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Brigitte Bouquet
2014/4 n° 8 | pages 13 à 23
ISSN 0042-5605
ISBN 9782749246352
DOI 10.3917/vsoc.144.0011
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-vie-sociale-2014-4-page-13.htm
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La complexité de la légitimité
Brigitte Bouquet
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carrefour » qui concerne soit le registre politique et de gouvernance,
soit divers domaines, dont le domaine social et professionnel.
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ainsi, la légitimité, qui se veut fondatrice, est complexe, voire polé-
mique :
– les uns la fondent uniquement par le droit alors que d’autres la
pensent supérieure à la légalité et la définissent comme l’existence de
normes symboliques partagées, permettant aux membres d’une société
d’interagir. il y a donc une distinction entre la légitimité formelle et la
légitimité sociale ; la légitimité formelle est celle du droit, l’aspect légal
d’une organisation politique ; la légitimité sociale relie les citoyens sur
la base d’une identité collective forte et d’intérêts communs ;
– d’aucuns rappellent que la légitimité s’impose de diverses manières,
par la tradition, le statut, la connaissance, l’expertise, la conviction…
Et de ce fait, d’autres considèrent que cette pluralité de légitimités
dissout l’idée d’une légitimité absolue au profit d’un relativisme ;
– enfin, certains se demandent jusqu’à quel point l’affirmation d’une
légitimité ne pérennise pas un modèle défunt. Les « discours de légiti-
mation » seraient en quelque sorte un appel désespéré.
Brigitte Bouquet est professeure émérite, Conservatoire national des arts et métiers (Cnam).
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construction. aussi cet article a pour but d’apporter une vision synthé-
tique. il rappellera d’abord le concept de légitimité, son évolution, puis
portera sur ses contours dans la dimension politique et dans la dimen-
sion sociale. Enfin, il se centrera sur la question de la légitimité dans
le travail social.
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giques sont nombreux et nous n’en évoquerons que certains : Weber,
14 habermas, Bourdieu, Boltanski et thévenot.
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avec l’avènement de l’état de droit et le développement des démo- 15
craties modernes, l’exigence de légitimation est liée à celle de légalité,
au fur et à mesure de la socialisation du pouvoir par la mise en place
des institutions et des lois. Légalité et légitimité sont les deux pôles
correspondants de la vie politique. alors que la légalité est le caractère
de toute action conforme aux lois, la légitimité politique est le carac-
tère d’une décision qui a été prise soit selon des lois écrites – les lois
expriment des valeurs de la société et des choix démocratiques –, soit
par les représentants du peuple, votant en son nom, selon le principe de
démocratie : « la loi est l’expression de la volonté générale » et selon
le principe d’égalité « la loi est la même pour tous ». ainsi la légiti-
mité politique est reconnue pour définir et orienter l’action collective
et prendre les moyens d’assurer un certain degré de concrétisation.
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il n’existe plus un consensus de confiance suffisant. or, la confiance
facilite l’échange, la participation, et l’engagement citoyen ; elle est un
« réducteur de la complexité sociale » selon niklas Luhmann 8. diffé-
rentes recherches constatent le déficit des politiques publiques et en
montrent trois conséquences négatives : une méconnaissance des
processus de concertation avec le public ; un affaiblissement du rôle
régulateur de l’état et des collectivités publiques ; une perspective à
court terme qui pousse à introduire des éléments de rentabilité finan-
cière au sein de la gestion publique au détriment de la finalité sociale
et de la pensée économique.
La complexité de la légitimité
II LA LÉGITIMITÉ SOCIALE
Comment trouver socialement une place légitime parmi et outre les
politiques traditionnelles de l’état ? pour pouvoir répondre à cette
question, observons la légitimité sociale, notamment par la légitimité
des associations, la légitimité institutionnelle et la légitimité profes-
sionnelle.
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prenant en considération la demande de publics extrêmement diversi-
fiés, elles ont pour but de tisser du lien social, de favoriser l’engage- 17
ment et la prise de responsabilités. parmi leurs critères spécifiques,
citons : la primauté de leur finalité, la non-lucrativité, la gestion désin-
téressée, l’apport social, le fonctionnement démocratique, et souvent
l’existence d’agrément 9.
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II La légitimité institutionnelle
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sée par « la perception ou présomption généralisée que les actions
18 d’une entité sont désirables, correctes et appropriées à l’intérieur d’un
système de normes, de valeurs, de croyances et de définitions sociale-
ment construites ». il distingue plusieurs types de légitimité des insti-
tutions : la légitimité pragmatique reposant sur la capacité de
l’organisation de satisfaire les intérêts des différents acteurs sociaux ;
la légitimité morale fondée sur la croyance collective que l’activité
promeut le bien-être sociétal ; la légitimité cognitive fondée sur la
cohérence entre les comportements de l’organisation et les schémas de
ce qui est compris des acteurs sociaux.
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II La légitimité professionnelle
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Les institutions sociales et les travailleurs sociaux emploient moins
le terme « légitimité » que celui de « reconnaissance », motivés par le
ressenti du « déni de reconnaissance 15 ». il est pourtant important de
relier les éléments fondateurs de la professionnalisation au processus
de légitimation.
14. isabelle huault, « des organisations en quête de légitimité », dans isabelle huault,
sandra Charreire (sous la direction de), Les grands auteurs en management, éditions Ems,
2009.
15. axel honneth, La lutte pour la reconnaissance, paris, Cerf, 2000.
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manière dont les acteurs établissent ou critiquent des pouvoirs et
20 pensent leur légitimité ; et il est “micro” car il se passe à l’échelle des
séquences d’échanges autour de prises en charge concrètes des
usagers ».
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II LA LÉGITIMITÉ DES USAGERS/CITOYENS 21
outre la légitimité sociale reconnue par la Constitution, en france
et plus généralement dans le monde occidental, les démocraties ont
évolué vers plus de participation des citoyens aux décisions publiques.
Leur objectif est de renforcer la légitimité démocratique. aussi des
méthodes de concertation s’appuyant sur la capacité des citoyens à
débattre, à élaborer un avis ont été expérimentées et utilisées comme
appui des prises de décisions publiques.
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larges, embrassant de nombreux éléments de leur vie au quotidien. Elle
22 engage à dominer la relation complexe entre expertise et codécision, et
nécessite que le travail avec les usagers prenne en compte leur situa-
tion, leur parcours de vie, leurs capacités et leur apport pour co-élabo-
rer les réponses. plus largement, il s’agit de reconnaître la légitimité
de la participation des usagers à des problématiques sociales, de renfor-
cer leur légitimité à interpeller la politique publique de manière
critique, à en montrer les problèmes mais aussi à l’influencer et à parti-
ciper à son élaboration, de les accompagner dans la construction de
leur parole collective.
II ENJEUX ET DÉFIS
aujourd’hui, il y a une crise de légitimité. La légitimité est de plus
en plus un parcours d’épreuves, elle se diffracte en une multiplicité de
preuves à apporter en fonction d’une diversité d’acteurs et de situa-
tions. de plus, la notion d’intérêt général rencontre un certain scepti-
cisme. Ce sentiment se trouve accentué par l’accroissement de la
18. Le Conseil de la vie sociale (Cvs) a pour objectif la participation et l’expression des
personnes accueillies dans un établissement ainsi que celles de leur famille ou tuteur, de
formuler des avis et des propositions sur toute question intéressant le fonctionnement de
l’établissement ou du service.
La complexité de la légitimité
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est possible de vivre ensemble. Enfin, pour de nouvelles dynamiques
de légitimation, il devient urgent d’ouvrir des espaces d’argumentation
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portant sur le rôle du travail social, sur les actions de solidarité à
promouvoir et sur un projet de société mobilisateur et novateur.