Psys 151 0001

Editorial
CLIVAGE/DISSOCIATION
Jean-Nicolas Despland
Médecine & Hygiène | « Psychothérapies »
2015/1 Vol. 35 | pages 1 à 3

ISSN 0251-737X
DOI 10.3917/psys.151.0001
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Psychothérapies 2015 ; 35 (1) : 1-3
Editorial
Clivage/dissociation
Jean-Nicolas Despland
D
epuis 1872, date de la création du néolo- ou le transfert et leur importance dans le processus,
gisme « Psycho-therapeutics » en anglais, que au-delà des querelles terminologiques, fait débat au
l’on doit à Daniel Hack Tuke dans son livre XIXe siècle, comme maintenant.
Illustrations of the Influence of the Mind upon the Body La question de l’efficacité des psychothérapies a
in Health and Disease, ou depuis 1886, avec sa traduc- aussi été traversée de mouvements contradictoires.
tion en français par Bernheim, l’histoire de la psy- Entre 1952, marquée par l’article de Eysenck qui re-
chothérapie a connu bien des vicissitudes. A la fin du mettait en question l’effet des psychothérapies (c’est
XIXe siècle, on compte déjà de nombreuses écoles à surtout la psychanalyse qui était visée) et cet édito-
côté de la thérapie par l’hypnose de Bernheim et rial de la prestigieuse revue Nature en 2012, « The-
Liébault, parmi lesquelles on peut relever le mouve- rapy deficit : Studies to enhance psychological treat-
ment anglais associé à la question de l’influence de ments are scandalously under-supported », qui relève
l’esprit sur le corps avec Daniel H. Tuke, la Science que les études dans ce domaine sont insuffisamment
chrétienne aux Etats-Unis avec Mary Baker Eddy, soutenues, passablement d’eau a coulé sous les points.
les psychothérapies par la persuasion à l’origine des Ainsi, le développement de la médecine basée
thérapies cognitives, avec Dubois à Berne, ou encore sur la notion de preuve, qui aurait pu, comme cer-
la psychanalyse freudienne. tains psychanalystes le craignaient, être son chant du
L’énumération des facteurs communs à toutes ces cygne, a eu l’effet exactement contraire. En effet,
écoles donne déjà une idée assez précise de ce qu’est développant et conduisant ce qui s’avère être la pre-
une psychothérapie. Il est ainsi admis que les troubles mière méta-analyse de l’histoire de la médecine,
psychiatriques sont des phénomènes psychiques, que Gene Glass montre en 1976 que les psychothéra-
la relation thérapeutique est au cœur du processus, pies sont efficaces. Il met aussi en évidence qu’il n’y
que celui-ci se fonde quasi exclusivement sur la pa- a pas de différence substantielle d’effet entre les écoles
role, que la participation active du sujet est requise de psychothérapie, fondant ce que l’on dénomme
et que toute psychothérapie comporte une dimen- actuellement le paradoxe de l’équivalence.
sion éthique sous la forme d’une exigence de vérité Qui plus est, alors même que l’utilité clinique de
à l’égard de soi-même. La controverse porte déjà et certains médicaments est contestée, par exemple les
explicitement sur la nature de la relation thérapeu- antidépresseurs en raison de leur faible différence
tique. La part prise par la suggestion, la persuasion avec un placebo, des publications récentes mettent
1
Psychothérapies
en comparaison psychotropes et psychothérapies modèle plus que sur leur créativité. Qui plus est, la
(Huhn et al., (2014) ou relèvent que ces dernières recherche en psychothérapie nécessite de pouvoir
sont préférées par les patients (McHugh et al., 2013). étudier non seulement une technique, mais aussi
Corrélativement, au vu du coût prohibitif du déve- la manière dont le thérapeute utilise cette tech-
loppement d’un médicament et de la difficulté à ou- nique, sa variabilité dans la dispensation de ce qui
vrir de nouvelles pistes de recherche, les pharmas est prescrit.
désinvestissent de manière radicale l’étude de nou- Terminons sur une note plus réjouissante. Ces
velles molécules en psychiatrie. dernières décennies, le développement de la psycho-
Faut-il, comme psychothérapeute, se réjouir de thérapie a aussi permis une ouverture et un élargis-
cette évolution ? Oui, si l’on considère que l’effica- sement des méthodes et des techniques. Il est pos-
cité des psychothérapies est bien établie et sans ex-
sible de traiter de manière spécifique et appropriée
clure l’utilité des médicaments. Non, si l’on prend
des patients souffrant de troubles psychiques graves,
en compte l’évolution récente de la politique de la
dans le champ de la psychose et des états de stress
recherche dans ce domaine. Deux constats fondent
post-traumatiques par exemple. Les articles de Véro-
cette prise de position tranchée. En premier lieu, si
l’efficacité des psychothérapies est prouvée, la com- nique Beretta et de ses collègues et de Valérie Skri-
préhension du processus thérapeutique reste très limi- van illustrent de manière vivante et fine le rôle cru-
tée. Le rôle de l’alliance thérapeutique est bien dé- cial du thérapeute et sa capacité à développer une
montré, certes, mais elle ne peut être prescrite et doit attitude psychothérapique à la fois rigoureuse et
être considérée comme un facteur à la fois dynamique vivante, à l’aune de la psychopathologie singulière
et très spécifique. Par ailleurs, les qualités person- des patients rencontrés, notamment lorsque leur
nelles du psychothérapeute, indépendamment de son capacité à secondariser est battue en brèche par le
âge, de sa profession, de son expérience et de son clivage ou un mécanisme de dissociation post-trau-
école, jouent un rôle crucial. Mais qu’est-ce qu’un matique.
bon thérapeute ? Et comment le choisit-on, pour au- Cette même question de la symbolisation et du
tant qu’on puisse le choisir de manière éclairée ? rôle dynamique que joue le psychothérapeute est
En second lieu, alors même que le paradoxe de développée par Dag Söderstöm dans son récit d’un
l’équivalence peine à être réfuté, on constate que processus psychothérapique marqué par un transfert
l’exigence de certains systèmes de santé de ne recon- psychotique, et par Jean-Marc Chauvin qui traite du
naître que les méthodes thérapeutiques dont l’effi- processus d’introjection de la fonction rêvante de
cacité est prouvée tend à réduire et rigidifier les pra- l’analyse. Le texte de Alexandre Berney et Selma
tiques de formation de manière alarmante. On peut Aybek résume les développement récents de la neuro-
le constater dans le domaine de la psychothérapie imagerie fonctionnelle dans le domaine des troubles
des troubles de la personnalité borderline, pour le- dissociatifs. Enfin, Brigitte Leroy-Viémon et Jean-
quel seuls quelques traitements sont reconnus aux Michel Vives abordent une thématique originale,
Etats-Unis : la thérapie comportementale dialectique
la question du tact en psychanalyse, qui souligne
(DBT) de M. Linehan, la psychothérapie focalisée
aussi l’importance de la présence du psychothéra-
sur le transfert (TFP) de O. Kernberg et de son groupe,
peute comme personne au cours du processus thé-
la thérapie basée sur la mentalisation (MBT) de
rapeutique.
A. Bateman et P. Fonagy, ainsi que la thérapie des
schémas (SBT) de J. Young. Le texte de Alexandre Berney et Selma Aybek
Au vu de notre connaissance limitée du proces- qui ponctue ce numéro résume les développements
sus psychothérapique, ce « branding1 » généralisé récents de la neuro-imagerie fonctionnelle dans le
est contestable. Il risque de nous conduire à sélec- domaine des troubles dissociatifs. Freud avait-il rai-
tionner les thérapeutes sur leur capacité à suivre un son ? Il est en tous les cas fascinant de constater que
le développement de la neuro-imagerie fonction-
nelle, loin d’asseoir un point de vue biologisant et
réducteur, s’accompagne d’une plus grande facilité
1
Le branding est, dans le domaine du marketing, la disci-
pline qui consiste à gérer les marques commerciales, et en
particulier l’image de marque des entreprises qui exploitent à penser le fonctionnement de l’être humain de
les marques (Wikipedia). manière multi-modale et non exclusive.
2
Editorial – Psychose et limites
Bibliographie
Bernheim H. (1886) : De la suggestion et de ses applications à la McHugh et al. (2013) : Patient preference for psychological vs phar-
thérapeutique. Paris, Doin. macological tretament of psychiatric disoders : a meta analytic
Eysenk H. (1952) : The effect of psychotherapy : an evaluation. J. review. J. Clin. Psychiat., 74 : 595-602.
Consult. Psychol. 16 : 319-324. Nature (2012) : Editorial : Therapy deficit : Studies to enhance psycho-
Glass G. (1976) : Primary, secondary and meta-analyses of research. logical treatments are scandalously under-supported. Nature,
Educational Researcher, 5 : 3-8. 469 : 473-474.
Huhn M. et al. (2014) : Efficacy of pharmacotherapy and psycho- Tuke D.H. (1873) : Illustrations of the influence of the mind upon the
therapy for adult psychiatric disorders : A systematic overview body in health and disease. London, J. & A. Churchill, 1884.
of meta-analyses. JAMA, 71 (6) : 706-715.
Correspondance :
Pr Jean-Nicolas Despland
Centre de Consultation Psychiatrique
et Psychothérapeutique
Polyclinique du Département de
Psychiatrie
9 avenue d’Echallens
1004 Lausanne
Suisse
jean-nicolas.despland@chuv.ch

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