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CO-FORMATION ENTRE PROFESSIONNELS COLLABORANT DANS DEUX

DISPOSITIFS D'INTERVENTION AUPRÈS D'ÉLÈVES AYANT DES


TROUBLES D'APPRENTISSAGE

Philippe Tremblay

INSHEA | « La nouvelle revue de l'adaptation et de la scolarisation »

2011/3 N° 55 | pages 175 à 190


ISSN 1957-0341
ISBN 9782999999992
DOI 10.3917/nras.055.0175
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-la-nouvelle-revue-de-l-adaptation-et-de-la-
scolarisation-2011-3-page-175.htm
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Dossier
Co-formation
entre professionnels
collaborant dans deux
dispositifs d’intervention
auprès d’élèves ayant
des troubles d’apprentissage
Philippe Tremblay 1
Université Laval - Faculté des sciences de l’éducation
Département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage
Université libre de Bruxelles
Facultés des sciences psychologiques et de l’éducation
Services des sciences de l’éducation
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Résumé : Cet article traite de la co-formation opérant dans le cadre de deux dispositifs de co-enseignement/
co-intervention destinés à des élèves présentant des troubles d’apprentissage en Belgique
francophone. Nous avons procédé à la réalisation d’entretiens et d’observations auprès des
enseignants participants (n = 25). Nos résultats montrent des différences notables tant sur la
qualité que la quantité du co-mentorat mis en œuvre dans les deux dispositifs. Les enseignants
en inclusion disent se former au contact de leur collègue co-enseignant. Les échanges portent
principalement sur les pratiques enseignantes. En enseignement spécialisé, les enseignants
disent se former principalement au contact des logopèdes (orthophonistes). Avec ces derniers,
les enseignants spécialisés échangent surtout sur les troubles et difficultés des élèves. Les
différences importantes entre les deux groupes apparaissent ainsi dans les temps et les lieux
de co-formation, mais également sur le contenu des échanges et les possibilités d’application
des nouvelles connaissances et compétences où le dispositif de co-enseignement semble
plus favorable à la co-formation et au développement d’une pratique réflexive.
Mots-clés : Co-enseignement - Co-formation - Co-intervention - Co-mentorat - Enseignement spécialisé -
Inclusion - Trouble d’apprentissage.
Co-training between collaborating professionals in two intervention models for students with
learning disabilities
Summary: We examined co-training within the context of two co-teaching/co-intervention models for
students with learning difficulties in the French Community of Belgium. Twenty-five teachers
were interviewed and observed to determine the impact of an inclusion model and a special
education model. Our results reveal notable differences in both the level of quality and the
amount of co-mentoring employed in the two models. The teachers in inclusion stated having
learned by being in contact with their co-teaching colleague. Their discussions focused primarily
on teaching practices. The teachers in special education expressed having learned more by
working with the speech therapist. Their discussions centered on the problems and difficulties
of the students. The significant differences between the two groups were not only evident
within the context of co-training, but also in terms of the content of the discussions and the
potential applications for new knowledge and skills where the co-teaching model appears to
be more conducive to co-training and the development of reflective practices.
Keywords: Co-intervention - Co-mentoring - Co-teaching - Co-training - Inclusion - Learning difficulties -
Special education.

1. Mél : philippe.tremblay@fse.ulaval.ca ; philippe.tremblay@ulb.ac.be

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Revue de la littérature
Dans un contexte scolaire de plus en plus inclusif, le rôle de l’enseignant spécialisé
évolue progressivement vers une collaboration de plus en plus étroite avec l’enseignant
régulier. Cette tendance marque une division du travail éducatif dans les écoles
régulières destinée à favoriser la gestion de l’hétérogénéité induite, entre autres, par
une politique scolaire plus inclusive (Tardif et Levasseur, 2010). Cet apport qualitatif
et quantitatif de ressources nouvelles au sein des écoles régulières s’accompagne
d’une nouvelle organisation selon différents modèles de services. Autrefois fournis
à l’extérieur de l’école ou de la classe régulière, les services de l’enseignement
spécialisé sont maintenant de plus en plus intégrés au sein de la classe régulière
(pull in) dans une approche de co-enseignement avec l’enseignant régulier (Bauwens,
Hourcade, & Friend, 1989 ; Friend & Cook, 2007 ; Murawski, 2009 ; Gaudreau, 2010).
Le co-enseignement s’organise dans le cadre d’un partage d’enseignement à titre
temporaire (quelques heures par semaine, ou quelques jours ou semaines par mois
ou par année) ou permanent (à temps plein, toute l’année). On peut ainsi définir le
co-enseignement à partir de quatre caractéristiques fondamentales : un enseignement,
deux enseignants qualifiés (ex. : un enseignant régulier et un enseignant spécialisé),
un groupe hétérogène d’élèves (ex. : des élèves en difficulté et des élèves réguliers),
une mise en commun de pratiques dans un même espace/temps (ex. : en classe)
(Friend & Cook, 2007). Dans la situation où deux professionnels (et plus) travaillent
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au même moment pour des élèves d’un même groupe, mais sans partager le même
espace, ni les mêmes objectifs à court terme, etc., on parlera alors de co-intervention
(pull out). C’est le cas, par exemple, lorsqu’un logopède (orthophoniste) effectue
une prise en charge individuelle d’un élève pendant ses heures de classe.
Dans une méta-analyse sur les recherches qualitatives portant sur le co-enseignement,
Scruggs, Mastropieri et McDuffie (2007) relèvent que les enseignants reconnaissent
avoir globalement bénéficié professionnellement de l’expérience de co-enseignement.
Différentes recherches montrent des bénéfices professionnels pour les co-enseignants
(Buckley, 2005 ; Rice & Zigmond, 2000, Thompson, 2001). Austin (2001) remarque
que les enseignants spécialisés considèrent avoir profité d’une augmentation de
connaissances sur le contenu à enseigner en enseignement régulier tandis que
les enseignants réguliers admettent avoir bénéficié des compétences de leurs
collègues dans la gestion de classe et dans l’adaptation curriculaire. Différents auteurs
relèvent également l’apport du co-enseignement, mais soulignent l’importance de la
« comptabilité » tant personnelle que professionnelle (Frisk, 2004 ; Rice & Zigmond,
2000 ; Buckley, 2005 ; Thompson, 2001). Toutefois, les recherches réalisées jusqu’ici ne
décrivent pas suffisamment le temps consacré tant à la formation qu’à la préparation
et à la concertation avec l’enseignant associé. De plus, elles se penchent, le plus
souvent, vers la gestion du handicap ou vers les difficultés des élèves plutôt que
vers les rapports entre les enseignants.
Scruggs et coll. (2007) suggèrent que le co-enseignement possède un important
potentiel, sous-utilisé, de développement des pratiques enseignantes. La
coparticipation dans la pratique apparaît comme un environnement d’enseignement-
apprentissage permettant aux personnes de devenir compétentes (Lave, 1996). Ce
co-mentorat, dans un cadre de co-enseignement, procure des opportunités pour

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améliorer les compétences des enseignants à travers une rétroaction immédiate
et l’expérimentation de stratégies nouvelles (Bowman & McCormick, 2000). Dans
ce contexte, les enseignants peuvent, ainsi, plus aisément essayer de nouvelles
méthodes et profiter de l’avis et de l’aide de co-mentors.
Le co-mentorat se définit comme un processus mis en place quand deux professionnels
« égaux » travaillent ensemble pour atteindre un objectif (Mullen, Cox, Boettcher et
Adoue, 1997). Généralement, le mentorat est une relation entre un professionnel
moins expérimenté, appelé « protégé » et un autre plus expérimenté appelé
« mentor ». Cette relation dyadique viserait un développement mutuel, professionnel
et personnel (Donaldson, Ensher et Gant-Vallonne, 2000). Pour ce faire, le mentor
peut remplir trois fonctions : une fonction psychosociale (ex. : conseiller, ami), une
fonction professionnelle (ex. : coach, parrain) (Noe, 1988 ; Ragins et McFarlin, 1990)
et une fonction de modélisation (Donaldson et coll., 2000 ; Scandura et Williams,
2001). Bergevin et Martineau (2007) divisent ces fonctions selon le type de
processus auxquels elles se réfèrent : processus d’accompagnement, processus
d’enseignement, processus d’interaction et relationnel.
Bien qu’une littérature maintenant abondante existe sur la collaboration entre
professionnels à l’école, nous possédons peu de recherches sur le co-mentorat
prenant place dans ce type de dispositifs destinés à des élèves à besoins spécifiques,
les contenus transmis, les méthodes, lieux, etc. Peu de données sont disponibles
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sur les phénomènes de co-formation, le plus souvent informelle, dans ce contexte.
Par contre, des auteurs mettent en avant les avantages de cette collaboration sur
les possibilités d’adopter une approche de résolution de problèmes (ex. : Friend et
Cook, 2007) ou pour développer une pratique réflexive (ex. : Uzat, 1998).
Différentes implications sont tirées de la littérature. Premièrement, l’analyse des
changements significatifs de pratiques requiert de consacrer une attention à l’espace/
temps dans lequel se construisent leurs compétences professionnelles. Une
deuxième implication touche la compréhension du développement professionnel
des enseignants en observant la manière dont les processus de changement de
pratiques et la collaboration se soutiennent mutuellement (Butler, 2005). En somme,
comprendre l’apprentissage des enseignants dans un contexte de collaboration
requiert d’expliquer la façon dont les processus d’apprentissage individuels et
collectifs coopèrent. Enfin, il importe de connaître les contenus qui sont abordés et
développés dans le cadre de cette collaboration tout comme les apports respectifs
dans cette co-construction d’une pratique.

Contexte et objectifs
En Communauté française de Belgique, la scolarisation des élèves présentant un
handicap, une maladie grave ou un trouble d’apprentissage ou de comportement
prend généralement place dans des écoles spécialisées, séparées de celles de
l’enseignement ordinaire. Huit types d’enseignement différents y sont organisés
sur la base de catégories de déficiences (Communauté française de Belgique,
2004). Le très faible taux d’intégration de ces élèves en enseignement ordinaire
situe d’ailleurs la Belgique dans la catégorie des pays les plus ségrégationnistes
(Eurydice [4] ; OCDE [5]). À titre d’exemple, l’année scolaire 2005-2006 ne comptait

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que 15 élèves ayant des troubles d’apprentissage (type 8), intégrés en enseignement
primaire ordinaire (Communauté française de Belgique, 2008). Enfin, différents travaux
(Tremblay, 2007, Communauté française de Belgique, 2010) ont montré une faible
efficacité de ce type d’enseignement spécialisé à atteindre son objectif premier,
c’est-à-dire l’intégration des élèves en enseignement ordinaire.
Depuis 2007, quelques projets innovants basés sur une approche inclusive ont
émergé en Communauté française de Belgique. Dans le cadre d’une recherche-action
portant sur l’implantation d’un dispositif d’inclusion scolaire avec co-enseignement
et son évaluation comparée avec un dispositif en enseignement spécialisé destiné
à des élèves ayant des troubles d’apprentissage (type 8), nous avons été amené à
étudier le fonctionnement de ce type de classe comparé à d’autres en enseignement
spécialisé. Notre échantillon était composé de 12 classes inclusives et de 13 classes
d’enseignement spécialisé. En 2007-2008, quatre classes ordinaires de première
année du primaire (CP) ont entrepris une expérience d’inclusion d’élèves ayant
des troubles d’apprentissage jumelée à une formule de co-enseignement (groupe
A1). Ces quatre groupes d’élèves ont poursuivi leur expérience d’inclusion l’année
suivante dans leurs classes de 2e année du primaire (CE1) (groupe A2). Lors de
cette seconde année d’expérimentation, quatre nouvelles classes du CP se sont
ajoutées à l’échantillon initial (B1). Ces classes formant le groupe expérimental ont
été choisies sur la base du volontariat. Les classes formant le groupe contrôle (X1,
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X2 et Y1) ont par la suite été sélectionnées par le chercheur, en respectant des
critères de proximité sociogéographique (urbain-rural, favorisé-défavorisé) et les
niveaux scolaires. Les classes inclusives comptaient une moyenne de 4,83 élèves
ayant des troubles d’apprentissage contre des effectifs moyens de 8,15 élèves par
classe en enseignement spécialisé.
Dans ce cadre, nous avons été amenés, dans l’analyse des impacts des deux
dispositifs, à étudier le processus de co-formation entre professionnels. Nous
cherchions à connaître, entre autres, quels effets avaient les deux dispositifs sur
les compétences professionnelles des enseignants. En somme, nous souhaitions
appréhender la manière dont ces deux configurations collaboratives pouvaient
favoriser le développement professionnel. Plus précisément, nous nous sommes
demandé quels sont étaient les partenaires et quelles fonctions ils occupaient, dans
quel espace/temps cette co-formation prenait place, quels étaient les contenus
et les compétences mobilisées dans ces échanges et la manière dont ils étaient
transmis (processus).

Méthodologie
Caractéristiques des dispositifs
Le premier dispositif est constitué de huit classes d’inclusion scolaire organisées
sur le modèle d’un co-enseignement permanent entre un orthopédagogue 2 et un
enseignant régulier. Quelques heures de logopédie pouvaient être attribuées à la

2. Pour simplifier la lecture, nous appellerons « orthopédagogues » les enseignants spécialisés travaillant
en inclusion scolaire.

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classe. Le second dispositif étudié est celui de l’enseignement spécialisé, du même
niveau scolaire, destiné à des élèves ayant des troubles d’apprentissage (type 8).
Dans ce dispositif, un enseignant spécialisé travaille dans une classe avec un ratio
professeur/élève plus important. Les élèves bénéficient de périodes de logopédie.
Il peut également arriver que le groupe-classe soit pris en charge, en partie, par un
autre professionnel (ex. : maîtres d’enseignement individualisé-MEI, logopède, etc.).
Les élèves du dispositif inclusif recevaient, en moyenne, 0,25 Équivalent temps
plein - ETP (ET = 0,071) tandis que ceux qui étaient en enseignement spécialisé
recevaient 0,23 ETP (ET = 0,091). Le test-t montre qu’il n’y avait pas de différence
significative sur ce point entre les deux échantillons (p = 0,475). Cependant, ces
ressources pouvaient varier de 0,14 à 0,44 ETP selon les classes. Nous remarquons
que les élèves en enseignement spécialisé bénéficiaient de prises en charge en
petits groupes ou individuelles plus importantes en moyenne (co-intervention). Ces
prises en charge sont effectuées par des MEI, psychomotriciens, kinésithérapeutes,
etc. durant les heures de classe. Enfin, les classes spécialisées se distinguent par
un recours très important à la logopédie (M = 1,34 ; ET=1,03 contre M = 0,68 ; ET =
0,28 en inclusion). Le niveau de prise en charge logopédique diffère significativement
(p = 0,042) entre les deux groupes. Les élèves ayant des troubles d’apprentissage,
en inclusion, quant à eux, bénéficient surtout exclusivement des ressources liées
à la présence de l’orthopédagogue en classe.
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Caractéristiques de l’échantillon
Pour caractériser les enseignants, nous avons accès à trois indicateurs principaux :
la formation initiale des enseignants, la formation complémentaire et l’expérience.
Nous pouvons également ajouter le sexe des enseignants, qui dans notre cas, était
quasi exclusivement composé de femmes (24 femmes et un homme).
En ce qui concerne les diplômes, deux enseignantes en inclusion ne détenaient
pas les titres requis (instituteur maternel). Elles travaillaient dans la même classe.
Les orthopédagogues marquent leur différence également en ce qui concerne le
diplôme complémentaire spécialisé. Ils sont en effet près de la moitié (3 sur 7) à
posséder un tel diplôme contre 3 sur 13 en enseignement spécialisé. De plus, un
enseignant avait obtenu un baccalauréat supplémentaire en logopédie et un autre, un
master en Sciences de l’éducation. En définitive, dans le dispositif d’inclusion, cinq
enseignants sur sept détenaient un diplôme supplémentaire en concordance avec
la profession, mais deux n’avaient pas les titres requis. Un seul enseignant régulier
avait un diplôme supplémentaire (master en Sciences de l’éducation). Cependant, les
orthopédagogues œuvrant en enseignement inclusif se montrent moins expérimentés
(M = 4,43 années ; ET = 3,74 ) que ceux qui travaillaient en enseignement spécialisé
(M = 9,5 années ; ET = 2,49 ). Les enseignants réguliers travaillant en inclusion ont,
pour leur part, une moyenne de 7,75 années d’expérience (ET = 6,13 ). L’expérience
préalable de dispositif intégratif est très limitée ; un seul enseignant avait une
expérience d’intégration scolaire. Tous les enseignants étaient volontaires. Enfin,
dans un questionnaire portant sur leur expérience dans le dispositif, les enseignants
interrogés citent, comme source de satisfaction, l’évolution professionnelle juste
après l’évolution des élèves et avant la collaboration.

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Traitement des données
Nous avons réalisé un entretien semi-directif individuel avec les huit binômes
enseignants (quinze entretiens) en enseignement inclusif et avec treize enseignants
de l’enseignement spécialisé. L’une des sections du guide d’entretien portait sur la
thématique du développement professionnel.
Après retranscription des entretiens, nous avons tout d’abord procédé à une analyse
de contenu descriptive et systématique de ces données. Pour effectuer cette analyse,
nous avons utilisé une méthodologie issue de la théorie enracinée (Glaser et Strauss,
1967). Pour cette analyse de contenu, nous avons codé les données issues des
retranscriptions des entretiens semi-directifs avec les enseignants en identifiant
différents points d’ancrage (thématiques). Cette codification permet la catégorisation
de concepts semblables permettant une théorisation, c’est-à-dire une collection
des explications. Par ailleurs, en procédant à une analyse de contenu structurale, où
nous avons croisé les réponses des membres de chaque binôme du dispositif de
co-enseignement, nous avons pu analyser diverses concomitances entre enseignants
pour certaines thématiques. Par ailleurs, nos observations en classe nous ont permis
de caractériser les différents temps et espaces de rencontres entre professionnelles.
Enfin, lors de séances d’observation en classe, nous avons pu quantifier le temps
de concertation durant le temps d’enseignement lors d’observations systématiques
de 10 minutes où le comportement des enseignants était noté toutes les cinq
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secondes. La concertation constituait l’une des huit catégories de comportement
observé. Nous avons pu de cette manière mesurer le temps de concertation directe.

Résultats
Nous présentons ici la synthèse de nos résultats. Pour la présentation de ceux-ci,
nous avons séparé en quatre parties : les partenaires, l’espace/temps, les processus
et les contenus.

Les partenaires
Les entretiens révèlent qu’en inclusion scolaire, le co-mentor est clairement l’autre
collègue co-enseignant. Les contenus des entretiens sur la co-formation portent,
en effet, quasi exclusivement sur ce partenaire. Cependant, les enseignants se
disent bien informés par le logopède travaillant avec des élèves de la classe, car la
coordination est plus facile à deux et les enseignants ont des demandes plus précises.
En ce qui concerne les enseignants du second dispositif, nous observons des
différences notables sur les partenaires. Il semblerait que comme en enseignement
régulier, les enseignants en enseignement spécialisé restent des solitaires. En effet,
nos observations montrent que les enseignants spécialisés sont la quasi-totalité du
temps seuls dans leur classe. Cela est accentué par le fait que les enseignants n’ont
pas les mêmes niveaux au sein d’une même école et ne suivent ainsi pas le même
programme. Les lieux d’échanges informels entre enseignants sont les mêmes que
ceux de l’enseignement régulier (salle des profs, récréation, etc.).
La collaboration avec d’autres enseignants (ex. : MEI) s’organise dans le cadre d’une
co-intervention. On leur demande de prendre un « bout » de matière à donner (ex. :
informatique) à un groupe d’élèves ou de prendre quelques élèves en individuel.

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C’est l’enseignant spécialisé qui exerce un leadership dans cette relation dans le
choix des élèves, des contenus, etc. Il doit toutefois prendre en compte les fonctions
et compétences de ses partenaires. Nous n’avons assisté qu’à très peu de séances
(n = 3 ) de co-enseignement dans les classes spécialisées ; celles-ci ne sont pas
décrites comme fréquentes par les enseignants interrogés. Dans ce cas, la formule
de l’enseignement de soutien était utilisée.
Pour ces enseignants spécialisés, les principaux partenaires d’échanges semblent
être les logopèdes (orthophonistes). Ceux-ci, bien qu’ayant un niveau de formation
similaire, ont toutefois des rôles différents et travaillent dans un contexte différent
(collectif vs individuel). De plus, chacun a son programme, ses contenus, ses objectifs,
bien qu’ils doivent être mis en commun dans le PIA (Plan individuel d’apprentissage).
Les enseignants reconnaissent avoir moins d’emprise sur ce travail logopédique. La
logopédie est souvent comprise par les enseignants comme de la remédiation. Le travail
logopédique parait, aux yeux des enseignants, s’effectuer dans un cadre relativement
« secret ». L’enseignant a peu de connaissance et de pouvoir sur ce qui est réellement
fait dans ces séances. Les enseignants adressent deux critiques principales : le manque
de coordination et le manque de transparence (secret professionnel, jargon, etc.).

L’espace/temps
Un premier espace/temps formel de concertation est prévu, en enseignement
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spécialisé comme en intégration/inclusion scolaire, sous la forme de Conseils de
classe qui se réunissent trois fois par an, regroupant l’ensemble « (…) des membres
du personnel directeur et enseignant, du personnel paramédical, psychologique et
social et du personnel auxiliaire d’éducation qui a la charge de l’instruction et de
l’éducation des élèves d’une classe déterminée et qui en porte la responsabilité »
(Communauté française, 2004, p. 2). De ses six missions, deux seulement traitent
de la coordination des moyens ; les autres relèvent des pouvoirs d’orientation
(maintien, intégration, changement de niveau, etc.). Les missions en relation avec
la coordination stipulent que le Conseil de classe veille à élaborer et à ajuster pour
chaque élève, un Plan individuel d’apprentissage (PIA) qui coordonne les activités
pédagogiques, paramédicales, sociales et psychologiques et évalue les progrès
et les résultats de chaque élève en vue d’ajuster le PIA (Communauté française,
2004, p. 19). Le Conseil de classe constitue ainsi un lieu d’échange d’informations
sur l’élève et de prise de décision.
Hors conseils de classe, lors de nos observations sur le terrain et des discussions
avec les enseignants, nous avons observé et caractérisé trois grands types de
concertation 3 :
a) les concertations formelles,

3. La concertation des enseignants est une obligation légale depuis 1998 (Communauté française, 1998)
pour une durée de 60 heures par an. Toutefois, cette disposition ne touche que ceux travaillant en
enseignement régulier. Il n’est, en effet, pas prévu de temps spécifique de concertation inter-enseignants
en enseignement spécialisé, bien que l’horaire de ces enseignants soit de 22 périodes contre 24 en
enseignement régulier, ouvrant la voie à ce type de rencontres. Dans les prescriptions légales sur
l’enseignement spécialisé (Communauté française, 2004), l’on remarque que cette collaboration entre
professionnels est fortement recommandée bien qu’elle soit peu définie.

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b) les concertations informelles,
c) les concertations directes.
Les premières, les concertations formelles, sont des moments plus ou moins réguliers
(ex. : lundi après la classe, pendant les heures sans élèves, etc.) où les enseignants
conviennent d’avance de se rencontrer pour parler de points précis (ex. : élaboration
du programme de la semaine, mise au point d’activités, etc.). En inclusion, ce type
de concertations occupe un temps relativement important (une à trois heures
semaines). Toutefois, les enseignants disent ne pas consacrer globalement plus de
temps à la préparation des leçons qu’en temps normal. Les temps de concertation
(obligation légale et contextuelle) et de préparation sont ainsi partiellement combinés ;
il reste un temps de préparation des activités à la maison. Pour les enseignants
réguliers, soumis à une obligation de concertation de 60 heures par an, la situation
vécue ne change que peu de choses. Deux différents types d’organisation sont
observés. Certains binômes concentrent ce travail de concertation dans une réunion
hebdomadaire fixe, souvent après les heures de classe, alors que d’autres en font
plus souvent, mais de plus courtes et nombreuses, en journée, pendant les heures
sans classe. Toutefois, en plus d’une certaine fréquence et durée, l’organisation de
ces réunions entre enseignants d’une même classe se caractérise par sa flexibilité
(changements de date, de sujet, annulation, ajout, etc.).
Dans l’enseignement spécialisé, la collaboration entre professionnels est, comme nous
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l’avons vu, basée, le plus souvent, sur une division des élèves entre professionnels.
Les enseignants que nous avons rencontrés disent ne pas se concerter en dehors
de leurs heures d’enseignement, sauf en cas de projets communs comme des
ateliers. Il n’y a pas d’obligation légale, ni structurelle à se concerter. Les horaires
ne permettent que peu ce type de rencontres formalisées entre professionnels.
Certaines écoles organisent cependant des réunions mensuelles ou bihebdomadaires
avec l’ensemble des enseignants.
Le deuxième type de concertation, les concertations informelles, sont liées à
l’adéquation des horaires des professionnels. Différents moments de la journée
à l’école des enseignants sont constitués des heures sans classe : repas de midi,
début de matinée, fin de journée, récréation, cours d’éducation physique 4, etc.
Ces moments permettent des rencontres improvisées plus ou moins imposées
par la vie en commun entre professionnels. En inclusion, les co-enseignants ayant
les mêmes horaires, ils passent un temps important, hors classe, ensemble. Par
exemple, ces enseignants ont le plus souvent les mêmes surveillances, dînent
ensemble, partent en classes vertes ensemble, etc. Au final, nous constatons que
les binômes passent un temps important de concert tant en classe qu’en dehors.
Ces rencontres informelles permettent des microconcertations, où des ajustements
aux activités sont réalisés, des idées sont proposées, des rétroactions données, etc.
En enseignement spécialisé, pendant les temps sans classe (récréation, temps de midi,
etc.), nous retrouvons globalement le même genre d’interactions entre enseignants

4. Il est utile de souligner qu’en Belgique, deux heures par semaine sont attribuées à des cours d’éducation
physique et deux autres heures à des cours de morale/religion. Ces cours sont donnés par des enseignants
spécifiques.

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qu’en enseignement régulier. Ces contacts sont largement dépendants du climat
d’école et des affinités personnelles. En cela, elles ne se différencient guère des
écoles régulières. Outre les contacts habituels entre collègues à la salle des repos,
nous observons que les contacts entre professionnels travaillant au même moment
avec un même groupe prennent place dans deux situations précises : le conseil de
classe (concertation formelle) et dans le couloir ou pendant les repas (concertation
informelle). Pour les professionnels (logopède, MEI, etc.) qui prennent en charge un
élève ou un petit groupe d’élèves de la classe, les contacts se font en grande partie
lors de la prise en charge ou de l’arrivée de l’élève, dans les couloirs ou lors des
temps de table et de pause. Ainsi, une large part des informations sur un élève est
communiquée le plus souvent entre « deux portes », dans le couloir, lors des repas,
pendant la classe, etc. Bien qu’il soit possible de rencontrer de manière plus formelle
un collègue, les enseignants reconnaissaient que les temps de coordination sont
trop rares. Le temps et l’espace de ces échanges sont exclusivement à l’intérieur
de l’établissement scolaire, pendant les heures scolaires. Nous n’avons pas observé
de coordination en dehors des heures de classe, sinon de manière très ponctuelle.
Enfin, les concertations directes concernent les discussions entre professionnels, en
classe, pendant qu’ils ont la charge des élèves. En inclusion, il s’agit, le plus souvent,
de moments où les deux enseignants se rejoignent pour discuter quelques secondes,
d’un sujet concernant les activités réalisées dans la journée ou en direct (rétroaction,
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ajustement, improvisation, etc.). Ces concertations directes touchent également
les discussions avec le logopède, les parents, la direction, etc. En enseignement
spécialisé, les concertations directes concernent surtout les logopèdes qui viennent
en classe prendre ou ramener un élève ou des visites de la direction/secrétariat de
l’école pour des questions administratives.
De l’analyse du temps affecté à la concertation directe lors de nos observations,
nous remarquons que, le temps de concertation des orthopédagogues en inclusion
est sensiblement le même que celui de leur collègue de l’enseignement régulier
(tableau 1). En effet, pour les trois sous-échantillons, les proportions sont presque
les mêmes que celles de leurs collègues relevant de l’enseignement régulier
(5 à 6 %) sauf pour A2 où les enseignants réguliers ont passé près de 10 % de
leur temps de classe en concertation. Cela peut être influencé par l’heure des
observations en matinée où des personnes extérieures (direction, secrétaire,
logopèdes, etc.) viennent quotidiennement pour différentes questions (repas,
présences, etc.). Cela signifie que les co-enseignants se concertent entre eux mais
également avec d’autres professionnels (ex. : logopède) alors que son collègue
gère le groupe classe. Cette manière de gérer les intrusions apparaît clairement
comme un avantage du co-enseignement dans les entretiens des enseignants en
inclusion. Si l’on compare avec les enseignants de l’enseignement spécialisé, ce
temps de concertation directe est, ici aussi, réduit de 0,93 % à 2,28 %. Comme
nous l’avons vu, il s’agit essentiellement des contacts avec les logopèdes lors
des prises en charge d’un élève pendant les heures de classe. Ces discussions
sont nécessairement courtes, l’enseignant ne pouvant laisser sa classe sans
surveillance trop longtemps.

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Type Groupe Concertation (%)
Orthopédagogue A1 6,24 %
Régulier A1 5,14 %
Spécialisé X1 0,93 %
Orthopédagogue A2 6,36 %
Régulier A2 9,29 %
Spécialisé X2 2,28 %
Orthopédagogue B1 6,33 %
Régulier B1 5,59 %
Spécialisé Y1 1,93 %

Tableau 1 : Temps de concertation directe selon le type d’enseignants dans les deux dispositifs.

Les processus
Les enseignants dans le dispositif d’inclusion disent se former de deux manières
principales avec leur collègue : par l’exemple et par la discussion. Dans le premier
cas, il s’agit d’observer son collègue travailler concrètement avec les élèves sur
des contenus identiques. Ils peuvent ainsi voir directement l’efficacité de certaines
pratiques en laissant leur collègue prendre le leadership dans une activité qu’il maîtrise
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bien. Ils peuvent également exercer un regard critique sur ces pratiques. Ensuite,
lors des moments sans les élèves (ex. : concertations formelles et informelles), les
enseignants sont en position de coconstruction des contenus et des méthodes
d’enseignement des activités scolaires. Toutefois, ce travail à deux ne concerne
pas nécessairement toutes les activités, ni tous les aspects de celles-ci. Il s’agit de
se diviser une partie du travail, mais également d’élaborer et se partager certaines
tâches d’enseignement et d’établir le rôle spécifique de chacun lors de certaines
activités. Ce travail ne serait possible pleinement qu’avec une nécessaire affinité
entre personnes. Les enseignants en inclusion, dans les entretiens, insistent d’ailleurs
lourdement sur l’importance d’une bonne entente entre partenaires, condition sine
qua non. Dans deux cas spécifiques 5, cette entente n’a pas pu s’établir, ce qui a
été source de tension entre les acteurs. De plus, les apports de la collaboration se
révèlent très faibles aux dires de ces derniers. Cela semble confirmer l’importance
de cette condition.
En enseignement spécialisé, les périodes de co-intervention reçoivent un assez faible
niveau de préparation des séances collectives. Après une planification générale, chacun
développe seul son cours. Les enseignants et leurs collègues (ex. : MEI) travaillent en
parallèle ; chacun prenant en charge une partie du groupe. Cela se confirme par nos
observations. Le groupe-classe est allégé pendant quelques périodes ; chacun fait sa
part de contenu. Cette organisation a pour objectif de permettre aux professionnels,
en travaillant avec moins d’élèves, d’individualiser, de manipuler, d’approfondir,
etc. Nous avons également observé à quelques reprises des échanges d’élèves
d’une autre classe dans le cadre de groupes de niveau. Alors que dans le dispositif

5. Une même école avec deux classes régulières et un orthopédagogue partagé mi-temps dans chacune d’elles.

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d’inclusion, la tendance est de se partager le groupe, en enseignement spécialisé, elle
serait de se diviser le groupe. On leur demande de prendre un contenu spécifique à
donner. Ces contenus concernent principalement l’informatique, les arts plastiques,
la psychomotricité. Les titulaires de classe, durant ces périodes, travaillent avec
un nombre réduit d’élèves, sur des activités de manipulation ou de lecture. Les
MEI peuvent également prendre des élèves en individuel pour des remédiations,
en lecture principalement. Les enseignants pratiquent ainsi une différenciation en
partageant les groupes, en réduisant l’hétérogénéité. Il y a peu d’échanges entre
enseignants sur ces séances (avant, pendant et après).
Dans le cas des logopèdes, les prises en charge sont effectuées globalement selon
le même modèle. Celles-ci ont lieu à l’extérieur de la classe, dans un local spécifique,
avec un ou deux élèves à la fois. Les interventions logopédiques individuelles portent
essentiellement sur la lecture. Nous n’avons pas assisté à des séances de travail
en commun entre l’enseignant et le logopède et les enseignants disent ne jamais
utiliser cette manière de travailler avec le logopède. La planification de ces prises
en charge est annuelle et dépend des décisions prises en conseil de classe.

Les contenus
En inclusion, la question du rythme et/ou du temps scolaires (classe vs élève) a
fait l’objet d’un échange croisé. Les orthopédagogues évoquent une meilleure
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connaissance du rythme et des exigences d’une classe régulière. Cela touche
par exemple le déroulement « classique » des leçons (ex. : étude d’un nombre), la
programmation annuelle, l’évaluation, etc. Ils sont également plus au fait du niveau
attendu en enseignement régulier. On a ainsi tendance à suivre un rythme externe
aux élèves du dispositif (programme, manuel, habitude, exigences des élèves
réguliers, etc.). L’enchaînement des leçons est plus prévisible (les nombres vus et
les lettres ou mots abordés, etc.). Le rythme serait ainsi plus régulier à l’image d’un
courant (mainstreaming) entraînant les apprentissages.
En ce qui concerne les enseignants réguliers, ils mettent en avant une meilleure
connaissance des processus en œuvre dans certains apprentissages, du besoin
de répétition et de fixation, du passage plus graduel entre le concret et l’abstrait.
L’enseignant se dit plus à même de remarquer, de prendre en compte et de chercher
des solutions plus individuelles à des problèmes spécifiques. Ils peuvent ainsi accepter
des rythmes individuels plus lents, adaptés, de manière temporaire ou permanente,
dans une matière, au sein de la classe. Enfin, l’inclusion d’élèves ayant des troubles
d’apprentissage les force à questionner plus avant la forme scolaire (retard scolaire,
redoublement, etc.). Ces pratiques se caractérisent, selon les enseignants, par une
différenciation plus importante, une remédiation immédiate, une individualisation
des apprentissages et par la possibilité d’établir et d’appliquer plus aisément des
décisions prises autour d’un élève.
En ce qui concerne plus spécifiquement les pratiques pédagogiques, s’agissant
de classes de 1re et 2e années, les méthodes de lecture ont fait l’objet de ce type
d’échanges de connaissances et de pratiques dans un rapport dialectique entre le
collectif et l’individuel. L’enseignement régulier ayant tendance à utiliser des méthodes
mixtes, le plus souvent avec un manuel, tandis que l’orthopédagogue privilégie les

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méthodes ou outils analytiques, qu’il compose lui-même en s’inspirant de différents
outils (ex. : Planète des Alphas, méthode Borel-Maisonny, etc.). Ces outils utilisés
en enseignement régulier ont une programmation plus ou moins stricte alors que
les enseignants du spécialisé font généralement fi de cette programmation, de ce
rythme externe. Le modus operandi a été d’utiliser comme base la méthode du
titulaire de l’enseignement régulier pour ensuite apporter des outils complémentaires
pour certains élèves ou pour toute la classe (ex. « Mirabelle » avec les « Alphas »
ou de « Frisapla » avec des apports d’une méthode gestuelle).
D’autres échanges sur des pratiques concernent les leçons ponctuelles. Chaque
enseignant développe des leçons ou des contenus avec lesquels il est plus à l’aise.
Les enseignants interrogés citent différentes leçons portant sur des matières d’éveil
scientifique, de mathématiques ou de français. Il s’agit d’expliquer différemment,
d’avoir une autre vision d’un exercice, d’une leçon, d’un matériel et de son utilisation,
etc. Enfin, un dernier groupe d’échanges touchant la gestion du groupe-classe en
lui-même et des comportements a fait l’objet de nombreux apprentissages mutuels.
L’exemple étant le plus souvent le vecteur de ces apprentissages. En effet, cette
gestion est plus visible et l’efficacité des pratiques est directement observable à très
court terme. Les enseignants ont pu apprendre des trucs de gestion du groupe (ex. :
lever les mains pour revenir au calme, réactivité à certains comportements, etc.),
observer puis adopter une autre attitude, une autre façon d’aborder cette gestion.
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En enseignement spécialisé, comme nous l’avons vu, les différentes interventions
de professionnels supplémentaires s’effectuent en dehors de la classe ou du temps
d’enseignement de l’enseignant. La fonction de modélisation est donc nécessairement
plus réduite. Par ailleurs, le temps de concertation entre enseignants étant plus
réduit, les échanges portant sur le contenu sont également nécessairement moins
importants. Toutefois, les enseignants spécialisés reconnaissent avoir été influencés
par des collègues, des acteurs extérieurs (ex. les Centres psycho-médico-sociaux
-CPMS, etc.), dans le choix de méthodes d’enseignement. Le contexte d’écoles
d’enseignement spécialisé exercerait une influence. En effet, ces enseignants
avancent que le public (les élèves) constitue le principal acteur de leurs transformations
pédagogiques. Toutefois, tant au niveau des contenus d’apprentissage que des
méthodes pédagogiques, ces enseignants disent ressentir une grande liberté
pédagogique. Avec les logopèdes, les enseignants reconnaissent surtout avoir
des informations pour mieux connaître l’enfant, ses difficultés, son évolution. Sur
la base de ces informations, les enseignants disent mettre en place des pratiques
adaptées, mais sans les caractériser. Toutefois, on remarque peu d’échanges de
pratiques entre professionnels et même de coordination sur les objectifs à atteindre.
Ils reconnaissent qu’assez peu d’idées pédagogiques concrètes, à faire en classe,
émergent de ces échanges.

Discussion
De l’analyse des entretiens et des observations des enseignants dans les deux
dispositifs étudiés, nous observons des différences importantes en ce qui a trait
aux partenaires, à l’espace/temps, aux processus et aux contenus des échanges.
Tout d’abord, nous remarquons que les enseignants en enseignement spécialisé

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disent se former au contact de leur public (élèves) et des logopèdes. Avec ces
derniers, les échanges portent surtout sur les troubles et difficultés des élèves.
Les enseignants en inclusion, bien que reconnaissant l’apport des logopèdes, se
formeraient principalement au contact de leur collègue co-enseignant en ayant
des échanges portent principalement sur les pratiques enseignantes, c’est-à-dire
les solutions à apporter aux difficultés des élèves. Nos résultats portant sur
les contenus des échanges concordent avec ceux d’Austin (2001) qui observait
également que les orthopédagogues disent avoir bénéficié d’une augmentation de
connaissances concernant le contenu à enseigner en enseignement régulier tandis
que les enseignants réguliers admettent avoir bénéficié des compétences de leurs
collègues dans la gestion de classe et l’adaptation curriculaire. Par ailleurs, différentes
pratiques hétérogènes ont pu être discutées et testées tant au niveau didactique
que de celui de la gestion de la classe. Le fait de pouvoir observer directement les
effets de ces pratiques représente clairement, aux yeux des enseignants, un vecteur
puissant d’apprentissage.
Nous observons également que les temps et les lieux d’échanges entre enseignants
sont nettement plus importants et structurés en inclusion qu’en enseignement
spécialisé pour les trois types de concertation (formelle, informelle et directe).
La forme du dispositif (ex. : co-enseignement) et la législation (ex. : obligation de
concertation) paraissent favoriser ce phénomène. Toutefois, cela peut représenter
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une charge de travail supplémentaire pour les enseignants concernés, bien qu’ils
disent ne pas travailler plus que les années passées. Une partie du travail est partagée
(ex. : réunions) tandis qu’une autre est divisée, donc allégée. Les contenus sont ainsi
retravaillés mais également redistribués. De plus, les enseignants dans ce dispositif
passent un temps important avec l’ensemble des élèves, avec ou sans troubles
d’apprentissage (pull in). Nous observons, a contrario, un manque de temps et de
lieux de concertation en enseignement spécialisé. Une large part des informations,
hors Conseil de classe, est transmise de manière improvisée.
Les deux premières fonctions du mentorat : professionnelle et de modélisation
semblent différemment assumées dans les deux dispositifs. En effet, nous remarquons
que la forme du dispositif avantage sérieusement le dispositif inclusif sur ces deux
plans. Dans l’enseignement spécialisé, il y a peu d’observations de pratiques et
d’échanges sur celles-ci. Les enseignants sont très rarement mis en situation de
participation, d’échange ou d’observation d’autres professionnels au contraire de
ceux œuvrant en inclusion. En enseignement spécialisé, on procède à une division
de contenus, des objectifs et des élèves. Cette division (pull out) permettrait tant
une action contrôlée de spécialistes (logopèdes, MEI, etc.) qu’un allégement du
ratio professionnel/élèves visant à mettre en œuvre des méthodes spécifiques. Sans
nous avancer sur les résultats de telles pratiques chez les élèves, les conditions de
mise en place d’un apprentissage professionnel et d’une pratique réflexive semblent
moins favorables dans ce contexte (Bowman & McCormick, 2000).
Toutefois, la relation socioaffective entre partenaires semble être tant une cause
qu’une conséquence de ces évolutions professionnelles du co-enseignement. Les
enseignants insistent fortement sur le caractère volontaire de leur participation
et sur l’importance d’établir une relation de confiance dépassant le strict cadre

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professionnel pour mener à bien ce type de collaboration. Cette conception des
enseignants rejoint celles de travaux similaires (Frisk, 2004 ; Rice & Zigmond, 2000 ;
Buckley, 2005 ; Thompson, 2001) où l’entente entre collègues conditionne la réussite
de l’ensemble.
Bien que les dispositifs de co-enseignement semblent montrer un impact positif
en termes de développement professionnel, nous devons toutefois souligner deux
limites importantes à l’analyse de ce dispositif : les caractéristiques de la recherche et
la durabilité des effets. S’agissant, pour le dispositif inclusif, d’une recherche-action
impulsant une nouvelle expérience ayant recueilli l’adhésion des enseignants, le
dispositif inclusif a bénéficié d’un fort enthousiasme qui a animé la plupart des
équipes. Il est probable qu’à moyen et long terme, une partie de ces effets, dus
à la nouveauté du projet, s’estompent, en partie. Évaluant les deux premières
années de vie des dispositifs, nous avons essentiellement évalué sa période de
rodage, les classes étant des prototypes du dispositif inclusif. De plus, nous ne
pouvons cependant pas présager, à ce stade, de la durabilité de ces pratiques et
de ces attitudes dans le temps et dans un autre contexte de travail. Par ailleurs, les
enseignants spécialisés sont convaincus de pouvoir transférer les pratiques utilisées
cette année, pour les années suivantes à la seule condition que la composition de leur
classe le leur permette. Les enseignants en inclusion sont, quant à eux, conscients
de ne pas pouvoir entièrement transférer ces pratiques l’année suivante, lorsqu’ils
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retourneront travailler seuls (en classe régulière ou spécialisée) ou avec un nouveau
partenaire de co-enseignement. La durabilité de ces apports resterait dépendante
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