pour inviter les épouses
à reconnaître et respecter le statut supérieur de leurs maris seraient donc un peu
courtes. Non que l’exemple proposé manque de grandeur, bien au contraire,
mais la ratio du rapport n’étant pas fournie, sa pertinence reste douteuse. Il est
alors tentant de déclarer que l’auteur de la lettre cherche de beaux modèles pour
maintenir les épouses dans la sujétion37. Les v.25-33 n’en prennent donc que
plus d’importance.

v.25-33 – l’exhortation aux maris

Les v.25-33 apportent des réponses aux questions posées à propos des
v.22-24. Mais, eux aussi en soulèvent une autre, plus difficile encore : en effet,
le lecteur ne doit pas perdre de vue, tout au long de l’argumentation de l’apôtre,
que la ratio de l’analogie entre les partenaires respectifs (mari/femme et
Christ/Église) ne vaut que si le mari mérite le titre de tête, et d’autre part, si
l’épouse est, comme l’Église, en position de sw/ma. Il faut donc bien suivre les
développements pour voir comment l’apôtre peut montrer qu’en soignant et
aimant sa femme, le mari soigne et aime son propre corps.

v.25a - « Maris, aimez vos38 femmes »

36
L’énoncé trouve son bien-fondé en Ep 2,11-22 et en 5,2.
37
Voir par ex. les réflexions de E. Schüssler Fiorenza, In Memory of Her. A Feminist
Theological Reconstruction of Christian Origins, Crossroad : New York, 21993, sur la
manière dont les successeurs de Paul ont idéologiquement christologisé la structure
patriarcale de la famille.
38
Ep 5,25a et Col 3,19a ont exactement la même formulation. L’adjectif possessif ne se
trouve ni en Col 3,19 ni en Ep 5,25, et de soi le texte prête à ambiguïté, car l’on peut
comprendre : « hommes, aimez les femmes ». Mais l’ambiguïté est ici levée (1) grâce à
l’exhortation aux épouses des v.22 et 24, celle-ci ne pouvant être que parallèle, (2) et grâce
aux exhortations des v.28 et 33, où il est dit que les maris doivent aimer leurs propres
femmes.
EP 4,17–5,21 279

Cette exhortation est répétée trois fois (v.25, 28 et 33), et ses motivations
sont assez longues, preuve de l’importance donnée à l’attitude d’amour exigée
des maris39. Certes, le style d’Ep est souvent répétitif, mais il est tout de même
étonnant que seul le verbe aimer soit utilisé – on ne dit pas que le mari doit
respecter sa femme, lui être fidèle, ne pas la maltraiter –, comme si tout le reste
trouvait son sens en et par l’amour (avga,ph). Mais que faut-il entendre ici par
avga,ph ? Le terme n’est certes pas précisé, mais il a un point de référence, le
Christ : maris, aimez, comme lui-même a aimé. Et comment ce dernier a-t-il
donc aimé ? Les gestes de l’amour du Christ sont mentionnés aux v.26-27. Au
v.24, on ne sait donc pas à quel amour les maris sont appelés. On ne le saura
qu’en voyant comment le Christ a aimé son Église (v.25b-27 et 29-30).

v.25b-27 première série de motivations


En ces versets, Paul fonde l’exhortation du v.25a. L’ensemble se déploie
ainsi :
- l’agir du Christ : il a aimé l’Église et s’est livré pour elle (v.25b) ;
- triple finalité de ce don de soi (v.26-27)40
(a) afin de la sanctifier, … en la purifiant
(b) afin de se la présenter glorieuse n’ayant ni tache ni ride
(c) mais afin qu’elle soit sainte et irréprochable
L’ordre des motivations est inverse de celles qui avaient été fournies pour
les exhortations aux épouses, aux v.22-24. Là en effet, on commençait par le
statut social (plan humain) avant d’invoquer le rapport Christ/Église ;
maintenant, la première motivation est christologique (v.25-27), et l’autre,
anthropologique, est seconde (v.28b-31). Ce changement s’explique certai-
nement par le fait que Paul ne peut s’appuyer sur aucun statut, et qu’aucun
modèle ne peut valoir, sinon celui déjà évoqué en Ep 5,241. Les commentateurs
notent très justement que l’agir du Christ pour son Église sert de point de
référence pour celui du mari, et qu’en ces versets la réalité matrimoniale se
développe à deux plans différents, celui du Christ et de l’Église, et celui des

39
Le verbe avgapa/n revient 2x au v.25, 3x au v.28, et 1x au v.33.
40
Une fois de plus, le style d’Ep fait difficulté : les trois finales sont-elles parallèles et se
rattachent-elles toutes aux verbes du v.25b, ou sont-elles en série ? La troisième (v.27b) est
manifestement reliée à la participiale du v.27a avec laquelle elle forme un contraste (répétant
positivement ce que le v.27a exprime négativement). De même, la seconde semble dépendre
de la participiale du v.26b (« en la purifiant…, afin de se la présenter »). Cela dit, en parallèle
ou en série, ces finales expriment de manière redondante, comme ailleurs en Ep, la même
idée, soulignée par l’inclusion qui fait des v.26-27 une sous-unité sémantique (sanctifier et
sainte ; a`gia,sh| et a`gi,a).
41
Se reporter à l’exégèse de ce verset.
280 ÉPHÉSIENS

époux chrétiens42. Mais à aucun moment Paul ne dit : « Christ a aimé l’Église,
son épouse, et s’est livré pour elle, etc. ». Il est étonnant que la seule métaphore
explicite soit celle du corps. Faut-il donc exclure l’autre, qui ferait du Christ
l’époux, et de l’Église l’épouse ? Certes, le lecteur ne peut se défaire de
l’impression que cette relation a permis les images qui courent le long du texte :
les gestes du Christ sont bien ceux d’un époux aimant ; et pourtant, la réalité
matrimoniale qui sous-tend les images ne reçoit pas les mots qui la
désigneraient sans ambiguïté pour ce qu’elle est. L’exégèse devra élucider cette
énigme.
Comme précédemment (v.23b), les motivations christologiques com-
mencent avec une comparative dont la conjonction (kaqw.j kai,)43 et les verbes
sont les mêmes qu’en Ep 5,2. Le lecteur peut se reporter à l’exégèse de ce
verset.

- v.26. Plus que le précédent, ce verset peut donner l’impression que l’Église
existait déjà à la mort du Christ ; en effet, s’il l’a purifiée, cela ne signifie-t-il
pas qu’elle était tachée, vivante donc ? Elle est présentée comme une figure
féminine et humaine44, au point que certains ont vu en cette personnification une
véritable mythologisation et l’ont interprétée, il y a quelques décennies, en
référence au gnosticisme45. Mais, paradoxalement, si c’est à la croix que le
Christ s’est livré pour l’Église, les images du v.26 renvoient au baptême. Faut-il
voir là une inconsistance ? Certes non, car le baptême doit son efficacité au lien
qu’il a avec la mort en croix du Christ46. À vrai dire, si toute la tradition
ancienne a pensé que le verset faisait allusion au rite baptismal, les interprètes
récents sont plus divisés47. Sans aucun doute, comme un bouquet, le verset est
coloré des nombreuses allusions qui le composent : les rites de préparation de
l’épouse avant les festivités du mariage, chez les juifs et les non juifs48, la

42
Voir par ex. R. Penna, Efesini, 233.
43
Selon les commentateurs, une nuance causale n’est pas exclue (c’est parce que le Christ
a aimé l’Église qu’il est proposé comme modèle).
44
On retrouve le même phénomène en Ap 19,7-8 et 21,2.9.
45
Ainsi, H. Schlier, Epheser, 325-342. Comme cette lecture est obsolète et malmène le
texte, elle ne sera pas présentée ici. Pour une critique, voir R. Penna, Efesini, 235-236.
46
À cet égard, le passage reflète la tradition paulinienne (Rm 6,1-14).
47
M. Barth, Ephesians, 693 et 697-698, pense que le bain dont il s’agit est le bain d’Esprit
(le baptême d’Esprit ; cf. Tt 3,5), et doute que le texte désigne le rituel du baptême.
Également P.T. O’Brien, Ephesians, 422 (purification spirituelle accomplie par le Christ), et
J.D.G. Dunn, Baptism in the Holy Spirit, SCM: London 1970, 163.
48
Admis par M. Barth, Ephesians, 694.
EP 4,17–5,21 281

purification du peuple par YHWH49, le sang du Christ (Ep 2,13), le rite


baptismal50.
Le rite de purification par l’eau est accompagné d’une parole (evn r`h,mati).
Par ce dernier syntagme, le texte peut désigner la profession de foi du futur
baptisé, ou, plus vraisemblablement, la formule baptismale elle-même, parole
qui exprime et effectue la purification et la sanctification51. Quel que soit le
choix du lecteur, il est plus important de saisir que le verset insiste sur
l’initiative du Christ, car telle est bien l’attitude d’amour, qui fait tout pour la
sainteté et la dignité de la personne aimée. Les historiens notent que l’initiative
du Christ est unique, comme celle de YHWH en Ez, car ce n’était pas au mari de
procéder aux rites purificatoires de l’épouse.

- v.27. Comme l’a dit un récent commentateur, « la deuxième proposition finale


accentue l’allégorie matrimoniale »52. L’arrière-fond est bien celui des noces, où
la mariée était présentée à son époux53. Sans rejeter a priori que l’Église puisse
être appelée épouse, certains pensent qu’elle ne le sera qu’à la fin des temps54,
et, selon eux, le v.27 ne décrit pas le présent de l’Église, mais seulement
l’eschaton55. Que l’Église soit dès maintenant rayonnante, parce que rachetée
par le Christ, les passages précédents le rappellent suffisamment pour qu’il
faille l’oublier : les croyants sont déjà assis dans les cieux avec le Christ (2,6), à
la croix le Christ a créé une humanité nouvelle et a réuni en un seul corps ce qui
était autrefois divisé (2,15-16). Les images des v.26-27 s’appliquent ainsi au
présent de l’Église, qui est déjà sainte et sans défaut (5,27c), comme les

49
Cf. Ex 19,10-11 ; Ez 16,8-14 ; Ez 36,25-27. Lavage et sanctification sont également liés
à Qumran (cf. 1QS 3.4, 8–10; 1QH 11.10–12), comme le note A.T. Lincoln, Ephesians, 375.
Voir J.P. Sampley, And the Two Shall Become One Flesh, 131.
50
Cf. Ac 22,16 ; Hb 10,22 ; Tt 2,14 ; 3,5 (car le rite d’eau et la venue de l’Esprit sont
inséparables ; voir la note 47). L’expression « bain d’eau » est précédée de l’article, et l’on
doit traduire par « le bain d’eau », pour indiquer qu’il ne s’agit pas d’une des nombreuses
purifications, mais de la purification par excellence, le baptême. S’il n’est pas désigné tel
quel, c’est pour que les autres allusions (aux rites de mariage, etc.) puissent jouer, car c’est
dans l’intersection des diverses allusions que ce verset fait sens.
51
Ainsi, J. Gnilka, Epheserbrief, 282. A.T. Lincoln, Ephesians, 376, évoque une autre
possibilité : si evn r`h,mati est rattaché au participe kaqari,saj, il s’agit alors de la purification
effectuée par la parole évangélique.
52
R. Penna, Efesini, 238.
53
Voir par ex. Y 44,14-16 ; et dans le NT, 2Co 6,11.
54
Ainsi, J.A. Muirhead «The Bride of Christ», 184, qui déclare: « C’est seulement à la fin
des temps que l’Église deviendra l’Épouse ».
55
Opinion de M. Barth, Ephesians, 628 : au v.27, « c’est le futur eschatologique de
l’Église qui est décrit ».
282 ÉPHÉSIENS

croyants le sont eux-mêmes (1,4)56. L’image est donc bien celle du jour des
noces, et elle souligne encore l’initiative du Christ, qui n’attend pas qu’on lui
présente son épouse, mais veut se la présenter à lui-même, rayonnante de gloire,
sans défaut57: telle est une des conséquences de l’acte créateur décrit en Ep
2,14-18, par lequel une humanité nouvelle a vu le jour et qui est montée
glorieuse avec le Christ aux cieux. Il y a donc allégorie matrimoniale, et si
l’Église est bien en position d’épouse, elle n’est jamais nommée ainsi : telle est
la difficulté qui court au long de ces versets58.

v.28-29b Reprise de l’exhortation et motivations humaines

- v.28a. Le verset se présente comme une application des raisons qui ont à peine
été exposées59. Le ou[twj initial n’est pas à mettre en relation avec le w`j qui suit
(v.28b), mais avec le kaqw,j du v.25b : de même que le Christ a tout fait pour
son Église, de même les maris doivent aimer leurs épouses60. Quant au w`j du
v.28b, il peut être diversement interprété : comme une conjonction comparative
(« de la façon dont ils aiment leur propre corps »), causale, à la manière du yK
hébreu (« parce qu’elles sont leur propre corps »), ou d’identification (« comme
si elles étaient leur propre corps »), ainsi que semble l’indiquer le contexte, où
le mari soigne son propre corps61. Aucune de ces trois solutions ne doit être
exclue, mais la deuxième et la troisième ne peuvent valoir qu’après la lecture
des versets suivants – rétroactivement –, car, au v.28a, le lecteur n’a encore
aucun indice pour penser que le passage veut identifier les épouses au corps de
leur époux. Cela dit, le w`j ta. e`autw/n sw,mata du v.28b soulève de grosses
difficultés : il semble faire trébucher la logique, car des motivations qui
précèdent (v.25b-27), on ne peut conclure que les maris doivent aimer leurs
femmes comme leurs propres corps. Ce sont les suivantes, celles des v.28c-30,
qui auront pour fonction de le montrer. Le v.28b crée ainsi un effet de suspense,
et appelle de nouvelles motivations.

56
Pour une plus ample information, se reporter à l’exégèse de 1,4 et 2,14-18.
57
en Ct 4,7, l’époux dit à l’épouse : « Il n’y a pas de défaut (mw/moj) en toi » ; la même
racine est utilisée pour l’Église en Ep 5,27 (sainte et a;mwmoj).
58
Sur l’arrière-fond matrimonial du passage, voir G. Baldanza, « L'originalità della
metafora sponsale in Ef 5, 25-32 ».
59
Voir G. Bouwman, « Eph 5,28 ». Noter que l’exhortation du v.28a reprend celle du
v.25, avec une force d’obligation supérieure (« les maris doivent [ovfei,lousin] aimer »).
60
Le kai,, qui n’est pas retenu par tous les témoins mais se trouve chez les meilleurs, a une
valeur adverbiale (« de même les maris doivent aussi »).
61
Suggestion de G. Dawes, The Body in Question, 153.
EP 4,17–5,21 283

Mais lorsqu’on lit la première, au v.28c (« qui aime sa femme s’aime soi-
même »), on ne peut qu’être surpris, car elle n’a apparemment rien de chrétien,
et semble en outre très intéressée, égoïste même. Faut-il comme certains, sauver
le passage en y voyant une reprise de Lv 19,18 (« tu aimeras ton prochain
comme toi-même » ; et, pour le cas étudié : « aime ton épouse comme toi-
même », l’épouse étant le prochain le plus proche)62? En réalité, le v.28c ne
reprend pas le commandement, il déclare plutôt qu’aimer son épouse équivaut à
s’aimer soi-même. L’épouse n’est pas un prochain qu’il faudrait aimer comme
soi-même, elle fait partie de soi-même ! Et c’est bien cela que Paul va devoir
montrer (v.29sq), car rien n’est moins évident. En effet, si pour l’Église, l’usage
du vocable sw/ma est métaphorique, pour le mari en revanche, il ne l’est plus :
c’est son propre corps qu’il lave et entretient, pas celui d’une autre personne.
Comment dès lors Paul peut-il identifier l’épouse avec le corps du mari ? Le
glissement de l’un à l’autre n’est-il pas abusif ?
Avant de voir comment Paul va surmonter ces difficultés, notons que son
exhortation ne sera pas basée sur des raisons seulement anthropologiques63, car
à elles seules elles ne pourraient s’imposer. C’est l’attitude du Christ qui va
servir de modèle, et c’est seulement après avoir eu recours à l’amour du Christ
pour son corps, l’Église, qu’il demande aux maris d’aimer leurs femmes comme
eux-mêmes (v.33a). Mais comment Paul a-t-il pu tirer du modèle christologique
les raisons convaincantes ?

- v.29. Le verset commence ainsi : « Personne n’a jamais haï sa propre chair ».
Sans nous interroger sur la vérité du propos, notons le glissement de ‘corps’ à
‘chair’, qui mène discrètement vers la citation de Gn 2,24 au v.3164. La question
rebondit alors : en quoi le passage de l’un à l’autre vocable fait-il progresser
l’argumentation ? D’autant que si l’épouse peut être nommée la chair de son
époux – Gn 2,23 ne fait-il pas dire à Adam : « Voici la chair de ma chair et les
os de mes os » ? –, la comparaison entre l’époux humain (qui prend soin de sa
chair) et le Christ (qui soigne son Église), réamorcée au v.29c, semble inviter le
lecteur à conclure que l’Église est la chair du Christ, ce qui serait aberrant, car
quels traits peuvent avoir en commun la chair et l’Église, s’il est vrai que cette
dernière est une humanité nouvelle, non charnelle ? Admettons tout de même
que le glissement de ‘corps’ (v.28) à ‘chair’ ne manque pas de cohérence. En

62
J.P. Sampley, And the Two Shall Become One Flesh, 147.
63
Et qu’on pourrait résumer en un bref enthymème : puisque chacun aime son propre
corps, le mari doit aimer sa femme, qui est son corps.
64
A.T. Lincoln, Ephesians, 379-381, insiste à juste titre sur le fait que Gn 2,24 sous-tend
l’argumentation des v.28-30. On va montrer qu’il en est de même pour Gn 2,23 (cette fois
contre Lincoln).
284 ÉPHÉSIENS

effet, c’est Gn 2,23 qui autorise Paul à laisser entendre que l’épouse est chair
issue de la chair de son époux : la parole de Dieu lui permet d’aller jusqu’au
bout de son argumentation ; car si l’épouse est chair de la chair de l’époux, et si
d’autre part les deux partenaires ne forment qu’une seule chair (Gn 2,24 cité en
Ep 5,31), pourquoi ne Paul ne serait-il pas autorisé à voir en l’époux la tête, et
en l’épouse le corps de cette unité nommée couple humain ? On objectera
certainement (a) que Gn 2,23 ne peut s’appliquer qu’au premier couple, et (b)
que la motivation invoquée pour le couple humain ne vaut pas pour le Christ et
l’Église, car, si cette dernière est corps du Christ, elle n’est pourtant pas sa
chair, pour les raisons signalées plus haut. C’est sans aucun doute pour ces deux
raisons qu’à aucun moment Paul ne cite Gn 2,23, surtout afin qu’on évite de
l’appliquer à l’Église, réalité spirituelle et eschatologique. Il n’y a d’ailleurs pas
de contradiction entre les motivations anthropologiques du v.29, qui renvoient
implicitement au dessein créateur de Dieu, et celles, christologiques, du v.30,
qui s’appuient sur l’expérience du salut faite par chaque croyant : en effet, par
et en Christ, il est désormais possible de voir où menait le dessein de Dieu sur
l’humanité. Eu égard à la première objection, s’il est vrai que de soi
l’expression « chair de ma chair » n’a pu être dite que par le premier homme, la
finalité exprimée par Gn 2,24 demeure la même : c’est parce que les époux,
selon le dessein même de Dieu, doivent former une seule chair, que chaque mari
doit pouvoir dire de sa femme qu’elle est la chair de sa chair, à la mesure
même de l’amour qu’il lui porte. Le modèle adamique reste bien en arrière-fond
d’Ep 5,28-33.

v.29b-30 Motivations christologiques

À la fin du v.30, après « nous sommes membres de son corps », certains témoins
ajoutent : « de sa chair et de ses os », expressions directement inspirées de Gn 2,23. Ainsi, ac
D G P Y 88 104 181 326 330 436 451 614 630 it vg syrp,h arm Irenéegr, Ambrosiaster
Chrysostome. Même si on ne la retient pas, cette lecture ne manque pas d’intérêt, car elle
confirme que Gn 2,23 constitue l’arrière fond des motivations fournies au v.2965.
Dans le NT, les verbes ‘nourrir’ (evktre,fein) et ‘entourer d'attention’
(qa,lpein) désignent les soins prodigués aux enfants66, mais hors du NT, leur
extension est parfois plus grande67. Les verbes ont été choisis pour souligner le

65
S. Bedale, «Theology of the Church» 72, a suivi cette variante pour en conclure que,
selon le passage, l’Église est la deuxième Ève.
66
Cf. Ep 6,4 et 1Th 2,7.
67
Ainsi dans la LXX, Gn 45,7.11 ; 47,11 ; 3R 1,2.4. La formule d’Ep 5,29 est reprise par
un certain nombre de Pères, mais on retrouve les deux verbes ensemble en des écrits non
EP 4,17–5,21 285

soin extrême que l’époux doit donner à son épouse. Et puisque les versets
précédents utilisaient des motifs baptismaux, il est tentant de penser que le
v.29b fait allusion au sacrement de l’eucharistie68. Si une telle conclusion est
possible, elle est improuvable.
Le v.29b n’est pas un simple calque du v.29a. Car le mari chrétien est
membre du corps du Christ ; tout comme sa femme, il a été lavé et purifié par le
Christ, et c’est parce qu’il a expérimenté l’amour (avga,ph) du Christ pour lui
qu’il peut faire de même. C’est donc de l’amour même du Christ que le mari
doit aimer son épouse. Le modèle humain du v.29a doit donc être lu à deux
niveaux différents.
Quant au v.30, il vise à rendre explicite, au niveau individuel, ce qui est dit
du corps ecclésial, et réciproquement, à montrer que l’expérience de chaque
croyant autorise les énoncés concernant l’Église : si le Christ nous a tous
régénérés moyennant le baptême – en rapport à la croix -, et si nous-mêmes
sommes tous membres de son corps69, cela signifie qu’il a lavé, rendu pur et
irrépréhensible le corps entier.

v.31 citation de Gn 2,2470


Quel est exactement le rapport entre les v29-30 et le v.31, qui est une
citation implicite de Gn 2,24 ? Telle qu’elle se présente, l’argumentation fait un
saut, car le v.31 ne reprend pas directement l’affirmation du v.29ab, ce verset ne
parlant pas du rapport entre époux et épouse, du moins expressément. La
logique du passage ne devient manifeste que si l’on en explicite les sous-
entendus :
- Gn 2,23 doit constituer l’arrière-fond du v.29, car, sans lui, il est impossible
d’établir que l’épouse est chair (de la chair) de l’époux, et qu’en la soignant,
en l’aimant, ce dernier soigne et aime son propre corps ;
- si la chair de l’épouse est celle-même de l’époux, s’ils ne forment qu’une seule
chair (Gn 2,24)71, alors en cette unité, l’épouse forme le corps, et l’époux la tête,
cette dernière relation n’étant pas à comprendre trivialement, mais sur le modèle de
celle existant entre le Christ et l’Église, son corps.

ecclésiastiques, par ex. en vita Aesopi (version accursiana), 250,13 ; Aspasios (IIème ap. J.C.),
comment.éthique à Nicomaque, 153,13.
68
Voir H. Schlier, Epheser, 261.
69
L’emploi du vocable ‘membres’ (me,lh) correspond ecclésiologiquement à celui des
homologoumena (Rm 12,4 ; 1Co 6,15 ; 12,12-27). Voir l’exégèse d’Ep 4,25.
70
Outre la bibliographie citée au début de la sous-section, consulter Th Moritz, A
Profound Mystery, ch.7 p.117-152: «The Quotation from Genesis 2,24 in Ephesians 5,31».
71
L’expression mi,a sa,rx signifie que les deux partenaires sont devenus une réalité unique,
comme les deux groupes devenus « une seule chose » en 2,14. Voir M. Barth, Ephesians,
734.
286 ÉPHÉSIENS

La citation de Gn 2,24 est implicite – la formule introductive manque en


effet. Cela veut-il dire que Paul cite de mémoire un texte connu de tous ? Ou
plutôt qu’il le reprend à son compte pour souligner plusieurs points : (a) le
centre de gravité du mari, c’est son épouse, puisqu’il a laissé ses affections les
plus chères pour s’attacher à elle ; le verset justifie donc le comportement
d’amour, de tendresse que le mari est appelé à avoir envers son épouse, les
soins qu’il doit lui donner, etc. ; la supériorité du statut n’est donc en rien ce qui
motive l’agir du mari ; (b) la finalité est l’unité du couple (mi,a sa,rx) ; l’amour
du mari est donc pensé comme condition de l’union et de l’unité des
partenaires, et comme condition de la soumission et de la vénération de
l’épouse pour lui (v.33b) ; (c) le mi,a sa,rx trouve aussi son sens de ce qui pré-
cède : c’est une unité qui, loin de se faire au détriment de l’épouse, met au
contraire sa dignité en valeur, une dignité qu’elle reçoit de son époux ; (d) en
reprenant le texte des Écritures, Paul rattache l’agir du mari au projet créateur
de Dieu. Ce qui est beau ici, c’est que l’époux est attiré par son épouse, et que
cet attachement prévaut sur tout autre ; la supériorité du statut social du mari,
qui fut le premier argument au début de l’unité (v.23), est définitivement sortie
de l’horizon.
La citation s’applique-t-elle au couple humain, à la relation Christ-Église,
ou aux deux à la fois ? Si elle concerne le Christ et l’Église, seule la deuxième
partie la citation peut à la rigueur convenir (« ils ne feront qu’une seule chair »),
mais pas la première (« l’homme quittera son père et sa mère »), sinon de quel
événement s’agit-il : de l’incarnation, de la croix ? Et, en quoi la deuxième
partie de la citation annonce-t-elle l’union du Christ et de l’Église, qui n’est en
rien charnelle ? Le futur (« ils ne seront qu’une seule chair »), est-il
eschatologique72, ou est-il considéré par Paul comme une prophétie de l’union
actuelle du Christ et de l’Église ? En réalité, la citation a une double fonction.
Dans l’argumentation, selon ce qui a été dit plus haut, elle sert manifestement à
fonder le rôle de l’épouse comme corps du mari, car l’insistance est mise sur le
eivj sa,rka mi,an (‘une seule chair’). Mais elle a aussi pour fonction de mettre en
relief l’union unique du Christ et de l’Église – c’est ce qu’il faut maintenant
montrer.

v.32 – ce mystère est grand


Ce verset, difficile à tous égards, l’est d’abord linguistiquement. L'ex-
pression le,gein eivj ne signifie pas ici « dire quelque chose à quelqu’un »73, mais

72
Voir, entre autres, l’interprétation de J. Jeremias, nu,mfh, TWNT IV, 1098.
73
Comme en Lc 22,65: kai. e[tera polla. blasfhmou/ntej e;legon eivj auvto,n – ou en Ac
19,4.
EP 4,17–5,21 287

« parler de quelqu’un », « dire à propos de quelqu’un » ou « faire référence


à… », comme en Ac 2,25 : « David dit en effet à propos de lui (Jésus) : ‘je
voyais constamment le Seigneur devant moi’… »74 Ep 5,32 peut donc être
traduit comme suit : « Ce mystère est grand, et moi je l’entends du (le,gw eivj)
Christ et de l’Église ». Le vocable ‘mystère’ désigne donc la relation entre le
Christ et l’Église, et non, semble-t-il, celle entre les époux chrétiens. Pour
mémoire, signalons l’interprétation de Di Marco: « Ce mystère est grand, je le
dis, en tant qu’il a pour finalité Christ et l’Église ». Le mystère désigne alors le
mariage humain et chrétien, en tant qu’il a pour finalité la croissance du corps
ecclésial75. L'auteur fait du eivj une préposition indiquant une finalité, mais pour
arriver à cela, il doit (a) faire du evgw. de. le,gw une incise ("je le dis")76, (b)
donner à la copule evstin une double fonction : régir l'attribut me,ga et le
syntagme eivj Cristo.n kai. eivj th.n evkklhsi,an. Mais, la syntaxe l’exclut, car les
éléments de ce qui devrait être un zeugma sont séparés les uns des autres.
Comme on le sait, les interprétations possibles du musth,rion peuvent être
rassemblées selon trois grands chefs77:
(a) le mystère désigne le mariage humain considéré dans sa finalité ecclé-
siale78. Cette interprétation suppose que le démonstratif tou/to ait une fonction
analeptique (la relation entre mari et femme décrite au v.31) et qu’à la diffé-
rence de tous les autres passages de Col/Ep, le mystère ne soit pas de nature
directement christique et ecclésiologique79.
(b) le mystère désigne la relation Christ - Église. Le tou/to a ainsi une fonction
proleptique (« ce mystère – celui que je vais mentionner –, est grand, et je dis
qu’il concerne le Christ et l’Église »). Le lien entre le v. 32 et les précédents
semble alors plus lâche ; cela n’interdit pas nécessairement la lecture
typologique de Gn 2,14, car il se peut que Paul veuille signaler au lecteur

74
Daui.d ga.r le,gei eivj auvto,n( Proorw,mhn to.n ku,rion evnw,pio,n mou dia. panto,j( o[ti evk
dexiw/n mou, evstin i[na mh. saleuqw/.
75
A.S. Di Marco, « "Mysterium hoc magnum est…" (Ep 5,32) », Laurentianum 13 (1973)
43-80; Id., «Ep 5,21 - 6,9. Teologia della famiglia», RivB 19 (1971) 203-219. «Questo
mistero è grande, io lo dico, in quanto ha per scopo Cristo e la Chiesa».
76
Mais que faire alors du de, ? Cette conjonction a probablement ici une nuance
adversative (« Ce mystère est grand, mais je l’entends … »), laquelle vise à éviter
l’ambiguïté sur la réalité désignée par le mystère.
77
Sur les diverses hypothèses, voir par ex. R. Penna, Efesini, 241-243 ; A.T. Lincoln,
Ephesians, 381-383. Je ne retiens ici que les plus sérieuses.
78
A.S. Di Marco appartient évidemment à cette catégorie.
79
Signalons pour mémoire que la Vulgate a rendu le substantif musth,rion par
sacramentum (« sacramentum hoc magnum est ego autem dico in Christo et in ecclesia »),
lecture qui a été à l’origine de la réflexion sur le mariage chrétien comme sacrement.
288 ÉPHÉSIENS

qu’une dimension non encore révélée du rapport mari/femme trouve en Christ


et l’Église sa dimension pleine et idéale.
(c) le mystère désigne les deux unions, celle de l’homme et de la femme, et
celle du Christ et de l’Église. Selon cette interprétation, « la réalité matri-
moniale, qui a déjà sa dignité originelle dans l’ordre de la création, acquiert une
nouvelle profondeur théologique par le fait qu’elle participe du plus grand
‘mystère’, dont parle la lettre (cf. 1,9; 3,3.4.9; 6,12), entendu comme dessein
salvifique concernant moins l’individu que la constitution de la nouvelle
communauté des croyants, de ce mystère, le mariage traduit en acte une
dimension particulière : celle de l’amour du Christ qui va au-delà de toute
connaissance (cf. 3,19) »80. Il y a donc deux mystères, correspondant aux deux
relations ; de la sorte, le couple chrétien reproduit non seulement la relation
voulue par Dieu pour tout couple (Gn 2,24), mais aussi celle du Christ et de
l’Église, qui est de nature salvifique. L’ordre de la nature trouve sa complétion
dans l’ordre de la grâce.
Pour pouvoir choisir entre ces trois interprétations, une brève reprise
ordonnée des réflexions exégétiques faites jusqu’à présent sera des plus utiles.
En effet, il n’y a pas d’homologie complète entre les deux relations, car les
partenaires chrétiens sont membres du corps du Christ (v.30) : tout en devant
aimer son épouse comme le Christ a aimé l’Église, le mari appartient au pôle
ecclésial, et il est, lui aussi, aimé par le Christ comme membre de l’unique
Église. En outre, la soumission entre chrétiens est mutuelle (cf. le v.21), et non à
sens unique comme dans le cas de l’Église. Enfin, la citation de Gn 2,24 n’est
que partiellement appropriée pour décrire la situation du Christ et de l’Église ;
mais il en est de même pour l'image tête/corps appliquée au couple humain81, et
la logique exige qu’on ne l’étende pas au delà de ce pour quoi elle est sollicitée.
Car toute l’argumentation d’Ep 5,21-33 vise à établir que l’épouse est corps de
son époux, et la force du passage est de montrer qu’en aimant sa femme comme
son corps, l’époux la fait vraiment devenir son corps – ils deviennent une seule
chair –, comme le Christ a fait de l’Église son corps. C’est donc l’amour de
l’époux – issu de l’amour même du Christ – qui fait advenir une relation, inouïe
et néanmoins voulue par Dieu depuis le commencement.
Ce qui vient d’être dit permet une conclusion nette : c’est la relation du
Christ et de l’Église qui a permis à Paul (i) d’établir implicitement que la
femme est le ‘corps’ de son mari, (ii) de relire Gn 2,24 en y voyant une
préparation de ce que les époux chrétiens doivent vivre. Autrement dit, en sa

80
R. Penna, Efesini, 243 (je souligne).
81
On l’a noté, de soi, mari et femme ne forment pas un seul corps, puisqu’ils ont chacun
leur corps.
EP 4,17–5,21 289

dynamique et son orientation, l’argumentation invite à interpréter le mystère


d’Ep 5,32 comme en Ep 3, en sa densité christologique et ecclésiologique,
comme relation Christ/Église (le b des options présentées ci-dessus). C’est le
mystère de la relation Christ/Église qui éclaire et structure la relation entre les
époux chrétiens. Il est indéniable, comme le dit P. Rémy, que la théologie (au
moins catholique) parle du mariage en prenant appui sur l’union indéfectible
entre le Christ et son Église82, même si certains traits ne sont pas transférables,
car (i) Christ et l’Église n’ont pas de relations sexuelles, (ii) si les deux
partenaires chrétiens se sanctifient réciproquement, on ne peut dire que l’Église
sanctifie son ‘époux’ (l'usage de kefalh, in Col et Ep montre que tout vient du
Christ : la communication des dons est à sens unique ; l’Église participe de la
richesse du Christ, mais non la réciproque ; (iii) l'inégalité entre Christ et
l’Église est plus forte que celle entre partenaires chrétiens : si ces derniers sont
l’un et l’autre humains, l’Église n’est pas divine, mais forme l’humanité
nouvelle (cf. Ep 2,15) sans cesse régénérée par le Christ glorieux.
Une question relative à l’exégèse de Gn 2,24 n’a pas encore trouvé de
réponse explicite : peut-on dire que Paul lit Gn 2,24 typologiquement83?
Kostenberger rappelait récemment qu’il y a grosso modo trois approches pour
interpréter 5,32 : une première, sacramentelle, insiste sur le mariage et sa
fonction sacramentelle, une seconde, typologique, voit dans le mariage humain
une préparation de l’union du Christ et de l’Église, et une troisième, analogique,
qui, tout en acceptant les correspondances, souligne l’union entre le Christ et
l’Église. Kostenberger lui-même jugeait cette dernière exégèse plus en accord
avec le contexte global d’Ep. Qu’en est-il donc de la lecture typologique ? La
typologie néotestamentaire établit des correspondances entre les événements
bibliques et ceux des temps messianiques, en voyant les événements du passé
comme des préparations de ce qui fut vécu par Jésus et ses disciples, mais aussi
par les premières communautés. Eu égard à Ep 5,31, Paul a pu lire le passage de
Gn 2,24 c’est-à-dire l’union entre les époux, telle que Dieu l’a voulue, soit,
selon les termes mêmes de Kostenberger, comme une préparation de l’union du
Christ et de l’Église, soit comme une préparation du mariage chrétien. Les
remarques qui ont été faites plus haut84 semblent empêcher de voir en Gn 2,24

82
« Le mariage », 397. Autres traits : fécondité, croissance dans la liberté, sanctification.
83
Sur cette difficile question, lire A.J. Kostenberger, « The Mystery of Christ and the
Church », et Ch. Reynier, Évangile et mystère, 247-250.
84
Rappelons-les brièvement : Paul n’appelle pas le Christ époux et l’Église épouse ; de
même les correspondances entre Gn 2,24 et la situation du Christ et de l’Église sont limitées :
Christ, qui n’a quitté ni père ni mère pour s’attacher à l’Église, et l’expression mi,a sa,rx, tout
en connotant l’unité du couple, désigne malgré tout une union destinée à cesser, comme
290 ÉPHÉSIENS

une préfiguration de la relation entre Christ et l’Église, d’autant plus que le


mystère, Ep 3 l’a montré, se dit plus avec de nouveaux concepts que par une
reprise textuelle les anciens85. D’autres ont également noté que l’union entre les
époux chrétiens – l’amour du mari, auquel répond la soumission de l’épouse –
peut difficilement préfigurer un mystère qui la précède : l’union entre Christ et
son corps est la condition de celle entre les époux chrétiens, puisque c’est de
l’avga,ph même du Christ que le mari doit aimer son épouse. Si la première
lecture semble déconseillée, la seconde est en revanche plus sûre, car, par
l’amour porté à son épouse, le mari accomplit ce qui était déjà vécu comme
volonté de Dieu par l’économie ancienne ; et il y a accomplissement, dans la
mesure où, venant du Christ, l’amour (avga,ph) du mari pour sa femme est
parfait. Bref, si lecture typologique il y a, elle a pour objet le couple humain
plutôt que la relation Christ/Église. Mais, objectera-t-on, si Ep 5,31 parle du
couple humain, pourquoi, aussitôt après, Paul s’exclame-t-il que le mystère (la
relation Christ/Église) est grand ? Parce que c’est le mystère (christologique et
ecclésial à la fois) qui éclaire la relation entre époux chrétiens et donne toute sa
portée au texte de Gn 2,24, où s’énonçait le dessein de Dieu. Le musth/rion et la
nouveauté qu’il apporte avec lui n’empêchent donc pas une lecture typologique
des Écritures86. Au demeurant, disons, avec Kostenberger que la lecture
analogique nous semble tout aussi fondée sinon plus que l’autre, typologique,
car le texte de Gn 2,24 vise moins à mettre le couple humain primordial dans un
rapport de préfiguration du couple chrétien, qu’à justifier l’usage de la parole
sw/ma pour l’épouse.
Nous pouvons ainsi affronter une autre question ou plutôt une omission : si
le Christ et l’Église sont décrits comme des époux, pourquoi ne sont-ils pas
nommés tels ? Toutes les observations qui ont été faites permettent de répondre
maintenant avec plus de sûreté, semble-t-il, qu’en nommant le Christ et l’Église
respectivement époux et épouse, Paul aurait risqué d’empêcher le lecteur de
saisir la dynamique et la finalité du passage. Certes, les images matrimoniales
sont utiles, mais elles restent au service d’une argumentation qui a pour unique
visée de justifier progressivement les titres de tête pour le mari, et de ‘corps’
pour l’épouse. S’il était nécessaire de nommer les époux respectivement tête et
chair/‘corps’, pour les amener à vivre originalement une relation hiérarchique

toutes les relations de ce monde, où la chair a sa part – « chair » renvoie, en Ep, à ce monde-
ci et à ses valeurs -, alors que l’union entre le Christ et l’Église, est spirituelle et définitive.
85
Voir, par ex., les réflexions de Ch. Reynier, Évangile et mystère, 248, qui va jusqu’à
exclure entièrement l’exégèse typologique: la notion d’accomplissement « insiste plus sur la
continuité que sur la nouveauté. Il est donc nécessaire de sortir de l’exégèse typologique ».
86
On pourrait dire, avec P.T. O’Brien, Ephesians, 432, que le mystère désigne l’union
Christ/Église comme typologie du mariage.
EP 4,17–5,21 291

dictée au départ par des impératifs sociaux, en revanche il n’était pas essentiel à
l’argumentation d’appeler époux et épouse le Christ et son Église. Il aurait été
de plus très difficile de ne pas lire la citation biblique en relation à ces deux
derniers partenaires.

v.33 Exhortations conclusives


L’unité se termine avec une double exhortation conclusive, la première
adressée aux maris, et la deuxième aux femmes, faisant ainsi inclusion avec le
v.22. Si jusque là les maris devaient aimer leur femme comme leur propre corps
(v.28), ils sont maintenant invités à l’aimer comme eux-mêmes, selon le réquisit
de toute la tradition biblique, reprise et amplifiée par Jésus et, après lui, par
toute la tradition apostolique87. On ne s’étonnera pas de voir les exhortations
aux maris se conclure ainsi : après avoir montré jusqu’où devait aller leur
amour pour leur épouse, Paul peut maintenant faire de cette exigence un cas
particulier du commandement de l’amour du prochain, l’épouse étant le
prochain le plus proche. En revanche, il est plus étonnant de n’entendre pas
Paul demander aux épouses la réciproque, en ajoutant par exemple : « et vous
femmes, aimez votre mari (comme vous mêmes) ». Au demeurant, jamais au
cours de ces exhortations aux conjoints, il n’exige des femmes qu’elles aiment
leur mari, seulement qu’elles lui soient soumises, et à la fin, qu’elles le crai-
gnent. À ces interrogations, il faut d’abord répondre que les épouses ne sont pas
dispensées d’aimer leur mari, puisque, dans les exhortations générales, Paul a
plusieurs fois demandé aux croyants de s’aimer, de se supporter, etc.88 S’il ne
répète donc pas le commandement, c’est parce que le problème des épouses est
autre : celui d’une reconnaissance du rang supérieur du mari. Qu’en revanche il
insiste longuement sur l’attitude d’amour du conjoint de rang supérieur, est plus
significatif, on l’a vu. Encore plus surprenante est l’ultime demande faite aux
femmes : craindre (fobe,omai) leur mari. Cette crainte est-elle de la peur, attitude
contraire à celle des enfants de Dieu (Rm 8,15) ? Il s’agit très certainement
d’abaissement et d’extrême respect89, un respect qui, dans la Bible, a Dieu pour
objet, à la vue des grands bienfaits qu’il a opérés en faveur des siens. C’est donc
l’attitude du mari, généreuse, oublieuse de toute supériorité, qui doit
précisément provoquer une réponse analogue de la part de l’épouse aimée.
L’humilité de l’un ne peut pas ne pas susciter celle de l’autre !

87
Voir Lv 19,18 ; Mt 19,19 ; 22,39 ; Mc 12,31 ; Rm 13,9 ; Ga 5,14 ; Jc 2,8.
88
Se reporter à l’exégèse d’Ep 4,2 et 5,2.
89
Voir l’exégèse d’Ep 5,21.
292 ÉPHÉSIENS

Reprise théologique
Ces exhortations aux époux montrent s’il en était besoin que l’auteur d’Ep
a trouvé dans les métaphores de la tête et du corps une clef de lecture non
seulement ecclésiologique, mais aussi éthique : elles lui ont permis de dépasser
une difficulté due aux règles sociales d’alors, relatives au statut inférieur des
épouses. L’usage qu’Ep 5 fait des métaphores est intéressant, parce que c’est en
prenant appui sur le langage métaphorique social lui-même, selon lequel le mari
est tête (kefalh,) de son épouse, que le dépassement va s’opérer, grâce à la
relation du Christ à l’Église. Le génie de l’auteur d’Ep est d’avoir réussi à
montrer que l’épouse est vraiment ‘corps’ (chair) de son époux, et qu’elle est
ainsi dans la même position que l’Église par rapport au Christ.
Exégètes et théologiens discutent encore de l’application des catégories
matrimoniales au Christ et à l’Église. Si l’on pense que Gn 2,24 décrit inchoa-
tivement leur relation, on peut certainement conclure que Christ est le nouvel
Adam sauvant et ‘épousant’ la nouvelle Ève à la croix, etc. Mais nous avons vu
que Gn 2,24 ne coïncide pas totalement avec la situation du Christ et de
l’Église. Car, il y a, en ce passage, un croisement des images qui n’a rien de
spéculaire. Si le vocabulaire des épousailles et du mariage est appliqué au
Christ et à l’Église90, ce sont d’autres images, celle de la tête et du corps,
d’abord utilisées pour la relation Christ/Église, qui servent en retour à décrire la
relation nouvelle à laquelle le couple humain est appelé, ce qu’on peut
schématiser ainsi :
couple humain = époux et épouse ⇒ Christ et Église
Christ et Église = tête et corps ⇒ couple humain.
La question de la possible application des métaphores tête/corps à d’autres
champs de la vie ecclésiale (le rôle et le ministère des femmes dans l’Église) ne
saurait être abordée dans un commentaire. Qu’il suffise de la signaler ! En
revanche, une autre question doit ici être au moins formulée, celle de la validité
théologique des catégories utilisées : que l’auteur d’Ep ait eu le génie
d’appliquer la thématique du corps à l’épouse, ne protège pourtant pas ses
efforts de l’erreur. À quoi sert-il en effet d’utiliser un modèle ecclésial pour
justifier un rang social inférieur, modifié par la suite (même si ce fut
tardivement), et de plus non pertinent au plan ecclésial, où les chrétiens ont tous
la même dignité ? Si l’on exclut que l’auteur d’Ep ait pu se compromettre avec
les valeurs mondaines, dira-t-on qu’il a manqué d’esprit créatif ? Mais
appartient-il aux théologiens de créer les nouvelles représentations sociales,
économiques et culturelles susceptibles d’aider les chrétiens à œuvrer pour plus

90
Mais, rappelons-le, sans qu’ils soient explicitement nommés époux et épouse.
EP 4,17–5,21 293

de justice ? Ce que les théologiens font en général, et l’auteur d’Ep, ne fait pas
exception, c’est, sans les modifier matériellement, d’intérioriser des relations ou
règles sociales considérées comme établies ou durables, pour qu’elles puissent
être vécues de manière évangélique. On peut donc, tant de siècles après,
regretter que l’auteur d’Ep n’ait pas clairement affirmé l’égalité de rang des
époux, il n’en demeure pas moins vrai que sa manière de procéder était peut-
être la seule possible à l’époque où il a écrit. Au demeurant, l’exhortation aux
maris reste des plus actuelles.

Ep 6,1-4 - Enfants et parents

Enfants, obéissez à vos parents, [dans le Seigneur*], voilà en effet qui est juste.
2
« Honore ton père et ta mère », c'est le premier commandement avec une
promesse: 3 « afin que tu aies bonheur et longue vie sur la terre ».
4
Et vous, les pères, n’irritez pas vos enfants, mais élevez-les par une éducation
et des avertissements inspirés par le Seigneur*.

v.1 L’expression evn kuri,w| manque dans de nombreux témoins (B D* G itd,e,f,g Marcion
Clément Tertullien Cyprien Ambrosiaster)91.
v.4 litt. « et une admonition du Seigneur »

Pour mieux comprendre ces exhortations, le lecteur pourra consulter des


études sur la situation des enfants dans la famille en ce temps-là92. On sait que
le paterfamilias avait tout pouvoir sur ses enfants (droit de vie et de mort, droit
de les vendre comme esclaves, droit de sévices corporels, etc.). Les
commentaires rapportent un propos de Denys d’Halicarnasse, qui semble bien
refléter la réalité : le législateur « a donné au père une plus grande autorité sur le
fils qu’au maître sur les esclaves »93. Si la mère s’occupait des enfants jusqu’à
l’âge de sept ans, elle n’avait aucun pouvoir légal, et pour l’éducation, le père

91
Certains exégètes pensent que la motivation du v.2 étant vétérotestamentaire, un scribe
a christianisé l’ensemble en ajoutant « dans le Seigneur ». Selon d’autres, on aurait une
harmonisation avec Col 3,20 – mais le evn kuri,w| n’est pas rattaché au même membre de
phrase ici et là. Bref, la leçon n’est pas sûre.
92
Voir, entre autres, S.F Bonner, Education in Ancient Rome, Methuen : London, 1977 ;
M. Gärtner, Die Familienerziehung in der alten Kirche, Bohlau : Köln, 1985. En français,
H.-I. Marrou, Histoire de l'éducation dans l'antiquité, Seuil :Paris, 1948, est toujours
actuel.
93
Pris des Antiquitates romanae, 2,27,1-2 : mei,zona dou.j evcousi,an patri. kata. paido.j h]
despo,th| kata. dou,lwn. Également ibid., 2,26,4.
294 ÉPHÉSIENS

était le principal responsable. Il allait aussi de soi que les enfants devaient
honorer les parents et leur obéir en tout.
Les enfants auxquels s’adresse l’exhortation ont au moins l’âge de raison
et assez de liberté pour prendre des décisions libres. De soi, le terme te,kna ne
renseigne pas sur l’âge, seulement sur la relation. Mais il est sûr que les enfants
auxquels l’auteur s’adresse vivent encore au domicile de leurs parents,
dépendent donc légalement d’eux, et que leur âge est plus ou moins celui de
l’adolescence94. À la différence des conjoints, dont l’un pouvait être chrétien
sans que l’autre le fût et le sût, les enfants chrétiens devaient avoir des parents
chrétiens, car dépendant en tout de leurs parents, il est invraisemblable qu’ils
aient été baptisés sans leur consentement.
L’unité est divisible en deux sous-unités aisément repérables : v.1-3 :
exhortation aux enfants, et v.4 : exhortations aux parents.

v.1-3 – les enfants


Les enfants doivent obéir95 à leurs parents. Jusque-là, rien que de très
conforme aux règles en cours, aussi bien dans le monde gréco-romain que dans
le monde juif. Le syntagme « dans le Seigneur » ne semble pas qualifier les
parents – parents dans le Seigneur signifierait que ce sont des parents chrétiens,
ce qui est évidemment le cas, on vient de le voir, et tiendrait alors du pléonasme
–, mais le verbe, autrement dit l’obéissance, qui est par conséquent chrétienne et
suscitée par les motivations des exhortations générales de la sous-section
précédente (4,1 à 5,20).
Mais, paradoxalement, la première motivation (« cela est juste en effet »),
très générale, n’a rien de spécialement chrétien ou même religieux. On la
retrouve chez les philosophes d’alors96. Sa fonction est de préparer la suivante,
car le principe général de la loi mosaïque est de pratiquer la justice. Cette
deuxième motivation, tirée de l’Écriture, est absente de Col 3,20-21. Le recours
au cinquième commandement du décalogue surprend. Paul n’aurait-il pu
trouver des motivations plus christologiques, de même niveau que celles aux
conjoints ? À quoi l’on répondra simplement que s’adressant à des plus jeunes,
aux grands développements théologiques, comme ceux de l’exhortation
précédente, il a préféré utiliser les instruments pédagogiques avec lesquels ces
jeunes furent éduqués, les commandements que tous devaient connaître et

94
Dans le même sens, J. Gnilka, Epheserbrief, 295-296.
95
Sur le rapport soumission/obéissance, voir la présentation d’ensemble des règles
domestiques, p.266-268.
96
Ainsi, Épictète, diatribai, 1,22,1 (ti,j dV h`mw/n ouv ti,qhsin o[ti to. di,kaion kalo,n evsti
kai. pre,pon*) ; également 2,17,6.
EP 4,17–5,21 295

savoir par cœur, comme le montrent les homologoumena97. De même, la pro-


messe – avoir longue vie – ajoutée au commandement98, peut sembler très
égoïste, elle dénote néanmoins un bon sens pédagogique, car en général, les
plus jeunes n’agissent pas pour des raisons spirituelles insignes, mais pour des
résultats palpables.

v.4 – les pères


De soi, le substantif pate,rej peut renvoyer aussi bien aux pères qu’aux
deux parents99. Il a été ici traduit par « pères », parce qu’ayant utilisé le vocable
gonei/j (« parents ») au v.1, Paul semble s’adresser désormais aux seuls pères,
sans doute à cause du contenu de l’exhortation, qui demande de ne pas irriter
leurs enfants ; on peut raisonnablement penser qu’il est fait allusion aux
sanctions, parfois très dures, et comme il revenait aux pères de les infliger, le
mot pate,rej désigne très probablement les seuls pères100.
Alors qu’en Col 3,21 on lit : « Pères, n’exaspérez pas vos enfants, pour
qu’ils ne se découragent pas », Ep 6,4 reprend l’exhortation en la modifiant et
en l’accompagnant d’un volet positif : « N’irritez pas vos enfants, mais élevez-
les par l’éducation… ». Le verbe ‘élever’ (evktre,fw) est le même qu’en 5,29, où
les maris doivent nourrir leur femme, mais son usage est métaphorique, parce
que la nourriture est intellectuelle et morale. Le substantif ‘éducation’ traduit le
grec paidei,a, très fréquent dans l’AT, surtout dans les écrits sapientiaux, aux
connotations nombreuses, de la punition ou la correction à la culture. Ici, il
désigne manifestement le travail d’éducation et de formation, à tous les plans.
Le substantif qui l’accompagne et le précise, nouqesi,a, désigne l’admonition ;
en notifiant qu’il faut admonester, avertir et exhorter, Paul veut faire
comprendre aux pères qu’il vaut mieux en rester à des corrections orales que
passer à des punitions physiques. La visée est sans doute la même que dans les
exhortations générales, où il était déjà demandé de se supporter avec patience et
de pardonner avec amour (5,2). Paul rejoint en cela tous ceux qui invitaient déjà
les parents à plus de clémence101. Le génitif final tou/ kuri,ou peut être d’origine
ou de qualification, les avertissements reflétant ou renvoyant à l’enseignement
du Seigneur ; quelle que soit la nuance, il indique bien que la finalité de

97
Voir Rm 13,9 et Ga 5,14.
98
Ex 20,12 est bien le premier commandement (de toute la Loi) flanqué d’une promesse,
Ex 20,6 ne pouvant strictement parlant être qualifié de promesse.
99
Comme en Hb 11,23.
100
Philon, de specialibus legibus 2,232-233
101
Cf. par ex. le Pseudo-Phocylide, sententiae 207 : Paisi.n mh. cale,paine teoi/j( avllV
h;pioj ei;hj (« Avec tes enfants, ne soit pas sévère, mais sois doux »).
296 ÉPHÉSIENS

l’éducation et de l’admonition est la même que celle des exhortations d’Ep, à


savoir la nécessité pour les parents d’aider leurs enfants à vivre dans la lumière,
à être même lumière, en Christ.
Cette exhortation n’est pas suivie de motivations, sans doute pour éviter de
répéter celles qui ont déjà été fournies dans la sous-section précédente, en
particulier en 4,1.32 et 5,2.

Ep 6,5-9 – Esclaves et maîtres102

Esclaves, obéissez à vos maîtres d'ici-bas* avec crainte et tremblement, d'un


cœur simple**, comme au Christ, 6 non parce que l'on vous surveille, comme si
vous cherchiez à plaire aux hommes*, mais comme des esclaves du Christ
faisant la volonté de Dieu de tout votre cœur** 7 servant de bon gré, comme si
vous serviez le Seigneur, et non des hommes*, 8 sachant que, ce qu'il aura fait
de bien, chacun le retrouvera auprès du Seigneur, qu'il soit esclave ou qu'il soit
libre.
9
Et vous, maîtres, faites de même à leur égard, laissant de côté la menace,
sachant que, pour eux comme pour vous, le Maître est dans les cieux et qu'il n’y
a pas de partialité chez lui.

v.5 litt. « selon la chair »


v.5 litt. « dans la simplicité de votre cœur »
v.6 litt. « non selon le service des yeux (c’est-à-dire pour attirer l’attention), comme si
plaisant aux hommes »
v.6 litt. « à partir de l’âme »
v.7 litt. « comme au Seigneur et non aux hommes »

Ces exhortations ont plusieurs parallèles dans le NT103. En chacun des


passages, la perspective est grosso modo la même : si les statuts sociaux ne sont
pas abolis, ils sont néanmoins relativisés. Mais la relativisation n’est pas totale :
s’il n’est pas dit que le maître est un esclave du Christ et que l’esclave est
affranchi en Christ, comme en 1Co 7,22104, il est bien signifié que la personne
de rang supérieur, le ku,rioj, a lui aussi un maître dans les cieux, et qu’il sera

102
Nombreuses sont les études sur l’esclavage au temps de Paul. On pourra consulter une
ample bibliographie en J.-F. Collange, L’épître de saint Paul à Philémon, Labor et Fides :
Genève, 1987.
103
Outre Col 3,22 – 4,1, voir 1Tm 6,1-2 ; Tt 2,9-10 ; 1P 2,18-25, ces trois passages n’ont
que les exhortations aux esclaves ou aux serviteurs. Également 1Co 7,21-24.
104
Voici le texte : « L'esclave qui a été appelé dans le Seigneur est un affranchi
(avpeleu,qeroj) du Seigneur. De même, celui qui a été appelé étant libre est un esclave du
Christ ».
EP 4,17–5,21 297

rétribué sans partialité. Ainsi, pas plus que les exhortations précédentes, celles-
ci ne prêchent la révolution sociale, car tel n’est pas leur but ; le passage « ne
vise pas à poser les bases d’une nouvelle société »105, mais à transformer les
relations interpersonnelles entre partenaires sociaux, car l’auteur d’Ep, comme
les autres auteurs chrétiens de sa génération, est convaincu que la liberté
chrétienne peut être vécue dans une situation sociale inférieure (esclave) ; pour
lui, en effet, ce n’est pas d’abord dans les changements sociaux que se reconnaît
la nouveauté chrétienne, mais dans la relation que les chrétiens ont entre eux,
sans préjudice ni oppression106, dans l’humilité réciproque.
Comme dans les unités précédentes, le parallèle le plus proche est Col 3,22
– 4,1. La synopse suivante vise à mettre en valeur les ressemblances et les
différences107:

Ep 6,5-9 Col 3,22 – 4,1


6,5 Oi` dou/loi( u`pakou,ete 3,22a Oi` dou/loi( u`pakou,ete kata. pa,nta
6,5 toi/j kata. sa,rka kuri,oij 3,22b toi/j kata. sa,rka kuri,oij
6,5 meta. fo,bou kai. tro,mou 3,22e fobou,menoi to.n ku,rion
6,5 evn a`plo,thti th/j kardi,aj u`mw/n w`j tw/| 3,22d avllV evn a`plo,thti kardi,aj
Cristw/|/
6,6 mh. katV ovfqalmodouli,an w`j 3,22c mh. evn ovfqalmodouli,a| w`j
avnqrwpa,reskoi avllV w`j dou/loi Cristou/ avnqrwpa,reskoi
6,6 poiou/ntej to. qe,lhma tou/ qeou/ 3,23a o] eva.n poih/te
6,6 evk yuch/j 3,23b evk yuch/j evrga,zesqe
6,7 metV euvnoi,aj douleu,ontej w`j tw/| kuri,w| 3,23c w`j tw/| kuri,w| kai. ouvk avnqrw,poij
kai. ouvk avnqrw,poij
6,8 eivdo,tej o[ti e;kastoj 3,24a eivdo,tej o[ti avpo. kuri,ou avpolh,myesqe
th.n avntapo,dosin th/j klhronomi,ajÅ
3,24b tw/| kuri,w| Cristw/| douleu,ete
6,8 eva,n ti poih,sh| avgaqo,n( tou/to komi,setai 3,25a o` ga.r avdikw/n komi,setai o] hvdi,khsen,
para. kuri,ou
6,8 ei;te dou/loj ei;te evleu,qerojÅ 3,25b kai. ouvk e;stin proswpolhmyi,aÅ
6,9 kai. oi` ku,rioi( ta. auvta. poiei/te pro.j 4,1° oi` ku,rioi( to. di,kaion kai. th.n ivso,thta
auvtou,j( avnie,ntej th.n avpeilh,n toi/j dou,loij pare,cesqe
6,9 eivdo,tej o[ti kai. auvtw/n kai. u`mw/n o` 4,1b eivdo,tej o[ti kai. u`mei/j e;cete ku,rion evn
ku,rio,j evstin evn ouvranoi/j ouvranw/|
6,9 kai. proswpolhmyi,a ouvk e;stin parVauvtw/| [voir 3,25b]

105
Observations de M. Bouttier, Éphésiens, 255.
106
On cite à ce propos une lettre de Sénèque (epistolæ 47,1), où le statut social n’interdit
pas de reconnaître que la condition humaine rend tous les hommes fondamentalement égaux
entre eux. Le texte est cité par R. Penna, Efesini, 246.
107
Les syntagmes propres à Ep sont soulignés d’un seul trait, et ceux propres à Col, de
deux.
298 ÉPHÉSIENS

La composition est bipartite : une exhortation adressée aux esclaves (v.5-8)


est suivie d’une exhortation beaucoup plus courte aux maîtres (v.9). Chacune a
encore une composition bipartite : (a) exhortation (b) motivation (commençant
chaque fois avec la formule eivdo,tej o[ti).

v.5-8 – les esclaves


L’exhortation se développe très logiquement :
- l’apostrophe v.5a
- l’impératif et son complément v.5a
- les modalités, exprimées à l’aide de
(1) syntagmes prépositionnels (meta,, evn, mh. kata,)108 v.5-6a
(2) comparaisons (deux w`j) v.6b
(3) participes (pouiou/ntej, douleu,ontej, eivdo,tej) v.6b-8
Le participe eivdo,tej, qui exprime la troisième modalité, sert en même temps de
motivation : que la connaissance des motivations soit une modalité de l’agir
même – qui devient ainsi un agir conscient, intériorisé et pleinement responsable
– est une des caractéristiques d’Ep, et nous avons déjà suffisamment signalé
l’importance que la connaissance a en cette lettre pour devoir y revenir. On
pourrait objecter qu’ici l’insistance sur la connaissance ne vient pas d’Ep, mais
de Col 3,24 et 4,1. Même s’il en était ainsi, le double eivdo,tej o[ti montrerait que
l’auteur d’Ep reste cohérent dans ses choix et ses insistances.
- v.5. Aux esclaves il est demandé d’obéir109, avec « crainte et tremblement ».
Cette dernière expression surprend d’autant plus que son équivalent en Col parle
de crainte du Seigneur (Col 3,22), formule qui équivaut à celle d’Ep 5,21110.
Lorsque la crainte et le tremblement tombent sur quelqu’un ou sur un groupe, ils
sont pris de peur et de panique111. Est-ce donc la peur qui doit dicter l’obéissance
des esclaves ? Paul, il est vrai, utilise deux fois cette expression stéréotypée112, et,
sous sa plume, elle semble être synonyme d’ardeur, d’empressement. Et comme
en fin de verset, il ajoute « comme au Christ » – la crainte du maître est comme
celle qu’on a envers le Christ – l’attitude doit être la même qu’en Ep 5,21. Ce
que l’auteur demande donc aux esclaves, c’est de redoubler de respect pour
leurs maîtres : leur dignité de croyants ne doit pas leur faire mépriser ou

108
La figure est celle du polyptote.
109
Sur le rapport entre soumission et obéissance, voir ci-dessus, p.266-268.
110
Se reporter à l’exégèse de ce dernier verset.
111
Voir Ps 55,6 ; Jdt 2,28 ; 15,2.
112
En 2Co 7,15 et Ph 2,12, où l’expression est déjà liée à l’obéissance, et pourrait bien
avoir inspiré la formulation d’Ep 6,5.
EP 4,17–5,21 299

déconsidérer ceux qui ont sur eux une autorité à cause des règles sociales en
vigueur.
- v.6-8. L’auteur de la lettre aurait pu dire : « Ne vous préoccupez pas de votre
situation, agissez plutôt en considérant que vous êtes des affranchis en Christ »113.
Les motivations de ces versets sont tout aussi chrétiennes, mais elles insistent sur
la nouvelle valeur du statut d’esclave, due au changement de maître : les esclaves
doivent désormais considérer qu’ils sont esclaves du Christ (w`j dou/loi
Cristou/)114. La motivation n’est pas prononcée au hasard, puisqu’elle est répétée
au v.7, signe que l’auteur de la lettre veut voir l’agir de ses destinataires
totalement intériorisé et christologisé. Les mêmes esclaves sont également
informés de l’impartialité divine, car Dieu juge les actions, et non les statuts
sociaux – esclave ou homme libre (v.8)115. Mais la promesse d’une juste
récompense divine, au jour du jugement, n’est-elle pas une invitation à accepter
sans broncher toutes les injustices et toutes les misères en ce monde ? On ne doit
pas oublier que l’auteur de la lettre demande aux maîtres d’avoir un
comportement qui réponde au premier (ta. auvta. poi/ete pro.j auvtou,j). Mais, outre
que d’exiger la libération des esclaves aurait manqué de réalisme116, la conviction
du Paul d’Ep est qu’une transformation des rapports sociaux ne peut s’opérer que
si l’on change les mentalités, si la qualité des relations interpersonnelles est
drastiquement modifiée. Voilà pourquoi il insiste tant sur les motivations
chrétiennes. N’ayant pas à répondre à une quelconque revendication sociale ou à
une contestation d'un statut humain (l'esclavage) contraire à la liberté proclamée
par l'Évangile et pouvant y faire obstacle117, l’auteur a voulu promouvoir un
renouvellement intérieur qui corresponde à la dignité de tous les croyants en
Christ et qui favorise l’unité ecclésiale. Au demeurant, si les motivations des v.5-
8 ne proposent ni ne favorisent une révolution sociale, elles visent à minimiser la

113
Comme en 1Co 7,22 (déjà cité p.293).
114
À la manière de Paul, qui se nomme ainsi, lui-même et ses collaborateurs. Cf. Rm 1,1 ;
Ga 1,10 ; Ph 1,1 ; Col 4,12.
115
La motivation de l'impartialité divine est un topos qui vient de l'AT, parcourt la
littérature intertestamentaire et même le NT: (a) dans la Bible hébraïque: Dt 10,17; 1 S 16,7;
2 Ch 19,7; Jb 34,19 (et Pr 18,5; 24,23-25; 28,21 et Ps 82,1-4). (b) Le principe est repris
plusieurs fois dans les livres deutérocanoniques et pseudépigraphiques : Si 35,12-14; Sg 6,7;
TestJob 4,7-9; 43,12-13; 1Esd 4,39; Jub 5,12-16; 21,3-5; PsSal 2,15-18; 2,32-35; 2Ba 13,8-
12; 44,2-4; AntBibl. 20,3-4; 1En 63,8-9. (c) On le retrouve aussi dans la littérature
rabbinique, chez Philon, et d) dans le NT, où il ne s'applique pas seulement à Dieu (Ac 10,34;
Rm 2,11; Ga 2,6; Ep 6,9; Jc 2,1; 1P 1,17), mais également à Jésus (Mt 22,16 et par) ou au
Christ (Col 3,25).
116
Sur les problèmes majeurs qu’auraient posés la généralisation de telles mesures, voir
les études sur l’esclavage dans l’antiquité.
117
Pour un bien-fondé de cette affirmation, voir supra, p.263-267.
300 ÉPHÉSIENS

pertinence ecclésiale des statuts sociaux : maître et esclave ont tous les deux
Christ comme Seigneur qu'ils doivent servir en tout.

v.9 - Les maîtres.


Le dernier mot du v.8, « homme libre » (evleu,qeroj) annonce le changement
de destinataire. Paul s’adresse désormais aux maîtres, en une exhortation
légèrement plus longue que celle de Col 4,1. S’il ne leur dit pas explicitement
qu’ils sont esclaves du Christ, comme leurs propres esclaves chrétiens, il
relativise leur statut social, en signalant qu’eux aussi (comme les esclaves), ont
un maître au ciel ; ainsi est implicitement notifiée l’égalité de tous devant le
maître céleste, égalité qui s’accompagne d’impartialité.
L’exhortation demande aux maîtres, de ne pas menacer leurs esclaves. Soit
dit en passant, cette exhortation va beaucoup plus loin qu’on ne le pense : non
seulement elle suppose qu’on ne donne plus de coups, mais elle exclut aussi la
violence verbale. Que veut exactement dire la demande : « faites de même à
leur égard » ? Elle reprend implicitement le v.8 : en faisant du bien (et non du
mal) aux esclaves, les maîtres doivent savoir qu’ils seront eux aussi
récompensés en conséquence, puisque Dieu juge et rétribue non en fonction des
statuts sociaux, mais du bien fait à autrui – seul critère apte à qualifier
quelqu’un aux yeux de Dieu, qui témoigne par là même de son impartialité. Le
passage finit donc avec une relativisation des statuts sociaux. Est-il besoin de
dire, sans pratiquer une apologétique dépassée, que cela va beaucoup plus loin
que les exhortations trouvées sur la question, dans les mondes gréco-romain et
juif118 ? Ne pourrait-on pourtant pas dire que notre auteur revient en deçà des
recommandations du Lévitique, où l’on trouve déjà quelques uns des motifs
d’Ep 6,5-9 ?
Si ton frère a des dettes à ton égard et40qu'il se vende à toi, tu ne
l'asserviras pas à une tâche d'esclave; tu le traiteras comme un
salarié ou42comme un hôte; il sera ton serviteur jusqu'à l'année du
jubilé;… En effet, ceux que j'ai fait sortir du pays d'Égypte sont
mes serviteurs; ils ne doivent pas être vendus comme on vend des
esclaves. 43 Tu ne domineras pas 44sur lui avec brutalité; c'est ainsi que
tu auras la crainte de ton Dieu. Quant aux serviteurs et servantes
que tu devrais avoir, vous les achèterez chez les nations qui vous
entourent… 46 … Eux, vous pourrez les asservir à tout jamais, quant à
vos frères, les fils d'Israël, personne chez toi ne les traitera avec
brutalité.

118
Voir par ex. Philon, de decalogo, 167,5-7 : ce que la Loi a établit (proste,aktai), c’est,
« pour les serviteurs, de servir en ayant de l’amitié pour le maître, et pour les maîtres d’avoir
de la mansuétude et de la douceur, par quoi ce qui est inégal est rendu égal » (qera,pousi me.n
eivj u`phresi,an filode,spoton( despo,taij dV eivj hvpio,thta kai. pra|o,thta( diVw-n evxisou/tai to.
a;nison)) Pour le monde romain, voir Sénèque, epistolæ 47,1, déjà mentionné, p.297.
EP 4,17–5,21 301

Si l’on suit les déclarations d’Ep119, l’esclave chrétien est le frère du maître ; ce
dernier ne devrait-il pas s’entendre dire qu’il n’a pas le droit d’avoir comme
esclave un frère dans la foi, sauvé comme lui par le sang du Christ ? Cette
solution n’est même pas envisagée par le Paul d’Ep. Et elle ne pouvait l’être,
puisque si un maître chrétien avait eu les moyens de s’acheter des esclaves non
chrétiens, il les aurait probablement fait baptiser – lorsque le paterfamilias se
convertissait, toute la maisonnée faisait de même –, et le problème se serait
immédiatement reposé.
Si, comme on l’a vu, le Paul d’Ep ne propose pas des solutions concrètes à
la question des statuts sociaux – celui des épouses et celui des esclaves –, c’est
parce que, selon sa propre conviction, la qualité des relations interpersonnelles
doit aplanir les difficultés : c’est par la manière dont les chrétiens vivent leur
dignité filiale, dans l’amour fraternel, qu’ils peuvent témoigner qu’une
humanité nouvelle est née ou plutôt a été créée à la croix.

119
Tous sont fils de Dieu et frères en Christ, comme il est dit en Ep 1,5 ; 4,13 et 6,23.
Épilogue de la lettre
Se revêtir de la force de Dieu
Ep 6,10-20

Bibliographie
P.F. Beatrice, «Il combattimento spirituale secondo san Paolo. Interpretazione di Ef 6,10-
17» ; P.T. O’Brien, «Principalities and Powers» ; R. Penna, « L’évangile de la paix »; R.A.
Wild, «The Warrior and the Prisoner : Some Reflections on Ephesians 6:10–20» ; W. Wink,
Naming the Powers, 84-89.

Enfin, armez-vous de force dans le Seigneur, de sa force toute-puissante*. 11


Revêtez l'armure de Dieu pour pouvoir tenir face aux manœuvres du diable. 12
Car, notre lutte n’est pas contre le sang et la chair, mais contre les autorités,
contre les pouvoirs, contre les dominateurs de ce monde de ténèbres, contre les
esprits du mal qui sont dans les cieux. 13 Voilà pourquoi, prenez l'armure de
Dieu, afin qu'au jour mauvais, vous puissiez résister et tenir bon, ayant tout mis
en oeuvre. 14 Tenez bon donc*, ayant ceint vos reins avec la vérité, ayant revêtu
la cuirasse de la justice 15 et, ayant sanglé vos pieds avec la diligence de
l'Évangile de la paix, 16 prenant toujours le bouclier de la foi, grâce auquel
vous pourrez éteindre tous les projectiles enflammés du Malin. 17 Et recevez le
casque du salut et le glaive de l'Esprit, c'est-à-dire la parole de Dieu, 18 par
toute sorte de prière et de demande, priant en toute occasion par l'Esprit, et
pour cela employant vos veilles à toute demande persévérante* pour tous les
saints, 19 pour moi aussi, afin qu’il me soit donné d’ouvrir la bouche* pour
annoncer hardiment le mystère de l'Évangile 20 dont je suis l'ambassadeur
enchaîné, [priant donc] afin que j’aie en lui* la hardiesse pour en parler
comme je le dois.
v.10 litt. « et par la vigueur de sa force », comme en Ep 1,19
v.14 litt. « tenez donc »
v.18 litt. « veillant dans la persévérance et la demande »
v.19 litt. « afin que me soit donnée une parole dans l’ouverture de ma bouche »
v.20 ‘En lui’, c’est-à-dire ‘en l’Évangile’.
EP 6,10-20 303

Présentation et composition

Cette sous-section comprend deux unités thématiques ; la première (v.10-


17) invite les croyants à s’armer de force dans le Seigneur et à prendre l’armure
de Dieu, et la seconde (v.18-20), syntaxiquement dépendante de la première,
leur demande de prier pour tous les saints, en particulier pour que Paul puisse
continuer à annoncer le mystère de l’Évangile. La première unité, qui a pour
mot clef le substantif panopli,a (‘armure’, aux v.10 et 13), est à son tour
divisible en deux sous-unités : la première dit pourquoi il faut s’armer, et la
deuxième décrit l’armure à revêtir pour affronter les ennemis. La composition
du passage peut être schématisée comme suit :
- s’armer pour affronter les puissances célestes ennemies v.10-17
il est nécessaire de s’armer de la force de Dieu v.10-13
description de l’armure v.14-17
- prier en tout temps pour les saints, en particulier pour Paul v.18-20
Rappelons que les deux parties sont syntaxiquement inséparables ; la deuxième
est en effet composée de deux participiales, qu’on peut rattacher à l’impératif
du v.18 ou, mieux, à celui du v.14, qui semble régir tous les verbes jusqu’au
v.20. Selon certains commentateurs, ces participes équivalent à des impératifs.
Cela est possible, mais en préférant, comme en 5,21, les participes aux
impératifs, l’auteur oblige son lecteur à les rattacher à ce qui précède, et pas
seulement syntaxiquement : la prière continuelle est le moyen par lequel les
croyants peuvent obtenir la force qui leur est nécessaire. Les deux unités ne sont
donc pas séparables, et la deuxième répond à la question que le lecteur ne peut
manquer de se poser : comment donc se procurer l’armure qui nous protègera
contre les puissances menaçantes1?
Comme les sous-sections précédentes, celle-ci reprend des thèmes et
motifs présents dans les lettres pauliniennes antérieures. Tous admettent que les
v.14 et 17 citent 1Th 5,8. Certes, l’auteur d’Ep s’est probablement inspiré de ce
verset, mais il ne cite pas que Is 59,17 ; le passage est un centon de textes
isaïens (Is 11,5 ; 59,17 ; 52,7) appliqués à la situation des croyants, selon un
procédé qu’il est convenu d’appeler midrashique. Et s’il cite Isaïe plusieurs fois,
ce n’est pas pour orner son discours ou pour montrer qu’il connaît ses auteurs2,

1
Même interprétation de la composition chez R. Penna, Efesini, 248. L’unité entre les
v.10-17 et 18-20 est sémantiquement signifiée par une reprise de vocabulaire décisive : c’est
en priant evn pneu,mati (v.18 ; voir aussi le v.17) qu’on peut espérer vaincre les pneumatika. th/j
ponhri,aj (v.12).
2
On sait qu’à l’époque, il était élégant et recommandé, lorsqu’on voulait citer un auteur
autrement que comme autorité ou preuve, de le citer implicitement, c’est-à-dire non
formellement.
304 ÉPHÉSIENS

mais pour signifier une insistance : les croyants ont tout ce qu’il faut pour lutter
contre les puissances ennemies. Il leur suffit d’utiliser ce qui est mis à leur
disposition, et protégés de tous les coups possibles, ils pourront vivre comme
Dieu l’entend. Puisque ces v.10-17 reprennent des motifs déjà utilisés par Paul
en 1Th 5, il serait tentant de conclure qu’ils sont de la main même de Paul3.
Mais, le contraire est également possible, et il est difficile, pour ces versets
comme pour les précédentes sections, on l’a vu, d’éliminer l’une ou l’autre
hypothèse.
Les v.18-20 ont leur parallèle en Col 4,2-4 :

Ep 6,18-20 Col 4,2-4


Dia. pa,shj proseuch/j kai. deh,sewj Th/| proseuch/| proskarterei/te(
proseuco,menoi evn panti. kairw/| evn
pneu,mati(
kai. eivj auvto. avgrupnou/ntej evn pa,sh| grhgorou/ntej evn auvth/| evn euvcaristi,a|(
proskarterh,sei kai. deh,sei peri. pa,ntwn
tw/n a`gi,wn
19 kai. u`pe.r evmou/( 3 proseuco,menoi a[ma kai. peri. h`mw/n(
i[na moi doqh/| lo,goj evn avnoi,xei tou/ i[na o` qeo.j avnoi,xh| h`mi/n qu,ran tou/
sto,mato,j mou( lo,gou
evn parrhsi,a| gnwri,sai to. musth,rion tou/ lalh/sai to. musth,rion tou/ Cristou/
euvaggeli,ou(
20 u`pe.r ou- presbeu,w evn a`lu,sei( 4 diV o] kai. de,demai(
i[na evn auvtw/| parrhsia,swmai i[na fanerw,sw auvto.
w`j dei/ me lalh/sai w`j dei/ me lalh/saiÅ

Quelle est la fonction exacte de cette sous-section ? S’il s’agit toujours


d’exhortations, elles n’ont manifestement pas la même fonction que les précé-
dentes, qui proposaient des règles d’action, générales (4,1-2 ; 4,17 à 5,21) et
particulières (5,22 à 6,9). Celles-ci invitent les croyants à se rendre capables4 de
vivre les exigences exprimées précédemment ; elles constituent en quelque
sorte un préalable à l’agir chrétien. Paul rappelle seulement aux destinataires de
sa lettre qu’ils ont à leur disposition toutes les protections nécessaires. Or, la
liste de ces protections fait revenir le lecteur aux développements précédents. Et
c’est en définitive tout Ep qui devient un compendium des dons faits aux
croyants pour vivre leur vocation. Bref, on peut, sans risque d’erreur, affirmer
que 6,10-20 constitue un très bel épilogue de toute la lettre, qui mentionne
succinctement et rassemble la plupart des thèmes abordés dans les chapitres

3
Conclusion tirée par le père Boismard, L’énigme de la lettre aux Éphésiens.
4
Il s’agit bien de compétence. En effet, si les lecteurs que Paul exhorte à vivre leur
vocation chrétienne, se montrent incapables de réaliser la volonté de Dieu qui s’exprime par
ses exhortations, alors ces dernières sont tout simplement vaines et inutiles.
EP 6,10-20 305

antérieurs. De plus, en ce passage, l’auteur indique implicitement le statut qu’il


entend donner à sa missive : elle est indispensable pour connaître et vivre le
mystère de l’Évangile. Qu’il suffise, en un tableau synoptique, de mettre en
regard la plupart des expressions de ces versets et leurs occurrences antérieures:

Ep 6,10-20 reste de la lettre


force et puissance de Dieu v.10 1,19 ; 3,16
revêtir v.11.14 4,24
manœuvres mauvaises v.11 4,14
diable ; puissances ennemies v.11.12.16 1,21 ; 2,2 ; 3,10
ténèbres v.12 5,8-14
esprits mauvais v.12 2,2
jours mauvais v.13 5,16
vérité v.14 1,13 ; 4,21.24.25 ; 5,9
justice v.14 4,24 ; 5,9
Évangile, évangéliser v.15.19 1,13 ; 2,17 ; 3,6.8
paix v.15 2,14-18
foi v.16 1,15 ; 2,8 ; 3,12.17 ; 4,5.13
salut v.17 1,13 ; 2,5.8
Esprit Saint v.17.18 1,13.17 ; 2,18.22 ; 3,5 etc.
prière d’intercession v.18 1,16
les saints v.18 1,1.4.15.18.19 ; 3,8.18 etc.
mystère v.19 1,9 ; 3,3.4.9 ; 5,32
ministère de Paul v.19.20 3,7.8
chaînes, tribulations de Paul v.20 3,1.13

Par la redondance de son style – phrases assez longues, accumulation de


prépositions, de substantifs et de verbes synonymes –, cette sous-section res-
semble beaucoup au reste de la lettre, et ne peut certainement pas en être
séparée. Comme conclusion, elle est bien le point final d’une réflexion dont
l’unité d’ensemble est réelle.
L’imagerie militaire doit également être expliquée. Selon les uns, elle
serait due à la persécution affrontée par les Églises d’alors5; l’auteur d’Ep aurait
voulu finir par un encouragement vibrant. Mais le reste de la lettre ne reflète
aucunement cette situation, et, de plus, comme l’auteur souligne de manière
répétée que nos adversaires ne sont pas « de chair et de sang », mais spirituels et
célestes, il est peu probable qu’une persécution ait occasionné cette finale. Le
vocabulaire des v.14-17 a été choisi pour que les lecteurs affrontent le réel en
sachant que Dieu est avec eux, et qu’ils ne manquent de rien dans le combat
qu’ils doivent mener contre les puissances célestes hostiles, qui autrefois les
séduisaient et les trompaient. Il a été très justement noté que cette conclusion

5
Ainsi, A. Lindemann, «Bemerkungen zu dem Adressaten und zum Anlass des
Epheserbriefes», selon qui la persécution serait celle de Domitien (en 96 ap. J.C.).
306 ÉPHÉSIENS

pouvait être comparée aux harangues que les généraux faisaient aux soldats
avant les batailles pour les encourager et leur faire comprendre les enjeux
majeurs du combat. Plus qu’encourager, l’auteur veut exprimer une certitude :
en endossant la force même de Dieu, les croyants ne pourront jamais être
défaits.

Exégèse

v.10-13 La lutte et les adversaires


La composition de cette unité est légèrement différente de celle de
nombreuses exhortations pauliniennes6:
a = v.10-11 exhortations
b = v.12 explications (en o[ti)
a’= v.13a exhortation qui reprend la première,
b’= v.13b motivation (en i[na)
- v.10. Le verset commence avec une expression, tou/ loipou/, qui ici signifie
« finalement » ou « du reste »7, expression tout à fait indiquée pour entamer une
conclusion. Le syntagme to. kra,toj th/j ivscu,oj auvtou/ (« la vigueur de sa
force ») est un hendiadis (« sa force vigoureuse ») que l’on a déjà rencontré en
1,198. Que la voix du verbe evndunamou/sqe soit passive ou moyenne, le sens n’en
est pas tellement changé, car il est clair que la force du croyant ne vient pas de
lui-même, mais de Dieu seul9. Pour la fonction du verset, voir ci-dessus la
présentation de la sous-section.

- v.11. Cette exhortation a pour fonction de préciser la précédente, en indiquant


les moyens mis à la disposition des croyants (l’armure de Dieu), et les raisons
pour lesquelles il faut s’armer de la force divine (les manœuvres du diable). Si

6
Très souvent dans les exhortations, les micro- et macro-unités sont du type aba’.
7
En grec classique, le sens était plutôt temporel (« pour le futur », « désormais ») ; en Ga
6,17 la nuance est celle-là. M. Barth, Ephesians, 759, déclare haut et fort que le sens doit être
également temporel en Ep 6,10, mais sans vraiment fonder son choix. Pourquoi Paul dirait-
il : « Pour le temps qui reste » (temps qui va de la croix à la fin des temps), seulement pour
cette sous-section finale ? Car les exhortations qui vont de 4,17 à 6,9 sont aussi adressées aux
croyants « pour le temps qui reste ». La logique exige que le sens soit ici conclusif.
8
Se reporter à l’exégèse de ce verset.
9
Voir Ep 3,16 ; Rm 4,20 ; Ph 4,13 ; 2Co 12,9 ; Col 1,11. Pour des exhortations finales
analogues, voir 1Co 16,13.
EP 6,10-20 307

le lecteur ne peut encore savoir ce qu’il faut entendre par « armure de Dieu »10,
en revanche le vocable « diable » indique immédiatement que le combat
concernera la foi et les mœurs, et qu’étant le tentateur par excellence, en cela
représentant des forces du mal, il a pour objectif de détourner les croyants du
vrai et du bien11. En nommant le diable, Paul donne à entendre que la force
opposée à celle de Dieu est plus séductrice que brutale. Cela ne donne que plus
d’importance aux propos sur le discernement et l’esprit de sagesse en Ep 5,15-
20.

- Le v.12 a pour fonction d’expliquer ce que recouvre le vocable « diable », et


de montrer combien nombreux et puissants sont les adversaires. Car, dit Paul,
ils ne sont pas « de chair et de sang », expression sémitique désignant des êtres
humains temporellement et spatialement repérables12. Certes, les puissances
célestes peuvent utiliser des humains pour arriver à leur fin, mais ceux-ci ne
sont que leurs instruments ; les ennemis les plus redoutables sont donc invi-
sibles, puissances spirituelles autrement plus subtiles et fourbes que les
humains, et qui constituent le monde des ténèbres dont il a déjà été question en
5,8 et 11. La quadruple répétition du ‘contre’ (pro,j) vise à insister sur le fait que
ces êtres ont pouvoir et puissance13. Chaque série renvoie-t-elle à des êtres
différents, ou bien s’agit-il de formulations synonymiques de la même réalité
malveillante ? Le texte procède manifestement par accumulation pour signifier
au chrétien de recourir à la protection divine, car il ne peut rien faire de lui-
même contre des ennemis aussi nombreux et puissants14. Avec la plupart des
commentateurs, il semble plus fondé de voir en ces quatre séries, des forces
cherchant à faire revenir les croyants à leur situation passée (celle décrite en
2,2)15.

10
Le substantif panopli,a désigne, semble-t-il l’armure entière, défensive et offensive, du
fantassin (ainsi Polybe 6,23; Thucydide 3,114; et dans la Bible, Jdt 14,3 ; 2M 3,25 ; Lc
11,22).
11
Ep 2,2 semble désigner un de ses épigones. L’équivalent à Qumran est Belial (il est
question de ses astuces et tromperies en 1QH 4,13 l[ylb tbvxm).
12
L’expression apparaît en Si 14,18 et 17,31 ; Mt 16,17 ; Ga 1,16 ; 1Co 15,50.
L’expression ne désigne pas les passions du corps (comme chez Philon par ex.), lesquelles
sont au demeurant exclues des adversaires dont il est fait mention.
13
Au plan syntaxique, le substantif ‘lutte’ (pa,lh) est sujet dans les quatre oppositions ;
Paul ne dit pas que notre combat n’est pas celui d’une lutte, mais que notre lutte, n’est ni
contre la chair ni contre le sang, mais contre …. et contre… Le combat des croyants est ainsi
décrit paradoxalement : comme un corps à corps contre des êtres sans corps !
14
Le substantif kosmokra,torej (‘dominateurs du monde’) renvoie, en astrologie, aux
planètes et à leur rôle dans la détermination du cours du monde et du sort des humains. Ici, il
doit désigner les êtres spirituels censés être responsables de la marche des astres dans le ciel.
15
voir par ex. M. Barth, Ephesians, 800-803 ; R. Penna, Efesini, 251.
308 ÉPHÉSIENS

- Le v.13 reprend l’injonction du v.11 et y ajoute une motivation. Qu’entendre


par « jour mauvais » : jour de la mort, jour du jugement final, ou jour de la
tentation ? Comme le passage est une conclusion reprenant les développements
précédents, il faut aller à 5,16 où est exprimée l’idée que 6,13 reprend ; et
comme 5,16 dit que nous sommes déjà dans les jours mauvais, le v.13 ne
désigne pas d’abord ou seulement la fin de l’histoire, mais aussi le cours de
l’histoire et toutes les périodes de tentation de la vie des croyants : chaque fois
que ces derniers souffrent tentations et épreuves, le jour est mauvais16. S’il en
est ainsi, l’opposition entre résister (avntisth/nai) et tenir bon (sth/nai) doit
également avoir pour toile de fond le temps de l’histoire ; quant au participe
aoriste katergasa,menoi, employé surtout par Paul dans le NT17, il signifie
« mettre en œuvre » : les croyants peuvent tenir devant les forces ennemies,
parce qu’ils ont tout préparé ou tout mis en œuvre pour résister, grâce à l’appui
reçu de Dieu, autrement dit grâce à la panoplie fournie.

v.14-17 L’armure spirituelle du chrétien


L’impératif « tenez bon », au tout début de l’unité, a pour fonction de
signifier que l’on reste dans un contexte de violence et de pression extérieure18.
De la sorte, la mention des différentes pièces de l’armure – si elles ne sont pas
toutes nommées, elles le sont néanmoins plus qu’en Is 59,1719 – souligne
l’ampleur de la protection fournie, et non la splendeur ainsi procurée aux
croyants. Les pièces mentionnées, au nombre de six – ceinture20, cuirasse21,
chaussures22, bouclier23, casque24, épée25 –, sont chacune accompagnées de ce

16
Plusieurs commentaires combinent les différentes opinions (durant cette vie et à la fin
des temps). Voir J. Gnilka, Epheserbrief, 308 ; M. Barth, Ephesians, 804-805 ; R. Penna,
Efesini, 252 ; également A.T. Lincoln, etc. Dans l’AT, le binôme, sans article, désigne le jour
de malheur (qui peut venir à l’improviste) ; Voir Y 40,2 ; 48,6 ; 93,13 ; Jer 17,17 et 17,18.
Ici, avec l’article, il pourrait désigner de manière stéréotypée le jour du jugement, mais on
n’a pas d’autre exemple de cet emploi ; il est donc impossible de se prononcer avec certitude.
17
Vingt fois sur 22 (les deux passages non pauliniens sont Jc 1,3 et 1P 4,3).
18
Le verbe i[sthmi apparaît quatre fois en ce passage (v.11, 13b, 13c, et 14a).
19
Si ces versets sont inspirés de 1Th 5,8 et directement de plusieurs autres passages
isaïens (Is 11,5 ; 52,7 ; 59,17), un emprunt à Sg 5,17-20 est impossible à prouver.
20
La ceinture servait à maintenir le manteau long, afin qu’il ne gêne pas la marche du
soldat. Une allusion à la ceinture des lutteurs est également possible, si l’on en croit E.
Levine, «The Wrestling-Belt Legacy in the New Testament», NTS 28 (1982) 560-564.
21
Elle constitue la protection indispensable du thorax (cœur, poumons et même reins). Le
texte biblique suivi est celui d’Is 59,17.
22
En réalité, le texte ne parle pas des sandales (u`podh,mata) pour le combat, sans doute
parce qu’il a en arrière fond le passage d’Is 52,7 (« Comme sont beaux sur les montagnes les
pieds du messager de bonnes nouvelles, qui annonce la paix »).
EP 6,10-20 309

dont elles sont l’équivalent métaphorique – vérité, justice, annonce de la paix,


foi, salut, parole de Dieu. Il importe de bien saisir le rapport existant entre ces
pièces d’armure et ce qu’elles symbolisent. Car certains vocables de la liste
peuvent désigner aussi bien l’attitude des croyants que la protection divine en
acte.
- Ainsi, il faut proclamer la vérité (4,25 ; 5,9), mais cette vérité est d’abord celle
de l’Évangile (1,13 ; 4,21), et, les croyants ne peuvent vivre dans la droiture et
la véracité que parce qu’ils ont connu l’Évangile et en vivent26. Si les deux
aspects (divin et humain) doivent être tenus ensemble, la préséance est donnée
au premier, qui détermine le second, car l’armure endossée est bien ce qui de
Dieu nous est donné pour que nous dominions nos adversaires. Il en est de
même pour les vocables suivants.
- La cuirasse de la justice27 est d’abord la justice divine qui vient au secours du
pauvre et du faible pour les protéger28, celle aussi qui justifie le pécheur29, et
donne au croyant d’agir avec droiture (4,24 ; 5,9).
- Les pieds sont chaussés non de sandales, mais de l’ evtoimasi,a30 de l’Évangile
de la paix. Le verset a été interprété de plusieurs manières différentes : selon
certains, qui voient en Is 52,7 une clef de lecture, l’Évangile est ce que le
croyant doit annoncer31 ; selon d’autres, c’est parce qu’ils ont l’Évangile de paix

23
Le terme qureo,j désigne le grand bouclier rectangulaire qui servait à défendre (pas très
différent du o[plon – en Y 34,2 et 45,10, les deux mots sont synonymes).
24
Citation d’Is 59,17.
25
Cette épée (ma,caira) est plus petite et plus maniable que la r`omfai,a, et donc plus
pratique pour l’attaque.
26
En d’autres termes, la première partie d’Ep (1-3) constitue cette armure, ce don que
Dieu nous fait pour qu’il serve à nous défendre et à nous faire vivre ensemble (Ep 4-6).
27
Le génitif est épexégétique.
28
Is 11,1-5 semble bien être comme le fil rouge qui permis plusieurs des citations de
s’accrocher les unes aux autres, car elles ont en commun au moins un mot (et sont enfilées
selon un principe proche de la gezerah shawah) : en effet, si le v.14 vient manifestement d’Is
11,5, le v.15 peut lui aussi en provenir, à cause du mot justice (« Il jugera les faibles avec
justice » Is 11,4), le v.17 également, à cause du mot parole (« de sa parole comme d’un
bâton, il frappera le pays… il fera mourir le méchant », Is 11,4 ; lo,goj est synonyme de r`h/ma,
utilisé en Ep 6,17).
29
Sens donné au terme en 6,14 par M. Barth, Ephesians, 796, et qui convient parfaitement
ici. Cela dit, il est douteux que l’auteur d’Ep ait entendu ainsi le vocable, car, on l’a dit à
propos d’Ep 2, là où les homologoumena parlent de justification, il utilise le mot salut (voir
l’exégèse d’Ep 2,5.8).
30
Ce substantif est d’interprétation difficile : (a) préparation, (b) élan, diligence ou (c)
fermeté ? Le (a) favorise l’idée d’une proclamation, et donc d’un application d’Is 52,7 aux
croyants ; le (b), celle d’un Évangile favorisant la marche du croyant ; le (c), celle d’un
Évangile donnant fermeté à la défense du croyant.
31
Ainsi, J. Gnilka, Epheserbrief, 311-312 ; E. Penna, Efesini, 254, qui s’appuie sur Ep
3,10, où l’Église a pour charge de faire connaître le mystère aux puissances.
310 ÉPHÉSIENS

aux pieds que les croyants sont fermes et solides pour résister à leurs
opposants32. Les deux interprétations sont moins incompatibles qu’elles ne le
semblent à première vue, car qu’on choisisse l’une ou l’autre, on ne peut sé-
parer l’affirmation d’Ep 6,15 de celles d’Ep 2,14-18 (le Christ est notre paix
parce qu’il a détruit l’inimitié). Les croyants vivent de cette paix, et c’est elle
qui les porte, où qu’ils aillent. À supposer en effet que l’auteur d’Ep s’inspire
d’Is 52,7, sa reprise de l’image est pour le moins originale : l’évangile de la
paix sangle les pieds des croyants au lieu d’être en leur bouche. Pourquoi en
est-il ainsi ? Parce que la paix les porte et les meut. Il est ainsi possible de dire
que Paul voit l’Évangile de la paix comme ce qui donne diligence aux croyants,
pour que là où ils sont et vont, cet Évangile les protège des menaces de leurs
ennemis.
- La foi est un bouclier, car en donnant une identité au croyant, elle le met sous
la protection de celui en qui il croit33. Le titre o` ponhro,j donné à l’ennemi est
exceptionnel dans les lettres pauliniennes (on ne le rencontre qu’ici et en 2Th
3,3), mais il est plus fréquent en d’autres traditions (Mt 13,19 ; Jn 17,15 ; 1Jn
2,13 ; 5,18-19).
- Le syntagme « casque du salut » signifie que le salut déjà reçu en Christ (Ep
2,5.8) protège le croyant dans la lutte qu’il doit mener au quotidien. S’il est vrai
en effet que ces versets forment la conclusion de la lettre, alors il doivent être
interprétés comme une reprise des idées énoncées dans les sections précédentes.
Le salut dont parle Ep 6,17 est donc le même qu’en 2,5 et 8 : non le salut final,
espéré pour la fin des temps, mais celui déjà reçu, par lequel les croyants ont été
mis hors de portée des puissances ennemies34.
- La dernière arme, l’épée de l’Esprit qui est la parole de Dieu, est plus offen-
sive que défensive. Ainsi est désigné l’Évangile du salut, auquel les croyants
ont cru et qui les a marqués du sceau de l’Esprit (1,13). Pourquoi la parole
divine est-elle représentée par une épée ? À cause de sa capacité à pénétrer,
selon une image qui remonte sans doute à Isaïe. L’auteur d’Ep se serait-il

32
Interprétation de M. Barth, Ephesians, 770, qui traduit ainsi le v.15 : « (vous êtes)
fermes parce que l’évangile de la paix sangle vos pieds ».
33
Le v.16 souligne le caractère exposé de la vie chrétienne, constant objet des attaques
enflammées du Mauvais, bien décrites en 1P 5,8-9. Dans les combats, on envoyait parfois des
flèches enflammées, et l’on mouillait les boucliers, en peau et bois, pour éviter qu’ils ne
brûlent et ne deviennent inutiles. Voir à ce sujet, Thucydide, Guerre du Péloponnèse, 2,75,4-
5.
34
Sans s’appuyer sur le fait que ces versets sont la conclusion de la lettre, la plupart des
commentaires concluent comme nous l’avons fait. J. Gnilka, Epheserbrief, 313, fait
exception.
EP 6,10-20 311

inspiré d’Is 49,2 ou de traditions postérieures, juives voire chrétiennes35? Une


réponse sûre est impossible. Quel que soit d’ailleurs le passage scripturaire cité,
il est intéressant de noter la description paradoxale d’un évangile de paix et de
salut, parole de Dieu, qui est en même temps une épée victorieuse des
puissances ennemies36. La série finit donc sur une note de victoire, celle même
du mystère de l’Évangile, auquel Ep en son entier se présente comme une
introduction et un résumé.

v.18-20 Les prières d’intercession


La dernière unité, inséparable, comme on l’a dit37, de celle qui précède,
insiste sur la prière, en particulier la prière de demande38. C’est ce vocabulaire
qui détermine la composition des trois versets :
- amorce des thèmes au v.18a:
a - proseuch, = prier
b - de,hsij = demander
- développement des thèmes aux v.18b-20 :
A – proseuco,menoi = prier, v.18b
modalités: quand, comment ;
B - de,hsij = demande, v.18c-20
pour qui : tous les saints v.18c, et Paul v.19-20
Ep n’est pas la seule lettre finissant par une demande d’intercession ;
plusieurs autres ont, juste avant le salut final, une semblable demande39. Mais
celle d’Ep insiste davantage. Qu’il y ait insistance, les répétions de vocabulaire
l’indiquent nettement, en particulier le quadruple pa/j : toute sorte de prière, en
tout temps, en toute persévérance, pour tous les saints. Ces quatre emplois sont
complémentaires : par leur accumulation, ils dénotent toutes les dimensions de
la prière (a) une prière variée, qui aille de la louange à la supplication, puisque
Paul invite les croyants à toute sorte de prière, (b) une prière continue (en tout
temps), (c) persévérante40, instante, c’est-à-dire sans découragement, (d) et
universelle, pour tous les chrétiens.

35
Is 49,2 semble aussi avoir influencé Sg 18,15 ; pour le NT, Hb 4,12 ; Ap 1,16 ; 19,13-15
(en ces deux derniers passages, le vocable est r`omfai,a).
36
En même temps qu’Is 49,2, Is 11,4-5 pourrait encore constituer l’arrière-fond du verset.
37
Se reporter à la présentation de la sous-section, p.300.
38
Les deux termes proseuch, et de,hsij n’équivalent pas à un hendiadis. Le premier terme
est générique et inclut tous les genres (louange, AdG, confiance, supplication, demande,
etc.) ; le deuxième désigne la prière de demande.
39
Voir 1Th 5,25 (demande très brève) ; 2Th 3,1-2 (avec plusieurs motivations) ; Rm 15,30
(où la prière de demande est aussi assimilée à un combat) ; enfin Col 4,3-4 (cf. le tableau
synoptique, p.301).
40
Le binôme « persévérance et demande » est évidemment un hendiadis, qu’il faut
traduire « demande persévérante » ou instante.
312 ÉPHÉSIENS

- Le v.18 reprend des topoi pauliniens : prier sans cesse – l’apôtre lui-même dit
plusieurs fois au début de ses lettres prier incessamment pour les communautés
auxquelles il s’adresse41–, et veiller42. Que cette prière se fasse « dans l’Esprit »
ne signifie pas qu’elle est extatique – ou en langues –, mais qu’elle est sentie,
animée par l’hôte intérieur, qui nous fait trouver les mots et les attitudes justes
devant Dieu43. Le verset finit avec la mention des saints, où les croyants sont
invités à suivre le modèle paulinien, qui consiste à prier toujours et partout,
pour tous les frères. On peut se demander pourquoi Paul insiste sur cette prière :
après tout, si Dieu connaît les cœurs, il sait bien ce qu’il faut donner à chacun et
n’a pas besoin que nous lui dictions ou signifions ce qu’il doit faire. Ep ne
répond pas directement à cette demande, mais la prière d’intercession semble
faire partie de la sollicitude que les croyants doivent avoir les uns pour les
autres ; de plus, étant faite « dans l’Esprit », elle est la voix même de Dieu, en
nous, qui nous ouvre aux besoins des autres croyants au moment même où nous
demandons qu’ils soient protégés.

- Aux v.19-20, Paul demande aux croyants qu’ils prient pour lui, et il en donne
immédiatement la raison, qui est la manière dont il désire satisfaire aux
exigences de son ministère. Les répétitions lexicales indiquent les points sur
lesquels l’auteur insiste :
(a) son ministère c’est de parler. Bien que prisonnier, ne pouvant donc se
déplacer comme il l’entend, Paul n’en continue pas moins à enseigner, expéri-
mentant ainsi un paradoxe : comment quelqu’un d’enchaîné pourrait-il être
ambassadeur ? Et pourtant, il l’est, lui, le prisonnier, dont les chaînes montrent
qu’effectivement la parole de Dieu n’est pas enchaînée. Mais il sait avoir besoin
de la grâce divine pour que cet enseignement soit vraiment conforme à ce qu’il
doit être44.
(b) Et parler en toute assurance, liberté et franchise. Nouveau paradoxe : un
prisonnier peut-il parler librement, sans menace, sans devoir surveiller ses
propos ? Plusieurs fois, Paul souligne la franchise et la liberté de parole qui sont

41
Le motif fait aussi partie d’autres traditions néotestamentaires, sans doute parce qu’il
vient de Jésus (cf. Lc 18,1).
42
Le lien entre la veille et la prière est l’une ou l’autre fois fait chez Paul (Rm 12,12. Col
4,2), et ailleurs dans le NT (Mc 13,33-37 ; Lc 21,36).
43
Cf. dans les homologoumena, Rm 8,15-16.26-27 et Ga 4,6.
44
Dans la Bible, « ouvrir la bouche » signifie parler (Y 21,14 ; 37,14, Is 53,7, Ez 16,63, où
ne pas ouvrir la bouche équivaut à ne pas pouvoir ou ne pas vouloir parler) ou faire parler
(Ex 4,12.15 ; Ez 33,22). Et l’on peut parler afin de raconter les merveilles de Dieu, annoncer
la parole de Dieu, etc. (cf. Y 51,17 ; Ez 3,27 ; 33,22 ; Dn 10,16).
EP 6,10-20 313

les siennes alors même qu’il était persécuté, menacé ou prisonnier45. La finale
du livre des Actes souligne le même paradoxe d’un Paul prisonnier et pourtant
nullement empêché d’enseigner ce qui concerne le Seigneur Jésus (Ac 28,31).
Certes, la franchise et la liberté de parole étaient considérées alors comme les
caractéristiques des vrais philosophes. Mais ce n’est pas à cette tradition que se
rattache Ep 6 – et pas davantage le reste du NT. Que Paul prisonnier puisse
annoncer l’Évangile, c’est bien le signe que la protection divine est pleinement
accordée à celui qui la désire et l’espère. Cette unité est en quelque sorte
l’exemplification de la précédente.
(c) Annoncer le mystère de l’Évangile. Le génitif tou/ euvaggeli,ou est explicatif
ou encore épexégétique. Si, en Ep 3, Paul avait déjà signalé les rapports existant
entre mystère et Évangile46, à la fin de la lettre, parce que le voyage est en
quelque sorte fini, il va jusqu’à les rendre pratiquement équivalents. En Ep 3,
Paul a déjà déclaré que sa mission était de faire connaître et d’expliquer le
mystère à tous, qu’elle était une grâce accordée pour le bénéfice des Nations ; il
sait devoir demander à Dieu de lui faire trouver les mots pour le dire : l’apôtre
dépend en tout de Dieu, pour la révélation du mystère et pour sa proclamation.
On pourrait s’étonner qu’à la fin de sa lettre, Paul ne revienne pas encore une
fois, même très brièvement, sur ce qui en constitua un des leitmotivs, à savoir
l’union des Juifs et des Gentils dans le corps ecclésial. En réalité, la simple
mention du mot musth,rion suffit ici, car elle porte avec elle toutes les
explications de la lettre entière.

45
Cf. 1Th 2,2 ; Ph 1,13.20 ; Phm 8.
46
Se reporter à l’exégèse d’Ep 3,4-6 et 3,8-9. On avait alors vu que les rapports entre les
deux réalités n’étaient pas faciles à préciser exactement.
Le cadre épistolaire
6,21-24

Mais pour que vous sachiez, vous aussi, ma situation*, ce que je fais, Tychique,
le frère bien-aimé, ministre fidèle dans le Seigneur, vous donnera toutes les
nouvelles, 22 [lui] que je vous ai envoyé pour cela même, pour que vous sachiez
ce qui nous concerne et qu’il réconforte vos cœurs.
23
Paix aux frères*, et amour ainsi que foi** de la part de Dieu le Père et du
Seigneur Jésus Christ. 24 La grâce soit avec tous ceux qui aiment notre Seigneur
Jésus Christ d'un amour incorruptible*.

v.21 litt « les [choses] me concernant » (ta. katV evme,).


v.23 P46 est, semble-t-il, le seul à lire « saints ». Le changement peut être compris comme
un effort pour harmoniser le début et la fin de la lettre (voir 1,1). Et A lit eleoj au lieu de
agaph.
v.23 litt. « avec [la] foi ».
v.24 La recension occidentale finit avec un amen, comme en d’autres lettres (Rm et Ga).
En certains témoins, la lettre a une subscriptio : proj efesiouj | egragh apo rwmhj | dia
tucikou (ce dernier segment ne se trouve que dans le textus receptus).

Présentation et composition

L’unité est composée de deux sous-unités : nouvelles (v.21-22) et salu-


tations (23-24). La première, qui est mot pour mot parallèle à Col 4,7-8, fait
naturellement suite à la mention des chaînes de Paul. Il n’en dit pas plus,
laissant à son envoyé, Tychique, le soin de donner plus d’informations. Quant à
la seconde, elle prend congé des lecteurs à l’aide de formules déjà employées
dans les homologoumena. L’ensemble peut être ainsi schématisé :
- nouvelles v.21-22
(a) finalité (i[na)
(b) Tychique donnera nouvelles
EP 6,10-20 315

(b’) envoi de Tychique


(a’) finalité (i[na)
- salutations v.23-24
(a) souhait : paix et amour aux frères
(b) bénédiction : grâce avec tous ceux qui aiment le Seigneur
Eu égard à aux influences possibles, les commentateurs relèvent tous les res-
semblances étonnantes d’Ep 6,21-22 avec Col 4,7-8, qu’un tableau synoptique
met immédiatement en évidence1:

Ep 6,21-22 Col 4,7-8


{Ina de. eivdh/te kai. u`mei/j
ta. katV evme,( ti, pra,ssw( pa,nta Ta. katV evme. pa,nta
gnwri,sei u`mi/n Tu,cikoj gnwri,sei u`mi/n Tu,cikoj
o` avgaphto.j avdelfo.j kai. pisto.j dia,konoj o` avgaphto.j avdelfo.j kai. pisto.j dia,konoj
evn kuri,w|( kai. su,ndouloj evn kuri,w|(
22 o]n e;pemya pro.j u`ma/j eivj auvto. tou/to( 8 o]n e;pemya pro.j u`ma/j eivj auvto. tou/to(
i[na gnw/te ta. peri. h`mw/n i[na gnw/te ta. peri. h`mw/n
kai. parakale,sh| ta.j kardi,aj u`mw/nÅ kai. parakale,sh| ta.j kardi,aj u`mw/n(

Comme nous l’avons dit dans l’introduction générale, à lui seul le passage ne
permet pas de déterminer laquelle des deux lettres est antérieure à l’autre, car si
certaines étrangetés – le passage du singulier « ma situation » au pluriel « ce qui
nous concerne » en Ep – peuvent effectivement expliquer une dépendance d’Ep
par rapport à Col, les arguments peuvent se retourner2. Le début du v.21 (« pour
que vous sachiez, vous aussi, ma situation ») semble, il est vrai, faire allusion à
Col, comme le suggèrent plusieurs commentateurs. Le « vous aussi » ne donne-
t-il pas en effet à entendre que d’autres communautés (les Colossiens) ont déjà
reçu des nouvelles de l’apôtre, et que ce dernier a voulu que les Éphésiens
soient eux aussi informés3? Mais l’allusion à Col pouvait-elle être saisie par les
lecteurs, puisque le rédacteur d’Ep n’en a jamais fait mention dans la lettre qu’il
envoie ? Le kai, adverbial ferait alors allusion non à une lettre précédente
adressée à une autre communauté, mais à la visite de Tychique (« Je vous
l’envoie, comme je l’ai déjà envoyé ailleurs, ou comme j’en ai envoyé d’autres
en d’autres communautés, pour que vous aussi vous sachiez où j’en suis… »)4.
Une autre interprétation a encore été proposée ; le ‘aussi’ serait à comprendre en
addition à Ep : « Certes, cette lettre a signalé ma situation de prisonnier
(3,1.13 ; 6,20), mais Tychique vous donnera des détails ». Le kai, serait alors

1
Les paroles soulignées d’un seul trait sont propres à Ep, et celles avec deux traits, à Col.
2
Pour une présentation des raisons pour et contre, voir. ci-dessus, p.20-21.
3
Voir par ex. R.Penna, Efesini, 259; et, bien avant, H. Schlier, Epheser, 305-306.
4
Proposition de K.T. Abbott, Ephesians, 190 ; M. Barth, Ephesians, 809.
316 ÉPHÉSIENS

rattaché au verbe5. Cette interprétation semble pourtant moins fondée, car le


contexte immédiat invite à rattacher le kai, au pronom personnel u`mei/j6. En bref,
Ep 6,21-22 ne suffit pas à prouver l’antériorité de Col sur Ep. Si, une fois
encore, nous optons ici pour la possible dépendance d’Ep, c’est à cause de
l’accumulation des présomptions, surtout depuis de début de la section
exhortative (Ep 4,1)7.
La subscriptio, qui dans le textus receptus, signale qu’Ep a été écrite par
Tychique – comme auteur ou amanuensis, car il est difficile de savoir où finit le
travail du second –, pose brutalement la question de l’authenticité de la lettre.
Sans nous interroger ici sur la fiabilité du témoin, admettons qu’une telle
hypothèse n’est pas à exclure, d’autant plus que Tychique, étant lui-même
asiate, devait être connu des Églises d’Asie, sinon serait-il mentionné en autant
d’écrits (Col, Ep, Ac 20,4, 2Tm 4,12 et Tt 3,12) ? Et puisque nous sommes à la
fin de la lettre, sans doute est-il opportun de revenir sur son authenticité. Si
aucun argument (par le style, la sémantique, l’eschatologie, la sotériologie)
n’est de soi totalement convaincant, la question de la phraséologie nous semble
l’argument le plus décisif. En effet, dans les homologoumena, certaines phrases
sont parfois longues, mais Ep est la seule où les phrases très longues,
redondantes, ampoulées et en cascade, sont aussi nombreuses. Cette
phraséologie diffère tellement de celle des lettres antérieures qu’il est tentant de
pencher pour la pseudépigraphie d’Ep.
Comparés à Col ou à d’autres lettres, où Paul mentionne plusieurs noms et
demande de saluer des membres connus de la communauté à laquelle il
s’adresse, les v.23-24 sont d’un laconisme que beaucoup jugent révélateur8: les
correspondants ne sont pas salués à la deuxième personne (« paix à vous, frères,
etc. »), mais à la troisième, ce qui semble trahir une certaine distance – Paul ne

5
J. Gnilka, Epheser, 321.
6
S’il modifiait le verbe, le pronom u`mei/j serait probablement omis, car il n’est pas
essentiel à la compréhension. La difficulté est la même qu’en Ep 1,13 (« en qui aussi » ou
« en qui vous aussi » ? ) et 1,15 (« moi aussi » – l’adverbe semble avoir pour première
fonction d’insister sur le ‘moi’, sans avoir une valeur additive – ‘aussi’ ou ‘également’),
versets auxquels on peut se reporter.
7
Il en va autrement pour Ep 1 – 3, dont l’argumentation et les intérêts sont autres que
ceux de Col, et qui, de ce fait, reste plus à distance de cette lettre.
8
Ep est la seule lettre paulinienne où salutation et bénédiction se suivent, sans pourtant
que soit changé l’ordre dans lequel apparaissent ailleurs ces deux éléments.
EP 6,10-20 317

semble connaître aucun des membres de la communauté locale9–, ou signifier


qu’originellement, la lettre était adressée à plusieurs communautés10.
Le v.22b, où l’auteur dit vouloir donner consolation à ses destinataires,
suffit-il à déterminer le genre rhétorique de la lettre, qui serait alors épidictique?
Il faut éviter d'appliquer les catégories de la rhétorique gréco-hellénistique et
décider du genre d’Ep uniquement à partir d’une seule expression11, d’autant plus
que c’est la visite de Tychique, et non Ep, qui doit consoler les Éphésiens – la
lettre évite de parler de Paul et de ce qui se passe là où il se trouve12.

Exégèse

v.21-22 Nouvelles
Pourquoi Tychique est-il avant tout envoyé pour consoler les Églises ? Ces
versets étant pratiquement identiques à Col 4,7-8, qu’il suffise de reprendre ce
que nous avons déjà dit à propos de ces derniers13 :
En plus de la transmission de la lettre, Tychique doit donner des nouvelles de l'apôtre. Il en
aurait de toute façon donné. Pourquoi donc l'auteur mentionne-t-il ce qui va de soi? Parce qu'il
est resté discret, en fin de lettre, sur sa situation et son issue? Le procédé est alors un moyen
élégant de taire ce qui, par son poids émotionnel, aurait pu faire perdre de l'importance à la
partie argumentative de la lettre. S'il s'agit d'un cas de pseudépigraphie, alors le procédé n'est
plus élégant, il devient nécessaire. Mais il y a sans doute aussi une autre explication, plus
historique, et non exclusive des autres: la situation et le destin dramatique de Paul devaient
troubler les communautés d'Asie. Les risques ou les rumeurs de disparition et de mort étaient
autant de raisons de déstabilisation (que deviendrons-nous? etc.) : consoler les Églises s'avérait
nécessaire.
L’aoriste e;pemya est évidemment épistolaire, car au moment où il dicte la
lettre, l’auteur n’a pas encore envoyé Tychique (il aurait dû dire : « je vais vous

9
De ce que aucun nom local n’est mentionné, certains commentateurs tirent un argument
supplémentaire en faveur de la pseudépigraphie (ne connaissant aucun de ceux que Paul avait
côtoyé durant ses séjours à Éphèse – ou en Asie, si la lettre est destinée à plusieurs
communautés –, l’auteur ne peut nommer personne).
10
Cela expliquerait alors le problème textuel soulevé par le en efesw| en Ep 1,1.
11
Les trois grands genres (judiciaire, délibératif et épidictique) signalés par les manuels et
les traités d’alors sont souvent appliqués trop rapidement aux lettres pauliniennes. Le genre
rhétorique, qui répond à la situation rhétorique, ne peut être déterminé sans que soit pris en
considération le développement de l'argumentation. Sans doute aussi pour Ep, serait-il
préférable de renvoyer aux types de lettres, aux typoi epistolikoi signalés par le Pseudo-
Demetrius de Phalère, et qui semblent refléter la pratique d’alors. On en trouvera la liste en
J.L. White, Light from Ancient Letters, Philadelphia 1986.
12
Ce silence pourrait être lui aussi un signe de pseudépigraphie.
13
Voir J.-N. Aletti, Colossiens, ad loc.
318 ÉPHÉSIENS

envoyer »), mais il adopte le point de vue des destinataires de la lettre, qui,
écoutant ce dernier paragraphe, peuvent constater que Tychique leur a bien été
envoyé. Quant au verbe parakalei/n, il a plusieurs nuances : il signifie
‘recommander’, ‘exhorter’, et si Paul exhorte, c’est pour encourager ; c’est aussi
pour encourager, voire consoler, que Tychique est envoyé. La lettre manifeste,
comme les précédentes, le souci que Paul a de rester en contact avec toutes les
communautés issues de la Gentilité, pour les édifier et les aider à grandir dans la
foi. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que des envoyés viennent de la part
de Paul14, pas seulement comme porteurs de lettres et/ou de nouvelles, mais
comme véritables pasteurs, car encourager est bien le rôle le plus difficile, et
combien le plus important, des responsables. Par le seul verbe parakalei/n, c’est
donc toute une compréhension du ministère qui se donne à lire.

v.23-24 Salutation finale


Les deux éléments de la salutation reprennent en sens inverse ceux de la
salutation initiale (Ep 1,215). Si, au commencement, il était difficile de savoir ce
que l’auteur entendait par ces termes, sinon qu’il semblait allier deux traditions,
le shalom juif et le « salut ! » des lettres grecques et hellénistiques, avec une
modification typiquement paulinienne16, à la fin du parcours, il est désormais
possible de voir que ces deux substantifs résument idéalement deux donnée
développées tout au long de la lettre : la paix est un des bienfaits qui caractérise
le corps ecclésial en sa radicale nouveauté17, quant à la grâce, un des leitmotivs
de la lettre18, elle est ce qui nous fait reconnaître la dignité des frères, sauvés par
grâce et vivant par cette même grâce. En terminant avec ces deux mots clefs, le
cadre épistolaire résume plus lapidairement encore que la conclusion de la lettre
(6,10-20) ce que le passage sur le mystère (Ep 2-3) exprimait à sa manière.
C’est la seule fois où Ep nomme les croyants ‘frères’, eux qu’il a, au ch.3,
appelés « vous les Nations », pour souligner à la fois ce qui de leur ancienne
situation n’avait pas changé (ils restaient des non circoncis, c’est-à-dire des non
juifs), et ce qui de leur nouvelle situation se donnait à reconnaître, à savoir la
possibilité d’être membres du corps du Christ en restant dans une culture et une
société données – l’Église peut être formée de croyants d’origines et de cultures
diverses. Il était donc important que l’auteur, pour souligner la situation
paradoxale des ethnico-chrétiens, appelât ces derniers ‘Gentils’ ou ‘Nations’.
Mais l’argumentation étant désormais finie, il est possible de les appeler
« frères », et de finir ainsi, pour que leur véritable identité soit drastiquement
campée et résumée, en écho avec l’affirmation du commencement sur

14
Voir Rm 16,1 ; 1Co 16,10 ; Col 4,7-9.
15
Voir ci-dessus l’exégèse de ce verset.
16
Le fameux passage de cai,rein à ca,rij.
17
Voir l’exégèse de 2,14-18 ; 4,3 35 6,15.
18
Cf. 1,6.7 ; 2,5.7.8 ; 3,2.7.8 ; 4,7.29.
EP 6,10-20 319

l’adoption filiale (ui`oqesi,a 1,5). Ainsi est-il encore une fois vérifié que
l’ecclésiologie de la lettre n’est pas portée par l’idée de peuple.
La seule difficulté de cette sous-unité vient du dernier syntagme de la
lettre : sa signification est obvie – evn avfqarsi,a|, « dans l’incorruptibilité » –,
mais à quel mot le rattacher : à « grâce » (la grâce dans l’incorruptibilité), à
« Jésus Christ » (Jésus Christ [qui est] dans l’incorruptibilité), ou à « aimer »
(ceux qui aiment Jésus Christ dans l’incorruptibilité, c’est-à-dire d’un amour
qui ne se flétrira jamais) ? La première solution doit être écartée, car les mots
« grâce » et « incorruptibilité » sont éloignés l’un de l’autre, et l’on a vu que le
style en cascade d’Ep invitait le lecteur à rattacher les syntagmes préposi-
tionnels aux mots les précédant ou les suivant immédiatement. La deuxième
solution exauce le critère syntaxique à peine énoncé, mais ce serait la seule fois
où il serait dit du Ressuscité qu’il est dans l’incorruptibilité. Voilà pourquoi la
solution la plus conforme au contexte semble être la dernière.
L’expression « ceux qui aiment le Seigneur J.C. » du v.24 est un équi-
valent chrétien de « ceux qui aiment Dieu », utilisée dans l’AT et dans la
littérature juive paratestamentaire de l’époque19. C’est sans doute la seule fois
où Ep parle de l’amour que les croyants ont pour le Christ Jésus, mais il est
symptomatique que cela advienne dans la dernière phrase, car pour Ep c’est
bien l’agapè qui tisse l’existence des croyants, frères en Jésus Christ.

19
Cf. par ex. Ex 20,6 ; Dt 5,10 ; 7,9 ; Tob 14,17 (S) ; PsSalomon 4,25 ; 6,6 ; 10,3 ; 14,1 ;
Si 1,10 ; 2,15.16 ; 34,16 ; testJoseph 4,6; et dans le NT Rm 8,28 ; 1Co 2,9 ; 8,3 ; Jc 1,12).
Conclusion

Dans l’introduction, il a été dit qu’une réponse aux questions soulevées à


propos de l’authenticité d’Ep et de sa situation chronologique par rapport à Col
ne pouvait être fournie qu’au terme des analyses exégétiques. Le moment est
donc venu d’indiquer et de justifier nos positions sur le sujet. À la suite de quoi,
les résultats les plus saillants de l’exégèse seront brièvement présentés, afin que
l’unité et l’originalité de la lettre brillent de tous leurs feux.

1. Les questions rédactionnelles


Les études et commentaires récents que nous avons consultés tout au long
de nos analyses prennent appui sur l’authenticité pour mettre en valeur les
ressemblances avec les homologoumena, ou sur l’inauthenticité (et donc la
pseudépigraphie) pour souligner les différences. Très souvent les exégètes qui
militent pour la pseudépigraphie d’Ep reprochent aux commentateurs
convaincus de son authenticité, de ne pas assez souligner les écarts théologiques
existant entre cette lettre et les protopauliniennes. Puisse le parcours effectué
ici, sans qu’un choix ait été effectivement opéré dès le départ, montrer qu’il
n’est nécessaire de se prononcer ni en faveur de (ou contre) l’authenticité, ni en
faveur de (ou contre) l’antériorité de Col, pour mettre en valeur les
caractéristiques de la théologie d’Ep : une telle évaluation doit se faire avant
tout en suivant la dynamique et les lignes de force de l’argumentation. Alors
que nous finissons le deuxième des deux commentaires écrits pour la collection
Études Bibliques, pour être la plus objective possible, l’exégèse de Col et d’Ep
nous semble devoir éviter de s’appuyer principalement voire uniquement sur
l’histoire de la rédaction. Car, à la suite d’E. Best1, qui a dénoncé haut et fort les
présupposés de ceux qui, sans recourir à une démonstration en règle, tiennent
pour évidentes l’antériorité de Col et l’inauthenticité d’Ep, il faut bien avouer

1
E. Best, «Who used Whom? The Relationship of Ephesians and Colossians».
322 EPHESIENS

que nous en restons tous à des présomptions, lesquelles ne sauraient servir de


point de départ à toutes sortes de déductions et d’élucubrations sur le rapport
existant entre Col et Ep, etc. Nous espérons avoir montré que les arguments
fournis pour montrer l’antériorité de Col sont souvent fragiles2. Voilà pourquoi
il a semblé préférable de laisser en suspens les questions de chronologie
rédactionnelle, et de les traiter comme un résultat possible, non comme un
présupposé de l’exégèse. Nous avons surtout refusé de suivre ce qu’il est
convenu de considérer comme un axiome en matière d’histoire de la rédaction,
à savoir que, dans le cas de parallèles et de répétitions, le texte le plus long et le
plus élaboré est en général postérieur.
À la fin du parcours exégétique effectué, que peut-on dire de l’éventuelle
chronologie rédactionnelle ? Pour la première partie de la lettre (Ep 1 – 3),
autrement dit pour les développements plus théologiques, il est impossible de
déterminer l’antériorité de l’une ou l’autre lettre, dont les préoccupations et
donc les argumentations sont diverses. Pour les exhortations générales (Ep 4,1 à
5,21), le constat est le même ; en effet, si les parallèles entre Col et Ep sont très
étroits et peuvent faire conclure que l’une des deux lettres a purement et
simplement copié l’autre, il est très difficile de savoir laquelle a servi de
modèle : tous les arguments apportés jusqu’à présent en faveur de l’antériorité
de Col peuvent être aisément retournés, et s’il est intéressant de comparer les
deux séries d’exhortations, il est pour le moins prudent d’éviter toute
conclusion relative à leur datation respective. Les codes domestiques (Ep 5,22 –
6,9 et Col 3,18 – 4,1) semblent être le seul passage où l’antériorité de Col
pourrait être considérée comme sûre, tant les motivations d’Ep sont
développées par rapport à celles de Col – le critère étant toujours le même : ce
qui est plus élaboré a toutes les chances d’être postérieur. Mais là encore, s’il
est compréhensible que les motivations d’Ep 5,22-33 soient aussi longues, étant
donné l’importance heuristique des métaphores de la tête et du corps en Ep, il
n’y avait aucune raison pour que Col développât les exhortations domestiques,
car ses préoccupations restaient autres : en allongeant et en donnant de
l’importance aux codes domestiques, Col aurait en quelque sorte rompu
l’harmonie de ses développements respectifs, et si les exhortations domestiques
y sont plus courtes, ce n’est pas parce qu’elles sont antérieures à celles d’Ep,
mais parce que la thématique de la lettre n’exigeait pas qu’on s’attardât pas sur
ces questions en montrant comment elles se rattachaient à l’ecclésiologie et à la
christologie. Bref, si les codes domestiques sont moins développés en Col, les

2
Voir ce qui a été par exemple dit à propos de l’exégèse d’Ep 6,21-22. Nous aurions pu
argumenter de la même façon pour tous les passages strictement parallèles existant entre Col
et Ep, en particulier dans la section exhortative. Mais comme cela a déjà été fait par Best et
d’autres, il nous a semblé inutile de répéter des arguments qu’on peut trouver ailleurs.
CONCLUSION 323

raisons n’en sont pas d’abord chronologiques, mais logiques. Cela dit, s’il est
vrai, comme nous l’avons admis plus haut, qu’eu égard aux questions de
chronologie rédactionnelle, nous avons tous des présomptions et des soupçons,
confessons les nôtres et disons simplement que, même si nous ne pouvons en
fournir des preuves contraignantes, nous pensons que la rédaction de Col est
antérieure à celle d’Ep3. La différence entre ce commentaire et les précédents
vient seulement de ce que nous avons délibérément évité de baser nos
réflexions et conclusions sur une hypothèse de chronologie rédactionnelle.
Mais alors, dira-t-on, à quoi sert-il de comparer les parallèles entre Col et
Ep ? Les ressemblances et différences existant entre les deux lettres sont, on l’a
vu, du plus grand intérêt pour déterminer les lignes de force ce chacune :
l’insistance ecclésiologique d’Ep est sans doute la particularité la plus nette qui
se dégage d’une comparaison suivie entre les deux lettres, et sur laquelle on
reviendra brièvement.
Auparavant, sans doute convient-il d’ajouter quelques mots sur les
questions d’authenticité. Sur ce point encore, nous ne pouvons avoir que des
présomptions. En ce qui nous concerne, si nous sommes plus en faveur de la
pseudépigraphie, avec toutes les réserves exprimées dans l’introduction de ce
volume, ce n’est pas pour des raisons théologiques, mais stylistiques, car
l’écriture d’Ep est suffisamment différente des homologoumena – et même de
Col – pour qu’on puisse raisonnablement douter de son authenticité. Bien des
spécialistes lèveront les bras au ciel en entendant ces propos, tant ils sont
convaincus que les raisons les plus valables pour rejeter l’authenticité de Col –
et a fortiori d’Ep – sont théologiques4. Nous espérons avoir montré qu’en Ep les
changements thématiques étaient principalement sinon exclusivement dus à des
contraintes internes, en particulier à l’utilisation massive des métaphores de la
tête et du corps, sur lesquelles on va immédiatement revenir. Que Paul lui-
même ait pu amorcer ces changements, nul ne peut le nier, car celui qui a écrit
la lettre, Paul ou un autre, ne pouvait pas ne pas voir les écarts qu’il faisait par
rapport aux lettres précédentes. Que ces écarts aient, par la suite, fait dire de Col
et surtout d’Ep qu’elles déformaient le cœur de l’évangile paulinien, reste
matière à discussion. Nous espérons quant à nous avoir montré que les
évolutions en question peuvent (et doivent) être interprétées comme des
témoignages authentiques portés à la théologie paulinienne, ayant pour fonction
de montrer les implications riches et multiples de la réflexion du grand apôtre.

3
Ep ne nous semble pas avoir été rédigée très longtemps après Col. Ajoutons que si
l’hypothèse d’une dictée simultanée des deux lettres est improuvable, elle ne doit pas être
exclue du tableau d’ensemble des possibilités rédactionnelles.
4
Une sotériologie et une eschatologie totalement réalisées, etc.
324 EPHESIENS

2. L’ecclésiologie d’Ep
Si l’ecclésiologie d’Ep ne se réduit pas à un seul champ sémantique5, il est
néanmoins vrai que sa christologisation prédomine. En effet, tout au long de la
lettre, le lecteur rencontre les métaphores de la tête et du corps6. Et l’une des
hypothèses de cette étude fut de relier ces métaphores à l’évolution de la
sotériologie et de l’eschatologie de la lettre. Car, si l’Église est le corps du
Ressuscité, alors ses membres sont aussi ressuscités. On ne doit dès lors pas
s’étonner d’entendre Ep 2,6 déclarer que Dieu nous a fait ressusciter et siéger
avec le Christ dans les cieux7. La sotériologie semble ainsi devoir sa
formulation réalisée aux métaphores de la tête et du corps. Pourquoi donc, le
Paul d’Ep a-t-il appliqué le vocabulaire de la résurrection de manière
apparemment forcée ? Sans aucun doute pour qu’il y ait cohérence entre son
ecclésiologie et sa sotériologie. Mais cette réponse ne fait que repousser le
problème : si les paradoxes de sa sotériologie viennent des métaphores
tête/corps, pourquoi a-t-il gardé ces dernières ? Sans reprendre ici les analyses
de ce commentaire, que le lecteur est invité à consulter pour avoir une réponse
qui évite les simplifications, disons que leur fonction en Ep est heuristique8,
puisqu’elles en viennent à être sollicitées pour justifier l’amour des époux pour
leurs épouses. En déclarant l’Église inséparable de sa tête, le Christ, Col et
surtout Ep ont d’une part drastiquement christologisé l’ecclésiologie, et d’autre
part elles ont, suivant en cela les protopauliniennes, insisté sur les rapports
éthiques impliqués par le fait que les croyants sont membres d’un même corps –
et donc membres les uns des autres (Ep 4,25) : les exhortations d’Ep sont sans
aucun doute celles où les conséquences du statut des baptisés sont le plus
fermement soulignées pour leur manière de vivre en Église.
Mais si l’on ne peut réduire Ep à être un traité d’ecclésiologie – la lettre
n’en a ni les prétentions ni les longueurs –, il est tout de même possible de la
lire comme un essai pour souligner le rôle nouveau que l’Église s’est alors re-
connu : non seulement celui d’annoncer le mystère à tous, y compris les
puissances célestes, mais aussi celui d’être elle-même incluse dans la procla-
mation évangélique. En annonçant le mystère, l’Église annonce ce qui la
constitue fondamentalement : elle fait partie du message, et c’est en prenant
connaissance de ce qu’elle est, que le monde pourra reconnaître les voies de
Dieu. Le rédacteur ou l’auteur d’Ep a sans aucun doute perçu que ce que

5
Comme le montre à l’évidence Ep 2,19-22.
6
Se reporter à l’exégèse de 1,22-23 ; 2,16 ; 3,6 ; 4,4.12.16(2x) ; 5,23.33.
7
Voir ci-dessus p.128 et 133-134.
8
C’est la thèse défendue par E. De Los Santos, La novedad de la metáfora KEFALH –
SWMA en la carta a los Efesios.
CONCLUSION 325

l’Église vivait, comme unité diversifiée, comme union de juifs et de non juifs,
etc., était un témoignage essentiel à l’Évangile.
Que l’ecclésiologie et le mystère aillent de pair en Ep, notre exégèse l’a
patiemment relevé et souligné, car les métaphores utilisées pour exprimer le
mystère en Ep 3,6 sont importantes autant par ce qu’elles connotent que par ce
qu’elles taisent. Nous avons en effet noté, tout au long de la lettre, l’absence du
vocable ‘peuple’ et de tout ce qui s’y rattache9. On peut vraiment dire à cet
égard que l’ecclésiologie d’Ep prolonge fidèlement celle des homologoumena,
car ces dernières n’avaient utilisé le terme ‘peuple’ qu’en deux occasions, qui
étaient des citations10, pour des raisons qui ont été expliquées ailleurs et qu’il est
inutile de développer en cette conclusion11. En privilégiant les images
tête/corps, Ep invite évidemment ses lecteurs à voir en l’Église cette humanité
nouvelle (le kaino.j a;nqrwpoj d’Ep 2,15) qui, par son mode d’être et d’agir,
témoigne du dessein que Dieu avait depuis le commencement : en l’Église se
donne à reconnaître le projet divin, et telle est bien sa responsabilité, car à ne
pas vivre ce qui la constitue, elle ne serait plus ce par quoi le monde peut
reconnaître Dieu comme Père12.

3. Mystère et connaissance
Le mystère, longtemps resté en Dieu, est désormais connu et fait pour être
connu. Sa diffusion a été en particulier confiée à Paul, qui répète à l’envi en Ep
que ce mystère doit être connu, que pour cette raison il demande à Dieu de faire
croître les croyants dans la connaissance, etc. Jamais une lettre paulinienne
n’avait auparavant autant insisté sur l’importance de la connaissance que les
croyants doivent avoir des voies de Dieu : si la foi ne va pas sans la charité, elle
ne va pas davantage sans progrès dans la connaissance. C’est à une méditation
continue et persévérante que sont ainsi invités les croyants, car pour le Paul
d’Ep, la croissance dans la connaissance du mystère est décisive pour la vie
ecclésiale : non pas connaissance abstraite, mais aimante, et pour cela
nécessaire à la construction du corps. La foi ne peut pas ne pas désirer connaître
et faire connaître ce(lui) qui la fait vivre, s’il est vrai qu’elle ne consiste pas en
une série de vérités auxquelles il suffit d’adhérer pour être sauvé. Étant un
attachement inconditionnel au Christ, la foi ne peut que se nourrir de cette
relation, et c’est en grandissant dans la connaissance de son Seigneur que

9
On ne peut à cet égard que déplorer la tendance des commentaires à réintroduire ce
vocabulaire, sans doute parce qu’ils n’ont pas vraiment perçu les enjeux de son absence.
10
Rm 9,25-26 et 2Co 6,16.
11
Pour plus d’information sur le sujet, voir J.-N. Aletti, Israël et la Loi dans la lettre aux
Romains, 261-264.
12
Se reporter par ex. aux analyses faites plus haut à propos d’Ep 2,25.
326 EPHESIENS

l’Église devient ce qu’elle est, le corps du Christ, car elle est transformée par ce
qu’elle vit et comprend de son propre mystère. Ep est une invitation faite aux
croyants à désirer grandir dans une connaissance non ésotérique, qui
transfigure, parce qu’elle fait ressembler à celui qui est connu. En ce sens, la
lettre qui vient d’être commentée n’est pas un point d’arrivée de la réflexion
paulinienne, seulement un point de départ pour l’aventure de la foi, une
aventure dont ce commentaire voulait tout simplement souligner et rappeler la
nécessité.
327

Parallèles entre Colossiens et Éphésiens1


d’Éphésiens à Colossiens

Ep Col Ep Col
1,1.2 1,1.2 3,17 1,23 et 2,7
1,4 1,22 3,19 2,9
1,6.7 1,13.14 4,1 1,10
1,8 3,16.17 4,2-4 3,12-15
1,9 1,27 4,13 1,28
1,10 1,20 4,15.16 2,2.19
1,15,16 1,3 4,17 2,4
1,18 1,27 4,18 1,21
1,19.20 2,12 4,19 3,5
1,20 3,1 4,20.21 2,6.7
1,21 1,16 et 2,10 4,22-31 3,7.8
1,22.23 1,18.19 et 1,24 4,32 3,12.13
2,1 2,13-14 et 1,21 5,1 3,12-13
2,2.3 3,7.8 5,3-5 3,5
2,3 1,21 5,6 3,6
2,5 2,13-14 5,15-16 4,5.6
2,6 3,3 5,19-20 3,16.17
2,11 2,11 5,22.23 3,18.19
2,12.13 1,21 5,25.26 3,18.19
2,15.16 1,20 5,27 1,22
2,22 2,7 6,1 3,20
3,1.2.3.5 1,24-26 6,4 3,21
3,7 1,23 6,5-8 3,22-25
3,8 1,27 6,9 4,1
3,13 1,24 6,18-20.21-22 4,2-4.7-8

1
Ce tableau reprend celui de M. Bouttier, Éphésiens, 308-309.
328 ÉPHÉSIENS

Éphésiens et les homologoumena2

Vocables en Ep dans les homologoumena

ui`oqesi,a 1,5 Rm 8,15.23 9,4; Ga 4,5


avnakefalaiou/sqai 1,10 Rm 13,9
avrrabw,n 1,14 2Co 1,22; 5,5
mnei,a 1,16 Rm. 1,9 Ef. 1,16; Ph 1,3 ;1Th 1,2;
3,6; Phm. 4
u`perba,llw ktl 1,19; 2,7; 2Co. 3,10; 9,14; 11,23
3,19
(ta.) pa,nta evn pa/sin 1,23 1Co 12,6; 15,28 (Col 3,11)
poi,hma 2,10 Rm 1,20
proetoima,zw 2,10 Rm 9,23
prosagwgh, 2,18; 3,12 Rm 5,2
a;ra ou=n 2,19 Rm 5,18; 7,3.25; 8,12; 9,16.18;
14,12.19; Ga 6,10; 1Th 5,6; 2T
2,15
oivkodomh, (sens figuré) 2,21; Rm. 14,19; 15,2; 1Co 3,9;
4,12.16.29 14,3.5.12.26; 2Co 5,1; 10,8; 12,19;
13,10
(sens propre en Mt 24,1 = Mc
13,1.2)
avnecixni,astoj 3,8 Rm 11,33
pepoi,qhsij 3,12 2Co 1,15; 3,4; 8,22; 10,2; Ph 3,4
ka,,mptein go,nu 3,14 Rm 11,4; 14,11 (Ph 2,10 mêmes
paroles)
e;sw a;nqrwpoj 3,16 Rm 7,22; 2Co 4,16
ba,qoj (sens figuré) 3,18 Rm. 8,39; 11,33; 1Co. 2,10; 2Co.
8,2
(sens propre en Mt 13,5 et par.)
u`perekperissou/ 3,20 1Th 3,10; 5,13
parakalw/ ou=n 4,1 Rm 21,1; 1Co 4,16
kaqw.j kai, 4,4.17.32; Rm 1,13; 15,7; 1Co 13,12;14,34;

2
Certaines expressions ne se trouvent pas que chez Paul, mais étant typiques du style
paulinien, elles ont ici été retenues.
TABLES 329

5,2.25.29 2Co 1,14; 11,12; 1Th 2,14; 3,4;


4,1.6.13; 5,1 (2Th 3,1; Col 1,6;
3,13)
evn panourgi,a| 4,4 1Co 3,19; 2Co 4,2; 11,3
kata. to. me,tron 4,7 2Co 10,13
avlhqeu,ein 4,15 Ga 4,16
evpicorhgi,a 4,16 Ph 1,19
tou/to de. ou=n) le,gw 4,17 1Co 7,6; Ga 3,17 (Col 2,4)
evdu,w (sens figuré) 4,24; Rm 13,12.14; 1Co 15,53.54; Ga
6,11.14 3,27; 1Th 5,8 (Col 3,10.12)
evgaze,sqai tai/j ivdi,aij 4,28 1Co 4,12; 1Th 4,11
cersi,n
paradiso,nai e[auto.n u`pe,r 5,2.25 Rm 8,32; Ga 2,20
ovsmh. euvwdi,aj 5,2 2Co 2,14-16; Ph 4,18
pleone,kthj 5,5 1Co 5,10.11; 6,10
avgaqwsu,nh 5,9 Rm 15,14; Ga 5,22; 2Th 1,11
aivscro,j 5,12 1Co 11,6; 14,35
mh. gi,nesqe 5,17 Rm 12,16; 1Co 7,23; 2Co 6,14
qa,lpein 5,29 1Th 2,7
parorgi,zein 6,4 Rm 10,19
nouqesi,a 6,4 1Co 10,11
meta. fo,bou kai. tro,mou 6,5 [1Co 2,3] 2Co 5,15; Ph 2,12
tou/ loipou/ 6,10 Ga 6,17
perikafalai,a 6,17 1Th 5,8
presbeu,ein 6,20 2Co 5,20
avfqarsi,a 6,24 Rm 2,7; 1Co 15,42.50.53.5
330 ÉPHÉSIENS

Vocabulaire spécifique d’Éphésiens

Les quarante paroles soulignées sont des hapax legomena néotestamentaires


(dont 24 hapax AT+NT, et pour cela soulignés deux fois). Les autres vocables –
ceux qui ne sont pas soulignés – n’apparaissent pas dans les homologoumena.
Les chiffres indiquent le nombre d'occurrences du mot en Ep.

a;gnoia 1 e`no,thj 2 krufh/| 1 polupoi,kiloj 1


avgrupne,w 1 evxiscu,w 1 kubei,a 1 proelpi,zw 1
a;qeoj 1 evpe,rcomai 1 loutro,n 1 proskarte,rhsij 1
aivscro,thj 1 evpidu,w 1 makra,n 2 proskolla,w 1
aivcmalwsi,a 1 evpifau,skw 1 makrocro,nioj 1 r`uti,j 1
aivcmalwteu,w 1 evrgasi,a 1 me,geqoj 1 sapro,j 1
avkrogwniai/oj 1 e`toimasi,a 1 meqodei,a 2 skoto,w 1
a[lusij 1 eu= 1 mequ,skw 1 spi,loj 1
avmfo,teroi 3 euvaggelisth,j 1 meso,toicon 1 sugkaqi,zw 1
avnalamba,nw 2 eu;noia 1 mh/koj 1 summe,tocoj 2
avnaneo,w 1 eu;splagcnoj 1 mwrologi,a 1 sumpoli,thj 1
a;nemoj 1 euvtrapeli,a 1 ovrgi,zw 1 sunarmologe,w 2
avni,hmi 1 h`liki,a 1 o`sio,thj 1 sunoikodome,w 1
a;noixij 1 qureo,j 1 ovsfu,j 1 su,sswmoj 1
avpalge,w 1 ivscu,j 2 paidei,a 1 swth,rion 1
avpata,w 1 katabolh, 1 pa,lh 1 tima,w 1
avpeilh, 1 katartismo,j 1 panopli,a 2 u[dwr 1
a;sofoj 1 katoike,w 1 pa,roikoj 1 u`pera,nw 2
avswti,a 1 katoikhth,rion 1 parorgismo,j 1 u`pode,w 1
be,loj 1 katw,teroj 1 patria, 1 u[yoj 2
dia,boloj 2 klhro,w 1 perizw,nnumi 1 fragmo,j 1
dw/ron 1 kludwni,zomai 1 pla,toj 1 fro,nhsij 1
evkporeu,omai 1 kosmokra,twr 1 poimh,n 1 carito,w 1
evktre,fw 2 kraugh, 1 politei,a 1 ceiropoi,htoj 1
TABLES 331

Ep 3 en son contexte

Liens lexicographiques (le mot Cristo,j est omis) avec le reste de la première
partie de la lettre (Ep 1–3):

1,1s 1,3-14 1,15-23 2,1-10 2,11-22 3,1-13 3,14-19 3,20s


tou,tou ca,rin v.1 v.14
v.1 Pau/loj v.1
v.11 ta. e;q/nh v.1
v.13 avkou,w v.2
v.10 oivkonomi,a v.2.9
v.2 v.6.7 5.7.8 ca,rij v.2.7.8
v.17.22 doqei,sh v.2.7 v.16
v.17 avpoka,luyij v.3.5
v.9 gnwri,zw v.3.5.10
v.9 musth,rion v.3.4.9
noh/sai v.4 v.20
v.1 avpo,stoloj v.5
v.20
profh/tai v.5
v.20
v.13 v.17 [v.2] pneu/ma v.5 v.16
v.18.22
v.5.6 sun- v.6 [3x] v.18
19.21.22
v.11.14 v.18 klhro,wnomoj ecc. v.6
v.23 sw/ma v.6
v.16
v.13 evpaggeli,a v.6
v.12
v.13 euvagge,lion/izomai v.6.8
v.17
v.19 evne,rgeia v.7
v.19.20 du,namij v.7 v.16 v.20
v.7 v.18 v.7 plou/toj v.8 v.16
v.18 fwti,zw v.9
v.18 ti,j/ti, v.9 v.18
v.21 v.2.7 aivw,n v.9.11 v.21
kti,zw v.9
v.10.15 nu/n v.5.10
v.13
v.3 v.20 v.6 evpoura,nioj v.10
v.22 evkklhsi,a v.10
v.6 v.17 sofi,a v.10 v.21
v.11 pro,qesij v.11
prosagwgh, v.12
v.18
dio, v.13
v.11
v.6.12 14.17s do,xa v.13
333

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1
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2
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351

Table des matières

Avant-propos ...................................................................................................... i
Abréviations ...................................................................................................... v
Introduction ...................................................................................................... 1
Éphésiens 1,1-2 ............................................................................................... 39
Éphésiens 1,3-14 ............................................................................................. 44
Éphésiens 1,15-23 ........................................................................................... 87
Éphésiens 2,1-10 ............................................................................................112
Éphésiens 2,11-22 ......................................................................................... 135
Éphésiens 3,1-13 ........................................................................................... 168
Éphésiens 3,14-21 ......................................................................................... 191
Éphésiens 4,1–6,20 ....................................................................................... 201
Éphésiens 4,1-16 ........................................................................................... 204
Éphésiens 4,17 à 5,20 ................................................................................... 229
4,17-24 ...................................................................................................... 231
4,25–5,2 ..................................................................................................... 239
5,3-6 .......................................................................................................... 247
5,7-14 ........................................................................................................ 250
5,15-20 ...................................................................................................... 257
Éphésiens 5,(21)22-33 .................................................................................. 266
Éphésiens 6,1-9 ............................................................................................. 293
Éphésiens 6,10-20 ......................................................................................... 302
Éphésiens 6,21-24 ......................................................................................... 314
Conclusion. .................................................................................................... 321
Tables ............................................................................................................ 327
Bibliographie ................................................................................................. 333
Table des matières ......................................................................................... 351

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