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LES SCIENCES INFIRMIÈRES : UNE CLARIFICATION S’IMPOSE

Didier Lecordier, Emmanuelle Cartron, Ljiljana Jovic

Association de Recherche en Soins Infirmiers | « Recherche en soins infirmiers »

2016/4 N° 127 | pages 6 à 7


ISSN 0297-2964
DOI 10.3917/rsi.127.0006
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-recherche-en-soins-infirmiers-2016-4-page-6.htm
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ÉDITORIAL
Didier LECORDIER, Emmanuelle CARTRON, Ljiljana JOVIC

Les sciences infirmières : une clarification s’impose


Nursing Science: a necessary clarification

La recherche en soins infirmiers se développe en France d’une façon inédite, la pratique avancée est inscrite dans la nouvelle
loi de modernisation de notre système de santé et les formations universitaires fleurissent avec leur mention « infirmière ». Les
sciences infirmières n’ont jamais été autant discutées en France. Tel fut l’objet du séminaire 2016 de l’Arsi, intitulé « Les soins
infirmiers : perspectives et prospectives », dont un article de ce numéro rend compte des travaux produits.

Pourtant les infirmières françaises, dans une très grande majorité, ignorent ce que l’on entend par « sciences infirmières1 »
et par conséquent, elles ne soutiennent pas leur développement. Elles ont d’ailleurs des difficultés à expliciter l’objet de
leur travail et malgré des analyses, des comportements et des actions pertinentes et cohérentes avec leur discipline, elles
n’arrivent pas à défendre leur point de vue singulier, leur légitimité, leur position professionnelle et disciplinaire quelle que soit
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leur fonction ou leur position hiérarchique. Il semble donc qu’une clarification s’impose pour tous, les infirmières elles-mêmes
et aussi les autres professionnels. De quoi parlons-nous lorsque nous évoquons les sciences infirmières D’une discipline
professionnelle ? D’une discipline scientifique ? D’une discipline académique ?

Une discipline professionnelle2 se développe d’abord autour d’un objet et s’appuie sur des savoirs spécifiques, un vocabulaire
particulier, des règles de l’art qui constituent « son monde ». Le professionnel assure un service à la population, assume la
responsabilité de ses actes, acquiert une légitimité à connaître un objet de manière approfondie et à agir sur sa transformation :
la machine pour le mécanicien, la viande pour le boucher, le bouquet pour le fleuriste, le meuble pour le menuisier, le mur
pour le maçon, la chaussure pour le cordonnier3. Le « monde » du professionnel n’est pas le même que celui du client car la
discipline professionnelle se fonde sur un savoir construit et standardisé autour de croyances, de valeurs, d’expériences, de
normes, de codes, de techniques, de concepts, etc. souvent inaccessible au profane.

Une discipline scientifique se fonde sur des présupposés et des savoirs produits par les recherches que réalise une
communauté scientifique qui se reconnaît elle-même comme telle4, et, qui est reconnue comme telle par les autres
communautés scientifiques autour d’un objet qu’elle construit. La chimie étudie la transformation de la matière, la physique
les propriétés universelles de la matière, la psychologie les réactions psychiques de l’individu, l’histoire la chronologie des
événements, la sociologie le fonctionnement des sociétés, etc.

Une discipline scolaire est une organisation des savoirs produits par des disciplines scientifiques, mais structurée autour d’un
enseignement et de son mandat social. Une discipline académique ajoute à la discipline scolaire l’organisation des branches
du savoir scientifique au sein de l’université5.

Le savoir disciplinaire permet de construire un point de vue singulier, une perspective (un paradigme) unique sur un objet.
Au sein de l’université, les savoirs disciplinaires doivent trouver leur place et leur cohérence dans la « dispute académique »
permettant un état des connaissances du monde à un moment donné de son histoire.
Alors ? Qu’en est-il de la discipline sciences infirmières ?

Son objet porte sur la santé des personnes dans leur environnement. Les infirmières restent embarrassées quand des
commentaires les interpellent en précisant que tous les soignants peuvent se reconnaître dans cette proposition et que
cet objet n’est en rien spécifique aux infirmières. D’un point de vue profane cela peut se concevoir, mais d’un point de vue
épistémologique c’est confondre les concepts et ne pas distinguer par exemple : individu et personne, milieu et environnement,
soins et traitement, santé et maladie. Un exemple : madame Lecœur, 65 ans, diabétique et insuffisante cardiaque, peine à
s’occuper de son petit restaurant qu’elle a tenu toute sa vie. Son cardiologue vient de l’informer qu’il arrivait au bout des
ressources thérapeutiques et qu’il était temps qu’elle prenne sa retraite, seule solution lui permettant de préserver son cœur.
En sortant de la consultation, elle répond à sa fille qui s’inquiète de son silence qu’elle vient de prendre une grande décision :
« A partir d’aujourd’hui je ne reverrai plus mon cardiologue ». Sage décision vu que son cardiologue lui avait signifié qu’il ne
lui était plus d’aucune utilité, mais elle précisait aussi « il n’est pas question de quitter mon restaurant qui est toute ma vie ».
1
 ciences infirmières, science infirmière, discipline infirmière ces expression font encore débat dans la francophonie ici, nous utiliserons « les
S
sciences infirmières ».
2
Nous pourrions distinguer le métier de la profession comme le fait Freidson mais ici la discipline professionnelle comprend métier et profession.
3
Exemple choisi par Fourez, dans Apprivoiser l’épistémologie, Louvain-la-Neuve: De Boeck; 2009. 183 p. (Démarches de pensée)
4
Fourez rapporte des propos de physiciens qui définissent leur discipline : « La physique des particules élémentaires, c’est ce que font les
physiciens et physiciennes des particules élémentaires. ».
5
Pepin J, Larue C, Allard E, Ha L. La discipline infirmière, une contribution décisive aux enjeux de santé. SIDIIEF; 2015. 75 p.

6 l Recherche en soins infirmiers n° 127 - Décembre 2016


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L’infirmière à domicile mobilise ses connaissances, constate que cette décision n’a rien à voir avec le déni de la maladie que le
médecin traitant évoque. En confrontant leurs points de vue, ils se coordonnent pour permettre à madame Lecoeur de réaliser son
projet de vie. Le médecin généraliste ajuste ses prescriptions et son discours pour bien s’assurer que sa patiente sache détecter une
crise d’angor et utiliser la Trinitrine® à bon escient. L’infirmière accompagne madame Lecoeur qui prend des décisions lui permettant
de terminer sa vie en s’occupant au mieux de son établissement : elle embauche une jeune fille capable de l’aider au service mais
également de la remplacer immédiatement au fourneau lors d’une éventuelle crise d’angor.

Dans cette situation, chacun a joué son rôle en travaillant sur son objet : le cardiologue sur le cœur et le médecin généraliste sur
l’ensemble des pathologies d’une manière individualisée, l’infirmière sur la santé de cette personne, dans son environnement et de
son point de vue.

Si l’on veut bien considérer l’ensemble des savoirs scientifiques infirmiers, on remarquera alors des savoirs qui placent au cœur de la
discipline la subjectivité et la cohérence des trajectoires de vie des personnes au sein de la société ou d’une communauté. Le projet
de soin est ici au service du projet de vie. C’est une perspective singulière qui mérite non seulement d’être mieux connue, mais aussi
reconnue comme fondée sur des bases scientifiques. La production scientifique des infirmières est de plus en plus mobilisée par les
« décideurs », les chercheurs et praticiens d’autres disciplines6, il nous appartient de participer à cette reconnaissance.

A l’heure où des priorités nationales conduisent à des évolutions importantes des professions de santé dans leurs contenus, leurs
organisations, leurs rapports et collaborations, il est urgent de s’approprier collectivement les dimensions théorique et pratique des
sciences infirmières. Les priorités sont inscrites dans la feuille de route de la Grande conférence de la santé7. Les enjeux d’appropriation
et de développement disciplinaire, notamment du point de vue scientifique et académique, se trouvent particulièrement dans les
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mesures 11 - développer l’accès des étudiants en santé aux formations à la recherche ; 15 - concourir à l’émergence d’un corps
d’enseignants chercheurs pour les formations paramédicales ; 20 - développer les pratiques avancées.

Ne doutons plus, la discipline sciences infirmières se place bien à un niveau professionnel, scientifique et même si en France elle
n’est pas encore lisible, dans beaucoup d’autres pays, elle tient réellement sa place auprès d’autres disciplines académiques à
l’université. Il nous reste à consolider notre sentiment d’appartenance à cette communauté en marche.

6
 ire les percées scientifiques infirmières dans : Pepin J, Larue C, Allard E, Ha L. La discipline infirmière, une contribution décisive aux enjeux de santé.
L
SIDIIEF; 2015. 75 p.
7
Grande conférence de la santé. Accompagner le progrès en santé : nouveaux enjeux professionnels. Feuille de route [En ligne]. Paris : Conseil économique,
social et environnemental;11 février 2016. [cité le 19 décembre 2016].
Disponible : http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/11_02_2016_grande_conference_de_la_sante_-_feuille_de_route.pdf

Recherche en soins infirmiers n° 127 - Décembre 2016 l 7


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