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Introduction

La production de l’élève est une des finalités de l’enseignement, qui est une application
des connaissances acquises mais aussi permet à l’enseignant d’évaluer les apprenants. Dans le
domaine de la littérature, cette évaluation peut se réaliser, par exemple au niveau secondaire, grâce
à des exercices comme le résumé, le commentaire de texte (suivi ou composé) ou encore la
dissertation.

Ces exercices pratiques font appel, chez le sujet apprenant, à la capacité productrice, au
sens de la logique, à la cohérence dans l’analyse, à la rigueur ou encore à la correction dans
l’expression. Autant de qualités qui permettent d’asseoir une argumentation bien ficelée avec un
agencement adéquat des idées organisées dans un devoir cohérent.

Toutefois, l’expérience a montré que les élèves, même au niveau secondaire, ont du mal à
construire des productions élaborées dans une argumentation bien conduite. La raison évoquée n’est
pas, le plus souvent, le déficit d’arguments ou encore la complexité des sujets mais relève le plus
souvent de difficultés dans l’organisation des idées. C’est pourquoi, ce présent travail cherche à
fournir aux élèves, de manière pratique, les outils d’analyse qui, nous l’espérons, permettront de
remédier aux maladresses récurrentes dans les différents exercices littéraires. Des cours, il a été
question d’aborder la méthode en partant de productions d’élèves corrigées dans le cadre d’un
mémoire de fin de formation. Ainsi, à la suite des cours nous avons proposé des esquisses qui sont
des corrigés de travaux d’un nombre d’élèves sélectionnés selon le niveau et les types d’exercices
traités.
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PREMIERE PARTIE
Esthétique des genres
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CHAPITRE PREMIER
La poésie
Introduction
La poésie est une combinaison pertinente d’un sens profond et d’une forme spécifique. A la
différence des autres genres littéraires, la poésie épuise toutes les ressources du langage en réussissant
l’alliage difficile du contenu intelligible et de l’aspect régi par des règles. Du Grec « poiesis1 » et du
latin « poesis », la poésie renvoie à la création qui signifie susciter, donner naissance, etc. Une faculté
qui n’est pas ordinaire car nécessitant la conjugaison du rythme, de l’esthétique pour réaliser un jeu
sur le langage. Il ne s’agit, pas bien sûr, d’un langage commun aux hommes, mais de celui destiné aux
initiés et qui suscite l’admiration du lecteur. Réfléchir sur un tel genre, c’est donc répondre à ces
questions suivantes :

- D’où vient la poésie ?


- Peut-on comprendre un poème ?
- A quoi sert un poème ?
I- Origines de l’inspiration en poésie

La source poétique fait débat. Cela tient au fait que les sources de l’inspiration ou la genèse du
génie est à l’origine de plusieurs controverses. Pour certains, la poésie est d’origine divine, pour
d’autres, elle naît du cœur car la moi est le siège de la création.

1- La poésie, un don divin

Selon le philosophe grec Platon2 : « Ce n’est pas un effet de l’art, mais bien parce qu’un dieu
est en eux que les poètes créent. » Cette conviction souligne toute la perception de la poésie à
l’époque antique. En effet, dans la mythologie grecque la poésie serait née à la suite de la victoire de
Zeus sur les Titans. Les neuf filles d’Apollon, appelées aussi muses composèrent des vers pour
chanter la gloire du dieu suprême des Grecs. Cette faculté de création est donc une particularité de ces
muses qu’elles offrent à tout être illuminé. Ainsi, devient poète tout homme visité par la muse
inspiratrice qui insuffle le génie. Cela apparaît à travers les propos du poète romain Julius Ovidius
Naso, dit Ovide3. Poète adulé, à Rome, accusé de corrompre les mœurs, il devient un proscrit aux
yeux du roi César Auguste4. Exilé de Rome à Tomes, en terre barbare, il explique la pauvreté de ses
vers dans deux textes majeurs, Les tristes et Les Pontiques en déclarant : « La muse m’a quitté… » Il
est clair donc que pour les mentalités de la civilisation grecque et romaine, la poésie est l’affaire des
dieux. Ces derniers insufflent à l’homme ordinaire ou à tout créateur, la magie de la créativité. Joseph
Joubert affirme dans cette logique, dans son œuvre intitulée, Les pensées : « Dieu ne voulant pas
départir les Grecs de la vérité, leur donna la poésie » En d’autres termes, le génie poétique est de
nature divine.

Cette conception antique traverse l’époque médiévale. Au sortir de cette époque, jusqu’aux
premières heures du classicisme, la poésie garde tout son caractère mythique et mystérieux. Pour des
auteurs comme Ronsard, Du Bellay, ou encore Clément Marot, le génie poétique naît de
« l’enthousiasme » ». Il s’agit d’une sorte d’état second durant lequel l’homme ordinaire entre dans
une phase d’illumination où, le génie et l’inspiration le visitent pour faire de lui un illuminé. C’est un
bref instant au sortir duquel l’inspiration vient à l’auteur, qui s’impose un devoir de mettre en texte
ses idées de cet instant d’élévation. D’ailleurs, même Descartes5, au rationalisme exacerbé, concède
4

cette part de divinité à la poésie lorsqu’il déclare : « J’aimais fort l’éloquence, j’étais amoureux de
la poésie, mais je pensais que l’une et l’autre étaient des dons de l’esprit plutôt que des fruits de
l’étude. » En d’autres termes, le génie ne naît pas du labeur, mais d’une disposition particulière que le
Seigneur offre à l’homme. Ainsi, toute poésie est l’expression d’un don.

Au 19ème siècle, cette vision de la poésie se perpétue notamment dans l’art romantique. En effet,
selon, les poètes comme Victor Hugo6, la poésie n’est pas un projet individuel, ou un choix personnel,
mais une disposition que seul Dieu insuffle au poète génie. Dans cette logique, le langage poétique est
celui d’un prophète choisi dans la masse, dont la plume est porteuse d’un message divin assimilable à
une prophétie qu’il a un devoir de cristalliser à travers la magie de l’écriture. Ainsi, le poète n’est
qu’un simple traducteur comme le suggère d’ailleurs Victor Hugo en ces mots : « Le poète est un
prophète, un mage, un écho sonore. » En d’autres termes, le poète est dépositaire de la lumière divine
qu’il se charge d’apporter aux hommes grâce à la magie de la créativité. Il ne s’agit pas de cette forme
de création gratuite, mais d’un procédé de transcription d’une lumière qui émane d’un dieu parlant du
présent et du futur. Hugo ajoutera, toujours dans la même perspective : « Les pieds ici bas, Les yeux
ailleurs : Dieu lui parle à voix basse » En clair, c’est seulement lorsque l’homme accède à l’ascèse
des idées qui est le summum de la connaissance qu’il devient poète. Ce regard est un don comme
l’affirme si bien Alphonse de Lamartine : « La poésie est une harpe intérieure, c’est la seule langue
qui parle à Dieu » Poésie diverse.

2- La poésie vient du cœur

Selon de nombreux penseurs, le cœur est le siège de la créativité. Le génie du poète puise, dans sa
création, de l’ensemble de ses sentiments rencontrés et vécus dans sa vie. Cela évidemment, dans la
mise en texte des perceptions des désirs ou bien des sensations les plus naturelles. Une telle
conviction se lit à travers les propos de Victor Hugo qui souligne, dès le début des Contemplations :
« Ma poésie est la mémoire d’une âme » Autrement dit, le vers est l’illustration parfaite de la vie
intérieure transcrite. Cette façon d’appréhender la poésie renouvelle le principe premier du
romantisme : l’expression du lyrisme personnel. Une vérité érigée en idéologie qu’Alfred de Musset 7
exprime dans une formule inépuisable du point de vue du sens : « Frappe-toi le cœur, c’est là que se
trouve le génie ». Cela veut dire que la magie de la création trouve son siège dans le cœur humain.

Si l’on s’en tient à Georges Lecomte, dans son ouvrage intitulé Ma traversée, l’écrivain français
s’inscrit dans la perspective du mouvement romantique et définit la poésie comme telle : « La poésie
est une inspiration à la fois naïve et subtile, toute en nuance des plus délicates vibrations, des nerfs,
des plus fugitifs soupirs du cœur. » Une définition qui met en évidence la sensibilité ; mais aussi
rappelle le point de vue d’Henri Bergson8 dans son ouvrage titré le Rire : « Toute poésie exprime un
état d’âme. »

C’est pourquoi, la poésie est souvent la mise en formule des sentiments comme l’amour, la
solitude, le chagrin, le deuil, l’amertume, la joie, la passion confessée en forme versifiée. La tonalité
des auteurs, le sens dans les textes sont à rechercher dans leurs vies personnelles. Alphonse de
Lamartine9, poète romantique du 19ème siècle pense : « Je suis le premier qui ai fait descendre la
poésie au Parnasse et qui ai donné à ce qu’on nommait la muse, au lieu d’une lyre à sept cordes de
convention, mais les fibres du cœur de l’homme. » Somme toute, il est vrai que la poésie est de
source divine, même s’il faut aussi admettre son caract

ère lyrique. Toutefois, la question réelle qu’il faut se poser sur le genre, est peut-on comprendre
un poème ?

II- Débat autour du langage poétique


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Le langage poétique, dans sa forme, plonge les théoriciens dans le terrain difficilement
compréhensible des grandes antinomies : ombres et lumière, hermétisme et clarté ou encore les
conventions et la révolte. Ainsi, il s’agira, dans notre démarche, de traduire l’hermétisme poétique en
se référant à l’analyse d’auteurs et de critiques littéraires avant de démontrer, dans une autre
orientation, l’ambition affirmée de la clarté chez certains auteurs.

1-L’hermétisme poétique

La naissance de la poésie coïncide avec la déconstruction du langage conventionnel des sociétés


humaines. En effet, la poésie se veut comme un langage propre qui va au-delà du sens proposé et figé
par l’invention d’une sémantique métalinguistique. Cela révèle que le langage poétique est une forme
d’expression particulière que l’homme ordinaire ne peut saisir. Pour s’en convaincre, il est possible de
se référer à Saint Evremond10 qui déclare : « La poésie est tantôt le langage des dieux, tantôt le
langage des fous et rarement celui de l’honnête homme. » En effet, du fait de son caractère opaque,
le verbe poétique se révèle un langage aux contours flous. Les mots, les sons sont renouvelés du point
de vue du sens.

Dans le même sillage, se trouvent, les poètes symbolistes appelés aussi, les poètes maudits. Ils
perçoivent le langage de la poésie comme une rupture par rapport aux hommes et par rapport à leurs
conventions. Dans la quête du noumen, le poète érige un hiatus entre sa vision et celle de l’homme
ordinaire emprisonné dans le langage du sens commun, du monde sensible. Charles Baudelaire, dans
les fleurs du mal affirme à ce propos : « La poésie, c’est de la sorcellerie évocatoire » C’est pourquoi,
le langage poétique n’est compris que par les initiés.

Dans la même dynamique se trouve Arthur Rimbaud qui représente ou assimile le séjour du poète
incompris parmi les hommes à « Une saison en enfer ». Le poète s’identifie à un éternel proscrit qui
trouve son refuge dans les vers en cultivant un langage mystique dans la poésie. Le vers traduit les
délires du poète que l’homme sensé ne peut saisir. C’est une sorte d’état d’ivresse dans laquelle le
génie s’exprime profondément. Il dira en ces termes : « Je m’habituais à l’hallucination, je voyais un
salon au fond d’un lac… » C’et l’apologie de la poésie de la divagation. Le résultat est donc la
difficulté de compréhension chez l’homme ordinaire que Rimbaud11 traduit par ces mots : « J’ai seul
la clé de mes parades. » En d’autres termes, seul le poète est en mesure de produire un sens fiable
pour ses vers.

Egalement, avec la poésie romantique, cette dimension du langage poétique s’explique par le fait
du caractère divin de l’inspiration. En effet, si le poète est inspiré par Dieu, si sa parole est un message
divin, alors son langage devient mystique, donc incompréhensible pour l’homme ordinaire. Victor
Hugo confesse cette réalité de l’expression en évoquant le terme « écho sonore ». Cela veut dire que
le sens profond du vers ne se trouve pas dans les esquisses de signification, mais dans les sonorités
agencées auxquelles on donne un sens. Le verbe poétique s’identifie donc à une langue spécifique tout
comme le dira Henri Bergson dans Le rire : « Le poète a son propre langage… » En clair, si le
lecteur est souvent dans l’impossibilité de déchiffrer la forme de l’expression du poète, cela tient au
fait que la poésie elle-même se refuse à toute compréhension.

Au 20ème siècle, avec le mouvement surréaliste, on assiste au renouvellement de ce culte de


l’hermétisme avec des auteurs comme André Breton ou encore Aragon. Ce dernier, dans son poème
intitulé « Les yeux d’Elsa », évoque la douceur perdue et la nostalgie de la femme aimée pour, en
réalité, parler de sa France envahie. Cette forme d’expression substitue les éléments entre eux-mêmes
disloquant les sens habituels et se caractérise à une révolte linguistique qui est le trait distinctif de la
poésie surréaliste en évoquant le mystère de l’incertain. C’est ce que semble dire Guillaume
Apollinaire12 dans son texte Calligrammes (1918) : « Enfin est né l’art de prédire »
6

Dans la littérature négro africaine, le sens obscur du verbe dévoile un souci de donner une identité
à la poésie. Tout y parle. Les sonorités, le ton, le rythme créent un effet de sens et suggèrent une vérité
que le lecteur doit chercher, étant donné que le lecteur n’est pas initié, qu’il n’est pas versé dans l’art
poétique, le sens lui échappe. C’est la raison pour laquelle, sans doute, Aimé Césaire 13
affirme : « Pour le poète deux et deux font cinq. » Même si au premier regard, le langage poétique est
imperméable, le sens profond de toute poésie est de parler aux hommes, dans un langage clair.

2-L’obligation de clarté

Dans un autre ordre d’idées, la poésie se conçoit, non pas comme un genre simpliste, mais comme
une lumière qui mène à la vérité. Cela veut dire que le poète a pour but, non un culte de la langue,
mais sa signification et sa portée. C’est la conviction d’ailleurs de Victor Hugo qui définit le poète
comme « un éclaireur ». Son œuvre doit être sacrée, sa parole une prophétie, son attitude celle d’un
guide. Au fur et à mesure qu’il vient vers les hommes, l’impératif du langage clair devient un
sacerdoce. C’est ainsi qu’il déclare : « Dans votre nuit, sans lui complète, lui seul a le front
éclairé… »

Une telle réalité explique peut-être l’analyse de René de Chateaubriand dans on ouvrage
intitulé René où il déclare : « Si en apparence, la poésie semble cacher ses sens, la vérité de sa
signification est une évidence car tout part de l’homme. » Selon cette logique la compréhension ne
saurait constituer une difficulté selon le principe doctrinal du romantisme, faisant de la poésie un
langage du cœur humain. Ce langage universel transcende les barrières des mots. Le sens véritable se
trouve dans sa capacité à toucher les hommes. Dès lors, du fait de l’universalité du sentiment, le
langage devient compréhensible et accessible.

Dans un autre registre, ce qui fait le sens véritable du langage poétique c’est son habileté à
produire un discours porteur de sens dans le but de servir aux hommes. Une telle conviction est
défendue par Jean Cocteau14 selon qui : « Le poète véritable est bien plus celui qui inspire que celui
qui est inspiré » Au regard, de toutes ces postures, il ne serait pas exagéré de dire que la poésie est
d’emblée un langage destiné aux hommes. Toutefois, il s’agit de parler par la poésie, transmettre un
message. Au-delà de ce débat sur le sens à quoi peut servir un poème ?

III-Les fonctions de la poésie

Les vocations de la poésie sont plurielles. Il existe autant de poètes que de fonctions poétiques. En
réalité, divers auteurs donnent au vers une orientation qui lui est propre. C’est pourquoi, parlant de la
poésie, nous pouvons recenser la fonction historique, l’exaltation du moi, l’engagement, le
dévoilement de l’inconnu, l’altruisme, la musicalité, la fonction esthétique…

1- La fonction historique

Le poète et l’historien souvent se confrontent. Cela tient au fait que, parfois, le poète se mue en
conservateur du passé. Ainsi, le verbe devient un document raconté où sont consignés des évènements
antérieurs. Le créateur arbore le manteau d’un gardien du passé et le vers garde une tonalité
historique. Un tel aspect de l’écriture du genre est exprimé par la poésie antique. Genre épique, la
poésie est selon cette société le moyen de consigner dans des œuvres les grands évènements du passé
des peuples. L’exemple d’Homère dans l’Iliade et l’Odyssée est une belle illustration de cette réalité
du vers. Dans le premier texte, c’est l’histoire de la chute de Troyes au 8ème siècle avant Jésus Christ,
marquée par l’expression de l’héroïsme du prince Hector et d’Achille ou encore la mise en texte et la
glorification de l’intelligence avec Ulysse. Les vers sont un pan historique. Il est de même de
L’Eneide de Virgile15 où le poète raconte comment la cité romaine est née des ruines de Troyes suite à
la trajectoire du héros Enée. C’est sans doute ce qui explique le point de vue d’Aristote16 qui pense :
7

« La poésie, c’est les grands événement et la beauté du verbe conjugués. » En d’autres termes, au
même titre que l’historien, le poète véritable est celui qui fouille dans le passé pour trouver les vestiges
des grands peuples.

Au 19ème siècle, une telle perception se retrouve chez les romantiques notamment avec Hugo dans
son ouvrage intitulé Les rayons et les ombres, paru en 1820. Dans ce recueil, précisément dans son
poème intitulé « fonction du poète », il déclare : « Je marche, courbé sur vos ruines ramassant la
tradition… » Cela veut dire que le poète, en tant que tel suit les traces de l’humanité en fixant, étape
par étape, les grands évènements du passé.

Si l’on s’inscrit dans la perspective de la littérature négro africaine, la poésie et l’histoire sont
intimement liées. La création africaine, selon les mots de Jacques Chevrier dans son œuvre intitulée
Littérature nègre : « C’est le verbe qui consigne les repères de l’histoire. » Cette réalité donne à tous
les ouvrages poétiques négro africains, un arrière plan historique. Comprendre les auteurs africains
suppose avoir une certaine culture historique de l’histoire africaine. A cet aspect de la poésie nègre, on
peut ajouter la dimension hagiographique qui poétise la trajectoire des grands hommes. On peut citer à
titre d’exemple Quassida en Pulaar ou l’œuvre te la vie de Cheik Oumar Foutyou Tall racontée par
son disciple et soldat Mamadou Aliou Thiam.

2- L’exaltation du moi

L’exaltation du moi désigne une attitude de création qui consiste à prendre comme repère
d’inspiration, le moi intérieur. Dès lors, la poésie devient un genre qui exprime la sensibilité
personnelle de l’auteur. L’écriture et la traduction en vers des joies, des peines, des tristesses, de
l’ennui, etc. Créer n’est pas donc sortir de son moi, mais plonger dans son intériorité pour y trouver
des vérités profondes. L’écrivain, dans ce cas n’est pas motivé par les autres, mais par lui-même car il
devient à la fois créateur et sujet.

Si l’on se réfère à la poésie ovidienne, il faut avouer que la forme de la poésie est indissociable de
la situation de l’état du moment et du vécu intérieur. En effet, dans Les tristes, la poésie devient une
sorte de lamentations personnelle dans laquelle le poète comme pour implorer le pardon du roi, son
bourreau montre combien il est meurtri par son exil qui l’afflige. C’est ainsi que pour demander le
pardon du roi, il envoie son livre se confesser à sa place dans l’espoir d’une clémence. « Va mon
livre ! Va voir dans la foule s’ils ne m’ont pas oublié, dis leur que je vis »

Egalement, à regarder la poésie de Ronsard et de Du Bellay. Au 16ème siècle, nous pouvons dire
que parfois le poète est avant tout motivé par sa propre personne. Ce sont ses sentiments qui dictent sa
création. Dans son poème intitulé Marie, Pierre de Ronsard exprime son déchirement intérieur par
une image métaphorique de la rose victime du temps. Cette démarche se retrouve aussi chez Du
Bellay notamment Les regrets, œuvre dans laquelle, il exprime sa nostalgie de la terre natale mais
aussi sa désillusion à Rome.

Au 19ème siècle, avec la poésie romantique, l’exaltation atteint son paroxysme notamment avec le
culte du lyrisme personnel. La poésie est un moyen d’expression du moi individuel qui puise dans les
ressources des âmes la matière à la création. Le poète se révolte ainsi tel un confident qui témoigne
aux lecteurs les troubles de son cœur. La magie de la poésie devient donc la poétisation des
sentiments. Victor Hugo, Lamartine attestent bien de cette vérité du texte poétique. En effet, dans Les
contemplations, précisément dans la seconde partie intitulée « Aujourd’hui ». Le poète romantique
pleure la perte de sa fille Léopoldine en affirmant : « Je regarde ma destinée et je vois bien que j’ai
fini… » A sa suite Alphonse de Lamartine dans Les Méditations poétiques traduit son désarroi
individuel suite à la maladie d’Elvire sa bien-aimée. Le poète pleure le caractère éphémère du
bonheur, la fugacité du temps, etc. lui-même avouait en des termes explicites : « Je m’exprimais par
moi-même et pour moi-même. » En d’autres termes, la poésie véritable c’est celle qui investit les
labyrinthes du cœur. Cette façon de concevoir la poésie n’élude pas pour autant le rapport inaliénable
entre le poète et son lecteur.

3- La poésie altruiste
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L’altruisme est une attitude intellectuelle qui consiste, dans la création littéraire, à penser d’abord
aux autres avant de penser à soi. Le moi du poète est un simple prétexte qui lui permet d’accéder à son
lecteur. Ainsi, entre les deux protagonistes, il y a comme un cordon ombilical qui les lie à jamais.
Parler de soi chez le poète, c’est partir de son moi pour toucher son semblable. Nous avons là l’idée
d’une confusion entre la personne du poète et celle de son lecteur auquel il se substitue pur donner
forme à son œuvre. Parler de ses peines, de ses sentiments, en somme, c’est évidemment, évoquer la
vie intérieure de son prochain. Le lecteur trouve en la poésie un moyen exutoire, c’est-à-dire un moyen
de se réconforter et de soulager de ses peines. C’est d’ailleurs, le sentiment de Victor Hugo qui
perçoit le lyrisme romantique comme un lyrisme altruiste. Un point de vue qu’il résume en ces mots :
« Nul n’a l’honneur d’avoir une vie qui soit à lui, la destinée est une, (…) ma vie est la votre, votre
vie est la mienne… » En clair, de ce regard émane l’idée selon laquelle le poète avant de penser à soi
pense d’abord aux autres.

4- La poésie engagée

L’engagement est une posture intellectuelle qui consiste à utiliser les moyens de son expression,
comme une arme. En poésie, la création obéit à ce but car le poète se mue parfois en défenseur des
opprimés ou en porte parole de ses contemporains. Son œuvre, au lieu d’être une simple forme
d’expression devient une arme que le créateur emploie contre les maux selon les contextes et les
réalités du moment. De l’avis de Jean Paul Sartre, la création est dictée par la situation. Le poète est
ainsi un homme de combat chez qui toute parole a pour but de soulager les plus faibles. Cela suppose
que l’engagement au coté de son peuple est un principe inaliénable que le don impose ou qui s’impose
au génie. Le silence est donc une attitude criminelle ou de traitrise que la morale blâme. Pour le
penseur existentialiste : « La maîtrise du langage implique l’engagement. » En d’autres termes dès
l’instant que le créateur a la magie de la poésie, il doit s’imposer les défis et les combats au nom de la
liberté de ses prochains.

Au 19ème siècle, Victor Hugo élabore une véritable plaidoirie en faveur de l’engagement poétique. En
effet, dans son poème intitulé « Fonction du poète » tiré de son recueil Les rayons et les ombres, paru
en 1920. Le chef de file du mouvement romantique exalte l’engagement et fait la satire d’une certaine
poésie musicale ou esthétique. Selon ses mots, le poète se trahit lorsque, oubliant les peines de ses
semblables, se contente de chanter. Cette poésie gratuite et vaine enlaidit le génie même. Pour lui, la
neutralité est de la complicité, car le poète est soumis à un impératif d’engagement. C’est pourquoi,
dans Châtiments, le poète conteste le pouvoir de Napoléon III érigé en monarchie. Il conteste aussi la
peine de mort et fustige le travail des enfants « Honte au penseur qui se mutile… » Dira t-il. C’est le
regard qui fustige l’attitude du poète « chanteur inutile ».

Au 20ème siècle, Louis Aragon, à l’image de la poésie surréaliste défend le principe d’une
écriture de la révolte où la plume est un moyen de liberté. Dans le contexte de la domination
allemande, la publication de Les yeux d’Elsa apparaît comme l’expression de cette plume de feu qui
réussit là où les autres canaux d’expression ont échoué. C’est le verbe pamphlétaire des cris
assourdissant de la révolution par la création. L’écrivain n’est pas un simple créateur mais un homme
au front dont la plume sert au peuple. Dans ce poème, la France apparaît comme une belle femme à la
douceur perdue et à la pureté violée que le poète réclame et regrette tout en définissant la vocation
première de toute poésie comme le dit ouvertement le poète français Michel Piquemal : « Je me
révolte donc je suis… » Selon ce poète le statut de créateur est subordonné à une démarche de
révolte.

Dans la littérature négro africaine, les exemples sont légion. Les poètes engagés sont
nombreux. Il s’agira de montrer à la lumière d’ouvrage de référence comment la poésie africaine s’est
consacré une poésie de la révolution. Avec David Diop, dans son recueil Coups de pilon, la poésie
devient cette plume de la dénonciation où le verbe est un cri d’amertume en réaction à toute cette
littérature exotique importée et mensongère. La poésie est ainsi une traduction authentique de la
culture, de l’histoire, des croyances pour jeter le discrédit sur toutes les théories racistes qui ont achevé
de convaincre de l’infériorité de l’homme noir. Le titre Coups de pilon offre l’image d’un son ; celui
de la révolte, de l’appel à l’émancipation qui retentit au loin comme pour inciter et impulser les vagues
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de révolte contre le Blanc dominateur et spoliateur. Dans ce poème, le ton est satirique ; ce qui
explique la caricature du Blanc désigné par les sobriquets « vautours », « mystificateurs », etc.

Chez le poète martiniquais, Aimé Césaire, le ton est plus virulent. L’écrivain se confond à un
révolutionnaire à travers une plume qui crie. C’est l’invention d’une plume moyen de combat et outil
de liberté. C’est cette voix qui, en s’élevant chercher à estomper les souffrances, les cris, et annonce
les vents de la libération. « Au bout du petit matin » disait-il. A travers cette forme poétique, le poète
est comme un soldat au front dont la souffrance accroit la motivation pour faire de la plume une arme
libératrice. Dans Cahier d’un retour au pays natal, le poète confesse comme pour définir la tonalité
de son œuvre : « Si je ne sais que parler, c’est pour vous que je parlerais. »

Dans une large mesure, la littérature négro africaine ou le mouvement de la Négritude est
intimement lié à une volonté, celle de la révolution, de la libération du peuple. Le poète noir n’a pas
ainsi le temps de chanter, ni de s’extasier devant le beau gratuit, mais son vers est une psalmodie
expression d’un devoir d’engagement. Alioune Diop, dans son appréciation de la poésie nègre
déclare : « L’humanisme nègre se traduit par un lyrisme, mais celui de la révolte. » Autrement dit, le
poète africain, constamment parle de lui et son déchirement intérieur car c’est lui-même qui parle dans
ses écrit. Une telle perception de la vocation poétique ne saurait exclure cependant l’idée d’un vers
qui est dévoilement.

5- Fonction de dévoilement

Le dévoilement est un aspect de la poésie qui consiste à apporter la lumière de la poésie à


l’homme victime de l’ignorance, par rapport à tout ce qui l’entoure. Ainsi, le poète se définit comme le
détenteur des secrets de l’univers, du monde intelligible, par opposition à l’homme victime dans ce
monde sensible. Son regard est une vision obstrué par sa sensibilité et l’éloigne du génie solitaire.
C’est pourquoi Chateaubriand affirme : « Vous regardez ce que je regarde, vous ne voyez ce que je
vois. » Il y a là l’idée d’une poésie clairvoyante, seul genre capable d’apporter la lumière à l’homme
frappé de cette cécité intellectuelle. Il vit dans une forêt de signes, de symboles dont les sens et la
signification sont détenus par le poète. « Ce roi de l’azur », selon les mots de Baudelaire est pour les
symbolistes, un homme singulier, seul dans la masse. Hugo se présente lui avec un brin
d’exaltation : « J’ai longtemps éclairé l’homme… » Cette analyse n’est pas sans rappeler la position
de Charles Baudelaire qui parle « d’Elévation ». Les métaphores visent à traduire l’écart entre les
regards du poète et celui de l’homme ordinaire.

6- La fonction distractive

Au lieu de jouer un rôle, d’avoir des vocations, le poète peut se contenter de distraire son lecteur.
On parle ainsi de poésie exutoire. Dans ce type de poésie, le poète cherche à égayer son lecteur par la
création du beau ou le chant. A travers un jeu de sonorités, sur le rythme, sur la musicalité en somme,
Paul Verlaine défend une telle définition du genre dans son texte intitulé Art poétique. Il défend
l’idée d’une poésie qui chante plus qu’elle ne signifie : « De la musique avant toute chose, le devoir
de la poésie est de rivaliser avec la musique, tout ce qu’elle fait d’autre est de la littérature. »

Dans un autre registre, pour distraire, le poète peut exprimer le beau. L’aspect, la forme,
l’expressivité suscitent chez le lecteur un plaisir de la lecture ou de l’observation. Cette entreprise
littéraire fait du poète un peintre des mots. Il y a dans cette logique la poésie parnasse du 19ème siècle.
En effet, pour les théoriciens de courant, l’auteur doit avant tout être un esthète, mu par la beauté de
l’image au détriment du rôle et du sens. Les poètes de ce mouvement comme Théophile Gautier,
Lecomte de Lisle, entre autres définissent leur art par le crédo « L’art pour l’art » D’ailleurs,
Lecomte de Lisle, pour contester cette expression lyrique et romantique fustige la poésie sentimentale
et expressive en ces mots : « Je refuse de jeter mon cœur en pâture à la plèbe carnassière. » En clair,
la poésie perd de son caractère artistique dès l’instant qu’elle se transforme en outil.
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CHAPITRE DEUXIEME
Le roman
Introduction
Le roman est un genre littéraire écrit en prose qui combine un schéma narratif et un schéma
actanciel qui se construisent autour d’une action. La structure n’est pas fixe. Cela fait de lui un genre
malléable pour son auteur. Dans le fond, il fait intervenir des personnages aux trajectoires plurielles
qui font se dérouler une histoire donnée pour vraie, conduite par une trame narrative. Dès lors, un
roman peut se définir comme une histoire construite autour de l’irréel. Ce genre d’une singularité
particulière est pourtant un mode d’expression et d’instruction incontournable. Cela explique la place
qu’elle occupe de nos jours d’où sa définition par Sainte Beuve dans son texte Correspondance : « Le
roman est un vaste champ d’essai qui s’ouvre à toutes les formes de génie, à toutes les manières,
c’est l’épopée du futur, la seule que les mœurs modernes comporteront désormais. » Cette vision qui
sonne comme une prophétie annonce le roman et l’inscrit en lettres d’or dans le processus d’évolution
de toutes les communautés littéraires du monde. Un tel intérêt a-t-il toujours accompagné le
genre ? En quoi consiste le roman ? Sa structure fait elle l’unanimité dans les milieux littéraires
? Peut-on se servir d’un roman ? Ces questions inépuisables du point de vue du sens nous poussent
à étudier d’abord l’origine et les différentes évolutions du genre. Ensuite l’étude portera sur les débats
au sujet de son esthétique, les polémiques qu’ils alimentent et enfin les vocations du genre à travers les
siècles.

I- Origines et évolutions du roman

Le roman, à ses origines, désigne une langue avant de signifier un genre. Les emplois les plus
anciens du terme se situent dans l’Antiquité gréco romaine. En effet, le mot serait issu du latin
« romanus » ou « romanice » qui traduit un latin vulgaire dérivé du latin standard. A cette époque, les
communautés grecques avaient une conception égocentrique de la civilisation et de la culture dont la
langue est la forme d’expression la plus aboutie. L’intérieur des cités était appelée « Polis ». C’était le
point focal de la civilisation où le verbe et la langue donnent à la fois l’identité et le statut aux sujets.
A l’intérieur de ces espaces les citoyens étaient considérés comme des sujets égaux ou « homoioi ».
Il y régnait le principe de l’isonomie, c’est-à-dire l’égalité. En dehors de ces espaces, dans les
périphéries comme la Gaule les langues pratiquées distinctes du latin classique étaient désignées par
des l’onomatopée, « bra-bra » qui donnera en Français le terme barbare qui désigne tout individu non
civilisé. Ainsi, à la source du mot, il y a une perception infériorisant qui nie et refuse à un type
d’homme toute humanité. Ce regard, évidemment, cherche à différencier ces hommes au model
d’hommes latins qui s’exprime en latin langue de l’humanité et de l’intelligence. Ce regard distinctif et
péjoratif est résumé par Wartburg dans son texte intitulé Evolution et structure du roman dans
lequel il dit : « Le latin devient une langue savante nettement distincte du parler populaire. Il va
s’en dire que les savants et les clergés regardent le roman comme un idiome inférieur. »

Ce bas latin, langue populaire et profane s’oppose au latin écrit et officiel. En ce temps, « faire
ses humanités », signifie être initié à la culture et au savoir par la langue latine tandis que « mettre en
roman » c’est traduire en latin vulgaire. De la langue le mot, roman va désigner un genre littéraire qui
est un récit fictif souvent né de l’imaginaire populaire, alimenté par le fantastique qui raconte l’histoire
et la trajectoire d’un ou de plusieurs personnages en conservant son caractère idyllique. Contrairement
à ce genre, la poésie et le théâtre considérés comme des genres sérieux et mode d’expression de la
société civilisée, le roman évolue dans les milieux populaires. Ca rapport inégal dans l’appréciation
des genres se justifie par leurs origines. Le théâtre et la poésie sont les arts de la cour. Ils sont écrits.
Le roman est un genre mineur déclamé à l’occasion des fêtes foraines. C’est pourquoi, sans doute,
dans son ouvrage esthétique, La poétique, curieusement, Aristote ne parle pas du roman. Ce mépris
traduit bien la place du roman dans les sociétés antiques.
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Au Moyen Age, le roman va avoir une trajectoire particulière sous plusieurs noms qui
dépendent souvent de la forme et des thèmes abordés. Ainsi on voit successivement les chansons de
geste qui sont des récits déclamés par les trouvères et les troubadours relatant de hauts faits d’arme de
grands chevaliers du Moyen Age. Nous pouvons citer entre autres La chanson de Roland de Turold,
La chanson du roi Arthur, etc. ces gestes conservaient tout le caractère fantastique des récits
romanesques antiques. Lorsque dans les récits, les sujets abordés sont à l’image des chevaliers à la
bravoure débordante, à la dévotion sans faille, dévouée à sa dame, on parle de roman courtois. Il y a
aussi ce type de roman au sujet chevaleresque que l’on retrouvait autour de la table ronde ou roman
de la table ronde. Dans son évolution, le roman gardait toujours son caractère antique en progressant
doucement vers sa forme moderne de la Renaissance. C’est pourquoi, Roland Barthes déclare : « Le
roman c’est l’histoire et l’évolution d’un genre poly forme. » A la Renaissance, avec le mouvement
humaniste, le genre adopte une nouvelle forme. Récit écrit, il perd son caractère versifié mais conserve
toute sa dimension fictive et fantastique. Ce genre se destine ainsi à plusieurs rôles. Il participe à la
construction d’une nouvelle forme d’approche de l’homme. Rabelais dira à ce propos : « Créer c’est
former un homme nouveau. » le roman perd son aspect chevaleresque mais demeure aventurier de
par le choix de ses personnages. On l’appellera le roman picaresque. Il est possible de citer, entre
autres Gargantua et Pantagruel, des récits dans lesquels le romancier Rabelais fait évoluer son
personnage dans divers espaces.

Au sortir du 17ème siècle annoncé comme l’époque du théâtre, le roman connait une phase de
léthargie. Curieusement, comme pour ressusciter le mépris antique au sujet du roman, Nicolas
Boileau, dans L’Art poétique, ne parle pas de roman. C’est au 18ème siècle que le genre, avec des
auteurs comme Jean Jacques Rousseau connait un développement fulgurant. Il apparaît le caractère
inépuisable de la prose sous l’égide de l’auteur des Confessions qui affirme : « A travers le roman,
tous les génies peuvent s’exprimer. » On lui doit entre autres, De l’Emile ou l’éducation, La nouvelle
Héloïse, etc. Avec Montesquieu, c’est l’affirmation d’un genre qui mêle à la fois, les caractéristiques
de la forme épistolaire et celles du roman de meurs. Le texte s’intitule Les lettres persanes.

Au-delà de cette perspective diachronique, il faut avouer que le siècle du roman est
principalement le 19ème. C’est l’époque du réalisme et du naturalisme qui répondent à un besoin social
de représentation à travers l’écriture. Avec le réalisme, il y a un recours à l’imagination dans la mise
en texte des faits sociaux. On peut citer des ouvrages comme Le père Goriot d’Honoré de Balzac,
Madame Bovary de Gustave Flaubert. Ces derniers se donnaient pour objet d’étude l’homme lui-
même. C’est pourquoi, Emile Zola parlant de Balzac affirmera : « Balzac est un zoologiste
humain. » Avec le naturalisme, le roman offre la même image mais substitue à l’imagination
l’observation minutieuse. Avec Zola c’est la publication de Germinal, ouvrage majeur naturaliste
traitant de la condition des prolétaires dans une Europe de divisions, de capitalisme, de minorités, etc.
Zola même pour montrer l’importance de la prose dans cette société aux fortes disparités de classes
déclare : « Le romancier est un expérimentateur. » Ce siècle du roman laissera place aux années
folles qui ont vu naitre « le nouveau roman » sous l’exercice d’Alain Robbes Grillet.

II- Le roman, un genre problématique.

L’histoire du roman, c’est l’histoire des contradictions théoriques. Le genre alimente les
débats les plus passionnés notamment au sujet de son rapport avec la réalité. L’absence de structure
fixe, des règles spécifiques ajoutées aux génies débordants des auteurs a fait du genre romanesque une
forme malléable c’est-à-dire maniable à sa guise. Ainsi, d’un auteur à l’autre, selon les époques, la
nature du roman a été perçue différemment. Si un grand nombre de critiques littéraires assimilent le
genre à une illusion du réel, l’idée du roman, traduction de la réalité est de plus en plus une évidence
dans les milieux littéraires.

1-Le roman, une pure fiction

Né du génie littéraire, la source même de la prose la rattache à l’imagination. Ainsi, de par sa


nature, le roman ouvre une grande porte à la liberté dans la création. L’auteur, comme un dieu donne
naissance à une histoire, crée un espace et un temps, choisit de faire vivre des personnages, leur donne
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une trajectoire qui varie selon ses propres gouts. La totalité de l’histoire en tant que telle, trouve sa
genèse dans l’imaginaire fertile du romancier illusionniste. Ce rapport à l’irréel, dès lors inscrit toute
production émanant de la raison du romancier dans une pure fiction. Le roman est ainsi donc cette
forme d’expression qui nous éloigne de la vérité et où l’auteur ne trouve une totale satisfaction
lorsqu’il réussit à tromper son lecteur à la fois témoin et complice. Ce constat au sujet du genre se
trouve parfaitement résumé dans les propos de Victor Hugo lorsqu’il déclare « Le romancier est un
enchanteur. » Cet art fait de l’ensemble des composantes du roman, non la réalité, mais son illusion.

En outre, à regarder de près le roman à la lumière des critiques littéraires et des théoriciens des
genres, il faut voir que l’art de l’écriture romanesque est par excellence une activité de mensonge. Les
personnages, le lieu, la trame narrative appartiennent à un univers qui n’existe que dans l’imagination
de l’auteur. Souvent, le romancier joue sur l’attention de son lecteur pour le plonger dans des univers
imaginaires avec une étonnante force attractive. Ce type d’écriture exploite le surnaturel, le
merveilleux ou encore le fantastique. Il est possible de faire référence à La métamorphose de Frantz
Kafka, œuvre dans laquelle, le personnage principal se transforme subitement en un énorme cancrelat
au sein de sa propre famille. L’histoire racontée est totalement invraisemblable, mais n’existe que dans
l’espace du roman. Ca trait du genre lui vient de son origine antique où la qualité d’un genre dépend
de sa capacité à suggérer des événements fantastiques. C’est sans doute un tel constat qui fait dire à
Louis Aragon : « Le roman est un beau mensonge. »

Egalement, si le roman n’a aucun rapport avec la réalité, cela tient au fait que c’est voulu,
cherché, incarné. La raison fondamentale tient au fait que le but du romancier n’est pas de reprendre la
réalité telle qu’elle, mais ouvrir à son lecteur, une fenêtre du monde du rêve, pour des instants de
réconfort. Ainsi, le roman s’apparente au conte car il transporte son lecteur et le soulage en l’extirpant
de ce bas monde marqué par les incertitudes, les doutes et les turpitudes de l’existence. Dans Alice au
pays des merveilles, Lewis Carroll invite son lecteur dans un pays imaginaire en suivant la trace
d’Alice son personnage principal. De la même manière Daniel Defoe, dans Les aventures de
Robinson Crusoé transporte son lecteur sur une île déserte où il fait partager le quotidien solitaire de
son personnage naufragé. Une telle caractéristique du roman semble faire dire à Guy de Cars : « Le
romancier n’a pas à délivrer de message, le roman c’est l’évasion. » Cette vérité fait du lecteur un
être ivre de lecture romanesque car le livre a la magie de transporter les lecteurs dans le monde du
personnage. Anatole France affirme à ce propos : « Ceux qui lisent des romans sont comme des
mangeurs de haschich. » Le roman est ainsi comme une drogue qui enivre son lecteur dépendant.

Par ailleurs, s’il ya une part de vérité dans le roman elle est minime car le romancier part de la
réalité, considérée comme prétexte, pour aboutir à l’illusion. Les faits qui impulsent la création
appartiennent certes au réel, mais sont exagérés dans la fiction. La réalité est un moyen à partir duquel
le romancier, sous l’impulsion d’un génie inspirateur prend les faits constants pour bâtir son récit. La
réalité ne suffit plus, il faut la développer, l’agrandir, pour enfin l’exagérer. Une trop grande liberté
que s’octroie le romancier à tel enseigne qu’aujourd’hui, il est presque difficile, voire impossible de
dissocier, le vrai du faux dans le roman. Dans Soundjata ou l’épopée mandingue, Djibril Tamsir
Niane restitue des faits historiques, mais laisse libre court à son imagination notamment à l’épisode du
baobab. Aux premiers pas du fils de Sogolon Diatta, pour laver l’affront de sa mère, non content de
lui amener des feuilles de baobab, mais c’est l’arbre en entier qu’il déracine pour venir le poser devant
la porte de sa mère. A ce niveau du récit, la réalité historique laisse place à la fiction. Un trait du genre
romanesque que l’écrivain Albert Camus définit en ces mots : « Un créateur est un concepteur
d’illusion »

En somme, il apparait clairement que le récit romanesque, s’il est méprisé, la réponse se
trouve dans son esthétique qui permet un épanouissement excessif de l’imagination. Toutefois, ce trait
n’occulte en rien le lien naturel entre le genre romanesque et la réalité.

3- Le roman, une représentation de la réalité

Le roman nait d’une société dont il porte les traits. La couleur que le romancier imprime à son
roman appartient à l’univers qui l’a vu naitre. Le romancier lui-même est à l’image de son espace
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dévolution dont il porte les stigmates. L’homme dans l’impossibilité de créer, ne fait qu’une sorte de
« mimésis » selon les mots d’Aristote. La création est une forme de tricherie car le génie ne nait de
rien ; et la présupposée inspiration est une activité de souvenir en vue de représenter ce qu’on a déjà
vu quelque part. Ainsi, le romancier est celui qui entre dans l’intimité des foyers, recense parfois des
faits qui semblent banals mais qui sont constant. Il est ainsi assimilé à un copiste comme le dira
Balzac : « Le roman est le négatif du monde au sens photographique du terme. » Cette idée met en
avant deux qualités du roman par rapport à la réalité : la loyauté et la fidélité.

Dans une même perspective, le 19ème siècle voit l’apparition du roman réaliste caractérisé par un
lien atavique avec le réel. Les principes de ce mouvement font appel à l’imagination dans le but de
représenter au mieux ce que le romancier voit. Ainsi, la matrice ou la genèse de son œuvre est sa
propre société qu’il analyse, intègre, interprète et plaque. L’écriture est ainsi le calque de la réalité.
Nous pouvons citer à titre d’exemples, Le père Goriot de Balzac ; Madame Bovary de Gustave
Flaubert. Le chef de file du réalisme défend ce regard littéraire en déclarant dès les premières pages
de son livre : « La société française allait être l’historienne, moi je ne serai que sa secrétaire… » En
d’autres termes, le romancier, dans son œuvre n’est qu’un simple traducteur, l’histoire est racontée par
son univers d’inspiration.

Toujours, à la suite du mouvement réaliste, le naturaliste vient renforcer cette conception


objective de l’écriture du roman. A la place de l’imagination, ces romanciers défendent le principe de
l’observation car la réalité ne s’imagine pas, elle s’interprète, s’observe et se représente. C’est
pourquoi, on intègre dans la sphère du roman l’exactitude et la précision scientifique. Pour Emile
Zola, le créateur doit faire une « immersion », c’est-à-dire plonger dans son espace d’étude, faire
corps avec les sujets observés pour aboutir à l’œuvre. C’est pourquoi, il disait : « Le romancier est un
expérimentateur. ». Dans Germinal, le romancier séjourne pendant six mois dans les mines de
Montsou avant d’écrire son œuvre. Cette dimension du roman le lie donc au réel tel que l’affirmera
Henri Beyle Stendhal : « Le roman est un miroir que l’on promène le long d’une route. » Gustave
Flaubert ajoutera toujours dans le même registre que le roman est un ensemble « de petits faits
vrais ».

Au chapitre de la représentation des réalités dans l’espace du roman, l’on peut aussi souligner le
cas du roman autobiographique et biographique. Dans les deux types d’écriture romanesque, la fiction
emprunte à la réalité, la matière à sa création, le personnage représenté, la trajectoire d’une personne
réelle dont le destin est situable par rapport à un temps et par rapport à un espace. Ecrire, dans ce cas,
c’est suivre pas à pas l’histoire d’un homme qu’on identifie comme un protagoniste. Si le personnage
choisi est différent de l’auteur, on parle de biographie, par contre, si l’auteur est à la fois narrateur et
sujet, il s’agit là d’une autobiographie, c’est-à-dire, se raconter soi-même. Dans les deux cas, le
souvenir occupe une place importante dans l’inspiration car les événements et les moments représentés
suivent le cours d’un destin qui n’a pas encore fini de se réaliser. Parfois, la biographie est avouée
mais aussi souvent l’auteur choisit de manière détournée un personnage auquel, il attribue ses propres
caractéristiques, son destin. On peut citer comme exemple Une si longue lettre de Mariama Bâ à
travers ce texte. Il est possible de mettre en parallèle la vie réelle de Mariama Bâ et le destin fictif de
Ramatoulaye son personnage. Les similitudes traduisent ici une auto portrait voilé.

Ce regard justifie sans doute les propos d’Andrée Chédid : « Derrière toute narration, il ya un
auteur qui se raconte. » Cela veut dire que même si l’auteur évolue dans la fiction, il est intimement
lié aux sujets qui font l’objet de leur représentation. Il y a toujours des détails, des anecdotes, si
minimes soient-ils, que le romancier emprunte à sa vie pour les incorporer dans son texte. On trouve
une même façon d’écrire chez Williams Sassine dans Saint Monsieur Baly où la trajectoire de
l’auteur se trouve facilement dans ses pages et dans les destins de son personnage. Il est de même de
L’enfant noir de Camara Laye. L’auteur qui a donné ses lettres de noblesse à la représentation
personnelle est Jean Jacques Rousseau dans son roman intitulé Les Confessions. Dans ce livre,
l’auteur à la fois narrateur et personnage se représente par rapport à son siècle. Contesté, combattu,
victime d’ostracisme, de l’unanime animosité, il écrit son œuvre comme le dit Jean Starobinsky,
critique spécialiste de Rousseau, pour, élaborer « une lancinante volonté de disculpation ». Dès la
première page, il montre la loyauté et la fidélité de son texte par ces mots : « Si la nature a bien fait
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ou mal fait de briser le moule dans lequel elle m’a jeté, c’est ce dont on ne peut juger qu’après
m’avoir lu. Que la trompette du jugement dernier sonne, je viendrai ce livre à la main me présenter
le Souverain Juge. Je lui dirai hautement, voilà ce que j’ai fait, ce que je fus, je n’ai rien tu de
mauvais, rien ajouté de bon. J’ai dit le bien et le mal avec la même franchise… »

III- Les fonctions du roman

Les vocations du roman sont nombreuses du fait de son caractère malléable. Le genre adopte
plusieurs formes mais aussi joue plusieurs rôles. C’est pourquoi, au sujet des fonctions du roman, il y a
par exemple, la dimension historique, idéaliste, engagée, distractive, instructive, sociale, etc.

1-La fonction historique

Le roman constitue à la fois une fiction et un moyen de consigner les grands évènements du
passé. A travers l’écriture de la prose ce ne sont pas les dates, mais les faits qui sont regroupés pour
constituer la matière à la création de l’auteur. Lorsque l’histoire évolue par la chronologie, le roman
lui, suit les grands événements et les destins humains pour les figer, à travers les pages de la fiction
romanesque. C’est ce que affirme Paul Auster dans son extrait de l’entretien avec Pierre Assouline
dans lequel il dit : « Ecrire un roman c’est raconter une histoire. » Le mot histoire renvoie ici non à
la trame intérieure du récit, mais à des faits marquant que le romancier regroupe pour écrire son récit.
Jacques de La Crételle, dans son roman titré Silbermann remonte le temps et représente les sociétés
françaises des années 30 pour retracer les ignominies de l’antisémitisme dans le contexte d’une Europe
caractérisée par la domination allemande.

De la même manière, le romancier refuse la mortalité en inscrivant, dans l’éternité des faits
qu’il cristallise dans le passé. Le romancier est ainsi quelqu’un qui nie l’oubli et impose le souvenir en
relatant des événements situables dans le temps et dans l’espace. Par exemple, dans Murambi ou le
livre des ossements de Boubacar Boris Diop et dans L’ainé des orphelins de Tierno monenembo, les
histoires mises en texte sont de poignants témoignages sur le génocide rwandais de 1994. Un tel aspect
de l’écriture justifie les propos de Howard Phillips Lovercraft dans son ouvrage intitulé Le rôdeur
devant le seuil lorsqu’il dit : « Le combat contre le temps est le seul véritable sujet du roman ».
Selon cette analyse, le véritable romancier, son combat est de fixer des faits qu’il emprunte à l’histoire
réelle. Par exemple, dans Soundjata ou l’épopée mandingue de Djibril Tamsir Niane, nous assistons
à un type de roman qui concurrence l’histoire dans sa façon de traiter les grands événements. En effet,
l’auteur déclare dans cette logique par la voix de son narrateur Djeli Mamadou Keita : « Sans nous,
la mémoire des grands hommes tomberait dans l’oubli.. »

Dans la littérature française, une même conception de l’écriture se trouve chez les écrivains
français comme Marguerite Yourcenar et Victor Hugo. Ce dernier, dans Notre dame de Paris, arbore
comme le manteau de l’historien en figeant des faits historiques. Pour le romancier, l’histoire
s’intéresse aux figures illustres tandis que le roman raconte l’histoire de tout le monde comme le dira
d’ailleurs Alphonse Daudet : « Le roman est l’histoire des hommes et l’histoire le roman des rois. »

2- La fonction idéaliste

Le roman souvent au lieu d’écrire la réalité la dépasse car le réel est un prétexte qui impulse
l’inspiration. Au lieu de décrire la réalité telle qu’elle est le romancier présente les faits tels qu’ils
devraient être, en corrigeant la réalité. Il ya à travers ces romans une volonté de parfaire ce que
l’homme vit. C’est le propre de la science-fiction qui évolue parfois dans un monde de projection. Par
exemple dans Et L’Homme triompha ! L’histoire se déroule dans le futur car le narrateur Kampakalas
rêve d’un monde où les races se dissiperont, pour la cohésion entre les humains. Le romancier
congolais dira même : « J’ai créé un futur possible. »

Pareillement, l’écriture d’un roman peut traduire les inspirations d’un auteur qui voit l’homme
ou le monde autrement. Dans Les exilés de la forêt vierge, Jean Pierre Makouta-Mboukou enseigne la
morale du pardon dans un univers de déchirements politiques. C’est, selon cette logique, la clémence
qui va conditionner la paix et la stabilité de l’humanité. Mario Vargas Llosa affirme à ce sujet qu’ « il
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n y a rien de mieux qu’un roman pour faire comprendre que la réalité est mal faite. » En d’autres
termes, le romancier en dépassant le réel pointe du doigt son caractère imparfait.

3-La fonction distractive

Au lieu de nous ramener à la réalité, le roman nous permet d’en échapper. En effet, pour le
romancier, il s’agit dans la création de procurer à l’homme un espace d’épanouissement où il peut
s’apaiser, connaitre le répit et oublier momentanément les turpitudes de la vie. C’est cette force du
roman qui peut transporter son lecteur dans des pays imaginaires. Miguel de Cervantès, dans son
roman Don Quichotte de la mancha met en évidence la dimension exutoire de la prose, à travers les
récits pleins d’humour avec Don Quichotte. Cet aspect de l’écriture est exactement traduit par Guy de
Cars pour qui : « Le romancier n’a pas à délivrer de messages, le roman c’est l’évasion.. » C’est le
propre du roman fantastique qui utilise comme matière le surnaturel. D’ailleurs Daniel Pennac, dans
son texte Comme un Roman déclare : « Je n’ai jamais eu le temps de lire ; mais rien, ni jamais rien
n’a pu m’empêcher de finir un roman que j’aimais… » La raison est que le romancier a le don de
fournir à l’homme les plus belles sensations qui se cachent dans les secret de la lecture. Il ne s’agit
pas de cette lecture instructive, mais celle dont la finalité est de nous faire oublier nos soucis. Le
romancier est ainsi un « démiurge » comme le définit Jean François Mauriac : « Le romancier est de
tout les hommes celui qui ressemble le plus à Dieu. » dans son ouvrage titré Le roman. Ainsi, sans le
romancier le monde serait un univers morne où l’homme au lieu de vivre, de s’épanouir, survit. Ainsi,
à l’humanité le romancier est nécessaire car il est un brin de lumière dans un monde d’obscurité
comme le dira Miguel Unamuno dans son livre intitulé Le brouillard où il dit : « L’ennui fait le
fond de la vie, c’est l’ennui qui a inventé les jeux, les distractions, le roman et l’amour. »

4- L a fonction sociale

Le regard du romancier est un diagnostique qui investit les sociétés dans leur intérieur pour en
recenser les traits caractéristiques et pour mieux les expliquer aux hommes. Le roman c’est donc
refuser la banalité des faits en exposant les faits pris pour ordinaires. Sans lui, l’homme ne les voit pas.
Son mérite c’est sa capacité à visiter l’intimité de tout grâce à un regard inquisiteur qui montre et
touche du doigt ce qui échappe à l’homme. Pour Michel Piquemal : « l’individu qui pense contre la
société qui dort, voilà l’histoire éternelle du roman » Cela veut dire qu’au sein de la société, le
romancier conscientise en abordant les vraies questions des mœurs. Dans Une si longue lettre,
Mariama Bâ investit la société sénégalaise pour en analyser les différentes réalités internes relatives à
la pratique de la polygamie, aux problèmes des castes, au matérialisme, au lévirat. Une démarche
d’écriture se retrouve chez Ibrahima Ly qui aborde des thèmes comme la stigmatisation, l’exclusion, le
mariage forcé, etc. tout comme dans L’ombre en feu, Mame Younouss Dieng traite de la condition
de la femme dans une société patriarcale, la vie précaire des femmes en milieu rural, le mariage
précoce. Ces types de romans qui réfléchissent sur la société sont des recoupements de faits sociaux
qui permettent de mieux comprendre les réalités que vivent les hommes Félicien Marceau déclare à ce
sujet : « Le roman n’est pas posé sur la réalité comme un couvercle sur une boite, mais il est une
autre réalité qui l’explique et l’éclaire. » Ainsi, quand le romancier crée, il avoue l’ignorance de son
lecteur à qui il apporte une explication sur ce qu’il voit ou sur ce qu’il vit.

Toujours dans cette même logique, le roman peut aborder des questions relatives à un univers
social pour inviter les hommes à corriger certaines pratiques nuisibles au genre humain. Dans ce
regard, des valeurs sont souvent abordés : le comportement des femmes, leur traitement, le rejet de la
différence, les formes de la marginalisation liée à la race, à la maladie, à la pauvreté. Nous pouvons
citer à titre d’exemple Madame Bovary de Gustave Flaubert, Moha le sage, Moha le fou de Tahar
Ben Jelloun. Dans le dernier texte, l’auteur donne la parole à un narrateur fou pour imprimer à son
récit une authenticité. Le regard de toute la société portée sur la petite Dada esclave noire, objet de
plaisir est mis à nu à travers un récit qui promène un regard sur toute la société maghrébine. L’écriture,
c’est ici inviter les hommes à une prise de conscience dans le but de lutter contre les maladies
sociales. Ce qu’affirme Irish Murdoch déclare : « Les bons romans portent sur le combat entre le
bien et le mal. »
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5- La fonction didactique et instructive

Toujours, au-delà de la fiction le récit romanesque est un vecteur social qui véhicule les règles et
les valeurs de la communauté qu’elle représente. Elle est ainsi une continuité de l’éducation sous une
forme écrite. Lire un texte c’est donc s’inculquer les enseignements de la société de son auteur. Dans
Vol de nuit, Antoine de Saint-Exupéry promeut des valeurs de civisme, d’altruisme, d’engagement
dans les rapports humains. La même manière Camara Laye dans L’enfant noir élabore un véritable
traité d’éducation en exposant les mœurs et la morale de sa société d’origine. Il est possible de dire de
même de Toile d’araignée d’Ibrahima Ly ouvrage dans lequel, le romancier invite à l’acceptation de
la différence, s’insurge contre la stigmatisation, enseigne à l’homme l’amour de son prochain. Un tel
aspect de la fiction romanesque pousse Claude Roy à dire « Avant d’être une histoire, une anecdote,
une simulation du vrai, le roman est avant tout une leçon de conduite. » Il faut dire donc que le
mérite du romancier c’est de bâtir par son texte un art de vivre.

En plus de l’attitude, le roman est une somme de connaissances mises en texte qui renseignent sur
l’univers, le cosmos, et sur l’homme en tant que tel. Ainsi lire un roman c’est ouvrir le grand livre de
la vie. A ce propos Georges Duhamel dit : « Lire un roman c’est apprendre par soi. » Il s’agit d’une
forme de connaissance où le savoir est ramassé et où le récit est comme un cours magistral. On peut
parler souvent de roman à thèse comme dans La nouvelle Héloïse, œuvre dans laquelle Jean Jacques
Rousseau appelle au culte du naturel qu’il définit comme la source du bonheur.

Aussi faut-il noter que par le truchement de la fiction, le lecteur découvre des univers dans une
sorte de voyage où on lui représente des milieux et des endroits souvent très éloignés par rapport à son
espace d’évolution. On parle ainsi de roman découverte. C’est l’avis d’André Malraux qui déclare :
« Les pages d’un roman sont une mosaïque que la plume a réussi à aplatir. » Dans Etoile
errante, Jean Marie Gustave Le Clézio remonte le fil du temps et expose à son lecteur le drame des
enfants arabes et juifs du conflit entre Israël et Palestine. D’ailleurs, l’auteur lui-même affirmait :
« Lire un roman, c’est découvrir un coin du monde. » Dans la même logique Jean Giono dans son
roman intitulé Que ma joie demeure ! appelle à la réconciliation avec la nature. Pour lui, c’est la
civilisation du paraitre qui crée un malaise au sein des sociétés. L’homme n’est plus lui-même. Le
roman joue ainsi le rôle de rappel pour redonner à l’homme son image perdue.

6- La fonction engagée

Le roman est par principe un genre narratif très lié au x sujets de son temps. C’est donc le destin
du romancier de mettre en texte les larmes, les cris et les luttes de la société de son temps. Les ressorts
du roman révèlent chez le créateur, un sentiment d’appartenance à une communauté qu’il faut
défendre et qu’il faut libérer si nécessaire. Selon André Brink : « La vocation essentielle de
l’écrivain réside dans une croisade impitoyable contre l’injustice, la dissimulation et le
mensonge… » Cette définition du rôle de l’écrivain souligne un rôle essentiel du romancier qui
transparaît au fil des siècles dans toutes les littératures. Dans la littérature française, le roman comme
genre engagée s’affirme particulièrement au 19ème siècle. Dans cette époque d’heurts et d’incertitude,
l’écriture romanesque apparaît comme une alternative à la dénonciation, aux revendications et aux
luttes. A cette époque, Emile Zola considère sa plume comme une arme qu’il s’agissait de mettre au
service de sa communauté. Le roman est donc le lieu de la traduction des combats qui engagent toute
la communauté. Nous pouvons citer à titre d’exemple des romans comme Billard et Germinal de Zola
qui sont des récits contextuels inspirés de la division sociale entre les prolétaires et les bourgeois.
Cette littérature utilitariste consiste à mettre son génie au service de ses semblables. Cela fait dire à
Christian Chobin « Il ne faut pas faire de la littérature, il faut écrire. »

Au 20ème siècle, l’engagement littéraire s’affirme comme un principe même du roman. En effet,
dans la définition du roman, chez des auteurs comme Jan Paul Sartre, c’est le combat même qui définit
l’écrivain. Ainsi, c’est se trahir même que de penser, crier pour chanter. Le devoir du romancier est
moral, vis-à-vis de ses semblables. Dès lors des défis l’interpellent car il est en « situations ». En
d’autres termes, c’est la conjoncture ou bien les situations qui obligent à la création. L’écriture
comme arme est un impératif, si le génie évolue dans un espace où les libertés sont brimées. Et Jean
17

Paul Sartre d’ajouter « J’écris par et pour autrui. » Ce sacerdoce enchaine l’écrivain et lui impose
l’engagement comme une visions littéraire que l’écrivain existentialiste traduit en ces mots :
« Longtemps, j’ai pris ma plume pour une épée… »

Cette vision de la création est similaire à celle d’Albert Camus dans des textes comme L’homme
révolté ou encore L’étranger. Dans ce dernier ouvrage, le romancier s’insurge contre les « malaises
de la civilisation » selon l’expression freudienne. Il y l’apologie de la rupture, la contestation de la
civilisation ostentatoire et absurde, dans une forme d’écriture où le verbe crie plus qu’il ne parle. Ce
sont les conditions qui dictent la création. D’ailleurs Albert Camus parle de marcher à « contre
sens ». Cette dimension de la prose est universelle, cependant avec la littérature négro africaine, on
assiste à l’émergence d’une littérature qui prend en charge les grands problèmes des peuples noirs.

Dès 1921, René Maran définit, le ton du roman africain en déclarant dans son roman Batouala :
« Je ne me lasserai jamais de dénoncer la méchanceté des boudjous (Blancs), je leur reprocherai
leur cupidité, leur rapacité et leur duplicité. » D’ailleurs, le titre apparaît comme une injonction ou
une invitation à la révolte « Bats-toi-là ! » L’ouvrage dénonce les conditions des indigènes noirs à
Oubangui Chari. Un espace à l’image de tout le continent caractérisé par l’exploitation de l’homme
par l’homme, le travail forcé, la violation des libertés les plus naturelles de l’indigène noir.

Il existe cependant, un ensemble de textes africains qui, par la tonalité sont des textes engagés
traitant des mêmes thèmes relatifs à la condition de l’Africain dans sa rencontre avec le monde Blanc.
Il s’agit, entre autres, de Ville cruelle d’Eza Boto ; Le vieux nègre et la médaille et Une vie de boy de
Ferdinand Oyono. Dans ces trois textes précités, l’histoire se construit autour de deux univers
antagonistes. La proximité de cette différence met l’accent sur le mal profond du continent déchiré par
le colonialisme. Le monde blanc est symbole de pureté, de violence, de pillage ; tandis que les Noirs
confinés dans les ghettos de l’indigence, vivent les affres d’un système d’exploitation qui les martyrise
et détruit leur monde en leur privant de leur liberté naturelle. Il y a, à travers ces textes, la dénonciation
de l’écart considérable entre les propos humaniste du Blanc et la réalité des actes qu’il pose. Ces récits
fonctionnent dans la mise en scène de la trajectoire d’une figure innocente, qui achève sa vie dans la
désillusion, à l’image de tous ses frères noirs victime du même système. Ils ont pour noms : Meka,
Toundi, ou encore sont des Noirs africains tout court.

Dans Les dents du destin de Jean-Pierre Makouta-Mboukou ; Le monde s’effondre de Chinua


Achebe ; Les enfants sont une bénédiction de Bucchi Emecheta, il y a la même tonalité que Jacques
Chevrier appelle « contestation » c’est le récit dénonciateur de ces vents nouveaux de métamorphose
qui marquent l’effondrement des structures traditionnelles qui ont toujours défini les cultures
africaines. Les récits caricaturent ce monde en bouleversement. Ces textes identifient une somme
d’idées singulières propres à tout le continent africain. Ces écrivains sont les portes paroles des
hommes de leur époque. Ils exercent un métier altruiste, celui de libérateur. Il ne s’agit pas de cette
libération physique du prisonnier dans une cellule, mais de celle spirituelle qui amène l’homme à
s’émanciper, à se considérer comme membre à part d’une humanité générale au même titre que les
autres races de la terre. C’est la déconstruction d’u complexe traditionnel de l’homme habitué à la
souffrance, au mépris et aux brimades.
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CHAPITRE TROISIEME
L’art en question
Introduction
Le domaine artistique est une forme d’approche du réel caractérisée par la quête de l’esthétique,
mais aussi traduit un regard individuel sur une réalité, un contexte ou encore un événement. A
l’origine expression d’un génie, le mot est aujourd’hui, éclaté. Ainsi le terme art chante plus qu’il ne
signifie. Tout ce qui est beau, tout ce qui relève de prédispositions innées est désigné par le terme art.
C’est pourquoi, nous avons des expressions comme « l’art de parler », « l’art de marcher », « l’art de
danser », « l’art de cuisiner ». Dès lors, le mot est une notion « fourre tout » au sens travesti par les
divers emplois de la langue. Notons seulement que les domaines de l’art sont pluriels, mais son étude
impose une prudence qui seule nous évite de sombrer dans le piège des vagues généralisations. Ainsi,
notre approche de la question de l’art cherchera, dans une démarche littéraire de répondre à deux
questions principales :

- Peut-on avaliser une vérité en art ?


- Quelles sont les différentes vocations de l’art ?

I- Problématique de la vérité en art.

L’art est à la fois une expression culturelle, et une forme du génie qui prend forme à travers une
œuvre. Le produit de la création désigne à la fois un objet d’art et représente son auteur dont il porte
les marques et l’identité. C’est ainsi que la vérité en art constitue une interrogation inépuisable. Il
existe autant d’artiste que de perception de la vérité de l’œuvre. Il serait, sans doute prétentieux de
prétendre épuiser les formes de la vérité artistique. C’est pourquoi, il s’agira, pour nous de répertorier
les aspects les plus communs de l’analyse au sujet de l’art.

1) L’art, une vérité subjective.

Selon une certaine analyse, la production artistique est la mise en forme d’une façon de penser,
d’une manière d’apprécier le monde, d’une forme de relation particulière entre un sujet individuel et
l’univers. Cela traduit le caractère singulier de toute vérité artistique. Ce qui émane de l’œuvre d’art
est la traduction artistique d’une idéologie, d’une doctrine ou d’une mentalité. Un tableau, même si
elle s’expose, s’interprète garde en son sein le vrai sens de sa forme et de ses messages que seul
l’artiste est en mesure d’exprimer de manière authentique. L’art est donc un espace d’épanchement où
le génie intérieur est aplanit par la magie de la création. Dans l’espace de la littérature cette
subjectivité naturelle de l’artiste est traduite par des ouvrages comme Une si longue lettre de Mariama
Bâ, Onitsha de Jean Marie Gustave Le Clézio. Il est possible aussi ce citer les délires personnels de
grands auteurs de la littérature qui apprécient d’un point de vue personnel, des réalités qui engagent
toutes les communautés. Nous pouvons citer, entre autres Discours sur les inégalités entre les races
de Gobineau ; Essai sur les mœurs de Voltaire, Voyage au bout de la nuit de Louis Ferdinand
Céline… A ce sujet, Emile Zola suggère une vision à la signification inépuisable : « L’art est un
coin de la création vu à travers un tempérament. ». Il est clair que l’auteur, dans sa création, l’artiste
est souvent victime du holisme biologique, idéologique ou encore social. Le moi individualiste est
comme une entrave à l’objectivité. Dès Lors, l’art au lieu d’être l’expression dans une rigueur
scientifique, devient le lieu de traduction des délires personnels d’une artiste au solipsisme avoué.

2) L’art une vérité artistique


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Le mot « art » crée une relation entre le génie et le produit. Le premier est donc identifié
comme un illuminé, du fait de sa capacité à sublimer l’ordinaire, à faire surgir le beau, à le
créer, à lui donner un sens, à le faire adopter par ceux qui l’apprécient. Le produit artistique
est cette aptitude à susciter chez le lecteur, ou l’homme ordinaire, le plaisir visuel. Par
exemple, un soleil qui se couche est un spectacle ordinaire inscrit au calendrier habituel et
quotidien des jours qui se suivent, mais les artifices de l’art le subliment, pour en faire un
firmament ou un fait naturel qui émerveille et suscite la contemplation de l’homme ordinaire
qui s’extasie devant un tel spectacle. Il est de même de tous les faits ordinaires auxquels on
assiste tous les jours mais qui suscitent l’émerveillement dès l’instant que la plume de l’artiste
réussit à les fixer.

Cette perception de l’art identifie l’artiste comme un esthète ou un puriste qui s’insurge
contre le caractère imparfait du monde qui l’entoure. Ainsi, l’artiste concurrence la nature
considérée comme une œuvre d’art mal faite. L’ambition est de transcender les laideurs qui
nous entourent en élaborant des produits qui vont au-delà de ce qui semble fini dans la nature.
Il ne s’agit pas de faire du « mimesis » selon l’expression aristotélicienne, mais d’aller au-delà
pour parfaire l’image de ce monde où l’imparfait à achevé de convaincre de la laideur du
monde qui nous entoure. Créer c’est donc consumer ce que nous voyons, partir de l’ordinaire
pour faire germer un chef d’œuvre artistique. Emmanuel Kant propose une appréciation assez
significative en ces mots : « l’art n’est pas la représentation d’une belle chose, mais la belle
représentation d’une chose. » Ainsi, pour cette orientation de l’art la vérité c’est ce qui est
capable d’exprimer le beau dans tout ce qui entoure l’homme. Selon cette logique la vie en
elle-même est une œuvre d’art qui magnifie la grandeur de Dieu. « La vie est une œuvre
d'art. » dira Georges Clemenceau Extrait du L’homme libre.

Dans l’espace de la littérature, le mouvement parnasse considère que l’artiste doit, non chercher à
affirmer une signification ou à jouer un rôle, mais chercher à faire ressortir le beau qui échappe à
l’homme dans son environnement. « L’art pour l’art » comme crédo sera l’axiome idéologique de
penseurs comme Théophile Gautier, Le comte de Lisle, etc. Dans un autre registre, il faut dire que
cette définition de l’art trouve ses origines dans les ouvrages de poétiques antiques. Aristote pense que
la nature est la symbolique du beau. L’artiste ne peut trouver les artifices du beau, mais seulement
dans ce qui l’entoure. Il s’agit juste, de percevoir, de traduire, de créer, en imitant. Dans sa Poétique, il
déclare : « Créer c’est poser un regard fade sur la nature…. ». Au moyen Age, une même perception
se retrouve chez Saint augustin. En effet, pour ce dernier, la création est par nature une quête
impossible car l’homme en soi ne peut créer, il se contente de retraduire le beau que le Seigneur
exprime dans la nature. Le beau de l’art est donc à l’image de la beauté divine. Il dira même à ce
propos : « Une créature ne peut être créateur. » Cela veut dire que le beau qui transparaît dans le
produit artistique est la matérialisation sur un tableau ou sur un texte du beau perceptible dans la
nature

3) L’art une vérité objective

De l’avis de Balzac créer c’est poser un regard sur l’ensemble des réalités qui l’environne.
L’artiste est dans l’incapacité de donner naissance à une œuvre à partir de rien. Son souci est de rendre
le réel tel quel. L’œuvre d’art est ainsi un tableau derrière lequel, l’artiste garde ses convictions, ses
sentiments, ses opinions, mais se limite à rendre compte par la plume ou par la production de manière
générale. Le culte de l’objectivité identifie l’auteur tel un photographe. Dans la comédie humaine, le
théoricien réaliste crée un ensemble de personnages qui sont des types empruntés à la société
française. C’est pourquoi, même Zola dans l’appréciation de ses romans dira : « Balzac est un
zoologiste humain. » C’est comme si le romancier ou l’artiste en général concurrence l’état civil. Il
faut dire que cette perception du roman est accentuée avec la naissance du naturalisme.
20

Zola dans sa définition de la création remplace l’imagination par l’observation. Cette substitution
invite la science dans la sphère de l’art, du moins dans ses méthodes. Il s’agit de penser, de créer, de
donner forme à des œuvres en puisant dans tout ce qui reflète la vérité de la nature avec exactitude.
C’est pourquoi, Bernardin de Saint-Pierre, pense dans Extrait du La Chaumière indienne :
« Tout livre est l'art d'un homme, mais la nature est l'art de Dieu. »

C’est la traduction de toutes ces vérités que l’on peut mesurer ou que l’on peut vérifier ou
quantifier dans l’univers qui nous entoure. Le créateur doit, observer, analyser, interpréter et juger
devant toute situation avant de circonscrire par la plume. Le tableau est le résultat d’une démarche
scientifique. C’est cette rencontre primordiale entre la science et l’art de la création. A ce sujet Emile
Zola pense : « La création c’est figer le vrai dans ce qui nous entoure… » Le contexte du 19ème
siècle offre un carde approprié pour cette forme d’expression. La division sociale, les conflits de
classe, les grandes luttes contemporaine dictent le type de plume et donne la forme et la couleur de
l’ouvrage. Un regard que confirme Gustave Flaubert Extrait du Correspondance, (1847 –
1852) « L’art n’est pas un mensonge. » Pour Aristote la création est une prétention
inaccessible. L’homme cherche à donner forme à des réalités qui viennent de son génie en
ignorant que le génie lui-même est tributaire de ce qu’il voit. Toute œuvre n’est donc en
réalité que le reflet de ce qui est déjà, ce qu’on a déjà vu ou vécu. Au 17ème siècle dans les
Caractères La bruyère affirme « Tout est déjà dit… » Cette affirmation sous entend l’absolu
de la vérité de la nature et de Dieu qui révèlent une œuvre finie que l’homme, souvent
reprend en supposant créer.

4) L’art une vérité contre l’éphémère

Créer c’est autant donner naissance à une œuvre que de figer le temps et la vie d’un auteur. En
effet, derrière chaque œuvre artistique se cachent un ensemble de vestiges qui portent sur la vie de
l’auteur ou sur un événement situable selon un axe chronologique bien défini. Il y a ainsi une
cristallisation de la vie de l’auteur, autant que l’œuvre en tant que telle. Créer c’est don refuser la mort
l’oubli car le produit c’est à la fois immortaliser un fait que de s’inscrire dans l’éternité. Pour André
Malraux, « L’art est un antidestin. » A travers, le théâtre historique Bernard Dadié traduit le
quotidien des peuples africains aux premières heures de la colonisation. Dans Béatrice du Congo,
l’histoire de la figure féminine et résistante est un trait commun à toutes les figures rebelles e cette
Afrique meurtrie par ces vents nouveaux. C’est un langage qui au-delà du réalisme joue le rôle de
l’histoire. Pour Pierre Brunel « L’art n’est qu’un regard fixe sur un paysage qui défile. »

Il est aussi possible, dans la création de s’insurger contre les affres du temps. La création devient
donc un acte de révolte contre le temps qui, comme un monstre ravit à l’homme ses plus doux
moments de bonheur. « Vous faîtes toujours revenir la solitude autour de ses pas !» dira Hugo.
L’artiste est donc dans un combat perpétuel contre la mort. Il cherche à s’incarner par son œuvre, à y
survivre, à y transparaître pour la postérité. Alphonse de Lamartine, comme dans une complainte
affirme « Ô temps suspends ton vol… ». Cet appel est un cri de cœur d’un penseur qui se révolte
contre la fugacité du temps.

5) L’art comme une interprétation du monde


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L’artiste qui pense face à la société qui dort tel est le destin du créateur. Il est ce « démiurge »
rimbaldien qui va au-delà de la visible et donnante naissance à une œuvre qui vient éclairer un monde
au sens flou. Victor Hugo parle de Les rayons et les ombres. L’image du soleil renvoie ici à la raison
du poète contre la nuit ou les ombres du grand nombre. Ainsi le penseur a une lecture de l’univers qui
transcende les formes d’approche habituelles du réel. L’art ainsi, conçoit le monde comme l’image
même d’un monde qu’il faut dépasser pour trouver la vérité authentique. Dans le Discours de Suède,
Albert Camus déclare « L’artiste est celui ressemble à tout le monde, mais personne ne lui
ressemble. » C’est le propre des musiques révolutionnaires comme le rap, le reggae, etc. cela traduit la
liberté de vision qui se libère des jougs de la société. Jiddu Krisnamurti affirme à ce propos :
« L'art de voir est la seule vérité. » Extrait du L'éveil de l'intelligence.

II- Les fonctions de l’art


On associe à l’art une pluralité de fonction. Cela tient au fait que les préoccupations qui
impulsent la création sont aussi nombreuses que variées. Ainsi, il serait hasardeux de
prétendre répertorier toutes les formes d’utilisation de l’art ; mais notre démarche cherchera à
souligner quelques orientations de la création en rapport avec ses vocations.
1- La fonction linguistique ou expressive.

Le but de l’artiste c’est de dire ce que seul l’art peut. Son langage est un aveu de l’indigence des
formes conventionnelles de communication. Selon Maurice merleau Ponty, « Il y a un écart
considérable entre la demande de la pensée et l’offre du langage ». Cette réalité explique le caractère
déficitaire de la langue. Ainsi la peinture, la danse, la musique, la poésie sont les formes d’expression
les plus à même de traduire fidèlement la pensée de l’homme. L’expression poétique, par exemple
n’est pas une prose explicative ; mais une suggestion de la vérité en un langage direct et expressif.
Lorsque Senghor, parlant de la femme noire dit : « vêtue de ta forme qui est vie », là il résume en
peu de mots ce que toute une histoire, tant de mot, tant de langue n’ont pu exprimer. Ce type de
langage allie simplicité, précision et image. C’est le résumé d’un point de vue contre tous ces délires
théoriques qui ont achevé de convaincre de l’infériorité de la race noire affublée du masque de la
bestialité.

Aussi, lorsque la morale ou les règles constituent une censure contre les idées authentiques, l’art
devient une façon de contourner les règles pour dire ses convictions, ses idées. Ainsi, l’art est un
moyen de dire de manière détournée ses convictions les plus intimes. Pour Henri Bergson, dans Le
rire, « L’art est une autre forme d’expression qui concurrence les formes usuelles. » nous pouvons
prendre, selon une certaine interprétation, l’image de Léonard de Vinci dans La Joconde. Coupable de
sentiments incestueux envers sa mère, la morale interdit toute forme d’expression de ce sentiment
prohibé, alors l’espace de la peinture devient un lieu de satisfaction des aspirations interdites. C’est
ainsi qu’il réalise le tableau qui marquera le monde artistique, mais aussi fera de lui un auteur qui va
fasciner tout le monde artistique français du 15ème siècle, notamment sous le règne de François 1èr.

Un même principe est visible au 20ème siècle chez Aragon, qui de manière détourné exploite les
ressources du langage artistique pour fustiger l’impérialisme allemand. C’est le dévoilement déguisé
par un style qui, au lieu de spécifier suggère dans un langage à la fois hermétique et accessible. Dans
Les yeux d’Elsa, c’est une insurrection contre l’oppression des nazis mais dans une forme poétique
qui parle par des symboles et qui invente un langage propre. C’est pourquoi, Jean PAUL Sartre
affirme, dans Qu’est ce que la littérature ?, « Le langage de l’artiste est tel un délire où foisonne
tout ce qui nous échappe. »

2- La fonction distractive

Une des particularités de l’art est sans doute sa capacité à procurer à l’homme un espace de répit,
une détente, un instant d’extase unique où l’être semble s’extirper des tumultes et des turpitudes de
l’existence. Ainsi, le beau de l’artiste procure à l’homme le bonheur de la contemplation extatique.
22

C’est une démarche où le regard traduit une sorte de plaisir qui lie le lecteur ou le contemplateur à
l’objet apprécié. On retrouve ce bonheur dans la représentation des spectacles divin de la nature
comme le coucher du soleil, le ciel, le firmament, entre autres. Henri Bergson résume bien cette idée
au sujet de l’art en déclarant : « Lentement, l’œuvre d’art nous absorbe et le monde n’est qu’un
profond silence… » Cette capacité à inhiber par l’art est spécifique à chaque domaine. La musique,
par exemple, est à la fois, un art culturel ; mais se transforme parfois en liturgies destinées à des
cérémonies culturelles qui relèvent de la foi. Il est possible de se référer à des chants incantatoires dans
les cérémonies de « Ndeup » ou encore de vaudou en Afrique central ou encore dans les traditions
culturelles de certains pays de l’Amérique latine selon l’analyse de Georges Balandier. Tomber en
syncope, entrer en transe sont les manifestations de cette capacité de la musique à transporter
l’individu dans une seconde dimension. A coté de cette forme mystique, il y a cette musique profane
qui égaye, enivre et envahit tous les sens de l’homme : « La musique, cette étrange création à la
puissance envoutante. » dira Jean Starobinski. C’est pourquoi, dans cette industrie de la musique la
société est un monde de consommateurs dépendants chez qui la musique est un espace d’évasion. Elle
joue le même rôle que l’extasie, le haschisch, la drogue, etc. l’espace de boites de nuit est comme un
laboratoire où sont soigné les maladies du stress liées à la conjoncture et aux difficultés de l’existence.
Il est de même de l’espace littéraire où des genres comme le roman, le conte, le théâtre et
particulièrement la comédie sont des moyens exutoires qui permettent à l’homme d’oublier ses soucis,
ses peines et ses chagrins. Par le livre, l’homme découvre un monde parallèle où il s’envoler pour
vivre pleinement tous ses rêves inaccessibles. Le regard de Guy de Cars sur le roman peut sans doute
être élargi à tous les autres genres d’expression. Pour lui, le livre est un espace d’évasion : « Le
romancier n’a pas à délivrer de messages, le roman c’est l’évasion… »

3- La fonction de révolte

Le génie est par excellence, un homme à part. Penser, lutter, combattre, revendiquer, tel est sont
sort. Chaque domaine de l’art entretient un rapport particulier avec la révolte. Dans le domaine de la
musique, il existe plusieurs types d’expression dont l’identité est même liée à l’engagement. Il y a
entre autres, le jazz, le reggae ou encore le rap qui sont des formes musicales nées dans la contestation.

Le reggae est conçu, dans plusieurs espaces, comme une musique politique. Les maladies des
civilisations, la justice sociale, les drames des peuples opprimés, la marginalisation des couches faibles
sont les thèmes de prédilection. C’est la traduction artistique de l’imaginaire collectif et silencieux.
Avec Bob Marley, c’est le sort de l’homme noir qui est la matière à création. Le chant est comme un
cri de cœur où l’artiste parle pour ses pairs. C’est la transcendance du « je » singulier d’un artiste qui
dénonce le mépris, la dislocation des croyances, l’exploitation des races noires. Il aborde, entre autres,
des questions comme la guerre dans des titres comme « war ». Dans rédemption Song, l’indigence des
Noirs, leurs misères, leurs peines, le racisme sont dénoncées avec virulence. « Émancipez-vous des
mentalités esclavagistes ! » Cette injonction traduit le ton d’un genre musical d’un homme à l’attitude
anticonformiste.

Une forme d’expression que l’on retrouve chez le chanteur ivoirien Alpha Blondy qui dénonce,
par la musique la succession de régimes dans la pérennité et la perpétuité des pratiques toujours aussi
machiavéliques. « Tant que cette philosophie qui fait une race supérieure et une peau inférieure,
(…) ce sera toujours la guerre. » Au-delà de cette diatribe contre la guerre et le racisme l’auteur
critique l’autoritariste des régimes, le népotisme, le clientélisme politique, la violence injustifiée, le
pillage des ressources de l’Etat, etc. il ajoutera dans un autre titre « Dans un pays avec plusieurs
ethnies, quand une seul ethnie monopolise le pouvoir pendant plusieurs décennies tôt ou tard, ce
sera la guerre civile. » Cette vision prophétique fait la satire du génocide. Il est possible de dire de
même de Tiken Jah Facoly au sujet du néocolonialisme, du rap engagé au Sénégal à travers le
mouvement « y en a marre. » Ces registres de production d’opinion préforment le regard du profane
sur les questions d’actualité. Dans l’écriture, des textes comme Roots d’Alex Haley, Les misérables de
Victor Hugo, L’étranger d’Albert Camus, Une tempête d’Aimé Césaire, Huis clos de Jean Paul
Sartre, sont des ouvrages dont le trait commun est la tonalité contestataire.
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Remarque : Il serait prétentieux de vouloir recenser toutes les fonctions de l’art. Notre démarche a
consisté à développer quelques fonctions du domaine, cependant, il est possible d’identifier, entre
autres la fonction instructive, éducative, idéaliste, historique, sociale, etc.
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CHAPITRE QUATRIEME
Le théâtre un genre particulier

Introduction

Le théâtre est un genre littéraire ou l’art du « mimesis » caractérisé par la représentation


scénique ou la mise en texte de scènes ou de faits repérables dans les cours royales, dans la plèbe et
dans toutes les sociétés humaines. La représentation est un outil culturel historique qui identifie
l’existence comme une vaste scène où chaque individu est un personnage au rôle défini par la morale
et par les différentes réglementations élaborées par toutes les conventions sociales. Selon Edwin
Goffman dans Façon de parler « L’homme est un comédien sur scène qui obéit aux principes
essentiels de la théâtralité de l’existence. » Cela témoigne d’un lien naturel entre l’homme et le genre.
C’est comme l’homme sent le besoin naturel de se représenter tel qu’il est ou tel qu’il ne devrait pas
être pour pouvoir se juger s’apprécier et se définir en même temps que les règles qui l’identifient.
Ainsi, genre littéraire, le théâtre se définit par une double énonciation en constante métamorphose. La
santé du genre se justifie par ses différentes évolutions au fil des siècles.

C’est l’avis de Jean Vilar qui apprécie les différentes évolutions du genre en ces mots « De
tous temps, le théâtre a cherché à se transformer. C'est ce qu'on appelle les crises. Tant que le
théâtre est en crise, il se porte bien. » Ainsi, il y a perpétuellement des poétiques qui proposent des
approches du genre. Il y a d’une part, les dialogues, de l’autre les indications scéniques ou les
« didascalies » qui permettent de préciser le lieu, le temps de l’action, mais aussi le jeu des acteurs.
L’œuvre théâtral n’est pas donc un texte, mais se destine à la représentation qui donne une certaine
valeur au jeu des acteurs, au décor, au temps. Dès lors, le destinataire devient collectif. Cependant, le
genre a une histoire, des caractéristiques, des sous genres et des rôles. Dans le cadre de cette étude
séquencée, il s’agira de voir les caractéristiques du théâtre, les typologies du genre et les fonctions de
la dramaturgie.

I- Caractéristiques du théâtre

Le théâtre est à la fois texte et représentation. Une identité qui fait que le genre
demeure diversifié.

1- L’écriture dramatique

Les caractéristiques formelles du texte théâtral identifient le genre avec des traits spécifiques.
Sa particularité tient au fait qu’il se destine à la représentation à la lecture en même temps. Ainsi
d’Aristote à Boileau les contextes dictent des nuances dans la perception du genre ; mais l’ossature
structurelle demeure la même. D’où l’interrogation de Francis Huster dans Le Petit dictionnaire du
théâtre : « Un texte de théâtre est à voir. Un texte de théâtre est à écouter. Est-ce qu'un texte de
théâtre est à lire ? » Cette interrogation révèle à la fois, la double dimension du genre qui explique ses
particularités internes. Le texte théâtral s’élabore par des répliques qui sont une suite de dialogues
organisés en scènes qui forment des actes. Cette division de la pièce théâtrale s’accompagne
d’indication de scène ou didascalies qui sont des informations sur le temps, le décor, le lieu, la tenue
des acteurs et les accessoires utilisés. Ainsi, la représentation doit prendre en compte l’espace et la
durée du jeu. La pièce théâtrale organise la distribution des personnages qui participent au
déroulement d’une action. Destinée à la représentation, la pièce doit s’élaborer en tenant compte des
réactions escomptées du public. A ce sujet, pour Pierre de Corneille, il ne faut pas : « exposer à la
vue de beaucoup de personnages tout à la fois, de peur que les uns ne demeurent sans action et
troublent celle des autres. » Ainsi, le texte théâtral est ainsi écrit en accordant une grande importance
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au public. Il faut éviter de choquer d’ennuyer et de lasser. Une règle théorisée dès l’Antiquité par
Aristote, mais que Boileau résume parfaitement en ce mots : « En un jour, en un lieu, tout se
déroula. » Il s’agit, en d’autres termes, de l’unité de temps, d’action et de lieu. Des principes qui
cependant traverseront les siècles en subissant des transformations dictée par des sensibilités
doctrinales. Toujours est-il qu’au-delà de ces spécificités la pièce de théâtre porte forcément sur une
ou plusieurs actions. En effet, une pièce de théâtre avant tout raconte une histoire dont la forme et la
tournure est dictée par un personnage omniprésent : le dramaturge.

2- L’action dans le théâtre

Dans le genre dramatique, l’action est le fil conducteur qui attire l’attention du lecteur. Elle est
souvent organisée autour d’un conflit, d’une guerre, d’un litige amoureux ou plus généralement
psychologique. Le conflit est amorcé par la scène d’exposition qui est une scène de présentation où
sont exposés les personnages, les lieux et le temps. Elle a la valeur d’un incipit dans le lexique
romanesque ; mais avec la particularité de nouer très tôt le problème autour duquel tourne la pièce. Le
conflit évolue et devient complexe sous la forme d’un nœud que le jeu scénique est appelé à
résoudre et à régler. On parle alors de dénouement. Il est heureux dans le cadre de la comédie et
malheureux dans les tragédies.

3- Le dramaturge

Contrairement au roman ou à la poésie, l’auteur dramaturge ne peut s’exprimer directement


son « je » se heurte et se dissout devant les dialogues interminables entre les personnages ou acteur. Il
disparait, mais demeure derrière eux celui qui impulse les différentes orientations de l’action. A la fin
de la pièce tout lui est extérieur car la pièce sera désormais prise en charge par un metteur en scène et
des acteurs, même si on a quelques exceptions comme Molière qui était à la fois dramaturge, metteur
en scène et acteur.

4- L’illusion théâtrale

Le théâtre est fondé sur l’imitation. Selon Aristote, la représentation et l’imitation totale font la
pièce dans son essence. Le spectateur participe au jeu scénique doit croire à la réalité de ce que les
comédiens jouent. Ils participent à l’action et réagit par le rire, le silence, les murmures, les
applaudissements, etc. de son coté, l’acteur fait semblant d’entrer dans la peau de son personnage, de
ressentir les mêmes sentiments dictés par son rôle. Il incarne le personnage, l’identifie et fait corps
avec lui en imprégnant de sa personnalité. Selon les formes du dénouement, le public réagi
différemment. En effet, la pièce au-delà de ses personnages peint l’homme et le monde tel qu’il est ou
tel qu’il devrait être. La pièce est ainsi intournable pour les sociétés humaines, tout comme le dira
Jules Renard dans un extrait de son Journal : « Nous voulons de la vie au théâtre, et du théâtre
dans la vie. » Ainsi entre l’homme et le théâtre, il y a comme un lien indélébile car le genre vit des
hommes et l’homme est par excellence est inséparable de cette irascible volonté de se représenter.

II-Quelques genres de la dramaturgie

Selon les dénouements, il existe différentes formes de pièces théâtrales. En effet, le théâtre est
constitué de la tragédie, de la comédie, de la tragi-comédie, etc. dans cette séquence, il s’agira
d’évoquer les genres les plus abordés : la tragédie et la comédie.

1- La tragédie

Le genre trouve son origine dans les traditions antiques grecques. Le terme désigne, à l’origine, un
chant religieux qui accompagne le sacrifice de boucs à l’occasion de fêtes traditionnelles dans ces
sociétés fortement déterminées par le mythe, la magie et la religion. Le mot tragédie même est
composé de « tragos » qui signifie bouc et de « adein » qui signifie chanter. Ce sont des chants qui
accompagnent des spectacles destinés à provoquer la terreur, la pitié ou l’admiration. Les personnages
sont souvent issus de la mythologie ou de l’histoire. Ils ont des destins tragiques, exceptionnels qui les
met face à un destin fatal contre lequel ils ne peuvent rien. Dans l’Antiquité des grands auteurs comme
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Eschyle, Euripide et Sophocle seront désignés comme les trois plus grands tragiques, qui ont donné
ses lettres de noblesse au genre. Dans la structure, la pièce conserve un aspect religieux et traverse
ainsi le Moyen Age. De l’église, il est ensuite représenté sur le parvis, puis va devenir une production
profane dont les règles sont successivement définies par Aristote dans La poétique et Nicolas Boileau
dans L’art poétique. Pour ces théoriciens du genre, la pièce doit faire évoluer des personnages de haut
rang ou nobles à la fin tragique dans une histoire structurée autour d’une action au dénouement triste.
De l’exposition à la fin, la bienséance et la vraisemblance sont les règles cultivées. Le dénouement
doit être naturel, il ne faut pas l’intervention d’un « deus ex machina ». La finalité est selon Aristote
la catharsis ou la purgation des passions. Il s’agit de susciter la peur pour pousser les hommes à
s’éloigner de la faiblesse, des vices et des tares des sociétés humaines. A l’époque classique, deux
auteurs incarnent le genre : il s’agit de Pierre de Corneille et de Jean Racine. Si pour le premier la
tragédie doit peindre l’homme tel qu’il devrait être ; le dernier considère comme un principe
dramaturgique, la représentation de l’homme tel qu’il est avec ses laideurs.

2- La comédie

Le mot comédie est dérivé du latin « comoedia » qui signifie pièce de théâtre. C’est avec ce sens
qu’il apparaît dans la langue française en 1361. A partir du 16ème siècle la comédie devient le genre du
divertissement. Au 17ème siècle, avec Molière, elle connait un essor fulgurant. Plus qu’un genre, il
représente à l’homme ses vices pour susciter la honte devant une auto représentation de ses vices. A la
différence de la tragédie, la fin est heureuse ; mais au-delà du rire, il y a une morale. Les personnages
appartiennent à la moyenne bourgeoisie et s’expriment dans un langage moins élevé que celui de la
tragédie. L’homme est ainsi mis à nu par un dramaturge qui cherche à purger ses maladies sociales.

II- Les fonctions du théâtre

Il existe une pluralité de fonctions poétiques, le genre est le plus souvent utilisé comme un moyen plus
qu’une expression littéraire.

1- Les fonctions sociales

Le théâtre est la prise en charge, par la représentation, des maladies internes à la société. Les
jeux de scènes sont ainsi le calque des problèmes internes aux sociétés humaines. L’art de vivre, la
satire des vices sont les thèmes de prédilection de ces dramaturges dont la plume œuvre pour véhiculer
la morale. Le théâtre est ainsi une expression moralisante, un genre sérieux qui investit la société pour
en purger les maladies. Cette définition du rôle du théâtre est le propre de la comédie de Molière. Au-
delà du rire, c’est l’ensemble des défauts de l’homme qui constitue les sujets d’analyse d’un
dramaturge à la fois moraliste mais aussi qui distrait. Les maladies des comportements, même la
religion ne sont pas épargnés. Ainsi, dans Le tartuffe, par exemple, l’instrumentalité de la foi, la
fausse dévotion sont mises à nu dans une représentation qui enseigne autant qu’elle fait rire. La
générosité d’Orgon s’oppose à la cupidité et à l’hypocrisie de Tartuffe. Au spectateur, une telle
représentation vise à soigner les défauts dont la représentation et l’exposition suscite la honte. Il dira à
ce sujet comme pour dénoncer le comportement de son personnage homme de Dieu : « Certains, au
lieu de servir la religion, se servent de la religion. » Au-delà de cette façon d’écrire, il y a une
perception de la comédie qui vise à montrer l’homme tel qu’il est c’est-à-dire dans sa vraie nature pour
l’inviter à se détourner du ridicule de certains caractères. « Il faut corriger les mœurs en faisant
rire. » dira- t-il. Une même démarche de représentation apparaît à travers l’image d’Harpagon dans
L’Avare. Les personnages ne sont pas importants, ils sont des types dont les caractères constituent
même l’essence de la pièce. L’avarice est fustigée dans un verbe qui suscite l’hilarité. Il est possible de
dire de même de Les Fourberies du Scapin du même auteur.

Par ailleurs, si l’on corrige par le rire comique, dans la tragédie le dramaturge lui suscite la
peur en exposant aux yeux des hommes leurs propres défauts mis sur scène à la vue du public pour
l’inviter à s’en détourner en suscitant l’aversion. « Il faut décrire l’homme tel qu’il est » dira Jean
Racine. C’est pourquoi dans Phèdre cette logique dicte la création. Le vice du sentiment incestueux,
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la jalousie, le mépris de l’autre, les faiblesses sont traités dans une représentation tragique. Ce rapport
à la société tient au fait que le dramaturge lui-même apparait comme un médecin des mœurs dont il
soigne les maladies. C’est ainsi un genre utile à toutes les sociétés humaines tout comme le dira Jean
Vilar dans une belle formule : « Le théâtre est une nourriture aussi indispensable à la vie que le pain
et le vin... Le théâtre est donc, au premier chef, un service public. Tout comme le gaz, l'eau,
l'électricité. »

2- La fonction contestataire

La représentation et une forme d’expression propice à l’expressivité du fait du style direct. Par elle le
dramaturge peut traduire sa vision du monde, ses sentiments, ses craintes et ses révoltes par le
truchement de ses personnages. Dans le contexte africain, il y a entre autres textes dramatiques de
révolte : Une tempête de Césaire, Béatrice du Congo de Bernard Dadié. Dans ces pièces le sujet
commun est la dénonciation des ignominies de la colonisation, l’exploitation de l’homme noir, le
racisme, le mépris de l’autre, etc. il faut dire que ce genre africain embrasse les luttes et les grandes
questions qui interpellent tous les intellectuels noirs porte parole des communautés opprimées. Dans la
littérature française, il ya des auteurs comme Jean Paul Sartre à travers Les mains sales, Huis clos,
entres autres textes. Sa dramaturgie est une invitation à la révolte contre les sociétés aliénantes. « Il
faut plonger ses mains jusqu’aux coudes dans la merde et dans le sang » disait-il. Toujours au
chapitre des formes contestataires du théâtre, il y a dans le contexte du 20ème siècle Antigone de Jean
Anouilh qui apparait comme un véritable traité de la contestation. « Je suis née pour dire non et pour
mourir » fait-il dire à son héroïne comme pour établir une véritable morale de la désobéissance.

3- La fonction distractive

On associe le théâtre au rire. Il s’agit plutôt du genre comique qui a pour but de susciter l’hilarité.
Ainsi, le but ultime de la pièce est d’extirper l’homme de la torpeur du quotidien durant le moment de
la représentation. La scène procure la détende, la joie, le bonheur l’instant de la représentation. Il est
question de plaire pour réussir l’œuvre en tant que tel. Molière se pose une question d’une portée
inépuisable : « Je me demande bien si la première des règles n’est elle pas de plaire ? » Ce regard
identifie assimile le théâtre au ludique car le sens, la profondeur, n’ont pas d’importance. Seul
demeure le rire que l’on retient à la fin du spectacle. Bertolt Brecht résume bien cette caractéristique
du genre en ces mots : « Un théâtre où on ne rit pas est un théâtre dont on doit rire. » cette
dimension exutoire se retrouve dans tous les textes de Molière tels que Tartuffe, L’Avare, Le malade
imaginaire, etc. le théâtre est réussit s’il finit par faire oublier les tumultes de l’existence. Pour Jean
Giraudoux, « Ceux qui veulent comprendre au théâtre sont ceux qui ne comprennent pas le
théâtre. »

Remarques : Ce repérage n’est pas la totalité des fonctions du genre car, selon chaque auteur, il y a
une fonction particulière du genre. Ainsi, il existe plusieurs autres fonctions comme la didactique,
l’instruction, l’idéalisme, l’imitation, etc. Des fonctions que l’élève peut découvrir par des cours
théoriques sur les genres ou à un autre niveau.
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DEUXIEME PARTIE
Analyse textuelle
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La mort du loup

J'ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre,


Me prenant à penser, et n'ai pu me résoudre
A poursuivre sa Louve et ses fils, qui, tous trois,
Avaient voulu l'attendre; et, comme je le crois,
Sans ses deux Louveteaux, la belle et sombre veuve
Ne l'eût pas laissé seul subir la grande épreuve;
Mais son devoir était de les sauver, afin
De pouvoir leur apprendre à bien souffrir la faim,
A ne jamais entrer dans le pacte des villes
Que l'homme a fait avec les animaux serviles
Qui chassent devant lui, pour avoir le coucher,
Les premiers possesseurs du bois et du rocher.

III

Hélas ! Ai-je pensé, malgré ce grand nom d'Hommes,


Que j'ai honte de nous, débiles que nous sommes !
Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,
C'est vous qui le savez, sublimes animaux !
A voir ce que l'on fut sur terre et ce qu'on laisse,
Seul le silence est grand; tout le reste est faiblesse.
- Ah ! je t'ai bien compris, sauvage voyageur,
Et ton dernier regard m'est allé jusqu'au cœur !
Il disait : « Si tu peux, fais que ton âme arrive,
A force de rester studieuse et pensive,
Jusqu'à ce haut degré de stoïque fierté
Où, naissant dans les bois, j'ai tout d'abord monté.
Gémir, pleurer, prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le sort a voulu t'appeler,
Puis, après, comme moi, souffre et meurs sans parler. »

Alfred de Vigny, Les destinées, 1864

1-situation

La mort du Loup est un poème écrit en octobre 1838, issu du recueil des Destinées, publié à
titre posthume en 1864. Vigny utilise l’animal pour donner une leçon, on peut donc rapprocher le
poème à une fable. La noirceur de ce poème coïncide avec une phase sombre de sa vie qui a débuté
avec la mort de sa mère et sa rupture avec Marie Dorval. Il vit désormais reclus, loin de la ville et au
milieu de la nature, au Maine-Giraud en Charente seul avec sa femme. Vigny écrivait aussi des romans
(Cinq Mars), et des pièces de théâtre, comme Chatterton, où il aborde la condition du poète.

Dans le Journal d’un poète, un recueil (publié à titre posthume en 1867) autobiographique issu de
carnets conservés par l’auteur, on constate une certaine importance de la chasse dans la vie de Vigny :
son père lui contait souvent les grandes chasses dans le domaine familial. Ce poème comporte donc
une portée autobiographique. Le poète se met en scène dans le poème.

2-idée générale
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Il est possible d’étudier dans ce poème : L’exaltation de la grandeur dans le stoïcisme

3-mouvements du poème

Une lecture de cette séquence du texte offre la possibilité d’étudier :

- La réaction du poète après la chasse


- La méditation du poète

4-Comprendre le poème : étude détaillée

Première partie :

Figure symbolique du loup

Qualités physiques : force, endurance. Vertus : courage : le Loup se bat contre le chien jusqu’au
bout. Noblesse d’attitude : calme face à la mort, acceptation de la mort (signes de l’élévation de son
âme) =>

Figure du stoïcisme

- fierté qui le rend méprisant face aux humains : « sans daigner savoir comment il a péri »
-Les chasseurs ont une détermination terrible dans la traque et usent de toute la stratégie possible :
-Violence et barbarie des hommes : description hyperbolique de la lutte (v48-51)
-Attitude du poète différente, il n’est pas un chasseur aussi avisé que les autres :
-« Nous » (un peu partout) / « moi » (v.27) ) => opposition entre les chasseurs et le poète
-procédé modalisateur : « sinistre croissant » (v.56) ; le poète porte ici un jugement : il condamne
l’attitude des chasseurs.
-Sentiment d’admiration pour le Loup, il semble admirer la beauté de l’animal (v.29-30)
- En voyant la louve, il la compare à la mère de Remus et Romulus (il y a un mythe selon lequel ces
fondateurs de Rome ont été élevés et allaités par une louve)
- sympathie pour l’animal

Deuxième partie

réflexion du poète
-On passe du récit à la réflexion.
-Emploi du « je » : le poète prend la parole, il abandonne la lutte, il na veut pas poursuivre la louve et -
-les louveteaux : il est touché par le comportement de la louve.
-personnifications : « veuve » (v) et « fils » (v; écho à Rémus et Romulus) -> on trouve une -----image
de famille, avec « père » dans la première strophe (v)
-Comportement ennobli de la louve :
- : la louve aurait aimer mourir avec le Loup (« la grande épreuve » = euphémisme de « la mort »)
Elle fait preuve d’amour et de fidélité. Mais elle est rattrapée par son rôle maternel : elle doit s’occuper
de ses petits, elle a donc également le sens du devoir et est capable de mettre ses sentiments de côté
pour l’accomplir : elle fait également preuve d’abnégation.
-: « apprendre à bien souffrir la faim » -> éducation stoïciste visant à permettre de vivre en acceptant
la douleur, la faim.
-Refus de la liberté aliénée (la liberté est hy-per importante pour les romantiques) : les loups ne
doivent pas devenir des chiens, « animaux serviles » => écho intertextuel avec la fable de la Fontaine :
le loup et le chien (le loup souffrant de la faim, va en ville et rencontre un chien qui vit choyé par ses
maîtres, le loup est envieux au début mais s’enfuit en voyant une trace de collier sur le cou du chien).
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Rime sémantique « ville » et « serviles » ; « jamais » -> refus généralisé. Celui qui renonce à la vie
sauvage renonce à ses libertés.
La leçon
-« Hommes » : en majuscule, on parle de l’idéal humain, ce mot est accentué grâce à sa position en fin
de vers.
- méditation sur la condition humaine
Les hommes sont dévalorisés :
- Faiblesse : « débiles » (; =fragiles) ; destin de l’Homme : «souffre et meurs sans parler »
- Lâcheté : « Gémir, pleurer, prier est également lâche »; l’homme a tendance à se réfugier derrière
l’inaction, ce que dénonce le poète en faisant parler le Loup.

Le poète prône le mouvement, le sens du devoir : « Fais énergiquement ta longue et lourde tâche » -->
devoir difficile qu’il faut accomplir « énergiquement » tout au long de l’existence.
On a l’impression que l’homme est écrasé pas son destin : « le sort » Il faut accepter le sort qui nous
condamne, dans une « stoïque fierté » ( « sans parler »
Formulations sentencieuses :
=> v. 79-88 : parole du Loup, dialogue fictif adressé à l’ensemble des hommes. Les phrases
sentencieuses s’apparentent à des maximes et donnent de l’éloquence, comme les impératifs : « fais » ;
« souffre et meurs »
-> La parole du Loup suit l’art de convaincre et délibérer.
->Lexique de l’argumentatif : « penser » ; « savoir » ; « studieuse et pensive »
La réunion de l’homme a affaibli le stoïcisme, les hommes se sont abâtardis ; cette leçon est
intemporelle (utilisation du présent de vérité générale).
La figure du loups occupe une certaine place (‘crier au loup’, ‘se jeter dans la gueule du loup’, ‘avoir
une faim de loup’/symbole de la force sans ruse et du seigneur avec Isangrin dans le Roman de Renart)
Le loup est présent dans des fables de la Fontaine (le loup et l’agneau) et des contes de Perrault (le
petit Chaperon rouge)
Le loup serait une créature satanique, féroce, c’est une divinité infernale qui vit la nuit.
//Vigny récupère cette figure emblématique et renverse l’image du loup pour lui donner une valeur
exemplaire (+mythe antique de la louve)
Petite citation que j’adore de Beethoven : « Bienheureux celui qui, ayant triomphé de toutes ses
passions, met toute son énergie dans l’accomplissement des tâches qu’impose la vie sans s’inquiéter
du résultat »
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Qui pulvis es

Ceux-ci partent, ceux-là demeurent.

Sous le sombre aquilon, dont les mille voix pleurent,

Poussière et genre humain, tout s'envole à la fois.

Hélas! Le même vent souffle, en l'ombre où nous sommes,

Sur toutes les têtes des hommes,

Sur toutes les feuilles des bois.

Ceux qui restent à ceux qui passent

Disent: - Infortunés! Déjà vos fronts s'effacent.

Quoi! Vous n'entendrez plus la parole et le bruit!

Quoi! Vous ne verrez plus ni le ciel ni les arbres!

Vous allez dormir sous les marbres!

Vous allez tomber dans la nuit! -

Ceux qui passent à ceux qui restent

Disent: - Vous n'avez rien à vous! Vos pleurs l'attestent!

Pour vous, gloire et bonheur sont des mots décevants.

Dieu donne aux morts les biens réels, les vrais royaumes.

Vivants! Vous êtes des fantômes;

C'est nous qui sommes, les vivants! –

Victor Hugo, Les contemplations, 1956.

Démarche de commentaire et d’exploitation de texte.

- Situation : Victor Hugo, chef de file du Romantisme. (Consultez informations sur


- Poème lyrique extrait des Contemplations, du LIVRE TROISIÈME « LES LUTTES ET LES
RÊVES », date 1856.

- Idée générale : méditation poétique sur la mort perçue à la fois comme un anéantissement et
une délivrance.

- Plan du commentaire suivi


Du vers 1 au vers 6 : universalité de la mort.
33

Du vers 7 au vers 12 : opinion des vivants sur la mort.


Du vers 13 au vers 18 : point de vue des morts

- Plan de commentaire composé


Centre d’intérêt 1 : la mort ou anéantissement
Centre d’intérêt 2 : la mort comme une renaissance

Fiche technique
- Titre : connotation religieuse, rappelle les propos tenus par un prêtre lors d’une cérémonie
funéraire, renseigne sur le degré d’engagement spirituel du poète le niveau de maturation de
son esprit (après la mort de Léopoldine)
- Antithèse au V 1 : contraste de mot qui renvoie à une loi insondable de l’existence,
parallélisme entre la vie et la mort.
- Allégorie de la mort « sombre aquilon » : assimile la mort au vent du nord.
- Personnification : la puissance de la mort (V2)
- Choix du vocabulaire : « sombre » « pleurent » (V2) : malheurs et tristesse qui s’attachent à
la mort qui n’épargne rien ni personne (« poussière et genre humain » V3).
- Connotation de désolation et d’impuissance avec le terme « hélas »
- Répétition anaphorique V5 à 6 : confirmation de l’universalité de la mort.
- Prédominance des voyelles sombres pour suggérer le caractère funeste de la mort.
- Périphrases (V 7) pour désigner les vivants et les morts entre lesquels s’instaure un dialogue.
- Mise en relief par le rejet du verbe « disent » : pour souligner l’importance du message des
vivants. (V 8)
- Apostrophe : traduit l’idée que les vivants se font de la mort perçue comme un malheur
(V8).
- Ponctuation : abondance de points d’exclamation, lamentation des vivants sur le sort
tragique des morts.
- Répétition anaphorique de « quoi » (V9 et 10) : le désarroi et l’incompréhension de la mort
par les vivants.
- Succession de négations (V9-10) et accumulation (V9 au V12) pour souligner toutes les
privations des morts.
- Répétition anaphorique « vous allez » : les affres du tombeau.
- Euphémisme « dormir » et « nuit » : volonté de dédramatiser la mort
- Réponse des morts aux vivants.
- Mise en relief du discours des morts par les mêmes procédés, discours insistant sur le
caractère futile et éphémère des biens du monde des vivants. (gloire, bonheur…) : dénuement,
pauvreté. Antithèse : (V 17) pour montrer que la vie est un mirage (« fantômes »)
- Mise en relief des morts avec le gallicisme « c’est….qui ».
- A souligner la prosopopée dans la dernière strophe qui donne la parole aux morts : « les
morts ne sont pas morts »
- La disposition typographique peut renseigner sur l’équilibre, la sérénité retrouvée par le
poète au terme d’un long cheminement spirituel.
- La disposition des rimes (suivie et embrassée) suggère la cohabitation inéluctable entre la
vie et la mort.
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La Fonction de poète
Dieu le veut, dans les temps contraires,
Chacun travaille et chacun sert.
Malheur à qui dit à ses frères :
Je retourne dans le désert !
Malheur à qui prend ses sandales
Quand les haines et les scandales
Tourmentent le peuple agité !
Honte au penseur qui se mutile
Et s'en va, chanteur inutile,
Par la porte de la cité !

Le poète en des jours impies


Vient préparer des jours meilleurs.
ll est l'homme des utopies,
Les pieds ici, les yeux ailleurs.
C'est lui qui sur toutes les têtes,
En tout temps, pareil aux prophètes,
Dans sa main, où tout peut tenir,
Doit, qu'on l'insulte ou qu'on le loue,
Comme une torche qu'il secoue,
Faire flamboyer l'avenir !

Il voit, quand les peuples végètent !


Ses rêves, toujours pleins d'amour,
Sont faits des ombres que lui jettent
Les choses qui seront un jour.
On le raille. Qu'importe ! il pense.
Plus d'une âme inscrit en silence
Ce que la foule n'entend pas.
Il plaint ses contempteurs frivoles ;
Et maint faux sage à ses paroles
Rit tout haut et songe tout bas !

Peuple! Écoutez le poète !


Ecoutez le rêveur sacré !
Dans votre nuit, sans lui complète,
Lui seul a le front éclairé.
Des temps futurs perçant les ombres,
Lui seul distingue en leurs flancs sombres
Le germe qui n'est pas éclos.
Homme, il est doux comme une femme.
Dieu parle à voix basse à son âme
Comme aux forêts et comme aux flots.

C'est lui qui, malgré les épines,


L'envie et la dérision,
Marche, courbé dans vos ruines,
Ramassant la tradition.
De la tradition féconde
Sort tout ce qui couvre le monde,
Tout ce que le ciel peut bénir.
Toute idée, humaine ou divine,
Qui prend le passé pour racine,
A pour feuillage l'avenir.
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Il rayonne! il jette sa flamme


Sur l'éternelle vérité !
Il la fait resplendir pour l'âme
D'une merveilleuse clarté.
Il inonde de sa lumière
Ville et désert, Louvre et chaumière,
Et les plaines et les hauteurs ;
A tous d'en haut il la dévoile;
Car la poésie est l'étoile
Qui mène à Dieu rois et pasteurs !

Victor Hugo, Les Rayons et les ombres, 1840.

Etude du texte

Introduction :
Victor Hugo est un écrivain prolixe, il est chef de fil du romantisme et engagé humainement
et socialement. Dans son recueil Les rayons et les ombres publié en 1840, il entend proposer une
"œuvre civilisatrice", et conduire l'Homme de l'obscurantisme, de l'ignorance vers la lumière et la
connaissance. Le poème en octosyllabes est le poème inaugural du recueil dans lequel Victor Hugo
décrit le rôle du poète, qui ne savait se limiter à la poésie pure, mais qui a une mission à accomplir
envers l'humanité toute entière. En quoi ce poème est-il un éloge du poète ?

I - Un homme engagé socialement.


A) Un message universel.

Le discours prend la forme d'une harangue adressée au peuple du monde directement, puisqu'il
utilise le pluriel, qu'il apostrophe à la seconde personne du pluriel. S'il prend la parole, ce n'est pas à
titre personnel, car il n'utilise pas "je" mais au nom d'une corporation, il se fait le porte-parole des
poètes "écoutez le poète", il s'efface derrière sa fonction. L'impératif "écoutez" impose son autorité et
insiste sur l'urgence et l'importance du message qu'il a à diffuser.
La ponctuation exclamative et expressive permet d'interpeller et de réveiller l'auditoire, "dans
votre nuit". Son message se veut universel et sans discrimination, par l'emploi du pluriel et les
oppositions "Louvre et chaumières", "les plaines et les hauteurs", "ville et désert" qui rapprochent les
contraires. Il ne fait pas de sexisme, car le message s'adresse aux "Homme" et à la "femme", il s'adresse
également aux anciens "tradition" et aux jeunes par "l'avenir". Ce message s'inscrit dans un contexte
de crise, comme le dénote le premier vers "dans les temps contraires", "jours impies", marqué par la
pauvreté, "les peuples végètent", un désintérêt religieux "impies", par le mécontentement "le peuple
agité", qui est une période d'ombre.

B) Les fonctions du poète.

Le poème s'ouvre sur une condamnation des mauvais poètes qui prend la forme d'une
malédiction par l'anaphore du monde "malheur". Il leur reproche leur inaction "chanteur inutile", leur
lâcheté puisqu'ils s'en vont et prennent la fuite en temps de crise, comme l'indique le lexique du départ,
"je retourne", "et s'en va", "prend ses sandales", "par la porte". L'image forte et concrète de la
mutilation dénonce une forme d'handicap à ses poètes, qui ne mettent pas leur art au service des autres.
Au contraire, le bon poète, celui d'utile, est celui qui s'engage et agi, comme le montre les verbes
d'action "travaille", "secoue", "sert", "jettent", "ramassant". Il est prêt à se sacrifier et à apporter toutes
les souffrances et moqueries pour le bonheur du peuple, c'est ce que dénote le registre pathétique, "se
mutile", "qu'on l'insulte", "on le raille", "contempteurs", "les épines", "courbé dans vos ruines". Le
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poète est d'abord un guide pour le peuple, "vient préparer des jours meilleurs", c'est la lumière dans la
nuit "torche", il est comparé à "l'étoile", aux "pasteurs", à la "torche". Il nous guide vers le savoir et la
vérité, même la liberté.

C'est également un utopiste est un visionnaire, ce qu'indique le périphrases pour le désigner


"rêveur sacré", "ses rêves", "il est l'homme des utopies", "le germe qui n'est pas éclos. Le poète
reconstruit un avenir à partir du passé, il ramasse "la tradition", les "ruines" ; il utilise ses fondements
passé pour reconstruire une tradition. La métaphore végétale "le germe qui n'est pas éclos" connote
l'idée de la croissance et de l'essor, et figure l'arbre généalogique, et la "racine" symbolise la base
solide qu'est le passé. Il a une fonction humaniste, profondément humaine, puisqu'il est plein d'amour,
capable d'une grande sympathie, puisque "homme, il est doux comme une femme". Il est là pour
apporter un enseignement au peuple, puisqu'il "dévoile, il transmet l'"idée". Il est finalement comme
un père qui veille sur ses enfants, "votre nuit, sans lui complète".

II - Le poète, un être exceptionnel.


A) Un être au pouvoir surhumain. /C]

Le poète est doté de pouvoirs quasi divin "dans sa main, où tout peut tenir" symbolise le pouvoir
suprême du poète. Il est omniprésent, ce que dénote les verbes absolutifs "il pense", "il voit", "il
plaint"... il a une vision globale du monde, comme le montre l'emploi privilégié du pluriel les "forêts",
"toutes les têtes", "les peuples". Il a également le don d'ubiquité, "ici" et "ailleurs" ; la symétrie de
"ville" et "désert".

B) Un élu de Dieu.

La singularité du poète est mise en relief par le présentatif "c'est lui" ainsi que par l'anaphore
"lui seul" qui s'oppose à la foule, qui sort du lot. Le mot "Dieu" qui ouvre et ferme le poème, semble
légitimer la parole du poète, qui prend une allure exemplaire. Il se compare en effet à un prophète
intermédiaire entre Dieu et les hommes, un être "sacré", qui a le privilège d'entendre la divine parole
"Dieu parle à voix basse à son âme". Les nombreuses exclamations rendent compte de son
enthousiasme, étymologiquement habité par Dieu.

Il a la capacité de réaliser des miracles, ce que suggère l'adjectif "merveilleuse". "Il inonde",
"féconde", il redonne la vie à ceux qui sont plongés dans le noir "merveilleuse clarté", "lumière". La
lumière symbolise sa sainteté. Enfin, il se compare indirectement Jésus Christ, "malgré les épines", et
"marche, courbé" car il porte la croix. La métaphore finale où "la poésie" est assimilé à "l'étoile" fait
référence à l'étoile du berger, qui guide les rois mages.

Conclusion :
Dans ce poème, Victor Hugo fait preuve d'un lyrisme universel en se définissant comme le
réceptacle répercutant toutes les voies du monde : Hommes, natures, Dieu. Ce texte témoigne aussi de
l'engagement des romantiques socialement et du rôle privilégié qu'ils octroient au poète.
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Elévation

1 Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,

2 Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,

3 Par delà le soleil, par delà les éthers,

4 Par delà les confins des sphères étoilées,

5 Mon esprit, tu te meus avec agilité,

6 Et, comme un bon nageur qui se pâme dans I’ onde,

7 Tu sillonnes gaiement l'immensité profonde

8 Avec une indicible et mâle volupté.

9 Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides ;

10 Va te purifier dans I’ air supérieur,

11 Et bois, comme une pure et divine liqueur,

12 Le feu clair qui remplit les espaces limpides.

13 Derrière les ennuis et les vastes chagrins

14 Qui chargent de leur poids I ‘existence brumeuse,

15 Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse

16 S'élancer vers les champs lumineux et sereins ;

17 Celui dont les pensers, comme des alouettes,

18 Vers les cieux le matin prennent un libre essor,

19 - Qui plane sur la vie, et comprend sans effort

20 Le langage des fleurs et des choses muettes !

Charles Baudelaire, Les fleurs du mal, 1857.


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1-Situation du texte : Ce poème titré « Elévation » est tiré du recueil Les fleurs du mal de Charles
Baudelaire, publié en 1857. Son auteur est un poète symboliste du 19ème siècle, dont la plume est
caractérisée par l’hermétisme, mais aussi une réflexion profonde sur la vie.

2-Idée Générale : ce poème élabore propose un regard métaphysique le drame de l’homme


condamnée à une vie terrestre, avec une âme constamment dans l’aspiration d’un ailleurs ou d’un
noumène.

3-mouvements du texte il est possible, d’étudier dans ce poème :

- L’expression du spleen grâce à l’exploitation de l’image


- L’exaltation du monde céleste.

4-comprendre « Elévation »

Le titre du poème, et le poème lui-même, ne doivent être pris qu’au sens d’ascension de I’
esprit dans les sphères supérieures, dans un monde de lumière et de pureté fluide, où on accède à
l’intelligence intime des choses. Il ne faut pas vouloir en donner une interprétation mystique, même si
on y trouve l’idée des «champs lumineux et sereins» (vers 16) qui vient du philosophe suédois du
XVIIIe siècle Swedenborg, pour qui la divinité est d’essence lumineuse, l’esprit s’élevant, en passant
de cercle en cercle par une gradation de niveaux d’atmosphères, pour accéder à la réalité surnaturelle.

L’idée d’ascension de I'esprit dans les sphères supérieures avait aussi été exprimée par
Hoffmann ; dans les ‘’Kreisleriana’’, il raconta : «Des ailes invisibles agitent l’air qui m’environne, je
nage dans une atmosphère parfumée» ; dans ‘’Le magnétiseur’’, il statua : «Ainsi vit et se meut,
pareille à la nature, notre essence spirituelle ; affranchie de ses moyens terrestres, elle déploie
gaiement ses ailes, s’élance avec bonheur au devant des esprits supérieurs de même ordre, hôtes de
l’empire céleste qui nous est à tous promis, elle admet et comprend sans effort, dans leur signification
la plus intime, les phénomènes surnaturels.» Cette idée devint un lieu commun du lyrisme romantique.

On la trouve chez Chateaubriand, chez Lamartine, chez Sainte-Beuve, chez Balzac qui utilisa
le vocabulaire et les images de Swedenborg pour dire les joies et les illuminations de l’esprit ; dans la
préface de ‘’La peau de chagrin’’ (1831), il évoqua ainsi le héros du roman : «Il va en esprit à travers
les espaces, aussi facilement que les choses, jadis observées, renaissent fidèlement en lui, belles de la
grâce, ou terribles de l’horreur primitive qui l’avaient saisi.»

Baudelaire lui-même aimait comparer l’émotion qu'il ressentait en face des chefs-d’oeuvre à
un mouvement d’ascension. Le 17 février 1860, il écrivit à Richard Wagner : «J'ai éprouvé souvent un
sentiment d’une nature assez bizarre, c’est l’orgueil et la jouissance de comprendre, de me laisser
pénétrer, envahir, volupté vraiment sensuelle et qui ressemble à celle de monter en l’air ou de rouler
sur la mer.» En 1861, il rapporta, dans ‘’Richard Wagner et ‘’Tannhäuser’’ à Paris’’ : «Je me sentis
délivré des liens de la pesanteur […] Alors je conçus pleinement l’idée d'une âme se mouvant dans un
milieu lumineux, d’une extase faite de volupté et de connaissance.»

‘’Élévation’’, poème, composé de cinq quatrains d'alexandrins aux rimes embrassées, est avant
tout remarquable par la sensation de mouvement qu’il fait naître chez le lecteur. Cela tient à une forte
utilisation du champ lexical du mouvement («au-dessus», «par delà», «tu te meus avec agilité», «Tu
sillonnes gaiement l’immensité profonde», «Envole-toi», «Va te purifier dans l’air supérieur», «peut
d’une aile vigoureuse / S’élancer vers les champs lumineux et sereins», «plane sur la vie»), au fait
aussi qu’une seule phrase constitue les deux premiers quatrains (d’où un enjambement hardi de
strophe à strophe) et une autre les deux derniers. Et, comme un sonnet, l’esprit d’une première partie,
formée des trois premiers quatrains, s’oppose à celui d’une seconde, formée des deux derniers.

Le premier quatrain est particulièrement marqué par la gradation d’une ascension vertigineuse
et d’un élargissement spatial. On peut y voir un souvenir de Platon qui décrivit dans ‘’Le Phédon’’
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l'ascension des âmes vers Ie pur séjour supraterrestre ; qui déprécia le bas et idéalisa une lumière ou
une chaleur empyréenne. Par une longue énumération, faite de répétitions et d’accumulation de
compléments circonstanciels de lieu, dans des alexandrins parfaitement équilibrés du fait de leurs
coupes régulières, l’esprit du poète, auquel il s’adresse (ainsi qu’on l’apprend au début de la deuxième
strophe), se dégage d’abord de la nature terrestre, des «étangs» (qui stagnent), des «vallées» et des
«bois» (qui enferment), milieux qui pourraient très bien représenter cette société médiocre que
Baudelaire méprisait et qui le méprisait ; puis il s'élève de plus en plus haut : il franchit les
«montagnes» (qui se dressent vers l’immensité du ciel), atteint les «nuages» et survole les «mers» (qui
évoquent la liberté) ; enfin, dans une véritable «odyssée de l’espace» avant la lettre, il dépasse le
«soleil» (premier mot d’un champ lexical de la lumière, où figurent encore «étoilées», «clair»,
«limpides», «brumeuse», «lumineux»), parcourt les «éthers» (pluriel poétique, l’éther étant, pour les
Anciens, le fluide très subtil qu’on supposait régner au-dessus de l’atmosphère), s’éloigne même des
«confins des sphères étoilées» !

On peut remarquer l’opposition dans les vers de cette strophe entre les rimes embrassées,
«vallées» et «mers» représentant le monde du bas, «éthers» et «étoilées» représentant le monde du
haut.

Au premier vers du deuxième quatrain seulement, vers coupé irrégulièrement, ce qui lui donne
beaucoup de dynamisme, apparaissent le sujet de la phrase, l’«esprit», et un premier verbe, «tu te
meus», qui le décrit donc par un mot qui concerne le corps. Cela se continue, dans un vers lui aussi
coupé très irrégulièrement, avec l’idée du «bon nageur qui se pâme dans l’onde», c’est-à-dire qui
ressent dans l’eau une émotion si forte qu’il en est comme paralysé, mais sans risque puisqu’il s’agit
d’«un bon nageur», qui éprouve d’ailleurs «une indicible et mâle volupté», le poète semblant vouloir
indiquer que cette jouissance quasi érotique, dans un élément liquide, donc féminin, si grande qu’elle
ne peut être dite, n’en est pas moins virile. L’idée de la nage est peut-être un souvenir de certaines
phrases de ‘’La peau de chagrin’’ prononcées par le héros : «Le plaisir de nager dans un lac d'eau
pure, au milieu des rochers, des bois et des fleurs, seul et caressé par une brise tiède, donnerait aux
ignorants une bien faible idée du bonheur que j’éprouvais quand mon âme se baignait dans les lueurs
de je ne sais quelle lumière, quand j’écoutais les voix terribles et confuses de l’inspiration, quand
d’une source lumineuse les images ruisselaient de mon cerveau palpitant.» ; et il veut goûter le «plaisir
de se mouvoir sans être garrotté par les liens du temps ni les entraves de l’espace», goûter aussi
l’orgueil «de faire comparaître en soi l’univers».

L’idée de plaisir, et même d’exubérance, d’euphorie, est bien rendue par l'adverbe
«gaiement». Cet esprit, qui sillonne «gaiement l’immensité profonde», rappelle l’albatros, le poème de
ce titre étant venu, mais dans la seconde édition du recueil seulement, précéder ‘’Élévation’’. Comme
‘’L’albatros’’ relate la chute du poète et le malaise qui le prend à vivre parmi les gens du commun,
‘’Élévation’’ peut paraître un poème inverse. Dans ce quatrain aussi, on remarque l’opposition des
rimes qui, étant embrassées, forment ici un chiasme : «agilité» et «volupté», qui représentent l'abstrait,
enserrent «onde» et «profonde», qui représentent le concret.

Pourquoi, si l’esprit s’est déjà libéré dans l’espace, faut-il que, dans le troisième quatrain, Baudelaire
lui adresse trois injonctions. Pour la première injonction, on remarque le contraste sonore entre la
liquidité dynamique de : «Envole-toi bien loin», et la lourdeur, due à l'allitération en «m», des
«miasmes morbides» (émanations de substances en décomposition provoquant des maladies). Pour la
deuxième injonction sont ménagées deux de ces significatifs allongements de mots qui sont
provoqués par la diérèse qu’il faut faire pour que chaque hémistiche ait ses six syllabes : ainsi,
«purifier» doit se prononcer «purifi-er» et «supérieur» doit se prononcer «supéri-eur».

Pour la troisième injonction, qui s’étend sur deux vers dont le premier est, lui aussi, coupé de
façon dynamique, le commandement de boire «Le feu clair qui remplit les espaces limpides» ne
manque pas d’étonner ; on remarque aussi la répétition obsédante de l’idée de pureté («purifier»,
«pure», «limpides»), et on peut d’ailleurs constater, dans l’ensemble du poème, une correspondance
entre les trois élément purificateurs : l'eau, l'air et le feu, tandis que la terre est associée à l'impureté.
Les rimes de la strophe, elles aussi, sont significatives, «morbides» s’opposant à «limpides», tandis
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que «supérieur» et «liqueur» se répondent. «Envole-toi» inaugure un champ lexical du vol qui va être
poursuivi avec «aile», «alouette», «essor», «plane».

Ainsi, nous constatons, à la lecture des trois premiers quatrains, que le poète a, avec beaucoup
d’art, usé du vocabulaire du monde matériel pour créer des impressions d'élan spirituel, d'ascension
exaltante, d'activité libre et heureuse, pour dégager des idées positives. Mais, au quatrième quatrain,
après l’évocation pathétique de «les ennuis et les vastes chagrins / Qui chargent de leur poids
l'existence brumeuse» (vers qu’alourdissent les diphtongues), survient un changement de personne : de
«tu», on passe à «celui». Baudelaire, poussant comme un soupir de déception dans une véritable
exclamation à la manière antique («Félix qui…») : «Heureux qui…», manifeste son regret de ne pas
être «celui qui peut […] S’élancer vers les champs lumineux et sereins», qui a réussi à atteindre
l’objectif que lui-même s’était fixé. Là encore, les rimes de la strophe sont significatives, «chagrins»
s’opposant à «sereins», et «brumeuse» à «vigoureuse».

La phrase se poursuivant dans le cinquième quatrain, aux vers 17-18, l’exploit, d’abord,
n’apparaît plus aussi sensationnel : ce ne sont plus que «les pensers» (orthographe ancienne pour
«pensées») qui montent «vers les cieux», dont l’importance est soulignée par une autre diérèse : «ci-
eux». Et les «alouettes» (même si ces oiseaux, symboles de la liberté comme le sont un peu tous les
oiseaux, par leur façon de s'élever très rapidement dans le ciel, de prendre «le matin» «un libre essor»,
représentent la joie manifeste de la vie, l'élan vers la joie) font piètre figure après l’albatros qui serait
d’ailleurs plutôt celui «qui plane sur la vie».

Mais les deux derniers vers, distique isolé par un tiret, permettent de nouveau l’exaltation de
ce surhomme, de ce génie pour lequel le réel est allégé au profit de l'immatérialité des signes du
langage, puisque, maîtrisant les «correspondances», il peut comprendre «sans effort / le langage des
fleurs et des choses muettes» (vers 19-20, où il faut remarquer, d’une part, le fait que ces fleurs
doivent être en particulier, par une mise en abyme du titre du recueil, les fleurs du mal ; d’autre part, le
paradoxe de «langage des […] choses muettes», qui nous indique cependant que le poète, déchiffreur
du monde, doit faire parler les choses qui ne parlent pas par elles-mêmes ; l’idée vient peut-être de
Sainte-Beuve qui, parlant des poètes, déclarait : «Ils comprennent les flots, entendent les étoiles, /
Savent le nom des fleurs, et pour eux l’univers / N’est qu’une seule idée en symboles divers.» [‘’À
mon ami Leroux’’]). Les rimes de la strophe sont significatives, «essor» répondant à «effort», d’autant
plus que les deux mots sont rapprochés par la paronomase.

Si le poète envisagea un mouvement progressif partant de la réalité terrestre et s'en éloignant


progressivement, s’il imagina la courbe dynamique d'un être qui réussirait un arrachement libérateur
des contingences matérielles de l'ici-bas, il doit donc finalement constater qu’il a lui-même échoué,
qu’il reste au niveau des «étangs», des «vallées», des «bois», qu’il respire toujours les «miasmes
morbides», qu’il n’échappe pas aux «ennuis» et aux «vastes chagrins», à son «existence brumeuse»,
qu’il ne peut pas se «purifier dans l’air supérieur». Ce sentiment d’échec est d’autant plus fort qu’on
sait que jamais personne ne pourra atteindre «les champs lumineux et sereins», qu’il n’est pas possible
de boire, «comme une pure et divine liqueur, / Le feu clair qui remplit les espaces limpides». Et
Baudelaire nous ramène à notre condition d’êtres humains, limités physiquement et intellectuellement,
esclaves de nos vices et de notre société.

Ce poème, s’il exprime un élan pour échapper aux médiocrités terrestres, vers les régions
sublimes de l’idéal, élan qui, d’ailleurs, n’est que celui de l’esprit, le corps restant englué dans la
réalité des choses, est donc en fait finalement pessimiste, empreint du spleen, qui repose sur la
conscience que le monde est injuste, que la société telle qu’elle est n’est qu’une prison, et sur la
conviction que rien, absolument rien, ne pourra y changer quelque chose, toute tentative pour ce faire
portant le germe de son propre échec, puisque, comme Baudelaire le pensait, le mal est présent
partout. Et il n’éprouvait pas du tout un sentiment religieux tourné vers un Dieu personnel, n’aspirait
pas du tout à l’anéantissement du mystique.Il reste que le poème lui-même, qui est une profession de
foi placée au début du recueil ‘’Les fleurs du mal’’, prouve que le poète, s’il est écartelé entre le
monde terrestre, terrain du spleen, et le monde aérien de l'idéal, arrive à se libérer grâce à l'écriture
poétique. ‘’Élévation’’ peint une élévation propre à la création poétique.
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La Petite fille
Ô souvenirs ! printemps ! aurore !
Doux rayon triste et réchauffant !
- Lorsqu'elle était petite encore,
Que sa soeur était tout enfant.-

Connaissez-vous, sur la colline


Qui joint Montlignon à Saint-Leu ,
Une terrasse qui s'incline
Entre un bois sombre et le ciel bleu ?

C'est là que nous vivons. - Pénètre,


Mon cour, dans ce passé charmant ! -
Je l'entendais sous ma fenêtre
Jouer le matin doucement.

Elle courait dans la rosée,


Sans bruit, de peur de m'éveiller ;
Moi, je n'ouvrais pas ma croisée,
De peur de la faire envoler.

Ses frères riaient. - Aube pure !


Tout chantait sous ces frais berceaux,
Ma famille avec la nature,
Mes enfants avec les oiseaux ! -

Je toussais, on devenait grave.


Elle montait à petits pas,
Et me disait d'un air très grave :
« J'ai laissé les enfants en bas. »

Qu'elle fût bien ou mal coiffée,


Que mon cour fût triste ou joyeux,
Je l'admirais. C'était ma fée,
Et le doux astre de mes yeux !
Nous jouions toute la journée.
Ô jeux charmants ! chers entretiens !
Le soir, comme elle était l'aînée,
Elle me disait : « Père, viens !

Nous allons t'apporter ta chaise,


Conte-nous une histoire, dis ! » -
Et je voyais rayonner d'aise
Tous ces regards du paradis.

Alors, prodiguant les carnages,


J'inventais un conte profond
Dont je trouvais les personnages
Parmi les ombres du plafond.

Toujours, ces quatre douces têtes


Riaient, comme à cet âge on rit,
De voir d'affreux géants très bêtes
Vaincus par des nains pleins d'esprit.

J'étais l'Arioste et l'Homère


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D'un poème éclos d'un seul jet ;


Pendant que je parlais, leur mère
Les regardait rire, et songeait.

Leur aïeul, qui lisait dans l'ombre,


Sur eux parfois levait les yeux,
Et moi, par la fenêtre sombre,
J'entrevoyais un coin des cieux !
Victor, Hugo, « pauca meae », Les Contemplations, 1856.

INTRODUCTION
La fille de Victor Hugo, Léopoldine, s'est noyée dans la Seine en 1843. Après cela, il écrit Les
Contemplations, recueil de poèmes consacrés à sa fille. Cette évocation heureuse de la vie de
Léopoldine au milieu du reste de la famille est d'abord assurée, dans ce poème par des vers qui font
ouverture (v.1-10). L'évocation elle même ressuscite deux moments de ces journées de bonheur: la
matinée (v.11-28) et le soir (v.29-52) On pourra analyser successivement :

I. L'ouverture (v.1-10)
II. La matinée (v.11-28)
III. La soirée (v.29-52)

I. L'OUVERTURE

Ces vers (1-10) qui sont peut-être les plus beaux du poème permettent au poète d'aborder l'évocation
du souvenir proprement dite et de le rendre intelligible à l'interlocuteur auquel il s'adresse.
Interruptions, précisions, réflexions à soi même créent peu à peu une impression d'intimité qui va
donner le ton du récit.

Vers 1-2 :
Ces vers sont un commentaire qui tout en indiquant le sujet du poème -les souvenirs-précisent l'effet
psychologique lié à leur évocation. Printemps et aurore désignant l'enfance de l'année et du jour,
symboles de joie et d'espoir montrent que Hugo, ailleurs sensible à la cruauté des souvenirs heureux
dans le malheur, se laisse ici gagner par leurs charmes, ce que confirment les vers suivants, dans
lesquels ils sont qualifiés de "doux et réchauffants" malgré leur tristesse.
Vers 3-4 :
"Elle" n'a pas à être nommée dans un livre des Contemplations qui est tout entier consacré à
Léopoldine. Le livre IV l'évoque à divers moments de sa vie; ici, elle est enfant comme le précise
familièrement "petite" au milieu de ses frères et de ses sours.
Vers 5-9 :
Hugo s'interrompt pour que la personne à laquelle il s'adresse (non précisée et qui devient le lecteur)
puisse situer cette évocation, il précise qu'à cette époque, il habitait avec sa famille, cette maison
proche de la forêt de Montmorency.
La terrasse d'où sont datés plusieurs textes des Contemplations en particulier mes deux filles. En
donnant cette précision, Hugo crée avec son lecteur un lien particulier qu'il associe à sa vie intime.
Vers 9-10 :
Avec cette simple exhortation à soi même, l'impératif mis en valeur par la coupe et la place en fin de
vers, Hugo suggère à quel point il est désormais loin du bonheur.
La réticence de l'âme, au seuil du passé charmant, fait comprendre ce qui sépare le passé heureux du
présent.

Ccl: La réussite de cette ouverture tient à l'intimité et au naturel du ton marqué en particulier par les
interruptions.
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II. LA MATINEE

L'évocation comprend deux moments: Léopoldine est admirée de loin avant de venir près de son père.

Vers 11-17 :
Ces premiers vers suggèrent en particulier par la répétition "de peur de", l'accord parfait des deux êtres
et l'égalité de l'amour qu'ils se portent marquée par des attentions mutuelles: elle craint de l'éveiller, lui
retarde le moment où il lui fait savoir qu'il est réveillé pour mieux admirer l'enfant qu'il sent prête à
s'effaroucher comme un oiseau.
Vers 17-20 :
Cette strophe est consacrée à l'évocation d'un aspect jusqu'alors laissé en arrière-plan: le décor naturel
dans lequel se situe cette scène. Par le sentiment d'une harmonie, d'un accord dans la pureté, entre les
enfants et ce matin d'été à la campagne, cette évocation élargit l'impression de bonheur suggérée par le
spectacle du jeu des enfants dans un décor naturel et des précautions de Léopoldine.
Vers 21-24 :
Le père a montré qu'il était réveillé, les enfants s'enhardissent, Léopoldine est distinguée du groupe.
Son âge, sa gravité, peut-être une préférence inavouée pour le premier né, la mettent au dessus de ses
frères et de sa sour et la rapprochent de son père: en face des enfants, il y a entre eux une complicité.
Vers 25-28 :
Cette strophe précise le sentiment fondamental du père en face de sa fille: l'admiration.
Les deux premiers vers soulignent avec insistance la profondeur de cette admiration qui ne dépend ni
d'une beauté qui se trouverait mise en valeur certains jours, ni des dispositions particulières d'Hugo.
Les termes de "fée" et d' "astres" traduisent de même l'impression de se trouver devant un être
supérieur dont la présence est une grâce. C'est la troisième fois que l'idée de douceur intervient pour
qualifier Léopoldine, de sorte que c'est l'idée qui restera attachée à son souvenir.

III. LA SOIREE

Vers 29-36 :
Deux vers de transition amènent à l'évocation du moment symétrique de la journée: avant et après les
heures de travail, Léopoldine et les autres enfants offrent à leur père des moments de détente et de
bonheur. Comme le matin, Léopoldine a l'initiative, mais ici elle est présentée au milieu de ses frères
et sœurs.
Vers 27-52 :
Dans ces vers, Hugo évoque alternativement les contes qu'il faisait et son auditoire. Il souligne à
propos des contes v. 37-40 puis 45-46. L'aisance de l'inspiration dans un climat de bonheur; le ton sur
lequel sont évoqués ces contes, d'une ironie heureuse, gardent quelque chose de ce climat. L'auditoire
forme un tableau: rires des enfants, gravité paisible de la mère et du grand-père, trois générations
réunies composent l'image même de ce bonheur familial qui est comme un coin des cieux.

CONCLUSION

Les deux premiers livres des Contemplations ont pour titre "Aurore" et "l'âme en fleur". De même le
quatrième livre contient à côté des poèmes qui évoquent la catastrophe, d'autres poèmes comme celui-
ci qui rappellent le bonheur auprès de Léopoldine. Ici, le bonheur propre de l'enfance vient encore
embellir le souvenir de la disparue. Les images choisies, le ton se prêtent volontiers à l'expression du
sentiment heureux. Tout contribuerait à en faire un pur poème de bonheur si l'ouverture par quelques
mots qui font allusion au malheur et plus encore par ses réticences ("pénètre mon cour") n'avait
d'avance situé cette douceur dans un autrefois dont le poète est séparé par l'irréparable.
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TROISIEME PARTIE
Etude des ouvrages au programme
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CHAPITRE PREMIER
Introduction à l’étude de L’étranger d’Albert Camus
Texte 1 : ( à étudier)

Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai reçu un télégramme de
l'asile: «Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués.» Cela ne veut rien dire. C'était
peut-être hier. L'asile de vieillards est à Marengo, à quatre-vingts kilomètres d'Alger. Je prendrai
l'autobus à deux heures et j'arriverai dans l'après-midi. Ainsi, je pourrai veiller et je rentrerai demain
soir. J'ai demandé deux jours de congé à mon patron et il ne pouvait pas me les refuser avec une
excuse pareille. Mais il n'avait pas l'air content. Je lui ai même dit : "Ce n'est pas de ma faute." II n'a
pas répondu. J'ai pensé alors que je n'aurais pas dû lui dire cela. En somme, je n'avais pas à m'excuser.
C'était plutôt à lui de me présenter ses condoléances. Mais il le fera sans doute après-demain, quand il
me verra en deuil. Pour le moment, c'est un peu comme si maman n'était pas morte. Après
l'enterrement, au contraire, ce sera une affaire classée et tout aura revêtu une allure plus officielle.

J'ai pris l'autobus à deux heures. II faisait très chaud. J'ai mangé au restaurant, chez Céleste,
comme d'habitude. Ils avaient tous beaucoup de peine pour moi et Céleste m'a dit: "On n'a qu'une
mère". Quand je suis parti, ils m'ont accompagné à la porte. J'étais un peu étourdi parce qu'il a fallu
que je monte chez Emmanuel pour lui emprunter une cravate noire et un brassard. Il a perdu son oncle,
il y a quelques mois. J'ai couru pour ne pas manquer le départ. Cette hâte, cette course, c'est à cause
de tout cela sans doute, ajouté aux cahots, à l'odeur d'essence, à la réverbération de la route et du ciel,
que je me suis assoupi. J'ai dormi pendant presque tout le trajet. Et quand je me suis réveillé, j'étais
tassé contre un militaire qui m'a souri et qui m'a demandé si je venais de loin. J'ai dit "oui" pour n'avoir
plus à parler.

Albert Camus, L’étranger.

Texte2 : (à étudier)

Le soir, Marie est venue me chercher et m'a demandé si je voulais me marier avec elle. J'ai dit que cela
m'était égal et que nous pourrions le faire si elle le voulait. Elle a voulu savoir alors si je l'aimais. J'ai
répondu comme je l'avais déjà fait une fois, que cela ne signifiait rien mais que sans doute je ne
l'aimais pas. "Pourquoi m'épouser alors?" a-t-elle dit. Je lui ai expliqué que cela n'avait aucune
importance et que si elle le désirait, nous pouvions nous marier. D'ailleurs, c'était elle qui le demandait
et moi je me contentais de dire oui. Elle a observé alors que le mariage était une chose grave. J'ai
répondu : "Non". Elle s'est tue un moment et elle m'a regardé en silence. Puis elle a parlé. Elle voulait
simplement savoir si j'aurais accepté la même proposition venant d'une autre femme, à qui je serais
attaché de la même façon. J'ai dit: "Naturellement."

Elle s'est demandé alors si elle m'aimait et moi, je ne pouvais rien savoir sur ce point.
Après un autre moment de silence, elle a murmuré que j'étais bizarre, qu'elle m'aimait sans doute à
cause de cela mais que peut-être un jour je la dégoûterais pour les mêmes raisons. Comme je me
taisais, n'ayant rien à ajouter, elle m'a pris le bras en souriant et elle a déclaré qu'elle voulait se marier
avec moi. J'ai répondu que nous le ferions dès qu'elle le voudrait. Je lui ai parlé alors de la proposition
du patron et Marie m'a dit qu'elle aimerait connaître Paris. Je lui ai appris que j'y avais vécu dans un
temps et elle m'a demandé comment c'était. Je lui ai dit: "C'est sale. Il y a des pigeons et des cours
noires.

Les gens ont la peau blanche."


Puis nous avons marché et traversé la ville par ses grandes rues. Les femmes étaient belles et j'ai
demandé à Marie si elle le remarquait. Elle m'a dit que oui et qu'elle me comprenait. Pendant un
moment, nous n'avons plus parlé. Je voulais cependant qu'elle reste avec moi et je lui ai dit que nous
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pouvions dîner ensemble chez Céleste. Elle en avait bien envie, mais elle avait à faire. Nous étions
près de chez moi et je lui ai dit au revoir. Elle m'a regardé: "Tu ne veux pas savoir ce que j'ai à faire?"
Je voulais bien le savoir, mais je n'y avais pas pensé et c'est ce qu'elle avait l'air de me reprocher.
Alors, devant mon air empêtré, elle a encore ri et elle a eu vers moi un mouvement de tout le corps
pour me tendre sa bouche.

Albert Camus, L’étranger.

Présentation de l’auteur

Albert Camus n'a pas connu son père et a passé son enfance avec sa mère en Algérie. Sa santé
(tuberculose) ne lui permet pas d'accéder à une carrière universitaire. Après une licence de
philosophie, il devient journaliste engagé (parti communiste et Alger-Républicain), puis fut résistant.
D'une courte adhésion au parti communiste (1935-1936), Albert Camus retire une méfiance de
l'endoctrinement et la certitude que la stratégie politique ne doit jamais prendre le pas sur la morale.
En 1943, il rencontre Jean-Paul Sartre et travaille avec lui au journal "Combat". Leur complicité
sur le plan intellectuel durera jusqu'à la publication de "L'homme révolté", en 1951, Albert Camus
refusant la conception marxiste de la révolution qui légitime l'utilisation de la violence et dénonçant
les perversions de 1789 et 1917.Albert Camus élabore une philosophie existentialiste de l'absurde
résultant du constat de l'absence de sens à la vie. La prise de conscience de cette absurdité doit être
considérée comme une victoire de la lucidité sur le nihilisme qui permet de mieux assumer l'existence
en vivant dans le réel pour conquérir sa liberté. L'homme peut ainsi dépasser cette absurdité par la
révolte contre sa condition et contre l'injustice.

Résumé de l’ouvrage :

A Alger dans les années 1930. Un employé de bureau nommé Meursault le narrateur raconte,
sur un mode où prime la sensation, comment il apprend la mort de sa mère, l’enterre puis, le
lendemain même, noue une relation amoureuse avec une jeune femme, Marie Cardona. Meursault se
lie ensuite avec son voisin de palier, Raymond Sintès, au point de prendre parti dans une vilaine
affaire que ce dernier vient d’avoir avec des Arabes, parents de sa maîtresse mauresque. Invité à la
plage par Raymond, Meursault est entraîné dans une rixe au cours de laquelle il tue sans le vouloir,
avec un revolver, un des Arabes qui les ont suivis jusque là.
La seconde partie du récit débute après l’arrestation de Meursault apprentissage de la prison,
interrogatoires, visite de Marie et procès. Les témoignages interprétés de façon accablante et l’attitude
déconcertante de Meursault donnent de lui une image d’un monstre d’insensibilité. Meursault est
condamné à mort, plus pour avoir eu des fréquentations contestables et n’avoir pas pleuré à
l’enterrement de sa mère que pour le meurtre de l’Arabe. Dès lors, il essaie de ne pas trop compter sur
un pourvoi en cassation et affronte lucidement le verdict. Après avoir violemment refusé l’aide de
l’aumônier, il parvient, en paix avec le monde et lui même, à accepter le rôle que la société lui fera
jouer le jour de son exécution.

Analyse globale du sens de l’œuvre.


A. Le titre
Temps d’écriture très long: dès 1935, Camus rédige des notes, conserve des anecdotes, des
idées pour le roman auquel il ne s’attelle définitivement qu’en 1939. Plusieurs titres: au départ,
Meursault, puis La pudeur, Un Homme Libre, Un homme heureux, Un homme pas comme les autres.
On voit à travers les différents titres l’évolution du contenu du roman, dont ils révèlent les différentes
réflexions et les différents thèmes. Intéressant de voir les facettes assez opposées de Meursault à
travers les adjectifs utilisés.
NB:
Camus signe ses articles dans Le Soir républicain du pseudonyme Jean Meursault: un nouveau
«Mme Bovary c’est moi!» (Pour reprendre la célèbre phrase-cri-du-cœur de Flaubert).Quelles sont les
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différentes significations que l’on peut donner au titre? Pourquoi L’étranger?-Qui est d’une autre
nation: M est un Français qui vit en Algérie (mais L’Algérie est un département français et l’action se
déroule avant les événements qui, à partir de 1956 –ou 1945-vont conduire à l’indépendance en 1962.

Camus est né en Algérie et il sera favorable aux idées nationalistes).-Qui n’appartient pas à un
groupe (social, familial) (différent, distinct, isolé): ne respecte pas les conventions sociales (deuil,
fume à l’enterrement, relation avec Marie et film comique, avec Fernandel, le lendemain).-Etranger à
quelqu’un, inconnu: M nous parait étrange (différent de «étranger»): On ne le connaît pas bien à la fin
et les autres personnages non plus.
Etranger à lui-même (il ne se reconnaît pas dans le miroir, il est sérieux alors qu’il sourit).-
Etranger à quelque chose: indifférent devant son patron, devant Marie 69-70, déconcerte son avocat,
indifférent à la mort de sa mère (ça m’est égal). Mais, avant son jugement, M ne se sent pas un
étranger: il est en accord avec la nature (il aime la mer, le soleil). Il ne se pose pas de questions à
propos des rapports humains, il les vit et s’en étonne (quand Raymond lui offre son amitié ou Marie
son amour). Sa passivité peut nous sembler étrange (passe des journées entières à son balcon; routine
bureau-manger; ne vit plus que dans une seule pièce; ne descend pas chercher du pain...).

Changement avec le procès: M se sent étranger, impression que l’affaire est traitée en dehors
de lui (153-154). Il assiste à son procès comme à un spectacle, il est dépaysé car il n’y a pas été
préparé (étranger à cette affaire). On le tient à l’écart alors qu’il devrait avoir le premier rôle (satire de
la justice qui fonctionne en ignorant le principal intéressé). De même qu’il n’était pas lui-même lors
du meurtre, le soleil l’avait changé.
B. Les aspects biographiques
1. Le goût de la vie
«Si je n’ai pas dit tout le goût que je trouve à la vie, toute l’envie que j’ai de mordre à pleine
chair, si je n’ai pas dit que la mort même et la douleur ne faisaient qu’exaspérer en moi cette ambition
de vivre, alors je n’ai rien dit», lettre à Jean de Maisonseul, 1937.Cf. le titre «Un homme heureux», les
joies de la vie évoquées (femmes, baignade, soleil, même la fin du texte, la recherche désespérée du
bonheur dans la prison, etc.
2. La figure de la mère
Sans doute partiellement biographique. Intérêt particulier dans les notes de Camus sur
l’écriture de textes évoquant les rapports fils/mère. Fusionne plusieurs textes antérieurs tirés des
carnets. Voir comment l’attachement à la mère est très fort dans l’œuvre: «Si près de la mort, maman
devait s’y sentir libérée et prête à tout revivre. Personne, personne n’avait le droit de pleurer sur elle».
Condamne tout jugement sur sa mère et sur son attitude par rapport à elle. P.120. Respect certain de la
mère, voir également le nom «maman», qui finalement marque, à l’opposé de l’apparente froideur, un
véritable attachement filial.
3. La mort
Dès 1937, maladie pulmonaire d’Albert Camus qui menace d’être fatale. Roman qui traite
justement du paradoxe entre angoisse de mort et désir effréné de vivre (qui se nourrit de cette
dernière). On retrouve dans les Carnets de cette époque ces mêmes réflexions. Finalement, la fin de
l’œuvre laisse apparaître une forme possible de bonheur, de conciliation de ces deux positions. C’est
dans la contemplation lucide du monde et de lui-même que Meursault finit par trouver le bonheur: «je
m’ouvrais pour la première fois à la tendre indifférence du monde. De l’éprouver si pareil à moi, si
fraternel enfin, j’ai senti que j’avais été heureux, et que je l’étais encore». C. Jugements de Camus«
L'Étranger décrit la nudité de l'homme en face de l'absurde.
C. Les techniques narratives

Le récit est à la première personne, ce qui marque la place prédominante du narrateur. Usage
presque constant du participe passé, parfois du présent de l’indicatif. Sens rétrospectif du passé
composé, évidemment. Normalement, le passé composé montre des actions achevées mais ayant des
répercussions sur le temps présent. Mais le passé de Meursault est tellement résumé, réduit à des
indications lapidaires, qu’il semble mécanisé. Les phrases courtes, à l’apparente simplicité, réduisent
les actions à leur simple procès, sans réelle implications. Par ailleurs, l’ajout du présent de narration
ancre plus encore la parole du narrateur dans le présent. Finalement: aucun retour réel dans le passé, et
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aucune projection dans le futur. (Cf. la proposition du patron: pas d’évolution de carrière souhaitée,
car aucune projection possible dans l’avenir. Tout est centré sur l’instant présent, temps isolé,
complètement différent du roman traditionnel). L’Etranger: Le personnage de Meursault et les sens un
personnage imprégné de sensations
1. Meursault, un «animal» primitif?
L’omniprésence du ciel, du soleil dans tous les épisodes ou presque: Meursault comme un
baromètre de l’univers physique. Enterrement de la mère: notations sur la chaleur, la lumière plus ou
moins intense Moments d’intimité avec Marie: éléments du corps féminin qu’il désire, sensations du
toucher et de l’odorat, plaisirs charnels dans les bains en communion avec la nature; A tout instant en
communication avec l’univers de couleurs et de bruits: «le ciel était vert», qui sont facteurs de
satisfaction ou d’ennui.
2. Meursault, prisonnier de ses sens
Les éléments et les sensations peuvent se retourner contre lui: c’est le sens du chapitre 6 où le
meurtre narré du point de vue du criminel finit par ressembler à un acte de légitime défense contre
l’agression d’un soleil et d’une chaleur hostiles. Point de rupture de l’équilibre de son existence
précaire, clairement signalé par le texte. Dans le dernier chapitre, la symbolique de l’aube assimilée à
la possibilité de la grâce fait du soleil un élément ambivalent, source de vie ou bien de mort, puisque
c’est à l’aube aussi qu’on exécute les condamnés. La mort est aussi comparée à une montée , une
«ascension en plein ciel». Le personnage de Meursault et la question du sens Un personnage privé de
signification
1. Un temps absurde: avec de telles dispositions psychologiques, Meursault est soumis au temps
présent, incapable de se projeter dans un avenir: au chapitre 5, il décline les projets d’avenir de son
patron, de sa «fiancée». Pendant le réquisitoire du procureur, il comprend son propre fonctionnement
mais échoue à l’expliquer: «j’étais toujours pris par ce qui allait arriver». Dans l’isolement de sa
cellule il affronte le problème du temps en face «toute la question, encore une fois, était de tuer le
temps» et grâce à la recréation de souvenirs de liberté finit par trouver «qu’un homme qui n’aurait
vécu qu’un seul jour pourrait sans peine vivre cent ans dans une prison». Cette «prison», c’est peut-
être lui-même.
2. L’absence à soi et aux autres: Meursault est une énigme vivante aux autres d’abord: étonnement
et indignation des autres devant son indifférence à l’amour, à la mort, scandale pour le juge
d’instruction qui le traite d’antéchrist, pour le procureur qui juge l’homme sans cœur, sans larmes
devant le tombeau de sa mère... Mais il est une énigme pour lui-même: en prison, dans le fond de sa
gamelle, il reconnaît avec peine son propre reflet. Cette impossibilité de «réfléchir» aux deux sens du
terme, c’est à dire renvoyer une image et penser, fait de lui un aveugle: «itinéraire d’aveugle» dit-il p
148. Ainsi, pendant le procès, par un effet de dédoublement étrange, il a en fixant le public
«l’impression bizarre d’être regardé par moi-même».
III Analyse de scènes clés de l’œuvre de Camus.
A: l’incipit, du début à «prendre des tickets et faire deux heures de route.». L’incipit, ou plus
précisément la première phrase de L’étranger est une phrase célèbre: «Aujourd’hui, maman est morte
». Célèbre sans doute par l’étrange choix que de commencer un roman par un aussi sinistre événement,
mais également parce qu’elle donne immédiatement le ton de l’œuvre, et qu’elle nous fait d’emblée
entrer dans cette technique narrative si particulière, entre le récit et le discours. En quoi cette plongée
dans l’intériorité du narrateur est-elle également une plongée dans une nouvelle conception du
romanesque? Nous chercherons donc à comprendre les raisons du malaise certain qui saisit le lecteur à
la première lecture, mais surtout à en déduire les implications dans la construction du personnage
ambigu qu’est Meursault. Une écriture désincarnée...La découverte d’une intériorité
Première personne et temps de l’écriture
Omniprésence du Je, choix des marqueurs temporels «aujourd’hui», «hier», «demain», «dans
l’après-midi», «demain soir»: ils tendent vers le journal intime. Cependant, nous n’en avons pas les
indices traditionnels (écriture sous forme de notes, indications de lieu et d’heure de l’écriture). Pas de
logique narrative propre à ce genre. Néanmoins, par emploi du passé composé, du présent de
l’indicatif, du futur, nous sommes évidemment dans une forme de discours qui nous donne à voir
l’intériorité d’un personnage, d’une conscience. Personnage dont nous apprenons le nom par le hasard
des événements racontés: «Mme Meursault», dit le directeur de l’asile, tout comme nous ne pouvons
que deviner que l’action se passe à Alger. Ce qui ajoute encore à l’illusion du journal intime. Pour
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conclure: temps isolant, et lecteur isolé dans le présent qui se déroule sous ses yeux. Mise à nu d’une
conscience.
Oralité apparente du discours
L’oralité apparente du discours va dans le même sens que les remarques précédentes. Phrases
apparemment très simples: voir les trois premières lignes. Le discours est à peine plus construit que le
télégramme retranscrit dans le premier paragraphe. Ecriture parfois même sous forme de notes: «cela
ne veut rien dire», «toujours à cause de l’habitude», «C’était vrai». Phrases réduite parfois à la plus
simple construction grammaticale possible: noter par exemple la récurrence du schéma Sujet-Verbe-
Complément. Les propositions sont placées de manière extrêmement classique: «Comme il était
occupé, j’ai attendu un peu». Marque du journal intime, mais également gage de vérité. Pas de réel
mise en doute de la véracité des événements relatés: pas de soupçon du lecteur. Renforce d’autant plus
cette entrée dans la vie –la conscience –du héros .Successions d’actions mécanisées Un premier
malaise cependant apparaît très rapidement. La succession des événements est extrêmement brève,
puisque les faits sont consignés de la manière la plus épurée possible.
Par ailleurs, l’absence assez frappante de termes de liaison (asyndètes) crée l’illusion d’une
succession d’action mécanisée: «l’asile est à deux kilomètres du village. J’ai fait le chemin à pied. J’ai
voulu voir maman tout de suite.» au lieu de «l’asile est à deux kilomètres du village. (alors) J’ai fait le
chemin à pied. (et) J’ai voulu voir maman tout de suite.» (entre parenthèses, mes ajouts).Découverte
d’une intériorité, certes. Mais d’une intériorité particulière qui, si elle semble s’offrir totalement au
lecteur sans faire la moindre impasse sur les actions vécues, n’en est pas moins problématique par sa
neutralité évidente. Le lecteur se trouve alors face à un genre romanesque inhabituel, et perd
rapidement ses repères.
Une rupture avec les codes traditionnels du roman

L’absence frappante de descriptions. Outre le style, la temporalité particulière, la description


est également source de malaise. Ou plutôt l’absence de descriptions. Cet incipit fait apparaître un
certain nombre de personnages, dont aucun n’est décrit. Ainsi, la mère du «maman est mort» n’est-elle
jamais l’objet d’une description, alors même qu’elle est au centre de la narration de cet extrait. De la
même manière, Le patron, Céleste, Emmanuel, Le concierge, le militaire sont réduits à leurs simples
prénoms ou fonction, ainsi qu’à leurs propos. Seul le directeur de l’asile a droit à un semblant de
description: «C’était un petit vieux», «il m’a regardé de ses yeux clairs». Elle est cependant réduite à
son minimum, et on ne sort ni de l’expression courante (petit vieux) ni de la construction
grammaticale simpliste (yeux clairs). Les lieux ne sont pas davantage l’objet de description.
Finalement, les actions n’en prennent que plus d’importance encore, puisque le récit tout entier se
concentre sur leur enchaînement.
Vers une complète objectivité. L’étude des temps et des personnes du récit nous conduirait à
parler en termes d’énonciation d’une focalisation interne (chaque événement est vu à travers les yeux
du narrateur). Cependant, l’absence de description s’accompagne d’absence presque totale de
subjectivité, d’implication personnelle de Meursault. Attention: il nous donne bien ses pensées, nous
explique ses choix. Mais il le fait sans jamais mentionner une quelconque implication affective:«J’ai
dit «oui» pour ne plus avoir à parler». Mais on ne sait pas pourquoi il ne veut pas parler... Face à ce
laconisme de l’expression, le lecteur est amené à formuler lui-même ses interprétations. Quoi qu’il en
soit, l’impression d’objectivité est totale, de neutralité pourrait-on dire. Les autocorrections vont
d’ailleurs dans le même sens, en montrant la volonté ferme de ne dire que le vrai: « Aujourd’hui,
maman est morte. Ou peut-être hier. Je ne sais pas». Coller au plus près du réel? On se demande alors
le but de ces exigences du récit.
Est-ce dans un but réaliste? Pour créer une écriture qui colle complètement au réel?
Cependant, le refus des descriptions tend à nier ce choix du réalisme. C’est au plus près de la
conscience de Meursault que cette écriture nous place. Le degré zéro de la conscience. Isolement du
temps présent. À cause des temps utilisés (passé composé, présent et futur simple), l’expression de la
temporalité du narrateur est réduite au minimum. Impression que seuls les termes hier- aujourd’hui-
demain sont pertinent dans la conscience de ce dernier. Isolement du présent de l’indicatif, qui reste la
seule référence possible du narrateur: «Aujourd’hui», «hier» «enterrement demain». Les trois
instances temporelles apparaissent –et sont clairement mises en relief –dès les premières lignes du
roman. On a l’impression que le narrateur ne peut ni se souvenir au-delà, ni se projeter plus loin que
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les «deux jours» de congé dans l’avenir. Disparition d’une échelle de relativité À ce temps réduit à sa
plus simple linéarité, s’ajoute un récit des événements qui semble faire abstraction de toute échelle
d’importance. C’est peut-être cela d’ailleurs qui, dès l’incipit, crée la surprise tout au long du récit.
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CHAPITRE DEUXIEME
Les soleils des indépendances d’Ahmadou kourouma
Texte 1 : ( à étudier)

Les soleils des Indépendances s'étaient annoncés comme un orage lointain et dès les premiers
vents Fama s'était débarrassé de tout : négoces, amitiés, femmes pour user les nuits, les jours,
l'argent et la colère à injurier la France, le père, la mère de la France. Il avait à venger
cinquante ans de domination et une spoliation. Cette période d'agitation a été appelée les
soleils de la politique. Comme une nuée de sauterelles les Indépendances tombèrent sur
l'Afrique à la suite des soleils de la politique. Fama avait comme le petit rat du marigot creusé
le trou pour le serpent avaleur de rats, ses efforts étaient devenus la cause de sa perte car
comme la feuille avec laquelle on a fini de se torcher, les Indépendances une fois acquises,
Fama fut oublié et jeté aux mouches.

Ahmadou kourouma, Les soleils des indépendances,

Texte 2 ( à étudier)

Mais alors, qu'apportèrent les Indépendances à Fama ? Rien que la carte d’identité nationale
et celle du parti unique. Elles sont les morceaux du pauvre dans le partage et ont la sécheresse
et la dureté de la chair du taureau. Il peut tirer dessus avec les canines d'un molosse affamé,
rien à en tirer, rien à sucer, c'est du nerf, ça ne se mâche pas. Alors comme il ne peut pas
repartir à la terre parce que trop âgé (le sol du Horodougou est dur et ne se laisse tourner que
par des bras solides et des reins souples), il ne lui reste qu'à attendre la poignée de riz de la
providence d'Allah en priant le Bienfaiteur miséricordieux, parce que tant qu'Allah résidera
dans le firmament, même tous conjurés, tous les fils d'esclaves, le parti unique, le chef unique,
jamais ils ne réussiront à faire crever Fama de faim

Ahmadou kourouma, Les soleils des indépendances,

Etude intégrale

Introduction

Les Soleil des indépendances est l’illustration parfaite de la crise sociale qui affecte le groupe
Malinké. Les Malinkés détenaient les pouvoirs politique et économique de tout le Horodougou
jusqu’à l’arrivée des français. L’implantation de la colonisation avec ses corollaires entraînera la ruine
des représentants Malinkés. Il s’est posé dès lors des querelles entre les nouveaux et les anciens
dirigeants. Le roman présente des éléments autobiographiques, Kourouma lui-même est un prince
malinké par ses origines. Aussi a-t-il pu s’inspirer de sa vie pour composer le personnage de Fama.
Ainsi ressemblait-il beaucoup à Fama et Balla, autres personnages authentiques du roman. Les
éléments de la réalité sont très présents dans le texte, et il s’y ajoute des éléments historiques.

I- biographie de l’auteur

Ahmadou Kourouma est né en côte d’Ivoire à Boundiali en 1927 dans une famille princière
musulmane de l’ethnie malinké. Il a passé une partie de son enfance en Guinée. A l’âge de 7 ans, il est
pris en charge par son oncle qui le fait entrer à l’école primaire rurale. En 1947, il est reçu au concours
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d’entrée à l’école technique supérieure de Bamako. En 1949, il est arrêté comme meneur de grève et
envoyé en Côte d’Ivoire. On lui supprime son sursis et il est enrôlé dans le corps des tirailleurs pour un
service de trois ans.

Il est dégradé quelques mois plus tard, et il se rend en France pour continuer ses études en
1955. C’est à Lyon que son intérêt pour la littérature et l’art d’écrire se précise. Dès son retour en Côte
d’Ivoire, il entreprend la rédaction du roman qui deviendra Les Soleils des indépendances qu’il publié
à Montréal au Canada en 1968, et aux éditions du Seuil à Paris en 1970.Il meurt en décembre 2003.
2- Publications

Après Les Soleils des indépendances, dont la publication fut refusée d’abord en France, car la
langue française y est corrompue par les tournures, les insuffisances du parler Nègre. On attendra près
de vingt ans pour voir la publication en 1990 de Monné, outrage et défis17 aux éditions du Seuil où il
peint la période coloniale. En 1999, va paraître En attendant le vote des bêtes sauvages18 qui dénonce
les dictateurs africains ; et en 2000 Allah n’est pas obligé19 où il parle des guerres civiles qui ont donné
naissance à des enfants soldats. Kourouma est aussi l’auteur d’une pièce de théâtre Tougnantigui en
1972.

II. Résume de l’œuvre

Fama, prince malinké, dernier descendant et chef traditionnel des Doumbouya du Horodougou, n’a pas
été épargné par le vent des indépendances, même du fait de son statut. Habitué à l’opulence, les
indépendances lui ont légué pour seul héritage l’indigence et le malheur, une carte d’identité nationale
et celle du parti unique. Parti vivre avec sa femme Salimata loin du pays de ses aïeux, Fama en quête
d’aumône, se verra obligé d’arpenter les différentes funérailles afin d’assurer son quotidien. Bien
qu’incapable de lui donner une progéniture pour perpétuer le règne des Doumbouya, celle-ci
s’adonnera corps et âme au petit commerce afin de faire vivre son ménage.

Excisée puis violée dans sa jeunesse par le marabout féticheur Tiécoura, elle gardera à jamais
le souvenir atroce de ses moments où elle a souffert. Quelques temps après, à la mort de son cousin
Lacina, Fama devait lui succéder sur le trône de la capitale de Nikinaï20, Togobala21. Son retour lui fait
découvrir son histoire, la gloire de sa lignée et de son insignifiant héritage, pour une dynastie naguère
riche, prospère et respectée. Malheureusement, les indépendances bouleversèrent tout, au système
politique et à la chefferie. Fama décida toutefois de vivre en République des Ebènes en compagnie de
sa seconde épouse Mariam qui est legs de son cousin Lacina.

Malgré les conseils du féticheur et esclave affranchi Balla, Fama se mit en route pour la
République durant une instabilité politique. Accusé de complot visant à assassiner le Président et de
renverser le régime, il fut arrêté puis enfermé avant d’être jugé. Condamné à vingt ans puis libéré dans
la dignité totale d’un homme libre que s’éteignirent avec Fama toute une dynastie et son histoire.

2. La structure du roman

Le roman s’articule autour de trois parties. La première s’étend sur deux chapitres, la seconde
sur cinq et la troisième. L’articulation de l’ensemble est assurée par les retours en arrière, les ellipses
et les anticipations, ponctués de vrais âges.

III- Les personnages du roman

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Fama : Il est le héros du récit. Il est très grand et très noir. Il a les dents blanches et les gestes d'un
prince. Bien qu'il soit réduit à rien, il reste toutefois fidèle aux traditions de sa tribu et continue à
porter les costumes d'antan. En malinké, son nom signifie « roi » ou « chef ». Il est le dernier et
légitime descendant du prince de Horodougou. Il est devenu un mendiant, un « charognard » comme
on le dit, lui qui était élevé dans la richesse. La stérilité de sa femme Salimata met fin à son espoir
d’avoir un héritier. Ce vieil homme solitaire et déchu va invoquer la mort qui viendra le trouver dans
la dignité.

Salimata : Salimata est une femme sans limite dans la bonté du cœur. Elle a les dents régulières, très
blanches et une peau d'ébène. Elle provoque le désir. Le fait que son mari ait une autre femme sous
son toit la rend hystérique. Les années passées n'ont en rien affaibli son charme et sa beauté. Elle reste
toujours la femme droite, pure courageuse et belle. Sa vie fut bouleversée par son excision et son viol.
Et même elle failli être violer une deuxième fois par un autre marabout Abdoulaye. Déçue par la vie
elle quittera son mari sachant qu’elle ne pouvait apporter la paix à celui-ci.

Tiécoura : C’est lui le féticheur dans la case duquel Salimata évanouie suite aux douleurs de
l’excision, sera violée. Tiécoura est un marabout féticheur, à l'air effrayant, répugnant et sauvage. Il
restera dans l’imaginaire de Salimata. Aussi refusera-t-elle son premier mari à cause de lui : « Bafi
puait un Tiécoura séjourné et réchauffé ». Son regard ressemble à celui du buffle noir de savane et ses
cheveux tressés sont chargés d'amulettes et hantés par une nuée de mouches qui provoquent la nausée
et l'horreur. Il a le nez élargi, avec des narines séparées par des rigoles profondes. Il porte des boucles
d'oreilles de cuivre et a un cou collé à l'épaule par des carcans de sortilège. Ses lèvres sont ramassées,
boudeuses et sa démarche est peu assurée.

Abdoulaye : C’était un marabout renommé, « Longtemps avant de le voir, Salimata avait entendu
parler du marabout sorcier Hadj Abdoulaye ». Il essaiera d’abuser de cette dernière, et reçut d’elle un
coup qu’il n’oubliera pas.

Mariam : Elle n’apparaît pas beaucoup dans le texte. Elle est souvent évoquée par les autres
personnages. Inconsciente, irresponsable et agissant surtout par réflexe au début, elle s’affirme de plus
en plus et provoque même ouvertement Fama oubliant le deuil. Seconde épouse de Fama, elle est la
cause de l'hystérie de Salimata. Elle est belle, ensorcelante, la femme parfaite pour le reste des jours
d'un homme. Dans ses yeux vifs, on peut lire la tendresse et le tempérament. Elle est bien plus belle et
séduisante que Salimata. Malgré son caractère bien trempé, elle affiche toujours un petit sourire. Mais
avec Fama en ville, elle sera la première à le délaisser et déserter ainsi le toit conjugal sans aucun
remord. C’est une femme très légère et « elle ment comme une édentée, elle vole comme une toto… »
dit Diamourou.

Balla : le vieil affranchi aveugle, est un homme gros et gras. Il porte toujours des vêtements de
chasseur et son pas est hésitant. Des essaims de mouches tournent autour de son visage boursouflé,
jusque dans le creux des yeux et des oreilles. Ses cheveux tressés et chargés de gris-gris lui donnent un
air grotesque qui n’enlève rien à la crainte qui émane de lui. Il se compare lui-même à un vieux chien
ou à une hyène solitaire. C’est le personnage le plus attaché aux traditions et à l’histoire de son peuple.
D’ailleurs c’est lui qui interprète les songes, prédit l’avenir et indique les dispositions à prendre dans
certaines circonstances. Aussi avertit-il Fama de sa mort s’il venait à rentrer à la République.

Diamourou : le griot est l’un des rares personnages à s’adapter aux finesses des indépendances. Il
partage avec Balla une longue expérience dans le village.
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IV. Les thèmes

1. La ville et le village

La description de la ville laisse transparaître la volonté d’opposer symboliquement la condition des


Noirs et celle des Blancs. D’un côté nous avons l’opulence des bâtiments en bétons, de l’autre la
pauvreté des cases. Le village de Togobala constitue pour Fama le lieu des survivances des coutumes
et des traditions, le lieu du souvenir et du retour aux sources. Mais durant cette période des
indépendances, le village n’offre pas d’espoir ni de perspective, aussi Fama préférera retourner en
ville.

2. La stérilité

La stérilité est brossée dans le texte à travers le couple Salimata Fama, mais cette idée dépasse le
couple et s’étend à la tribu, au pays, au monde malinké. Elle symbolise l’improductivité et l’incapacité
à assurer la relève et la conservation d’une certaine espèce.

3. Les traditions et les croyances

La nuit est présentée comme chargée de misère, et les hommes sont attentifs aux comportements des
animaux. La mort est considérée comme un passage dans l’invisible. Les exigences morales sont aussi
évoquées à l’humanisme, la paternité, la solidarité, l’hospitalité mais aussi le devoir de procréer qui
concerne aussi bien l’homme que la femme.

4. La religion

La religion musulmane et les pratiques animistes se côtoient, se chevauchent quand il s’agit de


conjurer un mauvais sort ou de demander une faveur à Dieu ou aux puissances occultes de l’au-delà.
C’est ce qui explique la présence de Balla et de Tiécoura à côté des pieux Diamourou et Fama. La
synthèse est quand bien même réalisée par Fama.

5. L’excision

L’épreuve délicate et douloureuse est à la base de toutes les souffrances de Salimata. Dans sa
description, le narrateur relate à la fois les questions, les significations, l’atmosphère et la personnalité
de celle qui opère sans oublier les chants traditionnels et les lamentations des exciseuses.

6. Les indépendances

Le roman dit la déception des malinkés qui se retrouvent par des prestiges politiques perdues à cause
de la colonisation. C’est ainsi l’apparition d’une nouvelle classe politique qui rejette la classe politique
traditionnelle, c’est le régime des fils esclaves.
55

7. La bâtardise

L’idée de bâtardise parcourt tout le roman, on la retrouve dans le délire final de Fama comme dernière
insulte. Elle prend cette signification variée qui se ramène à l’idée d’authenticité et de légitimité que
Fama porte en lui. D’ailleurs, selon son aigri (mécontent) qui ne comprend pas que les choses soient
finies et qu’elles ne reviendront plus.

V. Le Style

En pliant la langue française aux exigences de la pensée et des structures linguistiques des Malinkés,
Kourouma a donné à son récit une vigueur et un relief saisissant. Tandis que les uns criaient au
scandale, d’autres étaient séduits par l’originalité de l’auteur. Dès lors, il devient adéquat de comparer
le récit dans l’univers malinké : « Je n’arrivai pas à exprimer Fama de l’intérieur et c’est alors que
j’ai essayé de le trouver dans le style malinké. Je réfléchissais en Malinké, je me mettais dans la peau
de Fama pour présenter la chose », dit Ahmadou Kourouma.
En effet, l’auteur a volontairement tordu le cou à la langue française pour mieux ressortir ses idées.
C’est ce qui explique la prédominance d’expressions typiquement malinké dans l’œuvre. Et le nombre
de métaphore, d’images et formules purement malinkés confèrent au roman sa couleur locale et son
originalité.

VI. Signification de l’œuvre

Les Soleils des indépendances connotent la déchéance physique et morale, la misère, voire les
déceptions nées des indépendances. Ce nouveau monde annoncé comme période de libération et de
faste apparaît comme la négation d’un univers authentique, traditionnel. Cette œuvre symbolise la
désillusion découlant de l’autonomie. Plus encore, le roman devient un violent réquisitoire, un procès
contre les indépendances.

Conclusion

Dans ce roman, aux allures tragiques (s’ouvrant sur une scène de funérailles et clôt par la disparition
du héros), on pourra lire l’image d’une Afrique meurtris, fantôme marquée par une période de
transition qui fut pour beaucoup une époque de déception. L’Afrique y est peinte sous les traits d’une
résistante aux agressions de la dictature, avec de graves désordres engendrés par l’époque des
indépendances. Mais le sort est loin d’être jeté. Et comme Salimata qui refuse la résignation, l’Afrique
doit relever le défi d’une réelle indépendance.
56

CHAPITRE TROISIEME
L’exil d’Albouri de Cheik Aliou Ndao
Etude intégrale

Introduction

On ne saurait aborder une quelconque pièce de théâtre négro africain sans faire un clin d’œil à
la naissance du théâtre africain d’expression écrite en tout cas. Ce théâtre est né à l’école normale
William Ponty de Sébikotane. Selon Bakary Traoré, des élèves de cette école jouaient des
improvisations qui ont émerveillé le directeur de l’école. Celui décide que le théâtre soit intégré dans
les activités scolaires, ainsi sont nées de vraies pièces africaines. Depuis lors des chefs d’œuvres ont
vu le jour. On peut citer : La tragédie du roi Christophe du martiniquais Aimé Césaire, Le Lion et la
Perle de Wolé Soyinka, Chaka de Thomas Mofolo, etc. Les pièces historiques sont au devant de la
scène parce qu’elles sont plus aptes à réhabiliter les héros noirs et à rétablir la vérité historique. Dans
ce champ prend place l’incontournable pièce tragique du sénégalais Cheik Aliou Ndao, L’exil
d’Albouri qui met l’accent sur la fameuse décision d’Albouri de s’exiler chez Ahmadou cheikhou de
Ségou afin de faire alliance avec lui pour combattre l’ennemi commun ; les français. Après quelques
rappels historiques, nous exposerons la vie et l’œuvre de l’auteur, ensuite nous étudierons la structure
de l’œuvre, le résumé, les personnages, les thèmes et la dramaturgie de Cheik Aliou Ndao.

I. Rappels historiques

Fils de Birame Penda, cet homme est issu d’une vieille famille régnante du Djoloff. Sa
généalogie que nous trace son petit-fils Mansour Bouna Ndiaye, le rattache au fameux Ndiadiane
Ndiaye, le fondateur du royaume Djoloff. Contemporain de Soundiata Keïta, Ndiadiane Ndiaye a
régné sur le Djoloff de 1200 à 1249. C’est le fameux Diolofin-Mansa que devait combattre le preux
Tiramakhan Taraoré pour le compte de Mansa du Manding, Makhan-Soundiata. Alboury Ndiaye,
descendant direct de ce Djolofin-Mansa, était un vrai prince, un nationaliste convaincu et désintéressé
qui, dans sa résistance acharnée et tenace contre l’intervention française, ne distinguait pas la cause du
Sénégal de celle du Soudan, pays profondément islamique en lutte pour la liberté de l’Afrique.

Pour des raisons de sécurité, Alboury avait été envoyé très jeune à la cour du Damel Biram
Ngoné Latyr où il a été élevé en même temps que le futur Damel, Lat Dior Diop, descendant du pieux
et vénéré Sakhéwar Fatma. Et pendant de nombreuses années, Alboury a été le compagnon assidu, le
lieutenant fidèle de Lat Dior dont il partagea les victoires, les défaites, les exils volontaires ou forcés.

Ahmadou Cheikhou, en 1875, à la tête d’une importante troupe, envahit le Cayor. Et Lat Dior
informé forme avec le prince Alboury Ndiaye une expédition et poursuivent les fuyards jusque dans
son pays natal, le Djoloff, où il se fit reconnaître comme le successeur légitime des Bourba Djoloff.

Alboury devait régner quinze ans, de 1875 à 1890. Un an après son avènement, il envoya à
M’Boumba, au Fouta-Toro non loin de Boghé, une armée commandée par son frère Alboury Penda,
qui en revint victorieux.

En 1886, les français rompirent le traité de paix, tuèrent Lat Dior et prétextant qu’Alboury avait violé
ledit traité en refusant d’envoyer son fils à l’école française.

Dans son exil Alboury laissa derrière lui une capitale Yang yang incendiée, des récoltes brûlées et des
puits bouchés ou empoisonnés ne laissant rien à l’envahisseur blanc Dodds. Celui-ci se vengea en
nommant comme Bourba-Djoloff le propre frère d’Alboury, Samba Laobé Penda, cet autre ambitieux
qui, aux côtés du jeune Damel Samba Laobé Fall, avait préparé la fameuse bataille de Guilé.
57

Comme il a été confirmé plus tard, Alboury désirait voir créer un grand empire musulman de l’Ouest
africain, placé sous la Grande Alliance : Ahmadou Cheikhou de Ségou, Samory Touré du Oussoulou.
Tiéba Traoré de Sikasso et Alboury Ndiaye du Djoloff. C’est certainement cette idée qui le conduit
dans l’exil à toujours marcher vers l’Est à la recherche de l’indépendance et de la liberté.

II. Vie et bibliographie de l’auteur

1. la vie de l’auteur

De son vrai nom Sidi Ahmed Alioune Cheik Ndao, célèbre avec Cheik Aliou Ndao est né en
1933 à Karthiak près de Bignona. Fils d’un vétérinaire, il suit son père à travers tout le Sénégal. Il
affirme être formé dans la meilleure école, celle des vieillards avec leur sagesse populaire. Il connaît
très bien les traditions de son peuple, et surtout l’histoire de son peuple.

Il a fait une partie de ses études secondaires à Dakar et en France, puis il a fréquenté l'Université de
Grenoble en France et de Swansea en Grande-Bretagne. Ancien professeur d'anglais à l'Ecole Normale
William Ponty. Il a également enseigné aux Etats-Unis en 1972 à De Pauw University de Greencastle
(Indiana). Il fut aussi un conseillé culturel auprès du Président de la République du Sénégal.

2. Les publications

Son premier recueil de poésies, Kairée publié en 1964 a obtenu le prix des Poètes Sénégalais
de langue française. Il publie aussi le recueil Mogarienne en 1970.

Sa pièce de théâtre, l'Exil d'Albouri (1967) a été mise en scène en 1968 au théâtre Daniel Sorano de
Dakar, et a été jouée sur de nombreuses scènes africaines et européennes, notamment à l'Odéon
(Paris), ainsi qu'en Belgique. Présentée au Festival culturel panafricain d'Alger en 1969, elle obtint le
premier prix. Traduite en anglais aux Etats-Unis, cette pièce symbolise les débuts du théâtre historique
sénégalais. On recense aussi L’Ile de Bahila en 1975, La Case de l’or, Le Fils de l’Almamy, La
Décision, Du sang pour un trône ou Gouye Njuli un Dimanche. En 1983, il donne Excellence vos
épouses.

Sa nouvelle Le Marabout de la sécheresse publié en 1979 est souvent étudiée dans les programmes
scolaires.

Partisan de la transcription des langues africaines, Cheik Ndao est l'un des rares écrivains Sénégalais a
avoir publié un roman en Wolof Buur Tillen, le roi de la Médina qui est actuellement épuisé. La
version française est une adaptation de l'original. 30 ans plus tard, il publie dans sa langue maternelle,
le wolof, son dernier roman Mbaam Dictateur, réédité en français par Présence Africaine en 1997.

III. La structure de l’œuvre

La pièce se structure en neuf (9) tableaux.

- Le premier tableau s’ouvre sur une opposition anodine entre Beuk nek et le griot Samba. Celui-ci
doit convoquer le peuple à la réunion sous l’arbre à palabre pour le couronnement du Prince
Laobé Penda.

- Le second tableau débute par l’assemblée du roi pour délibérer sur la décision du gouverneur qui
a rompu l’accord avec les royaumes et lève ses spahis contre eux. Devant une discussion
passionnée, le roi lève la séance. Ce tableau se termine par une discussion opposant la sœur du
Roi, Linguère Madjiguène à la reine Sêb Fal qui réclame son rôle d’épouse, de femme.
58

- Le troisième tableau est le moment d’une deuxième assemblée après la décision de Bourba de
s’exiler vers Ségou, et former une alliance avec lui. Laobé Penda est d’avis qu’il faut rester et
mourir pour le trône. Les autres Diarafs se rangent de son côté, sauf le Diaraf des Esclaves. Le
Prince a déjà convaincu une partie de l’armée.

- Le quatrième tableau présente la conspiration de Laobé Penda. Il ordonne à ses soldats de tuer le
Diaraf des Esclaves qui les espionnait.

- Le cinquième tableau se déroule chez la Reine Mère avec Linguère et Reine Sêb. La Reine Mère
raconte sa vie dans la cour de son mari, et les sacrifices auxquels elle consenti.

- Chez le roi dans le sixième tableau, la reine Sêb entre dans une conversation intime avec son
mari. Le roi décide qu’elle ira chez ses frères au Cayor, et non de prendre part à l’exil. Samba
arrive avec la nouvelle de la traîtrise de Laobé Penda qui pactise avec le Gouverneur, et lui
informe qu’il vient d’assassiner le Diaraf des Esclaves.

- Dans le septième tableau, on assiste à la dernière réunion du roi avec le peuple qui accepte de le
suivre plutôt que de rester esclave.

- Dans le huitième tableau, on découvre le roi et sa suite dans le chemin de l’exil attendant son
arrière-garde conduit par son Beuk nek. Samba profite de cet escale pour lui annoncer que la
reine est du voyage. Elle se découvre au roi, et demande pardon à Reine Mère et fait la paix
avec Linguère. L’arrivée de Beuk nek clôt ce tableau.

- Le tableau neuf coïncide avec la levée du camp. Moment saisi par Bourba pour parler des
difficultés qui attendent le convoi, la faim, les animaux dangereux, le climat hostile.
L’épilogue résume la fin tragique d’Albouri qui va mourir dans la bataille, et la dispersion du
peuple de Ndiandiane Ndiaye entre Kano, Médine et Ségou.

IV. Le résumé

La pièce s’ouvre sur une atmosphère de fête de nomination du Prince Laobé Penda, dont le courage et
la vaillance sont connus dans tout le Djolof. La place de Yang yang est le lieu de cette intronisation.
C’est à ce moment qu’un guerrier vient annoncer l’invasion imminente du royaume du Djolof par le
Gouverneur qui vient de rompre les traités qu’il avait signés. Afin de faire face à la menace, le roi
Albouri convoque une réunion pour permettre à l’assemblée de se prononcer, mais il sera obligé de
suspendre la séance à cause des esprits qui s’échauffent. En tête à tête avec son frère, Bourba lui
annonce sa décision de s’allier avec les autres rois contre l’armée du gouverneur. Rien que la décision
d’aider le roi de Ségou, Ahmadou fait entrer Laobé Penda dans une colère ; il s’oppose à la décision de
son frère.

En effet Laobé Penda ne peut cacher son indignation devant ce qu’il considère comme une fuite
indigne d’un descendant de Ndiandiane. La Reine Mère Mam Yay et la Linguère Madjiguène ne
partagent pas son avis de fuir, mais elles finiront par comprendre et accepter l’exil. Devant le différend
qui oppose Bourba à son frère, Ardo, le Diaraf de Thingue et le Diaraf de Varhôh se range du côté de
Laobé Penda qui pense que l’honneur des Ndiaye sera sauf dans la résistance. Et le Diaraf des
esclaves, fidèle au Roi, surpris en train de les espionner, sera tué.

Laobé Penda va même jusqu’à convaincre une partie de l’armée à le suivre, et il fait le partage des
munitions entre les soldats.

Au moment où Albouri devisait avec sa femme la Reine Sêb Fal, le griot Samba vient lui annoncer
que le Prince Laobé Penda a signé un pacte avec le gouverneur. Le Roi, malgré tout précipite son
départ approuvé par le peuple qui préfère l’exil à l’esclavage. Et le Roi, inquiet au début du voyage se
59

rendra même compte que sa femme est du voyage pour lui apporter son soutien moral et accepte même
la réconciliation avec Linguère et Reine Mère. En dépit du bonheur qui l’anime, le Roi tient un
discours empreint de sincérité sur le caractère aventureux du voyage. Et comme il l’appréhendait, son
fils Bouna sera enlevé et envoyé à l’école des otages à Ndar. Le roi Albouri lui, moura au combat, et
les autres seront dispersés entre Kano, Médine en Arabie et le royaume Bambara.

V. Les personnages

Le Roi Albouri Ndiaye : Il naquit en 1842 à Thial. Le dramaturge a pour projet une œuvre de mythe.
Albouri ou « Bourba » est le Roi du Djolof, et vit à Yang yang sa capitale. Il est présenté comme un
combattant courageux, mais aussi comme un roi plein de sagesse. Il posé, calme comme tout bon roi.
Aussi dans les moments de crise, il propose de « réfléchir en paix » avant de prendre une décision.
Après un long séjour à la Cour du Cayor, Albouri retourne dans son royaume en 1875 et s’empara du
pouvoir, où il prit le titre « Bourba ». Après l’annexion du Cayor, les français le trouvent gênant et le
chassent en 1890. En fait, dans cette intrigue, il question de son exil pour conserver l’honneur de sa
lignée en lui évitant la soumission. Il va se joindre aux troupes d’Ahmadou. Il mourut loin de son
pays, vers le Niger.

Le Prince Laobé Penda : Tout comme son frère, il est courageux, et d’ailleurs il considère le combat
comme un devoir, ce qui lui a valu la récompenses du roi son frère. Contrairement à son frère, Laobé
Penda est spontané, impulsif et fougueux. Avare en parole, il est un homme d’action. Le roi le connaît
trop bien pour dire de lui qu’il «est très irréfléchi quelquefois » (p.55). Et le Diaraf de Thingue dit de
lui la même chose : « Trop de précipitations, Laobé Penda » (p.58). Aussi a-t-il tenu coûte que coûte à
combattre pour la protection du trône. Mais contre toute attente, il va pactiser avec le gouverneur, en
se soumettant.

La Linguère Madjiguène : Elle est la sœur du roi Albouri. C’est une femme forte de caractère et une
guerrière.

La Reine Sêb Fall : Elle est princesse de naissance. Albouri l’a choisie lui-même comme épouse de la
Cour royale du Cayor. Elle est très jeune, aussi est-elle capricieuse. Mais en fait elle ne fait que
réclamer son droit de femme, de rester femme. Pour cette raison, elle refuse d’être comme sa belle-
sœur Linguère Madjiguène.

La Reine Mère Mam Yay : C’est la mère d’Albouri. Elle est très compréhensive, surtout vis-à-vis de
son fils le roi. Elle fut auprès de Biram son défunt époux une épouse docile, exemplaire.

Beuk Nek : Il est le bras droit fidèle de Bourba. Il fait partie de la race des grands guerriers. D’ailleurs
c’est lui qui va prendre la tête de l’arrière garde du roi et infligé une petite défaite à l’armée de Laobé
Penda et les Sofas du gouverneur.

Samba : Il est le griot attitré du roi Albouri. Il incarne le syncrétisme religieux, et ne s’en cache pas.
Loin d’être hypocrite comme le lui crache Beuk nek, il passe pour quelqu’un qui n’a pas peur de dire
la vérité. Il n’a pas besoin d’être présenté puisqu’il le fait : « Pourtant, qui ose se vanter d’avoir le
quart de mon savoir ? » lance-t-il Beuk nek.

Le Diaraf de Thingue : Il gouverne la province de Thingue. C’est un autre combattant de l’armée du


roi. Il est consulté par le roi sur les épineux problèmes d’Etat. Mais il se rangera du côté de Laobé
Penda. Il sera tué par le bataillon de Beuk nek.

Le Diaraf de Varhôh : Il gouverne Varhôh, là où se trouve la cavalerie de l’armée du Djolof. Comme


le Diaraf de Thingue, il soutiendra le Prince Laobé Penda.
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Ardo : C’est un chef guerrier peulh. Très lucide pour comprendre le Bourba, mais il va se ranger du
côté du Prince.

Le Diaraf des Esclaves : C’est le seul à soutenir le roi Albouri, et jusqu’à le payer de sa vie en le
servant comme espion.

VI. Les thèmes

1. La trahison

Ce thème est très présent dans le texte. D’abord, en déclarant qu’ils obéissaient au doigt et à l’œil le
Bourba, Les Diarafs de Thingue et de Varhôh et Ardo n’ont pas hésité à l’abandonner, surtout parce
que Laobé Penda avait mobilisé l’armée pour assiéger l’assemblée. Et ils se réunissaient chez le Prince
à l’insu du Bourba, ce que d’ailleurs le Diaraf des Esclaves a découvert.

Ensuite, non content d’être opposé à son frère, prétextant la défense de l’honneur, Laobé Penda ne
s’est pas gêné à trahir le peuple en acceptant le protectorat du gouverneur.

D’un autre côté, le gouverneur fut le premier traître car, ayant signé un traité, il le rompt sans aviser
les cosignataires, mais surtout il les attaque à l’improviste.

2. L’honneur

L’honneur, ou le « jom » au Sénégal a toujours été la raison de vie des rois. Dans la Cour du Djolof,
l’honneur fut le ciment, la force du peuple. Ardo dira ainsi : « je n’agirai que pour le bonheur de notre
terre : mon honneur est au bout de ma lance » (p.58). Et même Laobé Penda est mû par l’honneur pour
être le grand combattant qu’il est. En plus il propose à son frère de défendre le Djolof jusqu’à la mort.
L’avis de Reine Mère était le même (voir page 37). D’un autre côté, l’exil proposé par Albouri relève
de l’honneur. Sa vision est guidée par le salut, et sa clairvoyance l’a poussé à penser au moyen
d’épargner le peuple tout en maintenant la dignité du Djolof intacte. Il dit lui-même, pour convaincre
sa mère de la nécessité de l’exil : « à Ségou, des hommes refusent de courber l’échine / Lutter ou
mourir, pas servir » (p.37). C’est par honneur que la reine Sêb passe outre la décision de son mari
Albouri pour faire partie du voyage. Une manière pour elle de garder son honneur et mériter son nom :
« Serais-je digne de toi en restant à Yang yang à un pareil moment ? » dit-elle (p. 84). Elle défend son
honneur en affirmant qu’elle est la femme du roi non son esclave (p.63).

3. L’exil

L’exil au sens d’Albouri, n’est une fuite, ni un exode, mais plutôt une façon de reculer pour attaquer,
et surtout une manière de chercher des alliers pour faire face à la puissance de feu de l’armée du
gouverneur. Finalement pour le peuple, l’exil était le seul moyen de rester sauf et digne. Aussi la
dernière assemblée tenue par le roi est rythmée par le slogan du peuple : « L’exil plutôt que
l’esclavage » (septième tableau pp.80-81). Le vrai motif de l’exil apparaît ainsi à la page 89 quand le
roi Albouri s’adresse au peuple qui l’a suivi, c’est que, dit-il « les bottes ennemies ne marcheront pas
sur nos cadavres ».

4. Le rôle de la femme

A travers surtout les conversations, on note une volonté du dramaturge de montrer les différents rôles
que les femmes occupent dans la vie de Cour, dans la vie tout court du Djolof. La femme du foyer est
surtout là en filigrane, avec les revendications incessantes de la reine Sêb Sa conversation avec
Linguère laisse apparaître l’amour de cette femme envers son mari, amour qu’elle n’attend qu’à
exprimer : « Ô vois mes seins qui bourgeonnent ! Toutes les nuits se retourner seule dans son lit, les
yeux ouverts. » (p.40), et ajoute-t-elle à l’endroit de sa belle-sœur : « Je suis femme avant d’être
61

Reine. ». Elle veut ainsi au moins avoir un ou une enfant et vivre la maternité : « Un enfant ! Albouri,
un enfant : » (p.74). Pour dire que la femme quelle que soit la situation, elle joue un rôle à côté de son
mari. Aussi les femmes sont de vraies guerrières quelquefois à l’image de Linguère. Et la Reine Sêb
ne dit pas le contraire, même si quelque part elle n’est pas d’accord avec Linguère Madjiguène : «
Mon devoir me dicte de te suivre » dit-elle au Roi. (p.71).

5. Le courage

Le courage est présent chez tous les sujets du Djolof. Et on ne s’étonnera nullement si la Reine Mère
répond à son fils Albouri : « L’exil vers où ? Non fils, non ! Meurs dans ta capitale, au milieu de tes
sujets. » (p.37). Ne rappelle-t-elle pas une preuve de courage de son fils à la page 36 : « Je me
souviens du jour où, alors que tu étais hors de la ville, nous fûmes assiégés par Bara le conquérant
Toucouleur et le roi du Baol. Ce jour-là, j’ai remercié le Seigneur d’avoir eu un fils comme toi. Dès
ton retour tu tuas le Toucouleur pendant que l’autre s’enfuyait. »

VII. La dramaturgie de Cheik Aliou Ndao

1. Vérité historique et mythe

« Mon but est d’aider à la création de mythes qui galvanisent le peuple et portent en avant. » affirme le
dramaturge dans son prologue. On comprend donc sa façon de traiter l’histoire qu’il connaît. Et à
travers le traitement qu’il fait subir à l’histoire on voit comment il a participé à immortaliser le roi
Alboury. « On a le droit de violer l’histoire si c’est pour lui faire de beaux enfants » écrivait…..
Justement Cheik Aliou Ndao a réussi à rétablir une vérité historique dans cette pièce en utilisant une
dramatisation qui rend compte de la vie de Cour du grand conquérant le Bourba Djolof. Sa manière
d’être réaliste a permis de rendre accessible le sens des gestes, des paroles et des actions.

2. Une tragédie poétique

Hormis les envolées de Samba, on note que le dramaturge joue sur les réunions pour créer une poésie
bien africaine, faite de rythme par la répétition, les incantations et les exclamations lyriques. Le texte
débute par une célébration du soleil par Samba. « Ô Soleil, Souffle du Buffle sur les savanes ! Voilà
que tu souris, au sortir de ta nuit de noces avec la Lune… Ô Soleil, Souffle du Buffle sur les savanes !
» (p.19)

D’ailleurs les paroles du roi sont souvent et régulièrement entrecoupées de scansions du peuple, et de
scansions très asymétriques pour reprendre Senghor. « Diâta ! Diâta ! ô Lion » / « Ndiaye ! Ndiaye » /
« Diâta ! Ô Ndiaye ! ». De même ce type de refrain du peuple se retrouve au dernier tableau ainsi : «
L’exil, l’exil plutôt que l’esclavage ! » / « L’exil plutôt que l’esclavage ! »

Conclusion

Une tragédie africaine, L’exil d’Albouri ne se présente plus parce que l’homme, le héros est un noble,
un roi, un preux, comme dans les tragédies grecques ou plus récemment dans les tragédies classiques.
Chose extraordinaire, c’est que du point de vue formel, la pièce de Cheik Aliou Ndao n’a rien
d’occidental, mais les valeurs portées par les personnages rejoignent étrangement des valeurs
occidentales gréco-romaines par exemple. La chose politique, l’honneur, la famille, l’amour, le choix
décisif sont autant de points communs qui peuvent légitimer le théâtre africain comme un théâtre
complet. La réussite de l’auteur vient du fait que de 1967 à nos jours, cette pièce continue de nous
apprendre des choses, de participer à la fierté de la jeunesse noire qui peut se regarder à travers le
personnage d’Albouri. Retenons que l’exil choisi est ici un moyen de se rapprocher de celui qui
épouse notre idéal, celui qui est le plus proche de nous malgré les divergences qui peuvent régner entre
nous. Mais aussi l’exil signifie aussi liberté, dignité gardée. Victor Hugo a ainsi expliqué son exil : «
Je resterai proscrit, voulant rester debout ».
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CHAPITRE QUATRIEME
Antigone de Jean Anouilh
Etude intégrale

I-Biographie de l’auteur

Jean Anouilh est un écrivain et dramaturge français, né le 23 juin 1910 à Bordeaux (Gironde)
et mort le 3 octobre 1987 à Lausanne (Suisse). Son œuvre théâtrale commencée en 1932 est
particulièrement abondante et variée : elle est constituée de nombreuses comédies souvent grinçantes
et d'œuvres à la tonalité dramatique ou tragique comme sa pièce la plus célèbre, Antigone, réécriture
moderne de la pièce de Sophocle.

Anouilh a lui-même organisé ses œuvres en séries thématiques, faisant alterner d'abord Pièces
roses et Pièces noires. Les premières sont des comédies marquées par la fantaisie comme Le Bal des
voleurs (1938) alors que les secondes montrent dans la gravité l'affrontement des « héros » entourés de
gens ordinaires en prenant souvent appui sur des mythes comme Eurydice (1941), Antigone (1944) ou
Médée (1946).

Après la guerre apparaissent les Pièces brillantes qui jouent sur la mise en abyme du théâtre
au théâtre (La Répétition ou l'Amour puni en 1947, Colombe en 1951), puis les Pièces grinçantes,
comédies satiriques comme Pauvre Bitos ou le Dîner de têtes (1956). Dans la même période, Jean
Anouilh s'intéresse dans des Pièces costumées à des figures lumineuses qui se sacrifient au nom du
devoir : envers la patrie comme Jeanne d'Arc dans L'Alouette (1953) ou envers Dieu comme Thomas
Becket (Becket ou l'Honneur de Dieu en 1959). Le dramaturge a continué dans le même temps à servir
le genre de la comédie dans de nombreuses pièces où il mêle farce et ironie (par exemple Les Poissons
rouges ou Mon père ce héros en 1970) jusque dans les dernières années de sa vie.

Jean Anouilh a également adapté plusieurs pièces d'auteurs étrangers, Shakespeare en particulier. Il a
aussi mis en scène certaines de ses œuvres (par exemple Colombe en 1974), en même temps qu'il
travaillait à des scénarios pour le cinéma ou à la télévision.

II-Comprendre la pièce

Dès le prologue, le Chœur antique qui commente la pièce tout au long, annonce la couleur : on
sait très bien qui va mourir, qui survivra, qui jouera un rôle, qui ne servira à rien, et les personnages
sont alors répartis en deux grandes catégories : ceux qui « savent » et ceux qui « ne savent pas ».

Créon, Antigone, le Messager font partie de ceux qui savent tout, sans aucun doute. Créon,
inconsciemment, sait très bien le risque qu'il prend en décrétant cette interdiction, et il se doute bien
qu'elle sera transgressée. Il sait aussi que ses actes ne sont pas justifiés, il le reconnaîtra même plus
tard dans la pièce. Il l'a simplement fait pour donner une leçon, un exemple à la population. Antigone,
elle, sait très bien ce qu'elle a l'intention de faire, contre le gré de tous, pour ensevelir Polynice malgré
l'interdiction, et elle sait qu'elle va mourir, qu'elle doit mourir. « Elle aurait bien aimé vivre. Mais il
n’y a rien à faire. Elle s’appelle Antigone et il va falloir qu’elle joue son rôle jusqu’au bout. » Le
Messager lui, sait déjà aussi. « C'est lui qui viendra annoncer la mort d'Hémon tout à l'heure. C'est
pour cela qu'il n'a pas envie de bavarder ni de se mêler aux autres. Il sait déjà... »
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La nourrice d'Antigone, les gardes, le page, Eurydice, ne savent rien. Ils sont complètement ignorants
et se contentent de jouer bêtement leur rôle. La Nourrice est seulement là pour apaiser, les gardes pour
accomplir le destin d'Antigone, le page pour accompagner Créon, et Eurydice quant à elle, n'a pas
d'autre rôle que de mourir (« Elle tricotera pendant toute la tragédie jusqu'à ce que son tour vienne de
se lever et de mourir. »)

Hémon et Ismène quant à eux, sont assez ambigus, car aucun d'eux ne sait vraiment tout ce qui se
trame, Ismène ne se doute pas que sa sœur ira au bout, Hémon ne se doute pas que sa fiancée va se
rebeller jusqu'à la mort, mais ils savent et comprennent la situation, et au fur et à mesure que l'histoire
avance, ils comprennent, et savent alors qu'Antigone va vraiment mourir.

Le Chœur commentera alors ironiquement toute la pièce : « C'est cela qui est commode dans la
tragédie. On donne un petit coup de pouce pour que cela démarre [...] C'est tout. Après on n'a plus qu'à
laisser faire. On est tranquille. Cela roule tout seul ».

Débats

 Débat Créon / Antigone : Créon se retrouve seul face à Antigone, venant de commettre son
crime, ayant tenté à deux reprises d'ensevelir son frère Polynice. S'étant fait arrêter pour avoir
été prise sur le fait, il tente de la sauver. Il lui propose de faire accuser un garde, un complot,
de faire mourir quelqu'un d'autre à sa place, et il essaie de la « ramener à la raison ». Mais elle
reste sourde et impassible à ses arguments, elle « ne veut pas comprendre ». Il s'emporte alors,
et fait ressortir ses propres défauts et ses faiblesses. Selon lui, il ne fait qu'accomplir son
devoir, il n'a rien demandé... « Thèbes a droit maintenant à un prince sans histoire. Moi, je
m'appelle seulement Créon, Dieu merci. J'ai mes deux pieds sur terre, mes deux mains
enfoncées dans mes poches, et, puisque je suis roi, j'ai résolu, avec moins d'ambition que ton
père, de m'employer tout simplement à rendre l'ordre de ce monde un peu moins absurde, si
c'est possible. »

Il lui reproche également de choisir la facilité, de dire non... On pourrait penser, nous, lecteurs, que ce
n'est pas facile de dire non, mais Créon, lui, pense le contraire. Il pense que ça n'est pas facile de dire
oui... De savoir que parfois ces lois sont injustes, ou stupides, mais de devoir dire oui... Ou d'avoir un
rôle et un impact trop important pour se permettre de dire non à la légère, de se rebeller, par principe...
Mais une fois de plus, Antigone repousse son argument. « Qu'est-ce que vous voulez que cela me
fasse, à moi, votre politique, votre nécessité, vos pauvres histoires ? Moi, je peux encore dire « non »
encore à tout ce que je n'aime pas et je suis seule juge. » dit-elle, ou encore « Pauvre Créon ! Avec mes
ongles cassés et pleins de terre et les bleus que tes gardes m'ont faits aux bras, avec ma peur qui me
tord le ventre, moi je suis reine. » Créon la traite alors d'« orgueilleuse. Petite Œdipe »... Il aborde
alors le sujet de sa famille. Il reproche à Œdipe tout son orgueil qui a déteint sur Antigone... Et il
dévoile la véritable personnalité d'Étéocle et de Polynice, deux voyous, ne valant pas mieux l'un que
l'autre, n'aimant d'ailleurs même pas leurs sœurs, ni leur père, n'étant ni l'un un héros, ni l'autre un
traître, mais tous deux des crapules, avides et cupides, s'étant bêtement entretués pour le pouvoir. Il
avoue alors n'avoir aucune conviction que l'un est un héros ou l'autre un traître, c'est seulement pour le
peuple... pour donner un bon et un mauvais exemple, le peuple a besoin d'un héros et d'un traître... Il
avoue aussi qu'il ne sait même pas si le corps qui croupit là-dehors est bien celui de Polynice. Il
reconnaît l'avoir pris tout à fait au hasard.

Devant l'absurdité de la religion, des rites, de tout cela, devant la stupidité de tant de conviction pour
des choses que Créon lui prouve sans importance, Antigone est prête à céder... Mais Créon lui parle
alors du bonheur qu'elle est si prête d'atteindre si elle refuse de mourir pour son frère. Un bonheur avec
quelques concessions, mais un bonheur tout de même... Mais Antigone se rétracte aussitôt, par fierté et
par principe. Elle témoigne alors de son rejet de cette société qu'elle n'a jamais accepté... « Vous me
dégoûtez tous avec votre bonheur ! Avec votre vie qu'il faut aimer coûte que coûte... Moi, je veux tout,
64

tout de suite, et que ce soit entier, ou alors je refuse ! Je ne veux pas être modeste, moi, et de me
contenter d'un petit morceau, si j'ai été bien sage. »

Créon est à court d'arguments et devant l'emportement grandissant de sa nièce qui menace d'ébruiter
l'affaire, il cède... Antigone veut mourir, eh bien, elle mourra... Malgré les supplications de son fils qui
l'implore de gracier sa fiancée, la sentence est appliquée. Antigone se pend dans la grotte où Créon l'a
fait emmurer vivante. Hémon perd alors l'admiration qu'il avait pour son père qu'il considérait comme
un homme puissant et juste. Non préparé à tant de désillusions et rendu fou de chagrin par la
disparition d'Antigone, il la rejoint dans la mort en se poignardant avec son épée. Eurydice, apprenant
le décès de son fils, se suicide à son tour. Sa famille décimée, Créon, abandonné de tous, continue de
gouverner les hommes en attendant sa propre mort comme une délivrance.

 Débat Ismène / Antigone : cette confrontation n'est pas idéologique, mais plutôt modale, avec
d'un côté Ismène, avec son tempérament passif « Il est plus fort que nous, Antigone » sa peur
de la souffrance, de la mort et son envie de vivre normalement. Puis de l'autre côté, il y a
Antigone, au tempérament actif. Elle connait son rôle dans cette histoire et veut l'accomplir
jusqu'au bout, sans se plier à la « sagesse humaine » : « Je ne veux pas avoir raison », « Je ne
veux pas comprendre un peu ». Sa foi en l'absurde lui fournit une forme d'égoïsme, qu'elle
emploie même contre elle-même.

 Outre ces deux principales confrontations, il y a également des divergences Nourrice / Ismène
et Hémon / Créon. Mais elles n'ont pas d'impact sur le récit. Il n'y a par contre aucune
opposition Étéocle / Polynice, car, même s'ils se sont entretués, ils sont sur la même longueur
d'onde.

La pièce est composée sous sa forme quasi-définitive en 1942, et reçoit à ce moment l'aval de la
censure hitlérienne. Elle n'est jouée la première fois que deux ans après, le 4 février 1944, au théâtre
de l'Atelier à Paris, sans doute à cause de difficultés financières. Après une interruption des
représentations en août 1944, due aux combats pour la libération de Paris, elles reprennent
normalement.

Antigone sera ensuite à nouveau représentée à Paris en 1947, 1949 et 1950 mais aussi dès mai 1944 à
Bruxelles, en 1945 à Rome, et en 1949 à Londres.

Le contexte historique :

Antigone est une pièce des années noires, lorsque la France connaît la défaite face aux armées nazies et
elle tombe sous l'Occupation. Nous étudierons d'une part l'Occupation : la situation générale et ensuite
la radicalisation du régime de Vichy et d'autre part les origines historiques de la pièce.

En 1942, Jean Anouilh réside à Paris, qui est occupée par les Allemands depuis la débâcle de 1940 et
l'Armistice. La République a été abolie et remplacée par l'État français, sous la direction du maréchal
Pétain. La France est alors découpée en plusieurs régions : une zone libre au Sud, sous l'administration
du régime de Vichy, une zone occupée au Nord, sous la coupe des Allemands, une zone
d'administration allemande directe pour les départements du Nord et du Pas-de-Calais, rattachés à la
Belgique, une zone annexée au Reich : l'Alsace-Lorraine et enfin, une zone d'occupation italienne dans
le Sud-Est (Savoie).

Refusant l'Armistice et le gouvernement de Vichy, le général Charles de Gaulle lance un appel aux
Français le 18 juin 1940 depuis Londres et il regroupe ainsi autour de lui les Forces françaises libres
(F.F.L.). C'est le début de la Résistance. Le 23 septembre 1941, un "Comité national français" a été
constitué, c'est une première étape vers un gouvernement en exil. En métropole, la Résistance
s'organise, tout d'abord de façon indépendante et sporadique (qui se produit occasionnellement), puis
65

en se rapprochant de de Gaulle sous la forme de réseaux, comme Combat. En 1942, le mouvement a


déjà pris une certaine ampleur qui se manifeste par des actes de sabotage et des attentats contre des
Allemands et des collaborateurs ; l'armée d'occupation réplique par des représailles massives et
sanglantes.

L'année 1942, marque un tournant décisif dans cette période. Les rapports de force se sont modifiés,
car les États-Unis viennent de déclarer la guerre à l'Allemagne. En France, le 19 avril 1942, Pierre
Laval revient au pouvoir après une éclipse d'un an et demi et accentue la collaboration avec Hitler.
Dans un discours radiodiffusé le 22 juin 1942, il déclare fermement : "Je souhaite la victoire de
l'Allemagne" et il crée le Service du travail obligatoire (S.T.O.) pour l'aider en envoyant des ouvriers
dans leurs usines de guerre. La rafle du Vél. d'Hiv. le 16 juillet 1942 envoie des milliers de juifs, via
Drancy, dans les camps de concentration de d'extermination.

Ce n'est qu'en 1944 que nazis et collaborateurs subissent de véritables revers. Le Comité national de la
Résistance (C.N.R.), institué le 15 mai 1943, fédère les différentes branches de la lutte antinazie et
prépare l'après-guerre. Le 6 juin 1944, le débarquement des Alliés en Normandie déclenche
l'insurrection des maquis en France et organise la reconquête du territoire français. Paris se soulève
avant le moment prévu et se libère seul fin août 1944.

Avant même que la guerre ne soit terminée, l'épuration se met en place : de nombreux sympathisants
du régime de Vichy sont jetés en prison et condamnés, certains sont exécutés, parfois sans procès ; les
milieux culturels (journalistes, écrivains et acteurs) ne sont pas épargnés. C'est dans ce climat troublé
que de Gaulle regagne la France et en assure dans un premier temps le gouvernement.

C'est à un acte de résistance qu'Anouilh doit l'idée de travailler sur le personnage d'Antigone. En août
1942, un jeune résistant, Paul Collette, tire sur un groupe de dirigeants collaborationnistes au cours
d'un meeting de la Légion des volontaires français (L.V.F.) à Versailles, il blesse Pierre Laval et
Marcel Déat. Le jeune homme n'appartient à aucun réseau de résistance, à aucun mouvement politique
; son geste est isolé, son efficacité douteuse. La gratuité de son action, son caractère à la fois héroïque
et vain frappent Anouilh, pour qui un tel geste possède en lui l'essence même du tragique. Nourri de
culture classique, il songe alors à une pièce de Sophocle, qui pour un esprit moderne évoque la
résistance d'un individu face à l'État. Il la traduit, la retravaille et en donne une version toute
personnelle.

La nouvelle Antigone est donc issue d'une union anachronique, celle d'un texte vieux de 2400 ans et
d'un événement contemporain.

Présentation de la pièce :

Il faut garder en mémoire que dans la pièce de Sophocle le personnage tragique n'est pas Antigone,
mais Créon. Comme Œdipe, son neveu, dont il prend la suite, Créon s'est cru un roi heureux. En cela,
il fait preuve de "démesure" (ubris, en grec), pour cela il doit être puni. Antigone est l'instrument des
dieux, Hémon le moyen, Créon la victime. Lui seul est puni en fin de compte. La mort d'Antigone
n'est en rien une punition, puisqu'elle n'a commis aucune faute, au regard de la loi divine - au
contraire. La tragédie est celle d'un homme qui avait cru à son bonheur et que les dieux ramènent aux
réalités terrestres.

Représentée dans un Paris encore occupé, Antigone à sa création a suscité des réactions
passionnées et contrastées. Le journal collaborationniste Je suis partout porte la pièce aux nues :
Créon est le représentant d'une politique qui ne se soucie guère de morale, Antigone est une anarchiste
(une "terroriste", pour reprendre la terminologie de l'époque) que ses valeurs erronées conduisent à un
sacrifice inutile, semant le désordre autour d'elle. Des tracts clandestins, issus des milieux résistants,
menacèrent l'auteur. Mais simultanément, on a entendu dans les différences irréconciliables entre
66

Antigone et Créon le dialogue impossible de la Résistance et de la collaboration, celle-là parlant


morale, et celui-ci d'intérêts. L'obsession du sacrifice, l'exigence de pureté de l'héroïne triomphèrent
auprès du public le plus jeune, qui aima la pièce jusqu'à l'enthousiasme.

Les costumes qui donnaient aux gardes des imperméables de cuir qui ressemblaient fort à ceux
de la Gestapo aidèrent à la confusion. Pourtant, même sur ces exécutants brutaux Anouilh ne porte pas
de jugement : "Ce ne sont pas de mauvais bougres, ils ont des femmes, des enfants, et des petits ennuis
comme tout le monde, mais ils vous empoigneront les accusés le plus tranquillement du monde tout à
l'heure. Ils sentent l'ail, le cuir et le vin rouge et ils sont dépourvus de toute imagination. Ce sont les
auxiliaires toujours innocents et toujours satisfaits d'eux-mêmes de la justice.". Et ne pas juger ces
"auxiliaires de la justice", les excuser même, un an après la rafle du Vel'd'Hiv peut paraître un manque
complet de sensibilité - ou la preuve d'une hauteur de vue qui en tout cas démarque la pièce de
l'actualité immédiate.

Même si les positions politiques ultérieures d'Anouilh, et tout son théâtre, plein de personnages
cyniques et désabusés, le situent dans un conservatisme ironique, on peut postuler qu'Antigone est en
fait une réflexion sur les abominations nées de l'absence de concessions, que ce soit au nom de la Loi
(Créon) ou au nom du devoir intérieur (Antigone). C'est le drame de l'impossible voie moyenne entre
deux exigences aussi défendables et aussi mortelles, dans leur obstination, l'une que l'autre.

Structure de la pièce :

Anouilh a repris le cadre général de la pièce de Sophocle. Le rideau s'ouvre au petit matin sur la ville
de Thèbes, juste après la proclamation du décret de Créon, au sujet duquel Antigone s'oppose à sa
sœur Ismène. Créon apprend d'un garde que le corps de Polynice a reçu les hommages funèbres, puis
voit Antigone amenée devant lui et la condamne à mort. Hémon vient supplier son père, sans succès et
s'enfuit. Antigone fait une dernière apparition, puis marche vers la mort. Un messager apporte sur
scène la nouvelle du suicide d'Hémon, puis de la reine. Le rideau tombe sur Créon, qui reste seul sur
une scène dévastée.

Le texte d'Anouilh se présente comme une suite ininterrompue de répliques, sans aucune des divisions
formelles qui font la tradition du théâtre français. Sans acte, sans scène, Antigone se veut dans sa
présentation le récit continu d'une journée où se joue le destin de l'héroïne.

Anouilh ne se propose toutefois pas de révolutionner l'écriture théâtrale, et l'absence de divisions n'est
qu'affaire de forme. La pièce se déroule de façon classique, rythmée par les entrées et les sorties des
personnages, qui permettent de restituer l'architecture traditionnelle des scènes et de proposer la
numérotation suivante :

Pages Scène Personnages


9-13 1 Le Prologue

13-20 2 Antigone, la Nourrice

21 3 Antigone, la Nourrice, Ismène

22-31 4 Antigone, Ismène

31-36 5 Antigone, la Nourrice

37-44 6 Antigone, Hémon


67

45-46 7 Antigone, Ismène

46-53 8 Créon, le Garde

53-55 9 Le Chœur

55-60 10 Antigone, le Garde, le Deuxième Garde, le Troisième Garde

60-64 11 Antigone, les Gardes, Créon

64-97 12 Antigone, Créon

97-99 13 Antigone, Créon, Ismène

99-100 14 Créon, le Chœur

100-
15 Créon, le Chœur, Hémon
105

105-
16 Créon, le Chœur
106

106 17 Créon, le Chœur, Antigone, les Gardes

106-
18 Antigone, le Garde
117

117-
19 Le Chœur, le Messager
119

119-
20 Le Chœur, Créon, le Page
122

122-
21 Le Chœur, les Gardes
123

Les personnages de la pièce

Les relations entre personnages sont en partie imposées par le modèle de Sophocle et la mythologie.
Les liens de parenté ne sont aucunement modifiés, et l'on retrouve le traditionnel tableau de famille
des Labdacides.

Antigone :

Personnage central de la pièce dont elle porte le nom, Antigone est opposée dès les premières minutes
à sa sœur Ismène, dont elle représente le négatif. "la petite maigre", "la maigre jeune fille moiraude et
renfermée" (p. 9), elle est l'antithèse de la jeune héroïne, l'ingénue, dont "la blonde, la belle, l'heureuse
Ismène" est au contraire l'archétype.

Comme Eurydice, comme Jeanne d'Arc dans L'Alouette, elle a un physique garçonnier, sans apprêts :
elle aime le gris : "C'était beau. Tout était gris", "monde sans couleurs", "La Nourrice (...) Combien de
68

fois je me suis dit : "Mon Dieu, cette petite, elle n'est pas assez coquette ! Toujours avec la même robe
et mal peignée", Antigone le dit elle même : "je suis noire et maigre".

Opiniâtre, secrète, elle n'a aucun des charmes dont sa sœur dispose à foison : elle est "hypocrite", a un
"sale caractère", c'est "la sale bête, l'entêtée, la mauvaise". Malgré cela, c'est elle qui séduit Hémon :
elle n'est pas dénuée de sensualité, comme le prouve sa scène face à son fiancé, ni de sensibilité, dont
elle fait preuve dans son dialogue avec la Nourrice.

Face à Ismène, Antigone se distingue au physique comme au moral, et peut exercer une véritable
fascination : Ismène lui dit : "Pas belle comme nous, mais autrement. Tu sais bien que c'est sur toi que
se retournent les petits voyous dans la rue ; que c'est toi que les petites filles regardent passer, soudain
muettes sans pouvoir te quitter des yeux jusqu'à ce que tu aies tourné le coin." (pages 29-30)

Comme le basilic des légendes, dont le regard est mortel, Antigone pétrifie et stupéfait, car elle est
autre. Son caractère reçoit cette même marque d'étrangeté qui a séduit Hémon et qui manque à Ismène,
ce que Créon appelle son orgueil. Quelque chose en elle la pousse à aller toujours plus loin que les
autres, à ne pas se contenter de ce qu'elle a sous la main : "Qu'est-ce que vous voulez que cela me
fasse, à moi, votre politique, votre nécessité, vos pauvres histoires ? Moi, je peux encore dire "non"
encore à tout ce que je n'aime pas et je suis seule juge." (p. 78)

Cette volonté farouche n'est pas tout à fait du courage, comme le dit Antigone elle-même (p. 28) ; elle
est une force d'un autre ordre qui échappe à la compréhension des autres.

Ismène :

Elle "bavarde et rit", "la blonde, la belle" Ismène, elle possède le "goût de la danse et des jeux [...] du
bonheur et de la réussite, sa sensualité aussi", elle est "bien plus belle qu'Antigone", est "éblouissante",
avec "ses bouclettes et ses rubans", "Ismène est rose et dorée comme un fruit".

"sa sœur" possède une qualité indomptable qui lui manque : elle n'a pas cette force surhumaine. Même
son pathétique sursaut à la fin de la pièce n'est pas à la hauteur de la tension qu'exerce Antigone sur
elle-même : "Antigone, pardon ! Antigone, tu vois, je viens, j'ai du courage. J'irai maintenant avec toi.
[...] Si vous la faites mourir, il faudra me faire mourir avec elle ! [...] Je ne peux pas vivre si tu meurs,
je ne veux pas rester sans toi !" (pages 97-98).

C'est sa faiblesse même, et non sa volonté, qui la pousse à s'offrir à la mort. Antigone le voit bien, et la
rudoie avec mépris : "Ah ! non. Pas maintenant. Pas toi ! C'est moi, c'est moi seule. Tu ne te figures
pas que tu vas venir mourir avec moi maintenant. Ce serait trop facile ! [...] Tu as choisi la vie et moi
la mort. Laisse-moi maintenant avec tes jérémiades." (page 98)

Les deux rôles féminins de la pièce sont diamétralement opposés. Ismène est une jolie poupée que les
événements dépassent. Antigone au contraire est caractéristique des premières héroïnes d'Anouilh :
elle est une garçonne qui dirige, mène et vit son rôle jusqu'au bout.

Créon :

"son oncle, qui est le roi", "il a des rides, il est fatigué", "Avant, du temps d'Œdipe, quand il n'était que
le premier personnage de la cour, il aimait la musique, les belles reliures, les longues flâneries chez les
petits antiquaires de Thèbes".

C'est un souverain de raccroc, tout le contraire d'un ambitieux. Besogneux et consciencieux, il se


soumet à sa tâche comme à un travail journalier, et n'est pas si différent des gardes qu'il commande.
"Thèbes a droit maintenant à un prince sans histoire. Moi, je m'appelle seulement Créon, Dieu merci.
J'ai mes deux pieds sur terre, mes deux mains enfoncées dans mes poches, et, puisque je suis roi, j'ai
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résolu, avec moins d'ambition que ton père, de m'employer tout simplement à rendre l'ordre de ce
monde un peu moins absurde, si c'est possible." (pages 68 et 69)

Au nom du bon sens et de la simplicité, Créon se voit comme un tâcheron, un "ouvrier" du pouvoir
(page 11). Il revendique le manque d'originalité et d'audace de sa vision, et plaide avec confiance pour
la régularité et la banalité de l'existence. Sa tâche n'est pas facile, mais il en porte le fardeau avec
résignation.

Personnage vieilli, usé, il se distingue par sa volonté d'accommodement ; mais il avoue aussi avoir
entretenu d'autres idéaux : "J'écoutais du fond du temps un petit Créon maigre et pâle comme toi et qui
ne pensait qu'à tout donner lui aussi..." (page 91). Créon se considère lui-même comme une Antigone
qui n'aurait pas rencontré son destin, une Antigone qui aurait survécu.

Les gardes :

Ce sont " trois hommes rougeauds qui jouent aux cartes", "ce ne sont pas de mauvais bougres", "ils
sentent l'ail, le cuir et le vin rouge et ils sont dépourvus de toute imagination". Ces gardes représentent
une version brutale et vulgaire de Créon. Leur langage sans raffinement, leur petitesse de vue en font
des personnages peu sympathiques, dont les rares bons mouvements ne suffisent pas à cacher la peur
de la hiérarchie ("Pas d'histoires !" revient souvent dans leur bouche). Sans être totalement réduits à
l'état de machines, ils sont essentiellement un instrument du pouvoir de Créon, et rien de plus : "Le
Garde : S'il fallait écouter les gens, s'il fallait essayer de comprendre, on serait propres." (p. 55)

Leur soumission à Créon n'est pas établie sur la base d'une fidélité personnelle. Ils sont des auxiliaires
de la justice, respectueux du pouvoir en place, et ce quel que soit celui qui occupe le pouvoir. Le
Prologue indique bien que rien ne leur interdirait de se retourner contre Créon, si celui-ci était déchu :
"Pour le moment, jusqu'à ce qu'un nouveau chef de Thèbes dûment mandaté leur ordonne de l'arrêter à
son tour, ce sont les auxiliaires de la justice de Créon." (p. 12)

Sans états d'âme, ils passent au travers de la tragédie sans rien comprendre, et le rideau tombe sur eux,
comme il tombe dans Médée sur un garde et la Nourrice, après le suicide de Médée et le meurtre de ses
enfants :

"Le Garde
On a fauché la semaine dernière. On va rentrer demain ou après-demain si le temps se maintient.

La Nourrice
La récolte sera bonne chez vous ?

Le Garde
Faut pas se plaindre. Il y aura encore du pain pour tout le monde cette année-ci.

Le rideau est tombé pendant qu'ils parlaient."

C'est à travers eux que se manifeste le plus clairement le pessimisme aristocratique d'Anouilh.

Hémon :

Le "jeune homme", "fiancé d'Antigone", est le fils de Créon, c'est un personnage secondaire qui
n'apparaît qu'en deux occasions, soumis à Antigone et révolté contre Créon ; ses propos sont courts et
simples ("Oui, Antigone."), ou témoignent d'une naïveté encore enfantine. La peur de grandir se
résume chez lui à l'angoisse de se retrouver seul, de regarder les choses en face : "Père, ce n'est pas
vrai ! Ce n'est pas toi, ce n'est pas aujourd'hui ! Nous ne sommes pas tous les deux au pied de ce mur
70

où il faut seulement dire oui. Tu es encore puissant, toi, comme lorsque j'étais petit. Ah ! Je t'en
supplie, père, que je t'admire, que je t'admire encore ! Je suis trop seul et le monde est trop nu si je ne
peux plus t'admirer." (p. 104)

Fiancé amoureux, enfant révolté, il est par son caractère davantage proche d'Ismène, à qui le Prologue
l'associe, que d'Antigone.

Eurydice :

C'est "la vieille dame qui tricote", la "femme de Créon", "elle est bonne, digne, aimante", mais "Elle
ne lui est d'aucun secours"

Le Page

Accompagnant Créon dans plusieurs scènes, il représente l'innocence émouvante, l'enfant qui voit tout
et ne comprend rien, qui n'est pour l'instant d'aucune aide, mais qui, à son tout, un jour, pourrait bien
devenir Créon ou Antigone.

"Créon
Ce qu'il faudrait, c'est ne jamais savoir. Il te tarde d'être grand, toi ?

Le Page
Oh oui, Monsieur !" (p.122)

La Nourrice :

Personnage traditionnel du théâtre grec, mais inexistant dans la pièce de Sophocle, elle a été créée par
Anouilh pour donner une assise familière à la pièce, et davantage montrer l'étrangeté du monde
tragique. Avec elle, ni drame ni tragédie, juste une scène de la vie courante, où la vieille femme,
affectueuse et grondante, est une "nounou" rassurante, qui ne comprend rien à sa protégée : "Tu te
moques de moi, alors ? Tu vois, je suis trop vieille. Tu étais ma préférée, malgré ton sale caractère."
(p. 20). Elle "a élevé les deux petites".

Le Messager :

C'est un "garçon pâle [...] solitaire". Autre personnage typique du théâtre grec, il apparaît dans la pièce
de Sophocle. Il se borne à être la voix du malheur, celui qui annonce avec un luxe de détails la mort
d'Hémon. Dans le récit du Prologue, il projette une ombre menaçante : "C'est lui qui viendra annoncer
la mort d'Hémon tout à l'heure. C'est pour cela qu'il n'a pas envie de bavarder ni de se mêler aux
autres. Il sait déjà..." (p. 12)

Le Chœur

Ce personnage joue aussi le rôle de messager de mort, mais son origine le rend plus complexe. Dans
les tragédies grecques, le chœur est un groupe de plus d'une dizaine de personnes, guidé par le
personnage du Coryphée. Il chante, danse peut-être, et se retrouve le plus souvent en marge d'une
action qu'il commente.

Dans Antigone, le Chœur est réduit à une seule personne, mais a gardé de son origine une fonction
collective, représentant un groupe indéterminé, celui des habitants de Thèbes, ou celui des spectateurs
émus. Face à Créon, il fait des suggestions, qui toutes se révèlent inutiles.
71

"Ne laisse pas mourir Antigone, Créon ! Nous allons tous porter cette plaie au côté, pendant des
siècles. [...] C'est une enfant Créon. [...] Est-ce qu'on ne peut pas imaginer quelque chose, dire qu'elle
est folle, l'enfermer ? [...] Est-ce qu'on ne peut pas gagner du temps, la faire fuir demain ?" (pages 99 à
102)

Comme dans le théâtre antique, le chœur garde également une fonction de commentateur. Isolé des
autres personnages, il se rapproche du Prologue : il scande l'action pratiquement dans les mêmes
termes. "Et voilà. Maintenant le ressort est bandé. Cela n'a plus qu'à se dérouler tout seul." (p. 53) "Et
voilà. Sans la petite Antigone, c'est vrai, ils auraient tous été bien tranquilles. Mais maintenant, c'est
fini." (p. 122) Son "voilà" bat la mesure d'un mouvement que le "Voilà" du Prologue avait mis en
branle.

Autres personnages :

- "les deux fils d'Œdipe, Etéocle et Polynice" : "se sont battus et entre-tués sous les murs de la ville" :

- "Etéocle l'aîné" : " le bon frère", "le fils fidèle d'Œdipe", "le prince loyal", il a eu d'imposantes
funérailles
- "Polynice, le vaurien, le voyou", "mauvais frère", "il a toujours été un étranger" pour sa sœur Ismène,
"un petit fêtard imbécile", "un petit carnassier dur et sans âme", "une petite brute tout juste bonne à
aller plus vite que les autres avec ses voitures, à dépenser plus d'argent dans les bars.", il a été laissé à
pourrir dehors.
- mais, en vérité, ce sont tous les deux des crapules : Etéocle "ne valait pas plus cher que Polynice",
"deux larrons en foire", "deux petits voyous"

- "Madame Jocaste" maman d'Antigone


- Douce, sa chienne
72

QUATRIEME PARTIE
Méthodologies et applications
73

CHAPITRE PREMIER : Les commentaires

Le commentaire suivi
Définition

Le commentaire suivi est un exercice littéraire consistant à annoncer des remarques claires et
des remarques à la fois sur le fond et la forme qui participent à expliciter un texte donné. Il se compose
de trois étapes : l’introduction, l’étude détaillée et la conclusion.

I- L’introduction : Elle se compose de trois parties

1-La situation du texte : Il est possible de situer un texte de deux manières. Si le passage est tiré d’un
ouvrage au programme, il s’agit de rappeler les idées ou les événements précédents qui éclairent le
texte. Par contre si l’œuvre n’est pas lu, il s’agit de se limiter à l’exploitation des éléments du para
texte, c’est-à-dire préciser le nom de l’auteur, et quelques éléments de sa vie en rapport avec le sens du
texte, donner la nature du texte, sa source, la date de sa publication, etc.

2-L’idée générale : il s’agit de dégager l’idée maitresse de la totalité du texte.

3-Le plan : Il s’agit de décomposer le texte en 2 ou trois parties selon le sens en donnant un titre à
chacune d’elle. Il s’agit de délimiter chaque partie ligne par ligne ou vers par vers.

II- L’étude détaillée

Il convient d’examiner le texte L/L ou Vers/ Vers. Les remarques doivent porter sur les
éléments de valeurs du texte. Il est possible, par exemple d’étudier la grammaire, le style, le
vocabulaire, les champs lexicaux, le système d’énonciation, la construction des phrases, les figures de
styles. Il faut aussi les relever et les interpréter c'est-à-dire en dégageant les effets dans le texte.

III- Conclusion : Elle se compose de trois parties

Il s’agit de faire une récapitulation consistant à rappeler les remarques essentielles de l’étude
détaillée. Ce rappel doit déboucher sur un jugement personnel (sur les idées ou sur le style, ou encore
sur les deux). Enfin, il faut comparer le texte ou son auteur à d’autres textes ou à d’autres auteurs.

Application sur un texte

Le commentaire suivi
74

Texte n° 1

Trois ans après

Vous savez que je désespère,


Que ma force en vain se défend,
Et que je souffre comme père,
Moi qui souffris tant comme enfant!

Mon œuvre n'est pas terminée,


Dites-vous. Comme Adam banni,
Je regarde ma destinée,
Et je vois bien que j'ai fini.

L'humble enfant que Dieu m'a ravie


Rien qu'en m'aimant savait m'aider;
C'était le bonheur de ma vie
De voir ses yeux me regarder.

Si ce Dieu n'a pas voulu clore


L'œuvre qui me fit commencer,
S'il veut que je travaille encore,
Il n'avait qu'à me la laisser!

Victor Hugo, « pauca meae », Les contemplations, 1856.

Commentaire suivi sur « trois ans après » des Contemplations de Victor Hugo

Introduction

Ce poème intitulé « trois ans après » est tiré du quatrième livre « pauca meae » des
Contemplations de Victor Hugo, publié en 1856. Son auteur, chef de fil du mouvement romantique du
19ème siècle, y confesse son deuil suite à la disparition tragique de sa fille Léopoldine. C’est pourquoi,
en deux séquences, il s’agira d’abord de montrer, du vers 1 au vers 8, l’expression du désespoir du
poète. Ensuite, nous montrerons, du vers 9 à la fin, par quels procédés stylistiques, le poète réussit à
suggérer sa révolte métaphysique.

Extrait de la première partie

Dès le début, le titre évocateur « trois ans après » renvoie à un repère chronologique qui
suggère un temps, un moment ou un événement. L’adjectif numéral cardinal « trois » traduit trois
années de souffrance, de deuil et de désespoir pour cette âme meurtrie par la mort. Cela renvoie aussi
à trois années de silence pour ce poète mage et prophète qui sort de son mutisme.

Le premier vers s’ouvre sur un système d’énonciation qui établit un dialogue direct entre le
« je » du poète et un « vous » au sens éclaté. Cela renvoie à Dieu, mais aussi à ses lecteurs, pris
comme témoin de son drame personnel. Le style intimiste rend compte d’un lyrisme qui s’exprime par
l’utilisation du « je » expression par excellence de la confession, des larmes. C’est l’image d’un poète
éploré qui s’épanche par un verbe authentique. Un tel drame est mis en texte par l’utilisation de
termes comme « désespoir », « père », « cœur », « souffre », « enfant », qui appartiennent au champ
lexical de la souffrance. Il y a ici l’image d’un verbe qui pleure plus qu’il ne chante. L’alternance des
temps passé « souffris » au temps présent « souffre » suggère une vie assombrie par la tristesse. Le
passé simple renvoie à un drame précis et situable dans le temps. Tandis que le présent exprime la
75

tristesse du moment et du présent. Il apparaît deux images du poète, le poète orphelin et le poète père
éploré. Cette omniprésence de la mort explique la tonalité triste avec laquelle le poète s’écrit et
assimile fatalement son existence à un deuil perpétuel. Une tristesse perceptible dans la voix du poète,
même par l’assonance en « an ». La répétition du son nasalisé et sonore suggère un trouble mais
aussi l’image d’un poète qui pleure son enfant. Une fille présente tout au long du poème, mise en
évidence par les rimes féminines « désespère », « père » qui font face aux rimes masculines
« enfant », « défend » à l’image du père qui se confesse. D’ailleurs, le poète élabore un aveu de sa
tristesse et de sa souffrance aux vers 3 et 4 en disant : « Et que je souffre comme père / moi qui
souffris tant comme enfant »

Transition : Au-delà de l’évocation de ce triste sort du poète, il y a l’expression d’une révolte


métaphysique perceptible à travers un style particulier…

Extrait de la deuxième partie

Dès le début, du vers 9, l’adjectif « humble » qui qualifie le substantif « enfant », il apparaît la
figure de l’innocence et de la pureté par opposition à l’image de Dieu affublé du masque d’un
bourreau sans pitié et accusé par le poète. Le verbe « ravi », dans son emploi, manifeste l’usage du
temps accompli, le passé composé qui traduit une sentence antérieure. Le ton accusateur se substitue
à la tristesse. L’imparfait, « c’était » nostalgique met en évidence le bonheur perdu. Le système
d’énonciation change le style. Ce n’est plus le « vous » du style direct de la première strophe, mais
une expression où Dieu est désigné par le démonstratif « ce » ou encore par le pronom personnel
« il ». Une forme de dépréciation du Seigneur accusé par le poète, au paroxysme du désespoir. La
ponctuation exclamative « ! » suggère à la fois une expression de l’émotion ; mais aussi une révolte
intérieure qui dicte la tonalité. L’affirmation de la condition affiche l’image d’un prophète qui se
révolte contre son maître. D’ailleurs, il affirmera clairement : « si ce Dieu n’avait pas voulu clore
l’œuvre qu’il me vit commencer (..), il n’avait qu’à me la laisser » C’est l’expression d’un poète qui
se mure dans le silence de la révolte dont le verbe est un cri contre la Divinité….

Conclusion

Somme toute, il faut dire que ce poème traduit tour à tour le deuil du poète attristé par la
mort, mais aussi offre l’image d’un père qui se révolte contre un destin fatal et tragique et contre
Dieu. Il est à noter qu’au-delà du sens, la forme traduit les relents de ce cœur meurtri par le chagrin.
Cette forme poétique rappelle à bien des égards la poésie d’Alphonse de Lamartine notamment dans
« Le lac » dans Les méditations poétiques.
76

Le commentaire composé
Définition

Le commentaire composé est un développement construit et entièrement rédigé. Il porte sur un


texte littéraire et vise à montrer comment la combinaison des procédés de stylistiques mis en œuvre
contribue à produire un effet de sens donné sur le lecteur. L’élève est aidé dans sa recherche par la
consigne qui suit le texte à commenter

I- Les étapes du commentaire composé

1-Introduction : Elle se compose de quatre parties :

a)-Amener le sujet : Il est possible, pour l’élève de se servir d’une phrase d’appel. On peut par
exemple, rattacher le texte proposé à un thème, à un courant littéraire, à un genre littéraire précis. Nous
pouvons aussi dégager un caractère bien connu de l’auteur ou de son époque que le texte confirme ou
contredit.

b)-Présenter le texte : Indiquer le nom de l’auteur, les éléments de sa vie nécessaires à la


compréhension du texte, titre de l’œuvre, la nature du texte, le situer dans l’œuvre en vous aidant du
para texte.

c)- Idée générale : il s’agit de préciser l’idée maîtresse qui traverse tout le texte.

d)-Le plan : Annoncer les parties du texte en partant de la recommandation contenue dans la consigne.
Il n’est pas nécessaire de délimiter les parties du texte étudié.

2- L’étude détaillée : Il s’agit de relever chaque élément qui est en rapport avec le thème étudié, mais
chaque élément repéré doit être commenté et son effet dégagé. On peut s’intéresser à la grammaire,
aux temps verbaux, à l’orthographe, aux pronoms, à la ponctuation, aux figures de style, etc.
Cependant, il ne s’agit pas de relever seulement les figures de style, mais les analyser et étudier les
effets qu’ils expriment. Il faut aussi justifier leurs emplois, en se posant constamment les questions
pourquoi, et quoi. Après l’étude de chaque centre d’intérêt, l’élève doit récapituler les remarques
essentielles pour créer un lien entre les parties. Ce type de commentaire ne doit pas obéir à une
démarche progressive. Il faut faire une interprétation qui met l’accent sur les centres d’intérêt.

3- La conclusion : Elle se compose de trois parties :

a)-Le résumé des remarques : Il s’agit de faire le bilan des parties développées dans le texte.

b)-Le jugement personnel : Il s’agit de produire un jugement personnel sur le texte. Cela doit porter
sur les thèmes abordés (intérêt, actualité, caractère dépassé), sur le style (émotions, souvenir,
réflexion)

c)-La comparaison : Comparer le texte ou l’auteur à d’autres œuvres ou à d’autres auteurs.

Texte n°2
77

Celui qui a tout perdu


Le soleil brillait dans ma case

Et mes femmes étaient belles et souples

Comme les palmiers sous la brise des soirs.

Mes enfants glissaient sur le grand fleuve

Aux profondeurs de mort

Et mes pirogues luttaient avec les crocodiles

La lune maternelle accompagnait nos danses

Le rythme frénétique et lourd du tam-tam,

Tam-tam de la joie, tam-tam de l’insouciance

Au milieu des feux de liberté.

Puis un jour, le silence…

Les rayons du soleil semblèrent s’éteindre

Dans ma case vide de sens.

Mes femmes écrasèrent leurs bouches rougies

Sur les lèvres minces et dures des conquérants aux yeux d’acier

Et mes enfants quittèrent leur nudité paisible

Pour l’uniforme de fer et de sang.

Votre voix s’est éteinte aussi

Les fers de l’esclavage ont déchiré mon cœur

Tam-tam de mes nuits, tam-tam de mes pères.

David Diop (1927-1960), Coups de pilon, P.A, 1956.

Introduction

Le genre poétique est, par excellence, le lieu d’expression des cris, des larmes et des joies.
Cette caractéristique du vers trouve son illustration dans la littérature négro africaine. Dans ce
poème titré « Celui qui a tout perdu » tiré du recueil Coups de pilon, publié en 1956, le poète
sénégalais David Diop traduit le désespoir et la désolation causés par la colonisation dans les foyers
vierges africains. C’est pourquoi, en deux volets, il s’agira d’analyser l’expression de la nostalgie de
la joie perdue avant de voir, ensuite par quels moyens stylistiques le poète réussit à suggérer le drame
que vit le continent.

Extrait de commentaire de la première partie :


78

Dès l’amorce, le titre annonce la voix d’une complainte, celle de couleur de la souffrance, de
l’être meurtrie par le destin. La périphrase du titre « celui qui a tout perdu » est une expression
hyperbolique qui suggère de manière authentique l’image de cette âme noire inscrit tristement dans
l’histoire. Le démonstratif « celui » traduit une singularité, celle du Noir à l’humanité niée par tant
d’années de souffrance. Le poème est bâtit sur une structure antithétique qui oppose deux états, deux
univers, deux conditions. Le souvenir laisse place à une triste réalité. Dans toute la première partie, le
souvenir rythme l’expression. La nostalgie du bonheur perdu justifie le ton pathétique de l’homme
noir plongé dans ses rêveries de l’Afrique précoloniale. L’image du « soleil » associée au verbe
« brillait » conjugué à l’imparfait, temps de la description et du souvenir, est la traduction d’une joie
perdue dans ce présent sombre. Il ne s’agit pas de ce soleil au sens caniculaire du terme, mais de cette
métaphore du bonheur, de la joie, de l’insouciance, de la liberté et de la plénitude. Un état d’ailleurs
suggéré par le champ lexical du bonheur antérieur illustré par l’utilisation de termes comme :
« case », « femmes », « enfants ». La femme met en évidence les bonheurs intimes, mais aussi la
chaleur de l’amour tandis que l’enfant renvoie à la fois à la pureté et à la liberté. Au-delà de lui, il
s’agit de cette liberté de toute l’Afrique en symbiose avec les éléments de la nature. « Mes enfant
glissaient sur le grand fleuve /aux profondeurs de mort/ et mes pirogues luttaient avec les
crocodiles. » dira t-il. Cette osmose est un vague souvenir dans l’esprit du poète d’où la tristesse
perceptible dans la tonalité exprimée. A cela s’ajoute la personnification de la lune « lune
maternelle » qui traduit l’image de l’africain en parfaite harmonie avec les éléments de la nature qui
le définissaient. Il est aussi à noter la référence au « tam-tam » qui désigne à la fois un élément
culturel, une expression du bonheur, mais aussi assure la cohésion au sein de la société. L’Afrique
dans ses structures sociale, identitaires et culturelles est ainsi évoquée.

Transition : Au-delà de cette évocation tragique de l’ère des libertés précoloniale, il y a une
certaine volonté de caricaturer d’exagérer le drame du présent de ce monde noir dévasté par le
colonialisme.

Extrait de commentaire de la deuxième partie :

Dès l’amorce de la seconde partie, est perceptible, la rupture dans la tonalité. La joie, la
lumière laissent place aux larmes, à la tristesse des ces tempes sombres. Le style narratif employé
« puis » annonce un vent nouveau qui souffle sur tout le continent. L’emploi de l’article indéfini « un »
qui détermine « jour » traduit à la fois l’incertitude, le doute dans ce nouveau monde où la symbiose,
la joie, le bonheur sont des souvenirs. Les termes comme « s’éteindre », « vide », « rougies », « fer »,
« sang » suggèrent un temps des malheurs, les temps de l’esclavage. L’allégorie du « soleil » qui
s’éteint est comme une prémonition lugubre qui annonce la dissipation du bonheur antique. L‘image
de la case « vide » traduit la dislocation de la famille. Le royaume d’enfance apparaît désormais
comme un univers où git la femme violée, mais aussi l’enfant, à l’innocence volée. « Mes femmes
écrasèrent leurs bouches rougies (…) Et mes enfants quittèrent leur nudité paisible »dira t-il.
L’adjectif « paisible » rend compte de la quiétude qui aujourd’hui est une chimère. Les rires, les tam-
tams laissent place au silence du deuil. L’Afrique offre une image funèbre d’un univers dévasté par
l’esclavage et le colonialisme. Ainsi ce poème est comme un cri de cœur, qui au-delà du simple vers
cherche à fustiger le mépris de l’homme noir, mais aussi rehausse l’image du Blanc affublé du
masque d’un bourreau à la cruauté sans limites….

Conclusion/ En somme, à travers ce poème, il apparaît une image antithétique de deux


univers que le poète évoque avec un brin de regret. Il s’agit de la nostalgie des libertés perdues, mais
aussi du drame que vit le continent noir. Le style d’écriture, par l’alternance des images offre, le
contraste frappant que vit le Noir au sein d’un même espace. Cette forme de l’écriture renouvelle cette
nostalgie de l’Eden précolonial qui apparaît tout au long de Cahier d’un retour au pays natal de
Césaire, mais aussi dans la plupart des écrits de poètes de la négritude.
79

CHAPITRE DEUXIEME

Les dissertations

La dissertation littéraire est un exercice qui en appelle à la capacité d’analyse de l’élève dans le cadre
d’une production individuelle organisée, méthodique et organisée 22. Elle est différente du compte rendu ou du
commentaire de texte. Elle demande de la part de l’élève une réflexion personnelle construite autour d’une
argumentation cohérente. Il faut donc en plus de la pertinence de l’analyse, une langue correcte, le respect des
règles de la grammaire, l’orthographe, la conjugaison…Au-delà de ces considérations formelles, il faut
élaborer une démarche cohérente constituée d’étapes et de sous étapes. Son élaboration implique un travail
préparatoire minutieux qui permet d’identifier le sujet, son domaine et son sens, avant de rechercher les
exemples et les citations qui vont dans le sens de la réflexion proposée. La dernière séquence est la rédaction,
elle vient achever toute réflexion nécessaire à la compréhension et à l’analyse adéquate d’un sujet.

I- Le travail préparatoire.
C’est la partie la plus essentielle dans le traitement du sujet de dissertation. Elle est obligatoire pour la
compréhension. Elle évite de sortie du domaine de la réflexion. Nous pouvons le scinder en deux grandes
étapes.

1- l’analyse du sujet
Généralement, un sujet de dissertation est une réflexion qui sous entend un point de vue et qui interpelle
l’élève. Les éléments de sens du sujet et de la réflexion sont glissés dans la formulation. L’élève devra à ce
niveau lire, relire relever puis chercher le sens des mots clés du sujet afin de le délimiter. Cela lui évitera de
sortir du cadre du sujet, car un sujet est affirmation dont le sens suggéré par les mots employés doit être
l’objet de la réflexion de l’élève. A ce niveau il faut soigneusement éviter la précipitation par des lectures
hâtives. Cela permettra de ne pas avoir une compréhension parcellaire ou restrictive du sujet

Au delà de la lecture d’imprégnation, l’élève doit chercher à identifier le sens ou l’opinion qui se cache
dans la pensée proposée. En effet un sujet est toujours composé du domaine et de la thèse de l’auteur ou ce
qu’il convient d’appeler l’opinion de l’auteur. Par exemple dans le sujet « Le roman est un beau mensonge »
définir l’opinion du sujet consiste à souligner qu’Aragon met l’accent sur la dimension fictive du récit
romanesque. Cette étape est importante car elle permet la compréhension du sujet

Aussi faut-il souligner qu’un sujet de réflexion porte toujours sur un domaine précis. L’identification du
domaine évite à l’élève de sortir du sujet ou de faire ce qu’il convient d’appeler communément hors sujet. Le
domaine concerné permet de délimiter le sujet ainsi que son champ afin de pouvoir l’analyser dans un devoir
pertinent et cohérent. Par exemple lorsque le sujet parle du genre romanesque, automatiquement, l’élève doit
savoir que la réflexion doit porter essentiellement sur le roman. Il est de même pour un sujet qui parle de
poésie ou encore d’un sujet qui parle de théâtre ou des autres genres littéraires. Cependant lorsque le sujet
parle généralement de la littérature ou de l’écriture, il faut parler de tous les genres littéraires en rapport avec
l’idée soulevée par le sujet.

Un des éléments les plus importants dans la formulation d’un sujet de dissertation, c’est la consigne. En
effet, l’élève doit attentivement lire la consigne, et suivre scrupuleusement l’orientation qui en découle. La
consigne permet de saisir exactement la portée du sujet ainsi que les objectifs de l’évaluation car tout sujet
proposé se fonde sur des objectifs d’évaluation précis.

Dans une suite logique, de la compréhension, une fois l’idée saisie, l’élève peut élaborer le plan en
conformité avec la consigne tout en évitant de restreindre le domaine ou d’en sortir. Le plan est dicté par la
consigne mais aussi par le type de sujet qu’on traite. Il peut comporter deux ou trois parties au besoin

22
- J. Pappe et D. Roche. La dissertation littéraire. Paris : Armand Colin.2003.
80

2-La recherche des idées

La dissertation est avant tout une argumentation, donc elle doit se construire sur des idées justifiées
par des illustrations. Si la compréhension du sujet est la première condition, dans l’évaluation d’une copie, les
idées sont capitales. En effet, elles permettent de construire l’argumentation, de raisonner d’une manière
illustrée en faisant appel à des exemples en étroite relation avec le sujet. Leur fonction première est de
justifier une opinion ou un point de vue en faisant appel à des exemples pour les illustrer.

Une fois le sujet compris, notez vos réflexions en vrac sur une grande feuille, regroupez-les et
classez-les. A ce moment-là vous verrez se dessiner un plan. N'oubliez pas que l'ensemble des connaissances
acquises non seulement sur l'œuvre au programme, mais aussi sur l'auteur, le mouvement littéraire et
l'époque. Toutes les lectures complémentaires que vous aurez faites éclaireront le sujet et enrichiront votre
devoir en ouvrant des perspectives et en suggérant des prolongements.

L’idée, en soi, est un argument ou un exemple abstrait tandis que les illustrations comme les
exemples littéraires faisant référence à des ouvrages ou les citations sont concrètes car situables dans un
corpus ou un domaine bien précis. Dans ce registre, les exemples peuvent être tirés de la littérature, des
genres littéraires, de l’actualité, d’une expérience personnelle, mais en tenant toujours compte du domaine
concerné.

L’élève, au brouillon, doit répertorier toutes les idées qui vont dans le sens du sujet, les exemples et
les citations pour se donner une matière à son argumentation. Ensuite, il devra créer ce lien qui lui permettra
d’élaborer une argumentation cohérente et bien ordonnée. L’élève doit éviter de vouloir tout mettre dans son
devoir, le travail doit être sélectif, car toutes les idées ne vont pas dans le sens du sujet et le travail est
délimité dans le temps, alors il faut choisir les idées qui expriment mieux les arguments de sa réflexion pour
éviter de sombrer dans la verbosité ou des spéculations futiles.

II- La rédaction proprement dite


La dissertation littéraire est un travail de rédaction. A partir de rien, l’élève doit construire un
ensemble fruit de son analyse et sous tendu par une certaine logique dans l’argumentation et l’agencement des
idées. Elle est structurée en des parties spécifiques et chaque partie obéit à des règles internes qui permettent
son élaboration. Il y a dans une dissertation, l’introduction, le développement, la conclusion. Des parties que
l’on va analyser progressivement.

1-L’introduction de la dissertation littéraire

C’est la porte d’entrée du devoir. Elle donne la première impression sur l’élève. Elle doit donc être
soignée et bien élaborée. Dans sa structure elle se compose de trois parties obéissant chacune à des règles
spécifiques.

A] Partir d’une phrase d’appel

L’élève peut, pour cette séquence, partir de l’histoire ou d’un contexte littéraire, d’un constat. Il peut
aussi formuler l’entrée en partant d’une citation. Dans ce cas la citation doit entretenir avec le sujet un rapport
de sens. La citation doit être expliquée et mise en rapport avec le sujet. Il est possible de formuler une entrée
en partant de définitions des mots clés du sujet ou de l’actualité si le sujet est d’ordre général. De cette partie
à la problématique, il faut créer un lien pour ne pas donner dans le devoir l’impression d’une rupture.

B] La problématique.

Elle est l’étape centrale de l’introduction. Elle pose le sujet de réflexion et permet ensuite d’élaborer
l’analyse. Elle doit être claire et précise dans son élaboration et dans sa formulation. Il faut reprendre tel quel
le sens du sujet avant de l’analyser dans le développement. Si le sujet a une certaine longueur, il faut le
reformuler en gardant le sens, cependant, si le sujet n’est pas assez long il est possible de le reprendre
textuellement mais en conservant les guillemets. De cette étape, à l’annonce du plan il faut dans une sorte de
glissement lier les parties.

C] Le plan
81

Il indique les grands axes du raisonnement, il doit être donc précis et détaillé. L’élève doit éviter les
plans évasifs et vagues. Les parties doivent être annoncées avec précision soit dans une formule interrogative
soit dans une forme affirmative. Il faut aussi éviter les plans trop morcelés. L’élève aussi doit éviter dans le
plan d’employer la première personne du singulier. Le « je » est prohibé.

Dans l’ensemble la présentation de l’introduction obéit à la même règle que le paragraphe


argumentatif. Elle doit être un bloc ou un tout lié. L’élève ne doit aller à la ligne, qu’une fois son élaboration
terminée. Il faut éviter les retours abusifs à la ligne. Il faut savoir que selon les types de sujet, il existe
plusieurs types de plan.

C] 1- Les types de plans

Il existe trois types de plan en dissertation littéraire

a). Le plan descriptif

Ce plan est recommandé pour traiter les sujets reposant sur une citation longue. Il suffit d'organiser
le devoir en fonction des idées principales de la citation en suivant le même ordre que l'auteur.

b). Le plan « dialectique

Le plan dialectique en tant que tel comporte trois parties : thèse, antithèse et synthèse (facultatif).
Mais il est ambitieux et difficile. Deux parties suffiront dans la plupart des cas soit pour confronter la thèse
soutenue avec la thèse opposée soit pour examiner le bien-fondé de l'opinion de l'auteur, puis émettre des
réserves, plus ou moins importantes et pour esquisser une synthèse dans la conclusion

c). Le plan analytique

Il permet d'aller du complexe au simple et répond à deux types de questions : la définition d'une notion
(exemple: Qu'est-ce que le roman ?) ou une demande d'explication (exemple: Pourquoi les contes de le genre
romanesque n’est t-il pas fiable ?). Dans le premier cas les idées seront présentées selon un ordre progressif ;
dans le second cas, c’est une démarche logique qui s'impose : on partira d'un constat pour remonter aux
causes et, éventuellement, examiner les conséquences

2- Le développement
C’est le corps du devoir, il doit correspondre au plan annoncé dans l’introduction. Il se compose
généralement de deux ou trois parties. Il est structuré en des axes majeurs obéissant à une idée générale ou à
un thème spécifique à la partie. Chaque partie doit être introduite par un chapeau qui est la synthèse de l’idée
directrice de la partie. Une idée développée par des paragraphes liés par des connecteurs logiques qui
permettent de donner à la partie une certaine cohérence. Chaque paragraphe est une unité autonome
perceptible dans la présentation de la copie. Les paragraphes doivent être séparés par des alinéas. Dans
l’organisation des idées, il faut choisir les bonnes idées et les ordonner par ordre de pertinence. C'est-à-dire il
faut dans l’agencement des idées partir de l’idée la moins importante à l’idée la plus importante. Il faut aussi à
ce niveau éviter les répétitions et les argumentations arrêtées ou figées. Le développement doit être
progressif. A la fin de chaque partie, il faut élaborer une conclusion partielle. Elle permet de résumer l’idée
essentielle de la partie. Après cette partie, il faut élaborer une transition qui rappelle ce qu’on a déjà fait avant
d’annoncer ce qui nous reste à faire. Cette transition doit être synthétique et concise. Tout comme la première
partie, les autres parties doivent obéir aux mêmes règles de fonctionnement interne. Elles doivent être
agencées selon le même ordre. Et à la fin de chaque partie il faut une liaison pour aller à un autre paragraphe
et à la fin de la partie, il faut faire une conclusion partielle.

3- La conclusion
La conclusion apporte au devoir la dernière touche personnelle. Elle permet aussi de prendre Congé du
lecteur : de ce fait elle demande évidemment à être soignée pour lui laisser une Impression favorable. C’est la
dernière étape du devoir elle se compose de trois parties. Chaque étape obéit à des règles d’élaboration. Elle
constitue un paragraphe donc doit être un seul bloc il ne faut pas aller à la ligne au terme des étapes qui la
constitue. Nous avons le bilan, l’opinion personnelle et l’ouverture à d’autres perspectives.

A] Le bilan : On dresse à ce niveau le bilan de notre argumentation en rappelant les idées développées
dans chaque partie. C’est donc la synthèse du développement ou la somme des conclusions partielles. Elle
doit être fidèle aux parties du développement
82

B] L’opinion personnelle : A ce niveau l’élève doit exprimer son opinion personnelle, sa position ou
son jugement sur le sujet en évitant de parler à la première personne du singulier « je ». C’est la réponse
personnelle à la problématique énoncée par le sujet et posée dès l’introduction.

C] L’ouverture : C’est l’ouverture à d’autres perspectives. A ce niveau l’élève doit soulever un aspect
non qui n’est pris en compte par le sujet. Si elle est bien élaborée, elle doit aboutir à une nouvelle réflexion

4.2- Le paragraphe argumentatif

Le paragraphe est la plus petite unité de la dissertation française. Il est l’élément de base de toute
réflexion sur un sujet donné. Il doit donc être bien structuré. Remarquable par l’alinéa qui en marque le début,
il est essentiellement composé de trois parties. Dans le paragraphe il y a une idée, un argument et une
illustration23. Le début du paragraphe est marqué par une idée énoncée. Cette idée doit être expliquée. Il faut
noter qu’il ne doit y avoir qu’une seule idée, car un paragraphe égale une idée et une idée égale un seul
paragraphe. Cette idée constitue l’élément essentiel du paragraphe qu’il faut illustrer par les autres éléments
composants du paragraphe. En clair, l’idée est le noyau du paragraphe, alors elle doit être clairement énoncée.

L’idée est argumentée par des idées qui viennent se rapporter à l’idée directrice du paragraphe qu’il doit
justifier. Il est possible pour illustrer une idée d’invoquer plusieurs arguments qui viennent se rapporter à
l’idée du paragraphe. A cela s’ajoute les illustrations qui constituent des arguments concrets. Il est possible
d’illustrer par des citations. Dans ce cas, la citation évoquée doit être expliquée et mise en rapport avec l’idée
générale de la partie. A ce niveau l’élève ne doit pas aussi abuser des citations et mettre l’accent sur les
arguments. L’élève peut aussi illustrer par des exemples littéraires tirés d’ouvrages ou par des exemples tirés
de la vie ou de l’actualité. Cependant, les exemples invoqués doivent être expliqués et liés à l’idée directrice
du paragraphe. Toutes ces composantes du paragraphe doivent être liées. On ne doit pas sentir une rupture
entre les séquences car le paragraphe doit être un tout lié. Les liens permettent de créer une certaine
cohérence et une certaine logique dans l’agencement des idées. Chaque paragraphe doit aussi être rattaché
aux autres paragraphes par des connecteurs logiques pour éviter au devoir l’impression d’une rupture.

23
- Blackburn, P. Logique de l’argumentation. Ottawa : renouveau pédagogique. 1989.
83

Quelques dissertations dirigées


Sujet n° 1 :
Selon un critique littéraire : « Le vers n’est ni une larme, ni un chant, mais un cri de guerre »
Expliquez et discutez cette définition de la nature et de la vocation de la poésie.

Compréhension du sujet :

Domaine : Le sujet porte sur la poésie. Le mot « vers » renvoie au genre. Alors l’élève n’a pas le droit
de parler, dans son traitement, des autres genres littéraires.

L’idée ou la thèse du sujet : Le sens du sujet est contenu dans les termes comme :

-Larmes, suggère la tristesse, le deuil, la souffrance, le malheur, la tragédie, en somme le sentiment.

-Chant renvoie au rythme, au son, à l’exaltation, à l’apologie, aux louanges, à la musicalité

-Cri : complainte, révolte, contestation…

-Guerre : combat, lutte, révolution…..

Reformulation : l’élève peut reprendre tel quel le sujet en conservant les guillemets ; ou bien, il peut
reformuler en conservant le sens :

-La poésie au lieu d’être un lyrisme débordant est une arme.

-Le vers est un outil de liberté.

Orientation : dans le traitement, l’élève peut, par exemple, montrer en deux parties :

- En quoi la poésie est un moyen de lutte.


- Le vers permet l’exaltation des sentiments et de la force expressive du verbe.

Introduction
Les vocations de la poésie alimentent les débats les plus contradictoires. D’un penseur à un
autre, les postures s’opposent. Ainsi, si la poésie s’identifie au sentiment, elle est aussi conçue par la
plupart des théoriciens du genre comme un verbe contestataire. Sans doute, dans cette dernière
analyse s’inscrit ce critique littéraire qui affirme : « Le vers n’est ni une larme, ni un chant, mais un
cri de guerre.» Ainsi, il s’agira de montrer d’abord, avec l’auteur en quoi l’art poétique est avant
tout un moyen au service des causes sociales et politiques. Ensuite, nous verrons, au contraire que la
poésie est la traduction d’une vie intérieure ou l’expression d’une esthétique.

Thèse : La poésie au service des causes sociales

Chapeau : Dans la création, le poète imprime à son œuvre une tonalité contestataire qui fait de son
verbe un cri de guerre. Chanter c’est donc se trahir en tant que poète car le dessein de toute poésie est
de servir…

1 Paragraphe de la première partie :

Le poète, par sa plume, est un penseur qui met son génie au service des causes nobles.
L’inspiration est à la fois l’expression d’un génie, mais aussi d’un altruisme débordant car le poète
est porteur des luttes et des défis de son temps. Avec le mouvement de la Négritude, il s’affirme
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l’image d’une poésie qui, plus qu’un genre littéraire se mue en outil de combat. Dans Coups de pilon,
David Diop, dénonce les malheurs du colonialisme. Cette écriture de la révolte se traduit par
l’expression des malheurs de l’homme noir, mais aussi fustige le système organisé et déshumanisant
du Blanc. Cette démarche de création renouvelle la vision sartrienne de la poésie lorsqu’il dit : « La
maitrise du langage implique l’engagement » En d’autres termes, l’engagement est une obligation
littéraire et un impératif souvent lorsque, pour le poète, ses pairs sont dominés.

Transition : S’il est vrai que la poésie se révèle un art de la révolte et de la contestation, il
faut voir en l’art poétique une expression individuelle et un art esthétique.

Antithèse : La poésie, un art lyrique et esthétique

Chapeau : La poésie est d’abord une expression artistique. Le génie puise dans les abimes de
son moi ses relents internes pour élaborer une œuvre artistique.

1 Paragraphe de la deuxième partie :

Le poète, dans ses vers, est incapable d’échapper au déterminisme de son moi personnel.
C’est précisément, l’auteur qui transparaît dans ses recueils. L’expression neutre est une vaine
abstraction car le vers est toujours l’expression d’une tonalité, d’un lyrisme et d’une vie intérieure.
Cela tient au fait que l’espace de la poésie est le lieu de traduction des troubles, des doutes ou des
drames personnels. Ovide, poète romain, sous le règne de César Auguste, illustre parfaitement cette
réalité de la poésie. En effet, exilé de Tomes à Rome, terre barbare, le poète nostalgique, pleur son
drame personnel dans son recueil Les tristes. Il affirme même comme dans une confession ce lien
étroit entre l’œuvre et son auteur : « Va mon livre ! Va voir dans la foule s’ils ne m’ont pas oublié,
dis leur que je vis ! » En clair, même le poète ne peut échapper à son lyrisme dans l’entreprise de la
création.

Conclusion
En somme, s’il faut dire que la poésie est un verbe révolutionnaire, il faut aussi admettre que
le poète est à la fois un esthète et un être au lyrisme expressif. Disons seulement que le mérité de toute
poésie est de servir aux autres. Cependant, dans ce monde où l’homme ne lit plus à quoi sert le vers ?

Sujet N° 2
Jean Paul Sartre déclare dans Qu’est ce que la littérature ? « J’écris par et pour autrui… »
Commentez et discutez cette appréciation du rôle de la littérature.

Compréhension

Domaine du sujet : « j’écris », le verbe d’action identifie l’écriture, le livre, etc. l’élève à la
possibilité de parler de tous les genres littéraires.

Idée du sujet : « j’écris » renvoie à la vocation de l’écriture, au rôle, aux motivations de l’écrivain,
etc. il y a aussi les mots comme :

-« Par » : source d’inspiration, origines, genèse, la matière à création, etc.


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-« pour » : but, objet, dessein, rôles,

-« autrui » : société, autres, pairs, prochain, …

Problématique ou reformulation : il est possible de comprendre le sujet en disant :

-L’œuvre littéraire vient de la société pour lui servir.

-L’écrivain prend en charge les problèmes de son prochain

-La société inspire l’écrivain par ses problèmes.

Orientations ou plan du sujet : Il est possible de traiter le sujet en montrant, par exemple :

- L’écriture est une entreprise altruiste.


- La plume est par excellence égoïste.

Introduction
Si l’on s’en tient à Aimé Césaire qui proclame, « Si je ne sais que parler c’est pour vous
que je parlerai… », L’écriture est une démarche envers son prochain. Un tel aspect de la littérature
explique, sans doute l’idée de Sartre qui déclare : « J’écris par et pour autrui… ». Ainsi, il s’agira
de voir, en deux volets, en quoi l’écriture est-elle un lien entre l’homme et sa société. Ensuite, nous
montrerons, ensuite, que le penseur, dans ses textes ne fait que se raconter…

Thèse : L’écriture altruiste et engagée.

Chapeau : L’œuvre littéraire est un moyen par lequel, l’homme reprend et traduit les peines et les
luttes de ses pairs. Créer c’est ainsi servir aux autres.

1 paragraphe de la première partie :

La société, est pour l’écrivain une matière inépuisable pour son inspiration. Il écoute les
larmes, les cris, les joies de sa société pour les retraduire grâce à la magie de la création. Ainsi, le
génie est un être omniprésent qui viole l’intimité des foyers pour tout dévoiler. Victor Hugo, dans Les
contemplations élabore une véritable œuvre altruiste dans laquelle la plume se met au service de ceux
qui souffrent dans la société.les larmes, les malheurs, les cris du poète traduisent les soupirs du
lecteur emmuré dans le silence de l’impuissance. C’est pourquoi, il invite ses lecteurs à se retrouver
dans ses écrits. « Prenez donc ce miroir, et regardez vous y ! » dira t-il. Ainsi, le poète quand il écrit
invite son lecteur à se lire.

Transition :

Si parfois, par principe, l’écrivain est motivé par son prochain, il n’est pas moins vrai que la
création c’est d’abord une expression personnelle.

1 paragraphe de la deuxième partie :

L’ouvrage de l’auteur est souvent l’expression d’une vision personnelle du monde ou une
représentation de sa vie à travers le livre. Une telle démarche de création fait du roman, par exemple,
ou l’écrivain en général, un être solitaire, égoïste, qui par son œuvre, réalise un dialogue avec soi.
Jean Jacques Rousseau, dans Les confessions réalise un véritable traité de l’écriture individualiste à
travers un texte où l’auteur est à la fois narrateur et sujet : « Je forme une entreprise qui n’eut
jamais d’exemple et dont l’exécution n’aura point d’imitateur. Je veux montrer à mes semblables
un homme dans toute la vérité de la nature et cet homme ce sera moi. » Il faut dire donc que le génie
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est toujours un être solitaire qui n’écrit que pour lui. La plume est avant tout un moyen d’expression
propre établissant comme une barrière entre l’homme et son monde.

Conclusion
Somme toute, il faut dire que l’écriture est, à la fois, un dialogue avec les autres et une
marche intimiste vers soi. Seulement, il est aussi à noter que si l’écrivain doit servir, son œuvre doit
refléter les problèmes de leurs semblables. Toutefois, face aux médias et moyens de communications
modernes, les genres littéraires ne paraissent-ils pas obsolètes ?
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Sujet n°3
Dans Le discours de Suède Albert Camus déclare : « L’art vit de contraintes et meurt de
liberté. » Expliquez et discutez cette affirmation.

Compréhension :

Domaine : L’art a un sens large. Donc le sujet porte sur toutes les formes d’expression artistique.
(Cinéma, peinture, danse, sculpture, musique, etc.)

Idée du sujet ou thèse de l’auteur : Les sens du sujet est contenu dans les termes suivants :

-« L’art »: création, génie, inspiration, l’œuvre d’art

- « Vit » : nait de, être issu de, est entretenu par, etc.

- « Contraintes » : difficultés, conjoncture, privations, oppressions, peines, injustices, etc.

-« meurt » : disparait, s’estomper, perd de sens, etc.

-« liberté » : absence de contrainte, être affranchi, libération, etc.

Reformulation ou problématique : il est possible de voir à traves cette affirmation :

- Le génie se justifie par la conjoncture.


- L’art nait de l’oppression.
- La liberté tue l’art.
- C’est la difficulté qui inspire.
- Créer c’est lutter contre l’injustice.

Orientation ou plan possible du développement : Il est possible de traiter le sujet en montrant par
exemple :

- L’art un moyen de lutte


- L’art, un art.

Introduction
Au sujet de l’art, il y a une multitude d’approches et d’analyses. Si certains, mettent l’accent
sur l’aspect esthétique, d’autres voient, en la création un outil contre l’injustice. C’est sans doute dans
cette dernière analyse qu’il faudrait inscrire la posture de Camus qui déclare : « L’art vit de
contraintes et meurt de liberté. » Pour aborder une telle affirmation, nous allons montrer comment
l’art permet ‘il la libération. Ensuite, dans une dernière analyse, il sera question de voir si l’art n’est
pas avant tout de l’art.

Thèse : L’art un moyen de l’libération.

Chapeau : L’inspiration, pour l’artiste, est un acte réactionnaire face à la conjoncture et aux défis de
son temps.

1 paragraphe de la première partie :

Entre l’ouvrage et les réalités de son temps, il y a comme un lien inaliénable. La société
fournit la matière à la création tandis que l’auteur insuffle le ton. Ainsi, il imprime son œuvre des
lutes, des combats et des défis d’une époque et d’un temps. La conjoncture, le contexte donnent
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naissances, dès lors à la production. C’est le cas, par exemple de la musique reggae que l’on désigne
comme un art révolutionnaire et politique. Face aux grands problèmes du siècle, l’artiste, par sa voix,
revendique et lutte pour la liberté de ses pairs. Avec le musicien ivoirien Alpha Blondy, on assiste à
un art engagé. En effet, dans son titre intitulé SOS, il appelle ses frères artiste à se battre et à
dénoncer lorsque les enjeux de leur époque les interpellent. Il dira : « Le complot du silence
persévère, la langue de bois exaspère, ce triste constat me désespère… » En d’autres termes, dans
l’oppression, le silence est une trahison vis-à-vis de son époque.

Transition :

Même s’il faut voir en tout art une lutte contre une situation injuste, il ne faut pas nier cependant que
l’art doit avant tout être de l’art.

Antithèse : Art comme art.

Chapeau : L’art n’est ni politique, ni morale, il doit avant tout rester un œuvre artistique.

1 paragraphe pour la deuxième partie :

Créer est un acte gratuit. C’est une activité qui demeure artistique tant qu’il garde son
caractère désintéressé. C’est donc trahir sa nature première lorsque l’œuvre cherche à jouer un rôle
dans la société par rapport aux grandes questions de son temps. Cette perception artistique est
défendue par les auteurs parnasses du 19ème siècle. Les thèmes, les questions politiques sont du ressort
des autres formes d’approches du réel, selon ces auteurs. Le devoir du créateur c’est de rester un
esthète et un puriste. Il doit privilégier le beau au détriment du contenu intelligible. Ainsi, il se
dénature dès l’instant qu’il réalise un œuvre utile. D’ailleurs, leur crédo « l’art pour l’art », est une
invitation à un culte de la forme et de l’esthétique.

Conclusion
Somme toute, si l’art est par principe un outil de liberté, il faut aussi reconnaitre que l’art doit
avant tout demeurer une production de l’esthétique. L’on peut, cependant, affirmer que la valeur
d’une œuvre réside dans sa capacité à susciter un plaisir visuel. Toutefois, la question que l’on doit se
poser à son sujet, c’est dans un monde qui souffre à quoi sert de créer ?
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Sujet n°4
Un auteur contemporain disait : « Le théâtre ne sert à rien car à la fin, le lecteur ne retient
que le rire. » Expliquez et discutez ce jugement.

Compréhension du sujet :

Domaine du sujet : Le sujet porte sur le théâtre. L’élève peut parler de comédie, de tragédie, de
drame, etc. il n’ pas cependant le droit d’évoquer les autres genres littéraires.

Idée du sujet : les termes comme « théâtre », « rire » portent le sens du sujet :

-« Théâtre » : imitation, représentation,

- « Rire » : Le terme renvoie à l’expression de la joie, du plaisir. Cela renvoie au ludique, au loisir,
etc.

Reformulation ou problématique : L’élève peut reformuler le sujet en disant :

-Le théâtre ne sert qu’à faire rire.

-Le rire c’est la seule chose qui reste à la fin de la pièce.

-Le théâtre ne sert qu’à distraire.

Plan ou Orientation du sujet : Il est possible d’aborder l’idée selon deux axes :

-Le théâtre comme genre de la distraction

-Le dramaturge a plusieurs vocations dans la société.

Introduction
Le théâtre est un art de la représentation. Sa particularité est sa capacité à captiver en alliant
le rire et l’engagement. Souvent, c’est la distraction qui motive le créateur notamment dans la
comédie. Un tel état de fait explique sans doute l’affirmation qui suppose que le théâtre ne sert qu’à
distraire. Réfléchir sur un tel regard suppose d’abord montrer en quoi la dramaturgie est un culte du
rire. Il s’agit ensuite de voir si le théâtre n’est pas avant tout un genre utile aux hommes

Thèse : Le théâtre comme culte du rire.

Chapeau : Si la dramaturgie a plusieurs vocations, les analyses les plus partagées semblent assimiler
d’abord le théâtre à la distraction.

1 paragraphe de la première partie :

Le théâtre est un genre dont le principal rôle est de susciter le rire. Le sens, les thèmes, sont
moins importants que sa capacité à distraire. La création est donc motivée par un souci de réconforter
le lecteur, de l’inviter à s’évader l’instant de la représentation ou de la lecture. Cet aspect de la
dramaturgie est le propre de la comédie. Molière, dans sa pièce intitulée Les fourberies du Scapin
traduit le ridicule de la gérontocratie en raillant les propensions au pédantisme pour exalter la ruse
de Scapin. Cette façon d’écrire est une rupture d’avec le sérieux de la tragédie comme le défend bien
Molière lorsqu’il déclare : « Je me demande bien si la première des règles n’est telle pas de
plaire ? » En clair, le théâtre est considéré comme abouti si à la fin le lecteur y trouve un espace
d’évasion.
90

Transition : En dépit de son caractère distractif, il faut aussi reconnaitre que le genre théâtral à
des vocations plurielles dans la société.

Antithèse : Les différents rôles du théâtre dans la société.

1 paragraphe de la deuxième partie :

Le regard du dramaturge est souvent une vision inquisitrice qui investit l’espace social pour
recenser les maladies qui le gangrène pour les dénoncer et pousser les hommes vers le progrès. Au
20ème siècle la dramaturgie apparait comme un genre qui met en texte les alaises de la civilisation des
années folles. L’art théâtral est à la fois un art du ludique ; mais aussi un diagnostique constructif de
la société et des mœurs. Dans Les mains sales, Jean Paul Sartre élabore un plaidoyer magistral en
faveur de la révolte contre toute forme d’injustice. Cette pièce met en évidence le drame de la
condition humaine à travers une tonalité révoltée. D’ailleurs, le penseur existentialiste affirme : « Il
faut plonger ses mains jusqu’aux coudes dans la merde et dans le sang. » Cette invitation traduit une
vocation du théâtre qui va au-delà de la distraction.

Conclusion
Au total, il faut remarquer que le théâtre est un genre à la fois utile et distractif. Toutefois, il
faut dire que le but du dramaturge est d’enseigner, même s’il comporte une certaine part de
distraction. La vraie question qu’il faut se poser c’est peut-être dans un univers qui a faim et qui a
soif, à quoi peut bien servir une pièce de théâtre ?
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CHAPITRE TROISIEME
Le résumé suivi de discussion
Définition : Résumer un texte c’est le condenser en employant un vocabulaire plus ou moins
personnel. Cette contraction doit retraduire l’essentiel du texte proposé. Pour cela, l’élève doit
chercher à comprendre le texte ensuite rédiger le résumé proprement dit.

I- Le travail préliminaire

Ce travail consiste à une lecture active du texte qui doit mener à sa compréhension globale. C’est
une démarche qui consiste à d’abord faire un travail de compréhension.

1-Idées générales : Il importe de déterminer les thèmes du texte qui sont des orientations intérieures à
la thèse générale défendue ou elle rejetée. Ces idées constituent les idées principales.

2-Les mots clés : ce sont les mots ou expressions les plus importantes qui sont porteurs des idées.

3-Les connecteurs logiques : Ils assurent les articulations logiques qui soulignent les liens qui
unissent les idées opposées, causes, conséquences, déductions, additions. Il faut les encadrer dans le
texte.

4-Le plan : Il s’agit de dégager la structure logique du texte.

II- La rédaction proprement dite : Elle repose sur trois principes

1-La réduction : Il est possible de proposer de résumer un texte au 1/3, au ¼, au1/5, de sa longueur
initiale. Une marge de plus ou moins 10% est généralement tolérée.

Remarque : on appelle mot tout ensemble de lettre ayant un sens et n’étant séparé ni par un tiret ni par
un espace, ni par un apostrophe. Exemple : c’est-à-dire (4 mots)

2-La sélection : Il s’agit d’éliminer les répétitions d’idées, les exemples illustratifs, et non les
exemples argumentatifs, les exclamations, les interjections.

3-La fidélité : Le résumé doit être objectif, c’est-à-dire l’élève ne doit émettre aucun avis personnel.
Ainsi, nous ne devons jamais utiliser des formules comme « l’auteur montre…. l’auteur dit…. etc. »

En revanche, l’élève doit reprendre le système pronominal (les pronoms, comme, je, tu, il, etc.) et
verbal. Enfin, l’élève doit veiller à la correction de la langue et éviter de faire un montage de citations.
L’élève doit conserver les vocabulaires de base ainsi que les mots savants et techniques. Les phrases
doivent être reliées par des connecteurs logiques : Par exemples :

- Opposition : « mais, cependant, par contre, en revanche, néanmoins, seulement, toutefois,


quoique, etc. »
- Le classement : « d’abord, ensuite, enfin, premièrement, etc. »
- L’addition : « en outre, en plus, puis, ensuite, etc.
- La conséquence : « par conséquent, en somme, au total, somme toute, tout compte fait,
ainsi, alors, dès lors, d’où, etc. »

La discussion : c’est une petite dissertation qui aux mêmes règles que la dissertation mais dont la
thèse est déjà proposée par l’orientation du texte……
92

Applications sur le résumé

Texte n° 1

Les dynamiques sociales

Aujourd’hui, le débat sur la place des minorités noires et de toutes les minorités visibles en
France bat son plein. Les uns et les autres, nous participons à ce débat. Les uns et les autres, nous
utilisons les moyens qui sont les nôtres. Nous sommes bien loin d’une quelconque unanimité. Il y a les
descendants d’esclaves. Il y a les descendants de colonisés. Il y a les descendants de négriers
occidentaux et orientaux et de colons occidentaux. Il y a les métis, les quarterons, les octavions, qui ne
sont pas noirs mais sont pris et finissent par se prendre pour des Noirs.
Il y a ceux qui sont des mosaïques de tout - peau- rouge, peau noire, peau jaune, visage pâle -,
ceux-là dont la composition n’a pas encore trouvé place dans les dictionnaires. Il y a de ces Noirs qui
ne sont ni descendants d’esclaves, ni descendants de colonisés, mais revendiquent comme une gloire,
un honneur immense d’être l’un et l’autre parce qu’ils sont noirs et que tous les hommes noirs auraient
la même histoire, la même culture, le même destin. Tout ce monde anime un débat qui va dans tous les
sens, sur tous les tons et parfois dans une cacophonie indigeste, où des positions éminemment
pertinentes côtoient des délires purement psychédéliques. Il n’est donc pas exceptionnel d’entendre
une personne d’origine camerounaise proclamer qu’il est descendant d’esclave et un antillais se
baptiser africain. Je parle bien de baptême car généralement tout cela s’arrête à un ostentatoire
changement de nom… de plume et à la psalmodie d’un crédo afro centriste incantatoire, le vécu réel
restant bien évidemment occidental, même s’il se revêt de tenues dites africaines parce qu’appartenant
à une supposé mode vestimentaire dogon ; même si le tissu vient en droite ligne d’une manufacture
batave et d’une factorerie chinoise.
Même si le col Mao, symbole vestimentaire de l’authenticité de Mobutu, est emprunté à Pékin.
Les uns concentrent leurs demandes sur un objet unique : davantage de représentativité des Noirs à la
télévision. Si c’était l’indispensable sésame pour accéder à plus de respectabilité, cela se saurait. Le
rapport des Asiatiques avec ces deux facteurs - représentativité cathodique et respectabilité sociale –
nous permet d’en douter. Certes, les choses sont plus complexes. Certes, on nous l’a toujours dit, ce
n’est pas pareil. Nous y reviendrons souvent. D’autres enfourchent le cheval économique. Cette
revendication est certainement plus objective, plus légitime. Elle va plus loin que la simple
symbolique télévisuelle, pour réclamer le même anonymat positif pour tous les habitants de ce pays,
cet anonymat qui permettra la fin des discriminations en tous genres.
Gaston kelman Je suis noir et n’aime pas le manioc.
Vous résumerez ce texte en 100mots (tolérance 10%plus ou moins)

DISCUSSION
« Il y a de ces Noirs qui ne sont ni descendants d’esclaves, ni descendants de colonisés, mais
revendiquent comme une gloire, un honneur immense d’être l’un et l’autre parce qu’ils sont noirs et
que tous les hommes noirs auraient la même histoire, la même culture, le même destin »
Expliquez et discutez

Impressions générales : il est important pour résumer ce texte, pour l’élève de suivre la consigne car
il lui est demandé de le résumer en 100 mots avec une marge de 10% c’est-à-dire, soit 110, soit 90
mots.

Résumé (proposition)

Nous alimentons tous les débats sur le faciès en France. L’identification à la « blackitude »
est un reflexe chez toutes les minorités. Le mot race est éclaté. Il n y a pas qu’une seule race noire.
C’est la cacophonie autour de la couleur. Quelle réalité étrange lorsqu’un Camerounais se dit
93

descendant d’esclave tout comme le fils d’ancien esclave réclamer une africanité.la race est ainsi
ostentatoire. Plus que la réalité, le symbole prime. L’appel à l’émancipation dicte les conduites quand
la quête de la représentativité visible cherche à effacer toutes les différences.
Résumé en 100 mots

Texte N° 2
Bien des gens ne lisent que pour éloigner l’ennui, comme ils écoutent la radio, regardent la «
télé », les images, ou feuillettent les journaux. L’imprimé pullule, et on pourrait dire après tout, que les
gens n’ont jamais tant lu. Mais il y a lire et lire. La vraie lecture commence quand on ne lit plus
seulement pour se distraire et se fuir, mais pour se trouver. Il y a un jour où tout inconsciemment on
passe de l’un à l’autre. Ce peut n’être pas volontaire, mais l’effet du plaisir même, d’une sorte
d’envoûtement dont un livre, qu’on tient dans ses mains et qu’on ne peut plus quitter est la cause. Ce
n’est pas non plus encore lire que de lire pour apprendre, pour savoir, pour s’informer, et pour des
raisons professionnelles. Joubert* disait que « notre sort est d’admirer et non pas de savoir ».

La vraie lecture est la chose la plus intime et la plus désintéressée, encore qu’il ne s’y agisse
que de nous-mêmes. C’est un temps qu’on se donne pour ne plus vivre par influence, par contagion,
mais pour reconnaître, choisir son propre chemin et devenir soi-même. Un livre est un outil de liberté.
C’est un objet devant soi, quelque chose sur quoi on peut réfléchir, à quoi on peut revenir, qu’on peut
corriger contredire, discuter, quelque chose qu’on juge. Les images, les sons passent aussi vite que les
moments successifs de la vie. Un écrit, un livre reste. Il faut devant lui dire oui ou non. Un livre est
une conversation et tout ensemble cependant un exercice de solitude. Je veux ici écarter l’anecdote
toute personnelle, mais je repense souvent à ces nuits de mon adolescence, durant lesquelles je me
battais avec le destin et découvrais dans les livres ce que pouvait être une vie libre par opposition à
celle que je subissais. Lit-on un grand roman? On s’identifie à son héros. On y vit par procuration. Et
cela devient plus conscient, et vient le moment où on ne lit plus pour aucun intérêt, pour aucun profit,
rien que « admirer », en toute gratuité dans une joie indéfinissable, au-delà de soi-même. Mais un vrai
livre est devenu la chose la plus précieuse. Un homme vous parle et il vous semble qu’il dise
précisément ce que vous attendiez, ce que vous vouliez dire mais n’auriez jamais su dire. C’est tout
simple et merveilleusement étrange.

Ces mots, qui sont aussi vos mots, comme par l’effet d’un charme, sont doués soudain d’un
nouveau pouvoir et vous êtes curieusement débarrassé de vous-même et devenu un autre, plus fin, plus
délicat, plus profond que vous-même. Vous êtes dans le monde où vous aimeriez vivre, mais vous
n’aviez jamais imaginé qu’il pût être si beau.

Jean GUEHENNO, Carnets du vieil écrivain, Editions Grasset, 1971.

* Joubert : moraliste français (1754-1824).

Vous résumerez ce texte de 454 mots au quart de sa longueur (avec une tolérance de plus ou moins
10%).

DISCUSSION : Pensez-vous, comme Jean Guéhenno, que « la vraie lecture commence quand on ne
lit plus seulement pour se distraire et se fuir, mais pour se trouver » ?
Impressions générales : le texte ne présente pas, à la différence de compréhension, le sujet est clair et
l’expression accessible. Dans la consigne, il est demandé à l’élève de résumer le texte en 113 ou 114
mots avec une tolérance de 10% plus ou moins.

Proposition de résumé :

L’instant de la lecture est pour les hommes un moment d’évasion. C’est différent de la vraie
lecture, car lire c’est aller vers soi-même. Il ne s’agit pas de cette lecture instructive, mais celle qui
94

consiste à se lire. Le livre véritable est celui qui nous fait visiter les voix intimes de notre moi. Le texte
est une réalité figée sur laquelle on peut appliquer notre réflexion. Tout le contraire de l’image qui
défile rapidement. Par la lecture, on embrasse un personnage qui est, à la fois lui et nous-mêmes, qui
traduit nos soupirs à notre place. Lire est un exercice fascinant et étrange. La lecture vous transporte
dans le monde de vos rêves.
Résumé en 121 mots
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CINQUIEME PARTIE
Exercices d’application
96

Sujet 1 : « Faire œuvre d’art, c’est non seulement percer… les apparences pour accéder à la vie du
réel…, mais aussi, mais surtout… transformer notre vision du monde, donc transformer le monde ».
Commentez et au besoin discutez cette affirmation de Léopold Sédar Senghor.

Sujet 2 : Dans son texte Dieu et Mammon, François MAURIAC affirme : « Ecrire, c’est se livrer (…),
c’est précisément l’écrivain lui-même que les lecteurs cherchent dans son œuvre.»
Vous apprécierez ces propos en fondant votre argumentation sur des exemples tirés de vos lectures.

Sujet 3 : En vous appuyant sur les œuvres étudiées, commentez cette pensée d’un écrivain
contemporain : « Le poète doit être un professeur d’espérance ».

Sujet 4 : « Chaque auteur puise dans sa propre vie la matière de ses œuvres. Fussent-elles le produit de
son imagination. » Quelles réflexions vous suggère cette affirmation

Sujet 5 :
Dans les Mémoires d’outre-tombe dont la publication a commencé en février1848,
Chateaubriand exprimait cette inquiétude : « Quelle sera la société nouvelle ? Vraisemblablement,
l’espèce humaine s’agrandira ; mais il est à craindre que l’homme ne diminue, que quelques facultés
éminentes du génie ne se perdent, que l’imagination, la poésie, les arts, ne meurent dans les trous
d’une société ruche où chaque individu ne sera plus qu’une abeille, une roue dans une machine, un
atome dans la matière organisée ». Dans quelle mesure la civilisation de masse actuelle permet-elle de
vérifier cette prédiction ? Justifiez vos craintes ou vos espoirs pour l’avenir sous la forme d’un
développement argumenté.

Sujet 6 : Zola écrit : « J’aurais voulu aplatir le monde d’un coup de ma plume, en forgeant des fictions
utiles. » Pensez-vous que la littérature ait le pouvoir d’intervenir sur le monde et sur les consciences
pour les transformer ?

Sujet 7 : « Le moi est une prison d’où le créateur ne peut s’échapper, tout mot de sa part est la mise en
texte d’un sentiment, d’une vision du monde. »
Expliquez cette analyse du rapport du penseur à la vérité.

Sujet 8 : Doit-on créer et peut on créer dans ce monde ? Que pensez-vous de cette interrogation ?

Sujet 9 : « La vie est un roman, elle n’a pas besoin d’être vraie » Expliquez et discutez cette analyse
au sujet du roman de Diderot.

Sujet 10 :« Garde-toi de t’approcher du vers, c’est cette puissance maléfique et obscure du génie ! »
Que pensez-vous de ce jugement ?

Sujet 11 : Un penseur contemporain, disait « Une plume dès l’instant qu’elle parle aux hommes de
sont temps se trahit »
Expliquez et discutez cette affirmation.

Sujet n°12

Justement l’enfant, comme mordu à l’estomac, se pliait de nouveau, avec un gémissement grêle. Il
resta creusé ainsi pendant de longues secondes, secoué de frissons et de tremblements convulsifs,
comme si sa frêle carcasse pliait sous le vent furieux de la peste et craquait sous les souffles répétés de
la fièvre. La bourrasque passée, il se détendit un peu, la fièvre sembla se retirer et l’abandonner,
haletant, sur une grève humide et empoisonnée où le repos ressemblait déjà à la mort. Quand le flot
97

brûlant l’atteignit à nouveau pour la troisième fois et le souleva un peu, l’enfant se recroquevilla,
recula au fond du lit dans l’épouvante de la flamme qui le brûlait et agita follement la tête, en rejetant
sa couverture. De grosses larmes,
Jaillissant sous les paupières enflammées, se mirent à couler sur son visage plombé, et, au bout de la
crise, épuisé, crispant ses jambes osseuses et ses bras dont la chair avait fondu en
Quarante-huit heures, l’enfant prit dans le lit dévasté une pose de crucifié grotesque.

Albert CAMUS, La Peste, Gallimard, 1947.

Vous ferez de ce texte un commentaire suivi ou composé. Dans le cadre du commentaire composé,
vous montrerez par exemple que le récit imagé des souffrances de l’enfant est une mise en scène
pathétique qui cherche à dénoncer «la Providence qui torture des innocents. »

Sujet n°13
Le mort joyeux

Dans une terre grasse et pleine d’escargots


Je veux creuser moi-même une fosse profonde,
Où je puisse à loisir étaler mes vieux os
Et dormir dans l’oubli comme un requin dans l’onde.
Je hais les testaments et je hais les tombeaux ;
Plutôt que d’importer une larme du monde,
Vivant, j’aimerais mieux inviter les corbeaux
A saigner tous les bouts de ma carcasse immonde.
O vers ! noirs compagnons sans oreille et sans yeux,
Voyez venir à vous un mort libre et joyeux ;
Philosophes viveurs, fils de la pourriture,
A travers ma ruine allez donc sans remords,
Et dites-moi s’il est encor quelque torture
Pour ce vieux corps sans âme et mort parmi les morts.
Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, 1857.

Vous ferez de ce texte un commentaire suivi, ou composé. Dans le cas du commentaire composé, vous
montrerez par exemple par quels procédés, le poète refuse de prendre au sérieux l’horreur de la mort et
exprime jusqu’au bout une attitude de révolte et de provocation

Sujet N° 15
En route vers Tomes
S'il est quelqu'un dans la foule qui pense encore à moi, s'il est quelqu'un qui demande par hasard ce
que je fais, dis-lui que j'existe, mais que je ne vis pas, et que cependant cette existence précaire est le
bienfait d'un dieu. Par prudence, et de peur d'aller trop loin, tu ne répondras aux questions indiscrètes
qu'en te laissant lire. A ton aspect, le lecteur aussitôt se préoccupera de mes crimes, et je serai
poursuivi par la clameur populaire, comme un ennemi public. Abstiens-toi de répliquer, même aux
plus mordants propos ; une cause déjà mauvaise se gâte encore quand on la plaide. Peut-être trouveras-
tu quelqu'un qui gémira de m'avoir perdu, qui lira ces vers les joues mouillées de pleurs, et dont les
yeux silencieux, de peur des oreilles malveillantes, invoqueront la clémence de César et le
soulagement de mes maux. Quel qu'il soit, puisse-t-il n'être pas malheureux un jour, celui qui sollicite
l'indulgence des dieux en faveur des malheureux ! Puissent ses vœux s'accomplir ! puisse le
ressentiment du prince s'éteindre et me permettre de mourir au sein de la patrie !
98

Quelque fidèle que tu sois à mes ordres, peut-être, ô mon livre! Seras-tu critiqué et mis bien au-
dessous de ma réputation. Le devoir du juge est d'examiner les circonstances des faits aussi bien que
les faits eux-mêmes ; cet examen te sauvera. La poésie ne peut éclore que dans la sérénité de l'âme, et
des malheurs soudains ont assombri mon existence ; la poésie réclame la solitude et le calme, je suis le
jouet de la mer, des vents et de la tempête ; la poésie veut être libre de crainte, et, dans mon
délire, je vois sans cesse un glaive menacer ma poitrine. Mais ces vers devront encore étonner le
critique impartial ; et, quelque faibles qu'ils soient, il les lira avec indulgence.

Ovide Les tristes, 763.

Faites le commentaire suivi ou composé de ce texte. Dans le cadre d’un commentaire compose, vous
montrerez, par exemple comment le poète confesse son malheur dans l’espoir de la clémence ; mais
aussi le rapport entre l’homme et le vers.

Sujet 16

SUJET I / COMMENTAIRE SUIVI OU COMPOSE


Enfin, mon livre, pars indifférent à l'opinion et ne rougis pas si tu déplais au lecteur. La
fortune ne nous est pas assez favorable pour que tu fasses cas de la gloire. Au temps de ma prospérité,
j'aspirais à la renommée, et j'en étais avide ; aujourd'hui, si je ne maudis pas la poésie, ce penchant qui
m'a été fatal, cela doit suffire, puisque mon exil est aussi l'œuvre de mon génie. Va cependant, va pour
moi, tu le peux du moins, contempler Rome. Dieux ! Que ne puis-je, en ce jour, être mon livre ! Ne
crois pas cependant, parce que tu arriveras étranger dans la ville immense, que tu puisses y arriver
inconnu, sans titre même. Ta sombre couleur te trahirait, si tu voulais renier ton père. Ne t'introduis
toutefois qu'avec mystère ; mes anciennes poésies pourraient te nuire, et je ne suis plus, comme jadis,
le favori du public.

Ovide Les tristes, 763.

Faites le commentaire suivi ou composé de ce texte. Dans le cadre d’un commentaire


composé, vous montrerez, par exemple comment le poète confesse le malheur de sa déchéance dans
l’espoir de la clémence ; mais aussi le rapport entre l’homme et sa poésie.

SUJET II/ DISSERTATION

« La véritable université de nos jours est une collection de livres » disait Thomas Carlyle dans Héros
et culte des héros. Croyez-vous à cette comparaison ?

Sujet 18 :

SUJET I : COMMENTAIRE COMPOSE OU SUIVI

Justement l’enfant, comme mordu à l’estomac, se pliait de nouveau, avec un gémissement


grêle. Il resta creusé ainsi pendant de longues secondes, secoué de frissons et de tremblements
convulsifs, comme si sa frêle carcasse pliait sous le vent furieux de la peste et craquait sous les
souffles répétés de la fièvre. La bourrasque passée, il se détendit un peu, la fièvre sembla se retirer et
l’abandonner, haletant, sur une grève humide et empoisonnée où le repos ressemblait déjà à la mort.
Quand le flot brûlant l’atteignit à nouveau pour la troisième fois et le souleva un peu, l’enfant se
recroquevilla, recula au fond du lit dans l’épouvante de la flamme qui le brûlait et agita follement la
tête, en rejetant sa couverture. De grosses larmes, Jaillissant sous les paupières enflammées, se mirent
à couler sur son visage plombé, et, au bout de la crise, épuisé, crispant ses jambes osseuses et ses bras
99

dont la chair avait fondu en Quarante-huit heures, l’enfant prit dans le lit dévasté une pose de crucifié
grotesque.

Albert CAMUS, La Peste, Gallimard, 1947.

Vous ferez de ce texte un commentaire suivi ou composé. Dans le cadre du commentaire composé,
vous montrerez par exemple que le récit imagé des souffrances de l’enfant est une mise en scène
pathétique qui cherche à dénoncer «la Providence qui torture des innocents. »

SUJET II : Dissertation

« J’ai horreur de tous les métiers. Maîtres et ouvriers, tous paysans ignobles. La main à la plume vaut
la main à la charrue. » Expliquez et discutez cette définition de la nature et du rôle de l’écriture
proposée par Arthur Rimbaud.

Sujet 19 :
SUJET I: RESUME SUIVI DE DISCUSSION.

Les productions littéraires et artistiques ne vieillissent jamais, en ce sens qu’elles sont des
expressions de sentiments immuables comme la nature humaine. On peut ajouter que les idées
philosophiques représentent des aspirations de l’esprit humain qui sont également de tous les temps. Il
y a donc là grand intérêt à rechercher ce que les anciens nous ont laissé parce que sous ce rapport ils
peuvent encore nous servir de modèle. Mais la science, qui représente ce que l’homme a appris, est
essentiellement mobile dans son expression ; elle varie et se perfectionne à mesure que les
connaissances acquises augmentent. La science du présent est donc nécessairement au-dessus de celle
du passé, et il n’y a aucune espèce de raison d’aller chercher un accroissement de la science moderne
dans les connaissances des anciens. Leurs théories, nécessairement fausses puisqu’elles ne renferment
pas les faits découverts depuis, ne sauraient avoir aucun profit réel pour les sciences actuelles. Toute
science expérimentale ne peut donc faire de progrès qu’en avançant et en poursuivant son œuvre dans
l’avenir. Ce serait absurde de croire qu’on doit aller le chercher dans l’étude des livres que nous a
légués le passé. On ne peut trouver là que l’histoire de l’esprit humain, ce qui est tout autre chose.

Il faut sans doute connaître ce qu’on appelle la littérature scientifique et savoir ce qui a été fait
par les devanciers. Mais la critique scientifique, faite littérairement, ne saurait avoir aucune utilité pour
la science. En effet, si, pour juger une œuvre littéraire ou artistique, il n’est pas nécessaire d’être soi-
même poète ou artiste, il n’en est pas de même pour les sciences expérimentales. On ne saurait juger
un mémoire de chimie sans être chimiste, ni un mémoire de physiologiste si l’on n’est pas
physiologiste. S’il s’agit de décider entre deux opinions scientifiques différentes, il ne suffit pas d’être
bon philologue ou bon traducteur, il faut surtout être profondément versé dans la science technique, il
faut même être maître dans cette science et être capable d’expérimenter par soi-même et de faire
mieux que ceux dont on discute les opinions. J’ai eu autrefois à discuter une question anatomique
relativement aux anastomoses du pneumogastrique et du spinal. Willis, Scarpa, Bischoff avaient émis
à ce sujet des opinions différentes et même opposées. Un érudit n’aurait pu que rapporter ces diverses
opinions et collationner les textes avec plus ou moins d’exactitude, mais cela n’aurait pas résolu la
question scientifique. Il fallait donc disséquer et perfectionner les moyens de dissection pour mieux
suivre les anastomoses nerveuses, et collationner sur la nature la description de chaque anatomiste :
c’est ce que je fis, et je trouvai que la divergence des auteurs venait de ce qu’ils n’avaient pas assigné
aux deux nerfs les mêmes délimitations.
Dès lors, c’est l’anatomie, poussée plus loin, qui a pu expliquer les dissidences anatomiques.
Je n’admets donc pas qu’il puisse y avoir dans les sciences des hommes qui fassent leur spécialité de
la critique, comme il y en a dans les lettres et dans les arts. La critique dans chaque science, pour être
vraiment utile, doit être faite par les savants eux-mêmes et par les maîtres les plus éminents.
100

Claude Bernard, Introduction à l’étude de la médecine expérimentale,


Paris, Flammarion, 1984, p. 200 à 202.

Vous résumerez ce texte de 548 mots au quart de sa longueur, soit environ 140 mots (avec une marge
de plus ou moins 10%). Ensuite, dans une discussion bien ordonnée, vous direz si Claude Bernard a
raison de proclamer que « les œuvres littéraires ne vieillissent jamais. »

SUJET II: COMMENTAIRE SUIVI OU COMPOSE.

La Vie antérieure
J’ai longtemps habité sous de vastes portiques
Que les soleils marins teignaient de mille feux,
Et que leurs grands piliers, droits et majestueux,
Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques.
Les houles, en roulant les images des cieux,
Mêlaient d’une façon solennelle et mystique
Les tout-puissants accords de leur riche musique
Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux.
C’est là que j’ai vécu dans les voluptés calmes,
Au milieu de l’azur, des vagues, des splendeurs
Et des esclaves nus, tout imprégnés d’odeurs,
Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes,
Et dont l’unique soin était d’approfondir
Le secret douloureux qui me faisait languir.

Charles BAUDELAIRE, Les Fleurs du mal, 1857.

Vous ferez de ce poème un commentaire suivi ou composé. Dans le cadre d’un commentaire composé,
vous montrerez comment le poète par les images décrit le monde sensible pour exalter la pureté de
l’univers céleste.

SUJET III : DISSERTATION

« Soyez plutôt maçon si c’est votre talent, qu’écrivain du commun ou poète vulgaire. »

Pensez vous que cette vision de Boileau traduise bien la vocation de la création littéraire.

Sujet 20 :

SUJET I / COMMENTAIRE SUIVI OU COMPOSE

La guerre ! Je l’entendais toujours gronder en mon âme, comme si elle était d’hier. Elle doit
sans doute gronder aujourd’hui encore dans quelques régions habitées, comme dans mon pays il ya des
années. Et elle répand dans les airs, comme le sang dont elle inonde l’herbe des champs, dont elle
colore les rivières, les étangs et les fleuves, les rendant impropres à la vie. Si le sang fait battre le
cœur, jamais il ne se désaltère. Et le sang imbuvable de l’héroïsme tombé, et de l’enfance sacrifié,
gronde en coulant dans ma conscience comme la rivière qui le charrie vers l’inconnu.

J’entends gronder la guerre dans ce Tsabu brulé, de nuages de deuil enveloppé, nuages que les
bourrasques osent à peine transpercer pour s’y frayer un chemin vers le sol rougi. Un pied y tâtonne
101

aveuglément, heurtant à chaque instant un crâne d’homme. C’est que depuis plus d’un an que durait la
guerre de sécession, des êtres mouraient par milliers, chaque jour, abandonnés où la balle les avait
frappés. Et depuis plus d’un an, chacals s’engraissaient et proliféraient. Et quand le soldat avait faim, il
abattait ceux qui s’aventuraient à portée de son canon ; et il s’en nourrissait. Et personne ne se
plaignait, ni le soldat, ni le chacal : le chacal se gavait de charogne humaine abandonnée sur le champ
de bataille ; le soldat mangeait le cadavre du chacal tué en chasse. Et le cycle se refermai, ou
recommençait ; c’était la loi de la guerre.

Jean Pierre Makouta-Mboukou, Les dents du destin, Nouvelles Editions


Africaines : Abidjan, 1984.

Vous ferez de ce texte un commentaire suivi ou composé. Dans le cadre d’un commentaire composé
par exemple, vous montrerez comme la représentation réaliste réussit à traduire le chaos des
indépendances en Afrique avant d’étudier la mise en texte de la tragédie de la guerre.

SUJET II/ DISSERTATION

« La littérature doit être aisée à comprendre et difficile à écrire, et non difficile à comprendre et aisée
à écrire. » Expliquez et discutez cette affirmation tirée des Pensée de Wang Chung.

SUJET III / RESUME SUIVI DE DISCUSSION

Depuis le commencement du monde, l’humanité va en effet vers plus de bien et plus de mal.
Elle avance et recule à la fois. Pour ne regarder que ce qui se jouera dans les cinquante prochaines
années. On peut citer mille exemples de cette simultanéité : l’espérance de vie augmentera aussi vite
que les moyens de tuer ; l’agriculture progressera et la famine menacera au moins le tiers d’une
humanité dépassant les dix milliards de personnes ; la globalisation des marchés accentuera la
solidarité planétaire alors que la recherche d’identité multipliera le nombre d’Etats-nations, qui au
rythme actuel, dépassera les deux mille. Les moyens de communication d’apprentissage et de
distraction seront infiniment plus puissants qu’aujourd’hui et en même temps jamais la solitude n’aura
touché autant de gens perdus dans l’enfer des villes, sans famille ni tribu.
Aussi, il nous faut complexifier la notion du progrès. Il faut abandonner l’idée simpliste que le
progrès technique/économique est la locomotive entrainant derrière elle les progrès sociaux,
politiques, mentaux et moraux. De plus avons-nous dit, les progrès de notre civilisation comportent
leurs parts négatives. Ils ont résolu d’anciens problèmes en en créant de nouveaux, et ils ont entraîné
de nouvelles carences de nouveaux maux. Bien des gains ont été payés par des pertes. De toute façon,
les progrès acquis ne sauraient être définitifs et auraient besoin d’être sans cesse régénérés.
Enfin nous devons savoir que nous sommes encore à l’âge de fer planétaire et dans la
préhistoire de l’esprit humain. Cela signifie, d’une part que tout espoir d’améliorer les relations entre
humains ne peut être envisagé de façon prévisible, mais d’autre part, qu’il ya d’immenses possibilités
de progrès.
Ainsi, le mythe du progrès est mort, mais l’idée de progrès se trouve revivifiée quand on y
introduit l’incertitude et la complexité.

Edgar Morin.

A- Résumer ce texte en 90 mots environ (tolérance 10%)

B- Discussion : Discutez l’affirmation suivante : « Le mythe du progrès est mort. »


102

Sujet 21

SUJET II : COMMENTAIRE COMPOSE OU SUIVI

Justement l’enfant, comme mordu à l’estomac, se pliait de nouveau, avec un gémissement


grêle. Il resta creusé ainsi pendant de longues secondes, secoué de frissons et de tremblements
convulsifs, comme si sa frêle carcasse pliait sous le vent furieux de la peste et craquait sous les
souffles répétés de la fièvre. La bourrasque passée, il se détendit un peu, la fièvre sembla se retirer et
l’abandonner, haletant, sur une grève humide et empoisonnée où le repos ressemblait déjà à la mort.
Quand le flot brûlant l’atteignit à nouveau pour la troisième fois et le souleva un peu, l’enfant se
recroquevilla, recula au fond du lit dans l’épouvante de la flamme qui le brûlait et agita follement la
tête, en rejetant sa couverture. De grosses larmes, Jaillissant sous les paupières enflammées, se mirent
à couler sur son visage plombé, et, au bout de la crise, épuisé, crispant ses jambes osseuses et ses bras
dont la chair avait fondu en Quarante-huit heures, l’enfant prit dans le lit dévasté une pose de crucifié
grotesque.

Albert CAMUS, La Peste, Gallimard, 1947.

Vous ferez de ce texte un commentaire suivi ou composé. Dans le cadre du commentaire composé,
vous montrerez par exemple que le récit imagé des souffrances de l’enfant est une mise en scène
pathétique qui cherche à dénoncer «la Providence qui torture des innocents. »

SUJET II : Dissertation

« J’ai horreur de tous les métiers. Maîtres et ouvriers, tous paysans ignobles. La main à la plume vaut
la main à la charrue. » Expliquez et discutez cette définition de la nature et du rôle de l’écriture
proposée par Arthur Rimbaud.

Sujet 22 :

F R A N Ç A I S:
Epreuve du 2ème groupe

Ce qui est à moi, ces quelques milliers de mortiférés1 qui tournent en rond dans la calebasse
d’une île et ce qui est à moi aussi, l’archipel arqué comme le désir inquiet de se nier, on dirait une
anxiété maternelle pour protéger la ténuité plus délicate qui sépare l’une de l’autre Amérique ; et ses
flancs qui secrètent pour l’Europe la bonne liqueur d’un Gulf Stream, et l’un des deux versants
d’incandescence entre quoi l’Equateur funambule vers l’Afrique. Et mon île non clôture, sa claire
audace debout à l’arrière de cette Polynésie, devant elle, la Guadeloupe fendue en deux de sa raie
dorsale et de même misère que nous, Haïti où la négritude se mit debout pour la première fois et dit
qu’elle croyait à son humanité et la comique petite queue de la Floride où d’un nègre s’achève la
strangulation, et l’Afrique gigantesquement chenillant jusqu’au pied hispanique de l’Europe, sa nudité
où la Mort fauche à larges andains2.
AIME CESAIRE, Cahier d’un retour au pays natal, Présence Africaine, 1939, pp. 65-67.
(1) mortiférés: voués à la mort.
(2) andains : alignement de foin ou de céréales fauchés et déposés sur le sol.
QUESTIONS
1) Donnez un titre à ce texte. (02 points)
2) Montrez par un relevé précis d’indices, que l’espace décrit définit une géographie de la souffrance.
103

(05 points)
3) Identifiez les figures de style dans les expressions suivantes et indiquez l’effet produit :
a) « La calebasse d’une île » (Ligne 2) (02 points)
b) « La Mort fauche à larges andains. » (Ligne 11) (02 points)
4) Donnez le sens des mots suivants :
- la strangulation (02points)
- la ténuité. (02 point)
5) Donnez la fonction du groupe de mots souligné.
- où d’un nègre s’achève la strangulation. (Ligne 9) (02 points)
6) Donnez la nature et la fonction des propositions subordonnées contenues dans ce passage :
«Haïti où la négritude se mit debout pour la première fois et dit qu’elle croyait à son humanité» (03
points)

Sujet 23 :

FRANÇAIS
Epreuve du 2ème groupe

Le pays des Diallobé n’était pas le seul qu’une grande clameur eût réveillé un matin. Tout le
continent noir avait eu son matin de clameur. Etrange aube ! Le matin de l’Occident en Afrique noire
fut constellé de sourires, de coups de canon et de verroteries brillantes. Ceux qui n’avaient point
d’histoire rencontraient ceux qui portaient le monde sur leurs épaules. Ce fut un matin de gésine. Le
monde connu s’enrichissait d’une naissance qui se fit dans la boue et dans le sang.
Cheikh Hamidou KANE, L’aventure ambiguë, Editions Julliard, 1961, p 64.
QUESTIONS
1 - Donnez le sens des mots suivants : constellé - gésine.
Donnez ensuite un mot de la même famille pour chacun de ces mots. (03 points)
2 - Etrange aube !
Identifiez ce type de phrase. (02 points)
3 - Identifiez le champ lexical dominant de ce texte et relevez les termes qui le constituent.
(04 points)
4 - Quelle est la phrase du texte qui résume le mieux l’action coloniale ?
Justifiez votre réponse. (03 points)
5 - Identifiez la figure de style et justifiez son emploi :
« Ceux qui portaient le monde sur leurs épaules ». (03 points)
6 – Analyse : Donnez la fonction de :
- sourires (constellé de) (01,5 points)
- ceux qui n’avaient point d’histoire (01,5 points)
7 « Le pays des Diallobés n’était pas le seul qu’une grande clameur eût réveillé un matin.»
Indiquez le temps et le mode du verbe souligné. Justifiez leur emploi. (02 points
104

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION---------------------------------------------------------------------------------------------------1

PREMIERE PARTIE : Esthétique des genres-------------------------------------------------------2


CHAPITRE PREMIER : La poésie------------------------------------------------------------------------------------------3

CHAPITRE DEUXIEME : Le roman--------------------------------------------------------------------------------------10

CHAPITRE TROISIEME : L’art en question----------------------------------------------------------------------------18

CHAPITRE QUATRIEME : Le théâtre ----------------------------------------------------------------------------------24

DEUXIEME PARTIE : Analyse textuelle-----------------------------------------------------------28


« La mort du loup » de Vigny-------------------------------------------------------------------------------------------------29

« Quia pulvis es » de Victor Hugo--------------------------------------------------------------------------------------------32

« Fonction du poète » de Victor Hugo---------------------------------------------------------------------------------------34

« Elévation » de Charles Baudelaire-----------------------------------------------------------------------------------------37

« La Petite fille » de Victor Hugo--------------------------------------------------------------------------------------------41

TROISIEME PARTIE : Etude des ouvrages du programme----------------------------------44


CHAPITRE PREMIER : L’étranger d’Albert Camus-------------------------------------------------------------------45

Etude intégrale -------------------------------------------------------------------------------------------------- ----------------46

CHAPITRE DEUXIEME : Les soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma---------------------------------51

Etude intégrale ---------------------------------------------------------------------------------------------------------- -------52

CHAPITRE TROISIEME : L’exil d’Albouri de Cheik Aliou Ndao---------------------------------------------------56

Etude intégrale ------------------------------------------------------------------------------------------------------------- ----56

CHAPITRE QUATRIEME : Antigone de Jean Anouilh----------------------------------------------------------------62

Etude intégrale -----------------------------------------------------------------------------------------------------------------62

QUATRIEME PARTIE : Méthodologies et applications--------------------------------------72


CHAPITRE PREMIER : Les commentaires------------------------------------------------------------------------------73

A/ Le commentaire suivi------------------------------------------------------------------------------------------------------ 73

B / Le commentaire composé-------------------------------------------------------------------------------------------------76

CHAPITRE DEUXIEME : Les dissertations-----------------------------------------------------------------------------79

CHAPITRE TROISIEME : Le résumé suivi de discussion------------------------------------------------------------91

CINQUIEME PARTIE : Banque de sujets de d’exercice--------------------------------------95


Epreuves du premier groupe---------------------------------------------------------------------------95
Epreuves du second groupe---------------------------------------------------------------------------102
Table des matières :------------------------------------------------------------------------------------104

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