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DES MISSIONS
Ambroise MANDAH
1
Introduction générale
1. Qu’est ce que la Mission ?
Selon une définition du jésuite Burkinabé Jean Ilboudo, le mot mission vient
du latin mittere qui signifie envoyer, envoyer au loin. Egalement employé dans le
domaine profane, mission désigne dans le langage ecclésiastique, l’œuvre de diffusion
de l’Evangile qui découle de l’ordre du Christ : « Allez par le monde entier prêcher
l’Evangile à toute créature » (Mc16, 15). L’usage de ce terme dans cette acception a
été lancé surtout à partir du XVème siècle par les Portugais qui l’ont appliqué à
l’œuvre des prêtres qui, dans les expéditions outre-mer, avaient cessé d’être
uniquement des aumôniers de marins pour devenir des prédicateurs itinérants auprès
des populations rencontrées. Au XVIème siècle, Ignace de Loyola et les jésuites jouent
un rôle important dans la précision de l’idée de mission. Ils distinguent une mission
interne menée parmi les peuples déjà évangélisés d’une mission externe chez les
peuples dits infidèles. Selon le sens moderne né de ce siècle, la mission, c’est « l’envoi
par l’Eglise et en particulier par le Pape. Les missionnaires sont ceux qui sont
mandatés par la hiérarchie et leur qualité première est la disponibilité et la fidélité aux
directives de ceux qui les envoient. Les mots se spécialisent très vite pour désigner
surtout l’apostolat en pays païens, mais dans le sens d’un envoi aux peuples lointains
par l’Eglise centrée sur la hiérarchie et sur l’Occident. » C’est encore, exprimé dans un
langage plus théologique, « l’activité spirituelle née des processions divines ou de
l’activité trinitaire qui consiste à prêcher l’Evangile aux non chrétiens et à instaurer
chez eux, d’une façon indigène et stable, toute l’économie chrétienne, en vue de les
sauver et de procurer ainsi l’achèvement du corps mystique et la gloire du Père par le
Fils dans l’Esprit. »
3. Notre cours
Notre étude qui fera un tour d’horizon des peuples évangélisés durant ces deux
sous périodes s’appesantira dans sa deuxième partie sur l’Afrique notre continent. Elle
se distribuera en dix chapitres, cinq par sous période :
2
- Première Partie : Les missions des Temps Modernes : XVème – XVIIIème
siècles
Chapitre I : Les conditions de mise en route des missions des Temps
Modernes
Chapitre II : Conquête, colonisation et conscience chrétienne
Chapitre III : Les missions modernes en Afrique
Chapitre IV : Les missions modernes en Amérique
Chapitre V : Les missions modernes en Asie
- Deuxième partie : Le renouveau missionnaire du XIXème siècle
Chapitre VI : Les conditions du développement des missions au XIXème
siècle.
Chapitre VII : Le Saint Siège et la question des missions contemporaines
Chapitre VIII : Les instituts engagés dans la mission en Afrique et leur
doctrine
Chapitre IX : Les missions contemporaines en Afrique
Chapitre X : les missions contemporaines hors d’Afrique.
4. Eléments de bibliographie
Notre étude s’est appuyée sur divers documents du Saint Siège, produits soit par
des congrégations romaines, soit par les papes eux-mêmes, du pontificat de Grégoire
XVI (1831-1846) à celui de Jean-Paul II (1978-2005). Pour ne pas allonger
inutilement la bibliographie, ni ces documents, ni les encyclopédies consultés ne
seront cités dans l’aperçu que nous donnons ici. Seuls les quelques ouvrages et revues
que voici le sont :
Benoist, J., R., de, Eglise et pouvoir colonial au Soudan français, Karthala, Paris 1987,
548 p
Benoist, J., R., de, L’africanisation de la hiérarchie catholique en AOF, in Des
missions aux Eglises : naissance et passation des pouvoirs XVIIème–
XXème siècle, Actes de la Xème session du CREDIC, Lyon 1990, pp
253-267
Carrière, J.C., La controverse de Valladolid, Pocket, Le Pré aux Clercs, 1992, 188 p
Chateaubriand, F., R., Génie du Christianisme, t2, 4ème partie, liv. 4ème : Missions,
Garnier-Flammarion, livre de poche, Paris 1966, pp 135-174
Cheza, M., Derroitte, H, Luneau René, Les évêques d’Afrique parlent, 1969-1992,
documents pour le synode africain, Centurion, Paris 1992, 443 p
Cholvy, G., Ampleur et limites du renouveau religieux en France, au sortir de la
Révolution et de l’Empire, in Libermann, une pensée et une mystique
missionnaires, pp 25-49
Comby, J., Deux mille ans d’évangélisation, bibliothèque de l’histoire du
Christianisme n°29, Desclée, Paris 1992, 327 p
Costantini, C., Réforme des missions au XXème siècle, Casterman, Tournai 1960,
280p
Coulon, P., Brasseur, P., Libermann, 1802-1852, une pensée et une mystique
missionnaires, cerf, Paris 1988, passim
3
Delacroix, S., (dir), Histoire universelle des missions catholiques, t2 : les missions
modernes, Grund, Paris 1857, 421p
Goyau, G., Clergé colonial et spiritualité missionnaire : la congrégation du Saint-
Esprit, Grasset, Paris 1937, 287 p
Grenot, M., Marion Brésillac et l’épiscopat indigène, in Des missions aux Eglises…,
Actes de la Xème session du CREDIC, Lyon 1990 pp 93-106
Ilboudo, J., De l’histoire des missions à l’histoire de l’Eglise, in Eglise et histoire de
l’Eglise en Afrique, Beauchesne, Paris 1990, pp 119-140
Las Casas, B., de, Une plume à la force d’un glaive : Lettres choisie, Cerf, Paris,
1996, 412 p
Lavigerie, C., Ecrits d’Afrique, recueillis et présentés par A. Hamman, Grasset, Paris
1966, 263p
Libermann, F., Synopse des deux règles de Libermann, texte intégral et authentique
édité par A. Bouchard et F. Nicolas, cssp, pro manuscrit, Paris 30 rue
Lhomond, 1968, 204p
Marion Brésillac, M., de, Notices biographiques, doctrine missionnaire, textes,
présentés par J. Bonfils, SMA, Cerf, Paris 1962, 190p
Marion Brésillac, M., de, Documents de mission et de fondation, présentés par J.
Bonfils, SMA Médiaspaul, Paris 1985, 292p
Mayeur, J.M., (dir.), Histoire de Christianisme, tome 7 : De la Réforme à la
réformation : 1450-1530 ; 3ème partie, chapitre 2 : Découvertes et
christianisation lointaine (art. d’A. Milhou), Desclé, Paris 1994, pp 521-
594
Mayeur, J.M., (dir.), Histoire de Christianisme, tome 8 : Le temps des confessions :
1530-1620/30 ; chapitre 7 : l’Afrique, chapitre 8 : l’Amérique (art. d’A.
Milhou), Desclé, Paris 1992, pp 665-783
Mayeur, J.M., (dir.), Histoire de Christianisme, tome 9 : L’âge de raison : 1620-1750, 3ème
partie, chapitre 2 : l’Afrique (art. de Ph. Denis), Desclé, Paris 1997, pp 737-754
Meester, P., de, L’Eglise d’Afrique hier et aujourd’hui, Saint Paul Afrique, Kinshasa, 1980,
190p
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Bloud & Gay, Paris 1936, pp 355-380
Perraudin, J., Les principes missionnaires du Cardinal Lavigerie, H. Berti & CO.,
Rapperswil, 1941, 120p
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Karthala, Paris 1993, 341 p
Ruggieri, G., Eglise et histoire de l’Eglise en Afrique, Actes du colloque de Bologne,
22-25 oct. 1985, Beauchesne, Paris 1990,395p
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histoire de l’Eglise en Afrique, Beauchesne, Paris 1990 pp 97-118
Sala-Molins, L., Le Code Noir ou le calvaire de Canaan, 2ème édition, Quadrige PUF,
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4
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Terras, L., Petit atlas des Eglises africaines, Golias, Lyon 1994, 279p
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Trichet, P., Côte d’Ivoire : les premiers pas d’une Eglise, tome 2 : 1914-1940, La
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Beauchesne et ses fils, Paris, passim
Utz, A., F., & Groner, J., F., Relations humaines et société contemporaine, synthèse
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documents originaux, par A. Sauvignat, vol. 1-3, Editions Saint Paul,
Fribourg – Paris, 1956
--------------------
Annales Apostoliques de la Congrégation du Saint-Esprit et du Saint Cœur de Marie,
n° 1, janvier 1886 ; n°3, juillet 1886 ; n° 17, janvier 1890
L’écho des missions d’Afrique de la Congrégation du Saint-Esprit et du Saint Cœur de
Marie, n°1, janvier 1884
Annales de la Propagation de la Foi, n°1, Janvier 1822
L’écho des Missions Africaines, n° 1, janvier-février 1902
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1ère partie
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Chapitre I : Les Conditions de mise en route des missions
des Temps Modernes
Introduction
I. Les conditions des découvertes et de l’annonce de l’Evangile
1. Les grandes découvertes et expéditions
2. Les conditions matérielles des expéditions maritimes
II. Les motivations des expéditions
1. Les motivations économiques
2. Les motivations culturelles et religieuses
III. L’organisation des missions
1. Le partage du monde
2. Les patronats ibériques
3. Le personnel des missions
Conclusion
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Introduction
En histoire moderne, l’année 1492 fait partie des dates les plus importantes à
retenir. Elle est celle de la découverte de l’Amérique. Mais cette découverte n’est pas à
regarder comme un fait isolé. Elle est l’aboutissement de tous les tâtonnements des
siècles précédents, le couronnement des investigations de la science et de la technique
naissantes, le début d’une ère nouvelle. 1492 marque en effet une certaine rupture
entre le passé médiéval et l’avenir. Elle ouvre le monde occidental sur un XVIème
siècle qui va être celui des grandes découvertes et des expéditions outre-mer. C’est
grâce à ces expéditions aux multiples motivations que l’Evangile est parvenu aux
peuples lointains d’Afrique, d’Amérique et d’Orient.
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- L’usage de mâts et de voiles multiples grâce auquel la force du vent est plus
rationnellement utilisée pour faire avancer un nouveau type de navires appelés
caravelles.
Grâce à toutes ces découvertes, les flottes européennes – celles du Portugal puis
de l’Espagne en tête – jusqu’alors cantonnées essentiellement à la navigation sur les
mers intérieures comme la Méditerranée, se lancent dans l’exploration des mers et
océans du monde. Ainsi en 1415 (ou 1417 selon certaines sources) Henri le navigateur
prend Ceuta et ouvre au Portugal une longue série d’expéditions qui commencent par
l’exploration des îles et des côtes occidentales de l’Afrique.
- En 1445, l’embouchure du fleuve Sénégal est découverte.
- En 1486, Barthélemy Diaz jette l’ancre au large du Cap de Bonne-Espérance
qui, sur la route de l’Orient, sera doublé en 1497 par Vasco de Gama.
- En 1492, Christophe Colomb découvre l’Amérique en voulant rejoindre les
Indes par l’ouest.
- Du 20 septembre 1519 au 6 septembre 1522 enfin, une flotte commandée par
Fernand de Magellan (+ 27 / 04 / 1521 aux Philippines) puis par Juan Sebastián
Elcano, fait pour la première fois le tour du monde.
Les motivations de ces voyages sont de plusieurs ordres. Toutes ne sont pas
philanthropiques, loin s’en faut. Elles sont d’abord d’ordre commercial, donc
économique ; d’ordre stratégique, culturel et religieux. On ne peut pas dissocier le zèle
apostolique de l’appât du gain.
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- Un besoin d’espace : Parce que les peuples asiatiques ont une alimentation
essentiellement végétarienne, ils ont développé des techniques agricoles
permettant de produire beaucoup sur des espaces réduits. (On dit par exemple
que la Chine nourrit cinq fois plus d’hommes que l’Europe à partir d’un même
espace de culture.) L’Europe par contre se nourrit essentiellement de viande et
utilise la force animale dans son agriculture. Elle dispose donc de beaucoup
plus de force motrice, alors même que ses terres cultivables lui semblent
insuffisantes.
- Un goût prononcé pour les produits exotiques : par le commerce méditerranéen
avec l’Orient, l’Europe a découvert depuis longtemps les produits exotiques.
C’est devenu quasiment un phénomène de mode que d’avoir à sa table ces
produits. On veut donc aller les chercher sur place.
- L’économie monétaire : Depuis l’Antiquité, l’Europe connaît l’usage de la
monnaie. Dans les pays méditerranéens notamment, où le commerce est plus
développé qu’ailleurs, le besoin de monnaie est immense. Or, l’or manque en
Europe et cela constitue un frein à la production de nouvelles pièces. C’est
pourquoi, les méditerranéens se lancent dans une recherche passionnée du métal
précieux partout où ils peuvent en trouver.
- La recherche de main d’œuvre : La conquête a encore pour objectif de procurer
aux nations qui l’entreprennent une main d’œuvre bon marché. La traite des
esclaves la leur fournira gratuitement.
Par ailleurs, l’idée de croisade n’a pas totalement disparu chez les
Européens. Face à l’inexorable progression de l’Islam en Orient où après la prise de
Constantinople les Ottomans sont en passe de conquérir tous les Balkans, les papes du
XIVème et du XVème siècles ont essayé mais en vain de les relancer. Les succès
remportés en Occident, au Portugal et en Espagne notamment, sur les musulmans les
galvanisent pour assimiler les conquêtes de ce siècle aux croisades. Ils accordent ainsi
aux Portugais qui, après la prise de Ceuta, les sollicitent pour légitimer leur conquête,
une série de bulles de croisade dont la plus connue est celle de Nicolas V, Romanus
Pontifex. Dans la mentalité de l’époque, depuis celle des papes jusqu’à celle du dernier
des fidèles intéressés aux expéditions maritimes, la destruction de l’Islam, la
conversion des païens et l’établissement de nouvelles places chrétiennes sont
intimement associés à la conquête.
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Sur le plan religieux, l’Europe est également fascinée par l’image du prêtre
Jean, roi-prêtre dont la légende disait qu’il régnait sur un royaume au cœur de
l’Afrique. On croit alors l’avoir localisé en Ethiopie et dans le cadre de la guerre
d’éradication des mahométans, les expéditions ont aussi pour objectif, après l’avoir
ramené à la communion avec Rome, d’établir avec lui une alliance qui permettrait de
prendre l’ennemi à revers.
Une dernière motivation tardive mais tout aussi importante apparaît après la
crise protestante : pour les catholiques, la conversion des peuples païens apparaît
comme une aubaine voulue, arrangée et offerte par la Providence divine en
compensation des pertes subies par l’Eglise Catholique du fait de la Réforme.
Malgré les contradictions que l’on peut constater entre les différents types motivations
lorsqu’on les prend dans leur ensemble, on peut dire que ces raisons religieuses soient
de simples prétextes. Le souci du salut des âmes anime d’une façon ou d’une autre
tous les voyageurs : conquistadors, commerçants et missionnaires.
1. Le partage du monde
Premier à s’être lancé dans l’exploration du littoral africain et dans la
conquête du grand large, les Portugais ont sollicité et obtenu des papes, des bulles de
croisade tout au long du XVème siècle. Ces documents pontificaux leur accordaient
entre autres :
- la possession des terres conquises aux infidèles
- le droit et le devoir d’y édifier des établissements chrétiens (églises, couvents,
monastères…)
- la réduction en esclavage des infidèles
- la confiscation de leurs biens
Lorsque les Espagnols arrivent à leur tour dans la course, les Portugais sont loin
devant eux dans l’occupation des lieux. Ils sont installés pratiquement dans tous les
points stratégiques de la partie du monde déjà explorée et connue. Leur autorité
s’étend théoriquement des Açores aux Indes. Les souverains catholiques, Isabelle de
Castille et Ferdinand d’Aragon, pour couper court aux intrigues et aux contestations du
Portugal, obtiennent alors de leur compatriote Alexandre VI Borgia, une série de
bulles leur accordant les mêmes prérogatives sur les terres découvertes par Colomb.
On désigne par le nom de bulles alexandrines, les documents par lesquels Alexandre
VI a accordé ces droits et devoirs à l’Espagne. Elles sont au nombre de quatre dont
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deux portent le titre Inter cetera. L’histoire retient la deuxième, datée du 4 mai 1493
comme la plus importante de toutes. En plus de la souveraineté accordée « aux rois
vraiment catholiques » le pape y démarque le domaine espagnol de celui des Portugais.
Le monde est ainsi partagé en deux parties par une ligne imaginaire passant à cent
lieues à l’ouest des Açores et des îles du Cap Vert. Aux Espagnols revient le domaine
à l’ouest de cette ligne et aux Portugais le domaine à l’est.
Il est encore à noter qu’au moment de ce partage, seuls sont en compétition les
deux royaumes ibériques. La question est de nouveau posée plus tard, lorsque d’autres
puissances arrivent dans la course :
- la France refuse d’être exclue du partage. Elle récupère des territoires dans les
deux domaines.
- Passées à la Réforme, l’Angleterre et la Hollande ne se sentent pas concernées
par les bulles pontificales. Elles se lancent donc dans la conquête sans en tenir
compte et reprennent des terres notamment aux Portugais en leur livrant la
guerre au besoin.
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peu révéler leurs défaillances et amener le Saint Siège à créer en 1622, la Sacrée
Congrégation de Propaganda Fide pour prendre en mains les missions.
Conclusion
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Chapitre II Conquête, colonisation et conscience chrétienne
Introduction
I. De la ruée vers l’Amérique aux scrupules
1. Conquête, colonisation et violences
2. La lutte contre l’esclavage des Indiens
3. Réflexion chrétienne sur l’esclavage
II. La question nègre
1. La malédiction de Cham
2. Les Nègres sont-ils des hommes ?
3. Du droit d’acheter et de vendre les Nègres comme esclaves.
Conclusion
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Introduction
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clerc colon reconverti en défenseurs des Indiens. Mais la confirmation de ces propos
par diverses autres sources concordantes ne laisse aucun doute sur la violence des
méthodes des conquérants, des colons et de certains missionnaires eux-mêmes.
D’une façon générale, les peuples indiens étaient, selon l’expression même du
découvreur de l’Amérique, de bons sauvages paisibles et sans histoire. C’est en effet à
bras ouverts que la plupart ont accueilli les Espagnols et d’une façon globalement
simple qu’ils ont accepté sans bien la comprendre, la suzeraineté des rois catholiques.
En retour cependant, la moindre petite divergence ou même la susceptibilité des
conquérants et le dépit des colons ont suffi pour leur imposer de lourdes servitudes.
Avec la poudre à canon que les Indiens ne connaissaient pas, les conquérants
avaient une supériorité d’armement incontestable. Aussi est-ce avec une extrême
facilité qu’ils soumettent et détruisent les puissants empires d’Amérique, avec leurs
institutions et leurs dynasties. Les conquérants entreprennent de détruire l’idolâtrie en
pillant l’or des temples. En outre, certains chefs d’expédition n’hésitent pas, après les
avoir fait baptiser, à faire étrangler les caciques qui leur résistent ou tentent
simplement de préserver la tradition de leurs ancêtres. Cortés par exemple met à mort
l’empereur Aztèque Cuauhtémoc en 1525 tandis que Pizarro et Almagro infligent le
même sort à l’Inca Atahualpa en 1533. Mais ces anecdotes relatives à la conquête ne
constituent en réalité que l’aspect le plus spectaculaire de la conquête ibérique.
L’aspect le plus nocif, c’est l’installation des colons et la réduction des Indiens en
esclavage de fait.
A ces deux causes majeures, on peut ajouter le suicide collectif organisé chez
des peuples comme les Taínos par exemple, qui préféraient « rejoindre la région des
morts où l’on se repose le jour et fait la fête la nuit » plutôt que d’accepter la servitude
espagnole.
14
Au total, on estime qu’une vingtaine d’années seulement après la découverte de
l’Amérique, dans les îles où sont présents les Espagnols (Haïti, Cuba, Bahamas, Saint
Domingue…) le nombre d’Indiens a chuté vertigineusement. A Saint Domingue, il est
passé de plus d’un million en 1492 à quarante mille en 1509.
En fait, les Lois de Burgos ne règlent rien du tout. Certains des législateurs, à la
fois juges et partis, s’efforcent de préserver leurs intérêts ainsi que ceux du roi
15
d’Espagne et vident ainsi le document de sa substance. On ne s’étonnera donc pas de
voir surgir d’autres défenseurs des Indiens quelques années seulement après Burgos.
C’est le cas du clerc Bartolomé de Las Casas. Encomendero repenti en 1514, il porte la
lutte à la cour espagnole en 1515 pour la Réformation des Indes. Ses démarches auprès
de Ferdinand le Catholique puis auprès du régent, le cardinal Cisneros, aboutissent
entre autres à la destitution du ministre des Indes, l’évêque Juan Rodriguez de Fonséca
et de sa clique corrompue, indifférents au sort des Indiens. Las Casas propose à
Cisneros une série de réformes à travers lesquelles il entend concilier, colonisation,
liberté des Indiens et évangélisation. Il suggère entre autres, d’installer aux Indes des
laboureurs espagnols qui s’associeraient à droits égaux avec les indigènes ; et comme
d’autres avant lui, de substituer aux Indiens, des esclaves noirs.
La lutte contre l’esclavage des Indiens trouve bientôt un autre relais hors du
cercle des hommes d’Eglise, dans l’institution fondée en 1524 pour remplacer
définitivement l’évêque ministre destitué : La Compagnie des Indes. Depuis le sermon
de Montesinos, l’idée des défenseurs des Indiens avait donc fait du chemin. Outre une
réelle réticence à laisser introduire dans les terres nouvelles conquises le système
porteur de tous les maux, La Compagnie des Indes promulgue deux ans après sa
création, en novembre 1526, son premier grand texte intitulé Ordonnances sur le bon
traitement des Indiens. Ces ordonnances dénoncent les exactions contre les Indiens,
cause de leur mortalité élevée et condamne la cupidité désordonnée des colons. Elles
maintiennent l’encomienda là où elle existe mais réaffirment la liberté des Indiens et
interdisent en conséquence de les envoyer aux mines contre leur gré. Elles interdisent
de faire de nouveaux esclaves sous peine de mort sauf dans les cas prévus par le
requerimiento et ordonnent la libération immédiate des Indiens illégalement réduits en
esclavage.
Ce texte qui reste encore loin du compte ne sera pas plus respecté que les
autres. Mais on y constate une rigueur qui témoigne d’une sensibilisation de toute
l’Espagne à la question indienne. En 1530, dans un texte qui ne sera promulgué que
quatre années plus tard, le Conseil interdit purement et simplement de faire de
nouveaux esclaves par quelque moyen que ce soit. La dernière étape a lieu en 1542 où
par Les Lois nouvelles, l’esclavage des Indiens est définitivement interdit.
16
3. Réflexion chrétienne sur l’esclavage
La réflexion dont il s’agit ici plonge ses racines dans le Moyen Age. Le Moyen
Age chrétien ne reconnaît en effet aucun droit, aucune personnalité juridique aux
infidèles dont le modèle connu en Europe est le sarrasin. De ce fait, n’importe quel
prince chrétien qui en a les moyens jouit du plein droit d’envahir leur territoire et de
demander ensuite au pape de confirmer ses conquêtes. C’est dans cet esprit que le
Portugal puis l’Espagne ont réclamé aux papes, les bulles qui ont fini par fonder le
système des patronats.
A l’opposé de cette opinion fort répandue, il existe une autre née à l’époque de
la Scolastique et à laquelle souscrit Thomas d’Aquin. Pour le docteur angélique, le
droit naturel reconnaît à tout homme le droit de propriété. En vertu de ce droit et parce
que la grâce ne supprime pas la nature, les infidèles possèdent légitimement leurs biens
propres. Aussi faut-il s’assurer avant de s’emparer des biens des infidèles, qu’ils n’en
ont pas la possession légitime. Autrement, ce serait violer le droit naturel. Par ailleurs,
saint Thomas introduit une distinction entre l’infidélité coupable des sarrasins qui ont
entendu la parole du Christ sans se convertir et celle des païens qui est le fait de
l’ignorance. Si celle des musulmans, ennemis déclarés du Christ, est péché et de nature
à les priver de certains droits, celle des gentils ne l’est pas. En conséquence, il n’est
pas légitime de leur faire la guerre, encore moins de s’emparer de force de leurs biens.
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conséquence, ni le roi ni le pape n’ont le droit de leur déclarer la guerre ni de
les soumettre à leur pouvoir temporel sous peine de commettre une grave
injustice et un vol passible de restitution. Et le cardinal de conclure : « Dieu
nous a envoyés conquérir le monde non par les armes mais comme des brebis
au milieu des loups. » La guerre ne serait légitime dans ce dernier cas de figure
que dans la mesure où ces païens opposaient la force à la prédication de la
Bonne Nouvelle.
Quant à Vitoria, il publie en 1539, un ouvrage intitulé Leçons sur les Indiens et
sur le droit de guerre. Il y soutient que ni le pape ni l’empereur ni aucune autre
autorité temporelle n’a de pouvoir universel sur le monde. Le péché, l’idolâtrie et
l’hérésie poursuit-il, ne détruisent pas le droit naturel. La donation du pape a donc une
valeur uniquement spirituelle. Elle ne peut d’aucune façon donner le droit de faire la
guerre aux Indiens, légitimes possesseurs de leurs terres, sous prétexte qu’ils refusent
de se convertir.
En voulant défendre en même temps la légitimité de la présence espagnole en
Amérique, Vitoria détruit par la suite ce bel édifice, reprenant d’une main ce qu’il a
donné de l’autre. Mais l’histoire le regarde, avec cet ouvrage, comme le fondateur du
droit international. Dans sa défense de la liberté des Indiens, il allait en effet plus loin
que la bulle Sublimis Deus publiée par Paul III deux ans plus tôt sous la pression des
religieux missionnaires en Amérique, où le pape soumettait encore cette liberté à la
capacité des Indiens à accueillir la foi chrétienne.
Si les Indiens ont rapidement eu des défenseurs, les Noirs eux, accablés de
préjugés défavorables, n’ont pas eu cette fortune. Bien entendu, quelques actions
isolées ainsi que quelques voix lézardent de loin en loin le lourd silence collectif :
l’action d’un Pierre Claver en Colombie au XVIème siècle ou la parole d’un
Bartolomé de Albornoz qui dès 1573 soutient que rien ne justifie que l’on prenne aux
Noirs la liberté que Dieu leur a naturellement donnée. Mais face à ces cris dans le
désert, la lourdeur de l’opinion et l’intérêt l’emportent de loin.
Les Noirs n’étaient pas ennemis du Christ ; pour n’avoir eu que peu ou pas du
tout de contacts avec le monde chrétien, ils n’avaient jamais eu l’occasion d’opposer
de résistance à l’évangélisation. Ils faisaient donc partie de la troisième des catégories
d’infidèles définies par Saint Thomas et son commentateur du XVIème siècle. Cela
aurait dû suffire pour les épargner. Mais sur le Nègre pesaient d’autres « tares
congénitales supposées » qui dans l’opinion chrétienne européenne justifieront toutes
les atrocités de la Traite : une prétendue malédiction noachique, donc divine et une
mise en doute de l’appartenance de la race noire à au genre humain.
1. La malédiction de Cham
L’origine de l’application de la malédiction de Cham aux Noirs est diffuse dans
l’histoire. Dans l’état actuel de la recherche, on est incapable de dire qui exactement a
identifié les Noirs aux descendants de Cham ou plus précisément aux descendants de
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son fils Canaan et à quelle époque. Ce dont on est sûr, c’est que cela date d’avant
l’époque de la Traite. Dans un débat par publications interposées qui n’a jamais connu
d’issue, Catholiques et Protestants se renvoient mutuellement la responsabilité. En fait,
il semblerait que l’opinion répandue sur une malédiction antique pesant sur les Noirs
soit née dans les milieux juifs. Elle proviendrait de spéculations rabbiniques du IIIème
au Vème siècle. Dans une pure invention sortie de nulle part, trois hagadistes racontent
que pour avoir commis un attentat sur la personne de son père Noé, Cham entre autres,
serait sorti de l’arche, transformé en Nègre. Or le nom Cham proviendrait d’une racine
hébraïque signifiant « être chaud, être noir ». De là la désignation de ce fils de Noé
comme l’ancêtre des peuples d’Afrique essentiellement, par deux au moins ses quatre
fils Koush (Ethiopie), Micrayim (Egypte), Put (Libye ?) et Canaan.
A l’époque de la Traite, quoique le pays de Canaan soit le seul que la Bible elle-
même situe sans laisser l’ombre d’aucun doute hors d’Afrique, les esclavagistes et
l’Europe chrétienne en général croient trouver dans le passage de Gn 9, 21-27, des
arguments bibliques pour confirmer cette identification et justifier la réduction des
Noirs en esclavage. Le passage raconte la découverte par Cham de la nudité de Noé
ivre et endormi. Réveillé après avoir cuvé son vin, Noé informé de ce qui s’est passé
maudit non pas Cham mais son fils : « Maudit soit Canaan ! Qu’il soit pour ses frères
le dernier des esclaves ! Il (Noé) dit aussi, béni soit Yahvé le Dieu de Sem, et que
Canaan soit son esclave ! Que Dieu mette Japhet au large, qu’il habite les tentes de
Sem et que Canaan soit son esclave. » Gn 9, 25-27.
S’appuyant sur les légendes greco-romaines qui situent au-delà du Sahara c’est-à-dire
du monde connu de l’Europe, quelques merveilles et toutes sortes de monstruosités,
l’exégèse biblique de l’époque confirme l’opinion ambiante. Elle donne ainsi au délire
sans fondement, le sceau de la parole ecclésiastique qui conserve alors encore assez de
poids pour apparaître comme la vérité absolue.
19
mêmes comme une nation maudite. Les plus spirituels qui sont ceux du Sénégal,
racontent, dit-on, sur une ancienne tradition dont ils ne connaissent pas l’origine, que
ce malheur leur vient du péché de leur premier père, qu’ils nomment Tam. » (Ouvrage
paru entre 1746 et 1759).
Conclusion, l’Ecriture justifie la Traite négrière. En parlant par la bouche de Noé, Dieu
lui-même a soumis le Noir au Blanc.
20
pencher la balance du côté de la Traite avait été en substance le suivant : si les Indiens
sont de véritables descendants d’Adam, des êtres doués de raison, capables de
civilisation et d’accueillir la foi en Jésus-Christ, « les Africains eux sont plus proches
de l’animal, frustres et complètement privés de la partie délibérative de l’esprit. » (J.
C. Carrière, La controverse de Valladolid, p 185.) Pourtant le retour récurrent de la
question sur le tapis du début à la fin de la Traite dans tous les royaumes esclavagistes
montre bien que les plus tenaces des théoriciens de l’esclavage eux-mêmes n’étaient
pas convaincus de leurs propres arguments. Le prétexte qui servira à tous à se voiler la
face et qui aux yeux de l’Européen en général transformera le mal de la Traite en un
bien au profit de l’Africain lui-même, et l’esclavagiste en bienfaiteur, c’est
l’évangélisation.
En France, le très pieux Louis XIII (1610-1643) dont on dit qu’il montra
quelques états d’âme face à la Traite se laisse convaincre par le même argument. Sous
son règne, en 1638, le Conseil Ecclésiastique débat de la question de savoir s’il est
permis à un chrétien d’acheter et de vendre des Noirs comme esclaves. La réponse est
bien sûr affirmative à la condition primordiale que ces esclaves soient christianisés.
L’argument restera le même jusqu’à la fin de la Traite. La France et l’Europe
esclavagiste en général se considèrent comme bienfaitrices des Noirs et c’est bien ce
qu’exprime en 1764, un théoricien de la Traite dans cette réflexion qui se passe de
commentaire : « Le plus grand malheur qui puisse arriver à ces pauvres Africains
serait la cessation de ce trafic. Ils n’auraient alors aucune ressource pour parvenir à la
connaissance de la vraie religion dont on les instruit à l’Amérique, ou plusieurs se font
chrétiens…Plût à Dieu que l’on achetât tous ces misérables Nègres et qu’on dépeuplât
l’Afrique. »
21
Conclusion
22
Chapitre III : Les missions modernes en Afrique
Introduction
Conclusion
------------------------------
Introduction
L’Afrique est le premier continent dont les côtes ont été abordées lors de la
conquête ibérique. Premier à s’être lancé dans l’exploration du monde et le commerce
transocéanique avec l’Orient, le petit royaume du Portugal qui compte alors 1 200 000
habitants est aussi le premier à s’être intéressé à ce continent. Après la prise de Ceuta,
d’autres expéditions organisées par Henri le Navigateur permettent au royaume de
s’établir en divers points sur les côtes. Ainsi, après le Cap Bojador doublé en 1434, la
porte s’ouvre sur le pays des Noirs avec la découverte de l’embouchure du Sénégal en
1444 par Gil Eanes. En 1462 un comptoir est fondé sur le site actuel de Free Town sur
les côtes de la Sierra Leone. En 1471, après avoir exploré le delta du fleuve Niger les
Portugais passent pour la première fois l’équateur et posent les pieds dans les îles
qu’ils baptiseront Sao Tome et Fernando Po (Bioko). En 1482, Diogo Cao découvre et
explore l’estuaire du Congo. En 1486 est édifié sur les côtes de l’actuel Ghana, le fort
Saint-Georges-de la Mine (El Mina) tandis que Barthélemy Diaz passe le Cap de
Bonne Espérance l’année suivante. En 1498 enfin Vasco de Gama, en route vers l’Inde
accoste au Mozambique. Cet intérêt portugais pour le continent noir est d’abord
commercial et stratégique, les côtes de l’Afrique ainsi que les îles pouvant abriter des
comptoirs et des relais de ravitaillement sur le chemin vers l’Orient. Mais les clauses
du Padroado obligeant les souverains portugais à christianiser les habitants de tous
23
lieux où leurs hommes prendraient pied, les comptoirs deviennent aussi des points de
départ de la première tentative d’évangélisation de l’Afrique.
I. Un royaume chrétien au cœur de l’Afrique : le Congo
Après Afonso 1er, des missionnaires continuent d’arriver au Congo. Aux jésuites
venus en 1547 succèdent en 1557 des franciscains qui composent le premier ouvrage
connu en une langue bantou, un catéchisme kikongo. En 1596, Sao Salvador est érigée
24
en ville épiscopale. Entre 1608 et 1612, le souverain régnant, Alvare II envoie une
ambassade auprès du Saint Siège. Mais un affrontement armé entre troupes portugaises
et congolaises qui se solde en 1665 par la victoire des premières à Ambouilla et la
décapitation du roi Antonio 1er devait sonner le glas de la christianisation du Congo.
Fondée depuis 1622, la Propagande essaie encore de temps à autre, d’envoyer des
missionnaires, des capucins notamment, entre le XVIIème et le XVIIIème siècles.
Mais cette christianisation par à-coups laisse des zones entières sans prêtres pendant
plusieurs dizaines d’années. L’évangélisation n’étant plus suivie, les religions
traditionnelles reprennent leur droit de cité. Au XVIIIème siècle, le christianisme ne
subsiste plus au Congo que dans un état végétatif et syncrétiste.
La plus célèbre de tous, Kimpa Vita, est plus connue sous son nom de baptême
Dona Béatrice. Cette jeune fille de 22 ans, ancienne prêtresse d’un culte local, amorce
en 1704, une prédication soutenue par des miracles qui va durer deux ans. Elle veut
réunifier l’ancien royaume désormais émietté en petites principautés sur lesquelles le
pouvoir central n’a plus vraiment de contrôle. Elle se dit réincarnation de saint
Antoine, envoyée par Dieu pour refaire l’unité du Congo à partir de Sao Salvador.
25
Dans ses visions et son propos, le Congo est la Terre Sainte et le Christ est un Noir né
à la capitale. Elle réussit à redonner vie à Sao Salvador presque détruite et en partie
laissée à l’abandon. Elle restaure la polygamie, menace les missionnaires qui
s’opposent à elle. Mais son succès tourne court lorsqu’elle met au monde un fils dont
elle attribue la paternité à l’Esprit Saint et qu’elle présente comme le sauveur. Arrêtée
par le prince régnant Pedro IV sur les instances des capucins, elle meurt sur le bûcher
le 2 juillet 1706 en confessant le nom du Christ.
En dehors du Congo, les Portugais ont établi d’autres contacts sur le littoral
africain. Il s’agit essentiellement de comptoirs esclavagistes sur le bord de l’Atlantique
et de quelques autres postes relais sur les côtes orientales.
26
dû abandonner leurs installations pour fuir le climat trop difficile pour eux. Toutefois
l’influence portugaise semble s’être installée pour un moment et tout porte à croire que
quelques conversions s’opèrent dans la famille royale elle-même.
Les choses sont un peu mieux établies dans le royaume vassal du Warri. Les
souverains ici adoptent la religion chrétienne et l’Eglise catholique s’ancre au point
qu’au XVIIIème siècle, longtemps après le départ des missionnaires le peuple
conserve encore l’habitude de la vénération des objets de piété et des processions.
2. L’Angola
L’Angola constitue un cas un peu particulier. Le royaume de Dongo dont le
souverain portait le titre de Ngola - d’où le nom Angola – était à l’origine, vassal du
Congo. En 1556, soutenu par les négriers portugais, le Ngola proclame son
indépendance, demande et reçoit de Lisbonne des missionnaires. Mais cette démarche
obéissait plus à un calcul politique qu’à un réel désir d’embrasser le Christianisme.
Suivent alors après quelques années de quiproquo, des démêlés qui aboutissent à
l’emprisonnement, entre autres, du chef de mission. L’intervention portugaise
consécutive à cette situation en 1575-1576 se solde par une véritable colonisation du
royaume. La présence permanente des Portugais à partir de ces années-là ne favorise
pas pour autant, l’éclosion d’une vraie chrétienté angolaise. Le Christianisme de cette
époque est resté surtout la religion des colons Blancs et au mieux des Mulâtres et des
quelques Noirs installés dans l’opulente petite cité côtière de Saint-Paul-de-Loanda,
riche de son commerce d’esclaves. Ce n’est qu’à partir de 1648 que des capucins
italiens envoyés par la Sacrée Congrégation pour la Propagation de la Foi
commenceront à défricher l’intérieur des terres. Faute de suivi, les résultats de ces
dernières missions ne seront pas plus probants que les premières.
3. L’Afrique de l’Est
A l’Est de l’Afrique, deux points d’ancrage sont à signaler : les deux ports de
Mozambique et de Sofala auxquels il faut ajouter un peu à l’intérieur des terres, dans
la vallée du Zambèze, ce qui reste alors du royaume de Mwene Mutapa dans l’actuel
Zimbabwe.
Dans les deux ports, aucune véritable activité missionnaire n’est développée. C’est
vers l’intérieur que celle-ci est menée à partir de 1530, en direction des royaumes de
Karanga et de Butwa, respectivement au Nord et au Sud de l’ancien Monomotapa. Les
missionnaires ne réussiront jamais à établir des relations avec le roi de Butwa. Ils
arrivent à l’issue de mille et une péripéties, à installer l’Eglise dans le royaume du
Nord et à la maintenir tant bien que mal par l’intermédiaire d’une population de
Mulâtres, de Métis et de grands propriétaires Portugais appelés prazeros. Mais la
présence de cette Eglise devait cesser à la fin du XVIIème siècle, avec l’invasion du
Nord par le royaume du Sud
Outre ces points d’attache sur le continent, il faut noter les premières tentatives
d’évangélisation aux résultats mitigés menées par les jésuites et les dominicains à
Madagascar au XVIème siècle. Les jésuites reviennent dans la grande île avec des
carmes au XVIIème siècle et mènent alors une action plus suivie.
27
4. Le royaume du Prêtre Jean
Un autre point important à noter est la découverte du royaume du prêtre Jean :
l’Ethiopie. On se rappelle que le mythe de ce prêtre-roi avait hanté tout le Moyen Age
européen et que l’un des objectifs des expéditions portugaises était d’établir une
alliance avec ce royaume pour prendre à revers l’Islam. En 1487, parti d’Egypte, après
avoir traversé la Méditerranée, Afonso de Paiva, envoyé par Jean II du Portugal tente
de pénétrer dans ce royaume. Il trouve la mort probablement sans y parvenir. C’est
finalement son compagnon, Pêro de Covilhã qui, apprenant sa disparition trois ans plus
tard, parvient à établir le contact avec la chrétienté éthiopienne en 1492 et à s’établir
dans le royaume. Les relations suivies entre l’Ethiopie et l’Europe, elles, ne débuteront
qu’à partir de 1520 lorsqu’une expédition portugaise partie de l’Inde put débarquer à
Massawa un des rares ports du royaume.
Le royaume que l’Europe avait cru puissant et prospère était d’une relative
pauvreté et d’une faiblesse institutionnelle déconcertante pour les Européens. Son
agriculture et son artisanat étaient rudimentaires et il présentait une infériorité notoire
sur ses voisins musulmans, en matière d’armement, de technique et d’art ainsi que
dans la vie intellectuelle. « Le prêtre Jean », le Négus Lebna Dengel, n’était alors
qu’un jeune homme de 23 ans entouré d’une cour nomade d’officiels, de guerriers, de
prêtres et de moines ainsi que d’une cohorte de pauvres qui se déplaçaient avec lui. De
nombreux Européens, Génois, Portugais, Vénitiens entre autres étaient déjà établis en
Ethiopie. Ils étaient retenus de force pour la plupart, par un pouvoir conscient de son
isolement au milieu de royaumes musulmans et de sa faiblesse militaire, qui d’une part
ne voulait pas prendre le risque de laisser repartir d’éventuels espions et de l’autre
entendait profiter du savoir-faire occidental.
L’Eglise éthiopienne était monophysite de rite copte. Elle était dirigée par un
métropolite portant le titre d’Abuna qui ordonnait des prêtres par centaines dit-on,
après une instruction sommaire aux yeux des Portugais. Elle montrait un grand
attachement à l’Ecriture qu’elle considérait comme la source unique et exclusive de la
foi. Elle faisait une place importante à la vie monastique, pratiquait le mariage des
prêtres, la concélébration, la communion sous les deux espèces même pour les
nouveau-nés baptisés. Elle avait d’importants revenus, par le biais de ses monastères
notamment et dépendait du patriarcat d’Alexandrie. On y était prêtre de père en fils…
Bref, il y avait entre elle et l’Eglise d’Occident, de nombreuses divergences
disciplinaires et doctrinales propres à choquer les Européens. Malgré tout, la rencontre
entre l’expédition portugaise et le Négus donne l’occasion de célébrer les retrouvailles
entre les Eglises d’Orient et d’Occident dans le campement du roi. De longues
discussions s’engagent à l’issue desquelles ce dernier reconnaît la primauté du
patriarche de Rome et envoie une mission lui offrir l’obédience de son Eglise en 1527.
Par ailleurs des accords de coopération sont passés entre autres, pour mener une guerre
de concert contre les positions musulmanes. Grâce à ces accords, la chrétienté
éthiopienne attaquée par ses voisins musulmans sera sauvée du désastre par des
troupes portugaises accourues à la rescousse entre 1541 et 1543.
28
III. Bilan de la mission moderne en Afrique
29
Toutes ces causes conjuguées ont été à l’origine d’une christianisation
superficielle qui ne pouvait pas résister à deux siècles d’abandon. L’envoi de
missionnaires par la Sacrée Congrégation de Propagande Fide après sa création en
1622 ne réussit qu’à prolonger de quelques décennies, la survie voire l’agonie de ces
Eglises.
30
l’actuel Nigeria, c’est pour envoyer presque aussitôt au front avec ses guerriers, le
premier contingent reçu. Des dissensions ne devaient pas tarder à se révéler par la suite
sur les conditions de l’adhésion de l’oba à la religion chrétienne. Les missionnaires
durent finalement s’en aller vers 1520.
Le second exemple est celui d’Aniaba, prince d’Issiny (ou Assinie dans
l’actuelle Côte d’Ivoire) qui a séjourné de 1688 à 1701 à la cour de Louis XIV. Formé
dans l’armée du Roi-Soleil, capitaine des mousquetaires, Aniaba reçoit aussi par les
soins du roi et de Madame de Maintenon, une solide formation chrétienne dispensée
par un précepteur aussi prestigieux que Bossuet en personne. Il est baptisé par son
précepteur le premier août 1691 sous le nom de Louis-Jean, dans la chapelle des
Missions Etrangères, à Paris. Rappelé à Issiny à l’annonce de la mort de son père, il ne
quitte pas la France sans avoir fondé un ordre de chevalerie où il entend accueillir les
nouveaux convertis de son futur royaume. Les insignes lui en sont remis quelques
temps avant son départ, le 12 février 1701 par le cardinal de Noailles, archevêque de
Paris, à Notre Dame. Le roi et l’Eglise de France fondent alors sur lui de grands
espoirs. La suite de l’histoire est confuse. Certains affirment qu’Aniaba revenu à la tête
de son royaume serait purement et simplement retourné à ses croyances ancestrales.
Mais il semble qu’il faille plutôt faire confiance à d’autres, qui soutiennent qu’il n’est
31
jamais monté sur le trône, un autre prince, Akassini, en ayant hérité avant son retour.
Toujours est-il que les espoirs fondés sur Aniaba se sont finalement avérés décevants.
Conclusion
32
Source : Histoire du Christianisme, Tome 7, p 573
Chapitre IV : Les missions modernes en Amérique
Introduction
I. La mise en place de l’Eglise dans le domaine espagnol
1. Une christianisation rapide
2. La méthode d’évangélisation
3. Une initiative originale : la république des Guaranis
II. La mission dans les domaines portugais, français et anglais
1. La mission en Amérique portugaise
2. La mission en Amérique française
3. La mission en Amérique anglaise
33
III. Bilan conclusif des missions modernes en Amérique.
1. Généralités
2. point de la situation dans le domaine espagnol
----------------------------
Introduction
34
qu’en ce qui concerne les missions, le nombre de baptêmes ne reflète pas
nécessairement la réalité des conversions. On dit d’ailleurs en ce qui concerne le
Mexique, qu’après leur journée d’apostolat, les missionnaires rentraient chaque soir au
couvent avec la crampe du baptême.
Notons enfin que parce qu’ils étaient soigneusement choisis grâce à la vigilance
de la couronne, (les deux tiers sont des religieux) les évêques de cette Eglise,
espagnols de la métropole pour la plupart, sont souvent des hommes remarquables. Le
franciscain Zumarraga, le premier de Mexico (1528-1548) nous est déjà connu. Citons
également Toribio de Mogrevejo, évêque de Lima (1581-1606) qui a réussi l’exploit
de visiter trois fois entièrement son immense diocèse et qui a été canonisé.
2. La méthode d’évangélisation
Après la manière forte alliée à la tentative de séduction par la solennité des
célébrations qui a été la méthode des premiers missionnaires accompagnant les
conquistadores, celle des premiers franciscains fut la méthode de la table rase. On tente
alors d’édifier le Christianisme sur les ruines des religions traditionnelles, avec aussi le
risque de ruiner la culture indigène. Les édifices chrétiens sont battis sur le site
35
d’anciens temples païens détruits, et des fêtes chrétiennes placées aux dates de
célébrations indiennes traditionnelles supprimées.
Il est à noter qu’à la différence des autorités civiles, les missionnaires n’étaient
spécialement enclins à hispaniser à tout prix les Indiens. Aussi, après la première
génération de missionnaires, les nouveaux d’évangélisateurs, suivant les
recommandations des synodes et conciles locaux, s’efforcent-ils d’apprendre les
langues indigènes et d’établir grammaires et autres lexiques. Ceci leur permet de
connaître leurs ouailles à travers leurs us et coutumes et de produire les manuels
nécessaires à leur apostolat dans les parlers locaux. De cette connaissance, il résulte
une nouvelle orientation de l’enseignement chrétien dans laquelle on évite autant que
possible de parler de la Trinité pour ne pas prêter le flan au polythéisme, et d’insister
sur la mort du Christ pour éviter d’évoquer les sacrifices humains.
36
Le rassemblement des Indiens en villages ou réductions avait pour objectif entre
autres de les préserver du contact avec les colons dépravés et de les soustraire à leur
funeste rapacité. Au Paraguay, cette option allait donner lieu pendant plus de cent
cinquante ans (1610-1768), à une expérience originale que l’histoire a retenue sous le
nom de République Communiste Chrétienne des Guaranis. Cette expérience menée
par les Jésuites rassembla une trentaine de réductions, soit environ cent cinquante
mille Indiens Guaranis en une espèce de nation libre.
Les Guaranis étaient à l’origine des populations nomades. Ils sont christianisés
et sédentarisés par les Jésuites dans ces réductions qui sont ici des villages chrétiens à
l’abri de l’exploitation coloniale, donc interdit d’accès aux colons espagnols. La
réduction qui a l’église en son centre est dirigée par une demi-douzaine de Jésuites
aidés par des fonctionnaires indiens subalternes. La vie communautaire est organisée
sur des bases chrétiennes et les exercices religieux rythment la journée.
En 1750, le traité dit des limites entre Espagnols et Portugais fait passer une
partie des villages sous le contrôle des seconds, signant ainsi leur arrêt de mort. C’est
le premier grand coup porté à cette organisation. Des Guaranis résistent quelque
temps, aidés par l’un ou l’autre Jésuite. Mais la suppression de la compagnie en 1768
en Espagne porte le coup de grâce à la République. En l’absence de ses initiateurs, le
système révèle vite des failles qui le font péricliter : les Jésuites n’ont pas pris le soin
de former de véritables responsables pour prendre leur relève. Cette carence s’avère
fatale.
La méthode des Jésuites ici est proche de celle des missionnaires de l’Amérique
espagnole. Ils étudient les langues indiennes pour pénétrer la mentalité de leurs
ouailles, la comprendre et orienter leur apostolat en conséquence, assurent la
37
juridiction aussi bien spirituelle que temporelle dans les villages chrétiens, mettent
l’accent sur la splendeur de la liturgie, affiche de la réticence à donner la communion
aux Indiens et leur refusent le sacerdoce.
Outre le petit nombre des missionnaires, les principaux obstacles à l’évangélisation
sont la question de la polygamie et celle de chasse aux esclaves menée par les colons
qui provoquent la fuite des Indiens vers les terres difficiles d’accès.
38
Interrompu en 1629 pour cause d’occupation de Québec par les Anglais,
l’apostolat des Jésuites devait reprendre à partir de 1632. Grâce à une revue paraissant
une fois l’an (Les Relations) qui raconte leur apostolat auprès des indigènes, ils
réussissent à susciter l’enthousiasme en métropole pour soutenir leur cause. La
démarche des Jésuites ici n’est pas différente de celle de leurs confrères d’Amérique
portugaise. Elle consiste essentiellement à suivre les Indiens dans leur pérégrination et
à tenter de les sédentariser dans des villages chrétiens. Sans être les seuls à l’avoir fait,
les Jésuites entreprennent d’apprendre les langues indiennes et y traduisent les
catéchismes et autres livres de prières dès 1630. S’il y a sur ce sujet un nom retenir,
c’est celui du père Jean-Baptiste de la Brosse, qui fut le premier à publier en 1767 un
livre entièrement écrit en langue indienne et imprimer sur place au Canada.
39
l’Angleterre a jeté les Indiens dans des luttes fratricides, ceux-ci n’ont cependant pas
été soumis au type d’exploitation que l’on a connu dans les terres ibériques.
Les terres françaises aux Antilles ont été pour ainsi dire rognées sur le domaine
espagnol. Il s’agit de la Guadeloupe (1635), de la Martinique (1635) et de Saint-
Domingue (Haïti 1665).
Le code Noir, promulgué par Louis XIV en 1685 oblige les propriétaires d’esclaves à
les évangéliser. Mais la plupart des colons sont indifférents ou franchement
antireligieux. Beaucoup se désintéressent de ce devoir ou s’y opposent
catégoriquement. Ce sont les Jésuites qui en règle générale prennent en main cette
annonce de la Bonne Nouvelle. Ils adoptent comme langue d’apostolat le créole et
s’efforcent d’organiser les esclaves en communautés dont ils assurent la préparation au
baptême avec l’aide de catéchistes Noirs formés par eux.
Les premiers sont des puritains connus sous l’appellation de Pères Pèlerins du
Mayflower. Débarqués au Massachusetts en 1620, ils s’adonnent dans un premier
temps au massacre des Indiens qu’ils déclarent race inférieure non choisie par Dieu.
L’un d’eux, un prédicateur du nom de John Eliott finit pourtant par s’adresser aux
indigènes. Il fonde une société missionnaire pour les évangéliser, apprend leur langue,
y traduit le Bible et rallie quelques milliers d’Indiens. Mais son œuvre est peu suivie
après sa mort en 1690.
40
En 1682, un quaker, William Penn, s’installe sur la rive du fleuve Delaware, à
l’est des Etats Unis. Il fonde ainsi la colonie à laquelle il donne son nom : la
Pennsylvanie où la liberté est garantie à tous.
De 1735 à 1738, John Wesley mène sans grand succès, un intense apostolat en
Géorgie. Il y rencontre les frères Moraves, des piétistes dissidents, spécialement voués
à la mission.
1. Généralités
D’un point de vue global, on peut dire que le système du patronat a moins bien
fonctionné en Amérique qu’en Afrique. Tel qu’il a été occupé à l’époque moderne, le
champ des missions d’Amérique forme une mosaïque qui reflète le climat même de
l’Europe résultant des crises de la Renaissance : affaiblissement de l’autorité
pontificale au profit de l’autonomie des monarchies absolues qui se forment alors,
oppositions entre les royaumes, guerres, fragmentation du tissu religieux, tout cela se
retrouve transporté en Amérique.
41
Il y a tout de même des ombres à relever dans la mission en Amérique. La
principale est l’absence totale de politique de formation d’un clergé indigène. L’erreur
commise en Afrique est ici répétée, qui dénote d’une volonté inavouée de tenir sous
tutelles des races dont l’Européen, au-delà de tous les discours, ne pouvait pas
s’empêcher de penser qu’elles étaient inférieures. C’est ce même sentiment qui
explique que les Jésuites n’aient pas trouvé judicieux de préparer des Guaranis à
prendre en mains leur propre destinée, toutes choses qui leur auraient peut-être permis
de conserver intactes, les structures et la vie de « leur république ».
Des Noirs ont transporté sur leur lieu de déportation, des résidus de religions
africaines qu’ils ont mêlés à des pratiques chrétiennes mal assimilées pour créer de
nouvelles religions syncrétistes. Chrétiens le jour, adeptes de pratiques occultes la nuit,
d’autres ont tout simplement continué à pratiquer la religion de leurs ancêtres, à l’insu
de leurs Maîtres et des missionnaires. L’exemple le plus typique est le Vaudou que
l’on retrouve désormais des deux côtés de l’Atlantique.
Les Indiens également ont dans leur grande majorité, facilement accepté la
religion chrétienne. En dehors de rares récalcitrants généralement traités avec
bienveillance par les pères – on ne guère que le cas du cacique Don Carlos de Texcoco
qui, pour avoir revendiqué pour les Indiens le droit à la différence, fut condamné
comme hérétique et concubinaire et mis à mort par l’Inquisition – les résistances sont
peu nombreuses et durent peu. Mais les Indiens qui acceptent le Christianisme le font
tout en conservant à l’insu des missionnaires, leur héritage religieux ancestral. Là où
les missionnaires ont cru détruire la religion du terroir en dressant des églises à la place
des temples païens, les Indiens voient une addition de dieux. Ils y célèbrent à la fois les
fêtes chrétiennes et leurs anciens dieux. Les missionnaires avaient pensé substitution,
les Indiens eux pensent cohabitation ou s’organisent par réseau clandestin pour
pratiquer la religion de leurs ancêtres. A Mexico par exemple, le Temple de Tonantzin,
la mère des dieux avait été remplacé par une énorme basilique dédiée à Notre Dame de
Guadalupe. En y vénérant la Vierge, les Indiens continuent de rendre leur habituel
culte à leur déesse locale. Ailleurs, sous couvert de la fête de l’Assomption, les Indiens
célèbrent pendant cinq jours d’anciennes divinités.
42
Lorsque les missionnaires et l’administration s’en rendent compte, ils activent
une répression particulièrement active au Pérou. Pris dans un premier temps (1568-
1580) en mains par l’autorité civile alors incarnée par le vice-roi Francisco de Toledo
pour qui l’éradication de la religion du terroir est une affaire d’Etat, cette lutte se fixe
pour objectif d’inculquer à tout prix la culture espagnole aux Indiens pour faire
disparaître totalement leur culture, qui est aussi le siège et le véhicule de leur religion.
Les livres qui décrivent la culture et le passé indiens sont détruits ou interdits de
publication. Une visite générale est menée dans tout le pays par des équipes formées
d’hommes d’Eglise et de laïcs pour pourfendre l’idolâtrie. Les Indiens sont contraints
d’abjurer la religion des ancêtres et d’accepter le baptême. En 1572, le dernier Inca,
Tupac Amaru est mis à mort dans le but d’extirper les derniers vestiges de la religion
du Soleil.
Introduction
I. Saint François-Xavier et le Japon
1. François-Xavier et ses « deux manières »
2. Le développement du christianisme au Japon.
3. Le déclin du Christianisme au Japon
II. Robert de Nobili et l’Inde
1. Les étapes de l’évangélisation de l’Inde
43
2. Les méthodes des évangélisateurs modernes
3. les difficultés
III. Mateo Ricci et la Chine
1. Les débuts de la mission en Chine
2. Les difficultés de la mission en Chine
3. La querelle des rites
IV. La Corée et l’Indochine
1. La Corée
2. L’Indochine
Conclusion
------------------------------
Introduction
Après quelques mois passés sur place, François Xavier descend sur les côtes de
l’Inde du sud. Il ne connaît pas la langue, la culture indienne encore moins. Mais ces
carences ne lui paraissent pas des obstacles majeurs. Quelques formules traduites et
apprises par cœur lui semblent largement suffisantes pour toucher l’âme indienne et
l’amener à embrasser la foi en Jésus-Christ. Il baptise à tour de bras des milliers de
personnes après une catéchèse des plus sommaires et des plus rapides. Content de lui-
même, il envoie en Europe, des lettres enthousiastes dans lesquelles il décrit ses
succès.
44
mission qui s’étend devant lui. En 1545, il est déjà loin de l’Inde à Malacca (Malaisie/
Thaïlande), en 1546 dans les Iles de la Sonde (Indonésie) où se termine la première
étape de sa mission. On désigne par le nom de première manière, la méthode
missionnaire de François Xavier dans cette première partie de son œuvre
d’évangélisation.
Ayant appris que la Chine est la source de la sagesse japonaise, il décide de s’y
rendre. Il y parvient, juste pour mourir d’avoir trop couru, le 3 décembre 1552.
45
Le principal organisateur de l’Eglise née de cette mission florissante au Japon
est un jésuite. Il s’appelle Alexandre Valignano. Arrivé à Macao en 1578 comme
visiteur des missions de l’Orient, il y reste avec ce titre jusqu’en 1606. Pour
promouvoir l’évangélisation dans ce pays, il opte pour la « deuxième manière » de
François-Xavier, c’est-à-dire pour l’adaptation. Il trace aux jésuites destinés au Japon,
un itinéraire qui leur évite tout contact avec d’autres qui ailleurs pratiquent la méthode
de la tabula rasa (Lisbonne – Goa – Macao ). En matière d’habillement, le traditionnel
coton européen est troqué contre la soie japonaise.
Les missionnaires invités à assimiler le Japon font un remarquable effort de
compréhension de sa culture. En évitant de la traiter comme inférieure à la culture
européenne et en cultivant la symbiose, ils assimilent le Japon et transmettent
l’Europe. Ils introduisent l’imprimerie ; traduisent des ouvrages dans les deux sens et
acquièrent une grande connaissance des religions du royaume.
Entre 1598 et 1614, le Japon détaché de l’évêché de Macao est administré par
un évêque jésuite, Mgr Cerqueira qui réside à Nagasaki. A sa mort, il laisse au Japon
quatorze prêtres dont sept religieux jésuites et sept séculiers. En outre, il a pourvu le
Japon en Dojukus, religieux non-prêtres, en Cambos ou chef de communautés, en
catéchistes et en responsables de confréries, tous ces ministres en nombre assez
important pour permettre aux communautés de prendre en mains leur vie chrétienne.
Les Jésuites ayant perçu chez les Japonais un goût particulier pour les
cérémonies, ils l’exploitent dans le domaine de la liturgie. A la moindre célébration, y
compris aux funérailles, ils donnent un grand faste ; ils mettent la poésie et le théâtre
religieux au service de la foi, initient et supervisent des activités caritatives comme le
soin des pauvres et des malades, confiées aux confréries chrétiennes.
46
En 1587, le régent, le général, Hideyoshi interdit par décret, la religion chrétienne.
Cette proscription est assortie d’un délai de vingt jours au bout desquels il est demandé
à tous les missionnaires de quitter le Japon.
Le décret n’est pas appliqué dans l’immédiat. Il ne le sera que dix années plus
tard dans des circonstances de conflits entre Européens.
Arrivés de Philippines, des Espagnols réclament en effet leur droit de commercer avec
le Japon et d’y prêcher la Bonne Nouvelle. Ils lancent sur le terrain de l’apostolat,
quelques franciscains qui se mettent à évangéliser selon la méthode de la table rase.
En 1597, un de leurs navires, chargé d’argent étant confisqué par les autorités
japonaises, ils les menacent des représailles de leur roi Philippe II. C’est alors
qu’Hideyoshi ressort le décret de 1587 et qu’il condamne à mort sur cette base, six
franciscains, trois frères jésuites japonais et dix-sept laïcs chrétiens qui périssent
crucifiés à Nagasaki le 5 février 1597.
Ces événements qui n’ont pas de suite immédiate font cependant éclater au
grand jour les divisions entre Européens. Non seulement les Espagnols veulent
supplanter les Portugais dans le commerce, mais en plus, là où les seconds s’étaient
contentés d’activités lucratives, les premiers rêvent de conquête. Par ailleurs, l’entrée
en scène de Hollandais et d’Anglais vient compliquer davantage la situation.
Protestants, ces nouveaux venus s’efforcent de discréditer les puissances catholiques
aux yeux de leurs hôtes qui dès lors ne sont plus fascinés par le Catholicisme comme
base du progrès technique européen.
47
Nouvelle. Avant lui, l’Inde avait déjà entendu l’Evangile dès le premier siècle de notre
ère. En outre , des religieux d’occident y avait séjourné au XIVème siècle.
En 1605, le jésuite Robert de Nobili arrive en Inde du sud. Son entrée en scène
va peu à peu modifier les perspectives de l’évangélisation dans cette contrée.
Le Père Nobili, italien, de famille aristocratique, est né en Toscane en 1577. Envoyé au
Maduré, centre intellectuel du brahmanisme, dans le sud de l’Inde, où il demeurera
plus d’un demi-siècle, il ne tarde pas à se rendre compte que de nombreuses difficultés
de ses devanciers portugais sont dues à leur mauvaise connaissance de la langue locale
et à la confusion que leur comportement laisse faire entre le Christianisme et le mode
de vie européen. Il adopte donc la méthode de l’adaptation.
48
volontairement renoncé aux avantages du monde. Ainsi assimilé à un membre de la
caste des brahmanes, il adopte l’habillement des sannyassi : robe jaune, socques,
cordon brahmanique. Il apprend le tamoul et le sanscrit, s’initie à la philosophie
indienne dont il s’efforce d’extraire les correspondances avec le Christianisme pour les
utiliser dans son apostolat.
Ainsi armé, Nobili ne prêche pas en public. Il attend que l’on sollicite une
entrevue ou un entretien pour le faire. Aux convertis, il n’impose pas de rejeter toute
leur culture et de rompre toutes leurs attaches traditionnelles. Lors des baptêmes, il
supprime certains rites secondaires qui répugne aux Indiens.
3. Les difficultés
Les difficultés dans l’évangélisation de l’Inde ne sont pas venues d’abord de
l’hostilité des autochtones mais de conflits entre Européens.
A la fin du XVIème siècle en effet, le Portugal, en tant qu’empire maritime commence
à décliner. Au XVIIème siècle, Hollandais, Anglais, Danois et Français profitant de ce
déclin devenu irrémédiable, se partagent les dépouilles orientales du royaume ibérique
qui n’a plus rien d’une grande puissance. Quoique ne possédant plus les moyens de
contrôle sur son domaine, le Portugal continue de s’agripper à Goa sans vouloir
renoncer à aucune des prérogatives du Padroado. Commence alors un long conflit
avec le Saint Siège qui aboutit à une rupture des relations diplomatiques pendant trente
années (1640-1670).
49
III. Mateo Ricci et la Chine
Durant ce périple, pour gagner des Chinois à l’Evangile, Ricci croit d’abord
judicieux de s’assimiler à un bonze bouddhiste. Il y renonce rapidement, s’étant aperçu
que ces personnages ne sont pas très estimés du peuple et notamment des lettrés,
disciples de Confucius qui eux par contre, forment une classe incontournable. Ayant
pris un nom chinois, Li-ma-tou, il se présente comme un lettré venu d’Occident et
adopte toutes les civilités locales.
Grâce à sa connaissance de la langue et de la culture chinoises, il compose des écrits
qui lui valent l’estime, la sympathie et l’amitié des lettrés. Il en profite bien entendu
pour faire connaître le Christianisme. Par ailleurs, il fabrique des mappemondes,
traduit des traités de Mathématiques en chinois, usant de tout cela comme de moyens
d’intéresser le peuple à sa religion.
A l’intention des lettrés, il compose une présentation en chinois du dogme catholique ;
il établit des rapprochements entre le Christianisme et le Confucianisme qu’il valorise
aux dépens du Taoïsme et du bouddhisme qui sont plutôt des courants populaires de la
religion chinoise. Il considère que l’on peut fort bien être chrétien et pratiquer le
Confucianisme, celui-ci n’étant pas une religion mais une philosophie.
Au total, la mission de Ricci n’a pas fait beaucoup de convertis : à peine deux
mille fidèles dont plusieurs mandarins dispersés le long de son parcours de Zhaoquing
50
à Pékin lorsqu’il meurt en 1610. Mais son action a ouvert l’intérieur de la Chine à la
pénétration du Christianisme désormais toléré.
Enfin, les pères Valignano et Ricci, avaient admis des Chinois dans la
compagnie mais le général jésuite refusait leur ordination alors même qu’il était
impensable de créer un séminaire pour former des prêtres séculiers. Un établissement
d’éducation dirigée par de Européens n’aurait jamais été accepté par les lettrés et de
toutes les façons, il paraissait inconcevable que des parents confient leurs enfants à ce
type d’école. A défaut d’avoir des jeunes, Le père Longobardo pense à enrôler des
veufs. Mais il les trouve tous trop vieux pour apprendre le latin.
51
bientôt, lorsqu’à la suite d’une querelle entre différents groupes de missionnaires, la
querelle dite des rites, l’empereur interdit en 1707 l’accès de son empire à tout
missionnaire non muni d’une autorisation spéciale. En 1724, Kang-Hi étant mort en
1722, le Christianisme est proscrit. Commence alors une longue persécution qui se
corse en 1745. En dehors des jésuites qui se maintiennent à Pékin mais uniquement
pour le travail scientifique, l’Eglise entre dans la clandestinité. A partir de 1784,
malgré la systématisation de la persécution, quelques communautés sporadiques se
maintiennent jusqu’à la réouverture forcée de la Chine en 1842, soutenus par le travail
clandestin de missionnaires européens et de quelques prêtres autochtones.
52
En 1645, le dominicain Moralez soumet la question à Innocent X en ces
termes : « les chrétiens ont-ils le droit d’honorer les idoles ? » La réponse du pape est
évidemment négative et elle condamne du même coup les rites chinois. En 1655, le
jésuite Martini relance la question sous une autre forme : « peut-on rendre à
Confucius, des honneurs purement civiques ? » La réponse d’Alexandre VII est cette
fois, positive. Désormais muni d’une caution papale, chaque camp croit pouvoir agir
en toute légalité. La situation reste inchangée jusqu’en 1668 où en assignant vingt-trois
missionnaires à la résidence surveillée à Canton ( dix-neuf jésuites, trois dominicains
et un franciscain, Kang-Hi les contraint à la cohabitation. Ils arrivent après de longues
discussions à signer un accord pour unifier leur conduite. Mais l’accord est bientôt
modifié de façon unilatérale par le visiteur jésuite de Macao. Furieux, les dominicains
contre-attaquent. Par la plume d’un des leurs, le père Navarrete, ils mènent en Europe
une campagne qui retourne l’opinion chrétienne et les ordres missionnaires contre les
jésuites. A l’issue de mille et une péripéties, l’affaire, instruite par le Saint Office se
solde le 20 novembre 1704 par la condamnation des rites indiens et chinois par le pape
Clément XI. La condamnation signifiée aux missionnaires des Indes en juin de la
même année et à ceux de la Chine en décembre 1705 sera solennellement publiée,
assortie de sanctions en 1715 par la constitution Ex illa die.
Plutôt que de suivre la décision pontificale qui les aurait exposés au courroux de
l’empereur lui-même furieux de l’ingérence de Rome dans des affaires intérieures
chinoises, les jésuites de pékin préfèrent cesser toute activité. Contraint de trouver un
compromis pour ne pas ruiner les acquis de la mission en Orient, le pape envoie un
légat avec le pouvoir d’accorder quelques dérogations discrètes. Le légat Mezzabarba
arrivé à Macao en 1720 rencontre l’hostilité des Jésuites et l’opposition de l’empereur.
Il quitte la Chine n’accordant que quelques permissions dont il rend d’ailleurs l’usage
facultatif. Résultat, c’est le comble de la confusion : les missionnaires se divisent entre
partisans et adversaires de l’usage des permissions. En 1742, Benoît XIV annule les
permissions par la bulle Ex quo. Les rites chinois sont ainsi interdits parce que jugés
mauvais. Pour les rites malabars, les jésuites missionnaires en Indes avaient demandé
et obtenu une suspension de la décision romaine. Ils subiront le même sort par une
condamnation définitive en 1744.
1. La Corée
La Corée était un royaume vassal de la Chine à l’époque où le Christianisme
était réprimé dans l’empire. Il est probable qu’à cette époque-là quelques coréens se
soient déjà convertis à la religion du Christ au Japon. Mais c’est la rencontre avec les
missionnaires de Chine qui sera déterminante pour l’implantation du Christianisme en
Corée. Cette implantation se fait en plusieurs étape.
53
Chaque année en effet, dans le cadre des relations qui lient les deux Etats, une
ambassade coréenne se rend en Chine pour renouveler à l’empereur l’allégeance du
roi. Entrés en contact avec les jésuites au cours de ces voyages, quelques membres des
délégations s’intéressent à leur science. Par eux, le Christianisme pénètre en Corée,
particulièrement dans le milieu des lettrés. Mais alors, quoique certains soient allés
jusqu’à l’abandon du culte des ancêtres pour l’embrasser, la plupart de ceux qui
l’accueillent le considèrent non pas comme une religion mais comme une philosophie
semblable au Confucianisme.
2. L’Indochine
Le nom d’Indochine est celui par lequel on désigne l’ensemble des territoires
situés entre l’Inde et la Chine. L’Indochine comprend le Myanmar (Birmanie), le Laos,
la Thaïlande (Siam), le Cambodge, du Viêt-Nam (Annam + Tonkin + Cochinchine) et
la partie continentale de la Malaisie. Les autres contrées étant déjà visitées par le
Padroado, c’est surtout au Viêt-Nam que s’est développée la mission en cette période.
C’est un peu après leur installation à Malacca en 1511 que les Portugais entrent
en contact avec l’Indochine par le Siam dont ils essaient en vain de convertir le
souverain. La mission a-t-elle aussitôt commencé dans les autres territoires ? On ne
saurait le dire de façon exacte. Mais on peut le penser puisqu’en 1533 déjà un édit
interdit le Christianisme au Tonkin.
54
ces territoires sont en général, peu fréquentés par les navires portugais. D’une façon
générale, les choses se passent de la façon suivante : une fois par an, un navire en
provenance de Macao accoste au Viêt-Nam qui apporte des présents aux souverains du
Tonkin et de la Cochinchine. Les missionnaires en profitent et restent sur place,
souvent de façon clandestine. Expulsés une fois découverts, ils reviennent à Macao
puis recommencent l’aventure à la première occasion.
Parmi les jésuites qui se sont ainsi illustrés dans l’évangélisation du Viêt-Nam,
se détache la figure du père Alexandre de Rhodes (1593 – 1660). Français,
Mathématicien destiné à la mission au Japon, il ne peut y entrer en 1623. Il s’installe à
Macao d’où pendant vingt ans (1625 – 1645) d’expulsions en retours, il se consacre à
l’évangélisation du Viêt-Nam.
De 1625 à 1630, il séjourne à Hué et à Tourane en Cochinchine où il apprend la langue
puis à Hanoï au Tonkin où il fonde une mission et battit une Eglise. Pour ce premier
séjour, c’est le baptême des mourants qui lui vaut d’être expulsé. Accusé de détenir
une eau mortelle qui va dépeuple le royaume, il est contraint d’abandonner sa mission.
Il reste alors à Macao où pendant dix années, il enseigne la théologie, prenant des
nouvelles de sa mission par les missionnaires qui se rendent au Viêt-Nam et
maintenant les liens avec elle par une correspondance suivie avec les catéchistes qu’il
a formés et institués. De 1640 à 1645, il retourne trois fois en Cochinchine où une
opposition de plus en plus forte se développe contre le Christianisme. En 1645, alors
que des chrétiens ont déjà été martyrisés pour leur foi, Rhodes est banni sous peine de
mort. Il ne revient plus au Viêt-Nam mais envoyé comme procureur de l’ordre en
1649, il poursuit son combat par de nombreux écrits et par une campagne en faveur
des 300 000 chrétiens qu’il affirme avoir laissés sur place. Il mourra finalement en
Perse.
55
parmi les catéchistes mais il fallait des évêques pour les ordonner et Rhodes souhaite
que le Saint Siège nomme des vicaires apostoliques pour le Viêt-Nam. La Propagande
laissant traîner les choses, c’est en France qu’il trouve une oreille attentive à sa
sollicitation.
Conclusion
56
A cette première cause, il faut ajouter l’affaiblissement des puissances
catholiques sur les mers au profit des puissances protestantes. Au XVIIIème siècle, la
prépondérance des royaumes ibériques n’est plus qu’un lointain souvenir. Désormais
ce sont les Anglais qui dominent, suivis de loin par les Hollandais et les Danois. Ce
sont donc aussi les protestants qui s’investissent de plus en plus dans la mission.
La troisième cause est la suppression de la Compagnie de Jésus. Instrument du
Saint Siège pour accomplir toutes formes de tâches et de missions, la Compagnie a été
mêlée à plusieurs affaires et notamment à d’innombrables controverses théologiques.
Elle s’est ainsi fait beaucoup d’ennemis. Son implication en outre dans la sphère de la
haute politique des nations devait renforcer cette hostilité et aboutir à son interdiction
pure et simple. Supprimée en 1759 au Portugal, en 1764 en France et en 1767 en
Espagne, elle devait l’être définitivement en 1773 par le pape Clément XIV. Ce
faisant, le Saint Siège a perdu d’immenses domaines missionnaires tenus par les
membres de la Compagnie et privé la mission catholique d’une main d’œuvre
abondante et efficace.
Enfin, il faut noter l’échec relatif de la Propagande qui, créée en 1622 pour
prendre en mains l’organisation de la mission, n’a jamais réussi durant les trois siècles
des Temps modernes à en arracher le monopole aux patronats ni même à réunir assez
de fonds et de personnel pour s’imposer sur le terrain. D’ailleurs, à la fin du XVIIIème
siècle, elle est neutralisée par la Révolution puis par l’Empire qui a mis des entraves à
son bon fonctionnement.
57
Deuxième partie
58
5. La réorganisation au Saint Siège des services en charge de la mission
II. Les facteurs profanes et l’organisation pratique de la mission
1. Les facteurs profanes
2. L’organisation pratique de la mission
Conclusion
-------------------------
Introduction
2. Le romantisme missionnaire
Le premier de ces facteurs est sans doute le romantisme missionnaire dont
l’ambiance a été initiée par le Génie du Christianisme publié en 1802 par
Chateaubriand, à la faveur de la restauration de la paix religieuse. L’écrivain exalte
dans son ouvrage, le passé du Christianisme et l’œuvre des missionnaires qui, écrit-
59
il, vont « au gré d’une impulsion sublime, humaniser le sauvage, instruire l’ignorant,
guérir le malade, vêtir le pauvre et semer la concorde et la paix parmi des nations
ennemies… Jamais, ajoute plus loin Chateaubriand, des savants dépêchés aux pays
lointains avec les instruments et les plans d’une Académie ne feront ce qu’un pauvre
moine parti à pied de son couvent, exécutait seul avec son chapelet et son bréviaire.»
Ce livre suscite dans une large opinion, un intérêt nouveau pour la mission et la
littérature missionnaire.
60
Toute cette sensibilisation aboutit globalement à la fin du premier quart du
XIXème siècle à une prise de conscience aiguë du salut « des peuples assis dans les
ténèbres et l’ombre de la mort », exposés à ce que les catholiques considéraient alors
comme un péril encore plus grand : ‘l’hérésie protestante’ largement en avance sur le
terrain. C’est le ferment des vocations missionnaires, favorisées en outre par
l’adhésion massive de l’épiscopat à partir des années 1835-1836. Il faut ajouter cette
autre motivation, triviale peut-être, mais déterminante tout de même dans nombre de
vocations : pour de nombreux fidèles, clercs et laïcs, s’occuper de la mission ou s’y
engager, c’était aussi un moyen efficace de faire leur propre salut. Ces paroles d’un
missionnaire des MEP à la veille de son départ pour l’Extrême-Orient en 1824 en
disent long sur cet état d’esprit : « Pour moi, plus je vis, plus je me relâche et deviens
lâche tous les jours. Si les Chinois chez qui je vais entrer pouvaient me couper la tête
et me pendre, cela arrangerait bien mes affaires. »
61
Les derniers facteurs à prendre en considération sont profanes. Il s’agit des
progrès de la navigation et des explorations.
De plus en plus de navires troquent au XIXème siècle, leurs voiles contre des moteurs
à vapeur. La durée du voyage en est raccourcie. L’ouverture du canal de Suez en 1869
renforcera ce gain de temps spécialement pour les voyages en direction de l’Orient.
Quant aux explorations que certains historiens considèrent comme « l’un des plus
grands faits du monde dans l’histoire du XIXème siècle », elles ouvrent à l’Occident
les portes du cœur de l’Afrique et permettent ainsi la pénétration des troupes
coloniales. Celles-ci à leur tour rendent possible par la ‘pacification’, l’arrivée des
missionnaires.
62
L’entreprise de la mission elle-même sera le fait de sociétés et de congrégations
missionnaires d’origines et d’inspirations diverses dont cette liste chronologique non
exhaustive donnera une idée :
- 1806, Religieuses de saint Joseph de Cluny d’Anne Marie Javouhey, devenues
missionnaires en 1817.
- 1816, Oblats de Marie Immaculés de Mgr Mazenod, missionnaires à partir de
1841.
- 1817, Frères de l’instruction chrétienne de Ploërmel de Jean–Marie de
Lamennais, missionnaires à partir de 1836.
- 1835, Pères Pallotins issus de la pieuse société des missions, fondée la même
année par Vincent Marie Palloti en Italie.
- 1841, Missionnaires du Saint Cœur de Marie de François Libermann qui
fusionne en 1848 avec la congrégation du Saint-Esprit.
- 1856, Société des Missions Africaines de Lyon de Mgr Melchior de Marion
Brésillac.
- 1860/1862, Pères du Cœur Immaculé de Marie de Scheut en Belgique.
- 1866, Société des Missions Etrangères de Mill Hill du Cardinal Vaughan en
Angleterre.
- 1867, Société des Missions Etrangères de Vérone de Daniel Comboni.
- 1868, Missionnaires d’Afrique ou Pères Blancs du Cardinal Lavigerie.
- 1869, Sœurs missionnaires de Notre Dame d’Afrique ou Sœurs Blanches du
Cardinal Charles Lavigerie.
- 1876, Sœurs de Notre Dame des Apôtres du père Augustin Planque.
A ces nouvelles maisons missionnaires, il faut ajouter les ordres anciens qui
reprennent du service : dominicains, jésuites, franciscains, Missions Etrangères de
Paris, Lazaristes…
Conclusion
Introduction
I. Les papes de l’époque contemporains et la question des missions
1. Objectifs et programme de la mission
2. Recommandations relatives aux méthodes et à la vocation missionnaire
II. La Sacrée Congrégation pour la Propagande de la Foi et ses directives
63
1. La Sacrée Congrégation de Propaganda Fide et sa mission
2. Les principes missionnaires de la Propaganda Fide selon Lo sviluppo,
Quod Efficacius et Quum Huic
Conclusion
---------------------------
Introduction
Après l’expérience des conflits engendrés par les patronats ibériques, l’Eglise,
instruite des leçons tirées des trois siècles de missions modernes, entreprend de
recentrer son engagement missionnaire à partir du XIXème siècle, afin de mieux le
maîtriser. C’est dire qu’une réflexion intense s’est amorcée et poursuivie au sein de la
Sacrée Congrégation de Propaganda Fide créée depuis 1622 pour palier les
insuffisances des royaumes ibériques. Outre cette réflexion, six papes se sont succédés
à la tête de l’Institution catholique, de cette période à celle des indépendances qui a vu
émerger peu à peu une hiérarchie africaine aux commandes de l’Eglise du continent :
Léon XIII (1878-1903), Pie X (1903-1914), Benoît XV (1914-1922), Pie XI (1922-
1939), Pie XII (1939-1958) et Jean XXIII (1958-1963). Tous se sont intéressés à la
question des missions en général et à celle de la mission en Afrique en particulier. Et
la plupart ont laissé des écrits de grande valeur qui constituent la base de la conception
pontificale de la mission que nous voulons dégager ici.
64
- Agir sur les coutumes pour améliorer la condition des défavorisés et notamment
de la femme.
- Faire appel en cas de besoin à des instituts spécialisés tout en créant
opportunément des congrégations indigènes d’hommes et de femmes.
Le succès de la mission dépend d’une certaine conduite à tenir. Benoît XV, Pie
XI et Pie XII insistent tous les trois sur le devoir du missionnaire d’éviter toute forme
de nationalisme. Pie XII qualifie ce sentiment de malédiction, de fléau pour la mission.
Le nationalisme, dit-il, finit toujours par causer de grands dommages. Le missionnaire
par ailleurs est invité à éviter de s’adonner aux affaires séculières, suivant la parole de
saint Paul à Timothée : « La racine de tous les maux, c’est l’amour de l’argent. Pour
s’y être livrés, certains se sont égarés loin de la foi et se sont transpercés l’âme de
tourments multiples. Pour toi homme de Dieu, fuis ces choses. Recherche la justice, la
piété, la foi, l’amour, la persévérance, la douceur. » (1Tim 6, 10-11) et la
recommandation du Christ : « Nul ne peut servir deux maîtres. » (Mt 6, 24)
Une dernière recommandation des papes s’adresse aux instituts. Elle les invite à
cultiver l’unité entre les différentes maisons présentes sur un territoire donné. Suivant
les termes de la dernière prière de Jésus (Jn17, 22), les missionnaires doivent
rechercher l’union des pensées, des cœurs et des volontés en vue d’un apostolat
fructueux.
65
II La Sacrée Congrégation pour la Propagation de la foi et ses
directives
66
lesquels, prenant appui sur les abus du système des patronages, il dégage les principes
essentiels qui devaient par la suite orienter les actions de la nouvelle congrégation. Ces
principes sont les suivants :
- l’établissement du caractère supranational et apolitique des missions.
- L’adaptation au caractère particulier des peuples à évangéliser.
- Le refus des méthodes de contrainte dans les missions.
- Le recrutement et la formation du clergé autochtone.
Toutes les directives qui par la suite émaneront de la SCPF s’inscriront dans la ligne
de ces principes. Un certain nombre de textes datent de notre période. Ce sont entre
autres et principalement le décret ‘ Lo Sviluppo’ publié en 1923 et les instructions
‘Quod Efficacius’ et ‘Quum Huic’ parues respectivement en 1923 et en 1929.
* Sur la langue :
- Se garder du désir de répandre sa langue maternelle parmi les indigènes afin de
ne pas passer pour plus préoccupé des intérêts de sa nation que du salut des
âmes.
- Avoir soin d’apprendre la langue des populations auxquelles on est envoyé.
C’est dans cette langue que doivent être dispensés sermons, exhortations
67
publiques dans les écoles et assemblée afin d’être utile à tous, écouté et compris
de tous.
- Interdiction absolue au missionnaire d’encourager de quelque manière que ce
soit, les indigènes à se servir en confession d’une langue autre que la leur.
* Sur les us et coutumes ecclésiastiques :
- Eviter toute tentative d’introduire parmi les indigènes, les lois et usages
particuliers de l’Eglise de sa patrie personnelle comme si l’on voulait que ces
particularités deviennent la règle générale.
- Veiller au contraire à ce qu’en toute chose et partout, ce soit la discipline en
vigueur dans l’Eglise universelle qui soit introduite et observée.
* Sur les relations avec les pouvoirs publics :
- Quel que soit le régime de l’autorité civile en place, ne pas manquer d’exhorter
les populations à obéir aux pouvoirs publics et à leur être soumises. Qu’en la
matière, le missionnaire soit pour tous un exemple, pourvu que les lois soient
honnêtes et pas hostiles à la religion.
- S’efforcer de rester absolument neutre entre les partis.
* Sur la question du nationalisme:
- Bannir toute idée de préparer la voie parmi les indigènes, à une pénétration
politique de sa nation, afin de ne pas passer pour rechercher le bien de sa patrie
terrestre et non celui de Jésus Christ et du royaume céleste.
- Ne jamais, en conséquence, se mêler des intérêts politiques de sa nation ni de
ceux d’une quelconque autre mais avoir constamment et exclusivement devant
les yeux, le suprême et saint commerce des âmes à gagner et de la gloire de
Dieu à répandre de toutes ses forces.
- S’abstenir de provoquer et de favoriser le commerce avec sa propre patrie ou
avec d’autres.
* Sur les publications :
- Observer attentivement le canon 1386 qui interdit aux clercs séculiers et réguliers
de publier sans la permission de leur supérieur, des ouvrages profanes, de rédiger
des journaux et des périodiques, particulièrement sur les questions politiques.
- Les publications missionnaires doivent laisser transparaître qu’elles se consacrent
uniquement à l’extension du royaume de Dieu et non à la grandeur de leur nation.
Après Quod Efficacius, le texte majeur qui retient l’attention est Quum Huic.
Cette autre instruction vise à répondre d’une façon globale et définitive aux questions
de juridiction ainsi qu’aux conflits d’autorité entre chefs de missions (Préfets et
Vicaires apostoliques) et supérieurs régionaux des instituts missionnaires. La SCPF y
donne les précisions suivantes : tout institut au service de la mission doit s’en tenir
strictement au mandat donné par l’Eglise, c’est-à-dire à l’objectif qui lui a été fixé, à
l’exclusion de tout autre but. Ses membres doivent se rappeler qu’une région confiée à
leur sollicitude pastorale n’est pas un domaine acquis sans retour. L’Eglise en garde la
responsabilité. Aussi le personnel engagé sur le terrain et notamment les chefs
dépendent-ils pour ce qui relève de la mission, non de leur institut mais du Saint Siège.
En conséquence, tout en restant unis au supérieur de leur famille religieuse, ils sont
tenus de suivre en ce qui concerne leur mission, non pas les directives de leur ordre
mais celles du Siège Apostolique.
68
Pour ce qui regarde la gestion des territoires de mission, toute l’organisation, les
moyens humains et matériels sont sous la responsabilité des chefs. Ceux-ci veilleront à
favoriser la collaboration avec d’autres instituts d’hommes et de femmes si le bien de
l’Eglise l’exige.
Par ailleurs, il est important de distinguer entre l’autorité des chefs de missions
et celle des supérieurs régionaux. Les premiers commandent aux missionnaires dans
leur apostolat, les seconds, en tant que membres d’un institut donné ou en tant que
religieux. Mais cette distinction ne dispense pas les deux autorités de cultiver autant
que possible l’entente mutuelle, le respect des domaines respectifs restant la règle d’or
pour éviter toute forme de collision des pouvoirs.
Quoiqu’il traite d’un cas particulier à savoir l’attitude à tenir face à des
pratiques provenant de rites traditionnels japonais, un autre texte mérite qu’on y prête
attention parce qu’il rappelle et pose des principes applicables à d’éventuels cas
similaires. Il s’agit d’une instruction du cardinal Pierre Fumasoni Biondi, préfet de la
SCPF, adressée au délégué apostolique de Docléa au sujet de rites shintoïstes prescrit
au Japon comme devoir patriotique : « Il est utile, écrit le prélat, de se rappeler les très
sages principes que la Sacrée Congrégation formulait dès 1659 dans ses instructions
aux missionnaires, savoir : ‘Ne poussez nullement et ne cherchez d’aucune façon à
persuader ces peuples de changer leurs rites, traditions et coutumes, à moins que ces
choses ne soient de toute évidence, contraires à la religion et à la morale. La foi ne
rejette et ne condamne les rites et traditions d’aucun peuple, à moins qu’ils ne méritent
réprobation ; au contraire elle veut qu’on les défende et qu’on les protège.’ Les
missionnaires sont par conséquent invités à respecter ces pratiques sous peine de
s’exposer à la haine et à l’aversion des peuples et de fermer les cœurs à la Bonne
Nouvelle. Ceux mêmes (les usages) qui méritent d’être réprouvés, c’est par la réserve
et le silence qu’il faut les combattre, plutôt que par les paroles, en profitant , pour les
déraciner peu à peu et sans trouble, des circonstances favorables qui se présentent
quand les esprits sont disposés à recevoir la vérité »
69
3. Qualités et dispositions du bon missionnaire selon la père François
Libermann
III. La Société des Missions Africaine de Lyon
1. La Société des Missions Africaines
2. Les objectifs de la mission selon Mgr de Marion Brésillac
3. Qualités, vertus et devoirs du bon missionnaire selon Mgr de Marion
Brésillac
IV. Les Pères Blancs
1. la Société des Missionnaires d’Afrique
2. La mission en Afrique selon le cardinal Lavigerie
3. Les dispositions du missionnaire selon le cardinal Lavigerie
Conclusion
--------------------------
Introduction
Après l’échec des missions modernes, ce sont les missions contemporaines qui
ont donné naissance à l’Eglise d’Afrique. Plusieurs instituts missionnaires ont pris part
à l’accouchement de cette Eglise qui en est encore à se forger une identité et à chercher
sa voie. Toutefois, trois se détachent du lot. Il s’agit de la congrégation du Saint Esprit,
de la Société des Missions Africaines et de celle des Missionnaires d’Afrique plus
connus sous le nom de Pères Blancs. C’est à ces trois maisons que nous nous
intéresserons dans le présent chapitre. Ce choix est motivé par le fait que ces instituts
se sont dès le départ, donné pour vocation d’évangéliser exclusivement l’Afrique et
même l’Afrique noire pour les deux premiers.
Les Pères du Saint-Esprit ont été les premiers à prendre pied sur le continent
en 1843, au Libéria plus précisément après une escale sur l’île de Gorée. Monseigneur
de Marion Brésillac et ses premiers Pères des Missions Africaines devaient leur
emboîter le pas en 1859. Eux ont débarqué en Sierra Leone. Les Pères Blancs du
Cardinal Lavigerie, créés en 1868 sur la terre d’Afrique ont, quant à eux, commencé
leur mission à partir de 1876. En adaptant les instructions de la SCPF au cas spécifique
du continent, au charisme et au caractère propre qu’il entendait imprimer à son institut,
chaque fondateur a bien entendu tracé une ligne de conduite à ses missionnaires. Ce
sont les éléments de ces différentes lignes de conduite qui constituent ce que nous
appelons ici leur doctrine missionnaire.
Les ordres religieux et les instituts engagés dans la mission au XIXème siècle
sont innombrables même si l’on se borne à compter uniquement ceux qui ont été
enrôlés par la SCPF après sa création. Se limiter à n’étudier que la doctrine
70
missionnaire des sociétés qui ont évangélisé l’Afrique serait déjà un travail fastidieux.
Leur nombre est encore trop grand. Nous reproduisons ici pour en donner une idée, un
tableau et une carte réalisés en 1985 par la revue Vivante Afrique des Pères Blancs. On
y cite rien que pour le XIXème siècle et le début du XXème (de 1844 à 1914 soit 70
ans) vingt-deux instituts et pas moins de soixante-huit têtes de pont fondées. Et la liste,
signalons-le, n’est pas exhaustive :
71
38 1885 P Blancs Congo belge
39 1885 P du St-Esprit Niger Inférieur
40 1887 P du St-Esprit Lunda (Oubangui)
41 1888 P de Scheut Congo belge
42 1888 Bénédictins Dar Es-Salaam
43 1889 P de Lyon Niger Supérieur
44 1889 P Blancs Shire (Nyassa)
45 1890 P Pallotins Cameroun
46 1891 P de Scheut Kasal (Congo belge)
47 1892 P Jésuites Kwango (Congo belge)
48 1892 Mère du Verbe Divin Togo
49 1894 P Blancs Soudan occidental
50 1894 Trappistes Congo belge
51 1894 P de Marianhill Nil supérieur
52 1895 Rédemptoriste Congo belge
53 1995 P Blancs Bangweulu
54 1895 P Blancs Tombouctou
55 1896 P Oblats de Marie Imm. Angola
56 1896 Lazaristes Madagascar
57 1897 P du St Cœur Stanley-Falls
58 1898 Prémontrés Uélé
59 1898 P du St-Esprit Madagascar
60 1899 Rédemptoristes Matadi
61 1900 P Blancs Ruanda
62 1902 P de Marianhill Maschuanaland
63 1903 Monfortains Shire
64 1905 P de Mill-Hill Congo belge
65 1906 P de Lyon Libéria
66 1911 Capucins Oubangui
67 1911 Dominicains Uélé oriental
68 1914 Bénédictins Katanga
72
En vagues successives, les missionnaires pénètrent jusqu’au cœur du continent noir
73
auprès des âmes les plus nécessiteuses et les plus abandonnées. Ces peuples les plus
négligés dans l’Eglise, c’était à l’époque, les Noirs d’Afrique dont on était encore à se
demander trois siècles auparavant, à la controverse de Valladolid, s’ils avaient en eux
quelque chose d’humain. Libermann décide donc de vouer exclusivement sa fondation
missionnaire à leur évangélisation jusqu’à ce que leur condition change entièrement.
74
n’obligera personne à se convertir ni même à rester dans l’Eglise. Il saura au contraire
s’adapter au niveau des gens qu’il rencontre, s’efforcer de gagner leur affection et leur
confiance et se dévouer à eux corps et âme. Ceci dit, le missionnaire aura soin d’éviter
de s’infliger des mortifications excessives, de se soumettre à une austérité exagérée,
d’imprimer à son action un zèle trop ardent au risque de ruiner sa santé. Ce n’est pas le
martyre mais le salut des âmes qu’il faut rechercher dans la mission. Et Libermann
propose des moyens pastoraux à mettre en œuvre pour atteindre ce but :
1. La mission : ce nom générique désigne une succession de prédications,
d’instructions, de catéchèses et autres exercices spirituels de dévotion à
dispenser en une station donnée.
2. Les ministères de proximité que sont les retraites et les carêmes ouverts.
3. La formation du clergé indigène. C’est un devoir pour le missionnaire
de former des prêtres parmi les natifs du pays où il arrive. Libermann
prescrit de ne ménager à cet effet, aucune peine ni aucun sacrifice pour
lever, non une troupe de subalternes mais susciter des confrères égaux à
tout point de vue à leurs formateurs.
75
et prospérer c’est selon le prélat, d’y établir un clergé local à tous les degrés de la
hiérarchie. Le missionnaire, dans cette conception des choses, est juste un accessoire à
l’œuvre de sanctification des âmes, appelé à céder ses établissements aux confrères
indigènes, ses égaux, qu’il aura formés. Il doit considérer comme une bénédiction de
voir son œuvre reprise en mains par un clergé local et de pouvoir courir ailleurs pour
fonder d’autres églises. Mgr de Marion Brésillac considère d’ailleurs que « le titre de
missionnaire devrait être aussi rare qu’il est commun. » Sacrifier sa position naturelle,
quitter son pays et se consacrer à l’œuvre des pays plus ou moins infidèles ne suffit pas
pour mériter cette appellation. « Le missionnaire, c’est un homme envoyé soit par
l’évêque soit par le souverain pontife pour s’occuper extraordinairement de la partie du
ministère apostolique à laquelle ne suffisent presque jamais les efforts, quelques
grands qu’ils soient du ministère ordinaire. » Les qualités que cette tâche exige sont
grandes et nombreuses. Elles vont des dispositions intérieures aux aptitudes
intellectuelles. Ainsi, le missionnaire doit être un homme détaché qui sache se
dépouiller de sa patrie pour être entièrement au service de l’Eglise. Il doit être cultivé,
versé en théologie et en droit pour saisir les nuances et porter des jugements
perspicaces. La justesse et l’efficacité du ministère en dépendent.
La culture intellectuelle est d’autant plus importante que dans les pays de mission où il
est souvent impossible de trouver des experts à consulter, l’étude est le seul moyen
d’appliquer les principes sans les fausser.
Par ailleurs, le ministère auprès des infidèles doit être de paix, de douceur et de
miséricorde. Les indigènes ne sont pas pires que les Européens mais seulement autres.
Si un missionnaire pense devoir corriger certains traits de leurs mœurs, il le fera avec
76
prudence en s’efforçant d’obtenir l’adhésion du peuple. Prendre le temps d’étudier la
culture locale est un excellent moyen d’y parvenir sans heurts. Dans cette entreprise, la
connaissance de la langue est la première des qualités accessoires. Mgr de Marion
Brésillac ne la trouve cependant pas indispensable pour être bon missionnaire même
s’il reconnaît que cela peut s’avérer utile.
Un autre moyen de combattre le mal qu’on perçoit dans une culture donnée est
l’usage de l’imprimerie et de la facilité qu’elle offre de répandre les écrits. Le prélat
conseille de multiplier les livres d’exposition simple et claire de la doctrine chrétienne
pour montrer combien celle-ci correspond à la sagesse des anciens, corrompue avec le
temps par l’ignorance.
77
missionnaire apte à cet apostolat. Celui-ci doit être animé d’un seul sentiment, l’amour
de Dieu et du prochain qui dispose le cœur à faire œuvre de charité. Homme de foi et
de prière, il doit en outre cultiver sa sanctification personnelle. Car c’est à cette
condition qu’il saura faire face sans faiblir aux épreuves du terrain. Le missionnaire
sera également un homme de renoncement et d’humilité, de sacrifice et de pauvreté.
Lavigerie considère ces dernières dispositions d’esprit comme les atouts fondamentaux
de l’apostolat mais il accorde par-dessus tout de l’importance à l’obéissance, vertu
sans laquelle il ne peut y avoir d’institut missionnaire ni d’œuvre commune. Par
ailleurs, il recommande avec force, la vie communautaire comme rempart face à toutes
les formes de tentation et de dérive, et comme sauvegarde des réserves spirituelles.
Dans l’Eglise, la collaboration avec les indigènes est requise. C’est à eux que
le missionnaire, après avoir initié l’annonce de la parole de Dieu, confiera la charge
d’accomplir l’œuvre durable. En vue de cette fin, l’archevêque d’Alger recommande la
formation d’un clergé autochtone, mais convaincu de la capacité des Noirs à supporter
les exigences du sacerdoce, c’est surtout sur la formation de catéchistes et de médecins
qu’il insiste.
En définitive, l’objectif du cardinal, c’est d’établir au cœur de l’Afrique, un royaume
chrétien qui imposera la paix et le Christianisme. A la tête de ce royaume, il imagine
une sorte de Constantin Noir et à défaut, un Européen préposé à cette mission.
78
Conclusion
79
Chapitre IX : Les missions contemporaines en Afrique
Introduction
I. Les raisons d’un partage
1. Eviter les conflits entre instituts missionnaires
2. Eviter les intrigues des autorités coloniales
3. Répondre à un souci d’efficacité pastorale
II. La création des circonscriptions ecclésiastiques
1. Le vicariat apostolique des Deux-Guinées
2. Lavigerie et l’intérieur du continent
3. Le domaine de la SMA
4. L’Afrique équatoriale
5. L’Afrique orientale et australe
III. L’évangélisation proprement dite : action sociale et apostolat
1. L’action sociale
2. L’apostolat
-------------------------------
Introduction
80
principale. Mais elle n’a certainement pas été absente puisque des tensions liées aux
disputes de ce genre, quoique feutrées, ont émaillé la mission et les relations entre
instituts au point de nécessiter à maintes reprises, l’arbitrage du Saint Siège.
81
II La création des circonscriptions ecclésiastiques
Cette même année 1854, Mgr Kobès, prélat spiritain chargé à titre provisoire
de la Sierra Leone propose une nouvelle partition tout en suggérant à la SCPF de ne
conserver à sa congrégation que la partie du vicariat des Deux Guinées qui court de la
Sénégambie au Rio Nuñez (Guinée). Rome ne répond ni immédiatement ni exactement
à cette demande mais dès 1856, donne son accord à Mgr de Marion Brésillac pour
apporter du renfort dans le Golfe de Guinée. En 1858, est créé pour la SMA, le vicariat
apostolique de Sierra Leone. La mort du prélat et de la plupart de ses compagnons à
peine débarqués amène la Propagande à ouvrir aux pères de Lyon, un nouveau poste à
Ouidah sur la côte du Dahomey en 1860. La SMA prend possession en 1861 de ce
nouveau territoire qui devait recevoir vers 1870, le nom officiel de vicariat apostolique
de la côte du Bénin et du Dahomey. Il s’étend de la Volta au Cap Saint Jean, au sud de
l’actuelle Guinée Equatoriale, donc à la limite nord de la mission du Gabon laissée,
elle, aux mains des spiritains.
82
Sur ce plan
proposé par
Libermann,
pour la
création de
nouvelles
circonscriptions ecclésiastiques, apparaissent les limites du vicariat apostolique des deux Guinées tel
qu’il le concevait.
Source : Paul Coulon, Paule Brasseur, Libermann, une pensée et une mystique missionnaire p 227
83
alors de porter l’évangile au cœur du continent pour « relier ainsi l’Afrique du Nord et
l’Afrique centrale à la vie des peuples chrétiens. » Sur les instances du nouvel
archevêque d’Alger, la Propagande érige en délégation apostolique le 6 août 1868, le
territoire limité au nord par les missions du Maghreb (Tunis, Tripoli, Maroc) et
l’archidiocèse d’Alger, à l’ouest par la Mauritanie au sud-ouest et par les missions du
Sénégal et l’ensemble de l’ancien territoire des Deux-Guinées, à l’est par le plateau du
Fezzan (sud-ouest de la Libye). Vers le sud, s’ajoutera un vaste territoire en Afrique
équatoriale, lorsqu’à la demande de Lavigerie, Léon XIII confiera aux Pères Blancs les
missions des grands Lacs en février 1878.
84
dernier reste dans le domaine des Missionnaires d’Afrique. En 1948, cette préfecture
devenue vicariat passera sous le contrôle des Rédemptoristes.
Signalons enfin pour finir avec l’Afrique de l’Ouest, le cas particulier de la Mauritanie,
terre musulmane qui ne connaît alors d’autre présence chrétienne que celle de quelques
expatriés. La mission dans cette colonie est confiée à un aumônier militaire spiritain.
4 L’Afrique équatoriale
En Afrique équatoriale, il existe théoriquement depuis 1640, une préfecture
apostolique dite du Congo, érigée par Urbain VIII pour les capucins envoyés par la
SCPF ainsi que les résidus du padroado en Angola et dans les îles de Sao Tomé et
Principe. Du vicariat apostolique de Deux-Guinée érigé en 1842, il reste encore le
Gabon qui portera ce nom jusqu’en 1892. Après cette date, la mission prend le nom de
vicariat du Gabon.
En 1873, les spiritains s’installent à Landana en Angola dont ils ont reçu la mission en
1865. La réaction portugaise ne se fait pas attendre bien longtemps. En 1883, un
mémorandum du ministère de la marine rappelle les droits du Portugal sur cette
mission. Ceci amènera la SCPF à retirer Landana aux spiritains pour leur confier le
Congo français où elle crée un vicariat en 1886. Celui-ci prendra successivement le
nom de vicariat du Bas-Congo en 1890, de Loango en 1907 et enfin de Pointe-Noire
en 1949.
En 1879, est créée pour les spiritains la préfecture du Cimbabésie qui s’étend de la
vallée du Cunène au fleuve Orange, limite de la colonie du Cap, c’est-à-dire du sud de
l’Angola à l’extrême sud de la Namibie. La juridiction spiritaine sur la partie angolaise
est, comme il fallait s’y attendre, contestée par l’évêque portugais d’Angola et le
territoire repris à partir de janvier 1907. Quant à la Cimbabésie inférieure qui
correspond aujourd’hui à la Namibie, elle est érigée en préfecture apostolique en 1892.
En 1890, la Propagande crée, toujours dans le champ de mission des pères du Saint-
Esprit, le vicariat du Haut-Congo qui après avoir été étendu jusque dans l’actuel
Centrafrique prend en 1894, le nom de vicariat du Haut-Congo et Oubangui. En 1909
la préfecture de l’Oubangui-Chari est détachée du vicariat du Haut-Congo. Elle
deviendra vicariat en 1937 tandis que l’autre prendra le nom de vicariat de Brazzaville
à partir de 1932.
Par ailleurs, dans les années 1880, le Cameroun est érigé en préfecture apostolique
(vicariat en 1905) et confié aux pallotins allemands à la demande de Bismarck.
En 1912, chez les Pères Blancs, le Kivu est érigé en vicariat apostolique. Le vicariat du
Rwanda s’en détachera à partir de 1922
85
1913 qu’est créée la première circonscription ecclésiastique, le vicariat de Bangweolo.
En 1927 suivra la préfecture de Brocken Hill (Lusaka) puis celle de Victoria Falls
(Livingstone) en 1936.
Disons pour résumer que dès 1883, les domaines sont fixés entre les Spiritains,
la SMA et les Pères Blancs ainsi que quelques autres instituts recrutés par le Siège
Apostolique, en règle générale pour ménager les susceptibilités coloniales. L’Afrique
Australe d’une façon globale a été confiée à des congrégations d’origine et de langue
anglo-saxonnes. Dans les îles de l’Océan Indien où Madagascar, préfecture depuis
1643 devient vicariat en 1850, ce sont les Jésuites, les capucins, les maristes et les
lazaristes qui sont en poste. D’autres divisions, on s’en doute bien, interviendront par
la suite dans toutes les missions mais ce ne seront plus que des réajustements, des
échanges de territoires entre instituts et finalement, l’institution de la hiérarchie
ordinaire avec l’essor du christianisme en Afrique. Cette institution eut lieu en 1950
pour l’Afrique occidentale britannique, en 1951 pour l’Afrique du Sud, en 1953 pour
l’Afrique orientale britannique, en 1955 pour l’Afrique occidentale française.
1. L’action sociale
Dans le registre du social, les pères souvent secondés et même précédés
parfois par des religieuses, embrassent de leur action les domaines les plus divers,
depuis la lutte contre l’esclavage jusqu’aux soins médicaux en passant par
l’amélioration des conditions de vie de la femme, l’instruction scolaire, l’initiation des
paysans à des méthodes culturales nouvelles et des jeunes à divers métiers, l’exercice
de la charité envers les pauvres…
86
l’amène à occuper la boucle du Niger est à attribuer en partie à cette sensibilisation
menée par le cardinal. C’est cette volonté hexagonale d’éradiquer l’esclavage qui
aurait valu à Rabah, grand marchand arabe du bois d’ébène, d’être pourchassé et tué en
avril 1900. Sur le terrain en Afrique, la lutte contre l’esclavage a essentiellement
consisté chez l’ensemble des missionnaires, au rachat des captifs et à l’accueil des
fugitifs. Tous sont d’une façon généralen rassemblés dans des villages dits de liberté.
Ces anciens esclaves formeront par la suite les premières fournées de chrétiens et c’est
de leur milieu que sortiront les premiers auxiliaires d’apostolat.
Une tentative originale du cardinal Lavigerie, qui a fait long feu, est celle de la
congrégation des frères armés du désert. Ce corps de religieux militaires a été fondé en
1890, autant pour protéger les missionnaires que pour barrer la route aux marchands
d’esclaves. Jusqu’à leur suppression en 1892, ils défendent des points fortifiés et les
villages de libertés établis par les Pères Blancs à l’orée du Sahara.
- l’instruction scolaire
L’instruction scolaire reste tout de même l’engagement social par lequel les
missionnaires ont gagné le plus de cœurs. Comme ce fut le cas au Sénégal pour les
soins médicaux, la prise en charge des écoles a été la raison principale de l’ouverture
de certaines colonies aux missions. La Côte d’Ivoire compte parmi celles-ci. C’est en
effet pour instruire les jeunes indigènes dont l’administration voulait faire ses
87
auxiliaires que le gouverneur Binger, quoique protestant lui-même, fait appel aux
pères des Missions Africaines basés en Cote d’Or. Au Sénégal, à la suite des sœurs de
saint Joseph de Cluny venues pour l’hôpital de Saint-Louis, l’enseignement public est
confié aux frères de Ploërmel à partir de 1836 tandis qu’en 1842, l’abbé David Boilat
de retour de France est nommé inspecteur de l’instruction publique.
Tout ceci montre bien à quel point les missionnaires ont été impliqués en
Afrique dans l’enseignement pour le compte de l’administration coloniale. Mais leur
action ne s’est pas limitée dans ce domaine, à la gestion des établissements d’Etat.
Parallèlement à l’instruction publique, parfois sur fond de tension avec
l’administration, les pères ont ouvert des écoles pratiquement dans toutes leurs
missions. Le but immédiat de ces écoles ne diffère pas beaucoup de celui de
l’administration. Si les missionnaires instruisent les petits africains, c’est pour se
donner parmi leurs élèves, des auxiliaires d’apostolat. Aussi est-ce d’abord sur la
formation des catéchistes et sur celle de maîtres d’écoles appelés de toutes les façons à
remplir cette même fonction au moins auprès des enfants que l’accent est mis. Le
cardinal Lavigerie insiste même dans une de ses instructions pour que ses
missionnaires ne fassent pas de ces Noirs formés à l’école des Blancs, « des évolués à
notre ressemblance, mais [qu’ils fassent] des plus doués, des catéchistes et des maîtres
d’école. Quant aux autres, précise le primat d’Afrique, on tâchera d’abord de ne pas
en avoir… Au reste, on regardera comme une perte pour eux et pour la mission d’en
faire autre chose que des ouvriers utiles à leurs compatriotes et à eux-mêmes. » Ceci
dit, il faut rendre justice à l’ensemble des missionnaires. Seule une infime partie de
leurs élèves sont finalement devenus auxiliaires d’apostolat. Les autres, formés en
outre à l’action catholique ont constitué la première élite chrétienne ou la première
élite tout court de l’Afrique moderne.
- L’émancipation de la femme
Un autre aspect important de l’action sociale dans les missions concerne
l’émancipation de la femme africaine et l’amélioration des conditions de l’enfant. Aux
côtés des pères, cette lutte a surtout été celle des religieuses missionnaires. Les sœurs
NDA inscrivent cet apostolat au cœur de leurs priorités dès leur création. Elles s’en
acquittent par la prise en charge des maternités, de l’éducation maternelle et de
l’érection d’écoles spécialement réservées aux filles. Les autres congrégations
féminines agissent de façon générale dans ces mêmes registres. Dans de nombreuses
missions, les sœurs tiennent en outre des ouvroirs où elles accueillent et initient des
femmes aux travaux de l’aiguille. Mais l’engagement des religieuses missionnaires est
parfois allé beaucoup plus loin que l’initiation des femmes aux tâches ménagères et
aux rudiments de l’hygiène. Alors que les pères dans les missions des colonies
françaises, usaient d’expédients pour arracher les jeunes filles aux mariages forcés et à
la polygamie, c’est l’action inlassable d’une Sœur Blanche qui permet de débloquer la
situation une fois pour toutes, au moins du point de vue juridique. Sœur Jeanne Dorge,
en religion Marie Andrée du Sacré-Cœur, à l’issue d’un séjour en mission meublé par
de minutieuses enquêtes, publie en effet en 1939 un ouvrage intitulé La femme
indigène en AOF et multiplie les articles au point d’amener Georges Mandel, alors
ministre des colonies, à prendre des mesures. C’est le décret-loi du 15 juin 1939 qui
88
interdit le mariage forcé dans toutes les colonies françaises d’Afrique. Il va sans dire
que nombre des jeunes filles ainsi libérées deviennent chrétiennes, parfois à la suite de
mariages arrangés par les pères. Ces quelques points auront suffit à donner un aperçu
de l’aspect social de la mission. Il faut y ajouter l’énorme travail linguistique entrepris
par les missionnaires : traduction de passages de l’Ecriture, catéchismes, grammaires,
lexiques, vocabulaires, autant d’entreprises qui ont assis les bases de nombreuses
langues africaines devenues aujourd’hui langues nationales ou véhiculaires. La liste
qui suit - et elle n’est pas exhaustive - parle d’elle-même :
- Travaux des pères spiritains : l’analyse grammaticale de la langue Grébo (1844),
le catéchisme Mpongwé de Mgr Bessieux (1847), une Bible en Wolof (1878), le
catéchisme en langue Adouma du père Dahin (1897), les Vérités nécessaires,
catéchisme en langue Bambara à l’usage de la mission de Kita (1897), le
vocabulaire français-Gbéa du père Calloc’h, le dictionnaire de la langue Sérère
du père Lamoine, la grammaire de la langue Mpongwé de Mgr Le Berre, les
dictionnaires Français - Mpongwé et Mpongwé - Français des missionnaires du
Gabon.
- Travaux des Pères Blancs : le dictionnaire Bambara de Mgr Bazin, le dictionnaire
Yoruba et plusieurs études sur la langue Songhaï du père Dupuis, un essai de
grammaire malinké (1886), un dictionnaire malinké (1900), une grammaire et un
dictionnaire Moré puis un grand catéchisme, une histoire sainte, une vie de notre
Seigneur et les évangiles du dimanche par le père Alexandre, différentes études du
père Prost sur les langues du pays Boussansé.
Les Pères Blancs ont par ailleurs réussi l’exploit de dispenser tous leurs
enseignements scolaire et religieux au Rwanda en une langue du pays. On imagine tout
le labeur que cela a exigé en amont. Quant à ceux de la SMA, ils restent les parents
pauvres de l’action en ce domaine peut-être à cause de l’intérêt relatif que leur
fondateur porte à cette question. Par expérience personnelle, nous savons que certains
parmi eux ont appris et parlé correctement les langues africaines en usage dans leur
champ d’apostolat et même, qu’ils ont procédé à la traduction des prières usuelles.
Mais nous n’avons rien trouvé d’écrit à verser à leur actif.
2. L’apostolat
L’autre pendant de l’évangélisation a été naturellement l’apostolat c’est-à-dire
l’annonce proprement dite de la Bonne Nouvelle et l’administration des sacrements.
Pour se donner les meilleures chances d’atteindre l’âme des indigènes, les
missionnaires avaient d’une façon générale reçu la consigne d’étudier leurs mœurs,
leurs penchants et dispositions naturelles. L’observation de cette recommandation a
amené les pères à préférer telle approche à telle autre, à adopter des méthodes
différentes d’une région voire d’une mission à l’autre. Mais si ces voies divergent dans
la démarche, elles se rejoignent toutes en fin de compte sur les mêmes points
d’aboutissement à savoir le catéchisme, les sermons, l’instruction religieuse, la
formation d’auxiliaires puis d’un clergé indigène pour prendre la relève.
Comme le laissaient entrevoir les nombreux catéchismes en langue locale cités
plus haut, catéchiser les indigènes a été l’une des plus grandes préoccupations des
missionnaires. Selon André Prost, ceux d’Ouganda donnent jusqu’à cinq heures de
89
catéchèse par jour à leurs aspirants adultes. D’autres pour surmonter l’obstacle de
l’initiation qui soustrait à leurs cours un grand nombre de jeunes des deux sexes
pendant un an voire plus suivant les lieux, n’hésitent pas à se faire initier eux-mêmes.
Ils peuvent ainsi avoir accès au camp d’initiation et trouver des arrangements avec les
initiateurs pour poursuivre la formation de leurs catéchumènes durant cette période de
probation. La plupart des chefs de mission d’ailleurs estiment que la catéchèse est le
moyen le plus ordinaire mais aussi le plus efficace de faire des chrétiens et de former
les néophytes. Voici ce que Mgr Hacquart, vicaire apostolique au Soudan français
écrivait à ses missionnaires à ce sujet, à la fin du XIXème siècle : « C’est à cette
prédication directe (la catéchèse) que je donne la préférence parmi les œuvres de la
mission. C’est celle dont je désire surtout l’accroissement et en vue de laquelle, il faut
former pratiquement des catéchistes. »
Ces propos du prélat reflètent tout à fait la pensée de ses confrères, tous
instituts confondus. Engagés dans cette forme d’apostolat, les pères se sont bien vite
rendu compte qu’ils ne seraient jamais assez nombreux pour encadrer tous leurs fidèles
et instruire le nombre croissant de candidats à la conversion. Aussi ont-ils édifié des
écoles de catéchistes pour se donner les auxiliaires indispensables à leur entreprise
d’évangélisation. D’une façon générale, le rôle des catéchistes a très vite débordé celui
de dispensateur de cours pour englober ceux de leader spirituel et de président
d’assemblée de prière. Véritables appuis des pères, ils sont rapidement devenus le
prolongement de leur action, de leur rayonnement et de leur présence dans les postes
établis de loin en loin autour des missions. Et il n’est pas exagéré de dire qu’outre la
pression du Saint Siège, l’efficacité de leur engagement a pesé de tout son poids, chez
les missionnaires du terrain, dans la décision de former un clergé autochtone.
90
Introduction
I. L’Amérique
1. L’Amérique du nord
2. L’Amérique Latine
II. L’Asie
1. L’Inde
2. La Chine
3. La Corée
4. L’Indochine
5. Le Japon
III. L’Océanie
1. L’Australie
2. Les petites îles de l’Océanie
Conclusion
---------------------------------
Introduction
I. L’Amérique
1. L’Amérique du nord
En Amérique du nord, ce sont surtout les églises évangéliques qui s’investissent
dans la mission auprès des Indiens. L’Eglise catholique, devenue minoritaire avec
l’arrivée massive de ces nouvelles confessions chrétiennes, se préoccupe surtout de
veiller sur les fidèles qu’elle a déjà.
91
Les Etats-Unis, on l’a vu, sont une terre de liberté religieuse. Les confessions
protestantes y sont largement majoritaires à la proclamation de l’indépendance en
1776. La conquête du Far West est l’occasion pour les mouvements de réveils de se
développer et de gagner du terrain.
92
d’autant plus que les gouvernements sortis des rangs des anciens colons se montrent
anticléricaux pour la plupart. Le clergé se raréfie ; dans différents pays, les religieux
sont à plusieurs reprises expulsés.
II. L’Asie
1. L’Inde
Au début du XIXème siècle, l’Eglise Catholique connaît une situation difficile
en Inde. Les Jésuites ont été supprimés ; les royaumes ibériques connaissent des
difficultés ; le Portugal qui s’accroche encore aux prérogatives du patronat est entré en
conflit avec le Saint Siège ; les Missions Etrangères de Paris qui ont en principe pris la
relève des jésuites n’arrivent pas, pour cette dernière raison entre autres, à assumer
toute la charge. En conséquence, presque tous les sièges épiscopaux du patronat
portugais sont vacants.
93
mains des Portugais. Ni l’Archevêque de Goa, Mgr Silva Torres ni le gouvernement
n’ayant accepté la décision, un conflit de juridiction éclate qui dure jusqu’en 1886 : on
parle alors de schisme de Goa.
Les missionnaires engagés par la propagande, ceux des MEP entre autres, sont
appelés à prêter le serment de se conformer à la condamnation des rites malabars ; ce
qu’ils font en avouant leur malaise de devoir imposer aux Indiens le rite romain et le
droit romains. Certains parmi eux, Mgr de Marion Brésillac notamment, en appellent à
la formation rapide d’un clergé indigène avec tous les degrés de la hiérarchie, car,
pensent-ils, c’est la seule façon de fonder une véritable Eglise indienne. Pour trouver
une réponse définitive à cette question entre autres, Mgr Bonnand, vicaire apostolique
de Pondichéry y réunit deux synodes en 1844 et en 1849.
Parmi les décisions prises par le premier synode, de nouvelles méthodes plus
exigeantes sont adoptées pour la formation du clergé indigène et pour attirer dans le
clergé des membres des hautes castes. Les missionnaires sont également invités à
combattre le système des castes. Mais parce que sur le terrain cette dernière décision
s’avère impossible à appliquer, le second synode s’efforce de tenir compte de ces
réalités dans l’administration des paroisses. Dans les églises, des murets continuent de
séparer les chrétiens des castes des parias…
En 1847, les jésuites ouvrent un noviciat pour accueillir les indigènes, dans le
cadre de l’application de la décision de former un clergé local. Cette politique est si
bien menée par l’ensemble du clergé missionnaire qu’à la fin du XIXème siècle, le
clergé indigène dépasse largement en nombre les missionnaires. En 1893 est fondé à
Kandy (Ceylan) un séminaire pour toute l’Inde.
2. La Chine
On situe le nombre des fidèles catholiques à 200 000 et 300 000 en Chine au
début du XIXème siècle et celui des prêtres entre 130 et deux cents. Ce sont des
nombres en net recul par rapport au siècle précédent. Tout le pays est divisé en trois
diocèses (Nankin, Pékin et Macao) et trois vicariats apostoliques. Les lazaristes ont
pris le relais des jésuites dans les diocèses, les MEP, franciscains et dominicains
assurent la mission dans les vicariats. Après le temps de la persécution, la religion
chrétienne n’a pas été de nouveau autorisée mais les autorités observent une certaine
tolérance qui permet aux fidèles de vivre dans une semi clandestinité.
94
Pour remplacer le vicaire apostolique, des candidature chinoises sont proposées
mais la Propagande préfère nommer un européen. La Propagande observera cette
attitude pendant longtemps encore.
3. La Corée
Le XIXème siècle est marqué par une âpre persécution contre les chrétiens en
Corée. Le siècle s’ouvre avec la mise à mort en 1802 du premier prêtre chinois qui
s’est mis au service de l’Eglise de Chine, après le temps de la chrétienté laïque. Les six
mille chrétiens du royaume lancent alors des appels au secours auxquels le Saint Siège
répond en désignant un vicaire apostolique en 1831. L’arrivée de ce dernier en Corée
n’atténue pas pour autant pas l’hostilité contre les chrétiens. La persécution ressurgit
de loin en loin. Le premier prêtre coréen, André Kim est ainsi exécuté en 1846 avec de
nombreux chrétiens. En 1866, deux évêques, sept missionnaires et plusieurs milliers de
chrétiens subissent à leur tour le martyre. La liberté religieuse ne sera acquise que vers
la fin du siècle, en 1885, permettant à l’Eglise catholique de prospérer parallèlement à
d’autres confessions chrétiennes.
4. L’Indochine
A la fin du XVIIIème siècle, Mgr Pigneau de Béhaine, vicaire apostolique de
Cochinchine mort en 1799 a aidé le prince Nguyen Anh qui prendra le nom de Gia-
Long en 1802, à monter sur le trône impérial de l’Annam. En reconnaissance, le
souverain se montre tolérant vis-à-vis des chrétiens et de l’Eglise jusqu’à sa mort en
1820. Son fils et successeur Minh-Mang (1820-1840), loin d’observer la même
attitude, multiplie les mesures de restriction des libertés accordées à l’Eglise au point
d’inaugurer à partir de 1833, une nouvelle ère de persécution sanglante qui, entre
accalmies et reprises, durera près d’un demi siècle, bien au-delà du règne de son
initiateur. Les martyres de missionnaires, de prêtres viêt-namiens et de catéchistes se
multiplient durant cette période. Ceux qui survivent doivent poursuivre leur apostolat
clandestinement. Au total, le vicariat apostolique qui est très vaste (Cochinchine,
Cambodge, Laos, Siam) compte alors environ 80 000 chrétiens et pour servir ces
derniers : trente-neuf prêtres dont trente-deux indigènes et deux cent cinquante
religieuses Amantes de la Croix.
95
A la mort de Minh-Mang, Thieu-Tri (1840-1847) laisse un peu de répit à
l’Eglise. Ce qui permet à celle-ci de se réunir en un synode clandestin à Go-Thi, sous
la présidence du vicaire apostolique, Mgr Etienne-Théodore Cuénot qui profite de
l’occasion pour sacrer coadjuteur un des deux prêtres européens sur les quinze qui y
prennent part. A l’instar du synode de Szechwan, le synode réfléchit longuement sur la
formation des prêtres et décide que tout candidat au sacerdoce passera par quatre
étapes :
- un apprentissage du latin auprès d’un missionnaire ;
- des études au grand séminaire de Penang en Malaisie ;
- un stage préparatoire à l’ordination ;
- l’ordination vers l’âge de 35, 40 ans.
5. Le Japon
Fermé à l’extérieur depuis le XVIIème siècle, le Japon est contraint par les
Etats-Unis de s’ouvrir à partir de 1853. Les Européens s’engouffrent à leur tour dans la
96
brèche ainsi ouverte et obtiennent le droit de s’installer dans les ports, de commercer et
de construire des églises pour leurs ressortissants en séjour permanent.
III. L’Océanie
1. L’Australie
L’Australie a été découverte au début du XVIIème siècle par un explorateur
hollandais du nom de Willem Janzsoon. Ce sont cependant les Anglais qui en
prendront possession et s’y établiront grâce aux expéditions de William Cook au
XVIIIème et de Matthew Flinder au XIXème siècles. A partir de 1786, la Grande
Bretagne décide d’y ouvrir un bagne ou plutôt de faire du continent, une colonie
pénitentiaire. De 1788 à 1852, plus de 150 000 prisonniers seront ainsi déportés en
Australie. Ce sont eux qui forment en partie la base de la population blanche de ce
pays.
Très en retard, les catholiques ne posent les pieds en Océanie qu’en 1819. Et
encore, ils ne sont alors que de passage et ne réussissent qu’à baptiser deux chefs de
tribu dans les îles Hawaï. A la suite de ce premier contact, la Propagande confie
l’évangélisation de ces îles aux pères du Sacré-Cœur de Picpus qui y débarquent en
97
1827. Leurs activités menées dans un climat de concurrence contre les pasteurs qu’ils
trouvent sur place leur valent d’être expulsés au bout de quatre ans de présence. Ils y
reviennent en 1837 pour un établissement plus stable. Le plus célèbre d’entre eux reste
le père Damien, apôtre des lépreux dans l’île de Molokaï de 1873 à 1889, mort lui-
même de la lèpre.
Conclusion générale
Depuis, le XVème siècle, le monde a connu de nombreuses mutations,
notamment sur les plans politiques et socioéconomiques. Le paysage religieux s’est
98
également transformé et tout cela, selon le mot du père Claude Geffré, entraîne « une
transformation profonde des méthodes et des buts de l’activité missionnaire. » La
mission demeure, un devoir de l’Eglise selon l’ordre du Christ : « Allez par le monde
entier prêcher l’Evangile à toute créature » (Mc16, 15). Mais elle n’est plus ce qu’elle
était il y a quatre ou cinq cents ans ou même au début du XXème siècle. L’Eglise qui a
pris acte de l’évolution du monde en a conscience. Elle parle aujourd’hui de nouvelle
évangélisation ; expression qui peut être comprise au sens d’ « ajustement de
l’évangélisation, dimension permanente de l’Eglise, à un monde qui s’est renouvelé »
(Comby).
Introduction
99
I. Le difficile accouchement d’une hiérarchie africaine
1. Le poids des préjugés
2. Les premiers essais : une démarche marquée par la circonspection
3. La formation d’un véritable clergé africain
II. L’émergence d’un épiscopat africain
1. Pie XII et l’institution de l’épiscopat africain
2. 1960 : Indépendance politique, africanisation des cadres et construction
d’une cohésion ecclésiale continentale
3. La panafricaine épiscopale
4. De la panafricaine épiscopale au SCEAM : la constitution des
conférences régionales
III. Le SCEAM, expression de l’unité continentale
1. Les disparités régionales
2. la naissance du symposium
3. Les objectifs du SCEAM
4. Le SCEAM aujourd’hui
Réflexion conclusive
Introduction
100
tributaires des clichés répandus en Occident sur la race noire. Ils la regardaient à
l’instar de la plupart des occidentaux comme immature, « primitive, indigène, sans
logique, incapable d’une vie normale et saine, bassement concrète, d’une infériorité
congénitale, n’ayant rien de valable et de vraiment bon… »
101
En d’autres termes, la prudence reste de mise, les missionnaires n’ouvrent le sacerdoce
qu’aux Noirs dont ils pensent être absolument sûrs pour avoir eux-mêmes assuré leur
éducation depuis la plus tendre enfance. De cette époque là datent les ordinations des
abbés Charles Mahonde – ou Mayonda – (1892), Charles Kambu et Jean-Baptiste
Massensa – ou Ma-nsensa – (1898).
102
II. L’émergence d’un épiscopat africain
103
des Deux-Guinées, des représentants des missions de tout le continent. Faut-il y voir
déjà une conscience continentale chez les prélats missionnaires ?
En l’absence de toute autre précision, diverses hypothèses s’offrent pour interpréter
cette information. La plus simple consiste à répondre à l’interrogation par l’affirmative
en s’en tenant au sens strict des mots. Mais alors, on s’expliquerait mal le vide
institutionnel qui a suivi cette initiative précoce. A notre connaissance, aucune autre
rencontre de ce type n’a eu lieu après celle-ci. Jusqu’au début des années 60, même les
délégations apostoliques établies par le Saint Siège qui étaient sensées promouvoir une
certaine cohésion ne faisaient qu’entériner la division du continent en blocs cloisonnés
par la langue et l’appartenance à des puissances coloniales différentes.
104
La lettre du prélat français se passe de commentaires. C’est le concile qui a fait
découvrir aux évêques d’Afrique, leurs affinités, en les mettant en contact direct les
uns avec les autres ainsi qu’avec des confrères d’autres horizons. En marge du concile,
d’autres facteurs ont cependant contribué à créer les conditions de la mise en place de
la toute première instance représentative de l’Eglise du continent : le Secrétariat
Episcopal Panafricain encore appelé la Panafricaine Episcopale. Relevons-en trois
principaux :
- l’organisation à Rome en mai 1962 de journées de réflexion sur le concile par la
Société Africaine de Culture (SAC). Ces journées qui se sont tenues dans un
esprit d’intégration, ont permis selon Messina, de réaliser que les problèmes de
l’Afrique chrétienne sont presque partout les mêmes ; et que par conséquent, les
Africains ont tout intérêt à y réfléchir ensemble.
- La visite du président Senghor à Jean XXIII en octobre 1962, la veille de
l’ouverture de la première session du concile. Senghor était à lui seul tout un
symbole de l’unité africaine. Homme d’Etat, il était aussi apôtre de la négritude
et membre de la SAC. A une époque où l’Afrique nouvellement indépendante
explore les chemins de son unité politique, sa présence à Rome dans les
circonstances que l’on sait ne pouvait pas manquer de faire réfléchir les évêques
du continent sur l’unité de leur Eglise ; d’autant qu’en marge de sa visite,
l’apôtre de la cause nègre a selon l’expression de Messina, « noué et maintenu
de nombreux contacts avec l’épiscopat d’Afrique. »
- L’intervention qualifiée de prophétique du Cardinal Liénart le 13 octobre 1962.
L’évêque de Lille (France) avait demandé au conseil de présidence du concile
de permettre aux évêques de faire mutuellement connaissance avant d’élire les
membres des commissions. C’est cette ouverture qui a permis aux évêques
d’Afrique, qui étaient loin de se connaître tous, de se retrouver et de se
regrouper. De ce regroupement, est venue la prise de conscience que l’Eglise
d’Afrique, dépourvue de théologiens de renom, minoritaire par le nombre de ses
fidèles (4%) et par la proportion de son épiscopat présent au concile, (299 Pères
dont 69 autochtones à l’ouverture du concile sur un total de 2400 soit un peu
plus de 10%) ne pouvait se donner une chance de se faire entendre que dans
la mesure où elle parlerait d’une seule et même voix.
Presque tous providentiellement logés dans le même hôtel, les prélats d’Afrique
font connaissance, échangent leurs expériences, « se concertent régulièrement pour
s’informer et s’édifier mutuellement. » Ils finissent par se choisir un porte-parole
commun en la personne du Cardinal Rugambwa.
Reste à savoir comment on est passé de cette initiative dictée par les circonstances, à la
création de la panafricaine épiscopale. J.P. Messina tente d’en attribuer la paternité au
tout jeune archevêque de Yaoundé, Mgr Jean Zoa. L’homme lui-même s’en défend et
selon les mots mêmes de Messina « privilégie plutôt la thèse d’une création
collégiale. » En tout cas, les noms qui restent attachés à l’origine de cette première
tentative de rassemblement des évêques africains sont ceux de Zoa, de Van
Cauwelaert, évêque d’Inongo et Blomjous, évêque de Mwanza (Tanganyika).
3. La Panafricaine Episcopale
105
La mise en place du secrétariat ne va pas sans accroc. L’épiscopat d’Afrique est
d’abord confrontée à la méfiance romaine qui d’emblée regarde ce genre
d’organisations continentales comme des groupes de pression. Il doit également faire
face à la difficulté de rallier tous ses membres à l’idée de créer cette instance à
vocation permanente. Les évêques européens du Congo belge manifestent leur
réticence et par le fait même, créent un malaise entre eux et leurs confrères
autochtones avant de les rejoindre en fin de compte. Cet épiscopat avec ses quarante
prélats constituait la délégation la plus forte. On imagine le camouflet qu’aurait été la
défection de ses deux tiers de membres européens.
On aura remarqué par ailleurs que la lettre de Mgr Dozolme ne fait pas cas
de l’Afrique lusophone qui pourtant compte parmi les églises les plus anciennes du
continent. C’est que l’épiscopat alors entièrement portugais des colonies elles aussi
portugaises (Angola, Cap Vert, Mozambique…) avait reçu l’ordre de la métropole de
se tenir éloigné du reste de l’épiscopat africain et pour cause. Le Portugal qui était
alors le seul pays européen en 1962 à n’être pas le moindre du monde effleuré par
l’idée de décolonisation, avait peur que ses hommes d’Eglise fussent contaminés par le
virus de cette ‘subversion’ au contact des autres. Les autorités portugaises voyaient du
plus mauvais œil les visites des chefs des jeunes Etats africains au Pape Jean XXIII et
par-dessus tout, la présence à l’ouverture du concile du leader nationaliste angolais,
Agostinho Neto. D’abord obéissant, l’épiscopat d’Angola puis celui du Mozambique
et les autres rejoindront la panafricaine en novembre 1962.
106
A en croire les nombreux éloges de la presse occidentale qui au départ avait
compté le continent pour quantité négligeable, l’organisation des évêques d’Afrique
unis en conférence a donné du poids à leur présence au concile au point de faire des
émules. Voilà ce qu’ICI par exemple écrit à ce propos dans un dossier consacré, lors
du concile, à l’Eglise d’Afrique : « Cette organisation de l’épiscopat africain au
concile, sa cohésion, son dynamisme et son efficacité ont souvent fait l’admiration
d’autres épiscopats. Les évêques d’Amérique du sud – pourtant organisés depuis
longtemps dans le CELAM, mais qui n’ont pas cette cohésion – comme ceux d’Asie
ont cherché à s’inspirer de ses méthodes. Ils ont établi en particulier, un contact
permanent avec lui. »
107
Les neuf conférences épiscopales issues de l’organisation de l’épiscopat africain lors du
concile. Les pays restés en blancs sont absents au concile
(Source, ICI n° 187 du 1er mars 1963)
108
de la première session de Vatican II a été de mettre en place des institutions nationales,
interterritoriales et régionales, et principalement des conférences épiscopales. Cette
tâche allait absorber les énergies et occulter au moins pour un temps, l’idée d’une
conférence interafricaine. Pendant et après le concile en effet, les associations
nationales et régionales d’évêques se muent très rapidement en conférences suivant les
recommandations de Vatican II. Selon les dates données par l’annuaire pontifical 2000,
l’existence des différentes conférences épiscopales nationales et interterritoriales
d’Afrique qui sont aujourd’hui au nombre de trente-trois, a été homologuée entre 1966
(Ethiopie-Erythrée) et 1998 (Libéria). Ce qui laisse supposer que les réalités elles-
mêmes ont été mises en place bien auparavant.
La création des conférences épiscopales régionales a été tout aussi rapide. Le
concile était à peine amorcé qu’on y pensait déjà dans certaines associations d’évêques.
En Afrique de l’Ouest, c’est dès 1963 que les ordinaires des pays francophones et du
Togo se dotent d’un secrétariat permanent avec siège à Dakar. Ils créent par la même
occasion des commissions de travail dont ils confient la responsabilité à différents
archevêques, déjà tous africains : Mass Media : Thiandoum (Dakar), Enseignement :
Dossey (Lomé), Clergé et Séminaire : Sangaré (Bamako), Action Catholique : Yago
(Abidjan), Pastorale et liturgie : Tchidimbo (Conakry), Action sociale : Gantin
(Cotonou).
Quoiqu’elle fasse partie de l’Afrique du Nord, l’Egypte jouit d’un statut spécial.
A elle seule, elle forme une région, sans doute pour rassembler au sein d’une même
organisation tant soit peu homogène, les Eglises de rites propres qui constituent sa
communauté chrétienne rattachée au Siège Apostolique. La conférence des évêques
109
connue sous le nom d’Assemblée de la Hiérarchie Catholique d’Egypte (AHCE) a son
siège au Caire.
Selon les données du Statistical Yearbook of the Church de 1995, les seuls
encore disponibles sur cette question en septembre 2000, ces neuf régions totalisent en
tout 107 077 000 fidèles. Sur une population de 725 850 000 habitants en Afrique, les
catholiques représentaient alors une proportion de 14,9% contre 30,1% de chrétiens
d’autres confessions, 42% de musulmans et 13% d’adeptes de religions traditionnelles.
110
L’Eglise d’Afrique en chiffre, c’est aussi, cette fois selon la version de 1999 du même
annuaire, 13 cardinaux dont 2, Arinze et Gantin, à la curie ; 2 patriarches, 592 évêques
pour 489 circonscriptions ecclésiastiques. C’est encore 16 371 prêtres diocésains et 10
176 religieux pour 10 786 paroisses et 68 754(1) stations missionnaires, 336 diacres
permanents, 7 299 frères, 51 617 religieuses, 300 735 catéchistes, 1 501 1aïcs
missionnaires et 19 816 grands séminaristes religieux et séculiers confondus formés
dans 125 grands séminaires diocésains et 122 maisons religieuses ordonnées à la
formations des prêtres. C’est enfin selon l’annuaire de l’Eglise catholique d’Afrique
occidentale et centrale, 40 nonciatures, 7 délégations apostoliques, des universités et
instituts supérieurs de formations.
2. La naissance du symposium
Malgré ces disparités, l’Eglise d’Afrique se veut une. Et cette unité, elle a pris
les moyens de la construire depuis l’année 1969 qui a marqué la fin de la mise en
veilleuse de cette aspiration. Cette année-là en effet, une visite de Paul VI en Ouganda
– la première d’un pape sur la terre d’Afrique - allait donner l’occasion aux évêques
111
africains de se retrouver en assemblée continentale. Ce fut le premier symposium de
l’Eglise catholique de l’Afrique tout entière du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest ; et il
eut lieu en marge de la visite du souverain pontife, à Gaba du 28 au 31 juillet.
Selon les mots du cardinal Zoungrana qui présidait les travaux de cette première
assemblée qu’il avait convoquée, l’idée de cette création remonte au mois d’avril 1968.
Six évêques africains qui avaient été invités par Paul VI à prendre part à une réunion
de la SCEP à Rome, se sont rendu compte, lors des travaux, de la mauvaise circulation
des informations entre les Eglises d’Afrique, donc aussi du manque de coordination et
d’approfondissement dans la recherche de solutions aux problèmes de cette Eglise. Ce
constat devait amener ces évêques à se poser la question d’une éventuelle rencontre
entre les présidents des conférences régionales et interterritoriales. Leur idée dans
l’immédiat est celle d’un examen concerté des difficultés communes à l’Eglise
d’Afrique pour permettre aux prélats africains appelés de façon ponctuelle à travailler
dans les congrégations romaines d’avoir une vue globale et plus objective des choses.
Mais, ces évêques se sont souvenus également des bienfaits de la fraternelle solidarité
qui s’était manifestée au concile. Trois années après la fin de celui-ci, ils ont estimé
qu’il était largement temps de relancer cette initiative.
3. Objectifs du SCEAM
La rencontre de Gaba fut l’occasion pour les évêques réunis d’amorcer une
réflexion sur la nature du SCEAM et sa mission. La proposition des organisateurs de
cette première réunion était d’en faire au minimum, un organisme d’information et
d’études dont les experts et les chercheurs viendraient de structures existant déjà, tels
que l’université de Lovanium de Kinshasa, l’ISTR et l’INADES d’Abidjan, le CESAO
de Bobo-Dioulasso, le centre catéchétique et liturgique de Butaré, l’institut pastoral de
Gaba… Cette proposition est non seulement agréée mais renforcée par d’autres idées.
Ainsi, les chefs de l’Eglise d’Afrique souhaitent voir cet organisme devenir
l’interlocuteur pour toute l’Afrique des initiatives de toutes origines qui se veulent
panafricaines dans le domaine religieux catholique. Ils assignent donc, à titre de
propositions au symposium, les missions suivantes :
112
- sensibiliser l’opinion catholique mondiale sur la situation de l’Eglise en Afrique
et sur ses responsabilités vis-à-vis de celle-ci.
- Eclairer les consciences pour plus de justice et d’équité dans les grands
problèmes africains (Biafra, Apartheid…)
- Examiner ensemble les problèmes communs à l’Eglise d’Afrique, notamment
les questions de pastorale propres au continent.
- Promouvoir l’unité de l’Eglise d’Afrique.
De ces propositions recueillies, le secrétariat général devait sortir une année plus
tard, lors de la deuxième assemblée qui elle, s’est tenue à Abidjan, une constitution du
SCEAM dont les articles II et III précisés, assemblée après assemblée, fixent
respectivement la nature et le but de l’organisme :
Art II : Le Symposium est l’organe de liaison, d’étude et de concertation pour une
fructueuse coopération entre les conférences épiscopales nationales et régionales
d’Afrique et de Madagascar.
Le symposium est au service des conférences épiscopales dont il respecte la liberté et
dont il facilite la tâche en promouvant l’étude concertée des questions d’intérêt
commun ainsi qu’une action solidaire.
Art III : Les buts du Symposium sont les suivants :
1. Etablir et maintenir une liaison entre les conférences épiscopales « afin
de promouvoir leur bien commun » (Vat. II, Christus Dominus, 38, 5)
2. Faciliter l’intercommunication entre les conférences épiscopales au
moyen de leur secrétariat.
3. Servir de moyen de coordination pour les études et d’autres formes de
collaboration.
4. Le SCEAM aujourd’hui
Le SCEAM a aujourd’hui plus de trente ans d’existence. Son siège a été fixé à
Accra au Ghana, sis au n°4, Senchi Street, Airport Area, depuis la rencontre de 1970
à Abidjan. En sont membres, toutes les conférences épiscopales nationales,
interterritoriales et régionales d’Afrique continentale et insulaire, les cardinaux
d’Afrique et de Madagascar, les membres africains du conseil des vingt-quatre. Tous
113
les ordinaires d’Afrique et des îles qui pour une raison ou pour une autre ne peuvent
pas en être membres de plein droit ont le statut de membres associés.
Tel est le SCEAM : l’instrument que se sont donné les pasteurs d’Afrique pour
construire l’unité de leur Eglise. Bien entendu, il ne s’agit pas d’une super conférence
appelée à régner sur une Eglise envisagée comme monolithique ou ‘unicéphale’ à
terme. Les pères fondateurs du symposium ont écarté cette éventualité dès la première
heure. Mais en tant que lieu de rencontre, d’échange et de partage conçu pour favoriser
la formation d’une conscience continentale, ce symposium cristallise bien l’aspiration
des pasteurs d’Afrique à porter ensemble le souci de l’évangélisation du continent.
114
C’est bien le but que poursuit le SCEAM. A en juger par la vocation fixée à chacun de
ses organismes, commissions et départements, il s’est donné les moyens de travailler à
promouvoir une collaboration toujours plus accrue entre les Eglises d’Afrique. Sans
doute, reste-t-il encore beaucoup à faire pour rendre cette collaboration effective et
pour la faire passer dans les mœurs de pasteurs qui ont plutôt tendance – mais qui
pourrait le leur reprocher ? - à se focaliser sur la vie, voire à se préoccuper uniquement
de la survie de leur propre communauté. Mais si le SCEAM n’est pas le gage de l’unité
de l’Eglise africaine, il est au moins le signe manifeste de la volonté de sa hiérarchie
d’y parvenir.
Réflexion conclusive
115
au nombre desquelles on compte l’INADES (CERAP) et ses bureaux nationaux
ouverts dans dix pays, le CESAO au Burkina Faso, le CEPAS au Congo démocratique.
Tardivement arrivée dans le concert des nations, l’Afrique subit en effet de plein
fouet des bouleversements de toutes sortes. Elle doit assimiler en une quarantaine
d’années, une évolution technologique que l’Occident a mis quinze siècles à bâtir et
dans le même temps, adapter la mentalité et les structures de sa société à l’ordre du
monde. Laissons à d’autres le soin de creuser la question de savoir si le continent
dispose des moyens et des capacités de réaliser cette conversion. Notre propos ici est
de constater la perte des repères chez un peuple devenu hybride pour avoir quitté sa
rive sans être encore parvenu à atteindre celle vers laquelle il vogue. Sur le plan de la
pratique religieuse, cette situation a ouvert la porte à toutes formes de sollicitations. En
Afrique sub-saharienne, les nouvelles formations religieuses n’ont jamais eu autant de
succès qu’en cette fin-début de millénaire, qu’elles viennent des Amériques avec de
creuses promesses de grâces qui se chiffrent en milliards de francs ou qu’elles naissent
sur place en exploitant la situation précaire des populations, leur légitime soif de santé
et de vie, leur peur du sorcier, bref, les fibres du terroir. Les vieilles Eglises
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traditionnelles, Protestante ou Catholique, se refusent à entrer dans la course au miracle
qui est l’arme principale des nouvelles venues et elles ont sans doute raison. Mais en ce
qui concerne l’Eglise Catholique, il est clair, et d’éminents théologiens le répètent sans
se lasser, que les méthodes classiques d’évangélisation héritées de la mission ont
besoin d’un sacré coup de neuf. Les institutions romaines gardent un œil attentif et une
main lourde sur cette chrétienté qu’elles financent encore en grande partie. Cependant,
malgré leur poids et leurs directives, il faut croire que l’Eglise d’Afrique ouvre peu à
peu sa propre voie aussi bien par sa réflexion théologique fondée sur l’inculturation,
par ses adaptations liturgiques quelquefois hardies que par ses choix pastoraux où
affleure le souci de l’efficacité, de la responsabilisation des laïcs et de la prise en
compte des conditions concrètes de vie des fidèles. Ce recours aux sources n’empêche
cependant pas pasteurs et théologiens d’Afrique d’être des hommes de leur temps,
c’est-à-dire d’intégrer à leur démarche tous les instruments modernes de
communication susceptibles de favoriser l’expansion de la Bonne Nouvelle, le partage
des expériences particulières et de répondre aux attentes du peuple. Au contraire, le
souci d’adaptation aux conditions concrètes du terrain a amené un grand nombre
d’entre eux à entrer dans le mouvement général d’Eglise lancé par le concile qui
consiste à considérer ces moyens nouveaux de communication de masse comme de
véritables instruments d’évangélisation. Depuis 1973, une rencontre des pasteurs à
Ibadan au Nigeria a pour ainsi dire, ouvert à l’Eglise d’Afrique son ère des
communications sociales. Et signe éloquent des temps, l’assemblée spéciale pour
l’Afrique du synode des évêques n’a pas manqué d’inscrire la question, en bonne
place, à son ordre du jour et d’en débattre longuement. Mais pour être un départ,
l’année 1973 est d’abord un aboutissement, celui de plusieurs initiatives plus ou moins
suivies mais dispersées qui duraient depuis le temps des missionnaires. La marche a été
longue mais désormais, on peut considérer que les moyens modernes de
communication trouvent leur place marquée dans l’apostolat de l’Eglise en Afrique.
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