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VERS UNE ALTERNANCE CAPACITANTE DANS LES ÉCOLES DE LA

DEUXIÈME CHANCE (E2C)

Solveig Fernagu Oudet

L'Harmattan | « Savoirs »

2018/1 N° 46 | pages 47 à 69
ISSN 1763-4229
ISBN 9782343145648
DOI 10.3917/savo.046.0047
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Savoirs 46 – 2018

Vers une alternance capacitante


dans les Écoles de la deuxième chance (E2C)
Solveig Fernagu*

Résumé : L’alternance ne peut se réduire à des dispositifs législatifs, elle


est aussi une pédagogie. Une pédagogie particulière visant à rapprocher for-
mation et travail. Dans la réalité, les dispositifs de formation par alternance
sont multiformes et les outils de régulation et d’accompagnement des for-
mations, des groupes ou des apprenants, à géométrie variable. Il est possible
d’en mesurer la pertinence et l’efficacité au travers la grille de lecture que
nous propose l’approche par les capabilités. Nous nous proposons de le
démontrer dans ce texte au travers l’analyse de ce qui met les formateurs des
E2C en capacité de conduire des entretiens-référent.
Mots-clés : alternance, capabilité, entretien-référent, formateur, facteurs
de conversion, facteurs de choix.
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Toward co-op training for capability building
in Second Chance Schools
Co-op training is not simply a formal model, it is also a pedagogy in
­itself—a particular pedagogy that aims to bring training and work together.
In reality, there are many different forms of co-op training, and a variety of
tools for the organization and support of groups or single learners in such
training. Their use and effectiveness can be assessed in terms that have been
suggested to us by the capabilities approach. We seek to demonstrate this
in our text by analyzing what it is that makes Second Chance School (E2C)
teachers capable of conducting mock interviews.
Keywords: co-op training, capability, mock interview, teacher, conver-
sion factors, choice factors.

Introduction
Étudier l’alternance ne peut se résumer à l’analyse des dispositifs juri-
diques (contrat d’apprentissage, contrat de professionnalisation), ni des
publics concernés (scolaires, étudiants, jeunes, moins jeunes), ni même à la
*  Maîtresse de Conférences en Sciences de l’Éducation, équipe Apprenance et Formation
des Adultes, Université Paris Nanterre.

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Vers une alternance capacitante dans les Écoles de la deuxième chance (E2C)

lumière des aides financières qui lui permettent de croître de manière expo-
nentielle, ou des injonctions politiques en faveur de son développement…
Si l’on veut appréhender la valeur de l’alternance, il est important d’en évo-
quer les pédagogies et les dispositifs, et de souligner les formes d’interaction
qu’elle entretient entre les mondes de la formation et du travail. En lien étroit,
elle est intégrative (contenus du travail et contenus de formation s’articulent
selon une programmation prédéterminée). Sans lien, elle est juxtapositive (les
deux mondes se côtoient mais s’ignorent mutuellement). Elle est circonstan-
cielle lorsque le centre de formation se saisit ponctuellement des événements
des situations de production et les intègre dans les parcours de formation.
Dans les E2C, l’alternance qui se déploie n’a que peu à voir avec ces canons
traditionnels qui décrivent l’alternance. Ce qui caractérise les E2C n’est pas
dans la manière dont est appréhendée l’expérience de travail en tant qu’ap-
prentissage d’un métier, mais en tant qu’apprentissage de soi. L’alternance y
est socialisante. Nous allons en décrire les caractéristiques et tenter, à partir
de l’approche par les capabilités (Sen, 2001, 2004), de montrer que l’ingénie-
rie des parcours de formation qui prévaut, en étant centrée au plus près des
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apprenants, peut conduire l’alternance à être également capacitante.

1. Les formes d’alternance


La qualité de l’alternance s’enracine dans la volonté de « former autre-
ment », de se donner les moyens d’adapter les parcours et les trajectoires de
formation au vécu de travail des apprenants, de transformer les ingénieries
de formation, pédagogique et didactique pour donner du sens au binôme
­théorie-pratique. Et l’on peut dire que si l’idée d’alternance a été pensée,
l’idée de sa professionnalisation est restée quasi absente des débats et reste
à l’initiative et de la responsabilité de ses acteurs de terrain (les lois exonèrent,
financent, promeuvent, sanctionnent des sujets arithmétiques, dénombrés, rarement consi-
dérés comme des apprenants – décret n° 2007-1559 du 31 octobre 2007). Ceci se
traduit par des formes d’alternances multiples, à géométrie variable, qui mo-
difient ou non les pratiques de formation et d’enseignement, qui exploitent
ou non les environnements d’apprentissage dans lesquels s’enracinent les
situations de formation, qui organisent ou non les confrontations des lieux
et des espaces de la formation (le terrain, la salle de classe ou de formation)
en cherchant à faire vivre ou non leur « fonction polémique » (Schwartz,
1977). Ainsi, l’alternance prend des formes variables qui sont largement dé-
pendantes des conceptions pédagogiques de l’alternance : simple procédure
organisationnelle pour certains, creuset d’innovations pédagogiques pour
d’autres, on la découvre organisationnelle, dialectique ou circonstancielle

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(Fernagu Oudet, 2008a, 2010b) mais aussi juxtapositive, intégrative, empi-


rique, associative, copulative, conversationnelle, inductive, réversible, renver-
sable, pédagogique, symbiotique, rythme, interactive, production, ou encore
aléatoire 1, etc. Les descripteurs des réalités qu’elle recouvre sont abondants
et témoignent de réalités multiformes et de pratiques variables. Ces der-
niers se font écho à la fois du rapport à l’apprentissage de ses concepteurs
mais aussi des contextes dans lesquels elle prend forme (métier visé, objec-
tifs des formations, public cible, domaine d’activité, ressources de l’envi-
ronnement, partenaires, etc.), de l’instrumentation mise en œuvre (retour
d’alternance, portfolio, tutorat, carnet de liaison, rapports d’activité, etc.),
l’ensemble contribuant à lui donner sa forme finale (philosophie, rythme,
organisation, etc.).
La typologie pour laquelle nous optons conduit à repérer les logiques
de fonctionnement dominantes qui permettent d’appréhender le type de
relations qui se jouent entre les acteurs principaux (le centre de formation,
l’entreprise et l’apprenant), la manière dont les rôles se répartissent et se
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composent, mais aussi la place des apprentissages expérientiels, leur valori-
sation et leur prise en compte dans les parcours de formation.
1.1. Alternance organisationnelle
L’alternance est organisationnelle lorsqu’elle est une donnée fonction-
nelle voire logistique, sans intention pédagogique, sans volonté de réunir le
monde de la formation et le monde du travail. Chaque espace est distinct
de l’autre, et chacun pilote à sa manière la formation, dans une indifférence
mutuelle. Le parcours prend la forme d’un calendrier de l’alternance au sens
strict du terme. Dans la littérature, cette forme d’alternance est souvent as-
sociée à celle d’alternance juxtaposition. Le terrain est un lieu de socialisa-
tion et d’acculturation. Cette forme est prégnante car le système de travail
et le système de formation ont développé des logiques tellement différentes
et opposées qu’elles sont parfois devenues contradictoires, au sens où elles
se nient l’une et l’autre. Le système de travail poursuit une logique de pro-
duction subordonnant les savoirs à leur utilisation (logique de marché) ; le
système de formation poursuit quant à lui une logique dominante discipli-
naire et curriculaire sans la subordonner au système de travail (logique du
diplôme) dans laquelle la consommation du savoir renvoie sa justification
sociale à une application ultérieure dans le champ des pratiques (Geay, 2007).

1  Cf. notamment Bourgeon (1979) ; Lerbet (1981) ; Geay (1985) ; Pelpel (1989) ; Schwartz
(1994) ; Colasse Alves (1997) ; Malglaive (1999) ; Meirieu (2006) ; Girod de l’Ain (1974) ;
Houssaye (1997).

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Cette forme d’alternance se soucie peu de la qualité des situations d’ap-


prentissages qui prendront forme en situation de travail, ni des relations qui
pourraient exister entre les apprentissages académiques et les apprentissages
professionnels. Il y a les programmes, les savoirs à transmettre d’un côté,
la pratique de l’autre, qu’elle soit ou non en lien avec les savoirs enseignés.
Le respect du programme (des savoirs homologués, standardisés, objecti-
vés) sous-tend l’idée que les compétences visées par la formation seront
acquises. Pour l’apprenant, cela implique qu’il se débrouille des situations
qu’il rencontre, qu’il établisse souvent seul les liens qui peuvent exister entre
le lieu de la formation et le lieu du travail. La part d’autoformation, d’auto-
direction, d’autorégulation dans les apprentissages est prédominante. C’est
en ce sens une alternance relativement élitiste car elle suppose que l’appre-
nant soit capable d’analyser ses besoins de formation et de compétences et
d’entretenir sa capacité d’autorégulation et d’apprenance (Carré, 2016).

1.2. Alternance dialectique


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Lorsque l’on adapte l’alternance à l’intention pédagogique, cette der-
nière est dialectique. En tentant d’articuler les espaces, monde du travail et
monde de la formation cherchent à cohabiter et à collaborer. La rencontre
d’un autrement, de l’altérité, est admise et acceptée et participe à la profes-
sionnalisation des apprenants. Dans cette forme d’alternance, la gestion des
apprentissages apparaît tout à la fois collective, individuelle et partenariale.
L’apprenant est encadré et accompagné dans son parcours. Sa trajectoire
peut être chaotique mais il a la possibilité de trouver en chemin des repères,
des boussoles, des guides qui vont l’aider à orienter et réguler ses appren-
tissages. Dans la littérature, cette forme d’alternance est souvent associée
à celle d’alternance dialogique, complémentarité, articulation, intégrative.
Nous préférons parler d’alternance dialectique. L’idée d’échange entre deux
milieux de formation est ici la plus importante. Ce type d’alternance voit se
développer des outils comme les plans de formation, de professionnalisa-
tion ou d’expérience. Ils ont en commun de chercher à articuler les objectifs
de qualification (diplomation ou certification) avec ceux de la mission en
entreprise, de construire des parcours singuliers en lien avec le contexte
professionnel et ses opportunités. Dans cette forme d’alternance, les acteurs
se connaissent et se reconnaissent dans leurs capacités respectives à accom-
pagner l’alternant dans son parcours de formation et partagent, en partie, le
« pouvoir de former » (Clénet et Gérard, 1993).
Ainsi, cette forme d’alternance tente de concilier mondes du travail et de la
formation, objectifs de formation et objectifs du travail, savoirs curriculaires

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et savoirs construits sur le terrain. Le référentiel de compétences fonctionne


comme un guide et donne lieu à des ingénieries sur mesure, contextuelles
et locales. La mission en entreprise, les tâches confiées participeront direc-
tement à l’acquisition des compétences visées par le diplôme soit dans une
perspective applicationniste, soit dans une perspective inductive. Dans le
premier cas, on cherche à appliquer ce que l’on a appris, dans le second, on
va chercher à relayer et exploiter les situations de travail sur le plan didac-
tique et pédagogique, une fois de retour en formation. On a donc affaire à
une exploitation des apprentissages a priori et/ou a posteriori.

1.3. Alternance circonstancielle


Si l’on admet que la forme d’alternance est une donnée imposée par les
circonstances et que l’on se demande comment on peut atteindre les buts
souhaités, alors l’alternance peut être qualifiée de circonstancielle. Elle s’in-
terroge sur les moyens complémentaires à mettre en place pour stimuler les
apprentissages qui ne pourraient être acquis par la seule forme d’alternance
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appliquée. Les espaces collaborent peut-être mais l’idée est ici de complé-
menter les espaces, de « combler les vides » laissés par l’un des espaces de
la formation à partir de l’analyse des écarts travail prescrit/travail réel afin
d’individualiser les parcours de formation. On part du postulat que tout ne
peut pas être acquis ou fait en entreprise, que l’environnement (matériel,
technique, humain) du travail n’offre pas toujours toutes les opportunités
d’apprentissages nécessaires à l’acquisition d’une compétence visée.
Ainsi, cette forme d’alternance part de l’idée que toute organisation n’est
pas également apprenante et que, même à mission identique, les appren-
tissages pourront être différents, articulés ou éloignés des objectifs acadé-
miques de la formation. On tente alors de consolider, d’étayer les parcours
par des apports individualisés et différenciés qui visent un égal accès aux
savoirs et aux compétences. Ce qui n’est pas acquis en entreprise pourra
l’être en formation grâce à une instrumentation spécifique (jeux de rôle,
simulations, étude de cas, échanges d’entreprises, projet industriel, etc.) re-
posant sur l’analyse des écarts entre curriculum prescrit et curriculum réel
(Fernagu Oudet, 2008c).

1.4. Alternance socialisante


Lorsque l’alternance se détourne de sa fonction initiale qui est celle de
l’apprentissage d’un métier ou de l’obtention d’une qualification pour se
consacrer à d’autres formes d’apprentissages, celle de soi, il est possible de
la qualifier de socialisante. C’est le cas des E2C où l’alternance déployée vise

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explicitement un objectif d’insertion sociale, citoyenne et professionnelle en


permettant aux jeunes accueillis de (re)prendre leur avenir en main et d’aug-
menter leurs chances d’intégration/insertion, et d’accès à l’emploi. Toute
l’ingénierie du dispositif est tournée vers cet objectif et mobilise l’ensemble
des formes d’alternance identifiées précédemment en fonction des besoins
des stagiaires, selon un double mouvement : une alternance tournée vers les
temps école-entreprise et une autre vers les temps au sein de l’école :
–– organisationnelle au début parce que le dispositif est conçu indépen-
damment des entreprises où les jeunes seront accueillis en stage. On
ne peut anticiper leurs choix, leurs projets. Pour cela l’organisation de
l’alternance va se construire peu à peu à partir des besoins des stagiaires ;
–– dialectique lorsque, grâce aux visites de stages, il est possible d’orien-
ter les contenus de ces derniers et/ou de les reprendre à l’École ; lorsque
les formateurs travaillent ensemble entre les différents modules pour
permettre d’appréhender les apprentissages du stagiaire dans leur glo-
balité, etc. ;
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–– circonstancielle lorsque le vécu des stagiaires en entreprise ou au sein
de l’école est repris au sein des temps de régulation collectifs ou indivi-
duels du dispositif par les formateurs pour aider les jeunes à « marcher
et se regarder marcher ». Les circonstances sont retravaillées, les événe-
ments analysés, l’expérience mise en lumière, au regard du projet de ces
jeunes (pertinence, faisabilité, accessibilité, etc.).
L’ingénierie de l’alternance qui prévaut est ainsi celle d’une ingénierie
sur mesure, flexible, qui va conduire le dispositif à s’adapter aux stagiaires
et non le contraire, construisant au fil de l’eau des parcours de formation
individualisés censés développer autonomie, estime de soi, sentiment de
compétence, responsabilité de soi, etc. L’apprenant y est un propre agent de
son développement. Ce n’est pas une erreur que de comparer la pédagogie
déployée à celle des Maisons Familiales Rurales où l’on cherche la « vérifica-
tion de désirs » et « la construction du libre arbitre qui vise à rendre l’appre-
nant acteur de sa formation » (Sanselme, 2015).
De facto, l’environnement et l’instrumentation pédagogique proposés
consistent à mettre les jeunes en capacité de se (re)dynamiser, d’échapper
aux « flammes de l’exclusion » (pour reprendre le titre d’un ouvrage dont
le titre évocateur nous semble correspondre à la philosophie des E2C 2),
pour s’intégrer/s’insérer dans notre société. Ils s’appuient pour cela sur un

2  Cf. Passevant, R. (1999). Les flammes de l’exclusion : insécurité urbaine… l’espérance citoyenne.
Montreuil : Le Temps des cerises.

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ensemble d’outils de régulation du parcours de formation et une pédagogie


de l’immanence et du contrat qui selon nous peuvent être porteurs de capa-
bilités dès lors qu’ils participent à développer chez les jeunes une capacité à
rebondir, se tourner vers l’avenir, à (se) « défaire pour faire ».

2. D’une alternance socialisante à une alternance capacitante


L’alternance à l’E2C se caractériserait ainsi, outre sa fonction d’orien-
tation professionnelle, par une fonction de socialisation. Toutes les alter-
nances pourraient se définir ainsi, mais à l’E2C cette fonction est portée,
accompagnée, par des moyens pédagogiques. La socialisation n’est pas relé-
guée à la simple immersion en entreprise comme cela est souvent le cas dans
d’autres dispositifs mais elle est déployée au travers de différentes formes de
pédagogie : active, du contrat, de la réussite et de l’immanence, qui ne sont
pas sans incidence pour aider le jeune à (se) défaire pour faire. Ces pédago-
gies postulent :
1. que l’apprenant est au centre de la formation, de sa formation. C’est
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en agissant qu’il apprend. Il est accompagné afin d’être en mesure de
revenir sur les éléments factuels permettant de faire un travail d’expli-
citation sur ce qu’il a fait, pourquoi et comment il l’a fait, comment il
aurait pu le faire… L’équipe pédagogique facilite cette compréhension
lors des différents ateliers, lors des retours d’alternance, des entretiens
de suivi, etc. ;
2. que chaque moment important de la formation est contractualisé
entre l’E2C et le jeune. La contractualisation permet de poser des ob-
jectifs, d’engager les deux parties (le jeune et l’E2C), de responsabiliser
le jeune sur son projet professionnel, de faire le bilan d’un moment du
parcours (réussites, échecs). Il s’agit pour le jeune et l’E2C de rechercher
une articulation qui réponde à la fois à ses envies, ses capacités, à la réalité
du monde du travail mais aussi à celle des obligations de l’E2C. Cette
contractualisation peut être ajustée selon l’évolution du projet profes-
sionnel du jeune (des déceptions du métier choisi lors de la « rencontre »
sur le terrain, la découverte d’un nouveau métier intéressant ou encore la
prise de conscience d’acquis insuffisants pour prétendre à un métier…).
Cette contractualisation se concrétise notamment par le contrat de for-
mation et le plan de formation individualisé. Ce caractère négocié du pro-
jet entraîne une appropriation de celui-ci par les acteurs et participe ainsi
à la construction identitaire du jeune et à l’autorégulation de son devenir ;
3. que les situations d’apprentissages et les évaluations ont pour objectif
de renforcer les sentiments d’efficacité de chaque jeune en valorisant et

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en encourageant les progrès accomplis. L’évaluation formative s’adapte


à chaque stagiaire. Les évaluations mises en place n’ont pas pour but de
sanctionner mais bien de permettre aux jeunes de se positionner et de le
mettre en situation de réussite. L’erreur est là pour apprendre, elle n’est
pas grave. Cela permet au jeune de prendre confiance en lui ;
4. « que la réussite de la formation ne peut être déléguée aux forma-
teurs », tout un travail sur soi ne peut résulter que du principe d’agenti-
vité, de prise de responsabilité sur son devenir.
Ces pédagogies sont soutenues et s’adossent à un certain nombre d’outils
de régulation des parcours et des trajectoires de formation permettant aux
jeunes d’optimiser leurs chances de devenir agents de leur devenir. Nous
allons revenir sur ces outils et montrer que, selon la manière dont ils sont
utilisés, ils participent à faire évoluer l’alternance mise en œuvre – sociali-
sante – vers une alternance capacitante, porteuse de capabilités.

2.1. L’approche par les capabilités


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2.1.1. Définition

Les écrits d’Amartya Sen, économiste et philosophe indien, sont au-


jourd’hui reconnus pour leur apport majeur à l’analyse des inégalités et aux
théories philosophiques de la justice. Il a travaillé entre autres sur les fa-
mines, la démocratie, les inégalités, le bien-être, la théorie du choix social, le
développement humain, etc.
Lors de ses premiers travaux sur l’étude des famines (Sen, 1981), il mon-
trera qu’au Bengale comme au Bangladesh, certaines familles étaient deve-
nues trop pauvres pour se procurer de la nourriture bien qu’elle soit dispo-
nible. Il expliquera alors les famines non par le manque de nourriture mais
par la présence de facteurs économiques et sociaux (chômage, inflation,
mauvaise distribution des denrées, etc.) venant impacter les possibilités de se
nourrir et, par là même, la capacité de se procurer de la nourriture (échange,
troc, achat, etc.). Cette approche en termes de « droit d’accès » connaîtra
un tournant décisif lorsqu’il introduira la question des libertés et donc des
capabilités dans son propos. Pour Sen, ce n’est pas la quantité de ressources
qui détermine le bien-être d’un individu (ou d’un groupe) mais ce qu’elles lui
permettent de réaliser, en cohérence avec ce qu’il a envie d’être et de faire.
Ainsi, toute ressource n’est utile que si elle permet d’exercer librement des
choix, de mener « la vie qu’on a envie de mener » (Sen, 1993). Il opère une
rupture déterminante avec les « approches ressourcistes » selon lesquelles
la détention d’une ressource est suffisante en soi pour donner les moyens

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de la liberté (de la nourriture pour manger, une voiture pour se déplacer, le


droit de vote pour voter, de l’argent pour se loger, etc.). Pour dépasser les
limites du ressourcisme, Sen introduit deux concepts fondamentaux : les
facteurs de conversion et la liberté de choix (Verhoeven, Orianne et Dupriez, 2008 ;
Robeyns, 2005, 2007 ; Zimmermann, 2008, 2011, 2016). Le premier permet
d’évaluer les moyens dont dispose la personne pour convertir les ressources
à sa disposition en réalisations. C’est ce que l’individu est capable d’atteindre
(Sen, 1999, 2001). Le second permet d’évaluer ce qui pèse dans la décision
d’une personne d’accomplir tel ou tel choix de réalisation (Sen, 2005). En ce
sens, si la capacité signifie le fait de savoir faire quelque chose, la capabilité
désigne le fait d’être en mesure de faire quelque chose. L’approche invite de
ce fait à s’interroger sur les possibilités, les opportunités, les moyens dont
disposent les individus pour agir, savoir agir, pouvoir agir et développer leur
pouvoir d’agir (Fernagu Oudet, 2014).
En résumé, l’approche par les capabilités nous informe d’un côté sur les fins que la
personne valorise et, de l’autre, sur les moyens dont elle est pourvue pour atteindre ces fins
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(Sen, 2004).
Nous allons utiliser l’approche par les capabilités pour analyser les poten-
tialités de la pédagogie mobilisée dans les E2C et leur contribution au déve-
loppement des compétences des jeunes qu’elles accueillent.

2.1.2. Capabilités et développement des compétences

Si les travaux sur les capabilités étaient initialement particulièrement


centrés sur les domaines de la pauvreté et du sous-développement (la lit-
térature scientifique disponible sur les bases de données porte essentielle-
ment sur ces questions), ils débordent aujourd’hui ces derniers pour investir
les espaces des politiques publiques, du travail, de l’emploi, du développe-
ment économique, de l’insertion et de la formation. Les travaux conduits
explorent notamment les pratiques organisationnelles, de gestion des res-
sources humaines, de travail et de formation dans leurs effets sur le dévelop-
pement des capabilités, du pouvoir d’agir et du bien-être, dans les champs
de la sociologie, de l’ergonomie, de l’économie, des sciences de gestion et de
l’éducation (Fernagu Oudet, 2018, à paraître).
Nous allons en mobiliser le cadre pour approcher la question du déve-
loppement des compétences qui n’est pas aujourd’hui sans poser question
(Fernagu Oudet et Batal, 2013, 2016).
Lorsque l’on s’intéresse à l’organisation du développement des compé-
tences, force est de constater, dans le champ des pratiques, que de nombreux

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Vers une alternance capacitante dans les Écoles de la deuxième chance (E2C)

dispositifs de formation fonctionnent très souvent sur des approches plu-


tôt ressourcistes ou délégataires, que capacitantes. Les approches « ressour-
cistes » partent du principe, à l’instar de ce que Sen leur reproche, qu’il suffit
de mettre des ressources à disposition des individus pour qu’ils soient en me-
sure de se développer. Les approches « délégataires » attendent des individus
qu’ils se prennent en charge et développent d’eux-mêmes leurs compétences
compétences sans véritablement s’intéresser à la manière dont ils vont s’y prendre 3.
sans véritablement s’intéresser à la manière dont ils vont s’y prendre 3. Dans
2F

Dans le premier cas, l’action porte sur l’environnement indépendamment des individus
le premier cas, l’action porte sur l’environnement indépendamment des indi-
qui s’y trouvent. Dans le second cas, l’individu est responsable de son développement
vidus indépendamment
qui s’y trouvent. Dans le second cas, l’individu est responsable de son
de l’environnement dans lequel il œuvre. Dans ces approches, peu ou
développement indépendamment de l’environnement dans lequel il œuvre.
pas de réflexion sur la manière dont l’individu va prendre possession des dites
Dans ressources
ces approches, peu ou pas de réflexion sur la manière dont l’indi-
et les convertir en capacités d’action, c’est pourquoi l’approche par les
vidu va prendre possession desdites intéressante
capabilités nous semble particulièrement ressourcesà mobiliser
et les convertir en capacités
: elle opère comme un
d’action, c’est pourquoi l’approche par les capabilités nous
trait d’union entre les approches dites « ressourcistes » et celles dites « délégataires ». semble particu-
lièrement intéressante
En faisant à mobiliser :
porter le regard elle opère
sur les interactions comme
qui lient un trait individus
dialectiquement d’unionetentre
les approches
organisationdites « ressourcistes »
lorsqu’il s’agit d’agir ouetd’apprendre,
celles diteselle« délégataires ».
déplace la question En faisant
du
porterdéveloppement
le regard sur des les interactions
compétences du côtéqui de lalient dialectiquement
coresponsabilité individus
et par là même, de et
organisation lorsqu’il s’agit d’agir ou d’apprendre, elle déplace la question
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l’analyse des processus conduisant ou non à ce développement. Trois processus peuvent
du développement
être étudiés (cf. Fig.des compétences
1) (Fernagu du côté de la coresponsabilité et par là
Oudet, 2016a).
même, de l’analyse des processus conduisant ou non à ce développement.
Figure 1 : Les processus de l’approche par les capabilités
Trois processus peuvent être étudiés (cf. Figure 1) (Fernagu Oudet, 2016a).

Internes Externes
Espace capabilités

Accomplissements Accomplissements
Ressources potentiels réalisés

Processus Opportunités Processus liberté

Opportunités Facteurs de Facteurs de Accomplissements


conversion Choix attendus

Positifs Négatifs
Processus Capabilités

Figure 1. Les processus de l’approche par les capabilités

3
3  Il nemais
Ils’agit
ne s’agitpas icidede
pas ici renier
renier les tels
les travaux travaux
que ceuxtels que ceuxl’agentivité
sur l’apprenance, sur l’apprenance, l’agentivité
ou l’autodétermination, etc.
de s’interroger sur la capacité des environnements, qu’ils soient de travail ou de formation, à s’interroger sur
ou
l’autodétermination,
la capacité qu’ils ont etc., mais
à soutenir de s’interroger
ces attitudes d’apprenance, sur la capacité
agentiques des environnements, qu’ils
ou autodéterminées.

soient de travail ou de formation, à s’interroger sur la capacité qu’ils ont à soutenir ces
attitudes d’apprenance, agentiques ou autodéterminées. 10

56
Savoirs 46 – 2018

–– Le « processus opportunité » s’intéresse à la manière dont les ressources


(internes ou externes) sont converties en capacités d’action (l’action pouvant
correspondre à des apprentissages) et aux facteurs facilitant ou entravant
cette conversion (facteurs de conversion). Les facteurs de conversion
permettent le passage d’un ensemble de ressources à un fonctionne-
ment (une réalisation) grâce à des médiations, négatives ou positives,
dont l’analyse permet d’appréhender la construction des capabilités. Il
existe, de ce fait, des facteurs de conversion négatifs (ou « handicaps
de conversion ») ou positifs (Sen, 2009 ; Fernagu Oudet, 2016c) qui se
traduisent par ce qui facilite (ou entrave) la capacité d’un individu à faire
usage des ressources à sa disposition pour les convertir en réalisations
concrètes. Ils sont liés à l’individu et/ou au contexte dans lequel il se
trouve. Ainsi, si la ressource est un moyen utilisé pour atteindre une fin,
le facteur de conversion est une caractéristique des conditions d’usage de
la ressource. Une ressource n’est une ressource que si elle est accessible, utilisable et
convertissable en capacité d’action.
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–– Sen (2001, 2004) a mis en lumière le fait que l’accessibilité d’une res-
source ne peut se résumer à une question de moyens et d’opportuni-
tés à disposition des personnes mais comprend également le rapport
que ces personnes entretiennent avec ces opportunités, leur marge de
manœuvre, et plus généralement leur liberté de choix. De la sorte, le
« processus liberté » consiste à analyser la manière dont l’individu construit
ses choix (ses alternatives, ses préférences) et s’autodétermine. Il porte
son attention sur les facteurs de choix et sur la manière dont l’individu
construit sa capacité de choix. Autrement dit, dans les espaces de réalisa-
tions qui sont les leurs, on s’intéresse à ce qui influence leur décision
de réaliser de telle ou telle manière (ou de choisir de ne pas réaliser), à
leurs espaces de choix (et donc de liberté). Si dans la plupart des situations
professionnelles, les choix sont souvent contraints, ils s’inscrivent dans des manières
d’agir singulières.
–– Le « processus capabilité » permet d’interroger la mise en capacité
d’action et la mise en capacité de choisir, et la manière dont ils intera-
gissent pour donner naissance à des capabilités, à du pouvoir d’agir. Il
permet de questionner la qualité, la disponibilité, l’accessibilité et l’utilisabilité des
ressources mais également ce qu’elles permettent de réaliser (accomplissements réali-
sés, réalisables, attendus). On pourrait parler ici de « facteurs d’interaction »
(Zimmermann, 2011). Ils sont le reflet de la manière dont l’individu est
mis en capacité de développer son pouvoir d’agir. Le pouvoir d’agir en
ce sens peut être défini comme la mesure du rayon d’action effectif

57
Vers une alternance capacitante dans les Écoles de la deuxième chance (E2C)

du sujet ou des sujets dans leurs milieux professionnels habituels (Clot,


2008 ; Corteel et Zimmermann, 2007), ou le résultat de l’articulation de
la capacité de choisir et de la capacité d’action (Fernagu Oudet, 2016c).
Ce court développement met en évidence qu’il ne suffit pas de mettre des
ressources à disposition d’un individu pour qu’il les utilise, qu’il y accède,
qu’il les convertisse en pouvoir d’action ou en capacités d’apprentissage.
Mieux comprendre les usages de ces ressources et leurs possibilités de tra-
duction en capacités d’action (systèmes d’opportunités, de choix) apporte
un éclairage déterminant sur ce qui se joue dans les situations et sur la ma-
nière dont les individus agissent (et construisent leur autonomie) au regard
d’un ensemble de facteurs, individuels, environnementaux et sociaux qui
interagissent. C’est ce que nous allons explorer maintenant au travers de la
pédagogie qui est mobilisée dans les E2C, et ce notamment au travers des
dispositifs de régulation qu’elles proposent.

2.2. Les dispositifs de régulation de la formation


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Nous avons indiqué supra que les pédagogies mobilisées au sein des E2C
sont des pédagogies actives, du contrat, de la réussite et de l’immanence qui
permettent aux stagiaires de développer leur agentivité (Bandura, 1986), de
se maximiser (Dubar, 2000), de se défaire de leur passé pour fabriquer leur avenir.
Pour cela, les E2C ont développé une instrumentation des parcours de for-
mation qui permet aux jeunes de s’engager dans les choix qu’ils posent, de
contrôler et réguler leurs actes. Nous allons présenter ces outils de régula-
tion dans un premier temps, puis nous verrons comment ces derniers parti-
cipent à la construction des capabilités des jeunes accueillis dans les écoles.

2.2.1. Les outils de pilotage

Pour faire vivre les interfaces entre le jeune, l’E2C et l’entreprise d’une
part, entre le jeune et l’environnement pédagogique proposé d’autre part,
différents outils de pilotage instrumentent la construction des parcours,
régulent les dispositifs, organisent les progressions pédagogiques, individua-
lisent les parcours de formation et aident l’apprenant dans sa trajectoire.
Parmi les outils déployés à l’E2C, certains sont plus centrés sur le dis-
positif même de la formation et permettent de mettre en œuvre le suivi
de la formation (réunions pédagogiques, partenariats pédagogiques, éduca-
tifs, de recherche ou entreprises, etc.), d’autres sont centrés sur le groupe
d’apprenants et permettent de mettre en œuvre le suivi collectif de la for-
mation (retours d’alternance, projets pédagogiques, etc.), quand d’autres le

58
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Les outils centrés sur le jeune Objectif


Entretien de recrutement à l’entrée Avant d’intégrer l’école, un entretien vise à s’assurer des motivations du jeune et de l’adéquation de son
du dispositif de formation projet de vie et de son engagement avec les valeurs et les objectifs de l’école
Savoirs 46 – 2018

Atelier technique d’élaboration du Il s’agit d’élaborer son projet professionnel en ouvrant le champ des possibles grâce à des techniques
projet professionnel sous forme de tests et d’évaluation des centres d’intérêt (ADVP, IRM), d’enquêtes métier, de simulation
d’entretiens de recrutement, de rencontre avec des professionnels, d’échanges entre stagiaires en fonction
des expériences des uns et des autres, etc.
Visite de stage Chaque stage donne lieu à un bilan établi par le tuteur en entreprise, le stagiaire et la chargée de mission
entreprise. La synthèse de ces bilans sur le comportement en entreprise et l’acquisition des savoirs
professionnels est intégrée dans le livret de compétences du stagiaire. Sur la totalité du parcours théorique
de formation, le stagiaire peut réaliser jusqu’à 8 périodes de 15 jours de stages en entreprise.
Entretien-référent Après avoir défendu ses motivations devant un jury et avoir intégré la formation à l’E2C, chaque stagiaire
se voit attribuer un référent de parcours. Celui-ci devient l’interlocuteur privilégié du jeune pendant toute la
durée de son parcours pour optimiser les chances de sorties positives du dispositif de formation. Il est en
charge de suivre ses démarches, de motiver l’avancée de son projet professionnel et de sa remise à niveau,
ou encore d’effectuer le suivi de ses stages en entreprise. Des entretiens individuels réguliers amènent les
référents de parcours et les formateurs à bien connaître les jeunes qu’ils accompagnent et à ajuster leur plan
de formation (objectifs, moyens, feuille de route). Tous les jeunes bénéficient ainsi d’un suivi personnel.
Entretien avec les chargés de Ils permettent de découvrir des métiers, des secteurs d’activités, des activités, des entreprises.
mission entreprise
Retour d’alternance À chaque retour de période en entreprise, le stagiaire rencontre son formateur référent afin de faire le point
sur le déroulement de cette période, et les motivations du jeune au regard de son projet et de son évolution.
Ces retours peuvent être travaillés en groupe afin de faciliter les échanges d’expériences et de bénéficier des
témoignages des autres stagiaires.

59
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60
Livret de compétences Chaque stagiaire, tout au long de son parcours, construit son « portefeuille de compétences » qui retrace
l’ensemble de ses acquis, identifiés à l’entrée et durant son passage à l’E2C (acquis professionnels et
socio-professionnels, en termes d’expérience et de métier choisi, acquis relatifs aux compétences et savoirs
fondamentaux…).
Ce document est mis à jour régulièrement et retrace le parcours, les apprentissages et les compétences
acquises en centre et en entreprise par le jeune. Par la réflexion qu’elle induit, la constitution de ce portfolio
permet aussi une meilleure connaissance de ses centres d’intérêt et de ses priorités.
Positionnement et remise à niveau Un positionnement à l’entrée en formation permet d’évaluer les besoins d’apprentissages relatifs aux
des savoirs fondamentaux compétences de base déterminantes pour gagner en autonomie. Les ateliers de remise à niveau concernent
notamment les mathématiques, le raisonnement, le français, la communication, la bureautique.
Ils permettent notamment d’apprendre à lire des consignes de sécurité, écrire un mail, remplir un formulaire
administratif, utiliser un ordinateur, se repérer sur un plan… Ces aptitudes sont des compétences
« premières » indispensables pour s’insérer. Les pédagogies mobilisées sont actives.
Attestation de compétences Ce document synthétise le nombre d’heures de formation effectuées, les savoirs de base acquis et les
acquises compétences professionnelles validées en entreprise. Si elle n’a pas la valeur d’un diplôme, cette ACA peut
être utilisée par le stagiaire pour valoriser ses savoirs auprès d’un employeur potentiel.
Plan de formation Un Plan Individuel de Formation est défini en début de parcours. Des tests de positionnement en français,
mathématiques et informatique permettent de construire un programme de formation individualisé qui tient
compte du niveau, des objectifs et des capacités de chaque jeune.
Il peut courir sur 41 semaines. Les durées de formation sont variables d’un stagiaire à l’autre. Si le parcours
commence au même moment pour les jeunes, il peut prendre fin lorsque ces derniers ont trouvé un emploi
ou une formation qualifiante. Les sorties dites positives s’égrainent tout au long du parcours en fonction des
opportunités rencontrées.
Contrat d’engagement À la fin de la période d’essai (5 semaines), un bilan est effectué et restitué en entretien qui permet de valider
la période d’essai. L’école et le stagiaire signent alors un contrat d’engagement visant à respecter les règles de
vie de l’École et du dispositif de formation.
Tableau 1. Les outils de régulation centrés sur l’individu
Vers une alternance capacitante dans les Écoles de la deuxième chance (E2C)

(Recueil de données des étudiants de master 1 Ingénierie Pédagogique en formation des Adultes, Université Paris Nanterre, 2011)

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Savoirs 46 – 2018

sont sur l’apprenant et permettent de mettre en œuvre le suivi individuel


(cf. tableau 1), ce sont les plus nombreux. Enfin, certains outils permettront
d’appréhender l’ensemble de ces dimensions. À chaque niveau, les outils
poursuivent des objectifs particuliers. Le retour d’alternance, par exemple,
peut se situer au niveau macro si l’objectif est d’apprécier l’organisation tem-
porelle de l’alternance, au niveau méso s’il cherche à confronter un problème
donné par rapport à la diversité des situations de stage, au niveau micro s’il
cherche à faire le point sur les apprentissages individuels. Il peut également
être tout à la fois.

2.2.2. Régulation et capabilités


Il serait intéressant de s’arrêter sur chacun des outils qui figurent dans le
tableau 1 et de se demander comment chacun permet à l’alternance d’en-
trer, au-delà d’une dynamique de socialisation, de connaissance de soi et de
projection, dans une dynamique de capacitation ? Comment tous ces outils
concourent-ils de manière intégrative à fabriquer de l’autonomie, de la mise
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en confiance, du sentiment de compétence et des capacités à s’autodéter-
miner, s’autoréguler pour se maintenir dans le parcours via une sortie posi-
tive ? Comment permettent-ils à l’alternance proposée de se montrer ou de
devenir capacitante ? En quoi ces outils contribuent-ils à la mise en capacité
des jeunes accueillis de développer leurs capacités d’action et de choix, leurs
capabilités et leur pouvoir d’agir ? Mais sans doute peut-on également se
questionner sur la mise en œuvre de ces environnements pour les forma-
teurs et sur leur mise en capacité de ces derniers dans l’utilisation des outils
qu’ils ont à déployer. Il n’est pas possible dans le cadre de cet article de
réaliser une analyse aussi pointue et nous nous proposons d’en indiquer la
démarche, pour que chacun-e, chaque lecteur-trice, puisse s’approprier cette
dernière et la faire fonctionner dans son milieu.
Si, à première vue, chacun des outils déployés et les pédagogies auxquels
ils s’adossent permettent de penser qu’ils sont munis des attributs néces-
saires pour participer au développement de la capacité d’agir et de choisir
des stagiaires, c’est dans la mise en œuvre et le vécu de ces derniers que l’on
peut trouver la trace de ces capacités et de capabilités naissantes. Nous avons
choisi de nous appuyer sur l’entretien-référent pour mettre à l’épreuve la
grille d’analyse qu’il est possible de produire à partir de l’approche par les
capabilités (cf. figure 1). Les témoignages auxquels nous ferons référence
sont ceux des formateurs et non des apprenants. C’est à la mise en capacité
des formateurs d’accompagner le jeune dans sa progression, au travers des
entretiens-référents que nous nous intéressons ici (cf. figure 2).

61
Nous avons indiqué que chaque stagiaire est suivi par un formateur référent durant tout
son parcours. Ce dernier accueille
Vers« une le capacitante
alternance jeune en dans
entretien individuel
les Écoles dès chance
de la deuxième sa première
(E2C)
semaine de présence et l'accompagne tout au long de son parcours. "Personne
Nous avons
ressources" indiqué
au sein queauprè
de l'E� cole, chaque
s desstagiaire est et
partenaires suivi par sociaux
acteurs un formateur réfé- il
si né cessaire,
rent durant tout son parcours. Ce dernier « accueille le jeune en entretien indivi-
soutient et motive la progression scolaire du jeune. Il procè de à des entretiens de
duel dès sa première semaine de présence et l’accompagne tout au long de son parcours.
ré gulation ou de recadrage en collaboration avec la responsable pé dagogique, veille à la
“Personne ressources” au sein de l’École, auprès des partenaires et acteurs sociaux si
progression du jeuneet en
nécessaire, il soutient adéquation
motive avec ses
la progression objectifs
scolaire professionnels.
du jeune. Il procède à Ildestransmet
entretiensles
de régulation
fiches de suiviou detrimestriel
recadrage enaucollaboration
conseiller-réavec la responsable
fé rent du jeune pédagogique,
en Missionveille à
Locale.
la progressionprivilé
Interlocuteur du jeune en tuteur
gié́ du adéquation avec ses ilobjectifs
en entreprise, effectueprofessionnels. Il mtransmet
une visite systé atique surles le
fichesdedechaque
lieu suivi trimestriel au conseiller-référent
stage » 4. C’est donc un formateur du jeune en Mission
qui procède à desLocale.
bilans Interlocuteur
réguliers avec
privilégié du tuteur en entreprise, il effectue une visite systématique sur le lieu de chaque
3F

le jeune et l’aide à repérer sa progression et les efforts à fournir pour atteindre les
stage 4. » C’est donc un formateur qui procède à des bilans réguliers avec le
objectifs qu’il s’est fixé. Il est en relation avec les autres formateurs et les autres
jeune et l’aide à repérer sa progression et les efforts à fournir pour atteindre
partenaires
les objectifsdequ’il la formation
s’est fixés.(entreprises, missions
Il est en relation aveclocales, psychologues,
les autres formateurs etc.) pour
et les
autres partenaires
assurer ce suivi. de la formation (entreprises, missions locales, psycholo-
gues,
Le etc.) pour assurer
fonctionnement de cesceentretiens-référent
suivi. (contenus, déroulement) a donc une
Le fonctionnement
incidence de cesdu
sur la mise en capacité entretiens-référents
stagiaire à repérer sa(contenus,
progressiondéroulement)
et à se prendreaen
main. Entre la ressource et la réalisation, des facteurs de conversionsa et
donc une incidence sur la mise en capacité du stagiaire à repérer progres-
de choix
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sion et à se prendre en main. Entre la ressource et la réalisation,
interviennent qu’il s’agit d’analyser pour s’assurer que la réalisation visée pourra être des facteurs
de conversion et de choix interviennent qu’il s’agit d’analyser pour s’assurer
atteinte (cf. Fig.2).
que la réalisation visée pourra être atteinte (cf. figure 2).

Ressources : Réalisation:
Entretien référent Accompagner le jeune
dans le repérage de sa
progression

Facteurs Facteurs
de conversion de choix

Facteurs Facteurs Facteurs


organisationnels sociaux individuels

Figure 2.
Figure L’entretien-référent
2 : L’entretien référent auau prisme
prisme des
descapabilités
capabilités

4 Nos analyses s’appuient sur les échanges que nous avons réalisés avec
http://www.e2c94.com/telechargements/doc/plaquettes/livret-pour-les-tuteurs-en-entreprises_41.pdf
6 étudiants du Master Ingénierie Pédagogique en Formation des Adultes,
chargés en 2011, d’une étude sur les pédagogies de l’alternance dans les E2C16

4  http://www.e2c94.com/telechargements/doc/plaquettes/livret-pour-les-tuteurs-en-
entreprises_41.pdf

62
Savoirs 46 – 2018
Nos analyses s’appuient sur les échanges que nous avons réalisés avec 6 étudiants du

deMaster
ParisIngénierie
(19e et 18 ), de Villebon-sur-Yvette
Pédagogique
e
(91), des
en Formation des Adultes, Mureaux
chargés en 2011,(78),
d’unedu
étudeVal-
de-Marne et de Rosny-sous-Bois
sur les pédagogies de l’alternance dans (93). Leur
les E2C travail
de Paris (19 a donné
ème et 18 ),lieu
ème
à une resti-
de Villebon sur
tution
Yvette auprès
(91), desdes formateurs
Mureaux de de
(78), du Val cesMarne
écoles à l’occasion
et de Rosny sous Boisdes (93).
« 3esLeur
 rencontres
travail
pédagogiques
a donné lieu à unedesrestitution
E2C Île-de-France »
auprès des formateursà Cergy
de cesPontoise (5 juillet
écoles à l’occasion des2011)
« 3ème .
 5

Nos échanges
rencontres ont eu lieu
pédagogiques des dans
E2C Ilelede
cadre de» la
France préparation
à Cergy Pontoise de cette2011)
(5 juillet restitution.
5. Nos
4F

Notre travail
échanges ont eud’analyse
lieu dans le s’appuie
cadre deégalement
la préparation surdelecette
retour d’expérience
restitution. d’un
Notre travail
formateur de l’E2C 93  6
.
d’analyse s’appuie également sur le retour d’expérience d’un formateur de l’E2C 93 6. 5F

AuAu cours
cours de nosdeéchanges
nos échanges avec lespour
avec les étudiants étudiants pourrestitution,
préparer cette préparerces cette resti-
derniers
tution,
nous ontcesfait
derniers
part d’unnous ont nombre
certain fait part de d’un
freinscertain nombre
et de leviers de freins
rencontrés paretlesde
leviers rencontrés par les formateurs dans la mise en œuvre des outils de
formateurs dans la mise en œuvre des outils de l’alternance et notamment concernant
l’alternance et notamment concernant les entretiens-référents (cf. figure 3).
les entretiens référents (cf. fig. 3).

RESSOURCES
RÉALISATION

Collègues

Réaliser des
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Organisation entretiens-référent
du travail

Formation Mise en capacité

Facteurs Facteurs
Supports de conversion de choix

Figure 3.
Figure La conduite
3 : La conduite d’entretiens-référentset etsessesfacteurs
d’entretiens-référent facteursde
deconversion
conversion etetdedechoix
choix
(Capabilité= être
(Capabilité = être
mismis
enen capacitédederéaliser
capacité réaliserdes des entretiens-référent)
entretiens-référents)
IlsIls
ontont pu mettre
pu mettre en évidence
en évidence la diversitélades
diversité
manièresdes manières
de conduire cesde conduire
entretiens ces
et des
entretiens
objectifs quietsont despoursuivis
objectifsà cette
qui sont
occasion. poursuivis
Pour certainsà cette occasion.
formateurs, Pour est
l’entretien cer-
tains
un tempsformateurs,
au cours l’entretien est un temps
duquel on organise le « tempsau stagiaire
cours duquel
» ; pour on organise
d’autres, il est le
« temps stagiaire » ; pour d’autres, il est l’occasion de faire le
l’occasion de faire le point sur ses difficultés personnelles du stagiaire; quand pour les point sur ses
difficultés personnelles du stagiaire ; quand pour les derniers, il est un temps
5
http://www.e2c78.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=93:3emes-rencontres-pedagogiques-
déterminant pour faire évoluer le jeune dans ses représentations, la prise de
des-e2c-idf&catid=5:vie-de-lecole&Itemid=49
responsabilitétémoignages
6
On signalera les de ses deagissements
ce formateur de laetmanière
choix, l’orientation
suivante : (Témoignage, vers des voies
LB93, octobre 2016) plus

appropriées, etc., et dans ce cas, certains formateurs font part d’un manque
17
5  http://www.e2c78.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=93:3emes-
rencontres-pedagogiques-des-e2c-idf&catid=5:vie-de-lecole&Itemid=49
6  On signalera les témoignages de ce formateur de la manière suivante : (Témoignage,
LB93, octobre 2016).

63
Vers une alternance capacitante dans les Écoles de la deuxième chance (E2C)

de formation à la conduite de ce type d’entretien (souvent ceux qui ont le


moins d’expérience ou ceux qui ont connaissance de techniques qu’ils ne
maîtrisent pas telle que l’écoute active ou encore ceux qui ont du mal à ne
pas se laisser toucher par la situation du jeune). Les supports qui permettent
d’organiser les entretiens (référentiel de formation, livret de suivi, portfolio,
etc.) et de leur donner un cadre semblent inégalement utilisés, parce qu’ils
ne sont pas à jour, par manque de temps, ou parce qu’il y a des « choses » à
gérer prioritairement avec le jeune qui pourraient venir handicaper le par-
cours de formation (problèmes d’attitudes, personnels, de « perditude », de
difficultés didactiques dans certains ateliers, de stage qui se passe mal, etc.).
Ceux qui utilisent systématiquement ces supports trouvent « grâce à eux »
la possibilité d’échapper à la tentation de se laisser déborder par les diffi-
cultés personnelles des jeunes à côté de la formation et de sortir du cadre
de l’entretien, afin de pouvoir au contraire se concentrer sur l’accompagne-
ment de la formation (écoute active, congruence, empathie, attention posi-
tive mais fermeté). Certains apprécient d’ailleurs de pouvoir en discuter avec
leurs collègues très régulièrement, de bénéficier de leurs conseils ou de leurs
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regards sur ce qu’ils font (cf. figure 3).
Certains expriment une vraie difficulté à tenir l’ensemble des postures :
formateur référent, formateur disciplinaire, formateur recruteur, et à cloi-
sonner les espaces-temps tandis que d’autres apprécient de pouvoir naviguer
entre ces postures et avoir une approche plus globale du jeune. Certains
relatent le manque de temps dû à l’effectif stagiaires à suivre, qui les oblige à
aller à l’essentiel et donc à adopter parfois des attitudes prescriptives (conseil,
contrôle) ou à s’attarder sur le suivi administratif du jeune au détriment des
aspects plus pédagogiques, réflexifs ou agentiques. D’autres prennent par-
fois la place des partenaires de la formation dans l’accompagnement social
jusqu’à accompagner les jeunes chez le médecin ou l’assistante sociale, ou
font office de psychologue « parce que le jeune refuse de parler de ses difficultés
à d’autres personnes que son référent » (Témoignage LB93, octobre 2016). Les
conditions de réalisation de l’entretien peuvent venir également freiner le bon
déroulement de celui-ci, lorsque ces contributions ne sont pas adéquates :
« Les formateurs et les stagiaires sont très sensibles aux conditions dans lesquelles se
déroule l’entretien. Si celui-ci a lieu dans une salle où sont présents d’autres formateurs ou
d’autres stagiaires, il est difficile d’entamer une discussion avec le jeune sur des sujets rele-
vant de la vie personnelle qui peuvent freiner l’avancement du projet. Cela impacte aussi
la qualité de l’échange et de l’écoute » (Témoignage LB93, octobre 2016).
On le voit, au travers ces quelques témoignages d’expérience que la
conduite d’entretien-référent n’est pas une chose facile, selon la manière par
laquelle ils sont appréhendés par les formateurs, ils vont ou non fonctionner

64
Savoirs 46 – 2018

comme une ressource convertissable en capacité d’action et de choix pour


les jeunes. La nature de l’espace qui est construit à partir de ces moments
clés de la formation est déterminante. Nous n’avons pas abordé la question
des dispositions individuelles des jeunes, mais celles-ci jouent également un
rôle dans ces entretiens-référents (détermination, capacité à s’autoréguler,
motivation, sentiment d’efficacité personnelle, présence ou non d’un projet
de vie, etc.), tout comme la capacité à s’exprimer ou exprimer leur projet,
voire accepter un projet réaliste : « Comment faire avec des stagiaires qui ont du mal
à formuler correctement leur demande ? Avoir un échange quand la maîtrise de la langue
est insuffisante ? Le risque est de faire à leur place et de leur fixer des objectifs qui ne sont
pas forcément ceux sur lesquels le stagiaire souhaite travailler. […] Comment amener un
jeune à changer de métier quand se pose le problème du niveau scolaire ou quand on est
confronté à des métiers où il n’y a pas de débouchés. […] Certains n’arrivent pas à aller
au bout de leur stage, s’absentent ou finissent par décrocher. Comment faire avec ceux-
là ? […] Comment faire pour remotiver un stagiaire qui confond les conditions d’exercice
d’un métier à travers les relations aux personnes qu’il a côtoyées pendant un stage et
l’intérêt qu’il a pour son métier. […] Que faire de la difficulté des stagiaires à raisonner
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en termes de projet et d’objectifs lorsque la question des repères n’a pas fait partie de leur
quotidien jusque-là ? etc. » (Témoignage LB93, octobre 2016).

Facteurs Facteurs Direction


de conversion de choix donnée aux
entretiens

Facteurs Facteurs Facteurs


organisationnels sociaux individuels

Adaptabilité contenus Bienveillance Polyvalence


de formation des collègues postures

Pertinence supports Qualité des pratiques


de formation Représentations
tutorales des collègues

Espaces discrétion Présence sociale


Expérience
des collègues

Utilisabilité
des supports d’entretien

Figure 4. Mise en œuvre de la capabilité à conduire des entretiens-référents

65
Vers une alternance capacitante dans les Écoles de la deuxième chance (E2C)

L’analyse qui vient d’être faite est loin d’être exhaustive et serait à conduire
dans chaque école pour offrir une vraie grille de lecture des situations ; elle
permet néanmoins de repérer quelques facteurs de conversion qui facilitent
ou entravent la conduite de ces entretiens et en retour les facteurs de choix
(cf. figure 4). Leur intelligibilité permet à l’institution d’avoir un éclairage
sur ses moyens d’action et de créer des opportunités pour les faire évoluer
vers plus de capacité d’action et de choix à la fois pour les formateurs et les
stagiaires qu’ils accompagnent.

3. En conclusion
Que serait une alternance capacitante ? Sans doute une alternance qui ap-
prend à mettre en capacité de mobiliser, articuler, transférer des ressources
au regard de mises en capacité données (telles que conduire un entretien-
référent, animer un retour d’alternance, accompagner un jeune dans ses
démarches de recherche d’emploi, etc.). Pour cela, la mise à disposition de
ressources reste largement insuffisante. Ce n’est pas, en effet, parce que des
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ressources sont disponibles qu’elles sont repérables, utilisables et utiles. La
perception d’utilité d’une ressource par son utilisateur potentiel reste, en ef-
fet, à la base de toute utilisation. Trop de ressources sont malheureusement
pensées à la fois indépendamment des conditions d’usage, de leurs usages
et de leurs usagers. Elles transforment bien souvent un collectif d’acteurs
en acteur collectif ou un collectif d’apprenant en apprenant collectif. De
nombreux exemples de gaspillage de ces ressources dites « hors sol » pour-
raient ici être déclinés. Un tableau blanc dans une salle de cours qui ne sert
à personne, un écran de vidéoconférence qui ne sert qu’à projeter des trans-
parents, un ordinateur qui n’a pas été équipé des logiciels ou des applications
pour lesquels on a été formé, des communautés de pratiques sur lesquelles
on n’ose pas s’exprimer, etc.
Si les recherches conduites jusqu’à aujourd’hui sur les environnements
capacitants permettent d’identifier des indicateurs caractéristiques de ce
type d’environnement, ils n’apportent que peu d’éclairage sur les conditions
de leur étayage en termes de ressources, de facteurs de conversion, de choix,
de fonctionnements et de capabilités. Et l’on a même tendance à associer le
terme d’environnement capacitant à celui d’environnement apprenant. Or,
si les seconds peuvent permettre d’apprendre, ils ne disent rien ni des condi-
tions à réunir pour que ces apprentissages soient possibles ni des processus
à l’œuvre. Les premiers, en revanche, permettent de travailler sur ces condi-
tions et processus et de dynamiser les environnements de travail ou de for-
mation en ce sens. Nous avons pu ainsi donner quelques pistes de réflexion

66
Savoirs 46 – 2018

en faisant fonctionner la grille de lecture de l’approche par les capabilités


appliquée à un outil de régulation du processus de formation par alternance
de l’E2C : l’entretien-référent. Nous avons pu nous rendre compte qu’un
certain nombre de facteurs de conversion orientent la manière dont sont
conduits ces entretiens-référents et peuvent même en contraindre la forme.
Les caractéristiques dispositionnelles tant des formateurs que des jeunes
interagissent avec les caractéristiques organisationnelles du centre de for-
mation et de la manière dont l’outil entretien-référent est mobilisé. Plus les
formateurs seront mis en capacité de conduire ces entretiens-référents de
manière qualitative (pour le jeune, une sortie positive, une persistance dans
le dispositif, ou un projet en construction, etc.), plus les jeunes pourront se
responsabiliser au regard de leur devenir.
Cela suppose de s’interroger sur la pertinence des ressources qui leur
sont proposées et sur la manière dont ils s’en saisissent pour conduire ces
entretiens. Cela suppose également de prêter attention à la manière dont les
formateurs participent au processus, car il y aussi beaucoup de ce qu’ils sont
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dans ces entretiens.
Pour conclure, nous aimerions souligner le fait que l’approche par les
capabilités dispose d’un atout non négligeable au regard d’autres approches
susceptibles d’éclairer les problématiques d’action et de formation par, pour
et dans le travail, comme celles par exemple du work place learning ou de
la didactique professionnelle. Elle permet en effet d’aborder les conduites
humaines en termes de coresponsabilité individus-organisation.
En cela, c’est une approche décloisonnante :
–– elle nous éloigne des approches qui se voudraient trop centrées sur les
aménagements des environnements de travail (ou de formation) comme
levier de développement ;
–– ou celles qui voudraient que l’individu puisse apprendre indépendam-
ment des environnements dans lesquels il est immergé.
C’est au creux de cette relation individus-organisation que se jouent les
possibilités de fonctionner et de se réaliser, de manière située et circonstan-
cielle. C’est de leur dialectique que naît un champ de possibles. On peut, au
travers des formes d’alternance présentées au début de ce texte, envisager
que chacune d’elles peut être capacitante… mais pas à n’importe quelles
conditions… et conversions.

67
Vers une alternance capacitante dans les Écoles de la deuxième chance (E2C)

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