Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
la source d ' instruction pour tout croyant, en vue de l'espérance (Rm 15,4). Sans
elles, l'Évangile resterait incompréhensible 10 •
Dès le début, dans la lettre aux Romains, Jésus-Christ, objet et sujet porteur
de l'Évangile, est relié au roi par excellence d ' Israël : lui qui est« issu selon la
chair de la lignée de David » (Rm 1,3). Dès le début, Pau l, « Israélite, de la
race d'Abraham, de la tribu de Benjamin » (Rm 11 ,3, cf. Ph 3,5-6; 2 Co
11 ,22), est censé expliquer les rapports entre sa foi d 'origine et l'Évangile,
«[... ]qu'il considère non pas comme une déviance, mais comme ('accomplis-
sement de la fo i d ' Israël » 11 .
10
Voi r Antonio P1n·A, Leuera ai Romani, p. 554. La lettre aux Romains, en fa it, est
pleine de références explicites aux Écritures d'Israël. Vo ir par exemple les références aux
patriarches et aux matriarcbes d ' Israël (deux sur quatre, cf. Rt 4,1 1) : Abraham
(4, 1.2.3.9. 12.13. 16 ; 9, 7 ; 11 , I) et Sara ( 4, 19 ; 9 ,9), Isaac (9, 7 . 10) et Rébecca (9, 10.1 1), Ja-
cob (9, 13 ; 11,26), ou les références au grand guide et législateur : Moïse (5, 14 ; 9, 15 ; 10,5 ;
10, 19), au roi pa r excellence : David ( 1,3 ; 4,6 ; 11 ,9), aux prophètes ( 1,2 ; 11 ,3) et aux
livres prophétiques d'Osée (9,25) et d ' Ésaïe (9,27.29 ; 10,16.20 ; 15,12); aux Écritures
saintes(« Écritures saintes», 1,2 ; ou encore:« Écriture», 4,3 ; 9, 17 ; 10, 11 ; 11 ,2 ; et
«Écritures», 15,4), à la Paro le de Dieu (9,6 ; cf. 3,2: «les révélations -Àoyux - de Dieu »),
à« la loi et les prophètes» (3,2 1), aux personnages d ' Adam (5, 14[bis]), d'Ésaü (9, 13), d ' Élie
( 11 ,2), au(x) Juif(s) (1, 16 ; 2,9. 10.17.28.29 ; 3, 1 ; 10, 12, au singulier ; 3,9.29; 9,24, au
pluriel), aux Israélites (9,4 ; 11, 1), à la tribu de Benjamin ( 11 , 1). au peuple et aux
lieux d'Israël (9 ,6[bis] ; 9,27[bis] ; 9,3 1 ; 10, 19.2 1 ; 11 ,2.7.25.26) : Sion (9,33 ; 11 ,26), Jé-
rusalem (15, 19.25 .26.3 1), Judée (15,31), et aux rites, tradit ions et coutumes variés :
nEp Lrnµil (2,25 [bis ].26.27 .28 .29 ; 3, 1 ; 4, 10.1 1. 12 ), D..1wtilpwv (3 ,25), cipfXi (8, 15), ÔL0:9tjKTJ
(9,4, au pluriel ; 11 ,27), ÈKÀoytj {9, 11 ; 11 ,5.7.28), Ti p[(a rnû 'Irnoa[ ( 15, 12), ciµtjv ( 1,25 ;
9,5 ; 11 ,36 ; 15,33), et passim. Et tout cela, sans compter, le chapitre disputé de Rm 16, sur
lequel nous reviendrons plus loin (voir infra).
11
Ainsi Paul BONY, Un Juifs 'explique sur/ 'Évangile. La Lettre de Paul aux Romains ,
p. 13.
12
Voi r notamment Joseph A. FITZMYER, lettera ai Romani. Commentario critico-teo-
logico, Piemme, Casa le Monferrato 1999, p. 1OO ; A. Andrew DAS, Solving the Romans
Debate, Fortress, Minneapolis 2007, pp. 10- 13
13
Voir, par exemple, la tension qui apparaît à une première lecture de Rm 1,8- 15 et 15,20.
Cf. Joseph A. FITZMYER, lettera ai Romani. Commentario critico-teologico, p. 1OO.
14
« Romans: Two Writings Combined », in Novum Testamentum 7, 1964, pp. 258- 277.
14 Chapitre I : la lettre aux Romains dans son contexte socio-historique
Séquence Témoins
sp61 ••d ~ B C D 81 1739 itd· 61 vg syrP
(a) 1, 1- 16,23 + doxologie
cop•a. 00 e th
1, 1- 14,23 + doxologie + 15, 1- 16,23
(b) A P 5 33 104 arm
+ doxologie
L 'P 0209';d 1813263306 141175 By=
(c) 1, 1- 14,23 + doxologie+ 15, 1-16,24 syrh msssclon Origène lat
Fgr G (peut-être l'arché type de D) 629
(d) 1, 1- 16,24 m sssclon Jérôme
27
Par « doxologie », on entend ici le texte liturgique particulièrement somptue ux ou soi-
gné, d ' un point de vue stylistique et théologique, que le Novum Testamentum Graece, 28<
édition du NESTLE-ALAN D, Deutsche Bibelgesellschaft, S tuttgart 2012, a décidé de retenir à
son endroit traditionne l 16,25- 27 : «À celui qui a le pouvoir de vous affermir selon I' Évan-
gile que j ' annonce en prêchant Jésus Christ, selon la révélation d ' un mystère gardé dans le
s ilence durant des temps éternels, mais maintenant manifesté et porté à la connaissance de
tous les peuples païens par des écrits prophétiques, selon l' ordre du Dieu éternel, pour les
conduire à l'obéissance de la foi , à Dieu, seul sage, gloire, par Jésus Christ, aux s iècles des
s iècles! Amen.», bien qu'incorporé entre crochets[...] pour signaler le degré d'i ncertitude
qui l'entoure.
28
Bruce M. M ETZGER, A Textua / Commentary on the Greek New Testament (Second
Edition), p. 4 71.
29
Pour plus de détails, voir Joseph A . FITZMYER, lettera ai Romani. Commen/Clrio cri-
tico teologico, pp. 82 -85 ; Richard N. LONGENECKER, lmroducing Romans. Critical Issues
in Paul's Most Famous letter, Eerdmans, Grand Ra pids 2011 , pp. 15-38, cf. ID. : The Epistle
Io the Romans, pp. 1010-1011 , 1074 ; Alai n GIGNAC, l 'épître aux Romains, (Commentaire
biblique : Nouveau Testament, 6), Éditions du Cerf, Paris 2014, pp. 39-42.
30 Ainsi Richard N. Lo GENECKER, lntroducing Romans. Critical Issues in Pau/ 's Most
disciples 31, au nes iècle. Elle se serait répandue bien au-de là de leurs com-
munautés32. Au niveau de la tradition manuscrite (voir supra la séquence/
de M etzge r), cette forme de la lettre en 14 chapitres, s uivie uniquement de
16,2433 et de la doxologie, est attestée dans certains manuscri ts de la Vul-
gate et dans des capitula, à savoir des brefs somma ires du texte, que l'on
trouve dans d 'autres anciens manuscrits latins (Codex Amiatinus, vgA, d u
VIIIe s iècle, e t le Codex Fuldensis, vg F, du VIe siècle) 34 , et qui ne d isent
rie n à propos de Rm 15 et 16. Ce s ilence est alo rs interprété, sans que l'on
puisse toutefois vérifier, comme la preuve de l'existence d' une forme tex-
tue lle antérieure à la Vulgate qui ne comporta it pas les chapitres 15 et 1635.
b) Une forme intermédiaire en 15 chapitres, que l' on a aussi considérée
comme « possible »36, voire comme une sorte d 'état inte rmédiaire en vu e
de la restauration de la forme orig inale 37 , et qui n 'est envisageable qu 'à
partir d u SJ)46 (Chester Beatty Pap . II) , c 'est-à-dire du plus ancien manuscrit
conservé de l'épître (daté a uto ur de l'année 200), lui-même pa rtie llement
lacunaire (sept fo lios du texte, co rrespo ndant à l , 1-5, 16, o nt été vraisem-
blableme nt perdus) 38 . La lettre aux Ro mains y revêt la forme sui vante :
5, 17- 15,33 + doxolog ie+ 16, 1-23 (voir supra la séquence e de Metzger).
La place uniq ue de la doxologie à la fin du chapitre 15 a fait songer à la
possibilité q ue Paul ait envoyé à l'orig ine a ux croyants romains une lettre
dépo urvue du chapitre 16, et que, dans un deuxième temps, lui o u
31Le recours massif au P remier Testament que l'on constate en Rm 15,3.9- 12.2 1 était
certainement incompatible avec les vues spécialement ant ijuives de MARCION, voir notam-
ment 15,4 : « Or, tout ce qui a été écri t jadis l 'a été pour notre instruction, afin que , par la
persévérance et la consolation apportées par les Écritures, nous possédions ) 'espérance », et
15,8: « Je l'affirme en effet, c'est au nom de la fidé lité de Dieu que Chri st s'est fait serviteur
des ci rconcis, pour accompli r les promesses fa ites aux péres ». Voir inter a/ia Charles E.B.
CRANFIELD, La leuera di Paolo ai Romani, (Parola per l'uomo d 'oggi, 1 1), vol. 1, Clau-
d iana, Torino 1998, p. 7.
32
Cf. A. Andrew DAS, Solving the Romans Debate, pp. 15- 16.
33
Rm 16,24 « Que la grâce de notre Seigneur Jésus Christ soit avec vous tous ! Amen »,
étant un peu une reprise de 16,20b, a été considéré un ajout secondaire et n ' a pas été retenu
dans le tex te par les plus récentes éd itions c ri tiques du texte grec du Nouveau Testament.
Rm 16,24 est néanmoi ns présent dans des témoins qui ne comportent pas 16,20, vraisembla-
blement en tant q ue nécessaire form ule de bénédiction finale. Voir Bruce M. METZGER, A
Textual Commentaiy on the Greek New Testament (Second Edition) , pp. 47 1 et 476.
34
Voir Joseph A. F ITZMYER, Lettera ai Romani. Commentario critico-teologico, p. 83 ;
A lain GIG AC, L'épître aux Romains, p. 39.
35
Voi r Bruce M. M ETZGER, A Textua/ Commen tary on the Greek New Testament (Second
Edition), p. 472.
36
Ainsi Richard N. LONGENECKER, lntroducing Romans. Crilical Issues in Paul 's Most
Famous Leller, pp. 22- 25.
37
Voir Peter STUHLMACl-IER, « The Purpose of Romans», p. 237.
38 Voir Richard N. LONGENECKER, lntroducing Romans. Critical issues in Paul 's Most
que lqu' un après lui ait rédigé ce dernier chapitre pour le joindre à un e co-
pie de la lettre à transmettre, quant à elle, aux croyants d'Éphèse39 .
c) Une/orme longue en 16 chapitres, que l'on appelle co uramment la/orme
canonique ou traditio nne lle : 1, 1- 16,23 + doxologie (voir supra la sé-
quence a de Metzger), attestée par plusieurs des manuscrits de première
catégorie (c'est-à-dire d ' une« qua lité très spéciale »40) , le Sinaiticus et le
Vaticanus du IV 0 siècle, le minuscule 1739 du X 0 siècle, et représentant
vraisemblab lement la fo rme de la lettre la plus proche de l 'ori gina141 . Cette
fo rme longue est attestée encore, mais sans la doxologie: 1,1- 16,24 (voir
supra la séquence d de Metzger), par d 'autres manuscri ts de tro isième ca-
tégori e (le Codex Augiensis, F, du 1x• siècle, et le Codex Boernerianus, G,
du IX0 siècle)42 . De cette fo rme longue relèvent encore des manuscrits qu i
attestent une coupure entre Rm 14,23 et Rm 15, 1, du fai t de l'i nsertion de
la doxologie (voir supra la séquence c de M etzger), et qui comportent en-
suite 15, 1- 16,24. Dans certains cas, relevant eux au ssi de la fo rme longue,
cette doxologie est même redoublée : entre 14,23 et 15, 1 et après 15, 1-
16,23 (voir supra la séquence b de Metzger, attestée notamment par le mi-
nuscule 33, autre témoin de première catégorie). Enfi n, le 'fl 46 lui-même,
qu i relève aussi des témoins de première catégorie et dont on a pu infé rer
l'existence de la fo rme moyenne, atteste la fo rme longue.
39
Voir Bruce M. METZGER, A Textual Commentwy on the Greek New Testamenl (Second
Edition), p. 470.
40
Pour ce qui est de la catégorisation des témoins du Nouveau Testament, voir Kurt
A LAND and Barbara A LAND, The Text ofthe New Testament. An Introduction ta the Critical
Editions and ta the Theory and Practice of Modern Tex tuai Criticism , Brill, Leiden 1987,
pp. 155- 159, ici p. 155.
41
Voir Joseph A. FITZMYER, lettera ai Romani. Commentario critico-teologico, p. 84.
42
Dans le Codex Boernerianus, G, manque effectivement la doxologie ma is entre 14,23
et 15, 1 l'on constate une espace vide de six lignes, suffisant pour l' y copier. JI est donc
permis de penser que le copiste de G était conscient de son existence, à cet endroit, mais que
celle-ci manquait dans le manuscrit qu' il était en train de transcrire. Voi r Bruce M. METZ-
GER, A Tex tu al Commentary on the Greek New Testamenl (Second Edition) , p. 4 71.
43
Voir Joseph A. FITZMYER, lettera ai Romani. Commentario critico-teologico, p. 85.
44
Voi r inter alia Jordi SANCHEZ BOSCH, Scrilfi paolini, p. 266.
1. la composition de la lettre aux Romains 17
C ' est autour de ces arguments principaux que, dans les années soixante et
soixante-dix du xxc s iècle, on a observé un premier consensus sur la « desti-
nation éphésienne » de Rm 1648. Thomas W. Manson expliquait, pour sa part,
que Paul aurait d 'abord écrit, de la v ille de Corinthe, la lettre aux Romains en
15 chapitres (1 , 1- 15,33) et l'aurait envoyée à Rome ; ensuite, il en aurait pré-
paré une copie pour l'église d'Éphèse et lui aurait ajouté une « note d ' accom-
pagnement », à savoir Rm 16, eng lobant : une recommandation d e Phoebé, en
tant que porteuse de la lettre ( 16, l - 2), les salutations pour les frères et sœurs
d ' Asie Mineure (16,3- 16) et, finalement, un avertissement spécial aux anciens
de l' église contre certains agitateurs ( 16, 17-20, cf. Ac 20,29-32)49 .
45
Il s'agit du minuscule 1506 (voir infra).
46
Voir inter alia François VOUGA, « L'Épître aux Romains», in Daniel MARGU ERAT
(éd.), introduction au Nouveau Testament, (Le monde de la Bible, 41 ), Labor et Fides, Ge-
nève 2000, pp. 159- 178, ici p. 162.
47
Voir notamment la référence â Prisci lle et Aqui las (Rm 16,3) vivant à Éphèse lors de
la rédaction de I Corin1hiens (cf. 1 Co 16,8.19), et la référence à Epénète, indiqué comme
« prémices de l'Asie pour le Christ» (Rm l 6,5b).
48
Voir inler alia Rudolf BULTMANN, Günther BORNKAMM, Willi MARXSEN, John
KNOX, Thomas W. MANSON, M. Jack SUGGS, in Karl P. DONFRIED, « A Short Note on
Romans 16 », in ID., (éd.), The Romans Debate. Revised and Expanded Edition, pp. 44- 52,
ici p. 44 ; cf. Joseph A. FITZMYER, lettera ai Romani. Commentario critico-teologico, pp.
92- 93.
49
Thomas W. MANSON, « St. Paul 's Letter to the Romans - And Others », in Karl P.
DONFRIED (éd.), The Romans Debale. Revised and Expanded Edition, pp. 3- 15, ici p. 13,
déjà paru in Matthew BLACK (éd.), Studies in the Gospels and Epistles, Manchester Univer-
sity Press, Manchester 1962, pp. 225- 241 .
18 Chapitre I : La lettre aux Romains dans son conlexte socio-historique
50 Voir, parmi ces savants, Paul ALTHAUS, Charles K. BARRETI', Donald GUTHRIE, Wer-
ner George KüMMEL, Stanislas LYONNET et Will iam SANDAY and Arthur C. HEADLAM,
cités par Joseph A. FITZMYER, Lettera ai Romani. Commenta rio crilico-teologico, p. 1OO.
51
Harry A. GAMBLE JR. , The Textual History of the Leller ta the Romans. A Study in
Textual and Literaty Criticism , (Studies and Documents, 42), Eerdmans, Grand Rapids
1977.
52 Peter LAMPE, From Paul ta Va lenlinus. Christians at Rome in the First Two Centuries ,
Fortress, Minneapolis 2003 (orig. 1987) ; Peter LAMPE, « The Roman Christians of Romans
16 »,in Karl P. OONFRIED (éd.), The Romans Debate. Revised and Expanded Edition, Hen-
drickson, Peabody 1991 2, pp. 216- 230.
53
Voi r Karl P. DONFRI ED, « Introduction 1991 : the Romans Debate since 1977 », in ID.,
(éd.), The Romans Debate. Revised and Expanded Edition , pp. XLIX- LXXII, ici p. LI V.
Joseph A. FITZMYER, Lettera ai Romani. Commenta rio critico-teologico, p. 1OO, a déclaré
ouvertement qu 'aprés avoir soutenu la « destination éphésienne» de Rm 16, in Raymond E.
BROWN - Joseph A. FITZMYER - Roland E. MURPHY (éds.), The Jerome Biblical Commen-
ta1y , Prentice- Hall, Englewood Cliffs 1968, vol. Il, p. 330 (cf. p. 225), il a abandonné cette
thèse ancienne en faveur de la « destination romai ne » de Rm 16.
54
Ce manuscrit très tardif (XJV0 siècle), d'ailleurs, est considéré comme un descendant
lointain du texte de la lettre aux Romains abrégée par MARCION ou par ses disciples. Voir
pour les détai ls, Peter LAMPE, « The Roman Christians of Romans 16 », p. 217.
55 Ibidem.
56 Voir Karl P. DONFR IED, « A Short Note on Romans 16 », in ID. (éd.), The Romans
Debate. Revised and Expanded Edition, pp. 44-52, ici p. 50 ; Joseph A. FITZMYER, Lettera
ai Romani. Commentario critico-teologico, p. 888; Bruce M. METZGER, A Texwal Comme11-
ta1y on the Greek New Testament (Second Edition) , pp. 472, 476-477; Riccardo MAISANO,
/. la composition de la lettre aux Romains 21
(cf 1 Co 16,2 1-24 ; Ga 6, 11 - 18 ; Phm 19) 69, la crainte que des enseigne-
ments et des manifestations adverses à sa pensée th éologique se produisent
aussi à Rome 70, comme cela a déjà été le cas, par exemple, en Galatie (Ga
6, 12-15) et à Phi 1ippes où i 1 a stig matisé des gens se comportant en « en-
nemis de la croix du Christ »,dont la fin « sera la perditio n », et dont il
affirme:« leur di eu, c'est leur ventre(~ KoLHcx), et leur g loire, ils la met-
tent dans leur ho nte, eux qui n 'ont à cœur que les choses de la terre » (Ph
3,2. 18- 19)71 .
t) Si Rm 16 n'appartenait pas à la lettre aux Roma ins originale, cette lettre,
finissant a lors en Rm 15,33, manquerait d ' une véri table conc lusio n épis-
tolaire, typ ique des lettres pauliniennes, incluant les salutations72 (16,3-
15), l'appel à un « saint baiser» mutue l ( 16, 16) 73 , une exhortation ( 16, l 7-
20a) et une bénédiction ( l 6,20b) 74 .
69
Voir James D.G. DUNN, Romans 9- 16, vol. Il, (Word Biblical Commentary, 38b),
Word Books, Dallas 1988, p. 906.
70 JI n'est pas sans importance de souligner ici le lien existant entre ! 'enseignement
(ôLooxtj) menacé par ces adversaires pouvant susciter « divisions et scandales » (Rm 16, 17)
et la fo rme d'enseignement (1û11ov lilooxf]ç) auquel les chrétiens romains ont été confiés (Rm
6, 17).
71 Voir Peter LAMPE, « The Roman Cbristians of Romans 16 », p. 221 ; James D.G.
DUNN, Romans, vol. li, p. 901 ; Joseph A. FITZMY ER, lettera ai Romani. Commentario cril-
ico-teologico, pp. 879- 880 ; Douglas J. MOO, The Epistle to the Romans, (The New Inter-
national Commentary on the New Testament), Eerdmans, Grand Rapids - Cambridge 1996,
p. 929; Raymond E. BROWN, Que sait-on du Nouveau Testament? , Bayard, Paris 20003, p.
6 1O. D'avis différent, sans trop convaincre, Philip F. ESLER, Conjl.itto e identità ne/la lettera
ai Romani. Il contesto sociale dell 'epistola di Paolo, (lntroduzione allo studio della Bibbia.
Supplementi, 40), Paideia, Brescia 2008, pp. 160-163, qu i interprète Rm 16, 17-20 comme
une admonition relative à !'argument déjà abordé par Paul en Rm l 4, l- 15, 13, voire comme
«une synthèse conclusive» (cf. Karl P. DONFRIED, «A Short Note on Romans 16 », p. 5 1).
Ces dissidents, selon Raymond E. BROWN, « Roma », in Raymond E. BROWN - John P.
MEIER, Antiochia e Roma. Chiese madri della catto/icità romana , (Orizzon ti biblici), Citta-
della, Assisi 1987, pp. 109- 251 , ici p. 153, étaient des extrémistes insistant sur la circonci-
sion. Pour d'autres détails, voir infra, notamment pp. 104, 256, 308.
72 Dans les lettres pau liniennes dites« authentiques», exception fai te de la lettre aux Ga-
lates, si polémique que Paul saute même !'habituelle action de grâce, il introduit toujours ses
salutations finales par le verbe àomx( oµm . C'est une constante. Voir dans! 'ordre canonique:
Rm 16,3.5.6.7.8.9. IO[bis). 1l[bis).12[bis). 13. 14. 15.16[bis].21.22.23(bis); 1Co16,19[bis).
20[bis] ; 2 Co l 3, 12[bis) ; Ph 4,2 1[bis].22 ; 1 Th 5,26 ; Phm 23.
73
Cette invitation est présente dans quatre lettres sur sept, voir Rm 16, 16 ; 1 Co 16,20 ;
2 Co 13,12 ; 1Th5,26.
74
Voir Harry A. GAMBLE JR., The Te.xtual His tory of the Letter to the Romans. A Study
in Te.xtual and litera1y Criticism, pp. 84-95 ; Joseph A. FITZMYER, lettera ai Romani.
Commentario critico-teologico, pp. 97- 1OO.
22 Chapitre I : La lettre aux Romains dans son conlexte socio-historique
75
Voir Jean-Noël ALETTI, La lettera ai Romani. Chiavi di lettura , (Nuove vie dell'ese-
gesi ), Boria, Roma 20 11, p. 123.
76
Voir, inter a/ia, Mark REASONER, « Roma e il cristianesimo romano », in Gerald F.
HAWTHORNE - Ralph P. MARTIN - Daniel G. REID (éds.), Dizionario di Paolo e delle sue
lettere, (1 Dizionari), San Paolo, Cinisello Balsamo 1999, pp. 1345- 1353, ici pp. 1351-
1352 ; A. Andrew DAS, Solving the Romans Debate, p. 17.
77
Voir Charles D. MY ERS JR., « Epistle to the Romans», in David Noel FREEDMAN (éd.),
The Anchor Bible Dictionary, vol. V, Doubleday, New York 1992, pp. 816- 830, ici p. 819.
78 Voir Thomas R. SCHREINER, « lnterpreting the Pauline Epistles »,in David A. BLACK
and David S. DOCKER Y (éds.), lnterpreting the New Testament. Essays on Method and Is-
sues, Broadman & Ho Iman, Nashville 2001 , pp. 412-432 (en ligne
http://www.sbts.edu/documents/tschreiner/3.3_article.pdf, 17 juin 2014, ici p. 4) ; Rinaldo
FABRIS, Paolo, l 'apostolo delle genti, (Donne e uomini della storia, 6), Paoline, Milano
19992 , pp. 380-382.
79 Ainsi Corina COMB ET-GALLAND,« Paul l'apôtre: un voyage contrarié pour bagage»,
in Études Théologiques et Religieuses 80, 2005, pp. 361 - 374, ici p. 362.
/ . la composition de la lettre aux Romains 23
cf Ga 1, 15- 16 ; 2,8-9) 80, sur l' arrière-p lan de la mission décis ive et prophé-
tique d ' Israël, celle d ' être la « lumière des nations », d ' après les chants du
Serviteur du livre d' Ésaïe (cf 42,6 ; 49,6)81 • Vo ic i, donc, une esquisse sché-
matique de ! ' articulation de la lettre concernant l 'Évangile selon Pau!8 2 :
PROLOGUE - Rm l,l- 17
- Adresse épistolaire avec introduction christologique, Rm 1, 1- 7 ;
-Action de grâce et dés ir de Paul d ' aller à Rome, Rm 1,8- 15 ;
- Propositio principale ou annonce de la thèse, Rm 1, 16- 17 ;
80
La v ie, tout comme la prière , de Paul ètait dominèe par la mission. G iancarlo BIGUZZI,
Paolo missionario. Da Oriente a Occidente, ( Paolo di Tarso, 8), Pao line, Milano 2009, p.
53.
81
Voir Karl Olav SANDNES, Paul - One of the Prophets ? A Contribution to the Apostle 's
Selfunderstanding , ( Wissenschaftli che Unters uchungen zum Neuen Testament, ll/43),
Mohr Siebeck, Tübingen 199 1, pp. 58- 78, cité par Rainer RI ESNER , « L' héritage juif de Paul
et les débuts de sa mission », in A ndreas DETTWI LER, Jean-Danie l KAESTLI et Dan iel MAR-
GU ERAT (éds.), Paul, une théologie en construction, pp. 135- 155, ici p. 149.
82
D'après Jean-Noël ALETTI, « Rétributio n et jugement de Dieu en Rm 1- 3. Enjeux du
probléme et proposition d ' interprétat ion », in Didaska/ia XXXVI, 2006, pp. 47- 63 , ici p.
47, le« thème principa l » de la lettre a ux Romains est l' Évangi le de Dieu, tel que celui-ci
est interprété par Paul.
24 Chapitre I : La lettre aux Romains dans son conlexte socio-historique
Ce schéma très c lass ique répo nd à la logique de l'Évang ile pa ulinien83 : l' ini-
tiati ve d iv ine m iséricord ieuse du salut précède et motive l 'acte de fo i et la ré-
ponse éth iq ue du croyant84 . L'Évang ile est à la fo is don de la grâce d ivine et
a ppel à d es choix éthi ques conséq uents. L ' articul atio n créative de ces deux
mo ments, sans cesse en mouve ment au sein de la vie croyante, constit ue la
profondeu r et la pléni tude spiritue lle du message évangélique, dont la source
rés ide, pour Paul, da ns la« Kreuzestheologie »(« théologie de la cro ix ») 85 .
83
Par comparaison, voir notamment la structure thématique et théo logique de la lettre
aux Galates.
84
« La vie ch rétienne découle de 1'œuvre de Dieu, et même s' il y a une réponse éthique
et phys ique définie, cette réponse est fondée sur la théo logie, c'est-à-dire l'action de Dieu ».
Stanley E. PORTER, The Letter ta the Romans. A Linguistic and Literwy Commentary, (New
Testament Monographs, 37), Sheffield Phoenix Press, Sheffield 2015, p. 230.
85 Ainsi Wi lliam S. CAMPBELL, « Romans III as a Key to the Structure and Thought of
the Letter », in Karl P. DONFRIED (éd.), The Romans Debate. Revised and Expanded Edition,
pp. 25 1- 264, ici p. 262.
86
Ainsi Pierre GEOLTRAfN, « Introduction. Les origines du Christianisme: comment en
écrire l'h istoire», in ID., Aux origines du Christianisme, pp. 1- LV ll, ici pp. XII- XII I, cf. p.
LVII I.
87
Voir à ce propos Gerd THEISSEN - Petra von GEMÜNDEN, La Lellera ai Romani. Le
ragioni di un riformatore, (Strumenti 81. Nuovo Testamento), Claudiana, Brescia 2020, p.
88.
2. le contexte socio-historique de Paul 25
88 Ce que représentait la Torah pour Paul, avant la rencontre sur la route de Damas, est
désormais représenté par le Christ, véritable centre de sa théologie. Voir George EICHHOLZ,
Die Theo/agie des Paulus im Umriss , Neukirchener Verlag, Neukirchen-Vluyn 1972, p. 225,
cité par Giorgio ]O SSA , Giudei o cristiani ? I seguaci di Gesù in cerca di una propria ide11-
tità, (Studi biblici, 142), Paideia, Brescia 2004, p. 137.
89 Paul se présente en tant qu '« esclave - serviteur » de Jésus ici, comme en Ga 1, 10 et
Ph 1, 1, de même que l'auteur de 2 P ( 1, 1) et Jude ( 1), à l' image des grandes figures de la foi
juive: Abraham (Ps 105,42), Moïse (1 R 8,56), David (2 S 7,5); etc.
90
Le mot« gentil » ou «païen », ou encore« paganisme », n'ont ici aucune visée négative
ou péjorative, mais sont utilisés sic et simpliciter pour exprimer l'ensemble de tous ceux qui,
croyants dans d' au tres religions traditionnelles ou non-croyants, ne rentrent pas dans le sillon
religieux juifou chrétien.
91
Voir Romano PENNA, « Paolo pastore e pensatore: una teologia agganciata alla vita »,
in ID., Paolo e la chiesa di Roma , (Biblioteca di cultura religiosa, 67), Paideia, Brescia 2009,
pp. 24-52, ici p. 26.
92
Romano PENNA, Paolo di Tarso. Un cristianesimo possibile, San Paolo, Cinisello Bal-
samo 1992, p. 64.
93
Voir Romano PENNA, « Paolo pastore e pensatore: una teologia agganciata alla vita »,
pp. 34- 35, et 51.
94
Voir Giorgio JOSSA, Giudei o cristiani ? I seguaci di Gesù in cerca di una propria
identità, p. 132. « Paul n'a pas changé de religion ni de mœurs. Mais il est vrai qu' il n'a pas
pu répondre à cet appel sans se retourner vers celui qu' il déconsidérait et persécutait ». Pau l
BONY, Un Juif s'explique sur l 'Évangile. la Le/Ire de Paul aux Romains, p. 292, n. 4 ; cf.
Giancarlo BIGUZZI, Paolo missionario. Da Oriente a Occidente, pp. 16-17.
28 Chapitre I : La lettre aux Romains dans son conlexte socio-historique
'°5 Ainsi, Paul au Il° siécle était perçu comme « [.. .] le fo ndateur de la fa usse Égl ise,
tandis que Jacques était celui de la communauté fidèle à la volonté divine ». Étienne
TROCMÉ, « Paul, fondateur du Christianisme?» in Pierre GEOLTRAIN (éd.}, Aux origines
du Christianisme, pp. 390- 399, ici p. 393. Le judéo-christianisme ancien englobe l'ensemb le
des chrétiens d'originejuive qui reconnaissent en Jésus le Messie, divin ou non, et continuent
à observer la Torah. Cette définition a une certaine va leur pour la période qui commence dès
135, après la deuxième guerre juive contre Rome. À partir de ce moment-là, le j udéo-chris-
tianisme ancien, en rupture avec le judaïsme, se définit de manière autonome en divers
groupes : nazôréens, ébionites et e lkasaïtes. Cette définition, cependant, ne convient pas
aussi bien pour le mouvement des disciples de Jésus, avant 135, dans lequel coexistent, très
tôt au cours du 1er sièc le, des d isci ples d ' origine juive et d'origine païenne. Ainsi Simon
C laude MIMOUN!,« Les chréti ens d 'origine juive du Ier au rv• siècle», in Pierre GEOLTRAIN
(éd.}, Aux origines du Christianisme, pp. 289-320, ici pp. 290-291. Pour la réception de
Paul au se in des divers courants judéo-chrétiens des premiers siècles, aussi bien que pour
leurs doctrines, voir François YOUGA, Il cristianesimo delle origini. Scriui, protagonisti,
dibattiti, (Strumenti 7. Biblica), Claudiana, Torino 2001, pp. 196-197 ; cf. Frédérique
MANNS, «Les Pseudo-clémentines (Homélies et Reconnaissances). État de la question », in
Liber Annuus 53, 2003, pp. 157-184.
106
Ainsi François BOVON, « Pau l comme document et Paul comme monument», p. 54.
107 Voir Romano PENNA, « La Chiesa di Roma corne tes t del rapporto tra g iudaismo e
cristianesimo alla metà del primo secolo », in ID., Paolo alla chiesa di Roma, (Biblioteca di
cultura re ligiosa, 67), Paideia, Brescia 2009, pp. 53- 70, ici p. 53. Pour d'autres attestations
encore plus tardives de l'expression« christianisme», voir Corpus lnscriptionum Judaica-
rum 537, et midrash Esther Rabbah 7, 11 , cités par idem, p. 53, n. 3.
108
Ph 3,5.
109
Ga 1, 13- 14.
110 1Co 15,9; Ph 3 ,6; Ga 1, 13.22, cf. 1Tm1 , 13.
2. le contexte socio-historique de Paul 29
dans le récit des Actes:« Q uant à Saul, il ravageait l'Église; il pénétrait d ans
les ma isons, en arracha it ho mmes et fe mmes et les jeta it en prison » (8,3) 111 .
Dans le li vre des Actes, 1'« œ uvre paulinienne» occupe une place cons idé-
rable (Ac 13, 1-28,3 1) 112. li s'agit d ' un véritable portra it du p lus grand missio n-
na ire chréti en au se rvice de l'Évangile de Jésus-Christ. Ce cho ix narratif est
po ur le mo ins surprenant ! L'on ignore presque to ut d u m inistère des Douze et
l'on cho is it de suivre le parcours de ce Juif de la Diaspora, né à Tarse en C ilicie
(Ac 9, 11.30 ; 11 ,25 ; 21 ,39 ; 22,3), éduqué à l 'école d e Gamaliel (Ac 22,3),
partenaire du mouvement pharis ien (Ac 26,5), violent persécuteur des disciples
du Se igneur (Ac 9, l ss; 22,4 ; 26,9ss) et de l'Église de Dieu, do nt la vie a été
bo uleversée à j amais par la rencontre ex traordinaire de Jésus sur la route de
D amas. Paul devient l' icône du véritable témo in de Jésus et du règne de D ieu
envoyé par le Ressuscité« j usqu 'aux extrém ités de la terre» (Ac 1,8, cf. 28,28-
3 1):
«Lui, l'homme de deux cultures allait devenir[ ... ] l'homme par excellence de la transi-
tion entre deux mondes: l'univers juif et l'univers grec. Lui, l'homme entier, qui avait
défendu jusque-là un judaïsme strict dont on ne saurait impunément outrepasser les fron-
tières, allait se faire le défenseur passionné et le promoteur résolu d'une annonce de
l'Évangile sans frontières. Lui, le j ui f, fier de son appartenance à un peuple, allait se faire
tout à tous, et notamment aux païens » 1n
Le liv re des Actes s'achève sur le récit du séjour de Paul à Ro me, non pas en
ho mme libre confo rmément à sa prière et à son désir (Rm 1,9- 13; 15,22- 29,
cf. Ac 19,2 1), ma is en prisonnier en attente de jugement, in « custodia mili-
taris »(Ac 28,1 6) 114. Il n'ex iste pas de no ti ce avérée extra scripturaire quant à
la d urée et aux circonstances préc ises du séj our de Paul à Rome, ou encore
111
L'apôtre des païens (Rm 1 1, 13 cf. Ac 9, 15 ; 22, 15 ; 26, 17) nous est présenté par )'au-
teur des Actes sous un double nom, Saul (I:aouÀ, Ac 9,4.17 ; 22, 7, 13 ; 26, 14, soit un iquement
dans les récits de vocation ; et fo û.loç, Ac 7,58 ; 8, 1.3 ; et passim) - Paul (Ilaû.loç, Ac
13,9. 13, 16,43.45-46,50; et passim). Il laisse apparaître ainsi la double appartenance et la
formation culturelle juive et hellénistique de )'apôtre. Voir Rinaldo FABRIS, Paolo, l 'apo-
stolo delle genti, pp. 3 1- 34; Joachim GNILKA, Paolo di Tarso. Apostolo e testimone, (Sup-
plementi al Commentario teo logico del Nuovo testamento, 6), Paideia, Brescia 1998, pp. 31 -
32.
11 2
Voir François VOUGA, Il cristianesimo delle origini. Seri/li, protagonisti, dibattiti, p.
11 0.
113
Ainsi Christian GRAPPE, Initiation au monde du Nouveau Testament , (Le monde de la
Bible, 63), Labor et Fides, Genève 2010, p. 99. D 'après Rina ldo FABRIS, Paolo, l 'apostolo
delle genti, pp. 44-47, Paul est un homme« à la fron tière entre deux mondes».
114
Pour un approfondissement de ce sujet, voir Harry W. T AJRA, The Martyrdom ofSt.
Paul, (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament, 2.67), J.C.B. Mohr,
Tübingen 1994, pp. 43-44, cité par Reidar HVALVIK, « Jewish Believers and Jewish ln-
nuence in the Roman Church until the Early Second Century », in Oskar SKARSAUNE and
Reidar HVALVJK (éds.}, Jewish Believers in Jesus, Hendrickson, Peabody 2007, pp. 179-
2 16, ici p. 196, n. 92.
30 Chapitre I : La lettre aux Romains dans son conlexte socio-historique
115
Traduction fra nçaise in CLÉMENT DE ROME, Épître aux Corinthiens, introduction,
texte, traduction, notes et index par Annie JAUBERT, (Sources chrétiennes, 167) Cerf, Paris
201 1, p. 109.
116
Voir Gi useppe PULCIN ELLI, « Occasione e scopo della Lettera ai Romani, vagliando
le opzioni », in Lateranum 75, 2009, pp. 567-587, ici p. 579 n. 43.
11 7
Voir inter alia, Peter LAMPE, « The Roman Christians of Romans 16 », pp. 216- 230 ;
Harry A. GAMBLE JR., The Tex tuai HistOIJ' ofthe Letter ta the Romans. A Study in Textual
and Literary Criticism, ad locum.
118
L' uti lisation d'un amanuensis pour la rédaction matériel le de certaines lettres du cor-
pus paulinien est bien attestée ; voir par exemple : pour les« lettres authentiques», Sosthène
pour I Corinthiens ( 1, 1 cf. 16,21) et Timothée pour Philémon (v. 1 cf. v. 19) ; pour les
« lettres deutéro-pauliniennes », Sil vain et Timothée pour 2 Thessa/oniciens (1 , 1 cf. 3,17) et
Timothée pour Colossiens (1 , 1 cf. 4, 18).
119
Voir inter alia Günther BORNKAMM , «The Letter to the Romans as Paul 's Last Wi ll
and Testament », in Karl P. DONFRIED (éd.), The Romans Debate. Revised and Expanded
Edition , pp. 16- 28, p. 16.
120
l Co 3,9- 10, cf. 1 Co 4,15 : « En effet, quand vous auriez dix mille pédagogues en
Christ, vous n'avez pas plusieurs pères. C'est moi qui, par l'Évangile, vous ai engendrés en
Jésus Christ».
2. le contexte socio-historique de Paul 31
12 1
Le proconsul GALLION est mentionné dans I'Inscription de Delphes, trouvée en 1905 ;
voir pour plus de détails Franco MANZI , Seconda lettera ai Corin=i. Nuova versione, intro-
du=ione e commenta, (l libri biblici. Nuovo Testamento, 9), Paoline, M ilano 2002, pp. 74-
75 ; Laura BOFFO, lscri=ioni Greche e latine per Io swdio della Bibbia, (Biblioteca di storia
e storiografia dei tempi bibl ici, 9), Paideia, Brescia 1994, pp. 247-256.
122 En s implifiant un peu notre vocabu la ire, nous préférons parler de chrétiens d'origine
juive (tels que Pierre, Jean, Paul, Prisci lle et Aqu ilas, etc.) plutôt que de judéo-chrétiens en
raison de la confus ion possible de ces derniers avec les courants radicaux des judéo-chrétiens
dont il est question, notamment, à partir du ne siècle (tels que les Ébionites, les Elkasaïtes,
les Nazôréens, etc.). Nous parlons, par contre, de judaïsants lorsque nous voulons parler de
chrétiens d 'origine j uive ou non, à ! 'époque apostolique, qui demandent ou imposent aux
chrétiens d'origine païenne la circoncision, voire l'observance de toute la loi de Moïse,
comme condition nécessaire pour le salut (vo ir, par exemple , les adversa ires de Paul au mi-
lieu des églises de Galatie, cf. Ga 6, 12- 13: « Des gens désireux de se faire remarquer dans
l'ordre de la chair, voi là les gens qui vous imposent la c irconcision. Leur seul but est de ne
pas être persécutés à cause de la croix du Chri st ; ca r, ceux-là mêmes qu i se font circoncire
n'observent pas la lo i; ils veulent néanmoins que vous soyez circoncis, pour avoir, en votre
cha ir, un titre de gloire» ; ou encore, ces croyants d 'origine pharisienne dont il est question
e n Ac 15, 1.5 : « Certaines gens descendirent alors de Judée, qui voulaient endoctriner les
frères : "S i vous ne vous faites pas circoncire selon la règle de Moïse, disaient-ils, vous ne
pouvez pas être sauvés." [ ... ] Des fidèles issus du pharisaïsme intervinrent alors pour soutenir
qu' il fa llait circoncire les païens et leur prescrire d ' observer la loi de Moïse»). D 'après la
thèse d e Marcel SIMON, fondée sur le critère de! 'observance, l'on peut définir comme judéo-
chrétien tout ce qui dépasse, au niveau des observances juives, les limites du décret aposto-
lique ou de l'accord de Jérusalem (cf. Ac 15,28- 29). Voir Marcel SIMON, « li giudeo-cri-
stianesimo » , in Marcel S IMON - André BENOÎT, Giudaismo e cristia11esimo. Una storia
antica, (Economica Laterza, 373), Laterza, Roma - Bari 2005 (orig. 1968), pp. 236-254, ici
p. 247. Pour un approfondissement de ces questio ns, nous renvoyons à Simon C laude MI-
MOUN! (dir.), l e Judéo-Christianisme dans tous ses états : actes du colloque de Jérusalem
6- IOJuillet 1998, en collaboration avec F. Stan ley JONES, (Lectio divina. Hors-série), Cerf,
Paris 2001 ; Claudio GtANOTTO (éd.), Ebrei, credenti in Gesù. la testimonianza degli autori
antichi, (Letture cristiane del seconde millennio, 48), Paoli ne, Mila no 2012 ; Simon Claude
MIMOUNI , « Le judaïsme chrétien ancien : quelques remarques et réflexions sur un problème
débattu et rebattu », in Judaïsme antique / Ancient Judaism 1, 2013, pp. 263- 279, dont voici
la dernière dé finition concernant le j udéo-christianisme, rebaptisé« judaïsme c hrétien », va-
lable pour ! 'ensemble des chrétiens des origines jusque vers les années 135- 150 : « le ju-
daïsme chrétien est une formu lation désignant des chrétiens d'origine judéenne et d'origine
non judéenne qui o nt reconnu la messianité de Jésus, q ui ont reconnu ou qui n'ont pas re-
connu la divinité du Christ, mais qui tous continuent à observer en totalité ou en partie la
Torah » (p. 274).
123 Cf. aussi SUÉTONE, Vies des dou=e Césars. Claude XXY,4.
32 Chapitre I : La lettre aux Romains dans son conlexte socio-historique
124
D'après les Actes, Paul prêche dans la synagogue d ' Éphèse durant« trois mois » (Ac
19,8), puis encore à Éphèse« dans l'école de Tyrannos ... pendant deux ans» ( 19,9- 10), et
finalement il prolonge encore« ... un peu son séjour en Asie» ( 19,22).
125
li est fort probable, d ' après 1 Co 16, 1-4, que Paul ait récolté des offrandes pour les
saints de Jérusalem aussi parmi les églises de Galatie.
126
Voir inter alia, Frederick F. BRUCE,« The Romans Debate - Cont inued », in Karl P.
DONFRIED (éd .), The Romans Debate. Revised and Expanded Edilion, pp. 175- 194, ici p.
177 ; Robert JEWETT, Romans. A commentmy, ( Hermeneia. A Critical and l-listorical Com-
mentary on the Bible), Fortress, Minneapoli s 2007, p. 20.
127
D' après Marc SCHOEN I, « Épître aux Romains », p. 707 : « Phoebé n 'est pas seulement
riche et influente ; c'est une théologienne. Le convoyeur d ' une lettre était chargé de l' expli-
quer à ses destinataires ; étant donné la matière de Rm, seule une théologienne à la compé-
tence reconnue par Paul pouvait remplir cette tâche. Phoebé est la première interprète connue
d e Rm».
2. le contexte socio-historique de Paul 35
142
Ainsi S imon BUTTICAZ, «Pau l et le judaïsme: des identités en construction», p. 268.
143
Quant à Simon BUTrICAZ, cela ne fait pas de doute:« À l'aide de Romains, l'apôtre
s' interprète lui-même, consc ient des effets problématiques, pour ne pas dire désastreux, de
sa po lém ique antijudaïsante développée à l'occasion de la crise Galate. [ ... ]à l'aide de Ro-
mains, l'apôtre s'efforce de démontrer que la construction d'une méta-identité fondée "en
Christ", te lle que celle qui est conduite en Galates, n 'était pas synonyme d 'antinomisme ou
de rejet du judaïsme. En relativisant les appartenances ethniques et les attaches re li gieuses,
notamment le pa rticularisme national juif que défendaient ses opposants, Paul n ' aurait pas
eu pour ambition de ruiner la valeur de la Loi mosaïque et sa pertinence pour les croyants
d 'originejuive ». Idem , p. 267.
144
Voir Odette MAINVILLE, Un plaidoyer en faveur de l 'unité. la lettre aux Romains,
(Sciences bibliques, 6), Médiaspau l, Montréal 1999, notamment pp. 122- 132.
145
Pour plus de détails, voir Adriana DESTRO - Mauro PESCE, «Confronta e classifica-
zione d i "culture"», in ID., Anlropologia delle origini crisliane, (Econom ica Laterza, 457),
Laterza, Bari 2008, pp. 13 1- 146, notanunent pp. 133- 135 et 143.
146
Voir Gary G. PORTON, Goyim. Ge111iles and lsraelites in Mishnah-Tosefla, ( Brown
Judaic Studies, 155), Scho lars Press, Atlanta 1988, p. 289, cité par idem, p. 133, n. 6.
36 Chapitre I : La Jeure aux Romains dans son contexte socio-historique
3. Le contexte socio-historique
des destinataires de la lettre aux Romains
147
Voir Peter LAMPE, From Paul 10 Valenlinus. Christians at Rome in the First Two
Centuries, p. 409.
148
Voir Pierre GRIMAL, La civiltà dell'antica Roma. La storia secolare di una città e di
un popolo che ha11110 lasciato al monda w1 'eredità i11dime11ticabile, (Universale Storica
Newton), Newton & Compton editori, Roma 2004, pp. 19, 27, 29- 30.
149
Annales XV,44,3, in TACITE, Annales, Livres XIII- XV I, texté établi et traduit par
Pierre WUILLEUMIER, (Collection des Univers ités de France. Série latine - Collection Budé,
22), Les Belles Lettres, Paris 19782 , p. 17 1.
150
«C'est d'abord une des conséquences de la conquête qui a réuni dans un même Empire
les nations de trois continents. Cet espace pluriethnique et pluriculturel a favorisé les
échanges, les contacts et les syncrétismes, surtout dans les grands centres urbains, à com-
mencer par Rome même dont TITE-LrVE (Histoire romaine XXXIX,3,6) écrit que, déjà au
lendemain de la deuxième guerre punique, "une foule d 'étrangers encombrait la vi lle"».
Robert TURCAN , «À Rome, des cultes venus d'Orient» , in Pierre GEOLTRAIN (éd.), Aux
origines du Christianisme, pp. 430-43 7, ici p. 431.
151 Il s'agit-là d ' une métaphore exprimant aussi toute l'oppression et le paganis me de
Rome. Ai nsi Michele MAZZEO, Lettere di Pietro. Lettera di Giuda. Nuova versione,
3. le contexte des destinataires de la lettre aux Romains 37
introduzione e commento , (1 libri bibl ici. Nuovo Testamento, 18), Paoline, Milano 2002, p.
178. D' après EUSÈBE DE CÈSARÈE, Histoire ecclésiastique Il, 15,2 : « Pierre fa it mention de
Marc dans sa première épître, que, dit-on, il composa à Rome même, ce q u ' il signifie lu i-
même en appelant cette v ille d ' une manière métaphorique Babylone dans ce passage :
·'L 'élue [église, ndr] qui est à Babylone, ainsi que Marc mon fils vous salue."», traduction
frança ise in Eusèbe de Césarée. Histoire ecclésiastique, li vres 1- IV, texte grec, traduction et
annotation par G ustave BARDY, (Sources Chréti ennes, 31 ), Cerf, Paris 1952, p. 7 1.
152
D'après Bruce M. M ETZGER, A Textual Commentary on the Greek New Testament
(Second Edition} , p. 628, alors que le Novum Testamentum Graece (28° édition)· ad locum ,
ne cite que la correction du manuscrit minuscule 161 1 (X 0 s iècle).
153
Vo ir Robert TURCAN, «À Rome, des cu ltes venus d ' Orient », pp. 430-437.
154
Voir David E. AUNE,« Religioni greco-romane »,in Gerald F. HAWTHORNE - Ralph
P. MARTIN - Danie l G. REID (éds.), Di=ionario di Paolo e delle sue lettere, pp. 1293- 1310,
ic i p. 1300.
155
Voir Mark REASO ER, « Roma e il cristianesi mo romano», p. 1347.
156
Ainsi Adalbert-Gautier HAMMAN, « C hrétiens et christianisme vus et jugés par Sué-
tone, Tacite et Pline le Jeune», in Forma Futuri. Studi in onore del cardinale Michele Pe/-
legrino, Bottega d'Erasmo, Torino 1975, pp. 9 1- 109, ici p. 94, cité par Steeve B ÉLANGER,
« À la croisée des chemins : les premiers chrétiens et leur quête identitaire», in Cahiers des
études anciennes XLIV, 2007, pp. 137- 169, ici pp. 160- 16 1.
157
Voir Pierre GRIMAL, l a civiltà del/ 'antica Roma, p. 7 1, cf. aussi pp. 74-75.
158
Idem, p. 76.
159
Idem , pp. 69- 78.
38 Chapitre I : La lellre aux Romains dans son contexte socio-historique
déjà au cours du nes iècle av. J.-C., et fourni une justification rationnelle à la
morale spontanée romaine 160.
Le culte de l' Empereur, quant à lui, était avant tout une manifestation de
loyauté, de soumission et de gratitude 161 .
À Rome, comme dans la plupart du monde gréco-romain, on pouvait ren-
contrer et pratiquer de nombreux cultes, comme celui de Mithra, d ' Isis et
d' Osiris, ainsi que les religions juive et chrétienne 162 .
160
Voir Pierre GRIMAL, la civiltà del/ 'antica Roma, p. 78.
161
Voir Eric NOFFKE, Cristo contra Cesare. Come gli ebrei e i cristiani del I secolo
risposero alla sfida dell 'imperialismo romano, ( Picco la biblio teca teologica, 71 ), Claudiana,
Torino 2006, pp. 260- 26 1.
162
Voir Joseph A. FITZMYER, lettera ai Romani. Commentario critico-teologico, p. 57.
163
Ainsi Jean-Pie rre LEMONON, « Aux origines», in Hugues COUSIN (éd.), le monde où
vivait Jésus, Cerf, Paris 1998, pp. 35- 38, p. 38.
164
On estime que viva ient en Diaspora entre cinq et six millions d e Jui fs, voir Wayne A.
MEEKS, 1 Cristiani dei primi seco/i. JI monda sociale del/ 'apostolo Paolo, p. 104.
165
Jea n-Pierre LEMONON, «Aux origines », p. 35 ; cf. Sean FR EYNE, The World of the
New Testament, pp. 69- 78.
3. Le contexte des destinataires de la lettre aux Romains 39
confirmée entre autres par Flavius Josèphe: «Tel fut le premier traité d'al-
liance et d'amitié entre les Romains et les Juifs » 166, ouvre la possibilité que
des Juifs aient eu, déjà au ne s iècle av. J.-C., des échanges et des contacts im-
portants et directs avec Rome, ce nouveau centre de pouvoir dont la renommée
était déjà croissante et attrayante.
D 'après Strabon, géographe grec du 1er siècle av. J.-C., cité par Flavius Jo-
sèphe 167, les Juifs étaient répandus partout dans I'« ol.KouµÉv11 » si bien qu'il
n'y avait pas de v ille (ce qui relève certainement d ' un langage hyperbolique)
où l'on ne pouvait retrouver des Juifs 168. Il y en avait surtout en Égypte, en
Asie Mineure et en Europe, et leur lien spirituel et socia l avec Jérusalem, ja-
mais rompu, é ta it si étroit et significatif que les Juifs de la vaste Diaspora ne
manquaient pas d'apporte r leur contribution et leur soutien au Temple 169. Être
juif, après tout, « c'est aussi appartenir à un peuple lié à une terre», dont Jéru-
salem et le Temple symbo lisaient l' identité religieuse et nationale 170.
En 63 av. J.-C., l'attaque et la victoire du général romain Pompée a u détri-
ment des Juifs, et notamment des frères Hy rcan et Aristobule 1l en grave et
violent désaccord pour le titre de roi des Juifs 171, ont signifié, d'une part, le
nouveau joug étranger et païen à Jé rusalem et en Palestine 172, et, d'autre part,
l'exi l déchirant de plusieurs milliers de Juifs. Beaucoup d 'entre eux, en fait,
devinrent prisonniers de guerre ou esclaves et furent emmenés à Rome en gage
166
Antiquités juives XII, 10,6§§414--419, traduction de Joseph CHA MO ARD, in Œuvres
complètes de Flavius Josèphe, Tome Ill : Antiquités judaïques. Livres XI- XV, traduites en
français sous la direction de Théodore REINACH, ( Publications de la société des études
juives), Ernest Leroux, Paris 1904, p. 125.
167
Antiquités juives XIV,7 ,2 § 115. La présentation de l'histoire juive et de ses traditions
par STRABON, Géographie f,2,34--40, apparaît assez respectueuse des Juifs contrai rement à
celle d'autres auteurs anciens, à savoir PLUTARQUE, TACITE, etc.
168
Aux alentours du 1or siècle de notre ère,«[ . ..] les juifs de la d iaspora sont plusieurs
millions, alors que l 'Empire ne compte au total que 50 à 60 millions d ' habitants». Jean-
Pierre LÉMONON - François RICHARD, « La diaspora dans l'Empire romain et ses relatio ns
avec Jérusalem », p. 52.
169
FLAVl US JOSÈPHE, Antiquités juives XlV,7,2 § 110, cf. aussi CICÉRON, Pour l. Flac-
cus XXV lll,67-69; PHILON, Legatio ad Caium § 156. Parmi ces liens de cohésion entre les
Juifs de Palestine et ceux de la Diaspora, on rappellera encore la relatio n symbol ique des
Juifs avec Jérusalem et son T emple, le calendrier des fêtes, l 'impôt annue l pour le Temple,
les pèlerinages à Jérusale m . Voir Gerd THEISSEN, «Judaïsme et Christianisme chez Paul»,
in ID., Histoire sociale du christianisme primitif, (Le monde de la Bible, 33), Labor et Fides,
Genève 1996, pp. 161 - 192, notamment pp. 178- 182.
170
Voir Pierre G EOLTRA IN, « Introduction . Les origines du Christianisme: comment en
écrire l'histoire», p. VII!.
171
Cf. STRABON, Géographie l,2,40 ; FLAVIUS JOSÈPHE, Antiquités juives XIV ,4,5 § 77 ;
DION CASSIUS, Histoire romaine XXXVII, 15.
172 Cf. TITE-LI VE, Periochae Cii ; TACITE, Histoires V, § 9.
42 Chapitre I : La lettre aux Romains dans son conlexte socio-historique
196
An1iquitésjuives XVll,10, 1 §30 1.
197
C'est précisément à l'époque de « TL[3Ep[oç Ka[oapoç » que les événements principaux
de la vie de Jésus se déroulent, cf. Le 3, l . L' œuvre lucanienne, particul ièrement sensib le aux
données historiques, cite aussi « Ka[oapoç Aùyoûotoç » (Le 2, 1) et« IO..auôwç »(Ac 11 ,28 ;
18,2). De ce fait, Luc est certainement !'écriva in néotestamentaire le plus intéressé« à placer
l' histoire des origines chrétiennes dans le contexte de ! ' histoire mondiale». Voir Frederick
F. BRUCE, « Christianity Under Claudius », in Bullellin of the John Rylands Library 44,
1962, pp. 309- 326, ici p. 309.
198
Voir à ce propos FLAVIUS JOSÈPHE, Antiquités j uives XVlll,3,5 §§ 8 1-84 ; TACITE,
Annales 11,85,4 ; DION CASSIUS, Histoire romaine LVII, l 8,5a ; JUVÉNAL, Satires lll, l 0,62-
63 ; XIV,96- 104 ; auteurs cités par Joseph A. FITZMYER, Lettera ai Romani. Commentario
critico-teologico, pp. 58- 59. C'est DION CASSIUS qui présente 1' intense activité de prosély-
tisme comme étant la cause de l'expulsion ordonnée par TIBÈRE CÉSAR. Cf. Giorgio JOSSA,
Giudei o cristiani ? I seguaci di Gesù in cerca di una propria identità, p. 176 ; Eric NOFFKE,
Cristo contra Cesare. Come gli ebrei e i cristiani del I secolo risposero alla sfida dell 'im-
perialismo romano, p. 7 1.
199
FLAVIUS JOSÈPHE, Antiquités juives XV lll,3,5 § 82, traduction de G. MATHIEU & L.
HERRMANN , in Œuvres complètes de Flavius Josèphe, Tome IV : Antiquités j uda fques.
Li vres XV I- XX, avec le concours de S. REINACH & J. WEILL, (Publications de la société
des études juives), Ernest Leroux, Paris 1929, p. 148.
200
Traduction fra nçaise in SUÉTONE, Vies des dou=e César, Tome li : Tibère - Caligula
- Claude - Néron, texte établi et traduit par Henri AILLOUD, (Collection des Universités de
France. Série latine - Collection Budé), Les Belles Lettres, Paris 1980 5, p. 30.
3. le contexte des destinataires de la lettre aux Romains 43
Il apparaît que Philon, par un effet rhétorique d ' amplification, a voulu mieux
faire ressortir en contrepoint l'attitude hosti le et antijuive de l' empereur Caius
Caligula (37-4 l ap. J.-C.). Sous son règne, les juifs alexandrins avaient souf-
fert les pires pe rsécutions de la part des Égyptiens leurs concitoyens 204 , sans
que le pouvoir romain s ' en préoccupe ou n' intervienne. Ainsi, les nombreuses
« npooEUxa[ » juives, véritables maisons de prière, présentes à Alexandrie,
avaient été dévastées et profanées, des statues à ('effigie de Caius Caligula y
étant même installées 205 . La démence 206 et la folie 207 de l'Empereur, ses
20 1
Legatio ad Caium §§ 133 , 346, un écrit rédigé vraisemblablement après 41 ap. J. -C.,
étant donné qu 'il cite déjà l'empereur CLAUDE GERMAN ICUS (41 - 54 ap. J.-C.), cf. § 206.
Voir auss i FLAVIUS JOSÈPHE, Antiquités juives X IX, 1, 1 § 1.
202
PHILON, l egatio ad Caium §§ 155- 157, traduction française in Philon, legatio ad
Caium, introduction, traduction et notes d ' André PELLETIER, ( Les œuvres de Philon
d'Alexandrie, 32), Cerf, Paris 1972, pp. 179 et 183. D' après PHILON, OCTAVIEN AUGUSTE
est « le premier, le plus grand et! ' universel bienfaiteur » de l' humanité, un homme« d ' une
admirable compétence dans le gouvernement », cf. § 149, traduction d ' André PELLETIER,
pp. 173 et 175.
203
PHILON, legatio ad Caium § 159, traduction d'André PELLETI ER, p. 183.
204
Legatio ad Caium §§ 11 4-137. Cf. FLAVIUS JOSÈPH E, Antiquités juives XVlll,8,1 §
257.
205
Legatio ad Caiz11n §§ 132- 134, 346.
206
legatio ad Caium § 93.
207
legatio ad Caium § 190; FLAVI US JOSÈPHE, Antiquités juives XIX, 1,2 § 11.
44 Chapitre I : l a le/Ire aux Romains dans son contexte socio-historique
« obsessions mégalomanes » 208 , furent telles qu'il alla jusqu ' à exiger « de ses
sujets des ho nneurs surhumains », osant aussi appeler Jupiter, roi des dieux
vénérés par les Romains, « son frère » 209 . C'était un homme au caractère infi-
niment vaniteux et ambitieux 210 , aspirant même à adapter et transformer le
Temple de Jérusalem « en son sanctuaire propre, qui porterait officie llement le
nom de sanctuaire de Caïus, nouveau Zeus Épiphane »2 11 . Bien évidemment,
pour les Juifs du monde entier cela ne pouvait être considéré autrement que
comme« la plus atroce des impiétés »212 .
À la mort du tyran si peu aimé q ue fut Caïus Caligula, dont la disparition
aurait été saluée par la plupart des gens comme un motif de bonheur213 , le nou-
vel empereur Claude (41 - 54 ap. J.-C.), désireux de mettre fin à l' affaire épi-
neuse du conflit à Alexandrie, proclama un édit impérial 214 qui mit fin à la sé-
dition des Grecs contre les Juifs et rétablit le droit et les privi lèges de ces der-
niers face à toute I'« oi.KouµÉvîJ »215.
208
Ai ns i Jo h n M.G. BARCLAY, Jews in the Mediterranean Diaspora, From Alexander to
Trajan (323 BCE - 11 7 CE), T & T Clark, Edi nburg h 1996, p. 301.
209
Antiquités juives XIX, 1,4 § 4 ; Guerre j uive II, 10, 1 § 184 ; cf. a ussi PHILON, Legatio
ad Caiurn §§ 75- 76 ; § 162.
21 0 Cf. PHI LON, Legatio ad Caium § 114.
211
PHILON, legatio ad Caium § 346, traduction d ' André PELLETIER, p. 303. Pour un
approfondisseme nt des rapports ex istant entre Rome et 1'Empire, d 'une part, et les j uifs
alexandrins, de l'autre, voi r Ro mano PENNA,« L' immagine di Roma in Filone Alessandrino
(ln Flaccum e legatio ad Gaium) », in ID., Paolo e la chiesa di Roma , pp. 259- 274. Par le
biais des derniers écrits phi Io niens, ment ionnés dans le titre d e sa contribution, PENNA relate
d' abord les fa ils historiques relatifs au x émeutes antijuives survenues à Alexandrie d ' Égypte
au temps du pré fet FLACCUS et sous le principat de CAIUS CALIGULA, et analyse, dans un
deux ié me temps , les évaluations positives el négatives exprimées par PHILON à l 'égard de la
politique haineuse et ma lveillante q ue les autorités romaines ont exercée à l ' encontre des
Juifs (ln Flaccum § 54; Lega1io ad Cailun §§ 97, 180, 350). PHILON, d 'après cette étude, ne
voulait pas tant attaquer la politique romaine d ans son « identité ins titutionnelle » (p. 272)
que l'hostilité arbitraire et souda ine de CALIGULA envers les Ju ifs, à l 'opposé de la politique
d e tolérance que Rome avait a utrefois menée au se in de l'Empire.
21 2
PHILON , Legatio ad Caium § 11 8, traduction d ' André PELLETIER, p. 147.
213
Cf. FLAVIUS JOSÈPHE, Antiquités j uives XIX, 1, 10 § 62.
214
Cf. FLAVIUS JOSÈPHE, Antiquités juives X IX,5,2 §§ 280- 285.
215
FLAVIUS JOSÈPHE, Allliquités j uives XIX,5,3 §§ 287- 29 1 : « [287) T IBERIUS CLAU-
DIUS CÉSAR A UGUSTUS G ERMA ICUS, g rand pontife, investi de la puissance tribuni tienne,
cons ul désig né pour la deuxième foi s, édicte: [288) Les rois Agrippa et Hérode, qui me sont
très chers, m ' ayan t demandé de permettre à tous les Jui fs vivant dans ! 'Empire roma in d e
conserver les mê mes droits q ue ceux d ' Alexandrie , j'ai accédé volontiers à leur priè re, et ce
n'est pas seulement parce qu'ils me le d e mandaient que je le leur ai accordé, [289) ma is
aussi parce que j'en ai jugé dignes ceux en faveur qui j 'étais sollic ité, en raison de leur
fid élité e t de leur amitié pour les Roma ins, et s urto ut parce que j e regardais comme légitime
qu ' aucune v ille mê me grecque ne fût privée de ces droits, puisqu ' elles les ava ient conservés
même sous le di v in Auguste ; [290) il est donc juste que dans tout 1' univers sou mis [« Èv
11avt( tc;i ù<j>' Î]µâç Kooµ~ »]à notre pouvoir les Juifs aussi conservent sans e ntraves leurs
3. Le contexte des destinataires de la lettre aux Romains 45
Par ailleurs, d'après une notice rapportée par T acite, l' on sait que C laude fut
également intéressé à la conservation et à la valorisation de ! ' anc ienne relig ion
romaine, perçue co mme menacée par le « développement des superstitio ns
étrangères (externae superstitiones) »216 . Ce qui est une allus ion, très probable-
ment, aux cultes égyptien et juif, avant tout, et peut-être aussi à la foi chré-
tienne217, cultes si bien représentés à Ro me et d ans tout ! 'Empire. A utour de
47--48 ap. J.-C., Claude demanda a ins i au Sénat de rétablir le « collège d es
haruspices» qui autrefo is, par so n art di vinatoire d 'orig ine étrusque, avait ap-
porté secours aux Romains en temps de calamité 218 .
L ' attitude bienveillante d e Claude semble en tout cas démentie 219, du fait
que autour de 49 ap. J.-C., à la suite des désordres et des émeutes causés parmi
les Juifs de Rome à l' instigatio n d ' un certain Chrestus, vocalisation fautive du
Christ220 ma lgré l'évident anachronisme, il ordo nna leur expulsio n. L'erreur de
coutumes ancestrales; ma is je les avertis à présent[« vûv napayyÉUw »]de ne pas abuser
désormais de ma bonté et de ne pas mépriser les croyances [« rnt µ~ 'trXÇ ••. ÔELOLôaLµov(aç
Èt;ou9EvL(ELv »] des autres peuples alors qu'ils gardent leurs propres lois. [29 1] Je veux que
mon édit soit transcrit par les magistrats des vi lles, colonies et municipes d ' Ital ie et d'ai l-
leurs, par les rois el les princes avec l'aide de leurs propres agents, et qu'i l soit affiché pen-
dant trente jours au moins en un lieu où l'on puisse le lire fac ilement de plain-pied. », tra-
duction de G. MATHI EU & L. HERRMANN, in Œuvres complètes de Flavius Josèphe, Tome
IV : Antiquités judaïques. Livres XVI- XX, avec le concours de S. REINACll & J. WEILL,
(Publications de la société des études juives), Ernest Leroux, Paris 1929, p. 238 (c'est nous
qui soulignons). Cette notice de FLAVIUS JOSÈPHE est tout à fai t intéressante, tant comme
vestige d' un man ifeste très ancien du droit à la liberté religieuse des peuples, que par la
surprenante proximi té du sage appel de CLAUDE - contemporain de Paul - au respect de
l'autre(« ne pas mépriser les croyances des autres peuples ... »), certes motivé de man ière
pragmatique par le souci du maintien de ! 'ordre public el de la paix appelée à en résulter au
sein de l'Empire, et de l'argumentation que Paul mène en Rm 14,1- 15, 13 (voir notamment
14,3. 10).
216
TACITE, Annales XI, 15, traduction française in TACITE, Annales, Livres XI- XII, texte
étab li et traduit par Pierre WUILLEUMIER, (Collection des Universités de France. Série latine
- Collection Budé, 3), Les Belles Lettres, Paris 1976, p. 18.
217
Ainsi Matilde CALTABIANO in TACITO, Annali: dalla morte del diva Augusto, traduc-
tion par Enrico ODDONE, introduction, notes et bibliographie éditées par Matilde CALTA-
BIANO, (1classici della storia. Sezione greco-romana, XXV I), Rusconi, Milano 1978, p. 402,
n. 2.
21 8 La question des cultes égyptien et juif avait déjà été objet d'un sénatus-consu lte, en
19 ap. J .-C., au temps de l'empereur TIBÈRE CÉSAR, cf. TACITE, Annales II,85.
219
D'après Leonard V. RUTGERS, « Roman Policy toward the Jews: Expulsions from the
City of Rome during the First Century C.E. », in Karl P. ÜONFRI ED - Peter RICHARDSON
(éds.), Judaism and Christianity in First-Cent111y Rome, pp. 93- 11 6, la politique de !'Empire
romain envers les Juifs, plutôt qu'une attitude de tolérance, était une po litique pragmatique
de« non-intrusion » (p. 112), à savoir des mesures ad hoc, limitées dans l'espace et dans le
temps, pour assurer le maintien de la loi et de l'ordre (p. 114).
220
Voir à ce propos Frederick F. BRUCE, « The Romans Debate - Continued », p. 178 ;
cf. Giorgio JOSSA , Giudei o cristiani ? 1 seguaci di Gesù in cerca di una proprio identità, p.
46 Chapitre I : La lettre aux Romains dans son conlexte socio-historique
Suétone, dans ce cas, ne concernait pas le nom « Christ » mais plutôt le rôle-
même de celui-ci. Ce fut le cu lte offert à Chrestus/Christ par ses croyants et
ses disciples qu i put provoquer le désordre et les troubles au sein des syna-
gogues juives, non pas le Christ lui-même, en tant que leader 22 1. D' après le
même historien 222 , C laude aurait ex pulsé de Rome les Juifs au motif des
troub les graves («assidue tumultuantis ») qui éclatèrent en leur sein, vraisem-
blablement entre les Juifs les plus conservateurs et ceux qu i, parmi eux, avaient
adhéré à la foi au Christ223 . Il est possible que la prédication de l'Évangile à
Rome ait généré aussi une certa ine hétéropraxie par rapport à la loi et aux cou-
tumes jui ves224 .
Quelle que soit la fiabilité historique quel 'on accorde au livre des Actes, les
conflits ou les tensions suscitées par la prédication chrétienne au sein des sy-
nagogues juives (voir par exemple : à Thessalonique, à Corinthe, à Jérusalem,
à Rome ... ) correspondent selon toute vraisemblance à une réalité 225 . L'expul-
sion effective des Juifs de Rome reste toutefois discutée. Déjà Dion Cassius,
au début du llI0 siècle, peut-être avec un peu plus de réalisme, en raison de
l'ample ur et de l'extension sociale de la communauté juive romaine, observait :
178. Le genre de confusion entre Chrestus et Chrisws apparait aussi dans la tradition ma-
nuscrite du Nouveau Testament à propos de Xpwrnxvo[ et Xp11ornxvo[ notamment dans les
leçons variantes du Codex Sinaiticus (IVe siècle), en Ac 11,26 et 26,28, mais non pas en 1 P
4,16, comme l'avait déjà signalé Wi lliam L. LANE,« Social Perspectives on Roman Chris-
tianity during the Formative Years from Nero to Nerva: Romans, Hebrews, 1 Clement», in
Karl P. DONFRIED - Peter RICHARDSON (éds.), Judaism and Christianity in First-Ce111t11y
Rome, pp. 196--244, ici p. 205 ; contra Marta SORDI, I cristiani e / 'impero romano, (Di fronte
e attraverso, 67 1), Jaca Book, Mi lano 2004 2, p. 39, qui préfère interpréter l 'impulsore
Chresto comme étant « un Juif inconnu de Rome» (p. 43).
221 Wolfgang WIEFEL, « The Jewish Community in Ancien! Rome and the Origins of
GEOLTRAIN (éd.), Aux origines du Christianisme, pp. 191-198, ici p. 197, «Les remous dans
la communauté juive venaient sans doute du fa it que quelques-uns d'entre eux, attei nts par
la prédication des évangél isateurs parvenus dans la capita le de l' Empire, avaient rejoint
l'Église et étaient en cela pris à partie par les autres. Incomplètement informé, Suétone
semble présenter les choses comme si Jésus lui-même était venu à Rome ».
224
Voir Reidar HVALVIK, « Jewish Believers and Jewish Influence in the Roman Church
until the Early Second Century », p. 182.
225
Voir Giorgio JOSSA, Giudei o cristiani ? 1 seguaci di Gesil in cerca di ww propria
identità, pp. 182- 184 ; Romano PENNA, « La Chiesa di Roma corne test del rapporto tra
giudaismo e cristianesimo alla metà del primo secolo »,pp. 61 --02.
les portraits principaux des «faibles dans la foi» 129
66 Voir Michael WOLTER, Der Brie/ an die Ramer. Teilband I : Rom 1- 8, p. 53; cf. ID.,
di San Paolo, (Oscar. Uomini e re ligioni, 63), Mondadori , Cl es 1991 (orig. 1958), p. 544.
132 Chapitre 3 : l 'identité controversée des « faibles dans la foi » à Rome
Ces observances, de to ute évidence, ne sont pas ressenties par Paul comme
d es œuvres méritoires ayant une va leur sotério logique 77 , ni comme l'adhésion
à des doctrines fausses 78 , ou nécessairement à corriger, mais plutôt comme
l'expression à la fois d 'une conduite s incère et fidèl e a u Christ 79 - même si elle
reste que lque peu immature -, accomplie uniquement « pour honorer le Sei-
g neur (KupLCJt) » 80 (Rm 14,6, 3 fois), et en s igne de gratitude envers Dieu
(Euxo:pwtEL tc.\î 9Ec.\î, Rm 14,6, 2 fois). La préoccupation majeure de Paul n 'était
pas de prescrire ce qu i est bien o u ma l, ce qui est v rai ou faux , du point de vue
d e la légitimité th éorique, mais de rechercher la paix, l'éd ification réciproque
(Rm 14, 19) 81 . Ce qui faisait vraiment problème à Rome, c'étaient les effets
négatifs, vo ire les répercussions néfastes, que les pratiques divergentes des uns
et des autres ava ient au niveau ecclésio logique : jugement, mépris, chute, scan-
dale, conflit, d ésagrégation, perte de la fo i82. Ains i, au moyen d'une« éthique
en prolongeant un peu cette explication, Gerd TH EISSEN - Petra von GEMÜNDEN, la lettera
ai Romani. le ragio11i di un riformatore, pp. 332- 348, notamment pp. 337- 343, proposent
d'expliquer le végétarisme des faibles (croyants d' origines juives) non seulement sur la base
des traditions juives mais aussi pour des raisons socio-politiques liées aux décrets impériaux
qui interdisent à Rome, tout au long du 1er siècle (de Tibère à Vespasien), la vente et la
consommation de viande dans les tavernes romaines (cf. SUÉTONE, Vies des dou=e Césars.
Tibère XXX IV ; Claude XXXVIII ; Néron XVI ; et DION CASSIUS, Histoire romaine
LXV, 10,3, pour Vespasien). La plupart des personnes de classe sociale inférieure, qui habi-
taient dans des logements loués, où la préparation de repas chauds n 'était normalement pas
autorisée, étaient obligées de se rendre dans les tavernes publiques à cette fin . La raison
principale de ces décrets était d 'empêcher le rassemblement de groupes politiquement sus-
pects (cf. pp. 482-483). Cependant, les arguments avancés à l' appui de cette explication ne
semblent pas très convaincants. En réalité, les faibles dont il est question en Rm 14, l - 15, l 3
s'abstenaient de la viande (et de vin), non pas pour des raisons d ' ordre socio-politique ou
économique (la loyauté due à l'État, cf. Rm 13, 1- 7), mais pour des raisons de« foi» (Rm
14, 1- 2.22- 23), «pour (honorer) le Seigneur» (14,6). De plus, la loyauté due aux décrets
impériaux aurait éventuellement concerné tout le monde, et donc les fa ibles comme les forts,
exactement de la même manière, mais ce n' est pas précisément ce que Paul écrit.
77 Voir Antonio PITTA, «La diffamazione di Paolo, i forti e i debo li nello sfondo stori co
della lettera ai Romani », in Lateranum 75, 2009, pp. 597- 608, ici p. 607 ; Andrea ALBER-
TIN, Il caso dei deboli e deiforti. Rm 14,1- 15, 13 come esemplifica=ione di vita etica alla
luce della giustifica=ione per fede, p. 201.
78
Ainsi Giuseppe RICCIOTTI, Atti degli apostoli. lellere di San Paolo, p. 544.
79
Voir John M.G. BARCLAY, « Faith and Self-Detachment from Cultural Norms : A
Study in Romans 14- 15 », notamment pp. 200 et 206.
°8 C' est la traduction par« équivalences dynamiques» proposée par la Bible en français
Or l'on sait également, par le contexte plus large dans lequel survient cette
question96, que Justin, ayant en vue le courant judéo-chrétien, vraisemblable-
ment des Ébionites, qui continua it d'observer intégralement la loi mosaïque
(circoncision, sabbat et autres prescriptions),« par fa iblesse de jugement (ôtà:
i:à &a8EvÈç i:fjç yvwµT]ç) » (XLVll,2), plaide en faveur de ('accueil de ceux-ci,
pourvu qu' ils ne cherchent pas à imposer leurs observances aux païens et qu' ils
ne leur accordent pas de valeur sotériologique. L 'écho thématique que l'on
trouve en l'occurrence à la faiblesse, même si c ' est avec quelques différences,
et à la nécessité de l' accueil (cf. l' usage du même verbe « npoaÀaµpcivoµ 1n »
que celui qui est utilisé par Paul en Rm 14, 1) entre« frères» (Dialogue avec
le Juif T1yphon XLYil,2) est frappant97 .
En ayant à l'esprit la complexité intrinsèque de l' identification socio-histo-
rique des fa ibles et des forts 98 , nous allons maintenant nous tourner davantage
vers le texte, d 'un point de vue essentiellement synchronique, pour ('écouter
en profondeur, pour lui laisser le dernier mot. Dans le prochain chapitre de
notre étude, nous allons ainsi introduire la« rhétorique paulinienne» pour li re
et po ur saisir la force persuasive du discours de Paul en Rm 14, 1- 15, 13.
95
Traduction fra nçaise de Philippe BOBICMON, in JUSTIN MARTYR, Dialogue avec T1y-
phon. Édition critique, traduction, commentaire, (Paradosis. Étude de littérature et de théo-
logie anciennes, 47/1), Academ ic Press Fribourg, Fribourg 2003, vol. 1, p. 30 1.
96 Voir Dialogue avec le Juif Tryphon XLIV- XLVII.
97
Voi r Phi lippe BOBICMON, in JUSTIN MARTY R, Dialogue avec T1yphon. Édition cri-
tique, traduction, commentaire, vol. 2, p. 714; cf. idem, vol. 1, p. 92.
98 Pour Andrea ALBERTIN, li caso dei deboli e deiforti. Rm l 4, l-15, l 3 come esemplifi-
ca=ione di vita etica alla luce della giustifica=ione perfede, p. 3 18, les résu ltats auxquels
sont parvenues les études socio-historiques à propos de )' identité des faibles et des forts à
Rome ne coïncident pas parfaitement avec l'ethos spéc ifique d' un groupe religieux ou phi-
losophique. La grande variété de pratiques et d'idéologies que l'on peut imaginer à Rome,
au milieu du l<'siéc le, et qui aurait pu très facilement infl uencer l' un ou l'autre des croyants
en Christ, incite à beaucoup de prudence. L'essentiel de l'Évangile pratique que Paul annon-
çait à tout croyant à Rome, ici en Rm 14, 1- 15, 13, au moyen d'un lexique intentionnellement
flou ou générique, n'aurait, de toute façon, pas été affecté par cette grande diversité. Cf.
idem, pp. 306- 307 et 328- 329.
D EUXIÈME PARTIE
La « rhétorique paulinienne »,
éléments de méthode
1
Jeffrey Paul SAMPLEY, « Ruminations Occasioned by the Publication of These Essays
and the End of the Seminar », in Jeffrey Paul SAMPLEY - Peter LAMPE (éds.), Paul and
Rhetoric, (Biblical Studies), T & T Clark, New York - London 20 10, pp. I X- XVII , ici p.
IX.
2 Nous sommes d'accord, en ce sens, avec Stanley E. PORTER,<< Exegesis of the Pauline
Letters, including the Deutero-Pauline Letters », p. 543, lorsqu' il affirme que l' analyse rhé-
torique est <<une forme d' exégèse», ce qui veut dire aussi qu 'elle n'est pas la seule, et qu 'elle
n'est pas non plus nécessairement l' approche interprétative à privilégier. C'est nous qui sou-
lignons.
3 Par « approche rhétorique», nous entendons l'approche de lecture inspirée et empruntée
aux ouvrages principaux de la rhétorique classique, gréco-romaine, que nous citerons tou-
jours, sauf exceptions signalées, d'après les éditions et les traductions françaises suivantes :
ARISTOTE, Rhétorique, introduction, traduction, notes, bibliographie et index par Pierre CHI-
RON, GF Flammarion, Paris 2007 ; CICÉRON, De /'invention , texte établi et traduit par Guy
/. La pertinence de l'approche rhétorique 143
être considérées comme des œuvres rhétoriques, en termes d 'autorité de !' écrivain, de qualité
de l' écriture, et de l ' effet désiré sur l'auditoire. La cri tique rhétorique[ ... ] s ' intéresse tout
particuliérement à la façon dont les matériaux ont été cho isis et mis en ordre dans une lettre,
et à la façon do nt celle-ci est fo rmu lée (à la fo is quant au vocabula ire et à ! 'organisatio n)
pour pouvoir être a isément comprise et mémorisée». Raymond E. BROWN, Que sait-on du
Nouveau Testament, Bayard, Paris 20003 , p . 455.
14
«La lettre est une volonté de présence d ' un absent ... ». Ainsi Silvano FAUST!, Verità
del Vangelo, libertà difigli. Commenta rio spiritua le della Leuera ai Gala li , Piemme, Casa le
Mo nferrato 1993 , p. 9. Par ai lleurs, d'après CICÉRON , Philippiques 4,7, la lettre est « une
conversation des amis absents (amicorum colloquia absentium) », in Hans-Josef KLAUCK,
La lellera antica e il Nuovo Testamenlo. Guida al contesto e all 'esegesi, ( lntroduz ione allo
studio de lla Bibbia. Supplementi, 4 7), Paideia, Brescia 201 1, p. 180. Cf. aussi Francesco
BIANCHINI , L 'analisi retorica delle lettere paoline. Un 'introduzione, (Comprendere la Bib-
bia), San Paolo, Cinisello Balsamo 201 1, p. 36.
15
« Speech-events », pour utili ser les mots de Jeffrey Paul SAMPLEY, « Ruminations Oc-
casioned by the Publication of These Essays and the End of the Seminar », p. IX ; cf. Peter
LAM PE, « Rhetorica l Analysis of Pauline Texts - Quo Yad it? » , p. 14.
16
Ainsi Harry Y. GAM BLE, Livres et lecteurs aux premiers temps du christianisme.
Usage et production des textes chrétiens antiques, (Christianismes antiques, 5), Labor et
Fides, Genève 201 2, p. 42, cf. pp. 287- 338 (c' est nous qui soulignons). La lecture de la
Torah étai t une coutume répand ue et établie en milieu synagogal au 1er siècle ap. J.-C. (voir
FLAVIUS JOSÉPHE, Contre Apion Il , § 175 ; Ac 13, 14-15 ; 15,21 ; cf. Le 4, 16- 30). Il n'y a
pas, en revanc he, jusqu 'à présent de preuves ass urées concernant la lecture liturgiq ue des
Écritures dans le culte c hrétien à la même période. On ne peut que supposer une certaine
influence et une imitation de la pratique synagogale en mi lieu chrétien. idem , p. 295 et n.
13.
144 Chapitre 4: la «rhétorique paulinienne». éléments de méthode
Un des s ignes typ iques de l'esprit hellénistique, pour le dire avec le grand spé-
c ialiste Henri-Irénée Marrou 17, était la culture oratoire ; cela signifie que ce
serait une trahiso n historiq ue que voulo ir maintenir une frontière rig ide entre
la parole orale et la parole écrite : « À cause de la pratique de la lecture à haute
vo ix, il n'y a pas de fro ntière entre la parole et le liv re ; aussi l'éloq uence im-
pose-t-elle ses catégories à toutes les formes de l'activité de l'esprit : poésie,
histo ire, et même [ . .. ] philosophie » 18.
Il faut donc rappeler constamment que le texte du No uveau Testament était
conçu, pour le christianisme primitif, comme «un support à écouter» plus que
comme un texte à lire en privé. La culture anc ienne étai t dom inée par la com-
mun ication orale 19. Très peu de chrétiens, en fa it, pouvaient d isposer de copies
privées de ces éc rits 20, et, dans la plupart des cas, ils ne savaient même pas
li re21 . Ainsi les lettres pauliniennes présupposaient-e lles plus d 'auditeurs en
communauté que de lecteu rs so litaires.
En ce sens, les lettres de Paul ne do ivent plus être cons idérées exclusivement
comme des substituts à la présence de! 'apôtre (cf. 1 Th 2, 17 ; Ga 4,20 ; l Co
5,3 ; Col 2,5), ou encore comme une man ière concrète de combler la distance
géographique séparant Pau l des églises do nt il s'occupait, mais bien plus
comme un véritable moyen de communication persuasive écrite, un instrument
intentio nnellement adopté pour régler des questions théologiques ou pratiq ues,
don t ses destinataires, ou ses« auditeurs», ava ient besoin 22 .
17 l 'histoire de/ 'éducation dans /'Antiquité, vol. 1 : le monde grec, Seuil, Paris 1948,
pp. 292- 293.
18
Henri-Irénée MARROU, l 'histoire de l'éducation dans / 'Antiquité, vol. 1 : le monde
grec, p. 293.
19
Voir Bernhard ÜESTREICH, Performance Criticism of the Pauline l etters, p. 42, à la
suite des travaux de David RHOADS, « Performance Criticism : An Emerging Methodology
on Biblical Studies », in Biblical Theology Bulletin 36, 2006, pp. 118- 133, et pp. 164- 184.
RHOADS compare la présentation orale, la lecture communautaire des textes bibliques avec
la présentation de spectacles musicaux et théâtraux, ou leur « performance », et demande,
d' une manière provocante, pourquoi les interprètes de la Bible analysent d'habitude les
textes sans tenir dûment en considération ou faire ! ' expérience de leur «performance»,
c 'est-à-dire de la déclamation publique et à haute voix du « discours biblique» impliquant
un performer, des auditeurs, un événement public. Il convient ainsi de s'i ntéresser non seu-
lement aux conditions de création d' un texte mais aussi à l'effet pragmatique effectif ou
supposé sur ses destinataires. Idem, p. 5 1.
20
Voir George A. KENNEDY, Nuovo Testamento e critica retorica, p. 16.
21 Pour une discussion concernant le niveau d' alphabétisation élémentaire dans l' Empire
romain, voir Bernhard OESTREICH, Pe1formance Criticism of the Pauline le/lers, p. 74, n.
303.
22
Voir Peter LAMPE,« Rhetorical Analysis of Pauline Texts - Quo Vadit? », p. 16. Selon
Benoît STANDAERT, « La rhétorique ancienne dans Saint Paul », in Albert VANHOYE (éd.),
L 'Apôtre Paul. Personnalité, style et conception du ministère, (Bibli otbeca Epbemeridum
Theologicarum Lovaniensium, 73), University Press, Louvain 1986, pp. 78- 92, ici p. 83 :
« li est remarq uable que Paul ne vienne pas en personne régler la situation en Galatie, et il
/. La pertinence de l'approche rhétorique 147
données des Actes, est né à Tarse en C ilicie (Ac 9, 11 ; 2 1,39 ; 22,3), une véri-
table« métropole » de l'époque, il n'est pas inutile de rappeler la renommée
dont cette ville pouvait, sous différents points de vue, se vanter, et, dès lors,
l' influence possible qu'elle pourrait avo ir exercée sur la fo rmation cu lturelle et
intellectue lle de Paul :
« Les habi tants de Tarse se sont adonnés avec tant de passion, non seu lement à la philo-
sophie, mais aussi à l 'ensemble des disciplines intellectuelles, qu ' ils ont surpassé
Athénes, Alexandrie e t tout autre lieu où des philosophes ont dirigé des écoles et donné
des cours. Car c'est s i différent des autres cités qu ' il y a des hommes qui sont fous de
connaissance et qui sont de toutes les nationalités. De p lus, on trouve à Tarse toutes sortes
d 'éco les de rhétorique (1!Epi. J..6youç -rExvwv) et, en géné ral, la population y est non seu-
lement fl orissante mais aussi trés puissante, soutenant de ce fait la renommée de la cité
mère »J1•
Il n'est pas nécessaire de prouver que Paul était un spécial iste de rhétorique,
ayant suivi un cursus avancé d'éloquence g réco-romaine 32 , pour accepter le fait
His Theology, Baylor Uni vers ity Press, Waco 2015 , p. 13. Par ailleurs, d 'après Carl Joachim
CLASSEN, « Paul and the Terminology of Ancien/ Greek Rhetoric », in ID., Rhetorical Cri-
ticism ofthe New Testament, pp. 29-44, ici pp. 43-44, l'étude de certains termes techn iques
utili sés par Pa ul dans ses épîtres démontre qu'il était familier de la théorie rhétorique ou de
son application.
J I STRABON, Géographie XI V,5, 13, traduction empruntée à J .C. LENTZ, Le portrait de
Paul selon Luc dans les Actes des apôtres, ( Lectio Divina, 172), Cerf, Paris 1998, p. 47, c ité
par Christophe JACON, La sagesse du discours. Analyse rhétorique et épistolaire de 1 Co-
rinthiens, p. 38.
JZ En fait, cela n ' implique pas nécessa irement que Paul ait suiv i une formation rhétorique
directe, mais qu'il ait pu avoir du moins une connaissance rhétorique égale à tout citoyen
intelligent et voyageur dans le monde hellénistique de son époque. Vo ir à ce s ujet Romano
PENNA , « La questione della dispositio rhetorica nella lettera di Paolo ai Romani . Confronto
con la lettera 7 di Platone e la lettera 95 d i Seneca », in ID., Paolo alla chiesa di Roma,
(Biblioteca di cultura religiosa, 67), Paide ia, Brescia 2009, pp. 71 - 98, ici p. 79, n. 5. En
o utre, d ' après la tentative de reconstruc tion historique de ! 'éducation d e Paul, menée par
Andrew W. PITTS, « Paul in Tarsus. Historica l Factors in Assessing Paul 's Early Education»,
in Stanley E. PORTER et Bryan R. DYER (éds.), Paul and Ancien/ Rhetoric. Theo1y and Prac-
tice in the Hellenistic Context, pp. 43- 67, il appert, en synthèse, que Paul aurait pu acquérir
à Tarse, sous l'égide d ' un grammaticus, le niveau é lémenta ire de l'éducation grecque, la-
quelle prévoyait des compétences littéraires grecques, la connaissance de quelques poètes
majeurs et quelques outi ls (devices) relatifs à la composition rhétorique élémentaire (cf. à ce
propos« les npoyuµvcioµcmx », à savoir des exercices rhétoriques préparato ires, p. 67). Or ce
niveau d 'éducation pouva it aussi être considéré, dans le cas de Paul, à! ' instar de ce qui valait
pour tout citoyen de l'époque, comme étant une sorte d ' investissement pédagogique à ex-
ploiter entre autres da ns le commerce et les affaires de sa famille (p. 55). D'un autre côté, il
faut reconnaître qu ' il n'existe pas encore de preuves his toriques que Paul ait suivi à Tarse
également une for mation rhétorique avancée, réservée la plupart du temps aux jeunes
hommes relevant d ' une é lite (p. 75), avant de se rendre à Jérusalem, à l 'âge environ de 12 à
15 ans (p. 66), pour achever sa formation, selo n les Actes : « une formation strictement con-
form e à la Loi de nos pères» (Ac 22,3). Ainsi, finalement, la question de savoi r où et dans
150 Chapitre 4: la «rhétorique paulinienne». éléments de méthode
Paul a utilisé les modèles de la rhétorique anc ienne« sans être jamais esclave
d'un schéma préétabli »44 . li l' a fait à sa manière, avec liberté et génie 45 , tout
en gardant un style sobre, p lus proche du style « attique » que de sa version
plus fle urie « asiatiq ue » 46 . À la façon d'un orateur expert, capable, à ! 'occa-
sion, de transgresser (dans le sens étymologique: d'aller au-delà, voire de dé-
passer) les règles de la rhétorique lorsque le cas spécifique le demanda it. C'est
d'ai lleurs ce qu 'avait déjà compris et enseigné Quintilien 47 au sujet de la
42
Voir à cet effet les critiques exprimées par Jeffrey A.D. WEIMA, « What Does Aristotle
Have to Do with Paul ? An Evaluation of Rhetorical Criticism », in Calvin Theological Jour-
nal 32, 1997, pp. 458-468, sans nous convaincre vraiment.
43
Ainsi Uli RUEGG, « Paul et la rhétorique ancienne», in Bulletin du Centre Protestant
d'Études 35, 1983, pp. 1- 35, ici p. 25.
44
Ainsi Jean-Noël ALETTI, « La dispositio rhétorique dans les épîtres pauliniennes. Pro-
positions de méthode », in New Testament Studies 38, 1992, pp. 385-401 , ici p. 394.
45
Voir Jean-Noël ALETTI, Comment Dieu est-il Juste ? Clefs pour interpréter l'épître
aux Romains, Seuil, Paris 1991 , pp. 37 e 79. Pour Giuseppe BARBAGLIO, « Les lettres de
Paul : contexte de création et modalité de communication de sa théologie», p. 73, « [ ... ]
Paul est trop libre et trop créatif pour entrer doci lement dans les canons de la rhétorique, qui
proviennent d'ailleurs des théories propagées par quelques traités fameux».
46
Voir à ce propos Edwin A. Source JUDGE, « Paul's Boasting in Relation to Contemporary
Professional Practice », p. 41 , à la suite des travaux de Eduard NORDEN, Die Antike
Kunstprosa , Teubner, Leipzig 1909, p. 507.
47
Cf. Institution oratoire 11, 13,2.6.7, pp. 69- 70 (traduction Jean COUSIN, 1976): « La
rhétorique serait en effet chose tout à fait facile et modeste, si elle se limitait à un unique et
bref ensemble de préceptes ; en réalité, la plupart évoluent selon les cas, les circonstances,
l'occasion, la nécessité. Par suite, la principale qualité chez un orateur, c'est la réflexion,
qui lui permet de se retourner selon les exigences variées de la conjoncture ».
[... ] 6 [ ... ]En fait, ces préceptes n'ont pas été établis par des lois ou des plébiscites ;
quels qu'ils soient, c'est l' utilité seule qui les a inspi rés. 7. Je ne nierai pas en revanche que,
la plupart du temps, il est utile qu'i l en soit ainsi ; autrement, je n'écrirais pas ce traité ; mais
2. L'art rhétorique gréco-romain 151
L'art rhétorique, appelé aussi tÉxvri pritopLK~ , est l' art de la parole ou du dis-
cours, « ... la capacité (ùûvcxµLç) de discerner (8Ewp€Lv) dans chaque cas ce qu i
est potentiellement persuasif »51 . Historiquement, cet art a été é laboré non pas
à partir d'une réflex ion portant s ur la valeur esthétique ou performative du lan-
gage en soi ni à partir d'exercices académiques, mais comme une pure« reven-
dication de propriété », une défense de son propre bien, dans un contexte de
conflit social et d e procès au y e siècle av. J.-C., où l'on a lutté contre le despo-
tisme et les abus subis par les paysans du fait de deux tyrans siciliens : Gelo n
et Hieron52 . L'éloquence, par conséquent, est une technique rigoureuse visant
à faire valoir ses droits ou encore à gagner !'adhésion de so n auditeur, ou de
son aud itoire, à sa propre cause 53 .
si cette même utilité nous conseille une autre tactique, négligeant l'autorité des maitres,
c'est elle que nous suivrons». C'est nous qui soulignons.
48
Voir Uli RUEGG, « Paul et la rhétorique ancienne», p. 23 ; Christian GRAPPE, « Paul
et la rhétorique. Regard sur! ' histoire et les enjeux d' un débat », p. 28.
49
Voir QUINTILI EN, Institution oratoire Il, 13, 1 p. 69 (traduction Jean COUSIN, 1976).
Carl Joachim CLASSEN, « Paul's Epistles and Ancien! Greek and Roman Rhetoric »,p. 26,
n. 7 1, a mis en évidence, lui aussi, la nécessité d' une application flexible des règles de la
rhétorique, comme elle était déjà recommandée par les manuels anciens, citant à ! 'appui la
Rhétorique à Herennius Ill, 17, pp. 102- 103 (traduction Guy ACHARD, 1989): « [... )quand
il faut s'écarter de l'ordre fixé par les règles, la disposition est différente : elle est laissée au
jugement de l'orateur qui l'adapte aux circonstances.[ ... ) li est souvent nécessaire de re-
courir à ces changements et à ces permutations lorsque le sujet même contraint à modifier
avec art la disposition dictée par les règles de l'art» (c'est nous qui soulignons). Cf. Jean-
Jacques ROBRI EUX, Rhétorique et argumentation, (Lettre Sup), Armand Colin, Paris 2012 3,
p. 27: « [... ] les plans du discours sont quelque peu "préfabriqués" comme le sont, d'une
certaine maniére, nos plans de dissertations, de lettres commerciales ou de rapports profes-
sionnels. Mais dans I 'Antiquité comme aujourd'hui, les plans types autorisent et le cas
échéant réclament certaines libertés ».
50
Pour un aperçu, aussi synthétique que solide, concernant l' art rhétorique, nous ren-
voyons à Roland BARTHES, « L'ancienne rhétorique. Aide-mémoire», in Communications
16, 1970, pp. 172- 223.
51 ARISTOTE, Rhétorique 1,2, p. 124 (traduction Pierre ClllRON, 2007).
52
Voir Roland BARTHES,« L'ancienne rhétorique. Aide-mémoire», pp. 175- 176.
53 D'après Chaïm PERELMAN et Lucie ÜLBRECHTS-TYTECA, Traité del 'argumentation.
La nouvelle rhétorique, p. 7 : « L' objet de la rhétorique des Anciens était, avant tout, l'art
152 Chapitre 4: la «rhétorique paulinienne». éléments de méthode
La rhétorique, tout au long de son histo ire, n 'a pas touj ours joui d ' un bon
accueil ou d ' une bonne réputation 54 . Elle a même été considérée comme une
force dangereuse et manipulatrice. Les préjugés concernant le pouvo ir de la
parole sont très anc iens. Ainsi, par exemple, Aristote a-t-il dû défendre la force
de la parole contre des accusations injustes, ou, en tout cas, contre un dénigre-
ment systématique :
« Mais, objectera-1-on, user à des fi ns inj ustes de celte puissance d u discours (ôuvaµEL
twv i..6ywv) peut nuire gravement, à quoi l 'on rétorquera que cet inconvénient est com-
mun à tous les biens - excepté [5) la vertu - et surto ut aux biens les plus uti les comme la
fo rce, la santé, la richesse et le pouvoir. Q ui en fait j uste usage peut rendre les plus grands
services, qui s'en sert injustement peut causer les plus grands torts » 55 .
Quintilien, à la suite de Cicéron qui avait déjà, lui aussi, essayé de moraliser la
rhétorique 56, a évoqué, avec une grande sensibilité, les critiques et les préjugés
principaux touchant à la rhétorique :
«C'est l'éloquence, disent-i ls [les adversaires ou les détracteu rs de la rhétorique, ndr),
qui soustrait les crim inels aux châtiments, qui, parfois, par ses artifices, fai t condamner
des gens honnêtes, oriente les délibérations vers le pire, suscite les séditions, les troubles
populaires, même les guerres inexpiables, et sert enfin tout particulièrement à fa ire pré-
valoir le faux s ur le vrai » 57 .
de parler en public de façon pers uasive: elle concernait donc l'usage d u langage parlé, d u
d iscours, devant une fo ule réunie sur la p lace publique, dans le but d 'obtenir l'adhésion de
celle-ci à une thèse qu'on lui présentait. O n voit, par-là, q ue le but de/ 'art oratoire. / 'adhé-
sions des esprits, est le même que celui de toute argumentation». C ' est nous q ui sou lig nons.
54
« .. . pour nous, modernes, la rhéto rique est synonyme d'artifice, d ' insincérité, de dé-
cadence ». Henri- Irénée MARROU, l'histoire de /'éducation dans /'Antiquité, vol. 1 : le
monde grec, p. 305, cf. p. 306.
55 ARJSTOTE, Rhétorique 1,1, 13, pp. 12 1- 122 (traduction Pierre CHIRON, 2007).
56 Voir Ro land BARTH ES, « L'anc ienne rhétorique. Ai de-mémoire», p. 180.
57
Institution oratoire 11, 16,2, pp. 85- 86 (traduction Jean COUSIN, 1976).
58
!nstitution oratoire ll , 16, 10- 11 , p. 87 (traduct ion Jean COUSIN, 1976, c'est nous qui
soulignons). Cf. 11 , 17,43 , pp. 100- 10 1 (traduction Jean COUSIN, 1976): «[ ... )C'est là un
fait que to us do ivent reconnaître - et nous principalement - qui ne séparons pas la science
d e l'éloq uence et !' homme de bien». Xll,2, 1, pp. 79- 80 (traduction Jean COUSIN, 1980 ) :
« Puisque l'orateur est donc un homme de bien et qu'i l ne peut se concevoir sans vertu, la
vertu, tout en tirant de la nature certa ines impulsions, doit être rendue parfaite par un
2. L'art rhétorique gréco-romain 155
C'est pourquoi, de toute nécessité, il y a trois genres (yÉvri) de discours relevant de la rhéto-
rique : le délibératif (ouµpouÀEunKov) , le judiciaire (ôiKaviKov), !'épidictique (ÉTILÔELKnKov).
Dans une délibération, tantôt l'on exhorte, tantôt l'on di ssuade. Dans tous les cas en effet,
que l'on donne un conse il en privé ou que 1'on adresse [ 1O] au peuple un discours sur les
affaires communes, on fait l'une ou l'autre chose. Dans un procès, il y a d ' un côté l' accusa-
tion et de ! 'autre la défense, car il est nécessaire que les parties adverses fassent soit ! 'une
soit l'autre. L'épidictique se divise en louange (Énaivoç) et en blâme (\jloyoç) ».
69 Voir Bice Mortara GARA VELL! , Ma nua le di retorica, (Studi Bompiani), Bompiani, Mi-
Comparaison
Raisonnement" Exempla Enthymèmes
amplifianteh
Possible / Réel / Plus /
lieux communs
impossible non réel moins
<•> Il s'agit d'une dominante.
(b) C'est une variante d' induction, un exemplum orienté vers l'exaltation de la personne
louée (par comparaisons implicites).
74 L'entbyméme est un « syllogisme rhétorique» fondé non pas sur le vrai ou !'immédiat,
car cela relèverait du système de la dialectique, mais sur ce qui est vraisemblable, probable,
au niveau du grand public, voire des incultes. Il procure la persuasion sans offrir la démons-
tration. Voir Roland BARTHES, «L'ancienne rhétorique. Aide-mémoire», pp. 201- 202.
Toujours sur l'enthymème, nous citons verbatim une des mei lleures définitions que nous en
ayons trouvée : « L'enthymème a les agréments d' un cheminement, d' un voyage: on part
d' un point qui n'a pas besoin d'être prouvé et de là on va vers un autre point qui a besoin de
l'être; on a le sentiment agréable (même s'il provient d' une force) de découvrir du nouveau
par une sorte de contagion naturelle, de capi llarité qui étend le connu (l' opinable) vers l' in-
connu. [...] l'enthymème n'est pas un syllogisme tronqué par carence, dégradation, ma is
parce qu 'il faut laisser à ! 'auditeur le plaisir de tout faire dans la construction de )'argument :
c'est un peu le plaisir qu 'il y a à compléter soi-même une grille donnée (cryptogrammes,
jeux, mots croisés) ». ln idem, p. 203. Plus simplement, l 'enthyméme est une affirmation,
une allégation, étayée par une justification ou un ra isonnement. Ainsi George A. KENNEDY,
Nuovo Testamento e critica retorica, p. 18.
15
Voir Bice Mortara GARAVELLI, Manuale di retorica, p. 26.
76
Il s'agit d' une sim ilitude ayant la force persuasive d' un argu ment par analogie. li peut
s'agir d' un mot ou d'un fait, réel ou fictif (parabole, fable), ou encore d' un personnage
exemplaire. Roland BARTHES, « L' ancienne rhétorique. Aide-mémoire», pp. 200- 20 1.
2. L'art rhétorique gréco-romain 157
77
Voir Thomas R. SCHREINER, « lnterpreting the Pauline Epistlcs », in David A. BLACK
and David S. DOCKERY (éds.), lnterpreting the New Testament. Essays on Method and Is-
sues, Broadman & Holman, Nashvi lle 200 1, pp. 412-432, ici p. 422.
78 Voir Chaïm PERELMAN et Lucie OLBR.ECHTS-TYTECA, Traité de l'argumentation. La
nous placer, lorsque nous nous plaignons, que nous consolons, apaisons, excitons, intimi-
dons, encourageons, conseillons, interprétons, des énoncés obscurs, racontons, conjurons,
remercions, félicitons, reprenons, invectivons, décrivons, recommandons, faisons des rétrac-
tations, des vœux, des conjectures et bien d 'autres choses? 4. C'est au point que, personnel-
lement attaché à l'ancienne op inion, je dois presque demander ! 'i ndulgence et chercher ce
qui a pu déterminer mes prédécesseurs à restreindre une matiére si étendue à des limites si
étroites ». Traduction Jean COUSIN, 1976, pp. 15 1- 152.
158 Chapitre 4: la «rhétorique paulinienne». éléments de méthode
persuader o u dissuader, intenter une poursuite ou ! 'écarter. Mais concil ier, raconter, in-
former, amplifier, atténuer, façonner les esprits des auditeurs en excitant les passions ou
en les ca lmant, cela aussi est commun aux trois genres »85 .
La dispositio du discours, comme nous l' avons anticipé plus haut, est la grille
ou le modèle par lequel on ordonne les différentes parties constitutives du dis-
cours rhétorique. La dispositio (tcil;Lç) courante à l'époque d ' Aristote, inaugu-
rée par Isocrate et ses successeurs, mise au point initialement pour le discours
d e genre judiciaire, se composait de quatre parties : npoo(µLOv , ÔLtjyT)aLç, n(at LÇ
et Én(J..oyoç 88 . Toutefois, le modèle qui s' imposera dès le 1er siècle ap. J.-C. est
85 !nstitution oratoire lll,4 , 14- 15, pp. 153- 154 (traduction Jean COUSIN, 1976). C'est
nous qui soulignons.
86 Voir George A. KENNEDY, Nuovo Testamento e critica retorica, p. 3 1. « Dans le genre
j udiciaire, l 'arg umentation porte fonda mentalement s ur la vér ité ou sur la justice ; dans le
d élibérati f, s ur l'intérêt personnel et sur les avantages futurs ; dans !'épidictique, sur un chan-
gement d'attitudes et sur !' approfondissement de valeurs telles que ! 'honnêteté et la bonté
ou, en contexte chrétien, la croyance et la foi ». Idem , p. 32.
87
Q UINTI LIEN, Institution oratoire VII, Avant-propos 3, p. 107 (traduction Jean COUSIN,
1977). C'est nous qui soulignons.
88
Ainsi M. DORA11 (Testo critico, traduzione e note), in ARISTOTELE, Retorica, (Oscar
classici greci e latini), Mondadori, Milano 1996, p. 392, n. 157.
2. L'art rhétorique gréco-romain 159
celu i de Qu intilien89 , dans lequel figu rent cinq parties, en ra ison du dédouble-
ment de la TTLonç (o u probatio) : l'exordium, la narratio, la conflrmatio, la
refi1tatio et la peroratio90 .
Q uant au rôle que ces d ifférentes parties de la dispositio jo uent en rapport à
la force persuas ive du discours, il nous fa ut du moins connaître et rappeler
que:
1) l'exordium (TTpoo[µwv) est l' introduction par laquelle l'orateur établit le
premier contact avec son auditoire; il essaie d'en capter l'attention, à
l'aide d ' une c itatio n o u d'un proverbe célèbre, et aussi la b ienveillance, au
moyen de la captatio benevolentiae ; enfi n, à !'aide d ' une partitio, il an-
nonce les déve loppements qui vont suivre. « En effet, mesurer ! ' impor-
tance d ' un travail accompli est un plaisir, et savoir combien il reste à faire
est un stimula nt pour le poursui vre j usqu'à la fin . Car, nécessairement, o n
ne trouve j ama is long ce dont o n voit la fin avec cert itude »91 .
2) La narratio (liL~yrioLç) est l'expositio n des fa its ou des données principales
concernant la causa o u le s ujet à débattre ; e lle do it être cla ire, brève, et
vraisemblable, en vue de préparer le moment de la probatio ; mieux en-
core, on peut, lo rs de l'exposition des faits, procéder aussi à ce que l 'on
appelle semina probationum 92 , à savoir le fa it de dissém iner des ind ices
probants que l'on exploitera davantage lors de la probatio. Par ailleu rs,
avant o u après la narratio, et juste avant la probatio, 1'on retrouve la pro-
positio (TTpo8EoLç)93 , à savoir la thèse à traiter, à développer, à arg umenter.
89
Institution oratoire lfl,9,5.
90
Étant donné l'ampleur du systéme rhétorique, qui n'a cessé de se développer pendant
des siécles, il n'est pas surprenant qu'il ne soit pas totalement unifié et qu'existent donc des
divergences de définition el d' appréciation. Voir Laurent PERNOT, La Rhétorique dans/ 'An-
tiquité, (Références : inédit. Le livre de poche), Librai rie Générale Française, Paris 2010,
pp. 279- 280.
91
Ainsi QUINTILIEN, Institution oratoire JV,5,23, p. 89 (traduction Jean COUSIN, 1976),
cité aussi par Roland BARTllES, « L'ancienne rhétorique. Aide-mémoire», p. 215.
92 Voir Roland BARTHES, « L'ancienne rhétoriq ue. Aide-mémoire», p. 213.
93
D'après AR ISTOTE, Rhétorique Ill, 13, 1- 2.4, pp. 492-493 (traduction Pierre CH IRON,
2007), la 11p69rnLç (propositio) est une partie essentielle, voire indispensable, de tout dis-
cours rhétorique ; et, d'après QUINTILI EN, Institution oratoire IV,4, 1, p. 80 (traduction Jean
COUSIN, 1976), elle est« [... ]le commencement de toute preuve, que 1'on a l'habitude d'em-
ployer, non seulement pour éclai rer la question principale, mais parfois même au cours des
argumentations isolées, et tout particulièrement de celles que l ' on appelle ÈTILXELP~µata (épi-
chérèmes) ». Elle peut être simple, double ou multiple selon les cas (Idem IV ,4,5, p. 8 1) et,
de plus,«[ ... ) doit être avant tout claire et limpide (qu'y a-t-il de plus détestable que l'obs-
curi té même d' une partie, qui a pour but unique de prévenir l'obscurité des autres?) - en
outre, elle doit être brève et déchargée de tout mot superflu ; car, ce que nous indiquons, ce
n'est pas ce que nous sommes en train de dire, mais ce que nous allons dire». Idem IV,5,26,
p. 90. C'est nous qui soulignons.
162 Chapitre 4: la «rhétorique paulinienne». éléments de méthode
tout dit. Cependant, je vais tenter d' exposer les règles traditionnelles, en indiquant ce
qu' il y a de meilleur en elles, et ce qu 'il me paraîtra préférable de modifier, d'ajouter,
de retrancher »104.
C'est là une réflexion qui relève du pur bon sens, nécessaire pour éviter toute
inféodation aux conventions ou aux suggestions élaborées par les modèles clas-
siques, régissant la composition du discours 105.
C'est pourquoi , lorsqu' il s'agira de repérer la dispositio ou le plan du dis-
cours de Paul en Rm 14, 1- 15, 13, il conv iendra d'écouter sa logique en profon-
deur sans succomber à la tentation de lui imposer de ('extérieur un schéma
préconditionné. Ce serait, pour le dire avec Olivier Reboul, qui reprend Quin-
tilien 106, une très grave erreur de stratégie : « ... imposer un plan type à ('ora-
teur est aussi stup ide que d' imposer une stratégie type à un généra l ! Au fond,
peu importe dans quel ordre le général et (' orateur atteignent les objectifs, le
tout est qu'ils les atteignent » 107 . Tout comme, pour bien écrire, il est nécessaire
d'avoir une organisation des idées, ainsi, pour bien lire, il est nécessaire de
découvrir cette organisation 108.
Enfin, avant de passer brièvement à I'elocutio , il faut préciser que I'inventio
et la dispositio, bien qu'elles puissent être considérées comme étant deux
phases distinctes de l'art oratoire, venant l'une après l'autre, sont aussi à con-
sidérer comme « inséparablement liées »109 .
104 Institution oratoire li, 13, 17, p. 73 (traduction Jean COUS IN, 1976). «Cicéron (Parti-
tiones oratoriae, § 90) démontre qu'i l faut parler autrement à l 'espéce d' hommes " ignorante
et grossière, qui préfère toujours l' uti le à l'honnête" et à " l'autre, éclairée et cultivée qui met
la dignité moral e au-dessus de tout"». Chaïm PERELMAN et Lucie ÜLBRECHTS-TYTECA,
Traité de l'argumentation. La nouvelle rhétorique, p. 26.
105
L'auteur de la Rhétorique à Herennius Ill, 16, p. 101 (traduction Guy ACHARD, 1989),
très probablement CORNI FICIUS, écrivait au 1er siècle av. J.-C. : « Puisque la disposition sert
à mettre en ordre les matériaux de l' invention de manière à présenter chaque élément à un
endroit déterminé, il faut voir quel principe il convient de suivre pour réaliser ce travail. li y
a deux sortes de plans; l' un tiré des règles de l'art, l'autre adapté al/X circonstances». C'est
nous qui soulignons.
IO<i Institution oratoire Il, 13,3- 8, pp. 70- 71 (traduction Jean COUSIN, 1976).
107
Ainsi Olivier REBOUL, Introduction à la rhétorique, Presses Universitaires de France,
Paris 19942 , p. 69.
108
Voir Michael J. GORMAN, Elemenls of Biblical Exegesis. A Guide for Students and
Ministers, Hendrickson, Peabody 2001 , p. 78.
109
Ainsi Heinrich LAUSBERG, Handbook ofLiterary Rhetoric. A Foundationfor Litermy
Study, § 444, p. 212, cf. Hans-Josef KLAUCK, la lettera antica e il Nuovo Testamento. Guida
al contesto e al/ 'esegesi, p. 202.
2. L'art rhétorique gréco-romain 163
labori eux : « [ ... ] l' invention et la disposition sont à la portée de tout homme
de bon sens, mais [ ... ] l'éloquence appartient à l'orateur » 110 . L'elocutio est
donc l'ornement du discours, par ses« couleurs» et ses figures, à savoir « le
langage de la passion » 111 , au niveau syntax ique, sémantique et pragmatique 112.
Conçue, en fonction d ' une dérive moderne résultant d ' une focalisation sur les
figures, comme l' aspect essentie l de l'élaboration du d iscours, l 'elocutio a mal-
heureusement fin i par absorber toute l'entreprise rhétorique ou à la réduire à
son seu l champ 113. Contra irement à cette« dérive», qui considère la rhétoriq ue
comme une question avant tout de style o u de s imple esthétique du discours, il
nous faut insister sur le fa it q ue la rhétorique d 'Aristote a été avan t tout une
rhétorique du ra isonnement, de la preuve et de l'argumentation (n[anc; - pro-
batio). Le sty le ou l' ornement du discours était certes important, mais là ne
rés idait pas l'essentie l 114. Néanmo ins, pour Quintilien, la beauté du discours,
« [ ... ] l'ornement du style ne contribuera pas médiocrement au succès de la
cause. Car ceux q ui écoutent volontiers sont plus attentifs et nous croient plus
facilement ; la plupart du temps, ils se laissent prendre par le plaisir même ;
que lquefois, l'admiratio n les transporte » 11 5.
En raison de l'ampleur du classement des figures et de la grande divers ité
de nomenc latures proposées, no us ne pouvons que renvoyer ici aux manuels de
rhétorique anc ienne et modem e 116. Nous y reviendrons, bien entendu, lorsqu' il
110 QUINTILI EN, institution oratoire Vlll, Avant-propos 14, p. 48, en citant CICÉRON,
s'agira d'étudier les choix stylistiques mis en œuvre par Paul pour rendre plus
efficace et incisif son discours de Rm 14, 1- 15, 13. D'après la belle intu ition de
Marie-Joseph Lagrange 117, Paul cherchait en fait
« ... à s'exprimer d' une manière ingènieuse pour frapper plus vivement les esprits. Savait-
il qu ' il employait alors une figure et quel ètait le nom de cette figure ? Il n'importe. Il
ètait trop apôtre pour chercher à plaire par le style, mais trop apôtre aussi pour se priver
des ressources que lui offraient son imagination et sa connaissance des nuances pour
mieux exprimer une idée».
Les lettres pauliniennes ont été conçues comme des véritables instruments de
persuasion. Elles ont été employées expressément par I' Apôtre des nations,
d'une part, pour gagner l' assentiment de ses destinataires concernant sa théo-
logie et ses avertissements pragmatiques, et, d 'autre part, pour appeler à parta-
ger son point de vue au sujet de ses valeurs, de ses idéaux et de ses priorités
m1ss1onna1res.
En s'appropriant et en modifiant les modèles épistolaires conventionnels,
Paul a développé un type de lettre extrêmement intime, la « lettre communau-
taire», conçue comme un discours à destination des assemblées chrétiennes,
pour exposer ses arguments théologiques, ses appels, ses plaintes, sa parénèse
éthique 118• De ce point de vue, les lettres que Paul a écrites ne l' ont pas été
uniquement pour être lues ou écoutées, mais davantage « pour être mises en
œuvre (but to be performed) » 119• Encore, d' après Alain Gignac, la lettre aux
Romains est « un texte performat if qui entend réaliser et actualiser ce dont il
199922 ; Giovanni BARBER! SQUA ROTrt, Giovanna GORRASI, Walter MELIGA e Carlo Mo-
LINARO (éds.), Dizionario di Retorica e Stilistica, (Utet Libreria), Utet, Torino 1995 ; R.
Dean ANDERSON, Glossary of Greek Rhetorica/ Terms Connected to Methods of Argumen-
tation, Figures and Tropes,from Anaximenes to Qui111ilian, (Contributions to Biblical Exe-
gesis and Theology, 24), Peeters, Leuven 2000.
11 7
Épître aux Romains, p. XLV I.
11
s Voir Christopher FORBES, «Ancien! Rhetoric and Ancien! Letters. Models for Read-
ing Paul and Their Limits », in Jeffrey Paul SAMPLEY - Peter LAMPE (éds.), Paul and Rhet-
oric, pp. 143- 160, ici p. 159.
119
Ai nsi Christopher FORB ES, « Ancient Rhetoric and Ancient Letters. Models for Read-
ing Paul and Their Limits », p. 159. De plus, ces« lettres communauta ires» de Paul sont
«[... ]des lettres tout à fait atypiques, dans la tai ll e, dans le contenu et dans le style, précisé-
ment parce que ce sont des lettres conçues pour être transmises par voie orale à des groupes
(tout à fait atypiques). Sur cette base, les modèles épistolaires peuvent être appliqués avec
succès à certaines caractéristiques de ses lettres ; mais les modèles rhétoriques auront aussi
très certainement leur place» (Ibidem) .
3. la «rhétorique paulinienne» 165
p. 38; ID., Israël et la loi dans la lettre aux Romains , pp. 34-36 ; Francesco BIANCHIN I,
L 'analisi retorica delle lettere paoli11e. Un 'introdidone, p. 38 ; Christophe JACON, l a sa-
gesse du discours. Analyse rhétorique et épistolaire de I Corinthiens, pp. 46-122. D'après
Jerome MURPllY-O ' CONNOR, Paul et l'art épistolaire. Contexte et structure littéraires, p.
145 : « Aucune catégorie unique ne saurait rendre justice à la complexité d 'une épître pau-
linienne ».
123
Voir Hans-JosefKLA UCK, l a Jettera antica e il Nuovo Teslamento. Guida al contesto
e all'esegesi, p. 193. D'après Troy W. MARTIN, « Invention and Arrangement in Rece11t
Pauline Rhetorical Studies. A Survey of tbe Practices and the Problems », in Jeffrey Paul
SAMPLEY - Peter LAMPE (éds.), Paul and Rhetoric, pp. 48- 11 8, ici pp. 61-62: (( Le débat
animé concernant la relation entre la rhétorique gréco-romaine et l'épistolographie s'est
calmé sans qu'il y ait eu une victoire déc isive de l' un ou de l'autre côté». Les participants à
ce débat polarisé n'ont finalement réalisé qu ' un consensus frag ile, portant sur la considéra-
tion que les modèles épistolaires avaient quelques analogies auss i avec quelques parties com-
posant le discours rhétorique, moins sur le plan forme l que sur le plan fonctionnel (c f. p. 71).
C'est aussi l'avis récent de Loïc P.M. BERGE, Faiblesse et force, présidence et collégialité
che: Paul de Tarse. Recherche liuéraire et théologique sur 2 Co 10- 13 dans le contexte du
genre épistolaire all/ique, (Supplements to Novum Testamentum, 161 ), Bri ll, Leiden - Bos-
ton 2015, pp. 233- 234.
124
Ainsi Giuseppe BARBAGLIO, « Les lettres de Paul : contexte de création et modalité
de communication de sa théologie», p. 72. Cf. George A. KENNEDY, Nuovo Testame11to e
critica retorica, p. 173: « La structure d' une lettre gréco-romaine rappelle un discours, ren-
fermé entre les salutations introductives et les hommages conclusifs. [... ] ».
125
Voir Jean-Noël ALETTI, « Paul et la rhétorique. État de la question et propositions »,
pp. 36- 38. Cf. Mark D. GIVEN, « Parenesis and Peroration. The Rhetorical Function of Ro-
mans 12: 1- 15: 13 »,in Stanley E. PORTER et Bryan R. DYER (éds.), Paul and Ancien/ Rhet-
oric. Theory and Practice in the Hellenistic Context, pp. 206- 227, ici p. 208.
166 Chapitre 4: la «rhétorique paulinienne». éléments de méthode
126 Voir Giuseppe BARBAGLIO, « Les lettres de Paul : contexte de création et moda lité de
En mil ieu francophone, l'exégète qui a le plus développé une approche rhéto-
rique, appelée aussi « rhétorique paulinienne », est certainement Jean -Noël
Aletti 148• À la différence de Kennedy, qui part des modè les de discours rhéto-
rique pour aller vers les écrits du Nouveau Testament, Aletti préfère partir du
« tissu » 149 du texte biblique, de sa logique propre, pour aller comparer les
textes discursifs avec les modèles du discours offerts par les manuels de rhéto-
rique ancienne. Ainsi la « rhétorique paulinienne » prônée par Aletti se veut-
elle libre de tout carcan extérieur et, tout en se servant des schémas rhétoriques
mais pas seulement 150 , vise à suivre de très près le « tissu argumentatif » du
texte pour saisir son intention primaire 15 1. li rappelle, entre autres, qu ' il ne fa ut
jama is confondre une lettre et un discours, car, de to ute évidence, les écrits
pauliniens sont avant tout des lettres que, en l'occurrence, on peut anal yser en
comparant leurs techniques de compositions aux règles des discours
147
Voir George A. KENNEDY, Nuovo Tesramento e critica retorica, p. 190.
148
Voir Jean-Noël ALETTl, « La présence d' un modèle rhétorique en Romains: son rôle
et son importance », in Bib/ica 71, 1990, pp. 1- 24 ; Comment Dieu est-il juste ? Clefs pour
inte1préter l 'épître aux Romains, Seuil , Pari s 199 1 ; « La dispositio rhétorique dans les
épîtres pauliniennes. Propositions de méthode », in New Testament Studies 38, 1992, pp.
385--401 ; « Paul et la rhétorique. État de la question et propositions», in Jacques SCHLOS-
SER (éd.), Paul de Tarse. Congrès de l 'ACFEB (Strasbourg, 1995), (Lectio divina, 165),
Cerf, Paris 1996, pp. 27- 50 ; Israël et la loi dans la leltre aux Romains, (Lectio divina, 173),
Cerf, Paris 1998 ; « Romans», in William R. FARMER (éd.), The International Bible Com-
mentary. A Catholic and Ecumenical Commentmy for the Twenty-First Century, Liturgical
Press, Collegeville 1998, pp. 1553- 1600 ; « Paul a-t-il été un écrivain ? », in le monde de
la Bible 123, 1999, pp. 57- 6 1 ; « La rhétorique paulinienne: construction et communication
d' une pensée», in Andreas DETfWI LER - Jean-Daniel KAESTLI - Daniel MARGUERAT
(éds.), Paul, une théologie en co11structio11 , (Le Monde de la Bible, 51), Labor et Fides, Ge-
nève 2004, pp. 47- 66 ; « Lecture rhétorique. Diffic ultés et enjeux d ' une nouvelle ap-
proche», in André LACOCQUE (dir.), Guide des nouvelles lectures de la Bible, Bayard, Paris
2005, pp. 40- 66 ; la lettera ai Romani. Chiavi di lellura , (Nuove vie dell 'esegesi), Borla,
Roma 20 11 ; « Romani 14, 1- 15,6: di nuovo alla ricerca di chi sono i fo rti e chi i deboli »,
in Carlo BAZZI - Roberto AMICJ (éds.), Donare. Esegesi, teologia e altro, (Studia, 63), Ur-
baniana Uni versity Press, Città del Vaticano 20 12, pp. 9 1- 104 ; « Approccio retorico in ese-
gesi e sua ricaduta teologica », in Teologia 38, 20 13, pp. 575- 588.
149
Au passage, nous rappelons que les mots« tissu »et « texte » viennent du même verbe
latin : texere, c'est-à-dire tisser, tramer.
150
À partir des parallélismes lexicaux et sémantiques fréquentes dans ! 'écriture pauli-
nienne, ALETTI est aussi très attentif aux différentes techniques de composition juive : con-
centrique (ABA'), chiastique (A BB' A' ), alternée (AB A ' B' ). Voir Jean-Noël ALETll , « Ap-
procc io retorico in esegesi e sua ricaduta teologica », p. 576.
15 1
Voir Jean-Noël ALETTI, Israël et la loi dans la tertre aux Romains, pp. 13- 14.
170 Chapitre 4: la «rhétorique paulinienne». éléments de méthode
152
«S'il faut reconnaître qu'à l'époque de Paul la rhétorique et l' épistolographie sont
"deux choses différentes", à ne pas confondre, il semble cependant que, sur ce point, la flexi-
bilité soit encore requise à propos de Paul, qui peut argumenter (selon des régies empruntées
à la rhétorique discursive) tout en maintenant un rapport épisto laire strict avec ses correspon-
dants». Jean-Noël ALETrI, Israël et la loi dans la leure aux Romains, p. 36 (c'est nous qui
soulignons).
153 Idem, p. 12.
154
Parmi les auteurs qui ont continué de suivre ! ' approche rigide de Hanz Dieter BETZ,
signalons, au moyen de Jean-Noë l ALETTI, Israël et la loi dans la lettre aux Romains, pp.
12- 13, les travaux de Margaret M. MITCHELL, Paul and the Rhetoric of Reconciliation. An
Exegetical Investigation of the language and Composition of l Corinthians, J.C.B Mohr
(Paul Siebeck), Tübingen 1991 , et ceux de R. Dean ANDERSON Jr., Ancien/ Rhetorical The-
ory and Paul, (Contributions to Biblical Exegesis and Theo logy, 18), Kok Pharos, Kampen
1996, pp. 226- 229.
155 Pour! 'essentiel, nous allons résumer ici sa contribution : « Approccio retorico in ese-
156
« Lapropositio principale n' interdit pas l'existence de propositiones ou thèses secon-
daires (en latin subpropositiones), qui explicitent, ètalent en quelque sorte la principale et
permettent à ! 'argumentation paulinienne de se prèciser progressivement et de se dèvelopper
en une sèrie d 'étapes assez facilement repérables». Jean-Noël ALETTI, Israël et la loi dans
la lettre aux Romains, p. 14.
157
Voir à cet égard le sché ma proposé par Jean-Noël ALETT I, « Approccio retorico in
esegesi e s ua ricaduta teologica », p. 581 : Rm 1, 16- 17, propositio generalis ; Rm 1, 18,
propositio de ! 'argumentation allant de Rm 1, 18 à 3 ,20 ; Rm 3,21 -22, propositio de ! 'argu-
mentation allant de Rm 3 ,2 1 à Rm 4 ,25 ; Rm 5,20- 21 , propositio de ! 'argumentation allant
de Rm 6, 1à8,30 ; Rm 9,6, propositio de l'argumentation en Rm 9,6b- 29 ; Rm 10,4, propo-
sitio de l'argumentation en Rm 10,5- 18 ; Rm 11 , 1, propositio de ! ' argumentation en Rm
11 , 1- 32. Pour une liste complète des probationes, voir son essai: la lettera ai Romani.
Chiavi di letl!lra.
158
Voir Jean-Noël ALETTI, « La rhétorique paulinienne: construction et communication
d ' une pensée», p. 60, n. 43.
159
Pour être honnête, l'habitude de Paul de s'exprimer au travers d ' une propositio é labo-
rée ensuite par une série de tonoL (arguments et thèmes), visant! 'adhésion de son auditoire,
avait déjà été déduite, bien que d ' une façon rapide, par George A. KENNEDY, Nuovo Testa-
mento e critica retorica, p. 195.
160
Ainsi Jean-Noël ALETTI, Israël et la loi dans la lettre aux Romains, p. 33.
161 Voir Jean-Noël ALETTI , « La rhétorique paulinienne : construction et communication
d'une pensée», pp. 62- 63 , cf. ID. , Israël et la loi dans la lettre aux Romains, pp. 12- 13.
172 Chapitre 4: la «rhétorique paulinienne». éléments de méthode
soulevés par les communautés, d ' une manière directe et soudaine, car il
préfère prendre du recul et opter pour une prise de distance. Au lieu de
s'attaqu er de front aux questions q u ' il fau t aborder, en risq uant la superfi-
cial ité et la précipitation, il fa it plutôt un détou r, inc line à élaborer le dos-
sier et prépare le terrain avant de livrer son av is 162 .
4) Si les unités argumentatives, chez Paul , suivent les modèles du d iscou rs
rhétorique, les parties exhortati ves suivent o rd ina irement un type de com-
positi on concentrique : aBa' dans laquelle a est l'exhortation (faire o u ne
pas faire), Best l' exposition d es motivations (pourquo i... ) et a' est lare-
prise de l'exhortation (donc, faire ou ne pas fai re ... ) 163 .
5) Contrairement à Kennedy, selon lequel l' identification du genre du d is-
cours rhétorique dom inant (jud ic iaire, dé li bératif ou épidictique) précède
la d éterminati on de la dispositio, d'ap rès Aletti, c 'est la dispositio qui
constitue plutôt le point de départ de toute l' analyse rhétorique 164 . Car il
est tout à fa it possible que, dans la même lettre ou dans la même section
arg umentat ive, il y ait plus d ' un genre 165 , en fonction d es obj ectifs de
l ' Apôtre, et que ce genre soit à déterminer plutôt à partir d e l'appréciation
des propositiones 166.
L'essentiel de cette approche a été auss i suivi avec profit par Antonio Pitta qui
l' a appliquée et expéri mentée d ' abord pour l'analyse et l'interprétation de la
162 C'est ce qu 'il fai t, par exemple, dans 1 Co 12- 14 à propos de la glossolalie. Avant de
se prononcer au chap. 14, il s'explique en fait sur la diversité des dons spirituels ( 1 Co 12)
et sur la valeur relative de chaque don face à l'&ycl.nT) (1 Co 13). Voir Jean-Noël ALETTI,
<< La rhétorique paulinienne : construction et communication d' une pensée», p. 52, cf. ID.,
«Lecture rhétorique. Difficultés et enjeux d' une nouvelle approche», pp. 54-56. Christophe
) ACON, la sagesse du discours. Analyse rhétorique et épisLolaire de I CorinLhiens , p. 292,
quasi certainement à la suite d'ALETTI, considère en fait que 1 Co 12,3 1- 14,la est une di-
gressio rhétorique et non pas un aparté accidentel : <<C'est une digressio par laquelle Paul
détourne quelque peu le regard de ses destinataires des dons de l 'Esprit, et en particulier du
parler en langues, pour les inviter à se tourner vers l '&ycl.nT). En situant cette vertu au-dessus
et au-delà des dons quels qu'i ls soient, cette digressio permet de relativiser " la course au
don" dans laquelle s'étaient engagés les Corinthiens».
163
Voir Jean-Noël ALETTI, « Approccio retorico in esegesi e sua ricaduta teologica », p.
583.
164
Voir Jean-Noël ALETTI, « La rhétorique paulinienne : construction et communication
d' une pensée», pp. 62- 63.
165
Voir aussi George A. KENNEDY, Nuovo Testamento e critica retorica, pp. 36- 38.
166
Voir aussi Jerome MURPHY-O'CONNOR, Paul et l 'art épistolaire. Contexte et struc-
ture li1téraires, p. 128 : « La critique rhétorique centrée essentiellement sur la propositio a
pour mérite de susciter un nouvel examen, d'un point de vue différent, du détail de l'articu-
lation de la pensée de Paul ».
3. la « rhétorique paulinienne » 173
lettre aux Galates 167 et, ensuite, sur la lettre aux Roma ins 168 . Quant à sa métho-
dologie appliquée à l'ana lyse de la lettre aux Galates, d ' une manière certai ne-
ment moins artific ie lle que celle de Betz et dans le sillon tracé par Aletti, on
pourrait la résumer comme suit (à trois niveaux) :
1) identification des micro-unités littéraires, au moyen de (' anal yse séman-
tique et de l'analyse des figures (chiasmes, parallé lismes, anti thèses... ), et,
par conséquent, détermination aussi des macro-unités o u des sections lit-
téraires ;
2) établissement de la dispositio et identification des enchainements argu-
mentatifs, en re lation avec les moyens de persuas ion : ethos, logos, pathos,
ainsi que des fi gures de sty le (elocutio);
3) identification du genre rhétorique dominant et exposition du message théo-
logique d 'ensemble (intentions, effets, implications ...) 169.
Pour ce qui nous concerne, en passant du Rhetorical Criticism à la« rhétorique
paulinienne »170, que l'on a aussi appe lée « rhétorique littéraire » ou encore
167
Disposi::ione e messaggio della lettera ai Galati. Analisi retorico-letteraria, (Analecta
Biblica, 131 ), Editrice Pontificio lstituto Biblico, Roma 1992. li s'agit de la publication de
sa thèse doctorale préparée sous la direction de Jean-Noël ALETTI. Cette thèse est organisée
en quatre parties fondamentales: 1) L' histoi re de l'interprétation relative aux structures pro-
posées pour la lettre aux Ga lates et leur éva luation ; 2) Une herméneutique de la rhétorique
classique, à savoir une introduction à la rhétorique gréco-romaine, dans son rapport avec la
diatribe et l'épistolographie classique ; 3) La dispositio de la lettre aux Galates ; 4) De la
dispositio au message, en passant par l' identification du genre rhétorique. D'après PITTA, la
lettre aux Galates se configure comme une lettre de blâme et donc de genre rhétorique épi-
dictique. Au moyen de quatre démonstrations (1 : Ga 1, 13- 2,21 ; Il : 3, 1-4,7 ; Ill : 4,8- 5, 12 ;
IV : 5, 13- 6, 10), introdui tes par un praescriptum (1 , 1- 5), un exordium (1 ,6-10) et une pro-
positio principale ( 1, 11- 12), et complétées par une peroratio / post-scriptum (6, l 1- 18), Paul
propose un itinéraire de formation pédagogique dont le but ultime serait une nouvelle évan-
gélisation (cf. Ga 4, 19), une nouvelle compréhension de l'Évangile paulinien, libre de la
circoncision et de ses implications. Paul blâme, d ' une part, les choix présents des Galates
( 1,6- 10 ; 3, 1- 5 ; 4,8- 11) et de ses adversaires ( 1,7 ; 4, 17 ; 5, 10.12; 6, 12- 13) et, d'autre part,
il fait un éloge de lui-même (1 , 13-2,21 ; 6, 14- 17), d' Abraham (3,6-7), de l' expérience pas-
sée des Galates (4, 12- 20), pour montrer que le salut vient uniquement de la foi en Christ et
non du système mosaïque. Paul, en un mot, n'attaque pas le passé des Galates, ni leur futur,
mais les choix qu'ils sont en train de faire dans le présent!
168
lettera ai Romani. Nuova versione, introduzione e commento , (1 libri bibl ici. Nuovo
Testamento, 6), Paoline, Cinisello Balsamo 2009 3 ; « 1 fort i e i debo li nelle comunità dome-
stiche di Roma», in ID. , Paolo, la Scrittura e la legge. Antiche e nuove prospettive , (Studi
Biblici, 57), Dehoniane, Bologna 2009, pp. 161- 180 ; « 1 forti, i deboli e la legge », in ID.,
Paolo, la Scrillura e la legge. Antiche e nuove prospettive, pp. 181 - 22 1 ; « Form and Con-
tent of the Proposilio in Pauline Letters : The Case of Rom 5, 1- 8,39 », in Revue Biblique
122, 20 15, pp. 575- 59 1.
169
Voi r Antonio PrITA, Disposi::ione e messaggio della lettera ai Galati. Analisi re-
torico-letteraria, pp. 9- 10 et pp. 62- 64.
170 Voir Jean-Noël ALETTI, « La rhétorique paulinienne: construction et communication
d'une pensée ».
3. la «rhétorique paulinienne» 175
174 Ainsi Jean-Noël ALETII, « La dispositio rhétorique dans les épîtres pauliniennes. Pro-
positions de méthode », p. 400. Andrea ALBERTIN, li caso dei deboli e deiforti. Rm 14,1-
15, 13 come esempliftca=ione di vila elica alla Luce della giustiftcazione per fede, p. 19, fait
un appe l à la prudence: la section de Rm 14, 1- 15, 13 ne constituerait pas une véritab le ar-
gumentation mais une exhortation, elle ne démontrerait pas une thèse, ou une propositio,
mais elle entendrait exhorter. Comme nous le ferons va loir par la suite, nous ne sommes pas
entièrement d'accord avec cette orientation qui nous paraît strictement technique et assez
peu féconde.
175 Pour plus de détails, voir Jean-Noël ALETTI, Israël et la loi dans la lettre aux Romains,
pp. 15 et 35 .
176
Voir Jerome MURPIW-O'CONNOR, Paul et/ 'art épistolaire. Contexte et structure lit-
téraires, p. 144.
177 Voir l elfres pour toutes circonstances. l es traités épistolaires du Pseudo -libanios el
178
David E. AUNE « Romans as a logos Protreptikos », in Karl P. DONFRIED (éd.), The
Romans Debate. Revised and Expanded Edition , pp. 278- 296. D'après AUN E, le « Àoy6ç
11potprnnK6ç », dans le contexte des écoles de philosophie ancienne, était un discours de
propagande finalisé à gagner des nouveaux « convertis », voi re des « disciples »,à un parti-
culier style de vie ou de philosophie (p. 278).
179
Pour David E. AUNE, « Romans as a logos Protreptikos », pp. 289- 290, le contexte
social dans lequel Paul a pu élaborer sa pensé théologique peut être partiellement reconstitué
à partir des indices suivants : 1) sa fréquentation de la synagogue (Ac 9,20 ; 13,5. 14-
43 ; 14, 1- 2 ; 17,1- 3 ; 18,4 ; 19,8) ; 2) les maisons privées (Ac l 8,7s. ; 20,7- 11 ; 28,30-3 1 ;
cf. LUCIEN DE SAMOSATE, Hermotinos XI); 3) l'école de Tyrannos (Ac 19,9- 10) où Paul a
enseigné pendant deux ans, en assumant un peu les caractéristiques d 'un philosophe itinérant
(cf. EPICTÈTE, les Entretiens l!!,23 ,30); 4) la « propre école» de Paul, c 'est-à-dire sa façon
propre d'enseigner la foi chrétienne à des étudia nts réels ou potentiels ; 5) les ateliers où il
exerçait sa profession ancestrale et y engageait aussi des discussions (Ac 18,3) ; 6) les places
publiques (Ac 17, 16- 34 ; cf. DION CHRYSOSTOME, Or. Xlll, 12- 13: Â Athènes, sur sa
fuite) ; 7) la prison (2 Co 11,23- 33). Par ailleurs, les traits dialogiques et rhétoriques de la
lettre aux Romains seraient cohérents avec la présentation lucanienne de Paul dans les Actes,
en tant que personnage s'employant inlassab lement à convaincre Juifs et Grecs d'accepter
la vérité de l' Évangile (cf. Ac 13,43 ; 17,4 ; 18,4 ; 19,8.26 ; 26,28 ; 28,23- 24). Le verbe
11d0w (persuader, convaincre), en effet, appartient au même sous-domaine sémantique que
le verbe 11potpÉ11w (exhorter), voir Johannes P. LOUW - Eugene A. NIDA (éds.), Greek-En-
glish lexicon of the New Testament Based on Semantic Domains, 2 voll., United Bible So-
cieties, New York 1988, vol. 1.33.446 ; 1.33.26 ; 1.33.30 1, 1.33.300. Nous nous sommes
permis, ci-dessus, d' ajouter quelques références bibliques complémentaires à celles citées
par AUNE.
180 Voir Davi d E. AUNE,« Romans as a logos Protreptikos », p. 279.
1 1
8 Idem , pp. 280- 281 .
3. la «rhétorique paulinienne» 177
182
Voir inter a/ia Hans-Josef KLAUCK, la /ettera antica e il Nuovo Testamento. Guida
al contesta e ail 'esegesi, p. 200.
183
Voir CICÉRON, De l'orateur 11,64, p. 32 (traduction Edmond COURBAUD, 19593) : «
Or, sur tous ces points essentiels, existe-t-il un seul précepte dans les écrits des rhéteurs? Le
même silence enveloppe beaucoup d 'autres genres qui rentrent dans le domaine de l'orateur,
exhortations, consolations, instructions, avertissements ; tous, pour être bien traités, exigent
un grand talent de parole ; lisez cependant les ouvrages transmis sur la matiére : leur place
y est nulle». C'est Hans-Josef KLAUCK, la lettera antica e il Nuovo Testamento. Guida al
contesta e ail 'esegesi, p. 200, qui nous a rendu attentif à ce témoignage cicéronien, mais, à
partir de son contexte large, concernant les devo irs de ('orateur sur le plan moral et politique,
nous en retirons des conclusions différentes.
184
Nous citons ci-dessous la suite du discours de CICÉRON, De /'orateur 11,67- 70, pp.
33-35 (traduction Edmond COURBAUD, 19593) , car elle nous paraît éclairante pour une meil-
leure appréciation de l'ex hortation dans l'art oratoire ancien, d'autant qu'à notre connais-
sance elle n'a jamais été produite dans la discussion : « 67 Que si nous voulons rattacher à
la compétence de l'orateur ces questions indéterminées elles-mêmes, masse flottante, sans
limites, d'étendue immense ; si nous croyons qu'il doit être en état de parler sur le bien et le
mal, les choses à rechercher ou à fuir, l'honnête et son contraire, l'utile et l' inuti le, sur la
vertu, la justice, la continence, la prudence, la grandeur d 'âme, la libéralité, la piété, ('amitié,
la bonne foi, le devoir, bref toutes les vertus et sur leurs contraires, tous les vices ; puis sur
la république, le commandement, la guerre, ] 'administration et mœurs des hommes : eh
bien ! soit, assignons-lui cette tâche, mais à condition qu'elle reste circonscrite dans des
limites raisonnables. 68 Assurément, ce qui regarde les usages, la coutume, les relations
sociales, le sentiment et la raison universels, la nature et le caractére de l'espèce humaine,
tout cela, selon moi , est du ressort de! 'orateur ; non pas que sur chacune de ces questions il
soit tenu de répondre à la maniére des ph ilosophes, mais il saura en mêler habilement la
substance à ses plaidoiries ; il saura même en parler comme ceux qui ont fondé le droit, les
lois, les États, j'entends d ' une façon simple et lumineuse, sans se perdre jamais dans une
série de discussion ni dans de stériles querelles de mots.
69 Avant d'aller plus loin, et pour qu ' on ne s'étonne pas si je ne donne aucun précepte
sur tant d 'objets d ' une telle importance, je pose le principe suivant : dans tous les arts,
lorsqu 'on a enseigné les parties les plus difficiles, le reste, ou parce qu'il est plus facile que
celles-ci ou parce qu ' il leur ressemble, n'a pas besoin d'être montré. Ainsi dans la peinture
par exemple, celui qui a bien appris à représenter la figure humaine, pourra lui donner en-
suite, même sans autres leçons, la forme ou l'âge qu ' il voudra. Il n'est point à craindre, non
plus, que l'animalier qui excelle à peindre un lion ou un taureau, ne sache pas rendre avec la
même sûreté les autres quadrupèdes. Aucun art 11 'exisle, où le maitre enseigne tout ce que,
par le moyen de cet art, il est possible de faire. Quand une fois l'on possède les principes
essentiels et les règles générales, on les applique sans effort aux cas particuliers. 70 Il en est
178 Chapitre 4: la «rhétorique paulinienne». éléments de méthode
Au rer siècle av. J.-C. , on admettait donc que, pour n' importe quel type de
sujet allant au-de là des plaidoyers et rentrant d ' une certaine manière dans le
troisième genre de l'art oratoire, le genre épidictique ou les panégyriques 185 , il
n'éta it pas nécessaire d'établi r des préceptes supplémentaires:
« 49 [ ... ] - Voic i maintenant une mission fréquemment confiée à nos premiers citoyens :
transmettre quelque message au sénat de la part d'un général ou à un général , à un roi, à
un peuple, de la part du sénat. De ce que, en pareille circonstance, une élocution p lus
soignée est de rigueur, s'ensuit-i l q ue cette variété de discours doive compter à part et
posséder ses règles spéciales ?
- Null ement, répondit Catulus. L 'homme exercé à la parole ne sera pas, en ces occasions,
à court de ressources ; il les tirera de ses connaissances antérieures et des causes déjà
plaidées.
50
- Eh bien ! il en sera de même pour ces autres matières qui, ex igeant le ta lent de la
parole, rentrent (je d isais tout à l' heure en célébrant l' éloquence) dans le domaine de
l'orateur. Elles n'ont pas leur place parmi les différents genres de discours, elles ne sont
pas soumises à des règles particu lières ; et cependant elles ne demandent pas moins de
talent oratoire que les plaidoyers : telles sont les réprimandes, les exhortations, les con-
solations. Il n'est aucune d'entre e lles qui ne réclame tous les ornements de la diction ;
mais elles ne vont pas chercher dans un ouvrage théorique les préceptes nécessaires.
En outre, le manque de préceptes spéc ifiques de l'art oratoire au sujet des ex-
hortations ne veut pas dire nécessairement que l 'on ne puisse pas repérer, dans
les sections exhortati ves pauliniennes, les tra its typ iques des micro -unités
de même dans ce que nous appelons/ 'art 011 l'exercice de la parole. L' homme, dont le talent
s'élève à une te lle puissance qu ' il est capable, s' il défend ses intérêts ou ceux de la répu-
blique, s'i l parle en faveur d ' un client ou combat un adversaire, d'entraîner à son g ré les
auditeurs qui ont la décision en leurs mains, un tel homme, sur n ' importe quel autre sujet
d'ordre général, ne sera pas plus embarrassé pour savoir comment s'exprimer [ ... ]». C'est
nous qui soulignons.
185
Voir CICÉRON, De l 'orateur II ,43-48.
186
Ainsi CICÉRON, De l 'orateur 11,49- 50, pp. 26- 27 (traduction Edmond COURBAUD,
19593). C'est nous qui soulignons.
3. la «rhétorique paulinienne» 179
187
Par ailleurs, l'on note que d'après la Rhétorique à Herennius 11,28,30, pp. 60- 61 (tra-
duction Guy ACHARD, 1989) : « 28. Donc! 'argumentation la plus complète et la plus parfaite
est celle qui comprend cinq parties: la proposition (proposilionem), la preuve (rationem) , la
confirmation de la preuve (rationis co11fcrmationem), la mise en valeur (exornationem) , le
rèsumé (conplexionem) (...]», p. 59 ; mais que celles-ci ne sont pas toujours nécessaires, car
« 30. [... ] li y a des cas où l'on doit laisser de côté le résumè, si la cause est assez brève pour
qu'on puisse la retenir aisément ; il en est où l' on doit éviter de mettre en valeur, si l' affa ire
paraît trop mince pour qu 'on lui donne de l'ampleur et de l'éclat. Si l'argumentation est
courte et la cause dépourvue de grandeur et d' intérêt, il ne faut pas employer ni mise en
valeur ni résumé ». Par conséquent, ! 'argumentation la plus courte se compose de trois par-
ties : proposition, preuve, confirmalion de la preuve.
188
Raymond F. COLLINS, First Corinlhians, (Sacra Pagina, 7), The Liturgical Press, Col-
legeville 1999, cité par Troy W. MARTIN, « Invention and Arrangement in Recent Pauline
Rhetorical Studies. A Survey of the Practices and the Problems », p. 66, n. 90, considère,
lui-aussi, que ces deux parties essentielles du discours, « statement and proof », constituent
« l'outi l d'analyse le plus efficace».
189 Ainsi Giuseppe BARBAGLIO, « Les lettres de Paul : contexte de création et modalité
201La conjonction ycip est attestée maintes fois dans tout le Nouveau Testament ( 1036
occurrences), mais les occurrences les plus nombreuses sont attestées précisément ici dans
la lettre aux Romains (à peu prés une occurrence tous les trois versets). Voir Friedrich BLASS
- Albert DEBRUNNER, Grammatica del greco del Nuovo Testamento , nouve lle édition par
Friedrich REHKOPF, édition italienne par Giordana P1s1 , (Supplementi al Grande lessico del
Nuovo Testamento, 3), Paideia, Brescia 1982, p. 551 , § 452. Ce caractère argumentati f de
Rm 14, 1-15, 13 est reconnu aussi, bien que d'une manière rapide, par Stan ley E. PORTER,
«Ancien! Literate Culture and Popu lar Rhetorica l Knowledge. Impl ications for Study ing
Pauline Rhetoric », p. 11 O.
202 La conjonction ycip indique principalement un rapport causal entre deux expressions,
dont celle qui suit motive et expl ique celle qui précède. Karl- Heinz PRIDI K, « ycip » , in Horst
BALZ - Gerhard SCHNEIDER (éds.}, Dizionario esegetico del Nuovo Testamento , ( lntrodu-
zione allo studio de lla Bibbia. Supplementi, 15}, Paideia, Brescia 2004, vol. 1, col l. 628- 630,
ici col. 629.
203 Quelques statistiques : le chapitre de la lettre aux Romains qui détient dans ! 'absolu
le maximum d'occurrences de ycip est Rm 8, avec ses 17 occurrences en les 39 vv. À l'in-
verse, le chapitre de la lettre aux Romains qui présente, dans l' absolu, le moins d'occurrences
d e ycip est Rm 16 (il s'agit précisément d'une longue liste de salutations}, avec ses 3 occur-
rences en 33 vv. Le chapitre de la lettre aux Romains dont le rapport entre le nombre d'oc-
currences de ycip et le nombre d e versets est le plus é levé est Rm 13, avec ses 10 occurrences
en 14 vv. Enfin, toujours d'après ce dernier type de classement statistique, Rm 14 suit Rm
13 en deuxième position, quant au nombre d 'occurrences d e ycip, à savoi r 12 en 23 vv. Voir
le tableau suivant :
C lasse-
Cha- Nombre
Nombre ment rela-
pitres de récur-
OCCURRENCES de ver- % tif au
de rences de
sets nombre de
Rm ycip
versets
1 9.l l.16fbis].17.18.19.20.26 9 32 28,21 9
2 1rbis l.1 1. 12.13.1 4.24.25.28 9 29 3 1,03 8
3 2.3.9.20.22.23.28 7 31 22,58 13
4 2 .3.9.13.1 4. 15 6 25 24 12
5 6.?rbisl. 10.13.15.16. 17.19 9 21 42.85 6
6 5.7. t o . 14rbisl. 19.20.21.23 9 23 39, 13 7
l.2.5.7.8. 11.1 4.15[bis].18
7 13 25 52 3
fbisl.19.22
2.3.5.6.7[bis]. 13.14.15. l 8.1
8 17 39 43,58 5
9.20.22.24fbis].26.38
1 1 ex
9 3.6.9. 11.15.17. 19.28 8 33 24,24
œquo
10 2.3.4.5. 10.11.12rbisl.13. J6 10 21 47,61 4
1. 15 .21.23.24.25,29.30.32.3
Il 10 36 27,77 10
4
12 3.4. 19.20 4 21 19 04 14
3. la «rhétorique paulinienne» 183
204
Selon Jean-Noe! ALETTI, Comment Dieu est-il juste ? Clefs pour interpréter/ 'épître
aux Romains, p. 36 : «Ce qui distingue la propositio des autres thèses importantes de
I' Apôtre, c'est qu 'elle engendre un développement qui a pour fo nction de ! 'expliquer, de la
clarifier et de la justifier. Bref, une propositio n'annonce pas seulement une thématique, elle
n'exprime pas seulement une thèse, voire une idée chére à !'écrivain ou à l'orateur, elle
déc lenche, elle engendre une argumentation, laquelle forme une micro- ou une macro-unité
littéraire ».
205 « L 'adaptabilité et la flexibilité sont les traits distinctifs de la rhétorique paulinienne.
Par conséquent, nous sommes d 'avis que Rm 14, 1- 15, 13 constitue une exhor-
tation adm irab lement serrée et raisonnée, vouée à montrer la nécessité de l 'ac-
c ue il réc iproque et de la paix communautaire (cf. Rm 14, 19), cela en vue de la
louange et de ! 'adoratio n commune de tout chrétien, qu'il soit d 'origine juive
ou d 'orig ine païenne ( 15,8- 13), et qu'e lle peut donc être étudiée comme une
unité rhétorique cohérente. Dans ces conditions, l'application de l'approche
rhétorique à l'ensemble de Rm 14, 1- 15, 13 , à lire dans le contexte large de la
lettre aux Romains et notamment à l' intéri eur de sa macro-section exhortative
et éthique en Rm 12, 1- 15, 13, nous paraît tout à fait appropriée pour suivre de
près « la dynamique et la logique du disco urs »208 de Paul, aussi bien que I ' in-
tention du texte d'engager le lecteur à le s uivre209 .
En fin, le fa it de distinguer dans un texte ce qui est l' intention primaire, voire
décisive, de son auteur, par rapport à ce q ui est, en revanche, accessoire, ou
subs idiaire, nous permettra auss i de distinguer ce qui est le plus important
parmi les choses essentie lles, et de no us foca liser davantage sur les buts réels
et les ra isons pratiq ues qui sont à la base des lettres de Paul 210 .
« La vraie va leur de !'ana lyse rhétorique des diverses lettres de Paul réside dans le fait
qu'elle nous permet de savoir l'objectif qu ' il cherchait à atteindre et le dessein qu 'il ex-
posa it en écrivant telle ou telle épître . la connaissance de son style rhétorique nous em-
pêche ainsi de sous-évaluer ou de surévaluer tel aspect particulier de son argumentation.
Si nous ne discernons pas quand ! ' apôtre est ironique ou sarcastique, ou lorsqu 'il parle à
mots couverts, nous passerons à côté de la force de son raisonnement »211 .
C'est cela, effecti vement, l' exigence principale posée par l'ana lyse de l'argu-
mentation:« l' interprétation d'un texte ne s ' épuise pas dans l'explication de
ses divers énoncés, ma is e lle do it assumer le devoir de rendre compte des rap-
ports logiques et argumentatifs dans lesque ls le texte les insère »212 •
208 Ains i Christian GRAPPE, « Paul et la rhétorique. Regard sur l' histoire et les enjeux
d ' un débat», p. 528 ; cf. François VOUGA, « Anal isi retorica e interpretazione esistenziale »,
in Protestantesimo 49, 1994, pp. 256- 27 l , ici pp. 269- 270 ; Jean-Noël ALETTI , « Paul a-t-
il été un écriva in ?», in le monde de la Bible 123, 1999, pp. 56-6 1, ici p. 58.
209
Sur le « pouvoir du texte », cf. Wi lhelm W UELLN ER, « Critica retorica », pp. 242,
244- 245.
2t0 Voir Frank W. HUGHES, « Pau l and Traditions of G reco-Roman Rhetoric » , p. 95.
2 11
Ainsi Ben WITHERINGTON, Histoire du Nouveau Testament et de son siècle, (Théolo-
gie Biblique), Excels is, Charols 2003, p. 255 (c'est nous qui soulignons).
212
Ains i François VOUGA, « Analisi retorica e interpretazione esistenz iale », p. 270.
Chapitre 5
À l'écoute de Rm 14,1-15,13,
une analyse rhétorique
Jean-Jacques Robrieux 1
1
Jean-Jacques ROBRIEUX, Rhétorique et argumentation, (Lettre Sup), Armand Colin, Pa-
ris 20123 , p. 13. C'est nous qui soulignons.
2
Voir inter alia Angelo COLACRAI, For=a dei deboli e debole::a dei potenli. la coppia
« debole.forte »ne/ C01p11s Paolinum, San Paolo, Cinisello Balsamo 2003, pp. 506- 507.
186 Chapitre 5 : Â l 'écoute de Romains l 4, l- 15, l 3, une analyse rhétorique
rique que lorsque la finalité du discours est bien de " faire passer" un message». C'est pré-
cisément le cas de Paul !
4
« Paul's Rhetorical Vision and the Purpose of Romans : Toward a New Understan-
ding », in Novum Testamenwm XXXII, 1990, pp. 325- 339, ici p. 321 ; cf. p. 325 : une si-
tuation de méfiance et d' intolérance.
5
Voir Jean-Noël ALETTI, « La rhétorique paulinienne : construction et communication
d' une pensée », p. 47.
6
Ainsi Robert JEWETT, Romans. A Commentary, p. 40.
7
Ibidem.
8
Ai nsi Paul BONY, Un Juifs 'explique sur l 'Évangile. La Lettre de Paul aux Romains, p.
327 ; cf. François VOUGA, Il cristianesimo delle origini, p. 97.
9 Nous empruntons cette expression à Alain GIGNAC, L 'épître aux Romains, pp. 448, 498.
1. l 'unité rhétorique de Rm / 4, /- 15, / 3 187
Face aux difficultés d ' un certa in nombre de chrétiens à accepter l ' autre, au-
delà de ses convictions et de ses pratiques spiritue lles, et dans un c limat de
tensions internes marquées, Paul, usant de son autorité aposto lique, choisit,
d' une manière quelque peu surprenante, de ne pas juger mais d 'exh orter. Il
évite de jouer à l 'arbitre 10 entre les fa ibles et les fo rts en disant ce qui est bien
et ce qui est ma l 11 . La métaphore de l' arbitre, en effet, ne nous semble pas très
pertinent, car e lle ne sous-tend pas seulement deux côtés à gérer, deux équipes
en compétition, ou encore une controverse à régler, mais aussi, à la fin du
match, la responsabilité de désigner un gagnant et un perdant, d 'i ndiquer qui a
raison et qui a tort. La stratégie de médiation de Paul, du début à la fi n de son
discours, nous apparaît d'ores et déj à beaucoup plus raffi née et sage, même
d' un point de vue psychologique: il reconnaît la diversité et invite à fa ire de
même. À notre avis, Paul a préféré accompagner les uns et les autres sur le
chemin de la paix , pour retrouver le respect et l' unité, au moyen d'un accueil
sans polémique. À cet effet, il joue plutôt la carte du raisonnement, de la ré-
flexion, tout en préférant rester assez discret sur les pratiques des uns et des
autres.
L'ouverture de cette un ité rhétorique ( 14,1 - 15, 13) consiste dans une exhor-
tation, un appel, une injonction aux forts :« Accueillez celui qui est faible dans
la fo i, non pour disputes d'opinions» (14,1) 12 . Paul débute en prenant en
charge d 'abord celui qui est faib le dan s la fo i, ma is son exhortation a finale-
ment une portée plus étendue. Il part au secours de l'individu, de la personne
en soi la plus faible, pour arriver à toute la communauté. Il a princ ipalement à
l' esprit un triple objectif, une triple intention : a) p romouvoir l' accueil réc i-
proque ; b) mettre un terme au c limat de dénigrement ; c) restaurer la pa ix com-
munautaire, en vue de l'adoration et de la louange commu ne.
Afin d 'atte indre ces obj ectifs, Paul va employer une stratégie persuasive. Il
prend soin d 'expliquer le sérieux de la situation et la nécessité d ' un changement
°
1
Contra A ngelo COLACRA I, For=a dei deboli e debo/ez=a dei potenti. La coppia « de-
bole.forte » nef Corpus Paolinum, p. 465, cf. p. 544.
11
Sur ce point, nous sommes entièrement d 'accord avec Doug las J. Moo, The Epistle to
the Romans, p. 832. D' après Haritsima RAZANA DRAKOTO, «Sans la loi mais par la foi ... et
dans l'un ique corps. Exégèse de Romains 12, 1- 15, 13 », in Études Théologiques et Reli-
gieuses 93, 20 18, pp. 133- 143, ici p. 139, « L' important pour Paul n'est pas de savoir qui a
tort ou qui a raison, mais de se remettre en question en se situant dans une re lation triangu-
laire et en considérant que le "moi" et " l'autre" sont sur un pied d'égalité devant Dieu ».
12
C 'est nous qui traduisons.
188 Chapitre 5 : Â l'écoute de Romains l 4, l- 15, l 3, une analyse rhétorique
13 Jean-Noël ALETTI, « Romani 14, 1- 15,6 : di nuovo alla ricerca di chi sono i forti e chi
19
Voir Jean-Noël ALETTI, « Romans», in Wi lliam R. FARMER (éd.), The International
Bible Commenta1y. A Catholic and Ecumenical Commentary for the Twenty-First Centwy,
The Liturg ica l Press, Collegevi lle 1998, pp. 1553- 1600, ici pp. 1599- 1600.
20
Voir Romano PENNA,« La questione della dispositio rhetorica nella lettera di Paolo ai
Romani. Confronto con la lettera 7 di Platone e la lettera 95 di Seneca », in ID., Paolo alla
chiesa di Roma, pp. 7 1- 98, ici p. 97.
21 Voir Odette MAI NVILLE, Un plaidoyer en faveur de l'unité. la lenre aux Romains.
22
idem , p. 134.
23 idem, p. 8, cf. p. 13.
24
Voir A lessandro SACCHI, « Alla Chiesa di Roma », p. 183.
25
« Parenesis and Peroration. The Rhetorical Function of Romans 12: 1- 15: 13 », pp. 206-
227.
26
Mark D. G IVEN, « Parenesis and Perorat ion. The Rhetorical Function of Romans 12 : 1-
15: l 3 », p. 2 15, Tableau 1 : Exordium (l , l - 15) ; Propositio (1 , 16- 17) ; Narratio (1, 18-
3,20; notamment 3,9- 20) ; Argumentatio ( 1, 16-11 ,36) - Peroratio ( l 2, 1- 15, 13) ; Argument
1 (3,2 1- 5, l I ) - Application 1 ( 12, l - 3); Argument 2 (5 , 12- 6, l 4) - Application 2 ( 12,3- 8);
190 Chapitre 5 : Â l 'écoute de Romains l 4, l- 15, l 3, une analyse rhétorique
Argument 3 (6, 15- 8,8, cf. 2,6- 16) - Appl ication 3 ( 12,9- 13, 10) ; Argument 4 (8,9- 39) -
Application 4 ( 13, 11- 14) ; Argument 5 (9- 11 ) - Application 5 ( 14,1- 15, 13).
27
Voir Mark D. GIVEN, « Parenesis and Peroration. The Rhetorical Function of Romans
12:1- 15:13 », pp. 2 14- 225.
28
idem, pp. 223- 225.
29 The Climax of the Covenant. Christ and the Law in Pauline Theology, Fortress, Min-
neapo lis 199 1, p. 235, in Robert JEWETT, Romans. A Commentary, p. 84. Cf. A. Andrew
DAS, Solving the Romans Debate, pp. 39-40.
Jo En ce sens, nous apprécions beaucoup ! 'approche générale proposée par Douglas J.
Moo, The Epistle Io the Romans, p. 832.
J I idem, p. 828, n. 7. Cf. Peter J. TOMSON, « Jewish Food Laws in Early Christian Com-
mun ity Discourse », in Semeia 86, 1999, pp. 193- 2 11 , ici pp. 204- 205 ; Sigve K. TONSTAD,
The Leuer to the Romans: Paul among the Ecologists , p. 337.
/. l 'unité rhétorique de Rm 14, 1- 15, 13 19 1
peu faibles32 , nous sommes également d' avis que la relation de Rm 14, 1- 15, 13
avec l'ensemble du discours théologique développé en Rm 1- 11 , notamment
avec la propositio principa le de toute la lettre (Rm 1, 16- 17)33 qui est récapitu-
lée et approfondie en 3,21 -3 134 , peut et doit être réévaluée, et cela en fonction
des deux éléments suivants.
li y a d 'abord la centralité du thème par excellence qui traverse toute la
lettre: la foi (m'.onç - mot Euw)35 en relation à l'Évangile de Jésus-Christ36.
Notre unité rhétorique s'ouvre et se referme, en fait, sur le même thème. Il
s'agit en effet d 'accueillir« celui qui est faible dans la foi (tlj 1TLOtEL) » (Rm
14, 1). Les tensions existant parmi les croyants à Rome 37 touchent à la foi des
uns et des autres : « La fo i de l'un (oç µÈv nwtEUEL ) 38 lui permet de manger
32 Voir Jean-Noël ALETTI, Israël et la loi dans la lettre aux Romains, p. 15. Cela est
particulièrement vrai, par exemple, pour Rm 12,9- 2 1 : « une sèrie d' instructions vaguement
liées ». Cf. inter alia Karl BARTH, A Shorter Commentary on Romans, with an lntroductory
Essay by Maico M. MICHIELIN, Translation of Karl Barth text by D.H. VAN DAALEN, Ashgate
e-Book, Aldershot - Burlington 2007, pp. 95- 96 ; Douglas J. Moo, The Epistle ta the Ro-
mans, p. 747.
33 R.m 1, 16- 17 avait été déjà défini en 19 16 par Marie-Joseph LAGRANGE, Épître aux
Romains, p. XXXVI, comme étant « une véritable propositio selon les préceptes de la rhé-
torique ancienne (QUINTILI EN, Institution oratoire VII, 1,4) »; cf. p. XXX IX et, inter alia,
Bruno MAGGION I, Il Nuovo Testamento. Conoscerlo, leggerlo, viverlo, (Guida alla Bibbia),
San Paolo, Cinisello Balsamo 20 13, pp. 72, 75 ; Marty L. REI D,« A Rhetorical Ana lys is of
Romans 1: 1- 5:21 with Attention Given to the Rhetorical Function of 5: 1- 21 >>, p. 258.
34
Voir Ben WITHERINGTON Ill with Darlene HYATT, Paul 's letter ta the Romans. A
Socio-Rhetorical Commentary, Eerdmans, Grand Rapids - Cambridge 2004, p. 99.
35 La lettre aux Romains est l'écrit néotestamentaire où le mot TTLOtLç revient le plus sou-
vent (40 occurrences, cf. Rm l ,5.8.12.17(ter]; 3,3.22.25.26.27.28.30(bis).31 ; 4,5.9.11. 12.
13. 14.16[bis).19.20 ; 5, 1.2 ; 9,30.32; 10,6.8. 17 ; 11 ,20 ; 12,3.6 ; J4.J.22.23[bis}; 16,26) ;
et aussi le troisième écrit du Nouveau Testament, après l'Évangile de Jean (98 occurrences)
et après les Actes (37 occurrences), dans lequel revient le plus souvent le verbe motEuw (2 1
occurrences, cf. Rm 1, 16 ; 3,2.22 ; 4,3.5. 11.1 7. 18.24 ; 6,8 ; 9,33 ; 10,4.9.1 O. l l. 14[bis]. l 6 ;
13,11 ; 14,2' 15,13).
36
D'après Michael WOLTER, Paul. An Outline of His Theology, pp. 81- 82, « foi »
(TTlonç) et « croire » (moreuw) signifient non seulement l'acte de « devenir chrétien », la
conversion, mais aussi « l 'être chrétien», l'existence chrétienne, au sens d'une adhésion ou
d'une orientation permanente de la vie en et vers Christ. De plus, pour le dire avec les caté-
gories sociologiques introduites par James D.G. DUNN, cette « foi en Christ » fo nctionne
comme marqueur d'identité définissant la communauté chrétienne.
37 Contre la menace de la désunion, toujours dans le contexte littéraire proche de Rm
14, 1- 15,13, Pau l, parmi d' autres encouragements, exhorte aussi les croyants romains à se
conduire« sans querelles ni jalousie(µ~ ËpLÔL Kal (~ÀCiJ) » ( 13, 13, cf. 1 Co 3,3 ; 2 Co 12,20),
comportements qui , d' après Ga 5,20, figurent parmi les œuvres de la chair. Voir aussi infra.
38 Certes, en Rm 14,2, le véritable sens du verbe TTWtEuw est discuté. D'après Friedrich
BLASS - Albert DEBRUNNER, Grammatica del greco del Nuovo Testamento , § 397.2, p. 483,
cité également par Joseph A. FITZMYER, lettera ai Romani. Commentario critico-teologico,
p. 8 15, il n'aurait pas le sens de « croire » mai s celui « d'avoir le courage de risquer, de se
192 Chapitre 5 : Â l'écoute de Romains l 4, l-15, l 3, une analyse rhétorique
de tout [le fort, ndr] , tandis que ('autre, par faiblesse [étant faible, &a9EVwv,
sous-entendu dans la foi , ndr], ne mange que des légumes» (Rm 14,2, cf. aussi
les vv. 22- 23). Il y a plus. La volonté pauli nienne que l'on parvienne à un
accueil possible et pacificateur en fonction de la situation donnée s'exprime
par un appel qui s'adresse aux uns et aux autres (Rm 14, 1 ; 15,7) et par une
prière au« Dieu de l'espérance», afi n qu' il les comble tous de joie et de paix
précisément « dans la foi (Êv te.\) motEÛELv) » (Rm 15, 13). Des valeurs qui
devaient faire défaut dans la communauté de Rome, illo tempore. La prem ière
et la dern ière occurrence du verbe TTWtEÛw (cf. l , 16 et 15, 13) forment ainsi une
macro inclusion, un cadre bien organisé pour ('ensemble du message paulinien.
Ce n'est certainement pas fortui t39 .
En outre, la propositio principale de la lettre établit au cœur de ('Évangile
le salut « de quiconque croi t, du Juif d'abord, puis du Grec (mxvtl. te.\)
TTWtEÛovn, 'loufo[c.y tE TTpwrnv Kat "EUTJVL) » (v. 16)40 . Or ce« Juif» et ce
«Grec » sont les «représentants» emblématiques de ceux que l'on retrouve
aussi en Rm 15,7-13 , dans la dernière péricope de notre unité rhétorique, à
savoir le peuple d ' Israël (ou « ceux de la circoncision», v. 8) et les païens (ou
« les Nations», les« non-juifs », les «étrangers», v. 9). Ce couple représen-
tatif traverse lui aussi ('ensemble de la lettre et englobe tout être humain (Rm
2,9- 10; 3,9; 10, 12) 41 ; de la même manière que les autres« binômes » :
'Ioufoîoç - Ë9voç (Rm 3,29 ; 9,24) 42 , et encore TTEpLtoµ~ - àKpo~uot[a (Rm
2,25- 27 ; 3,30 ; 4 ,9- 12)4 3 . lis sont appelés, tous ensemble, à se réjouir et à
louer Dieu : « Nations, réjouissez-vous avec son peuple» (Rm 15, 10, cf. v. 11 ).
De cette manière, Rm 14, 1- 15,13 constitue un « exemple pratique » concer-
nant essentiellement la question des rapports complexes (non seulement de
continuité, non seulement de rupture ... ) entre Juifs et païens, entre Loi et
sentir à la hauteur de faire quelque chose». C'est aussi le sens qui apparaît en note dans la
Traduction Œcuménique de la Bible ( 1998 8), p. 2730, note n) : «Litt. l'un croit (pouvoir)
manger de tout. Le verbe croire, comme le mot foi aux v. 22 et 23 , est employé en un sens
assez particulier. li ne s'agit pas directement de la foi salvifique considérée en e lle-même
(comme en 3,21 - 26), mais des jugements pratiques que cette foi entraine , dans le doma ine
du comportement : celui qui est fort dans la foi sait qu ' il n'est plus lié par les observances
légales ; celui dont la foi est faible croir qu'il y est encore soumis». li n' en reste pas moins
vrai , pour notre part, que la répétition à distance de ce même verbe sert à fournir, de toute
façon, un lien et un cadre bien cohérent (cf. Rm 14,2 et 15, 13).
39 En ce sens, James D.G. DUNN, Romans 9- 16, p. 853, sou ligne que la locution : Èv •<ï>
rrtotEUHv n'est pas ici accidentelle, car elle permet à Paul de rattacher sa longue exposition
( 1, 18- 15, 13) à son thème principal (1 , 16- 17).
40
Voir Jean-Noël ALETTI, « Rétribution et jugement de Dieu en Rm 1- 3. Enjeux du pro-
blème et proposition d ' interprétation», in Didaska/ia XXXVI, 2006, pp . 47- 63, ici p. 47.
41
Cf. 1Co1 ,22; 12, 13 ; Ga 3,28; Col 3, 11 ; Ac 14, 1 ; 18,4 ; 19, 10 et passim.
42 Cf. 1Co1 ,23; Ga 2, 14- 15 ; Ac 14,5.
43
Cf. 1Co7, 19 ; Ga 2,7 ; 5,6; 6, 15 ; Ep 2, 11 ; Col 3, 11.
2. Paul et sa recherche des a1guments 193
Évangile, entre Ancien (ou Premier) et Nouveau Testa ment«, ou, dit encore
autrement, l '« application pratique »45 du thème principal de la lettre aux Ro-
mains, pour et à partir d 'une communauté de croyants réellement menacée par
le conflit interne et la div ision, les sujets de controverses n 'étant, en fait, qu ' un
symptôme d ' un ma laise relationne l beaucoup plus ample 46.
44
Voir Douglas J. MOO, The Epistle to the Romans, p. 832.
45
Ainsi Charles K. BARRETT, La teologia di San Paolo. lntroduzione al pensiero
dell'apostolo, (Universo Teologia. Biblica, 52), San Paolo, Cinisello Balsamo 1996, p. 67 ;
cf. Rinaldo FABRIS, Paolo, l 'apostolo delle genti, pp. 424-425. En explorant les liens qui
unissent Rm 1- 5 avec Rm 14- 15, Simon GATHERCOLE, « Romans 1- 5 and the "Weak" and
the "Strong": Pau line Theology, Pastoral Rhetoric, and the Purpose of Romans», pp. 40- 48,
a montré, de son côté, l'intérêt de ma intenir ensemble dans le discours de Paul, comme dans
l'expérience chrétienne, la théologie et la pratique pastorale (cf. p. 49).
46
Voir Bernhard OESTREICH, Pe1forma11ce Criticism of the Pauline Letters, p. 163. À
propos de l' importance de la nourriture comme symbole majeur de communion et de partage,
voir Peter J. TOMSON, « Jewish Food Laws in Early Christian Community Discourse », pp.
196- 197.
47
Cf. Roland BARTHES,« L'ancienne rhétorique. Aide- mémoire», p. 206.
48
Ainsi Antonio PITTA, Lettera ai Romani. Nuova versione, introdu=ione e commento , p.
28.
49
Voir Hei nrich LAUSBERG, Handbook of Literary Rhetoric. A Foundation for Literary
Study, § 260, p. 11 9.
50
Voir Chaïm PERELMAN et Lucie ÜLBRECHTS-TYTECA, Traité de l 'argumentation. La
nouvelle rhétorique, pp. 8- 9.
51 Ces accords peuvent être groupés en deux catégories : ceux qui concernent le réel : les
fai ts, les vérités et les présomptions ; et, ceux qui concernent le préférable : les valeurs, les
hiérarchies et les li eux du préférable. Ainsi Chaïm PERELMAN et Lucie ÜLBRECHTS-
TYTECA, Traité del 'argumentation. La nouvelle rhétorique, pp. 87- 88.
194 Chapitre 5 : Â l'écoute de Romains l 4, l- 15, l 3, une analyse rhétorique
52
Voir George A. KENNEDY, Nuovo Teswmento e critica retorica, p. 28.
53
Voir ARISTOTE, Rhétorique 1,2,8 ; Roland BARTHES, « L'ancienne rhétorique. Aide-
mémoire », p. 200.
54
Dans la lettre aux Romains appara issent 45 citations bibliques ayant une fonction ar-
gumentative, alors que dans l Co, 2 Co et Ga réunies, on ne rencontre que 28 citations. Voir
Romano PENNA, Leuera ai Romani. /. Rm 1- 5. lntroduzione, versione e commento, (Scritti
delle origini cristiane, 6), Dehoniane, Bologna 2007, p. 62.
55 D'après Giuseppe BARBAGLIO, « Les lettres de Paul : contexte de création et moda lité
constituent pour Paul (' argument d ' autorité par excellence58. En matière de rhé-
torique, notamment pour les discours de genre épidictique, on parlerait de« va-
leurs incontestées», voire de valeurs admises ou reconnues soit par ('orateur,
qui se veut à leur service, soit par son auditoire, avec lequel il aspire à commu-
nier59.
Par ailleurs, les« Écritures saintes» représentent, pour Paul comme pour tout
juif de son temps, le témoignage de la mémoire et de l' hjstoi re vivante d' Israël.
Une histoire traditionnelle qui remonte d' abord à Abraham, le premier patriarche
des juifs (Rm 4 ; 9,7 ; 11 , 1), à Adam, c'est-à-dire aux origines de toute l' huma-
nité (Rm 5, 14, cf 1 Co 15,22.45) ; et qui se prolonge dans l'aveni r eschatolo-
gique par le salut universel d'Israël et des Nations (Rm 11,25- 26 ; 15,8- 13). Le
point de convergence de cette histoire de salut inclusive est Jésus Christ, « le
rejeton de Jessé » (Rm 15, 12, cf. Es 11 , 1.10), le Seigneur de tous (Rm 10, 12, cf.
14,8-9).
58 Voir inter a lia Antonio Prrr A, Lellera ai Romani. Nuova versione, introdu=ione e com-
mento, p. 29.
59
Voir Chaïm PERELMAN et Lucie ÜLBRECHTS-TYTECA, Traité de l 'argumentation. La
nouvelle rhétorique, pp. 68- 69. À propos de l' importance et de la valeur prophétique que
Paul attribue aux Écritures, tout au long de sa lettre, voi r supra « Chapitre 1 : La lettre aux
Romains dans son contexte socio-historique ».
60
Voir Johan S. Vos, « "To Make the Weaker Argument Defeat the Stronger": Sophisti-
cal Argumentation in Paul 's Letter to the Romans», in Anders ERIKSSON, Thomas H. ÜL-
BR.ICHT and Walter ÜBELACKER (éds.), Rhetorical A1gumentatio11 in Biblical Texts. Essays
/rom the Lund 2000 Co11ference, (Emory Studies in Early Christianity), Trinity Press Inter-
national, Harrisburg 2002, pp. 217- 23 1, ici p. 220.
196 Chapitre 5 : Â l'écoute de Romains l 4, l-15, l 3, une analyse rhétorique
73
L'image est empruntée à Antonio PITTA , Lellera ai Romani. Nuova versione, introdu-
=ione e commento, p. 30.
74
Voir Antonio PITTA, « 1 fort i e i deboli ne lie comunità domestiche di Roma ( Rm 14, 1-
15, 13) », in ID., Paolo, la Scrittura e la Legge. An liche e nuove prospellive, pp. 16 1-179, ici
pp. 166-167. Nous avons déjà insisté sur les différences entre Rm 14, 1- 15, 13 et 1 Co 8, 1-
11 , 1, vo ir supra « Chapitre 3 : L' identité controversée des "faibles dans la foi" à Rome ».
Nous reviendrons encore, en un sens inverse, s ur quelques parallé lismes entre ces deux sec-
tions, voir infra.
75
Dans les discours épidictiques, en particulier, il est important que le prestige del 'ora-
teur soit préalablement reconnu par son auditoire. Voi r Chaïm PERELMAN et Lucie OL-
BRECHTS-TYTECA, Traité de /'argumentation. La nouvelle rhétorique, p. 69.
76 Ainsi Chaïm PERELMAN et Lucie ÜLBRECHTS-TYTECA, Traité de l'argumentation. La
nouvelle rhétorique, p. 430.
200 Chapitre 5 : Â l'écoute de Romains l 4, l- 15, l 3, une analyse rhétorique
77
Voir Jean-Noël ALETTI, Israël et la loi dans la leare aux Romains , p. 3 1.
78
Voi r Chaïm PERELMAN et Lucie ÜLBRECHTS-TYTECA, Traité de l 'argumentation. La
nouvelle rhétorique, § 41 : « Figures de rhétorique et argumentation », pp. 225- 231 .
79
Q UINTILIEN, Institution oratoire V il , Avant-propos 1- 3, pp. 106- 107 (traduction Jean
COUSIN, 1977) consacre à l'approfondissement de la dispositio du discours l 'ensemble du
septième livre, do nt voici l' introduction, esquissée au travers d'une série de métaphores fort
intéressantes autant qu 'amusantes: « (... ] comme il ne s uffit pas, quand on constru it des
bâtiments de rassembler des pierres et du bois et tous les autres matériaux utiles au bâtisseur,
et qu ' il faut aussi pour les arranger et les dis poser l ' habileté manuelle des artisans, lorsqu'i l
s'agit de la parole, une abondance copieuse d'idées, si grande so it-elle, ne fourn irait qu ' un
amas et un entassement, si la même disposition ne les ordonnait et ne les liait en les enchaî-
nant entre elles. 2. Ce n'est donc pas sans raison qu 'on a fait de la dispositio n la seconde des
cinq parties de l'art oratoire, puisque, sans e lle, la première ne vaudrai t rien. Ainsi l 'on au ra
beau avoir fondu tous les membres d'une statue, e lle n'aura pas d ' existence, si l'ensemble
n'est pas mis en place ; et si dans notre corps ou celui des autres êtres vivants on pratiquait
une mutation et un transfert, bien que le nombre des parties soit le même, l 'ensemble n'en
serait pas moins un monstre ; et les membres, déplacés même légèrement, perdent leur usage
et leur v igueur, comme des armées en désordre s' embarrassent elles-mêmes». C'est nous
qui so ul ignons.
3. L 'arrangement du discours de Paul sur /'accueil 20 L
D'abord la structure de Rm 14, 1- 15, 13 proposée par Kuo-We i Peng, Hate the
Evil, Hold Fast to the Good. Structuring Romans 12, 1- 15, f (sic !)84, basée sur
« une approche éclectique » voulant tenir ensemble trois approches diffé-
rentes : «exégèse structure lle, analyse du discours et critique rhétorique »85 . À
la suite des travaux et des analyses de H. Yan Dyke Parunak86 et de Michael
Thompson 87 , Peng explique l'exhortation à l' accuei l en Rm 14, 1- 15, 13,
comme une stratégie argumentative christologique en deux panneaux parallèles
(Rrn 14, 1- 15,6 Il Rrn 15,7- 13), structurés sur la base de deux impératifs
( 14, 1 et1 5,7a), sui vis respectivement d ' instructions ( 14,2- 15,4), d' un soutien
à l'exhortation (l5,7b- 12), et enfin d ' une double prière (ou souhait, 15,5- 6 et
80
Voir Jean-Noël ALETTI, « Paul et la rhétorique. État de la question et propositions »,
p. 34 ; cf. ID., « La rhétorique paulinienne : construction et communication d' une pensée»,
pp. 62- 63.
81
Voir Jean-Noël ALETTI, Israël et la loi dans la le/Ire aux Romains, pp. 12- 13.
82
Voir Novum Testamentum Graece, 28° édition du NESTLE-ALAND.
83
Voir George A. KENNEDY, Nuovo Testamelllo e crilica retorica , p. 188. D'après Dou-
glas J. Moo, The Epistle to the Romans , p. 832, Paul combine ensemble« exhortation avec
argumentation théologique ».
84
11 s'agit certainement d' une grave erreur dans le titre, car la monographie (2006) s'oc-
cupe de la section de Rm 12, 1- 15, 13 dans son ensemble, cf. par exemple l'introduction (pp.
1-6) et la conclusion (pp. 199-202). De plus, le titre du Chapitre 6 : « Analysis of 14. 1-15.
13 », dans l'en-tête de toutes les pages impaires (cf. pp. 144- 188), est toujours rendu d'une
manière inexacte : « Analysis of 14.1- 15.3 » (sic !).
85
Voir Kuo-Wei PENG, Hate the Evi/, Ho/d Fast to the Good. Structuring Romans 12,1-
15,1, pp. 7, 199.
86
H. Van Dyke PARUNAK, « Transitional Techniques in the Bible», in Journal ofBiblica/
Litera/ure 102, 1983, pp. 525- 548, notamment pp. 534- 536.
87
Michael THOMPSON, Clothed with Chrisl. The E.xample and Teaching ofJesus in Ro-
mans 12.1- 15.13, (Journa l for the Study of the New Testament. Supplement, 59), Sheffield
Academic Press, Sheffield 1991 , p. 162.
3. L 'arrangement du discours de Paul sur /'accueil 20 3
par exemple, on reste perplexe du fa it que Rm 15, 7-13 soit co nsidéré en même
temps soit comme le deuxième panneau de la stratégie argumentative de Rm
14, 1- 15, 13, soit comme la conc lus io n de ! ' exho rtati on aux fa ibles et aux forts
de Rm 14, 1- 15,6 94 . Il n'est pas c la ir dans que l sens et de que lle manière cette
unité peut avo ir cette do uble fo ncti on. En o utre, il y a une légère hésitatio n
lorsque ! 'auteur confère à Rm 15, 13, qu' il appe lle « prière-souha it », le rô le o u
la fo ncti on de conc lure le deuxième pan neau (Rm 15, 7-13) et a ussi ! 'ensemble
de Rm 14, 1- 15, 1395 _
Par ail leurs, et cela nous paraît être une faiblesse, de notre point de v ue, il
ne fa it presque aucune place à la À.ÉÇLc; (ou elocutio) du discours, pour saisir
l'avantage supplémenta ire q u'elle apporte à l'ensemble de l' a rg umentation en
termes d 'efficacité et d e beauté. Il ne s' interroge pas no n plus sur le genre do-
minant (j udiciaire, dé libératif ou épidictique) de cette unité manifeste ment ar-
gumentati ve, qui aurait en revanche donné une idée pl us cla ire de l' intention
de Paul, ce à quo i Peng semble peu in téressé.
14, 13b ; 14, 16), « Positive ingiunction » (R.m 15, 1- 2) ou encore « Positive ' imperative' »
(Rm 14, 19; 14,22) et « Negat ive ' imperative' » ( Rrn 14,20a). Dans le même esp rit, qu'est-
ce qu 'on doit entendre par « Proposition» (Rm 14, IOb) et quel est sa véritable fonction ?
Que lle est la d ifférence entre« Conclusions» ( Rm 14, l 2- l 3a), « Summaries » (Rm 14, 19-
23) et « Conclud ing ingiunction » (Rm 15, 1-2) ?
94
Voir Kuo-Wei PENG, Hate the Evi/, Hold Fast to the Good. Structuring Romans 12,1-
15,1, pp. 178, 180.
95
Cf. idem, p. 185.
96
Antonio PIITA., « 1 fort i, i deboli e la legge », p. 184 ; ID., Lellera ai Romani. Nuova
versione, introdu=ione e commenta, p. 33.
97
D 'après Antonio PIITA, « 1 forti, i debol i e la legge », p. 185, laprobatio suivrait ici
un modèle de com position circulaire aba ', typique du corpus paulinien .
98
Cette disposition quadripartite (1 4 , 1[2]- 12 ; 14, 13- 23; 15, 1- 6 ; 15,7- 13), avec la-
quelle nous sommes également d ' accord, est probablement celle qui fai t ! ' objet du plus g rand
consensus parmi les s pécialistes modernes, mais avec des justifications toujours différentes.
Voir à cet égard Ernst KASEMANN, Commentary on Romans, p. 365 ; Ja mes D.G. DUNN,
Romans, vol. Il, p. 794- 853 ; Jo seph A. FITZMYER Lettera ai Romani. Commentario critico-
teologico, pp. 813- 8 14 ; Brendan BYRNE, Romans, (Sacra Pagina Series, 6), The Liturgical
Press, Collegeville 2007, pp. 28, 406-407 ; Douglas J. Moo, The Epislie to the Romans, pp.
204 Chapitre 5 : Â l'écoute de Romains l 4, l- 15, l 3, une analyse rhétorique
826-884 ; Simon LÉGASSE, L 'Epistola di Paolo ai Romani, p. 672 ; Robert JEWETT, Romans.
A Commentary, pp. 833, 855- 856, 875, 887- 888 ; Richard N. LONGENECK.ER, The Epistle
to the Romans, pp. 1000- 1OO 1.
99
Voi r Antonio PITTA, Leltera ai Romani. Nuova versione, introdu:::ione e commenta , p.
460.
100 Idem , p. 461 .
IOI La dispositio quadripartite de Rm 14, 1- 15, 13 suggérée par Antonio PITTA (mais pas
seulement) est reprise, avec des légères différences, également par Paul BONY, Un Juifs 'ex-
plique sur l 'Évangile. La Lettre de Paul aux Romains, p. 329 : << Premier mouvement ( 14, 1-
12) : proposition ( 14, 1) : accueillir "le fa ible dans la foi " en respectant la diversité des con-
victions et des options. Second mouvement ( 14, 13- 23) : proposition ( 14, 13): "juger" (déci-
der) de faire attention au "frère", ne pas être pour lui pierre d' achoppement. Troisième mou-
vement ( 15, 1- 6) : proposition ( 15, 1) : aux forts de porter les faibles comme a fait le Christ.
Péroraison ( 15,7- 13) qui élargit la question des rapports faibles/forts en l' éclairant par le
service du Chri st par rapport aux Juifs et aux Nations. Ainsi la péroraison clôt-elle toute la
partie d' exhortation de !'Épître».
BONY identifie ici trois proposiliones (14, 1 ; 14, 13 et 15, l), sans ind iquer une éventuelle
hiérarchie entre elles (â savoir, par exemple, entre propositio et subpropositio), ni aucune
relation significative entre elles. Par conséquent, la logique argumentative du discours ex-
hortatif de Paul n'apparaît pas dans toute sa force et sa cohérence. li ne s'attarde pas suffi-
samment sur la véritable progression rhétorique inhérente au discours de Paul, pris dans son
ensemble, ni sur les arguments utilisés.
wi Voir Antonio PITTA, Leuera ai Romani. Nuova versione, introdu::ione e commenta,
pp. 462-492.
3. L 'arrangement du discours de Paul sur /'accueil 205
IOJ Comme nous l'avons déjà mentionné supra, cf. notamment p. 181 , n. 200, ALETTI
reconnaît dans la section éthique de Rm l 2, l- l S, 13 la présence d'un certain nombre d ' unités
rhétoriques.
104
Nous nous référerons ici au schéma suggéré par Jean-Noël ALETTI, la lellera ai Ro-
mani. Chiavi di lettura, pp. 109- 110.
105
Voir Jean-Noël ALETTI, La Leltera ai Romani. Chiavi di /euura, p. 11 8 ; cf. ID.,« Ro-
mani 14, 1- 15,6 : di nuovo alla ricerca di chi sono i forti e chi i deboli », pp. 98- 99.
106 Voir supra, notamment pp. 169- 172.
206 Chapitre 5 : Â l'écoute de Romains l 4, l- 15, l 3, une analyse rhétorique
Rm 15, 1- 6, Paul pose enfin les bases d ' une vie commune en tant que frères (et
sœurs) : souten ir les faiblesses d 'autrui, chercher à plaire à son prochain selon
le modèle du Christ (15,3)101.
On peut certes reconnaître la pertinence de cette analyse rhétorique plutôt es-
sentielle, mais on est un peu surpris que, contrairement à ce qui se passe pour
d 'autres unités rhétoriques, toujours dans la lettre aux Romains (voir par exemple
la dispositio proposée pour Rm 5- 8) 108, A letti n'ait pas identifié, dans Rm 14, 1-
15, 13, aucune autre thèse secondaire (ou subpropositio) qui reprend et relance
conceptuellement la propositio majeure (ce qu ' il appelle "exhortation-thèse") de
Rm 14, 1.
D'autre part, on s'étonne également qu ' il n'ait pas tiré de profit supplémen-
taire de l' identificatio n en Rm 15,7- 13 d 'une conclusion généralisante, même si
à notre avis (mais pas seulement à notre avis), il semblerait une peroratio rhéto-
rique assez semblable, par exemple, à celle qu ' Aletti lui-même identifie en Rm
8,3 1- 39 109. On constate, enfin, que dans l'analyse de la composition du passage,
Aletti n'accorde aucune place à (' analyse de l 'elocutio que Paul a m is en place
pour atteindre son propos.
107
Voir Jean-Noël ALETTI, La Lellera ai Romani. Chiavi di lettura, pp. 119- 122 ; cf. ID.,
« Romani 14, 1- 15,6: di nuovo alla ricerca di chi sono i forti e chi i deboli », pp. 100-104.
108
Idem , pp. 48-49.
109
Idem , p. 85.
110
Stanley E. PORTER, The Le/Ier to the Romans. A Linguistic and Literary Commelllary,
(New Testament Monographs, 37), Sheffield Phoenix Press, Sheffield 2015.
111
Voir Robert JEWETT, Romans. A Commentary, pp. Vil- X, 30, 724, 833, 855- 856, 875,
887- 888 ; cf. ID.,« Following the Argument of Romans», in Karl P. DONFRI ED (éd.),
The Romans Debate. Revised and Expanded Edition, pp. 272- 276.
3. L 'arrangement du discours de Paul sur /'accueil 207
Pour notre part, nous cons idérons que ('ensemble du discours de Paul en Rrn
14, 1- 15, 13, où se mêlent à la fois exhortation et argumentation, est articulé en
trois parties rhétoriques essentielles, assez faci lement repérables : 1) propositio
princ ipale (Rrn 14, 1), 2)probatio (Rrn 14,2- 15,6) et 3)peroratio amplifiante
(Rrn 15,7- 13), selon le schéma synthétique sui van t :
119
Voir R.m 1, 1- 15 et 15, 14- 16,27.
120
Rhétorique IJI, 13,3.
121
Voir Robert J EWETT, Romans. A Commentwy, p. 724.
122 Nous renvoyons à ce propos au Chapitre 4, au paragraphe : « 3.2 Les exhortations
À regarder de près la progression rhétorique de cette unité 123 , l' on perçoit une
d ynamique é loquente, allant d'un état de faib lesse dans la foi et de critique
transversale vers l' accuei l réciproque et la lo uange communautaire univer-
selle124, d'une perspective locale vers une perspective globale, d 'une dimens ion
historique vers une dimens ion eschatologique.
123 Pou r plus de détails sur notre proposition, voir !' Appendice: Dispositio de Rm 14,1-
Bernhard OESTREICH, Pe1forma11ce Criticism of the Pauline Lellers, p. 157, qui parle de
« chemin linguistique »amenant les auditeurs romains « de la division des croyants en deux
groupes à la formation d ' une nouvelle unité)>.
125
Nous traduisons ici délibérément le sens littéral. Cf. inter alia la traduction proposée
par La Nouvelle Bible Segond. Édition d'étude, Alliance Biblique Universelle, Villiers-le-
Bel 2002 : « Accuei llez celui qui est faible dans la foi, sans discrimination d 'opinions». En
revanche, nous nous écartons ici de la Traduction Œcuménique de la Bible (notamment en
Rm 14, lb) : «sans cri tiquer ses scrupules», car il ne s'agit pas vraiment de« scrupules»
mais d'opinions (owJ..oyLOµwv) , de vues différentes pouvant condu ire, d' après les circons-
tances, à des discussions communautaires animées (cf. Ph 2, 14). La traduction « scrupules»
prête ici à confusion et il convient d 'en éviter l'emploi. Outre le fait que ce mot n'est pas
explicitement présent dans Je texte, il risque d ' introdu ire des connotations psychologiques
négatives qui sont certainement étrangères au discours et aux intentions de Paul. Le mot grec
lov9uµLOv, littéralement « ce qui est à cœur )>,ou encore ce qui préoccupe, ce qui susc ite des
scrupules, est absent du vocabulaire néotestame11taire. Voir à ce sujet Franco MONTANARJ,
Vocabolario della lingua greca, avec la collaboration de Ivan GAROFALO e Daniela MA-
NETTI, fondé sur un projet de Nino MARINONE, Loescher, Tori no 20 133, p. 827. Comme
nous l'avons déjà mentionné supra, en Rm 14- 15 il ne s'agit pas de disputes intra-person-
nelles (conflits de conscience, scrupu les) mais plutôt de di sputes inter-personnelles (conflits
communautaires, divergence d'opinions). Cf. également Peter SPJTALER, « Household Dis-
putes in Rome (Romans 14: 1- 15: 13) », notamment pp. 1 et 60.
126
Ainsi Jean-Jacques ROBRIEUX, Rhétorique et argumentation , p. 3 1. Cf. Francesco
BIANCHI NI, L 'analisi retorica delle lettere paoli11e. U11 'i11troduzio11e, p. 40.
212 Chapitre 5: Â l'écoute de Romains 14, l- l 5, l 3, une analyse rhétorique
la bienvenue et recevoir de bon cœur » (cf. Ac 28,2) ID Bien que nous soyons
d 'accord avec lui quant à l' accueil interpersonnel, voire communautaire, il
reste à expliquer quel est le sens de l'accueil de Dieu et du Christ en faveur des
croyants ( 14,3; 15,7), exprimé par le même verbe. Il nous semble, en effet, un
peu court de se limiter à affirmer : « Dieu a accueill i dans sa fami lle à la fo is
les fa ibles et les forts » 134, sans autres précisions. À notre modeste avis, il y a
plus.
Ce verbe peu fréquent suggère, d'après l'usage qu i en est fait par Paul, un
accuei l aimable, voire fraternel, poussant à prendre l' initiative pour outrepasser
les obstacles à la relation, ou encore un état de tension, de différend. Accueillir,
en ce sens, ne signifie pas« vis et laisse vivre», mais plutôt une ouverture, une
reconnaissance de ! 'autre, ici du frère faible, malgré ses divergences d 'obser-
vances (14,2.5.21) qui risquent de briser la relation et d 'élever des murs épais
de préjugés. Cet accueil doit être accompagné d' une résolution nette de con-
clure une trêve, vo ire un « cessez-le-feu » (cf. 14, lb). En Phm 17, l'accueil
d' Onésime, cet esclave fugitif pour lequel Paul intercède auprès de son patron
Phi lémon, a l'air de signifier presque une réconciliation, un nouveau commen-
cement, un acte de grâce, en dépit du tort éprouvé. C'est le cas, aussi, de l' ac-
cueil de Dieu et de Christ envers tout croyant ( l 4,3c et l 5,7b) 135 . En ce sens,
deux autres emplois du verbe npool..aµpavoµa Lnous apparaissent éclairants. On
les trouve dans la Septante en 1 S l 2,22b et en Ps 26, 10, passages dans lesquels
le sujet du verbe est à chaque fois le Seigneur, YHWH.
En J Samuel 12,22, on trouve la toute première occurrence du verbe
npool..aµpc:tvoµaL dans la Septante. Elle apparaît dans le contexte historique que
constitue le tournant entre la période des Juges et l'inauguration de la monar-
chie. En cette occasion, il est raconté que YHWH, malgré les péchés et le tort
d ' Israël d'avoir demandé un roi comme les autres nations, décide de lui accor-
der son soutien, et même de lui renouveler son alliance, au lieu de le rejeter
(&.nw0ÉoµaL) 136 en tant que son peuple. C'est précisément cet acte d ' acceptation
ultérieure, qui relève de la grâce divine, qu i a été traduit en grec à l'aide du
133
Joseph A. FITZMYER, lettera ai Romani. Commentario crilico-teologico, p. 814. Pour
d'autres détails, voir également Simon LÉGASSE, l 'Epistola di Paolo ai Romani, p. 676 ;
Robert JEWETT, Romans. A Commenta1y, p. 835.
134 Ainsi Joseph A. FITZMYER, Lettera ai Romani. Commentario critico-teologico, p. 815.
135
En Le 15,2 le sens du verbe 11pooôÉxoµm, dont le sujet est Jésus, est proche du verbe
11po0Àllµp<ivoµcu : «Cet homme-là fait bon accuei l (11pooôÉxrnu) aux pécheurs et mange avec
eux ! » Cf. aussi Rm 16,2 où Paul exhorte la communauté romaine à accueillir dans le Sei-
gneur la diaconesse Phoebé ; et Ph 2,29, où Paul recommande aux« saints en Jésus Christ
qui sont à Philippes» de faire de même avec Epaphrodite.
136 Paul utili se ce même verbe 2 fois dans la lettre aux Romains ( 11, 1.2) : « Je demande
donc : Dieu aurait-il rejeté(µ~ &11wocrto) son peuple? Certes non ! Car je suis moi-même
Israélite, de la descendance d'Abraham, de la tribu de Benjamin. Dieu n'a pas rejeté (ouK
&11wocrto) son peuple, que d'avance il a connu.[ ...] ».
2 14 Chapitre 5 : Â l'écoute de Romains 14, l- l 5, l 3, une analyse rhétorique
ou subpropositio, par rapport, d' une part, à la propositio generalis (Rm 1, 16-
17), qui régit tout le corpus de la lettre aux Romains (1, 18- 15, 13), et, d' autre
part, à la « propositio ethica » 144 de Rm 12, 1-2, qui régit la section éthique ou
parénétique de la lettre ( 12, 1- 15,13) 145.
De plus, cette propositio est formulée sous une double perspective : ce qu' il
faut impérativement pratiquer, l'accueil du frère « fa ible dans la foi », et ce
qu ' il faut éviter, les contrastes ou les disputes d ' opi nions(µ~ dç ÔLtxKpLOELÇ
ÔLaÀoywµwv, v. l b) 146. On note au passage lejeu d 'assonance créé par la suc-
cession des deux termes ôtaKpLOELÇet ôtaJ..oywµ wv, une sorte de clin d'œil pour
interpeller. Il ne s'agit pas de forcer la main, d 'essayer de discuter pour con-
vaincre l' autre de son erreur ou de son infraction.
On trouve, dans ce même verset, le thème principal, à savoir la réalisation
d ' un espace apaisé et fraternel où l'on fa it de la place à l'autre, et aussi la cause
des relations communautaires tendues parm i les chrétiens à Rome. Ce n 'est pas
un hasard, en effet, que plusieurs verbes reflètent dans la suite du discours, de
manière directe ou indirecte, ce climat de discussion, de polémique généralisé
et délétère: le verbe Kp[vw apparaît 8 fois ( l4,3 .4.5[bis]. l 0.1 3[bis].22) ; le
verbe ÔL<XKp[voµaL l fois ( 14,23, cf. v. l : ôuxKpwLç) ; le verbe K<XtaKp[vw 1 fo is
( 14,23) ; le verbe ÔOK Lµa (w 1 fois (14,22, cf. v. 18 : ôÜKLµoç) ; et le verbe
ÉÇou8EvÉw 2 foi s (14,3. 10).
Aux yeux de Paul, il y a donc de la place pour des opinions et des pratiques
différentes, pourvu qu 'elles ne soient pas vécues comme des moyens de justi-
fication, de mérite, devant Dieu, ou encore comme des œuvres méritoires en
vue du salut 147 .
En conséquence du contexte, le « faible dans la foi » 148, au-delà de toute
identité historique controversée (voir supra «Chapitre 3 : L' identité contro-
versée des "faibles dans la foi" à Rome »), est un croyant en Jésus présentant
fede , p. 159 ; comme« la thèse qui domine les lignes directrices de Paul », par Richard N.
LONGENECKER, The Epistle to the Romans, p. 1001. C'est nous qui soulignons.
144
Ainsi Andrea ALBERTIN, Il casa dei deboli e dei forti. Rm l 4, 1- 15, 13 corne esempli-
flca=ione di vit a etica alla luce della giustijica=ione perJede , p. 220, n. 135.
145
D' après Antonio PJTTA , Leltera ai Romani. Nuova versione, i111rodu=io11e e commenta,
p. 34, n. 69, Rm 14,1 est la dernière des thèses secondaires de la lettre aux Romains (cf.
1,18; 3,21 - 22 ; 5, 1- 2 ; 6,1.1 5 ; 7,7 ; 8, 1- 2 ; 9,6 ; 10,4 ; 11 ,2.25 ; 12,1- 2 ; 13, 1).
146
Voir Gerhard DAUTZENB ERG, (( ÔLaKp LVW », in Horst BALZ - Gerhard SCHNEIDER
(éds.), Dizionario esegetico del Nuovo Testamento , vol. 1, coll. 805- 811 , ici col. 810.
147
Voir Rm 1, 16- 17 ; 3,21- 3 1 ; cf. Ga 2, 16; Ph 3,9, et passim. Voir aussi Paul BONY,
Un Juifs 'explique sur l 'Évangile. La Lettre de Paul aux Romains, pp. 330 et 336. Cf. Charles
K . BARRETT, A Commentary on the Epistle to the Romans, (Harper's New Testament Com-
mentaries), Harper & Row, San Francisco 1957, pp. 256- 257 ; Doug las J. Moo, The Epistle
to the Romans, p. 830.
148
L' expression est ici à comprendre comme un « s ingulier collectif », par opposition au
groupe desforts (cf. Rm 15,1) et de ceux qui sont appelés à accueill ir (14,1). Voir Simon
LÉGASSE, L 'Epistola di Paolo ai Romani, pp. 675- 676 et 678.
3. L 'arrangement du discours de Paul sur /'accueil 215
149
Ainsi Angelo COLACRAI, For=a dei deboli e debolez=a dei potenti. La coppia
« debole: forte» ne/ Corpus Pao/inum , p. 534.
150 Idem, pp. 481-488.
151
Idem, p. 481 .
152
Angelo COLACRAI, For=a dei deboli e debole==a dei potenti. La coppia « debo/e:
forte» nef Corpus Pao!inum , pp. 485 et 504.
153
Ainsi Frédéric GODET, Commentaire sur !'Épitre aux Romains, t. !!, Delachaux et
Niestlé - Grassart Librairie, Neuchâtel - Paris 18902 , p. 506.
154
Voir à ce propos Michael WOLTER, Der Brie/an die Romer. Teilband 2: Rom 9- 16,
p. 353, qui est ici d' un avis contraire à James D.G. DUNN, Romans 9- 16, p. 797.
216 Chapitre 5 : Â l'écoute de Romains 14, l- l 5, l 3, une analyse rhétorique
non consolidée ou craintive » 155 , par rapport à la foi ou à la conv iction du fort
(14,2). fi ne s'agit pas, en tout cas, d ' u ne déficience intellectu elle ou morale.
Le faib le dans la fo i peut être fort, à son tour, dans d ' autres domaines 156.
Ce ne sont pas non plus les o bservances des fa ibles qui sont en question,
mais plutôt leur attitude vis-à-vis de ceux qui, dans la même communauté, se
conduisent autrement qu ' eux 157 . Ainsi, sans jamais arriver à des prétentions
légalistes 158, à l' instar des frères judaïsants en Galatie, auquel cas Paul n ' aura it
pas manqué d'intervenir en défense de la « vérité de l'Évangile» (Ga 2,5. 14),
à savoir de la justification par la foi sans les œuvres de la loi (Ga 2,16, cf. Rrn
3,2 1- 31 ), le faib le accorde une importance que lque peu excessive à ses obser-
vances, une importance supérieure même à celle qu ' il est prêt à reconnaître aux
frères, ce qu i le rend « juge » de ses frères ( 14,3.10). A insi, il se peut que le
faible soit tel non pas tant en raison de sa foi , mais plutôt en raison du fait qu 'il
juge, vo ire condamne, le comportement des forts. De toute façon, sa manière
d e vivre la fo i a des retombées o u, pour le moins, montre d es carences préoc-
c upantes. fi ne s'agit donc pas d ' un manque de foi , mais - pour le dire avec
John M .G. Barclay 159 - d ' une foi en Christ vu lnérable, parce qu ' encore très
d éterminée (en matière de no urriture et de calendrier) par un attachement par-
ticulier aux normes et aux traditions juives.
La propositio principale de cette unité, nous le verrons par la suite, sera re-
prise et relancée par deux autres exhortations, ayant fonction de subproposi-
tiones, dont le sujet verbal d 'o uverture est toujours exprimé à la première per-
sonne du pluriel : 1) « Cessons donc de nous juger les uns les autres ... »
( 14, 13) ; 2) « Mais c ' est un devo ir pour nous, les forts, de porter l' infirmité des
fa ibles et de ne pas rechercher ce qui nous plaît... » ( l 5, l - 2). Paul vise à nouer
155 Ainsi Michael WOLTER, Der Brie/ an die Romer. Teilband 2 : Rom 9- 16, p. 353, cf.
p. 393.
156
Idem, p. 353.
157
La conduite des fa ibles n'était qu'une mani ère « de ne pas offenser Die u et de lu i rester
fidè le». Voir Simon LÉGASSE, L 'Epistola di Paolo ai Romani, p. 678 et n. 18, q ui renvoie
à Dn 13,3- 16; 10,3; Tb 1, 10- 12; Jdt 12,2 . 19 ; Est 4, 17 ( LXX) ; 2 M 6, 18- 3 1 ; 7, 1; JV
Esdras IX ,2 1- 26 ; X ll ,5 1 ; Josèphe et Aseneth V II , 1 ; V III ,5 ; Testament de Ruben 1, 10 ;
Testa men/ de Juda XV,4 (voir aussi XY l,3) ; Martyre d 'Jsaïe Il , 11 . Vo ir aussi supra,« Cha-
pitre 3 : L' identité controversée des "faibles dans la foi" à Rome ».
158 Sur ce poi nt, nous ne suivons pas ! 'avis d ' Angelo COLACRAI, For=a dei deboli e de-
bole=za dei potenti. La coppia « debole.forte » ne/ C01p11s Paolinum, pp. 536- 537, car, de
notre point de vue, rien dans le texte ni dans le contexte de Rrn 14, 1- 15, 13 n'autorise à
penser ni ne prouve q ue les observances des faib les étaient considérées comme étant un
moyen de salut devant Dieu. Ce serait tout au p lus une s upposition non vérifiable par le texte.
À ce propos, cf. Thomas R. SCHREINER, Romans , (Baker Exegetical Commentary on the
New Testament, 6), Baker Academic, Grand Rapids 1998 , p. 720 : « Paul aurait résisté avec
passion à une telle posi tion » .
159 « Faith and Self-Detachment from Cultural Norms : A Study in Romans 14- 15 »,p.
206.
3. L 'arrangement du discours de Paul sur /'accueil 217
3.2 Les rationes (Rm 14,2-15,6) de l'accueil en 3 étapes: (A) - (B)- (C)
La TILanç - probatio - argumentatio est la partie centrale, le noyau essentiel
du discours, où l'on met avant tout l'accent sur la tâche du docere, c'est-à-dire
sur le devoir d' instruire pour convaincre, mais pas seulement 162. C'est la partie
dans laquel le Paul déploie les TILGtELÇ, ou encore mieux les rationes, à l'appui
de sa thèse. Par ratio, nous entendons une pensée, une idée ayant fonction d 'ar-
gument en rapport avec ce quel 'on veut démontrer (la propositio), à savoir une
raison ou un raisonnement, une explication ou une justification, bien souvent
160
Il caso dei deboli e dei forti. Rm 14, 1- 15, 13 come esemplificazione di vita etica alla
luce della giustifica=ione per fede, pp. 153- 155.
16 1
idem, p. 147. ALBERTIN, à la suite de Jean-Noël ALETTI, « Romani 14, 1-15,6: di
nuovo a lla ricerca d i chi sono i forti e chi i deboli », préfère lire Rm 14, 1- 15, 13 en donnant
la priorité au paradigme concentrique ou ternaire ABA ', c ' est-à-dire : «exhortation - moti-
vation - et reprise (éventuelle) de l' exhortation à la lumière du développement de B »(cf. p.
136, n. 55, pp. 149, 154).
162
Voir ARISTOTE, Rhétorique 1,2,2 ; QUINTILIEN, institution oratoire, Y, 1, 1. Heinrich
LAUSBERG, Handbook of literary Rhetoric. A Foundationfor litera1y Study, §§ 348- 349,
pp. 160- 16 l . D' après Francesco BIANCI-ll NI , L 'analisi retorica delle /ettere pao/ine. Un 'in-
troduzione, p. 40, la probatio justifie et discute la propositio qui la précède, et elle se termine
là où le lexique et les thématiques n ' ont plus de liens évidents.
3. L 'arrangement du discours de Paul sur /'accueil 2 19
des faits en discussion 169, à l'ori g ine du conflit. On ressent chez Paul une cer-
ta ine discréti on, voire une réticence (&TToawTTî]OlÇ - reticentia) 170 . fi préfère ne
pas s'expliquer en déta il, ic i et tout au long d e cette unité 171 , vraisemblablement
po ur ne pas creuser davantage le clivage existant entre les fa ibles et les fo rts,
et pour éviter de perdre de vue l 'essentie l 172 .
A ins i, après avo ir exhorté le fo rt à ne pas mépriser 173, et le fa ible à ne pas
juger/condamner (v. 3ab, cf. 14, 10), esquissant du même coup la vo ie royale
du respect nécessaire pour faire place à la di versité (cf. v. l b), il commence
avec son prem ier argument 174 , à l' appui de la propositio: « ... car Dieu l' a ac-
c ueilli (6 8Eoç yàp autov TTpoaEÀaPEto) » (v. 3c). C'est là l'argument le plus
fo rt : l'El.Kwv - imago, o u «personnage exemplaire», qu i est un e forme parti-
culière de l'exemplum 175, à savoir un mode persuas if par ind uction, consistant
169
Voir Jean-Noël ALETTI, « La dispositio rhétorique dans les épîtres pauliniennes. Pro-
positions de méthode», p. 395. Rappelons, au passage, que la narratio n'est indispensable
que dans le discours judiciaire. Or, de toute évidence, on ne se trouve pas dans ce cas de
figure ici. Cf. AR ISTOTE, Rhétorique Ill, 13,3.
170
« La réticence permet d'évoquer une idée et de laisser le développement à l'auditeur
[...] ». Chaïm PER ELMAN et Lucie ÜLBRECHTS-TYTECA, Le traité de l'argumenlation. La
nouvelle rhétorique, p. 645.
171
Selon Robert JEWETT, Romans. A Commenta1y, p. 833, loin de s' attarder sur les dé-
tails, Paul va tout droit aux idées essentielles.
172 À propos du caractére hypothétique de toute reconstruction historique avérée de la
communauté romaine, Jean-Noël ALETTI, «Romani 14,1- 15,6: di nuovo alla ricerca di chi
sono i forti e chi i debol i », pp. 94-95, estime que la « résistance» affichée par le texte de
Rm 14, 1- 15,6 vis-à-vis de détai ls propres à la situation historique des chrétiens à Rome est
pl us un effel rhétorique voulu qu'un maladroit manque de clarté. C'est pourquoi, d' un point
de vue méthodologique, il invite les exégétes à bien distinguer la siluation historique, qui ne
peut être reconstituée que d' une maniére approximative, et la situation rhétorique, celle des
lecteurs de la lettre paulinienne, que l'on peut esqui sser en sui vant de prés l' articulation
rhétorique spécifique de la lettre ou de !' unité littéraire concernée. C'est nous qui soulignons.
173
À propos de cette attitude déplorable de mépris (ÈÇou9EvÉw, 14,3. 10) affichée par les
forts, il peut être utile de relever la proximi té littéraire, sinon thématique, avec! ' exhortation
d' un édit de l'empereur CLAUDE, adressée aux Juifs d' Alexandrie, telle qu 'elle est relatée
quelques années plus tard par FLAVIUS JOSÈPHE, Antiquités juives XlX,5,3 § 29 1 : « je les
avertis à présent[« vûv mxpcxyyÉHw »] de ne pas abuser désormais de ma bonté et de ne pas
mépriser les croyances[« Kat µ~ tàç ... ÔELO LÔCXLµovicxç ÈÇou9Evt(ELV »]des autres peuples
alors qu' ils gardent leurs propres lois». Voir supra pp. 44-45, n. 2 15.
174
« L 'argumentation est une action qui tend toujours à modifier un état de choses pré-
existant. Cela est vra i, même du discours épidictique : c'est par là qu ' il est argumentatif ».
Ainsi Chaïm PERELMAN et Lucie ÜLBRECHTS-TYTECA, Le traité de l'argumentation. La
nouvelle rhétorique, p. 72.
175
QUINTILIEN, Institution oratoire V, 11 ,6, p. 164 (traduction Jean COUSIN, 1976),
écrit à propos de l'exemplum (ncxpciôELyµcx): « Parmi les arguments de ce genre, le plus effi-
cace est celui que nous appelons proprement exemple, c'est-à-dire le rappel d' un fait histo-
rique ou présumé tel, qui sert à persuader l'auditeur de l'exactitude de ce que l'on a en vue
» (c'est nous qui soulignons). Le modèle, en fai t, inspire un processus d' imitation, une
220 Chapitre 5 : Â l'écoute de Romains l 4, l- 15, l 3, une analyse rhétorique
en« l' incarnation d'une vertu dans une figure » 176. En l'occurrence, la valeur
de l'accueil est ici incarnée, exemplifiée s i l' on préfère, par l ' agir accueillant
de Dieu face à l'être humain (14,3) 177• L' exhortation à l' accueil du frère fa ible
dans la foi (14, 1) est ainsi motivée par ou fondée sur l'accueil réservé par Dieu
au croyant. Ce même argument sera repris, et même amp lifié, à propos du
Christ ( 15,7, voi r infra) en fin de parcours. Ce qui est tout à fait compatible
avec « l' ordre homérique » que nous avons déjà décrit 178.
« ... car Dieu l'a accueilli (6 8Eoç yàp cx.ùtov npooüapH o, 14,3c) », la for-
mu le paulinienne apparaît dé libérément ambiguë 179, car il n ' est pas possible de
déterminer avec précision s i celui qui fait l' objet de cet accuei l est celui qui
mange ou celui qui ne mange pas, c'est-à-dire le fort ou le faib le. Le contexte
littéra ire, pas plus que la construction syntax iq ue et sémantique en isocolon
(lo6KwÀ.ov - compar, exaequatum membris)180 du v. 3a et du v . 3b, ne permet
de lever cette incertitude et pourrait suggérer l'équivalence des deux poss ibi li-
tés: a) soit Paul, en s' adressant au fort, l'exhorte à ne pas mépriser le faible,
parce que Dieu a déjà accuei lli ce derni er et que, par conséq uent, il est appe lé
à en faire autant (comme en 14, 1) ; b) soit Paul, en s 'adressant au faible,
« On y fait appel pour engager !'auditeur à faire certains choix plutôt que d'autres, et surtout
pour justifier ceux-ci, de manière à les rendre acceptables et approuvés par autrui ». Chaïm
PERELMAN et Lucie OLBRECHTS-TYTECA, Le traité de l 'argumentation. la nouvelle rhéto-
rique, p. 1OO.
178
Voir QUINTILI EN, Institution oratoire V, 12, 14, p. 192 (traduction Jean COUSIN, 1976),
et supra, « Chapitre 4 : La "rhétorique paulinienne", éléments de méthode».
179
Cette ambiguiïé grammaticale a également été relevée par Robert SMITll, « Pau l's
Quest for a Holy Church : Romans 14: 1- 15: 13 », in Wesleyan Theological Journal 42, 2007,
pp. 103- 119, ici p. 11 2.
180
li s'agit d' une figure de construction qui consiste dans la correspondance parfaite, ou
quas i parfaite, de deux ou plusieurs membres, par le nombre et la disposition des mots :
a) 6 Éo9[wv TOV µ~ Éa9[ovm µ~ ÈÇou9evdTw,
b) 6 ôÈ µ~ Èo9[wv Tov Èo9[ovm µ~ KptvÉTW,
c) 6 9eoç yàp cxù•ov 11pood.a[3E•o (Rm 14,3).
Cf. un autre excellent exemple en 1 Co 10,2 1 :
où ôUvao9e 11o• r\pwv Kup[ou 11[vELv KctL 1T01:rJpLov ÔCILµov[wv,
où ôuvao9e rpa11É(~ç Kup[ou µeTÉXELV Kat Tpa11É(~ç ôaLµov[wv .
Pour la définition d' isocolon, voir Heinrich LAUSBERG, Handbook of lilerary Rhetoric.
A Foundation for literwy Study, § 7 19 , pp. 320- 321 ; Bice Mortara GARAVELLI, Manuale
di retorica, p. 232.
222 Chapitre 5 : Â l'écoute de Romains l 4, l-15, l 3, une analyse rhétorique
modernes, surtout en anglais et presque toujours établies sur la base d'« équi-
valences dynamiques», aient choisi de traduire, ou plutôt d' interpréter, le sin-
gulier (cxin:àv) par un pluriel :« car Dieu les a accueillis» ( l4,3c) 185 .
185
Voir, par exemple, New Revised Standard Version (1989): «for God has welcomed
them » ; Contemporary English Version (1995) : « After ail , God welcomes everyone » ;
Easy-to-Read Version (2006) : « God has accepted them » ; Common English Bible (20 1 1) :
« because God has accepted them » ; New International Version (201 1) : « for God has
accepted them » ; New lnternatio11al Reader's Version (20 14) : « That's because God has
accepted them » ; et, enfin, une traduction en ita lien, la Bibbia della Gioia (2006) : « perché
Dio stesso li ha accettati came suoiflgli ». Pour d'autres detai ls, cf. www.biblegateway.com.
186
Nous ne suivons pas ici le découpage suggéré par la dispositio de Robert JEWETT, Ro-
mans. A Commentmy, pp. 841 - 844, en raison de la présence de la conjonction ytip, qui, à notre
avis, signale un deuxième argument visant à décourager toute dispute ou polémique concernant
la vie et les choix d'autrui , notamment envers ceux qui prétendaient d'avoir quelques droits à
cet égard. Pour Paul, ce« droit » est catégoriquement exclu, puisqu ' il n'appartient qu'au Sei-
gneur Jésus.
187
« L'apostrophe, la question oratoire, qui ne vise ni à s'informer ni à s'assurer un ac-
cord, sont souvent figures de communion ; dans la communication oratoire on demande à
l'adversaire même, au j uge, de réfléchir à la situation dans laquelle on se trouve, on )' invite
à participer à la délibération que l'on semble poursuivre devant lui, ou bien encore l'orateur
cherche à se confondre avec son auditoire [ ... ] ». Chaïm PERELMAN et Lucie OLBRECHTS-
TYTECA, Traité del 'argumentation. la nouvelle rhétorique, p. 240. Il s'agit encore d '« une
sorte d 'affirmation déguisée en question, une fo rmule phatique propre à rendre plus vivant
un monologue ». Jean-Jacques ROBRI EUX, Rhétorique el argumenta/ion, p. 2 14 ; cf. Bice
Mortara GARAVELLI , Manuale di retorica, p. 269 ; Michael WOLTER, Der Brie/ an die Ra-
mer. Tei/band 2: Rom 9- 16, p. 356.
188 Les questions présentes en Rm 14,4.10 ont été expliquées par Duane F. WATSON,
3.2. 1.3 Ratio 3 - Ce qui compte vraiment, au-delà de toute différence, c'est
d 'appartenir au Seigneur ( 14,5- 9), avec une deuxième expositio : 14,Sab
« 5 [yap] Pour l' un, il y a des différences entre les jours ; pour l' autre, ils se va lent tous.
Que chacun, en son j ugement personnel, soit animé d'une pleine conviction. 6 Celui qui
tient compte des jours le fait pour le Seigneur ; celui qui mange de tout le fa it pour le
Seigneur, en effet (yap), il rend grâce à Dieu. Et celui qui ne mange pas de tout le fait
pour le Seigneur, et il rend grâce à Dieu. 7 En effet (yap), aucun de nous ne vit pour soi-
même et personne ne meurt pour soi-même. 8 Car (yap ), si nous vivons, nous vivons pour
le Seigneur ; si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur : soit ( oùv) que nous vi-
vions, soit que nous mourions, nous sommes au Seigneur. 9 Car (yap) c'est pour être
Seigneur des morts et des vivants que Christ est mort et qu'il a repris vie».
197
Voir Charles E. B. CRANFlELD, The Epistle to the Romans, vol. 2, p. 704.
198
Pour plus de détails, voir Robert JEWETT, Romans. A Commentary, p. 844. Pour Mi-
chael WOLTER, Der Brie/ an die Ramer. Teilband 2: Rom 9- 16, pp. 358- 359, cette descrip-
tion est si générale qu'elle ne permet pas de tirer des conclusions avérées.
199
Voir Heinrich LA USBERG, Handbook ofliteraty Rhetoric. A Fou11datio11 for literary
Study, § 633 pp. 284-285 ; Bice Mortara GARA VELU, Manuale di retorica, p. 205.
200 Par ailleurs, la construction du v. 6ab (6 </Jpovr.Jv i:~v ~µÉpav Kupt!\) </Jpovl'i· Kal 6
ù1B{wv KUPL!\> ù;Büi) est une épanadiplose (É1Tetvetôl1TÀWOLÇ - inclusio, redditio), enrichie
par la figure du polyptote, utilisée pour marquer l'essentiel à reten ir. Sur la fig ure de l' épa-
nadiplose, voir Heinrich LAUSBERG, Handbook of literary Rhetoric. A Foundation for li-
terary Study, § 625, pp. 280- 281 ; Bice Mortara GARAVELLI, Manuale di retorica, pp. 199-
200.
201
Voir Emil SCMÜRER, Storia del popolo giudaico al tempo di Gesù Cristo (1 75 a.C. -
135 d.C.) . vol. Il, pp. 576- 577. D'aprés Joseph HUBY, Épître aux Romains, Beauchesne,
Paris 1957, p. 455: <<À la distinction des aliments s'ajoute celle des jours, mais toujours à
226 Chapitre 5 : Â l'écoute de Romains l 4, l- 15, l 3, une analyse rhétorique
ne se déclare ni pour, ni contre cette distinction de jours 208, étant donné qu' il
ne s'agit pas de questions affectant la sotério logie mais de points d' importance
secondaire. Il préfère insister sur sa propre stratégie, à savoir motiver son appel
à l'accue il en ex hortant chacun soit à tro uver en soi-même (Èv Tc.\) Lôlu,i vat) la
pleine conviction quant à ses choix personne ls (v. 5c), de la même man ière
qu 'Abraham, convaincu par la promesse de Dieu et par sa puissance (cf. Rm
4,20- 21 ) 209, soit à avo ir confiance en l'appartenance au Seigneur (v. 8), indé-
pendamment des observances des uns et des autres en matière de « jours »
(14,5- 6) et d'« alimentation » (14,6) 21 0, pourvu qu'elles soient vécues« pour
le Seigneur» (Kup(u,i, 3 fo is au v. 6), c'est-à-dire pour honorer le Seigneur, le
Christ qui est mort et revenu à la vie (v. 9, cf. 10,9), et qu 'elles soient aussi
l'occasion de rendre grâce à Dieu (El'.ixapwTEÎ. [ ... ]Tc.\) 9Ec.\), 2 fois au v. 6, cf. 1
Co 10,30-3 1)211 . C'est là un argument de plus à fa ire valoir contre !'hypothèse
de ceux qui voudraient expliquer ces observances exclusivement à partir d'un
contexte d'ascétisme païen 212 • Ces croyants romains agissaient, quant à eux, de
telle sorte qu' ils croyaient honorer le Seigneur et lui montrer leur fidé li té.
Aux vv. 7-9, pour re lativiser ces observances et faire respirer un peu ses
lecteurs, Paul construit un ra isonnement poétique 213 , très agréable à lire, à
Centuries, p. 73 ; Jeffrey Paul SAMPLEY, « The Weak and the Strong: Pau l's Careful and
Crafty Rhetorical Strategy in Romans 14: 1- 15: 13 », p. 42.
208 Comme l'a bien souligné Jean-Noël ALETTI, La Lettera ai Romani. Chiavi di leltura,
p. 118, les jugements de valeur portés ici par Paul ne concernent pas les observances, mais
l'attitude des fréres et sœurs: certai ns méprisent, alors que d'autres critiquent. Cf. ID.,« Ro-
mani 14, 1- 15,6: di nuovo alla ricerca di chi sono i forti e chi i deboli »,p. 99 ; Frédéric
GODET, Commentaire sur /'Épître aux Romains, t. Il, pp. 5 10- 511 ; Ernst KASEMANN, Com-
mentary on Romans, p. 358 ; Michael WOLTER, Paul. An Owline of His Theology, p. 3 16 .
209 Rm 4,21 est le seul autre end roit, dans les lettres pauliniennes dites« authentiques»
Ei nsamkeit des Selbst entnommen - dem Herm gehorig: Ein christologisches Lehrstück des
Paulus (Rom 14,7- 9) », in ID., Studien =um Romerbrief, (Wissenschaftliche Untersuchungen
zum Neuen Testament, 136), Mohr Siebeck, Tübingen 200 1, pp. 142- 163, ainsi que par Jan
LAM BRECHT, « " lt is for the Lord that we live and die". A Theological Reflection on Romans
14,7- 9 », in Louvain Studies 28, 2003, pp. 143- 154, ici p. 152. lis divergent toutefois sur
son origine exacte. Pour THEOBALD, il s'agirait d' un enseignement de Paul rédigé indépen-
damment de la lettre aux Romains et inséré à cet endroit dans un deuxième temps, alors que
pour LAM BRECHT, en ra ison de la cohérence de son développement à l' intérieur de Rm 14, 1-
12, Paul l'aurait composé délibérément pour l' occasion tout en changeant de style (p. 152).
Quant à nous, vu le caractère ultimement indémontrable de la suggestion de THEOBALD,
nous préférons suivre la dynamique du raisonnement paulinien. En principe, le fa it de con-
fesser cette doctrine christo logique (Rm 14,7- 9) doit év iter, d'après Paul , les conflits et les
altercations au sei n de la communauté (cf. THEOBALD, p. 153).
2 14 Voir Bernhard OESTREICH, Pe1formance Criticism of the Pauline Letters, p. 174.
Alors que Ernst KASEMANN, Commentary on Romans, p. 359, ne partage pas cette opinion.
215
«Vivre» et« mourir », en Rm 14,7- 8, expriment l'ensemble de la vie humaine dans
la diversité de ses manifestations, au travers d ' un « dualisme comp lémentaire», ou mérisme.
Voir Michael WOLTER, Der Brie/an die Ramer. Teilband 2: Rom 9- 16, p. 363.
216 Le fait de« vivre et de mourir pour soi-même » (Rm 14,7) est un motif répandu dans
la littérature gréco-romaine que Paul a adapté à ses fins théologiques. Voir à ce propos l'ex-
cursus proposé par Michael WOLTER, Der Brie/ an die Ramer. Teilband 2: Rom 9-16, pp.
36 1- 363. Pour ce qui nous concerne, nous nous contenterons de reproduire ici quelques vers
du phi losophe SÉNÈQUE (Lettres à Lucilius LV, §§ 4-5), contemporain de Paul et vivant à
Rome à l'époque de la rédaction de la lettre aux Romains : « Mais tel est, ô Lucilius, le
caractère vénérable et saint de la philosophie, qu 'au moindre trait qui la rappel le le faux-
semblant nous séduit. Car dans l'oisif le vulga ire voit un homme retiré de tout, libre de
crainte, qui se suffit et vit pour lui-même, tous privilèges qui ne sont réservés qu 'au sage.
C'est le sage qui, sans ombre de sollicitude, sait vivre pour lui ; car il possède la première
des sciences, la science de la vie. Mais fuir les affaires et les hommes, parce que nos préten-
tions échouées nous ont décidés à la retraite, ou que nous n'avons pu souffrir de voir le
bonheur des autres ; mais, de même qu'un animal timide et sans énergie, se cacher par peur,
c'est vivre, non pour soi, mais de la plus honteuse vie, pour son ventre, pour le sommeil,
pour la luxure. li ne s'ensuit pas qu'on vive pour soi de ce qu 'on ne vit pour personne».
Traduction française in SÉNÈQUE, Le/Ires à Lucilius, tradu ites par Joseph BAILLARD, vol.
li, Hachette, Paris 1914, p. 124, c'est nous qui soulignons. Par ai lleurs, en Rm 15,3, une
expression similaire (oux E<wt<.\)) est utilisée également en lien avec le Christ, cf. 2 Co 5, 14-
15.
230 Chapitre 5 : Â l'écoute de Romains l 4, l- 15, l 3, une analyse rhétorique
Seigneur Jésus est« ! 'arbitre final » 229. C'est lui, et lui seul, qui fait l'un ité des
croyants en dépit de tout230 .
E nfin, « si chaq ue groupe peut reconnaître la dévotion de l'autre, dirigée
vers le même Seigneur Jésus-Christ, et rendre grâce au même Dieu, ils pou rront
partager leurs repas les uns avec les autres sans insister sur l ' uniformité » 231.
L'offre, le don du salut, manifesté par Jésus, précède tout genre de conduite et,
par cela, il fraye la vo ie pour! 'accueil de la différence.
229
Ainsi Robert JEWETT, Romans. A Commentwy, p. 849.
230
Voir Michael WOLTER, Der Brie/an die Ramer. Teilband 2 : Rom 9- 16, p. 361.
231
Voir Robert J EWETT, Romans. A Commentaty, p. 846. Cf. Victor Paul FURNlSH, « Liv-
ing to God, Walking in Love : Theology and Ethics in Romans », p. 199.
232 Ainsi Thomas R. SCHR EINER, Romans, p. 722.
233
De la même manière que dans 1 Thessaloniciens, «L'apôtre s' inspire vraisemblable-
ment de la Septante, car on y trouve l' emploi du terme &.liEÀ<j>oç pour exprimer la notion
d ' appartenance, comme c ' est aussi le cas dans la culture juive. Tout Israélite, par exemple,
était considéré comme un "frère", à cause de son appartenance au peuple de Dieu (cf. Ex
2, 11 ; Lv 19, 17 ; Dt 3, 18 ; 24,7). 'Aliü<j>6ç fait partie aussi du langage courant de la société
gréco-romaine. Il figure notamment dans la littérature qui parle d 'appartenance aux assoc ia-
tions gréco-romaines». Ainsi McTair WALL, « La contextual isation de l' Évangile dans la
Prem ière épître aux Thessaloniciens », in Théologie Évangélique 8, 2009, pp. 35- 53, ici p.
40.
3. L 'arrangement du discours de Paul sur l 'accueil 231
mot &ôü<ji6ç peut aussi être compris comme étant une synecdoque (ouvEKôox~
- synecdoche, la partie pour le tout) 234 de l' ensemble de la communauté des
croyants (tout croyant), composée évidemment de frères et de sœurs235 . Et si,
au v. 3, Paul, tout en exhortant chacun (« celui qui mange » et « celui qui ne
mange pas») à rompre avec toute attitude de critique négative, voulait rassurer
chacun pour qu' il se montre confiant dans ! 'accueil divin, au v. 10, en re-
vanche, son interlocution fictive, demandant le pourquoi de ! 'attitude consis-
tant à mépriser ou à juger le frère, souligne le sérieux de la situation et de son
exhortation (entamée en Rm 12, 1 : « Je vous exhorte donc, &ôEÀ.QJOL »). Juger,
finalement, c'est d'exclure236 ! Le Dieu qu i a accueilli (v. 3) est aussi le Dieu
qui siègera à la cour (et pas un autre) devant laquelle tous (mivtEç, y compri s
Paul) seront appelés à comparaître (v. 10). En accord avec le témoignage
d'Esaïe (33,22, LXX), « Car mon Dieu est grand, le Seigneur ne me négligera
pas ; le Seigneur est notre juge (Kplt~ç), le Seigneur est notre prince (apxwv)237,
le Seigneur est notre roi (13<rnlÀ.Euç), celui qui nous sauvera (oùtoç ~µiiç ow-
oH) » 238_
234
« La synecdoche peut apporter de la variété dans le discours, en faisant entendre plu-
sieurs objets par un seul, le tout par la partie, le genre par ! 'espèce, ce qui suit par ce qui
précède, ou inversement ; et son emploi est plus libre chez les poètes que chez les orateurs».
QUINTILI EN, Institution oratoire Vlll,6, 19, pp. 108- 109 (traduction Jean COUSIN, 1977).
Voir Heinrich LAUSBERG, Handbook of Lilerary Rhetoric. A Foundationfor Lilerary Study,
§§ 572- 577, pp. 260- 262 ; Bice Mortara GARAVELLI, Manuale di retorica, pp. 153- 155.
235
En Rm 16 le mot aoEÂ<jir\ apparaît 2 fois, que ce so it pour Phoebé (v. 1), ou pour la
sœur de Nérée (v. 15). On pensera aussi aux autres personnages féminins évoqués et salués
par Paul parmi les croyants romains : Prisca (TiploKa, v. 3, cf. 1 Co 16, 19 ; 2 Tm 4, 19), Marie
(v. 6), Junias (d iscutée, v. 7), Tryphène et Persis (v. 12), la mère de Ru fus (v. 13), Julie (v.
15). La mention que nous faisons de ces figures féminines, bien qu ' elle soit rapide, est une
manière, modeste, de leur rendre l'honneur que souvent! ' histoi re, même chrétienne, rédigée
au masculin, leur a refusé.
236 Voir Karl BARTH, A Shorter Commentary on Romans, p. 103.
237
Cf. infra notre commentaire à propos de Rm 15, 12 : « Esaïe dit encore : Il paraîtra, le
rejeton de Jessé, celui qui se lève pour commander (iipxuv) aux nations. En lui les nations
mettront leur espérance ».
238
C'est nous qui traduisons. On note, en passant, la construction épiphorique de ce passage
dans l'origina l grec, due à la quadruple répétition du mot Kupwç.
239
En 2 Co 5, 10, Paul avait aussi parlé du « tribunal du Christ (roû Pr\µaroç toû XpLà
îOÛ) ».
232 Chapitre 5 : Â l'écoute de Romains l 4, l- 15, l 3, une analyse rhétorique
pour lui-même ou pour e lle-même et non pour les autres » 240 . Paul remue et
secoue ainsi les sentiments les plus profonds des uns et des autres. Le seul
jugement qui compte au regard des querelles personnelles reste le jugement de
Dieu241 . La référence au jugement dernier, dans le contexte des conflits com-
munautaires (Rm 14, 10 ; 1 Co3,8.13-15; 4,3.4-5; 2 Co 5,10), a, pour Paul,
la fonction pragmatique de désamorcer le conflit. Car la perspective du juge-
ment divin rend chaque jugement humain sans importance, ou d'une impor-
tance tout à fait secondaire242 . Selon les propres termes de Paul : « Pour moi, il
m ' importe fort peu d 'être jugé par vous ou par un tribunal humain. Je ne me
juge pas non plus moi-même » (1 Co 4,3).
En revanche, c'est devant Lui, poursuit encore Paul, en exposant un argu-
ment d'autorité (« ipse dixit »)243 (v. 11) tiré des Écritures et notamment du
prophète Ésaïe (Es 45 ,23, cf. Ph 2, 10- 1 l ), que « tout genou fléchira ... et toute
langue rendra g lo ire à Dieu » 244 . Le fait de juger, de condamner le frère est une
manière d'usurper ! 'autorité de Dieu : « Puisque le jugement n'est que le droit
de Dieu, le jugement humain est interdit » 245. Paul envoie un message fort et
clair, et pour ne pas être perçu comme étant trop dur ou amer, il joue la carte
du « nous » au lieu de pointer du doigt ses frères. Face au tribunal de Dieu et
devant le Seigneur, on est tous égaux : faib les et non-faibles 246 .
Le v. 12 propose alors une première déduction importante, une sorte de
brève conclusion intermédiaire 247, introduite par deux conjonctions conclusi-
240
Ainsi James D.G. DUNN, Romans 9- 16, p. 803.
241 Voir Cristian Daniel CARDOZO MINDIOLA, « Eljuicio en Romanos 14, IOc- 12. Apun-
tes exegéticos y teol6gicos », in Estudios bfblicos 77, 2019, pp. 47- 63, ici p. 54.
242
Voir Michael WOLTER, Paul. An Outline of His Theology, p. 2 14.
243
En rhétorique, c'est l'opinion ou la citation d' un expert, d'un personnage illustre,
d'une tradition, etc. , avancée à l'appui de ses propres idées. Voir Bice Mortara GARAVELLI,
Manuale di retorica, p. 79.
244
Les express ions poétiques« tout genou ... toute langue »sont des synecdoques voulant
signifier la« totalité de l'être humain». Par le genou est suggérée l'expression de l'adora-
tion et de la reconnaissance de la seigneurie divine ; par la langue, le fait de lui rendre gloi re.
Voir Andrea ALBERTIN, JI caso dei deboli e deiforti. Rm 14, 1- 15, 13 come esemplifica=ione
di vita etica alla Luce della g iustifica=ione perfede, p. 193.
245
Ainsi Mathias RISSI, (( Kplvw, KpLOLÇ », in Horst BALZ - Gerhard SCHNEIDER (éds.),
Di=ionario esegetico del Nuovo Testamento , vol. Il, coll. 103- 111 , cité par Robert JEWETT,
Romans. A Commentaiy, p. 842.
246
Voir Alain GIGNAC, L'épître aux Romains, pp. 511- 512.
247 D'après la Rhétorique à Herennius 11,47, p. 80 (traduction Guy ACHARD, 1989), des
ves: &pa [oi'iv]248 (ainsi donc) , souvent utilisées par Paul pour sou ligner une
idée qui donne à penser, qui invite à la réflex ion attentive (cf. 14, 19 ; 5, 18 ;
7,3.25 ; 8, 12 ; 9, 16. 18). De plus, du point de vue rhétorique, il pourrait s'agir
d' une figure de pensée que l'on appelle épiphonème (Èm<PwvT]µa - epipho-
nema)249, une exclamation sentencieuse autant que brillante que l'on n'oub lie
pas faci lement, une sorte de « touche de finition »250 ou de pause de réflexion
ajoutée pour renvoyer chacun des aud iteurs/lecteurs devant Dieu, en fa isant
appel à leurs sentiments, ainsi qu'à leur responsabilité personnel le.
Ce verset, on le perçoit faci lement, porte en soi un élément d 'amplification :
le seul jugement qui compte, au-dessus de tout, pour ('ex istence croyante, est
celui de Dieu. C'est à Lui que revient le dernier mot sur la destinée de tout
individu (cf. Dt 1, 17), et, dans le présent, personne ne sa it par avance quel
verdict sera rendu à son égard. Cela reste une question ouverte25 1. Paul entend
désamorcer le conflit en demandant aux uns et aux autres d'éviter de se focali-
ser sur l'autre et de se pencher plutôt sur son propre comportement (TTEpt
Èaurnû , v. 12, cf. 14,5c)252 .
Finalement, bien qu 'elles soient d' une forme à chaque fois différente, les
quatre rationes que nous avons recensées dans cette première étape ( 14,2- 12)
s'apparentent aux réflexions théoriques qui, d'après Jordi Sanchez Bosch, sont
à la base de cette exhortation paulinienne:« Dieu a accueilli (v. 3c), Dieu sou-
tiendra (v. 4bc), nous vivons pour le Seigneur (vv. 7- 9), il nous j ugera (vv.
lOc- 12) »253 . L'on ressent tout au long de ces premières argumentations pauli-
niennes un certain accent théocentrique (et christocentrique, cf. vv. 7- 9),
comme si ('apôtre voulait suggérer à tout croyant d 'élever son regard, aupara-
vant trop focalisé sur les faib lesses d 'autrui, sur la grâce divine.
248
La conjonction oùv est retenue, bien qu'entre parenthèses, dans le texte du Novum
Testamentum Graece, 28• édition du NESTLE-ALAND, ad locum , alors qu'elle est omise par
les manuscrits suivants : B D* F G P* 6. 630. 1739. 1881 lat.
249
Voir Heinrich LAUSBERG, Handbook ofLitermy Rhetoric. A Foundationfor Literary
Study, § 879, pp. 39 1- 392 ; Bice Mortara GARAVELLI, Manuale di retorica, pp. 250- 25 1 ;
cf. Jean-Jacques ROBRI EUX, Rhétorique et argumentation , p. 124.
250
Voir R. Dean ANDERSON, Glossary of Greek Rhetorical Terms Connected to Methods
of Argumentation, Figures and Tropes,from Ana.ximenes to Quinti!ian, p. 55.
25 1
Voir Michael WOLTER, Der Brie/ an die Ramer. Tei/band 2: Rom 9- 16, p. 366.
252
idem, p. 368.
253
Ainsi Jordi SÂNCHEZ BOSCH Scritti paolini, p. 261.
3. L 'arrangement du discours de Paul sur /'accueil 235
259 Voir Helmut KRAMER, (( c:iÀ.À~ÀWV », in Horst BALZ - Gerhard SCl·INEIDER (éds.), Di-
=ionario esegelico del Nuovo Testamento , vol. 1, coll. 166- 167.
260
Ainsi Michael WOLTER, Paul. An Outline of His Theology, p. 3 14.
26 1
Cf., outre la lettre aux Romai ns, 1 Co 11 ,33 ; 12,25 ; 16,20 ; Ga 5, 13 ; 6,2 ; Ph 2, 13 ;
1 Th 3, 12 ; 4,9. 18 ; 5,111 5.
262
Voir Michael WOLTER, Der Briefan die Romer. Teilband 2: Rom 9- 16, pp. 385, 392.
263
Les figures de communion, d'après Chaïm PERELMAN et Lucie ÜLBRECHTS-TYTECA,
Trailé de/ 'argwnenlalion. la nouvelle rhétorique, pp. 239- 24 1, permettent à! 'orateur «[... )
de fai re partici per activement l'auditoire à son exposé, le prenant à partie, soll icitant son
concours, s'assimilant à lui » (p. 240). L '« énallage du nombre de personnes », à savoir le
remplacement du «je», du « tu / vous » par le « nous», crée le même effet que la mère
disant à son enfant : « Nous allons nous coucher » (p. 241 ). De toute évidence, ce sont les
croyants romains qui doivent arrêter de juger et non Paul, mais ce faisant, il souligne davan-
tage la nécessité et l' importance de cette injonction en s ' associant à eux.
264
Voir auss i Troels ENGBERG- PEDERSEN, « "Everyth ing is Clean" and "Everything that
is Not of Faith is Sin": The Logic of Pauline Casuistry in Romans 14.1- 15. 13 », in Paul
MIDDLETON, Angus PADDISON and Karen WENELL (éds.), Paul, Grace and Freedom. Es-
says in Honour ofJohn K. Riches, (T&T Clark Biblical Studies), T&T Clark, London - New
York 2009, pp. 22- 38, ici p. 33.
238 Chapitre 5: Â l'écoute de Romains 14, l- l 5, l 3, une analyse rhétorique
Si, en prenant telle nourriture, tu attristes ton frère, tu ne marches plus selon ! 'amour.
Garde-toi, pour une question de nourriture, de faire périr celui pour lequel Christ est mort.
16
Que votre privilège (oùv) ne puisse être discrédité. 17 Car (yap) le Règne de Dieu n'est
pas affaire de nourriture ou de boisson ; il est justice, paix et joie dans ! 'Esprit Saint. 18
(yap) C'est en servant le Christ de cette manière qu 'on est agréable à Dieu et estimé des
hommes. 19 Recherchons donc (&pa oùv) ce qui convient à la paix et à ! 'édification mu-
tuelle».
Pau l s'explique d'abord à la première personne (v. 14, cf. 15,8), après être
passé du nous au vous au v. 13, avant de recourir au tu au v. J 5, de repasser au
vous au v. 16 et de revenir au nous au v. 19. Il change tout le temps de pronom
personnel et cherche constamment (' intimité communicative, le partage. Vrai-
semblablement sur la base de la tradition orale relative à ('enseignement de
Jésus280 telle qu'elle est reflétée notamment par Mc 7,1 - 23 Il Mt 15, 1- 20, il
formu le d'abord une maxime (yvwµT] - sententia)281 à l' allure hyperbolique :
«rien n' est impur en soi (oûliÈv Kowàv lil' Écrntoû) ». Et, aussitôt après, en
modifiant un peu le raisonnement qu' il avait tenu en faveur de ceux qui ne
mangent que des légumes (Àaxccvcc, cf. 14,2), les faib les, il avance une fine con-
cession (auyxwpî]a Lç - concessio)282 : « Mais une chose (n ')est impure (Ko Lvov)
(que)283 pour celui qui la considère comme telle » (v. 14)284. Presque une sorte
d'exception285 . C'est la man ière par laquelle, Paul essaye d' impliquer aussi les
faib les dans sa logique médiatrice et pacificatrice, car il ne veut pas les perdre,
et de suggérer indirectement aux forts de ne pas s'étonner plus que cela de leur
attitude spécifique. Les vécus personnels, aussi bien que les convictions de
chacun, sont à respecter même lorsque l'on ne les partage pas. Paul ne veut pas
disjo indre, il veut nouer les fils de la relation. li préfère inclure plutôt qu 'ex-
clure.
le sais, j'en sui s convaincu par le Seigneur Jésus : rien n'est impur en soi, excepté (si ce
n'est) pour celui qui considère une chose être impure, pour lui est impure».
280
Voir Folker SIEGERT, « Jésus et Paul : une relation contestée», in Daniel MARGU E-
RAT, Enrico NORELLI et Jean-Michel POFFET (éds.), Jésus de Na=areth. Nouvelles approches
d'une énigme, (Le monde de la Bible, 38), pp. 439-457, ici pp. 448-449.
281
La maxime est un genre de sentence ayant une valeur générale. Voir Heinrich LAUS-
BERG, Handbook of literary Rhetoric. A Foundalion for literary S111dy, §§ 872- 879, pp.
388- 392 ; Bice Mortara GARAVELLI, Manuale di retorica, pp. 249- 250.
282 Voir Heinrich LAUSBERG, Handbook oflitera1y Rhetoric. A Foundation for litera1y
Study, § 856, p. 383 ; Bice Mortara GARA VELL!, Manuale di retorica, p. 268. Ainsi Jean-
Noël ALETTI, « Pau l et la rhétorique. État de la question et propositions », p. 43.
283
Voir supra p. 237, n. 279.
284
Le tout débout de cette phrase (v. 14b): «EL µ~»,littéralement « si non ... », d'après
Douglas J. Moo, The Epistle 10 the Romans, p. 853, veut dire ici« mais».
285
En ce sens, voir aussi notre proposition de traduction du v. 14 (vo ir supra la n. 279).
Le syntagme prépositionnel« EL µ~ » (v. 14), parmi les traductions possibles, pourrait signi-
fier aussi : « si non », «sauf que », « à moins que». Voir Franco MONTANA RI , Vocabolario
della lingua greca, pp. 71 9- 720.
3. L 'arrangement du discours de Paul sur /'accueil 239
Toujours à propos du pur et de ! 'impur (Rm 14, 14, cf. v. 20), il nous paraît
possible d 'expliquer ce discours hyperbolique de Pau l, non pas comme une
attaque frontale et directe par rapport à la Torah (Lv 11 - Dt 14), ce qui d'ail-
leurs irait tout à fa it à ! 'encontre de sa compréhension complexe de la loi :
«Enlevons-nous par la foi toute valeur à la loi ? Bien au contraire, nous con-
firmons la loi! » (Rm 3,3 1, cf. 6,15; 7,7-12 ; 10,4 ; 13,8-10), outre que cela
aurait pu faci lement attiser ultérieurement les esprits, notamment des faibles,
mais plutôt comme une prise de position contre la tradition orale très dévelop-
pée, d'empreinte pharisienne, qui existait au sujet de la pureté rituelle, notam-
ment en matière alimentaire, en milieu juif, au 1°' siècle de notre ère.
Dans les lettres pauliniennes l' adj ectifKow6ç n' apparaît qu' en Rm 14, 14 (3
fo is, à la forme neutre, ce qui montre en effet une évidente insistance), alors
qu' il apparaît une fo is dans la lettre deutéropaulinienne à Tite (Tt 1,4), où il est
même mis en rapport à la fo i qui est dite « commune (KOLv~v) », à Paul et à
Tite. Le sens habituel de Kow6ç est profane, commun (cf. Ac 2,44 ; 4,32 ; Jude
3), mais, dans les contextes de controverse autour des questio ns d 'alimentation,
il peut signifier aussi impur286. La plupart des exégètes pensent ici aux viandes
tenues pour interdites (ou « non-kasher»), selon les prescriptions du Lévitique
(Lv 11 , cf. Dt 14), bien que ! 'adjectif KOLvoç ne soit, à vrai dire, jamais attesté
dans la Torah (LXX), où le sens du pur et de l'impur est véhiculé par le cou-
ple : (( rn8o:p6ç )) (employé aussi par Paul en Rm 14,20) et (( aKâ8o:ptoç »287 .
À ce sujet, Jiri Moskala 288 suggère une distinction importante entre
aKâ8o:ptoç et Kow6ç, car, de son point de vue, il ne s'agit pas de la même notion.
En résumé, à partir de Lv 11 ,47 (un verset constru it en parallélisme chiastique),
il comprend l ' adjectif K~~- aKâ8o:ptoç comme étant la caractéristique des ani-
maux considérés impurs, en permanence, et donc interdits à la consommation,
selon les lois alimentaires de la Bible hébraïque (Lv 11 , 1- 23.41-47 ; Dt 14, 1-
20). Alors que, ! ' adjectif Kow6ç (souillé, pollué, commun, profane), d' après
son usage dans la période intertestamentaire, n' indiquerait pas les animaux im-
purs en permanence, mais ceux qui devenaient impurs temporairement et par
contact, par contagion, avec d 'autres sources d ' impureté289. En conséquence,
Paul , en Rm 14, 14,
286 Cf. Mc 7,2.5: «mains impures»; Ac 10, 14.28; 11 ,8, où il est toujours employé en
association, un cas d' hendiadys, avec « àKà9aprnç - impur » ; 1 M 1,47.62 ; FLAVI US JO-
SÈPH E, Antiquités juives Xl,6 § 346.
287
Cf. Lv 10, 10 ; l l ,4.5.6.7.8.24.25.26(bis).27(bis).28(bis).29.3 I (bis).32(bis).33.34
(bis).35(ter).36.38.39.40(bis).43.47 ; Dt 14,7.8. 11.19. Voir Daniel MARGUERAT, Alti degli
apostoli. I ( /- 12), pp. 432-434.
288
Jii'i MOSKALA, «The Validity of the Levitical Food Laws of Clean and Unclean Ani-
mais : A Case Study of Biblical Hermeneutics », in Journal of the Adventist Theo/ogical
Society 22, 201 1, pp. 3- 31.
289 Voir idem, pp. 16 et 25.
3. L 'arrangement du discours de Paul sur /'accueil 243
manière dont les pharisiens substituent! 'autorité de leurs traditions des anciens
à ce qui est explicitement écrit dans la Torah »308 .
Conformément au projet théolog ique annoncé dans le Sermon sur la mon-
tagne (cf. Mt 5, 17-20), la relecture matthéenne de Mc 7, 15 s'avère, en fait,
moins rad icale (Mt 15, 11 )309 et limite, à ! 'aide d ' une inclusion très c laire, !'ob-
j et de la controverse au lavage des mains (voir Mt 15,2 et 15,20).
En tous les cas, en Mc 7, 15, il ne s'agit pas d'un logion impératif qui formu le
ou prescrit des comportements explicites, ayant une valeur j urid ique : oui/non,
valable/pas valable, mais plutôt d 'un encouragement pour rechercher une com-
préhension plus profonde de la volonté de Dieu dans la circonstance donnée. Il
a même été considéré comme étant un « logion énigmatique »310, voi re« ambi-
gu »311 _
Encore, d'après Mara Rescio et Luigi Watt,
« Dans la formulation originale du dicton rapporté par Marc 7, 15, Jésus ne s'oppose pas
directement à la question des aliments purs et impurs, mais é nonce plutôt un principe
308 Ainsi Danie l BOY AR.IN, « Mark 7: 1- 23 - Finally », p. 23, cf. aussi p. 3 1.
309 Voir également Joel MARCUS, Mark 1- 8. A New Translation with /111roduction and
Commenta1y, (The Anchor Yale Bible, 27), Yal e University Press, New Haven & London
1999, pp.446, 453, 45 8.
310
Ainsi Gerd THEISSEN - Annette MERZ, // Gesù storico. Un manuale, (B iblioteca bi-
blica, 25), Queriniana, Brescia 2003 2, p. 452. Sur l'h istoricité de ce logion, John P. MEIER,
Un ebreo marginale. Ripensare il Gesù storico, vol. IV: Legge e arnore, notamm ent pp.
426-429, 451 , 462, 467, soutient que Mc 7, 15, et tout le récit de Mc 7, 1- 23 (à l'exception
des vv. 10- 12 concernant la question du Koppâv), serait à lire non pas comme ! ' enseignement
authentique du Jésus de ! ' histoire sur la pureté, mais plutôt comme un enseignement d e
l' Église post-pascale (un réflexe de stratification judéo-chrétienne et de rédaction mar-
c ienne). Il souligne, en particu lier, le manque de réaction de la foule, des disciples de Jésus
ou de ses opposants face à une telle déclaration, potentiellement destructive pour l'identité
juive en Palestine et en Diaspora; en plus du fait qu' il n'estjamai s rapporté, dans les sources
synoptiques, que Jésus et ses disciples mangeaient des aliments interdits par la Torah.
311
Ainsi Joel MARCUS, Mark 1- 8. A New Translation with Introduction and Commen-
tmy, (The Anchor Yale Bible, 27), Yale University Press, New Haven & London 1999, p.
453. Bien que pour MARCUS ce logion et son explication (Mc 7, 17- 23) constituent une ra-
dica le abrogation des lois alimentaires de la Bible hébraïque, il reconnaît éga lement que,
d'une part, cette« révocation explicite» va au-delà du Jésus historique et qu'elle doive plutôt
s'attribuer à certains évènements et débats historiques au sein de l'Église primitive (cf. p.
458) ; et, d 'autre part, que ce logion, véritable climax de Mc 7, 1- 23, pris dans« [ ... ] son
message original pouvait ne pas être si différent de celui des prophètes, qui s' insurgeaient
contre la préoccupation de leurs compatriotes israélites à propos d es rituels exté rieurs plutôt
que de la justice, et proclamaient même que Dieu méprisait leurs sacrifices et leurs fètes -
sans pour autant avoir l ' intention d'abolir ces cérémonies (par exemp le Am 5,21 - 57 [sic!
lege Am 5 ,21 - 27, ndr] ; Os 6 ,6 ; Es 1, 11- 17). De même, la parole de Jés us, confor mément
au langage sémitique de la négation dialectique, pouvai t avoir signifié, à l'origine, quelque
chose comme: "Une personne n'est pas tant soui llée par ce qui pénètre en lui de l'extérieur
que par ce qui vient de l'i ntérieur" » (p. 453).
3. L 'arrangement du discours de Paul sur /'accueil 245
Par a illeurs, voir par exemple la traduction de la Sainte Bible. Nouvelle édition
de Genève 1979 avec parallèles:« Car cela n 'entre pas dans son cœur, mais
dans son ventre, puis s'en va dans les lieux secrets, qui purifient tous les ali-
ments» (Mc 7, 19) 318.
Pour ce qui nous concerne, sans avoir la prétention de vouloir résoudre à
tout prix la« parole énigmatique» de Jésus (Mc 7, 15- 23), il nous semble plus
sage d 'y voir une tentative provocatrice de la part du Jésus marcien de valoriser
la pureté morale au-dessus de toute autre sorte d e pureté (cf. Pr 20,9 ; Es
1, 16) 319 . Ains i, le principe énoncé par le Jésus de Marc pourrait s'entendre, d 'un
31 4
Ainsi Giuseppe BARBAGLIO, Gesù ebreo di Galilea. lndagine storica, (La Bibbia nella
storia, 11), EDB, Bologna 2004, p. 429. Cf. également J. Duncan M. DERRETT, « Marco
Vil, 15- 23: li vero significato di "purificare" »,i n ID. , Studies in the New Testame111, vol. 1 :
Glimpses of the Legal and Social Presuppositions of the Authors, E.J. Brill, Leiden 1977,
pp. 176- 183, ici p. 176.
315
Voir inter alia, Bruce J. MALINA, «A Contlict Approach to Mark 7 »,i n Forum 4, pp.
3- 30, notamment pp. 22- 23, cité par Mara RESCJO - Luigi WALT, « "There ls Nothing Un-
clean": Jesus and Paul against the Politics of Purity? », in Annali di Storia del/'Esegesi 29,
2012, pp. 53- 82, ici p. 65.
316
Voir Peter J. TOMSON, « Jewish Food Laws in Early Christian Community
Discourse », p. 206. Cf. Robert A. GUELICH, Mark 1- 8:26, (Word Biblical Commentary,
34a), Word Books, Dallas 1989, p. 378.
317
Ainsi J. Duncan M. DERRETT, « Marco VIl, 15- 23: Il vero significato di "purificare"
», p. 182, cf. également p. 179.
318
Traduction La Sainte Bible. Nouvelle édition de Genève 1979 avec parallèles , Société
Biblique de Genève, La Maison de la Bible, Paris 1988 3 . C'est nous qui soulignons.
319
C'est un peu l'avis de William L. LANE, The Gospel According to Mark, Eerdmans,
Grand Rapids 1974, p. 255 : « Jésus n'a aucune intention de nier que les lois de pureté
246 Chapitre 5 : Â l'écoute de Romains l 4, l- 15, l 3, une analyse rhétorique
occupent une place importante dans la loi mosaïque (Lv 11 , 1-47; Dt 14, 1- 20) ou de porter
atteinte à la dignité des hommes qui ont subi la mort plutôt que de violer la Loi de Dieu
régissant les aliments impurs ( 1 M l ,62s.). li insiste plutôt sur la reconnaissance que le siège
ultime de la pureté ou de la souillure devant Dieu est le cœur ». Cité par Gerhard F. HASEL,
«The Distinction between Clean and Unclean Animais in Lev 11 », p. 114.
320
Voir Yair FURSTENBERG, « Defilement Penetrating the Body: A New Understanding
of Contamination in Mark 7 .15 », pp. 177- 178.
i 21 Voir idem, pp. 182, 186.
322
Voir Mc 7,4, cf. Mt 23,25- 26 ; Le 11 ,39.
323
Voir Yair FURSTENBERG, « Defilement Penetrating the Body: A New Understanding
of Contamination in Mark 7.15 », p. 200. D' après FURSTENBERG, le logio11 de Mc 7, 15
pourrait être reformulé ainsi : « Contrairement à votre halakha, qui est inconnue dans la
Bible, le corps n'est pas souillé en mangeant de la nourriture contam inée. Au contra ire, il est
souillé par ce qui en sort» (pp. 183- 184).
324
Nous empruntons cette expression à John VAN MAAREN, « Does Mark's Jesus Abro-
gate Torah? : Jesus' Purity Logion and its lllustration in Mark 7: 15- 23 », p. 37.
325
Voir Daniel MARGUERAT, Gestl di Nazareth. Vira e destina, Claudiana, Torino 2020,
pp. 129- 130.
326
Au sujet des distinctions et des relations complexes entre« impureté rituelle » (Lv 11 -
15 ; Nb 19) et « impureté morale» (Lv 18- 20), au sein du judaïsme ancien, voir l'étude de
Jonathan KLAWANS, Impurity and Sin in Ancien/ Judaism, Oxford Un iversity Press, New
York 2000, notamment pp. 21-42. John VAN MAAREN, « Does Mark's Jesus Abrogate To-
rah? : Jesus' Purity Logion and its Illustration in Mark 7: 15- 23 », pp. 33- 37, soutient, pour
3. L 'arrangement du discours de Paul sur /'accueil 247
sa part, que le Jésus de Marc ne permet pas de distinguer trop nettement entre pureté rituel le
et pureté morale, car l' une et ! 'autre faisaient déjà parties intégrantes du même « systéme
symbolique » (Mary DOUGLAS, cf. p. 32, n. 37). Cet ama lgame était évident, par exemple, à
Qumrân (cf. Jonathan KLAWANS, Impurity and Sin in Ancien/ Judaism , pp.75- 88). Cela
n'empêche, toutefois, q ue l 'on puisse lire également dans le discours de Jésus un accent
particul ier, nouveau ou renouvelé, sur la conduite morale, sur une vie responsable envers
soi-même et envers les a utres. Après tout, il n'était certainement pas nécessaire de rappeler
précisément aux pharisiens l' importance de la pureté rituelle.
327 Ainsi Hartwig T HYEN, (( Kct9ctp6ç », in Horst BALZ - Gerhard SCHNEIDER (éd s.), Di-
::ionario esegetico del Nuovo Testamento, vol. 1, coll . 1822- 1829, ici col. 1824. Sur cette
difficulté manifeste, voir également John P. MEIER, Un ebreo marginale. Ripensare il Gesù
storico, vo l. IV: Legge e amore, ( Biblio teca di teologia contemporanea, 147), Queriniana,
Brescia 2009, pp. 346-347. D' aprés le rabbin italien Riccardo Dl SEGNI, Guida aile regole
a/imentari ebraiche, pp. 19-2 1, les lois sur ! 'alimentat ion, dans la tradition jui ve, ont leur
place dans le chemin vers la« sainteté (qedushà) ». La sainteté est un idéal de perfection qui
implique toute l'existence de l'être humain, d ans son compo rtement quotidien, dans chaque
détail du vêtement, dans la nourriture, etc. En ce sens, les lois sur l' alimentation s'avèrent
un instrument pédagogique pour apprendre à ! 'être humain qu 'i l doit constamment faire des
c hoix (distinguer), qu'il est tenu d'exercer son esprit critique, ou sa capacité de réflex ion,
dans tout doma ine de son expérience (p. 28). Voir aussi « Pureté rituelle», in Geoffrey Wl-
GODER (dir.), Dictionnaire encyclopédique du j udaïsme, Cerf, Paris 1993, pp. 927-928.
328
« Jewish Food Laws in Early C hristian Community Discourse », pp. 198, 207.
329
Le verbe rn9ap[(w apparaît, par exemple, encore 3 fois en Mc 1,40-42, à propos d ' une
source d ' impure té redoutable : la lépre. Un bilan trés uti le des interprétations courantes et
mu ltip les de la pureté et de son système symbolique, au sein du Judaïsme ancien et primitif,
a également été dressé par Wil ROGAN, « Purity in Early Judaism : Cu rrent Issues and Ques-
tions», in Currents in Bib/ical Research 16, 2018, pp. 309- 339.
248 Chapitre 5 : Â l'écoute de Romains l 4, l- 15, l 3, une analyse rhétorique
330
Voir supra p. 135, n. 94.
331 Voir« Michnah », in Geoffrey WIGODER (dir.), Dictionnaire encyclopédique du ju-
daïsme, pp. 74 1- 744.
332
Voir inter alia Giuseppe RICCIOTTI, Vila di Gesù Cristo (Religioni. Oscar Saggi Mon-
dadori, 385), Mondadori, Cles 2003, § 72, pp. 72- 74.
333
À Qumrân aussi , à plus forte raison, ce souci de pureté était un critère de discrimi na-
tion, de séparation : « [ ... ] Et qu 'aucun des membres 16 de la Communauté ne réponde à
leurs questions concernant toute loi ou ordonnance. Et qu 'il ne mange ni ne boive rien de
°
leurs biens et qu 'il n 'accepte de leur main absolument rien [ ... ]. 2 Car ils sont vanité, tous
ceux qui ne con naissent pas son All iance, et tous ceux qui mépri sent Sa parole, li les suppri-
mera du monde ; et toutes leurs œuvres deviennent une souillure devant Lui, et impurs en
tout sont leurs biens» ( 1 QS V, 15- 20) traduction d'André DUPONT-SOMM ER, in André DU-
PONT-SOMMER et Marc PHILONENKO (éds.), La Bible. Écrits lntertestamentaires, p. 24.
334
À propos de la notion de pureté dans le mouvement des pharisiens, voir inter alia
Christian GRAPPE, Initiation au monde du Nouveau Testament, pp. 39-40: « les pharisiens
accordaient à la loi orale un poids au moins égal sinon supérieur à celui de la loi écrite.
lis les faisaient remonter toutes deux à la révélation reçue par Moïse au Sinaï et considéraient
qu 'elles se complétaient. lis étaient même prêts à admettre que la Loi orale, transmise de
génération en génération par les sages, pouvait dans certains cas supplanter la Torah
écrite », cf. aussi les pp. 52- 53. C' est nous qui soulignons.
3. L 'arrangement du discours de Paul sur/ 'accueil 251
aussi que ce n'est pas seulement par la f oi (cf. Rm 1, 16- 17), mais aussi
par l'amour, que les chrétiens d 'origine juive ou païenne sont tous égaux
face à Dieu 348 . Comme en 1 Corinthiens (8, 1), c'est en introduisant
l'amour, presque comme une sorte de correctif de la connaissance, que
Paul demande à ses interlocuteurs, entre les lignes, de ne pas orienter leur
comportement en fonction de la bonne approche théologique, mais de
l'amour349 . Marcher ou vivre selon l'amour, ou dans l'amour (cf. Ep 5,2 :
TIEpLmXTEÎîE Èv <iyam;i), signifie aimer l'autre au-dessus de ses envies et,
finalement, aimer comme le Christ a aimé, n'hésitant pas à souffrir pour
les autres. Or cette « marche», qui est une métaphore de la vie chrétienne
dans ses défis éthiques quotidiens, une sorte de « style de vie »350, signifie
encore dans la lettre aux Romains : mener une vie nouvelle (Èv Kaw6n1n
(w~ç TIEPLTIIXï:tjawµEv , 6,4), se laisser guider par l'Esprit (8,4 ; cf. Ga
5,16.25), se conduire avec honnêteté ( 13,13). Et l'apôtre de poursuivre en
fai sant valoir que c'est en fait pour tout être humain, immensément pré-
cieux, que le Christ a donné sa vie. La nourriture, de même que toute autre
observance, ne doit en aucun cas entraîner la redoutable perte spirituelle
d' autrui.
Il convient de relever ici la réitération de l' argument christologique (cf.
14,8-9). Au sein de la communauté chrétienne, la valeur de tout croyant,
aussi bien que son identité de frère (et sœur), de loin beaucoup plus im-
portante que celle de fa ible ou fort, provient de la mort salvifique du
Christ. En Rm 14, 15, l'expression « celui [ou celle, ndr] pour lequel Christ
est mort » est une fi gure de sens, une périphrase affective, voire émotive,
orientée en ce cas précis vers le frère et le croyant faib le. En sorte que,
porter atteinte à un frère et/ou à une sœur signifie en même temps porter
atteinte au Christ lui-même (cf. 1 Co 8, 11 )35 1. Avant de passer au raison-
nement suivant, Paul marque une pause dans son raisonnement. Il invite à
une déduction logique (oùv, v. 16) 352 , qui concerne ce qu ' il vient de dire
aux versets précédents. Il engage ses lecteurs, notamment les forts, à évi-
ter, quant à eux, d'exposer au discrédit, à la calomnie, leur ayixe6v : (( µ~
pJ..o:acjrr"]µELG9W OÙV Ùµwv Tà aya9ov » (v. \6), c'est-à-dire Ce qu' ils
348
Voir Michael WOLTER, Der Brie/an die Ramer. Teilba11d 2: Rom 9- 16, p. 377, c'est
nous qui soulignons.
349
Ibidem.
350 Ainsi And rie DU TOIT, « Shaping a Christian Lifestyle in the Roman Capital », in
Cill iers BREYTENBACH and David S. DU TOIT, (éds.), Focusing on Paul. Persuasion and
Theological Design in Romans and Galatians , (Beihefte zur Zeitschrift fur die neutestament-
liche Wissenschaft und die Kunde der alteren Ki rche, 151 ), Walter de Gruyter, Berlin - New
York 2007, pp. 37 1-403, ici p. 398.
35 1
Voir Michael WOLTER, Paul. An Outline of His Theology, pp. 109- 11 0.
352
Voir Douglas J. Moo, The Epistle to the Romans, p. 855, préfère parler ici de« con-
clusion ».
254 Chapitre 5 : Â l'écoute de Romains l 4, l- 15, l 3, une analyse rhétorique
368
Voir Kuo-Wei PENG, Hale the Evil, Hold Fast to the Good. Structuring Romans 12, 1-
15, I , pp. 169- 170.
369
Voir John M .G. BARCLAY, « Faith and Self-Detachment from Cultural Norms: A
Study in Romans 14- 15 », pp. 199- 200.
370
li s 'agit, par ailleurs, de la dernière occurrence du mot ÔLKCC Loouvri, si important pour
la théologie paulinienne et, notamment, pour toute la lettre aux Romains ( 1, 17; 3,5.21.22.25.
26 ; 4 ,3.5.6.9. 11 [bis].13.22; 5, 17.21 ; 6 , 13. 16. 18. 19.20 ; 8, 10 ; 9,30[ter].3 I ; 10,3[ter].4.5.6.
10 ; 14, 17).
371
Ainsi François BovoN, « Paul comme document et Paul comme monument », p. 60,
à propos de la« justice de Di eu» en Rm 1, 16- 17.
372
Justice et salut sont en rapport de parallélisme synonymique en Rm 10 , 10 : « En effet,
croire dans son cœur conduit à la justice et confesser de sa bouche conduit au salut ».Cf. Ps
7 1, 15 ; 98,2 ; Es 51 ,4- 8 ; 61 , 1O. De plus, Es 56, 1 est peut-être un des cas les plus intéressants
où « ma justice ('ni?")~ ) », celle de YHWH, a été réinterprétée dans la LXX comme « ma
miséricorde (t o ËJ..Eoç µo u) ». James D.G . DUNN, Romans 1- 8, p. 41 , estime que j ustice et
salut sont pratique ment synonymes, notamment dans les Psaumes et dans le Deutéro-Esaïe,
cf. Ps 31 , 1 ; 35,24 ; 51 , 14 ; 65,5 ; 71 ,2. 15; 9 8,2; 143, 11 ; Es 45,8.21 ; 46, 13 ; 51 ,5.6.8 ;
62, 1- 2 ; 63 , 1.7 ; pour les écrits de Qumrân, cf. 1 QS X l,2- 5. 12- 15 ; 1 QH !V,3 7 ; Xl , 17-
18.30- 3 1 ; pour les apocryphes et les pseudépigraphes, cf. Il Baruch V,2.4.9 ; I Hénoch
LXX l, 14 ; Apocalypse de Moïse (ou Vie grecque d 'Adam el Ève) XX, 1 ; I V Esdras Vlll,36.
Voir Johan Christiaan BEKER, « The Faithfulness of God and the Priority of Israel in Paul 's
Letter to the Romans », p. 33 1.
3. L 'arrangement du discours de Paul sur /'accueil 255
373
Pour Simon LÉGASSE, l 'Epistola di Paolo ai Romani, p. 692, au v. 17, le« règne de
Dieu » est compris par Paul comme ètant une réalité courante, à savoir« ! 'existence ch ré-
tienne» collective et individuelle vécue sous le signe de la grâce divine.
374
Voir Douglas J. Moo, The Epistle Io the Romans, p. 856.
375 Idem, p. 858.
376
D'après la philosophie stoïcienne, et notamment selon le grand philosophe SÉNÈQUE,
qui a été pratiquement contemporain de Paul, la vertu ou le souverain bien consiste à suivre
Dieu, à donner son assentiment à la Providence divine, sans résistance aucune : « Nous
sommes nés dans une monarchie : obéir à Dieu, voilà la liberté (deo parere libertas est)»
(la Vie heureuse XY,7). La traduction fra nçaise est empruntée à A. BOURG ERY, in SÉ-
NÈQUE, La Vie heureuse. la Providence. Bilingue, (Classiques en poche, 17), Les Belles
Lettres, Paris 1997, p. 39.
256 Chapitre 5 : Â l'écoute de Romains l 4, l- 15, l 3, une analyse rhétorique
377
Cf. PHILON, De specialibus legibus 2, § 63. Nous nous permettons ici de renvoyer à
notre article, Filippo ALMA,« Gesù e l' etica della "prossimità". Rilettura del comandamento
dell' amore, a partire da Le 10,25- 37 », in Ram6n GELABERT - Victor M. ARM ENTEROS
(éds.), Al aire del Espfritu. Festschrifl al Dr. Roberto Badenas, Editorial Universidad Ad-
ventista del Plata - Au la7 Activa-AEGUAE, Entre Rios- Barcelona 20 13, pp. 1-26. Michael
WOLTER, Der Brie/ an die Ramer. Teilband 2: Rom 9- 16, pp. 383- 384, renvoie aussi à 1 S
2,26 ; Pr 3,4 ; Si 45,1 ; Testament de Siméon V,2; Testament de Benjamin Vl,7 ; PHILON,
De ebrietate LXXX III ; FLAVIUS JOSÈPH E, Antiquités j uives 11,22 ; 11,52 ; DENYS D' HALI-
CARNASSE, Antiquités romaines X, 10,7 ; XII, 13,2 ; SEXTUS, Sentences de Pythagore CX ;
Le 2,52 ; Ac 24, 16.
378
SENÈQUE, l etlres à lucilius X, § 5. Voir Pierre BENOIT, « Sénèque et Saint Paul », in
Revue Biblique 53, 1946, pp. 7- 35, ici p. 11 , n. 3.
379
Voir infra, dans la Conclusion générale, d 'autres préc isions concernant !' évident
changement de langage de Paul en Rm 16, 17- 18 par rapport à Rm 14, 1- 15, 13 .
3. L 'arrangement du discours de Paul sur /'accueil 257
°
38 Contra Stanley E. PORTER, The Letter to the Romans. A Linguistic and Literary Com-
mentmy, p. 265, nous préférons lire ici le subjonctif ÔLWKWµEv , retenu par la 28< édition du
NESTLE-ALAND au lieu de l' indicatif liLWKOµEv (bien qu'il soit mieux attesté par les onciaux),
et cela en accord avec Joseph A. FITZMYER, Lettera ai Romani. Commentario critico-teo-
logico, p. 825, qui interpréte cette exhortation comme un écho intentionnel de Pau l à un
motif du Psaume 33, 15 (LXX) : « recherche la paix et poursuis-la (lilwÇov, ici à l' impéra-
tif) ! ».
38 1
D'aprés Josef PFAMMATTER, (( olKolioµtj - OLKOÔoµÉw », in Horst BALZ - Gerhard
SCHNEIDER (éds.), Dizionario esegetico del Nuovo Testamento , vol. Il, coll. 554-561 , ici
co l. 557, olKolioµtj est un «nom en actionis », c'est-à-di re un mot qu i désigne « ! 'activité de
construction ».
382
Cette double conjonction étai t déjà apparue en Rm 14, 12, même si c'est par une leçon
incertaine : apa [ouv].
383
En ce sens, nous ne sommes pas d' accord avec les auteurs qui font démarrer au v. 19
une nouvelle péricope ( 14, 19- 23). Voir, à titre d'exemple, Robert JEWETT, Romans. A Com-
mentmy, p. 865.
384
Voir infra.
385 Nous accuei llons, là aussi, la correction suggérée par Christian GRAPPE, voir supra.
258 Chapitre 5 : Â l'écoute de Romains l 4, l-15, l 3, une analyse rhétorique
Paul co ntinue son argumentation, il n 'a pas e ncore fini. Il veut établir cla ire-
ment ce qu ' il considère comme étant vra iment important. Il me t e n tension,
d ' un côté, un comportement tout à fait malséant, voire nocif (Ka.Kov, v. 20)386,
à proscrire sans plus tarde r, et, d e l 'autre, un co mporteme nt convenable, bien-
venu (rn.l..6v, v. 21 )387, à promouvoir immédiate m ent. C'est le choix éthique
qu ' il propose, au-delà des c ho ix personnels des uns et des autres, dans un style
sec e t elliptique à plusieurs e ndroits. Dans ces vv. 20- 21 , il rebond it partielle-
m e nt sur la subpropositio du v. 13 par le mot 11p60Koµµa. (v. 20) e t par le verbe
11poaK611tw (v. 21). L 'objectif majeur, qui est so uligné par la figure rhétorique
du polyptote, est de pers uader ses interloc uteurs, nota mme nt les forts, d 'évite r
toute attitude pouvant deven ir un obstacle, une occasion de chute ou d e perte,
pour leur frè re.
Tout d'abord, dit Paul, cela ne vaut pas la peine, pour une affaire de nourri-
ture, à cause d'un alime nt (ËvEKEV ppwµa.toç , v. 20, cf. v. 15), de démolir ou
d'abattre (Ka.ta.À.uw) l' « œuvre de Dieu » 388, à savoir de désunir et de désagré-
ger la communauté des croyants 389 . Paul ex plic ite le revers de la médaille dès
lors qu 'est adoptée une attitude intrans igean te 390 : le verbe rnm.l..uw, tout en
continuant de file r la métaphore de la construction 391 , est exactement
386 Ainsi Michael LAlïKE, « KaKoç »,in Horst BALZ- Gerhard SCHNEIDER (éds.), Di=io-
nario esegetico del Nuovo Testamento, vol. l, co ll. 1878- 188 1, ici col. 1879.
387 L'on note ici, au vv. 20- 2 1, l'effet sonore agréable de la paronomase par le rappro-
400 D'après Marc PHILONENKO, « Testaments des douze patriarches. Texte traduit, pré-
408
D'après Martin LUTHER, Commentaire de / 'Épître aux Romains, (Œuvres, Tome X II),
vol. li, Labor et Fides, Genève 1983, p. 284, « L' Apôtre parle ici de la foi de façon très
générale, il fait cependant a llusion à cette foi particulière qui est celle que l 'on a envers le
Chr ist , en dehors de laquelle il n 'y a pas de jus tice mais le péché » . Cf. p. 2 86 : « Par co nsé-
quent, le mot " foi" a deux acceptions dans ce passage. Premièrement, on peut cons idérer que
ce mot est mis pour "opinion", " conscience". C'est ains i que beaucoup exp liquen t ce pas-
sage. Deuxièmement, selon l' habitude de !'Apôtre, le mo t peut être pris d e façon absolue et
univoque pour désigner la foi au Chri st. Et c 'est ains i qu ' avec tout le respect dû [aux autres
commentateurs], je comprends ce passage».
409
L' étude intéressante de Samuel B ÉNÉTREAU, « Faut-il garder secrètes les convict ions
qui risquent de heurter les frère s ? Une lecture de Romains l 4,22a », in Revue d 'histoire et
de philosophie religieuses 83, 2003, pp. 273- 287, tâche de répondre précisément à cette
question :« que demande exactement Pau l aux " forts" de son temps? Faut-il conc lure qu ' il
est j us te de cu ltiver un j ardin secret où les convictio ns " neuves" et " dérangeantes" restent à
l' abri, ne sub issant pas la mise à l' épreuve du dialog ue et de la confrontation ?» (p. 2 75, cf.
aussi p. 279).
410
Romans , (New International Biblical Commentary), Hendrickson, Peabody 1992, p.
33 1, c ité par Samuel BÉNÉTREAU, « Faut-il garder secrètes les convictions qu i risquent de
heurter les frères ? Une lecture de Romains l 4 ,22a », p. 280.
41 1
C ' est le sens spécifique chez Paul du verbe ôoKLµci(w. Voir Gerd SCl·IUNACK, « ôo-
KLµci(w, OOKLµoç, ôoKLµtj », in Horst BALZ - Gerhard SCHNEIDER (éd s.), Di=ionario esegetico
del Nuovo Testamento, vol. 1, co ll. 905- 9 10, ici col. 907.
3. L 'arrangement du discours de Paul sur /'accueil 265
Paul paraît effectivement opposer deux attitudes416, l' une valorisée (µcmipLOç),
l'autre stigmatisée (Ka.ta.KÉKpvrcn) sur un arrière-plan qui pourrait être non seu-
lement présent mais aussi eschatologique4 17.
D'autre part, s' il est vrai, comme l'atteste Paul par ailleurs, qu'« li n' y a
donc plus maintenant de condamnation (rntocKpLµa.) pour ceux qui sont dans le
Christ Jésus» (8, 1), il est tout aussi évident que se comporter sans aucun égard
pour la fo i, c'est-à-dire aussi sans égard pour le Christ, expose à la condamna-
tion (Ka.ta.KÉKpLta.L, 14,23).
Cela dit, Paul conclut cette partie de son discours au moyen d ' une« défini-
tion-slogan »41 8, courte autant qu 'efficace et frappante, huit mots seulement en
grec:« miv ôÈ o oÙK ÉK TTLOtEWÇ àµa.pt[a. ÉaÛv » (v. 23b)419 . Un slogan faci le
à retenir et à fa ire valoir en toute circonstance de la vie : toute action, tout
comportement, toute pensée qui ne procède pas de la fo i, à savoir tout ce qui
n'est pas en harmonie avec la foi en Chri st, la relation au Christ, est péché,
rupture avec Dieu, éloignement de Dieu. La foi n'est donc pas seulement con-
fi ance ou adhésion intellectuelle au projet salvifique du Christ, aspects qu i de-
meurent indispensables, elle est aussi un critère de choix et de discernement.
C'est le moteur dynamique de ! 'existence et de la conduite chrétienne. La foi
est donc un acte de liberté et de libération, libération notamment du péché au-
quel on succombe à nouveau dès lors que l'on n'agit pas en pleine conviction
de foi. C' est en ce sens que l'on peut comprendre aussi les mots de Paul :
«Car, pour celui qui est en Jésus Christ, ni la circoncision, ni l ' inci rconcision
ne sont efficaces, mais la fo i agissant par l'amour » (Ga 5,6, cf. 6, 15)420.
D'un point de vue rhétorique, il est intéressant de remarquer que la répétition
du verbe Kp[vw (v. 22) et de deux de ses composés, ÔLa.-Kp[voµa.L et Ka.ta.-Kp[vw
(v. 23), crée en grec un effet, qui se perd malheureusement la plupart du temps
en traduction, par un jeu de sonorité et de réverbération que l' on appelle
416
Michael WOLTER, Der Brie/an die Ramer. Teilband 2 : Rom 9- 16, p. 389 ; cf. Peter
SPITALER, « Household Disputes in Rome (Romans 14: 1-15:13) », p. 59.
417
En considération de µ aKa ptoç, terme rare chez Paul (cf. Rm 4,7- 8, où se trouvent les
deux seules autres occurrences dans la lettre aux Romains), Simon LÉGASSE, L 'Epistola di
Paolo ai Romani, p. 699, n. 94, discerne ici une perspective eschatologique, un renvoi à
l'approbation divine du jugement dernier.
418
Voir Jean-Jacques ROBRI EUX, Rhétorique et argumentation , pp. 160- 162.
419
D'après Robert JEWETT, Romans. A Commentary, p. 855, il s'agit d' une « sententia
finale ».
420
Voir John M.G. BARCLAY , « Faith and Self-Detachment from Cultural Norms : A
Study in Romans 14-15 », p. 199.
266 Chapitre 5 : Â l'écoute de Romains l 4, l-15, l 3, une analyse rhétorique
Après avoir stigmatisé les effets nocifs d ' une attitude de mépris et de condam-
nation, déterminée par des convictions de foi et des pratiques divergentes
( 14,1- 12), après avoir averti des effets dangereux d ' une conduite apparemment
« trop libre», et sûrement autoréférentielle ( 14, 13- 23), Paul passe, dans les vv.
1- 2, à un type d 'argumentation plus positive : il souligne, d'abord, le devoir
pour les forts de soutenir les fa ibles, ce qui est une ma nière de se raccorder à
la propositio principale de ce discours ou de cette un ité rhétorique (concernant
421
D' après He inrich LAUSBERG, Handbook of Literwy Rhetoric. A Foundation for Lite-
rwy Study, § 648, pp. 29 1- 292, il y a derivalio lorsqu' il s'agit de répétition de la même
racine étymologique. Cf. Bice Morta ra GARA VELU, Manuale di retorica, pp. 2 12- 213. Un
exemp le, parmi d'autres, en français : « li est interd it d ' interdire », et en angla is: « Speak
the speech ».
422
La figure d e la paronomase au vv. 22b- 23 est repérée aussi par Robert JEWEn·, Ro-
mans. A Commentmy, p. 855.
423
Ainsi Jean-Jacques ROBRIEUX , Rhétorique et argumentation, p. 78.
3. L 'arrangement du discours de Paul sur /'accueil 267
l'accueil du faib le, 14, 1), tout en recourant à un lexique varié 424. Il souligne
ensuite le devoir de plaire à son prochain, le véritable modèle à suivre étant le
Christ (cf. v. 3). En fonction de ces données, nous estimons que les vv. 1-2
jouent le rôle de deuxième et dernière subpropositio425 . Paul ne regarde plus en
arrière ce qui ne va pas ; il n'est plus question de divergences qu i font souffrir ;
il est temps de se projeter vers le futur, vers l'axe de l'espérance.
Le changement de ton est évident, dès le v. 1, par l'emploi d'une figure très
expressive, l'euphémisme 426, en vue d'atténuer ou d'adoucir la condition des
faibles. Paul évite habilement de nommer une nouvelle fois le faib le dans la
foi (-ràv ... cio8Evoûvta t fj 11[otH, 14, 1) en tant que tel, comme au tout début de
cette large unité (14, 1- 15, 13), et désigne, au p luriel, plus généralement, les
« &ôuvato[ », littéralement les« non-forts »427 . En voulant jouer avec les mots,
on pourrait dire que la boutei lle n' est plus à moitié vide et qu 'elle est désormais
à moitié pleine. Les fa ibles sont désormais les « non-forts ». C'est probable-
ment une manière de suggérer que ces épithètes/arts (ôuvato[) et non-forts
(ciôuvato[)428 sont assez relatives et approximati ves (outre que le plus souvent
transitoires) pour exprimer la complexité de l'être humain aux prises avec son
expérience de foi . Car cette expérience peut toujours changer !
Paul a fait preuve jusqu' ici d' un grand talent communicatif. 11 ne joue jamais
la carte de la polémique, ni de 1'affrontement direct. Au contraire, tout en par-
tageant le point de vue des forts ( « Mais c' est un devoir pour nous, les forts
.. . », 15, 1), il ne ridiculise jamais les opinions et l' agir des faibles. Il reste
lucide, contrôle ses émotions, choisit ses mots, et ne révèle sa disposition per-
sonnelle que pour engager à nouveau les forts à la tâche la plus lourde et la plus
exigeante : celle de se charger, voire de« porter l 'infimité des faibles» (15 , 1).
Ce n'est pas tant une identification tout court de Paul avec les forts 429 - il est
424
Ainsi, contra Douglas J. MOO, The Epistle to the Romans, p. 865, n. 6, nous ne pen-
sons pas que ce changement de lexique s'explique tout simplement par des ra isons stylis-
tiques. Le lien thématique qui unit, d'après notre reconstruction de la dispositio de Rm 14, 1-
15, 13, la propositio (14, 1) aux deux subpropositiones ( 14, 13 et 15, 1- 2, voir supra), a éga-
lement été vu par Ernst KASEMANN, Commentwy on Romans , p. 368.
425
Pour Robert JEWETT, Romans. A Commentaty, pp. 874- 875, à la suite de John D.
HARVEY, Listening to the Text: Oral Patterning in Pau/ 's Letters, (Erfurter theologische
Studien), Baker, Grand Rapids 1998, p. 205, l'ouverture de Rm 15 crée un effet d' inclusion
avec 14, 1.
426
La figure rhétorique de l'euphémisme« vise à adoucir l'expression d' une réalité gros-
sière, bmtale ou susceptible de provoquer des sentiments de crainte ou de gêne ». Ainsi Jean-
Jacques ROBRIEUX, Rhétorique et argumentation, p. 106.
427
Douglas J. Moo, The Epistle to the Romans, p. 866, sans parler d'euphémisme, est
proche de notre traduction, il traduit aussi : les« without strength », les « sans f orce ».
428
li y a là aussi un jeu de paronomase antithétique.
429
À propos des viandes sacrifiées aux idoles, Paul témoigne d ' une manière indirecte
avoir une conscience forte et non pas faible ( 1 Co 8,7), illuminée par la connaissance de
l' inex istence des idoles (cf. 1 Co 8, !).
268 Chapitre 5 : Â /'écoute de Romains 14, l- 15, l 3, une analyse rhétorique
430 Voir par exemple l'emploi du pronom personnel pluriel fiµEl ç (Rm 15, 1), ~µwv (Rm
14,7. 12 ; 15,2.6), de l'adjectifpossessi f ~µEtÉpav (Rm 15,4) ou des verbes employés au plu-
riel (Rm 14,8. 10.13.19 ; 15, 1.4).
43 1
Ainsi Bernhard ÜESTREICH, Performance Criticism ofthe Pauline lellers, p. 190.
432
Voir John M.G. BARCLAY, « Faith and Self-Detachment fro m Cultural Norms : A
Study in Romans 14- 15 », pp. 205- 206. C'est mécomprendre le raisonnement et la logique
de Paul qu'estimer, comme le fait Ronald O. ROBERTS(« Deviance or acceptable differen-
ce: Observance of the Law in Romans 14- 15 and Dialogue with Trypho 47 »,p. 9), que, en
Rm 15, 1, « Paul place subtilement, et probablement involontairement, les faibles, disciples
du Christ observant la loi, dans une position inférieure aux forts, disciples du Christ non-
observant », et que, ce faisant, il exprimerait aussi sa préférence (ou son «favoritisme»)
pour les forts. Il y a à cela deux raisons: il n'est ni avéré ni vérifiable que ce soit Paul qui
introduit ces appellations parmi les croyants romains (il est fort probable que ! 'épithète
« faible dans la foi» ait été imposé par le groupe dominant/opposant, voir Robert JEWETT,
Romans. A Commentary, pp. 834- 835) ; une telle compréhension du verset va à ! 'encontre
de tout l'effort rhétorique accompli par Paul pour tenir ensemble, appeler à l'unité, les uns
et les autres dans un esprit d'accueil réciproque (effort et intention d'ailleurs reconnus par
ROBERTS, lui-même, p. 4) et sur un plan d'égale dignité. L' appel au respect des uns et des
autres et l'exhortation à abandonner toute attitude critique et de mépri s que lance Paul du
début à la fin de toute cette longue unité littéraire et rhétorique, cela sans prononcer aucun
jugement de valeur sur les observances (en elles-mêmes), nous paraissent inconci liables avec
l'opinion selon laquelle il fini rait par juger (sic !), bien que paradoxalement, les faibles.
433
Voir Angelo COLACRAI, For=a dei deboli e debole=za dei potenti. La coppia « de-
bole.forte » nef Corpus Paolinum, pp. 530- 53 1.
434
Idem , p. 53 1.
270 Chapitre 5 : Â l'écoute de Romains l 4, l- 15, l 3, une analyse rhétorique
438 Il s'agit encore d' un effet d ' ins istance assuré ici par la figure du polyptole.
439 Ansi Josef P FAMMATT ER, « olKoôoµ~ - olKoôoµÉw »,col. 560, en c itant Phillip YIEL-
HAUER, Oikodome, vol. 2, (Aufsatze zur NT), Chr. Kaiser, München 1979, pp. 1- 168, ici p.
96.
272 Chapitre 5 : Â l'écoute de Romains l 4, l- 15, l 3, une analyse rhétorique
444
Nous empruntons cette express ion à Andreas DErrw1LER, « L'école pau li nienne : éva-
luation d'une hypothèse », in Andreas DETTWILER, Jean-Daniel KAESTLI et Daniel MAR-
GUERAT (éds.), Paul, une théologie en construction , pp. 419-440, ici p. 428, n. 3 1.
445
Une fois de plus, l' indicatif concernant !'agir de Jésus (v. 3) vient justifier et légitimer
l' impératif de la demande que Paul adresse aux forts en particulier (vv. 1-2). Voir Michael
WOLTER, Der Brie/ an die Romer. Teilband 2: Rom 9- 16, pp. 397- 398.
446
Toute la lettre aux Romains, d'ailleurs, insiste sur la centralité du Christ par rapport à
!'Évangile : dans le prologue épistolaire ( 1, 1- 6.9), dans le corps de la lettre (par exemple :
3,21 - 26 ; 5, 14- 2 1 ; 8, 1-4 ; 9,32- 10,13; 12,5; 14,8- 9 ; 15, 1- 9 ; passages auxquels nous
ajouterions volontiers 5,6- 11) ; dans la conclusion épistolaire ( 15, 16- 20). Voir James D.G.
DUNN, Romans 1-8, p. LXI. Cf. Andrie DU TOIT, « Shaping a Christian Lifestyle in the
Roman Capital », pp. 383- 384 ; Paul BONY, Un Juifs 'explique sur l'Évangile. La Lellre de
Paul aux Romains, p. 339.
447
« les mots enseignent, les exemples e11trainent ».
3. L 'arrangement du discours de Paul sur /'accueil 275
462
Voir Ala in GIGNAC, L 'épître aux Romains, p. 466.
463
L'esprit de solidarité humaine était connu et exprimé, en milieu stoïcien, par la méta-
phore du corps. D' après S ÉNÈQUE, Lettres à Lucilius , XCV, § 52, par exemple, en tant
qu'êtres humains« nous sommes les membres d ' un grand corps (membra sumus corporis
magni) ».
464
C f. Ph 3, 15 : «Nous tous, les "parfaits", comportons-nous (<j>povwµev) donc ainsi, et
si en quelque point vous vous comportez autrement (Kal ei'. n hÉpwç <j>poveî.te), là-dessus
aussi Dieu vous éclairera ».
3. L 'arrangement du discours de Paul sur /'accueil 277
En 15,7- 13, Paul arrive fina lement à la peroratio de son discours centré sur
l'exigence de l'accueil ( 14, 1- 15, 13)468 . On discute, cependant, pour savoir si
ces versets sont à comprendre comme étant effectivement la conclusion du dis-
cours sur les faibles et les forts (14, 1- 15,6), ou bien comme étant aussi la con-
c lus ion de toute la section exhortative ( 12, 1- 15, 13), ou enfin comme étant la
conclusion du corps théo logique de la lettre ( 1, 16- 15, 13). On devine
468
Voir aussi Antonio PITIA, Lettera ai Romani. Nuova versione, imroduzione e com-
menta, pp. 485--486. Alors que, pour Troels ENGBERG- PEDERSEN, « "Everything is C lean"
and "Everything that is Not of Faith is Sin": The Logic of Pau line Casuistry in Romans 14. 1-
15.13 »,p. 24, il s'agit d'une sorte de« conclusion récapitu lat ive» non seulement de 14, 1-
15,6, mais aussi du corps de la lettre dans son ensemble. D'après C harles B. P USKAS - Mark
REASONER, The Letters of Paul: An Introduction , The Liturgical Press, Collegevi lle 2013 2,
pp. 78- 79, c'est Rm 15,7- 8 qui constitue la véritable perorario de la proposirio de la lettre
aux Romains (cf. 1, 16- 17).
278 Chapitre 5 : Â l'écoute de Romains l 4, l- 15, l 3, une analyse rhétorique
facilement que, parmi les spécialistes, il y a des partisans des trois possibilités
ou de plusieurs à la foi s469.
L'un des auteurs qui a soutenu le plus énergiquement une lecture de 15,7-
13 en tant que conclusion de toute la lettre aux Romains est James D.G. Dunn,
qui estime que, dès lors que le Christ est présenté comme celui qui assure la
continuité entre la permanente fidé li té de Dieu à son peuple Israël (v. 8) et
l'extension des promesses et de son alliance miséricordieuse aux Gentils, aux
nations (vv. 9- 12), et la garanti t, il appert que l'Évangi le est ouvert désormais
à quiconque croit ( l, 16- 17), et que la miséricorde divine inclusive embrasse à
la fo is les Juifs et les païens (l l ,30- 32)410_ Plus récemment, dans ce même
sillage, Marc Schoeni4 7 1 a maintenu que la péricope de 15,7- 13 constitue « la
péroraison de tout le discours », depuis la propositio principale de toute la lettre
aux Romains (1, 16- 17), tout en considérant aussi ces versets comme la con-
c lusion des recommandations aux faibles et aux forts ( 14, 1-12 et 14, 13-23)472 .
Pour ce qui nous concerne, nous sommes encl in à aller encore plus loin et
nous suivons en gros la position de Joseph A. Fitzmyer473 qui considère que
revient à 15, 7- 13 une fonction mu ltiple4 74 . Le passage constitue à la fois la
469 Pour les détails, voir Douglas J. Moo, The Epistle to the Romans, p. 874 ; Kuo-Wei
PENG, Hale the Evil, Hold Fast to the Good. Strucwring Romans 12,1-15,1, p. 177, notam-
ment les nn. 150- 153.
470 Voir James D.G. DUNN, Romans 9-16, pp. 705- 706, cf. pp. 844- 845. La miséricorde
universel le de Dieu est considérée par Johan Christiaan BEKER, « The Faithfu lness or God
and the Priority of Israel in Paul 's Letter to the Romans», p. 330, comme étant le climax
théo logique de toute la lettre.
471
«Épître aux Romains», in Camille FOCANT et Daniel MARGUERAT (dirs.), l e Nou-
veau Testament commenté. Texte intégral. Traduction Œcuménique de la Bible, Bayard -
Labor et Fides, Montrouge - Genève 2012, pp. 639- 708, ici p. 702. D' après Antonio PITTA,
l ettera ai Romani. Nuova versione, introduzione e commenta, p. 35, n. 71 , Rm 15, 7- 13
constitue une des perorationes qui closent les différentes sections de la lettre aux Romains,
cf. Rm 3, 19- 20; 4,23- 25 ; 8,3 1- 39; 11,25- 36; 13, 11- 14 ; 16,25- 27.
472
Marc SCHOEN I, ibidem, dans la suite de son commentaire, il ne peut pas toutefois se
passer d'affirmer :« Au v. 7, retour en arrière : Paul renouvelle l'exhortation aux "faibles"
et aux "forts" (les deux parties à la fois), usant du verbe "accueillir" qui avait ouvert la
section en 14, 1. La raison donnée est ! 'accueil premier fait par le Christ. Paul glisse alors à
la conclusion de tout le discours (depuis 1, 16) dans une vision embrassant toute l'histoire et
les destinées respectives des "circoncis" (les Juifs, v. 8) et des " païens" (v. 9) ». Cf. Jordi
SÀNCHEZ BOSCH, Scritti paolini, p. 258 ; Hans-Josef KLA UCK, La /etlera antica e il Nuovo
Testame11to. Guida al contesta e all 'esegesi, p. 268.
473
Joseph A. FITZMYER, lettera ai Romani. Commentario critico-teologico, pp. 833-
834, a fait valoir que Rm 15, 7- 13 conclut d'abord le discours sur les faibles et les forts
( 14, 1- 15,6), mais joue également le rôle de conclusion de la section exhortative (12, 1- 15, 13)
et de conclusion logique de toute la lettre (1,16- 15, 13), alors que le texte de R.m 15, 14- 16,24
consti tuerait la conclusion spécifiquement épistolaire.
474
Selon Carl N. TONEY, Paul 's Inclusive Ethic. Resolving Community Conj/icts and
Promoting Mission in Romans 14- 15, pp. 120 et 125, Rm 15,7- 13 a une « double
3. L 'arrangement du discours de Paul sur /'accueil 279
p eroratio del 'unité exhortative entamée en 14, 1, c'est-à-dire son point cu lmi-
nant, voi re son « climax» naturel475 , mais aussi, en raison tout spécialement de
son caractère délibérément amplifiant, tant la conclusion de la section exhorta-
tive ( 12, 1-15,13)4 76 que la conclusion générale de l'Évang ile annoncé par Paul
aux croyants roma ins (1 , 16-15, 13), à partir de sa propositio generalis ( l , l 6-
17)4n
Paul conclut son discours sur les fa ibles et les forts ( 14, 1- 15,6) de la man ière
la plus c lassique478 : il résume en peu de mots l'essentiel de son propos479 par
la reprise de l'exhortation majeure à l'accuei l (cf. 14,l, avec des variations
importantes par rapport à la propositio)480 ; il amp lifie son discours, que ce soit
en passant de l' accueil du faible à l'accueil réciproque 48 1 o u en proposant
Christ comme le modèle idéal de cet accueil ; il fait appel aux sentiments de
son auditoire en évoquant l 'œuvre du Christ pour ceux de la circoncision
(TIEpttoµtj) aussi bien que pour les nations païennes (i:à Ë8vri), c'est-à-dire pour
fonction » : d'abord, le passage sert de conclusion del 'appel de Paul en vue de l'unité interne
des croyants en conflit à Rome ( 14, 1- 15,6), au travers d' une éthique inclusive ; ensuite, il
sert de conclusion pour le corps théologique de la lettre aux Romains ( 1, 16- 15, 13), en insis-
tant sur! 'adoration commune et le salut eschatologique des Juifs et des païens.
475
Ainsi Douglas J. Moo, The Epistle to the Romans, pp. 826, 874 et 883 ; cf. Thomas
R. SCHREINER, Romans, p. 704.
476 C'est l'avis de Robert JEWETI", Romans. A Commentary, p. 887. li estime que Rm
15,7- 13 pourvoit la« conclusion efficace»(« Récapitulation de l'éthique inclusive qui con-
tribuera à la mission de transformatio n globale») soit de la quatrième preuve ( 12, 1- 15, 13),
appelée en latin Exhortatio, qui inclut dix péricopes (cf. p. 724 et aussi ID., « Following the
Argument of Romans», in Karl P. DONFRIED, The Romans Debate. Revised and Expanded
Edition, p. 274), soit de l'ensemble de laprobatio de la lettre ( 1,18- 15, 13), cf. p. 899. Tandis
qu' il réserve, à notre avis de man ière discutable (voir supra), la fo nction de peroratio de la
lettre à Rm 15,14- 16,24 (cf. p. 900). Voir également Paul BONY, Un Juif s'explique sur
l 'Évangile. la le11re de Paul aux Romains, p. 341; Stanley E. PORTER, The Letter to the
Romans. A Linguistic and Litera1y Commentary, p. 271.
477
C'est aussi en R.m 15,7-13 qu ' Alain GIGNAC, L 'épître aux Romains, p. 51 , voit« le
sommet de la lettre», à savoir« la nécessité d'un accueil réciproque» ; en même temps que
la conclusion à la fois de Rm 14, 1- 15,6, de Rm 12, 1- 15,6 et de Rm 1, 18- 15,6 (p. 62 et p.
498). Cf. Michael TH EOBALD, « 2.7. Rômerbrief», p. 217, d'après lequel Rm 15,7- 13 a la
fonction généra le de peroratio de toute la lettre, et constitue donc une sorte de résumé suc-
cinct de l'objet même de la lettre.
478
Comme nous l' avons déjà esquissé supra (cf. «Chapitre 4 : La "rhétorique pauli-
nienne", éléments de méthode»), la peroratio rhétorique comptait essentiellement trois par-
ties: la récapitulation, l'amplification et l' appel à la pitié. Pour d'autres détai ls, voir Chris-
tophe JACON, la sagesse du discours, pp. 86- 87 ; cf. Jean-Noël ALETTI, la Leuera ai Ro-
mani. Chiavi di leltura, p. 85.
479
Voir Andrie DU TOIT, « Shaping a Chri stian Lifestyle in the Roman Capital », p. 397.
480
L'on sait, en fait, que« rien n'est plus déplaisant qu ' une répétition toute sèche». Voir
QUINTILIEN, Institution oratoire VI, 1,2, p. 8 (traduction Jean COUSIN, 1977).
48 1
Voir James D.G. DUNN, Romans 9- 16, p. 845.
280 Chapitre 5 : Â l'écoute de Romains l 4, l- 15, l 3, une analyse rhétorique
toute l'humanité482 . Paul, en fa it, é lève sa réflex io n d'un plan local, les tensions
entre les fa ibles et les forts à Rome ( 14, 1- 15,6), à un plan universel : la re lation
entre Israël et les nations païennes, conçue su r l'arrière-plan du salut eschato-
logique, à partir des promesses de Dieu dont témoignent les Écritures (vv. 9b-
12).
Au v. 7a : « Pour ces ra isons, accueillez-vous réc iproquement (tHo
npoaJ..aµpavEa8E &U~J..ouç) » 483 , Paul, à travers un procédé d'inclusion
(ÈnavaôL TTÀWO LÇ - inclusio, redditio) 484 avec 14, 1 : « Accuei llez (npoa-
J..aµpavrn8E) celu i qui est faib le dans la foi », boucle la boucle, souligne le lien
entre l'exhortation d 'ouverture et celle de c lôture485 et arrive au point culmi-
nant de son discours 486 .
Dès lors, ce bloc littéraire, cette unité rhétorique ( 14, 1-15, 13), apparaît ef-
fectivement très cohérent. li se tient et s'explique dans sa global ité. La répéti-
tion à distance du verbe npoaJ..aµpavrn8E à l' impératif, à la même personne, au
même temps et au même mode, le suggère déjà. De plus, le propos est renforcé,
en 15,7b, par la reprise de ce même verbe, cette fo is-ci à l'indicatif (npo-
aüapno), pour exprimer l 'agir du Christ : « rn8wç rnl 6 Xpwtoç npoaEJ..aPEto
ùµâç »487, de la même manière que l'a été auparavant l'accueil octroyé par Dieu
(« 6 8Eoç yàp aiJtov npoaEJ..aPEto », 14,3c). li s'agit donc d'accueillir non
482 On peut reconnaître dans ces deux entités ou parties, la circoncision et les nations, la
figure du mérisme (µEpwµoç): «division d'un sujet, d'un point à traiter en ses diverses par-
ties». Voir Heinrich LA USBERG, Handbook ofLiterary Rhetoric. A Foundationfor li1era1y
Study, § 1246, p. 884.
483 C'est nous qui traduisons.
484 Voir Heinrich LAUSBERG, Handbook oflilerary Rhetoric. A Foundation for literaty
Study, § 625, pp. 280- 281 ; Bice Mortara GARA VELU, Manuale di retorica, p. 199. Cf.
Jeffrey Paul SAMPLEY, « Romans in a Different Light. A Response to Robert Jewett », in
David M. HAY and E. Elizabeth JOHNSON (éds.), Pauline Theology, vol. 3 : Romans, pp.
109- 129, ici p. 125 ; Thomas R. SCHREINER, Romans, p. 703 ; Alain GIGNAC - André
GAGNÉ, « N'est pas fort qui croyait l'être. Et sa foi n'est pas celle qu'il convenait d'avoir!
Ambiguïté discursive et programmation de lecture en Romains 14 », p. 25, n. 10 ; Robert
JEWETT, Romans. A Commenta1y, p. 887 ; Udo SCHNELLE, Paolo. Vitae pensiero, p. 387.
485 Voir Jean-Noël ALETTI, « Romani 14, 1- 15,6 : di nuovo alla ricerca di chi sono i forti
e chi i deboli », p. 99, n. 3 1.
486 Ainsi William S. CAMPBELL, Paul 's Gospel in an lntercultural Context: Jew and Gen-
tile in the Letter to the Romans, (Studies in the lntercultural History of Christianity, 69),
Lang, Frankfort 1991 , p. 22, in Robert JEWETT, Romans. A Commenta1y, p. 85. Pour Michael
WOLTER, Paul. An Outline of His Theology, p. 390, Rm 15,7a constitue le« résumé
parénétique »paulinien relatif au conflit entre les faibles et les forts ( 14, 1- 15,6).
487 En Rm l 5,7b existe une variante textuelle à propos du pronom personnel : ùµéiç (vous),
attestédans K AC D1 FGL't'33.81. 365. 630. 11 75. 1241. 1505. 1739. 1881 fi? latsybo) ;
~µéiç (nous ), présent dans d'autres manuscrits (BD* P 048. 104. 614. 629. 1506 br sa). Bien
que ~µéi ç apparaisse comme la leclio difficilior, nous préférons reten ir ùµéiç en fonction du
contexte de l'exhortation paulinienne (vv. 5- 7). Cf. Bruce M. METZGER, A Textual Com-
mentary on the New Testament , p. 473.
3. L 'arrangement du discours de Paul sur /'accueil 283
fondée non pas sur ! ' inaccess ibilité de la vérité, ni sur le caractère re latif des
points de vue huma ins, ma is sur l'action d ' accueil du Christ lui-même498 .
C'est pourquoi, bien que nous considérions, comme beaucoup de spécia-
listes, que l'arrangement structure l de 15, 1-6 et 15, 7- 13 se déploie en parallèle
- d 'abo rd, une exhortation d 'o uverture ( 15, 1- 2 Il v. 7), ensuite les raisons q ui
la j ustifient : Christ et les Écritu res ( 15,3-4 Il vv. 8- 12), et, enfin, une prière
d' intercession conc lus ive (1 5,5-6 Il v. 13) 499 -, nous remarquons qu' il y a
aussi, entre les deux sections, un incontestab le effet d ' intens ification et d ' am-
plification, dont il fa ut rendre compte.
Aux vv. 8- 9a, pour la dernière fois dans cette unité ( 14, 1- 15, 13) et en pré-
paration d' une chaîne de quatre citations bibliques, Paul, ne craig nant pas de
s'exposer, prend la parole à la pre mière personne - « Je l'affirme en effet (/...Éyw
yap) » -, cela pour étayer sa dernière justification théologique en fave ur de
l' accueil réciproque (v. 7). C'est ce que Cranfield a appe lé fort à propos « une
déclaration doctrina le solenne lle »500 . De fait, lo rsqu' il s'agit de conclure un
discours, o n doit montrer que l'on connaît parfa itement, et sans hésitation, ce
dont on parl e. Sans ambages, Paul affirme donc que« Christ s'est fait serviteur
de (la) c irconc ision (yqEvfjo8aL nEpLtoµfjç) », c 'est-à-dire des circoncis. fi uti-
lise le mo t 1TEpLtoµ~ comme une métony mie (µETwvuµ(a - metonymia:
causeleffet) 501 po ur s ignifier l'ensemble d ' lsraël502 . Et, à travers l'emp loi du
verbe y (voµa Là l'infinitif parfait, il déc lare que le rôle du Christ po ur l sraël va
bien au-de là du seu l passé : il s' est fait et il reste encore serviteur (liLaKovoç)
de son peuple 503 . Et cela, le motif de la promesse l'exprime à merveille dès lors
498
Voir Robert JEWETT, Romans. A Commentmy, p. 889.
499 Voir Douglas J. Moo, The Epistle to the Romans, p. 873; Angelo COLACRAI, Forza
dei deboli e debole==a dei potenti. La coppia « debole.fone » nel Corpus Paolinum, p. 527;
Robert JEWETT, Romans. A Commentary, p. 887 ; Jean-Noël ALETTI, « Romani 14,1- 15,6:
di nuovo alla ricerca di chi sono i forti e chi i deboli », p. 98.
500
Ainsi Charles E.B. CRANFIELD, The Epistle to the Romans, vol. 2, p. 740.
501
Voir Heinrich LAUSBERG, Handbook ofLiterai)' Rhetoric. A Foundationfor litera1y
Study, § 565, pp. 256-257 ; Bice Mortara GARA VELL!, Manuale di retorica, pp. 149- 150.
Cf. Ronald D. ROBERTS, « Deviance or acceptab le difference : Observance of the Law in
Romans 14- 15 and Dialogue with Trypho 47 », p. 3.
502 Par ai lleurs, en Rm 3,1 : «Que lle est donc la supériorité du Juif? Quelle est l' utilité
de la circoncision ?», l'on constate que 'loufoioç et 11EpL1:0µ~ sont en rapport de parallélisme
synonymique (cf. 3,30). De même, en Ga 2,8- 9, Paul oppose deux fois: 11epLtoµ~ et Ë9v11 (v.
8), Ë9vTJ et 11epLtoµ~ (v. 9), en parlant des deux missions del 'Église primitive. Or ce mélange
identitaire religieux et ethnique apparaît sous la même forme en 15,8- 9. Cette figure rhéto-
rique a été mise en évidence auss i par Antonio PITTA, Lettera ai Romani. Nuovo versione,
introduzione e commento, p. 488. Cf. Michael WOLTER, Der Brie/ an die Ramer. Tei/band
2 : Rom 9- 16, p. 408.
503
Ce qui pourrait faire allusion à l ',:lP YHWH (Es 53,J 1), bien que le mot ôLâKovoç et
le verbe ôuxKovÉw ne so ient pas attestés dans Esaïe (LXX), ou, encore, à la mission du « Fils
3. L 'arrangement du discours de Paul sur /'accueil 285
dynamique temporelle envisagée, a rendu possible leur accuei l mutuel qui réa-
lise lui-même l'aboutissement de la dynamique d 'universalité débouchant sur
la célébration, à l'un isson et d ' une seule voix, de la glo ire de Dieu.
La manière dont procède ici Paul, en fonct ion de sa stratégie rhétorique, est
sans doute la plus rassurante pour suggérer aux croyants romains d'orig ine
juive, pour l'essentiel les faibles, d ' accorder et de reconnaître aux croyants ro-
mains d ' origine païenne, pour l'essentie l les fo rts, le droit officiel, corroboré
par les Écritures depuis toujours, des 'unir au peuple d'Israël pour adorer et se
réjouir ensemble, sans devoir en demander la permission, sans devoir souscrire
à toutes les observances508. Les fa ibles sont donc censés se rappeler que les
forts aussi sont des membres du peuple de Dieu à part entière. Ils sont en effet
I'« olivier sauvage » ( 11, 17) qui a été greffé sur ! ' olivier historique, qui est le
peuple d ' Israël (Jr 11 , 16 ; Os 14,5-7). Quant aux forts, eux aussi doi vent se
souvenir que le statut dont ils bénéficient se fonde sur « la racine» (1 1, 17-18)
qui les porte 509. li n'est pas question de se vanter. Ce détour, ou cette voie
indirecte (que Jean-Noël Aletti aurait pu décrire comme « une prise de dis-
tance», voir supra), a préparé le terrain pour la nouvelle et dense argumenta-
tion scripturaire qui a également pour but de montrer que ! 'inc lusion des païens
dans la louange de Dieu faisait déjà partie de son dessein sa lvifique 510 . Israël
n'a pas l'exclusivité de Dieu: « Ainsi, il n'y a pas de différence entre Juif et
Grec : tous ont le même Seigneur, riche envers tous ceux qu i l' invoquent»
(J0,12, cf. 3,22.29- 30) ; mais, Dieu n' a pas pour autant rejeté son peuple
Israël ( l \ ,1- 6), «Car les dons et l'appel de Dieu sont irrévocables» (l 1,29).
« Il n 'y a pas deux chemins parallèles de j ustice et de salut : la Loi pour Israël ,
la fo i pour les Nations. Mais un seul et même chemin pour tous : la foi » 511 .
Pour fo nder cette unité, l' utilisation des Écritures (cf. vv. 9b- 12), toute
!'Écriture d' Israël, à savoir le TaNaK512 (acronyme de Torah-Nevi 'im-Ketou-
vim) , même s' il s 'agit à l' époque d ' un corpus qui n' est pas encore bien défini
508
En conclusion, d'après Richard N. LONGENECKER, The Epistle to the Romans, pp.
1001 , 1015 (cf. p. 1017), Paul veut montrer comment son éthique inclusive reste en conti-
nuité (« in line ») avec les Écritures juives. Par ailleurs, comme l'explique Alain GIGNAC,
L 'épître aux Romains, p. 531 , « Le messie ne concerne pas uniquement Israël, mais aussi les
nations ; en unissant Israël et les nations en une unique louange à Dieu, le messie réali se
!'attente de l' Écriture, à savoir qu ' Israël glorifie enfin son Dieu et que les nations se joignent
à lui».
509
Voir Douglas J. Moo, The Epistle to the Romans, p. 877.
510
Idem, p. 878. Cf. Stanley E. PORTER, The Letter to the Romans. A Linguistic and Lit-
erary Commentary, p. 274. Pour Michael WOLTER, Der Brie/ an die Ramer. Tei/band 2 :
Rom 9- 16, la glorification de Dieu même par les peuples non juifs est en continuité avec
!' histoire du salut (p. 410) et avec ! 'attente eschatologique juive (cf., par exemple, Ps 47,2-
5 ; 86,9 ; 11 7, 1- 2 ; Es 56,7 ; Za 2, 15 ; Testament de Juda XXV,5), (p. 416).
511
Ainsi Paul BONY, Un Juifs 'explique sur l 'Évangi!e. La Lettre de Paul aux Romains,
p. 37.
512
Voir inter alia James D.G. DUNN, Romans 9- 16, p. 845.
286 Chapitre 5 : Â l'écoute de Romains l 4, l- 15, l 3, une analyse rhétorique
(cf. Le 24,27.44) 513 , représente ici l'argument d'autorité 514 finale, et il est uti-
lisé d ' une manière mass ive. Ce recours insisté à la citation, en plus d 'appuyer
le propos de Paul, est aussi un autre moyen de renforcer l'enracinement com-
515
mun liant l'auteur et le lecteur, liant l'orate ur et l'aud iteur
Paul apporte ains i la dernière touche à son discours, au travers d ' un argu-
ment décis if à ses yeux : les Écri tures dans leur ensemble ont prophétisé ! 'en-
trée ou l' intégratio n des païens, des« natio ns», dans l'adorati on de D ieu au
côté d e son peuple. Le terme servant de Lien 51 6 , de mot-crochet, entre ces q uatre
citations est Ë8vT] (to ujours au pluriel). Pau l crée un effet recherché d' intensifi-
catio n. On o bserve une concentration remarquable de ce mot, c inq occu rrences
en quatre versets ( l 5,9b. 10. 11. 12[ bis]), six si l'on y aj oute celle du v. 9a. « Les
Gentils ne d evraient jama is oublier qu ' ils o nt été appe lés par le biais d es Juifs,
et les Juifs que leur propre vocatio n ava it en vue les Gentils dès le début » 517 .
Ainsi se conj ug uent dy namique temporelle et dynamique uni verselle qui con-
fluent en vue de la célébration d e la g lo ire de Dieu.
Les q uatre citatio ns scripturai res qui se succèd ent en 15 ,9b- l 2 consti tuent
ce que l'on appe lle un jlorilège518, à savo ir u n assemblage de citati o ns cho isies
et cousues avec soin, presque une antho logie. Il a pour visée princ ipale, dans
le contex te, d e mettre en exergue la louange universelle de D ieu 519 occasionnée
par l' heureuse rencontre eschato logiq ue entre le peuple d ' Israël et les nations
païennes:
a) v. 9b : «C'est pourquo i j e te célébr erai parm i les nations païennes, et je
chantera i en l' ho nneur d e ton nom ». Mis à part le vocatifKupLE , l'apôtre
Paul cite le Ps 17,50 selon la LXX (cf. 2 S 22,50 ; Si 5 1, 12) ;
b) v. JO :« Nations, réjouissez-vous avec son peuple». Paul ci te un passage
du cantique de Moïse, en Dt 32,43, touj ours selon la LXX, qui di verge tant
5 13
Michael WOLTER, Der Brie/ an die Ramer. Teilband 2: Rom 9- 16, p. 4 10, n. 70,
renvoie, outre à Le 24,44 («la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes»), à 4Q 397 (4Q
MMTd), Fragment 14- 21 ,10 («Loi, Prophètes, David»). Cf. également Prologue de Ben
Sirach : « . .. la Loi, les Prophètes et les autres livres».
5 14
Sur la formule yÉypamaL («i l est écri t»), voir supra. Par ai lleu rs, le verbe ypacj>w,
exprimant toujours l' ancrage du message paulinien dans la tradition et dans ! ' histoire
d' Israël, se retrouve aussi en Rm 4,23 ; 10,5; 12,19 ; 15,4.
5 15
Voir Chaïm PERELMAN et Lucie ÛLBRECl-ITS-TYTECA, Traité del 'argume11lalion. la
nouvelle rhétorique, p. 240.
5 16
« Link-word », Douglas J. Moo, The Epistle to the Romans, p. 878.
5 17
Ainsi James D.G. OUNN, Romans 9- 16, p. 853.
5 18
Ai nsi Antonio PITTA, le/lera ai Romani. Nuova versione, introdu::ione e commenta ,
pp. 485 et 490. James D.G. DUNN, Romans 9- 16, p. 845, et Robert JEWETT, Romans. A
Comme11tary, p. 893 parlent, quant à eux, d' une catena d' Écritures ; alors que Richard N.
LONGENECKER, The Epistle to the Romans, p. 1015, parle de « prooftexts ».
5 19
La louange est, de fait, le dénomi nateur commun de la plupart des verbes utilisés dans
ces versets : ÊÇoµoÀoyÉoµa[ ljlaUw (v. 9b), atvÉw È11aLvÉw (v. 11). Quant au verbe Eucj>pa[vw
( v. 10), il insiste plutôt sur la joie et l' allégresse dans la communion.
3. L 'arrangement d11 disco11rs de Pa11/ s11r /'accueil 287
par rapport au TM : « Nations, acclamez son peuple ... » que par rappo rt à
un fragment retrouvé à Qumrân (4 QDtq) 520 . Sur le plan historique, la dis-
tinction entre les « nations» et Is raël n'est certes pas effacée, et cela
j usqu'à l'accomplissement eschatologique, mais, à la lumière de la justifi-
cation par la foi, Paul peut inviter dès maintenant les uns et les autres à la
communion et à la solidarité (3,22.30) 521 .
c) v. 11 : «Nations, louez toutes le Seigneur, et que tous les peuples ! 'accla-
ment ». Paul cite la mo itié du très bref Ps 11 6 selon la LXX (v. 1). Il est
d'ailleurs intéressant, comme l' a fai t remarquer Moo522, que la seconde
partie de ce même psaume (v. 2) mentionne à la fois la miséricorde
(ï t:lO - ËÀ.EOç) et lafidelité (n~~ - cU~ernx) de Dieu, ce qui , dans notre
contexte, renvoie immédiatement aux vv. 8-9a. Il fau t admettre, cepen-
dant, que le couple EÀEOÇ (it:jl)) - cU~ernx cn9~ / ;,~,~~ ) n 'est pas rare
dans la Bible hébraïque - on ne le retrouve pas moins d ' une vingtaine de
fois dans les Psaumes (LXX, cf. par exemple : Ps 24, 10 ; 35,6 ; 56,4. 11 ;
84, 11 ; 88,3. 15.25.34 ; 97,3 et passim). Le v. 11 est orné en grec (LXX)
par la figure de la dérivation, car les deux verbes cxtvÉw (v. 11 a) et ÈncxLvÉw
(v. 11 b) ont la même racine. Tout le monde, sans exception, est ainsi ap-
pelé à s'un ir à la louange, à la célébration du Seigneur. Là a ussi, on a af-
fa ire à une manière indirecte de renforcer 1' unité des croyants romains, au-
de là de toute origine ou appartenance ethnique. La louange n'est pas dé-
pendante de la possession de quelque« passeport national » que ce soit523 .
d) v. 12: « Il paraîtra, le rejeton de Jessé, celui qui se lève pour commander
aux nations. En lui les nations mettront leur espérance ». Paul c ite Es 11 , 10
conformément à la LXX, qui diverge du TM : « Il adviendra, en ce jour-
là , que la racine de Jessé sera érigée en étendard des peuples, les nations
la chercheront et la g loire sera son séjour ». Il trouve dans le texte grec une
dimens ion messianique 524 utile à son propos. D' une part, le «rejeton de
520
Pour une comparaison en langue française du texte de Dt 32,43 dans les versions LXX
- 4 QDtq - TM, voir Hugues COUSIN,« La Septante », in lD. (éd.), Le monde oil vivail Jésus,
pp. 449-473, ici pp. 463-465 ; Bible d 'Alexandrie LXX, Tome 5 : Le De11téro11ome, traduction
du texte grec de la Septante, introduction et notes par Cécile DOGNlEZ et Marguerite HARL, Le
Cerf, Paris 1992, pp. 340- 341 . Cf. Traduction Œc11méniq11e de la Bible ( 19988), p. 410, note
p).
52 1
Voir Paul BONY, Un Juifs 'explique sur/ 'Évangile. La Lettre de Paul aux Romains,
pp. 343- 344.
522
The Epist/e to lhe Romans, p. 879.
523
L'anachronisme est voulu, pour faire pièce à toute forme de violence ou de discrimi-
nation, sur une base religieuse, phénomène qui perdure jusqu'à nos jours.
524
Voir Marguerite HARL, « La Septante aux abords de l'ère chrétienne. Sa place dans le
Nouveau Testament », ill Marguerite HARL - Gilles DORIVAL - Olivier MUNN ICH, La Bible
Grecque des Septante. 011 judaïsme hellénistique au christianisme ancien , (Initiations au
christianisme ancien), Cerf - C.N.R.S., Lonrai 1994 2, pp. 269- 288, ici p. 288.
4. L'éloge de l'accueil divin 29 1
54 1 L'on note au v. 13, là encore, ce trait amplifiant apporté par les verbes nÀl)pÛw et
nEpLOOE UW, qui expriment très c lai re ment cette idée de plénitude, de comble, de surcroît,
d 'extraord inaire, presque d 'u n excès, qui traverse toute la peroratio (15,7- 13). « [ ... ] et
comme la partie la plus étendue de la péroraison consiste dans ! 'ampli fication, on peut légi-
timement y faire appel à la magnificence et à !'ornement des mots et des pensées. Le mo ment
donc où il y a lieu d 'émouvoir le théâtre, c 'est le point précis, où se terminent les anciennes
tragédies et comédies : "Applaud issez" ». Q UINTILI EN, Institution oratoire V I, 1,52, p. 21
(traduction Jean COUSIN, 1977).
542 Ainsi Ernst KASEMANN, CommentaJy on Romans, p. 374.
543
À ce propos, nous partageons !'avis d ' Alain GIGNAC, L 'épître aux Romains, p. 533,
lorsqu ' il relève, dans cette conc lusion du d iscours paulin ien (v. 13), « une douce ironie » :
toute la communauté pourra compter enfin sur la «force du souffle saint ».
544
Paul lui-mê me était 1111 témoin vivant de cette g râce extraord inaire (1 Co 15,8-10 ; Ga
1, 13- 16 ; cf. 1Tm1 , 12- 17 ; Ac 8,3; 9, l ss.).
545
Voir supra Chapitre 4 : La« rhétorique pau linienne », éléments de méthodes .
546
Voir Elisabeth SCHÜSSLER FJORENZA, « Rhetorica l Situation and Historica l Recon-
struction in l Corinthians », in New Testament Studies 33, 1987, pp. 386-403, citée par
Duane F. WATSON,« The Three Species of Rhetoric and the Study of the Pauline Ep is -
t les », p. 27.
292 Chapitre 5 : Â /'écoute de Romains 14, l- 15, l 3, une analyse rhétorique
Revenons à Rm 14, 1- 15, 13. Les valeurs qui y sont promues sont nombreu-
ses : l'accueil divin de tout être huma in, indépendamment de sa condition
( 14,3c); l'accueil de l'autre dans toute sa diffé rence 559 et dans le respect de ses
opinions (14,1 ; 14 ,13 ; 15,7); la certitude d 'appartenir au Seigneur Jésus-
552
Voir Chaïm PERELMAN et Lucie 0LBRECHTS-TYTECA, Traité de l'argumentation. La
nouvelle rhétorique, p. 67.
553 Voir idem, p. 69. Dans l'exorde de sa lettre aux Romains ( 1,1- 7), mais pas seulement
là, Paul n'a certainement pas lésiné sur ses« lettres de créance» (cf. 1,1 ; 11 , 13; 15, 16).
554 D'après Jean-Jacques ROBRIEUX, Rhétorique et argumenrarion , p. 238: «Dans la lit-
térature française, le genre épidictique est brillamment représenté par les discours <l 'Église,
sermons et oraisons funèbres essentiellement ». Cf. Olivier REBOUL, introduction à la rhé-
torique, Presses Universitaires de France, Paris 1994 2, pp. 58- 59.
555 Voir Chaïm PERELMAN et Lucie OLBRECHTS-TYTECA, Traité de / 'argumentation. La
560
Voir inter alia Jean-Noë l ALETTI, « Romani 14,1- 15,6: di nuovo alla ricerca di chi
sono i fort i e chi i deboli », p. 103.
561
Ce dernier accent est spécifique de Robert JEWETT, Romans. A Commentary, p. 44.
562 Voir supra« Chapitre 1 : La lettre aux Romains dans son contexte socio-historique ».
563 C'est aussi l' avis de Robert JEWETT, Romans. A Commentary, p. 833. Quant à Ben
WITHERINGTON l1I with Darlene HYATT, Paul's Letter LO the Romans. A Socio-Rhetorical
Commenuuy, p. 327; et Antonio PITTA, l ettera ai Romani. Nuova versione, introdu=ione e
commento, p. 36, ils considèrent que le discours de Paul en Rm 14, 1- 15, 13 serait à com-
prendre comme une argumentation de genre délibératif, visant à promouvoir l' accueil des
faibles, la concorde et la paix communautaire.
564
Bien que l'exhortation ne soit pas une partie codifiée de la rhétorique ancienne, les
discours épidictiques pouvaient contenir des éléments de caractère exhorta tif (voi r QUINTI-
LIEN, Institution oratoire lll,4, 14). Cf. Theodore C. BURGESS,« Ep ideictic Literature », in
4. L'éloge de /'accueil divin 295
situation présente 565 des croyants à Rom e (bien que ce tte dernière soit présu-
mée à partir d ' informations de seconde main), pour inspirer tout c royant, n ' im-
porte s i faible ou fort, à changer sa ma ni ère d 'être et d'entrer en relation avec
! 'autre, avec la différence, d a ns cet occasion malhe ureusem e nt problématique.
Po ur l'essenti e l, la stratégie de médiatio n ou la logique pe rsuas ive de Paul,
poursuit un triple but : a) faire l'éloge de l 'agir accuei lla nt, sans co nditions, de
Dieu e t du C hrist e n particul ier ( 14,3c; 15,7) 566 ; b) blâmer tant l'attitude de
mépris des forts que cel le de conda mna tio n des faibles et to ut autre co mporte-
m e nt d estructeur susceptibl e de créer la désunion ( 14,3. 10. 15 .20) ; c) disposer
les uns et les autres à l ' accueil solidaire, e n vu e de la paix et de l' harmoni e 567 ,
et e n fonction d e ('espérance eschatologique ( 15,4- 6.9b- 12).
Dit encore a utre ment, e n réponse aux tens io ns et a u climat d ' intolérance
comm una utaire que les « églises domestiques » à Ro me é taie nt e n train de
v iv re, Paul explique sa « rh étorique de la réc iprocité »568 , a ppelant toute la
communauté à la responsabilité mutue lle, à un véritable c ha ngem e nt d'attitude
et à un approfondisseme nt des vale urs, pouva nt servir de base pour de bo nnes
Studies in Classica/ Philology 3, 1902, pp. 89-261 , ici pp. 110- 113, cité par R obert JEWETT,
Romans. A Commenta1y, p. 43. L'on sait, par ai lleurs, le lien existant entre le genre épidic-
tique et le genre délibératif. D 'après ARISTOTE, Rhétorique l,9,3S, p. 200 (traduction Pie rre
CHIRON, 2007): « L'éloge (ÉnaLVoç) et les conseils (ouµ~ou/.a() relèvent d ' une espèce com-
mune, car ce que l' on peut prescrire quand on se livre à l' activité de conseil, si l'on en change
l' expression, se transforme en louanges (ÈyKwµLa) ».Voir aussi Benoît SANS,« Enseigner le
genre épidictique», p . 22, qui s'appu ie sur les travau x de Laurent P ERNOT, La rhétorique de
l 'éloge dans le monde gréco-romain, vol. Il, pp. 710-723.
565 Tout au long de cette unité rhétorique (Rm 14 , 1- 1S, 13), Paul utilise 2S verbes au passé
toire lll,7 ,27, est auss i une manière d 'encourager à l' imiter. Voir Anne RÉGENT-S USINI,
« L' éloge: quoi de neuf?», p. S.
567
Frédéric GODET, Commentaire sur/ 'Épitre aux Romains, t. Il, p. SOS, écrit à ce pro-
pos :« ... il n'y a point à s'étonner que l'apôtre n' aborde pas même le fond de la question (la
d ivergence d 'opinion et d'observance, ndr] et s'en tienne exclusivement au côté par leque l
e lle intéressait le bon accord entre les membres de !'église ».
568
Ainsi Marty L. REID, « A Consideration of the Function of Rom 1:8- 1S in Light of
Greco-Roman Rhetoric »,in Journal Evangelical Theological Society 38, 199S, pp. 18 1-
191 , ici pp. 183- 184.
Conclusion générale
Alessandro Pronzato 1
1
Alessandro PRONZATO, Le provocazioni di Dio, (Meditazioni sulla vita religiosa se-
condo l' an no liturgico, li. Giorni feria li dopo I'Epifania), Gribaudi, Torino 1974 2 , p. 239.
2
Nous devons ce petit jeu de mot à Alessandro D' AVENIA, voi r l'article-interview de
Davide D' ALESSANDRO, «A lessandro D' Avenia, la scrittura e Dio», in li Foglio, 7 mai
2019.
3 Cf. Es 1, 10- 20 ; Am 5,22- 24 ; Si 35 ; Jubilés 11,22 ; 1 QS LX,3- 5. Voir Michel QUES-
NEL, Les chrétiens et la loi juive. Une lecture de/ 'épître aux Romains, p. 8 1 ; Hans-Werner
1. la lettre aux Romains 299
d'ailleurs par cette foi que la vie du croyant est re modelée par la puissance de
l'Évangi le (Rm 1,16- 17), de so rte que le croyant est désorma is porteur d ' une
nouvelle identité, interprète d ' une nouvelle existence, citoyen du «pays de la
grâce (grace/and) » et « amieus Dei » (Rm 5, 1- 2. 10-1 1)4 .
La volonté de Di eu pour le croyant est toujours à discerner dans les con-
textes changeants de l'existence. E lle concerne, en fa it,« ce qui est bien, ce qui
lui est agréab le, ce qui est parfait » (Rm 12,2). Par conséquent, les choix et les
décisions éthiques qu'elle exige ne sont pas indépendants du temps et de la
culture où l'on vit, mais doivent être en cohérence avec toute nouvelle situation
éthique 5 . Car, les idéaux doi vent toujours être définis dans la vie réelle et en
fonction d'elle, et non pas indépendamment d 'elle6.
Lorsque Paul écrit sa lettre aux Romains, autour de 57 ap. J.-C. , il arrive au
terme de plus de vingt ans d ' intense activité missionnaire (comme « apôtre des
païens », Rm 11 , 13), en équipe aussi bien qu ' en solitaire. À la sui te de sa ren-
contre avec Jésus, sur la route de Damas (Ga 1), il a annoncé l'Évangile, la
justification « gratis per gratiam » (Rm 3,24, Vulgate) 7 , à savoir « le salut de
quiconque croit, du Juif d 'abord, puis du Grec» ( 1, 16- 17 ; cf. 10, 12- 13), par
le moyen de la prédication et de la parole écrite. La lettre aux Romains consti-
tue l'expression la plus mûre et la plus réfléchie de l'Évangile de Dieu, de
« (s)on Évangile» (2, 16 ; 16,25), qui a bouleversé à jamais sa vie, sa pensée et
ses perspectives de juif de la Diaspora.
La lettre aux Romains constitue aussi la source la plus fiable, bien que d'une
manière indirecte 8 , pour tracer les contours socio-histo riques de la
BARTSCH (( ÀOYLKOÇ »,i n Horst BALZ - Gerhard SCHNEIDER (éds.), Di=ionario esegetico del
Nuovo Testamento, vol. li, coll. 199- 200. Pour l'arrière-plan stoïcien du concept« J..oyLK~
ÀetîpE[a »,voir Michael WOLTER, Der Brie/an die Romer. Teilband 2 : Rom 9- 16, pp. 253-
255.
4
Voir Andrie DU TOIT,« Shaping a Christian Lifestyle in the Roman Capital», pp. 3 71 -
372, 374.
5 Voir Michael WOLTER, Der Brie/ an die Romer. Teilband 2: Rom 9- 16, p. 259 (cf. p.
328).
6
Voir Hans Urs von BALTHASAR, la verità è sinfonica, p. 56. C'est nous qui soulignons.
7
Une grâce aussi « SUPER-abondante », voir Rm 5,20, fruit de l'amour de Dieu (5,5- 8),
qui dépasse toute logique humaine. Voir à ce propos de la très belle étude de Paul RICOEUR,
« La logique de Jésus. Romains 5 », in Études Théologiques et Religieuses 55, 1980, pp.
420-425.
8 Comme l'a bien montré Duane F. WATSON,« The Three Species of Rhetoric and the
Study of the Pauline Epistles », p. 40, le texte donne accès immédiat à la « situation
2. La stratégie de médiation de Paul 30L
transversal ( 14,3 .10), esquissé rhéto riquement d ' une manière assez caricatu-
rale; un climat d ' intolérance préoccupant face aux différences d ' observances
des uns et des autres apparemment auto ur de la lo i et des traditions j uives ; une
situatio n faisant craindre le danger tout à fai t probable de la désag régation com-
munautaire, voire de la perte de la fo i personne lle.
Lo in de parl er de « mo rale de s ituation » ou pire de« morale re lativiste »,
Michel Quesne l préfère parl er d e l'approche paulinienne à laquelle o n a affaire
ici en termes de« morale en s ituatio n » 11 , au centre de laq ue lle réside non pas
un précepte o u une règle théorique bien affirmée ma is le respect absolu de la
personne. Les cho ix personnels, m ême s'ils so nt toujours discutables et prov i-
soires, en matière d ' observances pratiques de no urriture ou de cal endrier, ap-
partiennent à l' individu . Il n'est pas question de convertir l'autre à son propre
avis 12.
C'est la nature du défi que Paul do it relever.
L' agencemen t rhétorique du discours écrit par Paul démontre une fois de plus
la pertinence de l' intuition d ' Aristote : « il ne suffit pas d'avoir quelque chose
à dire, il est nécessaire aussi de le dire comme il faut »13 . Paul, c'est notre
conv iction, en voul ant promouvo ir la pa ix entre les faibles et les fo rts à Rome,
a osé un e stratégie de médiation 14 • li a su mettre en valeur la personne, il a mis
au centre non pas la doctrine mais la relatio n à autrui . Il a essayé de bâtir des
ponts re latio nn els plutôt que de creuser des fossés infranchissables, ple ins de
préjugés.
Plusieurs auteurs se sont éto nnés du manque de clarté ento urant ! ' identité
socio-historique des fa ibles et des forts à Rome, mais, comme nous avons es-
sayé de le démontrer, c ' est précisément la stratégie rhétorique de Paul qui lui
persuasif, voire rhétorique, de Paul. Car, comme l'enseigne toute la rhétorique aristotéli-
cienne, il n'y a pas de véritab le discours sans auditoire. La connaissance de ! 'auditoire est
indissociable de l'élaboration aussi bien que de la finalité même du discours rhétorique. Voir,
par exemple, AR ISTOTE, Rhétorique 1, 1,3, p. 138 (traduction Pierre CH IRON, 2007) : «Trois
composantes en effet forme nt le discours : celui qui parle, celui à qui il parle; et la fi n ("rÉÀoç)
visée concerne ce dernier, je veux dire l'auditeur ».
11
Voir Michel QUESNEL, les chrétiens et la loi juive. Une lecture de/ 'épître aux Ro-
mains, p. 85. C'est nous qui soulignons.
12
Voir Michael WOLTER, Der Brie/an die Ramer. Teilband 2: Rom 9- 16, pp. 359- 360.
C'est nous qui soulignons.
13
ARISTOTE, Rhétorique Ill,1 ,2, p. 425 (traduction Pierre CHIRON, 2007, c' est nous qui
soulignons).
14
Voir notamment supra pp. 295- 297.
302 Conclusio11 générale
a fait choisir un discours.flou ou oblique à ce sujet 15. li n'est pas toujours im-
portant de signifier noir sur blanc ce qui ne marche pas et que tout le monde,
en ce cas les croyants historiques à Rome, connaît déjà. Il suffit de ! 'évoquer.
Paul ne se livre à aucun jugement de valeu r sur les tenants et les aboutissants
du conflit : manger ou ne pas manger de la v iande, boire ou ne pas boire du
vin, distinguer ou ne pas distinguer entre les jours. li vise quelque chose d 'en-
core plus important : des principes, des conseils, pouvant aider les uns et les
autres à retrouver les motivations ainsi que les ressources spirituelles person-
nelles et communautaires pour sortir de l' impasse. Et c'est là que le d iscours
de Paul nous paraît original et digne d 'être écouté encore dans notre contexte
de vie, malgré la distance temporelle et culturelle qui, bien évidemment, nous
en sépare. Voilà à ce propos quelques idées qui nous semblent mériter d 'être
retenues.
15 Bien que l' identité socio-historiq ue des« faib les dans la foi» reste quelque peu faible
(calembour intentionnel !), la logique, la cohérence et la pertinence du di scours de Pau l ne
se trouvent pas pour autant a ffaiblies.
16
Nous nous éloignons sens ibleme nt ici de la Traduction Œcuménique de la Bible, q ui
nous paraît perdre une expression très rare, autant que tout à fait intéressante, que l 'on re-
trouve par ailleurs dans le contexte d ' Ac 10,34- 36 : «34 Alo rs Pierre ouvr it la bouche et dit
: "Je me rends compte e n vérité que Dieu est impartial, 35 et qu 'en toute nation, quiconque
le craint et pratique la j ustice trouve accueil auprès de lui. 36 Son message, il l' a envoyé aux
Israélites : la bonne nouvelle de la paix par Jésus Christ, lui qui est le Seigneur de tous les
hommes (ofrroç Éanv rravTwv KupLOç)." ». Là où, encore une fois , il est question de relations
tendues et compliquées entre« israélites», chrétiens d 'origine juive et païens (cf. Ac 10,28,
cf. 11 ,3). Voir aussi David G. HORRELL, « So lidarity and Di fference: Pauline Morality in
Romans 14:1- 15:13 », p. 77.
17
D 'après Luke Timothy JOHNSON, Reading Romans. A Literaty and Theological Com-
mentary, (Reading the New Testament, 6), Smyth & Helwys, Macon 2001, p. 212, cité par
Be n WITH ER!NGTON Ill with Darlene H YATT, Paul 's Letter to the Romans. A Socio-Rhe-
torical Comment01y, p. 327, Paul aborde ici la question de la multiculturalité, à savoir com-
ment les gens, provenant de milieux culture ls différents, pourraient-i ls partager une même
identité communautaire? Comment gérer la différence qui peut être à la fois source de
2. La stratégie de médiation de Paul 303
« soit que nous vivions, soit que nous mourions» (Rm 14,8), peut nous confir-
mer dans la conviction suivante: il est le Seigneur de tous.
De plus, pour Paul il était clair que le salut, le pardon divin, n'est offert que
par la fo i et la grâce (Rm 1, 16- 17 ; 3,21 - 31 ; cf. Ga 2, 16), et qu 'à ce sujet on
ne peut pas ad mettre de compromis ou de différence sans miner « la vérité de
l'Évangile » (Ga 2,5. 14) 18. En revanche, sur le plan de l'orthopraxie, à savoir
du vécu de la foi dans la pratique quotidienne et communautaire, Paul reconnaît
et envisage des différences, et alors il se fa it plus prudent (Rm 14, 1- 15, 13, cf.
1 Co 8, 1- 11 , 1) 19. Dit encore autrement, il paraît convaincu que les observances
juives traditionnelles ne sont pas incompatibles avec la foi en Jésus, à condi-
tion, toutefois, que l'on admette en même temps qu 'elles ne sont pas non plus
indispensables au salut20.
Dès lors, le visage que Paul affiche est celui d ' un « Paul modéré »21 , beau-
coup moins polémique et moins tranchant que naguère (cf. 2 Co 11 ,5. 13; Ph
3,2 ; Ga 1,8-9 ; 3, 1 ; 5, 15, et passim), assumant à la fois son héritage juif et la
liberté de l' Évangile de Jésus. Un Paul qui, face aux croyants romains, en par-
ticulier, choisit la voie de l'amour, l'esprit de douceur, plutôt que « les
verges», pour s'en tenir à ses propres mots adressés jadis aux Corinth iens ( 1
Co 4,2 1) : « Que préférez-vous? Que je vienne à vous avec des verges ou avec
amour et dans un esprit de douce ur ?»
Le « Pau l modéré», ou tolérant, capable d' attention et de sentiments comme
une « mère » bienveillante (1 Th 2,7) et comme un « père » j udicieux (1 Th
2, 11 ), tel qu' il s'est fa it connaître par l'église de Thessalonique, devient pour
les frères à Rome aussi « un précurseur d 'une éthique pluraliste »22 , convaincu
205.
21
Ainsi Raymond E. BROWN, « Roma », in Raymond E. BROWN - John P. MEIER, An-
tiochia e Roma. Chiese madri della cauolicità antica , pp. 163- 164.
22
Ainsi Gerd THEISSEN, Psychologie des premiers chrétiens. Héritages el ruptures,
(Christianismes antiques, 3), Labor et Fides, Genève 201 1, p. 538. D' après Wayne A.
MEEKS, « The Polyphonie Ethics of Apostle Paul », p. 29, Paul, au moyen de Rm 14, 1-
15,13, nous apprend l'essentiel d' une « éthique polyphonique il, à savoir une disposition
d'âme prête à écouter des voix différentes, un processus communautaire capable soit d 'écou-
ter ou de tenir en considération les normes exprimées dans le passé, soit d'engager les uns
306 Conc/11sio11 générale
nous aveugler au point d 'oublier que l'ex istence de l'autre nous convoque à
une responsab ilité prem ière » 32 .
32
Ainsi Alain GIGNAC - André GAGNÉ,« N'est pas fort qui croyait 1'être. Et sa foi n'est
pas celle qu'il convena it d'avoir! Ambiguïté discursive et programmation de lecture en Ro-
mains 14 », p. 27, n. 15, à la suite des catégories philosophiques d'Emmanuel LÉVINAS.
33 Nous empruntons cette belle pensée à Lee MCGLONE, « Genesis 2: 18-24; Ephesians
5:2 1-6:9 », in Review and Expositor 86, 1989, pp. 243- 347, ici p. 245, en parlant des Codes
domestiques .
34
« L'amour, plutôt que la domination, rendra libres et prendra soin des fai bles; la di-
versité devra être reconnue et autorisée à continuer». Ainsi Will iam S. CAMPBELL, «The
Rule of Faith in Romans 12.1- 15. 13. The Obligation of Humble Obedience to Christ as the
Only Adequate Response to the Mercies of Gad », p. 285.
35
Ainsi Hans Urs von BALTHASAR, La veri1à è sinfonica , (Già ma non ancora, 220), Jaca
Book, Milano 1991 3 , p. 12.
36 Voir Robert JEWETT, Romans. A Commenta1y , p. 836.
308 Conclusio11 générale
à tout prix ! Paul sait faire la différence. Sans oublier son esprit pacifique et
pacificateur, il sait aussi changer de langage lorsqu'il le faut :
« Je vous exhorte, frères, à vous garder de ceux qui suscitent divisions et scandales en
s'écartant de l'enseignement que vous avez reçu ; éloignez- vous d 'eux. Car ces gens-là
ne servent pas le Christ, notre Seigneur, mais leur ventre, et, par leur s belles paroles et
leurs discours flatteurs, séduisent les cœurs simples » ( Rm 16, 17- 18).
Ce langage si direct, pour ne pas dire dur et quelque peu surprenant de la part
de Paul, pourrait ainsi s'expliquer par les intentions et les actions différentes
des uns et des autres. En Rm 14- 15, il est question de frères qui agissent dif-
féremment, mais en voulant tous honorer le Seigneur (« pour le Seigneur -
Kup[c.,i », 14,6, 3 fois), ce qui implique aussi une véritable relation avec le Sei-
gneur, alors qu 'en Rm 16, 17- 18, il est question de gens, pas autrement quali-
fiés, si ce n'est qu' ils sont distingués des frères auxquels Paul s'adresse, qui
suscitent ou pourraient susciter délibérément « divisions et scandales » contre
l'enseignement ou la doctrine reçus43 . On peut observer, d'ailleurs, le contraste
entre l' invitation de Paul à servir le Christ (ôouÀ.Euwv tQ XpwtQ , 14,18) et
l'action de« ces gens-là » qui « ne servent pas le Christ, notre Seigneur, mais
leur ventre (tQ Kup[c.,i ~µwv XpwtQ ou ôouÀ.Euouolv &H<X ti] Èc:cutwv
KOlÀ.Lq.) » ( 16, 18). C'est pourquoi , contre les séducteurs accrédités et à I'œuvre
(voir ici le participe présent: ÉÇcrno:twow, v. 18), qui, par ailleurs, rappellent à
Paul aussi l'esprit séducteur du serpent (Satan) sur Ève (à oqnç ÉÇrymht]OEV
Eüo:v, 2 Co 11 ,3, cf. 1 Tm 2, 14), il n'est pas question de rester tendre. Car
« ces gens-là » détruisent la communion et ébranlent même les fondements de
l' Église. li faut être réalistes. L'amour et l'accueil ne peuvent transformer que
les cœurs de ceux qui, guidés par la foi en Christ, s'ouvrent à la possibi lité de
suivre un autre « Maitre »44 !
L ' idée de rechercher ensemble un compromis, en Église, signifie savoir faire
un pas en arrière, pour désamorcer le conflit, pour résister enfin à tout fana-
tisme45. Le compromis n'est pas la compromission au rabais, qu i camoufle les
43
Michael WOLTER, Der Brie/ an die Romer. Teilband 2: Rom 9- 16, pp. 486-487, ex-
plique, pour sa part, que l'exhortation de Paul ne vise pas, en cette occasion, une situation
spécifique mais potentielle ; ell e n' aurait l' intention que d ' immun iser ses destinataires
contre des« fa uteurs de troubles » par précaution , de sorte qu'ils soient prêts dès le départ à
les rejeter. Là non plus, Paul ne fournit pas d ' autres précisions. Au v. 18, il lance même une
attaque directe contre la personne de ces« fauteurs de troubles» que l'on peut comprendre
comme un classique« argumentum a persona», utilisé précisément pour les disqualifier (cf.
Q UINTILIEN, Institution oratoire V, 10,23 ; Heinrich LAUSBERG, Handbook of Lilerary Rhe-
wric. A Foundationfor lilerary Study, § 376 ; Ga 4, 17 ; 6 , 12- 13 ; Ph 3,1 - 19 ; Col 2, 18-
19a).
44
À propos de Rm l 6, 17- 20, voir aussi supra pp. 20- 2 1, 104.
45
Voir à ce propos le très beau témoignage d ' Amos Oz, Comment guérir u11 fanatique,
(Arcades, 84), Gallimard, Mayenne 2006, p. 24 : «Je crois aux compromis, bien que sachant
que ce mot a mauvaise réputation dans les cercles idéa listes européens, la jeunesse en
3 10 Conclusion générale
humaine et fraternelle(« Réjouissez-vous avec ceux qui sont dans la joie, pleu-
rez avec ceux qui pleurent », Rm 12, 15, cf. 1 Co 12,26), que l'on pourra encore
bâtir l'Église de Jésus-Christ, unie dans la diversité, suscitée par la richesse de
I' Esprit (Rm 12,4-8, cf. 1 Co 12,4- 1 1), certainement pas dans ! ' uniformi té, ni
dans la pensée unique, afin que le corps du Christ puisse être et rester un lieu
privilégié pour confesser la foi en Jésus, pour atteindre l'espérance du
Royaume de Dieu et pour oser encore I'amour5 2. En revanche, la recherche de
l' uniformi té, ainsi que l'assujettissement non critique aux conventions, consti-
tuent une véritab le distorsion, une anomalie, au sein de ! ' Église et pour la vie
c hrétienne 53 .
Celui qui tue la différence tue la relation, et celui qui tue la relation tue la
vie dans toutes ses expressions. Par conséquent, Paul exhorte tous les croyants
à l'accueil réciproque, parce que Dieu les a déjà accueillis (Rm 14,3c) et parce
que le Christ a fait de mê me (15,7).
52
« Réunis e n triade, la fo i, l'espérance et l' amour sont pour Paul les trois tuteurs sus-
ceptibles de permettre aux jeunes communautés chrétiennes des 'enraciner solidement à la
suite du C hrist, de grandir et de résiste r aux tempêtes internes et externes ». Ainsi Christine
J OURDAN, Foi, espérance, amour chez saint Paul. Aux sources de f 'identité chrétienne, (Lire
la bible, 163), Cerf, Paris 2010, p. 182, citée par Christophe RAIMBAULT, «"Et pourtant
l'apôtre Paul juge!" o u plutôt " Peut-on vraiment dire que Paul j uge?"», p. 42, n. 15.
53 Voi r Ernst K.ASEMANN, Commentary on Romans, p. 358.
English Synopsis
Introduction
The intended purpose of this study of Rom. 14: 1-15: 13 stems from the obvious
difficulty, in every human community, believing and Christian in our case, of
living, walking, and praising the same Lord, but from different experiences, of
diverse cultures and finally, also, of divergent or heterogeneous practices, a
situation that is increasing ly common in our Western environments and in our
time.
Due in part to immigration, churches in Western countries have become a
true reflection of our multicultural and multi-religious society. Thus, we are ail
confronted with an irreducible difference and complexity, intra et extra eccle-
siam.
Most of the time, the di fference is perceived as a threat to one 's own iden-
tity, rather than as a springboard to broaden the experience, or even enrich the
knowledge oflife. Indeed, in a way, we are like "strangers" lost in the complex
emotional and relational world of others, a world where coexistence, the re la-
tionship with the other, can become metaphorically " hell" (Jean-Paul Sartre) !
In this essentially relational context, the articulation of "Paul's speech" in
Rom. 14: 1- 15: 13 on "accepting others in their diversity" certainly conceived
for an intra-community context of believers in Jesus, very distant chronologi-
cally and culturally from ours, has not lost anything of its admirable relevance
and scope.
The Apostle Paul, in Rom. 14:1- 15:13, seems to draw the practical and com-
munal consequences of the Gospel of God "for the salvation of everyone who
believes: first for the Jew, then for the Gentile" (1: 16), bearing in mind also
3 12 English Synopsis
this diverse and contlicting relational context, in this case about different ob-
servances and practices among Roman believers.
ln the past, the text of Rom. 14: 1- 15: 13, as well as the who le ethical or
parenetical section of Rom. 12: 1- 15: 13, has rema ined somewhat in the shadow
of the more so-called " theologica l" section (Rom. 1- 11), not w ithout a certa in
ambiguity. As an example, we recall in passing the case of Jean-Noël Aletti's
commentary on "Romans" (in The International Bible Commentary. A Catho-
lic and Ecumenical Commentary for the Twenty-First Century, 1998), which
reserves fo r Rom. 12: 1- 15: 13 only the equivalent of a single page of commen-
tary (sic!) out of the fo rty-eight pages in total.
Moreover, Rom. 14:1- 15:13 has often been explained w ith a focus on the
socio-historica l identity of the weak and the strong: who are they? Where do
the differences in practices that mark and divide the community of Roman be-
lievers come from ? What is the background of the local churches in Rome, or
what is the characteristic composition of these communities of be lievers in Je-
sus? Are we dealing with genera l princ iples in Rom. 14: 1- 15: 13, or principles
applied to a historically determined situation?
As fo r us, w ithout excluding the importance of these kind of questions
(which we address at length in the first part ofour monograph), hav ing fo und,
among other things, that exegetical research has little or no disregard for the
argumentative or rhetorical component of Rom. 14: 1- 15: 13, we decided to fo-
c us our exegetical research also on a synchronie approach and particularly rhe-
torical (see the second part of our work).
What especially interests us is to grasp the mediation strategy that Paul im-
plemented to exhort, in the name of the Gospe l, the mixed and diverse commu-
nity of his Roman readers, to overcome the embryonic tearing a part in which
these disciples of Jesus Christ found themselves.
Thus, our initial hypothesis is that this speech of Paul in Rom. 14:1-15: 13
presents the essential characteristics of an argumentative or rhetorical unity.
First Part
The disciples ofJesus in Rome, a socio-historical background
The Letter to the Romans is the main literary source of information on the so-
cio-historical context of Jesus ' disciples in Rome, towards the middle of the 151
century AD. This community of believers appears to have been a "handful of
people" scattered in several groups or small family cells, of essentia lly mixed
Jewish and pagan origins (cf. Rom. 16:3- 15).
From the very beginning of this letter, Paul seems to want to create an ideal
bridge, a continuity, between his faith in Jesus a nd the fai th of Israel (Rom.
1: 1-2, cf. 1: 16-17).
3 14 English Synopsis
The city of Rome, "caput mundi ", capital of the Roman Empire in the 1st
century AD, is a cosmopolitan and multicultural metropo lis, which earned, in
1 Pet. 5: 13, the nickname of " Baby Ion". According to another report by C icero
(Pour L. Flaccus XXVIII , 66-67), it is assu med that in the 1st century BC a
Jewish community was a lready well established in the capita l and was probably
numerous, united, and perceived, at the same time, as somewhat threatening to
the Republic.
ln the pt century AD, Rome was a metropolis of about one million inhabit-
ants and had an important Jewish community of several thousand people. This
community, preferably speaking the Greek language, linguafranca of the Em-
pire, was fairly well integrated into the c ity, with a strong rel igious identity
(monotheism, sabbath, circumc ision, dietary rules, occasional community
meetings, etc.), a lthough inevitably subject to a certain degree of Hellenization
or environmental culture. From a socio-cultural point ofview, Roman Judais m
could be defined as a " popular Judaism" (Charles Perrot), generally poor fi-
nancia ll y, little educated culturall y and relig iously (Paolo Merlo). In general,
given some privileges granted to the Jewish community (on the " fri endship of
the Romans'', cf. Flavius Josephus), there is a fairly w idespread yet uneven
feel ing of opposition to Judaism and the Jews. A kind of benign aversion not
necessar ily leading to persecution or violence (Jerry L. Daniel).
Given clear customs of identity, Jews could be perceived as bearers of an
intolerant religion - without really being so - in a tolerant society, provided,
of course, that the social order established by Roman laws wou ld not be ques-
tioned (Jerry L. Daniel). Moreover, this hostile gaze on the part of the Roman
elite retains a certain ambivalence: it displays mockery and contempt and, at
the same time, suggests a curiosity, or even an attraction for other more modest
social classes (Peter Schafer). A li this is certainly not without interest for the
historical reconstruction of the orig ins of the Christian movement in Rome.
As for the historical origin of the Christian community in Rome, we do not
know much and there remains a vei l of darkness. There is no supporting evi-
dence for the trad ition of the ancient Church, between the end of the first and
second centuries, that Peter and Paul were perceived as the co-fo unders of the
Church of Rome (see above). We know from the Letter to the R omans that
Pau l, the Apostle, was not the fou nder of the Roman community because he
does not yet know it personally (cf. Rom. 1:9- 13; 15:22- 23).
Among the hypotheses on the origin of Christians in Rome, it is qu ite com-
mon to take advantage of a number of clues from the book of Acts. Thus, for
exampl e, the begi nn ings of the Christian faith in the Roman capital are related
to these Jews or Roman proselytes (cf. Acts 2: 10, 1 1) that came to Jerusalem
from the vast Jewish Diaspora on the occasion of the Feast of Pentecost. Wh ile
hearing Peter preaching the Gospel (Acts 2: 1,5 , 14), they cou Id have accepted
fa ith in Christ (cf. v. 4 1). Pilgrimages to Jerusalem by Jews and proselytes,
English Synopsis 315
1
The double component, Jewish and pagan, of the Christian commun ity in Rome is
evoked in the Letter to the Romans in several places, cf. for example the oppositions:
'Iouôcxîoç / "EUriv, Rom. 1:16; 2:9, 10; 3:9; 10: 12; 'Iouôaîoç / Ë9voç, Rom. 3:29; 9:24;
Engfish Synopsis 31 7
Ali in ail , based on a critical comparison of these hypotheses and the lack of
compelling textual evidence, the "portrait" that strikes us as the most likely,
an d which ultimately also represents, perhaps, the most convincing, if not the
most consistent explanation, is the hypothesis 2. c) . The weak in the faith, ac-
cording to the overall theological logic of the Letter to the Romans, are mostly
Christians of Jewish origin, w ho, with some sympathizers of the Jewish fai th
(from the pagan world), continue, even after having confessed their faith in
Jesus as the Messiah of Israel, to observe a certain number of mosaic laws, in
particular the distinctio n between the clean and the unclean food and the Jewish
calendar (feast days, Sabbaths, days of fasts, etc.).
However, the decisive factor of differentiation between the weak and the
strong is not ethnicity but rather each other 's attitude towards mosaic law
(Philip F. Esler). Pau l, for example, white being a disciple of Jesus of Jewish
origin, also sided with the strong (cf. Rom. 15: 1). On the other hand, the ob-
servances of the weak are not felt, obvious ly, by Paul as merito rious works
having a soteriological value (Anto nio Pitta), nor as adherence to false doc-
trines (Giuseppe Riccio tti), or necessarily to be corrected, but rather as the ex-
pression both of a sincere and fa ithful conduct to Christ (John M.G. Barclay)
- even if it remains somewhat immature -, accomplished only " to (honor) the
Lord" (Kupl.~, Ro m. 14:6, 3 times), and as a sig n of gratitude to God
(Eùxup w-rE'L -rw 9EC.~, Rom. 14:6, 2 times).
What was reall y problematic in Rome were the negative effects, even the
harmfu l repercussions, that the divergent practices had on the ecclesiological
level: judgment, contempt, fall, scandai, conflict, disintegration, loss of fa ith.
lt is not above ail an issue of intra-personal problems of individual conflicts
of conscience, but rather inter-persona/ problems linked to fratemal and com-
muni ty relations (Andrea Al bertin ; Peter Sp italer).
The fact that the mosaic law does not prohibit the consumption of either
meat (later called kasher, "suitable") o r wine is also not a problem, as it could
be a factor of exception or occasio nal abstention, as attested in Jewish history
and tradition. The abstention from meat and wine was, in a pagan environment,
the only way fo r the Jews to avoid ritually contam inating themselves and to
keep the ir own re ligious identity. Th is is what emerges, moreover, from certain
traditio nal accounts on the "heroes of the faith", or the "conscientious Heroes"
3 18 English Synopsis
(Gary Steven Shogren) in the Diaspora, namely the paradig matic ex periences
of Daniel and his companio ns at the court o f Baby lon (Dan. 1:8,12, 16); of To-
bit, true mode l of the faithful Jew, depo rted to N ineveh (Tb. 1: 10-1 1); of Ju-
dith, the courageous woman in the camp o f the enemy genera l Ho lofernes (Jdt.
10:5); of Esther, the very beautiful q ueen, at the court of the king o f Persia
(Esth. 4 : 17, L XX).
Second Part
Paul 's mediation strategy
4) the formally argumentative register of Rom. 14: 1- 15: 13, attested by the
high recurrence of the coordinating conjunction yap, having above ail an ex-
planatory and causal value, in particular in Rom. 14:3,4,[5],6,7,8,9, 10, 11 , 15,
17,18, and Rom . 15:3,4 ,8;
5) the observation that Rom. 14: 1, Ii ke a rhetorical propositio, triggers a
coherent and well-argued exhortation (comparable to a rhetorical probatio a lt-
hough it is not conventional in every way), in which Paul seeks to eagerly sub-
stantiate his propositio, even to justify and amplify it, by several reasonings
(rationes), or ad hoc arguments.
Thus, we therefore consider that Rom. 14: l- 15: 13 is an adm irably tight and
reasoned exhortation, dedicated to show the need for mutual acceptance and
community peace (cf. Rom. 14: 19), this with a view to the common praise and
adoration of every Christian, whether of Jew ish or pagan origin ( 15:8-13), and
that it can therefore be studied as a coherent rhetorical unit. Under these con-
ditions, the application of the rhetorica l approach to the who le of Rom. 14: 1-
15: 13, to be read in the broad context of the Letter to the Romans and in par-
ticular w ithin its parenetical and ethical macro-section in Rom. 12:1-15:13 ,
seems tous to be qu ite appropriate to fo llow c losely the dynamics and the logic
of Paul 's speech, as well as the intention of the text to involve the reader in
fo llowing it.
From a strictly methodological point of view, fo llowing Aletti and Pitta,
wanting to go beyond this sort of origina l obsession (cf. Hanz Dieter Betz)
consisting in applying at ail costs the models of the ancient rh etorical dispositio
to the scale of a letter or a piece of writing taken as a whole, we prefer to take
advantage of what Ar istotle already recommended:
"A speech has two paris. lt is necessary to state the subject, and then to prove it. [ .. .] The
first of these parts is the statement of the case (np69rn Lç), the second the proof (n laHç),
a similar divi sion to that ofproblem (np6PJ..11µa) and demonstration (ànoôELé,Lç). [ ... ]
So then the necessaiy parts (àvayKaîa) of a speech are the statement ofthe case and proof
(npo9EOLÇ KUL n[otLç). These divisions are appropriate ta eve1y speech, and at the most
the parts are four in number - exordium, statement, proof, epilogue [ .. .]". (Rhetoric
lll, 13,1- 2.4, emphasis added).
of the verb npooÀ.aµp&.vrn6E in the imperative, in the same person, in the same
tense and mode, already suggests this.
Moreover, the point is reinforced in l 5:7b by the repetition of the same verb,
this time in the indicative (npooEÀa~ro), to express Christ's action: "Ka6wç rnl.
à Xp wràç npooEAfiPno ùµéiç ", in the sa me way that God 's acceptance was
previous ly granted ("o 6Eàç yàp aùtàv npooEÀaPEto", 14:3c). It is therefore a
matter of accepting not only because God has done so (y&.p, 14,3c), but a lso as
Christ has do ne (Ka6wç, 15, 7b). God, infact, has always accepted every human
being, according to the mercy he has offered to ail (Rom. 11 :32), while Jesus
a lso came to show them, by his incarnation and exemplum, how one accepts
(cf 15:3), in this case with humility, with a correct self-esteem, by taking care
of other people 's interests, by stooping down to become a servant (cf Phil.
2: 1- 11 ). Once aga in, Paul seems to return to the dialectic of indicative/imper-
ative: what Christ has do ne constilutes the foundation of what the believer is
called to do !
Conclusion
According to our analysis, the rhetorical arrangement of Paul 's speech demon-
strates once again the relevance of Aristotle's intuition: " it is not sufficient to
know what one ought to say, but one must also know how to say it" 4 . It is our
conviction that Paul, in wanting to promote peace between tbe weak and tbe
strong in Rome, dared a "mediation strategy"5 . He knew how to value the per-
son, he put at the center not the doctrine but the relationship with others. He
tried to build relational bridges rather than digging unbridgeable, prejudice-
fi lled ditches.
Severa! authors have expressed surprise at the lack of clarity surrounding
the socio-historical identity of the weak and the strong in Rome, but, as we
have tried to demonstrate, it was precisely Paul 's rhetorical strategy that made
him choose a vague or oblique speech on this subject6 . lt is not always im-
portant to spell out wbat does not work and what everyone, in th is case the
bistorical believers in Rome, already knows. lt is enough to mention it. Paul
does not make value judgements about the ins and outs of the conflict: to eat
or not to eat meat, to drink or not to drink wine, to distinguish or not to distin-
guisb between days. He is aiming at something even more important: principles
4
ARISTOTLE, Rhetoric Ill , 1,2 (emphas is added).
5 See above pp. 295- 297, 301.
6
Although the socio-historical identity of the "weak in faith" remains somewhat weak
(pun - calembour - intentional !), the logic, coherence and re levance of Paul 's speech is not
weakened.
Appendice
D ispositio rhétorique de Rm 14, 1-15,13
Tableau synoptique