Vous êtes sur la page 1sur 15

Document téléchargé depuis www.cairn.info - IRTS Languedoc-Roussillon - - 185.61.184.145 - 28/11/2018 12h54.

© Association de recherche en soins infirmiers (ARSI)


Document téléchargé depuis www.cairn.info - IRTS Languedoc-Roussillon - - 185.61.184.145 - 28/11/2018 12h54. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI)

VIEILLIR AU GRAND ÂGE


Vincent Caradec

Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) | « Recherche en soins


infirmiers »

2008/3 N° 94 | pages 28 à 41
ISSN 0297-2964
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-recherche-en-soins-infirmiers-2008-3-page-28.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Association de recherche en soins infirmiers (ARSI).


© Association de recherche en soins infirmiers (ARSI). Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


RSI 94_BAT 1/08/08 9:59 Page 28

ARTICLES
VIEILLIR AU GRAND ÂGE

Document téléchargé depuis www.cairn.info - IRTS Languedoc-Roussillon - - 185.61.184.145 - 28/11/2018 12h54. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI)
Vincent CARADEC,
Professeur de sociologie, Université de Lille 3, GRACC.,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - IRTS Languedoc-Roussillon - - 185.61.184.145 - 28/11/2018 12h54. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI)

Mots clés : Théories fonctionnalistes du vieillissement, activité, désengagement, déprise

INTRODUCTION enquêtes montrent bien que tous les jeunes retraités


ne sont pas de fringants seniors et que les octogé-
naires et nonagénaires sont loin d’être tous dépen-
Dans la société française contemporaine, on se repré- dants. Une manière de contrecarrer cette vision bipo-
sente le plus souvent la période de l’existence qui com- laire de la vieillesse, qui en occulte les réalités
mence avec la retraite comme étant constituée de complexes, consiste à adopter un point de vue dyna-
deux grandes étapes, auxquelles se trouvent associées mique et, donc, à s’intéresser au processus et à l’ex-
deux images opposées: d’un côté, celle du retraité actif périence du vieillissement. La question à laquelle le
(du jeune « senior »), qui profite de l’existence tout en sociologue peut contribuer à répondre consiste alors
se montrant utile à ses proches et à la société ; de à savoir comment se transforme le rapport au monde
l’autre, celle de la « personne âgée dépendante », rivée au cours des années de retraite, et plus particulière-
à son fauteuil, souffrant de solitude et qui doit être ment au grand âge2. Nous chercherons, dans cet
« prise en charge ». Soit, d’un côté, un prolongement article, à répondre à cette question en exposant tout
de la vie adulte, placé sous le signe de l’accomplisse- d’abord deux grandes théories « classiques » du
ment de soi et, de l’autre, la « vraie vieillesse » vieillissement – la théorie du désengagement et la
(Caradec, 2008). Nous partageons tous peu ou prou théorie de l’activité – avant de présenter une élabo-
cette représentation bipolaire de la vieillesse, qui s’est ration conceptuelle plus récente, celle de la
forgée au cours du dernier demi-siècle, au fur et à « déprise », qui propose de penser l’avancée en âge
mesure que des innovations sémantiques, découlant comme une transformation des « prises » de l’indi-
le plus souvent d’orientations nouvelles des politiques vidu sur le monde. Dans le prolongement de cette
publiques, sont venues modeler le temps de la retraite: approche en terme de déprise, nous mettrons ensuite
« troisième âge » dans les années 1960 et 1970 l’accent sur les tensions de l’identité au grand âge :
(et, plus récemment, « seniors », catégorie qui, être/avoir été ; devenir vieux/être vieux ; familia-
elle, provient du monde du marketing), « personnes rité/étrangeté au monde. Enfin, en conclusion, nous
âgées dépendantes » dans les années 1980 et 19901. verrons comment, à partir des analyses précédentes,
Cette représentation si commune de la vieillesse fait il est possible de dégager plusieurs formes de l’auto-
cependant problème car elle distord la réalité : les nomie au grand âge.

1
Cette bipartition de la vieillesse renoue d’ailleurs avec une distinction plus ancienne entre vieillesse « verde » et « âge décrépit »
qui apparaît dans les guides de santé et les dictionnaires du XVIIème siècle (Bourdelais, 1993).
2
Le « grand âge » est bien sûr une catégorie fort imprécise. Il ne nous semble guère pertinent, cependant, de fixer une borne chronolo-
gique qui en marquerait le début. Notre analyse se fonde sur des enquêtes réalisées, pour l’essentiel, auprès de personnes âgées de plus
de 80 ans. Mais on sait que l’âge chronologique n’est qu’un indicateur très grossier, et qu’il existe une grande variabilité interindividuelle
aux âges élevés. Pour n’en prendre qu’un seul exemple, les incapacités augmentent fortement après 80 ans sans pour autant concerner l’en-
semble des personnes très âgées (par exemple, 43 % des octogénaires et 76 % des 90 ans et plus ont besoin d’aide pour sortir de leur domi-
cile), tandis qu’une frange de personnes plus jeunes rencontre le même type de difficultés (6 % des sexagénaires et 15 % des septuagé-
naires) (Colin, 2001).

28 RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 94 - SEPTEMBRE 2008


RSI 94_BAT 1/08/08 9:59 Page 29

ARTICLES VIEILLIR AU GRAND ÂGE

DEUX GRANDES THÉORIES fonctionnelle. Au terme de ce processus, un nouvel équi-


libre est atteint. C’est ainsi que les personnes de plus de
FONCTIONNALISTES 80 ans « apprécient leur existence désengagée. Elles ont réduit
DU VIEILLISSEMENT

Document téléchargé depuis www.cairn.info - IRTS Languedoc-Roussillon - - 185.61.184.145 - 28/11/2018 12h54. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI)
leurs liens avec la vie, ont abandonné leurs soucis et leurs res-
ponsabilités et ont tourné leurs préoccupations vers elles-
Les premières théories du vieillissement au grand âge, qui mêmes. Elles mènent une existence tranquille, quelque peu
se sont développées aux Etats-Unis dans les années 1950 égocentrique, qui leur convient parfaitement et qui paraît consti-
et 1960, s’inscrivent dans une perspective fonctionnaliste, tuer un passage en douceur d’une vie, qui a été longue, à la
Document téléchargé depuis www.cairn.info - IRTS Languedoc-Roussillon - - 185.61.184.145 - 28/11/2018 12h54. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI)

qui pose que l’individu se trouve défini par les rôles sociaux mort inévitable ».
associés aux positions statutaires qu’il occupe. Dans une
telle optique, le vieillissement se caractérise par une perte Cumming et Henry soulignent quatre caractéristiques du
de rôles, à la fois professionnel au moment de la retraite et processus de désengagement: il est réciproque, fonction-
familiaux avec le départ des enfants et le décès du conjoint. nel, irréversible et universel. Il est réciproque, tout d’abord,
La question est alors de savoir comment les personnes qui constituant une sorte de séparation à l’amiable, satisfai-
vieillissent réagissent à cette perte de rôles. Les théories de sante pour les deux parties et qui peut être initiée aussi
l’activité et du désengagement, qui ont polarisé pendant bien par l’individu vieillissant que par la société: d’un côté,
plusieurs années les débats de la gérontologie sociale amé- la personne âgée, dont les capacités diminuent, se tourne
ricaine, font à cette question des réponses opposées. de plus en plus vers elle-même et se détache émotion-
nellement du monde; de l’autre, la société lui retire les
La théorie de l’activité rôles sociaux qu’elle lui avait octroyés. Le désengagement
est, ensuite, fonctionnel. Il répond, en effet, à un double
Si la théorie de l’activité a été développée et précisée dans impératif social : d’une part, le désengagement des plus
les années 1960 en opposition à la théorie du désengage- âgés rend possible le renouvellement des générations dans
ment, elle trouve sa première formulation au début des le monde du travail et permet l’arrivée aux postes à res-
années 1950. En se fondant sur une enquête réalisée sur ponsabilité de jeunes aux connaissances plus récentes ;
un échantillon de 100 personnes âgées vivant dans une d’autre part, la société se protège ainsi contre les « per-
petite ville du Middle West, Robert Havighurst et Ruth turbations dans des activités essentielles » que pourrait
Albrecht (1953) font un double constat. D’une part, les entraîner le décès de personnes occupant des fonctions
personnes enquêtées manifestent un certain contente- importantes. De plus, le désengagement renvoie à une
ment. D’autre part, cette satisfaction varie très peu avec nécessité psychologique, celle de la confrontation avec la
l’âge et la position sociale, mais se trouve fortement cor- mort: il arrive un moment où l’individu prend conscience
rélée avec les « scores d’activité » calculés par les auteurs. qu’il est mortel et se détourne des valeurs de réussite per-
Aussi le vieillissement réussi passe-t-il, selon Havighurst sonnelle. Le désengagement est aussi un processus irré-
et Albrecht, par une attitude volontariste consistant à versible, qui se nourrit de sa propre dynamique. Les
maintenir un niveau élevé d’engagement: il s’agit de com- contacts sociaux se faisant moins nombreux, l’individu
penser la perte de certains rôles antérieurs par l’intensi- devient moins compétent dans les interactions sociales, si
fication d’autres rôles comme celui de citoyen ou par l’in- bien « qu’une fois que le repli a commencé, l’établissement de
vestissement de nouveaux rôles comme celui de nouveaux contacts peut devenir plus difficile. Le fait de ne pas
grand-parent, l’adaptation se trouvant facilitée par une qua- savoir exactement comment se conduire dans des circonstances
lité qu’il convient d’entretenir, la « flexibilité des rôles ». inhabituelles amène à renoncer à ce type de situation, et cette
difficulté peut accélérer le processus de désengagement ». Dans
La théorie du désengagement le même temps, les pressions normatives se font moins
fortes: la société a désormais moins de prise sur l’individu,
Dans un livre ambitieux sur le plan théorique, Elaine qui devient plus libre de ses comportements. Enfin, le
Cumming et William Henry (1961) proposent une vision désengagement est universel, même si la forme qu’il prend
très différente du vieillissement. En se basant sur les résul- peut varier suivant les cultures et selon le sexe. Cumming
tats d’une enquête réalisée auprès de 279 habitants de et Henry ne s’attardent pas sur la diversité culturelle étant
Kansas City, âgés de 50 à 90 ans, « tous en bonne santé et donné l’homogénéité sociale de leur échantillon, mais ils
jouissant d’un minimum d’indépendance financière », ils s’efforcent de préciser la différence entre désengagement
soutiennent que « le vieillissement normal s’accompagne d’un masculin et féminin. Les femmes leur paraissent avanta-
éloignement ou «désengagement » réciproque de la personne gées car l’ampleur des changements qu’elles connaissent
qui vieillit et des autres membres du système social dont elle fait est moindre que pour les hommes: pour elles, dont le rôle
partie ». Ce désengagement se traduit par une diminution social est d’abord « socio-affectif », le désengagement
du nombre de rôles sociaux joués par l’individu, par une consiste en une réduction de leurs rôles antérieurs; les
baisse de ses interactions sociales et par un changement hommes, eux, doivent non seulement renoncer à certains
dans la nature de ses relations qui sont désormais davan- rôles, mais aussi changer l’orientation « instrumentale »
tage centrées sur les liens affectifs et moins sur la solidarité qui était la leur.

RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 94 - SEPTEMBRE 2008 29


RSI 94_BAT 1/08/08 9:59 Page 30

Critiques des théories Ces théories peuvent, en effet, être considérées


fonctionnalistes comme deux modèles permettant de caractériser des
trajectoires de vieillissement différentes ou des
Dans le débat qui s’est instauré autour des théories de moments différents au cours d’une même trajectoire.

Document téléchargé depuis www.cairn.info - IRTS Languedoc-Roussillon - - 185.61.184.145 - 28/11/2018 12h54. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI)
l’activité et du désengagement, certaines critiques radi- Mieux, ces modèles peuvent aider à décrire les mou-
cales en ont contesté les fondements. Ainsi, Peter vements contraires qui s’entrelacent au cours de tout
Townsend (1986) s’en prend au « fonctionnalisme de processus de vieillissement. C’est cette réalité dont
connivence » qui sous-tend ces approches. Il leur cherche à rendre compte le concept de « déprise ».
reproche d’occulter la manière dont la société produit
Document téléchargé depuis www.cairn.info - IRTS Languedoc-Roussillon - - 185.61.184.145 - 28/11/2018 12h54. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI)

la dévalorisation du statut des personnes âgées et de


légitimer ainsi le statu quo: la théorie de l’activité consi-
dère que les problèmes rencontrés par les retraités LA « DÉPRISE », OU COMMENT
sont des difficultés d’adaptation individuelles et s’in- SE TRANSFORMENT
terdit ainsi de les poser en termes politiques; la théo- LES « PRISES » SUR
rie du désengagement, quant à elle, justifie l’exclusion LE MONDE AU GRAND ÂGE
des personnes âgées du marché du travail et ne peut
qu’encourager la démission des politiques publiques.
Concept initialement forgé par Jean-François Barthe,
D’autres critiques ont porté sur les insuffisances de ces Serge Clément et Marcel Drulhe (1988), remis sur le
théories et sur leur imparfaite adéquation avec le réel. métier à l’occasion de travaux empiriques ultérieurs
Arlie Hochschild (1975) considère ainsi que la préten- (Clément et al., 1996 ; Clément, Mantovani, 1999 ;
tion de la théorie du désengagement à la validité uni- Drulhe, Pervanchon, 2002; Caradec, 2004; Caradec
verselle n’est pas tenable et conduit ses auteurs à adop- et al., 2007), la déprise désigne le processus de réor-
ter une position incorrecte sur le plan épistémologique. ganisation des activités qui se produit au cours de
En effet, alors que certaines de leurs données empi- l’avancée en âge, au fur et à mesure que les personnes
riques ne sont pas congruentes avec leur théorie – qui vieillissent doivent faire face à des contraintes nou-
même à un âge avancé, une part non négligeable des velles : une santé défaillante et des limitations fonc-
enquêtés ne sont pas désengagés –, Cumming et Henry tionnelles croissantes, une fatigue plus prégnante, une
développent des explications ad hoc, affirmant par baisse de leurs « opportunités d’engagement », une
exemple que ces personnes ne sont pas encore parve- conscience accrue de leur finitude. Bien sûr, tous ceux
nues à se désengager ou encore qu’elles appartiennent qui vieillissent ne sont pas confrontés à l’ensemble de
à une élite. Comme le souligne Hochschild, un tel rai- ces difficultés, et il se peut même que certains y échap-
sonnement rend la théorie infalsifiable. Une seconde pent. Mais force est de constater que leur probabilité
critique porte sur le concept de désengagement lui- d’apparition s’accroît au fil de l’âge.
même, qui se voit adresser un double reproche. D’une
part, il apparaît beaucoup trop général: « concept omni- La notion de déprise présente une nature duale, qui
bus », il recouvre plusieurs dimensions qu’il convient rend compte d’une double réalité : d’une part, la ten-
de distinguer si l’on veut repérer précisément dans dance à la baisse du niveau moyen des activités au
quels domaines se produit le désengagement. D’autre cours du grand âge (Bickel, Lalive d’Épinay, 2001 ;
part, le désengagement est appréhendé d’une manière Bickel, Girardin-Keciour, 2004) ; d’autre part, le fait
essentiellement objectiviste, Cumming et Henry ne s’in- que cette baisse est le produit de multiples recon-
téressant pas véritablement aux significations que les versions à travers lesquelles les personnes qui vieillis-
personnes donnent à leur avancée en âge, alors même sent peuvent certes renoncer à des activités, mais
qu’ils cherchent à décrire leur évolution psychique. aussi essayer de maintenir leurs engagements anté-
Et des critiques symétriques peuvent être adressées à la rieurs, voire en réaliser de nouveaux. Pour le dire
théorie de l’activité. En effet, celle-ci ne rend pas compte autrement, la déprise désigne à la fois un processus –
du fait que certaines personnes ayant peu d’activités se un ensemble de reconversions d’activités – et le résul-
déclarent satisfaites. La notion même d’« activité » pose tat de ce processus – une tendance, en moyenne, à
des problèmes de définition : faut-il considérer, par la baisse des activités.
exemple, que regarder la télévision ou s’occuper de ses
plantes constituent des activités? Et comment prend-on Le processus de déprise sera présenté à travers ses
en compte les significations qui leur sont associées? deux composantes analytiques : d’une part, les
contraintes nouvelles, qui surgissent au fil de l’âge et qui
Bien que les théories générales comme celles de l’ac- constituent les déclencheurs des reconversions ;
tivité ou du désengagement paraissent aujourd’hui sus- d’autre part, les stratégies de reconversion mises en
pectes du fait de leur prétention à la validité univer- œuvre par ceux qui vieillissent pour faire face à ces
selle, on peut leur reconnaître certains mérites et leur contraintes. Il nous restera ensuite à revenir sur le
trouver un écho dans des travaux plus récents. caractère fortement différencié du phénomène.

30 RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 94 - SEPTEMBRE 2008


RSI 94_BAT 1/08/08 9:59 Page 31

VIEILLIR AU GRAND ÂGE

Au fil de l’âge, les multiples âgée… C’est sur l’aéroport qu’il faut attendre chaque fois
déclencheurs de la déprise hein, pour l’enregistrement de… des bagages il faut
attendre et c’est ceci et cela… ». Or, comme l’ont bien
Soulignons-le : la déprise ne doit pas être pensée remarqué Barthe, Clément et Drulhe (1988), il s’agit

Document téléchargé depuis www.cairn.info - IRTS Languedoc-Roussillon - - 185.61.184.145 - 28/11/2018 12h54. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI)
comme un mouvement implacable de déclin des acti- là de propos qui peuvent très bien être tenus par des
vités qui s’imposerait de manière inéluctable à ceux qui personnes âgées en bonne santé physique et mentale.
vieillissent – en ce sens, l’approche du vieillissement
qu’elle propose se distingue nettement de celle que En troisième lieu, la déprise provient de la raréfaction
véhiculait la théorie du désengagement. En effet, la des « opportunités d’engagement ». En effet, au fur et
Document téléchargé depuis www.cairn.info - IRTS Languedoc-Roussillon - - 185.61.184.145 - 28/11/2018 12h54. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI)

déprise résulte des contraintes nouvelles qui sont sus- à mesure de l’avancée en âge, les sollicitations se font
ceptibles d’apparaître au cours du vieillissement. moins nombreuses. De ce point de vue, la cessation
Autrement dit, on ne saurait concevoir la déprise hors d’activité est une première étape, qui se traduit par la
de ses déclencheurs. Ces déclencheurs consistent disparition d’un domaine majeur d’engagement.
notamment en événements qui créent une rupture Aujourd’hui, cependant, la retraite est envisagée comme
dans l’existence: le décès du conjoint, une hospitalisa- un moment de transition, pour lequel il existe des pos-
tion, l’entrée en hébergement collectif, etc. Ils ne s’y sibilités de reconversion (dans le bénévolat ou dans le
limitent pas cependant, et c’est pourquoi il nous paraît rôle grand-parental, en particulier), fortement valori-
préférable de dégager, au-delà des événements, les sées dans les représentations et facilitées par l’existence
mécanismes qui provoquent la déprise. Cinq principaux de structures associatives. La baisse des opportunités
mécanismes déclencheurs peuvent ainsi être retenus. d’engagement devient plus difficile à contrecarrer au
moment de la disparition de proches, en particulier
En premier lieu, il faut citer les problèmes et accidents après le décès du conjoint, car ces disparitions ont pour
de santé et les « limitations fonctionnelles » qui devien- conséquence l’abandon des activités communes qu’il
nent plus fréquents avec l’âge (Cambois, Robine, 2003). n’est pas facile de remplacer, notamment lorsque le veu-
Il faut éviter, cependant, de les envisager comme des vage survient à un âge avancé (Lalive d’Épinay, 1996).
déclencheurs « personnels » de la déprise, qui ressor-
tiraient seulement au registre physiologique. En effet, Le quatrième déclencheur intervient dans le cadre des
c’est dans leur rapport à l’environnement matériel que interactions avec autrui et permet, lui aussi, de souli-
les déficiences physiques peuvent poser problème. Avec gner le caractère relationnel de la déprise. De temps
l’âge, la « matérialité » du corps et du monde tend à se à autre, on observe que les interactions avec les
faire plus présente ou, pour reprendre la belle expres- proches provoquent de manière décisive l’arrêt de cer-
sion de Simone de Beauvoir, « le coefficient d’adver- taines activités: c’est le cas de la conduite automobile
sité des choses s’accroît » (1970, p. 323). Songeons, lorsque les enfants incitent leur parent âgé à ne plus
par exemple, aux difficultés que certaines personnes conduire par peur d’un accident. De plus, les interac-
âgées éprouvent pour monter dans les bus, difficultés tions avec des anonymes peuvent également jouer un
qui peuvent les amener à abandonner des activités exté- rôle. Les plus âgés cherchent parfois, en renonçant à
rieures. Pensons aussi à l’obstacle que constitue l’ab- des sorties ou du moins en aménageant leurs horaires,
sence de bancs dans l’espace public pour ceux qui ont à éviter ou à limiter les confrontations avec les jeunes
besoin de pauses régulières pendant leurs promenades. dont ils redoutent les agressions – physiques ou, plus
sûrement, symboliques3 (Clément et al., 1996). Notons
De ces problèmes fonctionnels, un deuxième déclen- cependant que d’autres, à l’inverse, recherchent ces
cheur se distingue analytiquement: il réside dans une situations « périlleuses » car ils trouvent ainsi un moyen
sorte d’« amoindrissement de l’énergie vitale » (Barthe de se prouver qu’ils sont encore capables d’en prendre
et al., 1988). Celui-ci s’exprime, au cours des entre- le risque et de les affronter. Nous y reviendrons plus
tiens, dans le registre de la fatigue, du manque d’en- loin: les déclencheurs de la déprise ne produisent pas
train, d’une perte d’envie, du sentiment de ne plus pou- un effet mécanique, mais peuvent au contraire
voir suivre. Comme dans les propos de cette femme, conduire à l’adoption de stratégies opposées.
âgée de 84 ans, confiant qu’elle ne se sent plus la force
de revivre, à l’avenir, la fatigue qu’elle a éprouvée lors Enfin, un cinquième déclencheur de la déprise consiste
de son dernier voyage: « Non, je vous dis, mon voyage en une « conscience accrue de sa finitude ». Cette
en Corse, moi j’étais contente. Mais je n’y retournerai plus, prise de conscience ne conduit pas seulement l’indi-
hein… Non, parce que je suis trop âgée… Je suis trop vidu à engager un retour réflexif sur lui-même

3 C’est ce qu’illustre l’exemple – récurrent dans les témoignages sur la vieillesse – de la personne bien intentionnée qui se lève dans un trans-
port en commun pour laisser sa place à une « personne âgée », cette dernière découvrant alors qu’elle est considérée comme telle. Toutes
les blessures symboliques n’ont pas cette aménité, cependant : que l’on songe aux coups de klaxon qui sanctionnent les conducteurs trop
lents ou à cette octogénaire verbalisée à Paris pour « circulation irrégulière d’un piéton sur la chaussée » et gratifiée par l’agent de police d’un
« Vous gênez la circulation ! Des gens comme vous feraient mieux de rester chez eux ! » (Le Monde 2, 18 novembre 2006, p. 24).

RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 94 - SEPTEMBRE 2008 31


RSI 94_BAT 1/08/08 9:59 Page 32

(Marshall, 1986), mais peut aussi se répercuter sur les don-renoncement. Tout d’abord, l’abandon peut consis-
activités pratiquées. Là encore, ces répercussions, sont ter en un transfert vers une autre activité, qui se situe
ambivalentes. D’un côté, le sentiment que le temps dans le même registre que celle qui a été délaissée et qui
manque ou qu’« il n’est plus temps désormais » peut en constitue ainsi un substitut. Ainsi, il n’est pas rare que

Document téléchargé depuis www.cairn.info - IRTS Languedoc-Roussillon - - 185.61.184.145 - 28/11/2018 12h54. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI)
inciter à renoncer à certains engagements qui appa- les vieilles personnes qui ne peuvent plus se rendre à
raissent vains ou qu’il ne semble plus possible de mener l’église regardent la messe à la télévision; d’autres, faute
jusqu’à leur terme: « Est-ce que ça vaut le coup de faire de pouvoir continuer à faire des voyages, lisent des maga-
l’effort? » se demandait ainsi un professeur d’université zines ou regardent des émissions qui leur permettent
de 70 ans avec qui nous évoquions l’éventualité qu’il encore de découvrir des pays étrangers. Ensuite, l’aban-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - IRTS Languedoc-Roussillon - - 185.61.184.145 - 28/11/2018 12h54. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI)

« se mette à l’informatique et à Internet ». D’un autre don peut être sélectif et circonscrit lorsqu’il concerne
côté et à l’inverse, la conscience de la fuite du temps une activité secondaire ou lorsque l’activité antérieure
et le sentiment que ce qui est encore possible aujour- est poursuivie sur une plus petite échelle ou à un rythme
d’hui bientôt ne le sera plus peuvent générer un sen- ralenti: tel continue à conduire, mais sur des trajets plus
timent d’urgence et pousser à redoubler d’activités – courts; tel autre persévère dans son activité de jardinage,
par exemple, partir plus souvent en voyages organisés tout en réduisant la surface cultivée de son jardin pota-
afin d’en profiter encore un peu. ger; tel autre encore maintient son engagement asso-
ciatif, mais en se contentant désormais d’apporter un
Les trois « stratégies » de la déprise : concours ponctuel. Dans ce cas, l’abandon peut viser à
l’adaptation, l’abandon et le rebond « se ménager » afin de continuer à faire ce qui a le plus
de signification à ses yeux: « c’est pour mieux tenir d’un
Comme nous venons de le voir, les déclencheurs côté qu’on lâche de l’autre » (Clément, Mantovani,
n’opèrent pas de manière mécanique: des significations 1999, p. 100); ou, pour le dire avec les mots d’un per-
diverses peuvent leur être associées et des stratégies sonnage de Romain Gary, lorsqu’on ne peut « plus lut-
variées se trouver mises en œuvre. La déprise s’envi- ter sur tous les fronts à la fois » (1975, p. 49), on choisit
sage alors comme un processus actif de réorganisation celui que l’on va privilégier. Une femme de 89 ans ayant
de l’existence au cours du vieillissement – même si, perdu un œil et voyant mal de l’autre nous expliquait
lorsque les contraintes se font plus nombreuses, l’au- ainsi qu’elle avait arrêté de regarder la télévision l’après-
tonomie se réduit. Trois grands types de stratégies de midi afin d’être en mesure de suivre le téléfilm de la soi-
reconversion peuvent alors être dégagés: l’adaptation, rée, qui constituait pour elle un rendez-vous très
l’abandon et le rebond. attendu, l’occasion de retrouver ses « amis » télévisuels.
Enfin, les réductions successives du périmètre des acti-
L’adaptation consiste à poursuivre une activité anté- vités pratiquées peuvent, à terme, déboucher sur leur
rieure, mais en s’adaptant aux contraintes nouvelles. abandon complet: celui qui, jusqu’alors, avait continué
Confrontés à une limitation fonctionnelle, certains par- à conduire se résigne à se passer de sa voiture; le jar-
viennent ainsi à maintenir leur activité en recourant à dinier renonce à son petit lopin; le militant associatif
des aides techniques (une prothèse auditive, par quitte l’association dans laquelle il s’était investi.
exemple), à des appareils mieux adaptés ou encore à On conçoit que ces abandons-renoncements puissent
certaines astuces: une femme que nous avons rencon- être douloureux, et combien de telles « décisions » peu-
trée avait renoncé à utiliser le four de sa cuisinière à vent être difficiles à prendre – et à vivre – lorsqu’elles se
cause de son arthrose mais, grâce à un mini-four offert traduisent par l’arrêt d’une activité importante aux yeux
par ses enfants et posé sur le plan de travail, elle conti- de la personne âgée.
nuait à faire la cuisine; une autre utilisait « une tête de
loup avec un long bâton » pour nettoyer ses carreaux car La troisième stratégie de la déprise, le rebond,
elle tenait absolument à faire son ménage elle-même consiste – à l’inverse de l’abandon – à renouer avec
alors que ses genoux défaillants l’empêchaient désor- une activité délaissée, à s’engager dans une activité nou-
mais de monter sur un escabeau. Certaines difficultés velle ou à accroître son investissement dans une acti-
fonctionnelles se trouvent donc compensées, évitant par vité déjà pratiquée. Il en va ainsi lorsqu’un accident de
là des restrictions d’activités (Cambois, Robine, 2003). santé ou un problème fonctionnel, qui a conduit à
De ce point de vue, l’enquête HID (Handicaps, interrompre une activité, se trouve résolu et permet
Incapacités, Dépendance) menée par l’Insee auprès des de renouer avec elle. Après 80 ans, il existe encore
personnes en situation d’incapacité montre que ceux des chances de récupération, même si elles sont plus
qui ont un niveau d’instruction élevé parviennent plus faibles qu’aux âges antérieurs (Cambois, Lièvre, 2004).
facilement que les autres à compenser leurs difficultés C’est aussi ce que l’on observe parfois après le veu-
fonctionnelles (Cambois, Robine, 2004). vage: le temps qui était consacré aux soins et à la pré-
sence auprès du conjoint malade se trouve reconverti
La deuxième stratégie – l’abandon d’une activité – revêt dans un nouvel engagement, et son décès peut
des formes assez différentes selon qu’il s’agit d’un aban- conduire à nouer des relations nouvelles ou à partici-
don-substitution, d’un abandon-sélection ou d’un aban- per à des voyages organisés (Caradec et al., 2007).

32 RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 94 - SEPTEMBRE 2008


RSI 94_BAT 1/08/08 9:59 Page 33

VIEILLIR AU GRAND ÂGE

Enfin, le rebond peut également procéder d’une s’aggravent, que la fatigue ressentie s’accroît, que les
« conscience accrue de sa finitude », comme dans le cas proches se montrent plus inquiets et que la conscience
de ces vacanciers qui augmentent la fréquence de leurs de sa finitude se fait plus vive, les aménagements devien-
voyages à l’approche du grand âge, par anticipation du nent plus nombreux et les stratégies d’adaptation et de

Document téléchargé depuis www.cairn.info - IRTS Languedoc-Roussillon - - 185.61.184.145 - 28/11/2018 12h54. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI)
moment où il ne sera plus possible de partir pour des rebond cèdent la place à des stratégies d’abandon de
destinations éloignées (Caradec et al., 2007). plus en plus contraintes. Cette gradation dans la déprise
apparaît clairement dans le cas de la conduite auto-
Ces stratégies ne sont pas sans évoquer certains résultats mobile: la réduction des distances parcourues est pro-
des travaux psychologiques sur le grand âge: les straté- gressive et s’accompagne d’adaptations (ne plus prendre
Document téléchargé depuis www.cairn.info - IRTS Languedoc-Roussillon - - 185.61.184.145 - 28/11/2018 12h54. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI)

gies de « coping », les mécanismes d’assimilation et d’ac- le volant pour partir en vacances, par exemple, mais
commodation4, ou encore l’« optimisation sélective avec mettre sa voiture sur le train afin d’en disposer sur son
compensation » (Baltes, 1997). Ce dernier concept, qui lieu de villégiature); puis vient le temps où il faut envi-
est au cœur de l’approche dite du « vieillissement réussi », sager de renoncer à la voiture – parfois de manière bru-
combine trois éléments: la sélection par les personnes tale pour les femmes, au moment du décès de leur
âgées, lorsqu’elles constatent que leurs forces déclinent, conjoint. Les transformations dans le rapport à la télé-
de certaines activités importantes pour elles; l’optimisa- vision au cours des années de retraite fournissent une
tion, qui les conduit à déployer des efforts particuliers autre illustration de cette gradation. L’évolution que
afin de les réaliser au mieux; la compensation, à travers donnent à voir les données statistiques – une expansion
laquelle elles trouvent des procédures ou des technolo- de l’écoute jusque vers 85 ans, suivie d’une diminution
gies permettant de pallier leurs déficiences. Ces consi- de la pratique télévisuelle (Caradec, 2003) – peut, en
dérations font écho aux stratégies que nous avons déga- effet, être interprétée comme la résultante de deux
gées. Cependant, les deux concepts d’optimisation mouvements de déprise qui se succèdent au cours du
sélective avec compensation et de déprise ne se recou- temps. Le premier mouvement est marqué par une
vrent pas. Alors que les stratégies de compensation et déprise par rapport aux activités extérieures, qui se
de sélection sont bien repérables dans les entretiens que traduit par une plus forte présence à domicile et, en
nous avons réalisés (et correspondent respectivement à moyenne, par une écoute accrue de la télévision: regar-
ce que nous avons appelé l’adaptation et l’abandon-sélec- der certaines émissions permet de se tenir au courant
tion), il est moins facile d’y déceler des exemples d’opti- et de rester « en prise » sur des choses dont on a dû
misation. Réciproquement, les formes les plus « lourdes » se déprendre par ailleurs et que l’on remplace par leur
d’abandon, celles qui conduisent au renoncement d’acti- succédané télévisuel. Le second mouvement consiste,
vités importantes, trouvent difficilement leur place dans lui, dans une déprise par rapport à la télévision elle-
l’« optimisation sélective avec compensation ». Cette même, qui s’explique à la fois par la fatigue désormais
notion n’appréhende, en effet, le vieillissement que dans plus prégnante qui pousse à avancer son heure de cou-
la mesure où il est « réussi », c’est-à-dire qu’il procure cher, et donc à ne plus regarder les émissions de la soi-
une vie satisfaisante en demeurant sous le contrôle actif rée, et par certaines déficiences sensorielles qui amè-
de l’individu. C’est là une conception restrictive du vieillis- nent à choisir avec soin les quelques moments à
sement au grand âge, et le concept de déprise nous consacrer à la télévision.
semble l’appréhender de manière plus large, non seule-
ment dans ses aspects « héroïques » – la capacité à Parallèlement, la déprise apparaît comme un proces-
« tenir » et à s’adapter aux contraintes nouvelles – mais sus différentiel : loin d’être uniforme, le phénomène
aussi dans ses dimensions plus tragiques – le renonce- se décline différemment selon les contextes physio-
ment à des activités auxquelles la personne était forte- logiques et sociaux, très divers, dans lesquels s’ins-
ment attachée. crivent les trajectoires individuelles de vieillissement.
Certaines personnes, en effet, cumulent les difficultés
Le caractère différentiel de la déprise et sont amenées à s’engager dans des réaménage-
ments nombreux de leur existence, jusqu’à abandon-
À travers l’analyse des déclencheurs et des stratégies ner des activités à leurs yeux essentielles – au point
de la déprise, émerge le caractère plus ou moins accen- que l’ennui peut envahir leur quotidien et que cer-
tué du phénomène et, au-delà, la très grande diversité taines se mettent à vivre dans un « entre deux » entre
des trajectoires de vieillissement. la vie et la mort, marqué par une « présence intime
Tout d’abord, il existe des degrés dans la déprise. de la mort » (Clément, 1994). On peut alors parler de
En effet, au fur et à mesure que les opportunités d’en- « fortes déprises » ou de « déprises ultimes »
gagement diminuent, que les problèmes de santé (Clément, Mantovani, 1999).

4 Certains travaux ont ainsi montré qu’au grand âge, les mécanismes d’assimilation – qui consistent à essayer de transformer la réalité pour

la rendre conforme aux buts qu’on s’est fixés – semblent laisser plus souvent la place aux mécanismes d’accommodation – qui conduisent à
réduire ses aspirations et à les ajuster à ses possibilités (Brandtsdtäter, Greve, 1994).

RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 94 - SEPTEMBRE 2008 33


RSI 94_BAT 1/08/08 9:59 Page 34

À l’inverse, d’autres personnes demeurent, à un âge Être/avoir été


très avancé, concernées par de nombreuses activités:
en bonne santé, connaissant peu de difficultés physiques Dans La bête qui meurt, le romancier américain Philip
malgré leur grand âge, continuant à bénéficier d’op- Roth s’insurge contre le regard que les plus jeunes por-

Document téléchargé depuis www.cairn.info - IRTS Languedoc-Roussillon - - 185.61.184.145 - 28/11/2018 12h54. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI)
portunités d’engagement, leur déprise prend la forme tent sur la vieillesse et, ce faisant, pose bien les termes
d’une succession de reconversions sans que celle-ci se de la tension qui existe, chez les plus âgés, entre
traduise par une réduction du niveau de leur investis- « être » et « avoir été »: « La seule chose qu’on com-
sement. Certaines carrières politiques ou artistiques, prenne chez les vieux, quand on ne l’est pas soi-même,
dont les médias se font l’écho, fournissent l’illustration c’est qu’ils ont été marqués par leur temps. Mais, comme
Document téléchargé depuis www.cairn.info - IRTS Languedoc-Roussillon - - 185.61.184.145 - 28/11/2018 12h54. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI)

de ce type de trajectoire. Qu’il suffise ici de citer le on ne comprend que ça, on les fige dans leur temps, ce qui
récit que fait Christine Ockrent des derniers jours de revient à ne rien comprendre du tout. Pour tous ceux qui
Françoise Giroud, décédée à l’âge de 86 ans, alors n’ont pas encore atteint la vieillesse, elle signifie qu’on a
qu’elle continuait à être l’objet de nombreuses sollici- été. Seulement, la vieillesse, ça veut dire aussi que malgré
tations: « La semaine précédente [i.e. celle qui précède son avoir-été, ou en plus de lui, en prime de lui, on est
son décès, à la suite d’une mauvaise chute survenue à encore » (Roth, 2004, p. 41). Il faut à la fois reconnaître
l’Opéra Comique], elle avait fêté parmi une foule d’amis la justesse de la formule de P. Roth et indiquer où se
complices l’anniversaire du patron de Libération, envoyé situe l’enjeu de cette tension entre « être » et « avoir
dans les temps son papier au Nouvel Observateur, mis été »: il s’agit, pour les plus âgés, de déterminer dans
à jour les listes de dédicaces du roman qu’elle venait de ter- quel espace temporel il leur est possible d’ancrer le
miner chez Fayard et dont elle devait encore signer le ser- sentiment de leur propre valeur – leur « estime de
vice de presse » (Ockrent, 2003, p. 356). Ainsi, les res- soi » – afin d’établir un rapport positif à eux-mêmes.
sources en termes d’état de santé et d’opportunités Or, selon l’importance et la nature des activités aux-
d’engagement, socialement inégales, se traduisent par quelles les personnes très âgées se consacrent – et la
des trajectoires de déprise fortement différenciées. reconnaissance qu’elles obtiennent à travers elles –, il
leur est plus ou moins facile d’ancrer le sentiment de
leur propre valeur dans le présent.

LES TENSIONS DE L’IDENTITÉ Certains, nous l’avons vu, continuent d’avoir des enga-
AU GRAND ÂGE gements et des responsabilités jusqu’à un âge avancé,
qu’ils peuvent alors mettre en avant pour définir qui ils
sont: pour être en mesure d’asseoir son identité dans
La déprise peut être considérée comme la manifesta- le présent, il faut continuer à faire. Tel est le cas, bien
tion d’une tension qui est constitutive de ce que nous sûr, de ceux dont la carrière – artistique, politique, intel-
avons appelé ailleurs l’« épreuve du grand âge » 5 lectuelle – se poursuit et qui bénéficient de sollicita-
(Caradec, 2007), tension entre « éloignement du tions multiples. Nul besoin de grandes œuvres, cepen-
monde » et « maintien dans le monde ». D’un côté, au dant. Le sentiment de sa propre valeur peut s’appuyer
fur et à mesure de l’avancée en âge, les « prises » de l’in- sur ce que l’on parvient encore à réaliser aujourd’hui –
dividu sur le monde tendent à s’effriter: il doit aban- son ménage, par exemple, ou monter à l’étage plusieurs
donner des activités; certains de ses proches disparais- fois par jour – quand bien même ces réalisations pour-
sent. De l’autre, il s’efforce de maintenir certaines de raient sembler bien modestes à un regard extérieur.
ces prises – voire d’en recréer en s’engageant dans de En effet, le jugement que les vieilles personnes portent
nouvelles activités et de nouvelles relations. Cette ten- sur elles-mêmes se forge aussi à travers la comparai-
sion entre « éloignement du monde » et « maintien dans son qu’elles établissent avec des gens du même âge.
le monde » s’exprime également au niveau de l’identité De ce point de vue, la stratégie du « contraste des-
de la personne, dans son rapport à soi et au monde. Elle cendant » – la comparaison avec quelqu’un que l’on juge
apparaît, tout d’abord, lorsqu’on pose la question de moins bien que soi – est, de loin, la plus fréquente des
savoir où se situe le principal référent identitaire des stratégies de comparaison avec autrui utilisées par les
plus âgés : ancrent-ils leur identité dans le présent personnes âgées – beaucoup plus fréquente que la stra-
(l’« être ») ou dans le passé (l’« avoir été »)? Elle se tégie du « contraste ascendant » qui consiste, elle, à se
retrouve, ensuite, au cœur du positionnement qui est comparer avec quelqu’un qui va mieux que soi
adopté, au grand âge, par rapport à la vieillesse: les plus (Beaumont, Kenealy, 2003). On en trouve une illustra-
âgés considèrent-ils qu’ils deviennent vieux ou qu’ils le tion dans les propos d’une femme de 86 ans, qui tire
sont désormais? Elle se traduit, enfin, par un rapport au avantage de la comparaison qu’elle opère avec sa belle-
monde partagé entre un sentiment croissant d’étran- sœur, d’un an plus âgée qu’elle: « Ma belle-sœur, elle ne
geté et le souci de conserver des espaces de familiarité. saurait plus se débrouiller toute seule, même marcher dans

5
Le concept d’« épreuve » étant emprunté à Danilo Martuccelli (2006).

34 RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 94 - SEPTEMBRE 2008


RSI 94_BAT 1/08/08 9:59 Page 35

VIEILLIR AU GRAND ÂGE

la rue. Faut qu’elle ait quelqu’un qui lui donne le bras. Elle Polytechnique! ». De même, la sollicitude de son entou-
ne sait plus faire son ménage. Moi, j’ai une femme de rage familial contribue à la valorisation de soi puisqu’elle
ménage de temps en temps. Une fois par mois, deux fois est la preuve que l’on compte pour ses proches.
quelquefois. Mais le reste c’est moi qui le fais hein, quand

Document téléchargé depuis www.cairn.info - IRTS Languedoc-Roussillon - - 185.61.184.145 - 28/11/2018 12h54. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI)
même. Tandis que ma belle-sœur… ». Devenir vieux/être vieux
Lorsque les engagements présents s’étiolent, le passé À partir d’un certain âge, il paraît difficile d’échap-
devient le principal point d’appui pour sauvegarder le sen- per à la question de savoir si l’on fait désormais par-
timent de sa propre valeur. Cette valorisation de soi s’en- tie des « personnes âgées » : chacun est un jour
Document téléchargé depuis www.cairn.info - IRTS Languedoc-Roussillon - - 185.61.184.145 - 28/11/2018 12h54. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI)

racine, tout d’abord, dans les engagements marquants de amené à se positionner par rapport à l’identité sta-
l’existence, comme nous avons pu l’observer dans des tutaire de « vieux ». L’analyse des propos tenus par
entretiens avec des nonagénaires et centenaires: le cer- des octogénaires et des nonagénaires montre qu’ils
tificat d’études obtenu avec mention et qui a fait la joie de peuvent le faire de deux manières (Lalive d’Épinay,
ses parents (femme, 95 ans); un métier de modéliste qui 1996 ; Clément, 1997) : soit en considérant qu’ils
a permis de côtoyer certains grands de ce monde deviennent vieux, mais qu’ils ne le sont pas encore,
(femme, nonagénaire); un engagement bénévole (homme, soit en reconnaissant que désormais ils sont vieux.
100 ans); une activité syndicale (« J’ai eu des discussions
avec un chef, mais moi ça me dérangeait pas, j’avais toujours Ces deux modes de définition de soi se trouvent asso-
la réponse », indique une femme de 96 ans); un interro- ciés à deux « identités narratives » (Ricœur, 1990) ou
gatoire par la Gestapo au cours duquel on a « dépassé la deux « récits sur soi » (Giddens, 1991) différents: ils
peur » (femme, 96 ans). Plus fondamentalement, c’est à la renvoient, en effet, à des manières opposées d’établir
société d’autrefois que l’on s’identifie – comme l’indiquent le lien entre le présent et le passé et de se projeter
des expressions comme « de mon temps » ou « à mon dans l’avenir. D’un côté, ceux qui affirment qu’ils ne se
époque » – et c’est elle qui se trouve valorisée, au détri- sentent pas vieux tiennent un discours qui établit une
ment de celle d’aujourd’hui, évaluée par des jugements continuité avec le passé: ils n’ont pas le sentiment qu’il
beaucoup moins favorables. existe une rupture radicale entre ce qu’ils sont et ce
qu’ils ont été. « Ça continue comme avant, malgré les dif-
Ainsi, malgré l’évocation de la pauvreté, des duretés de ficultés » : tel est le leitmotiv de ces discours.
la vie et des périodes difficiles de l’existence – notam- Parallèlement, ils peuvent se projeter dans un avenir
ment les deux guerres mondiales –, la société d’« avant » de « vieux » très différent de la réalité actuelle.
se trouve-t-elle parée de nombreuses vertus: la solida- De l’autre, ceux qui reconnaissent qu’ils sont vieux ont
rité, le respect, le bonheur. le sentiment d’une rupture dans leur existence – qu’ils
parviennent souvent à dater – et d’être devenus autres
De ce point de vue, l’écoute de la télévision constitue qu’ils étaient. Le leitmotiv est ici: « Maintenant, je ne suis
une occasion de se conforter dans ses propres valeurs plus comme avant ». Et, n’attendant plus aujourd’hui
morales en se confrontant à l’immoralité et à la violence que la mort, ils ne se projettent pas dans un avenir dif-
perçues dans certaines émissions actuelles (Liebes, 1997). férent du présent.
Si la télévision constitue, pour les adolescents, « une pra-
tique identitaire qui permet d’explorer un moi social en tran- Il est important de souligner que cette définition
sition » (Pasquier, 1997, p. 828), on peut considérer que « subjective » de soi n’entretient pas une relation
dans le grand âge, en revanche, l’écoute des médias per- mécanique avec la situation « objective » de la per-
met le maintien de la valeur de son être social: à travers sonne, chacun élaborant, à partir de sa situation pré-
les jugements qu’ils portent sur les programmes, les plus sente et de son histoire, une mise en récit singulière
âgés réaffirment qui ils sont et ce à quoi ils ont cru et de son vieillissement. On observe, en effet, que les
croient encore aujourd’hui (Caradec, 2003). éléments sur lesquels les personnes s’appuient pour
établir la continuité avec leur passé (et se convaincre
Enfin, d’autres sources de valorisation permettent d’as- qu’elles ne sont pas vieilles) sont très divers : telle
socier le présent et le passé – ce que l’on est et ce que ou telle activité, la santé, les facultés intellectuelles,
l’on a été. Par exemple, le recours à la valorisation le caractère, l’intérêt pour l’actualité, etc. On ne peut
« indirecte » de soi, à travers les succès de ses enfants donc inférer de la simple description d’une situation
ou de ses petits-enfants, signe la réussite de sa propre ou d’un mode de vie comment la personne se posi-
existence. Ainsi de ce nonagénaire, peu prolixe au cours tionne par rapport à la vieillesse. En tendance, cepen-
de l’entretien, éprouvant des difficultés d’élocution, qui dant, la définition de soi comme « vieux » est d’au-
tient à montrer « le carnet d’écolier » de l’un de ses tant plus probable que les changements objectifs sont
petits-fils, posé sur son bureau, et qui s’anime en racon- importants et que la déprise est forte. Certains évé-
tant que « la servante noire, un beau jour a vu ça, «ah, nements marquant l’entrée dans l’« être vieux »
elle m’a dit, j’ai mes petits enfants, ils ont le même carnet! reviennent ainsi de façon récurrente dans les propos:
« Ah, je lui ai dit, oui, mais mon petit-fils il a été reçu à le manque d’envie, une hospitalisation, l’aggravation

RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 94 - SEPTEMBRE 2008 35


RSI 94_BAT 1/08/08 9:59 Page 36

d’un problème de santé, le décès d’un proche – tidien); elle repose sur une confiance dans la stabilité de
conjoint ou descendant –, une date anniversaire mar- l’environnement et le bon fonctionnement de systèmes
quant le passage à la dizaine supérieure. abstraits qui, à tout moment, peut se trouver remise en
cause (que l’on songe à l’explosion de l’usine AZF); elle

Document téléchargé depuis www.cairn.info - IRTS Languedoc-Roussillon - - 185.61.184.145 - 28/11/2018 12h54. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI)
Par ailleurs, il convient de nuancer le rôle joué par les suppose d’être constamment actualisée au fur et à
interactions avec les autres dans la définition de soi mesure que le monde se transforme. La familiarité avec
comme « vieux » ou comme « non vieux ». Selon cer- le monde est donc toujours circonscrite et fragile, et
tains points de vue théoriques, les autres procéderaient notre rapport au monde est sans cesse menacé d’être
– par leurs regards et par leurs propos – à des étique- frappé d’étrangeté. Inhérente à l’expérience moderne, la
Document téléchargé depuis www.cairn.info - IRTS Languedoc-Roussillon - - 185.61.184.145 - 28/11/2018 12h54. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI)

tages qui enfermeraient les « vieux » dans la vieillesse. tension entre familiarité et étrangeté apparaît cependant
C’est ainsi que l’existentialisme a fait du regard d’autrui particulièrement vive au grand âge. En effet, par bien des
le véritable opérateur du sentiment de vieillir: « En moi, aspects, le monde – en transformation rapide – tend à
c’est l’autre qui est âgé, c’est-à-dire celui que je suis pour les devenir plus étranger à ceux qui vieillissent. De plus, cette
autres: et cet autre, c’est moi » écrit Simone de Beauvoir, étrangeté – et le sentiment d’insécurité qui lui est lié –
illustrant par là le discours philosophique de son com- renforcent la nécessité, pour les plus âgés, de préserver
pagnon Jean-Paul Sartre (Beauvoir, 1970, p. 303). certains espaces de familiarité avec le monde.

De même, l’interactionnisme symbolique, en insistant Plusieurs auteurs ont souligné combien l’appartenance
sur la manière dont l’identité personnelle se construit en au monde devient problématique avec l’avancée en âge:
réaction aux images de soi renvoyées par les autres, a les personnes très âgées ont souvent le sentiment qu’elles
conduit à forger la notion d’« âgisme interactif » pour n’ont plus vraiment leur place dans la société d’aujour-
désigner les interactions au cours desquelles une per- d’hui et ressentent de plus en plus de difficultés à com-
sonne a le sentiment d’être perçue ou traitée comme prendre cet univers qui tend à ne plus les comprendre6.
« vieille » (Minichiello et al., 2000). Cette manière de C’est ce phénomène qu’ont cherché à traduire certaines
voir accorde, nous semble-t-il, un poids excessif au pou- métaphores comme celle de l’« étranger », utilisée par
voir d’assignation identitaire du regard d’autrui en des écrivains pour rendre compte de leur propre expé-
oubliant, d’une part, que les autres sont multiples (et rience du vieillissement (Puijalon-Veysset, 1999; Clément,
leurs regards pas nécessairement homogènes) et, d’autre 2000) ou encore celle de l’« immigrant dans le temps »
part, que les attributions identitaires qu’ils opèrent peu- qui apparaît « porteur d’une culture plus ancienne »
vent être rejetées comme non pertinentes. Les autres (Mead, 1978; cité par Dowd, 1986) 7. Cette incompré-
interviennent certes dans la définition de soi comme hension de la société – qui trouve son expression la plus
« vieux » (ou comme « non vieux »), mais c’est souvent accomplie dans les propos négatifs souvent tenus sur
plus indirectement: comme « coproducteurs » de la la jeunesse – est parfois interprétée comme le produit
déprise et en tant que points de comparaison avec soi de différences culturelles entre les générations qui,
– et nous avons vu que, le plus souvent, cette compa- socialisées à des époques différentes, porteraient
raison avec autrui consiste à se différencier de ceux qui des visions du monde irréductibles (Dowd, 1986).
vont plus mal que soi, ce qui permet de se rassurer.
On ne peut cependant se contenter de cette explica-
Familiarité/étrangeté au monde tion: au cours de leur existence, les individus évoluent,
s’adaptent aux changements sociaux et leur manière de
Sans doute la tension entre étrangeté et familiarité avec concevoir le monde ne reste pas figée8. Aussi faut-il, pour
le monde n’est-elle pas propre aux plus âgés, puisqu’elle comprendre le sentiment d’étrangeté au monde qu’ex-
est au cœur de la condition moderne, qui se caractérise priment bien des personnes très âgées, considérer qu’il
par un désajustement structurel entre l’individu et le sys- se forge à travers un ensemble de mécanismes qui sur-
tème social (Martuccelli, 1999, 2005). Dans la moder- viennent plus particulièrement au grand âge.
nité, en effet, la familiarité qui existe entre l’individu et le
monde est toujours problématique: elle ne vaut souvent Ce sentiment d’étrangeté doit, tout d’abord, être mis en
que pour une portion très réduite du monde social (il relation avec le processus de déprise des activités et des
suffit, pour s’en convaincre, de sortir de son univers quo- relations sociales. Ainsi, l’abandon d’activités qui don-

6 Pour reprendre et retourner une formule de Pascal qu’affectionnait Pierre Bourdieu: « Le monde me comprend, mais je le comprends » (cf.
par exemple, Bourdieu, Wacquant, 1992, p. 103).
7 Parmi de nombreux témoignages (Puijalon-Veysset, 1999), on peut citer ces propos de Claude Lévi-Strauss: « Nous sommes dans un monde

auquel je n’appartiens déjà plus. Celui que j’ai connu, celui que j’ai aimé, avait 1,5 milliards d’habitants. Le monde actuel compte 6 milliards d’humains.
Ce n’est plus le mien » (Lévi-Strauss, âgé de 96 ans, entretien au journal Le Monde, 22 février 2005).
8 Un bon exemple en est donné par la comparaison des enquêtes « Valeurs » de 1981 et 1999 qui montre que la cohorte 1919-1927 (54-62

ans en 1981, 72-80 ans en 1999) s’est éloignée de la religion et a évolué vers des positions morales moins traditionnelles sur certaines ques-
tions comme l’homosexualité, l’euthanasie, le divorce ou l’avortement (Bréchon, 2000).

36 RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 94 - SEPTEMBRE 2008


RSI 94_BAT 1/08/08 9:59 Page 37

VIEILLIR AU GRAND ÂGE

naient le sentiment de rester en prise avec le monde plus en plus souvent, ils recherchent. De même, les
risque d’instaurer une plus grande distance avec lui: « ça scènes de violence de certains films sont d’autant plus
en est fini d’être de son temps » s’exclame, par exemple, rejetées qu’elles risquent de perturber la quiétude à
un homme âgé à l’évocation d’un possible arrêt de l’usage laquelle ils aspirent 11.

Document téléchargé depuis www.cairn.info - IRTS Languedoc-Roussillon - - 185.61.184.145 - 28/11/2018 12h54. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI)
de sa voiture (Drulhe, Pervanchon, 2002, p. 74).
Enfin, nous l’avons dit, l’environnement se transforme –
Parallèlement, la disparition des « contemporains », qui que l’on songe aux évolutions technologiques, au passage
ont traversé les mêmes époques que soi, avec lesquels à l’euro ou, pour prendre un exemple plus banal, aux
il existait une connivence et « qui vous comprenaient changements dans les filières scolaires et universitaires
Document téléchargé depuis www.cairn.info - IRTS Languedoc-Roussillon - - 185.61.184.145 - 28/11/2018 12h54. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI)

à demi-mot » (Clément, 2000, p. 192) joue un rôle qui rendent difficile l’identification des études suivies par
majeur dans la construction de ce sentiment. D’une les petits-enfants ou arrière-petits-enfants. Face à ces
autre manière, les relations avec les petits-enfants y changements incessants, il arrive que les personnes âgées
contribuent également. D’une part, leur familiarité avec renoncent à s’adapter, qu’elles s’arrêtent sur le bord du
l’environnement actuel – les nouvelles technologies, la chemin et qu’elles laissent passer la caravane de ceux qui
mode, la musique, etc. – contraste, pour les plus âgés, évoluent avec leur temps. Il faut rappeler ici ce que nous
avec la difficulté qu’ils ont à s’y reconnaître et à y adhé- avons évoqué à propos de la déprise: une conscience
rer. D’autre part, au fil du temps, les petits-enfants, sol- accrue de sa finitude peut conduire à considérer que,
licités par leurs amis et leurs études, puis engagés dans désormais, il n’est plus temps de chercher à s’adapter aux
la vie adulte, se font moins présents dans l’existence nouveautés. Alors, comme l’écrit N. Bobbio en s’appuyant
de leurs grands-parents. Ceux-ci, tout en reconnais- sur sa propre expérience, « [le vieux] a tendance à porter
sant le caractère inéluctable d’une telle évolution, font un jugement négatif sur le nouveau, uniquement parce qu’il ne
néanmoins le constat que leurs petits-enfants, dont ils le comprend plus, et parce qu’il n’a plus la volonté de se for-
ont parfois été très proches, se sont désormais éloi- cer à le comprendre » (Bobbio, 2004, p. 106). C’est aussi
gnés d’eux. Quant aux arrière-petits-enfants, leur nais- parce qu’on laisse s’éloigner le monde qu’il devient de
sance semble exclure un peu plus encore la génération plus en plus étrange.
qui accède au statut d’arrière-grands-parents. Car si les
petits-enfants ont été, au cours de leur enfance, des Confrontés à cette étrangeté croissante du monde,
familiers, il semble que les arrière-petits-enfants res- les personnes qui vieillissent mettent en œuvre
tent souvent des étrangers. C’est ce dont témoignent, diverses stratégies afin de recréer de la familiarité avec
par exemple, ces propos d’un nonagénaire: « Qu’est-ce leur environnement.
que je fais là? Qu’est-ce que je fais là maintenant? Surtout
que maintenant je suis l’arrière-grand-père, entre moi et eux La première consiste – à l’inverse de l’attitude de
il y a les parents et les grands-pères! Alors moi je suis celui renoncement exprimée par Bobbio – à lutter contre
qui… euh… oh… pff… »9. cette étrangeté. C’est ainsi que l’on rencontre des
personnes qui se sont converties aux nouvelles tech-
Il convient aussi de souligner le rôle joué par les nologies afin de « rester dans la course ». Ce type
médias – et notamment la télévision – dans la d’attitude n’est d’ailleurs pas sans signification identi-
construction du sentiment d’étrangeté au monde. taire: revendiquer une posture d’ouverture par rap-
Ceux-ci diffusent en effet des programmes avec les- port au monde actuel et de compréhension par rap-
quels les plus âgés se sentent en décalage (nous avons port aux plus jeunes est une manière de se définir à
vu qu’ils pouvaient d’ailleurs s’y référer pour réaffir- distance de la vieillesse. Plus nombreux sont ceux qui,
mer, en opposition avec eux, leurs propres valeurs) 10 pour rester en lien avec le monde, ont recours aux
et qui leur signifient combien ils sont d’une autre médias. Fenêtres sur l’extérieur, la radio et la télévi-
époque et n’appartiennent plus vraiment au monde sion diffusent des informations qui soutiennent, au
actuel. C’est le cas notamment des émissions de varié- quotidien, le sentiment d’appartenance à une com-
tés, dans lesquelles se produisent des artistes pour munauté locale ou nationale: savoir ce qui s’y passe,
eux inconnus dont ils n’apprécient guère les musiques c’est encore en faire partie. On peut noter combien
et dont ils ne comprennent pas les chansons – et ce le rôle des médias est ambivalent : d’un côté, nous
bruit et cette agitation tranchent avec le calme que, de l’avons vu, ils contribuent à produire le sentiment

9
Citons aussi ces propos d’une arrière-grand-mère, rapportés par Claudine Attias-Donfut et Martine Segalen: « Quand vos enfants deviennent
grands-parents, nous on ne compte plus » (1998, p. 148).
10
De ce point de vue, la suppression par France 2, en 2000, de l’émission La Chance aux Chansons n’a pu que nourrir chez les plus âgés le sen-
timent de ne plus avoir leur place. Diffusée l’après-midi, cette émission constituait une occasion de retrouver des chanteurs et des musiques
plus conformes à leurs goûts.
11 A contrario, cette aspiration à la quiétude explique le succès auprès des plus âgés de téléfilms comme Derrick, Julie Lescaut, Les Cordier, L’Instit

ou autres Navarro: ce sont là des « valeurs sûres » qui mettent à l’abri des scènes de violence.

RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 94 - SEPTEMBRE 2008 37


RSI 94_BAT 1/08/08 9:59 Page 38

d’étrangeté et, dans le même temps, à travers d’autres CONCLUSION: TROIS


programmes, ils aident les plus âgés à maintenir le sen- FORMES DE L’AUTONOMIE
timent d’appartenance à la société. AU GRAND ÂGE

Document téléchargé depuis www.cairn.info - IRTS Languedoc-Roussillon - - 185.61.184.145 - 28/11/2018 12h54. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI)
La deuxième stratégie consiste à se replier sur un
espace proche, familier et sécurisant, qui fait pièce à Résumons-nous. Au fil de l’âge, diverses contraintes ten-
l’étrangeté et à l’insécurité du monde extérieur. Cet dent à se faire davantage sentir: des limitations fonc-
espace est celui du chez-soi. Beaucoup de personnes tionnelles, une fatigue croissante, de moindres sollicita-
très âgées valorisent fortement leur domicile qui est, tions de l’entourage, des interactions avec les plus jeunes
Document téléchargé depuis www.cairn.info - IRTS Languedoc-Roussillon - - 185.61.184.145 - 28/11/2018 12h54. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI)

pour reprendre la formule de Bernadette Veysset jugées périlleuses, une conscience accrue de sa finitude.
(1989), à la fois un repaire et un repère: un repaire où Quand ces tendances s’affirment et s’additionnent, elles
elles se sentent protégées des agressions extérieures; pèsent de plus en plus fortement sur la vie quotidienne,
un repère identitaire (le domicile symbolise la personne entravant la réalisation de certaines activités, poussant à
dans sa continuité), spatial (il est un espace familier, leur réaménagement et conduisant à la réduction des
intimement approprié, dont l’usage se trouve forte- engagements. Il devient dès lors plus difficile d’ancrer son
ment ancré dans les habitudes corporelles) et tempo- identité dans le présent et de se tenir à distance de l’iden-
rel (car il est chargé de souvenirs). Et l’on peut consi- tité de « vieux ». Parallèlement, la disparition des contem-
dérer que l’adoption de routines rigides – ce que Jean porains, l’éloignement des petits-enfants, les transforma-
Bouisson appelle la « routinisation » (2005) – s’inscrit tions de l’environnement, la déprise des activités et le
dans la même quête de sécurisation. Les objets de l’en- renoncement à « rester dans la course » alimentent le
vironnement domestique jouent alors un rôle majeur: sentiment d’étrangeté au monde. Ces tendances s’affir-
par leur présence, ils assurent la permanence du ment plus ou moins fortement suivant les individus, en
monde qui entoure l’individu et lui permettent ainsi de fonction du contexte physiologique et social qui caracté-
pérenniser un sentiment de stabilité alors qu’à l’exté- rise leur vieillesse. Les personnes très âgées sont, en effet,
rieur, tout se transforme (MacCarthy, 1984). Parmi ces diversement soumises aux épreuves de l’âge (par exemple,
objets, quelques-uns contribuent plus particulièrement toutes ne connaissent pas le veuvage; les déficiences phy-
à créer ce sentiment de familiarité car ils rappellent les siques sont plus ou moins nombreuses et sévères) et elles
engagements et les liens tissés au cours de l’existence disposent de ressources différentielles pour s’en proté-
et rattachent ainsi au passé. Certains, par exemple, ger et pour les surmonter. Ces ressources ne relèvent
évoquent l’ancienne activité professionnelle : une d’ailleurs pas seulement de l’équipement « personnel »
ancienne modéliste a ainsi accroché au mur de sa de l’individu (son état de santé, sa force de caractère, les
chambre une gravure présentant le dernier modèle capacités cognitives ou d’adaptation qu’il a acquises au
qu’elle a dessiné. cours de l’existence), mais, plus largement, de ses
D’autres ont été offerts par des êtres chers et disent « entours sociaux »: les aides techniques et humaines qui
l’amour dont on a été le destinataire: une femme de lui permettent de poursuivre ses activités malgré ses pro-
82 ans désigne ainsi « un petit cheval » qui a été « sa pre- blèmes fonctionnels; la présence et le soutien de ses
mière fête des mères »; une autre de 94 ans indique com- proches; les sollicitations qui lui sont adressées.
bien sont précieux à ses yeux « les petits poussins » dont
son mari lui a fait cadeau alors qu’ils étaient fiancés. Cette analyse du vieillissement permet de proposer,
D’autres enfin symbolisent les engagements d’une vie pour terminer, quelques réflexions sur l’autonomie au
comme les deux médailles que tient à montrer une grand âge, c’est-à-dire la capacité des personnes très
femme de 95 ans, l’une remise à l’occasion de ses noces âgées à conserver un certain pouvoir de décision pour
de diamant, l’autre offerte à son mari en l’honneur de les affaires qui les concernent. Il nous semble possible,
son engagement bénévole. Qu’ils soient chargés d’une en effet, de distinguer plusieurs figures de cette auto-
signification particulière ou que, de manière plus banale nomie, en partant de l’idée que les personnes très âgées
mais non moins fondamentale, ils assurent la stabilité de cherchent, aussi longtemps que possible, à faire face aux
l’environnement proche, ces objets constituent un rem- contraintes croissantes auxquelles elles sont confron-
part face à l’instabilité du monde et aux ruptures de l’exis- tées afin de conserver des activités qui font sens pour
tence. Leur présence familière et réconfortante consti- elles, de préserver le sentiment de leur propre valeur et
tue un support précieux au moment du veuvage – au de maintenir des espaces de familiarité avec le monde.
point que l’espace domestique peut devenir, notamment Se dessine ainsi une première figure de l’autonomie, celle
en cas de veuvage tardif, un conservatoire des souvenirs de l’autonomie préservée: l’individu vieillissant s’efforce
de la vie passée (Caradec, 2004). Et c’est en s’entourant ici de garder un certain contrôle sur ce qu’il fait, sur son
de ces mêmes objets matériels – meubles et bibelots identité et sur son environnement. Dans cette lutte pour
familiers, photographies de ses proches, vivants ou dis- la préservation de son autonomie, l’existence de « sup-
parus – que les personnes qui entrent en maison de ports » (Martuccelli, 2002) dans l’environnement de celui
retraite parviennent parfois à recréer un « chez-soi » et qui vieillit apparaît de première importance. Ces sup-
à retrouver un certain équilibre (Mallon, 2004). ports peuvent être matériels: on a d’autant plus prise

38 RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 94 - SEPTEMBRE 2008


RSI 94_BAT 1/08/08 9:59 Page 39

VIEILLIR AU GRAND ÂGE

sur les choses que celles-ci offrent des prises (que l’on désigner. Elle fait écho à certains propos du philosophe
songe aux aménagements domestiques et urbains et à Norberto Bobbio qui, dissertant sur sa propre
leur adéquation – ou inadéquation – aux caractéristiques vieillesse, évoque « le cupio dissolvi, le désir de l’anéan-
corporelles des personnes qui vieillissent). Ces supports tissement, le désir de n’être plus » qu’il éprouve

Document téléchargé depuis www.cairn.info - IRTS Languedoc-Roussillon - - 185.61.184.145 - 28/11/2018 12h54. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI)
sont aussi relationnels, consistant alors dans la présence, (Bobbio, 2004, p. 116). Cette figure de l’autonomie
le soutien et les sollicitations des autres: c’est grâce à renonçante évoque également un autre phénomène:
l’existence d’« opportunités d’engagement » que, parmi celui de la mort volontaire (Lalive d’Epinay, 2003), qu’il
les plus âgés, certains continuent à participer à la vie s’agisse de celle du malade en fin de vie qui s’oppose
sociale, à asseoir leur identité en partie dans le présent à un nouveau traitement médical, ou celle du militant
Document téléchargé depuis www.cairn.info - IRTS Languedoc-Roussillon - - 185.61.184.145 - 28/11/2018 12h54. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI)

et à mettre à distance l’étrangeté du monde. Ajoutons de l’Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité
que ces supports sont inégalement distribués : ainsi, qui, à l’instar de Mireille Jospin (Châtelet, 2004), décide
parmi les 90 ans et plus, 16 % n’ont pas – ou plus – de de ne pas aller plus loin dans la lutte pour son main-
famille proche ou n’ont aucune relation avec elle tien dans le monde. Sans doute acceptons-nous plus
(Desesquelles, Brouard, 2003); ceux qui ont accumulé facilement de reconnaître une part de choix dans ce
un capital social important bénéficient, plus que d’autres, type de geste « héroïque » que dans les cas de mise
d’« opportunités d’engagement ». en dépendance par rapport à autrui. Mais le rappro-
chement entre ces deux situations n’est pas sans inté-
Cependant, si la capacité à maintenir une certaine maî- rêt et invite à envisager, parallèlement aux figures de
trise sur sa vie et sur son environnement est dépen- l’autonomie préservée et de l’autonomie menacée,
dante des supports, notamment relationnels, ceux-ci celle de l’autonomie renonçante.
présentent aussi un risque : celui de devenir des
« trappes » (Vidal, 2006, p. 139) qui, plutôt que d’of-
frir des ressources pour l’autonomie, en réduisent
l’amplitude. L’environnement relationnel présente ainsi
un double visage: s’il peut constituer un élément clé du BIBLIOGRAPHIE
maintien dans le monde et de la préservation de l’au-
tonomie, il peut aussi former un contexte délétère
pour cette même autonomie. La figure de l’autonomie ATTIAS-DONFUT C., SEGALEN M., 1998, Grands-
préservée cède alors la place à une deuxième figure, parents. La famille à travers les générations,
celle de l’autonomie menacée. C’est le cas lorsque les Odile Jacob, Paris, 330 p.
interactions avec les autres (proches ou profession-
nels) conduisent à un enfermement relationnel et une BALTES M. M., 1996, The Many Faces of
mise en dépendance (au sens de remise de soi, et donc Dependancy in Old Age, Cambridge,
de disparition de l’autonomie). Margret Baltes (1996) Cambridge University Press.
a ainsi dégagé deux mécanismes de mise en dépen-
dance12 : la dépendance acquise (learned dependency), BALTES P.B., 1997, « L’avenir du vieillissement
lorsque l’autre (l’« aidant ») fait à la place de la per- d’un point de vue psychologique : optimisme
sonne; l’impuissance apprise (ou la résignation acquise, et tristesse », in Dupâquier J. (dir.), L’espérance
learned helplessness) lorsque l’autre se refuse à recon- de vie sans incapacités. Faits et tendances, pre-
naître – et à valider – les efforts que fait la personne mières tentatives d’explication, Puf, coll.
qui vieillit pour maintenir ou retrouver une certaine « Sociologies », Paris, p. 243-264.
autonomie, ce qui la conduit au découragement.
BARTHE J.-F., CLÉMENT S., DRULHE M., 1988,
Enfin, parallèlement à ces deux figures de l’autonomie « Vieillesse ou vieillissement? Les processus d’or-
préservée (grâce à des supports suffisants) et de l’au- ganisation des modes de vie chez les personnes
tonomie menacée (lorsque les supports en viennent âgées », Les Cahiers de la Recherche sur le
à manquer ou à enfermer), on peut dessiner les Travail Social, n° 15, Caen, p. 11-31.
contours d’une troisième figure, celle de l’autonomie
renonçante, qui correspond au cas de la personne âgée BEAUMONT J.-G., KENEALY P., 2003, “Quality of Life
qui abdique son autonomie afin d’être « prise en of Healthy Older People : Residential Setting
charge ». Il s’agit là, bien sûr, d’une figure paradoxale and Social Comparison Processes”, Growing
de l’autonomie, à l’image de l’oxymoron forgé pour la Older Program Findings, n° 20.

12 Ces deux mécanismes génèrent des modes de vieillir qui sont à l’opposé de ce que l’auteur considère comme étant le « vieillissement

réussi » qui se fonde, lui, sur la mise en œuvre de stratégies d’« optimisation sélective avec compensation ». On retrouve ici la figure de
l’« autonomie préservée ».

RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 94 - SEPTEMBRE 2008 39


RSI 94_BAT 1/08/08 9:59 Page 40

BEAUVOIR S. (DE), 1970, La vieillesse, Gallimard, CARADEC V., 2003, « La télévision, analyseur du
coll. « Blanche », Paris, 608 p. vieillissement », Réseaux – Communication,
Technologie, Société, vol. 21, n° 119, p. 121-
BEAUVOIR S. (DE), 1981, La cérémonie des adieux, 152.

Document téléchargé depuis www.cairn.info - IRTS Languedoc-Roussillon - - 185.61.184.145 - 28/11/2018 12h54. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI)
Gallimard, coll. « Blanche », Paris, 564 p.
CARADEC V., 2004, Vieillir après la retraite.
BICKEL J.-F., LALIVE D’ÉPINAY C., 2001, « Les styles Approche sociologique du vieillissement, Puf,
de vie des personnes âgées et leur évolution coll. « Sociologie d’aujourd’hui », Paris, 256 p.
récente: une étude de cohortes », in Legrand
Document téléchargé depuis www.cairn.info - IRTS Languedoc-Roussillon - - 185.61.184.145 - 28/11/2018 12h54. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI)

M. (dir.), La retraite: une révolution silencieuse, CARADEC V., 2007, « L’épreuve du grand âge »,
Érès, Ramonville Saint-Agne, p. 245-280. Retraite et Société, n° 52, p. 12-37.

BICKEL J.-F., GIRARDIN-KECIOUR M., 2004, « De l’im- CARADEC V., 2008, Sociologie de la vieillesse et
pact de la fragilité sur la vie quotidienne. du vieillissement, Paris, Armand Colin, 2008,
Changements et continuités des activités et du 128 p. (2ème édition).
bien-être dans le grand âge », Fondation natio-
nale de gérontologie, Gérontologie et société, CARADEC V., PETITE S., VANNIENWENHOVE T., 2007,
n° 109, Paris, p. 63-82. Quand les retraités partent en vacances, Presses
universitaires du Septentrion, coll. « Le regard
BOBBIO N., 2004, « Au ralenti. Vieillesse, sociologique », Villeneuve d’Ascq, 256 p.
mémoire, mort », in Le sage et le politique.
Ecrits moraux sur la vieillesse et la douceur, CHATELET N., 2004, La dernière leçon, Seuil, Paris.
Albin, Michel, Paris.
C LÉMENT S., 1994, « Les temps du mourir :
BOUISSON J., 2005, Psychologie du vieillissement changements et permanence », Cahiers inter-
et vie quotidienne, Solal, coll. « Psychologie », nationaux de sociologie, vol. XCVII, Paris,
Marseille, 140 p. p. 355-371.

BOURDELAIS P., 1993, L’âge de la vieillesse, CLÉMENT S., 1997, « Qualités de vie de la vieillesse
Odile Jacob, Paris. ordinaire », Prévenir, n° 33, Marseille, p. 169-176.

BOURDIEU P., WACQUANT L.J.D., 1992, Réponses, CLÉMENT S., 2000, « Vieillir puis mourir »,
Seuil, coll. « Libre examen », Paris, 268 p. Prévenir, n° 38, Marseille, p. 189-195.

BRANDTSTÄDTER J., GREVE W., 1994, “The Aging CLÉMENT S., MANTOVANI J., 1999, « Les déprises en
Self : Stabilizing and Protective Processes”, fin de parcours de vie. Les toutes dernières
Developmental Review, vol. 14, n° 1, p. 52-80. années de la vie », Fondation nationale de
gérontologie, Gérontologie et société, n° 90,
BRÉCHON P. (dir.), 2000, Les valeurs des Français. Paris, p. 95-108.
Évolutions de 1980 à 2000, Armand Colin, coll.
« U », Paris, 280 p. CLÉMENT S., MANTOVANI J., MEMBRADO M., 1996,
« Vivre la ville à la vieillesse: se ménager et se
CAMBOIS E., ROBINE J.-M., 2003, « Vieillissement risquer », Les Annales de la Recherche Urbaine,
et restrictions d’activité: l’enjeu de la compen- n° 73, p. 90-98.
sation des problèmes fonctionnels », Drees,
Études et Résultats, n° 261, 12 p. COLIN C., 2001, « L’autonomie des personnes de
80 ans et plus », Fondation nationale de géron-
CAMBOIS E., ROBINE J.-M., 2004, « Problèmes fonc- tologie, Gérontologie et société, n° 98, Paris,
tionnels et incapacités chez les plus de 55 ans: p. 37-48.
des différences marquées selon les professions
et le milieu social », Drees, Études et Résultats, CUMMING E., HENRY W.E., 1961, Growing Old. The
n° 295, 8 p. Process of Disengagement, Basic Books, New
York, 293 p.
CAMBOIS E., LIÈVRE A., 2004, « Risques de perte d’au-
tonomie et chances de récupération chez les per- DESESQUELLES A., BROUARD N., 2003, « Le réseau
sonnes âgées de 55 ans ou plus: une évaluation à familial des personnes âgées de 60 ans ou plus
partir de l’enquête Handicaps, incapacités, dépen- vivant à domicile ou en institution »,
dance », Drees, Études et Résultats, n° 349, 12 p. Population, vol. 58 (2), p. 201-228.

40 RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 94 - SEPTEMBRE 2008


RSI 94_BAT 1/08/08 9:59 Page 41

VIEILLIR AU GRAND ÂGE

DOWD J.-J., 1986, “The Old Person as Stranger”, MARTUCCELLI D., 1999, Sociologies de la moder-
in Marshall V.W. (ed.), Later Life. The Social nité. L’itinéraire du XXe siècle, Gallimard, coll.
Psychology of Aging, Sage, Beverly Hills CA, « Folio essais », n° 348, Paris, 720 p.
p. 147-189.

Document téléchargé depuis www.cairn.info - IRTS Languedoc-Roussillon - - 185.61.184.145 - 28/11/2018 12h54. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI)
MARTUCCELLI D., 2002, Grammaires de l’individu,
DRULHE M., PERVANCHON M., 2002, « Vieillir et Gallimard, coll. « Folio essais », n° 407, Paris, 720 p.
conduire: usages et représentations », Rapport
final de recherche pour la fondation MAIF, CERS MARTUCCELLI D., 2006, Forgé par l’épreuve, Paris,
Université de Toulouse le Mirail, Toulouse, 93 p. Armand Colin, 2006
Document téléchargé depuis www.cairn.info - IRTS Languedoc-Roussillon - - 185.61.184.145 - 28/11/2018 12h54. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI)

GARY R., 1975, Au-delà de cette limite votre tic- MEAD M., 1978, Culture and Commitment.
ket n’est plus valable, Gallimard, coll. A Study of the Generation Gap, Columbia
« Blanche », Paris, 264 p. University Press, New York. Trad. française :
1979, Le fossé des générations, Denoël,
GIDDENS A, 1991, Modernity and Self-Identity. coll. « Documents actualité », Paris, 160 p.
Self and Society in the Late Modern Age,
Stanford University Press, Londres, 264 p. MINICHIELLO V., BROWNE J., KENDIG H., 2000,
“Perceptions and Consequences of Ageism :
HAVIGHURST R., ALBRECHT R., Older people, New Views of Older People”, Ageing and Society,
York, Longmans, Green and Co. vol. 20, n° 3, p. 253-278.

HOCHSCHILD A., 1975, « Disengagement Theory: OCKRENT C., 2003, Françoise Giroud, une ambi-
a critique and proposal », American tion française, Fayard, Paris, 390 p.
Sociological Review, vol. 40, p. 553-569.
PASQUIER D., 1997, « Télévision et apprentissages
LALIVE D’ÉPINAY C., 1996, Entre retraite et sociaux : les séries pour adolescents »,
vieillesse. Travaux de sociologie compréhensive, in Beaud P., Flichy P., Pasquier D., Quéré L. (dir.),
Réalités sociales, coll. « Âge et société », Sociologie de la communication, CNET, Issy-les-
Lausanne, 240 p. Moulineaux, p. 811-830.

LALIVE D’EPINAY C., 2003, La retraite et après. PUIJALON-VEYSSET B., 1999, « De la parole des
Vieillesse entre science et conscience, vieux: le sentiment d’étrangeté », in Évolutions
Centre Interfacultaire de Gérontologie technologiques et vieillissement des personnes,
et Département de Sociologie, Université Actes du séminaire de recherche du 9-10 février
de Genève, Questions d’âge, n° 2. 1999, MiRe-Drees/Cnav, p. 102-105.

LIEBES T., 1997, « À propos de la participation du RICŒUR P., 1990, Soi-même comme un autre,
téléspectateur », in Beaud P., Flichy P., Le Seuil, coll. « L’Ordre philosophique », Paris,
Pasquier D., Quéré L. (dir.), Sociologie de la 424 p.
communication, CNET, Issy-les-Moulineaux,
p. 797-809. ROTH P., 2004, La bête qui meurt, Gallimard, coll.
« Du monde entier », Paris, 144 p. (1re éd. amé-
MACCARTHY E.D., 1984, “Toward a Sociology of ricaine: 2001).
the Physical World: George Herbert Mead on
Physical Objects”, in Denzin N.K., Studies in TOWNSEND P., 1986, « Ageism and social policy »,
Symbolic Interaction. Vol. 5, p. 105-121. in C. Phillipson, A. Walker (eds), Ageing and
social policy, London, Gower.
MALLON I., 2004, Vivre en maison de retraite. Le
dernier chez-soi, PUR, coll. « Le sens social », VEYSSET B., 1989, (avec Deremble J.-P.),
Rennes, 300 p. Dépendance et vieillissement, L’Harmattan,
coll. « Logiques sociales », Paris, 172 p.
MARSHALL V.W., 1986, “A Sociological
Perspective on Aging and Dying”, in Marshall VIDAL D., 2006, Les bonnes. Emploi domestique
V.W. (ed.), Later Life. The Social Psychology of et société démocratique au Brésil, Presses
Aging, Sage, Beverly Hills CA, p. 125-146. Universitaires du Septentrion, Lille.

RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 94 - SEPTEMBRE 2008 41

Vous aimerez peut-être aussi