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« LE PANIER À PROBLÈMES »

La rencontre avec les familles dans un service de médecine pour adolescents autour
d'un « objet flottant »

Claude Vacher

Médecine & Hygiène | « Thérapie Familiale »

2012/3 Vol. 33 | pages 247 à 262


ISSN 0250-4952
DOI 10.3917/tf.123.0247
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-therapie-familiale-2012-3-page-247.htm
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Thérapie familiale, Genève, 2012, 33, 3, 247-262

« Le panier à problèmes »


La rencontre avec les familles dans un
service de médecine pour adolescents
autour d’un « objet flottant »*

Claude Vacher  Psychiatre, thérapeute familiale. Service de médecine pour adolescents, CHU du Kremlin
Bicêtre, Le Kremlin Bicêtre, Val-de-Marne, France

Résumé
« Le panier à problèmes ». La rencontre avec les familles dans un service de médecine pour ado-
lescents autour d’un « objet flottant ». – Après avoir présenté le cadre de notre travail de théra-
peute familiale dans un service de médecine pour adolescents, nous décrivons « le panier à
problèmes » et son procédé d’utilisation en séance. Nous en donnons trois illustrations cli-
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niques. Nous développons l’intérêt de cet objet flottant dans l’exploration de la demande d’aide
d’une famille et des processus dysfonctionnels en cours. Enfin, nous montrons comment les
dimensions explorées (crises et changements, dynamique de communication intrafamiliale,
appartenance/différenciation) aident à proposer des soins plus pertinents aux adolescents.

Introduction
Depuis plusieurs années, nous exerçons comme thérapeute familiale systémique
dans un service de pédiatrie, plus précisément de médecine pour adolescents.
Nous décrirons ici comment nous engageons les premiers entretiens avec
les familles qui nous sont adressées par les pédiatres. Lors de la première
séance, nous nous aidons d’un procédé d’entretien clinique destiné à faciliter la
rencontre avec une famille.
Il s’intitule le panier à problèmes.

Cet outil thérapeutique appartient au groupe des « objets flottants », tels qu’ils
ont été définis et décrits par Philippe Caillé et Yveline Rey. Comme tous les objets
flottants, celui-ci est né d’une difficulté. Yveline Rey, enseignante à l’Université
de Savoie a constaté combien il était difficile pour ses étudiants d’engager un

* Nous remercions chaleureusement Yveline REY pour la relecture de cet article.

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premier entretien en thérapie familiale systémique ; elle leur a alors suggéré d’uti-
liser un « panier à problèmes », tout en testant cet outil dans ses propres consul-
tations au CMPP de Grenoble.
Lorsqu’elle est venue nous présenter son travail au Centre d’études de la
Famille à Paris, il y a quelques années, nous avons été étonnée puis enthousiasmée
par la richesse de la clinique obtenue avec un outil aussi simple. Depuis lors, nous
n’avons cessé de l’utiliser dans notre pratique avec les couples ou les familles.

Après avoir présenté le cadre de notre travail systémique en service de pédia-


trie pour adolescents, nous décrirons le panier à problèmes et son utilisation
lors de la première séance avec une famille. Nous illustrerons ensuite notre pro-
pos par des fragments de premiers entretiens familiaux.
Nous montrerons ensuite comment cet objet flottant aide à explorer, dans un
esprit d’ouverture et de découverte, la demande d’une famille, ainsi qu’à faire
découvrir à celle-ci des alternatives émotionnelles ou relationnelles.

Contexte de travail
Depuis l’année 2008, nous avons une activité de psychiatre et thérapeute fami-
liale dans le service de médecine pour adolescents – hospitalisation et consul-
tations – au CHU du Kremlin Bicêtre, dans le Val-de Marne (service du Docteur
P. Alvin). L’âge des patients varie de 11 ans à 18 ans.
Ce service universitaire de pédiatrie pour adolescents a une activité hospita-
lière et ambulatoire très polyvalente.
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Les trois catégories diagnostiques principales sont :
• les adolescents porteurs de maladies chroniques souvent sévères (drépano-
cytose, diabète insulinodépendant, hémophilie, insuffisance hépatique, etc.) ;
• les adolescents suicidants en provenance des urgences de l’hôpital ;
• les anorexiques mentales en situation d’urgence somatique ou sous contrat
de soins.

Ce sont les deux derniers cas de figure que nous rencontrons le plus sou-
vent en entretien. Précisons cependant que nous n’avons aucune fonction
d’évaluation diagnostique psychiatrique ni de prescription de psychotrope, car
cette tâche est assurée par un pédopsychiatre de la Fondation Vallée (Gentilly,
Val-de-Marne), au cas où un adolescent nécessiterait des soins psychiatriques.

Notre travail est exclusivement familial, en liaison étroite avec les pédiatres
du service qui soignent l’adolescent, hospitalisé ou consultant. Les pédiatres
restent les référents médicaux pendant toute la durée des soins hospitaliers ou
ambulatoires.
La demande d’entretien familial n’est pas exprimée par la famille, mais par
l’équipe pédiatrique.
L’indication d’entretien familial est faite en équipe, au terme d’une réflexion
riche et approfondie. Ce travail clinique institutionnel préalable est fondamen-

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tal : outre son intérêt stimulant pour la réflexion, il prépare et garantit un espace
respectueux de notre place auprès des familles et de l’équipe soignante.
Les entretiens familiaux sont ensuite proposés, mais non imposés, à la famille
par le pédiatre en charge de l’adolescent.
Ces entretiens ont pour but d’explorer le fonctionnement familial, ce qui per-
mettra de proposer une organisation plus pertinente des soins à l’adolescent par
l’équipe pédiatrique. Ce ne sont pas des « thérapies familiales » à proprement par-
ler. Dans le meilleur des cas, ces entretiens permettront aux familles d’expérimen-
ter un dispositif thérapeutique nouveau, de s’en emparer, de questionner leur dys-
fonctionnement, voire d’amorcer des possibilités de changement.

Les séances, d’environ une heure toutes les deux ou trois semaines, dans une
salle dédiée aux entretiens, se déroulent en présence de deux personnes : nous et
un/une « cothérapeute » (pédiatre, interne en pédiatrie, infirmière, aide-soignante,
assistante sociale ou psychologue du service). Le « cothérapeute » s’engage à être
présent à la totalité des entretiens, dès lors qu’il a été présent au premier.
Il arrive donc fréquemment que nous travaillions en cothérapie avec un soi-
gnant qui, quelles que soient ses compétences professionnelles, n’est pas formé
au travail systémique. Par ailleurs, nous ne disposons pas de matériel spécifique
ni de possibilité de supervision en cours de séance. Ce dispositif de soins impose
de définir rapidement notre objet de travail avec une famille car il limite nos pos-
sibilités et nos ambitions thérapeutiques. Ainsi, il n’est pas rare que, dans des
situations familiales très difficiles, nous décidions d’un relais vers des centres de
thérapies familiales systémiques mieux équipés.

Enfin, nous veillons particulièrement à inclure, dès le premier entretien, la fra-


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trie de l’adolescent, quelle que soit la composition de la famille. Les frères et sœurs
sont les grands absents des soins à l’adolescent et représentent souvent des res-
sources thérapeutiques précieuses.

Présentation du « panier à problèmes »


Par souci de clarté, nous décrivons ici un procédé clinique qui se déroule selon
un ordre précis. Il va de soi que cette « description brute » implique une certaine
sécheresse du propos qui n’est pas fidèle du tout à ce qui se passe en séance, sur-
tout lors de la première qui est toujours très riche dans l’expression émotion-
nelle, verbale ou non verbale. Nous reviendrons sur ce point ultérieurement.

Après les présentations d’usage de la famille (prénom, âge, travail ou niveau


scolaire) et des thérapeutes (nom et fonction dans le service), nous engageons
l’entretien ainsi :
« Aujourd’hui, nous nous rencontrons pour la première fois et nous allons défi-
nir ensemble le motif de notre rencontre. Chacun de vous va exprimer ce qui l’a
conduit à accepter de venir à cet entretien et ce qui lui pèse le plus.
Dans ce but, nous allons vous proposer une sorte d’exercice inhabituel.

Nous montrons une corbeille en osier très simple posée sur la table basse.

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« Vous voyez sur cette table une corbeille. Nous allons l’appeler « le panier à
problèmes de la famille ».
Chacun d’entre vous, à tour de rôle, va prendre ce panier et y déposer ce qu’il
considère comme les difficultés les plus importantes que rencontre la famille.
Précisons que ce panier a un double fond, où vous pouvez déposer ce que
vous souhaitez ne pas dire ou garder secret.
Celui qui a le panier est le seul qui parle, les autres l’écoutent. Si quelqu’un
souhaite intervenir, il prend le panier. »

Lorsque quelqu’un s’est décidé à prendre le panier, nous lui posons les ques-
tions suivantes :
– Est-il lourd ?
– Qu’est-ce qui pèse actuellement le plus dans ce panier ?
– Y a-t-il d’autres choses qui vous inquiètent, qui vous font souffrir ?
– Quand ce panier a-t-il été le plus lourd pour vous ? Et le plus léger ?
– Y a-t-il eu un moment où le panier était vide ?
– Pour qui pèse-t-il le plus ?
– Qui peut alléger ce panier dans la famille ?
– Que se passerait-il dans la famille si ce panier s’allégeait ?
– Pour vous, ce panier a-t-il un double fond ?
– Si vous deviez transformer le contenu de ce panier en un animal, un objet, une
image, une musique, qu’est-ce que ça serait ?
– A qui tendez-vous maintenant ce panier ?

Les thérapeutes aident celui qui tient le panier à formuler ou reformuler


plus précisément, en prenant le temps de laisser venir les mots et les émotions.
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Ils posent des questions ouvertes, c’est-à-dire sans réponse implicitement sug-
gérée par leur a priori.

En fin d’entretien, nous remercions chacun de l’effort qu’il a fait et nous


conseillons de ne pas reparler ensemble de ce qui a été déposé dans le panier.

Lors des séances suivantes, le panier reste posé sur la table, témoin de la
première séance. Il peut être réutilisé ou complété si quelqu’un le souhaite.

Illustrations cliniques
Les trois extraits d’entretiens qui suivent ont été choisis de façon aléatoire dans
la centaine dont nous disposons. Nous avons modifié les prénoms et les profes-
sions par souci de confidentialité. Nous transcrivons les réponses aux questions
dans l’ordre où elles ont été énoncées plus haut.
Il est évident qu’aucun texte ne peut rendre compte de la singularité de chaque
rencontre, notamment en ce qui concerne l’expression émotionnelle – silence,
larmes, rires, colère – et les échanges non verbaux – présentation, hésitations,
sourires, regards, postures.
Nous laissons volontairement la matière « brute », sans hypothèse de travail.
Notre propos n’est pas ici d’analyser ces fragments d’entretiens familiaux, aussi
nous laissons le lecteur libre de les interpréter comme il le souhaite et de faire

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ses propres hypothèses. Cependant, ces trois illustrations cliniques ci-dessous
montrent la simplicité et la densité de ce que chacun s’autorise à mettre dans
ce « panier à problèmes », quelles que soient la souffrance ou la violence des situa-
tions intrafamiliales, et combien chacun donne de lui-même dans cette séance
avec des thérapeutes qu’ils rencontrent pour la première fois.

Famille d’Elsa
La famille se compose de Chloé, 19 ans en terminale STG, d’Elsa, 14 ans en seconde,
de Philippe, le père, 44 ans, responsable technique dans une entreprise de transports
et de France, la mère, 45 ans, sans profession depuis la naissance de Chloé.
Elsa a été hospitalisée dans le service, via les urgences, dans les suites d’une ten-
tative de suicide médicamenteuse. Elsa a subi des insultes à caractère sexuel sur
son attitude et son nom de famille, d’abord au lycée, relayées par « Facebook » dans
les jours qui ont précédé sa tentative de suicide.

Philippe, le père
– Oui, le panier est lourd. C’est maintenant qu’il est le plus lourd.
– Le plus lourd, c’est la TS d’Elsa, et surtout de ne rien avoir vu venir. Je ne sais
plus la protéger, je ne sais plus quoi faire, c’est la première fois que je me sens
impuissant avec elle.
– Il y a d’autres choses qui pèsent, oui : la maladie de France, son hospitalisation,
j’ai eu peur qu’elle ne revienne pas et aussi les maladies de Chloé, depuis sa
naissance elle est malade, son dos était bloqué, elle a été hospitalisée en psy-
chiatrie, il y a même eu un signalement par une assistante sociale, je ne sais pas
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ce qu’elle avait raconté au psychiatre. On ne comprend pas ce qui se passe à
l’hôpital et on reste seul avec ses questions, on est isolé.
– Ça pèse pour tout le monde dans la famille.
– Le panier n’a jamais été vide, ou si peu de temps que je ne m’en souviens plus.
– Avant, c’était Elsa qui allégeait le panier, j’étais tranquille de les laisser car Elsa
était là. Depuis sa TS, je ne sais pas qui peut l’alléger.
– Si les problèmes disparaissaient, je ne serais plus en sentinelle tout le temps.
– Oui, il y a un double fond.
– Ce serait une mer toujours agitée, en tempête. Si elle se calme, on attend la tempête.

Elsa, 14 ans, la « patiente désignée »


– Le panier était plus lourd avant la TS que maintenant. Il n’a jamais été vide.
– Le plus lourd, c’est d’abord la dépression de Maman. Quand j’étais en 4e et en
3e, elle ne se levait pas le matin, je me suis occupée de tout à la maison, les
courses, le ménage. Quand je rentrais du collège, je devais la sortir de son lit,
la maison était en désordre. Je ne le disais pas à mes copines et Papa travaille
loin, à 200 km de chez nous.
Ce qui m’inquiète aussi, c’est la santé de Papa, j’ai peur qu’il craque.
J’ai aussi des engueulades avec ma sœur, mais c’est moins grave.
– Je me souviens plus quand il était vide.
– Ça pèse pour tout le monde, tout le monde peut alléger le panier.
– Je ne sais pas comment ça serait si les problèmes disparaissaient.
– Oui, il a un double fond.
– Ce serait un navire qui coule entre les deux berges d’un fleuve.

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Chloé, 19 ans
– Le panier est très lourd. Le plus lourd, ça été au moment de la TS d’Elsa. Il n’a
jamais été vide.
– Ce qui pèse le plus, ce sont les engueulades avec Elsa. Ces dernières semaines,
avant sa TS, on s’est engueulées tout le temps, à propos de tout et n’importe quoi.
Je me sens en faute.
J’ai été hospitalisée quelques jours en psychiatrie, ça me pèse aussi. C’est à
partir de là que ma mère a été malade. Elle va mieux mais je suis impuissante
avec sa maladie.
– Ça pèse pour tout le monde. Personne ne peut l’alléger.
– Oui, il a un double fond.
– Si les problèmes disparaissaient, on aurait plus envie d’être à la maison.
– C’est comme un tunnel.

France, 45 ans, la mère


– Le panier est très lourd.
– Ce qui pèse le plus, c’est que je ne suis pas à la hauteur, ni comme mère, ni comme
épouse. La TS d’Elsa m’a montré combien elle était mal et qu’il est temps de
réagir. Je sais que ma maladie pèse sur mes filles, comme la psychose maniaco-
dépressive de mon père qui a commencé quand j’avais douze ans. On habitait
avec mes arrières grands-parents, mes grands-parents et mes parents jusqu’à
la naissance d’Elsa.
– Quand elles étaient petites, le panier était vide. Il a commencé à se remplir quand
Elsa est rentrée au collège.
– Ça pèse pour tout le monde, tout le monde doit y mettre du sien pour l’alléger,
moi notamment, en allant mieux.
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– Si les problèmes disparaissaient, on aurait plus de projets de couple et de famille.
– Oui, il a un double fond.
– Ce sont des montagnes russes.

Famille de Constance
La famille se compose de Constance, 16 ans en première L et de sa mère Hélène,
52 ans, gérante d’une société, travaillant à domicile. Le père de Constance est
« inconnu », il est parti avant de connaître la grossesse d’Hélène. Elles habitent toutes
les deux dans un village isolé, non loin des grands-parents maternels. Constance est
suivie en consultation pour une boulimie, avec prise de poids, depuis plusieurs mois.

Hélène, 52 ans, la mère


– Non, il est léger.
– Ce qui pèse, c’est que ma fille ne se sent pas bien et que je l’aide mal. J’ai le sen-
timent d’être mauvaise pour ma fille, comme ma mère l’a été pour moi, j’en ai
énormément souffert. J’ai voulu garder cet enfant, je n’ai pas avorté, j’ai peut-
être mal fait. J’ai gardé cette fille, sans lui donner de père, j’avais peur qu’il lui
fasse du mal, il avait une perversité dont j’ai voulu la protéger.
En plus, elle est devenue désagréable, insolente, elle me répond mal.
Moi, j’aime la solitude. Constance, qui est très manuelle, brodait parfois toute la
journée à côté de moi quand elle était plus jeune. Peut-être que cet isolement
lui pèse un peu, elle a grandi. Il n’y a pas de moyen de transport dans notre

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village, alors on s’organise, ma mère et moi, pour la conduire en voiture au lycée
et aller la chercher.
Il faut dire aussi que ces dernières années ont été difficiles : l’entreprise fami-
liale a changé de patron – avant c’était le mari de ma mère – le nouveau patron
m’a harcelée, j’ai été licenciée. J’ai dû prendre des antidépresseurs, maintenant
ça va mieux, je suis encore en thérapie.
– Peut-être que c’est pour Constance que le panier pèse le plus ? C’est à nous
deux de l’alléger.
– Si les problèmes disparaissaient, Constance sortirait plus de la maison, moi aussi,
j’aurais des copines, peut-être même un homme, qui sait ?
– Il n’a pas de double fond, je n’ai rien à cacher.
– Je ne vois pas d’image, je suis nulle pour les images.

Constance, 16 ans
– Oui, il est parfois lourd.
– Ce qui pèse d’abord, c’est que Maman et moi, c’est clos, on est trop proches.
Je sais tout ce qu’elle ressent, je m’inquiète pour elle. C’est difficile d’être un
peu autonome.
Ma grand-mère m’énerve, elle n’a rien d’autre à faire qu’à s’occuper de moi. Elle
se plaint de moi à Maman qui me le reproche. Elle raconte tout à Maman et
Maman me raconte tout, elles s’appellent tous les jours, on a déménagé dans
son village au moment de mes 11 ans.
Ce qui pèse aussi, c’est le flou, le négatif sur mon père. J’ai une mauvaise
image des hommes.
– Le panier est plus lourd depuis que je suis malade, c’est pour moi qu’il pèse le
plus. Ce qui l’allégerait, ce serait un homme dans la vie de ma mère.
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– Oui, il a un double fond.
– C’est comme un sac à dos très lourd dans mon dos qui m’empêche de marcher
et d’avancer.

Famille de Margaux
La famille se compose de Margaux, 14 ans, en troisième, de Valentin, 19 ans, en BTS,
de Nicolas, 21 ans en école de commerce, de Jean-Marc, 50 ans, le père et de Fran-
çoise, la mère, 51 ans, tous deux agents administratifs.
Margaux est suivie depuis un an pour une anorexie mentale restrictive sévère, dont
la gravité somatique a nécessité une hospitalisation dans le service.

Nicolas, 21 ans
– Le panier est très lourd.
– Ce qui pèse, c’est l’injustice de Papa, la différence de traitement entre les enfants.
C’est mon père qui crée la scission entre tous les enfants, la rivalité entre nous.
Avant, il soutenait toujours Valentin, qui avait des problèmes à l’école, maintenant
il favorise toujours Margaux, même quand elle refuse de manger, il fait alliance
avec elle contre moi et maman.
Moi, je faisais le tampon entre Papa et Maman quand j’étais jeune, ils s’engueu-
laient tout le temps. Maintenant, j’ai autre chose à faire, je vais partir au Canada
l’année prochaine. Je m’inquiète un peu, parce que c’est quand je suis parti en
province pour ma prépa que Margaux est tombée malade.

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Il y a tout le temps des engueulades à table, entre Papa et Maman, entre Maman
et Margaux et entre nous trois.
– Ça pèse pour tout le monde, c’est pour Margaux qu’il pèse le moins, à cause de
son caractère têtu et borné comme celui de Papa.
– C’est Papa qui peut alléger le panier.
– Il n’y a pas de double fond.
– Si le panier s’allégeait, la guerre se calmerait entre nous.
– C’est comme un troupeau de moutons avec un berger et un loup.

Valentin, 19 ans
– Le panier est lourd.
– Le plus lourd, c’est l’anorexie de Margaux, son état physique, son hospitalisa-
tion où elle a été séparée de nous, et sa maladie qui ne s’améliore pas.
C’est aussi les conflits entre nous, on est toujours en coalition les uns contre
les autres, moi j’essaie de rester en dehors, de rester neutre, je me planque dans
ma chambre.
– C’est plus lourd pour Margaux parce qu’elle est malade et qu’elle n’assume
pas, elle n’aime pas parler de ses problèmes alimentaires, c’est très dur pen-
dant les repas.
– J’ai du mal à imaginer que ça aille mieux entre nous.
– Il n’y a pas de double fond.
– C’est la guerre des tranchées, c’est Verdun.

Jean-Marc, 50 ans, le père


– Le panier est très lourd.
– Ce qui pèse, ce sont les tensions, la méfiance, l’agressivité permanente contre
moi, ça dépasse les limites et ça me fait mal. Je n’aime pas entendre que c’est à
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cause de moi que Margaux est malade. Je soutiens Margaux parce qu’elle est
malade, j’ai de la compassion pour elle, mais je suis toujours contré par ma
femme et je me retrouve isolé.
Dans notre famille, on a une tendance à la critique de l’autre qui frise le terro-
risme, on ne sait pas rire ensemble, on ne sait pas dire sans violence.
– Le panier a commencé à s’alourdir l’année de la naissance de Margaux, nous
avons eu des difficultés avec notre nouvelle maison, ça a été difficile pour moi.
– Ce serait une famille où il y aurait de la vie, un socle d’où on n’aurait pas peur
de partir.
– Oui, il y a un double fond.
– C’est comme un mauvais rêve.

Margaux, 14 ans, la « patiente désignée »


– Le panier est lourd, surtout quand les gens ne comprennent pas, en particulier
Nicolas. Entre parenthèses, son départ n’a rien à voir avec ma maladie.
– Ce qui pèse le plus, c’est moi, ce que je traverse en ce moment, les rendez-vous
à l’hôpital.
En les écoutant j’ai compris que c’est ma faute, je suis le problème de la famille,
ce n’est pas facile pour moi. Ma mère est très angoissée depuis mon hospitali-
sation, elle est toujours sur mon dos, elle est trop angoissée.
– Ça pèse pour tout le monde, pour mes parents surtout.
– Comme je suis dans le panier, si je n’étais plus là, il n’y aurait plus de problème.
– Je ne vois pas à quoi ressemblerait ma famille si les problèmes disparaissaient.
– C’est un sac à dos dans lequel on rajoute encore des cailloux.

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Françoise, 50 ans, la mère
– Très, très lourd.
– Le plus lourd, c’est l’anorexie de Margaux, c’est très angoissant, c’est un échec
pour des parents.
Par ailleurs, le comportement éducatif de mon mari ne va pas, il fait trop de
différence entre les enfants. Il a favorisé d’abord Valentin, puis maintenant
Margaux. Pas Nicolas, non, lui a toujours été plus proche de moi, c’est le seul à
me soutenir, je me demande comment ça se passera l’année prochaine quand
il sera au Canada.
– Le panier était vide jusqu’à la naissance de Margaux. Après, mon mari a fait
une dépression, à cause des problèmes avec notre nouvelle maison. Trois ans
auparavant, il a perdu son frère, un accident de parapente, on se demande si
ce n’était pas un suicide. On a été très affecté, j’ai soutenu mon mari à cette
période.
Après la naissance de Margaux, mon mari a été hospitalisé pour sa dépres-
sion, je suis restée seule avec les trois enfants, je devais tout gérer, Margaux
était bébé, je crois que je n’ai pas encore pardonné à mon mari son absence.
– C’est pour moi que ça pèse le plus, c’est Margaux qui doit alléger le panier en
allant mieux.
– Je ne sais pas à quoi la famille ressemblerait, peut-être à une famille qui n’em-
prisonne pas ses enfants, qui les laisserait partir, pas comme Jean-Marc avec
Margaux, il ne la laisse pas grandir.
– Une tempête qui cache une autre tempête.
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Discussion
Nous discuterons de l’intérêt du « panier à problèmes » selon plusieurs points :
• le « panier à problèmes » dans la circularité de l’information ainsi que dans
l’adéquation entre la demande d’aide et la réponse du dispositif d’aide ;
• l’« objet flottant » qui déroute et provoque ;
• l’aide à l’exploration du processus dysfonctionnel et à l’élaboration d’hypo-
thèses de travail avec la famille.

Exploration de la demande d’aide


Nous avons évoqué plus haut le contexte de ces entretiens familiaux, en précisant
que la demande n’est pas faite par la famille, ou de façon très exceptionnelle.
C’est l’équipe soignante qui donne l’indication d’entretiens familiaux.

Reprenons les trois axes d’exploration de la demande en thérapie familiale


telle qu’elle a été formulée par R. Neuburger (1984), à savoir l’exploration du symp-
tôme (qu’est-ce qui pèse le plus pour la famille actuellement ?), l’exploration de
la souffrance (pour qui ce panier pèse-t-il le plus ?) et enfin ce que R. Neuburger
nomme l’allégation – alléguer signifie invoquer, s’appuyer sur, mettre en avant –
(qui est le plus préoccupé de la situation ?).

255
Neuburger cite des observations cliniques où le clivage se situe entre symp-
tôme et souffrance (symptôme sans souffrance apparente ni demande d’aide),
d’autres où il y a clivage entre souffrance et allégation (les symptômes font souf-
frir mais on ne les allègue pas pour demander de l’aide).

Allégation du symptôme
Dans notre contexte de travail, l’allégation qui indiquerait des entretiens familiaux
est portée au départ par l’équipe pédiatrique, qui se montre le plus préoccupée par
les symptômes – ceux du patient désigné ou ceux d’un membre de la famille ou
de la famille dans son ensemble. C’est un point fondamental dans notre travail
en service de médecine : la famille n’est pas en quête d’exploration de son fonc-
tionnement, elle demande seulement au pédiatre de soigner son malade et d’être
soulagée de son inquiétude pour recommencer à vivre « normalement ».
C’est dire que la proposition du pédiatre doit être argumentée clairement pour
éviter qu’elle soit ressentie comme accusatrice par la famille et que d’autre part,
l’affiliation des thérapeutes familiaux avec celle-ci est loin d’être gagnée d’avance.
Un des enjeux de notre premier entretien est peut-être de redonner à la famille
la possibilité d’alléguer elle-même un symptôme, même si celui-ci prend dans un
premier temps la forme de la désignation (ses symptômes nous préoccupent,
changez-les pour nous soulager). Dans le meilleur des cas, si la famille arrive à
s’appuyer sur un symptôme d’un de ses membres pour explorer et questionner
son fonctionnement, elle aura des chances d’assouplir celui-ci.

Exploration du symptôme : « Qu’est-ce qui pèse actuellement


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le plus dans ce panier ? »
Le contenu du panier est décrit par chaque membre de la famille, à tour de rôle.
Les autres, y compris les thérapeutes, voient, écoutent, observent, entendent celui
ou celle qui tient le panier.
Le contenu du panier reprend le postulat de l’information « pertinente » : c’est
celle qui vient de la famille et qui y retourne (Bateson, 1984). C’est aussi le pro-
pos développé par Guy Ausloos sur la compétence des familles : une famille ne
pose que les problèmes qu’elle est capable de résoudre ; elle ne peut pas résoudre
ceux qui s’imposent (Ausloos, 1995).
Les questions identiques posées à chacun amènent des réponses individuelles.
Il ne s’agit pas seulement de faire un recueil de données, mais bien de faire décou-
vrir aux autres membres présents ce que la personne qui tient le panier ressent ou
sait du problème. L’Ecole de Milan a développé ces techniques de circularisa-
tion de l’information (Selvini, 1982). La circularisation est nécessaire – mais non
suffisante – à la famille pour développer des solutions alternatives en rapport
avec les nouvelles informations dont elle dispose.
Avec le panier à problèmes, la famille expérimente un processus différent
des modalités relationnelles habituelles et découvre des choses qu’elle ne savait
pas ou plutôt qu’elle ne savait pas qu’elle savait (Ausloos, 1995). Ainsi, dès la pre-
mière séance, le « panier à problèmes » permet de faire l’expérience d’une alter-
native relationnelle, souvent vécue de façon intense. Par la suite, nombreuses sont
les familles qui y font référence comme un moment-clé de la thérapie.

256
Par ailleurs, il est évident que la famille a déjà tenté de développer des solu-
tions autocuratives, bien avant le premier entretien familial. Celles-ci ont échoué,
elles ont parfois été critiquées par le monde extérieur, par les services sociaux,
les soignants, les professeurs ou l’entourage. On accepte le « ticket d’entrée » proposé
par chacun. Accepter le contenu du « panier à problèmes » sans y ajouter nos a
priori de thérapeutes – nos propres mythes, nos résonances familiales – limite
le risque de réponse non spécifique ou inadéquate qui viendrait fragiliser
davantage la dimension mythique de la famille, déjà fort abîmée.

Enfin, l’exploration du symptôme passe par celle de sa fonction dans l’homéo­


stasie du système familial (que se passerait-il dans la famille si ce panier s’allé-
geait ?). Souvenons-nous à ce propos des processus de désignation, puis de
sélection-amplification des symptômes et enfin de cristallisation-pathologisa-
tion, au moment où ces symptômes commencent à remplir une fonction dans la
famille, tels qu’ils ont été décrits par G. Ausloos (1995).
Chez les adolescents, le désir d’individuation, la demande d’autonomie, même
ambivalente ou paradoxale, provoquent un changement. La marche du temps
impose parfois un véritable remue-ménage dans l’homéostasie familiale. Une
des façons de refuser le changement est de désigner l’adolescent comme un
patient qui empêche la famille de « tourner rond » « comme avant », la désignation
et la pathologisation ayant pour fonction de suspendre le temps.

Exploration de la souffrance : « Pour qui pèse-t-il le plus ? »,


« Qui peut alléger le panier dans la famille ? ».
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Outre l’énoncé explicite de la désignation de « celui par qui les problèmes
arrivent », souvent chargé de culpabilité et de culpabilisation, on explore ici le
degré d’implication individuelle de chaque membre de la famille dans les symp-
tômes présentés, ainsi que la solidarité et l’empathie du groupe, le souci et le
soin qu’on a des autres, et aussi d’éventuelles alliances et/ou coalitions intergé-
nérationnelles et intragénérationnelles.

« Y a-t-il d’autres choses qui vous inquiètent, qui vous font souffrir ? »,
Le contexte des difficultés familiales est ici énoncé : les difficultés au lycée,
les insultes dans la cour du collège, la méchanceté de l’ex-meilleure amie, les
soucis au travail de Papa, le déménagement, etc.
Dans la plupart des cas, une famille trouve les solutions adéquates à de tels
événements. Parfois, il arrive qu’elle bute sur l’inadéquation de ses réponses.
Dès lors, ce qui est en cause est souvent beaucoup plus important que des pro-
blèmes d’adolescents : c’est la menace d’éclatement d’un groupe familial dont
toutes les solutions internes échouent.
On sait que l’adolescent doit faire un jeu d’équilibriste entre individuation et
appartenance au groupe familial, entre intérêt individuel et intérêt du groupe
familial. Or, le système familial, système ouvert en interaction avec l’environne-
ment social et culturel, peut avoir des frontières rigides. S’il s’agit, par exemple,
d’une famille regroupée autour d’un mythe chancelant, les rites d’appartenance
sont si contraignants qu’ils transforment la limite entre l’intérieur et l’extérieur
de la famille, la frontière entre « ceux du dedans » et « ceux du dehors », en un
front à protéger. Le système familial a une réaction de clan, où l’affiliation au

257
groupe prévaut sur la filiation et la transmission (Neuburger, 1995), ce qui
conduit beaucoup d’adolescents à des conflits de loyauté insolubles.

Exploration du processus dysfonctionnel en cours


Avec les questions suivantes : « Quand ce panier a-t-il été le plus lourd ? Le plus
léger ? » « A-t-il été vide ? », on aborde explicitement le processus dysfonctionnel
dans lequel la famille s’est enlisée.
On essaie de contourner ici l’inévitable question : « pourquoi notre enfant,
notre frère, notre sœur va mal ? » qui a comme corollaire la proposition suivante :
« trouvez la cause de la maladie et soignez-le ». Ce modèle causal linéaire – isoler
la cause et agir sur elle – est un modèle médical classique. Dans les couples et
les familles, le « pourquoi ? » est souvent chargé de culpabilisation, où les diffé-
rentes personnes se renvoient sans fin la culpabilité d’une faute, comme on le
ferait d’une patate chaude. Dès la première cybernétique, les thérapeutes fami-
liaux systémiques ont essayé de se dégager de ce modèle causal linéaire – les
éléments d’un système sont à la fois cause et effet, chacun agit sur le suivant
qui est agi par le précédent.
Il ne s’agit pas de comprendre pourquoi, ni de trouver un coupable à la
situation présente. Il s’agit de comprendre comment c’est arrivé. Que la souf-
france soit récente (deuil, maladie, tentative de suicide…) ou plus ancienne
(maladie chronique, anorexie mentale, boulimie…), les symptômes nous sont
souvent présentés déjà étiquetés, emballés en « produits finis ». Tout se passe
comme si le temps n’existait pas, ou était suspendu.
La proposition d’un objet flottant, notamment le Jeu de l’Oie systémique, est
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souvent intéressante dans des situations cliniques où le temps semble figé par
un événement traumatique (Calicis, 2006). Ici aussi, le « quand » du panier à pro-
blèmes tend à mettre en évidence un processus chronologique, une histoire qui
reprend au début, où s’emmêlent différents événements, notamment ceux du
cycle de vie familiale, vécus différemment selon les différents membres de la
famille. En filigrane, on perçoit ainsi comment cette famille absorbe les change-
ments et les crises qu’ils impliquent.
Dans la mesure du possible, les questions « quand » et « comment » seront
reprises et travaillées lors des séances suivantes avec le génogramme familial
(familles d’origine, constitution du couple, naissance des enfants, etc.).

Un système évolue dans le temps, avec un passé, un présent et un futur (Ausloos,


1995). G. Ausloos décrit des familles à transactions rigides où le temps semble
arrêté (passé et présent confondus, pas de futur imaginable), dont la mémoire
est inutilisable et des familles à transactions chaotiques, où le temps est événe-
mentiel (immédiat, sans passé, ni futur) sans mise en mémoire des événements
du fait du mouvement incessant. Il est évident que le panier à problèmes ne
sera pas utilisé de la même façon s’il s’agit d’une famille à transactions rigides
ou à transactions chaotiques, que les éléments verbaux et non verbaux seront
bien différents. Dans le premier cas, outre la difficulté à s’extraire du moment pré-
sent, les membres de la famille se montrent souvent lents, silencieux, entourant
leur panier et le regardant comme s’il avait la réponse pendant que les autres
l’écoutent, immobiles. Dans l’autre cas, outre le chahut ambiant, on voit le panier
voler de mains en mains, des contradictions qui fusent, dans un désordre difficile

258
à contenir. Dans les deux cas cependant, la difficulté sera de parvenir à reprendre
un fil narratif de l’histoire de ces familles.

L’intérêt d’« un objet flottant »


Les « objets flottants », méthode d’entretien systémique intégrative, développée
grâce à la longue collaboration d’Y. Rey et de P. Caillé, condensent les différentes
strates du développement des thérapies systémiques. Ils intègrent à la fois le
contexte, modulent les interactions et favorisent l’accès à d’autres modes de com-
munication, prennent en compte le non-verbal, et font émerger d’autres récits,
d’autres possibles dans une optique narrative et constructiviste.
Le terme d’objet flottant a été proposé « en pensant aux balises qui, en mer,
ne font qu’indiquer une direction et non un point précis » (Caillé, 2010).
Selon la définition de P. Caillé, un objet flottant est « une structuration tempo-
raire de la rencontre autour du partage d’un but précis, dans le but de créer de
l’espace là où menace la collusion paralysante, de faire apparaître du « non-
encore-dit » là où tout semble maintes fois avoir été répété, d’inventer un obstacle
générateur de surprise et d’innovation là où le chemin semblait d’avance tout
tracé » (Caillé, 2004).
Sur cette base commune, divers objets flottants ont été décrits et proposés
dans les situations les plus variées. Les plus connus sont « la chaise vide du
plus un », « les sculpturations phénoménologiques ou mythiques » de la famille,
« le jeu de l’oie systémique », « le blason », « le conte systémique », « le dialogue
avec les masques », « l’équipe réfléchissante » (Caillé et Rey, 1994, 2004) ainsi que
« le génogramme imaginaire » (Ollié-Dressayre et Mérigot, 2001) et « le totem fami-
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lial » (Le Goff, 2006). A notre connaissance, aucune description de cet objet flot-
tant qu’est le « panier à problèmes » n’a pas été publiée jusqu’à ce jour.

L’objet flottant introduit un espace intermédiaire, métaphorique, entre l’espace


de la famille et celui des thérapeutes. Il s’agit d’une tâche où la part de non-ver-
bal est essentielle, ce qui réduit la simplification, l’amputation de l’expérience
décrite uniquement par la parole. La possibilité de transformer explicitement
ce panier à problèmes en une image, un objet, un animal, c’est-à-dire donner une
métaphore de ce que la famille est en train de vivre permet à chacun de quitter un
chemin balisé, de donner à voir autre chose, notamment sa créativité, son ima-
gination, son monde interne et sa capacité à faire un autre récit de la situation.

En proposant « le panier à problèmes » à une famille, on lui fait une proposi-
tion inhabituelle, surprenante.
D’emblée, nous sommes très attentifs à la façon dont les membres de la famille
reçoivent cette proposition. Du silence gêné et pesant au chahut rigolard, de
l’attention inquiète au regard sarcastique, tout peut s’observer. Qui s’empare
du panier en premier, de quelle manière, comment le tient-il, quelle est la réac-
tion des autres membres de la famille, moqueuse, opposante, lointaine, inquiète ?
Y a-t-il concordance entre ce qui est dit et ce qui est montré (par exemple « il est
très lourd », mais tenu comme s’il était très léger) ? On observe ainsi des éléments
analogiques précieux dans l’exploration des attentes, des craintes, des motiva-
tions, des alliances et de la dynamique de communication de la famille.

259
Par ailleurs, le premier entretien est souvent difficile pour les thérapeutes. Il
s’agit de situations graves, où le pronostic vital de l’adolescent peut être engagé,
où les tensions intrafamiliales peuvent être violentes, voire explosives, où la
confrontation et le face à face entre les différents membres de la famille sont
difficiles à contenir. Le « panier à problèmes » structure l’entretien, autant pour
la famille que pour les thérapeutes, qui ont besoin d’un confort minimal pour
travailler.
Le « panier à problèmes » est un objet que l’on entoure de ses mains, que l’on
tient sur soi, comme un contenant que l’on emplit de ses mots. Les thérapeutes
sont les garants de ce cadre thérapeutique, dont les contraintes aident à conte-
nir – au sens du holding de Winnicott (Winnicott, 1975) – autant leurs résonances
personnelles que l’expression émotionnelle et langagière de la famille.

N’oublions pas que le premier entretien – souvent le premier entretien « psy »


sous cette forme-là – est également difficile pour une famille. Même si la démarche
proposée par le pédiatre est acceptée, elle est redoutée et, somme toute, coura-
geuse. Il nous semble que l’utilisation de cet objet flottant adoucit un peu la menace
du premier entretien, apprivoise la peur du dévoilement et du jugement, notam-
ment grâce au double fond du panier, qui représente le choix explicite de dire
– aux thérapeutes et/ou à sa famille – ou de garder pour soi. En somme, il faci-
lite l’affiliation avec une famille dans son ensemble et avec chaque membre qui
la compose, notamment les adolescents.

L’existence d’un double fond est un des atouts de ce « panier à problèmes ». Il
offre la possibilité explicite de se taire, ou plutôt de dire qu’on souhaite garder
quelque chose pour soi. C’est un tiroir secret qui marque le respect de l’intime,
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comme le font les cartes blanches dans le Jeu de l’Oie systémique.
La réponse à cette question (pour vous, ce panier a-t-il un double fond ?) devrait
être simple : oui ou non. Mais la plupart du temps, elle ne l’est pas : réponses
alambiquées, justifications, regards circulaires, gêne, voix trop forte pour affir-
mer un oui ou un non, etc. Le double fond du « panier à problèmes » met en évi-
dence des échanges non verbaux très riches.
Son intérêt est d’explorer comment chaque membre de la famille peut se
permettre d’avoir un secret, un espace d’intimité et donc d’autonomie par rap-
port aux autres – il existe des adolescents qui mettent la totalité des problèmes
dans le double fond et d’autres qui disent n’avoir « rien à cacher ».
En somme, le panier à problèmes ouvre à la fois un espace d’appartenance –
ce qu’on met en commun dans le plein du panier – et un espace de différencia-
tion – ce qu’on garde dans le double fond du panier, inconnu des autres. La
double dimension appartenance/différenciation qu’apporte le panier à problèmes
nous semble très importante, car elle représente souvent un enjeu fondamental
pour l’évolution de la famille dans son ensemble et pour les adolescents en
particulier.

Conclusion
Nous avons tenté de décrire en quoi l’utilisation du « panier à problèmes », permet
d’établir un lien de partenariat et non de pouvoir avec une famille – autrement

260
dit, « nous avons besoin de votre aide pour vous aider » – et peut, dans le meil-
leur des cas, être un levier de changement. L’utilisation de ce « panier à pro-
blèmes » lors des premiers entretiens, dans le cadre difficile de l’exercice de la
thérapie systémique en service de médecine, nous a beaucoup aidée à établir
un lien avec les familles dans des situations où rien n’était gagné, au contraire.

La richesse du matériel clinique qu’il apporte dès la première séance aide à
la construction d’hypothèses de travail avec une famille.
Cet objet flottant nous permet d’avoir une idée assez précise de la commu-
nication intrafamiliale, tout en permettant d’emblée d’introduire une circulari-
sation de l’information dans un espace commun, la circularisation étant néces-
saire au développement de solutions alternatives moins dysfonctionnelles.
Il aide également à explorer comment la famille absorbe les crises et les chan-
gements générés par la marche du temps ainsi que la fonction pour l’homéosta-
sie familiale de la solution symptomatique dans laquelle le groupe familial s’est
enlisé.
Enfin, il permet de questionner la dimension mythique de la famille, ses rites
d’appartenance, ses croyances, les limites entre le dedans et le dehors, ainsi que
sa capacité de laisser à chacun un espace de différenciation, un espace intime à
l’intérieur de l’espace d’appartenance.

L’élaboration d’hypothèses de travail est nécessaire dans tout travail systé-


mique. Cependant, étant donné le contexte très particulier des entretiens fami-
liaux en service de médecine, par les contraintes et les limites que ceci impose
– manque de personnel formé, absence d’équipements classiques, patients per-
dus de vue, pléthore des consultations médicales, rigueur budgétaire, mobilisa-
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tion difficile de tous les membres d’une famille, équipe pédiatrique plus préoc-
cupée des symptômes que ne l’est la famille elle-même – nous devons, ici plus
qu’ailleurs, savoir définir notre champ thérapeutique et nos limites. En cela, il
nous semble que « le panier à problèmes » aide beaucoup les thérapeutes : il per-
met de préciser assez finement, dès le premier entretien, des hypothèses de tra-
vail et d’évaluer jusqu’où ils vont être en mesure d’aider cette famille avec les
moyens dont ils disposent.

Adresse de correspondance :
Dr Claude Vacher
49, rue Boulard
75014 Paris
France
claude.vacher@neuf.fr

Bibliographie
  1. Alvin P., 2006. De l’adolescent malade à la médecine de l’adolescent. Archives Pédiatriques,
Paris, Vol. 13, hors série n°1 : hommage à D. Allagille, pp 29-32.
  2. Alvin P., 2011. L’envie de mourir, l’envie de vivre. Un autre regard sur les adolescents suici-
dants. Editions Doin, Paris.
  3. Ausloos G., 1995. La compétence des familles. Temps, chaos, processus. Erès-Relations,
Toulouse.

261
  4. Bateson G., 1984. La nature et la pensée. Editions Le Seuil (trad. de Mind and Nature, a neces-
sary unit. 1979), Paris.
  5. Caillé P., Rey Y., 1994. Les objets flottants. Au-delà de la parole en thérapie systémique.
Editions ESF, Paris (réédition Fabert, 2004).
  6. Caillé P., 2010. Vous avez dit famille… Famille traditionnelle ou constellation affective ?
in Les nouvelles familles, approches cliniques. Sous la direction de S. D’Amore. Editions
De Boeck Université, Bruxelles.
  7. Calicis F., 2006. Intérêt de l’utilisation des objets flottants dans l’approche des pans les
plus douloureux de l’histoire des patients et de leur famille. Thérapie familiale, 27, 4, 339-359.
  8. Janne P., et al, 2000. Associer la famille au traitement ? La demande en thérapie familiale,
vingt ans après. Thérapie familiale, 21, 4, 391-403.
  9. Le Goff J.F., 2006. Construction d’un totem en thérapie familiale, exemple de la famille
monoparentale. Thérapie familiale, 27, 4, 361-375.
10. Neuburger R., 1984. La demande en psychanalyse et en thérapie familiale. L’autre demande,
Editions ESF, Paris.
11. Neuburger R., 1995, 4° édition augmentée 2005. Le mythe familial. Editions ESF, Paris.
12. Neuburger R., 2003. Relations et appartenances. Thérapie familiale, 24, 2, 169-178.
13. Ollié-Dressayre J., Mérigot D., 2000. Le génogramme imaginaire. Thérapie familiale, 21, 4,
405-417.
14. Ollié-Dressayre J., Mérigot D., 2001. Le génogramme imaginaire, liens du sang, liens du cœur.
Editions ESF, Paris.
15. Selvini-Palazzoli M., et al., 1982. Hypothétisation, circularité, neutralité. Thérapie familiale,
3, 3, 117-132.
16. Winnicott D.W., 1975. Jeu et réalité. Gallimard, Paris (trad. de Playing and Reality, 1971).
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Summary
« The problem’s basket ». Meeting with families in an adolescent’s medicine unit around a
« floating object ». – We present our systemic family psychotherapeutic work in an ado-
lescent’s medicine unit. We describe « the problem’s basket » and how to use it in interview.
Then, we develop the floating object’s interest in exploration of help request and dysfunctio-
nal process of a family. At last, we show how different dimensions appeared (crisis and
change, interfamilial communication dynamics, belonging/differentiation) are precious for
the following adolescent care.

Resumen
« La cesta de problemas ». Encontrar familia en servicio de medicinas per adolescentes con un
objeto flotante. – Después de haber presentado el contexto de nuestro trabajo de terapia
familiar en servicio de medicinas para adolescentes, describimos « la cesta de problemas » y
su procedimiento de utilización en sesión. Desarrollamos un interés para este objeto flotante
en una exploración de la demanda de ayuda y en los procesos disfuncionales de la familia.
Por ultimo, mostramos como las distintas dimensiones evidenciadas (crisis y cambio, dinámica
de la comunicación intrafamiliar, pertenencia/ diferenciación) son cómodas para alcanzar a
curar les adolescentes.

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