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L’AMBIVALENCE SELON BLEULER : LES NOUVELLES TRAJECTOIRES

D’UN SYMPTÔME OUBLIÉ

Véronique Beretta, Luis Alameda, Lilith Abrahamyan Empson, Alessandra Solida


Tozzi

Médecine & Hygiène | « Psychothérapies »

2015/1 Vol. 35 | pages 5 à 19


ISSN 0251-737X
© Médecine & Hygiène | Téléchargé le 22/07/2022 sur www.cairn.info via Université Paris - Cité (IP: 195.220.128.226)

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DOI 10.3917/psys.151.0005
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Psychothérapies  2015 ; 35 (1) : 5-19

L’ambivalence selon Bleuler :


les nouvelles trajectoires
d’un symptôme oublié
Véronique Beretta1, Luis Alameda 2,
Lilith Abrahamyan Empson3
et Alessandra Solida Tozzi4

Résumé Individualisée en 1910 par Eugen Bleuler comme symptôme fondamental des troubles du spectre de la
schizophrénie, l’ambivalence désigne la tendance de l’esprit schizophrénique à faire coexister, de manière
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non dialectique et indépassable pour le sujet, deux attitudes affectives ou deux idées opposées en même
temps et avec la même puissance. L’originalité de Bleuler est d’avoir pensé l’ambivalence comme étant le résultat d’un relâche-
ment associatif produit par une scission (« Spaltung »), voire une disparition (« Zerspaltung ») nette et radicale des associations
fortes issues de la pensée empirique. Ce symptôme, qui est toujours présent même dans les cas les plus légers, peut se manifester
sous une forme affective (« affective Ambivalenz »), volitive (« Ambitendez ») ou intellectuelle (« intellektuelle Ambivalenz »).
Désormais, les critères actuels permettant de poser un diagnostic de schizophrénie ne font plus aucunement mention de l’an-
cienne ambivalence bleulérienne, le reproche principal étant celui d’être un symptôme trop rare, trop vague et trop psychana-
lytique. C’est probablement ce dernier point qui est le plus fondé. L’ambivalence affective, placée au centre de la théorie des
pulsions, se décline selon la structure de personnalité du sujet : elle est intégrée chez le patient névrotique (Freud, 1938), clivée
chez le patient limite (Kernberg, 2004) et paradoxale chez le patient schizophrène (Racamier, 1990). Sous la loupe de la psy-
chopathologie, nous allons décrire ces différentes formes d’ambivalence et expliquer en quoi elles se différencient, pour montrer
que l’ambivalence bleulérienne reste un trouble de base tout à fait intéressant à diagnostiquer, avant de présenter les équiva-
lents que nous avons su trouver du côté de la phénoménologie psychiatrique et de compléter notre exposé par les apports de la
psychologie expérimentale et des neurosciences psychiatriques.

Introduction 1
Psychologue associée à la Consultation psychothérapeu-
tique pour étudiants UNIL-EPFL de la Policlinique du Dé-

E
partement de Psychiatrie, Service de Psychiatrie Générale,
tymologiquement, le terme « ambivalence »
CHUV, Lausanne.
dérive du latin ambi, « tous les deux », et valen- 2
Cheffe de clinique adjointe à la Section « Eugène Minkowski »
tia, « puissance, valeur ». Plusieurs termes s’en de la Policlinique du Département de Psychiatrie, Service de
rapprochent : ambitendance, ambiéqual, ambipare, Psychiatrie Générale, CHUV, Lausanne.
ambiversion et ambigu. Dans le langage courant, être 3
Médecin assistant à la Section « Eugène Minkowski » de la
ambivalent signifie hésiter entre deux ou plusieurs Policlinique du Département de Psychiatrie, Service de Psy-
chiatrie Générale, CHUV, Lausanne.
choix sans parvenir à se décider. Si le doute est sou- 4
Médecin responsable de la Section « Eugène Minkowski »,
vent considéré comme étant un signe de bonne santé volet ambulatoire et hospitalier, Service de Psychiatrie Géné-
psychique, rester dans le doute et l’ambivalence n’est rale, Département de Psychiatrie, CHUV, Lausanne.

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Psychothérapies

pas confortable. D’habitude, le raisonnement permet place particulière à l’ambivalence, qu’il classe parmi
de soupeser les parties en jeu et l’homme bien por- les symptômes fondamentaux de la schizophrénie,
tant arrive pratiquement toujours à s’affranchir de puisqu’elle se produit lorsque les processus associa-
son ambivalence (Bleuler, 1911a). D’ailleurs, il y est tifs sont bloqués à la manière d’un court-circuit de
relativement obligé. La phénoménologie nous ap- la pensée sous l’effet de la scission. L’originalité a
prend que nous nous orientons dans ce monde, par été celle d’expliquer ce blocage par le fait que l’idée
essence ambigu et polysémique, guidés à la base par et son opposé sont également puissants et présents
un sens d’évidence naturelle (Blankenburg, 1971) à l’esprit du malade. Les conséquences de l’ambiva-
et par notre syntonie avec l’ambiance (Minkowski, lence sont essentiellement les suivantes : le sujet
1927), autrement dit : en vivant… tout simplement. peut rester paralysé, perplexe, apragmatique, voire
Notre rationalité doit donc se développer en harmo- catatonique, ou/et il peut essayer de réaliser les deux
nie avec notre affectivité et avec cette intersubjec- alternatives en même temps (sourire et pleurer, par
tivité spontanée et non réfléchie qui vient à man- exemple).
quer dans certaines psychopathologies. L’année suivant la présentation de cette théorie
Bleuler (1910) soutenait que la capacité de se dé- de l’ambivalence par Bleuler (Congrès de la Société
terminer est de nature plutôt logique et issue de l’ex- des médecins aliénistes suisses, Berne, 1910), Jung
périence, la pensée réaliste étant celle qui permet une répond dans le Jahrbuch, critiquant d’abord les liens
meilleure adaptation. Sur cette base, il confiait au entre le négativisme et l’ambivalence, puis démon-
sujet sain la capacité de se déterminer, trouvant ainsi trant par une argumentation socratique que l’ambi-
une issue positive aux conflits, en fonction du bilan valence est l’expression d’une résistance qui signe la
entre points positifs et points négatifs. En revanche, proximité d’un complexe psychologique. Dès lors, ce
la psychanalyse a montré que les déterminants des symptôme changera de sens et sera utilisé pour rendre
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choix humains sont beaucoup plus obscurs que ce compte des enjeux conflictuels intrapsychiques des
qu’on croit et qu’ils obéissent à d’autres lois que celles patients névrosés. D’ailleurs, Freud avait déjà décrit
de la pensée empirique. L’être humain y est envisagé des conflits d’ambivalence entre affects tendres et
comme un sujet soumis à des forces psychiques oppo- agressifs à propos du petit Hans et de l’Homme aux
sées, en grande partie inconscientes, qui sont les pul- Rats avant 1911. Pour la psychanalyse, les conflits
sions de vie et les pulsions de mort. Ainsi reliée au entre motions tendres et agressives ont bien lieu dans
dualisme pulsionnel, l’ambivalence fait partie inté- la névrose obsessionnelle et dans certaines phobies,
grante de tout conflit intrapsychique décrit par la mais aussi lors d’un deuil ou d’un sentiment de jalou-
psychanalyse. sie. La psychanalyse, avec Karl Abraham (1924),
Cependant, le terme ambivalence provient des s’intéressera à développer le point de vue génétique
études psychologiques des patients schizophrènes. en décrivant les diverses étapes d’intégration de l’am-
C’est Eugen Bleuler qui s’y intéresse le premier en bivalence au cours des divers stades du développe-
1910, après avoir travaillé sur le négativisme1. Ce ment du petit enfant. Selon Abraham, puis d’autres
grand psychiatre zurichois avait proposé de rempla- théoriciens des relations d’objets, une étape centrale
cer le terme de « Démence précoce » d’Emil Kraepelin de l’évolution est la période entre le premier et le
par celui de « schizophrénie(s) » et, parmi ses innom- deuxième sous-stade sadique anal ; nous verrons pour-
brables apports scientifiques, il avait inventé les quoi. En rappelant de faç on succincte l’évolution du
termes d’autisme et d’ambivalence. Si le premier est concept en psychanalyse, nous ne pouvons pas faire
toujours utilisé pour expliquer le retrait social, le deu- l’impasse sur la théorie des relations d’objet et ses
xième a quasiment disparu de la sémiologie psychia- applications thérapeutiques dans le domaine du trai-
trique de ce groupe de maladies. Bleuler a réservé une tement des troubles de la personnalité borderline.
Nous évoquerons donc, sans approfondir ce vaste
5
Il y a trois causes qui prédisposent au négativisme schizo­
domaine, les défauts d’intégration de l’ambivalence
phrénique : l’ambitendance (chaque impulsion s’accompagne due au clivage, détour qui nous permettra par la même
d’une impulsion contraire), l’ambivalence et la Spaltung schi- occasion d’expliciter les différences entre la scission
zophrénique de la psyché, définie en 1904 puis 1910 comme (processus de séparation insoluble, radical et destruc-
le fait que l’impulsion impropre puisse se réaliser avec la
même facilité que l’impulsion juste. De même, une pensée teur pour l’identité) et le clivage de l’objet (processus
correcte peut tout aussi bien être remplacée par son opposé. de séparation concernant les images d’objet). Pour la

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L’ambivalence selon Bleuler : les nouvelles trajectoires d’un symptôme oublié

psychanalyse, l’ambivalence est déclinée selon la Pour la psychiatrie contemporaine, l’ambivalence


structuration du psychisme (Corradi, 2013). En sim- n’est pas un symptôme retenu, ni par le DSM-V, ni
plifiant, on peut dire que l’ambivalence est intégrée par la CIM-X. Plusieurs raisons expliquent cette
chez les sujets névrotiques, non intégrée et sujette aux évolution des choses. La première parmi toutes est
mécanismes de défense borderline et narcissiques chez la progressive mise à distance de la psychopatholo-
les sujets état-limite et enfin paradoxale chez les sujets gie bleulérienne de la nosographie psychiatrique
psychotiques. Nous allons y revenir plus en détail. moderne qui, d’une part, a abandonné les modèles
La phénoménologie psychiatrique offre une lec- théoriques pathogénétiques retenus trop faibles du
ture différente des troubles psychiatriques. Se détour- point de vue de la démonstration scientifique et qui,
nant de l’observation objectivante des sciences natu- d’autre part, a adopté les critères de Kurt Schneider
relles, elle étudie la perspective de l’expérience et privilégiant les signes positifs pour poser le diagnos-
du vécu du patient, comme une manière d’être-au- tic de schizophrénie. Deuxièmement, la psychanalyse
monde et d’être-à-soi. Eugene Minkowski (1927) a aussi contribué à cette perte conceptuelle en rat-
n’évoque pas directement l’ambivalence dans ses tachant le concept à la clinique des névroses et au
textes sur la schizophrénie, mais décrit l’attitude in- conflit intrapsychique normal. Le système AMDP
terrogative de ces patients. C’est une tendance mor- répertorie l’ambivalence dans les troubles affectifs,
bide au questionnement incessant sur le sens des omettant donc l’ambitendance. Quant aux classifi-
choses qui finit par se déconnecter de la réalité et du cations franç aises et allemandes, elles sont restées
flux vital de l’existence. Le sujet devient de plus en fidèles à la psychopathologie clinique de Bleuler et
plus passif et contemple le monde du dehors. de Chaslin ; de ce fait, l’ambivalence figure toujours
A partir des années 70, la psychologie sociale parmi les critères diagnostiques du « syndrome disso-
s’intéresse de nouveau à l’ambivalence par le moyen ciatif » et parmi les symptômes de base (« basic symp-
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d’études sur les états de dissonance cognitive (Fes- toms »)5 identifiés et décrits par Gerd Huber et Gisela
tinger, 1957). Dans certaines conditions, tout sujet Gross à partir des récits de patients schizophrènes
ayant des croyances fortes partagées avec un groupe (Klosterkötter et al., 2001).
va adopter des stratégies de maintien de ses croyances
même lorsque ces dernières sont démenties par la réa-
lité (par exemple, atterrissage d’ovnis, prévisions de Exemple clinique
catastrophes jamais advenues, bénéfices du tabac).
Ainsi, le raisonnement sera infléchi par l’influence du Avant d’entrer dans le vif du sujet, nous propo-
groupe d’appartenance, avec qui le sujet ne peut pas sons au lecteur le récit d’une jeune patiente souffrant
rester trop longtemps en situation d’ambivalence. d’un trouble schizotypique, qui raconte son vécu
Quant aux approches cognitives, l’ambivalence ne d’ambivalence : « J’ai de la peine à choisir le chemin à
figure pas parmi les sujets principalement étudiés par prendre. Lorsque je suis au restaurant, par exemple, et
la neuropsychologie de la schizophrénie comme l’ont qu’on me donne un menu, je n’arrive pas à voir ce que je
été les déficits perceptifs, les problèmes d’inten- veux. Je ne sais pas… Face à n’importe quel problème,
tionnalité ou encore les défaillances du traitement j’arrive à voir plusieurs logiques et elles sont toutes va-
contextuel de l’information. Néanmoins, l’intérêt lables. Face à un problème, j’ai six solutions et, pour
porté aux processus cognitifs et à leur dysfonction- moi, elles sont toutes bonnes. Pour les autres, il n’y en
nement dans la schizophrénie a contribué à mettre a qu’une seule de juste. Il arrive que ma mère me dise :
en lumière des défaillances dans les processus de “ Alors, tu ne mangeras pas, tant pis pour toi ”. Il m’est
planification et d’organisation des tâches mentales arrivé de ne pas pouvoir choisir entre un jus de pomme
impliquées dans l’analyse des choix pour prendre des et un Coca Cola. Je reste là, comme ç a, sans rien dire.
décisions (decision-making). Dans ces modélisations, Ça peut durer des heures… Je n’arrive pas à faire des
on peut trouver des liens avec les questions posées choix. Je préfère que les autres choisissent à ma place,
par Bleuler au sujet de l’ambivalence schizophré-
nique, en particulier entre le concept de scission et 6
Les symptômes de base sont des anomalies psychologiques
l’hypothèse d’un déficit transversal de « binding », discrètes, observables aussi en dehors des épisodes de
décompensation, qui sont relevées à partir de l’âge de 7 ans
voire d’une possible dysconnectivité cérébrale, propre chez les sujets ayant un trouble du spectre de la schizo­
aux troubles du spectre de la schizophrénie. phrénie.

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Psychothérapies

mais je ne peux pas le leur dire. Si on me dit : “ Alors tu de passer d’une position à l’autre, les deux étant pré-
veux ou tu ne veux pas ? ”, je ne peux pas répondre. Le sentes au même moment ou en multiples et rapides
problème est que je n’arrive pas au seuil de vouloir alternances, sans que l’une puisse prendre le dessus
parce que je pense aux deux choses… ». Les parties sur l’autre. Bleuler propose très efficacement l’image
significatives de ce texte seront discutées à la fin de suivante : « Alors que le sujet sain aime la rose malgré
l’article. ses épines, le schizophrène aime la rose pour sa beauté
et en même temps il la déteste à cause de ses épines »
(Bleuler, ibid.).
L’ambivalence selon Bleuler comme L’ambivalence est un symptôme plus grave que
symptôme de la « Spaltung » la rumination obsessionnelle ou anxieuse. C’est un
défaut de synthèse qui est la conséquence directe du
A l’origine et selon Bleuler, l’ambivalence s’en- relâchement associatif et de scission : elle n’a pas de
racine dans la tradition de l’analyse psychologique sens pour le sujet qui la vit. Pour mieux comprendre
des symptômes, soit dans la psycho-analyse de 1910. le fait que ce symptôme n’a aucun sens, il faut re-
Bleuler au Burghölzli (Zürich) et Chaslin à la Sal- prendre la distinction que Bleuler (ibid.) a introduite
pêtrière (Paris) ont séparé nettement la schizophré- entre « symptômes primaires » et « symptômes secon-
nie du groupe des démences précoces marquées par daires ». Les symptômes primaires sont l’expression
la dégradation progressive des facultés mentales. Ces directe de la faille organique à la base du processus
deux éminents psychiatres s’accordaient sur le constat morbide qui cause la scission (« Spaltung ») et la dis-
d’une grave dysharmonie à l’intérieur du fonctionne- parition (« Zerspaltung ») des pensées et des complexes
ment psychique des patients psychotiques. Cette idée affectifs. Les symptômes secondaires sont éventuel-
d’un manque de cohésion et d’intégration des fonc-
lement chargés de sens parce qu’ils sont une ampli-
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tions mentales, centrale dans l’œuvre de Bleuler, se
fication et/ou une réaction de l’esprit aux événe-
retrouve également dans les formulations d’autres
ments. Ils peuvent aussi être liés à l’histoire de vie
médecins de l’époque : « discordance affective » (Chas-
du sujet et leur décryptage peut se révéler utile par
lin6), « perte de l’unité intérieure » (Kraepelin), « dys-
exemple pour comprendre le contenu d’un délire.
harmonie intrapsychique » (Urstein) et « schizo­
Aucun événement, même le plus traumatogène, ne
phrénie » (Bleuler). Pour Bleuler, la schizophrénie
serait à lui seul en mesure d’expliquer le processus
se caractérise par une fragmentation (scission, dis-
morbide. Ainsi, la maladie peut se présenter sans
location) des fonctions psychiques qui atteint la
pensée et la personnalité tout entière, fragmenta- signes secondaires, fruit de la rencontre entre le ter-
tion dont la radicalité se retrouve uniquement dans rain « primaire » et la réaction psychologique plus ou
ce groupe de maladies. moins variable du sujet. Dans cette formulation,
Tout en admettant l’existence d’une ambivalence Bleuler semble anticiper la modélisation bio-psycho-
normale, Bleuler (1911b) classe alors l’ambivalence sociale de la schizophrénie en postulant que les évé-
parmi les symptômes fondamentaux du groupe de nements externes peuvent jouer un rôle dans l’ex-
maladies schizophréniques dans son livre magistral pression secondaire de la maladie. Selon l’auteur, il
intitulé « Dementia praecox ou groupe des schizo­ y a une ultérieure distinction à faire ; c’est celle entre
phrénies ». En 1910, il écrit que chaque pensée a les « symptômes fondamentaux » et les « symptômes
deux côtés, l’un est positif et l’autre est négatif. Dans accessoires ». Dans un premier temps, Bleuler a clas-
l’ambivalence « normale », le sujet est en mesure de sifié la tendance à l’hallucination et aux stéréoty-
comparer les aspects positifs et les aspects négatifs de pies dans les symptômes fondamentaux ; il les en
son expérience (qui, rappelons-le, respecte le principe a ensuite retirées. Mais il a toujours gardé l’autisme,
et la congruence avec la réalité), les aspects positifs c’est-à-dire la tendance du schizophrène à se re-
finissant souvent par l’emporter. A l’inverse, dans trancher dans son monde interne et dans ses fan-
l’ambivalence schizophrénique, le sujet est obligé taisies, de même que les troubles de l’affectivité,
l’ambivalence et l’avolition parmi les symptômes
7
fondamentaux.
Bleuler dira lors d’une conférence en France qu’il aurait pu
appeler la schizophrénie « folie discordante » s’il avait eu Selon Bleuler, le trouble fondamental et essen-
connaissance des travaux de son homonyme français. tiel de la schizophrénie a toujours été la scission des

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L’ambivalence selon Bleuler : les nouvelles trajectoires d’un symptôme oublié

fonctions psychiques. La scission8 consiste en un pro- de l’organogenèse des troubles psychiatriques, réser-
cessus organique qui provoque le relâchement de la vant la possibilité d’une analyse psychologique aux
tension entre les associations. Il y a deux degrés de seuls symptômes secondaires. Dans sa théorisation,
sévérité : a) la scission (« Spaltung »), qui peut dislo- il a été influencé par la théorie neurophysiologique
quer des complexes idéo-affectifs tout entiers, et b) la de Sherrington et par sa loi d’innervation réciproque,
fission (« Zerspaltung »), qui détruit complètement la qui statue que la stimulation des muscles agonistes
pensée et les complexes idéo-affectifs. Dans la schi- est associée à l’inhibition concomitante des muscles
zophrénie, il y a une faiblesse des affinités associatives. antagonistes. Cette théorie propose l’hypothèse de
Elles sont relâchées parce que la tension n’est pas la balance entre l’inhibition et l’activation comme
suffisante, ce qui produit plusieurs types de troubles principes clefs du fonctionnement du système ner-
de la pensée comme le barrage, le fading mental, les veux central. Par analogie, chaque fait psycholo-
réponses à côté, les incohérences, les généralisations gique peut être contrebalancé par son opposé, l’action
arbitraires, les réponses par assonance et les conden- positive résultant d’une prévalence, même infime, de
sations d’idées (néologismes), pour en citer quelques- l’une des deux tendances. Par analogie, nous rappe-
uns. Plus la désintégration de la psyché est à l’œuvre, lons le principe de l’aiguille aimantée amortie en
plus le langage est désorganisé (schizophasie), plus éléctromécanique.
le comportement moteur et relationnel est inadap- Le deuxième modèle, plus psychologique, qui
té (catatonie, négativisme, pensée autistique), plus nous permet de contextualiser l’ambivalence bleu-
l’affect est discordant, superficiel et abrasé. Il est inté- lérienne est celui de l’associationnisme. Dans cette
ressant de noter que ces troubles de la pensée existent perspective, la vie mentale des malades est éluci-
en forme mineure chez n’importe qui lorsqu’il est dée au moyen de l’observation et des tests d’asso-
soumis à une suggestion ou à un cadre particulier : ciations de mots (appelés aussi associations libres).
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états de relaxation, associations libres à partir d’un C’est sous l’impulsion de Bleuler que Carl Gustav
mot stimulus (tout ce qui vient à l’esprit sans atten- Jung, sur le plan verbal, et Hermann Rorschach, sur
tion au contenu), déprivations d’oxygène ou de som- le plan visuel, développeront les tests qui porteront
meil, graves traumatismes. leur nom. Pour le détail, Jung va mesurer les temps
En 1911, Bleuler classe l’ambivalence parmi les de réaction, l’activité électrodermale et observer
symptômes fondamentaux, plus précisément parmi toute réaction anormale de patients exposés à une
les « symptômes secondaires de premier type » de la liste de 100 mots « inducteurs ». Plus le mot est lié
schizophrénie, ce qui signifie que ce symptôme est à des affects inconscients bloqués et chargés, plus le
observable même dans les cas les plus légers. En tant temps de réaction est long. L’étude des complexes
que symptôme de premier type, l’ambivalence peut fournissait quelques idées pour la psychanalyse pro-
surgir dans les situations les plus anodines et décon- prement dite, les patients atteints de schizophrénie
nectées d’enjeux personnels ou moraux. C’est pour (Jung, 1907)9 n’étant pas exclus de tels traitements.
cette raison que le patient schizophrène peut se mon- De son côté, Rorschach va découvrir que les patients
trer ambivalent et perplexe face à des choix insigni- schizophrènes fournissent des réponses particulières
fiants (par exemple le choix d’une boisson au restau- à ses taches d’encre, associations qui sont plutôt rares
rant ou l’achat d’une glace), alors qu’il peut être tout dans la population générale, chez les enfants ou chez
à fait au clair et lucide face à des décisions impor- les personnes âgées atteintes de démence.
tantes, décisions qui feraient cogiter la plupart d’entre
nous des nuits entières. Ce paradoxe, souvent ren- 8
Le terme germanique de « Spaltung » (déchirure, coupure)
contré en clinique, entre un esprit brouillé puis tout est traduit en français par « scission », voire « dissociation » et,
à fait lucide, expliqué par Bleuler par l’action de la improprement, par « clivage ».
Spaltung, évoque de loin les concepts de « partie 9
Jung discute les études sur les associations des patients
catatoniques, avec leur pauvreté idéative (liée à la torpeur
psychotique et non psychotique de la personnali- des associations et à leur scission) avec quelques associa-
té » (Bion, 1967). tions bizarres (idées pathologiques) et réponses par asso-
Bien que profondément intéressé par la compré- nance (ressemblance phonologique avec le mot inducteur)
hension psychologique de la maladie et sceptique et leur taux élevé de stéréotypies (répétitions d’idées sans
tenir compte du stimulus) à la lumière des concepts de dis-
quant aux potentialités des explications organicistes, tractibilité, diminution de l’attention et rétrécissement de la
Bleuler est toujours resté fondamentalement partisan conscience de l’Ecole française de P. Janet.

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Psychothérapies

Normalement, les idées suivent divers chemins 1. L’ambivalence affective se réfère au fait qu’une
qui convergent vers un but, c’est-à-dire une idée même représentation donne lieu à des sentiments
directrice10. Ce sont des associations fortes issues positifs et négatifs. Par exemple, un homme peut
de l’expérience (pensée empirique) et elles sont de aimer et haïr sa femme, sans qu’un sentiment pré-
nature logique. Il y a des associations faibles qui, elles, vale sur l’autre ou l’influence dans une direction
sont de nature verbale, Bleuler les percevait comme donnée. Chez le sujet normal, haine et amour se
des interférences par rapport au raisonnement11. En transforment souvent l’un en l’autre. Chez le pa-
tous les cas, lorsque l’affectif prend le dessus sur la tient schizophrène, ils se manifestent ensemble,
logique, il existe souvent un manque de but et l’af- comme deux versants du même affect. Certaines
fectif doit rester assujetti à la raison. Si le processus manifestations de cette ambivalence vont jusqu’au
se déroule correctement, l’association fonctionne fait de voir un patient rire et pleurer en même
en inhibant les autres systèmes idéiques pour s’en- temps.
chaîner dans une direction donnée, et un rétrécis- 2. L’ambivalence volitive, ou ambitendance, décrit
sement de la conscience est donc nécessaire. Quand la tendance du sujet à vouloir et à ne pas vouloir
toutes ces conditions sont réunies et que les idées quelque chose. A chaque étape entre la pensée et
s’enchaînent vers un but avec la bonne tension, alors le modèle d’action, une impulsion d’un modèle
la pensée est claire et cohérente. C’est en raison de contraire à l’action souhaitée peut surgir et entra-
l’hypothèse d’une pensée opérant par inhibition et ver le processus associatif. Le malade se tourmente
sélection que l’esprit humain ne peut normalement pour des questions anodines et mineures. Il souffre
pas penser deux choses à la fois avec la même puis- d’être dans cet état. Il ne fait pas ce que sa vo-
sance. lonté lui dicte. Au final, il ne veut plus ce qu’il
Le concept d’ambivalence a donc comme cadre voulait, veut son contraire, et il change d’idée.
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conceptuel l’associationnisme et des principes com- Selon Bleuler, l’ambitendance prédispose au né-
muns aux sciences naturelles. Il sera développé plus gativisme interne12. Bleuler illustre ce symptôme
largement par Bleuler qui, en novembre 1910, lors par les exemples suivants : (1) une malade est
d’une Conférence au Congrès de la Société des méde- assise à table pour dîner mais lorsqu’elle porte la
cins aliénistes suisses à Berne, expose trois déclinai- fourchette à sa bouche, elle reste figée sans pou-
sons de l’ambivalence : voir continuer l’action (elle veut et ne veut pas
manger) ; (2) un malade veut serrer la main du
médecin, mais au moment de le faire la retire ;
10
Dans le chapitre sur l’association d’idées, Hume affirme : « Il (3) une malade est assise devant un piano pour
est selon moi visible qu’il y a seulement trois principes de jouer mais sa main est fléchie et ses doigts n’at-
connexion entre les idées, à savoir la relation de ressem-
teignent pas les touches du piano. Bleuler pen-
blance, la relation de contiguïté dans le temps et dans l’es-
pace et la relation de cause à effet » (…) « comme l’homme sait qu’on peut éventuellement amener le patient
est un être raisonnable et qu’il est continuellement à la pour- à exécuter l’acte voulu en le lui interdisant ou en
suite du bonheur qu’il espère trouver dans la satisfaction de lui donnant l’ordre inverse, c’est le « négativisme
quelque passion ou affection, il agit, parle ou pense rare-
ment sans dessein et sans intention. Il a toujours quelque
de commande ».
chose en vue ; et si impropres que soient parfois les moyens 3. L’ambivalence intellectuelle touche le domaine
qu’il choisit pour atteindre son but, il ne le perd jamais de vue,
pas plus qu’il n’abandonne ses pensées et ses réflexions des idées et des mots. Dans le domaine intellec-
quand il espère en tirer quelque satisfaction. » tuel, on peut citer l’exemple des pensées du rêve
11
Selon la psychologie cognitive, dans la schizophrénie on re- et quelques rares mots (hôte, louer ou remercier)
trouve un problème d’amorçage conceptuel (hyper-priming) qui dans le langage signifient une chose et son
et lorsqu’on présente un mot, plutôt qu’amorcer une catégo-
rie limitée de mots, l’amorçage s’étend à d’autres mots.
contraire (énantiosémie). Bleuler rapporte le cas
12
Le négativisme est un symptôme de refus hostile et désigne
d’un philosophe atteint de symptômes catato-
le besoin de s’opposer et de faire le contraire de ce qui est niques qui lui expliquait que lorsqu’il a une idée,
requis ou demandé par la volonté du sujet ou par son entou- aussitôt se présente l’idée opposée et cela si rapi-
rage. Il est lié à l’autisme. Dans le négativisme interne, par dement qu’il ne sait plus laquelle était la première.
exemple, si le patient a une envie, l’envie opposée surgit
immédiatement à son esprit, de manière qu’il se fige dans
une attitude catatonique. Le négativisme diverge de la sug- Enfin, ces trois formes se recoupent dans l’ambi-
gestibilité négative de l’enfant (Bleuler, 1904). valence mixte. Un symptôme catatonique autrefois

10
L’ambivalence selon Bleuler : les nouvelles trajectoires d’un symptôme oublié

observé dans les hôpitaux psychiatriques était le signe Bleuler codirige avec Freud – que l’ambivalence est
de l’oreiller. Selon la théorie de l’ambivalence, l’oreil- une théorie intéressante puisqu’elle souligne la bipo-
ler psychique découle d’une opposition entre deux larité de l’esprit humain. Il argumente ensuite que
ordres (également puissants) du style « se coucher/ne l’ambivalence et le négativisme catatonique sont des
pas se coucher », qui figent la motricité du patient manifestations d’une résistance psychologique et non
dans une posture à mi-chemin entre l’oreiller et la pas d’une « Spaltung » des associations. Autrement dit,
position assise. En résumé, lorsqu’il est impossible de pour Jung, l’ambivalence est issue de la proximité
savoir ce que pense ou ressent réellement le malade, entre séries psychologiques opposées qui se contra-
il faut se poser la question d’une ambivalence. Nous rient en raison d’une résistance13. Inversement, la ré-
verrons dans le prochain chapitre comment la psy- sistance s’observe de manière systématique lorsqu’on
chanalyse va faire évoluer ce concept. approche du complexe psycho-affectif (blessure psy-
chologique ayant causé une forte charge affective et
ayant fixé le complexe nuisible aux autres fonctions
Les développements de la notion psychiques), et cela vaut aussi bien pour la névrose
d’ambivalence selon que pour la psychose. Sans renier la possible base
organique des psychoses (action d’une probable
la psychanalyse toxine, dite facteur x, qui saisit le complexe avoisi-
nant), Jung souligne les insuffisances des sciences
Nous n’allons pas revenir dans le détail sur les naturelles dans ce champ, mais ensuite il peine à
alliances et les mésalliances entre Bleuler, Jung et convaincre quant à l’action d’une résistance toute
Freud (Falzeder, 2003). Ce furent certainement des psychologique, et cela également quand il constate
relations fortes entre trois grands maîtres de la psy- que les patients préfèrent les réactions négatives. Il a
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chiatrie. Bleuler a dirigé le Burghölzli de 1898 à 1927 cependant le mérite d’avoir développé ce qu’est l’am-
et il était Professeur de Psychiatrie à Zürich. Il compte bivalence normale, qu’il universalise comme étant
parmi ses assistants Carl Gustav Jung (de 1900 à le propre de tout conflit intrapsychique, celui des
1909), Karl Abraham (de 1904 à 1907), Ludwig malades comme celui des bien portants.
Binswanger (de 1907 à 1910) et a été professeur Quant à Freud, il publie en 1910 un article sur
d’Hermann Rorschach. Il a pris part à la création du l’ambivalence intellectuelle dans les langues an-
mouvement psychanalytique. Enfin, il dirige avec ciennes, se rapportant aux travaux du linguiste Abel,
Freud dès 1909 le Jahrbuch für psychoanalytische und article dans lequel il établit des analogies entre cer-
psychopathologische Forschungen. Toutefois, dès no- tains mots et les pensées du rêve qui font abstrac-
vembre 1911, il démissionne de l’International Psy- tion de la négation, exprimant par une même repré-
choanalytic Association (IPA) présidée par Jung, sentation une chose et son contraire. Ce n’est qu’en
suite à des dissensions sur les statuts estimés par Bleu- 1912 qu’il dit emprunter à Bleuler l’adjectif « ambi-
ler comme trop exclusifs. valent »14, repris sous sa forme affective, pour expli-
quer la dynamique du transfert. Laplanche et Pon-
La paternité du terme d’ambivalence revient talis (1967) situent la première apparition du mot
clairement à Bleuler. Si Jung et Freud reconnaissent « ambivalence » dans le texte suivant : « Dans la
l’importance inégalée des découvertes de Bleuler dans névrose obsessionnelle, une “ scission ” précoce des paires
le champ de la schizophrénie, ils vont transformer contrastées semble caractériser la vie instinctuelle et four-
malgré eux l’utilisation du terme « ambivalence ». nir l’une des conditions constitutionnelles du trouble mor-
Celui d’autisme connaîtra un autre destin. A la diffé- bide. C’est l’ambivalence de l’afflux des sentiments qui
rence de Freud, Jung sera pris dans des conflits plus
personnels avec Bleuler et ce dès 1908. Ce n’est donc 13
Le repli autistique, l’existence d’une blessure psychologique
pas un hasard si les affrontements se feront sur le ter- dans la vie du malade, la fausseté du jugement, la relation
rain scientifique de la théorie de l’ambivalence. Déjà hostile avec l’environnement, l’irritabilité, la pression des pen-
au Congrès de Berne de 1910, Jung discute la théorie sées et les autres troubles qui empêchent l’agir (apragma-
tisme) sont interprétés par Jung comme des résistances.
de l’ambivalence uniquement sous l’angle de l’énan- 14
Bien qu’il glisse dans une note en bas de page que la pater-
tiosémie, alors que ce n’est pas le cœur de la pré- nité du concept d’ambivalence revient à W.Steckel qui avait
sentation. En 1911, il écrit dans le Jahrbuch – que proposé le terme de « bipolarité » pour « ambivalence ».

11
Psychothérapies

nous permet le mieux de comprendre l’aptitude des né- troisième position, plus archaïque : la position
vrosés à mettre leur transfert au service de la résistance. glischro-caryque. L’objet est total et divalent dans
Lorsque la possibilité de transfert est devenue essentiel- la position dépressive (objet ambivalent), partiel
lement négative, comme dans le cas des paranoïaques, dans la position schizo-paranoïde et agglutiné (objet
il n’existe plus aucun moyen d’influencer ou de guérir ambigu et caractérisé par la fusion) dans la position
les malades » (Freud, 1912, p. 58). Ce terme apparaît glischro-caryque. En résumé, l’ambivalence se décline
encore en 1915 à propos des tendances psychiques selon la force du moi (épreuve de réalité) et le degré
actives et passives. En 1926, Freud aborde l’ambi- de différenciation entre soi et l’objet (objet total,
valence présente dans la vie amoureuse de l’adulte, partiel, persécutoire/fragmenté/agglutiné) indiquant
l’amour conscient et stable à l’égard d’un objet pré- que des problèmes d’ambivalence existent dans toutes
supposant le refoulement énergique de son contraire, les organisations de personnalité, surtout dans celles
et dans les enjeux œdipiens qui comportent quant prégénitales et dans les névroses cliniques.
à eux « un amour bien fondé et une haine non moins Dans l’ambivalence névrotique, le moi du patient
justifiée, dirigés tous deux vers la même personne » névrotique est capable de tolérer la coexistence de
(Freud, 1926, p. 21). désirs opposés et inconciliables au sein d’un même
Ce sera ensuite le tour de Karl Abraham (1924), objet. Cela signifie qu’il peut mentaliser ses conflits
qui développera le point de vue génétique avec di- et penser à son ambivalence sans cliver, dénier ou pas-
vers stades du développement de la libido chez le ser à l’acte. Si la charge entre les motions tendres
tout petit enfant. L’auteur suppose que les prémisses (amour) et les motions agressives (haine) est trop
de l’ambivalence apparaissent au stade sadique oral importante, des mécanismes de défense tels que le
lorsque l’enfant montre des signes d’hostilité envers refoulement (« Quand une femme hait, elle aime, a aimé
l’objet (premières morsures). C’est le stade pré-ambi- ou aimera » – Bleuler, 1911b, p. 475), l’annulation
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valent. Ensuite, la libido atteint un stade d’ambiva- rétroactive (affirmer un sentiment puis l’annuler
lence pour disparaître plus ou moins complètement immédiatement après) ou la sublimation (déplacer
après la phase de latence (stade post-ambivalent), un sentiment inconfortable vers une activité socia-
lorsque l’enfant apprend à ménager l’objet, principa- lement valorisée) vont prendre le relais. Même au
lement sa mère. Pour Abraham, le patient psycho- cours d’une névrose clinique, les ruminations et les
tique souffre d’une fixation et/ou d’une régression à doutes de l’obsessionnel évoqueront certainement
un stade de développement psycho-affectif prégéni- une chose et son contraire ; elles ne comporteront
tal. L’auteur établit la limite (« divided-line ») entre la cependant pas de déni d’une des composantes en
psychose et la névrose entre le premier sous-stade contradiction. Idem pour la dénégation : le névrosé
anal (d’expulsion) et le deuxième sous-stade anal (de annule une partie de ses propos tout en les énonç ant
rétention) que l’enfant traverse de deux à quatre ans. quand même (ils sont reconnus). Quant à la phobie
Cette idée selon laquelle l’intégration de l’ambiva- spécifique, elle comporte le déplacement d’une visée
lence affective est le fruit d’une bonne résolution affective de l’ambivalence, la haine par exemple, vers
du complexe d’Œdipe va se révéler aussi très inté- un objet substitutif. Dans l’analyse de la phobie du
ressante pour les théoriciens des relations d’objets. cheval chez le petit Hans, cette dernière est liée au
Se rapportant à son prédécesseur, Melanie Klein déplacement d’une haine éprouvée, mais non assu-
(1921) fait de l’intégration de l’ambivalence le point mée, envers le père tant aimé : « La tentative de ré-
de mire de la position dépressive, lorsque le petit soudre ce problème (que fallait-il faire à maman pour
enfant s’aperç oit qu’il peut aimer et haïr sa mère et qu’elle eût des enfants) se perdait dans l’inconscient, et
qu’elle n’est pas détruite par lui. L’ambivalence est les deux pulsions actives, l’hostile contre le père comme
donc une qualité intrinsèque de l’objet fragmenté et la sadiquement tendre envers la mère, restaient sans
partiel dans la position schizo-paranoïde et de l’ob- emploi, l’une en vertu de l’amour coexistant à côté de
jet total dans la position dépressive. Il est à la fois la haine, l’autre du fait de la perplexité découlant des
bon et mauvais, puisque il n’existe pas de pulsion sans théories sexuelles infantiles » (Freud, 1909). Le symp-
l’objet de la pulsion. Dès lors, l’ambivalence psycho- tôme apparaît ici comme une manière, certes patho-
tique est liée à la déliaison pulsionnelle et à l’angoisse. logique, de résoudre un conflit d’ambivalence.
Plus récemment, José Bleger (1967) ajoute à la posi- Dans l’ambivalence anaclitique, le patient clive
tion schizo-paranoïde et dépressive de M. Klein une les aspects contradictoires de son expérience affec-

12
L’ambivalence selon Bleuler : les nouvelles trajectoires d’un symptôme oublié

tive avec les objets d’investissement. En situation lors concrétisée dans un monde d’objets bizarres qui
de conflit relationnel, il n’y a donc pas de coexis- sont des agrégats de particules brutes, à savoir des
tence mentalisée de deux attitudes opposées : l’autre éléments bêta non métabolisables. L’exemple du gra-
est soit tout bon, soit tout mauvais. Ceci dérive du mophone de Bion, porteur de parties de l’appareil
fait que le sujet état-limite ne tolère pas l’ambiva- psychique de son patient, illustre particulièrement
lence de ses sentiments envers l’objet. Selon Kern- bien ces mécanismes. Ce détachement de la réalité
berg (1984), ce manque d’intégration en une image extérieure peut être compris comme un désinvestis-
cohérente et stable des bonnes et mauvaises parties sement objectal et un autisme.
de soi et de l’objet pourrait provenir d’un surplus En conclusion et pour reprendre l’exemple d’am-
d’agressivité (rage primitive, destructivité). Lorsque bivalence affective de Bleuler, on pourrait dire que :
le patient éprouve de l’ambivalence envers l’objet du 1. Dans la position névrotique : l’homme aime plus
besoin, il ne parvient pas à la mentaliser (la pen- sa femme qu’il ne la déteste. Des fois il l’aime,
ser). Dès lors, elle ne pourra être que clivée et/ou d’autres fois il la déteste un peu, mais l’accepte
réalisée (acting out ou acting in). C’est pour cette globalement avec ses bons et mauvais côtés, pour
raison que la stabilité des investissements objectaux autant que la qualité de la relation reste globale-
est un critère d’évaluation de ce type de probléma- ment bonne.
tique. Si la différenciation moi/non-moi est acquise,
le patient est dépendant de l’objet d’étayage ; celui-ci 2. Dans la position anaclitique : l’homme aime ou
a la mission de combler la faille narcissique et de ras- déteste sa femme, c’est son objet de dépendance.
surer le sujet qu’il/elle est un être désirable et digne. 3. Dans la position psychotique : l’homme aime et
En conclusion, l’ambivalence chez les patients état- déteste sa femme en même temps. Amour et haine
limite est affective et anaclitique. se déversent de manière indistincte sur le sujet/
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Pour revenir à l’ambivalence psychotique, elle objet (fusion, symbiose), hormis le cas particulier
porte souvent sur des objets inanimés (dévitalisation) de la paranoïa qui organise la haine autour d’un
ou des besoins très primaires et archaïques. On peut objet persécuteur.
tisser des liens entre l’ambivalence bleulérienne et
les processus primaires de la pensée. Paul-Claude
Racamier (1990) propose de remplacer le terme Le point de vue phénoménologique
d’ambivalence, qu’il réserve au fonctionnement
normal, par celui de paradoxe : « Le sens de notre réa- La psychiatrie phénoménologique s’intéresse à la
lité interne émane directement de l’autoperception de schizophrénie comme à une forme d’altération de la
notre ambivalence : on se sent être pour autant qu’on se présence à soi-même et au monde. Parmi les symp-
sente double ; l’ambivalence est à la base du sentiment tômes décrits par Bleuler, les phénoménologues se
de soi » (Racamier, 1984, p. 62). Les objets réunissant sont tournés vers l’exploration de la pensée autistique
des qualités opposées sont ambigus et ceux réunissant (rupture du contact vital avec l’ambiance). Pour res-
des qualités opposées et inconciliables sont para- ter dans le sujet de l’article, nous allons présenter les
doxaux. Cet éminent spécialiste de la schizophré- équivalents phénoménologiques de l’ambivalence
nie affirme que la stratégie du moi psychotique est que nous avons cru trouver du côté de l’attitude in-
avant tout l’anti-ambivalence : « L’ambivalence est terrogative de Minkowski. L’attitude interrogative
abolie par l’abolition de la différence des êtres ; une désigne un comportement de type schizophrénique
autre angoisse apparaît alors : celle de se diffuser, de se au cours duquel le sujet se questionne sans cesse, ne
répandre et de se perdre ; les représentations de soi et de poursuit aucun but réel et devient passif. Ce ques-
l’objet s’effacent. Ainsi, la perte psychotique primor- tionnement exagéré finit par fonctionner en mode
diale est celle du self (…) il y aurait donc au départ automatique. Ce n’est ni une forme de curiosité, ni
d’une psychose aiguë une régression pulsionnelle totale une forme de rumination obsessionnelle.
qui ramènerait le ça au-delà de toute ambivalence » Sous l’influence de Bergson, Minkowski (1927)
(ibid., p. 61). Le moi du psychotique se clive ainsi en considère que le trouble fondamental de la schizo­
parties (clivage du moi) dont certaines sont expul- phrénie est la « perte de contact vital avec la réalité ».
sées. Les objets sont donc investis de parties du moi : C’est l’essence de la personnalité dans ses caractéris-
c’est la diffusion de l’identité. L’ambivalence est dès tiques vivantes, dynamiques et capables de vibrer à

13
Psychothérapies

l’unisson avec le monde ambiant, qui est en cause. L’ambivalence bleulérienne


Dans la schizophrénie, conç ue par l’auteur comme à la lumière de la psychologie
une maladie de direction15, ce qui manque est la syn-
tonie et l’accordage affectif. Le sujet schizophrène cognitive et des neurosciences
présente un trou dans son psychisme, faille qu’il va
essayer de combler par des manifestations d’ordre Comme expliqué dans l’introduction, l’ambiva-
mécanique dites « attitudes schizophréniques ». Ces lence n’est pas un phénomène psychologique abordé
attitudes correspondent à des sortes de stéréotypies comme tel par les neurosciences cognitives, à l’ex-
psychiques abstraites, souvent stériles, apragmatiques, ception des recherches sur l’ambivalence affective
finalement rigides et fixées dans le temps. Elles sont qui ont récupéré le concept bleulérien pour le sou-
de deux ordres ; il y a d’une part les attitudes schizo­ mettre à la validation de la psychologie expérimen-
phréniques idéo-affectives (rêveries, bouderies, regrets tale. Une première preuve d’une plus grande ambi-
morbides) ; d’autre part, il y a les attitudes schizophré- valence affective dans la schizophrénie provient des
niques, dont la charpente est de type intellectuel (atti- études comparant les résultats des questionnaires
tude interrogative, rationalisme morbide, hypertro- auto-administrés, comme l’Echelle d’Ambivalence
phie pathologique, géométrisme morbide), qui signent Schizotypique (Schizotypal Ambivalence Scale,
une déstructuration encore plus grave du psychisme. traduite en franç ais par Yon et coll. en 2007) entre
Ce qui est décrit par Minkowski (ibid.) comme patients atteints de schizophrénie et sujets contrôle
une perte de contact vital avec la réalité nous ren- (Raulin, 1984). A côté de ces études par auto-ques-
voie au trouble de l’évidence naturelle (Blankenburg, tionnaire, nous en trouvons d’autres, de type expé-
1991; Parnas, Bovet et Zahavi, 2003). L’évidence rimental, qui sont réalisées en laboratoire et qui
naturelle, ou sens commun, est constituée de trois mesurent dans des conditions contrôlées les réac-
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aspects intimement liés : l’ipséité (sens pré-réflexif tions émotionnelles déclenchées par la présentation
de soi, sentiment tacite et immédiat de mienneté de d’objets-stimuli prédéfinis. Elles confirment la pré-
l’expérience motrice, émotionnelle ou perceptive), sence d’une plus grande ambivalence chez les patients
l’immersion dans le monde (intentionnalité) et schizophrènes, qui présentent un taux majeur d’émo-
l’intersubjectivité (ajustement pré-réflexif dans un tions conflictuelles par rapport aux sujets contrôle
monde partagé). Ces aspects, qui sont le fondement (Trémeau et coll., 2009). Typiquement, les patients
de l’expérience, fonctionnent normalement de ma- activent un pattern d’émotions positives « normal »
nière tacite et implicite. Mais si l’un de ces aspects ou à côté d’un pattern d’émotions négatives élevé au-
plusieurs d’entre eux sont perturbés, le monde cesse tant face aux objets dotés de caractéristiques positives
de fonctionner comme fond stable de notre expé- que face aux objets à caractéristiques neutres. Cette
rience. Au lieu de vivre simplement les choses, toute apparente difficulté à inhiber les émotions négatives
expérience est source de questionnement et de théo- face à des stimuli positifs ou neutres, tout en acti-
risation. La perte du sens commun peut conduire les vant les émotions positives comme le font les sujets
patients à adopter des perspectives multiples, une contrôles, réactualise le concept d’ambivalence affec-
sorte de polyvalence, plus qu’une ambivalence. Cela tive de Bleuler. En particulier, cette activation diffé-
est à mettre en lien avec l’absence de point de vue ou renciée comportant des émotions positives semble
de système de référence dominant, qui normalement contrecarrer les hypothèses de Meehl (1962), auteur
bloque les perspectives potentielles rivales et qui crucial dans la conceptualisation des troubles schi-
ne peut s’accomplir qu’à travers une ipséité intacte. zotypiques, pour qui le trouble fondamental de la vul-
nérabilité schizophrénique est la difficulté qu’a le
sujet schizophrène à ressentir le plaisir, soit l’anhé-
donie.
Le modèle de régulation des émotions de Ca-
cioppo, Gardner et Berntson (1999) (Evaluative
15
Les symptômes psychotiques ne signifient pas une destruc- Space Model, ESM) nous éclaire un peu plus sur les
tion irréparable des facultés psychiques. Ils sont un dérègle- fondements de l’ambivalence. Selon ce modèle, l’éva-
ment déterminé par la perte de contact avec la réalité, ce qui
porte en soi l’espoir de la guérison et d’un rétablissement de luation émotionnelle de l’objet est issue de la co-
la syntonie. activation parallèle de deux systèmes distincts, l’un

14
L’ambivalence selon Bleuler : les nouvelles trajectoires d’un symptôme oublié

évaluant ses qualités négatives et adverses, l’autre affective chez les proches de patients atteints de schi-
évaluant ses qualités positives et gratifiantes. Les deux zophrénie, ce qui ne semble pas être le cas (Docherty
systèmes sont chargés d’une première étape d’élabo- et al., 2014).
ration cognitive de la motivation qui se résume dans Nous allons maintenant réserver quelques mots au
des schémas cognitifs d’activation pour approcher sujet de l’ambivalence volitive et intellectuelle. Le
l’objet ou l’éviter selon l’émotion qui prend le dessus. modèle de Frith (1992), appelé également modèle de
Ainsi, l’ambivalence pourrait résulter d’un dérègle- Londres, met l’accent sur une altération du monito-
ment de l’activation des systèmes évaluatifs par co- ring qui permet d’ajuster les actions en cours au but
activation excessive de systèmes concurrents et/ou représenté. Basée sur l’hypothèse d’un défaut de l’in-
de l’inhibition manquée du système d’attribution des tentionnalité dans la schizophrénie, on peut conce-
émotions négatives lorsque le système d’attribution voir que l’ambivalence est liée à la persistance de
positive est mis en route. Etant donné le rôle joué par deux représentations du but (copie d’efférence) qui
ces mécanismes dans les processus motivationnels qui restent toutes deux valables pour le sujet, cela en
préparent le sujet à l’action, on comprend mieux que raison d’un défaut de la conscience intentionnelle
l’ambivalence affective se manifeste dans la symp- préalable. Un deuxième modèle est celui de Hardy-
tomatologie dite « négative » de la schizophrénie. Baylé et al. (2003) qui, contrairement à Frith (1992),
L’hypothèse de deux systèmes séparés intervenant postulent que l’expérience intentionnelle n’est pas
dans l’attribution des qualités affectives est épaulée préalable à l’action, mais qu’elle dérive d’un trouble
par la neurobiologie. Par exemple, l’amygdale est de la planification. Hardy-Baylé décrit un modèle
impliquée dans les réactions émotionnelles négatives cognitif de la schizophrénie, qu’il qualifie de « néo-
et de peur, alors que ce sont d’autres structures lim- bleulérien », basé sur la désorganisation comme va-
biques qui sont activées dans les processus de récom- riable médiatrice aux divers symptômes psychotiques.
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pense et de gratification. Cette différenciation fonc- Dans les deux modèles, on ne retrouve pas le prin-
tionnelle et régionale existe aussi au niveau cortical. cipe de Spaltung, même si la neuropsychologie de la
Par exemple, les aires frontales gauches sont impli- schizophrénie laisse entendre que les déficits cogni-
quées dans les émotions positives associées à la gra- tifs de cette maladie sont des épiphénomènes d’une
tification et aux comportements d’approche, alors altération du processus de raccordement (« binding »)
que les aires frontales droites sont impliquées dans les entre plusieurs réseaux fonctionnels.
émotions qui amènent aux conduites d’évitement. Les recherches sur les processus de prise de dé-
Dans ce sens, une étude d’imagerie cérébrale réali- cision (decision making) nous aident à mieux com-
sée par Cunningham et coll. en 2004 montrait une prendre l’ambitendance, c’est-à-dire l’expression
activation frontale bilatérale au cours de l’évalua- cognitive de l’ambivalence. Historiquement, l’inté-
tion d’un objet présentant simultanément des pro- rêt porté aux bases neurobiologiques de ces proces-
priétés positives et négatives. sus provient des rapports cliniques de sujets ayant
L’idée de l’ambivalence comme co-activation des lésions frontales, plus particulièrement au niveau
tonique inappropriée et/ou inhibition manquée du cortex préfrontal ventromédian (VMPFC). Ces
des émotions négatives dans le processus évaluatif patients des services de neurologie n’arrivaient plus
concorde avec les dysfonctionnements exécutifs ob- à prendre des décisions adaptées dans leur vie de
servés chez certains patients schizophrènes, en parti- tous les jours. Avant la lésion, ils étaient dotés d’une
culier pour l’activation/inhibition des tâches cogni- intelligence et d’une créativité normales. Après la
tives en séquence dépendantes de réseaux impliquant lésion, ils ne parvenaient plus à planifier leur quo-
certaines zones frontales de régulation. Dans l’état tidien, ni à accomplir des activités de manière effi-
actuel des connaissances, on ne sait pas si l’ambiva- cace, se montrant souvent désinhibés sur un plan
lence affective est un trait fondamental des troubles langagier et impulsifs. Ce champ d’investigation s’est
du spectre de la schizophrénie ou si elle est à mettre développé à l’aide d’examens neuropsychologiques
sur le compte d’un biais d’activation des émotions permettant de mesurer ces déficits de manière spé-
négatives qu’elle partagerait, par exemple, avec la cifique (Iowa Gambling Task, IGT ; Bechara et al.,
dépression. Par ailleurs, si elle était un symptôme 2004), la région orbito-frontale (liée au VMPFC)
primaire, donc relevant de la vulnérabilité génétique, étant pointée comme zone pouvant être impliquée
on devrait retrouver une plus grande ambivalence dans l’aspect émotionnel de la prise de décision. Ernst

15
Psychothérapies

et Paulus (2005) décrivent trois phases du proces- mais perdu la spécificité et la place centrale que
sus de prise de décision : a) l’évaluation et la forma- Bleuler lui réservait dans la phénoménologie clinique
tion de préférences parmi des options possibles ; b) la de la schizophrénie. La théorie de l’ambivalence fut
sélection et l’exécution d’une action ; c) l’évaluation au début du siècle passé un apport majeur dans la
des conséquences du choix. Des processus psycholo- compréhension de la schizophrénie. En effet, elle se
giques de nature émotionnelle et cognitive, en pro- rapporte à une sémiologie précise qui permet de com-
portion variable, sont nécessaires au bon déroulement prendre des symptômes négatifs mystérieux et énig-
de chacune de ces phases, puis l’engagement de l’une matiques tels que le négativisme, la stupeur catato-
ou l’autre phase peut déterminer quel substrat neu- nique, la perplexité ou l’apragmatisme et d’autres
ronal sera activé. A ce sujet, notons que le cortex bizarreries du comportement en lien, par exemple,
dorso-latéral préfrontal (DLPFC) intervient pour le avec la tentative de résoudre ces impulsions en les
traitement de l’information et l’exécution des actions réalisant en même temps. Selon Bleuler, l’ambiva-
déterminées par ce traitement (ignorer les options lence présente chez les patients atteints d’un trouble
moins attractives, simplifier les possibilités, se souve- du spectre est le produit dérivé de la scission. Elle
nir et ordonner les événements selon une chrono- révèle la coexistence d’impulsions contradictoires
logie), tandis que le cortex ventro-médial préfrontal également puissantes, chose quasi impossible à réali-
(VMPFC ; Damasio et al., 1996) sera engagé pour ser pour l’esprit humain. La seule explication possible
assigner une valeur affective aux conséquences du est à rechercher dans le relâchement associatif, pro-
choix. cessus de scission attaquant le cours et/ou le contenu
D’autres études ont montré des anomalies au des pensées, avec un déficit de la balance entre l’in-
niveau de l’OFC (ou VMPFC) durant les processus hibition et la stimulation. Dans le chapitre précé-
décisionnels chez les patients schizophrènes (Adida dent, nous avons dégagé des ponts avec les modéli-
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et al., 2011). Cependant, les résultats quant à un défi- sations les plus récentes concernant la régulation des
cit spécifique de prise de décision chez les patients émotions et les processus de prise de décision.
schizophrènes sont inconsistants, le Iowa Gambling Si l’ambivalence en tant que symptôme n’est pas
Task (IGF) étant réussi par certains patients et raté souvent repérée, cela tient certainement à plusieurs
par d’autres. Rodriguez-Sanchez et al. (2005) sug- facteurs, comme par exemple le repérage plus systé-
gèrent que les déficits cognitifs connus dans la schi- matique des symptômes positifs ou la diminution des
zophrénie – les troubles exécutifs et les troubles de tableaux cliniques impressionnants et typiques de
la mémoire de travail (dépendants du DLPFC) – ne l’ère d’avant l’introduction des antipsychotiques. De
sont pas totalement indépendants des fonctions liées plus, il est plausible qu’elle continue à exister dans
au VMPFC, d’autant plus que ces fonctions jouent les troubles de base de la maladie, de manière plus
un rôle dans le processus de prise de décision. En discrète, c’est-à-dire sur un plan plus mentalisé et
outre, ces déficits impliqueraient des composantes moins moteur. En tout cas, notre patient et bien
de nature cognitive et/ou émotionnelle, donc pas uni- d’autres encore nous en parlent en entretien.
quement émotionnelle, ce qui peut expliquer pour- Dans l’exemple cité en début d’article, une pa-
quoi le test neuropsychologique IGT n’est pas tou- tiente nous explique comment l’ambivalence peut
jours apte à détecter des difficultés chez ces patients. être à la base de sa passivité en nous disant qu’il ne
Finalement, il se peut aussi que la variabilité des résul- peut pas choisir une boisson au restaurant. Cela peut
tats soit liée au degré d’évolution de la maladie au sembler insignifiant à première vue ; nous y voyons
moment de l’étude, certaines fonctions cérébrales se une manifestation d’ambivalence bleulérienne. En
péjorant au cours du temps. effet, ce blocage ne repose pas sur l’absence de tout
contenu idéique, désir ou projet. Au contraire, il est
le reflet d’un débordement mental qui est lié à la
Discussion capacité d’entrevoir plusieurs solutions à un même
problème et de percevoir un monde de possibles élar-
A partir du récit d’un jeune patient atteint d’un gis et fruit d’un raisonnement allant bien au-delà du
trouble du spectre de la schizophrénie, nous avons vide psychotique ou du simple raisonnement binaire.
retracé les étapes liées à l’évolution d’un concept psy- Bleuler en avait eu l’intuition à propos des observa-
chopathologique, celui d’ambivalence, qui a désor- tions des patients du Burghölzli en distinguant la

16
L’ambivalence selon Bleuler : les nouvelles trajectoires d’un symptôme oublié

Spaltung (barrage de la pensée) de la Zerspaltung dients fondamentaux d’une bonne pratique clinique,
(vide, amnésie). Un autre point de la narration a thérapie qui ne peut s’exercer sans diagnostic ou sans
retenu toute notre attention. L’évocation du seuil de référence à une connaissance approfondie de la psy-
vouloir de la part de notre patiente laisse aussi son- chopathologie, ce qui nous amène à aborder les dé-
ger à la conceptualisation bleulérienne des alterna- clinaisons de l’ambivalence selon la structuration du
tives équivalentes ne permettant pas de faire pen- psychisme.
cher la balance vers une action ou une décision. On Il n’est pas inutile de savoir que la théorie de l’am-
peut tracer ici la ligne de démarcation entre l’abou- bivalence naît en pleine révolution psychanalytique,
lie et l’apragmatisme, qui se rapportent tous deux à plus précisément en 1911 (fondation de l’IPA, démis-
la difficulté de prendre des initiatives et d’agir dans sion de Bleuler, départ de Jung du Burghölzli et mé-
la vie de tous les jours, mais qui se différencient par sentente avec Bleuler, rapprochement de Jung et
la présence (versus absence) d’un plan d’action, d’un Freud pour qui il est « l’homme de demain »). A la
désir ou d’un objectif. Dans le cas de l’aboulie, qui est suite des écrits de Bleuler, nous assistons à un chan-
un symptôme habituellement rattaché à la dépres- gement de sens du mot « ambivalence », qui est re-
sion, on peut faire l’hypothèse de plans d’action qui prise essentiellement sous sa forme affective, à par-
ne se réalisent pas à cause d’un manque d’entrain et tir des écrits de Jung principalement. Jung relie les
de dynamisme vital ; « le seuil du vouloir n’est pas symptômes à des manifestations pouvant être pré-
atteint ». A contrario, l’apragmatisme pourrait pro- sentes à l’état normal dans des conditions parti-
venir d’une interruption du plan d’action, non pas culières d’altération de la conscience et défend une
à cause d’un problème d’intensité, mais en raison approche psychologique des troubles mentaux. Par
d’impulsions pareillement intenses et contraires qui l’étude des associations des malades visant à mieux
s’annulent l’une l’autre. Selon la théorie de l’ambi- mettre en évidence les blessures affectives à la base
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valence, les patients schizophrènes ne souffrent pas des complexes, il affirme que l’attitude ambivalente
d’un problème d’intensité de la volonté, mais il n’en est un signe de résistance. Bleuler, qui a soutenu la
reste pas moins que seule l’exploration fine des ra- psychanalyse naissante, pense au contraire que les
cines de cette passivité auprès du patient peut nous éléments psychologiques du passé personnel et d’éven-
aider à identifier les fondements de ce mal-être. tuels complexes peuvent se manifester uniquement
Enfin, la patiente en question nous indique des (et assez rarement) dans les symptômes accessoires
pistes pour dépasser ce symptôme. Plus précisément, de la schizophrénie. Malgré cette dissension de fond
ce qui l’aide dans ces moments, c’est l’intervention sur la pathogénie de la schizophrénie, le succès du
d’un tiers, sa mère, qui choisit à sa place. Cela n’est terme « ambivalence » tient au fait que la psychana-
pas sans évoquer le rôle de soutien, conseil et étayage lyse l’a universalisé en le rattachant au dualisme
indispensable à la thérapie avec ces patients, surtout pulsionnel et au conflit intrapsychique. Dès lors, nous
lorsqu’ils sont dans l’impossibilité, selon Bleuler struc- assistons au changement suivant, bien décrit par
turelle au processus morbide, de le faire seuls. Der- Racamier (1990) dans son livre sur la schizophrénie :
rière l’intérêt qu’avait le médecin de comprendre ce « La stratégie du moi psychotique est avant tout anti-
groupe de maladies, il y avait bien entendu le souci ambivalente ; au lieu de travailler, comme la névrose,
de trouver un traitement et ainsi de soulager la souf- dans l’ambivalence, elle vise à la rejeter de la psyché en
france mentale. En accord avec sa théorie de l’ambi- déconnectant l’un de l’autre ses termes associés. Il est
valence, le psychiatre avait proposé, par exemple, le évident que le symptôme dénommé par E. Bleuler, qui
négativisme de commande qui n’est pas sans rappe- à juste titre y voyait un signe typique, résulte précisément
ler l’injonction paradoxale de Racamier, technique de l’exclusion de l’ambivalence au sens psychanalytique
qui consiste à ordonner au malade d’effectuer le du terme » (p. 59). Une fois devenue un objet d’étude
contraire de l’effet souhaité. De manière plus nuan- de la métapsychologie psychanalytique, l’ambiva-
cée, douce et probablement efficace, la présence bien- lence va être analysée sous l’angle génétique. Abra-
veillante d’un soignant chaleureux et empathique, ham (1924) base sa théorie des stades du dévelop-
donnant des conseils, est d’une grande utilité pour pement psycho-affectif sur les capacités de liaison et
aider ces patients à être entendus dans leur souffrance. d’intégration des pulsions, à savoir sur le degré d’am-
L’écoute de qualité et la volonté du thérapeute de bien bivalence affective. Il relie les diverses pathologies
comprendre ce que vit son patient sont des ingré- mentales à des fixations à l’un ou à l’autre stade,

17
Psychothérapies

avec des lignes de division entre les pathologies in- à explorer les défauts d’intégration de l’ambivalence,
duites par des mécanismes de régression et de pro- à mettre le doigt sur la destructivité psychique et à
gression. Melanie Klein (1921-1945) fondera ses se mesurer à la puissance des mécanismes de clivage.
positions psychiques, schizo-paranoïde et dépressive, Depuis, des techniques psychothérapeutiques visant
sur le degré d’intégration de l’ambivalence affective, une meilleure intégration des affects et une réduction
avant que Bleger (1967) confirme le fait que l’ambi- des mécanismes de clivage ont fait leur apparition
valence, ou plutôt la divalence, concerne l’objet total prévue dans le si difficile traitement des personnalités
de la position dépressive et que l’ambiguïté est une borderline. L’ancienne ambivalence bleulérienne, re-
affaire des objets agglutinés. Au delà de ces positions, tirée des manuels de référence pour poser le diagnos-
un consensus se dégage pour dire que l’ambivalence tic de schizophrénie, est aujourd’hui comprise comme
affective intégrée et mentalisée est issue de la bonne un trouble cognitif parmi d’autres. Pour revenir au
résolution du complexe d’Œdipe. C’est donc au sein sujet principal de ce numéros de Psychothérapies, nous
des névroses cliniques, et non pas des psychoses, que n’avons pas abordé la question du clivage du moi
le contenu du conflit d’ambivalence est le plus visible parce que cela aurait compliqué encore plus notre
dans des symptômes à haute valeur défensive. Ainsi, exposé. Prenant appui sur Bleuler, nous pourrions
l’hystérique sera ambivalente quant à son corps et dégager une sémiologie de la « séparation » en par-
à son pouvoir de séduction, l’obsessionnel sera ambi- tant de la fission, en passant par la scission et la
valent quant à son envie de s’affranchir de certains dissociation, pour finalement arriver au mécanisme
tabous immoraux ou sales, alors que le patient pho- de clivage, concepts qui, on l’espère, sauront rester
bique sera ambivalent quant à ses craintes affectives après ce long exposé de bons faux-amis.
profondes. Mais ce sera le difficile traitement des cas n
dits « limites » qui amènera plusieurs psychanalystes (Article reçu à la Rédaction le 3.1.2014)
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Summary Specified in 1910 by Eugen Bleuler as the fundamental symptom of disorders in the spectrum of schizo-
phrenia, ambivalence designates the tendancy of the schizophrenic mind to make coexist in a non dia-
lectic and insurpassable manner for the subject, two affective attitudes or two opposite ideas at the same
time and with the same intensity. Bleuler’s originality was to have thought of ambivalence as the result of an associative
loosering brought on by a splitting (Spaltung) or even the clear and radical disappearence (Zerspaltung) of strong associa-
tions coming from empiring thought. This symptom, which is always present, even in the mildest of cases, can manifest
itself in an affective form (« affective Ambivalenz »), a volitive form (« Ambitendenz ») or intellectual form (« intellektuelle
Ambivalenz »). Nowaday, criterium for diagnosing schizophrenia makes no more mention of Bleuler’s former ambivalence,
the major reproach being that it is a symptom that is too rare, to vague and too psychoanalytical. It is probably this last
point that is the most founded. Affective ambivalence, put in the center of the theory of instincts, is declined according
to the subject’s personality structure : it is integrated in a neurotic patient (Freud, 1938), split in a borderline patient
(Kernberg, 2004), and paradoxal in a schizophrenic patient (Racamier, 1990). Examined from the viewpoint of psychopa-
thology, we will describe these different forms of ambivalence and explain in what may they differ, to show that Bleulerian
ambivalence remains a most interesting basic disorder to diagnose, before presenting equivalents that we were able to find
from the angle of phenomenological psychiatry and by completing our exposé with contributions from experimental psy-
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Correspondance :
Véronique Beretta
Policlinique du DP-CHUV
Av. de Recordon 40
1004 Lausanne
Suisse
veronique.beretta@chuv.ch

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