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Mini-mémoire module 1 Melissa Sapin

Le questionnement circulaire chez la Famille G.

Résumé
Le présent document vise à traiter du questionnement circulaire. Cette démarche clinique est
une technique utilisée en thérapie d’orientation systémique. Par l’intermédiaire de ce
questionnement, le thérapeute permet la mise en mots des perceptions et des croyances chez un
membre de la famille vis-à-vis d’un autre membre ou vis-à-vis d’une interaction entre deux
autres membres de la famille. Les principaux processus observés dans le questionnement
circulaire sont la rétroaction, la causalité circulaire et la métacommunication. Des exemples
issus de différents entretiens avec la Famille G. permettront de mettre en lumière le
questionnement circulaire et son effet sur les interactions familiales.

Mots-clés
(1) questionnement circulaire ;
(2) métacommunication ;
(3) croyances ;
(4) causalité ;
(5) rétroaction.

Introduction
L’entrevue circulaire, composée du processus d’interrogation circulaire et du questionnement
circulaire, est une technique développée par l’équipe de Milan. Cette stratégie consiste à
« demander à un membre de la famille d’imaginer ou de décrire, selon son point de vue, les
pensées, les croyances, le comportement ou les interactions d’un ou de plusieurs tiers. » (p. 121,
Carneiro C. et al., 2013). Les perceptions implicites de la personne questionnée vis-à-vis des
perspectives de l’autre membre de la famille ou des interactions entre les autres membres de la
famille sont mises en mots. Il s’agit alors d’exposer les idées de la personne questionnée et de
déconstruire cela en apportant l’éclairage de la personne concernée, qui pourra à son tour,
valider ou infirmer les perceptions de l’autre par des mots, des explications. Par ce processus,
il y a une ouverture à d’autres possibles, d’autres points de repères que ceux « normalement »
supposés. Le présent document portera sur les questions circulaires et leurs utilisations au cours
de la thérapie de la famille G.

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Revue de la littérature
L’équipe de Milan et particulièrement Mara Selvini-Palazzoli ont développé la technique de
l’entrevue circulaire (composée de l’interrogation circulaire et du questionnement circulaire).
Voici la définition que Selvini-Palazzoli, Boscolo, Cecchin et Prata (1982) donnent du concept
de circularité : « Par circularité, nous entendons la capacité du thérapeute à conduire son
investigation en se basant sur les rétroactions de la famille en réponse aux informations qu'il
sollicite sur les relations et, par conséquent, sur la différence et le changement dans les relations
mêmes. » (p.5).
Toutefois, revenons à l’origine de ce concept de circularité. Selon la littérature étudiée, il s’agit
d’une notion développée par Gregory Bateson dans le domaine des sciences humaines de
manière très globale. Selon cet auteur, la complexité et l’interconnexion des cellules, des êtres
vivants, de l’environnement, ne peuvent s’expliquer par une simple causalité linéaire : (A) a
une influence sur (B), sans autre effet. Au contraire, le monde vivant est un ensemble possédant
des caractéristiques qui ne peuvent pas être listées séparément. Une action entraîne une
modification, une réponse d’une ou de plusieurs autres caractéristiques avec un cycle
d’influences mutuelles : (A)  (B). La causalité devient circulaire. Il n’y a pas de début et de
fin, mais un enchaînement de réponse à l’action de l’autre (Wittezaele et García-Rivera, 2006).
Le questionnement circulaire de l’équipe de Milan a inspiré d’autres thérapeutes qui ont
modifié, adapté cette technique. Nous pouvons notamment citer l’interventive questioning de
Karl Tomm ou encore Peggy Penn de l’Institut Ackermann à New York (Lane, 1994).
Le concept de circularité avancé par Bateson et appliqué par l’équipe de Milan aux interactions
familiales peut être interprété comme suit :
L’action du membre (A) influence le membre (B), puis dans un processus de réciprocité, la
réponse de (B) influencera (A). Une phrase et/ou un comportement d’un membre d’une famille
(A) peut être perçu, interprété de différentes manières par un autre membre de la famille (B).
Ce dernier (B) est invité par le thérapeute à mettre en mots son ou ses hypothèse(s) puis de la-
les vérifier auprès du premier (A). Celui-ci (A) viendra alors infirmer ou confirmer la ou les
hypothèse(s) et donnera ainsi une autre lecture au membre de la famille (B) (Cassanas, 2003).
Dans une optique semblable, le schéma peut être répété et complexifié par une lecture à trois
membres familiaux ou plus. Ainsi, le comportement de (A) vis-à-vis de (B) peut être interprété
d’une manière « X » par (B) et d’une manière « Y » par (C). De cette situation initiale, le
thérapeute demande à (C) d’exposer son interprétation du comportement de (A) vis-à-vis de
(B). La deuxième étape consistera à demander à (A) et (B) leurs retours par rapport aux
hypothèses, aux croyances émises par (C).

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Le thérapeute créée les conditions pour permettre aux perceptions de circuler entre les membres
de la famille et ainsi permettre l’expérimentation de nouveaux comportements et/ou de
nouveaux modes d’échanges (Cassanas, 2003). La demande du thérapeute de se « mettre à la
place » de l’autre, en réfléchissant aux « bonnes raisons » qui sont derrière les comportements-
mots (par exemple : quels sont les comportements que ta mère observe, qui la poussent à penser
ça ?), créée une circularité des croyances exprimées du membre de la famille, voire de la famille
complète, dans les interactions familiales (Cassanas, 2003).
Du point de vue du thérapeute, cela permet, au cours du premier entretien, de connaître les
représentation que chaque membre a à propos d’un autre, et aussi de donner une « idée des
compétences de communication des messages d’appréciation dans la famille » (p. 220,
Gammer, 2005).
Les deux principes clé de l’école de Milan par rapport à la circularité sont 1. L’information se
situe dans les différences ; 2. La différence est une relation (Selvini-Palazzoli et al., 1982). Les
membres de la famille sont un système global en interactions perpétuelles et circulaires. Ils
fonctionnement ensemble selon un ou plusieurs schémas interactionnels habituels. Le système
est constamment en train de changer et de s’ajuster, tout en respectant les schémas habituels.
Le problème émerge lorsqu’apparaissent des discrépances entre les schémas habituels et les
possibilités d’interaction entre les membres de la famille. Par les questions circulaires, le
thérapeute tentera d’amener une autre signification habituellement produite par le système en
combinant des informations exposées par la famille elle-même (Lane, 1994).
Le thérapeute devra aussi faire preuve d’une position méta : il s’agit d’un espace intérieur qui
permet au thérapeute d’être en résonnance, de penser ce qu’il se joue, ce qu’il se dit lors de la
thérapie, qui se trouve à un autre niveau de celui où se trouve la famille (Lane, 1994). Cette
position est la clé du changement que le thérapeute peut amener dans le système, plutôt qu’à
maintenir le problème. La position méta donne l’opportunité au thérapeute de se centrer sur le
processus en cours, plutôt que sur le contenu rapporté par les membres du système. Ainsi
l’accent sera mis sur « la manière dont le message est transmis », « qui est son destinataire ? »
et « quel impact ce message aura sur le destinataire ? » (Lane 1994).
Les auteurs évoqués précédemment s’accordent sur le potentiel systémique de cette technique
thérapeutique. Le processus circulaire permet au thérapeute d’obtenir de l’information. Il prend
connaissance des effets des comportements et de la manière dont il pourrait faciliter le
changement du système par effet de réciprocité. Le changement qui sera évoqué pour la famille,
l’amène lui-même à évoluer sur les perceptions qu’il se fait de la famille, de ce système en
interaction perpétuelle et circulaire et de définir ainsi ses hypothèses de travail (Lane, 1994).

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Quant au système familial, il apporte de nouvelles informations ou approfondies certaines qu’il


n’aurait pas pensé pertinentes. La famille est preneuse ou non des associations proposées par le
thérapeute ce qui l’amène potentiellement à envisager un changement de sa compréhension du
problème évoqué.
En d’autres termes, les thérapeutes de la Famille G., par leurs questions circulaires, cherchent
à offrir à un membre de la famille l’opportunité d’évoquer ses perceptions de l’autre et de les
expliciter afin de faire émerger une différence dans l’interaction en cours ou passée (Lane,
1994).

Présentation de la situation clinique


La Famille G. est composée d’une mère et de ses deux enfants. La fratrie est formée de Lazar,
l’aîné, âgé de 15 ans et de Luca, son frère, âgé de 13 ans. Le patient désigné est Lazar. La
famille est d’origine serbe. Les parents et les enfants ont vécu en Suisse jusqu’en 2012, puis la
famille a déménagé en Serbie. En 2016, le père est décédé brutalement de la grippe aviaire en
Serbie. En 2018, Madame décide de revenir avec ses enfants en Suisse pour qu’ils y poursuivent
leur vie ainsi que leur scolarité. La demande de consultation porte sur leur « mal être » depuis
le retour en Suisse et comment « se retrouver à trois ». L’adaptation serait plus compliquée pour
le frère ainé que pour le cadet. Ces deux éléments participeraient à la présence de fréquentes
altercations entre les membres de la famille. Notamment entre Lazar et sa mère, ainsi qu’entre
Lazar et Luca. Des actes de violences entre les membres sont évoqués dans un second temps.
À plusieurs reprises, lors des entretiens, les thérapeutes mettent l’accent sur les implicites dans
les interactions entre les membres de la famille. Ces implicites sont souvent source
d’altercations et chaque membre campe sur ses positions. Une loyauté entre la mère et le frère
cadet est relevé au fil des séances.

Présentation de l’effet thérapeutique du questionnement circulaire dans la Famille G.


Extrait n° 1 : entretien du 29.04.2019 (2ème entretien)
Les trois membres de la famille sont présents. Madame expose un exemple où tous les trois se
trouvaient à l’aéroport. Une thérapeute, invite Madame à réfléchir à quelles sont les intentions
de ses enfants derrière le fait qu’ils examinent tous les gestes de leur mère. Madame commence
par « ils me voient autrement » et suite à une demande de précision, Madame, peut émettre
l’hypothèse suivante : « peut-être qu’ils ont l’impression que je suis pas sûre de moi ». Lazar
confirme spontanément « bien sûr que tu es pas sûre de toi ». Plus tard dans l’entretien, la parole
est donné à Luca pour qu’il partage ses perceptions de la situation. L’espace qui lui est donné
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est insuffisant. En effet, Madame prend rapidement la parole pour répondre à la place de son
fils.
Dans cet extrait, l’hypothèse de Madame par rapport aux comportements de ses enfants vis-à-
vis d’elle est confirmée d’emblée par son fils aîné. Dans ce cas-là, l’intervention du thérapeute
n’est pas nécessaire pour demander à Madame de vérifier son hypothèse auprès de ses enfants
et le système familiale fonctionne de manière autonome. Du point de vue du thérapeute, cela
permet de relever que Madame peut avoir une bonne lecture par rapport aux croyances de ses
enfants vis-à-vis d’elle dans certaines situations. Toutefois, la circularité en place dans cet
extrait ne permet pas encore de voir un potentiel changement, une différence dans leurs
interactions.

Extrait n°2 : entretien du 26.08.2019 (7ème entretien)


Dans cet extrait, seuls Madame et le frère aîné (Lazar) sont présents. Les échanges entre Lazar
et sa mère portent sur les nombreux coups de téléphone échangés entre Madame et Luca lorsque
ce dernier était en vacances en Serbie. Lazar trouve qu’ils étaient trop fréquents. Madame trouve
la fréquence normale. À un certain moment, Lazar rétorque à sa mère « je t’ai pas agressé ».
Les thérapeutes questionnent Lazar sur l’origine de son impression « d’agressivité » chez sa
mère. Il répond que c’est la phrase « c’est mon droit » émise par sa mère qui lui « démontre »
la position de défense dans laquelle vient de se mettre sa mère. En rétroaction, sa mère reste
silencieuse. Les thérapeutes creusent la signification de cette phrase pour Lazar et l’agressivité
vis-à-vis de sa mère qu’il a ressentie.
Une des lectures possible des interactions est que Lazar a une connaissance des termes utilisés
par sa mère lorsque celle-ci se met en position défensive face à ses propos. En effet, Madame
confirme l’hypothèse de son fils, avec l’aide (un peu trop rapide) d’une des thérapeutes pour
mettre un mot sur le sentiment que Lazar suppose chez sa mère (se sentir en tort). Cependant,
l’intervention n’améliore pas la dynamique relationnelle sur le moment, Madame entre dans un
processus de justification et énumère tout ce qu’elle a fait de bien pour Lazar pendant les
vacances. Toutefois, les thérapeutes peuvent émettre l’hypothèse que le silence de Madame lui
a permis d’entendre de la part de son fils « l’impact » des mots qu’elle utilise sur lui.

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Bibliographie

1. Canassas J. Questionnement circulaire et identification. Dialogue, 2003: 3 (161); 53-64.

2. Carneiro C, Vaudan C, Duc Marwood A, Darwiche J, Despland JN et de Roten Y.


L'« Intervention systémique brève » : un manuel thérapeutique. Thérapie Familiale,
2013: 34 ; 115-130.

3. Gammer C. La voix de l’enfant dans la thérapie familiale. Toulouse : Erès ; 2005.

4. Lane T. La circularité du questionnement et des questions dans l’entrevue circulaire.


Service social, 1994: 43 (3); 59–77.

5. Selvini-Palazzoli M, Boscolo L, Cecchin G, Prata G. Hypothétisation – circularité –


neutralité. Guides pour celui qui conduit la séance. Thérapie Familiale, 1982: 3(3);117-
132.

6. Wittezaele JJ, García-Rivera T. A la recherche de l’école de Palo Alto. Paris :Edition


du Seuil ; 2006.

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