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POUR UNE APPROCHE SYSTÉMIQUE ET DÉVELOPPEMENTALE DE

L’APPRENTISSAGE DU « LIRE-ÉCRIRE » ET DE L’AIDE PÉDAGOGIQUE

Thierry Marot

INSHEA | « La nouvelle revue de l'adaptation et de la scolarisation »

2006/1 N° 33 | pages 165 à 176


ISSN 1957-0341
DOI 10.3917/nras.033.0165
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Études et formations
Pour une approche
systémique
et développementale
de l’apprentissage
du « lire-écrire »
et de l’aide pédagogique
Thierry Marot
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Maître de conférences à l’université catholique d’Angers
Formateur en Capa-SH

Résumé : Apprendre la langue française nécessite de mener de front la découverte des réalités phonique,
sémantique et scripturale de la langue, selon deux étapes de développement : une étape de
compréhension au sens de clarté cognitive (consciences phonique, sémantique et scripturale)
puis une étape de mémorisation (savoirs phoniques, sémantiques et scripturaux). La difficulté
d’apprentissage dans le lire-écrire, selon cette approche, s’appréhende alors comme un désé-
quilibre : entre les réalités phonique, sémantique et scripturale avec, dans la plupart des cas, un
surinvestissement sur une de ces trois réalités ou (et) entre l’étape de compréhension et l’étape
de mémorisation au détriment de la première sur la seconde. L’aide pédagogique revient à tenter
de restaurer un équilibre et à établir des liens entre les différents aspects de la langue.
Mots-clés : Conscience phonique - Conscience sémantique - Conscience scripturale - Enseignement
systémique et développemental - Modèle développemental - Surinvestissement cognitif.

L’observation menée en Segpa


Une étude réalisée, en 2003, auprès d’adolescents de Segpa 1 montre trois défaillances
importantes : certains tentent, en situation de lecture, de deviner un sens approxi-
matif du texte en s’appuyant sur quelques indices visuels (c’est la faiblesse la plus
fréquente) ; d’autres lisent un écrit avec seulement la volonté de le sonoriser sans
le comprendre ; d’autres, enfin, sont capables de produire un écrit formel mais avec
la seule intention de donner une trace écrite à chaque son. En tant qu’enseignant,
ces constats nous plongent dans le questionnement. Comment ne pas être inquiet
pour ces adolescents qui développent un comportement de lecteur-scripteur très
infantile alors qu’ils sont en plein bouleversement de l’adolescence. Un paradoxe
important, voire une violence étouffée, se manifeste entre la volonté légitime d’une
certaine émancipation et un usage sans autonomie de la langue.

1. Cette étude est présente dans l’ouvrage (à paraître) : Prévenir l’illettrisme ou comment la recherche peut-elle
servir l’École ?, sous la direction de Jean-Pierre Gaté, préface d’Alain Bentolila, chapitre 3, p. 43-81.

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Trois idées importantes
L’approche systémique et développementale est un modèle d’enseignement qui
organise autrement la découverte de la langue. Trois idées essentielles sont énoncées
dans cette approche, au regard de l’enseignement du lire-écrire :
1. La langue est un objet complexe, et en raison de sa complexité, elle est péda-
gogiquement insécable.
2. La seconde idée concerne l’apprenant : l’élève n’a pas attendu que l’école
commence, pour découvrir la langue selon ses propres dispositions et influencé
par son contexte de vie.
3. La troisième idée se centre sur la difficulté en lecture/écriture. La difficulté n’est
pas nécessairement un manque ou une absence de compétences. Elle manifeste
une conception déformée de la langue, une sorte de surinvestissement et de
dépendance à l’égard d’un seul versant de la langue.

La posture
Avant d’approfondir ces idées, il apparaît nécessaire de clarifier notre posture. De quelle
position parle-t-on quand nous évoquons l’apprentissage du lire-écrire ? Si nous occupons
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le poste de maître de conférences 2, notre propos est éclairé à la fois par les années
passées (18 au total) auprès des élèves en difficulté en tant qu’enseignant spécialisé,
titulaire du capsais E et par les actions de formation auprès des enseignants sur le sujet
de l’apprentissage du lire-écrire. Autrement dit, nos idées ne sont pas issues d’une
recherche en laboratoire (ce qui n’est pas critiquable en soi) mais d’un questionnement
tiré d’une réalité professionnelle, puis d’une recherche sur l’apprentissage de la langue,
sanctionnée par une thèse en sciences de l’éducation 3. En définitive, notre discours
puise son énergie dans cette triple identité professionnelle qui, en réalité, se résume
en une seule, celle du pédagogue (enseignant, formateur et chercheur) soucieux de
répondre au défi d’un apprentissage efficient de la langue pour chaque élève.
C’est, par conséquent en tant que pédagogue que nous nous sommes intéressé à
l’apprentissage du lire-écrire. Cela signifie un positionnement épistémologique et
méthodologique, fortement marqué par les sciences de l’éducation, dans lequel les
pratiques pédagogiques, observées dans leur singularité et leur globalité, tiennent
une place importante.

La langue est un objet complexe, pédagogiquement insécable


Il apparaît contestable de découper l’objet d’apprentissage, c’est-à-dire la langue, pour
en faire différentes étapes de découverte, soi-disant plus simples, car la singularité
et la spécificité de la langue se situent dans et sur cette complexité.

La description du modèle d’enseignement d’Uta Frith


Pourtant, le modèle d’enseignement le plus couramment exploité (modèle développemental
de Frith) parie sur trois étapes successives, appelées logographique, alphabétique

2. Maître de conférences à l’université catholique d’Angers.


3. Thèse en sciences de l’éducation, soutenue en mars 2002, Conscience phonographique et apprentissage
du lire-écrire : vers un enseignement systémique et développemental.

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Études et formations
et orthographique. Si nous ajoutons la priorité accordée à l’acquisition du langage
oral dans les premières années de scolarisation, à l’école maternelle, nous serions
enclin à décrire les pratiques pédagogiques en quatre étapes successives.

Schématisation des différentes étapes de la découverte


du lire-écrire à partir du modèle de Frith

Étape 1 Étape 2 Étape 3 Étape 4

Acquisition Mémorisation Imprégnation Découverte


des relations des règles Modèle
d’un langage visuelle des
phonèmes- ortho- développemental
oral mots
graphèmes graphiques

Ces deux étapes visent une même Ces relations C’est la


finalité, celle d’accéder à la compré- s’appuient sur découverte de
hension du « parler » pour la première l’oral, il s’agit ici l’acte d’écrire.
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étape et du « lire » pour la seconde de l’étape Nous nous
étape. En cela, elles sont constituan- phonique. situons sur
tes de l’étape sémantique. l’étape
scripturale.

Nous exprimerons quelques réserves sur ce dispositif car, d’une part, il croit simplifier
l’objet d’apprentissage et en fait le déforme, d’autre part, il procède par des étapes
successives, sans continuité et abordées de manière hiérarchique et, enfin, il n’offre
qu’un chemin unique de découverte de la langue.

1re réserve : la simplification de l’objet


Dans le schéma ci-dessus, le développement, selon le modèle de Frith, est pensé sur
l’objet (la langue) et non sur le sujet (l’apprenant). On a extrait des caractéristiques
prioritaires de la langue que l’on enseigne progressivement : c’est d’abord le sens
(étape globale ou sémantique), puis ce sont les relations phonèmes-graphèmes
(étape phonique), puis vient enfin l’écrit avec sa réalité orthographique (étape de
la production d’écrit ou étape scripturale). Ces étapes sont enseignées avec l’idée
que les compétences visées, sur chacune d’elles, vont se capitaliser les unes aux
autres pour constituer un ensemble complet et homogène permettant la maîtrise
de la langue. Au bout du parcours, le pari consiste à croire que l’élève aura abordé
toutes les compétences nécessaires ; il sera donc un bon lecteur-scripteur. Mais
le risque, et il n’est pas moindre, c’est que l’élève s’en tienne et se fixe sur une
de ces étapes en refusant ou en résistant aux autres. On a segmenté la langue en
plusieurs étapes simplifiées, en ignorant la complexité de la langue et en laissant
l’apprenant s’investir ou surinvestir l’étape qui lui convient le mieux.

2e réserve : la succession des étapes


Le parti pris du modèle de Frith est de construire d’abord le parler puis le lire puis
l’écrire. Or les compétences de lecteur-scripteur ne s’appuient pas nécessairement

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sur cette priorité ; être lecteur-scripteur, c’est associer ces compétences les unes aux
autres dans une sorte de réseau. La langue, objet complexe, est inséparablement
sens, son et lettre ; les réalités sémantique, phonique et scripturale sont associées.
Pour l’apprenant, cela signifie qu’il y a lieu d’être sensibilisé dès le départ, en classes
maternelles, à ces trois réalités afin d’apprendre les liens respectifs entre sens, son
et lettre et de mener parallèlement l’appropriation des compétences se référant
au parler, des compétences se référant au lire et des compétences se référant à
l’écrire.

3e réserve : la hiérarchie du développement


Le modèle de Frith n’est pas sans rappeler une construction piagétienne de
l’apprentissage. La présentation en étapes renvoie aussi aux stades de dévelop-
pement et donc aussi à l’idée que si un stade de développement n’est pas atteint
alors l’apprentissage ne se fera pas. Il existe, dans cette manière d’envisager
l’enseignement de la langue, des étapes de développement qui s’apparentent à
des étapes hiérarchiques. Ne pourrait-on s’appuyer sur les travaux de Vygotsky et
penser que l’apprentissage pourrait créer le développement ? Il n’y aurait pas à
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croire qu’il faut d’abord parler puis lire ou qu’il faut d’abord lire puis écrire mais que
les activités de lecture, d’écriture et de production de sens profitent mutuellement
au développement de l’élève lecteur-scripteur.

4e réserve : l’unicité du parcours


Le modèle de Frith, enfin, représente un chemin de découverte qui apparaît comme
un passage imposé. La linéarité des étapes, si elle offre l’intérêt de la rationalité, n’en
reste pas moins illusoire. Les élèves, dans leur hétérogénéité, conquièrent la langue
avant que l’école ne débute, avant que l’apprentissage scolaire ne s’organise. Il existe,
par conséquent, un mode de relation entre l’enfant et la langue qui ne correspond pas
toujours à ce qui est attendu par l’école. Certains jeunes enfants peuvent être sensibles
à la musicalité de la langue (dimension phonique) alors que d’autres sont attirés par
la trace écrite (dimension scripturale). Comment organiser un enseignement de la
langue qui prenne en compte les compétences déjà établies chez les élèves tout en
les complétant pour montrer la richesse et la complexité de la langue ?

En résumé, majoritairement les pratiques actuelles de l’enseignement du lire-écrire


segmentent et fractionnement la découverte de la langue en plusieurs étapes
successives. Certes, elles mettent en avant, à juste titre, l’appropriation du langage
oral dans les premières années de la scolarité, influencées en cela par les nombreux
travaux dont ceux d’Alain Bentolila 4. Néanmoins, ne pourrait-on pas enclencher,
dès le plus jeune âge, des expériences d’écriture, des tentatives, des expériences
scripturales permettant de s’accommoder progressivement de la complexité de la
langue écrite, comme l’a énoncé Jacques Fijalkow 5 ?

4. Bentolila Alain, De l’illettrisme en général et de l’école en particulier, Plon, Paris, 1996.


5. Jacques Fijalkow, Entrer dans l’écrit, Magnard, Collection « Les guides Magnard», Tournai, 1993.

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Études et formations
Habituellement, en début de cours préparatoire, le rapport à l’écrit s’installe majori-
tairement avec une étape globale, idéo-visuelle, par une mémorisation automatique
des mots. C’est ignorer l’importance de la médiation phonologique pour accéder
au sens, en référence aux travaux de Jean-Émile Gombert 6.
On découvre ensuite les relations phonographiques pour lire et écrire, sans prendre en
compte une certaine autonomie des langues orale et écrite et en risquant d’installer
une conception totalement phonique de la langue française. Les recherches de
Béatrice Pothier 7 ont pourtant abordé l’inadéquation des langues orale et écrite.
Enfin, au terme de parcours linéaire, on développe seulement, et souvent avec
beaucoup de difficultés, la production d’écrit comme si elle résultait de toutes les
expériences acquises, comme si l’élève avait capitalisé naturellement les compétences
des étapes précédentes.

Le modèle d’enseignement systémique et développemental


Dans le modèle systémique et développemental, le mot systémique renvoie à l’objet,
c’est-à-dire au système de la langue (sa complexité), en référence aux travaux de Nina
Catach 8. La langue s’apparente à un objet mosaïque à trois couleurs, inséparablement
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son, sens et lettre, rappelons-le. Le mot développemental se fixe sur l’apprenant,
au regard de deux opérations cognitives essentielles ; la compréhension (au sens
de clarté cognitive) et la mémorisation.

Approche Approche
phonique scripturale

Étape de compréhension

Étape de mémorisation

Approche
sémantique

Schématisation du modèle systémique et développemental

6. Jean Émile Gombert, Le développement métalinguistique, Presses universitaires de France, Collection


« Psychologie d’aujourd’hui », Paris, 1990.
7. Béatrice Pothier, Comment les enfants apprennent l’orthographe, Retz/Nathan, Paris, 1996.
8. Nina Catach, Pour une théorie de la langue écrite, CNRS, Paris, 1988.

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L’enseignement de la langue sera articulé alors autour de trois approches : sémantique
(accès à la signification), phonique (la réalité phonémique de la langue) et scripturale
(la réalité alphabétique de la langue) et deux étapes : l’étape de compréhension puis
l’étape de mémorisation.

Les approches phonique, scripturale et sémantique


Il importe que ces trois approches soient abordées de manière conjointe tout au
long de la scolarité avec le souci de les tenir dans un certain équilibre. En d’autres
termes, il s’agit d’engager des activités pédagogiques sur ces trois approches dès
le cycle 1 et de les poursuivre jusqu’en fin de cycle 3, sans considérer une de ces
trois approches comme dominante sur les deux autres.

Le développement construit par deux étapes, de compréhension puis de mémorisation


Le développement dans l’approche systémique et développemental concerne
le sujet. Deux opérations cognitives importantes sont en jeu dans cette idée du
développement : la compréhension au sens de clarté cognitive 9 puis la mémorisation
venant dans un second temps.
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Approche phonique

Savoirs phoniques

Conscience phonique

Conscience scripturale
Étape n°1 de Savoirs scripturaux
compréhension
Conscience sémantique

Savoirs sémantiques

Étape n°2 de
mémorisation
Approche scripturale
Approche sémantique

Schématisation du caractère développemental de l’apprentissage du « parler, lire, écrire »

Ces deux opérations cognitives (compréhension puis mémorisation) vont se réaliser


sur les trois réalités phonique, sémantique et scripturale. La compréhension de la
réalité phonique de la langue sera la conscience phonique, la compréhension de la
réalité scripturale de la langue sera la conscience scripturale (ou alphabétique) et la
compréhension de la réalité sémantique de la langue sera la conscience sémantique
(différenciation du sens et du non sens).
La première étape du développement, dite de compréhension, peut être considérée
comme l’étape qualitative : avant de mémoriser tous les savoirs de la langue, il

9. Jacques Fijalkow et John Downing, Lire et raisonner, Privat, Toulouse, 1990.

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Études et formations
importe d’en comprendre les multiples réalités. Outre le fait que cette compréhension
donne du sens et de l’efficacité à la mémorisation (je mémorise mieux les différents
phonèmes de la langue un fois la conscience phonémique installée), elle permet
de libérer la charge cognitive et facilite l’automatisation 10 des opérations multiples
et complémentaires lors de l’acte de lecture et de production d’écrit (en référence
aux travaux de. La seconde étape de développement, dite de mémorisation, peut
être considérée comme une étape quantitative. Il est nécessaire de retenir de
nombreux savoirs (phoniques, scripturaux et sémantiques) pour un usage de plus
en plus perfectionné et élaboré de la langue.

La découverte de la langue par l’enfant


La seconde idée concerne l’apprenant : l’élève n’a pas attendu l’école pour commencer
la découverte de la langue selon ses propres intuitions, ses dispositions personnelles
et influencé, en cela, par son contexte de vie, familial, social, économique…

Les prédispositions différentes envers la langue


Si l’approche systémique et développementale, avec ses trois entrées et donc avec
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sa conception plurielle, est éclairée par l’analyse de l’objet d’apprentissage (la langue),
les élèves eux-mêmes renvoient également certaine diversité, une hétérogénéité de
fait. Leur rapport à la langue débute très tôt, avant même le début de la scolarisation.
Il se construit avec les expérimentations de la langue, les personnalités, les usages
familiaux, la culture de l’écrit qu’elle soit ignorée ou encouragée. Dans une même
classe, on peut observer chez certains élèves une attirance pour la musicalité de
la langue, l’enchaînement des effets sonores … D’autres préfèrent le discours, les
messages porteurs de sens qui les emmènent dans l’imaginaire… D’autres enfin
se passionnent pour la trace écrite, pour la mise en forme visuelle de la parole…

L’hétérogénéité de la langue à la rencontre de l’hétérogénéité des élèves


La caractéristique mosaïque de la langue se conjugue avec l’hétérogénéité des élèves
pour mettre l’enseignant face à une seule alternative : celle de la différenciation
pédagogique. L’enseignement de la langue s’appuiera tout à la fois sur la présentation
de la langue dans sa complexité et sur la prise en compte des rapports singuliers que
les élèves ont déjà établi avec elle. Par une approche systémique et développementale
de l’enseignement, il existe la possibilité donnée aux élèves de manifester leurs
propres compétences au regard de la langue. En effet, l’enseignement s’appuyant sur
trois entrées, phonique, sémantique et scripturale, il va, inévitablement, rencontrer
les compétences de l’élève.
Cette rencontre, essentielle pour la prise en compte des acquis de l’enfant, ne doit
pas néanmoins ignorer la nécessité de compléter les compétences de l’élève afin
de tenir l’équilibre entre les entrées phonique, sémantique et scripturale. Autrement
dit, s’il convient d’identifier les prédispositions d’un élève envers un seul versant de
la langue, qu’il soit phonique, sémantique ou scriptural, il n’en demeure pas moins

10. Pierre Perruchet (dir.), Les automatismes cognitifs, Pierre Mardaga, Liège, 1988.

La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation - no 33 • 1er trimestre 2006 171


important de lui permettre de compléter ses compétences afin qu’il maîtrise la
langue dans sa totalité.

La réussite du lecteur-scripteur comme un double équilibre


Dans l’approche systémique et développementale, une attention sera portée
à l’équilibre entre ces trois entrées, phonique, sémantique et scripturale. Les
compétences doivent s’accumuler, de manière équivalente, sur ces trois entrées
afin de tisser des liens entre l’acte d’écrire, l’acte de lire et l’acte de production
de sens. Ce profil équilibré est alors considéré comme celui de l’efficience dans
l’apprentissage de la langue.
Cet équilibre entre les entrées, phonique, scripturale et sémantique concerne aussi
l’étape de compréhension (consciences phonique, sémantique et scripturale) et l’étape
de mémorisation (savoirs phoniques, scripturaux et sémantiques). La mémorisation
ne doit pas prendre le pas sur la compréhension.

La difficulté d’apprentissage résultant


d’un surinvestissement
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La troisième idée se centre sur la difficulté en lecture/écriture. Selon cette approche,
la difficulté ne se définit pas nécessairement comme un manque ou une absence
de compétences. Elle témoigne plutôt d’une conception déformée de la langue et
se manifeste à l’image d’un surinvestissement cognitif sur un seul versant de la
langue.

Les dépendances phonique, scripturale et sémantique


Pour certains, les compétences peuvent être toutes acquises à une seule réalité
de la langue, soit sémantique, soit phonique, soit scripturale, dans une sorte de
déséquilibre. Les élèves qui éprouvent de grandes difficultés dans le lire-écrire vivent
les conséquences d’une découverte de la langue, souvent abordée selon une seule
et unique voie de découverte. Il peut se manifester un déséquilibre profond, un
surinvestissement exprimant une approche abusivement explorée par rapport aux
deux autres. À cet égard, nous avons évoqué trois dépendances caractéristiques :
phonique (déchiffreur), scripturale (faussaire) et sémantico-contextuelle (devineur).
Si nous rapportons les compétences de l’élève dans le domaine de la langue
à l’expression d’une cible, voici les trois profils idéaux, en matière de difficulté
d’apprentissage.
Analyser les difficultés dans le domaine de la langue se peut se satisfaire d’une
identification des manques ou des insuffisances dans le domaine de la langue. La
difficulté étant l’expression d’un déséquilibre entre les réalités sémantique, scripturale
et phonique, il s’agira d’appréhender les compétences dans les trois réalités afin
de déceler un surinvestissement. L’aide pédagogique sera alors penser avec une
finalité de rééquilibration et non pas comme un colmatage.

Le répétiteur ou la propension à réciter des savoirs


Un second déséquilibre pourra apparaître entre, d’une part, les consciences phoni-
que, scripturale et sémantique et, d’autre part, les savoirs phoniques, scripturaux

172 La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation - no 33 • 1er trimestre 2006


Études et formations
Le « faussaire » Le « devineur »
Le « déchiffreur » dépendance
dépendance phonique dépendance scripturale
sémantico-contextuelle
Phonique Scripturale Scripturale Phonique Scripturale
Phonique

Sémantique Sémantique
Sémantique

et sémantiques. Le profil de l’élève correspond à un surinvestissement de la


mémorisation au détriment de la compréhension (clarté cognitive).

Phonique
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Des compétences nombreuses
sur les savoirs phoniques, scripturaux Peu de compétences
et sémantiques sur les consciences phonique,
scripturale et sémantique

Scripturale
Sémantique

L’élève mémorise sans réellement comprendre ce qu’il apprend ; il témoigne de


résultats satisfaisants quand l’application est immédiate mais le transfert de ces
compétences sur des situations inédites lui pose problème. L’énergie dépensée
pour maintenir son haut niveau de mémorisation est très importante au point de
mobiliser toute sa charge cognitive. C’est l’élève qui connaît les règles de grammaire
et d’orthographe par cœur sans jamais les appliquer. C’est le profil du répétiteur
qui croit que réussir à l’école signifie réciter ses leçons.

Diagnostiquer les compétences de lecteur-scripteur


Dans la mesure où l’apprentissage de la lecture-écriture s’appuie sur un double
déséquilibre, entre les approches phonique, scripturale et sémantique d’une
part, et entre les opérations cognitives de compréhension (clarté cognitive) et de
mémorisation d’autre part, il convient, pour l’enseignant spécialisé, d’être éclairé
sur l’état des lieux des compétences. Pour cela, il pourra s’inspirer de l’outil appelé
compteurs diagnostics sur l’apprentissage du parler-lire-écrire.

La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation - no 33 • 1er trimestre 2006 173


Compteurs diagnostics sur l’apprentissage du parler, lire, écrire

Conscience sémantique Savoirs sémantiques

➀ Compréhension des enjeux ➀ ➊ ➊ Une expression orale élaborée et


et des finalités de la lecture ➋ structurée qui permet l’énoncé d’idées

et de l’écriture ❷ Une compréhension
➁ Différenciation entre sens ➂ ➌ des consignes simples
et non sens ❸ Une compréhension
dans un message oral ou écrit des consignes complexes
➃ ➍ ➍ L’acquisition d’un vocabulaire
Identification d’un intrus de sens :
riche et varié
➂ à partir d’images
❺ Une maîtrise en orthographe
➃ à partir de mots ➄ ➎
syntaxique (les accords)
➄ à partir de phrases et textes
❻ Une connaissance
➅ Reconstitution d’un sens par
➅ ➏ des synonymes à partir d’exemples
ordonnancement à partir
mémorisés
d’images, de mots, de phrases
➆ ➐ ❼ Une culture littéraire
Accès à la signification par : ➇ avec énoncé de références

➆ anticipation et hypothèses ➑ Une connaissance
➇ prises d’indices visuels des types de textes

Conscience phonique Savoirs phoniques


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➀ Une capacité à oraliser correctement ➀ ➊ ➊ Différencier nettement
un message entendu ou lu ➁ ➋ à l’oral les phonèmes
➁ Une compréhension sourds et sonores
des concepts : ➂ ➌ ❷ Connaître les différents
syllabe et phonème phonèmes de la langue
➂ Une capacité à isoler ❸ Mémoriser
une syllabe ou un phonème ➃ ➍ les différentes graphies
➃ Une capacité à reproduire des vocaliques
des rimes dans un message ➄ ➎ ➍ Mémoriser les différentes
oral graphies des consonantiques
➄ Une capacité à identifier ❺ Connaître pour chaque graphie
un élément sonore commun ➅ ➏ un mot-clé
➅ Une capacité à ordonner ❻ Identifier les différentes
les éléments sonores ➆ ➐ formes de liaison
➆ Une capacité à segmenter ➇ ➑ ❼ Connaître des exemples de liaison
en syllabes et en phonèmes ➑ Énoncer une poésie avec un énoncé
➇ Une compréhension de la liaison oral respecté (pieds, rythme….)

Conscience scripturale Savoirs scripturaux


➀ ➊ ➊ Une connaissance des lettres
➀ Une capacité à reproduire
➁ ➋ de l’alphabet, à l’oral et à l’écrit
graphiquement un message écrit
➁ Une compréhension des concepts ❷ Une maîtrise
➂ ➌ de l’épellation alphabétique
d’alphabet, de lettres,
de voyelles, de consonnes… ❸ Une connaissance
➂ Un repérage des lettres ➃ ➍ des correspondances
dans un mot vu ou écrit entre l’écriture cursive et scripte
➃ Une prise en compte de la ➍ Une connaissance de la
dénomination alphabétique ➄ ➎ correspondance entre
➄ Une maîtrise de la notion minuscules et majuscules
de lettre muette ➅ ➏ ❺ Une mémorisation de toutes
➅ Une capacité à ordonner les lettres les lettres muettes
d’un mot ➆ ➐ ❻ Une connaissance d’un capital
➆ Une prise en compte des écritures scriptes de mots pour chaque lettre muette
➇ ➑
et cursives ❼ Une capacité à segmenter en mots
➇ Une acceptation de la linéarité et de (unités scripturales)
l’orientation de l’écriture sur une page ➑ Une mémorisation des formes visuelle et
(départ, lignes…) graphique des différentes formes de texte

174 La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation - no 33 • 1er trimestre 2006


Études et formations
S’inspirant de la cible du Médial, chaque approche phonique, scripturale ou sémantique
a été représentée par une cible et séparée en deux quartiers : l’un concerne les prises
de conscience (compréhension) et l’autre les savoirs (mémorisation). Pour chaque
quartier, des domaines ont été énoncés (8 à chaque fois) sollicitant des épreuves
d’évaluation. En fonction des résultats atteints, un coloriage sera effectué permettant
au terme de ce travail de visualiser le profil de lecteur-scripteur et d’entreprendre
une aide pédagogique adaptée.
En conclusion, l’approche systémique et développemental s’apparente à un modèle
d’enseignement qui redistribue les cartes de l’accès à la langue. Il s’agit de mener
de front trois approches (phonique, sémantique et scripturale) selon deux étapes
successives (compréhension puis mémorisation).
Avec ce modèle, nous avons pu mettre en évidence, chez quelques adolescents
de Segpa, un double déséquilibre : devineur (les stratégies de lecteur s’appuyaient
quasiment exclusivement sur des indices visuels) et répétiteur (l’adolescent tentait de
réciter son savoir). Nous craignons que l’usage de la langue pour ces adolescents soit
si défaillant et si fragile qu’ils risquent une déperdition future de leurs compétences,
maintenues jusqu’alors à flot par l’aide des enseignants. L’illettrisme pourrait peut-
© INSHEA | Téléchargé le 14/12/2021 sur www.cairn.info via Institut Catholique de Paris (IP: 37.18.161.200)

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être résulter d’un apprentissage de la langue défaillant ou insuffisant parce que trop
deséquilibré ; cet apprentissage de l’élève questionne notre façon d’enseigner la
langue. Notre réflexion se veut une participation à ce questionnement.

Bibliographie
Bentolila (Alain), De l’illettrisme en général et de l’école en particulier, Plon, Paris, 1996,
217 pages.
Chauveau (Gérard), Comment l’enfant devient lecteur, Retz, Paris, 1997, 192 pages.
Ferreiro (Emilia), L’écriture avant la lettre, Hachette éducation, Paris, 2000, 253 pages.
Frith (Uta), « Beneath the surface of developmental dyslexia », K. Patterson, J. Marshall,
& M. Coltheart, Eds., Surface Dyslexia, Neuropsychological and Cognitive Studies of
Phonological Reading, Erlbaum, London, 1985, p. 301-330.
Frith (Uta), « A developmental framework for developmental dyslexia », Annals of Dyslexia,
36, 1986, 69-81.
Gombert (Jean-Émile), Cole (Pascale), Valdois (Sylviane), Goigoux (Roland), Mousty
(Philippe), Fayol (Michel), Enseigner la lecture au cycle 2, Nathan Pédagogie, Paris, 2000,
208 pages.
Lentin (Laurence), Apprendre à penser, parler, lire, écrire, Paris, 1998, 173 pages.
Pothier (Béatrice), Comment les enfants apprennent l’orthographe, Éditions Retz Nathan,
Paris, 1996, 200 pages.

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