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2011 | pages 92 à 99
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ISBN 9782361060152
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.infophilosophies-et-pensees-de-notre-temps---page-92.htm
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MAÎTRISER LE VIVANT
Rencontre avec François Dagognet
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Chasser le naturel, maîtriser le vivant
pas : « Ce n’est pas la vie qu’il faut respecter en tant que telle, mais
sa logique sourde, sa recherche de la maximalité et de l’ampleur ;
elle y échoue parfois, on la redresse donc, on l’agrandit, aussi devra-
t-on dépasser le biologique et le “manipuler” » (La Maîtrise du
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vivant). Personnage bien dérangeant sans doute et qui détonne
dans le paysage des idées. F. Dagognet se passionne pour la morale
et notamment pour les problèmes que posent sans cesse les progrès de
la biologie et de la médecine. Mais la morale ne constitue pas pour
lui une discipline éthérée qui déterminerait simplement de grands
principes universels. Des principes, elle doit bien sûr en poser. Mais
ce n’est pas parce qu’elle s’occupe de « ce qui doit être » qu’elle peut
faire l’impasse sur « ce qui est ». « La morale ne se trouve pas là où
certains la situent, dans la hauteur des idées ou le domaine de la
pure rélexion. Sans relâche, la morale s’applique : elle ne saurait
donc quitter le sol de la réalité où elle doit s’inscrire. » (Questions
interdites). C’est pourquoi F. Dagognet préfère s’attacher à entrer
dans le détail et à analyser des cas limites plutôt que de bâtir un
système moral très abstrait.
La rencontre avec l’historien des sciences Georges Canguilhem
dont il fut l’étudiant et l’ami s’avéra déterminante pour F. Dagognet.
Sous son impulsion, il s’engage après l’agrégation de philosophie
dans de longues études de médecine et de neuropsychiatrie sans pour
autant renoncer à l’enseignement. Ses premiers travaux portent donc
naturellement sur l’histoire des sciences : « J’ai toujours été choqué
par le fait que les enseignants, certains d’ailleurs remarquables, se
préoccupaient plus des résultats que des méthodes par lesquelles on les
avait obtenus. Il me semblait plus intéressant pour un philosophe de
s’arrêter aux stratégies. Pourquoi par exemple Lavoisier a-t-il révo-
lutionné la chimie alors qu’il y avait déjà tant de chimistes en son
temps et qu’il n’était pas d’ailleurs lui-même un chimiste ? Pourquoi
Mendeleïev, pourquoi Pasteur ? En quoi consistait leur démarche et
pourquoi a-t-elle été si fructueuse ? C’était la matérialité même de
leur ruse qui m’intéressait plus que ce qu’ils avaient obtenu. »
F. Dagognet s’impose comme un spécialiste du vivant. Sa soif
de savoir l’amène à acquérir de solides connaissances scientiiques.
Ce ne sont pourtant pas les sciences expérimentales en elles-mêmes
qui l’intéressent, mais les questions philosophiques qu’elles soulèvent.
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Penser le monde à l’heure de la globalisation
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la Résistance. F. Dagognet ne pense pas que la rélexion philoso-
phique puisse faire l’économie d’une rélexion morale et politique.
Philosophe engagé, farouche républicain, il est attaché à la place de
l’État qui seul peut protéger l’intérêt général et la cité contre toutes
les déviances. Il manque selon lui à sa mission en laissant perdurer
des inégalités insupportables. F. Dagognet n’a pas oublié ses origines
modestes qui ne lui ont pas permis d’aller au lycée. Obtenir dans ces
conditions le baccalauréat a été, nous conie-t-il, « un supplice ».
C’est pourquoi, après avoir publié 100 mots pour commencer
à philosopher (Les Empêcheurs de penser en rond, 2003), il fera
paraître Philosophie à l’usage des réfractaires. Initiation aux
concepts (Les Empêcheurs de penser en rond, 2004), petit manuel
de philosophie rudimentaire, simple et accessible à tous, à l’usage des
« élèves déshérités », qui n’ont pas la chance de fréquenter les grands
lycées parisiens : « Il y a un devoir pour le philosophe de travailler à
la diminution des injustices. »
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Chasser le naturel, maîtriser le vivant
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protéger des dégâts provoqués par le monde industriel, vous
soutenez une position plutôt atypique. Contre les nostalgiques
d’une nature perdue, vous défendez en efet l’artiiciel et l’in-
novation technique.
Le mot « artiice » est un mot malheureux parce qu’il est
connoté de manière négative. Mais l’artiiciel, c’est l’art. L’homme
se reconnaît en son pouvoir démiurgique de tout changer, de
tout renouveler, de tout reconstruire. Ceux qui veulent limiter
cette prouesse me semblent livrer une bataille perdue d’avance.
Il n’y a rien qui soit vraiment naturel. Ce qui nous paraît naturel
est bien souvent artiiciel. La nature, dans ses formes les plus
typiques pour nous, porte l’empreinte de l’homme. La campagne
telle que nous la voyons aujourd’hui est le fruit de longues trans-
formations : les champs, les forêts, les sentiers ont été modelés
par l’homme. Considérez les fruits et les légumes : ils ne sont
pas naturels ; l’agronomie les a sélectionnés, les a croisés pour
les améliorer. La révolution verte en intervenant sur la nature a
été très proitable à l’homme et lui a permis d’échapper à bien
des servitudes. L’agronome américain Norman Ernest Borlaug,
prix Nobel de la paix en 1970, a ainsi pu dénaturer le blé pour
le rendre plus résistant à la sécheresse et à des conditions cli-
matiques très diiciles. Grâce à cela, des pays quasi désertiques
ont pu cultiver le blé et échapper aux disettes. Bénissons donc
ces artiices. La nature n’a jamais existé sauf comme idéologie
permettant de condamner les changements. Que peut-il y avoir
de naturel ? L’homme a tout façonné, tout modelé, repris à son
compte, assumé, transformé.
Cela n’empêche pas que l’environnement doive être protégé.
Ce serait ridicule de dire le contraire. Mais à partir de là, il faut
limiter le droit au respect des lieux. Certains tombent dans une
philosophie de la nature excessive. Or, il s’agit d’une bataille qui
est plus idéologique que réelle au sens où certains défendent
par là une mythologie. Ce qui me navre le plus, c’est que cette
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Penser le monde à l’heure de la globalisation
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Pour ce qui est de l’homme, le culturalisme a fait la preuve
pour moi que le naturalisme est une mythologie. Nous avons
certes un patrimoine génétique, mais les expériences portant sur
des vrais jumeaux séparés à la naissance et élevés dans des milieux
diférents montrent que l’immersion culturelle est déterminante.
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Chasser le naturel, maîtriser le vivant
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ou biologiques.
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Penser le monde à l’heure de la globalisation
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familiale à accueillir ou à ne pas accueillir l’enfant. Bien sûr, ce
critère peut être mis en diiculté, par exemple dans le cas où un
enfant attaque en justice ses parents parce qu’il estime que ses
malformations lui sont insupportables. La volonté d’accueillir
l’enfant était là, mais cela n’a pas sui à le rendre heureux. Il y
a donc des impasses, mais je préférerai toujours invoquer des
motifs humains plutôt que des principes de nature.
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Chasser le naturel, maîtriser le vivant
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pas participé à l’accident et qui n’était peut-être même pas pré-
sent serait-il le responsable ? Tout simplement parce que l’em-
ployeur est le seul à pouvoir empêcher par la suite que des acci-
dents de ce type se reproduisent en investissant dans l’hygiène
et dans la sécurité. Prévenir, plutôt que guérir. Voilà qui boule-
verse les conceptions morales classiques. Le problème n’est pas
uniquement de savoir qui a commis la « faute » mais qui saura
faire en sorte de l’éviter et de protéger les hommes à l’avenir. Le
droit est donc une discipline qui nous met en présence de pro-
blèmes concrets et de questions conlictuelles. C’est pourquoi je
l’apprécie.
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