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La rencontre avec les familles dans un service de médecine pour adolescents autour
d'un « objet flottant »
Claude Vacher
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Claude Vacher Psychiatre, thérapeute familiale. Service de médecine pour adolescents, CHU du Kremlin
Bicêtre, Le Kremlin Bicêtre, Val-de-Marne, France
Résumé
« Le panier à problèmes ». La rencontre avec les familles dans un service de médecine pour ado-
lescents autour d’un « objet flottant ». – Après avoir présenté le cadre de notre travail de théra-
peute familiale dans un service de médecine pour adolescents, nous décrivons « le panier à
problèmes » et son procédé d’utilisation en séance. Nous en donnons trois illustrations cli-
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Introduction
Depuis plusieurs années, nous exerçons comme thérapeute familiale systémique
dans un service de pédiatrie, plus précisément de médecine pour adolescents.
Nous décrirons ici comment nous engageons les premiers entretiens avec
les familles qui nous sont adressées par les pédiatres. Lors de la première
séance, nous nous aidons d’un procédé d’entretien clinique destiné à faciliter la
rencontre avec une famille.
Il s’intitule le panier à problèmes.
Cet outil thérapeutique appartient au groupe des « objets flottants », tels qu’ils
ont été définis et décrits par Philippe Caillé et Yveline Rey. Comme tous les objets
flottants, celui-ci est né d’une difficulté. Yveline Rey, enseignante à l’Université
de Savoie a constaté combien il était difficile pour ses étudiants d’engager un
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premier entretien en thérapie familiale systémique ; elle leur a alors suggéré d’uti-
liser un « panier à problèmes », tout en testant cet outil dans ses propres consul-
tations au CMPP de Grenoble.
Lorsqu’elle est venue nous présenter son travail au Centre d’études de la
Famille à Paris, il y a quelques années, nous avons été étonnée puis enthousiasmée
par la richesse de la clinique obtenue avec un outil aussi simple. Depuis lors, nous
n’avons cessé de l’utiliser dans notre pratique avec les couples ou les familles.
Contexte de travail
Depuis l’année 2008, nous avons une activité de psychiatre et thérapeute fami-
liale dans le service de médecine pour adolescents – hospitalisation et consul-
tations – au CHU du Kremlin Bicêtre, dans le Val-de Marne (service du Docteur
P. Alvin). L’âge des patients varie de 11 ans à 18 ans.
Ce service universitaire de pédiatrie pour adolescents a une activité hospita-
lière et ambulatoire très polyvalente.
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Ce sont les deux derniers cas de figure que nous rencontrons le plus sou-
vent en entretien. Précisons cependant que nous n’avons aucune fonction
d’évaluation diagnostique psychiatrique ni de prescription de psychotrope, car
cette tâche est assurée par un pédopsychiatre de la Fondation Vallée (Gentilly,
Val-de-Marne), au cas où un adolescent nécessiterait des soins psychiatriques.
Notre travail est exclusivement familial, en liaison étroite avec les pédiatres
du service qui soignent l’adolescent, hospitalisé ou consultant. Les pédiatres
restent les référents médicaux pendant toute la durée des soins hospitaliers ou
ambulatoires.
La demande d’entretien familial n’est pas exprimée par la famille, mais par
l’équipe pédiatrique.
L’indication d’entretien familial est faite en équipe, au terme d’une réflexion
riche et approfondie. Ce travail clinique institutionnel préalable est fondamen-
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tal : outre son intérêt stimulant pour la réflexion, il prépare et garantit un espace
respectueux de notre place auprès des familles et de l’équipe soignante.
Les entretiens familiaux sont ensuite proposés, mais non imposés, à la famille
par le pédiatre en charge de l’adolescent.
Ces entretiens ont pour but d’explorer le fonctionnement familial, ce qui per-
mettra de proposer une organisation plus pertinente des soins à l’adolescent par
l’équipe pédiatrique. Ce ne sont pas des « thérapies familiales » à proprement par-
ler. Dans le meilleur des cas, ces entretiens permettront aux familles d’expérimen-
ter un dispositif thérapeutique nouveau, de s’en emparer, de questionner leur dys-
fonctionnement, voire d’amorcer des possibilités de changement.
Les séances, d’environ une heure toutes les deux ou trois semaines, dans une
salle dédiée aux entretiens, se déroulent en présence de deux personnes : nous et
un/une « cothérapeute » (pédiatre, interne en pédiatrie, infirmière, aide-soignante,
assistante sociale ou psychologue du service). Le « cothérapeute » s’engage à être
présent à la totalité des entretiens, dès lors qu’il a été présent au premier.
Il arrive donc fréquemment que nous travaillions en cothérapie avec un soi-
gnant qui, quelles que soient ses compétences professionnelles, n’est pas formé
au travail systémique. Par ailleurs, nous ne disposons pas de matériel spécifique
ni de possibilité de supervision en cours de séance. Ce dispositif de soins impose
de définir rapidement notre objet de travail avec une famille car il limite nos pos-
sibilités et nos ambitions thérapeutiques. Ainsi, il n’est pas rare que, dans des
situations familiales très difficiles, nous décidions d’un relais vers des centres de
thérapies familiales systémiques mieux équipés.
Nous montrons une corbeille en osier très simple posée sur la table basse.
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« Vous voyez sur cette table une corbeille. Nous allons l’appeler « le panier à
problèmes de la famille ».
Chacun d’entre vous, à tour de rôle, va prendre ce panier et y déposer ce qu’il
considère comme les difficultés les plus importantes que rencontre la famille.
Précisons que ce panier a un double fond, où vous pouvez déposer ce que
vous souhaitez ne pas dire ou garder secret.
Celui qui a le panier est le seul qui parle, les autres l’écoutent. Si quelqu’un
souhaite intervenir, il prend le panier. »
Lorsque quelqu’un s’est décidé à prendre le panier, nous lui posons les ques-
tions suivantes :
– Est-il lourd ?
– Qu’est-ce qui pèse actuellement le plus dans ce panier ?
– Y a-t-il d’autres choses qui vous inquiètent, qui vous font souffrir ?
– Quand ce panier a-t-il été le plus lourd pour vous ? Et le plus léger ?
– Y a-t-il eu un moment où le panier était vide ?
– Pour qui pèse-t-il le plus ?
– Qui peut alléger ce panier dans la famille ?
– Que se passerait-il dans la famille si ce panier s’allégeait ?
– Pour vous, ce panier a-t-il un double fond ?
– Si vous deviez transformer le contenu de ce panier en un animal, un objet, une
image, une musique, qu’est-ce que ça serait ?
– A qui tendez-vous maintenant ce panier ?
Lors des séances suivantes, le panier reste posé sur la table, témoin de la
première séance. Il peut être réutilisé ou complété si quelqu’un le souhaite.
Illustrations cliniques
Les trois extraits d’entretiens qui suivent ont été choisis de façon aléatoire dans
la centaine dont nous disposons. Nous avons modifié les prénoms et les profes-
sions par souci de confidentialité. Nous transcrivons les réponses aux questions
dans l’ordre où elles ont été énoncées plus haut.
Il est évident qu’aucun texte ne peut rendre compte de la singularité de chaque
rencontre, notamment en ce qui concerne l’expression émotionnelle – silence,
larmes, rires, colère – et les échanges non verbaux – présentation, hésitations,
sourires, regards, postures.
Nous laissons volontairement la matière « brute », sans hypothèse de travail.
Notre propos n’est pas ici d’analyser ces fragments d’entretiens familiaux, aussi
nous laissons le lecteur libre de les interpréter comme il le souhaite et de faire
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ses propres hypothèses. Cependant, ces trois illustrations cliniques ci-dessous
montrent la simplicité et la densité de ce que chacun s’autorise à mettre dans
ce « panier à problèmes », quelles que soient la souffrance ou la violence des situa-
tions intrafamiliales, et combien chacun donne de lui-même dans cette séance
avec des thérapeutes qu’ils rencontrent pour la première fois.
Famille d’Elsa
La famille se compose de Chloé, 19 ans en terminale STG, d’Elsa, 14 ans en seconde,
de Philippe, le père, 44 ans, responsable technique dans une entreprise de transports
et de France, la mère, 45 ans, sans profession depuis la naissance de Chloé.
Elsa a été hospitalisée dans le service, via les urgences, dans les suites d’une ten-
tative de suicide médicamenteuse. Elsa a subi des insultes à caractère sexuel sur
son attitude et son nom de famille, d’abord au lycée, relayées par « Facebook » dans
les jours qui ont précédé sa tentative de suicide.
Philippe, le père
– Oui, le panier est lourd. C’est maintenant qu’il est le plus lourd.
– Le plus lourd, c’est la TS d’Elsa, et surtout de ne rien avoir vu venir. Je ne sais
plus la protéger, je ne sais plus quoi faire, c’est la première fois que je me sens
impuissant avec elle.
– Il y a d’autres choses qui pèsent, oui : la maladie de France, son hospitalisation,
j’ai eu peur qu’elle ne revienne pas et aussi les maladies de Chloé, depuis sa
naissance elle est malade, son dos était bloqué, elle a été hospitalisée en psy-
chiatrie, il y a même eu un signalement par une assistante sociale, je ne sais pas
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Chloé, 19 ans
– Le panier est très lourd. Le plus lourd, ça été au moment de la TS d’Elsa. Il n’a
jamais été vide.
– Ce qui pèse le plus, ce sont les engueulades avec Elsa. Ces dernières semaines,
avant sa TS, on s’est engueulées tout le temps, à propos de tout et n’importe quoi.
Je me sens en faute.
J’ai été hospitalisée quelques jours en psychiatrie, ça me pèse aussi. C’est à
partir de là que ma mère a été malade. Elle va mieux mais je suis impuissante
avec sa maladie.
– Ça pèse pour tout le monde. Personne ne peut l’alléger.
– Oui, il a un double fond.
– Si les problèmes disparaissaient, on aurait plus envie d’être à la maison.
– C’est comme un tunnel.
Famille de Constance
La famille se compose de Constance, 16 ans en première L et de sa mère Hélène,
52 ans, gérante d’une société, travaillant à domicile. Le père de Constance est
« inconnu », il est parti avant de connaître la grossesse d’Hélène. Elles habitent toutes
les deux dans un village isolé, non loin des grands-parents maternels. Constance est
suivie en consultation pour une boulimie, avec prise de poids, depuis plusieurs mois.
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village, alors on s’organise, ma mère et moi, pour la conduire en voiture au lycée
et aller la chercher.
Il faut dire aussi que ces dernières années ont été difficiles : l’entreprise fami-
liale a changé de patron – avant c’était le mari de ma mère – le nouveau patron
m’a harcelée, j’ai été licenciée. J’ai dû prendre des antidépresseurs, maintenant
ça va mieux, je suis encore en thérapie.
– Peut-être que c’est pour Constance que le panier pèse le plus ? C’est à nous
deux de l’alléger.
– Si les problèmes disparaissaient, Constance sortirait plus de la maison, moi aussi,
j’aurais des copines, peut-être même un homme, qui sait ?
– Il n’a pas de double fond, je n’ai rien à cacher.
– Je ne vois pas d’image, je suis nulle pour les images.
Constance, 16 ans
– Oui, il est parfois lourd.
– Ce qui pèse d’abord, c’est que Maman et moi, c’est clos, on est trop proches.
Je sais tout ce qu’elle ressent, je m’inquiète pour elle. C’est difficile d’être un
peu autonome.
Ma grand-mère m’énerve, elle n’a rien d’autre à faire qu’à s’occuper de moi. Elle
se plaint de moi à Maman qui me le reproche. Elle raconte tout à Maman et
Maman me raconte tout, elles s’appellent tous les jours, on a déménagé dans
son village au moment de mes 11 ans.
Ce qui pèse aussi, c’est le flou, le négatif sur mon père. J’ai une mauvaise
image des hommes.
– Le panier est plus lourd depuis que je suis malade, c’est pour moi qu’il pèse le
plus. Ce qui l’allégerait, ce serait un homme dans la vie de ma mère.
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Famille de Margaux
La famille se compose de Margaux, 14 ans, en troisième, de Valentin, 19 ans, en BTS,
de Nicolas, 21 ans en école de commerce, de Jean-Marc, 50 ans, le père et de Fran-
çoise, la mère, 51 ans, tous deux agents administratifs.
Margaux est suivie depuis un an pour une anorexie mentale restrictive sévère, dont
la gravité somatique a nécessité une hospitalisation dans le service.
Nicolas, 21 ans
– Le panier est très lourd.
– Ce qui pèse, c’est l’injustice de Papa, la différence de traitement entre les enfants.
C’est mon père qui crée la scission entre tous les enfants, la rivalité entre nous.
Avant, il soutenait toujours Valentin, qui avait des problèmes à l’école, maintenant
il favorise toujours Margaux, même quand elle refuse de manger, il fait alliance
avec elle contre moi et maman.
Moi, je faisais le tampon entre Papa et Maman quand j’étais jeune, ils s’engueu-
laient tout le temps. Maintenant, j’ai autre chose à faire, je vais partir au Canada
l’année prochaine. Je m’inquiète un peu, parce que c’est quand je suis parti en
province pour ma prépa que Margaux est tombée malade.
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Il y a tout le temps des engueulades à table, entre Papa et Maman, entre Maman
et Margaux et entre nous trois.
– Ça pèse pour tout le monde, c’est pour Margaux qu’il pèse le moins, à cause de
son caractère têtu et borné comme celui de Papa.
– C’est Papa qui peut alléger le panier.
– Il n’y a pas de double fond.
– Si le panier s’allégeait, la guerre se calmerait entre nous.
– C’est comme un troupeau de moutons avec un berger et un loup.
Valentin, 19 ans
– Le panier est lourd.
– Le plus lourd, c’est l’anorexie de Margaux, son état physique, son hospitalisa-
tion où elle a été séparée de nous, et sa maladie qui ne s’améliore pas.
C’est aussi les conflits entre nous, on est toujours en coalition les uns contre
les autres, moi j’essaie de rester en dehors, de rester neutre, je me planque dans
ma chambre.
– C’est plus lourd pour Margaux parce qu’elle est malade et qu’elle n’assume
pas, elle n’aime pas parler de ses problèmes alimentaires, c’est très dur pen-
dant les repas.
– J’ai du mal à imaginer que ça aille mieux entre nous.
– Il n’y a pas de double fond.
– C’est la guerre des tranchées, c’est Verdun.
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Françoise, 50 ans, la mère
– Très, très lourd.
– Le plus lourd, c’est l’anorexie de Margaux, c’est très angoissant, c’est un échec
pour des parents.
Par ailleurs, le comportement éducatif de mon mari ne va pas, il fait trop de
différence entre les enfants. Il a favorisé d’abord Valentin, puis maintenant
Margaux. Pas Nicolas, non, lui a toujours été plus proche de moi, c’est le seul à
me soutenir, je me demande comment ça se passera l’année prochaine quand
il sera au Canada.
– Le panier était vide jusqu’à la naissance de Margaux. Après, mon mari a fait
une dépression, à cause des problèmes avec notre nouvelle maison. Trois ans
auparavant, il a perdu son frère, un accident de parapente, on se demande si
ce n’était pas un suicide. On a été très affecté, j’ai soutenu mon mari à cette
période.
Après la naissance de Margaux, mon mari a été hospitalisé pour sa dépres-
sion, je suis restée seule avec les trois enfants, je devais tout gérer, Margaux
était bébé, je crois que je n’ai pas encore pardonné à mon mari son absence.
– C’est pour moi que ça pèse le plus, c’est Margaux qui doit alléger le panier en
allant mieux.
– Je ne sais pas à quoi la famille ressemblerait, peut-être à une famille qui n’em-
prisonne pas ses enfants, qui les laisserait partir, pas comme Jean-Marc avec
Margaux, il ne la laisse pas grandir.
– Une tempête qui cache une autre tempête.
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Neuburger cite des observations cliniques où le clivage se situe entre symp-
tôme et souffrance (symptôme sans souffrance apparente ni demande d’aide),
d’autres où il y a clivage entre souffrance et allégation (les symptômes font souf-
frir mais on ne les allègue pas pour demander de l’aide).
Allégation du symptôme
Dans notre contexte de travail, l’allégation qui indiquerait des entretiens familiaux
est portée au départ par l’équipe pédiatrique, qui se montre le plus préoccupée par
les symptômes – ceux du patient désigné ou ceux d’un membre de la famille ou
de la famille dans son ensemble. C’est un point fondamental dans notre travail
en service de médecine : la famille n’est pas en quête d’exploration de son fonc-
tionnement, elle demande seulement au pédiatre de soigner son malade et d’être
soulagée de son inquiétude pour recommencer à vivre « normalement ».
C’est dire que la proposition du pédiatre doit être argumentée clairement pour
éviter qu’elle soit ressentie comme accusatrice par la famille et que d’autre part,
l’affiliation des thérapeutes familiaux avec celle-ci est loin d’être gagnée d’avance.
Un des enjeux de notre premier entretien est peut-être de redonner à la famille
la possibilité d’alléguer elle-même un symptôme, même si celui-ci prend dans un
premier temps la forme de la désignation (ses symptômes nous préoccupent,
changez-les pour nous soulager). Dans le meilleur des cas, si la famille arrive à
s’appuyer sur un symptôme d’un de ses membres pour explorer et questionner
son fonctionnement, elle aura des chances d’assouplir celui-ci.
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Par ailleurs, il est évident que la famille a déjà tenté de développer des solu-
tions autocuratives, bien avant le premier entretien familial. Celles-ci ont échoué,
elles ont parfois été critiquées par le monde extérieur, par les services sociaux,
les soignants, les professeurs ou l’entourage. On accepte le « ticket d’entrée » proposé
par chacun. Accepter le contenu du « panier à problèmes » sans y ajouter nos a
priori de thérapeutes – nos propres mythes, nos résonances familiales – limite
le risque de réponse non spécifique ou inadéquate qui viendrait fragiliser
davantage la dimension mythique de la famille, déjà fort abîmée.
« Y a-t-il d’autres choses qui vous inquiètent, qui vous font souffrir ? »,
Le contexte des difficultés familiales est ici énoncé : les difficultés au lycée,
les insultes dans la cour du collège, la méchanceté de l’ex-meilleure amie, les
soucis au travail de Papa, le déménagement, etc.
Dans la plupart des cas, une famille trouve les solutions adéquates à de tels
événements. Parfois, il arrive qu’elle bute sur l’inadéquation de ses réponses.
Dès lors, ce qui est en cause est souvent beaucoup plus important que des pro-
blèmes d’adolescents : c’est la menace d’éclatement d’un groupe familial dont
toutes les solutions internes échouent.
On sait que l’adolescent doit faire un jeu d’équilibriste entre individuation et
appartenance au groupe familial, entre intérêt individuel et intérêt du groupe
familial. Or, le système familial, système ouvert en interaction avec l’environne-
ment social et culturel, peut avoir des frontières rigides. S’il s’agit, par exemple,
d’une famille regroupée autour d’un mythe chancelant, les rites d’appartenance
sont si contraignants qu’ils transforment la limite entre l’intérieur et l’extérieur
de la famille, la frontière entre « ceux du dedans » et « ceux du dehors », en un
front à protéger. Le système familial a une réaction de clan, où l’affiliation au
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groupe prévaut sur la filiation et la transmission (Neuburger, 1995), ce qui
conduit beaucoup d’adolescents à des conflits de loyauté insolubles.
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à contenir. Dans les deux cas cependant, la difficulté sera de parvenir à reprendre
un fil narratif de l’histoire de ces familles.
En proposant « le panier à problèmes » à une famille, on lui fait une proposi-
tion inhabituelle, surprenante.
D’emblée, nous sommes très attentifs à la façon dont les membres de la famille
reçoivent cette proposition. Du silence gêné et pesant au chahut rigolard, de
l’attention inquiète au regard sarcastique, tout peut s’observer. Qui s’empare
du panier en premier, de quelle manière, comment le tient-il, quelle est la réac-
tion des autres membres de la famille, moqueuse, opposante, lointaine, inquiète ?
Y a-t-il concordance entre ce qui est dit et ce qui est montré (par exemple « il est
très lourd », mais tenu comme s’il était très léger) ? On observe ainsi des éléments
analogiques précieux dans l’exploration des attentes, des craintes, des motiva-
tions, des alliances et de la dynamique de communication de la famille.
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Par ailleurs, le premier entretien est souvent difficile pour les thérapeutes. Il
s’agit de situations graves, où le pronostic vital de l’adolescent peut être engagé,
où les tensions intrafamiliales peuvent être violentes, voire explosives, où la
confrontation et le face à face entre les différents membres de la famille sont
difficiles à contenir. Le « panier à problèmes » structure l’entretien, autant pour
la famille que pour les thérapeutes, qui ont besoin d’un confort minimal pour
travailler.
Le « panier à problèmes » est un objet que l’on entoure de ses mains, que l’on
tient sur soi, comme un contenant que l’on emplit de ses mots. Les thérapeutes
sont les garants de ce cadre thérapeutique, dont les contraintes aident à conte-
nir – au sens du holding de Winnicott (Winnicott, 1975) – autant leurs résonances
personnelles que l’expression émotionnelle et langagière de la famille.
Conclusion
Nous avons tenté de décrire en quoi l’utilisation du « panier à problèmes », permet
d’établir un lien de partenariat et non de pouvoir avec une famille – autrement
260
dit, « nous avons besoin de votre aide pour vous aider » – et peut, dans le meil-
leur des cas, être un levier de changement. L’utilisation de ce « panier à pro-
blèmes » lors des premiers entretiens, dans le cadre difficile de l’exercice de la
thérapie systémique en service de médecine, nous a beaucoup aidée à établir
un lien avec les familles dans des situations où rien n’était gagné, au contraire.
La richesse du matériel clinique qu’il apporte dès la première séance aide à
la construction d’hypothèses de travail avec une famille.
Cet objet flottant nous permet d’avoir une idée assez précise de la commu-
nication intrafamiliale, tout en permettant d’emblée d’introduire une circulari-
sation de l’information dans un espace commun, la circularisation étant néces-
saire au développement de solutions alternatives moins dysfonctionnelles.
Il aide également à explorer comment la famille absorbe les crises et les chan-
gements générés par la marche du temps ainsi que la fonction pour l’homéosta-
sie familiale de la solution symptomatique dans laquelle le groupe familial s’est
enlisé.
Enfin, il permet de questionner la dimension mythique de la famille, ses rites
d’appartenance, ses croyances, les limites entre le dedans et le dehors, ainsi que
sa capacité de laisser à chacun un espace de différenciation, un espace intime à
l’intérieur de l’espace d’appartenance.
Adresse de correspondance :
Dr Claude Vacher
49, rue Boulard
75014 Paris
France
claude.vacher@neuf.fr
Bibliographie
1. Alvin P., 2006. De l’adolescent malade à la médecine de l’adolescent. Archives Pédiatriques,
Paris, Vol. 13, hors série n°1 : hommage à D. Allagille, pp 29-32.
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dants. Editions Doin, Paris.
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Editions ESF, Paris (réédition Fabert, 2004).
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plus douloureux de l’histoire des patients et de leur famille. Thérapie familiale, 27, 4, 339-359.
8. Janne P., et al, 2000. Associer la famille au traitement ? La demande en thérapie familiale,
vingt ans après. Thérapie familiale, 21, 4, 391-403.
9. Le Goff J.F., 2006. Construction d’un totem en thérapie familiale, exemple de la famille
monoparentale. Thérapie familiale, 27, 4, 361-375.
10. Neuburger R., 1984. La demande en psychanalyse et en thérapie familiale. L’autre demande,
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12. Neuburger R., 2003. Relations et appartenances. Thérapie familiale, 24, 2, 169-178.
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14. Ollié-Dressayre J., Mérigot D., 2001. Le génogramme imaginaire, liens du sang, liens du cœur.
Editions ESF, Paris.
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Resumen
« La cesta de problemas ». Encontrar familia en servicio de medicinas per adolescentes con un
objeto flotante. – Después de haber presentado el contexto de nuestro trabajo de terapia
familiar en servicio de medicinas para adolescentes, describimos « la cesta de problemas » y
su procedimiento de utilización en sesión. Desarrollamos un interés para este objeto flotante
en una exploración de la demanda de ayuda y en los procesos disfuncionales de la familia.
Por ultimo, mostramos como las distintas dimensiones evidenciadas (crisis y cambio, dinámica
de la comunicación intrafamiliar, pertenencia/ diferenciación) son cómodas para alcanzar a
curar les adolescentes.
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