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Augustine d’Hippone

Commencement de commentaire sur l’épître aux Romains


Corpus Scriptorum
Ecclesiasticorum
Latinorum (CSEL)

Herausgegeben von der Arbeitsgruppe CSEL


an der Universität Salzburg

Extra Seriem
Augustine d’Hippone
Commencement
de commentaire
sur l’épître aux Romains

Introduction, édition critique, traduction et commentaire


par Daniel Hadas
International Advisory Board:
François Dolbeau, Roger Green, Rainer Jakobi, Robert Kaster, Ernst A. Schmidt, Danuta Shanzer,
Kurt Smolak, Michael Winterbottom

Zur Erstellung der Edition wurde das Programm CLASSICAL TEXT EDITOR verwendet.

ISBN 978-3-11-059524-6
e-ISBN (PDF) 978-3-11-059478-2

Library of Congress Control Number: 2018964955

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www.degruyter.com
Avertissement
Les abréviations employées pour les ouvrages d’auteurs antiques sont, pour les
textes latins, ceux du Thesaurus Linguae Latinae, et pour les textes grecs, ceux du
Greek-English Lexicon de Liddell-Scott-Jones et du Patristic Greek Lexicon de
Lampe.
Sauf indication contraire, les éditions consultées sont, pour les textes latins,
celles utilisées par la base de données Library of Latin Texts de Brepols,1 et pour les
textes grecs, celles utilisées par la base de données Thesaurus Linguae Graecae.
Dans la mesure du possible, les citations sont faites par chapitre : nous ne ren-
voyons pas systématiquement aux éditions elles-mêmes, mais le faisons chaque fois
qu’un texte pourrait être difficile à localiser autrement.2
Renvois : Beaucoup d’ouvrages d’Augustin ont été divisés par les Mauristes ou
les éditeurs postérieurs3 en chapitres et sous-chapitres, selon deux numérotations
continues. Le cas échéant, par souci d’économie, nous renvoyons seulement aux
sous-chapitres : ainsi, nous renvoyons, par exemple, à conf. 7,13, plutôt qu’à conf.
7,9,13. Nous avons généralement agi de même pour les ouvrages d’autres auteurs
divisés de façon similaire. Pour le texte de l’Inchoata expositio, la division en cha-
pitres est celle des Mauristes ; la division en sous-chapitres vient de CSEL 84. Pour
les revues savantes, les sigles employés sont ceux de l’Année Philologique.
Traductions : Nous sommes responsable de toutes les traductions dans ce livre.
Nous avons choisi de traduire non seulement le texte édité, mais aussi toutes les
citations latines et grecques dans l’introduction générale et le commentaire. Nous
espérons ainsi rendre ce livre plus accessible, notamment aux étudiants. Les traduc-
tions ont pour seul objet de faciliter la compréhension de l’original. Elles sont donc
très littérales, ce qui donne un français souvent peu élégant. S’il nous est permis de
nous abriter sous les ailes du saint patron de l’érudition : Jérôme, malgré sa célèbre
défense de la traduction ad sensum, n’a pas agi autrement en traduisant la Bible.

||
1 Des listes des éditions de référence pour les œuvres d’Augustin sont disponibles sur les sites
internet de l’Augustinus-Lexikon et de la Nuova Biblioteca Agostiniana.
2 Deux précisions : pour le commentaire d’Origène sur l’épître aux Romains, nous avons utilisé la
division en chapitres et sous-chapitres de l’édition de C. HAMMOND BAMMEL (Der Römerbriefkommen-
tar des Origenes : kritische Ausgabe der Übersetzung Rufins, 3 t., Freiburg 1990–1998), qui est re-
prise dans toutes les éditions et traductions subséquentes. Pour les sermons sur les épîtres de Paul
de Jean Chrysostome, nous avons utilisé l’édition de Montfaucon, telle qu’elle est reproduite dans
PG. L’édition de FIELD (voir CPG 4427–4440) lui est bien supérieure, mais elle est trop souvent in-
trouvable.
3 Pour les ouvrages dont l’editio princeps est postérieure aux Mauristes. Là où la capitulation des
Mauristes existe, nous l’avons toujours respectée (ainsi, nous n’avons pas employé la nouvelle
division en chapitres de lib. arb. dans CSEL 74, ni celle de doctr. christ. dans CSEL 80).

https://doi.org/10.1515/9783110594782-001
VI | Avertissement

Ad maiorem Dei gloriam. Ce livre est la version remaniée d’une thèse doctorale
soutenue le 17 janvier 2015 à l’Université de Paris IV – Sorbonne, devant un jury
constitué de Vincent Zarini (directeur de la thèse), Jean-Marie Salamito, Martine
Dulaey et Michele Cutino. Je les remercie tous pour leurs conseils et corrections, de
même que d’autres érudits parisiens : Laetitia Ciccolini, François Dolbeau, Pierre
Petitmengin et Mickaël Ribreau. Je remercie de même les lecteurs anonymes du
CSEL, puis Dorothea Weber, Victoria Zimmerl-Panagl et surtout Clemens Weid-
mann, pour son travail patient et méticuleux dans la préparation de ce livre pour la
publication. Pour l’amélioration de mon expression française, je remercie Maëlle et
Rozenn Quéré, et surtout Amicie Pélissié du Rausas. Je suis l’unique responsable de
tous les défauts et lacunes du livre.
J’ai eu le grand bonheur de pouvoir enseigner pendant toute la période de tra-
vail qui a conduit à ce livre. Je remercie donc mes collègues et étudiants au Cour-
tauld Institute, à University College London et surtout à King’s College London.
C’est grâce à eux que les études classiques et médiévales sont toujours restées pour
moi une matière vivante, et je ne pense pas que j’aurais pu terminer autrement ce
travail. Je remercie aussi particulièrement quelques compagnons de route dans
l’étude de l’Antiquité tardive et de la transmission des textes, Tina Chronopoulos,
Sophie Lunn-Rockliffe et Philip Wood. Surtout, je remercie Carlotta Dionisotti, onore
e lume des études latines, dont l’érudition, la sagesse et la bonté ne cessent de
m’inspirer et de me réjouir depuis le début des mes études.
Je tiens à remercier ceux qui m’ont généreusement accueilli lors des nombreux
voyages nécessités par ce travail : Anne-Sophie Briant-Vaghela, Anna Stamatopou-
los, Nina Ogrowsky, Christine Bauquis, Rozenn Quéré, Benoît Pelé et leurs enfants,
Perrine Lottier, Sacha Wolff et leurs enfants.
En dernier lieu, je remercie ma famille et tous mes amis, quorum dilectio mihi
centum codicibus potior est.
Table des matières
1 Introduction générale | 1
1.1 L’Inchoata expositio dans les Retractationes | 1
1.2 Titre et date | 1
1.3 Plan de l’œuvre | 3
1.4 Genre et style | 8
1.5 Contexte général | 11
1.6 Contexte augustinien | 15
1.7 Sources | 19
1.8 Thèmes | 21
1.9 Postérité | 24
1.10 Le regard des modernes | 28

2 Introduction à l’édition | 30
2.1 Manuscrits | 30
2.1.1 Famille Λ | 31
2.1.2 Famille Ξ | 43
2.1.3 Manuscrit contaminé | 64
2.1.4 Manuscrits perdus | 66
2.2 Le stemma et sa démonstration | 68
2.2.1 Élimination des manuscrits descendants de manuscrits existants | 68
2.2.2 Indépendance des autres manuscrits | 71
2.2.3 L’archétype (Ω) | 76
2.2.4 Familles et sous-familles | 77
2.2.5 Contamination | 79
2.2.6 La place de B | 79
2.3 Tradition indirecte | 82
2.3.1 Glossa ordinaria (Gl) | 82
2.3.2 Pierre Lombard (Lomb) | 83
2.4 Les éditions | 84
2.4.1 Analyse | 85
2.5 Claude de Turin | 90
2.5.1 Texte édité | 97
2.5.2 Notes sur le texte de Claude | 102
2.5.3 Modifications de Claude | 105
2.6 Commentaire anonyme dans Paris Lat. 11.574 | 106
2.7 Clausules | 110
2.7.1 Méthodologie | 111
2.7.2 Résultats | 113
2.7.3 Conclusions | 115
VIII | Table des matières

2.7.4 Critique textuelle | 117


2.8 Notes critiques pour l’Inchoata expositio | 117
2.9 Différences entre la présente édition et celle de CSEL 84 | 148

Conspectus siglorum | 150


Texte et traduction | 152
Commentaire | 196

Sigles | 390
Bibliographie | 391
Index | 399
1 Introduction générale

1.1 L’Inchoata expositio dans les Retractationes


Dans les Retractationes (« Révisions »), le catalogue critique de ses œuvres qu’il
rédigea vers 427,1 Augustin décrit ainsi le texte que nous présentons :
Epistulae quoque ad Romanos sicut ad Galatas expositionem susceperam. Sed huius operis si
perficeretur plures libri erant futuri. Quorum unum in sola disputatione ipsius salutationis ab-
solvi, ab initio scilicet usque ad illud ubi ait: ‘gratia vobis et pax a Deo Patre nostro et Domino Ie-
su Christo’ [Rom. 1,7]. Factum est quippe ut immoraremur, cum vellemus solvere incidentem ser-
moni nostro difficillimam quaestionem de peccato in spiritum sanctum, quod non remittatur
neque in hoc saeculo neque in futuro [Mt. 12,31s.]. Sed deinde cessavi alia volumina adiungere ex-
ponendo epistulam totam, ipsius operis magnitudine ac labore deterritus, et in alia faciliora de-
flexus sum. Ita factum est ut librum quem feceram primum relinquerem solum, cuius esse titulum
volui ‘epistulae ad Romanos inchoata expositio’.

(« J’avais aussi entrepris un commentaire de l’épître aux Romains, comme celui [de l’épître]
aux Galates.2 Mais il y aurait eu plusieurs livres pour cette œuvre si elle avait été terminée. J’en
terminai un en discutant seulement de la salutation même, c’est-à-dire du début jusqu’à l’en-
droit où il dit : ‘la grâce soit avec vous et la paix de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ’.
Il advint en effet que nous nous attardâmes en voulant résoudre une question très difficile qui
survint dans notre propos, celle du péché contre l’Esprit Saint, qui n’est pardonné ni en ce
monde ni dans [le monde] à venir. Mais ensuite je tardai à y ajouter d’autres volumes3 pour
commenter toute l’épître, découragé4 par l’importance et l’effort d’un tel travail, et je me dé-
tournai vers d’autres choses plus faciles. Ainsi advint-il que je laissai seul le premier livre que
j’avais fait, dont je voulus que le titre soit ‘commencement de commentaire sur l’épître aux
Romains’ »).

Puisque l’Inchoata expositio (comme nous appellerons désormais ce texte) ne com-


porte aucun indice interne de sa date ou de ses circonstances de composition, ce
texte de retract. fournit nos seules informations sur ces sujets.

1.2 Titre et date


Augustin a donc nommé son texte Epistulae ad Romanos inchoata expositio. Possi-
dius, évêque de Calama, ami et biographe d’Augustin, est moins précis. L’Indi-

||
1 Retract. 1,25. Pour la datation, voir CCSL 57, xiii.
2 C’est à dire in Gal.
3 Pour le sens de ce terme, voir n. à 23,15, in aliis voluminibus.
4 Pour ce sens de deterritus, voir Serv. ecl. 6,3 : gesta regum Albanorum, quae coepta omisit nomi-
num asperitate deterritus (les faits des rois albains, qu’il [sc. Virgile] commença, mais abandonna,
découragé par la dureté de leurs noms).

https://doi.org/10.1515/9783110594782-002
2 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

culum, son propre catalogue des œuvres augustiniennes, parle seulement de


quaedam exposita de epistola ad Romanos, libri duo (« quelques commentaires sur
l’épître aux Romains, deux livres »).5 Ces deux livres ne peuvent être que l’Inchoata
expositio et une œuvre antérieure, l’Expositio quarundam propositionum epistulae
ad Romanos (« Commentaire sur quelques propositions de l’épître aux Romains », in
Rom.),6 qui, ainsi que son titre l’indique, n’est pas un commentaire suivi de Rom.,7
tout comme l’Inchoata expositio ne commente que Rom. 1,1–7.
Il faut en tout cas s’en tenir au titre d’Augustin. Il importe aussi de traduire i n -
c h o a t a expositio par « commentaire c o m m e n c é »8 ou « c o m m e n c e m e n t de
commentaire », et non pas « commentaire inachevé », vel sim.9 En effet, inchoata10
est à contraster avec imperfectus, adjectif qu’Augustin ajouta au titre de sa première
tentative de commentaire littéral du début de la Genèse : De Genesi ad litteram liber
imperfectus (« Livre inachevé sur la Genèse selon la lettre »).11 Ce texte devait com-
menter en entier Gen. 1,1–31, mais s’arrête à Gen. 1,26.12 Il s’agit donc d’un ouvrage
qu’Augustin mena presque à bout, alors que l’Inchoata expositio n’est qu’une
ébauche. C’est ce que reflète la distinction entre inchoata et imperfectus.13
Comme Augustin a tenté de placer ses œuvres dans retract. en ordre chronolo-
gique,14 on peut fixer une date approximative pour l’écriture de l’Inchoata expositio.
Le livre fait partie de la séquence dans retract. qui va de util. cred. à la fin du livre 1 :
les ouvrages écrits quand Augustin était iam … apud Hipponem Regium presbyter

||
5 Possid. indic. 10,1,11 (WILMART, Operum, 175). Comparer la description ibid. 10,1,12 de in Gal. :
Expositio epistolae omnis ad Galatas, liber unus (« Commentaire sur t o u t l’épître aux Galates, un
livre »).
6 Sur ce texte, voir retract. 1,23.
7 L’œuvre appartient plutôt au genre des Quaestiones. Voir MARA, Agostino interprete, 9 ; PLUMER,
Augustine’s Commentary, 25.
8 RAULX et al. et PERONNE et al. traduisent « explication commencée ».
9 Voir DOLBEAU, Brouillons, 203 : « inchoata, épithète voulue par l’auteur, signifie ‘entamée, mais
non achevée’ ».
10 Pour un autre exemple d’inchoatus dans ce sens (chez Ausone), voir DOLBEAU, Brouillons, 192.
11 Gen. ad litt. imperf.
12 Voir retract. 1,18.
13 Voir aussi retract. 1,4,1 et 1,5,1 sur soliloq., dont le statut d’imperfectus transparait à peine pour
nous (sur ce point, voir DOLBEAU, Brouillons, 200), et retract. 2,4,1 sur doctr. christ., qu’Augustin
décrit comme étant resté imperfectus quand il avait écrit, sur quatre livres envisagés, les deux pre-
miers et une partie du troisième. imperfectus figure aussi dans le titre habituellement donné à c.
Iulian. op. imperf., ouvrage qui est très loin de n’être qu’une ébauche. Mais comme son écriture fut
interrompue par la mort d’Augustin, on ne peut attribuer son titre à l’auteur (voir CSEL 85/1, ix/x). Il
remonte plutôt à l’Indiculum de Possidius, qui appelle aussi haer. un inperfectum opus (voir DOL-
BEAU, Brouillons, 195–197).
14 Retract. praef. 3. Sur les limites de retract. pour la chronologie, voir CCSL 57, xv–xxi. La thèse
que l’Inchoata expositio fut écrite avant in Rom est à rejeter (voir MENDOZA, 488).
Introduction | 3

(« déjà prêtre à Hippone la Royale »),15 mais avant son ordination à l’épiscopat, alors
que le livre 2 de retract. est consacré aux œuvres qu’il écrivit évêque. Or, Augustin
fut ordonné prêtre en 39116 et évêque en 395 ou 396.17 L’Inchoata expositio fut écrite
vers la fin de cette période, puisque seulement deux œuvres (divers. quaest. et de
mend.) la suivent dans retract., toutes les deux en dehors de la séquence chronolo-
gique. Si l’on admet, sur la base de retract. 1,23,1, que in Rom. fut dictée à l’époque
du Concile de Carthage du 26 juin 394,18 on peut encore préciser : selon l’ordre de
retract., in Rom. est suivie de in Gal. puis de l’Inchoata expositio. Notre texte aurait
donc été écrit après le Concile et avant l’élévation d’Augustin à l’épiscopat : entre
juin 394 et 395/396. Il est impossible d’en savoir plus, puisque, bien que nous
soyons certains qu’il composait rapidement, nous ne connaissons pas les détails du
rythme de travail d’Augustin.

1.3 Plan de l’œuvre

I. Introduction (1)
Le but de la lettre

II. Exégèse de Rom. 1,1–7 (2–9)


A segregatus et vocatus (2)
 segregatus correspond à la synagogue, vocatus à l’Église.
B per prophetas suos in scripturis sanctis (3)
 prophetas indique l’importance des Juifs (3,1s.).
 Paul ne parle pas des prophètes parmi les idolâtres qui ont parlé du
Christ (3,3–5).

C de Filio suo qui factus est ei ex semine David secundum carnem (4,1–3)
 Paul ne parle pas non plus des prophètes païens mais non idolâtres qui
parlent du Christ, mais de ceux du peuple de David (4,1–3).

D factus est … secundum carnem (4,4–12)


 Ce n’est qu’en tant que filius David que Jésus est un homme, d’où secun-
dum carnem (4,4–8).
 Jésus n’est factus que dans sa nature humaine (4,9–12).

||
15 Retract. 1,14,1.
16 MANDOUZE, Prosopographie, 1140 avec n. 7.
17 PLUMER, Augustine’s Commentary, 3s.
18 PLUMER, Augustine’s Commentary, 3.
4 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

E praedestinatus Filius Dei in virtute secundum spiritum sanctificationis ex resur-


rectione mortuorum (5,1–9)
 La Résurrection montre la virtus de Jésus (5,1s.).
 Notre sanctification vient de la Résurrection de Jésus (5,2s.).
 Il vaut mieux comprendre praedestinatus est avec ex semine David et ex
resurrectione mortuorum qu’avec Filius Dei in virtute secundum spiritum
sanctificationis (5,4–9).
F Iesu Christi Domini nostri (5,13–17)
 La praedestinatio du Christ s’accomplit dans son rôle de premier ressus-
cité (5,10–13).
 Plus précisément, il est le chef de file de ses ressuscités, ceux qui seront
sauvés (5,13–17).

G per quem accepimus gratiam et apostolatum (6,1s.)


 Paul a reçu l’apostolat par la grâce, et non par le mérite.

H ad oboediendium in omnibus gentibus pro nomine eius in quibus estis et vos


vocati (6,3s.)
 L’apostolat, c’est annoncer le nom de Jésus (6,3),
 y compris parmi vous, les gentils (6,4).

I Résumé de A–H (7,1–4)


 Le texte peut être analysé comme une série de questions-réponses.

J omnibus qui sunt Romae dilectis Dei, vocatis sanctis (7,5–7)


 dilectis et vocatis indiquent que c’est Dieu qui nous choisit d’abord, et
non l’inverse.

K gratia vobis et pax a Deo Patre nostro et Domino Iesu Christo (8)
 Toute grâce ne vient pas de Dieu (8,1s.).
 Toute paix ne vient pas de Dieu (8,3).
 D’abord vient la grâce (rémission des péchés), ensuite la paix (adhérer à
Dieu) (8,4–6).

III. Réflexions supplémentaires sur gratia et pax (9–13)

A Conflit entre gratia et pax et justice de Dieu (9,1–10,13)


 Le problème : Dieu est-il juste quand il pardonne les péchés ? (9,1).
 La justice doit séparer les repentis de ceux qui restent dans leurs péchés
(9,2–6).
 Mais une grâce qui provoque le repentir vient avant la grâce de la rémis-
sion (9,6).
 La justice remet les peines éternelles, mais non pas les peines corporelles
(10,1–10).
Introduction | 5

 Reprise : gratia et pax n’impliquent pas une abrogation de la justice de


Dieu (10,11).
 La paix complète ne viendra que dans le monde à venir (10,12s.).

B gratia et pax sont à identifier avec l’Esprit Saint (11s.)


 gratia et pax sont le don de Dieu et donc l’Esprit (11,1s.).
 C’est pourquoi Paul parle de gratia et pax dans toutes ses épîtres (11,3–
6).
 Les épîtres catholiques parlent aussi de la Trinité dans leurs exordes
(12,1–9).

C Digression : salus en Punique signifie « trois » en latin (13)


 Une équivalence découverte par Valérius (13,1s.).
 La femme cananéenne de l’Évangile a donc demandé la Trinité pour sa
fille (13,3–6).
 Les trois pains de l’Évangile sont aussi la Trinité (13,6).
 Valeur limitée de l’équivalence (13,7).

IV. Le blasphème impardonnable contre l’Esprit Saint (14–23)


A Présentation du problème et de sa vraie solution (14,1)
 Pécher contre l’Esprit, c’est rejeter gratia et pax en persistant dans le pé-
ché sans se repentir.

B Les mots et les intentions (14,2–8)


 Il y a seulement blasphème si celui qui parle comprend ce que signifie
Spiritus sanctus.

C Fausse solution 1 : Les non-catholiques peuvent commettre le blasphème


impardonnable contre l’Esprit (15)
 Le problème : Personne ne serait exempt (15,1).
 Cas 1 : Les païens (15,2–4).
 Réfutation 1 : Mais nous appelons les païens à la conversion (15,4s.).
 Cas 2 : Les Juifs (15,5s.).
 Réfutation 2 : Exemple de Paul (15,6).
 Cas 3 : Les Samaritains (15,7s.).
 Réfutation 3 : La femme samaritaine et les Samaritains dans Act. (15,9).
 Cas 4 : Simon le Magicien (15,10).
 Réfutation 4 : S. Pierre appelle Simon au repentir (15,10).
 pré-Réfutation 5 : L’Église appelle les hérétiques au repentir (15,11s.).
 Cas 5 : Les hérétiques blasphèment contre l’Esprit par le fait même d’être
hérétiques (15,12s.) et par leurs enseignements sur l’Esprit Saint (15,13–
15).
6 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

 Réfutation 5 : L’Église appelle les hérétiques au repentir et à revenir en


son sein (15,16).

D Fausse solution 2 : Les baptisés peuvent commettre le blasphème impardon-


nable contre l’Esprit (16,1)
 Le problème : L’Église pardonne aussi aux baptisés.

E Sous-hypothèse 2a : Le blasphème impardonnable contre l’Esprit, c’est le


péché post-baptismal, quand on n’est plus dans l’ignorance (16,2–4)
 Présentation de l’hypothèse (16,2).
 Réfutation 1 : Mais blasphémer contre l’Esprit et pécher sans ignorance
ne sont pas la même chose (16,2s.).
 Réfutation 2 : Si l’hypothèse est vraie, tout péché grave post-baptismal
serait impardonnable (16,3s.).

F Sous-hypothèse 2b : Le blasphème impardonnable contre l’Esprit Saint, c’est


dire du mal de l’Esprit Saint quand, à cause du baptême, on n’est plus dans
l’ignorance (16,5–17,1)
 Présentation de l’hypothèse (16,5).
 Réfutation 1 : Le Seigneur ne dit rien sur le baptême quand il parle du
blasphème (16,5).
 Réfutation 2 : Simon le Magicien était déjà baptisé quand il blasphéma
mais pouvait encore être pardonné (16,6).
 Réfutation 3 (s’appliquant aussi à sous-hypothèse 2a) : Être baptisé ne
signifie pas toujours la fin de l’ignorance, et les ignorants sont pardon-
nés (16,7s.).
 Réfutation 4 : Il serait absurde que le seul le blasphème contre l’Esprit, et
non celui contre le Fils, commis sans ignorance, soit impardonnable
(17,1).

G Sous-hypothèse 2c : Le blasphème impardonnable contre l’Esprit, c’est le


péché post-baptismal, mais seulement pour ceux qui ne sont plus dans
l’ignorance (17,2–5)
 Formulation de l’hypothèse (17,2).
 Réfutation : Tous savent que certains actes (adultère, vol, etc.) sont
mauvais, mais ces actes sont pardonnables (17,2–5).

H Sous-hypothèse 2d : Le blasphème impardonnable contre l’Esprit Saint, c’est


le péché quand on connait la volonté de Dieu (18s.)
 Argument 1 : Hebr. 10,26 soutient cette hypothèse (18,1s.).
 Argument 2 : Lc. 12,47s. soutient cette hypothèse (18,3–5).
 Réfutation 1 : On peut connaitre la volonté de Dieu avant le baptême, et
le baptême remet tous les péchés (18,6–8).
Introduction | 7

 Réfutation 2 : La volonté de Dieu, c’est de l’aimer et d’aimer son pro-


chain. Les baptisés qui le savent et ne le font pourtant pas peuvent être
pardonnés (18,9–13).
 Réfutation 3 : David connaissait la volonté de Dieu quand il a péché, et il
fut pardonné, mais aussi puni. C’est à de tels cas que s’applique Lc.
12,47s. (18,14s.).
 Réfutation 4 : Hebr. 10,26 indique seulement que l’on ne peut être rebap-
tisé (19,1–3).
 Réflexion sur réfutation 4 : Le baptême est une cause nécessaire mais
non suffisante pour la « connaissance de la vérité » dont parle Hebr.
10,26 (19,3–6).
 Retour sur réfutation 4 : Hebr. 10,26 et 6,1s. interdisent le second bap-
tême (19,6–11).
I Sous-hypothèse 2e : Le blasphème impardonnable contre l’Esprit Saint, c’est
offenser l’Esprit Saint lui-même avec la connaissance (20,1–21,2)19
 Énoncé de l’hypothèse (20,1).
 Réfutation : Les Juifs qui ont péché, comme l’indique le Seigneur, contre
l’Esprit Saint ne connaissaient pas l’Esprit Saint (20,2–6).
 Conséquence de la réfutation : Pécher contre l’Esprit, c’est voir ses
œuvres avec un esprit malveillant (21,1s.).

J Sous-hypothèse 2f (implicite) : Le blasphème impardonnable contre l’Esprit


Saint, c’est rejeter les œuvres de l’Esprit par malveillance et jalousie (21,3–7)
 Réfutation 1 : Le pardon était sûrement ouvert même aux pharisiens que
le Seigneur a accusé de péché contre l’Esprit (21,3s.).
 Réfutation 2 : Paul lui-même fut malveillant et jaloux (21,4–7).
K Retour à la vraie solution : Le blasphème impardonnable contre l’Esprit, c’est
la persistance dans le péché (22,1–4)
 Tous les péchés particuliers à l’extérieur de l’Église et à l’intérieur ne
sont pas ce blasphème (22,1–3).
 La persistance consiste à résister à la gratia et pax de Dieu, qui sont
l’Esprit (22,4).
L Relecture de Mt. 12 à la lumière de K (22,4–23,7)
 Mt. 12,33 prouve qu’en rejetant les miracles de Jésus, les pharisiens
n’avaient pas commis le blasphème impardonnable contre l’Esprit
(22,4s.).

||
19 Il y a dans I–J une certaine incohérence dans la structure de l’Inchoata expositio. Voir n. à 21,1s.
8 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

 La guérison du paralytique montre que le but des miracles était l’appel à


la conversion (23,1–5).
 Le but de Jésus en Mt. 12 était donc d’offrir gratia et pax, et d’exhorter les
pharisiens à ne pas les refuser (23,6s.).
M Le blasphème impardonnable contre l’Esprit n’est pas une seule parole, mais
un comportement (23,8–12)
 Énoncé de l’argument (23,8).
 Justification par l’Écriture (23,9–11).
 L’impénitence peut donc être décrite comme un blasphème (23–12).

N Conclusion sur le blasphème impardonnable contre l’Esprit et conclusion du


texte (23,13–15)
 Reprise de K, L, M : Jésus appelle les pharisiens, et nous tous, à changer
de comportement et accepter gratia et pax, pour ne pas commettre le
blasphème impardonnable contre l’Esprit (23,13).
 C’en est assez pour le commentaire sur Paul ; pour plus de détails, voir
un commentaire de l’Évangile (23,14s.).

1.4 Genre et style


L’Inchoata expositio constitue le premier livre d’un projet de commentaire à grande
échelle, divisé en multiples livres,20 sur un texte scripturaire. Un calcul simpliste,
mais néanmoins indicatif, montre que si le commentaire actuel sur 7 versets de
Rom. tient sur 35 pages de l’édition CSEL, et constitue un livre, une continuation
avec la même proportion texte / commentaire aurait donné une œuvre d’environ
1800 pages, soit 60 livres. Sans doute, en évitant les digressions, Augustin aurait pu
progresser plus rapidement dans la suite du commentaire, mais il envisageait cer-
tainement de créer une œuvre très importante, largement plus longue que tout ce
qu’il avait écrit jusqu’alors.
À cette époque, aucun commentaire d’une telle ampleur n’avait été réalisé dans
l’Église latine.21 Les modèles les plus proches étaient les commentaires d’Ambroise
sur l’Évangile de Luc, en 10 livres, et surtout les commentaires de Jérôme sur l’épître

||
20 Pour la division en livres (« volumes »), voir 23,15, et n. ad loc., in aliis voluminibus.
21 Les plus longs commentaires latins écrits du vivant d’Augustin sont postérieurs à l’Inchoata
expositio : ceux de Jérôme sur Ésaïe, en 17 livres (écrit en 408–410), et sur Ézéchiel, en 14 livres
(écrit en 410–414 ; pour la datation, voir FÜRST, Hieronymus, 119). Mais ils commentent des textes
beaucoup plus longs que Rom. Les plus amples œuvres exégétiques d’Augustin, in psalm. et in
euang. Ioh., ne sont pas des commentaires, mais des recueils de sermons (exception faite des expo-
sés sur les 32 premiers psaumes recueillis dans CSEL 93/1A).
Introduction | 9

aux Galates et l’épître aux Éphésiens, chacun en 3 livres. Derrière ces prédécesseurs
latins se profilaient les vastes commentaires d’Origène, le modèle exégétique de
toute l’Église antique.22 Origène avait justement écrit un commentaire sur Rom. en 15
livres, dont la traduction abrégée de Rufin occupe quatre volumes dans la collection
Sources Chrétiennes.23 Si Augustin n’a pas pu exploiter ce commentaire à l’époque
de l’Inchoata expositio,24 il montrait déjà un vif intérêt pour Origène, qu’il exhortait
Jérôme à traduire,25 et il semble s’être lui-même servi des traductions latines des
œuvres de l’Alexandrin dès que celles-ci lui devenaient disponibles.26 On ne peut
concevoir Augustin formant le projet d’un commentaire d’une ampleur comme celle
qu’il projetait pour l’Inchoata expositio sans l’exemple d’Origène.
Par rapport à in Gal., l’Inchoata expositio marque donc un progrès notoire dans
les ambitions exégétiques de son auteur. in Gal. est écrite sur le modèle des com-
mentaires de Marius Victorinus et de l’Ambrosiaster : toute l’épître est commentée
en un seul livre, sans grandes digressions, et le texte de Paul prend souvent la forme
de lemmes, plutôt que d’être intégré dans la prose d’Augustin. Dans l’Inchoata ex-
positio, par contraste, il n’y a pas de lemmes, et Augustin se livre à plusieurs digres-
sions,27 dont la dernière, sur le blasphème contre l’Esprit Saint, finira par constituer
plus de la moitié du texte. Encore une fois, sa pratique rappelle celle d’Origène,
pour qui le passage commenté sert souvent de point d’appui à toutes sortes de ré-
flexions sur des problèmes théologiques et exégétiques qui dépassent largement le
cadre du passage.
Il convient de souligner que l’Inchoata expositio est bien une œuvre d’exégèse
« scientifique » (pour se permettre un anachronisme), stimulée par « l’intérêt exégé-
tique … sans motivation anti-hérétique directe ».28 Fredriksen Landes29 a pourtant
voulu y voir une œuvre anti-manichéenne, et Mara partage en partie ce point de

||
22 Sur ce point voir SOUTER, The Earliest, 1 (« Origène, dont la figure domina les efforts subséquents
pendant des siècles »).
23 532.539.543.555. On trouvera la liste des commentaires d’Origène dans NAUTIN, Origène, 242–251.
Celui sur Rom. est loin d’être le plus long : l’Évangile de Jean fut commenté jusqu’à Io. 13,33 en 32
livres.
24 Voir n. à 5,11–17.
25 Voir surtout epist. 28,2.
26 Voir ALTANER, Augustinus und Origenes : Augustin aurait exploité Origène dès gen. c. Manich.
(236–239). Mise au point chez DULAEY, L’apprentissage (1), 288s. ; (2) 82 ; (3) 64 pour toutes les
œuvres jusqu’à de serm. dom. (l’Inchoata expositio est donc exclue). Dulaey est plus sceptique sur
l’influence directe. En effet, l’hypothèse d’un intermédiaire perdu ou d’un enseignement oral sera
généralement impossible à écarter.
27 3,3 sur Virgile ; 13 sur la Cananéenne.
28 RING, 49. RING, Die unvergebbare Sünde, 11.
29 FREDRIKSEN LANDES, Augustine on Romans, ix.
10 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

vue, tout en considérant l’œuvre comme essentiellement anti-donatiste.30 Il est


certes vrai que Mani lui-même a beaucoup imité Paul,31 et que les Manichéens, du
moins en Afrique, attachaient une grande importance aux épîtres de l’apôtre.32 Il est
vrai aussi que les Donatistes aimaient à citer Paul pour montrer la pureté requise
selon eux de l’Église, et prétendre que les persécutions qu’ils enduraient des Catho-
liques indiquaient que la vraie Église était la leur.33 Augustin connaissait ces faits, et
on admettra qu’ils aient pu le motiver à commenter l’apôtre plutôt qu’un autre texte.
Mais, dans son exégèse même de Rom., et ses réflexions sur le blasphème contre
l’Esprit Saint, il est conduit par la recherche du sens essentiel des Écritures qu’il
commente, et non pas de ce qui pouvait réfuter une hérésie donnée. Dans l’Inchoata
expositio, Manichéens et Donatistes ne figurent donc que dans une énumération
générale d’hérétiques,34 amenée très naturellement par la question abordée dans ce
passage. On remarquera aussi qu’Augustin commente Rom. 1,3 sur la venue du
Christ « selon la chair » sans polémiquer contre le docétisme des Manichéens, alors
qu’ils récusaient justement ce texte.35 De même, il affirme l’impossibilité du second
baptême, sans aborder la dispute entre Catholiques et Donatistes sur cette ques-
tion.36 Du reste, on pourrait tout aussi bien maintenir que l’Inchoata expositio est un
texte anti-ébionite, anti-arien, ou anti-novatianiste, puisque des croyances de toutes
ces sectes y sont combattues.37 Mais c’est l’usage normal des commentateurs patris-
tiques de noter, au fil de la lecture, comment le texte scripturaire soutient la posi-
tion de leur Église contre celles qu’ils rejettent. Il ne saurait en être autrement,
puisque orthodoxie et hérésie s’étaient si largement construites dans le combat sur

||
30 MARA, Agostino interprete 37.78–80. L’hypothèse de l’anti-Donatisme repose essentiellement
sur l’idée que, dans son interprétation du blasphème contre l’Esprit Saint, Augustin polémique
contre les Donatistes, qui niaient la possibilité du pardon ecclésiastique des péchés graves. Nous ne
connaissons aucun texte qui puisse justifier cette affirmation (voir n. à 14,1, Le blasphème).
31 Voir MENDOZA, 466 et surtout RIES, Saint Paul. Quelques réserves chez DECRET, L’utilisation, 29–
40.
32 Voir MENDOZA, 466s., et surtout DECRET, L’utilisation.
33 MENDOZA, 468s. ; FREND, The Donatist Church (mais Frend rappelle que Paul n’avait aucun statut
spécial chez les Donatistes, qui accordaient la même valeur à toute la Bible, tout comme les Catho-
liques).
34 15,13–16. Pour le choix d’inclure les Donatistes, voir cependant n. ad loc. Et pour une autre
pointe anti-manichéenne possible, voir n. à 3,1 ; 3,3, fuerunt enim ; et 4,1, Les prophètes, (e).
35 Voir n. à 4,8, addendo ergo. De même, il commente ex semine David en Rom. 1,3 sans insister sur
la génération humaine du Christ : à contraster avec l’emploi de ex semine David en c. Faust. 2,2.
36 19. La pratique donatiste est bien condamnée en 15,14, mais les deux passages ne sont pas
reliés, et l’interprétation de Hebr. en 19 n’a pas sa source dans la polémique anti-donatiste (voir n. à
18,2 et 19,10, et comparer haer. 44 et 49 pour le second baptême condamné chez d’autres héré-
tiques). Noter aussi l’exégèse anti-donatiste de Rom. 1,5 en epist. 49,2 : elle est absente de l’Inchoata
expositio.
37 Ébionites : 4,4–8 ; Ariens : 4,8–11 ; Novatianistes : voir n. à 14,1, Le blasphème.
Introduction | 11

le sens de la Bible. Dans ce sens, l’Inchoata expositio est sans doute un ouvrage en
partie polémique, et on pourrait en dire autant pour une très grande partie de
l’exégèse augustinienne.38 Mais notre texte n’est nullement un commentaire anti-
hérétique comme l’est gen. c. Manich., écrit, comme son titre l’indique, pour réfuter
une interprétation particulière d’un partie de l’Écriture.
La langue de l’Inchoata expositio appelle peu de remarques :39 elle est celle que
l’on attendrait d’un commentaire rédigé.40 L’écriture est formelle et suivie, avec une
forme d’élégance modeste, y compris dans la recherche de clausules,41 mais elle vise
surtout la clarté. C’est donc essentiellement le style submissus (« simple, bas ») tel
qu’il est décrit dans doctr. christ. 4,42 et dont le but principal est d’enseigner. Mais,
suivant ses propres recommandations,43 Augustin se permet parfois un ton plus
élevé, où des questions rhétoriques44 ou des périodes développées45 interpellent le
lecteur. On trouve ces effets surtout dans la seconde partie du texte, où l’auteur
argumente plus qu’il ne commente. Nous restons cependant très loin de la langue
artificielle et complexe des écrits de Cassiciacum, de l’audace linguistique des Con-
fessions, de l’éclat rhétorique des œuvres polémiques (y compris civ.), mais aussi
des rythmes saccadés et du lexique46 et de la syntaxe47 plus vulgaires des sermons.

1.5 Contexte général


On a souvent parlé d’un foisonnement de commentaires sur Paul dans l’âge d’or de
la patristique,48 la période qui s’étend approximativement du Concile de Nicée à

||
38 Sur ce point, cf. n. à 4,4.
39 Pour RING, 49, la langue du texte est claire et raffinée mais un peu lassante.
40 En gen. c. Manich. 1,1 et in psalm. 6,2, des commentaires écrits à l’époque de notre texte, Augus-
tin signale qu’il vise une écriture compréhensible pour les moins éduqués. La langue de l’Inchoata
expositio est quelque peu plus sophistiquée.
41 Voir infra, 2.7, pp. 110–117.
42 Pour ce parallèle, voir aussi n. à 7,1–5.
43 Doctr. christ. 4,134. Il y note que le style simple est le plus tolérable pour de longs développe-
ments : facilius submissum solum quam solum grande diutius tolerari potest (« seul le style simple
peut être plus facilement supporté un certain temps que le style sublime seul » ; traduction BA 11/2).
Cependant, les conseils de doctr. christ. portent surtout sur la prédication.
44 13,6 ; 15,1.9.11–12 ; 16,8 ; 17,3 ; 21,3.6 ; 22,1–3 ; 23,14 ; voir aussi 14,3.
45 E.g. 18,11 ; 23,1.13.
46 Voir n. à 15,2, pagani.
47 On ne trouve qu’un exemple de l’oratio obliqua introduite par une particule, en 14,1, où le choix
syntactique semble motivé par un souhait de clarté absolue sur un point essentiel. Pour cette syn-
taxe chez Augustin, voir DOKKUM, De constructione.
48 E.g. MARA, Agostino Interprete, 13–33 ; PLUMER, Augustine’s Commentary, 5 ; O’DONNELL sur
conf. 7,27 ; MARTINS, Pauline Commentaries.
12 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

celui de Chalcédoine. Mara recense pour cette période quatorze commentateurs


grecs sur Paul, un commentaire en syriaque, en plus des six commentateurs la-
tins :49 Marius Victorinus, l’Ambrosiaster, Jérôme, Augustin, Pélage, et un ano-
nyme.50 On a ensuite cherché diverses explications de cette multiplicité. Il s’agit là
d’un problème qui n’admet pas de solution définitive, mais qui appelle quelques
remarques :
(a) Le lien postulé entre la rédaction de ces commentaires et les disputes théo-
logiques et surtout christologiques de cette époque est à admettre.51 Avec les écrits
de Jean, les épîtres sont la grande source biblique de christologie, et attiraient donc
inévitablement l’intérêt des exégètes. L’Inchoata expositio elle-même entre dans les
débats christologiques dès 4,4.
(b) Par contre, chercher la cause de ces commentaires dans l’angoisse sociale du
temps, et dans une nouvelle soif de salut chez les hommes,52 laisse perplexe. Il
semble impossible soit de vérifier soit de réfuter ce type d’explication, qui est ca-
pable, avec un peu de bonne volonté, de rendre compte de presque tout développe-
ment dans l’histoire des religions.
(c) Il est possible, dans une certaine mesure, d’expliquer les développements
dans l’Église latine par ceux dans l’Église grecque.53 Ce n’est que depuis la seconde
partie du 4ème siècle que les Latins entament une activité littéraire qui puisse rivali-
ser un tant soit peu avec la production démesurée des auteurs chrétiens grecs. Les
plus grands des Pères latins, Ambroise, Jérôme, Augustin, représentent tous à leur
façon l’ambition de construire une égalité intellectuelle entre les deux Églises. Dans
un tel contexte, on peut comprendre que, si les Grecs ont produit quatorze nou-
veaux commentaires sur Paul, sans parler des œuvres déjà existantes d’Origène,54
les Latins en aient écrit six.
(d) Dans un sens, il peut s’agir d’un faux problème. Le grand nombre des com-
mentaires pauliniens étonnerait à une époque où l’on commentait peu la Bible. Mais
l’âge d’or de la patristique fut incontestablement un âge d’or du commentaire, et on

||
49 MARA, Agostino interprete, loc. cit. Des commentaires (ou homélies) grecs seuls subsistent ceux
de Jean Chrysostome, Théodore de Mopsueste (en traduction latine) et Théodoret de Cyr. Le com-
mentaire syriaque est d’Éphrem.
50 H. J. FREDE (éd.), Ein Neuer Paulustext und Kommentar, 2 t., Freiburg 1973/1974.
51 Voir MARTINS, Pauline Commentaries, 626.
52 Voir MARA, Agostino interprete, 31–33 ; MENDOZA, 464.
53 Sur ce point, voir déjà PLUMER, Augustine’s Commentary, 41 ; MARTINS, Pauline Commentaries,
627 ; et c. Faust. 3,2 : Tot acuti et docti viri, divinarum scripturarum pertractatores diligentissimi … qui
quidem in latina lingua perpauci sunt, eos autem in graeca quis numeret ? (« Tant d’hommes intelli-
gents et instruits, commentateurs très diligents des Écritures divines … de fait, ils sont très peu
nombreux dans la langue latine, mais qui pourrait les énumérer tous dans [la langue] grecque ? »).
54 Voir NAUTIN, Origène, 243–245, 254. Origène a commenté Rom., Gal., Eph., Phil., Col., 1–2
Thess., Tit., Philem. Il a prêché sur 1–2 Cor., Gal., 1 ou 2 Thess., Tit. et Hebr.
Introduction | 13

s’attend dès lors à voir les commentaires se multiplier autour des textes bibliques
qui jouent un rôle central dans la foi et la liturgie des chrétiens. Les écrits de Paul
font incontestablement partie de ces textes. Les chiffres de quatorze commentaires
grecs et six commentaires latins55 deviennent alors moins frappants, si on les rap-
porte au nombre de commentaires sur d’autres textes de même importance. Ainsi,
pour les Évangiles, nous relevons dix-sept commentaires grecs, écrits par huit au-
teurs,56 et huit commentateurs latins.57 Pour les psaumes, la prière liturgique de
l’Église depuis toujours, on compte douze commentateurs grecs58 et six commenta-
teurs latins.59 Ou encore, la Genèse, et surtout le récit de la création,60 a été commen-
tée par sept Grecs61 et quatre Latins (dont Augustin cinq fois).62 Dans cette optique,
ce serait plutôt une absence de travaux sur Paul qui exigerait une explication.

||
55 Nous ne pouvons discuter plus avant les développements dans l’Église d’Orient, qui dépassent
malheureusement notre compétence.
56 (Dans cette note et les suivantes, les numéros entre parenthèses sont ceux de CPG et CPL, sauf
autre indication). Commentaires sur M a t t h i e u : Didyme l’aveugle (QUASTEN, Patrology, 91) ; Cyrille
d’Alexandrie (5206) ; Apollinaire de Laodicée (3690) ; Théodore de Mopsueste (3840) ; Jean Chrysos-
tome (4424, homélies) ; anonyme arien (CPG 4659 = CPL 707 ; voir aussi CPL 668-75) ; sur M a r c :
Théodore de Mopsueste (3841) ; sur L u c : Cyrille d’Alexandrie (5207) ; Apollinaire de Laodicée
(3692) ; Théodore de Mopsueste (3842) ; Évagre le Pontique (2458[6]) ; Titus de Bostra (3567) ; sur
J e a n : Didyme l’aveugle (2557) ; Cyrille d’Alexandrie (5208) ; Apollinaire de Laodicée (3691) ; Théo-
dore de Mopsueste (3843) ;. Jean Chrysostome (4425, homélies).
57 Sur tous les Évangiles : Fortunat d’Aquilée (104 ; CSEL 103) ; sur M a t t h i e u : l’Ambrosiaster [?]
(186) ; Chromace d’Aquilée (218) ; Hilaire de Poitiers (430) ; Jérôme (590) ; Arnobe le Jeune (240) ;
Augustin (de serm. dom. ; in Matth.) ; sur M a r c : Jérôme (594, homélies) ; sur L u c : Ambroise
(143) ; sur J e a n : Augustin (in euang. Ioh.). Le petit nombre de commentaires sur Marc s’explique
par la grande proximité de son texte avec celui de Matthieu.
58 Athanase (2140) ; Didyme l’aveugle (2550) ; Cyrille d’Alexandrie (5202) ; Évagre le Pontique
(2455) ; Astérios le Sophiste (2815) ; Eustathe d’Antioche (QUASTEN, Patrology, 304) ; Eusèbe de
Césarée (3467) ; Diodore de Tarse (3818) ; Théodore de Mopsueste (3833) ; Jean Chrysostome (4413–
4415, homélies) ; Hésychios de Jérusalem (6552–6554) ; Théodoret de Cyr (6202).
59 Ambroise (140s.) ; Hilaire de Poitiers (428) ; Jérôme (582 ; 592) ; Augustin (in psalm.) ; Prosper
d’Aquitaine (524) ; Arnobe le Jeune (242). La plupart des commentateurs grecs et latins sur les
psaumes n’ont pas commenté tout le psautier.
60 Voir in Gal. 40 : Multi legentes apostolum, librum autem Geneseos ignorantes, putant solos duos
filios habuisse Abraham (« Beaucoup qui lisent l’apôtre, mais ignorent la Genèse, pensent
qu’Abraham eut seulement deux fils »). Ce que l’on ignore, c’est justement le contenu de la Genèse
après le récit de la création.
61 Athanase (QUASTEN, Patrology, 39) ; Didyme l’Aveugle (QUASTEN, Patrology, 90) ; Basile (2835 ;
homélies sur la création) ; Grégoire de Nysse (3153s. ; sur la création) ; Eusèbe d’Émèse (QUASTEN,
Patrology, 351) ; Théodore de Mopsueste (3827) ; Jean Chrysostome (4409s., homélies).
62 Ambroise (123, sur la création) ; Rufin (195) ; Grégoire d’Elvire (547s.) ; Jérôme (580, quaest.
hebr. in gen.) ; Augustin (3 commentaires : gen. ad litt. imperf. ; gen. c. Manich. ; gen. ad litt., puis
conf. 11–13 et civ. 11–17 ; voir aussi c. adv. leg. 1,2–28). Victorin de Poetovio (79, sur la création), le
premier commentateur latin de la Bible, écrivit avant Nicée.
14 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

D’autre part, et surtout pour les exégètes latins, le Nouveau Testament était
beaucoup plus abordable que l’Ancien, pour des raisons qui pour la plupart restent
valables de nos jours. Le Nouveau Testament est plus court ; il était plus familier,
puisqu’on l’entendait constamment à l’église ;63 on pouvait le commenter sans
s’évertuer sans cesse à chercher la Nouvelle Alliance préfigurée dans l’Ancienne.
Ensuite l’Ancien Testament est en hébreu, et les Latins n’y avaient accès que par
une double traduction, les versions latines de la Septante. On affirmait certes que la
Septante était elle-même inspirée,64 mais l’ignorance totale de l’original était néan-
moins embarrassante. C’est ainsi que notre âge d’or n’a produit que deux grands
commentateurs latins sur l’Ancien Testament en dehors des psaumes et de la Ge-
nèse : Jérôme, qui apprit l’hébreu, et Origène, dont plus de mille pages d’exégèse
vétérotestamentaire furent traduites par ce même Jérôme et par Rufin.65
Pour revenir à notre texte, il y a lieu de se demander si, en commençant
l’Inchoata expositio, Augustin avait vraiment conscience de participer à un foison-
nement. Des six commentateurs latins sur Paul, Pélage et l’anonyme de Frede sont
postérieurs à l’Inchoata expositio, Jérôme n’avait pas commenté Rom., et il est loin
d’être certain que Marius Victorinus l’ait fait.66 S’il n’y avait que le seul commentaire
de l’Ambrosiaster, on comprend aisément qu’en lisant celui-ci,67 Augustin ait conclu
qu’il restait encore beaucoup à dire sur l’enseignement de l’apôtre.68

||
63 Pour les détails, voir JUNGMANN, Missarum solemnia, 486–498.
64 Voir BA 11/2, 514–521.
65 Notons cependant le commentaire sur le Cantique du mystérieux Apponius. Le renouveau du
commentaire vétérotestamentaire, avec Cassiodore sur les psaumes, et Grégoire le Grand sur Ézé-
chiel, Job et le Cantique, dépasse le cadre de ce livre.
66 Pour l’existence de ce commentaire, on renvoie à l’Ambrosiaster, in Rom. 5,14 (CSEL 81/1, 176s.).
Mais ce passage est loin de montrer que le commentaire a certainement existé, puisque Victorinus y
est cité, comme témoin d’une leçon pour Rom. 5,14, avec Tertullien et Cyprien, qui n’ont certaine-
ment pas commenté Rom. HADOT, Marius Victorinus, 287, renvoie aussi à Victorinus lui-même, in
Gal. 5,8, où l’auteur cite Rom. 8,30 avec les mots sicuti supra dictum est … ceteraque quae per ordi-
nem dicta sunt (« comme il a été dit plus haut … et les autres choses qui ont été dites en ordre »). On
ne discerne pas bien s’il s’agit d’une référence par Victorinus à son propre commentaire, ou seule-
ment à l’épître aux Romains elle-même. Jérôme (in Gal., praef. [CCSL 77A, 6]) parle des commen-
taires de Victorinus in apostolum (« sur l’apôtre »). Mais, comme le note HADOT (loc. cit.), Jérôme
parle ici « sans précision ».
67 Augustin l’a en effet connu dès l’époque de l’Inchoata expositio ; voir infra, 1.7, pp. 20s.
68 PLUMER (Augustine’s Commentary, 39) contraste à bon droit le commentaire théologique
d’Augustin avec Victorinus et l’Ambrosiaster, plus proches du grammaticus, et Jérôme, dont les
commentaires pauliniens sont essentiellement des compilations d’exégèse grecque (voir n. à 2,5).
Voir cependant pour des traits du grammaticus chez Augustin, n. à 5,4–7 ; 7,1–5 ; 7,5 ; 11,3, et aussi
les remarques assez réduites en 6,3. Pour les limites du modèle grammatical pour les auteurs chré-
tiens, voir n. à 2,5.
Introduction | 15

1.6 Contexte augustinien


La rédaction d’un grand commentaire sur Rom. devait marquer l’aboutissement de
deux développements chez Augustin : sa réflexion sur Paul et sa vocation d’exégète.
On a déjà beaucoup étudié la place de Paul dans les premiers écrits
d’Augustin,69 et un très bref résumé peut donc suffire ici. Nous avons vu
l’importance de Paul pour les Manichéens, et Augustin pouvait déjà avoir rencontré
les écrits de l’apôtre quand il était dans la secte. C’est en tout cas Paul qu’il lit en
s’approchant de la conversion à Milan (conf. 8,27), et c’est sur l’épître aux Romains
que s’ouvre le codex de l’apôtre pour Augustin et Alypius dans l’épisode célébris-
sime du tolle lege (conf. 8,29s.). On comprend donc qu’Augustin ait pu se sentir
appelé à commenter Paul, et nous le trouvons en effet citant et commentant lon-
guement Rom. dès mor. Manich. 31–33. Mais c’est surtout après l’ordination
qu’Augustin se tourne de plus en plus vers l’apôtre : à la séquence in Rom., in Gal.,
Inchoata expositio il faut ajouter divers. quaest. 66–68 et surtout le premier livre de
quaest. Simpl., sur lequel nous reviendrons.
De façon générale, il semble que ce n’est qu’une fois prêtre qu’Augustin s’est
senti vraiment autorisé à commenter la Bible. Avant l’ordination, il n’a écrit qu’une
œuvre d’exégèse, gen. c. Manich., qui, on l’a dit, est surtout un texte polémique. Si,
peu après l’ordination, il écrit à son évêque, Valérius, pour demander un temps de
congé où il puisse étudier les Écritures,70 c’est qu’il considère leur connaissance
comme indispensable à son nouveau rôle. Nous ignorons si Valérius accéda à cette
requête.71 Toujours est-il qu’après 391, l’activité littéraire d’Augustin se tourne de
plus en plus vers l’exégèse : en plus des travaux sur Paul déjà mentionnés, avant de
devenir évêque, il commente la Genèse (gen. ad litt. imperf.), le sermon sur la mon-
tagne (de serm. dom.), les 32 premiers psaumes (in psalm. 1–32),72 et des passages
des épîtres catholiques (divers. quaest. 75s.).73 C’est là un assemblage de textes très
riches, mais dont aucun n’est à l’échelle envisagée pour l’Inchoata expositio. Si le
commentaire sur Romains avait été fini, ils ne feraient figure que de travaux prépa-
ratoires avant la première grand œuvre exégétique d’Augustin.
À côté des impulsions internes qui ont motivé ce projet ambitieux, il faut faire la
part de la querelle entre Augustin et Jérôme. On sait qu’en 394/395 le premier avait

||
69 Voir e.g. PLUMER, Augustine’s Commentary, 5 ; MARA, Agostino interprete, 34–58 (avec référence
à ses travaux antérieurs) ; MARTINS, Pauline Commentaries ; O’DONNELL sur conf. 7,27, apostolus
Paulus ; MUTZENBECHER, CCSL 44, xvii–xix.
70 Epist. 21,3s.
71 Mais l’enrichissement des connaissances exégétiques d’Augustin en ces années a été soigneu-
sement étudiée par DULAEY, L’apprentissage, (1), (2), (3).
72 Il s’agit seulement des commentaires sur Ps. 1–32 recueillis dans CSEL 93/1A.
73 PLUMER (Augustine’s Commentary, 19) remarque que ces travaux constituent aussi des expéri-
mentations avec différentes formes d’exégèse : quaestiones, scholies, commentaire suivi.
16 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

reproché au second son exégèse de Gal. 2,74 qui supposait un comportement mal-
honnête chez Paul. Quand Augustin écrit lui-même un commentaire de Gal. la
même année, c’est clairement en partie dans l’espoir de rectifier ce qui lui déplaît
dans celui de son prédécesseur.75 Par cet acte, Augustin affirme donc assez ouver-
tement que sa propre autorité d’interprète peut valoir, sinon dépasser, celle de Jé-
rôme. Mais en même temps in Gal. ne pouvait suffire en soi à le placer sur un pied
d’égalité avec le moine de Bethléem. À côté des trois longs livres érudits de Jérôme
sur Gal., le livre unique d’Augustin, commentant étroitement le texte, ne pouvait
que paraitre un commentaire mineur.
Il n’en serait pas ainsi d’un grand commentaire sur Rom. Jérôme n’avait pas ten-
té de commenter la plus longue et dense des épîtres de l’apôtre, et avait même ad-
mis que Gal. n’en était que la version simplifiée.76 Si alors Augustin parvenait à
commenter toute l’épître, dans un grand ouvrage à livres multiples, où il déploierait
sa propre érudition,77 ses qualités d’exégète seraient au moins aussi fermement
établies que celles de Jêrome. Il rendrait aussi service à l’Église latine, sans conti-
nuer ouvertement une querelle désagréable, puisqu’il commentait un texte essentiel
que Jérôme n’avait pas abordé. C’était là une gageure où transparait toute l’audace
d’Augustin dans ses premières relations avec Jérôme. Et le défi parait encore plus
grand quand on perçoit qu’Augustin avait entrepris son grand commentaire sans
accès à l’exégèse grecque dont Jérôme se prévalait tant, et sans même (à notre sens)
un manuscrit grec de l’épître aux Romains.78 Il n’avait pas non plus hésité à faire
dévier son commentaire vers un sujet – la nature de l’Esprit Saint – sur lequel Jé-
rôme, en traduisant le traité pneumatologique de Didyme l’aveugle, avait mis en
doute la compétence de toute l’Église latine, et notamment d’Ambroise.79 C’est dire

||
74 Voir n. à 1,4, sed plane. Datation de CCSL 31.
75 Voir surtout in Gal. 10 ; 15. Avant l’épiscopat, il reviendra encore une fois sur le problème, dans
de mend. 8 ; 43. La décision même d’écrire un traité sur le mensonge est sans doute motivée par la
dispute avec Jérôme (voir AugLex s.v. Mendacio (De–), 3).
76 Voir n. à 1,1, non quia.
77 Voir n. à 3,3s. ; 13,1, pater Valerius.
78 Pour ces lacunes, voir n. à 2,5.
79 La traduction date de 384–386 (voir FÜRST, Hieronymus, 170). Dans la préface (SChr 386, 138s.),
Jérôme écrit Malui alieni operis interpres existere quam, ut quidam faciunt, informis cornicula alienis
me coloribus adornare. Legi dudum de Spiritu Sancto cuiusdam libellos et, iuxta comici sententiam
[Ter. Eun. 7s.], ex graecis bonis latina vidi non bona … Qui hunc [sc. Didyme] legerit latinorum furta
cognoscet, et contemnet rivulos cum coeperit haurire de fontibus. (« J’ai préféré être le traducteur de
l’œuvre d’un autre, plutôt que de faire comme certains, [et tel] une corneille hideuse, me parer des
couleurs d’autrui. J’ai lu récemment les livres d’un certain [auteur] sur l’Esprit Saint, et, comme le
dit le comique, j’ai vu du mauvais latin découler du bon grec … Celui qui le lira reconnaitra les vols
des Latin, et méprisera les ruisseaux quand il aura commencé à boire à la source »). Tout ceci vise le
De spiritu sancto d’Ambroise (voir aussi n. à 2,5). Du reste, dans sa première lettre à Jérôme, tout en
Introduction | 17

toute la confiance qu’avait Augustin dans ses propres capacités d’interprète et de


théologien. Pour tout ce que ses écrits comportent d’humilité devant Dieu et ses
frères, Augustin fut de tout temps pleinement conscient de son génie.
Mais, en l’occurrence, sa confiance fut mal placée, dans la mesure où il aban-
donna son commentaire sur Rom. à peine commencé. Trente ans plus tard, dans
retract., il nous apprend qu’il avait trop présumé de ses forces : il fut ipsius operis
magnitudine ac labore deterritus (« découragé [effrayé ? terrifié ?] par l’importance et
l’effort d’un tel travail »). Peu avant, il avait de même abandonné, bien plus proche
de la fin,80 son commentaire sur le sens littéral de la Genèse (gen. ad litt. imperf.) et
en retract. 1,18 il explique en termes similaires cette défaite : Volui experiri in hoc
quoque negotiosissimo ac difficillimo opere quid valerem; sed in scripturis exponendis
tirocinium meum sub tanta sarcinae mole succubuit, et nondum perfecto uno libro ab
eo quem sustinere non poteram labore conquievi (« Je voulus aussi expérimenter
l’étendue de mes forces dans cet ouvrage très absorbant et très difficile, mais dans
l’exposition des Écritures mon inexpérience ploya sous le poids d’un si grand far-
deau, et sans avoir achevé un seul livre, je me retirai de ce travail que je ne pouvais
soutenir »). Selon son propre jugement, donc, huit ou neuf ans après son baptême,
malgré toute son ambition, ses efforts et son intelligence, Augustin n’était pas en-
core prêt à devenir un second Jérôme, et encore moins un second Origène.81
Chez un auteur ordinaire, on comprendrait facilement la défaillance devant un
projet aussi grandiose que l’(Inchoata) expositio. Mais, quand il abandonna son
commentaire, Augustin avait encore devant lui quelques milliers de pages à écrire.
C’est plutôt à nous, pauvres lecteurs, de rester operis magnitudine ac labore deterriti
face à cette productivité inépuisable. On souhaiterait donc savoir plus précisément
ce qui a pu empêcher Augustin de continuer à commenter Rom. au fil des années,
quitte à se remettre au travail après les lectures ou réflexions supplémentaires dont
il semble avoir ressenti le besoin. C’est d’ailleurs bien ce qu’il fera avec la Genèse,
remplaçant gen. ad litt. imperf. avec gen. ad litt. Pourquoi ne pas avoir recommencé
ou continué l’Inchoata expositio ?
Cependant, gen. ad litt. est un livre tout à fait exceptionnel parmi les écrits
d’Augustin évêque. Une fois élevé à sa chaire, il ne ralentit guère sa production

||
critiquant son commentaire sur Gal., Augustin l’avait exhorté à faire de la traduction des Pères grecs
son activité prioritaire (epist. 28,2).
80 Voir supra, 1.2, p. 2.
81 O’DONNELL (Confessions, xlii–xliii) voudrait voir chez Augustin après l’ordination un blocage
psychologique, conduisant à l’échec de nombreux projets d’écriture, et qui ne s’est résolu qu’avec la
rédaction de conf. Ce jugement ne convainc pas : si, dans ces années, Augustin a abandonné quatre
projets (doctr. christ. et c. epist. fund. en plus de gen. ad litt. imperf. et l’Inchoata expositio), il en
termina treize autres (util. cred. ; de duab. anim. ; c. Adim. ; lib. arb. ; in psalm. [expositions sur Ps.
1–32 : voir BA 57A, 41–51] ; fid. et symb. ; psalm. c. Don. ; de serm. dom. ; in Rom. ; in Gal. ; de
mend. ; quaest. Simpl. ; agon.).
18 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

littéraire, mais elle change de caractère : la polémique et autres ouvrages d’occasion


dominent,82 et le commentaire des Écritures se fait presque entièrement dans la
prédication. Même en 426, quand à 72 ans il se retire des charges pratiques de
l’épiscopat, avec l’espoir de se consacrer enfin aux Écritures,83 il n’arrive à produire
aucun texte d’exégèse, trop absorbé par d’autres défis, dont surtout les besoins de la
polémique anti-pélagienne.84 Ce n’est là que le reflet de la perception qu’a eue Au-
gustin de tout son épiscopat : il aurait voulu vaquer à l’étude des Écritures, mais son
devoir requérait d’abord qu’il répondît aux besoins de ses fidèles et de ses corres-
pondants, puis aux hérétiques et aux païens qui menaçaient sans cesse son Église.
De l’extérieur, on se demande certes si toutes les occasions qui ont suscité des écrits
– souvent très longs – d’Augustin en demandaient vraiment autant, si même il ne
trouvait pas dans la littérature occasionnelle et dans la prédication publique une
stimulation qui lui manquait dans le travail plus méditatif du commentateur. Quoi
qu’il en soit, la façon dont l’évêque d’Hippone a perçu ses responsabilités rendait
très improbable qu’il finisse un jour l’Inchoata expositio.
Toutefois, en expliquant dans retract. l’abandon de son commentaire, Augustin
n’évoque nullement les devoirs de l’épiscopat, mais seulement l’envergure du tra-
vail.85 Est-ce là seulement le souvenir de sa réaction de trente ans plus tôt, ou une
frayeur qu’il ressent encore devant l’idée de commenter en entier l’épître aux Ro-
mains ? Citons un texte écrit en 412, à mi-chemin entre l’Inchoata expositio et re-
tract. :

Paulus apostolus … contra superbos et arrogantes et de suis operibus praesumentes pro com-
mendanda ista Dei gratia fortiter atque acriter dimicat … Primo, quod omnis eius salutatio sic se
habet: ‘gratia vobis et pax a Deo Patre et Domino Iesu Christo’; deinde ad Romanos paene ipsa
quaestio sola versatur tam pugnaciter, tam multipliciter, ut fatiget quidem legentis intentionem,
sed tamen fatigatione utili ac salubri, ut interioris hominis [2 Cor. 4,16] magis exerceat membra
quam frangat.86

(« L’apôtre Paul … se bat avec force et pénétration, pour la louange de cette grâce de Dieu,
contre les superbes et les arrogants, et ceux qui présument de leurs œuvres … D’abord parce
que toutes ses salutations ont cette forme : ‘la grâce soit avec vous et la paix de Dieu notre Père
et du Seigneur Jésus Christ’ ; ensuite parce que [dans l’épître] aux Romains on ne discute

||
82 Sur ce point, voir MADEC, Petites études, 320s.
83 Voir epist. 213,6
84 De 426 jusqu’à sa mort, Augustin écrira 5 livres sur le problème de la grâce (grat. ; corrept. ;
praed. sanct. ; persev. ; c. Iul. op. imperf). retract. entre aussi dans un sens dans cette catégorie,
puisque ce sont surtout ce qu’il considère ses erreurs sur la grâce qu’Augustin y cherche à corriger.
civ. (qu’il achève en 427) peut être vu comme un ouvrage d’occasion, comme l’est certainement c.
Maximin. haer. est écrit à la demande de Quodvultdeus, et adv. Iud. est un sermon (voir FITZGERALD,
Augustine, s.v.).
85 Sur ce point, voir DOLBEAU, Brouillons, 205.
86 Spir. et litt. 12.
Introduction | 19

presque que de cette seule question, avec tant d’entêtement et de variété, qu’elle fatigue
l’attention du lecteur, mais toutefois par une fatigue utile et bénéfique, qui exerce plutôt
qu’elle ne brise les membres de l’homme intérieur »).

On voit ici des souvenirs évidents de l’Inchoata expositio : grâce et œuvres sont les
thèmes fondamentaux de Rom. ;87 la salutation gratia et pax contient une indication
précieuse sur l’activité de Dieu telle que la comprend Paul. Mais ce texte rappelle
aussi que l’Inchoata expositio est loin de marquer la fin du travail d’Augustin sur
l’épître aux Romains.88 Elle sera très bientôt suivie de quaest. Simpl., qui inaugure
les idées nouvelles et terribles d’Augustin sur la grâce, celles qui vont donner nais-
sance à toute la controverse pélagienne.89 Une fois formulées, ces idées allaient
devenir pour Augustin la base de toute interprétation possible de Rom. Un commen-
taire continu de l’épître n’aurait alors pu être qu’un exposé incessant sur la prédes-
tination imméritée des élus, la faiblesse de la liberté humaine, et le choix incompré-
hensible de Dieu. On imagine alors qu’au fil des années Augustin ait pu sentir qu’il
en disait déjà assez sur cette doctrine. S’il l’a amèrement défendue, il ne l’a jamais
pour autant trouvée réjouissante. Il est ainsi possible que ce soient bien ses nou-
velles conclusions sur la grâce, et non seulement les capacités limitées en exégèse
d’Augustin vers 395, qui aient pu susciter chez lui, dans toute la période de quaest.
Simpl. à retract., des sentiments de fatigue, de découragement, même de peur, de-
vant la perspective de rédiger un commentaire complet de l’épître aux Romains.

1.7 Sources
Même ses critiques les plus sévères n’ont jamais mis en doute l’originalité
d’Augustin.90 Or celle-ci se retrouve pleinement dans l’Inchoata expositio, à la fois
dans ses notions les plus importantes (gratia et pax représentant l’Esprit Saint dans
la salutation ;91 l’identification du blasphème contre l’Esprit Saint92) et dans des
détails (la valeur donnée à suos de Rom. 1,2 en 3,2–5 ; le parallèle punique-latin en
13 ; l’utilisation de la quatrième Bucolique de Virgile ibid.). Mais ce n’est pas pour
autant qu’Augustin travaillait en dehors de la tradition exégétique des autres Pères,

||
87 Voir 1,1–3 et n. ad loc.
88 Pour les travaux d’Augustin sur Paul après l’Inchoata expositio, voir MARA, Agostino interprete,
27s. ; RING, n. 195 à 23,15.
89 Voir n. à. 7,7.
90 Voir la remarque célèbre de Gibbon : « His learning is too often borrowed and his arguments too
often his own » (« Son érudition est trop souvent empruntée à autri et ses arguments sont trop sou-
vent les siens »).
91 Voir n. à 11,1s.
92 Voir n. à 14,1, Le blasphème.
20 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

ce qui l’eût rendu très vulnérable aux reproches d’un Jérôme. Au contraire, comme
nous avons essayé de le montrer dans notre commentaire, toutes ses exégèses se
situent à l’intérieur de cette tradition, qu’elles la reprennent,93 la développent,94 ou
cherchent à la modifier sur des points essentiels, comme il advient surtout pour le
blasphème contre l’Esprit Saint. Nous avons donc cité un nombre de textes
qu’Augustin n’avait probablement ou certainement pas lus,95 parce qu’ils appar-
tiennent à un complexe d’idées qu’il connaissait bien, soit par d’autres sources
perdues, soit par la transmission orale. À l’époque d’Augustin, l’Église chrétienne
est un milieu où l’on discute incessamment des mêmes textes depuis des siècles.
Quand il écrit l’Inchoata expositio, Augustin est un membre actif de ce milieu de-
puis presque une décennie, prédicateur, auteur, mais aussi lecteur et disciple. Il est
alors tout naturel que sa propre lecture puisse se comprendre, par exemple, comme
une réaction aux anciennes exégèses que nous trouvons chez Origène ou à celles,
plus récentes, d’un Chrysostome. La trace écrite qui nous reste de l’exégèse patris-
tique n’est qu’une fraction d’un dialogue constant et immense maintenu par le cler-
gé et les fidèles de tout le bassin méditerranéen.96
On peut cependant identifier deux ouvrages écrits qu’Augustin avait certaine-
ment consultés quand il rédigea l’Inchoata expositio : le commentaire sur Rom. de
l’Ambrosiaster,97 et le De Paenitentia d’Ambroise.98 L’utilisation du De paenitentia
s’explique par le fait qu’Ambroise y traite lui aussi du blasphème contre l’Esprit
Saint.99 Du reste, si Augustin connait ces deux textes, il est loin d’en être un simple

||
93 Par exemple, sur Hebr. 6 ; voir n. à 18,2.
94 Un cas notoire est l’identification de l’Esprit avec le Don de Dieu : voir n. à 11,1s.
95 « Probablement » pour la plupart des textes grecs ; « certainement » pour ceux, tels les commen-
taires pauliniens de Théodoret de Cyr, écrits après l’Inchoata expositio. Voir n. à 2,5.
96 Sur la tradition orale et la recherche de sources en patristique, voir MUTZENBECHER, CCSL 44,
xxiv.
97 Pour les parallèles avec l’Ambrosiaster, voir n. à 1,3, nonnulli qui ex Iudaeis, et les renvois dans
cette note. Augustin possédait certainement le commentaire en 420, puisqu’il le cite (sous le nom de
sanctus Hilarius) en c. Pelag. 4,7. Pour d’autres parallèles dans les commentaires Pauliniens, voir
BASTIAENSEN, Augustine’s Pauline Exegesis ; MARA, Agostino interprete, 22 ; MUTZENBECHER, CCSL 44,
xxiv (sur quaest. Simpl.). PLUMER (Augustine’s Commentary, 53–56) ne trouve pas très probable
qu’Augustin ait utilisé l’Ambrosiaster sur Gal, mais admet n’avoir pas exploré entièrement la ques-
tion.
98 Pour les parallèles avec cette œuvre, voir n. à 18,2, et les renvois dans cette note. RING, 58s.,
notait déjà certains parallèles, mais ne pensait pas que la dépendance directe était certaine. Augus-
tin semble aussi avoir consulté sur certains points Jérôme (voir n. à 11,3s. ; 21,7, mais contraster n. à
5,11–17).
99 Il se peut qu’Augustin réagisse aussi à la quaestio anti-novatianiste de l’Ambrosiaster en Ps.-
Aug. quaest. test. 102 (CSEL 50). Voir n. à 20,5, malevolentiae et RING, 58s. Mais les idées de
l’Ambrosiaster dans ce texte sont trop proches de celles d’Ambroise pour que l’on puisse démontrer
l’utilisation des deux auteurs.
Introduction | 21

copiste : il ne reprend des remarques de l’Ambrosiaster que pour les modifier, et, si
sa réflexion sur le blasphème est bien dans la lignée anti-novatianiste d’Ambroise,
celui-ci n’avait nullement affirmé, comme le fait Augustin, que ce blasphème s’iden-
tifiait avec l’impénitence jusqu’à la mort.100
Faut-il aussi nommer parmi les sources de notre texte le commentaire sur Rom.
de Marius Victorinus ? Impossible de répondre, puisque ce texte a disparu et,
comme nous l’avons dit,101 il n’est pas sûr qu’il ait existé. Retenons cependant que
Plumer a montré de façon convaincante l’emploi du commentaire de Victorinus sur
Gal. dans in Gal.102 Si il y avait un commentaire sur Rom., il est donc très probable
qu’Augustin s’en est servi, ou a eu l’intention de s’en servir (après tout, Victorinus
n’avait pas forcément fait de remarques détaillées sur la salutation de l’épître).

1.8 Thèmes
Quand un commentateur écrit trente pages sur sept versets de la Bible, on peut facil-
ement supposer qu’il s’est résolu à tout dire. Mais ce n’est pas le cas pour l’Inchoata
expositio : sa longueur vient surtout de ses digressions, alors que le commentaire
néglige entièrement certains aspects du texte. Augustin n’a pratiquement rien à dire
sur les circonstances extérieures qui ont trait à Rom. : il n’explique pas quand, où et
sous quelles conditions Paul écrivit aux Romains.103 De même, son commentaire a
peu d’ambitions philologiques : comme nous l’avons déjà dit,104 il l’a commencé
vraisemblablement sans posséder de manuscrit grec de de l’épître.
Augustin envisage donc un commentaire essentiellement t h é o l o g i q u e . Or il
annonce dès le premier paragraphe quel est pour lui le message théologique de
Rom. : le salut donné par la grâce aux Juifs et aux gentils ensemble. Peut-on ensuite
dire que l’Inchoata expositio est axée sur ce message ?
En vérité, et selon une tendance caractéristique de la pensée d’Augustin,105 le
rôle des Juifs dans le plan de Dieu tend à s’estomper, et l’intérêt de l’auteur se porte
surtout sur le rôle de la grâce dans la Nouvelle Alliance. Sans doute, s’il avait conti-
nué son commentaire, Augustin aurait-il été amené à reprendre et approfondir ses
réflexions de in Rom.106 et in Gal.107 sur le rôle du peuple sub lege (« sous la Loi » de

||
100 Voir n. à 14,1, Le blasphème.
101 Supra, 1.5, p. 14.
102 Augustine’s Commentary, 7–33. Plumer lui-même voudrait que cette utilisation ne soit que
« probable au plus haut degré » (31), mais ses scrupules semblent excessifs.
103 Voir n. à 1,1–3.
104 Supra, 1.6, p. 16.
105 Voir n. à 1,1–3.
106 Aug. in Rom. 12 ; 21.
107 Passim, mais surtout 17 ; 46.
22 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

Moïse) dans l’histoire du salut. Mais, dans son commentaire des sept premiers ver-
sets de Rom., les Juifs en tant que peuple sous la Loi réapparaissent à peine après
les deux premiers paragraphes,108 alors que l’accent est sans cesse mis sur le don de
la grâce comme fait central du christianisme.
Sans doute, dans le commentaire tel quel, Augustin ne parle pas que de la
grâce. Il s’occupe aussi d’affirmer la valeur incontournable des prophéties de
l’Ancien Testament (3,1–4,2) et la divinité du Christ (4,3–12), de déterminer le sens
de praedestinatus en Rom. 1,4 (5), d’expliquer la structure de la salutation (7). Mais
en Rom. 1,5, c’est surtout sur gratia qu’il s’arrête (6,1s.), et dilectis et vocatis en 1,7
lui donnent de nouveau l’occasion d’affirmer que c’est la grâce qui nous sauve (7,5–
7).109 Puis, devant gratia et pax dans la salutation, le progrès du commentaire
s’arrête net, pour laisser la place à la réflexion sur la grâce et la justice (9s.), la grâce
et la paix comme noms de l’Esprit Saint (11–13), et le péché contre l’Esprit Saint, qui
est donc un péché contre la grâce (14–fin). Dans ce sens, toute la seconde partie de
l’Inchoata expositio n’est pas vraiment une digression, mais plutôt une méditation
sur ce qui semble le plus arrêter Augustin dans l’épître aux Romains : l’enseigne-
ment sur ce que Dieu est venu nous donner.
C’est en même temps une méditation sur l’Esprit Saint, puisque Augustin af-
firme que l’Esprit est la grâce et la paix. Notre texte marque ainsi une nouvelle étape
dans un projet que son auteur avait signalé dès util. cred. (« nous dirons ailleurs
quelque chose plus ouvertement sur l’Esprit Saint »),110 et qui commence à se réali-
ser avec la première manifestation, dans fid. et symb. (19) de la grande idée
d’Augustin que l’Esprit peut en quelque sorte se comprendre comme étant l’amour
de Dieu.111 Dire que l’Esprit est grâce et paix est clairement une autre expression de
cette même conception, surtout que c’est cette équivalence qui permet à Augustin
de montrer que le péché impardonnable ne peut être que celui qui se prolonge

||
108 Voir tout de même 6,4 ; 19,10. Des Juifs réapparaissent bien sûr dans la discussion sur le blas-
phème contre l’Esprit Saint (surtout en 15,5–7 ; 20,1–23,13), puisque c’est à des pharisiens que le
Christ semble reprocher ce blasphème. Mais Augustin n’y associe pas l’aveuglement des pharisiens
avec leur attachement à la Loi.
109 Voir n. à 7,7.
110 Util. cred. 7 (de Spiritu Sancto alias planius aliquid eloquemur). Noter aussi dans fid. et symb.
19 : De Spiritu autem sancto nondum tam copiose ac diligenter disputatum est a doctis et magnis
divinarum scripturarum tractatoribus, ut intelligi facile possit eius proprium, quo proprio fit ut eum
neque Filium neque Patrem dicere possimus, sed tantum Spiritum sanctum (« Les doctes et grands
commentateurs sur les Écritures divines n’ont pas encore écrit assez copieusement et soigneuse-
ment sur l’Esprit Saint, pour que l’on puisse facilement comprendre ce qui lui est propre, ce qui, en
lui étant propre, fait que nous ne puissions l’appeler ni le Fils ni le Père, mais seulement l’Esprit
Saint »).
111 Voir n. à 11,1s., mais surtout, pour l’évolution de cette conception, DU ROY, L’intelligence, 430–
432. Elle est anticipée dès mor. eccl. 23.31.
Introduction | 23

jusqu’à la mort : un refus obstiné de l’amour de Dieu, qui est l’Esprit, et qui s’offre
en tout temps au pénitent.
La grâce telle qu’elle apparait ici ne correspond donc pas entièrement à la vision
que l’on associe habituellement à Augustin interprétant Rom., et qui éclora pleine-
ment dans quaest. Simpl. La liberté humaine est encore vue comme faisant le pre-
mier pas pour accueillir la grâce,112 qui, elle, n’est pas encore ce choix insondable
par Dieu de sauver une minorité parmi une humanité justement damnée. Dans
l’Inchoata expositio, et surtout dans sa doctrine pleine de miséricorde sur ce que
peut être le péché impardonnable, la grâce semble encore le fait, ou la nature
même, d’un Dieu « qui veut que tous les hommes soient sauvés » (1 Tim. 2,4), phrase
dont le sens obvie allait devenir intolérable à Augustin.113
Dans notre texte, cette grâce n’est pas conçue dans l’abstraction : elle est active
d a n s l ’ É g l i s e .114 En justifiant sa doctrine que seule l’impénitence sera impardon-
nable, Augustin se réfère continuellement à la pratique de l’Église, qui selon lui n’a
jamais refusé le pardon aux pénitents. Cette perspective sur l’histoire de la pratique
pénitentielle est quelque peu idéalisée,115 mais il faut y voir aussi une exhortation :
ce n’est qu’en admettant tous les pénitents au pardon que l’Église accomplira plei-
nement sa mission de ministre de la grâce divine. Dans ses écrits postérieurs sur le
blasphème contre l’Esprit Saint, Augustin va développer cet enseignement en le
tournant contre les Donatistes : si, par l’Esprit qui est en elle, l’Église catholique
peut tout pardonner, les Églises hérétiques, dépourvues de l’Esprit, sont coupées de
ce pardon, et tous ceux qui meurent dans l’hérésie auront donc commis le blas-
phème impardonnable. Cette supposition est aussi présente dans notre texte,116 mais
ce n’est pas elle qui motive la discussion sur le blasphème. Augustin a en vue
d’autres lecteurs que les Donatistes : parmi les genres littéraires du christianisme
antique, le commentaire scripturaire est de ceux dont le public essentiel fut le cler-
gé. Pour ce public (et surtout pour les évêques), l’Inchoata expositio comporte un
enseignement pratique sur l’étendue du pardon qu’il faut offrir, et dans ce sens ce
commentaire est en même temps un texte pastoral.117

||
112 Voir 7,7 et n. ad loc.
113 Voir enchir. 97–103 ; c. Iulian. 4,42–44 ; corrept. 44.
114 Pour ce qui suit, voir encore une fois à la n. à 14,1, Le blasphème.
115 Voir WATKINS, A History, 469 et n. à 16,1.
116 Voir 15,16 ; 22,1 : c’est seulement par le retour à l’Église catholique que les hérétiques peuvent
se libérer de leur blasphème.
117 Sur ce point, voir RING, Die unvergebbare Sünde, 42, et n. à 14,1, desperans vel irridens.
24 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

1.9 Postérité
Le premier auteur à réemployer l’Inchoata expositio, c’est Augustin lui-même.
Comme nous l’avons dit, tout son enseignement postérieur sur le blasphème contre
l’Esprit Saint se fonde sur ce qu’il dit dans notre texte. Mais ce n’est que le serm. 71
qui donne des indices certains d’une consultation directe de l’Inchoata expositio.118
Ce texte, parmi les plus longs des sermons augustiniens qui nous soient parvenus,119
traite exclusivement du blasphème contre l’Esprit Saint, et son auteur,120 tout
comme Possidius, semble le considérer comme son dernier mot sur le sujet.121 On
comprend qu’Augustin ait voulu préparer soigneusement sa prédication sur une
question qu’il présente comme très difficile,122 et il était donc naturel qu’il se rappor-
tât à son premier traitement détaillé du problème.123
Mais, en produisant le serm. 71, Augustin condamna l’Inchoata expositio à une
obscurité relative dans les siècles suivants. Pourquoi en effet consulter ce texte ?
Malgré son titre, il était peu utile aux lecteurs de Rom., puisqu’il n’offrait qu’un
commentaire du tout début de l’épître.124 Et il n’allait pas non plus devenir le texte
de référence pour l’enseignement augustinien sur le blasphème impardonnable.
Déjà, au 6ème siècle, Eugippe se sert du serm. 71 à cette fin,125 et ne fournit aucun
extrait de l’Inchoata expositio.126
L’Inchoata expositio n’a donc jamais connu le succès fulgurant réservé à bien
d’autres textes augustiniens. Il ne nous en reste que 21 manuscrits complets : petit
nombre pour cet auteur. De même, bien peu de textes le citent : en plus de Claude
de Turin et un commentateur carolingien anonyme, puis Pierre Lombard et la Glossa
ordinaria, dont nous discutons dans l’introduction à l’édition,127 nous n’avons relevé

||
118 Pour Augustin qui se relit lui-même, voir DROBNER, The Chronology, 49s.
119 VERBRAKEN, Le sermon, 56. La date du serm. 71 n’est pas connue. Verbraken (ibid. 57) suggère
les environs de 417, à cause des similarités avec correct. L’édition critique de Verbraken – la pre-
mière – a été remplacée par celle qui se lit chez DE CONINCK, La tradition manuscrite, 173–238, seule
citée dans notre commentaire.
120 Voir enchir. 83 et la remarque sur ce passage dans n. à 14,1, Le blasphème.
121 C’est sans doute le serm. 71 que désigne Possidius dans indic. 10,6,199 (p. 207 ; voir n. 5 supra)
comme Tractatus de blasphemia spiritus sancti (« Traité sur le blasphème contre l’Esprit saint »).
122 Serm. 71,1.38.
123 Les parallèles les plus indicatifs pour la consultation sont ceux qui portent non pas sur des
arguments de fond, mais sur des détails. Voir n. à 8,6 ; 15,2, pagani ; 21,7.
124 Nous avons considérablement plus de manuscrits de in Rom. et in Gal.
125 VERBRAKEN, Le sermon, 60, qui relève aussi la même pratique chez Bède le Vénérable et Florus
de Lyon (vide infra).
126 Voir les index de l’édition CSEL 9.
127 Voir 2,3 ; 2,5 ; 2,6.
Introduction | 25

que des échos possible chez Haymon d’Auxerre128 au 9ème siècle, et quelques évoca-
tions chez l’exégète parisien Pierre le Chantre au 12ème siècle.129
On mesure plus précisément le faible retentissement du texte, en constatant
combien il est absent chez les commentateurs postérieurs de Paul, pour lesquels
Augustin était souvent une source principale. Pélage est une curieuse exception.130
Par contre, il n’y a aucun signe d’une connaissance de l’Inchoata expositio dans les
remarques sur Rom. 1,1–7 chez l’anonyme de Frede, puis chez Cassiodore,131 dans les

||
128 Le commentaire d’Haymon sur Rom. est édité en PL 117, 361–508 (Rom. 1,1–7 commenté à 367–
369), où il est attribué à Haymon de Halberstadt (pour la question de l’attribution, voir Lexikon des
Mittelalters ss.vv. Haimo v. Auxerre et Haimo v. Halberstadt). Il se rapproche de l’Inchoata expositio
en mettant l’accent sur suos dans prophetas suos en Rom. 1,2 (cf. 3,3), en liant praedestinatus en
Rom. 1,6 avec l’humanité du Christ (cf. 5,11–17 et n. ad loc.), en séparant grâce et apostolat en Rom.
1,5 (cf. 6,1s. et voir n. à 6,1, gratiam cum omnibus), en notant que sanctis en Rom. 1,7 doit être com-
pris comme cause et non pas conséquence de vocatis (cf. 7,7), dans l’association pour Rom. 1,7
gratia / peccata remittuntur – pax / reconciliamur Deo (cf. 8,4), puis dans l’équivalence (atténuée
chez Haymon) entre l’Esprit Saint et gratia et pax. Nombre de ces parallèles sont déjà chez Pélage
(vide infra), que, selon SOUTER (Pelagius’s Expositions, t. 1, 340s.), Haymon n’a pourtant pas consul-
té.
129 Pierre cite en périphrase Inchoata expositio 11,4–6, sur les salutations des épîtres à Timothée,
dans deux versions de son grand manuel de prédication, le Verbum adbreviatum (textus alter 45,
[CCCM 196B, 231] ; textus conflatus 1,54 [CCCM 196, 367s.]). Pierre a commenté toute l’Écriture
(CCCM 196, x), et il y a peut-être d’autres traces de notre texte dans ses commentaires, presque tous
inédits. Il reste à voir si les extraits chez Haymon et Pierre ne peuvent pas venir de Claude de Turin.
Nous n’avons pas trouvé de traces de l’Inchoata expositio dans le Milleloquium de Barthélemy
d’Urbino, immense florilège augustinien du 14ème siècle (sur lequel voir SIEBEN, Bartholomew). Nous
avons consulté l’editio princeps : D. Aurelii Augustini Milleloquium Veritatis a F. Bartholomæo de
Urbino digestum, Paris 1555. Notre texte figure bien dans la liste de ceux que Barthélemy déclare
avoir vus (2450s.), mais un examen de tous les passages où l’annotation marginale de l’editio prin-
ceps renvoie au « tom. IIII » (les renvois sont à l’édition d’Érasme) ne révèle aucun extrait de
l’Inchoata expositio, alors que l’on trouve plusieurs extraits de in Gal. et in Rom. Il est vrai qu’il y a
des lacunes dans ces références marginales : un index locorum du Milleloquium serait un travail
ingrat, mais bienvenu.
130 CPL 728. Aux parallèles recueillis par SOUTER (Pelagius’s Expositions, t. 1, 186s.), ajouter la
lecture anti-manichéenne de prophetas suos en Rom. 1,2 (SOUTER, op. cit., t. 2, 8 ; cf. notre n. à 4,1,
Les prophètes, e), l’association en Rom. 1,4 de praedestinatus à ex resurrectione mortuorum (SOUTER,
ibid. 9 ; cf. Inchoata expositio 5,4) ; la séparation pour Rom. 1,5 entre grâce et apostolat (SOUTER,
ibid. 9 : gratia in baptismo, apostolatum quando ab Spiritu sancto directus est [« la grâce dans le
baptême, l’apostolat quand il fut envoyé par l’Esprit Saint »] ; cf. Inchoata expositio 6,1, et voir
première n. ad loc.) ; la séquence vocatis-sanctis pour Rom. 1,7 (SOUTER, ibid. 10 ; cf. Inchoata expo-
sitio 7,7), et l’association de gratia en Rom. 1,7 à la rémission des péchés (SOUTER, ibid. ; cf. Inchoata
expositio 8,4).
131 CPL 902. Cassiodore mentionne l’Inchoata expositio en Institutiones 1,8,12 mais semble seule-
ment la connaitre par retract. (R. A. B. MYNORS [éd.], Cassiodori Senatoris Institutiones, Oxford 1937,
187 est à corriger sur ce point), puisque, dans son propre commentaire sur Rom. il cherche lui aussi
l’Esprit Saint dans la salutation, mais ne songe pas à l’équivalence Esprit – gratia et pax (PL 70,
26 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

compilations augustiniennes sur l’apôtre de Bède le Vénérable132 et de Florus de


Lyon,133 dans le commentaire de Raban Maur,134 le commentaire anonyme « d’Avran-
ches » édité dans CCCM 151,135 les notes de Smaragde de Saint-Mihiel sur Rom. 1,1–
7,136 chez Lanfranc du Bec,137 Guillaume de Saint-Thierry,138 Hervé de Bourg-Dieu139 et
Pierre Abélard.140 Beaucoup de silences, donc, qui n’indiquent nullement une quel-
conque hésitation face au contenu de l’Inchoata expositio, mais seulement que le
texte était peu disponible, ou du moins peu lu.
Nous n’avons pas poussé ces recherches au-delà du 12ème siècle, mais ne con-
naissons aucune indication que le texte soit devenu plus tard le sujet d’un intérêt
croissant. Il n’a jamais bénéficié d’une étude spécifique,141 et, jusqu’à l’apparition de
CSEL 84 en 1971, il a été publié seulement dans les grandes séries des opera omnia
d’Augustin.142 Ce sont surtout deux de ses digressions, sur la quatrième bucolique
(3,3s.) et la langue punique (13), qui ont attiré l’attention des spécialistes, intéressés
moins par l’Inchoata expositio elle-même que par la réception chrétienne de Virgile
et les formes de la civilisation punique en Afrique du Nord, respectivement.
La parution dans CSEL 84 de l’Inchoata expositio avec in Gal. et in Rom. a
néanmoins motivé de nouvelles traductions ou éditions bilingues, toutes munies au
moins d’une introduction :143 Fredriksen Landes publie en 1982 une édition anglaise
bilingue de in Rom. et l’Inchoata expositio, avec une courte introduction aux deux
textes. Elle est suivie par Mara, qui fournit dans Agostino interprete di Paolo (1993)
une traduction italienne de ces deux mêmes textes, munie de quelques notes et
d’une introduction détaillée, traitant surtout de leur place dans l’histoire de
l’exégèse et dans les travaux d’Augustin sur Paul. Enfin, en 1997, paraissent deux

||
1321s.). La compilation augustinienne sur Paul d’un certain Pierre de Tripoli, mentionnée par Cas-
siodore (inst. 1,8,9), est perdue (voir WILMART, Le mythe).
132 Pour ses sources, voir FRANSEN, Description.
133 Pour ses sources, voir CHARLIER, La compilation.
134 Voir CANTELLI BERARDUCCI, Hrabani Mauri, 1344–1360, qui montre que l’Inchoata expositio n’est
citée nulle part dans les compilations exégétiques de l’auteur.
135 Ce commentaire serait d’origine insulaire et du 9ème siècle (CCCM 151, xvii).
136 PL 102, 15. Sur ce texte, voir SOUTER, Pelagius’s Expositions, t. 1, 29s.
137 Commentaire, ou plutôt scholies, sur Rom. en PL 150, 103–156.
138 Édition dans CCCM 86. Guillaume dit pourtant dans sa préface qu’Augustin fut sa source prin-
cipale.
139 Ses extraits de l’Inchoata expositio viennent de Claude de Turin. Voir infra, 2.5.
140 CCCM 11. Les quelques ressemblances passent par Haymon d’Auxerre.
141 Si ce n’est le court article de RING s.v. Epistulae ad Romanos inchoata expositio dans AugLex, et
les 11 pages de MARA, L’interpretazione, qui ne traitent que d’un aspect du texte.
142 Pour les détails, voir infra, 2.4, et Bibliographie, Éditions.
143 L’édition espagnole bilingue de Martin Perez (1959) dans la série complète Obras de san Agus-
tin avait précédé. On trouvera des références complètes à toutes les éditions mentionnées dans
Bibliographie, Traductions.
Introduction | 27

nouvelles éditions bilingues : une italienne, regroupant dans la série complète


Nuova biblioteca agostiniana les trois œuvres de CSEL 84,144 sans annotation, mais
avec une introduction de Mendoza qui doit beaucoup à Mara ; et une allemande, de
Ring,145 joignant de façon unique l’Inchoata expositio à in Gal. et divers. quaest. 66–
68 (ces quaestiones portent aussi sur Rom.). Le volume de Ring, pourvu de nom-
breuses notes, parait comme second tome des Prolegomena dans la série « Sankt
Augustinus – Der Lehrer der Gnade » (« Saint Augustin, le docteur de le grâce »),
produite par le Centre pour les Études Augustiniennes de Würzburg. La série a pour
but de présenter en version bilingue annotée toutes les œuvres anti-pélagiennes
d’Augustin, avec en plus quatre volumes de prolegomena, contenant des œuvres
antérieures à la dispute avec Pélage, où Augustin développe son enseignement sur
la grâce.146
L’Inchoata expositio a donc toujours été présentée avec d’autres œuvres de son
auteur sur Paul, soit in Gal. soit in Rom. soit les deux.147 Ce choix se comprend faci-
lement : c’est à Augustin lui-même, dans retract., que nous devons la séquence in
Rom. – in Gal. – Inchoata expositio. Mais, en même temps, il ne pouvait que faire un
certain tort à notre texte, qui, comme nous l’avons dit, peut être frustrant pour qui y
cherche une élaboration de la pensée d’Augustin sur Paul. On sent, dans beaucoup
des éditions citées, que c’est surtout par souci d’exhaustivité que l’Inchoata exposi-
tio est incluse, et les introductions, en se concentrant sur Augustin lecteur de Paul,
ont souvent peu à dire sur elle. Il faut donc féliciter Ring d’avoir publié l’Inchoata
expositio sous la rubrique de la grâce, qui est en effet son vrai thème. Ring est du
reste le seul éditeur à avoir fourni de vrais éléments de commentaire, et ceux-ci,
pleins d’érudition et de bon sens, nous ont été d’une grande utilité. Notre travail est
cependant le premier à présenter l’Inchoata expositio toute seule, et à l’étudier dans
sa spécificité. Les opuscules d’Augustin peuvent vite se noyer dans l’océan immense
de ses écrits, où bien des œuvres majeures attendent encore commentaires et études
détaillées. Mais Augustin a marqué de son génie tout ce qu’il a écrit, et ses textes
plus courts, ou même inachevés, ne sont pas forcément les moins riches.

||
144 Ce volume comprend aussi de serm. dom., quaest. euang. et in Matth., mais les trois œuvres
sur Paul sont présentées comme une unité, avec leur propre introduction et bibliographie.
145 Ring réédite sa traduction de Inchoata expositio 14–23 dans Die unvergebbare Sünde, 42–61.
146 Trois de ces volumes de prolegomena ont paru, tous édités par Ring (obiit 2009) : le premier
(1989) contenait in Rom. ; le second est celui qui contient notre texte ; le troisième présente quaest.
Simpl. ; mais nous ignorons le contenu envisagé pour le quatrième, tout comme le statut actuel de
ce projet ambitieux. Nous tirons ces informations du site internet du Zentrum für Augusti-
nusforschung. Aucune publication n’est sortie dans la série depuis 2005, et elle ne figure pas sur la
page « Die Projekte des ZAF » du site.
147 L’édition de Martin Perez contient de même in Rom. et in Gal. et fait le choix intéressant
d’ajouter in epist. Ioh. La BA envisage aussi de consacrer un volume à in Gal., in Rom. et l’Inchoata
expositio (voir MADEC, La Bibliothèque, 14).
28 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

1.10 Le regard des modernes


Il convient en effet de demander s’il faut juger l’Inchoata expositio comme un échec.
Le projet dont elle est l’ébauche a évidemment échoué, mais, selon les méthodes de
production de l’époque, le livre tel quel peut tout de même être considéré comme
une œuvre à part entière.148 Or, cette œuvre, Augustin a choisi de la conserver149 et
n’en a fait que des critiques mineures dans retract. Surtout, il y a puisé lui-même
dans ses réflexions postérieures sur une question qu’il considérait très importante,
celle du blasphème contre l’Esprit Saint. C’est donc qu’il a jugé l’Inchoata expositio
digne de lui, et digne d’être lue.
Doit-on partager ce jugement ? Les principales évaluations modernes sont divi-
sées. Pour Souter, il s’agit, « pour sa taille, d’une des œuvres les plus intéressantes
d’Augustin, et nous ne pouvons que regretter profondément que son espoir de la
finir un jour n’ait pas été destiné à se réaliser ».150 Ring (49) pense tout le contraire :
Augustin a bien fait d’abandonner son projet de commentaire dont le premier livre
est déjà lassant.
Nous préférons le jugement de Souter, tout en acceptant le texte que nous
avons, plutôt que le commentaire complet imaginaire. Ne prétendons pas qu’elle
doive prendre place au premier rang des œuvres augustiniennes, mais l’Inchoata
expositio reste toute imbue des grandes qualités de son auteur : l’élégance et la
puissance de sa langue, la bonté de son cœur, la réflexion passionnée et cohérente
sur les mystères du salut, et aussi cette intelligence toujours innovatrice et surpre-
nante qui fait d’Augustin un des auteurs antiques les moins prévisibles (les digres-
sions du texte qui ont reçu l’attention des spécialistes l’ont bien méritée : chacune
est unique en son genre). Enfin, l’Inchoata expositio a une vertu bien plus rare chez
Augustin, celle de la concision : on y trouve en forme brève, mais généralement
lucide, bien des idées qu’il a longuement développées ailleurs.
Toutefois, on reprochera sans doute à notre texte un défaut qui est assez carac-
téristique de l’exégèse augustinienne, et de l’exégèse patristique en général : dans
son exposé de Rom. 1,1–7, on peine souvent à croire que les sens plus subtils
qu’Augustin veut y voir furent vraiment dans l’esprit de Paul. Un tel reproche aurait

||
148 DOLBEAU, Brouillons, 201 : « Augustin acceptait de livrer au public des traités incomplets, ou
plutôt des éléments complets – des ‘livres’ au sens intellectuel – d’un traité inachevé, à condition
qu’ils aient été révisés … Aux yeux d’un auteur antique, l’élément primordial est le livre (terminé et
donc révisé). »
149 Ce n’est pas le cas des toutes les œuvres qui nous sont parvenues. Augustin indique dans
retract. qu’il avait voulu supprimer son autre commentaire inachevé, gen. ad litt. imperf., remplacé
par gen. ad litt. (retract. 1,18), et aussi immort. (retract. 1,5,1), de mend. (retract. 1,27) et in Iob (re-
tract. 2,13). La survie des tous ces textes est due à la persistance de ses disciples : voir DOLBEAU,
Brouillons, passim.
150 SOUTER, The Earliest, 191s.
Introduction | 29

probablement peu gêné l’auteur,151 mais elle heurte les sensibilités de l’érudition
scientifique. Laissons la parole à ce pionnier de la critique moderne que fut Richard
Simon :
« La remarque qu’il fait d’abord sur ces paroles, Paulus servus Iesu Christi, voca-
tus Apostolus, segregatus in Evangelium Dei, est plutôt une subtilité qu’une critique
exacte … L’observation qu’il fait ensuite sur ces autres mots, qu’il avoit promis aupa-
ravant par ses Prophetes, dans les Ecritures Saintes, n’est gueres mieux fondée que la
précedente … La maniere dont il interprete au même lieu ces paroles, Qui praedesti-
natus est Filius Dei ex resurrectione mortuorum, n’est point naturelle … Il s’etend
après cela au long sur cette forme de salut qui est ordinaire à Paul, Gratia vobis et
pax a Deo Patre nostro et Iesu Christo. Comme il n’est fait mention que du Pere et de
JESUS-CHRIST, il juge que le Saint Esprit, qui est appelé don de Dieu, est exprimé
dans ces mots, gratia et pax, qui ne sont autre chose qu’un don de Dieu. Mais je ne
voy pas quelle necessité il y a de trouver les trois personnes de la Trinité à la tête des
Epitres de Paul, ainsi que ce pere a prétendu les y trouver ».152
On peut répondre que les remarques d’Augustin ne sont pas moins intéres-
santes ou moins vraies pour être inexactes sur les intentions de Paul, et on se rap-
pellera des débats herméneutiques qui mettent en question la possibilité de retrou-
ver objectivement le sens voulu par un auteur. On réaffirmera aussi la valeur
intrinsèque de l’exégèse théologique, à côté du travail de l’historien des textes.
Mais, surtout, on n’écartera pas facilement l’enseignement de l’Inchoata expositio
sur ce que constitue le blasphème impardonnable contre l’Esprit Saint, enseigne-
ment pleinement accepté par l’Église catholique.153 Pour le croyant, Augustin offre
en effet la seule interprétation de l’Évangile qui puisse libérer de la terreur
d’encourir la damnation par un seul acte ou une seule parole, qui rendrait inutile
tout repentir. C’est donc une doctrine pleine d’espoir, ce qu’il faut saluer chez un
auteur à qui on a beaucoup reproché, et non sans raison, d’avoir limité l’étendue de
la miséricorde divine.

||
151 Voir le principe énoncé en doctr. christ. 3,84s., et n. à 13,7, non pugnaciter.
152 SIMON, Histoire critique, 256s.
153 Voir Catéchisme de l’Église catholique, §1864 : « ‘Tout péché et blasphème sera remis aux
hommes, mais le blasphème contre l’Esprit Saint ne sera pas remis’ [Mt. 12,31] … Il n’y a pas de
limites à la miséricorde de Dieu, mais qui refuse délibérément d’accueillir la miséricorde de Dieu par
le repentir rejette le pardon de ses péchés et le salut offert par l’Esprit Saint. »
30 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

2 Introduction à l’édition

2.1 Manuscrits
La liste ci-dessous comporte tous les manuscrits contenant l’Inchoata expositio dont
l’existence nous est connue. Cette liste a été constituée à partir des indications de
CSEL 84 et des catalogues du projet Die handschriftliche Überlieferung der Werke
des Heiligen Augustinus.154 Le personnel du projet, et notamment Johannes Divjak,
l’éditeur de CSEL 84, ont aussi eu la bonté de nous informer que leurs fiches
n’indiquaient aucun manuscrit contenant l’Inchoata expositio pour les pays dont
les catalogues n’ont pas encore paru.
Nous avons collationné sur place tous les manuscrits, à l’exception de S (colla-
tionné sur les microfilms de l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes [=
IRHT] ; certaines leçons vérifiées sur place), U (IRHT) ; T (site de la médiathèque de
Troyes) ; K (IRHT + site Codices Electronici Ecclesiae Coloniensis) ; L2 (site Plutei
Online de la Biblioteca Laurenziana). Que soient remerciés les bibliothécaires qui
nous ont donné accès à leurs collections.
Il y a peu d’éditeurs qui peuvent se vanter d’avoir collationné sans fautes. Pour
notre part, nous avons souvent eu à travailler rapidement sur une durée de temps
limitée, et ne prétendons pas offrir une édition sans omissions ou erreurs. Cepen-
dant, pour les manuscrits déjà utilisés dans CSEL 84 (O E S T V U Z L1 L2 F M C B1 R B)
nous avons vérifié nos propres collations contre l’apparat existant. Cela a permis de
corriger les erreurs plutôt nombreuses de CSEL 84, mais aussi les nôtres. De plus,
pour T K L1 L2 des reproductions numériques sont disponibles en ligne, dont nous
nous sommes servi pour vérifier nos collations initiales de ces manuscrits. Nous
avons pu de même revérifier sur place les leçons de O. Il n’y a donc que pour les
manuscrits P A G H V1 qu’aucun contrôle n’a été possible.155 Nous n’avons pas colla-
tionné Prag. – ce choix sera justifié plus bas.

||
154 Dorénavant HU. Pour les volumes de cette série, voir le site internet du CSEL. On consultera ces
mêmes volumes pour les détails des œuvres augustiniennes contenues dans les manuscrits décrits
ci-dessous (sauf T).
155 Il est en de même pour les manuscrits Δ Θ de Claude de Turin. Quant aux manuscrits parisiens
de Claude (Χ Φ Ψ) nous avons pu vérifier nos collations lors de voyages répétés à Paris, et Carlotta
Dionisotti, que nous remercions, a aussi effectué des vérifications. Germ a été collationné sur place,
puis ces collations ont été vérifiées sur sa microfiche, disponible en ligne.

https://doi.org/10.1515/9783110594782-003
Introduction | 31

Tous les manuscrits de l’Inchoata expositio descendent d’un archétype com-


mun, Ω. La tradition se divise ensuite en deux familles, Λ et Ξ. Enfin, le manuscrit B
appartient à la fois aux deux familles.156

2.1.1 Famille Λ

La famille Λ est beaucoup moins bien représentée que la famille Ξ : 6 manuscrits +


les extraits carolingiens de Claude de Turin et de la compilation que nous appelons
Germ, contre 17 manuscrits. L’origine de Λ et les détails de son histoire ne se laissent
pas discerner. Ses premiers représentants sont du 9ème siècle : un manuscrit bavarois
(O), et les deux commentaires carolingiens. O est lié avec un autre manuscrit bava-
rois, du 14ème siècle (E), mais qui lui ressemble peu. La branche d est représentée par
deux manuscrits du 12ème siècle, un italien (S) et un français (T), ayant chacun une
relation parmi les grandes compilations augustiniennes de la Renaissance (U V). On
en déduit l’existence d’au moins 5 descendants de Λ aujourd’hui perdus, et il y en
eut sans doute plus, vu l’éparpillement dans l’espace et le temps de ceux qui res-
tent.
Tous les manuscrits Λ sauf E sont des recueils augustiniens. Mais leur contenu
est trop divers pour que l’on puisse savoir si Λ même était un tel recueil, ou déter-
miner quoi que ce soit sur son contenu au-delà de la présence de l’Inchoata exposi-
tio.

Sous-famille O E
Les deux manuscrits O E partagent assez de fautes pour que l’on puisse identifier un
hyparchétype commun. Mais cinq siècles les séparent, et ils sont loin d’avoir un
texte très similaire.

O Oxford, Bodleian Library, Laud misc. 134


D. MAIRHOFER, Medieval Manuscripts from Würzburg in the Bodleian Library, Ox-
ford. A descriptive Catalogue, Oxford 2014.
s. 9, minuscule carolingienne. Le manuscrit appartint à la cathédrale Saint Ki-
lien de Würzburg. Selon l’hypothèse de Bischoff157 il fait partie d’un groupe de livres

||
156 Pour la bibliographie des descriptions qui suivent, on se reportera aux notes pour les informa-
tions qui ne viennent pas des catalogues nommés ou de l’autopsie.
157 BISCHOFF – HOFMANN, Libri, 19s. et 39 ; BISCHOFF, Katalog, t. 1, no. 3843. Mairhofer accepte ces
conclusions.
32 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

écrits à l’abbaye bavaroise de Niederaltaich sous les ordres de l’abbé Gozbald,158


d’où ils furent amenés à Saint-Kilien par l’abbé, quand celui-ci devint évêque de
Würzburg (842–855). Hoffmann suggère d’identifier O avec l’entrée Epistolae Pauli
ad Romanos … Augustini du catalogue de Würzburg écrit vers l’an 1000.159 Il fait
partie des manuscrits de Saint-Kilien acquis, on ne sait trop comment, par William
Laud, archevêque de Cantorbéry, suite à l’occupation de Würzburg par les troupes
suédoises en 1631–1634.160 O entra dans les collections de Laud en 1637, et fait partie
du don de livres qu’il fit à l’université d’Oxford, dont il était chancelier, le 28 juin
1639.
O contient trois œuvres d’Augustin : l’Inchoata expositio (1r–15v) ; spir. et litt. ;
c. Pelag., puis un canon de la messe et deux prières, ajoutés par un scribe de
Würzburg au 9ème siècle. Il semble que l’Inchoata expositio a été écrit séparément,
mais relié très tôt avec les deux autres textes.161
O est de loin le plus ancien manuscrit à transmettre l’integralité de l’Inchoata
expositio. Son texte fut écrit par au moins 4 mains. Bischoff162 parle de mains
d’écoliers, qui manquent d’élégance formelle. De même, ces scribes sont de mauvais
copistes : le texte de l’Inchoata expositio pullule de fautes. En général, il ne doit pas
s’agir de fautes provenant de leur exemplaire, à moins que l’on postule que deux
copies de l’Inchoata expositio circulaient autour de Würzburg au 9ème siècle. En
effet, le texte a été soigneusement corrigé par deux autres scribes,163 travaillant aussi
à Würzburg au 9ème siècle,164 qui rectifient un grand nombre de fautes. Çà et là, ces
corrections ressemblent à des conjectures, mais il s’agit avant tout d’un texte qui a
été revu sur son exemplaire. Celui-ci doit donc aussi avoir séjourné à Würzburg.
Malgré leur antiquité, les fautes uniques de O corrigées par la suite ne présen-
tent donc pas un grand intérêt pour l’histoire textuelle de l’Inchoata expositio. On
n’en retrouvera pas le relevé ici : voir plutôt l’apparat de CSEL 84, où un grand
nombre de ces corrections sont enregistrées. La liste ci-dessous des fautes uniques
donnera seulement les leçons séparées de O (ac.) et O (pc.) où les deux sont fautives.

||
158 Gozbald fut abbé de Niederaltaich depuis 830 au plus tard, selon sa fiche dans le Repertorium
« Geschichtsquellen des deutschen Mittlelalters » en ligne.
159 HOFFMANN, Die Würzburger, 223, no. 62. Faut-il aussi l’identifier avec l’entrée eiusdem [sc.
Augustini] epistola ad Bonifacium episcopum (ibid. 234, no. 212), ce qui pourrait faire référence à c.
Pelag. ? Hoffmann y voit epist. 212.
160 KNAUS, Würzburg, 949 ; MAIRHOFER, 14–18, indiquant aussi que certains des manuscrits – mais
on ignore lesquels – donnés par Laud à la Bodléienne le 28/06/1639 avaient été acquis par Thomas
Howard, Earl d’Arundel, lors d’une mission diplomatique en Allemagne en 1636.
161 BISCHOFF – HOFFMAN, Libri, 39 ; MAIRHOFER, 437.
162 BISCHOFF – HOFFMAN, Libri, 19.
163 La majorité des corrections sont d’une seule main, et nous n’avons pas tenté de distinguer les
deux correcteurs dans l’apparat.
164 MAIRHOFER, 436.
Introduction | 33

Même remarque, mutatis mutandis, pour les corrections dans les autres manuscrits
de notre texte.
Seul parmi les manuscrits de l’Inchoata expositio, O contient, dans ses marges
latérales, une série de titres. Ceux-ci, en majuscules rustiques, démarquent des
divisions ou des points saillants du texte. Nous les reproduisons, avec l’indication,
selon le découpage moderne, des parties du texte auxquelles ils se réfèrent. Des
lettres ont dû être reconstituées, car les marges du manuscrit ont été tranchées sans
égard pour ces titres.

(6,4) DE ORDINE VERBORUM


(init. 7) RECAPITULATIO
(init. 9) QUOMODO INTEL〈L〉EGEND〈A〉 SIT IUSTITIA IU〈DI〉CIS DEI
(9,4) QUAE SIT 〈H〉UMANAE 〈I〉USTITITIAE 〈D〉ISCIPLINA
(13) 〈D〉E VALERIO 〈P〉ATRE
(init. 14) HINC INC〈IPIT〉 DISPUTA〈TIO〉 DE INREM〈IS〉SIBILI CO〈N〉TRA SPIRITUM
〈SANCTUM〉 BLASPHE〈MIA〉
(15,2) DE PAGANIS
(15,5) DE IUDAE〈IS〉
(15.) 〈D〉E SAMARI〈T〉ANIS
(15,10) 〈D〉E SIMONE
(15,12) D〈E〉 HERETICIS
(16,1) DE XPIANIS
(18,1) APOSTOLUS AD HEBR〈E〉OS
(18,7) 〈D〉E CORNELIO
(18,14) DE DAVID
(19,1) IN EPI〈S〉TOLA A〈D〉 HEBRE〈OS〉
(19,7) 〈D〉E PROPO〈SI〉TIONE 〈A〉RIS〈T〉OTELICA
(23,3) 〈C〉ONCLU〈S〉IO PRAE〈C〉EDENTI〈U〉M QUAE〈S〉TIONUM

Ces marginalia seraient-ils bien plus anciens que O ? Ils rappellent ceux du manus-
crit de gen. ad litt. Roma, Biblioteca nazionale, Sessoriana 13, du 6ème siècle, prove-
nant du milieu d’Eugippe.165 Mais de tels marginalia ont aussi été ajoutés à d’autres
manuscrits à Würzburg au 9ème siècle.166 En tout cas, ils ne trouvent nul écho dans le
reste de la tradition de l’Inchoata expositio, ce qui suggère déjà ce que la critique
textuelle va confirmer : qu’aucun manuscrit subsistant ne descend de O.

E Erlangen, Universitätsbibliothek 77
H. FISCHER, Katalog der Handschriften der Universitätsbibliothek Erlangen – I.
Band : Die Lateinischen Pergamenthandschriften, Erlangen 1928.

||
165 Voir GORMAN, Marginalia. Eugippe n’a pas utilisé l’Inchoata expositio dans ses Excerpta
d’Augustin (voir supra, 1.9). Pour les titres dans la tradition médiévale des œuvres d’Augustin, voir
DOLBEAU, Un demi-siècle, 76s.
166 MAIRHOFER, 24 ; 436.
34 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

Minuscule gothique, écrit d’une seule main. On y lit au folio 127r : iste liber
scriptus est iubente domino Hainrico abbate domus huius in Haylsprunne id est Fontis
Salutis anno domini m.ccc.decimo, puis sur une page finale, collée à la 3ème de cou-
verture, istum librum scribi feci167 dominus H. abbas. halsprunensis anno domini
m.ccc.x. regnante H. rege romanorum168 sibi dilectissimo. Le manuscrit fut donc copié
en 1310, au monastère cistercien de Heilsbronn. Hainricus abbas, c’est Heinrich von
Hirschlach, abbé de Heilsbronn de 1282 à 1302, puis de 1306 à 1317, sous lequel la
bibliothèque connut un grand essor. Les protestants mirent fin à la vie monastique à
Heilsbronn en 1578, et ses livres devinrent la propriété de la Fürstenschule ouverte
dans les bâtiments de l’abbaye. Celle-ci ferma en 1736, et la bibliothèque appartint
désormais aux Margraves Karl Wilhelm Friedrich d’Ansbach (1712–1757) et Friedrich
III de Bayreuth (1711–1763). Ce dernier fonda l’université d’Erlangen en 1742, et y fit
don de ses livres de Heilsbronn en 1748. En 1769, la lignée des margraves de Bay-
reuth prit fin, et Karl Alexander (1729–1806), margrave d’Ansbach depuis 1757, de-
vint margrave d’Ansbach-Bayreuth. Il fera don à l’Université de toute sa biblio-
thèque à son abdication en 1791, mais les livres de Heilsbronn sont à Erlangen dès
1770.
E contient la traduction latine par Mutianus des sermons de Jean Chrysostome
sur Hebr.,169 puis l’Inchoata expositio (128r–137r). Ce contenu est particulier : E est le
seul manuscrit comportant notre texte qui ne soit pas au moins en partie un recueil
augustinien, et le seul où figurent ces sermons de Chrysostome. De fait, puisque le
folio 127 est la fin d’un cahier et comporte le colophon que nous venons de citer,170
l’Inchoata expositio ne devait pas faire partie du plan original pour ce livre. Mais le
texte est écrit de la même main que Chrysostome et la mise en page est rigoureuse-
ment la même. Il semble donc que l’Inchoata expositio a elle aussi été copiée en
1310, et que l’on a décidé de l’ajouter à Chrysostome avant la reliure du livre.171 Par
contre, il est improbable que l’exemplaire de E pour Chrysostome ait contenu aussi
l’Inchoata expositio : celle-ci aurait plutôt été extraite d’un recueil augustinien que
le copiste de E avait à sa disposition.
Dans notre texte, le premier scribe a fait quelques corrections, i.e. E (pc.), mais
on y lit surtout très clairement les corrections d’une deuxième main (E2). Celles-ci

||
167 fecit avant correction.
168 Il s’agit d’Henri VII.
169 Voir EAC s.v. Muzianus.
170 Avant la partie citée plus haut, avec une ligne blanche séparant les deux notices, on y lit expli-
cit commentarium Iohannis episcopi Constantinopolitani in epistolam Pauli apostoli ad Hebreos ex
notis editum post eius obitum a Constanto presbitero Antyoceno. Translatum de graeco in latinum a
Mutiano scolastico. Ce texte n’est pas suivi d’un incipit pour l’Inchoata expositio, et tout 127v est
vide.
171 Il faudrait cependant examiner à quel point d’autres livres écrits à la même époque à Heils-
bronn pourraient avoir un format identique.
Introduction | 35

paraissent dues en partie à la vérification de l’exemplaire, en partie à la conjecture,


mais non pas à la collation d’un autre manuscrit.

Sous-famille d
Cette sous-famille se divise en deux branches, S U et T V, comportant, comme on l’a
dit, chacune un manuscrit du 12ème siècle et un manuscrit de la Renaissance.

Sous-famille d, branche S U
S Firenze, Biblioteca Medicea Laurenziana, San Marco 637
[Il n’existe pas de catalogue imprimé complet des manuscrits de San Marco à la
Laurenziana].172
s. 12,173 minuscule pré-gothique, écrit et corrigé de plusieurs mains. S fait partie
d’un groupe de manuscrits augustiniens médiévaux écrits dans le centre-nord de
l’Italie, et rassemblés par Niccolò Niccoli.174 S a été annoté par Tommaso Parentucel-
li, le futur pape Nicolas V, sans doute lors du Concile de Florence (1439–1442), où il
était présent comme assistant du cardinal Niccolò Albergati.175 À la mort de Niccoli
en 1437, celui-ci laisse à ses fidéicommissaires le soin de disposer de sa biblio-
thèque. En 1444, les manuscrits de Niccoli entrent au couvent dominicain de San
Marco à Florence, dans la bibliothèque que Cosimo des Médicis, le plus illustre de
ces fidéicomissaires, avait fait construire à cette fin.176 S figure dans le catalogue de
San Marco rédigé en 1499 ou 1500, sous le numéro 250, où l’Inchoata expositio, avec
in Gal., est indiqué par Augustinus super epistolas Pauli ad Romanos et Galatas.177
Les dominicains dressèrent ensuite en 1769 un catalogue de leurs manuscrits (= MS
San Marco 945), où les manuscrits 1–861 prirent leurs cotes actuelles. On y lit un o à
côté de la notice de S, ce qui indique que le manuscrit entra à la Laurenziana en
1809, suite à la sécularisation de San Marco en 1808.178
Le manuscrit contient des opuscules augustiniens, divisés en six sections.179
L’Inchoata expositio se trouve dans la 5ème section, aux folios 103r–110r. Il est précé-
dé de in Gal., et suivi de divers. quaest. et de Mend., qui termine la section. Il s’agit
donc des 4 dernières œuvres de retract. 1, dans l’ordre du texte.

||
172 Voir cependant pour les manuscrits de la Laurentienne, les précieuses indications bibliogra-
phiques sur le site Plutei online de la bibliothèque.
173 Cf. ULLMAN – STADTER, The Public Library, 68, 154 ; M. L. TANGANELLI et A. MANFREDI dans COPPI-
NI – REGOLIOSI, Gli umanisti, 159–161 (notice détaillée sur S) ; MANFREDI, S. Agostino, 51s.
174 MANFREDI, S. Agostino, 44s.52s.
175 Ibid. 59s.
176 ULLMAN – STADTER, The Public Library, 8–15.
177 Commentaire et édition de ce catalogue, ibid. 107–267.
178 Ibid. 52s. Pour la date de 1809, voir le site de la Laurenziana.
179 Voir MANFREDI, S. Agostino, 52.
36 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

U Roma, Biblioteca Apostolica Vaticana, Urbinas Latinus 69


C. STORNAJOLO, Codices Urbinates Latini, t. 1, Roma 1902.
Vatican Library : Catalogues – Manuscripts (http://opac.vatlib.it/iguana/www.
main.cls?sUrl=homeMSS)
s. 15, minuscule humanistique, écrit d’une seule main. Il s’agit d’un exemple ty-
pique des manuscrits de luxe que fit écrire ou acheter Federico da Montefeltro, sei-
gneur d’Urbino (1422–1482). Federico finit la construction de son palais à Urbino en
1463–1464, et, selon le témoignage de Vespasiano da Bisticci, passe ensuite qua-
torze ans à fournir de livres la bibliothèque du palais.180 La miniature d’Augustin
dans U (2r) fut exécutée par l’atelier de Francesco di Antonio del Chierico, qui tra-
vaillait pour Federico pendant cette période.181 U semble d’ailleurs être entré dans la
collection après 1474, puisqu’il comporte les emblèmes pontificaux dont Federico
commence à orner ses manuscrits à partir de cette date, quand Sixte IV lui confèra
les titres de duc d’Urbino et de gonfalonier.182 Dans le catalogue des livres d’Urbino
compilé dans les années 1487–1498, par le bibliothécaire Agapito,183 U figure dans la
53ème notice, où l’Inchoata expositio est désignée par Augustini … in epistolam Pauli
ad Romanos.184
A la mort de Francesco Maria II della Rovere en 1631, la lignée des ducs d’Urbino
prit fin et la ville passa sous l’autorité du pape. En 1657, aux ordres d’Alexandre VII,
la bibliothèque des ducs fut transférée au Vatican.185
U est un recueil augustinien. Il contient cons. euang. puis des lettres et des
opuscules. À l’exception des pseudépigraphes, les opuscules datent tous des années
anterieures à l’épiscopat d’Augustin. L’Inchoata expositio se trouve aux folios 248r–
258v.
Manfredi fait remarquer que U et S contiennent 11 œuvres d’Augustin en com-
mun, avec souvent des titres formulés de façon identique, et quelques autres points
communs, dont notamment des textes avec les mêmes lacunes pour epist. 87 et le
De vocatione omnium gentium de Prosper d’Aquitaine. Il en conclut que U est pro-
bablement une copie de S : le texte aurait été copié à Florence pour Federico sur S,
disponible à la bibliothèque de San Marco.186 Cette hypothèse est plausible, et la
collation des deux manuscrits pour l’Inchoata expositio ne permet pas de l’exclure
avec certitude. Mais S comporte trop de fautes absentes de U,187 pour que l’on puisse

||
180 STORNAJOLO, Codices urbinates graeci, xv ; MANFREDI, S. Agostino, 54.
181 GARZELLI, I miniatori, 114s.127.
182 Ibid. xvi–xvii.
183 TOCCI, Agapito, 245–254.
184 STORNAJOLO, Codices urbinates graeci, lxv.
185 STORNAJOLO, ibid. xxxiv–xliv.
186 MANFREDI, S. Agostino, 54–56.
187 Voir la liste infra, 2.2.2, p. 73.
Introduction | 37

prouver que U a puisé l’Inchoata expositio dans S. Nous avons donc postulé un
hyparchétype commun pour les deux manuscrits.

Sous-famille d, branche T V
T Troyes, Bibliothèque Municipale 40/2
[A.] HARMAND, Catalogue général des bibliothèques publiques des départements,
tome second, Paris 1855.
A. VERNET – J.-P. BOUHOT – J.-F. GENEST, La bibliothèque de l’abbaye de Clairvaux du
XIIème au XVIIème siècle, II : Les manuscrits conservés – Première partie : Manuscrits
bibliques, patristiques et théologiques, Paris 1997 (T = F79).
s. 12, minuscule pré-gothique. La cote Troyes 40 regroupe onze188 manuscrits de
Clairvaux du 12ème siècle, contenant exclusivement des œuvres d’Augustin. Parmi
ces volumes, il faut extraire 40/4 + 40/5 (in psalm.), 40/7 (c. Iulian. op. imperf.) et
40/8 (lettres), qui ne faisaient pas partie de la série originale des opuscula (vide
infra).189 Par contre, il faut ajouter un manuscrit aujourd’hui perdu, mais qui figure
dans le fragment de catalogue des livres de l’abbaye de la fin du 12ème siècle (no. 10,
De peccatorum meritis et remissione et alii libri ejusdem in uno volumine),190 puis
dans le catalogue que fit dresser Pierre de Virey, abbé de Clairvaux de 1471 à 1496,
en 1472, sous la cote F82.191
Les biens de l’abbaye de Clairvaux ayant été confisqués à la Révolution, T et les
autres volumes de Troyes 40 sont transférés en 1795, avec la grande majorité des
manuscrits de Clairvaux, à la municipalité de Troyes.192
Le corpus dont les restes subsistent dans Troyes 40 est bien décrit par le titre
que lui donne Pierre de Virey, Opusculorum sancti Augustini.193 Il s’agit d’une tenta-
tive, la première dont les fruits aient survécu, de réunir toutes les œuvres mineures
d’Augustin. La série débute en 40/1 avec retract., puis, sur les 6 premiers volumes,
les opuscules se suivent rigoureusement dans l’ordre194 où ils figurent dans retract.
D’ailleurs, à partir de 40/2, la retractatio pour chaque texte figure devant le texte en
question.195 Font defaut, hormis les œuvres perdues, certains textes qui devaient être
introuvables (psalm. c. Don. ; c. Secundin. ; coll. c. Don. + collatio ; gest. Pelag. ; c.

||
188 La cote 40/4 englobe deux manuscrits : voir la notice F86–F88 dans VERNET – BOUHOT – GENEST.
189 DE GHELLINCK, Une édition, 65–71.
190 VERNET – GENEST, La bibliothèque, 4–16.349–356.
191 Ibid. 27–34, 131s. ; VERNET – BOUHOT – GENEST, 384S.
192 VERNET – GENEST, La bibliothèque, 60–62.
193 VERNET – GENEST, La bibliothèque, 130–132.
194 Une seule exception : l’ordre ord., beat. vit. dans 40,1 inverse celui de retract.
195 Sauf quelques exceptions, dont on trouvera les détails dans VERNET – BOUHOT – GENEST, 380–
386, et que l’on n’explique pas facilement.
38 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

Emer. ; c. Gaud.) et la plupart des œuvres d’une longueur considérable (mus. ;


conf. ; c. Faust. ; trin. ; cons. euang. ; civ. ; loc. hept. ; quaest. hept. ; c. Iulian.).196
On sait que retract. n’est pas une liste complète des œuvres augustiniennes,
puisqu’il se termine avec corrept. Ce texte est suivi dans 40/9 de coll. c. Maximin. et
c. Maximin. Puis le corpus continue dans 40/10, avec 115 folios d’opuscules et une
centaine de folios de sermons. Ici, les compilateurs n’avaient plus retract. comme
guide, et un bon nombre de textes pseudépigraphes sont admis, alors qu’il n’y en a
aucun dans les volumes précédents.
Ce corpus a été copié à Clairvaux, entre 1115, date de fondation de l’abbaye, et
1153, terminus ante quem d’après une lettre du prieur de Clairvaux, Philippe, qui y
fait référence.197
Parmi les ouvrages nommés dans retract. qui manquent dans ce corpus, cer-
tains étaient dans d’autres manuscrits du 12ème siècle de la bibliothèque de Clair-
vaux : conf. (473198 ; Montpellier, BU de Médecine 232) ; c. Iulian. (528) ; civ. (68) ;
cons. euang. (526) ; mus. (1002), trin. (411) ; loc. hept. + quaest. hept. (197). Puis
étaient présentes, aussi dès le 12ème siècle, la majorité des œuvres qui ne figurent pas
dans retract. : comme on l’a vu, in psalm. (40/4 + 40/5), c. Iulian. op. imperf. (40/7)
et 225 folios de lettres (40/8), et aussi contin. (801), in epist. Ioh. (972), in euang. Ioh.
(90), et de grandes collections de sermons (40/10 ; 198). On ne dispose pas d’une
datation assez précise pour tous ces manuscrits pour savoir lesquels étaient déjà à
Clairvaux lors de la création du corpus de Troyes 40. Mais on constate que toutes les
œuvres majeures, et bien des œuvres mineures, qui manquaient dans le corpus sont
dans d’autres manuscrits, et inversement, que peu des œuvres présentes dans le
corpus sont reprises ailleurs dans les manuscrits du 12ème siècle. Nous pouvons en
conclure que ce n’est pas seulement la création du corpus de Troyes 40, mais
l’organisation générale de la bibliothèque, qui reflète un projet cohérent et suivi
pour rassembler le maximum possible des œuvres d’Augustin.
C’est tout l’ensemble du corpus d’opuscules dans Troyes 40 qui figure dans le
catalogue du 12ème siècle, où Vernet et Genest199 identifient T avec la notice 6, Retrac-
tationum et alii libri ejusdem [i.e. Augustini] in uno volumine, prima pars. Dans le
catalogue de Pierre de Virey, T porte la cote F79 : item ung autre pareil et samblable
volume en quantité et en lettre qui est la seconde partie Opusculorum sancti Augustini
contenant ses traictiés et livres. Notre texte y est nommé (epistole) ad Romanos (in-
choata) expositio.200

||
196 Deux œuvres sont intercalées : bon. viduit. (après virg. dans 40,3) et epist. 172 (epist. 105 chez
VERNET – BOUHOT – GENEST est à corriger) dans F82 après epist. 166 et 167, auxquels il répond.
197 VERNET – GENEST, La bibliothèque, 14s.
198 Sauf autre indication, les cotes sont celles de la Bibliothèque Municipale de Troyes.
199 La bibliothèque, 350.
200 Ibid. 131. epistole a été ajouté par un correcteur avant la fin du 16ème siècle.
Introduction | 39

T contient, dans l’ordre de retract., toutes les œuvres de de serm. dom. à nat.
bon., hormis psalm. c. Don., c. Faust., conf., et les deux œuvres perdues, Contra
epistolam Donati haeretici et Contra partem Donati. L’Inchoata expositio se trouve
aux folios 69v–76r.
Même dans le contexte du renouveau intellectuel du 12ème siècle, et des
triomphes du mouvement cistercien sous Bernard, la compilation augustinienne de
Clairvaux représente un succès extraordinaire. On voudrait bien savoir à quelles
sources ont puisé ses compilateurs. Pour le moment, on notera que le corpus de
Troyes 40 existait dans une forme moins complète à Pontigny,201 mais il faudrait
disposer d’éditions critiques de tous les textes du corpus pour établir en détail les
sources de ces deux collections, et la relation entre elles. Voici ce qu’apporte
l’Inchoata expositio à la question : le texte de T présente une version du texte Λ,
remanié avec hardiesse et intelligence pour pallier aux fautes dont il a hérité (voir
détails plus bas, 2.2.4, p. 78). Ce remaniement semble être dû exclusivement à la
conjecture, et non pas à la collation d’autres manuscrits.202 Il est tentant d’associer
un tel travail vigoureux de scribe-éditeur au mouvement intellectuel qui conduisit à
la création du corpus. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas T lui-même qui est la source de
ce texte remanié. En effet, V présente ce même texte, tout en étant le jumeau, et non
pas la copie, de T. C’est donc dans l’ancêtre commun de T V qu’il faut chercher
l’origine du texte.

V Roma, Biblioteca Apostolica Vaticana , Vaticanus Latinus 445


M. VATTASSO – P. FRANCHI DE’ CAVALIERI, Codices Vaticani Latini : Tomus I, Roma
1902.

||
201 Voir en dernier lieu PEYRAFORT-HUIN, La bibliothèque, 79s. (analyse et bibliographie), 247s.
(notices du catalogue). Le corpus de Pontigny est moins complet seulement après la fin de la sé-
quence de retract. Pour cette séquence, les deux corpora ont les mêmes textes dans le même ordre,
sauf que celui de Pontigny inclut mus., n’inverse pas ord. et beat. vit. (voir n. 194 supra), et n’inclut
pas gen. ad litt., qui semble d’ailleurs mal placé dans le corpus de Clairvaux, étant bien trop long
pour un opuscule. Pour les textes après retract., BOUHOT, L’homéliaire, 124, fait remarquer que la
séquence de Troyes 40/9s. se retrouve dans Troyes 70, manuscrit du 13ème siècle de Saint-Marien
d’Auxerre. Mais nous ne voyons pas comment il conclut que ce manuscrit « atteste l’existence d’un
témoin intermédiaire entre les manuscrits de Pontigny et ceux de Clairvaux ». Comparer aussi avec
la collection de Pontigny-Clairvaux le manuscrit Charleville, Bibliothèque Municipale 202, s. 12. Il
s’agit d’une collection, en 18 volumes, d’œuvres augustiniennes, provenant de l’abbaye cistercienne
de Signy. Mais elle contient surtout sermons, lettres et les œuvres plus longues, et ne suit pas l’ordre
de retract.
202 Comparer le texte de in Gal. dans T, qui propose un nombre de variae lectiones au-dessus de la
ligne. À ceux enregistrés dans CSEL 84 (pp. 69, l. 22 ; 77,11 ; 80,23 ; 86,18 ; 90,7) ajouter, toujours
avec la pagination de CSEL, 71,7 quia] vel quam ; 77,4 imponuntur] vel exponuntur ; 86,12/13 dispo-
situm angelo per manum mediatoris] dispositum per angelos in manu mediatoris. On ne trouve pas
de telles variantes dans T pour l’Inchoata expositio.
40 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

Vatican Library : Catalogues – Manuscripts (http://opac.vatlib.it/iguana/www.


main.cls?sUrl=homeMSS)
s. 15, minuscule gothique arrondie. Écrit d’une seule main, comme le confirme
le colophon au folio 502r : hoc totum volumen scripsit Petrus Beeckhusen. Ce Beeck-
husen, au nom flamand ou allemand, n’est pas autrement connu. Manfredi donne
une datation de s. 15med. pour l’écriture, et affirme que le manuscrit fut illuminé à
Florence dans les années 1440.203 Il indique aussi que V, comme S, contient des an-
notations de Tommaso Parentucelli (Nicolas V).204 On peut donc supposer que V fut
écrit pour Parentucelli lors du Concile de Florence. Mais il a aussi pu l’acheter au
Concile, ou le ramener du nord des Alpes,205 où il a beaucoup voyagé avec le cardi-
nal Albergati.206 Vespasiano da Bisticci fait mention en tout cas d’un « Sancto Agos-
tino, in dodici bellissimi volumi, tutti fatti di nuovo con grandissimo ordine »,207 que
possédait Parentucelli lors du Concile. V pourrait être un de ces volumes.208 Mais V
ne semble pas être resté entre les mains de Parentucelli. Il ne figure pas dans
l’inventaire des livres de Nicolas V dressé après la mort du pape par Cosimo di
Montserrat,209 et il porte les armes non pas de Nicolas, mais de Paul II, Pietro Barbo.
Selon l’hypothèse de Manfredi,210 Nicolas aurait prêté ou donné V à Barbo, et le ma-
nuscrit serait ensuite entré à la Vaticane pendant le pontificat de ce dernier (1464–
1471). En tout cas, V figure dans les catalogues de la Vaticane rédigés sous Sixte IV
en 1475 et 1481. Le premier inventaire n’énumère pas le contenu de V ; dans le deu-
xième, l’Inchoata expositio figure sous le titre Epistolae ad Romanos inchoata expo-
sitio liber unus.211
V est une énorme collection (512 folios) d’opuscules d’Augustin. On y décèle un
effort d’organisation surtout dans une première partie, qui va jusqu’au folio 284r.
Dans cette section se trouvent toutes les œuvres non perdues qui figurent dans re-
tract. 1, plus les deux premières œuvres de retract. 2 (quaest. Simpl. et c. epist.
fund.) – manquent cependant psalm. c. Don. (sans doute introuvable) et divers.
quaest. (omis comme trop long ? mais le texte se retrouve dans la deuxième partie
de V). Chaque œuvre est précédée de sa retractatio, et l’ordre même de retract. est

||
203 S. Agostino, 56.
204 S. Agostino, 56.59s. ; La biblioteca personale, 675s.
205 « Non andò mai fuora d’Italia in quelle legationi col suo cardinale, ch’egli non portassi qualche
opera nova che non era in Italia » (VESPASIANO DA BISTICCI, Le vite, t. 1, éd. A. GRECO, Firenze 1970,
46).
206 Pour l’arrière-plan de ces trois hypothèses, voir MANFREDI, La biblioteca personale, 652–654.
207 VESPASIANO DA BISTICCI, Le vite (n. 205 supra), 45.
208 Cf. MANFREDI, La biblioteca personale, 687 ; S. Agostino, 47–49.
209 MANFREDI, I codici, xliv–504.
210 I codici, 78 ; La biblioteca personale, 676.
211 MANFREDI, S. Agostino, 57. L’inventaire de 1475 a été publié par MÜNTZ – FABRE, La bibliothèque,
177–180. L’inventaire de 1481 reste inédit (voir BIGNAMI ODIER, La bibliothèque, 23).
Introduction | 41

suivi de c. acad. à mor. Ensuite, V a un ordre à lui, et intercale plusieurs œuvres qui
figurent dans retract. 2 : catech. rud. ; epist. 140 ; nat. bon. ; c. adv. leg. ; c. mend.
Dans cette séquence, l’Inchoata expositio est aux folios 204v–209r. quaest. Simpl.
termine la séquence, après quoi viennent encore 25 opuscules (dont un pseudépi-
graphe),212 sans que l’on y trouve de principe unifiant de sélection ou d’ordre.213
Cependant tous les textes qui figurent dans retract. sont encore précédés de leur
retractatio.
Dans la mesure où il s’agit d’un recueil construit à partir de retract., on peut as-
socier V au « canon bibliographique » de Parentucelli. Ce document est une liste des
livres latins214 que devrait contenir une bibliothèque idéale. Il fut rédigé par Paren-
tucelli lors du Concile de Florence pour Cosimo des Médicis, pour le guider dans la
formation des bibliothèques de San Marco et de la Badia Fiesolana.215 Selon Vespa-
siano da Bisticci, il a aussi servi à Federico di Montefeltro dans la création de la
bibliothèque d’Urbino. Le canon a donc pu influencer la création de U et F. Mais
évidemment ce document indique aussi comment Parentucelli voulait former sa
propre bibliothèque.
Une grande partie du canon est consacrée à la patristique,216 et Parentucelli s’y
donne souvent le mal de citer autant que possible non seulement les auteurs, mais
les titres de leurs œuvres.217 Pour Augustin, le canon rend donc explicite le type de
travail auquel ont dû se livrer les moines de Clairvaux dans la création de T. La liste
des œuvres augustiniennes est divisée en deux parties. La première est introduite
par Scripsit autem Sanctus Augustinus infrascripta de quibus in Retractationibus fit
mentio, puis viennent tous les titres de retract., dans l’ordre du texte,218 plus une
notice pour retract. lui-même (Augustinus in suis libris Retractationum). Ensuite

||
212 De Unitate Trinitatis, de Vigile de Thapse.
213 Cependant, la séquence bon. coniug. ; virg. ; bon. viduit. (que l’on retrouve dans le corpus de
Troyes 40, et sans doute ailleurs) est logique en soi.
214 Le canon témoigne d’un grand intérêt pour les traductions latines de textes grecs, mais
n’envisage nullement la collection de manuscrits grecs.
215 Pour l’origine du canon, voir BLASIO – LELJ – ROSELLI, Un contributo, 125–131. Pour le texte
même : 132–155.
216 Dans un projet que l’on qualifie un peu facilement d’« humaniste », une section à peu près
égale est pourtant consacrée à Aristote et aux auteurs scolastiques. La littérature classique vient en
dernier, et n’occupe qu’une part minime du canon.
217 Il ne faut pas cependant exagérer l’étendue de son travail. Ainsi, il ne semble pas avoir utilisé le
De viris illustribus de Jérôme ou sa continuation par Gennade.
218 L’œuvre perdue Contra partem Donati (retract. 2,5) n’est pas à sa place entre 40,29 et 40,30
(numérotation de BLASIO – LELJ – ROSELLI, Un contributo). On retrouve son titre à 40,19, où devait
figurer le Psalmus contra partem Donati (retract. 1,20). Noter aussi l’erreur curieuse : « Contra Iulia-
num Cesarem apostatam, libri VI » (40,86), à contraster avec « Contra VIII libros Iuliani pelagia-
niste » (40,94). Ces erreurs ne viennent pas forcément de Parentucelli, puisque notre texte du canon
provient d’une copie écrite après sa mort.
42 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

vient la deuxième partie, introduite par Post haec nonnulla edidit que secuntur. Il y a
des parallèles évidents entre un tel catalogue et le contenu et l’organisation de V, et
il est d’autant plus probable que V fut écrit sous les ordres de Parentucelli.
On pourrait plus facilement affirmer que V fut écrit à Florence, s’il avait été co-
pié en partie sur S, qui, on l’a vu, fut annoté par Parentucelli dans cette ville. En fait,
les deux manuscrits ont 8 œuvres en commun, et une parenté a été affirmée pour
gen. ad litt. imperf. Manfredi indique donc la possibilité d’une dépendance directe
de V sur S.219 Quoi qu’il en soit pour d’autres œuvres, ce n’est certainement pas le
cas pour l’Inchoata expositio, où les deux types de texte T V et S U se distinguent
très clairement.
On est donc plutôt porté à s’interroger sur les relations entre V et T. Les deux
manuscrits sont structurés sur retract. (partiellement pour V), et tous les textes de T
se retrouvent dans V, sauf doctr. christ. et c. Fel. Nous avons déjà vu que, pour
l’Inchoata expositio, T et V sont jumeaux, c’est-à-dire qu’ils descendent du même
hyparchétype. Or, leurs textes se ressemblent tant que l’on peine à croire à
l’existence de nombreuses étapes intermédiaires, d’un côté ou de l’autre. Dès lors, il
est tentant de supposer que Beeckhusen et Parentucelli ont eu accès, en France ou à
Florence, à l’exemplaire même de T.
Mais la prudence s’impose, pour plusieurs raisons :
 Si les textes de l’exemplaire de T se présentaient déjà dans l’ordre de re-
tract., on voit mal pourquoi V aurait bousculé cet ordre. En fait, nous ne sa-
vons pas si cet exemplaire avait cet ordre, et, pis encore, nous ne savons
pas si T avait un seul exemplaire.220
 Si, encore une fois, l’exemplaire de T portait déjà ses textes dans l’ordre de
retract., la présence d’un tel manuscrit à Florence lors du Concile aurait
sans doute eu un retentissement, puisqu’il correspondait justement au pro-
jet exprimé par le canon de Parentucelli.
 Si l’on suppose que T a eu un exemplaire unique, et qu’il partage cet exem-
plaire avec V, on s’attend à ce que tous les textes partagés entre T et V des-
cendent de cet exemplaire. Nous ne pouvons aborder cette question que
pour ceux d’entre ces textes pour lesquels les éditeurs ont utilisé T et V.
Divjak (CSEL 84) a bien vu le lien étroit entre T et V pour l’Inchoata exposi-
tio, mais pour in Gal. et in Rom., il place T et V dans des familles diffé-
rentes. Pour divers. quaest., Mutzenbecher (CCSL 44A) affirme une parenté
entre T et V, mais son apparat montre bien qu’il ne s’agit plus de jumeaux.

||
219 S. Agostino, 56–61.
220 La partie pertinente du corpus de Pontigny pourrait être l’exemplaire de T. Mais c’est seule-
ment sur place que V aurait pu être copié sur ce corpus, puisque celui-ci resta à Pontigny jusqu’à la
Révolution (voir catalogue I de PEYRAFORT-HUIN, La bibliothèque, avec ses concordances).
Introduction | 43

Pour quaest. Simpl., Mutzenbecher (CCSL 44)221 place T et V dans des fa-
milles différentes. Pour les autres textes partagés, les informations font dé-
faut.

Les conclusions provisoires sont donc négatives : aucune information connue ne


permet d’affirmer que, hormis pour l’Inchoata expositio, T et V soient jumeaux, et
on ignore comment un texte apparenté à celui de Clairvaux est arrivé dans le ma-
nuscrit de Parentucelli.

Claude de Turin et Paris Lat. 11.574


Pour leurs commentaires sur l’épître aux Romains, Claude de Turin et le commenta-
teur anonyme de Paris Lat. 11.574 ont tiré des extraits de l’Inchoata Expositio en
utilisant un texte de la famille Λ. On trouvera la présentation et, pour Claude,
l’édition de ces extraits infra, 2.5 et 2.6.

2.1.2 Famille 

La famille  n’est pas attestée avant le 11ème siècle,222 mais rien ne permet d’affirmer
que son archétype soit plus récent que celui de Λ. On situera volontiers cet arché-
type en Allemagne, d’où viennent ses descendants proches du 12ème siècle (K Z P W).
On peut aussi reconstruire en partie le contenu de  : la famille  comporte trois
branches, κ, C V1 et γ. Si une œuvre figure au sommet de plusieurs de ces branches,
elle devait être dans . C’est le cas, évidemment, pour l’Inchoata expositio, mais
aussi pour psalm. c. Don. (dans K et γ sauf R), quaest. Simpl. (dans K Z P W A Prag),
quaest. Dulc. (dans K P W Prag) et le Hypomnesticon pseudonyme (CPL 381 ; dans K
P W Prag). Pour l’Inchoata expositio,  est aussi caractérisé par un titre inventé mais
bien trouvé : In salutatione epistole ad Romanos disputatio (K) ; in salutationem epis-
tulae Pauli ad Romanos (P).

Sous-famille κ
Cette sous-famille se divise en deux branches, K Z et c. K Z, deux manuscrits con-
temporains de provenance germanique, présentent un bon texte, ce qui rend moins
évident leur relation de famille. Par contre, c, qui est composé de 4 manuscrits ita-

||
221 MUTZENBECHER, CSEL 44, xxxiv, ne rapporte pas ses « Stichproben » pour V, et ne fournit donc
pas de moyen pour contrôler ses affirmations.
222 De fait, les plus anciens manuscrits de  sont du 12ème siècle, mais, parmi les manuscrits per-
dus, celui de Pomposa pouvait appartenir à , et celui de Schaffhausen lui appartenait certaine-
ment. Or, ces deux manuscrits figurent dans des catalogues de la fin du 11ème siècle (voir infra, 2.1.4).
44 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

liens, un du 13ème siècle, et trois de la Renaissance, présente un texte très distinctif


parce que très mauvais. Dès alors, il est tentant de postuler pour c un hyparchétype
déjà tardif, fruit de beaucoup de siècles de corruption. Mais on sait qu’il suffit d’un
seul mauvais scribe pour vicier toute une tradition.223

Sous-famille κ, branche K Z
K Köln, Erzbischöfliche Dom- und Diözesanbibliothek 77
Codices Electronici Ecclesiae Coloniensis (http://www.ceec.uni-koeln.de/)224
s. 123/4, minuscule pré-gothique, allemand, écrit d’une seule main, lieu
d’écriture inconnu. Au folio 1r, on lit, écrit d’une seule main : Iste liber est facultatis
arcium coloniensis; Symon de Outdorp, Notarius et studii coloniensis Bedellus. Ce
Simon fut bedeau de l’Université de Cologne de 1400 à 1426.225 Si le manuscrit n’est
pas originalement de Cologne, il est donc arrivé dans la ville au plus tard entre ces
dates.226 La note de Simon dans K est curieuse : nous n’avons pas trouvé d’autres
indications de livres qu’il aurait ainsi marqués,227 et le bedeau n’était pas respon-
sable des livres d’une université. On suppose alors que Simon aurait écrit la note
lors d’un prêt isolé du livre, dans l’espoir d’assurer son retour. S’agissait-il d’un prêt
à une personne rattachée à la cathédrale ? Rien ne permet de l’affirmer, puisque l’on
ignore à quelle date K est entré dans la Dombibliothek. Mais il y était déjà en 1752,
où il figure sous sa cote actuelle dans le catalogue de J. Hartzheim (Catalogus histo-

||
223 Qu’on voie la remarque de SHANZER, compte-rendu : « The issue is not intervening time, but the
quality of the first copyings ». Nous savons du reste que l’archétype de c fut écrit en minuscule (voir
infra, 2.2.4, p. 78), et selon Divjak (CSEL 84, xxiii), pour in Rom. et in Gal., beaucoup de fautes de c
sont déjà dans Vat. Lat. 491, écrit au 8ème siècle d’une main insulaire en Italie du nord.
224 Le catalogue en-ligne rassemble et complète les informations des catalogues antérieurs, no-
tamment : P. JAFFE – W. WATTENBACH, Ecclesiae Metropolitanae Coloniensis codices manuscripti,
Berlin 1874 ; G. GATTERMANN (éd.), Handschriftencensus Rheinland : Erfassung mittelalterlicher
Handschriften im rheinischen Landesteil von Nordrhein-Westfalen, Wiesbaden 1993 ; D. W. ANDER-
SON – J. BLACK, The Medieval Manuscripts of the Cologne Cathedral Library. Vol I, Ms. 1–100, Colle-
geville MN 1995 (inédit, revu en 1997 pour son incorporation dans le site).
225 KEUSSEN, Die alte Universität, 411. Pour plus d’informations sur ce personnage, qui quitta Co-
logne pour être le premier bedeau de l’Université de Louvain, voir ibid. 140 ; REUSENS, Documents,
317 (mais, sauf erreur de Keussen, Reusens se trompe en identifiant le Simon de Louvain avec le fils
de celui de Cologne). Voir aussi LAMBERTS – ROEGIERS, Leuven University, 32.
226 KEUSSEN, Die alte Universität, 411, indique que Simon fut bedeau de la faculté de droit dès 1396,
avant de le devenir pour toute l’université, mais n’indique pas à quelle date il a changé de poste. Il
doit s’agir de 1400, date de départ du bedeau précédent de l’université. La note de K est à situer
après que Simon soit devenu bedeau général.
227 PLOTZEK (Zur Geschichte, 41) n’indique aucun autre livre avec les mêmes marques que K dans la
Dombibliothek, et nous n’avons pas trouvé de mentions de Simon dans les catalogues des manus-
crits du Stadtarchiv de Cologne qui ont été publiés jusqu’ici.
Introduction | 45

ricus criticus codicum mss. Bibliothecae Ecclesiae Metropolitanae Coloniensis,


Köln, 1752).228
K contient essentiellement des opuscules augustiniens : en plus de l’Inchoata
expositio (61r–73v), on y trouve beat. vit. ; epist. 130 ; fid. et op. ; psalm. c. Don. ;
quaest. Simpl. ; quaest. Dulc., et aussi le Hypomnesticon pseudonyme et l’épître 1
de Jérôme.

Z Zwettl, Stiftsbibliothek 296


C. ZIEGLER, Zisterzienserstift Zwettl : Katalog der Handschriften des Mittelalters – Teil
III, Codex 201–300, Wien 1989.
s. 124/4, minuscule pré-gothique, écrit au monastère cistercien de Zwettl, où le
manuscrit est toujours resté.
Deux livres indépendants, mais contemporains, ont été reliés ensemble pour
former Z. Le premier (fols 1–102), célèbre pour ses enluminures, rassemble des
œuvres d’histoire naturelle et de computus. Le second (fols 103–215) est un recueil
augustinien. Les deux parties étaient déjà regroupées au 17ème siècle, puisqu’elles
sont décrites comme une unité dans un catalogue manuscrit des livres de l’abbaye,
datant de ca. 1620–1640.229
La partie augustinienne est un recueil sans unité évidente. Trois opuscules sur
les états de vie (op. monach. ; virg. ; bon. viduit.) sont suivis de epist. 130, agon., et
le début (1,1–3) de gen. ad litt. Puis viennent deux œuvres en rapport avec Paul :
l’Inchoata expositio (184r–196v) et quaest. Simpl.

Sous-famille κ, branche c
L1 Firenze, Biblioteca Medicea Laurenziana, plut. XVI dext. VII
A. M. BANDINI, Catalogus codicum latinorum Bibliothecae Mediceae Laurentianae, t.
4, Firenze 1777.
s. 13, minuscule gothique, écriture rapide et très abrégée, apparemment d’une
seule main. Le manuscrit vient du couvent franciscain de Santa Croce, à Florence. Si
L1 fut écrit par les franciscains de Florence, on fixe son terminus post quem dans la
période 1218–1228, années de l’installation graduelle des Franciscains dans la
ville.230 Mais il semble en fait que la bibliothèque de Santa Croce n’a commencé à se
former que vers la fin du 13ème siècle, par des achats et des dons,231 à l’époque où

||
228 On a écrit une autre cote sur beaucoup des manuscrits de la Dombibliothek, dont K (178).
ANDERSON – BLACK (n. 224 supra) donnent une concordance pour ces cotes, mais n’indiquent rien sur
leur origine.
229 ZIEGLER, 240. Ce catalogue ne nous est pas accessible.
230 BUSIGNANI – BENCINI, Le chiese, 23s.
231 DAVIS, The early collection, 409s. Davis ne cite aucune indication de l’existence d’un scrip-
torium à Santa Croce à cette époque.
46 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

s’achèva la construction de la basilique actuelle et où un studium de l’ordre francis-


cain s’y forma.232 L1 figure en tout cas dans le catalogue du 15ème siècle des manus-
crits de Santa Croce, dans la notice 174, où l’Inchoata expositio est signalée par
Augustinus … super epistolas beati Pauli, ad Romanos.233
Suite à un motu proprio du 3 octobre 1766 du Grand-Duc Léopold de Toscane (le
futur empereur Léopold II), plus de 700 manuscrits de Santa Croce furent transférés
à la Bibliothèque Laurentienne.234 L1 entra à la Laurentienne le 16 Octobre 1766,
selon une étiquette sur le recto de la 3ème page de garde : Bibliotheca s. Crucis Petri
Leopoldi M. E. D.235 iussu in Laurent. translata Die XVI. Octobr. MDCCLXVI. Pluteus
XVI. dextr. Cod. 7.236 Les manuscrits transférés furent répertoriés par Bandini dans le
catalogue qui sert encore, et qui reproduit l’organisation de la bibliothèque du cou-
vent. L1 y figure dans une section (plutei dextri 16–18) presque exclusivement con-
sacrée aux œuvres d’Augustin.
Jusqu’au folio 151v, le manuscrit contient un assemblage d’opuscules augusti-
niens, authentiques et pseudépigraphes. On y constate une concentration de ser-
mons, et d’ouvrages exégétiques (l’Inchoata expositio aux folios 4r–8r ; in epist.
Ioh. ; in Rom. ; in Gal. ; loc. hept. ; quaest. hept.). Au folio 151v commence le com-
mentaire d’Ambroise sur l’Évangile de Luc, dont L1 contient les dix livres.

L2 Firenze, Biblioteca Medicea Laurenziana, plut. XII, XXVIII


A. M. BANDINI, Catalogus codicum latinorum Bibliothecae Mediceae Laurentianae, t.
1, Firenze 1774.
s. 15ex., minuscule humaniste, écrit d’une seule main. L2 est un manuscrit de
luxe (« supra quam dici possit nitidissimus », Bandini), écrit pour Lorenzo des Mé-
dicis, et illuminé par le grand miniaturiste florentin Attavante degli Attavanti.237 Le
manuscrit fut donc copié entre 1472, première année de l’activité d’Attavante,238 et la
mort de Lorenzo en 1492. L2 ne figure toutefois pas dans l’inventaire de la biblio-
thèque privée des Médicis, dressé par la Signoria de Florence en 1495.239 Mais on le
retrouve dans l’inventaire dressé à Rome par le prêtre érudit Fabio Vigili entre 1508
et 1510, pour le cardinal Giovanni des Médicis, le futur pape Léon X. L2 y est décrit à
la notice 153, où l’Inchoata expositio est nommée Super epistola inchoata ad Roma-

||
232 MANSELLI, Due biblioteche, 357s.
233 MAZZI, L’inventario, 101.
234 LENZUNI, Le vicende, 73s. 165 manuscrits furent ensuite restitués au couvent.
235 Magni Etruriae Ducis.
236 L’étiquette est imprimée sauf les mots Pluteus XVI. dextr. Cod. 7, écrits a la main.
237 F. GALLORI dans COPPINI – REGOLIOSI, Gli umanisti, 213s.
238 LEVI D’ANCONA, Miniature, 254s.
239 RAO, L’inventario, xxiii–xxiv, et sa concordance des inventaires (72).
Introduction | 47

nos I.240 L2 a donc suivi les vicissitudes de la bibliothèque privée des Médicis : restée
à Florence jusqu’en 1508, elle est ensuite amenée à Rome par Giovanni, puis rappor-
tée à Florence en 1523 par Giulio des Médicis (le pape Clément VII), qui inaugure la
construction de la Bibliothèque Laurentienne.241
L2 contient exclusivement des œuvres augustiniennes, la séquence étant : doctr.
christ. ; vera relig. ; nat. bon. ; util. cred. ; epist. 140 ; l’Inchoata expositio (151r–
163r) ; in Rom. ; in Gal. ; in epist. Ioh. ; cur. mort., et le De incarnatione verbi pseu-
dépigraphe (PL 42, 1175–1194). L2 partage donc avec L1 notre texte, puis in Rom., in
Gal. et in epist. Ioh. D’ailleurs, Divjak avait placé L1 et L2 (avec F M) dans la même
famille c non seulement pour l’Inchoata expositio, mais aussi pour in Rom. et in Gal.
Seulement, il n’a pas vu que, du moins pour l’Inchoata expositio, L2 est une copie
directe de L1 (voir infra, 2.2.1, pp. 68–70). Il est donc probable que le scribe œuvrant
pour Lorenzo des Médicis avait copié sur L1 à Santa Croce les quatre commentaires
sur les épîtres.
La beauté luxueuse de L2 est à contraster avec la piètre qualité de son texte, du
moins pour l’Inchoata expositio, où il ne fait que reproduire, sans grand soin, un
exemplaire tardif et mauvais. Surtout qu’il y avait à Florence un texte bien meilleur
et plus ancien de l’Inchoata expositio, celui de S à San Marco. Mais il n’était pas
facile de réaliser à la fois tous les idéaux de la Renaissance.

F Firenze, Biblioteca Medicea Laurenziana, Mediceus Faesulanus VIII


A. M. BANDINI, Bibliotheca Leopoldina Laurentiana, t. 2, Firenze 1792.
s. 15, minuscule humaniste. Comme tous les Faesulani de la Laurentienne, F
vient de la « Badia Fiesolana », fondée au 11ème siècle à Fiesole, et qui passa aux
chanoines du Latran en 1439. Cosimo des Médicis s’occupa de la reconstruction de
l’abbaye à partir de 1456, et il chargea Vespasiano da Bisticci d’en fournir la biblio-
thèque vers 1460. Vespasiano raconte qu’il proposa de faire ce travail à partir du
canon de Tomaso Parentucelli,242 exclusivement en faisant copier de nouveaux
livres, et qu’il finit ce travail en 22 mois.243 De fait, à partir des comptes de la biblio-
thèque de l’abbaye, de la Mare a montré les exagérations de Vespasiano : les livres
de la bibliothèque furent acquis de 1461 à 1467–1468, et tous n’étaient pas de nou-
velles copies. Mais F lui-même est un livre nouveau, comme le montrent ses enlu-
minures caractéristiques, et la fiche collée au verso de la 4ème page de garde, célé-

||
240 RAO, L’inventario, 18.
241 RAO, L’inventario, xxvi. La bibliothèque n’ouvrira ses portes qu’en 1571.
242 Vide supra sur V, pp. 41s. Le canon est à comparer avec la description du contenu de la biblio-
thèque donnée par VESPASIANO DA BISTICCI, Le vite (n. 205 supra), 184–189.
243 Pour ces faits, voir VESPASIANO DA BISTICCI, Le vite (n. 205 supra), 183–189 ; DE LA MARE, New
research, 441s.
48 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

brant la générosité de Cosimo.244 F fut enregistré dans les comptes de la bibliothèque


le 17 décembre 1463.245 de la Mare a aussi identifié le scribe de F : il s’agirait d’un
certain Jacobus Gossardi ou Gossarch, ultremontanus presbyter, qui a copié quatre
autres manuscrits de l’abbaye, et s’est identifié dans Faesulanus 51.246
Les manuscrits de la Badia subirent le même sort que ceux de Santa Croce. Par
un décret du 14 mai 1778, le Grand-Duc Léopold supprima l’abbaye. En juillet 1778,
la bibliothèque fut transférée à la Biblioteca Magliabechiana à Florence. Les manus-
crits entrèrent ensuite à la Laurentienne en 1783.247
F est une grande collection, sans unité apparente,248 d’opuscules et de sermons
augustiniens, tous authentiques sauf le Liber De tripicli habitaculo,249 un extrait des
Meditationes,250 et le De fide ad Petrum de Fulgence de Ruspe (CPL 826). Tous les
textes exégétiques de F sont déjà dans L1 : loc. hept. ; quaest. hept. ; in Rom. ; in Gal.
et l’Inchoata expositio (124r–129v). On croirait donc facilement que Vespasiano fit
copier ces textes sur L1 à Santa Croce. Mais, au moins pour l’Inchoata Expositio, bien
que L1 et F partagent assez de fautes uniques pour postuler un hyparchétype com-
mun en-dessous de c, L1 contient aussi trop de fautes absentes de F pour en être
l’exemplaire. De plus, F ne fut pas forcément copié sur un manuscrit de Florence :
Vespasiano raconte avoir fait chercher « a Milano, a Bologna et in altri luoghi »251
des exemplaires de textes qu’il ne trouvait pas à Florence.

M Venezia, Biblioteca Marciana 1801 (Z 68)


J. VALENTINELLI, Bibliotheca manuscripta ad S. Marci Venetiarum – tomus II, Venezia
1869.252
Minuscule humaniste, écrit d’une seule main. M fait partie d’une collection de
sept volumes de luxe (les manuscrits 1798, 1799, 1800, 1801, 1802, 1803 et 2113 de la
Marciana) censés rassembler les opera omnia d’Augustin. Ces manuscrits furent
créés pour le cardinal Bessarion, dont ils portent les armes. La collection entière fut
copiée par un seul scribe, qui s’identifie au folio 226v de M : Francischus de Ugolinis
presbiter de colle vallis else scripsit. Anno domini m. cccc. lxxi. de mense septembris.

||
244 Pour ces caractéristiques, voir ibid. 442s. ; PIETRAGALLA, dans COPPINI – REGOLIOSI, Gli umanisti,
171–173.
245 DE LA MARE, New research, 442, et n. 163.
246 DE LA MARE, New research, 506.
247 VITI, La badia, 101s.
248 Nous ne sommes pas convaincu par l’analyse de la structure proposée par PIETRAGALLA (n. 244
supra), 173.
249 Cf. CPL 1106.
250 Cf. CPL 386.
251 VESPASIANO DA BISTICCI, Le vite (n. 205 supra), 189.
252 M est sous le numéro (III).45 dans ce catalogue.
Introduction | 49

M fut donc écrit, au moins en partie,253 en 1471, sans que l’on sache si ce fut le der-
nier volume à être achevé. Le scribe n’est pas autrement connu ; son colophon in-
dique que c’était un prêtre de Colle di Val d’Elsa, au nord-ouest de Sienne.
Pour la formation de la collection augustinienne de Bessarion, Vespasiano da
Bisticci entre encore une fois en scène. Dans une lettre du 22 mai 1472 à Lorenzo des
Médicis, Bessarion explique qu’il avait commandé à Vespasiano une collection
complète des œuvres d’Augustin, dont neuf volumes étaient déjà copiés « forniti de
minii, de ligatura et di ognichosa »,254 et dont un dixième était en préparation « a far
che niuna opra li manchi ». Bessarion mourut le 18 novembre 1472, et le 22 du mois,
Vespasiano écrivait à Lorenzo, pour lui indiquer qu’après trois ans et demi de tra-
vail, les dix volumes étaient désormais finis, et lui recommander de les garder pour
lui.255 Ces volumes devaient en effet aller à la République de Venise, à laquelle Bes-
sarion avait légué ses livres en 1468, où elles allaient former le noyau de la Marcia-
na.
Lorenzo n’a pas suivi le conseil peu louable de Vespasiano, et dans l’inventaire
de 1474 des livres de Bessarion légués à la République, M se retrouve sous la notice
Augustinus de agone christiano et aliis operibus.256
Nous avons dit que M appartenait à une collection de sept volumes, alors que
Bessarion et Vespasiano parlent de dix volumes. À la série des sept volumes copiés
par Francischus de Ugolinis, Labowsky257 ajoute donc les manuscrits 1795 + 1796 (in
psalm.) et 1690 (in euang. Ioh. et in epist. Ioh.) de la Marciana, sans malheureuse-
ment indiquer ce qui l’a conduite à croire que ces manuscrits appartiennent à la
série (in epist. Ioh. se retrouve dans M).
En tout cas, même avec ces trois volumes en plus, la collection de Bessarion ne
constitue pas une réussite à l’échelle de celle de Clairvaux.258 Vespasiano avait indi-
qué l’absence de civ.,259 sans doute omis à dessein comme trop long et nullement
rare. Mais, hormis les lacunes dans les lettres et sermons, dont il est peut-être im-
possible encore aujourd’hui de constituer une collection définitive, 28 œuvres de la
transmission médiévale font défaut.260 Par contre, certaines œuvres figurent deux

||
253 M continue pendant 28 folios après 226v.
254 Pour une description des miniatures de la collection, voir GASPARRINI LEPORACE, Biblia, 29.
255 Édition des deux lettres chez LABOWSKY, Bessarion’s Library, 137s. ; commentaire ibid. 38.
256 Ibid. 243 ; M réapparait dans les inventaires de 1524 (ibid. 276, no. 629) et 1543 (ibid. 304, no.
378).
257 Ibid. 38.
258 Vide supra sur T, p. 37–39.
259 Ibid. 138.
260 c. Adim. ; beat. vit. ; bon. viduit. ; coll. c. Don. ; un. eccl. ; contin. ; corrept. ; divers. quaest. ; c.
Emer. ; c. Fel. ; fid. et op. ; c. Gaud. ; gen. ad litt. imperf. ; grat. ; haer. ; adv. Iud. ; c. Iulian. op.
imperf. ; c. Petil. ; nat. et grat. ; op. monach. ; epist. 187 ; c. Priscill. ; psalm. c. Don. ; in Matth. ;
retract. (la retract. pour l’Inchoata expositio suit le texte, mais ce procédé n’est pas systématique) ;
50 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

fois,261 et la collection comporte 17 traités apocryphes, dont 10 dans M.262 On s’est


donc peu fié à retract. pour déterminer l’authenticité, et de même retract. n’as pas
été utilisé, comme dans T ou V, pour donner un ordre à la collection. 1802 a été ré-
servé aux sermons, 1803 aux épîtres et sermons, 1795 + 1796 à in psalm., et 1690 aux
exégèses de Jean. Mais, en dehors de ces gros blocs, les textes semblent avoir été
accumulés pêle-mêle, y compris dans M, où l’Inchoata expositio (229v–235r) prend
place entre trois sermons authentiques et le Liber exhortationis apocryphe.263
Le rôle de Vespasiano da Bisticci dans la création de M et de F ferait volontiers
supposer que ces deux manuscrits descendent d’un même exemplaire. Mais la dis-
tribution des erreurs montre que M descend de c indépendamment de l’hyp-
archétype de L1 F. On en conclura que Vespasiano, malgré l’ambition de ses patrons
et l’influence de Parentucelli, formait ses collections augustiniennes sans grande
organisation. Du reste, si c a disparu, il doit au moins avoir contenu les œuvres
partagées entre L1 F M (serm. 346–348.350), entre F M (util. cred.)264 et encore entre
L1 M (in epist. Ioh., le sermon apocryphe De decem plagis,265 et les traités apocryphes
Liber exhortationis, pseudo-Speculum). c même était donc une collection éclec-
tique, ce que reflète la mauvaise qualité de son texte.

Sous-famille γ
Parmi les sous-familles des manuscrits de l’Inchoata expositio, γ est la mieux repré-
sentée, avec huit manuscrits. Tous datent soit du 12ème siècle (P W B1 A) soit du 15ème
(H G R Prag), et proviennent de deux aires géographiques assez restreintes : Bel-
gique – Pays-Bas – Allemagne du nord-ouest (B1 A H G R) ou sud-ouest de l’Alle-
magne, entre Stuttgart et le lac de Constance (P W et peut-être Prag). γ lui-même est
probablement à situer dans cette deuxième région, puisque P W sont parmi les plus

||
c. Secundin. ; spec. (remplacé par le pseudo-Speculum dans M ?) ; spir. et litt. ; symb. Certaines
œuvres sont aussi incomplètes : pour les détails, consulter les descriptions de HU 1/2.
261 in epist. Ioh. dans 1690 et M, comme on l’a vu ; c. Adim. dans 1800 et 2113 ; agon. deux fois
dans M ; des extraits de pecc. mer. dans 1798 et le texte entier dans 2113.
262 De fide ad Petrum de Fulgence de Ruspe (1798) ; Contra Felicianum Arianum (bis : 1799 et
1800 ; CPL 808) ; le De vita christiana attribué parfois à Pélage (M ; CPL 730) ; le Adversus V
Haereses (bis : M et 2113 ; CPL 410) ; De incarnatione verbi (M ; PL 42, 1175–94) ; De essentia divinita-
tis (M ; CPL 633, ep. 14) ; un Liber de oratione (M, pour ses sources voir HU 1/2) ; le De fide sanctae
Trinitatis d’Alcuin (M) ; De singularitate clericorum (M ; CPL 62) ; un livre De fide (M, pour ses
sources voir HU 1/2) ; De visitatione infirmorum (M, CPPM 3082) ; Liber exhortationis (M) ; le pseu-
do-Speculum (M) ; Confessio fidei d’Alcuin (M) ; De praedestinatione et gratia (1802 ; CPL 382) ; le
Dialogus de 65 questions entre Augustin et Orose (2113 ; CPL 373a) ; le Hypomnesticon (2113 ; CPL
381).
263 Son véritable auteur est Paulin d’Aquilée : édition à PL 99, 197–282.
264 Util. cred. figure aussi dans L2.
265 Ps.-Aug. serm. 21, son véritable auteur étant Césaire d’Arles (voir CPL 368).
Introduction | 51

anciens manuscrits de la famille, et sont ceux qui s’approchent le plus de


l’archétype. Faut-il penser aux grandes bibliothèques de Reichenau ou de Saint-
Gall ?266
γ représente un texte intelligent, avec de nombreuses variantes par rapport à Ω,
mais peu de fautes évidentes. Nous pouvons aussi reconstruire une partie de son
contenu, et de celui de ses descendants perdus :
 γ comportait les œuvres qui figuraient dans Ξ même et qui sont énumérées plus
haut : l’Inchoata expositio ; psalm. c. Don. ; quaest. Simpl. ; quaest. Dulc. et le
Hypomnesticon pseudépigraphe. Il avait aussi serm. 46 et 47, qui figurent dans
tout γ, epist. 185, qui figure dans P W Prag, et peut-être le Contra Felicianum
Arianum pseudonyme (CPL 808), que l’on trouve dans P G.
 À part P Prag, tous les manuscrits γ passent par un hyparchétype γ1. Celui-ci a
conservé toutes les œuvres de γ que l’on vient d’énumérer. Il semble avoir ac-
quis in Gal., que l’on retrouve dans W H G R.
 Vient ensuite un deuxième hyparchétype γ2, dont descendent tous les manus-
crits γ1 sauf W. γ2 conserve encore psalm. c. Don, quaest. Simpl. et serm. 46 et
47. Mais il peut aussi avoir comporté les œuvres partagées entre B1 et G ; c.
Faust., c. Maximin., et l’Altercatio Heracliani et Germinii (CPL 687). Ce cas est
cependant plus complexe, puisque pour l’Inchoata expositio, G semble des-
cendre directement de H (voir infra, 2.2, p. 70s.), qui ne comporte pas ces autres
œuvres. Leur présence dans deux manuscrits apparentés pour l’Inchoata expo-
sitio ne peut être due au hasard – surtout qu’il ne s’agit pas de textes très com-
muns ou très liés – mais une explication complète doit attendre une édition des
textes en question qui se serve de ces manuscrits.

P Stuttgart, Württembergische Landesbibliothek, theol. et phil. 2° 207


S. VON BORRIES-SCHULTEN, Die Romanischen Handschriften der Württembergischen
Landesbibliothek Stuttgart, Teil 1 : Provenienz Zwiefalten, Stuttgart 1987.267
s. 121/4 (vers 1100–1120, selon Borries-Schulten), écrit d’une seule main (sauf une
partie de 133r). Au folio 2r on lit liber sanctae Mariae de Zvivilda, puis Matris Christe
tuae famulos librosque tuere / quos Zwivilda tuum servat ad obsequium. Au folio 136r
(la dernière page) on lit encore Sancte Marie Zvivildae, puis les mêmes vers qu’au
folio 2r, d’une main du 17ème siècle. P vient donc du monastère cistercien de Zwiefal-
ten, fondé en 1089. Selon Borries-Schulten, les vers au folio 2r sont de la main

||
266 Le manuscrit perdu de Schaffhausen, apparenté à P, était de la région de ces deux monastères,
s’il fut écrit à Schaffhausen (voir infra, 2.1.4).
267 Vol. 2 dans la série Katalog der illuminierten Handschriften der Württembergischen Landesbib-
liothek Stuttgart.
52 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

d’Ortlieb, le chroniqueur de Zwiefalten, et son bibliothécaire jusqu’en 1140. Il a écrit


les mêmes lignes dans 36 autres manuscrits de Zwiefalten.268
Le monastère est sécularisé par le Reichsdeputationshauptschluss du 25 février
1803. Ses manuscrits et incunables passent d’abord à Ellwangen, capitale de la nou-
velle région de Neuwürttemberg, où l’on projetait la création d’une bibliothèque
centrale. En 1806, le duché de Württemberg est érigé en royaume, et ce projet est
annulé. La majorité des livres d’Ellwangen, dont P, furent intégrés en 1806 à la bi-
bliothèque royale de Stuttgart, devenue aujourd’hui Landesbibliothek.269
P est une petite anthologie d’œuvres augustiniennes, sans unité apparente : Il
contient serm. 46 ; serm. 47 ; un. bapt. ; l’Inchoata expositio (53v–65r) ; quaest.
Simpl. ; quaest. Dulc. ; l’Hypomnesticon pseudonyme, et 5 épîtres.270
Pour l’Inchoata expositio, P offre un texte très pur du type γ, et pourrait très
bien avoir été copié directement sur cet hyparchétype.

Prag Prague, Knihovna Metropolitní kapituly u sv. Vitá A.LXXIII.2


A. PATERA et A. PODLAHA, Soupis Rukopisů Knihovny Metropolitní Kapitoly Pražské,
t. 1, Praha 1910.
Selon le catalogue, ce manuscrit de la bibliothèque de la cathédrale Saint Guy
de Prague se divise en deux parties. La première, qui contient l’Inchoata expositio,
se termine au folio 153r, où on lit explicit a. d. m°cccc°lxxi in vigilia Viti (donc le 14
juin 1471). La seconde partie (153r–166r) daterait aussi de la fin du 15ème siècle. Une
page de garde indique que le manuscrit a appartenu à magister Johannes Herttem-
berger de Cubito (Elbogen / Loket), et fut acheté en 1491.
Johannes Herttemberger fut aumônier royal, chanoine de la cathédrale de
Prague, et archidiacre à Jungbunzlau / Mladá Boleslav de 1480 jusqu’à sa mort en
1499.271 180 manuscrits de la bibliothèque de Saint-Guy portent son nom,272 souvent
avec l’indication qu’il les a achetés.
Nous n’avons ni vu ni collationné Prag, parce qu’il s’agit presque certainement,
pour notre texte, d’une copie directe de P. Comparons le contenu de P avec les 14
premiers éléments de Prag (jusqu’au folio 150v) :

||
268 BORRIES-SCHULTEN, 6.
269 LÖFFLER, Die Handschriften des Klosters Zwiefalten, 12. La Landesbibliothek est dans un bâti-
ment moderne : celui de la bibliothèque royale fut détruit par les bombardements alliés de 1944.
270 Pour la liste des épîtres, vide infra sur Prag. La notice de BORRIES-SCHULTEN indique aussi, aux
folios 43r–49v, entre un. bapt. et psalm. c. Don., « Ps.-Leo I : Sermo 1 », ce que LÖFFLER, Die Hand-
schriften des Klosters Zwiefalten, 30, appelle « Leo, Tractatus adversus errores Eutychetis ». Il doit
s’agir du texte édité à PL 54, 477–487 (cf. CPL 1658).
271 Informations retrouvées par une recherche internet, mais qui proviennent de A. PODLAHA,
Series praepositorum etc. s. metropolitanae eccelsiae Pragensis, Prague 1912, 108, livre qui nous est
inaccessible.
272 PODLAHA, Soupis Rukopisů Knihovny, t. 2, 617.
Introduction | 53

P Prag
(1) serm. 46 serm. 46
(2) serm. 47 serm. 47
(3) un. bapt. un. bapt.
(4) psalm. c. Don. psalm. c. Don.
(5) in Rom. imperf. in Rom. imperf.
(6) quaest. Simpl. quaest. Simpl.
(7) quaest. Dulc. quaest. Dulc.
(8) Ps.-Aug. hypom. Ps.-Aug. hypom.
(9) epist. 93 (extr.) epist. 93 (extr.)
(10) epist. 185 (extr.) epist. 185 (extr.)
(11) epist. 141 (extr.) epist. 141 (extr.) 273
(12) epist. 153274 epist. 153
(13) epist. 149 epist. 149
(14) epist. 189 epist. 189

La partie datée de Prag contient ensuite des extraits de cinq épîtres augustiniennes
(185 ; 87 ; 105 ; 43 ; 51), puis la partie non datée contient un sermon apocryphe,
agon., le De bono disciplinae pseudonyme (CPL 1002) et Ps.-Aug. reg. (praeceptum
longius). Tout ceci ne peut venir de P. Mais les quatorze premiers éléments sont
identiques à ceux de P, et dans le même ordre.
Il ne peut s’agir d’une coïncidence. Trois explications sont possibles : (1) Prag
est une copie directe de P ; (2) Prag est une copie de P via un intermédiaire ; (3) P et
Prag sont deux descendants d’un même ancêtre.
Seule l’hypothèse (3) ferait de Prag un témoin indépendant pour l’Inchoata ex-
positio. Celle-ci est trop improbable pour exiger l’inclusion de Prag dans notre édi-
tion275 (surtout que nous disposons de sept autres manuscrits de la famille γ). Il est
certes impossible d’éliminer (2) et (3) sans avoir vu Prag, et même une collation
complète ne permettrait pas forcément de décider. Mais il faudrait pour ces deux cas
que l’on ait pris spontanément à deux occasions la décision de reproduire les
mêmes quatorze textes, dans le même ordre. Or quiconque fréquente les recueils

||
273 Dans la mesure où l’on peut reconstituer leur contenu à partir de HU, il semble que les extraits
de epist. 93, 185, 141 sont rigoureusement identiques dans P et Prag.
274 HU indique epist. 154, mais il doit y avoir erreur. Borries-Schulten indique epist. 153, et il s’agit
certainement de epist. 153 dans Prag, puisque Patera et Podlaha donnent l’incipit. Nous n’avons
malheureusement pas songé à régler cette question sur place pour P.
275 Du reste, nous avons tenté sans succès de communiquer avec la bibliothèque de Saint-Guy
pour obtenir une reproduction du manuscrit.
54 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

augustiniens sait à quel point il est rare que leur contenu se reproduise sur plus de
quatre ou cinq éléments.
Si Prag fut copié sur P, cela a dû se faire à Zwiefalten même, puisque P semble y
être resté jusqu’à 1803. Nous n’avons trouvé aucun autre lien entre Zwiefalten et
Herttemberger. Il est cependant lié à l’Allemagne : son nom indique une origine
germanique, de même que sa présence à l’Université de Leipzig, attestée de façon
intermittente de 1454 à 1476.276 Aurait-il acheté ou fait copier Prag lors d’un séjour en
Allemagne ? Toutefois, la mention de saint Guy dans le colophon semble rattacher
Prag plus directement à la cathédrale de Prague.

W Fulda, Hochschule und Landesbibliothek Aa23


R. HAUSMANN, Die Theologischen Handschriften der Hessischen Landesbibliothek
Fulda bis zum Jahr 1600, Wiesbaden 1992.
s. 121/4, minuscule pré-gothique, texte principal écrit de deux mains.277 Au verso
de la page initiale de garde, on lit dans une main des s. 12–13 liber sancti martini in
winigartin, et sur la même page Monasterii Weingartensis 1628. Le livre a donc ap-
partenu au monastère bénédictin de Weingarten, fondé en 1056, et c’est là qu’il fut
copié, selon Jakobi-Mirwald et Köllner.278
L’histoire des manuscrits de Weingarten ressemble fort à celle des manuscrits
de Zwiefalten. Encore une fois, le Reichsdeputationshauptschluss de 1803 mit fin à
la vie monastique. Par la même résolution est créée la principauté de Nassau-
Orange-Fulda, qui comprend et Fulda et Weingarten. Le premier (et unique) prince,
Guillaume-Frédéric, le futur roi Guillaume Ier des Pays-Bas, installa sa résidence à
Fulda, et y fit venir en 1805 les manuscrits de Weingarten, qu’il destina à la biblio-
thèque de la ville, fondée en 1778 par l’avant-dernier prince-évêque de Fulda, Henri
VIII von Bibra. Les manuscrits y sont encore,279 sauf ceux qu’emportèrent les géné-
raux français qui occupèrent Fulda après la bataille d’Iéna.280
W est un petit recueil augustinien, contenant epist. 140 ; in Rom. ; in Gal. ; serm.
46/47 ; psalm. c. Don. ; l’Inchoata expositio (52v–57v) ; quaest. Simpl. ; quaest.
Dulc. ; trois pages d’extraits de sermons et d’épîtres, et aussi le Contra Felicianum

||
276 HONEMANN, Die Epistola, 63s. L’université de Leipzig fut fondée en 1409 par la « nation » ger-
manique en révolte contre l’Université de Prague.
277 Le changement de mains a lieu au folio 39r, avec le début de serm. 46. Sur le verso de la page
initiale de garde, une main du 11ème siècle a écrit le début d’une passio Petri et Pauli, tandis qu’une
main de s. 12fin. a ajouté un extrait de Rupert de Deutz à la fin du manuscrit (77v–78v). Pour les
détails, voir HAUSMANN et JAKOBI-MIRWALD – KÖLLNER, Die Illuminierten Handschriften, no. 32.
278 HAUSMANN et JAKOBI-MIRWALD – KÖLLNER, Die Illuminierten Handschriften, no. 32.
279 Ils ne sont plus cependant à leur emplacement original, mais dans un bâtiment moderne de la
Hochschule de Fulda.
280 LÖFFLER, Die Handschriften des Klosters Weingarten, 21–28.
Introduction | 55

Arianum et l’Hypomnesticon pseudo-Augustiniens. W semble avoir ajouté in Rom.


aux œuvres héritées de γ1, pour compléter le recueil des opuscules sur Paul.

B1 Bruxelles, Bibliothèque Royale II.1072 (1115)


J. VAN DEN GHEYN, Catalogue des manuscrits de la Bibliotheque Royale de Belgique.
Tome Deuxième : Patrologie, Bruxelles 1902.
s. 12,281 minuscule pré-gothique, écrit d’une seule main. Au folio 1r de ce manus-
crit, on lit Istum librum dedit ecclesiae Alnensi magister Benedictus sancti Iohannis in
Leodio. Anima eius requiescat in pace. L’ecclesia Alnensis, c’est l’abbaye d’Aulne
dans le diocèse de Liège, qui aurait été fondée par saint Landelin au 7ème siècle, et se
rattacha aux cisterciens en 1147. Quant au maître Benoît de Liège, nous devons à
Vercauteren une étude de la vie de ce personnage, finalement assez obscur. Dès
1136, il fut magister scholarum de la Collégiale de Saint-Jean de Liège, doyen dès
1159. En 1171, il fut chanoine à la Collégiale de Looz (province de Limbourg), sans
avoir quitté Liège, et en 1179, au 3ème Concile du Latran, il intervint au nom de
l’abbaye de Saint-Trond, où sa présence est attestée en 1181. En 1188, il fut nommé
dans la charte d’une donation par des bourgeois de Liège, justement à l’abbaye
d’Aulne. En 1189, il fut à Cologne, où il souscrivit deux actes du puissant arche-
vêque Philipp von Heinsberg. On perd ensuite sa trace, peut-être parce qu’il est mort
peu de temps après.282
Benoît fut donc associé à un nombre d’endroits, ce qui ne facilite pas
l’identification de l’origine de B1, surtout qu’aucun autre manuscrit, à notre con-
naissance, n’est identifié comme ayant appartenu à cet homme. On ne saurait dire
non plus à quelle date B1 fut donné à Aulne. La notice doit être postérieure à la mort
de Benoît, mais il ne s’agit pas forcément pour autant d’un legs. On retrouve B1 à
Aulne en 1632, date du catalogue imprimé par SANDERUS (Bibliothecae Belgicae), où
B1 est décrit p. 242, avec l’Inchoata expositio prise par mégarde pour in Rom.,
puisque le texte est appelé Expositio quarundum quaestionum epistulae ad Romanos.
L’abbaye d’Aulne fut incendiée le 14 mai 1794 par l’armée révolutionnaire fran-
çaise. Boulmont283 brosse un tableau apocalyptique des soldats jetant les manuscrits
au feu. Bon nombre ont pourtant survécu et sont restés ensemble, puisque le grand
bibliophile anglais Sir Thomas Phillipps en achèta un bloc de 114, dont B1, à une
date inconnue entre 1822 et 1829,284 pour sa bibliothèque de Middle Hill. On retrouve

||
281 La datation de s. 13 chez Van Den Gheyn est à corriger.
282 VERCAUTEREN, Un clerc liégeois, 58, signale la mention d’un Benedictus presbyter, mort le 24
septembre 1189, dans l’obituaire de Saint-Lambert de Liège, mais ajoute qu’il ne s’agit pas forcé-
ment du même homme.
283 Les fastes, 16.
284 Inconnue dans la mesure où elle n’est pas précisée par MUNBY, Phillipps Studies, t. 3, 22s., où
l’achat figure au chapitre 2, Abroad, 1822–1829.
56 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

ces manuscrits dans le catalogue privé de Phillipps, Catalogus Librorum Manuscrip-


torum Bibliothecae D. Thomae Phillipps Bart. AD 1837, Middle Hill : aux pages 75–78
figurent les manuscrits « ex bibliotheca monasterii de Alna », numérotés 4621–
4734.285 B1 doit y être le no. 4652, ainsi décrit : S. Augustinus contra Faustum, f[olio],
v[ellum], s. xii.
À la mort de Phillips en 1872, sa bibliothèque passa à sa fille Katharine Fenwick.
Thomas FitzRoy Fenwick, fils de celle-ci, s’occupa de vendre les manuscrits. La
Bibliothèque Royale de Bruxelles s’intéressa dès avril 1887 à acheter des manuscrits
d’origine belge, et en juin 1888, Charles Ruelens, le conservateur des manuscrits,
achèta à Fenwick 106 manuscrits d’Aulne. C’est ainsi que B1 retourna en Belgique.286
Au folio 1v, le contenu de B1 est répertorié de deux manières dans une main du
ème
12 siècle. La colonne de gauche comporte une liste des titres en majuscules, où
bleu et rouge alternent ligne par ligne. L’Inchoata expositio y figure en dernier lieu
(Epistulae ad Romanos inchoata expositio liber unus). La colonne de droite présente
ces mêmes titres sous forme d’un poème en hexamètres léonins. Ce poème semble
être resté jusqu’ici inédit.

Hic Augustinus, pietatis in agmine primus,


Pastor sollicitus, libris quasi milite cinctus,
congreditur bello cum quodam nomine Fausto,
nempe rebelle Deo veluti secta Manicheo.
Huius dogma malum gentem quandam tenebrarum 5
inducit – blandus sermone sed arte nefandus,
utpote delirus, qui delirare peritus
scripturas falsat et scripta prophetica damnat.
Christum carne negat cuius se nomine velat,
quo super incesta profert nimis ac inhonesta. 10
Multa nefanda probat et quaeque probanda profanat.
Quae simul ut legit pater Augustinus abegit,
et quidquid finxit valida ratione restinxit.
Illius obiectis responsa dat obvia libris
bis tribus ac ternis, bis denis atque quaternis. 15
Fausto sic victo sequitur liber Arrius in quo
dogmatis assertor proprii reperitur et error.
Is mox desivit, pius auctor ut obvius ivit.
Hoc obnitente silet error et iste repente.
Hinc liber antistes quo Maximinus et heres 20
terrae praedictae cadit, a patre victus et ipse.
Hinc liber extat ubi, duo cum certent, manet uni

||
285 Pour l’histoire complexe de l’impression de ces catalogues privés, voir MUNBY, The Phillipps
Manuscripts. Nous avons consulté l’exemplaire de la British Library, cote C.194.c.90. Dans celui
réimprimé par MUNBY (loc. cit.), la description du no. 4652 est identique.
286 MUNBY, Phillipps Studies, t. 5, 28–30.
Introduction | 57

recta fides. Alii doctrina magis placet Arii,


qui, cum sit praesul, fit ab ecclesia tamen exsul,
nomine Germinius. Alius fuit Heraclianus, 25
qui licet extiterit laicus, certamine vicit.
Inde liber sequitur qui Pastorum titulatur,
quo patet expresse quid pastor debeat esse.
Hinc liber est ad oves, intendens scribere mores,
sed gregis illius cui praebet pabula Christus, 30
qui gregis ad faenum dignatur linquere caelum,
ut fugiens caenum grex possit287 scandere caelum.
Ad Mediolanum duo libri Simplicianum,
in quibus excussit reserari quae iussit.
Hinc opus inceptum super hoc Pauli documentum 35
quondam Romanis quod amore dat pietatis,
quod pater incepit imperfectumque reliquit,
intendens aliis quis plus fuit utilitatis.
Isti sunt libri Cunonis tempore scripti,
quos quicumque legis eius miserendo memor sis. 40

De même que la liste en majuscules, ce poème reproduit fidèlement et dans l’ordre


le contenu de B1 : c. Faust. (1–15) ; c. Arian. (16–19) ; c. Maximin. (20–21) ; l’ Alterca-
tio Heracliani et Germinii (22–26) ; serm. 46 (27–28) ; serm. 47 (29–32) ; quaest.
Simpl. (33–34) ; l’Inchoata expositio (35–38 = 111v–116r). Seuls manquent serm. 58
(69r–70v), entre c. Faust. et c. Arian., et le texte final, un sermon apocryphe sur la
Vierge (116v–118r), qui est clairement l’ajout d’une main plus tardive.
Cunonis tempore scripti … L’identification de ce Cunon permettrait de dire où et
quand B1 a été écrit. On pense volontiers à un supérieur religieux. Nous avons donc
tenté d’identifier Cunon dans le Monasticon Belge.288 On n’y trouve aucun Cunon ou
Kunon dans les index, tandis que les Conon et Conrad (dont Cunon peut être une
variante) sont bien trop nombreux pour que l’on puisse faire un tri sans autres in-
dices.
B1 est le produit d’un scriptorium cultivé. La table de matières est en vers.
L’écriture et les enluminures sont très belles. De plus, le texte de c. Faust. a été soi-
gneusement glosé, et ces gloses, qui portent sur des mots rares du texte,289 semblent

||
287 poscit B1 (ac.)
288 8 tomes, 1890–1993.
289 Nous n’avons pu examiner ces gloses, qui méritent une étude, que jusqu’au folio 36r. Il semble
toujours s’agir de citations. Parmi les sources identifiées, Isidore est majoritaire, mais on trouve
aussi les Excerpta Festi de Paul Diacre (ou peut-être Nonius), Raban Maur, Augustin lui-même,
Julien de Tolède, et deux gloses qui figurent aussi dans le commentaire sur Paul imprimé à PL 117,
361–938 sous le nom d’Haymon de Halberstadt, mais qu’il faudrait plutôt attribuer à Haymon
d’Auxerre (voir supra, 1.9).
58 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

faire partie de la facture originelle du livre. Cependant son texte de l’Inchoata expo-
sitio n’est pas spécialement bon.

A Berlin, Staatsbibliothek, Theol. et philosoph. lat. fol. 348 (lat. 293)


V. ROSE, Verzeichniss der lateinischen Handschriften der Königlichen Bibliothek zu
Berlin. Zweiter Band : Die Handschriften der kurfürstlichen Bibliothek und der kur-
fürstlichen Lande. Erste Abteilung, Berlin 1901.
s. 124/4, minuscule pré-gothique, écrit de plusieurs mains.290 Au folio 1v, on lit :
Liber sanctorum Cosme et Damiani martyrum in Lisbern. Le livre provient donc du
monastère de Liesborn (Nordrhein-Westfalen), couvent de femmes dès le 9ème siècle,
mais transformé en maison bénédictine pour hommes en 1132.
A figure dans le catalogue de 1219, composé sous l’abbé Werner (1198–1221), des
livres de Liesborn, sous la notice Augustinus super epistola Iohannis. etc. Hieronymus
super Mathaeum, Augustinus de Pastoribus et de Ovibus, etc.291 Ce catalogue n’est
connu que par sa copie faite dans le catalogue dressé en 1795, sous l’avant-dernier
abbé, Ludger Zurstraßen (1767–1798). Il est plus difficile d’identifier A dans ce se-
cond catalogue, mais il peut se cacher sous la notice Quaedam opera Augustini,
Hieronymi et Bernardi.292
Ce sont encore les guerres napoléoniennes qui mirent fin à la vie monastique à
Liesborn. Le pays de Münster fut occupé en 1802 par les Prussiens, et ceux-ci déci-
dèrent le 2 mai 1803 de fermer l’abbaye, dont les biens furent appropriés par la cou-
ronne prussienne.293 129 manuscrits furent alors acquis par la bibliothèque universi-
taire de Münster. En 1823, la bibliothèque royale de Berlin acheta à l’université 51 de
ces manuscrits, dont A.294 Ceux-ci n’auraient pas été préservés autrement : des 801
manuscrits répertoriés à Münster en 1889, 693, dont 69 des 70 manuscrits de Lies-
born, ont été détruits lors des bombardements alliés de 1944/1945.295
A se divise en deux parties, chacune d’une main différente.296 Le gros de la pre-
mière partie, qui va jusqu’au folio 88v, est composé du commentaire de Jérôme sur
l’Évangile de Matthieu, suivi de l’epist. 137 d’Augustin. La deuxième partie contient
des textes caractéristiques de γ : serm. 46 et 47, l’Inchoata expositio (109r–117r) et
quaest. Simpl.297

||
290 FINGERNAGEL, Die illuminierten, t. 1, 40.
291 ROSE, Verzeichniss, 1444.
292 ROSE, Verzeichniss, 1444.
293 MÜLLER, Das Bistum, 84s.
294 MÜLLER, Das Bistum, 56s.
295 MÜLLER, Das Bistum, 57 ; KRISTELLER – KRÄMER, Latin Manuscript Books, 622.
296 Selon ROSE, Verzeichniss. Les indications de FINGERNAGEL (Die illuminierten, t. 1, 40) sont
moins claires.
297 Une autre main a ajouté l’epist. 174 de Bernard de Clarivaux à la fin du volume.
Introduction | 59

H Zwolle, Gemeentearchief GAZ 19


[Pas de catalogue – Notice sommaire sur le site Medieval Manuscripts in Dutch Col-
lections]
s. 152/4, minuscule gothique, écrit d’une seule main. Le début du manuscrit
manque : il commence aujourd’hui à in Gal. 11 (est circumcidi. Quamvis Titus …)
Nous n’avons trouvé aucune information sur la provenance ou l’histoire de ce
manuscrit. Mais ses liens étroits avec G et son emplacement actuel rendent fort pro-
bable qu’il vient d’un monastère des Frères de la Vie Commune, Zwolle étant un des
centres de ce mouvement. Puisque G semble être sa copie directe, on pense en parti-
culier aux chanoines de Bethléem à Zwolle même, ou à ceux de Windesheim.298
H est un recueil augustinien, contenant presque exclusivement des textes de la
collection γ1 : in Gal. ; l’Inchoata expositio (23r–33v) ; quaest. Simpl. ; serm. 46 et 47,
puis aussi une partie de quaest. euang.

G Paderborn, Erzbischöfliche Akademische Bibliothek Ba3


U. HINZE et al., Erzbischöfliche Akademische Bibliothek Paderborn – Handschriften,
2008 (ressource électronique sur le site de la bibliothèque).299
Minuscule gothique, écrit d’une seule main. Au folio 1v on lit : Liber canonico-
rum regularum ordinis beati Augustini domus sancti Meynulphi in Bodeken Paderbur-
nensis dyocesis, et ces informations sont complétées en fin de volume (260v) : Anno
domini m.cccc.lxxii. hec terminata sunt pro et in monasterio sancti Meynulfi in Bode-
ken Paderbornensis diocesis ordinis sancti Augustini, Iohanne Dulmiane priore,300
Antonio Lippie scriptore, Iohanne Betteren de Paderborn formatore et sollicitatore.301
Le manuscrit fut donc écrit en 1472 au monastère augustinien de Saint-Meinolf,
à Böddeken, à quelque 20 km au sud de Paderborn. La fondation de Saint-Meinolf,
comme monastère de femmes, date du 9ème siècle. En 1409, le couvent se transforme
en communauté de chanoines augustiniens, et se rattache au mouvement des Frères
de la Vie Commune, sous la tutelle de la maison des chanoines de Bethléem à
Zwolle, puis rejoint la congrégation de Windesheim (source aussi de B et R) en
1430.302

||
298 Voir la description de G pour ses liens avec ces deux communautés.
299 Mise à jour de HINZ, Verzeichnis.
300 Johannes Lenwerts / Lennaerts, de Dülmen, près de Münster, prieur de 1465 à 1477 (KOHL,
Monasticon, t. 2, 69).
301 Il s’agit de l’enlumineur, selon le catalogue, mais nous avons cherché en vain un tel sens pour
formator (passe encore) ou sollicitator dans les lexiques médiévaux.
302 GRUBE, Des Augustinerpropstes, 489 ; MUHS, Libri Sancti Maynulfi, 248.
60 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

Encore une fois, c’est le Reichsdeputationshauptschluss qui met fin à la com-


munauté, entre le 19 février et le 3 mars 1803.303 Les livres de Böddeken devaient
cependant rester quatorze ans dans la bibliothèque fermée du monastère. En 1817,
ils sont enfin transportés au Gymnasium Theodorianum, le lycée jésuite de Pader-
born. La majorité partira en 1822 pour l’Université de Münster, pour y être détruit
dans les bombardements de 1944.304 Mais quelques-uns restent à la Theodoriana, où
l’on retrouve G, sous sa cote actuelle, dans le catalogue dressé par le bibliothécaire
du lycée en 1896/1897.305 Les manuscrits de la Theodoriana, dont six de Böddeken,
seront ensuite transférés à la bibliothèque épiscopale de Paderborn en 1925.306
G est un grand recueil augustinien, contenant une œuvre majeure (c. Faust) ;
des opuscules (c. Maximin. ; de duab. anim. ; c. Fort. ; fid. et symb. ; haer.; in Gal. ;
l’Inchoata expositio aux folios 180r–186v ; quaest. Simpl. ; quaest. euang. ; pat.),
des épîtres (221–224), des sermons (46/47), des textes pseudo-augustiniens
(l’Altercatio Heracliani et Germinii ; De fide ad Petrum [CPL 826] ; Contra Felicianum
Arianum ; De bono disciplinae [CPL 1002]; s. [apocryphe] 55). G partage donc 7
œuvres avec B1, mais du moins pour l’Inchoata expositio, il descend de γ2 sans pas-
ser par B1, puisqu’il doit descendre directement de H (voir infra, 2.2.1, pp. 70s.), qui
n’a que 4 de ces 7 œuvres.

R Utrecht, Universiteitsbibliotheek 4 C 7 (68)


P. A. TIELE, Catalogus codicum manu scriptorum bibliothecae Universitatis Rheno-
Trajectinae, t. 1, Utrecht 1887.
Minuscule gothique, écrit d’une seule main. Au folio 144r on lit Finitus est hic li-
ber et scriptus a fratre Arnoldo Aelberti canonico regulari monasterii regularium in
Traiecto et pertinet eidem monasterio. Anno domini m°cccc°lxiiii . xxviii die Maii. On
connait donc le nom du scribe (Arnold Albertzoon en flamand ?),307 la date de com-
plétion (28 mai 1464) et le lieu d’écriture (le monastère augustinien de s. Marie et les
douze apôtres, Utrecht).
Le destin de R suit celui de son monastère. Celui-ci, fondé en 1290–1292, et rat-
taché en 1430 à la Congrégation de Windesheim des Frères de la Vie Commune
(source aussi de G et B), est fermé en 1597 suite aux mesures de la municipalité pro-
testante, et ses livres sont déjà confisqués en 1581. La municipalité d’Utrecht fait

||
303 MUHS, Libri Sancti Maynulfi, 245.
304 Il reste un manuscrit à Münster (MUHS, Libri Sancti Maynulfi, 254, n.39). L’article de Muhs est à
lire en entier pour le sort pathétique de la bibliothèque de Böddeken après la sécularisation.
305 RICHTER, Handschriften-Verzeichnis, t. 2, 4.
306 HINZ, Die mittelalterlichen Handschriften, 77.
307 Ce même scribe a mis son nom à neuf autres manuscrits des chanoines réguliers (voir la de-
scription du manuscrit 40 sur le site de la Bibliothèque Universitaire d’Utrecht). Voir aussi KOHL,
Monasticon, t. 3, 430.
Introduction | 61

transférer les livres confisqués des maisons religieuses dans une bibliothèque pu-
blique, située dans le chœur de l’Église Saint-Jean. Celle-ci formera le noyau de la
bibliothèque universitaire, lors de la fondation de l’Université d’Utrecht en 1636.308
R est un recueil augustinien sans unité apparente. Il contient des épîtres (166 ;
167 ; 171 ; 147–48 ; 54–55 ; 102) et des opuscules authentiques (de serm. dom. ;
l’Inchoata expositio aux folios 49r–55v ; in Gal. ; de mend. ; c. mend. ; nat. bon. ;
div. daem.) et pseudépigraphes (le commentaire sur l’Apocalypse de Césaire
d’Arles [CPL 1016] ; De triplici habitaculo [CPL 1106]). On n’y reconnait plus du tout
la collection γ1.

Sous famille C V1
Trois manuscrits contiennent un extrait identique de l’Inchoata expositio, allant de
22,2 à la fin du texte, et présentant ainsi en bref la doctrine d’Augustin sur le blas-
phème contre l’Esprit Saint. C’est ce qu’indique la rubrique du texte dans C : Quaes-
tio de spiritu blasphemiae Augustini superius prolixa tractatur.309 Sed hac fine con-
cluditur sic.

C Montecassino, Archivio della Badia 173L


M. INGUANEZ, Codicum Casinensium manuscriptorum catalogus, Vol. 1 – Pars 1, Mon-
tecassino 1905.
s. 112/2, minuscule bénéventaine,310 écrit d’une seule main. Dans la chronique de
Montecassino, Guido, moine de l’abbaye, donne la liste des manuscrits copiés sous
Désiderius, abbé de Montecassino de 1058 jusqu’à son élévation à la papauté, sous
le nom de Victor III, en 1086. La liste de Guido commence avec les œuvres
d’Augustin, et C est à identifier avec le deuxième manuscrit de cette liste, De opere
monachorum.311 Aurait-il pris son texte de notre extrait du cinquième manuscrit de la
liste, décrit comme Super epistolam ad Romanos, et que l’on ne retrouve plus au-
jourd’hui ?
C, qui ne doit jamais avoir quitté Montecassino, est une anthologie augusti-
nienne. Il contient 2 opuscules d’Augustin (op. monach.; symb.), 2 opuscules / ser-
mons pseudo-Augustiniens (De symbolo [CPL 404] ; Adversus quinque haereses
[CPL 410]),312 et 9 courts textes homilétiques de factures diverses, dont un extrait de
serm. 71,37, sur le blasphème contre l’Esprit Saint (nam et si quisquam … pacis vincu-

||
308 Voir VAN DER HORST, Handschriften, 50s., supplémenté par les informations sur le site de la
bibliothèque. MEINSMA (Middeleeuwsche Bibliotheken, 267–275) énumère 129 manuscrits du monas-
tère qui sont aujourd’hui dans la bibliothèque universitaire, R étant le no. 21 dans sa liste.
309 tractatur est le texte que nous avons noté, mais INGUANEZ indique tractata.
310 LOEW, The Beneventan, t. 2, 74.
311 Texte dans MGH SS 34, 444–446. L’identification fut faite par l’éditeur, H. HOFFMANN.
312 Ces deux textes sont souvent attribués par les érudits à Quodvultdeus.
62 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

lo custoditur). L’extrait de l’Inchoata expositio se trouve juste avant celui-ci, en


avant-dernière place, aux pp. 175–79.

V1 Roma, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vaticanus Latinus 4918


Pas de catalogue imprimé. Des indications bibliographiques sur Vatican Library :
Catalogues – Manuscripts (http://opac.vatlib.it/iguana/www.main.cls?sUrl=
homeMSS)
s. 12inc.,313 minuscule pré-gothique, écrit d’une première main jusqu’au folio 117r,
et de plusieurs autres mains jusqu’à la fin. Une page de garde, avec des extraits des
Dialogues de Grégoire le Grand, est écrite en minuscule bénéventaine du 11ème siècle,
et il en est de même pour quatre bandes de parchemin qui renforcent la reliure.314
Ces éléments, et des liens de V1 avec C et avec le manuscrit 168L de Montecassino
(vide infra), suggèrent une origine dans le sud de l’Italie. On trouve cependant du
parchemin bénéventain provenant du même manuscrit dans la reliure de Vat. Lat.
4920 et 4923–4925,315 et comme tous ces livres ont fait partie d’une même collection
(vide infra), ces ajouts bénéventains pourraient être bien postérieurs à leur fabrica-
tion.
Le scribe de la première partie s’est identifié dans un petit poème au folio 107v :

Funde preces Christo, libro qui cernis in isto:


scriba sit ut justus, castus simul, atque venustus,
Qui Placidus vere Christum sibi captat habere.
Aliud.
A Placido scriptum librum qui videris istum,
Fac Placido placidum placide placida prece Christum.316

Au folio 1r on lit emptum ex libris Cardinalis Sirleti, inscription qui se trouve sur 84
manuscrits de la Vaticane (36 grecs et 48 latins : Vat. Lat. 4917–4966), achetés par
Paul V au duc Angelo d’Altemps, la vente étant enregistrée à la Vaticane le 15 mai
1612. V1 figure au no. 18 dans le catalogue d’achat (Isidorus contra Iudeos 8.°).317
emptum ex libris Cardinalis Sirleti, parce que le duc d’ Altemps avait acheté le 6
août 1611 la bibliothèque du cardinal Ascanio Colonna, qui avait quant à lui acheté,
le 4 juin 1588, la bibliothèque du cardinal Guglielmo Sirleto (1514–1585), bibliophile
et érudit.318 Mais ce sont les bibliothécaires de la Vaticane qui ont placé l’attribution

||
313 MEERSSEMAN, Seneca maestro, 49.
314 LOEW, The Beneventan, t. 2, 149.
315 LOEW, The Beneventan, t. 2, 149.
316 Texte déjà imprimé par Faustino Arevalo dans son édition d’Isidore de Séville, et que l’on
trouve donc à PL 81, 806.
317 MERCATI, Codici latini, 106–111 ; 113–136 pour le catalogue.
318 RUSSO, La biblioteca, 226.
Introduction | 63

à Sirleto sur les manuscrits achetés au duc d’ Altemps, et tous ne viennent pas for-
cément de la bibliothèque de ce cardinal.319 Mais V1 en provient bel et bien, puisque,
dans Vat. Lat. 6163, le catalogue des livres de Sirleto dressé avant leur vente à Co-
lonna,320 il figure comme élément no. 497 : Isidori iunioris de Christo contra Iudeos. S.
Augustini de sp. blasfemia.
Contenu :
 1r–107v : Isidore de Séville, De fide catholica contra Iudaeos.
 108r–111r : Notre extrait de l’Inchoata expositio, avec le titre Quaestio de
spiritu blasphemiae. Augustinus.
 111r : Le même extrait d’Augustin, serm. 71 que l’on trouve dans C, avec le
titre item unde supra. De inremissibile blasphemiae [sic] spiritus. Augustinus.
 111v –113v : Augustin, epist. 54 (= ad inquisitionem Ianuarii ; extraits ; dé-
tails dans HU).
 113v–115r : Augustin, sermo Dolbeau 29 (= De providentia Dei), cap. 8 et 10
= l’extrait dans le manuscrit 168L de Montecassino, où il suit aussi un ex-
trait de epist. 54, apparemment le même qu’ici.
 115r–115v : extrait d’Augustin, doctr. christ. 3,42–45 (quisquis autem rebus
… improbandum quod facimus).
 115v–116v : Ambroise, epist. 1,3 (CSEL 82), incomplet, s’arrête §5 (et inlece-
brosa rigidioribus).
 117r–130v : pseudo-Sénèque, De copia verborum.321

L’extrait de l’Inchoata expositio figure donc parmi une petite collection d’extraits
augustiniens, tous visant à donner une réponse courte à des questions philoso-
phiques ou théologiques.

Ott Roma, Biblioteca Apostolica Vaticana, Ottobonianus Latinus 945


[pas de catalogue imprimé]
Au folio 2r (page de garde), et de nouveau au folio 136v on lit : S. ISIDORI Iunio-
ris De Christo contra Iudaeos. Unus ex codicibus centum bibliothecae Altempsianae
manu regia exceptis, nunc vero a Joanne Angelo duce ab Altaemps propriis sumptibus
fidelissime ex originalibus desumptis, ut bibliotheca Altempsiana quoad potuit tanto
splendore iam decorata non careret.
Le duc d’ Altemps avait en effet fait copier en 1619–1620 à la Vaticane les ma-
nuscrits qu’il avait vendus à Paul V, pour en conserver des exemplaires dans sa

||
319 MERCATI, Codici latini, 111.
320 RUSSO, La biblioteca, 235–299, donne l’édition de ce catalogue.
321 Sur le contenu de ce texte, voir C. W. BARLOW (éd.), Martini Bracarensis opera omnia, New
Haven 1950, 209s.
64 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

propre bibliothèque.322 Ott est la copie de V, et son contenu est rigoureusement iden-
tique. L’extrait de l’Inchoata expositio se trouve 106v–110r.
Les Ottoboniani, on le sait, constituaient à l’origine la collection privée du pape
Alexandre VIII. Celle-ci incluait les manuscrits Altemps, qui semblent y être entrés
par un legs du duc Pietro, mort le 15 mars 1691.323 La Bibliothèque Vaticane acheta
les manuscrits Ottoboniani des héritiers d’Alexandre en 1748.
Ott est donc la copie de V1 et peut être entièrement laissé de côté pour l’édition cri-
tique de notre texte.324

2.1.3 Manuscrit contaminé

B Bruxelles, Bibliothèque Royale 48 (1058)


J. VAN DEN GHEYN, Catalogue des manuscrits de la Bibliothèque Royale de Belgique.
Tome Deuxième : Patrologie, Bruxelles 1902.
s. 15, minuscule gothique, écrit d’une seule main. Sur le verso de la couverture,
on lit : W.3. Hoc volumen scriptum est labore ac diligentia religiosi fratris Ioannis Mol.
Huius domus … professus … in Facons … quondam rector fuit.
Van Den Gheyn en avait conclu une provenance du prieuré augustinien de Cor-
sendonk, près de Turnhout, fondé en 1398 et se ralliant à la congrégation de
Windesheim des Frères de la Vie Commune (source aussi de G et R) en 1409–1412.325
Cette attribution est confirmée par De Bruyne,326 qui montre que la cote W3 corres-
pond à l’organisation des livres de Corsendonk, et que B figure dans le catalogue
des manuscrits de Corsendonk dressé en 1633, et reproduit par SANDERUS (Bibliothe-
cae Belgicae, 46–71). On ne connait cependant pas d’autres livres copiés par
Joannes Mol.327
Corsendonk fait partie des établissements religieux fermés par l’édit du 17 mars
1783 de l’empereur Joseph II,328 et dont les biens furent mis en vente – le 2 mai 1785
pour ceux de Corsendonk.329 Mais plutôt que vendus, grand nombre des livres de ces
maisons furent acquis par la Bibliothèque Royale (alors « Bibliothèque de Bour-
gogne ») de Bruxelles, où l’on retrouve la majorité de ceux de Corsendonk.330 On ne

||
322 MERCATI, Codici latini, 109s.
323 BIGNAMI ODIER, Premières recherches, 11s.
324 Nous avons vérifié Ott en partie. On y trouve les leçons typiques de V1 : perserveranti nequitia
(22,3) ; nam hic (22,4) ; om. et [recte factorum] (22,5) ; fidei miraculis (23,2).
325 KOHL, Monasticon, t. 1, 80.
326 DE BRUYNE, De la provenance, 108–121.
327 DE BRUYNE, De la provenance, 21 ; KOHL, Monasticon, t. 1, 75.
328 MARCHAL, Catalogue, cxcv/cxcvi.
329 KOHL, Monasticon, t. 1, 73.
330 Ibid.
Introduction | 65

sait pas la date d’entrée exacte de B, mais il porte les armes de Léopold II, ce qui
indique qu’il était déjà entré dans la Bibliothèque entre Décembre 1790, quand Léo-
pold rétablit l’autorité de l’empire sur Bruxelles, et la mort de l’empereur, le 1 mars
1792. B porte aussi l’estampille de la Bibliothèque Nationale de Paris, et fait donc
partie des livres de Bruxelles emportés à Paris par l’Armée Révolutionnaire en 1794,
et rendus par Louis XVIII en 1815/1816.331
On verra plus bas que B contient une texte créé à partir de collations détaillées,
qui correspondent au projet théologique et philologique des Frères de la Vie Com-
mune. Ce projet demandait en premier lieu que les communautés se fournissent de
l’essentiel des œuvres des Pères, et il y avait en effet à Corsendonk un quantité im-
pressionnante de recueils organisés des textes d’Augustin,332 copiés, pour ceux qui
sont datés, entre 1457 et 1466. Mettant à part le contenu de B, on trouvait les œuvres
majeures c. Faust.,333 civ.,334 in psalm. (en trois tomes, mais incomplet),335 trin.,336
conf.,337 puis une grande anthologie d’épîtres,338 deux collections de sermons,339 et
pas moins de 27 opuscules,340 répartis en six manuscrits, sans compter 12 apo-
cryphes.
B entre bien dans cette optique : c’est une collection des commentaires
d’Augustin sur le Nouveau Testament : il contient in euang. Ioh. ; in epist. Ioh. ;
l’Inchoata expositio (228r–234r) ; in Rom. ; in Gal.

||
331 MARCHAL, Catalogue, ccv.ccxv/ccxvi.
332 Dans ce qui suit, la numérotation est celle de DE BRUYNE, De la provenance, 110s.
333 no. 10 (=Bruxelles, BR 119–24 (1122), copié en 1466).
334 no. 12 (=Bruxelles, BR 291 (1148), copié en 1457).
335 no. 13 (ps. 1–34 = Bruxelles, BR 1274 (1077)) ; no. 14 (ps. 50–100 = Paris, Bibliothèque Mazarine
599), no. 15 (= Paris, Bibliothèque Mazarine 600). Le no. 13 date de s. 15, alors que 15 et 16 seraient
du s. 14, selon le catalogue de la Bibliothèque Mazarine. Datation à corriger ?
336 no. 19 (= Bruxelles, BR 149–50 (1095), s. 15).
337 no. 23 (= Bruxelles, BR 1949 (1045), s. 15).
338 no. 16 (= Bruxelles, BR 272–74 (1074), écrit en 1455).
339 no. 18 (= Bruxelles, BR 149–50 (1095), s. 15) et no. 20 (non identifié).
340 no. 10 : quaest. Simpl. ; lib. arb. ; cons. euang. ; praed. sanct. ; bon. coniug. no. 12 (= Paris,
Bibliothèque Mazarine 640, s. 15) : retract. ; bon. viduit. ; de mend. ; c. mend. ; c. Parm. ; corrept. ;
nat. et grat. ; haer. ; de duab. anim. ; c. acad. ; ord. no. 19 : enchir. ; virg. no. 20 : un. bapt. no. 21
(perdu, écrit en 1462) : fid. et symb. ; c. Fel. ; c. Fort. ; quaest. Dulc. ; corrept. no. 22 (non identifié,
écrit en 1459) : beat. vit. ; contin.
66 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

2.1.4 Manuscrits perdus

Nous connaissons les notices suivantes de manuscrits aujourd’hui disparus :341


 Cam Ce sigle indique dans l’apparat les leçons d’un manuscrit cité par
l’édition de Louvain (vide infra), qui provenait de l’abbaye cistercienne de
Cambron, en Hainaut, fondée en 1148. On croit retrouver facilement la
trace de ce manuscrit dans le catalogue des manuscrits de Cambron, im-
primé par Sanderus, Bibliotheca Belgica. Ce catalogue divise les textes par
auteurs, sans indiquer où un livre s’arrrête et le prochain commence. Mais
on peut isoler la séquence (pp. 346s.) : Contra Faustum Manichaeum Libri
33 ; Rescriptum contra dogma Arii ; Altercatio Germini Arrianorum Episcopi
& Heracliani de fide Nicei Concilii ; De Pastoribus ; De Ovibus ; Epistolae ad
Romanos inchoata expositio. Ce contenu est extrêmement proche de celui
de B1, notre autre manuscrit d’un monastère cistercien belge. Mais il est cu-
rieux que les leçons de Cam rapportées ne correspondent jamais avec γ.342
 La célèbre bibliothèque de l’abbaye de Pomposa possédait l’Inchoata ex-
positio. Dans le catalogue de ses livres dressé en 1093,343 le 9ème élément est
ainsi décrit : Libri confessionum XIII ; In salutatione epistolae Pauli ad Ro-
manos liber I, eiusdem Augustini super Iohannem. Ce manuscrit était tou-
jours à Pomposa en 1459, puisqu’il figure au no. 153 de l’inventaire de la
bibliothèque dressé cette année.344 Le titre In salutatione … suggère que ce
manuscrit appartenait à la famille Ξ.
 Le catalogue de l’abbaye bénédictine de Schaffhausen, produit sous
l’abbatiat de Siegfried (1083–1096) comporte la notice suivante : [1] Augus-
tinus de pastoribus ; [2] Augustinus de ovibus ; [3] eius de unico baptismo ;
[4] cantilena Augustini per alfabetum ; [5] ipsius super salutationem epistole
ad Romanos ; [6] quarundam questionum Augustini ad Cecilianum, episco-
pum Mediolansem ; et [7] fides Leoni.345 On identifie aisément : [1] serm. 46 ;
[2] serm. 47 ; [3] un. bapt. ; [4] psalm. c. Don. ; [5] l’Inchoata expositio ; [6]
quaest. Simpl. (avec l’erreur sur le nom, mais non pas le poste, du destina-
taire). Ces six éléments se retrouvent uniquement, et dans le même ordre,
dans P, qui donne aussi à l’Inchoata expositio un titre analogue (in saluta-
tionem epistolae Pauli ad Romanos). Ceci permet d’identifier [7] avec le
texte de PL 54, 477–487, et d’affirmer que le manuscrit de Schaffhausen

||
341 Nous laissons de côté les notices de catalogue du type Augustinus super Paulum ad Romanos,
puisqu’il est impossible de savoir si elles font référence à l’Inchoata expositio.
342 Voir infra, 2.4.1, p. 87.
343 Édité par MERCATI, Opera Minora I, 358–388.
344 Édité par MANFREDI, La biblioteca di Pomposa.
345 LEHMANN, Mittelalterliche Bibliothekskataloge, 294.
Introduction | 67

était très proche de P. Comme il lui est antérieur, et vu la place de P dans


notre stemma, il n’est pas exclu que le manuscrit de Schaffhausen fût
l’archétype de la famille γ.
 Le manuscrit Leipzig, Universitätsbibliothek 329 comporte aux folios 1r–1v
un catalogue du 12ème siècle du cloître augustinien de Saint-Moritz de
Naumburg.346 Ce catalogue commence avec l’énumération de 31 titres au-
gustiniens, dont le 23ème est : A. in solutione epistole ad Romanos. Il faut
probablement corriger solutione par salutatione, et y voir un texte de
l’Inchoata expositio. La disposition du catalogue ne permet pas d’identifier
quelles autres œuvres étaient dans le même manuscrit.
 Dans les premières décennies du 14ème siècle, les Franciscains d’Oxford réa-
lisèrent le Registrum Anglie de libris doctorum et auctorum veterum,
impressionnant catalogue des ouvrages patristiques et exégétiques dispo-
nibles dans 185 bibliothèques ecclésiastiques d’Angleterre et d’Écosse.347 Il
s’agit d’un répertoire organisé par auteur, et non pas d’un catalogue de
manuscrits. Il permet donc de savoir où les Franciscains ont trouvé un ou-
vrage donné, mais non pas la composition du manuscrit où ils l’ont trouvé.
Pour Augustin, le répertoire est organisé en suivant retract., puis en ajou-
tant des titres qui n’y figurent pas. Les Franciscains indiquent la présence
de l’Epistole ad Romanos inchoata exposicio dans sept maisons religieuses :
les Augustiniens de Saint Peter and Paul, Ipswich ; les Bénédictins de Bury
Saint Edmunds ; les Augustiniens de Jedburgh (Écosse) ; les Bénédictins de
Malmesbury ; les Bénédictins de Saint Albans ; les Prémontrés de Titchfield
(Hampshire) ; les moniales bénédictines de Romsey (Hampshire).348

||
346 Catalogue imprimé dans BECKER, Catalogi, 269–272. Nous avons aussi consulté le manuscrit en-
ligne à www.manuscripta-mediaevalia.de.
347 Édité par R. H. ROUSE – M. A. ROUSE – R. A. B. MYNORS, London 1991.
348 Les données du Registrum furent reproduites et modifiée dans la seconde moitié du 14ème siècle
par Henri de Kirkstede, moine de Bury Saint Edmunds, dans son Catalogus de libris autenticis et
apocrifis (éd. R. H. ROUSE – M. A. ROUSE, London 2004). Henri élimine les notices pour Titchfield et
Romsey, et remplace (probablement par glissement d’un chiffre) Bury Saint Edmunds par l’abbaye
de Saint-Jean, Colchester. Ces informations ne sont pas fiables : voir l’édition des ROUSE, cxv–cxviii,
558s. L’inchoata expositio n’apparait pas autrement dans les 16 volumes jusqu’ici parus du Corpus
of British Medieval Library Catalogues. Au vol. 6, The Libraries of the Augustinian Canons (éd. T.
WEBBER – A. G. WATSON, London 1998), notre texte est signalé par les éditeurs (pp. 155s.) comme
présent dans un manuscrit décrit dans un catalogue de la fin de s. 15, des livres de Sainte Marie des
Près, Leicester. Mais le texte en question y est appelé seulement Augustinus super Epistolas [sic]
Pauli ad Romanos, et il peut donc très bien s’agir de in Rom. ou de la compilation de Bède ou de
Florus de Lyon (voir supra, 1.9).
68 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

2.2 Le stemma et sa démonstration


Nous proposons pour l’Inchoata expositio le stemma suivant :349

Λ Ξ

Claud
s. 9 κ
ΧΦ Germ O γ
s. 10 Ψ d γ1
γ2
s. 11 Δ C c
s. 12 Σ Θ T S V1 KZ P W B1 A
s. 13 L1
s. 14 E
s. 15 V U B F L2 M Prag H R
G
s. 17 Ott

En dernier lieu, c’est surtout l’apparat critique qui permettra d’évaluer ce stemma.
Mais pour rendre cette évaluation plus facile et plus complete, nous présentons
l’essentiel des étapes qui ont servi à sa construction.

2.2.1 Élimination des manuscrits descendant de manuscrits existants

L2 copie de L1
L1 et L2 partagent un nombre de fautes uniques : 5,1 terror] error L1 (ac.) L2 Am ; 10,10
evangelizatum] evangelizatus ; 13,1 quorundam] quaedam L1 (ac.) (?) L2 ; 13,4 impe-
tratura] impetratum ; 17,2 quicquid2] quiquidem ; 18,12 admonere] amonere ; 22,2
haec] hoc ; 23,11 intrabit in] intrabit ; 23,15 consequentem] connectere.350
L1 ne peut être une copie de L2 puisque L1 lui est antérieur d’un siècle. Donc soit
L2 est une copie de L1, soit les deux descendent d’un ancêtre commun.

||
349 Nous remercions très cordialement Maxine Anastasi d’avoir effectué les premiers dessins
électroniques du stemma, et Clemens Weidmann pour le dessin final.
350 Mais l’abréviation dans L1 est à peine déchiffrable.
Introduction | 69

S’il s’agit d’un ancêtre commun, L1 et L2 doivent chacun avoir des fautes ab-
sentes de l’autre.
L2 a en effet un grand nombre de fautes qui lui sont uniques : 2,5 graeca] gratia ;
5,4 ad1] ad ad ; 5,7 et si] si ; 5,11 qua] quam ; 7,2 om. quia2 ; 8,4 gratia] gratiam ;
commoneat] commoveat (cum G) ; 12,4 om. ergo ; ut et] et (et ut c) ; 13,3 personam]
primam ; 14,4 ad quaerentis] acquirentis ; sic peccare ut] sicut peccare ; 14,6 teneri]
temere ; 14,7 quid2] quod ; 14,8 adversus filium] adversus spiritum filium ; 15,13
quaestio] quaestiodo (sic) ; 15,16 claudenda] laudanda ; 16,3 qua] quam ; 17,1 tamen]
non ; 18,4 om. et faciens2 ; digna2] digne ; 18,6 ut hoc sit peccare in spiritum sanc-
tum] ut hoc sit peccare in spiritum sanctum quibus dicit nunquam posse dimitti
peccatum ut hoc sit pecccare in spiritum sanctum (errore oculi) ; 18,7 perceptum]
praeceptum ; 18,12 spiritales] spetiales ; spiritu] spiritum ; petractant] pertradunt ;
om. per ; 19,8 enim qui] qui enim ; 19,10 iacientes] iacentes ; deum] domini ; 19,11
dicenda] danda ; 20,4 qua2] quia ; 21,3 quaero] quere ; 21,3 admitti] amitti ; 21,5 il-
lam] illa ; 23,13 quis1] qui ; 23,13 modo] non ; mentis] menti.
Par contre, rares sont les fautes de L1 absentes de L2 : 5,15 ipsius iesu christi dei
nostri L1] ipsius domini nostri iesu christi L2 ; 10,5 tempore L1 M ] tempus L2 F ; 12,4
commemoratione c] commemorationem L2 ; 15,13 se vivunt L1 M, vivunt F] saeviunt
L2 (pc.) ; 15,14 putent L2 (ac.)] putant L1 F M (pc.) ; 18,4, 18,5 multa] om. c, multis L2.
Il doit s’agir là de corrections de scribe, puisque deux arguments soutiennent la
conclusion que L1 est la copie direct de L2. Premièrement, L1 était à Florence à
l’époque où L2 fut copié pour Lorenzo des Médicis (vide supra, pp. 45s.). En second
lieu, un nombre de fautes dans L2 s’expliquent par des graphismes de L1 :

4,9 appareret] apparent – L1 a écrit apparet avec le trait d’abréviation pour re au-
dessus du e. L2 a pris ce trait pour le signe du n.
9,5 confundantur] et fundantur – L1 a écrit con par le c inversum, que L2 a pris pour
un et tironien.
13,5 mulieris] multis – L1 a abrégé mulieris par ml’ris. Le trait horizontal du r est très
droit, et dépasse sur la gauche, si bien qu’il ressemble à un t, d’où multis.
14,3 quodlibet] quod licet L2 – L1 a abrégé quodlibet par q’l; – ce qui se comprenait
facilement comme quod licet.
15,16 misericordiae] nunc – L1 a abrégé misericordi(a)e par mie. ̅ Mais, à cause de la
ligature du mi, et d’un trait horizontal faible pour le e, on y lirait voluntiers nnc.
L2 a lu, sous le trait, soit nc (en sautant le premier n), soit nuc : deux équivalents
de nunc.
17,2 accusat] accedat – L1 (tout comme F) a abrégé accusat par acc̅at. L2 a mal com-
pris cette abréviation insolite.
19,6 tamen] tum – L1 abrège tamen par tn̅ . Par confusion de minimes, L2 y a vu tu̅ .
20,4 deinde] demum – L1 abrège deinde par dein̅ . Mais, à cause de la ligature, in
ressemble fort à m, d’où L2 a compris demum.
70 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

21,4 spem] spiritus – L1 abrège spem par spe̅. Mais cet e a semblé un c à L2, qui a cru
alors voir le nomen sacrum pour spiritus (la même erreur est dans M, sans doute
pour la même raison).
21,5 commutare] omutare – Cette vox nihili est causée par le fait que L1 a abrégé le
com de commutare par un c inversum dont la boucle fut presque fermée par le
rubricateur.

De plus, L1 abrège etiam par un et tironien très arrondi, surmonté d’un trait droit.
Cela se prenait facilement pour q surmonté du même trait, qui serait l’abréviation de
quae. L2 a fait l’erreur plusieurs fois : 4,10 sed etiam] sed quae ; 10,4 etiam ipse]
quae ipse ; 10,13 perfecta etiam] perfecta quae.
Enfin, quand il lui reste un petit espace en fin de ligne, L1 aime à le remplir par
un petit tilde qui ressemble quelque peu à l’abréviation « insulaire » pour est (÷). L2
s’y est plusieurs fois mépris : 5,2 signata est] est signata est ; 5,11 ut quod] ut quod
est ; 6,1 apostolatum se] apostolatum est se ; 6,1 qui salvi] qui est salvi.
Ces fautes prouvent que L1 est l’ancêtre direct de L2. On peut supposer des
étapes intermédiaires entre les deux manuscrits, mais on s’attendrait alors à moins
de fautes graphiques, puisqu’elles sont souvent faciles à corriger. L2 n’a donc au-
cune valeur indépendante pour la constitution du texte, et il a été éliminé de
l’apparat critique.

G descend de H
Nous n’avons pas trouvé d’indices graphiques qui indiqueraient que G est une copie
directe de H. Notons cependant le cas de sed carne (4,9) dans les manuscrits γ. Ces
mots sont absents des manuscrits du 12ème siècle P W A. Mais dans ceux du 15ème (R G
H), ils ont été interpolés, sans doute par collation. Or dans H (comme dans R) ils
sont ajoutés par un correcteur. Mais dans G, ils sont écrits de première main. De
même, en 10,1, dans tous les manuscrits γ sauf G, pour cruciatusque corporales on
trouve l’erreur cruciatusque corporum cruciales. La mauvaise leçon est bien dans H,
mais cruciales a été rayé par un correcteur, et corporales est absent de G, où on lit
donc simplement cruciatusque corporum.
De plus, les trois conditions pour indiquer que G descend directement de H sont
en général remplies.

G H partagent des fautes uniques


2,4 om. illum ; 3,1 in quod] inquit ; 5,2 signata] significata ; 5,4 om. est ut …
praedestinatus est ; 5,7 david2] david ex resurrectione mortuorum ; 5,17 om. nostri ;
6,2 sanat] solvat ; 9,6 om. gratia2 ; 11,4 interponit] interponat (cum O S U K Z c) ; 14,3
vile et] videlicet (cum R) ; 14,7 an] ac ; 16,6 cum] tamen ; 19,10 sacerdotium] sacrifi-
cium ; 19,11 negat] negant ; 23,4 eis] hiis H, his G ; 23,5 declaravit] declaruit (cum O Z
P (ac.)) ; 23,12 hoc est] hic est (cum A) ; 23,13 posse] posse est.
Introduction | 71

G a des fautes uniques


3,1 evangelium] in evangelium ; iam] nam ; 8,5 adhaereamus] adheramus ; 8,6
vestra … vos et deum] nostra … nos et dominum ; 9,4 ea enim] etiam ; 10,5 vestrum]
nostrum ; tempus] spiritus (sicut 10,13) ; 10,6 vobis] nobis ; 10,7 sustinetis]
sustinentis ; 10,13 spiritus] tempus (sicut 10,5) ; 11,1 om. dei spiritum … donum dei ;
12,2 intellecto] intellectio ; commoneat] commoveat (cum L2) ; 13,2 tria2] terra ; 13,3
domino] deo ; 13,5 quid2] quod ; 14,1 impia] inopia ; 15,10 om. ita ; nullum] ullum ;
19,4 potest] possunt.

H n’a pas de fautes absentes de G


Il y a en fait des exceptions : 1,4 uti H U V B edd] ut G cett ; 3,1 se segregatum …
commemorat] dicit sese H, dicit se A R G ; 3,3 quidam] quidem R H B1 V, om. G P W A ;
5,3 consurrexistis H (cum aliis)] conresurrexistis G (cum aliis) ; 7,4 Christi Iesu H B1 P
W A] Iesu Christi G (cum aliis) ; 10,8 dei] deum R H, domini G (cum aliis) ; 14,6
resurrexit H (cum aliis)] resurrexerit G (cum aliis) ; 15,4 patrem deum G (cum aliis)]
deum patrem γ2 ; 17,3 inveniemus G (cum aliis)] invenimus H (cum aliis) ; 21,3
perseverantia G (cum aliis)] perseverantiam K Z (ac.) γ (ac. W) ; 23,6 dimissione H T V
U (ac.)] dimissionem G cett. ; 23,13 ut hoc modo H] et hoc modo cett.

Qui examine ces cas verra que la plupart des fautes ont pu être corrigées par conjec-
ture, sinon inconsciemment. Pour d’autres, il faut supposer une mesure de conta-
mination. On ne peut donc établir précisément la relation H G. Mais il est clair que G
n’a rien d’important à ajouter à H pour l’établissement du texte, ni même pour notre
connaissance des fautes de la branche γ2. G a donc été écarté de l’apparat critique.
Pour l’élimination de Prag et Ott, voir les descriptions de ces manuscrits.

2.2.2 Indépendance des autres manuscrits

Pour alléger l’apparat critique, ont été écartées, sauf exception, les fautes qui se
trouvent dans un seul manuscrit. Mais la connaissance de celles-ci est nécessaire
pour la validation du stemma. On sait en effet que tout manuscrit qui contient un
nombre substantiel de fautes qui lui sont propres ne peut être l’ancêtre d’aucun
autre manuscrit. C’est le cas de tous les manuscrits de l’Inchoata expositio sauf L1 H
Ott (et Prag, selon notre supposition).
Nous donnons ici le catalogue de ces fautes. Il n’inclut généralement que les le-
çons qui ne sauraient être justes, et offre ainsi un coup d’œil sur la qualité relative
du texte dans chaque manuscript, en termes de sens et de latinité (à ne pas con-
fondre avec la proximité avec l’archétype). Restent donc absentes de notre apparat
72 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

et du présent relevé les leçons qui figurent dans un seul manuscrit et qui, en soi,
pourraient être bonnes : une édition critique n’est pas un répertoire complet de
variantes.351

O 2,2 om. proprie ; 3,1 prophetarum] profetatum ; 7,1 quia] qui ; 5,11 et ceteri] ce-
teri ; 7,7 quis … obtemperat] aliqui (qui ac. O) … obtemperant ; 10,4] eluceret] eluce-
retur ; 10,5 a domo dei] ad amorem dei (et 10,6 domo] amore [e glossemate?]) ; im-
pius] iniquus ; 11,2 reconciliamur] reconciliamus ; 11,6 seiungebamur] separemur ;
12,3 in recognitione] et ad recognitionem ; 13,2 intelligantur] intelliguntur ; 13,4 con-
fessione] confusione ; domine] deum ; 13,5 quid2] quia ; 13,6 om. quae ; quod] qui ;
14,1 reconciliamur] reconciliemur ; 14,3 impietatis] pietatis ; 14,8 om. sanctum1 ; 15,6
lapidantium] lapidabat ; om. apostolus ; 15,11 cui umquam] civium quam O (ac.; civi-
um quem pc.) ; amputavit] conputavit ; 15,13 verbis] versis O (ac.; perversis pc.) ; 16,7
educati] seducati ; vetet … polliceatur] vetat … pollicetur ; 17,2 rei causa] causae ;
17,4 ; correctionem] correptionem ; 19,1 om. cordis ; 19,2 peccaverit] peccavit ; 19,6
id] ita O (pc.; quid in O ac. non liquet) ; 19,8 iam] cum ; 19,9 subvertat] subvertit ; 22,2
om. misericordiae ; 23,13 desperans] desperant ; 23,14 et domino nostro] nostro et
domino.
Ça et là, des corrections dans O empirent encore le texte : 11,4 quoquo modo]
quo modo ; 12,6 veritate] veritatem ; 13,1 punice] punice loqui ; 14,2 dimitti1] non
dimitti ; 18,9 accedit] accidit ; 22,2 veritatis scientiam perceperunt] et veritatis scien-
tiam venerunt ; 23,5 dictis] indiciis (sed quid in O (ac.) non liquet) ; 23,12 si non facit]
si facit ; 23,13 del. quod si faciunt.

E 1,4 plane] plana ; receperint] inceperint ; connectit] coniecit ; 3,5 gentium]


gentium sed ; 4,4 qua] quia ; 4,11 sunt omnia] om. omnia ; 5,7 pertineat] permaneat ;
5,11 resurgeret] resurgere ; 5,15 om. ipsius ; 6,1 om. autem ; 8,3 adiungens etiam]
adiungit etiam ; 8,5 quo] qua ; 9,3 om. sua ; 10,1 pressurae] pressura ; 10,2 pii] pie ;
om. venire ; 10,3 ipsa est quae ] ipse est qui ; 10,5 alienas] alienigenas ; 10,8 salvus
erit] salvabitur ; 10,13 om. nunc ; 11,3 om. maxime ; 11,4 om. eam ; 12,3 in] ex ; 12,4
om. omisit ; om. sit ; 12,8 Iacobus … epistolae] Iacobi … epistola ; 12,9 om. ante ; 13,1
qui et] quid ; 13,3 mulier] mulier quae ; 13,5 quid2] qui ; 14,2 om. si verbum dixerit
adversus filium hominis (in marg. add. si peccaverit contra patrem et filium sed E2 e
coniectura) ; om. autem ; om. esse ; 14,3 om. enim ; 14,4 tacito] scito ; 14,7 maledicta]
maledicto (maledictum uv. E2) ; cogitatione] cogitationes E (cogitationibus E2) ;
quodlibet] quolibet ; 15,1 transitorie] transitoriam ; 15,5 om. etiam ; 15,6 qualium] qui
alium ; 15,11 umquam] quam ; 15,13 om. deum ; 15,14 acta] actus ; 15,16 om. et erro-
rem ; 16,2 om. peccatum ignorantiae videat … ignorantiae tempore (pro quo in marg.
peccatum ignorantiae tempore E2) ; 16,4 qui] si ; iudicatum] iudicandum ; in illa]

||
351 La plupart des fautes ante correctionem sont aussi écartées (voir p. 32s.).
Introduction | 73

nulla ; 17,2 om. dicere ; auferendae] ferende ; 18,2 dicit] dicitur ; 18,10 nobis dominus
ipse] ipse nobis ; 18,11 om. ista ; talibus] aliis ; 19,1 om. de ; 19,2 holocausto] holo-
causta E, holocaustum E2 ; 19,3 om. nondum1 ; 19,7 om. iam ; 20,1 non si] nisi ; om.
sed si proprie sciens admiserit ; 20,4 diiudicatio] iudicatio ; 20,5 operaretur] opere-
tur ; cum et] cum etiam ; 20,6 falsam] eorum ; 21,1 incipit elucere] elucet ; 21,3 quo-
que] quisque ; 22,2 perceptionem] peceptioni ; om. sancto ; 22,3 blasphemiam] bla-
sphemia ; prolatam] prolatum ; nequitia] malicia ; 22,4 om. ipsa ; 22,5 frustra]
fructus ; 23,1 om. dominus ; 23,4 quid] quod ; 23,6 om. peccatorum ; quam] quia ;
23,12 factis deum negant … persevaturos] factis negant factis deum negant sic istis
factis diicant [sic] se in mala vita sua persevaturos E (ac.), factis negant sic isti factis
dicant se in mala vita sua perseveraturos E2 ; 23,13 peccatis] praeceptis.

S 3,3 de innovatione] om. de ; 4,9 mutatum] mutantum ; 10,10 evangelizatum]


evangelizandum ; 14,3 ut] sicut ; 19,11 baptismo] baptismum.
Noter aussi, pour étayer l’hypothèse que S n’est pas l’ancêtre de U : 10,5
evangelio] evangelium SO ; fit] sit O S R M ; 13,2 intelligatur] intellegantur O S V
(ac.) ; 18,7 docente] dicente S O W ; 23,13 spiritum sanctum] spiritu sancto O S E.
U 1,1 nullis] nonnullis ; 2,1 om. a ; discernit] decernit ; 3,3 diceret] diceret et ; 4,2
praeferens] preferent ; 4,2 non] ne ; 4,4 impietati] impietatem ; 4,10 om. est3 ; 4,12 a
deo] ab eo ; 4,6sq. om. ex resurrectione mortuorum in quantum … dominus ipsius
David ; 5,7 om. ut infirmitas .. ad virtutem dei ; 5,13 corporis] corpus ; 8,4 qua1] quia ;
8,5 adhaereamus] adheremus ; 9,1 miretur] meretur ; 10,1 poena] poenas (cum S
(ac.)) ; 10,7 nos] et nos (e Vulgata) ; 10,8 ad] et ; 11,3 excepta] accepta ; om. qui ; 11,5
om. a ; 12,8 om. et2 ; 12,9 tamen] tamquam ; 13,5 om. sicut ; 14,1 ad implendam]
adimplenda ; 14,3 dum] domini ; 14,5 eum qui hoc] cum per hoc ; 15,2 nunc] non ;
15,12 reliquerunt] relinquerunt ; 15,13 idem2 … idem3] id est … id est ; 16,6 spiritum
sanctum] sancto spiritu ; paenitendi] poenitendo ; 16,8 om. ubi ; 18,9 pendeat] pen-
dent ; 19,4 om. in ; 19,6 si iam] suam ; 19,11 om. in3 ; 20,4 domino] dominus ; 23,7
aut1] ac ; 23,14 om. et3 ; 23,15 cuius] eius.

T 2,5 om. cum graeca ; 3,4 inveniri] inveniri etiam ; 5,6 mortuus est] mortuus ;
10,12 pressuram] pressuram habebitis ; 16,2 om. esse1 ; 21,3 baptismum] baptismi ;
22,4 ortus] orsus ; 23,6 reconciliatione] reconciliationem.
V 2,4 huiusmodi] huius ; 2,5 cum graeca] congrua ; 5,13 conditione] correc-
tione ; 6,3 om. eius ad hoc … obediatur fidei pro nomine ; 7,2 promiserat]
praemiserat ; 8,1 om. salutem dicat … ille illis ; 9,6 om. in eo quoque ; 10,1 om.
novimus (legimus pc.) ; 10,9 propterea] et propterea ; 12,7 autem] aut ; 12,8 om. et1 ;
12,9 tamen] et tamen ; 13,7 om. sive2 ; 14,2 quod] quid ; 14,3 om. hoc2 ; 14,4 om. si
aliqua ; 14,6 eum] enim ; 15,2 om. nostram ; 15,2 maledictis] et maledictis ; 15,10 om.
tam ; 15,11 liberationis] liberatoris ; 15,14 venisse confingant] veris se confragant ;
15,15 contendant] contendent ; 16,2 om. esse1 ; adversus] contra ; 14,7 vitam] vita ;
17,1 si] cum ; 17,2 quicquid1] quid ; 17,4 quoniam] quem ; 18,4 multa] paucis multis ;
74 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

18,5 sit] sic ; 18,7 ipsa] ipso ; 18,7 nullo] ullo ; 18,11 om. autem ; baptizatis]
baptizatus ; 18,12 huiusmodi] huius ; 18,14 cum1] eum ; 19,1 om. qui ; 19,4 etiam2] et
V (om. ac.) ; acceperit] accepit V (om. ac.) ; 19,6 possit] posse ; om. non3 ; 19,10 om.
et2 ; 19,11 repetenda] repetendi ; 20,1 om. peccatum … sciens admiserit ; 20,4
permittente] promittente ; 21,6 om. ideo ; 21,7 et invidia] in invidia ; 23,7
dimitteretur] dimittetur ; om. de venia … in peccatis ; 23,12 perseverent]
perseverant ; 23,13 hoc modo verbum] hoc verbum modo.
K 5,7 enim] autem ; 10,6 futura] futura mala ; 10,11 deum] dei ; 10,12 molestiae]
molestiam ; 12,5 secunda] secundam ; 12,5 gratia misericordia] misericodia gratia ;
14,7 quia] cum ; 15,6 increpitat] increpat ; 16,6 paulo ante] ante paulo ; 17,2 ut] aut ;
17,4 illis] illic ; 18,7 centurio] et centurio ; 21,4 om. et ; 23,13 om. Iesum ; 23,15
tractatione] tractationem ; 23,15 huius] hui (sic).

Z 2,4 contentos] coniunctos ; 3,3 om. versum ; 5,15 om. filius dei2 ; 6,1 om. non ;
11,5 gratia misericordia] gratiam misericordiam ; 12,9 om. salutem (cum P) ; 14,3
ignarum] ignaram ; 14,3 vanum et] vanum ; 15,3 de trina] doctrina ; 15,14 esse3]
etiam ; 18,12 huiusmodi] huiusmodo ; 19,6 posse (om. ac.) (cum V).
F 2,4 contentos] contentionem ; om. ergo ; 3,2 iustificantur] iustificantes ; 4,2
ibi] in ; 4,10 factus est non] factus ut ; 5,9 om. ut ; 5,15 resurrectione1]
resurrectionem ; iesus christus … mortuorum2] suorum ; 7,2 in scripturis] de
scripturis ; 7,7 sanctis1] sanctis etiam hoc significavit ; 9,2 hi] hiis ; separentur]
seperarentur (sic) ; 12,1 admonent] ammonet ; 12,4 pace] pacem ; 12,7 deo patre]
christo ; 12,8 usitatissimum] inusitatissimum ; 12,9 veritatem] veritate ; 13,6 et1] in ;
13,7 est] esse ; 14,1 in eorum impia] ideo impia eorum ; 14,8 hoc modo etiam si] hoc
etiam moysi ; 15,2 maledictis contumeliisque] maledictisque contumeliis ; et3] sed ;
15,10 eum] cum ; 15,11 umquam] numquam ; 15,12] revocat] revocatur (cum L2) ; 15,13
omnino non] non omnino ; 15,16 pergam] perquam ; 16,1 tunc] quis ; 16,7 aut]
autem ; credendum] credendus ; 16,8 num] unde ; quemadmodum] quemadmodum
dum ; 16,8 haberent] habere ; 17,5 quaerendum] quaerendus ; 18,2 voluntarie enim]
enim voluntarie ; adhuc] autem ; 18,4 congruere] congrue (cum L2) ; 18,7 om.
veritatis ; 18,11 ecclesiae] iam ecclesiae ; 19,6 possit] possint ; id est] idem ; 19,7
etiam quadrupes esse] quadrupes non esse ; 22,1 abluerentur] ablueretur ; 22,2
auxilium] oleum ; 22,3 in spiritum sanctum quod] quod in spiritum sanctum ; 23,4
sunt2] sunt inquit ; 23,5 om. illa ; 23,13 blasphemiam] graphemiam.

M 2,4 apparet] apparent ; 3,3 audita] audito ; 3,5 seduceretur] seducerentur ; ali-
quid] ad id ; 4,2 satis] sunt ; 4,6 filius] filius eius ; 4,8 addendo] ad dicendo ; 4,10 se-
cundum id] sed id ; 5,1 quemlibet] quodlibet ; 5,5 omnino omissum ; 5,10 sit] est ; 5,13
conditione] resurrectione ; 6,2 cardinem causae] causa divine cause ; om. se ; 6,4 id
est ut et] et ut ; 7,5 deinde] domini nostri ; 7,6 dilecti] dilectioni ; 9,1 quisque] quis-
quam ; 9,2 manifestus] manifestus est ; 9,4 ea] si ; vitentur] nitentur ; 10,9 omnia]
illa omnia ; 11,3 oblatrabant] oblectabnt (sic) M (ac.; oblactabnt pc.) ; 11,5 nam] non ;
Introduction | 75

11,6 id verbum] ad verbum ; inhaereamus] inheramus ; 12,5 illis] illius ; 13,1 quod]
et ; 13,2 concinentia] continenti et ; 13,3 evangelio] evangelium ; 13,7 elegantiam]
elegantis ; 14,7 quaeritur] quere ; 15,1 poterit] potuit ; 15,2 contumeliisque] contume-
liis quia ; contemnunt] contendunt ; 15,3 oblatrant] oblectant ; venerentur2] veneran-
tur ; 15,11 tam] tamen ; 15,12 tam] tamen ; 15,12 teneri] tenere ; 15,14] sed2] si ; 16,3
ullo] nullo ; 16,6 iam] inde ; 16,8 ubi] nisi ; 17,2 accusat] accecat ; 17,4 peccato] pec-
catum ; 18,1 dicendus] dicendum ; deum] domini ; 18,3 si] ut ; 18,5 vero] enim (cum
O (pc.)) ; cognita] cogita ; 18,7 sacramenta] sacrata ; res in] res inde ; praecesserant]
processerant ; 18,8 multi] oculti ; voluntate] veritate atque voluntate ; 18,11 domini]
deum ; 18,15 om. et1 ; 19,4 provectum] proventum ; 19,7 animal] vel ; 19,10 iacientes]
uicientes (uv.) ; 19,11 traduntur] creduntur ; tractatione] tritatione ; 20,3 om. autem ;
dominum] deum ; 20,5 operaretur] perperaretur (uv.) ; compararunt] comperarant ;
21,4 spem] spiritus (cum L2) ; 21,5 prius] primus ; 22,4 ait illis] ait ait ; 22,5 aut] at ;
om. sine ; 23,2 miraculis] vinculis ; 23,4 tantam] tantum ; om. tibi dico surge ; 23,12
intelligendus] intelligendum ; om. perseveraturos … hoc est ; 23,13 om. sanctum ;
23,15 consequentem] commentatione.
P 4,8 excellentissimae] excelleret ; 7,2 respondit1] respondite ; 12,9 om. salutem
(cum Z) ; 16,4 participes] particeps (cum E (ac.)) ; 18,7 enim et ante] et ante enim P
(ac.), et enim ante P (pc.) ; 22,3 confugerunt] confugierunt ; 22,4 paci] pace.
W 4,7 om. ei ; 6,1 om. fidelibus … omnibus ; 9,1 gratiam] gratia ; 14,5 arbitror]
arbibitrorum (postea correctum?) ; 17,2 testimonii] testimoniis ; 22,3 in nequitia]
nequitia (postea correctum) ; 23,12 veniam] venia.
B1 1,1 ostendit] ostendi ; 1,4 fungens] confungens ; 2,4 contentos] contemptos ;
5,13 venire] venisse ; om. omnium ; 6,1 extitisset] extitisse ; 8,5 restat] resta ; 8,6 om.
Christi ; 10,6 om. ostendit ; 10,11 discedere] discerne ; 11,2 sancto] sanctos ; 11,2 in-
commutabilis] incominutabilis ; 13,3 cui] cur ; 13,7 consentiat] sentiat ; interpretan-
tis] interpretantur ; 14,5 sic] si ; 14,6 om. ac si verbum ; vocari] vocavi ; 15,2 om. et4
(cum A (ac.)) ; 15,10 ita] illa ; 15,16 pergam] per gratiam ; 18,5 dictum1] dignum ;
18,14 certe] cer (sic) ; 20,5 claruerunt] clamaverunt ; 20,6 corruptione] recorrup-
tione ; 23,3 salvaret] salvarem ; 23,3 om. sibi.

A 2,5 graeca] gregea ; 4,10 om. etiam ; 7,5 om. qui ; 10,2 etiam iusti homines]
iusti homines etiam ; 14,8 om. etiam ; 19,1 intelligunt] intelligitur ; 20,4 fallaciae
spiritus] facile (facile spiritus c) ; 21,7 dicat] dicamus ; 23,1 regnum] regnorum.

R 2,4 illum] eum ; 5,9 praedestinatum] praedestinatus ; 7,4 ad nos] nobis ; 8,4
remittuntur] demittuntur (omnino falsum. Cf. 8,4 remissis peccatis ; 8,6 quibus re-
missis) ; 10,1 relaxetur] relaxeretur ; 10,7 om. Paulus ; 11,6 ut et] et ut ; 13,5 respon-
dent] respondeant ; 13,7 om. in tribus ; 13,7 elegantiam] elegantia ; 14,1 sane] sana ;
14,3 aspergat] arguat ; 16,2 om. ignorantiae1 ; 17,2 quaero] quere ; 18,11 ista] ita ; 21,7
76 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

om. odio ; 22,3 om. ut (cum H (ac.)) ; 22,4 om. iudaeis ; 23,7 resisterent] resisteret ;
23,15 om. nunc.

C 22,2 negatur] tegatur (uv.) ; 22,3 dimitti] dimittit ; 22,4 paci] pacis ; eius1] ei ;
23,3 obtulisset] obtulisse ; 23,6 eieceret] eiecerent (cum F) ; 23,12 quam] qua ; 23,15
om. consequentem.

V1 22,3 perseverantia] perseveranti ; in nequitia] nequitia ; 22,5 om. et ; 23,2


fidem] fidei ; 23,3 om. iam ; 23,7 persevarantia] perseverantiam (cum Z (ac.), per
perseverantiam E2) ; 23,8 linguam] lingua ; om. quod2 ; 23,12 gratia] gratiae.

B 5,4 om. mortuorum1 ; 9,6 om. in ; praecedat] procedat ; 10,4 neminem] nemi-
ni ; 13,2 intelligatur] intelligitur ; 13,6 petens] petrus ; 15,12 gregibus] regibus ; 19,2
significaverit] significaret ; 21,6 dimissione] remissione ; 23,15 suscepisse] accepisse.

2.2.3 L’archétype (Ω)

Deux fautes, bien que corrigées dans une partie de la tradition, démontrent
l’existence d’un archétype commun pour tous les manuscrits de l’Inchoata
expositio.

11,2 et ideo ipsa trinitas pariterque incommutabilis in ista salutatione cognoscitur.


trinitas] trinitas inseparabilis T V
incommutabilis] incommutabilis unitas B Gl Lomb edd
T V et B (avec une partie de la tradition indirecte) présentent un texte acceptable, là
où tous les autres manuscrits ont clairement une lacune. Mais, comme on le verra, T
V comme B représentent des traditions peu fiables. La lacune était certainement
dans Ω.352

23,3 cum enim primo ei donum invisibile obtulisset


invisibile T V F R; visibile cett. edd
Invisibile est sans aucun doute la bonne leçon, même si la faute a longtemps échap-
pé aux éditeurs353 : en Mc. 2,3–12, le Seigneur donne d’abord le don invisible du par-
don, et ensuite le don visible de la guérison physique. Mais visibile était la leçon de
l’archétype de toute la tradition. L’archétype de T V l’a corrigée, selon ses habitudes
d’émendation, et R ou sa source a aussi vu la faute, ce qui est peu étonnant, puisque
R présente généralement un texte cohérent. On se demande par contre si F n’a pas
retrouvé la bonne leçon par étourderie, étant donnée la piètre qualité de son texte.

||
352 Sur ce passage, voir aussi infra, 2.8, note critique ad loc.
353 ROUSSELET (À propos d’une édition, 239) est le premier à l’avoir signalée.
Introduction | 77

Il est possible que cette faute, très facile à faire, remonte jusqu’au manuscrit
d’Hippone, tel que l’aurait produit un des secrétaires d’Augustin.
Il y a peut-être aussi des traces de fautes de l’archétype en 9,6 ; 11,6 ; 13,2 ;
15,15 ; 19,7 ; 21,4 ; 23,1 ; 23,12.354 Voir infra, 2.8, notes critiques ad loc.

2.2.4 Familles et sous-familles

Nous présentons une sélection des fautes partagées que l’on retrouvera dans
l’apparat, et qui ont permis de diviser les manuscrits par familles et branches.

Famille Λ
4,11 om. si2 ; 5,8 ipsis] ipsius ; 5,10 tamquam] et tamquam ; 6,1 om. enim ; 10,1 paeni-
tenti] paenitentia ; 11,2 et ideo] ideo et ; 13,2 om. et ; 14,7 om. sed … expositum ; 15,3
om. sollicite ; 15,6 om. et1 ; 15,14 om. esse fateantur … substantia ; 15,15 baptizare]
baptizari ; 17,4 respuit] respuitur (corr. E ; a regula respuitur pc. O) ; 22,1 om. aut
scismaticis ; 22,5 animum] animam ; 23,9 om. sicut manifestum … factis ; 23,12 om.
nec.

Famille Ξ
1,3 om. gentes … adversus ; 2,2 pecoribus … solent] pecoribus dici solet ; 3,3 venit
iam] iam venit (cum U) ; 4,9 om. sed carne (add. R (pc.) H (pc.) G; vide supra, p. 70) ;
5,2 fecit] facit ; 5,9 om. sed dominum suum ; 5,14 om. enim ; 10,6 quantae … futurae]
quanta … futura (quanta etiam O) ; 10,12 sed1] et ; 11,4 quoquo] quo (quoquo Z ; quo
pc. O) ; 12,5 om. pax ; 14,3 vile et] videt (videlicet R H per coniecturam) ; 20,3 israel]
in israel ; 20,5 infideles iudaei sine] iudaei ; 20,6 narratio] ratio (retio W) ; 23,4 om.
autem ; 23,8 opere] ore.

Sous-familles dans Λ
OE
6,2 meritis] meriti (meritis pc. O) ; 9,2 terror] error (terror pc. O) ; 9,6 grata] gratia ;
10,7 om. in3 ; 10,12 reflectunt] replectunt (reflectunt pc. O) ; 11,6 familiarius] familia-
ris ; 11,6 verbum] verum ; 16,1 attendat] adtendant ; 16,8 audebimus] audivimus ;
19,7 om. est ; 22,1 commutetur] commutentur (cum S (ac.)).

||
354 Ajoutons le cas de 19,6, où accipit semble avoir figuré dans Ω, mais où la séquence des événe-
ments envisagés demande le parfait. Mais dans tous ces cas on ne peut exclure que bonnes ou
mauvaises leçons se soient répandues par des voies dont ne rend pas compte le stemma : « Whether
cases of this kind reflect archetype errors which individual scribes had the wit to correct … or
whether the correct readings survived against the odds in an attenuated line of descent and the
errors which replaced them are polygenetic in origin in other manuscripts, is simply impossible to
ascertain » (SHAW, Dante, 62).
78 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

d (= S U T V)
8,1 salutem2] salutem dicat ; 8,4 adversabamur] adversabamur a ; 12,4 om. et ; 13,2
concinentia] consonantia ; 16,3 recurari] curari ; 18,7 accepit] excepit ; 20,1 non] non
iam ; 22,4 et paenitendi] ad paenitendum.
SU
5,17 om. est ; 10,1 poena] poenas (poena pc. S) ; 19,4 posteriorem] posteriorum (pos-
teriorem pc. U) ; 20,2 principem] principe.
TV
Les erreurs de l’archétype de T V sont assez nombreuses pour qu’on les retrouve
facilement dans l’apparat. Cet archétype est caractérisé par sa tendance à éliminer
les anacoluthes, et à corriger les erreurs, réelles ou imaginées, dont il a hérité, que
ce soient celles de toute la tradition (4,7 ; 5,8 ; 10,5 ; 11,2 ; 15,15 ; 16,3. 8 ; 18,11 ; 19,7 ;
23,3. 13), celles de Λ (4,9,11s. ; 10,2 ; 18,5 ; 21,2 ; 23,9.12), ou celles de son propre
ancêtre (2,3 ; 16,2 ; 18,8).

Sous-familles dans Ξ
C V1
Voir l’apparat critique pour ces deux extraits identiques.

κ
3,1 in christum] christo ; 12,5 illis quae ad timotheum sunt] qui (quae c) ad timo-
theum ; 13,3 om. et ; 14,4 tum] cum (cum U) ; 14,7 ei] et ; 18,6 cognoscatur] cognosci-
tur ; 18,14 electione] lectione ; 20,4 diiudicat] diiudicatur ; 20,5 om. ut ; 22,3 prola-
tam] probatam (prolatam pc. Z).

c
Le texte c, on l’a dit, est très mauvais, et on ne retrouvera ses nombreuses erreurs
que trop facilement dans l’apparat.
L’archétype des manuscrits c fut copié sur un manuscrit en minuscule, qui, le
plus probablement, était soit d’origine insulaire, soit assez tardif.355 C’est ce que
prouve la faute malit non] mali tamen en 21,2. L’exemplaire de l’archétype n’avait
pas séparé les deux mots, et avait abrégé tamen par tn, avec une ligne par-dessus le
n.
KZ
5,9 quod] quo ; 14,2 om. filium hominis … adversus (cum O) ; 16,2 om. non ; 18,8
quisquis] quis ; 18,9 quod] quo ; 23,8 quod2] quo.

||
355 L’abréviation en question pour tamen est essentiellement insulaire au moins jusqu’au 11ème
siècle. Voir LINDSAY – BAINS, Notae Latinae, 302–304, suppl. 48.
Introduction | 79

γ
2,2] pecoribus] de pecoribus ; 3,3 etiam si] etiam ; 11,1 om. domino nostro ; 12,2 su-
bicit] subiecit ; 12,3 om. et pax ; 12,5 illis quae ad timotheum sunt] illi quae est ad
timotheum ; 15,3 om. trina ; 15,3 deo patre] patre deo ; 15,8 solus] unus solus ; 18,14
decipiendum] ad decipiendum ; 19,4 provectum] profectum ; 20,5 in eis ut] ut in eis ;
21,4 blasphemat] blasphemans.

2.2.5 Contamination

L’Inchoata expositio ne fut certes jamais un des textes les plus populaires
d’Augustin. Mais il circulait sans doute au Moyen Âge énormément plus de manus-
crits que la vingtaine qui subsiste aujourd’hui. On ne s’étonnera donc pas de trouver
des cas de contamination possible dans l’apparat critique. Cependant, le cas le plus
marqué de contamination est entre K Z et γ – deux branches d’une même sous-
famille. C’est loin d’être assez pour mettre en doute la valeur générale de la méthode
stemmatique pour l’édition de notre texte.

2.2.6 La place de B

L’évaluation de B est le problème le plus difficile auquel s’affronte un éditeur de


l’Inchoata expositio. Ce manuscrit présente un texte généralement convaincant, et
surtout qui ne s’aligne ni avec Λ ni avec Ξ. Divjak356 lui a accordé une place privilé-
giée, et en cela il suivait de près ses prédécesseurs : toutes ces éditions de l’Inchoata
exposition portent un texte très proche de B (voir infra, 2.4.1). Est-ce le bon chemin ?
Présentons d’abord les faits.
Où Λ ou Ξ se trompe clairement, B se range normalement du côté de la leçon
juste :
Erreurs de Λ absentes de B
4,11s. esset] est sed (bis) ; om. si ; 5,8 his ipsius ; 5,10 et tamquam ; 6,1 om. enim ;
10,1 om. ut ; paenitenti] paenitentia ; 10,11 ab iustitia ; 11,2 et ideo] ideo et ; 13,2
om. et ; 14,7 om. sed per rationem expositum ; 15,3 om. sollicite ; 15,5 om. et1 ;
15,14 om. esse fateantur … substantia ; 15,15 baptizari ; 15,16 ac ; 16,7 vetet et ;
17,4 respuitur ; 19,3 nondum1] non ; 19,7 quadrupedem ; 22,1 om. aut scismati-
cis ; 22,5 animam ; 23,9 om. sicut manifestum … factis.

||
356 CSEL 84, xxxi.
80 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

Erreurs de Ξ absentes de B
1,3 om. gentes et maxime adversus ; 2,2 om. unde … pecorum ; 3,1 auctoritatem ;
4,9 om. sed carne ; 5,9 om. sed dominum suum ; 5,14 om. enim ; 10,12 sed1] et ;
11,4 quo modo ; 12,5 om. sunt (?) ; om. pax ; 14,7 ei] et vel eum ; 18,8 (si)qui(s) ;
20,4 operatur357 ; 20,5 om. infideles … sine ; 20,6 ac] et ; ratio ; 21,3 horum ; 21,4
eodem ; 21,5 om. iam ; 23,4 om. autem ; 22,5 illa (cum E U) ; 23,8 ore.

Dans les cas moins tranchés, B se range tantôt d’un côté, tantôt de l’autre :

3,1 segregatum se (= d) ; 4,12 factum deo … factum deo] factum … factum a deo ;
5,2 fecit ; 5,7 mortuus est1 ; 6,2 ordinem ; 7,1 est enim qui scribit epistolam ; 7,2
de quo filio suo ; 9,4 adiuvetur ; 9,5 ignoscatur ; 14,3 vile et abiectum ; 18,7
praecesserat ; 19,7 esse ; 21,3 edomita ; 22,5 diceretur eis ; 23,6 gratiam in dimis-
sione peccatorum ; 23,9 oris sono.

3,3 iam venit ; 4,4 filium tantummodo david ; 4,7 evangelium] in evangelium (=
c γ) ; 5,11 qua etiam ; 6,3 in christo ; 9,1 peccatis ; 9,5 quaecumque ; 9,6 non
ignoscitur ; 10,6 quanta … futura ; 10,8 dei] domini ; 10,11 hoc ; 11,1 domino nos-
tro ; 13,5 mulieris lingua ; 15,3 digna ; 15,11 corrigat ; 16,7 quid autem agimus ;
17,1 dicatur ; 17,2 rei causa ; 18,5 posse dimitti ; 18,7 certior ; 18,12 in christi
pace ; 20,3 in israel ; 23,3 saeculum2] mundum (dissentiunt C V1) ; 23,7 dicerent
verbum (dissentiunt C V1).

Nous avons ici les conditions de base pour supposer que B est indépendant de Λ Ξ,
et que l’on peut donc s’en servir pour choisir entre les leçons des deux familles. B
pourrait même être indépendant de l’archétype de Λ Ξ, puisque, comme on l’a vu, il
est seul, avec la conjecture de T V, à présenter un bon texte en 11,2 (voir aussi infra,
2.8, note critique sur 13,5, unde interrogati).
Néanmois, il faut plutôt voir B comme un texte créé par collation d’un ou plu-
sieurs manuscrits de Λ et Ξ. Nos arguments sont les suivants :
 Si B était indépendant de Λ Ξ, on s’attendrait à ce que ça et là les trois branches
présentent chacune une leçon unique susceptible d’être juste. C’est ce qui
n’arrive jamais : B est en désaccord avec des leçons différentes de Λ et de Ξ seu-
lement en 11,2 et 13,5, où le texte de Λ et Ξ est problématique.
 Pour que B soit indépendant de Λ Ξ, on voudrait aussi que B présente des leçons
absolument uniques et justes qui reflètent cette indépendance. B a en effet des
leçons uniques qui pourraient être justes, comme en ont tous nos manuscrits.
En voici la liste : 2,3 pecus dei et ovile dei] ovile ei et pecus dei ; 2,5 concordet]

||
357 Ce cas peut paraitre difficile (voir infra, 2.8, note critique ad loc.) mais B montre une forte ten-
dance à préférer la syntaxe classique.
Introduction | 81

concordat ; 3,1 numerum] numero ; 3,3 nisi] nisi quod ; 5,2 quae] quae in ; 5,5
certior] rectior ; 7,6 ut] ut et (cum Gl) ; 7,7 unde] inde ; 11,1 intelligimus] intelli-
gamus ; aliud] aliud est ; 11,6 qua] quibus (voir infra, 2.8, note critique ad loc.) ;
13,5 respondent] respondentes ; 14,1 nominet] nominasset ; 14,7 cogitatione] in
cogitatione ; 15,5 sancto spiritu] ipso spiritu sancto ; 15,12 quae] qui eam ; 16,7
om. etiam ; 16,8 peccata2] peccato ; 17,1 facit1] faciat ; 17,2 aut si] adhuc si ; 18,4
sententia] scientia ; 18,9 om. cum ; 23,3 salvaret] servaret ; 23,10 ut] in ; 23,13
concedi] concedere.
Certaines de ces leçons pourraient hypothétiquement remonter à une source in-
dépendante. Cependant, aucune ne dépasse ce qui pourrait émaner du texte Λ
ou Ξ, par conjecture ou par inattention.
 Si B était indépendant de Λ Ξ il devrait partager peu ou pas d’erreurs avec des
manuscrits Λ ou Ξ. Or il partage certaines erreurs notables des deux côtés. Pour
Λ : 10,2 enim] enim iustitia B O E S U ; 16,3 recurari] curari Bd ; 23,12 sic1] sicut B
O E S U. Pour Ξ, il partage des erreurs avec γ : 3,3 etiam si] etiam ; 12,2 subicit]
subiecit ; 19,4 provectum] profectum ; 23,3 saeculum2] mundum (etiam κ sed
non C V1).
 L’origine de B rend particulièrement probable que son texte fut créé par colla-
tion de plusieurs manuscrits. La congrégation de Windesheim se dévouait à de
telles collations, selon le témoignage de leur historien contemporain, Jan Busch
(1399–c. 1479) dans son Liber de origine modernae devotionis (1464) : Omnes
sermones, omelias, libros et tractatus quattuor Ecclesiae doctorum aliorumque
patrum orthodoxorum ad primam sui fontis originem, quantum in exemplaribus
emendacioribus e diverso collectis habere potuerunt, fidelissime reduxerunt …
Omnes divini officii libros, totam Bibliam, et eximiorum doctorum numerosa vo-
lumina, in tercium, quartum aut quintum iam dudum transfusa, non solum ad
primum originis sui fontem reducere aut reparare, verum eciam omnes pene et
singulos huiusmodi libros praenominatos in fractura, vel rotunda, seu eciam bre-
vitura conscribere, punctuare, orthographialiter accentuare curaverunt.358

En 1934, Dom De Bruyne écrivait à propos de ce passage de Busch : « Quand on lit


dans le Chronicon Windeshemense toutes ces affirmations audacieuses, on est ti-
raillé entre l’admiration et le scepticisme. Il serait à souhaiter qu’un jeune docteur
en théologie examine sérieusement ce problème d’histoire ».359 Ce travail n’est pas
près d’être fait à grande échelle, puisqu’il faudrait collationner des centaines de
pages. Mais que les résultats pour l’Inchoata expositio servent d’échantillon. Nous
avons, si l’on compte H, quatre manuscrits de la congrégation de Windesheim. Trois

||
358 GRUBE, Des Augustinerpropstes, 312s.
359 De la provenance, 108s.
82 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

d’entre eux (H G R) sont des copies simples d’un exemplaire. Le dernier, B, présente
un texte qui, vraisemblablement, est le fruit de collations minutieuses, et dont le
créateur a réussi, consciemment ou pas, à trouver des manuscrits des deux familles
du texte, puis à choisir entre eux avec équilibre et intelligence.
Ce n’est pas forcément le copiste de B, Joannes Mol de Corsendonk, qui a fait ce
beau travail. Un texte du même type que B fut utilisé par Amerbach et Érasme, sans
que l’on puisse affirmer qu’ils aient utilisé B même, puisqu’ils ne reproduisent pas
ses fautes. Il est donc probable que ce texte édité a circulé dans plusieurs copies.
L’état actuel de B n’est pas obligatoirement non plus le fruit du seul travail édi-
torial des Frères de la Vie Commune. En 7,6 il partage une leçon avec la Glossa Or-
dinaria360 (ut et nos), et en 11,2 la conjecture incommutabilis unitas est déjà dans la
Glossa et chez Pierre Lombard.361 Ces faits sont difficiles à interpréter. Les Frères
étaient-ils assez attentifs pour émender leurs textes patristiques en utilisant ces
commentaires-chaines du 12ème siècle ? Ou avaient-ils consulté un manuscrit qui
ressemblait à celui qu’auraient utilisé les auteurs de la Glossa et Pierre Lombard ?
En fait, on ne peut même exclure, bien que ce soit peu probable, que B reproduise
fidèlement un tel manuscrit. Il faudrait alors replacer au 12ème siècle, sinon avant, la
forme contaminée du texte représenté par B.

2.3 Tradition indirecte


À part Claude de Turin et l’anonyme de Paris Lat. 11.574 (infra, 2.5 ; 2.6), véritables
témoins du texte, les œuvres suivantes présentent des extraits de l’Inchoata exposi-
tio, sans qu’il soit toujours facile de discerner si celles-ci viennent directement du
texte augustinien.362

2.3.1 Glossa Ordinaria (Gl)

Dans cette glose anonyme de la Bible entière, rédigée entre environ 1080 et 1130
autour d’Anselme de Laon,363 on retrouve l’Inchoata expositio là où l’on s’y atten-

||
360 Édition consultee : Biblia Latina cum glossa ordinaria : Facsimile reprint of the Editio Princeps
of Adolph Rusch of Strassburg 1480/81, Turnhout 1992 (t. 4, 274 pour notre passage).
361 Voir la prochaine section, Tradition indirecte, p. 82–84.
362 Les extraits de l’Inchoata expositio dans la Glossa ordinaria et Pierre Lombard recouvrent les
mêmes parties du texte que Claude de Turin mais leur texte diffère du sien en 7,7 ; 11,1.2, ce qui
semble suffire pour montrer qu’ils n’en dépendent pas. Pour quelques autres textes qui citent
l’Inchoata expositio, mais sont sans utilité pour l’édition, voir supra, 1.9.
363 Voir COLISH, Peter Lombard, 164. Pour l’édition consultée, voir n. 360 supra. Tous les passages
en question sont à t. 4, p. 274.
Introduction | 83

drait : dans le début du commentaire sur l’épître aux Romains. Il s’agit d’extraits de
4,8s. ; 7,6s. ; 11,2. Comme on l’a dit plus haut, deux leçons de B sont déjà dans la
Glossa. À part ces deux leçons, la Glossa ne contribue rien à l’établissement de notre
texte.

2.3.2 Pierre Lombard (Lomb)

Pierre Lombard a commenté l’épître aux Romains dans ses Collectanea, son grand
commentaire sur les épîtres de Paul, fait à partir de textes d’auteurs antérieurs.
Celui-ci fut rédigé entre 1139 et 1141, et réécrit entre 1155 et 1158. Puisqu’il n’y pas
d’édition moderne de ce texte, nous l’avons consulté dans celle de la Patrologia
Latina, qui dit reproduire celle de Josse Bade (Paris 1535), et qui contient la deu-
xième rédaction.364
Pierre tend beaucoup à la paraphrase, plutôt qu’à la citation directe. On re-
trouve des traces de 4,4 (PL 191, 1306A) ; 4,8,11s. (1306A–B)365 ; 5,1 (1310B) ; 5,4
(1314C) ; 5,11–17 (1313C ; 1314C) ; 6,1s. (1315B–C) ; 7,5–7 (1316A) ; 11,1s. (1316C–D).
Mais on ne tire du texte de Pierre que 3 leçons (4,12 bis ; 7,7 ; 11,1) pour notre appa-
rat. C’est cependant assez pour conclure que Pierre disposait d’un texte de la famille
Λ.366
Laon n’est pas loin de Paris, et on ne s’étonnera pas de trouver des similarités
entre Pierre et la Glossa Ordinaria. Ainsi, on constate que des extraits de 4,4.8.11
sont cousus ensemble de façon très similaire dans les deux textes :

Glossa : Impietati haereticorum occurritur, qui obtuso corde capitulum hoc intelligentes Christum
tantum hominem accipiunt. Addendo enim ‘secundum carnem’ divinitati suam dignitatem reser-
vavit, in qua Christus Dei verbum est per quem facta sunt omnia.

Pierre Lombard : Ubi occurritur impietati haereticorum, qui obtuso corde hoc capitulum intelli-
gentes, Christum tantum hominem accipiunt; divinitatem vero in eo non intelligunt. Addendo
enim ‘secundum carnem’ servavit divinitati suam dignitatem, qua Christus Verbum Dei est, per
quod facta sunt omnia.

Il est clair que ces deux paraphrases ne peuvent être indépendantes. Pierre a con-
servé un peu plus de 4,4, et ajoutera ensuite des passages de 4,12, absents de la
Glossa, ce qui tend à lui donner la priorité. Mais la question reste à démêler, surtout

||
364 COLISH, Peter Lombard, 23s. Le texte du commentaire sur Rom. est à PL 191, 1301–1534.
365 Les paraphrases du chapitre 4 sont repris par Jean de Cornuailles, élève de Pierre (PL 199,
1084s.).
366 C’est ce que tend à confirmer la très courte citation de 4,9 dans les Sententiae, 3,6,4, où Pierre
a la bonne leçon sed carne, absente de l’archétype de Ξ.
84 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

que ces deux textes attendent une édition critique. Soulignons aussi la présence
dans les deux textes de la leçon incommutabilis unitas dans la citation de 11,2.
Comme on l’a vu, cette leçon est uniquement dans le manuscrit B de l’Inchoata
expositio, et il s’agit d’une conjecture.

2.4 Les éditions


Cinq éditions de l’Inchoata expositio précèdent celle-ci.367

Am J. Amerbach, Tertia pars librorum divi Aurelii Augustini quos edidit presbyter
ordinatus, Bâle, 1506, [o4v]–p1r.
Er D. Erasmus, Quartus Tomus Operum divi Aurelii Augustini Hipponensis
Episcopi complectens reliqua τῶν διδακτικῶν, Bâle, 1528, 833–844.368

Lov Tomus IIII operum Divi Aurelii Augustini Hipponensis episcopi complectens
reliqua τῶν διδακτικῶν per Theologos Lovanienses ab innumeris mendis purgatus,
Anvers 1571, 360–366.369

 Sancti Aurelii Augustini Hipponensis episcopi operum tomus tertius …. opera


et studio monachorum ordinis Sancti Benedicti e congregatione Sancti Mauri pars
secunda, Paris 1690, cols 925–942.
Réimprimé dans la Patrologia Latina de Migne, t. 35, 2087–2106.

J. DIVJAK, Sancti Aureli Augustini Opera. Sect. IV Pars I. Expositio quarundam pro-
positionum ex epistola ad Romanos. Epistolae ad Galatas expositionis liber unus.
Epistolae ad Romanos inchoata expositio, Vindobonae 1971 (CSEL 84), 144–181.

||
367 Sans compter les multiples réimpressions des opera omnia d’Augustin faites à partir de Er, Lov,
μ. Quant à FREDRIKSEN LANDES, Augustine on Romans, son texte n’est autre que celui de CSEL 84,
avec de nouvelles collations de O.
368 Nous n’avons pas eu accès à cette première édition lors de la collation, et avons donc colla-
tionné dans la réimpression de 1541, faite à Bâle, où le texte est aux colonnes 1173–1190.
369 L’« édition de Louvain », comme on l’appelle d’habitude. Selon la préface du t. 1, l’éditeur du t.
4 fut « Embertus Everaerds Arendoncanus [i.e. d’Arendonk], pastor ecclesiae Divi Jacobi », sur qui
voir FOPPENS, Bibliotheca, 259.
Introduction | 85

2.4.1 Analyse

Amerbach
Dans son épître introductive au lecteur,370 Amerbach dit tout ce qu’il a à dire sur les
sources manuscrites de la vaste collection d’œuvres augustiniennes qu’il est parve-
nu à rassembler :

Perquisitum [sic] ergo magna cura quem per omnes bibliothecas transmitterem Augustini libros
gratia investigandi, repperi religiosum fratrem laboriosumque virum dominum Augustinum Do-
donem Phrysium, ordinis divi Augustini, monasterii sancti Leonardi Basiliensis canonicum, qui
hanc provinciam subiret : ipsumque proinde fratrem per me sufficienti pecunia munitum biblio-
thecas omnes Germaniae nostrae perscrutaturum dimisi, ac membratim Augustinum per eas divi-
sum in unum corpus collecturum. Magna igitur diligentia adhibita, quasi per omnia sua membra
inventus Augustinus ex Germania, Gallia, Italiaque ad me traductus et comportatus, quod dudum
animo destinaveram, magna difficultate et ingentissimis laboribus tandem omnipotentissimo
maximo Deo favente, auspice Augustino explevi.

C’est bien imprécis. Augustinus Dodo (obiit 1502)371 ne fut certainement pas le seul
collaborateur d’Amerbach, et on peine à croire qu’il ait visité toutes les biblio-
thèques d’Allemagne. Il est aussi difficile de savoir comment Amerbach s’est procu-
ré des manuscrits de France et d’Italie.
La correspondance d’Amerbach ne jette que peu de lumière sur ces questions.
On y voit bien un Dodo très actif en Allemagne dans sa recherche de textes augusti-
niens : vers 1494, il est à Kirschgarten, près de Worms372 ; en 1496, à Sponheim, chez
Johannes Trithemius373 ; encore en 1496, Jakob Wimpfeling, à Speier, fait copier des
textes pour lui374 ; en 1497, le prieur de Bödingen, près de Hennef, fait lui aussi co-
pier des textes, des manuscrits (circa XI volumina … valde antiqua et formaliter ac sa-
tis correcte scripta) non pas de son propre cloître, mais du monastère bénédictin de
Saint-Michel à Siegburg.375 Mais Dodo n’est pas la source unique pour Amerbach. En
1496, Alexius Stab, moine de Saint-Blaie en Forêt Noire, fournit, à le demande
d’Amerbach et sans intervention apparente de Dodo, un rapport des manuscrits de
Jérôme et Augustin dans son monastère.376 Et surtout, la correspondance montre

||
370 Prima pars librorum divi Aurelii Augustini … Bâle 1506. Les pages introductives ne sont pas
numérotées, mais l’épître se trouve à la 6ème page imprimée. On la trouvera aussi dans HARTMANN,
Die Amerbachkorrespondenz, epist. 293.
371 Sur Dodo, voir SCARPATETTI, Die Kirche, 323–331, avec une brève étude des mentions de Dodo
dans la correspondance d’Amerbach.
372 HARTMANN, Die Amerbachkorrespondenz, epist. 33
373 HARTMANN, Die Amerbachkorrespondenz, epist. 48.
374 HARTMANN, Die Amerbachkorrespondenz, epist. 56. Voir aussi epist. 302.
375 HARTMANN, Die Amerbachkorrespondenz, epist. 61.
376 HARTMANN, Die Amerbachkorrespondenz, epist. 50.
86 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

qu’Amerbach avait d’autres sources à Paris. Déjà, en 1495, un certain Augustinus de


Ratisbonne, étudiant à Paris, lui écrivait pour lui proposer des copies de certaines
œuvres augustiniennes.377 On ne sait pas si Amerbach y a donné suite, mais en
1503–1505, l’humaniste Wilhelm Kopp, les fils d’Amerbach, Bruno et Basile, et l’im-
primeur bâlois Johannes Froben sont tous chargés de trouver certains textes à Pa-
ris.378
Rares sont les œuvres d’Augustin qui sont nommées dans cette correspon-
dance,379 et l’Inchoata expositio n’en fait pas partie. Mais la proximité de son texte
avec celui de B suggère qu’il fut procuré par Dodo. Saint-Léonard à Bâle faisait en
effet partie de la Congrégation de Windesheim, source de B, et parmi les couvents
où l’on connait la présence de Dodo, il en est de même pour Kirschgarten et Bödin-
gen.380
Quoi qu’il en soit, le texte d’Amerbach partage avec B un nombre de leçons
rares ou uniques (voir 1,4 ; 2,2.3.4 ; 3,1 ; 5,2.11.17 ; 6,3 ; 7,6.7 ; 8,4 ; 10,1.6 ; 11,1.2 ;
12,7 ; 13,2 ; 14,1.5.7 ; 15,5.12 ; 16,7.8 ; 17,1.2 ; 18,4.9 ; 19,4.10 ; 23,7.10.11.13.15). Mais
Amerbach avait accès à plusieurs manuscrits, ou à un manuscrit avec des va-
riantes.381 On trouve dans son texte des variantes marginales (signalées dans
l’apparat par Am+). Et ces variantes et le texte principal portent des traces d’autres
filières du texte :
Am Λ 5,10 et tamquam ; 9,1 peccantibus (Am+) ; 18,1 ut1] et (non T V)
Am O 14,4 tacito] cito
Am O (ac.) E Claud 6,2 meritis] meriti
Am O E (cum L1 (ac.)) 9,2 terror] error
Am T V 13,5 respondent] cum respondent
Am S (ac.) O (pc.) 13,6 id] at
La plupart des leçons du type B d’Amerbach se retrouvent dans Er et Lov, chaque
édition ayant puisé à son prédécesseur. Cependant, Er et Lov ont aussi eu accès à
d’autres manuscrits.

||
377 HARTMANN, Die Amerbachkorrespondenz, epist. 37.
378 HARTMANN, Die Amerbachkorrespondenz, epist. 211.234.238.246.256.
379 Epist. 246 était accompagnée d’une liste des œuvres que cherchait Amerbach à Paris, mais
Hartmann ne l’a pas éditée.
380 Saint-Léonard rejoint la Congrégation en 1464 (KOHL, Monasticon, t. 2, 30) ; Kirschgarten est
refondé par elle en 1443 (ibid. 257) et Bödingen fondé par elle en 1424 (ibid. 75).
381 Amerbach ne voulait pas accumuler les manuscrits de chaque texte. Quand Wilhelm Kopp lui
envoie de Paris des textes dont il a déjà quatre copies, il est loin de lui en savoir gré (HARTMANN, Die
Amerbachkorrespondenz, epist. 246).
Introduction | 87

Érasme
Érasme a la réputation de n’avoir pas beaucoup ajouté à la base manuscrite pour
son édition d’Augustin.382 Mais pour l’Inchoata expositio, il doit avoir utilisé au
moins un manuscrit, duquel il tire des variantes absentes d’Amerbach, mais qui se
retrouvent dans B :

2,4 cooptavit ; 2,5 concordat ; 3,1 numero ; 3,3 etiam si] etiam ; 3,3 nisi] nisi quod ; 5,10 om.
apostolus ; 9,2 hi] ii ; 12,2 subicit] subiecit (cum γ) ; 13,5 respondent] respondentes ; 15,8 de
leprosis decem] decem leprosis ; 19,4 posteriorem] posteriorum (cum S U (ac.)) ; provectum]
profectum (cum γ) ; 20,5 cum et] et cum ; 24,3 salvaret] servaret ; 23,12 nec] ne ; isti] isti in.

Ce manuscrit semble avoir porté une variante provenant de la famille Λ : 2,2 unde B ;
unde etiam Λ Er ; deest Ξ.

L’édition de Louvain
Les Lovanienses sont moins avares d’informations sur leurs manuscrits que leurs
prédécesseurs. Le tome 4 de leur édition d’Augustin se termine avec une section de
Notae sive recognitiones … ex manuscriptorum codicum collatione deprehensae (532–
547). Pour l’Inchoata expositio, ils indiquent que leur texte est « correctus ad exem-
plum Cambr. », puis donnent une liste de variantes venant de ce manuscrit. Ces
variantes, marquées par Cam dans notre apparat, doivent venir du manuscrit de
Cambron présenté plus haut (2.1.4). Mais il faut supposer que d’autres variantes de
Cam furent intégrées tacitement dans le texte.

Voici la distribution des nouvelles variantes de Lov :


Λ Ξ Lov 1,4 fungens ; 2,3 pertinent (pertinet Z R M B Am Er) ; 23,11 putandi sint (non
Cam)
Ξ Lov 1,3 om. gentes et maxime adversus ; 2,2 om. unde … pecorum
γ Lov 10,6 parebunt (cum Z ; non C am) ; 10,8 parebunt ; 14,8 ea] ita (non Cam) ; 23,12
si non faciat
Λ Cam 10,2 enim iustitia (iustitia om. T V) ; 19,7 per] post (cum T V)
Cam B Am Er 23,13 concedi

Il en ressort que Cam appartenait probablement à Λ,383 et que les éditeurs avaient un
autre manuscrit, de la sous-famille γ dans Ξ.

Mauristes
Les sources de l’édition des Mauristes sont entièrement connues et conservées. Pour
l’Inchoata expositio, ils indiquent (col. 984) : « In MSS nostris non reperta est sed

||
382 Pour le peu que l’on sait de ses sources manuscrites, voir DE GHELLINCK, Patristique, 380–391.
383 Malgré les indication de son contenu : voir supra, 2.1.4, p. 66.
88 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

multis mendis purgata nunc fuit ope MS Vaticani et recensita ad editiones Am Er &
Lov ».
Manuscriptis nostris, ce sont les manuscrits que les Mauristes ont réunis à Saint-
Germain-des-Prés pour leur édition des opera omnia d’Augustin, et qui venaient
principalement des monastères de leur propre congrégation. On remarquera qu’ils
n’ont pas connu le manuscrit Troyes 40 (dont notre T fait partie), qui leur aurait
beaucoup facilité la tâche.
Quant au MS Vaticanus, comme Divjak l’avait déjà vu,384 il s’agit de V. L’accès
des Mauristes à ce manuscrit est indirect.385 Sixte V (1585–1590) et Clément VIII
(1592–1605) avaient projeté une édition romaine des opera omnia d’Augustin. Celle-
ci n’a jamais vu le jour, mais donna lieu à des collations de manuscrits de la Vati-
cane contre l’édition de Louvain, qui subsistent dans les manuscrits Vaticanus Lati-
nus 4991 (tomes 2 et 4 de l’édition de Louvain) et 4992 (tomes 5 et 8 ; les tomes 1, 9 et
10 n’ont jamais été collationnés). Les collations pour le tome 4, et donc pour
l’Inchoata expositio, sont le travail d’un nommé Christophe Aury, autrefois profes-
seur à la Sorbonne, et recteur d’une église Saint-Antoine à Paris, qui a œuvré du 25
juillet 1597 au 10 octobre 1598.386 Lors d’un séjour à Rome, des Mauristes préparant
leur propre édition des opera omnia ont ensuite copié Vat. Lat. 4991 et 4992. Cette
copie est aujourd’hui Paris, Bibliothèque Nationale, Latin 11.646, et c’est elle qui est
le vrai MS Vaticanus pour l’Inchoata expositio et bien d’autres textes de l’édition
mauriste.387
Comme les Lovanienses, les Mauristes offrent une liste de variantes en fin de vo-
lume (979–983). Nous signalons celles pour l’Inchoata expositio par μ+ dans
l’apparat. Toutes viennent de V.
Ainsi, le texte des Mauristes a été constitué à partir de V et des trois éditions an-
térieures. Il ne sert donc pas comme témoin indépendant pour notre édition. Ses
leçons sont cependant signalées dans l’apparat, pour leur intérêt historique, et aussi
par respect pour le jugement critique de ces grands connaisseurs d’Augustin.

CSEL 84
C’est la seule édition « critique », au sens moderne. Parmi nos manuscrits, Divjak
(dont nous avons conservé les sigles) a utilisé tous les manuscrits de la famille Λ (O
E S U T V) et dans la famille Ξ, Z B1 R C et les manuscrits c (L1 L2 M F), en plus de B. Il
signalait aussi l’existence de A P V1,388 mais ne les a pas consultés, sans en indiquer
la raison. Il ne semble pas avoir connu les manuscrits H W G Prag et Ott, ni les divers

||
384 CSEL 84, xxxii. VRBA, Beiträge, 53 avait établi les faits.
385 Pour ce qui suit, voir VRBA, Beiträge ; PETITMENGIN, À propos des éditions.
386 VRBA, Beiträge, 59 ; PETITMENGIN, À propos des éditions, 218s.
387 PETITMENGIN, À propos des éditions, 241.
388 CSEL 84, xiii/xiv.
Introduction | 89

florilèges et extraits que nous avons employés. Il n’a pas, non plus, pris en compte
les trois éditions du 16ème siècle.
L’édition CSEL a d’autres problèmes. Divjak a bien repéré certains faits stemma-
tiques : la famille c (mais sans voir que L2 dérive de L1), la relation étroite entre T et
V, et celle entre B1 et R.389 Mais, bien qu’il ait disposé de manuscrits de toutes les
branches de la tradition, il a maintenu qu’il était impossible de construire un stem-
ma : « soli codices Italici [i.e. les manuscrits c] de eodem exemplari descripti viden-
tur esse. Ceteri vero quamvis nonnullis locis390 inter se congruant, interdum tamen
ita discrepant ut certas eorum familias dinoscere non liceat. Inde sequitur eos de
exemplaribus contaminatis esse descriptos ». Par conséquent, il a conclu à la supé-
riorité de B : « quamquam saec. XV scriptus tamen lectiones interdum optimas con-
servavit ». Il faut rejeter ces conclusions, fondées, du reste, sur des collations bien
souvent inexactes.
Que ceci soit dit sine invidia envers notre prédécesseur, dont le travail nous a été
d’une grande utilité, et dont chacun sait les contributions à l’étude d’Augustin.
Reprenons les mots de Rousselet : « Nous soumettons donc ici à l’attention des
chercheurs une reprise de cette édition critique et nous prions I. Divjak de l’accepter
comme la collaboration d’un travailleur de la onzième heure qui sait reconnaître ce
qu’il doit aux défricheurs de la première heure ».391
L’article de Rousselet cherche en effet à améliorer le texte des trois œuvres édi-
tées dans CSEL 84. Mais pour l’Inchoata expositio, Rousselet, ne disposant que des
données fournies par Divjak, avait supposé que l’accord de O E S U T V pouvait faire
autorité contre le reste des manuscrits,392 et une grande partie des corrections qu’il
propose sont fondées sur cet accord. Nous savons aujourd’hui que ces cinq manus-
crits représentent la seule famille Λ, et Rousselet aurait certainement pesé les va-
riantes autrement s’il avait connu l’existence de Ξ. Dans les faits, nous avons accep-
té le même texte que lui sauf en 4,9 ; 5,10 (voir infra, 2.8, note critique ad loc.) ; 5,11
(voir note critique ad loc.) ; 9,1 (voir note critique ad loc.) ; 14,6 ; 15,5 ; 16,7 (voir note
critique ad loc.) ; 19,3 (voir note critique ad loc.) ; 21,4 (voir note critique ad loc.).

||
389 CSEL 84, xxx–xxxiii. Divjak y décrit R comme « descriptus » de B1, mais il doit s’agir d’un
lapsus, comme l’indique son choix d’inclure R dans son apparat, et le contenu même de cet apparat.
C’est aussi à tort que Divjak indique une parenté spéciale entre Z et B.
390 On aurait préféré lire « nonnullis erroribus ».
391 ROUSSELET, À propos d’une édition, 233.
392 ROUSSELET, À propos d’une édition, 237.
90 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

2.5 Claude de Turin


L’Espagnol Claudius, prêtre à la cour de Louis le Pieux, puis évêque de Turin, est
célèbre surtout pour ses croyances iconoclastes. Mais il eut aussi une grande activité
d’exégète à la manière carolingienne, créant des commentaires scripturaires à partir
d’extraits des écrits des Pères. Il commenta de cette façon la plupart des épîtres de
Paul, dont l’épître aux Romains.
Ce commentaire est resté inédit, sauf sa préface. Dans celle-ci, Claude déclare :

Amantissimus Domini sanctissimus Augustinus … fatetur tamen de semetipso in suo libro Retrac-
tationum, quod coeperit hanc ad Romanos exponi [sic] epistolam, atque de titulo ipsius epistolae
unum fecerit librum, qui etiam penes nos est, sed postea, ut ipse in eodem Retractationum libro
fatetur, dimisit eam territus illius magnitudine atque obscuritate ad alia faciliora tendendo.393

Claude, on vient de le dire, était un compilateur.394 Si donc il possédait un manuscrit


de l’Inchoata expositio, on peut supposer qu’il en avait recopié des passages dans
son commentaire. L’examen des manuscrits de Claude a permis de vérifier cette
hypothèse : le commentaire sur Romains offre de longs extraits de la première partie
de l’Inchoata expositio.395 De plus, l’édition récente (CCCM 263) du commentaire sur
les épîtres aux Éphésiens a révélé que celle-ci cite aussi l’Inchoata expositio.396 En-
fin, Claude a réemployé dans son propre commentaire sur l’épître aux Hébreux l’ex-
égèse de Hebr. 10,26 que l’on trouve dans l’Inchoata expositio (§19). Un texte de ce
commentaire a été imprimé sous le nom d’Atton de Verceil (c. 885–961). Celui-ci, en
effet, avait fait copier les commentaires de l’Ambrosiaster sur 1, 2 Thess. et 1, 2 Tim.,
et ceux de Claude sur Col., Phil., Tit., 1 et 2 Thess., 1 et 2 Tim. et Hebr. Ces commen-
taires figurent, réunis avec ceux longuement attribués par erreur à Atton lui-même
sur les autres épîtres pauliniennes, dans un manuscrit de Verceil397 écrit sous ses

||
393 MGH Ep. IV, 599 (éd. DÜMMLER). Dümmler a collationné les manuscrits parisiens que nous
appelons Χ Φ Ψ, en suivant de préférence le texte de Χ.
394 Voir les remarques amères de Dúngal de Bobbio (ZANNA, Responsa, 56) sur le manque
d’originalité de Claude, qui travaille glosario opere mais présente ses commentaires comme ses
propres créations.
395 Il n’était pas de la méthode de Claude de reproduire dans son commentaire la longue digres-
sion sur le blasphème contre l’Esprit Saint qui forme la deuxième partie de notre texte.
396 CCCM 263, 8s., citant 11,1–6. Parmi les variantes recensées par cette édition, nous ne rapporte-
rons que celles qui sont autrement attestées dans la tradition de l’Inchoata expositio.
397 Vercelli, Biblioteca capitolare XXXXIX (40). L’attribution des commentaires sur Rom., 1 et 2
Cor., Gal., Eph., Phil. à Atton est réfutée par HOFFMANN, Die Würzburger, 17–49. Ils seraient plutôt à
attribuer à un certain Lantfranch, un italien autrement inconnu, actif au s. 91/3. FONAY WEMPLE (Atto
of Vercelli, 31) note qu’ « Atton » utilise extensivement Claude dans ses propres commentaires. On
retrouve en effet des idées de l’Inchoata expositio dans son commentaire sur Rom. 1,2–7 (PL 134,
130–134). HOFFMANN, Die Würzburger, 24.34.50s.71.108 note de même des parallèles entre le com-
mentaire de Lantfranch et l’Inchoata expositio. Tous paraissent venir de Claude. Mais Atton ne se
Introduction | 91

ordres. Tout cet ensemble fut imprimé sous le nom d’Atton, le plus récemment dans
PL 134.398
On trouve donc dans PL 134, 791s. une version de tout le chapitre 19 de
l’Inchoata expositio. Nous avons malheureusement appris trop tard la présence de
cet extrait pour consulter les manuscrits, soit de Claude, soit du pseudo-Atton.399
Mais nous avons collationné le texte de l’Inchoata expositio avec celui imprimé
dans PL 134, et aussi avec celui de Paris, Bibliothèque Nationale Lat. 12.290 (s. 93/4,
France centrale / vallée de la Loire),400 dont la microfiche est disponible sur inter-
net.401 Selon ces collations, l’extrait comporte un texte considérablement remanié,
sinon corrompu, et n’apporte aucune lumière nouvelle pour l’édition de l’Inchoata
expositio.402
On voudrait bien savoir où et à quelle époque Claude avait penes nos un manus-
crit du texte augustinien. Malheureusement, si Claude donne souvent dans les pré-
faces de ses commentaires des indications très précises de temps et de lieu, il ne le
fait pas dans la préface au commentaire sur Romains, qui ne comporte pas non plus
de dédicace.403

||
contente pas de recopier, et on ne peut donc s’en servir pour l’édition de Claude. De même, les
citations et paraphrases de l’Inchoata expositio que l’on retrouve dans Hervé de Bourg-Dieu († c.
1150) recouvrant aussi Rom. 1,2–7 (PL 181, 600–604) viennent de Claude, mais n’ont rien à apporter
pour notre édition de ses extraits.
398 Voir FONAY WEMPLE, Atto of Vercelli, 23–25. L’édition PL reprend celle de Buronzo del Signore
(Vercelli 1768).
399 Pour une liste des manuscrits de Claude, voir BOULHOL, Claude de Turin, 343. Selon HOFFMANN,
Die Würzburger, 17, trois manuscrits autres que celui de Verceil contiennent, sous diverses formes,
le travail du pseudo-Atton. Parmi ceux-ci, seul Bamberg, Staatsbibliothek Msc. Bibl. 89 (s. 11/12)
contient un commentaire sur Hebr. Il s’agit de celui d’Alcuin (PL 100, 1031–1084). Le commentaire
imprimé d’Alcuin s’arrête à Hebr. 10,36, mais dans le manuscrit de Bamberg, le texte d’Alcuin
s’arrête au plein milieu de la glose sur Hebr. 10,26 (donatum fuit hostias, PL 100, 1081), puis, sans
indication de coupure, le scribe poursuit avec le commentaire de l’Ambrosiaster sur Rom. 16,19–fin.
Ceci correspond exactement au contenu de Fulda, Hochschule und Landesbibliothek Aa 15 (s. 91/3) :
voir FOX, Alcuin’s Expositio, 330.
400 BISCHOFF, Katalog, t. 3, no. 4822. Voir ci-dessous sur Φ, qui fut écrit avec lui.
401 Notre extrait est au folio 114v.
402 Quelques points à noter (dans ce qui suit le texte de Paris Lat. 12.290 est x et celui de PL 134 z) :
19,2 ut hoc significaverit] et hoc significat z ; et hoc significarit x (significarit etiam O S E2 U) ; 19,3s.
fateamur … veritatis accepit om. z ; habet x, sed conicitur pro conficitur ; 19,5 non accepit] non acci-
pit x (cum S U Ξ) ; 19,7 per baptismum] post baptismum x (cum O E S U B Am Er) ; 19,7 etiam qua-
drupes est] quadrupes debet esse etc z ; 19,8s. in fundamento manente itaque fundamento] funda-
mento manentem itaque fundamento x ; fundamento manente itaque a fundamento z ; 19,10 non
iterum] ne iterum z. Comme on pouvait s’y attendre, le texte de x rejoint quelques fois le nôtre
contre z.
403 BOULHOL (Claude de Turin, 21) affirme cependant qu’il fut « sans doute » écrit pour Théodemir,
abbé de Psalmodi.
92 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

Il reste les indices suivants :


 Le commentaire de Claude sur l’Évangile de Matthieu n’utilise pas l’Inchoata
expositio dans son exégèse de Mt. 12,31–33.404 Puisque Claude dit dans la pré-
face du commentaire avoir donné la place d’honneur aux extraits d’Augustin,405
on le voit mal négliger sciemment le résolution augustinienne du problème du
blasphème contre l’Esprit Saint. Claude ne devait donc pas encore connaitre
l’Inchoata expositio quand il a rédigé son commentaire, dont la dédicace date
de 815.406
 Le commentaire sur Galates est le premier des commentaires de Claude sur
Paul.407 Il fut écrit après que Louis le Pieux eût reçu le sacre impérial, donc
après le 11 septembre 813, et avant septembre 816, puisqu’il fut commandé trois
ans avant que Claude ne rédige la dédicace, et à une époque où Louis n’était
encore que roi.
 Les commentaires sur Éphésiens et Philippiens furent complétés un an plus tard
que le commentaire sur Galates, et avant tous les autres commentaires pauli-
niens.408 Leur date est donc à placer entre 814 et 817 et, si l’on admet le premier
point, les commentaires sur Eph. et Phil. sont postérieurs à 815, ce qui appuie
une date plus tardive pour le commentaire sur Gal.
 Si C. Ricci a raison de voir dans la préface aux commentaires sur Eph. et Phil.
une allusion à l’élévation de Claude à l’épiscopat de Turin,409 et s’il faut ad-
mettre que celle-ci eut lieu vers 817–818,410 on obtient la séquence : Mt. 815, Gal.
816, Eph.-Phil. 817.
 Les rubriques des manuscrits, où il est appelé Claudius episcopus,411 étayent
aussi l’hypothèse que le commentaire sur Romains fut écrit après l’élévation de
Claude à l’épiscopat.

||
404 Le commentaire sur Matthieu est inédit. Nous l’avons consulté dans le manuscrit London,
British Library, Royal 2 C X (anglais, s. 12), où l’exégèse de Mt. 12,31–33 est aux folios 75r–75v.
405 MGH Ep. IV, ep. 2, 594.
406 MGH Ep. IV, ep. 2, 593.
407 MGH Ep. IV, ep. 3, 596S.
408 MGH Ep. 4, 598 (= CCCM 263, 5).
409 CCCM 263, vii/viii.
410 CCM 263, vii/viii.
411 Χ : In Christi nomine incipit praefatio in epistula ad Romanos, après quoi une seconde main a
ajouté dans la marge : Claudii episcopi ; Φ : Incipit praephatio Claudii episcopi ; Ψ : Incipit praefatio
Claudii episcopi ; Δ (après la préface et 1(4) de l’Inchoata expositio) : Incipit epistola Pauli apostoli ad
Romanos. Expositio a Claudio episcopo. Les premières pages de Θ ont disparu. Dúngal de Bobbio
(ZANNA, Responsa, 56) atteste que Claude se faisait appeler Claudii Taurinensis episcopi dans
l’incipit de ses commentaires. Selon le témoignage de DÜMMLER (MGH Ep. IV, ep. 1,590 ; ep. 2,593 ;
ep. 3, 596 ; ep. 4, 597) dans les commentaires publiés avant l’épiscopat, notre auteur se fait appeler
Claudius presbyter.
Introduction | 93

 Pour le commentaire sur Romains, nous avons donc un terminus post quem
plausible de 817, mais pas de terminus ante quem. Quant au lieu, si Claude était
évêque quand il rédigea sa préface, penes nos doit signifier « à Turin ». Mais il a
pu acquérir le manuscrit à une date antérieure, au nord des Alpes, surtout qu’il
se déplaçait alors avec le souverain.412

Ajoutons que l’édition de toutes les œuvres de Claude, et une étude détaillée des
sources dont il disposait, permettrait peut-être de tirer des conclusions plus nettes
sur la datation. Mais ce travail reste à faire.
Quoi qu’il en soit, le manuscrit de l’Inchoata expositio dont disposait Claude a
aujourd’hui disparu. Il a donc fallu le reconstruire tant bien que mal, avant tout en
éditant la partie du commentaire de Claude sur Rom. qui comporte nos extraits.
Pour cette édition, nous disposons des manuscrits suivants :413

X Paris, Bibliothèque Nationale, Latinus 2393


P. LAUER, Bibliothèque Nationale : Catalogue général des manuscrits latins, t. 2,
Paris 1940.
s. 93/4, minuscule carolingienne,414 vient peut-être d’Auxerre, selon Ferrari ;415 de
Clermont-Ferrand selon Heil ;416 Bischoff indique seulement « le sud de la
France ».417 Le manuscrit est entré, on ne sait comment, dans la bibliothèque de
Colbert, puis dans la bibliothèque royale, vraisemblablement lors de l’achat des
manuscrits de Colbert par Louis XV en 1732.418
X contient le commentaire de Claude sur Rom. (1r–58r), et le commentaire
d’Alcuin sur Hebr.419

Φ Paris, Bibliothèque Nationale, Latinus 12.289


L. DELISLE, Inventaire des manuscrits des Saint-Germain-des-Prés conservés à la
Bibliothèque Impériale, Paris 1868.

||
412 BOULHOL, Claude de Turin, 19s. Pour les diverses tentatives de chronologie de toute l’œuvre de
Claude, ibid. 255–257.
413 Pour cette liste voir FERRARI, Note su Claudio. Ferrari (298) oublie cependant de signaler la
présence du commentaire sur Romains dans Σ, erreur rectifiée par BOULHOL, Claude de Turin, 338.
Les renseignements sur les manuscrits viennent des catalogues cités, sauf autre indication.
414 BISCHOFF, Katalog, t. 3, no. 4183. Pour. FERRARI, Note su Claudio, 296, le manuscrit « è proba-
bilmente da collocare nel prima metà del secolo IX ». Lauer donnait une date de s. 10.
415 Note su Claudio, 296.
416 Kompilation, 232. Pour l’entrée de certains manuscrits de Clermont dans la collection de Col-
bert, voir DELISLE, Le cabinet, t. 1, 464s., 480–482.
417 BISCHOFF, Katalog, t. 3, no. 4183.
418 DELISLE, Le cabinet, t. 1, 485s.
419 FERRARI, Note su Claudio, 296. Lauer attribue à tort ce commentaire à Claude.
94 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

s. 92/4, minuscule carolingienne.420 Le manuscrit vient de la bibliothèque de


Saint-Benoît-sur-Loire, Fleury, où il fut peut-être écrit.421 Il s’agit très probablement
de l’élément no. 139 dans le catalogue de 1552 des livres de Fleury : Claudii episcopi
in epistolam ad Romanos et alias ejusdem apostoli epistolas expositio, cuius initium
est : incipit praefatio Claudii episcopi.422 Il a échappé au pillage du monastère après
son sac par les protestants en 1562. En effet, on y lit au folio 1r monasteri Floriacensis
s. Benedicti 1642 … S. Germani in Pratis. Ceci indique qu’en 1642, sinon plus tôt, le
manuscrit fut emprunté de Fleury par les Mauristes de Saint-Germain-des-Prés.
Fleury avait en effet rejoint la Congrégation de Saint-Maur en 1626, et on sait que les
Mauristes de Saint-Germain empruntaient pour leurs éditions des manuscrits aux
abbayes provinciales de la congrégation, et ne les rendaient pas toujours.423 C’est
ainsi que Φ figure parmi les manuscrits de Saint-Germain qui entrent à la Biblio-
thèque Nationale en 1795/1796.424
Φ contient les commentaires de Claude sur Rom. (1r–83v), 1–2 Cor. Il a été écrit
avec Paris Lat. 12.290, qui contient le reste des commentaires de Claude sur Paul
(Gal., Eph., Phil., Col., Tit., Philem., Hebr.).425

Ψ Paris, Bibliothèque Nationale, Latinus 2392


P. LAUER, Bibliothèque Nationale : Catalogue général des manuscrits latins, t. 2,
Paris 1940.
s. 93/4, minuscule carolingienne.426 Provenance inconnue, Heil (Kompilation,
232) suggère Clermont-Ferrand.427 Le manuscrit était à la bibliothèque royale dès
l’époque d’Henri II, qui l’a fait relier.428
Ψ contient le serm. 370 d’Augustin, puis les commentaires de Claude sur Rom.
(3r–67r), 1, 2 Cor.

||
420 BISCHOFF, Katalog, t. 3, no. 4821.
421 FERRARI, Note su Claudio, 294. Bischoff loc. cit. écrit de même « Fleury ? ».
422 Ce qui correspond bien à l’incipit de Φ (cf. n. 411 supra). Le catalogue de 1552 fut édité par
CUISSARD, Catalogue général, vii–xiii. Mais il se trompe en identifiant le no. 139 avec le MS 88 (85) de
la bibliothèque d’Orléans, qui contient en fait le commentaire sur Paul d’Haymon d’Auxerre. Voir la
notice de PELLEGRIN, Catalogue.
423 Cf. l’exemple de certains manuscrits augustiniens de Saint-Rémi de Reims : DOLBEAU, Augustin
et la prédication, 539, n. 30 ; 552.
424 DELISLE, Le cabinet, t. 2, 5s.
425 FERRARI, Note su Claudio, 294.
426 BISCHOFF, Katalog, t. 3, no. 4182. FERRARI loc. cit. 297 indique s. 10. LAUER indique s. 9 ; HEIL,
Kompilation (232) s. 9/10.
427 Nous ignorons pourquoi RICCI (CCCM 263, xxv) indique que Ψ forme un couple avec Paris Lat.
2394A (s. 9ex.– s. 10inc., Saint-Martial, Limoges).
428 DELISLE, Le cabinet, t. 1, 188.
Introduction | 95

Δ Monte Cassino, Archivio della Badia 48


M. INGUANEZ, Codicum Casinensium manuscriptorum catalogus, Vol. 1 – Pars 1,
1905, Montecassino.429
s. 11, minuscule Bénéventaine.430 Comme l’ont indiqué les bibliothécaires du
monastère sur le recto de la page de garde,431 ce manuscrit est à identifier avec celui
copié entre 1023 et 1024 par les ordres de l’abbé Théobald, tel que le raconte la
Chronique du monastère : Codices quoque nonnullos quorum hic maxima paupertas
usque ad id temporis erat, describi precepit, quorum nomina indicamus … Claudium
super epistolas Pauli.432
Il contient des commentaires sur Rom. (2–215), 1 et 2 Thess., 1 et 2 Tim., Tit., Phi-
lem., Hebr. Tous les commentaires ne sont pas de Claude : ceux sur 1 et 2 Thess. et 1
et 2 Tim. sont des remaniements de l’Ambrosiaster, et celui sur Hebr. est d’Alcuin.433

Θ Roma, Biblioteca Apostolica Vaticana , Vaticanus Reginensis Latinus 98


A. WILMART, Codices Reginenses Latini, t. 1, Roma 1937.
s. 12, minuscule pré-gothique. Wilmart et Ferrari434 suggèrent tous deux une ori-
gine française,435 et Ricci, suivant Martin Steinmann, l’Angleterre ou le nord de la
France.436 En tant que Reginensis, le manuscrit a appartenu à Christine de Suède,
puis est entré en 1690 à la bibliothèque Vaticane par le don du pape Alexandre VIII,
qui avait hérité des manuscrits de la reine.
Θ contient les commentaires de Claude sur Rom. (1r–51v), 1 et 2 Cor., Eph., Phil.,
Col., Tit.

||
429 Voir aussi la description détaillée de L. Buono dans OROFINO, I codici decorati, 89–91 + pl. 66s.
430 Pour la datation, voir aussi LOEW, The Beneventan, 244s. ; 342.
431 Pour l’attribution des notes, voir Buono dans OROFINO, I codici decorati, 89. On y lit : seculi xi.
incipientis codex exaratus anno 1023 tempore Theobaldi Abbatis, ut ex Chron. Casinensi lib. 12 cap. 52.
et ex Cod. MS sign. num. 28 pag. 585 ac ex Cod. MS. num. 57 pag. 587. Le second renvoi est à une liste
des manuscrits écrits sous Théobald en 1023 (cf. INGUANEZ, 71). Une seconde note a tenté d’identifier
le scribe : scriptor huius codicis forsan est Johannes Subdiaconus et Monachus, qui scripsit cod. 5 sub
Atinalfo abbate (Atenolfus, abbé de 1011 à 1022). Cf. INGUANEZ, 11.
432 Chronica Monasterii Casinensis 2,53 (MGH SS, 24, ed. H. HOFFMANN, 1980). Nous citons la
version A du texte.
433 FERRARI, Note su Claudio, 297s.
434 FERRARI, Note su Claudio, 297.
435 HEIL, Kompilation (232) propose Fleury, mais on notera que Θ est indépendant de Φ, le manus-
crit de Fleury.
436 CCCM 263, xxviii.
96 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

Σ Troyes, Bibliothèque Municipale 221


[A.] HARMAND, Catalogue général des bibliothèques publiques des départements,
tome second, Paris 1855.
A. VERNET – J.-P. BOUHOT – J.-F. GENEST, La bibliothèque de l’abbaye de Clairvaux du
XIIème au XVIIIème siècle, II : Les manuscrits conservés – Première partie : Manuscrits
bibliques, patristiques et théologiques, Paris 1997 (Σ = E86).
s. 12, minuscule pré-gothique. Provient de Clairvaux, où il fut vraisemblable-
ment écrit. S’il ne figure pas dans le fragment de catalogue des livres l’abbaye de la
fin du 12ème siècle,437 il est bien à sa place dans celui que fit dresser Pierre de Virey,
abbé de Clairvaux de 1471 à 1496, en 1472 : item ung autre volume bien escript de la
belle grosse lettre contenant l’Exposition domini Claudii episcopi sur ladite Epistre
saint Pol ad Romanos.438
Σ contient les commentaires de Claude sur Rom. (1r–108v), 1 et 2 Cor.

Nous avons collationné tous les manuscrits décrits ci-dessus,439 exclusivement pour
les extraits de l’Inchoata expositio. Pour ces extraits, nous proposons le stemma
suivant :440

Claud

Χ Φ Ψ

Δ Σ Θ

||
437 VERNET – GENEST, La bibliothèque, 14–16.349–356.
438 VERNET – GENEST, La bibliothèque, 27–34.119. Pour le sort des manuscrits de Clairvaux, voir
supra, 2.1.1, p. 37, sur T.
439 Tous ont été collationnés sur place, sauf Σ, pour lequel nous avons utilisé la reproduction
numérique sur le site internet de la Médiathèque de Troyes.
440 Comme celui-ci est basé uniquement sur les extraits de l’Inchoata expositio, il est impossible
d’exclure qu’une relation plus complexe entre les manuscrits émergerait d’une collation du texte
entier. RICCI propose dans CCCM 263 une édition intégrale des commentaires sur Eph. et Phil. Celle-
ci devrait éclairer quelque peu la tradition du commentaire sur Rom. : les trois commentaires sont
dans Θ, et Φ, on l’a dit, va de pair avec Paris Lat. 12.290, qui contient Eph. et Gal. Malheureusement,
la méthode éditoriale de Ricci est, à notre sens, fautive (elle ne distingue pas clairement entre leçons
partagées et erreurs partagées), mais nous rejoignons néanmoins sa conclusion que Θ est indépen-
dant de Φ / Paris Lat. 12.290.
Introduction | 97

2.5.1 Texte édité

1. (1) In epistola quam Paulus apostolus scripsit ad Romanos, quantum ex eius textu
intelligi potest, quaestionem habet talem: Utrum Iudaeis solis evangelium Domini
nostri Iesu Christi venerit propter merita operum legis; an vero nullis operum meritis
praecedentibus, omnibus gentibus venerit iustificatio fidei, quae est in Christo Iesu,
ut non quia iusti erant homines, crederent, sed credendo iustificati, deinceps iuste 5
vivere inciperent. (2) Hoc ergo docere intendit apostolus, omnibus venisse gratiam
evangelii Domini nostri Iesu Christi. Quam propterea etiam gratiam vocari ostendit,
quia non quasi debitum iustitiae redditum est, sed gratuito datum. (3) Coeperant
enim nonnulli qui ex Iudaeis crediderant tumultuari adversus gentes, et maxime
adversus apostolum Paulum, quod incircumcisos et a legis veteris vinculis liberos 10
admittebat ad evangelii gratiam, praedicans eis ut in Christum crederent, nullo
imposito carnalis circumcisionis iugo. (4) Sed plane tanta moderatione, ut nec
Iudaeos superbire permittat, tamquam de meritis operum legis, nec gentes merito
fidei adversus Iudaeos inflari, quod ipsi receperint Christum, quem illi crucifixerunt.
Tamquam enim, sicut alio loco dicit, pro ipso Domino legationem fungens, hoc est, 15
pro lapide angulari, utrumque populum tam ex Iudaeis quam ex gentibus connectit
in Christo per vinculum gratiae, utrisque auferens omnem superbiam meritorum, et
iustificandos utrosque per disciplinam humilitatis associans.
... 3. (3) Fuerunt enim et prophetae non ipsius, in quibus etiam si aliqua
inveniuntur quae de Christo audita cecinerunt, sicut etiam de Sibylla dicitur: quod
non facile crederem, nisi poetarum quidam in romana lingua nobilissimus
antequam diceret ea de innovatione saeculi, quae in Domini nostri Iesu Christi
regnum satis concinere et convenire videantur, praeposuit versum, dicens: “Ultima 5
Cumaei venit iam carminis aetas.”
(4) Cumaeum autem carmen Sibyllinum esse nemo dubitaverit. Sciens ergo
apostolus ea in libris gentium inveniri testimonia veritatis, quod etiam in Actibus
apostolorum loquens Atheniensibus manifestissime ostendit, non solum ait per
prophetas suos, (5) ne quis a pseudoprophetis per quasdam veritatis confessiones in 10

1,15 cf. 2 Cor. 5,20 16 lapide angulari] cf. Eph. 2,20 3,5sq. Verg. ecl. 4,4 8sq. cf. Act. 17,28

ΧΦΨΔΘΣ

La numérotation des chapitres et sous-chapitres correspond à celle de l’Inchoata expositio. Les


ellipses ( … ) indiquent des passage du commentaire de Claude qui ne sont pas reproduits, parce
qu’ils ne contiennent pas d’extraits de l’Inchoata expositio.
1,1 quantu Δ ‖ 2 solis om. Ψ Σ ‖ 3 nonnullis Χ (ac.) Δ ‖ 4 veniret Χ Φ Δ Σ (ac.) ‖ 9 timultuari
Χ (ac.) ‖ 10 vinculos Χ (vinculo uv. pc.) | liberis Χ (ac.) ‖ 12 plane] id agit add. Σ ‖ 13 supervire
Δ ‖ 15 legatione Σ (pc.) | fugens Χ (ac.) Φ (ac.)
3,1 fuerant Χ (ac.); hinc incipiunt excerpta in Θ extantia | si del. Σ ‖ 4 nostri om. Θ ‖ 5 concinere]
con??re Φ (ac.) | convenire] cum venire Σ | proposuit Χ ‖ 8 ea] etiam Θ
98 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

aliquam impietatem seduceretur; sed addidit in scripturis sanctis, volens enim


ostendere litteras gentium superstitiosae idololatriae plenissimas non ideo sanctas
haberi oportere, quia in eis aliquid quod ad Christum pertinet invenitur.
4. (1) Et ne quisquam etiam prophetas aliquos remotos atque alienos a gente
Iudaeorum forte praeferret, in quibus nullus simulacrorum cultus esset, quantum
attinet ad simulacra quae humana operatur manus – nam simulacra phantasmatum
suorum sectatores suos omnis error illudit – (2) ne quis tamen aliqua huiusmodi
5 praeferens, quia ibi Christi nomen ostentat, eas potius sanctas scripturas esse
asserat, non eas quae populo Hebraeorum sunt divinitus creditae, satis opportune
mihi videtur adiungere, cum dixisset in scripturis sanctis, quod adiecit: de Filio suo,
qui factus est ei ex semine David, secundum carnem. (3) David enim certe rex Iudaeo-
rum fuit. Oportebat autem ut ex illa gente orirentur Christi praenuntiatores pro-
10 phetae, ex qua gente carnem assumpturus erat quem praenuntiabant. (4) Occurren-
dum autem erat etiam illorum impietati, qui Dominum nostrum Iesum Christum
secundum hominem tantummodo, quem suscepit, accipiunt, divinitatem autem in
eo non intelligunt ab universae creaturae communione discretam, velut ipsi Iudaei,
qui Christum filium tantummodo David esse opinabantur, ignorantes excellentiam
15 qua Dominus est ipsius David, secundum id quod est Filius Dei. (5) Unde illos in
evangelio redarguit per prophetiam, quae ipsius ore prolata est. (6) Quaerit enim ab
eis, quem ipse David Dominum appellat, quomodo filius eius sit, cum deberent
utique respondere quod secundum carnem filius esset David, secundum divinitatem
autem Filius Dei et Dominus ipsius David. (7) Quod Paulus apostolus quia iam
20 didicerat, posteaquam dixit, evangelium Dei, quod ante promiserat per prophetas
suos in scripturis sanctis de Filio suo, qui factus est ei ex semine David, addidit secun-
dum carnem, ne hoc solum et totum in Christo esse arbitrarentur, quod factum erat
secundum carnem. (8) Addendo ergo secundum carnem, servavit divinitati dignita-
tem suam, quae non solum semini David, sed nec alicui angelicae aut cuiusvis
25 excelsissimae creaturae generationi tribui potest, quandoquidem ipsum est Verbum
Dei, per quod facta sunt omnia. (9) Quod Verbum ex semine David caro factum est et
habitavit in nobis. Non mutatum est aut conversum in carne, sed in carne ut carnali-
bus congruenter appareret indutum. (10) Quapropter apostolus non solum eo verbo

11 Rom. 1,2 4,7sq. Rom. 1,3 15–19 unde…David] cf. Mt. 22,42–46 26 per…omnia] cf. Io. 1,3
26sq. Verbum…nobis] cf. Io. 1,14

ΧΦΨΔΘΣ

11 addidit] didit Χ (ac.) | volens] voluit Θ


4,2 perferret Δ | nullas Χ (ac.) ‖ 3 simulacra1] phantasmatum suorum sectatores suos add. Θ (ac.)
4 inlustridit Φ (ac.) ‖ 6 non eas om. Θ | opportune] que add. Θ ‖ 7 adiunxisse Θ | quod adiecit om.
Θ ‖ 10 adsumptus Φ ‖ 13 discretum Θ ‖ 14 filium] dei add. Ψ ‖ 16 phetiam Χ (ac.); prophetiae
Δ ‖ 19 quia] qui Φ ‖ 21 ei om. Φ ‖ 25 ipsud Χ Φ Δ ‖ 26 ominia Χ ‖ 27 habitabit Χ Ψ | est om.
Θ | in3 om. Θ Σ | carne2] carnem Χ
Introduction | 99

quod ait secundum carnem humanitatem a divinitate distinxit, sed etiam illo quod
ait factus est. Non est enim factus secundum id quod Verbum Dei est. (11) Omnia 30
enim per ipsum facta sunt, nec fieri cum omnibus posset per quem facta sunt omnia.
Neque ante omnia factus est, ut per ipsum fierent omnia: ipso enim excepto, si ante
illa iam factus est, sed non essent illa omnia quae per illum fierent; nec possent vere
dici facta omnia per ipsum, in quibus ipse non esset, ipse etiam factus est. Sed
(12) et ideo apostolus cum factum diceret Christum, addidit secundum carnem, ut 35
secundum Verbum quod est Filius Dei, non factum a Deo sed natum esse monstraret.
Qui praedestinatus est Filius Dei in virtute.
5. (1) Eundem sane ipsum, qui secundum carnem factus est ex semine David,
praedestinatum dicit Filium Dei, in virtute … (14) Non itaque ex illorum mortuorum
resurrectione praedestinatus est, quos est damnaturus. Praedestinatum enim esse ex
resurrectione mortuorum, ut praecederet resurrectionem mortuorum, vult intelligi
apostolus: hos autem praecessit, qui ad ipsum caeleste regnum, quo eos praecessit, 5
secuturi sunt. (15) Propter quod non ait ‘qui praedestinatus est Filius Dei in virtute
secundum spiritum sanctificationis ex resurrectione mortuorum Iesus Christus
Dominus noster’, sed ex resurrectione mortuorum Iesu Christi, tamquam qui diceret:
‘Qui praedestinatus est Filius Dei ex resurrectione mortuorum suorum’, hoc est ad se
pertinentium in vitam aeternam; velut si interrogaretur ‘quorum mortuorum?’, et 10
responderet, ‘ipsius Iesu Christi Domini nostri’. (16) Ex resurrectione enim cetero-
rum mortuorum non est praedestinatus, quos non praecessit ad gloriam vitae
aeternae, non utique secuturos, quoniam ad poenas suas impii resurrecturi sunt.
(17) Ergo ille tamquam Filius Dei unigenitus, etiam primogenitus ex mortuis
praedestinatus ex resurrectione mortuorum. Quorum mortuorum, nisi Iesu Christi 15
Domini nostri? (4) Potest quidem etiam sic esse ordo verborum, ut non ad spiritum
sanctificationis adiungamus quod ait ex resurrectione mortuorum, sed ad id quod ait
praedestinatus est, ut ordo sit: qui praedestinatus est ex resurrectione mortuorum, cui
ordini interposita sunt haec: Filius Dei in virtute secundum spiritum sanctificationis.
(5) Et nimirum iste ordo certior et melior videtur, ut sit filius David in infirmitate 20
secundum carnem, Filius autem Dei in virtute secundum spiritum sanctificationis.

5,2 Rom. 1,4

ΧΦΨΔΘΣ

29 quod1] quo Θ | quod2] quo Χ Φ Θ Σ (ac.) ‖ 30 est2 om. Χ (ac.) ‖ 31 hominibus Θ ‖ 32sq. si …
est] omnia illa iam facta sunt Θ ‖ 33 esset Χ (ac.) | quae] nisi Θ | per om. Δ | fierent] omnia add. Θ
possunt Χ Φ Δ ‖ 34sq. ipse2 … apostolus] sed Θ ‖ 35 et om. Ψ Σ | apostolus … diceret om. Φ (ac.)
36 esset Δ (uv. ac.) ‖ 37 qui … virtute] deest in Inchoata expositione ‖ 37‒5,1 Filius … ipsum om.
Χ (ac.)
5,3 est1 om. Θ (uv. ac.) | quos] quod Φ | damnaturus] in fine add. Θ ‖ 4 resurrectionem] resurrec-
tione Χ (ac.) Ψ Δ; in praem. Χ (pc.) Φ ‖ 5 qui] quia Θ | qui … praecessit2 om. Φ ‖ 6 non om. Δ (pc.)
virte Χ ‖ 7sq. Iesus … mortuorum om. Δ ‖ 8 qui om. Θ ‖ 9 ad] a Δ
100 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

(6) Factus est ergo ex semine David, id est filius David ex mortali corpore, propter
quod et mortuus est. Praedestinatus est autem Filius Dei et Dominus ipsius David ex
resurrectione mortuorum. (7) In quantum enim mortuus est, ad id pertinet quod est
25 filius David; in quantum autem resurrexit a mortuis, ad id quod est Filius Dei et
Dominus ipsius David.
6. (1) Per quem accepimus gratiam et apostolatum. Gratiam cum omnibus
fidelibus, apostolatum autem non cum omnibus. Et ideo si tantummodo apostolatum
se diceret accepisse, ingratus exstitisset gratiae, qua illi peccata dimissa sunt:
tamquam meritis priorum operum accepisse apostolatum videretur. (2) Optime
5 itaque tenet ordinem causae, ut nemo audeat dicere vitae prioris meriti ad evange-
lium se esse perductum, quando nec ipsi apostoli, quia ceteris membris post caput
corporis supereminent, accipere apostolatum proprie potuissent, nisi prius com-
muniter cum ceteris gratiam, quae peccatores sanat et iustificat, accepissent. (3) Et
post haec addidit: ad obediendum fidei in omnibus gentibus pro nomine eius. Ad hoc
10 dicit apostolatum se accepisse, ut obediatur fidei pro nomine Domini nostri Iesu
Christi, hoc est ut credant omnes Christo et signentur in eius nomine qui salvi esse
cupiunt. (4) Quam salutem non solis Iudaeis, sicut nonnulli qui ex ipsis crediderant
arbitrabantur, venisse iam ostendit, cum ait in omnibus gentibus. In quibus estis,
inquit, et vos vocati Iesu Christi, id est ut et vos sitis eius Iesu Christi, qui omnium
15 gentium salus est, quamquam non in numero Iudaeorum, sed in numero ceterarum
gentium sitis inventi.
7. (1) Huc usque dixit ipse quis esset qui scribit epistolam. Est enim qui scribit
epistolam. Est qui scribit Paulus servus Christi Iesu, vocatus apostolus, segregatus in
evangelio Dei. (2) Sed quia occurrebat ‘quod evangelium?’ respondit: quod ante
promiserat per prophetas suos in scripturis sanctis de Filio suo. Item quia occurrebat
5 ‘de quo Filio suo?’ respondit: qui factus est ei ex semine David secundum carnem, qui
praedestinatus est Filius Dei in virtute secundum spiritum sanctificationis ex resurrec-
tione mortuorum Iesu Christi Domini nostri. (3) Et quasi diceretur ‘quomodo tu ad
eum pertines?’ respondit: per quem accepimus gratiam et apostolatum, ad oboedien-
dum fidei in omnibus gentibus pro nomine eius. (4) Item quasi diceretur ‘quae igitur
10 causa est ut scribas ad nos?’ respondit: in quibus estis et vos vocati Iesu Christi. (5)

6,1 Rom. 1,5 9 Rom. 1,5 13sq. Rom. 1,6

ΧΦΨΔΘΣ

22 id est om. Θ | id … David2 om. Φ (ac.) ‖ 23 et2 om. Θ ‖ 24 resurrectionem Χ ‖ 26 David]


deinde subiuncxit add. Δ Σ
6,2 cum om. Δ (ac.) ‖ 3 ingratis Χ (ac.) Δ; ingratas Φ (ac.) | dimissa om. Θ (ac.) ‖ 4 tamquam] et
praem. Θ | apostolatum] apostolorum Θ (del.) ‖ 5 meritis Θ Σ (pc.) ‖ 6 quia] quia a Χ Φ ; qui Θ
7 potuissent] potuisset Χ (ac.) ‖ 8 gratiamque Δ ‖ 11 eius] eo in Φ ‖ 13 arbitrantur Θ
7,2 est qui scribit om. Θ | qui Ψ; quae Χ Φ Δ; quod Σ ‖ 3 evangelium Θ ‖ 5 ei om. Θ ‖ 9 quae]
quem Δ
Introduction | 101

Nunc deinde adiungit ex more epistolae quibus scribat: omnibus, inquit, qui sunt
Romae, dilectis Dei, vocatis sanctis. Etiam hic significavit benignitatem Dei potius
quam meritum illorum. Non enim ait ‘diligentibus Deum’ sed dilectis Dei. (6) Prior
enim dilexit nos ante omnia merita, ut nos eum dilecti diligeremus. (7) Unde etiam
addidit vocatis sanctis. Quamquam enim sibi quis tribuat quod vocanti obtemperat, 15
nemo potest sibi tribuere quod vocatus est. Vocatis autem sanctis, non ita intelligen-
dum est, tamquam ideo vocati sunt, quia sancti erant, sed ideo sancti effecti, quia
vocati sunt.
8. (1) Restat ergo ut salutem dicat, ut compleatur usitatum epistolae principium,
tamquam ille illis salutem. Pro eo autem ac si diceret salutem, gratia vobis et pax a
Deo Patre nostro et Domino Iesu Christo. Non enim omnis gratia a Deo est. (2) Nam et
iudices mali praebent gratiam in accipiendis personis aliqua cupiditate illecti aut
timore perterriti. (3) Neque omnis pax Dei est, vel ab illo, unde ipse Dominus dis- 5
cernens ait: Pacem meam do vobis, adiungens etiam et dicens non se talem pacem
dare, qualem dat hic mundus. (4) Gratia est ergo a Deo Patre et Domino Iesu Christo,
qua nobis peccata remittuntur, quibus adversabamur a Deo, pax vero ipsa qua
reconciliamur Deo. (5) Cum enim per gratiam remissis peccatis absumptae fuerint
inimicitiae, restat ut pace adhaereamus illi, a quo nos sola peccata dirimebant. 10
11. (1) Quod autem apostolus gratiam et pacem a Deo Patre et Domino Iesu
Christo dicit, non adiungens etiam Spiritum sanctum, non mihi alia ratio videtur,
nisi quia ipsum donum Dei Spiritum sanctum intelligimus. Gratia porro et pax, quid
aliud quam donum Dei? (2) Unde nullo modo dari hominibus gratia potest qua
liberamur a peccatis, et pax qua reconciliamur Deo, nisi in Spiritu sancto. Et ideo et 5
ipsa Trinitas pariterque incommutabilis in ista salutatione cognoscitur.

7,11sq. Rom. 1,7 13sq. prior…nos1] cf. 1 Io. 4,19 8,2sq. Rom. 1,7 6 Io. 14,27

ΧΦΨΔΘΣ

11 scribit Θ | inquid Χ Ψ ‖ 12 Dei1 om. Χ (ac.) ‖ 13 merito Δ | dilectis] dili??tis Φ (ac.) ‖ 14 eum
om. Θ ‖ 15 quod] quot Θ ‖ 16 nemo] tamen add. Σ | sibi om. Χ (ac.) ‖ 17 sunt] sint Θ | effecti]
vocati Φ (ac.)
8,2 salutem1] mandet add. Χ (ac.); dicat add. Θ | autem ac si] ut Θ | gratia] inquit add. Σ ‖ 5 Dei]
deo Θ ‖ 6 ait] sequitur verbum erasum in Ψ ‖ 7 Domino] nostro add. Θ ‖ 8 adversabamus Ψ (uv.)
a om. Σ (ac.) | ipsa] est add. Χ ‖ 9 gratia Φ Δ | adsumptae Δ ‖ 10 adhaeramus Φ
11,4 gratiam Χ (ac.) Φ ‖ 5 et2 om. Θ ‖ 6 pariterque] pariter Θ
102 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

2.5.2 Notes sur le texte de Claude

Problèmes en rapport avec le stemma


1,1 omnibus gentibus venerit iustificatio fidei : veniret Χ Φ Δ Σ (ac.) : C’est la seule
erreur de Χ Φ Δ à se retrouver dans Σ, et encore y fut-elle corrigée. Plutôt que de
supposer une contamination, il faut voir ici une faute facile, qui s’est reproduite
indépendamment dans deux branches de la tradition.
4,9 et habitavit in nobis : habitabit Χ Ψ : Le remplacement de b par v est fréquent
dans tout le Moyen Âge latin, et n’est pas une faute commune qui pointerait
vers une relation généalogique, surtout qu’ici il suffisait de corriger par le texte
de Io. 1,14, que tout chrétien un peu lettré connaissait par cœur.
4,10 apostolus non solum eo verbo quod ait … sed etiam illo quo ait : quod] quo Θ ;
quod] quo Χ Φ Θ Σ (ac.) : Si, dans le premier cas, il s’agit d’une correction de Θ,
le second est plus difficile à évaluer, puisque la répartition des leçons ne cor-
respond guère au stemma (même problème dans le texte même de l’Inchoata
expositio). Nous avons préféré quod, pour la symétrie de la construction.
Entre 5,7 et 6,1 deinde subiunxcit Δ Σ : Cette petite phrase pour introduire le lemme
suivant n’est pas dans l’Inchoata expositio. Il ne semble pas non plus être
l’œuvre de Claude, dont l’habitude est d’introduire un lemme sans mots de liai-
son. Or il est possible que deux scribes différents aient eu l’idée de créer çà et là
une transition moins brusque.441 Mais il est improbable qu’ils l’aient fait indé-
pendamment avec les mêmes mots au même endroit. Il faut plutôt supposer une
contamination entre un ancêtre de Δ et un ancêtre de Σ.

Conjectures dans Σ442


Σ, comme l’autre manuscrit de Clairvaux auquel nous avons affaire (T), tend à amé-
liorer le texte par conjecture. Citons les cas suivants :

1,1 omnibus gentibus venerit iustificatio fidei : veniret Σ (ac.) ; venerit Σ (pc.) :
venerit est appelé par venerit immédiatement avant, pour assurer le symétrie des
temps dans les deux clauses de la question indirecte. Mais venerit fut peut-être
la leçon de l’exemplaire de Σ (vide supra).
1,4 sed plane tanta moderatione : add. id agit Σ : Le texte d’Augustin nous oblige
soit à comprendre 1,3s. comme une très longue phrase plutôt maladroite, soit à

||
441 Dans la branche Ξ de la tradition de l’Inchoata expositio, que nous croyons correspondre au
texte d’Augustin ici, la transition est faite par inquit au milieu du lemme de 6(1). Mais cet inquit ne
figure pas dans la branche Λ, y compris chez Claude.
442 Nous parlerons ici des corrections ou conjectures « de Σ », et plus bas de celles « de Θ » par
économie d’expression. Rien ne permet en fait d’affirmer que ce sont les scribes de ces manuscrits
mêmes, et non pas ceux de leurs ancêtres, qui sont à l’origine de toutes ces corrections.
Introduction | 103

voir 1(4) comme une phrase sans verbe principal. Plutôt que de trancher, Σ
ajoute un verbe.
2,4 pro ipso Domino legationem fungens : legatione Σ (pc.) : Σ corrigé rétablit
l’usage classique de l’ablatif avec fungor.
3,3 in quibus etiam si aliqua inveniuntur : in quibus etiam aliqua inveniuntur Σ
(pc.) : etiam si, la leçon de Claude, vient de l’archétype de l’Inchoata expositio.
Mais en fait ce si fait appel à une apodose qui n’apparait jamais. Le correcteur
de Σ, comme plusieurs manuscrits et tous les éditeurs de l’Inchoata expositio
avant nous, règle le problème en se débarrassant de si.443
4,9 sed in carne ut carnalibus congruenter appareret indutum : in om. Σ : Le passif
d’induo se construit avec l’accusatif ou l’ablatif, sans préposition. Σ corrige et
retrouve le texte d’Augustin. Même correction dans Θ.
6,2 nemo audeat dicere vitae prioris meriti ad evangelium se esse perductum :
meritis Σ (pc.) : Le correcteur de Σ a réussi à rétablir la bonne leçon de l’Inchoata
expositio. Même correction dans Θ.
7,1 est enim qui scribit epistolam: est qui scribit Paulus servus Iesu Christi : est qui
scribit Ψ ; est quae scribit Χ Φ Δ ; est quod scribit Σ ; om. Θ : Cette redondance se
retrouve sous diverses formes dans la majorité des manuscrits Λ de l’Inchoata
expositio. Pour Claude, nous avons préféré la leçon de Ψ, manuscrit qui pré-
sente généralement un texte meilleur. Mais Σ a vu que cette leçon était dépour-
vue de sens. Sa modification de qui en quod est à comparer avec la conjecture
sunt quibus scribit ici dans les manuscrits T V de l’Inchoata expositio.
8,1 pro eo autem ac si diceret salutem: gratia vobis et pax a Deo Patre nostro : gra-
tia inquit vobis Σ : Σ a pu ressentir qu’introduire le lemme dans une phrase sans
verbe principal n’était pas dans la manière de l’auteur que cite Claude.444 Augus-
tin avait en effet écrit gratia vobis inquit, ce que Σ est près de retrouver.

Conjectures dans Θ
Θ lui aussi contient un nombre de leçons uniques. Malgré son indépendance des
autres branches de la tradition, il ne s’agit pas de leçons authentiques pour Claude,
mais d’efforts pour corriger les irrégularités de celui-ci, ou les fautes caractéristiques
de la branche Λ de l’Inchoata expositio.

3,5 volens enim ostendere litteras gentium : voluit Θ : Le texte transmis de Claude
avait remplacé le utique d’Augustin avec enim, qui demandait une nouvelle
proposition indépendante, et non le complément participial qui termine la
phrase de 3,4s. Θ transforme donc le participe en verbe conjugué.

||
443 Voir infra, 2.8, note critique ad loc.
444 Impossible de savoir si Σsavait que cet auteur était Augustin, mais cela nous semble fort
probable.
104 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

4,9 non mutatum est aut conversum in carne : est om. Θ : La bonne leçon pour
l’Inchoata expositio, c’est non mutatum et conversum in carnem. Mais Claude
avait affaire au texte Λ, où on lisait non mutatum est conversum in carnem, et
avait ajouté aut pour éviter le non-sens. Θ a ressenti qu’il n’y avait pas lieu de
commencer une nouvelle phrase après habitavit in nobis, et a réussi à se rappro-
cher du texte d’Augustin en effaçant est.
4,9 sed in carne ut carnalibus congruenter appareret indutum : in om. Θ : Vide
supra sur Σ.
4,11s. Neque ante omnia factus est, ut per ipsum fierent omnia: ipso enim excepto,
si ante illa iam factus est, sed non essent illa omnia quae per illum fierent, nec
possent vere dici facta omnia per ipsum, in quibus ipse non esset, ipse etiam
factus est. Sed et ideo apostolus cum factum diceret Christum …] Neque ante
omnia factus est, ut per ipsum fierent omnia: ipso enim excepto, omnia illa iam
facta sunt, sed non essent illa omnia quae per illum fierent, nec possent vere
dici facta omnia per ipsum, in quibus ipse non esset. Sed cum factum diceret
Christum … Θ; Neque ante omnia factus est, ut per ipsum fierent omnia: ipso
enim excepto, si ante illa iam factus esset, non essent illa omnia quae per il-
lum fierent, nec possent vere dici facta omnia per ipsum, in quibus ipse non es-
set, si ipse etiam factus esset. Et ideo apostolus cum factum Deo diceret Chris-
tum … Inchoata expositio : Ce passage est corrompu dans la branche Λ de
l’Inchoata expositio, y compris dans le texte de Claude. Augustin avait deux fois
écrit esset, qui a été transformé en est sed. Puis un si a disparu. Par conséquent,
si le sens général du passage est resté clair, l’enchevêtrement des phrases est
tombé à l’eau. Θ s’est permis des corrections radicales.
5,15 tamquam qui diceret: qui praedestinatus est Filius Dei ex resurrectione mortuo-
rum suorum : qui om. Θ : Augustin avait écrit tamquam si diceret. La branche Λ
de l’Inchoata expositio avait remplacé ce si par qui, ce qui est maladroit mais
donne encore un sens possible. Mais Θ préfère éliminer la maladresse, rejoi-
gnant ainsi une correction des manuscrits T V de Λ.445
6,1 ingratus exstitisset gratiae, qua illi peccata dimissa sunt: tanquam meritis prio-
rum operum accepisse apostolatum videretur : et tamquam Θ ; tamquam enim
Inchoata exposito : La disparition du enim d’Augustin dans la branche Λ de la
tradition crée une asyndète, dont Θ se débarrasse à sa façon.
6,2 nemo audeat dicere vitae prioris meriti ad evangelium se esse perductum :
meritis Θ : Vide supra sur Σ.
6,2 nec ipsi apostoli, quia ceteris membris post caput corporis supereminent, acci-
pere apostolatum proprie potuissent : quia a Χ Φ ; qui Θ : C’est quia qui doit être

||
445 Voir infra, 2.8, note critique ad loc.
Introduction | 105

la leçon de Claude, mais elle crée un contresens. Θ réussit à retrouver le texte


d’Augustin.
7,1 est enim qui scribit epistolam: est qui scribit Paulus servus Iesu Christi : est qui
scribit Ψ ; est quae scribit Χ Φ Δ ; est quod scribit Σ ; om. Θ : Θ élimine tout sim-
plement l’ajout de la branche Λ de l’Inchoata expositio, rejoignant ainsi le texte
de la branche Ξ, que nous pensons être celui d’Augustin (vide supra sur Σ).
8,1 ut compleatur usitatum epistolae principium, tamquam ille illis salutem : salu-
tem dicat Θ : Θ a voulu donner la forme complète de l’usitatum principium des
lettres latines. La même leçon se trouve dans les manuscrits d de la branche Λ
de l’Inchoata expositio. Mais ni le stemma de Claude ni celui de l’Inchoata ex-
positio ne permet de la considérer comme la leçon originale de Λ. Il faut plutôt
supposer que cette correction a eu lieu de façon indépendante dans Θ et d.
Comparer X (ac.) : salutem mandet.
11,2 et ideo et ipsa Trinitas pariterque incommutabilis in ista salutatione cognosci-
tur : et ideo ipsa … pariter Θ : Θ corrige (1) une faute caractéristique du texte de
l’Inchoata expositio chez Claude,446 retrouvant ainsi le bon texte pour Augustin ;
(2) une faute de l’archétype de l’Inchoata expositio. Dans ce deuxième cas, sa
conjecture est moins heureuse.

Pour le reste, ni les corrections de Σ ni celles de Θ ne donnent d’indications proba-


toires que leur texte aurait été contaminé par la collation avec un manuscrit du texte
même de l’Inchoata expositio.447

2.5.3 Modifications de Claude

Claude lui aussi a modifié le texte augustinien, pour faciliter les transitions dans son
propre commentaire. Ces modifications ne sont pas des vraies variantes pour Augus-
tin, et ne figurent donc pas dans notre apparat critique de l’Inchoata expositio.

||
446 Du moins dans son commentaire sur Rom. Dans le texte édité du commentaire sur Eph., la
seule leçon attestée est et ideo ipsa (CCCM 263, 8), la leçon de Ξ, et la bonne, selon nous. Tous les
témoins de Λ hormis Claude lisent ideo et ipsa. On peut imaginer différentes explications de ces
désaccords, mais il est impossible d’être certain quant à la leçon de l’exemplaire de Claude. En 11,1,
CCCM 263, 8 rapporte la leçon domino n o s t r o , sans variante, leçon attestée par une partie de la
tradition de l’Inchoata expositio, mais rejetée par nous, et absente des manuscrits de Claude sur
Rom. De fait, dans Paris Lat. 12.290, seul manuscrit du commentaire sur Eph. que nous avons pu
vérifier (sur la reproduction digitale de la microfiche), nostro est absent.
447 RICCI (CCCM 263, xxxviiii–xli) note cependant dans Θ des corrections d’après les sources de
Claude. Elle propose aussi que certaines corrections de Θ pourraient éventuellement indiquer une
révision du commentaire par Claude lui-même.
106 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

entre 4,12 et 5,1 : Qui praedestinatus est Filius Dei in virtute Claud : Le lemme a été
ajouté par Claude, l’Inchoata expositio étant rédigé en texte suivi, sans lemmes.
5,15 Propter quod non ait: Qui praedestinatus est Filius Dei in virtute secundum
spiritum sanctificationis ex resurrectione mortuorum Iesus Christus Domi-
nus noster; sed, ex resurrectione mortuorum Iesu Christi … Claud : Propter
quod non ait: Qui praedestinatus est Filius Dei ex resurrectione mortuorum
Iesus Christus Dominus noster; sed, ex resurrectione mortuorum Iesu Christi
Domini nostri Inchoata expositio : Claude, par souci de clarté, s’est décidé à re-
prendre presque la totalité de Rom. 1,4. L’allongement de la première partie de
cette phrase a peut-être conduit au raccourcissement de la seconde, mais ceci
est moins certain, et nous admettons donc l’omission de Domini nostri dans
l’apparat de l’Inchoata expositio.
6,3 Et post haec addidit: Ad obediendum fidei in omnibus gentibus pro nomine
eius … Claud : quod autem subiungit Inchoata expositio : Claude, on l’a vu, pré-
fère aligner les lemmes sans transition. Il devait trouver la transition
d’Augustin, qui plaçait le lemme au milieu d’une proposition dépendante, un
peu trop complexe. Plutôt que de la supprimer, il la remplace.

2.6 Commentaire anonyme dans Paris Lat. 11.574


Nous appelons Germ les extraits de l’Inchoata Expositio dans le manuscrit Paris,
Bibliothèque Nationale, Latinus 11.574. Il s’agit d’un manuscrit de s. 91/2, d’origine
française (Corbie ?), en minuscule carolingienne,448 contenant un commentaire sur

||
448 Pour la datation, voir BISCHOFF, Katalog, t. 3, no. 4691. Bischoff avait auparavant (Manuscripts
and Libraries, 111–113 ; voir aussi BOODTS, The Reception, 440s.) affirmé que le manuscrit serait tout
ce qui reste d’une catena sur une grande partie de la Bible, commandée par Louis le Pieux, et avait
proposé comme exécuteur de ce projet Hélisachar, chancelier de Louis le Pieux, et abbé de Saint-
Riquier, puisque Paris Lat. 17.146, donné par Hélisachar à Saint-Riquier, serait une source directe de
Paris Lat. 11.574. Mais GORMAN, Paris lat. 12,124, affirme que rien ne relie ces deux manuscrits, et ne
croit pas à l’existence de la catena. Il admet cependant que Paris Lat. 11.574 puisse provenir soit de
Saint-Riquier, soit de Corbie (même avis chez BOODTS, The Reception, 442s. ; nous remercions Mme
Boodts pour son aide sur Germ). Il a aussi confirmé l’hypothèse de Bischoff que Paris Lat. 12.124
(Origène, in Rom.) fut une source directe de Paris Lat. 11.574. Or, Paris Lat. 12.124 figure dans le
catalogue de Corbie de s. 12ex. (COYECQUE, Catalogue, xviii, no. 231). Y fut-il écrit ? Pour BISCHOFF
(Katalog, t. 3, no. 4731), Paris Lat. 12.124 fut copié c. 800 dans le nord-ouest de la France. Mais selon
Colleen Curran (per litteras), le manuscrit fut certainement écrit par un scribe insulaire. Elle note
aussi des traits insulaires chez le copiste de Paris Lat. 11.574, mais admet que ce dernier manuscrit
fut copié sur le continent. Mlle Curran (que nous remercions pour son aide) voit Corbie comme un
lieu probable pour de tels échanges de tradition entre scribes insulaires et continentaux. On associe
volontiers la riche bibliothèque et le haut niveau d’activité intellectuelle de Corbie avec le travail
très savant que présente notre manuscrit.
Introduction | 107

l’épître aux Romains, formé, comme celui de Claude de Turin, entièrement d’extraits
patristiques. On ne connait aucune autre copie de ce commentaire, qui n’a jamais
été imprimé. Le manuscrit était peut-être à Angers au 11ème siècle, puisqu’un bifo-
lium écrit en cette ville à cette époque y a été inséré avant le premier folio.449 À un
moment inconnu, le manuscrit est entré à Saint-Germain-des-Prés, d’où il sera
transféré en 1795/1796 à la Bibliothèque Nationale.450
Pour le fond et la forme, le commentaire de Paris Lat. 11.574 est le fruit d’un tra-
vail considérable. Le manuscrit est de grand format (42 × 30 cm), écrit sur deux co-
lonnes. Les lemmes de Rom. sont en lettres onciales rouges, et, pour chaque extrait,
l’auteur et (dans certains cas) l’œuvre sont indiqués en bleu ou rouge.451 Le commen-
taire comporte « 841 extraits d’ouvrages des Pères de l’Église ».452 On ne dispose pas
d’une liste complète de ces extraits,453 mais Gorman souligne à juste titre leur grande
diversité, et affirme ne connaitre aucun commentaire carolingien où les sources sont
identifiées avec un tel degré de précision.454
Le compilateur se démarque aussi en déployant, pour commenter Rom. 9, un
texte rare : le De induratione cordis Pharaonis (CPL 729), attribué dans la tradition
médiévale, y compris dans Paris Lat. 11.574, à Jérôme,455 mais qui est en fait l’œuvre
de Pélage, ou d’un de ses disciples.456 Il ne faut pas voir dans l’utilisation de ce texte
un choix fortuit : l’extrait est vraisemblablement le plus long de toute la compila-

||
449 GORMAN, Paris lat. 12124, 77.
450 DELISLE, Le cabinet, t. 2, 5s.
451 Pour des descriptions plus détaillées, voir GORMAN, Paris lat. 12124, 77s. ; BOODTS, The Re-
ception, 437–439 (qui note que le manuscrit comporte une lacune et semble avoir perdu on ou
plusieurs folios à sa fin).
452 FRANSEN, Le dossier, 464. L’auteur affirme aussi (465) que le commentaire puise aux travaux
analogues de Bède le Vénérable et Raban Maur sur Rom. GORMAN, Paris lat. 12124, ne semble pas
partager ces conclusions, mais BOODTS, The Reception (passim) montre l’emploi de Bède. Si Fransen
a raison sur Raban, la compilation est postérieure à celle de Raban, vraisemblablement écrite entre
828 et 836 (Raban Maur, epist. 24, MGH Ep. V, 430, semble indiquer que ses commentaires sur Paul
furent écrits pendant le séjour de Servatus Lupus à Fulda, qui daterait de ces années : voir E.
DÜMMLER, MGH Ep. VI, 1s.).
453 GORMAN, Paris lat. 12124, 102–128 fournit un échantillon des sources ; des compléments dans
BOODTS, The Reception, surtout sur les sources augustiniennes.
454 GORMAN, Paris lat. 12124, 78s.
455 De même, les extraits du commentaire de Pélage sur Rom. dans le manuscrit sont attribués soit
à Iohannes soit à Victor episcopus (BOODTS, The Reception, 440, n. 10).
456 Pour la tradition manuscrite du De induratione, voir NUVOLONE-NOBILE, Problèmes : l’auteur
connaissait 9 manuscrits du texte, dont le plus ancien est de s. 11. L’édition critique du texte annon-
cée dans cet article n’a jamais vu le jour, et tout nouvel éditeur devra se servir de Paris Lat. 11.574,
que Nuvolone-Nobile ne mentionne pas. BOODTS (The Reception, 446) indique la présence d’un
autre extrait du De induratione dans le commentaire sur Rom. 8,28–30.
108 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

tion,457 et il comporte un enseignement nettement opposé à celui d’Augustin sur ce


que signifiait Rom. 9 pour le rapport entre la grâce et le libre arbitre. Or, Augustin
avait étalé sa propre interprétation de Rom. 9 dans quaest. Simpl., ouvrage cité ail-
leurs dans Paris Lat. 11.574. Le compilateur a donc délibérément écarté la doctrine
augustinienne en faveur d’une interprétation — pour lui hiéronymienne — qui don-
nait un tout autre rôle à la liberté humaine.
Il est ensuite tentant de voir dans le commentaire de Paris Lat. 11.574 un élé-
ment de la longue controverse (849–860) sur la grâce et le libre arbitre soulevée par
les écrits de Gottschalk d’Orbais.458 En effet, dans cette dispute où l’arme principale
était les citations patristiques, le De induratione joue un rôle assez considérable.
Hincmar se sert du texte dans son premier traité contre Gottschalk, le Ad reclusos et
simplices, écrit vraisemblablement en 850.459 Dans une lettre de Raban Maur à
Hincmar de la même année, nous apprenons que Gottschalk avait reproché à Hinc-
mar d’être « séduit » par le texte, dont Gottschalk semble avoir mis en doute
l’authenticité hiéronymienne.460 Nous apprenons de même par le De tribus epistolis
de Florus de Lyon, écrit en 852 ou 853,461 que Pardulus de Laon, autre opposant de
Gottschalk, affirmait lui aussi que le traité était de Jérôme.462 En réponse, Florus dit
ne trouver aucune mention du traité dans les autres œuvres de Jérôme, mais ajoute :

||
457 L’extrait se trouve aux folios 58r–60r. Il correspond aux passages suivants dans le texte de PLS
1, 1506–1539 : Cum enim nondum [§13] … in contumeliam [§18] ; Quae quaestio [§22]… invenerit men-
tem [§28] ; cum ergo [§30] … nescio Deum [§31] ; superest de proposita [§34] … contumeliae perversus
[§39] ; habet enim potestatem [§41] … vas honoris efficiatur [§45]. Nous n’indiquons pas de petites
coupures à l’intérieur de ces extraits. Un annotateur carolingien a comparé les extraits avec un
exemplaire du texte complet du De induratione, pour indiquer en marge certains des passages
sautés par le compilateur. On lit ainsi : hic minus habetur quam beatus Ieronymos dixisset multum
(58v) ; hic minus est (ibid.) ; hic minus habetur (59r) ; et hic minus (ibid.). La même main a ajouté en
marge au folio 58v une phrase sautée par le compilateur (ou son copiste : nous ne savons pas si
Paris Lat. 11.574 est l’original de cette compilation, comme le rappellent GORMAN, Paris lat. 12124, 79
et BOODTS, The Reception, 438.442).
458 Voir l’étude exhaustive de DEVISSE, Hincmar, 115–153.187–279 ; bibliographie supplémentaire
en BOODTS, The Reception, 443s.
459 DEVISSE, Hincmar, 134.
460 Raban Maur, epist. 44, MGH Ep. V, 492s. : Vos seductos esse asserit stilo cuiusdam libelli, qui
fertur esse Hieronimi, de induratione cordis Pharaonis, ut diceretis non Deum indurasse cor Pharaonis,
sed indurari permisisse. Il est difficile de savoir si c’est à Gottschalk, ou à Raban lui-même, qu’il faut
attribuer le fertur. En tout cas, pour Gottschalk, ni Jérôme, ni aucun autre père de l’Église, n’est une
autorité absolue : tous peuvent se tromper (pour Jérôme, voir De praedestinatione 13 [= LAMBOT,
Œuvres, 235s.] ; à Responsa de diversis 4 [ibid. 138–145], Gottschalk signale des erreurs chez Cy-
prien, Grégoire de Nazianze, Jérôme, Augustin, Grégoire le Grand, et le grammairien Priscien).
Augustin lui-même ne pensait pas autrement : c. Faust. 11,5 ; epist. 82,3.24.
461 Voir ZECHIEL-ECKES, Florus, 135–137.
462 Florus de Lyon, De tribus epistolis (CCCM 260, 399). Voir aussi idem, Libellus de tenenda
immobiliter scripturae sanctae veritate (CCCM 260, 454).
Introduction | 109

sed quia nos huiusmodi libellum numquam vidimus, utrum ille, qui apud istos inve-
nitur, et stili gravitate et fidei sinceritate eius esse credendus sit, tamquam de ignoto
iudicare non possumus.463 Enfin, dans son troisième et dernier traité sur la prédesti-
nation, écrit en 859–860, Hincmar prend lui-même note des doutes sur l’authenti-
cité du De induratione. Il évite de se prononcer sur la question, mais s’incline dans
la mesure où il ne cite plus le texte dans ce traité.464
Sur la base de ces faits, on peut supposer que le commentaire de Paris Lat.
11.574 émane du milieu d’Hincmar et de Pardulus, et avait pour but de fournir, sur le
texte biblique de référence dans ce débat, une lecture radicalement opposée à la
double prédestination de Gottschalk. Il y a cependant deux obstacles à cette hypo-
thèse : (1) elle exige que l’on avance la date assignée au manuscrit par les paléo-
graphes ; (2) il n’y a aucune mention de ce commentaire dans tout le dossier de la
controverse, ce qui, étant donnée l’ampleur du travail, ne laisse pas de surprendre,
si vraiment il fut écrit pour réfuter Gottschalk. Retenons en tout cas que le commen-
taire est en soi un témoignage du grand intérêt que soulevait la question de la pré-
destination dans les milieux cultivés du 9ème siècle en Francie. Il se peut par exemple
que Gottschalk ait lu à Corbie soit Paris Lat. 11.574, soit la copie du De induratione
dont la compilation tire ses extraits, et que cette lecture ait stimulé ses propres ré-
flexions.465
Du reste, la présence dans Paris Lat. 11.574 d’extraits de l’Inchoata expositio
correspond à la volonté du compilateur de fournir une alternative à la vision rigide
de la prédestination enseignée par Augustin à partir de quaest. Simpl., et qui est
absente de l’Inchoata expositio.466

||
463 Ibid. 400.
464 Hincmar de Reims, De praedestinatione Dei 1 (PL 125, 74). Pour la datation, voir DEVISSE,
Hincmar, 227, et voir ibid. 234, n. 230.237 pour l’absence de citations du De induratione.
465 Pour le séjour probable de Gottschalk à Corbie en 829 ou peu après, voir L. TRAUBE, MGH Ant.
3, 709s. Il y a un écho de Inchoata expositio 5,15 en Gottschalk, De praedestinatione 24 [= LAMBOT,
Œuvres, 344] : ‘ex resurrectione mortuorum Iesu Christi domini nostri’ nihil est aliud quam ex resurrec-
tione mortuorum suorum. Germ serait-il la source de Gottschalk, chez qui LAMBOT (op. cit.) n’indique
aucun autre extrait de l’Inchoata expositio ?
466 Nos conclusions rejoignent partiellement celles de BOODTS, The Reception, qui étudie en détail
la sélection des extraits augustiniens sur Rom. 8,28–30 : « We find that the compiler has not exclu-
sively focussed on Augustine’s later exegesis of Rom. 8,28–30, on those works that are associated
with Augustine’s later, more rigid doctrine of grace » (453s.). BOODTS (456) est d’avis que le commen-
taire fut probablement compilé avant le début de la controverse lancée par Gottschalk, et que le
compilateur ne prend pas position sur la question de la prédestination.
110 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

Les extraits (Germ) de l’Inchoata expositio dans le manuscrit sont chacun pré-
cédés d’un lemme, et d’une indication de provenance, sous la forme :
A(U)G(USTINU)S, Ex lib(ro) ad Rom(anos).467 Ils sont les suivants :

 3r. L e m m e : Vocatus Apostolus. E x t r a i t : breviter in (2,1) … superbire


admoneat (3,1).
 3r. L e m m e : Quod ante promiserat per prophetas suos. E x t r a i t : siquidem
de populo (3,2) … divinitus creditae (4,2).468
 3v. L e m m e : De filio suo. E x t r a i t : David enim (4,3) … esse monstraret
(4,12).
 4r. L e m m e : Qui praedestinatus est filius Dei. Et cetera. E x t r a i t : eundem
sane (5,1) … domini nostri (5,17).469
 4v. L e m m e : Per quem accepimus gratiam. E x t r a i t : gratiam cum omni-
bus (6,1) … Iesu Christi (7,4).470
 4v. L e m m e : dilectis dei, vocatis sanctis. E x t r a i t : hic significavit (7,5) …
pax erit (8,6).

Comme le montrera l’apparat critique, le texte excerpté par Germ appartenait certai-
nement à la famille Λ de la tradition de l’Inchoata expositio, sans se ranger claire-
ment avec une branche de cette famille.471 Il a aussi des erreurs qui lui sont
propres :472 si ceux-ci étaient dans son exemplaire (ce qui est indémontrable), celui-
ci ne peut être la source de la famille Λ.

2.7 Clausules
Augustin a-t-il écrit l’Inchoata expositio dans une prose rythmée ? Un réponse posi-
tive aiderait l’éditeur à choisir entre les variantes. Di Capua a déclaré que l’œuvre

||
467 En contraste, les extraits de in Rom. ont le libellé Ex q(uae)s(tionibus) ad Rom(anos) (e.g. 5r ;
9r ; 13v ; 14r ; 19r ; 19v ; 21r).
468 Dans l’Inchoata expositio, mais non pas dans Germ, cet extrait suit immédiatement le précé-
dent.
469 Même remarque.
470 Même remarque.
471 Fautes que Germ partage avec d’autres témoins : 3,1 in Christum] Christum E Germ  ; 3,3 crede-
rem] credere O (ac.) Germ ; 3,4 per prophetas] per om. K Germ (ac.) ; 5,9 sedet] sedit S U Germ ; 5,13
decebat] dicebat E V Germ (ac.) Am ; 6,2 meritis] meriti O (ac. ; uv.) E Claud. Germ Am ; 7,7 quis] qui O
(ac.) Germ Am. Il peut facilement s’agir dans tous ces cas de pures coïncidences.
472 Fautes uniques : 5,11 qua] quae ; 6,1 qua] quia ; 6,2 cardinem] consuetudinem Germ (pc. ; lectio
ac. non liquet). Deux modifications sont dues au compilateur : 2,1 discernit] discernit apostolus ; 7,5
etiam hic] hic enim.
Introduction | 111

était plus rythmée que in Rom. et in Gal.,473 mais il n’en fournit pas de preuves, et la
question ne semble pas avoir été autrement étudiée.
Augustin affirme lui-même avoir généralement écrit, dans une certaine mesure,
une prose rythmée : in meo eloquio, quantum modeste fieri arbitror, non praetermitto
istos numeros clausularum (doctr. christ. 4,117).474 Malheureusement, il n’indique ni
la nature du numerus, ni les limites à entendre par quantum modeste.
Les spécialistes modernes, qui se sont généralement limités à étudier les fins de
phrases, dites « clausules », distinguent trois types de rythme dans la prose latine. À
l’époque classique, on aurait fondé le rythme sur la longueur des syllabes (« clau-
sules quantitatives »). Plus tard, quand on n’entendait plus ces quantités, serait
survenu un nouveau système, fondé sur l’accent tonique (« cursus tonique »). Dans
une période intermédiaire, on aurait organisé les clausules quantitatives de façon à
construire en même temps un rythme tonique (« cursus mixtus »). Nombre d’études
ont tenté d’identifier ces différents rythmes dans divers écrits d’Augustin,475 et on a
cru y retrouver des traces des trois systèmes. Qu’en est-il de notre texte ?

2.7.1 Méthodologie

Dans le domaine de la prose rythmée, l’accord est loin d’être fait, que ce soit sur
l’objet de la recherche ou sur le meilleur moyen d’obtenir des résultats. Nous nous
sommes donc contenté d’examiner les fins de phrase selon les indications de base
des manuels (LHS, 2, 714–721 ; STOTZ, Handbuch, t. 4, 482–487). Autrement dit,
seront considérées comme clausules quantitatives les unités crétique + spondée,
crétique + crétique, trochée + spondée, et crétique avec résolution de la deuxième
syllabe longue + spondée.476 Les quatre formes reconnues du cursus tonique seront
le cursus planus, le cursus tardus, le cursus velox et le cursus trispondaicus. Quant
au cursus mixtus, on l’identifiera aux fins de phrase qui surimposent des éléments
des deux listes. Les fins de phrase qui n’entrent dans aucune de ces catégories se-
ront considérées comme arythmiques.
En partant de l’édition CSEL 84, toutes les fins de phrase ont été prises en con-
sidération,477 sauf celles se terminant par une citation biblique, puisqu’en principe
Augustin ne modifie pas le texte de la Bible à des fins rhétoriques. Ces phrases ne

||
473 Il ritmo, 667.
474 Voir aussi les passages, d’interprétation difficile, de mus. étudiés par DI CAPUA, Il ritmo prosai-
co, 622–629.
475 Pour une bibliographie, voir OBERHELMAN, Rhythmical clausulae, 260s.
476 Suivant les indications de Cicéron (Orat. 214) et Quintilien (inst. 9,4,93, plus ambigu) la der-
nière syllabe d’une phrase est considérée comme étant longue dans tous les cas.
477 La ponctuation de CSEL 84 n’a pas toujours été suivie.
112 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

figurent donc pas dans le décompte des fins de phrase prises en considération, qui
sont ainsi au nombre de 192.
À défaut d’un accord sur la valeur des formes monosyllabiques de esse en der-
nière position et qui ne peuvent être élidées, les fins de phrase qui les contien-
nent sont considérées comme arythmiques :

mortuus est (5,6) ; esse testatus sit (5,10) ; princeps sed iudex est (5,13) ; secuturi sunt (5,14) ; re-
surrecturi sunt (5,16) ; quod vocatus est (7,7) ; quia vocati sunt (7,7) ; esse dignatus est (14,6) ;
ecclesiae plenae sunt (18,11) ; confessione liberatus est (18,14) ; sermo nunc ortus est (22,4).

De même, nous avons renoncé à faire entrer dans un système de cursus tonique (et
donc de cursus mixtus, mais non pas de clausules quantitatives) toutes les fins de
phrase comportant un monosyllabe. En effet, il semble impossible de déterminer,
sans recourir à des critères subjectifs, si ces monosyllabes portaient oui ou non un
accent tonique :478

quem praenuntiabant (4,3) ; facta sunt omnia (4,8) ; facta sunt omnia (4,11) ; quos est damnatu-
rus (5,14) ; non cum omnibus (6,1) ; dat hic mundus (8,3) ; intelligi non potest (12,8) ; quam cha-
nanaei (13,5) ; esset hoc quaeritur (14,7) ; invitamus ad fidem (15,4) ; fecerit non teneri (15,12) ;
baptizare non dubitent (15,15) ; esse non posse (16,4) ; offerri non potest (19,5) ; tamquam in fun-
damento (19,8) ; peccatis hoc facerent (23,7) ; hoc est perseverent (23,12) ; iste sit modus (23,15).

Notre texte vérifie donc entièrement l’observation de Nicolau : « dans les œuvres des
écrivains de basse époque, il n’y a presque plus de monosyllabe final, sauf les di-
verses formes du verbe esse. »479 Il est tentant d’en conclure, avec Di Capua,480 que
ces formes de esse étaient devenues trop faibles pour jouer un rôle rythmique, puis
de faire ensuite rentrer les autres monosyllabes ci-dessus dans un système tonique.
De telles pratiques pouvaient très bien correspondre à la diction d’Augustin pour
certaines de ses fins de phrase. On risque donc de fausser les résultats en considé-
rant ces formes comme arythmiques, mais – le grand défaut des études sur la prose
rythmée étant de voir du rythme où il n’y en a pas – nous avons préféré pour cette
fois le risque de les fausser vers le bas plutôt que vers le haut. D’ailleurs, s’il est
acceptable de retrouver le cursus tonique dans de tels cas douteux, une fois que
celui-ci s’est montré très prépondérant dans les cas certains, ce scénario ne
s’applique pas à notre texte.
L’incertitude surgit de nouveau pour la question de l’élision. Par exemple, Nico-
lau affirme que l’on prononçait sans élision à l’époque d’Augustin,481 alors qu’

||
478 HAGENDAHL, La prose métrique, 14–17, tente de résoudre ce problème à l’aide des grammairiens
antiques, mais il n’échappe pas au piège de la subjectivité.
479 L’origine, 90.
480 Il ritmo, 634.
481 L’origine, 97s.
Introduction | 113

Oberhelman et Hall (270) admettent et hiatus et élision.482 Ici, nous avons accepté
l’élision, presque certaine, des formes de esse en position finale, mais les autres cas
de hiatus ont été classés, par nouvelle mesure de prudence, parmi les fins de phrase
arythmiques :

vivere inciperent (1,1) ; superbire admoneat (3,1) ; meritum illorum (7,5) ; gratia est a deo (8,1) ; il-
li inhaereamus (10,6) ; sanctum intelligimus (11,1) ; gratia et pax (12,9) ; responsum est tria
(13,1) ; trinitati attestatur (13,6) ; cogitatione intuebatur (14,7) ; manifestissime ostenditur (23,2) ;
opere exprimimus (23,8) ; dicere intelligatur (23,10).

Enfin, la question de l’accent d’intensité secondaire restant obscure,483 pour les mots
en dernière position de six syllabes ou plus, seule leur valeur quantitative est prise
en compte:

congregatione (2,2) ; salutationem (11,4) ; collocutione (13,1).

2.7.2 Résultats

Clausules quantitatives
L’hypothèse d’un rythme basé exclusivement sur la quantité des syllabes est à écar-
ter pour notre texte. En effet, on ne trouve que 17 exemples des formes voulues qui
ne rentrent pas en même temps dans un cursus tonique. Il s’agit de 8,85 %484 des
fins de phrase examinées :

Crétique + spondée : esse non posse (16,4).


Crétique + crétique : circumcisionis iugo (1,3) ; dignitatem suam (4,8) ; facta sunt
omnia (4,8.11) ; vocationis dei (9,6) ; intelligi non potest (12,8) ; intelligatur salus
(13,2) ; esset hoc quaeritur (14,7).
Trochée + spondée : congregatione (2,2) ; praenuntiabant (4,3) ; factus esset (4,11) ;
salutationem (11,4) ; collocutione (13,1) ; amputavit (15,11) ; non teneri (15,12) ;
perseverent (23,12).

Cursus mixtus
Des trois systèmes, le cursus mixtus est celui qui répond au plus grand nombre de
fins de phrase : 68 en tout, soit 35,42 % des fins de phrase examinées.

||
482 Rhythmical clausulae, 270.
483 Ainsi FRAENKEL, Iktus und Akzent (350–352) pense avoir résolu le problème, mais LHS 1, 248 est
déjà moins certain.
484 Tous les pourcentages sont arrondis.
114 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

Surtout, la forme crétique + spondée / cursus planus obtient une prépondérance


relative par rapport à toutes les autres formes de fins de phrase du texte. On en
trouve 35 exemples, soit 18,23 % des formes examinées :

vetustate discernit (2,1) ; esse contentos (2,4) ; interpretatione concordet (2,5) ; esse testatur
(3,2) ; error illudit (4,1) ; ore prolata (e)st (4,5) ; ipsius david (4,6) ; appareret indutum (4,9) ; esse
monstraret (4,12) ; resurrectione signata (e)st (5,2) ; dexteram patris (5,9) ; sitis inventi (6,4) ; ve-
nire credendum (e)st (10,2) ; saepe testatur (10,4) ; futura serventur (10,6) ; corrigi nolunt (10,9) ;
spiritu sancto (11,1) ; audientis admittit (13,7) ; usque perdurat (14,1) ; impietatis aspergat (14,3) ;
blasphemando contemnunt (15,2) ; impietatis oblatrant (15,3) ; dubitationis ignosci (15,5) ; spiri-
tum sanctum (16,2) ; paenitendo curari (16,3) ; indubitanter accusat (17,2) ; voluntate peccare
(18,5) ; quaecumque peccavit (18,8) ; oppressione laetari (18,12) ; necandumque curavit (18,14) ;
baptizando purgari (19,2) ; quadrupes esse (19,7) ; esse contendat (21,3) ; posse concedi (23,13) ;
suscepisse tractandam (23,15).

On retrouve d’autres formes du cursus mixtus dans 33 fins de phrase, soit 17,19 % du
total :

Crétique + spondée / cursus trispondaicus : nulli relaxetur (10,1).


Crétique + Crétique / cursus tardus : coaptavit ecclesiae (2,4) ; timore perterriti (8,2) ;
ignoscitur gratia (e)st (9,6) ; posse discedere (10,11) ; salutatione cognoscitur
(11,2) ; spiritus dixerit (15,5) ; contentionibus saeviunt (15,13) ; nulla conceditur
(17,5) ; veritatis peccaverint (19,5) ; permittente tractabitur (20,4) ; opportunitas
flagitat (20,11).
Trochée + spondée / cursus planus : illis salutem (8,1) ; subvertat necesse (e)st (19,9).
Trochée + spondée / cursus velox : pertinet invenitur (3,5) ; tantae sublimitatis (5,11) ;
divinitus adiuvetur (9,4) ; convicia iactitasse (14,3) ; colere maluerunt (15,4) ; mi-
sericordiae iudicavit (15,16) ; irremissibile iudicatur (17,2) ; Dominus amputavit
(17,4) ; veniam iudicetur (20,1).
Trochée + spondée / cursus trispondaicus : atque misceantur (9,5) ; negligenter au-
diendum (e)st (14,2) ; dixisse iudicetur (14,5) ; illam crediderunt (15,8) ; peccare
iudicatur (21,2).
Crétique avec résolution de la deuxième syllabe longue + spondée / cursus trispon-
daicus : figmenta venerentur (15,3) ; peccare videantur (17,3) ; medicina remane-
ret (18,13) ; accepisse fateamur (19,3) ; dimissione generarent (22,5).

Cursus tonique
44 fins de phrase entrent dans les quatre formes du cursus tonique, soit 22,92 % du
total.

Cursus planus : filius dei (4,4) ; dominum suum (5,9) ; corporis sui (5,13) ; domini
nostri (5,15) ; ignoscendo peccatis (9,1) ; corrigi volunt (9,2) ; penitus purgant
(10,12) ; principiis suis (12,1) ; positam puto (12,6) ; mihi videtur (12,9) ; apostolus
Paulus (13,4) ; apertissime docet (13,7) ; dederit deus (15,1) ; aditum clausit
Introduction | 115

(15,12) ; spiritui sancto (15,12) ; paenitentiae locum (16,1) ; indulgentiae dei (22,3) ;
aliquid factis (23,9).
Cursus tardus : humilitatis associans (1,4) ; veterem pertinent (2,3) ; scribit epistolam
(7,1) ; effugere sinitur (10,3) ; incommutabiliter teneat (10,13) ; trinitate com-
moneat (12,2) ; omnino brevissima (12,6) ; reus tenebitur (14,4) ; dixisse tenebitur
(14,8) ; nullum relinqueret (15,10) ; lacrimis revocat (15,12) ; eius cognoscitur
(18,3) ; consecrandis fidelibus (19,11) ; dominus venerat (23,6) ; pacique resiste-
rent (23,7).
Cursus velox : illi crucifixerunt (1,4) ; iustificant accepissent (6,2) ; dilecti diligeremus
(7,6) ; excludere blasphemabant (20,2) ; quaestio dissoluta (e)st (23,14).
Cursus trispondaicus : mortuis appellat (5,12) ; apostolatum videretur (6,1) ; enim
Chananaea (13,5) ; sustinere personam (13,6) ; sanctum ministrata (e)st (15,7) ;
modo moraretur (18,7).

Fins de phrase arythmiques


Elles sont minoritaires, par rapport à la somme des trois autres catégories : 63 fins
de phrase, soit 32,81 % du total. Ces chiffres s’obtiennent en ajoutant les fins de
phrase classées plus haut comme entièrement arythmiques aux suivantes :

iesu christi (1,1) ; gratuito datum (1,2) ; dici solent (2,2) ; nemo dubitaverit (3,4) ; iudaeorum fuit
(4,3) ; secundum carnem (4,7) ; verbum dei (e)st (4,10) ; fierent omnia (4,11) ; virtutem dei (5,7) ;
quos est damnaturus (5,14) ; non cum omnibus (6,1) ; esse cupiunt (6,3) ; dat hic mundus (8,3) ;
reconciliamur deo (8,4) ; interveniente pax erit (8,6) ; odissent sua (9,3) ; donum dei (11,1) ; inter-
ponit misericordiam (11,4) ; quam chananaei (13,5) ;485 invitamus ad fidem (15,4) ; ipse lapidave-
rat (15,6) ; verbum dei (15,9) ; paeniteret admonuit (15,10) ; deum negent (15,14) ; baptizare non
dubitent (15,15) ; paenitendi dedit (16,6) ; errore peccaverint (16,8) ; ignorans peccat (18,1) ; vo-
luntas dei (18,6) ; cognoverant eam (18,7) ; voluntatem dei (18,8) ; offerri non potest (19,5) ; de-
monstrat apparent (20,6) ; animo contradicit (21,1) ; erat invidus (21,6) ; mereretur fidem (23,5) ;
peccatis hoc facerent (23,7) ; iste sit modus (23,15).

2.7.3 Conclusions

Pour identifier la prose rythmée, les spécialistes entreprennent des comparaisons


avec des textes considérés comme certainement arythmiques. Par la suite, Nicolau
demande qu’au moins 60 % des fins de phrase soient rythmées,486 alors qu’Ober-
helman, qui se livre à des calculs plus sophistiqués, et qui limite son étude au cur-
sus mixtus, requiert 70% ou plus.487 S’il est vraiment permis de croire qu’Augustin

||
485 Mais voir infra, 2.8, n. critique ad loc.
486 NICOLAU, L’origine, 128.
487 OBERHELMAN, Rhetoric and homiletics, 19.
116 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

utilisait trois systèmes rythmiques différents dans un texte d’une trentaine de pages,
on obtient ici 67,19% de fins de phrase rythmées. L’exclusion des formes purement
quantitatives, ou, à rebours, l’inclusion de certaines formes éliminées plus haut par
mesure de prudence, permettrait de hausser ou de baisser ce pourcentage.488 Mais il
est difficile d’arriver à une certitude d’ensemble.
Par contre, que 35% de toutes les fins de phrase présentent la forme universel-
lement reconnue du cursus mixtus (spondée + trochée / cursus planus) ne peut être
dû au hasard. En même temps, cette forme est reconnue parce qu’elle est courante,
et courante certainement parce qu’elle survenait sans devoir être trop cherchée : « le
devoir de l’orateur et de l’écrivain … consiste à faire un choix rationnel parmi les
clausules que leur offre la langue courante et à régulariser en quelque sorte les ca-
dences naturelles».489 Cette clausule devait faire partie de ces « cadences natu-
relles ». 35% indiquent-ils alors, pour cette époque et cet auteur, que nature devient
culture?
La statistique toute seule ne saura résoudre ces problèmes. Puisque toute la
prose latine montre un certain nombre de formules rythmiques, la question de la
prose rythmée est finalement une question d’intention. Quand ces formules, chez
Arnobe ou dans les documents de la Curie médiévale, occupent une proportion
extraordinaire des fins de phrase, on ne saurait douter qu’il s’agit d’un effet voulu et
forcé. Mais il ne s’ensuit pas que des proportions plus basses indiquent forcément
qu’un auteur utilisait le rythme sans choix conscient. Rappelons à ce titre que chez
Cicéron même, dont les remarques ont lancé ces études, les clausules typiques ne
dominent jamais un texte.490 On ne parle pas pour autant chez lui d’un rythme in-
conscient.
De même Augustin, rhéteur de profession et de nature, devait entendre et choi-
sir les fins de phrase rythmées, quelle qu’en soit leur proportion. Il dit, on l’a vu,
qu’il utilisait le rythme quantum modeste fieri arbitror, et c’est ce que confirment les
résultats obtenus pour l’Inchoata expositio : on ne va jamais très loin sans trouver
une fin de phrase rythmée, mais ce rythme est sous-jacent et modeste ; il fait couler
le texte sans vouloir le conduire. Après tout, ce qui, très souvent chez Augustin, et
avant tout dans un commentaire scripturaire, doit prendre le plus de relief, ce sont
des phrases pour lesquelles le rythme est hors de question : celles de la traduction
latine de la Parole sacrée.

||
488 Nous n’avons pas tenté d’appliquer la méthode dite de « comparaison interne » de JANSON (22–
26), qui semble (mise à part les objections de l’auteur même) fondée sur l’hypothèse impossible de
la distribution normale, au hasard, des mots dans un texte – les mots ne sont jamais distribués au
hasard.
489 NICOLAU, L’origine, 33. Voir aussi EKLUND, The use and abuse, 42.
490 Dans le tableau de ZIELINSKI, Das Clauselgesetz (dépliant à la fin du volume) les quatre clau-
sules quantitatives que nous avons cherchées ici représentent environ 67% du total.
Introduction | 117

Enfin, selon les résultats provisoires d’Oberhelman491 la forte présence du cur-


sus mixtus indique qu’Augustin concevait notre texte comme appartenant à un
registre littéraire relativement élevé.

2.7.4 Critique textuelle

Dans aucun cas cette édition ne s’est permise de choisir entre deux variantes selon
le critère que l’une d’entre elles formait une « meilleure » fin de phrase rythmique.
En effet, comme le démontre Eklund, il ne suffit pas de savoir qu’un auteur re-
cherche çà et là un rythme, pour pouvoir établir, avec un haut degré de probabilité,
qu’il le cherchait dans un cas donné. Eklund exige que 90–95% des fins de phrase
soient certainement rythmiques, avant que l’on puisse corriger avec certitude les
aberrations.492 L’Inchoata expositio est loin de montrer une telle uniformité, et le
rythme ne pourra donc apporter aucune aide pour la critique textuelle.

2.8 Notes critiques pour l’Inchoata expositio


2,1 Paulus servus Iesu Christi : christi iesu O E T K Z P W L1 F : Le stemma ne permet
pas de choisir entre les deux leçons. C’est que les scribes médiévaux mélan-
geaient et modifiaient incessamment les formules du type Dominus noster Iesus
Christus. En 2,4, où le verset de Rom. est repris, la bonne leçon est probablement
Christi Iesu, alors que 7,1 suggère qu’Augustin lisait bien Iesu Christi. Il est très
difficile de trancher dans de tels cas, qui ont du reste peu d’importance.
3,1 quoniam credentes in Christum, in quorum numerum vocatus est, Iudaeis
praeposuerat : in christum O (om. ac.) S T V U] christo κ B Am Er Lov ; in christo
γ ; christum E Germ μ : Il semble que l’archétype de Λ ait porté credere in Chris-
tum, et que la leçon de E Germ soit une pure faute d’omission. Les Mauristes ont
refait la faute indépendamment, puisqu’ils ne pouvaient trouver cette leçon
dans aucune de leurs sources (Am Er Lov et V). Augustin emploie très rarement
la locution credere Christum dans le sens « croire au Christ » – seulement quatre
exemples sur LLTA493 : in Gal. 18 ; serm. 51,11 (si pie vivamus, si Christum cre-
damus : on sent la recherche de l’équilibre) ; serm. 263,3 (non est magnum videre

||
491 OBERHELMAN, Rhetoric and homiletics, 96S.
492 The use and abuse, 37–40.
493 D’après une recherche sur cred* Christum et Christum cred*dans LLTA. Cela n’inclut pas les cas
où les deux mots seraient séparés par d’autres, dont il n’est pas facile de faire la part. Nous avons
évidemment mis de côté les instances où Christum est le sujet d’un infinitif dans le discours indirect
(e.g. agon. 22,24 : ergo et ego inde credo Christum natum esse de virgine, quia in evangelio legi).
118 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

Christum oculis carnis, sed magnum est credere Christum oculis cordis :
l’équilibre, encore une fois) ; c. Petil. 3,38 (où Augustin cite peut-être Petilia-
nus). Voir par contraste serm. 14A,3 : Hoc ergo tractavimus: interesse debere in-
ter fidem christianorum et fidem daemonum, quia et illi credunt - dixerunt Christo:
‘Scimus qui sis’ [Mc. 1,24]. C r e d i d e r u n t C h r i s t u m , s e d n o n c r e di d e r u n t
i n C h r i s t u m. Unde ergo distinguitur qui credit Christum ab eo qui credit in
Christum? Quia omnis qui credit in Christum continuo sine dubio credit Christum,
non autem omnis qui credit Christum continuo credit in Christum.494 Le stemma
n’est pas favorable non plus à Christo. B n’est pas fiable, et la présence de in
dans toute la branche γ de Ξ et dans Λ (sauf l’erreur chez E) indique que la pré-
position était bien dans l’archétype. Reste donc à choisir entre in Christo et in
Christum. Selon les résultats de LLTA,495 Augustin a écrit 11 fois credere in Chris-
to, et 244 fois credere in Christum (dont Inchoata expositio 1,3). Même si l’on re-
trouve souvent, comme ici, les deux leçons dans divers manuscrits pour un
même passage, in Christum est toujours la leçon la plus probable en cas de
doute, et c’est donc celle que nous avons adoptée. Sans doute Augustin se
pliait-il généralement aux formules des anciens Symboles de la foi, qui presque
toujours portent credo in Iesum Christum, se calquant sur la formule grecque
πιστεύω εἰς,496 d’origine néotestamentaire.497
3,3 etiam si aliqua inveniuntur : etiam γ B Er Lov μ : etiam si est sans doute la leçon
de l’archétype. Mais tous les éditeurs depuis Érasme ont préféré omettre si. Non
sans raison : la protase établie par si ne trouve jamais d’apodose. Mais le plus
probable est qu’Augustin a perdu le fil de sa phrase lors de sa longue paren-
thèse sur la Sibylle. γ B auraient donc corrigé (indépendamment ?) pour amélio-
rer le texte.
3,3 ultima Cumaei venit iam carminis aetas : iam venit Ξ U B edd : Citation de Vir-
gile, ecl. 4,4. La leçon iam venit est métriquement possible, mais elle est incon-
nue des anciens manuscrits de Virgile498 (même si on la retrouve dans des ma-

||
494 La même distinction dans in euang. Ioh. 29,6, où credere in est aussi expliqué (Quid est ergo
credere i n e u m ? Credendo amare, credendo diligere, credendo in eum ire, et eius membris incorpo-
rari). Sur ce passage, et pour d’autres parallèles, voir MOHRMANN, Credere.
495 Pour une recherche sur cred* in Christum / in Christum cred*, et cred* in Christo / in Christo
cred*.
496 Voir les textes rassemblés par HAHN, Bibliothek der Symbole (credo in + ablatif seulement dans
le texte 24, p. 25).
497 Voir LSJ s.v. πιστεύω, 1 ; BINDLEY, The Oecumenical Documents, 22s. Augustin suit l’usage
consacré, selon MOHRMANN, Credere, 196 : « in c. acc. l’a emporté de bonne heure sur in c. abl. ».
498 Voir l’apparat de S. Ottaviano dans S. OTTAVIANO – G. B. CONTE (éds.), P. Vergilius Maro. Buco-
lica, Georgica, Berlin 2013, ad loc. En fait le Romanus est le seul des manuscrits majuscules à con-
server ce verset, mais Ottaviano a aussi collationné 18 manuscrits carolingiens (il est vrai qu’elle
n’en reproduit pas toutes les variantes).
Introduction | 119

nuscrits plus tardifs),499 et, quand Augustin cite de nouveau ce verset, à civ.
10,27, il écrit bien venit iam.
4,4 filium tantummodo David : tantummodo filium david V ; filium david tantum-
modo Ξ B edd : La leçon adoptée est celle de Λ (corrompue dans V). En effet, la
position de tantummodo dans Ξ B établirait plutôt un contraste entre filium Da-
vid et un autre titre du Christ où David ne figure pas forcément. Or le contraste
voulu est entre filium David et Dominus David (voir la suite de 4,4), si bien que
l’emphase de tantummodo doit tomber sur filium.
4,8 nec alicui angelicae aut cuiusvis excellentissimae creaturae generationi tribui
potest : excellentissimae T V F γ (exc. P) B edd] excelsissimae O E S U Claud Germ
K Z L1 M Am (vl.) ; excelleret P : Les deux superlatifs excellentissimus et excelsis-
simus, presque synonymes, se confondent facilement dans une tradition ma-
nuscrite. Ainsi la distribution des leçons ne suit pas le stemma. Trois arguments
poussent à préférer excellentissimae. (1) excellentissimae reprend ce qui est dit
des Juifs en 4,4 : ignorantes excellentiam qua Dominus est ipsius David.
L’excellentia des choses créées sera ainsi contrastée avec celle de Dieu. (2) Les
résultats de LLTA500 montrent qu’ailleurs Augustin utilise beaucoup plus sou-
vent excellentissimus que excelsissimus : on trouve 5 exemples du second,501
contre 65 du premier.502 (3) C’est seulement excellentissimus que l’on trouve em-
ployé dans le sens voulu, pour désigner un être au sommet de la création, et que
l’homme serait tenté d’adorer : Non sit nobis religio vel ipsa perfecta et sapiens
anima rationalis sive in ministerio universitatis sive in ministerio partium stabilita
… hoc etiam ipsos optimos angelos et e x c e l l e n t i s s i m a ministeria Dei velle cre-

||
499 G. P. E. WAGNER (Publius Virgilius Maro varietate lectionis et perpetua adnotatione illustratus a
Christ. Gottl. Heyne, editio quarta, 1830–1841, Leipzig, t. 1, 130) donne iam venit en variante, avec la
source « Leid », c’est-à-dire un (ou plusieurs ?) des cinq manuscrits de Leyde énumérés t. 4, 613.617.
500 Dans cette recherche, les formes adverbiales excellentissime et excelsissime ont été écartées.
501 Epist. 77,2 ; in epist. Ioh. 52,11 ; civ. 8,14 ; 12,1 ; trin. 4,18 (ici il faut probablement préférer la
variante bien attestée excellentissima, puisque la locution excellentissima sapientia est employée
ailleurs par Augustin – epist. 140,3 ; cons. euang. 1,11.52 ; in psalm. 8,5 ; c. Faust. 22,40 ; c. Iulian.
op. imperf. 5,1 – alors que excelsissima sapientia serait unique).
502 Le mot s’emploie à propos de D i e u (conf. 1,20 ; epist. 170,9 ; in psalm. 130,7 ; serm. 351,3 ;
314(augm),7 ; divers. quaest. 79,4 ; trin. 9,1), des q u a l i t é s d i v i n e s (soliloq. 1,6 ; mus. 6,7 ; lib.
arb. 2,14.17 ; doctr. christ. 1,14 ; gen. ad litt. 10,24 ; 12,28 ; cons. euang. 4,10 ; in psalm. 8,5 ; civ.
20,30 ; c. Petil. 3,50 ; c. Maximin. 2,13), de l ’ e x c e l l e n c e h u m a i n e (conf. 4,16 ; mor. eccl. 67 ;
epist. 140,44 ; 150 ; 155,2 ; epist. Divj. 17,2 ; cons. euang. 1,11.34 ; 2,86 ; de serm. dom. 1,42 ; in psalm.
36,1,3 ; 53,10 ; 103,3,13 ; 150,6 ; serm. 210,9 ; 241,1 ; 218(augm),6 ; civ. 1,36 ; 6,6 ; 8,4 ; 19,3 ; c. Faust.
22,36.40 ; trin. 15,8 ; c. Parm. 3,25 ; bapt. 6,3 ; c. Petil. 3,34 ; c. Pelag. 4,26 ; c. Iulian. 1,30 ; 3,9 [iro-
nique] ; 6,51 [de même] ; c. Iulian. op. imperf. 5,1 ; persev. 49), puis des a n g e s (vera relig. 303 ; coll.
c. Maximin. 14,11 – ces textes seront cités), d ’ a u t r e s c r é a t u r e s (in psalm. 103,3,15 [arbres] ; 145,3
[corps] ; 259,3 [indéfini]), de l ’ a u t o r i t é d e l ’ É g l i s e (quant. an. 7), et de l ’ É c r i t u r e (cons.
euang. 2,86 ; divers. quaest. 36,1 ; c. Faust. 22,38 ; c. adv. leg. 2,5 ; c. Cresc. 2,27).
120 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

damus, ut unum cum ipsis colamus Deum, cuius contemplatione beati sunt (vera
relig. 301.303). Nonne si templum alicui sancto angelo e x c e l l e n t i s s im o de li-
gnis et lapidibus faceremus, anathemaremur a veritate Christi et ab ecclesia Dei,
quoniam creaturae exhiberemus eam servitutem quae uni tantum debetur Deo ?
(coll. c. Maximin. 14,11).
4,12 cum factum Deo diceret Christum … non factum Deo sed natum esse mon-
straret : deo1] deum c ; om. Λ B Lomb edd : deo2] deum c ; a deo Λ B Lomb edd :
deo doit être la leçon originale de Ξ dans les deux cas, la variante de c n’ayant
pas de sens. Ce deo datif reprend ei, du texte de Rom. 1,3, tel que le cite Augus-
tin en 4,2.7.503 On peut certes s’en passer en 4,12, mais (1) c’est la lectio diffici-
lior : ces deux datifs ne sont pas d’interprétation facile, et on s’explique mal que
Ξ ait modifié le texte simple tel qu’on le trouve dans Λ pour les installer ; (2) ei
est absent de la Vulgate en Rom. 1,3,504 ce qui peut avoir influencé Λ.
5,3 si consurrexistis cum Christo : conresurrexistis O E K Z γ (exc. R H ; cum resur-
rexistis B1) : Comme il arrive souvent dans les citations bibliques, la répartition
des leçons ne suit pas le stemma. Nous suivrons donc les habitudes d’Augustin.
Selon LLTA, il cite Col. 3,1 8 fois avec la leçon consurrexistis (epist. Divj. 3,1 ;
serm. 53,14 ; 116,2 ; 263A,1 ; 304,4 ; 362,24 ; 395,1 ; contin. 29), et une seule fois
avec conresurrexistis (spec. 385, avec consurrexistis en variante). De tels résul-
tats inciteraient à corriger le texte de spec. puis à accepter consurrexistis pour
l’Inchoata expositio, d’autant plus que conresurrexistis est la leçon de la Vul-
gate,505 vers laquelle on sait que les scribes ont tendance à dériver. Mais la majo-
rité des textes augustiniens en question ne bénéficient pas d’édition critique
moderne, si bien que nos résultats demeurent provisoires.
5,10 tamquam admonens unde : et tamquam Λ Am : Rousselet506 a préféré et tam-
quam, coordonné avec et consequenter. Mais le et de et consequenter relie plutôt
5,10 à ce qui précède, alors que la proposition introduite par tamquam est bien
une explication de la manière dont l’apôtre a parlé consequenter, et non pas une
seconde idée à juxtaposer à ce fait.

||
503 Les fiches de la base de données Vetus Latina confirment qu’Augustin a généralement inclus
ce ei en citant Rom. 1,3 tout au long de sa carrière.
504 Du moins selon Gryson. Mais, comme le montre son apparat, ei est amplement attesté par les
anciens manuscrits, y compris l’Amiatinus, le Fuldensis, et la Bible d’Alcuin. La leçon est inconnue
du grec (voir CRANFIELD, A Critical and Exegetical Commentary, 59).
505 Dans les manuscrits de spec., le texte de la Vulgate a très largement remplacé le texte biblique
authentique d’Augustin : voir CSEL 12, xiiii–xxiii. Mais, encore une fois, on trouve consurrexistis en
variante dans la Vulgate, y compris dans la Bible d’Alcuin (voir Gryson ad loc.). Les deux leçons, de
même que resurrexistis, sont bien attestées dans les versions pré-hiéronymiennes, telles que les
reconstruit H. J. FREDE (Vetus Latina 24/2 : Epistulae ad Philippenses et ad Colossenses, Freiburg
1966–1971, ad loc.), qui donne aussi de nombreux exemples de resurrexistis chez Augustin.
506 À propos d’une édition, 237.
Introduction | 121

5,11 qua etiam caput est ecclesiae : iam Λ (tam E Germ ; del. E2) : L’idée d’Augustin,
c’est que c’est par la résurrection de tous les bienheureux (ex resurrectione mor-
tuorum), dont il est la cause, que l’on voit la gloire divine du Christ (propria illa
et eminentissima dignitate). C’est cette même gloire qui le rend tête de l’Église.
Mais il serait étrange de dire que le Christ est déjà (iam) tête de l’Église par la ré-
surrection des bienheureux, étant donné que celle-ci n’a pas encore eu lieu.507
De plus, voir 5,12 : non enim sic praedestinari oportuit nisi Filium Dei, secundum
quod est e t i a m caput ecclesiae ; 5,13 quorum e t i a m caput est tamquam corporis
sui.
5,15 tamquam si diceret, qui praedestinatus est Filius Dei ex resurrectione mortuo-
rum suorum : qui diceret O S E U Claud Germ ; diceret T V : T V a bien senti que
tamquam qui diceret, la leçon de l’archétype de Λ, est fautive. Pourquoi dire que
Paul écrirait « comme celui qui dit », quand Augustin veut tout simplement dire
qu’il écrit « comme s’il disait » ? LLTA montre aussi qu’il affectionne l’ex-
pression tamquam si diceret pour introduire une paraphrase d’un texte de
l’Écriture : on la retrouve 18 fois dans son œuvre (dont Inchoata expositio
18,5).508
6,2 optime itaque tenet cardinem causae : ordinem Λ B Lomb edd : Augustin in-
dique que Paul a bien désigné la grâce, et non les bonnes œuvres (6,1 meritis
priorum operum ; 6,2 vitae prioris meritis), comme cause première de toute con-
version à l’Évangile. Pour cette idée, ordinem causae convient mal. L’ « ordre de
la cause » n’est pas une expression claire : il aurait fallu plutôt ordinem causa-
rum.509 Par contre, Augustin aime utiliser la métaphore du cardo, du « gond »,
pour indiquer l’élément essentiel et primordial sur lequel repose l’existence de
tout un système :Et tamen pulchrum illud atque aptum, unde ad eum [sc.
l’orateur Hierius] scripseram, libenter animo versabam ob os contemplationis
meae et nullo conlaudatore mirabar. Sed tantae rei c a r d i n e m in arte tua non-
dum videbam, omnipotens, qui facis mirabilia solus (conf. 4,23s.). Animadverti-
mus, cum apostoli epistola legeretur … quemadmodum exhorrueritis homines, qui
putantes hanc solam esse vitam, quam cum pecoribus habemus communem … di-
cunt: ‘manducemus et bibamus; cras enim morimur’ [1 Cor. 15,32]. Hinc ergo su-
matur nostrae disputationis exordium, et hic sit nostri velut c a r d o sermonis, quo

||
507 Nous ne suivons donc pas ROUSSELET (À propos d’une édition, 237) qui voudrait voir un con-
traste entre iam (présent) et resurrecturi sint (futur). Bien entendu, le Christ est déjà tête de l’Église
dans le présent (ou plutôt dans l’éternité). Mais il s’agit ici d’expliquer quand cette fonction se
manifeste (apparet) pleinement, et ceci n’aura lieu qu’à la résurrection des morts.
508 Les autres textes sont gen. ad litt. imperf. 26 ; de serm. dom. 1,58.60 ; in Gal. 37.42 ; de mend.
34 ; loc. hept. 1,99 ; quaest. hept. 1,40 ; 2,42 ; in Iob 28 ; in euang. Ioh. 9,7 ; in psalm. 4,8 ; 71,3 ;
92,6 ; 118,18,4 ; serm. 10,2 ; c. Adim. 26.
509 Comparer civ. 5,8s.
122 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

cetera, quae Dominus suggerere dignatus fuerit, referantur (serm. 361,1).510


L’expression « le gond de la cause » reste cependant difficile. On peut com-
prendre qu’Augustin voit la cause de la conversion comme un ensemble intégré,
où les bonnes œuvres peuvent aussi avoir leur rôle à jouer, mais où c’est tou-
jours la grâce qui est l’essentiel, le gond, de cet ensemble causal. cardo est un
mot bien moins commun que ordo, ce qui plaide aussi en sa faveur.
7,1 est enim qui scribit : scribit epistolam ΛB edd : Impossible d’être certain quant
à la bonne leçon. Nous avons préféré le texte de Ξ, puisque epistolam est
quelque peu redondant après qui scribit epistolam dans la phrase précédente.
7,2 item quia occurrebat de quo filio suo : suo om. Ξ : Encore un cas très incertain.
Mais la leçon de Λ renforce le parallèle avec la question précédente, qui porte
aussi sur un nom qualifié, et omet le qualificatif : in e v a n g e l i u m D e i . Sed quia
occurrebat q u o d e v a n g e l i u m ? … de F i l i o s u o . Item quia occurrebat d e q u o
filio ?
9,1 gratiam praebet ignoscendo peccatis : peccantibus Λ Am+ : Évidemment, les
deux leçons sont possibles.511 Mais peccatis conserve une harmonie avec le reste
du passage : peccata remittuntur (8,4) … remissis peccatis … sola peccata (8,5) …
peccata vestra … (8,6) … peccatorum suorum … peccatorum suorum (9,2). On
peut même prétendre que le participe présent peccantibus ne convient pas,
puisque le Seigneur ne pardonne pas au pécheur pendant l’acte du péché, mais
une fois le repentir venu. Mais, sans participe passé actif, le latin n’est pas tou-
jours très précis sur la limite temporelle du participe présent (voir LHS 2, 207s.).
En 8,3, ceux qui peccantes displicuerunt sibi regroupent certainement non seu-
lement ceux qui sont dégoûtés par leur action au moment du péché, mais aussi
ceux qui s’en repentent après. Voir aussi in psalm. 50,7 (misericordia est ut
ignoscat peccanti, iustitia est ut puniat peccatum) ; serm. 114A,3 (in danda venia
peccanti ignoscis).
9,2 nondum poenarum manifestus terror apparet : error O E L1 (ac.) Am ; horror d c
(pc. L) : La leçon horror se défend, et trouve de l’appui des deux côtés du stem-
ma. error est clairement faux, mais est-ce plus probablement une corruption de
horror ou de terror ? Nous avons choisi terror, puisque LLTA montre
qu’Augustin associe volontiers terror et poena, soit en les apposant (conf. 1,23 ;
lib. arb. 2,29 ; quaest. hept. 6,8 ; voir aussi c. Gaud. 2,4), soit, comme ici, avec
poenarum au génitif qualifiant terror (epist. 145,6 ; util. cred. 9 ; un. eccl. 53). Par
contre, on ne trouve jamais chez lui poena et horror ainsi associés.

||
510 Voir aussi conf. 5,15 ; quant. anim. 23 ; lib. arb. 3,3 ; epist. 102,26 ; trin. 3,16 et Arnob. nat. 7,39 :
ventum est ergo ... ad ipsum articulum causae, ventum rei ad cardinem.
511 ROUSSELET (À propos d’une édition, 237) a préféré peccantibus, mais sans savoir que les deux
leçons avaient le même niveau d’appui dans le stemma.
Introduction | 123

9,5 ut ignoscatur talibus quaecumque antea commiserunt : ignoscatur Λ (ignosce-


tur U ; ignoscantur T)] ignoscantur Ξ (ignoscatur R) : On ne trouve que deux
exemples de ignosco à la troisième personne du pluriel du passif chez Augustin :
in euang. Ioh. 124,5 : Duas itaque vitas sibi divinitus praedicatas et commendatas
novit ecclesia, quarum est una in fide, altera in specie … una aliena peccata ut sua
sibi i g n o s c a n t u r ignoscit, altera nec patitur quod ignoscat ; nat. et grat. 65 : Cur
quaerit baptismatis sacramentum? An propter commissa praeterita, ut ea tantum
i g n o s c a n tu r , quae fieri infecta non possunt? Comme on le voit, dans ces deux
cas, le sujet de ignosco est exprimé directement devant lui, ce qui rend
l’utilisation du singulier impersonnel impossible. Ce n’est pas le cas dans notre
passage, puisque quaecumque peut s’employer sans antécédent. On trouve
d’ailleurs des parallèles à la construction proposée ici, où un mot pluriel pour
les péchés se trouve dans une relation un peu vague avec le passif de ignosco au
singulier : epist. 63,2 : H a e c o m n i a non recte facta esse confessi sunt et, ut sibi
i g n o s c e r e t u r , rogaverunt ; civ. 21,27 : Nobis voluit salvator ostendere … non no-
bis deesse p e c c a t a , pro quibus dimittendis debeamus orare et eis, qui in nos
peccant, ut et nobis i g n o s c a t u r , ignoscere. ignoscatur correspond aussi mieux
à la suite du passage : quia talibus non ignoscitur … quia ignoscitur … (9,6). Ce-
pendant, si l’on accepte le quae de Λ pour quaecumque (voir n. suivante), il faut
probablement écrire ignoscantur.
9,5 quaecumque antea commiserunt : quae Λ : La certitude est impossible. Mais (1)
quaecumque correspond mieux à l’emphase de tout l’Inchoata expositio sur la
capacité de Dieu à pardonner t o u s les péchés (voir 18,8 : ei dimitti omnia
q u a e c u m q u e peccaverit) ; (2) la construction avec quae tend à donner l’illu-
sion que celui-ci aurait pour antécédent talibus.
9,6 quapropter et quia talibus ignoscitur, iustitia Dei est, et quia ignoscitur, gratia
est : non ignoscitur Ξ B edd : La leçon de Ξ B est acceptée par la plupart des édi-
teurs, mais elle ne saurait être juste.512 La syntaxe exigerait que talibus soit
l’objet du pardon pour les deux ignoscitur, ce qui est un non-sens. C’est ce que
montrent les traductions établies sur ce texte, comme celle de Tarulli : « Se
dunque a questi tali non si dà perdono, è giustizia di Dio; se li si perdona è gra-
zia di lui ».513 Ceci équivaut à dire que Dieu peut agir justement sans pardonner
aux repentis – c’est peut-être une idée augustinienne en soi, mais elle serait to-
talement hors contexte. Raulx (éd.) n’a pas ce problème, mais semble supposer
un mot comme aliis devant ignoscitur2 : « Conséquemment, Dieu est juste en ne
pardonnant pas à ceux-ci, et il est miséricordieux en pardonnant à c e u x -

||
512 Comme l’a déjà vu ROUSSELET, À propos d’une édition, 237. FREDRIKSEN LANDES, 63, et RING, 243
acceptent la correction de Rousselet.
513 Traduction très similaire chez MARA.
124 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

l à . »514 Une telle traduction supppose aussi que talibus fasse référence aux pé-
cheurs non-repentis. C’est très maladroit, puisqu’en 9,5 talibus désigne juste-
ment les repentis, et les non-repentis sont dits non tales. Seule la leçon de Λ cor-
respond à la logique du texte. Augustin veut montrer qu’en pardonnant aux
pécheurs repentis, Dieu montre à la fois sa justice (9,2 iustum est … vere iustum
est … 9,4 iustitiae disciplina ; l’inverse serait iniustum [9,3] … iniustissimum [9,5])
et sa grâce (9,1 gratiam praebet ignoscendo peccatis). C’est ainsi qu’Augustin
peut conclure (9,6) : iusta est ergo gratia Dei et grata iustitia. La grâce est juste
puisque Dieu agit justement en pardonnant les repentis, mais la justice est
pleine de grâce, puisqu’elle pardonne (et, comme il va le dire, puisque le mou-
vement du repentir vient de la grâce). Mais avouons que le texte de Λ est bien
maladroit. Y aurait-il une corruption plus profonde ?
10,8 inchoationis iudicii a domo dei … et si iustus vix salvus erit : domini Ξ (dei F
M ; deum RH) B Am Er Lov : Nous avons préféré la leçon dei de Λ, puisque c’est
celle universellement attestée dans la première citation de 1 Petr. 4,15–18, tout
de suite avant en 10,5 (avec domo dei repris en 10,6). Mais Augustin ne citait pas
forcément deux fois de la même façon : en 10,5 il avait écrit salvus fit, et ici sal-
vus erit. Comme le montre le relevé de VetLat 26/1, dans ces deux cas, Augustin
utilisait volontiers les deux leçons.515 Sans doute, citait-il de mémoire, en écri-
vant (ou dictant) rapidement, ce qui permettait de telles variations. En in psalm.
147,27, il a enchainé domini et dei en citant 1 Petr. 4,17 (du moins selon le texte
de CSEL 95/5). La leçon domini de Ξ peut donc très bien être juste ici aussi.
10,11 haec dixi : hoc Λ B edd : On ne peut être sûr de la bonne leçon, mais nous
avons préféré le pluriel haec, parce que le singulier reprendrait plus naturelle-
ment le dernier point du texte, et non tout le développement précédent. Or, Au-
gustin résume non pas 1 Petr. 4,6, qu’il vient de citer, ni même l’explication des
souffrances des justes au §10, mais tout le développement sur la justice et la
grâce qui commence en 9,1. Mais on se demande si haec n’a pas été influencé
par haec dixi dans la citation de Io. 16,33 en 10,12.
10,11 a iustitia deum posse discedere : ab Λ : Selon le témoignage de LLTA, Augustin
utilise ab devant la consonne i exclusivement dans des citations ou paraphrases
bibliques, avec les noms hébreux Ierusalem (de loin le plus fréquent, générale-
ment en citant Lc. 24,47), Iacob(o), Iericho, Iohanne.
11,2 Et ideo ipsa Trinitas pariterque incommutabilis 〈unitas〉 in ista salutatione co-
gnoscitur : trinitas] trinitas inseparabilis T V ; post incommutabilis add. unitas B

||
514 Même solution chez PERONNE, etc. et MARTIN PEREZ.
515 L’allusion (10,8) au propheta fait penser qu’Augustin a peut-être consulté son texte de prov.
11,31 en re-citant 1 Petr. 4,18. Mais toutes les citations de ce second texte chez Augustin sur la base
de données Vetus Latina sont les mêmes que celles relevées par VetLat 26/1 pour 1 Petr. (sauf pecc.
mer. 1,54, qui n’inclut pas σῴζεται).
Introduction | 125

Gl Lomb edd : Comme on l’a vu plus haut (2.2.3, p. 78), l’archétype présentait ici
une lacune, que T V et B Gl Lomb ont tenté de combler par conjecture. Leurs
deux conjectures vont dans le même sens : ils ajoutent un mot qui indique
l’unité fondamentale des trois personnes de la Trinité. Cette hypothèse semble
la bonne. Il est rare en effet qu’Augustin parle de la Trinité sans mettre en avant
son unité, et l’idée convient bien au contexte, où il montre que les trois per-
sonnes sont mentionnées e n s e m b l e dans les salutations épistolaires du Nou-
veau Testament. Plutôt que d’ajouter une nouvelle conjecture, nous avons pré-
féré accepter celle de B Gl Lomb, sans toutefois la considérer comme certaine.
Pour l’ajout de T V, bien que la formule inseparabilis trinitas soit bien augusti-
nienne,516 la combinaison des termes incommutabilis et inseparabilis par pari-
terque est maladroite. pariterque (« en même temps ») fait attendre un degré
d’opposition entre les deux termes, mais rien n’oppose clairement « insépa-
rable » et « immuable ». Pour le texte adopté, comparer surtout le passage sui-
vant : Hoc enim affectu ab omni mortifera iucunditate rerum transeuntium sese
extrahit et inde se avertens convertit ad dilectionem aeternorum, i n c o m m u t a b i -
l e m s c i l ic e t u n i t a t e m e a n d e m q u e T r i n i t a t e m (doctr. christ. 2,20).
11,6 peccatorum abolitio fiat, qua seiungebamur a Deo : quibus V (pc. ; ac. non li-
quet) B edd : Nous avons gardé la leçon de l’archétype, considérant que l’on
peut traduire qua comme un adverbe (« là où »). Mais la conjecture quibus est
bien attirante, surtout étant donné le parallèle avec 8,4 (gratia est … qua nobis
peccata remittuntur, q u i b u s adversabamur Deo). Comparer aussi 23,6 (pacem in
reconciliationem Dei, a quo separant sola peccata).
12,7 et in Iesu Christo conservatis : in om. Λ c μ : Il est très difficile de savoir s’il faut
omettre cet in. Augustin ne cite pas ailleurs Jude 1,1, et les autres citations pa-
tristiques sont partagées. in est attesté aussi en grec et dans la Vulgate, bien que
faiblement.517 Il semble plus probable qu’Augustin a écrit in, que Λc ont ensuite
omis sous l’influence de la tradition majoritaire de la Vulgate. Cette hypothèse
correspond du moins à l’avis de Thiele, VetLat 26/1, pour qui in fait partie du
texte « africain ».518
13,2 concinentia linguarum non fortuito sic sonuisse arbitratus est : fortuitu T V Z B
edd; fortitudo c : Les deux formes adverbiales fortuito et fortuitu sont syno-
nymes, la deuxième étant plus tardive.519 Les scribes les confondent très facile-
ment, si bien que la répartition des leçons ne suit pas le stemma. Mais de fait les
résultats de LLTA suggèrent qu’Augustin n’utilise jamais fortuitu. On compte 16

||
516 18 exemples sur LLTA.
517 Pour tous ces faits, voir VetLat 26/1, 412s. ; Gryson ad loc.
518 Loc cit. et 94*s. pour le texte « Africain » de Jude.
519 Et archaïque ? OLD et ThLL (s.v.) acceptent tous les deux Rhet. Her. 1,11,9 puis quelques
exemples d’époque classique.
126 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

exemples de fortuito adverbial,520 alors que les deux cas de fortuitu sont bien
douteux : retract. 1,1,2 (unde et illa verba sunt, quae nulla religio dicere prohibet:
forte, forsan, forsitan, fortasse, f o r t u i t u ) semble contredit par quaest. hept. 1,91
(verba, quae nemo potest auferre a consuetudine loquendi, parata sunt, id est
forte et fortasse et forsitan et f o r t u i t o ) et trin. 3,19 (ne quis ea vel f o r t u i t u , vel
causis tantummodo corporalibus vel etiam spiritalibus tamen praeter voluntatem
Dei exsistentibus agi crederet) par trin. 9,10 (ea quae non sunt ficto phantasmate
cogitantur sive aliter quam sunt sive f o r t u i t o sicuti sunt).521 D’ailleurs, la bonne
leçon est peut-être fortuita, en accord avec l’ablatif concinentia. C’est bien la
concinentia linguarum (« l’accord des langues ») qui est dite ne pas être due au
hasard, et l’accumulation d’expressions adverbiales (concinentia … non fortuitu
… sic) pour qualifier sonuisse est un peu maladroite. D’où les tentatives d’une
partie de la tradition de transformer concinentia en accusatif sujet de sonuisse.
13,5 tria enim mulieris lingua salus vocantur : lingua mulieris Λ : Les problèmes de
l’ordre des mots sont des plus difficiles à résoudre dans la critique textuelle la-
tine. Ici, aucune règle ne permet de déterminer si le génitif doit venir avant ou
après le nom qu’il modifie. Mais mulieris lingua maintient au moins le parallé-
lisme avec Romana lingua en 13,6.
13,5 unde interrogati rustici nostri quid †sit Punice, respondent †Chanani, corrupta
scilicet, sicut in talibus solet, una littera. Quid aliud respondent quam,
†Chananaei? : sit] sint T V B edd ; Chanani O E c B edd] canani K ; chemani S T ;
chaemani V ; chaemam U ; cananei Z ; chanei γ (canei P W) ; Chanan(a)ei T B
edd] cananei V ; chanani O (pc.) S E M ; canani O (ac.) κ (exc. M) ; canai γ (cha- B1
H) ; chanam U : Ce texte constitue l’unique attestation que le peuple punique
d’Afrique du Nord, ou du moins certains paysans parmi ce peuple, s’appelaient
du nom de Cananéens, qui serait l’ancien nom sémitique des Phéniciens du
Moyen-Orient.522 À ce titre, le passage est souvent cité par les historiens de la

||
520 Ce sont, avec les variantes des éditions CCSL / CSEL : epist. 102,13 (-tu dans 2 MSS) ; 149,22 (-tu
dans 2 MSS) ; gen. ad litt. 3,18 (-tu dans 4 MSS, dont 2 avec variante -to) ; quaest. hept. 1,91 (bis ; -tu
dans 1 MS / 4 MSS) ; serm. 8,1 ; civ. 4,18 (bis ; -tu dans 2 MS / 8 MSS, dont un avec variante -to) ;
19,33 ( -tu dans 4 MSS) ; 7,3 ( -tu dans 5 MSS, dont 2 avec variante -to) ; 11,5 ; 18,41 (-tu dans 8 MSS,
dont 1 avec variante -to) ; trin. 9,10 (-tu dans 4 MSS, dont 3 avec variante -tu) ; c. Iulian. 5,14 (pas
d’édition critique). Comme on le voit, les apparats critiques rendent moins certains nos résultats.
Cependant, pour les textes où subsistent des manuscrits de l’Antiquité tardive (gen. ad litt. ; civ.),
on n’y trouve jamais fortuitu.
521 La variante fortuito est attestée dans les deux passages en questions. Pour retract. 1,1,2 CSEL 36
préfère -to, mais note -tu dans 10 MSS, dont un avec variante -to ; CCSL 57 donne -tu mais note -to
dans 3 MSS. Pour trin. 3,19 on trouve -to dans 3 MSS, dont 2 avec la variante -tu (CCSL 50).
522 Le problème du nom que ce peuple se donnait et donnait à sa langue n’est pas résolu. Pour
KRAHMALKOV, Phoenician-Punic (11, 399), les punicophones appelaient leur langue Pon(n)im. Mais il
n’y a qu’un passage du Poenulus de Plaute pour étayer cette théorie. On a souvent soutenu et aussi
Introduction | 127

Phénicie et de Carthage.523 Malheureusement, il semble que les mots clé du texte


sont corrompus, et que, dans l’état des connaissances actuelles de la langue et
de l’ethnologie puniques, il n’y a aucun espoir de les corriger de façon à éclairer
la nomenclature en question.524

Difficultés du textus receptus


Les variantes sint … Chanani … Chananaei constituent le textus receptus, c’est à dire
celui de toutes les éditions antérieures.
Aucun éditeur n’a tenté de justifier ce texte. Amerbach l’a vraisemblablement
recueilli d’un texte du type représenté par le manuscrit B,525 et c’est ensuite la force
de la tradition qui a assuré sa survie.
Évidemment, Amerbach ne connaissait pas le punique, mais la philologie sémi-
tique permet aujourd’hui une défense du textus receptus. En effet, le terme
c(h)anani correspond orthographiquement à la forme « gentilique » des langues
sémitiques, un nom-adjectif se terminant en i, qui est d’usage pour les noms de
peuples.526 La forme c(h)ananaeus, quant à elle, est la transcription latine de la
forme grecque Χαναναῖος. Celle-ci est formée par une procédure courante, selon
laquelle les gentiliques hébreux en -i deviennent des adjectifs grecs en -αῖος.

||
rejeté l’hypothèse que ϕοῖνιξ serait en fait un terme d’origine grecque, signifiant rouge : voir HUSS,
Geschichte, 2 ; LIPINSKI et RÖLLIG, Dictionnaire s.v. Phénicie. De plus, on n’admet pas toujours que
ϕοῖνιξ soit à l’origine de Punicus : voir LIPINSKI et RÖLLIG s.v. Puniques. Quant à Canaan, KRAHMAL-
KOV admet qu’il s’agit du « Phoenician name of Phoenicia » (loc. cit. 236 – on y trouvera aussi la liste
des rares attestations du mot dans les textes puniques ; sur cette liste, voir aussi QUINN, Augustine’s
Canaanites, 176s.), mais l’origine punique de ce mot est aussi mise en doute : voir ZOBEL, Kena’an, §
I.3 ; LIPINSKI et RÖLLIG s.v. Canaan. Dans l’Ancien Testament, et dans l’ensemble de la documenta-
tion orientale, les termes Canaan(éen) et Phénicie(en) se recoupent, mais sont loin d’être toujours
synonymes. On sait que la « terre de Canaan » est un des noms de la Terre Promise. Voir ZOBEL, loc.
cit. § I.2, 4 ; II.1.
523 E.g. D. HARDEN, The Phoenicians, London 1962, 22 ; S. MOSCATI, Chi furono i Fenici, in : S. MOS-
CATI (éd.), I Fenici, Milano 1988, 24s. ; M. SOMMER, Die Phönizier, München 2008, 14 ; D. HOYOS, The
Carthaginians, London 2010, 1, 220.
524 Nous n’avons aucune compétence en punique, mais des savants qui connaissent cette langue
ont très généreusement partagé avec nous leur érudition. Nous ne pouvons citer tous ceux qui sont
venus à notre aide, mais tenons à nommer au moins Maria Bianco, François Bron, Lionel Galand,
Rober Kerr, Reinhard Lehmann et Philip Schmitz. Avant tout, nous voulons remercier Josephine
Crawley Quinn, avec qui nous avons longuement discuté de ce passage, en personne et per litteras,
et qui, en collaboration avec Neil McLynn, était déjà arrivée indépendamment à des conclusions
similaires aux nôtres. Nous devons au professeur Quinn la correction des leçons de certains manus-
crits, mais nous restons l’unique responsable de tout ce qui suit. Voir aussi le travail collaboratif :
QUINN – MCLYNN – KERR – HADAS, Augustine’s Canaanites.
525 Voir supra, 2.4.1, p. 86.
526 Voir FRIEDRICH – RÖLLIG, Phönizisch-Punische Grammatik, 139.
128 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

L’exemple le plus répandu du phénomène est sans doute le couple Yehudi /


Ἰουδαῖος.527
Ainsi, les paysans auraient utilisé la forme sémitique du mot, qu’Augustin au-
rait corrigé par la forme gréco-latine qu’il connaissait par la Bible.
Cette hypothèse a le mérite de correspondre à des faits linguistiques connus.
Mais elle n’est pas recevable, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, la séquence sint … C(h)anani … C(h)ananaei trouve très peu de
soutien dans le stemma. sint n’est que dans T V B, que l’on sait représenter des
traditions enclines à la conjecture. L’archétype portait certainement sit, sur lequel
nous reviendrons. Chanani (avec la variante orthographique Canani) en première
position est assez bien représentée des deux côtés du stemma pour avoir pu figurer
dans l’archétype. Mais C(h)anan(a)ei en seconde position est seulement dans le
groupe suspect T V B : l'archétype portait vraisemblablement de nouveau C(h)anani.
Bien entendu, la présence du même mot dans les deux positions constituerait un
non-sens, mais il n’y a rien d’improbable à ce qu’un tel non-sens ait figuré dans
l’archétype. Seuls des scribes qui connaissaient eux-mêmes le punique étaient sus-
ceptibles de préserver le bon texte dans un tel passage, et on sait d’ailleurs quel
désordre règne dans la transcription des noms propres dans toute la latinité médié-
vale.
Il faut donc conclure que le textus receptus constitue une conjecture, proba-
blement faite à deux reprises, de manière indépendante, dans la tradition de T V et
celle de B. C’est certes une conjecture intelligente, mais il est improbable qu’elle
vienne d’un scribe qui connaissait quelque chose aux formes sémitiques, et elle a
donc moins d’autorité en soi que ne l’aurait la conjecture d’un éditeur moderne.
Un second problème saute aux yeux, celui du nombre de lettres différentes
entre les deux formes. Augustin parle d’une seule lettre corrompue, mais entre Cha-
nanaei et Chanani, il y a deux lettres de différence : la diphtongue ae a disparu en
entier. Une diphtongue ne représente certes qu’un seul son, mais, par définition,
elle s’écrit en deux lettres.
Il convient cependant de se demander si Augustin épelait le mot C(h)ananaeus
ou C(h)ananeus. On sait qu’à son époque la diphtongue ae se prononçait comme un
e long,528 prononciation qu’elle devait garder jusqu’aux réformes d’Érasme. Augus-
tin lui-même le confirme : Non est enim scriptum ‘aequus’, quod ab aequitate dicitur,
sed ‘equus’, animal quadrupes (in psalm. 32,2,2,24). L’orthographe tendait ensuite à
suivre la prononciation. Mais en même temps les grammairiens luttaient pour pré-

||
527 Pour une prise de conscience de l’hellénisation des noms hébreux dans la Bible, voir Origène,
in Ioh. 2,33,197.
528 Voir LHS 1, 68.
Introduction | 129

server l’orthographe ancienne,529 si bien que, même au haut Moyen Âge, celle-ci
n’aura pas complètement disparu. Mais l’influence des grammairiens fut peut-être
moindre pour une forme comme C(h)ananaeus, où ni la racine ni le suffixe530 ne sont
de souche latine.
À défaut d’autographes, le meilleur témoin que nous possédons des habitudes
orthographiques d’Augustin est le célèbre manuscrit Saint-Pétersbourg, Q. v. I.3,
vraisemblablement écrit en Afrique du Nord du vivant de l’auteur.531
Plusieurs érudits nous renseignent sur l’orthographe de la diphtongue ae dans
ce manuscrit. J. Zycha532 signale que les inversions de ae et e sont fréquentes et sans
logique apparente, puisque l’on trouve des orthographes alternatives du même mot
sur une même page. Notons que, selon lui, on trouve uniquement l’orthographe
Manicheus (et non pas Manichaeus). Green533 lui aussi relève des exemples de e et ae
inversés ; dans sa liste on notera en particulier la forme Hebreos. Dans une étude
plus détaillée, Mutzenbecher534 affirme que e n’est que rarement mis pour ae (formes
à noter : Hebrea, Manicheorum) mais que ae pour e est bien plus fréquent (hypercor-
rection).535 Elle nous informe aussi sur l’orthographe de Iudae(us) :536 la forme en ae
est courante, celle en e n’apparait que deux fois.
Si le manuscrit de Saint-Pétersbourg utilise normalement les orthographes Iu-
daeus et Manicheus, on en conclura que les deux formes C(h)ananaeus et
C(h)ananeus pouvaient être produites dans le milieu d’Augustin. Il est beaucoup
moins aisé d’en déduire ce qu’Augustin considérait comme la bonne orthographe du
mot. Même si le manuscrit de Saint-Pétersbourg venait directement du scriptorium
d’Hippone, ce qui ne semble pas être le cas,537 il faudrait savoir si l’auteur assurait la
correction des vétilles orthographiques dans les textes écrits sous sa dictée ou co-
piés de ses autographes.
Toutefois, si notre passage porte vraiment sur la différence entre les formes
C(h)anani et C(h)anan(a)ei, Augustin avait lieu de s’interroger plus particulièrement

||
529 Voir SEELMANN, Die Aussprache, 224–226. À Varron, De re rustica 2,1,7 (cité n. 547 infra) la
transformation AE → A est décrite comme la perte d’une lettre (mais le texte n’est pas certain : voir
C. GUIRAUD [éd.], Varron : Économie rurale. Livre II, Paris 1985, n. ad loc.).
530 Les formes en -aeus sont étrangères au latin : toutes celles que l’on trouve chez GRADENWITZ
(Laterculi, 482) sont d’origine grecque. Voir aussi K-S 1,981 ; et SCHULZE, Zur Geschichte, 392, pour
les adjectifs gentilices d’origine grecque ou étrusque.
531 Voir W. M. GREEN, CSEL 80, vii–ix ; infra, n. à 2,5.
532 CSEL 25, xxx.
533 CSEL 80, xxvi.
534 MUTZENBECHER, Codex Leningrad, s’occupe essentiellement de ce qu’elle appelle « dem ersten
Teil » (406) du manuscrit, c’est à dire apparemment jusqu’au folio 86r.
535 Ibid. 419s.
536 Ibid. 424.
537 Ibid. 437–442.
130 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

sur l’orthographe exacte de cette deuxième forme. Il était alors en mesure de la re-
lier à la forme grecque en -αῖος du Nouveau Testament, et donc de préférer
l’orthographe en -aeus. Nous admettons cependant que, dans la rapidité de son
travail, il ait pu négliger cette question. Par conséquent, nous ne considérons pas
que la formule una littera constitue un obstacle infranchissable pour le textus re-
ceptus.
Mais, si nous admettons ex hypothesi la forme C(h)ananei, il reste le problème
du sens de corrupta. Si l’on traduit, comme nous l’avons fait, corrupta una littera,
« avec la corruption d’une lettre », le lecteur français comprendra spontanément
que, dans la prononciation du mot par les paysans, le son représenté par une seule
lettre était modifié, par rapport à la prononciation, et donc à l’orthographe,
qu’Augustin considérait comme normative. En effet, en français, corrompre signifie
« empirer, vicier, rendre mauvais », un sens qui dérive sans altération de l’usage
latin de corrumpere et corruptio. Mais dans le transfert C(h)ananei → C(h)anani, une
lettre et le son qu’elle représente n’ont pas été modifiés, mais éliminés.
Étymologiquement, corrumpere vient de rumpere, et peut donc aussi signifer
« briser, éliminer, détruire ».538 Une telle traduction pourrait donner raison au textus
receptus. Mais retrouve-t-on ce sens de corrumpere chez Augustin ?
Pour répondre à cette question, nous avons examiné sur LLTA tous les exemples
(env. 1700) de formes en corrump*et corrup* chez notre auteur. Il s’agit donc non
seulement du verbe corrumpere et du nom corruptio, dans toutes leurs flexions, mais
aussi des dérivés corruptibilis, corruptibiliter, corruptibilitas, corruptor, corruptrix,
corruptela.
Or, dans cette masse de données, il n’y a qu’un seul passage où un des mots en
question a probablement le sens voulu. Il s’agit d’une réflexion, en civ. 3,20, sur le
suicide collectif des habitants de Sagonte en 219 av. J-C :

Si Saguntinorum christianus populus esset et huiusmodi aliquid pro fide evangelica pateretur,
quamquam se ipse nec ferro nec ignibus c o r r u p i s s e t , sed tamen si pro fide evangelica exci-
dium pateretur, ea spe pateretur, qua in Christum crediderat.

Il est difficile d’expliquer l’emploi de corrumpere ici. Peut-être Augustin le doit-il à


sa source non identifiée.539 Ou peut-être fait-il référence à la corruption des âmes

||
538 Cf. ThLL s.v. Mais l’article ne distingue pas très clairement delere, perdere de depravare, mutare
in deterius.
539 Il ne s’agit pas de Tite-Live (21,14) qui parle bien, comme Augustin, d’un bûcher, mais dit
seulement que certains s’y jetèrent, et ne mentionne pas d’égorgements. La diversité règne dans les
narrations du destin du peuple de Sagonte, dont on trouvera la liste chez HUSS, Geschichte, 282s.
C’est Silius Italicus (2,592–707) qui donne la version la plus proche de civ. Mais, à notre connais-
sance, Augustin n’avait pas lu ce poète : il peut donc y avoir une source commune.
Introduction | 131

qu’entraîne le suicide. En tout cas, s’il faut bien comprendre corrumpere dans le
sens de « détruire », le passage reste tout à fait isolé.
Pour le reste, corrumpo et ses dérivés signifient un phénomène précis et obsé-
dant pour Augustin. Il s’agit du mouvement vers la destruction.540 Seules les choses
créées y sont soumises, et la vie de l’homme, après la chute, n’est qu’une longue
lutte pour résister à la corruptio morale et endurer la corruptio physique. Ces deux
processus ont une fin : pour le corps, la mort ;541 pour l’âme, la damnation. Mais le
processus et la fin sont deux choses différentes, et corruptio ne désigne que la pre-
mière des deux. Citons deux passages qui montrent bien ce sens de corruptio comme
processus :

Omnis natura quae minus bona fieri potest, bona est; et omnis natura dum c o r r u m p i t u r , m i -
n u s b o n a f i t . (lib. arb. 3,36)

O r d i n a t i o esse cogit, inordinatio ergo non esse; quae perversio etiam nominatur atque corrup-
tio. Quidquid itaque c o r r u m p i t u r , eo t e n d i t , u t n o n s i t . (mor. Manich. 8)

Noter de même la perpetua corruptio des corps dans l’Enfer— corruptio, justement,
parce que le corps n’est jamais détruit :

Proinde illi qui ad iudicium resurrecturi sunt, non commutabuntur in illam incorruptelam quae
nec doloris corruptionem pati potest … Isti vero p e r p e t u a c o r r u p t i o n e cruciabuntur; quia
‘ignis eorum n o n e x s t i n g u e t u r , et vermis eorum n o n m o r i e t u r ’ [Is. 66,24]. (epist. 205,15)

Augustin parle aussi, comme en français, de la corruptio des juges et de la corruptio


des textes.542 Mais, encore une fois, un juge corrompu ou un texte corrompu n’ont
pas cessé d’exister – ils ont seulement été endommagés, rendus pires.543 De même, il
aime à appliquer la phrase ne corrumpas tituli inscriptionem,544 version de la note
introductoire des psaumes 55–58, au refus par Pilate de modifier l’inscription sur la
Croix (Io. 19,19–22).545 Ce que demandent les prêtres, et ce que refuse Pilate, c’est
bien de changer l’inscription, et non pas de l’effacer.
On voit donc à quel point Augustin est précis et cohérent dans sa distinction
entre corruption et destruction, élimination. Passons maintenant aux rares
exemples où l’auteur applique corrumpo et ses dérivés à l’analyse des mots. En mus.

||
540 Pour plus de détails, voir AugLex s.v. corruptio – incorruptio.
541 Mais vide infra sur l’Enfer.
542 Les exemples sont trop nombreux pour être cités. La corruption judiciaire apparait surtout
dans les écrits anti-donatistes, celle des textes dans la polémique contre les Manichéens.
543 Epist. 82,34 : De interpretatione tua iam mihi persuasisti, qua utilitate scripturas volueris trans-
ferre de Hebraeis, ut scilicet ea, quae a Iudaeis p r a e t e r m i s s a , vel c o r r u p t a sunt, proferres in
medium. Les passages praetermissa ne figurent plus ; les corrupta sont toujours là.
544 La forme exacte du texte varie chez Augustin.
545 Cons. euang. 1,5 ; in euang. Ioh. 117,5 ; in psalm. 55,2 ; 56,3 ; 80,11 ; serm. 201,2 ; 218(augm),7.
132 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

5,24, la substitution de certaines unités métriques à d’autres dans un vers est quali-
fiée de corruptio. Il s’agit toujours de substitution, jamais d’élimination. En in
psalm. 132,3, Augustin accepte que la désignation Circelliones, employée par les
catholiques, puisse être une forme corrompue pour Circumcelliones. Ici il y a bien
élimination de lettres, comme dans C(h)ananei → C(h)anani, mais c’est le mot tout
entier, et non pas une seule lettre, qui est décrit comme corrompu : forte corrupto
sono nominis eos appellamus … Donc, encore une fois, le processus décrit est bien
une substitution, et non pas une élimination.
Même constat pour un petit traité de grammaire dont certains acceptent
l’authenticité augustinienne, l’Ars breviata.546 Il y est question de corruptio dans une
discussion (2,6) sur la formation des noms :

Sane particulae quibus nomina conponuntur aut integrae sunt omnes, aut c o r r u p t a e omnes,
aut partim integrae partim c o r r u p t a e . C o r r u p t a s dico quando per ipsam compositionem in-
tegritatem amittunt, nec ex eo tamen minus latinum nomen efficiunt. Nam cum ‘ineptus’ dicitur
‘in’ utique latinum est, et tamen ‘eptus’ latinum non est. Ex eo enim quod est ‘aptus’ c o r r u p t u m
est. Si quis itaque non diceret ‘ineptus’ sed ‘inaptus’, eo minus latinum nomen esset quod c o r -
r u p t u m nihil haberet.

Comme on le voit, les formes dites corrompues sont des modification des formes
intègres, et corruptus ne peut ici signifier « éliminé ».547
Conclusion : dans corrupta una … littera, le mot corrupta ne peut pas faire réfé-
rence à l’élimination de la lettre e dans un transfert C(h)ananei → C(h)anani.
Venons-en à l’hypothèse qui ferait de C(h)anani la forme gentilique sémitique.
Sous ce biais survient une nouvelle objection au textus receptus : C(h)anani est
une forme punique au singulier, alors que C(h)ananaei est un nominatif pluriel en
latin. Au pluriel, le gentilique devrait être une forme du type C(h)ananim.548 La leçon
C(h)anani permettrait donc de défendre la leçon sit de l’archétype, mais ne saurait
correspondre au pluriel C(h)ananaei.

||
546 L’authenticité est vigoureusement défendue par LAW, St. Augustine’s, puis par BONNET, Abré-
gé, vii–xx. Mais ont-ils vraiment réfuté les objections des Mauristes et de Marrou ? En revanche, les
arguments de Law contre l’authenticité des Regulae grammaticales attribuées à Augustin semblent
probatoires. D’ailleurs, il n’y a aucun dérivé de corrumpo dans ce second texte.
547 Pour le vocabulaire de la véritable élimination, voir Varron, De re rustica 2,1,7 : Nostri … oves
‘baelare’ vocem efferentes dicunt, quo post ‘balare’ e x t r i t a u n a l i t t e r a , ut in multis ; Macrobe,
sat. 1,12,30 : d e t r i t i s q u i b u s d a m l i t t e r i s ex ‘Iunonio’ ‘Iunius’ dictus ; Isidore de Séville, Orig.
6,19,22s. : ‘Osanna’ in alterius linguae interpretationem in toto transire non potest. ‘Osi’ enim ‘salvifi-
ca’ interpretatur; ‘anna’ interiectio est, motum animi significans sub deprecantis affectu. Integre
autem dicitur ‘osianna’, quod nos c o r r u p t a m e d i a v o c a l i l i t t e r a e t e l i s a dicimus osanna,
sicut fit in versibus cum scandimus.
548 FRIEDRICH – RÖLLIG, Phönizisch-Punische Grammatik, 139.
Introduction | 133

On pourrait certes répondre qu’Augustin ne savait pas distinguer singulier et


pluriel en punique. Cette idée est improbable en soi,549 et de plus elle est clairement
contredite par un passage de haer. 87, sur le nom d’une secte locale :

Abeloim vocabantur, punica declinatione nominis. Hos nonnulli dicunt ex filio Adae fuisse nomi-
natos qui est vocatus Abel, unde Abelianos vel Abeloitas eos possumus dicere.

Ici le pluriel sémitique est bien en -im et les formes latines et grecques proposées
pour le remplacer sont bien au pluriel.
Ce passage de haer. permet de formuler une dernière objection au textus re-
ceptus, ou du moins à son explication par le gentilique sémitique : une forme pu-
nique n’est pas une forme « corrompue » d’un mot punique. Abeloim n’est pas
présentée comme une forme fautive, mais tout simplement comme un mot punique.
Or, on a vu que corrumpo et ses dérivés ont un sens presque universellement péjora-
tif chez Augustin. Prétendrait-il vraiment qu’en se nommant dans leur propre
langue, avec leur propre grammaire, les paysans n’utilisaient pas une forme cor-
recte ? Surtout que l’idée d’une supériorité innée du latin (ou du grec) aux autres
langues « barbares » est étrangère à la pensée augustinienne.550

Difficultés des autres hypothèses


Il est douteux en soi qu’un transfert C(h)anan(a)ei → C(h)anani, où il est évident que
la différence entre les deux mots ne porte que sur la façon de former l’adjectif à
partir d’un même nom de lieu, ait nécessité une glose quelconque. Mais, quoi qu’il
en soit, il est clair que le textus receptus est de fait irrecevable. Il convient alors de
passer en revue quelques hypothèses pour le corriger.
Nous venons de voir qu’un pluriel punique correspondant à C(h)ananei devrait
prendre la forme Chananim. Ce –m sémitique a très bien pu se perdre dans la trans-
mission. Doit-on le rétablir, avec un texte sint … C(h)ananim … C(h)anan(a)ei ?
C’est impossible, puisqu’il y a plus d’une lettre de différence entre C(h)ananim et
C(h)anan(a)ei. On peut alors proposer sint … C(h)ananim … C(h)anani, où cette
dernière forme serait formée de la racine sémitique + la terminaison latine. Mais le
passage de haer. que l’on vient de citer montre qu’Augustin ne procédait pas ainsi.
De plus, encore une fois, C(h)ananim serait une forme juste en punique, et non pas
une « corruption ».

||
549 Il n’est pas aisé, en parcourant les passages recueillis par GREEN, Augustine’s Use (auxquels il
faut ajouter les passages mentionnés dans notre commentaire, n. à 13,1–7), de se faire une idée
exacte des connaissances puniques d’Augustin. Mais elles paraissent assez étendues pour conclure
qu’il connaissait de tout temps un fait de langue élémentaire comme la formation des pluriels.
550 Voir commentaire, n. à 13,1–7.
134 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

On peut ensuite postuler des émendations basées sur ‫( ְכּנַעַן‬Kena‘an), le vo-


cable hébreu sur lequel sont formés Χαναναῖος / C(h)ananaeus. Il y a en effet,
comme on le voit, trois modifications dans la transformation grecque du mot hé-
breu : (1) l’occlusive k est devenue une occlusive aspirée, ch ; (2) la voyelle initiale e
est devenue a ; (3) la lettre gutturale ‘ayin a disparu, ce qui a conduit à la fusion des
deux dernières syllabes. Toutes ces transformations suivent les normes de la LXX,551
mais le mot punique des paysans pouvait en théorie très bien être plus proche de la
forme hébreu. Cependant, il y a d’énormes difficultés à déterminer dans quelle me-
sure l’orthographe massorétique des textes bibliques pouvait correspondre à la
phonétique des paysans des alentours d’Hippone au 4ème siècle. L’orthographe de la
LXX peut très bien refléter, elle aussi, une prononciation de l’hébreu qui était
proche d’une prononciation punique.
En tout cas, on écartera d’emblée (1) et (3) :
(1) Pour qu’Augustin ressente la transformation ch → k comme une corruption, il
faudrait qu’il entende très clairement la différence entre les deux sons. Mais le latin
les a toujours très mal distingués, le ch étant importé du grec, et sans place certaine
dans l’orthographe latine, sauf à l’intérieur de quelques mots (pulchrum, sepul-
chrum).552 L’incertitude a régné de tout temps pour l’orthographe latine des mots qui
comportaient, ou que l’on croyait comporter, un χ dans leur forme grecque. C’est ce
que montrent les variantes pour notre passage, et il en est ainsi aussi dans le ma-
nuscrit de Saint-Pétersbourg, où on lit Chanan (le Κανά de Io. 2), Nabuccodonossor
(corr. Nabuch-), Rebeccha.553 On peine alors à croire qu’Augustin ait pris position sur
la bonne prononciation de l’occlusive initiale de C(h)ananaei, surtout sans indiquer
très clairement à un public latin de quoi il en retournait.554
(3) Il est probable que les paysans ne prononçaient pas le ‘ayin, puisque celui-ci
tend à disparaitre en punique.555 Mais, même s’ils le prononçaient, pourquoi Augus-
tin devait-il y voir une corruption ? La forme Chanaan lui était bien connue de
l’Ancien Testament, où elle est normale dans la Bible latine, comme calque du grec
Χανααν.556 Doit-on supposer le cas inverse, qu’Augustin, fort de ses connaissances
bibliques, s’attendait à une forme sur base Χανααν ? C’est faire de lui un philologue

||
551 Pour (1) et (2) voir HELBING, Grammatik, 27s. Pour (3), il semble qu’une forme du type
Χανααναῖος était simplement trop barbare pour être créée en grec ou en latin.
552 Voir LHS 1, 75. KERR, Latino-Punic, 115, semble donc trop confiant en se servant de notre pas-
sage dans son dossier sur l’aspiration en punique.
553 MUTZENBECHER, Codex Leningrad, 422–424.
554 Comme il le fait clairement à cons. euang. 1,34.
555 Voir FRIEDRICH – RÖLLIG, Phönizisch-Punische Grammatik, 15 ; KERR, Latino-Punic, 24–38.
556 Pour la LXX, voir ZOBEL, Kena’an, § I.2. Pour la Bible latine, voir Novae Concordantiae bibliorum
sacrorum iuxta Vulgatam Versionem Critice editam, t. 1, Stuttgart 1977, 759–761. La Vulgate n’entre
pas en jeu pour l’Inchoata expositio, mais sur un tel point son orthographe suit celle des versions
antérieures. Les résultats de LLTA donnent 87 fois la forme Chanaan chez Augustin.
Introduction | 135

des langues sémitiques, ce qu’il n’était certainement pas, et encore moins ses lec-
teurs. De plus, Augustin fait dériver Chananaeus de Chanaan sans broncher en c.
Iulian. op. imperf. 4,129 : de isto ergo Chanaan ducunt originem Chananaei. Enfin,
l’orthographe en aa est la seule façon connue de reproduire en grec et en latin le
‘ayin du mot + sa voyelle, et il est douteux que la transformation aa → a puisse être
décrite par corrupta … una littera.
(2) ne peut être exclu avec certitude. Nous possédons certaines indications, bien
qu’éparses et confuses, sur les voyelles du punique tardif. De l’étude qu’en fait
Kerr,557 on retiendra qu’il existe une « harmonisation des voyelles » qui produit des
orthographes du type Χανα- , mais que la « voyelle réduite » e est aussi clairement
attestée. On doit donc admettre la possibilité que le mot des paysans avait un pre-
mier syllabe en Ke, et qu’Augustin ne savait pas qu’une telle prononciation se justi-
fiait par l’hébreu. Le bon texte serait alors soit sint … C(h)enan(a)ei …
C(h)anan(a)ei soit sit … C(h)enani … C(h)anani. Dans ce deuxième cas, le sujet de
sit serait la langue des paysans, par un transfert un peu abusif du mulieris lingua de
la phrase précédente.558 Il faudrait alors comprendre C(h)enani et C(h)anani comme
deux mots puniques, des formes « gentiliques » servant à indiquer le nom de la
langue.559 Ceci est problématique : si la réponse des paysans peut, à la rigueur, être
en punique, son explication doit être en latin. En effet, nulle part ailleurs Augustin
n’écrit un mot en punique sans indiquer qu’il s’agit de punique. On peut résoudre le
problème en proposant un texte sit … C(h)enani … C(h)anan(a)eus, en supposant
qu’Augustin ne prenait en considération que le radical, quand il différenciait les
deux formes. Mais toutes ces suggestions semblent reposer sur des bases trop ins-
tables pour en tirer une solution pour notre texte.
Cependant, ces conjectures ont au moins le mérite de correspondre à l’énoncé
corrupta … una littera. C’est aussi le cas de deux hypothèses formulées à partir de
leçons des manuscrits. Le sous-archétype γ portait la leçon sit … C(h)anei …
C(h)anai, d’où l’on peut proposer un texte sit … C(h)anaei … C(h)anani. Et à partir
des leçons de d, on peut supposer un texte sit … C(h)amani … C(h)anani. Par la
structure du stemma, il est possible en soi que γ ou d conservent de bonnes leçons
perdues dans les autres branches. Mais, encore une fois, on ne peut admettre ces
deux conjectures sans accepter C(h)anani comme forme punique. De plus, qui pis
est, rien ne recommande ni C(h)anaei ni C(h)amani, si ce n’est le fait que ces deux
formes diffèrent du mot Chanani d’une seule lettre. Il n’existe pas, à notre connais-
sance, de phénomène en punique qui justifierait la transformation n→e ou n→m.

||
557 Latino-Punic, 76–105.
558 Nous devons cette idée sur sit à Jo Quinn.
559 On s’attendrait plutôt à des formes féminines en -it pour le nom d’une langue, mais il est pos-
sible que de telles formes se soient prononcées en -i en Afrique du Nord (voir QUINN, Augustine’s
Canaanites, 186).
136 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

Bien entendu, il est possible qu’Augustin se soit trompé en postulant que le nom
que se donnaient les paysans avait comme racine Kena‘an. Mais il faudrait tout de
même une attestation indépendante de C(h)amani ou C(h)anei pour que l’on puisse
considérer une de ces formes comme une conjecture valable.
On pourrait sans doute proposer d’autres hypothèses, mais elles seront toutes
bien incertaines, jusqu’à ce que l’on trouve une information extérieure à notre texte
sur le nom que se donnaient ces paysans et qui ressemblait à C(h)anan(a)ei. Il faut
donc se résigner au verdict de non liquet. D’ailleurs, la difficulté du problème est
reflétée par l’expression parenthétique à laquelle nous n’avons pas fait référence
jusqu’ici : sicut in talibus solet. À première vue, il semble s’agir là d’un indice pré-
cieux. La corruption d’une seule lettre s’est faite « comme il est d’usage chez de tels
hommes » (ou peut-être « dans de tels mots »). C’est donc un phénomène habituel,
et non pas isolé. Mais quel est le sens exact de l’expression, et qu’implique-t-elle ?
Augustin veut-il dire que les paysans d’autour d’Hippone agissent comme les pay-
sans du monde entier, en parlant mal (cf. doctr. christ. 4,12s.) ? Est-ce que ce sont
seulement les paysans de chez lui (rustici nostri) qui tendent à faire des fautes en
général ? Ou nous indique-t-il une faute typique et particulière, qui consiste à modi-
fier une seule lettre dans un certain type de mot ? Dans ce dernier cas, est-ce tou-
jours la même lettre ou y a-t-il variation ? On est bien incapable de répondre à ces
questions, et finalement, pour nous, il s’agit d’un indice qui n’indique rien.

14,3 quodlibet vile et abiectum : videt Ξ (videlicet R H G) : videt donne un sens ac-
ceptable, mais un peu plat. Pour vile et abiectum, comparer mus. 6,57 ; in psalm.
32,2,2,16 ; serm. 37,17.
15,3 nam neque de ipso Deo Patre digne sentiunt : digna Ξ B edd : Il ne semble pas,
selon les résultats de LLTA, qu’Augustin ait combiné ailleurs digne ou digna
avec sentire. Mais on trouve des parallèles pour digne chez d’autres auteurs de
son époque :560 Ambroise, in psalm. 118,12,2 ; Jean Cassien, Institutiones 8,4,3 ;
Prosper d’Aquitaine, in psalm. 144,29.561 Par contre, digna est apparemment li-
mité à Arnobe (Adversus nationes 1,39), dont on sait les particularités stylis-
tiques. D’autre part, dans ce §15 de l’Inchoata expositio, Rousselet562 note le pa-
rallèle avec male senserit (15), perverse sentit (12), impie sentiant (14).

||
560 LLTA reste bien incomplet pour la période patristique. On peut le compléter avec la version
digitale de PL (http://pld.chadwyck.co.uk/) mais, mis à part les problèmes posés par l’antiquité des
éditions dont Migne s’est servi, la version digitale ne facilite pas les recherches sur deux mots sépa-
rés l’un de l’autre. Nous avons fait une recherche sur les deux formes placées ensemble, dont nous
incluons ici les résultats.
561 Pour les textes un peu plus tardifs, ajouter Fulg. Rusp. epist. 15,10 ; 18,9 ; Greg. M. moral. 27,45.
On lit digna sentitis chez Alc. Avit. epist. 51 (MGH).
562 ROUSSELET, À propos d’une édition, 238.
Introduction | 137

15,5 quem sancto Spiritu plenum lapidaverunt : sancto spiritu Ξ (sancto plenum
spiritu M)] sancto ipso spiritu Λ (spiritu ipso sancto T) ; ipso spiritu sancto B
edd : La tradition représentée par B, que suivent les éditeurs, a clairement modi-
fié la leçon de Λ, puisque ipso pouvait clarifier la logique de l’argument, mais sa
position entre sancto et spiritu sonnait faux. En effet, Spiritus sanctus / sanctus
Spiritus fonctionnait presque comme un seul mot, et il est rare qu’Augustin sé-
pare le nom et l’adjectif autre que par un possessif (suus, Dei) ou les adverbes
postpositifs (autem, enim, quoque, ergo …). On peut certes citer epist. 95,5 (Spiri-
tus autem ille Sanctus) ; quaest. Simpl. 2,1,5 (Spiritus ille Sanctus) ; c. Fel. 1,7 (in
Spiritu isto Sancto). Mais, dans tous ces cas, c’est spiritus, et non pas sanctus,
qui est placé avant le démonstratif. L’ordre avec sanctus en premier suggère que
la sainteté n’est pas tout à fait une qualité intrinsèque de l’Esprit. C’est ce qui a
gêné B. On pourrait donc adopter, comme conjecture, la leçon de B (ou celle de
T). Mais la repetition ipso Spiritu Sancto ... ipse Spiritus serait bien lourde, et le
texte de Ξ parait adéquat (comparer 14,1, que B modifie aussi).
15,11 cui umquam … schismatico spem liberationis, si se corrigat, amputavit : corri-
geret Λ : Faut-il le subjonctif présent ou imparfait ? Avec le verbe de l’apodose
au parfait de l’indicatif, aucune des deux options ne correspond à l’usage clas-
sique (voir K-S 2,2,660–664). Mais Augustin s’en écarte souvent.563 Comme il
faut choisir, nous avons préféré le présent, plus vif que l’imparfait, qui tend à
placer les faits dans le domaine du passé ou de l’irréel, alors que le repentir est
une possibilité toujours présente.
15,15 denuo baptizare non dubitent : dubitant O E S U κ : Vu la répartition des le-
çons, il est probable que dubitant était celle de l’archétype, indépendamment
corrigée dans T V et γ. On doit en tout cas accepter dubitent. Le style d’Augustin
est trop soigné pour qu’il ait pu construire cum avec l’indicatif, après que ce
même cum a gouverné toute une série (15,13–15) de verbes au subjonctif : cum …
asseverent … fateantur … negent … fateantur … sentiant … confingant … negent …
contendant … exsufflent.
15,16 errorem atque impietatem : ac O E S U (et ac ac.) V ; et T F : LLTA donne 4498
résultats pour ac dans le corpus augustinien. Dans un échantillon des 1000
premiers cas + 185 dans les sermons, on trouve ac exclusivement devant des
mots commençant par une consonne. C’est assez pour conclure qu’Augustin
suivait la règle classique, qui exigeait atque avant une voyelle.

||
563 Parmi les exemples de PALUSZAK, The Subjunctive, 295, pour le présent, seul epist. 151,13 est
quelque peu analogue à notre passage. Parmi les exemples avec l’imparfait (303), seul epist. 31,3 a
vraiment un sens potentiel. STOKES, Conditional Sentences, ne relève pas d’exemples pour le pré-
sent. Ceux avec l’imparfait (110s.) expriment généralement l’irréel. (Nous remercions Andrew Abela
et Kathy Otey de nous avoir fourni un exemplaire de cette étude).
138 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

16,7 quid autem agimus de his : agimus om. Λ : Augustin fait avancer son argument
par une question du type « que dire / que faire de … », un procédé qui lui est
cher. On trouve facilement des exemples où, comme dans le texte de Λ, la ques-
tion quid de est posée sans verbe principale :564 mus. 3,21 ; mor. eccl. 44 ; in eu-
ang. Ioh. 12,8 ; 19,14 ; 23,13 ; 43,7 ; 47,6 ; in psalm. 39,13 ; 52,4 ; 57,10.14 ; 66,7 ;
93,17 ; 103,3,18 ; 138,21 ; 140,18.24 ; serm. 90,4 ; 155,14 ; 159A,4 ; 162A,1 ; 176,2 ;
229J,5 ; 359B,5 ; quaest. hept. 3,36 ; trin. 3,25 ; c. Cresc. 4,13 ; c. Iulian. op. im-
perf. 3,13.565 Mais les exemples avec le verbe agimus (ou agemus / agamus) ne
manquent pas non plus : gen. ad litt. 2,26 ; de serm. dom. 1,76 ; in euang. Ioh.
35,4 ; in psalm. 91,7 ; serm. 313D,4 ; trin. 6,10. Ici, nous avons préféré le texte de
Ξ,566 parce que la grande majorité des questions sans verbe sont très courtes, et
viennent non pas des écrits, mais de la prédication.
16,8 quia baptizati peccaverunt : peccarunt Λ (exc. O) : Les accords de O Ξ contre E d
sont trop rares pour en tirer des conclusions stemmatiques. Selon les résultats
de LLTA, le corpus augustinien porte 3039 fois des formes en -averunt, contre
402 formes syncopées en -arunt. Pour pecca(ve)runt, le contraste est encore plus
marqué : 11 cas de peccarunt contre 340 de peccaverunt. Dans un cas donné, la
forme non syncopée est donc la plus probable. De plus, dans ce cas, le sens de
la question rhétorique semble exiger une ressemblance phonétique aussi forte
que possible entre la forme ici et peccaverint (sans variantes) à la fin de la
phrase. Comparer la note sur 19,2.
17,1 cum scientia quisque peccasse dicatur : iudicatur Λ : La leçon de Λ donne un
sens correct, mais le plus probable est qu’elle est née de iudicatur à la fin de la
phrase. D’ailleurs la répétition du même verbe, pour décrire deux déductions
pas tout à fait parallèles, n’est pas souhaitable.
17,2 auferendae rei causa : rei eius Λ : Impossible de savoir avec certitude si Augus-
tin a écrit eius. Nous avons suivi Ξ, supposant que l’interpolation de eius pour
clarifier la phrase est un peu plus probable que son omission. Mais, à rebours,
la répétition de lettres dans rei eius aurait pu induire un scribe à sauter le deu-
xième mot.
17,3 quid inveniemus in quo scientes homines peccare videantur : inveniemus E κ P
W G μ] invenimus O d A B1 R H B Am Er Lov : Présent et futur conviennent tous
les deux, et la confusion règne dans les manuscrits, bien qu’il semble probable
que inveniemus fut la leçon originale de Ξ, et invenimus celle de Λ. Nous avons
préféré le futur, pour le parallèle avec d’autres questions rhétoriques au futur,
servant elles aussi un raisonnement par l’absurde : Quis inveniri p o t e r i t cui ve-

||
564 La tournure est assez proche de l’anglais « What about … ».
565 Ces deux derniers exemples sont les plus proches du texte Λ de l’Inchoata expositio.
566 ROUSSELET (À propos d’une édition, 238) a préféré omettre agimus, mais ne s’appuie que sur son
argument stemmatique défectueux.
Introduction | 139

niam peccatorum dederit Deus? (15,1) ; Num a u d e b i m u s peccata eorum propte-


rea non ignorantiae peccata deputare, quia baptizati peccaverunt? (16,8).
18,4s. vapulabit pauca … vapulabit multa : paucis … multis d E2 (ubique) : Cette
leçon de d E2 est sûrement fausse. En effet, les fiches de la base de données
Vetus Latina montrent que pauca … multa pour le texte latin de Lc. 12,47s. se
trouvent assez souvent chez Augustin, et nulle part ailleurs à l’époque patris-
tique. Les scribes tendaient donc à corriger le texte augustinien pour l’accom-
moder aux leçons plus répandues (surtout paucas … multas et paucis … multis).
Même dans notre texte, en 18,15, multa n’est plus remplacé par multis que dans
E (multa1) ou E2 L2 (multa2).
18,5 numquam posse dimitti peccatum : dimitti posse tr. Λ : Aucun moyen d’être
sûr de la bonne leçon. Nous avons suivi Ξ, sous prétexte que cette branche a en
tout un peu moins de fautes que Λ.
18,7 multo certior baptizatus sit: certius Λ Er Lov μ : L’utilisation de certior dans un
sens quasi-adverbial est bien moins fréquente chez Augustin que l’adverbe cer-
tius. Mais certior est la lectio difficilior, et on comparera les passages suivants :
Non igitur per eius [sc. Dei] praescientiam mihi potestas adimitur; quae propterea
mihi c e r t i o r aderit, quia ille cuius praescientia non fallitur adfuturam mihi esse
praescivit (lib. arb. 3,18) ; Ratio … versabatur namque, non veritate c e r t i o r , sed
consuetudine securior, in rebus humanis (mor. eccl. 11); Non solum bona, quae
sanctis et fidelibus suis est redditurus, verum etiam mala, quibus erat hic mundus
abundaturus, ante praedixit, ante conscribenda curavit, ut bona post saeculi
finem secutura c e r t i o r e s expectaremus, quam mala similiter praenuntiata ante
saeculi finem praecedentia sentiremus (epist. 78,1).
18,7 sacrosancta signacula, quorum res in eo praecesserant : praecesserat Λ B edd :
res au singulier pourrait se justifier par l’unité fondamentale des dons du bap-
tême. Mais le pluriel correspond au pluriel signacula, qui correspond à son tour
au deux effets du baptême que Cornelius aurait reçus en avance : voluntatem
Dei … cognovit ; Spiritum sanctum … accepit.
18,12 in Christi pace regnare : in om. Λ : Augustin écrivait bien regnare in pace pour
décrire la paix finale des élus au paradis. Comparer in euang. Ioh. 104,1 (Hac
p a c e in pressuris omnibus consolamur … ut i n hac feliciter sine ulla tribulatione
r e g n e m u s ) ; catech. rud. 36 (Simul omnes cum illo i n aeterna p a c e r e g n a -
b u n t ) ; contin. 17 (ut i n eius perfecta et sempiterna p a c e … r e g n e m u s ) ; 20
(Absit autem, ut insint ulla vitia i n illa quae futura est p a c e r e g n a n ti b u s 567) ;
civ. 15,6 (homo sine ullo peccato i n aeterna p a c e r e g n a b i t ) ; c. Iulian. op. im-
perf. 6,15 (i n aeterna cum illo postea p a c e r e g n e m u s ). Nous n’avons pas trou-

||
567 Cette expression n’est pas facile à analyser, mais il semble que in modifie pace, et que regnan-
tibus est au datif.
140 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

vé sur LLTA d’exemples de pace sans préposition qualifiant regnare chez Augus-
tin.
19,2 ut hoc significaverit apostolus : significarit O S E2 U (significavit ac. E) : Encore
une fois, T V a corrigé la leçon originale de Λ,568 probablement avec raison. Au-
gustin connait les formes syncopées de -averit en -arit : on en trouve 53
exemples sur LLTA. Mais LLTA donne aussi plus de 1500 formes en -averit. Pour
le mot en question ici, on trouve 26 exemples de significaverit569 contre un seul
de significarit.570 Il reste que l’on est bien dépendant des choix des éditeurs anté-
rieurs en telle matière. Comparer la note sur 16,8.
19,3 ut eos qui nondum baptizati sunt : non Λ (om. E) : Rousselet571 a préféré la le-
çon de E, considérant notre texte comme « non-recevable ». Il explique : « la res-
triction (ita sane ut … fateamur) reconnait que le baptême est une condition né-
cessaire mais non suffisante de la science achevée (plena scientia) : ex quo
conficitur ut … non omnis baptizatus etiam scientiam veritatis acceperit ». Rous-
selet aurait raison si le but de 19,3 était d’introduire 19,4, où l’idée du baptême
comme condition nécessaire mais insuffisante pour la science entre effective-
ment en jeu. Mais de fait 19,3 vise à étoffer l’idée introduite en 19,1s. : que Hebr.
10,26, cité en 18,2, veut dire « on ne peut être baptisé une seconde fois ». Pour
ceci, il faut montrer que postquam accepimus scientiam veritatis signifie « après
que nous ayons reçu le baptême ». Mais, comme l’a montré l’exemple de Cor-
neille en 18,7, on peut certainement avoir une certaine scientia veritatis avant le
baptême. Corneille a été baptisé ad perficiendam scientiam veritatis, ce que re-
prend la plena scientia ici. La restriction vise donc bel et bien à préciser que
ceux qui n ’ o n t p a s reçu le baptême peuvent être décrits comme n’ayant pas
reçu la connaissance de la vérité. Augustin est ensuite gêné parce qu’il a déjà
accepté (18,7s.) que l’on puisse être baptisé mais tout à fait ignorant. C’est pour-
quoi il s’étend en 19,3–7 sur l’idée de la condition nécessaire mais non suffi-
sante. Le choix entre nondum et non est plus délicat. Cependant, ce ne sont pas
t o u s les non-baptisés, mais plutôt ceux, tels Corneille, qui sont sur la voie du
baptême, et donc p a s e n c o r e baptisés, que l’on décrirait comme ayant une
connaissance partielle (nondum plenam) de la vérité.

||
568 Qu’il s’agisse de la leçon de Λ est vraisemblablement confirmé par l’extrait de Inchoata exposi-
tio 19 dans le commentaire de Claude de Turin sur Hebr. (voir supra, 2.5, p. 91).
569 Retract. 1,25 ; mag. 35 ; epist. Divj. 5,3 ; doctr. christ. 3,78 ; quaest. hept. 5,4.29 ; in Iob 7 ;
quaest. euang. 2,2 ; in euang. Ioh. 58,5 ; in psalm. 67,3 ; 118,3,3 ; serm. 270,7 ; pat. 19 ; civ. 13,23
(bis) ; 15,7 ; c. Adim. 14 ; c. Faust. 22,82.83.87 ; trin. 3,20 ; pecc. mer. 1,58 ; anim. 4,37 ; gest. Pelag.
32 ; grat. 5 ; c. Iulian. op. imperf. 6,40.
570 anim. 1,27.
571 ROUSSELET, À propos d’une édition, 238.
Introduction | 141

19,7 si iam eiusdem veritatis per baptismum sacramenta percepit : per T V γ Lov μ]
post O E S U κ B Am Er : La distribution des leçons ne suit pas le stemma, mais il
est probable que post était la leçon de l’archétype, corrigée par conjectures in-
dépendantes dans T V et γ. per est certainement la bonne leçon572 : (1) cette pro-
position explique celle qui la précède (si iam oblatum est), et doit donc avoir le
même sens : « s’il est déjà baptisé » ; (2) tout le développement du chapitre 19
veut montrer que le sacrement ou sacrifice de la connaissance de la vérité, c’est
le baptême (voir aussi 18,7), même si tout baptisé ne connait pas la vérité. Mais
la leçon post séparerait justement ce sacrement de la vérité de celui du baptême.
19,7 etiam quadrupes esset : quadrupedem esse Λ (quadrupes E2 ; quadrupedem O
(ac. ; quadrupede pc.) d ; quid E (ac.) non liquet ; esse etiam B edd) : Si la phrase
non ideo tamen … etiam quadrupes (-pedem) esse(t) fait partie du discours indi-
rect introduit par diceremus, il faut quadrupedem esse. Mais le maintien du dis-
cours indirect requerrait plutôt un sed entre le premier quadrupedem et non
ideo. On peut cependant prétendre que le texte de Λ est à préférer comme diffici-
lior. Le texte de edd, qui est aussi celui de CSEL 84, n’est pas grammatical.
20,3 quae ex parte Israel facta est : in israel Ξ B edd : Augustin cite Rom. 11,25,
πώρωσις ἀπὸ μέρους τ ῷ Ἰ σ ρ α ὴ λ γέγονεν. in ne traduit donc pas un mot grec,
mais sert à clarifier le rôle d’Israel dans la phrase, le latin n’ayant pas d’article
pour indiquer son cas. Cependant, si l’on peut se fier à nos éditions, il semble
qu’Augustin n’employait généralement pas ce in. Les éditeurs l’admettent dans
le texte 6 fois,573 mais il fait défaut 33 fois.574 À vrai dire, les deux leçons se re-
trouvent très souvent dans les manuscrits. Mais il est probable que, au moins
dans la majorité des cas, in était interpolé sous l’influence de la Vulgate, où on
lit caecitas ex parte contigit i n Israel. Noter aussi quaest. euang. 2,33,5 (ut etiam
omnis Israel salvus fiat, cui ex parte caecitas facta est) où il est clair qu’Augustin
considérait Israel comme un datif.

||
572 Comme l’a vu ROUSSELET, À propos d’une édition, qui dit justement : « l’impossibilité d’un
second baptême n’est en rien liée à l’enseignement complémentaire qui suit le baptême ».
573 In euang. Ioh. 51,8 (bis ; « omittunt plurimi codices », CCSL 36) ; 93,4 ; c. adv. leg. 2,4 (1 famille
de MSS omet in) ; epist. 149,19 (in omis dans 3 manuscrits, dont 1 avant correction) ; serm. 202,3 ;
260C,6. (Dans cette note et la suivante, nous avons souligné les références pour lesquelles il n’existe
pas d’édition critique moderne).
574 In psalm. 7,1 (in dans une famille de MSS), 6 (in dans 2 manuscrits, dont 1 après correction) ;
9,1 ; 13,8 (in dans une famille de MSS + 6 MSS, dont 1 après correction) ; 19,5 (in dans 4 MSS), 9 (in
dans 1 MSS) ; 45,15 ; 46,3 ; 58,2,2 (in dans une famille de MSS + 4 MSS) ; 65,5 (bis),10 ; 73,10 ; 79,14 ;
81,2,5 ; 88,2,8 ; 109,11 (ter ; les deux premières fois on trouve in dans une famille de MSS + 1 MS) ;
138,8 ; 147,28 (in dans 2 manuscrits, dont 1 après correction) ; praed. sanct. 33 ; serm. 136,4 (ter) ;
138,6 ; c. Iulian. 5,8 ; quaest. hept. 2,154,7 (in dans 2 MSS + 2 MSS d’Eugippe) ; 5,56 (in dans deux
MSS) ; in Iob 17.36 ; c. Faust. 9,1 (in dans 2 MSS après correction).
142 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

20,4 utrum in quoquam spiritus sanctus an fallaciae spiritus operetur: operatur Ξ :


On sait que bien des auteurs de l’Antiquité tardive se permettaient l’emploi de
l’indicatif dans les questions indirectes.575 Pour certaines œuvres, on a montré
qu’Augustin connait cette construction, même si l’emploi du subjonctif reste
largement majoritaire.576 Nous avons examiné sur LLTA les quelques 1500 cas577
de questions indirectes introduites par utrum dans le corpus augustinien. Dans
5 8 cas, le verbe se trouve à l’indicatif. Parmi ceux-ci, on distingue les cas où
Augustin aurait, pour ainsi dire, oublié qu’il avait affaire à une construction in-
directe, soit que l’interrogatif introduisant la proposition ait été f o r t él o i g n é
d e u t r u m (gen. ad litt. 8,19 : u t r u m … posuit … ambigue sonat ; gen. ad litt.
imperf. 7 : quaeri potest u t r u m … facti sunt ; in psalm. 135,3 : quaeritur … u t r u m
… vocandi sunt ; civ. 12,9 : discutiendum est … u t r u m … fecerunt ; 14,10 : u t r u m
… habebant … quaeritur ; 22,29 : u t r u m videbunt … quaestio est ; trin. 2,13 : vide-
bimus … u t r u m … mittebantur ; 2,23 : non satis elucet … u t r u m … gerebat ; 2,26 :
quemadmodum appareat … u t r u m … loquebatur ; 3,4 : erit videndum … u t r u m
… mittebantur), soit que utrum ait été s é p a r é d e s o n p r o p r e v er b e par une
ou plusieurs propositions subordonnées (gen. ad litt. 4,7 : cogitet anima …
u t r u m haec … erant ; gen. ad litt. imperf. 19 : u t r u m … dictum est … quaeri po-
test ; in euang. Ioh. 89,4 : u t r u m … deputandi sunt … quaeritur ; catech. rud. 24 :
interrogatum etiam u t r u m … desiderat ; c. Faust. 21,10 : dicant … u t r u m … non
habebant ; trin. 1,5 : videat … u t r u m … non intellegit ; c. Parm. 3,8 : quaeram
u t r u m … erat ; c. Gaud. 2,8 : dic mihi u t r u m … perierat). Pour les a u t r e s c a s ,
on peine à identifier ce qui a causé l’emploi de l’indicatif : conf. 9,4 (nescio
u t r u m … erant) ; epist. 64,3 (miror enim u t r u m iam potest) ; 95,3 (nescio u t r u m
plures correcti sunt, quam in deterius abierunt) ; 108,13 (quaero enim u t r u m …
tetigerunt) ; 159,1 (obscurissimam quaestionem, u t r u m … egreditur) ; epist. Divj.
24,1 (quaero etiam u t r u m … possunt) ;578 gen. ad litt. 1,38 (restabit quaerere
u t r u m … non potuit) ; quaest. hept. 2,1 (u t r u m … ignoscebat … incertum est) ;
5,23 (quaerendum u t r u m … intellegenda sunt) ; 7,2 (quaeritur u t r u m … vocaba-
tur) ; 7,49 (quaeri potest u t r u m verius intellegitur) ; 7,54 (oritur quaestio u t r u m
… intellegebant) ; cons. euang. 17,39 (incertum est u t r u m … adhaeserant) ; in
euang. Ioh. 79,1 (nescio u t r u m … dicendus est) ; in psalm. 44,29 (quis nouit …
u t r u m … quaero) ; 67,15 (nescio u t r u m … dictum est) ; 147,6 (vide u t r u m …

||
575 Voir LHS 2, 538s. ; BONNET, Le latin, 675s.
576 Voir REGNIER, De la latinité, 68–71 (mais l’auteur ne dit rien sur les proportions indicatif / sub-
jonctif) ; ARTS, The Syntax, 94s. ; COLBERT, The Syntax, 49 ; PALUSZAK, The Subjunctive, 89–94.
577 On trouve plus de 2000 exemples de utrum, mais dans bien des cas il introduit une question
directe, ou une question sans verbe.
578 Entouré de questions indirectes avec utrum + subjonctif, dont utrum … possint tout de suite
après.
Introduction | 143

est)579 ; serm. 8,12 (nescio u t r u m inventus est) ; 12,11 (unde igitur scitis u t r u m …
commemorat?) ; 114B,11 (vide u t r u m intrabis) ; 181,3 (dicite … u t r u m … estis) ;
277,10 (responde u t r u m … pervenit) ; 292,7 (nescio u t r u m aliud dicturus est) ;
296,10 (nescio u t r u m meministis) ; 350B (nescio u t r u m respondere poterit) ;
adult. coniug. 1,35 (quis enim novit u t r u m … statuerant?) ; 2,10 (quaero u t r u m
non erit) ; util. ieiun. 4 (nescio u t r u m non claudes oculum) ; urb. exc. 4 (nescio
u t r u m minor fuit) ; civ. 12,13 (nescio u t r u m … deputandum est) ; util. cred. 23
(perscrutari atque discutere … u t r u m hic est) ; c. Adim. 28 (interrogo … u t r u m …
possunt) ; c. Faust. 19,31 (nescio u t r u m quisquam … invenit) ; nat. bon. 13 (vi-
deamus u t r u m … remanebit) ; trin. 15,47 (quaerere u t r u m iam processerat) ; c.
Cresc. 2,6 (vide u t r u m non diversa sequimini) ; 4,77 (interroga Felicianum u t r u m
… fuerat) ; coll. c. Don. 1,14 (ut constaret u t r u m … subscripserant) ; c. Gaud. 1,52
(nescio u t r u m … poterit) ; grat. Christ. 1,25 (vellem ergo diceret … u t r u m … cu-
currerat … cupiverat … suspenderat … factus erat … u t r u m … tradiderat … morti-
ficaverat … posuerat). Ainsi, les résultats d’une étude limitée à une seule parti-
cule interrogative ont le même profil que ceux des études limitées à une partie
de l’œuvre augustinienne : Augustin avait une préférence très marquée pour le
subjonctif, mais l’indicatif le remplace de temps en temps, souvent sans raison
apparente. L’indicatif apparait pendant toute la carrière littéraire580 de l’auteur,
et dans des œuvres de tout genre. Ajoutons que la proportion des indicatifs se-
rait sans doute plus élevée sans la tendance des scribes et des éditeurs à recréer
la syntaxe classique où l’auteur y avait failli. Souvent, comme dans notre pas-
sage, il ne s’agissait que de corriger une seule lettre. De tels résultats ne sont
pas de nature à nous diriger vers une conclusion sûre pour notre texte. Le sub-
jonctif est cependant à préférer. (1) Étant donné la prépondérance des subjonc-
tifs, ce mode est toujours plus probable dans un cas donné. (2) Notre phrase re-
prend quaeri potest utrum s c i r e n t Iudaei per Spiritum sanctum operari
Dominum (20,2), et elle est reprise de nouveau par quomodo poterant … diiudi-
care utrum per Spiritum sanctum Dominus o p e r a r e t u r .
20,5 quomodo poterant infideles Iudaei sine isto munere diiudicare : infideles om.
Ξ ; sine om. Ξ : Les deux mots omis par Ξ ne sont pas nécessaires pour donner
un sens acceptable. Mais ils servent tous deux à renforcer la réponse négative
d’Augustin à la question posée en 20,2 : les Juifs savaient-ils que Jésus agissait
par l’Esprit Saint ? Non, parce qu’ils n’avaient pas la diiudicatio spirituum. En
20,4, l’auteur dit que celle-ci fidelibus datur, et infideles et sine (munere) servent

||
579 Entouré de 4 cas de vide utrum + subjonctif.
580 Mais on voudrait savoir s’il figure dans le style quelque peu ampoulé des dialogues de Cassi-
ciacum.
144 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

à renforcer, chacun à son tour, le contraste entre ces deux mots et la condition
des Juifs.
20,6 signa in eis quantum evangelica narratio demonstrat apparent : apparerent O
E S U B Am Er Lov ; apparuerunt μ : apparerent doit être la leçon de Λ, corrigée
dans T V. Nous donnons raison à l’indicatif, puisque apparent est le dernier des
verbes dépendants de cum (et falsos testes, 20,5), les trois autres étant à
l’indicatif : compararunt et submiserunt (20,5) … conati sunt (20,6). Les Mau-
ristes ont mis le verbe au passé pour garder un même temps dans toute la sé-
quence. Mais apparent est au présent, comme demonstrat juste avant, et sans
doute sous son influence, parce que la narration de l’Évangile rend présent le
passé devant les yeux du lecteur. Comparer : sicut etiam praeter progeniem Ia-
cob alii fuerunt credentes in Deum sicut Iob, sicut civitas Nineve et si qui alii sunt,
qui vel a p p a r e n t in scripturis vel in genere humano latent … (epist. 164,2) ; ut …
discant fideles tui ea magis a te poscere et sperare praemia fidei quae non a p p a -
r e n t in vetere testamento, sed revelantur in novo (in psalm. 89,12).
21,3 edomita invidia salutem cum lacrimis poscens : domita Ξ (deest c) : Il n’existe
pas de différence de sens très marquée entre les verbes domare et edomare chez
Augustin. Analysant sur LLTA l’emploi des deux verbes, on voit d’abord que
notre auteur les utilise tous les deux, mais surtout domare, pour la subjugation
ou l’apprivoisement d’êtres physiques et tangibles – les exemples sont trop
nombreux pour être cités.581 Viennent ensuite les applications à caro582 ou cor-
pus583 mots que l’on ne peut ni identifier avec la chair physique ni en séparer to-

||
581 Pour se limiter aux participes passés, d o m i t u s est appliqué à : bestiae (lib. arb. 1,16.19 ; di-
vers. quaest. 36,1), pecus (lib. arb. 1,19) ; servus (ord. 2,6 – mais le servus en question est la mé-
moire) ; filius durus (epist. 173,3) ; barbari (epist. 220,7) ; huius saeculi potestates (epist. 232,3) ;
peccator (in psalm. 31,2,23) ; tu (serm. 55,4 – au milieu d’une comparaison animaux-hommes, ici et
dans l’exemple précédent) ; proximi (civ. 4,6) ; gentes (civ. 19,7) ; homines (civ. 19,21). De même,
e d o m i t u s est appliqué avec un sens plus ou moins identique à : os (conf. 1,13) ; pecora (conf.
13,30) ; articuli (mus. 1,10) ; filius (c’est à dire Absalom, doctr. christ. 3,68) ; bestiae (vera relig. 238) ;
Romani (cons. euang. 1,18) ; peccator (in psalm. 31,2,23 – Ou faut-il lire domitum, pour correspondre
au reste du passage ?) ; Africa (op. monach. 32) ; orbs terrarum (c. Faust. 22,60).
582 caro + domare : epist. 211,8 ; doctr. christ. 1,51 ; vera relig. 241 (?) ; in psalm. 50,3 (carnalis
delectatio) ; serm. 8,8 (appetitum carnis) ; 169,1 ; 205,2 ; 207,2 ; 208,1 ; 304,2 (carnis illecebras) ; util.
ieiun. 3.5.7 ; civ. 15,7. caro + edomare : epist. 166,22 ; in psalm. 67,34 ; 114,7 ; 145,3 ; c. Faust. 21,7
(carnales motus).
583 corpus + domare : in psalm. 140,16 ; serm. 13,1 ; 56,8 (nihil in corpore) ; c. Faust. 16,31. corpus +
edomare : serm. 315,4 ; c. Faust. 30,5. Application métaphorique à d’autres parties du corps : do-
mare + cervicula (epist. 277) ; cor (c. Faust. 19,29) ; lingua (epist. 277 ; in psalm. 140,18 ; serm. 55,1 ;
180,12 ; nat. et gr. 16 —Augustin pense à Iac. 3,8, qu’il cite souvent) ; membra (util. ieiun. 7) ; edo-
mare + cor (epist. 128,4). L’objet peut être aussi indéfini : exemples avec domare en serm. 179A,7 ;
328,6.
Introduction | 145

talement.584 Ensuite, les verbes sont appliqués, comme dans notre passage, à
des qualités intérieures et intangibles. Pour d o m a r e , on trouve cette acception
surtout avec cupiditas / -tates (epist. 138,14 ; 247,1 ; vera relig. 198 ; gen. ad litt.
10,25 ; in psalm. 127,16 ; 147,4 ; serm. 87,13 ; 178,6) ; concupiscentia(e) (retract.
1,19 ; serm. 145,6 ; 155,2 ; contin. 8, 12 ; c. Pelag. 1,24) ; libidines (mor. eccl. 67 ;
epist. 171A,2 ; 177,1 ; nupt. et concup. 2,59) ; et superbia (in euang. Ioh. 1,15 ;
3,11 ; in epist. Ioh. 8,7 ; serm. 125,2 ), auxquels viennent s’ajouter des exemples
uniques avec appetitus (c. Iulian. 4,66) ; avaritia (serm. 339,9) ; ira (serm.
315,10) ; iuventus (vera relig. 131) ; vitia (contin. 32). Pour e d o m a r e , il y a de
nouveau concentration autour de concupiscentia (epist. 140,83 ; de serm. dom.
1,9 ; in psalm. 77,27 ; serm. 207,2) et superbia (epist. 93,6 ; doctr. christ. 2,10 ; in
psalm. 118,15,4 ; serm. 125,2 ; divers. quaest. 71,5 ; c. Iulian. op. imperf. 2,173).
Ensuite, le verbe est appliqué à affectiones (in psalm. 9,8) ; amor (in Matth.
11,4) ; animi (doctr. christ. 3,30) ; avaritia (in psalm. 143,5) ; consuetudo (epist.
48,3 ; doctr. christ. 1,51) ; cupiditates (in psalm. 41,10) ; duritia (in psalm. 38,7) ;
feritas (c. epist. fund. 38) ; frons585 (conf. 8,3) ; ira (c. Faust. 19,25) ; spiritus (bapt.
1,8). Il n’est pas facile d’établir une distinction entre ces deux listes, surtout que
notre texte n’est pas le seul où les manuscrits présentent les deux leçons. Mais il
semble que la variété des qualités auxquelles Augustin appliquait edomare est
la plus grande. De plus, edomare est en général un mot plus rare, si bien que la
chute du e est plus probable que son ajout. Notons cependant que domare était
appliqué à invidia chez Horace (comperit invidiam supremo fine domari ; epist.
2,1,12) alors que nous n’avons pas trouvé ailleurs la combinaison edomare + in-
vidia.
21,4 nam si qui per invidiam : qui μ (marg.)] quis Λ c edd ; quisquis K Z μ (marg.) ;
quisquam γ : Le sens exige un mot qui permette de subordonner existimandus
est à attendamus, ce que quis (ou quisquam) ne peut faire. Donc, à moins
qu’Augustin ne se soit perdu dans sa phrase, il faut remplacer ce quis qui vient
apparemment de l’archétype. Nous avons préféré qui, une des conjectures mau-
ristes, à quisquis, la conjecture (?) de K Z, sous prétexte que la chute d’une lettre
est un peu plus probable que celle d’une syllabe, et que si qui ressemblait plus
que si quisquis à ce si quis si fréquent en Latin. Pour d’autres passages où le qui
dans si qui est un pronom relatif, et non le pluriel de l’indéfini quis, voir in
euang. Ioh. 6,12 ; in psalm. 30,2,2,8 ; 58,1,7.21 ; 85,3 ; 102,4. Mais la construction
reste rare chez Augustin, et Rousselet586 a préféré quisquis.

||
584 Voir par exemple les réflexions en retract. 2,2 ou doctr. christ. 1,51–53.
585 Dans le sens métaphorique de « impudence, fierté ».
586 À propos d’une édition, 238.
146 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

22,5 quod utique nulla ratione diceretur eis : eis om. Ξ : L’argument d’Augustin
repose non seulement sur les paroles du Seigneur, mais sur les personnes aux-
quelles elles sont adressées. Jésus aurait pu dire ses paroles sur les arbres et les
fruits, que le péché des Juifs fût pardonnable ou pas. Mais il n’avait une raison
de l e u r les dire que si leur propre péché était pardonnable.
23,1 appropinquabit enim regnum coelorum : appropinquavit E S T U μ : En Mt. 3,2
et 4,17 (cité ici), on lit ἤγγικεν γὰρ ἡ βασιλεία τῶν οὐρανῶν. La bonne traduction
est donc appropinquavit. Mais on ne distinguait plus bien b et v dans l’Antiquité
tardive, et la leçon appropinquabit s’est répandue largement dans l’Église la-
tine. Sauf pour notre texte, où CSEL 84 donne appropinquabit, les éditeurs mo-
dernes, et avant eux les Mauristes, choisissent toujours appropinquavit quand
Augustin cite ces passages. Mais en fait les deux leçons se retrouvent presque
toujours dans les manuscrits.587 Il est donc impossible de savoir quelle leçon
préférait Augustin, ou s’il écrivait toujours la même chose. De plus, avec la ve-
nue du Christ, le Royaume des Cieux est à la fois présent et imminent, si bien
que le contexte n’est pas apte à éclairer la question. Reste qu’ici appropinquabit
est probablement la leçon de l’archétype.
23,6 ut gratiam pacemque hominibus largiretur, gratiam in dimissione peccato-
rum, pacem in reconciliatione Dei : in dimissione peccatorum gratiam tr. Ξ : Le
chiasme de Ξ est certes possible, mais la leçon moins maniérée de Λ donne un
texte plus facile à suivre. Le but premier d’Augustin est de clarifier sa pensée, et
non pas de chercher un effet de style. Ceci dit, la corruption Ξ→Λ semble plus
probable que l’inverse.
23,9 qui tantum oris sono confitentur : sono oris tr. Ξ : Encore un problème d’ordre
des mots, où la certitude est impossible. Nous avons préféré oris sono, parce que
cet ordre met l’emphase de tantum sur oris, qui reprend lingua en 23,8. On
trouve le même ordre des mots pour la même idée en epist. 27,6 (filium nostrum
… statueram litteris in manum tuam tradere consolandum, exhortandum, ins-
truendum non tam o r i s s o n o quam exemplo roboris tui).
23,9 confitentur enim se nosse deum : enim om. Λ (exc. O) C : Le plus probable est
que enim était dans Ξ et absent de Λ. Il est généralement absent de Tit. 1,16 dans

||
587 Les passages en question sont conf. 13,13 (-bit dans 8 MSS, dont 1 avant correction) ; serm. 71,19
(-bit dans 13 MSS, dans 1 avant correction), 20 (-bit dans 19 MSS, dont 1 avant correction) ; in psalm.
59,4 (-bit dans 6 MSS, dont 1 après correction) ; 66,8 (pas d’édition critique) ; 101,1,2 ; 137,6 (-bit
dans 3 MSS) ; 150,3 (-bit dans 2 MSS) ; serm. 109,1 (pas d’édition critique) ; 306C,1 ; 351,2 (pas
d’édition critique. Nous avons relevé -bit dans Londres, British Library, Harley 4091, s. 11) ; 352A,3.4
(transmis dans 1 seul MS) ; civ. 18,49 (-bit dans 1 MS) ; epist. 199,35 (-bit dans 5 MSS) ; cons. euang.
2,25 (quater : -bit dans 7 MSS, dont 2 avant et 2 après correction ; dans 6 MSS, dont 2 avant et 2 après
correction ; dans 6 MSS dont 1 avant et 1 après correction ; dans 3 MSS) ; c. Faust. 12,42 (-bit dans 3
manuscrits, dont 1 après correction) ; in Iob 37 (-bit dans 3 MSS).
Introduction | 147

la Vulgate, ce qui a pu influencer Λ et C. Les citations du passage par Augustin


sont rassemblées par Frede, VetLat 25, 883s. Les textes en question ne bénéfi-
cient pas toujours d’éditions critiques, mais dans l’état actuel de nos connais-
sances, il semble qu’Augustin citait le verset avec enim. Pour l’exception, serm.
269,4, nous n’avons que l’édition des Mauristes.
23,10 nemo dicit dominus Iesus nisi in spiritu sancto : dominus iesus Λ C] domi-
num iesum K Z γ V1 ; dominum deum c : En CCSL 35, sur de serm. dom. 2,83,
l’éditeur affirme que, « si coll. c. Maximin. 5 excipias », Augustin écrivait tou-
jours Dominus Iesus dans son texte de 1 Cor. 12,3 (οὐδεὶς δύναται εἰπεῖν· Κύριος
Ἰησοῦς, εἰ μὴ ἐν πνεύματι ἁγίῳ).588 Mais la vérité est difficile à atteindre. On
trouve ce texte cité dans 9 passages du corpus augustinien, que l’on peut répar-
tir ainsi :
 À deux reprises, Augustin cite le passage par le biais d’Ambroise. Pour
persev. 64, où il n’y a pas d’édition critique, on lit Dominus Iesus chez les
Mauristes. Mais en c. Pelag. 4,30, l’édition CSEL 60 a Dominum Iesum.
 En coll. c. Maximin. 5 tous les manuscrits témoignent en faveur de Domi-
num Iesum. Cependant il ne s’agit pas d’un vrai texte augustinien, mais de
la transcription des paroles de Maximinus.
 Dans les autres textes sans édition critique, on lit Dominus Iesus : in euang.
Ioh. 74,1 (bis) ; serm. 269,4 (quater). D’ailleurs, dans ces deux passages, le
contexte montre que Dominus Iesus doit certainement être la bonne leçon.
 Dans les autres textes pour lesquels nous disposons d’éditions critiques, les
éditeurs préfèrent toujours Dominus Iesus. C’est ce qu’on lit sans variantes
en c. Faust. 21,8 ; trin. 9,15. Mais en de serm. dom. 2,83 et divers. quaest. 62,
la variante Dominum Iesum se retrouve dans l’apparat.589 Ajoutons que les
éditions de de serm. dom. et divers. quaest. offrent un apparat bien plus
complet que celles de trin. et (surtout) c. Faust.
En somme, nous manquons de données, et celles dont nous disposons sont am-
biguës. Il faut aussi éviter de conclure qu’Augustin utilisait forcément toujours
le même texte. Néanmoins, il semble probable que Dominus Iesus était son texte
habituel.
23,12 et etiam ita faciant : et etiam ita scripsi] ut et agnita O E S U ; et ita T V ; ut
etiam ita Ξ B edd : Il semble que l’archétype portait la leçon de Ξ, qui s’est cor-

||
588 La disparition de δύναται / potest ne nous concerne pas ici. Augustin donne la forme avec
potest en de serm. dom. 2,83 (et ibid. sans potest) ; c. Faust. 21,8. Et on trouve potest en coll. c.
Maximin. 5.
589 Le texte est cité 3 fois en de serm. dom. 2,83. On y trouve -um respectivement dans 10 MSS dont
1 avant correction + Florus de Lyon ; 10 MSS, dont 1 avant correction + Florus de Lyon, Julien de
Tolède ; 9 MSS dont 1 avant correction + Raban Maur. En divers. quaest. 62, un seul MS témoigne
pour -um.
148 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

rompue dans Λ. Ensuite, comme souvent, T V a tenté de corriger la corruption. Il


est possible qu’Augustin se soit perdu dans la syntaxe de cette immense phrase,
qui commence en 23,9 (sicut enim non confitentur). Mais si ce n’est pas le cas, ut
ne peut convenir. Il ne se coordonne pas avec sic (isti factis), qui répondait déjà
à quomodo (illi factis). Et il ne peut introduire l’idée du but de l’action dicant : la
traduction « pour que » serait mal venue. Nous proposons donc un texte qui
modifie celui de Ξ par une seule lettre.

2.9 Différences entre la présente édition et celle de CSEL 84


Nous présentons le texte de CSEL 84 à droite, et celui que nous avons adopté à
gauche. Nous ne relevons pas les nombreuses différences entre les leçons des ma-
nuscrits, telles qu’elles sont indiqués par CSEL 84, et nos propres indications.

1,4 uti] ut
2,2 unde] unde etiam
2,3 homines] hominum
2,3 pertinent] pertinet
3,1 quo] quod
3,1 segregatum se] se segregatum
3,3 etiam1] etiam si
3,3 nisi quod] nisi
3,3 iam venit] venit iam
4,4 David tantummodo] tantummodo David
4,6 cui] cum
4,7 in evangelium] evangelium
4,10 quo] quod
4,12 factum1] factum Deo
4,12 a Deo] Deo
7,1 scribit epistolam2] scribit
7,6 ut et] ut
7,7 sint] sunt
9,4 adiuvetur] adiuventur
9,6 non ignoscitur] ignoscitur
10,3 sacris scripturis] sanctis scripturis
10,6 quanta … futura] quantae … futurae
10,7 ut et] ut590

||
590 Le texte de CSEL 84 correspond à la Vulgate, mais n’est attesté que par le seul manuscrit U, et
ne figure donc pas dans notre apparat.
Introduction | 149

10,11 haec] hoc


11,1 domino] domino nostro
11,5 Iesu Christo] Christo Iesu
11,6 quibus] qua
12,7 Iesu Christo] in Iesu Christo
13,2 fortuitu] fortuito
13,5 sint] †sit
13,5 respondentes] respondent
14,3 quaerentem] quaerere
15,3 digna] digne
15,5 ipso spiritu sancto] sancto spiritu
16,2 peccasse ignorantia] peccatum ignorantiae
16,3 si adversus1] adversus
16,3 curari] recurari
17,2 rei] rei eius
18,2 quod] hoc591
18,7 certius] certior
19,4 posteriorum] posteriorem
19,6 accipit … accipit] accepit … accepit
19,7 post] per
19,7 esse2] esset
19,9 recuperari] recurari
20,1 non iam] non
21,4 qui] quis
22,3 in malignitate] malignitate
23,2 invisibile] visibile
23,3 mundum] saeculum
23,4 ait] dicit592
23,7 dicerent verbum] verbum dicerent
23,7 blasphemiam] blasphemarent
23,12 dicere intelligendus est factis] nec dicere intelligendus est si non facit
23,12 ut2] et

||
591 Le texte de CSEL 84 est dans toutes les éditions antérieures, mais ne se retrouve dans aucun
manuscrit.
592 Le texte de CSEL 84 n’est attesté nulle part.
Conspectus siglorum
Manuscrits
Famille Λ
Sous-famille O E
O Oxford, Bodleian Libr., Laud misc. 134, s. 91/2, Niederaltaich
E Erlangen, Universitätsbibliothek 77, an. 1310, Heilsbronn
E2 corrections d’une deuxième main dans E
Sous-famille d
Branche S U
S Firenze, Biblioteca Medicea Laurenziana, San Marco 637, s. 12, centre-
nord de l’Italie
U Roma, Biblioteca Apostolica Vaticana, Urbinas Latinus 69, s. 152/2, Italie
Branche T V
T Troyes, Bibliothèque Municipale 40/2, s. 121/2, Clairvaux
V Roma, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vaticanus Latinus 445, s. 15med.,
Florence (?)

Claud Claude de Turin, Commentaire sur l’épître aux Romains (reproduit In-
choata Expositio 1 ; 3,3s. ; 4 ; 5,1.5–7.14–17 ; 6 ; 7 ; 8,1–5 ; 11,1s.) + Com-
mentaire sur l’épître aux Éphésiens (reproduit Inchoata expositio 11,1–6,
édité dans CCCM 263, 8).

Germ Commentaire anonyme dans Paris, Bibliothèque Nationale Lat. 11.574, s.


92/2, nord de la France (reproduit Inchoata expositio, 2,1 breviter – 4,2
creditae ; 4,3 – 7,4 ; 7,5 hic significavit – 8,6).

Famille Ξ
Sous-famille κ
Branche K Z
K Köln, Erzbischöfliche Dom- und Diözesanbibliothek 77, s. 123/4, Allemagne
Z Zwettl, Stiftsbibliothek 296, s. 124/4, Zwettl
Branche c
L1 Firenze, Biblioteca Medicea Laurenziana, plut. XVI dext. VII, s. 13, Flo-
rence (?)
F Firenze, Biblioteca Medicea Laurenziana, Mediceus Faesulanus VIII, c.
1460–1470, Florence
M Venezia, Biblioteca Marciana 1801 (Z 68), an. 1471, Italie

https://doi.org/10.1515/9783110594782-004
Conspectus siglorum | 151

Sous-famille γ
P Stuttgart, Württembergische Landesbibliothek, theol. et phil. 2° 207, s.
121/4, Zwiefalten
W Fulda, Hochschule und Landesbibliothek Aa23, s. 121/4, Weingarten
B1 Bruxelles, Bibliothèque Royale II.1072 (1115), s. 12, Flandre (?)
A Berlin, Staatsbibliothek, Theol. et phil. lat. fol. 348 (lat. 293), s. 124/4, Lies-
born
H Zwolle, Gemeentearchief GAZ 19, s. 15, Zwolle (?)
R Utrecht, Universiteitsbibliotheek 4 C 7 (68), 1464, Utrecht

γ1 = accord de W B1 A H R
γ2 = accord de B1 A H R

Sous-famille C V1
Extrait : 22,2– fin
C Montecassino, Archivio della Badia 173L, s. 112/2, Montecassino
V1 Roma, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vaticanus Latinus 4918, s. 12inc.,
Italie (?)
Manuscrit contaminé
B Bruxelles, Bibliothèque Royale 48 (1058), s. 15, Corsendonk

Éditions
Am Amerbach, 1506
Am+ Variantes marginales dans Am
Er Érasme, 1528
Lov Édition de Louvain, 1571
μ Édition mauriste, 1690
μ+ Variantes dans l’édition mauriste

edd = accord de Am Er Lov μ

Autres sources
Cam Leçons d’un manuscrit perdu de l’abbaye de Cambron, citées dans
l’édition de Louvain
Gl Extraits de l’Inchoata expositio dans la Glossa ordinaria
Lomb Extraits de l’Inchoata expositio dans les Collectanea de Pierre Lombard
Retr Augustin, Retractationes (CCSL 57)
EPISTOLAE AD ROMANOS INCHOATA EXPOSITIO

1. In epistola quam Paulus apostolus scripsit ad Romanos, quantum ex eius textu


intelligi potest, quaestionem habet talem: Utrum Iudaeis solis evangelium Domini
nostri Iesu Christi venerit propter merita operum legis, an vero nullis operum meritis
praecedentibus, omnibus gentibus venerit iustificatio fidei, quae est in Christo Iesu,
5 ut non quia iusti erant homines, crederent, sed credendo iustificati, deinceps iuste
vivere inciperent. (2) Hoc ergo docere intendit apostolus, omnibus venisse gratiam
evangelii Domini nostri Iesu Christi, quam propterea etiam gratiam vocari ostendit,
quia non quasi debitum iustitiae redditum est, sed gratuito datum. (3) Coeperant
enim nonnulli qui ex Iudaeis crediderant tumultuari adversus gentes, et maxime
10 adversus apostolum Paulum, quod incircumcisos et a legis veteris vinculis liberos
admittebat ad evangelii gratiam, praedicans eis ut in Christum crederent, nullo
imposito carnalis circumcisionis iugo, (4) sed plane tanta moderatione, ut nec
Iudaeos superbire permittat, tamquam de meritis operum legis, nec gentes merito
fidei adversus Iudaeos inflari, quod ipsi receperint Christum, quem illi crucifixerunt.
15 Tamquam enim, sicut alio loco dicit, pro ipso Domino legatione fungens, hoc est pro
lapide angulari, utrumque populum tam ex Iudaeis quam ex gentibus connectit in
Christo per vinculum gratiae, utrisque auferens omnem superbiam meritorum, et
iustificandos utrosque per disciplinam humilitatis associans.
2. Itaque epistolam sic exorsus est: Paulus servus Iesu Christi vocatus aposto-
lus, segregatus in evangelium Dei. Breviter in duobus verbis ecclesiae dignitatem a
synagogae vetustate discernit. (2) Ecclesia quippe ex vocatione appellata est,
Synagoga vero ex congregatione. Convocari enim magis hominibus congruit, con-
5 gregari autem magis pecoribus: unde etiam greges proprie pecorum dici solent.
(3) Quamquam ergo plerisque scripturarum locis ipsa ecclesia grex Dei et pecus Dei
et ovile Dei vocetur, tamen, cum in comparatione hominum pecora dicuntur, ad
vitam veterem pertinent, (4) et apparet huiusmodi homines, non cibo sempiternae
veritatis, sed temporalium promissionum tamquam terreno pabulo esse contentos.

1,15 pro1 …fungens] cf. 2 Cor. 5,20 16 lapide angulari] cf. Eph. 2,20 2,1sq. Rom. 1,1

Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ) ‖ 1,1 in inc. Claud
in … Romanos] Retr 1,25 ‖ 18 associans des. Claud (usque ad 3,7) ‖ 2,2 breviter inc. Germ

1,1 in om. d | scribit E B ‖ 2 solum U c A (ac. uv.) ‖ 3 nostri om. K Z γ1 (exc. R) ‖ 4 veniret O
E (venerit E2) ‖ 6 apostolus om. T V μ | omnibus om. T V ‖ 7 quam] quod T V μ ‖ 8 gratuitu K Z;
gratuitum M (ac.) γ | coeperant] comparant c ‖ 9sq. gentes … adversus om. Ξ Lov ‖ 10 quod] qui T
V | a1 om. V γ | liberos om. c ‖ 12 carnalis om. T V | uti U V H B edd ‖ 14 ipsi om. T V | receperunt c
crucifixerant γ; crucifixerint Z ‖ 15 enim om. K Z γ | dicet c | legationem U V (ac. uv.) Claud M
confungens B Am Er ‖ 17 utrique O E
2,1 Christi Iesu tr. O E T K Z L1 F P W ‖ 4 vero om. γ ‖ 5 de pecoribus γ Lov | unde … pecorum om. Ξ
Lov | etiam om. B Er μ; deest Ξ Lov | solet Ξ Lov ‖ 6 locis scripturarum tr. γ | grex] lex c ‖ 6sq. ovile

https://doi.org/10.1515/9783110594782-005
COMMENCEMENT DE COMMENTAIRE SUR L’ÉPÎTRE AUX ROMAINS

1. Dans l’épître que l’apôtre Paul écrivit aux Romains, d’après ce que l’on peut
comprendre de son texte, il posa le problème suivant : l’Évangile de notre Seigneur
Jésus Christ était-il venu exclusivement aux Juifs, à cause des mérites des œuvres de
la Loi ? Ou bien, sans qu’eurent précédé les mérites des œuvres, la justification de la
foi, qui est en Jésus Christ, était-elle venue à tous les peuples, si bien que les
hommes ne croyaient pas parce qu’ils étaient justes, mais justifiés par leur croyance,
ils commençaient ensuite à vivre dans la justice. (2) L’apôtre a donc voulu enseigner
ceci : que la grâce de l’Évangile de notre Seigneur Jésus Christ est venue à tous. De
plus, il montre qu’elle est appelée grâce pour cette raison, que cela n’a pas été rendu
à la justice comme une dette, mais que cela a été donné gratuitement. (3) Certains en
effet d’entre les Juifs qui avaient cru avaient commencé à s’agiter contre les gentils, et
surtout contre l’apôtre Paul, parce qu’il admettait à la grâce de l’Évangile des
hommes incirconcis, et libres des chaines de l’ancienne Loi, leur prêchant de croire
au Christ, sans [leur] imposer le joug de la circoncision charnelle. (4) Mais
clairement [il faisait ceci] avec une telle modération qu’il ne permettait ni aux Juifs
de se vanter, sous prétexte des mérites des œuvres de la Loi, ni aux gentils de se
gonfler en face des Juifs à cause du mérite de la foi, en arguant qu’ils avaient reçu le
Christ, qu’eux avaient crucifié. En effet, ainsi qu’il le dit ailleurs, comme s’il remplis-
sait une ambassade pour le Seigneur lui-même, c’est-à-dire pour la pierre d’angle, il
noue les deux peuples, aussi bien ceux venus des Juifs que ceux venus des gentils,
dans le Christ, par la chaine de la grâce, enlevant aux deux tout l’orgueil des mérites,
et associant par la discipline de l’humilité les deux [peuples] pour qu’ils soient
justifiés.
2. Donc, il a commencé l’épître ainsi : Paul, esclave de Jésus Christ, appelé
[comme] apôtre, séparé [segregatus] pour l’Évangile de Dieu. Brièvement, avec
deux mots, il sépare la dignité de l’Église de la vieillesse de la Synagogue. (2) En
effet, l’Église prend son nom de l’appel, mais la Synagogue du rassemblement.
Effectivement, être appelé convient mieux aux hommes, et être rassemblé au bétail.
C’est aussi pourquoi l’on parle habituellement, au sens propre, de troupeaux [greges]
de bétail. (3) Donc, même si en bien des lieux de l’Écriture, l’Église elle-même est
appelée le troupeau de Dieu et le bétail de Dieu et la bergerie de Dieu, néanmoins,
quand le bétail est nommé dans une comparaison avec les hommes, ceux-ci relèvent
de l’ancienne vie. (4) Et il est manifeste que les hommes de ce genre se contentent
non pas de la nourriture de la vérité éternelle, mais, pour ainsi dire, du fourrage

Dei et pecus Dei tr. B edd ‖ 6 Dei2 om. γ1 ‖ 7 cum om. T V Germ (ac.) A (ac.) | homines B edd;
spirit(u)alium hominum T V | dicuntur] qui add. T V ‖ 8 pertinet Z M R B Am Er
154 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

10 Paulus ergo servus Christi Iesu vocatus est apostolus, quae vocatio illum coaptavit
ecclesiae. (5) In evangelium autem Dei segregatus est; unde nisi a grege synagogae, si
verborum latinorum significatio omni modo cum graeca interpretatione concordet?
3. Sane evangelium Dei, in quod se segregatum esse commemorat, commendat
auctoritate prophetarum, ut, quoniam credentes in Christum, in quorum numerum
vocatus est, Iudaeis praeposuerat, a quibus se dixerat segregatum, gentes rursus
iam non superbire admoneat. (2) Siquidem de populo Iudaeorum fuerunt prophetae,
5 per quos evangelium, cuius fide credentes iustificantur, ante promissum esse
testatur: Segregatus enim, inquit, in evangelium Dei, quod ante promiserat per
prophetas suos. (3) Fuerunt enim et prophetae non ipsius, in quibus etiam si aliqua
inveniuntur quae de Christo audita cecinerunt, sicut etiam de Sibylla dicitur – quod
non facile crederem, nisi poetarum quidam in romana lingua nobilissimus,
10 antequam diceret ea de innovatione saeculi, quae in Domini nostri Iesu Christi
regnum satis concinere et convenire videantur, praeposuit versum, dicens: “Ultima
Cumaei venit iam carminis aetas.”
(4) Cumaeum autem carmen Sibyllinum esse nemo dubitaverit. Sciens ergo
apostolus ea in libris gentium inveniri testimonia veritatis, quod etiam in Actibus
15 apostolorum loquens Atheniensibus manifestissime ostendit, non solum ait per
prophetas suos, (5) ne quis a pseudoprophetis per quasdam veritatis confessiones in
aliquam impietatem seduceretur; sed addidit etiam in scripturis sanctis, volens
utique ostendere litteras gentium superstitiosae idololatriae plenissimas non ideo
sanctas haberi oportere, quia in eis aliquid quod ad Christum pertinet invenitur.
4. Et ne quisquam etiam prophetas aliquos remotos atque alienos a gente Iudae-
orum forte praeferret, in quibus nullus simulacrorum cultus esset, quantum attinet
ad simulacra quae humana operatur manus – nam simulacris phantasmatum
suorum sectatores suos omnis error illudit – (2) ne quis tamen aliqua huiusmodi
5 praeferens, quia ibi Christi nomen ostentat, eas potius sanctas scripturas esse
asserat, non eas quae populo Hebraeorum sunt divinitus creditae, satis opportune
mihi videtur adiungere, cum dixisset in scripturis sanctis, quod adiecit: de Filio suo,

3,6sq. Rom. 1,1sq. 11sq. Verg. ecl. 4,4 14sq. apostolus…ostendit] cf. Act. 17,28 17 Rom. 1,2
4,7sq. Rom. 1,3

Λ (O E d (S U T V) Germ) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ) ‖ 3,7 fuerunt
inc. Claud ‖ 4,6 creditae des. Germ (usque ad 4,8)

10 Christi Iesu O E T V B edd] Iesu Christi tr. S U; Christi Ξ | cooptavit B Er Lov μ ‖ 11 evangelio O E T
Germ κ | nisi] nii [sic] c (enim pc., quid ac. non liquet F) ‖ 12 verborum significatio latinorum tr. T V
concordat B Er Lov μ
3,1 quod] quo O S U Germ κ R (ac.) B Am Er Cam | se om. c | segregatum se tr. d B edd | se … comme-
morat] se dicit (se om. B1; dicit se tr. A R; dicit sese H) segregatum γ ‖ 2 auctoritatem Z c (auctorem
F) γ (ac. R) | in Christum O (om. ac.) d] Christo κ B Am Er Lov; in Christo γ; Christum E Germ μ | numero
B Er Lov ‖ 3 dixerit c; dixit γ2 ‖ 4 Iudaeo O E c ‖ 5 fidei T V | iustificans L1 M; iustificantes F
6 enim om. γ; est c ‖ 7 fuerunt] fuerant c | et om. c | etiam si] etiam γ B Er Lov μ | aliqua om. A H R
2,4 – 4,2 | 155

terrestre des promesses temporelles. Donc, Paul l’esclave du Christ Jésus fut appelé
[comme] apôtre, et cet appel le joignit à l’Église. (5) Et il fut séparé [segregatus] dans
l’Évangile de Dieu; à partir d’où, si ce n’est du troupeau [grex] de la Synagogue ? — si
le sens des mots latins est entièrement en accord avec l’interprétation du grec.
3. Mais l’Évangile de Dieu, pour lequel il se dit séparé, il le recommande par
l’autorité des Prophètes: ainsi, puisqu’il avait placé ceux qui croient au Christ, dans
le nombre desquels il fut appelé, au-dessus des Juifs, desquels il s’était dit séparé, il
avertit maintenant de nouveau les gentils de ne pas s’enorgueillir. (2) En effet, c’est
du peuple juif que vinrent les prophètes, ceux par qui il témoigne que l’Évangile, par
la foi auquel les croyants sont justifiés, fut promis à l’avance. Car il dit séparé dans
l’Évangile de Dieu, qu’il avait promis à l’avance par ses prophètes. (3) Il y eut en
effet aussi des prophètes qui n’étaient pas les siens, chez qui, même si l’on trouve des
choses qu’ils avaient entendues et chantées du Christ, comme on le dit aussi de la
Sibylle – ce que je ne croirais pas facilement, si ce n’était qu’un certain poète, le plus
illustre de la langue romaine, avant de dire les paroles sur la rénovation de l’âge, qui
semblent bien correspondre et convenir au règne de notre Seigneur Jésus Christ,
plaça d’abord un verset où il dit : « La dernière époque du chant cuméen est déjà
arrivée. » (4) Or nul ne peut douter que le chant cuméen, c’est [le chant] sibyllin.
Ainsi l’apôtre, sachant que ces témoignages de la vérité se trouvaient dans les livres
des gentils (ce qu’il montre aussi très clairement dans les Actes des Apôtres, quand il
parle aux Athéniens), ne dit pas seulement par ses prophètes, (5) – afin que
personne ne soit entraîné par les faux prophètes, à cause de certaines déclarations
de la vérité, vers un sacrilège quelconque, – mais il ajouta aussi dans les Écritures
saintes, voulant montrer en tout état de cause que les écrits des gentils, tout remplis
de l’idolâtrie superstitieuse, ne doivent pas être considérés saints parce que l’on
trouve en eux quelque chose qui a rapport au Christ.
4. Et pour éviter aussi que d’aventure on préfère certains prophètes éloignés et
séparés du peuple juif, chez qui il n’y avait aucun culte des images (pour ce qui est
des images que fabrique la main humaine – car toute erreur fourvoie ses disciples
avec les images de ses imaginations) – (2) donc pour éviter que quelqu’un, préférant
quelque chose de ce genre, parce qu’il y fait valoir le nom du Christ, affirme que ce
sont plutôt ces [écrits]-là qui sont les écritures saintes, et non ceux qui furent confiés
par Dieu au peuple hébreu, il me semble faire une addition très opportune quand,
après avoir dit, dans les Écritures Saintes, il ajoute à propos de son Fils, qui a été

8 sillaba O (ac.) E (Sibilla E2) ‖ 9 nisi] quod add. B Er Lov μ | quidam om. P W A (fuitne sup. lin. sicut
glossema in γ?); quidem V B1 H R ‖ 10 ea diceret tr. γ2 | eadem novatione c | quae] quod γ2 | Domini]
dei c ‖ 11 concinere] continere c P (ac.) B1 (ac.) | et convenire om. T V | videntur T V | proposuit T V
12 iam venit tr. U Ξ B edd | carminis] temporis T V (ac. uv.) ‖ 14 ea] etiam T V | quod] quae μ
17 etiam om. Claud ‖ 18 utique] enim Claud | superstitione ydolatrie c; superstitiosa idolatria
Germ ‖ 19 opportune c | invenitur] videatur T V
4,2 proferret T V μ | attinet om. T V ‖ 3 simulacris] simulacra E Claud ‖ 4 huius V c (h’i L1 M)
5 proferens T V μ | ostentat] ostentant M; et add. c | esse om. T V
156 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

qui factus est ei ex semine David, secundum carnem. (3) David enim certe rex
Iudaeorum fuit. Oportebat autem ut ex illa gente orirentur Christi praenuntiatores
10 prophetae, ex qua gente carnem assumpturus erat quem praenuntiabant.
(4) Occurrendum autem erat etiam illorum impietati, qui Dominum nostrum
Iesum Christum secundum hominem tantummodo, quem suscepit, accipiunt, divini-
tatem autem in eo non intelligunt ab universae creaturae communione discretam,
velut ipsi Iudaei, qui Christum filium tantummodo David esse opinabantur, ignoran-
15 tes excellentiam qua Dominus est ipsius David, secundum id quod est Filius Dei.
(5) Unde illos in evangelio redarguit per prophetiam, quae ipsius David ore prolata
est. (6) Quaerit enim ab eis, quem ipse David Dominum appellat, quomodo filius
eius sit, cum deberent utique respondere quod secundum carnem filius esset David,
secundum divinitatem autem Filius Dei et Dominus ipsius David. (7) Quod Paulus
20 apostolus quia iam didicerat, posteaquam dixit, evangelium Dei, quod ante pro-
miserat per prophetas suos in scripturis sanctis de Filio suo, qui factus est ei ex semine
David, addidit secundum carnem, ne hoc solum et totum in Christo esse arbitra-
rentur, quod factum erat secundum carnem. (8) Addendo ergo secundum carnem,
servavit divinitati dignitatem suam, quae non solum semini David, sed nec alicui
25 angelicae aut cuiusvis excellentissimae creaturae generationi tribui potest, quando-
quidem ipsum est Verbum Dei, per quod facta sunt omnia. (9) Quod Verbum ex
semine David caro factum est et habitavit in nobis, non mutatum et conversum in
carnem, sed carne ut carnalibus congruenter appareret indutum. (10) Quapropter
apostolus non solum eo verbo quod ait secundum carnem humanitatem a divinitate
30 distinxit, sed etiam illo quod ait factus est. Non est enim factus secundum id quod
Verbum Dei est. (11) Omnia enim per ipsum facta sunt, nec fieri cum omnibus
posset per quem facta sunt omnia. Neque ante omnia factus est, ut per ipsum fierent
omnia: ipso enim excepto, si ante illa iam factus esset, non essent illa omnia quae
per illum fierent, nec possent vere dici facta omnia per ipsum, in quibus ipse non
35 esset, si ipse etiam factus esset. (12) Et ideo apostolus cum factum Deo diceret
Christum, addidit secundum carnem, ut, secundum Verbum quod est Filius Dei, non
factum Deo sed natum esse monstraret.

16–19 unde…David] cf. Mt. 22,42–46 26 per…omnia] cf. Io. 1,3 26sq. Verbum2 …nobis] cf. Io
1,14

Λ (O E d (S U T V) Claud) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ) ‖ 8 David2 inc.
Germ

10 prenuntiabat c ‖ 12 quem] qui c ‖ 14 filium tantummodo David Λ (tantummodo filium David


tr. V); filium David tantummodo tr. Ξ B edd | opinantur T V ‖ 15 ipsius] ipse c | secundum] sed L1 M
16 David om. Claud | ore david tr. d (ac. V) ‖ 17 etenim Z γ | filium c ‖ 18 cum] cui T V μ
19 autem om. E c ‖ 20 in evangelium c γ B edd ‖ 22 esse om. c ‖ 22sq. arbitrarentur esse tr. d
23 factus T V γ Lov (non Cam) μ | secundum carnem1 om. γ ‖ 24 divinitati servavit tr. d (ac. U)
divinitati] divinitatem et c ‖ 25 cuivis T V | excellentissimae T V F γ1 B edd] excelsissimae O E S U
4,2 – 12 | 157

fait pour lui de la semence de David, selon la chair. (3) David en effet fut assuré-
ment le roi des Juifs. Or les prophètes qui annonceraient le Christ devaient surgir de
ce peuple qui était le peuple chez lequel celui qu’ils annonçaient allait prendre chair.
(4) Il fallait aussi aller à l’encontre de l’impiété de ceux qui acceptent notre
Seigneur Jésus Christ seulement selon l’homme qu’il a assumé, mais ne compren-
nent pas qu’il y a en lui la divinité, distincte de l’unité de toute la création – comme
les Juifs eux-mêmes, qui pensaient que le Christ était seulement le fils de David,
ignorant cette prééminence, par laquelle il est le Seigneur même de David, par le fait
qu’il est Fils de Dieu. (5) C’est pourquoi il les réfute dans l’Évangile par une
prophétie qui fut prononcée par la bouche de David lui-même. (6) Car il leur
demande comment celui que David lui-même appelle Seigneur serait son fils. Et ils
devaient assurément répondre que selon la chair il était fils de David, mais selon la
divinité Fils de Dieu et Seigneur de David lui-même. (7) Paul l’apôtre, puisqu’il avait
déjà appris cela, après avoir dit l’Évangile de Dieu, qu’il avait promis en avance par
ses prophètes dans les Écritures saintes à propos de son Fils, qui a été fait pour lui de
la semence de David, ajouta selon la chair, afin qu’ils ne crussent pas que dans le
Christ, il n’y avait uniquement et totalement que ce qui avait été fait selon la chair.
(8) Donc, en ajoutant selon la chair, il conserva à la divinité sa propre dignité, qui ne
peut être attribuée à la semence de David, et pas plus à une quelconque génération
angélique ou à celle de la créature la plus exaltée, quelle qu’elle soit, puisqu’il est le
Verbe de Dieu lui-même, par qui toutes choses ont été faites. (9) Ce Verbe a été fait
chair de la semence de David, et a habité parmi nous, non pas transformé et changé
en chair, mais revêtu de la chair, pour apparaitre comme il le convenait aux êtres
charnels. (10) Ainsi, ce n’est pas seulement en disant les paroles selon la chair que
l’apôtre a séparé l’humanité de la divinité, mais aussi en disant les paroles il a été
fait. Car il n’a pas été fait selon ce qu’il est le Verbe de Dieu. (11) En effet, tout a été
fait par lui, et celui par qui tout a été fait ne pouvait pas être fait avec ce tout. Et il n’a
pas, non plus, été fait avant tout, pour que tout soit fait par lui. Car si lui était
l’exception, puisqu’il avait été fait avant ces choses, ce qui était fait par lui ne serait
pas tout, et on ne pourrait pas véritablement dire que tout avait été fait par lui,
puisque lui-même n’y serait pas, s’il avait été fait lui aussi. (12) Et pour cette raison,
quand l’apôtre dit que le Christ a été fait pour Dieu, il ajouta selon la chair, pour
montrer que, selon le Verbe qui est le Fils de Dieu, il n’a pas été fait pour Dieu mais
en est né.

Claud Germ K Z L1 M Am (vl.); excelleret P | creaturae om. T V ‖ 27 caro] secundum carnem T V | et2]
est O E S U Germ; est aut Claud ‖ 28 carnem] carne Claud | sed] in add. Claud | sed carne om. Ξ (ac. H
R) | sed carne indutum ut carnalibus congruenter appareret tr. T V | ut] hominibus add. γ ‖ 29 quod]
quo T V ‖ 30 quod1] quo T V Claud B | enim est tr. T V ‖ 32 potest T V ‖ 33 esset] est sed O E S U
Claud Germ ‖ 34 omnia facta tr. T V | ipse om. T V Germ (pc. uv.) ‖ 35 si om. Λ | etiam] enim c (ipse
tr. post factus F) | esset et] est sed et O E S U Claud Germ; sed T V | Deo om. Λ B Lomb edd; deum c
37 Deo] deum c; a Deo Λ (ab eo U) B Lomb edd
158 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

5. Eundem sane ipsum, qui secundum carnem factus est ex semine David,
praedestinatum dicit Filium Dei in virtute, non secundum carnem, sed secundum
Spiritum, nec quemlibet spiritum, sed Spiritum sanctificationis ex resurrectione
mortuorum. (2) In resurrectione enim virtus morientis apparet, ut diceretur prae-
5 destinatus in virtute secundum Spiritum sanctificationis ex resurrectione mortuorum.
Deinde sanctificatio vitam novam fecit, quae Domini nostri resurrectione signata est.
(3) Unde idem apostolus alio loco dicit: Si consurrexistis cum Christo, quae sursum
sunt quaerite, ubi Christus est in dextera Dei sedens. (4) Potest quidem etiam sic esse
ordo verborum, ut non ad Spiritum sanctificationis adiungamus quod ait ex resurrec-
10 tione mortuorum, sed ad id quod ait praedestinatus est, ut ordo sit: qui praedestina-
tus est ex resurrectione mortuorum; cui ordini interposita sunt haec: Filius Dei in
virtute secundum Spiritum sanctificationis. (5) Et nimirum iste ordo certior et melior
videtur, ut sit filius David in infirmitate secundum carnem, Filius autem Dei in
virtute secundum Spiritum sanctificationis. (6) Factus est ergo ex semine David, id
15 est filius David ex mortali corpore, propter quod et mortuus est. Praedestinatus est
autem Filius Dei et Dominus ipsius David ex resurrectione mortuorum. (7) In
quantum enim mortuus est, ad id pertinet quod est filius David; in quantum autem
resurrexit a mortuis, ad id quod est Filius Dei et Dominus ipsius David, sicut alibi
idem apostolus dicit: Nam etsi mortuus est ex infirmitate, sed vivit in virtute Dei, ut
20 infirmitas pertineat ad David, vita vero aeterna ad virtutem Dei. (8) Ideoque in his
ipsis verbis Dominum suum designat eum David, dicens: Dixit Dominus Domino meo:
Sede ad dexteram meam, donec ponam inimicos tuos sub pedibus tuis. (9) Ex eo enim
quod resurrexit a mortuis, sedet ad dexteram Patris. Praedestinatum ergo ex
resurrectione mortuorum, ut sederet ad dexteram Patris, videns in Spiritu David,
25 non auderet dicere filium suum, sed Dominum suum. (10) Unde et consequenter
apostolus hic adiungit Iesu Christi Domini nostri, posteaquam dixit ex resurrectione
mortuorum, tamquam admonens unde illum David Dominum suum potius quam
filium esse testatus sit. (11) Non autem ait eum ‘praedestinatum ex resurrectione a
mortuis’, sed ex resurrectione mortuorum. Non enim resurrectione ipsa sua Filius
30 apparet Dei, propria illa et eminentissima dignitate qua etiam caput est ecclesiae,

5,3sq. Rom. 1,4 7sq. Col. 3,1 19 2 Cor. 13,4 21sq. Ps. 109,1 26 Rom. 1,4 30 caput…ecclesiae]
cf. Col. 1,18

Λ (O E d (S U T V) Claud Germ) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ) ‖ 5,2 vir-
tute des. Claud (usque ad 5,8) ‖ 8 potest inc. Claud ‖ 18 David des. Claud (usque ad 5,42)

5,1 ipsum sane tr. γ1 ‖ 6 vitam] nostram praem. T V μ+ | facit Ξ | quae] in add. B edd | nostri] Iesu
Christi add. F γ2 ‖ 7 conresurrexistis O E K Z P (ac.) W B1 (cum resurrexistis) A ‖ 8 ad dexteram T V
potest] postea c ‖ 9 ex om. c ‖ 10sq. sed … mortuorum om. U T c P (ac.; ut … est deest etiam pc.)
10sq. ut … est om. K Z γ ‖ 11 sint V μ ‖ 12 ordo] ceteris add. S U ‖ 15 est3 om. T V
15sq. autem est tr. c ‖ 17 enim om. T V | est1 om. Ξ (exc. B1) ‖ 18 ad id quod om. T V ‖ 19 sed om.
c | in] ex (= Vulg.) M γ1 (exc. H) ‖ 20 his om c ‖ 21 ipsius Λ ‖ 22 a dextris meis (=Vulg.) T V γ
5,1 – 11 | 159

5. Assurément, celui qui a été fait selon la chair de la semence de David, est le
même que celui qu’il dit être le Fils de Dieu, prédestiné dans la puissance, non pas
selon la chair, mais selon l’Esprit, et pas n’importe quel esprit, mais l’Esprit de
sanctification en raison de la résurrection des morts. (2) Car la puissance du
mourant apparait dans la résurrection, si bien qu’il est dit prédestiné dans la
puissance selon l’Esprit de sanctification en raison de la résurrection des morts.
Ensuite la sanctification a créé la vie nouvelle, qui est marquée par le sceau de la
résurrection de notre Seigneur. (3) Ainsi, ce même apôtre dit ailleurs : Si vous avez
ressuscité ensemble avec le Christ, cherchez les choses d’en haut, là où est le Christ,
siégeant à la droite de Dieu. (4) Mais l’enchainement des mots peut aussi être tel que
nous ne devons pas joindre les paroles en raison de la résurrection des morts avec
l’Esprit de sanctification, mais avec les paroles il a été prédestiné. Ainsi l’enchaine-
ment serait qui a été prédestiné en raison de la résurrection des morts – et le Fils de
Dieu dans la puissance selon l’Esprit de sanctification est intercalé à cet enchaine-
ment. (5) Et assurément cet enchainement-là semble plus certain et meilleur, pour
qu’il soit fils de David dans la faiblesse selon la chair, mais Fils de Dieu dans la
puissance selon l’Esprit de sanctification. (6) Il a donc été fait de la semence de
David, c’est-à-dire, fils de David de son corps mortel, à cause duquel il est aussi mort.
Mais il a été prédestiné Fils de Dieu et Seigneur de David lui-même en raison de la
résurrection des morts. (7) En effet, le fait qu’il soit mort se rapporte à ce qu’il est fils
de David, mais le fait qu’il soit ressuscité d’entre les morts, à ce qu’il est Fils de Dieu,
et Seigneur de David lui-même, comme ce même apôtre dit ailleurs : En effet, même
s’il est mort par sa faiblesse, il vit cependant dans la puissance de Dieu, pour que la
faiblesse se rapporte à David, mais la vie éternelle à la puissance de Dieu. (8) Et pour
cette raison David le désigne comme son Seigneur par ces paroles mêmes, où il dit :
Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Siège à ma droite, jusqu’à ce que je place tes
ennemis sous tes pieds. (9) En effet, par le fait qu’il soit ressuscité d’entre les morts, il
siège à la droite du Père. Alors David, voyant dans l’Esprit celui qui fut prédestiné,
en raison de la résurrection des morts, à siéger à la droite du Père, n’aurait pas osé
l’appeler son fils, mais son Seigneur. (10) Il est donc logique aussi que l’apôtre ajoute
ici de Jésus Christ notre Seigneur, après avoir dit, en raison de la résurrection des
morts, comme s’il rappelait pourquoi David avait rendu témoignage de qu’il était son
Seigneur, plutôt que son fils. (11) Mais il ne dit pas qu’il était « prédestiné en raison
de la résurrection d’entre les morts » mais en raison de la résurrection des morts. Car
ce n’est pas par sa propre résurrection qu’il apparait comme Fils de Dieu dans cette
dignité spéciale et excellente par laquelle il est aussi tête de l’Église, puisque les

sub … tuis] scabellum pedum tuorum (=Vulg.) T V R ‖ 23 quod] quo K Z | sedet] sedit S U Germ | a
dextris T V ‖ 24 vivens γ2 | in Spiritu] ipsum c ‖ 25 sed … suum2 om. Ξ | et om. E M A (ac.)
26 apostolus om. B Er Lov | hic om. c ‖ 27 et tamquam Λ Am ‖ 28 autem om. T V | eum om. U B1 | ex
resurrectione om. B edd ‖ 30 Dei] de B Am Er Lov | etiam] iam Λ (tam E) | est caput tr. F B edd
160 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

cum et ceteri mortui resurrecturi sint. Sed Filius Dei praedestinatus est quodam
principatu resurrectionis, quia ex resurrectione omnium mortuorum ipse prae-
destinatus est, id est ut prae ceteris et ante ceteros resurgeret designatus, ut quod hic
positum est Filius Dei, cum dixisset praedestinatus est, ad documentum valeat tantae
35 sublimitatis. (12) Non enim sic praedestinari oportuit nisi Filium Dei, secundum
quod est etiam caput ecclesiae, unde illum alio loco primogenitum ex mortuis ap-
pellat. (13) Eum enim decebat venire ad iudicium resurgentium, qui praecesserat ad
exemplum, neque ad exemplum omnium resurgentium, sed ad exemplum eorum qui
sic resurrecturi sunt, ut cum illo vivant et regnent in sempiternum, quorum etiam
40 caput est, tamquam corporis sui. Ex ipsorum enim resurrectione etiam praedestina-
tus est, ut ipsis princeps fieret. Ceterorum autem in sua condicione resurgentium
non princeps sed iudex est. (14) Non itaque ex illorum mortuorum resurrectione
praedestinatus est, quos est damnaturus. Praedestinatum enim esse ex resurrectione
mortuorum, ut praecederet resurrectionem mortuorum, vult intelligi apostolus: hos
45 autem praecessit qui ad ipsum caeleste regnum, quo eos praecessit, secuturi sunt.
(15) Propter quod non ait ‘qui praedestinatus est Filius Dei ex resurrectione mor-
tuorum Iesus Christus Dominus noster’, sed ex resurrectione mortuorum Iesu Christi
Domini nostri, tamquam si diceret: ‘qui praedestinatus est Filius Dei ex resurrectione
mortuorum suorum’, hoc est ad se pertinentium in vitam aeternam; velut si inter-
50 rogaretur, ‘quorum mortuorum?’ et responderet, ‘ipsius Iesu Christi Domini nostri’.
(16) Ex resurrectione enim ceterorum mortuorum non est praedestinatus, quos non
praecessit ad gloriam vitae aeternae, non utique secuturos, quoniam ad poenas suas
impii resurrecturi sunt. (17) Ergo ille tamquam Filius Dei unigenitus, etiam primo-
genitus ex mortuis praedestinatus est ex resurrectione mortuorum. Quorum mortuo-
55 rum, nisi Iesu Christi Domini nostri?
6. Per quem accepimus, inquit, gratiam et apostolatum: gratiam cum omnibus
fidelibus, apostolatum autem non cum omnibus. Et ideo si tantummodo apostolatum
se diceret accepisse, ingratus exstitisset gratiae, qua illi peccata dimissa sunt.
Tamquam enim meritis priorum operum accepisse apostolatum videretur. (2) Optime
5 itaque tenet cardinem causae, ut nemo audeat dicere vitae prioris meritis se ad
evangelium esse perductum, quando nec ipsi apostoli, qui ceteris membris post

36 primogenitum…mortuis] cf. Col. 1,18 6,1 Rom. 1,5

Λ (O E d (S U T V) Germ) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ) ‖ 42 non2 inc.
Claud

31‒33 quodam … est1 om. c ‖ 34 positam L1 F ‖ 37 eum] cum V Am | dicebat E V Germ (ac.) Am
38 neque … exemplum3 om. c | ad1 om. T V ‖ 39 sic om. E c | regnant O c A ‖ 42 ita Am ‖ 43 quos]
quod Am | enim om. Ξ ‖ 44 resurrectione c | mortuorum2] multorum c ‖ 47 Iesus … mortuorum
om. c (pro verbis omissis suorum F) ‖ 48 Domini nostri om. Claud | si om. T V; qui O E S U Claud
Germ ‖ 50 Domini nostri Iesu Christi tr. T V F ‖ 52 gloriam] gratiam γ1 ‖ 54 est om. S U
55 Domini nostri Iesu Christi tr. B edd
5,11 – 6,2 | 161

autres morts eux aussi vont ressusciter. Mais il a été prédestiné comme Fils de Dieu
par une certaine primauté dans la résurrection, puisqu’il a été, lui, prédestiné en
raison de la résurrection de tous les morts, c’est-à-dire, désigné pour ressusciter
devant les autres et avant les autres. Ainsi, quand il est écrit ici Fils de Dieu, après
qu’il a dit il a été prédestiné, cela sert comme indication de cette si grande éminence.
(12) Nul en effet ne devait être prédestiné ainsi à part le Fils de Dieu, selon le fait
qu’il est aussi tête de l’Église. C’est ainsi qu’ailleurs il l’appelle le premier-né d’entre
les morts. (13) Car celui qui devait venir pour le jugement des ressuscitants, c’est
celui qui les avait précédés en donnant l’exemple, et non pas l’exemple pour tous les
ressuscitants, mais l’exemple pour ceux qui allaient ressusciter pour vivre et régner
avec lui dans l’éternité, ceux desquels il est aussi la tête, comme de son propre corps.
Car il a été aussi prédestiné en raison de la résurrection de ceux-ci pour devenir leur
chef. Mais pour les autres, ressuscitant dans leur condition, il n’est pas le chef, mais
le juge. (14) Ainsi il n’a pas été prédestiné en raison de la résurrection de ces morts-
là, qu’il va condamner. Car l’apôtre veut que l’on comprenne qu’il avait été pré-
destiné en raison de la résurrection des morts pour devancer la résurrection des
morts. Or ceux qu’il a devancés, c’est ceux qui vont le suivre dans ce même règne
céleste où il les a devancés. (15) C’est pourquoi il ne dit pas : « qui a été prédestiné
comme Fils de Dieu en raison de la résurrection des morts, Jésus Christ notre
Seigneur », mais en raison de la résurrection des morts de Jésus Christ notre Seigneur,
comme s’il disait : « qui a été prédestiné comme Fils de Dieu en raison de la ré-
surrection de ses propres morts », c’est-à-dire, de ceux qui lui appartiennent pour la
vie éternelle. C’est comme si on lui demandait « de quels morts ? », et il répondait :
« ceux de Jésus Christ notre Seigneur lui-même ». (16) Car il n’a pas été prédestiné en
raison de la résurrection des autres morts, qu’il n’a pas devancés dans la gloire de la
vie éternelle. Eux ne le suivront certainement pas, puisque les impies vont ressus-
citer pour leur punition. (17) Lui donc, en tant que Fils unique de Dieu, est aussi le
premier-né d’entre les morts prédestiné en raison de la résurrection des morts. De
quels morts, si ce n’est ceux de Jésus Christ notre Seigneur ?
6. Par qui, dit-il, nous avons reçu la grâce et l’apostolat : la grâce avec tous les
fidèles, mais l’apostolat non pas avec tous. Et pour cette raison, s’il avait dit qu’il
avait seulement reçu l’apostolat, il se serait montré ingrat envers la grâce, par la-
quelle ses péchés ont été pardonnés. Ce serait en effet comme s’il avait reçu l’aposto-
lat par les mérites de ses œuvres antérieures. (2) Il montre donc très bien la cause
première, pour que nul n’ose dire qu’il a été conduit à l’Évangile par les mérites de sa
vie antérieure, puisque même les apôtres, qui surpassent tous les membres du corps

6,1 inquit om. Λ ‖ 4 enim om. Λ ‖ 5 ordinem Λ B Lomb edd | meriti O (ac. uv.) E Claud Germ Am
5sq. ad evangelium se tr. Claud ‖ 6 nec] vero c | qui] quia Claud
162 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

caput corporis supereminent, accipere apostolatum proprie potuissent, nisi prius


communiter cum ceteris gratiam, quae peccatores sanat et iustificat, accepissent.
(3) Quod autem subiungit ad oboediendum fidei in omnibus gentibus pro nomine
10 eius, ad hoc dicit apostolatum se accepisse, ut oboediatur fidei pro nomine Domini
nostri Iesu Christi, hoc est, ut credant omnes Christo et signentur in eius nomine qui
salvi esse cupiunt. (4) Quam salutem non solis Iudaeis, sicut nonnulli qui ex ipsis
crediderant arbitrabantur, venisse iam ostendit, cum ait in omnibus gentibus. In
quibus estis, inquit, et vos vocati Iesu Christi, id est ut et vos sitis eius Iesu Christi,
15 qui omnium gentium salus est, quamquam non in numero Iudaeorum sed in numero
ceterarum gentium sitis inventi.
7. Huc usque dixit ipse quis esset qui scribit epistolam. Est enim qui scribit
Paulus servus Iesu Christi, vocatus apostolus, segregatus in evangelium Dei. (2) Sed
quia occurrebat ‘quod evangelium?’ respondit: quod ante promiserat per prophetas
suos in scripturis sanctis de Filio suo. Item quia occurrebat ‘de quo Filio suo?’ respon-
5 dit: qui factus est ei ex semine David secundum carnem, qui praedestinatus est Filius
Dei in virtute secundum Spiritum sanctificationis ex resurrectione mortuorum Iesu
Christi Domini nostri. (3) Et quasi diceretur ‘quomodo tu ad eum pertines?’ respondit:
per quem accepimus gratiam et apostolatum, ad oboediendum fidei in omnibus
gentibus pro nomine eius. (4) Item quasi diceretur ‘quae igitur causa est ut scribas ad
10 nos?’ respondit: in quibus estis et vos vocati Iesu Christi. (5) Nunc deinde adiungit ex
more epistolae quibus scribat: Omnibus, inquit, qui sunt Romae, dilectis Dei,
vocatis sanctis. Etiam hic significavit benignitatem Dei potius quam meritum
illorum. Non enim ait ‘diligentibus Deum’ sed dilectis Dei. (6) Prior enim dilexit nos
ante omnia merita, ut nos eum dilecti diligeremus. (7) Unde etiam addidit vocatis
15 sanctis. Quamquam enim sibi quis tribuat quod vocanti obtemperat, nemo potest
sibi tribuere quod vocatus est. Vocatis autem sanctis non ita intelligendum est
tamquam ideo vocati sunt quia sancti erant, sed ideo sancti effecti quia vocati sunt.
8. Restat ergo ut salutem dicat, ut compleatur usitatum epistolae principium,
tamquam ‘ille illis salutem’. Pro eo autem ac si diceret ‘salutem’, Gratia vobis,
inquit, et pax a Deo Patre nostro et Domino Iesu Christo. Non enim omnis gratia
est a Deo. (2) Nam et iudices mali praebent gratiam in accipiendis personis aliqua

9sq. Rom. 1,5 13sq. Rom. 1,6 7,11sq. Rom. 1,7 13 prior…nos] cf. 1 Io. 4,19 8,2sq. Rom. 1,7

Λ (O E d (S U T V) Claud Germ) Ξ (κ (K Z c (L 1 F M)) γ (γ 1 (γ 2 (B 1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ)


7,10 Christi des. Germ(usque ad 7,12) ‖ 12 hic inc. Germ ‖ 8,2sq. gratia … Christo] Retr 1,25

7 corpori T V | potuissent] promississent c (permisissent F) ‖ 11 Christo] in Christo B Am Er Lov


12 solum c γ2 ‖ 13 arbitrantur γ2 ‖ 14 id est ut et] et ut M | et2 om. L1 F
7,1 scribit1] scripsit M γ | scribit2] scripsit γ; epistolam add. Λ (post epistolam add. forsitan e
glossemate in Λ: est quibus scribit est qui scribit S U, sunt quibus scribit T V, est qui scribit Claud, est
enim qui scribit Germ) B edd ‖ 2 Christi Iesu tr. O (ac.) Germ ‖ 4 suo2 om. Ξ ‖ 7 diceret Lov
9 scribat c ‖ 10 Iesu Christi] Christi Iesu tr. P W B1 A ; Domini nostri add. T V ‖ 11 scribit V M R
6,2 – 8,2 | 163

à part la tête, n’auraient pu véritablement recevoir l’apostolat, s’ils n’avaient d’abord


reçu, ensemble avec les autres, la grâce, qui guérit et justifie les pécheurs. (3) En-
suite, quand il ajoute pour obéir à la foi parmi tous les peuples pour son nom, il
dit qu’il a reçu l’apostolat pour que l’on obéisse à la foi pour le nom de notre
Seigneur Jésus Christ, c’est-à-dire, pour que tous ceux qui veulent être sauvés aient
foi dans le Christ, et soient scellés en son nom. (4) Et il montre déjà que ce salut n’est
pas venu seulement aux Juifs, comme le pensaient certains d’entre eux qui avaient
cru, quand il dit parmi tous les peuples. Parmi lesquels vous êtes, dit-il, vous aussi,
les appelés de Jésus Christ, c’est-à-dire, pour que vous apparteniez, vous aussi, à ce
Jésus Christ, qui est le salut de tous les peuples, bien que vous ayez été trouvés non
pas dans le nombre des Juifs, mais dans le nombre des autres peuples.
7. Jusqu’ici, il a dit qui il était, lui qui écrit l’épître. Celui qui écrit est en effet
Paul, esclave de Jésus Christ, appelé [comme] apôtre, séparé pour l’Évangile de Dieu.
(2) Mais, puisque la question se présentait : « quel Évangile ? », il a répondu : [celui]
qu’il avait promis en avance par ses prophètes dans les Écritures saintes à propos de
son Fils. Ensuite, puisque la question se présentait : « à propos de quel Fils ? », il a
répondu : qui a été fait pour lui de la semence de David selon la chair, qui a été
prédestiné [comme] Fils de Dieu dans la puissance selon l’Esprit de sanctification en
raison de la résurrection des morts de Jésus Christ notre Seigneur. (3) Et comme si l’on
avait dit « quel est ton rapport avec lui ?», il a répondu : par qui nous avons reçu la
grâce et l’apostolat, pour obéir à la foi parmi tous les peuples pour son nom. (4) En-
suite, comme si l’on avait dit « quelle est donc la raison pour laquelle tu nous
écris ? », il a répondu : parmi lesquels vous êtes, vous aussi, les appelés de Jésus
Christ. (5) Maintenant, donc, il ajoute, selon la coutume des épîtres, à qui il écrit : à
tous ceux, dit-il, qui sont à Rome, les bien-aimés de Dieu, les saints appelés. Ici
aussi il a indiqué la bonté de Dieu plutôt que leurs propres mérites. Il ne dit pas, en
effet, « ceux qui aiment Dieu », mais les bien-aimés de Dieu. (6) Car il nous a aimé le
premier avant tout mérite, pour que nous, étant aimés, l’aimions. (7) C’est pourquoi
il ajoute aussi les saints appelés. En effet, même si quelqu’un peut se l’attribuer, s’il
obéit à celui qui appelle, personne ne peut s’attribuer d’avoir été appelé. D’ailleurs
les saints appelés ne doit pas être compris comme s’ils ont été appelés parce qu’ils
étaient saints, mais ils sont devenus saints parce qu’ils ont été appelés.
8. Il lui reste donc à dire la salutation, pour que soit complété le commencement
normal d’une épître, comme « celui-là à ceux-là, salut ». Mais, au lieu de dire cette
salutation, il dit la grâce soit avec vous et la paix venant de Dieu notre Père et du
Seigneur Jésus Christ. Toute grâce, en effet, ne vient pas de Dieu. (2) Car les
mauvais juges, eux aussi, font grâce quand ils font acception des personnes, tentés

14 ut] ut et B Gl edd | unde] inde B Am Er Lov ‖ 15 sibi om. c | quis] qui O (aliqui pc.) Germ Am
17 sunt1 O S U Claud Germ c] sint E T V K Z γ B Lomb edd | quia1] qui L1 F; quod M
8,2 salutem1] dicat add. d | vobis om. Er Lov ‖ 2sq. vobis inquit om. Claud; inquit vobis tr. T V F
P (ac.) ‖ 3 nostro om. T V
164 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

5 cupiditate illecti aut timore perterriti. (3) Neque omnis pax Dei est, vel ab illo, unde
ipse Dominus discernens ait: Pacem meam do vobis, adiungens etiam et dicens non
se talem pacem dare, qualem dat hic mundus. (4) Gratia est ergo a Deo Patre et
Domino Iesu Christo, qua nobis peccata remittuntur, quibus adversabamur Deo, pax
vero ipsa qua reconciliamur Deo. (5) Cum enim per gratiam remissis peccatis
10 absumptae fuerint inimicitiae, restat ut pace adhaereamus illi, a quo nos sola
peccata dirimebant, sicut propheta dicit: (6) Non gravabit aurem, ut non audiat, sed
peccata vestra inter vos et Deum separant. Quibus remissis per fidem Domini nostri
Iesu Christi, nulla separatione interveniente pax erit.
9. Fortasse autem quisque miretur quomodo intelligenda sit iustitia iudicis Dei,
cum gratiam praebet ignoscendo peccatis. (2) Sed hoc plane iustum est apud Deum,
quia vere iustum est, ut hi quos peccatorum suorum paenitet, eo tempore quo
nondum poenarum manifestus terror apparet, misericorditer separentur ab eis qui
5 defensiones peccatorum suorum pertinaciter exquirentes nulla paenitentia corrigi
volunt. (3) Iniustum est enim ut cum his illi ad consortium poenale copulentur, qui
vocantem Deum non spreverunt, et peccantes displicuerunt sibi, ut, quemadmodum
ille peccata eorum, sic etiam ipsi odissent sua. (4) Ea enim demum est humanae
iustitiae disciplina, non in se amare nisi quod Dei est, et odisse quod proprium est,
10 nec approbare peccata sua, nec in eis alium improbare, sed seipsum, nec putare
satis sibi esse ut sua peccata displiceant, nisi etiam vigilantissima deinceps
intentione vitentur, nec in eis vitandis vires suas existimare sufficere, nisi divinitus
adiuventur. (5) Iustum est ergo apud Deum ut ignoscatur talibus quaecumque antea
commiserunt, ne, quod iniustissimum est, cum eis qui tales non sunt confundantur
15 atque misceantur. (6) Quapropter et quia talibus ignoscitur, iustitia Dei est, et quia
ignoscitur, gratia est. Iusta est ergo gratia Dei, et grata iustitia, cum in eo quoque
etiam paenitentiae meritum gratia praecedat, quod neminem peccati sui paeniteret,
nisi admonitione aliqua vocationis Dei.
10. Porro iustitiae divinae tanta constantia est, ut, cum poena spiritalis et
sempiterna paenitenti fuerit relaxata, pressurae tamen cruciatusque corporales,

6sq. Io. 14,27 11sq. Is. 59,1sq.

Λ (O E d (S U T V) Claud Germ) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ) ‖ 11 diri-
mebant des. Claud (usque ad 11,1) ‖ 13 erit des. Germ

6 Dominus ipse tr. γ2 ‖ 7 pacem talem tr. c ‖ 8 Domino] nostro add. U B edd | adversabamur]
aversabamur T μ+; a add. d μ+ ‖ 10 fuerunt c | pacem U A ‖ 11 gravavit T V
9,2 peccantibus Λ Am+ ‖ 3 hi] ii B Er Lov μ ‖ 4 error O E L1 (ac.) Am; horror d c (pc. L1) | separantur
O (ac.) S U ‖ 9 nisi] id add. c ‖ 11 esse sibi tr. c | deinceps om. c ‖ 13 adiuvetur O E S U V B edd
est om. O E | ignoscatur Λ (ignoscetur U; ignoscantur T)] ignoscantur Ξ (ignoscatur R) | quaecumque]
quae Λ | ante P W H R ‖ 15 non ignoscitur Ξ B edd ‖ 16 grata] gratia O E
10,1 ut om. O E (ac.) S U V (ac.) | poena] poenae O (ac.) E (ac. uv.); poenas S (ac.) U ‖ 1sq. poenae
spiritales et sempiternae ... fuerint relaxatae T V (an irrepsit aliquid ambiguum in Λ?) ‖ 1 spiritales
8,2 – 10,1 | 165

par une convoitise, ou terrifiés par une menace. (3) Et toute paix n’appartient pas
non plus à Dieu, et ne vient pas de lui. C’est pourquoi le Seigneur lui-même a fait la
distinction, en disant Je vous donne ma paix, ajoutant aussi [quelque chose], en
disant qu’il ne donne pas la sorte de paix que donne ce monde. (4) Il s’agit donc de
la grâce venant de Dieu le Père et de notre Seigneur Jésus Christ, par laquelle les
péchés nous sont remis, par lesquels nous nous opposions à Dieu. Et puis la paix est
celle-là même par laquelle nous sommes réconciliés avec Dieu. (5) Car, une fois les
péchés remis par la grâce, puisque l’hostilité a été enlevée, il nous reste à adhérer
par la paix à celui duquel seuls les péchés nous séparaient, comme le dit le
prophète: (6) Il n’appesantira pas son oreille pour ne pas entendre, mais vos péchés
vous séparent de Dieu. Une fois ceux-ci remis par la foi en notre Seigneur Jésus
Christ, il n’y aura plus de séparation pour venir en travers, et il y aura la paix.
9. Mais peut-être que certains s’étonneront : comment comprendre la justice de
Dieu le juge, alors qu’il donne la grâce en pardonnant les péchés ? (2) Mais cela est
certainement juste chez Dieu, puisque cela est vraiment juste, que ceux qui se re-
pentent de leurs péchés, à l’époque où la terreur des punitions n’apparait pas encore
ouvertement, soient miséricordieusement séparés de ceux qui cherchent obstiné-
ment des défenses pour leurs péchés, et ne veulent être corrigés par aucune
pénitence. (3) Car il est injuste que les premiers soient joints avec les seconds dans
une punition commune, eux qui n’ont pas dédaigné le Dieu qui les appelait, et se
sont déplu à eux-mêmes en péchant, et ainsi, de même que lui avait détesté leurs
péchés, eux-mêmes les avaient détestés. (4) Car enfin, ce que doit apprendre la
justice humaine, c’est ne rien aimer en soi-même, sauf ce qui appartient à Dieu, et
détester ce qui nous est propre, puis ne pas approuver ses propres péchés, ni en
imputer la responsabilité à quelqu’un d’autre, mais à soi-même, et ne pas penser
qu’il suffit que nos péchés nous déplaisent, si, par la suite, on ne les évite pas aussi
avec l’application la plus vigilante, et ne pas croire que nos propres forces suffiront
pour les éviter, si elles ne sont pas assistées par Dieu. (5) Il est donc juste de la part
de Dieu de pardonner à de tels hommes tout ce qu’ils ont commis auparavant, pour
éviter – et ce serait le comble de l’injustice – qu’ils soient confondus et mélangés
avec ceux qui ne sont pas ainsi. (6) C’est pourquoi pardonner à de tels hommes, c’est
la justice de Dieu, et leur pardonner, c’est [en même temps] sa grâce. La grâce de
Dieu est donc juste, et sa justice est gracieuse, puisque ici aussi la grâce précède
même le mérite de la pénitence, dans la mesure où personne ne se repentirait de son
péché, sans quelque avertissement venant de l’appel de Dieu.
10. Mais il y a une telle constance dans la justice divine que, même si la peine
spirituelle et éternelle est remise pour le pénitent, néanmoins les tribulations et les
souffrances corporelles, par lesquelles, comme nous le savons, même les martyrs

E (ac.) S (ac.) ‖ 2 paenitentia Λ (vix recte; vide l. 4: nulli relaxetur) | corporales] corporum cruciales
γ (cruciales del. H)
166 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

quibus etiam martyres exercitatos novimus, postremo mors ipsa, quam peccando
meruit nostra natura, nulli relaxetur. (2) Quod enim etiam iusti homines et pii tamen
5 exsolvunt ista supplicia, de iusto Dei iudicio venire credendum est. (3) Ipsa est quae
in sanctis scripturis etiam disciplina nominatur, quam nemo iustorum effugere
sinitur. (4) Neminem quippe excepit, cum diceret: Quem enim diligit Deus corripit,
flagellat autem omnem filium quem recipit. Unde etiam ipse Iob, qui propterea tam
multa illa passus est, ut hominibus quis vir esset et quantus Dei servus eluceret,
10 poenas tamen corporis pro peccatis suis se exsolvere saepe testatur. (5) Petrus
quoque apostolus, exhortans fratres ad perferendas pro Christi nomine passiones,
ita loquitur: Nemo autem vestrum patiatur quasi homicida aut fur aut maledicus aut
curas alienas agens; si vero quasi christianus, non erubescat; glorificet autem Deum in
isto nomine, quia tempus inchoationis iudicii a domo Dei. Si autem initium a nobis,
15 quis finis eorum qui non credunt Dei evangelio? Et si iustus quidem vix salvus fit,
peccator et impius ubi parebit? (6) Manifeste ostendit easdem ipsas passiones quas
iusti patiuntur ad iudicium Dei pertinere, quod inchoari dixit ex domo Dei, ut inde
coniciatur quantae impiis futurae serventur. (7) Unde etiam ipse Paulus ad Thessa-
lonicenses dicit: ita ut nos ipsi de vobis gloriemur in ecclesiis Dei, pro vestra patientia
20 et fide in omnibus persecutionibus vestris, et pressuris quas sustinetis in exemplum
iusti iudicii Dei. (8) Quod omnino ad illud respicit, quod ait Petrus tempus esse
inchoationis iudicii a domo Dei, et illud quod de propheta interposuit: Et si iustus vix
salvus erit, peccator et impius ubi parebit? (9) Unde mihi videtur etiam illa quae per
Nathan prophetam regi David comminatus est Deus, quamquam statim ignoverit
25 paenitenti, propterea tamen accidisse omnia, ut demonstraretur illam veniam
spiritaliter datam propter futurum iudicium poenarum, quod exspectat eos qui hoc
tempore corrigi nolunt. (10) Dicit enim et alibi Petrus: Propter hoc enim et mortuis
evangelizatum est, ut iudicentur quidem secundum hominem in carne, vivant autem
secundum Deum in spiritu.
30 (11) Haec dixi, ut ostenderem quantum possem et quantum opportunitas
praesentis loci scripturarum sinit, non sic accipiendam gratiam et pacem Dei, cum
dicitur, ut existiment homines a iustitia Deum posse discedere. (12) Nam et ipsam
pacem cum promitteret Dominus, ait: Haec dixi, ut in me pacem habeatis, in mundo

10,7sq. Hebr. 12,6 12–16 1 Petr. 4,15–18 19–21 2 Thess. 1,4sq. 22 propheta] cf. Prov. 11,31
(LXX) 23sq. illa…Deus] cf. 2 Reg. 12,10–14 27–29 1 Petr. 4,6 33sq. Io. 16,33

Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ)

3 exercitos κ | postremum κ ‖ 4 enim etiam] enim iustitia O E S U B Am Er Cam; enim T V; etiam enim
tr. c | tamen om. T (pc.) R ‖ 5 est2] enim c; enim add. d ‖ 6 scripturis sanctis tr. O V F γ2; sacris
scripturis B ‖ 14 tempus] tempore L1 M; est add. T V | Dei] est add. E ‖ 15 quis] qui κ | crediderunt
E γ | evangelio Dei tr. B Am Er μ | evangelium O S | sit O S M R ‖ 16 apparebit E c; parebunt Z γ
Lov (non Cam) μ ‖ 17 quod om. K Z γ ‖ 18 quanta O | quanta … futura Ξ B Am Er Lov | servantur B
edd | ipse om. c ‖ 20 et2] ex c | in2 om. O E ‖ 22 Dei] Domini K Z L1 γ (Deum H R) B Am Er Lov | et2] ut
10,1 – 12 | 167

furent éprouvés, et enfin la mort elle-même, que notre nature a méritée en péchant,
ne sont remises à personne. (2) Car le fait que même les hommes justes et pieux
s’acquittent tout de même de ces supplices, il faut croire que cela vient du juste
jugement de Dieu. (3) C’est ce qui, dans les Écritures saintes, est aussi appelé
discipline, [et] qu’il n’est permis à aucun des justes d’esquiver. (4) En effet, il ne fit
d’exception pour personne, quand il dit: En effet, celui qu’il aime, Dieu le châtie, et il
fouette tout fils qu’il accueille. Ainsi Job lui aussi, qui a souffert tant de choses, pour
qu’il soit manifesté aux hommes quel homme il était et quel grand esclave de Dieu,
témoigne néanmoins souvent qu’il s’est acquitté des peines du corps pour ses
péchés. (5) De même, Pierre l’apôtre, en exhortant les frères à endurer les
souffrances pour le nom du Christ, parle ainsi : Mais que nul d’entre vous ne souffre
en tant que meurtrier, ou voleur, ou médisant, ou parce qu’il se mêle des affaires
d’autrui ; mais si c’est en tant que chrétien, qu’il ne rougisse pas, mais qu’il glorifie
Dieu à cause de ce nom, puisque le temps du commencement du jugement [vient] de la
maison de Dieu. Mais si le début [vient] de nous, quelle sera la fin de ceux qui ne
croient pas à l’Évangile de Dieu ? Et si le juste est à peine sauvé, où paraitra le pécheur
et l’impie ? (6) Il montre clairement que ces mêmes souffrances que souffrent les
justes relèvent du jugement de Dieu, qu’il dit commencer avec la maison de Dieu,
pour que l’on puisse en déduire quelles [souffrances] futures sont réservées aux
injustes. (7) Ainsi Paul lui aussi dit aux Thessaloniciens : si bien que nous aussi, nous
nous vantons de vous parmi les églises de Dieu, à cause de votre patience et de votre
foi dans toutes vos persécutions, et dans les tribulations que vous subissez pour
[donner] l’exemple du juste jugement de Dieu. (8) Ceci correspond entièrement à ce
que dit Pierre, que le temps du commencement du jugement [vient] de la maison de
Dieu, et à ce qu’il a intercalé du prophète : Et si le juste sera à peine sauvé, où
paraitra le pécheur et l’impie ? (9) Ainsi, il me semble que de même tout ce dont Dieu
a menacé le roi David par le prophète Nathan – bien qu’il ait tout de suite pardonné
au pénitent – est arrivé, pour montrer que ce pardon fut donné spirituellement pour
le jugement punitif à venir, qui attend ceux qui ne veulent pas se corriger
maintenant. (10) En effet, Pierre dit aussi ailleurs : C’est pourquoi l’Évangile a aussi
été prêché aux morts, pour qu’ils soient jugés selon l’homme dans la chair, mais qu’ils
vivent selon Dieu dans l’esprit.
(11) J’ai dit ces choses pour montrer, autant que je le pouvais, et autant que le
permet l’occasion du passage en question des Écritures, que la grâce et la paix de
Dieu, quand on en parle, ne doivent pas être comprises de telle façon que les
hommes croient que Dieu puisse abandonner la justice. (12) En effet, même quand
le Seigneur a promis la paix, il a dit : J’ai dit ceci, pour que vous ayez la paix en moi,

c ‖ 23 apparebunt E; apparebit c; parebunt γ Lov μ ‖ 24 prophetam Nathan tr. γ ‖ 25 omnia


accidisse tr. γ ‖ 26 specialiter U R ‖ 27 et2] ex c ‖ 30 haec] hoc Λ B edd ‖ 32 a] ab E d | Deum]
Domini c
168 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

autem pressuram. Sed tribulationes et molestiae cum per iustitiam Dei redduntur
35 peccatis, bonos et iustos, et quibus iam plus peccata ipsa displicent quam ulla
corporis poena, non reflectunt ad peccandum, sed ab omni labe penitus purgant.
(13) Pax enim perfecta etiam corporis suo tempore roborabitur, si nunc pacem quam
Dominus per fidem dare dignatus est inconcusse spiritus noster atque incommutabi-
liter teneat.
11. Quod autem apostolus gratiam et pacem a Deo Patre et Domino Iesu Christo
dicit, non adiungens etiam Spiritum sanctum, non mihi alia ratio videtur, nisi quia
ipsum donum Dei Spiritum sanctum intelligimus. Gratia porro et pax, quid aliud
quam donum Dei? (2) Unde nullo modo dari hominibus gratia potest qua liberamur
5 a peccatis, et pax qua reconciliamur Deo, nisi in Spiritu sancto. Et ideo ipsa Trinitas
pariterque incommutabilis unitas in ista salutatione cognoscitur. (3) Quod propterea
maxime credo, quoniam excepta epistola quam ad Hebraeos scripsit, ubi principium
salutatorium de industria dicitur omisisse, ne Iudaei qui adversus eum pugnaciter
oblatrabant, nomine eius offensi, vel inimico animo legerent, vel omnino legere non
10 curarent, quod ad eorum salutem scripserat – (4) unde nonnulli eam in canonem
scripturarum recipere timuerunt – sed quoquo modo se habeat ista quaestio,
excepta hac epistola, ceterae omnes, quae nulla dubitante ecclesia Pauli apostoli
esse firmantur, talem continent salutationem, nisi quod ad Timotheum in utraque
interponit misericordiam. (5) Nam ita scribit: Gratia, misericordia, pax a Deo Patre et
15 Christo Iesu Domino nostro. (6) Quo enim familiarius eo dulcius quodammodo
scribens ad Timotheum, id verbum interposuit, quo plane aperitur atque ostenditur
non meritis operum priorum, sed secundum misericordiam Dei nobis dari Spiritum
sanctum, ut et peccatorum abolitio fiat, qua seiungebamur a Deo, et reconciliatio, ut
illi inhaereamus.
12. Nec aliae apostolorum epistolae, quas usus ecclesiasticus recipit, parum nos
admonent de ista Trinitate in principiis suis. (2) Nam Petrus ita dicit: Gratia vobis et
pax adimpleatur. Deinde statim subicit: Benedictus Deus et Pater Domini nostri Iesu
Christi, ut per gratiam et pacem Spiritu sancto intellecto, Patris et Filii commemora-

11,14sq. 1 Tim. 1,2; 2 Tim. 1,2 12,2sq. 1 Petr. 1,2 3sq. 1 Petr. 1,3

Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ) ‖ 11,1 quod inc.
Claud (in Rom., in Eph.) ‖ 6 cognoscitur des. Claud (in Rom.) ‖ 19 inhaereamus des. Claud (in
Eph.)

34 pressuras c | sed] et Ξ | molestiae] angustias c | reddunt c ‖ 36 replectunt O (ac.) E | ab omni labe]


abhominabile c ‖ 37 corpori T V | roborabitur] dabitur T V μ+ ‖ 38 donare γ2
11,1 a om. O E (add. E2) | Patre] nostro add. γ | Domino om. γ; nostro add. E Claud (non in Rom., sed
forsitan in Eph.; vide p. 105 adn. 446) κ B edd ‖ 3 intelligamus B edd ‖ 4 quam donum Dei] sunt
praem. γ; est praem. B Lomb edd; quam donum Dei (Dei donum tr. T V) sunt d ‖ 5 ideo et tr. O E d; et
ideo et Claud in Rom.; et ideo Claud in Eph. | Trinitas] inseparabilis add. T V ‖ 6 unitas B Gl Lomb
edd (an recte vix liquet); om. cett. ‖ 8 salutatorium] salutorium Z W | dicit B1 A H ‖ 11 quoquo] quo
O (pc.) Claud (vl.) Ξ (exc. Z) Am | ista] haec c ‖ 12 dubitatione c B1 ‖ 14 interponat O S U κ H; ambae
10,12 – 12,2 | 169

mais la tribulation dans le monde. Mais quand les épreuves et les chagrins sont la
récompense des péchés par la justice de Dieu, ils ne ramènent pas vers le péché les
bons et les justes, et ceux à qui les péchés eux-mêmes sont déjà plus odieux que
toute peine du corps. Ils les lavent plutôt entièrement de toute tâche. (13) En effet,
même la paix parfaite du corps sera affermie en son temps, si notre esprit conserve
désormais, sans fléchir ou changer, la paix que le Seigneur a daigné nous donner à
travers la foi.
11. Mais, si l’Apôtre parle de la grâce et la paix venant de Dieu le Père et du
Seigneur Jésus Christ, sans ajouter aussi l’Esprit Saint, il ne me semble pas y avoir
d’autre explication que celle-ci : nous comprenons que le don de Dieu lui-même est
l’Esprit Saint. Et la grâce et la paix, qu’est-ce, sinon le don de Dieu ? (2) Ainsi, la
grâce, par laquelle nous sommes libérés des péchés, et la paix, par laquelle nous
sommes réconciliés avec Dieu, ne peuvent nullement être données aux hommes, si
ce n’est dans l’Esprit Saint. Et c’est pourquoi la Trinité elle-même, [qui est] en même
temps Unité immuable, se reconnait dans cette salutation. (3) Je crois cela surtout
parce que – mise à part l’épître qu’il écrivit aux Hébreux, où l’on dit qu’il a omis
exprès la salutation initiale, pour éviter que les Juifs, qui aboyaient agressivement
contre lui, offensés par son nom, ne lussent avec un esprit hostile, ou ne s’intéressas-
sent pas du tout à lire, ce qu’il avait écrit pour leur salut – (4) d’où certains ont craint
de la recevoir dans le canon des Écritures – mais quelle que soit la réponse à cette
question, à l’exception de cette épître, toutes les autres, que l’on affirme être de
l’apôtre Paul sans qu’aucune église n’en ait douté, contiennent une salutation de ce
type, à l’exception des deux à Timothée, dans lesquelles il intercale la miséricorde.
(5) En effet, il écrit ainsi: la grâce, la miséricorde, la paix venant de Dieu le Père et du
Christ Jésus notre Seigneur. (6) C’est qu’en écrivant d’une certaine façon plus
familièrement et plus agréablement à Timothée, il a intercalé ce mot, par lequel il est
clairement révélé et manifesté que l’Esprit Saint nous est donné non pas par les
mérites des œuvres antérieures, mais selon la miséricorde de Dieu, pour que
s’accomplissent à la fois l’abolition des péchés, là où nous étions séparés de Dieu, et
la réconciliation, pour que nous nous attachions à lui.
12. Et les autres épîtres des apôtres, qu’accepte la tradition de l’Église, ne nous
informent pas qu’un peu sur cette Trinité dans leurs introductions. (2) Pierre, en
effet, parle ainsi : Que la grâce et la paix soient complétées pour vous. Ensuite il
ajoute tout de suite : Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ. Ainsi, une
fois que l’on a compris l’Esprit Saint par la grâce et la paix, la mention du Père et du

lectiones in codicibus Claud | misericordia pax] et (om. V) misericordia et pax d ‖ 15 Iesu Christo tr.
E T V B edd | familiaris O E ‖ 16 verum O E Claud | quo T V P W B edd] quod O E S U Claud κ γ2 | appeti-
tur c ‖ 18 qua] quibus V (pc. ; ac. non liquet) B edd (an recte?) | seiungebantur c (seiungebatur F)
Deo] Domino c
12,1 recepit L1 F ‖ 3 subiecit γ B Er Lov ‖ 4 ut] ubi c | intellectu c
170 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

5 tio animum de Trinitate commoneat. (3) Et in alia sic ait: Gratia vobis et pax multipli-
cetur in recognitione Dei et Christi Iesu Domini nostri. (4) Iohannes autem nescio
quam ob causam omisit tale principium, sed plane Trinitatis commemorationem nec
ipse neglexit, pro gratia et pace societatem interponens: Quod ergo vidimus, inquit,
nuntiamus et vobis, ut et vos societatem habeatis nobiscum, et societas nostra sit cum
10 Patre et Filio eius Iesu Christo. (5) In secunda vero illis quae ad Timotheum sunt
consonat, dicens: Sit vobiscum gratia, misericordia, pax a Deo Patre et Iesu Christo
Filio Patris. (6) In tertiae principio de Trinitate penitus tacetur, credo quod sit
omnino brevissima. Sic enim incipit: Senior Gaio dilectissimo, quem ego diligo in
veritate. Quam veritatem pro ipsa Trinitate positam puto. (7) Iudas, nominato Deo
15 Patre et Domino Iesu Christo, ad intelligendum Spiritum sanctum, hoc est donum
Dei, tria verba ponit. Sic quippe incipit: Iudas Iesu Christi servus, frater autem Iacobi,
in Deo Patre dilectis, et in Iesu Christo conservatis, vocatis, misericordia vobis et pax et
caritas adimpleatur. (8) Gratia enim et pax sine misericordia et caritate intelligi non
potest. Iacobus autem usitatissimum exordium fecit epistolae, ita scribens: Iacobus
20 Dei et Domini nostri Iesu Christi servus, duodecim tribubus quae sunt in dispersione,
salutem, (9) credo, considerans salutem non esse nisi in dono Dei, ubi gratia et pax.
Et quamquam ante hoc verbum nominaverit Deum et Dominum nostrum Iesum
Christum, tamen quia nulla gratia et nulla pace salvi fiunt homines, nisi quae est a
Deo Patre et Domino Iesu Christo, sicut Iohannes in tertia veritatem, sic iste salutem
25 pro ipsa Trinitate posuisse mihi videtur.
13. Quo loco prorsus non arbitror praetereundum quod pater Valerius animad-
vertit admirans in quorundam rusticanorum collocutione. Cum alter alteri dixisset
‘salus’, quaesivit ab eo qui et latine nosset et punice, quid esset ‘salus’. Responsum
est: ‘Tria’. (2) Tum ille agnoscens cum gaudio salutem nostram esse Trinitatem,
5 concinentia linguarum non fortuito sic sonuisse arbitratus est, sed occultissima
dispensatione divinae providentiae, ut cum latine nominatur ‘salus’, a Punicis
intelligantur ‘tria’, et cum Punici lingua sua ‘tria’ nominant, latine intelligatur
‘salus’. (3) Chananaea enim, hoc est punica mulier, de finibus Tyri et Sidonis
egressa, quae in evangelio personam gentium gerit, salutem petebat filiae suae, cui

5sq. 2 Petr. 1,2 8–10 1 Io. 1,3 11sq. 2 Io. 1,3 13sq. 3 Io. 1 16–18 Iudas 1 19–21 Iac. 1,1

Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ)

5 sic] sicut γ1 | et pax om. γ ‖ 6 Iesu Christi tr. O E T V ‖ 7 commisit c | commemoratione c


8 ergo om. S U | inquit om. T V ‖ 9 et1 om. d; ex c | et ut tr. c | vobiscum c ‖ 10 illi γ | quae … sunt]
qui ad Timotheum K Z; quae (quia L1 F) ad Timotheum c; quae est ad Timotheum γ ‖ 11 pax om. Ξ
14‒16 nominato … Iudas om. T V ‖ 17 in2 om. Λ c μ | conservatis] et add. B edd ‖ 18 etenim c
20 tribus c B ‖ 21 salutem om. Z P | domo E V c (doo F) A (ac.) μ+ ‖
2 23sq. a deo est tr. c
24 saltem c
13,2 quorundam] quadam c (quae-ac. uv. L1) | collatione A H R | cum] enim add. T V ‖ 5 continen-
tiam O (ac.) R (ac.); concinentiam O (pc.) R (pc.) Am+; continencia E (corr. E2) H; consonantia d;
12,2 – 13,3 | 171

Fils instruit l’intelligence sur la Trinité. (3) Et dans l’autre [épître] il parle ainsi : Que
la grâce et la paix se multiplient pour vous dans la connaissance de Dieu et du Christ
Jésus notre Seigneur. (4) Quant à Jean, je ne sais pour quelle raison, il a omis une
introduction de ce type, mais clairement lui non plus ne néglige pas de mentionner
la Trinité, substituant « alliance » à « grâce et paix ». Donc ce que nous avons vu, dit-
il, nous vous l’annonçons aussi, pour que vous ayez vous aussi une alliance avec nous,
et que notre alliance soit avec le Père et son Fils Jésus Christ. (5) Mais dans la seconde
[épître] il est en accord avec les [épîtres] à Timothée, en disant : Que la grâce, la
miséricorde, la paix, venant de Dieu le Père, et de Jésus Christ le Fils du Père soient
avec vous. (6) Dans l’introduction de la troisième, il y a un silence total sur la Trinité
– c’est, à mon avis, parce qu’elle est extrêmement courte. Car il commence ainsi :
L’ancien au très bien-aimé Gaius, que j’aime dans la vérité. Je pense que cette vérité
est mise pour la Trinité même. (7) Jude, ayant nommé Dieu le Père et le Seigneur
Jésus Christ, met trois mots pour que l’on comprenne l’Esprit Saint, c’est-à-dire le
don de Dieu. Il commence donc ainsi : Jude, l’esclave de Jésus Christ, et le frère de
Jacques, à [ceux qui sont] bien-aimés en Dieu le Père, et gardés en Jésus Christ, aux
appelés, que la miséricorde et la paix et la charité vous soient données en abondance.
(8) En effet, la grâce et la paix ne peuvent être comprises sans la miséricorde et la
charité. Quant à Jacques, il donne un début des plus usuels à son épître, écrivant
ainsi: Jacques, l’esclave de Dieu et de notre Seigneur Jésus Christ, aux douze tribus qui
sont dans la dispersion, salut. (9) Je pense qu’il voyait que le salut ne se trouve que
dans le don de Dieu, où sont la grâce et la paix. Et, bien qu’il ait nommé Dieu et
notre Seigneur Jésus Christ avant ce mot, cependant, parce que les hommes ne sont
sauvés par aucune grâce et par aucune paix, à part celle qui vient de Dieu le Père et
du Seigneur Jésus Christ, il me semble que, tout comme Jean avait mis « vérité » dans
sa troisième [épître], il a mis ici « salut » pour la Trinité même.
13. En cet endroit, je ne pense pas qu’il faille laisser de côté ce que le père
Valérius a remarqué en s’émerveillant, lors de la conversation de certains paysans.
Quand l’un avait dit « salus » à l’autre, il demanda à celui qui connaissait et le latin
et le punique, qu’est-ce que c’était que « salus ». On lui répondit : « Trois ». (2) Alors
lui, reconnaissant avec joie que notre salut, c’est la Trinité, s’est dit que ces sons
étaient produits par une harmonie des langues qui n’était pas due au hasard, mais
plutôt à une dispensation très secrète de la divine providence. Ainsi, quand on dit
« salus » en Latin, « trois » est compris par les Puniques, et quand les Puniques
disent « trois » en leur langue, on comprend salus [santé / salut] en latin. (3) En effet,
la femme cananéenne, c’est-à-dire punique, étant sortie du territoire de Tyr et de
Sidon, [et] qui représente les gentils dans l’Évangile, demandait le salut pour sa fille.

convenientiam B edd | fortuitu T V Z B edd; fortitudo c; an fortuita? ‖ 7 et om. Λ | intellegantur O S


V (ac.) ‖ 8 hoc] hec F M | et om. κ
172 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

10 responsum est a Domino: Non est bonum panem filiorum mittere canibus. (4) Quod
crimen obiectum illa non negans, tamquam de confessione peccatorum impetratura
salutem filiae, hoc est novae vitae suae: Ita, inquit, Domine, nam et canes edunt de
micis quae cadunt de mensa dominorum suorum. (5) ‘Tria’ enim mulieris lingua
‘salus’ vocantur: erat enim Chananaea. Unde interrogati rustici nostri quid †sit
15 punice, respondent †‘Chanani’, corrupta scilicet, sicut in talibus solet, una littera.
Quid aliud respondent quam †‘Chananaei’? (6) Petens itaque salutem Trinitatem
petebat, quia et romana lingua, quae in salutis nomine Trinitatem punice sonat,
caput gentium inventa est in adventu Domini, et diximus Chananaeam mulierem
gentium sustinere personam. Panem autem appellans Dominus id ipsum quod a
20 muliere petebatur, quid aliud quam Trinitati attestatur? (7) Namque alio loco
eandem Trinitatem in tribus panibus intelligendam esse apertissime docet. Sed haec
verborum consonantia, sive provenerit, sive provisa sit, non pugnaciter agendum est
ut ei quisque consentiat, sed quantum interpretantis elegantiam hilaritas audientis
admittit.
14. Illud sane magna intentione animi considerandum, et totis viribus pietatis
amplectendum satis apparet, quoniam si gratia et pax ad implendam Trinitatis
commemorationem sic ab apostolo ponitur ac si sanctum Spiritum nominet, ille
peccat in Spiritum sanctum, qui desperans vel irridens atque contemnens praedica-
5 tionem gratiae per quam peccata diluuntur, et pacis per quam reconciliamur Deo,
detrectat agere paenitentiam de peccatis suis, et in eorum impia atque mortifera
quadam suavitate perdurandum sibi esse decernit, et in finem usque perdurat.
(2) Quod ergo ait Dominus dimitti homini, si verbum dixerit adversus filium hominis,
si autem verbum dixerit adversus Spiritum sanctum, non ei dimitti neque hic neque
10 in futuro saeculo, sed reum esse aeterni peccati, non negligenter audiendum est.
(3) Constituamus enim aliquem latinae linguae ignarum, cum illo audiente pro-
nuntiatus fuerit ab aliquo ‘Spiritus sanctus’, quaerere quid rerum significetur sub
isto syllabarum sono; ab aliquo autem deceptore vel irrisore impio responderi
aliquid aliud, quodlibet vile et abiectum, ut quaerentem decipiat, sicuti a talibus
15 fieri solet ridendi gratia; illum autem per ignorantiam contempsisse hoc nomen,
dum nescit quid significet, et aliqua etiam in hoc convicia iactitasse: neminem esse

13,10 Mt. 15,26 12sq. Mt. 15,27 20sq. namque…panibus] cf. Lc. 11,5 14,8–10 si…peccati] cf.
Mt. 12,31sq.

Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ)

10 partem Er ‖ 13 lingua mulieris tr. Λ ‖ 14 vocatur E d | erant enim Chananaei K Z γ (ac. R) | sit]
sint T V B edd ‖ 15 respondent O E S U K c R (pc.)] om. Z γ (ac. R); cum respondent T V Am; respon-
dentes B Er Lov μ | Chanani O E c B edd] Canani K; Chemani S T; Chaemani V; Chaemam U; Cananei Z;
Chanei γ (Canei P W) | tabulis Am+ ‖ 16 Chanan(a)ei T B edd] Cananei V; Chanani O (pc.) E S M;
Canani O (ac.) K Z L1 F; Canai γ (Chanai B1 H); Chanam U ‖ 19 id] ad O (ac.); at O (pc.) S (ac.) Am
21 intelligenda c ‖ 22 sonantia L1 F | pervenerit V F
13,3 – 14,3 | 173

Il lui fut répondu par le Seigneur : Il n’est pas bon de jeter le pain des fils aux chiens.
(4) Quant à elle, sans nier le crime qu’on lui reprochait, comme si par la confession
de ses péchés elle allait obtenir le salut de sa fille, c’est-à-dire de sa nouvelle vie, elle
dit: Oui, Seigneur. Justement, même les chiens mangent des miettes qui tombent de la
table de leurs seigneurs. (5) En effet, dans la langue de la femme, « trois » se dit
salus, car elle était cananéenne. Ainsi, quand on demande à nos paysants †qu’est-ce
que c’est† en Punique, ils répondent †« Chanani »†, avec bien entendu la corruption
d’une lettre qui est d’usage chez de tels hommes. Que répondent-ils d’autre que
†«Chananaei »† ? (6) Donc, en demandant le salut, elle demandait la Trinité, puis-
que, de plus, la langue romaine, qui fait le son de la Trinité en punique avec le mot
salus, s’est trouvée à la tête des gentils lors de la venue du Seigneur ; et nous avons
dit que la femme cananéenne représentait les gentils. D’ailleurs, quand le Seigneur
appelait « pain » la chose même qui était demandée par la femme, que faisait-il
d’autre que porter témoignage à la Trinité? (7) Ailleurs, en effet, il enseigne très
clairement que cette même Trinité doit être comprise par trois pains. Mais, quant à
cette consonance des mots, qu’elle soit due au hasard, ou voulue, il ne faut pas se
battre pour que chacun l’accepte, sinon dans la mesure où la bonne humeur de
l’auditeur accueille l’élégance de l’interprète.
14. Mais voici ce qu’on voit bien qu’il faut considérer avec une grande attention
de l’esprit, et embrasser avec toutes les forces de la piété : si la grâce et la paix sont
ainsi placées par l’apôtre pour compléter sa mention de la Trinité, comme s’il
nommait l’Esprit Saint, celui-là pèche contre l’Esprit Saint, qui, désespérant, ou
persifflant et méprisant la prédication de la grâce par laquelle les péchés sont lavés,
et de la paix par laquelle nous sommes réconciliés avec Dieu, refuse de faire
pénitence pour ses péchés, et décide qu’il doit persévérer dans une certaine douceur
impie et mortelle de ces [péchés], et y persévère jusqu’à la fin. (2) Donc, quand le
Seigneur dit qu’il sera pardonné à l’homme, s’il dit une parole contre le fils de
l’homme, mais que, s’il dit une parole contre l’Esprit Saint, il ne lui sera pardonné ni
ici ni dans le monde à venir, mais qu’il sera coupable d’un péché éternel, il ne faut
pas écouter avec négligence. (3) Imaginons en effet quelqu’un qui ne connait pas la
langue latine. Alors qu’il écoute, « Esprit Saint » est prononcé par quelqu’un. Il
demande quelle chose est signifiée par ce bruit de syllabes. Alors quelque chose
d’autre, ce que l’on voudra de vil et de bas, lui est répondu, par un menteur ou un
moqueur impie, pour tromper l’interrogateur, comme de tels hommes le font souvent
pour rire. Ensuite lui, dans l’ignorance, a méprisé ce nom, alors qu’il ignorait ce qu’il
signifie, et a même lancé quelques insultes contre lui. Je ne pense pas qu’il y ait
quelqu’un d’assez sot et irréfléchi, pour taxer cet homme d’une quelconque accusa-

14,2 quoniam] quia γ2 ‖ 3 sic] sicut c | Spiritum sanctum tr. γ (ac. P) B edd | nominasset B edd
7 sibi om. T V ‖ 8 ergo] autem γ | adversum S U ‖ 8sq. filium … adversus om. O K Z ‖ 8 hominis
om. γ ‖ 9 verbum om. c | ei om. M; enim L1 F ‖ 12 Spiritus sanctus ab aliquo tr. T V | quaerentem
d ‖ 14 vile et] videt Ξ (videlicet H R) | sicut O T V ‖ 16sq. arbitror esse tr. T V
174 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

arbitror tam vanum et inconsideratum, qui hunc hominem ullo crimine impietatis
aspergat. (4) At contra, si tacito nomine res ipsa verbis quibus potest ad quaerentis
intelligentiam perducatur, tum vero si aliqua contumeliose in tantam sanctitatem vel
20 verba vel facta protulerit, reus tenebitur. (5) Quae cum ita sint, manifestum esse
arbitror eum qui hoc nomine audito aliam pro alia rem significari putaverit, et ad-
versus eam rem quam significari hoc nomine credidit verbum dixerit, non hunc sic
peccare, ut adversus Spiritum sanctum verbum dixisse iudicetur. (6) Itaque si
quisquam quaerens quid sit Spiritus sanctus audiat ab imperito hunc esse Filium Dei
25 per quem facta sunt omnia, qui etiam certa opportunitate temporis de virgine natus
sit, et occisus a Iudaeis, et resurrexerit, quibus auditis vel neget vel irrideat quae
dicta sunt, non eum sic teneri putandum est, ac si verbum adversus Spiritum
sanctum dixerit, sed potius adversus Filium Dei, vel filium hominis, sicut et vocari et
esse dignatus est. (7) Non enim quid sit imperito per vocem propositum, sed per
30 rationem expositum, considerandum est, quia ille cum maledicta proferret, ei utique
maledicebat quem sibi enarratum cogitatione intuebatur. Quodlibet autem vocare-
tur, utrum res ipsa veneranda an neganda vel vituperanda esset, hoc quaeritur.
(8) Hoc modo etiam si quispiam quaerat quid sit Iesus Christus, et ea quaerenti re-
spondeantur quae non in Filium Dei sed potius in Spiritum sanctum conveniunt,
35 quibus auditis ille blasphemet, non utique adversus Filium, sed adversus Spiritum
sanctum verbum dixisse tenebitur.
15. Sed si transitorie ac negligenter attenderimus quod dictum est, Si quis
verbum dixerit adversus Spiritum sanctum, non remittetur ei, neque in hoc saeculo
neque in futuro, quis inveniri poterit cui veniam peccatorum dederit Deus? (2) Nam
et pagani qui appellantur etiam nunc totam nostram religionem, quia iam ferro et
5 caedibus prohibentur, maledictis contumeliisque insectantur, et quicquid de ipsa
Trinitate dicimus, negando et blasphemando contemnunt. (3) Non enim excipiunt
sibi Spiritum sanctum quem venerentur, ut in cetera saeviant, sed simul adversus
omnia quaecumque sollicite de trina Dei maiestate loquimur, quanto possunt furore
impietatis oblatrant. Nam neque de ipso Deo Patre digne sentiunt, quem partim
10 penitus negant, partim sic fatentur ut de illo falsa fingendo non utique illum sed sua
figmenta venerentur. (4) Multo magis ergo quod de Filio Dei vel de Spiritu sancto
dicimus suo impio more deridere quam nostra pia societate colere maluerunt. Quos

15,1–3 Mt. 12,32

Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ)

18 si] sic Am | cito O Am | ad inquirentis S (pc.) U ‖ 19 tum] cum U κ | si aliqua om. V μ | contumeli-
osa O S B Am Er Lov | vel om. d ‖ 21 re F B Am Er Lov ‖ 21sq. adversum c ‖ 22 non] in c
22sq. peccare sic tr. c ‖ 23 adversum T V | sanctum Spiritum tr. O E Z | itaque] ita quoque T V μ
24 sanctus om. c ‖ 26 occisus] sit add. d μ | resurrexit T V K (ac.) c B1 H B ‖ 27 putandus L1 M
29 quid] qui c ‖ 29sq. sed … expositum om. Λ ‖ 30 rationem] intentionem L1 M | ei] et κ; eum γ
31 enarravit c; enarratum in B edd ‖ 33 hoc etiam modo si (modo si] Moysi F) tr. c | quispiam]
14,3 – 15,4 | 175

tion d’impiété. (4) Mais, au contraire, si le nom n’est pas prononcé, mais la chose
même est portée à l’intelligence de l’interrogateur par des mots qui peuvent y suffire,
c’est alors que, s’il produit des dits ou des faits méprisants envers une si grande
sainteté, il sera tenu coupable. (5) Puisqu’il en est ainsi, je considère qu’il est clair
que celui qui a pensé, quand il a entendu ce nom, qu’une chose était signifiée à la
place d’une autre, et a dit une parole contre cette chose qu’il a cru être signifiée par
ce nom, celui-là ne pèche pas de telle façon, que l’on jugera qu’il a dit une parole
contre l’Esprit Saint. (6) Ainsi, si quelqu’un qui demande ce qu’est l’Esprit Saint
entend d’un homme ignare que celui-ci est le Fils de Dieu, par qui tout a été fait, et
qui est né d’une vierge à un certain moment du temps, et fut tué par les Juifs, et
ressuscita, et ayant entendu ces choses, il nie ou persiffle ce qui a été dit, il ne faut
pas penser qu’il est coupable de la même façon que s’il avait dit une parole contre
l’Esprit Saint, mais plutôt contre le Fils de Dieu, ou le fils de l’homme, comme il a
daigné être appelé et être. (7) Car il ne faut pas considérer ce qui a été mis devant un
ignare par la voix, mais ce qui lui a été expliqué par la raison, puisque, quand il
produisait des insultes, il insultait bien entendu celui dont on lui avait parlé, et qu’il
voyait dans sa pensée. Donc, peu importe le nom dont on l’ait appelée, ce que l’on
cherche, c’est si la chose elle-même devait être vénérée, ou niée, ou insultée. (8) Et
de même, si quelqu’un demande ce qu’est Jésus Christ, et que l’on répond à l’inter-
rogateur des choses qui ne conviennent pas au Fils de Dieu, mais plutôt à l’Esprit
Saint, et ayant entendu cela, il blasphème, il sera coupable d’avoir dit une parole
non pas, bien sûr, contre le Fils, mais contre l’Esprit Saint.
15. Mais si nous n’écoutons qu’en passant, et avec négligence, ce qui est dit : Si
quelqu’un dit une parole contre l’Esprit Saint, il ne lui sera pas pardonné, ni en ce
monde, ni dans [le monde] à venir, qui pourra-t-on trouver à qui Dieu aura accordé le
pardon de ses péchés ? (2) En effet, ceux-là aussi que l’on appelle païens, puisqu’on
leur interdit désormais de le faire avec l’épée et les tueries, poursuivent encore
maintenant toute notre religion avec insultes et injures. Et tout ce que nous disons de
la Trinité elle-même, ils le méprisent, en niant et en blasphémant. (3) En effet, ils ne
se font pas une exception de l’Esprit Saint, qu’ils vénèreraient, pour s’acharner
contre le reste, mais ils aboient en même temps avec toute la fureur possible de
l’impiété contre tout ce que nous disons avec révérence sur la triple majesté de Dieu.
En effet, même sur Dieu le Père lui-même, ils n’ont pas des idées dignes [de lui] :
certains le renient entièrement, [et] certains le confessent de telle façon, qu’en
inventant des mensonges sur lui, ils ne le vénèrent pas du tout, mais plutôt leurs
propres inventions. (4) Encore plus, donc, ils ont préféré se moquer selon leur
habitude impie de ce que nous disons du Fils de Dieu ou de l’Esprit Saint, plutôt que

quisquam c | quid] quis O B edd | ea (Cam)] ita γ Lov ‖ 33sq. respondeatur O S U ‖ 34 sanctum
Spiritum tr. S U
15,1 attenderemus c ‖ 2 in … saeculo] hic T V ‖ 5 de om. c ‖ 7 sanctum Spiritum tr. O κ | ut] et T
V ‖ 8 sollicite om. Λ μ+ | trina om. γ ‖ 9 Deo Patre] Deo add. γ | digna Ξ B edd
176 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

tamen, quantum possumus, adhortamur ad Christum cognoscendum, et per ipsum


Patrem Deum, summoque et vero imperatori militandum esse suademus, eosque
15 promissa impunitate praeteritorum omnium peccatorum invitamus ad fidem.
(5) Qua in re satis iudicamus, etiam si quid adversus Spiritum sanctum in sua
sacrilega superstitione dixerunt, cum christiani facti fuerint, sine ulla caligine
dubitationis ignosci. Iudaei vero quales adversus Spiritum sanctum fuerint, testis est
Stephanus, quem sancto Spiritu plenum lapidaverunt, cum illa omnia quae in eos
20 dixit, ipse Spiritus dixerit. (6) In quibus verbis apertissime dictum est Iudaeis: Vos
semper restitistis Spiritui sancto. In illo tamen numero Iudaeorum resistentium
Spiritui sancto, et non ob aliud Stephanum vas eius, nisi quod eo plenus erat,
lapidantium, etiam Paulus apostolus erat in manibus omnium quorum vestimenta
servabat. Quod sibi postea etiam paenitendo increpitat, eo ipso Spiritu iam ple-
25 nissimus, cui primo inanissimus resistebat, et paratus iam lapidari pro talibus dictis,
qualium praedicatorem ipse lapidaverat. (7) Quid Samaritani? Nonne ita Spiritui
sancto adversantur, ut ipsam prophetiam penitus conentur exstinguere, quae per
Spiritum sanctum ministrata est? (8) Quorum tamen saluti et ipse Dominus attesta-
tur, in eo qui de leprosis decem mundatis solus reversus est ut ageret gratias, cum
30 esset Samaritanus, et in illa muliere cum qua ad puteum sexta hora locutus est, et
eis qui per illam crediderunt. (9) Post Domini autem ascensionem, sicut in Actibus
apostolorum scriptum est, quanta gratulatione sanctorum recepit Samaria verbum
Dei? (10) Simonem quoque magum arguens Petrus apostolus, quod tam male de
Spiritu sancto senserit, ut eum venalem putans pecunia sibi emendum poposcerit,
35 non tamen ita de illo desperavit, ut veniae locum nullum relinqueret. Nam benigne
etiam ut eum paeniteret admonuit. (11) Ipsa denique catholicae ecclesiae tam
insignis auctoritas, quae in eodem dono Spiritus sancti omnium sanctorum mater
toto fecunda orbe diffunditur, cui umquam haeretico vel schismatico spem liberatio-
nis, si se corrigat, amputavit? (12) Cui placandi Dei aditum clausit? Nonne omnes ad
40 ubera sua, quae superbo fastidio reliquerunt, cum lacrimis revocat? Quis vero vel de
principibus vel de gregibus haereticorum invenitur, qui non adversetur Spiritui
sancto? Nisi forte quisquam tam perverse sentit, ut arbitretur eum teneri reum qui

20sq. Act. 7,51 25 paratus…dictis] cf. 2 Cor. 11,25 28–30 saluti…Samaritanus] cf. Lc. 17,11–19
30sq. illa…crediderunt] cf. Io. 4,7–42 32sq. quanta…Dei] cf. Act. 8,4–17 33–36 Simonem…ad-
monuit] cf. Act. 8,18–24

Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ)

13 cognoscendum Christum tr. E | agnoscendum S T V ‖ 14 Deum Patrem tr. O γ2 ; Patri Deo d μ+


suadeamus E S U ‖ 16 indicamus T Z γ | adversum T V; in c ‖ 17 super institutione c | fuerint facti
tr. γ2 ‖ 19 sancto Spiritu Ξ (sancto plenum Spiritu M)] sancto ipso Spiritu Λ (Spiritu ipso sancto T);
ipso Spiritu sancto B edd | illa] ille Am ‖ 20 Iudaeis om. γ1 ‖ 22 et om. Λ | alium c | quod] ipse add.
μ ‖ 24 quod] ipse add. T V μ ‖ 26 nonne] non c; ipsi add. T V ‖ 27 ipsam] etiam γ ‖ 28 et om. O
d ; ut (uv.) E ‖ 29 de … decem] decem leprosis B Er Lov ; de decem leprosis tr. μ | sedecim Am | solus]
15,4 – 12 | 177

de le vénérer dans une pieuse communion avec nous. Néanmoins, dans la mesure du
possible, nous les exhortons à connaitre le Christ, et par lui Dieu le Père, et nous les
persuadons de combattre pour le commandant souverain et véritable, puis, en leur
promettant l’impunité pour tous leurs péchés passés, nous les invitons à la foi.
(5) En cette matière, même si dans leur superstition sacrilège ils ont dit quelque
chose contre l’Esprit Saint, une fois qu’ils sont devenus chrétiens, nous considérons
certainement, sans l’ombre d’un doute, qu’il leur est pardonné. Quant aux Juifs,
Étienne témoigne de quelle façon ils s’opposaient à l’Esprit Saint, puisqu’ils l’ont
lapidé quand il était plein du Saint Esprit, alors que tout ce qu’il disait contre eux,
c’était l’Esprit lui-même qui le disait. (6) Parmi ces paroles, il fut très ouvertement dit
aux Juifs : Vous avez toujours résisté à l’Esprit Saint. Néanmoins, dans le nombre de
ces Juifs qui résistaient à l’Esprit Saint et qui lapidaient Étienne, son vaisseau, pour
la seule raison qu’il en était plein, il y avait aussi l’apôtre Paul, [présent] dans les
mains de tous ceux dont il gardait les vêtements. Plus tard, même, il se le reproche
en faisant pénitence, déjà tout plein de ce même Esprit, auquel il résistait au-
paravant, dans sa grande vanité, et déjà prêt à être lapidé pour des paroles telles que
celles du prédicateur qu’il avait lui-même lapidé. (7) Qu’en est-il des Samaritains ?
Ne sont-ils pas tellement opposés à l’Esprit Saint qu’ils tentent d’éteindre entière-
ment la prophétie elle-même, qui a été fournie par l’Esprit Saint ? (8) Néanmoins, le
Seigneur lui même rend aussi témoignage à leur salut, dans celui des dix lépreux
purifiés qui fut le seul à revenir pour rendre grâce, alors qu’il était samaritain, et
dans cette femme avec qui il a discuté au puits à la sixième heure, et [dans] ceux qui
ont cru par elle. (9) De plus, après l’ascension du Seigneur, comme il est écrit dans
les Actes des apôtres, avec quelle réjouissance des saints la Samarie a-t-elle reçu la
parole de Dieu ! (10) Et aussi, quand il reprocha à Simon le Magicien d’avoir pensé
tant de mal de l’Esprit Saint, qu’il a cru qu’il était à vendre, et a demandé de se
l’acheter pour de l’argent, l’apôtre Pierre n’a pas tant désespéré pour lui, qu’il ne lui a
laissé aucune place pour le pardon. En effet, il l’a même prévenu avec bonté qu’il
devait se repentir. (11) Enfin, l’autorité si éminente de l’Église catholique, la mère de
tous les saints, qui par ce même don de l’Esprit Saint se répand dans sa fécondité sur
la terre entière, à quel hérétique ou schismatique a-t-elle jamais coupé l’espoir de se
libérer, s’il se corrigeait ? (12) À qui a-t-elle fermé l’accès à l’apaisement de Dieu ? Ne
les rappelle-t-elle pas tous en pleurant à ses seins, qu’ils avaient abandonnés dans
leur dégoût arrogant ? Mais qui trouvera-t-on, parmi les chefs ou les troupeaux des
hérétiques, qui ne s’oppose pas à l’Esprit Saint ? Ou peut-être y a-t-il quelqu’un qui
pense tellement absurdement qu’il croit que celui qui dit quelque chose contre

unus praem. γ ‖ 30 et2] vel T V B1 μ ‖ 32 recipit E Z M R Lov μ ‖ 34 pecuniam c | poposceret c;


posceret A H R ‖ 35 desperat O (desperavit vel desperabat ac.); sperabat E (desperabat E2) | nullum
locum tr. T V ‖ 39 corrigeret Λ | auditum c ‖ 40 verba c | quae] qui eam B Am Er Lov | relinqueret c
41 regibus B Am Er Lov | hircorum γ2
178 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

adversus Spiritum sanctum aliquid dixerit, eum vero qui adversus Spiritum sanctum
multa fecerit non teneri. (13) Qui autem tanta evidentia contra Spiritum sanctum
45 pugnant quam illi qui adversus ecclesiae pacem superbissimis contentionibus
saeviunt? Sed si de verbis quaestio est, quaero utrum nihil dicant adversus Spiritum
sanctum, cum alii eum, quod ad ipsum proprie pertinet, omnino non esse asseve-
rent, sed ita esse unum Deum, ut idem ipse Pater, idem ipse Filius, idem ipse
Spiritus sanctus appelletur; (14) alii fateantur quidem esse Spiritum sanctum, sed
50 aequalem Filio, vel omnino esse Deum negent; alii unam quidem et eandem Trinita-
tis substantiam esse fateantur, sed de ipsa divina substantia tam impie sentiant, ut
eam commutabilem et corruptibilem putent, ipsumque Spiritum sanctum, quem
Dominus discipulis se missurum esse promisit, non quinquagesimo die post eius
resurrectionem, sicut apostolorum Acta testantur, sed post trecentos fere annos per
55 hominem venisse confingant; (15) alii similiter adventum eius quem tenemus
negent, et eum prophetas in Phrygia, per quos tanto post loqueretur, elegisse conten-
dant; alii sacramenta eius exsufflent, et baptizatos in nomine Patris et Filii et
Spiritus sancti denuo baptizare non dubitent. (16) Sed ne pergam per singula, quae
sunt innumerabilia, his certe omnibus quos pro tempore breviter attigi, ad sponsam
60 Christi redeuntibus et errorem atque impietatem paenitendo damnantibus, nulla
catholica disciplina negandam ecclesiae pacem et claudenda viscera misericordiae
iudicavit.
16. Quod si quisquam tunc putat verbum dici adversus Spiritum sanctum cum
ab eo dicitur cui iam per baptismum dimissa peccata sunt, attendat nec talibus per
ecclesiae sanctitatem auferri paenitentiae locum. (2) Si enim propterea credit non
dari veniam quia gratia fidei sacramentisque fidelium iam perceptis non potest dici
5 peccatum ignorantiae, videat aliam causam esse, cum dicitur propterea non ignosci
quia non ignorantiae tempore peccatum est, et aliam causam esse, cum dicitur
propterea non ignosci quia verbum dixit adversus Spiritum sanctum. (3) Si enim sola
ignorantia veniam meretur, et ignorantia non accipitur nisi antequam quisque fuerit
baptizatus, non solum adversus Spiritum sanctum, sed etiam si adversus filium
10 hominis post baptismum dixerit verbum, et omnino si qua fornicatione vel homi-
cidio vel ullo flagitio aut facinore post baptismum sese maculaverit, non potest
paenitendo recurari. (4) Quod qui senserunt exclusi sunt a communione catholica,
satisque iudicatum est eos in illa crudelitate divinae misericordiae participes esse

Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ)

43 aliquid … sanctum2 om. E c A (ac.) ‖ 46 se (om. F) vivunt c ‖ 48 ipse3 om. O S U ‖ 49 fateantur


quidem esse] quidem fateantur c ‖ 50 Deum esse tr. E c ‖ 51 esse … substantia om. Λ | ipsa] ipsa a
L1 F ; ipsa et M ‖ 52 putant O (pc. uv.) E c (pc. M) | sanctum Spiritum tr. T V Z B1 R ‖ 53 non] in add.
γ ‖ 56 eum] ei in c ‖ 58 baptizari Λ | dubitant O E S U κ ‖ 60 atque] ac O E S U (et ac ac.) V; et T F
61 neganda c; esse add. S U T
16,2 dicatur c | sunt peccata tr. M B edd | adtendant O E ‖ 4 quia] ei qui T V ; ei quia μ ‖ 5 peccasse
ignorantia T V μ ‖ 6sq. quia … ignosci om. O (ac.) c ‖ 6 non om. K Z B Am (sed habet Am+) Er Lov
15,12 – 16,4 | 179

l’Esprit Saint est tenu coupable, mais celui qui fait de nombreuses actions contre
l’Esprit Saint n’est pas tenu. (13) Or, qui combat aussi évidemment contre l’Esprit
Saint que ceux qui s’acharnent contre la paix de l’Église dans leurs disputes
orgueilleuses ? Mais si c’est une question de paroles, je demande s’il ne disent rien
contre l’Esprit Saint, alors que certains déclarent que, pour ce qui est de [l’Esprit] lui-
même, il n’existe pas du tout, mais que, Dieu étant unique, le même être est [appelé]
Père, le même est [appelé] Fils, [et] le même est appelé Esprit Saint ; (14) d’autres
admettent bien qu’il y a un Esprit Saint, mais nient qu’il soit égal au Fils ou en
général qu’il soit Dieu ; d’autres admettent qu’il y a une seule et même substance
dans la Trinité, mais ont des idées tellement impies sur cette substance divine, qu’ils
croient qu’elle est modifiable et corruptible, et ils prétendent que ce même Esprit
Saint, que le Seigneur promit d’envoyer à ses disciples, n’est pas venu cinquante
jours après sa résurrection, comme en témoignent les Actes des apôtres, mais après
presque trois cent ans, à travers un être humain. (15) De même, d’autres nient sa
venue, à laquelle nous croyons, et maintiennent qu’il a choisi des prophètes en
Phrygie, par lesquels il allait parler si longtemps après ; d’autres éteignent ses
sacrements, et n’hésitent pas à baptiser de nouveau ceux qui furent baptisés au nom
du Père, du Fils, et de l’Esprit Saint. (16) Mais – pour ne pas passer en revue chaque
cas, tant ils sont innombrables – certainement, quant à tous ceux que j’ai mention-
nés brièvement en cette occasion, s’ils retournent à l’épouse du Christ, en
condamnant leur erreur et leur impiété par la pénitence, aucun enseignement
catholique n’a jugé qu’il fallait leur refuser la paix de l’Église et leur fermer les
entrailles de la miséricorde.
16. Mais si quelqu’un considère que le moment où une parole est dite contre
l’Esprit Saint, c’est quand elle est dite par celui à qui ses péchés ont déjà été remis
par le baptême, qu’il note que la place pour la pénitence n’est pas enlevée non plus à
de tels hommes par la sainteté de l’Église. (2) En effet, s’il croit que le pardon n’est
pas accordé parce qu’une fois reçus la grâce de la foi et les sacrements des fidèles, on
ne peut parler d’un péché d’ignorance, qu’il voie que c’est une chose de dire que l’on
ne pardonne pas parce que le péché ne fut pas commis en temps d’ignorance, et une
autre chose de dire que l’on ne pardonne pas parce que [quelqu’un] a dit une parole
contre l’Esprit Saint. (3) En effet, si seule l’ignorance mérite le pardon, et l’ignorance
n’est admise qu’avant qu’une personne soit baptisée, si quelqu’un dit une parole
après le baptême non seulement contre l’Esprit Saint, mais aussi contre le fils de
l’homme, et puis, en général, s’il s’est sali après le baptême par une fornication ou
un homicide ou par un scandale ou un crime, quels qu’il soient, il ne peut pas être
guéri de nouveau par la pénitence. (4) Ceux qui ont cru cela ont été exclus de la
communion catholique, et il a été clairement décidé qu’avec cette cruauté ils ne

8 quisquam T V ‖ 9 solum] si add. T V B edd ‖ 12 curari d B edd ‖ 12sq. catholica satisque]


catholicae salutis quia O ‖ 13 salutisque E | est om. γ (ac. A) | credulitate E2 U L1 F γ
180 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

non posse. (5) Si autem illud solum quod adversus Spiritum sanctum dicitur sine
15 venia esse post acceptum baptismum putatur – primo Dominus cum inde loqueretur,
nullum tempus excepit, sed regulariter ait: Qui dixerit verbum adversus Spiritum
sanctum, non remittetur ei, neque in hoc saeculo neque in futuro. (6) Deinde Simon,
quem paulo ante commemoravi, iam baptismum acceperat, cum Spiritum sanctum
turpissimo mercatui subditum credidit, cui correpto a se Petrus tamen consilium
20 paenitendi dedit. (7) Quid autem agimus de his qui cum baptismi sacramenta pueri
vel etiam infantes perceperint, postea negligenter educati per ignorantiae tenebras
vitam turpissimam ducunt, nescientes omnino quid christiana disciplina iubeat aut
vetet, quid polliceatur et quid minetur, quid credendum, quid sperandum, quid
diligendum sit. (8) Num audebimus peccata eorum propterea non ignorantiae
25 peccata deputare quia baptizati peccaverunt, cum omnino ignorantes et omnino,
quemadmodum dicitur, ubi caput haberent nescientes, in magno errore peccaverint?
17. Quod si eo tempore cum scientia quisque peccasse dicatur quo scit malum
esse quod facit, et tamen facit, cur hoc in Spiritum sanctum solum, non etiam in
Dominum Iesum Christum irremissibile iudicatur? (2) Aut si hoc ipsum esse creditur
peccare vel verbum dicere adversus Spiritum sanctum, quodlibet peccatum cum
5 scientia committere, ut quicquid homines ignorando peccant, in Filium peccare,
quicquid autem scientes peccant, in Spiritum sanctum peccare iudicentur, quaero
quis nesciat malum esse, verbi gratia, corrumpere pudicitiam uxoris alienae, vel eo
ipso certe quod hoc in sua coniuge nollet perpeti, aut fraudare quemquam in
negotio, aut circumvenire mendacio, aut opprimere testimonii falsitate, aut auferen-
10 dae rei causa insidiari et occidere quempiam, et si quid omnino est quod sibi ab
altero fieri non vult, et si fieri senserit, toto corde indubitanter accusat. (3) Aut si
haec ab ignorantibus fieri dicimus, quid inveniemus in quo scientes homines
peccare videantur? (4) Restat ergo ut, si hoc est peccare in Spiritum sanctum,
peccare cum scientia, illis peccatis quae commemoravi negetur paenitendi locus,
15 quoniam peccato in Spiritum sanctum omnem spem veniae Dominus amputavit.
Quod si regula christiana respuit, omnesque illos qui sic peccant ad correctionem

16,16sq. Mt. 12,32

Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ)

14 sanctum Spiritum tr. P W B1 ‖ 15 baptismum acceptum tr. c ‖ 16 generaliter γ ‖ 18 sanctum


Spiritum tr. O S ‖ 20 quid] quod c | agimus om. Λ μ | his] iis Er Lov μ ‖ 21 etiam vel tr. γ2 | etiam om.
B Am Er Lov ‖ 22 quid] qui L1 F ‖ 23 vetet] veniet c ; et (aut E) add. Λ ‖ 24 num] non V B1 | audivi-
mus O E ‖ 25 peccata om. T V μ; peccato B Am Er Lov (sed nil opus dativo casu. Vide ThLL V, 621,
10–40) | peccaverunt] peccarunt E d | omnino1 om. c ‖ 26 haberentur O (ac. uv.) U; haberetur S (ac.)
T V μ+; lectio duplex in Λ?
17,1 cum scientia] conscientia c | iudicatur Λ ‖ 2 facit1] faciat B Am Er Lov | solum] et add. γ1 ‖ 3 et
remissibile κ P (ac.) | aut] adhuc B Am (non Am+) Er Lov ‖ 4 adversum T V ‖ 8 ipso] ipse c
9sq. auferenda c ‖ 10 rei] eius add. Λ μ | quemquam Z γ (quequam B1) ‖ 12 haec] hoc L1 M
16,4 – 17,4 | 181

peuvent avoir part à la miséricorde divine. (5) Mais si l’on pense que c’est seulement
ce qui est dit contre l’Esprit Saint qui est sans pardon après la réception du baptême
– premièrement, quand le Seigneur en a parlé, il n’a fait d’exception pour aucun
temps, mais a dit comme règle générale : Celui qui dit une parole contre l’Esprit Saint,
il ne lui sera pas pardonné, ni en ce monde, ni dans [le monde] à venir. (6) Ensuite
Simon, dont j’ai parlé un peu plus haut, avait déjà reçu le baptême, quand il crut que
l’Esprit Saint était soumis au commerce le plus infâme. Mais, en le censurant, Pierre
lui a donné un conseil de pénitence. (7) Et puis, que faisons-nous de ceux qui ont
reçu les sacrements du baptême quand ils étaient enfants ou même bébés, et après,
éduqués avec négligence, mènent une vie des plus infâmes dans les ténèbres de
l’ignorance, sans la moindre idée de ce que la discipline chrétienne ordonne ou
défend, ce qu’elle promet et ce qu’elle menace, [ou] ce qu’il faut croire, espérer [et]
aimer ? (8) Oserons-nous considérer que leurs péchés ne sont pas des péchés d’igno-
rance, parce qu’ils ont péché une fois baptisés, alors qu’ignorant tout, et ne sachant
nullement, comme on dit, où ils avaient leur tête, ils ont péché dans un grand
égarement ?
17. Mais si l’on dit que quelqu’un pèche sciemment s’il pèche à l’époque où il
sait que ce qu’il fait est mal, et il le fait tout de même, pourquoi un tel [péché] est-il
jugé impardonnable seulement [s’il est commis] contre l’Esprit Saint, et non pas
contre le Seigneur Jésus Christ ? (2) Ou si l’on croit que pécher, ou dire une parole
contre l’Esprit Saint, c’est justement commettre un quelconque péché sciemment, si
bien que, quand les hommes pèchent dans l’ignorance, on juge qu’ils pèchent contre
le Fils, mais quand ils pèchent sciemment, ils pèchent contre l’Esprit Saint, je
demande : qui ignore que c’est mal, par exemple, de corrompre la chasteté de la
femme d’autrui (tout au moins à cause de cela même, qu’il ne voudrait l’endurer
chez sa propre femme), ou d’user de fraude avec quelqu’un dans une affaire, ou de le
tromper par un mensonge, ou de lui faire du tort par un faux témoignage, ou de
guetter et tuer quelqu’un pour lui enlever ses biens, et tout ce qu’il y a en général
qu’il ne veut pas qu’il lui soit fait par un autre, et s’il se rend compte qu’on le lui fait,
il s’en plaint sans hésitation de tout son cœur ? (3) Ou bien, si nous disons que ces
choses-là sont faites par des ignorants, quelle [situation] trouverons-nous où il
apparaitra que les hommes pèchent sciemment ? (4) Il reste donc que, si pécher
contre l’Esprit Saint, c’est pécher sciemment, la place pour la pénitence est refusée
aux péchés que j’ai mentionnés, puisque le Seigneur a coupé tout espoir de pardon
au péché contre l’Esprit Saint. Mais si la règle chrétienne rejette cela, et ne cesse

inveniemus E κ P W μ] invenimus O d γ2 B Am Er Lov ‖ 13sq. in … peccare om. T V ‖ 16 regula] a


praem. O (pc.) | respuitur Λ (ac. E) K Z
182 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

vitae vocare non cessat, (5) adhuc quaerendum est quid sit peccare in Spiritum
sanctum, cui peccato venia nulla conceditur.
18. An forte non est dicendus cum scientia peccare qui peccatum ipsum malum
esse novit, et tamen Deum voluntatemque eius ignorans peccat? (2) Hoc enim
videtur et ad Hebraeos dicere, cum dicit: Voluntarie enim peccantibus nobis
postquam accepimus scientiam veritatis, non adhuc relinquitur pro peccatis sacri-
5 ficium. (3) Parum enim erat, si tantummodo diceret voluntarie peccantibus nobis,
nisi adderet postquam accepimus scientiam veritatis, in qua utique Deus voluntasque
eius cognoscitur. (4) Quae sententia videtur congruere dominicae illi sententiae,
cum ait: Servus ignorans voluntatem domini sui, et faciens digna plagis, vapulabit
pauca; servus autem sciens voluntatem domini sui, et faciens digna plagis, vapulabit
10 multa, (5) ut hoc putemus dictum esse, quod dictum est vapulabit pauca, tamquam
si diceret ‘leviter emendatus ad veniam pertinebit’, in eo vero quod dictum est
vapulabit multa, sempiternum supplicium intelligatur, quod minatur peccantibus in
Spiritum sanctum, quibus dicit nunquam posse dimitti peccatum: ut hoc sit peccare
in Spiritum sanctum, cognita Dei voluntate peccare. (6) Quod si ita est, cogitari
15 oportet et discuti prius quando cognoscatur voluntas Dei. (7) Nonnulli enim et ante
perceptum baptismi sacramentum cognoverunt eam. Nam et Cornelius centurio
voluntatem Dei utique apostolo Petro docente cognovit, et ipsum Spiritum sanctum
manifestissimis coattestantibus signis, antequam baptizaretur, accepit, quamquam
non ideo sacramenta illa contempserit, sed multo certior baptizatus sit, ut etiam ipsa
20 sacrosancta signacula, quorum res in eo praecesserant, ad perficiendam scientiam
veritatis percipere nullo modo moraretur. (8) Multi autem nec post acceptum
baptismum curant cognoscere voluntatem Dei. Quapropter quisquis ante baptismum
cognita Dei voluntate peccaverit, non possumus dicere aut ullo modo credere, cum
ad baptismum accesserit, non ei dimitti omnia quaecumque peccavit. (9) Huc
25 accedit quod cum voluntas Dei in diligendo Deo et proximo breviter insinuetur
credentibus, ita ut in his duobus praeceptis tota lex pendeat et omnes prophetae, –
dilectionem autem proximi, id est (10) dilectionem hominis, usque ad inimici
dilectionem nobis Dominus ipse commendat – (11) et videmus quam multi iam

18,3–5 Hebr. 10,26 8–10 Lc. 12,48.47 16–19 nam…sit] cf. Act. 10 25sq. cum…prophetae] cf.
Mt. 22,37–40 27sq. usque…commendat] cf. Mt. 5,44; Lc. 6,27

Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ)

18,2 hoc] quod edd ‖ 7 scientia U B edd | videtur om. B1 A H (ac.) ‖ 8 faciens] non faciens E S V
γ2 (ac. R) B ‖ 9 paucis E2 d | faciens] non faciens E d K Z (pc.) γ2 (ac. R) ‖ 10 multa om. c ; multis E2
d | ut] et O E S U Am | paucis E2 d ‖ 11 leniter V B | emendatus] enim datus (datur M) c ‖ 12 vapula-
bit om. Z γ | multa om. c; multis E2 d ‖ 13 dimitti posse tr. Λ ‖ 15 cognoscitur κ ‖ 16 sacra-
mentum baptismi tr. c ‖ 17 Dei] Domini E d | dicente O S W ‖ 18 attestantibus T V ; contestantibus
c | excepit d ‖ 19 certius Λ Er Lov μ ‖ 20 signacula] quae add. γ2 | praecesserat Λ B edd
22 curant … baptismum2 om. T V | quisquis] quis (quod in Ξ credo fuisse) K Z; siquis c ; qui γ
17,4 – 18,11 | 183

d’appeler tous ceux qui pèchent ainsi à corriger leur vie, (5) il faut encore chercher
ce que c’est de pécher contre l’Esprit Saint, ce péché auquel nul pardon n’est
accordé.
18. Ou peut-être ne doit-on pas dire que celui-là pèche sciemment, qui sait que
le péché lui-même est un mal, et pèche en ignorant cependant Dieu et sa volonté ?
(2) C’est en effet ce qu’il semble aussi dire aux Hébreux, quand il dit : Quand nous
péchons volontairement, après avoir reçu la connaissance de la vérité, il ne nous reste
plus de sacrifice pour les péchés. (3) En effet, c’eût été trop peu, s’il avait dit quand
nous péchons volontairement, s’il n’avait ajouté après avoir reçu la connaissance de la
vérité, par laquelle, évidemment, Dieu et sa volonté deviennent connus. (4) Cette
sentence semble s’accorder avec la sentence du Seigneur, où il dit : L’esclave qui
ignore la volonté de son maître, et fait ce qui mérite des coups, sera battu un peu. Mais
l’esclave qui connait la volonté de son maître, et fait ce qui mérite des coups, sera
beaucoup battu. (5) Ainsi, on croira que les paroles il sera battu un peu furent dites
comme s’il disait « ayant été légèrement corrigé, il aura droit au pardon » ; mais par
les paroles il sera beaucoup battu, on comprendra le supplice éternel, dont il menace
ceux qui pèchent contre l’Esprit Saint, auxquels il dit que leur péché ne peut jamais
être pardonné. Alors pécher contre l’Esprit Saint, ce sera pécher en connaissant la
volonté de Dieu. (6) S’il en est ainsi, il faut d’abord considérer et examiner à quel
moment la volonté de Dieu devient connue. (7) Certains, en effet, l’ont même connue
avant d’avoir reçu le sacrement du baptême. Ainsi Corneille le centurion, lui aussi, a
connu la volonté de Dieu, évidemment par l’enseignement de l’apôtre Pierre, et
avant d’être baptisé il a reçu l’Esprit Saint même, comme en témoignèrent des signes
très clairs. Cependant il n’a pas pour autant méprisé ces sacrements, mais il a été
baptisé avec bien plus de certitude, ne voulant nullement tarder de recevoir, pour
perfectionner sa connaissance de la vérité, les très saints signes des choses qui
étaient venues en avance en lui. (8) D’autre part, beaucoup ne s’intéressent pas à
connaitre la volonté de Dieu même après le baptême. C’est pourquoi, quant à celui
qui pèche avant le baptême [mais] après avoir connu la volonté de Dieu, nous ne
pouvons ni dire ni croire d’aucune façon, que, quand il accède au baptême, tous les
péchés qu’il a commis ne lui sont pas remis. (9) De plus, alors que la volonté de Dieu
est communiquée brièvement aux croyants comme [consistant à] aimer Dieu et son
prochain, si bien que toute la Loi et tous les prophètes sont contenus dans ces deux
préceptes – et le Seigneur lui-même nous ordonne [d’étendre] l’amour du prochain,
c’est-à-dire (10) l’amour de l’homme, jusqu’à l’amour de l’ennemi – (11) et nous
voyons combien d’hommes déjà baptisés admettent que ces [enseignements] sont

23 peccaverit] cum peccant T V | dicere] eos add. T V | ullo] nullo T V Z (ac.) M R ‖ 24 accesserit]
accesserint aut T V | eis T V | peccaverint T V ‖ 25 quod] quo K Z | cum om. B edd | deum et pro-
ximum c ‖ 26 omnes om. E T V | prophetiae c ‖ 27 autem om. γ ‖ 28 commendet videamus T V
184 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

baptizati et vera esse ista fateantur et tamquam Domini praecepta venerentur, cum
30 autem perpessi fuerint alicuius inimicitias, ita rapiuntur animo ad ulciscendum et
tantis inardescunt facibus odiorum, ut nec prolato et recitato evangelio placari
possint. Et talibus hominibus iam baptizatis ecclesiae plenae sunt. (12) Quos tamen
spiritales viri fraterne admonere non cessant, et in spiritu lenitatis instanter
instruunt, ut huiusmodi tentationibus occurrere ac resistere parati sint, et magis
35 diligant in Christi pace regnare quam de inimici oppressione laetari. (13) Quod
inaniter fieret, si talium peccatorum nulla spes veniae, nulla paenitentiae medicina
remaneret. (14) Et certe caveant qui hoc sentiunt, ne David patriarcham divina
electione probatum atque laudatum ignorasse affirment voluntatem Dei, cum
alienae coniugis amore perculsus etiam maritum eius decipiendum necandumque
40 curavit. De quo tamen scelere cum esset primo sua, deinde prophetae voce damna-
tus, paenitendi humilitate et peccati confessione liberatus est. (15) Sed plane
vapulavit multa, et exemplo suo docuit intelligi non ad sempiternam poenam, sed ad
severiorem disciplinam pertinere quod dictum est a Domino: Qui autem novit
voluntatem domini sui, et facit digna plagis, vapulabit multa.
19. Nam et illud ad Hebraeos qui diligentius pertractant, sic intelligunt, ut non
de sacrificio contribulati per paenitentiam cordis accipiendum sit quod dictum est
(2) non adhuc pro peccatis relinquitur sacrificium, sed de sacrificio de quo tunc loque-
batur apostolus, id est holocausto dominicae passionis, quod eo tempore offert
5 quisque pro peccatis suis, quo eiusdem passionis fide dedicatur, et christianorum
fidelium nomine baptizatus imbuitur, ut hoc significaverit apostolus: non posse
deinceps eum qui peccaverit iterum baptizando purgari. (3) Quo intellectu non
intercluditur paenitendi locus: ita sane ut eos qui nondum baptizati sunt nondum
plenam scientiam veritatis accepisse fateamur. (4) Ex quo conficitur ut omnis qui
10 scientiam veritatis accepit etiam baptizatus intelligatur, non autem omnis baptizatus
etiam scientiam veritatis acceperit, propter quorundam posteriorem provectum vel
miserabilem negligentiam. Et tamen illud sacrificium de quo loquebatur, id est
holocaustum Domini, quod tunc pro unoquoque offertur quodammodo cum eius
nomine in baptizando signatur, iterum si peccaverit offerri non potest. (5) Non enim
15 possunt denuo baptizari qui semel baptizati sunt, quamvis etiam post baptismum
per ignorantiam veritatis peccaverint. (6) Ita fit ut, quoniam sine baptismo nemo

32–34 quos…instruunt] cf. Gal. 6,1 37–41 ne…est] cf. 2 Reg. 11,1–12,25 43sq. Lc. 12,47
19,1sq. ut…cordis] cf. Ps. 50,19 3 Hebr. 10,26

Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ)

29 venerantur O Z B ‖ 30 rapiantur T V ‖ 31 inardescant E T ‖ 32 plenae ecclesiae tr. W B1


33 instanter om. c ‖ 35 diligunt c | in om. Λ | laetari] iactari c ‖ 36 nulla2] nulle c ‖ 38 lectione
κ ‖ 39 percussus V B1 | decipiendo c (decipiendus pc. L1); ad decipiendum γ ‖ 41 peccati]
peccandi S U ‖ 42 multa] inulta Am | et] sed K Z γ ‖ 43 severiorem] seniorem c ‖ 44 voluntatem
om. L1 M ; tr. post sui F | facit] non facit U A (ac.) H R (ac.) | vapulavit O L1 M P
18,11 – 19,6 | 185

vrais, et les vénèrent comme des préceptes du Seigneur ; mais quand ils ont souffert
l’inimitié de quelqu’un, ils sont tellement emportés vers la vengeance dans leur
esprit, et ils brûlent avec de tels feux de haine, que l’on ne peut les apaiser même en
proférant et récitant l’Évangile. Et les églises sont pleines d’hommes de ce genre,
déjà baptisés. (12) Néanmoins, les hommes spirituels ne cessent de les avertir
fraternellement, et les instruisent avec empressement dans un esprit de douceur,
pour qu’ils soient prêts à faire front à de telles tentations et à y résister, et pour qu’ils
préfèrent plutôt régner dans la paix du Christ que se réjouir en écrasant leurs
ennemis. (13) Ceci se ferait en vain, s’il ne restait à de tels péchés aucun espoir de
pardon, aucun remède par la pénitence. (14) Et ceux qui pensent ainsi doivent
prendre garde d’affirmer que David, le patriarche approuvé et loué par l’élection
divine, avait ignoré la volonté de Dieu, quand il s’évertua, poussé par l’amour de la
femme d’un autre, à tromper aussi son mari, et à le faire périr. Mais après qu’il eut
été condamné pour ce crime premièrement par sa propre voix, puis par celle du
prophète, il en fut libéré par l’humilité de sa pénitence et la confession de son péché.
(15) Mais, certainement, il fut beaucoup battu, et a enseigné par son exemple, qu’il
faut comprendre qu’il s’agit non pas de la peine éternelle, mais d’une discipline plus
sévère, quand il est dit par le Seigneur : Mais celui qui connait la volonté de son
maître et fait ce qui mérite des coups, sera beaucoup battu.
19. En effet, ceux qui examinent aussi avec plus d’attention ces [paroles] aux
Hébreux, les comprennent de façon à ne pas appliquer au sacrifice d’un cœur
meurtri par la pénitence les mots (2) il ne reste plus de sacrifice pour les péchés, mais
au sacrifice duquel parlait alors l’apôtre, c’est-à-dire l’holocauste de la passion du
Seigneur, que chacun offre pour ses propres péchés au moment où il est consacré
dans la foi en cette même passion, et imprégné du nom des fidèles chrétiens dans le
baptême. Ainsi l’apôtre indiquerait que celui qui a péché ne peut ensuite être purifié
de nouveau par le baptême. (3) Dans une telle interprétation, la place pour la
pénitence n’est pas éliminée – sous condition, bien sûr, que nous admettions que
ceux qui ne sont pas encore baptisés n’ont pas encore reçu la connaissance entière
de la vérité. (4) De là, il ressort que tout ceux qui ont reçu la connaissance de la
vérité doivent aussi être compris comme baptisés, mais tout baptisé n’a pas aussi
reçu la connaissance de la vérité, à cause du progrès moins rapide ou de la
négligence pitoyable de certains. Et pourtant ce sacrifice dont il parlait, c’est-à-dire
l’holocauste du Seigneur, qui est offert d’une certaine façon pour chacun, au
moment où il est marqué par son nom dans le baptême, ne peut être offert de
nouveau s’il pèche. (5) Car ceux qui ont été baptisés une fois ne peuvent être
baptisés de nouveau, même s’ils ont aussi péché par ignorance de la vérité après le
baptême. (6) Par conséquent, puisque l’on ne peut pas dire correctement que

19,6 baptizatus] fuerit add. L1 (ac.) M; sit add. F | significarit O E2 (significavit ac.) S U ‖ 8 interdicitur
c | nondum1] non Λ (om. E) ‖ 9 fateantur c γ ‖ 10 accipit c γ ‖ 11 accepit F B edd | posteriorum S
U (ac.) B Er Lov μ | profectum γ B Er Lov ‖ 12 id est] idem L1 (uv.) M ‖ 14 in] iam c | peccaverint K Z γ
186 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

recte dicitur accepisse scientiam veritatis, omnis qui accepit eam, non ei relinquatur
pro peccatis sacrificium, hoc est non possit denuo baptizari, nec tamen omnis qui
non accepit per doctrinam scientiam veritatis debeat arbitrari posse pro se illud
20 offerri sacrificium, si iam oblatum est; id est (7) si iam eiusdem veritatis per
baptismum sacramenta percepit, non potest iterum baptizari. Tamquam si dicere-
mus omnem hominem non esse quadrupedem. Non ideo tamen omne animal quod
homo non est etiam quadrupes esset. (8) Eos enim qui iam baptizati fuerint curari
melius dicimus per paenitentiam, non renovari, quia renovatio in baptismo est, ubi
25 quidem operatur paenitentia, sed tamquam in fundamento. (9) Manente itaque
fundamento, recurari aedificium potest; si autem fundamentum iterare quis voluerit,
totum aedificium subvertat necesse est. (10) Propterea hoc dicit Hebraeis, qui ex
novo testamento ad sacerdotium vetus declinasse videbantur: Ideoque remittentes,
inquit, initii Christi verbum, in consummationem respiciamus, non iterum iacientes
30 fundamentum paenitentiae a mortuis operibus et fidei in Deum, lavacri doctrinae,
impositionis manus, resurrectionis etiam mortuorum, et iudicii aeterni. (11) Ista
omnia in baptismo traduntur, quae negat esse repetenda, utique in consecrandis
fidelibus. Nam in verbi Dei tractatione atque doctrina non iterum tantum sed saepius
dicenda sunt, sicut rerum de quibus disseritur opportunitas flagitat.
20. An vero iam illud occurret, ut non si quodlibet peccatum sciens admiserit,
sed si proprie peccatum in Spiritum sanctum sciens admiserit, tunc non habere
veniam iudicetur? (2) Quo loco quaeri potest utrum scirent Iudaei per Spiritum
sanctum operari Dominum, quando eum in principe daemoniorum daemonia
5 excludere blasphemabant. (3) Miror autem quomodo possent in illo Spiritum
sanctum cognoscere, cum ipsum Dominum Filium Dei esse nescirent, in illa scilicet
caecitate quae ex parte Israel facta est, donec plenitudo gentium intraret. (4) De qua
opportunius suo loco, Domino adiuvante atque permittente, tractabitur. Deinde si
diiudicatio spirituum illa intelligitur, qua quisque diiudicat utrum in quoquam
10 Spiritus sanctus an fallaciae spiritus operetur, haec autem diiudicatio certo quodam
tempore per Spiritum sanctum fidelibus datur, sicut alio loco idem apostolus dicit,
(5) quomodo poterant infideles Iudaei sine isto munere diiudicare, utrum per
Spiritum sanctum Dominus operaretur? Et tamen in eis, ut iusta poena ferirentur,

28–31 Hebr. 6,1sq. 20,3–5 scirent…blasphemabant] cf. Mt. 12,24 7 Rom. 11,25 10sq. haec…di-
cit] cf. 1 Cor. 12,10

Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ)

17 accepit] accipit S U Ξ ‖ 19 accipit S U Ξ ‖ 20 per T V γ Lov μ] post O E S U κ B Am Er ‖ 21 sacra-


mentum γ2 | percepit] perceperit L1 M; et add. c ‖ 23 est om. O E | quadrupes E2 Ξ B edd] quadru-
pedem Λ (quadrupede pc. O) | esset] esse Λ B edd ‖ 24 non om. c ‖ 26 recuperari d c (cf. CIL 9,
5804) ‖ 29 inicium E; initio B Er Lov | consum(m)atione E S U κ ‖ 30 fide E S U c ‖ 31 mortuorum
etiam tr. c
19,6 – 20,5 | 187

quelqu’un sans le baptême a reçu la connaissance de la vérité, pour chacun qui l’a
reçue, il ne reste plus de sacrifice pour le péché, c’est-à-dire qu’il ne peut être baptisé
de nouveau. Mais tous ceux qui n’ont pas reçu par l’enseignement la connaissance
de la vérité ne doivent pas penser que ce sacrifice peut être offert pour eux, au cas où
il aurait déjà été offert. C’est-à-dire que (7) si [quelqu’un] a déjà reçu par le baptême
les sacrements de cette même vérité, il ne peut être baptisé une seconde fois. C’est
comme si nous disions que tout homme n’est pas un quadrupède. Pour autant, tout
animal qui n’est pas un homme ne serait pas aussi un quadrupède. (8) Donc, pour
ceux qui ont déjà été baptisés, il vaut mieux que nous disions qu’ils sont guéris par
la pénitence, et non pas renouvelés, puisque le renouveau est dans le baptême, où la
pénitence agit, il est vrai, mais, pour ainsi dire, sur la fondation. (9) Si donc la
fondation reste en place, l’édifice peut être réparé. Mais si quelqu’un veut refaire la
fondation, il doit renverser tout l’édifice. (10) C’est ainsi qu’il dit ceci aux Hébreux,
qui semblaient s’être détournés du nouveau testament vers l’ancien sacerdoce :
Donc, dit-il, laissant de côté la parole du début sur le Christ, regardons vers l’accom-
plissement, sans jeter une seconde fois la fondation de la pénitence des œuvres
mortes, et de la foi en Dieu, de l’enseignement du bain, de l’imposition des mains, et
aussi de la résurrection des morts, et du jugement éternel. (11) Toutes ces choses sont
transmises dans le baptême, et il dit qu’il ne faut pas les répéter, bien entendu dans
la consécration des fidèles. Car dans l’explication de la parole de Dieu et dans
l’enseignement, il ne faut pas les dire seulement deux fois, mais très souvent, selon
que l’exige l’occasion [offerte] par les choses que l’on explique.
20. Mais peut-être que maintenant cet [argument] se présentera : ce n’est pas
quand on commet sciemment un péché quelconque, mais quand on commet sciem-
ment un péché [qui serait] précisément contre l’Esprit Saint, que l’on est condamné à
ne pas obtenir de pardon. (2) Ici on peut se demander si les Juifs savaient que le
Seigneur agissait par l’Esprit Saint, quand ils blasphémaient, [disant] qu’il chassait
les démons par le prince des démons. (3) Mais je me demande comment ils pou-
vaient connaitre l’Esprit Saint en lui, puisqu’ils ignoraient que le Seigneur lui-même
était le Fils de Dieu, justement dans cet aveuglement qui est survenu pour une partie
d’Israël, jusqu’à l’entrée de la totalité des gentils. (4) Quant à cela, on en parlera plus
opportunément à sa place, si Dieu nous aide et le permet. Enfin, si l’on comprend
par le discernement des esprits, ce [discernement] par lequel chacun discerne si c’est
l’Esprit Saint ou un esprit trompeur qui agit dans un individu, et [si] ce discernement
est donné à un certain moment aux fidèles par l’Esprit Saint, comme ce même apôtre
le dit ailleurs, (5) comment les Juifs infidèles pouvaient-ils discerner sans ce don si le
Seigneur agissait par l’Esprit Saint ? Et pourtant, pour qu’ils soient frappés d’une

20,1 non] iam add. d μ ‖ 4 principem S U ‖ 6 in om. T V ‖ 7 quae] qua L1 F | Israel] in Israel Ξ B
edd | qua] quo c B1 ‖ 8 atque] aut c ‖ 9 diiudicatio] iudicatio S (ac.) T V | diiudicat] diiudicatur κ
10 an] aut A H R | facile c A | operatur Ξ | quodam] quidem c ‖ 12 quomodo] quo M Am | infideles
om. Ξ | sine om. Ξ ‖ 13 ut in eis tr. γ | ut om. κ | ista T V | fieret K Z γ ; fierent c
188 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

apertissima indicia malevolentiae claruerunt, cum et falsos testes in eum compara-


15 runt, et submiserunt simulatores qui eum in verbo caperent; (6) et cum tremenda
mirabilia quae in eius resurrectione facta sunt eis renuntiarentur, famam falsam
disseminare ac veritatem abscondere custodum corruptione conati sunt; et alia
malitiosi et venenosi animi signa in eis, quantum evangelica narratio demonstrat,
apparent.
21. Unde iam velut incipit elucere, eum peccare in Spiritum sanctum, qui
operibus quae per Spiritum sanctum fiunt malevolo animo contradicit. (2) Quam-
quam enim nesciat utrum ille sit Spiritus sanctus, tamen qui hoc animo est, ut ea
opera quibus invidet malit non esse Spiritus sancti, non quia mala sunt, sed quia
5 invidet eis, quia ipsi bonitati est contrarius per malitiam suam, recte in Spiritum
sanctum peccare iudicatur. (3) Verumtamen si ex eo quoque hominum numero,
quibus Dominus illud crimen obicit, veniens ad fidem Christi, et paenitendi cruciati-
bus edomita invidia salutem cum lacrimis poscens, sicut etiam nonnulli eorum
fortasse fecerunt, quaero utrum quisquam tanto errore crudescat, ut aut neget eos ad
10 Christi baptismum admitti oportuisse, aut frustra admissos esse contendat? (4) Nam
si qui per invidiam opera divina blasphemat, quoniam bonis Dei, hoc est donis Dei,
malitia sua resistit, in Spiritum sanctum peccare, et propterea spem veniae non
habere existimandus est, attendamus utrum ex eo numero fuerit idem apostolus
Paulus. (5) Dicit enim: Qui prius fui blasphemus et persecutor et iniuriosus; sed
15 misericordiam consecutus sum, quia ignorans feci in incredulitate. (6) An forte ideo
non pertinuit ad hoc genus criminis, quia non erat invidus? (7) Audiamus quid alibi
dicat: Fuimus enim, inquit, et nos stulti aliquando et increduli, errantes, servientes
voluptatibus et desideriis variis, in malitia et invidia agentes, abominabiles, invicem
odio habentes.
22. Si ergo nec paganis, nec Hebraeis, nec haereticis aut schismaticis nondum
baptizatis ad baptismum Christi aditus clauditur, ubi condemnata vita priore in
melius commutentur, quamvis christianitati et ecclesiae Dei adversantes antequam
christianis sacramentis abluerentur, etiam Spiritui sancto quanta potuerunt infesta-
5 tione restiterint; (2) si etiam hominibus qui usque ad sacramentorum perceptionem
veritatis scientiam perceperunt, et post haec lapsi Spiritui sancto restiterunt, ad

14sq. et…compararunt] Mt. 26,59 15 et1 …caperent] cf. Mt. 22,15; Mc. 12,13; Lc. 20,20
15–17 et2 …sunt] cf. Mt. 28,11–15 21,14sq. 1 Tim. 1,13 17–19 Tit. 3,3

Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ) ‖ 22,5 si inc. C V1

14 aptissima c | et cum tr. B Er Lov μ ‖ 16 renumerarentur c ‖ 17 ac] et Ξ | sint Er Cam ‖ 18 ratio


Ξ (retio W) ‖ 19 apparerent O E S U B Am Er Lov; apparuerunt μ
21,1 incepit K Z γ B edd ‖ 1sq. qui … sanctum om. c ‖ 2 fiant c ‖ 2sq. quamquam] quam c
4 malit non] mali tamen c ‖ 5 invidet eis] in Iudeis c | est] esse c | in om. c ‖ 6 peccare om. c
iudicetur O E S U ‖ 7 illud crimen Dominus obicit tr. c | venientes γ | poenitenti Am ‖ 8 domita
Ξ (deest c) | edomita … etiam om. c | poscentes γ | horum Ξ ‖ 9 horrore T V ‖ 10 amissos c
20,5 – 22,2 | 189

peine juste, des signes très clairs de mauvaise volonté se sont manifestés en eux,
puisqu’ils ont préparé de faux témoins contre lui, et suborné des hypocrites pour le
piéger dans ses paroles ; (6) et quand on leur annonça les prodiges terribles qui se
produisirent à sa résurrection, ils ont tenté de disséminer de fausses rumeurs, et de
cacher la vérité en corrompant les gardes. Et, comme le montre la narration des
Évangiles, d’autres signes d’un esprit malicieux et venimeux sont apparus chez eux.
21. C’est ainsi que maintenant on commence, pour ainsi dire, à voir en pleine
lumière que celui qui pèche contre l’Esprit Saint, c’est celui qui, avec un esprit
malveillant, résiste aux œuvres qui sont faites par l’Esprit Saint. (2) En effet, même
s’il ignore s’il s’agit de l’Esprit Saint, si toutefois sa pensée est telle, qu’il préfère que
les œuvres dont il est jaloux ne soient pas de l’Esprit Saint (non pas parce qu’elles
sont mauvaises, mais parce qu’il est jaloux d’elles, parce qu’il est opposé par sa
malice à la bonté elle-même), on juge correctement qu’il pèche contre l’Esprit Saint.
(3) Néanmoins, si quelqu’un, même parmi ce groupe d’hommes, contre lesquels le
Seigneur a lancé cette accusation, venant à la foi du Christ, et ayant maîtrisé sa
jalousie par les souffrances de la pénitence, demandait le salut avec des larmes,
comme certains d’entre eux l’ont peut-être fait aussi – je demande si quelqu’un est
assez endurci dans l’erreur, soit pour nier qu’il fallait les admettre au baptême du
Christ, soit pour prétendre qu’ils y ont été admis en vain. (4) En effet, si celui qui
blasphème par jalousie contre les œuvres divines doit être considéré comme péchant
contre l’Esprit Saint, parce que dans sa malice il résiste aux bonnes choses de Dieu,
c’est-à-dire aux dons de Dieu, et qu’alors il ne peut avoir d’espoir du pardon, voyons
si ce même apôtre Paul était de ce nombre. (5) Il dit en effet : Moi qui fus auparavant
un blasphémateur et un persécuteur et un insolent ; mais j’ai accédé à la miséricorde,
parce que j’ai agi en ignorant dans l’incrédulité. (6) Ou est-ce peut-être qu’il ne relève
pas de ce genre de crime, parce qu’il n’était pas jaloux ? (7) Écoutons ce qu’il dit
ailleurs : Nous étions, dit-il, sots nous aussi autrefois, et incrédules, égarés, servant
nos plaisirs et nos désirs divers, agissant dans la malice et la jalousie, abominables,
nous détestant les uns les autres.
22. Si donc l’accès au baptême du Christ n’est fermé ni aux païens, ni aux
Hébreux, ni aux hérétiques ou schismatiques qui ne sont pas encore baptisés, s’ils
condamnent leur vie antérieure, et se transforment pour le mieux, bien qu’ils se
soient opposés au christianisme et à l’Église de Dieu avant d’être lavés par les
sacrements chrétiens, et qu’ils aient résisté à l’Esprit Saint avec toute l’hostilité dont
ils étaient capables ; (2) si l’aide de la miséricorde n’est pas refusée non plus aux

11 qui μ+] quis Λ c edd; quisquis K Z μ (marg.) (an recte?); quisquam γ | blasphemet S U ; blasphemans
γ | hoc … Dei2 om. T V Ξ ‖ 12 sanctum Spiritum tr. c ‖ 13 estimandus T V | eo] eodem Ξ (vix recte
ante idem) | idem om. V μ ‖ 14 et1] et qui c ‖ 17 enim om. c ‖ 19 agentes Z c
22,1 nec2 om. Z; aut K γ | nec haereticis om. c | aut schismaticis om. Λ ‖ 3 commutetur O E S (ac.)
4sq. infestinatione c ‖ 5 resisterunt O E B Am Er Lov ‖ 6 sancto Spiritui tr. K Z P C V1
190 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

sanitatem redeuntibus, et pacem Dei paenitendo quaerentibus, auxilium misericor-


diae non negatur; (3) si denique de illis ipsis quibus blasphemiam in Spiritum
sanctum ab eis prolatam Dominus obiecit, si qui resipiscentes ad Dei gratiam con-
10 fugerunt, sine ulla dubitatione sanati sunt – quid aliud restat, nisi ut peccatum in
Spiritum sanctum, quod neque in hoc saeculo neque in futuro dimitti Dominus dicit,
nullum intelligatur nisi perseverantia in nequitia et malignitate cum desperatione
indulgentiae Dei? (4) Hoc est enim gratiae illius et paci resistere, de quibus nobis
sermo nunc ortus est. Nam hinc licet advertere etiam ipsis Iudaeis, quorum blasphe-
15 miam Dominus arguit, non fuisse clausum corrigendi se et paenitendi locum, quod
idem Dominus in ea ipsa reprehensione ait illis: Aut facite arborem bonam et fructum
eius bonum; aut facite arborem malam et fructum eius malum. (5) Quod utique nulla
ratione diceretur eis, si propter illam blasphemiam iam commutare animum in
melius et recte factorum fructus generare non possent, aut frustra etiam sine peccati
20 sui dimissione generarent.
23. Ergo quia Dominus in Spiritu Dei expellebat daemonia, ceterosque humano-
rum corporum morbos languoresque sanabat, non ob aliud nisi ut crederetur dicenti
sibi: Agite paenitentiam; appropinquabit enim regnum caelorum – (2) invisibiliter
enim peccata dimittuntur, cui dimissioni fidem miraculis comparabat, quod in illo
5 paralytico manifestissime ostenditur. (3) Cum enim primo ei donum invisibile
obtulisset, propter quod venerat (non enim iam venerat filius hominis ut iudicaret
saeculum, sed ut salvaret saeculum) – cum ergo dixisset (4) dimissa sunt tibi
peccata, murmuratumque esset a Iudaeis indignantibus quod eis tantam potestatem
sibi arrogasse videretur, Quid est, inquit, facilius dicere, Dimissa sunt tibi peccata; an
10 dicere: Surge et ambula? Ut sciatis autem quia potestatem habet filius hominis
dimittere peccata, (dicit paralytico) tibi dico: Surge, tolle grabatum tuum, et vade in
domum tuam. (5) Quo facto et quibus dictis satis declaravit ideo se illa facere in
corporibus, ut crederetur animas peccatorum dimissione liberare, id est ut de
potestate visibili potestas invisibilis mereretur fidem. – (6) quia ergo in Spiritu Dei
15 faciebat illa omnia, ut gratiam pacemque hominibus largiretur (gratiam in dimis-

22,16sq. Mt. 12,33 23,3 Mt. 4,17 6sq. non…saeculum2] cf. Io. 3,17 7sq. Mt. 9,2 9–12 quid…
tuam] cf. Mt. 9,5sq.

Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P) C V1) B edd (Am Er Lov μ) ‖ 23,15sq. grati-
am2 … Dei] cf. Retr 1,25

8 negetur E R ‖ 8sq. sanctum Spiritum tr. S U T Z P (pc.) W V1 ‖ 9 probatam κ (ac. Z) C | abiecit c


respicentes O A; resipientes E (corr. E2) κ P W Am (in marg. resipiscentes) ‖ 10 ulla om. A H R
11 sanctum om. C V1 ‖ 12 perseverantiam K Z (ac.) γ (ac. W); perseveranti V1 | in] et qui c | et] in add.
d μ ‖ 13 illius] illi γ ‖ 13sq. sermo nobis tr. E γ (exc. W; pc. P) ‖ 15 et] ac O; ad E | et paenitendi]
ad paenitendum d ‖ 17 aut … malum om. C V1 B ‖ 18 eis om. Ξ | iam om. Ξ | animam Λ ‖ 19 sanc-
torum L1 M | possunt c ‖ 20 gerarent C V1 (ac.)
23,1 Spiritum K C ‖ 3 poenitentiam agite tr. T V | appropinquavit E S U T μ | caelorum] Dei O E T V C
V1 ‖ 4 comprobat M C B Am Er Cam ‖ 5 ei primo tr. E B1 H R | invisibile T V F R] visibile cett. edd
22,2 – 23,6 | 191

hommes qui ont reçu la connaissance de la vérité jusqu’au [stade de] la réception des
sacrements, et sont tombés après cela dans la résistance à l’Esprit Saint, s’ils retour-
nent à la raison et demandent la paix de Dieu par la pénitence ; (3) si enfin, parmi
ceux-là mêmes à qui le Seigneur avait reproché le blasphème contre l’Esprit Saint
prononcé par eux, si certains, devenus plus sages, ont cherché refuge dans la grâce
de Dieu, ils ont sans aucun doute été guéris – que reste-t-il d’autre, sinon que le
péché contre l’Esprit Saint, dont le Seigneur dit qu’il ne sera pardonné ni dans ce
monde ni dans [le monde] à venir, ne peut être compris comme rien d’autre, si ce
n’est la persévérance dans le vice et la malice, sans espoir de l’indulgence de Dieu ?
(4) Voici, en effet, en quoi consiste la résistance à sa grâce et à sa paix, à propos
desquelles est survenue notre discussion ici. En effet, on peut conclure que la place
pour se corriger et se repentir n’était pas fermée aux Juifs mêmes auxquels le
Seigneur reprocha leur blasphème, du fait que ce même Seigneur, au sein même de
ses reproches, leur dit : Ou bien faites un bon arbre, avec son bon fruit ; ou bien faites
un mauvais arbre, avec son mauvais fruit. (5) Ceci, bien entendu, leur aurait été dit
sans aucune raison, si, à cause de ce blasphème, ils ne pouvaient plus changer leur
esprit pour le mieux, et produire des fruits de bonnes œuvres, ou s’il les auraient
même produits en vain, sans [obtenir] le pardon de leur péché.
23. Donc, puisque le Seigneur chassait les démons dans l’Esprit de Dieu, et
guérissait les autres maladies et faiblesses des corps humains, pour une seule
raison, pour qu’on le crût quand il disait : Repentez-vous, car le royaume des cieux va
s’approcher – (2) car les péchés sont pardonnés invisiblement, et il donnait la foi en
cette rémission par les miracles. C’est ce qui est montré très clairement avec ce
paralytique. (3) En effet, après lui avoir d’abord conféré le don invisible, pour lequel
il était venu (car le fils de l’homme n’était pas alors venu pour juger le monde, mais
pour sauver le monde) – donc quand il eut dit, (4) tes péchés sont pardonnés, et des
murmures s’étaient élevées des Juifs indignés, parce qu’il leur semblait qu’il s’arro-
geait un pouvoir si grand, Qu’est-ce qu’il est plus facile, dit-il, de dire ? Tes péchés
sont pardonnés ? Ou de dire : lève-toi et marche ? Mais pour que vous sachiez que le
fils de l’homme a le pouvoir de pardonner les péchés, (il dit au paralytique) Je te le
dis : Lève-toi, prends ton grabat, et va à ta maison. (5) Par cet acte et par ces paroles il
manifesta très ouvertement qu’il faisait ces choses dans les corps, pour que l’on croie
que les âmes étaient libérées par la rémission des péchés, c’est-à-dire pour que le
pouvoir invisible meritât la foi à travers le pouvoir visible – (6) Donc, parce qu’il
faisait toutes ces choses dans l’Esprit de Dieu, pour prodiguer aux hommes la grâce
et la paix (la grâce dans le pardon des péchés, la paix dans la réconciliation avec

6 iam om. T V | filius hominis om. T V ‖ 7 saeculum1 om. S (ac.) T V | servaret B Er Lov μ | saeculum2
Λ C V1] mundum (e Vulgata. Cf. Aug. serm. 5,1) Ξ (exc. C V1) B Am Er Lov ‖ 8 eis om. O (pc.) E (pc.); is
Ξ (exc. C V1; hiis H) ‖ 9 peccata] tua add. c ‖ 10 autem om. Ξ ‖ 11 surge] et add. E T V ‖ 12 quo]
quod C V1 (ac.) | declaruit O Z P (ac.) H Am ‖ 14 meretur T (ac.) c ‖ 15 illa] ille E U Ξ (om. F)
15sq. in dimissione peccatorum gratiam tr. Ξ ‖ 15sq. dimissionem U (ac.) T V H
192 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

sione peccatorum, pacem in reconciliatione Dei, a quo separant sola peccata), cum
dixissent Iudaei quod in Beelzebub eiceret daemonia, misericorditer eos voluit
admonere, ne verbum dicerent et blasphemiam in Spiritum sanctum, hoc est, ne
gratiae Dei pacique resisterent, quam per Spiritum sanctum donare Dominus
20 venerat, (7) non quia iam hoc fecerant quod sibi neque in hoc saeculo neque in
futuro dimitteretur, sed ne desperando de venia, aut quasi de sua iustitia prae-
sumendo et paenitentiam non agendo, aut perseverando in peccatis, hoc facerent.
Hoc modo enim verbum dicerent, hoc est blasphemarent in Spiritum sanctum, in
quo Dominus signa illa propter largiendam gratiam pacemque faciebat, si perseve-
25 rantia peccatorum ipsi gratiae pacique resisterent. (8) Verbum enim dicere non ita
videtur hic positum, ut tantummodo illud intelligatur quod per linguam fabricamus,
sed quod corde conceptum etiam opere exprimimus. (9) Sicut enim non confitentur
Deum qui tantum oris sono confitentur, non etiam bonis operibus – nam de his
dictum est: Confitentur enim se nosse Deum, factis autem negant. Ex quo manifestum
30 est dici aliquid factis, sicut manifestum est negari aliquid factis. – (10) et sicut illud
quod ait apostolus, Nemo dicit ‘Dominus Iesus’ nisi in Spiritu sancto, non potest recte
intelligi, nisi ut factis dicere intelligatur – (11) non enim hoc in Spiritu sancto dicere
putandi sunt, quibus ipse Dominus dicit: Utquid mihi dicitis ‘Domine, Domine’ et non
facitis quae dico vobis?, et illud: Non omnis qui dicit mihi ‘Domine, Domine’ intrabit in
35 regnum caelorum – (12) sic etiam qui hoc verbum, quod sine venia vult intelligi
Dominus, in Spiritum sanctum dicit, hoc est qui desperans de gratia et pace quam
donat in peccatis suis perseverandum sibi esse dicit, nec dicere intelligendus est si
non facit, ut quomodo illi factis Deum negant, sic isti factis dicant se in mala vita
sua et perditis moribus perseveraturos, et etiam ita faciant, hoc est perseverent.
40 (13) Quod si faciunt, quis iam miretur aut quis non intelligat et Dominum Iesum
Christum per illam comminationem ad paenitentiam vocasse Iudaeos, ut eis in se
credentibus gratiam pacemque donaret, et huic gratiae pacique resistentibus, et hoc
modo verbum atque blasphemiam in Spiritum sanctum dicentibus, hoc est in pecca-
tis suis desperata atque impia mentis obstinatione perseverantibus, et adversus

17 dixissent…daemonia] cf. Mt. 12,24 29 Tit. 1,16 31 1 Cor. 12,3 33sq. Lc. 6,46 34sq. Mt. 7,21

Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P) C V1) B edd (Am Er Lov μ)

17 Beelzebub] principe daemoniorum add. T V | eicit T V; eicerent F C; eijecerit Am | voluit eos tr. V
γ2 ‖ 18 Spiritu sancto K Z γ ‖ 19 Dei om. c ‖ 20 hoc1 om. T V ‖ 22 aut] ac O E T C V1
23 verbum dicerent Λ C V1] dicerent verbum tr. Ξ (exc. C V1) B edd | est om. c | blasphemare κ (ac. Z);
blasphemiam B edd ‖ 24 largiendum c ‖ 24sq. perseverantiam E2 Z (ac.) V1 ‖ 25 ipsa gratia c
27 quod] quo K Z | opere] ore Ξ ‖ 28 sono oris tr. Ξ ‖ 29 enim om. E d C ‖ 30 est1 om. c | dicere O
E S U | dici … est2 om. C V1 | sicut1 … factis2 om. Λ | illud] id L1 M ‖ 31 Dominus Iesus Λ C] Dominum
Iesum K Z γ V1; Dominum Deum c | sancto] dicere add. E S (ac.) T V (lectio ambigua in Λ?) ‖ 32 ut] in
B edd ‖ 33 sint B Am Er Cam ‖ 34 mihi dicit tr. B edd ‖ 35 sic] sicut O E S U B Am; si c | qui om.
Ξ (exc. C V1) ‖ 36 dictum γ1 | hoc] hic P W B1 R | desperans de] desperande C V1 ‖ 37 dicit esse tr. c
nec om. Λ; ne B Er Lov ‖ 37sq. si non facit] factis T V μ ; si non faciat γ Lov ‖ 38 quomodo] quo c
23,6 – 13 | 193

Dieu, de qui seuls les péchés [nous] séparent), quand les Juifs avaient dit qu’il
chassait les démons par Béelzéboub, il voulut les avertir dans sa miséricorde, afin
qu’ils ne dissent pas une parole et un blasphème contre l’Esprit Saint, c’est-à-dire
afin qu’ils ne résistassent pas à la grâce et à la paix de Dieu, que le Seigneur était
venu donner par l’Esprit Saint. (7) Non pas qu’ils avaient déjà fait ce qui ne leur
serait pardonné ni dans ce monde ni dans [le monde] à venir, mais pour éviter qu’ils
le fissent, en désespérant du pardon, ou en présumant de leur propre justice sans
faire pénitence, ou en persévérant dans leurs péchés. C’est en effet de cette façon
qu’ils diraient une parole, c’est-à-dire qu’ils blasphémeraient, contre l’Esprit Saint,
dans lequel le Seigneur faisait ces signes pour prodiguer la grâce et la paix : s’ils
résistaient par la persévérance dans les péchés à la grâce et à la paix elles-mêmes.
(8) Car « dire une parole » ne semble pas être mis ici pour que l’on comprenne
seulement ce que nous façonnons avec notre langue, mais ce que, conçu dans notre
cœur, nous exprimons aussi par nos œuvres. (9) En effet, tout comme ceux-là ne
confessent pas Dieu, qui le confessent seulement avec le son de leur bouche, sans
ajouter les bonnes œuvres – car c’est d’eux qu’il est dit : Ils confessent en effet qu’ils
connaissent Dieu, mais ils le nient par leurs actes. D’où il est clair que quelque chose
peut se dire par les actes, tout comme il est clair que quelque chose peut se nier par
les actes – (10) Et tout comme ce que dit l’apôtre, Personne ne dit « Seigneur Jésus »,
sauf dans l’Esprit Saint, ne peut être bien compris, à moins que l’on comprenne
« dire avec les actes » – (11) car on ne doit pas penser qu’ils le disent dans l’Esprit
Saint, ceux à qui le Seigneur lui-même dit : Pourquoi me dites-vous « Seigneur,
Seigneur » et vous ne faites pas ce que je vous dis ? puis ceci : Tous ceux qui me disent
« Seigneur, Seigneur » n’entreront pas dans le royaume des cieux – (12) de même,
celui-là aussi qui dit cette parole contre l’Esprit Saint, dont le Seigneur veut que l’on
comprenne qu’elle ne peut être pardonnée, à savoir celui qui, en désespérant de la
grâce et de la paix que donne [le Seigneur], dit qu’il doit persévérer dans ses péchés,
ne doit pas, non plus, être considéré comme ayant dit [cette parole] s’il ne la met pas
en action. Ainsi, tout comme ceux-là renient le Seigneur par les actes, de même ceux-
ci disent par les actes qu’ils vont persévérer dans leur vie mauvaise et leurs mœurs
dépravées, et puis ils le font, c’est-à-dire : ils persévèrent. (13) S’ils font ainsi, qui
serait désormais étonné [d’apprendre], ou qui ne comprendrait pas, d’abord que le
Seigneur Jésus Christ ait appelé les Juifs à la pénitence par cette menace, afin qu’ils
crussent en lui et qu’il leur donnât la grâce et la paix, et puis que, pour ceux qui
résistent à cette grâce et cette paix, et qui disent ainsi une parole et un blasphème
contre l’Esprit Saint, c’est-à-dire pour ceux qui persévèrent dans leurs péchés par

Deum] Dominum U F P (ac.) B edd | isti] in add. B Er Lov ‖ 39 et etiam ita scripsi] ut et agnita O E S U;
et ita T V; ut etiam ita Ξ B edd | hoc] id γ1 ‖ 40 quod si om. c | faciant γ | quis2] iam add. C V1
42 huic] huc C V1 ‖ 43 Spiritu sancto O E S
194 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

45 Deum sine humilitate confessionis atque paenitentiae superbientibus, neque in hoc


saeculo neque in futuro veniam posse concedi? (14) Quae si ita sunt, opportunitate
tractandi de gratia et pace, quae nobis est a Deo Patre et Domino nostro Iesu Christo,
magna et difficillima eodem ipso Domino largiente quaestio dissoluta est.
(15) Quisquis autem adhuc de re tanta diligentiorem considerationem tractationem-
50 que desiderat, in evangelii tractatione atque in verbis evangelistarum sibi de-
sideranda esse cognoscat; et meminerit nos nunc epistolam Pauli apostoli ad Roma-
nos suscepisse tractandam, cuius epistolae textum consequentem in aliis volumini-
bus, si Dominus voluerit, vestigabimus, ut huius iam tandem iste sit modus.

Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P) C V1) B edd (Am Er Lov μ)

46 posse concedi veniam tr. S U ; posse concedi poenitentiam T V | concedere B Am Er Cam | quae si
ita] quesita c ‖ 47 de om. C V1 | pacem C V1 | nostro om. T V C V1 ‖ 49 re tanta] hac tanta re γ
50sq. desiderandam d (desiderandum U); desiderando c ‖ 51 apostoli om. c ‖ 52 textum om. c
53 vestigabimus Λ K A C V1 B edd] investigabimus Z c γ (exc. A) | ut] ut in K Z (ac.) C V1 B | huius]
salutatione add. K Am Er Lov
23,13 – 15 | 195

l’obstination désespérée et impie de leur esprit, et qui s’enorgueillissent contre Dieu


sans l’humilité de la confession et de la pénitence, le pardon ne puisse leur être
accordé, ni dans ce monde, ni dans [le monde] à venir ? (14) S’il en est ainsi, à partir
de l’occasion de traiter de la grâce et de la paix, qui nous viennent de Dieu le Père et
de notre Seigneur Jésus Christ, une question importante et très difficile a été résolue,
par le don de ce même Seigneur. (15) Mais si quelqu’un souhaite un examen et une
explication plus poussés sur une si grande question, qu’il sache qu’il devrait les
souhaiter dans une explication de l’Évangile et dans les paroles des Évangélistes ; et
qu’il se souvienne que maintenant nous avons entrepris d’expliquer l’épître de
l’apôtre Paul aux Romains. Nous examinerons la suite du texte de cette épître dans
d’autres volumes, si le Seigneur le veut, pour qu’enfin ce soit maintenant la fin de
celui-ci.
Commentaire
1,1–3 But général de l’épître
Comparer le programme traditionnel du grammairien, tel que le décrit Servius (Aen.
prolog.) : In exponendis auctoribus haec consideranda sunt: poetae vita, titulus ope-
ris, qualitas carminis, scribentis intentio, numerus librorum, ordo librorum, explanatio
[En commentant les auteurs, voici ce qu’il faut considérer : la vie du poète, le titre de
l’œuvre, la nature du poème, l’intention de l’écrivain, le nombre de livres, l’ordre
des livres, l’explication]. Augustin se limite à l’intentio, avant de passer à
l’explanatio (le commentaire même). D’autres commentateurs de Rom. s’intéressent
plus au contexte historique : Origène (comm. in Rom. 1,1,5) indique au moins que
Rom. fut écrit de Corinthe ; l’Ambrosiaster (in Rom. prol. [CSEL 81, 5–7]) explique la
présence des destinataires, Juifs et chrétiens, à Rome ; Jean Chrysostome consacre
un long développement (PG 60, 392s.) dans l’ ὑπόθεσις de ses sermons sur Rom., à
l’établissement de la chronologie relative des épîtres de Paul. De même, Jérôme,
dans le sillage duquel travaille Augustin (voir Introduction, 1.6), s’occupe dans les
prologues de ses commentaires sur Gal., Eph., Tit., Philem. (ad 1,1–3) des circons-
tances d’écriture et du public de chaque épître. Sur Eph., il fixe même (avec ses
exagérations habituelles) un principe général : le commentateur doit chercher quid
habeant in veteri lege proprium Idumaei, Moabitae, Ammonitae, Tyrii, Philistiim,
Aegyptii, et Assyrii; quid rursum in novo testamento Romani, Corinthii, Galatae, Phi-
lippenses, Thessalonicenses, Hebraei, Colossenses, et quam nunc ad Ephesios episto-
lam habemus in manibus (PL 26, 440) [ce qui est caractéristique, dans l’ancienne
Loi, des Moabites, des Ammonites, des Tyriens, des Philistins, des Égyptiens, et des
Assyriens. Et puis dans le Nouveau Testament, ce qu’il en est des Romains, des Co-
rinthiens, des Galates, des Philippiens, des Thessaloniciens, des Hébreux, des Co-
lossiens, et de l’épître aux Éphésiens que nous avons maintenant entre nos mains].
Augustin, par contre, décrit le public en termes très généraux, et n’a rien à dire
sur la date ou les circonstances d’écriture de Rom. Sans doute avait-il moins accès
que Jérôme à l’érudition chrétienne grecque qui pouvait répondre à de telles ques-
tions (voir sa demande à Jérôme de traduire plus de commentaires grecs, epist.
28,2). Mais il avait aussi à se démarquer de Jérôme, en présentant son commentaire
comme l’œuvre moins d’un grammairien érudit (voir n. à 2,5) que d’un philosophe
chrétien, tel Marius Victorinus, qui est presque aussi avare d’informations histo-
riques dans les prologues de ses propres commentaire sur Eph. (aucune note histo-
rique) et Gal. (une seule indication : Epistola ad Galatas missa dicitur ab apostolo ab
Epheso civitate, et idcirco quidam illam praemittunt epistolam, hanc ordinant conse-
quentem [On dit que l’épître aux Galates fut envoyée par l’apôtre de la ville
d’Éphèse, et c’est pourquoi certains placent celle-là d’abord, et rangent celle-ci en-
suite]). (Sur la nature du commentaire, voir aussi Introduction, 1.8, et pour les liens
avec Victorinus, ibid. 1.7).

https://doi.org/10.1515/9783110594782-006
Commentaire | 197

Augustin restreint le but de Paul à la réfutation de la doctrine juive sur les mé-
rites des œuvres de la loi (merita operum legis, 1,1 ; sur merita, voir n. à 6,1, tam-
quam enim meritis). Il donne des notes introductives très similaires en in Gal. 1 (Cau-
sa propter quam scribit apostolus ad Galatas, haec est, ut intellegant gratiam Dei id
secum agere, ut sub l e g e iam non sint [La raison pour laquelle l’apôtre écrit aux
Galates est la suivante : pour qu’ils comprennent que la grâce de Dieu agit sur eux,
pour qu’il ne soient plus sous la L o i ]) et in Rom. prol. (Sensus hi sunt in epistola ad
Romanos Pauli apostoli: primo omnium, ut quisque intellegat in hac epistola quaes-
tionem versari o p e r u m l e g i s et gratiae [Dans l’épitre de l’apôtre Paul aux Romains,
il y a les idées suivantes : en premier lieu, que chacun comprenne que dans cette
épître la discussion porte sur les œ u v r e s d e l a L o i et de la grâce]). En quaest.
Simpl. 1,2,2, la présentation de Rom. est subtilement différente : Et primo intentio-
nem apostoli quae per totam epistulam viget tenebo quam consulam. Haec est autem,
ut de o p e r u m m e r i t i s nemo glorietur, de quibus audebant Israelitae gloriari, quod
datae sibi legi servissent et ex hoc evangelicam gratiam tamquam debitam meritis suis
percepissent, quia legi serviebant [Et tout d’abord, je vais saisir, pour y faire réfé-
rence, l’intention de l’apôtre, qui perdure dans toute l’épître. Or celle-ci est la sui-
vante : personne ne doit se vanter des m é r i t e s d e s e s œ u v r e s , desquels les
Israélites osaient se vanter, parce qu’ils pensaient avoir servi la Loi qui leur avait été
donnée, et pour cette raison auraient reçu la grâce de l’Évangile comme récompense
de leurs mérites, parce qu’ils servaient la Loi]. Ici les Juifs sous la Loi ne sont plus
qu’un exemple de l’erreur générale qui consiste à croire que les œuvres peuvent
sauver : c’est la célèbre doctrine d’Augustin sur la prédestination qui fait surface
(voir aussi, RING n. à 1,2). Ce glissement est déjà anticipé dans l’Inchoata expositio :
en 6,1s., il est dit de Paul qu’il rejette la possibilité de la vocation meritis priorum
operum [à cause des mérites des œuvres antérieures] ou vitae prioris meritis [à cause
des mérites de la vie antérieure], et la Loi n’est pas mentionnée. La démarche de-
viendra typique : les vases de Rom. 9,14–24 et les oliviers de Rom. 11,16–24 ne seront
plus Juifs et gentils, mais, respectivement, élus et damnés (quaest. Simpl. 1,2,17–19),
baptisés et non-baptisés (nupt. et concup. 1,21.37s.). Pour plus d’exemples, voir
AugLex s.v. gratia, IV, et pour une explication, voir spir. et litt. 23 : Quamvis itaque
illos, quibus circumcisio persuadebatur, ita corripere atque corrigere videatur aposto-
lus, ut legis nomine eandem circumcisionem appellet ceterasque eiusmodi legis obser-
vationes … tamen legem, ex qua neminem dicit iustificari, non tantum in illis sacra-
mentis, quae habuerunt promissivas figuras, verum etiam in illis operibus vult
intellegi, quae quisquis fecerit iuste vivit [Donc, bien que l’apôtre semble réprimander
et corriger ceux à qui l’on prêchait la circoncision, en appelant du nom de ‘Loi’ cette
même circoncision, et les autres observations de la Loi du même genre … cepen-
dant, la Loi, par laquelle il dit que personne n’est justifié, il ne veut pas qu’on la
comprenne [comme étant] seulement dans ces sacrements, qui comportèrent les
figures de la promesse, mais aussi dans ces œuvres, par lesquelles tout homme qui
les accomplit vit une vie juste].
198 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

Ce point de vue est à contraster avec celui d’Origène (voir T. P. SHECK, Origen
and the History of Justification, Notre Dame IA 2008, 91–93), suivi par Jérôme, pour
qui les écrits de Paul sont bien centrés sur le rejet de la Loi juive. Ce qui la remplace,
c’est la foi, guidée par l’accomplissement de la Loi dans la Nouvelle Alliance : Nullus
quidem apostoli sermo est, vel per epistolam, vel praesentis, in quo non laboret docere
antiquae legis onera deposita, et omnia illa quae in typis et imaginibus praecesserunt
… gratia evangelii subrepente cessasse, quam non sanguis victimarum, sed fides ani-
mae credentis impleret [Il n’y a en effet aucun discours de l’apôtre, que ce soit dans
ses épîtres, ou de vive voix, où il ne cherche pas à enseigner que les fardeaux trans-
mis par l’ancienne Loi, de même que tout ce qui a précédé en signes et en images …
ont cessé quand s’insinua la grâce de l’Évangile, qui s’accomplit non pas par le sang
des victimes, mais par la foi de l’âme qui croit] (Hier. in Gal. prol. [CCSL 77A, 7,61–
69]). Par contraste, Augustin ne parle pas de fides dans son résumé introductif de
Rom., malgré le rôle primordial de la foi dans l’épître (surtout 3,21–5,2). Dans
quaest. Simpl, qui suit de peu l’Inchoata expositio, puis plus tard, dans son im-
mense production anti-pélagienne, Augustin affirmera sans cesse que la foi ne vient
que par la grâce, que personne ne mérite. En présentant ici, sous l’influence de Io.
1,17, Rom. comme contrastant opera et gratia, plutôt qu’opera et fides, il anticipe
déjà cette doctrine (voir aussi n. à 7,7).

1,1 non quia iusti erant homines, crederent, sed credendo iustificati, deinceps
iuste vivere inciperent
Augustin commente en paroles très similaires Gal. 2,16 : Et ideo illi [sc. les Juifs con-
vertis], qui cum iam essent sub lege Christo crediderunt, non, quia iusti erant, sed ut
iustificarentur, venerunt ad gratiam fidei [Et donc ceux qui ont cru au Christ alors
qu’ils étaient déjà sous la Loi, ce n’est pas parce qu’ils étaient justes, mais pour être
justifiés, qu’ils sont venus à la grâce de la foi] (in Gal. 15 ; voir aussi serm. 2,9). On
peut voir dans ces répétitions (cf. n. à 8,4) le signe d’un projet de refaire à grande
échelle in Gal. dans le commentaire sur Romains, tout comme Rom. lui-même déve-
loppe plus profondément l’enseignement de Gal. C’est du moins ce qu’Augustin
aurait pu conclure de Jérome, in Gal. prol. (CCSL 77A, 7,52–57): Praefatione com-
moneo, ut sciatis eamdem esse materiam epistolae Pauli ad Galatas, et quae ad Ro-
manos scripta est, sed hoc referre inter utramque, quod in illa altiori sensu et profun-
dioribus usus est argumentis, hic quasi ad eos scribens, de quibus in consequentibus
ait ‘o insensati Galatae!’ [Gal. 3,1] et ‘sic insipientes estis?’ [Gal. 3,3] [Dans cette pré-
face je vous avertis, pour que vous sachiez que le sujet de l’épître de Paul aux Ga-
lates et de celle écrite aux Romains est le même, mais qu’il y a cette différence entre
les deux, que dans cette dernière, il s’est servi d’idées plus élevées et d’arguments
plus profonds, alors qu’ici il écrit ce qui convient à ceux à qui il dira par la suite ‘ô
Galates sans intelligence !’, et ‘êtes-vous insensés à ce point ?’]. Et Jérôme, juste-
ment, n’avait pas tenté de commenter Rom. (voir Introduction, 1.6).
Commentaire | 199

1,3 nonnulli qui ex Iudaeis crediderant


La proposition (sans doute juste) que Rom. vise particulièrement les convertis juifs
est déjà présente dans une source directe pour l’Inchoata expositio, l’Ambrosiaster,
in Rom. : Hi ergo ex Iudaeis credentes Christum … non accipiebant Deum esse de Deo,
putantes uni Deo adversum [Donc ceux-ci, venant des Juifs [et] croyant au Christ …
n’admettaient pas qu’il était Dieu de Dieu, pensant que cela s’opposait au Dieu
unique] (prol. 3, rec. αβ). Le rôle des Juifs comme des proto-Ariens n’est pas dans
notre texte, mais il disparait aussi de la version finale du commentaire de
l’Ambrosiaster : Isti igitur ex Iudaeis credentes et inproprie sentientes de Christo le-
gem servandam celeriter dicebant, quasi non esset in Christo salus plena [Donc ceux-
ci, croyants venus des Juifs, avec des idées fausses sur le Christ, disaient tout de
suite qu’il fallait observer la Loi, comme si le salut entier n’était pas dans le Christ]
(prol. 2, rec. γ). Pour l’influence de l’Ambrosiaster sur l’Inchoata expositio, voir
BASTIAENSEN, Augustine’s Pauline Exegesis, et n. à 2,2. vocatus ; 3,1 ; 5,1.2 ; 6,1 gratia
cum omnibus ; 7,1–5 ; 8,4 ; 11,1s.

1,3 carnalis circumcisionis iugo


Pour la circoncision chez Augustin, voir AugLex s.v. circumcisio ; RING n. 11.

1,4 sed plane tanta moderatione …


Cette image d’un Paul conciliateur est bien proche de celle que donne Jérôme de
l’apôtre faisant l’équilibre, pour les Galates, entre l’enseignement judaïsant des
autres apôtres et son propre rejet de la Loi : Ita caute inter utrumque et medius in-
cedit, ut nec evangelii prodat gratiam pressus pondere et auctoritate maiorum, nec
praecessoribus faciat iniuriam dum adsertor est gratiae [Ainsi il s’avance prudem-
ment entre les deux côtés, se plaçant au milieu, pour éviter à la fois de trahir la
grâce de l’Évangile, écrasé sous le poids et l’autorité des ancêtres, et de faire du tort
à ses prédécesseurs par son affirmation de la grâce] (in Gal. prol. [CCSL 77A, p.
8,84–87]). Mais Jérôme va plus loin en affirmant (ibid.) que Paul procédait oblique …
et quasi per cuniculos latenter [par détours … et, pour ainsi dire, par des voies sou-
terraines, en cachette]. Pour Augustin, le Paul de Jérôme est malhonnête, d’où la
célèbre querelle entre les deux hommes (voir surtout epist. 28,4s. ; 40,3–7, et pour
l’analyse et la bibliographie, AugLex s.v. Hieronymus, IV.1.c ; F. DOLBEAU (éd.), Au-
gustin d’Hippone. Vingt-six sermons au peuple d’Afrique, Paris 1996, 39–42, 619).

1,4 nec Iudaeos superbire permittat, tamquam de meritis operum legis


Pour la vantardise (ou « vanité » ou « superbe ») des Juifs dans la pensée de Paul,
voir TWNT s.v. καυχάομαι, C.1.a. Mais ce mot et ses dérivés sont normalement ren-
dus dans les versions latines par gloria et dérivés, effectivement plus proches du
grec : καυχάομαι, comme gloriari, indique la manifestation extérieure de la vanité,
alors que superbire et superbus font plutôt référence à la qualité interne. superbus ne
qualifie donc jamais les Juifs dans le Nouveau Testament, du moins dans la Vulgate.
200 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

De même on ne trouve pas de mots de la famille de superbus pour qualifier les Juifs
sous la Loi dans les commentaires pauliniens de Marius Victorinus, de l’Ambro-
siaster (in Gal. 3,10 : la Loi vient plutôt punir les Juifs pour leur superbia) ou de Jé-
rôme (en in Gal. 1 ad 2,14 on lisait autrefois ut etiam Iudaeis superbia, gentibus des-
peratio tolleretur [aussi pour que la vanité des Juifs et le désespoir des gentils leur
soient enlevés], mais ces mots ont été supprimés dans CCSL 77A, 57). Pour Augustin,
par contre, la superbia caractérise souvent les Juifs : in Gal. 16, 24s. ; in Rom. 56.58 ;
adv. Iud. 1,7,9 ; in Iob 3 ; serm. 77,12 ; 200,4. Dans un sens, les Juifs sont plus su-
perbes que d’autres, parce qu’ils sont définis par leur certitude de n’avoir pas besoin
du Christ. Mais Augustin voit aussi souvent la superbia comme la source fondamen-
tale du péché chez tous : initium omnis peccati superbia [la vanité est le commence-
ment de tout péché] (Sir. 10,15, cité 30 fois par Augustin, selon LLTA) ; le diable a
péché par superbia (in Gal. 24) ; la superbia est la source de toutes les hérésies
(serm. 46,18) ; et dans l’Inchoata expositio, ce sont les superbientes qui commettront
le péché impardonnable (23,13). Ainsi, encore une fois, le comportement des Juifs
n’est que le reflet de l’orgueil de tout homme qui pense pouvoir se passer de la grâce
(voir n. à 7.7 ; RING, n. 147 à 1,4).
Bien entendu, en soi, l’obéissance des Juifs à la Loi avant la venue du Christ
n’est pas condamnée. Mais il n’y avait pas lieu de s’en vanter, d’en devenir orgueil-
leux, puisque cette obéissance s’était faite dans la peur et non dans l’amour (Erant
quidam in lege, qui de operibus legis gloriabantur, quae fortasse non dilectione, sed
timore faciebant [Il y avait certains sous la Loi, qui se vantaient des œuvres de la
Loi, qu’ils accomplissaient peut-être non pas dans l’amour, mais dans la peur],
serm. 2,9 ; voir n. à 2,3). Pour les justes qui acceptèrent le Christ, cette peur condui-
sit non pas à la superbia, mais à la conversion : Ut enim tam prope invenirentur …
lege ipsa factum est, sub qua custodiebantur conclusi in eam fidem, id est in adventum
eius fidei, quae postea revelata est; conclusio enim eorum erat timor unius Dei [Qu’il
se soient trouvés si proches … ce fut par l’effet de la Loi elle-même, sous laquelle ils
étaient gardés, enfermés pour cette foi, c'est-à-dire pour l’arrivée de cette foi, qui fut
révélée par la suite. Car leur enfermement était leur peur du Dieu unique] (in Gal. 26,
sur Gal. 3,23).

1,4 ipsi receperint Christum, quem illi crucifixerunt


Repris de l’analyse de Rom. en in Gal. 1 : Illi contra Iudaeis se praeferre gestirent
tamquam interfectoribus Domini [Eux par contre s’empressaient de se mettre au-
dessus des Juifs, sous prétexte que ceux-ci avaient tué le Seigneur].

1,4 per disciplinam humilitatis


RING, n. 146 à 1,4 cite in Gal. 15, sur Gal. 2,11–15 : Valet autem hoc ad magnum humili-
tatis exemplum, quae maxima est disciplina christiana. Humilitate enim conservatur
caritas. Nam nihil eam citius violat quam superbia [Ceci sert comme grand exemple
de l’humilité, qui est le sommet de la discipline chrétienne. C’est en effet par
Commentaire | 201

l’humilité que la charité est préservée, puisque rien n’est plus rapide que l’orgueil
pour lui faire violence]. Voir aussi Inchoata Expositio 9,4, et AugLex s.v. humilatio,
humilitas).

2,2 vocatus … segregatus … ecclesia … ex vocatione … Synagoga vero ex


congregatione
Les étymologies grecques sont exactes : ἐκκλησία vient de κλῆσις [appel] et
συναγωγή de συνάγω [rassembler], qui peut s’employer pour les animaux (LSJ s.v.
I.1, « of persons, animals, etc. »). Mais si, en Rom. 1,1, on retrouve bien la racine
d’ἐκκλησία dans le grec κλητός que traduit vocatus, il n’y a aucun rapport entre
συνάγω et le mot grec ἀφωρισμένος, que traduit segregatus. Voir n. à 2,5.
Segregatus, donc, parce que Paul se sépare de la Synagogue. RING, n. à 2,5,
maintient que l’idée d’une « Aussonderung und Trennung von der Synagoge » pour
Paul n’est pas dans Rom. Cette affirmation est discutable (cf. Rom. 9,1–7). Augustin
peut en tout cas avoir rapproché ce thème de Rom. 1,1 en suivant l’Ambrosiaster :
Apostolus autem quoniam in Iudaismo locum doctoris habebat utpote fariseus, ideo a
Iudaismi praedicatione s e g r e g a t u m se dicit, ut a lege dissimulans Christum praedi-
caret, qui, quod lex non potuit, credentes in se iustificaret [Puisqu’il occupait dans le
judaïsme la place d’un docteur, en tant que pharisien, l’apôtre se dit avoir été s é -
p a r é de la prédication du judaïsme, pour qu’il pût se retirer de la Loi et prêcher le
Christ, qui justifierait ceux qui croyaient en lui, ce que la Loi ne pouvait faire] (in
Rom. 1,1; voir n. à 1,3, nonnulli qui ex Iudaeis).

2,2 congregari autem magis pecoribus


L’image de la Synagogue pecus est une reformulation de celle de la Synagogue es-
clave, lequel vient surtout de Gal. 4. La bête, comme l’esclave, obéit sans com-
prendre : Haec enim onera [sc. les commandements non éthiques de la Loi] potius
nolebat imponi gentibus, quorum utilitas in intellectu est. Nam haec omnia exponun-
tur christianis ut, quid valeant, tantum intellegant, etiam facere non cogantur. In ob-
servationibus autem, si non intellegantur, servitus sola est, qualis erat in populo Iu-
daeorum et est usque adhuc [Ce sont ces fardeaux-là, plutôt, dont l’utilité est dans
leur compréhension, qu’il ne voulait pas que l’on impose aux gentils. En effet, tous
ces [commandements] sont expliqués aux chrétiens, pour qu’ils comprennent seu-
lement ce qu’ils signifient, et ne soient pas obligés de les accomplir. Mais dans leur
observation, s’ils ne sont pas compris, il n’y a qu’esclavage, comme celui qui fut et
qui dure encore chez le peuple juif] (in Gal. 19).
Ainsi, dans l’exégèse de la Parabole du Fils Prodigue où celui-ci représente
l’Église venue des gentils, son frère aîné, qui représente les Juifs, est en même temps
assimilé au bétail : Quamquam enim tamquam in agro positus [Lc. 15,25] iste filius
terrena desideraret, ab uno tamen Deo ista desiderabat bona, quamvis communia
cum pecoribus. Unde in psalmo ex persona synagogae … convenienter accipitur dic-
tum: ‘Quasi pecus factus sum ad te, et ego semper tecum’ [Ps. 72,23]. Quod etiam pa-
202 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

tris ipsius testimonio conprobatur cum dicit: ‘Tu mecum es semper’ [Lc. 15,31]. Non
enim quasi mentientem redarguit, sed secum perseverantiam eius adprobans ad per-
fruitionem potioris atque iocundioris exultationis invitat [En effet, bien que ce fils, en
tant que situé dans le champ, convoitât [les biens] terrestres, il convoitait néan-
moins ces biens du Dieu unique, même si c’étaient les mêmes [que convoite] le bé-
tail. Ainsi dans le psaume, avec la voix de la synagogue … on apprend qu’il a été dit
correctement : ‘Je suis devenu comme du bétail pour toi, et je suis toujours avec toi’.
C’est ce qui est prouvé aussi par le témoignage du père lui-même, quand il dit :‘Tu
es toujours avec moi’. En effet, il ne le réprouve pas, comme s’il mentait, mais il
approuve sa persévérance [à rester] avec lui, et il l’invite à se repaitre d’une exulta-
tion plus haute et plus joyeuse] (quaest. euang. 2,33,5). L’image du bétail ne signale
donc pas seulement l’obéissance, mais aussi le service de Dieu qui vise les récom-
penses terrestres – trait caractéristique, selon les pères, des Juifs qui suivent la lettre
de l’ancienne Loi.

2,2 greges proprie pecorum dici solent


Cela reste l’avis des latinistes : ThLL s.v. grex commence avec l’emploi « de bestiis »
[des bêtes]. Si Augustin sentait le besoin de rappeler le sens propre du mot, c’est que
son emploi « de hominibus » [des humains] est tout aussi fréquent (ibid.) – on parle
beaucoup moins de « troupeaux » d’hommes en français – et aussi que congrego et
congregatio s’employaient plus pour les hommes que pour les animaux (ThLL
ss.vv.). Quant à segrego (voir OLD s.v.) son emploi est strictement figuratif.
Augustin a repris le contraste entre convocare et congregare en in psalm. 77,3
(Proprie dicatur synagoga Iudaeorum, ecclesia vero christianorum, quia congregatio
magis pecorum, convocatio vero magis hominum intellegi solet [On fait bien de dire
‘synagogue des Juifs’, mais ‘Église des chrétiens’, puisque ‘congrégation’ s’entend
plutôt du bétail, mais ‘convocation’ plutôt des hommes]) et de même en in psalm.
81,1 (c’est ce dernier passage, et non pas l’Inchoata expositio, qu’il ne semble pas
avoir connue, qui serait la source d’Isidore de Séville, Etymologiae 8,1,8).

2,3 plerisque scripturarum locis


Augustin doit penser avant tout à la présentation du Christ comme le bon berger en
Io. 10. Mais, comme il l’indique, l’arrière-plan scripturaire est volumineux : voir
TWNT s.v. ποιμήν. Voir aussi la longue prédication d’Augustin sur Ez. 34 en serm.
46 (de pastoribus [sur les bergers]) et serm. 47 (de ovibus [sur les brebis]), et la suite
du passage de in psalm. 77,3 cité à la n. précédente.
L’interprétation ici est sans doute facilitée par la tendance de grex, employé des
hommes, à avoir une nuance péjorative, comme le voyait déjà Donat : grex vel bono-
rum vel malorum et levium est, ut Cicero [Catil. 2,10,23] ‘in his bonis gregibus omnes
aleatores, omnes impuri impudicique versantur’ (Don. ad Ter. Ad. 363) [grex se dit des
bons, ou des mauvais et des frivoles, comme [chez] Cicéron : ‘dans ces bons trou-
peaux se trouvent tous les joueurs de dés, tous les hommes impurs et honteux’].
Commentaire | 203

ThLL s.v. ajoute Cicéron, Divinatio in Caecilium 49 ; Pro Sestio 18,112 ; pour Augus-
tin, voir epist. 35,2, sur Primus, un sous-diacre espagnol devenu Donatiste : Nunc
cum g r e g i b u s circumcellionum inter vagabundos g r e g e s feminarum … in detestabi-
lis vinolentiae bacchationibus superbus exultat [Maintenant il se réjouit, tout fier,
avec les t r o u p e a u x de circoncellions, parmi les t r o u p e a u x vagabonds de fem-
mes … dans les détestables débauches de l’ivresse]. De même, pour pecus pris dans
un sens péjoratif, voir ThLL s.v. II.A.1, et, pour Augustin, mus. 1,5, à propos, des
hommes captifs de la musique : plebi … quae non multum a pecoribus distat [pour la
plèbe … qui ne diffère pas beaucoup du bétail] ; serm. 166,2 : nos irati dicimus alicui:
‘Pecus es’ [quand nous sommes en colère, nous disons à quelqu’un : ‘Tu es une
bête’].
On trouve chez Origène une exégèse du rôle du bétail dans la Bible qui diffère
un peu de celle d’Augustin ici : le bétail ne représente pas les Juifs, mais la partie la
moins éclairée des membres de l’Église. Le Christ φιλάνθρωπος δὲ ὢν καὶ τὴν ὅπως
ποτὲ ἐπὶ τὸ βέλτιον ἀποδεχόμενος τῶν ψυχῶν ῥοπὴν, τῶν ἐπὶ τὸν λόγον μὴ
σπευδόντων ἀλλὰ δίκην προβάτων οὐκ ἐξητασμένον ἀλλὰ ἄλογον τὸ ἥμερον καὶ
πρᾷον ἐχόντων ποιμὴν γίνεται· ‘Ἀνθρώπους γὰρ καὶ κτήνη σῴζει ὁ κύριος’ [Ps. 35,7]
(Jo. 1,27,190 [[Le Christ], aimant les hommes, et acceptant toute inclination des âmes
vers le bien, devient le berger de ceux qui ne se précipitent pas après la raison, mais
comme le bétail, n’ont pas examiné ni soumis à la raison leur nature apprivoisée et
douce ; ‘car le Seigneur sauve les hommes et le bétail’.]; de même 1,28,198 ;
28,24,216, et Rufin. Orig. in lev. 3,3 : Sicut enim sunt quidam homines Dei, ita sunt
quidam et oves Dei [Tout comme certains sont les hommes de Dieu, d’autres aussi
sont les brebis de Dieu]).
Cette utilisation du Ps. 35,7 par Origène se retrouve chez Ambroise (in psalm. ad
loc.), puis passe chez Augustin, non pas sur le Ps. 35, mais en in psalm. 8,10 : Carna-
lium hominum [1 Cor. 3,1.3] salus carnalis est, tamquam pecorum. Filios autem homi-
num seiungens ab eis quos homines pecudibus iunxit, longe sublimiore modo, ipsius
veritatis illustratione, et quadam vitalis fontis inundatione, beatos fieri praedicat. Sic
enim dicit: ‘Homines et iumenta salvos facies, Domine, sicut multiplicata est mise-
ricordia tua, Deus. Filii autem hominum in protectione alarum tuarum sperabunt’ [Le
salut des hommes charnels est charnel, comme celui du bétail. Séparant donc les
fils des hommes de ces hommes qu’il joint au bétail, il annonce qu’ils deviendront
bienheureux d’une manière bien plus sublime, par le rayonnement de la vérité elle-
même, et par une inondation de la source vitale. Car il dit ainsi : ‘Seigneur, tu
sauves les hommes et le bétail, tout comme ta miséricorde s’est multipliée, ô Dieu.
Mais les fils des hommes espéreront dans la protection de tes ailes’]. Voir aussi,
dans le même lignée, le contraste en in psalm. 22,4s., entre virga [verge] (appliquée
ad gregem ovium [au troupeau des moutons]) et baculus [bâton] (ad grandiores filios
et ab animali vita ad spiritalem crescentes [aux fils plus grands, qui croissent de la
vie animale à la vie spirituelle]), et le contraste entre creatura [créatures] et homines
[hommes] en in Gal. 63.
204 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

Simples dans l’Église et Juifs adhérant à l’ancienne Alliance sont donc deux in-
terprétations possibles pour le bétail. La première correspond particulièrement au
modèle, chez Clément d’Alexandrie puis Origène, d’une initiation graduelle à la
gnose chrétienne. La seconde s’intègre mieux à la vision radicale de la grâce chez
Augustin, qui tend à repousser la possibilité d’une procédure d’initiation à l’échelle
humaine (voir quaest. Simpl. 1,2,22, et n. à 18,12). Mais les deux interprétations se
recoupent aussi : Juifs et chrétiens simples obéissent aux commandements sans
comprendre et dans la peur (voir n. à 1,4, nec Iudaeos superbire ; 9,2, nondum
poenarum ; 18,11, nec prolato).
L’affirmation que pecora dans la Bible peut avoir des sens différents, sinon op-
posés, correspond au principe de liberté qu’Augustin énonce en in psalm. 8,13,
justement après une longue exégèse sur les animaux en Ps. 8,8s. : non quia ista
nomina isto solo modo intellegi et explicari possunt, sed pro locis; namque alibi aliud
significant. Et haec regula in omni allegoria retinenda est, ut pro sententia praesentis
loci consideretur quod per similitudinem dicitur [non pas parce que ces mots peuvent
être compris et expliqués uniquement de cette manière, mais selon les passages,
puisqu’ils ont d’autres sens à d’autres endroits. Et c’est cette règle qu’il faut retenir
dans toute allégorie : considérer selon le sens du passage en question ce qui est dit
dans la comparaison]. Voir aussi in Gal. 63 (homo [homme] et creatura [créature]
signifient parfois l’homme ancien, parfois l’homme racheté), et, pour le principe
herméneutique, Jean Chrysostome, hom. in 2 Tim. 8,1 (PG 62, 643) : ἐπειδὴ γὰρ τὰ
πράγματα σύνθετά ἐστι καὶ ποικίλα, εἰκότως εἰς πολλὰς εἰκόνας καὶ παραδείγματα
παρείληπται [Puisque les choses sont composées et complexes, c’est à bon droit
qu’elles sont employées pour de nombreux images et exemples]. On contrastera
Origène, qui tend à vouloir trouver un sens unique pour un signe donné dans tout le
texte sacré.

2,5 si verborum latinorum significatio omni modo cum graeca interpretatione


concordet
Non concordat, comme on lit en marge dans l’édition d’Érasme. Pour la faute, voir n.
à 2,2, vocatus … Mais pourquoi Augustin s’est-il trompé?
L’étude de P. COURCELLE (Les lettres grecques, 137–209) sur le grec d’Augustin
fait autorité, et il n’y a pas lieu de remettre en cause sa vision globale d’une amélio-
ration progressive du grec – toujours limité – d’Augustin. Cependant, une étude de
tous les recours au grec chez notre auteur dans les années précédant et suivant de
peu l’Inchoata expositio (la dernière œuvre prise en compte étant doctr. christ.)
montre que Courcelle est trop sévère quand il écrit : « On s’aperçoit qu’il sait
quelques mots grecs, assurément, comme tout Romain qui a étudié Cicéron et Var-
ron ; mais c’est une connaissance purement livresque … entre 390 et 400, il ne sait
guère que lire le grec et quelques mots élémentaires ; c’est tout ce qu’il a retenu des
études grecques de son enfance » (140s., avec référence à l’Inchoata expositio, 142,
n. 2).
Commentaire | 205

Tout d’abord, Courcelle ne fait pas justice à la quantité de grec utilisé par Au-
gustin dans ces premières années. On ne relève pas moins de 48 exemples de re-
cours au grec, dont peu peuvent se réduire à une culture héritée de Cicéron et Var-
ron. Augustin ne pouvait certes pas rivaliser avec ses grands contemporains,
Ambroise ou Jérôme, dans l’exploitation du grec. Mais il ne repousse pas pour au-
tant leur modèle d’un engagement réel avec la langue qui avait transmis le christia-
nisme au monde latin.
En effet, il est rare que son exploitation du grec puisse se réduire à des banali-
tés. Pour les étymologies, φιλοκαλία (c. acad. 2,7) et φιλοσοφία (c. acad. 2,7 ; ord.
1,31) sont certes élémentaires. Mais d’autres montrent une analyse plus poussée. En
c. acad. 3,18 academicus est dit venir de ἑκὰς δήμου [loin du peuple] (sans citation
des termes grecs). Cette étymologie – sans doute fausse – n’est pas attestée ailleurs
(FUHRER, Augustin contra Academicos, ad loc.), même si Augustin ne l’a sûrement
pas inventée. En epist. 31,11 ἀλογία, dans le texte qu’attaque Augustin, signifie « fes-
tin », mais Augustin le lie avec ἄλογος [sans raison] pour poursuivre sa polémique
(étymologie d’évaluation difficile : voir ThLL s.v).
La situation est similaire pour les traductions de termes grecs. Dans certains
cas (notamment dans les sermons), la traduction ne fait que donner un équivalent
simple, parfois déjà bien établi, du terme grec : ord. 2,37 ; mus. 1,23 ; 2,1 ; 3,2 ; 4,36 ;
quant. anim. 30 ; gen. c. Manich. 1,9 ; mag. 15 ; 19 ; in psalm. 4,4 ; de serm. dom.
1,31 ; serm. 200,1 ; serm. 351,8 ; serm. 346B,1 ; serm. 273,6. Mais, bien souvent, la
traduction est le fruit ou la source d’une réflexion poussée sur le sens du mot grec :
ord. 2,40 ; mus. 3,2 ; 6,38 (Quidam videntur amare deformia, quos vulgo Graeci
σαπροφίλους vocant [Certains semblent aimer ce qui est laid. Les Grecs les appellent
couramment σαπροφίλους [sc. ceux qui aiment la pourriture]]. Le mot n’est pas
autrement attesté, et peut très bien venir du parler vulgaire, comme Augustin
l’indique) ; 6,57 (ἀναλογία = corrationalitas, mot inventé par Augustin) ; lib. arb.
3,48 ; gen. c. Manich. 1,39 ; divers. quaest. 46,2 ; 63 ; 73,2 ; in psalm. 3,5 ; 6,3 ; 7,12 ;
97,7 ; 16,13 ; fid. et symb. 5 ; de serm. dom. 1,23 (COURCELLE, Les lettres grecques, 141,
est injuste sur ce passage, comme l’a noté MARROU, Saint Augustin, 710) ; 1,51 (repris
en doctr. chr. 3,19) ; de serm. dom. 2,30 ; quaest. Simpl. 1,2,1 ; c. epist. fund. 32 ; 45 ;
doctr. christ. 2,41s.48.93 ; 3,8 ; serm. 162C,2.
Certes, à cette époque, Augustin n’était nullement un helléniste achevé, mais il
a exploité avec son imagination et son intelligence habituelles les connaissances
qu’il avait. Pour la limite de ces connaissances, noter un nombre de passages où le
grec est employé avec moins de compétence : ord. 2,35 ; in psalm. 4,4.6 ; gen. ad litt.
imperf. 42 ; de serm. dom. 1,14.60 ; in Gal. 24 (voir ci-dessous), 30, 42 (proche de
l’Inchoata expositio : Augustin voit en Gal. 5,12 un jeu de mots – elegantissima am-
biguitate [une ambiguïté très élégante] – sur abscidantur [ἀποκόψονται ; qu’ils
soient tranchés] et la circoncision [circumcidantur ; qu’ils soient circoncis], qui ne
fonctionne qu’en latin, puisqu’en grec « circoncire » se dit περιτέμνειν) ; doctr.
206 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

christ. 2,42 (curieusement, Augustin s’est trompé non pas sur le grec, mais sur le
latin) ; 3,18.
Mis à part ces erreurs réelles, il y a quelques passages où l’on est gêné par le
manque de référence au grec, parce que la logique de l’argument semblait l’exiger :
mag. 14s.: Augustin montre que dans 2 Cor. 1,19 (Non erat [sc. in Christo] Est et Non,
sed Est in illo erat / οὐκ ἐγένετο Ναὶ καὶ Οὔ, ἀλλὰ Ναὶ ἐν αὐτῷ γέγονεν [Il n’y avait
pas [dans le Christ] Oui et Non, mais il y avait Oui en lui]), il faut interpréter Est
comme un nom et non pas un verbe. Il ne prête aucune attention à l’original grec,
où il n’y a pas de forme verbale ; in psalm. 7,13 : il tente de choisir entre vibrabit [il
brandira] et splendificabit [il fera resplendir] pour στιλβώσει [Ps. 7,13], sans aucune
référence au sens grec du terme (l’hébreu, comme toujours dans les premiers in
psalm., reste hors de champ) ; fid. et symb. 2 : les manuscrits d’Augustin ont invisa
[invisible] ou informi [sans forme] pour ἀμόρφου [sans forme] en Sap. 11,18 ; Augus-
tin rapporte les deux leçons sans référence au grec.
Ces silences soulèvent la question difficile des textes grecs accessibles à Au-
gustin. Pour les textes extrabibliques, il s’agit d’un problème de Quellenforschung
qui dépasse notre cadre. Notons seulement que, en contraste marqué avec Jérôme,
Augustin trouvait de mauvais goût d’étaler des noms d’auteurs et de textes grecs
païens dont la lecture était impossible pour la grande majorité de son public. Il dé-
clarait : Non enim libenter, nisi necessitate, graeca vocabula in latino sermone usur-
paverim [Je n’aime pas utiliser des mots grecs dans un discours en latin, si ce n’est
pas nécessaire] (mus. 1,23, voir aussi 3,2 ; util. cred. 5 ; gen. ad litt. imperf. 5), et il
aurait pu étendre sa remarque à toute allusion à la culture hellénique. Du reste, nul
ne doute du vaste apport de cette culture à la pensée augustinienne dès ses premiers
écrits, et vouloir tout expliquer par l’existence de traductions latines, parce
qu’Augustin ne pouvait lire des livres en grec, risque de devenir une petitio principii
(voir sur ce point, pour les sources grecques chrétiennes, Mutzenbecher dans CCSL
44A, xlvii/xlviii ; pour une mise au point sur les lectures grecques d’Augustin, voir
D. T. RUINA, Philo in Early Christian Literature, Assen 1993, 321).
Le problème se profile autrement pour la Bible. Contre le défaut de grec chez
Augustin et ses lecteurs pesait l’impératif d’obtenir une connaissance profonde du
texte sacré. Or celui-ci était un texte grec dans les deux Testaments, puisque la LXX
était pour Augustin une traduction inspirée par l’Esprit (voir BA 11/2, 514–521).
Certes, dans la pratique, comme tous les exégètes latins de l’époque patristique,
Augustin ne se réfère jamais s y s t é m a t i q u e m e n t à l’original grec. Surtout dans
ses sermons, comme on pouvait s’y attendre, le grec apparait peu. Mais, parmi ses
traités exégétiques d’avant l’épiscopat, comme le montre le relevé supra, Augustin
écrivit de serm. dom. avec un texte grec de l’Évangile de Matthieu à sa disposition,
et de même il se réfère souvent au psautier grec dans les premiers in psalm.
Il n’en est pas de même pour les commentaires pauliniens, qui sont entièrement
dépourvus de références au grec du texte qu’ils commentent. C’est généralement un
peu plus tard que le texte grec de Paul commence à apparaitre : parmi les ouvrages
Commentaire | 207

écrits vers l’époque de l’Inchoata expositio, on trouve bien des références au grec de
1 Cor. en in Gal. 9 et de serm. dom. 1,51 (de même que, un peu plus tard, en c. epist.
fund. 45 et doctr. christ. 2,48), de 1 Tim. en lib. arb. 3,48, et de Philem. en divers.
quaest. 73,2 ; mais pour Rom., il n’y a aucune référence au grec avant c. Faust. 11,3.4
(voir n. à 4,10).6. (D’autres livres grecs s’ajoutent au bilan dans ces mêmes années :
Actes + Daniel, quaest. Simpl. 1,2,1 ; Sagesse, doctr. christ. 2,42).
Cette séquence étonne, mais on peut proposer deux explications complémen-
taires. Tout d’abord, il semble probable qu’à l’époque des commentaires pauliniens,
Augustin ne possédait simplement pas de manuscrit grec de toutes les épîtres. C’est
ce que tend à montrer, au-delà de l’argument e silentio, la faute en in Gal. 24, sur
Gal. 3,19. Τί οὖν ; ὁ νόμος τῶν παραβάσεων χάριν προσετέθη, ἄχρις οὗ ἔλθῃ τὸ
σπέρμα ᾧ ἐπήγγελται, δ ι α τ α γ ε ὶ ς δι’ ἀγγέλων ἐν χειρὶ μεσίτου y est traduit : Quid
ergo ? Lex transgressionis gratia proposita est, donec veniret semen cui promissum
est, d i s p o s i t u m per angelos in manu mediatoris [Quoi donc ? La loi fut ajoutée à
cause de la transgression, jusqu’à ce que vienne la semence à qui la promesse fut
donnée, [la semence] réglée par les anges, dans la main d’un médiateur]. Il aurait
fallu disposita, pour reproduire l’accord νόμος / διαταγείς [loi / réglée], et dans la
Vulgate on lit en effet ordinata. Mais Augustin commente : ‘dispositum est per ange-
los semen in manu mediatoris’, ut ipse liberaret a peccatis iam per transgressionem
legis coactos confiteri opus sibi esse gratiam et misericordiam Domini [‘la semence fut
réglée par les anges dans la main d’un médiateur’, pour que celui-ci libérât des pé-
chés ceux qui avaient déjà été obligés, par leur transgression de la Loi, de confesser
qu’ils avaient besoin de la grâce et de la miséricorde de Dieu]. Il pense donc que
dispositum qualifie semen (σπέρμα). Comme le fait remarquer ROUSSELET (À propos
d’une édition, 244) il refait la faute en gen. ad litt. 5.8, mais se reprend en retract.
2,24,2 : In quinto libro et ubicumque in eis libris posui de semine cui repromissum est,
quod dispositum sit per angelos in manu mediatoris, non sic habet apostolus, sicut
veriores codices post inspexi, maxime Graecos. De lege enim dictum est, quod tam-
quam de semine dictum multi Latini codices habent per interpretantis errorem [Dans
le cinquième livre, et partout dans ces livres où j’ai écrit, à propos de la semence à
qui la promesse fut donnée, que [cette semence] fut réglée par les anges dans la
main d’un médiateur, ce n’est pas ce que dit l’apôtre, comme j’ai l’ai vu après dans
des manuscrits plus fiables, surtout les grecs. Car c’est de la Loi qu’est dit ce que
beaucoup de manuscrits latins indiquent comme étant dit de la semence, par une
faute du traducteur] (comparer retract. 1,7,2). À notre sens, il faut voir ici une indica-
tion que l’auteur ne disposait pas de ces veriores codices … maxime Graecos quand il
s’attela à commenter Gal. et Rom.
Aurait-il pu se les procurer avant de commencer son travail ? Il faudrait, pour
répondre, une connaissance de la circulation des livres grecs en Afrique latine que
nous ne possédons pas. Mais l’augmentation de l’exploitation du texte grec dans
doctr. christ. correspond parfaitement au principe énoncé dans ce même livre
(2,34) : Latinae quidem linguae homines, quos nunc instruendos suscepimus, duabus
208 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

aliis [sc. linguis] ad scripturarum divinarum cognitionem opus habent, hebraea scilicet
et graeca, ut ad exemplaria praecedentia recurratur, si quam dubitationem attulerit
latinorum interpretum infinita varietas [Les hommes de langue latine, que nous
avons entrepris d’instruire ici, ont besoin de deux autres [langues] pour la connais-
sance des écritures divines, à savoir de l’hébreu et du grec, pour que l’on puisse
faire recours aux exemplaires plus anciens, si la diversité infinie des traducteurs
latins soulève un doute]. Pour COURCELLE (Les lettres grecques, 149s.), ces conseils
sont si éloignés de la méthode d’Augustin en 397 qu’il préfère croire qu’ils ne furent
pas écrits « avant les années 416/19 », et appartiennent aux remaniements de doctr.
christ. avant sa publication finale en 426/427. Mais une telle théorie n’a pu survivre
à la réflexion de W. M. Green sur le manuscrit de Saint-Pétersbourg de doctr. christ.
(CSEL 80, vii–ix ; voir supra p. 129 : le manuscrit, vraisemblablement écrit du vivant
d’Augustin, comporte les deux premiers livres du texte dans leur état actuel, et in-
dique donc que ces livres circulaient avant qu’Augustin ne finisse doctr. chr., et
qu’il ne les a pas modifiés en terminant son ouvrage). C’est donc bien dès les pre-
mières années de son épiscopat qu’Augustin reconnait les exigences philologiques
et linguistiques du travail d’exégète. Faut-il y voir un des facteurs qui l’ont poussé à
se détourner largement du commentaire rédigé des Écritures (voir Introduction, 1.6),
voire même à ne jamais terminer l’Inchoata expositio ?
En effet, philologue érudit, Augustin ne l’a jamais été. Que l’on revoie, à titre
d’exemple, in Gal. 24 et retract. 2,24,2. La retractatio est pour gen. ad litt., écrit de
401 à 414. Retractationes lui-même ne fut écrit qu’en 426/427. Faut-il conclure que
ce n’est qu’entre 414 et 426 qu’Augustin se serait procuré un texte grec de Gal.? Im-
probable, puisque nous avons vu qu’il disposait d’autres épîtres de Paul en grec
avant 400, et la forme habituelle du livre pour Augustin était le codex (voir AugLex
s.v. codex, 3a/b), format dans lequel on assemblait souvent toutes les épîtres de
Paul entre deux couvertures (B. M. METZGER, The Text of the New Testament, Oxford
3
1992, 6). C’est plutôt qu’en écrivant gen. ad litt., Augustin ne s’est nullement avisé
de consulter son texte grec de Gal. : il ne commentait pas Gal., et son instinct était
alors de se contenter de la version latine reçue, celle qu’il connaissait plus ou moins
par cœur. D’ailleurs, même en écrivant retract., Augustin n’avait pas noté que la
faute sur Gal. 3,19 était déjà dans in Gal., alors même qu’il reprenait sa ponctuation
de ce verset (retract. 1,24,4).
N’est pas philologue qui décide de commenter les épîtres de Paul sans se référer
constamment au texte grec, ou qui consignera le gros de son énorme activité exégé-
tique à des sermons donnés au grand public. On est tenté, alors, sur les pas
d’Érasme, d’opposer Augustin à Jérôme, et sans doute, en entreprenant de commen-
ter Paul, Augustin comptait-il ajouter au travail de son prédécesseur en poussant
plus loin la réflexion théologique, plutôt que rivaliser avec lui sur le terrain des
langues (voir Introduction, 1.6 ; n. à 1,1–3). Mais il ne faut pas forcer cette opposi-
tion : il y a une différence de degré et non pas deux approches fondamentalement
divergentes. Augustin, à ses heures, pouvait parler langues et ponctuation, souvent
Commentaire | 209

avec un succès notable (voir MARROU, Saint Augustin, 422–444). Origène et Jérôme
l’ont sans doute fait plus souvent. Mais les compétences linguistiques et grammati-
cales n’ont jamais été qu’ancillaires pour les Pères, et aucun ne nous a légué ce que
nous considérerions aujourd’hui être un commentaire philologique des Écritures.
Revenons à l’Inchoata expositio. Si Augustin a fait une erreur, ce n’est certaine-
ment pas que son grec était trop faible pour voir que συναγωγή et ἀφωρισμένος
avaient des racines différentes. Nous pensons que la faute s’explique au mieux par
l’hypothèse qu’il ne disposait pas d’un manuscrit grec de Rom. Mais il est vrai que
notre passage peut aussi s’élucider par une hypothèse toute contraire : si Augustin
exprime des doutes sur son analyse de segregatus, ce serait justement parce qu’il a
le grec devant lui, et voit bien que ἀφωρισμένος est un mot sans lien étymologique
avec le bétail. Il se serait alors demandé si c’était parce que le vocable grec pouvait
néanmoins s’appliquer particulièrement à la séparation du bétail qu’il avait été
traduit par segregatus (la réponse est négative : voir Diccionario Griego-Español s.v.
ἀφορίζω). Cette explication rendrait certes mieux compte des références citées plus
haut au grec d’autres épîtres dans des ouvrages proches dans le temps de l’Inchoata
expositio, puisque, on l’a dit, les épîtres pauliniennes circulaient souvent ensemble.
Mais on reste alors perplexe devant le contraste entre le recours plutôt fréquent à
l’original grec dans de serm. dom. et les premières in psalm., et son absence dans
les commentaires sur Paul.
Quoi qu’il en soit, rappelons enfin que l’Inchoata expositio n’est qu’inchoata. Si
Augustin s’était avisé de la terminer, plus tard dans sa carrière, il est probable qu’il
aurait tout de même tranché la question de la graeca interpretatio.
Pour d’autres problèmes avec le grec, voir n. à 4,10 ; 5,11–17 ; 5,13, neque ad
exemplum ; 12,2s. ; 12,8. Voir aussi l’étrange remarque d’Ambroise sur le latin de
Paul, De fuga saeculi 16.

3,1 commendat auctoritate prophetarum ut … gentes rursus iam non superbire


admoneat
L’Ambrosiaster (in Rom. 1,2) commente : Ut manifestius salutarem esse adventum
Christi significaret, etiam personas, per quas promissionem signaverit, demonstravit,
ut quam vera et magnifica sit promissio, ex his videretur; nemo enim rem vilem magnis
praecursoribus nuntiat [Pour indiquer plus clairement que la venue du Christ appor-
tait le salut, il a aussi désigné les personnes par qui il avait manifesté la promesse,
pour qu’il apparaisse par ceux-ci combien la promesse est vraie et magnifique ; car
personne n’annonce une chose sans importance par de grands précurseurs]. Autre-
ment dit, Paul démarque l’importance de l’Évangile en le reliant avec les prophètes.
Augustin est bien plus précis, puisqu’il fait rentrer Rom. 1,2 dans la vision globale
de Rom. qu’il avait donnée au chapitre 1.
Dans la longue tradition des polémiques anti-gnostiques, Augustin revient sur
les références de Paul à l’Ancien Testament quand il attaque le rejet du Dieu d’Israël
par les Manichéens (voir n. suivante, fin). C’est ainsi qu’il commente Rom. 1,1–4 en
210 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

c. Fort. 19 : Videmus apostolum de Domino nostro nos docere, ut et virtute Dei ante
carnem praedestinatus fuerit, et secundum carnem factus sit ei de semine David. Hoc
vos cum semper negaveritis et negetis, quomodo scripturas flagitatis, ut secundum eas
potius disseramus? [Nous voyons que l’apôtre nous enseigne sur notre Seigneur,
comment il fut à la fois prédestiné par la puissance de Dieu avant la chair, et fait
pour lui selon la chair de la semence de David. Étant donné que cela, vous l’avez
renié et vous le reniez toujours, comment est-ce que vous réclamez les Écritures,
pour que nous disputions plutôt selon elles ?] Voir aussi c. Faust. 2,2 (sur 2 Tim.
2,8) ; 13,3, et, pour la tradition anti-gnostique sur Rom. 1,1–4, Irénée de Lyon, haer.
3,16, et sur Rom. en général, Tertullien, adv. Marc. 5,13s. Pour une analyse de
l’Inchoata expositio dans le contexte des écrits anti-manichéens d’Augustin, voir A.
MASSIE, Peuple prophétique et nation témoin, Paris 2011, 254–258 (mais comparer
avec nos remarques en Introduction, 1.4). En c. Faust. 11,1, on trouvera Faustus
présentant un argument manichéen, selon lequel Paul aurait corrigé en écrivant aux
Corinthiens ce qu’il avait écrit aux Romains : Quare consideres oportet, quantum
intersit inter haec duo capitula, e quibus unum [Rom. 1,3] perhibet Iesum filium David
secundum carnem, alterum [2 Cor. 5,16] vero iam se neminem nosse secundum carnem
[Il faut donc que tu considères la grande différence entre ces deux passages, dont
l’un déclare que Jésus est le fils de David selon la chair, l’autre, par contre, qu’il ne
connait déjà plus personne selon la chair]. Faustus propose aussi que le texte de
Rom. ait pu être interpolé (voir n. à 4,8, addendo ergo).
Non superbire … En réalité, le respect des écrits et du passé juifs, qui l’opposait
aux Manichéens, était bien plus actif chez Augustin que toute recherche de rapports
fraternels avec des Juifs actuels. Les relations entre chrétiens et Juifs s’étaient de-
puis longtemps détériorées à son époque, et on pourrait assez facilement accuser les
gentes chrétiennes en masse de superbia envers les Juifs. « The pupils hated their
masters, and were hated in their turn. With a cry of joy Eusebius, possibly a man of
Jewish descent, retells from Josephus the story of the fall of Jerusalem » (A. D.
MOMIGLIANO, Pagan and Christian Historiography in the Fourth Century A. D, dans
idem, Terzo Contributo alla storia deli studi classici e del mondo antico, Roma 1966,
87–109 [88]). Même si cette analyse est trop sombre, si les chrétiens de l’Antiquité
tardive s’entretenaient plus et plus amicalement avec les Juifs que ne le voulaient
leurs prêtres et évêques, rien n’indique qu’Augustin, qui était justement prêtre et
évêque, ait recherché de tels échanges (encore un contraste avec Jérôme), bien que
son milieu ne manquât pas de Juifs. Voir, sur ces points, P. FREDRIKSEN, Augustine
and the Jews, New York 2008, 88–102 ; 307–314 ; D. SHANZER, Who was Augustine’s
Publicola?, REJ 171 (2012), 27–60 ; et AugLex s.v. Iudaei, 6. Mais Fredriksen montre
aussi tout ce qu’il y avait de positif envers les Juifs réels du présent dans
l’enseignement augustinien, et le rejet de la superbia revient effectivement dans les
conseils d’Augustin sur comment présenter les arguments chrétiens aux Juifs :
Haec, carissimi, sive gratanter, sive indignanter audiant Iudaei, nos tamen ubi possu-
mus, cum eorum dilectione praedicemus. Nec s u p e r b e g l o r i e m u r adversus ramos
Commentaire | 211

fractos, sed potius cogitemus cuius gratia, et quanta misericordia, et in qua radice
inserti sumus [Rom. 11,17s.] [Très chers, cela, que les Juifs l’entendent avec gratitude
ou avec indignation, nous avons à le prêcher néanmoins quand nous le pouvons,
dans l’amour envers eux. Et il ne faut pas nous g l o r i f i e r s u p er b e m e n t envers les
branches brisées, mais considérer plutôt par quelle source de grâce, et avec quelle
grande miséricorde, et dans quelle racine nous avons été insérés] (adv. Iud. 15 ; voir
cependant n. à 20,3).

3,3 fuerunt enim et prophetae non ipsius …


Paul a écrit per prophetas suos [par ses prophètes] plutôt que seulement per prophe-
tas [par (les) prophètes], et pour Augustin, cet ajout du possessif nécessite une ex-
plication. La difficulté peut nous sembler inventée, mais pour un lecteur latin suos
devait paraitre emphatique, puisque le latin tend à se passer de possessifs quand
ceux-ci sont clairement sous-entendus (voir LHS 2, 178). Pour une réaction similaire
à un possessif, voir in psalm. 4,9 : ‘A tempore frumenti, vini et olei s u i multiplicati
sunt’ [Ps. 4,8]. Non enim vacat, quod additum est, ‘sui’: est enim et frumentum Dei …
et est vinum Dei … et oleum Dei [‘Du temps de son blé, [son] vin et [son] huile, ils
furent multipliés’. En effet, ‘son’ n’est pas ajouté sans raison, car il y aussi un blé de
Dieu … et il y a un vin de Dieu … et une huile de Dieu]. Mais la Bible n’est pas un
texte latin, et il fallait plutôt se poser la question du possessif dans ses langues
d’origine. Bien plus tard (419), quand il écrit les Locutiones in Heptateuchum, Au-
gustin, désormais conscient de ce problème linguistique, présente une toute autre
analyse du possessif « redondant » : Quod scriptum est ‘Et extendit manum s u a m ,
accepit eam, et induxit eam ad semetipsum in arcam’ [Gen. 8,9], locutio est, quam
propterea hebraeam puto, quia et punicae linguae familiarissima est, in qua multa
invenimus hebraeis verbis consonantia. Nam utique sufficeret: ‘Et extendit manum’,
etsi non adderet ‘suam’. Tale est etiam quod paulo post dicit: ‘Habebat olivae folia,
surculum in ore s u o ’ [Gen. 8,11] [Quand il est écrit ‘et il étendit s a main, il la reçut,
et il la fit entrer vers lui dans l’arche’, c’est une tournure que je crois être hébraïque,
puisqu’elle est aussi très courante dans la langue punique, dans laquelle nous trou-
vons beaucoup d’éléments qui correspondent aux mots hébreux. ‘Et il étendit (la)
main’ aurait en effet entièrement suffi, sans l’ajout de ‘sa’. C’est de même qu’il dit
aussi un peu plus tard : ‘Il avait des feuilles d’olive, un rejeton dans s a bouche’]
(loc. hept. 1,24).
Quant aux prophètes païens témoins de la vérité, ils viennent de l’apologétique
chrétienne, qui en hérita de l’apologétique juive. Il existait en effet tout un dossier
d’oracles des gentils glorifiant le Dieu unique et le Christ, puis prédisant le triomphe
du christianisme et la fin du monde. Les auteurs principaux des oracles étaient des
figures en quelque sorte marginales du monde grec : la Sibylle (d’origine mysté-
rieuse), Orphée (thracien), Hermès Trismégiste (égyptien), le mage Hystaspe (perse).
Mais on n’a pas résisté à ajouter Apollon, le dieu mantique grec par excellence. Pour
les sources de tous ces oracles et leur emploi chez les chrétiens, voir BUSINE, Paroles,
212 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

361–431 (Le travail de Busine est cependant concentré sur Apollon. Malgré, sinon à
cause de, l’immense bibliographie sur ces figures prophétiques, il ne semble pas
exister d’étude générale des oracles païens dans l’Église antique). Pour la Sibylle,
voir n. suivante : elle forme un cas à part, car elle a souvent été vue comme une
vraie monothéiste, inspirée directement par Dieu.
La tradition dont hérite Augustin est essentiellement grecque, et il ne la con-
naissait pas forcément très bien, au-delà de la transmission orale. C’est surtout Lac-
tance, apologète et latin parmi les Grecs, qui a présenté ces oracles à l’Église latine,
mais on ne peut montrer qu’Augustin avait lu Lactance à l’époque de l’Inchoata
expositio. D’autre part, on a aussi voulu identifier les quosdam platonicorum libros
[certains livres des Platoniciens] lus par Augustin avant sa conversion (conf. 7,13)
avec la Philosophie tirée des oracles de Porphyre (voir BUSINE, Paroles, 241 ;
O’DONNELL sur conf. ad loc.), ce qui lui aurait donné accès à certains oracles
d’Apollon à la louange des Juifs (A. SMITH, éd., Porphyrii philosophi fragmenta,
Stuttgart 1993, 324F ; 344F). Seulement, l’unique prophétie qu’il cite dans notre
texte ne vient pas du grec, mais de Virgile. Par contre, quand Augustin en viendra à
écrire son chef-d’œuvre sur le mode apologétique, on retrouvera bien la Sibylle (civ.
18,23), Hermès (civ. 8,23–26), Orphée (civ. 18,14, avec Musaeus et Linus) et Apollon
(19,23, avec Hécate. Ici l’œuvre de Porphyre est nommée comme source, et les
oracles dateraient d’après la venue du Christ). Seul Hystaspe ne semble jamais
l’avoir intéressé, mais, même pour ceux qui le citent, c’est une figure bien obscure
(voir Encyclopaedia Iranica s.v. Hystaspes, oracles of : http://www.iranicaonline.
org/articles/hystaspes-oracles-of).
La valeur apologétique de tels oracles était évidente, mais il fallait aussi expli-
quer comment des dieux païens pouvaient être si bien renseignés. On sait que les
chrétiens des premiers siècles accusaient les païens de rendre un culte à des dé-
mons, qui se cachaient sous les noms de leurs dieux. Ce sont ces mêmes démons qui
seraient à l’origine des oracles. Dès Justin Martyr (apol. 1,54 ; dial. 69), on affirme en
effet que les démons invisibles avaient eu connaissance des prophéties juives, qu’ils
avaient répétées – et déformées – parmi les nations. Augustin pense de même, ex-
pliquant ainsi, par exemple, les prophéties exactes d’Hermès Trismégiste sur la
chute des temples païens : Huic autem Aegyptio illi spiritus indicaverunt futura tem-
pora perditionis suae, qui etiam praesenti in carne Domino trementes dixerunt : ‘Quid
venisti ante tempus perdere nos?’ [Mt. 8,29] [À cet Égyptien, les esprits ont indiqué le
temps futur de sa perdition, [ces mêmes esprits] qui ont aussi dit en tremblant au
Seigneur, présent dans la chair : ‘Pourquoi es-tu venu avant l’heure pour nous
perdre ?’] (civ. 8,24 ; de même div. daem. 9–12). C’est ainsi que, dans l’Inchoata
expositio, les prophètes païens sont décrits comme chantant ce qu’ils avaient e n -
t e n d u du Christ (quae de Christo a u d i t a cecinerunt).
L’inspiration démoniaque n’est pas une voie d’explication ouverte à l’érudition
moderne, et celle-ci voit donc les oracles dont parle Augustin comme des produc-
tions plus ou moins falsifiées de Juifs et de chrétiens, ou comme des textes païens
Commentaire | 213

interprétés à contre-sens. Pour Augustin, évidemment, la thèse de l’inspiration,


qu’elle fût divine ou démoniaque, ne posait pas problème en soi. Mais, comme tous
ceux qui vivent dans une culture où la prophétie est monnaie courante, il était con-
scient qu’un oracle donné pouvait être sujet à caution. On voit dans l’Inchoata expo-
sitio ses doutes envers la Sibylle (non facile crederem, 3,3), qu’étanche seul le té-
moignage de Virgile, dont l’indépendance était garantie. Plus tard, il admettra la
possibilité que les Oracula Sibyllina puissent être de facture chrétienne (civ. 18,46),
tout comme il mettra en doute l’authenticité des oracles « antiques » que citent des
païens sur le renversement des temples (div. daem. 12) ou de certains oracles anti-
chrétiens cités par Porphyre : Quis ita stultus est, ut non intellegat aut ab homine
callido eoque christianis inimicissimo haec oracula fuisse conficta aut consilio simili
ab inpuris daemonibus ista fuisse responsa? [Qui est trop sot pour comprendre que
ces oracles furent soit inventés par un homme malin et un grand ennemi des chré-
tiens, soit, avec un but similaire, prononcés par des démons impurs ?] (civ. 19,23).
Certes, c’est l’hostilité de ces oracles au Christ qui met Augustin sur ses gardes,
mais, en l’espèce ses doutes étaient tout à fait fondés.
Ces problèmes d’authenticité sont certainement une des causes de l’hostilité
d’Augustin envers les oracles dans l’Inchoata expositio. Mais, pour lui, les oracles
authentiques venaient aussi des démons, et malgré leur force apologétique (voir c.
Faust. 13,15), avaient pour but non pas d’éclairer mais de tromper. C’est ce
qu’articule déjà Lactance à propos d’un oracle de l’Apollon de Milet sur le Christ :
Nam quod ait portentifica illum [sc. le Christ] opera fecisse, quo maxime divinitatis
fidem meruit, adsentiri nobis iam videtur, cum dicit eadem quibus nos gloriamur. Sed
colligit se tamen et ad daemoniacas fraudes redit. Cum enim verum necessitate dixis-
set, iam deorum ac sui proditor videbatur, nisi quod ab eo veritas expresserat, menda-
cio fallente obscurasset. Ait ergo illum fecisse quidem opera miranda, verum non divi-
na virtute, sed magica. Quid mirum, si hoc Apollo veritatem ignorantibus persuasit ?
[En effet, en disant qu’il a fait des œuvres miraculeuses, par lesquelles avant tout il
a mérité que l’on croie à sa divinité, il semble être désormais en accord avec nous,
quand ce qu’il dit est identique à ce dont nous nous glorifions. Mais il se reprend
tout de même et revient aux fraudes démoniaques. En effet, en disant la vérité par
nécessité, il semblait déjà avoir abandonné ses dieux et soi-même, si ce n’est que, ce
que la vérité avait extrait de lui, il l’a rendu obscur par un mensonge fallacieux. Il
dit donc qu’il a bien fait des œuvres admirables, mais par une puissance non pas
divine, mais magique. Qu’y a-t-il d’extraordinaire, si Apollon a convaincu de cela
ceux qui ignorent la vérité ?] (inst. 4,13,16). « Ces vers apolliniens produits par le
clergé milésien avaient pour but de soutenir les défenseurs du paganisme », dira
BUSINE (Paroles, 228) sur l’oracle en question. Pour Lactance, l’inspiration surnatu-
relle était authentique, et Augustin aurait pu penser de même. Mais ils seraient en
accord avec nos conclusions d’historiens sur l’effet voulu par l’oracle (voir Inchoata
expositio 3,5). Il convenait donc d’avertir le lecteur que Paul ne faisait nullement
référence à de tels textes quand il parlait d’un Évangile promis per prophetas.
214 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

De tels avertissements étaient sans doute tout à fait pratiques : dans l’Antiquité
tardive, on voit les oracles païens « extraits du contexte civique de la pratique ora-
culaire qui leur avait donné jour pour être élevés au rang des livres sacrés de réfé-
rence » (BUSINE, Paroles, 233. Voir aussi, MORESCHINI, Storia, 244s.) en compétition
avec la Bible. Dans une Église largement formée de convertis ou d’enfants de con-
vertis, tout ce corpus devait fasciner bien des chrétiens, et la présence de quelques
textes pro-chrétiens pouvait justifier son étude. C’est dans ce contexte que l’on
comprendra la remarque de l’Inchoata expositio, ou encore la très longue polé-
mique anti-oraculaire d’Eusèbe dans la Praeparatio Evangelica (livres 4–6).
Per prophetas s u o s … Pour Augustin, il s’agissait aussi d’affirmer la dignité su-
prême de l’Ancient Testament contre les attaques des Manichéens (voir n. précé-
dente). En effet, Faustus, quelques années avant l’Inchoata Expositio, avait écrit :
Sane si sunt aliqua, ut fama est, Sibyllae de Christo praesagia aut Hermetis, quem
dicunt Trismegistum, aut Orphei aliorumque in gentilitate vatum, haec nos aliquanto
ad fidem iuvare poterunt, qui ex gentibus efficimur christiani. Hebraeorum vero testi-
monia nobis, etiamsi sint vera, ante fidem inutilia sunt, post fidem supervacua [Assu-
rément, s’il existe, comme on le raconte, des prophéties sur le Christ venant de la
Sibylle, ou de cet Hermès que l’on appelle Trismégiste, ou d’Orphée, ou d’autres
prophètes des gentils, celles-ci pourront quelque peu nous aider dans notre foi,
nous les gentils qui devenons chrétiens. Mais les témoignages des Hébreux, même
s’ils sont vrais, nous sont inutiles avant la foi, et redondants après la foi] (c. Faust.
13,1). On ignore si l’argument est purement théorique, ou si les Manichéens affec-
tionnaient vraiment de tels textes (voir PRÜMM, Das Prophetenamt, 72, et cf. n. à 4,1,
Les prophètes, e). Mais Augustin se devait en tout cas de réfuter tout ce qui tendait à
dévaloriser l’Ancien Testament. La réfutation détaillée de Faustus, le Contra Faus-
tum, attendra 397s., mais on en voit une anticipation dans ce passage de l’Inchoata
expositio (cf. c. Faust. 12,2s. pour une nouvelle analyse de per prophetas suos, avec
la démonstration qu’il s’agit bien des prophètes de l’Ancien Testament ; 13,15–17
pour le problème des oracles païens).
Du reste, l’Ambrosiaster (in Rom. prol. ad loc. ; voir n. à 1,3, nonnulli qui ex Iu-
daeis), sans entrer dans le problème des oracles, voyait déjà dans Rom. 1,2 la
défense de l’Ancien Testament : ‘in scripturis sanctis’. Hoc ad cumulum verae protes-
tationis adiecit, ut maiorem fiduciam credentibus faceret e t l e g e m c o m m e n d a r e t
[‘dans les Écritures saintes’. Il a ajouté cela pour porter à leur sommet les assurances
qu’il dit vrai, afin de donner plus de confiance aux croyants, e t d e r e c o m m a n d e r
l a L o i ].

3,3s. La Sibylle et la quatrième Bucolique


Pour ce passage et tout son arrière-plan voir notre Christians, Sibyls and Eclogue 4,
RecAug 37 (2013), 51–129, y compris pour la bibliographie antérieure (les études
principales sont : PRÜMM, Das Prophetenamt ; P. COURCELLE, Les exégèses chré-
tiennes de la quatrième églogue, REAug 59 [1957], 294–319 ; H. DE LUBAC, Exégèse
Commentaire | 215

médiévale: les quatre sens de l’Écriture, II.2, Paris 1964. 233–262 ; J.-M. ROESSLI,
Augustin, les sibylles, et les Oracles Sibyllins, dans FUX, Augustinus Afer, 263–286 ;
N. BROCCA, Lattanzio, Agostino e la Sibylla Maga, Roma 2011).
La Sibylle est à l’origine une figure complexe et énigmatique de la prophétie
grecque. Comme le montre A. Rzach (RE s.v. Sibylla), elle est associée à nombre
d’endroits et de périodes historiques et préhistoriques ; elle apparait souvent sans
invitation, plutôt que d’être consultée, et prédit très souvent des malheurs. Les an-
ciens croyaient en général qu’il y avait plusieurs Sibylles, mais on pouvait aussi
expliquer sa réapparition à diverses époques par sa vie extrêmement longue (voir
surtout les célèbres passages d’Ovide, met. 14,130–153, et de Pétrone, Satyricon 48
→ l’épigraphe du Waste Land de T. S. Eliot). Malgré ses aspects mythiques, on
croyait à la réalité historique de la Sibylle, que semblent confirmer les restes des
sanctuaires de Cumes et d’Érythrée : on n’y venait pas pour vénérer la Sibylle, qui
n’était pas une divinité, mais pour la rencontrer.
Dans leurs œuvres apologétiques, on l’a dit, Juifs et chrétiens aimaient à citer
les Sibylles comme témoins de leur religion. La base de ces références était les Ora-
cula Sibyllina, les douze livres d’hexamètres grecs qui prétendaient êtres les vraies
prophéties de la Sibylle, des textes qui ont largement survécu (édition critique dans
GCS 8). Ces textes sont majoritairement, sinon entièrement, de facture juive et chré-
tienne, si bien qu’ils ne contiennent aucun élément polythéiste. Dans la même li-
gnée, la Sibylle elle-même était parfois mise en lien direct avec l’Ancien Testament :
elle serait la reine de Saba (Testamentum Salomonis, Recensio D, cap. V, éd. C. C.
MCCOWN, Leipzig 1922), ou la fille de Noé (LIMC s.v. Sibylla, 30–33 ; Oracula Sibylli-
na 1,288s. ; 3,827. Voir aussi Pausanias 10,12,9). Sur ces bases, les auteurs chrétiens
tendaient à en faire non pas le véhicule d’un témoignage démoniaque (voir n. pré-
cédente), mais une vraie prophétesse de Dieu (voir surtout Théophile d’Antioche,
Ad Autolycum 2,9).
Cependant, les oracles sibyllins perdaient toute leur valeur apologétique si l’on
ne croyait plus à leur authenticité. On voit des doutes surgir dans le traité anti-
chrétien de Celse, et Origène, dans sa réponse, ne tente pas vraiment de défendre les
oracles (Cels. 7,53.56). Dès cette époque, les oracles n’ont plus le même prestige
dans l’Église grecque. Sans doute qu’on les y lisait encore, mais à l’époque
d’Augustin, rares sont les écrits grecs qui y font référence.
On sait que, dans la culture romaine, la Sibylle jouissait d’un rôle officiel qu’elle
n’avait jamais eu dans le monde grec. La mythologie romaine voulait que l’un ou
l’autre des Tarquins eût acheté un recueil de ses oracles à la Sibylle de Cumes, et ce
qui passait pour être cette collection, complété à diverses époques, était consulté
par un collège de prêtres à Rome, les XVviri sacris faciundis, dans les périodes de
troubles. Ces faits expliquent la présence de la Sibylle chez Virgile, dans la qua-
trième Bucolique et dans l’Énéide. Les consultations se sont faites bien plus rares
sous les empereurs qu’aux temps républicains, mais le collège des XVviri a perduré
jusqu’à la fin du 4ème siècle, et donc existait encore à l’époque de l’Inchoata Exposi-
216 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

tio (voir surtout H. BLOCH, A new document of the last pagan revival in the West,
393-394 AD, HThR 38 [1945], 199–244).
Ce rôle officiel de la Sibylle à Rome l’a rendue suspecte dès le départ aux chré-
tiens de langue latine. Beaucoup d’auteurs n’en parlent jamais, et certains y sont
très hostiles, l’associant ouvertement au paganisme romain. C’est le cas surtout
pour Paulin de Nole (carm. 19,63–68), Prudence (Contra Symmachum 2,892–895 ;
Apotheosis 438–442) et le Carmen contra Paganos (Anthologia latina 4,1). De même,
pour l’Ambrosiaster (in 1 Cor. 2,12), la Sibylle est inspirée non pas par Dieu, mais
bien par un démon, comme la Pythie. Mais les Divinae Institutiones, la vaste œuvre
apologétique de Lactance, constituent une exception notable : la Sibylle y est intro-
duite dès le premier livre (1,6,6–17), et Lactance citera 56 fois les Oracula Sibyllina,
toujours avec le plus grand respect. Il citera aussi, comme faisant autorité sur le
millénaire doré qui suivra le retour du Christ, les prophéties sibyllines qu’il croit
trouver dans la quatrième Bucolique : Poeta secundum Cumaeae Sibyllae carmina
prolocutus est [Le poète a prophétisé selon les chants de la Sibylle de Cumes] (inst.
7,24,11).
Ce poème devait en effet inévitablement interloquer les auteurs chrétiens de
langue latine. Écrit peu avant la naissance du Christ, il prédisait la naissance d’un
enfant miraculeux, qui amènerait le retour d’un âge d’or et le pardon des péchés. Or
le v. 4 du poème, que cite Augustin dans l’Inchoata expositio, annonçait justement
que cette prophétie correspondait à un oracle de la Sibylle de Cumes (mais voir n. à
3,4, Cumaeum). On pouvait alors imaginer que Virgile avait utilisé à ses propres fins
des vers sibyllins qui parlaient du Christ (nul n’admettra aujourd’hui une telle ex-
plication, mais il demeure possible que Virgile ait eu accès à des textes sibyllins de
facture juive ; voir N. HORSFALL, Virgil and the Jews, Vergilius 58 [2012], 67–80).
En fait, Lactance ne va pas aussi loin : il affirme seulement que la Sibylle de la
Bucolique parlait de l’âge d’or, et n’identifie pas l’enfant avec Jésus. En effet, la
Bucolique posait aux chrétiens latins des difficultés assez similaires à celles soule-
vées par la Sibylle : Virgile était suprême parmi les poètes classiques, et donc
païens, et tous apprenaient à l’école à interpréter la Bucolique selon les traditions
non chrétiennes, qui identifiaient l’enfant avec diverses figures historiques de
l’entourage de César-Auguste (voir A. CUCCHIARELLI [éd.] – A. TRAINA [trad.], Publio
Virgilio Marone. Le Bucoliche, Roma 2012, 237–244). Un chrétien pouvait néanmoins
prétendre que Virgile avait remodelé à ses propres fins panégyriques des vers sibyl-
lins dont il ignorait le vrai sens. Mais une telle explication tranchait avec toute la
vision traditionnelle du poète.
Cette vision était bien moins puissante dans le monde grec, et on trouve juste-
ment des tentatives d’identification de l’enfant du poème avec le Christ dans trois
textes grecs. Tous sont d’origine problématique. Le v. 7 est cité dans un sermon sur
la Nativité attribué à Théodore d’Ancyre (éd. M. JUGIE, Homélies Mariales Byzan-
tines, Patrologia Orientalis 19, Paris 1962, serm. 6,14), mais dont l’authenticité reste
à prouver. Le martyr Artémius aurait cité la Bucolique devant Julien l’Apostat, selon
Commentaire | 217

une Passion dont les phases de réécriture ne se laissent pas aisément démêler (éd.
B. KOTTER, Die Schriften des Johannes von Damaskos, vol. 5, Berlin 1988, 183–245,
§46). Et surtout, il y a l’Oratio ad Sanctorum Coetum, cet étrange discours que l’on
trouve à la fin des manuscrits de la Vita Constantini d’Eusèbe, ce qui correspond
plus au moins à la promesse faite dans cette Vita (4,29–32) de fournir un spécimen
des discours pieux dont Constantin régalait sa cour (édition critique de l’Oratio dans
GCS 7, 153–192). Si Constantin a vraiment prononcé ce discours, le texte que nous
avons serait la version grecque d’un original latin. Mais les spécialistes restent par-
tagés sur l’authenticité de l’Oratio, et à notre sens, la question est insoluble. Quoi
qu’il en soit, ce discours introduit la Sibylle comme témoin privilégié des vérités
chrétiennes (18), puis comme source de la quatrième Bucolique, qui bénéficie en-
suite d’une exégèse détaillée et confuse (19–21), mais dont il ressort au moins que
pour Constantin, ou le pseudo-Constantin, Virgile parlait du Christ, et le faisait en
connaissance de cause.
On trouve donc une utilisation chrétienne de la quatrième Bucolique dans des
textes grecs, et chez Lactance, qui écrivait dans la ville grecque de Nicomède (voir
Jérôme, De viris illustribus 80). Jusqu’à Augustin, l’Église latine ne reprend pas ce
thème, pas plus qu’elle n’accueille facilement les Sibylles. Mais, dès l’Inchoata ex-
positio, Augustin fera ces deux pas ensemble. Par la suite, il se montrera de plus en
plus ouvert envers la possibilité d’une Sibylle prophétesse du vrai Dieu (comparer c.
Faust. 13,15 et cons. euang. 1,28 avec civ. 18,23.47), et proposera à plusieurs reprises
une lecture chrétienne de certains vers de la Bucolique (epist. 258 ; 104 ; 137 ; civ.
10,27).
Cette lecture montre certains parallèles avec l’Oratio ad Sanctorum coetum. te
duce [sous ta conduite] de la Bucolique (13) est appliqué au Christ dans l’Oratio
(19,7) et quatre fois chez Augustin (epist. 104,11 ; 137,12 ; 258,5 ; civ. 10,27). Dans
l’Oratio, Virgile est appelé τὸν ἐξοχώτατον τῶν κατὰ Ἰταλίαν ποιητῶν [le plus excel-
lent des poètes de l’Italie] (19,4), ce qui rappelle poetarum quidam in Romana
lingua nobilissimus dans l’Inchoata expositio (mais voir les remarques de M. GEY-
MONAT, Un falso cristiano della seconda metà del IV secolo (sui tempi e le motivazio-
ni della « Oratio Constantini ad Sanctorum Coetum »), Aevum(ant) n. s. 1 [2001],
349–366 [358s.]). L’Oratio (19,1–3) tente de réfuter l’accusation selon laquelle les
Oracula Sibyillina sont une supercherie chrétienne en montrant (tant bien que mal)
que Virgile a écrit avant la venue du Christ. Il faut peut-être voir le même enchaine-
ment d’idées derrière l’affirmation de l’Inchoata expositio que seule la Bucolique
rend crédible les affirmations selon lesquelles la Sibylle aurait parlé du Christ. (Ou
est-ce plutôt qu’Augustin ne connaissait pas encore les Oracula Sibyllina ?)
Si Constantin a vraiment prononcé l’Oratio, Augustin a pu connaitre ce texte.
Mais on ne peut le démontrer, et certaines conceptions sur le sens chrétien de la
Bucolique devaient circuler assez largement. Il importe surtout de constater ce qui
sépare Augustin de Lactance et de l’Oratio. Augustin n’a jamais affirmé sans am-
bages que la Sibylle était une vraie prophétesse, et il n’a jamais proposé une inter-
218 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

prétation chrétienne intégrale de la Bucolique, ou identifié l’enfant à Jésus. Sa re-


marque dans l’Inchoata expositio relie l’innovatione saeculi du poème au règne du
Christ, et dans epist. 137,12, il veut que l’assyrium … amomum [amome assyrien] (25)
du poème corresponde à la vérité répandue par l’Église. Ses quatre autres utilisa-
tions de la Bucolique (epist. 104,11 ; 137,12 ; 258,5 ; civ. 10,27) sont toutes des cita-
tions des vers 13s. (te duce, si qua manent sceleris vestigia nostri, / inrita perpetua
solvent formidine terras [sous ta conduite, s’il reste des vestiges de notre crime, ren-
dus caduques, ils libéreront les terres de la peur perpétuelle]) pour parler du lave-
ment des péchés par le Christ. Mais Augustin savait très bien que te duce ne pouvait
faire référence qu’à Asinius Pollio, tout comme il admettait ouvertement le sens
politique qu’avait le poème pour son auteur (epist. 104,11 ; civ. 10,27). Sa lecture
consiste donc à identifier des bribes de prophétie, et non pas, comme le fait l’Oratio,
à montrer que Virgile a soigneusement composé un tout qui parlait du Christ sans
qu’il y paraisse.
De plus, son interprétation de la Bucolique est loin d’être centrale dans la pen-
sée apologétique d’Augustin. Certes, les trois lettres où il la déploie sont toutes
écrites à des païens, et civ. est aussi, du moins en théorie, un texte ad gentes. Mais
Augustin ne se sert pas pour autant de la Bucolique pour tenter des démonstrations
apologétiques. Il s’agit plutôt de références de passage à un texte dont la valeur était
goûtée par les lecteurs d’Augustin (voir HAGENDAHL, Augustine, 695), et qui, par le
sens nouveau qu’Augustin proposait d’y voir, pouvait leur donner une petite impul-
sion vers la conversion. Mais il n’a jamais tenté de faire de la Bucolique un argu-
ment de conversion en soi : il était bien trop prudent.
Pour autant, l’Inchoata expositio n’est pas un texte ad gentes, et la présence de
la Bucolique peut donc étonner. Nous y voyons encore l’influence de Jérôme. Celui-
ci aimait en effet parsemer ses commentaires scripturaires de citations de Virgile. On
en trouvera tous les exemples (51 passages) recueillis et commentés dans M. T. MES-
SINA, L’autorità delle citazione virgiliane nelle opere esegetiche di san Girolamo (=
Atti della Accademia nazionale dei Lincei : Memorie, s. 9, 16,4), 2003, Roma (travail
construit sur les fondations jetées par HAGENDAHL, Latin Fathers, 209–246). Cette
utilisation de Virgile par Jérôme rappelle fortement celle de son maître en gram-
maire Donat, dans son commentaire de Térence. Des versets de Virgile servent à
clarifier les sens d’un mot, à fournir une information historique ou géographique,
ou à renforcer une pensée de l’auteur. Voir in eccles. 7,28 (= MESSINA no. 40) pour un
exemple assez typique : Et quia ‘appositum est cor hominis diligenter ad malitiam ab
adolescentia’ [Gen. 8,22], et paene omnes offenderunt Deum, in hac ruina generis
humani, facilior ad casum est mulier. De qua et poeta gentilis: ‘varium et mutabile
semper femina’ [Virgile, Énéide 4,569s.] [Et, puisque ‘le cœur de l’homme s’applique
avec diligence au crime dès la jeunesse’, et presque tous ont offensé Dieu, dans cette
ruine du genre humain, la femme est plus encline à la chute. Sur elle, le poète païen
[dit] aussi : ‘la femme est un être toujours variable et changeant’]. Augustin, on le
Commentaire | 219

voit, va plus loin : sa citation ne sert ni de confirmation ni d’illustration, mais fait


partie intégrante de son argumentation (voir encore HAGENDAHL, Augustine, 695).
Si Augustin réagissait ici à Jérôme, il a peut-être déclenché une réaction inverse.
Dans son epist. 53,7, à Paulin de Nole, écrit vers la même époque que l’Inchoata
expositio, Jérôme s’était moqué de ceux qui christianisaient les vers virgiliens. Sa
cible principale est le centon de Proba (CPL 1480), qu’il cite, mais deux des vers
qu’il en tire viennent de la quatrième Bucolique. On a souvent (au moins depuis
Pierre Abélard, Sic et non 25) voulu voir dans ce passage une réaction contre
l’exégèse chrétienne du poème. Si c’est le cas (ce qui n’est pas certain), on peut y
voir plus précisément une riposte de Jérôme à Augustin.

3,3 poetarum quidam in romana lingua nobilissimus


Virgile n’est pas nommé, mais introduit par une paraphrase qui ne peut désigner
que lui.
Deux phénomènes sont à l’œuvre. D’un côté, Augustin se livre à un effet prisé
de la rhétorique antique : citer sans prononcer le nom de l’auteur de la citation (voir
L. PERNOT, La rhétorique de l’éloge dans le monde gréco-romain, Paris 1993, 728).
Quand la citation venait de Virgile (comme pour Homère chez les grecs ; voir Sé-
nèque le Jeune, epist. 58,17), il était d’usage d’employer une paraphrase à la
louange du poète. Cicéron avait ainsi cité Ennius sans le nommer : a summo poeta
[du plus grand poète] (de orat. 1,198) ; ille summus poeta noster [ce poète, le plus
grand des nôtres] (Balb. 51). Mais, après l’apparition de Virgile, c’était à lui que
s’appliquaient généralement de telles périphrases. Quelques exemples : Sénèque le
Jeune : ille vir disertissimus [cet homme très éloquent] (dial. 8,1,4) ; maximum poeta-
rum [le plus grand des poètes] (dial. 10,2,1. La citation pose problème : Voir la note
de L. D. REYNOLDS [éd.], L. Annaei Senecae Dialogorum libri duodecim, Oxford 1977,
ad loc.) ; Constantin [?] : τὸν ἐξοχώτατον τῶν κατὰ Ἰταλίαν ποιητῶν (Oratio ad
sanctorum Coetum 19,4. Voir n. précédente) ; Panegyrici Latini : magnus poeta [le
grand poète] (12,12. Comparer Cicéron comme summus orator [le plus grand orateur],
12,19, mais aussi Ennius summi poetae [du plus grand poète], 9,7) ; Orose : poeta
praecipuus [le poète excellent] (hist. 2,5,10. Mais poetae optimi [du meilleur poète]
de Lucain, hist. 6,1,29).
En même temps, en appelant Virgile poeta quidam in Romana lingua, Augustin
prend ses distances. Virgile est vu de l’extérieur : il n’est pas le poète (Augustin
aurait pu écrire poeta ille), mais un certain poète (de même civ. 10,1 ; cf. conf. 3,7 :
cuiusdam Ciceronis [d’un certain Cicéron], et, à rebours, Josèphe, écrivant pour son
public gentil, Guerre des Juifs 4,460 : ὑπὸ Ἐλισσαίου τινὸς προφήτου [par un certain
prophète Élie]) ; il n’appartient pas à notre langue, mais à la langue romaine. On
contrastera avec la tendance à appeler Virgile Virgilius / Maro n o s t e r [n o t r e Vir-
gile / Maron], usage fréquent chez certains auteurs du 1er–3ème siècle, surtout Sé-
nèque le Jeune (epist. 21,5 ; 28,1.3 ; 56,12 ; 59,3 ; 70,2 ; 84,3 ; 86,15 ; 92,9 ; 95,69 ;
104,24 ; 115,4 ; frg. apud Gell. 10 ; nat. 4b,4,2 ; 6,13,5 ; 6,22,4 ; frg. 113) et Columella
220 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

(2,2,84 ; 9,2,640 ; 9,4,644), mais aussi Aulu-Gelle (12,1,20) – on trouve aussi poeta
noster [notre poète] (Columella 1,3,38 ; 2,8,104 ; 7,5,520). Cette habitude a dû perdu-
rer chez les païens, mais nous avons très peu de leurs écrits jusqu’à la fin du 4ème
siècle, où elle réapparait en effet : Macrobe, sat. 1,24,16–17.24 ; 2,1,1 ; 3,5,5 ; 3,12,4 ;
5,3,16 ; 6,1,2 ; Ausone, Commemoratio 22,5 ; Cupido cruciatus 1 ; epist. 1 ; Origo gen-
tis Romanae 7,4 ; Martianus Capella 3,266. Par contre, chez les chrétiens, si imbus
fussent-ils de Virgile, un tel langage était généralement évité. Lactance, souvent à
l’écart de la culture cléricale, appellera bien Virgile poeta noster (inst. 1,5,19), nos-
trorum primus Maro [Maron, le premier des nôtres] (inst. 1,5,11), noster Maro [notre
Maron] (inst. 1,13,12). Mais Paulin de Nole est plus représentatif : Virgile est poeta
non nostri iam studii [le poète qui désormais ne relève plus de notre zèle] (epist.
22,3). De même, Rufin reproche (à tort) à Jérôme l’utilisation d’un tel langage : Re-
legantur nunc, quaeso, quae scribit: si una operis eius pagina est, quae non eum ite-
rum ciceronianum pronuntiet, ubi non dicat: ‘sed Tullius noster’, ‘sed Flaccus noster et
Maro’ [Qu’on relise, s’il vous plaît, ce qu’il écrit. Y a-t-il une seule page de son
œuvre, qui n’annonce pas de nouveau qu’il est cicéronien, où il ne dit pas ‘mais
notre Tullius’, ‘mais notre Flaccus et Maron’] (apol. adv. Hier. 2,7, en référence à
Jérôme, epist. 22,30). En vérité, Jérôme, quand il nommait Virgile, le faisait soit en
langage neutre, soit en l’appelant gentilis poeta [le poète païen] (HAGENDAHL, Latin
fathers, 305s. nostri Flacci [notre Flaccus] dans la préface à la traduction du Job
hébreu n’est noster qu’en contraste avec graeci Pindari [le grec Pindare]). De même,
pour Ambroise, Virgile est quidam poeta [un certain poète] (Abr. 1,19,82 – noter le
parallèle avec notre passage de l’Inchoata expositio) ou quidam [un certain homme]
(Abr. 2,1,4), ou placé parmi les adversariis [adversaires] (in psalm. 43,17) et les gen-
tiles homines [hommes païens] (spir. sanct. 2,5,36) (passages recueillis par A. V.
NAZZARO, La presenza di Virgilio in Ambrogio, dans : G. MAZZOLI et F. GASTI [éds.],
Prospettive sul tardantico, Como 1999, 91–108. Le même auteur note, dans Enci-
clopedia Virgiliana s.v. Ambrogio, que ces quatre passages sont les seuls des 418
citations de Virgile chez Ambroise où la source soit désignée de quelque façon que
ce soit). Augustin lui aussi, en visant les païens, appellera Virgile eorum poeta [leur
poète] (civ. 15,9 ; voir aussi serm. 198(augm),34), poeta ille v e s t r a r u m clarissimus
litterarum [ce poète, le plus célèbre dans v o s lettres] (epist. 91,2) ou Virgilio t u o
[t o n Virgile] (epist. 17,2), une phraséologie sans doute influencée par Act. 17,28, ὡς
καί τινες τῶν καθ’ ὑμᾶς ποιητῶν εἰρήκασιν [comme l’ont dit aussi certains des
poètes parmi vous] (voir n. à 3,4, in Actibus).
Cependant, comme le montre notre passage de l’Inchoata expositio, Augustin
est bien plus hardi que ses contemporains chrétiens. Une fois, il appellera bien Vir-
gile poeta noster (c. acad. 3,9), même s’il indique qu’il y a là une concession à Licen-
tius, féru de poésie. Mais Augustin l’était-il moins, lui qui nous a laissé les pages les
plus émouvantes de toute l’Antiquité sur la lecture de Virgile (conf. 1,20s.), qui dans
sa première œuvre chrétienne se met en scène in recensione primi libri Virgilii [dans
la critique du premier livre de Virgile] (c. acad. 1,15), et qui expliquera bientôt que
Commentaire | 221

l’enseignement de Virgile peut apprendre comment enseigner la Bible (util. cred.


12s.) ? Bien entendu, la position fondamentale d’Augustin chrétien reste celle qu’il
exprimera dans vera relig. 100 : Omissis igitur et repudiatis nugis theatricis et poeti-
cis, divinarum scripturarum consideratione et tractatione pascamus animum [Il nous
faut donc laisser et répudier les bagatelles du théâtre et de la poésie, et nourrir notre
âme par la considération et l’explication des Écritures divines]. Mais il ne tentera
jamais d’interdire la lecture du poète, ni de déclarer, comme Jérôme, qu’il ne le lit
plus. Et, même quand, dans civ., il s’attaque à travers lui à toute la culture romaine,
il n’hésitera pas à lui rendre hommage : celui qui est nobilissimus dans l’Inchoata
expositio reste magnus, omnium praeclarissimus atque optimus, summus [grand, le
plus illustre et le meilleur de tous, le plus grand] (HAGENDAHL, Augustine, 457s. ;
ajouter locutor egregius [orateur prééminent], in psalm. 118,29,3). Toutefois, il ne
faut pas non plus réduire ces louanges à des élans désintéressés d’enthousiasme :
que Virgile soit cité comme témoin contre les païens dans civ., ou pour le christia-
nisme, comme dans l’Inchoata expositio, les titres que lui donne Augustin servent
aussi à renforcer le poids de son témoignage (le même épithète que dans l’Inchoata
expositio, nobilissimus, est employé quand il cite la quatrième Bucolique en civ.
10,27).
Du reste, l’étude de Virgile chez Augustin n’est pas à faire. HAGENDAHL, Augus-
tine, recueille (316–376) et analyse (384–463) toutes les références au poète dans le
corpus augustinien, et son travail fut suivi de celui, plus méditatif, de S. MACCOR-
MACK, The Shadows of Poetry: Vergil in the Mind of Augustine, Berkeley 1998.
Pour la question des citations attribuées et anonymes chez Augustin, on consul-
tera pour les auteurs païens HAGENDAHL, Augustine, 697–701 : Augustin tend à ne
pas attribuer une citation quand ce qu’il cite est vu comme représentatif d’une pen-
sée séculaire, plutôt qu’important en tant que c e passage de c e t auteur (comme
dans l’Inchoata expositio).

3,3 concinere et convenire


Concinere : littéralement « chanter ensemble ». Le mot est employé métaphorique-
ment dès Cicéron et Varron, mais le sens littéral reste vigoureux (comparer ThLL s.v.
A et B. concinentia est employé assez littéralement en Inchoata expositio 13,2). C’est
sans doute pourquoi Augustin, qui l’affectionne (83 exemples de concino et dérivés
sur LLTA), tend à y ajouter un synonyme, ici convenire. De même in psalm. 72,21 :
Cui filiorum tuorum c o n c i n u i ? id est: cui congrui? Cui accommodatus sum? [Avec
lequel de tes fils ai-je été en correspondance’ [concinui]? C’est-à-dire, avec lequel ai-
je été en accord [congrui] ? Auquel me suis-je accommodé ?] Et comparer trin. 4,4
(CCSL 50, 164,19–21): haec enim congruentia (sive convenientia vel c o n c i n e n t i a vel
consonantia commodius dicitur) [cette congruence (ou fait-on mieux de l’appeler
« concinence » ou consonance ?)].
concinere est employé ici à propos de l’accord de sens entre la quatrième Buco-
lique et des événements de l’histoire sacrée. Très similaire est l’emploi fréquent du
222 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

mot et de ses dérivés par Augustin pour désigner l’accord entre l’Ancien et le Nou-
veau Testament : Potuitne quidquam magis concinere his testimoniis novi testamenti,
quam illud quod in veteri dictum est? [Est-ce que quelque chose pouvait correspondre
[concinere] plus à ces témoignages du Nouveau Testament que ce qui est dit dans
l’Ancien ?] (mor. eccl. 57 ; cf. ibid. 15.46) ; ita duo testamenta fideliter concordantia
sacratam concinunt veritatem [Ainsi les deux Testaments, en concordance fidèle,
font correspondre [concinunt] la vérité sacrée] (epist. 55,29) ; concinunt nova vete-
ribus, vetera novis … audiatur vox c o n c i n e n t i u m testamentorum, non calumnian-
tium exheredatorum [Le nouveau correspond [concinunt] à l’ancien, l’ancien au nou-
veau … que l’on entende la voix des Testaments en correspondance [concinentium],
et non celle des calomniateurs déshérités] (in psalm. 49,4 ; voir aussi in Gal. 61 ; c.
Faust. 13,18 ; c. Cresc. 4,64, et, pour l’idée, AugLex s.v. congruentia testamentorum.
Depuis Clément d’Alexandrie, les Pères grecs parlaient déjà souvent d’une
συμφωνία [concordance] des deux Testaments. Voir Lampe s.v. συμφωνία,
σύμφωνος, et ajouter, pour συμφωνέω, Origène, comm. in Matth. 14,4 [GCS 40,
280s.]).

3,4 Cumaeum autem carmen sibyllinum esse nemo dubitaverit


Cette glose (que l’on retrouve en epist. 258,4) est nécessaire pour deux raisons.
D’abord, la Sibylle n’est pas autrement mentionnée dans la quatrième Bucolique
que par la référence initiale au Cumaeum carmen. Or l’Inchoata expositio est un
commentaire scripturaire, écrit pour un public ecclésiastique qui n’avait pas forcé-
ment une grande culture classique : certains lecteurs avaient besoin de la précision
que Cumaeum désignait la Sibylle de Cumes (pour les détails, voir Enciclopedia
Virgiliana s.v. Cuma). Ensuite – comme il arrive souvent quand on affirme qu’une
chose est « sans doute » vraie – il existait en réalité des doutes sur le sens de Cu-
maeum. Une autre tradition exégétique associait le mot à Hésiode : Quidam interpre-
tantur ‘Cymaei’ Sibyllam, quod fuerit illa Cumaea, quae futura praedixit. Verum poeta
veriorem historiam secutus est. Cymaeum Hesiodi carmen dicit. Cyma enim in Asia est,
quam reiecta Ascra, civitate sua, posteriore tempore aetatis suae incoluit, in qua
eadem carmina Hesiodus se scripsisse testatur, et de saeculis refert; quem imitatur
poeta scribens saeculis futura tempora meliora [Certains expliquent ‘Cymaei’ par la
Sibylle, à cause de celle de Cumes, qui a prédit l’avenir. Mais le poète a suivi une
histoire plus authentique. Il parle du poème cuméen d’Hésiode. En effet, Cyma est
en Asie. Ayant rejeté Ascra, sa ville, il y habita par la suite, et c’est là que poète Hé-
siode témoigne qu’il a écrit ces mêmes poèmes, et il y parle des âges. C’est lui
qu’imite le poète en écrivant que dans les âges [à venir] il y aura des temps meil-
leurs] (Philargyrius, ad loc.) ; ‘Cumaei carminis’: Hesiodi, a patre Dio, qui Cumaeus
fuit. Hesiodus autem libris suis quattuor saeculorum facit mentionem [‘chant cu-
méen’ : d’Hésiode, de son père Dion, qui fut Cuméen. Or, dans ses livres, Hésiode
fait mention de quatre âges] (Ps.-Probus ad loc. On trouvera ces deux textes dans :
G. THILO [éd.], Servii Grammatici qui feruntur in Vergilii Bucolica et Georgica com-
Commentaire | 223

mentarii, Leipzig 1927, 73s. ; 331). La référence est à Hésiode, Opera 635–640. Phi-
largyrius ou sa source s’est fourvoyé : c’est bien le père d’Hésiode qui est dit venir de
Κύμη en Asie Mineure (pour cette ville, voir RE s.v. Kyme, 2). Cette exégèse a été
défendue par G. RADKE, Vergils Cumaeum carmen, Gymnasium 66 (1959), 217–246,
mais elle est généralement rejetée par les érudits (voir R. COLEMAN, Vergil : Eclogues,
Cambridge 1977, 130).
Avant d’en terminer avec la Sibylle, rassurons quelque peu le lecteur qui verra
dans son évocation ici un des excès de l’exégèse patristique, déterminée à trouver
un sens profond dans chaque mot de la Bible. C’est déjà une telle réaction que l’on
trouve dans l’étude sibylline, du reste très pieuse, de Charles Alexandre : « Haec
quam frigide, quam indigne tanto viro dicta sint, quid opus est admonere ? Nam
illud quidem ‘per prophetas suos in scripturis sanctis’ cum aliquo respectu ad Sibyl-
lina scripta fuisse a divo Paulo, quis credat ? Sapit hoc (pace sit dictum sancti viri)
argutiam commentatoris parati quidvis potius quam nihil e singulis auctoris sui
voculis expiscari » [Il n’y nul besoin de faire remarquer à quel point ce qui est dit ici
est fade et indigne d’un homme si instruit. Qui pourrait croire que ces mots, ‘par ses
prophètes dans les Écritures saintes’, furent dits par Paul en songeant un tant soit
peu aux écrits Sibyllins ? On y ressent (sauf le respect dû au saint homme) le com-
mentateur ingénieux, prêt à dire n’importe quoi, plutôt que de ne rien tirer de
chaque syllabe de son auteur] (Oracula Sibyllina: volumen alterum, Paris 1856, 285 ;
voir aussi Introduction, 1.10, mais contraster n. à 7,2).

3,4 in Actibus apostolorum loquens Atheniensibus


On avait constaté depuis longtemps qu’en citant Aratus (Phainomena 5), dans Act.
17,28, Paul indiquait que l’on pouvait trouver des vérités valables pour les chrétiens
dans les textes païens. Clément d’Alexandrie, selon ses habitudes, souligne
l’attitude positive de Paul envers la sagesse grecque : ἐξ ὧν δῆλον ὅτι καὶ ποιητικοῖς
χρώμενος παραδείγμασιν ἐκ τῶν Ἀράτου Φαινομένων δοκιμάζει τὰ παρ’ Ἕλλησι
καλῶς εἰρημένα, καὶ διὰ τοῦ ἀγνώστου θεοῦ [Act. 17,23] τιμᾶσθαι μὲν κατὰ περί-
φρασιν πρὸς τῶν Ἑλλήνων τὸν δημιουργὸν θεὸν ᾐνίξατο [Par là, il est clair que, en
utilisant aussi des exemples poétiques des Phainomena d’Aratus, il approuve ce qui
a été bien dit par les Grecs, et il a laissé entendre que le dieu créateur est honoré par
les Grecs sous la périphrase du ‘dieu inconnu’] (Stromates 1,91). Origène est plus
réservé : il note seulement la capacité qu’a Paul de parler aux païens dans un lan-
gage qui leur convient, devenant ainsi ‘τοῖς ἀνόμοις ὡς ἄνομος’ (1 Cor. 9,21) [comme
un homme sans loi pour ceux qui sont sans loi], mais déformant le sens original
d’Aratus, qui en fait parlait de Zeus : εὐσέβειαν μαρτυρῶν τοῖς ἀσεβεστάτοις καὶ τῷ
εἰπόντι ‘ἐκ Διὸς ἀρχώμεθα’ [Arat. 1]· ‘τοῦ γὰρ καὶ γένος ἐσμέν’ καταχρήσαμενος πρὸς
ὃ ἐβούλετο [Il rend témoignage à la piété des plus impies, et exploite à ses propres
fins celui qui dit : ‘commençons par Zeus’ ; ‘car nous sommes aussi de sa race’] (Jo.
10,7,30 ; voir aussi hom. in Lc. 31 [GCS 352, 176] et la glose sur 1 Cor. 9,21 en JThS 9
[1908], 513). On retrouve l’accent mis sur le public chez Ambroise : sic interdum
224 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

etiam apostolus suadet incredulis nec versus refugit poeticos ut fabulas destruat
poetarum [ainsi parfois même l’apôtre convainc les non-croyants, et ne recule pas
devant les vers poétiques, pour détruire les fables de poètes] (in Luc. 6,108). De
même, en commentant l’autre citation païenne de Paul, en Tit. 1,12, Jérôme (in Tit.
ad loc.) et Jean Chrysostome (hom. in Tit. 3,1 [PG 62, 675–678]) insistent sur le fait
que l’apôtre n’approuvait nullement de telles citations dans leur contexte original,
et Chrysostome affine quelque peu l’idée d’Origène sur la déformation d’Aratus : οὐ
τὰ περὶ τοῦ Διὸς εἰρήμενα εἵλκυσεν εἰς τὸν Θεόν, ἀλλὰ τὰ προσήκοντα τῷ Θεῷ, καὶ
οὐ γνησίως οὐδὲ κυρίως ἐπιτεθέντα τῷ Διί, ταῦτα ἀποδίδωσι τῷ Θεῷ [Il n’a pas
trainé vers Dieu ce qui fut dit de Zeus. Plutôt, il rend à Dieu ce qui, convenant à
Dieu, fut appliqué contre nature et improprement à Zeus]. Mais en même temps, ces
citations de Paul pouvaient servir aux auteurs chrétiens pour justifier leur propre
réemploi d’auteurs païens : ainsi, par exemple, Ambroise, fid. 3,1,3s. ; Jérôme, epist.
70,2 ; Socrate, Histoire Ecclésiastique 3,16.
Ni ici ni ailleurs, Augustin ne diverge fondamentalement du point de vue établi
par Origène : Paul a parlé en sachant parfaitement que les écrits païens sont super-
stitiosae idolatriae plenissimas (3,5). Cependant, qu’il ait connu ou pas son con-
texte original, Augustin se rapproche de Clément, et s’éloigne des autres textes cités
ci-dessus, en voyant dans la citation d’Aratus une vérité authentique trouvée par les
païens : Sapientes gentium quod invenerint creatorem, manifeste idem apostolus, cum
Atheniensibus loqueretur, ostendit [Que les sages des gentils ont trouvé le créateur,
ce même apôtre le montra ouvertement, quand il parlait aux Athéniens] (in Rom. 3) ;
pervenerant enim ad cognitionem Dei [car ils étaient arrivés à la connaissance de
Dieu] (serm. 198(augm),29) ; rem magnam de Deo [une grande chose sur Dieu] (civ.
8,10) ; ex illa veritate est, quam et illi impii simulacrorum cultores in iniquitate deti-
nent, qui cognoscentes Deum non sicut Deum glorificaverunt [Cela vient de cette véri-
té, que même ces adorateurs impies des images détiennent, dans l’injustice – eux
qui, tout en connaissant Dieu, ne l’ont pas glorifié comme Dieu] (un. bapt. 6). Ce
dernier passage contient une allusion à Rom. 1,18.21, et en fait tous les passages que
nous venons de citer relient la citation d’Aratus à Rom. 1,18–25. En effet, plus il
rehaussait la valeur de la citation d’Aratus, plus celle-ci pouvait servir d’exemple de
la connaissance de Dieu acquise, mais gâchée, par les païens, ce dont parle Paul
dans l’épître aux Romains. Si Augustin n’a pas fait le rapprochement ici aussi, c’est
sans doute qu’il le réservait pour son commentaire de la suite de Rom. 1.

4,1 Les prophètes non juifs et non idolâtres


Il n’est pas facile de déterminer précisément à quoi pense Augustin. Mais tentons de
cerner la question, en voyant qui, pour lui, n’était ni Juif ni idolâtre avant l’ère chré-
tienne.
(a) Tout d’abord, il y avait certains exemples dans la Bible : Nec ipsos Iudaeos
existimo audere contendere neminem pertinuisse ad Deum praeter Israelitas … Popu-
lus enim re vera, qui proprie Dei populus diceretur, nullus alius fuit; homines autem
Commentaire | 225

quosdam non terrena, sed caelesti societate ad veros Israelitas supernae cives patriae
pertinentes etiam in aliis gentibus fuisse negare non possunt [Je ne pense pas que les
Juifs eux-mêmes osent prétendre que personne n’a appartenu à Dieu en dehors des
Israélites … De fait, il n’y avait pas d’autre peuple, qui était proprement appelé le
peuple de Dieu, mais ils ne peuvent nier qu’il y a eu aussi parmi les autres peuples
certains hommes qui, par une alliance non pas terrestre mais céleste, faisaient par-
tie des vrais Israélites, des citoyens de la cité d’en haut], écrit Augustin en civ. 18,47.
Il donne l’exemple de Job, auquel il ajoutera en serm. 198(augm),38 Melchisédech.
Assurément, de telles figures ne sont ni juives ni idolâtres, mais Augustin insiste
aussi dans ces passages sur le fait qu’ils ont bénéficié d’une révélation divine. Il est
donc hors de question qu’Augustin indique dans l’Inchoata expositio qu’il faut,
selon Paul, se détourner de leurs prophéties : dans le cas de Job, il s’agirait même de
rejeter un livre de la Bible hébraïque.
(b) Faut-il penser aux Samaritains ? Ils figurent en effet dans l’Inchoata exposi-
tio (15,7–10 ; voir n. à 15,7). Mais Augustin les a parfois considérés comme idolâtres
(voir n. à 13,3–6), et il serait impossible de les appeler remotos atque alienos a
gente Iudaeorum.
(c) Dans l’ornière de la tradition apologétique (voir SChr 507, 139 n. 3), Augustin
a plusieurs fois affirmé que les philosophes, principalement les platoniciens, se sont
approchés de la connaissance du Dieu unique : Si hanc vitam illi viri nobiscum rursus
agere potuissent, viderent profecto cuius auctoritate facilius consuleretur hominibus,
et paucis mutatis verbis atque sententiis christiani fierent [Si ces hommes pouvaient
vivre cette vie une seconde fois, en notre compagnie, ils verraient certainement par
quelle autorité on peut plus facilement aider les hommes, et, en changeant peu de
mots et de sentences, ils deviendraient chrétiens] (vera relig. 23 ; voir aussi c. acad.
3,37–42 ; soliloq. 1,9 ; civ. 6,10 ; 8,6.9 ; epist. 164,4). Et pourtant, il ne manque ja-
mais de les condamner, soit qu’ils aient continué à pratiquer l’idolâtrie dont ils
savaient la vanité (Platon et Socrate en vera relig. 4–7 ; Sénèque en civ. 6,10 ; Pla-
ton, Aristote et tous les platoniciens en civ. 8,12), soient qu’ils aient eu la présomp-
tion de croire que la philosophie seule leur suffisait pour accéder à Dieu (serm.
198(augm),36 : l’exemple donné est Pythagore). Ce débat n’est pas purement histo-
rique : tout le serm. 198(augm) fut prononcé contre les philosophes païens contem-
porains qui rejetaient l’accusation d’idolâtrie : Nos, inquiunt, non simulacra colimus,
sed quod per simulacrum significatur [Nous n’adorons pas les images, disent-ils,
mais ce qui est signifié à travers l’image] (16 ; voir aussi doctr. christ. 3,26s. et n. à
15,3, de ipso Deo Patre).
Le problème est encore de savoir si ces philosophes peuvent aussi être identifiés
avec prophetas aliquos remotos atque alienos a gente Iudaeorum, chez qui on
trouverait le Christi nomen (4,2 ; contraster conf. 3,8). Des figures quasi-mythiques,
tels qu’Orphée (voir n. à 3,3, fuerunt enim), sinon Pythagore, peuvent sans doute
être situées à la charnière entre prophétie et philosophie. Mais il est beaucoup plus
difficile de voir Platon et ses disciples dans cette position, même si Clément
226 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

d’Alexandrie avait voulu voir dans République 362a une prophétie de la Crucifixion
(Stromates 5,108 ; repris par Eusèbe, Praeparatio evangelica 12,10,4 ; 13,13,35). Il ne
semble donc pas qu’Augustin fasse allusion ici à des philosophes, bien que la
longue tradition chrétienne de recueillir des témoignages philosophiques fasse sans
doute partie de l’arrière-plan de sa pensée : l’existence chez les païens d’une philo-
sophie quasi-monothéiste, dont Augustin n’a jamais douté, rendait plus probable
l’existence d’une prophétie du même genre.
(d) Cette prophétie était aussi probable d’un point de vue historique. Idolum ali-
quamdiu retro non erat. Priusquam huius monstri artifices ebulissent, sola templa et
vacuae aedes erant [Dans le passé, pendant bien longtemps, il n’y avait pas
d’idolâtrie. Avant qu’eussent jailli les créateurs de cette monstruosité, il y avait
seulement des temples et des sanctuaires vides], écrit Tertullien (De Idololatria 3).
C’est là l’entrée en scène, pour l’Église latine, d’un postulat cher aux penseurs chré-
tiens : que la religion primitive des nations n’était pas idolâtre. Deux théories an-
tiques étaient les principaux étais de cette idée. L’Évhémérisme, qui trouvait un
appui scripturaire (Sap. 14,12–21), maintenait que les dieux traditionnels étaient des
êtres humains honorés après leur mort, et que l’on avait fini par confondre avec des
dieux (voir RAC s.v. Euhemerismus, B pour l’Évhémérisme chrétien. On trouvera
aussi un exposé très clair de cette doctrine chez Isidore de Séville, Etymologiae [ce
RAC du 7ème siècle] 8,11,1–10). Une deuxième approche, plus complexe, et que l’on
associe généralement à Possidonius, voulait que les sculpteurs eussent fait des
idoles en forme humaine comme une espèce de propédeutique, qui aiderait les
hommes à concevoir le(s) dieu(x) invisible(s) (voir J. H. WASZINK – J. M. C. WINDEN
[éds.], Tertullianus. De Idololatria, Leiden 1987, 104–106, s’appuyant sur Dion de
Pruse, Oratio 12,56–61. Ajouter Philostrate, Vita Apolloni 6,19 et Prudence, Contra
Symmachum 2,39–58).
C’est surtout dans civ. qu’Augustin mettra en valeur la dimension historique de
ces idées. Il y consacre finalement peu d’espace à l’Évhémérisme, bien qu’il juge ses
doctrines probables (civ. 7,18.27 ; 18,24), mais il s’intéresse beaucoup à la deuxième
théorie, au point d’en être pour nous une des sources principales. C’est qu’il l’avait
connue chez Varron, qui affirmait qu’à Rome même l’idolâtrie ne faisait pas partie
de la religion primitive (civ. 4,31 ; 7,5 + les idées similaires tirées de l’Asclépius,
8,24s.). À l’époque de l’Inchoata expositio, réécrire l’histoire religieuse de Rome
n’était certes pas encore le souci d’Augustin. Mais il avait déjà plusieurs fois noté
que l’idolâtrie n’était pas la seule possibilité de culte chez les païens. On trouvera
l’exposé le plus complexe de cette thèse en vera relig. 190–196, sur le schéma d’un
déclin plus ou moins chronologique dans le choix de l’objet d’adoration : summus
Deus [Dieu très haut] → anima [âme] → vita genitalis [vie générative] → corpora
[corps] (les corps célestes ou mundus totus [univers entier]) → simulacra [représenta-
tions] (l’idolâtrie) → phantasmata sua [leurs illusions] (voir n. suivante) → nihil [rien]
(pour des parallèles grecs, voir Origène, Jo. 2,3.25–27 ; Eusèbe, Laus Constantini 13).
« plus ou moins chronologique », car la perspective n’est pas historique et les étapes
Commentaire | 227

pouvaient avoir lieu simultanément en divers endroits, ou se reproduire même au


sein d’un individu (dans vera relig., Augustin pense dans une certaine mesure à lui-
même, et à Romanianus, destinataire du traité, dans leurs rapports avec le Mani-
chéisme). De même, les schémas un peu moins détaillés de in Gal. 32 ; doctr. christ.
1,15 ; 2,74–91 ; in psalm. 78,9 ne sont pas clairement temporels. Mais tous ces textes
établissaient la possibilité que des peuples ou des individus païens mais non ido-
lâtres aient existé avant la naissance du Christ. C’est parmi eux qu’il faut chercher
les prophètes non idolâtres de l’Inchoata expositio.
(e) Si ces prophètes pouvaient exister, il fallait les mentionner, pour les exclure
aussi de l’exégèse paulinienne. N’est-ce là qu’une possibilité théorique, ou Augustin
fait-il allusion à des figures spécifiques ? Il pourrait s’agir encore de la Sibylle, dont
il dira plus tard : Haec autem … ita nihil habet in toto carmine suo … quod ad deorum
falsorum sive fictorum cultum pertineat [Ainsi, celle-ci … n’a rien dans tout son
poème … qui relève du culte des dieux faux ou imaginaires] (civ. 18,23). Cette phrase
se termine ut in eorum numero deputanda videatur, qui pertinent ad civitatem Dei [si
bien qu’il semble qu’il faut la compter parmi ceux qui appartiennent à la cité de
Dieu], mais il semble qu’à l’époque de l’Inchoata expositio, Augustin n’avait pas lu,
ou n’avait que peu lu, les Oracula Sibyllina, et la Sibylle était encore pour lui fer-
mement païenne : en c. Faust. 13,15, elle est rangée parmi les prophètes qui suos
congentiles populos idola et daemonia colenda partim docere ausi sunt, partim prohi-
bere non ausi sunt [qui parfois ont osé enseigner aux peuples gentils comme eux
qu’il fallait adorer les idoles et les démons, parfois n’ont pas osé l’interdire]. Est-ce
alors plutôt le mage Hystaspe (voir n. à 3,3, fuerunt enim), puisque les anciens
croyaient depuis Hérodote (1,131) que les Perses n’étaient pas idolâtres ? Ou
s’agirait-il d’Épiménide, que Paul, en le citant en Tit. 1,12, avait appelé ἴδιος αὐτῶν
προφήτης [leur propre prophète]? C’était une figure bien obscure (voir RE s.v.
Epimenides, 2), et Augustin se sentait peut-être incapable d’exclure qu’il ait été non
idolâtre. Mentionnons encore la tradition qui voulait que les rois mages de
l’Évangile eussent eu accès aux prophéties de Balaam, que l’on associait de diverses
manières à Zoroastre, qui pourrait alors être un prophète païen non idolâtre (sur
cette tradition, voir, pour les Grecs, Origène, Cels. 1,59s. et la n. de SChr 132, ad loc. ;
pour les Latins, l’Ambrosiaster = Ps.-Aug. quaest. test. 63 [CSEL 50] ; Ambroise, in
Luc. 2,48 ; Jérôme, in Matth. ad 2,2 ; pour les Églises d’Orient, SChr 523, 186s. n. 1 ; §7
de l’Évangile arabe de l’enfance du Christ, avec la n. ad loc. dans la tradution de M.
ERBETTA, Gli Apocrifi del nuovo testamento: Vangeli I.2, Milano 1981).
(f) MARA (Agostino Interprete, 167 n. 12), sur la base de conf. 3,10 et c. Faust.
13,18, affirme qu’Augustin fait référence ici aux écrits manichéens, puisque l’on y
trouvait le nom du Christ (4,2, Christi nomen). Pour l’utilisation par les Manichéens
de (pseudo-)prophéties, voir J. C. REEVES, Heralds of That Good Realm, Leiden 1996,
1–30 : il est vrai que les Manichéens comptaient, du moins parfois, Zoroastre, Boud-
dha, Platon et Hermès Trismégiste parmi les précurseurs du Christ et de Mani. Mais
(1) les Manichéens semblent en tout cas s’être surtout intéressés aux apocalypses
228 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

juives ; (2) au-delà de ce qu’en dit Faustus (c. Faust. 13,1), Augustin ne semble pas
avoir connu ces traditions de prophéties manichéennes qui ne dérivaient pas de
Mani. Par contre, il est certain que les Manichéens, puisqu’ils rejetaient l’Ancien
Testament, étaient parmi les plus susceptibles d’être attirés par les traditions pro-
phétiques hétéroclites dont il s’agit ici (voir aussi n. à 3,3, fuerunt enim ; n. suivante,
et comparer Pélage, s’inspirant d’Augustin, dans in Rom. ad loc. : Ipsos adserit Dei
prophetas esse et illas scripturas sanctas quae de Christo antea cecinerunt [cf. 3,3,
quae de Christo audita cecinerunt]. Verum totus hic locus contra Manichaeos facit, ubi
dicit quod ante evangelium Dei sit promissum et per prophetas Dei et in sanctis scrip-
turis et quod Christus secundum carnem ex David stirpe, id est Maria virgine, sit
creatus [Il affirme que les prophètes de Dieu et les Écritures saintes sont ceux qui
ont chanté auparavant du Christ. Mais tout ce passage est contre les Manichéens, où
il dit que l’Évangile de Dieu fut promis auparavant et par les prophètes et dans les
Écritures saintes, et que le Christ fut créé selon la chair de la souche de David, c’est-
à-dire de la vierge Marie] [A. SOUTER (éd.), Pelagius’s Expositions of Thirteen Epistles
of St Paul, t. 2, 8, Cambridge 1922–1931]).
En fin de compte, il est inutile de rechercher trop de précision là où Augustin a
choisi d’être vague. Ses réflexions, et la tradition écrite ou orale, lui enseignaient
que toutes les prophéties païennes qui pouvaient servir aux chrétiens n’étaient pas
forcément superstitiosae idolatriae plenissimas. L’important n’était ni d’enquêter sur
ces prophéties ni de les cataloguer, mais de les écarter.

4,1 nam simulacris phantasmatum suorum sectatores suos omnis error illudit
Pour le sens de phantasmata, voir l’analyse de la fonction de l’imagination dans la
pensée augustinienne chez O’DALY, Augustine’s Philosophy, 106–130. Augustin
distingue souvent (e.g. mus. 6,32 ; trin. 8,9 ; 9,10) entre phantasia et phantasma. La
première est l’imagination « reproductive », qui rend présent à notre esprit ce que
nous avons senti et vécu. Le second est l’imagination « créative », qui se sert de ce
que nous avons senti et vécu pour nous présenter ce que nous ne connaissons pas
(l’exemple donné en trin. 8,9 est celle d’Augustin s’imaginant Alexandrie à partir de
ce qu’il connait de Carthage). Notre volonté nous permet de contrôler nos phantasiai
et phantasmata, mais ceux-ci peuvent aussi se présenter à notre esprit indépen-
damment de la volonté, dans la pensée quotidienne, puis dans les rêves, les extases,
les visions. La distinction phantasmata – phantasiai a des bases stoïciennes et peut-
être néoplatoniciennes, mais telle quelle, ne se retrouve que chez Augustin, qui lui-
même ne l’a pas toujours respectée.
O’Daly ne s’interroge pas sur le choix du mot phantasma. En grec, φάντασμα si-
gnifie à l’origine « apparition, fantôme » (Mt. 14,26 : οἱ δὲ μαθηταὶ ἰδόντες αὐτὸν ἐπὶ
τῆς θαλάσσης περιπατοῦντα ἐταράχθησαν λέγοντες ὅτι φάντασμά ἐστιν [les dis-
ciples, le voyant marcher sur la mer, furent troublés, disant que c’était un fantôme]).
Selon LSJ s.v. Platon l’utilise comme synonyme de φαντασία, dans ses divers sens,
dont le plus proche de celui voulu par Augustin serait : « imagination, i.e. the re-
Commentaire | 229

presentation of appearances or images, primarily derived from sensation » (LSJ s.v.


φαντασία 2.a). En latin classique, phantasma apparait seulement une fois, chez
Pline le Jeune, epist. 7,27,1, pour désigner un fantôme. Le mot devient beaucoup
plus courant dans le latin des chrétiens (voir ThLL s.v.), pour désigner les fantômes
(on lit encore phantasma en Mt. 14,26 dans la Vulgate), les illusions, et cette illusion
par excellence qu’est le Christ des Docétistes, ce dernier usage étant importé du grec
des chrétiens (voir Lampe s.v. φάντασμα). Par contre, le développement du mot en
latin pour désigner plus largement des activités de l’imagination n’a pas son paral-
lèle chez les Pères grecs. Comparer Lampe, loc. cit. avec ThLL s.v. phantasma, II, et
surtout II.2.b, où l’on voit le rôle primordial d’Augustin : il est le premier et le prin-
cipal auteur à utiliser phantasma « de imaginibus … quae res externas sensibus
perceptas in animo reddunt » [des images … qui reproduisent dans l’esprit les
choses externes perçues par les sens]. ThLL est moins précis qu’O’Daly, mais ajoute
une parenthèse utile : « et animum male irritant, depravant » [et ils excitent l’esprit
vers le mal, le corrompent]. En effet, si les phantasmata produits par l’imagination
n’étaient pas forcément trompeurs ou coupables, le choix de les désigner par un mot
à connotations très négatives (fantômes, illusions suscitées par les démons, le faux
Christ docétiste) reflète bien la méfiance profonde d’Augustin envers l’activité libre
de l’imagination.
De fait, fidèle à son titre (Augustine’s Philosophy of Mind) O’Daly loc. cit. s’est
essentiellement intéressé à dégager une vue d’ensemble de la philosophie augusti-
nienne de l’imagination. Par conséquent, il se concentre largement sur des textes
tardifs (surtout trin. et gen. ad litt.), où l’approche d’Augustin est plutôt théorique.
Mais, dans les années précédant l’épiscopat, la conception du phantasma est utili-
sée surtout à des fins polémiques, tout comme dans l’Inchoata expositio. Ce qui
intéresse Augustin dans ces textes n’est pas la fonction de l’imagination en soi, mais
comment l’imagination conduit, par le chemin du péché, à l’erreur.
C’est ainsi qu’il présente souvent les fausses croyances comme un symptôme de
la sensualité, d’une dépendance excessive sur l’expérience sensuelle : Plerumque
decipitur [sc. anima], ut aut nihil putet esse nisi corpus, aut etiamsi fateatur esse ali-
quid incorporeum, de illo tamen nisi per imaginationes corporeas cogitare non possit
et tale aliquid esse credere, quale fallax corporis sensus infligit [[L’âme] est très sou-
vent trompée, et pense que rien n’existe à part les corps, où, même si elle accepte
que quelque chose d’incorporel existe, elle ne peut y songer qu’à partir de ses ima-
ginations corporelles, et croit qu’elle ressemble à ce qui se presse fallacieusement
sur les sens du corps] (mor. eccl. 38 ; de même c. acad. 3,13 ; mus. 6,32 ; gen. c. Ma-
nich. 2,30.40 ; vera relig. 51s.; de serm. dom. 1,34 ; 2,11). Le ton de reproche est en-
core plus marqué en vera relig. 8 : ad quam [sc. veritatem] percipiendam nihil magis
impedire, quam v i t a m l i b i d i n i b u s d e di t a m et falsas imagines rerum sensibilium,
quae nobis ab hoc sensibili mundo per corpus impressae, varias opiniones erroresque
generarent [rien n’entrave plus la perception de cette [vérité] qu’une v i e a d o n n é e
a u x p l a i s i r s , et les fausses images des choses sensibles, qui, venant de ce monde
230 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

sensible, se sont imposées sur nous par le biais du corps, pour générer la diversité
des croyances et des erreurs] (voir aussi util. cred. 1 : vanorum hominum menti-
bus [les esprits vains des hommes] ; in psalm. 4,9 ; 7,11 : animus fingit … spe vana
mortalique iactatur [l’esprit imagine … et se vante dans son espoir vain et mortel]).
En vera relig. 8, que nous venons de citer, ces idées sont ouvertement associées
à Platon, et chacun remarquera la profonde influence platonicienne dans l’hostilité
au corps que traduit cette conception des phantasmata. Cependant, vera relig. est
un texte anti-manichéen, et Augustin a toujours soin, dans un tel contexte, de se
démarquer du rejet total du corps prôné par les Manichéens. Les corps en eux-
mêmes sont bons (Omnis corporea creatura, si tantummodo possideatur ab anima
quae diligit Deum, bonum est infimum, et in genere suo pulchrum [Toute créature
corporelle, à condition qu’elle soit sous la domination d’une âme qui aime Dieu, est
un bien du plus bas ordre, et une chose belle dans son genre], vera relig. 107), et le
phantasma coupable ne naît pas de l’amour du corps, mais de l’amour d é s o r d o n -
n é du corps : si autem diligatur ab anima q u a e n e g l i g i t D e u m … deserit amantem
species concupita, et per cruciatum sentientis discedit a sensibus, et erroribus agitat,
ut hanc esse primam speciem putet, quae omnium infima est, naturae scilicet corpo-
reae, quam per lubricos sensus caro male dilecta nuntiaverit, ut cum aliquid cogitat,
intellegere se credat, umbris illusus phantasmatum [mais si elle est aimée par une
âme q u i n é g l i g e D i e u … la beauté désirée abandonne l’âme, et se retire des sens
dans la tourmente de celui qui perçoit, et qu’elle plonge dans l’erreur. Ainsi, il pense
que la beauté première est celle qui est la plus basse de toutes, c’est-à-dire celle de
la nature corporelle, que lui avait présentée sa chair, prenant un plaisir néfaste des
sens trompeurs, si bien que, quand il songe à quelque chose, il pense la com-
prendre, égaré par les ombres de ses imaginations] (vera relig. 107s.). La théorie des
phantasmata permettait ainsi à Augustin d’affirmer (comme il le fera maintes fois et
de manières multiples) que le mal ne venait pas des choses créées, mais d’une per-
ception, d’une évaluation erronées de ces choses. Sur le plan moral, cela conduisait
à la licence, sur le plan religieux aux fausses croyances.
Dans le cas des idoles, Augustin semble penser que le phantasma s’est brutale-
ment manifesté dans la formation d’une image physique du divin. C’est ce
qu’indique l’opposition dans l’Inchoata expositio entre simulacrorum … quae hu-
mana operatur manus et simulacris phantasmatum suorum. Dans le premier cas,
le simulacrum est l’idole, un objet physique et tangible, la concrétisation évidente
d’une conception sensuelle de la divinité. C’est ainsi que ceux qui cherchent le bon-
heur dans luxurias dominationes superbias ceteraque id genus [le plaisir, la domina-
tion, la vantardise, et les autres choses de ce genre] se tourneront ad simulacrorum
fallaciam [vers la tromperie des idoles] (beat. vit. 33, mais le terme simulacra est
peut-être à prendre ici dans les deux sens). C’est ainsi, aussi, que l’idolâtrie est pire
que le culte des choses créées, puisqu’elle place une création de l’être humain au-
dessus d’une création divine : Qui vero talia opera etiam colunt quantum deviaverint
a veritate, hinc intellegi potest, quia si ipsa animalium corpora colerent, quae multo
Commentaire | 231

excellentius fabricata sunt et quorum sunt illa imitamenta, quid eis infelicius dicere-
mus? [Quant à ceux qui vont jusqu’à adorer de telles œuvres, on peut comprendre
comme suit à quel point ils ont dévié de la vérité : s’ils adoraient les corps mêmes
des êtres vivants, qui ont été fabriqués d’une manière bien plus sublime, et dont [ces
œuvres] sont des imitations, qui trouverions nous de plus malheureux qu’eux ?]
(divers. quaest. 78).
Par cette vision des idoles, Augustin dépassait la critique biblique et apologé-
tique de l’idolâtrie, qui se concentrait sur le fait que l’idolâtre adorait un objet péris-
sable, bois, pierre métal. Pour Augustin, la fabrication de l’idole n’est que la mani-
festation extérieure de la fausse conception intérieure. Et l’erreur ne serait pas
moindre si la conception ne conduisait pas à la fabrication d’un objet. Cette ap-
proche permettait – soit dit en passant – de justifier l’art religieux chrétien (puisque
l’erreur ne consistait pas dans la fabrication). Mais surtout elle permettait de ravaler
les croyances des gnostiques, qui avaient le monde physique en horreur, au niveau
de l’idolâtrie.
En effet, dans la polémique, Augustin s’est surtout servi de la théorie des phan-
tasmata pour attaquer la cosmologie baroque des Manichéens, auxquels il pense
sans doute aussi ici dans l’ Inchoata expositio (voir n. précédente, e). C’est ainsi que
cette théorie est omniprésente dans vera relig. (voir surtout 107–110 et 267–270, où
figurent des éléments spécifiques de la cosmologie), qu’on la retrouve dans les
autres traités anti-manichéens d’avant l’épiscopat (mor. eccl. 38 ; mor. Manich. 38 ;
gen. c. Manich. 2,30.40 ; util. cred. 1 ; en c. Adim. 13,1 et 17,2 Augustin accuse les
Manichéens d’être favorables envers la vraie idolâtrie). Et dans les Confessions Au-
gustin se mettra en scène comme étant lui-même la victime de ces phantasmata
manichéens : Et apponebantur adhuc mihi in illis ferculis phantasmata splendida …
illa erant corporalia phantasmata, falsa corpora, quibus certiora sunt vera corpora
ista, quae videmus visu carneo…. Quanto ergo longe es a phantasmatis illis meis,
phantasmatis corporum, quae omnino non sunt! [Et dans ces plats, on m’offrait tou-
jours des imaginations splendides … c’était des imaginations corporelles, des faux
corps. Les vrais corps, que nous voyons de notre vision charnelle, sont plus fiables
… Combien donc tu es loin de ces miennes imaginations, ces imaginations portant
sur des corps qui sont entièrement inexistants] (conf. 3,10. Voir aussi O’DONNELL ad
loc. pour les phantasmata dans les écrits anti-manichéens. O’Donnell signale que le
choix du mot phantasma sert aussi à mettre en relief le docétisme des Manichéens :
vide supra sur ThLL, et comparer Prudence, Apotheosis 956–958 : le Christ des Ma-
nichéens est sine corpore vero … mendax fantasma cavamque corporis effigiem [sans
vrai corps … une imagination trompeuse, et l’image creuse d’un corps] ; de même,
1051s.).
Ensuite, par opposition avec les rituels de purification manichéens, la vraie pu-
rification commençait par l’acceptation que les idées implantées en nous par les
sens ne peuvent conduire à la perception de Dieu : Nec istis videatur oculis, nec ullo
phantasmate cogitetur, sed mente sola et intellegentia cerni queat [Il n’est pas visible
232 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

à nos yeux, et ne peut se concevoir par aucune imagination, mais il peut seulement
être discerné par l’esprit et l’intelligence] (vera relig. 10) ; cito se incomprehensibilem
esse demonstravit dilectoribus suis, ne illum corporeis imaginationibus comprehendi
arbitrarentur [Il a vite montré à ceux qui l’aimaient qu’il est insaisissable, afin qu’il
ne pensassent pas qu’il put être saisi par les imaginations corporelles] (in psalm.
17,11 ; voir aussi epist. 7,7). Mais comment faire la distinction entre Dieu perçu à
l’intérieur de nous et le phantasma ? C’est le Christ lui-même, la Vérité (Io. 14,6), qui
agit dans notre esprit pour que nous puissions discerner le vrai du faux : Si non cer-
nis quae dico, et an vera sint dubitas, cerne saltem, utrum te de his dubitare non du-
bites, et si certum est te esse dubitantem, quaere, unde sit certum. Non illic tibi, non
omnino solis huius lumen occurret, sed ‘lumen verum, quod illuminat omnem hominem
venientem in hunc mundum’ [Io. 1,9], quod his oculis videri non potest nec illis, quibus
phantasmata cogitantur per eosdem oculos animae impacta, sed illis, quibus ipsis
phantasmatibus dicitur: non estis vos, quod ego quaero [Si tu ne discernes pas ce que
je dis, et si tu doutes que cela soit vrai, discerne au moins : est-ce que tu doutes que
tu doutes sur ce point ? Et s’il est certain que tu doutes, demande-toi : pourquoi est-
ce certain ? Alors, ce n’est pas du tout la lumière de notre soleil qui viendra se pré-
senter, mais la vrai lumière, qui illumine tout homme venant en ce monde, qui ne
peut être vue ni de ces yeux, ni de ceux par lesquels se conçoivent les illusions qui
s’impriment dans l’âme par le biais de ces mêmes yeux, mais par les [yeux] qui nous
permettent de dire à ces mêmes imaginations : ce n’est pas vous que, moi, je
cherche.] (vera relig. 204s.). Voir G. MADEC, Christus, scientia et sapientia nostra,
RecAug 10 (1975), 77–85 ; voir aussi n. à 14,2–8.
Dans son rejet des sens, la doctrine d’Augustin est bien sévère : seul le mundis-
simus (le plus pur) peut discerner les phantasmata (soliloq. 3,4, et là encore il ne
s’agit que de géométrie). Et elle n’est pas facilement réconciliable avec un Christ
incarné et une perception sensuelle qui continuera dans l’au-delà pour nos corps
ressuscités. En effet, comme l’admet Augustin, ce ne sont pas seulement les illu-
sions qui sont formées en nous à partir des sens. C’est aussi par les sens que l’on
nous enseigne la vérité : Et quoniam necessitate iam per hos oculos et per has aures
de ipsa veritate admonemur, et difficile est resistere phantasmatis quae per istos sen-
sus intrant in animam, quamvis per illos intret etiam ipsa admonitio veritatis ; – in ista
ergo perplexitate, cuius vultus non sudet, ut manducet panem suum [Gen. 3,19] ? [Et
puisque, forcément, c’est désormais par ces yeux et par ces oreilles que l’on nous
enseigne la vérité, et qu’il est difficile de résister aux imaginations qui entrent dans
l’âme par ces sens, bien que l’enseignement de la vérité entre aussi par eux – dans
cette perplexité, qui est-ce donc, dont le visage ne sue pas pour manger son pain ?]
(gen. c. Manich. 2,30). Et les phantasmata en matière de religion ne sont pas non
plus le domaine exclusif des hérétiques. Parmi les chrétiens mêmes, les carnales et
parvuli [les charnels et les petits] peuvent se faire des idées de Dieu basées sur leurs
phantasmata : Solent Deum sibi libertate phantasmatis corporis humani specie figu-
rare [Ils ont tendance, dans le libre cours de leur imagination, à se représenter Dieu
Commentaire | 233

sous l’apparence d’un corps humain] (c. epist. fund. 25 ; voir aussi c. Faust. 22,54).
Augustin reconnait d’ailleurs la difficulté pour tous d’y échapper : même les spiri-
tales [spirituels] (voir n. à 18,12) ne perçoivent l’infinité de Dieu que quantum in hac
vita animus potest [dans la mesure où l’esprit en est capable en cette vie], et il
n’hésite pas à employer dans ce contexte la première personne : si non possem m e
intendere ad superiora neque cogitationes m e a s a falsis imaginibus … evolvere [si j e
ne peux pas m’élever vers les choses d’en haut ni dégager m e s pensées des fausses
images] (c. epist. fund. 25).
Il serait vain de chercher une formule pour résoudre ces tensions dans la pensée
d’Augustin. Elles reflètent des paradoxes fondamentaux en lui (sinon dans la condi-
tion humaine) : l’angoisse envers le corps, qui l’avait entrainé vers le Manichéisme
et le Platonisme, et l’accueil joyeux de l’Incarnation, qui l’a poussé à consacrer tout
le dernier livre de la Cité de Dieu à la nature du corps ressuscité, y compris ses per-
ceptions sensuelles (civ. 22,29).
Du reste, si les détails de la théorie des phantasmata semblent bien être une in-
novation augustinienne dans la doctrine chrétienne sur l’idolâtrie, sa pensée doit ici
(directement ou indirectement) beaucoup à Origène : Οὐ μόνον ἀπὸ τῶν ἀγαλμάτων
ποιοῦσιν ἑαυτοῖς ἄνθρωποι θεούς [Ier. 16,20], ἀλλ’ εὑρήσεις καὶ ἀπὸ τῶν ἀναπλασμά-
των ποιοῦντας ἀνθρώπους ἑαυτοῖς θεούς· ὅσοι γὰρ δύνανται ἀναπλάσαι θεὸν ἕτερον
καὶ κοσμοποιίαν ἄλλην παρὰ τὴν ὑπὸ τοῦ πνεύματος ἀναγεγραμμένην, οἰκονομίαν
κόσμου παρὰ τὸν ἀληθῆ κόσμον, οὗτοι πάντες ἐποίησαν ἑαυτοῖς θεοὺς καὶ
προσεκύνησαν τοῖς ἔργοις τῶν χειρῶν [Ier. 1,16]. Οἷον νόησόν μοι εἴτε ἐν Ἕλλησι
τοὺς γεννήσαντας δόγματα, φέρ’ εἰπεῖν, τῆς δε τῆς φιλοσοφίας ἢ τῆσδε, εἴτε ἐν ταῖς
αἱρέσεσι τοὺς γεννήσαντας πρώτους δόγματα, οὗτοι ἐποίησαν ἑαυτοῖς εἴδωλα καὶ
ἀναπλάσματα τῆς ψυχῆς καὶ στραφέντες προσεκύνησαν τοῖς ἔργοις τῶν χειρῶν
αὐτῶν, ἀποδεξάμενοι ὡς ἀλήθειαν τὰ ἴδια ἀναπλάσματα. [Ce n’est pas seulement à
partir des images que les hommes se font des dieux, mais tu verras que les hommes
se font des dieux aussi à partir de leurs inventions. En effet, tous ceux qui sont ca-
pables de se fabriquer un autre dieu et une autre création du monde, différents de
ceux consignés à l’Écriture par l’Esprit – un système du monde différent du vrai
monde –, tous ceux-ci se sont fait des dieux, et ont adoré les ouvrages de leurs
mains. Ainsi, songe pour moi soit à ceux des Grecs qui ont engendré des doctrines,
par exemple, dans une ou l’autre philosophie, soit à ceux, dans les hérésies, qui ont
les premiers engendré des doctrines. Ceux-ci se sont fait des idoles et des inventions
de l’âme, et, en se fourvoyant, ils ont adoré les ouvrages de leurs mains, acceptant
comme vérité leurs propres inventions] (hom. in Jer. 16,9 ; voir aussi hom. in Ezech.
7,3 ; hom. in Ex. 8,3). Origène lui aussi attaque en premier lieu les gnostiques, et a le
même plaisir à en faire des idolâtres. Ce qu’ajoute Augustin, c’est surtout une ma-
nière de montrer que ces idoles gnostiques sont tout autant des créations de la sen-
sualité que les idoles au sens propre.
Quant à l’idée que omnis error peut être qualifié d’idolâtrie, elle est bien vieille.
Tertullien déjà avait affirmé : Cum universa delicta adversus Deum sapiant, nihil
234 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

autem, quod adversus Deum sapiat, non daemoniis et immundis spiritibus deputetur
quibus idola mancipantur, sine dubio idololatrian admittit quicunque delinquit [Étant
donné que tous les péchés ont la saveur de l’opposition à Dieu, et qu’il n’y a rien qui
ait cette saveur de l’opposition à Dieu, qui ne soit pas attribué aux démons et aux
esprits impurs, auxquels appartiennent les idoles, il est certain que tout homme qui
pèche commet l’idolâtrie] (idol. 1). Et derrière Tertullien, on peut même voir Paul,
selon le sens que l’on donne à la parenthèse en Eph. 5,5 (τοῦτο γὰρ ἴστε
γινώσκοντες, ὅτι πᾶς πόρνος ἢ ἀκάθαρτος ἢ πλεονέκτης, ὅ ἐ σ τ ιν ε ἰ δω λ ο λ ά τ ρ η ς ,
οὐκ ἔχει κληρονομίαν ἐν τῇ βασιλείᾳ τοῦ Χριστοῦ καὶ Θεοῦ [Car, sachez-le bien, tout
homme fornicateur ou impur ou avare – q u i e s t u n i d o l â t r e – n’aura pas
d’héritage dans le royaume du Christ et de Dieu]).

4,3 Christi praenuntiatores prophetae


Pour praenuntiator (littéralement : celui qui annonce en avance) voir ThLL s.v. (ré-
sultats vérifiés sur les bases de données LLTA/B ; Patrologia Latina ; Monumenta
Germaniae Historica ; Epigraphik Datenbank Clauss Slaby). Ce mot apparait une fois
dans la traduction latine d’Irénée de Lyon (haer. 4,25,1). Ensuite, jusqu’au haut
Moyen Âge, on le trouve seulement chez Augustin, qui l’emploie en tout 7 fois (notre
passage + conf. 9,13 ; gen. ad litt. 8,8 ; serm. 163,11 [seul cas où il ne s’agit pas des
prophètes de l’Ancien Testament] ; serm. 288,2.4 ; c. Faust. 22,79). Notre passage est
le plus ancien de ces textes, et il se peut qu’Augustin ait (ré)inventé le mot ici, pour
souligner la logique qui liait praenuntiatores et quem praenuntiabant (4,3). Ail-
leurs, le mot est souvent employé dans une structure rimée avec un autre nom
d’agent en -or (narrator rerum praeteritarum … p r a e n u n t i a t o r tantummodo futu-
rarum [narrateur des choses passées, praenuntiator seulement des choses à venir],
gen. ad litt. 8,8 ; p r a e n u n t i a t o r esset Deus, non promissor [Dieu serait un praenun-
tiator, et non un prometteur], serm. 163,11 ; salvatoris p r a e n u n t i a t o r e s , veritatis
attestatores [des praenuntiatores du Sauveur, des attestateurs de la vérité] serm.
288,2 ; dispensatores veteris testamenti idemque p r a e n u n t i a t o r e s novi testamenti
[les dispensateurs de l’Ancien Testament, et en même temps les praenuntiatores du
Nouveau Testament], c. Faust. 22,79) : c’est donc une innovation dont Augustin s’est
surtout servi pour des effets de style. Mais le mot était aussi un calque de προφήτης
(pro : en avance ; phētēs : celui qui dit, annonce). praenuntius, qui est classique,
pouvait certes jouer ce rôle, mais les Pères l’emploient rarement ainsi, et Augustin
ne l’emploie jamais (voir ThLL s.v.) : peut-être était-il trop associé à la divination
païenne (ThLL s.v. I.A). Ainsi, pour ravaler les prophètes de l’Ancien Testament au
rang des prophète païens, Faustus le Manichéen les appelle vates et leurs prophéties
praesagia (c. Faust. 12,1 ; 13,1) : les chrétiens évitent généralement ces mots (voir
respectivement ThLL et Blaise ss.vv.). Et Faustus invente le mot praefator (c. Faust.
13,1 ; voir ThLL s.v.) pour regrouper les prophètes juifs avec la Sibylle et Hermès
Trismégiste (voir n. à 3,3).
Commentaire | 235

4,4–10 Jésus, fils de David et Fils de Dieu


C’était de longue date que l’on voyait dans Rom. 1,3s. l’énoncé des deux natures du
Christ. Ainsi, par exemple, Tertullien : Apostolus de utraque eius substantia docet :
‘qui factus est’, inquit, ‘ex semine David’ – hic erit homo et filius hominis; ‘qui definitus
est Filius Dei secundum Spiritum’ – hic erit Deus, et sermo Dei Filius : videmus dupli-
cem statum, non confusum sed coniunctum, in una persona Deum et hominem Iesum
[L’apôtre enseigne sur ses deux substances : ‘qui a été fait’, dit-il, ‘de la semence de
David’ – voici l’homme, et le fils de l’homme ; ‘qui a été établi Fils de Dieu selon
l’Esprit’ – voici Dieu, et la Parole, Fils de Dieu : nous voyons le double statut, non
pas confondu, mais conjoint, Jésus, dans une seule personne, Dieu et homme] (adv.
Prax. 27 ; de même, Origène, comm. in Rom. 1,7,1). Quant à Augustin, il reprend ici
son exégèse telle qu’on la trouve en in Rom. 51, sur Rom. 9,5, où, du moins selon lui,
Paul contrastait encore une fois le Christ κατὰ σάρκα [selon la chair] avec sa divini-
té. On trouve déjà dans in Rom. l’idée de susceptio [assomption, action d’assumer]
(hominem … quem suscepit, 4,4 / secundum susceptionem carnis [selon l’assomp-
tion de la chair] – le terme est très fréquent chez Augustin pour décrire l’Incar-
nation) et l’introduction de Mt. 22,42–45, passage d’ailleurs inéluctable dans notre
contexte, puisque c’est le seul endroit des Évangiles (avec ses parallèles en Mc.
12,35–37 ; Lc. 20,41–44) où le Christ parle de lui-même comme étant fils de David :
Augustin rapproche encore ce passage de l’Évangile de Rom. 1,1–3 en in psalm.
9,35 ; c. Faust. 13,3. Voir aussi serm. 92,2 : Hic [sc. Mt. 22,42–45] cavendum est, ne
putetur Christus se negasse filium esse David. Non se filium David negavit, sed modum
quaesivit: ‘Dixistis filium esse David, non nego; sed ille eum « Dominum » vocat. Dicite
mihi quomodo sit filius, qui est et dominus. Dicite quomodo’. Illi non dixerunt, sed
tacuerunt. Dicamus nos, exponente ipso Christo. Ubi? Per apostolum suum [Ici il faut
éviter de penser que le Christ ait nié être le fils de David. Il n’a pas nié être le fils de
David, mais a demandé comment il l’était : ‘Vous avez dit [que le Christ est] le fils de
David. Je ne le nie pas. Mais il l’appelle « Seigneur ». Dites-moi comment il est fils,
celui qui est aussi Seigneur. Dites-moi comment’. Eux, ils ne le dirent pas, mais se
turent. Disons-le, nous, avec le Christ lui-même qui nous l’explique. Où ? Par son
apôtre]. Augustin citera ici Phil. 2,7–9, qui est pour lui l’exposé théologique de la
simple affirmation de Rom. 1,3, γενομένου ἐκ σπέρματος Δαυὶδ κατὰ σάρκα.
Pour d’autres parallèles grecs à cette exégèse de Rom., voir Jean Chrysostome,
hom. in Rom. 1,2 (PG 60, 397) : οὐ γὰρ περὶ ἀνθρώπου ψιλοῦ, φησὶν, ὁ λόγος ἡμῖν.
διά τοι τοῦτο προσέθηκα τὸ ‘κατὰ σάρκα’, αἰνιττόμενος ὅτι καὶ κατὰ πνεῦμα
γέννησίς ἐστι τοῦ αὐτοῦ [Car notre discours, dit-il, n’est pas sur l’homme tout court.
C’est bien pourquoi j’ai ajouté ‘selon la chair’, signalant qu’il y a aussi pour lui une
génération par l’Esprit] ; Theod. Mops. in 2 Tim. 2,8 (éd. H. B. SWETE, Cambridge
1882) : Bene memoratus est ‘ex semine’ [sc. David], ut corporis magis adsumptionem
factam insinuaret. Nec autem absolute ista posuit [Il a bien fait de dire ‘de la semence
[de David]’, pour signaler qu’il y plutôt eu une assomption du corps. Mais il n’a pas,
non plus, dit cela de façon absolue].
236 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

4,4 Dominum nostrum Iesum Christum secundum hominem tantummodo,


quem suscepit, accipiunt
Accipiunt est au présent : cette croyance n’est pas limitée aux Juifs du Nouveau Tes-
tament. Sans doute Augustin pense-t-il en premier lieu aux Juifs de sa propre
époque (pour ses rapports avec eux, voir n. à 3,1, commendat auctoritate) : dans la
vision chrétienne, le refus de Jésus parce qu’il se disait divin a toujours été un trait
caractéristique du judaïsme, même si, en réalité, les Juifs de l’Antiquité tardive ten-
taient surtout de penser à Jésus le moins possible (voir J. NEUSNER, Judaism and
Christianity in the Age of Constantine, Chicago 1987, 3s.94s. et passim). De plus,
Augustin avait hérité d’une tradition hérésiologique, qui incluait dans ses cata-
logues un certain nombre de sectes qui niaient la divinité du Christ. Dans le De
haeresibus, sa propre contribution à cette tradition, Augustin en nomme cinq : Car-
pocratiens (7) , Cerinthiani (8), Ébionites (10), Theodotiani (10), Pauliniani (44) ; la
notice sur Photinus en 45 est très vague, mais voir conf. 7,25 et O’DONNELL ad loc. –
les Photiniens ont longtemps été représentatifs pour Augustin de ceux qui niaient la
divinité du Christ, mais il semble avoir finalement perdu confiance dans ses infor-
mations sur leurs croyances (cf. n. à 15,13–16, Sabelliani). Tous sont tirés du Diversa-
rum Haereseon liber de Philastre de Brescia ou de ses sources (voir AugLex s.v.
Haeresibus ad Quodvultdeum (De–), 4), et, bien qu’ils soient décrits au temps pré-
sent, la plupart avaient depuis longtemps disparu : les Carpocratiens n’existent plus
dès l’époque d’Eusèbe de Césarée (DTC s.v. Carpocrate, III) ; les Cerinthiani sont un
souvenir lointain et confus dès la même époque (SKARSAUNE – HVALVIK, Jewish Belie-
vers, 492s.) ; Origène serait le dernier chrétien à avoir vu des Ébionites (SKARSAUNE –
HVALVIK, Jewish Believers, 462), sans doute le plus célèbre de ces mouvements ; les
Theodotiani, qui n’ont jamais dû être que quelques disciples d’un individu obscur,
ont disparu depuis le milieu du 3ème siècle (DTC 5,2,2427), et les Pauliniani, c’est-à-
dire les disciples de Paul de Samosate, apparaissent pour la dernière fois au Concile
de Nicée (DTC s.v. Paul de Samosate). Photin est plus récent en date, mais « il ne
paraît pas que l’hérésie de Photin se soit beaucoup développée en dehors de son
pays d’origine, ni même qu’elle ait trouvé à Sirmium de très nombreux adhérents »
(DTC s.v. Photin de Sirmium, III). Les hérésies auxquelles s’est confronté Augustin
de son vivant, Donatistes, Manichéens, Pélagiens et Ariens, ne mettaient nullement
en cause le fait que Jésus était un être divin.
Il ne faut pas en conclure qu’ici, ou dans haer., Augustin poursuit des fantômes.
Les catalogues d’hérésies sont à mi-chemin entre l’histoire et la théologie. La fasci-
nation qu’exerçaient (et qu’exercent) ces catalogues sur les fidèles, ou du moins sur
les hommes d’Église, vient du sentiment profond de la difficulté à maintenir
l’orthodoxie, de la menace constante de l’erreur. L’éclosion en secte, à un moment
historique, d’une erreur donnée n’est pas un phénomène unique : elle indique la
capacité permanente de cette erreur à faire recrudescence. C’est ainsi que les cata-
logues d’hérétiques se révèlent frustrants pour l’historien moderne : tout l’intérêt de
leurs auteurs porte sur les croyances des sectes, et ils ne contiennent qu’un mini-
Commentaire | 237

mum d’informations sur les conditions sociales, politiques, géographiques, etc.


dans lesquelles un mouvement a vu le jour. C’est que les hérésies ne sont pas per-
çues comme le produit de ces conditions, mais comme des machinations du diable
(invidia vero et haeresis opera diaboli [mais la jalousie et l’hérésie sont les œuvres du
diable], bapt. 6,50), et donc aussi permanentes que lui. Ne voir en Jésus qu’un être
humain est un exemple bien pertinent : à chaque époque, des chrétiens ont été ten-
tés par cette idée. Voir, à cet égard, l’évocation des Ébionites dans le De Trinitate
d’Hilaire de Poitiers (2,4.23, etc.) : aucun Ébionite réel ne menaçait l’Église d’Hilaire,
mais leur nom donnait une réalité concrète à une des erreurs en fonction desquelles
l’auteur tentait de définir l’orthodoxie. De même, en conf. 7,25, Augustin se décrira
lui-même et Alypius comme ayant, à un moment de leur progression vers la foi de
l’Église, des croyances respectivement photiniennes et apollinaristes, sans entendre
par là un contact réel avec ces sectes.
De plus, il n’y avait pas que Juifs, hérétiques, et chrétiens vacillants pour nier la
divinité du Christ. Le public de l’Inchoata expositio était aussi exposé aux païens.
Face au triomphe de l’Église, il n’était plus possible pour ceux-ci de ne prêter au-
cune attention à Jésus, et il n’était plus sage d’en dire du mal. Restait à adopter une
position « ébionite » : illi vel maxime pagani, qui Dominum ipsum Iesum Christum
culpare aut blasphemare non audent eique tribuunt excellentissimam sapientiam, sed
tamen tamquam homini; discipulos vero eius dicunt magistro suo amplius tribuisse
quam erat, ut eum Filium Dei dicerent et verbum Dei, per quod facta sunt omnia, et
ipsum ac Deum Patrem unum esse, ac si qua similia sunt in apostolicis litteris, quibus
eum cum Patre unum Deum colendum esse didicimus [surtout ces paiens, qui n’osent
pas blâmer ou blasphémer le Seigneur Jésus-Christ lui-même, et lui accordent une
sagesse prééminente, mais comme si c’était un homme ; puis disent que ses dis-
ciples ont attribué à leur maître plus qu’il n’était, en disant qu’il est le Fils de Dieu et
la parole de Dieu, par qui tout a été fait, et que lui et Dieu le Père sont un, et tout ce
qui est similaire dans les écrits apostoliques, par quoi nous apprenons qu’il faut
l’adorer comme un seul Dieu avec le Père] (cons. euang. 1,11 ; de même civ. 18,53 et
la citation de Porphyre en civ. 19,23).

4,8 addendo ergo secundum carnem, servavit divinitati dignitatem suam


L’exégèse d’Augustin fonctionne par déduction, puisque secundum carnem en soi
affirme l’humanité du Christ. C’est pourquoi (voir n. à 3,1, commendat auctoritate),
Rom. 1,3 était répugnant aux Manichéens, et Faustus (c. Faust. 11,1) tente de s’en
débarrasser en déclarant que le texte de Paul a été interpolé (ou que Paul l’aurait
écrit quand sa connaissance du Christ était encore immature. Mais c’est là une pure
hypothèse d’argumentation, pour Faustus, qui croit à l’interpolation : voir DECRET,
L’utilisation, 50s.). Dans sa réponse (c. Faust. 11,2–fin), Augustin soulignera donc
l’autre versant de secundum carnem : l’affirmation de l’Incarnation (voir Introduc-
tion, 1.4).
238 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

4,8 alicui angelicae aut cuiusvis excellentissimae creaturae


Pour la distinction entre le Christ et les anges chez Augustin, voir J. BARBEL, Christos
Angelos, Bonn 21964, 163–174. Il s’agit d’un élément de la polémique anti-arienne,
mais aussi d’une réflexion théologique sur les théophanies.

4,9 non mutatum et conversum in carnem, sed carne ut carnalibus congruen-


ter appareret indutum
Ce passage est un des premiers où Augustin précise que ὁ λόγος σὰρξ ἐγένετο [le
Verbe se fit chair] (Io. 1,14) ne signifie pas une mutatio ou conversio. Il reviendra
souvent sur ce point, y compris une vingtaine d’années plus tard, dans epist. 137,
« le seul traité spécial sur l’incarnation qu’Augustin nous aurait légué » (AugLex s.v.
Christus, III.3) : Verbum autem in principio, per quod facta sunt tempora, tempus
elegit, quo susciperet carnem, non tempori cessit, ut verteretur in carnem [Le Verbe au
commencement, par lequel les temps ont été faits, a choisi un temps pour assumer
la chair. Il n’a pas cédé au temps, pour se changer en chair] (epist. 137,10 ; voir aussi
e.g. divers. quaest. 73,2 : neque conversus et transmutatus in hominem [non pas
changé et transformé en chair] ; agon. 11 : non quia aeternitas illa mutata est, sed
quia mutabilem creaturam mutabilibus hominum oculis ostendit [non pas parce que
cette éternité se soit transformée, mais parce qu’elle a montré une créature chan-
geable aux yeux changeables des hommes] ; cons. euang. 1,7 : non quod fuerit muta-
tus in carnem [non pas parce qu’il fut transformé en chair] ; serm. 117,16 : incommu-
tabiliter autem manens verbum carnem assumpsit, ut esset quodammodo contextum
[= indutum ici] [restant immuable, le Verbe a assumé la chair, pour y être d’une
certaine façon entrelacé] ; serm. 182,6 : agnosce Christum in carne venisse, accepisse
quod non erat, non amisisse quod erat, hominem in se mutasse, non in hominem fuisse
mutatum [Reconnais que le Christ est venu dans la chair, qu’il a reçu ce qu’il n’était
pas, [mais] n’a pas perdu ce qu’il était, qu’il a transformé l’homme en lui, mais n’a
pas été transformé en homme]). Comment une chose peut devenir une autre sans se
transformer est un mystère, mais Augustin tentera de l’expliquer par une image qui
met en place un parallèle entre la parole humaine et le Verbe de Dieu : Sicuti cum
loquimur, ut id, quod animo gerimus, in audientis animum per aures carneas inlaba-
tur, fit sonus verbum quod corde gestamus, et locutio vocatur, nec tamen in eundem
sonum cogitatio nostra c o n v e r t i t u r , sed apud se manens integra, formam vocis qua
se insinuet auribus, sine aliqua labe suae mutationis adsumit: ita verbum Dei non
c o m m u t a t u m caro tamen factum est, ut habitaret in nobis [Tout comme, quand
nous parlons, pour que ce que nous avons dans notre esprit se glisse par les oreilles
charnelles dans l’esprit de l’auditeur, le verbe que nous portons dans notre cœur
devient un son, qui s’appelle parole. Cependant, notre pensée ne se c h a n g e pas en
ce son, mais reste intègre en soi, [et] sans aucune corruption ou transformation,
assume la forme de la voix pour s’insinuer dans les oreilles. De même, le Verbe de
Dieu, sans se t r a n f o r m e r , s’est cependant fait chair pour habiter parmi nous]
(doctr. christ. 1,26). Par contraste, Augustin affirme (trin. 2,11) que la colombe du
Commentaire | 239

baptême du Christ et les flammes de la Pentecôte sont mutata atque conversa (pour
l’origine cicéronienne de cette expression, voir CCSL 50, 94s.), non pas parce qu’ils
deviennent l’Esprit Saint, mais parce que, sous l’impulsion de l’Esprit, ils se détour-
nent de l’activité que leur dictent les lois de la nature. Une modification parallèle
n’a pas lieu dans la nature divine du Christ.
G. Madec (AugLex, loc. cit., à consulter aussi pour la vaste bibliographie sur la
christologie augustinienne) souligne que ces formules ont pour but de répondre à
un point de vue néoplatonicien qui ne pouvait concevoir un mélange entre Dieu et
homme. C’est sans doute vrai, mais le souci de montrer que « l’Incarnation
n’implique nullement de la part de Dieu l’abandon du gouvernement de l’univers »
(ibid.), qu’en devenant homme le Christ reste Dieu, dépasse les limites d’une con-
troverse donnée. Voir, par exemple, l’importance de cette question chez Hilaire de
Poitiers, qui y consacre tout le livre 10 du De Trinitate : demonstrantes secundum
dispensationem carnis adsumptae tum, cum se ex forma Dei evacuans formam servi
accepit, infirmitatem habitus humani Dei non infirmasse naturam, sed, salva divinita-
tis in homine virtute, adquisitam esse Dei ad hominem potestatem. Namque cum in
hominem Deus natus sit, non idcirco natus est, ne Deus non maneret [en démontrant
que, selon la dispensation de la chair qu’il a assumée quand, en se vidant de la
forme de Dieu, il a reçu la forme d’un esclave, la faiblesse de la condition humaine
n’a pas affaibli la nature de Dieu, mais la puissance divine est restée intacte dans
l’homme, et le pouvoir de Dieu a été acquis pour l’homme. En effet, quand Dieu est
né comme homme, il n’est pas né pour ne plus rester Dieu] (10,7). Hilaire répond
aux Ariens, pour qui les souffrances du Christ étaient inadmissibles s’il était Dieu en
égalité avec le Père, mais la pierre d’achoppement – le Christ vrai Dieu et vrai
homme – reste la même, comme elle le sera dans les terribles controverses christo-
logiques du 5ème siècle, qui sont ici anticipées.
Pour les difficultés de parler de ce mystère en langage humain, comparer E.
EVANS, Tertullian’s Treatise Against Praxeas, London 1948, 70–73 : dans différents
écrits, Tertullien accepte ou refuse de parler de l’Incarnation comme une conversio
de Dieu en chair, mais le fond de sa théologie de l’Incarnation ne diffère pas de celui
d’Augustin.

4,10 non solum eo verbo quod ait secundum carnem, humanitatem a divinitate
distinxit, sed etiam illo quod ait factus est
S’étant occupé des Ébionites au début du §4, Augustin se tourne maintenant vers les
Ariens : la divinité du Fils une fois établie, il fallait affirmer que cette divinité est
égale à celle du Père. D’ailleurs, les Manichéens aussi pouvaient nier l’éternité du
Fils. Ainsi Fortunatus définit le Verbe comme natum a constitutione mundi cum
mundum fabricaret [sc. Deus] [né dès la fondation du monde, quand [Dieu] fabriqua
le monde] (c. Fort. 3).
Ici, ce sont surtout les mots factus est qui pouvaient suggérer que le Christ est
un être créé. Comparer in Gal. 30, sur Gal. 4,4 (factum ex muliere [fait d’une
240 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

femme]) : ‘Factum’ autem dixit propter susceptionem creaturae, quia qui nascuntur ex
feminis non tunc ex Deo nascuntur [Io. 1,13], sed tamen Deus illos facit, ut sic nasci
possint, ut omnem creaturam [Il dit ‘fait’ à cause de l’assomption d’une créature,
parce que ceux qui naissent des femmes ne naissent pas à ce moment-là de Dieu.
Néanmoins, c’est Dieu qui les fait, comme toute créature, pour qu’ils puissent naitre
de la sorte]. Et de même, la présence de factus semble être un des facteurs qui moti-
vent Tyconius (Liber regularum 1,12,1) à interpréter Rom. 1,1–4 comme parlant non
pas du Christ, mais de l’Église (voir n. à 5,11–17 ; 5,13, neque ad exemplum).
En fait, dans les deux textes de Paul, factus / factum traduit γενομένου /
γενόμενον, et le terme grec implique beaucoup moins un acte de création. C’est
pourquoi ces textes pauliniens ne sont pas très souvent des éléments de la dispute
entre Catholiques et Ariens. Mais nous avons proposé (n. à 2,5) qu’Augustin ne dis-
posait pas de manuscrit grec de Rom. quand il rédigeait l’Inchoata expositio. Com-
parer avec c. Faust. 11,4, où il note que in quibusdam latinis exemplaribus non le-
gitur: ‘factus’, sed ‘natus ex semine David’, cum graeca ‘factus’ habeant, unde non ad
verbum sed ad sententiam transferre voluit dicendo ‘natum’ latinus interpres [dans
certains exemplaires latins, on ne lit pas ‘fait’ mais ‘né de la semence de David’,
alors que le grec a ‘fait’. Le traducteur latin a donc voulu traduire non pas mot à mot
mais selon le sens, en disant ‘né’]. Il semble ici reconnaitre l’écart entre γίγνεσθαι et
fieri, même s’il ne met pas en cause la traduction du premier par le second, consa-
crée depuis longtemps dans les versions latines de la Bible, surtout pour Gen. 1,1–25
et Io. 1,14.
On pourrait objecter qu’Origène, qui écrivait bien entendu sur le texte grec,
prend les mêmes précautions qu’Augustin : ‘Factus est’ autem sine dubio id quod
prius non erat secundum carnem. Secundum Spiritum vero erat prius et non erat
quando non erat [‘Il a été fait’ sans doute ce qu’il n’était pas avant selon la chair.
Mais selon l’Esprit il était avant et il n’y avait pas [de temps] quand il n’était pas]
(Rufin. Orig. in Rom. 1,7,1). Mais cette partie du commentaire d’Origène est claire-
ment interpolée par Rufin, son traducteur (voir SChr 532, n. ad loc.), comme
l’indique l’introduction de la formule anti-arienne classique non erat quando non
erat. Par contre, les « hérétiques » qui, selon Philastre de Brescia excluaient du ca-
non l’épître aux Hébreux quia et factum Christum dicit in ea [parce qu’il y dit aussi
que le Christ a été fait] (Diversarum haereseon liber 89) se fondent certainement sur
le grec : en Hebr. 3,2, le Christ est dit πιστὸν ὄντα τῷ ποιήσαντι αὐτὸν [fidèle à celui
qui l’a f a i t ] (voir n. à 11,3s.).

4,11 non essent illa omnia …


L’utilisation de Io. 1,3 pour affirmer que le Fils est séparé de toute la création est
plus vieille encore que la controverse avec les Ariens. Voir, pour l’Église latine, No-
vatien, De trinitate 13 : Cum enim manifestum sit omnia esse facta per Christum, aut
ante omnia est, quoniam omnia per ipsum, et merito et Deus est, aut quia homo est,
post omnia est et merito per ipsum nihil factum est. Sed nihil per ipsum factum esse
Commentaire | 241

non possumus dicere, cum animadvertamus ‘omnia per ipsum facta esse’ scriptum [En
effet, comme il est clair que tout a été fait par le Christ, ou bien il est avant tout,
parce que tout [existe] par lui, et c’est à bon droit qu’il est aussi Dieu, ou bien, parce
qu’il est un homme, il est après tout, et c’est à bon droit que rien n’a été fait par lui.
Mais nous ne pouvons dire que rien n’a été fait par lui, quand nous voyons qu’il est
écrit que ‘tout a été fait par lui’] ; Tertullien, adv. Prax. 16 : Omnem enim dicens po-
testatem [Mt. 28,18], et omne iudicium [Io. 5,22], et omnia per eum facta, et omnia
tradita in manu eius [Io. 3,35], nullam exceptionem temporis permittit, quia non omnia
erunt si non omnis temporis fuerint [En effet, en parlant de tout pouvoir, et de tout
jugement, et de tout ayant été fait par lui, et de tout ayant été remis en sa main, il ne
permet d’exception pour aucun temps, puisqu’il ne s’agirait pas de tout, si tous les
temps n’étaient pas inclus]. Augustin avait peut-être peu lu Novatien ou Tertullien à
l’époque de l’Inchoata expositio, mais il pouvait aussi trouver une exégèse très simi-
laire chez Ambroise : Caveamus … si nesciamus, quae propria sunt divinitatis aeter-
nae incarnationisque distinguere, si creatorem cum suis operibus conferamus, si
auctorem temporum dicamus coepisse post tempora; neque enim potest fieri, ut per
quem sunt omnia sit unus ex omnibus [Prenons garde … si nous ne savons pas distin-
guer ce qui est propre à la divinité éternelle et [ce qui est] propre à l’Incarnation, si
nous confondons le créateur et ses œuvres, si nous disons que l’auteur des temps a
commencé [à exister] après les temps. Car il n’est pas possible que celui par qui tout
a été fait fasse partie de ce tout] (incarn. 2,13).
Pour sa part, Augustin revient bien souvent à ce thème, à tous les niveaux de
son activité littéraire : prédication (serm. 9,6 : Deus Christus Filius Dei unum est cum
Patre, et ideo non debet a nobis accipi in vanum [Ex. 20,7], ut putemus eum factum, id
est creaturam aliquam, per quem facta sunt omnia [Dieu le Christ, Fils de Dieu, est un
avec le Père, et c’est pourquoi il ne doit pas être pris en vain par nous, pour que
nous pensions qu’il a été fait, c’est-à-dire que celui par qui tout a été fait serait une
créature quelconque] ; voir aussi in euang. Ioh. 1,11), traités simples (fid. et symb. 5 :
Nos autem in eum credimus, per quem facta sunt omnia, non in eum, per quem facta
sunt cetera [Mais nous croyons en celui par qui tout a été fait, non pas en celui, par
qui le reste a été fait]), spéculations théologiques (trin. 1,12 [CCSL 50, 42,99–103]) :
Quia si vel Filium fecit Pater quem non fecit ipse Filius, non omnia per Filium facta
sunt. At omnia per Filium facta sunt. Ipse igitur factus non est ut cum Patre faceret
omnia quae facta sunt [Parce que, si le Père a fait seulement le Fils, sans que le Fils
le fasse, tout n’a pas été fait par le Fils. Mais tout a été fait par le Fils. Lui n’a donc
pas été fait, pour qu’il puisse avoir fait avec le Père tout ce qui a été fait]). Pour les
mêmes idées sur un mode lyrique, voir l’hymne au Fils en soliloq. 1,3, avec ses six
répétitions de in quo et a quo et per quem … omnia [en qui et de qui et par qui … tout
[existe]].
242 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

5,1 nec quemlibet spiritum, sed Spiritum sanctificationis ex resurrectione mor-


tuorum
Cette petite glose est tout ce qu’Augustin nous dit dans l’Inchoata expositio sur
Spiritum sanctificationis (πνεῦμα ἁγιωσύνης). En revanche, en in Rom. 1, il avait
expliqué l’expression en la joignant avec ex resurrectione mortuorum et en nommant
l’Esprit Saint : Quod autem dicit ‘secundum Spiritum sanctificationis ex resurrectione
mortuorum’, id est quia Spiritus donum acceperunt post eius resurrectionem [Quand il
dit ‘selon l’Esprit de sanctification à partir de la résurrection des morts’, c’est parce
qu’ils reçurent le don de l’Esprit après sa résurrection] (voir déjà l’Ambrosiaster, in
Rom. 1,4 : ‘Filium Dei’ dicens Patrem significavit Deum; addito autem ‘Spiritu sanctifi-
cationis’, ostendit mysterium Trinitatis [En disant ‘le Fils de Dieu’, il indique Dieu le
Père. Et puis, en ajoutant ‘l’Esprit de sanctification’, il montre le mystère de la Trini-
té]). Selon RING (n. à 5,15), Inchoata expositio 5 éclaire ce texte de in Rom. en mon-
trant qu’Augustin concevait l’épître aux Romains comme adressée non seulement
aux chrétiens de Rome, mais à tous les mortui Iesu Christi [les morts de Jésus Christ],
« alle, die die Gabe des Hl. Geistes empfangen haben, die als ekklesialer Leib Jesu
Christi mit diesem gekreuzigt worden und auferstanden sind ». Sans doute, ces
idées correspondent-elles aux conceptions générales d’Augustin, mais Ring est
inexact sur deux points : (a) dans l’Inchoata expositio (voir 5,5 et n. à 5,4–7 et 5,11–
17), Augustin préfère joindre secundum Spiritum sanctificationis à Filius Dei et le
séparer de ex resurrectione mortuorum, et s’écarte donc de son exégèse dans in
Rom. ; (b) dans ce chapitre les mortui sont bien les morts, au sens littéral, et non pas
les chrétiens baptisés, suivant la théologie de Rom. 6,3s. Voir aussi, pour spiritus ici,
n. à 11,1s.

5,2 in resurrectione enim virtus morientis apparet


Encore une fois (cf. n. à 1,3, nonnulli qui ex Iudaeis), Augustin s’est inspiré directe-
ment de l’Ambrosiaster (in Rom. 1,4) : Tunc praedestinatus est secundum Spiritum
sanctificationis in virtute manifestari Filius Dei, cum resurgit a mortuis, sicut scriptum
est in psalmo octogesimo quarto: ‘Veritas de terra orta est’ [Ps. 84,12] [Il a été prédes-
tiné selon l’Esprit de sanctification pour se manifester dans sa puissance comme Fils
de Dieu, au moment où il est ressuscité des morts, comme il est écrit dans le psaume
84 : ‘La vérité a surgi de la terre’]. Suit l’exemple des disciples sur la route
d’Emmaus : Nam et discipuli in morte eius dubitaverunt, dicente Cleopa et Ammau:
‘Nos putabamus quia ipse erat qui incipiebat liberare Istrahel’ [Lc. 24,21]. Ipse enim
Dominus ait: ‘Cum exaltaveritis filium hominis, tunc cognoscetis quia ipse ego sum’
[Io. 8,28] [En effet, même les disciples ont douté lors de sa mort, puisque Cléopas et
Ammaus disaient : ‘Nous avons cru qu’il était celui qui commençait à libérer Israel’.
En effet, le Seigneur lui-même dit : ‘Quand vous aurez élevé le fils de l’homme, alors
vous saurez que je suis’]. Comme on le voit, l’Ambrosiaster, lui aussi, voit virtute
(δυνάμει) comme le mot clé par lequel Paul indique pourquoi la résurrection montre
que Jésus est le Fils de Dieu.
Commentaire | 243

5,4–7 potest quidem etiam sic esse ordo verborum …


Augustin propose de ponctuer comme suit, en lisant ensemble par hyperbate les
mots éspacés :

de Filio suo, qui factus est ei ex semine David secundum carnem, q u i p r a e d e s t i n a t u s e s t , Fi-
lius Dei in virtute secundum Spiritum sanctificationis, e x r e s u r r e c t i o n e m o r t u o r u m

Il cherche ainsi à construire une symétrie entre les deux pendants des deux filius :
secundum carnem / secundum Spiritum sanctificationis. Mais sa pensée devient diffi-
cile à suivre (voir n. à 7,4s.), car il propose ensuite (5,6) de contraster factus + ex
semine David + secundum carnem et praedestinatus + Filius Dei + ex resurrectione
mortuorum, ce qui donnerait lieu à une troisième ponctuation. Pour les raisons qui
inclinaient Augustin à séparer praedestinatus de Filius Dei, voir n. à 5,11–17.
La ponctuation des textes est une des activités habituelles du grammairien an-
tique (voir S. F. BONNER, Education in Ancient Rome, London 1977, 220–222. Voir
aussi n. à 7,1–5 ; 7,5 ; 11,3 ; G. BELLISSIMA, Sant’ Agostino grammatico, dans : Augus-
tinus Magister, t. 1, Paris 1954, 35–41 ; AugLex s.v. Grammatica, grammaticus. Pour
des exemples classiques d’hyperbates construites par la ponctuation [distinctio],
voir Scholies sur Éschine, ad 3,71 ; Quintilien, Institutio Oratoria 11,3,35–37). Étant
données leur formation culturelle et leur étude incessante du texte sacré, il était
naturel que les écrivains chrétiens s’intéressassent aussi à la ponctuation. On attri-
bue généralement le début de l’étude « grammaticale » de la Bible, y compris de sa
ponctuation, à Clément d’Alexandrie, et surtout à Origène (voir M. IRVINE, The Ma-
king of Textual Culture, Cambridge 1994, 162–169. Pour des exemple de distinctio
chez Origène, voir Cant. 4 [GCS 33, 241] ; Jo. 32,26,330, et, pour des hyperbates, Se-
lecta in Gen. PG 12, 92s. ; hom. in Jer. 12,12). C’est ensuite avec Augustin et Jérôme
que ces méthodes – bien que toujours vues comme ancillaires – s’implantent fer-
mement dans l’activité des exégètes latins.
Il ne semble pas exister d’étude d’ensemble de la distinctio chez Augustin
(quelques précisions chez MARROU, Saint Augustin, 427). Par contre, on lit ses
propres conseils, très clairs, en la matière en doctr. christ. 3,3–9. Mais, comme nous
l’avons déjà dit (n. à 2,5), Augustin a toujours été bien plus théologien que philo-
logue. Ambroise avait affirmé que le commentaire de Paul pouvait être essentielle-
ment affaire de grammairien : In plerisque ita se ipse [sc. Paul] suis exponat sermoni-
bus ut is qui tractat nihil inveniat quod adiciat suum, ac si velit aliquid dicere
grammatici magis quam disputatoris fungatur munere [Très souvent, il s’explique lui-
même dans ses discours, à tel point que celui qui le commente ne trouve rien du
sien à ajouter, et s’il veut dire quelque chose, il fait office de grammairien, plutôt
que d’argumentateur] (epist. 7,1 [CSEL 82/1] ; pour la méthode de grammairien chez
Marius Victorinus, voir PLUMER, Augustine’s Commentary, 22s.). Une telle approche
est loin de caractériser les commentaires augustiniens sur l’apôtre, et Augustin eût-
244 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

il partagé l’avis exprimé ici par Ambroise, il est douteux qu’il eût même entrepris ces
commentaires.
Ainsi, les problèmes de distinctio abordés dans les commentaires scripturaires
d’Augustin sont relativement peu nombreux, du moins pour les œuvres d’avant
l’épiscopat. Citons à titre d’exemple in psalm. 3,7 : Non ita distinguendum est, quasi
una sententia sit: ‘Exsurge, Domine; salvum me fac, Deus meus, quoniam tu percussis-
ti omnes adversantes mihi sine causa’ [Ps. 3,7s.]: non enim propterea salvum facit,
quia percussit inimicos eius; sed potius ipso salvo facto, illos percussit. Ergo ad id
quod sequitur pertinet, ut iste sit sensus: ‘Quoniam tu percussisti omnes adversantes
mihi sine causa, dentes peccatorum contrivisti’. Id est, inde contrivisti dentes peccato-
rum, quoniam percussisti omnes adversantes mihi [Il ne faut pas ponctuer comme s’il
y avait une seule phrase dans ‘Lève-toi, Seigneur, sauve-moi, mon Dieu, puisque tu
as frappé tous ceux qui s’opposaient à moi sans raison’. En effet, il ne l’a pas sauvé
parce qu’il a frappé ses ennemis. Mais, une fois qu’il l’a sauvé, il les a frappés. [Ces
mots] ont donc trait à ce qui suit, pour que l’on comprenne : ‘Parce que tu as frappé
tous ceux qui’ s’opposaient à moi sans raison, tu as broyé les dents des pécheurs’;
c’est-à-dire, si tu as broyé les dents des pécheurs, c’est parce que tu as frappé tous
ceux qui s’opposaient à moi].
Ajouter in psalm. 13,7 ; in Gal. 10.12.56 et (juste après l’episcopat) quaest. Simpl.
1,2,6. Parmi ces exemples, in psalm. 13,7 et in Gal. 12 ont un point commun notable
avec notre passage de l’Inchoata expositio : Augustin y propose des hyperbates
reliant deux morceaux de textes séparés par un élément intermédiaire :
in psalm. 13,7 : (sur Ps. 13,4s., οὐχὶ γνώσονται πάντες οἱ ἐργαζόμενοι τὴν
ἀνομίαν; οἱ κατεσθίοντες τὸν λαόν μου βρώσει ἄρτου. τὸν κύριον οὐκ ἐπεκαλέσαντο.
ἐκεῖ ἐδειλίασαν φόβῳ, οὗ οὐκ ἦν φόβος, ὅτι ὁ Θεὸς ἐν γενεᾷ δικαίᾳ) [Tous ceux qui
pratiquent l’iniquité ne sauront-ils pas ? Ceux qui dévorent mon peuple comme on
mange du pain. Ils n’ont pas fait appel au Seigneur. Ils ont fui dans la terreur, là où
il n’y avait pas de terreur, parce que Dieu est dans la géneration juste] : Ad superiora
refertur, ut sit sensus: ‘Nonne cognoscent omnes qui operantur iniquitatem quoniam
Deus in generatione iusta est ?’ [Ceci se rapporte à ce qui vient plus haut, pour que le
sens soit : ‘Ne savent-ils pas, tous ceux qui pratiquent l’injustice, que Dieu est dans
la génération juste ?’] (passage omis dans les éditions antérieures à CSEL 93, 1A).
in Gal. 12 : Nam etiam sic potest intellegi, quod ait: ‘e contrario’, ut ordo iste sit:
‘Mihi enim qui videntur, nihil apposuerunt, sed e contrario’ [Gal. 2,5s.], ‘ut nos quidem
in gentes iremus’ [Gal. 2,9] [Car on peut aussi comprendre ainsi quand il dit ‘au con-
traire’, pour que l’ordre soit comme suit : ‘Ceux qui sont réputés ne m’ont rien impo-
sé, mais au contraire’, ‘que nous, de notre part, allions parmi les nations’].
Augustin tend donc à s’occuper des problèmes de ponctuation, ou d’ordo, pour
utiliser son propre vocabulaire, quand il veut proposer une syntaxe particulière-
ment difficile. Du reste, il n’est nullement le seul à postuler des hyperbates plus ou
moins inattendues. Mis à part Origène (vide supra), on trouve des exemples bien
plus extrêmes chez Jérôme. En in Tit. 1,12–14 il tente une énorme hyperbate, passant
Commentaire | 245

de Tit. 1,5 à 1,12, pour résoudre le problème posé par τις ἐξ αὐτῶν ἴδιος αὐτῶν
προφήτης [un des leurs, leur propre prophète] (Tit. 1,12), qui semblerait autrement
se référer à οἱ ἐκ τῆς περιτομῆς [ceux venus de la circoncision] (Tit. 1,11), alors qu’il
s’agit du païen Épiménide (mais Jérôme finit par rejeter sa propre proposition : mul-
ta in medio sunt et hoc absurdum videtur [il y a beaucoup [de mots] au milieu, et cela
semble absurde]). Et en in Gal. 3,19s. (CCSL 77A, 98s.) il propose, quia vero lectionis
ordo confusus est et hyperbato perturbatur [parce que le vrai ordre du texte est
brouillé et perturbé par une hyperbate], de changer l’ordre des éléments de la
phrase : [1] Lex [2] propter transgressiones [3] posita est [4] donec veniret semen cui
promissum erat [5] ordinata [6] per angelos [7] in manu mediatoris [[1] La Loi [2] à
cause des transgressions [3] fut imposée [4] jusqu’à ce que vienne la semence à qui
fut faite la promesse [5] ordonnée [6] par les anges [7] dans la main d’un média-
teur]→ [1] Lex [3] posita est [6] per angelos [7] in manu mediatoris [2] propter trans-
gressiones [5] ordinata [6] per angelos [4] donec veniret semen cui repromissum erat
[[1] La Loi [3] fut imposée [6] par les anges [7] dans la main d’un médiateur [2] à
cause des transgressions [5] ordonnée [6] par les anges [4] jusqu’à ce que vienne la
semence à qui fut faite la promesse]. Augustin ne se permet pas de telles violences
au texte, tout comme il ne répète pas les censures de Jérôme sur la compétence litté-
raire de Paul : Profundos sensus Graeco sermone non explicat, et quod cogitat in ver-
ba vix promit [Il n’élucide pas dans la langue grecque ses idées profondes, et c’est à
peine s’il exprime par les mots ce qu’il pense] (in Tit. 1,1b–4 ; on trouve des re-
marques similaires chez Faustus le Manichéen : c. Faust. 32,7. À contraster avec la
belle étude de l’éloquence paulinienne en doctr. christ. 4,46–48.107–124).
De plus, Augustin présente ici sa ponctuation préférée comme une lecture pos-
sible (iste ordo certior et melior v i d e t u r ), mais non nécessaire. C’est que, selon
les interprétations qu’il en fournit, aucune des ponctuations proposées n’est con-
traire à l’orthodoxie ou au bons sens, et, selon le principe établi en doctr. christ.
3,9 : Ubi autem neque praescripto fidei neque ipsius sermonis textu ambiguitas expli-
cari potest, nihil obest secundum quamlibet earum, quae ostenduntur, sententiam
distinguere [Là où une ambiguïté ne peut être résolue ni par la règle de la foi, ni par
le contexte même du discours, rien n’empêche de ponctuer la phrase selon
n’importe laquelle des [ponctuations] qui se présentent].
Augustin n’est pas le seul à trouver problématique l’enchainement des idées en
Rom. 1,3s. Jean Chrysostome, hom. in Rom. 1,2 (PG 60, 397) remarque que ἀσαφὲς τὸ
εἰρημένον ἀπὸ τῆς τῶν λέξεων πλοκῆς γέγονε [ce qui est dit est ambigu à cause de
l’enchainement des mots]. Mais sa solution est différente : il voit le passage comme
proposant cinq causes par lesquelles on peut voir que Jésus est le Fils de Dieu : ἀπὸ
τῶν προφητῶν, ἐξ αὐτοῦ τοῦ τρόπου τῆς γεννήσεως, ἀπὸ τῶν θαυμάτων ὧνπερ
ἔπραττε (il comprend donc δυνάμει / virtute différemment d’Augustin), ἀπὸ τοῦ
Πνεύματος, ἀπὸ τῆς ἀναστάσεως Κυρίου [à partir des prophètes, à cause de la façon
même dont il fut engendré, à partir des miracles qu’il a faits, à partir de l’Esprit, à
partir de la résurrection du Seigneur]. Ainsi, Augustin se soucie plus que Chrysos-
246 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

tome de repérer dans le texte une structure logique qui corresponde à l’ordre des
énoncés (c’est le sens de consequenter, 5,10).

5,5 filius David in infirmitate secundum carnem


Voir déjà dans le même sens sur Rom. 1,3, Origène, Jo. 32,25,322 (commentant Io.
13,31s.) : ἡ διὰ τὸν ὑπὲρ ἀνθρώπων θάνατον δόξα οὐ τοῦ μὴ πεφυκότος ἀποθνῄσκειν
ἦν μονογενοῦς λόγου καὶ σοφίας καὶ ἀληθείας, καὶ ὅσα ἄλλα εἶναι λέγεται τῶν ἐν τῷ
Ἰησοῦ θειοτέρων, ἀλλὰ τοῦ ἀνθρώπου, ὃς ἦν καὶ υἱὸς τοῦ ἀνθρώπου, ‘γενόμενος ἐκ
σπέρματος Δαβὶδ τὸ κατὰ σάρκα’ [La gloire de sa mort pour les hommes n’appartient
pas au Verbe Fils unique, de nature immortelle, sagesse et vérité, et tous les autres
éléments plus divins qui sont dits être en Jésus, mais [cette gloire appartient] à
l’homme, qui était aussi fils de l’homme, qui est ‘né de la semence de David selon la
chair’]. Et, comme l’explique le paragraphe suivant (323), c’est justement pour cela
que Jésus dit à Io. 13,31 νῦν ἐδοξάσθη ὁ υἱὸς τοῦ ἀνθρώπου [Maintenant le fils de
l’homme a été glorifié]. Voir n. à 14,6.

5,7 Nam et si mortuus est ex infirmitate


Pour mortuus est [il est mort], on lit ἐσταυρώθη [il fut crucifié] en grec, et crucifixus
est [il fut crucifié] dans la Vulgate, sans variantes (selon Nestle-Aland28 et Gryson).
Mais la base de données Vetus Latina montre que mortuus est est une variante assez
bien attestée chez les auteurs latins. Augustin connait les deux leçons mais préfère
largement crucifixus, qu’il utilise 18 fois (civ. 16,2 ; epist. 185,49 ; 205,8 ; 238,17 ; c.
Faust. 2,11 ; in Iob 36 ; in epist. Ioh. 2,6 ; in psalm. 65,40 ; 66,32 ; 79,3 ; 101,2,10 ;
120,63 ; 150,10 ; serm. 88,1 ; 363,3 ; trin. 1,3.28 ; 13,18) contre 3 fois mortuus est (In-
choata expositio + quaest. hept. 2,60 ; in psalm. 53,17).

5,9 sedet ad dexteram Patris


L’expression n’est pas biblique, bien qu’elle ait ses racines dans Ps. 109,1,
qu’Augustin vient de citer, puis Rom. 8,34 (ad dexteram Dei [à la droite de Dieu]),
Eph. 1,20 (ad dexteram suam [à sa droite]), Hebr. 1,3 (ad dexteram maiestatis [à la
droite de la majesté]). Mais ad dexteram Patris vient des symboles de la foi, et figure
en effet non seulement dans le symbole de Nicée, mais dans les trois symboles
moins répandus (de Milan, d’Hippone, et « des catéchumènes ») auxquels Augustin
était habitué (voir FITZGERALD, Augustine s.v. Creeds). La formule est également
courante dans les « grandes doxologies » (voir DACL s.v. doxologies). Sur son em-
ploi chez Augustin, voir LA BONNARDIÈRE, L’épître, 138s., n. 4.
Les Manichéens se moquaient de l’expression, dans la lignée des critiques gnos-
tiques de l’Ancien Testament, parce qu’elle révélait, pour eux, une conception phy-
sique de Dieu. Augustin répondra donc en allégorisant : Nec nos hoc de Deo Patre
sentimus – nulla enim forma corporis Deus finitur atque concluditur – sed dextera
Patris est beatitudo perpetua quae sanctis datur [Nous non plus, nous ne pensons
pas cela de Dieu le Père – car Dieu n’est ni limité ni enfermé par aucune forme cor-
Commentaire | 247

porelle – mais la droite du Père est la béatitude perpétuelle qui est donnée aux
saints] (agon. 28 ; voir aussi symb. 11). Comme dans l’Inchoata expositio, le Christ à
la droite du Père est immédiatement associé aux élus qui le rejoindront (voir n. à
5,13, cum illo vivant).

5,11–17 Jésus, le premier des ressuscités


En expliquant pourquoi il préfère joindre praedestinatus est à resurrectione mortuo-
rum (voir n. à 5,4–7), Augustin accumule les mots qui signalent la précédence du
Christ dans la résurrection des morts : principatu … prae ceteris et ante ceteros …
primogenitum … praecesserat … caput … princeps … praecederet … praecessit [3
fois de suite].
Une réflexion sur le sens de praedestinatus éclairera ce choix lexical. praedesti-
no n’apparait pas en latin classique (voir ThLL s.v ; en Tite-Live 45,40,8, les éditeurs
adoptent généralement la correction destinantis), et le mot fut peut-être inventé par
les premiers traducteurs du Nouveau Testament. Il sert en effet, y compris dans la
Vulgate, à traduire différentes formes de προορίζω [littéralement : « pré-limiter »] en
Rom. 8,29s. ; 1 Cor. 2,7 ; Eph. 1,5.11. Dans tous ces passages, il s’agit du dessein de
Dieu pour sauver les hommes, ce qui correspond – sans entrer dans les détails du
débat avec les Pélagiens – à la « prédestination » au sens augustinien habituel (con-
traster Act. 4,28 : où il s’agit d’une décision humaine, la Vulgate traduit decre-
verunt). Or, en Rom. 1,4, praedestinatus ne traduit pas προορισθέντος mais
ὁρισθέντος [littéralement : « limité »]. La traduction n’est donc pas très exacte, et
l’est d’autant moins si Jean Chrysostome a raison de gloser ὁρισθέντος par
δειχθέντος, ἀποφανθέντος, κριθέντος, ὁμολογηθέντος [montré, révélé, jugé, admis]
(hom. in Rom. 1,2 [PG 60, 397s.]). Voir aussi Théodoret de Cyr, Rom. ad loc. (PG 82,
52), qui est très proche de l’Ambrosiaster, in Rom. 1,4 : praedestinatus est secundum
Spiritum sanctificationis in virtute m a n i f e s t a r i Filius Dei [il a été prédestiné selon
l’Esprit de sanctification pour être r é v é l é dans la puissance comme Fils de Dieu]).
Néanmoins, selon les résultats de la base de données Vetus Latina, cette traduction
est presque universelle dans l’Église latine, même si on lit definitus chez Tertullien
(adv. Prax. 27) et destinatus chez Hilaire de Poitiers (trin. 7,24).
Or, praedestinatus Filius Dei en Rom. 1,4 avait de quoi choquer, puisqu’il sem-
blait mettre le Fils en relation de subordination, sinon de postériorité dans le temps,
par rapport au Père. C’est du moins ainsi qu’ont réagi certains auteurs latins. Pour
Tyconius, c’est une des raisons (voir n. à 4,10 ; 5,13, neque ad exemplum) de com-
prendre Filius Dei ici non pas du Christ, mais de l’Église : Dominus autem noster non
est Dei filius ‘praedestinatus’, quia Deus est et coaequalis est Patri [Mais notre Sei-
gneur n’est pas le fils de Dieu ‘prédestiné’, puisqu’il est Dieu et il est égal au Père]
(Liber regularum 1,12,1). Pour Jérôme et Rufin, en hellénistes achevés, il s’agissait
plutôt d’un problème de traduction. Le premier explique : Differentiam vero graeci
sermonis προορίσας et ὁρισθέντος latinus sermo non explicat. Superior quippe sermo
ad eos refertur, qui antea non fuerunt, et priusquam fierent, de his cogitatum est, et
248 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

postea substiterunt. Inferior vero de eo quem nulla cogitatio, voluntas nulla praecessit,
sed semper fuit, et numquam ut esset, accepit exordium. Unde recte nunc de his qui
cum ante non essent, postea substiterunt, dicitur προορισθέντες. De Filio vero, hoc
est, de Domino nostro Jesu Christo, in alio loco scriptum est ὁρισθέντος, quia semper
cum Patre fuit, et numquam eum ut esset voluntas paterna praecessit [Les mots latins
ne rendent pas la différence entre les mots grecs προορίσας et ὁρισθέντος. En effet,
le premier mot fait référence à ceux qui n’existaient pas auparavant, et auxquels on
a pensé avant qu’ils ne soient faits, et ensuite ils ont existé. Mais le second [mot
indique] celui que nulle pensée, nulle volonté n’a précédé, mais qui a toujours été,
et n’a jamais reçu un moment pour commencer à être. C’est donc à bon droit que
προορισθέντες se dit ici de ceux qui n’avaient pas existé auparavant, puis ont com-
mencé à exister. Mais le Fils, c’est-à-dire notre Seigneur Jésus Christ, est dit ailleurs
ὁρισθέντος, puisqu’il a toujours été avec le Père, et la volonté paternelle ne l’a nul-
lement précédé, pour qu’il fût] (in Eph. 1,5). De même, Rufin est suffisamment gêné
par praedestinatus pour interpoler une remarque dans sa traduction du commen-
taire d’Origène sur l’épître aux Romains : Observandum est enim quia non dixit: ‘qui
p r a e d e s t i n a t u s est Filius Dei in virtute secundum Spiritum sanctificationis’, sed
‘qui d e s t i n a t u s est Filius Dei’ … Quamvis enim in latinis exemplaribus ‘praedestina-
tus’ soleat inveniri, tamen, secundum quod interpretationis veritas habet, ‘destinatus’
scriptum est, non ‘praedestinatus’. Destinatur enim ille qui est, praedestinatur vero ille
qui nondum est, sicut de his 〈de〉 quibus dicit apostolus: ‘Quos autem praescivit illos et
praedestinavit’ [Rom. 8,29]. Praesciri ergo et praedestinari possunt illi qui nondum
sunt, ille autem qui est et semper est non praedestinatur sed destinatur. [Il faut en
effet noter qu’il n’a pas dit ‘qui fut p r é d e s t i n é Fils de Dieu dans la puissance selon
l’Esprit de sanctification’, mais ‘qui fut d es t i n é Fils de Dieu’ … En effet, bien que,
dans les exemplaires latins, on trouve d’ordinaire ‘prédestiné’, néanmoins, selon
une traduction véridique, c’est ‘destiné’ qui est écrit, [et] non pas ‘prédestiné’. Car
celui qui est est destiné ; mais celui qui n’est pas encore est prédestiné, comme c’est
le cas pour ceux dont l’apôtre dit : ‘Ceux qu’il a connus par avance, il les a aussi
prédestinés’. Donc ceux qui ne sont pas encore peuvent être connus par avance et
prédestinés, mais celui qui est, et qui est toujours, n’est pas prédestiné mais destiné]
(Rufin. Orig. in Rom. 1,7,1 ; Rufin ajoute que les Ariens profitaient de la traduction
praedestinatus ; voir n. à 4,10).
Augustin, pour sa part, ne disposait peut-être pas d’un texte grec de l’épître
(voir n. à 2,5), et n’avait certainement pas le commentaire traduit d’Origène, puisque
la traduction date de 405/406 (voir SChr 532, 28). S’il connaissait déjà Tyconius (il
disposait du Liber regularum dès 396 : voir SChr 488, 91 et cf. n. à 23,8–12), son exé-
gèse a dû lui paraitre trop extravagante pour être prise en compte. Le commentaire
de Jérôme sur Eph. date de 386, donc avant l’Inchoata expositio (voir FÜRST, Hiero-
nymus, 116s.) mais il est très improbable qu’Augustin ait négligé la remarque de
Jérôme, s’il l’avait lue et s’en était souvenu. Il n’a donc pas été jusqu’à remettre en
question praedestinatus. Mais il a jugé que le mot ne devait s’appliquer au Christ
Commentaire | 249

que par rapport au salut des hommes, et non pas par rapport au Père.
L’Ambrosiaster peut lui avoir donné l’idée d’interpréter ex resurrectione mortuorum
comme la résurrection générale (‘ex mortuorum’ quia resurrectio Christi generalem
tribuit resurrectionem [‘des morts’ parce que la résurrection du Christ donne lieu à la
résurrection générale], in Rom. 1,4). Ensuite, il suffisait de joindre praedestinatus
avec ex resurrectione mortuorum (voir n. à 5,4–7) : si les élus étaient prédestinés à
ressusciter, le Christ pouvait être décrit comme prédestiné à ressusciter comme
première étape de cette résurrection générale (ex ipsorum enim resurrectione
praedestinatus est, 5,13)
Il n’en restait pas moins que le verbe praedestinatus était appliqué directement
à Jésus. Cela n’a pas paru intolérable à Augustin, qui va dire : non enim sic prae-
destinari oportuit nisi Filium Dei (5,12 ; on a déjà vu, n. à 5,4–7, qu’il ne tenait pas
absolument à séparer praedestinatus de Filius Dei). Il faut comprendre qu’il accep-
tait déjà de résoudre le problème par l’unité des deux natures du Christ, comme il le
fera bien plus tard, quand il commentera Rom. 1,1–4 en praed. sanct. 31 : Nam et
ipsum Dominum gloriae, in quantum homo factus est Dei Filius, praedestinatum esse
didicimus … Ipsa est illa ineffabiliter facta hominis a Deo verbo susceptio singularis,
ut Filius Dei et filius hominis simul, filius hominis propter susceptum hominem, et
Filius Dei propter suscipientem unigenitum Deum, veraciter et proprie diceretur; ne
non Trinitas, sed quaternitas crederetur. Praedestinata est ista naturae humanae
tanta et tam celsa et summa subvectio. [En effet, nous avons appris que le Seigneur
de la gloire lui-même, dans la mesure où le Fils de Dieu s’est fait homme, a été pré-
destiné … C’est là l’inexprimable et unique assomption de l’homme, accomplie par
Dieu le Verbe, pour qu’il soit correctement et proprement appelé à la fois Fils de
Dieu et fils de l’homme, fils de l’homme à cause de l’homme assumé, et Fils de Dieu
à cause du Dieu-engendrement unique, qui assume : sinon il faudrait croire non pas
à la Trinité, mais à la Quaternité. C’est cette élévation, si grande, si haute, de la na-
ture humaine au sommet qui fut prédestinée] (voir aussi in euang. Ioh. 105,8. La
même idée est déjà chez Rufin. Orig. in Rom. 1,8,2 : quod per indissolubilem unitatem
verbi et carnis omnia quae carnis sunt adscribuntur et verbo [puisque, par
l’indissoluble unité du Verbe et de la chair, tout ce qui appartient à la chair est aussi
mis au compte du Verbe]. Mais pour Origène, le problème posé est de savoir com-
ment ἐξ ἀναστάσεως νεκρῶν [à partir de la résurrection des morts], qu’Origène, à
l’encontre d’Augustin et de l’Ambrosiaster, comprend de la seule résurrection de
Jésus, peut s’appliquer à Filius Dei).

5,11 Non enim resurrectione ipsa sua …


La formule est osée, puisqu’elle semble dévaloriser la résurrection de Jésus. Mais
Augustin veut indiquer que même celle-ci ne prend son vrai sens que par la résur-
rection qu’elle confère aux croyants. Il utilisera un langage encore plus hardi en
serm. 169,12 (sur Phil. 3,10) : Hoc putatis esse magnum, quia carnem suam resuscita-
vit? Ipsam dixit ‘virtutem resurrectionis eius’ [Phil. 3,10]? Nonne erit etiam nostra in
250 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

fine saeculi resurrectio? … Nonne quomodo ‘ipse resurrexit a mortuis, et iam non mori-
tur, et mors ei ultra non dominabitur’ [Rom. 6,9], sic et nos, mirabilius, ut ita dicam?
Nam illius ‘caro non vidit corruptionem’ [Act. 2,31], nostra de cinere reparatur [Pen-
sez-vous que c’est quelque chose de grand, qu’il ait ressuscité son propre corps ?
Est-ce cela qu’il appelle ‘la puissance de sa résurrection’ ? N’y aura-t-il aussi notre
résurrection à la fin des temps ? … N’est-ce pas que, tout comme ‘il est ressuscité des
morts et désormais il ne meurt pas, et la mort n’aura plus d’emprise sur lui’, il en
sera de même pour nous, un plus grand miracle, si je puis le dire. Car sa ‘chair n’a
pas vu la corruption’ ; la nôtre sera recréée à partir des cendres].
Voir aussi la belle exégèse en in psalm. 3,9 : ‘Exsurge, Domine, salvum me fac,
Deus meus’ [Ps. 3,7]. Potest hoc ipsi capiti suo corpus dicere; illo enim exsurgente
salvum factum est, ‘qui ascendit in altum, captivam egit captivitatem, dedit dona
hominibus’ [Eph. 4,8]. Hoc enim in p r a e d e s t i n a t i o n e a propheta dicitur, quousque
ad terras Dominum nostrum illa de qua in evangelio [Mt. 9,37] dicitur messis matura
deposuit, cuius salus est in eius resurrectione, qui pro nobis dignatus est mori [‘Lève-
toi, Seigneur, sauve-moi, mon Dieu’. Le corps peut dire cela à sa propre tête,
puisque, quand il se lève, celui qui est monté en haut, qui a fait captive la captivité,
qui a donné des dons aux hommes’, [le corps] est sauvé. En effet, ceci fut dit par le
prophète en vue de la p r éd e s t i n a t i o n , jusqu’au moment où cette moisson mûre
dont on parle dans l’Évangile déposerait notre Seigneur dans [nos] terres, [cette
moisson] dont le salut est dans la résurrection de celui qui a daigné mourir pour
nous]. Ce praedestinatione est peut-être un souvenir de Rom. 1,4, tout comme le
Christ caput ecclesiae (tête de l’Église) se retrouve ici et dans Inchoata expositio 5,11.

5,12 unde illum alio loco primogenitum ex mortuis appellat


Alio loco doit signifier « dans un endroit autre que Rom. 1 », puisque Paul appelle
Jésus primogenitum ex mortuis (πρωτότοκος ἐκ τῶν νεκρῶν) au même verset de Col.
où il le dit être caput ecclesiae (ἡ κεφαλὴ [τοῦ σώματος] τῆς ἐκκλησίας). Mais Au-
gustin pense peut-être aussi à 1 Cor. 15,20, où le Christ est dit ἀπαρχὴ τῶν κεκοιμη-
μένων / primitiae dormientium [prémices de ceux qui se sont endormis].
En in Rom. 48, Augustin a écrit une phrase presque identique (unde et alio loco
primogenitum eum a mortuis dicit [c’est pourquoi, ailleurs aussi, il l’appelle le pre-
mier-né d’entre les morts]) ; là il s’agit du parallèle entre Rom. 8,29 et Col. 1,18.

5,13 neque ad exemplum omnium resurgentium


Ici commence un développement, qui continuera jusqu’en 5,17, fondé sur une lec-
ture qui fait de Iesu Christi Domini nostri un génitif dépendant de mortuorum. De fait,
comme le fait remarquer RING (n. à 5,15 ; 5,17), Augustin, par le biais de la traduction
latine, a presque certainement mal compris Paul. On voit généralement Ἰησοῦ
Χριστοῦ τοῦ κυρίου ἡμῶν en Rom. 1,4 comme étant un génitif en apposition à (περὶ)
τοῦ υἱοῦ αὐτοῦ en Rom. 1,3. Comme le texte latin traduisait de filio suo, il aurait dû
continuer avec un second ablatif, Iesu Christo Domino nostro. On trouve la même
Commentaire | 251

erreur déjà chez Tyconius, où elle contribue à lui faire vouloir appliquer filio suo non
pas au Christ mais à l’Église (voir n. à 4,10 ; 5,11–17) : Si diceret ‘de filio suo ex resur-
rectione mortuorum’, unum filium ostenderat; nunc autem ‘de filio’, inquit, ‘suo ex
resurrectione mortuorum Iesu Christi Domini nostri’ [S’il avait dit ‘à propos de son fils
à partir de la résurrection des morts’, il aurait désigné un seul fils. Mais ici il dit ‘à
propos de son fils à partir de la résurrection des morts de Jésus Christ notre Sei-
gneur’] (Tycon. reg. 1,12,1). Comprendre : Paul mentionne deux « fils », filio suo et
Iesu Christi, et il ne peut s’agir du même être. Augustin a trop de bon sens pour être
induit en pareille erreur.
Pour ce qui sépare la résurrection des justes de celle des mauvais, voir doctr.
christ. 1,37 : Cuius autem animus non moritur huic saeculo neque incipit configurari
veritati, in graviorem mortem morte corporis trahitur neque ad commutationem
caelestis habitudinis sed ad luenda supplicia revivescit [Mais celui dont l’âme ne
meurt pas à ce monde, et ne commence pas à se conformer à la vérité, est entraîné
dans une mort plus grave que la mort du corps, et il ressuscite non pas pour être
transformé dans l’état céleste, mais pour expier dans les tourments]. Évidemment,
le Christ ne pouvait être considéré comme l’exemplum pour une telle résurrection
(voir aussi Origène, Jo. 2,17,117s. : καὶ πρῶτόν γε ἴδωμεν τὸ ‘οὐκ ἔστι Θεὸς νεκρῶν
ἀλλὰ ζώντων’ [Mc. 12,27] ἴσον δυνάμενον τῷ οὐκ ἔστιν ἁμαρτωλῶν ἀλλὰ ἁγίων Θεός
[Et notons d’abord que ‘il n’est pas le Dieu des morts mais des vivants’ équivaut à ‘il
n’est pas le Dieu des pécheurs mais des saints’]).
MARA, Agostino interprete, sur ce passage (172s. n. 19) est à corriger. Elle renvoie
à Origène, comm. in Rom. 1,6 (= 1,8,3) pour « un’interpretazione vicina » sur Eph.
2,6. Mais Origène dit là, sur la base de Mt. 27,52s. et Hebr. 12,23, que certains
hommes ont pu être prémices de la résurrection en union avec le Christ (in primiti-
vatu participes [participants dans les prémices]), et seraient déjà au ciel avec lui. Ces
spéculations sont étrangères à la pensée d’Augustin ici.

5,13 cum illo vivant et regnent in sempiterno


Augustin adopte la formule liturgique ancienne (voir JUNGMANN, Missarum Sollem-
nia, 472s.), et encore en usage aujourd’hui. C’est d’ordinaire du Christ que l’on dit
qu’il vit et régne avec le Père, si bien que l’allusion liturgique renforce le thème de
l’incorporation des ressuscités dans le Christ (voir n. à 5,9).

5,13 ceterorum autem in sua conditione resurgentium non princeps sed iudex
est
On peut s’étonner de lire que le Christ ne jugera pas les élus, quand des textes
comme 2 Cor. 5,10 ou Mt. 25,31–46 parlent clairement d’un jugement pour tous. Bien
entendu, Augustin ne nie nullement un jugement universel, mais il sait que la Bible
parle ailleurs du jugement comme réservé aux méchants, et il doit faire la part de
ces deux langages : Cum audimus ‘qui credit in Christum, non veniet in iudicium’ [Io.
3,18], intellegamus quia non veniet in damnationem. Dicitur enim iudicium pro dam-
252 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

natione [Quand nous entendons ‘celui qui croit au Christ ne viendra pas au juge-
ment’, comprenons qu’il ne viendra pas à la condamnation. Car ‘jugement’ est dit
pour ‘condamnation’] (agon. 29) ; omnes et iusti et iniusti resurrecturi sunt. Sed, sicut
Dominus in evangelio loquitur, ‘qui bene fecerunt, in resurrectionem vitae; qui vero
male egerunt, in resurrectionem iudicii’ [Io. 5,29], iudicium appellans poenam sempi-
ternam, sicut alio loco: ‘Qui non credit’, inquit, ‘iam iudicatus est’ [Io. 3,18] [Tous, et
les justes et les impies, ressusciteront. Mais, comme le Seigneur le dit dans
l’Évangile, ‘ceux qui ont fait le bien, pour la résurrection de la vie, mais ceux qui ont
mal agi, pour la résurrection du jugement’, appelant ‘jugement’ la peine éternelle,
comme il dit ailleurs : ‘Celui qui ne croit pas est déjà jugé’] (epist. 205,14). À rebours,
un autre texte peut l’inciter à appliquer le jugement seulement aux bons : ‘Impii non
resurgunt in iudicio’ [Ps. 1,5]: id est, resurgunt quidem, sed non ut iudicentur, quia iam
poenis certissimis destinati sunt [‘Les impies ne ressusciteront pas dans le juge-
ment’ : c’est-à-dire, ils ressusciteront, mais non pour être jugés, puisqu’ils sont déjà
destinés à des peines très certaines] (in psalm. 1,5 ; similairement in psalm. 25,2,6).
Le principe fondamental pour Augustin est donc que tous seront jugés, et les
textes qui semblent dire autre chose sont à interpréter en fonction de ce principe.
Contraster la vision très littérale (et peu orthodoxe) de Lactance, en inst. 7,20,5 : Ps.
1,5 indique que les païens ne ressusciteront pas du tout : quoniam sententia de his in
absolutionem ferri non potest, iam iudicati damnatique sunt [parce qu’une sentence
d’absolution pour eux ne peut être portée, ils sont déjà jugés et condamnés] – et la
résurrection et le jugement sont ensuite réservés aux croyants.
Chez Augustin, l’équivalence jugement-condamnation au moment du Jugement
Dernier n’est que l’accomplissement de ce qui se passe déjà dans notre for intérieur :
Numquid enim Deus continetur loco, quem praesentem habet omnis angelica et hu-
mana conscientia, non solum bonorum sed etiam malorum? Verum hoc interest, quod
bonis conscientiis adest ut pater, malis ut iudex [Est-ce que, en effet, Dieu est conte-
nu dans un espace, lui qui est présent dans toute conscience angélique et humaine,
non seulement des bons, mais aussi des mauvais ? Mais la différence, c’est qu’il est
présent pour les bonnes consciences comme un père, pour les mauvaises comme un
juge] (serm. 12,3).

6,1 gratiam cum omnibus fidelibus, apostolatum autem non cum omnibus
Augustin voit gratiam comme faisant référence à la grâce salvifique dont auront
besoin tous les élus, et la sépare donc entièrement d’apostolatum, le don de conver-
tir, donné seulement à ceux dont c’est la mission. Cette séparation n’est pas fré-
quente dans les commentaires sur Rom. Origène avait compris gratiam (χάριν)
comme étant justement le don de convertir octroyé aux apôtres : Neque enim gentes
quae erant alienae a testamento Dei et conversatione Israhel credere poterant evange-
lio nisi per gratiam quae apostolis fuerat data, per quam praedicantibus apostolis in
fidem oboedire dicuntur et in omnem terram de nomine Christi sonus gratiae eorum
commemoratur exisse [Rom. 10,18] [En effet, les gentils qui étaient étrangers au tes-
Commentaire | 253

tament de Dieu et à la vie d’Israel n’auraient pas pu croire à l’Évangile, sans la grâce
qui fut donnée aux apôtres. Par celle-ci, il est dit qu’ils ont obéi dans la foi à la pré-
dication des apôtres, et que le retentissement de leur grâce, venant du nom du
Christ, est dit être sorti par toute la terre] (Rufin. Orig. in Rom. 1,9,2). Jean Chrysos-
tome comprend χάριν dans deux sens : Paul indique à la fois qu’il n’est pas devenu
apôtre par ses mérites (οὐχ ἡμεῖς αὐτὸ καθωρθώσαμεν τὸ γένεσθαι ἀπόστολοι …
ἀλλὰ χάριν ἐλάβομεν [Ce n’est pas nous qui avons réussi à devenir apôtres … mais
nous avons reçu la grâce]; même réflexion sur κλητὸς ἀπόστολος [appelé [comme]
apôtre], en hom. in 1 Cor. 1,1 [PG 61, 11s.]) et que c’est la grâce qui a rendu efficace sa
prédication (οὐχ ἄρα οἱ ἀπόστολοι ἦσαν οἱ καθορθοῦντες ἀλλ’ ἡ προοδοποιοῦσα
χάρις αὐτοῖς [Ce ne sont pas les apôtres qui réussissaient, mais la grâce qui leur
préparait le chemin]) (hom. in Rom. 1,2s. [PG 60, 398]). Théodoret de Cyr ne va pas
au-delà de l’interprétation d’Origène (Dieu est ἀναλογοῦσαν τῷ κηρύγματι δωρησά-
μενος χάριν [ayant octroyé la grâce appropriée pour la prédication], in Rom. 1,5 [PG
82, 52]). La séparation ne semble donc pas venir de la tradition grecque. Par contre,
BASTIAENSEN (Augustine’s Pauline Exegesis, 35s.) et MARA (Agostino Interprete, 174 n.
21) suggèrent avec raison qu’Augustin a pu s’inspirer ici de l’Ambrosiaster, qui
écrit : post resurrectionem manifestatus Filius Dei in virtute gratiam dedit iustificans
peccatores [après la résurrection, révélé [comme] Fils de Dieu dans la puissance, il
donna la grâce, en justifiant les pécheurs] (in Rom. 1,5). Mais Bastiaensen a tort de
conclure « Augustine’s understanding of the text is the same as Ambrosiaster’s, but
formulated in a much clearer way ». Pour l’Ambrosiaster la grâce dont il est question
ici reste surtout celle donnée aux apôtres pour la prédication, dont il ajoute qu’elle
se manifeste par les miracles : ut apostolatus cum gratia esset doni Dei, non sicut
Iudaeorum sunt apostoli. A Deo ergo Patre hanc acceperunt potestatem, ut vice Domi-
ni signis doctrinam dominicam acceptabilem facerent [pour que l’apostolat soit avec
la grâce du don de Dieu, non pas comme pour les apôtres des Juifs. Ils ont donc reçu
cette puissance de Dieu le Père, pour [agir] à la place du Seigneur, [et] rendre accep-
table par les signes la doctrine du Seigneur]. Cette pensée diffère de celle
d’Augustin, qui veut souligner que les apôtres ont d’abord reçu une grâce qui n ’ e s t
p a s spéciale, parce qu’ils étaient dans le péché comme tous. C’est donc plutôt sa
réflexion antérieure sur l’hostilité apparente de Paul, dans Gal., aux autres apôtres,
qui nourrit sa pensée ici : Neque in contumeliam praecessorum eius putet quis ab eo
dictum ‘qui videntur esse aliquid – quales aliquando fuerint, nihil mea interest’ [Gal.
2,6]. Et illi enim tamquam spiritales viri volebant resisti carnalibus, qui putabant ali-
quid ipsos esse et non potius Christum in eis, multumque gaudebant, cum persuade-
retur hominibus et seipsos praecessores Pauli, sicut eundem Paulum, ex peccatoribus
iustificatos esse a Domino [Et que nul ne pense que c’est par mépris de ses prédéces-
seurs qu’il a dit ‘ceux qui semblent être quelque chose – ce qu’ils furent par le pas-
sé, peu m’importe’. En effet, eux aussi, en tant qu’hommes spirituels, voulaient
résister aux hommes charnels, qui pensaient qu’ils étaient eux-mêmes quelque
chose, plutôt que le Christ en eux. Et ils étaient très joyeux quand les hommes
254 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

étaient convaincus que même eux, les prédécesseurs de Paul, tout comme ce même
Paul, furent pécheurs avant d’être justifiés par le Seigneur] (in Gal. 13). Pour Augus-
tin, Paul, l’ennemi du Christ devenu chrétien, est un type des apôtres, et non pas
l’exception parmi eux. Ainsi reviendra-t-il sur Paul pécheur dans Inchoata exposi-
tio, 14,6 ; 21,4–7 ; voir n. suivante.

6,1 tamquam enim meritis priorum operum


Augustin reprend et modifie les mots utilisés en 1,3 (tamquam de meritis operum
legis) dans sa description des Juifs convertis réfutés par Paul. Il met ainsi en valeur
le parallèle entre le chemin personnel de Paul et celui voulu par Dieu pour tous les
Juifs, et même tous les hommes (voir n. à 1,1–3) qui seront sauvés. C’est de même
qu’Augustin voudra dans les Confessions universaliser son expérience personnelle
de conversion (voir P. COURCELLE, Les Confessions de saint Augustin dans la tradi-
tion littéraire, Paris 1963, 119. Mais ce livre n’aurait-il pas dû consacrer plus d’espace
à Paul ? Voir n. à 15,3, quanto possunt ; 15,12, ad ubera sua ; 21,4.5.7).
Le mot meritum, qui n’est pas biblique, pèse lourd dans la théologie augusti-
nienne des œuvres et de la grâce. Voir par exemple divers. quaest. 68,3, la première
des exégèses détaillées de Rom. 9 où Augustin expose son idée de la massa pecca-
ti [masse du péché]: Cum ergo m e r i t u m peccando amiserimus, et misericordia Dei
remota nihil aliud peccantibus nisi aeterna damnatio debeatur, quid sibi vult homo de
hac massa, ut Deo respondeat et dicat: ‘Quare sic me fecisti?’ [Rom. 9,20] Si vis ista
cognoscere, noli esse lutum, sed efficere filius Dei per illius misericordiam, qui dedit
potestatem filios Dei fieri credentibus in nomine eius [Io. 1,12], non autem, quod tu
cupis, antequam credant divina nosse cupientibus. Merces enim cognitionis m e r i t i s
redditur; credendo autem m e r i t u m comparatur. Ipsa autem gratia, quae data est per
fidem, nullis nostris m e r i t i s praecedentibus data est. Quod est enim m e r i t u m pec-
catoris et impii? Christus autem pro impiis et peccatoribus mortuus est [Rom. 5,6], ut
ad credendum non m e r i t o , sed gratia vocaremur, credendo autem etiam m e r i t u m
compararemus [Puisque nous avons perdu notre m é r i t e par le péché, et, quand la
miséricorde de Dieu s’éloigne, plus rien n’est dû aux pécheurs à part la damnation
éternelle, pour qui se prend-il, l’homme de cette masse, pour répondre à Dieu et
dire: ‘Pourquoi m’as tu fait ainsi ?’ Si tu veux savoir cela, ne sois pas du limon, mais
transforme-toi en fils de Dieu par la miséricorde de celui qui a donné le pouvoir de
devenir fils de Dieu à ceux qui croient en son nom, et non pas, comme tu le désires,
à ceux qui désirent connaitre les choses divines avant de croire. En effet, la récom-
pense de la connaissance est donnée aux m é r i t e s , mais le m é r i t e est acquis par
l’acte de croire. Or cette grâce, qui est donnée à travers la foi, est donnée sans aucun
m é r i t e préalable de notre part. Car quel est le mérite du pécheur et de l’impie? Mais
le Christ est mort pour les pécheurs et les impies, pour que nous soyons appelés à
croire, non pas par le m é r i t e mais par la grâce, et pour que nous acquérions en-
suite le m é r i t e par l’acte de croire]. La notion selon laquelle l’homme pouvait méri-
ter le salut impliquait par contrecoup que Dieu avait un devoir de le conférer, et
Commentaire | 255

cette façon de penser est devenue intolérable à Augustin. Voir dans l’Inchoata expo-
sitio : 7,5 : benignitatem Dei potius quam m e r i t u m illorum ; 7,6 : prior enim dilexit
nos ante omnia m e r i t a (avec n. de RING ad loc.) ; 9,6 : paenitentiae m e r i t u m gratia
praecedat ; 11,6 : non m e r i t i s operum priorum, sed secundum misericordiam Dei.
Voir aussi n. précédente, n. à 1,1–3 ; 7,7 ; 9,1–6, et AugLex s.v. meritum, 4.

6,2 ceteris membris post caput corporis supereminent


Chez les auteurs classiques, superemineo se construit avec l’accusatif (Virgile,
Énéide 1,498 : deas supereminet omnes [elle surpasse toutes les déesses]. Pour plus
d’exemples, voir les lexiques. Le verbe est essentiellement poétique). Mais, selon les
résultats de LLTA, à partir du 4ème siècle, peut-être sous l’influence d’Eph. 3,19 (τὴν
ὑπερβάλλουσαν τῆς γνώσεως ἀγάπην τοῦ Χριστοῦ [l’amour du Christ qui surpasse
la connaissance], généralement rendu par supereminentem scientiae caritatem Chris-
ti), les auteurs chrétiens commencent à employer le verbe avec le datif. Hilaire de
Poitiers ne l’emploie que deux fois avec un objet, mais celui-ci est alors au datif :
primo illi superioris caeli circulo supereminens [surpassant le premier cercle de ce
ciel supérieur] (in psalm. 135,11) ; supereminens facturis omnibus [surpassant toutes
les créations] (trin. 6,38). On trouve aussi le datif chez Faustinus « le Luciférien » :
supereminens mundo nobilitas [l’excellence surpassant le monde] (De Trinitate 38,
CCSL 69). Ambroise continue à employer l’accusatif (Ioseph 3,13 ; spir. sanct. 1,118),
mais préfère le datif : crux supereminens corpori [la croix surpassant le corps] (patr.
31) ; populus Dei … supereminet terris [le peuple de Dieu … surpasse les terres] (in
Luc. 9,29) ; supereminentem ceteris elephantum [un éléphant surpassant tous les
autres] (off. 1,40) ; rationabile, quod ceteris animae virtutibus supereminet [la ratio-
nalité, qui surpasse toutes les autres vertus de l’âme] (spir. sanct. 2,126) ; iniquitates
meae … supereminent mihi [mes crimes … me surpassent] (in psalm. 37,29). Par
contre, Rufin se limite à l’accusatif (Apologia 1,17 ; Traductions : Basile, serm.
5,108 ; Origène, De principiis 1,1,8 ; 4,1,63 ; hom. in Ex. 2,1 ; hom. in Lev. 7,5 ; hom.
in Num. 21,1 ; Cant. 2 [GCS 33, 153] ; Eusèbe, Histoire Ecclésiastique 8,1,6 ; Ps.-
Clément, Recognitiones 5,22). Jérôme n’emploie jamais le verbe avec un objet, sauf
quand il cite Eph. 3,19.
Quant à Augustin, il emploie superemineo souvent, et quand il lui donne un ob-
jet, celui-ci est toujours au datif : Deus … ipsi menti supereminet [Dieu … surpasse
l’esprit même] (vera relig. 189) ; supereminere terrae [surpasser la terre] (gen. c. Ma-
nich. 2,12 ; voir cons. euang. 4,15) ; ceteris vero supereminere naturis [mais surpasser
toutes les autres natures] (mus. 6,55) ; superioribus creaturae tuae partibus supere-
minens [surpassant les parties supérieures de ta création] (conf. 7,24) ; eius evange-
lium superemineat ceteris [son Evangile surpasse tous les autres] (spec. 197) ; corpori
supereminens [surpassant le corps] (quaest. euang. 2,41) ; supereminens omnibus
veritas [la vérité qui surpasse tout] (in psalm. 33,2,6) ; aquis circumfluentibus supe-
reminet [[la terre] surpasse les eaux qui coulent autour d’elle] (in psalm. 135,7) ;
inferiori mari supereminet [[la cité] surpasse la mer en-dessous d’elle] (ibid.) ; quod
256 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

supereminens esset omnibus [qu’il les surpassait tous] (serm. 169,5 ; voir de mend.
41 ; c. Cresc. 2,15) ; Deus supereminens omnibus quae fecit [Dieu surpassant tout ce
qu’il a fait] (serm. 293A(augm),8) ; supereminens universae creaturae [surpassant
toute créature] (serm. 341(augm),7) ; illam, quae supereminet donis omnibus, carita-
tem [cette charité qui surpasse tous les dons] (virg. 47).
Blaise s.v. superemineo, a tenté de donner un sens spécifique au verbe quand il
prend le datif : « être supérieur à ». Cette notice est à corriger : l’usage varie selon les
auteurs et non selon le sens.

6,3 et signentur in eius nomine


Comme le signale RING (n. ad loc.), signentur fait référence au baptême. Blaise ne
note pas « baptiser » comme sens de signo dans son Dictionnaire (il faut attendre
l’analyse de ThLL), mais voir RING, Le Vocabulaire latin des principaux thèmes li-
turgiques, Turnhout 1966, §329, pour l’emploi de signo, signum, signaculum dans les
anciennes liturgies baptismales. Le sens baptismal de signare est particulièrement
lié à signaculum (« sceau »), employé dès Tertullien pour le baptême (Blaise s.v., 8,
et Inchoata expositio 18,7), tout comme l’est son équivalent grec, σφραγίς, dès Clé-
ment d’Alexandrie (Lampe s.v., C).

7,1–5 Questions et réponses en Rom. 1,1–7


L’analyse d’un texte de l’Écriture comme une série d’éléments qui répondent cha-
cun à une question amenée par l’élément précédent est fréquente chez Augustin.
Ainsi doctr. christ. 4,108s., sur Gal. 3,18–21 : ‘Si enim ex lege hereditas, iam non ex
promissione. Abrahae autem per promissionem donavit Deus’. Et quia o c c u r r e r e
poterat audientis cogitationi : ‘Ut quid ergo lex data est, si ex illa non est hereditas ?’,
ipse sibi hoc obiecit atque ait velut interrogans: ‘Quid ergo lex?’ Deinde respondit:
‘Transgressionis gratia proposita est, donec veniret semen, cui promissum est, disposi-
tum per angelos in manu mediatoris. Mediator autem unius non est, Deus vero unus
est’. Et hic o c c u r r e b a t , quod sibi ipse proposuit: ‘Lex ergo adversus promissa Dei?’
Et respondit: ‘Absit’, reddiditque rationem dicens: ‘Si enim data esset lex, quae posset
vivificare, omnino ex lege esset iustitia. Sed conclusit scriptura omnia sub peccato, ut
promissio ex fide Iesu Christi daretur credentibus’ [‘En effet, si l’héritage vient par la
Loi, il ne vient plus par la promesse. Mais Dieu fit son don à Abraham à travers la
promesse’. Et puisque l a q u e s t i o n pouvait s e p r és e n t e r dans la pensée de
l’auditeur : ‘Pourquoi donc la Loi fut-elle donnée, si l’héritage ne vient pas d’elle ?’,
il s’est fait cette objection à lui-même, et dit, comme s’il posait la question : ‘Qu’est
donc la Loi ?’ Puis il a répondu : ‘Elle fut ajoutée à cause de la transgression, jusqu’à
ce que vienne la semence à qui la promesse fut donnée, [la semence] ordonnée par
les anges, dans la main d’un médiateur. Or il n’y pas de médiateur pour un seul,
mais Dieu est un seul’. Et ici s e p r é s e n t a i t u n e q u e s t i o n , qu’il s’est lui-même
posée : ‘La Loi est-elle donc opposée aux promesses de Dieu ?’ Et il a répondu : ‘Loin
de là’, et il a donné la cause, en disant : ‘Car si une Loi avait été donnée, qui pouvait
Commentaire | 257

donner la vie, la justice viendrait entièrement de la Loi. Mais l’Écriture a tout enfer-
mé dans le péché, pour que la promesse soit donnée par la foi en Jésus Christ à ceux
qui croient’]. Noter la répétition d’occurrere, comme en Inchoata expositio 7,2 : quia
occurebat … quia occurrebat. Pour d’autres exemples de telles analyses chez Au-
gustin, voir in psalm. 7,3 ; 9,20 ; 25,2,1 ; de serm. dom. 1,19 ; 2,71 ; quaest. Simpl.
1,1,1s.7 ; 1,2,15 ; doctr. christ. 3,6–8 ; c. Faust. 13,7s. (Augustin présente Jérémie
comme en dialogue avec un catéchumène d’origine païenne) ; epist. 149,9.
C’est là encore une méthode de grammairien (voir n. à 5,4–7 ; 7,5 ; 11,3). Ainsi
fonctionne, par exemple, la glose de Donat sur Térence, Eunuche 766s., où la ré-
plique de Thaïs est présentée comme si elle répondait à une série de questions im-
plicites de Chremes ou de Thrason (Thaïs dit à Chremes d’aller directement chez le
soldat Thrason, pour prendre sous sa tutelle sa sœur perdue, Pamphila) : ‘Hoc modo
dic, sororem illam tuam esse et te parvam virginem amisisse, / nunc cognosse. Signa
ostende’. Ordine exsequitur. Primo utrum personam habeat: ‘Dic sororem’ inquit ‘esse
illam tuam’. Utrum negotium habeat: ‘Et te parvam virginem amisisse’. Cur hodie
agat: ‘Nunc cognosse’. Et unde probet: ‘Signa ostende’ [‘Tu diras seulement : c’est ta
sœur, et tu l’avais perdue quand c’était une jeune vierge ; maintenant tu l’as recon-
nue. Montre les signes’. Elle poursuit dans l’ordre. Premièrement : a-t-il un rôle
approprié ? ‘Tu diras’, dit-elle, ‘que c’est ta sœur’. Y a -t-il affaire ? ‘Et tu l’avais per-
due quand c’était une jeune vierge’. Pourquoi fait-il ça aujourd’hui ? ‘Maintenant tu
l’as reconnue’. Et comment le prouvera-t-il ? ‘Montre les signes’] (voir aussi Donat
sur Térence, Hecyra 327–329).
Dans un commentaire d’école, l’objet de ces découpages textuels est de montrer
la cohérence du propos, que l’auteur a dit ce qu’il fallait dans l’ordre où il le fallait.
C’est là une question d’esthétique et de rhétorique. Dans une exégèse scripturaire, il
s’agit surtout d’arriver à une compréhension plus profonde du texte. Mais ces deux
approches ne s’excluent pas. Dans le passage de doctr. christ. que nous venons de
citer, l’extrait de Paul, qui a été choisi justement parce que certaines questions
d’enchainement sont placées dans le texte par l’auteur même, fait partie de l’exposé
sur la rhétorique chrétienne : Gal. 3,18–21 sont présentés comme un modèle de la
dictio submissa [style simple]. Et le but de cette façon d’écrire ou de parler serait
d’enseigner clairement, en tenant toujours compte de la réaction de l’élève : Pertinet
ergo ad docendi curam non solum aperire clausa et nodosa solvere quaestionum, sed
etiam dum hoc agitur, aliis quaestionibus, quae fortassis inciderint, ne id quod dici-
mus improbetur per illas aut refellatur, o c c u r r e r e [Il relève donc du devoir de
l’enseignant non seulement d’ouvrir ce qui est fermé et de résoudre les questions
complexes, mais aussi, tout en faisant cela, d’a l l e r à l ’ e n c o n t r e des autres ques-
tions qui peuvent se présenter, pour éviter que ce que nous disons ne soit désap-
prouvé ou falsifié par ces [questions]] (doctr. christ. 4,110). La présentation de Rom.
1,1–7 dans l’Inchoata expositio comporte donc un éloge implicite de ses qualités
didactiques et rhétoriques. Du reste, Augustin se servira très fréquemment lui-même
des couples questions-réponses dans la prédication, y compris pour des traitements
258 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

exégétiques très similaires à celui présenté ici (e.g. serm. 159,17 ; 160,2 ; 162C,11 ;
170,4 ; 176,2 ; 179,4 ; 182,2 ; 198 (augm),30.32) : ainsi, il illustre et imite en même
temps la rhétorique des auteurs bibliques.
En effet, quelle que soit la valeur de cette succession de questions-réponses
pour l’étude de Paul (et elle n’est pas forcément négligeable), il s’agit bien d’une
façon d’écrire typique d’Augustin lui-même. Par ailleurs, qui ne reconnaitra pas en
lisant la fin de doctr. christ. 4,110 un des risques que courait son auteur ? Fit autem,
ut cum incidentes quaestioni aliae quaestiones et aliae rursus incidentibus incidentes
pertractantur atque solvuntur, in eam longitudinem ratiocinationis extendatur inten-
tio, ut nisi memoria plurimum valeat atque vigeat, ad caput, unde agebatur, disputa-
tor redire non possit [Mais il arrive, quand on discute et résout les autres questions
qui se présentent à la suite d’une question, puis encore les questions qui se présen-
tent à la suite de celles qui se sont présentées, que l’effort du raisonnement s’étende
sur une telle distance, que – à moins que sa mémoire soit très puissante et très ac-
tive – celui qui raisonne ne peut pas revenir au premier point dont il s’agissait].
C’est bien ainsi, en répondant aux incidentes quaestiones, qu’Augustin est parvenu à
consacrer tout un livre aux sept premiers versets de l’épître aux Romains.
Voir sur ces problèmes de composition les belles pages de MARROU, Saint Au-
gustin, sur la digression chez Augustin (59–76), et les pages tout aussi belles où
Marrou se dédit de sa propre analyse (665–672). Retenons-en à la fois que « s’en
tenir rigoureusement au sujet, comme le recommande le goût d’aujourd’hui, était
un souci qui ne tourmentait guère les anciens » (75), et qu’en vérité Augustin, quelle
que soit l’ampleur de ses digressions, perdait très rarement le fil de ses idées (667s. ;
voir cependant n. à 5,4–7 ; 13,6 ; 21,1s.).
L’analyse d’Augustin ici est une expansion de celle de l’Ambrosiaster : Igitur
quattuor modis scribit Romanis … primus modus est quo se ostendit quid sit et cuius
sit et quid fuerit, quo et hereses percutit [Donc il écrit aux Romains en quatre temps …
Dans un premier temps, il se révèle : ce qu’il est, et à qui il appartient, et ce qu’il
avait été. Par là, il frappe aussi les hérésies] (in Rom. prol. 4, rec. γ).

7,2 sed quia occurrebat ‘Quod evangelium?’


Origène lui aussi propose que Rom. 1,2 ait eu pour but de préciser de quel Évangile il
s’agissait : Utrum simpliciter accipi debeat evangelium per scripturas profeticas a Deo
repromissum, an ad distinctionem alterius evangelii quod aeternum dicit Iohannes in
Apocalypsi [14,6], quod tunc revelandum est cum umbra transierit [Cant. 4,6] et veri-
tas venerit, et cum mors fuerit absorta [1 Cor. 15,54] et aeternitas restituta, considerato
etiam tu qui legis. (Rufin. Orig. in Rom. 1,6,1) [Doit-on comprendre tout simplement
l’Évangile promis par Dieu à travers les écrits prophétiques, ou y a-t-il une distinc-
tion d’avec un autre Évangile, celui que Jean appelle ‘éternel’ dans l’Apocalypse,
[et] qui sera révélé au moment où l’ombre sera partie et la vérité sera venue, et où la
mort aura été engloutie et l’éternité restaurée ? – pose-toi aussi la question, toi qui
lis].
Commentaire | 259

Origène fait ici allusion à sa conception de l’Évangile éternel (voir SChr 532, 174,
n. 1), qui est étrangère à la pensée d’Augustin. Mais les deux exégètes se rejoignent
en pensant que le sens d’εὐαγγέλιον en Rom. 1,1 avait besoin d’être précisé, et que
Rom. 1,2s. ne servaient donc pas à décrire mais à définir (voir aussi n. à 8,1–3). Ils
avaient sans doute raison : Paul n’écrivait pas à un public de culture chrétienne,
pour lequel « Évangile » avait déjà un sens arrêté.

7,5 ex more epistolae


Augustin indique que Paul a suivi dans l’ouverture de son épître la structure habi-
tuelle aux lettres grecques et romaines, qui était : nom de l’auteur, au nominatif +
nom du destinataire, au datif + mot(s) de salutation (voir RE s.v. Brief, 839). De
même retract. 2,20 (sur epist. 54) : quorum librorum prior epistula est; habet quippe in
capite quis ad quem scribat [le premier des ces livres est une lettre ; en effet, il in-
dique au début qui écrit à qui]. C’est encore une habitude de grammairien (voir n. à
5,4–7 ; 7,1–5 ; 11,3) de souligner qu’une œuvre suit les règles de son genre. Ainsi, par
exemple, Servius sur Énéide 1,1 : Est poeticum principium professivum: ‘Arma virum-
que cano’, invocativum: ‘Musa mihi causas memora’, narrativum ‘Urbs antiqua fuit’ [Il
y a un incipit poétique déclaratif : ‘Je chante les armes et l’homme’ ; invocatif :
‘Muse, dis-moi les causes’ ; narratif : ‘Il y avait une ville antique’].

7,7 Quamquam enim sibi quis tribuat quod vocanti obtemperat, nemo potest
sibi tribuere quod vocatus est.
Obéir à celui qui appelle, c’est la foi, la seule étape du salut où l’homme prenne
l’initiative. C’est ce qui est rendu plus explicite en in Rom. 52s. (sur Rom. 9,13) : Non
ergo elegit Deus opera cuiusquam in praescientia, quae ipse daturus est, sed fidem
elegit in praescientia, ut quem sibi crediturum esse praescivit, ipsum elegerit, cui Spiri-
tum sanctum daret, ut bona operando etiam aeternam vitam consequeretur. Dicit
enim idem apostolus: ‘Idem Deus, qui operatur omnia in omnibus’ [1 Cor. 12,6], nus-
quam autem dictum est: ‘Deus credit omnia in omnibus’. Q u o d e r g o c r e d i m u s ,
n o s t r u m e s t , q u o d a u t e m b o n u m o p e r a m u r , illius qui credentibus in se dat
Spiritum sanctum [Donc, Dieu ne choisit pas dans sa prescience les œuvres de
quelqu’un, [ces œuvres] qu’il va lui-même donner. Mais dans sa prescience il choisit
la foi. Ainsi, l’homme dont il savait par avance qu’il allait croire en lui, c’est lui qu’il
a choisi, pour lui donner l’Esprit Saint, pour qu’il puisse aussi obtenir la vie éter-
nelle en faisant de bonnes œuvres. En effet, ce même apôtre dit : ‘C’est le même
Dieu, qui opère tout en tous’, mais il n’est dit nulle part : ‘Dieu croit tout en tous’.
Q u e n o u s c r o y i o n s r e l èv e d o n c d e n o u s , m a i s q u e n o u s f a s s i o n s l e
b i e n r e l è v e d e c e l u i qui donne l’Esprit Saint à ceux qui croient en lui].
Cependant, Augustin allait corriger ce passage de in Rom. dans les Retracta-
tiones (1,23,2–4) : Non dicerem, si iam scirem etiam ipsam fidem inter Dei munera
repperiri [Je ne l’aurais pas dit, si j’avais déjà su que même la foi se trouve parmi les
dons de Dieu] (voir aussi praed. sanct. 7s.). De même, la formule d’Augustin dans
260 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

l’Inchoata expositio ne correspondra pas à sa pensée plus développée sur la grâce


(voir RING, n. à 7,7). Voir à ce titre l’espace de plus en plus restreint qu’il accorde
bientôt à la notion de sibi tribuere, de ce que l’homme peut mettre à son propre
compte dans son salut. La formule en divers. quaest. 68,5 est déjà beaucoup moins
généreuse que celles de in Rom. et l’Inchoata expositio : Quoniam nec velle quis-
quam potest nisi admonitus et vocatus … efficitur ut etiam ipsum velle Deus operetur
in nobis. Ad illam enim cenam, quam Dominus dicit in evangelio praeparatam [Lc.
14,16–24], nec omnes qui vocati sunt venire voluerunt, neque illi qui venerunt venire
possent nisi vocarentur. Itaque nec illi debent s i b i t r i b u e r e qui venerunt, quia vocati
venerunt, nec illi qui noluerunt venire debent alteri tribuere sed tantum sibi, quoniam
ut venirent vocati erant in libera voluntate. Vocatio ergo ante meritum voluntatem
operatur. Propterea et si quisquam s i b i t r i b u i t quod venit vocatus, non s ib i p o t e s t
t r i b u e r e quod vocatus est [Puisque personne ne peut même vouloir s’il n’est pas
averti et appelé … il s’ensuit que même l’action de vouloir, c’est Dieu qui la fait opé-
rer en nous. En effet, quant à ce repas dont le Seigneur dit dans l’Évangile qu’il a été
préparé, tous ceux qui ont été appelés n’ont pas voulu y venir, et ceux qui sont ve-
nus n’auraient pu venir s’ils n’avaient été appelés. Par conséquent, ceux qui sont
venus ne doivent pas s e l ’ a t t r i b u e r , puisqu’ils sont venus après avoir été appelés,
et ceux qui n’ont pas voulu venir ne doivent pas l ’ a t t r i b u er à autrui mais seule-
ment à eux-mêmes, puisqu’ils ont été appelés à venir de leur volonté libre. C’est
donc l’appel avant le mérite qui fait opérer la volonté. Aussi, même si quelqu’un
s ’ a t t r i b u e d’être venu, une fois appelé, il ne p e u t p a s s ’ a t t r i b u e r d’avoir été
appelé]. Ensuite dans quaest. Simpl., tribuere n’apparait dans ce contexte que pour
la négation : nobis vero t r i b u i non potest quod vocamur [mais il ne peut nous être
a t t r i b u é d’être appelés] (1,2,12). Voir aussi la formule absolue en in psalm. 3,10 :
‘Tu autem Domine … gloria mea’ [Ps. 3,4]. Ex illa regula, ne quis sibi aliquid t r i b u a t
[‘Mais toi, Seigneur … tu es ma gloire’. Selon la règle, que personne ne doit rien
s ’ a t t r i b u er ] (Augustin revient souvent sur ce thème, avec des formules plus ou
moins sévères, dans les premières Enarrationes : in psalm. 5,17 ; 6,5 ; 7,8 ; 18,1,15).
Voir aussi, pour la grâce et les œuvres, n. à 1,1–3 ; 1,4, nec Iudaeos ; 6,1, tam-
quam enim meritis, et noter comment en 7,5s. dilectis est glosé comme vocatis ici, de
manière à insister de nouveau sur l’action de Dieu précédant celle des hommes. Il
convient enfin de rappeler qu’Augustin n’a jamais accepté que sa doctrine mît en
question le libre arbitre, et encore moins la justice de Dieu. Mais nous ne pouvons
aller plus loin sur une question qui a fait couler tant d’encre et de sang depuis 1600
ans. Pour un résumé, avec une bibliographie importante, voir AugLex s.v. gratia,
III–V (et voir aussi, plus court mais incisif, FITZGERALD, Augustine s.v. Predestina-
tion).
Si la formule dans l’Inchoata expositio ne correspondait plus au nouveau point
de vue d’Augustin, on se demande pourquoi il ne l’a pas critiquée dans retract. Il
faut simplement y voir un des indices qu’en écrivant retract., Augustin n’a pas ac-
compli la tâche surhumaine de relire soigneusement chaque mot de ses œuvres
Commentaire | 261

(voir BA 12, 59–61, où G. Bardy fait remarquer que l’Inchoata expositio « ne soulève
qu’une difficulté de détail » dans retract., en contraste avec in Rom. et in Gal.).

8,1 usitatum epistolae principium, tamquam ille illis salutem


Voir n. à 7,5. salutem est le mot de salutation traditionnelle dans une lettre latine
(serm. 101,9 : nam et antiqui in epistulis suis sic scribebant: Ille illi salutem [car les
anciens aussi écrivaient dans leurs lettres : ‘Celui-ci salue celui-là’]), tout comme
χαίρειν [sois joyeux] en grec. Il convenait de préciser que gratia et pax (χάρις καὶ
εἰρήνη) avaient pris la place de ces mots, puisque cette salutation-là n’avait rien de
conventionnel : elle n’apparait pas avant Paul (voir J. A. FITZMEYER, Romans, A New
Translation with Introduction and Commentary, New York 1993, 227s.). Comparer
Théodore de Mopsueste, in 1 Thess. 1,1 (éd. H. B. SWETE, Cambridge 1882) : τὸ ‘χάρις
ὑμῖν’ οὕτως τίθησιν ὥσπερ ἡμεῖς τὸ ‘χαίρειν’ ἐν τοῖς προγραφαῖς τῶν ἐπιστολῶν
εἰώθαμεν [Il écrit ‘la grâce soit avec vous’ comme nous avons l’habitude [d’écrire]
χαίρειν au début des lettres].
χάρις καὶ εἰρήνη restera d’ailleurs largement réservé à la Bible : la salutation
n’est que rarement adoptée dans les lettres écrites par des chrétiens après Clément
de Rome, sauf celles qui prétendent émaner des apôtres (e.g. Constitutiones aposto-
licae 1,1 [SChr 320, 102] ; la lettre des martyrs de Lyon de 177 emploie la salutation
quasi-apostolique εἰρήνη καὶ χάρις καί δόξα ἀπὸ Θεοῦ πατρός καί Χριστοῦ Ἰησοῦ τοῦ
κυρίου ἡμῶν [la paix et la grâce et la gloire venant de Dieu le Père et du Christ Jésus
notre Seigneur], Eus. H.E. 5,1,3). Comparer 12,8, usitatissimum exordium fecit epis-
tolae, et voir n. ad loc.

8,1–3 Non enim omnis gratia est a Deo … Neque omnis pax Dei est, vel ab illo
De nouveau (voir n. à 7,2), Augustin veut qu’un élément de la phrase serve à définir,
et non pas à décrire, celle qui la précède. S’il avait continué son analyse dans les
termes employés en 7,1–4, il aurait écrit : sed quia occurrebat ‘quae gratia et quae
pax?’ [Mais puisque la question se présentait : ‘quelle grâce et quelle paix ?’]
Pour un argument similaire, voir quaest. Simpl. 2,1,7 : l’Écriture distingue entre
Spiritus Dei et spiritus Dei malus, et entre prophètes tout court et prophètes de Baal.
Mais, bien entendu, l’Écriture ne distinguait pas toujours, et alors Augustin expli-
quait, dans un argument de forme stoïcienne (voir e.g. Sénèque le Jeune, epist. 59,1–
4) qu’un mot apparemment ambigu pouvait être à prendre au sens « propre ». C’est
ainsi qu’il rejette la leçon quaecumque b o n a vultis [tout l e b i e n que vous voulez]
pour la règle d’or en Mt. 7,12 : Intellegendum est ergo plenam esse sententiam et om-
nino perfectam, etiamsi hoc verbum non addatur. Id enim quod dictum est ‘quaecum-
que vultis’ non usitate ac passim sed proprie dictum accipi oportet. Voluntas namque
non est nisi in bonis; nam in malis flagitiosisque factis cupiditas proprie dicitur, non
voluntas [Il faut donc comprendre que la sentence est complète et entièrement par-
faite, même si l’on n’ajoute pas ce mot. En effet, quand il est dit ‘tout ce que vous
voulez’, il ne faut pas comprendre que c’est dit de la façon habituelle et répandue,
262 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

mais au sens propre. En effet, il n’y a de volonté que pour le bien, car dans les actes
mauvais et honteux, on parle au sens propre non pas de ‘volonté’, mais de ‘désir’]
(de serm. dom. 2,74 ; voir aussi ibid. 2,81.83, et civ. 14,8). C’est la même idée d’un
sens propre, correct et définitif des mots qui conduit à la célèbre formule dilige et
quodvis fac [aime et fais ce que tu veux] (voir AugLex s.v.) ou encore à la démonstra-
tion finale dans civ. que Rome n’a jamais été une res publica (19,21). Augustin a
cependant la prudence de ne pas ériger en principe, pour la lecture de l’Écriture, la
restriction de chaque mot à un sens propre. Au contraire, le passage cité de de serm.
dom. se termine par un avertissement : non quia sic semper loquuntur scripturae, sed
ubi oportet ita omnino proprium verbum tenent, ut non aliud sinant intellegi [non pas
parce que les Écritures parlent toujours ainsi, mais, quand il le faut, elles utilisent
un mot entièrement dans son sens propre, si bien qu’elles ne permettent pas que
l’on comprenne autre chose].
La recherche un peu excessive d’éléments restrictifs dans les phrases de Paul
(pour laquelle voir aussi quaest. euang. 2,12) trahit peut-être l’influence de Jérôme,
qui offre plusieurs exégèses de ce type dans ses propres commentaires sur Paul :
Quaeritur utrumnam ad distinctionem evangelii alterius, nunc dixerit ‘pacis evange-
lium’ [Eph. 6,15]. An certe proprium sit hoc evangelii, ut pacis evangelium nominetur?
[On cherche à savoir si c’est pour faire la distinction d’avec un autre Évangile qu’il a
dit ici ‘Évangile de paix’. Ou est-ce le propre de l’Évangile d’être appelé Évangile de
paix ?] (in Eph. 6,15 [PL 26, 551]; cf. le passage d’Origène cité n. à 7,2) ; Quaeritur
quare ad id quod ait ‘secundum fidem electorum Dei et cognitionem veritatis’, iunxerit
‘quae iuxta pietatem est’ [Tit. 1,1]; utrumnam sit aliqua veritas quae non in pietate sit
posita, et nunc ad distinctionem illius inferatur cognitio veritatis, quae iuxta pietatem
est. Est plane veritas, quae non habet pietatem, si quis grammaticam artem noverit vel
dialecticam, ut rationem recte loquendi habeat, et inter falsa et vera diiudicet. Geome-
trica quoque et arithmetica et musica habent in sua scientia veritatem; sed non est
scientia illa pietatis [On cherche à savoir pourquoi, quand il est dit ‘selon la foi des
élus de Dieu et la connaissance de la vérité’, il a ajouté ‘qui est selon la piété’. Y
aurait-il une vérité qui n’est pas située dans la piété, et serait-ce pour faire la distinc-
tion d’avec elle que l’on parle ici de la connaissance de la vérité, qui est selon la
piété. C’est clairement une vérité qui ne contient pas de piété, si quelqu’un connait
l’art grammatical ou la dialectique, pour posséder la méthode de l’éloquence, et
juger entre le vrai et et le faux. De même, la géométrie et l’arithmétique et la mu-
sique possèdent une vérité pour qui les connait, mais ce n’est pas là une connais-
sance de la vérité selon la piété] (in Tit. 1,1b–4 [CCSL 77C, 8]). Ensuite, sur Tit. 3,15 :
‘Saluta eos qui nos amant in fide’. Si omnis qui amat amaret in fide et non essent alii
qui absque fide diligerent, numquam Paulus ad amorem fidem adposuisset … amant
quippe et matres filios … uxores maritos …, sed amor ille non fidei est. Sola sanctorum
dilectio in fide diligit [‘Salue ceux qui nous aiment dans la foi’. Si tous ceux qui ai-
ment aimaient dans la foi, et il n’y en avait pas d’autres qui aimaient sans foi, Paul
n’aurait jamais juxtaposé la foi à l’amour … bien sûr, les mères aiment aussi leur fils
Commentaire | 263

… les femmes leurs maris …, mais cet amour-là n’est pas celui de la foi. Seul l’amour
des saints aime dans la foi] (in Tit. 3,15 [CCSL 77C, 72s.]). Sur Tit. 1,1, Jean Chrysos-
tome est très similaire à Jérôme (hom. in Tit. 1,1 [PG 62, 665]) et on sait que Jérôme
puisait beaucoup de ses exégèses dans la tradition grecque. La méthode employée
ici par Augustin n’a pas de source unique : elle fait partie du patrimoine exégétique
de l’Église (voir e.g. le long développement sur le génitif τῶν Ἰουδαίων de Io. 2,13
chez Origène, Jo. 10,13,68–15,87 ; voir Introduction, 1.7, et comparer n. suivante).

8,2 aliqua cupidine illecti, aut timore perterriti


Mêmes motivations imputées au juge par le perdant d’un procès hypothétique en in
psalm. 25 (= serm. 166A),2,13 : ‘Placere illi voluit’, inquit, ‘diviti favit’, aut ‘aliquid ab
illo accepit’, aut ‘timuit illum offendere’ [‘Il a voulu lui plaire’, dit-il, ‘il a favorisé le
riche’, ou bien ‘il a reçu quelque chose de lui’, ou encore ‘il a eu peur de l’offenser’].
Ce même passage rappelle que de tels reproches s’adressaient directement aux hom-
mes d’Église : le condamné tenetur iure forte non ecclesiastico, sed principum saeculi,
qui tantum detulerunt ecclesiae, ut quidquid in ea iudicatum fuerit, dissolvi non possit
[est tenu, il se peut, non pas par la loi ecclésiastique, mais celle des princes du
monde, qui ont tant concédé à l’Église, que tout ce qui est jugé en elle, ne peut être
dissout]. Il s’agit des jugement des évêques : voir n. à 18,11, nec prolato.

8,3 non se talem pacem dare, qualem dat hic mundus


Dans son exégèse de Io. 14,27 en in euang. Ioh. 77,4, Augustin ajoute un troisième
type de paix aux deux qu’il décrit ici : Sed quid est quod ubi ait ‘pacem relinquo vo-
bis’, non addidit ‘meam’; ubi vero ait ‘do vobis’, ibi dixit ‘meam’? Utrum subaudien-
dum est ‘meam’ et ubi dictum non est, quia potest referri ad utrumque etiam quod
semel dictum est? … Quid si enim pacem suam eam voluit intellegi qualem habet ipse,
pax vero ista quam nobis relinquit in hoc saeculo, nostra est potius dicenda quam
ipsius? Illi quippe nihil repugnat in seipso, qui nullum habet omnino peccatum. Nos
autem talem pacem nunc habemus, in qua adhuc dicamus ‘dimitte nobis debita nos-
tra’ [Mt. 6,12] [Mais pourquoi est-ce que, quand il dit ‘je vous laisse la paix’, il
n’ajoute pas ‘ma [paix]’, alors que, quand il dit, ‘je vous donne’, là il dit ‘ma [paix]’ ?
Est-ce qu’il faut sous-entendre ‘ma [paix]’ même là où ce n’est pas dit, puisque l’on
peut appliquer aux deux [mots] même ce qui n’est dit qu’une seule fois ? … Serait-ce
qu’il voulait que l’on comprenne que sa paix est celle qu’il possède lui-même, mais
cette paix qu’il nous laisse dans ce siècle, il faut plutôt l’appeler la nôtre que la
sienne ? En effet, rien ne combat contre lui à l’intérieur de lui, puisqu’il est entière-
ment sans péché. Mais, quant à nous, nous avons pour maintenant la sorte de paix
dans laquelle nous disons encore ‘pardonne-nous nos dettes’]. Cette lecture (très
peu convaincante) de Io. 14,27 n’est pas dans l’Inchoata expositio, mais, comme le
note RING (n. à 8,4 ; 11,2), notre texte distingue déjà, en 10,12s., entre la paix léguée
aux chrétiens sur la terre, et la paix parfaite de l’au-delà, suite à la délinéation des
quatre étapes de l’histoire humaine dans in Rom. 12 et in Gal. 46 (ante legem → sub
264 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

lege → sub gratia → in pace) [avant la Loi → sous la Loi → sous la grâce → dans la
paix].

8,4 gratia … qua nobis peccata remittuntur, quibus adversabamur Deo, pax
vero ipsa qua reconciliamur Deo
Ici, et en reprenant ces expressions en 11,2 ; 14,1 ; 23,6, Augustin ne fait que réécrire
légèrement ce qu’il avait déjà dit sur gratia et pax en in Gal. 3 : Gratia Dei est, qua
nobis donantur peccata, ut reconciliemur Deo, pax autem, qua reconciliamur Deo [La
grâce de Dieu est ce par quoi les péchés nous sont remis, pour que nous nous récon-
cilions avec Dieu, et la paix est ce en quoi nous sommes réconciliés avec Dieu] (voir
déjà vera relig. 312 : l’Esprit est gratiam qua reconciliamur [la grâce par laquelle nous
nous réconcilions], parallèle noté par DU ROY, L’intelligence, 378). La source doit
être l’Ambrosiaster (Gratia est, quia a peccatis absoluti sunt, pax vero quia ex impiis
reconciliati sunt creatori [Il y a la grâce, parce qu’ils ont été absous des péchés, et la
paix, parce que, ayant été impies, ils se sont réconciliés avec le créateur], in Rom.
1,7, rec. αβ ; voir n. à 1,3, nonnulli qui ex Iudaeis). Jean Chrysostome va plus loin,
établissant une séquence ἀγάπη (sur la base de ἀγαπητοῖς [bien-aimés] en Rom. 1,7)
→ χάρις → εἰρήνη [amour → grâce → paix]: Οὐδὲ γὰρ μικρὸν κατέλυσεν ὁ Χριστὸς
πόλεμον, ἀλλὰ καὶ ποικίλον καὶ παντοδαπὸν καὶ χρόνιον, καὶ τοῦτον οὐκ ἐκ τῶν
ἡμετέρων πόνων, ἀλλὰ διὰ τῆς αὐτοῦ χάριτος. ἐπεὶ οὖν ἡ μὲν ἀγάπη τὴν χάριν, ἡ δὲ
χάρις τὴν εἰρήνην ἐδωρήσατο, ὡς ἐν τάξει προσηγορίας αὐτὰ θείς, ἐπεύχεται μένειν
διηνεκῆ καὶ ἀκίνητα, ὥστε μὴ πάλιν ἕτερον ἀναῤῥιπισθῆναι πόλεμον [Le Christ n’a
pas mis fin à une petite guerre, mais à [une guerre] complexe et multiforme et an-
cienne, et ceci non pas par nos propres efforts, mais par sa grâce. En effet, puisque
l’amour a donné la grâce, et la grâce la paix, en mettant ces choses à la place de la
salutation, il prie pour qu’elles restent constantes et immobiles, pour qu’une autre
guerre ne se déclenche pas] (hom. in Rom. 1,4 [PG 60, 399s.]).
À la relecture de ses œuvres, la distinction entre gratia et pax a déplu à Augus-
tin. Il l’a corrigée pour in Gal. (retract. 1,24,2), et c’est ensuite le seul élément qu’il
trouve à corriger pour l’Inchoata expositio (retract. 1,25 ; voir n. à 7,7). Dans les deux
cas, il a tenu à préciser que la paix et la reconciliatio faisaient aussi partie de la
grâce. C’est que, dans les trente ans qui séparaient les commentaires pauliniens de
retract., gratia était devenu pour Augustin le terme fondamental pour décrire la
possibilité pour l’homme d’accéder à la réconciliation avec Dieu et au salut.

8,5 absumptae fuerint inimicitiae


absumo désigne la destruction totale, sens qui lui est fréquent, soit pour la destruc-
tion d’objets concrets (ThLL s.v. I.C) soit pour celle de choses abstraites (ibid. II.A–
D). Augustin aime à employer le mot pour rappeler par assonance absorpta en 1 Cor.
15,54 (absorpta est mors in victoria / κατεπόθη ὁ θάνατος εἰς νῖκος [la mort a été
engloutie dans la victoire]). L’effet se voit très clairement en serm. 305A,7 : ‘Ubi est,
mors, aculeus tuus?’ [1 Cor. 15,54] a b s u m p t a e morti et devictae dicetur, quia ‘novis-
Commentaire | 265

sima inimica destruetur mors’ [1 Cor. 15,26] [‘Mort, où est ton aguillon ?’ dira-t-on à la
mort e n l e v é e et vaincue, parce que ‘le dernier ennemi détruit sera la mort’]. Mais
noter aussi : Abundantia pacis in tantum crescet, donec omnem mutabilitatem morta-
litatis a b s u m a t [L’abondance de paix croîtra, jusqu’à e n l e v e r toute la mutabilité
de la mortalité] (epist. 55,10, avec un écho de tout 1 Cor. 15,53s., comme dans beau-
coup de ces passages) ; temporalis autem mors corporis … a b s u m a t u r vero et ipsa
in renovatione corporis [mais la mort temporelle du corps …. est elle aussi e n l e v é e
dans la rénovation du corps] (epist. 157,19) ; anima … spiritale corpus efficiat, a b -
s u m e n s omnem corruptionem [l’âme rend le corps spirituel, e n l e v a n t toute cor-
ruption] (epist. 205,11) ; a b s u m p t a est enim omnis corruptio [car toute corruption a
été e n l e v é e ] (in psalm. 55,6) ; omnis mortalitas a b s u m a t u r [toute mortalité est
e n l e v é e ] (in psalm. 71,10 ; de même 84,7) ; mortalitatem fuerat a b s u m p t u r a mu-
tatio in aeternam incorruptionem [la mutation vers l’incorruption éternelle allait
e n l e v e r la mortalité] (pecc. mer. 1,5) ; contentione mortis a b s u m p t a [la rivalité de
la mort ayant été e n l e v é e ] (perf. iust. 16) (on trouve aussi adsumpta / assumpta en
variante dans des citations de 1 Cor. 1,54 en in psalm. 83,8 ; 84,10). Cette réminis-
cence semble aussi entrer en jeu dans l’Inchoata expositio : la disparition totale des
inimicitiae entre Dieu et l’homme n’aura lieu qu’avec la résurrection finale.

8,5 pace adhaereamus illi


Écho de Ps. 72,28, mihi autem adhaerere Deo bonum est [pour moi, le bien, c’est
d’adhérer à Dieu], un verset très prisé par Augustin (37 citations, selon LLTA),
puisqu’il exprimait en termes bibliques le summum bonum [le bien le plus haut]
cherché par les philosophes. Voir O’DONNELL sur conf. 7,17.

8,6 Non gravabit aurem, ut non audiat; sed peccata vestra inter vos et Deum
separant
Dans la Vulgate on lit en Is. 59,1s. : neque adgravata est auris eius ut non exaudiat,
sed iniquitates vestrae diviserunt inter vos et Deum vestrum. Mais Augustin cite un
texte « Vetus Latina » traduit de la Septante, et qui la suit de près : οὐκ … ἐβάρυνεν
τὸ οὖς αὐτοῦ τοῦ μὴ εἰσακοῦσαι· ἀλλὰ τὰ ἁμαρτήματα ὑμῶν διιστῶσιν ἀνὰ μέσον
ὑμῶν. Comme le montre R. GRYSON (éd.), Vetus Latina 12/2/9, Freiburg 1997, ad loc.,
le texte d’Augustin correspond au « texte ancien africain », tel que le connaissait
Cyprien.
Pour l’initiation graduelle d’Augustin au livre d’Isaïe, voir L. C. FERRARI, Isaiah
and the Early Augustine, dans : B. BRUNING – M. LAMBERIGTS – J. VAN HOUTEM (éds.),
Collectanea Augustiniana. Mélanges T. J. Van Bavel, t. 2, Louvain 1990, 723–756.
Augustin cite ici Isaïe 59,1s. pour la première fois. Noter son réemploi en serm.
71,19 : Illis [sc. peccatis] enim manentibus, manent quodam modo i n i m i c i t i a e ad-
versus Deum, et ab illo alienatio, quae a nostro malo est, quoniam non mentitur scrip-
tura dicens : ‘Peccata vestra separant inter vos et Deum’ [En effet, quand ces [péchés]
demeurent, en quelque sorte, l ’ h o s t i l i t é envers Dieu demeure, et l’éloignement de
266 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

lui, qui vient du mal en nous, puisque l’Écriture ne ment pas en disant : ‘Vos péchés
vous séparent de Dieu’]. Comparer inimicitiae en Inchoata expositio 8,5 : en écri-
vant son sermon sur le blasphème contre l’Esprit Saint, Augustin a relu sa première
œuvre qui traitait de ce thème (voir Introduction, 1.9).
Ici s’arrête l’avancée, jusqu’alors raisonnablement rapide, du commentaire sur
l’épître aux Romains. Le reste de l’Inchoata expositio est occupé par diverses ré-
flexions occasionnées par les mots gratia et pax (voir Introduction, 1.8).

9,1–6 La justice de Dieu dans les récompenses différentes


Dieu serait-il injuste ? Augustin est de ceux que cette question a beaucoup troublés.
« Justify the ways of God to men », pour employer les mots de Milton, a toujours été
un de ses grands désirs. Or, nous sommes surtout habitués à voir ce problème se
poser – chez Augustin et dans toute la tradition occidentale – face au mal et à la
souffrance. Mais ici nous voyons le revers de la médaille : c’est la bonté de Dieu,
telle qu’elle s’exprime dans le pardon des pécheurs, qui a besoin d’être justifiée.
Augustin manichéen admettait l’existence d’une puissance maléfique à l’œuvre
dans l’univers, qui récompensait injustement la bonté et la méchanceté (voir conf.
3,12s.). Mais, pour Augustin chrétien, la toute-puissance est entièrement juste, et
doit donc récompenser selon les mérites. Licentius formule ce principe en ord. 1,19 :
Si autem, ut nobis traditur nosque ipsius ordinis necessitate sentimus, iustus est Deus,
sua cuique distribuendo utique iustus est [Mais si, comme on nous l’a enseigné, et
comme nous le ressentons par la nécessité de l’ordre lui-même, Dieu est juste, c’est
assurément en distribuant à chacun son dû qu’il est juste]. Et Augustin le redira
plusieurs fois avec ses propres mots dans ses premiers écrits : Si Deum iustum fate-
mur – nam et hoc negare sacrilegium est – ut bonis praemia, ita supplicia malis tribuit
[Si nous admettons que Dieu est juste – puisque nier cela, c’est aussi un sacrilège –
il donne des récompenses aux bons, tout comme [il donne] des supplices aux mau-
vais] (lib. arb. 1,1 ; de même Évodius en 2,2) ; 〈Deus,〉 cuius legibus arbitrium animae
liberum est, bonisque praemia et malis poenae fixis per omnia necessitatibus distribu-
tae sunt [Dieu, par tes lois, l’arbitre de l’âme est libre, et les récompenses sont don-
nées aux bons et les châtiments aux mauvais, par une nécessité dans laquelle tout
s’enchevêtre] (soliloq. 1,4). Ce point de vue simple avait pour conséquence que la
récompense de la vie éternelle était réservée à ceux qui la méritaient : Vita enim
aeterna est totum praemium, cuius promissione gaudemus, nec praemium potest
praecedere merita priusque homini dari quam dignus est. Quid enim hoc iniustius, et
quid iustius Deo? Non ergo debemus poscere praemium antequam mereamur accipere
[En effet, la vie éternelle est toute la récompense, dont la promesse nous réjouit. Et
la récompense ne peut pas venir avant les mérites, et être donnée à l’homme avant
qu’il n’en soit digne. Effectivement, qu’est-ce qui serait plus injuste, et qu’est-ce qui
est plus juste que Dieu ? Nous ne devons donc pas demander la récompense avant
de mériter de la recevoir] (mor. eccl. 9. Sur cette justice « distributive », et ses
sources philosophiques, voir THONNARD, Justice de Dieu, 387s.).
Commentaire | 267

Seulement, Augustin n’a jamais été à l’aise avec la notion de l’homme méritant
ce que Dieu lui donnait (voir n. à 6,1, tamquam enim meritis). Ainsi, la formule rigide
de Licentius dans ord. se profile contre l’humilité avec laquelle Augustin y parle de
lui-même : Satis mihi sint vulnera mea, quae ut sanentur, paene cotidianis fletibus
Deum rogans, indigniorem tamen esse me, qui tam cito saner quam volo, saepe memet
ipse convinco [Mais mes plaies me suffisent. Pour qu’elles soient guéries, je prie Dieu
avec des larmes presque quotidiennes, et pourtant je me juge souvent indigne d’être
guéri aussi rapidement que je le souhaite] (ord. 1,29). Et, malgré de telles profes-
sions, à la relecture de ord., Augustin a trouvé qu’il y attendait trop de l’homme et
pas assez de Dieu : dictum est tamquam Deus non exaudiat peccatores [c’était dit
comme si Dieu n’exauçait pas les pécheurs] (retract. 1,3,3 ; voir aussi retract. 1,4,2,
où il réprouve la formule de soliloq. 1,2 : Deus, qui nisi mundos verum scire noluisti
[Dieu, qui a voulu que seulement les hommes purs connaissent la vérité]). Augustin
a donc conclu que, dans ces premiers écrits, en voulant célébrer et défendre le Dieu
de Justice, il n’avait pas fait assez de place au Dieu de Miséricorde.
La miséricorde de Dieu, qui pardonne les offenses des hommes, est bien enten-
du au cœur de la croyance chrétienne en un Dieu d’amour. Mais il ne faut pas perdre
de vue ce que cette miséricorde peut avoir de scandaleux, tant au niveau psycholo-
gique (ce qui est dit en Inchoata expositio 18,11s. est de toutes les époques), qu’au
niveau philosophique. Les Stoïciens n’avaient-ils pas affirmé que la miséricorde
était exclue de l’apanage du sage ? ἐλεήμονάς τε μὴ εἶναι συγγνώμην τ’ ἔχειν
μηδενί· μὴ γὰρ παριέναι τὰς ἐκ τοῦ νόμου ἐπιβαλλούσας κολάσεις, ἐπεὶ τό γ’ εἴκειν
καὶ ὁ ἔλεος αὐτή θ’ ἡ ἐπιείκεια οὐδένειά ἐστι ψυχῆς πρὸς κολάσεις προσποιουμένης
χρηστότητα [[les sages] ne sont pas miséricordieux, et n’accordent de pardon à
personne. En effet, ils ne relâchent pas les peines qui découlent de la loi, puisque
les concessions et la pitié, et même la douceur, sont des faiblesses d’une âme qui
affecte la bonté en face des peines] (Zénon, selon Diogène Laerce 7,123. Voir Sé-
nèque le Jeune, De clementia 1,20 : Sénèque prône la clémence, mais il la sépare de
la justice. Pour la réaction d’Augustin aux formules stoïciennes, voir civ. 9,5 ; 14,9).
L’insistance chrétienne sur le pardon de Dieu pouvait alors donner lieu aux raille-
ries d’un Celse : ὁμοίως τοῖς οἴκτῳ δουλεύουσι, δουλεύσας οἴκτῳ τῶν οἰκτιζομένων,
ὁ θεὸς [sc. le dieu des chrétiens] τοὺς κακοὺς κουφίζει καὶ μηδὲν τοιοῦτο δρῶντας
τοὺς ἀγαθοὺς ἀποῤῥίπτει, ὅπερ ἐστὶν ἀδικώτατον [Comme ceux qui sont esclaves de
la pitié, [leur] Dieu, se faisant l’esclave de sa pitié envers ces pleurnicheurs, récon-
forte les mauvais, et rejette les bons qui ne font rien de tel, ce qui est tout à fait in-
juste] (Origène, Cels. 3,71). Voir aussi Jean Chrysostome, hom. in Tit. 4,1 (PG 62,
521) : ποῦ ταῦτα, φασὶν [sc. les païens], ἄξια Θεοῦ, τὸν μυρία ἐργασάμενον κακὰ
ἀφιέναι τῶν ἁμαρτημάτων; [Comment, disent-ils, cela est-il digne de Dieu, pardon-
ner les péchés de celui qui a fait le mal d’innombrables fois ?]. Et, chez Augustin,
serm. 352,9 : Solent inde christianis pagani insultare de paenitentia quae instituta est
in ecclesia … Vos, inquiunt, facitis ut peccent homines, cum illis promittitis veniam, si
egerint paenitentiam. Dissolutio est ista, non admonitio [Les païens ont l’habitude de
268 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

se moquer des chrétiens à cause du pardon qui est établi dans l’Église … Vous faites
pécher les hommes, disent-ils, en leur promettant le pardon, s’ils font pénitence.
C’est là un relâchement, et non pas un enseignement]. Et même l’Église avait vu,
depuis le 2ème siècle, surgir des mouvements rigoristes, dont les Donatistes
qu’Augustin a tant combattus, qui tenaient d’une façon ou d’une autre à limiter la
miséricorde de Dieu (voir n. à 14,1).
« Apôtre de l’amour », Augustin n’a jamais été tenté par ce rigorisme. Pour tout
ce que sa doctrine de la prédestination comporte de sombre, il a toujours affirmé
que Dieu pouvait pardonner même les offenses les plus graves (voir quaest. Simpl.
1,2,22). Par contre, il n’a pas toujours cherché à employer un langage qui soutienne
ce qui est dit dans l’Inchoata expositio : que la miséricorde était un des éléments de
la justice divine. Au contraire, certains passages donneraient à voir justice et miséri-
corde comme deux champs d’action divine nettement séparés : ostendit etiam in
puniendo iustitiam et liberando misericordiam [il montre aussi sa justice en punis-
sant, et sa miséricorde en libérant] (lib. arb. 3,4) ; Vide enim quem invoces. Iustum
invocas: odit peccata, si iustus est; vindicat in peccata, si iustus est; non poteris au-
ferre a Domino Deo iustitiam eius. Implora misericordiam, sed adtende iustitiam:
misericordia est ut ignoscat peccanti, iustitia est ut puniat peccatum [Vois donc celui
que tu invoques. Tu invoques le juste. Il hait les péchés, s’il est juste ; il punit les
péchés, s’il est juste. Tu ne pourras pas enlever sa justice au Seigneur Dieu. Implore
la miséricorde, mais prends note de la justice. Dans la miséricorde, il pardonne le
pécheur ; dans la justice, il punit le péché] (in psalm. 50,7. Voir aussi in psalm. 7,10 ;
serm. 216,5). Sans doute, Augustin ne voulait nullement suggérer par de telles ex-
pressions que le pardon de Dieu était injuste. Mais il est très difficile de parler de
pardon, de miséricorde, de clémence, sans opposer ces qualités à la justice. Y a-t-il
vraiment pardon si la faute ne méritait pas la condamnation ?
Cependant, à la longue, il était impératif de faire entrer la miséricorde de Dieu
dans le schéma de la justice. La notion même de justice découle de Dieu, qui est
toujours juste : Omnis ista hominum iustitia, quam et tenere animus humanus recte
faciendo potest et peccando amittere, non imprimeretur animae, nisi esset aliqua
i n c o m m u t a b i l i s iustitia, quae integra inveniretur a iustis [Toute cette justice des
hommes, que l’esprit human peut retenir en faisant le bien, et perdre en péchant, ne
s’imprimerait pas dans l’âme, s’il n’y avait pas une justice i m m u a b l e , qui [reste]
intacte [quand elle est] trouvée par les justes] (divers. quaest. 82,2). La justice même
(l’« idée » de justice, au sens platonique) est en Dieu, et on peut même dire que Dieu
est la justice : non enim potest iustitia velle facere quod iniustum est [car la justice ne
peut vouloir faire ce qui est injuste] (serm. 214,4). Voir la miséricorde comme en
dehors du champ de la justice était le fait non pas du chrétien, mais de l’impie : ‘Et
cum perverso perversus eris’ [Ps. 17,27]: Et perversus videris perversis, quoniam di-
cunt: ‘Non est recta via Domini’ [Ez. 18,25], et ipsorum via non est recta. ‘Quoniam tu
populum humilem salvum facies’ [Ps. 17,28]. Hoc autem perversum videtur perversis,
quod confitentes peccata sua salvos facies [‘Et tu seras pervers avec le pervers’ : Et tu
Commentaire | 269

sembleras pervers aux pervers, parce qu’il disent : ‘La voie du Seigneur n’est pas
droite’, et c’est leur propre voie qui n’est pas droite. ‘Parce que tu sauves un peuple
humble’. Or, c’est cela qui semble pervers aux pervers, que tu sauveras ceux qui
confessent leurs péchés] (in psalm. 17,27s.).
Confitentes peccata sua … Comme le montre notre passage de l’Inchoata exposi-
tio, ce qui a permis à Augustin de faire de la miséricorde une partie de la justice
distributive, c’est la pénitence, ce grand thème de notre texte. Comme le disait déjà
Origène : Quomodo enim licet magno principi liberare aliquem de insula et de exilio et
de publicis vinculis, multo magis licet universitatis Deo eum qui inhonoratus est in
honorem pristinum restituere, si tamen sentiens delictum suum confessus fuerit se
digne sustinuisse quod passus est [Si, en effet, il est permis à un grand prince de
libérer quelqu’un d’une île et de l’exil et de la prison publique, il est d’autant plus
permis au Dieu de l’univers de restaurer à son honneur d’auparavant celui qui fut
déshonoré, si toutefois il perçoit son offense et confesse qu’il a mérité de subir ce
qu’il a souffert] (Hier. hom. Orig. in Ezech. 10,1). Pénitents et impénitents avaient un
comportement fondamentalement différent, et il serait alors injuste de leur attribuer
la même récompense (Inchoata expositio 9,2s.). Les deux avaient certes péché, mais
l’impénitent avait repoussé Dieu une deuxième fois, en refusant le pardon proféré
aux pénitents : ‘Dulcis et rectus Dominus’ [Ps. 24,8]: Dulcis est Dominus, quando-
quidem et peccantes et impios ita miseratus est, ut omnia priora donarit. Sed etiam
rectus est Dominus, qui post misericordiam vocationis et veniae, quae habet gratiam
sine meritis, digna ultimo iudicio merita requiret [‘Le Seigneur est doux et droit’ : Le
Seigneur est doux, puisqu’il a pitié même des pécheurs et des impies, et pardonne
toutes leurs actions antérieures. Mais le Seigneur est aussi droit, lui qui, après la
miséricorde de l’appel et du pardon, qui contient une grâce sans rapport aux mé-
rites, exigera lors du jugement ultime des mérites dignes [de sa grâce]] (in psalm.
24,8 ; de même ibid. 10 ; in psalm. 32,1,5 ; c. Adim. 7,3 ; voir aussi Ambroise, apol.
Dav. I 46s.). D’ailleurs, le pardon des pénitents n’impliquait nullement la rémission
entière de la peine, puisque le pénitent est actif. La pénitence (paenitentia), c’est
accepter de porter soi-même la peine (poena) du péché (étymologie douteuse, mais
voir Isidore de Séville, De ecclesiasticis officiis 2,17,2), avant que Dieu ne l’inflige :
Tamen si vis ut ille ignoscat, tu agnosce. Impunitum non potest esse peccatum; impu-
nitum non decet, non oportet, non est iustum. Ergo quia impunitum non debet esse
peccatum, puniatur a te, ne puniaris pro illo [Mais, si tu veux qu’il pardonne, à toi de
reconnaitre. Le péché ne peut être impuni ; le [péché] impuni ne sied pas, il ne doit
pas être, il est injuste. Donc, si le péché ne doit pas être impuni, qu’il soit puni par
toi, pour que tu ne sois pas puni pour lui] (serm. 20,2 ; voir aussi in psalm. 50,7 ;
serm. 351,7, et déjà Origène, hom. in Ex. 11,5 ; hom. in Lev. 3,4 ; hom. in Num. 10,1 ;
Ambroise, paen. 1,58, cité n. à 18,4). Cette peine est bien plus qu’un chagrin inté-
rieur (nec putare satis sibi esse ut sua peccata displiceant, 9,4 ; voir n. ad loc.),
puisqu’elle doit s’exprimer, comme le dit le Seigneur en Mt. 6,14s., par la miséri-
corde envers les autres : Quicquid autem, post eam quae fit in baptismo abolitionem
270 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

omnium peccatorum, in hac vita manendo peccamus, etiam si non tale sit, quod a
divinis removeri compellat altaribus, n o n d o l o r e s t e r i l i s e d m i s e r i c o r d i a e
s a c r i f i c i i s ex p i a t u r [Or, après cette abolition des péchés qui a lieu dans le bap-
tême, tout péché que nous faisons en demeurant dans cette vie, même s’il n’est pas
du genre qui exige que l’on soit écarté des autels divins, n e s ’ e x p i e p a s p a r u n e
s o u f f r a n c e s t é r i l e , m a i s p a r l e s s a c r i f i c e s d e l a m i s é r i c o r d e ] (epist.
153,15). Et, comme le rappelle cette dernière citation, la peine pouvait aussi être,
selon la gravité de l’offense, celle imposée par la discipline de l’Église (pour ces
pratiques, dans l’Afrique d’Augustin, voir WATKINS, A History, 437–447 et RING, n. à
19,11, avec bibliographie). Enfin, les souffrances et la mort, comme il sera dit en
Inchoata expositio 10, faisaient partie pour le pénitent des peines du péché.
Il serait faux d’affirmer que, plus tard, Augustin ait renié l’idée que la miséri-
corde de Dieu est juste à cause de la pénitence. Certes, il n’a jamais cessé de procla-
mer la justice de Dieu, ni de prêcher le repentir. Cependant, la justification proposée
dans l’Inchoata expositio sera dans un sens dépassée par un thème qui y est déjà
présent : c’est par l’action de la grâce de Dieu que l’on décide de se repentir : nemi-
nem peccati sui paeniteret, nisi admonitione aliqua vocationis Dei (9,6). Quand
Augustin en est venu à penser que même le choix d’écouter cette admonitio ne pou-
vait se faire que par l’élection divine (voir n. à 7,7), le problème de justifier la miséri-
corde est devenu en dernier lieu le problème de justifier cette élection. Mais Augus-
tin a décidé qu’une telle justification dépassait l’entendement humain : Cur autem
ad eam [sc. praedestinationem] alii pertineant, alii non pertineant, occulta causa esse
potest, iniusta esse non potest. ‘Numquid enim iniquitas apud Deum? Absit’ [Rom.
9,14]. Nam et hoc ad illam pertinet altitudinem iudiciorum, quam mirans tamquam
expavit apostolus [Rom. 11,33] [Pourquoi certains relèvent-ils de cette [prédestina-
tion], et d’autres n’en relèvent-ils pas ? La cause peut être cachée, mais elle ne peut
être injuste. ‘Y aurait-il injustice en Dieu ? Loin s’en faut !’ Car cela aussi relève de
cette profondeur des jugements, que l’apôtre admire comme s’il en tremblait] (epist.
149,22 ; voir aussi quaest. Simpl. 1,2,18 ; corrept. 17, et AugLex s.v. iustitia, V).
Quelle que soit notre évaluation de la doctrine d’Augustin sur la prédestination,
on est tenu de respecter son refus de mesurer la justice de Dieu dans l’éternité selon
ce que nous pouvons comprendre de la justice en cette vie. Le modèle de la justice
distributive ne peut pas, en fin de compte, s’appliquer parfaitement à Dieu : Deus
autem nulli debet aliquid, quia omnia gratuito praestat [Mais Dieu ne doit rien à per-
sonne, puisqu’il donne tout gratuitement] (lib. arb. 3,45 ; voir THONNARD, ‘Justice de
Dieu’). Par ailleurs, Augustin a toujours affirmé que, même si la relation entre la
justice et la miséricorde de Dieu nous dépasse, nous en savons assez pour être tenus
de la refléter dans nos relations avec les hommes, et ceci en tempérant sans cesse la
justice par la miséricorde. Voir, par exemple, epist. 153, où il explique à Macedo-
nius, vicarius Africae, pourquoi les évêques intercèdent en faveur des criminels :
cette intercession est faite à l’image de Dieu le Père, qui fait briller son soleil sur les
justes et les injustes (4), ou de Jésus pardonnant à la femme adultère (9) ; comme
Commentaire | 271

pour Dieu, la condition de l’intercession est le repentir du coupable (2,21s.). Et, mal-
gré tout, une vingtaine d’années après l’Inchoata expositio, la tension du langage
entre justice et miséricorde n’est pas entièrement résolue : tanto … sunt interceden-
tium et parcentium beneficia gratiora, quanto peccantium iustiora supplicia [autant
les tourments des pécheurs sont plus justes, autant les bienfaits de ceux qui inter-
cèdent pour eux et les épargnent sont plus gracieux] (16). N’y entend-on pas l’écho
d’Origène, pour qui, à la différence d’Augustin, c’était toujours la condamnation et
non pas la miséricorde, qui avait besoin d’être justifiée ? Sed fortasse aliquis neget
bonitati Dei convenire ut pro unius diei peccato annum suppliciorum rependat; quin
immo dicet : ‘etiamsi diem pro die reddat, quamvis iustus, non tamen clemens videtur
esse aut benignus’ [Mais peut-être quelqu’un niera qu’il convient à la bonté de Dieu
de payer le péché d’une seule journée avec une année de supplices. Bien plus, il
dira : ‘même s’il donnait une journée pour une journée, il se montrerait juste, mais
non pas clément ou bienveillant’] (Rufin. Orig. in Num. 8,1).

9,2 nondum poenarum manifestus terror apparet


Il s’agit des peines de l’enfer. Pour Augustin, celles-ci provoquent aussi la péni-
tence, mais une pénitence qui n’a plus l’effet salvifique qu’elle peut avoir en cette
vie : Utrumque autem horum, ignem scilicet atque vermem [Is. 66,24], qui volunt ad
animi poenas, non ad corporis pertinere, dicunt etiam uri dolore animi s e r o a t q u e
i n f r u c t u o s e p a e n i t e n t e s e o s , qui fuerint a regno Dei separati, et ideo ignem pro
isto dolore urente non incongrue poni potuisse contendunt … Ego tamen facilius est ut
ad corpus dicam utrumque pertinere quam neutrum, et ideo tacitum in illis divinae
scripturae verbis animi dolorem, quoniam consequens esse intellegitur, etiamsi non
dicatur, ut corpore sic dolente animus quoque s t e r i l i p a e n i t e n t i a crucietur [Ceux
qui veulent que ces deux choses, nommément le feu et le ver, relèvent des peines de
l’esprit, et non pas de ceux du corps, disent que c e u x q u i s e s o n t r e p e n t i s
t r o p t a r d e t s a n s f r u i t sont aussi brûlés par une douleur de l’esprit, eux qui ont
été séparés du royaume de Dieu. Et ainsi ils maintiennent que le feu peut sans diffi-
culté indiquer cette douleur brûlante … Pour ma part, il m’est plus facile de dire que
les deux choses, plutôt qu’aucune de deux, relèvent du corps, et donc que la dou-
leur de l’esprit n’est pas mentionnée dans ces mots de l’Écriture divine, pour que
l’on comprenne qu’elle s’ensuit, même si ce n’est pas dit, puisque, quand le corps
souffre ainsi, l’esprit lui aussi est tourmenté par sa p é n i t e n c e s t é r i le ] (civ. 21,9).
Contraster civ. 21,24 : paenitentiae fructuosae [la pénitence porteuse de fruits], et
Jérôme, Contra Rufinum 2,7 pour Origène inteprétant Is. 66,24 comme indiquant une
pénitence porteuse de fruits. Cela a trait à la vision apocatastatique d’Origène (voir
n. à 14,1, Le blasphème, et P. LARDET, L’apologie de Jérôme contre Rufin : Un com-
mentaire, Leiden 1993, 166s., n. 281s.) : si l’enfer sera finalement vidé, il devient lui
aussi lieu de pénitence.
Mais pour Augusin, la terreur ultime, celle éprouvée en Enfer, ne provoque ja-
mais qu’une pénitence inutile. On voit ici l’aboutissement de la réflexion d’Augustin
272 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

sur l’obéissance à Dieu régie par la peur, qu’il n’a jamais vue que comme le signe
d’une relation très incomplète avec Dieu. Elle est surtout caractéristique des Juifs :
Accepit legem populus Iudaeorum. Istam in decalogo non observabat. Et quicumque
obtemperabant timore obtemperabant poenae, non amore iustitiae [Le peuple juif a
reçu la Loi. Il ne l’observait pas dans le décalogue. Et ceux qui y obéissaient obéis-
saient par peur de la peine, et non par amour de la justice] (serm. 9,8. De même mor.
eccl. 56 ; in Gal. 21 ; de serm. dom. 1,64 ; voir n. à 2,3). Dans le pire des cas, la peur
humaine envers Dieu est même le reflet de la peur des démons : Incipit homo a fide.
Quid pertinet ad fidem? Credere. Sed adhuc ista fides discernatur ab immundis spiriti-
bus. Ad fidem quid pertinet? Credere. Sed ait apostolus Iacobus: ‘Et daemones cre-
dunt, et contremiscunt’ [Iac. 2,19]. Si tantum credis, et sine spe vivis, vel dilectionem
non habes: ‘Et daemones credunt, et contremiscunt’ [L’homme commence par la foi.
Qu’est-ce qui relève de la foi ? Croire. Mais encore faut-il distinguer cette foi [de
celle] des esprits impurs. Qu’est-ce qui relève de la foi? Croire. Mais l’apôtre Jacques
dit : ‘Les démons croient, eux aussi, et ils tremblent’. Si tu ne fais que croire, et tu vis
sans l’espoir, ou [si] tu n’as pas l’amour : ‘Les démons croient, eux aussi, et ils trem-
blent’] (serm. 158,6 ; voir aussi n. à 23,8–12). Augustin admet cependant que la peur
peut être encore nécessaire aussi aux chrétiens, mais seulement selon l’immaturité
de leur foi : Fit ut homines q u o s n o n d u m d e l e c t a t p u l c h r i t u d o v ir t u t i s , nisi
poenis a peccando deterreantur … difficilius domentur quam ferae [Il arrive que les
hommes q u e l a b e a u t é d e l a v e r t u n e r é j o u i t p a s e n c o r e , s’ils ne sont
terrifiés de pécher à cause des peines … soient plus difficiles à dompter que des
bêtes sauvages] (divers. quaest. 36,1 ; de même in psalm. 30,1,20. Et voir ensuite
serm. 9,8 ; 159,6 ; 169,8 ; 178,10 ; mor. eccl. 56 ; in epist. Ioh. 9,2.4 ; de serm. dom.
1,64 : Juifs de l’ancienne Alliance et les chrétiens charnels sont souvent superposés).
Il a la même réaction envers les peines infligées par les autorités de ce monde : Nec
ideo sane frustra instituta sunt potestas regis, ius gladii cognitoris, ungulae carnificis,
arma militis, disciplina dominantis, severitas etiam boni patris … Haec cum timentur,
et cohercentur mali et quietius inter malos vivunt boni, non quia boni pronuntiandi
sunt, qui talia metuendo non peccant – non enim bonus est quispiam timore poenae
sed amore iustitiae [Ces choses n’ont donc pas été instituées en vain : le pouvoir du
roi, le droit de vie et de mort du juge, les tenailles du bourreau, les armes du soldat,
la discipline du seigneur, même la sévérité du bon père … Quand ces choses sont
craintes, les mauvais sont réprimés, et les bons vivent plus tranquillement entre les
mauvais, non pas qu’il faut juger bons ceux qui ne pèchent pas par peur de telles
choses – car nul n’est bon par peur du châtiment, mais par amour de la justice]
(epist. 153,16). C’est déjà le thème du conte de l’anneau de Gygès, au second livre de
la République de Platon, et Augustin rappelle aussi Gygès en insistant que celui qui
n’est juste que par la peur pécherait s’il pouvait échapper aux yeux de Dieu : Sed
interrogo te: si non te videret Deus, quando facis, nec quisquam te convinceret in iudi-
cio eius, faceres ? … Si faceres, ergo poenam times, castitatem nondum amas [Mais je
te demande : si Dieu ne te voyait pas, quand tu fais [le mal], si personne ne pouvait
Commentaire | 273

te dénoncer devant son jugement, le ferais-tu ? … Si tu le fais, c’est donc que tu


crains le châtiment, tu n’aimes pas encore la chasteté] (serm. 161,8). Cette hostilité
envers la peur rappelle qu’Augustin avait souscrit au rejet manichéen du Dieu colé-
reux de l’Ancient Testament. Mais, en soi, sa pensée est tout à fait chrétienne, le
fruit de sa méditation sur 1 Io. 4,18 : φόβος οὐκ ἔστιν ἐν τῇ ἀγάπῃ, ἀλλ’ ἡ τελεία
ἀγάπη ἔξω βάλλει τὸν φόβον, ὅτι ὁ φόβος κόλασιν ἔχει, ὁ δὲ φοβούμενος οὐ
τετελείωται ἐν τῇ ἀγάπῃ [Il n’y a pas de peur dans la charité, mais la charité parfaite
bannit la peur, parce que la peur suppose le châtiment, et celui qui a peur n’est pas
parfait dans la charité].
Si l’Inchoata expositio était parvenue jusqu’à Rom. 8,15, Augustin y aurait sans
doute développé ses réflexions sur la peur. Ailleurs, en contrastant ces passages de
Rom. et 1 Io. avec des textes des psaumes, il en vient à réhabiliter la peur : Sectamini
caritatem, intret caritas; admittite illam, timendo peccare, admittite amorem non
peccantem, admittite amorem bene viventem. Illa … intrante, incipit timor exire. Quan-
to plus illa intraverit, tanto timor minor erit. Cum illa tota intraverit, nullus timor erit,
quia ‘perfecta caritas foras mittit timorem’ [1 Io. 4,18]. Intrat ergo charitas, pellit ti-
morem. Non autem intrat et ipsa incomitata. Habet secum suum timorem, quem intro-
ducit ipsa, sed illum ‘castum, permanentem in saeculum saeculi’ [Ps. 18,10]. Servilis
timor est, quo times cum diabolo ardere; timor castus est, quo times Deo displicere.
[Poursuivons la charité ; qu’entre la charité. Admets-la, en ayant peur de pécher ;
admets l’amour qui ne pèche pas, admets l’amour qui vit droitement. Quand celle-ci
[sc. la charité] entre, la peur commence à sortir. Plus elle entre, plus la peur va di-
minuer. Quand elle sera entrée en entier, il n’y aura plus de peur, puisque ‘la charité
parfaite bannit la peur’. Donc la charité entre, elle met dehors la peur. Mais elle
aussi, elle n’entre pas toute seule. Elle a avec elle sa propre peur, qu’elle introduit
elle-même, mais c’est [la peur] chaste, ‘qui dure pour les siècles des siècles’. C’est
par une peur d’esclave que tu crains de brûler avec le diable ; c’est par une peur
chaste que tu crains de déplaire à Dieu] (serm. 161,8 ; voir de même in Gal. 43, 53 ; in
psalm. 18,1,10 ; 18,2,10 ; epist. 140,51–53.56–60 ; 145,4 ; in euang. Ioh. 43,5.7 ; 85,3 ;
in epist. Ioh. 9,5–8 ; virg. 39 ; serm. 348,4 ; pour une autre interprétation de Ps.
18,10, voir civ. 14,9).

9,2 nulla paenitentia corrigi volunt


Augustin anticipe la seconde partie du texte (§14–fin), où l’impénitence sera définie
comme le péché impardonnable.

9,4 humanae iustitiae disciplina


Ayant montré comment la justice de Dieu (iustitia iudicis Dei, 9,1) se manifeste
dans le pardon des offenses, Augustin passe maintenant à la justice humaine, c’est-
à-dire le comportement requis pour obtenir ce pardon. Il revient à la justice divine
en 10,1 (iustitiae divinae), 10,2 (iusto Dei iudicio).
274 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

Pour la disciplina attendue des hommes définie par l’humilité, voir in Gal. 15, ci-
té n. à 1,4, per disciplinam.

9,4 non in se amare nisi quod Dei est, et odisse quod proprium est
Cette formule n’a rien à voir avec la haine de soi, dans un sens psychologique. Elle
repose plutôt sur la croyance augustinienne selon laquelle tout ce qui est bon ne
l’est que dans l’unité avec Dieu : Deus ergo singulariter bonus est et hoc amittere non
potest. Nullius enim boni participatione bonus est, quoniam bonum, quo bonus est,
ipse sibi est. Homo autem, cum bonus est, ab illo bonus est, quod a se ipso esse non
potest … Pertinet ergo ad nos, ut boni simus, accipere et habere quod dat qui de suo
bonus est, quo quisque neglecto de suo malus est [Dieu est donc uniquement bon, et
ne peut pas perdre cette qualité. En effet, il n’est pas bon par participation dans un
bien, car il est pour lui-même le bien par lequel il est bon. Mais l’homme, quand il
est bon, est bon à cause de lui, ce qu’il ne peut être à cause de lui-même … Il nous
revient donc, pour être bons, de recevoir et de retenir ce que donne celui qui est bon
par sa propre nature. Celui qui le néglige est mauvais par sa propre nature] (epist.
193,12). Du reste, ce proprium en nous, qui ne vient pas de Dieu, n’existe pas au sens
propre, puisque tout ce qui n’est pas bon tend vers la non-existence : Quia enim
bonus est, sumus, et in quantum sumus boni sumus. Porro quia etiam iustus est, non
impune mali sumus, et in quantum mali sumus, in tantum etiam minus sumus [En
effet, parce qu’il est bon, nous sommes, et dans la mesure où nous sommes, nous
sommes bons. En outre, parce qu’il est en même temps juste, nous ne sommes pas
mauvais impunément, et dans la mesure où nous sommes mauvais, nous sommes
aussi moins] (doctr. christ. 1,75 ; voir aussi les remarques sur corruptio dans la n.
critique à 13,5, unde interrogati).

9,4 nec in eis alium improbare, sed seipsum


Voir civ. 15,7 (sur Gen. 4,7) : Potest quidem ita intellegi ad ipsum hominem conversio-
nem esse debere peccati, ut nulli alii quam sibi sciat tribuere debere quod peccat …
Tunc enim dominabitur quisque peccato, si id sibi non defendendo praeposuerit, sed
paenitendo subiecerit. Alioquin et illi serviet dominanti, si patrocinium adhibuerit
accidenti [On peut ainsi comprendre que la conversion du péché doit être vers
l’homme lui-même, pour qu’il sache qu’il ne doit attribuer le fait qu’il pèche à per-
sonne d’autre que lui-même … Car chacun aura la domination sur le péché au mo-
ment où il ne le mettra pas au-dessus de lui-même, en le défendant, mais il
l’asujettira, en faisant pénitence. Autrement c’est lui qui servira [le péché] domi-
nant, s’il lui accorde sa protection quand il survient]. À la lecture de tels avertisse-
ments, on pense volontiers au désir humain constant de considérer notre prochain
comme responsable de nos fautes (« C’est la femme que tu as mise auprès de moi
qui m’a donné de l’arbre, et j’ai mangé »). Ce sens n’est pas exclu (MARA, Agostino
interprete, 178, n. 26 renvoie ainsi à Ambroise, off. 1,118), mais RING (n. à 9,4), pré-
fère voir ici une pointe anti-manichéenne, puisque la gnose manichéenne voulait
Commentaire | 275

que le degré de perfection que chacun pouvait atteindre dépendât de son type de
nature (voir LIEU, Manichaeism, 27–29). En effet, la tendance à imputer ses fautes à
des facteurs surnaturels inquiétait particulièrement Augustin, tendance nullement
réservée aux Manichéens. Voir, dans ce sens, in psalm. 7,19 : ‘Confitebor Domino
secundum iustitiam eius’ [Ps. 7,18]. … Ista confessio ita Deum laudat, ut nihil possit
impiorum valere blasphemia, qui volentes excusare facinora sua, nolunt suae culpae
tribuere quod peccant, hoc est, nolunt suae culpae tribuere culpam suam. Itaque aut
fortunam aut fatum inveniunt quod accusent, aut diabolum, cui non consentire in
potestate nostra esse voluit qui nos fecit; aut aliam naturam inducunt, quae non sit ex
Deo, fluctuantes miseri et errantes potius quam confitentes Deo, ut eis ignoscat. Non
enim oportet ignosci, nisi dicenti: Peccavi [‘Je confesserai au Seigneur selon sa jus-
tice’. Cette confession loue le Seigneur de telle façon que le blasphème des impies
ne peut avoir aucune force, [ces impies] qui, en voulant excuser leurs crimes, ne
veulent pas que ce soit leur propre faute quand ils pèchent – c’est-à-dire qu’ils ne
veulent pas que leur faute soit de leur faute. Ainsi ils trouvent comme coupables la
fortune ou le destin, ou le diable, [bien que] celui qui nous a faits ait voulu qu’il soit
en notre pouvoir de ne pas donner notre accord au [diable]. Ou bien ils introduisent
une autre nature, qui ne vient pas de Dieu, et ces misérables flottent et dérivent,
plutôt que de confesser à Dieu, pour qu’il les pardonne. Car on ne doit pas pardon-
ner sinon à celui qui dit : ‘J’ai péché’]. Ici, aliam naturam [une autre nature] désigne
les croyances manichéennes, mais fortunam aut fatum [la fortune ou le destin] vi-
sent surtout l’astrologie. Voir aussi c. Faust. 12,9–13, qui anticipe sur la lecture anti-
manichéenne citée plus haut de Gen. 4,7 dans civ., mais fait d’abord de Cain l’image
du peuple juif, qui fait les attributions à l’envers : Ignorantes Dei iustitiam et suam
volentes constituere, elati de operibus legis, non humiliati de peccatis suis non ‘quie-
verunt’ [En ignorant la justice de Dieu et en voulant établir la leur, se vantant des
œuvres de la Loi, plutôt que de s’humilier à cause de leurs propres péchés, ils ne
sont pas ‘restés tranquilles’] (c. Faust. 12,9). Nous rejoignons ici le grand thème de
l’épître aux Romains, tel qu’il est décrit dans Inchoata expositio 1 : s’il ne faut pas
imputer nos fautes aux autres, Augustin tend de plus en plus à ajouter qu’il faut
imputer nos bonnes œuvres exclusivement à Dieu (voir n. à 7,7).

9,4 nec putare satis sibi esse ut sua peccata displiceant


La distinction entre le dégoût inspiré par le péché et le vrai repentir est établie par
Paul (voir quaest. Simpl. 1,1,8 sur Rom. 7,15). Augustin la reprend avec beaucoup de
finesse psychologique : Multi enim multo citius se fatentur peccasse atque ita sibi
succensent, ut vehementer se peccasse nollent, sed tamen animum ad humiliandum et
obterendum cor implorandamque veniam non deponunt [Beaucoup d’hommes
avouent bien plus rapidement qu’ils ont péché, et se le reprochent, si bien qu’ils
voudraient ardemment n’avoir pas péché. Mais toutefois ils n’abaissent pas leur
esprit pour humilier et broyer leur cœur et pour implorer le pardon] (de serm. dom.
1,74). Il utilise un langage similaire pour décrire sa propre lutte contre la conver-
276 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

sion : Mihi autem d i s p l i c e b a t , quod agebam in saeculo, et oneri mihi erat valde,
non iam inflammantibus cupiditatibus, ut solebant, spe honoris et pecuniae ad tole-
randam illam servitutem tam gravem. Iam enim me illa non delectabant prae dulce-
dine tua et decore domus tuae, quam dilexi [Ps. 25,8] [Ce que je faisais dans le monde
me d é p l a i s a i t et m’était bien pesant. Mes désirs ne brûlaient plus, comme
d’habitude, par l’espoir de l’honneur et de l’argent, pour que je pusse tolérer cet
esclavage si lourd. Car déjà ces choses ne me plaisaient plus en face de ta douceur et
de la beauté de ta maison, que j’ai aimée] (conf. 8,2) ; sicut nemo est, qui dormire
semper velit, omniumque sano iudicio vigilare praestat, differt tamen plerumque homo
somnum excutere, cum gravis torpor in membris est, eumque iam d i s p l i c e n t e m
carpit libentius, quamvis surgendi tempus advenerit: ita certum habebam esse melius
tuae caritati me dedere quam meae cupiditati cedere; sed illud placebat et vincebat,
hoc libebat et vinciebat [Tout comme il n’y a personne qui voudrait dormir tout le
temps, et, selon tout jugement sain, il est mieux d’être éveillé, mais un homme tarde
très souvent à chasser le sommeil, quand il y a dans ses membres un lourd engour-
dissement, dont il jouit avec plaisir, bien que celui-ci lui d é p l a i s e déjà, bien que le
temps du réveil soit arrivé – de même, j’étais certain qu’il serait mieux de me confier
à ta charité que de céder à mes désirs. Mais [si] le premier [choix] me plaisait et me
conquérait, le second me charmait et m’enchainait] (conf. 8,12).

10,1–10 Justice des souffrances en ce monde


Ayant montré au §9 pourquoi il est juste que les pénitents soient pardonnés après la
mort, Augustin va maintenant expliquer pourquoi il est juste qu’ils souffrent en
cette vie. Pour confronter pleinement le problème, il ne présente plus ceux qui souf-
frent comme accablés par le péché, mais souligne que même les meilleurs des
hommes souffrent (etiam martyres, 10,1 ; etiam iusti homines et pii, 10,2 ; ipse
Iob, 10,4 ; fratres, 10,5 ; iusti, 10,6). Avec l’exemple de David, il revient à un grand
péché, mais David entre finalement dans la même catégorie que Job ou les martyrs,
parce que l’explication d’Augustin repose sur le principe que tous les hommes sont
assez mauvais pour avoir besoin d’une purification sévère (neminem quippe ex-
cepit, 10,4).
Cette explication a deux aspects : les souffrances sont la peine du péché per-
sonnel et originel, et ils sont une école de vertu. On tenterait en vain de séparer ces
deux approches : la punition est juste (tribulationes et molestiae … per iustitiam
Dei redduntur peccatis, 10,12) et en même temps elle rend meilleur (non reflectunt
ad peccandum, sed ab omni labe penitus purgant, ibid.).
Cette double explication revient très souvent sous la plume d’Augustin. Parfois
il met l’accent sur la punition des péchés (divers. quaest. 59,3 ; in Gal. 50.64 ; epist.
43,21, les Donatistes, en refusant les peines temporelles, se réservent les peines
éternelles), parfois sur l’effet bienfaisant des souffrances (lib. arb. 3,28 ; divers.
quaest. 79,5 ; epist. 38,1, à propos de lui-même ; epist. 157,19 ; agon. 8 ), ou encore il
combine les deux (divers. quaest. 82 ; vera relig. 78–80 ; in psalm. 9,2 ; in Rom.
Commentaire | 277

54) … On pourrait citer des centaines d’exemples, ou encore étudier l’application de


cette doctrine par Augustin à sa propre vie dans les Confessions. Quant au péché
originel, on sait qu’Augustin en est venu à penser qu’il justifiait la peine éternelle
pour tous les hommes : Hinc est uniuersa generis humani massa damnata, quoniam,
qui hoc primus admisit, cum ea quae in illo fuerat radicata sua stirpe punitus est, ut
nullus ab hoc iusto debitoque supplicio nisi misericordi et i n d e b i t a gratia liberetur
[Ainsi toute la massse du genre humain fut damnée, puisque celui qui pécha le pre-
mier fut puni avec la souche qui avait pris racine en lui, pour que personne ne soit
libéré de ce châtiment juste et dû, sauf par la grâce miséricordieuse et i n d u e ] (civ.
21,12). Dans ce sens, il n’existe pas pour Augustin de problème de la souffrance des
innocents, puisqu’il n’y a pas d’innocents.
Si Augustin a poussé plus loin que tous ses prédécesseurs la réflexion sur le pé-
ché originel (on lui doit le terme : voir BA 20A, 431–435), le reste de son enseigne-
ment sur la souffrance des justes est beaucoup moins original. Que cette souffrance
purifie des péchés et apprend la vertu (ce second point devant beaucoup au
stoïcisme) est une doctrine très répandue, sinon universelle, chez les Pères. À défaut
d’une étude générale sur la question, voir F. BILLISCH, Das Problem des Übels in der
Philosophie des Abendlandes, t. 1, Wien 21955, 192s.213–216.234–239 ; Dictionnaire
de Spiritualité s.v. souffrance, 4 ; TRE s.v. Leiden, IV.2.1. Pour Philon, qui a beau-
coup influencé Clément d’Alexandrie et Origène, et par là tous les Pères, en cette
matière (comme en tant d’autres), voir De congressu 158–180, et la note complémen-
taire 22 dans l’édition de M. ALEXANDRE, Paris 1967. Pour Origène, voir Philocalie
27,6, et ad loc. SChr 226, 288s., n. 1 (mais Origène a la particularité de croire que les
souffrances purgent aussi de fautes commises dans des existences antérieures).
On tend toutefois, dans les études patristiques, à insister sur la prééminence de
la doctrine d’Augustin sur la souffrance. Cela est sans doute dû moins à son origina-
lité, qu’à son importance dans la pensée augustinienne. Nul autre des Pères n’y a
consacré autant de pages, ni ne semble avoir ressenti le problème avec une telle
intensité. Augustin peut choquer par sa sévérité, qu’il condamne les nouveaux-nés à
l’enfer (voir AugLex s.v. infans, 5) ou qu’il imagine comment les religieuses de Rome
ont pu être violées pour leur bien (civ. 1,18). Mais ne doutons pas pour autant qu’il
ressent profondément tout ce que la souffrance a de scandaleux. Qu’on l’entende
avouer, malgré toutes ses explications, malgré sa foi inébranlable en la Providence,
que nous ne pouvons comprendre l’injustice, telle que nous la voyons se déchainer
sans cesse devant nous : N e s c i m u s enim quo iudicio Dei bonus ille sit pauper, malus
ille sit dives; iste gaudeat, quem pro suis perditis moribus cruciari debuisse maerori-
bus arbitramur, contristetur ille, quem vita laudabilis gaudere debuisse persuadet;
exeat de iudicio non solum inultus, verum etiam damnatus innocens, aut iniquitate
iudicis pressus aut falsis obrutus testimoniis, e contrario scelestus adversarius eius
non solum inpunitus, verum etiam vindicatus insultet; impius optime valeat, pius lan-
guore tabescat; latrocinentur sanissimi iuvenes, et qui nec verbo quemquam laedere
potuerunt, diversa morborum atrocitate affligantur infantes; utilis rebus humanis
278 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

inmatura morte rapiatur, et qui videtur nec nasci debuisse, diutissime insuper vivat;
plenus criminibus sublimetur honoribus, et hominem sine querella tenebrae ignobilita-
tis abscondant, et cetera huiusmodi, quae quis colligit, quis enumerat? [En effet, nous
i g n o r o n s par quel jugement de Dieu cet homme bon est pauvre, cet autre homme
mauvais est riche ; cet autre se réjouit, dont nous pensons qu’il aurait dû être tour-
menté par le regret pour ses mœurs honteuses ; cet autre est affligé, alors que sa vie
louable [nous] convainc qu’il devait se réjouir ; l’innocent sort du jugement non
seulement sans être vengé, mais même condamné, soit opprimé par l’iniquité du
juge, soit écrasé par les faux témoignagnes ; au contraire, son adversaire criminel se
moque de lui, étant non seulement impuni, mais même justifié ; l’impie se porte à
merveille, l’homme pie se morfond dans la maladie ; les brigands sont des jeunes
hommes des plus vigoureux, et les bébés qui n’auraient pu blesser quelqu’un même
par une parole sont affligés par l’atroce multiplicité des maladies ; celui qui est utile
aux affaires humaines est arraché par une mort prématurée, et celui dont il semble
qu’il n’aurait même pas dû naitre, reste très longtemps en vie ; l’homme qui regorge
de crimes est élevé dans les honneurs, et les ténèbres d’une vie obscure cachent
l’homme sans fautes ; et toutes les autres choses du même genre – qui pourrait les
cataloguer, les énumérer ?] (civ. 20,2 – le passage rappelle le soliloque d’Hamlet).

10,1 poena spiritalis et sempiterna


L’expression poena spiritalis, contrastée avec pressurae … cruciatusque corpo-
rales, est curieuse, dans la mesure où les punitions des damnés sont aussi corpo-
relles, comme Augustin va le montrer en détail en civ. 21. On pense à gen. ad litt.
12,60, où Augustin considère que l’enfer peut être un lieu spiritalis. Mais il s’agit là
du lieu où iront les âmes avant la résurrection de la chair (voir AugLex s.v. infernus,
et pour l’inspiration néo-platonicienne de cette vision, BA 49, 559s.), alors qu’ici
Augustin ne distingue pas entre les deux étapes de la damnation. spiritalis est donc
plutôt utilisé seulement par opposition aux souffrances en ce monde, tout comme
Augustin parlera ailleurs (epist. Divj. 1,1 ; c. adv. leg. 1,31) des poenae spiritales
comme celles dont Jésus menace les hommes après la mort, en opposition aux puni-
tions matérielles prescrites par la Loi de l’Ancien Testament.

10,1 etiam martyres


Voir, dans le même sens, epist. 157,19 : ut … temporalis autem mors corporis, etiam in
iis qui Christi morte redimuntur, relinquatur interim ad exercitationem fidei, et ago-
nem praesentis luctationis, in quo et martyres certaverunt [pour que … la mort tempo-
relle du corps, même pour ceux qui sont rachetés par la mort du Christ, reste en
place entre-temps, comme une épreuve de leur foi et un concours de lutte immédiat,
dans lequel les martyrs, eux aussi, ont combattu]. Les martyrs illustraient particuliè-
rement bien la valeur de la souffrance (voir n. à 10,1–10), puisque la tradition hagio-
graphique cumulait les détails de leurs tortures, et toute l’Église reconnaissait qu’ils
en avaient été récompensés par la vie éternelle. Augustin n’en affirme pas moins
Commentaire | 279

que leurs souffrances étaient en partie une punition pour leurs péchés. Ailleurs, il
proposera même que Dieu a pu offrir le martyre à certains pour les libérer des leurs
faiblesses morales : Iam forte aliqui ipsorum intendebant collum in dulcedinem vitae
huius. Dominus qui erat in illis, fecit strepitum gehennarum, et ‘erutus est passer de
muscipula venantium’ [Ps. 123,7] [Peut-être déjà certains d’entre eux tendaient leur
cou vers la douceur de cette vie. Le Seigneur, qui était en eux, fit le vacarme de la
géhenne, et ‘le passereau a été arraché du piège des chasseurs’] (in psalm. 123,13. De
même in psalm. 118,13,3).

10,3 quae in sanctis scripturis etiam disciplina nominatur


Pour disciplina dans la Bible, voir AugLex s.v. disciplina, II.1. Le mot apparait 99 fois
dans la Vulgate. Mais Augustin pense peut-être en particulier à Prov. 3,11 (= Hebr.
12,5), puisqu’il va bientôt (10,4) citer Prov. 3,12 (= Hebr. 12,6). Il est vrai qu’à
l’époque de l’Inchoata expositio, Augustin n’utilisait pas la Vulgate, mais Frede,
VetLat 25 ad loc. montre que disciplinam était bien dans le texte de Hebr. 12,5 pour
Augustin, et cite d’ailleurs notre passage parmi les testimonia (les volumes de la
Vetus Latina de Beuron pour Prov. n’existent pas encore, et il nous dépasse de dé-
mêler les citations directes de Prov. 3,11s. des citations par le biais de Hebr. 12,5s.
Sur ce point, La Bonnardière, L’épître, 140s., note qu’Augustin n’attribue jamais
Hebr. 12,6 à Paul quand il le cite [voir n. à 11,3s.]).

10,4 quem enim diligit Deus corripit


Dans la Vulgate, pour Hebr. 12,6 (ὃν γὰρ ἀγαπᾷ κύριος παιδεύει), on lit quem enim
diligit Dominus castigat. Dans VetLat 25 ad loc., on voit qu’Augustin connaissait
aussi la leçon castigat, mais s’en est généralement tenu au texte trouvé ici. Voir
aussi ibid. pour la distribution complexe de ces leçons dans les versions latines de
l’épître. Hebr. 12,6 est le verset de l’épître aux Hébreux cité le plus fréquemment par
Augustin (LA BONNARDIÈRE, L’épître, 140) ; il est combiné avec Job, comme dans
l’Inchoata expositio, en in Iob 36 ; urb. exc. 3. Pour le rapport avec Prov. 11,4, voir n.
précédente.

10,4 poenas tamen corporis pro peccatis suis se exsolvere saepe testatur
Dans A Masque of Reason (1945) du poète Robert Frost, Dieu dit à Job : « I’ve had
you on my mind a thousand years / To thank you someday for the way you helped
me / Establish once for all the principle / There’s no connection man can reason out
/ Between his just deserts and what he gets ». C’est dans cette optique que l’on tend
aujourd’hui à lire le livre de Job : ses consolateurs ont entièrement tort de dire à Job
qu’il est puni pour ses péchés, et c’est pourquoi Dieu s’irrite contre eux (Job 42,7.
Voir J. E. HARTLEY, The Book of Job, Grand Rapids MI 1988, 43–50). Mais selon Au-
gustin, Job a très souvent (saepissime) dit le contraire : malgré sa justice, sa souf-
france a servi à expier ses péchés (il en est de même pour Moïse, Aaron, Samuel et
Paul : in psalm. 98,10–13).
280 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

Toutefois, pendant longtemps, Augustin est rarement revenu sur Job pécheur,
insistant plutôt sur son rôle comme modèle de patience (pour les années autour de
l’Inchoata expositio, voir mor. eccl. 42 ; in psalm. 25,1,3 ; de serm. dom. 2,32s. ;
quaest. Simpl. 2,3,1 ; in Iob. 38), comme le fera, dans le sillage de Iac. 5.11, toute la
tradition patristique (voir Dictionnaire de Spiritualité s.v. Job, II ; SChr 178, 199, n. 3.
Dans l’Église latine, cette tradition commence avec Tertullien, De patientia 14 et
Cyprien, De bono patientiae 18). Mais il est vrai que patience et pénitence ne sont
pas aisées à séparer chez Augustin (voir n. à 10,1–10).
En tout cas, comme le note J.-M. Roessli (AugLex s.v. Iob ; à consulter aussi pour
la bibliographie sur Augustin et Job), Augustin est revenu aux péchés de Job dans
ses écrits anti-pélagiens, puisque « Pelagius avait consacré à Job un véritable pané-
gyrique. Pour lui, l’exemple de la bonté de Job prouve la réalité de la sainteté natu-
relle de l’homme ». Augustin répond en alignant les passages où, selon lui, Job se
déclare lui-même pécheur : voir pecc. mer. 2,14.17 ; nat. et grat. 73 ; perf. iust. 23–
28 ; c. Iulian. op. imperf. 1,105 (et, en dehors de la controverse avec Pélage, in
psalm. 37,5 ; urb. exc. 4 ; serm. 392,3). C’est dans ces textes que le saepissime de
l’Inchoata expositio est enfin justifié. Mais retenons qu’un des versets qu’utilise
souvent Augustin pour étayer cette vision de Job est Job 14,4, où les versions basées
sur la Septante (τίς γὰρ καθαρὸς ἔσται ἀπὸ ῥύπου; ἀλλ᾽ οὐθείς [Car qui sera pur de la
souillure ? Mais personne]) étaient beaucoup plus utiles à Augustin que la Vulgate
(Quis potest facere mundum de inmundo conceptum semine? Nonne tu qui solus es?
[Qui peut rendre pur ce qui fut conçu d’une semence impure ? N’est-ce pas toi, qui
seul es ?]). En vérité, il n’y a peut-être aucun texte du livre de Job qui comporte cer-
tainement une confession par Job de ses propres fautes.
Nous ne voulons pas insinuer qu’Augustin lisait le livre de Job sans sensibilité
aucune. Il savait très bien que ce livre ne pouvait être compris qu’en fonction de la
justice extraordinaire de Job (secundum modum conversationis humanae perhibet ei
Deus tam magnum iustitiae testimonium [selon la mesure du commerce humain,
Dieu porte un si grand témoignage à sa justice], pecc. mer. 2,14) et dans in Iob il
l’identifiera même avec le Christ. Il était aussi très conscient de ce que, malgré tout
ce que l’on avait dit sur la patience de Job, l’affligé usait souvent d’un langage dur
envers son créateur, velut stomachans adversus Deum [comme s’il s’indignait envers
Dieu] (in psalm. 103,4,8. Le problème est repris par Grégoire le Grand, Moralia in Iob
praef. 8). Mais pour lui, il n’y avait aucune contradiction entre ces faits et l’affirma-
tion que Job subissait en toute conscience une peine juste.
On rencontre rarement avant Augustin l’idée que les souffrances de Job aient pu
être en partie une punition pour ses péchés. Les Pères tendent plutôt à insister,
suivant Job 1,1, sur sa justice : Origène l’appelle iustissimus et totius pietatis obser-
vantissimus [très juste, et très fidèle à tout devoir religeux] (Rufin. Orig. in ex. 7,2),
iam perfectus [déjà parfait] (ibid. 11,3). De même, selon Jean Chrysostome, οὐ μόνον
ἐκεῖνα οὐκ ἔπραττε τὰ ἁμαρτίαν ἔχοντα, ἀλλ’ οὐδὲ τὰ μέμψιν καὶ κατάγνωσιν [il
évitait de faire non seulement les actes qui contiennent un péché, mais même ceux
Commentaire | 281

susceptibles d’un reproche ou d’un blâme] (Iob 1,1 [SChr 346, 84]). Et Ambroise note
l’erreur de ses consolateurs : Unum enim solacii genus est in aerumna et amaritudine
constitutis: culpa vacare, ut ea quae perpetiuntur adversa non pro delicti pretio susti-
nere videantur. Hoc quoque viro sancto adimere gestiebant, ut videretur ipse suae
auctor aerumnae, qui peccatis gravibus Domini contraxisset offensam et pro impieta-
tibus suis illa toleraret, describentes impiorum supplicia [Il y a en effet un seul genre
de consolation pour ceux qui sont dans la souffrance et l’amertume : être sans faute,
pour qu’ils ne paraissent pas endurer les malheurs qu’ils éprouvent comme la ré-
compense d’un crime. Même cela, ils tentaient de l’enlever au saint homme, en
décrivant les tourments des impies, pour qu’il apparût comme lui-même respon-
sable de sa souffrance, comme s’il avait offensé le Seigneur par des péchés graves et
endurait ces choses à cause de ses impiétés] (Iob 1,4,10). Sans doute, aucun de ces
textes n’est à comprendre comme indiquant que Job était un homme entièrement
parfait, comme l’était le Christ. Mais pour leurs auteurs, le sujet du livre de Job était
exclusivement les souffrances d’un juste, et non la punition d’un coupable.

10,5 1 Petr. 4,15–18


Variantes notables d’avec la Vulgate :

Grec Inchoata expositio Vulgate


ἀλλοτριεπίσκοπος curas alienas agens alienorum appetitor
εἰ δὲ ὡς si vero quasi si autem ut
ὅτι ὁ καιρὸς τοῦ ἄρξασθαι τὸ quia tempus inchoationis quoniam tempus ut
κρίμα iudicii incipiat iudicium
πρῶτον ἀφ’ ἡμῶν initium a nobis primum a nobis
σῴζεται salvus fit salvatur

Selon Thiele, VetLat 26/1 ad loc. le texte tel que le présente l’Inchoata expositio n’est
typique que d’Augustin.
Ce texte de 1 Petr. est réemployé de façon similaire en c. Faust. 22,14 (de nou-
veau avec Hebr. 12,6), mais surtout dans le commentaire sur les psaumes (in psalm.
6,4–8 ; 30,1,24 ; 59,6 ; 93,23s. ; 110,2 [avec Hebr. 12,6] ; 118,16,5 ; 147,27), sans doute
parce que les psaumes sont si souvent des prières de souffrance.
Pour une exégèse plus détaillée, voir in psalm. 9,1 : Duo etiam iudicia insinuan-
tur per scripturas, si quis advertat, unum occultum, alterum manifestum. Occultum
nunc agitur, de quo apostolus Petrus dicit: ‘Tempus est ut iudicium incipiat a domo
Domini’. Occultum itaque iudicium est poena, qua nunc unusquisque hominum aut
exercetur ad purgationem, aut admonetur ad conversionem, aut si contempserit voca-
tionem et disciplinam Dei, excaecatur ad damnationem. Iudicium autem manifestum
est, quo venturus Dominus iudicabit vivos et mortuos [Pour qui fait bien attention,
deux jugements sont aussi indiqués par les Écritures, l’un caché, l’autre manifeste.
Il s’agit ici du [jugement] caché, duquel l’apôtre Pierre dit : ‘Il est temps que le ju-
gement commence à partir de la maison du Seigneur’. Donc le jugement caché est la
282 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

peine par laquelle tout homme est maintenant, ou bien éprouvé pour sa purifica-
tion, ou bien averti pour sa conversion, ou encore, s’il méprise l’appel et la disci-
pline de Dieu, aveuglé pour sa damnation. Le jugement manifeste est ensuite celui
par lequel le Seigneur, quand il viendra, jugera les vivants et les morts] (de même
cons. euang. 2,8). On trouve ici l’idée, implicite dans l’Inchoata expositio (reflec-
tunt ad peccandum, 10,12), et fréquente dans des écrits plus tardifs, que les mêmes
punitions qui sont si utiles aux élus ne sont pour les autres qu’une étape sur la voie
de la damnation.

10,7 pressuris
Grec θλίψεσιν, Vulgate tribulationibus. pressuris est le texte normal d’Augustin, et la
leçon est répandue dans les anciennes versions latines de 2 Thess. Voir VetLat 25, ad
loc. pressura traduit θλῖψις dans la Vulgate du Nouveau Testament pour les deux
exemples du mot dans l’Évangile de Jean (16,21 ; 16,32, cité avec pressuram plus bas,
10,12). Partout ailleurs – et le mot apparait 25 fois – il est rendu par tribulatio, sauf
en Phil. 1,17 (pressuram), Col. 1,24 (passionum) et dans le cas étrange de 2 Cor. 1,4 (ὁ
παρακαλῶν ἡμᾶς ἐπὶ πάσῃ τῇ θλίψει ἡμῶν εἰς τὸ δύνασθαι ἡμᾶς παρακαλεῖν τοὺς ἐν
πάσῃ θλίψει / qui consolatur nos in omni tribulatione nostra ut possimus et ipsi conso-
lari eos qui in omni pressura sint). Indications du caractère très hétérogène du texte
de la Vulgate (cf. n. à 12,2s. ; 13,4).

10,9
Pour la faute de David, voir n. à 18,14s.

10,9 accidisse omnia … propter futurum iudicium poenarum


Même thématique déjà chez Origène, Hier. Orig. hom. in Ezech. 1,2 : Noli aestimare
quia haec ultio [punition des Egyptiens] poena tantum fuerit peccatoribus, quasi post
mortem et supplicia iterum a supplicio excipiendi sint. Puniti sunt in praesenti, ne in
futuro iugiter punirentur [Ne vas pas croire que cette vengeance servait exclusive-
ment comme punition pour les pécheurs, comme si, après la mort et les supplices, le
supplice les attendait encore. Ils ont été punis dans le temps présent, pour qu’ils ne
soient pas punis continuellement dans le temps à venir]. On trouve des commen-
taires similaires chez Origène pour d’autres cas apparemment désespérés : les gens
de Sodome et Gomorrhe (ibid.), ou Pharaon (Philocalie 27,4s.). C’est qu’Origène est
beaucoup plus enclin qu’Augustin à voir toutes les souffrances comme bienfai-
santes (voir n. à 10,1–10 ; 10,5).

10,10 mortuis evangelizatum est


Augustin ne parle pas de la descente aux enfers, malgré le sens obvie de 1 Petr.
3,18–4,6. Voici un exemple frappant d’Augustin prônant tacitement une exégèse
insolite, qu’il n’expliquera que bien plus tard. En effet, il faut attendre epist. 164,
datant de 414/415, pour qu’il indique, en réponse aux questions d’Évodius, com-
Commentaire | 283

ment il préfère comprendre ce passage de l’épître. Il y propose que Pierre ne parle


pas de la descente aux enfers, mais de la prédication de la foi dans le monde, qui,
tant qu’il ne reçoit pas l’Évangile, est équivalent à l’enfer ou aux morts. Il glose donc
ainsi 1 Petr. 4,6 : Etiam quod sequitur et dicit Petrus, ‘propter hoc et mortuis evangeli-
zatum, ut iudicentur quidem secundum homines in carne, vivant autem secundum
Deum spiritu’, non cogit apud inferos intellegi. Propter hoc enim in hac vita et mortuis
evangelizatum est, id est infidelibus et iniquis, ut, cum crediderint, iudicentur quidem
secundum homines in carne, hoc est in diversis tribulationibus et ipsa morte carnis,
unde idem apostolus alio loco dicit tempus esse, ut iudicium incipiat a domo Domini [1
Petr. 4,17], vivant autem secundum Deum spiritu, quia et in ipso fuerant mortificati,
cum morte infidelitatis et impietatis detinerentur [De plus, ce qui suit et ce que dit
Pierre, ‘c’est pourquoi l’Évangile a aussi été prêché aux morts, pour qu’ils soient
jugés selon les hommes dans la chair, mais qu’ils vivent selon Dieu dans l’esprit’, ne
demande pas que l’on comprenne [une évangélisation] aux enfers. En effet,
l’Évangile a aussi été prêché aux morts en cette vie, c’est-à-dire aux infidèles et aux
méchants, pour que, s’ils croient, ils soient jugés selon les hommes dans la chair,
c’est-à-dire par les tribulations diverses et la mort même de la chair – c’est pourquoi
ce même apôtre dit ailleurs qu’il est temps que le jugement commence à partir de la
maison de Dieu – mais pour qu’ils vivent selon Dieu dans l’esprit, puisque c’est
aussi en lui qu’ils avaient été mortifiés, quand ils étaient retenus par la mort de
l’infidélité et de l’impiété] (epist. 164,21). Comme le montre la reprise de 1 Petr. 4,17,
toute cette exégèse devait déjà être dans l’esprit d’Augustin quand il a écrit
l’Inchoata expositio. Mais il ne l’aurait peut-être jamais rédigée sans la demande
d’Évodius.
Cette lecture inattendue de Pierre s’explique par les difficultés qu’avait Augus-
tin à comprendre la doctrine de la descente aux enfers, même s’il l’a toujours accep-
tée comme faisant partie de l’enseignement des Écritures et de la foi de l’Église
(epist. 164,14). Voir, pour cette question, AugLex s.v. descensus Christi.

10,13 Pax enim perfecta etiam corporis


La vie éternelle sera une vie de paix : c’est là une croyance universelle des chrétiens.
Mais il est caractéristique d’Augustin, qui, manichéen, avait rejeté la chair, et qui est
toujours resté troublé par la persistance des désirs charnels, de comprendre cette
paix avant tout comme la fin de la lutte entre la chair et l’esprit. Il avait particuliè-
rement développé cette doctrine dans les œuvres exégétiques sur le Nouveau Tes-
tament qui précèdent immédiatement l’Inchoata expositio. Ici, il ne fait qu’une
brève allusion au rôle de la chair dans l’histoire du salut, tel qu’il l’avait expliqué en
in Rom. 12 : Quattuor istos gradus hominis distinguamus: ante legem, sub lege, sub
gratia, in pace. Ante legem sequimur concupiscentiam carnis, sub lege trahimur ab ea,
sub gratia nec sequimur eam nec trahimur ab ea, in pace nulla est concupiscentia
carnis [Distinguons ces quatre étapes de l’homme : avant la Loi, sous la Loi, sous la
grâce, dans la paix. Avant la Loi, nous suivons la concupiscence de la chair ; sous la
284 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

Loi, nous sommes traînés par elle ; sous la grâce, nous ne la suivons pas et ne
sommes pas traînés par elle ; dans la paix, il n’y a aucune concupiscence de la
chair]. Voir aussi in Rom. 43.45 ; in Gal. 61 et l’exposé de Gloria in excelsis Deo, et in
terra pax hominibus bonae voluntatis [Gloire à Dieu au plus haut, et sur la terre paix
aux hommes de bonne volonté] en de serm. dom. 2,21.23, qui est repris en in Rom.
12. On doit supposer qu’Augustin envisageait d’exposer cette doctrine en beaucoup
plus de détail au moment de commenter Rom. 7s.

10,13 inconcusse atque incommutabiliter teneat


Augustin combine très souvent des formes de inconcussus et tenere. On trouve in-
concusse + tenere en c. acad. 1,19 ; epist. 93,23 ; 190,3 ; in Matth. 11 ; in psalm.
134,10 ; c. mend. 41, et inconcussse + retinere en conf. 6,7 ; epist. 147,35 ; doctr.
christ. 1,93 ; c. Faust. 21,2 ; retract. 1,11. Ou encore il emploie l’adjectif : tenebo istud
inconcussum [je garderai cela [comme] inébranlable] (mus. 6,8 ; cf. mus. 6,46 ; lib.
arb. 1,31 ; 2,5 ; epist. 1,2 ; 186,20 ; in euang. Ioh. 19,3 ; trin. 8,7 ; c. Parm. 3,28 ; un.
bapt. 16 ; c. Iulian. op. imperf. 2,117) ; ut … inconcussam teneat angulorum aequalita-
tem [pour que … elle garde une égalité inébranlable des angles] (quant. anim. 15) ;
teneamus igitur has leges inconcussas [gardons donc ces lois [comme] inébranlables]
(mus. 5,8) ; pietatem inconcussam tene [garde une piété inébranlable] (lib. arb.
2,54) ; inconcussum animum tenuit [il garda un esprit inébranlable] (mor. eccl. 42).
La tournure est caractéristique d’Augustin, puisqu’elle n’est pas spécialement
fréquente chez d’autres auteurs (voir ThLL s.v. inconcussus), bien qu’elle semble
débuter chez Lucain (inconcussa tenens dubio vestigia mundo [gardant ses pas in-
ébranlables dans un monde vacillant], 2,248 ; il s’agit de Caton, restant fidèle à sa
vertu). Augustin l’emploie généralement – comme dans l’Inchoata expositio – en
rapport avec la foi, que nous devons garder inébranlable dans notre esprit. Voir
aussi, dans ce sens, les expressions du type inconcussa fide retinendum [à retenir
avec une foi inébranlable] (lib. arb. 2,39.47 ; epist. 120,13 ; quaest. Simpl. 1,2,17 ; fid.
et symb. 20).
Pour incommutabiliter, voir n. à 11,2, incommutabilis unitas.

11,1s. L’Esprit Saint est gratia et pax.


Nous donnons quelques indications pour éclairer ce passage, sans vouloir faire le
point sur la doctrine augustinienne sur l’Esprit Saint. En attendant l’article Spiritus
Sanctus de AugLex, voir SMULDERS, Esprit Saint, 1279–1283, et FITZGERALD, Augustine
s.v. Holy Spirit pour une brève présentation et des repères bibliographiques.
On comprend aisément qu’Augustin ait voulu retrouver l’Esprit Saint en Rom.
1,7. D’abord, il a toujours eu tendance à interpréter des triades scripturaires (pour
l’Inchoata expositio, voir aussi §13) ou philosophiques (voir DU ROY, L’intelligence,
537–549) comme faisant référence à la Trinité. De plus, il s’était depuis un certain
temps intéressé à la nature de l’Esprit Saint, qu’il considérait encore peu explorée
(voir Introduction, 1.8).
Commentaire | 285

Dans ses écrits antérieurs sur Paul, Augustin avait surtout identifié la Trinité
dans la formule ἐξ αὐτοῦ καὶ δι’ αὐτοῦ καὶ εἰς αὐτὸν τὰ πάντα [tout est de lui et par
lui et en lui] en Rom. 11,36 (mor. eccl. 24 ; divers. quaest. 81,1 ; fid. et symb. 19 ;
serm. 1,5 ; l’exégèse est reprise en trin. 1,12). Il en serait donc venu à une nouvelle
exégèse trinitaire de ces mots si l’Inchoata expositio était arrivée jusqu’à Rom. 11.
Cependant, la doctrine trinitaire prendrait bien plus d’importance dans Rom. si
Augustin pouvait montrer que les trois Personnes de la Trinité apparaissaient dès
les premières lignes de l’épître. En outre, Augustin pouvait ressentir la nécessité
d’offrir une démonstration orthodoxe de la présence de l’Esprit Saint dans la saluta-
tion, puisque, en se faisant appeler apostolus Iesu Christi, reprenant ainsi le titre que
se donne Paul en Rom. 1,1, dans l’epistula Fundamenti (voir AugLex s.v. Epistulam
Manichaei quam uocant fundamenti (Contra–), II ; RIES, Saint Paul, 18–22 et 26),
Mani avait voulu indiquer qu’il était lui-même en quelque sorte l’Esprit Saint, le
Paraclet promis dans l’Évangile de Jean (c. epist. fund. 7 ; c. Fel. 1,9 ; voir Inchoata
expositio 15,14 et RIES, Saint Paul, 9.14.23. Cette revendication semble avoir déjà été
faite par Montanus [voir n. à 15,13–16] et se retrouve dans certains enseignements
sur Mohammed [voir Encyclopaedia of Islam s.v. ’Īsā, VII]. Pour Mani et s Paul, voir
Introduction, 1.4).
On se demande néanmoins pourquoi Augustin ne s’est pas contenté de noter la
référence au πνεῦμα ἁγιωσύνης [Esprit de sainteté] en Rom. 1,4, comme il l’avait fait
dans in Rom. (voir n. à 5,1). À notre connaissance, nul autre exégète parmi les Pères
n’a cherché à identifier gratia et pax dans les épîtres de Paul avec l’Esprit Saint (du
moins n’y a-t-il rien de tel dans le commentaire d’Origène sur Rom., ni chez Jean
Chrysostome, Théodore de Mopsueste, Théodoret de Cyrrhe, ni, du côté latin, Ma-
rius Victorinus, l’Ambrosiaster, Jérôme, Pélage, ou l’anonyme de Frede). Mais,
comme Augustin va le noter en 11,3–6, le Père, le Christ et gratia et pax apparaissent
dans les salutations de toutes les épîtres de Paul, si bien que la démonstration que
gratia et pax étaient l’Esprit vaudrait une fois pour toutes. De plus, l’équivalence
entre gratia et pax et l’Esprit revient sur la présentation de l’Esprit comme donum
Dei [don de Dieu], qui est fondamentale dans la théologie trinitaire d’Augustin.
Enfin, ce n’est que par cette équivalence qu’Augustin pourra donner la solution au
problème du blasphème contre l’Esprit Saint qu’il va proposer dans la deuxième
partie de l’Inchoata expositio.
Gratia porro et pax, quid aliud quam donum Dei? C’est peut-être la lecture de
l’Ambrosiaster (voir n. à 1,3, nonnulli qui ex Iudaeis) qui a inspiré à Augustin de lier
gratia et pax avec donum Dei. Celui-ci écrit en effet : ‘Gratia vobis et pax a Deo Patre
nostro et Domino Iesu Christo’. Quoniam unum d o n u m est Dei et Christi, idcirco par-
ticipes illos optat esse gratiae Dei, quae est et Christi [‘La grâce soit avec vous et la
paix de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ’. Puisqu’il y a un seul d o n de
Dieu et du Christ, il prie pour qu’ils participent à la grâce de Dieu, qui est aussi celle
du Christ] (in 2 Cor. 1,2 ; de même ad Gal. 1,2). Toutefois, si Augustin s’était contenté
de dire que la grâce et la paix nous sont données p a r l’Esprit ou d a n s l’Esprit, on
286 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

n’y verrait pas grand-chose de plus qu’un automatisme du langage chrétien (compa-
rer e.g. Origène, Jo. 2,77s. : Οἶμαι δὲ τὸ ἅγιον πνεῦμα τήν, ἵν’ οὕτως εἴπω, ὕλην τῶν
ἀπὸ Θεοῦ χαρισμάτων παρέχειν τοῖς δι’ αὐτὸ καὶ τὴν μετοχὴν αὐτοῦ χρηματίζουσιν
ἁγίοις [Je pense que l’Esprit Saint fournit, pour ainsi dire, la matière des grâces de
Dieu à ceux qui sont appelés saints à cause de lui et de leur participation en lui]).
Mais Augustin dit bien plus : il affirme que l’Esprit Saint est le don de Dieu, qui e s t
la grâce et la paix. Pour lui, les mots donum, gratia, pax font plus que démarquer
l’action de l’Esprit : ils aident à définir l’Esprit même. Par là, il s’approche d’une
source suggérée par DU ROY (L’intelligence, 378), Didyme l’Aveugle : In fine Epistolae
secundae, quam ad Corinthios scribit Paulus, ait: ‘Gratia Domini nostri Iesu Christi, et
caritas Dei, et communicatio sancti Spiritus, sit semper cum omnibus vobis’ [2 Cor.
13,13]. Ostenditur quippe ex sermone praesenti una Trinitatis assumptio, cum is qui
gratiam Christi accepit, habeat eam tam per administrationem Patris, quam per largi-
tionem Spiritus sancti. Datur enim a Deo Patre et Iesu Christo, iuxta illud: ‘Gratia
vobiscum, et pax a Deo Patre, et Domino Jesu Christo’, non aliam dante gratiam Patre
et aliam Salvatore. Siquidem et a Patre et Domino Jesu Christo eam dari describit,
Spiritus sancti communicatione completam. N a m e t i p s e S p i r i t u s d i c t u s e s t
g r a t i a , secundum illud: ‘Et Spiritui gratiae iniuriam faciens, in quo sanctificatus est’
[Hebr. 10,29] [À la fin de la seconde épître que Paul écrit aux Corinthiens, il dit : ‘La
grâce de notre Seigneur Jésus Christ, et la charité de Dieu, et la communion de
l’Esprit Saint soient toujours avec vous’. Il est montré par ces expressions qu’il y a
une seule et unique assomption de la Trinité, puisque celui qui reçoit la grâce du
Christ l’obtient tout aussi bien par le ministère du Père que par la largesse de l’Esprit
Saint. Elle est donnée en effet par Dieu le Père et par Jésus Christ, selon les mots ‘la
grâce soit avec vous, et la paix de Dieu le Père et du Seigneur Jésus Christ’, si bien
que le Père ne donne pas une grâce, et le Sauveur une autre. Il écrit en effet qu’elle
est donnée et par le Père et par le Seigneur Jésus Christ, et complétée par la commu-
nion de l’Esprit Saint. C a r l ’ E s p r i t l u i a u s s i e s t a p p e l é g r â c e , selon ces
mots : ‘Et faisant tort à l’Esprit de grâce, dans lequel il fut sanctifié’] (Hier. Didym.
spir. 16 [SChr 386]). Cependant, comme le contexte l’indique, Didyme se préoccupe
ici surtout de montrer l’égalité de l’Esprit avec le Père et le Fils, plutôt que de définir
ce qu’est l’Esprit (Ambroise, en reprenant Didyme, dans De spiritu sancto 1,12,126,
écrit seulement : haec gratia et pax fructus est Spiritus [cette grâce et paix sont le
fruit de l’Esprit]).
Quant à la notion que l’Esprit Saint peut se définir comme le don de Dieu (voir
AugLex s.v. donum, III), elle a ses racines dans les Écritures (voir le dossier scriptu-
raire rassemblé en trin. 15,33–35) et dans la tradition théologique latine, surtout
Hilaire de Poitiers (unus Spiritus donum in omnibus [un seul Esprit, le don en toutes
choses], trin. 2,1 ; voir SMULDERS, Esprit Saint, 1274s.). Pour Augustin, ce titre de
donum est révélateur, parce que, chez le Dieu d’amour, le donum Dei ne peut être
que l’amour, à la fois l’amour entre le Père et le Fils et, inséparablement, l’amour de
Dieu pour les hommes. Augustin expose ces idées pleinement pour la première fois
Commentaire | 287

dans une page célèbre du De fide et symbolo, où l’on notera comment l’action r é -
c o n c i l i a t r i c e de l’Esprit Saint fait écho à son titre de gratia et pax dans l’Inchoata
expositio : Ausi sunt tamen quidam ipsam communionem Patris et Filii atque, ut ita
dicam, deitatem, quam graeci θεότητα appellant, Spiritum sanctum credere: ut, quo-
niam Pater Deus et Filius Deus, ipsa deitas, qua sibi copulantur et ille gignendo Filium
et ille Patri cohaerendo, ei a quo est genitus aequetur. Hanc ergo deitatem, quam
etiam dilectionem in se invicem amborum caritatemque volunt intellegi, Spiritum sanc-
tum appellatum dicunt multisque scripturarum documentis adsunt huic opinioni suae,
sive illo quod dictum est quoniam ‘caritas Dei diffusa est in cordibus nostris per Spiri-
tum sanctum qui datus est nobis’ [Rom. 5,5], sive aliis multis talibus testimoniis, et eo
ipso quod p e r S p i r i t u m s a n c t u m r e c o n c i l i a m u r D eo : unde etiam cum d o n u m
D e i dicitur, satis significari volunt caritatem Dei esse Spiritum sanctum [Certains ont
cependant osé croire que l’Esprit Saint est la communion même du Père et du Fils,
et, si je puis le dire, leur divinité, ce que les Grecs appellent θεότης. De la sorte,
puisque le Père est Dieu et le Fils est Dieu, la divinité même, par laquelle ils sont
réunis – le premier en générant le Fils, et le second en s’attachant au Père – serait
l’égale de celui par qui [le Fils] fut généré. Ils disent donc que cette divinité, qu’ils
veulent aussi que l’on comprenne comme étant l’amour mutuel et la charité des
deux entre eux, s’appelle l’Esprit Saint. Et ils soutiennent leur avis par de nom-
breuses preuves des Écritures, comme celle où il est dit que ‘la charité de Dieu s’est
répandue dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné’, et bien d’autres
témoignages semblables, et par le fait même que c’est p a r l ’ E s p r i t q u e n o u s
s o m m e s r é c o n c i l i é s a v ec D i e u . Ensuite, quand il est appelé d o n d e D i e u , ils
prétendent qu’il est clairement indiqué que la charité de Dieu est l’Esprit Saint] (fid.
et symb. 19. Pour les sources, voir SMULDERS, Esprit Saint, 1279s. ; AYRES, Augustine,
88–92. Augustin est bien plus original qu’il ne veut l’admettre ici). Par la suite, c’est
surtout, comme on s’y attendrait, dans le De Trinitate qu’Augustin expliquera la
relation entre le titre donum Dei et la vie interne de la Trinité (trin. 5,11 ; 15,37). Mais
l’action extérieure du donum, l’Esprit comme amour pour nous, et donc comme
gratia et pax, apparait souvent même avant l’Inchoata expositio (beat. vit. 35 ; mor.
eccl. 23.62 ; soliloq. 1,3, où la séquence gratia → pax trouve son équivalent : per
quem accepimus, ne omnino periremus … per quem a malis bona separamus … per
quem mala fugimus et bona sequimur … per quem bene servimus et bene dominamur
… per quem discimus … qui nos convertis … exaudibiles facis … revocas in viam → qui
nos unis … nos purgas et ad divina praeparas praemia [par qui nous recevons [le don]
de ne pas mourir entièrement … par qui nous séparons le bien du mal … par qui
nous fuyons le mal et nous poursuivons le bien … par qui nous servons bien et nous
sommes bien régis … par qui nous apprenons … toi qui nous convertis … qui nous
rends dignes d’être exaucés … qui nous rappelles à la voie → qui nous unis … nous
purifies et nous prépares aux récompenses divines] ; divers. quaest. 44 ; 64,4 ; vera
relig. 25s.36–38.65–69.312s. ; in Rom. 60 ; serm. 9,6). L’identification de l’Esprit avec
288 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

gratia et pax dans l’Inchoata expositio n’est donc pas une solution factice pour
rendre Paul plus trinitaire, mais le fruit d’une longue réflexion.
Selon AYRES (Augustine, 91), dans le passage cité de fid. et symb., « Augustine is
moving hesitantly towards the position that the Spirit as love is the substance of the
gifts he gives ». En effet, Augustin n’utilise pas un langage entièrement cohérent
dans l’Inchoata expositio. Ayant affirmé que l’Esprit est la grâce, il passe tout de
suite à une formulation conventionnelle à base de préposition (dari hominibus
gratia … et pax … i n Spiritu sancto ; voir aussi 11,6) et il ne serait pas facile de
déterminer si l’on peut remplacer toutes les mentions de gratia (Dei) dans notre
texte par Spiritus sanctus sans en fausser le sens. Mais c’est en vain que l’on vou-
drait établir dans la pensée augustinienne une séparation étanche entre le don qui
est l’Esprit, et les dons conférés par l’Esprit, entre la grâce qui est Dieu, et la grâce
que Dieu nous donne (voir trin. 15,34) : Augustin ne tente pas d’ériger une théologie
systématique, mais de méditer le sens de la parole « Dieu est amour ». Deux mots ne
peuvent suffire pour décrire ou définir cet amour (voir trin. 15,37) : au §12, à gratia et
pax seront ajoutés societas, misericordia, caritas [alliance, miséricorde, charité],
mais ce ne sont encore que des mots humains pour dire l’indicible. Quidquid de illo
h u m a n i t e r d i c i t u r quod etiam hominibus aspernabile videatur, ipsa humana am-
monetur infirmitas etiam illa quae congruenter in scripturis sanctis de Deo dicta exis-
timat humanae capacitati aptiora esse quam divinae sublimitati [Par tout ce qui est
d i t h u m a i n e m e n t de lui et qui semble méprisable même aux hommes, la fai-
blesse humaine est prévenue que même ce qu’elle pense être dit convenablement de
Dieu dans les Écritures saintes est plus approprié aux capacités humaines qu’à la
sublimité divine] (quaest. Simpl. 2,2,1 ; voir n. à 14,2–8).
Enfin, cet amour-Esprit Saint qui vit en Dieu et qui est donné aux hommes doit
trouver sa manifestation dans l’amour des uns pour les autres dans l’Église. C’est là,
pour Augustin, le sens du miracle des langues à la Pentecôte : Sicut enim post dilu-
vium superba impietas hominum turrim contra Dominum aedificavit excelsam,
quando per linguas diversas dividi meruit genus humanum, ut unaquaeque gens lin-
gua propria loqueretur, ne ab aliis intellegeretur, sic humilis fidelium pietas earum
linguarum diversitatem ecclesiae contulit unitati, ut quod discordia dissipaverat, colli-
geret caritas, et humani generis tamquam unius corporis membra dispersa ad unum
caput Christum compaginata redigerentur, et in sancti corporis unitatem dilectionis
igne conflarentur [En effet, tout comme après le déluge l’impiété orgueilleuse des
hommes éleva une tour très haute contre le Seigneur, quand le genre humain mérita
d’être divisé par les différentes langues, pour que chaque peuple parlât sa propre
langue et ne fût pas compris des autres, de même la piété humble des fidèles ras-
sembla dans l’unité de l’Église la diversité de ces langues, pour que la charité unît
ce que la discorde avait dispersé, et les membres dispersés du genre humain,
comme ceux d’un seul corps, fussent joints et rassemblés dans une seule tête, le
Christ, et fondus dans l’unité du corps saint par le feu de l’amour] (serm. 271). En-
core une doctrine d’amour, donc, mais son côté sombre, c’est la condamnation sans
Commentaire | 289

appel des hérétiques : Ab hoc itaque dono Spiritus sancti prorsus alieni sunt, qui ode-
runt gratiam pacis, qui societatem non retinent unitatis. Licet enim etiam ipsi hodie
solemniter congregentur, licet istas audiant lectiones, quibus Spiritus sanctus est pro-
missus et missus, ad iudicium audiunt, non ad praemium [Sont donc entièrement
étrangers à ce don de l’Esprit Saint ceux qui détestent la grâce de la paix, qui ne
retiennent pas l’alliance de l’unité. En effet, bien qu’eux aussi se réunissent solen-
nellement aujourd’hui, bien qu’ils écoutent ces lectures dans lesquelles l’Esprit
Saint est promis et envoyé, ils écoutent pour le jugement, non pas pour la récom-
pense] (serm. 271 ; voir aussi serm. 272C,3). Augustin y reviendra vigoureusement
dans le serm. 71, quand il reprendra la doctrine de l’Inchoata expositio sur le blas-
phème contre l’Esprit : Nam et si quisquam ita sit contrarius veritati, ut Deo loquenti,
non in prophetis, sed in unico Filio … reluctetur, remittetur ei, cum paenitendo conver-
sus fuerit ad Dei benignitatem, qui … dedit ecclesiae suae Spiritum sanctum, ut cui-
cumque in eo peccata dimitteret, dimitterentur ei [Io. 20,23]. Qui vero huic d o n o exsti-
terit inimicus, ut non illud per paenitentiam petat, sed ei per impaenitentiam
contradicat, fit irremissibile, non quodcumque peccatum, sed contempta vel etiam
oppugnata ipsa remissio peccatorum [En effet, même si quelqu’un s’oppose tant à la
vérité, qu’il lutte … contre Dieu qui parle non pas dans les prophètes, mais dans son
Fils unique, il lui sera pardonné, quand il se sera converti par la pénitence à la bon-
té de Dieu, qui … a donné à son Église l’Esprit Saint, afin que, pour tout homme à
qui elle pardonnerait les péchés, ils lui soient pardonnés. Mais celui qui s’est fait
l’ennemi de ce d o n , qui, plutôt que de le chercher par la pénitence, y contredit par
l’impénitence, [pour lui] devient impardonnable non pas tout péché, mais son mé-
pris, son hostilité même envers le pardon des péchés] (serm. 71,37). Ici, la citation de
Io. 20,23 montre comment la gratia et pax de l’Esprit se manifent dans l’Église ; mais
elle montre aussi les conséquences fatales, selon Augustin, pour tous ceux qui vou-
draient chercher grâce, paix et pardon ailleurs (voir n. à 12,4, societatem inter-
ponens).

11,2 gratia … qua liberamur a peccatis et pax qua reconciliamur Deo


Voir n. à 8,4. Pour le rôle de l’Esprit Saint après l’effacement des péchés (= pax) voir
in psalm. 4,7 : ‘Sacrificate sacrificium iustitiae, et sperate in Domino’ [Ps. 7,6] … An
sacrificium iustitiae opera iusta sunt post paenitentiam? Nam et interpositum dia-
psalma non absurde fortassis insinuet etiam transitum de vita vetere ad vitam novam,
ut exstincto vel infirmato per paenitentiam vetere homine, sacrificium iustitiae secun-
dum regenerationem novi hominis offeratur Deo, cum se offert ipsa anima iam abluta,
et imponit in altare fidei, divino igne, id est, S p i r i t u s a n c t o comprehendenda [‘Sac-
rifiez un sacrifice de justice, et espérez dans le Seigneur’ … Est-ce que le sacrifice de
justice, ce sont les œuvres justes après la pénitence ? Car même la pause interposée
indique peut-être aussi, assez logiquement, le passage de l’ancienne vie à la vie
nouvelle. Ainsi l’homme ancien est éteint ou affaibli par la pénitence, et le sacrifice
de la justice est offert à Dieu selon la régénération de l’homme nouveau, quand
290 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

l’âme s’offre elle-même, déjà lavée, et se place sur l’autel de la foi, pour être em-
brassée par le feu divin, c’est-à-dire l ’ E s p r i t S a i n t ]. Et voir le dossier scripturaire
rassemblé en serm. 71,19. On trouve déjà chez Origène la même idée d’une réconci-
liation en deux étapes : Vir iustus Helchana duas simul habuisse refertur uxores [1
Reg. 1,2], quarum una Phennana, alia Anna dicebatur, id est conversio et gratia [On
raconte que l’homme juste Helchana eut deux femmes en même temps, dont l’une
s’appelait Phennana et l’autre Anna, c’est-à-dire la conversion et la grâce] (Rufin.
Orig. in gen. 11,2 ; voir hom. in Lev. 8,11).

11,2 incommutabilis unitas


Voir n. critique ad loc. Pour incommutabilis, voir AugLex ss.vv. incommutabilis,
mutabile – immutabile, et O’DONNELL sur conf. 7,1,1. Selon les résultats de LLTA,
incommutabilis et ses dérivés figurent 666 fois dans le corpus augustinien, en plus
de 134 exemples d’immutabilis et dérivés. C’est dire l’importance de l’immutabilité
chez Augustin. Il s’agit essentiellement d’une qualité divine, et AugLex montre les
racines de cette vision de Dieu (que l’on retrouve difficilement dans la Bible) dans le
Platonisme et la polémique contre le Dieu manichéen, sujet aux puissances téné-
breuses (voir 15,14 : commutabilem et corruptibilem).
L’homme aussi s’élève en se tournant vers l’incommutabilitas de Dieu, et, même
en cette vie, doit s’efforcer de devenir incommutabilis dans la foi et l’amour (voir
10,13 et n. ad loc.). D’où le contraste dans l’ouverture des Confessions entre inquie-
tum … cor nostrum donec requiescat in te [notre cœur inquiet jusqu’à ce qu’il repose
en toi] et Dieu stabilis et incomprehensibilis, immutabilis mutans omnia, numquam
novus numquam vetus [stable et insaisissable, l’immuable qui transforme toutes
choses, jamais nouveau, jamais ancien] (conf. 1,1 ; 1,4).

11,3s. Paul et l’épître aux Hébreux


Pour les points de vue de l’Église ancienne sur la canonicité et l’auteur de l’épître
aux Hébreux, voir, en plus des références données par RING, n. à 11,4 ; Dictionnaire
de la Bible. Supplément, t. 3 s.v. Hébreux, 1411–1420 ; KOESTER, Hebrews, 20–27.
Dans l’Église d’Orient, Clément d’Alexandrie est le premier auteur dont l’avis sur
l’épître nous soit conservé (Eusèbe, Histoire ecclésiastique 6,14). Il note que l’épître
ne porte pas le nom de Paul, et que son style diffère de celui des treize autres épîtres
attribuées à l’apôtre. Il propose néanmoins que Hebr. fut écrite par Paul en hébreu,
et traduite par Luc. Il fournit deux explications pour l’absence du nom de Paul. Soit,
selon l’avis du μακάριος πρεσβύτερος [prêtre bienheureux], que l’on identifie géné-
ralement avec son maître, Pantène, Paul n’a pas voulu signer l’épître διά τε τὴν
πρὸς τὸν κύριον [cf. Hebr. 3,1] τιμὴν διά τε τὸ ἐκ περουσίας καὶ τοῖς Ἑβραίοις
ἐπιστέλλειν, ἐθνῶν κήρυκα ὄντα καὶ ἀπόστολον [à la fois par respect pour le Sei-
gneur, et parce que c’était par surcroît qu’il écrivait même aux Hébreux, étant le
messager et l’apôtre des gentils]. Ou bien, Ἑβραίοις ἐπιστέλλων πρόληψιν εἰληφόσιν
κατ’ αὐτοῦ καὶ ὑποπτεύουσιν αὐτόν, συνετῶς πάνυ οὐκ ἐν ἀρχῇ ἀπέτρεψεν αὐτούς,
Commentaire | 291

τὸ ὄνομα θείς [comme il écrivait même aux Hébreux, qui avaient un préjugé contre
lui et s’en méfiaient, il a eu l’intelligence de ne pas les repousser entièrement dès le
début, en y mettant son nom]. L’explication proposée dans l’Inchoata expositio était
donc très ancienne. Elle sera aussi reprise par Jérôme (vide infra) et par Jean Chry-
sostome (hom. in Rom. 1,1 [PG 60, 395]).
Origène, comme Clément, préfère attribuer Hebr. à Paul. Il note que l’épître est
ἑλληνικωτέρα [plus grecque] que les treize autres, mais répond que son contenu est
à la hauteur de l’apôtre et propose donc que τὰ μὲν νοήματα τοῦ ἀποστόλου ἐστίν, ἡ
δὲ φράσις καὶ ἡ σύνθεσις ἀπομνημεύσαντός τινος τὰ ἀποστολικὰ καὶ ὥσπερ
σχολιογραφήσαντός τινος τὰ εἰρημένα ὑπὸ τοῦ διδασκάλου [les idées sont de
l’apôtre, mais le langage et la composition sont de quelqu’un d’autre, qui avait noté
les [dires] de l’apôtre et avait, pour ainsi dire, commenté les paroles du maître] (Eu-
sèbe, Histoire ecclésiastique 6,14). Bien qu’il exprime parfois un avis nuancé (voir
SChr 302, 544, n. 1), dans la pratique, Origène a cité Hebr. d’innombrables fois en
l’attribuant sans ambages à Paul. Comme en beaucoup de matières, sa décision a
fait autorité : après Origène, en Orient, on tente encore parfois d’expliquer la diffé-
rence entre Hebr. et les treize épîtres (voir notamment Eusèbe lui-même, Histoire
ecclésiastique 3,38), mais Hebr. est acceptée partout comme un texte authentique et
canonique de Paul.
En Occident, la situation est plus complexe. Tertullien voudrait que l’épître soit
de Barnabé (De pudicitia 7), mais son contemporain anti-montaniste, le Romain
Gaius, ne semble pas l’accepter comme canonique (Eusèbe, Histoire ecclésiastique
6,20 – l’indication n’est pas très claire), tout comme Hippolyte, selon Photius (KOES-
TER, Hebrews, 23). Hebr. est aussi absente du canon de Muratori, et n’est citée ni par
Irénée de Lyon, ni, au siècle suivant, par Cyprien. Mais au 4ème siècle, avec la crois-
sance de la communication entre Églises grecque et latine, Hebr. commence à être
acceptée par l’Occident. Philastre de Brescia présente comme hérétiques ceux qui
considèrent que l’épître n’est pas de Paul (Diversarum hereseon liber 89 ; on en
déduira aussi que les Novatianistes l’acceptaient : voir n. à 18,2). Hilaire de Poitiers,
Ambroise, Rufin la considèrent de même comme une épître de Paul, soit qu’ils la
citent sous son nom, soit qu’ils affirment que Paul a écrit quatorze épîtres. En
Afrique, le Concile de Carthage en 397 nomme soit quatorze épîtres de Paul soit
treize et eiusdem ad Hebraeos i [1 du même aux Hébreux] (CCSL 149, 43,393 ; ensei-
gnement repris au Concile de Carthage en 419 : ibid. 108).
À part Augustin, le seul des Pères latins après Tertullien et Gaius à aborder ou-
vertement la question de l’auteur de Hebr. est Jérôme. Il donne son avis le plus déve-
loppé sur la question, ou plutôt un recueil d’avis, en 392/393 en De viris illustribus
5 : Epistula autem quae fertur ad Hebraeos, non eius [sc. Pauli] creditur, propter stili
sermonisque dissonantiam, sed vel Barnabae iuxta Tertullianum, vel Lucae Evangelis-
tae iuxta quosdam, vel Clementis, Romanae postea ecclesiae episcopi, quem aiunt
sententias Pauli proprio ordinasse et ornasse sermone, vel certe, quia Paulus scribebat
ad Hebraeos et propter invidiam sui apud eos nominis titulum in principio salutationis
292 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

amputaverat (scripserat autem ut Hebraeus hebraice, id est, suo eloquio disertissime),


ea quae eloquenter scripta fuerant in hebraeo, eloquentius vertisse in graecum et hanc
esse causam, quod a ceteris Pauli epistulis discrepare videatur [Quant à l’épître qui
est dite ‘aux Hébreux’, on ne croit pas qu’elle soit de lui, à cause du désaccord du
style et du langage, mais plutôt de Barnabé, selon Tertullien, ou de Luc
l’évangéliste, selon certains, ou de Clément, [qui fut] par la suite évêque de l’Église
romaine, qui, dit-on, aurait ordonné et orné les idées de Paul avec son propre lan-
gage, ou encore, parce que Paul écrivait aux Hébreux et avait tronqué l’inscription
de son nom au début de la salutation, à cause de la jalousie [qu’il y avait] envers lui
parmi eux (mais, en tant qu’Hébreu, avait écrit en hébreu, à savoir avec grande
élégance dans sa propre langue), ce qui avait été écrit éloquemment en hébreu, il l’a
traduit avec encore plus d’éloquence en grec, et c’est la raison pour laquelle elle
semble dissonnante par rapport aux autres épîtres de Paul]. Jérôme ne tranche pas
entre toutes ces hypothèses, et ailleurs nous constatons qu’il alterne entre différents
points de vue, sans que ceux-ci se répartissent selon l’ordre chronologique ou le
genre d’écrit. Parfois il laisse ouverte la possibilité que le texte ne soit pas de Paul :
Relege ad Hebraeos epistulam Pauli apostoli, sive cuiuscumque alterius eam esse
putas, quia iam inter ecclesiasticas est recepta [Relis l’épître aux Hébreux de l’apôtre
Paul, ou de qui que ce soit d’autre dont tu penses qu’elle puisse être, puisqu’elle a
déjà été acceptée parmi les [épîtres] ecclésiastiques] (in Tit. 2,2 [CCSL 77C, 39]) ;
epistulae, quae sub Pauli nomine ad Hebraeos fertur [de l’épître aux Hébreux qui est
transmise sous le nom de Paul] (vir. ill. 15) ; quicumque est ille qui ad Hebraeos scrip-
sit epistolam [qui que soit celui qui a écrit l’épître aux Hébreux] (in Am. 3,8) ; aposto-
lus Paulus – sive quis alius scripsit epistulam [l’apôtre Paul – ou si quelqu’un d’autre
a écrit l’épître] (in Ier. 6,36). Parfois il insiste sur le contraste entre Orient et Occi-
dent : apud Romanos usque hodie quasi Pauli apostoli non habetur [chez les Ro-
mains, jusqu’à nos jours elle n’est pas considérée comme étant de l’apôtre Paul] (vir.
ill. 59, reprenant Eusèbe, Histoire Ecclésiatique 6,20) ; Paulus apostolus in epistula
sua quae scribitur ad Hebraeos (licet multi de ea latinorum dubitent) [Paul l’apôtre,
dans son épître qui est écrite aux Hébreux (bien que beaucoup des Latins en dou-
tent)] (in Matth. 26,8s.) ; epistula ad Hebraeos, quam omnes Graeci recipiunt et non-
nulli Latinorum [l’épître aux Hébreux, que tous les Grecs acceptent, et nombre de
Latins] (epist. 73,4) ; Paulus apostolus in epistola ad Hebraeos, quam latina con-
suetudo non recipit [l’apôtre Paul, dans l’épître aux Hébreux, que la tradition latine
n’accepte pas] (in Is. 3,6) ; in epistola quae ad Hebraeos scribitur … licet eam latina
consuetudo inter canonicas scripturas non recipiat [Dans l’épître qui est écrite aux
Hébreux … bien que la tradition latine ne l’accepte pas parmi les écritures cano-
niques] (in Is. 3,8). Certaines expressions sont trop ambiguës pour indiquer un point
de vue : Paulus apostolus ad septem scribit ecclesias – octava enim ad Hebraeos a
plerisque extra numerum ponitur [L’apôtre Paul écrivit aux sept églises – en effet, la
huitième, aux Hébreux, n’est pas comptée par la majorité] (epist. 53,9) ; si quis vult
recipere eam epistolam quae sub nomine Pauli ad Hebraeos scripta est [si quelqu’un
Commentaire | 293

veut accepter cette épître qui fut écrite aux Hébreux sous le nom de Paul] (in Tit.
1,5b [CCSL 77C, 15] ; contraster ibid. préface : ce sont les gnostiques qui rejettent
Hebr.) ; Paulus apostolus loquitur – si quis tamen ad Hebraeos epistolam suscipit
[l’apôtre Paul dit – si toutefois on accepte l’épître aux Hébreux] (in Ezech. 9,28).
Parfois le souci d’accommoder le maximum de points de vue possible peut l’amener
à l’incohérence : Illud nostris dicendum est, hanc epistulam, quae scribitur ad He-
braeos, non solum ab ecclesiis orientis sed ab omnibus retro ecclesiae graeci sermonis
scriptoribus quasi Pauli apostoli suscipi, licet plerique [des Latins ? des Grecs ?] eam
vel Barnabae vel Clementis arbitrentur, et nihil interesse, cuius sit, cum ecclesiastici
viri sit et cotidie ecclesiarum lectione celebretur [Il faut le dire aux nôtres : cette épître
qui est écrite aux Hébreux est acceptée, non seulement par les Églises d’Orient, mais
aussi par tous les anciens auteurs de langue grecque de l’Église, comme étant de
l’apôtre Paul, bien que la majorité la considère comme étant soit de Barnabé, soit de
Clément, et qu’il importe peu de qui elle est, puisqu’elle est d’un homme de l’Église,
et elle est en usage tous les jours dans les lectures des églises] (epist. 129,3). Mais, à
côté de tout ceci, on le trouve aussi citant des versets de Hebr. en les attribuant à
Paul sans la moindre hésitation : voir in Gal. 4,3 ; 5,22s. ; in psalm. 13,8 ; adv. Iovin.
1,17,28 ; in Ion. 4 ; in Matth. 21,34s. ; in Zach. 3,12 ; tract. in psalm. 89,17 ; 96,4 ;
109,4 ; epist. 73,6 ; 140,8. Et dans son commentaire sur Galates (1,1), il fait sienne
une explication attribuée par Clément d’Alexandrie au μακάριος πρεσβύτερος : In
epistola ad Hebraeos propterea Paulum solita consuetudine nec nomen suum nec
apostoli vocabulum praeposuisse, quia de Christo erat dicturus ‘habentes ergo princi-
pem sacerdotum et apostolum confessionis nostrae Iesum’ [Hebr. 3,1]; nec fuisse con-
gruum, ut ubi Christus apostolus dicendus erat, ibi etiam Paulus apostolus poneretur
[Dans l’épître aux Hébreux Paul n’a mis au début ni son nom ni le mot ‘apôtre’,
selon son usage habituel, puisqu’il allait dire du Christ ‘donc, comme nous avons le
grand-prêtre et l’apôtre de notre confession, Jésus’, et il ne convenait pas que, là où
le Christ allait être appelé ‘apôtre’, il fût aussi question de ‘l’apôtre’ Paul].
Comment démêler ces contradictions ? Il se peut que Jérôme ait cru personnel-
lement que Hebr. était de Paul, mais, avec son attachement habituel à l’érudition,
ait souvent voulu rendre compte d’un ou de plusieurs autres points de vue parmi
ceux qu’il connaissait.
Quant à Augustin, son utilisation de l’épître aux Hébreux a été minutieusement
étudiée par LA BONNARDIÈRE (L’épître). Retenons : (a) Dans ses premières œuvres,
Augustin ne cite qu’une fois Hebr. (mor. eccl. 28 : le Christ est splendor Patris
[splendeur du Père], selon Hebr. 1,3). (b) Vers 394, donc à l’époque de l’Inchoata
expositio, Augustin doit s’être mis à l’étude de Hebr., puisqu’il commence à la citer :
Inchoata expositio 18,2s. ; 19,10 [mais voir n. à 18,2] ; de serm. dom. 2,27 ; c. Adim.
16,3 ; divers. quaest. 75. (c) Notre passage de l’Inchoata expositio est le seul où Au-
gustin discute de l’autorité de Hebr. Sa source serait Jérôme, De viris illustribus 5,
cité ci-dessus (nonnulli, 11,4, fait écho à quosdam). (d) À cette époque, Augustin
pensait que l’épître aux Hébreux était écrite par Paul. C’est ce qu’indiquent toutes
294 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

ses citations de l’épître, et aussi son choix de l’inclure parmi les quattuordecim Epis-
tolis apostoli Pauli [quatorze épîtres de l’apôtre] en doctr. christ. 2,29 (pour
l’Inchoata expositio, voir aussi 19,2 : loquebatur apostolus … significaverit aposto-
lus). (e) Une fois évêque, Augustin a longtemps délaissé Hebr. : il ne la cite que très
rarement entre 406 et 411. (f) En 411, il commence de nouveau à employer Hebr.,
dans la controverse avec les Pélagiens sur le baptême des enfants. (g) Mais, doréna-
vant, il ne veut plus attribuer l’épître à Paul, et la cite sans donner de nom d’auteur.
On peut considérer civ. 16,22 comme son avis (ou plutôt aporie) final sur la ques-
tion : epistula, quae inscribitur ‘ad Hebraeos’, quam plures Pauli apostoli esse dicunt,
quidam vero negant [l’épître qui est intitulée ‘aux Hébreux’, que beaucoup disent
être de Paul, ce qu’en revanche certains nient].
LA BONNARDIÈRE suggère (145) que la lecture du commentaire de Jérôme sur Isaïe
a modifié le jugement d’Augustin. C’est possible, mais on a vu que les diverses dé-
clarations de Jérôme pouvaient de fait étayer des avis multiples. Par contre, deux
autres facteurs ont pu influencer Augustin. Peut-être ne fut-il pas certain que Pélage
et ses disciples aient accepté eux-mêmes Hebr. comme un texte de Paul : il n’aurait
alors pas voulu faire dévier le débat sur un point non essentiel (voir les expressions
assez ambiguës en pecc. mer. 1,50. Sed contra, pour Julien d’Éclane, Hebr. fut écrite
par l’apôtre : c. Iulian. 4,24 ; c. Iulian. op. imperf. 3,40). Ensuite, il est possible que,
ayant amélioré son grec (voir n. à 2,5), Augustin ait constaté lui-même le vaste écart
entre la langue de Hebr. et celle des treize épîtres.
Quoi qu’il en soit, ses hésitations sur Hebr. sont le fruit d’un jugement person-
nel : elles ne lui sont dictées ni par Jérôme, ni par les Conciles ou la tradition. Il en
est de même pour l’avis exprimé dans l’Inchoata expositio. Augustin n’a pas sim-
plement recopié Jérôme, mais il choisit, parmi les hypothèses que celui-ci proposait,
celle qui, selon son point de vue de l’époque, expliquait le mieux l’absence de salu-
tation.
Pour l’idée d’un auteur du Nouveau Testament s’adaptant aux Juifs, comparer
Origène Jo. 1,4,22 : Ματθαῖος μὲν γὰρ τοῖς προσδοκῶσι τὸν ἐξ Ἀβραὰμ καὶ Δαβὶδ
Ἑβραίοις γράφων· ‘Βίβλος’, φησί, ‘γενέσεως Ἰησοῦ Χριστοῦ, υἱοῦ Δαβίδ, υἱοῦ
Ἀβραάμ’ [Mt. 1,1] [En effet, en écrivant aux Hébreux qui attendaient le [descendant]
d’Abraham et de David, Matthieu dit ‘le livre de la genèse de Jésus Christ, fils de
David, fils d’Abraham’] (ceci en contraste avec l’ouverture des autres Évangiles).

11,3 principium salutatorium


salutatorium signifie « contenant une salutation ». Ce sens est très rare, mais on le
retrouve dans la glose de Donat sur Térence, Eunuche 191 (‘Et tu numquid vis aliud?’
‘Vale’: subaudiendum salutatorium [‘Est-ce que tu veux quelque chose d’autre ?’
‘Porte-toi bien’ : à comprendre comme salutatorium]) et chez Priscien, Institutions 2,
186 Keil (vocativus etiam salutatorius vocatur [le vocatif est aussi appelé salutato-
rius]). C’est donc un mot de grammairien (voir n. à 5,4–7 ; 7,1–5 ; 7,5). Augustin ne
l’a pas réemployé.
Commentaire | 295

11,4 ceterae omnes


Augustin avait déjà comparé les fins des toutes les épîtres en in Gal. 65, mais sans
en tirer de conclusions théologiques : Conclusio epistolae tamquam subscriptio mani-
festa est, nam et in nonnullis aliis epistolis ea utitur: ‘Gratia Domini nostri Iesu Christi
cum spiritu vestro, fratres. Amen’ [Gal. 6,18] [La fin de l’épître est comme une signa-
ture manifeste. En effet, il s’en sert aussi dans plusieurs autres épitres : ‘La grâce de
notre Seigneur Jésus Christ soit avec votre esprit, frères. Amen’].

11,4 quo enim familiarius, eo dulcius


Jean Chyrsostome a lui aussi noté cette divergence dans les épîtres à Timothée, et
fait une remarque similaire : διὰ τί τῶν ἄλλων ἐπιστολῶν οὐδαμοῦ τὸν ἔλεον
προέταξεν, ἀλλ’ ἐνταῦθα; καὶ τοῦτο ἀπὸ πολλῆς φιλοστοργίας· πλείονα γὰρ
ἐπεύχεται τῷ παιδί, δεδοικὼς ὑπὲρ αὐτοῦ καὶ τρέμων [Pourquoi est-ce que nulle part
dans les autres épîtres il n’a mis d’abord la ‘miséricorde’, mais [il l’a fait] ici ? Cela
vient aussi de sa grande affection : il fait plus de vœux pour son enfant, craignant et
tremblant pour lui] (hom. in 1 Tim. 1,2 [PG 62, 2] ; idée reprise par Théodore de Mop-
sueste, 1 Tim. 1,2, éd. H. B. SWETE, Cambridge 1882). Mais Chrysostome se concentre
ensuite sur la tendresse de Paul envers Timothée, alors qu’Augustin fait revenir son
commentaire sur le thème central de ses exégèses pauliniennes, la prééminence de
la grâce.
Origène a aussi profité du début de son commentaire sur Rom. pour noter les
variations dans les salutations des épîtres. Mais, du moins dans la version de Rufin,
il n’en offre pas d’analyse, au-delà de la remarque générale : Quamvis curiosior vi-
deatur huiuscemodi observatio, tamen qui nihil otiosum credit esse in scripturis divinis
etiam horum differentias et diversitates non inanes putabit [Bien qu’une observation
de ce type paraisse excessivement méticuleuse, néanmoins, celui qui croit qu’il n’y
a rien de superflu dans les Écritures divines, pensera que même les différences et
divergences de ces [salutations] ne sont pas sans importance] (Rufin. Orig. in Rom.
1,10,2). Il est fort probable qu’il a examiné la question quelque part dans ses œuvres
perdues.

12,1–9 Les épîtres catholiques


Augustin présente les épîtres catholiques dans l’ordre 1 et 2 Petr., 1–3 Io., Jude,
Jacques. Elles apparaitront dans le même ordre dans la liste des livres canoniques
en doctr. christ. 2,29. Cet ordre est très rare : il n’est attesté dans aucun manuscrit
ancien du Nouveau Testament, et parmi les Pères, il figure seulement chez Philastre
de Brescia et Cassiodore. Voir T. ZAHN, Geschichte des Neutestamentlichen Kanons,
t. 2.1, Erlangen 1890, 379. Pour le canon chez Augustin, voir AugLex s.v. canon
scripturarum, et RING, n. à 12,1.
296 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

12,2s. adimpleatur … multiplicetur


Ces deux mots traduisent le même mot grec, πληθυνθείη. On trouve la même varia-
tion dans la Vulgate, mais dans l’ordre inverse : multiplicetur en 1 Petr. 1,2 et
adimpleatur en 2 Petr. 1,2 (cf. n. à 10,7). Pour 1 Petr. 1,2, selon VetLat 26/1 ad loc. les
citations patristiques sont partagées entre les deux leçons, mais adimpleatur serait
caractéristique de divers textes africains. Pour 2 Petr. 1,2, multiplicetur est la leçon
majoritaire donnée par les citations, et s’identifie avec un texte africain-espagnol-
gaulois du 4ème/5ème siècle (texte T, qui est aussi une des filières pour adimpleatur en
1 Petr. 1,2). On constate en tout cas qu’Augustin semble totalement dépendant du
texte latin (voir n. à 2,5). Il ne cite pas ailleurs ces deux versets.

12,3 recognitione
Grec : ἐπιγνώσει. Vulgate (Gryson ad loc.) : cognitione ; variantes : cognitionem,
agnitione (leçon du Codex Amiatinus). Selon VetLat 26/1 ad loc., recognitione(m) est
la leçon habituelle des anciennes versions, mais cognitione n’est pas rare chez les
Pères.

12,4 nescio quam ob causam omisit tale principium


La question n’est pas abordée dans in epist. Ioh. 1, mais sans doute convenait-elle
mieux au commentaire rédigé qu’à la prédication.

12,4 societatem interponens


MARA, Agostino interprete, 183 n. 35 renvoie à serm. 71,27 (corriger : 71,28) : Ad ip-
sum [sc. l’Esprit Saint] enim pertinet s o c i e t a s , qua efficimur in unum corpus unici
Filii Dei. Unde scriptum est: ‘si qua igitur exhortatio in Christo, si quod solacium cari-
tatis, si qua s o c i e t a s Spiritus’ [Phil. 2,1]. Propter hanc societatem illi in quos primitus
venit linguis omnium gentium sunt locuti. Quia per linguas consociatio constat generis
humani, sic oportebat per linguas omnium gentium significari istam societatem filio-
rum Dei et membrorum Christi futuram in omnibus gentibus: ut quemadmodum tunc
ille apparebat accepisse Spiritum sanctum, qui loquebatur linguis omnium gentium,
ita nunc ille se agnoscat accepisse Spiritum sanctum, qui tenetur vinculo pacis eccle-
siae, quae diffunditur in omnibus gentibus [L’a l l i a n c e lui appartient aussi, par la-
quelle nous sommes transformés en un seul corps, [celui] du Fils unique de Dieu.
C’est pourquoi il est écrit ‘s’il y a une exhortation dans le Christ, s’il y a une consola-
tion de la charité, s’il y a une a l l i a n c e de l’Esprit’. À cause de cette alliance, ceux
en qui [l’Esprit] est venu pour la première fois ont parlé dans les langues de tous les
peuples. Puisque l’association du genre humain passe par les langues, il fallait donc
que soit indiquée par les langues de tous les peuples cette alliance à venir parmi
tous les peuples des fils de Dieu et des membres du Christ. Ainsi, tout comme, alors,
c’était celui qui parlait dans les langues de tous les peuples qui paraissait avoir reçu
l’Esprit Saint, de même, maintenant, c’est celui qui est tenu par le lien de la paix de
l’Église, qui est répandue parmi tous les peuples, qui doit reconnaitre qu’il a reçu
Commentaire | 297

l’Esprit Saint]. L’identification de l’Esprit avec societas, tout en ré-exprimant la na-


ture de l’Esprit comme amour, est ici devenue un outil de la polémique anti-
donatiste (de même, sur les langues de feu, serm. 271 ; 272C/3. Voir n. à 11,1s., et
pour l’union entre ces deux visions de l’Esprit, J. RATZINGER, Der Heilige Geist als
communio, dans : C. HEITMANN – H. MÜHLEN [éds.], Erfahrung und Theologie des
Heiligen Geistes, München 1974, 223–238).

12,4 vidimus
Le texte grec (1 Io. 1,3) porte ὃ ἑωράκαμεν καὶ ἀκηκόαμεν (l’ordre des deux verbes est
inversé dans certains manuscrits), et toutes les versions latines connues ont bien
audivimus (VetLat 26/1 ad loc.). Il peut s’agir d’un simple oubli par Augustin, bien
que l’omission de καὶ ἀκηκόαμεν se retrouve dans plusieurs manuscrits grecs (voir
Novum Testamentum Graecum. Editio critica maior, IV.1,3, Stuttgart 2003, ad loc.).

12,4 nuntiamus
Grec : ἀπαγγέλλομεν ; Vulgate : adnuntiamus. Voir VetLat 26/1 ad 1 Io. 1,3 : nuntia-
mus est habituel chez Augustin ; adnuntiamus est majoritaire dans le restant des
citations patristiques.

12,6 quam veritatem pro ipsa Trinitate positam puto


Idée pleinement développée en trin. 8,3 : In corporibus autem fieri potest ut aeque
verum sit hoc aurum atque illud, sed maius hoc sit quam illud, quia non eadem ibi est
magnitudo quae veritas, aliudque illi est aurum esse, aliud magnum esse. Sic et in
animi natura secundum quod dicitur ‘magnus animus’, non secundum hoc dicitur
‘verus animus’; animum enim verum habet etiam qui non est magnanimus, quando-
quidem corporis et animi essentia non est ipsius veritatis essentia, sicuti est Trinitas
Deus unus, solus, magnus, verus, verax, veritas [Dans le cas des corps, il peut certes
se faire qu’une première chose et une deuxième soient véritablement de l’or, mais
que l’une soit plus grande que l’autre, parce que là la grandeur et la vérité ne sont
pas la même chose, et pour ce [corps] c’est une chose d’être de l’or, et une autre
d’être grand. De même, pour la nature d’une âme, si l’on parle d’une ‘grande âme’
sous un certain [rapport], on ne parle pas d’une ‘vraie âme’ sous le même [rapport].
En effet, celui qui n’est pas magnanime a lui aussi une vraie âme, puisque l’essence
du corps et de l’âme n’est pas l’essence de la vérité elle-même, comme la Trinité est
le Dieu unique, seul, grand, vrai, véritable, vérité].

12,8 usitatissimum exordium fecit epistolae


Comparer 8,1, usitatum epistolae principium, et voir n. ad loc. Augustin se four-
voie à cause du grec (voir n. à 2,5). salutem correspond bien au χαίρειν [réjouis-toi]
de Jacques en étant l’usitatissimum exordium des lettres latines, tout comme l’est
χαίρειν pour les lettres grecques. Mais les deux mots n’ont pas le même sens. Sans
doute Augustin aurait-il pu retrouver l’Esprit Saint ou la Trinité aussi dans le sou-
298 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

hait de joie qu’exprime χαίρειν, mais toute la digression du §13 serait alors à refaire.
Comparer la discussion sur Lc. 10,4 (καὶ μηδένα κατὰ τὴν ὁδὸν ἀ σ π ά σ η σ θ ε / nemi-
nem in via s a l u t a v e r i t i s [ne saluez personne sur la voie]) en serm. 101,9, dont la
conclusion (quid est ergo per occasionem s a l u t a r e ? Per occasionem s a l u t e m
adnuntiare [Qu’est-ce donc que s a l u e r , l’occasion venue ? C’est annoncer le s a l u t ,
l’occasion venue]) serait à modifier si l’original grec était pris en compte.

13,1–7 Augustin et la langue punique


Tous les passages où des éléments de punique apparaissent chez Augustin ont été
recueillis par GREEN, Augustine’s Use. Pour l’analyse, voir BROWN, Religion, 285–
287 ; VATTIONI, Sant’Agostino (mais Vattioni ne semble pas avoir connu le travail de
Green). Il faut maintenant ajouter aux exemples de Green les textes inédits à son
époque : serm. 293A(augm),7s. ; epist. Divj. 20,3 ; 21 ; de plus, si le texte est d’Augus-
tin (voir Introduction à l’édition, n. 546) l’Ars breviata 11,4, et peut-être encore ra-
bones en epist. 103,23 (R. M. KERR, Latino-Punic Epigraphy, Tübingen 2010, 35. Mais
ce serait le seul mot punique non glosé chez Augustin ; vide infra).
L’évocation du punique dans notre texte a les traits caractéristiques des réfé-
rences à cette langue chez Augustin : (a) Dans la mesure où l’on peut en juger, les
informations linguistiques sont exactes. Il n’est pas possible de déterminer à quel
point Augustin parlait le punique, mais on n’a pas, jusqu’aujourd’hui, trouvé
d’erreurs certaines chez lui (voir VATTIONI, Sant’ Agostino, 446–449 ; AugLex s.v.
lingua punica). (b) Le punique est associé à la campagne (quorundam rusticano-
rum, 13,1 ; rustici nostri, 13,5). Voir GREEN, Augustine’s Use, 181, et comparer sur-
tout epist. 66,2 (ce sont des coloni, donc de paysans, pour lesquels il faudra traduire
en punique une dispute entre Augustin et l’évêque donatiste Crispinus) ; epist.
108,14 (l’évêque donatiste ne parle que latin, mais doit faire interpréter ses propos
en punique pour les Circumcellions) ; epist. 209,3 et epist. Divj. 20,21 (l’évêque Aure-
lius de Macomades parle en punique aux gens de Thogonoetu, aux alentours de
Fussala, dans l’arrière-pays du diocèse d’Hippone). Mais nous sommes loin de sa-
voir avec précision qui, dans l’Afrique d’Augustin, parlait latin, punique, ou les
deux. Ici, des deux paysans, l’un est bilingue et l’autre pas. (Voir MILLAR, Local Cul-
ture, 263s., et GREEN, Augustine’s Use, 182, pour les difficultés à interpréter epist.
84,2). (c) En revanche, Augustin ne suppose jamais que son propre public soit entiè-
rement bilingue : il traduit tous les mots et expressions puniques qu’il utilise. Voir
serm. 167,4 : Proverbium notum est punicum, quod quidem latine vobis dicam, quia
punice non omnes nostis [Il y a un proverbe punique bien connu, que je vais du reste
vous dire en latin, puisque vous ne connaissez pas tous le punique]. (d) Le punique
est utilisé pour illustrer ou ornementer un passage, et n’est pas un élément constitu-
tif et nécessaire de l’argument développé par Augustin.
Face à ces limites dans l’utilisation de la langue punique par Augustin, BROWN
(Religion, 289–291) a conclu que, dans l’Afrique de son époque, christianisation et
adhérence à la culture latine allaient de pair. Sans doute, dans l’Occident du Bas-
Commentaire | 299

Empire et du haut Moyen Âge, on ne peut séparer le christianisme et le latin. Mais,


même si cette unité existait inconsciemment chez Augustin (comment réfuter de
telles hypothèses ?), elle ne correspond à aucun point de vue théorique qu’il ait
exprimé. Au contraire, à part son affirmation que l’hébreu est la langue primitive
des hommes (civ. 16,11), Augustin n’a jamais déclaré la supériorité d’une langue sur
les autres. Bien au contraire, l’Église sanctifie toutes les langues des croyants : Modo
loquitur ecclesia omnibus linguis: in omnibus enim linguis clamat evangelium … Et
quomodo dicit oculus ‘mihi ambulat pes’, sic et pes dicit ‘mihi videt oculus’; sic et ego
dico ‘lingua mea est graeca’, ‘lingua mea est hebraea’, ‘lingua mea syra’. Omnes enim
una fides tenet, omnes enim una caritatis compago concludit [Maintenant l’Église
parle dans toutes les langues, puisqu’elle proclame l’Évangile dans toutes les
langues … Et tout comme l’œil dit ‘le pied marche pour moi’, et le pied dit de même
‘l’œil voit pour moi’, ainsi je dis moi aussi ‘le grec est ma langue’, ‘l’hébreu est ma
langue’, ‘le syrien est ma langue’. En effet, une seule foi les contient toutes, une
seule unité de la charité les englobe] (serm. 162A,11). Ainsi, le punique est pour Au-
gustin tout aussi digne de respect et riche de sens et de mystères que toute autre
langue. C’est ce que montre notre passage de l’Inchoata expositio, et aussi les re-
marques d’Augustin sur certaines particularités du lexique des chrétiens punico-
phones : Nequaquam mihi videretur absurdum ‘pietatem’ et ‘misericordiam’ uno vo-
cabulo punice nominari [Il ne me semblerait pas du tout absurde que ‘piété’ et
‘miséricorde’ se disent par une seul mot en punique] (mag. 44) ; optime Punici chris-
tiani baptismum ipsum nihil aliud quam ‘salutem’ et sacramentum corporis Christi
nihil aliud quam ‘vitam’ vocant [Les chrétiens puniques font très bien de ne donner
nul autre nom au baptême lui-même que ‘salut’ et au sacrement du corps du Christ
que ‘vie’] (pecc. mer. 1,34). C’est cette attitude, aussi, qui peut seule expliquer
l’importance unique du punique chez Augustin. En effet, un recueil de tous les té-
moignages littéraires de l’Antiquité gréco-latine sur cette langue (MILLAR, Local
Culture) montre que huit seulement ne viennent pas de notre auteur. Et ce déséqui-
libre ne se justifie pas seulement par le volume relatif du corpus augustinien,
puisque nous ne manquons pas d’autres auteurs d’origine africaine (Apulée, Tertul-
lien, Cyprien, Arnobe, Lactance … ). C’est plutôt, comme le fait remarquer ADAMS
(Bilingualism, 237–240) qu’Augustin ne partage pas le snobisme ordinaire des
hommes de culture grecque et latine envers les langues « barbares ». Comparer les
louanges décernées par Stace à son ami africain Lucius Septimius Severus (Non
sermo Poenus, non habitus tibi, / externa non mens: Italus, Italus [Tu n’as ni le parler
ni la manière puniques, ni un esprit d’étranger. [Tu es] italien, italien], Silvae
4,5,45s. ; voir VATTIONI, Sant’ Agostino, 443s.) ou le mépris chez Apulée pour un
adolescent ne parlant que le punique (Apologia 98). Voir aussi, dans l’entourage
d’Augustin, le dégoût envers les noms puniques de lieux (c. acad. 1,18) ou de per-
sonnes (epist. 162), ou encore punicus lancé comme une insulte à la face d’Augustin
par Julien d’Éclane (voir D. WEBER, For What is So Monstrous as What the Punic
Fellow Says ?, dans : FUX, Augustinus Afer, 75–82). En contraste, Augustin « quando
300 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

parla della lingua o della letteratura punica c’è solo il tono di meraviglia e di stima,
non di rimprovero o di lotta » (VATTIONI, Sant’ Agostino, 467).
ADAMS (Bilingualism, 233–239) a voulu expliquer ce respect du punique chez
Augustin par la proximité de cette langue avec l’hébreu, qu’il a assez souvent rele-
vée (voir AugLex s.v. lingua punica, lingua hebraea). BROWN (Religion, 286) était
déjà allé plus loin : en signalant la parenté hébreu-punique, Augustin plaçait ses
congrégations africaines « in the penumbra of the chosen people ». On objectera
qu’Augustin n’a nulle part fait la moindre allusion à un lien spécial entre les deux
peuples. De plus, la langue punique n’unissait pas tout le public d’Augustin (vide
supra), et il ne concevait nullement les punici comme une ethnie ou un peuple, mais
seulement comme un groupe linguistique (voir QUINN, Augustine’s Canaanites, n.
16. VATTIONI, Sant’ Agostino, 440 est à corriger sur ce point). De fait, tout le concept
d’une identité africaine ou punique à laquelle se rallierait le peuple d’Afrique du
Nord est à remettre en question (voir A. H. M. JONES, Were Ancient Heresies National
or Social Movements in Disguise ?, JThS 10 [1959], 280–298, article pourtant cité
élogieusement par Brown, et qui remettrait en cause l’approche historique de Vat-
tioni). Autrement dit, rien n’indique qu’Augustin se soit servi du punique parce qu’il
accordait à cette langue ou à ceux qui la parlaient un statut spécial. Augustin a usé
du punique tout simplement parce que c’était une langue qu’il connaissait et que
connaissait une partie de sa congrégation. Et il ne lui ressemblait pas de négliger
toute connaissance qui pouvait servir à l’instruction chrétienne et à glorifier Dieu.
Mais cette explication simple ne rend pas moins remarquable l’ouverture
d’Augustin envers le punique. Au contraire, elle témoigne de la liberté de son esprit,
et de sa capacité à faire avancer le projet qu’annonçaient les lettrés de l’Église de-
puis Justin Martyr et Tertullien, de repenser la culture humaine à la lumière de
l’Évangile.

13,1 pater Valerius


Valérius est l’évêque d’Hippone qui précéda Augustin, puis partagea sa chaire avec
lui, et il est donc encore en place à l’époque de l’Inchoata expositio. Sur lui, voir
MANDOUZE, Prosopographie, 1139–1141.
Valérius n’est jamais nommé par Augustin sans l’épithète pater [père] ou senex
[ancien]. Il l’appelle pater quand il lui écrit (epist. 21,3), et aussi quand il parle de lui
à la troisième personne (epist. 31,4 ; 33,4). pater est affectueux envers un homme
qu’Augustin aimait beaucoup, mais aussi honorifique pour un évêque (voir ThLL
s.v. II.C.3.a.β. C’est à dessein qu’Augustin appelle frater [frère] l’évêque donatiste
Maximinus dans la salutation de epist. 23, comme il l’explique, epist. 23,1). Dans
epist. 21,6, Augustin s’adresse à Valérius comme senex Valeri, formule trouvée à la
troisième personne en epist. 29,7 ; serm. 355,2. Bien plus tard, en 426, lors de la dé-
signation de son propre successeur, Augustin donnera à Valérius les deux titres.
C’est le signe, sans doute, de l’émotion d’un vieillard se tournant vers son passé,
mais c’est aussi qu’il aura à le critiquer : Adhuc in corpore posito beatae memoriae
Commentaire | 301

patre et episcopo meo sene Valerio episcopus ordinatus sum et sedi cum illo, quod
concilio Nicaeno prohibitum fuisse nesciebam nec ipse sciebat [Quand mon père et
évêque, l’ancien Valérius, d’heureuse mémoire, était encore dans son corps, je fus
ordonné évêque, et j’ai siégé avec lui. J’ignorais que cela avait été interdit par le
Concile de Nicée, et lui non plus, il ne le savait pas] (epist. 213,4).
Notre passage est le seul où Augustin transmette une idée de Valérius, ce qui
contraste avec ses très nombreuses références à Ambroise (voir AugLex s.v. Ambro-
sius, 3). Cette intervention d’un personnage vivant dans un commentaire scriptu-
raire peut étonner, mais son modèle est à chercher dans les citations de Juifs de leur
connaissance, généralement consultés pour des problèmes linguistiques, dans les
commentaires d’Origène (voir A. MONACI CASTAGNO, Origene : Dizionario, Roma
2000, s.v. Giudaismo, 1,5) et de Jérôme (voir M. GRAVES, Jerome’s Hebrew Philology,
Leiden 2007, 88–90. Jérôme prétend aussi parfois avoir obtenu lui-même oralement
des informations que, de fait, il recopie d’Origène : NAUTIN, Origène, 326s.). Augus-
tin aussi peut consulter un Juif (de serm. dom. 1,23 ; de même son confrère d’Oëa,
epist. 71,5), mais ici, plutôt que de l’hébreu, il fait entrer du punique par le biais de
Valérius. Il est notable que ce jeu de sens latin / punique vienne d’un homme qui
était natura Graecus minusque Latina lingua et litteris instructus [grec par naissance,
et peu instruit dans la langue et les lettres latines] (Possidius, Vita Augustini 5).

13,1 responsum est, Tria.


Valère écoute la conversation en punique de deux paysans, et y entend un mot pu-
nique homophone du latin salus [santé / salut]. Il demande à celui des deux paysans
qui parle aussi latin que signifie ce mot punique, et le paysan répond en latin : tria
[trois]. Comparer le mot hébreu pour « trois », ‫( שָֹׁלשׁ‬šaloš). Il est vrai que le phonème
š ne correspond pas aux s de salus. Mais on en sait trop peu sur la phonologie du
punique pour mettre en cause les indications d’Augustin. Pour les détails, voir
QUINN, Augustine’s Canaanites, n. 8.
La théorie de Valérius sur une homophonie entre deux langues (concinentia
linguarum, 13,2) voulue par la Providence (occultissima dispensatione divinae
providentiae, ibid.) a de quoi surprendre, et nous n’avons pas trouvé de parallèles
exacts, du moins avant les célèbres jeux de mots de Grégoire le Grand sur les es-
claves anglais qu’il rencontre au marché de Rome : Interrogavit quod esset vocabu-
lum gentis illius. Responsum est quod ‘Angli’ vocarentur. At ille: ‘Bene’ inquit ‘nam et
angelicam habent faciem, et tales angelorum in caelis decet esse coheredes. Quod
habet nomen ipsa provincia, de qua isti sunt allati?’ Responsum est quia ‘Deiri’ voca-
rentur idem provinciales. At ille: ‘Bene’ inquit ‘Deiri, de ira eruti et ad misericordiam
Christi vocati. Rex provinciae illius quomodo appellatur?’ Responsum est quod ‘Aelle’
diceretur. At ille alludens ad nomen ait: ‘Alleluia, laudem Dei creatoris illis in partibus
oportet cantari’ [Il demanda quel était le nom de ce peuple. On lui répondit qu’ils
s’appelaient ‘Anglais’. Et il dit : ‘C’est bien. Car ils ont un visage angélique, et de tels
hommes doivent être cohéritiers avec les anges aux cieux. Comment s’appelle la
302 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

province de laquelle ils ont été transportés jusqu’ici ?’ On lui répondit que les pro-
vinciaux en question s’appelaient ‘Deiri’. Et il répondit : ‘C’est bien. Les Deiri ont été
arrachés de l’ire de Dieu et appelés à la miséricorde du Christ. Comment s’appelle le
roi de cette province ?’ On lui répondit qu’il s’appelait ‘Aelle’. Et il dit, faisant allu-
sion à ce nom : ‘Alleluia, les louanges du Dieu créateur doivent être chantés dans
ces régions’] (Bède le Vénérable, Histoire ecclésiastique 2,1,11. De même, indépen-
damment de Bède, dans la « Vie de Whitby » de Grégoire : B. COLGRAVE [éd.], The
Earliest Life of Gregory the Great, Cambridge 1985, 90). Noter chez Bède le parallèle
avec le responsum est de l’Inchoata expositio, bien que Bède ne semble pas avoir
connu notre texte (voir Introduction, 1.9). Dans cette anecdote, ce sont les vocables
barbares qui ont un sens nouveau dans les trois « langues sacrées », grec, hébreu et
latin (voir Isidore de Séville, Etymologiae 9,1,3), alors que, chez Augustin, le mys-
tère consiste aussi dans le sens barbare du mot latin (voir n. à 13,1–7).
Du reste, les nombreuses populations bilingues de l’Antiquité ont dû souvent
noter des coïncidences similaires. L’intérêt que leur porte Augustin est consistant
avec sa réflexion constante sur le rapport entre mots et choses (voir n. à 14,2–8). Il
découle aussi assez naturellement de la science étymologique grecque et latine, qui,
dès le Cratyle de Platon (et sans doute bien avant), pouvait considérer comme racine
possible pour un mot tout autre mot quelque peu homophone qui avait un lien de
sens, aussi fantaisiste soit-il, avec lui. Malgré sa pensée complexe sur le langage,
Augustin était tout aussi friand de telles étymologies que les autres lettrés de son
époque (voir MARROU, Saint Augustin, 127s. ; BARTELINK, Einige Bemerkungen, 186 ;
n. à 2,2 vocatus ; 2,5). On trouvera grand nombre des étymologies déployées par
Augustin chez R. MALTBY, A Lexicon of Latin Etymologies, Leeds 1991, mais cet ou-
vrage précieux ne comporte malheureusement pas d’index des auteurs, pas plus
que son complément, C. MARANGONI, Supplementum Etymologicum Latinum I,
Trieste 2007. Voir toutefois dialect. 6 (si l’ouvrage est vraiment d’Augustin) ; mus.
2,15 pour une certaine impatience envers la science étymologique.
Augustin n’a jamais rapproché la remarque sur l’homophonie salus / 3 qu’il fait
dans l’Inchoata expositio et la ressemblance punique-hébreu qu’il note ailleurs (voir
n. à 13,1–7). Dans la mesure où cette homophonie existait aussi en hébreu, il aurait
pu renchérir sur les réflexions de Valérius. Il n’y a peut-être simplement jamais
songé, mais c’est aussi qu’il n’accepte pas entièrement l’approche de Valérius (13,7).
Pour une pensée similaire à celle de Valérius, mais portant sur les images, plu-
tôt que sur les sons, voir Rufin, Histoire Ecclésiastique 11,29, sur la christianisation
d’Alexandrie en 391. Les chrétiens peignent des croix in ingressibus in parietibus in
columnis … Quod cum factum hi qui superfuerant ex paganis viderent, in recordatio-
nem rei magnae ex traditione sibimet antiquitus commendata venisse perhibentur.
Signum hoc nostrum dominicae crucis inter illas, quas dicunt hieraticas, id est sacer-
dotales litteras, habere Aegyptii dicuntur, velut unum ex ceteris litterarum quae apud
illos sunt elementis. Cuius litterae seu vocabuli hanc esse adserunt interpretationem:
vita ventura. Dicebant ergo hi, qui tunc admiratione rerum gestarum convertebantur
Commentaire | 303

ad fidem, ita sibi ab antiquis traditum, quod haec quae nunc coluntur, tamdiu starent,
quamdiu viderent signum istud venisse, in quo esset vita. Unde accidit ut magis hi qui
erant ex sacerdotibus vel ministris templorum ad fidem converterentur, quam illi quos
errorum praestigiae et deceptionum machinae delectabant [dans les entrées, sur les
murs, sur les colonnes … Quand ceux qui restaient des païens voyaient ce qu’ils
avaient fait, on raconte qu’il se sont rappelés d’une grande chose qui leur venait de
la tradition antique. On dit que les Égyptiens ont parmi ces lettres qu’ils appellent
‘hiératiques’, c’est-à-dire sacerdotales, notre signe de la croix du Seigneur – c’est
donc une [lettre] parmi les autres lettres qui leur servent d’alphabet. Ils disent que le
sens de cette lettre ou de ce mot serait ‘la vie à venir’. Donc, ceux qui à cette époque
se convertissaient à la foi dans l’émerveillement de ce qui était advenu, disaient
qu’on leur avait transmis de l’antiquité que ce que l’on adorait maintenant resterait
en place jusqu’à ce qu’ils vissent venir ce signe, dans lequel était la vie. Il advint
donc que ceux qui étaient parmi les prêtres ou les ministres des temples se conver-
tissaient plus à la foi, que ceux que réjouissaient les sortilèges de l’erreur et les arti-
fices de la tromperie]. Rufin parle de l’hiéroglyphe Ankh, qui reste en usage dans
l’Église copte (voir P. R. AMIDON, The Church History of Rufinus of Aquileia. Books 10
and 11, Oxford 1997, 109, n. 49).

13,3–6 La Cananéenne
Les exégèses augustiniennes de cette péricope ont été étudiées par LA BONNARDIÈRE,
La Chananéenne, puis, en dernier lieu, par M. PAULIAT, Parole de Dieu, réponses des
hommes. Augustin exégète et prédicateur du premier Évangile dans les Sermones in
Matthaeum, thèse, Université de Lyon II 2017, 330–333 (nous remercions Mme Pau-
liat de nous avoir transmis son travail). Augustin s’est souvent référé à la péricope
(toujours dans la version de Mt., sauf en cons. euang. 2,103, où il indique le parallèle
avec Mc. 7,24–30), y compris dans ses deux travaux antérieurs sur Paul (in Rom. 66 ;
in Gal. 31). Il interprète toujours la Cananéenne comme représentante des gentils, ce
qui de toute manière est le sens évident de l’Évangile. Il aime aussi (surtout en serm.
77) insister sur l’humilité devant le Seigneur de celle qui sait reconnaître sa qualité
de pécheresse (confessione peccatorum, 13,4) : c’est de nouveau la tendance
d’Augustin à voir le contraste Juifs-nations comme anticipant le salut par la grâce
du pardon (voir n. à 1,1–3). Par contre, l’équivalence entre la fille de la Cananéenne
et sa vie nouvelle (filiae, hoc est novae vitae suae) ne se retrouve qu’en in psalm.
37,1, en des termes presque identiques à ceux de notre texte (curari petiverat filiam
suam, fortassis in filia significans vitam suam [elle avait demandé que soit guérie sa
fille, indiquant peut-être par sa fille sa vie]).
Pour une exégèse similaire sur une autre femme de l’Évangile, voir divers.
quaest. 64,4 sur la Samaritaine de Io. 4 : Sitiebat Dominus mulieris illius fidem, quo-
niam Samaritana erat, et solet Samaria idolatriae imaginem sustinere: ipsi enim sepa-
rati a populo Iudaeorum simulacris mutorum animalium, id est, vaccis aureis, anima-
rum suarum decus addixerant. Venerat autem Iesus Dominus noster, ut gentium
304 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

multitudinem, quae simulacris serviebat, ad munimentum fidei christianae et incor-


ruptae religionis adduceret [Le Seigneur avait soif de la foi de cette femme, parce
qu’elle était samaritaine, et la Samarie sert généralement comme image de
l’idolâtrie. En effet, séparés du peuple juif, ils avaient voué la noblesse de leurs
âmes aux effigies des animaux muets, c’est-à-dire aux vaches dorées. Mais notre
Seigneur Jésus était venu pour conduire à la sécurité de la foi chrétienne et de la
religion sans corruption la multitude des gentils qui était esclave des effigies] (de
même in euang. Ioh. 15,10. Mais en serm. 101,2, la Samaritaine est plutôt rangée
parmi les Juifs).
Pour les problèmes linguistiques de ce passage, voir la seconde n. critique à
13,5, et QUINN, Augustine’s Canaanites, commentaire linguistique et historique de
tout le §13 de l’Inchoata expositio. Deux points essentiels : (a) Il est loin d’être établi
que le nom que se donnaient les rustici (13,5), quelle que fût sa vraie forme, soit
réellement apparenté avec « Canaan ». (b) Augustin n’indique pas que cet ethno-
nyme était l’appellation générale que se donnaient les populations puniques dans
leur propre langue. En effet, si l’ethnonyme était universel ou même répandu parmi
cette population, il devait assurément être connu de tous en Afrique du Nord, lati-
nophones ou punicophones. Or, non seulement l’ethnonyme n’apparait-il nulle part
ailleurs dans les sources africaines (pour l’exception, possible, mais douteuse, voir
QUINN, Augustine’s Canaanites, n. 5), mais, de plus, Augustin ne s’attend pas à ce
que son public fasse spontanément le lien ente Canaan et la langue punique. D’où
les deux précisions : Chananaea enim, [1] hoc est Punica mulier, [2] de finibus
Tyri et Sidonis (13,3 ; même procédure, de façon plus explicite, en in psalm. 44,27).
La mention de Tyr et Sidon vient certes des Évangiles (Mt. 15,21 ; Mc. 7,24), mais ces
deux villes étaient aussi celles que la tradition latine associait particulièrement à
Carthage : Urbs antiqua fuit (T y r i i tenuere coloni) / Carthago [Il y avait une ville
antique (les colons t y r i e n s l’occupaient), Carthage] (Virgile, Énéide 1,12s.) ; Sidonia
Dido [Didon la Sidonienne] (ibid. 1,446.613 ; 9,263 ; 11,72). On ignore si ces villes
avaient le même relief dans les traditions historiques des punicophones « indi-
gènes », ni à vrai dire s’il y avait vraiment deux traditions selon les deux langues des
populations, plus d’un millénaire après la fondation de Carthage, et plus de 500 ans
après l’immigration des premières populations romaines en Afrique du Nord. Quoi
qu’il en soit, si t o u s ceux qui parlaient punique s’appelaient Cananéens entre eux,
et l’avaient fait depuis leur arrivée du Moyen-Orient, Augustin ne présenterait pas ce
fait comme une information tirée des paysans par l’interrogation (d’ailleurs, on
cerne mal la portée de nostri dans rustici nostri, 13,5).

13,3 personam gentium gerit


Repris en 13,6, gentium sustinere personam. Voir LA BONNARDIÈRE, La Chana-
néenne, 143 : « Saint Augustin exprime cette signification [celles des figures bi-
bliques qui préfigurent l’Église] sous la formule : personam gerere ou typum gerere
Commentaire | 305

ou figuram gerere ou praefigurare : toutes ces formulations sont pour lui interchan-
geables ».

13,4 hoc est novae vitae suae


Pour l’interprétation allégorique des miracles du Christ, voir n. à 23,1, non ob aliud.

13,3 Non est bonum panem filiorum mittere canibus


Mt. 15,26 Grec : οὐκ ἔστιν καλὸν λαβεῖν τὸν ἄρτον τῶν τέκνων καὶ βαλεῖν τοῖς κυνα-
ρίοις. Vulgate : Non est bonum sumere panem filiorum, et mittere canibus. Augustin
cite le texte dans une forme abrégée, qu’il a tendance à utiliser (in psalm. 37,1 ;
58,1,25 ; in Rom. 74 ; serm. 88,10), bien qu’il connaisse la forme complète de la
phrase (toujours avec la traduction tollere … et mittere : quaest. hept. 7,37 ; fid. et op.
30 ; serm. 56,10 ; 60A,2 ; 77,10 ; 121,3 ; 218,6 ; 154A,5). L’abrègement correspond à
une habitude mentale d’Augustin, et non à une variante textuelle, puisque la base
de données Vetus Latina n’en donne aucun exemple en dehors des œuvres d’Augus-
tin.

13,4 ita
Pour ναί. La Vulgate a etiam, mais Augustin donne toujours ita en Mt. 15,27 (in
psalm. 58,1,31 ; serm. 60A,3 ; 77,10 ; 88,10 ; 154A,5 ; virg. 32). D’ailleurs le désordre
règne (voir n. à 10,7) dans les traductions de ναί dans la Vulgate. Si on comprend le
choix de le rendre par est en Mt. 5,37 ; 2 Cor. 1,17–20 ; Iac. 5,12, et par immo en Rom.
3,29, aucune loi ne semble gouverner la variation entre etiam (Mt. 11,9 ; 13,51 ; 15,27 ;
17,24 ; Lc. 10,21 ; Act. 5,8 ; 22,27 ; Phil. 4,3 ; Apoc. 1,7 ; 22,20), ita (Mt. 11,26 ; Lc.
11,51 ; 12,5 ; Philem. 1,20) et utique (Mt. 16,26 ; Mc. 7,28 ; Lc. 7,26). Ce désordre est
hérité des versions anciennes : pour Mt. 15,27, les manuscrits recensés dans la base
de données Vetus Latina ont les trois leçons ita / etiam / utique.

13,4 canes
La Vulgate a canibus en Mt. 15,26 et catelli en Mt. 15,27, sans logique, puisque le
texte grec est κυναρίοις … κυνάρια.

13,6 Romana lingua … caput gentium inventa est


La pensée et l’expression commencent à s’embrouiller (voir n. à 7,1–5). Le lien tria /
salus repose sur la phonétique. Pour que la Cananéenne ait un rapport avec ces
mots, il faudrait qu’elle prononce le son salus. Mais elle n’avait aucune raison de le
faire en sa propre langue, puisque elle n’avait pas à dire « trois ». Elle devait donc le
dire en latin – seulement la Cananéenne ne parlait certainement pas latin avec le
Christ. Certes, les Pères ont rarement posé la question de la langue que parlait Jésus,
mais ils n’avaient aucune raison de croire que c’était le latin, puisque la situation
linguistique en Palestine n’avait pas substantiellement changé depuis l’époque de
l’Incarnation.
306 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

C’est dans la conscience de cette difficulté qu’Augustin parle du latin comme


caput gentium (l’expression étonne appliquée à une langue : ailleurs, c’est Rome qui
est caput, civ. 15,5). Il semble vouloir dire que, dans la mesure où elle représente les
gentes, la Cananéenne parle s y m b o l i q u e m e n t latin – peu importe la langue
qu’elle ait parlée en réalité. Reste le problème que, selon le récit des Évangiles, la
Cananéenne n’a pas prononcé un mot avec le sens de salus dans quelque langue
que ce soit.
Face à ces maladresses, on se demande si ce passage vient vraiment d’Augustin,
et s’il ne reproduit pas plutôt des propos de Valérius. Augustin va prendre ses dis-
tances par rapport au contenu du §13 en 13,7, et de fait il n’est pas possible de dé-
terminer dans ce paragraphe où s’arrête la contribution de son prédécesseur. enim
(13,3) relie directement le développement sur la Cananéenne à celui sur les paysans
puniques, tout comme namque (13,7) enchaine directement sur les trois pains (voir
n. suivante). Ces liaisons indiquent-elles que les deux rapprochements viennent de
Valérius ?
Pour Rome comme synecdoque pour tous les non-Juifs qu’elle commandait, voir
Origène, Jo. 23,12,93 (sur Io. 11,48 : ἐὰν ἀφῶμεν αὐτὸν οὕτως, πάντες πιστεύσουσιν
εἰς αὐτόν, καὶ ἐλεύσονται οἱ Ῥωμαῖοι καὶ ἀροῦσιν ἡμῶν καὶ τὸν τόπον καὶ τὸ ἔθνος
[Si nous le laissons ainsi, tous croiront en lui, et les Romains viendront, et ils détrui-
ront et notre lieu [saint] et notre peuple]) : τὸν τόπον τῶν ἐκ περιτομῆς ἔλαβον τὰ
ἔθνη· ‘τῷ γὰρ ἐκείνων παραπτώματι σωτηρία γέγονεν τοῖς ἔθνεσιν, εἰς τὸ παρα-
ζηλῶσαι αὐτούς’ [Rom. 11,11]· εἰς δὲ τὰ ἔθνη Ῥωμαῖοι παρελήφθησαν, ἀπὸ τῶν
βασιλευόντων οἱ βασιλευόμενοι ὀνομασθέντες [Les gentils ont pris possession du
lieu des hommes de la circoncision, car ‘par leur faux pas est advenu le salut des
gentils, afin de les rendre jaloux’. Et les ‘Romains’ ont été mis pour les gentils : le
peuple régnant donne son nom aux peuples sur lesquels il règne]. Ce texte rappelle
deux facteurs qui poussaient à faire de « Romains » et « nations / gentils » des équi-
valents : (1) L’empire que nous appelons « romain » s’appelait déjà ainsi pour ses
habitants, et depuis l’édit de Caracalla en 212, toutes les personnes libres de l’empire
étaient citoyens romains. (2) La destruction du temple de Jérusalem par les R o -
m a i n s était universellement perçue dans l’Église des premiers siècles comme un
élément de l’accomplissement de tout texte biblique qui pouvait indiquer que Dieu
allait privilégier les g e n t i l s sur les Juifs. De fait, on savait bien que le monde ro-
main n’était pas le monde entier, mais chrétiens et païens latins de l’empire avaient
tendance à négliger ce fait (alors que le chauvinisme grec faisait des synonymes de
Ἕλλην [grec] et « païen »). Ainsi, dans sa polémique avec les Donatistes, Augustin
parle sans cesse d’une Église catholique répandue dans le monde entier (per totum
orbem, per orbem terrarum), malgré tout un continent non évangélisé – hormis
l’Éthiopie – au sud de l’Afrique romaine.
Pour le rapprochement entre un mot sémitique et Rome caput gentium, compa-
rer ce passage avec Orose, hist. 6,20,6s. : In diebus ipsis [l’entrée d’Auguste à Rome
en 29 av. J-C] fons olei largissimus … de taberna meritoria per totum diem fluxit. Quo
Commentaire | 307

signo quid evidentius quam in diebus Caesaris toto orbe regnantis futura Christi nativi-
tas declarata est? ‘Christus’ enim lingua gentis eius, in qua et ex qua natus est, ‘unc-
tus’ interpretatur. Itaque cum eo tempore quo Caesari perpetua tribunicia potestas
decreta est, Romae fons olei per totum diem fluxit, sub principatu Caesaris Roma-
noque imperio per totum diem, hoc est per omne Romani tempus imperii, Christum et
ex eo christianos, id est unctum atque ex eo unctos, de meritoria taberna, hoc est de
hospita largaque ecclesia affluenter atque incessabiliter processuros … evidentissima
his, qui prophetarum voces non audiebant, signa in caelo et in terra prodigia prodide-
runt [En ces mêmes jours, une fontaine d’huile très abondante … coula pour une
journée entière d’un cabaret. Qu’est-ce qui est plus évident que l’indication par ce
signe de la naissance à venir du Christ, dans les jours de César qui allait régner sur
le monde entier ? En effet, ‘Christ’ se traduit ‘oint’ dans la langue de ce peuple dans
lequel, et dont il est né. Donc, puisque, au moment où la puissance tribunicienne
perpétuelle fut décernée à César, à Rome une fontaine d’huile coula pour toute une
journée, des signes très évidents dans le ciel et des merveilles sur la terre indiquè-
rent à ceux qui n’entendaient pas les voix des prophètes … que sous le principat de
César et sous l’empire romain, pour une journée entière, c’est-à-dire pour tout le
temps de l’empire romain, le Christ, et les chrétiens venant de lui, c’est-à-dire l’oint
et les oints venant de lui, allaient sortir abondamment et sans cesse d’un cabaret,
c’est-à-dire de l’Église accueillante et généreuse]. Mais le rapprochement d’Orose,
s’il est tout aussi saugrenu que celui de l’Inchoata expositio, est tout de même plus
cohérent.

13,7 in tribus panibus


Même si nous sommes encore dans le développement de Valérius (voir n. précé-
dente), l’explication des trois pains de Lc. 11,5 par la Trinité est fréquente chez Au-
gustin. RING (n. 174 à 13,7) renvoie à in psalm. 102,10 ; ajouter epist. 130,15, et sur-
tout quaest. euang. 2,21 ; serm. 105,4 ; serm. 105A,1, qui portent tous directement sur
Lc. 11,5–13. Citons l’élan d’enthousiasme trinitaire en serm. 105,4 : Panis est, et panis
est, et panis est: Deus Pater, Deus Filius, Deus Spiritus sanctus. Aeternus Pater, coae-
ternus Filius, coaeternus Spiritus sanctus. Incommutabilis Pater, incommutabilis Fi-
lius, incommutabilis Spiritus sanctus. Creator et Pater et Filius et Spiritus sanctus.
Pastor et vitae dator et Pater et Filius et Spiritus sanctus. Cibus et panis aeternus et
Pater et Filius et Spiritus sanctus [Il est pain, et il est pain, et il est pain : Dieu le Père,
Dieu le Fils, Dieu l’Esprit Saint. Le Père éternel, le Fils coéternel, l’Esprit coéternel.
Le Père immuable, le Fils immuable, l’Esprit Saint immuable. Le Créateur, c’est et le
Père et le Fils et l’Esprit Saint. Le pasteur et le donneur de vie, c’est et le Père et le
Fils et l’Esprit Saint. La nourriture et le pain éternels, c’est et le Père et le Fils et
l’Esprit Saint].
Cette exégèse n’est pas une trouvaille d’Augustin, puisqu’elle est déjà chez Ori-
gène : τὸ μὲν οὖν ‘τίς ἐξ ὑμῶν’ πρὸς τοὺς μαθητὰς λέγεται … αἰτεῖ δὲ ὁ μαθητὴς τὸν
φίλον ‘τρεῖς ἄρτους’, βουλόμενος θρέψαι τῇ περὶ τῆς τριάδος θεολογίᾳ τὸν γινό-
308 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

μενον πρὸς αὐτὸν ἀπὸ τῆς ὁδοῦ [‘Qui parmi vous’ est donc dit aux apôtres … Et
l’apôtre demande à son ami ‘trois pains’, voulant nourrir avec l’enseignement divin
de la Trinité celui qui vient du chemin à lui] (Orig in Luc. frg. 76 SChr 87,526s. = frg.
182 Rauer. L’exégèse n’est pas reprise par Ambroise, in Luc. ad loc.).

13,7 non pugnaciter agendum est


Augustin utilise ailleurs une phraséologie similaire pour indiquer qu’il ne veut pas
insister sur la vérité d’un énoncé, qu’il aimerait pourtant accepter : non ago pugnaci-
ter [je ne me bats pas] (doctr. christ. praef. 9, sur l’homme qui aurait appris à lire par
révélation divine) ; non tamen opus est pugnaciter agere [cependant, il n’y pas be-
soin de se battre] (divers. quaest. 80,3 : les paroles du Christ sur son âme peuvent à
la rigueur être prises au sens figuré) ; non est cum illo laboriosa contradictione pu-
gnandum [il ne faut pas se battre avec lui par des contradictions laborieuses] (civ.
22,16 : illo est celui qui affirme que l’on ressuscitera avec l’âge que l’on avait à sa
mort) ; non pugnaciter resistendum est [il ne faut résister en se battant] (civ. 22,20 :
on peut admettre que le corps à la résurrection aura la même taille qu’à la mort) ;
non ago pugnaciter [je ne me bats pas] (bapt. 5,12, laissant ouverte la question des
effets exacts du baptême de Jean).
C’est, sans doute, en partie parce que l’idée centrale du §13 ne vient pas de lui
qu’Augustin prend ses distances. Mais, comme on vient de le voir, il peut aussi mon-
trer le même recul envers ses propres pensées, surtout dans des cas d’exégèse parti-
culièrement fantaisiste. Pour un exemple où il est aussi questions de nombres, voir
la fin de son interprétation complexe des dix vierges de Mt. 25,1–13 en divers.
quaest. 59,4 : Cur autem quinque dictae sint, ut mihi videtur, expositum est. Sed vide-
mus nunc in aenigmate, tunc autem facie ad faciem; et nunc ex parte, tunc autem ex
toto [1 Cor. 13,12]. Ipsum autem in aenigmate et ex parte nunc in scripturis aliquid
cernere, quod tamen sit secundum catholicam fidem, ex illo pignore contingit, quod
accepit virgo ecclesia humili adventu sponsi sui, cui, illo ultimo adventu cum veniet in
claritate, nuptura est, cum iam facie ad faciem contuebitur. Dedit enim nobis pignus
Spiritum sanctum, sicut dicit apostolus [2 Cor. 5,5]. Et ideo ista expositio nihil certum
intuetur, nisi ut secundum fidem sit, neque aliis praeiudicat, quae nihilo minus secun-
dum fidem esse potuerint [Il a été expliqué pourquoi, à mon sens, elles sont dites être
cinq. Cependant, nous voyons maintenant par énigme, mais alors [ce sera] face à
face, et maintenant en partie, mais alors en entier. Or, le fait de voir maintenant
dans les Écritures quelque chose en énigme et en partie – mais qui est néanmoins
selon la foi catholique – relève de ce gage que l’Église vierge a reçu lors de la venue
humble de son époux, celui qu’elle épousera lors de cette dernière venue, quand il
viendra dans la gloire, quand elle le verra désormais face à face. En effet, il nous
donne en gage l’Esprit Saint, comme le dit l’apôtre. Et c’est pourquoi cette explica-
tion n’envisage rien de certain, sauf d’être selon la foi, et ne porte nullement préju-
dice aux autres [explications] qui pourront être tout autant selon la foi] (même hési-
Commentaire | 309

tation sur des exégèses numérologiques à divers. quaest. 57,1 ; de serm. dom. 2,87 ;
quaest. euang. 2,40,1).
Pour le principe qui veut qu’une exégèse soit acceptable si elle est conforme à la
vérité catholique, même si elle se trompe sur le sens d’un texte voulu par son au-
teur, voir doctr. christ. 1,86–88. Animé par sa formation de rhéteur, Augustin tend
particulièrement à noter de telles exégèses douteuses quand elles font preuve de
cette vertu fondamentale de l’art oratoire qu’est l’elegantia (interpretantis elegan-
tiam, 13,7, voir ThLL s.v. II.C.2). L’élegantia se manifeste, du moins selon le goût
augustinien, par des rapprochements d’idées ingénieux, voire extravagants. Voir les
exemples numérologiques cités plus hauts, et, pour un rapprochement intra-
linguistique similaire à celui de l’Inchoata expositio, in Gal. 31 (sur Gal. 4,6 Abba
Pater [Dieu Père]) : Duo sunt verba, quae posuit, ut posteriore interpretaretur primum,
nam hoc est abba quod pater. E l e g a n t e r autem intelligitur non frustra duarum lin-
guarum verba posuisse idem significantia propter uniuersum populum, qui de Iudaeis
et de gentibus in unitatem fidei vocatus est, ut hebraeum verbum ad Iudaeos, graecum
ad gentes, utriusque tamen verbi eadem significatio ad eiusdem fidei spiritusque uni-
tatem pertineat [Les mots qu’il a mis sont deux, pour que le premier soit interprété
par le second. Car ‘abba’ est la même chose que ‘père’. Mais on peut comprendre
é l é g a m m e n t qu’il n’a pas mis sans raison des mots des deux langues ayant le
même sens, à cause du peuple universel qui, venant de Juifs et des gentils, a été
appelé à l’unité de la foi. Ainsi le mot hébreu ferait référence aux Juifs, le [mot] grec
aux gentils, et la signification identique des deux mots à l’unité de la même foi et du
même Esprit]. Voir aussi in Gal. 42. Dans l’elegantia latine, l’ingéniosité peut être
bien plus importante que le raffinement et le bon goût impliqués par le vocable
« élégance » en français : Quid autem stultius homine verba metuente? E l e g a n t e r
Demetrius noster solet dicere eodem loco sibi esse voces inperitorum, quo ventre red-
ditos crepitus. ‘Quid enim’ inquit ‘mea, susum isti an deosum sonent?’ [Qu’est-ce qui
est plus sot qu’un homme qui craint des mots ? Notre ami Démétrius aime dire é l é -
g a m m e n t que les voix des ignorants valent autant pour lui que les pets du ventre :
‘Qu’est-ce que ça me fait’, dit-il, ‘qu’ils viennent d’en haut ou d’en bas ?’] (Sénèque
le Jeune, epist. 91,19). Chez les auteurs de l’âge d’or, et leurs commentateurs, on
rencontre certes une sensibilité plus restreinte, mais là encore l’ingenium reste sou-
vent un ingrédient essentiel de l’elegantia : voir S. STUCCHI, Notazione sul concetto di
elegantia in Cicerone, Latomus 72 (2013), 642–659 ; C. BUONGIOVANNI, L’uso degli
avverbi bene ed eleganter nel commento di Porfirione al terzo libro dei Carmina di
Orazio, dans : C. LONGOBARDI – C. NICOLAS – M. SQUILLANTE (éds.), Scholae discimus :
Pratiques scolaires dans l’Antiquité tardive et le Haut Moyen Âge, Lyon 2014, 179–
189. Sans voir dans l’Inchoata expositio le grotesque de l’exemple de Sénèque, on
qualifiera difficilement le rapprochement salus-tria d’ « élégant » en français. Mais il
n’est pas aisé de trancher entre les métamorphoses du goût et celles du sens des
mots.
310 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

14,1 Le blasphème contre l’Esprit Saint, péché impardonnable


Quel est ce péché ? magna et difficillima quaestio (23,14), difficillimam quaes-
tionem [une question très difficile] (retract. 1,25,1) ou, comme Augustin le dira dans
son grand sermon sur le sujet, in omnibus sanctis scripturis nulla maior quaestio [il
n’y a nulle question plus grande dans toutes les Écritures saintes] (serm. 71,8. On
trouvera tous les textes où Augustin parle du blasphème contre l’Esprit Saint réunis
en traduction allemande et annotés chez RING, Die unvergebbare Sünde, 41–109). Il
consacrera le reste de l’Inchoata expositio à sa réponse. Comme celle-ci découle de
l’identification qu’il vient d’établir entre l’Esprit Saint et gratia et pax, il la donne
d’abord ici, la défendra dans les §14–21, et finira le livre en la réarticulant en détail
aux §22s. (voir Introduction, 1.3, p. 5–8 ; RING, n. à 14,1 ; RING, Die unvergebbare
Sünde, 13.17).
L’urgence de la question est une évidence pour quiconque croit à l’autorité des
Écritures. Mais Augustin a dû aussi se sentir appelé à y répondre parce qu’il n’y
avait ni unité ni clarté dans la tradition exégétique dont il héritait, et parce que les
réponses de ses prédécesseurs ne l’ont pas satisfait (pour ces réponses, voir DTC s.v.
Blasphème contre le Saint-Esprit, complété par ce qui suit).
Dans l’Église primitive, il semble que ce sont surtout Novatien et ses disciples
qui se soient intéressés au blasphème contre l’Esprit Saint. Dans ce qui nous reste de
son œuvre, Novatien lui-même ne fait que citer Mt. 12,32 pour renforcer sa doctrine
sur la divinité de l’Esprit (trin. 29 ; Mt. 12,32 et parallèles sont aussi absents de l’Ad
Novatianum contemporain, CCSL 4, 137–152). Mais certains témoignages montrent
qu’au 4ème siècle les Novatianistes se prévalaient des paroles du Christ sur le blas-
phème impardonnable pour justifier leur choix d’exclure de l’Église ceux qui
avaient renié le Christ lors des persécutions : voir surtout l’Ambrosiaster = Ps.-Aug.
quaest. test. 102,4 (CSEL 50) ; Ambroise, paen. 2,20 ; Pacien de Barcelone, epist.
3,15 ; Jérôme, epist. 42,1. (L’apostasie est aussi le péché contre l’Esprit Saint pour
Origène en comm. ser. in Mt. 114 [GCS 382, 239], mais elle rentre dans la catégorie
générale du péché grave des baptisés : vide infra et n. à 18,2. Les Donatistes aussi
accusaient parfois certains clercs catholiques d’avoir commis ce péché : c. Petil.
2,139. Pour une conception manichéenne du péché impardonnable, voir LIEU, Mani-
chaeism, 25s.).
C’est donc souvent en réponse aux Novatianistes que les auteurs catholiques
ont été amenés à trouver leur propre explication du blasphème. Celle-ci, naturelle-
ment, tendait à se concentrer sur le contexte où Jésus prononça ses paroles, et donc
à comprendre le blasphème par le biais des pharisiens auxquels le Seigneur
s’adresse à Mt. 12,31s. et Mc. 3,28–30 (en Lc. 12,10, il parle au peuple). Dans les in-
terprétations les plus simples, on explique alors que les pharisiens ont eux-mêmes
commis ce péché en prenant les miracles du Christ pour des œuvres du diable. Haec
caecitas est, non videre quod videas, et sancti Spiritus opera diabolo deputare eamque
gloriam Domini, qua diabolus ipse superatur, diaboli appellare virtutem [Voici
l’aveuglement : ne pas voir ce que tu vois, et attribuer au diable les œuvres de
Commentaire | 311

l’Esprit Saint, et appeler puissance du diable cette gloire du Seigneur, par laquelle le
diable lui-même est vaincu] écrit Pacien de Barcelone (epist. 3,15), et on trouve la
même explication chez l’Ambrosiaster = Ps.-Aug. quaest. test. 102,13–15 (CSEL 50) ;
Ambroise, in Luc. 7,21 (Ambroise recueille diverses thèses sur le blasphème, sans
donner son propre avis) ; paen. 2,21s. (cité n. à 21,1s.) ; Jérôme, epist. 42 ; in Matth.
ad 12,32 ; Basile, Moralia 35 (PG 31, 756) ; Regulae brevius tractatae 273 (PG 31, 1271) ;
Jean Chrysostome, hom. in Mt. 41,3 (PG 57, 449).
Augustin rejettera essentiellement cette lecture : pour lui, les pharisiens n’ont
pas commis de péché impardonnable (Inchoata expositio 22,4s. ; mais voir 21,1s. et
n. ad loc.). Même pour ceux qui étaient moins charitables envers les pharisiens, elle
avait pour inconvénient de ne pas pouvoir s’appliquer très souvent à l’Église con-
temporaine. Ainsi, l’Ambrosiaster maintient que Jésus a parlé essentiellement
contre les Juifs de sa propre époque : Quod autem in Spiritum sanctum peccaverunt
Iudaei, alia causa est et quae ad tempus illud pertinuit. Unde non illis hoc remitti
neque hic neque in futurum ostendit. Non enim errore peccaverunt in Spiritum sanc-
tum, sed malivolentia. Scientes enim prudentesque opera quae videbant in gestis sal-
vatoris Dei esse, ut populum a fide eius averterent, haec simulabant esse principis
daemoniorum [Que les Juifs aient péché contre l’Esprit Saint, c’est une autre affaire,
et qui relève de cette époque-là. C’est pourquoi il indique que cela ne leur sera par-
donné ni ici ni dans le futur. En effet, ils n’ont pas péché contre l’Esprit Saint par
erreur, mais par malveillance. C’est avec science et prévoyance qu’ils ont prétendu
que c’étaient des [œuvres] du prince des démons, ces œuvres qu’ils voyaient venir
de Dieu, dans les actes du Sauveur, pour détourner le peuple de la foi en lui]
(quaest. test. 102,13 [CSEL 50]) ; Chrysostome, loc. cit. est similaire ; voir n. à 20,5,
quomodo poterant). De telles exégèses restaient sans doute utiles pour attaquer les
Juifs (voir n. à 15,5), mais à l’intérieur de l’Église, on tendait tout de même rarement
à dire que le Christ œuvrait pour le diable. Fallait-il en conclure que le blasphème
impardonnable ne risquait pas d’être commis par les chrétiens ?
Basile répondra en alignant œuvres du Christ et œuvres des chrétiens (vide in-
fra), et cette réponse est implicite dans une certaine mesure dans tous les textes
auxquels nous venons de nous référer. Mais Novatien n’était pas le seul à vouloir
voir le blasphème chez les chrétiens auxquels il refusait la communion. Toute la
tradition polémique tendait à identifier blasphémateurs et hérétiques (voir AugLex
s.v. blasphemia), et les écrivains catholiques n’ont pas résisté à identifier à leur tour
le blasphème contre l’Esprit Saint avec certaines hérésies qu’ils combattaient.
On trouve déjà une telle interprétation chez Irénée de Lyon, face aux gnostiques
(voir n. à 15,13–16), mais elle se prêtait surtout facilement aux attaques contre les
Ariens. Il était en effet crédible d’affirmer que l’Évangile identifiat le blasphème à la
négation de la divinité du Christ. Les Novatianistes eux-mêmes ont peut-être adopté
ce point de vue, puisqu’il se peut qu’Ambroise reprenne leurs arguments quand il
écrit (sans adhérer à ce qu’il propose) : In persecutione quid quaeritur, nisi ut Deum
Christum negemus ? [Que cherche-t-on lors de la persécution, sinon que nous niions
312 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

que le Christ est Dieu ?] (in Luc. 7,21). Et Jérôme répondra justement que lors des
persécutions on reniait plutôt le fils de l’homme, ce qui était pardonnable (epist.
42,2. Selon Épiphane, Panarion 54,2, les Theodotiani – pour lesquels voir n. à 4,4 –
se servaient du même argument pour éviter le martyre). Donc cette approche n’est
pas forcément catholique à l’origine. Mais elle le deviendra inévitablement, puisque
la polémique anti-arienne tend toujours à maintenir que les Ariens faisaient du
Christ un être non divin. Hilaire de Poitiers explique ainsi Mt. 12,29 : Cum cetera
dicta gestaque liberali venia relaxentur, caret misericordia, si Deus negetur in Christo
[Alors que les autres paroles et actes sont pardonnés par sa faveur généreuse, il n’y
a plus de miséricorde, si l’on nie Dieu dans le Christ] (in Matth. 12,17), ce qui sera
repris par Jérôme (in Matth. ad 12,32. Jérôme ne donne pas ici d’avis définitif. Voir
aussi Apollinaire de Laodicée, apud REUSS, Matthäus-Kommentar, 21 ; Théodore
d’Heracleia, ibid. 81). Athanase continue dans la même lignée dans sa quatrième
épître à Sérapion. S’il affirme (8) que le blasphème impardonnable consiste à nier à
la fois l’humanité e t la divinité du Christ, la conclusion de l’épître montre bien qu’il
vise surtout les Ariens : καὶ οἱ μὲν Φαρισαῖοι θεωροῦντες τὸν κύριον ἐν σώματι
διεγόγγυζον λέγοντες· ‘διὰ τί σὺ ἄνθρωπος ὢν ποιεῖς σεαυτὸν Θεόν;’ [Io. 10,33]· οἱ δὲ
Χριστομάχοι βλέποντες αὐτὸν πάσχοντα καὶ κοιμώμενον βλασφημοῦσι λέγοντες· ὁ
ταῦτα ὑπομένων οὐ δύναται υἱὸς ἀληθινὸς καὶ ὁμοούσιος εἶναι τοῦ πατρός [Et les
pharisiens, voyant le Seigneur dans un corps, murmuraient, disant : ‘Pourquoi toi,
qui es un homme, tu te fais Dieu ?’ Mais les Combattants-contre-le-Christ, le voyant
souffrir et mourir, blasphèment en disant : ‘Celui qui endure ces choses ne peut être
le vrai Fils et consubstantiel au Père’] (ep. Serap. 4,15 ; pour d’autres parallèles dans
la tradition grecque, voir LUZ, Matthew, 207 ; pour la réfutation spécifique de cette
approche par Augustin, voir serm. 71,24 : l’explication est illogique, puisque Jésus
ne dit pas que le blasphème contre le Père, pourtant l’égal de l’Esprit et du Fils en
tant que Fils de Dieu, est impardonnable).
Ensuite, quand les « Macédoniens » (voir n. à 15,13–16) proposèrent une concep-
tion arienne de l’Esprit, on les accusa bien entendu de blasphémer eux aussi contre
l’Esprit Saint. C’est ce que fait Athanase (Epistulae ad Serapionem 1,3.33 ; 2,16), tout
comme Épiphane, lorsqu’il affirme que les paroles du Christ sur le blasphème visent
ceux qui veulent ἐν τάξει δούλου αὐτὸ [sc. l’Esprit] ὁρίζεσθαι καὶ κτιστὸν καὶ
ἀλλότριον τῆς τοῦ Θεοῦ οὐσίας [le placer au rang d’un esclave, [comme] une créa-
ture, et un être séparé de l’essence divine] (Panarion 54,2 ; voir aussi Didyme
l’aveugle, De spiritu sancto 1,273 [SChr 386] ; Ambroise, paen. 2,20, et pour les échos
de cette utilisation de Mt. 12,31s. chez s. Augustin, RING, Die unvergebbare Sünde,
32). Du reste, on pouvait expliquer cette hérésie comme consistant à renier à la fois
la divinité du Fils et celle de l’Esprit, et affirmer ainsi l’unité de la Trinité : Cur autem
dixerit Dominus qui blasphemaverit in filium hominis, remittetur ei, qui autem blas-
phemaverit in Spiritum sanctum, nec hic nec in futuro remittetur ei, diligenter adverte.
Numquid alia est offensa Fili, alia Spiritus sancti? Sicut enim una dignitas, sic una
iniuria … Si qui vero sancti Spiritus dignitatem, maiestatem et potestatem abneget
Commentaire | 313

sempiternam et putet non in Spiritu Dei eici daemonia, sed in Beelzebub, non potest
ibi exoratio esse veniae, ubi sacrilegii plenitudo est, quia qui Spiritum negavit, et Do-
minum Patrem negavit et Filium, quoniam idem est Spiritus Dei, qui Spiritus Christi est
[Écoute attentivement pourquoi le Seigneur a dit que, pour celui qui blasphémait
contre le fils de l’homme, il lui serait pardonné, mais pour celui qui blasphémait
contre l’Esprit Saint, il ne lui serait pardonné ni ici ni dans le futur. Est-ce
qu’offenser le Fils, c’est autre chose qu’offenser l’Esprit Saint ? Tout comme il y a
une seule dignité, il y une seule injure … Mais si quelqu’un nie la dignité, la majesté
et la puissance éternelle de l’Esprit Saint, et pense que les démons ne sont pas ex-
pulsés dans l’Esprit de Dieu, mais dans Béelzébub, dans ce cas, aucune supplication
pour le pardon n’est possible, là où il y a la plénitude du sacrilège, puisque celui qui
a nié l’Esprit a nié et le Seigneur, le Père, et le Fils, puisque l’Esprit de Dieu est le
même que l’Esprit du Christ] (Ambroise, spir. sanct. 1,3,54 ; de même Chromace
d’Aquilée, in Matth. 50,3 [CCSL 9A] ; Cyrille d’Alexandrie apud REUSS, Matthäus-
Kommentar, 203. Pour l’accusation du blasphème impardonnable lancée, au-delà
des querelles trinitaires, contre les Donatistes, voir n. à 15,13–16).
En dehors de ces polémiques doctrinales, une autre approche consistait à voir le
blasphème comme tout péché grave commis par un baptisé (voir LUZ, Matthew,
207). Il s’agit parfois des péchés du corps (les dés, Ps.-Cyprien, De aleatoribus 10 ; la
fornication : encore Novatien, selon l’Ambrosiaster, in 1 Cor. 6,18 ; Ps.-Aug. quaest.
test. 102,6.12 [CSEL 50]). Parfois, il s’agit du blasphème, sans que celui-ci soit défini
avec précision : Tertullien, De pudicitia 13,19s. (SChr 395 ad loc. renvoie à Cyprien,
Testimonia 3,28, mais Cyprien ne partage certainement pas l’avis de Tertullien).
Cette approche n’est pas seulement le fait des rigoristes, puisqu’on la retrouve chez
Origène. Voir Jo. 2,11,80 : μήποτε οὐ πάντως διὰ τὸ τιμιώτερον εἶναι τὸ πνεῦμα τὸ
ἅγιον τοῦ Χριστοῦ οὐ γίνεται ἄφεσις τῷ εἰς αὐτὸ ἡμαρτηκότι, ἀλλὰ διὰ τὸ Χριστοῦ
μὲν πάντα μετέχειν τὰ λογικά, οἷς δίδοται συγγνώμη μεταβαλλομένοις ἀπὸ τῶν
ἁμαρτημάτων, τοῦ δὲ ἁγίου πνεύματος τοὺς κατηξιωμένους μηδεμιᾶς εὔλογον εἶναι
συγγνώμης τυχεῖν, μετὰ τηλικαύτης καὶ τοιαύτης συμπνοίας τῆς εἰς τὸ καλὸν ἔτι
ἀποπίπτοντας καὶ ἐκτρεπομένους τὰς τοῦ ἐνυπάρχοντος πνεύματος συμβουλίας
[Peut-être que ce n’est pas du tout parce que l’Esprit Saint est plus en honneur que
le Christ qu’il n’y pas de pardon pour celui qui a péché contre lui, mais parce que
tout ce qui est rationnel participe au Christ, et on leur accorde le pardon s’ils se
repentent de leurs péchés, alors qu’il n’est nullement raisonnable qu’obtiennent le
pardon ceux qui ont été trouvés dignes de l’Esprit Saint, ceux qui, avec une inspira-
tion si grande et d’une telle nature [les poussant] vers le bien, sont néanmoins tom-
bés et ont repoussé les conseils de l’Esprit résidant à l’intérieur d’eux] (de même
ibid. 28,15,124–26 ; De principiis 1,3,7 [voir n. à 17,2, quodlibet peccatum] ; à hom. in
Jer. 2,3 celui qui n’a pas commis de péché grave après le baptême est ὁ τηρήσας τὸ
βάπτισμα τοῦ ἁγίου πνεύματος [celui qui a conservé le baptême de l’Esprit Saint]).
C’est aussi ainsi qu’Athanase a compris Origène : Παλαιοὶ μὲν οὖν ἄνδρες, Ὠριγένης
ὁ πολυμαθὴς καὶ φιλόπονος καὶ Θεόγνωστος ὁ θαυμάσιος καὶ σπουδαῖος [Théognoste
314 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

d’Alexandrie ; l’ouvrage en question est perdu] … ἀμφότεροι γὰρ περὶ τούτου


γράφουσι ταύτην εἶναι τὴν εἰς τὸ ἅγιον πνεῦμα βλασφημίαν λέγοντες, ὅταν οἱ
καταξιωθέντες ἐν τῷ βαπτίσματι τῆς δωρεᾶς τοῦ ἁγίου πνεύματος παλινδρομήσωσιν
εἰς τὸ ἁμαρτάνειν [Ainsi les hommes anciens, Origène, ce polymathe dur à la tâche,
et l’admirable et dévoué Théognoste … tous deux ont écrit à ce sujet, disant que le
blasphème contre l’Esprit Saint, c’était quand ceux qui, par le baptême, avaient été
trouvés dignes du don de l’Esprit Saint, retournaient au péché] (ep. Serap. 4,2 ; les
indications de RING, Die unvergebbare Sünde, 1 sur Origène sont à revoir). Mais on
sait qu’Origène croyait, ou espérait, que tous les hommes seraient pardonnés en fin
de compte, et il expliquera ailleurs que, si le blasphème n’est pardonné οὔτε ἐν
τούτῳ τῷ αἰῶνι οὔτε ἐν τῷ μέλλοντι [ni dans ce monde / cette ère ni dans celui /
celle à venir] (Mt. 12,32), il pourra l’être néanmoins à la fin des toutes les ères (Jo.
19,14,88 ; hom. in Lev. 8,4 ; comm. in Mt. 15,31 [GCS 40, 443s.]. D’autre part, il y a
pour bien des péchés un pardon dans l’Église et en cette vie : hom. in Lev. 2,4).
L’Église a fini par rejeter la cosmologie d’Origène. Mais sa doctrine sur le péché
impardonnable met en relief un problème qui transparait dans beaucoup des textes
évoqués ci-dessus. Si les Pères ont aimé se référer au blasphème contre l’Esprit Saint
pour faire planer la menace de la damnation sur les hérétiques et les pécheurs, ils
semblent rarement avoir pleinement accepté qu’une fois commis, le blasphème
contre l’Esprit Saint est, selon l’Évangile, non seulement extrêmement grave, mais
réellement impardonnable. Il en est ainsi même des Novatianistes, qui excommu-
niaient définitivement les lapsi des persécutions, mais n’excluaient pas la possibili-
té que Dieu leur pardonnerait : Respondit … ‘Nec ego rennuo agendam paenitentiam
admissae idolatriae, sed ego remittere non audeo, quia crimen hoc ab eo remittendum
est, in quem admissum est’ [Il répond … ‘Moi non plus, je ne nie pas qu’il faut faire
pénitence quand on a commis l’idolâtrie, mais je n’ose pas moi-même pardonner,
puisque ce crime doit être pardonné par celui contre qui il a été commis’] (Ambro-
siaster = Ps.-Aug. quaest. test. 102,23 [CSEL 50] ; voir DTC s.v. Novatien, 840s. C’est
aussi la doctrine de Tertullien montaniste : voir SChr 394, 64s.). Le problème surgit
en même temps chez Cyprien, qui applique bien Mc. 3,28s. aux lapsi, alors que le
grand adversaire de Novatien n’a jamais douté qu’ils soient pardonnables dans
l’Église (epist. 16,1 ; voir aussi epist. 73,19 sur les Marcionites). De même, dans un
élan d’enthousiasme polémique, Chromace d’Aquilée écrira des Ariens et Macédo-
niens : Quos non immerito Dominus ad tantae blasphemiae reatum nec in praesenti
saeculo nec in futuro remissionem peccati habituros ostendit [Ce n’est pas injuste-
ment que le Seigneur a montré que, pour le crime d’un si grand blasphème, ils
n’auraient de pardon pour leur péché ni dans ce monde, ni dans le monde à venir]
(in Matth. 50,3). Mais entend-il vraiment les exclure à tout jamais de l’Église, plutôt
que les appeler à y rentrer ? Est-ce là l’intention d’Athanase ? Ou d’Ambroise, dont
le passage anti-macédonien se termine : Ideo revertimini ad ecclesiam, si qui vos
separastis impie. Omnibus enim conversis pollicetur veniam, quia scriptum est ‘omnis
quicumque invocaverit nomen Domini salvus erit’ [Rom. 10,13] [Retournez donc à
Commentaire | 315

l’Église, si vous vous en êtes séparés par impiété. Car il promet le pardon à tous ceux
qui se convertissent, puisqu’il est écrit ‘quiconque invoque le nom du Seigneur sera
sauvé’] (paen. 2,26. Voir aussi Apollinaire de Laodicée apud REUSS, Matthäus-
Kommentar, 21, cité n. à 22,4–23,7) ? La possibilité du pardon est encore plus claire
dans les textes pastoraux. Le sermon de Jean Chrysostome qui traite de Mt. 12,31s. se
terminera en rappelant le pardon promis à tous les pénitents (hom. in Mt. 41,4 [PG
57, 449–452]). Quand Basile affirme que nous reproduisons souvent le péché des
pharisiens (ὅπερ πάσχομεν οἱ πολλοί, τὸν μὲν σπουδαῖον κενόδοξον πολλάκις
ῥιψοκινδύνως ἀποκαλοῦντες, τοῦ δὲ ζῆλον ἀγαθὸν ἐπιδεικνυμένου ὀργὴν κατα-
ψευδόμενοι, καὶ ἄλλα τοιαῦτα [C’est ce qui arrive a beaucoup d’entre nous, qui, avec
abandon, appelons souvent la vertu ‘vaine gloire’, et calomnions la colère de celui
qui montre son zèle pour la bonté, et d’autres choses de la sorte], reg. br. 273 [PG 31,
1271]), il est impossible de conclure qu’il nous voue tous pour autant à la condamna-
tion éternelle. D’où la conclusion de Cyrille d’Alexandrie (du moins si l’on peut se
fier aux catenae) que le blasphème contre l’Esprit Saint n’est dit impardonnable que
pour faire peur : πλὴν δίδοται τοῖς μετανοοῦσιν διὰ τῆς τοῦ πνεύματος χάριτος
συγγνώμη. ἀλλὰ τὸ μέγεθος θέλων δεῖξαι ὁ Χριστὸς τοῦ ἁμαρτήματος οὕτως εἶπεν,
ἐπεὶ οὐκ ἔστιν ἁμαρτία ἀσυγχώρητος παρὰ θεῷ ἐν τοῖς γνησίως καὶ κατ’ ἀξίαν
μετανοοῦσιν [Mais, par la grâce de l’Esprit, le pardon sera donné à ceux qui se re-
pentissent. Cependant, voulant montrer la grandeur du péché, le Christ a parlé ain-
si, puisque, auprès de Dieu, aucun péché n’est impardonnable pour ceux qui se
repentent authentiquement et selon la mesure [de leur faute]] (apud REUSS, Mat-
thäus-Kommentar, 203. Voir déjà, chez Basile, De spiritu sancto 46, et Didyme
l’aveugle, De spiritu sancto 1, 2 [SChr 386], les emplois un peu vagues de Mt. 12,31s.
pour insister sur la divinité de l’Esprit Saint, sans que soit abordé le problème du
péché impardonnable).
C’est ce paradoxe qu’Augustin va révéler au grand jour, et qui justifiera sa
propre doctrine. Il comprend très bien que l’on puisse accuser certains hérétiques
d’avoir blasphémé contre l’Esprit Saint, et va montrer que l’on pourrait facilement
étendre cette doctrine à tous les hérétiques, sans parler des Juifs et des païens (§15).
Il comprend aussi très bien que l’on puisse chercher le blasphème dans le péché
grave des baptisés (§16–20). Mais, répond-il, de telles solutions sont impossibles,
parce que le blasphème contre l’Esprit Saint doit être véritablement impardonnable,
alors que la tradition et la pratique de l’Église n’excluent aucun pénitent du pardon
(15,4s.11.16 ; 16,1.4 ; 17,4 ; 18,8.12s. ; 21,3 ; 22,1–3).
Ces nombreux renvois à la tradition et à la pratique catholiques montrent bien
que le développement de l’Inchoata expositio sur le blasphème contre l’Esprit Saint
est beaucoup moins une polémique contre les sectes rigoristes qu’une réfutation de
traditions venant de l’intérieur de l’Église (contra MARA, L’interpretazione, 241–243,
pour qui Augustin vise surtout les Donatistes. Mais Mara, ici et en Agostino Inter-
prete, 78s., 193 n. 59, 194 n. 60, exagère beaucoup le rigorisme des Donatistes sur la
réception des pécheurs. Les Donatistes s’inquiétaient surtout de la sainteté des
316 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

prêtres. Voir AugLex s.v. Donatistae, 2 ; J. DANIÉLOU – H.-I. MARROU, Nouvelle His-
toire de l’Église, t. 1, Paris 1963, 285 ; et pour l’absence d’indications d’une restric-
tion de la pénitence chez les Donatistes, WATKINS, A History, 451s.). Certes, Augustin
ne dit pas très ouvertement qu’il réfute des enseignements reçus, mais c’est bien
parce qu’un ton irénique convenait à une dispute ecclésiastique interne, où les
mêmes doctrines trinitaires et la même pratique du pardon étaient, ou devaient être
(voir n. à 16,1), acceptées par tous les participants. D’ailleurs, la définition du blas-
phème que va proposer Augustin, si elle est originale en tant qu’exégèse, ne fait
qu’aligner l’interprétation de cette péricope des Évangiles avec une doctrine très
généralement admise, la damnation de ceux qui refusent la conversion ou le repen-
tir (voir RING, n. 194 à 23,15, f ; pour la tradition ecclésiastique comme règle
d’interprétation des Écritures chez Augustin, voir MENDOZA, 470–473). Un des buts
d’Augustin est justement de montrer que cette doctrine est suffisante pour expliquer
ce qu’est le blasphème impardonnable, et qu’il ne faut donc pas voir dans ce blas-
phème une autre voie de perdition.
La doctrine augustinienne est par conséquent dans la lignée de celle, signalée
plus haut, qui identifiait le blasphème impardonnable avec le péché grave des bap-
tisés. En effet, la première fois qu’Augustin aborde la question (voir RING, n. à 23,14,
b), son exégèse ira exactement dans ce sens : Peccatum ergo fratris ad mortem [1 Io.
5,16] puto esse, cum post agnitionem Dei per gratiam Domini nostri Iesu Christi
quisque oppugnat fraternitatem, et adversus ipsam gratiam, qua reconciliatus est Deo,
invidentiae facibus agitatur … Et hoc est fortasse peccare in Spiritum sanctum, id est
per malitiam et invidiam fraternam oppugnare caritatem post acceptam gratiam Spiri-
tus sancti, quod peccatum Dominus neque hic neque in futuro saeculo dimitti dicit
[Ainsi, le péché d’un frère [qui conduit] à la mort, je pense que c’est quand, après
avoir reconnu Dieu par la grâce de notre Seigneur Jésus Christ, quelqu’un s’attaque
à la fraternité, et s’agite, à cause des flambeaux de la jalousie, contre cette grâce
même, par laquelle il fut réconcilié avec Dieu … Et c’est peut-être cela, pécher contre
l’Esprit Saint, c’est-à-dire, dans la malice et la jalousie, s’attaquer à la charité frater-
nelle après avoir reçu la grâce de l’Esprit Saint – c’est le péché dont le Seigneur dit
qu’il ne sera remis ni ici ni dans le monde à venir] (de serm. dom. 1,73.75).
Mais, en limitant le blasphème impardonnable aux baptisés, Augustin n’expli-
quait pas pourquoi les non-chrétiens couraient aussi le risque de la damnation (sur
ce point, voir RING, Die unvergebbare Sünde, 13). Et surtout, la formule de de serm.
dom. ne laisse aucun espoir au repenti, ce qu’Augustin se reprochera en relisant
cette œuvre : Addendum fuit: si in hac tam scelerata mentis perversitate finierit hanc
vitam, quoniam de quocumque pessimo in hac vita constituto non est utique despe-
randum [J’aurais dû ajouter : s’il a terminé cette vie dans cette perversité si coupable
de l’esprit, puisque, pour tout homme, si mauvais soit-il, qui est encore en cette vie,
il ne faut pas désespérer entièrement] (retract. 1,19,7 ; pour la lecture modifiée dans
le sens de retract. de 1 Io. 5,16 en corrept. 35 voir RING, Die unvergebbare Sünde,
33s.). Et bien avant les Retractationes, la lecture du De paenitentia d’Ambroise
Commentaire | 317

(1,45s. ; voir n. à 18,2) lui a indiqué la possibilité d’une interprétation plus miséri-
cordieuse de 1 Io. 5,16. En effet, à partir de l’Inchoata expositio, qu’il en parle en
longueur dans le serm. 71, ou qu’il la résume en quelques mots dans l’Enchiridion,
la doctrine d’Augustin est fixée : le blasphème impardonnable ne peut être que le
choix de rester impénitent jusqu’à la mort, c’est-à-dire soit, pour le non-chrétien, le
refus de la conversion, soit, pour le chrétien, la persistance dans le péché mortel ou
l’hérésie : Contra hoc donum gratuitum, contra istam Dei gratiam loquitur cor impae-
nitens. Ipsa ergo impaenitentia est Spiritus blasphemia, quae non remittetur neque in
hoc saeculo, neque in futuro. Contra Spiritum enim sanctum, quo baptizantur quorum
peccata omnia dimittuntur, et quem accepit ecclesia, ut cui dimiserit peccata, dimit-
tantur ei [Io. 20,22s.], verbum valde malum et nimis impium, sive cogitatione, sive
etiam lingua sua dicit, quem patientia Dei cum ad paenitentiam adducat, ipse secun-
dum duritiam cordis sui et cor impaenitens thesaurizat sibi iram in die irae et reve-
lationis iusti iudicii Dei, qui reddet unicuique secundum opera eius [Rom. 2,4–6] [Le
cœur impénitent parle contre ce don gratuit, contre cette grâce de Dieu. C’est donc
cette impénitence même qui est le blasphème contre l’Esprit, qui ne sera pardonné
ni dans ce monde, ni dans le monde à venir. C’est en effet contre l’Esprit Saint, en
qui sont baptisés ceux dont tous les péchés sont pardonnés, [et] que l’Église reçoit,
afin que, pour celui à qui elle pardonne les péchés, ils lui soient pardonnés – [c’est
contre cet Esprit] qu’il dit une parole très mauvaise et excessivement impie, que ce
soit par la pensée ou encore avec sa langue, celui qui – alors que la patience de Dieu
l’attire vers la pénitence – selon la dureté de son cœur et [selon] son cœur impéni-
tent, s’amasse un trésor de colère pour le jour de la colère et de la révélation du juste
jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses œuvres] (serm. 71,20) ; qui vero in
ecclesia remitti peccata non credens contemnit tantam divini muneris largitatem, et in
hac obstinatione mentis diem claudit extremum, reus est illo irremissibili peccato in
Spiritum sanctum, in quo Christus peccata dimittit. De qua quaestione difficili in
quodam propter hoc solum conscripto libello enucleatissime quantum potui disputavi
[Mais celui qui, ne croyant pas que les péchés soient pardonnés dans l’Église, mé-
prise la générosité si grande du don divin, et qui termine ses jours dans cette obsti-
nation de son esprit, est coupable de ce péché impardonnable contre l’Esprit Saint,
[cet Esprit] par lequel le Christ pardonne les péchés. J’ai discuté de cette question
difficile, avec tout le détail qui m’était possible, dans un petit traité écrit dans ce
seul but] (enchir. 83. Voir aussi epist. 185,48s. On comprend généralement, comme
le disent VERBRAKEN, Le sermon, 55 et RING, n. à 23,14, e, le libellus comme étant le
serm. 71, plutôt que l’Inchoata expositio).
On constate cependant deux développements dans la pensée d’Augustin, qui
tendent à l’assombrir. D’abord, comme l’avait noté RING (n. à 23,14, f ; Die unver-
gebbare Sünde, 30), dans les textes postérieurs à l’Inchoata Expositio, il n’évoque
plus le blasphème contre l’Esprit Saint sans insister sur le fait que le pardon est
réservé à l’Église, et que les hérétiques risquent donc la damnation. Voir, dans ce
sens, en plus des textes cités ci-dessus, c. Cresc. 4,10 : Sed hunc reatum insolubilis
318 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

aeternique peccati, quod in Spiritum sanctum committitur, nec vobis obicimus, quos
correctos cum vivitis sanari posse non desperamus, nec vestris, qui sanctos codices
cremandos ignibus tradiderunt, nisi quod usque in finem vitae huius ab unitate dis-
iuncti cor inpaenitens habuerunt [Mais ce crime du péché impardonnable et éternel,
qui est commis contre l’Esprit Saint, nous n’en accusons ni vous – puisque, tant que
vous êtes en vie, nous ne désespérons pas que vous puissiez être corrigés et guéris –
ni les vôtres, qui ont livré les livres saints au feu pour être brûlés, à moins que,
séparés de l’unité, ils aient gardé un cœur impénitent jusqu’à la fin de cette vie].
Dans le serm. 71, il soulignera même que la pénitence des hérétiques est en elle-
même incomplète par définition, et donc inutile : Si quemquam extra ecclesiam suo-
rum paeniteat peccatorum, et huius tanti peccati quod alienus est ab ecclesia Dei cor
impaenitens habeat, quid ei prode est illa paenitentia, cum isto solo verbum dicat
contra Spiritum sanctum, quod extraneus est ab ecclesia, quae accepit hoc donum, ut
in ea in Spiritu sancto fiat remissio peccatorum? [Si quelqu’un en dehors de l’Église
se repent de ses péchés, et conserve un cœur impénitent envers ce péché si grand,
par lequel il est séparé de l’Église de Dieu, quel avantage tire-t-il de cette pénitence,
puisqu’il dit une parole contre l’Esprit Saint par le seul fait d’être en dehors de
l’Église, qui a reçu ce don : que le pardon des péchés dans l’Esprit Saint se fasse à
l’intérieur d’elle] (serm. 71,28). Sur ce point, voir Introduction, 1.8.
Deuxièmement, quand, dans la querelle avec les Pélagiens, Augustin réem-
ploiera le langage des Évangiles sur le péché impardonnable, ce sera pour souligner
que seuls ceux que Dieu a choisis seront capables du repentir efficace : Non enim
verum videt, qui putat reatum sibi ipsi tollere paenitentem; quamquam et ipsam pae-
nitentiam Deus det, quod confirmat apostolus dicens ‘ne forte det illis Deus paeniten-
tiam’ [2 Tim. 2,25], sed reatum apertissime Deus tollit homini dando indulgentiam, non
sibi ipse homo agendo paenitentiam. Debemus quippe illum recolere, qui paenitentiae
locum non invenit, quamvis cum lacrimis quaesierit eam [Hebr. 12,17]. Ac per hoc et
paenitentiam egit et reus remansit, quia veniam non accepit, et illi qui dicent inter se,
‘paenitentiam agentes et prae angustia spiritus gementes quid nobis profuit super-
bia?’ [Sap. 5,3.8] et cetera, rei utique in aeternum non accepta venia permanebunt,
sicut ille etiam de quo Dominus ait ‘Non remittetur ei, sed reus erit aeterni peccati’
[Mc. 3,29] [En effet, il ne voit pas la vérité, celui qui pense que le pénitent s’enlève
lui-même son crime, bien que Dieu donne aussi la pénitence même, ce que confirme
l’apôtre en disant ‘si peut-être Dieu leur donne la pénitence’ – mais c’est très clai-
rement Dieu qui enlève le crime, en donnant le pardon à l’homme, et non l’homme
qui [l’enlève] pour lui-même, en faisant pénitence. Nous devons plutôt nous rappe-
ler de celui qui n’a pas trouvé de place pour la pénitence, bien qu’il l’ait cherché
avec ses larmes. Et ainsi il fit pénitence et il resta coupable, puisqu’il ne reçut pas le
pardon. Et puis, ceux qui diront entre eux, en faisant pénitence, et en gémissant
dans l’angoisse de leur esprit, ‘quel bien avons-nous tiré de notre orgueil ?’ et tout le
reste, ils resteront certainement coupables pour l’éternité, sans avoir reçu de par-
don, tout comme celui de qui le Seigneur a dit : ‘Il ne lui sera pas pardonné, mais il
Commentaire | 319

sera coupable du péché éternel’] (c. Iulian. op. imperf. 6,19 ; voir aussi 4,96). De
nouveau, la terreur de commettre l’impardonnable, que l’Inchoata expositio avait
soulagée, pèse lourdement sur toute l’humanité.
Mais terminons plutôt avec un aspect plus charitable de la pensée augusti-
nienne : Nec de peccatorum differentia modo tractandum est, sed credendum omnino,
nullo modo nobis ignosci ea, quae peccamus, si nos inexorabiles ad ignoscenda pecca-
ta fuerimus [Et il ne faut pas maintenant discuter de la différence entre les péchés,
mais croire absolument que les péchés que nous commettons ne nous seront jamais
pardonnés, si nous sommes nous-mêmes inexorables pour pardonner les péchés]
(fid. et symb. 22).

14,1 desperans vel irridens atque contemnens praedicationem gratiae


Il est à regretter qu’AugLex se soit dispensé d’un lemme desperatio. Despero et déri-
vés apparaissent quelque 650 fois chez Augustin : le désespoir, en tant qu’état psy-
chologique et choix moral, l’interpella d’une façon unique parmi les Pères.
La mention du désespoir dans l’Inchoata expositio éclaire un des rôles impor-
tants de cette émotion dans la pensée augustinienne. Comme le remarque finement
RING (n. à 23,14, a), la combinaison de desperando de venia avec de sua iustitia
praesumendo au moment de la reprise de 14,1 en 23,7 est caractéristique. En effet,
pour Augustin, ce qui sépare les sauvés des damnés n’est pas la justice de leur com-
portement, mais l’acceptation du pardon et de la grâce, puisque nul ne peut être
assez juste pour être sauvé sans la grâce et la miséricorde (voir n. à 10,4, poenas
tamen corporis), et, inversement, nul ne peut pécher trop gravement pour se séparer
de la possibilité du pardon. Par conséquent, pour expliquer que tous ne soient pas
sauvés, il fallait avant tout indiquer pourquoi certains se détournaient du pardon
offert.
Nous savons (voir n. précédente) qu’Augustin allait conclure que le refus était
lui-même dû à un défaut de grâce. Mais cette explication est, pour ainsi dire, exté-
rieure : elle ne rend pas compte de ce qui se passe dans l’âme de celui qui reste dans
le péché. Pour répondre à ce niveau, Augustin faisait bien sûr appel au plaisir du
péché (impia atque mortifera quadam suavitate, 14,1, voir n. ad loc.), qui est à
associer à irridens atque contemnens. Mais, pour lui, si l’on ne cherche pas le par-
don, c’est aussi parce que l’on pense ne pas pouvoir l’obtenir. C’est là le désespoir
qui damne, et qui est un péché en soi, puisqu’il comporte un jugement fautif sur
l’étendue de la grâce. Il est le contrepoids de la vertu théologique de l’espoir : ‘Con-
scientiam’ vero ‘bonam’ [1 Tim. 1,5] subiunxit propter spem. Ille enim se ad id quod
credit et diligit perventurum esse desperat cui malae conscientiae scrupulus inest [Il a
donc ajouté ‘une bonne conscience’ à cause de l’espoir. En effet, celui qui a à
l’intérieur de lui le trouble d’une mauvaise conscience désespère de parvenir à ce
qu’il croit et aime] (doctr. christ. 1,95).
Un tel désespoir est, naturellement, voulu par le diable (persuadens eis, quia
iam peccaverunt, desperent et omnino se ad veniam posse pertinere non arbitrentur
320 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

[les persuadant que, puisqu’ils ont déjà péché, ils doivent désespérer et considérer
qu’ils ne peuvent absolument pas obtenir le pardon], serm. 20,2 ; de même in psalm.
5,17), et il crée un cercle vicieux dans l’âme de l’individu : Quisquis enim non credit
dimitti sibi posse peccata, fit deterior desperando, quasi nihil illi melius quam malum
esse remaneat [En effet, quiconque croit que ses péchés ne peuvent pas être par-
donnés, devient pire à cause de son désespoir, comme s’il ne lui restait rien de
mieux que d’être mauvais] (doctr. christ. 1,35 ; de même serm. 20,1). Dans la prédica-
tion, Augustin aime illustrer cette évolution en évoquant le gladiateur, l’homme
entièrement perdu dans l’imagination antique : animo quodam gladiatoricio, quo-
niam vitam desperat, quicquid potest facere ad satiandam cupiditatem et libidinem
suam facit, tamquam devotus ad victimam [avec une espèce d’âme de gladiateur,
puisqu’il désespère de sa vie, il fait tout ce qu’il peut pour assouvir sa convoitise et
ses désirs, comme un être voué au sacrifice] (serm. 20,3) ; desperando moriuntur,
quomodo gladiatores quasi destinati ad ferrum, inhiando voluptatibus et vivendo
nequiter, quasi addictas iam animas suas contemnunt [ils meurent dans le désespoir,
comme des gladiateurs, se croyant condamnés à mourir par l’épée – ils se gavent de
plaisirs et vivent dans le mal, méprisant leurs propres âmes comme déjà vouées [à la
mort]] (serm. 339,3 ; de même in euang. Ioh. 33,8 ; in psalm. 70,1,1 ; 101,1,10 ; serm.
352A,6 ; contraster l’image du gladiateur in bonam partem, serm. 9,13).
Dans la pratique, ce désespoir n’était pas seulement un état psychologique. Il se
manifestait (et se comprend aisément) par le refus de se soumettre à la discipline
pénitentielle rigide de l’Église (voir n. à 9,1–6), qui était le seul moyen d’obtenir le
pardon des péchés graves : Quisquis ergo post baptismum aliquorum pristinorum
malorum opere obligatus tenetur, usque adeone sibi inimicus est, ut adhuc dubitet
vitam mutare, cum tempus est, cum ita peccat et vivit? … veniat ad antistites, per quos
illi in ecclesia claves ministrantur, et tanquam bonus iam incipiens esse filius, mater-
norum membrorum ordine custodito, a praepositis sacramentorum accipiat satisfac-
tionis suae modum … ut si peccatum eius, non solum in gravi eius malo, sed etiam in
tanto scandalo aliorum est, atque hoc expedire utilitati ecclesiae videtur antistiti, in
notitia multorum, vel etiam totius plebis agere paenitentiam non recuset [Si donc
quelqu’un, après le baptême, est encore tenu enchainé pour avoir commis certains
de ses anciens crimes, est-il son propre ennemi au point d’hésiter encore à changer
de vie, alors qu’il est encore temps, alors qu’il pèche ainsi et reste en vie ? … Qu’il
vienne aux évêques, ceux par qui les clés de l’Église lui sont offertes, et, comme s’il
commençait déjà à être un bon fils, qu’il respecte l’ordre des membres maternels,
[et] qu’il reçoive de ceux qui sont préposés aux sacrements la mesure de sa punition
… ainsi, si son péché n’est pas seulement un mal grave pour lui-même, mais aussi
un grand scandale pour les autres, et s’il semble à l’évêque que de faire ainsi serait
profitable pour l’Église, qu’il ne refuse pas de faire une pénitence qui sera connue
de beaucoup, ou même de tout le peuple] (serm. 351,9 ; comparer, sur les rigueurs
de la pénitence, Ambroise, paen. 2,96–98, et les remarques de R. GRYSON, SChr 179,
48–50).
Commentaire | 321

Ce sont les exigences de cette discipline qui expliquent le développement d’un


motif encore absent de l’Inchoata expositio : le désespoir peut s’opposer non seule-
ment à l’espoir-vertu, mais à un espoir maléfique, qui consiste à remettre le jour de
la pénitence (ou même du baptême : voir conf. 1,18 ; 9,22 ; epist. Divj. 2 ; epist. 258,
et l’exemple célèbre de Constantin ; voir aussi POQUE, Un souci, 277, et n. à 16,7,
postea negligenter) : Duae voces, ambae contrariae, ambae periculosae, per quas
homines pereunt, sed tamen Deus neutram vocem contempsit: et hanc et illam curavit.
Quae sunt illae duae voces? ‘Quare non peccem, quare non faciam quidquid volo?
Quando me convertero, omnia mihi dimittuntur’. Tales sperando pereunt. Alia vox ex
alia parte contraria quidem, sed aeque periculosa. ‘Quare non faciam quidquid volo,
cui nulla misericordia debetur, cui nulla indulgentia dabitur? Faciam quidquid volo’.
Desperando pereunt [Il y a deux voix, contraires l’une à l’autre, dangereuses toutes
les deux, par lesquelles les hommes périssent. Mais Dieu n’a méprisé ni l’une ni
l’autre de ces voix : il a guéri et l’une et l’autre. Quelles sont ces deux voix ? ‘Pour-
quoi ne pécherais-je pas ? Pourquoi ne ferais-je pas tout ce que je veux ? Quand je
me convertirai, tout me sera pardonné’. Ceux-là périssent par l’espoir. L’autre voix,
de l’autre côté, dit le contraire, qui est tout aussi dangereux. ‘Pourquoi ne ferais-je
pas tout ce que je veux, moi à qui nulle miséricorde n’est due, à qui nul pardon ne
sera donné. Je ferai tout ce que je veux’. Ils périssent par le désespoir] (serm.
352A,6. De même in euang. Ioh. 33,8). Là, on ne doute plus de la capacité de Dieu à
pardonner, mais c’est plutôt sa capacité à condamner que l’on oublie.
Par contre, et ici nous rejoignons bien le thème de cette partie de l’Inchoata ex-
positio, il était du devoir de l’Église de ne pas provoquer le désespoir, en prenant le
parti du diable par le refus de pardonner aux pénitents. Une vingtaine d’années
après notre texte, Augustin revient à ce thème en imaginant les paroles du pénitent
rejeté par l’Église : ‘Aut date mihi eundem iterum paenitendi locum aut d e s p e r a t u m
me pronuntiate, ut faciam, quicquid libuerit, quantum meis opibus adiuvor et humanis
legibus non prohibeor, in scortis omnique luxuria damnabili quidem apud Deum sed
apud homines plerosque etiam laudabili. Aut si me ab hac nequitia revocatis, dicite,
utrum mihi aliquid prosit ad vitam futuram, si in ista vita inlecebrosissimae voluptatis
blandimenta contempsero, si libidinum incitamenta frenavero, si ad castigandum
corpus meum multa mihi etiam licita et concessa subtraxero, si me paenitendo ve-
hementius quam prius excruciavero, si miserabilius ingemuero, si flevero uberius, si
vixero melius, si pauperes sustentavero largius, si caritate, quae cooperit multitu-
dinem peccatorum [1 Petr. 4,8], flagravero ardentius’. Quis nostrum ita desipit, ut huic
homini dicat: ‘Nihil tibi ista in posterum proderunt. Vade, saltem vitae huius suavitate
perfruere’? [‘Soit vous me donnez de nouveau ce même espace pour la pénitence,
soit vous déclarez que je suis un cas d é s e s p é r é , pour que je fasse tout ce qui me
plaît – tant que je suis soutenu par mes richesses et ne suis pas retenu par les lois
humaines – avec les prostituées et toute cette débauche qui est honteuse auprès de
Dieu, mais même louable pour la majorité des hommes. Soit, si vous me rappelez de
cette vie criminelle, vous me dites : aurai-je quelque chose à gagner pour la vie fu-
322 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

ture, si, dans cette vie, j’ai méprisé les séductions de la volupté si alléchante, si j’ai
retenu les aiguillons du plaisir, si, pour châtier mon corps, j’ai renoncé même à bien
des choses qui me sont permises et concédées, si, par la pénitence, je me suis tour-
menté encore plus violemment qu’avant, si j’ai gémi plus misérablement, si j’ai
versé plus de larmes, si j’ai vécu une vie meilleure, si j’ai assisté plus généreusement
les pauvres, si j’ai brûlé avec plus d’ardeur dans la charité qui recouvre une multi-
tude de péchés ?’ Qui d’entre nous est assez insensé pour dire à cet homme : ‘Cela
ne te servira à rien dans [la vie] future. Va-t’en, contente-toi seulement de la dou-
ceur de cette vie [présente]’ ?] (epist. 153,7). Voici de nouveau notre gladiateur, mais
celui qui le voue à la perdition n’est plus le diable, ou sa propre méchanceté, mais
(in potentia) l’Église. Sur le désespoir, voir aussi n. à 22,3, cum desperatione.

14,1 gratiae per quam peccata diluuntur, et pacis per quam reconciliamur Deo
Repris de 8,4 ; voir n. ad loc.

14,1 impia atque mortifera quadam suavitate


On trouve cet état de l’âme décrit de façon plus détaillée e.g. en in psalm. 6,7 : ‘La-
vabo per singulas noctes lectum meum’ [Ps. 6,7]. Lectus est hoc loco appellatus ubi
requiescit animus aeger et infirmus, id est in voluptate corporis et omni delectatione
saeculari; quam delectationem lacrimis lavat qui sese ab illa conatur extrahere. Videt
enim iam se damnare carnales concupiscentias, et tamen delectatione tenetur infirmi-
tas, et in ea libenter iacet, unde surgere nisi sanus animus non potest [‘Je laverai mon
lit chaque nuit’. Ici est appelé ‘lit’ [l’endroit] où l’âme malade et infirme se repose, à
savoir dans la volupté du corps et toute la jouissance du monde. Cette jouissance, il
la lave avec ses larmes, celui qui tente de s’en extraire. Car il voit qu’il condamne
déjà les désirs charnels, et son infirmité est néanmoins retenue par la jouissance, et
il se couche volontairement sur elle, d’où l’âme ne peut se lever à moins d’être
saine]. Mais il n’est nul besoin d’aligner les parallèles en traitant d’un des topoi les
plus établis dans la littérature morale de l’Antiquité, et sans doute de tous les temps.
Pour Augustin, toutefois, la douceur (suavitas) du péché ne tient pas seulement au
plaisir sensuel, mais, selon sa lecture de Paul, au fait même qu’il soit interdit : Quod
autem ait ‘Peccatum enim, occasione accepta per mandatum, fefellit me et per illud
occidit’ [Rom. 7,11], ideo dictum est, quia desiderii prohibiti fructus dulcior est. Unde
etiam quaecumque peccata occulte fiunt, dulciora sunt, quamvis mortifera ista dulce-
do sit [Quand il dit ‘en effet, le péché, ayant reçu l’occasion par le commandement,
m’a trompé, et m’a tué à travers lui’, c’est dit parce que le fruit du désir interdit est
plus doux. C’est pourquoi, aussi, tous les péchés qui sont commis secrètement sont
plus doux, bien que cette douceur soit mortelle] (in Rom. 32). L’exemple le plus
célèbre est son analyse de sa propre motivation quand il vola des poires : Id furatus
sum, quod mihi abundabat et multo melius, nec ea re volebam frui quam furto ap-
petebam, sed ipso furto et peccato [J’ai volé ce que j’avais en abondance, et de bien
Commentaire | 323

meilleures, et je ne voulais pas jouir de la chose que je cherchais à obtenir par le vol,
mais du vol et du péché eux-mêmes] (conf. 2,9).
Augustin applique souvent l’adjectif mortifer aux plaisirs du péché : mortifera
suavitate se retrouve en conf. 6,21, puis nous avons deliciis … mortiferis [délices …
mortels] (conf. 13,29 ; cf. gen. ad litt. 11,59) ; mortiferarum voluptatum [des voluptés
… mortelles] (epist. 26,6 ; cf. gen. ad litt. 11,7 ; in psalm. 15,5 ; quaest. Simpl. 1,1,7.
Déjà chez Cyprien, De habitu virginum 21 ; Lactance, Divinae institutiones 4,26,20 ;
De ira Dei 26) ; mortiferis et nefariis turpitudinibus [débauches mortelles et crimi-
nelles] (epist. 6,7, de la fornication) ; mortifera iucunditate [joie mortelle] (doctr.
christ. 2,20) ; mortifera … dulcedo [douceur mortelle] (in Rom. 32) ; delectatione mor-
tifera [jouissance mortelle] (in psalm. 9,17 ; cf. in psalm. 106,4 ; serm. 87,11 ; 143,1) ;
mortiferarum seductionum [séductions mortelles] (serm. 260B,3). Il ne s’agit nulle-
ment d’une métaphore : ces péchés apportent (ferre) la mort de l’âme. C’est le pecca-
tum mortiferum [péché mortel] de Num. 18,22 (voir in Rom. 32 ; in euang. Ioh. 26,11 ;
fid. et op. 36 ; serm. 71,7 ; 181,8 ; 351,9).

14,2–8 Le blasphème et le sens des mots


Ce passage appartient aux réflexions d’Augustin sur le rapport entre les mots et ce
qu’ils signifient, ou, pour utiliser sa propre terminologie, qui couvre un champ en-
core plus large, entre signa [signes] et res [choses] (significet, 14,3 ; rerum, 14,3 ; res
ipsa, 14,4.7 ; aliam … rem, eam rem, 14,5). Ses exposés les mieux connus de ces
idées sont dans le De magistro et De doctrina christiana, mais on y trouve déjà de
multiples allusions dans les œuvres d’avant l’épiscopat autres que mag. (ord.
2,35.39 ; soliloq. 2,3 ; quant. anim. 10.65 ; mus. 3,3 ; in psalm. 9,11 ; voir aussi n. à
13,1, responsum est). On a beaucoup écrit sur signa et res : pour une étude générale
du développement de cette distinction, voir MAYER, Die Zeichen (qui ne prend pas en
compte notre passage) ; pour une présentation plus concise, et une notice biblio-
graphique, voir BA 11/2, 483–495 ; pour une mise aux point sur les sources (et une
réponse aux critiques de Wittgenstein) voir G. WATSON, Saint Augustine’s Theory of
Language, dans : R. LEO ENOS, et al. (éds.), The Rhetoric of Saint Augustine of Hippo,
Waco TX 2008, 247–266. Malgré un modèle qui sépare totalement mots et choses,
Augustin se montre parfois conscient du rôle que jouent les signa pour constituer les
res tels que nous les percevons : Innumerabilibus enim modis eaedem res et appellari
et d i v i d i possunt [En effet, des choses identiques peuvent être nommées et divisées
d’innombrables façons [différentes]] (quant. anim. 79 ; sur ce problème, voir R. A.
MARKUS, St. Augustine on Signs, Phronesis 2 [1957], 60–83).
Pourquoi Augustin s’est-il servi de ces idées ici ? D’abord, le blasphème étant a
priori affaire de paroles (voir la définition traditionnelle en mor. Manich. 20 : Est
autem blasphemia, cum aliqua mala dicuntur de bonis. Itaque iam vulgo blasphemia
non accipitur nisi mala verba de Deo [Le blasphème, c’est quand on dit du mal d’un
bien. C’est pourquoi, dans la langue courante, on n’utilise plus ‘blasphème’ sauf
pour ‘dire des paroles mauvaises sur Dieu’] ; et comparer 14,7, per vocem proposi-
324 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

tum), il pouvait s’en former une conception assez superstitieuse, selon laquelle le
fait même de prononcer certains mots attirerait une malédiction par un engrenage
occulte. C’est ainsi, par exemple, que dans la tradition religieuse romaine, on pen-
sait que des erreurs dans l’emploi des formules liturgiques pouvaient avoir des con-
séquences néfastes (voir M. BEARD – J. NORTH – S. PRICE, Religions of Rome, t. 1,
Cambridge 1998, 32). De telles croyances ne sont pas entièrement étrangères au
christianisme, qui a ses propres textes liturgiques, et où, en particulier, l’efficacité
de l’activité sacramentelle du prêtre dépend des mots employés, et non des pensées
de celui qui les prononce. Mais Augustin explique ce dernier fait par un choix libre
de Dieu, plutôt qu’une puissance intrinsèque des mots (divers. quaest. 79,4). Faire
de l’articulation de certains mots un acte puissant en soi ne pouvait seoir au Dieu
qui exigeait un culte en esprit et en vérité.
D’autre part, le risque de blasphémer à la suite d’un faux jugement sur le Dieu
des chrétiens était réel, puisque l’ignare (imperito, 14,7) qui voulait s’informer sur
la foi était exposé non seulement à la prédication de l’Église, mais aux mensonges
des hérétiques et des païens (pour lesquels, voir n. à 15,2, iam ferro). Le cas de celui
qui est trompé parce qu’il ne parle pas latin est un reflet exagéré de telles conversa-
tions. C’est pourquoi la fausse interprétation de Spiritus sanctus est présentée par un
deceptore vel irrisore impio (14,3). Ce dialogue imaginaire rappelle surtout des
conversations similaires entre ignares et hérétiques : sicut in isto capitulo faciunt [sc.
les Manichéens], quod ab apostolo scriptum est: ‘rectores harum tenebrarum, et spiri-
talia nequitiae in caelestibus’ [Eph. 6,12]. Quaerunt enim d e c e p t o r e s illi et interro-
gant hominem scripturas divinas non intellegentem, unde sint in caelo rectores tene-
brarum, ut, cum respondere non potuerit, traducatur ab eis per curiositatem [comme
ils le font dans ce passage où il est écrit par l’apôtre : ‘les régisseurs de ces ténèbres
et les esprits du mal dans les espaces célestes’. En effet, ces m e n t e u r s cherchent et
demandent de l’homme qui ne comprend pas les Écritures divines, pourquoi il y a
des régisseurs des ténèbres dans le ciel, pour que, quand il n’aura pas pu répondre,
il soit séduit par eux par le biais de la curiosité] (agon. 4). Voir aussi Rufin, Histoire
Ecclésiastique 10,22 (sur le Concile de Rimini en 359) : Callidi homines et versuti
simplices et inperitos occidentalium sacerdotes facile circumveniunt, hoc modo pro-
ponendo eis, quem magis colere et adorare vellent, homousion an Christum. Illisque
virtutem verbi, quid homousion significaret, ignorantibus velut in fastidium quoddam
et execrationem sermo deductus est, Christo se credere non homousio confirmantibus
[Les hommes rusés et habiles ont facilement trompé les évêques simples et incultes
des occidentaux, en leur demandant comme suit : Qui est-ce qu’il voulaient plutôt
honorer et adorer, le ‘homousion’ [i.e. « même substance »] ou le Christ ? Et,
puisqu’ils ignoraient le sens du mot, ce que ‘homousion’ signifiait, leur discours en
est venu presque au dégoût et à l’imprécation, quand ils confirmaient qu’ils
croyaient au Christ, et non pas au ‘homousion’]. Terminons avec l’exemple d’Augu-
stin lui-même, face aux critiques manichéennes de l’Ancient Testament : Quasi
acutule movebar, ut suffragarer stultis d e c e p t o r i b u s , cum a me quaererent, unde
Commentaire | 325

malum et utrum forma corporea Deus finiretur et haberet capillos et ungues et utrum
iusti existimandi essent qui haberent uxores multas simul et occiderent homines et
sacrificarent de animalibus [J’étais poussé, comme par un aiguillon, à m’accorder
avec ces m e n t e u r s stupides, quand ils me demandaient d’où venait le mal, et si
Dieu était limité par une forme corporelle, et s’il avait des cheveux et des ongles, et
si l’on devait considérer comme justes ceux qui avaient beaucoup de femmes en
même temps et qui tuaient des hommes et sacrifiaient des parties d’animaux] (conf.
3,12). Dans de telles conditions, le blasphémateur ignare est au fond justifié,
puisqu’il blasphème quodlibet vile et abiectum (14,3).
Mais, quand il reformule sa pensée en 14,6, Augustin ne nous permet plus de
penser aux hérétiques. L’imperitus n’y est plus le disciple, mais le maître, et l’Esprit
Saint n’est plus identifié comme étant vile et abiectum, mais comme étant le Christ,
décrit correctement selon les formules des symboles de la foi. MARA (L’interpre-
tazione, 237s.) identifie une allusion aux doctrines non orthodoxes sur la filiation de
l’Esprit. Il convient plutôt de constater la volonté d’Augustin de mener jusqu’au
bout sa réflexion sur la péricope de l’Évangile, même si sa conclusion, en limitant la
portée du blasphème contre Jésus, a de quoi choquer. En même temps, Augustin
répond implicitement à ceux qui voulaient définir le blasphème impardonnable en
termes d’erreurs christologiques (voir n. à 14,1, Le blasphème).
Mais, en précisant les informations fournies au deuxième blasphémateur, Au-
gustin expose, peut-être inconsciemment, un problème dans cette approche du
blasphème, qui est celui de la définition. Augustin avait commencé son exposé avec
aliquem latinae linguae ignarum (13,3), et il se sert souvent de la diversité des
langues pour rendre claire sa pensée sur la différence entre le signifiant et le signifié
(conf. 10,29 ; serm. 260C,2 ; 288,3 ; 293A(augm),7 ; catech. rud. 3 ; voir BA 11/2,
490s.). Mais, surtout en matière de religion, l’ignorance d’une langue est très loin
d’être la seule cause de l’incompréhension. On peut très bien connaitre le latin, et
ne pas du tout savoir ce que signifie Spiritus sanctus pour les chrétiens, tout comme
on peut comprendre tous les mots employés du Christ en 13,6, et rester très loin
d’une compréhension de la foi chrétienne en lui : Quaerentem quippe animam ubi
figat spem, cum ab hoc mundo avellitur, opportune excipit cognitio nominis Dei [Ps.
9,11]: nam nomen ipsum Dei usquequaque vulgatum est; sed cognitio nominis est, cum
ille cognoscitur cuius est nomen [En effet, quand l’âme cherche où placer son espoir,
quand elle est arrachée de ce monde, la connaissance du nom de Dieu l’accueille au
bon moment : car le nom même de Dieu est répandu partout ; mais la connaissance
du nom, c’est quand on connait celui à qui le nom appartient] (in psalm. 9,11).
Le langage occupe ici un rôle paradoxal. D’un côté, il est absolument incapable
de décrire Dieu de façon adéquate (voir n. à. 11,1s. et, bien avant Augustin, Nova-
tien, De Trinitate 4,10). De l’autre, il nous a été donné précisément pour parler de
Dieu : Diximusne aliquid et sonuimus aliquid dignum Deo? … ne ineffabilis quidem
dicendus est Deus, quia et hoc cum dicitur, aliquid dicitur … Et tamen Deus, cum de
illo nihil digne dici possit, admisit humanae vocis obsequium, et verbis nostris in laude
326 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

sua gaudere nos voluit. Nam inde est et quod dicitur ‘Deus’. Non enim revera in strepi-
tu istarum duarum syllabarum ipse cognoscitur, sed tamen omnes latinae linguae
socios, cum aures eorum sonus iste tetigerit, movet ad cogitandam excellentissimam
quandam inmortalemque naturam [Avons-nous dit quelque chose et prononcé
quelque chose digne de Dieu ? … On ne peut même pas dire que Dieu est indicible,
parce que même quand on dit cela, on dit quelque chose … Et pourtant Dieu, bien
que rien de digne ne puisse être dit de lui, a accepté l’hommage de la voix humaine,
et a voulu que nous nous réjouissions de nos propres mots, [employés] à sa louange.
Effectivement, c’est même pour cela qu’il est appelé ‘Dieu’ (Deus). Car il n’est pas
véritablement connu en lui-même par le bruit de ces deux syllabes, mais, néan-
moins, pour tous ceux qui ont part à la langue latine, quand ce son atteint leurs
oreilles, il les pousse à considérer une certaine nature au-dessus de tout et immor-
telle] (doctr. christ. 1,13s.).
Cette conception de excellentissimam quandam inmortalemque naturam n’est
pas ici réservée aux chrétiens, puisqu’elle appartient à omnes latinae linguae socios
(sur ce thème voir serm. 288,3 ; 293A (augm),7, et déjà Tertullien, apol. 27, et la n. ad
loc. dans l’édition de J. E. B. MAYOR et A. SOUTER, Cambridge 1917). Le langage ne
donne pas cette conception, mais l’évoque : elle est déjà à l’intérieur de tous les
hommes. Une idée similaire sur la locution Spiritus sanctus semble être impliquée
dans notre passage de l’Inchoata expositio. Mais comment fonctionnent ces proces-
sus d’évocation ? Et comment aller plus loin, s’instruire dans la foi chrétienne ?
Prima facie, cette instruction-là au moins doit passer par le langage.
Les deux questions ont une même réponse dans le De magistro : nous pouvons
apprendre / reconnaitre ce que sont les choses invisibles par les verba du langage
dans le mesure où le Verbum-Vérité, le Christ, à l’intérieur de nous agit pour nous en
rendre capable : Cum vero de his agitur quae mente conspicimus, id est intellectu
atque ratione, ea quidem loquimur quae praesentia contuemur in illa interiore luce
veritatis, qua ipse qui dicitur homo interior [2 Cor. 4,16] illustratur et fruitur. Sed tum
quoque noster auditor, si et ipse illa secreto ac simplici oculo [Mt. 6,22] videt, novit
quod dico sua contemplatione, non verbis meis. Ergo ne hunc quidem doceo vera
dicens, vera intuentem. Docetur enim non verbis meis, sed ipsis rebus, Deo intus pan-
dente, manifestis [Mais quand il s’agit de ce que nous percevons par l’esprit, c’est-à-
dire par l’intelligence et la raison, nous parlons de ce que nous voyons comme pré-
sent dans cette lumière intérieure de la vérité, par laquelle l’homme qui est dit ‘inté-
rieur’ est illuminé et se nourrit. Mais alors notre auditeur lui aussi, s’il voit de même
ces choses avec son œil secret et simple, il comprend ce que je dis par sa propre
contemplation, et non pas par mes paroles. Donc, même celui-là, je ne l’enseigne
pas, en disant la vérité alors qu’il voit la vérité. Il est enseigné, en effet, non pas par
mes paroles, mais par les choses elles-mêmes, rendues manifestes, puisque Dieu les
révèle à l’intérieur de lui] (mag. 40 ; pour l’analogie entre les deux Verbes, voir en
particulier fid. et symb. 3 ; pour la conciliation de cette vision avec l’Incarnation,
Commentaire | 327

voir n. à 4,1, nam simulacris ; 18,7, Corneille, et MAYER, Die Zeichen, t. 2, 203–278.
L’Incarnation est signe, et en fin de compte, tout l’univers créé est signe).
À ce stade, on se demande si le blasphème, tel qu’il est présenté dans notre pas-
sage de l’Inchoata expositio, est vraiment possible. Seul celui qui sait ce que signifie
Spiritus sanctus peut blasphémer contre l’Esprit. Mais un tel savoir, semble-t-il, ne
peut être acquis que par l’instruction du Christ, et ne peut donc être complet que
quand cette instruction l’est aussi. Or ceci ne pourra arriver que dans l’autre monde,
quand nous verrons Dieu face à face, et alors, évidemment, plus personne ne voudra
blasphémer.
Ce problème n’est pas pleinement abordé dans l’Inchoata expositio, mais il
trouve une sorte de résolution en 21,1s., où Augustin indique qu’une science par-
tielle est suffisante pour se rendre coupable du blasphème. Le problème fait partie
aussi de la question plus large du péché d’ignorance, sur laquelle voir n. à 16,2.
Du reste, tout ce passage sur blasphème et langage constitue une digression
dans l’Inchoata expositio, puisque, comme il l’a déjà signalé en 14,1, et comme il
l’expliquera en détail en 23,8–12 (voir n. ad loc.), pour Augustin ici, le blasphème
impardonnable contre l’Esprit Saint est tout autre chose que des paroles prononcées
à un moment donné.

14,6 filium hominis, sicut et vocari et esse dignatus est


La première exégèse augustinienne de filius hominis semble être celle de in Rom. 51 :
Dominum nostrum et secundum susceptionem carnis filium hominis confitemur, et
secundum aeternitatem verbum in principio Deum benedictum super omnes in saecula
[Rom. 9,5] [Nous confessons notre Seigneur à la fois, selon son assomption de la
chair, comme fils de l’homme, et, selon l’éternité, comme le Verbe-Dieu au com-
mencement, béni par-dessus tous pour les siècles [des siècles]]. Il comprend donc le
titre comme faisant référence à l’Incarnation, en contraste avec Filius Dei. Il restera
toujours fidèle à cette interprétation (voir AugLex s.v. filia / filius, II.2.c), qui est
celle de tous les Pères, depuis Ignace d’Antioche (voir TWNT s.v. ὁ υἱὸς τοῦ
ἀνθρώπου, D.III, et ajouter Origène, hom. in Ezech. 1,4, et, parmi les premiers té-
moignages de l’Église latine, Tertullien, adv. Prax. 21 : ‘quia filius hominis est’ [Io.
5,27] – per carnem scilicet, sicut et Filius Dei per Spiritum eius [‘parce qu’il est le fils
de l’homme’ – à savoir par la chair, tout comme [il est] aussi Fils de Dieu par
l’Esprit] ; ibid. 27 ; Novatien, trin. 11 : Qui legunt ergo hominis filium hominem Chris-
tum Iesum, legant eundem hunc et Deum et Dei Filium [Donc, ceux qui lisent que
l’homme Jésus Christ est le fils de l’homme, qu’ils lisent aussi que le même est et
Dieu et Fils de Dieu]). Cette doctrine orthodoxe s’était développée en contraste avec
les enseignements gnostiques, selon lesquels le Fils de l’Homme était une émana-
tion du monde immatériel, plus ou moins identifiée avec le Christ (voir F. H. BORSCH,
The Christian and Gnostic Son of Man, London 1970, 58–110). De même, la doctrine
augustinienne opposera le Fils de l’Homme incarné au Fils de l’Homme manichéen,
328 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

le Christ comme émanation du Premier Homme de leur cosmologie (voir c. Faust.


2,3s.).
Pour une réflexion plus détaillée, de l’époque de l’Inchoata expositio, sur le titre
« fils de l’homme », voir l’exégèse de Ps. 8,5 (Quid est homo, quia memor es eius; aut
filius hominis, quoniam tu visitas eum? [Qu’est-ce que l’homme, pour que tu te sou-
viennes de lui, ou le fils de l’homme, pour que tu lui rendes visite ?]) en in psalm.
8,10s. : Licet attendere atque dispicere, quid hoc loco inter hominem et filium hominis
distet, ut qui ‘portant imaginem terreni hominis’, qui non est filius hominis, hominum
nomine significentur; qui autem ‘portant imaginem caelestis hominis’ [1 Cor. 15,49] filii
hominum potius appellentur … Filius igitur hominis primo visitatus est in ipso homine
Dominico, nato ex Maria virgine [Faisons attention, et notons quelle est la différence
ici entre l’homme et le fils de l’homme. Ainsi, ceux qui ‘portent l’image de l’homme
terrestre’, qui n’est pas le fils de l’homme, sont indiqués sous le nom d’ ‘hommes’,
mais ceux qui ‘portent l’image de l’homme céleste’ sont plutôt appelés ‘fils des
hommes’ … La première visite a donc été rendue au fils de l’homme dans l’homme-
Seigneur lui-même, né de la vierge Marie]. Donc, non seulement le titre associe le
Christ à nous, mais il nous associe à lui. C’est ce qu’Augustin aime dire de façon
plus simple dans la prédication : in se, Filio Dei et filio hominis, filios Dei faciens filios
hominum [en lui-même, [qui est] Fils de Dieu et fils de l’homme, il transforme les fils
des hommes en fils de Dieu] (serm. 260C,6 . De même serm. 121,5 ; 263A,2).

15,2 pagani qui appellantur


Augustin présente paganus au sens de « païen » comme appartenant au langage
courant. En effet, cet emploi du mot n’apparait que dans la deuxième moitié du 4ème
siècle, sans que l’on en sache avec certitude l’origine, ni à l’époque, ni de nos jours.
Ambroise et Jérôme, généralement plus corrects qu’Augustin, ne s’en servent pas
(pour ces informations, voir ThLL s.v. paganus, II.1s., et, pour une mise au point, R.
LIZZI TESTA, When the Romans became pagani, dans : LIZZI TESTA (éd.), The Strange
Death of Pagan Rome, Turnhout 2013, 31–51).
Sur LLTA, on trouve environ 450 exemples du mot chez Augustin, toujours avec
le sens de « païen ». Il est très rare que, comme ici, il s’excuse de l’employer. La
remarque de l’Inchoata expositio est reprise en serm. 71,5 (ipsi qui p a g a n i appellan-
tur [ceux qui sont appelés ‘païens’]) et on trouve une locution similaire en civ. 9,19
(qui p a g a n i appellantur [qui sont appelés ‘païens’]). Ensuite, dans deux textes qui
font référence à civ., Augustin parle de infidelium, quos vel gentiles vel iam vulgo
usitato vocabulo p a g a n o s appellare consuevimus [les infidèles, que nous avons
coutume d’appeler soit ‘gentils’, soit ‘païens’, un mot déjà beaucoup employé dans
l’usage courant] (epist. 184A,5, repris en retract. 2,43). Mais, dans tous les autres
cas, il emploie le mot sans faire de remarque.
Néanmoins, Augustin a toujours senti cet emploi comme quelque peu abusif. En
effet, ThLL (loc. cit.) note qu’il s’en sert « maxime in sermonibus, ubi multo rarius
invenitur ‘gentilis’, quae vox in ceteris operibus praevalere videtur » [surtout dans
Commentaire | 329

les sermons, où l’on trouve bien moins souvent ‘gentil’, le mot qui semble dominer
dans les autres œuvres]. En effet, des 450 exemples mentionnés ci-dessus, 292 vien-
nent de la prédication (sermones + in psalm. + in euang. Ioh. + in epist. Ioh. ; mais il
est vrai que ni tout in psalm. ni tout in euang. Ioh. ne furent prêchés). De plus, 45
exemples viennent de c. Faust., où Augustin se sert du mot parce que Faustus l’avait
fait (c. Faust. 13,1 ; 20,1–4 ; 33,2 ; cf. n. à 22,1). Par contraste, dans la grande majorité
de ses écrits rédigés, Augustin n’emploie jamais paganus.

15,2 iam ferro et caedibus prohibentur


Pour l’évolution de la pensée augustinienne sur l’empire chrétien, voir MARKUS,
Saeculum, 29–44. Markus montre qu’à l’époque de l’Inchoata expositio Augustin a
partagé et développé le point de vue triomphaliste d’Eusèbe, et pensait donc que la
christianisation de l’empire marquait une étape importante dans l’accomplissement
du plan divin. Il s’est graduellement dégagé de cette lecture de l’histoire, pour en
arriver, dans civ., à sa vision complexe de la séparation entre civitas terrena [cité
terrestre] et civitas Dei [cité de Dieu].
Mais il ne s’ensuit pas que l’hostilité à l’empire chrétien qui éclata au sac de
Rome, et provoqua l’écriture de civ., eut de quoi surprendre Augustin. Au contraire,
même dans ses années d’optimisme sur cet empire, il a souvent affirmé que les
païens qui restaient n’avaient rien perdu de leur haine, que la bataille ferro et
caedibus des premiers siècles avait été remplacée par une bataille de mots. Voir,
dans ce sens in psalm. 6,12 : Quod autem dicit: ‘Erubescant et conturbentur’ [Ps.
6,11], non video quemadmodum evenire possit, nisi in illo die cum manifesta fuerint
iustorum praemia et supplicia peccatorum. Nam nunc usque adeo non erubescunt
impii, ut nobis insultare non desinant, et plerumque tantum valent irrisionibus suis, ut
infirmos homines de Christi nomine erubescere faciant [Mais quand il dit ‘qu’ils rou-
gissent et qu’ils se troublent’, je ne vois pas comment cela peut arriver, si ce n’est au
jour où seront manifestes les récompenses des justes et les supplices des pécheurs.
En effet, pour le moment, les impies sont si loin de rougir, qu’ils ne cessent de nous
insulter, et très souvent ils ont tant de succès avec leur moquerie, qu’ils font que les
hommes faibles rougissent du nom du Christ] ; in psalm. 10,4 : Potest ergo et de
persecutoribus martyrum intellegi, quod sagittare voluerint in obscura luna rectos
corde [Ps. 10,3], sive adhuc in ecclesiae novitate, quia nondum terris maior effulserat,
et gentilium superstitionum tenebras vicerat, sive linguis blasphemorum et christia-
num nomen male diffamantium, quasi nebulis cum terra obtegeretur videri perspicua
luna non poterat, id est ecclesia [On peut donc aussi comprendre cela des persécu-
teurs des martyrs, puisqu’ils voulaient tirer des flèches sous la lune obscure sur
ceux au cœur droit, que ce soit quand l’Église était encore nouvelle, puisqu’elle
n’avait pas encore grandi pour resplendir sur la terre, et n’avait pas vaincu les té-
nèbres des superstitions païennes, ou que ce soit à propos des langues des blas-
phémateurs, qui diffamaient méchamment le nom chrétien, quand la terre était
comme recouverte de brouillard, et la lune, c’est-à-dire l’Église, ne pouvait se voir
330 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

pleinement]; in Gal. 51 : Idolorum autem servitus [Gal. 5,20] ultima fornicatio est ani-
mae, propter quam etiam bellum adversus evangelium cum reconciliatis Deo furiosis-
simum gestum est, cuius reliquiae quamvis tepidae diu adhuc tamen recalent [Mais
l’idolâtrie est la fornication ultime de l’âme. C’est à cause d’elle, aussi, que l’on a
fait la guerre, avec une furie extrême, contre l’Évangile et les hommes réconciliés à
Dieu. Les restes de cette [guerre], bien qu’ils soient depuis longtemps tièdes, se
réchauffent toutefois encore]. Cette évaluation de l’attitude païenne n’a d’ailleurs
rien d’unique. Voir, par exemple, Rufin, Histoire ecclésiastique 11,22 (sur les vio-
lence anti-chrétiennes à Alexandrie sous Théodose) : Novi motus et contra temporum
fidem adversum ecclesiam concitantur … gentiles … nec vocibus iam et seditionibus, ut
solebant, sed manu ferroque decertare nituntur [De nouveaux mouvements, s’oppo-
sant à la foi de l’époque, s’élèvent contre l’Église … les gentils … ne tentent plus de
lutter avec des paroles et des séditions, selon leur habitude passée, mais avec leurs
mains et leurs épées] ; Prudence, Contra Symmachum 1,653s. : nostra fides saeclo
iam tuta quieto / viribus infestis hostilique arte petita est [Notre foi, déjà en sécurité
dans ce siècle tranquille, fut attaquée par des puissances ennemies et un stratagème
hostile]. Mais ce dernier texte, en faisant référence au discours de Symmache sur
l’autel de la Victoire, rappelle aussi que (fût-ce par prudence ou par ouverture
d’esprit) les réflexions païennes sur le christianisme ne comportaient pas forcément
toute la hargne que les chrétiens prétendaient y voir.
De même, quoi qu’il dise du discours anti-chrétien ambiant, ce n’est qu’après le
sac de Rome qu’Augustin a senti dans ce discours une menace assez vivante pour
exiger une réplique dans le genre apologétique, un texte ad et adversus nationes.
Avant civ., il a plutôt tendance à réduire l’importance du discours païen. C’est ainsi
que dans l’exposé de sa vision optimiste de l’empire dans cons. euang. 1, le propos
anti-chrétien est bien présent, mais l’accent est mis sur sa faiblesse : Christiana
religio disseminata per mundum tanta fertilitate provenit, ut homines infideles iam
inter se ipsos calumnias suas mussitare vix audeant, compressi fide gentium et om-
nium devotione populorum [La religion chrétienne, disséminée de par le monde, croît
si fertilement, que désormais les hommes infidèles osent à peine murmurer entre
eux leurs calomnies, écrasés par la foi des nations et la dévotion des tous les
peuples] (1,10) ; istis iam paucissimis nec iam obpugnantibus sed tamen adhuc mussi-
tantibus [ils sont déjà très peu nombreux, et déjà ils n’attaquent plus, bien qu’ils
murmurent encore] (1,24 ; voir aussi n. à 4,4). Et ailleurs il dira même que les héré-
tiques ont maintenant pris la relève des païens dans le rôle de persécuteurs de
l’Église : Prima enim persecutio ecclesiae violenta fuit, cum proscriptionibus, tormen-
tis, caedibus christiani ad sacrificandum cogerentur. Altera persecutio fraudulenta
est, quae nunc per huiuscemodi haereticos et falsos fratres agitur [En effet, la pre-
mière persécution de l’Église fut violente, quand, par la proscription, les tortures,
les tueries, on forçait les chrétiens à sacrifier. La seconde persécution est menson-
gère, celle qui, de nos jours, est menée par ce genre d’hérétiques et par les faux
frères] (in psalm. 9,27) ; non debemus nos christiani et episcopi unitatem disrumpere
Commentaire | 331

christianam, quam iam paganus non insequitur inimicus [Nous les chrétiens et les
évêques, nous ne devons pas rompre l’unité chrétienne, que l’ennemi païen, déjà,
n’attaque plus] (epist. 43,8). Mais il faut ici faire la part de la polémique : il est dou-
teux qu’Augustin ait jamais cru que les païens pouvaient disparaitre entièrement
(voir quaest. euang. 2,13 : Quod autem in stagnum praecipitati sunt [sc. les porcs de
Lc. 8,33], significat quod iam clarificata ecclesia et liberato populo gentium a domina-
tione daemoniorum in abditis agunt sacrilegos ritus suos qui Christo credere noluerunt
[Qu’ils se sont jetés dans le lac, cela signifie qu’après la glorification de l’Église et la
libération du peuple païen de la domination des démons, ceux qui n’ont pas voulu
croire au Christ pratiquent dans le secret leurs rites sacrilèges]).

15,3 de ipso Deo Patre


La distinction établie place d’un côté des croyances fortement polythéistes, où l’on
retrouverait difficilement un parallèle avec le Dieu suprême des chrétiens : Si dixero
pagano ‘Ubi est deus tuus?’ ostendet mihi idola. Si fregero idolum, ostendet montem,
ostendet arborem, ostendet vilem de flumine lapidem … ‘Ecce’, inquit digitum inten-
dens, ‘ecce est deus meus’. Cum irrisero lapidem, cum abstulero, cum fregero, cum
proiecero, cum contempsero, intendit digitum ad solem, ad lunam, intendit ad quam-
libet stellam: illam vocat Saturnum, illam Mercurium, illam Iovem, illam Venerem.
Quicquid voluerit, quocumque digitum intenderit, respondet mihi: ‘Ecce est deus
meus’. Et quia video solem, et frangere non possum, sidera non possum deicere, cae-
lum non possum evertere, quasi superior sibi videtur visibilia demonstrando, et di-
gitum extendendo ad quod voluerit, et dicendo: ‘Ecce est deus meus’. Et ad me se
convertit dicens: ‘Ubi est deus tuus?’ [Si je dis à un païen ‘Où est ton dieu ?’ il me
montrera des idoles. Si je brise l’idole, il montrera une montagne, il montrera un
arbre, il montrera la pierre vile d’un fleuve … ‘Voilà’, dit-il, pointant du doigt, ‘voilà
mon dieu’. Quand je me serai moqué de la pierre, quand je l’ aurai enlevée, quand je
l’aurai brisée, quand je l’aurai jetée au loin, quand je l’aurai méprisée, il pointera du
doigt vers le soleil, vers la lune, il pointera vers une étoile quelconque : celle-là, il
l’appellera Saturne, celle-là Mercure, celle-là Jupiter, celle-là Vénus. Quoi qu’il
veuille, où qu’il pointe du doigt, il me répond : ‘Voilà mon dieu’. Et, parce que je
vois le soleil et je ne peux pas le briser, je ne peux pas jeter à bas les étoiles, je ne
peux pas renverser le ciel, il lui semblera qu’il est [m’]est supérieur quand il montre
des choses visibles, et quand il pointe du doigt vers ce qu’il veut, et quand il dit :
‘Voilà mon dieu’. Et il se tourne vers moi en disant : ‘Où est ton Dieu ?’] (serm.
223A,4). De l’autre côté, il faut placer des croyances plus liées à la philosophie, qui
organisaient la multiplicité des dieux sous le règne d’un dieu suprême, et qui per-
mettaient ainsi une controverse avec les chrétiens sur base de présupposés simi-
laires, sinon identiques : Unde etiam nunc pagani, quos iam declarata veritas de
contumacia magis quam de ignorantia convincit, cum a nobis discutiuntur, non se
plures deos sequi sed sub uno deo magno plures ministros venerari fatentur [Ainsi,
même de nos jours, les païens – que la vérité, déjà révélée, convainc plus
332 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

d’obstination que d’ignorance – quand ils sont interrogés par nous, professent
qu’ils n’honorent pas plusieurs dieux, mais qu’ils vénèrent plusieurs ministres sous
un seul grand dieu] (Orose, hist. 6,1,3 ; cf. Prudence, Apotheosis 186–216). Pour ces
croyances, voir Der Neue Pauly s.v. Monotheismus, IV, et pour la réaction, large-
ment négative, d’Augustin, voir n. à 4,1, ‘les prophètes’ (c), et tout les livres 9 et 10
de civ.
Ce polythéisme hiérarchique pouvait donner le titre de « père » au Dieu su-
prême, puisque ce titre appartenait déjà traditionnellement, et notamment chez les
poètes, à Zeus / Jupiter (voir RE s.v. pater, 1), ce que n’ont pas manqué de noter
certains des premiers apologistes : voir Justin Martyr, Apol. 1,22 ; Minucius Felix 19,
avec les commentaires d’A. WARTELLE (Paris 1987) et J. BEAUJEU (Paris 1964) ad loc.
respectivement (mais le renvoi de ces auteurs à Clément d’Alexandrie, Protreptique
32 est trompeur, puisque Clément ironise sur le titre πατὴρ ἀνδρῶν τε θεῶν τε [père
et des hommes et des dieux] que Justin et Minucius voudraient assimiler au Dieu
chrétien). Pour le début de la rencontre des Pères avec les idées païennes d’un dieu
suprême, voir MORESCHINI, Storia, 29–37 et N. ZEEGERS-VANDER VORST, Les citations de
poètes grecs chez les apologistes chrétiens du IIème siècle, Louvain 1972, 230–239.
L’érudition moderne tend à donner raison au scepticisme d’Augustin : « radikaler
Monotheismus war der paganen Antike fremd » (Der Neue Pauly s.v. Monotheismus,
IV ; voir aussi A. J. FESTUGIÈRE, Études de religion grecque et hellénistique, Paris
1972, 9–12).

15,3 fingendo … sua figmenta


Ces mots recouvrent les mêmes notions augustiniennes que phantasmata, dont
nous avons discuté n. à 4,1, nam simulacris : fingo désigne d’abord ce que fabriquent
les mains, donc l’idole, puis ce que fabrique l’esprit (→ français « fiction »), donc la
fausse croyance. De plus, dès l’époque classique, fingere est très fréquemment em-
ployé pour désigner les « fictions » des poètes, et plus particulièrement leurs inven-
tions à propos des dieux, qui entrent particulièrement en jeu ici (voir n. précédente).
Voir les nombreux exemples à ThLL s.v. fingere, II.C, et en particulier Cicéron, Tus-
culanes 1,65, cité à conf. 1,25 ; civ. 4,26 : F i n g e b a t haec Homerus et humana ad
deos transferebat: divina mallem ad nos [Homère i n v e n t a i t ces choses, et transfé-
rait les traits humains aux dieux : j’aurais préféré qu’il transférât les traits divins à
nous].
La fausse image du Père est bien entendu à contraster avec la seule voie qui
conduit à la vraie connaissance de lui, le Christ : per ipsum Patrem Deum (13,4).

15,3 quanto possunt furore impietatis oblatrant


Augustin, se concevant toujours, sur le modèle de Paul (voir. n. à 6,1, tamquam enim
meritis), comme ayant été lui-même ennemi du christianisme, avait usé de termes
similaires pour parler de son propre passé : Ego itaque diu multumque considerans
quales oblatrantes, et quales quaerentes expertus sim, vel qualis ipse, sive cum latra-
Commentaire | 333

rem, sive cum quaererem, fuerim … [Donc, ayant moi-même considéré longuement et
beaucoup quel genre d’aboyeurs et quel genre de chercheurs j’avais rencontrés, et
quel genre d’homme je fus moi-même, quand j’aboyais, ou quand je cherchais … ]
(vera relig. 56).

15,4 summoque et vero imperatori militandum


L’image de la vie chrétienne comme service et combat militaires, qui a ses racines
chez Paul, est omniprésente dans le christianisme antique, dans un univers où la
guerre était une réalité inéluctable. Voir J.-M. HORNUS, tr. A. KREIDER et O. COBURN, It
Is Not Lawful for Me to Fight, Scottdale PA 1980, 68–80 ; pour l’arrière-plan philo-
sophique, H. EDMONDS, Geistlicher Kriegsdienst, Darmstadt 1963 ; pour imperator
comme titre du Christ / de Dieu, ThLL s.v. III.B.b ; Blaise s.v. 2–3 ; H. CANCIK, Chris-
tus Imperator, dans : H. VON STIETENCRON (éd.), Der Name Gottes, Düsseldorf 1975,
112–130. Pour l’image militaire chez Augustin, voir AugLex s.v. miles, 3 ; militia
christiana, mais surtout POQUE, Le langage, 37–68. Cette étude méticuleuse éclaire le
choix de cette image ici : l’enrôlement pour le service militaire correspond au bap-
tême (40–47), dont Augustin va justement parler (invitamus ad fidem ; voir n. sui-
vante). L’évocation de l’imperator rappelle l’expression character imperatoris
[marque de l’empereur] (43–46), une de celles employées par Augustin pour la fi-
gure du baptême comme marque (tatouage vel sim.) du soldat : « De même que le
character militiae est, au sens propre, la formule matricule imprimée sur la peau du
soldat, et contient en ses signes abrégés le nom du chef auquel il est lié par serment,
le character du chrétien est le nom trinitaire imprimé symboliquement en son âme
par la triple interrogation baptismale et auquel il est lié par le sacramentum fidei »
(43). Noter le lien avec la foi trinitaire, dont l’absence chez les païens est le thème de
13,2–4.
POQUE (Le langage, 38) maintient aussi que « par nature, Augustin devait être a
priori peu enclin à employer le vocabulaire et le symbolisme d’un métier qu’il
n’avait jamais exercé, qui ne jouissait à ses yeux d’aucun prestige », et on ajoutera
aux textes qu’elle cite sur ce front Possidius, Vita Augustini 27 : Servandum quoque
in vita et moribus hominis Dei referebat, quod instituto sanctae memoriae Ambrosii
compererat, ut uxorem cuiquam numquam posceret, neque militare volentem ad hoc
commendaret …. ne militiae commendatus ac male agens, eius culpa suffragatori
tribueretur [Il disait aussi qu’un homme de Dieu devait conserver dans sa vie et ses
mœurs ce qu’il avait appris par l’enseignement d’Ambroise, d’heureuse mémoire :
de ne jamais demander une femme pour quelqu’un, et, pour celui qui voulait se
faire soldat, de ne pas le recommander pour cela … pour éviter que, si quelqu’un qui
avait été recommandé à l’armée agissait mal, sa faute ne fût imputée à son recom-
mandeur]. Mais il n’en reste pas moins que les images militaires reviennent très
souvent dans la bouche d’Augustin. Au lecteur de décider si « on peut y déceler un
trait de caractère, une constante du tempérament » (POQUE, Le langage, 66). Ici on
constate en tout cas un rappel de l’héroïsme des martyrs, puisque Augustin vient
334 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

(15,2) de parler des persécutions, et que martyr et soldat étaient très souvent assimi-
lés chez les Pères (voir J. FONTAINE [éd.], Ambroise de Milan : Hymnes, Paris 1992,
53s.).

15,4 promissa impunitate praeteritorum omnium peccatorum


Pour ce thème dans une allocution au catéchumènes, voir serm. 352,2 : Ament fieri
quod non sunt, oderint quod fuerunt. Novum hominem nasciturum iam voto conci-
piant: quidquid de vita praeterita remordebat, quidquid angebat conscientiam, quid-
quid omnino vel magnum vel parvum, vel dicendum vel non dicendum, non dubitent
posse dimitti, ne forte quod vult dimittere Dei miseratio, contra se teneat humana
dubitatio [Qu’ils aiment devenir ce qu’ils ne sont pas ; qu’ils haïssent ce qu’ils ont
été. Qu’ils conçoivent déjà par leurs vœux le nouvel homme qui va naitre : tout ce
qui, dans leur vie passée, leur causait du remords, tout ce qui opprimait leur cons-
cience, absolument tout, petit ou grand, dicible ou indicible, qu’ils ne doutent pas
que cela peut être pardonné, à moins que, ce que la miséricorde de Dieu veut par-
donner, le doute humain veuille peut-être le retenir contre soi-même]. Et comparer
les vers inscrits au baptistère du Latran, et attribués à Sixte III : Mergere, peccator,
sacro purgande fluento. / Quem veterem accipiet, proferet unda novum. / Nulla renas-
centum est distantia, quos facit unum / unus fons, unus spiritus, una fides … Nec nu-
merus quenquam scelerum nec forma suorum / terreat. Hoc natus flumine sanctus erit
[Plonge-toi, pécheur qui attends la purification, dans le courant sacré. Du vieil
homme qu’elle recevra, l’eau fera sortir l’homme nouveau. Il n’y a aucune différence
parmi ceux qui renaissent, ceux qu’unissent une seule source, un seul esprit, une
seule foi … Que le nombre ou la forme de ses péchés ne fasse peur à personne. Celui
qui nait de ce fleuve sera saint] (ILCV 153).

15,5 Iudaei vero


En reprenant le cas des Juifs en serm. 71,5, Augustin fournit plus de détails. Il dis-
tingue entre le blasphème contre l’Esprit Saint des Sadducéens (Spiritum negabant
[ils niaient l’Esprit]) et celui des pharisiens (esse in Domino Iesu Christo negabant [ils
niaent que [l’Esprit] était dans le Seigneur Jésus Christ]), rapprochant ainsi son ana-
lyse des Juifs de celle des hérétiques dans l’Inchoata expositio (15,13s.). Et surtout, il
précise que le blasphème des Juifs dans le Nouveau Testament se renouvelle conti-
nuellement : Nonne usque adhuc verbum contra Spiritum sanctum loquuntur, sic eum
negantes esse in christianis, sicut illi in Christo esse negaverunt? [N’est-ce pas que,
jusqu’à nos jours, ils parlent contre l’Esprit Saint, niant qu’il est dans les chrétiens
de la même façon que ceux-là ont nié qu’il était dans le Christ ?]

15,6 etiam Paulus apostolus


Cette réflexion sur Paul pénitent est en partie inspirée par le De paenitentia d’Am-
broise (voir n. à 18,2) : Paulus enim, qui lapidantium Stephanum vestimenta servabat,
non multo postea per gratiam Christi factus apostolus est, qui fuerat persecutor [En
Commentaire | 335

effet, Paul, qui gardait les vêtements de ceux qui lapidaient Étienne, peu de temps
après, par la grâce du Christ, est devenu apôtre, lui qui avait été persécuteur] (1,47).
Elle sera développée dans quaest. Simpl. 1,2,22, où Paul deviendra un des types
bibliques du salut donné en dehors de tout mérite : Restat ergo ut voluntates eligan-
tur. Sed voluntas ipsa, nisi aliquid occurrerit quod delectet atque invitet animum,
moveri nullo modo potest. Hoc autem ut occurrat, non est in hominis potestate. Quid
volebat Saulus nisi invadere, trahere, vincire, necare christianos? Quam rabida volun-
tas, quam furiosa, quam caeca! Qui tamen una desuper voce prostratus occurrente
utique tali viso, quo mens illa et voluntas refracta saevitia retorqueretur et corrigeretur
ad fidem, repente ex evangelii mirabili persecutore mirabilior praedicator effectus est
[Il reste donc que ce soient les volontés qui sont choisies. Mais la volonté elle-même,
à moins que quelque chose ne se présente qui puisse attirer et engager l’esprit, ne
peut nullement être mise en mouvement. Or, que cela arrive ne dépend pas de la
puissance humaine. Que voulait Saul, sinon attaquer, traîner, enchainer, tuer les
chrétiens ? Une volonté combien enragée, combien furieuse, combien aveugle !
Mais, renversé par une seule parole venant d’en haut – avec surtout l’apparition
d’une vision par laquelle cet esprit et cette volonté pouvaient être détraqués, leur
violence brisée, et redirigés vers la foi – soudainement le prodigieux persécuteur de
l’Évangile est devenu son prédicateur encore plus prodigieux]. Voir aussi n. à
21,4.5.7.

15,6 erat in manibus illorum


L’expression est hardie, mais il faut l’accepter, comme le montrent de nombreux
parallèles (voir CSEL 101, 168s.181s. et l’exemple cité infra, n. à 21,5). Pour
l’explication, voir un passage de Césaire d’Arles, qui doit se fonder sur un sermon
perdu d’Augustin : Paulus apostolus prius sceleratus erat, inimicus christianorum:
rapiebat, vastabat, saeviebat. Ibi erat, quando lapidatus est martyr Stephanus. Parum
illi erant manus suae, manibus omnium lapidabat, quia, ut illi non impedirentur ves-
timentis suis, sed liberis manibus saxa proicerent, omnium vestimenta servabat [Act.
7,58] [L’apôtre Paul était auparavant un scélérat, un ennemi des chrétiens : il ravis-
sait, il détruisait, il enrageait. Il était là, quand le martyr Étienne fut lapidé. Ses
propres mains ne lui suffisaient pas : il lapidait avec les mains de tous, puisque,
pour qu’ils ne furent pas empêchés par leurs vêtements, mais qu’il eurent les mains
libres pour jeter les pierres, il gardait les vêtements de tous] (serm. 38,3 [SChr 243]).
Cette idée est peut-être influencée par la langue courante : Solent et homines dicere
manus suas esse alios homines, per quos faciunt quod volunt [Les hommes ont aussi
la coutume d’appeler leurs ‘mains’ les autres hommes par l’entremise desquels ils
font ce qu’ils veulent] (in euang. Ioh. 48,7, relevé par BARTELINK, Einige Bemerkun-
gen, 199).
336 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

15,6 sibi postea etiam paenitendo increpitat


Augustin reprend implicitement sa réflexion de de serm. dom. 1,77 : Intuere aposto-
lum Paulum. Nonne tibi videtur in se ipso Stephanum martyrem vindicare, cum dicit:
‘Non sic pugno tamquam aerem caedens, sed castigo corpus meum et servituti subicio’
[1 Cor. 9,26s.]? Nam hoc in se utique prosternebat et debilitabat et victum ordinabat,
unde Stephanum ceterosque christianos fuerat persecutus [Regarde l’apôtre Paul. Ne
te semble-t-il pas qu’il venge en lui-même le martyr Étienne, quand il dit : ‘Je ne
combats pas comme si je frappais l’air, mais je châtie mon corps et le soumets à la
servitude’ ? En effet, avant tout, ce qu’en lui-même il terrassait et affaiblissait et
vainquait, pour le ranger à sa place, c’est ce par quoi il avait persécuté Étienne et les
autres chrétiens]. Mais il doit penser aussi à Act. 22,20.
Paul est ici le seul exemple d’un Juif qui se soit converti après avoir rejeté le
Christ, mais voir 21,3 et n. ad loc. (sicut etiam). Il sera évoqué de nouveau dans le
même sens en 21,4s.

15,7 Quid Samaritani ? … ipsam prophetiam penitus conentur exstinguere


RING (n. à 15,7) cherche à déterminer ce qu’Augustin entend par cette affirmation sur
les Samaritains, Il tente d’abord d’y voir une référence à Am. 7,12s., mais note qu’il
est impossible de montrer qu’Augustin connaissait ce texte à l’époque de l’Inchoata
expositio. Il propose donc, sur la base de in euang. Ioh. 15,21, qu’Augustin veuille
indiquer que les Samaritains acceptaient seulement la loi de Moïse, et non pas les
livres prophétiques de l’Ancien Testament (ce qui est exact). Cette hypothèse est en
effet étayée par des informations qui circulaient en latin sur la figure très obscure du
prophète samaritain Dosithée (sur lequel, voir EAC s.v. Dositheus) : Dositheum …
Samaritanum, qui primus ausus est prophetas quasi non in Spiritu sancto locutos
repudiare [Dosithée … le Samaritain, qui le premier a osé répudier les prophètes,
comme s’ils ne parlaient pas dans l’Esprit Saint] (Ps.-Tert. haer. 1 [CCSL 2, 1401]) ;
Dositheus, Samaritanorum princeps, prophetas repudiavit [Dosithée, le chef des Sa-
maritains, a répudié les prophètes] (Hier. c. Lucif. 23). Dosithée passe aussi dans
certaines traditions pour le maître de Simon le Magicien, dont Augustin va immédia-
tement parler.
Pour l’attitude générale d’Augustin envers les Samaritains, voir n. à 13,3–6, et
RING, loc. cit. Il est remarquable qu’il les inclue ici, modifiant ainsi la division du
monde en païens, Juifs et chrétiens, traditionnelle depuis Aristide (Apologie 2) et
très fréquente chez Augustin. C’est bien cette division que l’on retrouve en serm.
71,5 : Augustin considérait-il le cas des Samaritains comme trop complexe pour la
prédication ?

15,10 Simonem quoque magum


L’évocation de Simon le Magicien vient de la polémique avec les Novatianistes.
Ambroise, que suit Augustin (voir n. à 18,2), le cite dans ce contexte comme exemple
d’un blasphémateur contre l’Esprit Saint, mais conclut néanmoins : et tamen non
Commentaire | 337

interclusit [sc. Pierre] ei spem veniae, quem invitavit ad paenitentiam [et pourtant il
ne coupa pas l’espoir du pardon à celui qu’il invita à la pénitence] (paen. 2,23 ; voir
déjà Origène, Philoc. 27,8). Mais les Novatianistes répondaient qu’en lui disant si
f o r t e remittatur tibi (εἰ ἄ ρ α ἀφεθήσεταί σοι [si peut-être il te sera pardonné], Act.
8,22), Paul indiquait tacitement (dubium ei dedit responsum [il lui donna une ré-
ponse ambiguë]) à Simon qu’aucun pardon ecclésiastique ne lui était possible (Am-
brosiaster = Ps.-Aug. quaest. test. 102,24 [CSEL 50]).

15,11 haeretico vel schismatico


Augustin continue à suivre Ambroise (voir n. à 18,2), qui passe directement de Si-
mon le Magicien aux haereticos et schismaticos [hérétiques et schismatiques] (paen.
2,24). Bien qu’il les nomme de nouveau en 22,1, Augustin n’a rien de précis à dire sur
les schismatiques dans l’Inchoata expositio. Il comblera cette lacune avec un long
exposé en serm. 71,30.

15,12 ad ubera sua


Comme bien d’autres Pères, Augustin exploite l’image des seins de l’Église de mul-
tiples façons, mais – fait difficilement explicable – il ne l’associe aux hérétiques que
dans des écrits d’avant l’épiscopat : quasi vagientes ecclesiae catholicae u b e r a
sustentant, si ab haereticis non fuerint depraedati [les s e i n s de l’Église catholique
les nourrissent comme des [enfants] vagissants, s’ils n’ont pas été capturés par les
hérétiques] (mor. eccl. 10, sur les Manichéens) ; ut ecclesiae catholicae baptismum
non iteres, sed adprobes potius tamquam unius verissimae matris, quae omnibus
gentibus et regenerandis praebet sinum et regeneratis u b e r a infundit [que tu ne ré-
pètes pas le baptême de l’Église catholique, mais que tu l’approuves plutôt, comme
celle de la seule vraie mère, qui offre sa poitrine à tous les peuples, et à tous ceux
destinés à renaitre, et verse [le lait de] ses s e i n s à ceux qui sont renés] (epist. 23,4, à
un évêque donatiste) ; ab unius ecclesiae verae matris u b e r i b u s nos avertere atque
abripere moliuntur, affirmantes quod apud ipsos sit Christus [Ils tentent de nous dé-
tourner et de nous arracher des s e i n s de l’Église unique, la vraie mère, en affirmant
que le Christ est chez eux] (in psalm. 10,1, sur les hérétiques en général). Une fois, il
l’applique dans le même contexte et à la même époque à lui-même (voir. n. à 6,1,
tamquam enim meritis), avec beaucoup d’imagination : nunc u b e r a , post longissi-
mam sitim pene exhaustus atque aridus, tota aviditate repetivi, eaque altius flens et
gemens concussi et expressi, ut id manaret quod mihi sic affecto ad recreationem satis
esse posset, et ad spem reducendam vitae ac salutis [presque à bout et desséché
après une si longue soif, je me retournai tout avide vers ses s e i n s , et, pleurant et
gémissant profondément, je les battis et les pressai, pour qu’en jaillisse ce qui pou-
vait suffire à me rafraichir quand j’étais ainsi affligé, et à ramener l’espoir de la vie
et du salut] (util. cred. 2). On s’attendrait à voir l’image réapparaitre dans la langue
émotionnelle des Confessions, mais les seins n’y figurent qu’au sens propre, quand
338 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

Augustin parle de son enfance (conf. 1,7.11). Pour l’Église-mère en général chez
Augustin, voir MAYER, Augustins Lehre, 46s.
En serm. 71,6, Augustin renforce son argument sur la nécessité de pardonner les
blasphèmes contre l’Esprit Saint commis en dehors de l’Église, en demandant si,
dans le cas contraire : Illi soli existimandi sunt ab huius gravissimi peccati reatu libe-
rari, qui ex infantia sunt catholici ? Nam quicumque verbo Dei crediderunt, ut catholici
fierent, utique aut ex paganis, aut ex Iudaeis, aut ex haereticis in gratiam Christi pa-
cemque venerunt. Quibus si non est dimissum quod dixerunt verbum contra Spiritum
sanctum, inaniter promittitur et praedicatur hominibus, ut convertantur ad Deum, et
sive in baptismo sive in ecclesiae pace remissionem accipiant peccatorum [Faut-il
croire que seuls sont libres de la culpabilité de ce péché le plus grave ceux qui sont
catholiques depuis l’enfance ? Car tous ceux qui ont cru à la parole de Dieu, pour
devenir catholiques, sont évidemment venus soit des païens, soit des Juifs, soit des
hérétiques, [pour entrer] dans la grâce et la paix du Christ. Si la parole qu’ils ont dite
contre l’Esprit Saint ne leur est pas pardonnée, c’est en vain que l’on promet et que
l’on prêche aux hommes, pour qu’ils se convertissent à Dieu et reçoivent, soit dans
le baptême soit dans la paix de l’Église, la rémission de leurs péchés]. Comme dans
l’Inchoata expositio, il ne combat pas une position réelle : il s’agit d’une réduction à
l’absurde.

15,12 de principibus vel de gregibus haereticorum


En util. cred. 1 (adressé à un Manichéen) Augustin est de fait plutôt pessimiste sur
les principes : Si mihi, Honorate, unum atque idem videretur esse, haereticus, et cre-
dens haereticis homo, tam lingua quam stilo in hac causa conquiescendum mihi esse
arbitrarer [S’il me semblait, Honorat, qu’être hérétique et être un homme qui mettait
sa foi dans les hérétiques, c’était la même chose, je serais d’avis qu’en cette affaire je
ferais mieux de faire taire et ma langue et mon style] (cf. aussi 3 : de illis non nimis
aestuo [pour ceux-là, je ne me donne pas trop de mal]). Et il est également pessi-
miste en in psalm. 7,7 sur le nombre de chrétiens qui pourront conserver une foi ab
omnium pravarum opinionum labe purgata [purifiée de la tache de toute croyance
vicieuse], c’est-à-dire rester de vrais catholiques, dignes du salut. Mais, pour Augus-
tin, la capacité de Dieu à pardonner à tous les pénitents n’a hélas jamais conduit à
la conclusion que beaucoup d’hommes seraient sauvés.

15,12 eum vero qui adversus Spiritum sanctum multa fecerit


Un problème sous-jacent dans cette partie de l’Inchoata expositio est de savoir si le
blasphème contre l’Esprit Saint est un blasphème au sens littéral, c’est-à-dire des
paroles blasphématoires (voir n. à 14,2–8). Puisque Augustin a déjà donné sa défini-
tion de ce blasphème en 14,1, nous savons que sa propre réponse est négative, et il
va s’expliquer sur ce point en 23,8–12. Mais, parmi les identifications catholiques
traditionnelles du blasphème (voir n. à 14,1, Le blasphème), celle qui l’associait aux
Juifs dans l’Évangile y voyait un péché en paroles, et Augustin fera une concession à
Commentaire | 339

ce point de vue en 21,1s. (voir n. ad loc.). Ensuite, la réponse traditionnelle par


l’hérésie faisait du blasphème tout un enseignement, plutôt que des mots prononcés
à un seul moment. Mais cette réponse – du moins en théorie – n’incluait que les
doctrines hérétiques qui comportaient un faux enseignement sur l’Esprit, ce
qu’Augustin présente comme absurde (tam perverse, 15,12), mais qu’il admettra ex
hypothesi (sed si de verbis quaestio est, 15,13) en 15,13–16. La troisième réponse,
qui identifiait le blasphème avec un péché grave des baptisés, supposait déjà qu’il
s’agissait d’actes et non de paroles. En la réfutant, Augustin partira tout de même de
la thèse qu’il pourrait s’agir de paroles blasphématoires prononcées par les baptisés
(16,1.5), ce qu’il va écarter (16,3.6), pour se concentrer sur les actes (16,7–19), et
revenir aux paroles en 20,1–21,2.

15,13–16 Les hérétiques qui blasphèment explicitement contre l’Esprit Saint


Augustin différencie cinq sectes aux enseignements blasphématoires, mais sans les
nommer. Cette stratégie, que l’on retrouve ailleurs (e.g. fid. et symb. 2 ; serm. 2,2 ;
agon. 16–34 ; Zénon de Vérone, serm. 2,8) sert à la fois à présenter leur erreur
comme la nature essentielle de chaque secte, et à centrer la discussion sur l’erreur
même, où qu’elle se trouve (voir n. à 4,4). Tous ceux qui croient, par exemple, que le
Fils est moindre que le Père sont des hérétiques, qu’ils se fassent appeler « Ariens »
ou pas.
Mais Augustin s’attendait néanmoins à ce que l’on puisse donner des noms aux
cinq alii évoqués, et leur identification, en effet, ne pose pas problème. Elle a déjà
été faite correctement en marge de l’édition Mauriste : Sabelliani (quod ad ipsum
proprie pertinet, omnino non esse asseverent, 15,13), Ariani (aequalem Filio, vel
omnino esse Deum negent, 15,14), Manichaei (de ipsa divina substantia tam im-
pie sentiant, 15,14), Cataphryges (adventum eius, quem tenemus, negent, 15,15),
Donatistae (sacramenta eius exsufflent, 15,15).
Pour la bibliographie voir MARA, L’interpretazione, 237–241, et pour les paral-
lèles avec haer. voir RING, n. à 15,15. Quelques remarques supplémentaires :
S a b e l l i a n i : Quand il reprend son argument sur les hérétiques et le blasphème
contre l’Esprit Saint dans serm. 71 et epist. 185, Augustin ne laisse plus les sectes
visées dans l’anonymat. Dans le sermon, il appelle les « Monarchianistes » Sabellia-
ni, quos quidam Patripassianos vocant [les Sabelliens, que certains appellent Patri-
passianistes [i.e. croyant que le Père souffre]] (serm. 71,5). En epist. 185,42, ils sont
représentés par Photinianus, qui eius [sc. Spiritus sancti] omnino negat aliquam esse
substantiam [Photi(nia)nus, qui nie absolument qu’il a une substance quelconque]
(sur Photinus, voir n. à 4,4). Il n’y avait à vrai dire plus aucune secte monarchianiste
qui menaçait l’Église d’Occident au temps d’Augustin (voir EAC s.v. Monarchians –
Monarchianism, et n. à 4,4 pour ces anachronismes), mais la simplification du mo-
narchianisme restait une tentation permanente face aux difficultés de la foi trini-
taire : « Alongside these radical forms of monarchianism, but not to be confused
with them, a more generic monarchianism existed. It intensely affirmed monothe-
340 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

ism, and was charaterized by [the] suspicion and aversion to the theology of the
Logos » (EAC, loc. cit.). Dès avant l’épiscopat, Augustin combat cette tendance dans
des ouvrages qui visent exclusivement les fidèles : voir in psalm. 5,3 ; gen. ad litt.
imperf. 60, et surtout fid. et symb. 16s. (le problème est bien entendu repris dans
trin. 1,7 ; 5,10). Voir aussi Prudence, Apotheosis, où les deux premières sections sont
consacrées à la réfutation de croyances monarchianistes, la première intitulée Con-
tra heresim quae Patrem passum adfirmat [contre l’hérésie qui affirme que le Père a
souffert], la seconde Contra Unionitas [contre les Unionites], et commençant (178) :
Cede, profanator Christi, iam cede, Sabelli [Va t-en, profanateur du Christ, va t’en
maintenant, Sabellius].
A r i a n i : En serm. 71,5 ils sont dits Arriani et Eunomiani et Macedoniani [Ariens
et Eunoméens et Macédoniens], et de même en epist. 185,42. On ne refera pas
l’histoire des combats sur l’Esprit Saint entre Ariens, Catholiques et autres. Mais
notons qu’Eunomius et Macédonius restent actifs du vivant d’Augustin, et qu’au
4ème siècle, l’Église arienne était encore destinée à un long avenir. Il y a donc là une
controverse tout à fait d’actualité, et à laquelle l’apport d’Augustin sera considé-
rable (voir AugLex s.v. Arriani, Arrius).
M a n i c h a e i : Les Manichéens ne figurent plus dans serm. 71 et epist. 185. Au-
gustin n’a pourtant jamais cessé de les voir comme des blasphémateurs, et en 428,
en haer. 46,16, il répète encore que Mani prétendait que l’Esprit Saint avait été en-
voyé en lui. Mais Augustin s’est beaucoup moins consacré à la polémique anti-
manichéenne après les vingt premières années de son activité littéraire (voir FITZGE-
RALD, Augustine s.v. Anti-Manichean Works), sans doute en partie à cause de
l’efficacité de la répression officielle des Manichéens (voir LIEU, Manichaeism, 192–
207 ; LANCEL, Saint Augustin, 56s.).
C a t a p h r y g e s : L’affirmation que les Cataphrygiens, ou Montanistes, niaient la
venue de l’Esprit à la Pentecôte est reprise en haer. 26 : Adventum Spiritus sancti a
Domino promissum in se potius quam in apostolis fuisse adserunt [Ils affirment que la
venue de l’Esprit Saint, promise par le Seigneur, a eu lieu en eux plutôt que dans les
apôtres] (voir aussi agon. 30). De tels jugements sont trop partiels : d’un côté « la
doctrine de Montan et de ses disciples immédiats différait à peine de l’enseignement
orthodoxe », mais de l’autre Montan(us) « se présentait ou était présenté par ses
disciples comme le Paraclet » (DTC s.v. Montanisme, 2358, 2367, et voir n. à 11,1s.).
Sont-ce des doutes sur la valeur de ses accusations qui ont poussé Augustin à
omettre les Cataphrygiens en serm. 71 et epist. 185 ? La cause est plutôt l’obscurité
relative d’une secte qui avait presque entièrement disparu d’Afrique à son époque
(voir DTC, loc. cit.).
En montrant comment Manichéens et Montanistes auraient pu être inculpés
pour blasphème impardonnable par leur attitude envers la prophétie, Augustin
rappelle Irénée de Lyon, qui faisait déjà ce reproche aux gnostiques, notamment à
cause de leur refus d’accepter certains livres canoniques (voir n. suivante) : ἄθλιοι
ὄντως οἱ ψευδοπροφήτας μὲν εἶναι θέλοντες, τὸ δὲ προφητικὸν χάρισμα ἀπωθού-
Commentaire | 341

μενοι ἀπὸ τῆς ἐκκλησίας … ἁμαρτάνοντες εἰς τὸ πνεῦμα τοῦ Θεοῦ εἰς ἀσυγχώρητον
ἐμπίπτουσιν ἁμαρτίαν [Ils sont vraiment misérables, ceux qui veulent être des faux
prophètes, tout en chassant la grâce prophétique de l’Église … péchant contre
l’Esprit de Dieu, ils tombent dans un péché impardonnable] (haer. 3,11,19).
D o n a t i s t a e : Si les Donatistes ne figurent pas dans les catalogues de epist. 185
et serm. 71, c’est qu’ils sont déjà la cible principale de ces deux textes. Leur inclu-
sion dans l’Inchoata expositio est quelque peu abusive, puisqu’ils n’avaient aucune
doctrine spécifique sur l’Esprit. Mais Optat de Milève avait déjà présenté la pratique
donatiste de rebaptiser les catholiques comme constituant le péché impardonnable
contre l’Esprit Saint : Absit enim ut umquam exorcizemus sanum fidelem, absit iam
lotum revocemus ad fontem, absit in Spiritu sancto peccemus cui facinori et praesenti
et futuro saeculo indulgentia denegatur [Loin de nous, en effet, de jamais exorciser
un fidèle bien-portant, loin de nous de rappeler aux fonts celui qui est [déjà] lavé,
loin de nous de pécher contre l’Esprit Saint, ce crime pour lequel le pardon est refu-
sé et dans ce monde et dans le monde à venir] (Contra Donatistas 5,3,10). Ensuite,
on imagine très mal Augustin omettre d’un catalogue d’hérétiques ces ennemis
principaux de l’Église catholique d’Afrique. Comparer un autre catalogue d’héré-
tiques, le serm. 183 sur 1 Io. 4,2, où Augustin a besoin d’une subtilior disputatio [dé-
monstration plus subtile], pour montrer que les Donatistes font partie de ceux qui
nient la venue du Christ dans la chair, vu que hoc confitentur quod nos: unigenitum
Filium aequalem Patri, eiusdem substantiae, aeterno coaeternum [ils confessent la
même chose que nous : le Fils unique égal au Père, de la même substance, coéternel
à l’éternel]. Et Augustin de conclure comme dans l’Inchoata expositio que le rejet
donatiste de l’unité catholique équivaut à l’erreur doctrinale (serm. 183,10).

15,14 sicut apostolorum Acta testantur


Ailleurs, Augustin affirme que les Manichéens excluaient les Actes de leur Bible
justement parce qu’ils ne voulaient pas accepter la venue de l’Esprit à la Pentecôte :
util. cred. 7 ; c. Adim. 17,5 ; agon. 30 ; c. epist. fund. 9 ; c. Faust. 19,31 ; epist. 237,2.

15,15 sacramenta eius exsufflent


Ce passage semble être le premier où Augustin utilise le verbe exsufflare au sujet de
la pratique donatiste de rebaptiser les catholiques. Cet usage, très fréquent chez lui,
fait du second baptême une réitération déformée de l’exorcisme du premier bap-
tême, pour lequel on employait aussi exsufflare (voir ThLL s.v. B.2 ; RAC s.v. Exor-
zismus, B.VI.d). L’exorcisme chassait le mauvais esprit, le second baptême chassait
l’Esprit Saint.

15,16 ne pergam per singula quae sunt innumerabilia


Topos de la littérature anti-hérétique : Tam multa sunt, ut quamlibet breviter dicen-
da, multas litteras flagitent [Elles sont si nombreuses, qu’elles exigent beaucoup de
lettres, même pour être décrites très brièvement] (haer. praef. 4) ; alii haeretici, quos
342 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

commemorare longum est [les autres hérétiques, qu’il faudrait beaucoup de temps
pour énumérer] (epist. 185,48) ; quis tot numerat pestes ? [qui peut énumérer tant de
fléaux ?] (serm. 183,1 ; une exégèse dans le même sens à in Matth. 11,8) ; τὰ μὲν
πολυειδῆ καὶ πολύτροπα καὶ πολυσχιδῆ τῶν σκολιῶν βουλευμάτων [les apparences
multiples, les détours multiples, les divisions multiples des doctrines tordues]
(Épiphane, De fide 1,1) ; plurima sunt sed pauca loquar, ne dira relatu / dogmata
catholicam maculent male prodita linguam [Ils sont très nombreux, mais j’en dirai
peu, pour que ces dogmes terribles à raconter n’entachent pas, en étant révélés pour
le mal, une langue catholique] (Prud. apoth. 1s.). La vérité est une, mais les erreurs
possibles sont infinies. La doctrine d’ecclésiologie est ici renforcée par un thème de
la philosophie morale, selon lequel les vertus sont unies, comme l’enseigne Socrate,
mais le vice tend à la diversification : Non debes admirari, si tantas invenis vitiorum
proprietates: varia sunt, innumerabiles habent facies, comprendi eorum genera non
possunt. Simplex recti cura est, multiplex pravi [Tu ne dois pas t’émerveiller, si tu
trouves tant de particularités dans les vices. Ils sont variés, ils ont d’innombrables
apparences, on ne peut en saisir tous les genres. S’appliquer au bien est chose
simple, [s’appliquer] au mal est complexe] (Sénèque le Jeune, epist. 122,17 ; pour des
parallèles, voir B. INWOOD [éd.], Seneca. Selected Philosophical Letters, Oxford 2007,
ad loc.).

16,1 iam per baptismum


Pour les sources de cette doctrine voir n. à 14,1, Le blasphème, et RING, n. à 16,4
(mentionnant Montanistes, Novatianistes et Donatistes, mais voir la n. à 14,1 sur ces
derniers). Comme le montre Ring, bien qu’Augustin souligne dans l’Inchoata expo-
sitio l’antiquité de la doctrine du pardon de l’Église pour tous les pénitents, la ques-
tion se discutait encore dans les conciles du 4ème siècle. Voir aussi le langage très
sévère de l’édit de 391 sur les apostats, préservé en Codex Theodosianus 16,7,4,1 :
Sed nec umquam in statum pristinum revertentur, non flagitium morum oblitterabitur
paenitentia neque umbra aliqua exquisitae defensionis aut muniminis obducetur …
Lapsis etenim et errantibus subvenitur, perditis vero, hoc est sanctum baptisma pro-
fanantibus, nullo remedio paenitentiae, quae solet aliis criminibus prodesse, succurri-
tur [Mais, de plus, ils ne retourneront jamais dans leur statut antérieur, leur crime
moral ne sera pas effacé par la pénitence, et ne sera pas voilé par quelque ombre
d’une défense ou d’une riposte élaborées … Car on porte main forte à ceux qui ont
trébuché ou erré, mais les hommes perdus, c’est-à-dire ceux qui ont profané le saint
baptême, on ne les secourt par aucun remède de cette pénitence qui est normale-
ment salutaire pour les autres crimes]. On comprend alors aisément qu’Augustin ait
beaucoup insisté, ici comme dans la prédication, sur le fait que le pardon restait
ouvert aux grands pécheurs parmi les baptisés : Hic fortasse dicis: ‘Sed ego iam bap-
tizatus sum in Christo, a quo omnia mihi peccata praeterita dimissa sunt. Vilis factus
sum nimis iterans vias meas [Ier. 2,36], et canis horribilis oculis Dei, conversus ad
vomitum suum [Prov. 26,11]. Quo abibo a spiritu eius? Et a facie eius quo fugiam [Ps.
Commentaire | 343

138,7]?’ Quo, frater, nisi ad eius misericordiam paenitendo, cuius potestatem peccan-
do contempseras? [Ici tu dis peut-être : ‘Mais je suis déjà baptisé dans le Christ, par
qui tous mes péchés antérieurs ont été pardonnés. Je suis devenu vil en reprenant
trop souvent mes voies, et [suis devenu] un chien horrible aux yeux de Dieu, revenu
à son vomissement. Où irai-je loin de son esprit ? Et où fuirai-je de sa face ?’ Où,
frère, si ce n’est, par la pénitence, vers la miséricorde de celui dont tu avais méprisé
la puissance en péchant ?] (serm. 351,12) ; contra nonnullas haereses tenuit ecclesia
catholica istam veritatem de paenitentia agenda. Fuerunt enim qui dicerent, quibus-
dam peccatis non esse dandam paenitentiam; et exclusi sunt de ecclesia, et haeretici
facti sunt [À l’encontre de certaines hérésies, l’Église catholique a retenu cette vérité
sur la nécessité de faire pénitence. En effet, il y en eut pour dire que la pénitence ne
devait pas être accordée pour certains péchés, et ils ont été exclus de l’Église, et sont
devenus hérétiques] (serm. 352,9).

16,2 peccatum ignorantiae


Le problème du péché d’ignorance, le οὐδεὶς ἑκῶν κακός [nul n’est volontairment
mauvais] de Socrate, est effleuré dans l’Inchoata expositio, sans être pleinement
abordé, puisqu’il suffit à Augustin de montrer que les péchés commis sans igno-
rance sont pardonnés (17,1–4 ; 18,11–15).
Pour la doctrine d’Augustin sur le peccatum ignorantiae [péché d’ignorance], le
choix du mal par ignorance du bien, voir AugLex s.v. ignorantia, 2 ; BA 23, 782s. ; BA
24, 769–771 ; GAUDEMET, L’Église, 273–275 (pour l’applicaton judiciaire). Concupis-
cence et ignorance (mais non pas l’ignorance complète : voir n. à 17,2, Les péchés
évidents) sont les peines immédiates du péché originel. Ces peines sont méritées, et
les châtiments des péchés commis par ignorance et concupiscence le sont aussi,
pour Adam et Ève et pour tous leurs descendants. Celui qui pèche par ignorance est
donc damné en toute justice. Le baptême libère de cette condamnation, mais « res-
terait à expliquer la signification des textes où Augustin, parlant des baptisés, ap-
pelle, semble appeler péchés véritables les fautes d’ignorance involontaire » (J.
CHÉNÉ, BA 24, 771). La réponse donnée pour la concupiscence par M. E. ALFLATT (The
Responsibility for Involuntary Sin in Saint Augustine, RecAug 10 [1975], 171–186)
doit aussi s’appliquer à l’ignorance : l’ignorance et la concupiscence ne sont pas
elles-mêmes effacées par le baptême (pour l’ignorance, voir Inchoata expositio
16,7s., et surtout c. Iulian. 6,49), et dans la mesure où elles conduisent le baptisé à
pécher, il continue à mériter la peine héritée d’Adam. Il s’agit bien d’une culpabilité
héritée, puisque Augustin admet sans difficulté, qu’au niveau de l’individu,
l’ignorance peut nous disculper : Possunt enim homines et agere et non agere quod
sciunt. Quis autem dixerit eos agere debere quod nesciunt? [Les hommes peuvent en
effet et faire et ne pas faire ce qu’ils connaissent. Mais qui dirait qu’ils doivent faire
ce qu’ils ne connaissent pas ?] (doctr. christ. 4,76, où il s’agit justement de l’en-
seignement des chrétiens).
344 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

C’est ainsi qu’Augustin ne tire jamais de Lc. 23,34 (πάτερ, ἄφες αὐτοῖς, οὐ γὰρ
οἴδασιν τί ποιοῦσιν [Père, pardonne-leur, parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font])
plus qu’une indication de la mansuétude du Christ envers ses persécuteurs. Du
reste, des 92 citations de ce verset par Augustin, 87 viennent de la prédication : il ne
lui a pas servi pour la construction de son système de la grâce (en de serm. dom.
1,73, il prétend même que ces paroles ne pourraient s’appliquer aux baptisés).
Il n’est pas possible de dire si ses conclusions sur le péché d’ignorance étaient
déjà pleinement formées dans l’esprit d’Augustin à l’époque de l’Inchoata expositio.
Mais il n’y dit rien qui indiquerait que l’ignorance en soi suffise pour le pardon, et
les éléments majeurs de son enseignement sur le lien entre le péché originel et la
concupiscence et l’ignorance sont déjà en place dès lib. arb. 3,51–54, écrit à la même
époque (il y propose toutefois une autre explication de l’ignorance en 3,56). Voir
aussi epist. 47,4, datant de peu après l’Inchoata expositio (396–399) : Si quis autem
bonum putaverit esse quod malum est, et fecerit, hoc putando utique peccat, et ea sunt
omnia peccata ignorantiae, quando quisque bene fieri putat quod male fit [Mais si
quelqu’un pense que quelque chose de mal est bien, et il le fait, il pèche certaine-
ment en pensant de la sorte, et ces péchés sont tous [des péchés] d’ignorance,
quand quelqu’un pense qu’une mauvaise action est une bonne action].

16,3 si qua fornicatione vel homicidio


Mêmes exemples dans la prédication sur le pardon offert à tous : Grave vulnus est:
adulterium forte commissum est, forte homicidium, forte aliquod sacrilegium. Gravis
res, grave vulnus, lethale, mortiferum: sed omnipotens medicus [La blessure est
grave : peut-être a-t-on commis un adultère, peut-être un homicide, peut-être
quelque sacrilège. La chose est grave, la blessure est grave, meurtrière, mortelle :
mais le médecin est tout-puissant] (serm. 352,8).

16,6 Simon … iam baptismum acceperat


C’est ainsi que Simon peut aussi servir d’exemple dans les exhortations à la péni-
tence dans la prédication : Post adventum de caelo Spiritus sancti, quidam Simon
pecunia voluit eundem Spiritum sanctum emere, sceleratissimum et impium mercimo-
nium cogitans, iam baptizatus in Christo: et tamen paenitentiae consilium ab ipso
Petro correptus accepit [Après que l’Esprit Saint fut venu du ciel, un certain Simon
voulut acheter ce même Esprit Saint pour de l’argent, concevant un marché abomi-
nable et impie, [alors qu’il était] déjà baptisé dans le Christ. Et pourtant, réprimandé
par Pierre lui-même, il reçut un conseil de pénitence] (serm. 351,12). Mais, dans un
contexte anti-donatiste, il peut tout aussi bien rappeler les risques qu’encourt en-
core le baptisé : Quasi non legant Simonem magum et accepisse baptismum, et tamen
a Petro audisse: ‘Non est tibi pars neque sors in hac fide’ [Act. 8,21]. Ecce quia fieri
potest, ut aliquis habeat baptismum Christi, et non habeat fidem vel dilectionem Chris-
ti, habeat sanctitatis sacramentum, nec computetur in sorte sanctorum [Comme s’ils
ne lisaient pas que Simon mage avait reçu le baptême et avait pourtant entendu de
Commentaire | 345

Pierre : ‘Tu n’as pas de part ni de lot dans cette foi’. Voyez qu’il peut arriver qu’une
personne ait le baptême et n’ait pas la foi ou l’amour du Christ, qu’il ait le sacrement
de la sainteté, et ne soit pas compté dans le lot des saints] (serm. 260A,2 ; voir n.
suivante). Après tout, selon la tradition dont Augustin héritait, Simon le Magicien
ne s’était pas repenti, mais était devenu le premier hérésiarque (haer. 1).

16,7 postea negligenter educati


Cette objection fait partie de l’autocorrection par Augustin de ce qu’il avait écrit en
de serm. dom. 1,73–75 (voir n. à 14,1, Le blasphème ; 21,2–7) où il avait désigné le
péché impardonnable comme commis post agnitionem Dei per gratiam Domini nostri
Iesu Christi [après que l’on a connu Dieu par la grâce de notre Seigneur Jésus Christ],
ce qui faisait clairement référence aux baptisés. Dans l’Inchoata expositio, il tient
beaucoup à détruire toute équivalence facile entre baptême et connaissance de Dieu
(voir 18,6–8 ; 19,3–7). On pense à Augustin lui-même, qui a failli être baptisé dans
son enfance (conf. 1,17s.) : en aurait-il été moins negligenter educatus ? De fait, les
rigueurs de l’éducation requise pour un enfant baptisé faisaient que l’on retardait
souvent le baptême pour bien des années : voir POQUE, Un souci.
L’ignorance post-baptismale est aussi le lot inévitable de tous ceux qui reçoi-
vent un baptême, en lui-même valable, au sein d’une église hérétique : Sunt quidam,
qui Christum solo sacramento induerunt, quo in fide vel moribus nudi sunt. Nam et
multi haeretici ipsum habent sacramentum baptismatis, sed non ipsum fructum salu-
tis, nec vinculum pacis, ‘habentes’, sicut ait apostolus, ‘formam pietatis, virtutem
autem eius abnegantes’ [2 Tim. 3,5] [Il y en a certains qui ont revêtu le Christ uni-
quement par le sacrement, et sont tout nus dans leur foi ou leurs mœurs. Beaucoup
d’hérétiques, en effet, ont eux aussi le sacrement du baptême, mais non pas le fruit
même du salut, ni le lien de la paix, ‘ayant’, comme dit l’apôtre, ‘la forme de la pié-
té, mais reniant sa puissance’] (serm. 260A,2 ; voir n. précédente). Deux thèmes de
l’Inchoata expositio se rejoignent donc ici : le pardon offert aux hérétiques et celui
offert aux baptisés.

16,7 quid credendum, quid sperandum, quid diligendum sit


Comparer doctr. christ. praef. 12 : après, ou avec, le baptême on apprend quid cre-
dendum, quid sperandum, quid diligendum [ce qu’il faut croire, ce qu’il faut espérer,
ce qu’il faut aimer]. De même, Augustin décide d’organiser son petit manuel de la
vie chrétienne selon les trois vertus théologales : Vis enim tibi, ut scribis, librum a me
fieri quem enchiridion, ut dicunt, habeas … Haec autem omnia quae requiris procul
dubio scies, diligenter sciendo quid credi, quid sperari debeat, quid amari [Tu veux,
comme tu l’écris, que je te fasse un livre que tu auras comme enchiridion [manuel
portatif], comme on dit … Mais tout ce que tu cherches, tu le sauras certainement,
quand tu sauras précisément ce qu’il faut croire, ce qu’il faut espérer, ce qu’il faut
aimer] (enchir. 4). Voir aussi Paulin de Nole, déclarant qu’après son propre bap-
tême, il a encore besoin de l’instruction d’Augustin : ut infantem adhuc verbo Dei et
346 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

spiritali aetate lactantem educa verbis tuis, uberibus fidei, sapientiae, caritatis inhian-
tem [Éduque-moi par tes paroles, comme un enfant qui est encore au sein pour ce
qui est de la parole de Dieu et l’âge spirituel, [un enfant] qui ouvre grand la bouche
vers les seins de la foi, de la sagesse, de la charité] (epist. 4,3 = Aug. epist. 25,3).

16,8 quemadmodum dicitur, ubi caput haberent nescientes


Pour les expressions populaires chez Augustin, voir J. H. BAXTER, Colloquialisms in
St. Augustine, ALMA 3 (1927), 32s. (une douzaine d’exemples tirés des sermons) ; M.
BAMBECK, Spanisch und portugiesisch ‘querer’ und die Bibelexegese Augustins,
Archiv für das Studium der Neueren Sprachen und Literaturen 207 (1970/1971), 30–
35 (certains des exemples choisis sont douteux) ; B. LÖFSTEDT, Augustinus als Zeuge
der lateinischen Umgangssprache, dans : H. RIX (éd.), Flexion und Wortbildung,
Wiesbaden 1975, 192–197 ; G. M. J. BARTELINK, Augustin und die Lateinische Um-
gangssprache, Mnemosyne 35 (1982), 283–289 ; G. M. J. BARTELINK, Einige Bemer-
kungen ; C. EICHENSEER, Augustinianae locutiones cotidianae, Vox Latina 19 (1983),
427–431 (recueil sans commentaire de locutions augustiniennes, et dont il est diffi-
cile de cerner le but). Notre passage n’apparait dans aucune de ces études, et il est
absent aussi de ThLL s.v. caput et d’A. OTTO, Die Sprichwörter und Sprichwörtlichen
Redensarten der Römer, Leipzig 1890. Pour des expressions similaires relevées par
Augustin, voir in Gal. 35 (nescientes, ut dicitur, ubi ambulant [ne sachant pas,
comme on dit, où ils marchent]) ; epist. 33,3 (de homine, quem falsae blanditiae fa-
ciunt adrogantem, recte etiam vulgo dicitur ‘crevit caput’ [pour un homme que les
fauses flatteries rendent arrogant, on fait bien de dire, dans la langue populaire, ‘sa
tête a crû’]). Comme le montrent ses nombreuses apparitions dans le relevé pourtant
incomplet d’Otto, Augustin apprécie beaucoup la verve de telles expressions. Une
étude complète de leur utilisation chez lui serait souhaitable, mais il faudrait éviter
de la confondre, comme on l’a parfois fait, avec ses concessions aux solécismes du
latin parlé.

17,1 irremissibile
irremissibilis, qui apparait pour la première fois chez Tertullien, n’appartient pas au
vocabulaire habituel d’Augustin, qui s’en sert exclusivement pour parler du blas-
phème contre l’Esprit Saint (c. Cresc. 4,10 ; serm. 71,17.24.37 ; enchir. 83). De fait,
ThLL s.v. note que, dans toute la littérature chrétienne, le mot est largement em-
ployé dans ce contexte, et a même pu être formé à partir de Mt. 12,32 (remittetur …
non remittetur [sera pardonné … ne sera pas pardonné]).

17,2 quodlibet peccatum cum scientia committere


C’est essentiellement l’interprétation d’Origène, telle qu’elle est exposée dans les
textes cités à n. à 14,1, Le blasphème, dont surtout De principiis: Operatio virtutis Dei
Patris et Filii indiscrete super omnem protenditur creaturam, Spiritus vero sancti par-
ticipationem a sanctis tantummodo haberi invenimus … Propter quod et consequens
Commentaire | 347

puto quia ‘qui peccaverit quidem in filium hominis venia dignus est’, pro eo quod is,
qui verbi vel rationis est particeps, si desinat rationabiliter vivere, videtur in i g n o r a n -
t i a m v e l s t u l t i t i a m decidisse et propter hoc veniam promereri; qui autem iam
dignus habitus est sancti Spiritus participatione et retro fuerit conversus, hic re ipsa et
opere blasphemasse dicitur in Spiritum sanctum [L’opération de la puissance de Dieu
le Père et du Fils s’étend sans discrimination sur toute créature, alors que nous
voyons que la participation à l’Esprit Saint est obtenue seulement par les saints …
Pour cette raison, il me semble logique aussi que ‘celui qui pèche contre le fils de
l’homme est digne de pardon’, puisque celui qui a part au verbe ou à la raison, s’il
cesse de vivre raisonnablement, semble être tombé dans l ’ i g n o r a n c e o u l a b ê -
t i s e , et mériter de la sorte le pardon. Mais celui qui a déjà été trouvé digne de la
participation à l’Esprit Saint, et qui s’est tourné en arrière, celui-là est dit avoir blas-
phémé – au sens propre et par ses œuvres – contre l’Esprit Saint] (Rufin. Orig. princ.
1,3,7). Ceci équivaut à une distinction entre baptisés et non-baptisés, selon la lecture
d’Origène fournie par Athanase (qui modifie aussi quelque peu les rôles du Père et
du Fils) : ὁ μὲν γὰρ Ὠριγένης καὶ τὴν αἰτίαν τῆς κατὰ τῶν τοιούτων κρίσεως οὕτω
λέγει· ὁ μὲν Θεὸς καὶ πατὴρ εἰς πάντα διήκει καὶ πάντα συνέχει, ἄψυχά τε καὶ
ἔμψυχα, λογικά τε καὶ ἄλογα· τοῦ δὲ υἱοῦ ἡ δύναμις εἰς τὰ λογικὰ μόνα διατείνει, ἐν
οἷς εἰσι κατηχούμενοι καὶ Ἕλληνες οἱ μηδέπω πιστεύσαντες· τὸ δὲ πνεῦμα τὸ ἅγιον
εἰς μόνους ἐστὶ τοὺς μεταλαβόντας αὐτοῦ ἐν τῇ τοῦ βαπτίσματος δόσει. ὅταν τοίνυν
κατηχούμενοι καὶ Ἕλληνες ἁμαρτάνωσιν, εἰς μὲν τὸν υἱὸν ἁμαρτάνουσιν, ἐπεὶ ἐν
αὐτοῖς ἐστιν, ὥσπερ εἴρηται· δύνανται δὲ ὅμως λαμβάνειν ἄφεσιν, ὅταν καταξιωθῶσι
δωρεᾶς τῆς παλιγγενεσίας. ὅταν δὲ οἱ βαπτισθέντες ἁμαρτάνωσι, τὴν τοιαύτην
παρανομίαν εἰς τὸ πνεῦμα τὸ ἅγιον φθάνειν φησίν, ἐπειδὴ ἐν αὐτῷ γενόμενος
ἥμαρτε· καὶ διὰ τοῦτο ἀσύγγνωστον εἶναι τὴν κατ’ αὐτοῦ τιμωρίαν [En effet, Origène
explique aussi la cause de la condamnation de tels hommes ainsi : Dieu le Père se
répand à travers tout et contient tout, ce qui vit et ce qui est sans vie, ce qui est rai-
sonnable et ce qui est sans raison. Ensuite, la puissance du Fils s’étend uniquement
à ce qui est raisonnable, y compris les catéchumènes, et les païens qui n’ont pas
encore cru. Mais l’Esprit Saint s’étend seulement à ceux qui ont eu part à lui par le
don du baptême. Donc, quand des catéchumènes ou des païens pèchent, ils pèchent
bien contre le Fils, puisqu’il est en eux, comme on l’a dit. Mais ils pourront néan-
moins recevoir le pardon quand ils seront trouvés dignes du don de la renaissance.
Mais quand les baptisés pèchent, il dit qu’une telle infraction atteint l’Esprit Saint,
puisque l’on aura péché après être entré en lui [sc. l’Esprit]. Et c’est pourquoi sa
punition ne peut être remise] (Epistulae ad Serapionem 4,10). Le non-baptisé a déjà
le Christ / Λόγος à l’intérieur de lui, et, un peu paradoxalement, son péché contre le
Λόγος est donc péché d’ignorance. Augustin ne se préoccupe pas de ce paradoxe,
puisqu’il préfère montrer que baptême et scientia ne vont pas de pair, et que les
péchés cum scientia sont en tout cas pardonnables.
348 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

17,2 Les péchés évidents


Les péchés énumérés sont des violations de la seconde partie des dix commande-
ments. L’équivalence entre ces commandements et la règle d’or se fonde sur Mt.
7,12. Augustin l’expose plus longuement dans son grand sermon sur les dix com-
mandements : Furtum si faciam id facio quod pati nolo; si occidam, id facio quod ab
altero pati nolo; si parentibus meis honorem non deferam quando volo deferatur mihi
a filiis meis, id facio quod pati nolo; si sim moechus et aliquid tale moliar, id facio
quod pati nolo – nam si quis interrogetur, dicit: Nolo ut uxor mea tale aliquid faciat –
si concupisco uxorem proximi mei, nolo quisquam concupiscat meam, id facio quod
pati nolo; si concupisco rem proximi mei, nolo ut auferatur mea, id facio quod pati
nolo [Si je fais un vol, je fais ce que je ne veux pas souffrir. Si je tue, je fais ce que je
ne veux pas souffrir aux mains d’un autre. Si je ne respecte pas mes parents, alors
que je veux être respecté par mes fils, je fais ce je ne veux pas souffrir. Si je suis
adultère, et j’entreprends quelque chose de la sorte, je fais ce que je ne veux pas
souffrir – en effet, si l’on pose la question à quelqu’un, il dit : Je ne veux pas que ma
femme fasse quelque chose de la sorte – si je convoite le femme de mon prochain,
[et] ne veux pas que quelqu’un convoite la mienne, je fais ce que je ne veux pas
souffrir. Si je convoite le bien de mon prochain, [et] ne veux pas que le mien me soit
dérobé, je fais ce que je veux pas souffrir] (serm. 9,15 ; de même in psalm. 32,2,2,6).
Quis nesciat? Pour la règle d’or chez Augustin, voir DU ROY, La règle, 243–270.
La règle, telle qu’elle s’accomplit dans les dix commandements, est présentée
comme une évidence pour tous les hommes, plutôt qu’un fruit de la révélation (voir
n. suivante). On voit s’esquisser ainsi une idée de d r o i t n a t u r e l . Bien qu’une
théorie unifiée de ce droit ne se dégage pas aisément de ses écrits (voir FITZGERALD,
Augustine s.v. Natural Law ; AugLex. s.v. ius, 3,b), Augustin a souvent réaffirmé le
caractère universel de la règle d’or et son application dans les commandements sur
le prochain. C’est ainsi, par exemple, qu’il résout le problème du relativisme cultu-
rel : Varietate innumerabilium consuetudinum commoti quidam … putaverunt nullam
esse iustitiam per se ipsam, sed unicuique genti consuetudinem suam iustam videri …
Non intellexerunt, ne multa commemorem, ‘quod tibi fieri non vis, alii ne feceris’ nullo
modo posse ulla eorum gentili diversitate variari [Certains, dérangés par la variété
des coutumes innombrables … ont pensé qu’il n’existait pas de justice en soi, mais
que ses propres coutumes semblaient justes à chaque peuple … Ils n’ont pas com-
pris – pour ne pas en dire plus – que ‘ce que tu ne veux pas que l’on te fasse, ne le
fais pas à un autre’ ne peut nullement être altéré par leur variété des peuples] (doctr.
christ. 3,52 ; voir aussi 1,70). Ou encore, en in euang. Ioh. 49,12, la connaissance de
cette règle, et des interdits qui en découlent, est la marque de la condition humaine
après la Chute mais avant la Loi écrite (voir in Gal. 46) : Deinde crescit, incipit acce-
dere ad rationales annos, ut legem sapiat naturalem, quam omnes habent in corde
fixam: quod tibi non vis fieri, alii ne feceris. Numquid hoc de paginis discitur, et non in
natura ipsa quodammodo legitur? Furtum vis pati? Utique non vis. Ecce lex in corde
tuo [Ier. 31,33]: quod non vis pati, facere noli [Ensuite il grandit, il commence à
Commentaire | 349

s’approcher de l’âge de la raison, pour connaitre la loi naturelle, que chacun tient
fixée dans son cœur : ce que tu ne veux pas que l’on te fasse, ne le fais pas à un
autre. Est-ce que l’on apprend cela des pages [des livres], plutôt que de le lire, d’une
certaine manière, dans la nature elle-même ? Veux-tu souffrir un vol ? Assurément,
tu ne veux pas. Voilà la loi dans ton cœur : ce que tu ne veux pas souffrir, ne le fais
pas]. Voir aussi conf. 2,9 ; c. Faust. 15,7 (avec de nouveau l’expression naturali lege
[loi naturelle]) ; epist. 157,15 ; in psalm. 35,1 ; 57,1 (très proche du texte cité de in
euang. Ioh.) ; c. Pelag. 3,13. En lib. arb. 1,6, c’est Évodius qui dit : Adulteria et homi-
cidia et sacrilegia … quis est cui non male facta videantur … Hoc [sc. adulterium] scio
malum esse quod hoc ipse in uxore mea pati nollem … Quisquis autem alteri facit,
quod sibi fieri non vult, male utique facit [L’adultère et l’homicide et le sacrilège … à
qui ces choses ne semblent-elles pas des méfaits ? … Je sais que c’est mal parce que
je ne voudrais pas le souffrir moi-même chez ma propre femme … Et quiconque fait à
un autre ce qu’il ne veut pas qu’on lui fasse fait assurément le mal]. Augustin ré-
plique qu’un amateur de pratiques licencieuses pourrait offrir sa femme à un autre
de plein gré, pour gagner l’accès à la femme de celui-ci, et en de serm. dom. 1,50 il
présente une situation plus honorable qui conduit aussi à un adultère autorisé par
le mari. Mais en général il considère l’adultère comme illustrant particulièrement
bien à quel point la règle d’or est universelle et évidente : Qui hoc facit alteri nihil sic
nollet pati. Ad alia paratior est omnis homo. Hoc autem nescio utrum inventus est qui
tolerabiliter ferat [Celui qui fait cela à un autre ne voudrait rien souffrir de la sorte.
Tout homme préférerait [souffrir] autre chose. Quant à cela, je ne sais pas si l’on a
trouvé quelqu’un qui pourrait l’endurer avec patience] (serm. 8,12).
Augustin introduit la loi naturelle pour répondre à l’hypothèse selon laquelle, si
seuls les péchés commis cum scientia sont impardonnables, les non-baptisés seront
absous (voir n. précédente) : Augustin montre que les non-baptisés étaient tout à
fait capables de pécher cum scientia, dans la mesure où ils pouvaient violer con-
sciemment la loi inscrite dans le cœur de tous les hommes.

17,2 quod sibi ab altero fieri non vult


Augustin donne la règle d’or dans sa forme négative, plutôt que dans la forme posi-
tive de Mt. 7,12. C’est là son habitude : voir A.-M. LA BONNARDIÈRE, En marge de la
« Biblia Augustiniana » : Une « retractatio », REAug 10 (1964), 305–307 ; A. BAS-
TIAENSEN, Le praeceptum aureum dans la tradition épigraphique et littéraire, RBen
98 (1988), 251–257 ; DU ROY, La règle, 243–264.
Cette forme négative se trouve chez Cyprien, Testimonia 3,119 ; [Cyprien] Sermo
de centesima, PLS 1, 65 ; et dans la traduction latine de la Διδαχή pseudo-
apostolique (SChr 248, 207 ; le latin ne fait que reproduire le grec, §1, ibid. 140).
Parmi les contemporains d’Augustin, citons, pour la forme négative, l’Ambrosiaster
= Ps.-Aug. quaest. test. 4,1 (CSEL 50, 24) ; Jérôme, epist. 121,8.12 ; Gaudent. serm.
10,18 (CSEL 68, 98) (tous trois proches d’Augustin sur la loi naturelle) ; Paulin de
Nole, epist. 32,9 ; puis la réflexion sur la complémentarité des formes positives et
350 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

négatives de la régle dans l’Epistula ad adolescentem (CPL 732) de facture péla-


gienne : Dicis forsitan: Ipsorum mandatorum quae nobis implere necesse est, breviter
mihi species indica. Nihil esse brevius puto quam quod apostoli de Sancti spiritus
iudicio definierunt, dicentes: ‘Quaecumque vobis fieri non vultis, alii ne feceritis [Act.
15,19.29]. Et ipse Dominus: ‘Quaecumque vultis ut faciant vobis homines bona, et vos
facite illis similiter’ [Mt. 7,12]. Haec duo mandatorum genera, si quis bene intellegat et
custodiat, ab omni poterit alienus esse peccato … Non solum malum, quod inferri sibi
moleste fert, alteri non faciet, verum etiam omne, quod bonum est, quod negari sibi ab
altero non vult, alteri exhibebit [Tu dis peut-être : Montre-moi brièvement la forme de
ces commandements que nous devons accomplir. Je pense que rien n’est plus bref
que ce que les apôtres ont fixé par le jugement de l’Esprit Saint en disant : ‘Tout ce
que vous ne voulez pas que l’on vous fasse, ne le faites pas à un autre’. Et le Sei-
gneur lui-même [dit]: ‘Tout le bien que vous voulez que les hommes vous fassent,
vous aussi, faites de même pour eux’. Ces deux types de commandements, si
quelqu’un les comprend bien et les observe, il pourra être libre de tout péché … En
effet, non seulement le mal qu’il supporte difficilement qu’on lui inflige, il ne le fera
pas à autrui, mais tout ce qui est bien, [et] qu’il ne veut pas que les autres lui refu-
sent, il le fera aux autres] (PLS 1, 1378).
Pour ce qui est de l’arrière-plan scripturaire, LA BONNARDIÈRE (305) avait proposé
puis écarté Tobie 4,16. Il fallait plutôt renvoyer, sur les indications de Cyprien (loc.
cit.), à Act. 15,19.29, où καὶ ὅσα μὴ θέλετε ἑαυτοῖς γένεσθαι ἑτέρῳ μὴ ποιεῖν [et tout
ce que vous ne voulez pas qu’il vous advienne, ne le faites pas à un autre] est un
ajout au « décret apostolique » attesté dans de nombreux manuscrits (voir Nestle-
Aland28 ad loc. ; DU ROY, La règle, 157–159, et, pour l’histoire textuelle très perturbé
de ces versets, G. RESCH, Das Apostoldecret nach seiner ausserkanonischen Textge-
stalt, Leipzig 1905. Cependant : « il s’agit ici pour saint Augustin non d’un texte
scripturaire précis, mais d’une sentence, exprimant le précepte fondamental de la
loi naturelle » [LA BONNARDIÈRE, 305] ; de même, Bastiaensen ; voir n. précédente).
Augustin n’associe jamais le précepte au restant d’Act. 15,19, et, selon les informa-
tions de la base de données Vetus Latina, nul autre des Pères latins, à part Cyprien,
ne connait cet ajout au texte des Actes. Le plus probable est peut-être qu’Augustin a
tiré la citation de Cyprien, mais l’ait dissociée d’Act, parce qu’il ne la trouvait pas
dans son propre texte du livre biblique. Mais la Διδαχή est aussi une source possible,
puisque Augustin a connu une forme latine de ce texte : voir B. ALTANER, Zum Pro-
blem der lateinischen Doctrina Apostolorum, VChr 6 (1952), 160–167. Du reste, dans
sa première évocation de la règle d’or, déjà sous forme négative, Augustin en fait
non pas un précepte biblique, mais un proverbe : In omni vero contractu atque con-
versatione cum hominibus satis est servare unum hoc vulgare proverbium: nemini
faciant, quod pati nolunt [Mais dans tout échange et contact avec les hommes, il
suffit d’observer uniquement ce proverbe populaire : qu’ils ne fassent à personne ce
qu’ils ne veulent pas souffrir] (ord. 2,25 ; cf. doctr. christ. 3,52, cité note précédente).
Commentaire | 351

La préférence d’Augustin pour la forme négative de la règle d’or s’explique par


son désir de l’associer aux prohibitions des dix commandements (voir n. précé-
dente).

18,1 Deum voluntatemque eius ignorans


Augustin indique par cette expression qu’il revient au cas des non-baptisés (voir n. à
17,2, Les péchés évidents). Les non-baptisés pouvaient en effet connaitre la loi natu-
relle, mais a priori ne connaissaient pas Dieu et n’avaient aucune connaissance
complète de sa volonté (voir Rufin. Orig. in Rom. 2,5,19 : Interest enim cognovisse
Deum et cognovisse voluntatem Dei, quia cognosci Deus a creatura mundi per ea quae
facta sunt etiam gentilibus potuit, et sempiterna eius virtus ac divinitas [Rom. 1,20],
voluntas vero eius non nisi ex lege agnoscitur et profetis [Il y a effectivement une dif-
férence entre connaitre Dieu et connaitre la volonté de Dieu, puisque Dieu peut être
connu même des païens, depuis la création du monde, à travers les choses créées,
ainsi que sa puissance éternelle et sa divinité. Mais sa volonté n’est connue qu’à
travers la Loi et les prophètes]). Mais Augustin va répondre (a) que l’on pouvait être
non baptisé et connaitre la volonté de Dieu (18,7) ; (b) que l’on pouvait être baptisé
sans la connaitre (18,8, reprenant et modifiant 16,7s.) ; (c) que ceux qui péchaient en
connaissant Dieu et sa volonté n’étaient nullement exclus du pardon (18,9–11). C’est
sur ce troisième point que portait l’essentiel de la controverse, d’où l’espace
qu’Augustin lui consacre.

18,2 Hebr. 10,26


Variantes d’avec la Vulgate :

Grec Inchoata expositio Vulgate


μετὰ τὸ λαβεῖν τὴν postquam accepimus post acceptam notitiam
ἐπίγνωσιν τῆς ἀληθείας scientiam veritatis veritatis
οὐκέτι non adhuc iam non
θυσία sacrificium hostia

Pour ces variantes, voir VetLat 25 ad loc. Augustin ne cite ce verset qu’une fois ail-
leurs, à in Iob 31 (s’arrêtant à veritatis), sous la même forme.
Ce texte correspond à celui de la famille A de VetLat 25, dont Augustin est la
source principale – au point que l’on a voulu en faire l’auteur de cette version de
Hebr. – mais qui est tout de même représentée par quelques manuscrits et citations
indépendants (voir VetLat 25, loc. cit., 1034s.).
Ce n’est pas simplement au hasard de ses lectures bibliques (voir n. à 11,3s.)
qu’Augustin s’avise de citer un verset de Hebr. 10, et de l’expliquer en 19,10 avec des
versets de Hebr. 6. En effet Hebr. 10,26s.29 et Hebr. 6,4–6 faisaient partie de la con-
troverse sur les limites du pardon ecclésiastique, qui est inséparable de celui sur le
blasphème contre l’Esprit Saint (voir n. à 14,1, Le blasphème et, pour ce qui suit,
KOESTER, Hebrews, 20s.25). Les Novatianistes appuyaient leur position sur Hebr.
352 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

6,4–6 (voir Ambroise, paen. 2,6 ; Philastre de Brescia, Diversarum hereseon liber
89 ; Épiphane, Panarion 59,2 ; Théodoret de Cyr, Hebr. ad loc. [PG 82, 717]), et Ori-
gène en étayait son propre refus du pardon post-baptismal pour les péchés graves
(Jo. 28,15,124–126, avec référence au blasphème contre l’Esprit Saint ; Athanase,
Epistulae ad Serapionem 4,2, qui ajoute Théognoste d’Alexandrie) ou l’apostasie
(hom. in Jer. 13,3), tout comme le faisait Tertullien montaniste (De pudicitia 3,5). De
même, Clément d’Alexandrie avait cité Hebr. 10,26s. en annonçant sa doctrine
qu’une seule grande pénitence post-baptismale était possible (Stromates 2,57 ; voir
SChr 38 ad loc. ; voir aussi Jean Chrysostome, hom. in Heb. 20,1 [PG 63, 143]), et
Origène réitérait sa position sur l’apostasie en citant Hebr. 10,29 (comm. ser. in Mt.
114 [GCS 382, 239], de nouveau avec référence au blasphème contre l’Esprit Saint ;
hom. in Jer. 13,3).
Augustin répondra (19,2s.) que ces passages de Hebr. indiquent en fait l’impos-
sibilité d’un second baptême. C’est là la doctrine de tous les Pères orthodoxes, que
ce soit sur Hebr. 6 (Athanase, Epistulae ad Serapionem 4,6 ; Ambroise, paen. 2,6–8,
mais noter l’alternative en 2,10 : Quae inpossibilia sunt homini, possibilia sunt apud
Deum [Lc. 18,27], et potens est Deus, quando vult, donare nobis peccata, etiam quae
putamus non posse concedi [Ce qui est impossible pour l’homme est possible pour
Dieu, et Dieu est capable, quand il le veut, de pardonner nos péchés, même ceux
que nous pensons ne pouvoir être pardonnés] ; Philastre de Brescia, loc. cit. ; Épi-
phane, loc. cit. ; Jean Chrysostome, hom. in Heb. 9,3s. [PG 63, 79s.] ; Théodoret de
Cyr, loc. cit. ; d’autres références en KOESTER, Hebrews, 25, n. 19) ou sur Hebr. 10
(Jean Chrysostome, hom. in Heb. 20,1 [PG 63, 143s.] ; Théodoret de Cyr, Hebr. ad loc.
[PG 82, 753]), passage tout de même moins discuté. Comme nous l’avons vu plus
haut, les textes cités d’Athanase et Ambroise traitent aussi du blasphème contre
l’Esprit Saint, et Augustin connaissait certainement au moins le De paenitentia
quand il rédigea l’Inchoata expositio (voir n. à 14,1, Le blasphème ; 15,6, etiam Pau-
lus ; 15,10 ; 15,11 ; 18,14s. ; 19,1 ; 21,1s., et n. suivante), si bien que l’on peut le consi-
dérer comme sa source principale ici.

18,4 Lc. 12,47s.


Augustin inverse l’ordre des deux phrases de l’Évangile. C’est chez lui une habitude,
comme le montre RING, n. à 18,4, qui conclut à bon droit que l’inversion n’est pas le
reflet d’une variante textuelle, mais s’explique par « nur thematische Gründe ». Ici,
en effet, il convenait de faire succéder le péché impardonnable au péché pardon-
nable.
C’est encore sur les traces du De paenitentia de Ambroise (voir n. précédente)
qu’Augustin cite Lc. 12,47s. Comme va le faire Augustin (19,15), Ambroise avait vu
dans vapulabit multa non pas le châtiment éternel, mais les peines rédemptrices du
péché, infligées par Dieu en cette vie (voir n. à 9,1–6) : Sed ne sine iudicio hanc esse
misericordiam putes, est discretio inter eos qui perpetuam detulerunt oboedientiam
mandatis caelestibus, et inter eos qui aliquando vel errore vel necessitate lapsi sint
Commentaire | 353

[Mais pour que tu ne considères pas que cette miséricorde est sans justice, il y a une
séparation entre ceux qui ont offert une obéissance sans relâche aux commande-
ments du ciel, et ceux qui ont quelquefois trébuché soit par erreur soit par nécessité]
(paen. 1,58 ; ainsi déjà Cyprien, epist. 11,1). Pour une interprétation plus rigoriste,
contraster Origène (Hier. hom. Orig. in Ier. 1,3 [SChr 238, 320]) sur Ier. 27,23 : In the-
sauro Dei vasa irae sunt, extra thesaurum vasa peccantia non sunt vasa irae, sed vasis
irae minora sunt. Servi enim sunt ignorantes voluntatem domini sui et non facientes
voluntatem eius. Qui autem ingreditur ecclesiam aut vas irae est aut vas misericordiae
[Rom. 9,22–24] … qui ingressus est ecclesiam – o cathecumene, ausculta – qui accessit
ad sermonem Dei, nihil aliud quam conscriptus est in certamine pietatis, et conscrip-
tus, si non legitime certaverit, caeditur flagellis, quibus non verberantur hi, qui ne in
principio quidem conscripti sunt [Dans le trésor de Dieu il y a des vases de colère. En
dehors du trésor, les vases pécheurs ne sont pas des vases de colère, mais sont
moindres que les vases de colère. Ils sont en effet des esclaves qui ignorent la volon-
té de leur maître et ne font pas sa volonté. Mais celui qui entre dans l’Église est soit
un vase de colère soit un vase de miséricorde .. celui qui est entré dans l’Église – ô
catéchumène, écoute – celui qui a accédé à la parole de Dieu, n’est rien d’autre
qu’un soldat enrôlé pour le combat de la piété, et un soldat enrôlé qui ne se bat pas
convenablement est frappé avec les fouets, par lesquels ne sont pas frappés ceux
qui n’ont même pas été enrôlés pour commencer] (comparer comm. in Rom. 2,5,19,
où les versets séparent Juifs et gentils).
L’interprétation de ces versets trouvée ici, Augustin l’avait déjà formulée en de
serm. dom. 1,63 (voir n. à 14,1, Le blasphème ; 20,5 ; 22,4s.). Mais plus tard il préfère
les lire autrement. Il met l’accent sur leur sévérité en c. Faust. 22,14 (exemple de la
colère de Jésus ; voir déjà Tertullien, adv. Marc. 4,29,11) et quaest. hept. 3,31 (expli-
quant Lev. 10,1–3). Deux fois, tout à fait à l’encontre de l’Inchoata expositio, vapu-
labit pauca … vapulabit multa sont tous les deux rapportés à la damnation, et indi-
quent les différents degrés de peines qui séparent soit chrétiens et païens (grat. 5)
soit différents types de païens (in psalm. 78,9). Sous un tout autre angle, dans un
passage très personnel, il y voit la réaction interne au péché : In multis enim quan-
tum nobis innotescit voluntas Dei, etiam reatus noster innotescit nobis, et quanto ille
nobis innotescit, tanto plus imus in fletus et lacrimas [Dans beaucoup de cas, en effet,
dans la mesure où la volonté de Dieu nous devient connue, notre faute aussi nous
devient connue, et plus elle nous devient connue, plus nous nous tournons vers les
gémissements et les larmes] (in psalm. 98,12). Mais l’interprétation qui revient le
plus souvent comporte une réponse hardie au problème posé dans civ., celui de
l’écroulement de l’empire romain : Illis enim, qui contra christianam fidem querelas
impias iactare non quiescunt, dicentes quod antequam ista doctrina per mundum
praedicaretur, tanta mala non patiebatur genus humanum, facile est ex evangelio
respondere. Dominus enim dicit: ‘Servus nesciens voluntatem domini sui et faciens
digna plagis vapulabit pauca, servus autem sciens voluntatem domini sui et faciens
digna plagis vapulabit multa’. Quid ergo mirum, si christianis temporibus iste mundus
354 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

tamquam servus iam sciens voluntatem domini sui et faciens digna plagis vapulat
multa? [En effet, à ceux qui ne cessent de lancer des reproches impies contre la foi
chrétienne – disant que, avant que cette doctrine ne fût prêchée de par le monde, le
genre humain ne souffrait pas tant de maux – on peut facilement répondre par
l’Évangile. Car le Seigneur dit : ‘L’esclave qui ignore la volonté de son maître, et fait
ce qui mérite des coups, sera battu un peu. Mais l’esclave qui connait la volonté de
son maître, et fait ce qui mérite des coups, sera beaucoup battu’. Qu’y a-t-il donc
d’extraordinaire, si, dans l’ère chrétienne, ce monde, comme un esclave qui connait
désormais la volonté de son maître et fait ce qui mérite des coups, est beaucoup
battu ?] (epist. 111,2 ; de même serm. 296,11 ; 72(augm),7 ; urb. exc. 8). C’est de fait
l’interprétation de l’Inchoata expositio, appliquée non plus à l’individu, mais à la
communauté.
Il n’y pas lieu de conclure de la diversité de ces lectures qu’Augustin aurait
changé d’avis sur le sens de l’Évangile. Lc. 12,47s. est une sentence d’ordre général,
et il est naturel qu’Augustin lui trouve de multiples applications.

18,7 Corneille et la foi pré-baptismale


Les réflexions d’Augustin sur Corneille ont été recensées et analysées par F. BOVON,
De vocatione gentium, Tübingen 1967, 65–71.74s.280–289 : Augustin s’est surtout
intéressé à Corneille dans les controverses. Contre les Donatistes, il utilise son
exemple à la fois à pour montrer la liberté qu’a Dieu de transmettre l’Esprit comme il
le veut, et non seulement à travers une Église de parfaits, et en même temps (sur les
traces du De rebaptismate, CPL 59) comme preuve de la séparation entre baptême et
don de l’Esprit, ce qui indiquait comment le baptême des Donatistes pouvait être
valable sans être salvifique (voir n. à. 16,6 ; 16,7, postea negligenter). Ensuite, contre
Pélagiens et semi-Pélagiens, Augustin affirme que, si Corneille reçut la visite de
l’ange, celle de Pierre, et celle de l’Esprit, ce ne fut pas en récompense de ses mérites
indépendants de la grâce, mais par une certaine grâce qu’il avait reçue, même en
étant païen.
On ne saurait prétendre trouver toutes ces exégèses en germe dans l’Inchoata
expositio. Mais on y voit un élément qui reviendra beaucoup par la suite : Augustin
souligne que, malgré le don de l’Esprit, Corneille avait besoin du baptême. En effet,
l’épisode mettait a priori en doute la nécessité du sacrement, puisque son effet
l’avait précédé. Mais, en décrivant, comme il le fait souvent, le baptême en termes
de signum et res (signacula … res, voir n. à 6,3 ; 14,2–8), Augustin le fait entrer dans
sa vision globale de la nécessité des signes. En effet, pour lui, ce qui distingue la
nouvelle alliance de l’ancienne n’est pas l’absence de signes, mais le fait que ces
signes soient moins nombreux, et surtout soient compris : Sub signo enim servit, qui
operatur aut veneratur aliquam rem significantem, nesciens quid significet. Qui vero
aut operatur aut veneratur utile signum divinitus institutum, cuius vim significatio-
nemque intellegit, non hoc veneratur, quod videtur et transit, sed illud potius, quo talia
cuncta referenda sunt … Posteaquam resurrectione Domini nostri manifestissimum
Commentaire | 355

indicium nostrae libertatis inluxit, nec eorum quidem signorum, quae iam intelle-
gimus, operatione gravi onerati sumus, sed quaedam pauca pro multis eademque
factu facillima et intellectu augustissima et observatione castissima ipse Dominus et
apostolica tradidit disciplina, sicuti est baptismi sacramentum et celebratio corporis
et sanguinis Domini. Quae unusquisque cum percipit, quo referantur imbutus agnoscit,
ut ea non carnali servitute, sed spiritali potius libertate veneretur [En effet, celui-là est
un esclave sous un signe, qui pratique ou vénère une chose qui a un sens, sans sa-
voir quel sens elle a. Mais celui qui pratique ou vénère un signe utile, institué par
Dieu, dont il comprend la puissance et la signification, ne vénère pas ce qui est vi-
sible et éphémère, mais plutôt ce à quoi de telles choses doivent toutes être rappor-
tées … Depuis que, par la résurrection de notre Seigneur, l’indication absolument
claire de notre liberté a commencé à briller, nous ne sommes même plus opprimés
par la pratique onéreuse de ces signes que nous comprenons désormais. Mais le
Seigneur lui-même et l’enseignement des apôtres a transmis quelques [signes] – un
petit nombre pour remplacer un grand, très faciles à accomplir, et très vénérables
dans leur sens, et très chastes dans leur pratique – tels le sacrement du baptême et
la célébration du corps et du sang du Seigneur. Chacun, quand ils les reçoit, ayant
été initié, sait ce qui est désigné par eux, et les vénère donc non pas dans l’esclavage
charnel, mais plutôt dans la liberté spirituelle] (doctr. christ. 3,30–32 ; cf. vera relig.
88–90 ; epist. 54,1 ; 55,13 et voir BA 11/2, 555). On ne dégage pas facilement de cette
compréhension des sacrements p o u r q u o i le signe reste nécessaire, mais ce n’est
que reposer la question de la nécessité d’une vraie Incarnation. Or, quels qu’aient
été les tendances platoniques ou les restes de Manichéisme chez Augustin, une fois
devenu chrétien, il n’a jamais douté ni qu’il fallût des signes ni que le Christ dût se
faire chair (voir MAYER, Die Zeichen, t. 2, 393–415, soulignant qu’Augustin est géné-
ralement plus à l’aise avec la « Verweisungfunktion » de l’Incarnation et des sacre-
ments, qui nous mène au-delà du monde corporel, qu’avec la sanctification qu’ils
confèrent à ce monde).
ad perficiendam scientiam veritatis. En doctr. christ. praef. 12, Augustin rap-
pelle que Corneille avait encore besoin de catéchèse, puisque que le message de
l’ange en soi n’avait pas révélé le contenu de la foi chrétienne : Cogitemus … centu-
rionem Cornelium quamvis exauditas orationes eius eleemosynasque respectas ei
angelus nuntiaverit, Petro tamen traditum imbuendum, per quem non solum sacra-
menta perciperet, sed etiam quid credendum, quid sperandum, quid diligendum esset
audiret [Songeons … que le centurion Corneille, bien que l’ange lui eût annoncé que
ses prières avaient été exaucées et ses aumônes prises en compte, fut néanmoins
confié à Pierre pour être initié. Il devait non seulement recevoir de lui les sacre-
ments, mais encore entendre ce qu’il fallait croire, ce qu’il fallait espérer, ce qu’il
fallait aimer] (voir n. à 16,7, quid credendum). Mais surtout, comme Augustin va
l’expliquer en 19,4–11, le baptême ne confère pas la scientia veritatis dans le sens
qu’il transmet un enseignement (comment serait-ce possible par l’acte liturgique du
baptême ?), mais en opérant une transformation intérieure qui seule rend possible
356 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

l’acceptation complète de cet enseignement. C’est parce que le don de l’Esprit (voir
n. suivante) n’est normalement possible qu’après cette transformation que le cas de
Corneille pose problème.

18,7 ipsum Spiritum sanctum … antequam baptizaretur, accepit


Il n’y a pas pour Augustin de sacrement de la confirmation, mais un don de l’Esprit
par imposition des mains dans le rite du baptême. Cependant Augustin insiste,
contre les Donatistes, sur le fait que le don de l’Esprit, à la différence du baptême,
peut se faire par intervention directe de Dieu, sans l’intermédiaire du prêtre (voir n.
précédente, et V. SAXER, Les rites de l’initiation chrétienne du IIe au VIe siècle, Spole-
to 1988, 394s.).
Du reste, une certaine intervention de l’Esprit Saint avant le baptême devait être
admise pour tous les catéchumènes adultes de bonne foi. On ne saurait expliquer
autrement la conversion, y compris celle d’Augustin lui-même, qui affirma sans
ambages l’action de l’Esprit pour le mener à la foi, et écrivit ses cinq premiers traités
chrétiens avant même de recevoir le baptême.

18,7 coattestantibus
ThLL s.v. coattestor indique que ce mot apparait exclusivement chez Augustin. Il
cite notre texte, puis in psalm. 21,2,2. Ajouter cons. euang. 3,79 (sicut Lucas et
Iohannes coattestantur [comme en (co-)témoignent Luc et Jean]) ; serm. 360B,19
(coadtestantibus signis et miraculis tantis [tant de signes et de miracles (co-)
témoignent]), et aussi Primasius, in apoc. 4,14, introduisant justement une citation
d’Augustin. ThLL voudrait que le mot signifie « idem fere q[uod] attestari » [à peu
près la même chose que « témoigner »], ce qui s’applique pour l’Inchoata expositio,
mais moins bien dans les autres passages indiqués, où il y a une référence claire à
l’accord de plusieurs témoins.

18,8 nec post acceptum baptismum curant cognoscere voluntatem Dei


Augustin semble passer à l’ignorance voulue chez les baptisés, qui pose moins de
problèmes que l’ignorance involontaire (voir n. à 16,2), puisqu’elle comporte un
choix moral de l’individu : Non tibi deputatur ad culpam quod invitus ignoras, sed
quod neglegis quaerere quod ignoras [On ne te reproche pas d’être dans l’ignorance
contre ton gré, mais de négliger de chercher ce que tu ignores] (lib. arb. 3,53 ; de
même 3,58). Mais cet argument n’est pas entièrement à sa place, puisque, comme il
va le dire dans la phrase suivante, l’exemple de Corneille sert à montrer que l’on
peut connaitre la volonté de Dieu a v a n t le baptême, et donc par extension que l’on
peut commettre des péchés pardonnables en connaissant la volonté de Dieu,
puisque le baptême lave tous les péchés.
Commentaire | 357

18,9 in diligendo Deo et proximo


Le double commandement, qui scande toute la pensée d’Augustin, avait déjà reçu
deux grands développements, dans mor. eccl. et vera relig. 243–251 ; le suivant sera
dans doctr. christ. 1 (pour cette époque, voir aussi in Rom. 67 ; in Gal. 35 ; de mend.
40 ; divers. quaest. 35s.). Introduction et bibliographie pour ce vaste sujet en
AugLex s.v. caritas.

18,9s. dilectionem autem proximi, id est, dilectionem hominis


« Dans la langue profane, le terme ‘proximus’ désigne seulement le proche parent »
(AugLex s.v. caritas, 734). D’où la tendance d’Augustin à préciser : voir les passages
allégués loc. cit., et ajouter in psalm. 14,3 : ‘Nec fecit proximo suo malum’ [Ps. 14,3].
Proximum omnem hominem accipi oportere notum est [‘Et il n’a pas fait de mal à son
prochain’. On sait qu’il faut comprendre le prochain comme étant chaque être hu-
main] (de même §5), et surtout le développement sur le Bon Samaritain en doctr.
christ. 1,66–70.

18,11 ita rapiuntur animo ad ulciscendum


En théorie, il s’agit d’un comportement qui appartient à l’ancienne alliance : ‘Audis-
tis quia dictum est antiquis: Oculum pro oculo, et dentem pro dente. Ego autem dico
vobis, non resistere malo. Sed si quis te percusserit in maxillam, praebe illi et alteram;
et quicumque voluerit tecum iudicio contendere et tunicam tuam auferre, dimitte illi et
pallium’ [Mt. 5,38–40]. In quibus duabus sententiis revera duorum Testamentorum
differentia demonstratur, sed amborum tamen ab uno Deo constitutorum. Nam quo-
niam primo carnales homines ardebant multo amplius se vindicare, quam erat illa
iniuria, de qua querebantur, constitutus est eis primus lenitatis gradus, ut iniuriae
acceptae mensuram nullo modo dolor vindicantis excederet. Sic enim et donare ali-
quando posset iniuriam, qui eam primo non superare didicisset. Unde Dominus iam
per evangelii gratiam ad summam pacem populum ducens, huic gradui superaedificat
alterum, ut qui iam audierat non ampliorem vindictam, quam quisque laesus est, red-
dere, placata mente totum se donare gauderet [‘Vous avez entendu qu’il fut dit aux
anciens : Un œil pour un œil, et une dent pour une dent. Or moi je vous dis de ne
pas résister au mal. Mais si quelqu’un t’a frappé sur la joue, tend-lui aussi l’autre
[joue]. Et si quelqu’un veut entrer en jugement avec toi, et t’enlever ta tunique,
laisse-lui aussi ton manteau’. Dans ces deux sentences on voit véritablement la
différence entre les deux Testaments, bien qu’ils soient tous les deux établis par un
seul Dieu. En effet, comme les premiers hommes, [étant] charnels, brûlaient de se
venger bien au-delà du tort dont ils se plaignaient, un premier grade de patience fut
établi pour eux : la douleur du vengeur ne devait nullement dépasser la mesure du
tort reçu. En effet, on pouvait même un jour pardonner un tort, si l’on avait d’abord
appris à ne pas le dépasser. Ensuite, le Seigneur, conduisant désormais un peuple,
par la grâce de l’Évangile, à la paix absolue, éleva un deuxième grade au-dessus de
ce premier, pour que celui qui avait déjà entendu qu’il ne fallait pas rendre une
358 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

vengeance qui dépassait la blessure qu’il avait reçue, se réjouît, avec un esprit paci-
fié, de tout pardonner] (c. Adim. 8 ; de même de serm. dom. 1,56s.). Mais, dans
l’expérience pastorale, Augustin sait très bien qu’il n’en est rien : Dicitur tibi: ‘Non
occides’. Tu autem occidere vis inimicum tuum, et ideo forte non facis, quia times
iudicem hominem, non quia cogitas Deum. Ignoras quia ille testis est cogitationum.
Illo vivo quem vis mori, te homicidam tenet in corde [On te dit : ‘Tu ne tueras pas’.
Mais toi, tu veux tuer ton ennemi, et si tu ne le fais pas, c’est peut-être parce que tu
crains le juge humain, non pas parce que tu penses à Dieu. Tu ignores qu’il est té-
moin de tes pensées. Bien que celui que tu voudrais voir mort soit vivant, il te con-
vainc d’être un assassin dans ton cœur] (serm. 9,3).

18,11 nec prolato et recitato evangelio


Augustin fait référence à l’activité judiciaire des évêques, arbitres de différends
civils (voir LANCEL, Saint Augustin, 365–381 ; GAUDEMET, L’Église, 211–252). Sans
doute pouvaient-ils avoir fréquemment recours à la récitation des Évangiles pour
amadouer les chrétiens dont il tentaient de régler les querelles (GAUDEMET, L’Église,
246, note « le caractère conciliateur que gardait en toutes circonstances la juridic-
tion épiscopale »). Voir serm. 167,4, où Augustin s’imagine arbitrant une dispute en
renvoyant les parties à Mt. 5,40 et Eph. 5,16, et serm. 179A,7, où il exhorte ses
ouailles à préferer le pardon à la chicane : Si non dimittis adversario tuo, tu tibi es
adversarius. Vis videre quantum intersit? Verbi gratia, ille te laesit auferendo pecu-
niam; tu te fraudas non merendo indulgentiam. Postremo dicturus es: ‘Multum saevit,
sanguinem meum quaerit’. Ille, sanguinem carnis tuae; tu, mortem animae tuae. ‘Non
ignosco’, inquit. ‘Multum me laesit, multum mihi adversarius fuit’. Peior tibi es. ‘Non
ignosco’. Rogo te, ignosce, dimitte. ‘Sed non me rogat’. Tu pro illo roga. ‘Prorsus non
ignosco’. Litigare vis, et nescis cum quo debeas. Litigare amas? Redi ad te. ‘Irascere,
sed noli peccare’ [Ps. 4,5]. Tibi irascere, ut non pecces. In te saevi, te castiga. Habes
intus quod domes, et dormis [Si tu ne pardonnes pas à ton adversaire, tu es ton
propre adversaire. Tu veux savoir la différence que cela fait ? Un exemple : il t’a fait
du mal en prenant ton argent ; tu voles à toi-même en ne méritant pas l’indulgence.
Enfin tu diras : ‘Il enrage, il cherche mon sang’. Lui, [il cherche] le sang de ta chair ;
toi, la mort de ton âme. ‘Je ne pardonne pas’, dis-tu. ‘Il m’a fait beaucoup de mal ;
c’était mon grand ennemi’. Tu es plus méchant envers toi-même. ‘Je ne pardonne
pas’. Je te le demande : pardonne, laisse. ‘Mais il ne me le demande pas’. À toi de
demander à sa place. ‘Je ne lui pardonne absolument pas’. Tu veux intenter un pro-
cès, et tu ne sais pas à qui tu devrais [l’intenter]. Tu aimes les procès ? Rentre en toi-
même. ‘Sois en colère, mais ne pèche pas’. Sois en colère avec toi-même, pour que
tu ne pèches pas. Enrage envers toi-même, châtie-toi. Tu as en toi ce que tu dois
dompter, et tu dors]. Augustin reproduit ici dans sa prédication le quotidien de
l’évêque-arbitre.
Commentaire | 359

18,12 spiritales viri


Pour ceux qu’Augustin considère comme spiritales, voir A. SOLIGNAC, BA 14, 629–
634 ; R. J. TESKE, Spirituals and Spiritual Interpretation in St. Augustine, AugStud 15
(1984), 65–81 ; R. J. TESKE, Homo Spiritualis in St. Augustine’s De Genesi contra Ma-
nichaeos, Studia Patristica 22 (1989), 351–355 ; R. J. TESKE, « Homo spiritualis » in the
Confessions of St. Augustine, dans : J. MCWILLIAM (éd.), Augustine: From Rhetor to
Theologian, Waterloo ON 1992, 67–76 ; et surtout MAYER, Augustins Lehre, en com-
mençant par 6–11 pour le dossier scripturaire.
Des passages proches du nôtre sont vera relig. 66 (Ita fit homo spiritalis omnia
iudicans, ut ipse a nemine iudicetur [1 Cor. 2,15], diligens Dominum Deum suum in toto
corde, in tota anima, in tota mente, et diligens proximum suum non carnaliter, sed
tamquam seipsum [Il devient ainsi l’homme spirituel qui juge de tout, pour que, lui,
il ne soit jugé par personne, aimant le Seigneur son Dieu de tout son cœur, de toute
son âme, de tout son esprit, et aimant son prochain, non pas charnellement, mais
comme soi-même]) ; serm. 56,15 (Adhuc dicite: Quis potest? Quis illud [sc. aimer ses
ennemis] facit? Deus illud faciat in cordibus vestris. Et ego scio, pauci illud faciunt,
magni sunt qui faciunt, spiritales faciunt [Dites encore : Qui en est capable ? Qui le
fait ? Que Dieu le fasse dans vos cœurs. Moi aussi, je sais que peu le font ; qu’ils sont
grands, ceux qui le font ; les spirituels le font]) ; puis des réflexions sur Gal. 6,1 : in
Gal. 56 (Nihil autem sic probat spiritalem virum quam peccati alieni tractatio, cum
liberationem eius potius quam insultationem potiusque auxilia quam convicia medita-
tur [Rien ne prouve qu’un homme est spirituel autant que sa façon de traiter les
péchés d’un autre : quand il pense à le libérer plutôt qu’à s’en gausser, à l’aider
plutôt qu’à l’injurier]) ; serm. 163B,3 (Et si clamas, intus ama; hortaris, blandiris,
corripis, saevis: dilige et quidvis fac [Même si tu cries, aime intérieurement ; tu ex-
hortes, tu caresses, tu réprimandes, tu t’enrages : aime et fais ce que tu veux]). Ce-
pendant, même si l’amour de Dieu et du prochain, et l’enseignement de cet amour,
sont toujours compris implicitement comme un sine qua non pour être spiritalis,
« Ethische Leistungen scheinen nicht mit der Qualifikation ‘spiritalis’ in einem un-
mittelbaren Zusammenhang zu stehen » (MAYER, Augustins Lehre, 57). En effet, ce
qui caractérise le spiritalis, c’est surtout une connaissance de la profondeur des
mystères chrétiens : il connait le sens allégorique, et donc spirituel et non pas char-
nel, de l’Ancien Testament (c’est déjà l’interprétation de Clément d’Alexandrie et
surtout d’Origène, chez qui elle est presque obsessive. Voir SOLIGNAC, 630 ; MAYER,
Augustins Lehre, 45, mais il y aurait plus à dire sous ce chef) ; il comprend la hiérar-
chie des biens, avec à son sommet un Dieu qu’il conçoit correctement comme une
substance spirituelle (c’est sur cet aspect que portent les écrits de Teske, qui insiste
– un peu à l’excès – sur l’origine de cette conception dans le néo-Platonisme. Selon
Teske, seuls quelques chrétiens néo-platonisants, Ambroise, Marius Victorinus,
Simplicianus, seraient des spiritales pour Augustin). Dans un tournant dangereux,
Augustin affirmera aussi plus tard que seul le spirituel comprend les vérités de la
prédestination, et qu’il les cachera dans une certaine mesure aux simples (MAYER,
360 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

Augustins Lehre, 38s.), ce qu’Augustin lui-même a fait (FITZGERALD, Augustine s.v.


Predestination, 679).
L’Église se divise-t-elle donc entre spiritales et carnales, comme semble
l’indiquer notre passage de l’Inchoata expositio ? La réponse est complexe. Tous les
hommes ont dans leur âme une substance spirituelle (MAYER, Augustins Lehre, 13s.),
qu’ils conservent après la chute, tout en devenant charnels. Dans le baptême, les
chrétiens renaissent à la vie spirituelle (MAYER, Augustins Lehre, 40s.), et il s’agit
ensuite de croître : aucun chrétien n’est entièrement spirituel en cette vie. À partir
de quaest. Simpl. 1,2,17, Augustin insistera sur le fait que même les plus élevés dans
l’Église restent en lutte permanente contre l’homme charnel en eux (MAYER, Augus-
tins Lehre, 25–27.58 ; SOLIGNAC, 633). C’est bien ainsi qu’il commente Gal. 6,1 vers
410 : Numquid enim quia spiritalis est, homo non est? Numquid quia spiritalis est, non
portat ‘corruptibile corpus quod aggravat animam’ [Sap. 9,15]. Numquid quia spirita-
lis est, finivit hanc vitam, quae ‘tota temptatio est super terram’ [Iob 7,1]. Ergo bene illi
dictum est, omnino bene: ‘intendens te ipsum, ne et tu tempteris’ [Gal. 1,6] [Est-ce que,
parce qu’il est spirituel, il n’est plus un homme ? Est-ce que, parce qu’il est spirituel,
il ne porte pas ‘un corps corruptible qui pèse sur l’âme’ ? Est-ce que, parce qu’il est
spirituel, il a terminé cette vie, qui est ‘entièrement tentation sur la terre’. On fait
donc bien, on fait très bien de lui dire : ‘faisant attention à toi-même, pour que tu ne
sois pas tenté, toi aussi’] (serm. 163B,3).
En même temps, ceux dans l’Église qui sont prédestinés à la damnation ne sont
spirituels ni de fait ni in potentia (MAYER, Augustins Lehre, 40–43. On se demande si
un tel baptisé est incapable de toute croissance spirituelle, ou s’il faut plutôt com-
prendre que, puisque celle-ci sera finalement vaine, il ne pourra pas figurer au rang
des spirituels, ne serait-ce que temporairement).
Notons deux tensions dans cette notion de spiritalis qui ont trait à notre passage
de l’Inchoata expositio :
(a) Tout d’abord, Augustin dit que la volonté de Dieu n’est pas difficile à ap-
prendre (breviter insinuetur, 13,9), puisqu’elle consiste à aimer Dieu et son pro-
chain. Et, dans doctr. christ., Augustin va fonder toute son herméneutique des Écri-
tures sur le principe qu’elles ne contiennent pas de mystère qui aille au-delà du
double commandement. Dans l’Inchoata expositio, ce sont ensuite les spirituels qui
exhortent les autres, les charnels, à y adhérer. Mais, si le commandement est
simple, le spirituel, on l’a vu, doit être « soweit wie möglich auch ein theologisch
Gebildeter » (MAYER, Augustins Lehre, 28). Faut-il comprendre que seul celui qui
peut allégoriser l’Ancien Testament et expliquer la théologie trinitaire est capable –
pour ne pas parler de l’amour de Dieu – d’aimer son prochain, d’aimer son ennemi ?
Augustin croyait certainement que seul celui qui aimait son prochain était un vrai
« theologisch Gebildeter », mais dans quelle mesure pensait-il aussi l’inverse ? Qui
veut répondre à cela doit surtout se rappeler qu’il incombe au spirituel de partager
sa connaissance : Augustin a inlassablement expliqué à sa congrégation ce qu’il
Commentaire | 361

croyait être le sens caché des Écritures (voir in euang. Ioh. 98 pour sa propre présen-
tation de cette prédication en termes de spirituels et charnels).
(b) En pratique, les spiritales viri sont clairement des membres du clergé. Qui
d’autre est susceptible de parler prolato et recitato evangelio (13,11 ; voir n. précé-
dente) ? Augustin écrira certes : In ecclesia tua … non solum qui spiritaliter praesunt
sed etiam hi qui spiritaliter subduntur eis qui praesunt – masculum enim et feminam
fecisti hominem [Gen. 1,27] hoc modo in gratia tua spiritali, ubi secundum sexum cor-
poris non est masculus et femina, quia ‘nec Iudaeus neque Graecus neque servus
neque liber’ [Gal. 3,28] – spiritales ergo, sive qui praesunt sive qui obtemperant, spiri-
taliter iudicant [1 Cor. 2,15] [Dans ton Église … non seulement ceux qui commandent
spirituellement, mais aussi ceux qui sont spirituellement soumis à ceux qui com-
mandent – car tu as ainsi fait l’homme mâle et femelle dans ta grâce spirituelle, où il
n’y a ni mâle ni femelle selon le sexe du corps, puisqu’il n’y a ‘ni Juif ni Grec, ni
esclave ni homme libre’ – donc, les spirituels, qu’ils commandent ou qu’ils obéis-
sent, jugent spirituellement] (conf. 13,33). Mais comme le fait remarquer SOLIGNAC
(632) sur ce passage, quand Augustin en vient à expliquer ce que jugent les fidèles,
« il semble bien parler maintenant comme si, selon l’ordre normal des choses, le spi-
rituel au sens plein était l’évêque ». MAYER, Augustins Lehre, 55–57 note de même
que quand Augustin parle d’individus ou de groupes spécifiques comme étant spiri-
tales, il s’agit toujours d’évêques, de prêtres, de diacres ou de moines (et, si Augus-
tin parle 29 fois d’homo spiritalis [homme [sc. être humain] spirituel] et 25 fois de vir
spiritalis [homme [sc. mâle] spirituel], il ne mentionne jamais de femina spiritalis
[femme spirituelle] : ibid. 6, 57). Certes, Augustin n’a jamais proposé d’équivalence
naïve entre la sainteté et l’état de vie, et la controverse avec les Donatistes l’a mille
fois obligé à admettre la faillibilité des prêtres. En même temps, vu ses hésitations
devant la vie familiale et les rapports sexuels, on voit difficilement comment, pour
lui, une personne mariée pourrait progresser beaucoup vers l’état de spirituel :
Quamvis a furtis, a rapinis, a fraudibus, ab adulteriis et fornicationibus omnique luxu-
ria, a crudelitate odiorum et inimicitiarum pertinacia, ab omni denique idololatriae
foeditate, spectaculorum nugacitate, haeresum atque schismatum impia vanitate,
atque ab omnibus huiuscemodi flagitiis et facinoribus immunes, puri atque integri
esse debeant, tamen propter administrationem rerum familiarium, et coniugiorum ar-
tissima vincula, tam multa peccant, ut non tam de istius mundi pulvere aspergi, quam
luto obliniri videantur [Bien qu’ils doivent être intacts, purs et libres du vol, de la ra-
pine, de la fraude, de l’adultère et de la fornication, et de toute intempérance, de la
cruauté de la haine et de l’entêtement de l’inimitié, enfin de toute la souillure de
l’idolâtrie, de la frivolité des spectacles, de la vanité impie des hérésies et des
schismes, et de toute infamie et crime de ce genre – néanmoins, à cause de l’admi-
nistration de leurs affaires familiales, et des liens très étroits du mariage, ils font
tant de péchés, qu’ils semblent non pas aspergés par la poussière de ce monde, mais
plutôt enduits de sa boue] (serm. 351,5 ; cf. soliloq. 1,17 et voir aussi le contraste
entre laïcs et clergé en util. cred. 35 : Pauci haec faciunt, pauciores bene pruden-
362 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

terque faciunt: sed populi probant, populi audiunt, populi favent, diligunt postremo
populi. Populi suam imbecillitatem, quod ipsa non possunt, nec sine provectu mentis
in Deum, nec sine quibusdam scintillis virtutis, accusant [Peu nombreux sont ceux qui
le font, moins nombreux ceux qui le font bien et prudemment : mais le peuple les
approuve, le peuple les écoute, le peuple les soutient, enfin le peuple les aime. Le
peuple en veut à sa faiblesse, qui fait qu’il ne peut pas en faire autant : [voilà qui]
n’est pas sans un progrès de l’esprit vers Dieu, ni sans quelques étincelles de vertu] ;
de même c. Faust. 5,9 : le thème se développe en partie en réponse à l’ascétisme
manichéen).
Ces tensions ne sont nullement exclusives à la pensée augustinienne, mais sont
le fait inévitable d’une religion qui est à la fois religion du livre et religion des
simples, qui crée des formes spéciales de vie consacrée, tout en exigeant la sainteté
de tous. Pour Augustin lui-même, le problème sera en fin de compte dépassé par sa
vision de la grâce, qui sauve des homme de toutes sortes, y compris ceux qui, tels le
bon larron (quaest. Simpl. 1,2,14–19), n’ont jamais vécu comme des spirituels.

18,14s. La faute de David


David est le pécheur repenti le plus célèbre de l’Ancien Testament, et pouvait figurer
dans toute discussion sur la valeur de la pénitence. Il est déjà exemple du pardon
dans la quaestio anti-novatianiste de l’Ambrosiaster = Ps.-Aug. quaest. test. (102,5
[CSEL 50] ; voir n. à 20,5, malevolentiae). Mais Augustin continue surtout à suivre le
De paenitentia d’Ambroise (voir n. à 18,2) : Nihil ergo te revocet a paenitentia. Haec
tibi communis cum sanctis est, utinamque imitanda talis qualis sanctorum deploratio.
David ‘manducabat sicut panem cinerem et potum suum lacrimis temperabat’ [Ps.
101,10]. Ideo nunc amplius gaudet, quia amplius flevit [Donc, que rien ne te fasse re-
venir de la pénitence. Tu la partages avec les saints, et tu dois l’imiter autant que les
larmes des saints. David ‘mangeait les cendres comme du pain et mélangeait ses lar-
mes à sa boisson’. C’est pourquoi maintenant il se réjouit plus, parce qu’il a plus
pleuré] (paen. 2,93 ; voir aussi 2,69, et l’emploi de l’exemple de David par Ambroise
pour exhorter Théodose au repentir : epist. extra coll. 11,7s. [CSEL 82/3] ; la première
Apologia David, adressée à Théodose, et Paulin de Milan, Vita Ambrosii 24.39).
Néanmoins, soucieux de réduire la part du scandaleux dans l’Ancien Testa-
ment, Augustin cherche ailleurs à minimiser la faute de David : Intellegitur, quanta
temperantia multas mulieres habuerit, quando de una, in qua excessit modum, a se
ipso puniri coactus est. Sed in isto viro inmoderatae huius libidinis non permansio, sed
transitus fuit. Propterea etiam ab arguente propheta ille inlicitus appetitus ‘hospes’
vocatus est [2 Reg. 12,4]. Non enim dixit eum regi suo, sed hospiti suo vicini pauperis
ovem ad epulandum exhibuisse [On comprend avec quelle modération il a eu plu-
sieurs femmes, quand, ayant dépassé la mesure dans le cas d’une seule, il fut con-
traint à se punir lui-même. Mais ce fut chez cet homme non pas l’installation, mais
[seulement] le passage de la luxure immodérée. C’est en effet pour cette raison que
ce désir interdit fut appelé ‘hôte’ même par le prophète accusateur. Effectivement, il
Commentaire | 363

n’a pas dit qu’il avait offert le mouton du pauvre voisin pour le festin de son roi,
mais de son hôte] (doctr. christ. 3,71). Mais quand il prêche la pénitence, la faute
prend de nouveau toute son ampleur : Intuere David regem: iam utique et ipse illius
temporis sacramenta perceperat, iam utique circumcisus erat, quod patres nostri pro
baptismo habebant … Iam etiam unctus erat unctione venerabili, qua ‘regale sacerdo-
tium’ [1 Petr. 2,9] praefigurabatur ecclesiae. Repente autem factus et adulterii et ho-
micidii reus, non frustra tamen de tam immani et abrupto profundo sceleris paenitens
clamavit ad Dominum [Regarde le roi David : lui aussi, assurément, avait déjà reçu
les sacrements de cette époque ; assurément, il avait déjà été circoncis, ce que nos
pères faisaient à la place du baptême … De plus, il avait déjà été oint de l’onction
vénérable, par laquelle était préfiguré le ‘sacerdoce royal’ de l’Église. Mais, quand il
est devenu tout d’un coup coupable d’adultère et d’homicide, ce n’est pas en vain,
cependant, que, du gouffre si énorme et si abrupt de son crime, le pénitent a crié
vers le Seigneur] (serm. 351,12) ; multi enim cadere volunt cum David, et nolunt sur-
gere cum David [Nombreux, en effet, sont ceux qui veulent tomber avec David, et ne
veulent pas s’élever avec David] (in psalm. 50,3).
Si David pécheur repenti a un équivalent dans le Nouveau Testament, c’est
Pierre, dans son reniement du Christ. Il ne figure pas dans l’Inchoata expositio. Mais
dans serm. 71, on ne retrouve plus David, et Pierre, pour ainsi dire, a pris sa place :
‘Dico autem vobis, quicumque confessus fuerit me coram hominibus, et filius hominis
confitebitur in illo coram angelis Dei. Qui autem negaverit coram hominibus, denega-
bitur coram angelis’. Et ne ex hoc apostoli Petri desperaretur salus, qui eum coram
hominibus ter negavit, continuo subiecit: ‘Et omnis qui dicit verbum in filium hominis,
remittetur illi. Ei autem qui in Spiritum sanctum blasphemaverit, non remittetur’ [Lc.
12,8–10], illa scilicet blasphemia cordis impaenitentis, qua resistitur remissioni pecca-
torum, quae fit in ecclesia per Spiritum sanctum. Quam blasphemiam Petrus non
habuit, quem mox paenituit quando amare flevit [‘Mais je vous le dis, quiconque
m’aura confessé devant les hommes, le fils de l’homme confessera aussi pour lui
devant les anges de Dieu. Mais celui qui [me] reniera devant les hommes sera renié
devant les anges’. Et pour que l’on ne désespérât pas pour autant du salut de
l’apôtre Pierre, qui l’avait renié trois fois devant les hommes, il ajouta ensuite : ‘Et
quiconque dit une parole contre le fils de l’homme, il lui sera pardonné. Mais pour
celui qui aura blasphémé contre l’Esprit Saint, il ne lui sera pas pardonné’. Il s’agit
du blasphème d’un cœur impénitent, par lequel on résiste au pardon des péchés,
qui se fait dans l’Église par l’Esprit Saint. Pierre n’eut pas ce blasphème : il fit bien-
tôt pénitence, quand il pleura amèrement] (serm. 71,34 ; voir aussi Pierre associé à
David en serm. 351,12).

19,1 qui diligentius pertractant


Pour les sources d’Augustin, voir n. à 18,2. Il fait très probablement référence une
fois de plus au De paenitentia d’Ambroise. Pour le contraste entre le sacrifice du
baptême et ceux de la pénitence, voir serm. 351,6 : Non enim ea dimitti precamur [sc.
364 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

lors de l’acte de contrition dans la messe, ou en récitant le Pater], quae iam in bap-
tismo nisi dimissa credimus, de ipsa fide dubitamus. Sed utique de quotidianis pecca-
tis hoc dicimus, pro quibus etiam sacrificia eleemosynarum, ieiuniorum, et ipsarum
orationum ac supplicationum quisque pro suis viribus offerre non cessat [En effet,
nous ne demandons pas que l’on nous pardonne les [offenses] que nous devons
croire avoir déjà été remises dans le baptême – autrement, nous douterions de la foi
elle-même. Mais nous disons cela, évidemment, des péchés quotidiens, pour les-
quels chacun, selon ses forces, ne cesse d’offrir aussi des sacrifices d’aumônes, de
jeûnes, et justement de prières et de supplications].

19,2 id est, holocausto dominicae passionis


Jean Chrysostome, sur Hebr. 6,6, rappelle que c’est justement l’épître aux Romains
qui rend explicite le lien entre la mort du Christ et le baptême : ὃ δὲ λέγει, τοῦτό
ἐστι· τὸ βάπτισμα σταυρός ἐστι· ‘συνεσταυρώθη γὰρ ὁ παλαιὸς ἡμῶν ἄνθρωπος’
[Rom. 6,6]. καὶ πάλιν· ‘σύμμορφοι γεγόναμεν τῷ ὁμοιώματι τοῦ θανάτου αὐτοῦ’
[Rom. 6,5]· καὶ πάλιν· ‘συνετάφημεν οὖν αὐτῷ διὰ τοῦ βαπτίσματος εἰς τὸν θάνατον’
[Rom. 6,4]. ὥσπερ οὖν οὐκ ἔνι δεύτερον σταυρωθῆναι τὸν Χριστόν – τοῦτο γὰρ
‘παραδειγματίσαι’ αὐτόν ἐστιν – οὕτως οὐδὲ βαπτισθῆναι [Voici ce qu’il dit : le bap-
tême, c’est la croix, puisque ‘notre homme ancien a été crucifié avec lui’. Et encore :
‘nous sommes devenus similaires à la forme de sa mort’ ; et encore : ‘nous avons
donc été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort’. Donc, tout comme le Christ
ne peut pas être crucifié une deuxième fois – car c’est cela, le ‘déshonorer’ – de
même on ne peut être baptisé [une deuxième fois]] (hom. in Heb. 9,3 [PG 63, 79] ;
exégèse très similaire chez Théodoret de Cyr, Hebr. 6,4–6 [PG 82, 716s.]). Cette union
à la Passion, dont le baptême est le signe efficace, se fait par la foi, le grand sujet de
Rom. : Tum enim cuique occiditur cum credit occisum [Pour chaque homme, il est tué
au moment où il croit qu’il a été tué] (quaest. euang. 2,33,3).

19,6 per doctrinam


Par ces mots, Augustin distingue entre le baptême, qui est, pour ainsi dire, le sceau
de la connaissance de Dieu, et l’enseignement catéchétique. Voir n. à 18,7, Corneille.

19,7 omnem hominem non esse quadrupedem


De propositione aristotelica, lit-on ici dans la marge du manuscrit O. Il s’agit en effet
d’un peu de logique d’école, comme on en trouve souvent en forme simple chez
Augustin (voir MARROU, Saint Augustin, 240s.245 ; J. PÉPIN, Saint Augustin et la dia-
lectique, Villanova PA 1976, 166–187 ; pour l’exemple d’Origène : SChr 290, 378–
384), et dont il expose la valeur en doctr. christ. 2,117–131. Ici, Augustin montre
qu’une équivalence entre les baptisés et ceux qui ont la scientia veritatis serait un
sophisme « par non-distributivité du terme majeur » (voir W. T. PARRY – E. HACKER,
Aristotelian Logic, Albany NY 1991, 293), d’un type qu’il relève particulièrement
souvent dans ses premiers écrits, sous diverses formes : Convenit inter nos, neque
Commentaire | 365

quemquam beatum esse posse, qui quod vult non habet; neque omnem qui quod vult
habet, beatum esse [Nous sommes d’accord que personne ne peut être heureux, qui
n’a pas ce qu’il veut, et que tous ceux qui ont ce qu’ils veulent ne sont pas heureux]
(beat. vit. 10) ; sed illud videte, utrum quomodo verum est quod omnis egens miser sit,
ita sit verum quod omnis miser egeat [Mais voyez ceci : est-ce que, tout comme il est
vrai que tout homme en manque de quelque chose est misérable, de même il est vrai
que tout homme misérable est en manque de quelque chose ?] (beat. vit. 22 ; voir
aussi 29) ; ita fit ut omne punctum etiam signum sit, non autem omne signum punctum
videatur [Ainsi se fait-il que tout point est aussi un signe, mais tout signe ne semble
pas être un point] (quant. anim. 18) ; si enim me rogares quid esset homo, et eum hoc
modo definirem, ‘homo est animal mortale’; non continuo quia verum dictum est,
etiam definitionem probare deberes, sed superposita ei particula, id est ‘omnis’, con-
vertere illam et intueri, utrum etiam conversa vera esset. Hoc est: utrum quemadmo-
dum verum est ‘omnis homo animal mortale est’, ita esset verum ‘omne animal mor-
tale homo est’ [En effet, si tu me demandais qu’est-ce que c’est qu’un homme, et je le
définissais comme suit : ‘l’homme est un animal mortel’, ce n’est pas forcément
parce que j’ai dit vrai que tu devrais aussi approuver la définition, mais [tu devrais]
ajouter une particule, à savoir ‘tout’, puis la retourner, et voir si elle est encore vraie,
une fois retournée. À savoir : est-ce que, tout comme ‘tout homme est un animal
mortel’ est vrai, ‘tout animal mortel est un homme’ serait également vrai ?] (quant.
anim. 47) ; quia verum est, cum dicimus: ‘si orator est, homo est’, ex qua propositione
si adsumamus: ‘non est autem orator’, non erit consequens cum intuleris ‘non est
igitur homo’ [Même si c’est vrai quand nous disons : ‘si c’est un orateur, c’est un
homme’, si, partant de cette proposition, nous ajoutons : ‘mais ce n’est pas un ora-
teur’, il sera inconséquent pour toi de conclure : ‘donc, ce n’est pas un homme’]
(doctr. christ. 2,126 ; voir encore, pour les œuvres d’avant l’épiscopat, immort. 20 ;
lib. arb. 1,16 ; mus. 1,6 ; 3,4 ; mag. 9.39 ; de serm. dom. 1,60 ; divers. quaest. 34 ;
51,2 ; 74 ; in psalm. 1,3 ; 10,8). Pour la même matière que dans l’Inchoata expositio,
voir divers. quaest. 77 : Omnis autem passio, in quantum ipsa passione patimur, non
est peccatum. ‘Sic et si patimur timorem, non est peccatum’. Tamquam si diceretur: Si
bipes est, non est pecus. Si ergo propterea hoc non est consequens, quia multa sunt
pecora bipedia, propterea et illud non est consequens, quia multa sunt peccata quae
patimur [Et toute affection, dans la mesure où nous sommes affectés par l’affection
elle-même, n’est pas un péché. ‘Et ainsi, si nous sommes affectés par la peur, ce
n’est pas un péché’. C’est comme si l’on disait : si c’est un bipède, ce n’est pas un
animal. Si donc cette [proposition] n’est pas conséquente, parce qu’il y a beaucoup
d’animaux bipèdes, de même cette autre n’est pas conséquente, parce qu’il y a
beaucoup de péchés par lesquels nous sommes affectés]. Et Augustin avait déjà
employé cette distinction syllogistique dans l’exégèse paulinienne, dans un passage
qui anticipe une des clefs de voûte de sa doctrine de la prédestination : Quod autem
ait ‘quos vocavit, ipsos et iustificavit’ [Rom. 8,30], potest movere et quaeri, utrum
omnes, qui vocati sunt, iustificentur. Sed alibi legimus: ‘Multi vocati, pauci autem
366 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

electi’ [Mt. 22,14]. Tamen quia ipsi quoque electi utique vocati sunt, manifestum est
non iustificatos nisi vocatos, quamquam non omnes vocatos sed eos, qui ‘secundum
propositum vocati sunt’ [Rom. 8,28] [Quand il dit ‘ceux qu’il a appelés, ils les a aussi
justifiés’, cela peut nous troubler, et soulever la question : est-ce que tous ceux qui
ont été appelés sont justifiés ? Mais nous lisons ailleurs : ‘Beaucoup sont appelés,
mais peu sont choisis’. Cependant, puisque les élus eux aussi ont certainement été
appelés, il est clair que seuls les appelés sont justifiés, bien que ce ne soit pas tous
les appelés, mais ceux ‘qui ont été appelés selon son dessein’] (in Rom. 47).
Comme le remarque RING (n. à 19,7), l’exemple employé ici est « etwas ver-
unglückt ». Il eût été plus simple de dire « tout humain [= celui qui a scientia verita-
tis] est bipède [= baptisé], mais tout bipède n’est pas humain ».

19,8 operatur paenitentia, sed tamquam in fundamento


Augustin anticipe sur Hebr. 6,1, qu’il va citer en 19,10.

19,10s. Hebr. 6,1


Le texte d’Augustin est très différent de la Vulgate :

Grec Inchoata expositio Vulgate


διὸ ἀφέντες τὸν τῆς ἀρχῆς Ideoque remittentes initii Quapropter intermit-
τοῦ Χριστοῦ λόγον Christi verbum tentes inchoationis
Christi sermonem
ἐπὶ τὴν τελειότητα in consummationem respi- ad perfectionem fe-
φερώμεθα ciamus ramur
μὴ πάλιν θεμέλιον non iterum iacientes fun- non rursum iacientes
καταβαλλόμενοι μετανοίας damentum paenitentiae fundamentum paeni-
tentiae
ἀπὸ νεκρῶν ἔργων καὶ a mortuis operibus et fidei ab operibus mortuis et
πίστεως ἐπὶ Θεόν in Deum fidei ad Deum
βαπτισμῶν διδαχῆς lavacri doctrinae baptismatum doctrinae
ἐπιθέσεώς τε χειρῶν impositionis manus impositionis quoque
manuum
ἀναστάσεώς τε νεκρῶν resurrectionis etiam mor- ac resurrectionis mor-
tuorum tuorum

Pour les sources du texte augustinien, et de son exégèse, voir n. à. 18,2. Augustin
choisit de commenter les deux versets qui précèdent Hebr. 6,4–6, puisque ce sont
eux qui, selon lui, indiquent clairement le sens des passages controversés de
l’épître. Hebr. 6,4–6 eux-mêmes ne sont jamais cités dans le corpus augustinien
(voir VetLat 25 ad loc.). Par contre, Augustin réemploie Hebr. 6,1s. en conf. 13,28 ;
fid. et op. 17 (voir aussi 28 ; 31 ; 33) ; in euang. Ioh. 98,5, comme ici, pour distinguer
entre baptême et catéchèse. Voir aussi Jean Chrysostome sur ces versets : Εἰ μὲν γὰρ
ἐπιδείξεως ἦν ἡμῖν ὁ λόγος καὶ φιλοτιμίας, ἐχρῆν ἀεὶ μεταπηδᾷν καὶ μεταβαίνειν,
Commentaire | 367

οὐδὲν φροντίζοντας ὑμῶν ἕνεκεν, ἀλλὰ τῶν κρότων μόνον τῶν παρ’ ὑμῶν· ἐπειδὴ
δὲ οὐ πρὸς τοῦτο τὴν σπουδὴν ἐθέμεθα, ἀλλὰ πάντα ὑπὲρ τῆς ὠφελείας ἡμῖν
πονεῖται τῆς ὑμετέρας, οὐ παυσόμεθα περὶ τῶν αὐτῶν ὑμῖν διαλεγόμενοι, ἕως ἂν
αὐτὰ κατορθώσητε [Si je faisais un discours ambitieux de parade, il faudrait faire
sans cesse sauts et virages, ne songeant nullement à vous, mais seulement à vos
applaudissements. Mais, comme ce n’est pas pour cela que je me donne du mal,
mais ce labeur est entièrement pour votre bien, je ne cesserai pas de vous parler des
mêmes choses, jusqu’à ce que vous les corrigiez] (hom. in Heb. 9,1 [PG 63, 75s.]).
Il y a en effet deux raisons pour répéter les enseignements élémentaires de la ca-
téchèse. D’abord, les fidèles auront encore besoin d’en approfondir leur connais-
sance : Est autem catholica fides in symbolo nota fidelibus, memoriaeque mandata,
quanta res passa est brevitate sermonis, ut incipientibus atque lactantibus, eis qui in
Christo renati sunt, nondum scripturarum divinarum diligentissima et spiritali tracta-
tione atque cognitione roboratis, paucis verbis credendum constitueretur, quod multis
verbis exponendum esset proficientibus, et ad divinam doctrinam certa humilitatis
atque caritatis firmitate surgentibus [Or, la foi catholique est connue des fidèles, et
commise à la mémoire, par le Symbole, dans le mesure où la matière l’admet, vu la
brièveté du texte. Ainsi, pour les débutants et ceux qui sont [encore] au sein, pour
ceux qui sont renés dans le Christ, [mais] ne sont pas encore fortifiés par l’étude et la
connaissance très diligentes et spirituelles des Écritures divines, on a défini avec
peu de mots ce qu’il faut croire. Cela sera à expliquer avec beaucoup de mots pour
ceux qui progressent, et qui s’élèvent jusqu’à l’enseignement divin, dans la fermeté
sûre de l’humilité et de la charité] (fid. et symb. 1). De plus, leur enthousiasme pour
les vérités de la foi, et pour la vie morale, aura toujours besoin de ravitaillement : Si
vero qui audiunt movendi sunt potius quam docendi, ut i n e o q u o d i a m s c i u n t
agendo non torpeant et rebus assensum quas veras esse fatentur accommodent, maio-
ribus dicendi viribus opus est. Ibi obsecrationes et increpationes, concitationes et
coercitiones et quaecumque alia valent ad commovendos animos, sunt necessaria
[Mais s’il faut émouvoir, plutôt qu’enseigner, ceux qui écoutent, pour qu’ils ne lan-
guissent pas en mettant en œuvre c e q u ’ i l s s a v e n t d é j à , et qu’ils donnent leur
assentiment aux choses qu’ils admettent être vraies, il faut des ressources
d’éloquence plus importantes. C’est alors que sont nécessaires les suppliques et les
reproches, les encouragements et les réprimandes, et tout ce qu’il y a d’autre, qui
sert à remuer les esprits] (doctr. christ. 4,15).
Les sermons d’Augustin sont un vaste témoignage de sa propre dévotion à ce
programme d’enseignement constant des vérités fondamentales et de rappels inces-
sants à la vertu. On peut en dire autant des homélies de Jean Chrysostome. Contras-
tons une remarque d’Origène sur Hebr. 6,1 : Absit ut aliquis in ecclesia sit qui de-
hortatoriis a fornicatione indigeat sermonibus … Omnis sermo qui praecepit ‘non
fornicaberis, non adulterabis, non furaberis’ non est ‘solida esca’ sed quasi ‘lac’
[Hebr. 5,12] praebetur infantibus. Athletarum cibus est de omnipotenti Deo, de myste-
riis eius, quae tecta sunt et latenter in scripturis significata … Et quoniam moralis
368 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

locus lac sit, apostolus docet, cum iam aliqua de lacte dixisset, addens ‘non rursum
iacientes fundamentum paenitentiae ab operibus mortuis’ [Plaise au ciel qu’il n’y ait
personne dans l’Église qui aurait besoin de sermons pour le détourner de la fornica-
tion … Tout sermon qui enseigne ‘tu ne forniqueras pas, tu ne commettras pas
l’adultère, tu ne voleras pas’ n’est pas la ‘nourriture solide’, mais s’offre comme du
‘lait’ aux bébés. La nourriture des athlètes a trait au Dieu tout-puissant [et] à ses
mystères, qui sont cachés et indiqués secrètement dans les Écritures … Et que la
matière morale, c’est du lait, l’apôtre l’enseigne, quand, après avoir dit quelque
chose sur ce lait, il ajoute ‘sans jeter une seconde fois la fondation de la pénitence
des œuvres mortes’] (Hier. hom. Orig. in Ezech. 7,10). Ce contraste se reflète dans la
pratique : là où les sermons d’Augustin ou de Chrysostome sont des exhortations
brûlantes à un peuple de pécheurs, ceux d’Origène (qui, rappelons-le, ne fut jamais
évêque) sont des cours paisibles d’exégèse allégorique, où l’on entrevoit à peine
l’existence d’un public.

19,10 ex novo testamento ad sacerdotium vetus declinasse videbantur


Voir epist. 82,28 : Iudaeis tamquam Iudaeus fiebat [1 Cor. 9,20], quando eos ab illo
errore, quo vel in Christum credere nolebant vel per v e t e r a s a c e r d o t i a sua caere-
moniarumque observationes se a peccatis posse mundari fierique salvos existimabant,
sic liberare cupiebat, tamquam ipse illo errore teneretur [Il devenait comme un Juif
pour les Juifs, quand, en tentant de les libérer de l’erreur, par laquelle ou bien ils ne
voulaient pas croire au Christ, ou bien ils croyaient qu’ils pouvaient être purifiés de
leurs péchés et être sauvés par leurs a n c i e n s s a c e r d o c e s et l’observation de
leurs cérémonies, il faisait comme s’il était lui-même tenu par cette même erreur].
Augustin comprend donc que dans Hebr. Paul avertit des chrétiens d’origine juive
qui voulaient après le baptême continuer à pratiquer des rites baptismaux de purifi-
cation.

19,11 in verbi Dei tractatione


Voir n. à 23,14s.

20,1 si proprie peccatum in Spiritum sanctum sciens admiserit


Sur cette question, voir n. à 21,1s.

20,3 in illa scilicet caecitate


Origène insiste déjà sur la faillibilité du discernement des esprits chez les phari-
siens : références à SChr 385, 134s., n. 2. Pour Augustin et les Juifs, voir n. à 3,1,
commendat auctoritate. Pour l’exégèse augustinienne de Rom. 11,25, voir RING, n. à
20,4. L’interprétation d’Origène, selon laquelle πᾶς Ἰσραὴλ σωθήσεται [tout Israël
sera sauvé] (Rom. 11,26) indique que le peuple juif sera sauvé à la fin des temps
(hom. in Ex. 6,9 ; hom. in Lev. 3,5 ; 5,11 ; hom. in Num. 6,4 ; 7,4 ; 15,4 ; hom. in Jos.
4,3 ; 8,5 ; 11,3 ; 24,2 ; hom. in Jud. 5,5 ; hom. in Jer. 4,6 ; 5,2,4 avec SChr 232, n. ad
Commentaire | 369

loc. ; Jo. 13,57,392 ; comm. in Rom. 8,11,5–8 ; d’autres références à SChr 385, 28) est
bien étrangère à la pensée d’Augustin, pour qui cette phrase indique le nouveau
peuple élu, qui ne comporte qu’une partie de l’ancien : ‘Caecitas ex parte in Israel
facta est, donec plenitudo gentium intraret et sic omnis Israhel salvus fieret’. ‘Ex parte’
dixit, quia non omnes excaecati sunt; erant enim ex illis, qui Christum cognoverunt.
Plenitudo autem gentium in his intrat, qui ‘secundum propositum vocati sunt’ [Rom.
8,28]. ‘Et sic omnis Israel salvus fiet’, quia et ex Iudaeis et ex gentibus, qui ‘secundum
propositum vocati sunt’, ipsi verius sunt Israel [‘L’aveuglement est survenu pour une
partie d’Israël, jusqu’à ce qu’entrât la plénitude des gentils, et qu’ainsi tout Israël
fût sauvé’. Il dit ‘pour une partie’ parce que tous n’ont pas été aveuglés. Il y en eut
en effet parmi eux qui reconnurent le Christ. Et la plénitude des gentils entre dans
ceux qui ‘ont été appelés selon le dessein’. ‘Et ainsi tout Israël sera sauvé’, parce que
ceux d’entre les Juifs et les gentils qui ‘ont été appelés selon le dessein’, ce sont eux
qui sont plus véritablement Israël] (epist. 149,19). Voir aussi, avec tout de même des
indications d’un renversement partiel à la fin des temps, quaest. euang. 2,33,5, sur
le fils prodigue, symbole des gentils : le père sort pour inviter le fils aîné, qui repré-
sente les Juifs, au repas. Cela semble cependant représenter non pas le salut assuré
des Juifs, mais seulement un appel final (vocatio) de Dieu vers eux : Cum ergo pleni-
tudo gentium intraverit, egredietur opportuno tempore pater eius, ut etiam omnis
Israel salvus fiat, cui ex parte caecitas facta est velut absenti in agro, donec plenitudo
filii minoris longe in idolatria gentium constituti redux ad manducandum vitulum
intraret. Erit enim quandoque aperta vocatio Iudaeorum in salutem evangelii. Quam
manifestationem vocationis tamquam egressum patris appellat ad rogandum maio-
rem filium [Donc, quand la plénitude des gentils sera entrée, son père sortira, au
temps opportun, pour que tout Israël soit aussi sauvé, pour une partie duquel
l’aveuglement est survenu, comme s’il était absent dans le champ, jusqu’à ce que la
plénitude du fils cadet, établi au loin dans l’idolâtrie des gentils, fût reconduite pour
manger le veau, et soit entrée. Il y aura en effet un jour un appel ouvert aux Juifs
[pour entrer] dans le salut de l’Évangile. C’est la révélation de cet appel qu’il décrit
comme la sortie du père pour appeler son fils cadet]. Mais libre au fils aîné d’écouter
l’appel ou pas : l’Évangile n’affirme pas qu’il soit entré. Cependant, A. MASSIE (De
« l’espérance cachée » à la « plénitude de la foi » : Le salut d’Israël, figure de la fin
des temps, selon Augustin ?, dans : L’exégèse patristique de Romains 9–11, Paris
2007, 149–165), veut voir dans ce passage une affirmation claire de l’ « espérance du
salut d’Israël à la fin des temps » (162). Il admet que « une affirmation de ce type ne
se retrouve pas ensuite » (162), mais prétend néanmoins identifier dans civ. 20,29s.
une nouvelle « affirmation claire de la conversion du peuple juif » (164), évangélisé
à la fin des temps par Hélie. En fait, dans civ., cette conversion est limitée à la géné-
ration de Juifs qui sera en vie lors de la venue d’Hélie : Paenitebit quippe Iudaeos in
die illa, etiam eos qui accepturi sunt Spiritum gratiae et misericordiae, quod in eius
passione insultaverint Christo, cum ad eum aspexerint in sua maiestate venientem
eumque esse cognoverint, quem prius humilem in suis parentibus inluserunt; quamvis
370 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

et ipsi parentes eorum tantae illius impietatis auctores resurgentes videbunt eum, sed
puniendi iam, non adhuc corrigendi [Assurément, les Juifs se repentiront ce jour-là,
même ceux qui vont accueillir l’Esprit de grâce et de miséricorde, parce qu’ils ont
insulté le Christ lors de sa passion, quand ils auront regardé vers lui alors qu’il vien-
dra dans sa majesté, et auront reconnu que c’est celui qu’ils avaient auparavant
raillé [quand il était] humble, en [la personne de] leurs parents – bien que leurs
parents, eux aussi, les responsables de cette si grande impiété, le verront en ressus-
citant, mais ce sera désormais pour être punis, et non plus pour être corrigés] (civ.
20,29s.). Si Augustin avait enseigné – surtout dans civ. – la possibilité du salut de
t o u s les Juifs, l’histoire du peuple juif en Occident, dans les siècles à venir,
n’aurait-elle pas été moins douloureuse ?

20,4 opportunius suo loco … tractabitur


Ces mots et l’expression vague en 23,15 sont les seuls passages où Augustin fasse
référence à la suite hypothétique de son commentaire. Noter qu’il s’agit d’un pas-
sage de Rom. sur Juifs et gentils, ce qui correspond au sujet général de l’épître, tel
qu’il l’avait énoncé au §1. Il s’agit aussi de versets qui n’ont reçu aucun commen-
taire dans in Rom. (bien que le commentaire de Rom. 11,1 au §61 eût indiqué
l’essentiel de ce qu’Augustin avait à dire sur Rom. 11,25s.). Pour tractabitur, voir n.
à 23,14s.

20,4 certo quodam tempore


En plus de 1 Cor. 12,10, qui de fait ne mentionne pas le don de l’Esprit à un moment
spécifique, Augustin doit penser à la Pentecôte (voir 15,14) et à Io. 7,39 (τοῦτο δὲ
εἶπεν περὶ τοῦ πνεύματος ὃ ἔμελλον λαμβάνειν οἱ πιστεύσαντες εἰς αὐτόν· οὔπω γὰρ
ἦν πνεῦμα, ὅτι Ἰησοῦς οὐδέπω ἐδοξάσθη [Il dit cela à propos de l’Esprit qu’allaient
recevoir ceux qui avaient cru en lui. En effet, il n’y avait pas encore d’Esprit,
puisque Jésus n’avait pas encore été glorifié]). Voir son commentaire sur ce dernier
passage en divers. quaest. 62 : ‘Spiritus autem nondum erat datus’, id est: nondum sic
apparuerat, ut omnes eum datum esse faterentur, sicut etiam Dominus ‘nondum erat
clarificatus’ inter homines, sed tamen clarificatio eius aeterna numquam esse destitit
[‘Mais l’Esprit n’avait pas encore été donné’, c’est-à-dire : il n’était pas encore appa-
ru de telle façon que tous admettraient qu’il avait été donné, tout comme le Sei-
gneur, lui aussi, ‘n’avait pas encore été glorifié parmi les hommes’, bien que sa
glorification éternelle n’ait jamais cessé d’exister] (commentaires similaires en c.
Faust. 32,17s. ; in epist. Ioh. 6,11 ; in psalm. 7,6 ; 45,8 ; 90,28 ; 92,7 ; 103,1,10 ; serm.
267,1, sermon de Pentecôte ; un commentaire plus complexe en c. epist. fund. 11).
Mais en trin. 4,29 et in euang. Ioh. 52,8 il précise que, puisque l’Esprit fut bien don-
né aux prophètes et aux patriarches dans l’ancienne alliance, ce qui distingue son
don après la Résurrection, c’est son extension à tous les peuples, indiquée par la
Pentecôte. Dans une telle analyse, il semble que rien n’empêcherait les pharisiens,
en tant que Juifs, d’avoir la diiudicatio spirituum.
Commentaire | 371

20,5 quomodo poterant infideles Iudaei


Augustin s’était déjà demandé si les pharisiens avaient commis le péché du blas-
phème impardonnable en de serm. dom. 1,75 (voir n. à 14,1, Le blasphème), et avait
répondu négativement (voir n. à 22,4–23,7), bien que sans s’interroger sur leur ca-
pacité à discerner les esprits. Voir par contre quaest. Simpl. 2,3,3 : Potest et illud
mirum videri, quomodo daemones agnoverint Christum, quem Iudaei non agnoscebant
[Ceci peut aussi sembler remarquable : comment les démons ont-ils reconnu le
Christ, que les Juifs ne reconnaissaient pas ?]. Pour cette ignorance des Juifs, qui les
disculpe, voir déjà Origène : Non ita inepti erimus, ut putemus quod qui secundum
corpus Iesum vidit, viderit etiam Patrem [Io. 14,9]. Alioquin inveniuntur et scribae et
pharisaei hypocritae et Pilatus, qui eum flagellis cecidit, et omnis ille populus qui cla-
mabat: ‘crucifige, crucifige eum’ [Lc. 23,21], videntes Iesum secundum carnem, etiam
Deum Patrem vidisse. Quod utique non solum absurdum videtur esse, sed et impium.
… Nullus vidisse eum dicitur, nisi qui agnovit quod verbum Dei et Filius Dei est, in quo
simul utique agnosci et videri dicitur Pater [Nous ne serons pas assez sots pour pen-
ser que celui qui a vu Jésus selon le corps a aussi vu le Père. Sinon il se trouverait
que les scribes, et les pharisiens hypocrites, et Pilate, qui le battit avec des fouets, et
tout ce peuple qui criait ‘crucifie, crucifie-le’, en voyant Jésus selon la chair, avaient
aussi vu Dieu le Père. Cela paraitrait non seulement tout à fait absurde, mais même
impie … Personne n’est dit l’avoir vu, sauf celui qui a reconnu qu’il est le Verbe de
Dieu et le Fils de Dieu, et c’est alors, assurément, que le Père est dit être vu et recon-
nu en même temps [que le Fils]] (Hier. hom. Orig. in Cant. 3 [GCS 33, 215s.] ; cette
doctrine rejoint le rigorisme d’Origène envers les baptisés, sur lequel voir n. à 14,1,
Le blasphème, et hom. in Ezech. 5,3).
Ces réponses sont à contraster avec celle de l’Ambrosiaster, dans sa propre dis-
cussion du blasphème contre l’Esprit Saint. Plus que tout autre auteur patristique, il
interprète l’Évangile sur le blasphème comme un passage anti-juif : voir quaest. test.
102,13 (CSEL 50) (cité plus haut, n. a 14,1, Le blasphème) ; comparer in Rom. 10,3 :
De his dicit qui non malivolentia et invidia, sed errore Christum non recipiunt [Il parle
de ceux qui ne reçoivent pas le Christ, non pas par mauvaise volonté et jalousie,
mais par erreur]. Voir aussi le commentaire de Jean Chrysostome sur Rom. 10,3 :
πάλιν τὸ ῥῆμα συγγνώμης· ἀλλὰ τὸ ἑξῆς κατηγορίας ἐπιτεταμένης, καὶ πᾶσαν
ἀναιρούσης ἀπολογίαν. ‘καὶ τὴν ἰδίαν γὰρ’, φησὶ, ‘δικαιοσύνην ζητοῦντες στῆσαι, τῇ
δικαιοσύνῃ τοῦ Θεοῦ οὐχ ὑπετάγησαν’. ταῦτα δὲ ἔλεγε, δεικνὺς ὅτι ἀπὸ φιλονεικίας
καὶ φιλαρχίας μᾶλλον ἢ ἐξ ἀγνοίας ἐπλανήθησαν [Il parle encore de pardon, mais ce
qui suit [apporte] une accusation véhémente, et qui ne permet aucune défense. ‘Et
en cherchant’, dit-il, ‘à établir leur propre justice, ils ne se sont pas soumis à la jus-
tice de Dieu’. Il dit cela pour montrer qu’ils ont erré par jalousie et soif du pouvoir,
plutôt que par ignorance] (hom. in Rom. 17,1 [PG 60, 565]). De même hom. in 1 Tim. 3
(PG 62, 517), contrastant les autres Juifs avec Paul : τίνος οὖν ἕνεκεν καὶ ἄλλοι
Ἰουδαῖοι οὐκ ἠλεήθησαν; ὅτι οὐκ ἐξ ἀγνοίας, ἀλλὰ καὶ εἰδότες καὶ σφόδρα ἐπιστά-
μενοι ἔπραττον ἅπερ ἔπραττον [Pourquoi donc n’y eut-il pas de miséricorde pour les
372 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

autres Juifs aussi ? Parce que ce n’est pas par ignorance, mais tout pleins de con-
naissance et de savoir, qu’ils faisaient ce qu’ils faisaient].

20,5 Et tamen
Le développement prend une tournure imprévue. On s’attend à ce qu’Augustin dise
que leur ignorance absout les Juifs du blasphème contre l’Esprit Saint. Il va dans
une certain mesure conclure le contraire : voir n. à 21,1s.

20,5 malevolentiae
Le mot serait-il emprunté à l’Ambrosiaster (loc. cit. n. à 20,5, quomodo poterant),
dont Augustin se rapproche (voir n. suivante et n. à 18,14s. ; 22,1) ? Augustin em-
ploie malevolentia 35 fois dans son œuvre, mais il ne l’applique qu’une fois ailleurs
aux Juifs, dans un passage qui fait écho au nôtre, puisqu’il commente le faux témoi-
gnage (cf. falsos testes, 20,5) contre Jésus en Mt. 26,61 : Et sacramenta de latere tuo
defluunt; deponeris de ligno, involveris linteaminibus, poneris in sepulcro, adduntur
custodes ne tollant te discipuli tui; venit hora resurrectionis tuae, terra concutitur,
monumenta scinduntur, resurgis occultus, appares manifestus. Ubi sunt ergo illi men-
daces? Ubi est falsum testimonium m a l e v o l e n t i a e ? [Et les sacrements coulent de ta
côte ; tu es déposé du bois ; tu es enveloppé de linges ; tu es placé dans un sépulcre ;
on ajoute des gardes, de peur que tes disciples ne t’enlèvent ; l’heure de ta résurrec-
tion arrive ; la terre tremble ; les tombeaux se fendent ; tu resurgis en secret ; tu
apparais ouvertement. Où sont donc ces menteurs ? Où est le faux témoignage de
leur m a u v a i s e v o l o n t é ?] (in psalm. 65,7).

21,1s. Les pharisiens et le blasphème contre l’Esprit Saint


On est surpris de voir Augustin conclure que les pharisiens ont commis ce blas-
phème. Il va tout de suite dire qu’ils n’en sont pas moins pardonnables (21,3–7).
Pourquoi importait-il alors d’affirmer que leur ignorance ne les innocentait pas ?
(a) Deux facteurs ont sans doute poussé Augustin à admettre que les pharisiens
ont blasphémé contre l’Esprit Saint. D’abord, c’est le sens obvie de Mt. 12,22–37 et
encore plus de Mc. 3,22–28 : Jésus parle aux pharisiens, et on ne saurait croire qu’il
fait une remarque qui ne les vise nullement (cf. les remarques précises en serm.
71,34 sur le contexte des passages des trois Évangiles où Jésus parle du blasphème).
Ensuite, comme nous l’avons vu (n. à 14,1, Le blasphème ; n. à 20,5, quomodo pot-
erant), la tradition exégétique suivait souvent ce sens obvie, en expliquant que le
blasphème contre l’Esprit Saint correspondait aux paroles de pharisiens en Mt. 12,24
(sur ce point, voir MARA, L’interpretazione, 243 ; MARA, Agostino interprete, 207 n.
80). C’est notamment le cas d’Ambroise, dans le De paenitentia : Quos adstringat
consideremus, repetentes superiora lectionis ipsius, ut evidentius conprehendamus …
De his utique expressum videmus qui Dominum Iesum in Belzebul eicere daemonia
loquebantur, quibus sic respondit Dominus quod Satanae hereditas in his esset, qui
Satanae conpararent salvatorem omnium et in regno diaboli constituerent Christi
Commentaire | 373

gratiam. Et ut cognosceremus quia de hac dixit blasphemia, adiunxit: ‘Progenies vipe-


rarum, quomodo potestis bona loqui, cum sitis mali [Mt. 12,34]?’ Hos ergo, qui haec
loquuntur, negat ad veniam pertinere [Considérons ceux qu’il enchaine ; revoyons ce
que nous avons lu plus haut, pour comprendre plus clairement … Nous voyons évi-
demment que l’on parle de ceux qui disaient que le Seigneur Jésus chassait les dé-
mons dans Belzéboul, ceux à qui le Seigneur répondit que l’héritage de Satan était
pour ceux qui comparaient le Sauveur de tous à Satan, et qui plaçaient la grâce du
Christ dans le règne du diable. Et, pour que nous sachions qu’il parlait de ce blas-
phème-là, il ajouta : ‘Engeance de vipères, comment pouvez-vous dire de bonnes
choses, quand vous êtes mauvais ?’ C’est donc de ceux qui parlent ainsi qu’il dit
qu’ils ne parviennent pas au pardon] (paen. 2,21s.). Or, on l’a dit (n. à 18,2), Augus-
tin suit souvent le De paenitentia dans l’Inchoata expositio, il est normal qu’il ac-
commode son propre avis, dans la mesure du possible, à celui de son maître. En
outre, on discerne sa sympathie envers l’anti-judaïsme de cette approche tradition-
nelle dans le fait que, dans l’Inchoata expositio, il ne désigne jamais les interlocu-
teurs du Seigneur comme « pharisiens » mais toujours comme « Juifs » (20,2.5 ;
22,4 ; 23,4.6.13 ; contraster serm. 71,5).
(b) La difficulté de ce développement vient plutôt de sa place dans la s t r u c -
t u r e de l’argument. Sans doute Augustin voulait-il terminer ses réflexions sur le
blasphème contre l’Esprit Saint par le cas de ceux auxquels Jésus l’avait vraisem-
blablement reproché. Mais les pharisiens auraient été plus facilement intégrés au
§15, où Augustin indique que le blasphème des Juifs non baptisés est pardonnable
(15,6). Ici, ils entrent dans la discussion par le biais de la question qui termine le
développement des §16–19 sur le rapport entre scientia et blasphème : An vero iam
illud occurret, ut non si quodlibet peccatum sciens admiserit, sed si proprie pec-
catum in Spiritum sanctum sciens admiserit, tunc non habere veniam iudicetur?
(20,1) A priori, la réponse d’Augustin est négative, puisque l’on sait qu’il considère
comme uniquement impardonnable la continuation dans le péché jusqu’à la mort.
Pour étayer cette conclusion, on voudrait d’abord une indication (qui n’est nulle
part dans l’Inchoata expositio) sur qui pèche proprie et sciens contre l’Esprit Saint,
puis une affirmation que cette personne est pardonnable. Mais ce qu’Augustin nous
fournit, c’est l’exemple des pharisiens, selon lui, qui n ’ o n t p a s péché sciemment,
mais qui o n t néanmoins commis le blasphème contre l’Esprit Saint, seulement sous
une forme qui reste p a r d o n n a b l e . Ces pharisiens sont donc loin d’offrir une ré-
ponse limpide à la question posée.
Faut-il alors conclure que la réponse à cette question est en fait positive, que
persister impénitent jusqu’à la mort dans le péché, c’est en quelque sorte l a m ê m e
c h o s e que blasphémer sciemment et uniquement contre l’Esprit Saint ? Une telle
solution sauverait la logique du développement, mais il faut néanmoins la rejeter.
On voit mal ce que voudrait dire cette équivalence, et nulle part Augustin ne dit
ouvertement, ni dans l’Inchoata expositio ni ailleurs, que c’est la connaissance de
Dieu, de l’Esprit, ou de quoi que ce soit, qui rend un péché impardonnable : on vient
374 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

de voir que tout les §16–19 vont dans le sens contraire. Seul est impardonnable qui
ne veut pas le pardon (22,3s.) : quel rapport entre cette formule et la connaissance ?
De plus, quand Augustin reprend la question du péché contre l’Esprit Saint dans le
serm. 71, la connaissance n’y joue aucun rôle, et, en désignant surtout la persistance
dans le Donatisme comme exemple de ce péché, ce sermon en rend coupable des
hommes qui étaient par définition dans une ignorance relative (voir n. à 16,7, postea
negligenter), et n’avaient pas reçu l’Esprit dans leur église (voir n. à 18,7, ipsum Spiri-
tum et serm. 71,32.37).
Reconnaissons donc qu’Augustin s’est simplement embrouillé quelque peu
dans son argument, ce qui n’a rien d’impensable (voir n. à 7,1–5). D’ailleurs il
semble le reconnaitre lui-même, en rendant explicite dans d’autres textes sur le
blasphème contre l’Esprit un point qui reste toujours implicite dans l’Inchoata ex-
positio : Intellegant ergo non o m n e sed a l i q u o d significatum esse peccatum in Spiri-
tum sanctum, quod omnino non remittetur [Qu’ils comprennent donc que ce n’est pas
t o u t péché mais un c e r t a i n [péché] contre l’Esprit Saint dont il est indiqué qu’il ne
sera absolument pas pardonné] (epist. 185,49) ; admoneo non dixisse Dominum
‘o m n i s blasphemia spiritus non remittetur’, neque dixisse ‘qui dixerit q u o d c u m q u e
verbum contra Spiritum sanctum, non remittetur ei’, sed ‘qui dixerit v e r b u m ’ [Je vous
signale que le Seigneur n’a pas dit ‘t o u t blasphème contre l’Esprit ne sera pas par-
donné’, et qu’il n’a pas dit, non plus, ‘qui a dit une parole, q u e l l e q u ’ e l l e s o i t ,
contre l’Esprit Saint, il ne lui sera pas pardonné’, mais ‘qui a dit une parole’] (serm.
71,9. Les §10–17 sont ensuite consacrés à justifier cette distinction, avec de multiples
exemples scripturaires : Augustin aurait jugé que c’est cette distinction, plutôt que
son approche dans l’Inchoata expositio, qui permet d’expliquer clairement com-
ment les pharisiens ont pu blasphémer contre l’Esprit Saint sans commettre
l’impardonnable).

21,2–7 quibus invidet … quia invidet … edomita invidia … per invidiam … non
erat invidus … invidia agentes
Pour l’invidia chez Augustin, voir AugLex s.v., avec n. 24 pour d’autres passages où,
dans la lignée de Mt. 27,18, il applique le mot à l’attitude des Juifs envers Jésus (mais
la référence à coll. c. Don. 3,11 est à corriger). Dans cet article, C. Oser-Grote fournit
pourtant des informations incomplètes en affirmant, avec référence à de serm. dom.
1,75, que pour Augustin, « wer ‘per malitiam et inuidiam’ die brüderliche Liebe ver-
letzt begeht eine weder jetzt noch künftig vergebbare Sünde ». L’assocation entre
invidia, le blasphème contre l’Esprit Saint, et les pharisiens vient effectivement de
de serm. dom. 1,73–75, mais, comme nous l’avons vu (n. à 14,1, Le blasphème ; 16,7,
postea negligenter), Augustin modifiera rapidement le point de vue qu’il exprime
dans ce passage. Il faut donc voir dans l’importance donnée ici à l’invidia une re-
tractatio du rôle qui lui est attribué dans de serm. dom. Toutefois, même dans ce
premier texte, Augustin n’avait pas conclu que l’invidia des pharisiens était suffi-
sante pour les condamner (voir n. à 22,4–23,7).
Commentaire | 375

En matière doctrinale, l’invidia se manifeste par la mauvaise foi. La gravité du


péché des pharisiens consiste dans leur rejet, par jalousie, de ce qu’ils savent être
bon (non quia mala sunt, sed quia invidet eis). Augustin imputera le même esprit
aux schismatiques. S’ils se séparent de l’Église, tout en partageant sa foi, ce n’est
plus que par jalousie. Sur ce plan, ils sont pires que les hérétiques, honnêtes dans
leur erreur : Solet autem quaeri, etiam scismatici quid ab hereticis distent, et hoc in-
veniri quod scismaticos non fides diversa faciat, sed communionis disrupta societas …
Quicumque i n v i d e n t bonis, ita ut quaerant occasiones excludendi eos aut degradan-
di, vel crimina sua sic defendere parati sunt, si obiecta vel prodita fuerint, ut etiam
conventiculorum segregationes vel ecclesiae perturbationes cogitent excitare, iam
scismatici sunt et ab unitate corde discissi [On cherche aussi souvent quelle est la
différence entre les schismatiques et les hérétiques, et on trouve que ce qui crée des
schismatiques, ce n’est pas une foi différente, mais la rupture de l’alliance de la
communion … Tous ceux qui sont tellement j a l o u x des bons, qu’ils cherchent
l’occasion de les exclure ou de les humilier, ou sont tellement préparés à défendre
leurs crimes – s’ils leur sont reprochés, ou sont dévoilés – qu’ils songent même à
susciter des séparations dans les assemblées ou des perturbations dans l’Église,
sont déjà des schismatiques, et se sont divisés de l’unité dans leurs cœurs] (in
Matth. 11,2).

21,3 verumtamen si …
Un verbe conjugué fait défaut dans la protase de cette phrase longue et lâche. Il faut
y voir une petite imprécision syntactique de l’auteur, et non pas chercher à corriger.

21,3 sicut etiam nonnulli eorum fortasse fecerunt


fortasse parce qu’Augustin fait référence non pas aux Juifs en général, mais aux
pharisiens à qui parlait Jésus dans Mt. 12 (quibus Dominus illud crimen obicit,
21,3), puis à ceux qui ont commis les crimes détaillés en 20,5s. Pour cette volonté
généreuse de voir parmi les premiers chrétiens juifs certains de ceux qui ont le plus
persécuté le Christ, voir aussi catech. rud. 42 : Sed cum viderent Iudaei tanta signa
fieri in eius nomine, quem partim per invidiam, partim per errorem crucifixerunt, alii
irritati sunt ad persequendos praedicatores eius apostolos, alii vero id ipsum amplius
admirantes, quod in eius nomine, quem veluti a se oppressum et victum riserant, tanta
miracula fierent, paenitendo conversi crediderunt in eum milia Iudaeorum [Act. 2,41]
[Mais quand les Juifs voyaient de si grands signes se faire au nom de celui qu’ils
avaient crucifié en partie par jalousie [et] en partie par erreur, certains furent provo-
qués à persécuter ses prédicateurs, les apôtres, mais d’autres – s’émerveillant en
particulier du fait même que tant de miracles se faisaient au nom de celui dont ils
avaient ri, comme d’un homme écrasé et vaincu par eux – des milliers de juifs se
convertirent par la pénitence [et] crurent en lui] (de même in Matth. 13,2 ; serm.
313E,4).
376 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

21,4 fuerit idem apostolus Paulus


Comme il se doit, la question du blasphème contre l’Esprit Saint dans le commen-
taire de l’épître aux Romains se termine avec le cas de l’auteur même de l’épître.
Pour l’importance de Paul pécheur comme modèle pour Augustin, voir n. à 6,1,
tamquam enim meritis, et les n. suivantes.

21,5 1 Tim. 1,13


Le texte d’Augustin est identique à celui de la Vulgate, sauf que cette dernière tra-
duit ὑβριστήν par contumeliosus, là où Augustin a iniuriosus, mot qui ne figure ja-
mais dans la Vulgate, bien qu’il ne soit nullement rare ou vulgaire (voir ThLL s.v.).
iniuriosus est la seule leçon connue d’Augustin, et serait typique de deux grandes
familles de versions anciennes, selon VetLat 25 ad loc.
Ce verset de Paul revient, en tout ou en partie, avec une très grande fréquence
dans la prédication d’Augustin. Il y encourage sans cesse ses ouailles à voir Paul
comme exemple de l’étendue de la miséricode divine envers les grands pécheurs.
Citons à titre d’exemple, et pour la proximité de son contenu avec l’Inchoata exposi-
tio, un passage d’un sermon pour la fête de Pierre et Paul : Nonne ille Saulus est qui
interfuit cum lapidaretur Stephanus, qui lapidantibus vestimenta servavit, ut in om-
nium manibus lapidaret? Nonne ille est qui litteris acceptis a principibus sacerdotum
ibat qua poterat, alligaturus christianos et ad supplicia perducturus? Nonne, cum iret
et minas et caedem anhelaret [Act. 9,1], sicut legimus, vocatus est, caelesti voce pros-
tratus est, verbo revocatus ad verbum? Ut eum ergo Dominus sic vocaret, quae merita
eius praecesserant? … Audi ipsum Paulum, non sane gratiae Dei ingratum, audi haec
commemorantem et praedicantem: ‘Qui prius’, inquit, ‘fui blasphemus et persecutor et
iniuriosus, sed misericordiam consecutus sum’ [N’est-ce pas ce Saul qui fut présent
quand Étienne était lapidé, qui a gardé les vêtements des lapidateurs, pour qu’il
lapidât dans les mains de tous ? [voir n. à 15,6, erat in manibus] N’est-ce pas celui
qui, ayant reçu des lettres des archiprêtres, allait où il pouvait pour enchainer les
chrétiens et les mener au supplice ? N’est-ce pas alors même qu’il était en route et
qu’il ‘respirait’, comme nous le lisons, ‘les menaces et la tuerie’, qu’il fut appelé,
qu’il fut renversé par une voix céleste, qu’il fut rappelé par un verbe vers le Verbe ?
Alors, pour que le Seigneur l’appelât de la sorte, quels mérites avaient précédé de
son côté ? … Écoute Paul lui-même – absolument sans ingratitude envers la grâce de
Dieu – écoute ce qu’il dit et prêche : ‘Moi qui fus auparavant’, dit-il, ‘un blasphéma-
teur et un persécuteur et un insolent, mais j’ai accédé à la miséricorde’] (serm. 299A
(augm),6). Voir ensuite in psalm. 45,13 ; 55,12.14 ; 58,1,12 ; 67,12 ; 72,30 ; 75,14 ;
83,16 ; 100,2 ; 112,6 (combiné avec Tit. 3,3) ; 118,7,2 ; 139,14 ; 147,26 ; serm. 56,3 ;
168,4 ; 170,1 ; 297,5 (encore pour la fête de Pierre et Paul) ; serm. 380,7 (combiné
avec Tit. 3,3) ; in euang. Ioh. 3,10 (et, sans référence explicite à Paul, in psalm. 39,3 ;
51,17 ; serm. 360).
Dans les œuvres rédigées, le verset est employé beaucoup moins souvent. Il est
significatif qu’on le trouve en quaest. Simpl. 1,2,3, pour que Paul puisse illustrer les
Commentaire | 377

nouvelles idées d’Augustin sur la grâce (voir n. à 15,6, etiam Paulus). Il est ensuite
employé en lib. arb. 3,51 (sur le péché dans l’ignorance ; voir n. à 16,2) ; fid. et op. 47
(nécessité du repentir avant le baptême) ; c. mend. 9 (exemple concret dans le sens
de l’Inchoata expositio : Priscillianistes devenus Catholiques). Mais une seule fois,
en virg. 37, Augustin suggère qu’il y a un groupe de chrétiens pour lesquels Paul
repenti ne sert pas de modèle : Sed respice [Augustin s’adresse au Christ] agmina
virginum, puerorum puellarumque sanctarum. In ecclesia tua eruditum est hoc genus;
illic tibi a maternis uberibus pullulavit, in nomen tuum ad loquendum linguam solvit,
nomen tuum velut lac infantiae suae suxit infusum. Non potest quisquam ex hoc nume-
ro dicere: ‘Qui prius fui blasphemus et persecutor et iniuriosus, sed misericordiam
consecutus sum, quia ignorans feci in incredulitate’ [Mais tourne-toi vers les rangs de
vierges, de garçons et de filles saints. Cette race a été élevée dans ton Église. Elle
s’est accrue pour toi dès le sein maternel. Elle a délié sa langue pour dire ton nom.
Elle a tété ton nom comme le lait versé sur son enfance. Nul de ce nombre ne peut
dire : ‘Moi qui fus auparavant un blasphémateur et un persécuteur et un insolent,
mais j’ai accédé à la miséricorde, parce que j’ai agi en ignorant dans l’incrédulité’].
C’est dire la valeur énorme qu’Augustin, qui tend généralement à voir tous les
hommes comme de grands pécheurs, attribue à la continence sexuelle (voir n. à
18,12, mais aussi les réflexions modérées de BROWN, Augustine, 500–502).

21,7 Tit. 3,3


Variantes notables d’avec la Vulgate (mis à part les différences dans l’ordre des
mots) :

Grec Inchoata expositio Vulgate


ἦμεν fuimus eramus
ἀνόητοι stulti insipientes
στυγητοί abominabiles odibiles
μισοῦντες ἀλλήλους invicem odio habentes odientes invicem

Le texte d’Augustin est plus correct, puisque odibilis n’apparait pas en latin clas-
sique, en dehors d’un fragment d’Accius (voir ThLL s.v.), et la forme participiale
odiens est aussi très rare avant l’ère chrétienne (voir ThLL s.v.). Tel quel, ce texte est
d’ailleurs attesté seulement par Augustin lui-même (voir VetLat 25 ad loc., et pour la
latinité de son texte, ibid. 153).
Ce verset revient beaucoup moins souvent chez Augustin que 1 Tim. 1,13. En de-
hors des passages où les deux sont combinés (voir n. précédente), Augustin
l’applique à Paul en c. Pelag. 1,15 ; grat. 12 et serm. 71,3 (encore un parallèle avec
l’Inchoata expositio). Une fois, rassurant une communauté rendue inquiète par les
railleries des Donatistes, il se l’applique à lui-même : Vident enim in causa se nihil
habere, et linguas convertunt in nos, et incipiunt de nobis dicere mala, multa quae
sciunt, multa quae nesciunt. Quae sciunt, praeterita nostra sunt: ‘Fuimus enim ali-
quando’, sicut dicit apostolus, ‘stulti et increduli’, ‘et ad omne opus bonum reprobi’
378 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

[Tit. 1,16]. In errore perverso desipientes et insanientes fuimus, non negamus; et quan-
tum praeteritum nostrum non negamus, tanto magis Deum qui nobis ignovit, lauda-
mus [Ils voient en effet que leur cause est sans valeur, et tournent leurs langues
contre nous, et ils commencent à dire du mal de nous : beaucoup de choses qu’ils
connaissent, beaucoup qu’ils ne connaissent pas. Ce qu’ils connaissent, c’est notre
passé. ‘En effet, nous étions autrefois’, comme le dit l’apôtre, ‘sots et incrédules’, ‘et
rebelles envers toute bonne œuvre’. Dans notre erreur détraquée, nous étions sots et
fous – nous ne le nions pas – et si nous ne nions pas notre passé, c’est d’autant plus
que nous louons Dieu, qui nous a pardonné] (in psalm. 36,3,19).
Mais Tit. 3,3 était bien moins apte que 1 Tim. 1,13 à rappeler les péchés et la pé-
nitence de Paul, parce que, dans Tit. 3,2–7, l’apôtre semble parler moins de ses
propres péchés que de l’état général de l’humanité pré-chrétienne. Ainsi, l’Ambrosi-
aster écrit sur Tit. 3,3 : Haec bona quae incredulitas non habet christianis data memo-
rat [Il dit que ces biens que l’incrédulité ne possède pas ont été donnés aux chré-
tiens] (in Tit. 3,3), et on trouve des explications similaires chez Jean Chrysostome
(hom. in Tit. 5,3 [PG 62, 691s.]) et Théodore de Mopsueste (in Tit. 3,3–7, éd. H. B.
SWETE, Cambridge 1882). L’interprétation d’Origène (Rufin. Orig. in Ios. 5,6), est plus
proche de celle d’Augustin, puisqu’il voit bien dans le verset une référence person-
nelle à Paul. Mais il objecte la justice de Paul : Quis erit similis Paulo etiam secundum
legis observantiam ? Audi denique ipsum dicentem: ‘secundum iustitiam quae in lege
est, conversatus sine querela’ [Phil. 3,6] [Qui sera pareil à Paul, même pour
l’observation de la Loi ? Écoute-le enfin quand il dit lui-même : ‘selon la justice qui
est dans la Loi, j’ai agi sans tort’]. Il conclut donc lui aussi que Paul parle d’un péché
général : Omnes homines, etiamsi ex lege veniant, etiamsi per Moysen eruditi sint,
habent tamen ‘opprobrium Aegypti’ [Ios. 5,9] in semetipsis, opprobrium peccatorum
[Tous les hommes, même s’ils viennent de la Loi, même s’ils ont été enseignés par
Moïse, ont néanmoins l’opprobre de l’Égypte à l’intérieur d’eux – l’opprobre des
péchés]. Jérôme suit Origène en notant la justice de Paul sous la Loi. Cependant,
comme Augustin (dont il est peut-être la source ici), il applique le verset spécifi-
quement à Paul, mais seulement après la venue du Christ : An non nobis videtur
Paulus fuisse stultus, quando habebat ‘zelum Dei, sed non secundum scientiam’ [Rom.
10,2], et persequebatur ecclesiam, et lapidantium Stephanum vestimenta servabat?
Cum in tantum odii contra salvatorem instigatus exarserat, ut litteras a sacerdotibus
acciperet, pergens Damascum ad eos qui in Christum crediderant vinciendos? … Quae
autem maior potest esse malitia et invidia, quam contra absentes epistolas sumere, et
ubique Christi vastare discipulos, nolle ipsum salvum fieri, et ceteris qui salvi esse
poterant, invidere, odisse christianos et consequenter ab omnibus odium promereri?
Quis autem maior error et inobedientiae vecordia, quam, postquam respiravit dies, et
praeterierunt umbrae [Cant. 2,17], legem abolitam velle servare? [Ou bien, est-ce que
Paul ne nous semble pas avoir été un sot, quand il avait ‘le zèle de Dieu, mais non
pas selon la connaissance’, et quand il persécutait l’Église, et gardait les vêtements
de ceux qui lapidaient Étienne ? Quand, une fois provoqué, il avait brûlé de tant de
Commentaire | 379

haine contre le Sauveur, qu’il reçût des lettres des prêtres, allant à Damas pour en-
chainer ceux qui avaient cru au Christ ? … Peut-il y avoir malice [et] jalousie plus
grandes que de prendre des lettres contre des hommes absents, et détruire partout
les disciples du Christ ; de ne pas vouloir être sauvé soi-même, et être jaloux des
autres qui pouvaient être sauvés ; de haïr les chrétiens et mériter de la sorte la haine
de tous ? Y a-t-il erreur et désobéissance et folie plus grandes que de vouloir préser-
ver la Loi abolie, après que le jour a respiré et les ombres sont parties ?] (in Tit. 3,3).
Enfin, chez Théodoret de Cyr, on trouve un compromis plein de bon sens, mais qui
n’a pas la force rhétorique de l’interprétation augustinienne : ἑαυτὸν μέντοι συν-
έταξεν ὁ θεῖος ἀπόστολος, οὐχ ὡς ἅπασι τοῖς ἐγκλήμασιν ὑποκείμενον, ἀλλ’ ὡς
διώκτην γεγενήμενον. οὐδὲ γὰρ τοῖς ἄλλοις πᾶσι πάντες ὑπέκειντο· ἀλλ’ οἱ μὲν τόδε
ἦσαν, οἱ δὲ τόδε· ἀλλ’ ὁμῶς τῆς σωτηρίας ἀπήλαυσαν [Le divin apôtre s’est inclus
lui-même : non pas dans le sens qu’il mérite tous les reproches, mais parce qu’il fut
persécuteur. De même, tous ne méritent pas tous les autres [reproches], mais les uns
étaient une chose, les autres une autre. Mais ils ont [tous] néanmoins bénéficié du
salut] (in Tit. 3,3 [PG 82, 868]).

22,1–3 Si ergo nec paganis …


Les catégories d’hommes pardonnables sont présentées dans le même ordre qu’aux
§15–21, mais les Samaritains sont omis (voir n. à 15,7). Pour ce classement des
hommes, voir déjà vera relig. 25–32, où l’accent est cependant moins mis sur la pos-
sibilité qu’ont tous ces groupes de se réformer que sur leur rôle en tant que non-
repentis dans le plan de Dieu. Mais le repentir n’y est pas oublié pour autant : Haec
enim ecclesia catholica per totum orbem valide lateque diffusa, omnibus errantibus
utitur ad provectus suos, et ad eorum correctionem, cum evigilare voluerint. Utitur
enim gentibus ad materiam operationis suae, haereticis ad probationem doctrinae
suae, schismaticis ad documentum stabilitatis suae, Iudaeis ad comparationem pul-
chritudinis suae. Alios ergo invitat, alios excludit, alios relinquit, alios antecedit. Om-
nibus tamen gratiae Dei participandae dat potestatem; sive illi formandi sint adhuc,
sive reformandi, sive recolligendi, sive admittendi [En effet, l’Église catholique, ré-
pandue puissamment de long en large dans le monde entier, se sert de tous ceux qui
sont dans l’erreur, pour son propre progrès, et pour les corriger, quand ils vou-
draient se réveiller. Elle se sert ainsi des gentils comme de la matière pour son
œuvre, des hérétiques pour éprouver sa doctrine, des schismatiques pour enseigner
sa stabilité, des Juifs pour montrer le contraste de sa beauté. Donc, elle invite cer-
tains, elle exclut d’autres, elle abandonne d’autres, elle précède d’autres. Mais elle
donne à tous la possibilité de participer à la grâce de Dieu, qu’ils soient encore à
former, ou qu’ils soient à réformer, ou à rassembler, ou à admettre] (vera relig. 30s.).

22,1 christianitati
Christianitas est un mot rare chez Augustin, de même que christianismus (seulement
dans les citations de Faustus en c. Faust. 13,1 et de Porphyre en civ. 19,23) : Augustin
380 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

s’est généralement dispensé d’un nom abstrait pour désigner le christianisme ou


l’ensemble des chrétiens (à part ecclesia).
Il faut faire une exception pour c. Petil. : christianitas est employé 2 fois par Péti-
lianus, et Augustin reprend le mot 11 fois dans la réfutation du deuxième passage
(Pétilianus : 2,196.202 ; Augustin : 2,203–205 ; pour ce phénomène voir la remarque
sur c. Faust. dans n. à 15,2, pagani). Mais, en dehors de cette œuvre, il emploie chris-
tianitas seulement 6 fois, dans l’Inchoata expositio, puis vera relig. 26 ; util. cred.
36 ; epist. 53,1 (bis ; il se peut qu’Augustin, de nouveau, reprenne le mot d’un texte
donatiste) ; de serm. dom. 2,41. À part ce dernier passage, et l’Inchoata expositio, le
mot sert à opposer la vraie communauté chrétienne aux fausses églises des héré-
tiques. Dans notre texte, christianitas s’oppose bien aux hérétiques, mais en même
temps aux païens.
Du reste, christianitas n’est pas en usage fréquent chez les Pères (voir ThLL,
Onomasticon II s.v.). Parmi les prédécesseurs et contemporains d’Augustin, Tertul-
lien, Cyprien, Hilaire de Poitiers, Jérôme, Ambroise ne l’emploient jamais, et il n’y a
que chez Philastre de Brescia et Marius Victorinus qu’il soit courant. Il est possible
qu’Augustin l’ait employé dans l’Inchoata expositio sous l’influence, sinon de Vic-
torinus (voir Introduction, 1.7), au moins des quaestiones de l’Ambrosiaster (voir n. à
20,5, malevolentiae), qui comportent une défense, face aux païens, du titre de chris-
tianitas donné à l’Église (114,31 [SChr 512]).

22,3 perseverantia in nequitia et malignitate


Dans ces dernières pages de l’Inchoata expositio, perseverantia et dérivés devien-
nent les mots-clefs pour désigner le péché impardonnable : perseverando in pecca-
tis (23,7) ; perseverantia peccatorum (23,7) ; in peccatis suis perseverandum
(23,12) ; in mala vita sua et perditis moribus perseveraturos (23,12) ; perseverent
(23,12) ; impia mentis obstinatione perseverantibus (23,13). Dans le serm. 71, Au-
gustin a remplacé ces expressions par le seul mot impaenitentia (serm. 71,20.
21.22.23.25.34.35.37), mot qui n’apparait nulle part ailleurs chez lui, et qui est géné-
ralement assez rare (voir ThLL s.v., et ajouter Novatien, De bono pudicitiae 3 [CCSL
4] ; Hilaire de Poitiers, in psalm. 2,44 ; Fulgence de Rupse, epist. 7,15 ; Ambroise, in
psalm. 38,37 ; Jérôme, traduction de la règle de Pacôme 6 [éd. BOON, Pachomiana
Latina]). impaenitentia est bien plus commode que les périphrases avec perseveran-
tia, mais il se peut qu’à l’époque de l’Inchoata expositio Augustin ait ignoré
l’existence du mot, et il est clair qu’il ne l’a jamais considéré comme très correct.

22,3 cum desperatione


Voir n. à 14,1, desperans. Ici et en 23,12 le désespoir est donné comme seule motiva-
tion pour le refus du pardon, alors qu’il est combiné en 14,1 avec le mépris (irridens
atque contemnens) et en 23,7 avec l’arrogance (quasi de sua iustitia praesumendo).
Dans l’esprit d’Augustin, tous ces facteurs, sans doute, se rejoignent et s’entre-
Commentaire | 381

mêlent pour expliquer l’impénitence, mais le désespoir est pour lui l’élément prin-
cipal.
L’exemple biblique majeur de ce désespoir est Judas : Iudam traditorem non tam
scelus quod commisit, quam indulgentiae desperatio fecit penitus interire. Non erat
dignus misericordia. Ideo ei non fulsit lumen in corde, ut ad eius indulgentiam concur-
reret quem tradiderat, sicut illi qui eum crucifixerant [Act. 2,37]. Sed desperando se
occidit, et laqueo suspendit se, suffocavit se. Quod fecit in corpore suo, hoc factum est
in anima ipsius. Spiritus enim dicitur etiam iste ventus aeris huius. Quomodo ergo qui
sibi collum ligant, inde se occidunt, quia non ad eos intrat spiritus aeris huius, sic illi
qui desperant de indulgentia Dei, ipsa desperatione intus se suffocant, ut eos Spiritus
sanctus visitare non possit [Pour le traître Judas, ce n’est pas tant le crime qu’il
commit, mais son désespoir du pardon, qui l’a entièrement détruit. Il n’était pas
digne de miséricorde. C’est pourquoi la lumière n’a pas brillé dans son cœur, pour
qu’il courût vers le pardon de celui qu’il avait trahi, comme [l’ont fait] ceux qui
l’avaient crucifié. Mais il se tua par désespoir, et il se pendit avec une corde ; il
s’étouffa. Ce qu’il a fait dans son corps, la même chose s’est faite dans son âme. En
effet, on appelle aussi ‘esprit’ le vent dans cet air [qui nous entoure]. Donc, tout
comme ceux qui s’attachent le cou se tuent de cette façon, puisque l’esprit de cet air
n’entre pas en eux, de même, ceux qui désespèrent du pardon de Dieu s’étouffent
intérieurement par ce même désespoir, et ainsi l’Esprit Saint ne peut venir en eux]
(serm. 352,8). Mais on ne trouve pas dans l’Inchoata expositio la notion terrifiante
que Dieu abandonne certains au désespoir parce qu’ils ne méritent pas la grâce qui
permet le repentir.

22,4–23,7 La possibilité du repentir pour les pharisiens


Bien qu’Augustin ait modifié ses vues sur le péché impardonnable depuis de serm.
dom. (voir n. à 14,1, Le blasphème), on y trouve déjà l’affirmation que Mt. 12,33
montre que Mt. 12,31 ne condamne pas définitivement les pharisiens : Unde quaeri
potest, utrum in Spiritum sanctum Iudaei peccaverint, quando dixerunt quod in Belze-
bub principe daemoniorum daemonia Dominus expelleret … Non enim hoc colligitur
de verbis Domini … Nam si eos sic haberet condemnatos, ut nulla spes illis reliqua
esset, non adhuc monendos iudicaret, cum addidit dicens: ‘Aut facite arborem bonam
et fructum eius bonum, aut facite arborem malam et fructum eius malum’ [On peut
alors se demander si les Juifs ont péché contre l’Esprit Saint quand ils ont dit que
c’était dans Belzéboub, prince des démons, que le Seigneur expulsait les démons …
En effet, ce n’est pas ce que l’on déduit des paroles du Seigneur … Car s’il les avait
condamnés à tel point qu’il ne leur restait plus d’espoir, il n’aurait pas jugé qu’il y
avait encore à les avertir, [comme] quand il ajouta les mots : ‘Ou bien faites un bon
arbre, avec son bon fruit, ou bien faites un mauvais arbre, avec son mauvais fruit’]
(de serm. dom. 1,75 ; mais on y trouve aussi l’idée que les pharisiens auraient blas-
phémé contre le Fils de l’Homme plutôt que l’Esprit, qu’Augustin a abandonnée
dans l’Inchoata expositio).
382 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

Une exégèse positive sur les deux arbres n’appartient pas seulement aux dis-
cussions sur le pardon, mais aussi aux polémiques anti-manichéennes sur la liberté.
Les Manichéens en effet voyaient dans les deux arbres les deux types de nature
humaine, découlant des deux principes à l’œuvre dans l’univers : Sed ut intellegas
istas duas arbores sic esse a Domino positas, ut ibi significaretur liberum arbitrium,
non naturas esse istas duas arbores, sed voluntates nostras, ipse ait in evangelio: ‘Aut
facite arborem bonam, aut facite arborem malam’. Quis est qui possit facere naturam?
Si ergo imperatum est nobis ut faciamus arborem aut bonam aut malam, nostrum est
eligere quod velimus [Mais, pour que tu comprennes que ces deux arbres furent indi-
qués par le Seigneur pour signifier ici le libre arbitre, [et] que ces deux arbres ne
sont pas des natures, mais nos volontés, il dit lui-même dans l’Évangile : ‘Ou bien
faites un bon arbre, ou bien faites un mauvais arbre’. Qui est-ce qui pourrait faire
une nature ? Si donc il nous est commandé de faire un arbre soit bon soit mauvais, il
nous appartient de choisir ce que nous voulons] (c. Fort. 22 ; pour les parallèles voir
AugLex s.v. arbor, n. 43, et J. KEVIN COYLE, Good Tree, Bad Tree : The Matthean /
Lucan paradigm in Manichaeism and its opponents, dans : L. DITOMMASO – L.
TURCESCU [éds.], The Reception and Interpretation of the Bible in Late Antiquity,
Leiden 2008, 121–144 = J. KEVIN COYLE, Manichaeism and Its Legacy, Leiden 2009,
65–88). Et les Donatistes eux aussi avaient une interprétation particulière des deux
arbres : ils représentaient les deux églises, dont seule la donatiste avait un baptême
valable (voir AugLex s.v. arbor, n. 45). Contre cette exégèse, Augustin affirme de
nouveau qu’en désignant les deux arbres et leurs fruits, le Christ ne fait qu’affirmer
la possibilité du choix moral chez l’individu.
Pour un point de vue inverse à celui d’Augustin sur les pharisiens, voir les exé-
gèses anti-juives citées dans n. à 14,1, Le blasphème ; 20,5, quomodo poterant, et
Athanase, Epistulae ad Serapionem, 4,5 (voir aussi 9) : Οὐ διδάσκων ἁπλῶς ὁ κύριος
ἐλάλει ταῦτα οὐδὲ ἐπὶ μέλλουσι τὴν τιμωρίαν ἠπείλει, ἀλλ’ εὐθὺς αἰτιώμενος ἀλη-
θῶς τοὺς φαρισαίους ὡς ἤδη γενομένους ὑπευθύνους τῆς τηλικαύτης βλασφημίας
εἴρηκε τοῦτο τὸ ῥητὸν ὁ κύριος … ἐπὶ πολλαῖς δ’ οὖν πρότερον πλημμελείαις αἰτιώ-
μενος αὐτοὺς ὁ σωτήρ, ὅτε τὴν ἐντολὴν τοῦ Θεοῦ τὴν περὶ τῶν γονέων δι’ ἀργύριον
παρέβαινον [Mt. 15,3–7] καὶ τὰ τῶν προφητῶν παρεκρούοντο καὶ τὸν οἶκον τοῦ Θεοῦ
ἐποίουν οἶκον ἐμπορίου [Io. 2,16], ὅμως παρῄνει καὶ μετανοεῖν αὐτοῖς. ἐπὶ δὲ τῷ
λέγειν αὐτούς· ‘ἐν Βεελζεβοὺλ ἐκβάλλει τὰ δαιμόνια’, οὐκέτι ταύτην ἁμαρτίαν
ἁπλῶς, ἀλλὰ καὶ βλασφημίαν εἴρηκεν εἶναι τηλικαύτην, ὥστε ἄφυκτον καὶ ἀσύγ-
γνωστον εἶναι τὴν τιμωρίαν τοῖς τοιαῦτα τολμῶσιν [Ce n’était pas simplement pour
enseigner que le Seigneur disait cela, et ce n’était pas pour une éventualité future
qu’il faisait peser la menace de la punition. Mais c’était dans l’immédiat, blâmant
avec bonne cause les pharisiens, parce qu’ils s’étaient déjà rendus coupables d’un si
grand blasphème, que le Seigneur a dit cette parole … Donc, par avant, quand le
Seigneur les blâmait pour un nombre de fautes, quand ils enfreignaient le comman-
dement de Dieu sur les parents pour cause d’argent, et quand ils repoussaient les
[paroles] des prophètes, et quand ils faisaient de la maison du Seigneur une maison
Commentaire | 383

de commerce, il les exhortait néanmoins aussi à se repentir. Mais quand ils ont dit :
‘C’est dans Belzébul qu’il expulse les démons’, il n’a plus appelé cela simplement un
péché, mais aussi un blasphème si grand, que la punition est inévitable et irrémis-
sible pour ceux qui osent de tels actes]. En contraste, voir la tentative ingénieuse
pour conserver la possibilité d’une absolution des pharisiens chez Apollinaire de
Laodicée (apud REUSS, Matthäus-Kommentar, 21) : τὸ δὲ μήτε ἐπὶ τοῦ παρόντος
αἰῶνος μήτε ἐπὶ τοῦ μέλλοντος ἀφεθήσεσθαι τὴν κατὰ νόμον ἑρμηνεύει κρίσιν καὶ
τὴν μέλλουσαν. ὅτε γὰρ νόμος τὸν καταρώμενον Θεὸν θανατοῦσθαι κελεύει, καὶ ὁ
κύριος ἐπιψηφίζεται τῷ νόμῳ, συγγνώμην ἐπὶ τῷ τοιούτῳ μὴ διδούς. παρασεσιω-
πημένη δὲ ἐν τοῖς τοιούτοις ἡ διὰ βαπτίσματος ἄφεσις εἴη, ἐπεὶ μηδὲ καιρὸς ἦν πω
περὶ ταύτης Ἰουδαίοις διαλέγεσθαι· μεταξὺ γάρ πως εὑρίσκεται τῆς ἐν τῷ αἰῶνι
τούτῳ καὶ τῆς μελλούσης κατακρίσεως, ὅτι ὁ βαπτιζόμενος ἔξεισιν ἀπὸ τοῦ αἰῶνος
τούτου, καὶ μεταξύ πως τῆς παρούσης καὶ τῆς μελλούσης ζωῆς ἐξετάζεται, καὶ
οὕτως παραίτησιν τῆς ἐκ νόμου ἐξετάσεως ἴσχει κατὰ τὸν λέγοντα Παῦλον ‘Θεὸς ὁ
δικαιῶν· τίς ὁ κατακρινῶν;’ [Rom. 8,33] [Que cela ne sera pardonné ni dans le siècle
présent ni dans celui qui viendra, il l’interprète comme se référant au jugement
selon la Loi et au [jugement] futur. En effet, tant que la Loi ordonne de mettre à mort
celui qui maudit Dieu, le Seigneur donne lui aussi son appui à la Loi, n’accordant
nul pardon à un tel acte. Mais dans ces [paroles] le pardon par le baptême semble
être passé sous silence, puisque ce n’était pas encore le moment d’en parler aux
Juifs. C’est qu’il [sc. le baptême?] se trouve en quelque sorte placé entre le jugement
de ce siècle et celui du siècle à venir – puisque le baptisé sortira de ce siècle – et
qu’il est en quelque sorte mis à l’épreuve entre la vie présente et la vie à venir, et
obtient ainsi une excuse pour l’épreuve par la Loi, comme le dit Paul : ‘C’est Dieu
qui justifie. Qui est-ce qui condamne ?’]. Mais Athanase lui aussi avait souligné (Ath.
ep. Serap. 4,5) que les pharisiens n’étaient pas baptisés, et il est possible que ces
deux exégèses aient le même sens, et rejoignent ainsi Augustin.

23,1 Ergo quia Dominus …


La proposition subordonnée introduite par quia est reprise en 23,6 (quia ergo),
après quoi vient enfin la principale (misericorditer eos voluit admonere). Tout
23,2–6 est une parenthèse en dehors de cette structure. Cette parenthèse n’est pas
une digression. Elle sert à fermer la boucle qui joint l’identification de l’Esprit Saint
avec gratia et pax à l’interprétation augustinienne du blasphème contre l’Esprit
Saint. Dans Mt. 12,22–37, la sentence du Christ sur le blasphème contre l’Esprit Saint
est provoquée par la réaction des pharisiens à la guérison d’un démoniaque. En
affirmant, par le biais de Mt. 9,1–8, que les miracles du Christ signalaient la rémis-
sion des péchés dans l’Esprit, c’est-à-dire le don de la grâce et de la paix dans ce
même Esprit (quia ergo in Spiritu Dei faciebat illa omnia, ut gratiam pacemque
hominibus largiretur, 23,6), Augustin veut montrer que cette réaction des phari-
siens est en fait un rejet de la rémission des péchés. Les pharisiens continueraient
dans ce rejet s’ils ne cherchaient pas dans le Christ la rémission de leurs propres
384 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

péchés, et c’est alors qu’ils commettraient le blasphème contre l’Esprit Saint, et


seraient damnés (23,7).

23,1 non ab aliud …


Origène est peut-être le premier à affirmer inlassablement que l’essentiel des mi-
racles du Christ est leur fonction pédagogique : εἰ δὲ καὶ ὁ σωτὴρ τάδε τινὰ ἰάσατο,
καὶ ἐδωρήσατο ὑγείαν καὶ ὄψεις καὶ ἀκοὰς ἀνθρώποις, προηγουμένως μὲν τὴν
ἀναγωγὴν αὐτῶν ζητητέον, τοῦ λόγου τὰ τῆς ψυχῆς πάθη θεραπεύειν διὰ τούτων
τῶν ἱστοριῶν δηλουμένου [Si le Sauveur a aussi fait de telles guérisons, et s’il a
donné la santé et la vue et l’ouïe à des hommes, il faut avant tout chercher
l’enseignement contenu dans ces [actes], puisqu’il est révélé par ces récits que le
Verbe guérit les maladies de l’âme] (Philocalie 26,8 ; de même e.g. Jo. 6,33,166 ;
comm. in Mt. 10,24 [GCS 40, 33–34]). Dans des œuvres antérieures à l’Inchoata ex-
positio, Augustin avait plusieurs fois repris cette doctrine : voir vera relig. 83–85 ; in
Gal. 15 ; in psalm. 9,2 ; serm. 63A ; de serm. dom. 2,84 (c’est aussi le schéma de
l’Incarnation même : Visibiliter nos commonere dignatus est ut ad invisibilia praepa-
raret [Il a daigné nous enseigner visiblement, pour nous préparer à l’invisible],
agon. 12 ; voir serm. 214,7). En util. cred. 34 on trouve toute une discussion dans le
même sens sur les miracles, où leur herméneutique est approfondie : Miraculum
voco, quidquid arduum aut insolitum supra spem vel facultatem mirantis apparet. In
quo genere nihil est populis aptius et omnino stultis hominibus, quam id quod sensibus
admovetur … Homines illius temporis aquam in vinum conversam, saturata quinque
milia quinque panibus, transita pedibus maria, mortuos resurgentes viderunt. Ita
quaedam corpori manifestiore beneficio, quaedam vero menti occultiore signo, et
omnia hominibus maiestatis testimonio consulebant [J’appelle ‘miracle’ tout ce qui
est ardu et insolite, [et] se manifeste au-delà de l’attente ou des facultés de celui qui
l’admire. Dans ce genre, rien n’est plus approprié aux nations et aux hommes entiè-
rement sots que ce qui se présente aux sens … Les hommes de ce temps ont vu l’eau
transformé en vin, les cinq mille rassasiés avec cinq pains, les mers traversées à
pied, les morts qui ressuscitaient. De la sorte, cela – parfois par un bienfait plus
évident pour leurs corps, parfois par un signe plus secret pour leur esprit, mais dans
tous les cas comme témoignage de sa majesté – était pour le bien des hommes].
Tous ces passages se concentrent donc sur la « Verweisungsfunktion » (voir n. à
18,7, Corneille) des miracles : elles sont une concession au besoin qu’ont les faibles
de signes visibles. Si une telle approche est typique d’Augustin (voir MAYER, Die
Zeichen, passim), elle fait aussi partie d’une tendance répandue chez bien des Pères
à dévaloriser la compassion du Christ pour les souffrances ordinaires des hommes.
Cette tendance était l’héritage d’une philosophie gréco-romaine où le sage était
caractérisé par son indifférence à ces souffrances, que ce soit la douleur physique
ou la perte d’un être aimé. Elle trouvait sa réponse dans la foi des fidèles envers les
miracles des saints, et BROWN (Augustine, 416–422) a montré comment Augustin lui-
même a graduellement intégré cette foi dans sa vision de l’activité divine dans notre
Commentaire | 385

monde. Déjà dans in Gal. 15 il avait suggéré, que si l’homme spirituel n’a pas besoin
de miracles, ce n’est pas qu’il ferme les yeux au monde physique, mais qu’il voit
suffisamment en lui, dans ses états ordinaires, les signes de l’amour divin : Et ideo
Dominus non ait: ‘Tollite iugum meum et discite a me, quoniam quatriduana de se-
pulcris cadavera exsuscito atque omnia daemonia de corporibus hominum morbosque
depello’ et cetera huiusmodi. Sed ‘tollite’, inquit, ‘iugum meum et discite a me, quia
mitis sum et humilis corde’ [Mt. 11,29]. Illa enim signa sunt rerum spiritalium, mitem
autem esse et humilem caritatis conservatorem res ipsae spiritales sunt, ad quas per
illa ducuntur, qui oculis corporis dediti fidem invisibilium, quia iam de notis usita-
tisque non possunt, de novis et repentinis visibilibus quaerunt [Et c’est ainsi que le
Seigneur ne dit pas : ‘Prenez mon joug et apprenez de moi, parce que je ressuscite
du sépulcre les cadavres de quatre jours, et je chasse tous les démons et les mala-
dies des corps des hommes’, et le reste des choses de ce genre. Mais il dit : ‘Prenez
mon joug et apprenez de moi, parce que je suis doux et humble de cœur’. En effet,
ces [miracles] sont les signes des choses spirituelles, mais être doux et humblement
fidèle à la charité sont les choses spirituelles elles-mêmes, auxquelles sont conduits
par le biais de ces [miracles] ceux qui, livrés à leurs yeux corporels, cherchent la foi
dans les choses invisibles – puisque ils ne peuvent plus le faire par ce qui est connu
et normal – à travers les choses visibles nouvelles et surprenantes]. Bien entendu,
les textes où Augustin dévalorise bien plus le visible ne manquent pas : la tension
entre la beauté créée qui reflète le créateur (Rom. 1,20) et le plaisir des yeux, source
de tentation (1 Io. 2,16), parcourt toute son œuvre. Son expression, philosophique et
personnelle, de cette tension, et de l’angoisse qu’elle provoque, est une des grandes
sources de son éloquence. D’où, en partie, le succès ininterrompu des Confessions
auprès de lecteurs qui ne partagent pas la foi de leur auteur.

23,1 Agite paenitentiam; appropinquabit enim regnum caelorum


Curieux exemple de la persistance d’une erreur. Les Mauristes renvoient à Mt. 3,2, et
cette référence est reprise par les traducteurs Raulx, Péronne, Fredriksen Landes,
Mara, Mendoza / Tarulli et Ring. MARA (Agostino interprete, 206) ajoute même une
note : « si tratta di Giovanni il Batista ». Mais la référence est certainement fausse :
dicenti sibi montre que c’est le Seigneur même qui parle, et il faut donc renvoyer
exclusivement à Mt. 4,17.

23,4 Mt. 9,2.5s.


CSEL 84 renvoie à Mc. 2,9–11. Nous avons préféré renvoyer à l’Évangile de Matthieu,
puisque c’est son texte que suit Augustin pour le blasphème contre l’Esprit Saint.
Mais il est impossible de savoir lequel des Évangiles Augustin a consulté – s’il ne
cite pas de mémoire – puisque les variantes entre Mt. 9,2, Mc. 2,5 et Lc. 5,20, puis
entre Mt. 9,5s., Mc. 2,9–11 et Lc. 5,23s. sont minimes. Précisons : pour ne tenir
compte que du texte adopté dans Nestle-Aland28 et Gryson, le texte d’Augustin re-
joint Mc. contre Mt. et Lc. en omettant tua après peccata1 ; il rejoint Mt. et Lc. contre
386 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

Mc. en omettant paralytico après facilius dicere, puis en omettant et tolle grabbatum
tuum après et ambula ; il omet in terra après ou avant filius hominis, contre les trois
Évangiles ; il rejoint Mc. et Lc. contre Mt. en omettant tunc (τότε) avant dicit paraly-
tico, et en incluant tibi dico après paralytico ; il rejoint Mc. contre Mt. et Lc. en por-
tant grabatum (κράβαττον) plutôt que lectum (Mt. : κλίνην ; Lc. : κλινίδιόν) après
tolle.
Dans l’Inchoata expositio on lit dimissa sunt, alors que la Vulgate a demittuntur
ou remittuntur dans les trois Évangiles. Mais face aux difficultés détaillées ci-dessus,
et en l’absence d’une édition critique de la Vetus Latina pour ces passages, nous
renonçons à l’étude de cette variante. Notons seulement qu’Augustin a la leçon
demittuntur pour Mt. en trin. 15,17 (texte de CCSL 50), la leçon dimittuntur pour Mt.
en cons. euang. 2,57 ; et la leçon dimittuntur pour Lc. en cons. euang. 2,58 (texte de
CSEL 43 pour cons. euang.), alors que nous n’avons pas retrouvé ailleurs la leçon
dimissa sunt tibi peccata.

23,6 gratiam in dimissione peccatorum, pacem in reconciliatione Dei, a quo


separant sola peccata
Repris de 8,4–6 (voir n. à 8,4) : Augustin conclut son exposé en revenant vers
l’épître aux Romains.

23,8–12 Le blasphème n’est pas qu’en paroles.


Augustin répond à une dernière difficulté : le blasphème est normalement compris
comme un péché en paroles (voir n. à 14,2–8), et non comme le résultat des choix de
toute une vie. Pour résoudre le problème, Augustin a recours à la méthode préférée
des Pères, et celle qu’il préconise lui-même en doctr. christ. 3,83 : un passage de
l’Écriture perçu comme ambigu est expliqué par d’autres qui comportent des mots
ou expressions similaires.
Comme tout moraliste chrétien, Augustin ressent souvent la nécessité de souli-
gner que la piété doit se manifester par les œuvres. On retrouve dans ce contexte des
éléments du dossier scripturaire rassemblé ici. Augustin joint ainsi Lc. 6,46 à Mt.
7,21 en divers. quaest. 76,2. Mais surtout il aime à préciser le sens de 1 Cor. 12,3 par
Tit. 1,6 (in euang. Ioh. 74,1), par Mt. 7,21 (de serm. dom. 2,83, dont s’inspire notre
texte ; trin. 9,15) ou par les deux (serm. 269,4 ; les trois passages sont déjà réunis
chez Tyconius, Liber regularum 6,4,1). En effet, 1 Cor. 12,3 posait à l’inverse le pro-
blème du blasphème dans l’Inchoata expositio, puisqu’il semblait indiquer que l’on
pouvait se sauver uniquement par des paroles. Par contraste, l’exemple par-dessus
tous de la parole en action, c’est le Christ : Verbum Dei est Christus, qui non solum
sonis, sed etiam factis loquitur hominibus [Le Christ est la parole de Dieu, qui ne
parle pas aux hommes seulement par des sons, mais aussi par des actes] (serm.
252,1).
Quant à la définition large du blasphème, elle est déjà chez Origène : Ego tamen
puto quod non ille solum maledicat Christo, qui sermonem adversum eum maledicum
Commentaire | 387

profert, sed et ille, qui sub nomine christiani male agit et turpiter conversatur et inho-
nestis vel verbis vel actibus suis facit ‘nomen eius blasphemari inter gentes’ [Rom.
2,24], sicut e contrario non ille, qui sermonibus solis Dominum benedicit, ipse bene-
dicere putandus est, sed qui actibus et vita et moribus suis facit ab omnibus nomen
Domini benedici [Mais, pour ma part, je ne pense pas que seul celui-là maudisse le
Christ, qui profère des paroles de malédiction contre lui, mais aussi celui qui, sous
le nom de chrétien, fait le mal et vit dans l’immoralité, et qui, par ses paroles ou ses
actes déshonorants, fait que ‘son nom est blasphémé parmi les nations’. Tout
comme, à l’inverse, ce n’est pas celui qui bénit le Seigneur seulement en paroles que
l’on doit considérer comme bénissant, mais celui qui, par ses actes et sa vie et ses
mœurs, fait que le nom du Seigneur soit béni par tous] (Rufin. Orig. in Num. 17,6).
Elle est aussi reprise implicitement par Augustin en fid. et op. 30, où il combat une
vue laxiste du blasphème contre l’Esprit Saint, qui semble inspirée par la sienne :
Illud sane non absurde intellegunt, eum peccare in Spiritum sanctum et esse sine venia
reum aeterni peccati, qui usque in finem vitae noluerit credere in Christum, sed si recte
intellegerent, quid sit credere in Christum. Non enim hoc est habere daemonum fidem,
quae recte mortua perhibetur [Iac. 2,20], sed fidem, quae per dilectionem operatur
[Gal. 5,6] [Ce n’est assurément pas sans logique qu’ils considèrent que celui qui
pèche contre l’Esprit Saint et est impardonnablement coupable du péché éternel,
c’est celui qui aura refusé, jusqu’à la fin de sa vie, de croire au Christ. Mais [seule-
ment] s’ils comprennent correctement ce que c’est que de croire au Christ. Ce n’est
pas, en effet, d’avoir la foi des démons [voir n. à 9,2, nondum poenarum], que l’on
fait bien d’appeler ‘morte’, mais la foi qui agit dans l’amour]. On voit avec quelle
rapidité la doctrine que nul acte n’était impardonnable était devenue celle que nul
acte ne serait condamné.
Cependant, dans le serm. 71, Augustin ne parait plus entièrement convaincu par
ses propres conclusions sur la relation blasphème-paroles. On n’y trouve plus
l’affirmation que le blasphème correspond à des actes. Augustin préfère se limiter à
affirmer que l’impénitent aura sans doute blasphémé de nombreuses fois, dans le
sens ordinaire du terme, en paroles ou en pensée (sive cogitatione, sive etiam lingua
sua [que ce soit par sa pensée, ou même par sa langue], 20 ; cf. trin. 15,17 pour
l’équivalence cogitatio [pensée] – paroles), mais avec l’accent mis sur les paroles, ce
qui soulève un nouveau problème : Quod [que le blasphème impardonnable serait
l’impénitence] non ideo videatur absurdum quia cum homo usque in finem huius vitae
in dura impaenitentia perseverans, diu multumque loquatur adversus hanc gratiam
Spiritus sancti, evangelium tamen tam longam contradictionem cordis impaenitentis,
quasi breve aliquid, ‘verbum’ appellavit [Que cela ne semble pas absurde, parce que,
si un homme persiste dans l’impénitence rigide jusqu’à la fin de cette vie, il parlera
pendant longtemps et de nombreuses fois contre cette grâce de l’Esprit Saint, alors
que l’Évangile appelle ‘parole’ – comme si c’était quelque chose de court – cette
contradiction si longue du cœur impénitent] (22 ; suivent des exemples pour mon-
trer que l’Écriture emploie verbum [parole] au singulier pour verba [paroles] au plu-
388 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

riel). Mais le changement s’explique en partie par la perspective anti-donatiste du


serm. 71 : comme le reconnait déjà l’Inchoata expositio (15,12–15), le blasphème des
hérétiques était essentiellement affaire d’enseignement, et donc de paroles.

23,11 Lc. 6,46


Grec : τί δέ με καλεῖτε·‘Κύριε, Κύριε’ καὶ οὐ ποιεῖτε ἃ λέγω;
Vulgate : Quid autem vocatis me ‘Domine, Domine’ et non facitis quae dico?
Augustin a utquid pour quid ; dicitis pour vocatis ; et dico vobis pour dico. Toutes ces
variantes s’éloignent du grec, mais pourraient s’expliquer par un texte grec au-
jourd’hui perdu. Dans la Vulgate, utquid ne traduit τί tout seul qu’en 1 Cor. 15,29s.
Ailleurs il traduit soit ἱνατί (Mt. 9,4 ; 27,46 ; Lc. 13,7 ; Act. 7,26 ; 1 Cor. 10,29), soit εἰς
τί (Mt. 26,8 ; Mc. 14,4 ; 15,34 ; Rom. 5,6 [variante pour ἔτι]). Il y a donc lieu de suppo-
ser l’existence d’un texte grec avec ἱνατί ou εἰς τί en Lc. 6,46.
Selon la base de données Vetus Latina, les leçons d’Augustin ici se retrouvent
çà et là chez d’autres Pères, tous plus tardifs. Augustin lui-même cite le texte dans la
même forme qu’ici en divers. quaest. 76,2 (datant des mêmes années que l’Inchoata
expositio), dans la même forme mais sans vobis en serm. 129,2, et dans la forme de
la Vulgate en in euang. Ioh. 85,1.

23,14s. tractandi … tractationemque… tractatione … tractandam


Répétitions sans effet stylistique, mais qui suggèrent qu’Augustin a écrit rapidement
ces dernières phrases. Le goût antique était cependant moins hostile que le nôtre à
la répétition : voir P. E. PICKERING, Did the Greek ear detect « careless » verbal repeti-
tions?, CQ 53 (2003), 490–499.
Pour le sens de tracto et dérivés chez les auteurs chrétiens, voir C. MOHRMANN,
Études sur le latin des chrétiens, t. 2, Roma 1961, 70s. : « tractare et tractatus dési-
gnaient de préférence l’exposé exégétique, oral ou écrit ».

23,15 in evangelii tractatione


Référence imprécise : Augustin peut penser aux commentaires sur Lc. d’Ambroise et
sur Mt. d’Hilaire de Poitiers, voire même aux commentaires grecs (voir Introduction,
1.5 ; les commentaires de Jérôme et de Chromace d’Aquilée sur Mt. sont postérieurs à
l’Inchoata expositio : voir FÜRST, Hieronymus, 119 et CCSL 9A, vii). Mais nous avons
vu (n. à 14,1, Le blasphème) qu’Augustin est en décalage avec toutes les exégèses
reçues sur le blasphème contre l’Esprit Saint. Il indique donc peut-être une intention
éventuelle d’écrire lui-même un commentaire sur un Évangile synoptique, ce qu’il
n’est jamais parvenu à faire, bien qu’il ait en effet fourni, dans le serm. 71, une dis-
cussion encore plus détaillée que celle de l’Inchoata expositio sur le blasphème
contre l’Esprit Saint.
Commentaire | 389

23,15 in aliis voluminibus … ut huius iam tandem iste sit modus


Pour le sens de volumen chez Augustin, voir AugLex s.v. codex : bien qu’il écrive ou
dicte sur des codices, des livres reliés, Augustin divise ses livres en volumina, dont la
longueur correspond approximativement à celle des anciens rouleaux de papyrus.
« La formule ‘iste (hic) sit huius voluminis modus (terminus, finis)’ est un cliché qui
revient fréquemment en fin de livre ». Ainsi, en retract. 1,25,1, s. Augustin appelle
alia volumina [autres volumes] la suite hypothétique de notre texte.
Il faut faire la part de ces habitudes de composition dans l’analyse de l’Inchoata
expositio. Par sa longueur même, le développement sur le blasphème contre l’Esprit
Saint permet de faire du commentaire de la salutation initiale de Rom. un volumen
de taille ordinaire.
Sigles
AugLex Augustinus-Lexikon
BA Bibliothèque Augustinienne
Blaise A. Blaise, Dictionnaire latin-français des auteurs chrétiens, Strasbourg 1954.
CCCM Corpus Christianorum – Continuatio Mediaevalis
CCSL Corpus Christianorum – Series Latina
CIL Corpus Inscriptionum Latinarum
CPG Clavis Patrum Graecorum
CPL Clavis Patrum Latinorum
CPPM Clavis Patristica Pseudepigraphorum Medii Aevi
CSEL Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum
DACL Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie
DTC Dictionnaire de Théologie Catholique
EAC Encyclopedia of Ancient Christianity (2014)
GCS Die Griechischen Christlichen Schriftsteller der ersten drei Jahrhunderte
Gryson R. Gryson (éd.), Biblia sacra iuxta vulgatam versionem5, Stuttgart 2007.
HU Die handschriftliche Überlieferung der Werke des Heiligen Augustinus, Wien 1969–.
ILCV E. Diehl (éd.), Inscriptiones Latinae Christianae Veteres, 3 tomes, Berlin 1925–1931.
IPM Instrumenta Patristica et Mediaevalia
K-S R. Kühner – F. Holzweissig – C. Stegmann – A. Thierfelder, Ausführliche Grammatik
der lateinischen Sprache6, 3 tomes, Hannover 2012.
Lampe G. W. H. Lampe (éd.), A Patristic Greek Lexicon, Oxford 1961.
LHS M. Leumann – J. B. Hofmann – A. Szantyr, Lateinische Grammatik, 3 tomes, Mün-
chen 1965–1979.
LIMC Lexicon Iconographicum Mythologiae Classicae
LLTA / B Library of Latin Texts – Series A / Series B (banques de données de textes latins
publiées par Brepols, contentant, inter alia, la totalité des œuvres de s. Augustin).
LSJ H. G. Liddell – R. Scott – H. St. Jones, Greek-English Lexicon
Mendoza (Voir Bibliographie, ‘Traductions’)
MGH Monumenta Germaniae Historica
Nestle-Aland28 Nestle-Aland, Novum Testamentum Graecum28, Stuttgart 2012
OLD Oxford Latin Dictionary
PG Patrologia Graeca
PL Patrologia Latina
PLS Patrologiae Latinae Supplementum
RAC Reallexikon für Antike und Christentum
RE A. F. Pauly – G. Wissowa, Realencyclopädie der classischen Altertumswissenschaft
RING (Voir Bibliographie, ‘Traductions’)
SChr Sources Chrétiennes
ThLL Thesaurus Linguae Latinae
TRE Theologische Realenzyklopädie
TWNT Theologisches Wörterbuch zum Neuen Testament
VetLat 25 H. J. Frede (éd.), Vetus Latina 25 : Epistula ad Thessalonicenses, Timotheum, Titum,
Philemonem, Hebraeos, Freiburg 1975–1987.
VetLat 26/1 W. Thiele (éd.), Vetus Latina 26/1 : Epistulae Catholicae. Apocalypsis, Freiburg
1958.

https://doi.org/10.1515/9783110594782-007
Bibliographie
Éditions

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Index
1 Bible
Les renvois sont aux numéros des pages. Les chiffres en romain renvoient aux citations bibliques
dans le texte de l’Inchoata expositio. Les chiffres en romain suivis d’un astérisque (*) renvoient aux
passages bibliques évoqués, mais non cités, dans le texte de l’Inchoata expositio. Les chiffres en
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à l’intérieur de citations d’auteurs chrétiens ne sont pas inclus. Sont exclus de même les passages
bibliques évoqués exclusivement à des fins linguistiques.

Gen. 1,1–25 : 240 22,42–46 : 156*.235


4,7 : 275 25,1–13 : 308
2 Reg. 11,1–12,25 : 184* 25,31–46 : 251
12,10–14 : 166* 26,59s : 188*
Tob. 4,16 : 350 26,61 : 372
Iob 14,4 : 280 27,18 : 374
42,7 : 279 27,52s. : 251
Ps. 8,5 : 328 28,11–15 : 188*
50,19 : 184* Mc. 2,5.9–11 : 385
72,28 : 265 3,22–28 : 372
84,12 : 242 3,28s. : 314
109,1 : 158 12,13 : 188*
Prov. 3,12 : 279 12,35–37 : 235
11,31 (LXX) : 166* Lc. 5,20.23s. : 385
Sap. 14,12–21 : 226 6,27 : 182*
Sir. 10,15 : 200 6,46 : 192.388
Is. 59,1s. : 164.265 10,4 : 298
66,24 : 271 11,5 : 172*
Ier. 27,23 : 353 12,47 : 182.184.352.354
Mt. 3,2 : 385 12,48 : 182.352.354
4,17 : 190.385 17,11–19 : 176*
5,44 : 182* 20,20 : 188*
6,14s. : 269 20,41–44 : 235
7,12 : 261.349 23,34 : 344
7,21 : 192 Io. 1,3 : 156*
9,1–8 : 383 1,14 : 156*.238.240
9,2 : 190.385 1,17 : 198
9,5s. : 190*.385 3,17 : 190*
12,22–37 : 372.383 4,7–42 : 176*
12,24 : 186*.192* 7,39 : 370
12,31 : 172*.315.381 13,31 : 246
12,32 : 172*.174.180.314.315.346 14,6 : 232
12,33 : 190.381 14,27 : 164.263
14,26 : 228s. 16,33 : 166
15,26s. : 172.305 20,23 : 289
22,37–40 : 182* Act. 4,28 : 247

https://doi.org/10.1515/9783110594782-009
400 | Index

7,51 : 176 6,1 : 184*


8,4–17.18–24 : 176* Eph. 1,20 : 246
8,22 : 337 2,20 : 152*
10 : 182* 3,19 : 255
15,19.29 : 350 5,5 : 234
17,28 : 154*.220 Phil. 2,7–9 : 235
Rom. 1,1 : 152.154 Col. 1,18 : 158*.160*.250
1,2s. : 154 2 Thess. 1,4s. : 166
1,4 : 158 (bis) 1 Tim. 1,2 : 168
1,5 : 160.162 1,13 : 188.377s.
1,6 : 162 2 Tim. 1,2 : 168
1,7 : 162 (bis) Tit. 1,1s. : 245
3,21–5,2 : 198 1,16 : 192
6,3s. : 242 3,2–7 : 378
8,29 : 250 3,3 : 188.377s.
8,29s. : 247 Hebr. 1,3 : 246
8,34 : 246 3,2 : 240
9,14–24 : 197 6,1s. : 186.366
11,16–24 : 197 6,4–6 : 351.366
11,25 : 186.370 10,26 : 182.184.351s.
11,26 : 368.370 10,29 : 351s.
11,36 : 285 12,5s. : 279
1 Cor. 2,7 : 247 12,6 : 166
12,9 : 192 12,23 : 251
12,10 : 186*.370 Iac. 1,1 : 170
15,20 : 250 1 Petr. 1,2 : 168.296
15,53s. : 264s. 1,3 : 168
2 Cor. 1,4 : 282 3,18–4,6 : 282
1,19 : 206 4,6 : 166
5,10 : 251 4,15–18 : 166.281
5,20 : 152* 4,17 : 283
11,25 : 176 2 Petr. 1,2 : 170.296
13,4 : 158 1 Io. 1,3 : 170.297
Gal. 1,5 : 247 2,16 : 385
1,11 : 247 4,2 : 341
3,18–21 : 257 4,18 : 273
3,19 : 207s. 4,19 : 162*
4,4 : 239 2 Io. 1,3 : 170
4,6 : 309 3 Io. 1 : 170
5,12 : 205 Iudas 1 : 170
Index | 401

2 Auteurs anciens
Les renvois sont aux numéros des pages. Sont inclus tous les passages cités textuellement dans le
commentaire.

Ambr. 4,5 : 382


Abr. 1,19,82 : 220 4,10 : 347
epist. 7,1 (CSEL 82/1) : 243 4,15 : 312
in Luc. 6,108 : 223s.
7,21 : 311s. Aug.
9,29 : 255 adv. Iud. 15 : 210s.
in psalm. 37,29 : 255 agon. 4 : 324
incarn. 2,13 : 241 11 : 238
Iob 1,4,10 : 281 12 : 384
off. 1,40 : 255 28 : 246
paen. 1,47 : 334s. 29 : 251s.
1,58 : 352s. bapt. 5,12 : 308
2,10 : 352 6,50 : 237
2,21 : 372s. beat. vit. 10 : 364s.
2,23 : 336s. 22 : 365
2,24 : 337 33 : 230
2,26 : 314s. c. acad. 1,15 ; 3,9 : 220
2,93 : 362 c. Adim. 8 : 357s.
spir. sanct. 1,3,54 : 312s. c. Cresc. 4,10 : 317s.
1,12,126 : 286 c. epist. Fund. 25 : 232s.
2,1,26 : 255 c. Faust. 11,1 : 210
2,5,36 : 220 11,4 : 240
12,9 : 275
Ambrosiast. 13,1 : 214
voir aussi Ps.-Aug. quaest. test. 13,15 : 227
in 2 Cor. 1,2 : 285 22,79 : 234
in Rom. prol. 2 (rec. γ) : 199 c. Fort. 3 : 239
prol. 3 (rec. αβ) : 199 19 : 210
prol. 4 (rec. γ) : 258 22 : 382
1,1 : 201 c. Iulian. op. imperf. 6,19 : 318s.
1,2 : 209.214 catech. rud. 42 : 375
1,4 : 242.247.249 civ. 4,26 : 332
1,5 : 253 8,10 : 224
1,7 (rec. αβ) : 264 8,24 : 212
10,3 : 371 9,19 : 328
in Tit. 3,3 : 378 15,7 : 274
15,9 : 220
Apoll. 16,22 : 294
in Rom. 8,33 (iuxta REUSS, Matthäus- 18,23 : 227
Kommentar, 21) : 383 18,47 : 224s.
19,23 : 213
Ath. 20,2 : 277s.
ep. Serap. 4,2 : 313s. 20,29s. : 369s.
402 | Index

21,9 : 271 3,71 : 362s.


21,12 : 277 4,15 : 367
21,24 : 271 4,76 : 343
22,16.20 : 308 4,108s. : 256
conf. 1,1 : 290 4,110 : 257s.
2,9 : 322s. enchir. 4 : 345
3,10 : 231 83 : 317
3,12 : 324s. epist. 6,7 : 323
7,24 : 255 17,2 : 220
8,2.12 : 276 23,4 : 337
13,29 : 323 25,3 : 345s.
cons. euang. 1,7 : 238 26,6 : 323
1,10 : 330 33,3 : 346
1,11 : 237 35,2 : 203
1,24 : 330 43,8 : 330s.
2,58 : 386 47,4 : 344
3,79 : 356 55,10 : 265
4,15 : 255 55,29 : 222
de serm. dom. 1,73–75 : 316.345 82,28 : 368
1,74 : 275 91,2 : 220
1,75 : 381 111,2 : 353s.
1,77 : 336 137,10 : 238
2,21.23 : 284 137,12 : 218
2,74 : 261s. 149,19 : 369
divers. quaest. 36,1 : 272 149,22 : 270
59,4 : 308 153,7 : 321s.
62 : 370 153,15 : 269s.
64,4 : 303s. 153,16 : 271.272
68,3 : 254 157,19 : 265.278
68,5 : 260 164,21 : 283
73,2 : 238 184A,5 : 328
77 : 365 185,42 : 339
78 : 230s. 185,48 : 341s.
80,3 : 308 185,49 : 374
82,2 : 268 193,12 : 274
doctr. christ. praef. 9 : 308 205,11 : 265
praef. 12 : 345.355 205,14 : 252
1,13s. : 325s. 213,4 : 300s.
1,26 : 238 fid. et op. 30 : 387
1,35 : 320 fid. et symb. 1 : 367
1,37 : 251 5 : 241
1,75 : 274 19 : 287
1,95 : 319 22 : 319
2,20 : 323 gen. ad litt. 8,8 : 234
2,34 : 207s. gen. c. Manich. 2,30 : 232
2,126 : 365 haer. praef. 4 : 341
3,9 : 245 26 : 340
3,30–32 : 354s. in euang. Ioh. 48,7 : 335
3,52 : 348 77,4 : 263
Index | 403

in Gal. 1. : 197.200 55,6 : 265


3 : 264 65,7 : 372
12 : 244 71,10 : 265
13 : 253s. 72,21 : 221
15 : 198.200.385 77,3 : 202
19 : 201 98,12 : 353
24 : 207 103,4,8 : 280
26 : 200 118,29,3 : 221
30 : 240 123,13 : 279
31 : 309 135,7 : 255
35 : 346 in Rom. prol. : 197
46 : 263s.348 1 : 242
51 : 330 3 : 224
56 : 359 12 : 283
65 : 295 32 : 322.323
in Matth. 11,2 : 375 47 : 365s.
in psalm. 1,5 : 252 48 : 250
3,7 : 244 51 : 327
3,9 : 250 52s. : 259
3,10 : 260 lib. arb. 1,1 : 266
4,7 : 289 1,6 : 349
4,9 : 211 2,39.47.54 : 284
6,7 : 322 3,4 : 268
6,12 : 329 3,45 : 270
7,7 : 338 3,53 : 356
7,11 : 230 loc. hept. 1,24 : 211
7,19 : 275 mag. 40 : 326
8,10 : 203 44 : 299
8,10s. : 328 mor. eccl. 9 : 266
8,13 : 204 10 : 337
9,1 : 281 38 : 229
9,11 : 325 42 : 284
9,17 : 323 57 : 222
9,27 : 330 mor. Manich. 20 : 323
10,1 : 337 mus. 1,5 : 203
10,4 : 329 1,23 : 206
13,7 : 244 5,8 : 284
14,3 : 357 6,8 : 284
17,11 : 232 6,38 : 205
17,27s. : 268s. 6,55 : 255
22,4s. : 203 ord. 1,19 : 266
24,8 : 269 1,29 : 267
25,2(= serm. 166A), 13 : 263 2,25 : 350
33,2,6 : 255 pecc. mer. 1,5 : 265
36,3,19 : 377s. 1,34 : 299
37,1 : 303 2,14 : 280
49,4 : 222 perf. iust. 16 : 265
50,3 : 363 praed. sanct. 31 : 249
50,7 : 268 quaest. euang. 2,13 : 331
404 | Index

2,33,3 : 364 166A : voir Aug. in psalm. 25,2


2,33,5 : 201s.369 167,4 : 298
2,41 : 255 169,5 : 255s.
quaest. Simpl. 1,2,2 : 197 169,12 : 249s.
1,2,12 : 260 179A,7 : 358
1,2,22 : 335 182,6 : 238
2,1,7 : 261 183,1 : 342
2,2,1 : 288 183,10 : 341
2,3,3 : 371 198(augm),16 : 225
quant. anim. 15 : 284 198(augm),29 : 224
18 : 365 214,4 : 268
47 : 365 223A,4 : 331
79 : 323 252,1 : 386
retract. 1,3,3 : 267 260A,2 : 344s.
1,4,2 : 267 260C,6 : 328
1,19,7 : 316 271 : 288.289
1,23,2–4 : 259 288,2 : 234
1,25,1 : 389 293A(augm),8 : 256
2,20 : 259 299A(augm),6 : 376
2,24,2 : 207 305A,7 : 264s.
serm. 2,9 : 200 339,3 : 320
8,12 : 349 341(augm),7 : 256
9,3 : 358 351,5 : 361
9,6 : 241 351,6 : 363s.
9,8 : 272 351,9 : 320
9,15 : 348 351,12 : 342s.344.363
12,3 : 252 352,2 : 334
20,2 : 269.319s. 352,8 : 344.381
20,3 : 320 352,9 : 267.343
56,15 : 359 352A,6 : 321
71,5 : 334.399s. 360B,19 : 356
71,9 : 374 soliloq. 1,2 : 267
71,6 : 338 1,3 : 241.287
71,19 : 265 1,4 : 266
71,20 : 317.387 spec. 197 : 255
71,22 : 387 spir. et litt. 18 : 18
71,28 : 295.318 23 : 197
71,34 : 363 trin. 1,12 : 241
71,37 : 289 2,11 : 239
92,2 : 235 4,4 : 221
101,9 : 261.298 6,38 : 255
105,4 : 307 8,3 : 297
117,16 : 238 un. bapt. 6 : 224
158,6 : 272 util. cred. 1 : 230.338
161,8 : 272s. 2 : 337
162A,11 : 298 3 : 338
163,11 : 234 34 : 384
163B,3 : 359s. 35 : 361s.
166,2 : 203 vera relig. 8 : 229
Index | 405

10 : 231 Clem.
23 : 225 str. 1,91 : 223
30s. : 379
56 : 332s. Cod. Theod.
66 : 359 16,7,4,1 : 342
100 : 221
107s. : 230 Const.
189 : 255 or. s. c. 19,4 : 217.219
190–196 : 226
204s. : 232 Cyrill.
312 : 264 in Matth. (iuxta REUSS, Matthäus-
virg. 37 : 377 Kommentar, 21) : 315
47 : 256
Didym. voir Hier.
Ps.-Aug.
quaest. test. 102,13 : 311 Don.
102,23 : 314 Ter. Ad. 363 : 202
102,24 : 337 Ter. Eun. 191 : 294
766s. : 256
Bas.
reg. br. 273 : 315 Epiph.
exp. fid. 1,1 : 342
Beda haer. 54,2 : 312
hist. eccl. 2,1,11 : 301s.
Euseb.
Caes. Arel. H.E. 5,1,3 : 261
serm. 38,3 : 335 6,14 : 290s.

Chromat. Faustin.
in Matth. 50,3 : 314 trin. 5,1 (CCSL 69) : 255

Chrys. Filastr.
hom. in 1 Cor. 1,1 : 253 89 : 240
hom. in. Heb. 9,1 : 366s.
9,3 : 364 Hier.
20,1 : 352 c. Lucif. 23 : 336
hom. in Rom. 1,2s. : 235.245.247.253 Didym. spir. 16 : 286
1,4 : 264 epist. 53,9 : 292
17,1 : 371 73,4 : 292
hom. in 1 Tim. 1,2 : 295 129,3 : 293
3 : 371 hom. Orig. in cant. 3 : 371
hom. in 2 Tim. 8,1 : 204 hom. Orig. in Ezech. 1,2 : 282
hom. in Tit. 3,1 : 224 7,10 : 367s.
4,1 : 267 10,1 : 269
in Iob 1,1 : 280s. hom. Orig. in Ier. 1,3 : 353
in Am. 3,8 : 292
Cic. in eccles. 7,28 : 218
Balb. 51 : 219 in Eph. prol. (PL 26, col. 440) : 196
de orat. 1,1,98 : 219 1,5 (PL 26, col. 448) : 247s.
406 | Index

6,15 (PL 26, col. 551) : 262 Mar. Victorin.


in Ezech. 9,28 : 293 in Gal. prol. : 196
in Gal. prol. (CCSL 77A, p. 7,52–57) : 198
prol. (CCSL 77A, p. 7,61–69) : 198 Novatian.
prol. (CCSL 77A, p. 8,84–87) : 199 trin. 11 : 327
1,1 (CCSL 77A, p. 11) : 293 13 : 240s.
2,14b (CCSL 77A, p. 57, app. crit. ad lin.
11) : 200 Optat.
in Ier. 6,36 : 292 5,3,10 : 341
in Is.3,6 : 292
3,8 : 292 Orig.
in Matth. 26,8s. : 292 voir aussi Hier. et Rufin.
in Tit. 1,1b–4 (CCSL 77C, p. 8) : 245.262 Cels. 3,71 : 267
1,5b (CCSL 77C, p. 15) : 292s. hom. in Jer. 2,3 : 313
1,12–14 (CCSL 77C, p. 28) : 244s. 16,9 : 233
2,2 (CCSL 77C, p. 39) : 292 in Luc. frg. 76 SChr 87, 526s. = 182 Rauer :
3,3 (CCSL 77C, p. 62) : 378s. 307s.
3,15 (CCSL 77C, p. 72s.) : 262s. Jo. 1,4,22 : 294
vir. ill. 5 : 291s. 1,27,190 : 203
15 : 292 2,11,80 : 313
59 : 292 2,17,117s. : 251
2,77s. : 286
Hil. 10,7,30 : 223
in Matth. 12,17 : 312 23,12,93 : 306
in psalm. 135,11 : 255 32,25,322 : 246
trin. 2,1 : 286 philoc. 26,8 : 384
6,38 : 255
10,7 : 239 Oros.
hist. 2,5,10 : 219
Inscr. christ. Diehl 6,1,3 : 331s.
153 : 334 6,1,29 : 219
6,20,6s. : 306s.
Iren.
haer. 3,11,19 : 340s. Pacian.
epist. 3,15 : 310s.
Johannes Chrysostomus voir Chrys.
Paneg.
Josephus 9,7 : 219
BJ 4,460 : 219 12,12.19 : 219

Lact. Paul. Nol.


inst. 1,5,11.19 : 220 epist. 4,2 : 345s.
1,13,12 : 220 22,3 : 220
4,13,16 : 213
7,20,5 : 252 Pelag.
7,24,11 : 216 in Rom. 1,2 : 228

Lucan. Philarg.
2,248 : 284 Verg. ecl. 4,4 : 222
Index | 407

Possid. Serv.
vita Aug. 5 : 301 Aen. prol. : 196
27 : 333 1,1 : 259

Prisc. Stat.
gramm. II 186 Keil : 294 silv. 4,5,45s. : 299

Ps.-Prob. Tert.
Verg. ecl. 4,4 : 222 adv. Prax. 16 : 241
21 : 327
Prud. 27 : 235
apoth. 1s. : 342 idol. 1 : 233s.
178 : 340 3 : 226
956–958 : 231
c. Symm. 1,653s. : 330 Ps.-Tert.
haer. 1 : 336
Rufin.
apol. adv. Hier. 2,7 : 220 Theod. Mops.
hist. 10,22 : 324 in 1 Thess. 1,1 : 261
11,22 : 330 in 2 Tim. 2,8 : 235
11,29 : 302s.
Orig. in ex. 7,2 : 280 Theodoret.
11,3 : 280 in Rom. 1,5 : 253
Orig. in gen. 11,2 : 290 in Tit. 3,3 : 379
Orig. in Ios. 5,6 : 378
Orig. in lev. 3,3 : 203 Tract. Pelag.
Orig. in Num. 8,1 : 271 2 (PLS 1,1378) : 350
17,6 : 386s.
Orig. in Rom. 1,6,1 : 258 Tycon.
1,7,1 : 240.248 reg. 1,12,1 : 247.251
1,8,2 : 249
1,9,2 : 252s. Verg.
1,10,2 : 295 Aen. 1,12s. : 304
2,5,19 : 351 1,498 : 255
Orig. princ. 1,3,7 : 346s. ecl. 4,4 : 97.154
4,13s.25 : 218
Sen.
dial. 8,1,4 ; 10,2,1 : 219 Zenon
epist. 91,19 : 309 iuxta Diog. Laert. 7,123 : 267
122,17 : 342

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