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CAS 2.

ÉVALUATION D’UNE DYSPROSODIE CHEZ UN GARÇON


SOUFFRANT D’UN TROUBLE DU SPECTRE AUTISTIQUE

Hélène Rosetti-Chappuis, Stephany Cronel-Ohayon, Philippe Stéphan, Didier


Grandjean
in Julie Péron, 13 cas cliniques en neuropsychologie des émotions

Dunod | « Univers Psy »

2018 | pages 45 à 64
ISBN 9782100779505
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/13-cas-cliniques-en-neuropsychologie-des-
emotions---page-45.htm
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Cas 2
Évaluation
d’une dysprosodie chez
un garçon souffrant d’un trouble
du spectre autistique1
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1. Par Hélène Rossetti-­Chappuis, Stephany Cronel-­Ohayon (premiers co-­auteurs), Philippe Stephan et


Didier Grandjean.
Sommaire
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1. Prescripteur et motif du bilan............................................................................... 47
2. Anamnèse médicale, psychosociale et neuropsychologique................................... 47
3. Les questions posées et le contexte théorique
qui orientent la prise en charge............................................................................. 53
4. Évaluation de cas unique et comparaison à un groupe........................................... 57
5. Discussion générale et conclusion......................................................................... 61
Références bibliographiques...................................................................................... 63
1. Prescripteur et motif du bilan
Jonathan1 nous a été adressé pour une prise en charge sous forme d’un groupe de compé-
tences sociales à la demande de ses parents et des différents thérapeutes alors impliqués dans
sa prise en charge.

2. Anamnèse médicale, psychosociale et neuropsychologique

2.1 Anamnèse médicale et développementale


Jonathan est un garçon, âgé de 16 ans au moment où nous écrivons ces lignes. Né à terme par
voie basse suite à une grossesse sans particularité, il est en bonne santé somatique. Ses parents
se souviennent d’un bébé qui dormait beaucoup, a posteriori probablement trop ; ils se sont
inquiétés de l’absence de pointage et de contact oculaire passé ses 12 mois, puis d’un retard
de langage, ce qui a conduit leur pédiatre à l’adresser à l’âge de 2 ans vers une consultation
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multidisciplinaire spécialisée. L’évaluation a alors mis en évidence un retard de développement,
prédominant sur le langage et affectant la production et la compréhension, associé à un trouble
sévère de la relation (évitement relationnel) et de la communication (absence de communication
verbale et très grande pauvreté de la communication non verbale) ; on notait aussi la présence
de stéréotypies motrices et une intolérance face au changement et à la nouveauté. Il développera
par la suite des intérêts restreints pour des objets ou des thèmes qui intéressent habituellement
peu les enfants (carrelage, marque des imprimantes, nombre d’étages des maisons…) et qui ne
favorisent pas la communication.

Des investigations étiologiques viennent compléter le bilan initial : les analyses génétiques
(caryotype) et moléculaires permettent d’exclure un syndrome de X-­­fragile. Le statut neurolo-
gique est sans particularité de même que le tracé EEG veille-­sommeil.
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2.2 Anamnèse sociale


Jonathan est l’aîné d’une fratrie de trois enfants. Ses parents travaillent tous les deux dans le
milieu tertiaire.

1. Prénom d’emprunt et anonymisation des données personnelles de l’enfant.

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13 cas cliniques en neuropsychologie des émotions

2.3 Anamnèse psychiatrique


Le diagnostic d’autisme a été retenu (nosographie d’alors : DSM-­IV, F84.4) avec une trajectoire
d’emblée autistique, sans régression. Avec le changement nosographique (DSM-5), on parlerait
aujourd’hui, de manière plus générale, d’un « trouble du spectre autistique » (TSA) avec retard
de langage.

2.4 Évaluation des comorbidités


Les prises en charge mises en place au fil du temps permettent de constater des difficultés plus
spécifiques (mais assez courantes en présence d’un TSA) telles qu’une problématique langa-
gière (et plus particulièrement au niveau sémantique-­pragmatique), et également au niveau
corporel/praxique avec des interventions ergothérapeutiques nécessaires à plusieurs reprises
axées sur des éléments sensoriels, moteurs ou praxiques (intégration multi-­sensorielle dans le
jeune âge, puis plus spécifiques au fil du temps.
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2.5 Anamnèse neuropsychologique et présentation clinique
Suite à l’annonce du diagnostic, il est mis en place un suivi à domicile par un service d’édu-
catrice itinérante, le démarrage d’un suivi psychothérapeutique individuel et d’une guidance
parentale, ainsi que l’ergothérapie avec une approche d’intégration multisensorielle. Puis, à l’âge
de 4 ans, Jonathan commence sa scolarité en enseignement spécialisé. Suite aux modifications
de la loi scolaire en Suisse, loi qui demande que les enfants à besoins spéciaux soient intégrés
dans la mesure du possible dans une classe ordinaire, ses parents ont élaboré un projet de réin-
tégration en milieu ordinaire dès le passage au secondaire. Jonathan a alors 11 ans. Il bénéficie
de mesures d’aide destinées aux enfants souffrant d’un TSA, appelé module 20 heures (M20).
Celles-­ci sont destinées à soutenir l’enseignant qui accueille cet enfant dans sa classe, à lui
transmettre des documents d’information expliquant les besoins de cet enfant, à aider l’ensei-
gnant à élaborer un projet pédagogique adapté à ses ressources et ses difficultés, à lui fournir de
la supervision par des experts dans l’élaboration du projet pédagogique, ainsi que du matériel
et des outils adaptés. L’enfant bénéficiera de l’aide par un enseignant spécialisé qui sera son
référent pédagogique, ainsi que de l’aide par une aide à l’enseignant pour les branches moins
spécialisées, les sorties, les moments de transition, les moments libres (récréation, périodes
avant l’école). Le nombre d’heures de soutien est déterminé par le M20 en fonction des besoins,
capacités et difficultés et le degré d’autonomie de chaque enfant.

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Évaluation d’une dysprosodie ■ Cas 2

À l’âge de 13 ans, au moment de la transition du DSM-­IV vers la DSM-5, le pédiatre de


Jonathan et ses parents ont demandé une réévaluation de son profil.

Un bilan de ses ressources cognitives (« échelle de Wechsler », WISC-­IV) donne lieu à des
résultats hétérogènes, qui conduisent néanmoins à des scores et des indices dans les normes.
L’« indice de compréhension verbale » est de 101, l’« indice de raisonnement perceptif » est
de 109, et l’« indice de mémoire de travail » de 113, tous trois dans les normes, indiquant une
évolution cognitive plutôt favorable. L’« indice de vitesse de traitement » qui est de 82, suggère
en revanche une lenteur de traitement et d’exécution, que l’on retrouve cliniquement. Un des
facteurs de cette lenteur de traitement peut être expliqué par l’interférence des stéréotypies qui
prennent la forme de décharges motrices (moments d’arrêt) ou de recherche de stimulation
sensorielle. Jonathan peut ainsi s’arrêter en cours d’une activité pour effectuer des décharges
motrices, ce qui le ralentit.

Comme il a été observé chez Jonathan des moments où il est absent, n’écoute pas les
consignes, doit être rappelé et remis à la tâche, que les instructions doivent être redonnées
plusieurs fois, ainsi qu’une fatigabilité accrue, l’hypothèse d’un déficit d’attention associé au
TSA a été formulée et vérifiée. Il s’agissait également d’essayer d’identifier des facteurs atten-
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tionnels potentiellement impliqués dans cette vitesse de traitement plus lente. Les différentes
épreuves évaluant l’attention soutenue (CPT-3 ; K. Conners) et l’attention divisée (TAP ;
P. Zimmermann et B. Fimm) se situent dans les normes en termes d’acuité de réponse. Ainsi, le
taux d’omissions se situe dans les normes pour l’âge sur les deux types de processus, indiquant
respectivement peu de décrochements attentionnels dans les situations au cours desquelles il
est engagé et se sait évalué, et la capacité à identifier deux stimuli en même temps. En revanche,
ses temps de réaction sur les tâches plus longues et monotones, recrutant ainsi davantage
d’attention soutenue, sont, d’une part, plus lents que ce qui est attendu pour son âge et, d’autre
part, ralentissent significativement au fil de la tâche. En outre, les mesures de maintien de l’état
de vigilance tendent à montrer un ralentissement de ses temps de réaction en réponse à des
stimuli lents avec des difficultés de réajuster sa vitesse en réponse à des stimuli plus rapides,
ce qui tend à indiquer des difficultés d’auto-­activation. On pense ainsi que la lenteur de trai-
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tement de l’information est sous-­tendue par des facteurs multiples de nature différente mais
qui agissent de concert.

L’« indice d’aptitude générale » est de 106 : bien que cet indice de raisonnement cognitif se
situe dans les normes par rapport à l’échantillonnage de standardisation, Jonathan présente des
difficultés d’analyse et d’appréhension globale des situations. Il se focalise sur les détails (manque
de cohérence centrale), ce qui limite la résolution de certains problèmes et nécessite l’étayage de
l’adulte. Il manque par ailleurs de flexibilité tant au niveau cognitif (peine à modifier une stratégie
peu opérante) que dans son comportement et son mode de vie (encore très attaché aux routines).

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13 cas cliniques en neuropsychologie des émotions

Jonathan est un adolescent qui est exigeant envers lui-­même et qui souhaite réussir dans une filière
scolaire élevée. Les thérapeutes ainsi que ses enseignants et pédagogues doivent veiller à ce qu’il
ne s’épuise pas dans la mesure où malgré les adaptations et allégements du programme scolaire,
suivre une scolarité ordinaire et s’adapter à un environnement relationnel complexe lié à son âge
lui coûtent beaucoup d’efforts, le place de manière chronique dans une situation de surcharge et
induit une forte fatigue.

Le langage formel sur le plan phonologique, lexical, grammatical et morphosyntaxique se


situe dans la limite des normes pour l’âge tant en production qu’en compréhension. Au-­delà
de la dimension formelle et locutoire de la phrase, il présente un trouble au niveau illocutoire
ou pragmatique.

Il est proposé aux parents un entretien semi-­structuré, afin de reprendre l’anamnèse à l’âge
de 13 ans, tout en codant aussi pour la période entre 0-5 ans à partir de leurs souvenirs (ADI-­R,
Rutter et al., 2003). Sur l’« Échelle des interactions sociales », le score obtenu à l’âge de 13 ans
est de 13 points, au-­dessus du seuil critique qui est fixé à 10 points. Il obtient 22 points pour la
période avant 5 ans, ce qui indique une évolution favorable. Sur l’« Échelle de communication », il
obtient un score actuel de 7 points, juste en dessous du seuil critique fixé à 8 points, en revanche
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ce score était de 18 points pour la période avant 5 ans. L’« Échelle concernant les comportements
restreints, répétitifs et stéréotypés », totalise un score de 6 points, dépassant le seuil critique qui
est de 3 points, avec un score de 8 points pour la période avant 5 ans (seuil clinique de 3 points).
À l’âge de 13 ans et compte tenu de son niveau cognitif, ce profil de comportements répétitifs
est très marqué et pourrait être un marqueur des difficultés d’intégration multi-­sensorielle
encore importantes.

Il est également proposé à Jonathan une échelle d’observation pour le diagnostic de l’autisme
(ADOS-2, module 3, Lord et al., 2012). Le score obtenu le place effectivement dans le spectre
de l’autisme, à un degré d’intensité modérée (score de comparaison de 6).

Les résultats aux échelles et questionnaires, de même que l’observation clinique, confirment
donc bien que Jonathan présente toujours un TSA. Son évolution cognitive est très favorable
puisqu’il ne présente plus de retard global. Le langage s’est également bien développé au niveau
formel, en revanche il conserve un trouble pragmatique sévère.

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Tableau 2.1 – Résumé des résultats

Compétences
Compréhension Raisonnement Vitesse Aptitude
cognitives Mémoire de travail
verbale perceptif de traitement générale
(WISC-­IV)
Indices standardisés ICV 101 109 113 82 106
Interaction sociale Comportements
Symptômes TSA Communication
réciproque restreints
À 13 ans : 13 points 13 ans : 7 points 13 ans : 6 points
(seuil : 10 points) (seuil : 8 points) (seuil : 3 points)
Autism Diagnostic Interview (ADI-­R)
< 5 ans : 22 points < 5 ans : 18 points < 5 ans : 8 points
(seuil : 10 points) (seuil : 8 points) (seuil : 3 points)

Score total = 9
Autism Diagnostic Observation Schedule (ADOS) Score de
comparaison 6

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Évaluation d’une dysprosodie ■ Cas 2

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13 cas cliniques en neuropsychologie des émotions

À ce moment-­là, il est toujours suivi en psychothérapie individuelle, en logopédie ainsi que


dans un groupe d’entraînement aux habiletés sociales. Jonathan est un jeune adolescent qui
s’est ouvert socialement, qui a une très forte appétence à être en relation avec ses pairs, de
même qu’à communiquer avec eux. Malheureusement ses efforts ne sont guère récompensés
puisqu’il manifeste beaucoup de difficultés à s’intégrer socialement. Ses camarades sont rela-
tivement bienveillants à son encontre ; un travail préalable à sa réintégration a été fait avec
sa classe afin d’éviter des moqueries et signes d’incompréhension concernant son fonction-
nement qui reste particulier. Malgré ces précautions, il est écarté passivement des groupes,
toutefois il n’est pas victime de harcèlement ou de moquerie. Il parvient à mettre en place des
relations duelles qui peuvent être privilégiées en invitant un ami à jouer chez lui, avec parfois
une certaine réciprocité. Toutefois malheureusement, comme cela est souvent le cas pour ces
enfants, ces interactions ne parviennent pas à se maintenir en dehors de la relation duelle.
Jonathan présente une forte anxiété et doit être beaucoup rassuré. On retrouve fréquemment
dans les thèmes qu’il rapporte dans la conversation ses préoccupations, en décalage avec les
intérêts ou les préoccupations des enfants de son âge. Il a compris et a appris à s’intéresser
aux thèmes et jeux dont les pairs discutent même s’il n’avait pas tellement de propension à s’y
intéresser spontanément lui-­même. Il se donne beaucoup de peine pour limiter son décalage.
La conversation est encore difficile, il se fatigue rapidement quand il y a un flux de parole trop
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long. Il peut être à l’écoute pendant une quinzaine de minutes, intervenir, poser des questions
dans la mesure où il commence à comprendre avec le travail de groupe que cela constitue des
manières de montrer son intérêt aux autres, puis passé ce délai, il s’évade mentalement et ne
parvient plus du tout à écouter. Cette fatigue verbale et cognitive lors d’interactions le place
en décalage et le met en retrait du groupe. Jonathan a une très bonne mémoire et a appris
et compris comment montrer aux autres qu’il s’intéresse à eux ; il est capable de leur poser
une question en lien avec des propos qu’ils ont tenus il y a plusieurs semaines, ce que nous
essayons de renforcer.

Au niveau de la communication non verbale, le contact visuel réciproque ne peut pas être
adressé et maintenu spontanément ; il doit encore être rappelé et stimulé par les thérapeutes.
Sa posture corporelle est souvent peu congruente avec son intérêt pour les pairs (il peut parler
à quelqu’un en lui tournant le dos). Son tonus corporel est tantôt rigide, tantôt hypotone (tête qui
penche vers le bas). Les émotions véhiculées par son visage sont très pauvres et le plus souvent non
congruentes avec le contenu émotionnel verbal. Jonathan a beaucoup de difficultés à coordonner
les différents aspects de la communication, verbale et non verbale, ainsi que la congruence avec
le contenu émotionnel, ce qui rend l’ajustement des interlocuteurs à ses propos parfois difficile.

Au niveau infra-­verbal, il présente de grandes difficultés à ajuster et à moduler sa prosodie en


fonction du contexte pragmatique de son énoncé. La fonction pragmatique de la prosodie est
ainsi altérée. Il est très difficile d’identifier s’il pose une question, donne une affirmation ou donne

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Évaluation d’une dysprosodie ■ Cas 2

un ordre puisque son énoncé manque d’inflexion et de nuances prosodiques. L’interlocuteur ne


sait pas comment s’ajuster à la conversation : s’il doit répondre, écouter, faire un commentaire,
poursuivre la conversation, ce qui induit des ruptures dans la communication, de même qu’un
sentiment d’étrangeté.

La fonction émotionnelle de la prosodie est également sévèrement altérée : sa prosodie


n’est pas modulée, elle est monotone et ne permet pas d’inférer son état émotionnel. On doit
uniquement se reposer sur le contenu sémantique transmis (acte locutoire), ce qui ne permet
pas de désambiguïser certaines situations particulières avec effet recherché (mensonge, ironie,
sarcasme, etc.). Par ailleurs le ton de sa voix donne l’impression d’être agressif, ce qui ne corres-
pond naturellement pas à son intention, dissociation dont il n’est pas toujours conscient mais
sur laquelle un travail peut être réalisé. Cette problématique est une vraie gageure sur le plan
relationnel dans la mesure où ses interlocuteurs sont souvent désarçonnés, ne sachant comment
répondre, ayant l’impression d’être agressés verbalement.

Au travers des situations de conversation, on prend conscience que la prosodie grammaticale


est également altérée, du moins qu’elle ne se développe pas aussi rapidement que ce qui serait
attendu pour son âge. Jonathan peut commettre des erreurs de compréhension d’énoncés liés
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à la segmentation des mots. Par exemple, l’énoncé : « Donne-­le Jonathan ! », peut entraîner une
réaction forte de sa part (se vexe) puisqu’il l’interprète comme un manque de respect puisqu’il
relie le pronom objet [le] à son prénom ([le Jonathan]) et non au verbe dont il est un complé-
ment pronominalisé ([donne-­le]). Il nous explique avec force que cela est impoli de placer un
déterminant devant les prénoms (ce qui est naturellement tout à fait correct).

Cette situation clinique est intéressante en raison du profil très clair au niveau de la sympto-
matologie autistique, de la dysprosodie grammaticale et émotionnelle, alors que l’enfant présente
un fonctionnement cognitif avec des domaines dans lesquels il démontre de très bonnes capa-
cités. Au-­delà des questions cliniques habituellement soulevées par la problématique liée au
TSA, cette situation nous a conduits à nous interroger sur la possibilité de remédier les troubles
prosodiques particulièrement au niveau émotionnel.
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3. Les questions posées et le contexte théorique


qui orientent la prise en charge

Ces dernières années, la prévalence du TSA est passée de 1/1 000 à 1 %-2 % de la population
générale (Baird et al., 2006), ce qui en fait un problème de santé publique important en raison

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13 cas cliniques en neuropsychologie des émotions

des coûts directs et indirects engendrés pour les familles et la société durant la vie entière. De
plus en plus d’enfants sont concernés par ce trouble neuro-­développemental, ce qui implique
également d’augmenter l’accès aux mesures thérapeutiques ciblées, les plus précoces et les plus
intensives possible, de même que de mettre à disposition des mesures et soutiens pédagogiques
spécialisés dans les écoles afin que les enfants souffrant d’un TSA dit « de haut fonctionne-
ment » (c’est-­à‑dire sans déficience mentale associée) puissent suivre le même programme
scolaire que tous les enfants de la région.

La conception du TSA a évolué d’un modèle catégoriel à un modèle dimensionnel avec le passage
de la DSM-­IV à la DSM-5. Toutefois, l’un des symptômes centraux du trouble concerne toujours
le déficit de communication sociale sous-­tendu par de nombreux processus. Il s’agit d’un concept
théorique complexe, qui comprend des composantes variées (Koenig, De Los Reyes, Ciccetti, Sahill
et Klin, 2009 ; Russel, 2007). L’une d’entre elles concerne la communication verbale et non verbale,
c’est-­à‑dire les aspects prosodiques décrits comme un processus modulant le langage dans une
fonction grammaticale ou émotionnelle (Grandjean, Baenziger, et Scherer, 2006), et qui constitue
une difficulté majeure chez les personnes souffrant d’un TSA. Les éléments prosodiques sont traités
et modulés par l’individu afin d’ajuster le comportement social au contexte et à l’interlocuteur.
Une dysprosodie touchant la production et/ou la compréhension a ainsi des conséquences rela-
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tionnelles et sociales importantes. La remédiation de la communication sociale et de la prosodie,
en particulier, est extrêmement difficile, d’une part en raison de la complexité des processus
impliqués et, d’autre part, en raison des exigences sociales qui évoluent au fil du développement.

La prosodie peut être définie comme l’inflexion, le ton, l’intonation, la tonalité et la modulation
transmise par la voix. Elle a une fonction grammaticale visant à séparer les mots de l’énoncé par
l’utilisation de micro-­pauses ou d’intonation et inflexions afin de permettre l’identification des
différents lexèmes de l’énoncé. Cette fonction est fondamentale dans le développement du lexique
du petit enfant puisque cela lui permet d’identifier des lexèmes et de construire un stock lexical. Elle
a par ailleurs une fonction pragmatique, permettant de mettre l’emphase sur un mot, et finalement
une fonction émotionnelle, qui nous intéressera plus particulièrement ici. Cette dernière fonction
permet de véhiculer l’expression d’émotions ou l’état émotionnel du locuteur par l’utilisation
d’intonation ou de variation de facteurs comme le volume, le rythme, le ton (Grandjean et al., 2006)
soit de manière implicite et liée à un épisode émotionnel soit de manière explicite par exemple
liée à une intonation volontaire émotionnelle visant à induire des réactions chez l’interlocuteur.
Les compétences prosodiques (ou leur atteinte) à un niveau d’expression ou de réception doivent
être intégrées à une analyse plus globale des situations sociales (impliquant notamment la théorie
de l’esprit) afin de pouvoir ajuster son fonctionnement à autrui.

La prosodie constitue une des composantes de la cognition sociale. Dans ce chapitre, nous
nous limiterons à discuter de la prosodie émotionnelle à un niveau réceptif (i. e. analyse d’un

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Évaluation d’une dysprosodie ■ Cas 2

contour prosodique émotionnel) et à proposer une méthode de remédiation au sein d’un


groupe de compétences sociales1.

3.1 Prosodie, développement et trouble du spectre autistique


Depuis la description initiale de Kanner des TSA, des particularités dans le domaine de la
prosodie font partie des descriptions symptomatologiques des déficits de cognition sociale. Ces
particularités communicationnelles ont été relevées tant en expression qu’en compréhension et
perdurent à l’âge adulte. En outre, elles ont des conséquences importantes sur la communication
sociale et la relation avec autrui. Dans le TSA, on décrit des difficultés pour chacune des fonc-
tions prosodiques (grammaticale, pragmatique, émotionnelle), même si les résultats des études
sont contradictoires du fait de la diversité des tâches et des mesures prises en compte dans les
études. Des biais méthodologiques (e. g., effet plafond) expliquent probablement que certaines
recherches manquent à mettre en évidence des perturbations prosodiques chez les patients avec
TSA (Paul, Augustyn et Klin, 2005 ; Peppé, McCann, Gibbon, O’Hare et Rutherford, 2007). En
outre, on note généralement que la fonction grammaticale est mieux maîtrisée que la fonction
émotionnelle, ce qui explique que ces enfants peuvent développer un vocabulaire, pour certains,
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très riche et très spécifique (Chevallier, Noveck, Happé et Wilson, 2011 ; Peppé et al., 2007), du
moins pour des énoncés courts (Jarwinen-­Pasley, Peppé, King-­Smith et Heaton, 2008). Du fait
de la nature de la symptomatologie autistique et des études moins fréquentes dans le domaine
de la prosodie émotionnelle, nous nous sommes focalisés sur cette fonction pour laquelle les
résultats sont également contradictoires.

Dans certaines études, les tâches de discrimination d’émotions simples au travers de la prosodie
sont relativement bien maîtrisées par des patients porteurs d’un TSA (Grossman, Bemis, Plesa
Skwerer et Tager-­Flusberg, 2010). De manière générale, l’hypothèse principale est que les patients
avec TSA utiliseraient une stratégie cognitive pour traiter l’information prosodique conduisant
à de meilleurs résultats s’ils disposent d’assez de temps pour traiter l’information (Chevallier
et al., 2011 ; Peppé et al., 2007). Dans un contexte de communication naturelle qui est très rapide,
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cela n’est pas possible car cela entraîne une lenteur qui a un impact dans l’échange avec le/les
interlocuteur/s rompant ainsi le flux de la communication habituelle. Dans un contexte écolo-
gique, le nombre d’informations à traiter et à relier ensemble est beaucoup plus important, ce
qui pourrait également entraîner une plus grande lenteur de traitement. Ainsi, les patients avec
TSA peuvent traiter la prosodie émotionnelle, du moins pour des émotions simples et intenses
(Grossman et Tager Flusberg, 2012), toutefois ils ont plus de difficultés pour des situations plus

1. Nous utiliserons les termes « groupes de compétences sociales » et « groupes d’entraînement aux habilités
sociales » comme des synonymes.

55
13 cas cliniques en neuropsychologie des émotions

subtiles à analyser (i. e., lorsqu’il faut faire des liens et des inférences en fonction du contexte et
du/des locuteurs, par exemple dans l’humour ou le sarcasme).

Des auteurs mettent en évidence que la compréhension de la prosodie se modifie encore


chez les jeunes avec TSA vers l’âge de 12 ans : ils deviennent capables de comprendre l’inflexion
prosodique hors contexte (Le Sourn-­Bissaoui, Aguert, Girard, Chevreuil et Laval, 2013). Ce
changement se ferait à 9 ans chez les tout-­venant (Aguert, Laval, Le Bigot et Bernicot, 2010).
En outre, Le Sourn-­Bissaoui et al. (2013) observent que les difficultés sont majorées lorsqu’il
y a « non-­congruence » entre le contexte et la prosodie, par exemple si le contexte est négatif et
l’émotion prosodique est positive (sarcasme, ironie).

Dans le développement normal, les enfants de 5 ans maîtrisent déjà une grande variété de
compétences prosodiques dans leur communication fonctionnelle. Toutefois, les progrès au
niveau de la compréhension prosodique se poursuivent encore entre 5 et 9 ans (Wells, Peppé et
Goulandris, 2004) et pour la production prosodique encore au-­delà, avec toutefois une grande
variabilité intra et intergroupes d’âge (Wells et al., 2004). Cette évolution est corrélée avec
l’acquisition du langage structurel.
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Chez les patients présentant un TSA, on observe également une évolution positive au cours
du développement. Ainsi, des auteurs ont montré une amélioration significative entre l’âge de
9-12 ans et chez les adolescents, également corrélée au niveau cognitif chez des patients présen-
tant un TSA avec un niveau cognitif préservé (Lyons, Simmons et Paul, 2014). Toutefois, ceux
qui avaient un niveau cognitif plus bas avaient aussi plus de difficultés pour traiter les émotions
complexes que les autres sujets. Il est toutefois important de souligner que des plaintes signifi-
catives existent cliniquement et dans des contextes naturels pour l’ensemble des patients. Les
auteurs font l’hypothèse que les tâches proposées en laboratoire permettraient un meilleur
traitement prosodique que ce qui surviendrait dans un contexte interactionnel naturel.

3.2 Groupe de compétences sociales et TSA


De manière générale, on rapporte des progrès suite aux interventions thérapeutiques sous
forme de groupe de compétences sociales. Les études publiées sont souvent des études multi-­cas,
généralement sans groupe contrôle. Il est ainsi souvent difficile de juger dans quelle mesure l’effet
positif est dû au traitement ou à l’attention clinique (non spécifique) offerte aux patients. En outre,
on note que la généralisation est difficile à mettre en évidence, soit en raison des particularités
liées au TSA (difficultés à généraliser à d’autres contextes faisant partie de la symptomatologie de
base) ou également du fait que les questionnaires utilisés ne sont peut-­être pas assez sensibles pour
détecter des améliorations (Rao, Beidel et Murray, 2008 ; Williams White, Keonig et Scahill, 2006).

56
Évaluation d’une dysprosodie ■ Cas 2

Matson, Matson et Rivet (2007) ont montré que les interventions comprenant des stratégies
thérapeutiques telles que le fait de donner un modèle à imiter ou à développer (modeling) et le
renforcement positif sont souvent plus efficaces, tout comme les interventions transmettant des
informations explicites, par rapport au fait de seulement bénéficier d’un lieu d’expérimentation
sociale positive (Kroeger, Schultz et Newsom, 2007).

4. Évaluation de cas unique et comparaison à un groupe


En fonction de ces aspects théoriques et cliniques, notre étude porte sur l’évaluation de la
compréhension de la prosodie émotionnelle chez notre patient Jonathan (étude de cas unique),
avec une comparaison des résultats obtenus par une population témoin ou groupe contrôle
(appariée pour l’âge).

4.1 Évaluation de la reconnaissance


de la prosodie émotionnelle de Jonathan
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4.1.1 Présentation du protocole d’évaluation

Dans la tâche utilisée, il s’agit de détecter l’émotion véhiculée au travers de la prosodie sans
pouvoir se reposer sur des indices lexicaux ou sémantiques contenus habituellement dans une
phrase ou un énoncé, raison pour laquelle il est proposé aux participants une « pseudo-­langue », i.
e. une langue imaginaire respectant les règles morpho-­syntaxiques des langues indo-­européennes.
Les stimuli sont au nombre de cinquante-­quatre, répartis en cinq émotions de base (colère,
joie, peur, tristesse, surprise) auquel d’ajoute un état émotionnel neutre. L’interface contient
également une possibilité de réponse « Je ne sais pas » évitant les biais potentiels à une réponse
forcée. Le matériel produit par des acteurs comprenait des énoncés de deux intensités diffé-
rentes (haute/basse) pour chaque émotion. La durée moyenne des énoncés était de 2 044 ms
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(de 1 205 à 5 236 ms). Les bases de données concernées ont été validées précédemment dans
d’autres travaux (Banse et Scherer, 1996 ; Bänziger, Mortillaro et Scherer, 2012). Les participants
disposaient à l’écran de six échelles analogiques visuelles et devaient d’une part identifier les
émotions, et d’autre part attribuer à l’énoncé un degré d’intensité des émotions perçues, afin
d’éviter d’éventuels biais liés à un jugement catégoriel (fig. 2.1). À noter que l’échelle de Surprise
a été ajoutée afin de tester le biais d’attribution quant à l’émotion de peur, traditionnellement
confondue dans les études précédentes. En outre, nous avons autorisé la répétition de l’écoute du
stimulus en appuyant sur le bouton « Réécouter » avec un maximum de 6 écoutes par stimulus.
Deux différentes versions avaient été élaborées afin de contrôler les effets d’exposition lors de

57
13 cas cliniques en neuropsychologie des émotions

la phase initiale et la phase test après l’entraînement de remédiation. L’ordre des stimuli a été
pseudo-­randomisé, avec deux différentes listes par phase.

Figure 2.1 – Interface pour les jugements émotionnels des énoncés

4.1.2 Résultats de Jonathan (11 ans)


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par rapport à un groupe contrôle apparié

Afin de comparer les résultats de notre cas unique, Jonathan évalué sur cette tâche à l’âge
de 11 ans, à un groupe contrôle apparié pour l’âge (N = 11, âge moyen = 10.8 ans, entre 10 et
11 ans), nous avons réalisé des comparaisons par permutations sur les jugements émotionnels.
Celles-­ci ont consisté à comparer les résultats du cas unique Jonathan au groupe de contrôle
en permutant toutes les valeurs obtenues 1 000 fois afin de comparer si les valeurs obtenues par
Jonathan étaient significativement différentes de celles obtenues par hasard sur cet échantillon
de 1 000 tirages mélangeant les valeurs des jugements émotionnels de tous les participants du
groupe contrôle et du cas unique. Cette analyse a révélé différents effets :
• Nous relevons que Jonathan, avant de donner un jugement, demande à réentendre significati-
vement plus souvent les stimuli présentés que les participants du groupe contrôle (Moyenne
Johnatan = 5.43 ; Moyenne contrôles = 0.89 ; N(1 000)répétitions : p < .001).
• Pour les stimuli de colère : nous retenons un effet significatif de confusion sur l’échelle de joie,
i. e. de confusion avec l’émotion de Joie : N(1 000)colère/joie : p = .017 et l’échelle de peur N(1 000)
colère/peur : p = .005 comparé au groupe contrôle, toutes les autres échelles étant non significa-
tives (p > .810) (fig. 2.2).

58
Évaluation d’une dysprosodie ■ Cas 2

Figure 2.2 – Valeurs moyennes des jugements du groupe contrôle (zone pointillée)
et de Jonathan (zone hachurée) pour les stimuli « Colère » (* : p < .05 ; ** : p < .01)

• Pour les stimuli de joie : un effet significatif de confusion avec l’échelle de colère est révélé
N (1 000)joie/colère : p = .021, avec des valeurs plus hautes pour Jonathan comparé au groupe
contrôle ; toutes les autres échelles n’étant pas différemment significatives entre Jonathan et
le groupe contrôle (ps > .155), (fig. 2.3).
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Figure 2.3 – Valeurs moyennes des jugements du groupe contrôle (zone pointillée)
et de Jonathan (zone hachurée) pour les stimuli « Joie » (* : p < .05)
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• Pour les stimuli neutres : nous retenons un effet significatif de confusion avec l’échelle de
joie N(1 000)neutre/joie : p = .022 avec des valeurs plus hautes pour Jonathan comparé au groupe
contrôle ; toutes les autres échelles n’étant pas différemment significatives (ps > .838) (fig. 2.4).

59
13 cas cliniques en neuropsychologie des émotions

Figure 2.4 –Valeurs moyennes des jugements du groupe contrôle (zone pointillée) de Jonathan (zone hachurée)
pour les stimuli « Neutre » (* : p < .05)

• Pour les stimuli de peur : seul un effet marginal de confusion a été observé avec l’échelle cible
de peur, (N(1 000)peur/peur : p = .074 ; aucune autre échelle n’était significativement différente
entre Jonathan et le groupe contrôle (ps > .298).
• Pour les stimuli de tristesse : sur l’échelle cible de tristesse Jonathan l’a jugée significativement
plus basse que le groupe contrôle : N(1 000)tristesse/tristesse : p < .001 ; les jugements sont margina-
lement significatifs en ce qui concerne la confusion avec les échelles de joie (N(1 000)tristesse/
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joie : p = .086) et de surprise (N(1 000)tristesse/surprise : p = .084) (fig. 2.5).

Figure 2.5 – Valeurs moyennes des jugements du groupe contrôle (zone pointillée)
et de Jonathan (zone hachurée) pour les stimuli « Tristesse » (° : p < .10 ; ** : p < .01)

4.1.3 Discussion des résultats

L’ensemble de ces résultats permet de constater qu’il existe chez ce patient TSA une confusion
plus importante, en regard du groupe contrôle de même âge, dans le jugement de stimuli proso-
diques émotionnels. À noter que ces difficultés portent aussi bien sur des émotions positives que
négatives. Toutefois c’est l’émotion de tristesse qui semble poser le plus de difficultés à Jonathan ;

60
Évaluation d’une dysprosodie ■ Cas 2

en effet c’est la seule émotion qui est non reconnue sur l’échelle cible. Les autres difficultés, pour la
colère ou la joie par exemple, sont des effets de confusion mais les réponses de Jonathan sont non
significativement différentes des jugements des contrôles sur l’échelle cible. Par ailleurs, Jonathan
montre également une moins grande assurance durant le jugement émotionnel avec un nombre
de demandes répétitions du stimulus significativement plus élevé que les contrôles. Cela pourrait
dénoter d’une part des difficultés à traiter le stimulus lui-­même, de manière implicite : on peut
formuler l’hypothèse qu’il compense sa difficulté en passant par une stratégie cognitive explicite.
D’autre part, on constate une plus grande lenteur pour en comprendre la teneur requérant des
répétitions nombreuses. Ce résultat pourrait également être lié à des persévérations de contrôles
visant à réduire les erreurs potentielles. On ne peut pas exclure également que Jonathan ait pour-
suivi une stratégie de réécoute systématique des stimuli pour juger chaque échelle, expliquant ainsi
le grand nombre de répétitions. Ces différents éléments peuvent conduire à des difficultés encore
plus importantes et significatives dans un contexte d’interaction naturelle, où le traitement doit
se faire de manière rapide et continue afin de pouvoir le mettre en lien avec le contexte et l’inte-
raction (implication de la théorie de l’esprit notamment) et ensuite réguler la relation et l’échange.

5. Discussion générale et conclusion


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L’objectif de ce chapitre était de pouvoir décrire les capacités de compréhension de la prosodie
émotionnelle chez un enfant avec TSA. En effet, la compréhension de la prosodie émotionnelle
est l’un des très nombreux éléments de la cognition sociale sur lequel il faut pouvoir se baser
pour pouvoir comprendre l’échange avec autrui et s’y adapter, tout en tenant compte des autres
éléments de la situation sociale (contexte, statut relationnel avec l’interlocuteur, conventions
sociales, théories de l’esprit, communication verbale et non verbale, cohérence ou non entre
ces différents éléments, vécu personnel du patient, etc.) (Koenig et al., 2009).

Par rapport aux sujets contrôles, nous pouvons noter des difficultés significatives chez
Jonathan. En effet, globalement Jonathan présente non seulement plusieurs types de confu-
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sions entre les émotions positives et négatives mais a également une difficulté accrue dans le
décodage de l’émotion prosodique de tristesse.

Dans la littérature, les données décrites ne parlent pas en faveur d’un déficit complet et stable
dans le temps de la reconnaissance de la prosodie émotionnelle dans le TSA. En effet, on observe
la préservation de certaines compétences de traitement prosodique dans des tâches simples
(Grossman et al, 2010 ; Paul et al., 2005 ; Peppé et al., 2007) alors que le traitement d’aspects
plus subtils (e. g., l’intensité, mise en lien avec un contexte congruent ou non) est altéré et évolue
moins rapidement (Grossman et al., 2010 ; Le Sourn-­Bissaoui, 2013). La tâche présentée ici est de

61
13 cas cliniques en neuropsychologie des émotions

type complexe car elle ne repose pas sur une association simple entre un contour prosodique et
une émotion mais nécessite de juger de l’intensité des différentes échelles pour chaque stimulus.

Dans la littérature, on relève en outre que la capacité à juger un contour prosodique hors
contexte se ferait plus tardivement chez les jeunes avec TSA (12 ans) par rapport aux sujets tout-­
venant (9 ans), ce qui correspondrait également à l’âge chronologique du patient Jonathan, âgé
de 11 ans. Nous notons une tendance évolutive avec l’âge (données transversales, données pilotes
d’une autre étude des mêmes auteurs) puisque les plus jeunes patients ont plus de variabilité
dans leurs réponses (i. e., plus de confusion entre les émotions) que les plus âgés. Nous observons
enfin que la confusion est également observée par une mesure indirecte (demande de répétition
des stimuli, particulièrement pour la colère et la tristesse). Ceci pourrait être mis en lien avec
les hypothèses qu’un traitement cognitif est privilégié/utilisé au détriment d’une analyse impli-
cite et automatique des stimuli prosodiques, comme d’autres fonctions de la cognition sociale
(Chevallier et al., 2011 ; Peppé et al., 2007). Chez ce jeune, on peut en outre faire l’hypothèse que
ce traitement explicite est rendu encore plus coûteux par des difficultés attentionnelles liées à une
sensibilité sensorielle encore très importante (stéréotypies, information du corps propre – trouble
du traitement et de l’intégration sensoriels) qui rendent par moment difficile pour Jonathan le
fait de pouvoir focaliser son attention et de filtrer les informations non pertinentes du corps
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propre pour l’analyse de la situation de communication sociale. Cette nécessité de passer par un
traitement plus explicite a des conséquences importantes sur les interactions sociales, où l’adap-
tation relationnelle doit se faire rapidement et de manière continue afin que l’échange puisse se
dérouler sans heurts (i. e., les capacités de traitement cognitif n’étant parfois pas compatibles).

Ceci nous permet d’appuyer certains éléments de nos hypothèses de base. Chez Jonathan,
on note ainsi des réponses surprenantes et divergentes des scores des tout-­venant, avec par
exemple une tendance à confondre la colère avec la joie et à des difficultés à reconnaître des
affects de tristesse. Comme évoqué au préalable, le traitement cognitif postulé impliquerait
une non-­automatisation de l’accès à l’information prosodique qui serait ainsi en lien avec notre
hypothèse d’un fonctionnement de base différent (déviance) par rapport aux tout-­venant.

Cette étude comprend un certain nombre de limitations. En effet, nous pouvons souligner
que le travail sur une composante isolée (ici le contour prosodique émotionnel) n’implique pas
la possibilité de la mettre en lien avec les autres composantes de la communication sociale. Ceci
peut être mis en lien avec les difficultés de généralisation de la population présentant un TSA,
mais également avec la nature du trouble et les difficultés marquées pour tisser des liens et
coordonner les éléments de communication. En outre, le fait de passer par une analyse cognitive
explicite reste très coûteux et peut conduire à de multiples maladresses de communication si
le sujet ne parvient pas à synthétiser les multiples composantes de la communication sociale,
puis à ajuster son comportement en fonction de celles-­ci.

62
Évaluation d’une dysprosodie ■ Cas 2

En conclusion, nous pouvons ainsi souligner que le traitement de la prosodie (émotionnelle


et grammaticale) est important dans la compréhension des situations sociales et qu’une atteinte
de cette seule composante peut avoir un impact important dans la vie quotidienne. Dans la prise
en charge thérapeutique, le travail sur la prosodie est ainsi nécessaire en ne le proposant pas
uniquement comme une tâche de laboratoire, mais en la mettant en lien avec d’autres sous-­
composantes afin que ces patients puissent l’intégrer aux autres dimensions de la communication
sociale et en lien avec leurs propres émotions. Cette prise en charge peut se faire dans un premier
temps de manière individuelle, puis dans un second temps, nous préconisons de la travailler dans
un groupe d’entraînement aux habiletés sociales puisque cela permet de l’intégrer à la dimen-
sion relationnelle, ce qui permet de fournir un environnement social plus riche et donc plus
écologique. Le traitement sous forme de groupes de compétences sociales est ainsi un travail de
longue haleine et les effets ne peuvent, à notre sens, pas être attendus rapidement en raison du
nombre d’éléments à traiter et à travailler chez des patients pour lesquels les exigences sociales
augmentent par ailleurs simultanément. Il est toutefois essentiel de poursuivre ce travail étant
donné que les difficultés de communication sociale ont des conséquences à long terme sur le
développement personnel, l’intégration sociale et familiale, l’humeur, la réussite académique
à l’école et l’ajustement professionnel (Williams White et al., 2006).
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