Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
SH Colle 2011 01 0084
SH Colle 2011 01 0084
2011 | pages 84 à 88
Document téléchargé depuis www.cairn.info - CERIST - - 193.194.76.5 - 14/10/2019 17:33 - © Editions Sciences Humaines
Document téléchargé depuis www.cairn.info - CERIST - - 193.194.76.5 - 14/10/2019 17:33 - © Editions Sciences Humaines
ISBN 9782361060152
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.infophilosophies-et-pensees-de-notre-temps---page-84.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - CERIST - - 193.194.76.5 - 14/10/2019 17:33 - © Editions Sciences Humaines
MEURENT-ELLES ?
Rencontre avec Jared Diamond
Document téléchargé depuis www.cairn.info - CERIST - - 193.194.76.5 - 14/10/2019 17:33 - © Editions Sciences Humaines
J. Diamond de développer une analyse des échecs civilisationnels,
qu’il rapporte à cinq types de causes : « Les dégâts que la population
a inligés à son environnement ; les changements climatiques ; les
ennemis ; la perte de partenaires commerciaux amicaux ; et les réac-
tions politiques, économiques et sociales face à ces changements. »
Évidemment, leur importance varie selon le cas, mais la leçon qu’il
tire est claire : l’homme, soit qu’il a mal agi, soit qu’il a mal réagi,
n’est jamais totalement étranger à ces désastres. En matière d’action
sur la nature et l’environnement, il y a donc de bonnes et de mau-
vaises décisions. A fortiori lorsque c’est l’ensemble des équilibres pla-
nétaires qui est en jeu.
Entre l’échec des Anasazis du désert et les incendies de forêt du
Montana, l’histoire des civilisations permet de tracer un lien, que
J. Diamond a résumé dans une entrevue avec Amos Esty, assistant à
l’American Scientist Magazine.
85
Penser le monde à l’heure de la globalisation
Document téléchargé depuis www.cairn.info - CERIST - - 193.194.76.5 - 14/10/2019 17:33 - © Editions Sciences Humaines
n’existait pas d’exemple de pur désastre écologique. Le cas de
l’île de Pâques est sans doute celui qui s’en rapproche le plus,
mais il reste qu’une question se pose : pourquoi les Pascuans
ont-ils abattu les arbres de l’île ? Pourquoi ont-ils fait ce genre de
bêtise ? L’élément humain est toujours impliqué dans ces phé-
nomènes. Dans la plupart des cas, en dehors de l’île de Pâques,
on trouve un mélange d’action humaine, de changement clima-
tique et d’autres causes aussi : souvent, ce sont des ennemis qui
proitent de l’afaiblissement d’une société pour l’attaquer. Il y a
aussi des cas où ce sont des alliés ou des partenaires d’échanges
commerciaux qui déclinent et s’efondrent, de telle sorte que
même si une société gère bien son environnement, elle init par
être atteinte par les problèmes de ses voisins. Et puis, au bout
du compte, tout dépend de la manière dont les hommes par-
viennent ou non à maîtriser ces problèmes. En bref, plus j’ai
compris de choses, plus le tableau s’est compliqué.
Vous dites que le destin de l’île de Pâques est celui qui, plus
que tout autre, retient l’attention de vos lecteurs et de vos étu-
diants. Pourquoi cela ?
Parce que la métaphore est frappante. L’île de Pâques est
l’un des lambeaux de terre les plus isolés du monde. C’est une
île du Paciique, située à plus de 3 500 km des côtes du Chili,
et à 2 000 km de l’archipel polynésien le plus proche. Lorsque
les Pascuans ont commencé à avoir des problèmes, ils n’avaient
nulle part où se réfugier et n’avaient aucun voisin pour les aider.
Il y a une métaphore facile à voir : l’île de Pâques est à l’océan
Paciique ce que la planète Terre est à l’espace intersidéral. Si
cela tourne mal pour nous, Terriens, nous serions incapables de
gagner une autre planète, et on n’a pas encore trouvé de petits
hommes verts à qui demander de l’aide.
86
Pourquoi les civilisations meurent-elles ?
Un des cas les plus frappants que vous rapportez est celui des
établissements vikings au Groenland, qui ont tenu pendant
quatre cent cinquante ans puis ont totalement disparu. En
revanche, leurs voisins les Inuits ont très bien survécu. Vous
Document téléchargé depuis www.cairn.info - CERIST - - 193.194.76.5 - 14/10/2019 17:33 - © Editions Sciences Humaines
Document téléchargé depuis www.cairn.info - CERIST - - 193.194.76.5 - 14/10/2019 17:33 - © Editions Sciences Humaines
suggérez que les Vikings sont morts parce qu’ils n’ont pas
voulu renoncer à leurs « valeurs fondamentales », notamment
parce qu’ils refusaient de manger du poisson, très abondant
dans ces mers froides. Peut-on expliquer cela ?
C’est un cas fascinant et pathétique. Imaginez ces gens
en train de mourir de faim au milieu de ressources naturelles
abondantes, mais auxquelles ils s’interdisaient de toucher pour
des raisons culturelles. Le cas des Vikings illustre le fait que les
désastres ne sont pas inévitables, même dans un milieu diicile
comme celui du Groenland, puisque les Inuits ont réussi à y
vivre. Les Vikings y sont morts parce qu’ils refusaient d’imiter
les Inuits. Ce qui nous frappe, vous et moi, dans cette histoire,
c’est son allure de tragédie : les mêmes valeurs qui, pendant des
siècles, ont soutenu les Vikings et leur ont permis de survivre
dans cet avant-poste isolé, très éloigné des côtes européennes, ces
mêmes valeurs de cohésion et d’identité collective, fondées sur
la ierté d’être européens, ces valeurs sont celles-là mêmes qui les
ont perdus. Cette histoire éveille un écho très particulier chez les
Américains. Les valeurs qui ont porté les États-Unis pendant des
siècles – l’isolationnisme, le sentiment d’être à l’abri du reste du
monde et celui de vivre dans un pays de cocagne – ne sont plus
d’actualité. Et c’est angoissant d’avoir à réévaluer ses propres
valeurs fondamentales lorsqu’elles sont dépassées.
Vous écrivez que « la décision des Vikings n’était pas plus sui-
cidaire que celles que nous prenons aujourd’hui ». D’abord,
qui entendez-vous par « nous », ensuite, pensez-vous que nous
soyons empêchés d’avoir un mode de vie plus soutenable à
cause de certains tabous ?
Quand je dis « nous », ce sont les Américains auxquels je
pense, mais aussi le monde dans son entier. Que pensons-nous
aujourd’hui ? Nous trouvons que le refus des Vikings de man-
ger du poisson même en cas de famine était absurde. Mais
87
Penser le monde à l’heure de la globalisation
Document téléchargé depuis www.cairn.info - CERIST - - 193.194.76.5 - 14/10/2019 17:33 - © Editions Sciences Humaines
plus de pétrole par habitant que les Allemands ? Ceux-ci ont
un niveau de vie aussi élevé que le nôtre mais ils usent deux fois
moins de pétrole par tête : notre gaspillage n’est-il pas absurde ?
N’est-il pas absurde qu’à Los Angeles, au cœur d’une zone quasi
désertique où l’eau est rare, nous entretenions des parcours de
golf et des jardins à grands coups d’arrosage ? Nous gaspillons
l’eau comme si nous n’étions pas étroitement dépendants du
débit des leuves Arizona et Colorado, que nous nous disputons
avec l’Arizona voisin, et des neiges de la Sierra Nevada, pour les-
quelles nous nous battons avec le Nord de la Californie. Toutes
ces choses paraîtront tout à fait insensées à nos descendants…