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HISTOIRE

DES MISSIONS

Ambroise MANDAH

1
Introduction générale
1. Qu’est ce que la Mission ?
Selon une définition du jésuite Burkinabé Jean Ilboudo, le mot mission vient
du latin mittere qui signifie envoyer, envoyer au loin. Egalement employé dans le
domaine profane, mission désigne dans le langage ecclésiastique, l’œuvre de diffusion
de l’Evangile qui découle de l’ordre du Christ : « Allez par le monde entier prêcher
l’Evangile à toute créature » (Mc16, 15). L’usage de ce terme dans cette acception a
été lancé surtout à partir du XVème siècle par les Portugais qui l’ont appliqué à
l’œuvre des prêtres qui, dans les expéditions outre-mer, avaient cessé d’être
uniquement des aumôniers de marins pour devenir des prédicateurs itinérants auprès
des populations rencontrées. Au XVIème siècle, Ignace de Loyola et les jésuites jouent
un rôle important dans la précision de l’idée de mission. Ils distinguent une mission
interne menée parmi les peuples déjà évangélisés d’une mission externe chez les
peuples dits infidèles. Selon le sens moderne né de ce siècle, la mission, c’est « l’envoi
par l’Eglise et en particulier par le Pape. Les missionnaires sont ceux qui sont
mandatés par la hiérarchie et leur qualité première est la disponibilité et la fidélité aux
directives de ceux qui les envoient. Les mots se spécialisent très vite pour désigner
surtout l’apostolat en pays païens, mais dans le sens d’un envoi aux peuples lointains
par l’Eglise centrée sur la hiérarchie et sur l’Occident. » C’est encore, exprimé dans un
langage plus théologique, « l’activité spirituelle née des processions divines ou de
l’activité trinitaire qui consiste à prêcher l’Evangile aux non chrétiens et à instaurer
chez eux, d’une façon indigène et stable, toute l’économie chrétienne, en vue de les
sauver et de procurer ainsi l’achèvement du corps mystique et la gloire du Père par le
Fils dans l’Esprit. »

2. L’histoire des missions


L’histoire des missions constitue tout un pan de l’histoire de l’Eglise. Elle court
de la fin du XVème au début du XXème siècle et traite de l’évangélisation de terres
aussi diverses que l’Asie, l’Amérique, l’Océanie et l’Afrique. C’est en effet à partir de
la fin du XVème siècle, avec les premières grandes inventions techniques – celle de la
caravelle notamment – que, parti d’Europe, l’Evangile s’est répandu à travers le
monde entier.

Les historiens ont l’habitude de diviser l’ensemble de cette


histoire en deux grandes parties chronologiques qu’ils intitulent ainsi :
- Les missions modernes qui traitent de l’activité d’évangélisation du XVème au
XVIIIème siècle.
- Le renouveau missionnaire dont le champ d’étude couvre les XIXème et
XXème siècles.

3. Notre cours
Notre étude qui fera un tour d’horizon des peuples évangélisés durant ces deux
sous périodes s’appesantira dans sa deuxième partie sur l’Afrique notre continent. Elle
se distribuera en dix chapitres, cinq par sous période :

2
- Première Partie : Les missions des Temps Modernes : XVème – XVIIIème
siècles
Chapitre I : Les conditions de mise en route des missions des Temps
Modernes
Chapitre II : Conquête, colonisation et conscience chrétienne
Chapitre III : Les missions modernes en Afrique
Chapitre IV : Les missions modernes en Amérique
Chapitre V : Les missions modernes en Asie
- Deuxième partie : Le renouveau missionnaire du XIXème siècle
Chapitre VI : Les conditions du développement des missions au XIXème
siècle.
Chapitre VII : Le Saint Siège et la question des missions contemporaines
Chapitre VIII : Les instituts engagés dans la mission en Afrique et leur
doctrine
Chapitre IX : Les missions contemporaines en Afrique
Chapitre X : les missions contemporaines hors d’Afrique.

4. Eléments de bibliographie
Notre étude s’est appuyée sur divers documents du Saint Siège, produits soit par
des congrégations romaines, soit par les papes eux-mêmes, du pontificat de Grégoire
XVI (1831-1846) à celui de Jean-Paul II (1978-2005). Pour ne pas allonger
inutilement la bibliographie, ni ces documents, ni les encyclopédies consultés ne
seront cités dans l’aperçu que nous donnons ici. Seuls les quelques ouvrages et revues
que voici le sont :

Benoist, J., R., de, Eglise et pouvoir colonial au Soudan français, Karthala, Paris 1987,
548 p
Benoist, J., R., de, L’africanisation de la hiérarchie catholique en AOF, in Des
missions aux Eglises : naissance et passation des pouvoirs XVIIème–
XXème siècle, Actes de la Xème session du CREDIC, Lyon 1990, pp
253-267
Carrière, J.C., La controverse de Valladolid, Pocket, Le Pré aux Clercs, 1992, 188 p
Chateaubriand, F., R., Génie du Christianisme, t2, 4ème partie, liv. 4ème : Missions,
Garnier-Flammarion, livre de poche, Paris 1966, pp 135-174
Cheza, M., Derroitte, H, Luneau René, Les évêques d’Afrique parlent, 1969-1992,
documents pour le synode africain, Centurion, Paris 1992, 443 p
Cholvy, G., Ampleur et limites du renouveau religieux en France, au sortir de la
Révolution et de l’Empire, in Libermann, une pensée et une mystique
missionnaires, pp 25-49
Comby, J., Deux mille ans d’évangélisation, bibliothèque de l’histoire du
Christianisme n°29, Desclée, Paris 1992, 327 p
Costantini, C., Réforme des missions au XXème siècle, Casterman, Tournai 1960,
280p
Coulon, P., Brasseur, P., Libermann, 1802-1852, une pensée et une mystique
missionnaires, cerf, Paris 1988, passim

3
Delacroix, S., (dir), Histoire universelle des missions catholiques, t2 : les missions
modernes, Grund, Paris 1857, 421p
Goyau, G., Clergé colonial et spiritualité missionnaire : la congrégation du Saint-
Esprit, Grasset, Paris 1937, 287 p
Grenot, M., Marion Brésillac et l’épiscopat indigène, in Des missions aux Eglises…,
Actes de la Xème session du CREDIC, Lyon 1990 pp 93-106
Ilboudo, J., De l’histoire des missions à l’histoire de l’Eglise, in Eglise et histoire de
l’Eglise en Afrique, Beauchesne, Paris 1990, pp 119-140
Las Casas, B., de, Une plume à la force d’un glaive : Lettres choisie, Cerf, Paris,
1996, 412 p
Lavigerie, C., Ecrits d’Afrique, recueillis et présentés par A. Hamman, Grasset, Paris
1966, 263p
Libermann, F., Synopse des deux règles de Libermann, texte intégral et authentique
édité par A. Bouchard et F. Nicolas, cssp, pro manuscrit, Paris 30 rue
Lhomond, 1968, 204p
Marion Brésillac, M., de, Notices biographiques, doctrine missionnaire, textes,
présentés par J. Bonfils, SMA, Cerf, Paris 1962, 190p
Marion Brésillac, M., de, Documents de mission et de fondation, présentés par J.
Bonfils, SMA Médiaspaul, Paris 1985, 292p
Mayeur, J.M., (dir.), Histoire de Christianisme, tome 7 : De la Réforme à la
réformation : 1450-1530 ; 3ème partie, chapitre 2 : Découvertes et
christianisation lointaine (art. d’A. Milhou), Desclé, Paris 1994, pp 521-
594
Mayeur, J.M., (dir.), Histoire de Christianisme, tome 8 : Le temps des confessions :
1530-1620/30 ; chapitre 7 : l’Afrique, chapitre 8 : l’Amérique (art. d’A.
Milhou), Desclé, Paris 1992, pp 665-783
Mayeur, J.M., (dir.), Histoire de Christianisme, tome 9 : L’âge de raison : 1620-1750, 3ème
partie, chapitre 2 : l’Afrique (art. de Ph. Denis), Desclé, Paris 1997, pp 737-754
Meester, P., de, L’Eglise d’Afrique hier et aujourd’hui, Saint Paul Afrique, Kinshasa, 1980,
190p
Olichon, A., Les missions : histoire de l’expansion du Catholicisme dans le monde,
Bloud & Gay, Paris 1936, pp 355-380
Perraudin, J., Les principes missionnaires du Cardinal Lavigerie, H. Berti & CO.,
Rapperswil, 1941, 120p
Picciola, A., Missionnaires en Afrique : l’Afrique Occidentale de 1840-1940, Denoël,
Paris, 1987, 292p
Prost, A., Les missions des Pères Blancs en Afrique Occidentale avant 1939, Pères
Blancs, Paris 1967, 179p
Quenum , A., Les Eglises chrétiennes et la traite atlantique du XVème au XIXème siècle,
Karthala, Paris 1993, 341 p
Ruggieri, G., Eglise et histoire de l’Eglise en Afrique, Actes du colloque de Bologne,
22-25 oct. 1985, Beauchesne, Paris 1990,395p
Rutayisiré, P., L’africanisation du Christianisme et la pratique missionnaire en
référence à la christianisation du Burundi, 1897-1937, in Eglise et
histoire de l’Eglise en Afrique, Beauchesne, Paris 1990 pp 97-118
Sala-Molins, L., Le Code Noir ou le calvaire de Canaan, 2ème édition, Quadrige PUF,
Paris 2003, 292 p

4
Spindler, M., Des missions aux Eglises : naissance et passation des pouvoirs XVIIème
–XXème siècle, Actes de la Xème session du Crédic, Lyon 1990, pp188-
267
Terras, L., Petit atlas des Eglises africaines, Golias, Lyon 1994, 279p
Trichet, P., Côte d’Ivoire : les premières tentatives d’évangélisation, 1637-1852, La
Nouvelle, Abidjan 1994, pp 55-65
Trichet, P., Côte d’Ivoire : les premiers pas d’une Eglise, tome 2 : 1914-1940, La
Nouvelle, Abidjan 1995, pp 94-96
Turckheim-Pey, S., de, L’histoire peu banale de la médaille royale destinée à Aniaba,
prince d’Assinie, édité par la ville de Perpignan, musée numismatique
Joseph Puig, 1994, 8p
Utz, A., F., La doctrine sociale de l’Eglise à travers les siècles, Documents
pontificaux du XVème au XXème siècle, Vol. 1-4, Herder, Bâle-Rome,
Beauchesne et ses fils, Paris, passim
Utz, A., F., & Groner, J., F., Relations humaines et société contemporaine, synthèse
chrétienne, directive de SS Pie XII, version française d’après les
documents originaux, par A. Sauvignat, vol. 1-3, Editions Saint Paul,
Fribourg – Paris, 1956
--------------------
Annales Apostoliques de la Congrégation du Saint-Esprit et du Saint Cœur de Marie,
n° 1, janvier 1886 ; n°3, juillet 1886 ; n° 17, janvier 1890
L’écho des missions d’Afrique de la Congrégation du Saint-Esprit et du Saint Cœur de
Marie, n°1, janvier 1884
Annales de la Propagation de la Foi, n°1, Janvier 1822
L’écho des Missions Africaines, n° 1, janvier-février 1902

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1ère partie

Les missions des Temps Modernes : XVème –


XVIIIème siècle

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Chapitre I : Les Conditions de mise en route des missions
des Temps Modernes
Introduction
I. Les conditions des découvertes et de l’annonce de l’Evangile
1. Les grandes découvertes et expéditions
2. Les conditions matérielles des expéditions maritimes
II. Les motivations des expéditions
1. Les motivations économiques
2. Les motivations culturelles et religieuses
III. L’organisation des missions
1. Le partage du monde
2. Les patronats ibériques
3. Le personnel des missions
Conclusion

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Introduction

En histoire moderne, l’année 1492 fait partie des dates les plus importantes à
retenir. Elle est celle de la découverte de l’Amérique. Mais cette découverte n’est pas à
regarder comme un fait isolé. Elle est l’aboutissement de tous les tâtonnements des
siècles précédents, le couronnement des investigations de la science et de la technique
naissantes, le début d’une ère nouvelle. 1492 marque en effet une certaine rupture
entre le passé médiéval et l’avenir. Elle ouvre le monde occidental sur un XVIème
siècle qui va être celui des grandes découvertes et des expéditions outre-mer. C’est
grâce à ces expéditions aux multiples motivations que l’Evangile est parvenu aux
peuples lointains d’Afrique, d’Amérique et d’Orient.

I. Les conditions des découvertes et de l’annonce de l’Evangile

1. Les grandes découvertes et expéditions


On appelle grandes découvertes, tous les progrès qui ont été réalisés au tournant
du XVème siècle, notamment dans le domaine maritime.

Ptolémée, un géographe célèbre de l’Antiquité avait émis en son temps, l’idée


du caractère sphérique de la terre. Grâce aux humanistes, cette idée a été remise au
goût du jour. Elle motive plusieurs grands départs (Colomb, Magellan) rendus
désormais possibles par les inventions techniques mises au service de la navigation.
Ces inventions sont entre autres :
- Le gouvernail d’étambot qui équipe désormais tous les navires et permet de les
diriger plus aisément.
- La boussole grâce à laquelle les marins peuvent mieux s’orienter.

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- L’usage de mâts et de voiles multiples grâce auquel la force du vent est plus
rationnellement utilisée pour faire avancer un nouveau type de navires appelés
caravelles.

Grâce à toutes ces découvertes, les flottes européennes – celles du Portugal puis
de l’Espagne en tête – jusqu’alors cantonnées essentiellement à la navigation sur les
mers intérieures comme la Méditerranée, se lancent dans l’exploration des mers et
océans du monde. Ainsi en 1415 (ou 1417 selon certaines sources) Henri le navigateur
prend Ceuta et ouvre au Portugal une longue série d’expéditions qui commencent par
l’exploration des îles et des côtes occidentales de l’Afrique.
- En 1445, l’embouchure du fleuve Sénégal est découverte.
- En 1486, Barthélemy Diaz jette l’ancre au large du Cap de Bonne-Espérance
qui, sur la route de l’Orient, sera doublé en 1497 par Vasco de Gama.
- En 1492, Christophe Colomb découvre l’Amérique en voulant rejoindre les
Indes par l’ouest.
- Du 20 septembre 1519 au 6 septembre 1522 enfin, une flotte commandée par
Fernand de Magellan (+ 27 / 04 / 1521 aux Philippines) puis par Juan Sebastián
Elcano, fait pour la première fois le tour du monde.

2. Les conditions matérielles des expéditions maritimes


Malgré les progrès scientifiques et les découvertes qui rendent la navigation
plus aisée, les expéditions maritimes restent périlleuses. Les naufrages sont fréquents
et les voyages souvent sans retour. Toutes ces incertitudes conjuguées avec
l’équipement des navires rendent les expéditions extrêmement chères. En Italie, c’est
le capitalisme commercial né dans les cités portuaires qui permet de rassembler les
fonds. Des sociétés privées d’armateurs voient ainsi le jour pour financer les
expéditions. Dans la péninsule ibérique par contre, ce sont les plus hautes autorités
étatiques qui organisent les voyages. Au Portugal comme en Espagne, la royauté met
en place des organismes d’Etat pour contrôler et coordonner les allées et venues des
navires, les conquêtes, l’établissement des comptoirs sur les côtes, la colonisation de
nouvelles terres et le commerce.
L’Eglise n’affrétant elle-même de caravelles, c’est par ces mêmes expéditions que les
missionnaires partent vers leur champ d’apostolat.

II. Les motivations des expéditions

Les motivations de ces voyages sont de plusieurs ordres. Toutes ne sont pas
philanthropiques, loin s’en faut. Elles sont d’abord d’ordre commercial, donc
économique ; d’ordre stratégique, culturel et religieux. On ne peut pas dissocier le zèle
apostolique de l’appât du gain.

1. Les motivations économiques


Selon l’analyse de plusieurs historiens des Temps modernes et notamment
des conquêtes qui ont marqué ces temps, l’expansion de l’Europe s’explique par quatre
raisons principales :

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- Un besoin d’espace : Parce que les peuples asiatiques ont une alimentation
essentiellement végétarienne, ils ont développé des techniques agricoles
permettant de produire beaucoup sur des espaces réduits. (On dit par exemple
que la Chine nourrit cinq fois plus d’hommes que l’Europe à partir d’un même
espace de culture.) L’Europe par contre se nourrit essentiellement de viande et
utilise la force animale dans son agriculture. Elle dispose donc de beaucoup
plus de force motrice, alors même que ses terres cultivables lui semblent
insuffisantes.
- Un goût prononcé pour les produits exotiques : par le commerce méditerranéen
avec l’Orient, l’Europe a découvert depuis longtemps les produits exotiques.
C’est devenu quasiment un phénomène de mode que d’avoir à sa table ces
produits. On veut donc aller les chercher sur place.
- L’économie monétaire : Depuis l’Antiquité, l’Europe connaît l’usage de la
monnaie. Dans les pays méditerranéens notamment, où le commerce est plus
développé qu’ailleurs, le besoin de monnaie est immense. Or, l’or manque en
Europe et cela constitue un frein à la production de nouvelles pièces. C’est
pourquoi, les méditerranéens se lancent dans une recherche passionnée du métal
précieux partout où ils peuvent en trouver.
- La recherche de main d’œuvre : La conquête a encore pour objectif de procurer
aux nations qui l’entreprennent une main d’œuvre bon marché. La traite des
esclaves la leur fournira gratuitement.

2. Les motivations culturelles et religieuses


Avant les grandes conquêtes du XVème–XVIème siècle, d’autres Européens
avaient déjà entrepris des voyages en Orient et les récits de leurs voyages étaient
devenus des classiques en Europe. Ceux du Vénitien Marco Polo consignés dans Le
livre des merveilles du monde marquent particulièrement les esprits, éveillent la
curiosité, excitent l’envie de découvrir et suscitent des vocations de conquérants. Mais
la curiosité ne se limite pas à ce domaine. Elle embrasse également des considérations
scientifiques et beaucoup veulent vérifier les informations d’un Piccolomini ou d’un
Pierre d’Ailly sur la situation du Christianisme en Orient.

Par ailleurs, l’idée de croisade n’a pas totalement disparu chez les
Européens. Face à l’inexorable progression de l’Islam en Orient où après la prise de
Constantinople les Ottomans sont en passe de conquérir tous les Balkans, les papes du
XIVème et du XVème siècles ont essayé mais en vain de les relancer. Les succès
remportés en Occident, au Portugal et en Espagne notamment, sur les musulmans les
galvanisent pour assimiler les conquêtes de ce siècle aux croisades. Ils accordent ainsi
aux Portugais qui, après la prise de Ceuta, les sollicitent pour légitimer leur conquête,
une série de bulles de croisade dont la plus connue est celle de Nicolas V, Romanus
Pontifex. Dans la mentalité de l’époque, depuis celle des papes jusqu’à celle du dernier
des fidèles intéressés aux expéditions maritimes, la destruction de l’Islam, la
conversion des païens et l’établissement de nouvelles places chrétiennes sont
intimement associés à la conquête.

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Sur le plan religieux, l’Europe est également fascinée par l’image du prêtre
Jean, roi-prêtre dont la légende disait qu’il régnait sur un royaume au cœur de
l’Afrique. On croit alors l’avoir localisé en Ethiopie et dans le cadre de la guerre
d’éradication des mahométans, les expéditions ont aussi pour objectif, après l’avoir
ramené à la communion avec Rome, d’établir avec lui une alliance qui permettrait de
prendre l’ennemi à revers.

En dehors de cette motivation religieuse liée à la croisade contre l’Islam, il y


a le désir de faire connaître le Christ et de sauver le maximum d’âmes par la
conversion des païens au Christianisme, y compris par la force selon la suggestion de
Lc 14, 23. Dans l’esprit des chrétiens d’Europe de cette époque en effet, païens et
hérétiques sont voués au même sort, c’est-à-dire à l’Enfer. D’où l’urgence d’en
baptiser rapidement le plus grand nombre possible chez les uns et de ramener les
autres dans l’orthodoxie. L’entreprise paraît d’autant plus urgente que l’on croit alors à
l’imminence de la fin du monde.

Une dernière motivation tardive mais tout aussi importante apparaît après la
crise protestante : pour les catholiques, la conversion des peuples païens apparaît
comme une aubaine voulue, arrangée et offerte par la Providence divine en
compensation des pertes subies par l’Eglise Catholique du fait de la Réforme.
Malgré les contradictions que l’on peut constater entre les différents types motivations
lorsqu’on les prend dans leur ensemble, on peut dire que ces raisons religieuses soient
de simples prétextes. Le souci du salut des âmes anime d’une façon ou d’une autre
tous les voyageurs : conquistadors, commerçants et missionnaires.

III. L’organisation des missions

1. Le partage du monde
Premier à s’être lancé dans l’exploration du littoral africain et dans la
conquête du grand large, les Portugais ont sollicité et obtenu des papes, des bulles de
croisade tout au long du XVème siècle. Ces documents pontificaux leur accordaient
entre autres :
- la possession des terres conquises aux infidèles
- le droit et le devoir d’y édifier des établissements chrétiens (églises, couvents,
monastères…)
- la réduction en esclavage des infidèles
- la confiscation de leurs biens
Lorsque les Espagnols arrivent à leur tour dans la course, les Portugais sont loin
devant eux dans l’occupation des lieux. Ils sont installés pratiquement dans tous les
points stratégiques de la partie du monde déjà explorée et connue. Leur autorité
s’étend théoriquement des Açores aux Indes. Les souverains catholiques, Isabelle de
Castille et Ferdinand d’Aragon, pour couper court aux intrigues et aux contestations du
Portugal, obtiennent alors de leur compatriote Alexandre VI Borgia, une série de
bulles leur accordant les mêmes prérogatives sur les terres découvertes par Colomb.
On désigne par le nom de bulles alexandrines, les documents par lesquels Alexandre
VI a accordé ces droits et devoirs à l’Espagne. Elles sont au nombre de quatre dont

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deux portent le titre Inter cetera. L’histoire retient la deuxième, datée du 4 mai 1493
comme la plus importante de toutes. En plus de la souveraineté accordée « aux rois
vraiment catholiques » le pape y démarque le domaine espagnol de celui des Portugais.
Le monde est ainsi partagé en deux parties par une ligne imaginaire passant à cent
lieues à l’ouest des Açores et des îles du Cap Vert. Aux Espagnols revient le domaine
à l’ouest de cette ligne et aux Portugais le domaine à l’est.

Après cette bulle qui en théorie tranche définitivement la question, Jean II du


Portugal est contraint à la négociation. Espagnols et Portugais parviennent à
Tordesillas en 1494 à un accord qui porte la ligne de démarcation à 370 lieues, ce qui
fait passer une partie de l’actuel Brésil sous le contrôle portugais. Les querelles entre
les deux puissances connaîtront pourtant encore d’autres développements et ne
trouveront une solution à peu près définitive qu’en 1529 par le traité de Saragosse.

Il est encore à noter qu’au moment de ce partage, seuls sont en compétition les
deux royaumes ibériques. La question est de nouveau posée plus tard, lorsque d’autres
puissances arrivent dans la course :
- la France refuse d’être exclue du partage. Elle récupère des territoires dans les
deux domaines.
- Passées à la Réforme, l’Angleterre et la Hollande ne se sentent pas concernées
par les bulles pontificales. Elles se lancent donc dans la conquête sans en tenir
compte et reprennent des terres notamment aux Portugais en leur livrant la
guerre au besoin.

2. Les patronats ibériques


Le partage du monde entre les deux puissances ibériques aboutit à la définition
juridique des droits et devoirs de chacune d’elles dans son domaine. L’histoire a retenu
cette définition juridique sous le nom de patronat (padroado / patronato).

Les documents fondateurs des deux patronats sont :


- pour le Portugal, la bulle Inter Cetera du 13 mars 1456 par lequel le pape
Calixte III concède à l’Infant Henri et à l’ordre militaire du Christ, le patronage
des terres conquises ou à conquérir depuis le cap Bojador en Afrique du nord
jusqu’en Inde. La juridiction spirituelle de ces terres est alors confiée au Grand
Prieur de l’Ordre, avec le pouvoir de nommer à tous les bénéfices. Cette
disposition reste en vigueur jusqu’en 1514 où Manuel 1 er obtient du Pape que la
couronne hérite de la majorité des prérogatives du Grand Prieur.
- Pour l’Espagne, la bulle Universalis Ecclesiae donnée par Jules II le 28 juillet
1508. le pape y accorde à la couronne espagnole, un patronage universel sur le
nouveau monde, avec droit de nommer à tous les évêchés et bénéfices.

En somme, les papes, responsables de l’évangélisation du monde abandonnent


entre les mains des deux couronnes, l’implantation et l’organisation de l’Eglise dans
les contrées et chez les peuples découverts. Les patronats apparaissent alors comme
une solution fiable dans l’immédiat pour l’expansion de l’Evangile. Ils devaient peu à

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peu révéler leurs défaillances et amener le Saint Siège à créer en 1622, la Sacrée
Congrégation de Propaganda Fide pour prendre en mains les missions.

3. Le personnel des missions


Dans les domaines acquis, les souverains devaient, suivant les termes des
patronats, envoyer des missionnaires et pourvoir aux besoins de la mission, de sorte à
assurer l’évangélisation des populations découvertes. Dans la pratique, le personnel
missionnaire a été composé de prêtres séculiers, souvent un peu aventuriers, partis
pour l’évangélisation certes mais aussi et surtout pour faire fortune et de membres
d’ordres religieux, notamment mendiants. Franciscains et Dominicains sont en effet les
premiers à s’engager. Ils seront rejoints et supplantés par les Jésuites au XVIème
siècle, à partir du voyage de François Xavier en 1540. Avec pour vocation
fondamentale la disponibilité au pape pour toute mission et particulièrement pour celle
de propager la foi, la Compagnie devient le premier ordre missionnaire des Temps
Modernes.

Conclusion

L’expansion européenne n’a au départ rien de philanthropique, d’évangélique


encore moins. Ses premières motivations sont d’abord économiques, commerciales
stratégiques et culturelles. Jamais, du XVème au XIXème siècle, ces motivations ne
s’estomperont pour céder la priorité au souci du salut éternel des peuples découverts.
C’est tout de même grâce à cette expansion que le nom du Christ a été prononcé sur
les terres conquises, grâce à elle que sont nées des vocations de défenseurs des peuples
découverts et réduits en esclavage. Certains missionnaires partis par les mêmes
vaisseaux que les conquérants et les colons devaient bientôt s’opposer à eux et se poser
en objecteurs de conscience pour une Europe chrétienne que l’âpreté au gain avait fait
perdre la sienne.

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Chapitre II Conquête, colonisation et conscience chrétienne

Introduction
I. De la ruée vers l’Amérique aux scrupules
1. Conquête, colonisation et violences
2. La lutte contre l’esclavage des Indiens
3. Réflexion chrétienne sur l’esclavage
II. La question nègre
1. La malédiction de Cham
2. Les Nègres sont-ils des hommes ?
3. Du droit d’acheter et de vendre les Nègres comme esclaves.
Conclusion

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Introduction

Commencée dans l’euphorie des découvertes, l’expansion de l’Europe


chrétienne vers des terres nouvelles ne s’est pas faite sans poser quelques problèmes
de conscience en rapport avec les dérives qui ont en général accompagné la conquête
et la colonisation. L’âpreté au gain explique en grande partie le traitement infligé par
les conquérants et autres colons aux peuples découverts. Mais au-delà de ces intérêts
cupides, il y a quelque chose de plus profond, une espèce de complexe de supériorité,
une incapacité foncière chez l’Européen chrétien de l’époque, à comprendre et à
accepter la différence dans le mode de vie, dans la culture et la religion de ces peuples.
Pour un Européen, un homme normal ou comme l’écrit Jean Comby, « un chrétien
porte des habits même quand il fait très chaud, il cultive la terre, il n’a en principe
qu’une femme, il a le sens de la propriété privée, etc… Or, ces peuples se comportent
de manière très différente. Certains aspects de leurs religions, tels les sacrifices
humains chez les Aztèques, sont particulièrement choquants. De là, la tentation de ne
plus les considérer comme des égaux mais comme des sous-hommes. De là aussi la
volonté de leur imposer les normes des populations chrétiennes d’Europe. » Dans ces
conditions, on le comprend, pour l’Européen du commun, l’évangélisation elle-même
implique la soumission, la destruction des cultures locales. Toutefois, face aux
exactions, une réflexion chrétienne justifiant ou combattant l’entreprise ne tarde pas à
voir le jour.

I. De la ruée vers l’Amérique aux scrupules

1. Conquête, colonisation et violences


Lorsqu’on lit les relations de Las Casas, on a parfois du mal à croire que
l’Europe, chrétienne et dite civilisée, ait eu autant de mépris pour la vie humaine et
pour la dignité des peuples autochtones des terres découvertes lors des grandes
expéditions. D’aucuns se plaisent d’ailleurs à qualifier d’hyperboliques les propos du

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clerc colon reconverti en défenseurs des Indiens. Mais la confirmation de ces propos
par diverses autres sources concordantes ne laisse aucun doute sur la violence des
méthodes des conquérants, des colons et de certains missionnaires eux-mêmes.

D’une façon générale, les peuples indiens étaient, selon l’expression même du
découvreur de l’Amérique, de bons sauvages paisibles et sans histoire. C’est en effet à
bras ouverts que la plupart ont accueilli les Espagnols et d’une façon globalement
simple qu’ils ont accepté sans bien la comprendre, la suzeraineté des rois catholiques.
En retour cependant, la moindre petite divergence ou même la susceptibilité des
conquérants et le dépit des colons ont suffi pour leur imposer de lourdes servitudes.

Avec la poudre à canon que les Indiens ne connaissaient pas, les conquérants
avaient une supériorité d’armement incontestable. Aussi est-ce avec une extrême
facilité qu’ils soumettent et détruisent les puissants empires d’Amérique, avec leurs
institutions et leurs dynasties. Les conquérants entreprennent de détruire l’idolâtrie en
pillant l’or des temples. En outre, certains chefs d’expédition n’hésitent pas, après les
avoir fait baptiser, à faire étrangler les caciques qui leur résistent ou tentent
simplement de préserver la tradition de leurs ancêtres. Cortés par exemple met à mort
l’empereur Aztèque Cuauhtémoc en 1525 tandis que Pizarro et Almagro infligent le
même sort à l’Inca Atahualpa en 1533. Mais ces anecdotes relatives à la conquête ne
constituent en réalité que l’aspect le plus spectaculaire de la conquête ibérique.
L’aspect le plus nocif, c’est l’installation des colons et la réduction des Indiens en
esclavage de fait.

La colonisation d’une terre implique toujours le déplacement des populations


colonisatrices vers les terres convoitées. Or les colons n’emportent pas seulement leur
appétit de gain facile, leurs rêves de découvrir l’eldorado et les habitudes de leur pays
d’origine. Ils emportent aussi des maladies. La première cause de mortalité des Indiens
a été leur mise en contact avec des maladies européennes et africaines qu’ils ne
connaissaient pas, contre lesquelles en conséquence ils ne disposaient ni de remède ni
de résistance naturelle. Trop heureux de se débarrasser d’eux à si bon compte, les
Espagnols ont montré plutôt peu d’empressement à les soigner. Certains auteurs
parlent à ce sujet, de la première des guerres bactériologiques.
L’autre grande cause de mortalité, c’est le travail forcé. Malgré une recommandation
expresse d’Isabelle la Catholique de bien traiter les Indiens comme de bons et loyaux
vassaux (1501), ces derniers sont dépossédés de force de leurs terres. Celles-ci sont
réparties entre les colons espagnols selon le système de l’encomienda mis en place par
le moine-soldat Nicolas de Ovando en 1502 ; et les anciens propriétaires sont réduits
en un insupportable servage (travail forcé dans les mines y compris pour des femmes
enceintes, corvée, tribut) qui les décime en masse.

A ces deux causes majeures, on peut ajouter le suicide collectif organisé chez
des peuples comme les Taínos par exemple, qui préféraient « rejoindre la région des
morts où l’on se repose le jour et fait la fête la nuit » plutôt que d’accepter la servitude
espagnole.

14
Au total, on estime qu’une vingtaine d’années seulement après la découverte de
l’Amérique, dans les îles où sont présents les Espagnols (Haïti, Cuba, Bahamas, Saint
Domingue…) le nombre d’Indiens a chuté vertigineusement. A Saint Domingue, il est
passé de plus d’un million en 1492 à quarante mille en 1509.

2. La lutte contre l’esclavage des Indiens


Au milieu de la dérive collective, quelques voix commencent bientôt à
s’élever : celles des religieux témoins de la méthode coercitive des conquérants et des
colons, qui en outre prennent la mesure de l’impossibilité de proposer l’Evangile aux
Indiens dans l’état d’oppression qui est le leur. L’histoire retient comme premier des
signaux importants, un mémorable sermon du dominicain Antonio de Montesinos à
Hispaniola le 21 décembre 1511. Devant les colons réunis ce dernier dimanche de
l’Avent, le frère prêcheur proteste contre l’exploitation inhumaine des Indiens; « il
dénonce le système de l’encomienda qui aboutit dans la pratique, à la privation des
droits humains les plus élémentaires et à l’impossibilité d’assurer le salut spirituel des
Indiens…: Je suis la voix du Christ qui crie dans le désert de cette île s’écrit-il … Cette
voix vous dit que vous êtes tous en état de péché mortel, vous vivez et mourrez dans
cet état, en raison de la cruauté et de la tyrannie dont vous faites preuve à l’égard de
ces peuples innocents. Dites-moi, en vertu de quel droit et en vertu de quelle justice
tenez-vous ces Indiens dans une si cruelle et horrible servitude ? Qui vous a autorisés à
faire toutes ces guerres détestables à des gens qui vivaient tranquillement et
pacifiquement dans leur pays, et à les exterminer en nombre si infini, par des meurtres
et des carnages inouïs ? Comment pouvez-vous les opprimer et les épuiser ainsi, sans
leur donner à manger ni soigner les maladies auxquelles les exposent mortellement les
tâches excessives que vous exigez d’eux… ? »

Montesinos a ainsi inauguré la lutte contre l’esclavage des Indiens, en présence


du vice-roi de Saint Domingue qui se trouvait être Diego Colomb, le fils du
Découvreur. Accusés de répandre des doctrines scandaleuses propres à salir la
réputation de la Très Catholique Espagne, dénoncés au roi Ferdinand, les dominicains
sont priés de mettre fin à leurs mensonges sous peine d’excommunication. Ferdinand
le Catholique nomme tout de même une commission de juristes pour examiner la
question. Le document produit en 1512 par ces ecclésiastiques et ces hommes de lois
s’appelle les Lois de Burgos. Celles-ci maintiennent L’encomienda avec des Indiens
tenus de travailler pour les encomenderos neuf mois et demi sur douze, pour lutter, dit-
on, contre leur oisiveté. Toutefois, théoriquement reconnus comme de libres sujets du
roi, ils ont droit à une rétribution, à être nourris, soignés et instruits de la parole de
Dieu. En outre, il est fait interdiction aux colons de faire travailler dans les mines, les
femmes enceintes de plus de quatre mois. Enfin, parce que les Dominicains avaient
mis en cause la légitimité de la conquête, le roi fait élaborer un texte connu sous le
nom de Requerimiento qui est un inventaire des droits du Pape et du roi d’Espagne sur
les Indes ; texte destiné à être désormais lu aux indigènes à chaque fois qu’une terre est
conquise.

En fait, les Lois de Burgos ne règlent rien du tout. Certains des législateurs, à la
fois juges et partis, s’efforcent de préserver leurs intérêts ainsi que ceux du roi

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d’Espagne et vident ainsi le document de sa substance. On ne s’étonnera donc pas de
voir surgir d’autres défenseurs des Indiens quelques années seulement après Burgos.
C’est le cas du clerc Bartolomé de Las Casas. Encomendero repenti en 1514, il porte la
lutte à la cour espagnole en 1515 pour la Réformation des Indes. Ses démarches auprès
de Ferdinand le Catholique puis auprès du régent, le cardinal Cisneros, aboutissent
entre autres à la destitution du ministre des Indes, l’évêque Juan Rodriguez de Fonséca
et de sa clique corrompue, indifférents au sort des Indiens. Las Casas propose à
Cisneros une série de réformes à travers lesquelles il entend concilier, colonisation,
liberté des Indiens et évangélisation. Il suggère entre autres, d’installer aux Indes des
laboureurs espagnols qui s’associeraient à droits égaux avec les indigènes ; et comme
d’autres avant lui, de substituer aux Indiens, des esclaves noirs.

En septembre 1516, Cisneros promulgue des instructions d’ailleurs fort en deçà


des espérances de Las Casas, dans lesquelles trois propositions sont faites :
- le maintien de l’encomienda avec quelques réformes
- la création de réductions indiennes près des mines
- le retour des Indiens dans des villages libres avec l’obligation de payer tribut
aux encomenderos
Des enquêteurs sont dépêchés sur place pour décider de la solution la plus viable.
Intimidés par les colons, ils optent pour la première, ce qui équivaut, une fois de plus,
à l’enterrement des réformes projetées. Mais désormais lancé dans la défense des
Indiens, Las Casas devenu dominicain en 1522, ne s’arrêtera plus jusqu’à sa mort en
1566.

La lutte contre l’esclavage des Indiens trouve bientôt un autre relais hors du
cercle des hommes d’Eglise, dans l’institution fondée en 1524 pour remplacer
définitivement l’évêque ministre destitué : La Compagnie des Indes. Depuis le sermon
de Montesinos, l’idée des défenseurs des Indiens avait donc fait du chemin. Outre une
réelle réticence à laisser introduire dans les terres nouvelles conquises le système
porteur de tous les maux, La Compagnie des Indes promulgue deux ans après sa
création, en novembre 1526, son premier grand texte intitulé Ordonnances sur le bon
traitement des Indiens. Ces ordonnances dénoncent les exactions contre les Indiens,
cause de leur mortalité élevée et condamne la cupidité désordonnée des colons. Elles
maintiennent l’encomienda là où elle existe mais réaffirment la liberté des Indiens et
interdisent en conséquence de les envoyer aux mines contre leur gré. Elles interdisent
de faire de nouveaux esclaves sous peine de mort sauf dans les cas prévus par le
requerimiento et ordonnent la libération immédiate des Indiens illégalement réduits en
esclavage.

Ce texte qui reste encore loin du compte ne sera pas plus respecté que les
autres. Mais on y constate une rigueur qui témoigne d’une sensibilisation de toute
l’Espagne à la question indienne. En 1530, dans un texte qui ne sera promulgué que
quatre années plus tard, le Conseil interdit purement et simplement de faire de
nouveaux esclaves par quelque moyen que ce soit. La dernière étape a lieu en 1542 où
par Les Lois nouvelles, l’esclavage des Indiens est définitivement interdit.

16
3. Réflexion chrétienne sur l’esclavage
La réflexion dont il s’agit ici plonge ses racines dans le Moyen Age. Le Moyen
Age chrétien ne reconnaît en effet aucun droit, aucune personnalité juridique aux
infidèles dont le modèle connu en Europe est le sarrasin. De ce fait, n’importe quel
prince chrétien qui en a les moyens jouit du plein droit d’envahir leur territoire et de
demander ensuite au pape de confirmer ses conquêtes. C’est dans cet esprit que le
Portugal puis l’Espagne ont réclamé aux papes, les bulles qui ont fini par fonder le
système des patronats.

Selon un célèbre canoniste du XIIIème siècle, le Cardinal Hostensis, le droit des


infidèles d’avoir des propriétés s’est éteint avec l’avènement du Christ qui a laissé à
son vicaire les pleins pouvoirs de reprendre aux infidèles en temps opportun, la
juridiction dont ils ne jouissent qu’à titre précaire pour l’attribuer aux chrétiens.

A l’opposé de cette opinion fort répandue, il existe une autre née à l’époque de
la Scolastique et à laquelle souscrit Thomas d’Aquin. Pour le docteur angélique, le
droit naturel reconnaît à tout homme le droit de propriété. En vertu de ce droit et parce
que la grâce ne supprime pas la nature, les infidèles possèdent légitimement leurs biens
propres. Aussi faut-il s’assurer avant de s’emparer des biens des infidèles, qu’ils n’en
ont pas la possession légitime. Autrement, ce serait violer le droit naturel. Par ailleurs,
saint Thomas introduit une distinction entre l’infidélité coupable des sarrasins qui ont
entendu la parole du Christ sans se convertir et celle des païens qui est le fait de
l’ignorance. Si celle des musulmans, ennemis déclarés du Christ, est péché et de nature
à les priver de certains droits, celle des gentils ne l’est pas. En conséquence, il n’est
pas légitime de leur faire la guerre, encore moins de s’emparer de force de leurs biens.

Tandis que conquérants et bulles pontificales fondant la légitimité de


l’expansion prennent appui sur la première opinion, les défenseurs des Indiens mettent
en avant la thèse thomiste. Deux noms restent particulièrement attachés au
développement de cette réflexion : ceux du cardinal Cajetan et du théologien
dominicain Francisco de Vitoria.

Le cardinal supérieur général des dominicains de 1508 à 1518 a vécu de près la


tempête provoquée par la lutte engagée par ses frères en Amérique. En 1517, il publie
un commentaire de la Somme théologique dans laquelle sans citer directement le
problème indien, il en parle toutefois clairement dans certains passages. Il distingue
trois catégories d’infidèles :
- la première est composée de peuples qui sont de droit et de fait, sujets des
souverains chrétiens parce qu’ils habitent des terres chrétiennes : ce sont les
Juifs, les Maures et les hérétiques qui vivent en terre chrétienne.
- La deuxième catégorie est celle des peuples sujets de droit mais pas de fait des
souverains chrétiens, parce qu’ils vivent sur des terres autrefois chrétiennes. A
ceux-là, il est légitime de faire la guerre, parce que ce sont des ennemis du
peuple chrétien.
- La troisième enfin est celle des infidèles qui n’ont jamais eu de rapport avec les
chrétiens. Ils sont les propriétaires légitimes de leurs biens et de leurs terres. En

17
conséquence, ni le roi ni le pape n’ont le droit de leur déclarer la guerre ni de
les soumettre à leur pouvoir temporel sous peine de commettre une grave
injustice et un vol passible de restitution. Et le cardinal de conclure : « Dieu
nous a envoyés conquérir le monde non par les armes mais comme des brebis
au milieu des loups. » La guerre ne serait légitime dans ce dernier cas de figure
que dans la mesure où ces païens opposaient la force à la prédication de la
Bonne Nouvelle.

Quant à Vitoria, il publie en 1539, un ouvrage intitulé Leçons sur les Indiens et
sur le droit de guerre. Il y soutient que ni le pape ni l’empereur ni aucune autre
autorité temporelle n’a de pouvoir universel sur le monde. Le péché, l’idolâtrie et
l’hérésie poursuit-il, ne détruisent pas le droit naturel. La donation du pape a donc une
valeur uniquement spirituelle. Elle ne peut d’aucune façon donner le droit de faire la
guerre aux Indiens, légitimes possesseurs de leurs terres, sous prétexte qu’ils refusent
de se convertir.
En voulant défendre en même temps la légitimité de la présence espagnole en
Amérique, Vitoria détruit par la suite ce bel édifice, reprenant d’une main ce qu’il a
donné de l’autre. Mais l’histoire le regarde, avec cet ouvrage, comme le fondateur du
droit international. Dans sa défense de la liberté des Indiens, il allait en effet plus loin
que la bulle Sublimis Deus publiée par Paul III deux ans plus tôt sous la pression des
religieux missionnaires en Amérique, où le pape soumettait encore cette liberté à la
capacité des Indiens à accueillir la foi chrétienne.

II. La question nègre

Si les Indiens ont rapidement eu des défenseurs, les Noirs eux, accablés de
préjugés défavorables, n’ont pas eu cette fortune. Bien entendu, quelques actions
isolées ainsi que quelques voix lézardent de loin en loin le lourd silence collectif :
l’action d’un Pierre Claver en Colombie au XVIème siècle ou la parole d’un
Bartolomé de Albornoz qui dès 1573 soutient que rien ne justifie que l’on prenne aux
Noirs la liberté que Dieu leur a naturellement donnée. Mais face à ces cris dans le
désert, la lourdeur de l’opinion et l’intérêt l’emportent de loin.

Les Noirs n’étaient pas ennemis du Christ ; pour n’avoir eu que peu ou pas du
tout de contacts avec le monde chrétien, ils n’avaient jamais eu l’occasion d’opposer
de résistance à l’évangélisation. Ils faisaient donc partie de la troisième des catégories
d’infidèles définies par Saint Thomas et son commentateur du XVIème siècle. Cela
aurait dû suffire pour les épargner. Mais sur le Nègre pesaient d’autres « tares
congénitales supposées » qui dans l’opinion chrétienne européenne justifieront toutes
les atrocités de la Traite : une prétendue malédiction noachique, donc divine et une
mise en doute de l’appartenance de la race noire à au genre humain.

1. La malédiction de Cham
L’origine de l’application de la malédiction de Cham aux Noirs est diffuse dans
l’histoire. Dans l’état actuel de la recherche, on est incapable de dire qui exactement a
identifié les Noirs aux descendants de Cham ou plus précisément aux descendants de

18
son fils Canaan et à quelle époque. Ce dont on est sûr, c’est que cela date d’avant
l’époque de la Traite. Dans un débat par publications interposées qui n’a jamais connu
d’issue, Catholiques et Protestants se renvoient mutuellement la responsabilité. En fait,
il semblerait que l’opinion répandue sur une malédiction antique pesant sur les Noirs
soit née dans les milieux juifs. Elle proviendrait de spéculations rabbiniques du IIIème
au Vème siècle. Dans une pure invention sortie de nulle part, trois hagadistes racontent
que pour avoir commis un attentat sur la personne de son père Noé, Cham entre autres,
serait sorti de l’arche, transformé en Nègre. Or le nom Cham proviendrait d’une racine
hébraïque signifiant « être chaud, être noir ». De là la désignation de ce fils de Noé
comme l’ancêtre des peuples d’Afrique essentiellement, par deux au moins ses quatre
fils Koush (Ethiopie), Micrayim (Egypte), Put (Libye ?) et Canaan.

A l’époque de la Traite, quoique le pays de Canaan soit le seul que la Bible elle-
même situe sans laisser l’ombre d’aucun doute hors d’Afrique, les esclavagistes et
l’Europe chrétienne en général croient trouver dans le passage de Gn 9, 21-27, des
arguments bibliques pour confirmer cette identification et justifier la réduction des
Noirs en esclavage. Le passage raconte la découverte par Cham de la nudité de Noé
ivre et endormi. Réveillé après avoir cuvé son vin, Noé informé de ce qui s’est passé
maudit non pas Cham mais son fils : « Maudit soit Canaan ! Qu’il soit pour ses frères
le dernier des esclaves ! Il (Noé) dit aussi, béni soit Yahvé le Dieu de Sem, et que
Canaan soit son esclave ! Que Dieu mette Japhet au large, qu’il habite les tentes de
Sem et que Canaan soit son esclave. » Gn 9, 25-27.
S’appuyant sur les légendes greco-romaines qui situent au-delà du Sahara c’est-à-dire
du monde connu de l’Europe, quelques merveilles et toutes sortes de monstruosités,
l’exégèse biblique de l’époque confirme l’opinion ambiante. Elle donne ainsi au délire
sans fondement, le sceau de la parole ecclésiastique qui conserve alors encore assez de
poids pour apparaître comme la vérité absolue.

En appliquant la malédiction de Cham aux Africains, l’Europe Chrétienne ne


manque pas de s’identifier elle-même comme descendante de Japhet et de regarder les
Indiens comme les dix tribus perdues d’Israël, c’est-à-dire des descendants de Sem. La
prédiction de Noé lui semble donc entièrement réalisée avec la découverte et la
colonisation de l’Amérique. Voici ce qu’écrit à ce sujet en 1652, c’est-à-dire au plus
fort de la Traite, Maurile de Saint-Michel, un théoricien du caractère servile de la race
noire: « Cette nation (les Africains) porte sur le visage une malédiction temporelle, et
elle est héritière de Cham dont elle est descendue ; ainsi, elle est née à l’esclavage de
père en fils, et à la servitude éternelle… La prière de Noé est entérinée… Dieu a
épandu les Européens dans l’Amérique pour habiter les demeures des Américains,
descendus de Sem ; et les descendants de Cham, qui sont nos Nègres Africains, les y
servent. »

L’Europe chrétienne est d’autant plus convaincue de sa lecture de la situation


que la rumeur colportée et sans doute aussi fabriquée par elle-même, entretenue en tout
cas par ses ecclésiastiques, rapporte que les Africains eux-mêmes reconnaissent être
sous le coup d’une malédiction : « Ces misérables avouent dit-on, écrit l’abbé Prévost
dans le volume 59 de son Histoire générale des voyages… qu’ils se regardent eux-

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mêmes comme une nation maudite. Les plus spirituels qui sont ceux du Sénégal,
racontent, dit-on, sur une ancienne tradition dont ils ne connaissent pas l’origine, que
ce malheur leur vient du péché de leur premier père, qu’ils nomment Tam. » (Ouvrage
paru entre 1746 et 1759).
Conclusion, l’Ecriture justifie la Traite négrière. En parlant par la bouche de Noé, Dieu
lui-même a soumis le Noir au Blanc.

2. Les Nègres sont-ils des hommes ?


Un autre élément de justification conforte l’Europe chrétienne dans son attitude
vis-à-vis du Nègre : la remise en question de son humanité. Les Nègres sont-ils des
hommes au même titre que les autres ? Les réponses sont variées, fluctuantes et
contradictoires à la limite mais toutes, défavorables au Noir. Ce n’est pas la théologie
qui a inventé cette tare au Nègre mais elle a contribué à la renforcer.

Hérodote, le grand historien grec de l’Antiquité a écrit au sujet des Noirs :


« Leur semence n’est pas blanche comme celle des autres hommes mais noire comme
leur peau. Les Ethiopiens ont, eux aussi, le sperme de la même couleur… Le Noir
copule en public comme les bêtes. »
Ainsi, relégué à la périphérie du champ du salut par la théologie et l’exégèse, le Noir
est aussi en passe d’être bouté hors du champ de l’humanité par l’histoire et
l’anthropologie. En effet, « copuler en public, c’est-à-dire ignorer le sentiment de la
pudeur, est demeuré jusque très tard dans la modernité, un signe très clair de bestialité,
à chaque fois qu’il s’est agi pour les philosophes et les théologiens de tracer des
frontières nettes entre les hommes et les bêtes. » (Louis Sala-Molins, Le code noir, p
25)

Pourtant, la théologie ne pouvait pas se dédire. Certains ont bien essayé de


promouvoir une théorie polygéniste pour inventer au Noir un hypothétique ancêtre
pré-adamique ou pour l’identifier comme le fruit de quelque humanité manquée. Mais
le polygénisme n’a pas tenu longtemps la route face à la théologie chrétienne
traditionnelle qui s’est toujours inscrite dans une démarche monogéniste. En faisant
des Noirs, des descendants de Noé par Cham, cette tradition les avait reliés à Adam.
Comment dès lors leur dénier l’humanité ? Une parade est vite trouvée à ce dilemme.
Elle a consisté à prétendre que le poids de la malédiction noachique est tel que les
Noirs ont à peine conscience de leurs potentialités intellectuelles et psychiques
(intelligence, mémoire, volonté) Ils sont avachis, avilis, prisonniers des instincts
bestiaux les plus bas et des appétits les plus vils. En définitive, les Noirs sont regardés
comme des hommes bestialisés chez qui la malédiction a atteint la source même de la
vie. « Ils divaguent aux frontières de l’humanité et de la bestialité. On les soupçonne
d’avoir des affinités de sang avec les grands singes. On ne les soupçonne pas, on en est
sûr. Des affinités qui autoriseraient le mélange sexuel… » (L. Sala-Molins, ibid. p 31)

3. Du droit d’acheter et de vendre les Nègres comme esclaves.


La question du droit d’acheter et de vendre des Nègres a hanté toutes les nations
esclavagistes. Lors de la controverse de Valladolid (1550-1551) qui a décidé du sort
des Noirs, l’un des arguments, si ce n’est même l’Argument de plomb qui avait fait

20
pencher la balance du côté de la Traite avait été en substance le suivant : si les Indiens
sont de véritables descendants d’Adam, des êtres doués de raison, capables de
civilisation et d’accueillir la foi en Jésus-Christ, « les Africains eux sont plus proches
de l’animal, frustres et complètement privés de la partie délibérative de l’esprit. » (J.
C. Carrière, La controverse de Valladolid, p 185.) Pourtant le retour récurrent de la
question sur le tapis du début à la fin de la Traite dans tous les royaumes esclavagistes
montre bien que les plus tenaces des théoriciens de l’esclavage eux-mêmes n’étaient
pas convaincus de leurs propres arguments. Le prétexte qui servira à tous à se voiler la
face et qui aux yeux de l’Européen en général transformera le mal de la Traite en un
bien au profit de l’Africain lui-même, et l’esclavagiste en bienfaiteur, c’est
l’évangélisation.

Qu’on l’ait considéré comme un homme bestialisé, un sous-homme, un damné,


l’Africain restait tout de même un descendant d’Adam, promis lui aussi au salut,
même si l’on doutait d’arriver à l’arracher à son sort. Dès janvier 1454, le Pape
Nicolas V (1447-1455) autorise le roi du Portugal à razzier des Noirs en Afrique pour
la seule raison qu’une fois emmenés comme esclaves au Portugal, ils ont la chance
d’être évangélisés et d’être ainsi délivrés du seul esclavage que l’Ecriture condamne :
l’esclavage du péché auquel le diable soumet l’homme sous son emprise. Ainsi,
empêtrés dans l’idolâtrie et à ce titre esclave du démon ici bas, les Noirs arrachés à
l’Afrique, emmenés en terre chrétienne, baptisés et préservés dans la vraie religion
sont promis à la libération et au bonheur éternel grâce à la Traite.

En France, le très pieux Louis XIII (1610-1643) dont on dit qu’il montra
quelques états d’âme face à la Traite se laisse convaincre par le même argument. Sous
son règne, en 1638, le Conseil Ecclésiastique débat de la question de savoir s’il est
permis à un chrétien d’acheter et de vendre des Noirs comme esclaves. La réponse est
bien sûr affirmative à la condition primordiale que ces esclaves soient christianisés.
L’argument restera le même jusqu’à la fin de la Traite. La France et l’Europe
esclavagiste en général se considèrent comme bienfaitrices des Noirs et c’est bien ce
qu’exprime en 1764, un théoricien de la Traite dans cette réflexion qui se passe de
commentaire : « Le plus grand malheur qui puisse arriver à ces pauvres Africains
serait la cessation de ce trafic. Ils n’auraient alors aucune ressource pour parvenir à la
connaissance de la vraie religion dont on les instruit à l’Amérique, ou plusieurs se font
chrétiens…Plût à Dieu que l’on achetât tous ces misérables Nègres et qu’on dépeuplât
l’Afrique. »

Dans la pratique, on s’en doute bien, l’argument de l’évangélisation n’est qu’un


fallacieux prétexte. Tous les historiens sont unanimes à constater l’échec d’une
christianisation en profondeur des esclaves Noirs. Comment pouvait-il en être
autrement quand pour ces Nègres transplantés loin de chez eux, être baptisé signifiait
perdre sa liberté. Au mieux, l’Evangile a servi à les contenir, pour assurer la
tranquillité et la sérénité des colonies.

21
Conclusion

Au total, malgré les scrupules, la réflexion théologique et philosophique,


l’Europe chrétienne n’est pas arrivée à se départir de son complexe de supériorité par
rapport aux peuples découverts lors des grandes conquêtes des Temps Modernes. Si,
très tôt sensibilisée par l’appel des défenseurs des Indiens, elle a admis que les
indigènes d’Amérique méritaient un meilleur traitement, elle a par contre eu beaucoup
de mal à modérer son jugement sur les Nègres d’Afrique frappés selon elle de toutes
sortes de tares congénitales qui les placent au plus bas de l’échelle humaine. C’était
assez pour justifier la Traite dès lors considérée par beaucoup comme l’unique chance
pour le Noir d’être arraché à son sort. Lorsque plus tard au XIXème siècle, surgiront
« Les Amis des Noirs » et autres anti-esclavagistes, globalement, leur action ne
s’appuiera pas sur une révision du jugement de l’Europe sur le Noir et en particulier
sur le Noir resté en Afrique, mais sur leur propre philanthropie. Ainsi André Michiels
qui est pourtant un anti-esclavagiste notoire écrit en 1853 dans Le capitaine Firmin ou
la vie des Nègres en Afrique : La race noire est « la plus stupide, la plus perverse, la
plus sanglante des races humaines… [en elle] aucun progrès, aucune invention, aucun
désir de savoir, aucune pitié, aucun sentiment… La couleur noire, la couleur des
ténèbres, est vraiment le signe de leur dépravation. »

22
Chapitre III : Les missions modernes en Afrique

Introduction

I. Un royaume chrétien au cœur de l’Afrique : le Congo


1. Les débuts de la christianisation du Congo
2. Un espoir vite évanoui
3. Le déclin du Christianisme au Congo
II. Les autres points d’ancrage
1. Les comptoirs de l’Afrique occidentale
2. L’Angola
3. L’Afrique de l’Est
4. ‘‘Le royaume du prêtre Jean’’
III. Bilan de la mission moderne en Afrique
1. Une christianisation superficielle
2. Des méthodes inadaptées

Conclusion

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Introduction

L’Afrique est le premier continent dont les côtes ont été abordées lors de la
conquête ibérique. Premier à s’être lancé dans l’exploration du monde et le commerce
transocéanique avec l’Orient, le petit royaume du Portugal qui compte alors 1 200 000
habitants est aussi le premier à s’être intéressé à ce continent. Après la prise de Ceuta,
d’autres expéditions organisées par Henri le Navigateur permettent au royaume de
s’établir en divers points sur les côtes. Ainsi, après le Cap Bojador doublé en 1434, la
porte s’ouvre sur le pays des Noirs avec la découverte de l’embouchure du Sénégal en
1444 par Gil Eanes. En 1462 un comptoir est fondé sur le site actuel de Free Town sur
les côtes de la Sierra Leone. En 1471, après avoir exploré le delta du fleuve Niger les
Portugais passent pour la première fois l’équateur et posent les pieds dans les îles
qu’ils baptiseront Sao Tome et Fernando Po (Bioko). En 1482, Diogo Cao découvre et
explore l’estuaire du Congo. En 1486 est édifié sur les côtes de l’actuel Ghana, le fort
Saint-Georges-de la Mine (El Mina) tandis que Barthélemy Diaz passe le Cap de
Bonne Espérance l’année suivante. En 1498 enfin Vasco de Gama, en route vers l’Inde
accoste au Mozambique. Cet intérêt portugais pour le continent noir est d’abord
commercial et stratégique, les côtes de l’Afrique ainsi que les îles pouvant abriter des
comptoirs et des relais de ravitaillement sur le chemin vers l’Orient. Mais les clauses
du Padroado obligeant les souverains portugais à christianiser les habitants de tous

23
lieux où leurs hommes prendraient pied, les comptoirs deviennent aussi des points de
départ de la première tentative d’évangélisation de l’Afrique.
I. Un royaume chrétien au cœur de l’Afrique : le Congo

1. Les débuts de l’évangélisation du Congo


La découverte de l’embouchure du fleuve Congo en 1482 marque le début de la
présence portugaise dans le royaume du même nom. Les relations proprement dites
avec les autorités de ce royaume situé au nord-ouest de l’actuel Angola sont établies de
façon suivie à partir de 1485. En 1490, fasciné par l’avance technique du Portugal
autant que par la puissance supposée de sa religion, le Mani Congo Nziga a Nkuyu
demande et obtient de Jean II (1481-1498), l’envoi de missionnaires à son pays. Il est
baptisé (Joao) l’année suivante avec un certain nombre de notables de sa cour tandis la
capitale du royaume, Mbanza Congo prend le nom de Sao Salvador.

Avec les missionnaires (moines et prêtres), Jean II a exporté aussi, selon


l’expression de Georges Ballandier, « un modèle réduit de la société européenne, afin
de pouvoir façonner la société et la civilisation du Congo à son image » : maçons,
menuisiers, paysans, ornements d’autel, vêtements sacerdotaux, crucifix, statues,
tableaux représentant des saints, etc.
Après une première église en bois et en paille, une autre est construite en matériaux
plus solides la même année. Les Portugais aident le Mani Congo à renforcer son
pouvoir et lui offrent des bannières marquées de croix auxquelles ils attribuent sa
victoire sur une province rebelle.

Le Christianisme ne tardera pourtant pas à rencontrer des difficultés dans son


avancée. Celles-ci tiennent essentiellement à la résistance d’un groupe de notables à la
tentative de conversion ; résistance qui se mue avec le temps en une opposition ouverte
avec les missionnaires. Chez le roi lui-même, la pratique du Christianisme achoppe sur
le refus de lâcher certaines coutumes locales et sur celui de renoncer à la polygamie.
Sous la pression de ses notables, il finit par revenir à la religion de ses ancêtres.

2. Un espoir vite évanoui


Après quelques années de piétinement, la christianisation du Congo reprend de
plus belle avec l’accession au trône du fils de Nziga a Nkuyu, Afonso 1 er .(1506-1544)
dont la pratique chrétienne est si pure qu’il reçoit des Portugais l’épithète de Plus
chrétien des rois. Sous le règne de ce nouveau Mani Congo qui veut faire de son
royaume la réplique du Portugal en Afrique, des églises sont édifiées même à
l’intérieur des terres, notamment dans les Mbanza ou capitales de provinces. Des
écoles sont créées et des jeunes nobles envoyés au Portugal pour s’instruire de la
science occidentale.
Parti étudier au Portugal, Le fils du roi, don Henrique, est ordonné prêtre en 1518 puis
évêque (le premier de l’Afrique noire) en 1521.

Après Afonso 1er, des missionnaires continuent d’arriver au Congo. Aux jésuites
venus en 1547 succèdent en 1557 des franciscains qui composent le premier ouvrage
connu en une langue bantou, un catéchisme kikongo. En 1596, Sao Salvador est érigée

24
en ville épiscopale. Entre 1608 et 1612, le souverain régnant, Alvare II envoie une
ambassade auprès du Saint Siège. Mais un affrontement armé entre troupes portugaises
et congolaises qui se solde en 1665 par la victoire des premières à Ambouilla et la
décapitation du roi Antonio 1er devait sonner le glas de la christianisation du Congo.
Fondée depuis 1622, la Propagande essaie encore de temps à autre, d’envoyer des
missionnaires, des capucins notamment, entre le XVIIème et le XVIIIème siècles.
Mais cette christianisation par à-coups laisse des zones entières sans prêtres pendant
plusieurs dizaines d’années. L’évangélisation n’étant plus suivie, les religions
traditionnelles reprennent leur droit de cité. Au XVIIIème siècle, le christianisme ne
subsiste plus au Congo que dans un état végétatif et syncrétiste.

3. Le déclin du Christianisme au Congo


Les germes du déclin du Christianisme au Congo sont semés dès l’époque la
plus florissante, sous le règne d’Afonso 1 er. Dès ces années en effet, le roi se plaint du
mépris dont il est l’objet de la part du moindre petit maçon portugais. Il dénonce aussi
et surtout les ravages de la Traite pratiquée même par des missionnaires ainsi que
l’appât du gain, comme des entreprises en flagrante contradiction avec l’Evangile.
De fait, l’amalgame entre les intérêts économiques du Portugal et la mission crée peu à
peu une atmosphère de crispation dans les relations entre les deux royaumes. Les
Portugais revendiquent le monopole sur tout :
- Sur les richesses du royaume et notamment sur l’exploitation de ses mines
- Sur les échanges commerciaux où ils veulent être payés en ivoire, en cuivre et
surtout en esclaves.
- Sur l’Eglise congolaise dont ils gardent longtemps le contrôle et qu’ils font
dépendre de l’évêché de l’île de Sao Tomé où ils sont installés.
- Sur la royauté congolaise qu’ils inféodent à leurs propres souverains.

S’étant brouillés avec les princes congolais qui montrent de velléité


d’indépendance, ils décident, à partir de l’année 1575, de s’installer dans le royaume
vassal du Dongo (Angola), de le soutenir et d’intriguer contre le Mani Congo.
Lorsqu’en 1665 ils déclarent la guerre à Antonio 1er qui leur a refusé une concession
minière, le vainquent et le mettent à mort, ils portent le coup de grâce d’une part au
royaume qui sombre alors dans l’anarchie faute de pouvoir central fédérateur et de
l’autre au développement de la religion catholique. Celle-ci souffrait déjà tout à la fois
de la Traite, de l’opposition de plus en plus forte de la classe nobiliaire attachée à la
religion ancestrale et d’une adhésion plutôt superficielle de la plupart des fidèles. Dans
les années qui suivent, on voit surgir des visionnaires, des prophètes et d’autres
illuminés qui, puisant aussi bien dans le Christianisme que dans la tradition, fondent
des religions concurrentes. Ils prêchent un christianisme africanisé, un Christ africain.

La plus célèbre de tous, Kimpa Vita, est plus connue sous son nom de baptême
Dona Béatrice. Cette jeune fille de 22 ans, ancienne prêtresse d’un culte local, amorce
en 1704, une prédication soutenue par des miracles qui va durer deux ans. Elle veut
réunifier l’ancien royaume désormais émietté en petites principautés sur lesquelles le
pouvoir central n’a plus vraiment de contrôle. Elle se dit réincarnation de saint
Antoine, envoyée par Dieu pour refaire l’unité du Congo à partir de Sao Salvador.

25
Dans ses visions et son propos, le Congo est la Terre Sainte et le Christ est un Noir né
à la capitale. Elle réussit à redonner vie à Sao Salvador presque détruite et en partie
laissée à l’abandon. Elle restaure la polygamie, menace les missionnaires qui
s’opposent à elle. Mais son succès tourne court lorsqu’elle met au monde un fils dont
elle attribue la paternité à l’Esprit Saint et qu’elle présente comme le sauveur. Arrêtée
par le prince régnant Pedro IV sur les instances des capucins, elle meurt sur le bûcher
le 2 juillet 1706 en confessant le nom du Christ.

Au total, l’échec de cette première évangélisation du Congo est imputable aux


causes suivantes :
- l’amalgame entre la mission et le commerce notamment des esclaves
- la discontinuité de l’apostolat
- la médiocrité d’un clergé esclavagiste et brutal dans ses méthodes
- le caractère sommaire de l’instruction avant le baptême ou même l’inexistence
de cette instruction
- l’attachement du peuple à la religion traditionnelle
- les difficultés internes du royaume
- les intrigues politiques du Portugal.

II. Les autres points d’ancrage de l’Evangile

En dehors du Congo, les Portugais ont établi d’autres contacts sur le littoral
africain. Il s’agit essentiellement de comptoirs esclavagistes sur le bord de l’Atlantique
et de quelques autres postes relais sur les côtes orientales.

1. Les comptoirs de l’Afrique occidentale


Sur la façade occidentale, ces comptoirs jalonnent la côte, du Sénégal à
l’Angola.
Il s’agit entre autres de Cacheu dans l’actuel Guinée Bissau, Axim, Shama, Accra et El
Mina dans l’actuel Ghana, Bénin et Gwato dans le royaume du Bénin, Ode Itsekiri
dans le royaume de Warri et Loanda en Angola. Hormis ce dernier royaume dont le
cas sera étudié à part, l’effort d’évangélisation ne se fait réellement sentir que dans le
Warri dont les souverains réclament constamment des missionnaires. En fin de
compte, aucune des chrétientés nées de la mission portugaise ne subsiste, sinon sous
des formes de survivance plus ou moins éloignées de l’orthodoxie. A. Milhou rapporte
qu’après 1880, des missionnaires catholiques ont découvert dans la région d’El Mina,
des statues et des images de saints qui faisaient l’objet de culte, syncrétiste dans le
meilleur des cas. Elles avaient été confiées deux siècles auparavant, par des Portugais à
des indigènes christianisés avant de déposer les armes devant leurs vainqueurs
calvinistes Hollandais en 1637. Ces chrétiens à leur tour les avaient transmises de
génération en génération avec un culte de moins en moins proche de son intégrité
originelle, faute de suivi.

Au Bénin, l’espoir de convertir le roi s’évanouit définitivement dans les années


1520 et celui de bâtir un royaume chrétien, en 1526 lorsque les Portugais empêtrés
dans les contradictions entre le message de l’Evangile et le commerce des esclaves ont

26
dû abandonner leurs installations pour fuir le climat trop difficile pour eux. Toutefois
l’influence portugaise semble s’être installée pour un moment et tout porte à croire que
quelques conversions s’opèrent dans la famille royale elle-même.

Les choses sont un peu mieux établies dans le royaume vassal du Warri. Les
souverains ici adoptent la religion chrétienne et l’Eglise catholique s’ancre au point
qu’au XVIIIème siècle, longtemps après le départ des missionnaires le peuple
conserve encore l’habitude de la vénération des objets de piété et des processions.

2. L’Angola
L’Angola constitue un cas un peu particulier. Le royaume de Dongo dont le
souverain portait le titre de Ngola - d’où le nom Angola – était à l’origine, vassal du
Congo. En 1556, soutenu par les négriers portugais, le Ngola proclame son
indépendance, demande et reçoit de Lisbonne des missionnaires. Mais cette démarche
obéissait plus à un calcul politique qu’à un réel désir d’embrasser le Christianisme.
Suivent alors après quelques années de quiproquo, des démêlés qui aboutissent à
l’emprisonnement, entre autres, du chef de mission. L’intervention portugaise
consécutive à cette situation en 1575-1576 se solde par une véritable colonisation du
royaume. La présence permanente des Portugais à partir de ces années-là ne favorise
pas pour autant, l’éclosion d’une vraie chrétienté angolaise. Le Christianisme de cette
époque est resté surtout la religion des colons Blancs et au mieux des Mulâtres et des
quelques Noirs installés dans l’opulente petite cité côtière de Saint-Paul-de-Loanda,
riche de son commerce d’esclaves. Ce n’est qu’à partir de 1648 que des capucins
italiens envoyés par la Sacrée Congrégation pour la Propagation de la Foi
commenceront à défricher l’intérieur des terres. Faute de suivi, les résultats de ces
dernières missions ne seront pas plus probants que les premières.

3. L’Afrique de l’Est
A l’Est de l’Afrique, deux points d’ancrage sont à signaler : les deux ports de
Mozambique et de Sofala auxquels il faut ajouter un peu à l’intérieur des terres, dans
la vallée du Zambèze, ce qui reste alors du royaume de Mwene Mutapa dans l’actuel
Zimbabwe.
Dans les deux ports, aucune véritable activité missionnaire n’est développée. C’est
vers l’intérieur que celle-ci est menée à partir de 1530, en direction des royaumes de
Karanga et de Butwa, respectivement au Nord et au Sud de l’ancien Monomotapa. Les
missionnaires ne réussiront jamais à établir des relations avec le roi de Butwa. Ils
arrivent à l’issue de mille et une péripéties, à installer l’Eglise dans le royaume du
Nord et à la maintenir tant bien que mal par l’intermédiaire d’une population de
Mulâtres, de Métis et de grands propriétaires Portugais appelés prazeros. Mais la
présence de cette Eglise devait cesser à la fin du XVIIème siècle, avec l’invasion du
Nord par le royaume du Sud

Outre ces points d’attache sur le continent, il faut noter les premières tentatives
d’évangélisation aux résultats mitigés menées par les jésuites et les dominicains à
Madagascar au XVIème siècle. Les jésuites reviennent dans la grande île avec des
carmes au XVIIème siècle et mènent alors une action plus suivie.

27
4. Le royaume du Prêtre Jean
Un autre point important à noter est la découverte du royaume du prêtre Jean :
l’Ethiopie. On se rappelle que le mythe de ce prêtre-roi avait hanté tout le Moyen Age
européen et que l’un des objectifs des expéditions portugaises était d’établir une
alliance avec ce royaume pour prendre à revers l’Islam. En 1487, parti d’Egypte, après
avoir traversé la Méditerranée, Afonso de Paiva, envoyé par Jean II du Portugal tente
de pénétrer dans ce royaume. Il trouve la mort probablement sans y parvenir. C’est
finalement son compagnon, Pêro de Covilhã qui, apprenant sa disparition trois ans plus
tard, parvient à établir le contact avec la chrétienté éthiopienne en 1492 et à s’établir
dans le royaume. Les relations suivies entre l’Ethiopie et l’Europe, elles, ne débuteront
qu’à partir de 1520 lorsqu’une expédition portugaise partie de l’Inde put débarquer à
Massawa un des rares ports du royaume.

Le royaume que l’Europe avait cru puissant et prospère était d’une relative
pauvreté et d’une faiblesse institutionnelle déconcertante pour les Européens. Son
agriculture et son artisanat étaient rudimentaires et il présentait une infériorité notoire
sur ses voisins musulmans, en matière d’armement, de technique et d’art ainsi que
dans la vie intellectuelle. « Le prêtre Jean », le Négus Lebna Dengel, n’était alors
qu’un jeune homme de 23 ans entouré d’une cour nomade d’officiels, de guerriers, de
prêtres et de moines ainsi que d’une cohorte de pauvres qui se déplaçaient avec lui. De
nombreux Européens, Génois, Portugais, Vénitiens entre autres étaient déjà établis en
Ethiopie. Ils étaient retenus de force pour la plupart, par un pouvoir conscient de son
isolement au milieu de royaumes musulmans et de sa faiblesse militaire, qui d’une part
ne voulait pas prendre le risque de laisser repartir d’éventuels espions et de l’autre
entendait profiter du savoir-faire occidental.

L’Eglise éthiopienne était monophysite de rite copte. Elle était dirigée par un
métropolite portant le titre d’Abuna qui ordonnait des prêtres par centaines dit-on,
après une instruction sommaire aux yeux des Portugais. Elle montrait un grand
attachement à l’Ecriture qu’elle considérait comme la source unique et exclusive de la
foi. Elle faisait une place importante à la vie monastique, pratiquait le mariage des
prêtres, la concélébration, la communion sous les deux espèces même pour les
nouveau-nés baptisés. Elle avait d’importants revenus, par le biais de ses monastères
notamment et dépendait du patriarcat d’Alexandrie. On y était prêtre de père en fils…
Bref, il y avait entre elle et l’Eglise d’Occident, de nombreuses divergences
disciplinaires et doctrinales propres à choquer les Européens. Malgré tout, la rencontre
entre l’expédition portugaise et le Négus donne l’occasion de célébrer les retrouvailles
entre les Eglises d’Orient et d’Occident dans le campement du roi. De longues
discussions s’engagent à l’issue desquelles ce dernier reconnaît la primauté du
patriarche de Rome et envoie une mission lui offrir l’obédience de son Eglise en 1527.
Par ailleurs des accords de coopération sont passés entre autres, pour mener une guerre
de concert contre les positions musulmanes. Grâce à ces accords, la chrétienté
éthiopienne attaquée par ses voisins musulmans sera sauvée du désastre par des
troupes portugaises accourues à la rescousse entre 1541 et 1543.

28
III. Bilan de la mission moderne en Afrique

1. Une christianisation superficielle


En dehors des Jésuites arrivés plutôt tardivement, le personnel ecclésiastique
engagé dans la première tentative d’évangélisation de l’Afrique appartient
essentiellement à des congrégations dont le charisme à l’origine n’est pas la mission,
du moins pas la mission ad gentes. Sans doute, n’était-il pas assez préparé à sa tâche.
C’était des augustins, des dominicains, des franciscains ainsi que des capucins entrés
en action à peu près à partir du milieu du XVIIème siècle. A ces religieux, il faut
ajouter des prêtres séculiers.

Malgré un travail parfois remarquable et de nombreuses actions d’avant garde –


traduction de catéchismes et confection de manuels en langues bantoues dans le
Karanga, école à Mbanza Congo et à Saint-Paul-de-Loanda, instruction de nombreux
jeunes au Portugal, formation d’un clergé local… - cette mission devait finalement se
solder par l’échec. Les seules chrétientés qui ont à peu près subsisté sont celles de
Saint-Paul-de-Loanda et des îles adjacentes au littoral atlantique. Mais pour reprendre
la question du Père Monnens, ces chrétiens issus du melting pot créé par la Traite et
fortement imprégnés de la culture portugaise, sont-il encore des Noirs ? Sans doute
encore par la peau, peut-être un peu dans l’âme aussi. Mais arrachés à leur milieu
naturel, leur adhésion plutôt forcée que librement consentie à cette religion importée
ne pouvait qu’être superficielle. Et dans tous les cas, elle ne peut pas être considérée
comme le gage de l’ouverture de l’âme africaine à une Bonne Nouvelle qui leur déniait
toute dignité et les arrachait à la liberté. L’échec des tentatives faites en direction des
Africains du continent tend à le démontrer. Cet échec tient à des causes nombreuses et
diverses, à savoir :
- l’insuffisance du personnel missionnaire portugais et donc le manque de suivi et
d’encadrement des jeunes Eglises disséminées sur un domaine qui couvrait
pratiquement trois continents : l’Afrique noire, l’Inde et le Brésil à partir de 1494.
- La médiocrité d’un clergé peu préparé à sa mission et la brutalité de ses méthodes
par rapport aux traditions des souverains qu’il cherchait à convertir.
- Le peu d’engouement des missionnaires à s’enfoncer à l’intérieur des terres.
- L’absence d’une véritable politique de formation d’un clergé local.
- Le manque d’autonomie des royaumes partenaires du Portugal en matière
ecclésiastique imputable au système du patronage.
- L’hétérodoxie de certains aventuriers européens tels que les degredados, les
marranes et les lançados(3)et donc leurs mauvais exemples.
- La rapacité des Portugais et l’esprit mercantile de leur politique maritime.
- La Traite Négrière pratiquée même par les ecclésiastiques.
- Les rivalités entre puissances européennes, notamment entre les Hollandais et les
Portugais pour le contrôle de certains comptoirs.
- Les intrigues et l’opposition des commerçants arabes dans le cas du Monomotapa
et des négriers dans d’autres.
- Les rivalités entre souverains africains et l’instabilité politique provoquée par les
conflits de successions.

29
Toutes ces causes conjuguées ont été à l’origine d’une christianisation
superficielle qui ne pouvait pas résister à deux siècles d’abandon. L’envoi de
missionnaires par la Sacrée Congrégation de Propagande Fide après sa création en
1622 ne réussit qu’à prolonger de quelques décennies, la survie voire l’agonie de ces
Eglises.

Par la suite, d’autres facteurs, politico-ecclésiastiques ceux-là, devaient porter le


coup de grâce au rêve catholique de voir s’implanter l’Eglise en terre africaine :
- la suppression en 1773 par Clément XIV de la Compagnie de Jésus, société
missionnaire par excellence à l’époque, qui priva l’Eglise d’une main d’œuvre
missionnaire compétente et abondante.
- La Révolution française à partir de 1789, qui entraîna la suppression de nombreux
ordres religieux et un réel ralentissement dans le recrutement des candidats à la vie
consacrée et qui donc accentua le manque de personnel.
- Les guerres de la Révolution et de l’Empire qui furent une entrave aux relations
entre l’Europe et l’Outre-mer.
Le conflit entre Napoléon et Pie VII qui entrava l’action de la SCPF dont l’empereur
avait du reste saisi les archives et les ressources.

2. Des méthodes inadaptées


Parmi les facteurs qui ont joué contre la réussite de la première vague de
missions en Afrique, l’échec de l’apostolat auprès des souverains mérite d’être
souligné en particulier. En effet, convertir les chefs pour avoir avec eux tout leur
peuple a été la méthode la plus usitée à cette époque. Les missionnaires n’avaient-ils
pas tous été instruits de l’histoire de Constantin et de l’empire romain ? Mieux encore,
ne connaissaient-ils pas celle de Clovis et de ses guerriers Francs ? Au XIXème siècle
encore, Lavigerie exhortera ses Pères Blancs à tirer les leçons de l’histoire après leur
avoir écrit ceci dans ses instructions : « Le christianisme ne devient un établissement
universel que lorsqu’il est officiellement adopté par les chefs d’un pays et que sa
diffusion est favorisée par leur exemple et leur pouvoir. » Devant la difficulté, le
manque de préparation ou d’engouement à pénétrer l’Afrique et l’âme africaine, les
premiers missionnaires ont pu trouver dans cette démarche, le moyen le plus aisé
d’évangéliser les Noirs. C’est en tout cas ce que l’on peut d’une façon générale,
déduire de l’observation de leur méthode. Le piège de cette démarche réside en ceci
qu’elle tend à soumettre le succès de l’entreprise à des compromis voire à des
compromissions difficilement compatibles avec le Christianisme. Les crispations qui
ont marqué les relations des jésuites avec certains souverains africains relèvent des
scrupules tardifs des premiers à céder leur contrepartie. Dans les faits, on peut dire
avec Georges Balandier qu’en grande majorité, les princes africains qui viennent au
Christianisme perçoivent cette religion comme une nouvelle source de puissance aussi
bien militaire que spirituelle et mystique pour affermir les assises de leur pouvoir face
à leurs rivaux. Une chose est sûre, ils n’en perçoivent pas dans l’immédiat toutes les
exigences et par conséquent ne regardent pas la nouvelle religion comme exclusive de
leurs vieilles croyances et pratiques religieuses. Le cas de l’oba (roi) du Bénin illustre
bien cet état d’esprit. Lorsqu’il fait appel, dans les premières années du XVIème
siècle, aux missionnaires portugais installés dans le comptoir de Gwato sur les côtes de

30
l’actuel Nigeria, c’est pour envoyer presque aussitôt au front avec ses guerriers, le
premier contingent reçu. Des dissensions ne devaient pas tarder à se révéler par la suite
sur les conditions de l’adhésion de l’oba à la religion chrétienne. Les missionnaires
durent finalement s’en aller vers 1520.

L’apostolat exclusif ou même simplement prioritaire auprès des chefs


comportait cet autre inconvénient qu’il faisait courir à la mission le risque permanent
de voir des portes se fermer, sinon définitivement au moins pour longtemps, quand un
prince effarouché décidait de refuser la nouvelle religion proposée. De nombreux
missionnaires ont été expulsés de territoires où ils s’étaient rendus indésirables par leur
prosélytisme auprès des grands. Mais l’échec n’est pas l’apanage de la mission auprès
de ceux-ci. Il est arrivé que cet apostolat soit concluant. Dans ces cas plutôt rares, il
faut bien le dire, ce sont les changements de dynastie, les guerres entre Etats, les
annexions des royaumes les uns par les autres, en un mot l’instabilité politique qui a
ruiné tout espoir de voir germer et se développer la graine semée. Le cas du
Monomotapa évoqué plus haut illustre bien cette situation.

Examinons enfin la situation des princes recueillis et formés à la cour de


souverains européens dans l’espoir d’en faire des rois chrétiens. A notre connaissance,
un seul exemple peut-être cité comme réussi : celui d’Antonio, fils de l’Olu Sebastiao
du Warri qui, formé au Portugal, accède au trône une fois revenu en Afrique et assure
la pérennité du Catholicisme dans son royaume. Toutes les autres tentatives connues se
sont révélées décevantes, soit parce qu’elles ont montré à l’arrivée qu’elles relevaient
de mauvais calculs politiques, soit parce que le prince revenu dans son élément naturel
a abandonné par atavisme, la pratique de sa nouvelle religion. Deux exemples
illustrent parfaitement ces propos. Le premier est celui du prince sénégalais, Biram
Buumi Jeleen, baptisé à la cour de Jean II du Portugal, en novembre 1489. Pour le roi
portugais, c’était l’occasion de christianiser le grand Jolof déjà touché par l’Islam.
Mais le rêve tourne court. Biram devenu Dom Joao Bemoim déjà évincé de la
succession, est finalement assassiné par les Portugais eux-mêmes à la suite d’un
différend.

Le second exemple est celui d’Aniaba, prince d’Issiny (ou Assinie dans
l’actuelle Côte d’Ivoire) qui a séjourné de 1688 à 1701 à la cour de Louis XIV. Formé
dans l’armée du Roi-Soleil, capitaine des mousquetaires, Aniaba reçoit aussi par les
soins du roi et de Madame de Maintenon, une solide formation chrétienne dispensée
par un précepteur aussi prestigieux que Bossuet en personne. Il est baptisé par son
précepteur le premier août 1691 sous le nom de Louis-Jean, dans la chapelle des
Missions Etrangères, à Paris. Rappelé à Issiny à l’annonce de la mort de son père, il ne
quitte pas la France sans avoir fondé un ordre de chevalerie où il entend accueillir les
nouveaux convertis de son futur royaume. Les insignes lui en sont remis quelques
temps avant son départ, le 12 février 1701 par le cardinal de Noailles, archevêque de
Paris, à Notre Dame. Le roi et l’Eglise de France fondent alors sur lui de grands
espoirs. La suite de l’histoire est confuse. Certains affirment qu’Aniaba revenu à la tête
de son royaume serait purement et simplement retourné à ses croyances ancestrales.
Mais il semble qu’il faille plutôt faire confiance à d’autres, qui soutiennent qu’il n’est

31
jamais monté sur le trône, un autre prince, Akassini, en ayant hérité avant son retour.
Toujours est-il que les espoirs fondés sur Aniaba se sont finalement avérés décevants.

Conclusion

Pour conclure ce chapitre, empruntons à l’historien français Philippe Denis, ces


mots pour dire que « les missions africaines de l’Epoque Moderne n’auront été qu’une
entreprise dérisoire, insensée et ridiculement optimiste [et de ce fait] condamnée à
l’échec. Non seulement l’investissement n’était ni à la mesure du travail à faire ni à la
hauteur des résultats escomptés, mais en plus l’effet combiné des maladies, des
difficultés de communication, des compromissions de l’Eglise avec le pouvoir
politique et de son acceptation de l’esclavage ont tout ruiné. ».

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Source : Histoire du Christianisme, Tome 7, p 573
Chapitre IV : Les missions modernes en Amérique

Introduction
I. La mise en place de l’Eglise dans le domaine espagnol
1. Une christianisation rapide
2. La méthode d’évangélisation
3. Une initiative originale : la république des Guaranis
II. La mission dans les domaines portugais, français et anglais
1. La mission en Amérique portugaise
2. La mission en Amérique française
3. La mission en Amérique anglaise

33
III. Bilan conclusif des missions modernes en Amérique.
1. Généralités
2. point de la situation dans le domaine espagnol

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Introduction

Comme en Afrique, les premiers contacts de l’Amérique avec l’Evangile ont eu


lieu sous le régime du patronat. Suivant les clauses de la donation pontificale, la
mission en Amérique a donc été d’abord l’affaire de l’Espagne dont les navires ont été
les premiers à accoster au Nouveau Monde. Toutefois, au fil des années, des traités et
de l’entrée dans la course d’autres puissances européennes, elle devait être rejointe par
le Portugal, la France et l’Angleterre.

I. La mise en place de l’Eglise dans le domaine espagnol.

1. Une christianisation rapide


De l’avis général des historiens, les souverains d’Espagne, Ferdinand d’Aragon
et Isabelle de Castille qui ont reçu d’Alexandre VI la bulle fondant le patronato ont
pris très au sérieux leur devoir de faire connaître le Christ aux populations découvertes
en Amérique. Ce souci transparaît en tout cas dans leurs instructions aux conquérants.
Malgré leurs exactions, ceux-ci, par acquis de conscience ou pour sauver les
apparences, ont globalement tenu à montrer que l’évangélisation était le motif
fondamental de la conquête. Aussi, ont-ils tenté d’imposer la foi chrétienne aux
Indiens par une démonstration de force ou en procédant par la séduction des liturgies
solennelles. Comme on pouvait s’y attendre, cette méthode n’a donné que de piètres
résultats, surtout qu’elle a été appliquée dans le contexte du dur traitement infligé aux
Indiens par les colons. Elle devait être bientôt relayée par une évangélisation
systématique entreprise par des ordres religieux. Parmi eux, figure en bonne place
l’ordre des frères mineurs dont l’action au Mexique a été des plus remarquables.
Appelés par Cortés pour prendre le relais des séculiers trop avides – les conquérants
estimaient que leur idéal de pauvreté les préservait de ce type de débordement – ils
débarquent dans cette contrée en 1524. Au bout de sept années de présence, Mgr
Zumarraga, premier évêque de Mexico, dans un bilan enthousiaste, évalue à plus d’un
million le nombre de baptisés. Il ajoute que cinq cents temples consacrés aux idoles
ont été détruits, vingt mille statues qu’il appelle figures de démons, ont été brûlées et
que les sacrifices humains – vingt mille cœurs humains offerts aux idoles / an – ont
totalement cessé.
Après quinze ans de présence, un autre franciscain connu sous le surnom indien de
Motolina (le pauvre) parle de six millions de baptisés. Quel crédit accorder à ces
chiffres ? On ne saurait les infirmer, ni les confirmer. On peut seulement s’en tenir à
cette constante dans l’histoire que les statistiques anciennes sont souvent peu fiables et

34
qu’en ce qui concerne les missions, le nombre de baptêmes ne reflète pas
nécessairement la réalité des conversions. On dit d’ailleurs en ce qui concerne le
Mexique, qu’après leur journée d’apostolat, les missionnaires rentraient chaque soir au
couvent avec la crampe du baptême.

Mais le dynamisme de l’évangélisation de l’Amérique espagnole se laisse


percevoir également sur d’autres plans. On note par exemple l’érection de trente-
quatre évêchés en un siècle, depuis celui de Saint Domingue créé en 1511 jusqu’à
Buenos Aires en 1620. Dans le même intervalle, plusieurs couvents ainsi que des
universités sont fondés ; l’Inquisition est mise en place. Synodes et conciles locaux se
succèdent pour régler les problèmes spécifiques et définir une pastorale adaptée à la
situation concrète de cette Eglise. L’histoire a retenu quelques-unes de ces assemblées,
à savoir : les conciles de Lima (Pérou) et de Mexico, les synodes de Popayán
(Colombie) et de Santiago du Chili.
- Le premier concile de Lima (1551) interdit tout baptême d’Indien âgé de plus de
huit ans sans une catéchèse préalable d’une durée de trente jours au moins
- Le premier concile de Mexico (1555) ordonne aux évêques de veiller avec
diligence à arracher les Indiens à leur dispersion par champs et par montagnes pour
les rassembler dans des villages afin de les socialiser et faciliter ainsi le travail des
missionnaires.
- Le premier synode de Popayán (1555) voue à l’excommunication tous ceux qui
refusent de restituer aux Indiens, ce qu’ils leur ont pris injustement, en tribut ou en
service, les juges qui le permettent, les complices et les bénéficiaires ainsi que tous
ceux interdisent aux Indiens de se marier entre eux.
- Le troisième Concile de Lima (1582-1583) qui adapte les décisions du concile de
Trente à l’ensemble de l’Amérique espagnole fait obligation aux prêtres
d’apprendre les langues indiennes et de les utiliser dans leur pastorale.
- Le troisième synode de Santiago du Chili (1626) appelle de tous ces vœux
l’interdiction de la capture des Indiens de la province de Cuyo (Andes argentines)
pour les mener pieds nus à travers la neige, enchaînés comme des esclaves et les
soumettre à la corvée des Mines.

Notons enfin que parce qu’ils étaient soigneusement choisis grâce à la vigilance
de la couronne, (les deux tiers sont des religieux) les évêques de cette Eglise,
espagnols de la métropole pour la plupart, sont souvent des hommes remarquables. Le
franciscain Zumarraga, le premier de Mexico (1528-1548) nous est déjà connu. Citons
également Toribio de Mogrevejo, évêque de Lima (1581-1606) qui a réussi l’exploit
de visiter trois fois entièrement son immense diocèse et qui a été canonisé.

2. La méthode d’évangélisation
Après la manière forte alliée à la tentative de séduction par la solennité des
célébrations qui a été la méthode des premiers missionnaires accompagnant les
conquistadores, celle des premiers franciscains fut la méthode de la table rase. On tente
alors d’édifier le Christianisme sur les ruines des religions traditionnelles, avec aussi le
risque de ruiner la culture indigène. Les édifices chrétiens sont battis sur le site

35
d’anciens temples païens détruits, et des fêtes chrétiennes placées aux dates de
célébrations indiennes traditionnelles supprimées.

D’une façon générale, le baptême est donné sans préparation doctrinale


préalable, l’instruction catéchétique administrée principalement aux enfants ne venant
qu’après. Cette catéchèse est la traduction de celle des petits espagnols de la
métropole, avec quelques adaptations et des supports audio-visuels originaux conçus
pour frapper les esprits et impressionner : peintures, mise en vers mexicains chantés
des commandements de Dieu et théâtre religieux où le hurlement de chiens ou de chats
jetés vivants au feu laisse imaginer les affres de l’enfer.

En outre, la structure des églises elle-même est mise au service de


l’évangélisation. Les églises construites à cette époque présentent en général une
architecture exubérante, faite pour séduire les populations locales habituées pour la
plus grande part à voir et à vivre dans des édifices plus modestes. La liturgie,
solennisée à souhait, participe du même souci. La moindre fête donne lieu à
d’interminables processions et à de joyeuses danses. L’Eucharistie par contre est
distribuée avec parcimonie. De longues années d’attente sont imposées aux baptisés.

Par ailleurs, dans le but de former un clergé indigène, gage de pérennité de


l’évangélisation, l’évêque Zumarraga fonde à Tlatelolco, un collège d’élite pour
écoliers indiens. Le sacerdoce est pourtant au final, refusé aux Indiens. Ce fut l’une des
failles du système. L’autre travers à déplorer fut les longues vacances des sièges
épiscopaux. Les nominations ayant lieu en Europe, le délai d’attente à la mort d’un
évêque n’est jamais de moins de quatre années, ce qui n’est pas sans conséquence sur
le suivi et la coordination des missions.

Il est à noter qu’à la différence des autorités civiles, les missionnaires n’étaient
spécialement enclins à hispaniser à tout prix les Indiens. Aussi, après la première
génération de missionnaires, les nouveaux d’évangélisateurs, suivant les
recommandations des synodes et conciles locaux, s’efforcent-ils d’apprendre les
langues indigènes et d’établir grammaires et autres lexiques. Ceci leur permet de
connaître leurs ouailles à travers leurs us et coutumes et de produire les manuels
nécessaires à leur apostolat dans les parlers locaux. De cette connaissance, il résulte
une nouvelle orientation de l’enseignement chrétien dans laquelle on évite autant que
possible de parler de la Trinité pour ne pas prêter le flan au polythéisme, et d’insister
sur la mort du Christ pour éviter d’évoquer les sacrifices humains.

Au total, l’ensemble des méthodes employées dans le domaine espagnol pour


transmettre l’évangile a favorisé chez les Indiens, un christianisme syncrétiste qui dure
encore aujourd’hui. Toutefois on peut dire avec l’historien français Duverger que
« c’est grâce aux ordres mendiants que les Indiens, ceux du Mexique [en particulier] se
sont convertis, mais que c’est également grâce à eux qu’ils sont demeurés indiens. »

3. Une initiative originale : la République des Guaranis

36
Le rassemblement des Indiens en villages ou réductions avait pour objectif entre
autres de les préserver du contact avec les colons dépravés et de les soustraire à leur
funeste rapacité. Au Paraguay, cette option allait donner lieu pendant plus de cent
cinquante ans (1610-1768), à une expérience originale que l’histoire a retenue sous le
nom de République Communiste Chrétienne des Guaranis. Cette expérience menée
par les Jésuites rassembla une trentaine de réductions, soit environ cent cinquante
mille Indiens Guaranis en une espèce de nation libre.

Les Guaranis étaient à l’origine des populations nomades. Ils sont christianisés
et sédentarisés par les Jésuites dans ces réductions qui sont ici des villages chrétiens à
l’abri de l’exploitation coloniale, donc interdit d’accès aux colons espagnols. La
réduction qui a l’église en son centre est dirigée par une demi-douzaine de Jésuites
aidés par des fonctionnaires indiens subalternes. La vie communautaire est organisée
sur des bases chrétiennes et les exercices religieux rythment la journée.

En 1750, le traité dit des limites entre Espagnols et Portugais fait passer une
partie des villages sous le contrôle des seconds, signant ainsi leur arrêt de mort. C’est
le premier grand coup porté à cette organisation. Des Guaranis résistent quelque
temps, aidés par l’un ou l’autre Jésuite. Mais la suppression de la compagnie en 1768
en Espagne porte le coup de grâce à la République. En l’absence de ses initiateurs, le
système révèle vite des failles qui le font péricliter : les Jésuites n’ont pas pris le soin
de former de véritables responsables pour prendre leur relève. Cette carence s’avère
fatale.

II. La mission dans les domaines portugais, français et anglais

1. La mission en Amérique portugaise


L’Amérique portugaise est constituée essentiellement du Brésil entièrement
passé sous le contrôle de cette puissance ibérique au fil des accords de compensation et
des traités. La mission y débute en 1549, avec le débarquement d’une demi-douzaine
de Jésuites conduits par le Père Manuel de Nobrega. La mission s’installe à Bahia qui
restera de 1551 à 1676, le seul évêché de l’immense territoire. Les Jésuites y fondent
un collège qui sert de base à leur apostolat.

De Bahia, la mission descend bientôt vers le sud. Les Jésuites contribueront


ainsi à fonder Sao Paulo en 1553 et Rio de Janeiro. Ils établissent également des
villages chrétiens où ils accueillent et sédentarisent des populations indiennes
nomades. Mais leur trop petit nombre nuit gravement à l’efficacité de leur action. On
évalue à soixante-trois religieux, étudiants, novices et frères compris, le nombre de
missionnaires préposés en 1600, à l’évangélisation de l’immense territoire brésilien.
En 1676, sont créés les évêchés de Rio et de Recife. S’y ajoutent en 1719, ceux de
Saint-Louis du Maranhao et de Belem.

La méthode des Jésuites ici est proche de celle des missionnaires de l’Amérique
espagnole. Ils étudient les langues indiennes pour pénétrer la mentalité de leurs
ouailles, la comprendre et orienter leur apostolat en conséquence, assurent la

37
juridiction aussi bien spirituelle que temporelle dans les villages chrétiens, mettent
l’accent sur la splendeur de la liturgie, affiche de la réticence à donner la communion
aux Indiens et leur refusent le sacerdoce.
Outre le petit nombre des missionnaires, les principaux obstacles à l’évangélisation
sont la question de la polygamie et celle de chasse aux esclaves menée par les colons
qui provoquent la fuite des Indiens vers les terres difficiles d’accès.

Parmi les missionnaires qui se sont illustrés en Amérique portugaise, un nom se


détache. C’est celui d’Antonio Vieira (1608-1697). Ce Jésuite connu par ailleurs pour
ses grands talents de prédicateur débarque au Brésil en 1652. Il se consacre à
l’organisation des villages pour sédentariser les Indiens. Puis, comme Montesinos à
Saint Domingue, il dénonce les exactions des colons de Belem et de Saint-Louis et
réussit ainsi à circonscrire la chasse à l’esclave. S’étant consacré à la défense des
Indiens comme Las Casas, Vieira, avec le titre de visiteur des missions brésiliennes
s’efforce mais sans grand succès d’obtenir pour ses protégés, un traitement plus
humain et, une juste rétribution pour leur travail. Son action finit par exaspérer les
colons qui saccagent le collège jésuite de Belem et chassent les pères. A l’issue de ces
événements, le Jésuite est condamné à deux ans de prison par l’Inquisition locale.
Rappelé à Rome, il doit encore faire face à la poursuite des tribunaux romains. Revenu
au Brésil en 1681 – il a alors 73 ans – il reprend son combat jusqu’à sa mort à 89 ans
sans réussir à faire cesser les abus perpétrés contre les Indiens.

2. La mission en Amérique française


C’est essentiellement le Canada et les Antilles qui constituent ce qu’il est
convenu d’appeler l’Amérique française.

Terre découverte en 1497 par Jean Cabot, navigateur vénitien au service de


l’Angleterre, le Canada est exploré par Jean de Verrazane (1524) puis par Jacques
Cartier (1534-1536), mandatés par François 1er de France (1515-1547). Le pays reçoit
alors le nom de Nouvelle France. La colonisation proprement dite commence sous
Henri IV (1586-1610) avec Samuel de Champlain qui part en reconnaissance de la
contrée à partir de 1603, fonde la ville de Québec en 1608, établie la carte du Québec
pour en faire une colonie française et stimule la venue de colons français.

L’histoire de l’évangélisation commence ici avec un laïc, Marc Lescarbot qui,


installé en Acadie avec un premier groupe de Français se fait le prédicateur et le
catéchiste de l’établissement et de quelques Indiens rencontrés sur place. Revenu en
France, il exhorte les évêques à y envoyer des missionnaires. Champlain lui, arrivé
entre temps au Canada pense en faire une colonie de peuplement et forme en même
temps le désir de propager la foi parmi les Indiens. En 1615, il fait venir des
missionnaires de la branche franciscaine des Récollets qui s’installent dans les postes
d’échanges des fourrures, à savoir Tadoussac, Québec et Trois-Rivières, puis
s’enfoncent à l’intérieur des terres. Arrivés à la suite des Récollets, des Jésuites
évangélisent l’Acadie puis Québec.

38
Interrompu en 1629 pour cause d’occupation de Québec par les Anglais,
l’apostolat des Jésuites devait reprendre à partir de 1632. Grâce à une revue paraissant
une fois l’an (Les Relations) qui raconte leur apostolat auprès des indigènes, ils
réussissent à susciter l’enthousiasme en métropole pour soutenir leur cause. La
démarche des Jésuites ici n’est pas différente de celle de leurs confrères d’Amérique
portugaise. Elle consiste essentiellement à suivre les Indiens dans leur pérégrination et
à tenter de les sédentariser dans des villages chrétiens. Sans être les seuls à l’avoir fait,
les Jésuites entreprennent d’apprendre les langues indiennes et y traduisent les
catéchismes et autres livres de prières dès 1630. S’il y a sur ce sujet un nom retenir,
c’est celui du père Jean-Baptiste de la Brosse, qui fut le premier à publier en 1767 un
livre entièrement écrit en langue indienne et imprimer sur place au Canada.

Les premières religieuses missionnaires arrivent au Canada à partir de 1639. Ce


sont des Hospitalières de Dieppe et des Ursulines de Tours.
En 1640, des laïcs menés par Monsieur Olier, supérieur de la Compagnie de Saint-
Sulpice fondent en métropole, une société dénommée Société Notre-Dame de
Montréal. Cette société qui se voue exclusivement à la mission, envoie une expédition
sous la conduite de Paul Chomedy de Maisonneuve qui fonde Ville-Marie (Montréal)
en 1642. A partir de Ville-Marie, les Jésuites lancent l’évangélisation des Hurons,
peuple semi-nomade allié des Français. Après quelques succès, le massacre en 1649
des Hurons par les Iroquois alliés des Anglais, ruinent tous les espoirs. Les rescapés se
réfugient à Québec. Parmi les morts de la campagne iroquoise, on compte des martyrs
Jésuites, entre autres : Isaac Jogues, Jean de Brébeuf, Charles Garnier.
En 1657, arrivent des Sulpiciens qui s’installent à leur tour à Montréal. Ils tentent
d’allier francisation et évangélisation

En 1658, le père François de Laval est nommé Vicaire apostolique du Canada.


Il le restera jusqu’en 1674, date à laquelle est instituée la hiérarchie ordinaire au
Canada et où il reçoit le titre d’évêque. Chargé d’organiser l’Eglise de cette terre qui
reçoit le statut de province française à partir de 1663, Mgr de Laval fonde la même
année, le Séminaire de Québec. Pendant ce temps, la mission continue et s’oriente à
partir de 1665 vers la région des Grand Lacs, à l’Ouest. Suivant la trace des
explorateurs, les missionnaires parcourent la vallée du Mississipi et la région de la
Nouvelle-Orléans ( ville fondée en 1718 actuellement aux Etats unis.)

Au total, le nombre de missionnaires, trop peu important pour un territoire trop


immense et les conflits permanents qui opposent les différents groupes ( Jésuites,
Capucins, Missions étrangères) ne favorisent pas un travail efficace. En 1763, le traité
de Paris signé à la suite de la défaite des Français face aux Anglais et de la prise de
Québec, la France cède tout le Canada à l’Angleterre. Lorsque les missionnaires plient
bagage, ils n’ont réussi à convertir que quelques milliers d’Indiens.

Malgré la modestie des résultats, il convient de souligner une certaine


originalité dans cette évangélisation. Celle-ci est moins liée ici aux intérêts
mercantiles. Si dans la course à la colonisation, l’opposition entre la France et

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l’Angleterre a jeté les Indiens dans des luttes fratricides, ceux-ci n’ont cependant pas
été soumis au type d’exploitation que l’on a connu dans les terres ibériques.

Les terres françaises aux Antilles ont été pour ainsi dire rognées sur le domaine
espagnol. Il s’agit de la Guadeloupe (1635), de la Martinique (1635) et de Saint-
Domingue (Haïti 1665).

Ici, la mission s’adresse essentiellement aux colons et surtout aux esclaves


Noirs dont le nombre est alors très important (80 000 à la Martinique, 90 000 à la
Guadeloupe, 400 000 à Saint-Domingue). Le personnel préposé à l’apostolat est
constitué de séculiers et de réguliers. Mais d’une façon générale, on déplore leur
insuffisance en nombre et qualité. A l’analyse, en dehors de Jésuites qui font un travail
remarquable de proximité et d’adaptation, la certitude est établie que ces colonies
d’Amérique française sont le lieu où l’on déverse en priorité les clercs dont les ordres
et les diocèses veulent se débarrasser. On disait alors à l’époque qu’aux colonies
n’étaient voués que « les rebuts du cloître et l’écume des diocèses. »

Le code Noir, promulgué par Louis XIV en 1685 oblige les propriétaires d’esclaves à
les évangéliser. Mais la plupart des colons sont indifférents ou franchement
antireligieux. Beaucoup se désintéressent de ce devoir ou s’y opposent
catégoriquement. Ce sont les Jésuites qui en règle générale prennent en main cette
annonce de la Bonne Nouvelle. Ils adoptent comme langue d’apostolat le créole et
s’efforcent d’organiser les esclaves en communautés dont ils assurent la préparation au
baptême avec l’aide de catéchistes Noirs formés par eux.

A cause de l’opposition de la royauté qui y voit une voie possible


d’émancipation des colons, on évite de créer des évêchés et des écoles dignes de ce
nom. L’Eglise née dans ces colonies restera donc longtemps sous la tutelle de la
métropole, n’ayant pour hauts dignitaires que des préfets apostoliques eux-mêmes très
dépendants des fonctionnaires royaux en poste aux Antilles françaises.

3. La mission en Amérique anglaise


En rigueur de thèmes, il ne s’agit pas ici d’évangélisation au sens d’annonce de
la Bonne Nouvelle à des peuples non encore chrétiens. Mais plutôt d’installation de
colons. Les colonies anglaises d’Amérique ont accueilli quelques anglicans. Mais elles
ont été surtout le refuge de dissidents religieux fuyant les rigueurs des répressions qui
se sont abattus ceux que l’Anglicanisme indisposait.

Les premiers sont des puritains connus sous l’appellation de Pères Pèlerins du
Mayflower. Débarqués au Massachusetts en 1620, ils s’adonnent dans un premier
temps au massacre des Indiens qu’ils déclarent race inférieure non choisie par Dieu.
L’un d’eux, un prédicateur du nom de John Eliott finit pourtant par s’adresser aux
indigènes. Il fonde une société missionnaire pour les évangéliser, apprend leur langue,
y traduit le Bible et rallie quelques milliers d’Indiens. Mais son œuvre est peu suivie
après sa mort en 1690.

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En 1682, un quaker, William Penn, s’installe sur la rive du fleuve Delaware, à
l’est des Etats Unis. Il fonde ainsi la colonie à laquelle il donne son nom : la
Pennsylvanie où la liberté est garantie à tous.

De 1735 à 1738, John Wesley mène sans grand succès, un intense apostolat en
Géorgie. Il y rencontre les frères Moraves, des piétistes dissidents, spécialement voués
à la mission.

De ce rapide survol de la mission en Amérique anglaise, se dégagent deux


caractéristiques principales :
- un nombre impressionnant de confessions réformées se partagent le terrain
apostolique
- La liberté religieuse est de rigueur.
En définitive, lorsqu’en 1776 les colonies anglaises déclarent leur indépendance, la
liberté religieuse apparaît comme la caractéristique principale du nouvel Etat fédéral.
Aussi, le premier évêché catholique sera-t-il fondé en 1789 à Baltimore, ville où par
ailleurs, les juifs exercent librement leur religion.

III. Bilan conclusif des missions modernes en Amérique

1. Généralités
D’un point de vue global, on peut dire que le système du patronat a moins bien
fonctionné en Amérique qu’en Afrique. Tel qu’il a été occupé à l’époque moderne, le
champ des missions d’Amérique forme une mosaïque qui reflète le climat même de
l’Europe résultant des crises de la Renaissance : affaiblissement de l’autorité
pontificale au profit de l’autonomie des monarchies absolues qui se forment alors,
oppositions entre les royaumes, guerres, fragmentation du tissu religieux, tout cela se
retrouve transporté en Amérique.

En dehors des Antilles françaises où l’on a eu à déplorer la qualité plutôt


mauvaise des missionnaires, le personnel affecté à l’apostolat ici est en général plus
compétent et plus consciencieux qu’en Afrique. Si les résultats sont en deçà de ce que
l’on aurait pu espérer, il reste tout de même que les Eglises nées Amérique n’ont pas
toutes entièrement disparu comme ce fut le cas en Afrique. Sans doute parce que
l’Amérique étant une colonie de peuplement, il n’y a globalement pas eu de rupture
totale dans le suivi des communautés mises en route.

La principale pierre d’achoppement de cette mission a été l’esclavage : d’abord


celle des Indiens accablés par une exploitation sans nom par les colons et ensuite celle
des Noirs, déportés et soumis aux dures servitudes de la Traite. Il est à noter que
devant ce phénomène, les pères, les religieux notamment ont eu dans leur écrasante
majorité, une attitude digne des annonciateurs de la Bonne Nouvelle qu’ils étaient : a
défaut de pouvoir défendre tous les esclaves et de faire cesser un trafic trop juteux pour
les différentes métropoles, ils se sont efforcés de soustraire ceux qu’ils ont pu aux
mauvais traitements des colons et d’alléger la peine des autres.

41
Il y a tout de même des ombres à relever dans la mission en Amérique. La
principale est l’absence totale de politique de formation d’un clergé indigène. L’erreur
commise en Afrique est ici répétée, qui dénote d’une volonté inavouée de tenir sous
tutelles des races dont l’Européen, au-delà de tous les discours, ne pouvait pas
s’empêcher de penser qu’elles étaient inférieures. C’est ce même sentiment qui
explique que les Jésuites n’aient pas trouvé judicieux de préparer des Guaranis à
prendre en mains leur propre destinée, toutes choses qui leur auraient peut-être permis
de conserver intactes, les structures et la vie de « leur république ».

2. Point de la situation dans le domaine espagnol


L’Espagne est la nation européenne qui, grâce au système des patronats, a
missionné le plus grand champ d’apostolat en Amérique. Quel bilan dresser de sa
mission ?

Globalement, la mission espagnole assume le bilan général que l’on a dressé de


la mission effectuée en Amérique à l’Epoque Moderne. Au bilan spécifiquement
espagnol, il faut ajouter ceci qui est valable aussi dans une moindre mesure pour le
domaine portugais : la rapidité avec laquelle le Christianisme a été implanté chez les
indigènes ou chez les esclaves venus d’Afrique n’a souvent laissé que des marques
superficielles chez ceux qu’on croyait convertis. Le résultat, c’est le syncrétisme qui
caractérise jusqu’à nos jours, la pratique chrétienne des peuples d’Amérique Latine.

Des Noirs ont transporté sur leur lieu de déportation, des résidus de religions
africaines qu’ils ont mêlés à des pratiques chrétiennes mal assimilées pour créer de
nouvelles religions syncrétistes. Chrétiens le jour, adeptes de pratiques occultes la nuit,
d’autres ont tout simplement continué à pratiquer la religion de leurs ancêtres, à l’insu
de leurs Maîtres et des missionnaires. L’exemple le plus typique est le Vaudou que
l’on retrouve désormais des deux côtés de l’Atlantique.

Les Indiens également ont dans leur grande majorité, facilement accepté la
religion chrétienne. En dehors de rares récalcitrants généralement traités avec
bienveillance par les pères – on ne guère que le cas du cacique Don Carlos de Texcoco
qui, pour avoir revendiqué pour les Indiens le droit à la différence, fut condamné
comme hérétique et concubinaire et mis à mort par l’Inquisition – les résistances sont
peu nombreuses et durent peu. Mais les Indiens qui acceptent le Christianisme le font
tout en conservant à l’insu des missionnaires, leur héritage religieux ancestral. Là où
les missionnaires ont cru détruire la religion du terroir en dressant des églises à la place
des temples païens, les Indiens voient une addition de dieux. Ils y célèbrent à la fois les
fêtes chrétiennes et leurs anciens dieux. Les missionnaires avaient pensé substitution,
les Indiens eux pensent cohabitation ou s’organisent par réseau clandestin pour
pratiquer la religion de leurs ancêtres. A Mexico par exemple, le Temple de Tonantzin,
la mère des dieux avait été remplacé par une énorme basilique dédiée à Notre Dame de
Guadalupe. En y vénérant la Vierge, les Indiens continuent de rendre leur habituel
culte à leur déesse locale. Ailleurs, sous couvert de la fête de l’Assomption, les Indiens
célèbrent pendant cinq jours d’anciennes divinités.

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Lorsque les missionnaires et l’administration s’en rendent compte, ils activent
une répression particulièrement active au Pérou. Pris dans un premier temps (1568-
1580) en mains par l’autorité civile alors incarnée par le vice-roi Francisco de Toledo
pour qui l’éradication de la religion du terroir est une affaire d’Etat, cette lutte se fixe
pour objectif d’inculquer à tout prix la culture espagnole aux Indiens pour faire
disparaître totalement leur culture, qui est aussi le siège et le véhicule de leur religion.
Les livres qui décrivent la culture et le passé indiens sont détruits ou interdits de
publication. Une visite générale est menée dans tout le pays par des équipes formées
d’hommes d’Eglise et de laïcs pour pourfendre l’idolâtrie. Les Indiens sont contraints
d’abjurer la religion des ancêtres et d’accepter le baptême. En 1572, le dernier Inca,
Tupac Amaru est mis à mort dans le but d’extirper les derniers vestiges de la religion
du Soleil.

Au début du XVIIème siècle, en 1609, la découverte de réseaux clandestins


d’adeptes des religions anciennes occasionne la création d’une nouvelle institution : La
visite des Idolâtries encore appelée l’Extirpation. C’était une sorte d’Inquisition douce
pour les Indiens assurée par les Jésuites à la différence de l’Inquisition qui elle était
l’affaire des Dominicains. Elle consistait en des missions ponctuelles au cours
desquelles avaient lieux confession et exercices de piété, dénonciation des sorciers et
des idolâtres, destruction solennelle des objets de culte païens, autodafé des pères,
mères et autres ancêtres momifiés et conservés pour être vénérés. Parallèlement, des
sermons types sont donnés aux curés contre l’idolâtrie qui, tout en faisant l’apologie
du christianisme justifient la colonisation et explique que les malheurs des Indiens sont
le châtiment de leur idolâtrie.

Chapitre V : Les missions modernes en Asie

Introduction
I. Saint François-Xavier et le Japon
1. François-Xavier et ses « deux manières »
2. Le développement du christianisme au Japon.
3. Le déclin du Christianisme au Japon
II. Robert de Nobili et l’Inde
1. Les étapes de l’évangélisation de l’Inde

43
2. Les méthodes des évangélisateurs modernes
3. les difficultés
III. Mateo Ricci et la Chine
1. Les débuts de la mission en Chine
2. Les difficultés de la mission en Chine
3. La querelle des rites
IV. La Corée et l’Indochine
1. La Corée
2. L’Indochine
Conclusion

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Introduction

La mission en Asie a d’abord été l’affaire du patronat portugais avec comme


personnel des jésuites. Mais les défaillances du padroado, l’immensité du territoire à
évangéliser et la nouvelle conjoncture politique marquée par le déclin maritime des
puissances ibériques devaient amener le Saint Siège à enrôler des missionnaires
d’autres ordres et d’autres nationalités. Plutôt que de favoriser une saine émulation et
une culture de fraternité, la cohabitation a suscité des rivalités et des conflits qui ont
gravement nuit à l’enracinement du Christianisme en ces terres de vieille civilisation.

I. Saint François Xavier et le Japon

1. François Xavier et ses « deux manières »


François Xavier est né en Navarre en 1506. Il fait partie de sept compagnons
qui, par leurs vœux prononcés à Montmartre le 15 août 1534, ont fondé la Compagnie
de Jésus. En 1540, il est désigné par son supérieur, Ignace de Loyola pour aller en
mission dans les Indes orientales. Il part alors de Lisbonne avec le titre de nonce
apostolique pour le domaine du Padroado et arrive à Goa en 1542. Les Portugais y
sont installés depuis 1510 et la ville abrite alors depuis 1533, l’évêché qui gère
l’évangélisation de toute l’Asie orientale. (Il deviendra archevêché en 1557).

Après quelques mois passés sur place, François Xavier descend sur les côtes de
l’Inde du sud. Il ne connaît pas la langue, la culture indienne encore moins. Mais ces
carences ne lui paraissent pas des obstacles majeurs. Quelques formules traduites et
apprises par cœur lui semblent largement suffisantes pour toucher l’âme indienne et
l’amener à embrasser la foi en Jésus-Christ. Il baptise à tour de bras des milliers de
personnes après une catéchèse des plus sommaires et des plus rapides. Content de lui-
même, il envoie en Europe, des lettres enthousiastes dans lesquelles il décrit ses
succès.

La méthode de François Xavier, dans cette première phase de sa mission est


celle de la table rase. Il lui semble que détruire les signes de l’idolâtrie chez le païen
suffit pour en faire un chrétien. Aussi, parcourt-il inlassablement le champ immense de

44
mission qui s’étend devant lui. En 1545, il est déjà loin de l’Inde à Malacca (Malaisie/
Thaïlande), en 1546 dans les Iles de la Sonde (Indonésie) où se termine la première
étape de sa mission. On désigne par le nom de première manière, la méthode
missionnaire de François Xavier dans cette première partie de son œuvre
d’évangélisation.

A Malacca, François Xavier rencontre un pirate japonais converti. L’idée lui


vient alors de se rendre au Japon. Débarqué à Kagoshima, au sud de l’île de Kyushu le
15 août 1549, il commence un apostolat qui va le faire déchanter et l’amener revoir sa
méthode d’évangélisation. La réalité japonaise est à mille lieues de celle de l’Inde. Elle
est d’une singulière complexité. François s’aperçoit alors qu’il est indispensable de
connaître la langue pour éviter les confusions et d’adopter les coutumes du pays, ne
serait-ce qu’en matière d’habillement et de civilités. Il en conclut que tout missionnaire
préposé à l’évangélisation du Japon doit être muni d’un solide bagage philosophique
acquis en Europe et fréquenter une fois sur place, les universités japonaises pour
s’imprégner de la culture locale. C’est la deuxième manière de François Xavier. En
l’appliquant, il convertit un peu moins de mille japonais en deux ans. La moisson peut
paraître maigre mais l’expérience japonaise a mûri le jésuite qui a désormais compris
que l’évangélisation n’est pas une conquête spirituelle mais une œuvre de longue
haleine.

Ayant appris que la Chine est la source de la sagesse japonaise, il décide de s’y
rendre. Il y parvient, juste pour mourir d’avoir trop couru, le 3 décembre 1552.

2. Le développement du Christianisme au Japon


En comparant le nombre de convertis japonais au nombre d’Indiens que
François-Xavier a baptisés, on peut dire le succès du Jésuite a été moindre au pays du
soleil levant. Mais avec l’arrivée d’autres missionnaires, le terrain défriché par le
pionnier devait se révéler particulièrement fertile. Le Christianisme connaît en effet un
développement rapide favorisé par des circonstances historiques propices.

Au XVIème siècle en effet, le Japon entre dans la féodalité, caractérisée par


l’affaiblissement du pouvoir central au profit de seigneurs locaux qui par la même
occasion émergent et affirment leur autonomie. Par ailleurs, l’introduction du
Christianisme dans le royaume coïncide avec la décadence du Bouddhisme. Ces
raisons conjuguées donnent aux seigneurs locaux, les daïmyos, l’occasion d’affirmer
leur indépendance en se convertissant à la nouvelle religion venue d’Europe. D’une
façon globale, le Christianisme bénéficie de l’attrait que la civilisation européenne
exerce sur les Japonais. Ceux-ci ne dissociant pas la science de la religion, regardent le
Christianisme – le Catholicisme est la seule forme qu’ils connaissent alors – comme le
fondement de toute la civilisation européenne alors en plein essor. On évalue à trois
cent mille environ, le nombre de convertis japonais en 1590. Ils sont concentrés
surtout au sud du royaume, dans l’île de Kyushu ainsi que dans les régions de Kyoto et
d’Edo (Tokyo)

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Le principal organisateur de l’Eglise née de cette mission florissante au Japon
est un jésuite. Il s’appelle Alexandre Valignano. Arrivé à Macao en 1578 comme
visiteur des missions de l’Orient, il y reste avec ce titre jusqu’en 1606. Pour
promouvoir l’évangélisation dans ce pays, il opte pour la « deuxième manière » de
François-Xavier, c’est-à-dire pour l’adaptation. Il trace aux jésuites destinés au Japon,
un itinéraire qui leur évite tout contact avec d’autres qui ailleurs pratiquent la méthode
de la tabula rasa (Lisbonne – Goa – Macao ). En matière d’habillement, le traditionnel
coton européen est troqué contre la soie japonaise.
Les missionnaires invités à assimiler le Japon font un remarquable effort de
compréhension de sa culture. En évitant de la traiter comme inférieure à la culture
européenne et en cultivant la symbiose, ils assimilent le Japon et transmettent
l’Europe. Ils introduisent l’imprimerie ; traduisent des ouvrages dans les deux sens et
acquièrent une grande connaissance des religions du royaume.

En tant qu’organisateur de l’Eglise du Japon Valignano envisage la formation


d’un clergé local qui comprenne tous les degrés de la hiérarchie. Mais il se heurte à la
difficulté de leur formation : les parents se montrent réticents à laisser leurs garçons
aller dans les collèges jésuites ; les rares qui y sont ont d’énormes difficultés à
apprendre le latin et en outre, le Japonais a du mal à comprendre et à accepter le
célibat sacerdotal.

Entre 1598 et 1614, le Japon détaché de l’évêché de Macao est administré par
un évêque jésuite, Mgr Cerqueira qui réside à Nagasaki. A sa mort, il laisse au Japon
quatorze prêtres dont sept religieux jésuites et sept séculiers. En outre, il a pourvu le
Japon en Dojukus, religieux non-prêtres, en Cambos ou chef de communautés, en
catéchistes et en responsables de confréries, tous ces ministres en nombre assez
important pour permettre aux communautés de prendre en mains leur vie chrétienne.

Les Jésuites ayant perçu chez les Japonais un goût particulier pour les
cérémonies, ils l’exploitent dans le domaine de la liturgie. A la moindre célébration, y
compris aux funérailles, ils donnent un grand faste ; ils mettent la poésie et le théâtre
religieux au service de la foi, initient et supervisent des activités caritatives comme le
soin des pauvres et des malades, confiées aux confréries chrétiennes.

3. Le déclin du Christianisme au Japon.


A la fin du XVIème siècle, le Christianisme amorce son déclin au Japon. Ce
déclin est dû à trois facteurs principaux :
- le changement de politique intérieure
- l’apparition de rivalités commerciales entre européens
- un choix politique des jésuites. qui s’est avéré mauvais en fin de compte.

Vers la fin du XVIème siècle, des personnages politiques essaient de


reconstruire l’unité du royaume. Face à eux, il y a les daïmyos jaloux de leur
indépendance acquise dans les rangs desquels on compte de nombreux chrétiens. Ils
font figure de dissidents face à l’effort de centralisation et ils ont le soutien des
Jésuites.

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En 1587, le régent, le général, Hideyoshi interdit par décret, la religion chrétienne.
Cette proscription est assortie d’un délai de vingt jours au bout desquels il est demandé
à tous les missionnaires de quitter le Japon.

Le décret n’est pas appliqué dans l’immédiat. Il ne le sera que dix années plus
tard dans des circonstances de conflits entre Européens.
Arrivés de Philippines, des Espagnols réclament en effet leur droit de commercer avec
le Japon et d’y prêcher la Bonne Nouvelle. Ils lancent sur le terrain de l’apostolat,
quelques franciscains qui se mettent à évangéliser selon la méthode de la table rase.
En 1597, un de leurs navires, chargé d’argent étant confisqué par les autorités
japonaises, ils les menacent des représailles de leur roi Philippe II. C’est alors
qu’Hideyoshi ressort le décret de 1587 et qu’il condamne à mort sur cette base, six
franciscains, trois frères jésuites japonais et dix-sept laïcs chrétiens qui périssent
crucifiés à Nagasaki le 5 février 1597.

Ces événements qui n’ont pas de suite immédiate font cependant éclater au
grand jour les divisions entre Européens. Non seulement les Espagnols veulent
supplanter les Portugais dans le commerce, mais en plus, là où les seconds s’étaient
contentés d’activités lucratives, les premiers rêvent de conquête. Par ailleurs, l’entrée
en scène de Hollandais et d’Anglais vient compliquer davantage la situation.
Protestants, ces nouveaux venus s’efforcent de discréditer les puissances catholiques
aux yeux de leurs hôtes qui dès lors ne sont plus fascinés par le Catholicisme comme
base du progrès technique européen.

En 1600, devenu shogun (Premier ministre), Tokugawa Ieyasu restaure le


pouvoir central en menant une lutte sans merci contre les daïmyos chrétiens dont
beaucoup apostasient leur foi catholique. Dans la foulée, les missionnaires sont
accusés d’une part d’ourdir des complots pour renverser le gouvernement du pays et
s’en rendre maîtres ; d’autre part, de s’opposer à la tradition religieuse et culturelle
japonaise, le Shinto. Aussi, le 27 janvier 1614, un édit est-il publié qui proscrit le
Christianisme dans tout le Japon. Suit aussitôt une persécution cruelle, sadique,
continue et de plus en plus sanglante sous trois shoguns successifs. L’année 1622 est
marqué par le grand bûcher de Nagasaki sur lequel périssent quarante-cinq chrétiens.
En 1628, suite à une insurrection à Shimabara, trente-cinq mille chrétiens sont
massacrés et le Japon définitivement fermé aux Européens jusqu’en 1858. Entre les
deux dates, des tentatives clandestines d’infiltration missionnaire ont bien eu lieu.
Mais elles n’ont abouti qu’à augmenter le nombre de martyrs. Malgré tout, au XIXème
siècle, lors de la réouverture du royaume, on découvrira quelques communautés qui
ont survécu à l’adversité et à trois siècles d’abandon.

II. Robert de Nobili et l’Inde

1. Les étapes de l’évangélisation de l’Inde


Parce que François Xavier a écrit ses premières lettres de mission de l’Inde et
que sa tombe se trouve à Goa, il passe pour l’Inde. En réalité, si le Jésuite a marqué ce
vaste pays par son passage, il n’est pas vraiment le premier à y avoir annoncé la Bonne

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Nouvelle. Avant lui, l’Inde avait déjà entendu l’Evangile dès le premier siècle de notre
ère. En outre , des religieux d’occident y avait séjourné au XIVème siècle.

La première communauté chrétienne indienne dans le sud du pays se réclame de


l’apôtre saint Thomas dont elle vénère la tombe sur la côte est, à Mylapore. De cette
Eglise indienne antique, on sait qu’elle a entretenu des relations suivies avec les
chrétiens de Syrie au Vème siècle, qu’elle est rattachée au patriarcat de Séleucie-
Ctésiphon en Mésopotamie et qu’elle est comme nestorienne ou considérée comme
telle par les occidentaux. Quand les Portugais s’installent en Inde, cette Eglise dite
Syro-Malabar accepte sans difficulté la communion avec Rome. Les Portugais en
profitent pour la faire passer sous leur coupe, dans le cadre du Padroado lorsqu’en
1533 puis en 1558, ils installent des évêques respectivement à Goa puis à Cochin.
En 1559, un synode se tient à Diamper qui impose aux Syro-Malabrars des mesures
relevant des us et coutumes de l’Eglise romaine :
- usages latins en matière de liturgie
- désignation des évêques par le Padroado
- contrôle du dogme par l’autorité romaine

Les chrétiens de Saint Thomas se soumettent dans un premier temps à ces


mesures et cela jusqu’au XVIIème siècle. En 1653, un conflit éclate qui se solde par le
schisme d’une partie de la communauté qui ne supporte plus d’être soumise à
l’autorité portugaise. Elle se fait ordonner un évêque du nom de Thomas par un prélat
jacobite d’Antioche créant ainsi en Inde, une Eglise Jacobite de rite monophysite.

2. Les méthodes des évangélisateurs modernes


La méthode portugaise en Inde est au départ celle de la table rase comme on l’a
déjà vu avec François Xavier. Ils n’ont pas pris le temps d’apprendre la langue du
pays. Ils prêchent par interprète et aboutissent parfois à de ridicules quiproquos : par
exemple, le mot misei utilisé pour dire messe veut dire moustache en tamoul. La
question « Veux-tu être chrétien ? » se traduit « Veux-tu être prangui ? » c’est-à-dire
« Veux tu devenir portugais ou européen ? » En un mot, les Portugais ne comprennent
rien à la culture indienne et à l’Hindouisme, alors ils rejettent tout du revers de la
main. Dans les comptoirs où ils exercent un pouvoir politique direct, ils démolissent
les temples, mettent à mort les musulmans et établissent l’Inquisition.

En 1605, le jésuite Robert de Nobili arrive en Inde du sud. Son entrée en scène
va peu à peu modifier les perspectives de l’évangélisation dans cette contrée.
Le Père Nobili, italien, de famille aristocratique, est né en Toscane en 1577. Envoyé au
Maduré, centre intellectuel du brahmanisme, dans le sud de l’Inde, où il demeurera
plus d’un demi-siècle, il ne tarde pas à se rendre compte que de nombreuses difficultés
de ses devanciers portugais sont dues à leur mauvaise connaissance de la langue locale
et à la confusion que leur comportement laisse faire entre le Christianisme et le mode
de vie européen. Il adopte donc la méthode de l’adaptation.

Nobili refuse d’être considéré comme prangui. Au contraire, il se présente


comme un rajah (noble) romain qui s’est fait sannyassi c’est-à-dire pénitent qui a

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volontairement renoncé aux avantages du monde. Ainsi assimilé à un membre de la
caste des brahmanes, il adopte l’habillement des sannyassi : robe jaune, socques,
cordon brahmanique. Il apprend le tamoul et le sanscrit, s’initie à la philosophie
indienne dont il s’efforce d’extraire les correspondances avec le Christianisme pour les
utiliser dans son apostolat.
Ainsi armé, Nobili ne prêche pas en public. Il attend que l’on sollicite une
entrevue ou un entretien pour le faire. Aux convertis, il n’impose pas de rejeter toute
leur culture et de rompre toutes leurs attaches traditionnelles. Lors des baptêmes, il
supprime certains rites secondaires qui répugne aux Indiens.

La méthode de Nobili remporte quelques succès mais déclenche bientôt


l’opposition des adeptes de l’Hindouisme et de plusieurs missionnaires. Dénoncé à
l’archevêque de Goa et au Saint Siège, Nobili accusé d’être passé au paganisme, est
amené à s’expliquer. Sa méthode explicitée rencontre l’assentiment du pape Grégoire
XV qui en 1623 accepte ses adaptations. Il peut alors poursuivre son œuvre mais du
fait de son choix, il ne peut s’adresser qu’aux hautes castes. Pour pallier son
impossibilité d’entrer en contact avec les basses castes et les parias, il constitue une
nouvelle catégorie de missionnaires qui eux adoptent le genre de vie d’autres pénitents
indiens : les pandaras. Il y a ainsi deux sortes de missionnaires : les jésuites
brahmanes, peu nombreux et les jésuites pandaras dont le nombre s’accroît
rapidement. A la mort de Nobili en 1656, la mission du Maduré compte quatre mille
chrétiens dont vingt-six brahmanes.

3. Les difficultés
Les difficultés dans l’évangélisation de l’Inde ne sont pas venues d’abord de
l’hostilité des autochtones mais de conflits entre Européens.
A la fin du XVIème siècle en effet, le Portugal, en tant qu’empire maritime commence
à décliner. Au XVIIème siècle, Hollandais, Anglais, Danois et Français profitant de ce
déclin devenu irrémédiable, se partagent les dépouilles orientales du royaume ibérique
qui n’a plus rien d’une grande puissance. Quoique ne possédant plus les moyens de
contrôle sur son domaine, le Portugal continue de s’agripper à Goa sans vouloir
renoncer à aucune des prérogatives du Padroado. Commence alors un long conflit
avec le Saint Siège qui aboutit à une rupture des relations diplomatiques pendant trente
années (1640-1670).

Le Portugal refuse les vicaires apostoliques nommés par la Propaganda Fide.


Rome répond en refusant de confirmer ceux que propose Lisbonne. Le résultat est une
longue vacance des sièges qui ont le malheur de perdre leur titulaire. A la fin du
XVIIème siècle, on en arrive à la situation où chaque camp exige des missionnaires
arrivant en Inde, un serment de fidélité et où les missionnaires de chaque groupe
croient devoir reprendre ou tout au moins confirmer les sacrements conférés par ceux
de l’autre. A cela il faut ajouter les tensions entre latins et Syro-Malabars, les
dommages collatéraux de la querelle des rites déclenchée en Chine et les guerres
locales qui ont fait de nombreuses victimes chrétiennes.

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III. Mateo Ricci et la Chine

1. Les débuts de la mission en Chine


La Chine était connue des Européens depuis le Moyen Age (Cf ; Voyages de
Marco Polo). Mais les relations entre les deux peuples s’étaient quelque peu
estompées. Celles-ci sont rétablies au XVIème siècle par les Portugais qui accostent à
Macao en 1514. L’expédition portugaise qui devait aboutir à un établissement
permanent à dans la même ville sur l’embouchure de la rivière Zhu Jiang en 1557,
avait d’abord un but commercial. Mais conformément aux accords du Padroado, elle
comportait également un volet missionnaire. Une communauté Jésuite est ainsi fondée
en 1565 qui sert de relais avec le Japon. En 1576, un siège épiscopal est créé. C’est le
départ d’une Eglise qui devait peu à peu se développer dans la presqu’île de Macao,
l’accès à l’intérieur de l’empire lui étant alors interdit.

En 1578, le visiteur des missions de l’Orient, le Père Valignano désigne le


jésuite Michel Ruggieri pour étudier la langue chinoise. En 1582, le père Matthieu
Ricci, astronome et mathématicien de formation, arrive à Macao. Plus jeune et plus
doué pour l’apprentissage du chinois, il est adjoint au Père Ruggieri. Les deux gagnent
la chine continentale dès l’année suivante. Ricci ne la quittera pratiquement plus
jusqu’à sa mort en 1610 tandis que son compagnon part bientôt vers d’autres champs
d’apostolat.

Une première station est fondée à Zhaoquing, une agglomération située à


quelques encablures de Canton. De là, Ricci progresse par étapes jusqu’à Pékin : en
1589, il est à Shaozhou, en 1595 à Nanchang, et en 1599 à Nankin. En 1601 enfin, il
arrive à destination.

Durant ce périple, pour gagner des Chinois à l’Evangile, Ricci croit d’abord
judicieux de s’assimiler à un bonze bouddhiste. Il y renonce rapidement, s’étant aperçu
que ces personnages ne sont pas très estimés du peuple et notamment des lettrés,
disciples de Confucius qui eux par contre, forment une classe incontournable. Ayant
pris un nom chinois, Li-ma-tou, il se présente comme un lettré venu d’Occident et
adopte toutes les civilités locales.
Grâce à sa connaissance de la langue et de la culture chinoises, il compose des écrits
qui lui valent l’estime, la sympathie et l’amitié des lettrés. Il en profite bien entendu
pour faire connaître le Christianisme. Par ailleurs, il fabrique des mappemondes,
traduit des traités de Mathématiques en chinois, usant de tout cela comme de moyens
d’intéresser le peuple à sa religion.
A l’intention des lettrés, il compose une présentation en chinois du dogme catholique ;
il établit des rapprochements entre le Christianisme et le Confucianisme qu’il valorise
aux dépens du Taoïsme et du bouddhisme qui sont plutôt des courants populaires de la
religion chinoise. Il considère que l’on peut fort bien être chrétien et pratiquer le
Confucianisme, celui-ci n’étant pas une religion mais une philosophie.

Au total, la mission de Ricci n’a pas fait beaucoup de convertis : à peine deux
mille fidèles dont plusieurs mandarins dispersés le long de son parcours de Zhaoquing

50
à Pékin lorsqu’il meurt en 1610. Mais son action a ouvert l’intérieur de la Chine à la
pénétration du Christianisme désormais toléré.

2. Les difficultés de la mission en Chine


Les premières difficultés relèvent de désaccord à l’intérieur de la communauté
missionnaire jésuite elle-même.
Ricci avait en effet entrevu trois grands problèmes à résoudre durant sa mission, à
savoir :
- la difficulté de trouver des termes chinois qui rendent véritablement les concepts
théologiques européens.
- La question de savoir si l’on pouvait tolérer que les Chinois convertis continuent de
rendre les honneurs à leurs morts comme cela se pratiquait dans le Confucianisme.
- La formation d’un clergé autochtone.

La difficulté de trouver des termes chinois pour désigner des réalités


chrétiennes à commencer par le nom de Dieu, a été l’objet de longues discussions.
Pour rendre le terme Dieu, Ricci avait proposé des termes confucéens : T’ien qui veut
dire ciel ou Chang T’i, Seigneur d’en haut. Face à la réserve de certains missionnaires,
le père Longobardo qui avait succédé à Ricci propose le terme de T’ien Tchou,
Seigneur du ciel. Les tractations remontent jusqu’à Rome qui décide finalement que
soient conservées les formulation du père Ricci

En ce qui concerne la deuxième difficulté, Matteo Ricci qui répondait par


l’affirmative justifiait ainsi sa position : les honneurs rendus aux morts sont une
coutume sociale et non religieuse. Interdire aux convertis de les pratiquer, c’est mettre
les chrétiens au ban de la société et livrer le Christianisme à l’hostilité des Chinois. Les
éventuels aspects superstitieux de cette pratique eux-mêmes sont à recevoir et à
christianiser peu à peu. Mais ce n’était pas l’avis de tout le monde.

Enfin, les pères Valignano et Ricci, avaient admis des Chinois dans la
compagnie mais le général jésuite refusait leur ordination alors même qu’il était
impensable de créer un séminaire pour former des prêtres séculiers. Un établissement
d’éducation dirigée par de Européens n’aurait jamais été accepté par les lettrés et de
toutes les façons, il paraissait inconcevable que des parents confient leurs enfants à ce
type d’école. A défaut d’avoir des jeunes, Le père Longobardo pense à enrôler des
veufs. Mais il les trouve tous trop vieux pour apprendre le latin.

Après la chute de la dynastie des Ming, arrive au pouvoir la dynastie


mandchoue en 1644, celle des Qing. L’un des souverains de cette nouvelle famille,
l’empereur Kang-Hi (1662-1722) apprécie la science, l’expertise et le savoir-faire
technique des savants jésuites (établissement d’un calendrier, fabrication de canon,
assistance diplomatique…) au point de finir par autoriser officiellement la nouvelle
religion en 1692. De grands espoirs sont alors permis même si les chiffres demeurent
encore modestes : trois évêchés relavant du Padroado, cinq vicariats apostoliques, cent
dix-sept missionnaires (jésuites, franciscains, dominicains, augustins, séculiers), deux
cent mille fidèles venant surtout des milieux populaires. Ces espoirs s’envolent

51
bientôt, lorsqu’à la suite d’une querelle entre différents groupes de missionnaires, la
querelle dite des rites, l’empereur interdit en 1707 l’accès de son empire à tout
missionnaire non muni d’une autorisation spéciale. En 1724, Kang-Hi étant mort en
1722, le Christianisme est proscrit. Commence alors une longue persécution qui se
corse en 1745. En dehors des jésuites qui se maintiennent à Pékin mais uniquement
pour le travail scientifique, l’Eglise entre dans la clandestinité. A partir de 1784,
malgré la systématisation de la persécution, quelques communautés sporadiques se
maintiennent jusqu’à la réouverture forcée de la Chine en 1842, soutenus par le travail
clandestin de missionnaires européens et de quelques prêtres autochtones.

3. La querelle des rites.


Face à la difficulté de trouver des candidats au sacerdoce qui apprennent et
assimile le latin, l’idée avait germé en son temps dans l’esprit des missionnaires de
créer une liturgie chinoise. Rentré de Chine en 1615, le père Nicolas Trigault publie à
partir des notes de Ricci, une Histoire de l’expédition au royaume de la Chine. Grâce à
cet ouvrage à succès, il obtient du pape Paul V, l’autorisation de donner forme à la
liturgie chinoise. Mais en ce début du XVIIème siècle une seule innovation mineure
est introduite dans la liturgie catholique en Chine : le port du bonnet durant la messe.
La question sera relancée à la fin du siècle, dans les années 1670-1680. on procède
alors à des traductions sur la fiabilité desquelles les Jésuites restent divisés. On
ordonne quelques prêtres chinois dont la plupart lisent le latin sans le comprendre. On
ordonne même évêque un dominicain, Grégoire Louo Wen Zhao nommé vicaire
apostolique de Nankin (1585-1591). Mais l’expérience rencontre bientôt des
oppositions.

A partir de 1631 en effet, des missionnaires d’autres ordres, dominicains et


franciscains, débarquent en Chine. Ce sont essentiellement des Espagnols venus des
Philippines qui outre la question de l’identification des termes chinois adéquats pour
désigner les réalités chrétiennes, admettent difficilement les accommodations jésuites à
savoir :
- la concession faite aux Chinois de continuer à observer certaines coutumes locales
et certains rites sociaux comme le culte des ancêtres et l’honneur rendu à
Confucius.
- La renonciation à certains rites secondaires dans l’administration des sacrements
( l’insufflation et l’effeta dans l’administration du baptême en Inde, l’imposition de
l’huile aux femmes dans l’Extrême-Onction en Chine.)

Amorcé au XVIIème siècle, ce conflit qui pose au Christianisme la question


profonde de son attitude vis-à-vis de la culture et partant, de l’identité des peuples
rencontrés ne prendra véritablement fin qu’en 1939. La plupart des jésuites (mais pas
tous) et notamment les père Nobili et Ricci, mettant l’accent sur le sens civique des
rites sociaux estimaient qu’il était inconcevable d’imposer aux convertis de l’Inde et
de la Chine, la renonciation à leur civilisation plus vieille que celle de l’Europe et qui
sur bien des plans, n’avait rien à envier à celle-ci. Les nouveaux arrivants scandalisés
au contraire par ces accommodations alertent leurs supérieurs respectifs et l’affaire
portée à la cour de Rome prend l’allure d’une querelle théologique.

52
En 1645, le dominicain Moralez soumet la question à Innocent X en ces
termes : « les chrétiens ont-ils le droit d’honorer les idoles ? » La réponse du pape est
évidemment négative et elle condamne du même coup les rites chinois. En 1655, le
jésuite Martini relance la question sous une autre forme : « peut-on rendre à
Confucius, des honneurs purement civiques ? » La réponse d’Alexandre VII est cette
fois, positive. Désormais muni d’une caution papale, chaque camp croit pouvoir agir
en toute légalité. La situation reste inchangée jusqu’en 1668 où en assignant vingt-trois
missionnaires à la résidence surveillée à Canton ( dix-neuf jésuites, trois dominicains
et un franciscain, Kang-Hi les contraint à la cohabitation. Ils arrivent après de longues
discussions à signer un accord pour unifier leur conduite. Mais l’accord est bientôt
modifié de façon unilatérale par le visiteur jésuite de Macao. Furieux, les dominicains
contre-attaquent. Par la plume d’un des leurs, le père Navarrete, ils mènent en Europe
une campagne qui retourne l’opinion chrétienne et les ordres missionnaires contre les
jésuites. A l’issue de mille et une péripéties, l’affaire, instruite par le Saint Office se
solde le 20 novembre 1704 par la condamnation des rites indiens et chinois par le pape
Clément XI. La condamnation signifiée aux missionnaires des Indes en juin de la
même année et à ceux de la Chine en décembre 1705 sera solennellement publiée,
assortie de sanctions en 1715 par la constitution Ex illa die.

Plutôt que de suivre la décision pontificale qui les aurait exposés au courroux de
l’empereur lui-même furieux de l’ingérence de Rome dans des affaires intérieures
chinoises, les jésuites de pékin préfèrent cesser toute activité. Contraint de trouver un
compromis pour ne pas ruiner les acquis de la mission en Orient, le pape envoie un
légat avec le pouvoir d’accorder quelques dérogations discrètes. Le légat Mezzabarba
arrivé à Macao en 1720 rencontre l’hostilité des Jésuites et l’opposition de l’empereur.
Il quitte la Chine n’accordant que quelques permissions dont il rend d’ailleurs l’usage
facultatif. Résultat, c’est le comble de la confusion : les missionnaires se divisent entre
partisans et adversaires de l’usage des permissions. En 1742, Benoît XIV annule les
permissions par la bulle Ex quo. Les rites chinois sont ainsi interdits parce que jugés
mauvais. Pour les rites malabars, les jésuites missionnaires en Indes avaient demandé
et obtenu une suspension de la décision romaine. Ils subiront le même sort par une
condamnation définitive en 1744.

IV. La Corée et l’Indochine

1. La Corée
La Corée était un royaume vassal de la Chine à l’époque où le Christianisme
était réprimé dans l’empire. Il est probable qu’à cette époque-là quelques coréens se
soient déjà convertis à la religion du Christ au Japon. Mais c’est la rencontre avec les
missionnaires de Chine qui sera déterminante pour l’implantation du Christianisme en
Corée. Cette implantation se fait en plusieurs étape.

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Chaque année en effet, dans le cadre des relations qui lient les deux Etats, une
ambassade coréenne se rend en Chine pour renouveler à l’empereur l’allégeance du
roi. Entrés en contact avec les jésuites au cours de ces voyages, quelques membres des
délégations s’intéressent à leur science. Par eux, le Christianisme pénètre en Corée,
particulièrement dans le milieu des lettrés. Mais alors, quoique certains soient allés
jusqu’à l’abandon du culte des ancêtres pour l’embrasser, la plupart de ceux qui
l’accueillent le considèrent non pas comme une religion mais comme une philosophie
semblable au Confucianisme.

Lors du voyage de 1783, un jeune lettré membre de l’ambassade reçoit des


jésuites de Pékin, des livres de mathématiques et des ouvrages religieux. Une année
plus tard, s’étant converti à la lecture de ces œuvres, il est baptisé et sous le prénom de
Pierre. Rentré en Corée, il baptise un de ses amis, Yi-Piek, gagné lui-aussi à la religion
chrétienne à la lecture d’ouvrages chrétiens. Les deux se mettent à organiser en
communauté, les nouveaux adhérents. Pierre Li fait de nombreux baptêmes et devant
la menace de la persécution qui point bientôt à l’horizon, institue des membres de la
communauté, chargés de baptiser. En outre, la communauté lui ayant demandé de dire
des messes et donner le sacrement de confirmation, il institue lui-même dix autres
ministres pour le faire et met en place un système de confession. Bientôt, Pierre Li se
rend compte de son erreur. Il écrit aux pères de Chine pour leur exposer la situation et
leur exprimer son inquiétude. Les chrétiens de sa communauté qui approchent le
millier n’ont reçu aucun sacrement et plusieurs parmi eux ont déjà été martyrisés en
1789 notamment. De 1791 à 1802, alors même que la persécution sévit de façon
continuelle, faisant de nombreuses victimes, un prêtre chinois parvient à s’introduire
en Corée en 1794. Il s’occupe de la communauté jusqu’à ce qu’il soit décapité au bout
de quelque temps. Pierre Li lui-même trouve la mort en 1801. En 1802, l’Eglise de
Corée est à peu près éradiquée. Elle disparaît en tout cas jusqu’en 1831.

2. L’Indochine
Le nom d’Indochine est celui par lequel on désigne l’ensemble des territoires
situés entre l’Inde et la Chine. L’Indochine comprend le Myanmar (Birmanie), le Laos,
la Thaïlande (Siam), le Cambodge, du Viêt-Nam (Annam + Tonkin + Cochinchine) et
la partie continentale de la Malaisie. Les autres contrées étant déjà visitées par le
Padroado, c’est surtout au Viêt-Nam que s’est développée la mission en cette période.

C’est un peu après leur installation à Malacca en 1511 que les Portugais entrent
en contact avec l’Indochine par le Siam dont ils essaient en vain de convertir le
souverain. La mission a-t-elle aussitôt commencé dans les autres territoires ? On ne
saurait le dire de façon exacte. Mais on peut le penser puisqu’en 1533 déjà un édit
interdit le Christianisme au Tonkin.

Au début du XVIIème siècle, la persécution déclenchée au Japon amène les


jésuites à se tourner vers le Viêt-Nam où se sont réfugiés de nombreux chrétiens
japonais. Ainsi débute une mission jésuite à peu près suivie en Cochinchine. Ils s’y
installent à en 1615. En 1626, ils établissent des relations avec le Tonkin. Leur
présence dans les territoires vietnamiens est cependant marquée de ruptures parce que

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ces territoires sont en général, peu fréquentés par les navires portugais. D’une façon
générale, les choses se passent de la façon suivante : une fois par an, un navire en
provenance de Macao accoste au Viêt-Nam qui apporte des présents aux souverains du
Tonkin et de la Cochinchine. Les missionnaires en profitent et restent sur place,
souvent de façon clandestine. Expulsés une fois découverts, ils reviennent à Macao
puis recommencent l’aventure à la première occasion.

Parmi les jésuites qui se sont ainsi illustrés dans l’évangélisation du Viêt-Nam,
se détache la figure du père Alexandre de Rhodes (1593 – 1660). Français,
Mathématicien destiné à la mission au Japon, il ne peut y entrer en 1623. Il s’installe à
Macao d’où pendant vingt ans (1625 – 1645) d’expulsions en retours, il se consacre à
l’évangélisation du Viêt-Nam.
De 1625 à 1630, il séjourne à Hué et à Tourane en Cochinchine où il apprend la langue
puis à Hanoï au Tonkin où il fonde une mission et battit une Eglise. Pour ce premier
séjour, c’est le baptême des mourants qui lui vaut d’être expulsé. Accusé de détenir
une eau mortelle qui va dépeuple le royaume, il est contraint d’abandonner sa mission.
Il reste alors à Macao où pendant dix années, il enseigne la théologie, prenant des
nouvelles de sa mission par les missionnaires qui se rendent au Viêt-Nam et
maintenant les liens avec elle par une correspondance suivie avec les catéchistes qu’il
a formés et institués. De 1640 à 1645, il retourne trois fois en Cochinchine où une
opposition de plus en plus forte se développe contre le Christianisme. En 1645, alors
que des chrétiens ont déjà été martyrisés pour leur foi, Rhodes est banni sous peine de
mort. Il ne revient plus au Viêt-Nam mais envoyé comme procureur de l’ordre en
1649, il poursuit son combat par de nombreux écrits et par une campagne en faveur
des 300 000 chrétiens qu’il affirme avoir laissés sur place. Il mourra finalement en
Perse.

Comme aux pères Ricci et Nobili, la connaissance de la culture et notamment


de la langue du peuple à évangéliser semble indispensable au père Rhodes. S’étant
imprégné de celle du Viêt-Nam, il en utilise des éléments dans sa catéchèse. Il
introduit également des rites funèbres locaux dans la liturgie des funérailles
chrétiennes. A ses ouailles, il s’efforce de distinguer le Christianisme de la civilisation
européenne pour le faire accepter comme « la loi sainte, la lumière de Dieu. » Par
ailleurs, Rhodes associe étroitement ses chrétiens à l’apostolat. Il invente une
institution originale qui reste encore aujourd’hui une des caractéristiques principales
de l’Eglise vietnamienne : la congrégation des catéchistes. Formés dans des
établissements similaires à des séminaires, ceux-ci exercent dans l’Eglise toutes les
fonctions qui n’exigent pas le sacerdoce, sont soumis au célibat et partagent la vie des
clercs dans des habitations appelées la Maison de Dieu. L’Eglise du Viêt-Nam doit son
maintient, par delà la persécution, à cette institution du père Rhodes.

Ce n’est pas pour avoir un clergé inférieur qu’Alexandre de Rhodes a créé la


congrégation des catéchistes. Il veut au contraire qu’un clergé indigène se mette vite
en place au Viêt-Nam. Dès son retour en Europe, il essaie de convaincre la Propagande
de la nécessité de mettre en place ce clergé. Il évalue les besoins du Tonkin et de la
Cochinchine à trois cents ou quatre cents prêtres. Ces prêtres, on pouvait les prendre

55
parmi les catéchistes mais il fallait des évêques pour les ordonner et Rhodes souhaite
que le Saint Siège nomme des vicaires apostoliques pour le Viêt-Nam. La Propagande
laissant traîner les choses, c’est en France qu’il trouve une oreille attentive à sa
sollicitation.

En 1658, trois vicaires apostoliques français sont désignés pour l’Extrême


Orient et en 1663 est fondé à Paris, le Séminaire des Missions Etrangères qui se donne
pour mission de former des prêtres séculiers destinés aux missions lointaines.

Deux des vicaires apostoliques parviennent à Ayuthia au Siam en 1664 : Pierre


Lambert de la Motte et François Pallu. Pallu n’arrive jamais à mettre les pieds dans sa
mission du Tonkin. Les aléas de la navigation le fond plutôt débarquer et mourir en
Chine en 1684, après un tour du monde forcé. Lambert de la Motte ne peut faire que
de brefs séjours en Cochinchine et au Tonkin. Il parvient tout de même à y organiser
l’Eglise en particulier lors d’un séjour dans ce dernier royaume en 1670. Il y tient un
synode, ordonne les premiers prêtres vietnamiens, met en place les circonscriptions
religieuses et crée une congrégation féminine dite des Amantes de la Croix. Par
ailleurs, il fonde au Siam, un séminaire destiné à former les prêtres de l’Extrême
Orient.

De 1673 à 1696, le troisième vicaire apostolique, Louis Laneau, séjourne au


Siam dont il essaie de gagner le souverain au Christianisme. Il organise un échange
d’ambassades entre la France de Louis XIV et le Siam en 1684. Le changement de roi
ruine ses espérances. Le nouveau souverain peu favorable à l’aspect politique de la
présence du Vicaire apostolique suscite un sentiment anti-français et anti-chrétien.

Entre persécutions et accalmie, tension et entente avec le Padroado, la présence


missionnaire française s’est poursuivie malgré tout en Indochine. La fin du XVIIIème
siècle est marquée par l’activité intense du vicaire apostolique Pigneau de Behaine en
Cochinchine (1765-1799).

Conclusion

Le tableau d’ensemble des missions catholiques des Temps Modernes présente


de nombreuses entreprises louables. Malgré tout, Le XVIIIème siècle marque un
déclin inexorable de ces missions. Les causes de ce déclin sont multiples : citons entre
autres, les querelles européennes, l’affaiblissement des puissances maritimes
catholiques, la suppression de la compagnie de Jésus, l’inefficacité de la Sacrée
Congrégation de Propaganda Fide.

Après l’implantation du Christianisme en Amérique, le champ de mission était


désormais l’Orient. Or, les querelles entre puissances catholiques et la querelle des
rites ont pour ainsi dire discrédité les Européens aux yeux des orientaux, rendu
méfiants les éventuels candidats à la conversion et quelquefois fermé la porte
d’immenses territoires aux missionnaires.

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A cette première cause, il faut ajouter l’affaiblissement des puissances
catholiques sur les mers au profit des puissances protestantes. Au XVIIIème siècle, la
prépondérance des royaumes ibériques n’est plus qu’un lointain souvenir. Désormais
ce sont les Anglais qui dominent, suivis de loin par les Hollandais et les Danois. Ce
sont donc aussi les protestants qui s’investissent de plus en plus dans la mission.
La troisième cause est la suppression de la Compagnie de Jésus. Instrument du
Saint Siège pour accomplir toutes formes de tâches et de missions, la Compagnie a été
mêlée à plusieurs affaires et notamment à d’innombrables controverses théologiques.
Elle s’est ainsi fait beaucoup d’ennemis. Son implication en outre dans la sphère de la
haute politique des nations devait renforcer cette hostilité et aboutir à son interdiction
pure et simple. Supprimée en 1759 au Portugal, en 1764 en France et en 1767 en
Espagne, elle devait l’être définitivement en 1773 par le pape Clément XIV. Ce
faisant, le Saint Siège a perdu d’immenses domaines missionnaires tenus par les
membres de la Compagnie et privé la mission catholique d’une main d’œuvre
abondante et efficace.

Enfin, il faut noter l’échec relatif de la Propagande qui, créée en 1622 pour
prendre en mains l’organisation de la mission, n’a jamais réussi durant les trois siècles
des Temps modernes à en arracher le monopole aux patronats ni même à réunir assez
de fonds et de personnel pour s’imposer sur le terrain. D’ailleurs, à la fin du XVIIIème
siècle, elle est neutralisée par la Révolution puis par l’Empire qui a mis des entraves à
son bon fonctionnement.

57
Deuxième partie

LE RENOUVEAU MISSIONNAIRE DU XIXème SIECLE

Chapitre VI : Les conditions de développement des missions au


XIXème siècle
Introduction
I. Les facteurs ecclésiastiques
1. Le réveil du sentiment religieux
2. Le romantisme missionnaire
3. La campagne en faveur des missions
4. Le renouveau de la vie religieuse

58
5. La réorganisation au Saint Siège des services en charge de la mission
II. Les facteurs profanes et l’organisation pratique de la mission
1. Les facteurs profanes
2. L’organisation pratique de la mission
Conclusion

-------------------------

Introduction

Durant les vingt dernières années du XVIIIème siècle, la Révolution avait


désorganisé l’Eglise de France, grande pourvoyeuse de la Propagande en personnel,
par la persécution dirigée contre le clergé et les ordres religieux. Elle fut bientôt
relayée par l’Empire. En 1802, la signature du concordat entre Pie VII et Napoléon
paraît ramener la paix religieuse. Elle place en fait l’Eglise de France sous le contrôle
de l’empereur. Celui-ci d’ailleurs n’entend pas régner uniquement sur l’Eglise de
France. C’est le pape lui-même qu’il veut avoir sous sa tutelle. Au total, jusqu’à la fin
du règne de Napoléon en 1814-1815, l’Eglise et pas seulement celle de France, reste
pour ainsi dire, sous l’embrigadement de l’autorité impériale. En 1815, Napoléon
définitivement vaincu après l’intermède des cent jours et exilé à Sainte Hélène, le
congrès de Vienne règle une fois pour toutes les questions de politique européenne
soulevées par la crise Révolution-Empire. Le pape retrouve ses Etats et l’Eglise
libérée, peut de nouveau vaquer à sa mission.

I. Les facteurs ecclésiastiques

1. Le réveil du sentiment religieux


Cette période de restauration coïncide avec un formidable réveil de la vie
religieuse, marquée en France par la redécouverte et l’exaltation du rôle du Saint Père
en tant que « Pasteur universel, Berger de l’humanité » et par un fort attachement à
l’institution pontificale. « La victoire finale du pape sur l’empereur avait convaincu de
la force de régénération sociale et politique dont était capable l’institution catholique,
débarrassée des entraves que la Révolution mais aussi l’Ancien Régime lui avaient
opposées. » L’élan missionnaire du XIXème siècle (qui est à l’origine de la naissance
de la plupart des Eglises africaines d’aujourd’hui) se situe dans ce mouvement plus
global de réveil du sentiment religieux, « coloré, selon le mot de Jacques Gadille, par
le traumatisme de la crise révolutionnaire et impériale. » Il est le résultat de la
conjonction d’un faisceau de facteurs divers.

2. Le romantisme missionnaire
Le premier de ces facteurs est sans doute le romantisme missionnaire dont
l’ambiance a été initiée par le Génie du Christianisme publié en 1802 par
Chateaubriand, à la faveur de la restauration de la paix religieuse. L’écrivain exalte
dans son ouvrage, le passé du Christianisme et l’œuvre des missionnaires qui, écrit-

59
il, vont « au gré d’une impulsion sublime, humaniser le sauvage, instruire l’ignorant,
guérir le malade, vêtir le pauvre et semer la concorde et la paix parmi des nations
ennemies… Jamais, ajoute plus loin Chateaubriand, des savants dépêchés aux pays
lointains avec les instruments et les plans d’une Académie ne feront ce qu’un pauvre
moine parti à pied de son couvent, exécutait seul avec son chapelet et son bréviaire.»
Ce livre suscite dans une large opinion, un intérêt nouveau pour la mission et la
littérature missionnaire.

3. La campagne en faveur des missions


Le deuxième facteur réside dans les campagnes menées en faveur des missions
par les prêtres de retour d’exil. Pour sauver leur vie, ils avaient émigrés pendant la
tempête révolutionnaire vers l’Angleterre et l’Amérique. Ceux d’Angleterre sont
témoins de la fondation de sociétés bibliques et missionnaires et de l’activité
d’évangélisation menée par les protestants anglais. Ils découvrent notamment le
système du sou hebdomadaire qui assure un soutien populaire aux missions. Revenus
en France à la Restauration, ils deviennent les hérauts de la sensibilisation des
catholiques français à l’entreprise missionnaire. Leurs confrères partis pour le
Nouveau Monde ne sont pas en reste. Eux, ont poursuivi leur apostolat, au Canada
pour la plupart, et découvert la réalité de la mission ad gentes auprès des indiens.
Certains devenus évêques reviennent chercher du personnel. D’autres se donnent tout
simplement pour tâche de prêcher l’appel à la mission auprès des infidèles.

4. Le renouveau de la vie religieuse


Le renouveau de la vie religieuse constitue le troisième des facteurs qui ont
favorisé la mission au XIXème siècle. Après la Révolution, plusieurs ordres anciens
qui avaient été officiellement supprimés mais dont les membres menaient une
existence clandestine sont restaurés. Mieux, face aux besoins nouveaux créés par la
crise, apparaissent diverses fondations qui se destinent à une mission intérieure pour
réveiller la foi et restaurer la pratique. Citons entre autres la Société des Filles du
Cœur de Marie du père de Clorivière et d’Adélaïde de Cicé, les Dames du Sacré-Cœur
fondées par Sophie Barrat et Philippines Duchesne, les fondations de Picpus
auxquelles sont associés les noms du père Coudrin et d’Henriette Aymer de la
Chevalerie. Du sein de ces groupes, laïcs au départ, surgissent bientôt des
congrégations religieuses dont certaines se destinent exclusivement à la mission
lointaine.
On peut dire qu’en 1815, au moment où le congrès de Vienne redécoupe la
carte de l’Europe et rend sa paix au vieux continent, l’opinion française est largement
sensibilisée à la question des missions. Il est à noter que cet intérêt des catholiques
français pour l’évangélisation des peuples lointains ne vient pas alors des appels de la
hiérarchie. Les évêques estiment à l’époque qu’il y a plus urgent sur place. « Nos
Indes sont ici » répondent-ils en 1815 à une sollicitation pour les colonies. Ce sont les
laïcs qui répercutent les appels d’outre-mer. A Lyon, Pauline Jaricot reprend,
perfectionne et organise le système du sou hebdomadaire venu d’Angleterre et fonde
en 1822, l’Œuvre de la Propagation de la Foi (OPF), avec un organe de sensibilisation
intitulé ‘Nouvelles reçues des Missions’. Celui-ci prendra en 1825, le titre d’Annales
de la propagation de la foi’.

60
Toute cette sensibilisation aboutit globalement à la fin du premier quart du
XIXème siècle à une prise de conscience aiguë du salut « des peuples assis dans les
ténèbres et l’ombre de la mort », exposés à ce que les catholiques considéraient alors
comme un péril encore plus grand : ‘l’hérésie protestante’ largement en avance sur le
terrain. C’est le ferment des vocations missionnaires, favorisées en outre par
l’adhésion massive de l’épiscopat à partir des années 1835-1836. Il faut ajouter cette
autre motivation, triviale peut-être, mais déterminante tout de même dans nombre de
vocations : pour de nombreux fidèles, clercs et laïcs, s’occuper de la mission ou s’y
engager, c’était aussi un moyen efficace de faire leur propre salut. Ces paroles d’un
missionnaire des MEP à la veille de son départ pour l’Extrême-Orient en 1824 en
disent long sur cet état d’esprit : « Pour moi, plus je vis, plus je me relâche et deviens
lâche tous les jours. Si les Chinois chez qui je vais entrer pouvaient me couper la tête
et me pendre, cela arrangerait bien mes affaires. »

5. La réorganisation au Saint Siège des services en charge de la mission


D’autres facteurs viennent s’ajouter à ceux qui ont été exposés jusqu’ici, au
niveau des plus hautes instances de l’Eglise. Pie VII restaure la Compagnie de Jésus en
1814. En 1817, la SCPF réorganisée reprend en mains la direction de toute
l’évangélisation, y compris progressivement, au prix d’âpres négociations et de longs
ballets diplomatiques, dans les anciens domaines des patronats ibériques devenus pays
indépendants en Amérique Latine. Le principal artisan de cette nouvelle politique
pontificale est le cardinal Maur Capellari, préfet de la Propagande de 1826 à 1831 qui
devient pape en cette dernière année sous le nom de Grégoire XVI. Sur le siège de
Pierre, son attention continue évidemment de se porter sur la mission. Pendant les
quinze années que dure son pontificat, il crée soixante-dix circonscriptions
missionnaires et institue le système du jus commissionis par lequel les territoires de
mission sont attribués chacun en exclusivité à une congrégation ou à un institut
missionnaire donné. En 1839, à l’issue de négociations secrètes avec la Grande
Bretagne, Grégoire XVI, par l’encyclique In superno, rompt avec la réticence des
nations catholiques à combattre la Traite de Noirs. Il fait de la lutte contre ce fléau, un
des impératifs de la mission. En 1845, l’instruction Neminem profecto de la SCPF
vient expliciter davantage les idées du pape sur la mission. Avant la grande expansion,
celles-ci posent déjà les grands principes que les encycliques missionnaires de ses
successeurs développeront plus tard à savoir : l’importance de l’instruction scolaire et
des œuvres caritatives comme moyens d’évangélisation, l’évangélisation des mœurs et
des arts, la formation appropriée et sans délai d’un clergé indigène apte à prendre en
mains les destinées de son Eglise.

Sous Pie IX (1846-1878) successeur de Grégoire XVI, la question des missions


est prévue pour être débattue au premier concile du Vatican réuni en 1869. La fin
précipitée de celui-ci ne laisse pas aux Pères le temps de l’aborder.

II. Les facteurs profanes et l’organisation pratique de la mission

1. Les facteurs profanes

61
Les derniers facteurs à prendre en considération sont profanes. Il s’agit des
progrès de la navigation et des explorations.
De plus en plus de navires troquent au XIXème siècle, leurs voiles contre des moteurs
à vapeur. La durée du voyage en est raccourcie. L’ouverture du canal de Suez en 1869
renforcera ce gain de temps spécialement pour les voyages en direction de l’Orient.
Quant aux explorations que certains historiens considèrent comme « l’un des plus
grands faits du monde dans l’histoire du XIXème siècle », elles ouvrent à l’Occident
les portes du cœur de l’Afrique et permettent ainsi la pénétration des troupes
coloniales. Celles-ci à leur tour rendent possible par la ‘pacification’, l’arrivée des
missionnaires.

En 1828, le Français René Caillié atteint Tombouctou la mystérieuse, en


Afrique de l’Ouest, dans la région qui deviendra plus tard le Soudan français. Vingt-
huit années plus tard, le médecin pasteur écossais Livingstone découvre dans la région
des grands lacs, le fleuve Zambèze. De 1869 à 1874, l’Allemand Nachtigal explore le
Sahara ainsi que les royaumes du Bornou et du Darfour dans l’actuel Soudan. En 1871,
lancé à la recherche de Livingstone, l’Anglais Stanley atteint le lac Tanganyika en
attendant de se lancer en 1879, à l’assaut de Congo plus tard baptisé ‘belge’ pour le
compte du roi Léopold II. En 1875, c’est au tour de Savorgnan de Brazza, d’origine
italienne, d’explorer sous les couleurs de la France, l’actuel Congo dont la capitale
porte son nom. Toutes les conditions sont ainsi réunies pour une nouvelle tentative
d’évangélisation de l’Afrique.

2. L’organisation pratique de la mission


Les conditions étant réunies, il reste à trouver un financement pour entreprendre
les missions. Or, vu les conditions d’existence qui avaient été celles de l’Eglise à la fin
du XVIIIème siècle, elle ne disposait plus de grands moyens pour répondre à l’appel
de la mission. Dans un premier temps donc la mission est pour ainsi dire laissée au
bonheur des initiatives et de la générosité personnelles, avec tout ce que cela suppose
d’improvisation et même d’anarchie. Par la suite, une organisation devait peu à peu se
mettre en place, prise en mains par diverses associations créées pour cette fin. Parmi
celles-ci citons :
- L’œuvre de la propagation de la foi de Pauline Jaricot : parce qu’elle jouit d’un
quasi-monopole accepté par le Saint Siège, elle recueille de l’argent de presque
tous les diocèses d’Europe et d’Amérique du nord pour le redistribuer aux
missions, à chacune selon ses besoins.
- La Pieuse Société des Missions fondée par Vincent Marie Palloti en Italie en
1835
- L’œuvre de la Sainte Enfance, créée en 1843 par Mgr de Forbin Janson pour
intéresser les enfants à la mission et notamment au sort de leurs petits
camarades des pays à évangéliser.
- L’œuvre d’Orient fondée en France en 1856 qui se fixe pour objectif de soutenir
la mission en Orient et d’y aider surtout les écoles catholiques.

62
L’entreprise de la mission elle-même sera le fait de sociétés et de congrégations
missionnaires d’origines et d’inspirations diverses dont cette liste chronologique non
exhaustive donnera une idée :
- 1806, Religieuses de saint Joseph de Cluny d’Anne Marie Javouhey, devenues
missionnaires en 1817.
- 1816, Oblats de Marie Immaculés de Mgr Mazenod, missionnaires à partir de
1841.
- 1817, Frères de l’instruction chrétienne de Ploërmel de Jean–Marie de
Lamennais, missionnaires à partir de 1836.
- 1835, Pères Pallotins issus de la pieuse société des missions, fondée la même
année par Vincent Marie Palloti en Italie.
- 1841, Missionnaires du Saint Cœur de Marie de François Libermann qui
fusionne en 1848 avec la congrégation du Saint-Esprit.
- 1856, Société des Missions Africaines de Lyon de Mgr Melchior de Marion
Brésillac.
- 1860/1862, Pères du Cœur Immaculé de Marie de Scheut en Belgique.
- 1866, Société des Missions Etrangères de Mill Hill du Cardinal Vaughan en
Angleterre.
- 1867, Société des Missions Etrangères de Vérone de Daniel Comboni.
- 1868, Missionnaires d’Afrique ou Pères Blancs du Cardinal Lavigerie.
- 1869, Sœurs missionnaires de Notre Dame d’Afrique ou Sœurs Blanches du
Cardinal Charles Lavigerie.
- 1876, Sœurs de Notre Dame des Apôtres du père Augustin Planque.
A ces nouvelles maisons missionnaires, il faut ajouter les ordres anciens qui
reprennent du service : dominicains, jésuites, franciscains, Missions Etrangères de
Paris, Lazaristes…

Conclusion

Après son déclin au XVIIIème siècle, la mission catholique a repris de plus


belle au XIXème à la faveur d’une certaine régénérescence de la vie religieuse en
Europe. Et c’est avec un réel empressement, un zèle que rien n’entame, pas même la
mort par dizaine de leurs compagnons, que les membres de nouveaux engagés se
lancent à la conquête du monde pour la cause du Christ.

Chapitre VII Le Saint Siège et la question des missions contemporaines

Introduction
I. Les papes de l’époque contemporains et la question des missions
1. Objectifs et programme de la mission
2. Recommandations relatives aux méthodes et à la vocation missionnaire
II. La Sacrée Congrégation pour la Propagande de la Foi et ses directives

63
1. La Sacrée Congrégation de Propaganda Fide et sa mission
2. Les principes missionnaires de la Propaganda Fide selon Lo sviluppo,
Quod Efficacius et Quum Huic
Conclusion

---------------------------

Introduction

Après l’expérience des conflits engendrés par les patronats ibériques, l’Eglise,
instruite des leçons tirées des trois siècles de missions modernes, entreprend de
recentrer son engagement missionnaire à partir du XIXème siècle, afin de mieux le
maîtriser. C’est dire qu’une réflexion intense s’est amorcée et poursuivie au sein de la
Sacrée Congrégation de Propaganda Fide créée depuis 1622 pour palier les
insuffisances des royaumes ibériques. Outre cette réflexion, six papes se sont succédés
à la tête de l’Institution catholique, de cette période à celle des indépendances qui a vu
émerger peu à peu une hiérarchie africaine aux commandes de l’Eglise du continent :
Léon XIII (1878-1903), Pie X (1903-1914), Benoît XV (1914-1922), Pie XI (1922-
1939), Pie XII (1939-1958) et Jean XXIII (1958-1963). Tous se sont intéressés à la
question des missions en général et à celle de la mission en Afrique en particulier. Et
la plupart ont laissé des écrits de grande valeur qui constituent la base de la conception
pontificale de la mission que nous voulons dégager ici.

I Les papes de l’époque contemporaine et la question des missions

1. Objectifs et programme de la mission


Selon la conception des papes de notre époque, la mission, telle que définie plus
haut (Cf Introduction), a pour but de faire resplendir pour de nouveaux peuples, la
lumière de la vérité. Sa responsabilité incombe globalement à l’Eglise toute entière,
hiérarchie, clergé et fidèles. La première a à l’organiser, le second, à y sensibiliser
l’opinion catholique et les derniers à la soutenir par la prière et les moyens matériels.
Le terme de l’activité missionnaire étant comme dit Jean Ilboudo, la plantatio
Ecclesiae, il s’agit de « fonder l’Eglise dans des contrées nouvelles, jusqu’à ce qu’elle
soit capable d’y vivre et de s’y conduire par elle–même, avec ses propres églises, son
propre clergé natif du lieu, ses propres moyens, ne dépendant plus que d’elle-même,
dans la liberté et la prospérité, sans le secours des prêtres étrangers et des œuvres
missionnaires. » Le programme à mettre en œuvre pour atteindre cet objectif se résume
en cinq points :
- Recruter et former dans la population indigène, pas seulement des auxiliaires
laïcs mais un personnel complet, suffisant en nombre et capable de se gouverner
seul.
- Former une élite chrétienne (laïcat), par l’école, l’action catholique et la presse
pour parvenir à l’édification personnelle des consciences, à l’extension et à
l’approfondissement de la vie chrétienne.
- Gagner les cœurs par les œuvres de charité.

64
- Agir sur les coutumes pour améliorer la condition des défavorisés et notamment
de la femme.
- Faire appel en cas de besoin à des instituts spécialisés tout en créant
opportunément des congrégations indigènes d’hommes et de femmes.

2. Recommandations relatives à la méthode et à la vocation missionnaires


Aux préposés à la réalisation de ce programme, les missionnaires, une méthode est
assignée qui se définit en six points :
- Viser à atteindre le plus grand nombre possible d’infidèles.
- S’adapter à la vie de la société indigène en visant son évolution vers la
civilisation contemporaine.
- S’éclairer de tous les progrès scientifiques et des nouvelles méthodes pastorales.
- Travailler en accord avec les territoires voisins.
- Suivre les problèmes sociaux et ouvriers.
- Faire entrer des éléments locaux dans les organisations internationales.

Benoît XV et Pie XI entre autres, qualifient la vocation missionnaire de grande,


de charge éminente. Celle-ci disent-ils, relève de Dieu lui-même (Jn 15,16). L’œuvre
confiée aux missionnaires est selon eux, identique à celle des apôtres. Pie XII va
encore plus loin pour affirmer que cette tâche est celle du Christ lui-même, qui
consiste à porter partout la rédemption. De ce point de vue le missionnaire est avant
tout le héraut de Dieu, le messager de sa parole, le prédicateur de l’Evangile et son
combat se confond avec le combat permanent de l’Eglise entière. Le missionnaire
appelé à quitter sa patrie pour des contrées inconnues et souvent hostiles vit une vie de
sacrifice qu’il doit consentir à accepter jusqu’au martyre. Cette perspective requiert des
institutions compétentes, une préparation soignée de tout candidat avant son envoi à la
tâche. Il apprendra ainsi à être non l’homme d’un institut ou d’une congrégation
particulière mais un homme d’Eglise, à s’attacher à sa terre de mission comme à une
seconde patrie et non à y importer us et coutumes de sa patrie d’origine.

Le succès de la mission dépend d’une certaine conduite à tenir. Benoît XV, Pie
XI et Pie XII insistent tous les trois sur le devoir du missionnaire d’éviter toute forme
de nationalisme. Pie XII qualifie ce sentiment de malédiction, de fléau pour la mission.
Le nationalisme, dit-il, finit toujours par causer de grands dommages. Le missionnaire
par ailleurs est invité à éviter de s’adonner aux affaires séculières, suivant la parole de
saint Paul à Timothée : « La racine de tous les maux, c’est l’amour de l’argent. Pour
s’y être livrés, certains se sont égarés loin de la foi et se sont transpercés l’âme de
tourments multiples. Pour toi homme de Dieu, fuis ces choses. Recherche la justice, la
piété, la foi, l’amour, la persévérance, la douceur. » (1Tim 6, 10-11) et la
recommandation du Christ : « Nul ne peut servir deux maîtres. » (Mt 6, 24)

Une dernière recommandation des papes s’adresse aux instituts. Elle les invite à
cultiver l’unité entre les différentes maisons présentes sur un territoire donné. Suivant
les termes de la dernière prière de Jésus (Jn17, 22), les missionnaires doivent
rechercher l’union des pensées, des cœurs et des volontés en vue d’un apostolat
fructueux.

65
II La Sacrée Congrégation pour la Propagation de la foi et ses
directives

1. La Sacré Congrégation de Propaganda Fide et sa mission


La Sacrée Congrégation pour la propagation de la foi (SCPF) a été créée au
XVIIème siècle pour palier les déficiences des patronats qui avaient prévalu depuis la
fin du XVème dans l’évangélisation des terres païennes. C’est un professeur de
l’université de Louvain, Jean de Vendeville qui, le premier, a émis à l’attention des
papes, l’idée d’une coordination de l’activité missionnaire sous l’autorité du Siège
Apostolique. L’initiative déterminante revient cependant à Thomas de Jésus, un carme
espagnol qui publie en 1613, un livre intitulé Des moyens d’apporter le salut à toutes
les nations. Il y suggère la création d’un organisme romain de propaganda fide. Neuf
années plus tard, l’idée avait fait son chemin et le pape Grégoire XV crée le 6 janvier
1622, ladite congrégation. Une bulle, Inscrutabili divinae providentiae datée du 22 du
même mois et de la même année, devait ensuite préciser son caractère permanent.

A sa création, la congrégation se composait de treize cardinaux dont chacun


devait en théorie suivre l’évolution de la mission dans un des treize territoires
missionnaires dans lesquels le monde infidèle avait alors été partagé. Deux prélats et
un secrétaire complétaient leur équipe. A celle-ci, les supérieurs généraux des ordres
en charge de l’évangélisation devaient rendre compte de l’apostolat de leurs hommes
sur le terrain, de leurs succès, de leurs revers, de leurs difficultés, bref, de l’état de leur
mission.

La SCPF elle-même a reçu à sa fondation, la tâche d’élaborer, d’appliquer et de


contrôler une politique missionnaire d’ensemble, là où jusqu’alors, on s’en était remis
à des initiatives dispersées de souverains temporels et de congrégations religieuses.
Les moyens à mettre en œuvre pour mener à bien cette mission ont été alors définis
comme suit :
- trouver les ressources nécessaires à la mission ;
- Assurer la formation des missionnaires ;
- Promouvoir l’émergence d’un clergé local en terre de mission ;
- Définir la place des ordres religieux et les tâches missionnaires de leurs
membres ;
- Se tenir informée des situations locales ;
- Organiser les nouvelles Eglises nées de la mission.

C’était tout un programme à réaliser en permanence. Et l’atout majeur de la


toute nouvelle congrégation dans cette tâche fut d’avoir le pouvoir d’organiser le
travail des missionnaires sans être astreint à une méthode immuable. Sa méthode en
somme, fut de recommander constamment aux missionnaires de s’adapter aux
circonstances et aux besoins. Il fallait tout de même une doctrine missionnaire pour
définir et baliser son cadre d’action. Celle-ci voit peu à peu le jour au sein de la
congrégation sous l’impulsion de Mgr Ingoli son tout premier secrétaire. En 1625,
1628 et 1644, ce prélat adresse trois mémoires aux cardinaux de la Propagande dans

66
lesquels, prenant appui sur les abus du système des patronages, il dégage les principes
essentiels qui devaient par la suite orienter les actions de la nouvelle congrégation. Ces
principes sont les suivants :
- l’établissement du caractère supranational et apolitique des missions.
- L’adaptation au caractère particulier des peuples à évangéliser.
- Le refus des méthodes de contrainte dans les missions.
- Le recrutement et la formation du clergé autochtone.
Toutes les directives qui par la suite émaneront de la SCPF s’inscriront dans la ligne
de ces principes. Un certain nombre de textes datent de notre période. Ce sont entre
autres et principalement le décret ‘ Lo Sviluppo’ publié en 1923 et les instructions
‘Quod Efficacius’ et ‘Quum Huic’ parues respectivement en 1923 et en 1929.

2. Les principes missionnaires de la Propaganda Fide selon Lo Sviluppo,


Quod Efficacius et Quum Huic
Lo Sviluppo est un ensemble de recommandations adressées aux instituts
missionnaires. Soucieux de l’efficacité du personnel affecté aux missions, la SCPF
demande que les missionnaires arrivent à leur tâche, convenablement préparés. Cette
préparation se fera, précise-t-elle, dans des établissements ou des résidences organisées
en pays de mission ou dans des maisons spécialisée en Europe. Dispensée par
d’anciens missionnaires éprouvés à la tâche, elle sera la plus parfaite possible. Au
programme de cet apprentissage devront être inscrites l’étude de ou des langues
principales du pays à évangéliser, l’accoutumance aux usages et aux mœurs de la
région, l’initiation aux méthodes les plus aptes à porter des fruits dans la contrée
considérée.
Les supérieurs des missions veilleront à préparer parmi leurs confrères, des hommes
capables de leur succéder ainsi qu’un clergé indigène pour prendre plus tard la relève.
Ils ne négligeront pas non plus de promouvoir la vocation de frère pour prendre en
mains les tâches profanes de l’évangélisation.

Si Lo Sviluppo s’appesantit sur le recrutement et la préparation du personnel des


missions, l’instruction Quod Efficacius elle, s’adresse aux missionnaires déjà engagés
dans l’apostolat en pays dits infidèles. Elle leur donne des précisions sur l’obligation
qui leur est faite de se garder des intérêts profanes. Pour éviter toutes formes d’hostilité
des autorités administratives civiles, la SCPF demande instamment aux missionnaires
de s’occuper uniquement de leur apostolat. Le missionnaire, rappelle-t-elle, est
uniquement le légat du Christ selon la parole saint Paul aux Corinthiens (2Co5, 20)
« C’est au nom du Christ que nous sommes en ambassade… ». Aussi est-il invité à
observer les principes suivants pour rester fidèle à son statut :

* Sur la langue :
- Se garder du désir de répandre sa langue maternelle parmi les indigènes afin de
ne pas passer pour plus préoccupé des intérêts de sa nation que du salut des
âmes.
- Avoir soin d’apprendre la langue des populations auxquelles on est envoyé.
C’est dans cette langue que doivent être dispensés sermons, exhortations

67
publiques dans les écoles et assemblée afin d’être utile à tous, écouté et compris
de tous.
- Interdiction absolue au missionnaire d’encourager de quelque manière que ce
soit, les indigènes à se servir en confession d’une langue autre que la leur.
* Sur les us et coutumes ecclésiastiques :
- Eviter toute tentative d’introduire parmi les indigènes, les lois et usages
particuliers de l’Eglise de sa patrie personnelle comme si l’on voulait que ces
particularités deviennent la règle générale.
- Veiller au contraire à ce qu’en toute chose et partout, ce soit la discipline en
vigueur dans l’Eglise universelle qui soit introduite et observée.
* Sur les relations avec les pouvoirs publics :
- Quel que soit le régime de l’autorité civile en place, ne pas manquer d’exhorter
les populations à obéir aux pouvoirs publics et à leur être soumises. Qu’en la
matière, le missionnaire soit pour tous un exemple, pourvu que les lois soient
honnêtes et pas hostiles à la religion.
- S’efforcer de rester absolument neutre entre les partis.
* Sur la question du nationalisme:
- Bannir toute idée de préparer la voie parmi les indigènes, à une pénétration
politique de sa nation, afin de ne pas passer pour rechercher le bien de sa patrie
terrestre et non celui de Jésus Christ et du royaume céleste.
- Ne jamais, en conséquence, se mêler des intérêts politiques de sa nation ni de
ceux d’une quelconque autre mais avoir constamment et exclusivement devant
les yeux, le suprême et saint commerce des âmes à gagner et de la gloire de
Dieu à répandre de toutes ses forces.
- S’abstenir de provoquer et de favoriser le commerce avec sa propre patrie ou
avec d’autres.
* Sur les publications :
- Observer attentivement le canon 1386 qui interdit aux clercs séculiers et réguliers
de publier sans la permission de leur supérieur, des ouvrages profanes, de rédiger
des journaux et des périodiques, particulièrement sur les questions politiques.
- Les publications missionnaires doivent laisser transparaître qu’elles se consacrent
uniquement à l’extension du royaume de Dieu et non à la grandeur de leur nation.

Après Quod Efficacius, le texte majeur qui retient l’attention est Quum Huic.
Cette autre instruction vise à répondre d’une façon globale et définitive aux questions
de juridiction ainsi qu’aux conflits d’autorité entre chefs de missions (Préfets et
Vicaires apostoliques) et supérieurs régionaux des instituts missionnaires. La SCPF y
donne les précisions suivantes : tout institut au service de la mission doit s’en tenir
strictement au mandat donné par l’Eglise, c’est-à-dire à l’objectif qui lui a été fixé, à
l’exclusion de tout autre but. Ses membres doivent se rappeler qu’une région confiée à
leur sollicitude pastorale n’est pas un domaine acquis sans retour. L’Eglise en garde la
responsabilité. Aussi le personnel engagé sur le terrain et notamment les chefs
dépendent-ils pour ce qui relève de la mission, non de leur institut mais du Saint Siège.
En conséquence, tout en restant unis au supérieur de leur famille religieuse, ils sont
tenus de suivre en ce qui concerne leur mission, non pas les directives de leur ordre
mais celles du Siège Apostolique.

68
Pour ce qui regarde la gestion des territoires de mission, toute l’organisation, les
moyens humains et matériels sont sous la responsabilité des chefs. Ceux-ci veilleront à
favoriser la collaboration avec d’autres instituts d’hommes et de femmes si le bien de
l’Eglise l’exige.

Par ailleurs, il est important de distinguer entre l’autorité des chefs de missions
et celle des supérieurs régionaux. Les premiers commandent aux missionnaires dans
leur apostolat, les seconds, en tant que membres d’un institut donné ou en tant que
religieux. Mais cette distinction ne dispense pas les deux autorités de cultiver autant
que possible l’entente mutuelle, le respect des domaines respectifs restant la règle d’or
pour éviter toute forme de collision des pouvoirs.

Quoiqu’il traite d’un cas particulier à savoir l’attitude à tenir face à des
pratiques provenant de rites traditionnels japonais, un autre texte mérite qu’on y prête
attention parce qu’il rappelle et pose des principes applicables à d’éventuels cas
similaires. Il s’agit d’une instruction du cardinal Pierre Fumasoni Biondi, préfet de la
SCPF, adressée au délégué apostolique de Docléa au sujet de rites shintoïstes prescrit
au Japon comme devoir patriotique : « Il est utile, écrit le prélat, de se rappeler les très
sages principes que la Sacrée Congrégation formulait dès 1659 dans ses instructions
aux missionnaires, savoir : ‘Ne poussez nullement et ne cherchez d’aucune façon à
persuader ces peuples de changer leurs rites, traditions et coutumes, à moins que ces
choses ne soient de toute évidence, contraires à la religion et à la morale. La foi ne
rejette et ne condamne les rites et traditions d’aucun peuple, à moins qu’ils ne méritent
réprobation ; au contraire elle veut qu’on les défende et qu’on les protège.’ Les
missionnaires sont par conséquent invités à respecter ces pratiques sous peine de
s’exposer à la haine et à l’aversion des peuples et de fermer les cœurs à la Bonne
Nouvelle. Ceux mêmes (les usages) qui méritent d’être réprouvés, c’est par la réserve
et le silence qu’il faut les combattre, plutôt que par les paroles, en profitant , pour les
déraciner peu à peu et sans trouble, des circonstances favorables qui se présentent
quand les esprits sont disposés à recevoir la vérité »

Chapitre VIII Les instituts engagés en Afrique et leur doctrine


missionnaire
Introduction
I. Vue d’ensemble des ordres engagés dans la mission en Afrique au XIXème
siècle.
II. Les Pères du Saint Esprit
1. la congrégation du Saint Esprit
2. La mission selon le Père François Libermann

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3. Qualités et dispositions du bon missionnaire selon la père François
Libermann
III. La Société des Missions Africaine de Lyon
1. La Société des Missions Africaines
2. Les objectifs de la mission selon Mgr de Marion Brésillac
3. Qualités, vertus et devoirs du bon missionnaire selon Mgr de Marion
Brésillac
IV. Les Pères Blancs
1. la Société des Missionnaires d’Afrique
2. La mission en Afrique selon le cardinal Lavigerie
3. Les dispositions du missionnaire selon le cardinal Lavigerie
Conclusion

--------------------------

Introduction

Après l’échec des missions modernes, ce sont les missions contemporaines qui
ont donné naissance à l’Eglise d’Afrique. Plusieurs instituts missionnaires ont pris part
à l’accouchement de cette Eglise qui en est encore à se forger une identité et à chercher
sa voie. Toutefois, trois se détachent du lot. Il s’agit de la congrégation du Saint Esprit,
de la Société des Missions Africaines et de celle des Missionnaires d’Afrique plus
connus sous le nom de Pères Blancs. C’est à ces trois maisons que nous nous
intéresserons dans le présent chapitre. Ce choix est motivé par le fait que ces instituts
se sont dès le départ, donné pour vocation d’évangéliser exclusivement l’Afrique et
même l’Afrique noire pour les deux premiers.

Les Pères du Saint-Esprit ont été les premiers à prendre pied sur le continent
en 1843, au Libéria plus précisément après une escale sur l’île de Gorée. Monseigneur
de Marion Brésillac et ses premiers Pères des Missions Africaines devaient leur
emboîter le pas en 1859. Eux ont débarqué en Sierra Leone. Les Pères Blancs du
Cardinal Lavigerie, créés en 1868 sur la terre d’Afrique ont, quant à eux, commencé
leur mission à partir de 1876. En adaptant les instructions de la SCPF au cas spécifique
du continent, au charisme et au caractère propre qu’il entendait imprimer à son institut,
chaque fondateur a bien entendu tracé une ligne de conduite à ses missionnaires. Ce
sont les éléments de ces différentes lignes de conduite qui constituent ce que nous
appelons ici leur doctrine missionnaire.

I. Vue d’ensemble des ordres engagés dans la mission en Afrique au


XIXème siècle.

Les ordres religieux et les instituts engagés dans la mission au XIXème siècle
sont innombrables même si l’on se borne à compter uniquement ceux qui ont été
enrôlés par la SCPF après sa création. Se limiter à n’étudier que la doctrine

70
missionnaire des sociétés qui ont évangélisé l’Afrique serait déjà un travail fastidieux.
Leur nombre est encore trop grand. Nous reproduisons ici pour en donner une idée, un
tableau et une carte réalisés en 1985 par la revue Vivante Afrique des Pères Blancs. On
y cite rien que pour le XIXème siècle et le début du XXème (de 1844 à 1914 soit 70
ans) vingt-deux instituts et pas moins de soixante-huit têtes de pont fondées. Et la liste,
signalons-le, n’est pas exhaustive :

1 1844 P du St-Esprit Gabon


2 1845 P Jésuites Madagascar
3 1847 P du St-Esprit Sénégal
4 1847 P du St-Esprit Ile Maurice
5 1850 P du St-Esprit Ile de la Réunion
6 1852 P Oblats de Marie Imm. Natal
7 1857 P Jésuites Ile Fernando Po
8 1858 P de Lyon Sierra Leone
9 1861 P de Lyon Dahomey
10 1862 P de Lyon Lagos
11 1863 P du St-Esprit Zanzibar
12 1864 P du St-Esprit Sierra Leone
13 1866 P du St-Esprit Landana
14 1868 P de Lyon Bénin (Nigeria)
15 1868 P Jésuites Laghouat (Sahara)
16 1871 P Blancs Laghouat
17 1872 P des St Cœurs Soudan Oriental
18 1873 P Blancs Attafs
19 1873 P du St-Esprit Congo portugais
20 1875 P Oblats de Marie Imm. Oranje River
21 1875 P Blancs Tombouctou
22 1876 P Blancs Kabylie
23 1876 P Jésuites Cap
24 1878 P du St-Esprit Guinée française
25 1878 P Blancs Nyanza-lac Albert
26 1878 P Blancs Lac Tanganyika
27 1878 P Blancs Rhadamès (Sahara)
28 1879 P du St-Esprit Angola
29 1879 P Jésuites Zambèze (Rhodésie)
30 1881 P de Lyon Côte de l’Or
31 1881 P Jésuites Mozambique
32 1881 P Blancs Sahara
33 1882 P du St-Esprit Kunene (Angola)
34 1882 P de Marianhill Marianhill (Natal)
35 1882 P Oblats de Marie Imm. Oranje River
36 1883 P du St-Esprit Loango (AEF)
37 1883 Fils du saint Cœur Ile de Fernando Po

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38 1885 P Blancs Congo belge
39 1885 P du St-Esprit Niger Inférieur
40 1887 P du St-Esprit Lunda (Oubangui)
41 1888 P de Scheut Congo belge
42 1888 Bénédictins Dar Es-Salaam
43 1889 P de Lyon Niger Supérieur
44 1889 P Blancs Shire (Nyassa)
45 1890 P Pallotins Cameroun
46 1891 P de Scheut Kasal (Congo belge)
47 1892 P Jésuites Kwango (Congo belge)
48 1892 Mère du Verbe Divin Togo
49 1894 P Blancs Soudan occidental
50 1894 Trappistes Congo belge
51 1894 P de Marianhill Nil supérieur
52 1895 Rédemptoriste Congo belge
53 1995 P Blancs Bangweulu
54 1895 P Blancs Tombouctou
55 1896 P Oblats de Marie Imm. Angola
56 1896 Lazaristes Madagascar
57 1897 P du St Cœur Stanley-Falls
58 1898 Prémontrés Uélé
59 1898 P du St-Esprit Madagascar
60 1899 Rédemptoristes Matadi
61 1900 P Blancs Ruanda
62 1902 P de Marianhill Maschuanaland
63 1903 Monfortains Shire
64 1905 P de Mill-Hill Congo belge
65 1906 P de Lyon Libéria
66 1911 Capucins Oubangui
67 1911 Dominicains Uélé oriental
68 1914 Bénédictins Katanga

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En vagues successives, les missionnaires pénètrent jusqu’au cœur du continent noir

II. Les Pères du Saint Esprit

1. La congrégation du Saint Esprit


La congrégation missionnaire du Saint-Esprit est née de la fusion en 1848 d’une
ancienne congrégation du même nom avec celle du Saint Cœur de Marie, fondée en
1841 par un juif alsacien, Jakob Libermann converti à l’âge de 24 ans et devenu prêtre.
L’ancienne congrégation du St-Esprit elle, avait été créée par l’avocat lyonnais, Claude
Poullart des Places en 1703. Elle avait derrière elle une longue expérience
missionnaire puisqu’elle desservait la possession française de St Louis depuis
1778/1779. Mais à l’instar de nombreuses autres en France, elle avait fait les frais de la
Révolution, son séminaire avait été fermé en 1792. La toute nouvelle fondation du
Saint Cœur apportait donc du sang neuf et une vigueur nouvelle sous l’impulsion de
son fondateur. Ce dernier conçoit sa congrégation comme « une réunion de prêtres qui
au nom et comme envoyés de Jésus Christ, se dévouent tout entiers à annoncer
l’Evangile et à établir son règne parmi les nations les plus pauvres et les plus
délaissées dans l’Eglise. » Aussi la destine-t-il aux missions étrangères et lointaines

73
auprès des âmes les plus nécessiteuses et les plus abandonnées. Ces peuples les plus
négligés dans l’Eglise, c’était à l’époque, les Noirs d’Afrique dont on était encore à se
demander trois siècles auparavant, à la controverse de Valladolid, s’ils avaient en eux
quelque chose d’humain. Libermann décide donc de vouer exclusivement sa fondation
missionnaire à leur évangélisation jusqu’à ce que leur condition change entièrement.

2. La mission selon le père François Libermann


Pour Libermann, la mission est le moyen le plus efficace d’obtenir le salut des
âmes. Elle est une œuvre de collaboration entre Dieu et l’homme dans laquelle Dieu
reste le Maître. Le missionnaire, en conséquence, ne doit pas se mettre dans l’état
d’esprit de celui qui va sauver beaucoup d’âmes mais dans celui d’un pauvre homme,
instrument abandonné entre les mains du Christ pour qu’il fasse de lui et en lui ce que
bon lui semble. Les qualités principales du missionnaire dans ces conditions sont la
confiance, la patience, l’optimisme et la simplicité de cœur. S’il ne sait pas tout faire
reposer sur Dieu et attendre son heure, il s’expose à de cuisants échecs. Par ailleurs, le
missionnaire doit veiller à cultiver en lui-même la sainteté afin de prêcher avant tout
par l’exemple. S’il ne veut pas que sa vie soit exposée à tous les vices et devienne
ainsi « un champ ouvert à tous les passants, » il veillera à rester attaché aux vertus
évangéliques et à la pratique des exercices spirituels.

3. Qualités et dispositions du bon missionnaire selon le père François


Libermann
Tout missionnaire, estime Libermann, doit avoir un plan de vie en mission et
celui qu’il assigne aux siens se définit globalement en quatre points :
1. Oubli des intérêts propres, amour des souffrances, soumission à la divine
volonté dans toutes les peines.
2. Humiliation continuelle en présence du Seigneur, basse opinion de soi-
même et reconnaissance de ses limites.
3. Vie intérieure, prière, abandon au Christ.
4. Obéissance parfaite sans volonté ni jugement propres.

En ce qui concerne la formation de ses hommes, le fondateur des


missionnaires du Saint Cœur pense que la science ne doit pas occuper la première
place. « La science, écrit-il à Mgr Barron, Vicaire Apostolique des Deux Guinées,
n’est nécessaire dans presqu’aucune de nos missions où nous avons affaire à un peuple
de la dernière classe sans aucune culture. Les Noirs ont bon cœur et bonne volonté. Ils
n’ont pas besoin de beaux discours et d’instruction élevée. » Les études ne sont
nécessaires que pour avoir des idées claires sur Dieu.

Sur le terrain de la mission, Libermann recommande à ses missionnaires de


cultiver la bonne entente avec l’administration coloniale, aussi longtemps que leurs
concessions n’empiètent pas véritablement sur les droits de Dieu, tout en se gardant
d’apparaître comme des agents politiques. Ils veilleront en outre à se dépouiller de
l’Europe pour se faire Nègre avec les Nègres. Le bon missionnaire de ce point de vue
est celui qui sait user de douceur dans ses relations avec les populations à évangéliser
et se garder d’être hautain, moqueur ou méprisant vis-à-vis d’elles. Un tel missionnaire

74
n’obligera personne à se convertir ni même à rester dans l’Eglise. Il saura au contraire
s’adapter au niveau des gens qu’il rencontre, s’efforcer de gagner leur affection et leur
confiance et se dévouer à eux corps et âme. Ceci dit, le missionnaire aura soin d’éviter
de s’infliger des mortifications excessives, de se soumettre à une austérité exagérée,
d’imprimer à son action un zèle trop ardent au risque de ruiner sa santé. Ce n’est pas le
martyre mais le salut des âmes qu’il faut rechercher dans la mission. Et Libermann
propose des moyens pastoraux à mettre en œuvre pour atteindre ce but :
1. La mission : ce nom générique désigne une succession de prédications,
d’instructions, de catéchèses et autres exercices spirituels de dévotion à
dispenser en une station donnée.
2. Les ministères de proximité que sont les retraites et les carêmes ouverts.
3. La formation du clergé indigène. C’est un devoir pour le missionnaire
de former des prêtres parmi les natifs du pays où il arrive. Libermann
prescrit de ne ménager à cet effet, aucune peine ni aucun sacrifice pour
lever, non une troupe de subalternes mais susciter des confrères égaux à
tout point de vue à leurs formateurs.

III. La Société des Missions Africaines de Lyon

1. La Société des Missions Africaines


D’un point de vue chronologique, la Société des Missions Africaines de Lyon
(SMA) est l’institut missionnaire qui vient après la congrégation des spiritains. Créée
en 1856, elle commence la mission en 1859. Son fondateur, Mgr Melchior de Marion
Brésillac auquel il faut associer indéfectiblement son successeur et compagnon de
première heure, le père Planque, est lui-même issu des missions étrangères de Paris.
Son institut, il le conçoit comme une association religieuse. Et pour lui, le nerf de tout
groupement de cette nature est la concorde dans la parfaite charité et par conséquent
dans une obéissance parfaite à tous ceux qui sont préposés à diriger leurs confrères.
Aussi exige-t-il qu’aucun aspirant n’y soit définitivement admis s’il montre un trop
grand esprit d’indépendance ou s’il répugne à se faire aux caractères différents du sien.

2. Les Objectifs de la Mission selon Mgr de Marion Brésillac


Ancien missionnaire en Inde, Mgr de Marion Brésillac imprime à sa nouvelle
œuvre un esprit nourri de son expérience indienne. Un choix fondamental soutient
toute sa doctrine missionnaire : établir un clergé local en terre de mission. A une
époque où la plupart des évêques missionnaires sont réticents à l’idée de voir des
indigènes accéder au sacerdoce, sa position sur ce sujet est à tel point d’avant garde
qu’elle lui vaut d’abandonner sa charge à Coimbatore, en butte à l’hostilité du clergé
missionnaire. Marion Brésillac ne voulait pas seulement faire des prêtres mais aussi et
le plus rapidement possible, des évêques indigènes pour leur confier le soin de l’Eglise
dont ses hommes devaient juste poser les bases. Car pour lui, la tâche du missionnaire
ne consiste pas à veiller à la croissance de l’Eglise plantée. Ce rôle revient au clergé
indigène. Le missionnaire lui est appelé à prêcher l’Evangile et à s’occuper
directement de la conversion des infidèles. « Dès que vous dégénérez en évêque ou en
curé, dit-il à ce sujet aux membres de sa société, vous ne méritez plus d’être appelés
missionnaires. » Le seul moyen d’établir la religion en un lieu, de la voir s’y maintenir

75
et prospérer c’est selon le prélat, d’y établir un clergé local à tous les degrés de la
hiérarchie. Le missionnaire, dans cette conception des choses, est juste un accessoire à
l’œuvre de sanctification des âmes, appelé à céder ses établissements aux confrères
indigènes, ses égaux, qu’il aura formés. Il doit considérer comme une bénédiction de
voir son œuvre reprise en mains par un clergé local et de pouvoir courir ailleurs pour
fonder d’autres églises. Mgr de Marion Brésillac considère d’ailleurs que « le titre de
missionnaire devrait être aussi rare qu’il est commun. » Sacrifier sa position naturelle,
quitter son pays et se consacrer à l’œuvre des pays plus ou moins infidèles ne suffit pas
pour mériter cette appellation. « Le missionnaire, c’est un homme envoyé soit par
l’évêque soit par le souverain pontife pour s’occuper extraordinairement de la partie du
ministère apostolique à laquelle ne suffisent presque jamais les efforts, quelques
grands qu’ils soient du ministère ordinaire. » Les qualités que cette tâche exige sont
grandes et nombreuses. Elles vont des dispositions intérieures aux aptitudes
intellectuelles. Ainsi, le missionnaire doit être un homme détaché qui sache se
dépouiller de sa patrie pour être entièrement au service de l’Eglise. Il doit être cultivé,
versé en théologie et en droit pour saisir les nuances et porter des jugements
perspicaces. La justesse et l’efficacité du ministère en dépendent.
La culture intellectuelle est d’autant plus importante que dans les pays de mission où il
est souvent impossible de trouver des experts à consulter, l’étude est le seul moyen
d’appliquer les principes sans les fausser.

3. Qualités, vertus et devoirs du bon missionnaire selon Mgr de Marion


Brésillac
Les vertus qu’on attend du missionnaire ne sont pas différentes de celles que
l’on exige des prêtres des pays chrétiens. Mais le missionnaire a le devoir de montrer
en toute chose, un degré supérieur de perfection. Il doit être un homme intérieur dans
l’humilité de la retraite, dans le silence et la soumission ; faire preuve de patience dans
les exercices quotidiens de la vie commune. Face aux exigences d’un apostolat
souvent ardu et difficile, le bon missionnaire est celui qui ne recule devant aucun
sacrifice mais qui aime par-dessus tout, la sainte vertu d’abnégation et le doux fardeau
de la croix. Mgr de Marion Brésillac insiste par conséquent pour qu’aucun jeune prêtre
sortant du séminaire ne soit envoyé en mission avant de s’être éprouvé à la tâche en
pays chrétien. A l’âge où l’on termine d’ordinaire la formation sacerdotale estime le
prélat (24 -25ans), on a la générosité et le dévouement mais pas la stabilité requise. En
outre conseille-t-il, tout postulant à la mission devrait être soumis à un essai avant que
la décision soit prise, au vu de ses aptitudes, de l’affecter ou non à cette tâche. Le clerc
qui aborde la mission doit se fixer à l’avance un plan d’action et y faire tout concourir.
Loin de se précipiter dans son apostolat ou de rechercher des actions d’éclat, « il doit
savoir se contenter de succès minimes, aller pas à pas et ne jamais entraver le progrès
lent et sûr par de téméraires innovations. » Dans son apostolat, il s’efforcera de rester
romain c’est-à-dire d’appliquer les directives du Saint Siège. S’il estime nécessaire
d’introduire des usages particuliers, il aura soin d’obtenir l’accord de cette autorité.

Par ailleurs, le ministère auprès des infidèles doit être de paix, de douceur et de
miséricorde. Les indigènes ne sont pas pires que les Européens mais seulement autres.
Si un missionnaire pense devoir corriger certains traits de leurs mœurs, il le fera avec

76
prudence en s’efforçant d’obtenir l’adhésion du peuple. Prendre le temps d’étudier la
culture locale est un excellent moyen d’y parvenir sans heurts. Dans cette entreprise, la
connaissance de la langue est la première des qualités accessoires. Mgr de Marion
Brésillac ne la trouve cependant pas indispensable pour être bon missionnaire même
s’il reconnaît que cela peut s’avérer utile.

Un autre moyen de combattre le mal qu’on perçoit dans une culture donnée est
l’usage de l’imprimerie et de la facilité qu’elle offre de répandre les écrits. Le prélat
conseille de multiplier les livres d’exposition simple et claire de la doctrine chrétienne
pour montrer combien celle-ci correspond à la sagesse des anciens, corrompue avec le
temps par l’ignorance.

IV. Les Pères Blancs

1. La Société des Missionnaires d’Afrique


La Société des Missionnaires d’Afrique est le troisième grand institut dont le
nom rime avec la pénétration du Christianisme au cœur de l’Afrique. Plus connue sous
le nom de Pères Blancs qu’elle doit à la couleur de l’habit de ses membres, cette
société missionnaire a vu le jour en 1868 sur l’initiative du cardinal Lavigerie, alors
jeune archevêque d’Alger. ‘Amoureux’ de l’Eglise autant que de la France sa patrie,
l’archevêque ne voit aucun inconvénient à ce que colonisation et évangélisation aillent
de paire, d’autant moins qu’il a la conviction qu’il ne peut y avoir de conversion
durable sans conditions politiques fiables. Les deux entreprises estime-t-il, participent
de la même préoccupation : la mission civilisatrice de la France dans laquelle la lutte
contre l’esclavage revêt dans l’esprit du cardinal, un intérêt de tout premier ordre.

2. La mission en Afrique, selon le Cardinal Lavigerie


L’Algérie dont il a accepté le siège est pour le cardinal Lavigerie, une porte
ouverte sur l’intérieur du continent africain. Et c’est le colonisateur qui détient « les
clés de ce sépulcre » pour ouvrir au missionnaire la voie de ce monde immense. Ce
dernier pourra alors non seulement planter l’Eglise, mais aussi et surtout amener les
âmes au salut. Car, sauver les âmes, c’est le but dernier de la mission. Ce but fait du
missionnaire, un pêcheur d’hommes à l’instar des apôtres. Tout en ménageant la santé
de son corps, il fera preuve d’un zèle sans mélange et sans retenu pour attirer les
Africains au Christ. Il s’efforcera de « les poursuivre, les recueillir, les sauver sur cette
mer immense de l’infidélité et de la barbarie où ils sont engloutis et perdus. »

Comme en témoigne ces quelques mots, l’archevêque d’Alger a une vision


très sombre de l’Afrique et du Noir en particulier. La situation religieuse de ce peuple
estime-t-il est encore plus déplorable que sa situation matérielle. C’est « une race
profondément abaissée et même abrutie, d’une ignorance profonde et de mœurs
dissolues. »

3. Les dispositions du missionnaire selon le Cardinal Lavigerie


La mission auprès d’une telle race ne pouvant qu’être ardue voire périlleuse,
ne peut s’y engager, qui veut. Aussi le cardinal tient-il à définir le profil du

77
missionnaire apte à cet apostolat. Celui-ci doit être animé d’un seul sentiment, l’amour
de Dieu et du prochain qui dispose le cœur à faire œuvre de charité. Homme de foi et
de prière, il doit en outre cultiver sa sanctification personnelle. Car c’est à cette
condition qu’il saura faire face sans faiblir aux épreuves du terrain. Le missionnaire
sera également un homme de renoncement et d’humilité, de sacrifice et de pauvreté.
Lavigerie considère ces dernières dispositions d’esprit comme les atouts fondamentaux
de l’apostolat mais il accorde par-dessus tout de l’importance à l’obéissance, vertu
sans laquelle il ne peut y avoir d’institut missionnaire ni d’œuvre commune. Par
ailleurs, il recommande avec force, la vie communautaire comme rempart face à toutes
les formes de tentation et de dérive, et comme sauvegarde des réserves spirituelles.

Pour son apostolat, le missionnaire de Lavigerie dispose de deux sortes


« d’équipement technique », à savoir une formation professionnelle adéquate d’une
part et de l’autre, un plan d’action et une méthode de travail. Pour les acquérir, le
candidat missionnaire doit passer par une préparation soignée dans les sciences sacrées
ainsi que par une formation théologique et liturgique rigoureuse. C’est là qu’il puisera
les vérités à enseigner. Ces vérités, il les communiquera non dans des langues
européennes ni par l’intermédiaire d’interprètes mais dans les dialectes des indigènes,
ce qui suppose qu’il les apprenne. Le cardinal demande même plus : il prescrit à ses
fils de s’attacher à établir des grammaires, des lexiques, des dictionnaires de ces
langues, d’y rédiger des petits catéchismes et d’y traduire les évangiles.

En ce qui concerne la méthode, Lavigerie ne veut connaître qu’une seule loi :


l’adaptation. S’adapter, c’est dire le message du Christ dans son intégrité, de façon à le
faire accepter. C’est respecter tout chez l’autre sauf le vice et l’erreur. C’est vouloir
non le transformer en soi mais juste chercher à changer son cœur. C’est finalement se
faire Noir avec les Noirs. L’instruction de ces derniers se fera par la catéchèse et le
missionnaire évitera de se précipiter à administrer des baptêmes. La priorité, pense le
cardinal, consiste avant tout à combattre la déchéance intellectuelle et morale des
tribus et d’armer ainsi les postulants à la conversion afin d’éviter les apostasies. Par
ailleurs, le missionnaire doit veiller à ne pas s’aliéner la bienveillance des autorités,
qu’elles soient coloniales ou traditionnelles. La conversion des chefs africains est
même à rechercher car, comme le montre l’histoire, l’établissement durable de l’Eglise
dépend de leur adhésion. Dans ses relations avec les autorités coloniales, le
missionnaire veillera à ne pas se mêler de politique pour conserver la bienveillance du
colonisateur de quelle origine et de quel bord qu’il soit.

Dans l’Eglise, la collaboration avec les indigènes est requise. C’est à eux que
le missionnaire, après avoir initié l’annonce de la parole de Dieu, confiera la charge
d’accomplir l’œuvre durable. En vue de cette fin, l’archevêque d’Alger recommande la
formation d’un clergé autochtone, mais convaincu de la capacité des Noirs à supporter
les exigences du sacerdoce, c’est surtout sur la formation de catéchistes et de médecins
qu’il insiste.
En définitive, l’objectif du cardinal, c’est d’établir au cœur de l’Afrique, un royaume
chrétien qui imposera la paix et le Christianisme. A la tête de ce royaume, il imagine
une sorte de Constantin Noir et à défaut, un Européen préposé à cette mission.

78
Conclusion

Suivant ses dispositions d’esprit et la conception qu’il se fait de l’Africain ainsi


que de la mission, l’orientation que chaque fondateur d’institut donne à son œuvre
diffère un peu de celle des autres. Mais le but est le même : relever le défi de l’échec
passé et porter l’Evangile au cœur du continent noir pour faire de l’Afrique une terre
chrétienne. C’est dans ce but que les instituts missionnaires vont bientôt se partager
l’Afrique

79
Chapitre IX : Les missions contemporaines en Afrique

Introduction
I. Les raisons d’un partage
1. Eviter les conflits entre instituts missionnaires
2. Eviter les intrigues des autorités coloniales
3. Répondre à un souci d’efficacité pastorale
II. La création des circonscriptions ecclésiastiques
1. Le vicariat apostolique des Deux-Guinées
2. Lavigerie et l’intérieur du continent
3. Le domaine de la SMA
4. L’Afrique équatoriale
5. L’Afrique orientale et australe
III. L’évangélisation proprement dite : action sociale et apostolat
1. L’action sociale
2. L’apostolat

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Introduction

Bien avant le partage territorial de l’Afrique entre les puissances coloniales, a


commencé sa partition entre les instituts missionnaires, dans le cadre des missions
contemporaines. Selon toute vraisemblance, les raisons principales qui ont présidé à ce
partage sont au nombre de trois, à savoir : la volonté du Saint Siège de prévenir ou tout
au moins de circonscrire les conflits entre instituts missionnaires, les problèmes
politiques liés à la colonisation et les appels des missionnaires eux-mêmes adressés à
la SCPF, face à l’immensité du travail à abattre et des territoires à couvrir.

I. Les raisons d’un partage

1. Eviter les conflits entre instituts missionnaires


En ce qui concerne la première raison, on se rappelle qu’en vue de soustraire
les missions au patronage, et de rendre plus efficace l’activité des missionnaires sur le
terrain, Grégoire XVI avait, pour ainsi dire, quadrillé les territoires à évangéliser par le
jus commissionis. Celui-ci stipulait que les instituts s’impliquent dans le travail sans
toutefois s’attacher aux territoires comme à des biens personnels. Dans la pratique, les
territoires de mission deviennent bientôt des colonies religieuses, des chasse-gardées à
élargir au maximum. La SCPF avait déjà déploré en Chine cette situation que le
cardinal Costantini secrétaire de cette institution de 1935 à 1953 dénoncera à son
époque comme « un féodalisme territorial » catastrophique pour la mission. Elle ne
voulait pas donner l’occasion aux missionnaires de la rééditer en Afrique. Comme le
relève Paule Brasseur, dans l’histoire de la mise en place des circonscriptions
missionnaires d’Afrique, rien ne permet d’affirmer que cette raison ait été la

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principale. Mais elle n’a certainement pas été absente puisque des tensions liées aux
disputes de ce genre, quoique feutrées, ont émaillé la mission et les relations entre
instituts au point de nécessiter à maintes reprises, l’arbitrage du Saint Siège.

2. Eviter les intrigues des autorités coloniales


Plus perceptibles ont cependant été les problèmes consécutifs à l’occupation du
terrain par les puissances coloniales. Dans un certain nombre de cas, les limites des
circonscriptions ecclésiastiques ont débordé celles des colonies mises en place après
elles. Dans ce cas d’espèce, plus d’une congrégation ont été priées de plier bagages,
leur seule faute étant d’être originaires de pays différents de celui des nouveaux
maîtres des lieux. Ces derniers bien entendu, ne tardent pas à confier l’établissement
déserté à des missionnaires de leur pays. Le cas de Léopold II qui écarte les spiritains
du Congo belge au profit des pères de Scheut est souvent cité pour illustrer cette
situation. Mais l’échec de la mission Barron (cf. Infra) bientôt confiée exclusivement à
des missionnaires français du Saint Cœur de Marie s’explique en partie aussi par les
intrigues d’une France hostile à la présence d’un américano-irlandais dans sa zone
d’influence. Disons pour résumer que d’une façon générale, les puissances
européennes préfèrent avoir dans leurs colonies leurs propres ressortissants ou tout au
moins des missionnaires qui partagent avec elles la même culture et la même langue
maternelle. On peut s’étonner que le Saint Siège ait entériné cette situation. Quelles
que soient les dispositions psychologiques dans lesquelles il le fit, son souci majeur fut
d’assurer la pérennité de l’évangélisation. Il faut d’ailleurs dire que globalement, elle
sut trouver des arrangements adéquats pour préserver les droits de chaque parti. Les
instituts eux-mêmes ont du reste fini par trouver dans leur internationalisation, une
parade à la situation.

3. Répondre à un souci d’efficacité pastorale


La dernière des raisons de la partition ecclésiastique de l’Afrique réside dans
l’immensité des territoires à missionner, au regard de la faiblesse numérique du
personnel des instituts auxquels ils sont confiés. Malgré l’appétit d’ogre en matière de
possession territoriale et le zèle dévorant qui caractérisent les missionnaires, certains
fondateurs et chefs de mission ont été assez lucides pour comprendre que le
morcellement du continent était le seul moyen pour le Catholicisme de gagner plus
rapidement du terrain face à l’avance protestante. Les sociétés prêtes à s’engager en
Afrique ne manquaient pas. Sur le terrain, le climat particulièrement hostile à
l’Européen emportait par fournées entières les missionnaires, privant de bras valides
des territoires immenses aux limites fuyantes à l’intérieur des terres. Certains
responsables n’ont donc pas pu s’empêcher de demander au Saint Siège de leur
enlever telle portion de leur domaine pour la confier à d’autres ouvriers qui attendaient
en rongeant leur frein, d’être enrôlé pour la moisson. Disons tout de même qu’une telle
démarche relève de l’exception. D’une façon générale, c’est plutôt le Saint Siège qui
demande aux hommes du terrain de faire de la place à d’autres pour la même cause.

81
II La création des circonscriptions ecclésiastiques

1. Le vicariat apostolique des Deux-Guinées


La première circonscription ecclésiastique créée en Afrique noire au XIXème
siècle est le vicariat apostolique des Deux-Guinées (cf. carte page suivante). Erigé en
1842, il est confié à la sollicitude pastorale de Mgr Barron, prélat américain envoyé de
Philadelphie auprès des anciens esclaves débarqués au Libéria en 1839. Le vicariat est
extrêmement vaste. La seule limite vraiment établie est au nord, la préfecture
apostolique de Saint-Louis du Sénégal, possession côtière française où œuvrent les
pères du Saint-Esprit depuis 1779 ; encore que les frontières de ladite préfecture
demeurent imprécises. Au sud, personne, à commencer par les bureaucrates de Rome,
ne pouvait dire exactement où s’arrêtait le vicariat. Libermann enrôlé par Barron pour
lui fournir le personnel dont il avait besoin, estime pour sa part que ce territoire
englobe l’ancien royaume du Congo.(2) L’intérieur de l’Afrique restant encore à
découvrir, les limites restent imprécises vers l’Est.

Mgr Barron, en butte à d’inextricables difficultés, abandonne sa charge. C’est


donc aux missionnaires de Libermann, ses collaborateurs, qu’échoit la mission des
Deux-Guinées en 1843. Au bout de quelques années de tâtonnement, les pères du Saint
Cœur de Marie jusqu’alors basés à Gorée sont transférés sur le continent. Le fondateur
demande alors à la SCPF de préciser les limites de son territoire pour éviter
d’éventuels accrochages avec les pères du Saint-Esprit. Sa proposition est alors la
suivante : toute la Sénégambie sauf Gorée et Saint-Louis fait partie de la mission des
pères du Saint Cœur. Les Deux-Guinées seraient donc constituées de la Guinée
méridionale qui correspond au territoire s’étendant de la Sénégambie au Gabon inclus
et de la Guinée septentrionale, le Congo qui dans l’esprit de Libermann s’étend au-delà
de l’Angola (voir carte ci-dessous).La Propagande ne répond pas immédiatement à
l’appel de Libermann, mais le contentieux se vide de lui-même avec la fusion en 1848
des deux congrégations du Saint-Esprit et du Saint Cœur. Il faut tout de même attendre
1854 et l’aplanissement de certaines difficultés d’ordre juridique avec l’Etat français
pour que le Saint Siège confirme les accords passés entre les deux maisons désormais
unies pour la même mission.

Cette même année 1854, Mgr Kobès, prélat spiritain chargé à titre provisoire
de la Sierra Leone propose une nouvelle partition tout en suggérant à la SCPF de ne
conserver à sa congrégation que la partie du vicariat des Deux Guinées qui court de la
Sénégambie au Rio Nuñez (Guinée). Rome ne répond ni immédiatement ni exactement
à cette demande mais dès 1856, donne son accord à Mgr de Marion Brésillac pour
apporter du renfort dans le Golfe de Guinée. En 1858, est créé pour la SMA, le vicariat
apostolique de Sierra Leone. La mort du prélat et de la plupart de ses compagnons à
peine débarqués amène la Propagande à ouvrir aux pères de Lyon, un nouveau poste à
Ouidah sur la côte du Dahomey en 1860. La SMA prend possession en 1861 de ce
nouveau territoire qui devait recevoir vers 1870, le nom officiel de vicariat apostolique
de la côte du Bénin et du Dahomey. Il s’étend de la Volta au Cap Saint Jean, au sud de
l’actuelle Guinée Equatoriale, donc à la limite nord de la mission du Gabon laissée,
elle, aux mains des spiritains.

82
Sur ce plan
proposé par
Libermann,
pour la
création de
nouvelles

circonscriptions ecclésiastiques, apparaissent les limites du vicariat apostolique des deux Guinées tel
qu’il le concevait.
Source : Paul Coulon, Paule Brasseur, Libermann, une pensée et une mystique missionnaire p 227

En 1863, la Sénégambie est érigée en vicariat apostolique avec une juridiction


théorique sur la préfecture apostolique de Saint-Louis. En fait, Saint-Louis restera
territoire autonome jusqu’en 1873 et le redeviendra à partir de 1955 avec la
nomination d’un nouveau préfet en prévision de l’institution de la hiérarchie. Cette
même année 1863, les pères du Saint-Esprit reçoivent en outre de nouveau, la Sierra
Leone érigée en pro-vicariat. Les limites en seront jusqu’en 1897, le Rio Nuñez à
l’Ouest et le Cavally à l’Est, soit un territoire couvrant trois pays dans la configuration
qui résultera quelques années plus tard du partage colonial de l’Afrique : la Guinée
Conakry, la Sierra Leone et le Libéria.

2. Lavigerie et l’intérieur du continent


Jusque dans les années 1870, toutes les stations missionnaires, toutes les
circonscriptions créées par le Saint Siège ont leur tête de pont sur la côte. L’intérieur
reste encore à explorer et les rares tentatives menées, par les spiritains entre autres,
avaient été vite abandonnées. Le caractère inhospitalier des lieux pour des Européens
ainsi que les difficultés de communication et de ravitaillement avaient eu raison de la
bonne volonté des pères. En mai 1867, Mgr Lavigerie (il deviendra cardinal en 1882)
débarque à Alger en provenance de Nancy avec en tête, l’idée que l’intérieur de
l’Afrique est sa part. « L’Algérie dit-il à ce sujet, n’est qu’une porte ouverte par la
Providence sur un continent barbare de deux cent millions d’âmes. » Son projet est

83
alors de porter l’évangile au cœur du continent pour « relier ainsi l’Afrique du Nord et
l’Afrique centrale à la vie des peuples chrétiens. » Sur les instances du nouvel
archevêque d’Alger, la Propagande érige en délégation apostolique le 6 août 1868, le
territoire limité au nord par les missions du Maghreb (Tunis, Tripoli, Maroc) et
l’archidiocèse d’Alger, à l’ouest par la Mauritanie au sud-ouest et par les missions du
Sénégal et l’ensemble de l’ancien territoire des Deux-Guinées, à l’est par le plateau du
Fezzan (sud-ouest de la Libye). Vers le sud, s’ajoutera un vaste territoire en Afrique
équatoriale, lorsqu’à la demande de Lavigerie, Léon XIII confiera aux Pères Blancs les
missions des grands Lacs en février 1878.

Le territoire ouest africain reçoit le nom de préfecture apostolique du Sahara-


Soudan avec pour délégué l’archevêque d’Alger. Le cardinal lance ses pères à sa
conquête, mais sans succès, dès 1872. Plus tard, le 28 septembre 1894, deux ans après
sa disparition, le risque de querelle entre ceux-ci et les pères du Saint-Esprit amène la
SCPF à fixer la frontière de cette mission avec celle du Sénégal à la ligne de partage
des eaux entre le bassin du fleuve du même nom et celui du Niger. En mai 1901, suite
à des négociations entre les Spiritains et les Pères Blancs, une partie de la vallée du
Sénégal difficilement accessible aux premiers en saison des pluies est rattachée au
Sahara-Soudan. Ce dernier territoire sera divisé en juillet de la même année en
préfecture du Sahara et vicariat du Soudan. Ce vicariat donne par la suite naissance par
division, successivement au vicariat de Ouagadougou en 1921, à la préfecture de
Bobo-Dioulasso en 1927 (vicariat en 1937), à la préfecture de Gao en 1932, aux
préfectures de Kayes et de Ouahigouya ainsi qu’au vicariat de Koudougou en 1947.

3. Le domaine des Missions Africaines


Dans le domaine confié aux pères des Missions Africaines, est érigée en 1879,
la préfecture de la Côte de l’Or et de l’Ivoire, suivant les divisions administratives
coloniales. En 1883, c’est au tour du vicariat de la côte du Bénin et du Dahomey d’être
divisé pour les mêmes raisons. Il en résulte la préfecture du Dahomey et le vicariat de
la côte du Bénin qui s’étend jusque dans l’actuel Nigeria, à l’ouest du fleuve Niger. En
1892 est créée la préfecture du Togo qui deviendra vicariat apostolique en 1914. Mais
déjà dès 1900, se pose au nord des territoires côtiers confiés aux pères de la SMA, le
problème des limites à définir entre eux et les Pères Blancs. Les premiers souhaitent
appliquer à leurs missions, l’habitude déjà entrée dans les mœurs missionnaires, de
faire coïncider les limites des circonscriptions ecclésiastiques avec celles des colonies.
Les seconds occupent déjà des territoires au nord de la Gold Coast et du Dahomey et
n’entendent pas les céder. C’est naturellement vers la SCPF que se tournent les
regards. Celle-ci, comme à son habitude prendra son temps pour aplanir
progressivement les difficultés. Elle promulgue un décret le 18 septembre 1907 qui
conserve à la SMA les territoires du Dahomey et aux Pères Blancs ceux de la Gold
Coast. En 1926, cette dernière mission devient la préfecture de Navrango et en 1948,
le nord Dahomey est érigé en préfecture de Parakou. Déjà en 1911, dans le règlement
de cette même querelle, la Propagande avait créé la préfecture de Korhogo au nord de
la Côte d’Ivoire puis celle de Sokodé en 1937 au nord du Togo et enfin celle de
Niamey en 1942. Les deux premiers sont confiés aux Missions Africaines tandis que le

84
dernier reste dans le domaine des Missionnaires d’Afrique. En 1948, cette préfecture
devenue vicariat passera sous le contrôle des Rédemptoristes.
Signalons enfin pour finir avec l’Afrique de l’Ouest, le cas particulier de la Mauritanie,
terre musulmane qui ne connaît alors d’autre présence chrétienne que celle de quelques
expatriés. La mission dans cette colonie est confiée à un aumônier militaire spiritain.

4 L’Afrique équatoriale
En Afrique équatoriale, il existe théoriquement depuis 1640, une préfecture
apostolique dite du Congo, érigée par Urbain VIII pour les capucins envoyés par la
SCPF ainsi que les résidus du padroado en Angola et dans les îles de Sao Tomé et
Principe. Du vicariat apostolique de Deux-Guinée érigé en 1842, il reste encore le
Gabon qui portera ce nom jusqu’en 1892. Après cette date, la mission prend le nom de
vicariat du Gabon.
En 1873, les spiritains s’installent à Landana en Angola dont ils ont reçu la mission en
1865. La réaction portugaise ne se fait pas attendre bien longtemps. En 1883, un
mémorandum du ministère de la marine rappelle les droits du Portugal sur cette
mission. Ceci amènera la SCPF à retirer Landana aux spiritains pour leur confier le
Congo français où elle crée un vicariat en 1886. Celui-ci prendra successivement le
nom de vicariat du Bas-Congo en 1890, de Loango en 1907 et enfin de Pointe-Noire
en 1949.
En 1879, est créée pour les spiritains la préfecture du Cimbabésie qui s’étend de la
vallée du Cunène au fleuve Orange, limite de la colonie du Cap, c’est-à-dire du sud de
l’Angola à l’extrême sud de la Namibie. La juridiction spiritaine sur la partie angolaise
est, comme il fallait s’y attendre, contestée par l’évêque portugais d’Angola et le
territoire repris à partir de janvier 1907. Quant à la Cimbabésie inférieure qui
correspond aujourd’hui à la Namibie, elle est érigée en préfecture apostolique en 1892.
En 1890, la Propagande crée, toujours dans le champ de mission des pères du Saint-
Esprit, le vicariat du Haut-Congo qui après avoir été étendu jusque dans l’actuel
Centrafrique prend en 1894, le nom de vicariat du Haut-Congo et Oubangui. En 1909
la préfecture de l’Oubangui-Chari est détachée du vicariat du Haut-Congo. Elle
deviendra vicariat en 1937 tandis que l’autre prendra le nom de vicariat de Brazzaville
à partir de 1932.
Par ailleurs, dans les années 1880, le Cameroun est érigé en préfecture apostolique
(vicariat en 1905) et confié aux pallotins allemands à la demande de Bismarck.
En 1912, chez les Pères Blancs, le Kivu est érigé en vicariat apostolique. Le vicariat du
Rwanda s’en détachera à partir de 1922

5 L’Afrique orientale et australe


En Afrique de l’Est, l’Erythrée, vicariat en 1894, prend le nom de vicariat
d’Asmara à partir de 1911. Cette circonscription regroupe tous les chrétiens des
Eglises rattachées à Rome quel que soit leur rite. Au Kenya est créée la préfecture de
Zanguebar en 1860 et celle du Benadir en Somalie en 1904.

En Afrique Australe, l’Afrique du sud est partagée en trois préfectures en


1837. Le Basutoland est érigé en vicariat confié aux Oblats de Marie Immaculé en
1894 tandis qu’est créé le vicariat du Nyassa (Malawi) en 1897. En Zambie, c’est en

85
1913 qu’est créée la première circonscription ecclésiastique, le vicariat de Bangweolo.
En 1927 suivra la préfecture de Brocken Hill (Lusaka) puis celle de Victoria Falls
(Livingstone) en 1936.

Disons pour résumer que dès 1883, les domaines sont fixés entre les Spiritains,
la SMA et les Pères Blancs ainsi que quelques autres instituts recrutés par le Siège
Apostolique, en règle générale pour ménager les susceptibilités coloniales. L’Afrique
Australe d’une façon globale a été confiée à des congrégations d’origine et de langue
anglo-saxonnes. Dans les îles de l’Océan Indien où Madagascar, préfecture depuis
1643 devient vicariat en 1850, ce sont les Jésuites, les capucins, les maristes et les
lazaristes qui sont en poste. D’autres divisions, on s’en doute bien, interviendront par
la suite dans toutes les missions mais ce ne seront plus que des réajustements, des
échanges de territoires entre instituts et finalement, l’institution de la hiérarchie
ordinaire avec l’essor du christianisme en Afrique. Cette institution eut lieu en 1950
pour l’Afrique occidentale britannique, en 1951 pour l’Afrique du Sud, en 1953 pour
l’Afrique orientale britannique, en 1955 pour l’Afrique occidentale française.

III L’évangélisation proprement dite : action sociale et apostolat

Suivant les recommandations sans cesse renouvelées du Saint Siège et des


fondateurs d’ordres missionnaires, l’annonce de la Bonne nouvelle en Afrique, ailleurs
aussi sans doute, a emprunté deux axes principaux : l’action sociale ou caritative et
l’apostolat.

1. L’action sociale
Dans le registre du social, les pères souvent secondés et même précédés
parfois par des religieuses, embrassent de leur action les domaines les plus divers,
depuis la lutte contre l’esclavage jusqu’aux soins médicaux en passant par
l’amélioration des conditions de vie de la femme, l’instruction scolaire, l’initiation des
paysans à des méthodes culturales nouvelles et des jeunes à divers métiers, l’exercice
de la charité envers les pauvres…

- La lutte contre l’esclavage


La lutte contre l’esclavage a été l’une des activités principales des
missionnaires, au moins dans les premières années de la mission au XIXème siècle. Le
cardinal Lavigerie notamment en fait son cheval de bataille. Quand il demande et
reçoit le Sahara comme territoire de mission, une de ses préoccupations majeures est
de pouvoir combattre dans ce vaste no man’s land livrés aux pillards, le commerce
transsaharien d’esclaves Noirs auquel se livrent les marchands musulmans du nord. Et
c’est avec l’appui de Léon XIII qu’il combat ce fléau. Non satisfait de ses actions et de
celles de ses Pères Blancs sur la terre d’Afrique, et pour donner plus de résonance à cet
engagement, c’est sur les places européennes, par une campagne menée tambour
battant à travers de multiples conférences que le primat d’Afrique porte le front. Il
dénonce à l’opinion occidentale l’existence de marchés d’esclaves au Maroc, dans les
oasis du Sahara et dans le fief islamique de Tombouctou. Et d’aucuns considèrent que
l’engagement militaire de la France en Afrique tropicale entre 1890 et 1900 qui

86
l’amène à occuper la boucle du Niger est à attribuer en partie à cette sensibilisation
menée par le cardinal. C’est cette volonté hexagonale d’éradiquer l’esclavage qui
aurait valu à Rabah, grand marchand arabe du bois d’ébène, d’être pourchassé et tué en
avril 1900. Sur le terrain en Afrique, la lutte contre l’esclavage a essentiellement
consisté chez l’ensemble des missionnaires, au rachat des captifs et à l’accueil des
fugitifs. Tous sont d’une façon généralen rassemblés dans des villages dits de liberté.
Ces anciens esclaves formeront par la suite les premières fournées de chrétiens et c’est
de leur milieu que sortiront les premiers auxiliaires d’apostolat.
Une tentative originale du cardinal Lavigerie, qui a fait long feu, est celle de la
congrégation des frères armés du désert. Ce corps de religieux militaires a été fondé en
1890, autant pour protéger les missionnaires que pour barrer la route aux marchands
d’esclaves. Jusqu’à leur suppression en 1892, ils défendent des points fortifiés et les
villages de libertés établis par les Pères Blancs à l’orée du Sahara.

- Les soins médicaux


En dehors de la lutte contre le commerce d’esclaves Noirs, les soins médicaux
prodigués aux indigènes ont été une autre grande occupation des missionnaires. C’est
même, à notre connaissance, pour s’occuper de malades que le premier contingent de
missionnaires catholiques français qui se trouve être un groupe de religieuses, a été
convié en Afrique noire au XIXème siècle. C’était les sœurs de saint Joseph de Cluny,
appelées en 1819 à Saint-Louis du Sénégal. Par la suite, dans tous les champs de
mission, le soin des corps va de paire avec la cure des âmes. Sous la supervision des
pères, ce domaine est souvent confié à des religieuses missionnaires. Mais la mission
par les soins médicaux s’est également faite à travers l’initiation d’Africains à la
médecine occidentale. Un des cas les plus connus est celui du Songhaï Adrien Atiman,
enlevé près de Tiendourma son village (Mali), vendu à Tombouctou et racheté par les
Pères Blancs dans le sud algérien. Formé à Malte, il devient médecin-catéchiste et sert
au Tanganyika jusqu’à sa mort en 1956. C’est l’un des tout premiers missionnaires
laïcs africains.
Toujours dans les missions des Pères Blancs, une expérience tentée en Haute Volta a
eu des résultats très probants : le père Jean-Louis Goarnisson par ailleurs
ophtalmologue et diplômé de médecine tropicale, initie lui-même des jeunes
religieuses de la colonie, notamment à l’opération du trichiasis et de la cataracte. Selon
les témoignages de l’époque rapportés par le père de Benoist, les résultats sont
excellents.
Dans les missions de la SMA, au Dahomey, les soins et surtout la guérison des
malades deviennent l’enjeu d’une âpre compétition entre les missionnaires et les
sorciers de Ouidah. Et l’on peut dire que le succès de la médecine occidentale n’est pas
étranger à un certain nombre de conversions.

- l’instruction scolaire
L’instruction scolaire reste tout de même l’engagement social par lequel les
missionnaires ont gagné le plus de cœurs. Comme ce fut le cas au Sénégal pour les
soins médicaux, la prise en charge des écoles a été la raison principale de l’ouverture
de certaines colonies aux missions. La Côte d’Ivoire compte parmi celles-ci. C’est en
effet pour instruire les jeunes indigènes dont l’administration voulait faire ses

87
auxiliaires que le gouverneur Binger, quoique protestant lui-même, fait appel aux
pères des Missions Africaines basés en Cote d’Or. Au Sénégal, à la suite des sœurs de
saint Joseph de Cluny venues pour l’hôpital de Saint-Louis, l’enseignement public est
confié aux frères de Ploërmel à partir de 1836 tandis qu’en 1842, l’abbé David Boilat
de retour de France est nommé inspecteur de l’instruction publique.

Tout ceci montre bien à quel point les missionnaires ont été impliqués en
Afrique dans l’enseignement pour le compte de l’administration coloniale. Mais leur
action ne s’est pas limitée dans ce domaine, à la gestion des établissements d’Etat.
Parallèlement à l’instruction publique, parfois sur fond de tension avec
l’administration, les pères ont ouvert des écoles pratiquement dans toutes leurs
missions. Le but immédiat de ces écoles ne diffère pas beaucoup de celui de
l’administration. Si les missionnaires instruisent les petits africains, c’est pour se
donner parmi leurs élèves, des auxiliaires d’apostolat. Aussi est-ce d’abord sur la
formation des catéchistes et sur celle de maîtres d’écoles appelés de toutes les façons à
remplir cette même fonction au moins auprès des enfants que l’accent est mis. Le
cardinal Lavigerie insiste même dans une de ses instructions pour que ses
missionnaires ne fassent pas de ces Noirs formés à l’école des Blancs, « des évolués à
notre ressemblance, mais [qu’ils fassent] des plus doués, des catéchistes et des maîtres
d’école. Quant aux autres, précise le primat d’Afrique, on tâchera d’abord de ne pas
en avoir… Au reste, on regardera comme une perte pour eux et pour la mission d’en
faire autre chose que des ouvriers utiles à leurs compatriotes et à eux-mêmes. » Ceci
dit, il faut rendre justice à l’ensemble des missionnaires. Seule une infime partie de
leurs élèves sont finalement devenus auxiliaires d’apostolat. Les autres, formés en
outre à l’action catholique ont constitué la première élite chrétienne ou la première
élite tout court de l’Afrique moderne.

- L’émancipation de la femme
Un autre aspect important de l’action sociale dans les missions concerne
l’émancipation de la femme africaine et l’amélioration des conditions de l’enfant. Aux
côtés des pères, cette lutte a surtout été celle des religieuses missionnaires. Les sœurs
NDA inscrivent cet apostolat au cœur de leurs priorités dès leur création. Elles s’en
acquittent par la prise en charge des maternités, de l’éducation maternelle et de
l’érection d’écoles spécialement réservées aux filles. Les autres congrégations
féminines agissent de façon générale dans ces mêmes registres. Dans de nombreuses
missions, les sœurs tiennent en outre des ouvroirs où elles accueillent et initient des
femmes aux travaux de l’aiguille. Mais l’engagement des religieuses missionnaires est
parfois allé beaucoup plus loin que l’initiation des femmes aux tâches ménagères et
aux rudiments de l’hygiène. Alors que les pères dans les missions des colonies
françaises, usaient d’expédients pour arracher les jeunes filles aux mariages forcés et à
la polygamie, c’est l’action inlassable d’une Sœur Blanche qui permet de débloquer la
situation une fois pour toutes, au moins du point de vue juridique. Sœur Jeanne Dorge,
en religion Marie Andrée du Sacré-Cœur, à l’issue d’un séjour en mission meublé par
de minutieuses enquêtes, publie en effet en 1939 un ouvrage intitulé La femme
indigène en AOF et multiplie les articles au point d’amener Georges Mandel, alors
ministre des colonies, à prendre des mesures. C’est le décret-loi du 15 juin 1939 qui

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interdit le mariage forcé dans toutes les colonies françaises d’Afrique. Il va sans dire
que nombre des jeunes filles ainsi libérées deviennent chrétiennes, parfois à la suite de
mariages arrangés par les pères. Ces quelques points auront suffit à donner un aperçu
de l’aspect social de la mission. Il faut y ajouter l’énorme travail linguistique entrepris
par les missionnaires : traduction de passages de l’Ecriture, catéchismes, grammaires,
lexiques, vocabulaires, autant d’entreprises qui ont assis les bases de nombreuses
langues africaines devenues aujourd’hui langues nationales ou véhiculaires. La liste
qui suit - et elle n’est pas exhaustive - parle d’elle-même :
- Travaux des pères spiritains : l’analyse grammaticale de la langue Grébo (1844),
le catéchisme Mpongwé de Mgr Bessieux (1847), une Bible en Wolof (1878), le
catéchisme en langue Adouma du père Dahin (1897), les Vérités nécessaires,
catéchisme en langue Bambara à l’usage de la mission de Kita (1897), le
vocabulaire français-Gbéa du père Calloc’h, le dictionnaire de la langue Sérère
du père Lamoine, la grammaire de la langue Mpongwé de Mgr Le Berre, les
dictionnaires Français - Mpongwé et Mpongwé - Français des missionnaires du
Gabon.
- Travaux des Pères Blancs : le dictionnaire Bambara de Mgr Bazin, le dictionnaire
Yoruba et plusieurs études sur la langue Songhaï du père Dupuis, un essai de
grammaire malinké (1886), un dictionnaire malinké (1900), une grammaire et un
dictionnaire Moré puis un grand catéchisme, une histoire sainte, une vie de notre
Seigneur et les évangiles du dimanche par le père Alexandre, différentes études du
père Prost sur les langues du pays Boussansé.

Les Pères Blancs ont par ailleurs réussi l’exploit de dispenser tous leurs
enseignements scolaire et religieux au Rwanda en une langue du pays. On imagine tout
le labeur que cela a exigé en amont. Quant à ceux de la SMA, ils restent les parents
pauvres de l’action en ce domaine peut-être à cause de l’intérêt relatif que leur
fondateur porte à cette question. Par expérience personnelle, nous savons que certains
parmi eux ont appris et parlé correctement les langues africaines en usage dans leur
champ d’apostolat et même, qu’ils ont procédé à la traduction des prières usuelles.
Mais nous n’avons rien trouvé d’écrit à verser à leur actif.

2. L’apostolat
L’autre pendant de l’évangélisation a été naturellement l’apostolat c’est-à-dire
l’annonce proprement dite de la Bonne Nouvelle et l’administration des sacrements.
Pour se donner les meilleures chances d’atteindre l’âme des indigènes, les
missionnaires avaient d’une façon générale reçu la consigne d’étudier leurs mœurs,
leurs penchants et dispositions naturelles. L’observation de cette recommandation a
amené les pères à préférer telle approche à telle autre, à adopter des méthodes
différentes d’une région voire d’une mission à l’autre. Mais si ces voies divergent dans
la démarche, elles se rejoignent toutes en fin de compte sur les mêmes points
d’aboutissement à savoir le catéchisme, les sermons, l’instruction religieuse, la
formation d’auxiliaires puis d’un clergé indigène pour prendre la relève.
Comme le laissaient entrevoir les nombreux catéchismes en langue locale cités
plus haut, catéchiser les indigènes a été l’une des plus grandes préoccupations des
missionnaires. Selon André Prost, ceux d’Ouganda donnent jusqu’à cinq heures de

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catéchèse par jour à leurs aspirants adultes. D’autres pour surmonter l’obstacle de
l’initiation qui soustrait à leurs cours un grand nombre de jeunes des deux sexes
pendant un an voire plus suivant les lieux, n’hésitent pas à se faire initier eux-mêmes.
Ils peuvent ainsi avoir accès au camp d’initiation et trouver des arrangements avec les
initiateurs pour poursuivre la formation de leurs catéchumènes durant cette période de
probation. La plupart des chefs de mission d’ailleurs estiment que la catéchèse est le
moyen le plus ordinaire mais aussi le plus efficace de faire des chrétiens et de former
les néophytes. Voici ce que Mgr Hacquart, vicaire apostolique au Soudan français
écrivait à ses missionnaires à ce sujet, à la fin du XIXème siècle : « C’est à cette
prédication directe (la catéchèse) que je donne la préférence parmi les œuvres de la
mission. C’est celle dont je désire surtout l’accroissement et en vue de laquelle, il faut
former pratiquement des catéchistes. »

Ces propos du prélat reflètent tout à fait la pensée de ses confrères, tous
instituts confondus. Engagés dans cette forme d’apostolat, les pères se sont bien vite
rendu compte qu’ils ne seraient jamais assez nombreux pour encadrer tous leurs fidèles
et instruire le nombre croissant de candidats à la conversion. Aussi ont-ils édifié des
écoles de catéchistes pour se donner les auxiliaires indispensables à leur entreprise
d’évangélisation. D’une façon générale, le rôle des catéchistes a très vite débordé celui
de dispensateur de cours pour englober ceux de leader spirituel et de président
d’assemblée de prière. Véritables appuis des pères, ils sont rapidement devenus le
prolongement de leur action, de leur rayonnement et de leur présence dans les postes
établis de loin en loin autour des missions. Et il n’est pas exagéré de dire qu’outre la
pression du Saint Siège, l’efficacité de leur engagement a pesé de tout son poids, chez
les missionnaires du terrain, dans la décision de former un clergé autochtone.

En ce qui concerne l’administration des sacrements, on a souvent reproché aux


missionnaires de s’être donné à cœur joie de faire des effectifs qui n’avaient aucune
autre consistance que celle de gonfler les statistiques. Et de fait, la tentation pouvait
sans doute être grande à certains moments de montrer à coup de baptêmes et de
mariages administrés à tour de bras, combien on avait du succès dans les missions. Les
bienfaiteurs attendaient des résultats. Dans les faits, les choses ne sont pas aussi
tranchées. La consigne générale était certes d’atteindre la masse, mais l’accès aux
sacrements était un véritable goulot d’étranglement. L’histoire de Kisito refusé au
baptême pour cause de jeunesse est connue. Moins connue est celle de nombreux
autres catéchumènes anonymes dont le baptême a dû être sans cesse différé à cause
d’une situation sociale donnée : polygamie, appartenance à une structure traditionnelle
jugée diabolique etc. Les pères d’ailleurs se doutaient bien que les Noirs attirés par
leur charité ou par leur prédication ne deviendraient pas tous chrétiens.

Chapitre X : Les missions contemporaines dans les autres


parties du monde

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Introduction
I. L’Amérique
1. L’Amérique du nord
2. L’Amérique Latine
II. L’Asie
1. L’Inde
2. La Chine
3. La Corée
4. L’Indochine
5. Le Japon
III. L’Océanie
1. L’Australie
2. Les petites îles de l’Océanie
Conclusion

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Introduction

Si le XIXème siècle a été pour l’Afrique, celui de la colonisation, pour avoir


déjà été explorées, les autres parties du monde, l’Amérique notamment, ont plutôt
connu l’immigration européenne. Leur évangélisation a donc rimé avec l’installation
des immigrants européens sur ces nouvelles terres, parfois sur fond de tensions avec
les populations indigènes et même de leur élimination partielle.

I. L’Amérique

1. L’Amérique du nord
En Amérique du nord, ce sont surtout les églises évangéliques qui s’investissent
dans la mission auprès des Indiens. L’Eglise catholique, devenue minoritaire avec
l’arrivée massive de ces nouvelles confessions chrétiennes, se préoccupe surtout de
veiller sur les fidèles qu’elle a déjà.

Au Canada, la communauté catholique connaît une certaine croissance, grâce à


une natalité relativement forte chez les francophones et à l’apport substantiel des
immigrés irlandais. Toutefois, malgré la multiplication des évêchés durant la première
moitié du XIXème siècle, cette église ne connaît pas tout le rayonnement qu’on aurait
pu attendre d’elle. Elle est éclipsée par l’Anglicanisme, religion favorite d’une terre
devenue anglaise.

Les évêchés qui ont en charge le nord-Ouest du Canada poursuivent ou initient


la mission auprès des Indiens devenus très minoritaires par suite d’élimination.
L’évêque de Montréal, Mgr Bourget, parti en visite en Europe en 1841, décide
plusieurs congrégations françaises à le suivre au Canada. Parmi elles, les Oblats de
Marie Immaculée deviennent les missionnaires des Indiens du grand nord canadien
puis des Inuits.

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Les Etats-Unis, on l’a vu, sont une terre de liberté religieuse. Les confessions
protestantes y sont largement majoritaires à la proclamation de l’indépendance en
1776. La conquête du Far West est l’occasion pour les mouvements de réveils de se
développer et de gagner du terrain.

En ce qui concerne l’Eglise Catholique, elle ne totalise alors qu’à peine 1% de


la population. Grâce à l’évêché de Baltimore, créé en 1789, elle assure une certaine
présence dans le paysage religieux américain.
Durant les premières décennies du XIXème siècle, elle s’organise peu à peu d’abord
grâce à un clergé d’origine française : à Baltimore même, des sulpiciens
essentiellement, ailleurs, d’autres prêtres qui ont fui France à cause de la Révolution et
quelques prêtres membres d’un clergé natif de la Louisiane. A ceux-ci, il faut ajouter
des prêtres recrutés en France par l’évêque de la Nouvelle-Orléans, Mgr Dubourg et
par quelques autres évêques, à partir de 1815. Toutefois, le plus gros apport à l’Eglise
catholique américaine vient ici encore, des Irlandais arrivés en masse entre la fin du
XVIIIème et le début du XIXème siècle. Ils marquent définitivement le catholicisme
américain de leur empreinte. En 1852 se réunit à Baltimore le premier concile plénier
de l’Eglise Catholique des Etats-Unis.

Sur le plan de l’évangélisation, aucune véritable politique d’ensemble n’est


définie. L’Eglise Catholique se préoccupe de fonder de nouveaux diocèses et de
construire des écoles plus que du sort des Indiens. Des initiatives personnelles de
plusieurs évêques qui avaient sur leur territoire, d’anciennes missions indiennes sont
tout de même à signaler. La ville de Saint Louis dans le Missouri devient par exemple
un centre important de mission auprès des Indiens, tenu par des Jésuites belges. Ces
derniers servent à maintes reprises de facilitateurs ou de négociateurs pour aplanir les
difficultés nées de la marche vers l’Ouest.

En 1851, un vicaire apostolique est nommé et spécialement affecté à


l’évangélisation des terres indiennes. Malheureusement, tout l’effort consenti est ruiné
par la politique gouvernementale d’expropriation tous azimuts, menée contre les
Indiens.
Les Noirs convertis au Christianisme eux, sont majoritairement protestants, baptistes
ou méthodistes. Il faut dire que l’Eglise catholique américaine s’est montrée très
timide à soutenir la cause des esclaves, même après la publication en 1839 par
Grégoire XVI de l’encyclique In Supremo par laquelle il se prononçait contre la traite
des Noirs en particulier et contre l’esclavage en général. Le concile de Baltimore
n’aborda pas la question. Ceci n’empêche pas que l’on trouve des Noirs convertis au
Catholicisme et même quelques prêtres noirs à l’époque. A partir de 1871, la
congrégation saint Joseph de Mill-Hill se consacre particulièrement à l’apostolat
auprès des Noirs.
2. L’Amérique Latine.
Ici, les colonies espagnoles et portugaises proclament leur indépendance entre
1817 et 1823. L’Eglise est du coup coupée de l’Europe. Parce qu’elle n’en reçoit plus
d’assistance dans l’immédiat, elle subit le contrecoup de cette brusque séparation,

92
d’autant plus que les gouvernements sortis des rangs des anciens colons se montrent
anticléricaux pour la plupart. Le clergé se raréfie ; dans différents pays, les religieux
sont à plusieurs reprises expulsés.

Le patronat espagnol ayant disparu avec la proclamation des indépendances, le


Propagande prend en charge un certain nombre de territoires avec le temps. Elle les
confie à diverses congrégations : franciscains, salésiens, jésuites, capucins… mais
l’humeur des gouvernants empêche souvent ces missionnaires d’entreprendre un suivi
continu. En 1850, La Propagande érige en diocèses, la Guadeloupe et la Martinique
qu’elle confie au Saint-Esprit en raison de la présence importante de Noirs.

II. L’Asie

1. L’Inde
Au début du XIXème siècle, l’Eglise Catholique connaît une situation difficile
en Inde. Les Jésuites ont été supprimés ; les royaumes ibériques connaissent des
difficultés ; le Portugal qui s’accroche encore aux prérogatives du patronat est entré en
conflit avec le Saint Siège ; les Missions Etrangères de Paris qui ont en principe pris la
relève des jésuites n’arrivent pas, pour cette dernière raison entre autres, à assumer
toute la charge. En conséquence, presque tous les sièges épiscopaux du patronat
portugais sont vacants.

Faute de prêtres, de nombreux catholiques semblent être retournés à leur


religion d’origine ou être passé au Protestantisme. La mission protestant qui s’est
amorcée au XVIIème siècle connaît alors en effet un formidable essor en ce début du
XIXème siècle. La Mission Baptiste de Londres, présente notamment avec le pasteur
William Carey de 1793 à 1834, mène un apostolat très actif, avec la traduction à partir
de 1801de la Bible en bengali, l’édition de grammaires et de dictionnaires, la fondation
d’écoles, de sociétés agricoles et d’une caisse d’épargne. Elle réussit en outre à faire
interdire l’infanticide le brûlement des veuves.

D’autres sociétés missionnaires anglaises s’installent à leur tour ; notamment les


Anglicans qui fondent un diocèse à Madras en 1830. En 1850, les différentes sociétés
missionnaires se rassemblent dans une conférence, pour coordonner leurs actions et
faire face ensemble aux obstacles que leur oppose la compagnie des Indes qui exploite
le pays. Lorsqu’à partir de 1858, le gouvernement anglais prend lui-même en charge
l’administration de la colonie, il accorde une grande liberté d’action aux missionnaires.
Plutôt que de reconnaître leur incapacité, les catholiques s’estiment défavorisés, tandis
que les protestants réussissent à imposer à leurs convertis, contre des emplois dans la
mission (catéchiste, instituteur, pasteur…), la renonciation au système des castes.

Devant la carence du patronat, Grégoire XVI, crée cinq vicariats apostoliques


pour la Propagande en 1834. Rétablis par Pie VII depuis 1814, les jésuites reviennent
en Inde, après avoir pris le temps de s’organiser. Leur arrivée y amorce un renouveau
missionnaire catholique. Le Saint Siège réorganise alors le territoire en supprimant
quatre évêchés du patronat au profit des vicariats créés et en ne laissant que Goa aux

93
mains des Portugais. Ni l’Archevêque de Goa, Mgr Silva Torres ni le gouvernement
n’ayant accepté la décision, un conflit de juridiction éclate qui dure jusqu’en 1886 : on
parle alors de schisme de Goa.

Les missionnaires engagés par la propagande, ceux des MEP entre autres, sont
appelés à prêter le serment de se conformer à la condamnation des rites malabars ; ce
qu’ils font en avouant leur malaise de devoir imposer aux Indiens le rite romain et le
droit romains. Certains parmi eux, Mgr de Marion Brésillac notamment, en appellent à
la formation rapide d’un clergé indigène avec tous les degrés de la hiérarchie, car,
pensent-ils, c’est la seule façon de fonder une véritable Eglise indienne. Pour trouver
une réponse définitive à cette question entre autres, Mgr Bonnand, vicaire apostolique
de Pondichéry y réunit deux synodes en 1844 et en 1849.

Parmi les décisions prises par le premier synode, de nouvelles méthodes plus
exigeantes sont adoptées pour la formation du clergé indigène et pour attirer dans le
clergé des membres des hautes castes. Les missionnaires sont également invités à
combattre le système des castes. Mais parce que sur le terrain cette dernière décision
s’avère impossible à appliquer, le second synode s’efforce de tenir compte de ces
réalités dans l’administration des paroisses. Dans les églises, des murets continuent de
séparer les chrétiens des castes des parias…

En 1847, les jésuites ouvrent un noviciat pour accueillir les indigènes, dans le
cadre de l’application de la décision de former un clergé local. Cette politique est si
bien menée par l’ensemble du clergé missionnaire qu’à la fin du XIXème siècle, le
clergé indigène dépasse largement en nombre les missionnaires. En 1893 est fondé à
Kandy (Ceylan) un séminaire pour toute l’Inde.

2. La Chine
On situe le nombre des fidèles catholiques à 200 000 et 300 000 en Chine au
début du XIXème siècle et celui des prêtres entre 130 et deux cents. Ce sont des
nombres en net recul par rapport au siècle précédent. Tout le pays est divisé en trois
diocèses (Nankin, Pékin et Macao) et trois vicariats apostoliques. Les lazaristes ont
pris le relais des jésuites dans les diocèses, les MEP, franciscains et dominicains
assurent la mission dans les vicariats. Après le temps de la persécution, la religion
chrétienne n’a pas été de nouveau autorisée mais les autorités observent une certaine
tolérance qui permet aux fidèles de vivre dans une semi clandestinité.

En 1803, au mois de septembre, Mgr Jean Dufresse, Vicaire apostolique du


Szechwan réunit le premier synode diocésain de Chine. Les 19 prêtres rassemblés
autour de lui (6 missionnaires et 13 Chinois) débattent de questions de formation avec
une insistance particulière sur l’apprentissage du latin.

En 1805 et 1811, des édits impériaux relancent la persécution. Plusieurs


missionnaires dont Mgr Dufresse ainsi que des prêtres chinois sont décapités dans les
années qui suivent.

94
Pour remplacer le vicaire apostolique, des candidature chinoises sont proposées
mais la Propagande préfère nommer un européen. La Propagande observera cette
attitude pendant longtemps encore.

En 1842 à Nankin, 1844 à Whampoa et en 1858 à Tien-Tsin, la grande Bretagne


puis la France signe avec la Chine, les traités inégaux à la suite des deux guerres de
l’opium. Le dernier traité établit pratiquement un protectorat français sur les missions
catholiques de Chine. Les missionnaires quels qu’ils soient n’entrent en Chine qu’avec
un passeport français. Il en résulte la reconnaissance par les autorités chinoises d’une
liberté religieuse qui n’empêche cependant pas le retour périodique de violences
xénophobes dont tous les établissements européens, les missions comprises, font les
frais. Malgré ces difficultés et l’assassinat de missionnaires, les candidats à la mission
en Chine ne manquent pas et avec l’arrivée massive d’instituts masculins et féminins,
la Propagande ouvre de nouveaux vicariats apostoliques tandis prospèrent également
les missions protestantes.

3. La Corée
Le XIXème siècle est marqué par une âpre persécution contre les chrétiens en
Corée. Le siècle s’ouvre avec la mise à mort en 1802 du premier prêtre chinois qui
s’est mis au service de l’Eglise de Chine, après le temps de la chrétienté laïque. Les six
mille chrétiens du royaume lancent alors des appels au secours auxquels le Saint Siège
répond en désignant un vicaire apostolique en 1831. L’arrivée de ce dernier en Corée
n’atténue pas pour autant pas l’hostilité contre les chrétiens. La persécution ressurgit
de loin en loin. Le premier prêtre coréen, André Kim est ainsi exécuté en 1846 avec de
nombreux chrétiens. En 1866, deux évêques, sept missionnaires et plusieurs milliers de
chrétiens subissent à leur tour le martyre. La liberté religieuse ne sera acquise que vers
la fin du siècle, en 1885, permettant à l’Eglise catholique de prospérer parallèlement à
d’autres confessions chrétiennes.

4. L’Indochine
A la fin du XVIIIème siècle, Mgr Pigneau de Béhaine, vicaire apostolique de
Cochinchine mort en 1799 a aidé le prince Nguyen Anh qui prendra le nom de Gia-
Long en 1802, à monter sur le trône impérial de l’Annam. En reconnaissance, le
souverain se montre tolérant vis-à-vis des chrétiens et de l’Eglise jusqu’à sa mort en
1820. Son fils et successeur Minh-Mang (1820-1840), loin d’observer la même
attitude, multiplie les mesures de restriction des libertés accordées à l’Eglise au point
d’inaugurer à partir de 1833, une nouvelle ère de persécution sanglante qui, entre
accalmies et reprises, durera près d’un demi siècle, bien au-delà du règne de son
initiateur. Les martyres de missionnaires, de prêtres viêt-namiens et de catéchistes se
multiplient durant cette période. Ceux qui survivent doivent poursuivre leur apostolat
clandestinement. Au total, le vicariat apostolique qui est très vaste (Cochinchine,
Cambodge, Laos, Siam) compte alors environ 80 000 chrétiens et pour servir ces
derniers : trente-neuf prêtres dont trente-deux indigènes et deux cent cinquante
religieuses Amantes de la Croix.

95
A la mort de Minh-Mang, Thieu-Tri (1840-1847) laisse un peu de répit à
l’Eglise. Ce qui permet à celle-ci de se réunir en un synode clandestin à Go-Thi, sous
la présidence du vicaire apostolique, Mgr Etienne-Théodore Cuénot qui profite de
l’occasion pour sacrer coadjuteur un des deux prêtres européens sur les quinze qui y
prennent part. A l’instar du synode de Szechwan, le synode réfléchit longuement sur la
formation des prêtres et décide que tout candidat au sacerdoce passera par quatre
étapes :
- un apprentissage du latin auprès d’un missionnaire ;
- des études au grand séminaire de Penang en Malaisie ;
- un stage préparatoire à l’ordination ;
- l’ordination vers l’âge de 35, 40 ans.

D’autres questions sont bien entendu, abordées au synode et d’autres décisions,


prises. Au titre de l’apostolat, les pères décident de donner une place importante à la
catéchèse et aux laïcs pour l’évangélisation des non chrétiens. Au titre de l’adaptation,
instruit sans doute de la querelle des rites, le synode refuse tout emprunt aux symboles
traditionnels viet-namiens.

Ce synode portera de nombreux fruits dans les années qui suivent :


- En 1848, le vicariat apostolique compte cent vingt-deux séminaristes à Penang ;
- cinquante-six prêtres par ailleurs seront ordonnés sous le vicariat de Mgr
Cuénot
- Un grand nombre de catéchistes itinérants et sédentaires.

Au Tonkin, l’accalmie permet la reprise du culte public. Le vicaire apostolique,


Mgr Retord, reprend également se visites aux communautés. Et le Saint Siège crée
pour l’ensemble du Viêt-Nam, six nouveaux vicariats apostoliques de 1844 à 1850.
Mais avant que ce nouveau découpage territorial ne donne toute la mesure de son
efficacité, la persécution reprend avec l’arrivée au pouvoir de l’empereur Tu-Duc
(1847-1882) et l’Eglise du Viêt-Nam connaît alors de nombreux martyrs (Jean-Louis
Bonnard en 1852, Stéphane Vénard en 1861). Mgr Retord qui s’est réfugié dans une
cachette y meurt en 1858 et Mgr Cuénot condamné à mort trépasse dans son cachot la
veille de son exécution.

La France et l’Espagne associées prennent alors prétexte de cette persécution


pour intervenir militairement en 1862. Au traité de Saigon qui consacre la victoire
française (l’Espagne s’est retirée après un premier échec), le Viêt-Nam cède trois
provinces de Cochinchine à la France. Celle-ci annexera toute la Cochinchine à partir
de 1867, favorisant ainsi l’installation de nombreux instituts d’hommes et de femmes.

5. Le Japon
Fermé à l’extérieur depuis le XVIIème siècle, le Japon est contraint par les
Etats-Unis de s’ouvrir à partir de 1853. Les Européens s’engouffrent à leur tour dans la

96
brèche ainsi ouverte et obtiennent le droit de s’installer dans les ports, de commercer et
de construire des églises pour leurs ressortissants en séjour permanent.

En 1865, une chapelle dédiée à la mémoire des martyrs est construite à


Nagasaki. Des chrétiens japonais qui, en l’absence de tout clergé, avaient continué de
pratiquer clandestinement un Christianisme hérité de leurs arrière-grands-parents
surgissent alors de l’ombre. L’Eglise du Japon prend ainsi un nouveau départ au milieu
de la persécution qui reprend pour cinq années entre 1868 et 1873, le Christianisme
n’étant pas autorisé pour les Japonais. Malgré l’accalmie et la liberté religieuse
instaurées après ses premières années de règne par l’empereur Mutsuhito, initiateur de
l’ère Meiji, le Christianisme ne retrouvera jamais sa vigueur des temps modernes.

III. L’Océanie

1. L’Australie
L’Australie a été découverte au début du XVIIème siècle par un explorateur
hollandais du nom de Willem Janzsoon. Ce sont cependant les Anglais qui en
prendront possession et s’y établiront grâce aux expéditions de William Cook au
XVIIIème et de Matthew Flinder au XIXème siècles. A partir de 1786, la Grande
Bretagne décide d’y ouvrir un bagne ou plutôt de faire du continent, une colonie
pénitentiaire. De 1788 à 1852, plus de 150 000 prisonniers seront ainsi déportés en
Australie. Ce sont eux qui forment en partie la base de la population blanche de ce
pays.

Sur le plan religieux, au XIXème siècle, le continent accueille des immigrants


irlandais. Ce sont eux qui constituent le point de départ de la communauté catholique
qui, noyée à l’époque au milieu des Anglicans et des confessions protestantes ne
manquent pas cependant d’affirmer sa personnalité. Ni protestants ni catholiques
cependant ne semblent s’être intéressés au sort des aborigènes livrés à l’extermination
des colons. A partir de 1842 est instituée la hiérarchie catholique.

2. Les îles de l’archipel océanien


A l’instar de l’Afrique, l’Océanie constitue un nouveau champ de mission au
XIXème siècle. La multitude d’îles qui la constituent, deviennent donc l’enjeu d’une
âpre concurrence entre protestants et catholiques.
Installés dès 1797 à Tahiti, la London Missionnary Society donne une longueur
d’avance aux premiers. En 1817, un missionnaire de 21 ans, John William débarque
dans les îles de Société et circulant d’une île à l’autre en bateau, mène intense mission
faite de prêche, de construction de maisons, d’églises, d’écoles et d’étude des
coutumes avant de finir sa vie, mangé en 1839 par des cannibales dans les Nouvelles-
Hébrides.

Très en retard, les catholiques ne posent les pieds en Océanie qu’en 1819. Et
encore, ils ne sont alors que de passage et ne réussissent qu’à baptiser deux chefs de
tribu dans les îles Hawaï. A la suite de ce premier contact, la Propagande confie
l’évangélisation de ces îles aux pères du Sacré-Cœur de Picpus qui y débarquent en

97
1827. Leurs activités menées dans un climat de concurrence contre les pasteurs qu’ils
trouvent sur place leur valent d’être expulsés au bout de quatre ans de présence. Ils y
reviennent en 1837 pour un établissement plus stable. Le plus célèbre d’entre eux reste
le père Damien, apôtre des lépreux dans l’île de Molokaï de 1873 à 1889, mort lui-
même de la lèpre.

En 1815, le Protestantisme est proclamé religion d’Etat à Tahiti. Aussi, la reine


Pomaré IV influencée par le pasteur George Pritchard, renvoie-t-elle les catholiques
dès leur débarquement en 1836, avant de leur accorder le droit de séjourner dans l’île à
partir de 1838. Les intrigues de Pritchard ayant suscité des mesures hostiles contre les
missionnaires catholiques majoritairement français, la France intervient militairement
en 1842 et impose à Pomaré un protectorat en en 1843. Les missionnaires protestants
anglais sont alors à leur tour priés de plier bagage et remplacés par des pasteurs des
Missions Evangéliques de Paris.

En Océanie occidentale, sont présents les Maristes de Lyon entrés à partir de


1836 au service d’une communauté essentiellement irlandaise d’origine. Ils
entreprennent l’évangélisation des indigènes Maoris en concurrence avec les
protestants. Ce scénario de concurrence est d’ailleurs partout le même en Océanie.
Ainsi, en Nouvelle-Calédonie, la même course s’engage entre catholiques et protestant
à partir de 1840.

Au début du XXème siècle, en dehors de la Papouasie qui reste encore peu


explorée des missionnaires, l’Océanie, cet immense espace fait d’îles qui s’étendent
sur des milliers de kilomètres, peut être considérée comme entièrement évangélisée.
Les missionnaires se sont efforcés de christianiser les mœurs de populations peu
nombreuses mais extrêmement variées dans leur culture. Ils se sont efforcés en
particulier de combattre deux fléaux : le cannibalisme et l’alcoolisme.

Conclusion générale
Depuis, le XVème siècle, le monde a connu de nombreuses mutations,
notamment sur les plans politiques et socioéconomiques. Le paysage religieux s’est

98
également transformé et tout cela, selon le mot du père Claude Geffré, entraîne « une
transformation profonde des méthodes et des buts de l’activité missionnaire. » La
mission demeure, un devoir de l’Eglise selon l’ordre du Christ : « Allez par le monde
entier prêcher l’Evangile à toute créature » (Mc16, 15). Mais elle n’est plus ce qu’elle
était il y a quatre ou cinq cents ans ou même au début du XXème siècle. L’Eglise qui a
pris acte de l’évolution du monde en a conscience. Elle parle aujourd’hui de nouvelle
évangélisation ; expression qui peut être comprise au sens d’ « ajustement de
l’évangélisation, dimension permanente de l’Eglise, à un monde qui s’est renouvelé »
(Comby).

La nouvelle évangélisation concerne aussi bien les pays de vieille tradition


chrétienne que les jeunes églises et les terres où n’a encore jamais retentie la Bonne
Nouvelle du salut. Le concile ayant fait admettre que le pluralisme religieux fait partie
du dessein de Dieu, la mission chez les deux dernières catégories citées ne peut plus se
résumer à la concurrence, au prosélytisme, à la progression des statistiques. Le concile
l’a demandé : tout en proposant la Bonne Nouvelle avec conviction, il faut respecter la
liberté et le choix des personnes dans leur cheminement spirituel afin que le choix de
l’Evangile devienne plus libre et l’engagement plus sincère.

Par ailleurs, il est loin le temps d’euphorie consécutif aux indépendances où la


confusion entre les aspirations nationalistes (africanistes) légitimes et la non moins
légitime soif d’autonomie religieuse a fait quelquefois caresser le désir du départ
définitif des missionnaires européens, voire l’interruption de l’aide des vieilles Eglises.
Sur le terrain, la réalité est autrement plus dure. Et l’on admet plus facilement en
l’expérimentant, l’importance de la collaboration dans une Eglise qui, par delà toutes
les considérations particulières, reste universelle. La mission n’est plus une activité
européenne à sens unique. Les jeunes Eglises deviennent missionnaires à leur tour et
apportent ainsi un sang nouveau, une vigueur et une vision nouvelle aux vieilles
chrétientés sécularisées. Main dans la main, toute l’Eglise peut ainsi envisager de
poursuivre avec plus de sérénité, l’œuvre du Christ auprès de la moitié de l’humanité
qui selon les statistiques serait encore privée de la connaissance du Bonne Nouvelle du
salut.

Supplément : L’Eglise d’Afrique hier et aujourd’hui

Introduction

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I. Le difficile accouchement d’une hiérarchie africaine
1. Le poids des préjugés
2. Les premiers essais : une démarche marquée par la circonspection
3. La formation d’un véritable clergé africain
II. L’émergence d’un épiscopat africain
1. Pie XII et l’institution de l’épiscopat africain
2. 1960 : Indépendance politique, africanisation des cadres et construction
d’une cohésion ecclésiale continentale
3. La panafricaine épiscopale
4. De la panafricaine épiscopale au SCEAM : la constitution des
conférences régionales
III. Le SCEAM, expression de l’unité continentale
1. Les disparités régionales
2. la naissance du symposium
3. Les objectifs du SCEAM
4. Le SCEAM aujourd’hui
Réflexion conclusive

Introduction

« Malheur au pays où la voix d’un missionnaire ne s’est jamais fait entendre.


Plus grand malheur encore au pays où l’on ne voit que des missionnaires. » Ces propos
de Mgr de Marion Brésillac résument tout son programme missionnaire. Le cardinal
Lavigerie prescrivait à ses Pères Blancs de se concilier la bienveillance des chefs pour
espérer voir le christianisme s’implanter en Afrique. Le fondateur de la SMA lui,
estime que « l’unique moyen d’établir la religion en un lieu, de la voir s’y maintenir et
prospérer, d’avoir enfin un nouveau pays chrétien, c’est d’y faire des prêtres [et] même
plus, des évêques du pays. Malheur dit-il, aux lieux qui seront longtemps sous la
direction d’un clergé étranger. »

I Le difficile accouchement d’une hiérarchie autochtone

1. Le poids des préjugés


En Afrique comme ailleurs, même les missionnaires et les fondateurs d’instituts
les plus pessimistes sur la capacité des indigènes à vivre les exigences du sacerdoce ont
fini, face aux réalités de la mission et sous les injonctions du Saint Siège, par se rallier,
théoriquement du moins, à l’idée de voir émerger un clergé local. Sur le terrain,
l’application de cette théorie relevait d’un autre combat. Contrairement à l’opinion
facilement répandue, ce n’est pas nécessairement la crainte d’une rivalité future qui est
à l’origine de cette réticence. Il est difficile de concevoir et encore plus difficile
d’établir que les pères pour la plupart, aient tenu à leur place comme à une proie à ne
lâcher sous aucun prétexte. L’Afrique commençait à peine à être défrichée, il y avait
encore du champ pour la mission. Les missionnaires ne craignaient donc pas a priori
que l’arrivée d’Africains les pousse hors du champ de l’apostolat sur le continent.
Mais, et cette raison n’est pas meilleure, comment ces bons pères auraient-ils pu laisser
entre les mains de ces grands enfants, le précieux sacerdoce du Christ ? Ils étaient

100
tributaires des clichés répandus en Occident sur la race noire. Ils la regardaient à
l’instar de la plupart des occidentaux comme immature, « primitive, indigène, sans
logique, incapable d’une vie normale et saine, bassement concrète, d’une infériorité
congénitale, n’ayant rien de valable et de vraiment bon… »

2. Les premiers essais : une démarche marquée par la circonspection


Les premiers essais tentés avec les trois abbés sénégalais, Pierre Moussa,
Arsène Fridoil et David Boilat, formés par les soins de la mère Javouhey n’avaient pas
été probants de leur point de vue. Et ironie du sort, Moussa, le seul Noir à 100% du
trio – les deux autres étaient mulâtres - était aussi celui qui avait le plus mal tourné. En
rupture de ban avec ses supérieurs, il avait fini en Haïti, chef d’une église séparée.
C’était une raison supplémentaire pour être circonspect quant à l’admission des Noirs
au sacerdoce. On prenait sans doute trop peu en compte, les conditions psychologiques
dans lesquelles avaient vécu ces pionniers du clergé noir africain. Seuls séculiers au
milieu d’un clergé missionnaire régulier et européen qui les regardait de haut comme
s’ils étaient revêtus d’un sacerdoce inférieur, il leur était difficile de garder la tête
froide au milieu de la suspicion, des sous-entendus et des vexations dont ils étaient
constamment l’objet. Le cas de Moussa a-t-il eu une incidence particulière sur la suite
des événements, chez les pères du Saint Esprit notamment ? Nul ne saurait le dire avec
certitude. Mais l’observateur remarquera non sans se poser des questions, qu’après
cette expérience, et ce jusqu’à la fin du XIXème siècle, les rares ordinations qui auront
lieu sur la terre d’Afrique, en particulier dans les missions spiritaines, n’élèveront
principalement au sacerdoce que des mulâtres. Ainsi, le spiritain Jean Lacombe dont
l’ordination au Sénégal (Gorée) en 1852 est la toute première de l’époque
contemporaine sur le sol de l’Afrique noire, est un mulâtre. Le très noir de peau
Guillaume Jouga qui le suit en 1864 dans la même mission aurait une lointaine
ascendance portugaise. Les abbés Gourlet ordonné en 1892 au Congo et Raponda-
Walker, premier Gabonais à accéder au sacerdoce en 1894 sont également des
mulâtres. Des exceptions ont pu exister. Il serait hasardeux voire prétentieux de croire
que l’on a pu faire ici le tour de la question et recensé tous les clercs qui ont formé la
première génération de prêtres africains. Il reste tout de même curieux que la plupart
de ceux dont les noms apparaissent dans les documents soient issus d’un métissage
plus ou moins immédiat ou des rangs d’esclaves rachetés par les pères. C’est par cette
dernière voie puis par celle de l’ordination des fils de catéchistes souvent issus des
villages de liberté que le sacerdoce se transmettra peu à peu aux Noirs vers la fin du
XIXème et au début du XXème siècle. Témoin de cette situation, cet extrait d’un
rapport du père Duparquet, spiritain en poste au Congo en 1875 : « L’orphelinat de
Saint Joseph (Landana) se compose de petits esclaves noirs que nous achetons à Boma,
sur le fleuve Zaïre. Les indigènes du Congo, en apportant des produits du pays, y
amènent aussi, pour y être vendus, ces enfants en grande quantité. Nous avons là une
personne expérimentée qui nous achète les plus robustes, les meilleurs et les plus
intelligents… C’est sur ces enfants que repose tout l’espoir de la mission. Ce sont eux
qui nous fournissent des chrétiens vraiment solides et instruits ; c’est parmi eux surtout
que nous recruterons des instituteurs, des catéchistes et un clergé indigène, œuvre que
la Sacrée. Propagande nous recommande avant toutes les autres. »

101
En d’autres termes, la prudence reste de mise, les missionnaires n’ouvrent le sacerdoce
qu’aux Noirs dont ils pensent être absolument sûrs pour avoir eux-mêmes assuré leur
éducation depuis la plus tendre enfance. De cette époque là datent les ordinations des
abbés Charles Mahonde – ou Mayonda – (1892), Charles Kambu et Jean-Baptiste
Massensa – ou Ma-nsensa – (1898).

Il ne serait pas étonnant que l’institution en certains endroits des ‘pré-


séminaires’ qui n’avaient pas d’équivalents en Europe n’ait eu d’autre but (inavouable
et inavoué) que de répondre à la préoccupation de façonner l’être profond des petits
Noirs pour leur inculquer les dispositions indispensables au sacerdoce qui étaient
supposées leur manquer naturellement. Ces maisons accueillaient les enfants à partir
du Cours Elémentaire Deux ou même avant, pour les préparer à devenir prêtre à peine
sortis du berceau. Il suffit d’écouter leurs anciens pensionnaires relater leur expérience
des règles draconiennes, plus traumatisantes qu’éducatives, auxquelles ils ont dû se
soumettre pour voir jusqu’où pouvait mener la méfiance des missionnaires.

3. La formation d’un véritable clergé africain


Malgré tout, au début du XXème siècle, des Africains dont le profil ne
correspond plus tout à fait à celui des prêtres jusqu’alors ordonnés font une timide
entrée dans le cercle fermé du sacerdoce. Ils ne sont ni mulâtres ni anciens esclaves
rachetés. Mais avant l’institution des pré-séminaires, ils sortent pour la plupart du
cercle des compagnons des pères et sont obligés, au moins pendant le temps de leur
formation, de réduire au minimum leurs relations avec leur famille.

Les premières ordinations de cette époque sont, à notre connaissance, celles


des abbés Basile Lumu et Victor Mukasa dans la mission ougandaise des Pères Blancs
en 1913. Luc Terras signale pour l’année 1917 l’ordination des premiers prêtres
Rwandais sans aucune autre précision ainsi que celle de l’abbé Etienne Kaoye au
Congo belge. Vient ensuite celle de l’abbé Paul Eméiété. Elle a lieu le 1 er janvier 1920
dans les missions nigérianes des pères SMA tandis que le Cabindais Jean-Marie
Alexandre Tati accédait au sacerdoce à Léopoldville en 1921. L’ordination suivante
est celle d’Athanase O Dogli chez les SMA, le 2 juillet 1922 en Côte d’Or. Suivent en
1924 celles des abbés Kiwanuka et Bigirumwami respectivement en Ouganda et au
Ruanda-Urundi chez les Pères Blancs ; en 1928 et 1929 celles des deux premiers
Béninois, Thomas Moulero puis Gabriel Kiti. Les portes s’ouvrent ainsi à une suite
ininterrompue d’ordinations de prêtres africains. Les années 30 voient entre autres
celles des abbés Anyogu (1930 - Nigeria), Bowers (1933 - Cote d’Or), Mabathoana
(1934 - Basutoland), René Kouassi (1934 - Cote d’Ivoire), Simon Mpéké (1935 -
Cameroun), Prosper Camara (1936 - Soudan français) Dlamini (1937- Natal), Ndong
(1938 - Gabon), Barthélemy Boganda (1938 - Oubangui) Paul Etoga (1939 -
Cameroun), Prosper Dodds (1939 – Sénégal).

Il faut croire que les expériences concluantes se multipliant, les chefs de


mission avaient fini par baisser leur garde. A moins que ce soit les appels répétés du
Saint Siège qui aient secoué leur immobilisme.

102
II. L’émergence d’un épiscopat africain

1. Pie XII et la constitution de l’épiscopat africain


A partir de la fin des années 30, commence une autre phase de la
responsabilisation des Africains dans l’Eglise de leur continent : l’accès à l’épiscopat.
Cinq siècles après Dom Henrique, le 29 octobre 1939, le premier évêque noir de
l’Eglise contemporaine est nommé à Rugaba en Ouganda, en la personne de Mgr
Kiwanuka. En même temps que lui est élevé à la dignité épiscopale, le premier évêque
malgache, Mgr Ramarosandratana. Pie XII qui, comme ses prédécesseurs, a appelé de
tous ses vœux l’émergence d’un clergé indigène dans tous les pays de mission est aussi
le premier pape à avoir jugé des Africains dignes d’accéder à cet honneur. Il faudra
pourtant attendre plus de dix années pour voir de nouvelles nominations d’Africains.
En 1951 Mgr Rugambwa est nommé à Bukoba au Tanganyika. En 1952, quatre autres
sont promus : Mgr Dodds à Ziguinchor au Sénégal ; Mgr Mabathoana, premier évêque
bantou à Maseru au Basutoland ; Mgr Bowers, premier Noir du Ghana, à Accra et Mgr
Bigirumwami premier évêque de l’Afrique belge, à Nyondo au Rwanda. Puis viennent
Dlamini en 1954 au Natal, Etoga et Mongo en 1955 au Cameroun. En AOF, le premier
évêque résidentiel natif est le voltaïque Dieudonné Yougbaré nommé en 1956. Ici
comme ailleurs sur le continent, bien d’autres suivront dans ces années 50 mais encore
plus à partir de 1960, année des indépendances et de l’autodétermination des Etats
africains. Un bilan dressé en 1962 par la revue Pentecôte sur le Monde donne à
l’Afrique cinquante-sept évêques natifs à la fin de l’année 1961. A l’ouverture du
concile, leur nombre passera à soixante-neuf.

2. 1960 : Indépendance politique, africanisation des cadres et


construction d’une cohésion ecclésiale continentale
1960, l’année de tous les changements en Afrique est aussi celle qui voit un
premier Africain revêtir la pourpre cardinalice. Il s’agit de Laurean Rugambwa,
évêque de Bukoba. En plus d’être Africain, ce prélat ougandais est alors aussi, à 48
ans, l’un des plus jeunes du collège cardinalice, le deuxième plus exactement, preuve
s’il était encore besoin que l’Afrique était désormais entrée de plein pied dans la cour
des grands. D’autres rejoindront bientôt le Cardinal Rugambwa : Paul Zoungrana en
1965, Joseph Malula en 1969, Emile Biayenda en 1973, Hyacinthe Thiandoum,
Dominic Ekandem et Emmanuel Nsubuga en 1976, Bernadin Gantin en 1977… Mais
depuis la fin des années 60, l’Eglise d’Afrique, après être passée par l’étape de la
cohésion régionale, est déjà entrée dans une nouvelle phase de son édification, celle de
la recherche de son unité continentale. L’arrivée massive des natifs de la terre aux
postes de responsabilité ne fut sans doute pas étrangère à ce désir de vivre ensemble le
même Evangile et de partager des préoccupations pastorales à peu près identiques sur
tout le continent.

Les annales apostoliques de la congrégation du Saint Esprit et du Saint Cœur


de Marie dans leur numéro de septembre 1901 rapportent la réunion du premier
synode de toute l’Afrique. Elle présente cette assemblée réunie du 31 mai au 2 juillet à
Sainte Marie du Gabon comme la rencontre autour de Mgr Adam, Vicaire apostolique

103
des Deux-Guinées, des représentants des missions de tout le continent. Faut-il y voir
déjà une conscience continentale chez les prélats missionnaires ?
En l’absence de toute autre précision, diverses hypothèses s’offrent pour interpréter
cette information. La plus simple consiste à répondre à l’interrogation par l’affirmative
en s’en tenant au sens strict des mots. Mais alors, on s’expliquerait mal le vide
institutionnel qui a suivi cette initiative précoce. A notre connaissance, aucune autre
rencontre de ce type n’a eu lieu après celle-ci. Jusqu’au début des années 60, même les
délégations apostoliques établies par le Saint Siège qui étaient sensées promouvoir une
certaine cohésion ne faisaient qu’entériner la division du continent en blocs cloisonnés
par la langue et l’appartenance à des puissances coloniales différentes.

Une autre hypothèse consisterait à interpréter l’information de la revue


spiritaine au sens d’une rencontre des représentants des missions tenues par les pères
du Saint-Esprit. Ceci expliquerait pourquoi ledit synode se tient autour du responsable
de ce qui reste alors du vicariat apostolique des Deux-Guinées qui d’ailleurs ne porte
plus officiellement ce nom à cette époque. En outre, cette habitude de désigner la
partie par le tout en parlant de l’Eglise d’Afrique est tout à fait caractéristique de la
mentalité de clocher qui règne alors dans les instituts missionnaires. Quoi qu’il en soit,
il ne semble pas que quoi que ce soit de notable ait été entrepris dans le sens d’unir les
différentes portions de l’Eglise d’Afrique dans la première moitié du XXème siècle.

A la décharge des chefs de mission, il faut dire que le Saint Siège


n’encourageait guère ce type de regroupement et qu’à l’époque, les conférences
épiscopales, y compris les nationales n’avaient ni le poids ni la représentativité que le
deuxième concile du Vatican leur conférera quelques décennies plus tard. Alors que
Vatican II les reconnaît au terme de la constitution sur l’Eglise et du décret sur la
charge pastorale des évêques comme l’expression de la collégialité des évêques et de
leur unité avec le Saint Siège, le droit canonique ne les concevait alors que comme de
simples manifestations de solidarité épiscopale. Cette raison aurait pu déjà suffire à
créer les conditions de la rencontre mais manifestement, cela n’a pas été le cas. A
moins qu’il faille attribuer cette inertie aux difficultés de déplacement, il faut croire
que le besoin d’une telle solidarité ne s’est pas fait sentir à cette époque. Il manquait
sans doute un ‘détonateur’ pour révéler cette nécessité. Ce détonateur, ce fut le concile
à un moment où la hiérarchie commençait progressivement à s’africaniser.
Une relation de Mgr Dozolme, évêque du Puy-en-Velay (France), sur
l’ouverture de l’assemblée du Vatican est expressive sur ce sujet. Le prélat écrit :
« L’épiscopat de France s’est présenté à Rome pour l’ouverture du concile comme un
corps organisé avec ses deux secrétaires : Mgr Gouet et Mgr Etchégaray, et c’est sans
doute ce qui lui a permis de prendre des initiatives dès les premiers jours au titre de
‘conférence épiscopale nationale’. Les autres évêques se sont présentés aussi en
‘conférence épiscopale’. Ceux qui n’étaient pas encore organisés en ont ressenti le
besoin. C’est ainsi que les évêques d’Afrique par exemple, ont prévu la création d’un
secrétariat général des évêques d’Afrique, chargé d’assurer la liaison entre eux et avec
les épiscopats des autres régions, et de deux conférences épiscopales, l’une pour les
évêques francophones et l’autre pour les évêques anglophones. »

104
La lettre du prélat français se passe de commentaires. C’est le concile qui a fait
découvrir aux évêques d’Afrique, leurs affinités, en les mettant en contact direct les
uns avec les autres ainsi qu’avec des confrères d’autres horizons. En marge du concile,
d’autres facteurs ont cependant contribué à créer les conditions de la mise en place de
la toute première instance représentative de l’Eglise du continent : le Secrétariat
Episcopal Panafricain encore appelé la Panafricaine Episcopale. Relevons-en trois
principaux :
- l’organisation à Rome en mai 1962 de journées de réflexion sur le concile par la
Société Africaine de Culture (SAC). Ces journées qui se sont tenues dans un
esprit d’intégration, ont permis selon Messina, de réaliser que les problèmes de
l’Afrique chrétienne sont presque partout les mêmes ; et que par conséquent, les
Africains ont tout intérêt à y réfléchir ensemble.
- La visite du président Senghor à Jean XXIII en octobre 1962, la veille de
l’ouverture de la première session du concile. Senghor était à lui seul tout un
symbole de l’unité africaine. Homme d’Etat, il était aussi apôtre de la négritude
et membre de la SAC. A une époque où l’Afrique nouvellement indépendante
explore les chemins de son unité politique, sa présence à Rome dans les
circonstances que l’on sait ne pouvait pas manquer de faire réfléchir les évêques
du continent sur l’unité de leur Eglise ; d’autant qu’en marge de sa visite,
l’apôtre de la cause nègre a selon l’expression de Messina, « noué et maintenu
de nombreux contacts avec l’épiscopat d’Afrique. »
- L’intervention qualifiée de prophétique du Cardinal Liénart le 13 octobre 1962.
L’évêque de Lille (France) avait demandé au conseil de présidence du concile
de permettre aux évêques de faire mutuellement connaissance avant d’élire les
membres des commissions. C’est cette ouverture qui a permis aux évêques
d’Afrique, qui étaient loin de se connaître tous, de se retrouver et de se
regrouper. De ce regroupement, est venue la prise de conscience que l’Eglise
d’Afrique, dépourvue de théologiens de renom, minoritaire par le nombre de ses
fidèles (4%) et par la proportion de son épiscopat présent au concile, (299 Pères
dont 69 autochtones à l’ouverture du concile sur un total de 2400 soit un peu
plus de 10%) ne pouvait se donner une chance de se faire entendre que dans
la mesure où elle parlerait d’une seule et même voix.

Presque tous providentiellement logés dans le même hôtel, les prélats d’Afrique
font connaissance, échangent leurs expériences, « se concertent régulièrement pour
s’informer et s’édifier mutuellement. » Ils finissent par se choisir un porte-parole
commun en la personne du Cardinal Rugambwa.
Reste à savoir comment on est passé de cette initiative dictée par les circonstances, à la
création de la panafricaine épiscopale. J.P. Messina tente d’en attribuer la paternité au
tout jeune archevêque de Yaoundé, Mgr Jean Zoa. L’homme lui-même s’en défend et
selon les mots mêmes de Messina « privilégie plutôt la thèse d’une création
collégiale. » En tout cas, les noms qui restent attachés à l’origine de cette première
tentative de rassemblement des évêques africains sont ceux de Zoa, de Van
Cauwelaert, évêque d’Inongo et Blomjous, évêque de Mwanza (Tanganyika).

3. La Panafricaine Episcopale

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La mise en place du secrétariat ne va pas sans accroc. L’épiscopat d’Afrique est
d’abord confrontée à la méfiance romaine qui d’emblée regarde ce genre
d’organisations continentales comme des groupes de pression. Il doit également faire
face à la difficulté de rallier tous ses membres à l’idée de créer cette instance à
vocation permanente. Les évêques européens du Congo belge manifestent leur
réticence et par le fait même, créent un malaise entre eux et leurs confrères
autochtones avant de les rejoindre en fin de compte. Cet épiscopat avec ses quarante
prélats constituait la délégation la plus forte. On imagine le camouflet qu’aurait été la
défection de ses deux tiers de membres européens.

On aura remarqué par ailleurs que la lettre de Mgr Dozolme ne fait pas cas
de l’Afrique lusophone qui pourtant compte parmi les églises les plus anciennes du
continent. C’est que l’épiscopat alors entièrement portugais des colonies elles aussi
portugaises (Angola, Cap Vert, Mozambique…) avait reçu l’ordre de la métropole de
se tenir éloigné du reste de l’épiscopat africain et pour cause. Le Portugal qui était
alors le seul pays européen en 1962 à n’être pas le moindre du monde effleuré par
l’idée de décolonisation, avait peur que ses hommes d’Eglise fussent contaminés par le
virus de cette ‘subversion’ au contact des autres. Les autorités portugaises voyaient du
plus mauvais œil les visites des chefs des jeunes Etats africains au Pape Jean XXIII et
par-dessus tout, la présence à l’ouverture du concile du leader nationaliste angolais,
Agostinho Neto. D’abord obéissant, l’épiscopat d’Angola puis celui du Mozambique
et les autres rejoindront la panafricaine en novembre 1962.

A sa création un mois plus tôt, le 18 octobre, celle-ci s’était présentée sous la


vitrine extérieure d’un secrétariat général panafricain présidé par le cardinal
Rugambwa et de deux secrétariats de sections, francophone et anglophone,
respectivement dirigés par nosseigneurs Zoa et Blomjous. Ces deux sections avaient
pour fonction de coordonner neufs groupes d’évêques réunis essentiellement par la
proximité géographique, l’usage de la même langue et la même attache coloniale. Ces
groupes sont les suivants : l’Afrique du Nord, l’Afrique Occidentale Francophone,
l’Afrique Occidentale Anglophone, le Nigeria, l’Afrique belge, l’Afrique Equatoriale
Francophone, les Iles de l’Océan Indien et les territoires portugais, l’Afrique de l’Est
anglophone et l’Afrique australe. (voir carte ci-dessous).

Pour se rendre fonctionnelle, la panafricaine épiscopale se dote au fil du concile


et de ses besoins, outre les instances déjà citées, d’autres organes, à savoir :
- une assemblée plénière, réunion de toutes les conférences épiscopales régionales
sus-citées ;
- une conférence des présidents qui fait office d’organe de direction et dont le rôle
est de convoquer les réunions et d’établir l’ordre du jour. Cette conférence se
compose principalement du président de la panafricaine et de ses secrétaires qui
sont aussi les présidents de sections ainsi que des représentants des églises de
rite particulier rattachées à Rome.
- Un bureau de coordination chargé du suivi des activités de la panafricaine au
concile.
- Des commissions para-conciliaires calquées sur les celles du concile.

106
A en croire les nombreux éloges de la presse occidentale qui au départ avait
compté le continent pour quantité négligeable, l’organisation des évêques d’Afrique
unis en conférence a donné du poids à leur présence au concile au point de faire des
émules. Voilà ce qu’ICI par exemple écrit à ce propos dans un dossier consacré, lors
du concile, à l’Eglise d’Afrique : « Cette organisation de l’épiscopat africain au
concile, sa cohésion, son dynamisme et son efficacité ont souvent fait l’admiration
d’autres épiscopats. Les évêques d’Amérique du sud – pourtant organisés depuis
longtemps dans le CELAM, mais qui n’ont pas cette cohésion – comme ceux d’Asie
ont cherché à s’inspirer de ses méthodes. Ils ont établi en particulier, un contact
permanent avec lui. »

Cette organisation si efficace devait malheureusement disparaître de façon


précoce. Née avec le concile et pour ses besoins, elle ne devait pas lui survivre. Mais
l’assemblée avait été suffisamment longue et l’expérience de la solidarité vécue
suffisamment marquante pour que l’idée s’incruste et fasse son chemin dans l’esprit
des évêques d’Afrique, Noirs et Blancs confondus. Elle allait ressurgir quelques
années plus tard. Au sortir du concile cependant, ce qui paraît urgent aux pères, c’est la
mise en place de véritables conférences nationales et régionales. Vatican II l’avait
appelé de tous ses vœux et encouragé de toutes ses forces. L’Afrique allait s’y mettre.

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Les neuf conférences épiscopales issues de l’organisation de l’épiscopat africain lors du
concile. Les pays restés en blancs sont absents au concile
(Source, ICI n° 187 du 1er mars 1963)

4. De la Panafricaine Episcopale au SCEAM : la constitutions des


conférences régionales
Depuis la fin du concile, le temps et les événements façonnent peu à peu un
visage à l’Eglise d’Afrique. La première tâche que ses pasteurs se sont fixée dès la fin

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de la première session de Vatican II a été de mettre en place des institutions nationales,
interterritoriales et régionales, et principalement des conférences épiscopales. Cette
tâche allait absorber les énergies et occulter au moins pour un temps, l’idée d’une
conférence interafricaine. Pendant et après le concile en effet, les associations
nationales et régionales d’évêques se muent très rapidement en conférences suivant les
recommandations de Vatican II. Selon les dates données par l’annuaire pontifical 2000,
l’existence des différentes conférences épiscopales nationales et interterritoriales
d’Afrique qui sont aujourd’hui au nombre de trente-trois, a été homologuée entre 1966
(Ethiopie-Erythrée) et 1998 (Libéria). Ce qui laisse supposer que les réalités elles-
mêmes ont été mises en place bien auparavant.
La création des conférences épiscopales régionales a été tout aussi rapide. Le
concile était à peine amorcé qu’on y pensait déjà dans certaines associations d’évêques.
En Afrique de l’Ouest, c’est dès 1963 que les ordinaires des pays francophones et du
Togo se dotent d’un secrétariat permanent avec siège à Dakar. Ils créent par la même
occasion des commissions de travail dont ils confient la responsabilité à différents
archevêques, déjà tous africains : Mass Media : Thiandoum (Dakar), Enseignement :
Dossey (Lomé), Clergé et Séminaire : Sangaré (Bamako), Action Catholique : Yago
(Abidjan), Pastorale et liturgie : Tchidimbo (Conakry), Action sociale : Gantin
(Cotonou).

Une année après, en 1964, l’association prenait le nom de Conférence inter-


territoriale de l’épiscopat ouest africain de langue française avant de soumettre en
1967, donc deux ans seulement après la fin du concile, ses statuts à l’approbation du
Saint Siège. Le nom officiel de cette conférence aujourd’hui est CERAO (Conférence
Episcopale Régionale de l’Afrique de l’Ouest) et son siège est à Abidjan en Côte
d'Ivoire. Quoiqu’elle soit sensée regrouper les pays francophones de la région, la
CERAO compte également en son sein les églises lusophones de l’Afrique de l’Ouest :
les Iles du Cap Vert et la Guinée Bissau qui, depuis 1973, forment une seule et même
conférence inter-territoriale avec le Sénégal. Mais l’Afrique de l’Ouest compte
également des pays anglophones, à savoir : la Gambie, le Ghana, le Libéria, le Nigeria
et la Sierra Leone. Les conférences de ceux-ci sont regroupées au sein de l’AECAWA
(Association of Conferences of Anglophone West Africa) qui a son siège à Monrovia
au Libéria. Depuis décembre 2007, les deux conférences ouest africaines ont fusionné
en une seule : l’ACEAO dont le siège a été fixé à Abuja au Nigeria.
En Afrique du Nord, la conférence épiscopale à la fois régionale et
interterritoriale est constituée dès décembre 1964. Les statuts définitifs de cette
conférence connue sous le nom officiel de CERNA (Conférence Episcopale Régionale
du Nord de l’Afrique) seront approuvés le 23 février 1985. La CERNA dont le siège
est à Alger regroupe dans son état actuel les évêques et chefs de missions de l’Algérie,
de la Libye, du Maroc et de la Tunisie.

Quoiqu’elle fasse partie de l’Afrique du Nord, l’Egypte jouit d’un statut spécial.
A elle seule, elle forme une région, sans doute pour rassembler au sein d’une même
organisation tant soit peu homogène, les Eglises de rites propres qui constituent sa
communauté chrétienne rattachée au Siège Apostolique. La conférence des évêques

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connue sous le nom d’Assemblée de la Hiérarchie Catholique d’Egypte (AHCE) a son
siège au Caire.

En Afrique de l’Est, c’est l’AMECEA (Association of Member Episcopal


Conferences in Eastern Africa) qui rassemble les conférences épiscopales nationales.
Fondée en 1961et approuvée en 1983, elle était à l’origine la réunion des conférences
de cinq pays, à savoir, le Kenya, le Malawi, la Tanzanie, l’Ouganda et la Zambie.
L’Ethiopie, le Soudan et l’Erythrée devaient les rejoindre comme membres ordinaires,
les deux premiers en 1979 et le dernier en 1993. L’AMECEA qui a depuis 1964 son
siège à Nairobi, compte également deux membres affiliés, Les Seychelles et la Somalie
arrivés respectivement en 1979 et 1995.

L’Afrique centrale a également sa conférence épiscopale. C’est l’ACERAC


(Association des Conférences Episcopales de la Région de l’Afrique Centrale) dont le
siège est à Bangui et dont les statuts ont été agréés en 1989. Cette conférence régionale
regroupe tous les pays francophones d’Afrique centrale sauf les anciens territoires de
l’Afrique belge. Ceux-ci sont rassemblés au sein de l’ACEAC (Association des
Conférences Episcopales de l’Afrique Centrale), avec un secrétariat permanent à
Kinshasa. Les statuts en ont été homologués en 1985.

Les cinq pays anglophones de l’Afrique australe (Afrique du Sud, Botswana,


Lesotho, Namibie et Zimbabwe) et les trois lusophones (Angola, Mozambique, Sao
Tomé et Principe) constituent une même conférence régionale : l’IMBISA (Inter-
Regional Meeting of Bishops of Southern Africa) dont l’existence a été ratifiée en
1993 a son secrétariat à Harare.

La dernière conférence épiscopale régionale est celle que constituent de façon


informelle, Madagascar et les Iles africains de l’Océan Indien, regroupés au sein de la
CEDOI (Conférence épiscopale De l’Océan Indien) : les Comores, l'île Maurice, la
Réunion, les îles Rodrigues et les Seychelles. L’origine de la CEDOI remonte à
l’année 1974. A cette date-là, les évêques de l’Océan Indien en dehors de Madagascar,
ont inauguré des rencontres périodiques entre eux avant de constituer en 1976, une
zone pastorale baptisée Sud-Ouest Océan Indien. C’est en 1985 que le Saint Siège lui
confère le statut de conférence épiscopale. Comptée comme conférence africaine, elle
fait depuis lors son chemin aux côtés de la grande île. Cependant, quoiqu’ils
appartiennent au même aire géographique, qu’ils travaillent souvent de concert et que
l’on ait à ce titre, l’habitude de les présenter ensemble comme c’est encore le cas ici,
Madagascar et la CEDOI ne forment pas officiellement une même conférence
régionale.

Selon les données du Statistical Yearbook of the Church de 1995, les seuls
encore disponibles sur cette question en septembre 2000, ces neuf régions totalisent en
tout 107 077 000 fidèles. Sur une population de 725 850 000 habitants en Afrique, les
catholiques représentaient alors une proportion de 14,9% contre 30,1% de chrétiens
d’autres confessions, 42% de musulmans et 13% d’adeptes de religions traditionnelles.

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L’Eglise d’Afrique en chiffre, c’est aussi, cette fois selon la version de 1999 du même
annuaire, 13 cardinaux dont 2, Arinze et Gantin, à la curie ; 2 patriarches, 592 évêques
pour 489 circonscriptions ecclésiastiques. C’est encore 16 371 prêtres diocésains et 10
176 religieux pour 10 786 paroisses et 68 754(1) stations missionnaires, 336 diacres
permanents, 7 299 frères, 51 617 religieuses, 300 735 catéchistes, 1 501 1aïcs
missionnaires et 19 816 grands séminaristes religieux et séculiers confondus formés
dans 125 grands séminaires diocésains et 122 maisons religieuses ordonnées à la
formations des prêtres. C’est enfin selon l’annuaire de l’Eglise catholique d’Afrique
occidentale et centrale, 40 nonciatures, 7 délégations apostoliques, des universités et
instituts supérieurs de formations.

III. Le SCEAM, expression de l’unité de l’Eglise d’Afrique

1. Les disparités régionales


Les chiffres donnés ci-dessus peuvent impressionner quand on considère que la
plupart des églises d’Afrique ont à peine un peu plus de cent ans d’existence. Un long
chemin a en effet été parcouru depuis l’année 1842 où la création du vicariat
apostolique des Deux-Guinées a consacré la reprise de la mission sur le continent noir.
L’Eglise d’Afrique reste tout de même encore sous le régime des pays de mission et à
ce titre dépend toujours de la Sacrée Congrégation de la Propagation de la Foi,
rebaptisée depuis Paul VI, Sacrée Congrégation pour l’Evangélisation des Peuples
(SCEP). De fait, la mission est loin d’être terminée chez les Noirs. Si certains pays
voire certaines régions ont aujourd’hui des églises autonomes confirmées, au moins sur
le plan de la juridiction, d’autres au contraire en sont encore à leurs tout premiers
contacts avec l’Evangile. Aussi faut-il compter parmi les quatre cent quatre-vingt-neuf
circonscriptions signalées, seize vicariats apostoliques et quatre préfectures.

Il y a également en Afrique des pays où le Christianisme en général et le


Catholicisme en particulier sont tout juste tolérés sur la base d’accords signés avec le
Saint Siège pour ce qui concerne l’Eglise Catholique. Ce sont notamment la Mauritanie
et les pays du Maghreb où la mission se limite essentiellement à la présence ou pour
reprendre les termes de Mgr Tessier, « à porter la responsabilité de l’Evangile et du
témoignage dans la relation à l’Islam et aux musulmans. » Par ailleurs, comme le
montre René Luneau dans Laisse aller mon peuple à partir des cas comparés du Gabon,
de la Côte d’Ivoire et du Niger, les réalités internes des églises – traditions,
composition du clergé, pratique des fidèles, méthodes, priorités, difficultés, etc.-
diffèrent d’un pays à l’autre. Enfin si la plus grande partie de l’Eglise en Afrique
professe sa foi catholique dans le rite latin, d’autres traditions sont également
représentées, particulièrement dans les vieilles chrétientés d’Egypte et d’Ethiopie. Ce
sont les rites arménien, chaldéen, copte, maronite, melchite et syrien.

2. La naissance du symposium
Malgré ces disparités, l’Eglise d’Afrique se veut une. Et cette unité, elle a pris
les moyens de la construire depuis l’année 1969 qui a marqué la fin de la mise en
veilleuse de cette aspiration. Cette année-là en effet, une visite de Paul VI en Ouganda
– la première d’un pape sur la terre d’Afrique - allait donner l’occasion aux évêques

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africains de se retrouver en assemblée continentale. Ce fut le premier symposium de
l’Eglise catholique de l’Afrique tout entière du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest ; et il
eut lieu en marge de la visite du souverain pontife, à Gaba du 28 au 31 juillet.

Selon les mots du cardinal Zoungrana qui présidait les travaux de cette première
assemblée qu’il avait convoquée, l’idée de cette création remonte au mois d’avril 1968.
Six évêques africains qui avaient été invités par Paul VI à prendre part à une réunion
de la SCEP à Rome, se sont rendu compte, lors des travaux, de la mauvaise circulation
des informations entre les Eglises d’Afrique, donc aussi du manque de coordination et
d’approfondissement dans la recherche de solutions aux problèmes de cette Eglise. Ce
constat devait amener ces évêques à se poser la question d’une éventuelle rencontre
entre les présidents des conférences régionales et interterritoriales. Leur idée dans
l’immédiat est celle d’un examen concerté des difficultés communes à l’Eglise
d’Afrique pour permettre aux prélats africains appelés de façon ponctuelle à travailler
dans les congrégations romaines d’avoir une vue globale et plus objective des choses.
Mais, ces évêques se sont souvenus également des bienfaits de la fraternelle solidarité
qui s’était manifestée au concile. Trois années après la fin de celui-ci, ils ont estimé
qu’il était largement temps de relancer cette initiative.

Cette première assemblée panafricano-malgache qui devait prendre le nom


permanent de SCEAM (Symposium des Conférences Episcopale d’Afrique et de
Madagascar) réunit quarante cardinaux, archevêques et évêques, présidents de vingt-
huit conférences nationales ou membres du conseil des vingt-quatre de la SCEP, des
représentants des congrégations missionnaires en Afrique et des observateurs. Pour
éviter de s’imposer des contraintes trop lourdes à porter qui feraient de leur
organisation une institution mort-née, les évêques d’Afrique et de Madagascar n’ont
pas trouvé opportun de créer une conférence épiscopale panafricano-malgache. Ils ont
opté plutôt pour une structure plus souple, un symposium rendu permanent par la mise
en place d’un secrétariat composé d’un président et de deux évêques assistants,
assumant les fonctions l’un de vice-président et l’autre de secrétaire général. Les
premiers élus à ces postes furent le cardinal Zoungrana et nosseigneurs Amissah,
évêque ghanéen de Cap Coast et Mc Caulay d’Ouganda.

3. Objectifs du SCEAM
La rencontre de Gaba fut l’occasion pour les évêques réunis d’amorcer une
réflexion sur la nature du SCEAM et sa mission. La proposition des organisateurs de
cette première réunion était d’en faire au minimum, un organisme d’information et
d’études dont les experts et les chercheurs viendraient de structures existant déjà, tels
que l’université de Lovanium de Kinshasa, l’ISTR et l’INADES d’Abidjan, le CESAO
de Bobo-Dioulasso, le centre catéchétique et liturgique de Butaré, l’institut pastoral de
Gaba… Cette proposition est non seulement agréée mais renforcée par d’autres idées.
Ainsi, les chefs de l’Eglise d’Afrique souhaitent voir cet organisme devenir
l’interlocuteur pour toute l’Afrique des initiatives de toutes origines qui se veulent
panafricaines dans le domaine religieux catholique. Ils assignent donc, à titre de
propositions au symposium, les missions suivantes :

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- sensibiliser l’opinion catholique mondiale sur la situation de l’Eglise en Afrique
et sur ses responsabilités vis-à-vis de celle-ci.
- Eclairer les consciences pour plus de justice et d’équité dans les grands
problèmes africains (Biafra, Apartheid…)
- Examiner ensemble les problèmes communs à l’Eglise d’Afrique, notamment
les questions de pastorale propres au continent.
- Promouvoir l’unité de l’Eglise d’Afrique.

De ces propositions recueillies, le secrétariat général devait sortir une année plus
tard, lors de la deuxième assemblée qui elle, s’est tenue à Abidjan, une constitution du
SCEAM dont les articles II et III précisés, assemblée après assemblée, fixent
respectivement la nature et le but de l’organisme :
Art II : Le Symposium est l’organe de liaison, d’étude et de concertation pour une
fructueuse coopération entre les conférences épiscopales nationales et régionales
d’Afrique et de Madagascar.
Le symposium est au service des conférences épiscopales dont il respecte la liberté et
dont il facilite la tâche en promouvant l’étude concertée des questions d’intérêt
commun ainsi qu’une action solidaire.
Art III : Les buts du Symposium sont les suivants :
1. Etablir et maintenir une liaison entre les conférences épiscopales « afin
de promouvoir leur bien commun » (Vat. II, Christus Dominus, 38, 5)
2. Faciliter l’intercommunication entre les conférences épiscopales au
moyen de leur secrétariat.
3. Servir de moyen de coordination pour les études et d’autres formes de
collaboration.

« Liaison entre les conférences épiscopales, intercommunication,


coordination », ces mots traduisent bien le désir de communion ecclésiale à l’échelle
du continent. A Kampala en 1969, Paul VII avait lancé deux appels forts à l’Eglise
d’Afrique : « Africains, vous êtes désormais vos propres missionnaires…vous pouvez
et vous devez avoir un christianisme africain. » La naissance du SCEAM fut pour le
cardinal Thiandoum, « la réponse [anticipée] à l’attente du souverain pontife et du
peuple africain. »

En juillet 1987, à la huitième assemblée plénière tenue à Lagos, cette première


ébauche de statut a été révisée ; ce qui a permis au symposium de faire son
aggiornamento et d’entériner diverses situations de fait que sa propre évolution ainsi
que celle de l’Eglise d’Afrique avaient créées.

4. Le SCEAM aujourd’hui
Le SCEAM a aujourd’hui plus de trente ans d’existence. Son siège a été fixé à
Accra au Ghana, sis au n°4, Senchi Street, Airport Area, depuis la rencontre de 1970
à Abidjan. En sont membres, toutes les conférences épiscopales nationales,
interterritoriales et régionales d’Afrique continentale et insulaire, les cardinaux
d’Afrique et de Madagascar, les membres africains du conseil des vingt-quatre. Tous

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les ordinaires d’Afrique et des îles qui pour une raison ou pour une autre ne peuvent
pas en être membres de plein droit ont le statut de membres associés.

La structure du SCEAM comprend essentiellement trois instances


institutionnelles à savoir : l’assemblée plénière, le comité permanent et le secrétariat
général.
L’assemblée plénière, autorité suprême du symposium se réunit tous les trois ans. Le
comité permanent composé au départ de trois membres, le président et ses deux vice-
présidents, a vu le nombre de ses membres passer à neuf à partir de 1984 et augmenter
encore par la suite pour intégrer entre autres, les représentants des conférences
régionales. A l’issue d’une longue évolution, le secrétariat général est quant à lui
assuré, dans l’état actuel des choses, par trois prêtres, un secrétaire général et deux
adjoints, nommés entre autres sur un critère linguistique (anglophone, lusophone et
francophone). « Le secrétariat général est la cheville ouvrière du SCEAM. Il est chargé
d’animer la communion fraternelle qu’ont souhaité les pères fondateurs, par des
initiatives de production, de concertation, de recherche en vue de favoriser une
solidarité pastorale organique. »

Le secrétariat du SCEAM coordonne le travail de cinq commissions dont


certaines ont sous leur responsabilité des organismes appelés départements. Il s’agit
de :
- la commission doctrinale et pastorale. Elle supervise le BICAM ou CEBAM
(Biblical Centre for Africa and Madagascar) chargé de l’apostolat biblique ; le
comité théologique (COMITHEOL) dont le rôle est de coordonner la réflexion
théologique en Afrique et à Madagascar ; le Comité Panafricain de coordination
pour le laïcat, organe de coopération et de formation du laïcat.
- La commission sociale et juridique. Elle a sous sa responsabilité le CEPACS, le
secrétariat régional pour l’éducation catholique et le bureau de presse.
- La commission des affaires financières et administratives.
- Le Comité pour les Affaires Intérieures Africaines (CAIA) dont la mission est
de suivre les tendances socio-économiques et politiques de l’Afrique en vue
d’interventions éventuelles.
- La MAC / RCA, Meeting for African Collaboration / Rencontre de
Collaboration Africaine qui vise à promouvoir la discussion et la recherche
concertée sur les problèmes généraux de la pastorale.
Il est également à signaler que les locaux du SCEAM à Accra abritent en outre
les bureaux de la section africaine de la WUCWO, World Union of Catholic Women
Organisation.

Tel est le SCEAM : l’instrument que se sont donné les pasteurs d’Afrique pour
construire l’unité de leur Eglise. Bien entendu, il ne s’agit pas d’une super conférence
appelée à régner sur une Eglise envisagée comme monolithique ou ‘unicéphale’ à
terme. Les pères fondateurs du symposium ont écarté cette éventualité dès la première
heure. Mais en tant que lieu de rencontre, d’échange et de partage conçu pour favoriser
la formation d’une conscience continentale, ce symposium cristallise bien l’aspiration
des pasteurs d’Afrique à porter ensemble le souci de l’évangélisation du continent.

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C’est bien le but que poursuit le SCEAM. A en juger par la vocation fixée à chacun de
ses organismes, commissions et départements, il s’est donné les moyens de travailler à
promouvoir une collaboration toujours plus accrue entre les Eglises d’Afrique. Sans
doute, reste-t-il encore beaucoup à faire pour rendre cette collaboration effective et
pour la faire passer dans les mœurs de pasteurs qui ont plutôt tendance – mais qui
pourrait le leur reprocher ? - à se focaliser sur la vie, voire à se préoccuper uniquement
de la survie de leur propre communauté. Mais si le SCEAM n’est pas le gage de l’unité
de l’Eglise africaine, il est au moins le signe manifeste de la volonté de sa hiérarchie
d’y parvenir.

Réflexion conclusive

Après l’euphorie des indépendances, la mise en route plutôt bien amorcée en


certains endroits de projets de développement, l’image globale qu’offre l’Afrique
d’aujourd’hui, du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest, est celle d’une terre désolée où se
sont donnés rendez-vous tous les maux et tous les malheurs du monde. La pauvreté, les
guerres intestines, les conflits ethniques, l’instabilité politique, l’omniprésente menace
terroriste islamiste, les épidémies meurtrières et spécialement ces dernières années, les
ravages du SIDA, rien ne manque au tableau pour assombrir davantage au fil du temps,
une situation déjà précaire. Il y a de quoi faire céder à l’afro pessimisme, les plus
optimistes des africanistes. L’Eglise est évidemment prise elle aussi dans le tourbillon
des problèmes du peuple avec lequel elle fait corps, souvent comme actrice, d’autres
fois comme arbitre, d’autres fois encore comme victime, jamais comme passive
spectatrice. D’ailleurs, elle regarde autant les grands maux du continent et les questions
de promotion humaine que la gestion de son propre apostolat comme des défis
personnels à relever. Il suffit de considérer les sujets que les pasteurs d’Afrique ont
abordés lors de leur synode spécial pour constater à quel point ils considèrent les
tourments du continent comme ceux aussi de son Eglise.
Le cardinal Suenens parlant de la mission de l’Eglise dans le monde
d’aujourd’hui s’exprimait en ces termes : « Nous devons donner au peuple le pain et
l’Eucharistie, enseigner l’alphabet et le catéchisme, offrir la sécurité sociale et le sens
de la Providence, apprendre la valeur du travail et la valeur de la prière, nous engager
au secours du corps et au secours de l’âme, bref, éveiller tout à la fois le sens des
hommes et le sens de Dieu. L’Eglise se doit de susciter, en même temps, des pionniers
sociaux et des saints. » Ce condensé admirablement complet convient particulièrement
pour définir la vocation de l’Eglise en Afrique. Elle a été, dès sa naissance, sur tous les
fronts de la promotion humaine intégrale. Elle poursuit résolument son chemin sur
cette voie dans tous les pays d’Afrique y compris dans les nations islamiques et à ce
titre, reste toujours aussi présente dans le domaine social, malgré les intrigues ou
l’hostilité ouverte de certains gouvernements. Sans parler de l’enseignement et de
l’action sanitaire où son engagement reste toujours aussi apprécié, l’Eglise d’Afrique a
aujourd’hui ouvert à son action sociale, de nouveaux domaines de définition. Ses
nouveaux combats ont pour noms, formation des cadres, développement économique,
conscientisation des masses, soutien au développement rural… Pour être efficaces, ces
actions sont pensées et mûries dans des structures diocésaines de développement ou de
promotion humaine ainsi que dans des institutions nationales ou régionales spécialisées

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au nombre desquelles on compte l’INADES (CERAP) et ses bureaux nationaux
ouverts dans dix pays, le CESAO au Burkina Faso, le CEPAS au Congo démocratique.

Les réalisations de l’Eglise dans le champ social et notamment dans le domaine


du développement sont nombreuses. Certaines sont mêmes plutôt spectaculaires et
inattendues. Ainsi, dans l’archidiocèse de Kananga dans l’ex Zaïre, plus de trente ponts
en béton armé longs de quatre à cinquante mètres et capables de porter jusqu’à vingt-
cinq tonnes de charge ainsi qu’une usine de transformation du soja ont été construits
entre 1970 et 1980 sous l’impulsion de l’archevêque et la coordination d’un bureau
diocésain pour désenclaver une région peu touchée par les plans de développement du
gouvernement. Ailleurs, l’Eglise s’illustre dans les activités agropastorales, dans la
pisciculture, dans la fabrication de savon etc.

Les pasteurs d’Afrique, individuellement, en conférence épiscopale ou à travers


la voix du SCEAM entretiennent par ailleurs une certaine présence à la vie politique du
continent. Cette présence qui se veut discrète a connu tout de même quelques cas
saillants en période trouble, preuve s’il en est de la confiance du peuple en son Eglise :
on se rappelle encore par exemple avec une certaine fierté, le rôle éminent joué par des
prélats dans les conférences nationales du Bénin et de l’ex-Zaïre. Mais dans une
Afrique troublée par l’apprentissage difficile de la démocratie où l’on en est encore à
confondre parti politique et front ethnique où régionale, cet engagement politique n’est
ni toujours bien perçu ni toujours bien compris et reçu. Soupçonnée de parti pris,
l’Eglise est prise à parti à la moindre crise et ne sort pas toujours indemne des
campagnes menées à tort ou à raison contre elle. Les nombreuses accusations portées
contre la hiérarchie, les pasteurs et agents pastoraux, lors des douloureux événements
que l’histoire retient désormais sous le nom de génocide rwandais illustrent cette
situation. L’implication réelle ou supposée de ces responsables a marqué pour
longtemps les esprits, même si l’on peut toujours espérer que le temps rétablisse la
vérité et situe les vraies responsabilités. Cependant, les défis les plus difficiles à relever
sont sans doute ailleurs, dans la gestion même de l’apostolat, dans une Afrique en
pleine mutation.

Tardivement arrivée dans le concert des nations, l’Afrique subit en effet de plein
fouet des bouleversements de toutes sortes. Elle doit assimiler en une quarantaine
d’années, une évolution technologique que l’Occident a mis quinze siècles à bâtir et
dans le même temps, adapter la mentalité et les structures de sa société à l’ordre du
monde. Laissons à d’autres le soin de creuser la question de savoir si le continent
dispose des moyens et des capacités de réaliser cette conversion. Notre propos ici est
de constater la perte des repères chez un peuple devenu hybride pour avoir quitté sa
rive sans être encore parvenu à atteindre celle vers laquelle il vogue. Sur le plan de la
pratique religieuse, cette situation a ouvert la porte à toutes formes de sollicitations. En
Afrique sub-saharienne, les nouvelles formations religieuses n’ont jamais eu autant de
succès qu’en cette fin-début de millénaire, qu’elles viennent des Amériques avec de
creuses promesses de grâces qui se chiffrent en milliards de francs ou qu’elles naissent
sur place en exploitant la situation précaire des populations, leur légitime soif de santé
et de vie, leur peur du sorcier, bref, les fibres du terroir. Les vieilles Eglises

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traditionnelles, Protestante ou Catholique, se refusent à entrer dans la course au miracle
qui est l’arme principale des nouvelles venues et elles ont sans doute raison. Mais en ce
qui concerne l’Eglise Catholique, il est clair, et d’éminents théologiens le répètent sans
se lasser, que les méthodes classiques d’évangélisation héritées de la mission ont
besoin d’un sacré coup de neuf. Les institutions romaines gardent un œil attentif et une
main lourde sur cette chrétienté qu’elles financent encore en grande partie. Cependant,
malgré leur poids et leurs directives, il faut croire que l’Eglise d’Afrique ouvre peu à
peu sa propre voie aussi bien par sa réflexion théologique fondée sur l’inculturation,
par ses adaptations liturgiques quelquefois hardies que par ses choix pastoraux où
affleure le souci de l’efficacité, de la responsabilisation des laïcs et de la prise en
compte des conditions concrètes de vie des fidèles. Ce recours aux sources n’empêche
cependant pas pasteurs et théologiens d’Afrique d’être des hommes de leur temps,
c’est-à-dire d’intégrer à leur démarche tous les instruments modernes de
communication susceptibles de favoriser l’expansion de la Bonne Nouvelle, le partage
des expériences particulières et de répondre aux attentes du peuple. Au contraire, le
souci d’adaptation aux conditions concrètes du terrain a amené un grand nombre
d’entre eux à entrer dans le mouvement général d’Eglise lancé par le concile qui
consiste à considérer ces moyens nouveaux de communication de masse comme de
véritables instruments d’évangélisation. Depuis 1973, une rencontre des pasteurs à
Ibadan au Nigeria a pour ainsi dire, ouvert à l’Eglise d’Afrique son ère des
communications sociales. Et signe éloquent des temps, l’assemblée spéciale pour
l’Afrique du synode des évêques n’a pas manqué d’inscrire la question, en bonne
place, à son ordre du jour et d’en débattre longuement. Mais pour être un départ,
l’année 1973 est d’abord un aboutissement, celui de plusieurs initiatives plus ou moins
suivies mais dispersées qui duraient depuis le temps des missionnaires. La marche a été
longue mais désormais, on peut considérer que les moyens modernes de
communication trouvent leur place marquée dans l’apostolat de l’Eglise en Afrique.

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